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+The Project Gutenberg EBook of Oeuvres de Napoléon Bonaparte, Tome IV.
+by Napoléon Bonaparte
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
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+
+Title: Oeuvres de Napoléon Bonaparte, Tome IV.
+
+Author: Napoléon Bonaparte
+
+Release Date: August 15, 2004 [EBook #13192]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK OEUVRES DE NAPOLEON, IV ***
+
+
+
+
+Produced by Robert Connal, Renald Levesque and the Online Distributed
+Proofreading Team from images generously made available by Gallica
+(Bibliothèque nationale de France) at http://gallica.bnf.fr.
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+OEUVRES
+
+DE
+
+NAPOLÉON
+
+BONAPARTE.
+
+TOME QUATRIÈME.
+
+MDCCCXXI.
+
+
+
+LIVRE CINQUIÈME.
+
+
+
+EMPIRE. 1806.
+
+
+
+Munich, le 6 janvier 1806[1].
+
+_Au sénat conservateur._
+
+Sénateurs,
+
+«La paix a été conclue à Presbourg et ratifiée à Vienne entre moi et
+l'empereur d'Autriche. Je voulais, dans une séance solennelle, vous en
+faire connaître moi-même les conditions; mais ayant depuis long-temps
+arrêté, avec le roi de Bavière, le mariage de mon fils le prince Eugène,
+avec la princesse Augusta, sa fille, et me trouvant à Munich au moment
+où la célébration du mariage devait avoir lieu, je n'ai pu résister au
+plaisir d'unir moi-même les jeunes époux qui sont tous deux le modèle de
+leur sexe. Je suis, d'ailleurs, bien aise de donner à la maison royale
+de Bavière, et à ce brave peuple bavarois, qui, dans cette circonstance,
+m'a rendu tant de services et montré tant d'amitié, et dont tes ancêtres
+furent constamment unis de politique et de coeurs à la France, cette
+preuve de ma considération et de mon estime particulière.
+
+Le mariage aura lieu le 15 janvier. Mon arrivée au milieu de mon peuple
+sera donc retardée de quelques jours; ces jours paraîtront longs à mon
+coeur; mais après avoir été sans cesse livré aux devoirs d'un soldat,
+j'éprouve un tendre délassement à m'occuper des détails et des devoirs
+d'un père de famille. Mais ne voulant point retarder davantage la
+publication du traité de paix, j'ai ordonné, en conséquence de nos
+statuts constitutionnels, qu'il vous fût communiqué sans délai, pour
+être ensuite publié comme loi de l'empire.
+
+NAPOLÉON.
+
+[Note 1: A compter du 1er janvier 1806, le calendrier républicain a
+été supprimé par une loi.]
+
+
+
+Munich, le 12 janvier 1806.
+
+_Au sénat conservateur._
+
+Sénateurs,
+
+«Le sénatus-consulte organique du 18 floréal an 12 a pourvu à tout ce
+qui était relatif à l'hérédité de la couronne impériale en France.
+
+«Le premier statut constitutionnel de notre royaume d'Italie, en date du
+19 mars 1805, a fixé l'hérédité de cette couronne dans notre descendance
+directe et légitime, soit naturelle, soit adoptive[2].
+
+«Les dangers que nous avons courus au milieu de la guerre, et qui se
+sont encore exagérés chez nos peuples d'Italie, ceux que nous pouvons
+courir en combattant les ennemis qui restent encore à la France, leur
+font concevoir de vives inquiétudes: ils ne jouissent pas de la sécurité
+que leur offre la modération et la libéralité de nos lois, parce que
+leur avenir est encore incertain.
+
+«Nous avons considéré comme un de nos premiers devoirs de faire cesser
+ces inquiétudes.
+
+«Nous nous sommes en conséquence déterminé à adopter comme notre fils le
+prince Eugène, archi-chancelier d'état de notre empire, et vice-roi de
+notre royaume d'Italie. Nous l'avons appelé, après nous et nos enfans
+naturels et légitimes, au trône d'Italie, et nous avons statué qu'à
+défaut, soit de notre descendance directe, légitime et naturelle, soit
+de la descendance du prince Eugène, notre fils, il appartiendra au
+parent le plus proche de celui des princes de notre sang, qui, le cas
+arrivant, se trouvera alors régner en France.
+
+«Nous avons jugé de notre dignité que le prince Eugène jouisse de tous
+les honneurs attachés à notre adoption, quoiqu'elle ne lui donne des
+droits que sur la couronne d'Italie; entendant que dans aucun cas, ni
+dans aucune circonstance, notre adoption ne puisse autoriser ni lui, ni
+ses descendans, à élever des prétentions sur la couronne de France,
+dont la succession est irrévocablement réglée par les constitutions de
+l'empire.
+
+«L'histoire de tous les siècles nous apprend que l'uniformité des lois
+nuit essentiellement à la force et à la bonne organisation des empires,
+lorsqu'elle s'étend au-delà de ce que permettent, soit les moeurs des
+nations, soit les considérations géographiques.
+
+«Nous nous réservons, d'ailleurs, de faire connaître par des
+dispositions ultérieures les liaisons que nous entendons qu'il existe
+après nous, entre tous les états fédératifs de l'empire français. Les
+différentes parties indépendantes entre elles, ayant un intérêt commun,
+doivent avoir un lien commun.
+
+«Nos peuples d'Italie accueilleront avec des transports de joie les
+nouveaux témoignages de notre sollicitude; ils verront un garant de la
+félicité dont ils jouissent, dans la permanence du gouvernement de ce
+jeune prince, qui, dans des circonstances si orageuses, et surtout dans
+ces premiers momens si difficiles pour les hommes même expérimentés, a
+su gouverner par l'amour, et faire chérir nos lois.
+
+«Il nous a offert un spectacle dont tous les instans nous ont vivement
+intéressés. Nous l'avons vu mettre en pratique, dans des circonstances
+nouvelles, les principes que nous nous étions étudié à inculquer dans
+son esprit et dans son coeur, pendant tout le temps où il a été sous nos
+yeux. Lorsqu'il s'agira de défendre nos peuples d'Italie, il se montrera
+également digne d'imiter et de renouveler ce que nous pouvons avoir fait
+de bien dans l'art si difficile des batailles.
+
+«Au même moment où nous avons ordonné que notre quatrième statut
+constitutionnel fût communiqué aux trois collèges d'Italie, il nous a
+paru indispensable de ne pas différer un instant à vous instruire des
+dispositions qui assoient la prospérité et la durée de l'empire sur
+l'amour et l'intérêt de toutes les nations qui le composent. Nous avons
+aussi été persuadés que tout ce qui est pour nous un sujet de bonheur et
+de joie, ne saurait être indifférent ni à vous, ni à mon peuple.»
+
+NAPOLÉON.
+
+[Note 2: Art. 2. La couronne d'Italie est héréditaire dans sa
+descendance directe et légitime, soit naturelle, soit adoptive, de mâle
+en mâle, et à l'exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance,
+sans néanmoins que son droit d'adoption puisse s'étendre sur une autre
+personne, qu'un citoyen de l'empire français ou du royaume d'Italie
+(_Statut constitutionnel du royaume d'Italie_, 19 mars 1805).]
+
+
+
+Paris, le 2 mars 1806.
+
+_Discours prononcé par l'empereur à l'ouverture du corps législatif._
+
+«Messieurs les députés des départemens au corps législatif, messieurs
+les tribuns et les membres de mon conseil d'état, depuis votre dernière
+session, la plus grande partie de l'Europe s'est coalisée avec
+l'Angleterre. Mes armées n'ont cessé de vaincre que lorsque je leur ai
+ordonné de ne plus combattre. J'ai vengé les droits des états faibles,
+opprimés par les forts. Mes alliés ont augmenté en puissance et en
+considération; mes ennemis ont été humiliés et confondus; la maison de
+Naples a perdu sa couronne sans retour; la presqu'île de l'Italie toute
+entière fait partie du grand empire. J'ai garanti, comme chef suprême,
+les souverains et les constitutions qui en gouvernent les différentes
+parties.
+
+«La Russie ne doit le retour des débris de son armée, qu'au bienfait de
+la capitulation que je lui ai accordée. Maître de renverser le trône
+impérial d'Autriche, je l'ai raffermi. La conduite du cabinet de Vienne
+sera telle, que la postérité ne me reprochera pas d'avoir manqué de
+prévoyance. J'ai ajouté une entière confiance aux protestations qui
+m'ont été faites par son souverain. D'ailleurs, les hautes destinées de
+ma couronne ne dépendent pas des sentimens et des dispositions des
+cours étrangères. Mon peuple maintiendra toujours ce trône à l'abri
+des efforts de la haine et de la jalousie; aucun sacrifice ne lui sera
+pénible pour assurer ce premier intérêt de la patrie.
+
+«Nourri dans les camps, et dans des camps toujours triomphans, je dois
+dire cependant que, dans ces dernières circonstances, mes soldats ont
+surpassé mon attente; mais il m'est doux de déclarer aussi que mon
+peuple a rempli tous ses devoirs. Au fond de la Moravie, je n'ai
+pas cessé un instant d'éprouver les effets de son amour et de son
+enthousiasme. Jamais il ne m'en a donné des marques qui aient pénétré
+mon coeur de plus douces émotions. Français! je n'ai pas été trompé dans
+mon espérance. Votre amour, plus que l'étendue et la richesse de votre
+territoire, fait ma gloire. Magistrats, prêtres, citoyens, tous se sont
+montrés dignes des hautes destinées de cette belle France, qui, depuis
+deux siècles, est l'objet des ligues et de la jalousie de ses voisins.
+
+«Mon ministre de l'intérieur vous fera connaître les événemens qui se
+sont passés dans le cours de l'année. Mon conseil-d'état vous présentera
+des projets de lois pour améliorer les différentes branches de
+l'administration. Mes ministres des finances et du trésor public vous
+communiqueront les comptes qu'ils m'ont rendus, vous y verrez l'état
+prospère de nos finances. Depuis mon retour, je me suis occupé sans
+relâche de rendre à l'administration ce ressort et cette activité qui
+portent la vie jusqu'aux extrémités de ce vaste empire. Mon peuple
+ne supportera pas de nouvelles charges, mais il vous sera proposé de
+nouveaux développemens au système des finances, dont les bases ont été
+posées l'année dernière. J'ai l'intention de diminuer les impositions
+directes qui pèsent uniquement sur le territoire, en remplaçant une
+partie de ces charges par des perceptions indirectes.
+
+«Les tempêtes nous ont fait perdre quelques vaisseaux après un combat
+imprudemment engagé. Je ne saurais trop me louer de la grandeur d'âme et
+de l'attachement que le roi d'Espagne a montrés dans ces circonstances
+pour la cause commune. Je désire la paix avec l'Angleterre. De mon
+côté, je n'en retarderai jamais le moment. Je serai toujours prêt à la
+conclure, en prenant pour base les stipulations du traité d'Amiens.
+Messieurs les députés du corps législatif, l'attachement que vous m'avez
+montré, la manière dont vous m'avez secondé dans les dernières sessions
+ne me laissent point de doute sur votre assistance. Rien ne vous sera
+proposé qui ne soit nécessaire pour garantir la gloire et la sûreté de
+mes peuples.»
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Au palais des Tuileries, le 15 mars 1806.
+
+_Acte impérial._
+
+Napoléon, par la grâce de Dieu et les constitutions, empereur des
+Français et roi d'Italie, à tous ceux gui les présentes verront salut:
+
+LL. MM. les rois de Prusse et de Bavière nous ayant cédé respectivement
+les duchés de Clèves et de Berg dans toute leur souveraineté,
+généralement avec tous droits, titres et prérogatives qui ont été de
+tous temps attachés à la possession de ces deux duchés, ainsi qu'ils ont
+été possédés par eux, pour en disposer en faveur d'un prince à notre
+choix, nous avons transmis lesdits duchés, droits, titres, prérogatives,
+avec la pleine souveraineté, ainsi qu'ils nous ont été cédés, et
+les transmettons par la présente au prince Joachim, notre très-cher
+beau-frère, pour qu'il les possède pleinement et dans toute leur
+étendue, en qualité de duc de Clèves et de Berg, et les transmette
+héréditairement à ses descendans mâles naturels et légitimes, d'après
+l'ordre de primogéniture, avec exclusion perpétuelle du sexe féminin et
+de sa descendance.
+
+Mais si, ce que Dieu veuille prévenir, il n'existait plus de descendant
+mâle, naturel et légitime dudit prince Joachim, notre beau-frère, les
+duchés de Clèves et de Berg passeront avec tous droits, titres et
+prérogatives, à nos descendans mâles, naturels et légitimes, et s'il
+n'en existe plus, aux descendans de notre frère le prince Joseph, et à
+défaut d'eux, aux descendans de notre frère le prince Louis, sans que
+dans aucun cas lesdits duchés de Clèves et de Berg puissent être réunis
+à notre couronne impériale.
+
+Comme nous avons été particulièrement déterminés au choix que nous avons
+fait de la personne du prince Joachim, notre beau-frère, parce que nous
+connaissons ses qualités distinguées, et que nous étions assuré des
+avantages qui doivent en résulter pour les habitans des duchés de Berg
+et de Clèves, nous avons la ferme confiance qu'ils se montreront dignes
+de la grâce de leur nouveau prince, en continuant de jouir de la bonne
+réputation acquise sous leur ancien prince, par leur fidélité et
+attachement, et qu'ils mériteront par là notre grâce et notre protection
+impériale.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Au palais des Tuileries, le 30 mars 1806.
+
+_Message au sénat conservateur._
+
+Sénateurs,
+
+«Nous avons chargé notre cousin, l'archi-chancelier de l'empire, de vous
+donner connaissance, pour être transcrits sur vos registres: 1°. Des
+statuts qu'en vertu de l'article 14 de l'acte des constitutions de
+l'empire, en date du 28 floréal an 12, nous avons jugé convenable
+d'adopter: ils forment la loi de notre famille impériale. 2°. De la
+disposition que nous avons faite du royaume de Naples et de Sicile, des
+duchés de Berg et de Clèves, du duché de Guastalla et de la principauté
+de Neufchâtel, que différentes transactions politiques ont mis entre
+nos mains. 3°. De l'accroissement de territoire que nous avons trouvé à
+propos de donner, tant à notre royaume d'Italie, en y incorporant tous
+les états vénitiens, qu'à la principauté de Lucques.
+
+«Nous avons jugé, dans ces circonstances, devoir imposer plusieurs
+obligations, et faire supporter plusieurs charges à notre couronne
+d'Italie, au roi de Naples et au prince de Lucques. Nous avons ainsi
+trouvé moyen de concilier les intérêts et la dignité de notre trône, et
+le sentiment de notre reconnaissance pour les services qui nous ont été
+rendus dans la carrière civile et dans la carrière militaire. Quelle
+que soit la puissance à laquelle la divine Providence et l'amour de nos
+peuples nous aient élevé, elle est insuffisante pour récompenser tant
+de braves, et pour reconnaître les nombreux témoignages de fidélité
+et d'amour qu'ils ont donnés à notre personne. Vous remarquerez dans
+plusieurs des dispositions qui vous seront communiquées, que nous ne
+nous sommes pas uniquement abandonné aux sentimens affectueux dont nous
+étions pénétré, et au bonheur de faire du bien à ceux qui nous ont si
+bien servi: nous avons été principalement guidé par la grande pensée de
+consolider l'ordre social et notre trône qui en est le fondement et la
+base, et de donner des centres de correspondance et d'appui à ce grand
+empire; elle se rattache à nos pensées les plus chères, à celle à
+laquelle nous avons dévoué notre vie entière, la grandeur et la
+prospérité de nos peuples.»
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Au palais des Tuileries, le 30 mars 1806.
+
+_Préambule de l'acte constitutif de la famille impériale._
+
+Napoléon, par la grâce de Dieu et les constitutions de l'état, empereur
+des Français et roi d'Italie, à tous présens et à venir, salut:
+
+L'article 14 de l'acte des constitutions du 28 floréal an 12, porte que
+nous établirons par des statuts auxquels nos successeurs seront tenus
+de se conformer, les devoirs des individus de tout sexe, membres de
+la maison impériale, envers l'empereur. Pour nous acquitter de cette
+importante obligation, nous avons considéré dans son objet et dans ses
+conséquences la disposition dont il s'agit, et nous avons pesé les
+principes sur lesquels doit reposer le statut constitutionnel qui
+formera la loi de notre famille. L'état des princes appelés à régner sur
+ce vaste empire et à le fortifier par des alliances, ne saurait être
+absolument le même que celui des autres Français. Leur naissance, leur
+mariage, leur décès, les adoptions qu'ils pourraient faire, intéressent
+la nation toute entière, et influent plus ou moins sur ses destinées;
+comme tout ce qui concerne l'existence sociale de ces principes
+appartient plus au droit politique qu'au droit civil, les dispositions
+de celui-ci ne peuvent leur être appliquées qu'avec les modifications
+déterminées par la raison d'état; et si cette raison d'état leur impose
+des obligations dont les simples citoyens sont affranchis, ils doivent
+les considérer comme une conséquence nécessaire de cette haute dignité
+à laquelle ils sont élevés, et qui les dévoue sans réserve aux grands
+intérêts de la patrie et à la gloire de notre maison. Des actes aussi
+importans que ceux qui constatent l'état civil de la maison impériale,
+doivent être reçus dans les formes les plus solennelles; la dignité du
+trône l'exige, et il faut d'ailleurs rendre toute surprise impossible.
+
+En conséquence, nous avons jugé convenable de confier à notre cousin
+l'archi-chancelier de l'empire, le droit de remplir exclusivement,
+par rapport à nous et aux princes et princesses de notre maison, les
+fonctions attribuées par les lois aux officiers de l'état civil. Nous
+avons aussi commis à l'archi-chancelier le soin de recevoir le testament
+de l'empereur et le statut qui fixera le douaire de l'impératrice. Ces
+actes, ainsi que ceux de l'état civil, tiennent de si près à la maison
+impériale et à l'ordre politique, qu'il est impossible de leur appliquer
+exclusivement les formes ordinairement employées pour les contrats et
+pour les dispositions de dernière volonté.
+
+Après avoir réglé l'état des princes et princesses de notre sang, notre
+sollicitude devait se porter sur l'éducation de leurs enfans; rien de
+plus important que d'écarter d'eux, de bonne heure, les flatteurs qui
+tenteraient de les corrompre; les ambitieux qui, par des complaisances
+coupables, pourraient capter leur confiance, et préparer à la nation des
+souverains faibles, sous le nom desquels ils se promettraient un jour de
+régner. Le choix des personnes chargées de l'éducation des enfans des
+princes et princesses de la maison impériale doit donc être réservé à
+l'empereur. Nous avons ensuite considéré les princes et princesses dans
+les actions communes de la vie. Trop souvent la conduite des princes a
+troublé le repos des peuples, et produit des déchiremens dans l'état.
+Nous devons armer les empereurs qui régneront après nous, de tout le
+pouvoir nécessaire pour prévenir ces malheurs dans leur cause éloignée,
+pour les arrêter dans leurs progrès, pour les étouffer lorsqu'ils
+éclatent. Nous avons aussi pensé que les princes de l'empire, titulaires
+des grandes dignités, étant appelés par leurs éminentes prérogatives
+à servir d'exemple au reste de nos sujets, leur conduite devait, à
+plusieurs égards, être l'objet de notre particulière sollicitude. Tant
+de précautions seraient sans doute inutiles, si les souverains qui sont
+destinés à s'asseoir un jour sur le trône impérial, avaient, comme nous,
+l'avantage de ne voir autour d'eux que des parens dévoués à leur service
+et au bonheur des peuples, que des grands, distingués par un attachement
+inviolable à leur personne; mais notre prévoyance doit se porter sur
+d'autres temps, et notre amour pour la patrie nous presse d'assurer,
+s'il se peut, aux Français, pour une longue suite de siècles, l'état de
+gloire et de prospérité où, avec l'aide de Dieu, nous sommes parvenu à
+les placer.
+
+A ces causes, nous avons décrété et décrétons le présent statut, auquel,
+en exécution de l'article 14 de l'acte des constitutions de l'empire, du
+28 floréal an 12, nos successeurs seront tenus de se conformer.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Au palais des Tuileries, le 30 mars 1806.
+
+_Acte impérial_.
+
+Les intérêts de notre peuple, l'honneur de notre couronne, et la
+tranquillité du continent de l'Europe, voulant que nous assurions d'une
+manière stable et définitive le sort des peuples de Naples et de Sicile
+tombés en notre pouvoir par le droit de conquête, et faisant d'ailleurs
+partie du grand empire, nous avons déclaré et déclarons par les
+présentes, reconnaître pour roi de Naples et de Sicile, notre frère bien
+aimé Joseph Napoléon, grand-électeur de France. Cette couronne sera
+héréditaire par ordre de primogéniture dans sa descendance masculine,
+légitime et naturelle. Venant à s'éteindre, ce que Dieu ne veuille, sa
+dite descendance, nous prétendons y appeler nos enfans mâles, légitimes
+et naturels, par ordre de primogéniture, et à défaut de nos enfans
+mâles, légitimes et naturels, ceux de notre frère Louis et de
+sa descendance masculine, légitime et naturelle, par ordre de
+primogéniture; nous réservant, si notre frère Joseph Napoléon venait
+à mourir de notre vivant, sans laisser d'enfans mâles, légitimes et
+naturels, le droit de désigner, pour succéder à ladite couronne, un
+prince de notre maison, ou même d'y appeler un enfant adoptif, selon
+que nous le jugerons convenable pour l'intérêt de nos peuples et pour
+l'avantage du grand système que la divine Providence nous a destiné à
+fonder.
+
+Nous instituons dans ledit royaume de Naples et de Sicile six grands
+fiefs de l'empire, avec le titre de duché et les mêmes avantages et
+prérogatives que ceux qui sont institués dans les provinces vénitiennes
+réunies à notre couronne d'Italie, pour être, lesdits duchés, grands
+fiefs de l'empire, à perpétuité, et le cas échéant, à notre nomination
+et à celle de nos successeurs. Tous les détails de la formation desdits
+fiefs sont remis aux soins de notre dit frère Joseph Napoléon.
+
+Nous nous réservons sur ledit royaume de Naples et de Sicile, la
+disposition d'un million de rentes pour être distribué aux généraux,
+officiers et soldats de notre armée qui ont rendu le plus de services
+à la patrie et au trône, et que nous désignerons à cet effet, sous
+la condition expresse de ne pouvoir, lesdits généraux, officiers ou
+soldats, avant l'expiration de dix années, vendre ou aliéner lesdites
+rentes qu'avec notre autorisation.
+
+Le roi de Naples sera à perpétuité grand dignitaire de l'empire, sous
+le titre de grand-électeur; nous réservant toutefois, lorsque nous le
+jugerons convenable, de créer la dignité de prince vice-grand-électeur.
+
+Nous entendons que la couronne de Naples et de Sicile, que nous plaçons
+sur la tête de notre frère Joseph Napoléon et de ses descendans,
+ne porte atteinte en aucune manière que ce soit à leurs droits de
+succession au trône de France. Mais il est également dans notre volonté
+que les couronnes, soit de France, soit d'Italie, soit de Naples et de
+Sicile, ne puissent jamais être réunies sur la même tête.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Au palais des Tuileries, le 30 mars 1806.
+
+_Acte impérial._
+
+Napoléon, par la grâce de Dieu et les constitutions, empereur des
+Français et roi d'Italie, à tous présens et à venir, salut:
+
+La principauté de Guastalla étant à notre disposition, nous en avons
+disposé, comme nous en disposons par les présentes, en faveur de la
+princesse Pauline, notre bien-aimée soeur, pour en jouir, en toute
+propriété et souveraineté, sous le titre de princesse et duchesse de
+Guastalla.
+
+Nous entendons que le prince Borghèse, son époux, porte le titre de
+prince et duc de Guastalla; que cette principauté soit transmise,
+par ordre de primogéniture, à la descendance masculine, légitime et
+naturelle de notre soeur Pauline; et, à défaut de ladite descendance
+masculine, légitime et naturelle, nous nous réservons de disposer de la
+principauté de Guastalla, à notre choix, et ainsi que nous le jugerons
+convenable pour le bien de nos peuples, et pour l'intérêt de notre
+couronne.
+
+Nous entendons toutefois que le cas arrivant où ledit prince Borghèse
+survivrait à son épouse, notre soeur, la princesse Pauline, il ne cesse
+pas de jouir personnellement et sa vie durant, de ladite principauté.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Au palais des Tuileries, le 30 mars 1806.
+
+_Acte impérial._
+
+Voulant donner à notre cousin le maréchal Berthier, notre grand-veneur
+et notre ministre de la guerre, un témoignage de notre bienveillance
+pour l'attachement qu'il nous a montré, et la fidélité et le talent
+avec lesquels il nous a constamment servi, nous avons résolu de lui
+transférer, comme en effet, nous lui transférons par les présentes, la
+principauté de Neufchâtel avec le titre de prince et duc de Neufchâtel,
+pour la posséder en toute propriété et souveraineté, telle qu'elle nous
+a été cédée par S.M. le roi de Prusse. Nous entendons qu'il transmettra
+ladite principauté à ses enfans mâles, légitimes et naturels, par ordre
+de primogéniture, nous réservant, si sa descendance masculine légitime
+et naturelle venait à s'éteindre, ce que Dieu ne veuille, de transmettre
+ladite principauté aux mêmes titres et charges, à notre choix, et ainsi
+que nous le croirons convenable pour le bien de nos peuples et l'intérêt
+de notre couronne. Notre cousin le maréchal Berthier prêtera en nos
+mains, et en sa dite qualité de prince et duc de Neufchâtel, le serment
+de nous servir en bon et loyal sujet. Le même serment sera prêté
+à chaque vacance par ses successeurs. Nous ne doutons pas qu'ils
+n'héritent de ses sentimens pour nous, et qu'ils nous portent, ainsi
+qu'à nos descendans, le même attachement et la même fidélité. Nos
+peuples de Neufchâtel mériteront, par leur obéissance envers leur
+nouveau souverain, la protection spéciale qu'il est dans notre intention
+de leur accorder constamment.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Paris, le 21 avril 1806.
+
+_Copie d'une note remise par Napoléon, lui-même, à M. Talleyrand,
+ministre des relations extérieures._
+
+Faire un nouvel état au nord de l'Allemagne, qui soit dans les intérêts
+de la France; qui garantisse la Hollande et la Flandre contre la Prusse,
+et l'Europe contre la Russie.
+
+Le noyau serait le duché de Berg, le duché de Clèves, Hesse-Darmstadt,
+etc., etc.: chercher, en outre, dans les entours tout ce qui pourrait y
+être incorporé, pour pouvoir former un million ou douze cent mille âmes.
+
+Y joindre, si l'on veut, le Hanovre.
+
+Y joindre, dans la perspective, Hambourg, Bremen, Lubeck.
+
+Donner la statistique de ce nouvel état.
+
+Cela fait, considérer l'Allemagne comme divisée en huit états: Bavière,
+Bade, Wurtemberg, et le nouvel état; ces quatre, dans les intérêts de la
+France.
+
+L'Autriche, la Prusse, la Saxe, Hesse-Cassel, dans les quatre autres.
+
+D'après cette division, supposez qu'on détruise la constitution
+germanique, et qu'on annule, au profit des huit grands états, les
+petites souverainetés, il faut faire un calcul statistique pour savoir
+si les quatre états qui sont dans les intérêts de la France perdront ou
+gagneront plus à cette destruction, que les quatre états qui n'y sont
+pas.
+
+Un rapport sur ces deux objets, dimanche matin.
+
+NAPOLÉON.
+
+_Nota._ Le dimanche était le 23 d'avril.
+
+
+
+Paris, le 5 juin 1806.
+
+_Réponse de l'empereur à un discours de l'ambassadeur de la
+Porte-Ottomane._
+
+Monsieur l'ambassadeur, votre mission m'est agréable. Les assurances que
+vous me donnez des sentimens du sultan Sélim, votre maître, vont à mon
+coeur. Un des plus grands, des plus précieux avantages que je veux
+retirer des succès qu'ont obtenus mes armes, c'est de soutenir et
+d'aider le plus utile comme le plus ancien de mes alliés. Je me plais à
+vous en donner publiquement et solennellement l'assurance. Tout ce
+qui arrivera d'heureux ou de malheureux aux Ottomans, sera heureux ou
+malheureux pour la France. Monsieur l'ambassadeur, transmettez ces
+paroles au sultan Sélim; qu'il s'en souvienne toutes les fois que mes
+ennemis, qui sont aussi les siens, voudront arriver jusqu'à lui. Il ne
+peut jamais rien avoir à craindre de moi; uni avec moi, il n'aura jamais
+à redouter la puissance d'aucun de ses ennemis.
+
+
+
+Paris, le 5 juin 1806.
+
+_Réponse de l'empereur à une députation du corps législatif hollandais._
+
+Messieurs les représentans du peuple batave,
+
+J'ai toujours regardé comme le premier intérêt de ma couronne de
+protéger votre patrie. Toutes les fois que j'ai dû intervenir dans vos
+affaires intérieures, j'ai d'abord été frappé des inconvéniens attachés
+à la forme incertaine de votre gouvernement. Gouvernés par une assemblée
+populaire, elle eût été influencée par les intrigues, et agitée par les
+puissances voisines. Gouvernés par une magistrature élective, tous les
+renouvellemens de cette magistrature eussent été des momens de crise
+pour l'Europe, et le signal de nouvelles guerres maritimes. Tous
+ces inconvéniens ne pouvaient être parés que par un gouvernement
+héréditaire. Je l'ai appelé dans votre patrie par mes conseils, lors
+de l'établissement de votre dernière constitution; et l'offre que vous
+faites de la couronne de Hollande au prince Louis, est conforme aux
+vrais intérêts de votre patrie, aux miens, et propre à assurer le repos
+général de l'Europe. La France a été assez généreuse pour renoncer à
+tous les droits que les événemens de la guerre lui avaient donnés sur
+vous; mais je ne pouvais confier les places fortes qui couvrent ma
+frontière du Nord à la garde d'une main infidèle, ou même douteuse.
+
+Messieurs les représentans du peuple batave, j'adhère au voeu de
+LL.HH.PP. Je proclame roi de Hollande le prince Louis. Vous, prince,
+régnez sur ces peuples; leurs pères n'acquirent leur indépendance que
+par les secours constans de la France. Depuis, la Hollande fut l'alliée
+de l'Angleterre; elle fut conquise; elle dut encore à la France son
+existence. Qu'elle vous doive donc des rois qui protègent ses libertés,
+ses lois et sa religion. Mais ne cessez jamais d'être Français. La
+dignité de connétable de l'empire sera possédée par vous et vos
+descendans: elle vous retracera les devoirs que vous avez à remplir
+envers moi, et l'importance que j'attache à la garde des places fortes
+qui garantissent le nord de mes états, et que je vous confie. Prince,
+entretenez parmi vos troupes cet esprit que je leur ai vu sur les champs
+de bataille. Entretenez dans vos nouveaux sujets des sentimens d'union
+et d'amour pour la France. Soyez l'effroi des méchans et le père des
+bons: c'est le caractère des grands rois.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Au palais de Saint-Cloud, le 5 juin 1806.
+
+_Message au sénat conservateur._
+
+Sénateurs,
+
+Nous chargeons notre cousin l'archichancelier de l'empire de vous faire
+connaître, qu'adhérant au voeu de leurs hautes puissances, nous avons
+proclamé le prince Louis Napoléon, notre bien aimé frère, roi de
+Hollande, pour ladite couronne être héréditaire en toute souveraineté,
+par ordre de primogéniture, dans sa descendance naturelle, légitime et
+masculine; notre intention étant en même temps que le roi de Hollande et
+ses descendans conservent la dignité de connétable de l'empire. Notre
+détermination dans cette circonstance nous a paru conforme aux intérêts
+de nos peuples. Sous le point de vue militaire, la Hollande possédant
+toutes les places fortes qui garantissent notre frontière du Nord, il
+importait à la sûreté de nos états que la garde en fût confiée à des
+personnes sur l'attachement desquelles nous ne pussions concevoir aucun
+doute. Sous le point de vue commercial, la Hollande étant située à
+l'embouchure des grandes rivières qui arrosent une partie considérable
+de notre territoire, il fallait que nous eussions la garantie que le
+traité de commerce que nous conclurons avec elle serait fidèlement
+exécuté, afin de concilier les intérêts de nos manufactures et de notre
+commerce avec ceux du commerce de ces peuples. Enfin, la Hollande est le
+premier intérêt politique de la France. Une magistrature élective aurait
+eu l'inconvénient de livrer fréquemment ce pays aux intrigues de nos
+ennemis, et chaque élection serait devenue le signal d'une guerre
+nouvelle.
+
+Le prince Louis, n'étant animé d'aucune ambition personnelle, nous a
+donné une preuve de l'amour qu'il nous porte, et de son estime pour les
+peuples de Hollande, en acceptant un trône qui lui impose de si grandes
+obligations.
+
+L'archichancelier de l'empire d'Allemagne, électeur de Ratisbonne et
+primat de Germanie, nous ayant fait connaître que son intention était
+de se donner un coadjuteur, et que, d'accord avec ses ministres et les
+principaux membres de son chapitre, il avait pensé qu'il était du bien
+de la religion et de l'empire germanique qu'il nommât à cette place
+notre oncle et cousin le cardinal Fesch, notre grand aumônier et
+archevêque de Lyon, nous avons accepté ladite nomination au nom dudit
+cardinal. Si cette détermination de l'électeur archichancelier de
+l'empire germanique est utile à l'Allemagne, elle n'est pas moins
+conforme à la politique de la France.
+
+Ainsi, le service de la patrie appelle loin de nous nos frères et nos
+enfans; mais le bonheur et les prospérités de nos peuples composent
+aussi nos plus chères affections.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Au palais de Saint-Cloud, le 5 juin 1806.
+
+_Message au sénat conservateur._
+
+Sénateurs, les duchés de Bénévent et de Ponte-Corvo étaient un sujet
+de litige entre le roi de Naples et la cour de Rome: nous avons jugé
+convenable de mettre un terme à ces difficultés, en érigeant ces duchés
+en fiefs immédiats de notre empire. Nous avons saisi cette occasion
+de récompenser les services qui nous ont été rendus par notre grand
+chambellan et ministre des relations extérieures, Talleyrand, et par
+notre cousin le maréchal de l'empire, Bernadotte. Nous n'entendons pas
+cependant, par ces dispositions, porter aucune atteinte aux droits
+du roi de Naples et de la cour de Rome, notre intention étant de les
+indemniser l'un et l'autre. Par cette mesure, ces deux gouvernemens,
+sans éprouver aucune perte, verront disparaître les causes de
+mésintelligence qui, en différens temps, ont compromis leur
+tranquillité, et qui, encore aujourd'hui, sont un sujet d'inquiétude
+pour l'un et pour l'autre de ces états, et surtout pour le royaume de
+Naples, dans le territoire duquel ces deux principautés se trouvent
+enclavées.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Au palais de Saint-Cloud, le 5 juin 1806.
+
+_Acte impérial._
+
+Voulant donner à notre grand-chambellan et ministre des relations
+extérieures, Talleyrand, un témoignage de notre bienveillance pour les
+services qu'il a rendus à notre couronne, nous avons résolu de lui
+transférer, comme en effet nous lui transférons par les présentes la
+principauté de Bénévent, avec le titre de prince et duc de Bénévent,
+pour la posséder en toute propriété et souveraineté, et comme fief
+immédiat de notre couronne.
+
+Nous entendons qu'il transmettra ladite principauté à ses enfans mâles,
+légitimes et naturels, par ordre de primogéniture, nous réservant, si sa
+descendance masculine, naturelle et légitime venait à s'éteindre, ce que
+Dieu ne veuille, de transmettre ladite principauté, aux mêmes titres et
+charges, à notre choix et ainsi que nous le croirons convenable pour le
+bien de nos peuples et l'intérêt de notre couronne.
+
+Notre grand chambellan et ministre des relations extérieures,
+Talleyrand, prêtera en nos mains, et en sa dite qualité de prince et duc
+de Bénévent, le serment de nous servir en bon et loyal sujet. Le même
+serment sera prêté à chaque vacance par ses successeurs.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Au palais de Saint-Cloud, le 11 septembre 1806.
+
+_A.S.A.E. le prince primat._
+
+Mon frère!
+
+Les formes de nos communications en ma qualité de protecteur, avec les
+souverains réunis en congrès à Francfort, n'étant pas encore terminées,
+nous avons pensé qu'il n'en était aucune qui fût plus convenable que
+d'adresser la présente à votre A. Em., afin qu'elle en fasse part aux
+deux collèges. En effet, quel organe pouvions-nous plus naturellement
+choisir, que celui d'un prince à la sagesse duquel a été confié le soin
+de préparer le premier statut fondamental? Nous aurions attendu que
+ce statut eût été arrêté par le congrès, et nous eût été donné en
+communication, s'il ne devait pas contenir des dispositions qui nous
+regardent personnellement. Cela seul a dû nous porter à prendre
+nous-même l'initiative pour soumettre nos sentimens et nos réflexions à
+la sagesse des princes confédérés.
+
+Lorsque nous avons accepté le titre de protecteur de la confédération du
+Rhin, nous n'avons eu en vue que d'établir en droit ce qui existait de
+fait depuis plusieurs siècles. En l'acceptant, nous avons contracté la
+double obligation de garantir le territoire de la confédération contre
+les troupes étrangères et le territoire de chaque confédéré contre
+les entreprises des autres. Ces observations, toutes conservatrices,
+plaisent à notre coeur; elles sont conformes à ces sentimens de
+bienveillance et d'amitié dont nous n'avons cessé, dans toutes les
+circonstances, de donner des preuves aux membres de la confédération.
+Mais là se bornent nos devoirs envers eux. Nous n'entendons en rien nous
+arroger la portion de souveraineté qu'exerçait l'empereur d'Allemagne
+comme suzerain. Le gouvernement des peuples que la providence nous a
+confié, occupant tous nos momens, nous ne saurions voir croître nos
+obligations sans en être alarmé. Comme nous ne voulons pas qu'on puisse
+nous attribuer le bien que les souverains font dans leurs états, nous ne
+voulons pas non plus qu'on nous impute les maux que la vicissitude des
+choses humaines peut y introduire. Les affaires intérieures de chaque
+état ne nous regardent pas. Les princes de la confédération du Rhin sont
+les souverains qui n'ont point de suzerain. Nous les avons reconnus
+comme tels. Les discussions qu'ils pourraient avoir avec leurs sujets,
+ne peuvent donc être portées à un tribunal étranger? La diète est
+le tribunal politique, conservateur de la paix entre les différens
+souverains qui composent la confédération. Ayant reconnu tous les autres
+princes qui formaient le corps germanique, comme souverains indépendans,
+nous ne pouvons reconnaître qui que ce soit comme leur suzerain. Ce
+ne sont point des rapports de suzeraineté qui nous lient à la
+confédération, mais des rapports de simple protection. Plus puissant que
+les princes confédérés, nous voulons jouir de la supériorité de notre
+puissance, non pour restreindre leurs droits de suzeraineté, mais pour
+leur en garantir la plénitude.
+
+Sur ce, nous prions Dieu, mon frère, qu'il vous ait en sa sainte et
+digne garde.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Au palais de Saint-Cloud, le 21 septembre 1806.
+
+_A.S.M. le roi de Bavière._
+
+Monsieur mon frère!
+
+Il y a plus d'un mois que la Prusse arme, et il est connu de tout le
+monde qu'elle arme contre la France et contre la confédération du Rhin.
+Nous cherchons les motifs sans pouvoir les pénétrer. Les lettres que
+S. M. prussienne nous écrit sont amicales; son ministre des affaires
+étrangères a notifié, à notre envoyé extraordinaire et ministre
+plénipotentiaire, qu'elle reconnaissait la confédération du Rhin, et
+qu'elle n'avait rien à objecter contre les arrangemens faits dans le
+midi de l'Allemagne.
+
+Les armemens de la Prusse sont-ils le résultat d'une coalition avec la
+Russie, ou seulement des intrigues des différens partis qui existent à
+Berlin, et de l'irréflexion, du cabinet? Ont-ils pour objet de forcer la
+Hesse, la Saxe et les villes anséatiques à contracter des liens que ces
+deux dernières puissances paraissent ne pas vouloir former? La Prusse
+voudrait-elle nous obliger nous-même à nous départir de la déclaration
+que nous avons faite, que les villes anséatiques ne pourront entrer dans
+aucune confédération particulière; déclaration fondée sur l'intérêt
+du commerce de la France et du midi de l'Allemagne, et sur ce que
+l'Angleterre nous a fait connaître que tout changement dans la situation
+présente des villes anséatiques, serait un obstacle de plus à la paix
+générale? Nous avons aussi déclaré que les princes de la confédération
+germanique, qui n'étaient point compris dans la confédération du Rhin,
+devaient être maîtres de ne consulter que leurs intérêts et leurs
+convenances, qu'ils devaient se regarder comme parfaitement libres, que
+nous ne ferions rien pour qu'ils entrassent dans la confédération du
+Rhin, mais que nous ne souffririons pas que qui que ce fût les forçât
+de faire ce qui serait contraire à leur volonté, à leur politique, aux
+intérêts de leurs peuples. Cette déclaration si juste aurait-elle blessé
+le cabinet de Berlin, et voudrait-il nous obliger à la rétracter! Entre
+tous ces motifs, quel peut être le véritable? Nous ne saurions le
+deviner, et l'avenir seul pourra révéler le secret d'une conduite aussi
+étrange qu'elle était inattendue. Nous avons été un mois sans y faire
+attention. Notre impassibilité n'a fait qu'enhardir tous les brouillons
+qui veulent précipiter la cour de Berlin dans la lutte la plus
+inconsidérée.
+
+Toutefois, les armemens de la Prusse ont amené le cas prévu par l'un des
+articles du traité du 12 juillet, et nous croyons nécessaire que tous
+les souverains qui composent la confédération du Rhin, arment pour
+défendre ses intérêts, pour garantir son territoire et en maintenir
+l'inviolabilité. Au lieu de 200,000 hommes que la France est obligée de
+fournir, elle en fournira 300,000, et nous venons d'ordonner que les
+troupes nécessaires pour compléter ce nombre, soient transportées en
+poste sur le Bas-Rhin; les troupes de V. M. étant toujours restées sur
+le pied de guerre, nous invitons V. M. à ordonner qu'elles soient mises,
+sans délai, en état de marche avec leurs équipages de campagne, et de
+concourir à la défense de la cause commune, dont le succès, nous avons
+lieu de le croire, répondra à sa justice, si toutefois, contre nos
+désirs et contre nos espérances, la Prusse nous met dans la nécessité de
+repousser la force par la force.
+
+Sur ce, nous prions Dieu, mon frère, qu'il vous ait en sa sainte et
+digne garde.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Au quartier impérial de Bamberg, le 6 octobre 1806.
+
+_Proclamation à la grande armée._
+
+Soldats,
+
+«L'ordre pour votre rentrée en France était parti; vous vous en étiez
+déjà rapprochés de plusieurs marches. Des fêtes triomphales vous
+attendaient, et les préparatifs pour vous recevoir étaient commencés
+dans la capitale.
+
+«Mais, lorsque nous nous abandonnions à cette trop confiante sécurité,
+de nouvelles trames s'ourdissaient sous le masque de l'amitié et de
+l'alliance. Des cris de guerre se sont fait entendre à Berlin; depuis
+deux mois nous sommes provoqués tous les jours davantage.
+
+«La même faction, le même esprit de vertige qui, à la faveur de nos
+dissensions intestines, conduisit, il y a quatorze ans, les Prussiens au
+milieu des plaines de la Champagne, domine dans leurs conseils. Si ce
+n'est plus Paris qu'ils veulent brûler et renverser jusque dans ses
+fondemens, c'est, aujourd'hui, leurs drapeaux qu'ils se vantent de
+planter dans les capitales de nos alliés; c'est la Saxe qu'ils veulent
+obliger à renoncer, par une transaction honteuse, à son indépendance,
+en la rangeant au nombre de leurs provinces; c'est enfin vos lauriers
+qu'ils veulent arracher de votre front. Ils veulent que nous évacuions
+l'Allemagne à l'aspect de leur armée! les insensés!!! Qu'ils sachent
+donc qu'il serait mille fois plus facile de détruire la grande capitale
+que de flétrir l'honneur des enfans du grand-peuple et de ses alliés.
+Leurs projets furent confondus alors; ils trouvèrent dans les plaines
+de la Champagne la défaite, la mort et la honte: mais les leçons de
+l'expérience s'effacent, et il est des hommes chez lesquels le sentiment
+de la haine et de la jalousie ne meurt jamais.
+
+«Soldats, il n'est aucun de vous qui veuille retourner en France par un
+autre chemin que par celui de l'honneur. Nous ne devons y rentrer que
+sous des arcs de triomphe.
+
+«Eh quoi! aurions-nous donc bravé les saisons, les mers, les déserts;
+vaincu l'Europe plusieurs fois coalisée contre nous; porté notre gloire
+de l'orient à l'occident, pour retourner aujourd'hui dans notre patrie
+comme des transfuges, après avoir abandonné nos alliés, et pour entendre
+dire que l'aigle française a fui épouvantée à l'aspect des armées
+prussiennes... Mais déjà ils sont arrivés sur nos avant-postes...
+
+«Marchons donc, puisque la modération n'a pu les faire sortir de cette
+étonnante ivresse. Que l'armée prussienne éprouve le même sort qu'elle
+éprouva il y a quatorze ans! qu'ils apprennent que s'il est facile
+d'acquérir un accroissement de domaines et de puissance avec l'amitié du
+grand-peuple, son inimitié (qu'on ne peut provoquer que par l'abandon de
+tout esprit de sagesse et de raison) est plus terrible que les tempêtes
+de l'Océan.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Au quartier impérial de Bamberg, le 7 octobre 1806.
+
+_Au sénat conservateur._
+
+«Sénateurs,
+
+«Nous avons quitté notre capitale, pour nous rendre au milieu de notre
+armée d'Allemagne, dès l'instant que nous avons su avec certitude
+qu'elle était menacée sur ses flancs par des mouvemens inopinés. A
+peine arrivé sur les frontières de nos états, nous avons eu lieu de
+reconnaître combien notre présence y était nécessaire, et de nous
+applaudir des mesures défensives que nous avons prises avant de quitter
+le centre de notre empire. Déjà les armées prussiennes, portées au grand
+complet de guerre, s'étaient ébranlées de toutes parts; elles avaient
+dépassé leurs frontières, la Saxe était envahie, et le sage prince qui
+gouverne était forcé d'agir contre sa volonté, contre l'intérêt de ses
+peuples. Les armées prussiennes étaient arrivées devant les cantonnemens
+de nos troupes. Des provocations de toutes espèces, et mêmes des voies
+de fait avaient signalé l'esprit de haine qui animait nos ennemis, et
+la modération de nos soldats, qui, tranquilles à l'aspect de tous ces
+mouvemens, étonnés seulement de ne recevoir aucun ordre, se reposaient
+dans la double confiance que donnent le courage et le bon droit. Notre
+premier devoir a été de passer le Rhin nous-même, de former nos camps,
+et de faire entendre le cri de guerre. Il a retenti au coeur de tous
+nos guerriers. Des marches combinées et rapides les ont portés en un
+clin-d'oeil au lieu que nous leur avons indiqué. Tous nos camps sont
+formés; nous allons marcher contre les armées prussiennes, et repousser
+la force par la force. Toutefois, nous osons le dire, notre coeur est
+péniblement affecté de cette prépondérance constante qu'obtient en
+Europe le génie du mal, occupé sans cesse à traverser les desseins que
+nous formons pour la tranquillité de l'Europe, le repos et le bonheur de
+la génération présente, assiégeant tous les cabinets par tous les genres
+de séductions, et égarant ceux qu'il n'a pu corrompre, les aveuglant sur
+leurs véritables intérêts, et les lançant au milieu des partis, sans
+autre guide que les passions qu'il a su inspirer. Le cabinet de Berlin
+lui-même n'a point choisi avec délibération le parti qu'il prend; il y
+a été jeté avec art et une malicieuse adresse. Le roi s'est trouvé
+tout-à-coup à cent lieues de sa capitale, aux frontières de la
+confédération du Rhin, au milieu de son armée et vis-à-vis des troupes
+françaises dispersées dans leurs cantonnemens, et qui croyaient devoir
+compter sur les liens qui unissaient les deux états, et sur les
+protestations prodiguées en toutes circonstances par la cour de Berlin.
+Dans une guerre aussi juste, où nous ne prenons les armes que pour
+nous défendre, que nous n'avons provoquée par aucun acte, par aucune
+prétention, et dont il nous serait impossible d'assigner la véritable
+cause, nous comptons entièrement sur l'appui des lois et sur celui des
+peuples, que les circonstances appellent à nous donner de nouvelles
+preuves de leur dévouement et de leur courage. De notre côté, aucun
+sacrifice personnel ne nous sera pénible, aucun danger ne nous arrêtera,
+toutes les fois qu'il s'agira d'assurer les droits, l'honneur et la
+prospérité de nos peuples.
+
+«Donné en notre quartier-impérial de Bamberg, le 7 octobre 1806.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Bamberg, le 8 octobre 1806.
+
+_Premier bulletin de la grande armée._
+
+La paix avec la Russie, conclue et signée le 20 juillet, des
+négociations avec l'Angleterre, entamées et presque conduites à leur
+maturité, avaient porté l'alarme à Berlin. Les bruits vagues qui se
+multiplièrent, et la conscience des torts de ce cabinet envers toutes
+les puissances qu'il avait successivement trahis, le portèrent à ajouter
+croyance aux bruits répandus qu'un des articles secrets du traité conclu
+avec la Russie, donnait la Pologne au prince Constantin, avec le titre
+de roi; la Silésie à l'Autriche, en échange de la portion autrichienne
+de la Pologne, et le Hanovre à l'Angleterre. Il se persuada enfin que
+ces trois puissances étaient d'accord avec la France, et que de cet
+accord résultait un danger imminent pour la Prusse.
+
+Les torts de la Prusse envers la France remontaient à des époques fort
+éloignées. La première, elle avait armé pour profiter de nos dissensions
+intestines. On la vit ensuite courir aux armes au moment de l'invasion
+du duc d'Yorck en Hollande; et, lors des événemens de la guerre,
+quoiqu'elle n'eût aucun motif de mécontentement contre la France, elle
+arma de nouveau, et signa, le 1er octobre 1805, ce fameux traité de
+Potsdam, qui fut, un mois après, remplacé par le traité de Vienne.
+
+Elle avait des torts envers la Russie, qui ne peut oublier l'inexécution
+du traité de Potsdam et la conclusion subséquente du traité de Vienne.
+
+Ses torts envers l'empereur d'Allemagne et le corps germanique, plus
+nombreux et plus anciens, ont été connus de tous les temps. Elle se tint
+toujours en opposition avec la diète. Quand le corps germanique était
+en guerre, elle était en paix avec ses ennemis. Jamais ses traités
+avec l'Autriche ne recevaient d'exécution, et sa constante étude était
+d'exciter les puissances au combat, afin de pouvoir, au moment de la
+paix, venir recueillir les fruits de son adresse et de leurs succès.
+
+Ceux qui supposeraient que tant de versatilité tient à un défaut de
+moralité de la part du prince, seraient dans une grande erreur. Depuis
+quinze ans, la cour de Berlin est une arène où les partis se combattent
+et triomphent tour à tour; l'un veut la guerre, et l'autre veut la paix.
+Le moindre événement politique, le plus léger incident donne l'avantage
+à l'un ou à l'autre, et le roi, au milieu de ce mouvement des passions
+opposées, au sein de ce dédale d'intrigues, flotte incertain sans cesser
+un moment d'être honnête homme.
+
+Le 11 août, un courrier de M. le marquis de Lucchesini arriva à Berlin,
+et y porta, dans les termes les plus positifs, l'assurance de ces
+prétendues dispositions par lesquelles la France et la Russie seraient
+convenues, par le traité du 20 juillet, de rétablir le royaume de
+Pologne, et d'enlever la Silésie à la Prusse. Les partisans de la guerre
+s'enflammèrent aussitôt; ils firent violence aux sentimens personnels du
+roi; quarante courriers partirent dans une seule nuit, et l'on courut
+aux armes.
+
+La nouvelle de cette explosion soudaine parvint à Paris le 20 du
+même mois. On plaignit un allié si cruellement abusé; on lui donna
+sur-le-champ des explications, des assurances précises, et comme une
+erreur manifeste était le seul motif de ces armemens imprévus, on espéra
+que la réflexion calmerait une effervescence aussi peu motivée.
+
+Cependant le traité signé à Paris, ne fut pas ratifié à
+Saint-Pétersbourg, et des renseignemens de toute espèce ne tardèrent pas
+à faire connaître à la Prusse, que M. le marquis de Lucchesini avait
+puisé ses renseignemens dans les réunions les plus suspectes de la
+capitale, et parmi les hommes d'intrigues qui composaient sa société
+habituelle. En conséquence il fut rappelé, on annonça pour lui succéder
+M. le baron de Knobelsdorff, homme d'un caractère plein de droiture et
+de franchise, et d'une moralité parfaite.
+
+Cet envoyé extraordinaire arriva bientôt à Paris, porteur d'une lettre
+du roi de Prusse, datée du 23 août.
+
+Cette lettre était remplie d'expressions obligeantes et de déclarations
+pacifiques, et l'empereur y répondit d'une manière franche et
+rassurante.
+
+Le lendemain du jour où partit le courrier porteur de cette réponse, on
+apprit que des chansons outrageantes pour la France avaient été
+chantées sur le théâtre de Berlin; qu'aussitôt après le départ de M. de
+Knobelsdorff les armemens avaient redoublé, et que, quoique les hommes
+demeurés de sang-froid eussent rougi de ces fausses alarmes, le parti
+de la guerre soufflant la discorde de tous côtés, avait si bien exalté
+toutes les tètes que le roi se trouvait dans l'impuissance de résister
+au torrent.
+
+On commença dès-lors à comprendre à Paris, que le parti de la paix ayant
+lui-même été alarmé par des assurances mensongères et des apparences
+trompeuses, avait perdu tous ses avantages, tandis que le parti de la
+guerre mettant à profit l'erreur dans laquelle ses adversaires s'étaient
+laissé entraîner, avait ajouté provocation à provocation, et accumulé
+insulte sur insulte, et que les choses étaient arrivées à un tel point,
+qu'on ne pourrait sortir de cette situation que par la guerre.
+
+L'empereur vit alors que telle était la force des circonstances, qu'il
+ne pouvait éviter de prendre les armes contre son allié. Il ordonna ses
+préparatifs.
+
+Tout marchait à Berlin avec une grande rapidité: les troupes prussiennes
+entrèrent en Saxe, arrivèrent sur les frontières de la confédération, et
+insultèrent les avant-postes.
+
+Le 24 septembre, la garde impériale partit de Paris pour Bamberg, où
+elle est arrivée le 6 octobre. Les ordres furent expédiés pour l'armée,
+et tout se mit en mouvement.
+
+Ce fut le 25 septembre que l'empereur quitta Paris; le 28 il était à
+Mayence, le 2 octobre à Wurtzbourg, et le 6 à Bamberg.
+
+Le même jour, deux coups de carabine furent tirés par les hussards
+prussiens sur un officier de l'état-major français. Les deux armées
+pouvaient se considérer comme en présence.
+
+Le 7, S. M. l'empereur reçut un courrier de Mayence, dépêché par le
+prince de Bénévent, qui était porteur de deux dépêches importantes:
+l'une était une lettre du roi de Prusse, d'une vingtaine de pages, qui
+n'était réellement qu'un mauvais pamphlet contre la France, dans le
+genre de ceux que le cabinet anglais fait faire par ses écrivains à cinq
+cents livres sterling par an. L'Empereur n'en acheva point la lecture,
+et dit aux personnes qui l'entouraient: «Je plains mon frère le roi
+de Prusse, il n'entend pas le français, il n'a sûrement pas lu
+cette rapsodie.» A cette lettre était jointe la célèbre note de M.
+Knobelsdorff. «Maréchal, dit l'Empereur au maréchal Berthier, on nous
+donne un rendez-vous d'honneur pour le 8; jamais un Français n'y a
+manqué; mais comme on dit qu'il y a une belle reine qui veut être témoin
+des combats, soyons courtois, et marchons, sans nous coucher, pour la
+Saxe.» L'empereur avait raison de parler ainsi, car la reine de Prusse
+est à l'armée, habillée en amazone, portant l'uniforme de son régiment
+de dragons, écrivant vingt lettres par jour pour exciter de toute part
+l'incendie. Il semble voir Armide dans son égarement, mettant le feu à
+son propre palais; après elle le prince Louis de Prusse, jeune prince
+plein de bravoure et de courage, excité par le parti, croit trouver une
+grande renommée dans les vicissitudes de la guerre. A l'exemple de ces
+deux grands personnages, toute la cour crie à la guerre; mais quand
+la guerre se sera présentée, avec toutes ses horreurs, tout le monde
+s'excusera d'avoir été coupable, et d'avoir attiré la foudre sur
+les provinces paisibles du Nord; alors par une suite naturelle des
+inconséquences des gens de cour, ou verra les auteurs de la guerre, non
+seulement la trouver insensée, s'excuser de l'avoir provoquée, et dire
+qu'ils la voulaient, mais dans un autre temps; mais même en faire
+retomber le blâme sur le roi, honnête homme, qu'ils ont rendu la dupe de
+leurs intrigues et de leurs artifices.
+
+Voici la disposition de l'armée française:
+
+L'armée doit se mettre en marche par trois débouchés.
+
+La droite, composée des corps des maréchaux Soult et Ney et d'une
+division des Bavarois, part d'Amberg et de Nuremberg, se réunit à
+Bayreuth, et doit se porter sur Hoff, où elle arrivera le 9.
+
+Le centre, composé de la réserve du grand-duc de Berg, du corps du
+maréchal prince de Ponte-Corvo et du maréchal Davoust, et de la garde
+impériale, débouche par Bamberg sur Cronach, arrivera le 8 à Saalbourg,
+et de là se portera par Saalbourg et Schleitz sur Géra.
+
+La gauche, composée des corps des maréchaux Lannes et Augereau, doit se
+porter de Schwenfurth sur Cobourg, Graffental et Saalfed.
+
+
+
+De mon camp impérial de Géra, le 12 octobre 1806.
+
+_Au roi de Prusse._
+
+«Monsieur mon frère, je n'ai reçu que le 7 la lettre de V. M., du 25
+septembre. Je suis fâché qu'on lui ait fait signer cette espèce de
+pamphlet[3]. Je ne lui réponds que pour lui protester que jamais je
+n'attribuerai à elle les choses qui y sont contenues; toutes sont
+contraires à son caractère et à l'honneur de tous deux. Je plains et
+dédaigne les rédacteurs d'un pareil ouvrage. J'ai reçu immédiatement
+après la note de son ministre, du 1er octobre. Elle m'a donné
+rendez-vous le 8: en bon chevalier, je lui ai tenu parole; je suis au
+milieu de la Saxe. Qu'elle m'en croie, j'ai des forces telles que toutes
+ses forces ne peuvent balancer longtemps la victoire. Mais pourquoi
+répandre tant de sang? A quel but? Je tiendrai à V. M. le même langage
+que j'ai tenu à l'empereur Alexandre deux jours avant la bataille
+d'Austerlitz. Fasse le ciel que des hommes vendus ou fanatisés, plus
+les ennemis d'elle et de son règne, qu'ils ne sont les miens et de ma
+nation, ne lui donnent pas les mêmes conseils pour la faire arriver au
+même résultat!
+
+«Sire, j'ai été ami de V. M. depuis six ans. Je ne veux point profiter
+de cette espèce de vertige qui anime ses conseils, et qui lui ont fait
+commettre des erreurs politiques dont l'Europe est encore tout étonnée,
+et des erreurs militaires de l'énormité desquelles l'Europe ne tardera
+pas à retentir. Si elle m'eût demandé des choses possibles, par sa note,
+je les lui eusse accordées; elle a demandé mon déshonneur, elle devait
+être certaine de ma réponse. La guerre est donc faite entre nous,
+l'alliance rompue pour jamais. Mais pourquoi faire égorger nos sujets?
+Je ne prise point une victoire qui sera achetée par la vie d'un bon
+nombre de mes enfans. Si j'étais à mon début dans la carrière militaire,
+et si je pouvais craindre les hasards des combats, ce langage serait
+tout à fait déplacé. Sire, votre majesté sera vaincue; elle aura
+compromis le repos de ses jours, l'existence de ses sujets sans l'ombre
+d'un prétexte. Elle est aujourd'hui intacte, et peut traiter avec moi
+d'une manière conforme à son rang; elle traitera avant un mois dans une
+situation différente. Elle s'est laissé aller à des irritations qu'on a
+calculées et préparées avec art; elle m'a dit qu'elle m'avait souvent
+rendu des services; eh bien! je veux lui donner la plus grande preuve
+du souvenir que j'en ai; elle est maîtresse de sauver à ses sujets les
+ravages et les malheurs de la guerre; à peine commencée, elle peut la
+terminer, et elle fera une chose dont l'Europe lui saura gré. Si elle
+écoute les furibonds qui, il y a quatorze ans, voulaient prendre Paris,
+et qui aujourd'hui l'ont embarquée dans une guerre, et immédiatement
+après dans des plans offensifs également inconcevables, elle fera à son
+peuple un mal que le reste de sa vie ne pourra guérir. Sire, je n'ai
+rien à gagner contre V. M.; je ne veux rien et n'ai rien voulu d'elle;
+la guerre actuelle est une guerre impolitique. Je sens que peut-être
+j'irrite dans cette lettre une certaine susceptibilité naturelle à tout
+souverain; mais les circonstances ne demandent aucun ménagement; je lui
+dis les choses comme je les pense; et d'ailleurs, que V. M. me permette
+de le lui dire, ce n'est pas pour l'Europe une grande découverte que
+d'apprendre que la Francs est du triple plus populeuse et aussi brave et
+aguerrie que les États de V. M. Je ne lui ai donné aucun sujet réel de
+guerre. Qu'elle ordonne à cet essaim de malveillans et d'inconsidérés
+de se taire à l'aspect de son trône dans le respect qui lui est dû; et
+qu'elle rende la tranquillité à elle et à ses États. Si elle ne retrouve
+plus jamais en moi un allié, elle retrouvera un homme désireux de ne
+faire que des guerres indispensables à la politique de mes peuples, et
+de ne point répandre le sang dans une lutte avec des souverains qui
+n'ont avec moi aucune opposition d'industrie, de commerce et de
+politique. Je prie V. M. de ne voir dans cette lettre que le désir
+que j'ai d'épargner le sang des hommes, et d'éviter à une nation qui,
+géographiquement, ne saurait être ennemie de la mienne, l'amer repentir
+d'avoir trop écouté des sentimens éphémères qui s'excitent et se calment
+avec tant de facilité parmi les peuples. «Sur ce, je prie Dieu, monsieur
+mon frère, qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.
+
+«De votre majesté, le bon frère, NAPOLÉON.»
+
+[Note 3: Ceci a rapport à une lettre du roi de Prusse, composée de
+vingt pages, véritable rapsodie, et que très-certainement le roi n'a pu
+ni lire ni comprendre. Nous ne pouvons l'imprimer, attendu que tout ce
+qui tient à la correspondance particulière des souverains, reste dans
+le portefeuille de l'empereur, et ne vient point à la connaissance
+du public. Si nous publions celle de S. M., c'est parce que beaucoup
+d'exemplaires en ayant été faits au quartier-général des Prussiens,
+où on la trouve très-belle, une copie en est tombée entre nos mains.
+(_Moniteur_)]
+
+
+
+Auma, le 13 octobre 1806.
+
+_Deuxième bulletin de la grande armée._
+
+L'empereur est parti de Bamberg le 8 octobre, à trois heures du matin,
+et est arrivé à neuf heures à Cronach. Sa majesté a traversé la forêt de
+Franconie à la pointe du jour du 9, pour se rendre a Ebersdorff, et de
+là elle s'est portée sur Schleitz, où elle a assisté au premier combat
+de la campagne. Elle est revenue coucher à Ebersdorff, en est repartie
+le 10 pour Schleitz, et est arrivée le 11 à Auma, où elle a couché après
+avoir passé la journée à Gera. Le quartier-général part dans l'instant
+même pour Gera. Tous les ordres de l'empereur ont été parfaitement
+exécutés.
+
+Le maréchal Soult se portait le 7 à Bayreuth, se présentait le 9 à
+Hoff, a enlevé tous les magasins de l'ennemi, lui a fait plusieurs
+prisonniers, et s'est porté sur Planen le 10.
+
+Le maréchal Ney a suivi son mouvement à une demi-journée de distance.
+
+Le 8, le grand duc de Berg a débouché avec la cavalerie légère,
+de Cronach, et s'est porté devant Saalbourg, ayant avec lui le
+vingt-cinquième régiment d'infanterie légère. Un régiment prussien
+voulut défendre le passage de la Saale; après une canonnade d'une
+demi-heure, menacé d'être tourné, il a abandonné apposition et la Saale.
+
+Le 9, le grand duc de Berg se porta sur Schleitz; un général prussien y
+était avec dix mille hommes. L'empereur y arriva à midi, et chargea
+le maréchal prince de Ponte-Corvo d'attaquer et d'enlever le village,
+voulant l'avoir avant la fin du jour. Le maréchal fit ses dispositions,
+se mit à la tête de ses colonnes; le village fut enlevé et l'ennemi
+poursuivi. Sans la nuit, la plus grande partie de cette division eût été
+prise. Le général Walter, avec le quatrième régiment de hussards et
+le cinquième régiment de chasseurs, fit une belle charge de cavalerie
+contre trois régimens prussiens; quatre compagnies du vingt-septième
+d'infanterie légère se trouvant en plaine, furent chargées par les
+hussards prussiens; mais ceux-ci virent comme l'infanterie française
+reçoit la cavalerie prussienne. Deux cents cavaliers prussiens restèrent
+sur le champ de bataille. Le général Maisons commandait l'infanterie
+légère. Un colonel ennemi fut tué, deux pièces de canon prises, trois
+cents hommes furent faits prisonniers, et quatre cents tués. Notre perte
+a été de peu d'hommes; l'infanterie prussienne a jeté ses armes, et a
+fui, épouvantée, devant les baïonnettes françaises. Le grand-duc de Berg
+était au milieu des charges, le sabre à la main.
+
+Le 10, le prince de Ponte-Corvo a porté son quartier-général à Auma;
+le 11, le grand-duc de Berg est arrivé à Gera. Le général de brigade
+Lasalle, de la cavalerie de réserve, a culbuté l'escorte des bagages
+ennemis; cinq cents caissons et voitures de bagage ont été pris par
+les hussards français. Notre cavalerie légère est couverte d'or. Les
+équipages de pont et plusieurs objets importans font partie du convoi.
+
+La gauche a eu des succès égaux. Le maréchal Lannes est entré à Cobourg
+le 8, se portait le 9 sur Graffenthal. Il a attaqué, le 10, à Saalfeld,
+l'avant-garde du prince Hohenlohe, qui était commandée par le prince
+Louis de Prusse, un des champions de la guerre. La canonnade n'a duré
+que deux heures; la moitié de la division du général Suchet a seule
+donné. La cavalerie prussienne a été culbutée par les neuvième et
+dixième régimens d'hussards; l'infanterie prussienne n'a pu conserver
+aucun ordre de retraite; partie a été culbutée dans un marais, partie
+dispersée dans les bois. On a fait mille prisonniers, six cents hommes
+sont restés sur le champ de bataille; trente pièces de canon sont
+tombées au pouvoir de l'armée.
+
+Voyant ainsi la déroute de ses gens, le prince Louis de Prusse, en brave
+et loyal soldat, se prit corps à corps avec un maréchal-des-logis
+du dixième régiment de hussards. _Rendez vous, colonel,_ lui dit le
+hussard, _ou vous êtes mort._ Le prince lui répondit par un coup de
+sabre; le maréchal-des-logis riposta par un coup de pointe, et le prince
+tomba mort. Si les derniers instans de sa vie ont été ceux d'un mauvais
+citoyen, sa mort est glorieuse et digne de regrets. Il est mort comme
+doit désirer de mourir tout bon soldat. Deux de ses aides-de-camp ont
+été tués à ses côtés. Ou a trouvé sur lui des lettres de Berlin, qui
+font voir que le projet de l'ennemi était d'attaquer incontinent, et que
+le parti de la guerre, à la tête duquel étaient le jeune prince et la
+reine, craignait toujours que les intentions pacifiques du roi, et
+l'amour qu'il porte à ses sujets ne lui fissent adopter des tempéramens,
+et ne déjouassent leurs cruelles espérances. On peut dire que les
+premiers coups de la guerre ont tué un de ses auteurs.
+
+Dresde ni Berlin ne sont couverts par aucun corps d'armée. Tournée par
+sa gauche, prise en flagrant délit au moment où elle se livrait aux
+combinaisons les plus hasardées, l'armée prussienne se trouve, dès le
+début, dans une position assez critique. Elle occupe Eisenach, Gotha,
+Erfurt, Weimar. Le 12, l'armée française occupe Saalfed et Gera, et
+marche sur Naumbourg et Jena. Des coureurs de l'armée française inondent
+la plaine de Leipsick.
+
+Toutes les lettres interceptées peignent le conseil du roi déchiré
+par des opinions différentes, toujours délibérant et jamais d'accord.
+L'incertitude, l'alarme et l'épouvante paraissent déjà succéder à
+l'arrogance, à l'inconsidération et à la folie.
+
+Hier 11, en passant à Gera devant le vingt-septième régiment
+d'infanterie légère, l'empereur a chargé le colonel de témoigner sa
+satisfaction à ce régiment, sur sa bonne conduite.
+
+Dans tous ces combats, nous n'avons à regretter aucun officier de
+marque: le plus élevé en grade est le capitaine Campobasso, du
+vingt-septième régiment d'infanterie légère, brave et loyal officier.
+Nous n'avons pas eu quarante hommes tués et soixante blessés.
+
+
+
+Gera, le 13 octobre 1806.
+
+_Troisième bulletin de la grande armée._
+
+Le combat de Schleitz, qui a ouvert la campagne, et qui a été
+très-funeste à l'armée prussienne, celui de Saalfeld qui l'a suivi le
+lendemain, ont porté la consternation chez l'ennemi. Toutes les lettres
+interceptées disent que la consternation est à Erfurt, où se trouvent
+encore le roi et la reine, le duc de Brunswick, etc.; qu'on discute sur
+le parti à prendre sans pouvoir s'accorder. Mais pendant qu'on délibère,
+l'armée française marche. A cet esprit d'effervescence, à cette
+excessive jactance, commencent à succéder des observations critiques
+sur l'inutilité de cette guerre, sur l'injustice de s'en prendre à la
+France, sur l'impossibilité d'être secouru, sur la mauvaise volonté
+des soldats, sur ce qu'on n'a pas fait ceci, et mille et une autres
+observations qui sont toujours dans la bouche de la multitude, lorsque
+les princes sont assez faibles pour la consulter sur les grands intérêts
+politiques au-dessus de sa portée.
+
+Cependant, le 12 au soir, les coureurs de l'armée française étaient aux
+portes de Leipsick; le quartier-général du grand-duc de Berg, entre
+Zeist et Leipzick; celui du prince de Ponte-Corvo, à Zeist; le quartier
+impérial à Gera; la garde impériale et le corps d'armée du maréchal
+Soult, à Gera; le corps d'armée du maréchal Ney, à Neustadt; en première
+ligne, le corps d'armée du maréchal Davoust, à Naumbourg, celui du
+maréchal Lannes, à Jena; celui du maréchal Augereau, à Kala. Le prince
+Jérôme, auquel l'empereur a confié le commandement des alliés et d'un
+corps de troupes bavaroises, est arrivé à Schleitz, après avoir fait
+bloquer le fort de Culenbach par un régiment.
+
+L'ennemi, coupé a Dresde, était encore le 11 à Erfurt, et travaillait à
+réunir ses colonnes qu'il avait envoyées sur Cassel et Wurtzbourg, dans
+des projets offensifs; voulant ouvrir la campagne par une invasion en
+Allemagne. Le Weser, où il avait construit des batteries, la Saale qu'il
+prétendait également défendre, et les autres rivières, sont tournées
+à-peu-près comme le fut l'Iller l'année passée; de sorte que l'armée
+française borde la Saale, ayant le dos à l'Elbe et marchant sur l'armée
+prussienne qui, de son côté, a le dos sur le Rhin, position assez
+bizarre, d'où doivent naître dès événemens d'une grande importance.
+
+Le temps, depuis notre entrée en campagne, est superbe, le pays
+abondant, le soldat plein de vigueur et de santé. On fait des marches de
+dix lieues, et pas un traîneur; jamais l'armée n'a été si belle.
+
+Toutes les intentions du roi de Prusse se trouvent exécutées: il voulait
+que le 8 octobre l'armée française eût évacué le territoire de la
+confédération, et elle l'avait évacué; mais au lieu de repasser le Rhin,
+elle a passé la Saale.
+
+
+
+Gera, le 14 octobre 1806.
+
+_Quatrième bulletin de la grande armée._
+
+Les événemens se succèdent avec rapidité. L'armée prussienne est prise
+en flagrant délit, ses magasins enlevés: elle est tournée.
+
+Le maréchal Davoust est arrivé à Naumbourg le 12, à neuf heures du soir,
+y a saisi les magasins de l'armée ennemie, fait des prisonniers et pris
+un superbe équipage de 18 pontons de cuivre attelés.
+
+Il paraît que l'armée prussienne se met en marche pour gagner
+Magdebourg; mais l'armée française a gagné trois marches sur elle.
+L'anniversaire des affaires d'Ulm sera célèbre, dans l'histoire de
+France.
+
+Une lettre qui vient d'être interceptée, fait connaître la vraie
+situation des esprits, mais cette bataille dont parle l'officier
+prussien, aura lieu dans peu de jours. Les résultats décideront du sort
+la guerre. Les Français doivent être sans inquiétude.
+
+
+
+Jéna, 15 octobre 1806.
+
+_Cinquième bulletin de la grande armée._
+
+La bataille de Jéna a lavé l'affront de Rosbach et décidé, en sept
+jours, une campagne qui a entièrement calmé cette frénésie guerrière qui
+s'était emparée des têtes prussiennes.
+
+Voici la position de l'armée au 13:
+
+Le grand-duc de Berg et le maréchal Davoust, avec leurs corps d'armée,
+étaient à Naumbourg, ayant des partis sur Leipsick et Halle.
+
+Le corps du maréchal prince de Ponte-Corvo était en marche pour se
+rendre à Dornbourg.
+
+Le corps du maréchal Lannes arrivait à Iéna.
+
+Le corps du maréchal Augereau était en position à Kala.
+
+Le corps du maréchal Ney était à Roda.
+
+Le quartier-général, à Gera.
+
+L'empereur, en marche pour se rendre à Jéna.
+
+Le corps du maréchal Soult, de Gera était en marche pour prendre une
+position plus rapprochée, à l'embranchement des routes de Naumbourg et
+d'Jéna.
+
+Voici la position de l'ennemi:
+
+Le roi de Prusse voulut commencer les hostilités au 9 octobre, en
+débouchant sur Francfort par sa droite, sur Wurtzbourg par son centre,
+et sur Bamberg par sa gauche, toutes les divisions de son armée étaient
+disposées pour exécuter ce plan; mais l'armée française tournant sur
+l'extrémité de sa gauche, se trouva en peu de jours à Saalbourg, à
+Lobenstein, à Schleitz, à Gera, à Naumbourg. L'armée prussienne,
+tournée employa, les journées des 9, 10, 11 et 12 à rappeler tous ses
+détachemens, et le 13, elle se présenta en bataille entre Capelsdorf et
+Auerstaedt, forte de près de cent cinquante mille hommes.
+
+Le 13, à deux heures après-midi, l'empereur arriva à Iéna, et sur un
+petit plateau qu'occupait notre avant-garde, il aperçut les dispositions
+de l'ennemi qui paraissait manoeuvrer pour attaquer le lendemain, et
+forcer les divers débouchés de la Saale. L'ennemi défendait en force,
+et par une position inexpugnable, la chaussée de Jéna à Weimar, et
+paraissait penser que les Français ne pourraient déboucher dans la
+plaine, sans avoir forcé ce passage. Il ne paraissait pas possible en
+effet de faire monter de l'artillerie sur le plateau, qui d'ailleurs
+était si petit, que quatre bataillons pouvaient à peine s'y déployer. On
+fit travailler toute la nuit à un chemin dans le roc, et l'on parvint à
+conduire l'artillerie sur la hauteur.
+
+Le maréchal Davoust reçut l'ordre de déboucher par Naumbourg pour
+défendre les défilés de Koesen si l'ennemi voulait marcher sur
+Naumbourg, ou pour se rendre à Apolda pour le prendre à dos, s'il
+restait dans la position où il était.
+
+Le corps du maréchal prince de Ponte-Corvo fut destiné à déboucher de
+Dornbourg, pour tomber sur les derrières de l'ennemi, soit qu'il se
+portât en force sur Naumbourg, soit qu'il se portât sur Jéna.
+
+La grosse cavalerie qui n'avait pas encore rejoint l'armée, ne pouvait
+la rejoindre qu'à midi; la cavalerie de la garde impériale était à
+trente-six heures de distance, quelque fortes marches qu'elle eût faites
+depuis son départ de Paris. Mais il est des momens à la guerre où aucune
+considération ne doit balancer l'avantage de prévenir l'ennemi et de
+l'attaquer le premier. L'empereur fit ranger sur le plateau qu'occupait
+l'avant-garde, que l'ennemi paraissait avoir négligé, et vis-à-vis
+duquel il était en position, tout le corps du maréchal Lannes; ce corps
+d'armée fut rangé par les soins du général Victor, chaque division
+formant une aile. Le maréchal Lefebvre fit ranger au sommet la garde
+impériale en bataillon carré. L'empereur bivouaqua au milieu de ses
+braves. La nuit offrait un spectacle digne d'observation, celui de deux
+armées dont l'une déployait son front sur six lieues d'étendue, et
+embrasait de ses feux l'atmosphère, l'autre dont les feux apparens
+étaient concentrés sur un petit point; et dans l'une et l'autre armée,
+de l'activité et du mouvement; les feux des deux armées étaient à une
+demi-portée de canon; les sentinelles se touchaient presque, et il ne se
+faisait pas un mouvement qui ne fut entendu.
+
+Les corps des maréchaux Ney et Soult passaient la nuit en marche. A la
+pointe du jour, toute l'armée prit les armes. La division Gazan était
+rangée sur trois lignes, sur la gauche du plateau. La division Suchet
+formait la droite; la garde impériale occupait le sommet du monticule;
+chacun de ces corps ayant ses canons dans les intervalles. De la ville
+et des vallées voisines on avait pratiqué des débouchés qui permettaient
+le déploiement le plus facile aux troupes qui n'avaient pu être placées
+sur le plateau; car c'était peut-être la première fois qu'une armée
+devait passer par un si petit débouché.
+
+Un brouillard épais obscurcissait le jour. L'empereur passa devant
+plusieurs lignes. Il recommanda aux soldats de se tenir en garde contre
+cette cavalerie prussienne qu'on peignait comme si redoutable. Il les
+fit souvenir qu'il y avait un an qu'à la même époque ils avaient
+pris Ulm; que l'armée prussienne, comme l'armée autrichienne, était
+aujourd'hui cernée, ayant perdu sa ligne d'opérations, ses magasins;
+qu'elle ne se battait plus dans ce moment pour la gloire, mais pour sa
+retraite; que cherchant à faire une trouée sur différens points, les
+corps d'armée qui la laisseraient passer, seraient perdus d'honneur et
+de réputation. A ce discours animé, le soldat répondit par des cris de
+_marchons_. Les tirailleurs engagèrent l'action, la fusillade devint
+vive. Quelque bonne que fût la position que l'ennemi occupait, il en fut
+débusqué, et l'armée française, débouchant dans la plaine, commença à
+prendre son ordre de bataille.
+
+De son côté, le gros de l'armée ennemie, qui n'avait eu le projet
+d'attaquer que lorsque le brouillard serait dissipé, prit les armes. Un
+corps de cinquante mille hommes de la gauche, se posta pour couvrir les
+défilés de Naumbourg et s'emparer des débouchés de Koesen; mais il avait
+déjà été prévenu par le maréchal Davoust. Les deux autres corps formant
+une force de 80,000 hommes, se portèrent en avant de l'armée française
+qui débouchait du plateau de Jéna. Le brouillard couvrit les deux armées
+pendant deux heures, mais enfin il fut dissipé par un beau soleil
+d'automne. Les deux armées s'aperçurent à petite portée de canon. La
+gauche de l'armée française, appuyée sur un village et des bois, était
+commandée par le maréchal Augereau. La garde impériale la séparait du
+centre qu'occupait le maréchal Lannes. La droite était formée par le
+corps du maréchal Soult; le maréchal Ney n'avait qu'un simple corps de
+trois mille hommes, seules troupes qui fussent arrivées de son corps
+d'armée.
+
+L'armée ennemie était nombreuse et montrait une belle cavalerie. Ses
+manoeuvres étaient exécutées avec précision et rapidité. L'empereur eût
+désiré retarder de deux heures d'en venir aux mains, afin d'attendre
+dans la position qu'il venait de prendre après l'attaque du matin, les
+troupes qui devaient le joindre, et surtout sa cavalerie; mais l'ardeur
+française l'emporta. Plusieurs bataillons s'étant engagés, au village de
+Hollstedt, il vit l'ennemi s'ébranler pour les en déposter. Le maréchal
+Lannes reçut ordre sur-le-champ de marcher en échelons pour soutenir ce
+village. Le maréchal Soult avait attaqué un bois sur la droite; l'ennemi
+ayant fait un mouvement de sa droite sur notre gauche, le maréchal
+Augereau fut chargé de le repousser; en moins d'une heure, l'action
+devint générale; deux cent cinquante ou trois cent mille hommes avec
+sept ou huit cents pièces de canon, semaient partout la mort, et
+offraient un de ces spectacles rares dans l'histoire. De part et
+d'autre, on manoeuvra constamment comme à une parade. Parmi nos troupes,
+il n'y eut jamais le moindre désordre, la victoire ne fut pas un moment
+incertaine. L'empereur eut toujours auprès de lui, indépendamment de la
+garde impériale, un bon nombre de troupes de réserve pour pouvoir parer
+à tout accident imprévu.
+
+Le maréchal Soult ayant enlevé le bois qu'il attaquait depuis deux
+heures, fit un mouvement en avant. Dans cet instant, on prévint
+l'empereur que la division de cavalerie française de réserve commençait
+à se placer, et que deux divisions du corps du maréchal Ney se plaçaient
+en arrière sur le champ de bataille. On fit alors avancer toutes les
+troupes qui étaient en réserve sur la première ligne, et qui, se
+trouvant ainsi appuyées, culbutèrent l'ennemi dans un clin-d'oeil, et le
+mirent en pleine retraite. Il la fit en ordre pendant la première heure;
+mais elle devint un affreux désordre du moment que nos divisions de
+dragons et nos cuirassiers, ayant le grand-duc de Berg à leur tête,
+purent prendre part à l'affaire. Ces braves cavaliers, frémissant de
+voir la victoire décidée sans eux, se précipitèrent partout où ils
+rencontrèrent l'ennemi. La cavalerie, l'infanterie prussienne ne purent
+soutenir leur choc. En vain l'infanterie ennemie se forma en bataillons
+carrés, cinq de ces bataillons furent enfoncés; artillerie, cavalerie,
+infanterie, tout fut culbuté et pris. Les Français arrivèrent à Weimar
+en même temps que l'ennemi, qui fut ainsi poursuivi pendant l'espace de
+six lieues.
+
+A notre droite, le corps du maréchal Davoust faisait des prodiges.
+Non-seulement il contint, mais mena battant pendant plus de trois
+lieues, le gros des troupes ennemies qui devait déboucher du côté de
+Koesen. Ce maréchal a déployé une bravoure distinguée et de la fermeté
+de caractère, première qualité d'un homme de guerre. Il a été secondé
+par les généraux Gudin, Friant, Morand, Daultanne, chef de l'état-major,
+et par la rare intrépidité de son brave corps d'armée.
+
+Les résultats de la bataille sont trente à quarante mille prisonniers;
+il en arrive à chaque moment; vingt-cinq à trente drapeaux, trois cents
+pièces de canon, des magasins immenses de subsistances. Parmi les
+prisonniers, se trouvent plus de vingt généraux, dont plusieurs
+lieutenants-généraux, entr'autres le lieutenant-général Schmettau. Le
+nombre des morts est immense dans l'armée prussienne. On compte qu'il y
+a plus de vingt mille tués ou blessés; le feld-maréchal Mollendorff a
+été blessé; le duc de Brunswick a été tué; le général Rüchel a été tué;
+le prince Henri de Prusse grièvement blessé. Au dire des déserteurs, des
+prisonniers et des parlementaires, le désordre et la consternation sont
+extrêmes dans les débris de l'armée ennemie.
+
+De notre côté, nous n'avons à regretter parmi les généraux que la perte
+du général de brigade de Billy, excellent soldat; parmi les blessés,
+le général de brigade Conroux. Parmi les colonels morts, les colonels
+Vergès, du douzième régiment d'infanterie de ligne; Lamotte, du
+trente-sixième; Barbenègre, du neuvième de hussards; Marigny, du
+vingtième de chasseurs; Harispe, du seizième d'infanterie légère;
+Dulembourg, du premier de dragons; Nicolas, du soixante-unième de ligne;
+Viala, du quatre-vingt-unième; Higonet, du cent-huitième.
+
+Les hussards et les chasseurs ont montré dans cette journée une audace
+digne des plus grands éloges. La cavalerie prussienne n'a jamais tenu
+devant eux; et toutes les charges qu'ils ont faites devant l'infanterie,
+ont été heureuses.
+
+Nous ne parlons pas de l'infanterie française; il est reconnu depuis
+long-temps que c'est la meilleure infanterie du monde. L'empereur
+a déclaré que la cavalerie française, après l'expérience des deux
+campagnes et de cette dernière bataille, n'avait pas d'égale.
+
+L'armée prussienne a dans cette bataille perdu toute retraite et toute
+sa ligne d'opérations. Sa gauche, poursuivie par le maréchal Davoust,
+opéra sa retraite sur Weimar, dans le temps que sa droite et son centre
+se retiraient de Weimar sur Naumbourg. La confusion fut donc extrême. Le
+roi a dû se retirer à travers les champs, à la tête de son régiment de
+cavalerie.
+
+Notre perte est évaluée à mille ou douze cents tués et à trois mille
+blessés. Le grand-duc de Berg investit en ce moment la place d'Erfurth,
+où se trouve un corps d'ennemis que commandent le maréchal de
+Mollendorff et le prince d'Orange.
+
+L'état-major s'occupe d'une relation officielle, qui fera connaître dans
+tous ses détails cette bataille et les services rendus par les différens
+corps d'armée et régimens. Si cela peut ajouter quelque chose aux titres
+qu'a l'armée à l'estime et à la considération de la nation, rien ne
+pourra ajouter au sentiment d'attendrissement qu'ont éprouvé ceux qui
+ont été témoins de l'enthousiasme et de l'amour qu'elle témoignait à
+l'empereur au plus fort du combat. S'il y avait un moment d'hésitation,
+le seul cri de vive l'empereur! ranimait les courages et retrempait
+toutes les ames. Au fort de la mêlée, l'empereur voyant ses ailes
+menacées par la cavalerie, se portait au galop pour ordonner des
+manoeuvres et des changemens de front en carrés; il était interrompu à
+chaque instant par des cris de _vive l'empereur!_ La garde impériale à
+pied voyait avec un dépit qu'elle ne pouvait dissimuler, tout le monde
+aux mains et elle dans l'inaction. Plusieurs voix firent entendre les
+mots _en avant_? «Qu'est-ce? dit l'empereur; ce ne peut être qu'un jeune
+homme qui n'a pas de barbe qui peut vouloir préjuger ce que je dois
+faire; qu'il attende qu'il ait commandé dans trente batailles rangées,
+avant de prétendre me donner des avis.» C'étaient effectivement des
+vélites, dont le jeune courage était impatient de se signaler.
+
+Dans une mêlée aussi chaude, pendant que l'ennemi perdait presque tous
+ses généraux, on doit remercier cette Providence qui gardait notre
+armée. Aucun homme de marque n'a été tué ni blessé. Le maréchal Lannes a
+eu un biscaïen qui lui a rasé le poitrine sans le blesser. Le maréchal
+Davoust a eu son chapeau emporté et un grand nombre de balles dans ses
+habits. L'empereur a toujours été entouré, partout où il a paru, du
+prince de Neufchâtel, du maréchal Bessières, du grand maréchal du
+palais, Duroc, du grand-écuyer Caulincourt, et de ses aides-de-camp et
+écuyers de service. Une partie de l'armée n'a pas donné, ou est encore
+sans avoir tiré un coup de fusil.
+
+
+
+De notre camp impérial de Weimar, le 15 octobre 1806.
+
+_Aux archevêques et évêques de l'empire._
+
+«Monsieur l'évêque, le succès que nous venons de remporter sur nos
+ennemis, avec l'aide de la divine providence, imposent à nous et à
+notre peuple l'obligation d'en rendre au Dieu des armées de solennelles
+actions de graces. Vous avez vu, par la dernière note du roi de Prusse,
+la nécessité où nous nous sommes trouvé de tirer l'épée pour défendre le
+bien le plus précieux de notre peuple, l'honneur. Quelque répugnance que
+nous ayons eue, nous avons été poussé à bout par nos ennemis; ils ont
+été battus et confondus. Au reçu de la présente, veuillez donc réunir
+nos peuples dans les temples, chanter un _Te Deum_, et ordonner des
+prières pour remercier Dieu de la prospérité qu'il a accordée à nos
+armes. Cette lettre n'étant pas à une autre fin, je prie Dieu, M.
+l'évêque, qu'il vous ait en sa sainte garde.»
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Weimar, le 15 octobre 1806.
+
+_Sixième bulletin de la grande armée._
+
+Six mille Saxons et plus de trois cents officiers ont été faits
+prisonniers. L'empereur a fait réunir les officiers, et leur a dit qu'il
+voyait avec peine que leur armée lui faisait la guerre; qu'il n'avait
+pris les armes que pour assurer l'indépendance de la nation saxonne, et
+s'opposer à ce qu'elle fût incorporée à la monarchie prussienne; que son
+intention était, de les renvoyer tous chez eux s'il donnait leur parole
+de ne jamais servir contre la France; que leur souverain, dont il
+reconnaissait les qualités, avait été d'une extrême faiblesse en cédant
+ainsi aux menaces des Prussiens, et en les laissant entrer sur son
+territoire; mais qu'il fallait que tout cela finît; que les Prussiens
+restassent en Prusse, et qu'ils ne se mêlassent en rien des affaires
+de l'Allemagne; que les Saxons devaient se trouver réunis dans la
+confédération du Rhin, sous la protection de la France, protection qui
+n'était pas nouvelle, puisque depuis deux cents ans, sans la France, ils
+eussent été envahis par l'Autriche, ou par la Prusse; que l'empereur
+n'avait pris les armes que lorsque la Prusse avait envahi la Saxe; qu'il
+fallait mettre un terme à ces violences; que le continent avait besoin
+de repos, et que, malgré les intrigues et les basses passions qui
+agitent plusieurs cours, il fallait que ce repos existât, dût-il en
+coûter la chute de quelques trônes.
+
+Effectivement tous les prisonniers saxons ont été renvoyés chez eux avec
+la proclamation de l'empereur aux Saxons, et des assurances qu'on n'en
+voulait point à leur nation.
+
+
+
+Weimar, le 16 octobre 1806.
+
+_Septième bulletin de la grande armée._
+
+Le grand-duc de Berg a cerné Erfurth le 15, dans la matinée. Le 16, la
+place a capitulé. Par ce moyen, quatorze mille hommes, dont huit mille
+blessés et six mille bien portans, sont devenus prisonniers de guerre,
+parmi lesquels sont le prince d'Orange, le feld-maréchal Mollendorff, le
+lieutenant-général Larisph, le lieutenant-général Graver, les généraux
+majors Leffave et Zveilfel. Un parc de cent vingt pièces d'artillerie
+approvisionné est également tombé en notre pouvoir. On ramasse tous les
+jours des prisonniers.
+
+Le roi de Prusse a envoyé un aide-de-camp à l'empereur, avec une lettre
+en réponse à celle que l'empereur lui avait écrite avant la bataille;
+mais le roi de Prusse n'a répondu qu'après. Cette démarche de l'empereur
+Napoléon était pareille à celle qu'il fit auprès de l'empereur de
+Russie, avant la bataille d'Austerlitz; il dit au roi de Prusse: «Le
+succès de mes armes n'est point incertain. Vos troupes seront battues;
+mais il en coûtera le sang de mes enfans; s'il pouvait être épargné par
+quelque arrangement compatible avec l'honneur de ma couronne, il n'y a
+rien que je ne fasse pour épargner un sang si précieux. Il n'y a que
+l'honneur qui, à mes yeux, soit encore plus précieux que le sang de mes
+soldats.»
+
+Il paraît que les débris de l'armée prussienne se retirent sur
+Magdebourg. De toute cette immense et belle armée, il ne s'en réunira
+que des débris.
+
+
+
+Weimar, le 16 octobre 1806, au soir.
+
+_Huitième bulletin de la grande armée._
+
+Les différens corps d'armée qui sont à la poursuite de l'ennemi,
+annoncent à chaque instant des prisonniers, la prise de bagages, de
+pièces de canon, de magasins, de munitions de toute espèce. Le maréchal
+Davoust vient de prendre trente pièces de canon; le maréchal Soult, un
+convoi de trois mille tonneaux de farine; le maréchal Bernadotte, quinze
+cents prisonniers; l'armée ennemie est tellement dispersée et mêlée
+avec nos troupes, qu'un de ses bataillons vint se placer dans un de nos
+bivouacs, se croyant dans le sien.
+
+Le roi de Prusse tâche de gagner Magdebourg. Le maréchal Mollendorf est
+très-malade à Erfurth, le grand-duc de Berg lui a envoyé son médecin.
+
+La reine de Prusse a été plusieurs fois en vue de nos postes; elle est
+dans des transes et dans des alarmes continuelles. La veille, elle avait
+passé son régiment en revue. Elle excitait sans cesse le roi et les
+généraux. Elle voulait du sang, le sang le plus précieux a coulé. Les
+généraux les plus marquans sont ceux sur qui sont tombés les premiers
+coups.
+
+Le général de brigade Durosnel a fait, avec les septième et vingtième de
+chasseurs, une charge hardie qui a eu le plus grand effet. Le major du
+vingtième régiment s'y est distingué. Le général de brigade Colbert, à
+la tête du troisième de hussards et du douzième de chasseurs, a fait sur
+l'infanterie ennemie plusieurs charges qui ont eu le plus grand succès.
+
+
+
+Weimar, le 17 octobre 1806.
+
+_Neuvième bulletin de la grande armée._
+
+La garnison d'Erfurth a défilé. On y a trouvé beaucoup plus de monde
+qu'on ne croyait. Il y a une grande quantité de magasins. L'empereur a
+nommé le général Clarke commandant de la ville et citadelle d'Erfurth
+et du pays environnant. La citadelle d'Erfurth est un bel octogone
+bastionné, avec casemates, et bien armé. C'est une acquisition précieuse
+qui nous servira de point d'appui au milieu de nos opérations.
+
+On a dit dans le cinquième bulletin qu'on avait pris vingt-cinq à trente
+drapeaux; il y en a jusqu'ici quarante-cinq au quartier-général. Il est
+probable qu'il y en aura plus de soixante. Ce sont des drapeaux donnés
+par le grand Frédéric à ses soldats. Celui du régiment des gardes, celui
+du régiment de la reine, brodé des mains de cette princesse, se trouvent
+du nombre. Il paraît que l'ennemi veut tâcher de se rallier sur
+Magdebourg; mais pendant ce temps-là on marche de tous côtés. Les
+différens corps de l'armée sont à sa poursuite par différens chemins.
+A chaque instant arrivent des courriers annonçant que des bataillons
+entiers sont coupés, des pièces de canon prises, des bagages, etc.
+
+L'empereur est logé au palais de Weimar, où logeait quelques jours avant
+la reine de Prusse. Il paraît que ce qu'on a dit d'elle est vrai. Elle
+était ici pour souffler le feu de la guerre. C'est une femme d'une jolie
+figure, mais de peu d'esprit, incapable de présager les conséquences
+de ce qu'elle faisait. Il faut aujourd'hui, au lieu de l'accuser, la
+plaindre, car elle doit avoir bien des remords des maux qu'elle a faits
+à sa patrie, et de l'ascendant qu'elle a exercé sur le roi son mari,
+qu'on s'accorde à présenter comme un parfait honnête homme, qui voulait
+la paix et le bien de ses peuples.
+
+
+
+Naumbourg, le 18 octobre 1806.
+
+_Dixième bulletin de la grande armée._
+
+Parmi les soixante drapeaux qui ont été pris à la bataille de Jéna, il
+s'en trouve plusieurs des gardes du roi de Prusse et un des gardes du
+corps, sur lequel la légende est écrite en français.
+
+Le roi de Prusse a fait demander un armistice de six semaines.
+L'empereur a répondu qu'il était impossible, après une victoire, de
+donner à l'ennemi le temps de se rallier.
+
+Cependant les Prussiens ont fait tellement courir ce bruit, que
+plusieurs de nos généraux les ayant rencontrés, on leur a fait croire
+que cet armistice était conclu.
+
+Le maréchal Soult est arrivé le 16 à Greussen, poursuivant devant lui
+la colonne où était le roi, qu'on estimait forte de dix ou douze mille
+hommes. Le général Kalkreuth, qui la commandait, fit dire au maréchal
+Soult qu'un armistice avait été conclu. Ce maréchal répondit qu'il était
+impossible que l'empereur eût fait cette faute; qu'il croirait à cet
+armistice, lorsqu'il lui aurait été notifié officiellement. Le général
+Kalkreuth témoigna le désir de voir le maréchal Soult, qui se rendit aux
+avant-postes. «Que voulez-vous de nous, lui dit le général prussien? le
+duc de Brunswick est mort, tous nos généraux sont tués, blessés ou pris,
+la plus grande partie de notre armée est en fuite; vos succès sont assez
+grands. Le roi a demandé une suspension d'armes, il est impossible que
+votre empereur ne l'accorde pas.--Monsieur le général, lui répondit le
+maréchal Soult, il y a long-temps qu'on en agit ainsi avec nous; on en
+appelle à notre générosité quand on est vaincu, et on oublie un instant
+après la magnanimité que nous avons coutume de montrer. Après la
+bataille d'Austerlitz, l'empereur accorda un armistice à l'armée russe;
+cet armistice sauva l'armée. Voyez la manière indigne dont agissent
+aujourd'hui les Russes. On dit qu'ils veulent revenir: nous brûlons du
+désir de les revoir. S'il y avait eu chez eux autant de générosité que
+chez nous, on nous aurait laissé tranquilles enfin, après la modération
+que nous avons montrée dans la victoire. Nous n'avons en rien provoqué
+la guerre injuste que vous nous faites. Vous l'avez déclarée de gaîté de
+coeur; la bataille de Jéna a décidé du sort de la campagne. Notre métier
+est de vous faire le plus de mal que nous pourrons. Posez les armes, et
+j'attendrai dans cette situation les ordres de l'Empereur.» Le vieux
+général Kalkreuth vit bien qu'il n'avait rien à répondre. Les deux
+généraux se séparèrent, et les hostilités recommencèrent un instant
+après: le village de Greussen fut enlevé, l'ennemi culbuté et poursuivi
+l'épée dans les reins.
+
+Le grand-duc de Berg et les maréchaux Soult et Ney doivent, dans les
+journées des 17 et 18, se réunir par des marches combinées et écraser
+l'ennemi. Ils auront sans doute cerné un bon nombre de fuyards; les
+campagnes en sont couvertes, et les routes sont encombrées de caissons
+et de bagages de toute espèce.
+
+Jamais plus grande victoire ne fut signalée par de plus grands
+désastres. La réserve que commande le prince Eugène de Wurtemberg,
+est arrivée à Halle; ainsi nous ne sommes qu'au neuvième jour de la
+campagne, et déjà l'ennemi est obligé de mettre en avant sa dernière
+ressource. L'empereur marche à elle; elle sera attaquée demain, si elle
+tient dans la position de Halle.
+
+Le maréchal Davoust est parti aujourd'hui pour prendre possession de
+Leipsick et jeter un pont sur l'Elbe. La garde impériale à cheval vient
+enfin nous joindre.
+
+Indépendamment des magasins considérables trouvés à Naumbourg, on en a
+trouvé un grand nombre à Weissenfels.
+
+Le général en chef Rüchel a été trouvé, dans un village, mortellement
+blessé; le maréchal Soult lui a envoyé son chirurgien. Il semble que ce
+soit un décret de la Providence, que tous ceux qui ont poussé à cette
+guerre aient été frappés par ses premiers coups.
+
+
+
+Mersebourg, le 19 octobre 1806.
+
+_Onzième bulletin de la grande armée._
+
+Le nombre des prisonniers qui ont été faits à Erfurth est plus
+considérable qu'on ne le croyait. Les passeports accordés aux officiers
+qui doivent retourner chez eux sur parole, en vertu d'un des articles de
+la capitulation, se sont montés à six cents.
+
+Le corps du maréchal Davoust a pris possession le 18 de Leipsick.
+
+Le prince de Ponte-Corvo, qui se trouvait le 17 à Eisleben, pour couper
+des colonnes prussiennes, ayant appris que la réserve de S. M. le roi de
+Prusse, commandée par le prince Eugène de Wurtemberg, était arrivée
+à Halle, s'y porta. Après avoir fait ses dispositions, le prince de
+Ponte-Corvo fit attaquer Halle par le général Dupont, et laissa la
+division Drouet en réserve sur sa gauche. Le trente-deuxième et le
+neuvième d'infanterie légère passèrent les trois ponts au pas de charge,
+et entrèrent dans la ville, soutenus par le quatre-vingt-seizième. En
+moins d'une heure tout fut culbuté. Les deuxième et quatrième régimens
+de hussards et toute la division du général Rivaut traversèrent la ville
+et chassèrent l'ennemi de Dienitz, de Peissen et de Rabatz. La cavalerie
+prussienne voulut charger le huitième et le quatre-vingt-seizième
+d'infanterie, mais elle fut vivement reçue et repoussée.
+
+La réserve du prince de Wurtemberg fut mise dans la plus complète
+déroute, et poursuivie l'espace de quatre lieues.
+
+Les résultats de ce combat, qui mérite une relation particulière et
+soignée, sont cinq mille prisonniers, dont deux généraux et trois
+colonels, quatre drapeaux et trente-quatre pièces de canon.
+
+Le général Dupont s'est conduit avec beaucoup de distinction.
+
+Le général de division Rouyer a eu un cheval tué sons lui. Le général de
+division Drouet a pris en entier le régiment de Treskow.
+
+De notre côté, la perte ne se monte qu'à quarante hommes tués et deux
+cents blessés. Le colonel du neuvième régiment d'infanterie légère a été
+blessé.
+
+Le général Léopold Berthier, chef de l'état-major du prince de
+Ponte-Corvo, s'est comporté avec distinction.
+
+Par le résultat du combat de Halle, il n'est plus de troupes ennemies
+qui n'aient été entamées.
+
+Le général prussien Blucher, avec cinq mille hommes, a traversé la
+division de dragons du général Klein, qui l'avait coupé. Ayant allégué
+au général Klein qu'il y avait un armistice de six semaines, ce général
+a eu la simplicité de le croire.
+
+L'officier d'ordonnance près de l'empereur, Montesquiou, qui avait été
+envoyé en parlementaire auprès du roi de Prusse l'avant-veille de la
+bataille, est de retour. Il a été entraîné, pendant plusieurs jours,
+avec les fuyards ennemis; il dépeint le désordre de l'armée prussienne
+comme inexprimable. Cependant la veille de la bataille, leur jactance
+était sans égale. Il n'était question de rien moins que de couper
+l'armée française et d'enlever des colonnes de quarante mille hommes.
+Les généraux prussiens singeaient, autant qu'ils pouvaient, les manières
+du grand Frédéric.
+
+Quoique nous fussions dans leur pays, les généraux paraissaient être
+dans l'ignorance la plus absolue de nos mouvements; ils croyaient qu'il
+n'y avait sur le petit plateau de Jéna que quatre mille hommes; et
+cependant la plus grande partie de l'armée a débouché sur ce plateau.
+
+L'armée ennemie se retire à force sur Magdebourg. Il est probable que
+plusieurs colonnes seront coupées avant d'y arriver. On n'a point de
+nouvelles depuis plusieurs jours du maréchal Soult, qui a été détaché
+avec quarante mille hommes pour poursuivre l'armée ennemie.
+
+L'empereur a traversé le champ de bataille de Rosbach; il a ordonné que
+la colonne qui y avait été élevée, fût transportée à Paris.
+
+Le quartier-général de l'empereur a été le 18 à Mersebourg; il sera le
+19 à Halle. On a trouvé dans cette dernière ville des magasins de toute
+espèce, très-considérables.
+
+
+
+Halle, le 19 octobre 1806.
+
+_Douzième bulletin de la grande armée._
+
+Le maréchal Soult a poursuivi l'ennemi jusqu'aux portes de Magdebourg.
+Plusieurs fois les Prussiens ont voulu prendre position, et toujours ils
+ont été culbutés.
+
+On a trouvé à Nordhausen des magasins considérables, et même une caisse
+du roi de Prusse, remplie d'argent.
+
+Pendant les cinq jours que le maréchal Soult a employés à la poursuite
+de l'ennemi, il a fait douze cents prisonniers et pris trente pièces de
+canon, et deux ou trois cents caissons.
+
+Le premier objet de la campagne se trouve rempli. La Saxe, la
+Westphalie, et tous les pays situés sur la rive gauche de l'Elbe, sont
+délivrés de la présence de l'armée prussienne. Cette armée, battue et
+poursuivie l'épée dans les reins pendant plus de cinquante lieues, est
+aujourd'hui sans artillerie, sans bagages, et sans officiers, réduite
+au-dessous du tiers de ce qu'elle était il y a huit jours; et, ce qui
+est encore pis que cela, elle a perdu son moral et toute confiance en
+elle-même.
+
+Deux corps de l'armée française sont sur l'Elbe, occupés à construire
+des ponts.
+
+Le quartier-général est à Halle.
+
+
+
+Halle, le 20 octobre 1806.
+
+_Treizième bulletin de la grande armée._
+
+Le général Macon, commandant à Leipsick, a fait aux banquiers, négocians
+et marchands de cette ville une notification[4]. Puisque les oppresseurs
+des mers ne respectent aucun pavillon, l'intention de l'empereur est de
+saisir partout leurs marchandises et de les bloquer véritablement dans
+leur île.
+
+On a trouvé dans les magasins militaires de Leipsick quinze mille
+quintaux de farine et beaucoup d'autres denrées d'approvisionnement.
+
+Le grand-duc de Berg est arrivé à Halberstadt le 19. Le 20, il a inondé
+toute la plaine de Magdebourg, par sa cavalerie, jusqu'à la portée du
+canon. Les troupes ennemies, les détachemens isolés, les hommes perdus,
+seront pris au moment où ils se présenteront pour entrer dans la place.
+
+Un régiment de hussards ennemis croyait que Halberstadt était encore
+occupé par les Prussiens; il a été chargé par le deuxième de hussards,
+et a éprouvé une perte de trois cents hommes.
+
+Le général Beaumont s'est emparé de six cents hommes de la garde du roi,
+et de tous les équipages de ce corps.
+
+Deux heures auparavant, deux compagnies de la garde royale à pied
+avaient été prises par le maréchal Soult.
+
+Le lieutenant-général, comte de Schmettau, qui avait été fait
+prisonnier, vient de mourir à Weimar.
+
+Ainsi, de cette belle et superbe armée qui, il y a peu de jours,
+menaçait d'envahir la confédération du Rhin, et qui inspirait à son
+souverain une telle confiance, qu'il osait ordonner à l'empereur
+Napoléon de sortir de l'Allemagne avant le 8 octobre, s'il ne voulait
+pas y être contraint par la force; de cette belle et superbe armée,
+disons-nous, il ne reste que les débris, chaos informe qui mérite plutôt
+le nom de rassemblement que celui d'armée. De cent soixante mille hommes
+qu'avait le roi de Prusse, il serait difficile d'en réunir plus de
+cinquante mille, encore sont-ils sans artillerie et sans bagages, armés
+en partie, en partie désarmés. Tous ces événemens justifient ce que
+l'empereur a dit dans sa première proclamation, lorsqu'il s'est
+exprimé ainsi: «Qu'ils apprennent que s'il est facile d'acquérir un
+accroissement de domaines et de puissance avec l'amitié du grand peuple,
+son inimitié est plus terrible que les tempêtes de l'Océan.»
+
+Rien ne ressemble en effet davantage à l'état actuel de l'armée
+prussienne que les débris d'un naufrage. C'était une belle et nombreuse
+flotte qui ne prétendait pus moins qu'asservir les mers; les vents
+impétueux du nord ont soulevé l'Océan contre elle. Il ne rentre au port
+qu'une petite partie des équipages qui n'ont trouvé de salut qu'en se
+sauvant sur des débris.
+
+Trois lettres interceptées peignent au vrai la situation des choses.
+
+Une autre lettre également interceptée, montre à quel point le cabinet
+prussien a été dupe de fausses apparences. Il a pris la modération de
+l'empereur Napoléon pour de la faiblesse. De ce que ce monarque ne
+voulait pas la guerre, et faisait tout ce qui pouvait être convenable
+pour l'éviter, on a conclu qu'il n'était pas en mesure, et qu'il avait
+besoin de deux cent mille conscrits pour recruter son armée.
+
+Cependant l'armée française n'était plus claquemurée dans les camps de
+Boulogne; elle était en Allemagne: M. Ch. L. de Hesse et M. d'Haugwitz
+auraient pu la compter. Reconnaissons donc ici la volonté de cette
+providence qui ne laisse pas à nos ennemis des yeux pour voir, des
+oreilles pour entendre, du jugement et de la raison pour raisonner.
+
+Il paraît que M. Charles Louis de Hesse convoitait seulement Mayence.
+Pourquoi pas Metz? pourquoi pas les autres places de l'ouest de la
+France? Ne dites donc plus que l'ambition des Français vous a fait
+prendre les armes; convenez que c'est votre ambition mal raisonnée qui
+vous a excités à la guerre. Parce qu'il y avait une armée française
+à Naples, une autre en Dalmatie, vous avez projeté de tomber sur le
+grand-peuple; mais en sept jours vos projets ont été confondus. Vous
+vouliez attaquer la France sans courir aucun danger, et déjà vous avez
+cessé d'exister.
+
+On rapporte que l'empereur Napoléon ayant, avant de quitter Paris,
+rassemblé ses ministres, leur dit: «Je suis innocent de cette guerre; je
+ne l'ai provoquée en rien: elle n'est point entrée dans mes calculs. Que
+je sois battu si elle est de mon fait. Un des principaux motifs de la
+confiance dans laquelle je suis que mes ennemis seront détruits, c'est
+que je vois dans leur conduite le doigt de la providence, qui, voulant
+que les traîtres soient punis, a tellement éloigné toute sagesse de
+leurs conseils, que lorqu'ils pensent m'attaquer dans un moment de
+faiblesse, ils choisissent l'instant même où je suis le plus fort.»
+
+[Note 4: Cette notification était une injonction à tous les
+négocians de déclarer les marchandises anglaises, dont la saisie était
+ordonnée.]
+
+
+
+Dessau, le 22 octobre 1806.
+
+_Quatorzième bulletin de la grande armée._
+
+Le maréchal Davoust est arrivé le 20 à Wittemberg, et a surpris le pont
+sur l'Elbe au moment où l'ennemi y mettait le feu.
+
+Le maréchal Lannes est arrivé à Dessau; le pont était brûlé; il a fait
+travailler sur-le-champ à le réparer.
+
+Le marquis de Lucchesini s'est présenté aux avant-postes avec une lettre
+du roi de Prusse. L'empereur a envoyé le grand-maréchal de son palais,
+Duroc, pour conférer avec lui.
+
+Magdebourg est bloqué. Le général de division Legrand, dans sa marche
+sur Magdehourg, a fait quelques prisonniers. Le maréchal Soult a ses
+postes autour de la ville. Le grand-duc de Berg y a envoyé son chef
+d'état-major le général Belliard. Ce général y a vu le prince de
+Hohenlohe. Le langage des officiers prussiens était bien changé.
+Ils demandent la paix à grands cris. «Que veut votre empereur, nous
+disent-ils? Nous poursuivra-t-il toujours l'épée dans les reins? Nous
+n'avons pas un moment de repos depuis la bataille.» Ces messieurs
+étaient sans doute accoutumés aux manoeuvres de la guerre de sept ans.
+Ils voulaient demander trois jours pour enterrer les morts. «Songez aux
+vivans, a répondu l'empereur, et laissez-nous le soin d'enterrer les
+morts; il n'y a pas besoin de trêve pour cela.»
+
+La confusion est extrême dans Berlin. Tous les bons citoyens, qui
+gémissaient de la fausse direction donnée à la politique de leur pays,
+reprochent avec raison aux boute-feux excités par l'Angleterre, les
+tristes effets de leurs menées. Il n'y a qu'un cri contre la reine dans
+tout le pays.
+
+Il paraît que l'ennemi cherche à se rallier derrière l'Oder.
+
+Le souverain de Saxe a remercié l'empereur de la générosité avec
+laquelle il l'a traité, et qui va l'arracher à l'influence prussienne.
+Cependant bon nombre de ses soldats ont péri dans toute cette bagarre.
+
+Le quartier-général était, le 21, à Dessau.
+
+
+
+Wittemberg, le 23 octobre 1806.
+
+_Quinzième bulletin de la grande armée._
+
+Voici les renseignemens qu'on a pu recueillir sur les causes de cette
+étrange guerre.
+
+Le général Schmettau (mort prisonnier à Weymar) fit un mémoire écrit,
+avec beaucoup de force et dans lequel il établissait que l'armée
+prussienne devait se regarder comme déshonorée, qu'elle était cependant
+en état de battre les Français, et qu'il fallait faire la guerre.
+
+Les généraux Ruchel (tué) et Blucher (qui ne s'est sauvé que par un
+subterfuge, en abusant de la bonne foi française), souscrivirent ce
+mémoire, qui était rédigé en forme de pétition au roi. Le prince
+Louis-Ferdinand de Prusse (tué) l'appuya de toutes sortes de sarcasmes.
+L'incendie gagna toutes les tètes. Le duc de Brunswick (blessé
+très-grièvement), homme connu pour être sans volonté et sans caractère,
+fut enrôlé dans la faction de la guerre. Enfin, le mémoire étant ainsi
+appuyé, on le presenta au roi. La reine se chargea de disposer l'esprit
+de ce prince, et de lui faire connaître ce qu'on pensait de lui. Elle
+lui rapporta qu'on disait qu'il n'était pas brave, et que, s'il ne
+faisait pas la guerre, c'est qu'il n'osait pas se mettre à la tête de
+l'armée. Le roi, réellement aussi brave qu'aucun prince de Prusse, se
+laissa entraîner sans cesser de conserver l'opinion intime qu'il faisait
+une grande faute.
+
+Il faut signaler les hommes qui n'ont pas partagé les illusions des
+partisans de la guerre. Ce sont le respectable feld-maréchal Mollendorf
+et le général Kalkreuth.
+
+On assure qu'après la belle charge du neuvième et du dixième régiment
+de hussards à Saalfeld, le roi dit: «Vous prétendiez que la cavalerie
+française ne valait rien, voyez cependant ce que fait la cavalerie
+légère, et jugez ce que feront les cuirassiers. Ces troupes ont acquis
+leur supériorité par quinze ans de combats. Il en faudrait autant, afin
+de parvenir à les égaler; mais qui de nous serait assez ennemi de la
+Prusse pour désirer cette terrible épreuve?»
+
+L'empereur, déjà maître de toutes les communications et des magasins de
+l'ennemi, écrivit le 12 de ce mois la lettre ci-jointe (nous l'avons
+rapportée à son ordre de date), qu'il envoya au roi de Prusse par
+l'officier d'ordonnance Montesquiou.
+
+Cet officier arriva le 13, à quatre heures après midi, au quartier du
+général Hohenlohe, qui le retint auprès de lui, et qui prit la lettre
+dont il était porteur.
+
+Le camp dit roi de Prusse était à deux lieues en arrière. Ce prince
+devait donc recevoir la lettre de l'empereur au plus tard à six heures
+du soir. On assure cependant qu'il ne la reçut que le 14, à neuf heures
+du matin, c'est-à-dire, lorsque déjà l'on se battait. On rapporte aussi
+que le roi de Prusse dit alors: «Si cette lettre était arrivée plus tôt,
+peut-être aurait-on pu ne pas se battre; mais ces jeunes gens ont la
+tête tellement montée, que s'il eût été question hier de la paix, je
+n'aurais pas ramené le tiers de mon armée à Berlin.»
+
+Le roi de Prusse a eu deux chevaux tués sous lui, et a reçu un coup de
+fusil dans la manche.
+
+Le duc de Brunswick a eu tous les torts dans cette guerre; il a mal
+conçu et mal dirigé les mouvemens de l'armée; il croyait l'empereur
+à Paris, lorsqu'il se trouvait sur ses flancs; il pensait avoir
+l'initiative des mouvemens, et il était déjà tourné.
+
+Au reste, la veille de la bataille, la consternation était déjà dans les
+chefs; ils reconnaissaient qu'on était mal posté, et qu'on allait jouer
+le va-tout de la monarchie. Ils disaient tous: «Eh bien? nous paierons
+de notre personne». Ce qui est, d'ordinaire, le sentiment des hommes qui
+conservent peu d'espérance.
+
+La reine se trouvait toujours au quartier-général à Weimar; il a bien
+fallu lui dire enfin que les circonstances étaient sérieuses, et que le
+lendemain il pouvait se passer de grands événemens pour la monarchie
+prussienne. Elle voulait que le roi lui dît de s'en aller; et, en effet
+elle fut mise dans le cas de partir.
+
+Lord Morpelh, envoyé par la cour de Londres pour marchander le sang
+prussien, mission véritablement indigne d'un homme tel que lui, arriva
+le 11 à Weimar, chargé de faire des offres séduisantes, et de proposer
+des subsides considérables. L'horizon s'était déjà fort obscurci, le
+cabinet ne voulut pas voir cet envoyé; il lui fit dire qu'il y avait
+peut-être peu de sûreté pour sa personne, et il l'engagea à retourner
+à Hambourg, pour y attendre l'événement. Qu'aurait dit la duchesse de
+Devonshire, si elle avait vu son gendre chargé de souffler le feu de la
+guerre, de venir offrir un or empoisonné, et obligé de retourner sur
+ses pas tristement et en grande hâte? Ou ne peut que s'indigner de voir
+l'Angleterre compromettre de la sorte des agens estimables et jouer un
+rôle aussi odieux.
+
+On n'a point encore de nouvelles de la conclusion d'un traité entre la
+Prusse et la Russie, et il est certain qu'aucun Russe n'a paru, jusqu'à
+ce jour, sur le territoire prussien. Du reste, l'armée désire fort les
+voir; ils trouveront Austerlitz en Prusse.
+
+Le prince Louis-Ferdinand de Prusse, et les autres généraux qui ont
+succombé sous les premiers coups des Français, sont aujourd'hui désignés
+comme les principaux moteurs de cette incroyable frénésie. Le roi, qui
+en a couru toutes les chances, et qui supporte tous les malheurs qui en
+ont été le résultat, est de tous les hommes entraînés par elle, celui
+qui y était demeuré le plus étranger.
+
+Il y a à Leipsick une telle quantité de marchandises anglaises, qu'on a
+déjà offert soixante millions pour les racheter.
+
+On se demande ce que l'Angleterre gagnera à tout ceci. Elle pouvait
+recouvrer le Hanovre, garder le cap de Bonne-Espérance, conserver Malte,
+faire une paix honorable, et rendre la tranquillité au Monde. Elle a
+voulu exciter la Prusse contre la France, pousser l'empereur et la
+France à bout; eh bien! elle a conduit la Prusse à sa ruine, procuré
+à l'empereur une plus grande gloire, à la France une plus grande
+puissance; el le temps approche où l'on pourra déclarer l'Angleterre en
+état de blocus continental. Est-ce donc avec du sang que les Anglais
+ont espéré alimenter leur commerce et ranimer leur industrie? De grands
+malheurs peuvent fondre sur l'Angleterre; l'Europe les attribuera à la
+perte de ce ministre honnête homme, qui voulait gouverner par des idées
+grandes et libérales, et que le peuple anglais pleurera un jour avec des
+larmes de sang.
+
+Les colonnes françaises sont déjà en marche sur Potsdam et Berlin. Les
+députés de Potsdam sont arrivés pour demander une sauve-garde.
+
+Le quartier impérial est aujourd'hui à Wittemberg.
+
+
+
+Wittemberg, le 24 octobre 1806.
+
+_Seizième bulletin de la grande armée._
+
+Le duc de Brunswick a envoyé son maréchal du palais à l'empereur. Cet
+officier était chargé d'une lettre par laquelle le duc recommandait ses
+états à S.M.
+
+L'empereur lui a dit: Si je faisais démolir la ville de Brunswick, et si
+je n'y laissais pas pierre sur pierre, que dirait votre prince? La loi
+du talion ne me permet-elle pas de faire à Brunswick ce qu'il voulait
+faire dans ma capitale? Annoncer le projet de démolir des villes, cela
+peut être insensé; mais vouloir ôter l'honneur à toute une armée de
+braves gens, lui proposer de quitter l'Allemagne par journées d'étapes,
+à la seule sommation de l'armée prussienne, voilà ce que la postérité
+aura peine à croire. Le duc de Brunswick n'eût jamais dû se permettre
+un tel outrage; lorsqu'on a blanchi sous les armes, on doit respecter
+l'honneur militaire, et ce n'est pas d'ailleurs dans les plaines de
+Champagne que ce général a pu acquérir le droit de traiter les drapeaux;
+français avec un tel mépris. Une pareille sommation ne déshonorera que
+le militaire qui l'a pu faire. Ce n'est pas au roi de Prusse que restera
+ce déshonneur, c'est au chef de son conseil militaire, c'est au général
+à qui, dans ces circonstances difficiles, il avait remis le soin des
+affaires; c'est enfin le duc de Brunswick que la France et la Prusse
+peuvent accuser seul de la guerre. La frénésie dont ce vieux général a
+donné l'exemple, a autorisé une jeunesse turbulente et entraîné le roi
+contre sa propre pensée et son intime conviction. Toutefois, monsieur,
+dites aux habitans du pays de Brunswick qu'ils trouveront dans les
+Français des ennemis généreux, que je désire adoucir à leur égard les
+rigueurs de la guerre, et que le mal que pourrait occasionner le passage
+des troupes, serait contre mon gré. Dites au général Brunswick qu'il
+sera traité avec tous les honneurs dus à un officier prussien; mais que
+je ne puis reconnaître dans un général prussien, un souverain. S'il
+arrive que la maison de Brunswick perde la souveraineté de ses ancêtres,
+elle ne pourra s'en prendre qu'à l'auteur de deux guerres qui, dans
+l'une, voulut saper jusque dans ses fondemens la grande capitale;
+qui, dans l'autre, prétendit déshonorer deux cent mille braves, qu'on
+parviendrait peut-être à vaincre, mais qu'on ne surprendra jamais hors
+du chemin de l'honneur et de la gloire. Beaucoup de sang a été versé en
+peu de jours; de grands désastres pèsent sur la monarchie prussienne.
+Qu'il est digne de blâme cet homme qui d'un mot pouvait les prévenir,
+si, comme Nestor, élevant la parole au milieu des conseils, il avait
+dit:
+
+«Jeunesse inconsidérée, taisez-vous; femmes, retournez à vos fuseaux et
+rentrez dans l'intérieur de vos ménages; et vous, sire, croyez-en le
+compagnon du plus illustre de vos prédécesseurs: puisque l'empereur
+Napoléon ne veut pas la guerre, ne le placez pas entre la guerre et le
+déshonneur; ne vous engagez pas dans une lutte dangereuse avec une armée
+qui s'honore de quinze ans de travaux glorieux, et que la victoire a
+accoutumée à tout soumettre.» Au lieu de tenir ce langage qui convenait
+si bien à la prudence de son âge et à l'expérience de sa longue
+carrière, il a été le premier à crier aux armes. Il a méconnu jusqu'aux
+liens du sang, en armant un fils contre son père; il a menacé de planter
+ses drapeaux sur le palais de Stuttgard, et accompagnant ses démarches
+d'imprécations contre la France, il s'est déclaré l'auteur de ce
+manifeste insensé qu'il avait désavoué pendant quatorze ans, quoiqu'il
+n'osât pas nier de l'avoir revêtu de sa signature.
+
+On a remarqué que pendant cette conversation, l'empereur avec cette
+chaleur dont il est quelquefois animé, a répété souvent: renverser et
+détruire les habitations des citoyens paisibles, c'est un crime qui se
+répare avec du temps et de l'argent; mais déshonorer une armée, vouloir
+qu'elle fuie hors de l'Allemagne, devant l'aigle prussienne, c'est une
+bassesse que celui-là seul qui la conseille, était capable de commettre.
+
+M. de Lucchesini est toujours au quartier-général; l'empereur a refusé
+de le voir, mais on observe qu'il a de fréquentes conférences avec le
+grand-maréchal du palais Duroc.
+
+L'empereur a ordonné de faire présent, sur la grande quantité de draps
+anglais trouvée à Leipsick, d'un habillement complet à chaque officier,
+et d'une capote et d'un habit à chaque soldat.
+
+Le quartier-général est à Kropstadt.
+
+
+
+Potsdam, le 25 octobre 1806.
+
+_Dix-septième bulletin de la grande armée._
+
+Le corps du maréchal Lannes est arrivé le 24 à Potsdam.
+
+Le corps du maréchal Davoust a fait son entrée le 25, à dix heures du
+matin, à Berlin.
+
+Le corps du maréchal prince de Ponte-Corvo est à Brandenbourg.
+
+Le corps du maréchal Augereau fera son entrée à Berlin, demain 26.
+
+L'empereur est arrivé hier à Potsdam, et est descendu au palais. Dans la
+soirée, il est allé visiter le nouveau palais, Sans-Soucy, et toutes
+les positions qui environnent Potsdam. Il a trouvé la situation et la
+distribution du château de Sans-Soucy, agréables. Il est resté quelque
+temps dans la chambre du grand Frédéric, qui se trouve tendue et meublée
+telle qu'elle l'était à sa mort.
+
+Le prince Ferdinand, frère du grand Frédéric, est demeuré à Berlin.
+
+On a trouvé dans l'arsenal de Berlin cinq cents pièces de canon,
+plusieurs centaines de milliers de poudre et plusieurs milliers de
+fusils.
+
+Le général Hullin est nommé commandant de Berlin.
+
+Le général Bertrand, aide-de-camp de l'empereur, s'est rendu à Spandau,
+la forteresse se défend; il en a fait l'investissement avec les dragons
+de la division Dupont.
+
+Le grand-duc de Berg s'est rendu à Spandau pour se mettre à la poursuite
+d'une colonne qui file de Spandau sur Stettin, et qu'on espère couper.
+
+Le maréchal Lefebvre, commandant la garde impériale à pied, et le
+maréchal Bessières, commandant la garde impériale à cheval, sont arrivés
+à Potsdam le 24 à neuf heures du soir. La garde à pied a fait quatorze
+lieues dans un jour.
+
+L'empereur reste toute la journée du 25 à Potsdam.
+
+Le corps du maréchal Ney bloque Magdebourg.
+
+Le corps du maréchal Soult a passé l'Elbe à une journée de Magdebourg,
+et poursuit l'ennemi sur Stettin.
+
+Le temps continue à être superbe; c'est le plus bel automne que l'on ait
+vu.
+
+En route, l'empereur étant à cheval, pour se rendre de Wittemberg à
+Potsdam, a été surpris par un orage, et a mis pied à terre dans la
+maison du grand-veneur de Saxe. S.M. a été fort étonnée de s'entendre
+appeler par son nom par une jolie femme; c'était une Égyptienne, veuve
+d'un officier français de l'armée d'Égypte, et qui se trouvait en Saxe
+depuis trois mois; elle demeurait chez le grand-veneur de Saxe, qui
+l'avait recueillie et honorablement traitée. L'empereur lui a fait une
+pension de 1200 fr. et s'est chargé de placer son enfant. «C'est la
+première fois, a dit l'empereur, que je mets pied à terre pour un orage;
+j'avais le pressentiment qu'une bonne action m'attendait là.»
+
+On remarque comme une singularité, que l'empereur Napoléon est arrivé à
+Potsdam,, et descendu dans le même appartement, le jour même, et presque
+à la même heure que l'empereur de Russie, lors du voyage que fit ce
+prince, l'an passé, et qui a été si funeste à la Prusse. C'est de ce
+moment, que la reine a quitté le soin de ses affaires intérieures et les
+graves occupations de la toilette, pour se mêler des affaires d'état,
+influencer le roi, et susciter partout ce feu dont elle était possédée.
+
+La saine partie de la nation prussienne regarde ce voyage comme un des
+plus grands malheurs qui soit arrivé à la Prusse. On ne se fait point
+d'idée de l'activité de la faction pour porter le roi à la guerre malgré
+lui.
+
+Le résultat du célèbre serment fait sur le tombeau du grand Frédéric
+le 4 novembre 1805, a été la bataillé d'Austerlitz et l'évacuation de
+l'Allemagne par l'armée russe, à journées d'étapes. On fit quarante-huit
+heures après, sur ce sujet, une gravure qu'on trouve dans toutes les
+boutiques, et qui excite le rire même des paysans. On y voit le bel
+empereur de Russie, près de lui la reine, et de l'autre côté le roi
+qui lève la main sur le tombeau du grand Frédéric; la reine elle-même,
+drapée d'un schall à peu près comme les gravures de Londres représentent
+lady Hamilton, appuie la main sur son coeur, et a l'air de regarder
+l'empereur de Russie. On ne conçoit point que la police de Berlin ait
+laissé répandre une aussi pitoyable satire.
+
+Toutefois, l'ombre du grand Frédéric n'a pu que s'indigner de cette
+scène scandaleuse. Son esprit, son génie et ses voeux étaient avec la
+nation qu'il a tant estimée, et dont il disait que s'il en était roi, il
+ne se tirerait pas un coup de canon en Europe, sans sa permission.
+
+
+
+Potsdam, le 26 octobre 1806.
+
+_Dix-huitième bulletin de la grande armée._
+
+L'empereur a passé à Potsdam la revue de la garde à pied, composée
+de dix bataillons et de soixante pièces d'artillerie, servie par
+l'artillerie à cheval. Ces troupes, qui ont éprouvé tant de fatigues,
+avaient la même tenue qu'à la parade de Paris.
+
+A la bataille de Jéna, le général de division Victor a reçu un biscaïen
+qui lui a fait une contusion: il a été obligé de garder le lit pendant
+quelques jours. Le général de brigade Gardanne, aide-de-camp de
+l'empereur, a eu un cheval tué et a été légèrement blessé. Quelques
+officiers supérieurs ont eu des blessures, d'autres des chevaux tués, et
+tous ont rivalisé de courage et de zèle.
+
+L'empereur a été voir le tombeau du grand Frédéric. Les restes de ce
+grand homme sont renfermés dans un cercueil de bois recouvert en
+cuivre, placé dans un caveau sans ornemens, sans trophées, sans aucune
+distinction qui rappellent les grandes actions qu'il a faites.
+
+L'empereur a fait présent à l'Hôtel-des-Invalides de Paris, de l'épée
+de Frédéric, de son cordon de l'Aigle-Noir, de sa ceinture de général,
+ainsi que des drapeaux que portait sa garde dans la guerre de sept ans.
+Les vieux invalides de l'armée de Hanovre accueilleront avec un respect
+religieux tout ce qui a appartenu à un des premiers capitaines dont
+l'histoire conservera le souvenir.
+
+Lord Morpelh, envoyé d'Angleterre auprès du cabinet prussien, ne se
+trouvait, pendant la journée de Jéna, qu'à six lieues du champ de
+bataille. Il a entendu le canon; un courrier vint bientôt lui annoncer
+que la bataille était perdue, et en un moment il fut entouré de fuyards
+qui le poussaient de tous côtés. Il courait en criant: _Il ne faut pas
+que je sois pris!_ Il offrit jusqu'à soixante guinées pour obtenir un
+cheval; il en obtint un et se sauva.
+
+La citadelle de Spandau, située à trois lieues de Berlin, et à quatre
+lieues de Potsdam, forte par sa situation au milieu des eaux, et
+renfermant douze cents hommes de garnison, et une grande quantité de
+munitions de guerre et de bouche, a été cernée le 24 dans la nuit. Le
+général Bertrand, aide-de-camp de l'empereur, avait déjà reconnu la
+place. Les pièces étaient disposées pour jeter des obus et intimider
+la garnison. Le maréchal Lannes a fait signer par le commandant la
+capitulation de cette place.
+
+On a trouvé à Berlin des magasins considérables d'effets de campement et
+d'habillement; ou en dresse les inventaires.
+
+Une colonne, commandée par le duc de Weimar, est poursuivie par le
+maréchal Soult. Elle s'est présentée le 23 devant Magdebourg. Nos
+troupes étaient là depuis le 20. Il est probable que nette colonne,
+forte de quinze mille hommes, sera coupée et prise. Magdebourg est le
+premier point de rendez-vous des troupes prussiennes. Beaucoup de corps
+s'y rendent. Les Français le bloquent.
+
+Une lettre de Helmstadt, récemment interceptée, contient des détails
+curieux.
+
+MM. le prince d'Hatzfeld, Basching, président de la police, le président
+de Kercheisen; Formey, conseiller intime; Polzig, conseiller de la
+municipalité; MM. Ruek, Siegr et Hermensdorf, conseillers députés de la
+ville de Berlin, ont remis ce matin à l'empereur, à Potsdam, les clefs
+de cette capitale. Ils étaient accompagnés de MM. Grote, conseiller des
+finances; le baron de Vichnitz et le baron d'Eckarlstein. Ils ont dit
+que les bruits qu'on avait répandus sur l'esprit de cette ville étaient
+faux; que les bourgeois et la masse du peuple avaient vu la guerre avec
+peine; qu'une poignée de femmes et de jeunes officiers avaient fait
+seuls ce tapage; qu'il n'y avait pas un seul homme sensé qui n'eût vu
+ce qu'on avait à craindre, et qui pût deviner ce qu'on avait à espérer.
+Comme tous les Prussiens, ils accusent le voyage de l'empereur Alexandre
+des malheurs de la Prusse. Le changement qui s'est dès-lors opéré dans
+l'esprit de la reine, qui, de femme timide et modeste, s'occupant de son
+intérieur, est devenue turbulente et guerrière, a été une révolution
+subite. Elle a voulu tout à coup avoir un régiment, aller au conseil;
+elle a si bien mené la monarchie, qu'en peu de jours elle l'a conduite
+au bord du précipice.
+
+Le quartier-général est à Charlottembourg.
+
+
+
+Charlottembourg, le 27 octobre 1806.
+
+_Dix-neuvième bulletin de la grande armée._
+
+L'empereur, parti de Potsdam aujourd'hui à midi, a été visiter la
+forteresse de Spandau. Il a donné des ordres au général de division
+Chasseloup, commandant le génie de l'armée, sur les améliorations à
+faire aux fortifications de cette place. C'est un ouvrage superbe;
+les magasins sont magnifiques. On a trouvé à Spandau des farines,
+des grains, de l'avoine pour nourrir l'armée pendant deux mois, des
+munitions de guerre pour doubler l'approvisionnement de l'artillerie.
+Cette forteresse, située sur la Sprée, à deux lieues de Berlin, est une
+acquisition inestimable. Dans nos mains, elle soutiendra deux mois de
+tranchée ouverte. Si les Prussiens ne l'ont pas défendue, c'est que le
+commandant n'avait pas reçu d'ordre, et que les Français y sont arrivés
+en même temps que la nouvelle de la bataille perdue. Les batteries
+n'étaient pas faites et la place était désarmée.
+
+Pour donner une idée de l'extrême confusion qui règne dans cette
+monarchie, il suffît de dire que la reine, à son retour de ses ridicules
+et tristes voyages d'Erfurt et de Weimar, a passé la nuit à Berlin, sans
+voir personne; qu'on a été long-temps sans avoir de nouvelles du roi;
+que personne n'a pourvu à la sûreté de la capitale, et que les bourgeois
+ont été obligés de se réunir pour former un gouvernement provisoire.
+
+L'indignation est à son comble contre les auteurs de la guerre. Le
+manifeste, que l'on appelle à Berlin un indécent libelle où aucun grief
+n'est articulé, a soulevé la nation contre son auteur, misérable scribe
+nommé Gentz, un de ces hommes sans honneur qui se vendent pour de
+l'argent.
+
+Tout le monde avoue que la reine est l'auteur des maux que souffre la
+nation prussienne. On entend dire partout: Elle était si bonne, si
+douce il y a un an! mais depuis cette fatale entrevue avec l'empereur
+Alexandre, combien elle est changée!
+
+Il n'y a eu aucun ordre donné dans les palais, de manière qu'on a trouvé
+à Potsdam l'épée du grand Frédéric, la ceinture dégénérai qu'il portait
+à la guerre de sept ans, et son cordon de l'Aigle-Noir. L'empereur s'est
+saisi de ces trophées avec empressement, et a dit: «J'aime mieux cela
+que vingt millions.» Puis, pensant un moment à qui il confierait ce
+précieux dépôt: «Je les enverrai, dit-il, à mes vieux soldats de la
+guerre d'Hanovre, j'en ferai présent au gouverneur des Invalides: cela
+restera à l'Hôtel.»
+
+On a trouvé dans l'appartement qu'occupait la reine, à Potsdam, le
+portrait de l'empereur de Russie, dont ce prince lui avait fait présent;
+on a trouvé à Charlottembourg sa correspondance avec le roi, pendant
+trois ans, et des mémoires rédigés par des écrivains anglais, pour
+prouver qu'on ne devait tenir aucun compte des traités conclus avec
+l'empereur Napoléon, mais se tourner tout à fait du côté de la Russie.
+Ces pièces surtout sont des pièces historiques; elles démontreraient,
+si cela avait besoin d'une démonstration, combien sont malheureux les
+princes qui laissent prendre aux femmes l'influence sur les affaires
+politiques. Les notes, les rapports, les papiers d'état étaient musqués,
+et se trouvaient mêlés avec les chiffons et d'autres objets de la
+toilette de la reine. Cette princesse avait exalté les têtes de toutes
+les femmes de Berlin; mais aujourd'hui elles ont bien changé: les
+premiers fuyards ont été mal reçus; on leur a rappelé, avec ironie, le
+jour où ils aiguisaient leurs sabres sur les places de Berlin, voulant
+tout tuer et tout pour fendre.
+
+Le général Savary, envoyé avec un détachement de cavalerie à la
+recherche de l'ennemi, mande que le prince de Hohenlohe, obligé de
+quitter Magdebourg, se trouvait, le 25, entre Rattenau et Ruppin, se
+retirant sur Stettin.
+
+Le maréchal Lannes était déjà à Zehdenick; il est probable que les
+débris de ce corps ne parviendront pas à se sauver sans être de nouveau
+entamés.
+
+Le corps bavarois doit être entré ce matin à Dresde, on n'en a pas
+encore de nouvelles.
+
+Le prince Louis-Ferdinand, qui a été tué dans la première affaire de la
+campagne, est appelé publiquement, à Berlin, le petit duc d'Orléans. Ce
+jeune homme abusait de la bonté du roi au point de l'insulter. C'est lui
+qui, à la tête d'une troupe de jeunes officiers, se porta, pendant une
+nuit, à la maison de M. de Haugwitz, lorsque ce ministre revint de
+Paris, et cassa ses fenêtres.
+
+On ne sait si l'on doit le plus s'étonner de tant d'audace ou de tant de
+faiblesse.
+
+Une grande partie de ce qui a été dirigé de Berlin sur Magdebourg et sur
+l'Oder a été intercepté par la cavalerie légère. On a déjà arrêté
+plus de soixante bateaux chargée d'effets d'habillement, de farine
+d'artillerie. Il y a des régimens d'hussards qui ont plus de 500,000
+francs. On a rendu compte qu'ils achetaient de l'or pour de l'argent à
+cinquante pour cent de perte.
+
+Le château de Charlottembourg, où loge l'empereur, est situé à une lieue
+de Berlin, sur la Sprée.
+
+
+
+Charlottembourg, le 27 octobre 1806.
+
+_Vingtième bulletin de la grande armée._
+
+Si les événemens militaires n'ont plus l'intérêt de l'incertitude, ils
+ont toujours l'intérêt des combinaisons, des marches et des manoeuvres.
+L'infatigable grand-duc de Berg se trouvait à Zehdenick le 26, à trois
+heures après-midi, avec la brigade de cavalerie légère du général
+Lasalle, et les divisions de dragons des généraux Beaumont et Grouchy
+étaient en marche pour arriver sur ce point.
+
+La brigade du général Lasalle contint l'ennemi, qui lui montra près de
+six mille hommes de cavalerie. C'était toute la cavalerie de l'armée
+prussienne, qui, ayant abandonné Magdebourg, formait l'avant garde du
+corps du prince de Hohenlohe, qui se dirigeait sur Stettin. A quatre
+heures après midi, les deux divisions de dragons étant arrivées, la
+brigade du général Lasalle chargea l'ennemi avec cette singulière
+intrépidité qui a caractérisé les hussards et les chasseurs français
+dans cette campagne, La ligne de l'ennemi, quoique triple, fut rompue,
+l'ennemi poursuivi dans le village de Zehdenick et culbuté dans les
+défilés. Le régiment des dragons de la reine voulut se reformer; mais
+les dragons de la division Grouchy se présentèrent, chargèrent l'ennemi,
+et en firent un horrible carnage. De ces six mille hommes de cavalerie,
+partie a été culbutée dans les marais; trois cents hommes sont restés
+sur le champ de bataille; sept cents ont été pris avec leurs chevaux, le
+colonel du régiment de la reine et un grand nombre d'officiers sont de
+ce nombre. L'étendard de ce régiment a été pris. Le corps du maréchal
+Lannes est en pleine marche pour soutenir la cavalerie. Les cuirassiers
+se portent en colonne sur la droite, et un autre corps d'armée se porte
+sur Gransée. Nous arriverons à Stettin avant cette armée, qui, attaquée
+dans sa marche en flanc, est déjà débordée par sa tête. Démoralisée
+comme elle l'est, on a lieu d'espérer que rien n'échappera, et que toute
+la partie de l'armée prussienne qui a inutilement perdu deux jours à
+Magdebourg pour se rallier, n'arrivera pas sur l'Oder.
+
+Ce combat de cavalerie de Zehdenick a son intérêt comme fait militaire.
+De part et d'autre, il n'y avait pas d'infanterie; mais la cavalerie
+prussienne est si loin de la nôtre, que les événemens de la campagne
+ont prouvé qu'elle ne pouvait tenir vis à vis de forces moindres de la
+moitié.
+
+Un adjoint de l'état-major, arrêté par un parti ennemi du côté de la
+Thuringe, lorsqu'il portait des ordres au maréchal Mortier, a été
+conduit à Custrin, et y a vu le roi. Il rapporte qu'au-delà de l'Oder,
+il n'est arrivé que très-peu de fuyards, soit à Stettin, soit à Custrin;
+il n'a presque point vu de troupes d'infanterie.
+
+
+
+Berlin, le 28 octobre 1806.
+
+_Vingt-unième bulletin de la grande armée._
+
+L'empereur a fait, hier 27, une entrée solennelle à Berlin. Il était
+environné du prince de Neufchâtel, des maréchaux Davoust et Augereau,
+de son grand-maréchal du palais, de son grand-écuyer et de ses
+aides-de-camp. Le maréchal Lefebvre ouvrait la marche, à la tête de la
+garde impériale à pied; les cuirassiers de la division Nansouty étaient
+en bataille sur le chemin. L'empereur marchait entre les grenadiers et
+les chasseurs à cheval de sa garde. Il est descendu au palais à trois
+heures après-midi; il a été reçu par le grand-maréchal du palais,
+Duroc. Un foule immense était accourue sur son passage. L'avenue de
+Charlottembourg à Berlin est très-belle; l'entrée par cette porte
+est magnifique. La journée était superbe. Tout le corps de la ville,
+présenté par le général Hullin, commandant de la place, est venu à la
+porte offrir les clefs de la ville à l'empereur; ce corps s'est rendu
+ensuite chez S.M. Le général prince d'Hatzfeld était à la tête.
+
+L'empereur a ordonné que les deux mille bourgeois les plus riches se
+réunissent a l'hôtel-de-ville, pour nommer soixante d'entr'eux, qui
+formeront le corps municipal. Les vingt cantons fourniront une garde
+de soixante hommes chacun; ce qui fera douze cents des plus riches
+bourgeois pour garder la ville et en faire la police. L'empereur a dit
+au prince d'Hatzfeld: «Ne vous présentez pas devant moi, je n'ai pas
+besoin de vos services. Retirez-vous dans vos terres.» Il a reçu le
+chancelier et les ministres du roi de Prusse.
+
+Le 28, à neuf heures du matin, les ministres de Bavière, d'Espagne,
+de Portugal et de la Porte, qui étaient à Berlin, ont été admis à
+l'audience de l'empereur. Il a dit au ministre de la Porte d'envoyer
+un courrier à Constantinople, pour porter des nouvelles de ce qui se
+passait, et annoncer que les Russes n'entreraient pas aujourd'hui en
+Moldavie, et qu'ils ne tenteraient rien contre l'empire ottoman. Ensuite
+il a reçu tout le clergé protestant et calviniste. Il y a à Berlin plus
+de dix ou douze mille Français réfugiés par suite de l'édit de Nantes.
+S. M. a causé avec les principaux d'entr'eux. Il leur a dit qu'ils
+avaient de justes droits à sa protection, et que leurs privilèges et
+leur culte seraient maintenus. Il leur a recommandé de s'occuper de
+leurs affaires, de rester tranquilles, et de porter obéissance et
+respect à _César_.
+
+Les cours de justice lui ont été présentées par le chancelier. Il s'est
+entretenu avec les membres de la division des cours d'appel et de
+première instance; il s'est informé de la manière dont se rendait la
+justice.
+
+M. le comte de Néale s'étant présenté dans les salons de l'empereur,
+S.M. lui a dit: «Eh! bien, Monsieur, vos femmes ont voulu la guerre,
+en voici le résultat; vous deviez mieux contenir votre famille.» Des
+lettres de sa fille avaient été interceptées: «Napoléon, disaient ces
+lettres, ne veut pas la guerre, il faut la lui faire.» --«Non, dit S.M.
+à M. de Néale, je ne veux pas la guerre, non pas que je me méfie de ma
+puissance, comme vous le pensez, mais parce que le sang de mes peuples
+m'est précieux, et que mon premier devoir est de ne le répandre que pour
+sa sûreté et son honneur. Mais ce bon peuple de Berlin est victime de
+la guerre, tandis que ceux qui l'ont attirée se sont sauvés. Je rendrai
+cette noblesse de cour si petite, qu'elle sera obligée de mendier son
+pain.»
+
+En faisant connaître ses intentions au corps municipal, «j'entends, dit
+l'empereur, qu'on ne casse les fenêtres de personne. Mon frère le roi de
+Prusse a cessé d'être roi le jour où il n'a pas fait pendre le prince
+Louis-Ferdinand, lorsqu'il a été assez osé pour aller casser les
+fenêtres de ses ministres.»
+
+Aujourd'hui 28, l'empereur est monté à cheval pour passer en revue le
+corps du maréchal Davoust; demain S.M. passera en revue le corps du
+maréchal Augereau.
+
+Le grand-duc de Berg, et les maréchaux Lannes et prince de Ponte-Corvo
+sont à la poursuite du prince de Hohenlohe. Après le brillant combat de
+cavalerie de Zehdenick, le grand-duc de Berg s'est porté à Templin; il
+y a trouvé les vivres et le dîner préparés pour les généraux et les
+troupes prussienne.
+
+À Gransée, le prince de Hohenlohe a changé de route, et s'est dirigé sur
+Furstemberg. Il est probable qu'il sera coupé de l'Oder, et qu'il sera
+enveloppé et pris.
+
+Le duc de Weimar est dans une position semblable vis-à-vis du maréchal
+Soult. Ce duc a montré l'intention de passer l'Elbe à Tanger-Munde, pour
+gagner l'Oder. Le 25, le maréchal Soult l'a prévenu. S'il est joint, pas
+un homme n'échappera; s'il parvient à passer, il tombe dans les mains du
+grand-duc de Berg et des maréchaux Lannes et prince de Ponte-Corvo. Une
+partie de nos troupes borde l'Oder. Le roi de Prusse a passé la Vistule.
+
+M. le comte de Zastrow a été présenté à l'empereur le 27, à
+Charlottembourg, et lui a remis une lettre du roi de Prusse. Au moment
+même l'empereur reçoit un aide-de-camp du prince Eugène, qui lui annonce
+une victoire remportée sur les Russes en Albanie.
+
+Voici la proclamation que l'empereur a faite à ses soldats:
+
+
+_Proclamation de l'empereur à l'armée._
+
+Soldats! vous avez justifié mon attente, et répondu dignement à la
+confiance du peuple français. Tous avez supporté les privations et les
+fatigues avec autant de courage que vous avez montré d'intrépidité et
+de sang-froid au milieu des combats. Vous êtes les dignes défenseurs de
+l'honneur de ma couronne et de la gloire du grand peuple; tant que vous
+serez animés de cet esprit, rien ne pourra vous résister. Je ne sais
+désormais à quelle arme je dois donner la préférence.... vous êtes tous
+de bons soldats. Voici les résultats de nos travaux.
+
+Une des premières puissances militaires de l'Europe, qui osa naguère
+nous proposer une honteuse capitulation, est anéantie. Les forêts, les
+défilés de la Franconie, la Saale, l'Elbe, que nos pères n'eussent pas
+traversés en sept ans, nous les avons traversés en sept jours, et livré
+dans l'intervalle quatre combats et une grande bataille, Nous avons
+précédé à Potsdam, à Berlin, la renommée de nos victoires. Nous avons
+fait soixante mille prisonniers, pris soixante-cinq drapeaux, parmi
+lesquels ceux des gardes du roi de Prusse; six cents pièces de canon,
+trois forteresses, plus de vingt généraux. Cependant, près de la moitié
+de vous regrettent de n'avoir pas encore tiré un coup de fusil. Toutes
+les provinces de la monarchie prussienne, jusqu'à l'Oder, sont en notre
+pouvoir.
+
+Soldats! les Russes se vantent de venir à nous. Nous marcherons à leur
+rencontre, nous leur épargnerons la moitié du chemin, ils retrouveront
+Austerlitz au milieu de la Prusse. Une nation qui a aussitôt oublié la
+générosité dont nous avons usé envers elle après cette bataille, où son
+empereur, sa cour, les débris de son armée n'ont dû leur salut qu'à la
+capitulation que nous leur avons accordée, est une nation qui ne saurait
+lutter avec succès contre nous.
+
+Cependant, tandis que nous marchons au-devant des Russes, de nouvelles
+armées, formées dans l'intérieur de l'empire, tiennent prendre notre
+place pour garder nos conquêtes. Mon peuple tout entier s'est levé,
+indigné de la honteuse capitulation que les ministres prussiens, dans
+leur délire, nous ont proposée. Nos routes et nos villes frontières sont
+remplies de conscrits qui brûlent de marcher sur vos traces. Nous ne
+serons plus désormais les jouets d'une paix traîtresse, et nous ne
+poserons plus les armes que nous n'ayons obligé les Anglais, ces
+éternels ennemis de notre nation, à renoncer au projet de troubler le
+continent, et à la tyrannie des mers.
+
+Soldats! je ne puis mieux vous exprimer les sentimens que j'ai pour
+vous, qu'en vous disant que je vous porta dans mon coeur l'amour que
+vous me montrez tous les jours.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Berlin, le 29 octobre 1806.
+
+_Vingt-deuxième bulletin de la grande armée._
+
+Les événemens se succèdent avec rapidité. Le grand-duc de Berg est
+arrivé le 27 à Hasleben avec une division de dragons. Il avait envoyé à
+Boitzenhourg le général Milhaud, avec le treizième régiment de chasseurs
+et la brigade de cavalerie légère du général Lasalle, sur Prentzlow.
+Instruit que l'ennemi était en force à Boitzenbourg, il s'est porté
+à Wigneensdorf. A peine arrivé là, il s'aperçut qu'une brigade de
+cavalerie ennemie s'était portée sur la gauche, dans l'intention de
+couper le général Milhaud. Les voir, les charger, jeter le corps des
+gendarmes du roi dans le lac, fut l'affaire d'un moment. Ce régiment se
+voyant perdu, demanda à capituler. Cinq cents hommes mirent pied à
+terre et remirent leurs chevaux. Les officiers se retirent chez eux sur
+parole. Quatre étendards de la garde, tous d'or, furent le trophée du
+petit combat de Wigneensdorf, qui n'était que le prélude de la belle
+affaire de Prentzlow.
+
+Ces célèbres gendarmes, qui ont trouvé tant de commisération après la
+défaite, sont les mêmes qui, pendant trois mois, ont révolté la ville de
+Berlin par toutes sortes de provocations. Ils allaient sous les fenêtres
+de M. Laforêt, ministre de France, aiguiser leurs sabres: les gens de
+bon sens haussaient les épaules; mais la jeunesse sans expérience, et
+les femmes passionnées, à l'exemple de la reine, voyaient dans cette
+fanfaronnade, un pronostic sûr des grandes destinées qui attendaient
+l'armée prussienne.
+
+Le prince de Hohenlohe, avec les débris de la bataille de Jéna,
+cherchait à gagner Stettin. Il avait été obligé de changer de route,
+parce que le grand-duc de Berg était à Templin avant lui. Il voulut
+déboucher de Boitzenbourg sur Hasleben, il fut trompé dans son
+mouvement. Le grand-duc de Berg jugea que l'ennemi cherchait à gagner
+Prentzlow; cette conjecture était fondée. Le prince marcha toute la
+nuit avec les divisions de dragons des généraux Beaumont et Grouchy,
+éclairées par la cavalerie légère du général Lasalle. Les premiers
+postes de nos hussards arrivèrent à Prentzlow avec l'ennemi, mais
+ils furent obligés de se retirer le 28 au matin devant les forces
+supérieures que déploya le prince de Hohenlohe. A neuf heures du matin,
+le grand-duc de Berg arriva à Prentow, et à dix heures, il vit l'armée
+ennemie en pleine marche. Sans perdre de temps en vains mouvemens, le
+prince ordonna, au général Lasalle de charger dans les faubourgs de
+Prentzlow, et le fit soutenir par les généraux Grouchy et Beaumont, et
+leurs six pièces d'artillerie légère. Il fît traverser à Golmitz la
+petite rivière qui passe à Prentzlow, par trois régimens de dragons,
+attaquer le flanc de l'ennemi, et chargea son autre brigade de dragons
+de tourner la ville. Nos braves canonnières à cheval placèrent si bien
+leurs pièces, et tirèrent avec tant d'assurance, qu'ils mirent de
+l'incertitude dans les mouvemens de l'ennemi. Dans le moment, le général
+Grouchy reçut ordre de charger: ses braves dragons s'en acquittèrent
+avec intrépidité. Cavalerie, infanterie, artillerie, tout fut culbuté
+dans les faubourgs de Prentzlow. On pouvait entrer pêle-mêle avec
+l'ennemi dans la ville; mais le prince préféra les faire sommer par le
+général Belliard. Les portes de la ville étaient déjà brisées; Sans
+espérance, le prince de Hohenlohe, un des principaux boute-feux de cette
+guerre impie, capitula, et défila devant l'armée française avec seize
+mille hommes d'infanterie, presque tous gardes ou grenadiers; six
+régimens de cavalerie, quarante-cinq drapeaux et soixante-quatre pièces
+d'artillerie attelées. Tout ce qui avait échappé des gardes du roi de
+Prusse à la bataille de Jéna, est tombé en notre pouvoir. Nous avons
+tous les drapeaux des gardes à pied et à cheval du roi. Le prince de
+Hohenlohe, commandant en chef, après la blessure du duc de Brunswick,
+un prince de Mecklembourg-Schwerin et plusieurs généraux sont nos
+prisonniers.
+
+«Mais il n'y a rien de fait, tant qu'il reste à faire, écrivit
+l'empereur au grand-duc de Berg. Vous avez débordé une colonne de huit
+mille hommes, commandée par le général Blucher; que j'apprenne bientôt
+qu'elle a éprouvé le même sort.»
+
+Une autre de dix mille hommes a passé l'Elbe; elle est commandée par le
+duc de Weimar. Tout porte à croire que lui et toute sa colonne vont être
+enveloppés.
+
+Le prince Auguste-Ferdinand, frère du prince Louis, tué à Saalfeld, et
+fils du prince Ferdinand, frère du Grand-Frédéric, a été pris par nos
+dragons les armes à la main.
+
+Ainsi, cette grande et belle armée prussienne a disparu comme un
+brouillard d'automne au lever du soleil. Généraux en chef, généraux
+commandant les corps d'armée, princes, infanterie, cavalerie,
+artillerie, il n'en reste plus rien. Nos postes étant entrés à Francfort
+sur l'Oder, le roi de Prusse s'est porté plus loin. Il ne lui reste pas
+quinze mille hommes; et pour un tel résultat, il n'y a presque aucune
+perte de notre côté.
+
+Le général Clarke, gouverneur du pays d'Erfurth, a fait capituler un
+bataillon saxon qui errait sans direction.
+
+L'empereur a passé, le 28, la revue du corps du maréchal Davoust, sous
+les murs de Berlin. Il a nommé à toutes les places vacantes, il
+a récompensé les braves. Il a ensuite réuni les officiers et
+sous-officiers en cercle, et leur a dit: «Officiers et sous-officiers du
+troisième corps d'armée, vous vous êtes couverts de gloire à la bataille
+de Jéna; j'en conserverai un éternel souvenir. Les braves qui sont
+morts, sont morts avec gloire. Nous devons désirer de mourir dans
+des circonstances si glorieuses.» En passant la revue des douzième,
+soixante-unième et quatre-vingt-cinquième régimens de ligne qui ont
+le plus perdu à cette bataille, parce qu'ils ont dû soutenir les plus
+grands efforts, l'empereur a été attendri de savoir morts, ou grièvement
+blessés, beaucoup de ses vieux soldats dont il connaissait le dévouement
+et la bravoure depuis quatorze ans. Le douzième régiment surtout a
+montré une intrépidité digne des plus grands éloges.
+
+Aujourd'hui à midi, l'empereur a passé la revue du septième corps, que
+commande le maréchal Augereau. Ce corps a très-peu souffert. La moitié
+des soldats n'a pas eu occasion de tirer un coup de fusil, mais tous
+avaient la même volonté et la même intrépidité. La vue de ce corps était
+magnifique. «Votre corps seul, a dit l'empereur, est plus fort que tout
+ce qui reste au roi de Prusse, et vous ne composez pas le dixième de mon
+armée.»
+
+Tous les dragons à pied que l'empereur avait fait venir à la grande
+armée sont montés, et il y a au grand dépôt de Spandau quatre mille
+chevaux sellés et bridés dont on ne sait que faire, parce qu'il n'y
+a pas de cavaliers qui en aient besoin. On attend avec impatience
+l'arrivée des dépôts.
+
+Le prince Auguste a été présenté à l'empereur, au palais de Berlin,
+après la revue du septième corps d'année. Ce prince a été renvoyé chez
+son père, le prince Ferdinand, pour se reposer et se faire panser de ses
+blessures.
+
+Hier, avant d'aller à la revue du corps du maréchal Davoust, l'empereur
+avait rendu visite à la veuve du prince Henri, et au prince et à la
+princesse Ferdinand, qui se sont toujours fait remarquer par la manière
+distinguée avec laquelle ils n'ont cessé d'accueillir les Français.
+
+Dans le palais qu'habite l'empereur à Berlin, se trouve la soeur du roi
+de Prusse, princesse électorale de Hesse-Cassel. Cette princesse est en
+couche. L'empereur a ordonné à son grand-maréchal du palais de veiller
+à ce qu'elle ne fût pas incommodée du bruit et des mouvemens du
+quartier-général.
+
+Le dernier bulletin rapporte la manière dont l'empereur a reçu le prince
+d'Hatzfeld à son audience. Quelques instans après ce prince fut arrêté.
+Il aurait été traduit devant une commission militaire et inévitablement
+condamné à mort: des lettres de ce prince au prince Hohenlohe,
+interceptées aux avant-postes, avaient appris que, quoiqu'il se dit
+chargé du gouvernement civil de la ville, il instruisait l'ennemi des
+mouvemens des Français. Sa femme, fille du ministre Schulenbourg, est
+venue se jeter aux pieds de l'empereur; elle croyait que son mari était
+arrêté à cause de la haine que le ministre Schulenbourg portait à la
+France. L'empereur la dissuada bientôt, et lui fit connaître qu'on avait
+intercepté des papiers dont il résultait que son mari faisait un double
+rôle, et que les lois de la guerre étaient impitoyables sur un pareil
+délit. La princesse attribuait à l'imposture de ses ennemis cette
+accusation, qu'elle appelait une calomnie. «Vous connaissez l'écriture
+de votre mari, dit l'empereur, je vais vous faire juge.» Il fit apporter
+la lettre interceptée, et la lui remit. Cette femme, grosse de plus de
+huit mois, s'évanouissait à chaque mot qui lui découvrait jusqu'à quel
+point était compromis son mari, dont elle reconnaissait l'écriture.
+L'empereur fut touché de sa douleur, de sa confusion, des angoisses qui
+la déchiraient. «Eh! bien, lui dit-il, vous tenez cette lettre, jetez-la
+au feu; cette pièce anéantie, je ne pourrai plus faire condamner votre
+mari.» (Cette scène touchante se passait près de la cheminée). Madame
+d'Hatzfeld ne se le fit pas dire deux fois. Immédiatement après, le
+prince de Neufchâtel reçut ordre de lui rendre son mari. La commission
+militaire était déjà réunie. La lettre seule de M. d'Hatzfeld le
+condamnait; trois heures plus tard il était fusillé.
+
+
+
+Berlin, le 30 octobre 1806.
+
+_Vingt-troisième bulletin de la grande armée._
+
+Le duc de Weimar est parvenu à passer l'Elbe à Havelberg. Le général
+Soult s'est porté le 9 à Rathnau, et le 30 à Wertenhausen.
+
+Le 29, la colonne du duc de Weimar était à Rhinsberg, et le maréchal
+prince de Ponte-Corvo à Furstemberg. Il n'y a pas de doute que ces
+quatorze mille hommes ne soient tombés ou ne tombent, dans ce moment, au
+pouvoir de l'armée française. D'un autre côté, le général Blucher, avec
+sept mille hommes, quittait Rhinsberg, le 29 au matin, pour se porter
+sur Stettin, le maréchal Lannes et le grand-duc de Berg avaient trois
+journées de marche d'avance sur lui. Cette colonne est tombée en notre
+pouvoir, ou y tombera sous quarante-huit heures.
+
+Nous avons rendu compte, dans le dernier bulletin, qu'à l'affaire de
+Prentzlow, le grand-duc de Berg avait fait mettre bas les armes au
+prince de Hohenlohe et à ses dix-sept mille hommes. Le 29, une colonne
+ennemie de six mille hommes a capitulé dans les mains du général Milhaud
+à Passewalk. Cela nous donne encore deux mille chevaux sellés et bridés,
+avec les sabres. Voilà plus de six mille chevaux que l'empereur a ainsi
+à Spandau, après avoir monté toute sa cavalerie.
+
+Le maréchal Soult, arrivé à Rathnau, a rencontré cinq escadrons de
+cavalerie saxonne qui ont demandé à capituler. Il leur a fait signer une
+capitulation. C'est encore cinq cents chevaux pour l'armée.
+
+Le maréchal Davoust a passé l'Oder à Francfort. Les alliés bavarois et
+wurtembergeois, sous les ordres du prince Jérôme, sont en marche de
+Dresde sur Francfort.
+
+Le roi de Prusse a quitté l'Oder, et a passé la Vistule; il est
+à Graudentz. Les places de la Silésie sont sans garnison et sans
+approvisionnemens. Il est probable que la place de Stettin ne tardera
+pas à tomber en notre pouvoir. Le roi de Prusse est sans armée, sans
+artillerie, sans fusils. C'est beaucoup que d'évaluer à douze ou quinze
+mille hommes ce qu'il aura pu réunir sur la Vistule. Rien n'est curieux
+comme les mouvemens actuels. C'est une espèce de chasse où la cavalerie
+légère, qui va aux aguets des corps d'armée, est sans cesse détournée
+par des colonnes ennemies qui sont coupées.
+
+Jusqu'à cette heure, nous avons cent cinquante drapeaux, parmi lesquels
+sont ceux brodés des mains de la belle reine, beauté aussi funeste aux
+peuples de Prusse, que le fut Hélène aux Troyens.
+
+Les gendarmes de la garde ont traversé Berlin pour se rendre prisonniers
+à Spandau. Le peuple, qui les avait vus si arrogans il y a peu de
+semaines, les a vus dans toute leur humiliation.
+
+L'empereur a fait aujourd'hui une grande parade, qui a duré depuis onze
+heures du matin, jusqu'à six heures du soir. Il a vu en détail toute sa
+garde à pied et à cheval, et les beaux régimens des carabiniers et des
+cuirassiers de la division Nansouty; il a fait différentes promotions,
+en se faisant rendre compte de tout dans le plus grand détail.
+
+Le général Savary, avec deux régimens de cavalerie, a déjà atteint le
+corps du duc de Weimar, et sert de communication pour transmettre des
+renseignemens au grand-duc de Berg, au prince de Ponte-Corvo et au
+maréchal Soult.
+
+On a pris possession des états du duc de Brunswick. On croit que ce duc
+s'est réfugié en Angleterre. Toutes ses troupes ont été désarmées. Si ce
+prince a mérité, à juste titre, l'animadversion du peuple français, il
+a aussi encouru celle du peuple et de l'armée prussienne; du peuple qui
+lui reproche d'être l'un des auteurs de la guerre; de l'armée; qui se
+plaint de ses manoeuvres et de sa conduite militaire. Les faux calculs
+des jeunes gendarmes sont pardonnables; mais la conduite de ce vieux
+prince, âgé de soixante-douze ans, est un excès de délire dont la
+catastrophe ne saurait exciter de regrets. Qu'aura donc de respectable
+la vieillesse, si, au défaut de son âge, elle joint la fanfaronnade et
+l'inconsidération de la jeunesse?
+
+
+
+Berlin, le 31 octobre 1806.
+
+_Vingt-quatrième bulletin de la grande armée._
+
+Stettin est en notre pouvoir. Pendant que la gauche du grand-duc de
+Berg, commandée par le général Milhaud, faisait mettre bas les armes, à
+une colonne de six mille hommes à Passewalk, la droite, commandée par
+le général Lasalle, sommait la ville de Stettin, et l'obligeait à
+capituler. Stettin est une place en bon état, bien armée et bien
+palissadée: cent-soixante pièces de canon, des magasins considérables,
+une garnison de six mille hommes de belles troupes, prisonnière,
+beaucoup de généraux, tel est le résultat de la capitulation de Stettin,
+qui ne peut s'expliquer que par l'extrême découragement qu'a produit
+sur l'Oder et dans tous les pays de la rive droite la disparition de la
+grande armée prussienne.
+
+De toute cette belle armée de cent quatre-vingt mille hommes, rien n'a
+passé l'Oder. Tout a été pris, ou erre encore entre l'Elbe et l'Oder, et
+sera pris avant quatre jours. Le nombre des prisonniers montera à près
+de cent mille hommes. Il est inutile de faire sentir l'importance de la
+prise de la ville de Stettin, une des places les plus commerçantes de
+la Prusse, et qui assure à l'armée un bon pont sur l'Oder et une bonne
+ligne d'opérations.
+
+Du moment que les colonnes du duc de Weimar et du général Blucher, qui
+sont débordées par la droite et la gauche, et poursuivies par la queue,
+seront rendues, l'armée prendra quelques jours de repos.
+
+On n'entend point encore parler des Russes. Nous désirons fort qu'il en
+vienne une centaine de milliers. Mais le bruit de leur marche est une
+vraie fanfaronnade. Ils n'oseront pas venir à notre rencontre. La
+journée d'Austerlitz se représente à leurs yeux. Ce qui indigne les gens
+sensés, c'est d'entendre l'empereur Alexandre et son sénat dirigeant,
+dire que ce sont les alliés qui ont été battus. Toute l'Europe sait bien
+qu'il n'y a pas de familles en Russie qui ne portent le deuil.
+
+Ce n'est point la perte des alliés qu'elle pleure: cent
+quatre-vingt-quinze pièces de bataille russes qui ont été prises, et qui
+sont à Strasbourg, ne sont pas les canons des alliés.
+
+Les cinquante drapeaux russes qui sont suspendus a Notre-Dame de Paris,
+ne sont point les drapeaux des alliés. Les bandes de Russes qui sont
+morts dans nos hôpitaux, ou sont prisonniers dans nos villes, ne sont
+pas les soldats des alliés.
+
+L'empereur Alexandre, qui commandait à Austerlitz et à Vischau, avec un
+si grand corps d'armée, et qui faisait tant de tapage, ne commandait pas
+les alliés.
+
+Le prince qui a capitulé, et s'est soumis à évacuer l'Allemagne par
+journées d'étapes, n'était pas sans doute un prince allié. On ne peut
+que hausser les épaules à de pareilles forfanteries. Voilà le résultat
+de la faiblesse des princes et de la vénalité des ministres. Il était
+bien plus simple pour l'empereur Alexandre de ratifier le traité de
+paix qu'avait conclu son plénipotentiaire, et de donner le repos
+au continent. Plus la guerre durera, plus la chimère de la Russie
+s'effacera, et elle finira par être anéantie; autant la sage politique
+de Catherine était parvenue à faire de sa puissance un immense
+épouvantail, autant l'extravagance et la folie des ministres actuels la
+rendront ridicule en Europe.
+
+Le roi de Hollande, avec l'avant-garde de l'armée du Nord, est arrivé,
+le 21, à Gottingue. Le maréchal Mortier, avec les deux divisions du
+huitième corps de la grande armée, commandées par les généraux Lagrange
+et Dupas, est arrivé le 26 à Fulde.
+
+Le roi de Hollande a trouvé, à Munster, dans le comté de la Marck et
+autres états prussiens, des magasins et de l'artillerie.
+
+On a ôté à Fulde et à Brunswick les armes du prince d'Orange et celles
+du duc. Ces deux princes ne régneront plus. Ce sont les principaux
+auteurs de cette nouvelle coalition.
+
+Les Anglais n'ont pas voulu faire la paix; ils la feront; mais la France
+aura plus d'états et de côtes dans son système fédératif.
+
+
+
+Berlin, le 2 novembre 1806.
+
+_Vingt-cinquième bulletin de la grande armée._
+
+Le général de division Beaumont a présenté aujourd'hui à l'empereur
+cinquante nouveaux drapeaux et étendards pris sur l'ennemi; il a
+traversé toute la ville avec les dragons qu'il commande, et qui
+portaient ces trophées; le nombre des drapeaux, dont la prise a été la
+suite de la bataille de Jéna, s'élève en ce moment à deux cents.
+
+Le général Davoust a fait cerner et sommer Custrin, et cette place s'est
+rendue. On y a fait quatre mille hommes prisonniers de guerre. Les
+officiers retournent chez eux sur parole, et les soldats sont conduits
+en France. Quatre-vingt-dix pièces de canon ont été trouvées sur les
+remparts; la place, en très-bon état, est située au milieu des marais;
+elle renferme des magasins considérables. C'est une des conquêtes les
+plus importantes de l'armée; elle a achevé de nous rendre maître de
+toutes les places sur l'Oder.
+
+Le maréchal Ney va attaquer en règle Magdebourg, et il est probable que
+cette forteresse fera peu de résistance.
+
+Le grand-duc de Berg avait son quartier général, le 31, à Friedland. Ses
+dispositions faites, il a ordonné l'attaque de la colonne du général
+prussien Bila que le général Beker a chargé dans la plaine en avant
+de la petite ville d'Anklam, avec la brigade de dragons du général
+Boussart. Tout a été enfoncé, cavalerie et infanterie, et le général
+Beker est entré dans la ville avec les ennemis, qu'il a forcés de
+capituler. Le résultat de cette capitulation a été quatre mille
+prisonniers de guerre: les officiers sont renvoyés sur parole, et les
+soldats sont conduits en France. Parmi ces prisonniers, se trouve le
+régiment de hussards de la garde du roi, qui, après la guerre de sept
+ans, avaient reçu de l'impératrice Catherine, en témoignage de leur
+bonne conduite, des pelisses de peau de tigre.
+
+La caisse du corps du général Bila, et une partie des bagages avaient
+passé la Penne et se trouvaient dans la Poméranie suédoise. Le grand-duc
+de Berg les a fait réclamer.
+
+Le 1er novembre au soir, le grand-duc avait son quartier-général à
+Demmin.
+
+Le général Blucher et le duc de Weimar, voyant le chemin de Stettin
+fermé, se portaient sur leur gauche, comme pour retourner sur l'Elbe;
+mais le maréchal Soult avait prévu ce mouvement: et il y a peu de doute
+que ces deux corps ne tombent bientôt entre nos mains.
+
+Le maréchal a réuni son corps d'armée à Stettin, où l'on trouve encore
+chaque jour des magasins et des pièces de canon.
+
+Nos coureurs sont déjà entrés en Pologne.
+
+Le prince Jérôme, avec les Bavarois et les Wurtembergeois, formant un
+corps d'armée, se porte en Silésie.
+
+S.M. a nommé le général Clarke gouverneur général de Berlin et de la
+Prusse, et a déjà arrêté toutes les bases de l'organisation intérieure
+du pays.
+
+Le roi de Hollande marche sur Hanovre, et le maréchal Mortier sur
+Cassel.
+
+
+
+Berlin, le 3 novembre 1806.
+
+_Vingt-sixième bulletin de la grande armée_.
+
+On n'a pas encore reçu la nouvelle de la prise des colonnes du général
+Blucher et du duc de Weimar. Voici la situation de ces deux divisions
+ennemies et celle de nos troupes. Le général Blucher, avec sa colonne,
+s'était dirigé sur Stettin. Ayant appris que nous étions déjà dans cette
+ville, et que nous avions gagné deux marches sur lui, il se reploya, de
+Gransée, où nous arrivions en même temps que lui, sur Neustrelitz, où
+il arriva le 30 octobre, ne s'arrêtant point là, et se dirigeant sur
+Wharen, où on le suppose arrivé le 31, avec le projet de chercher à se
+retirer du côté de Rostock pour s'y embarquer.
+
+Le 31, six heures après son départ, le général Savary, avec une colonne
+de six cents chevaux, est arrivé à Strelitz, où il a fait prisonnier le
+frère de la reine de Prusse, qui est général au service du roi.
+
+Le 1er novembre, le grand-duc de Berg était à Demmin, filant pour
+arriver a Rostock, et couper la mer au général Blucher.
+
+Le maréchal prince de Ponte-Corvo avait débordé le général Blucher. Ce
+maréchal se trouvait le 31, avec son corps d'armée, à Neubrandebourg, et
+se mettait en marche sur Wharen, ce qui a dû le mettre aux prises, dans
+la journée du 1er, avec le général Blucher.
+
+La colonne commandée par le duc de Weimar était arrivée le 29 octobre
+à Neustrelitz; mais instruit que la route de Stettin était coupée, et
+ayant rencontré les avant-postes français, il fit une marche rétrograde,
+le 29, sur Wistock. Le 30, le maréchal Soult en avait connaissance
+par ses hussards, et se mettait en marche sur Wertenhausen. Il l'a
+immanquablement rencontré le 31 ou le 1er. Ces deux colonnes ont donc
+été prises hier, ou aujourd'hui au plus tard.
+
+Voici leurs forces: le général Blucher a trente pièces de canon, sept
+bataillons d'infanterie et quinze cents hommes de cavalerie. Il est
+difficile d'évaluer la force de ce corps; ses équipages, ses caissons,
+ses munitions ont été pris. Il est dans la plus pitoyable situation.
+
+Le duc de Weimar a douze bataillons et trente-cinq escadrons en bon
+état; mais il n'a pas une pièce d'artillerie.
+
+Tels sont les faibles débris de toute l'armée prussienne: il n'en
+restera rien. Ces deux colonnes prises, la puissance de la Prusse est
+anéantie, et elle n'a presque plus de soldats. En évaluant à dix mille
+hommes ce qui s'est retiré avec le roi sur la Vistule, ce serait
+exagérer.
+
+M. Schulenbourg s'est présenté à Strelitz pour demander un passeport
+pour Berlin. Il a dit au général Savary: «Il y a huit heures que j'ai vu
+passer les débris de la monarchie prussienne. Vous les aurez aujourd'hui
+ou demain. Quelle destinée inconcevable et inattendue! La foudre nous a
+frappés.» Il est vrai que depuis que l'empereur est entré en campagne,
+il n'a pas pris un moment de repos. Toujours en marches forcées,
+devinant constamment les mouvemens de l'ennemi. Les résultats en sont
+tels qu'il n'y en a aucun exemple dans l'histoire. De plus de cent
+cinquante mille hommes qui se sont présentés à la bataille de Jéna,
+pas un ne s'est échappé pour en porter la nouvelle au-delà de l'Oder.
+Certes, jamais agression ne fut plus injuste; jamais guerre ne fut plus
+intempestive. Puisse cet exemple servir de leçon aux princes faibles,
+que les intrigues, les cris et l'or de l'Angleterre excitent toujours à
+des entreprises insensées.
+
+La division bavaroise, commandée par le général Wrede, est partie de
+Dresde le 31 octobre. Celle commandée par le général Deroi est partie
+le 1er novembre. La colonne wurtembergeoise est partie le 3. Toutes ces
+colonnes se rendent sur l'Oder; elles forment le corps d'armée du prince
+Jérôme.
+
+Le général Durosnet a été envoyé à Odesberg avec un parti de cavalerie
+immédiatement après notre entrée à Berlin, pour intercepter tout ce
+qui se jetterait du canal dans l'Oder. Il a pris plus de quatre-vingts
+bateaux chargés de munitions de toute espèce qu'il a envoyés à Spandau.
+
+On a trouvé à Custrin des magasins de vivres suffisans pour nourrir
+l'armée pendant deux mois.
+
+Le général de brigade Macon, que l'empereur avait nommé commandant de
+Leipsick, est mort dans cette ville d'une fièvre putride. C'était un
+brave soldat et un parfait honnête homme. L'empereur en faisait cas, et
+a été très-affligé de sa mort.
+
+
+
+Berlin, le 6 novembre 1806.
+
+_Vingt-septième bulletin de la grande armée_.
+
+On a trouvé à Stettin une grande quantité de marchandises anglaises, à
+l'entrepôt sur l'Oder; on y a trouvé cinq cents pièces de canon et des
+magasins considérables de vivres.
+
+Le 1er novembre, le grand-duc de Berg était à Demmin: le 2 à Tetetow,
+ayant sa droite sur Rostock. Le général Savary était le 1er à
+Kratzebourg, et le 2, de bonne heure, à Wharen et à Jabel. Le prince
+de Ponte-Corvo attaqua, le soir du 1er à Jabel, l'arrière-garde de
+l'ennemi. Le combat fut assez soutenu; le corps ennemi fut plusieurs
+fois mis en déroute: il eût été entièrement enlevé si les difficultés de
+passer le pays de Mecklembourg ne l'eussent encore sauvé ce jour-là. Le
+prince de Ponte-Corvo, en chargeant avec la cavalerie, a fait une chute
+de cheval, qui n'a eu aucune suite. Le maréchal Soult est arrivé le 2 à
+Plauer.
+
+Ainsi, l'ennemi a renoncé à se porter sur l'Oder. Il change tous les
+jours de projets. Voyant que la route de l'Oder lui était fermée, il a
+voulu se retirer sur la Poméranie suédoise. Voyant celle-ci également
+interceptée, il a voulu retourner sur l'Elbe; mais le maréchal Soult
+l'ayant prévenu, il paraît se diriger sur le point le plus prochain des
+côtes. Il doit avoir été à bout le 4 ou le 5 novembre. Cependant tous
+les jours un ou deux bataillons, et même des escadrons de cette colonne
+tombent en notre pouvoir. Elle n'a plus ni caissons, ni bagages.
+
+Le maréchal Lannes est à Stettin; le maréchal Davoust à Francfort; le
+prince Jérôme en Silésie. Le duc de Weimar a quitté le commandement pour
+retourner chez lui, et l'a laissé à un général peu connu.
+
+L'empereur a passé aujourd'hui la revue de la division de dragons
+du général Beaumont, sur la place du palais de Berlin. Il a fait
+différentes promotions.
+
+Tous les hommes de cavalerie qui se trouvaient à pied, se sont rendus a
+Potsdam, où l'on a envoyé les chevaux de prise. Le général de division
+Bourcier a été chargé de la direction de ce grand dépôt. Deux mille
+dragons à pied qui suivaient l'armée, sont déjà montés.
+
+On travaille avec activité à armer la forteresse de Spandau, et à
+rétablir les fortifications de Wittemberg, d'Erfurt, de Custrin et de
+Stettin.
+
+Le maréchal Mortier, commandant le huitième corps de la grande armée,
+s'est mis en marche le 30 octobre sur Cassel: il y est arrivé le 31.
+
+
+
+Berlin, 7 novembre 1806.
+
+_Vingt-huitième bulletin de la grande armée._
+
+Sa majesté a passé aujourd'hui, sur la place du palais de Berlin, depuis
+onze heures du matin jusqu'à trois après-midi, la revue de la division
+de dragons du générai Klein. Elle a fait plusieurs promotions. Cette
+division a donné avec distinction à la bataille de Jéna et a enfoncé
+plusieurs carrés d'infanterie prussienne. L'empereur a vu ensuite
+défiler le grand parc de l'armée, l'équipage de pont et le parc
+du génie: le grand parc est commandé par le général d'artillerie
+Saint-Laurent; l'équipage de pont, par le colonel Boucher, et le parc de
+génie, par le général du génie Casals.
+
+S.M. a témoigné au général Songis, inspecteur-général, sa satisfaction
+de l'activité qu'il mettait dans l'organisation des différentes parties
+du service de l'artillerie de cette grande armée.
+
+Le général Savary a tourné près de Wismar sur la Baltique, à la tête de
+cinq cents chevaux du premier de hussards et du septième de chasseurs,
+le général prussien Husdunne, et l'a fait prisonnier avec deux brigades
+de hussards et deux pièces de canon. Cette colonne appartient au corps
+que poursuivent le grand-duc de Berg, le prince de Ponte-Corvo et le
+maréchal Soult, lequel corps, coupé de l'Oder et de la Poméranie, paraît
+acculé du côté de Lubeck.
+
+Le colonel Excelmans, commandant le premier régiment de chasseurs du
+maréchal Davoust, est entré à Posen, capitale de la Grande-Pologne. Il
+a été reçu avec un enthousiasme difficile à peindre; la ville était
+remplie de monde, les fenêtres parées comme en un jour de fête;: à peine
+la cavalerie pouvait-elle se faire jour pour traverser les rues.
+
+Le général du génie Bertrand, aide-de-camp de l'empereur, s'est embarqué
+sur le lac de Stettin, pour faire la reconnaissance de toutes les
+passes.
+
+On a formé à Dresde et à Wittemberg un équipage de siège pour
+Magdebourg: l'Elbe en est couvert. Il est à espérer que cette place ne
+tiendra pas long-temps. Le maréchal Ney est chargé de ce siège.
+
+
+
+Berlin, le 9 novembre 1806.
+
+_Vingt-neuvième, bulletin de la grande armée._
+
+La brigade de dragons du général Beker a paru aujourd'hui à la parade.
+
+S.M. voulant récompenser la bonne conduite des régimens qui la
+composent, a fait différentes promotions.
+
+Mille dragons, qui étaient venus à pied à l'armée, et qui ont été montés
+au dépôt de Potsdam, ont passé hier la revue du général Bessières; ils
+ont été munis de quelques objets d'équipement qui leur manquaient, et
+ils partent aujourd'hui pour rejoindre leurs corps respectifs, pourvus
+de bonnes selles et montés sur de bons chevaux, fruits de la victoire.
+
+S.M. a ordonné qu'il serait frappé une contribution de cent cinquante
+millions sur les états prussiens et sur ceux des alliés de la Prusse.
+
+Après la capitulation du prince Hohenlohe, le général Blucher, qui le
+suivait, changea de direction, et parvint à se réunir à la colonne
+du duc de Weimar, à laquelle s'était jointe celle du prince
+Frédéric-Guillaume Brunswick-Oels, fils du duc de Brunswick. Ces trois
+divisions se trouvèrent ainsi sous les ordres du général Blucher.
+Différentes petites colonnes se joignirent également à ce corps. Pendant
+plusieurs jours, ces troupes essayèrent de pénétrer par des chemins que
+les Français pouvaient avoir laissés libres; mais les marches combinées
+du grand-duc de Berg, du maréchal Soult et du prince de Ponte-Corvo
+avaient obstrué tous les passages. L'ennemi tenta d'abord de se porter
+sur Anklam, et ensuite sur Rostock: prévenu dans l'exécution de ce
+projet, il essaya de revenir sur l'Elbe; mais s'étant trouvé encore
+prévenu, il marche devant lui pour gagner Lubeck.
+
+Le 4 novembre, il prit position à Crevismulen; le prince de Ponte-Corvo
+culbuta l'arrière-garde, mais il ne put entamer ce corps, parce qu'il
+n'avait que six cents hommes de cavalerie, et que celle de l'ennemi
+était beaucoup plus forte. Le général Vattier a fait, dans cette
+affaire, de très-belles charges, soutenues par les généraux Pactod et
+Maisons, avec le vingt-septième régiment d'infanterie légère et le
+huitième de ligne.
+
+On remarque, dans les différentes circonstances de ce combat, qu'une
+compagnie d'éclaireurs du quatre-vingt-quatorzième régiment, commandée
+par le capitaine Razout, fut entourée par quelques escadrons ennemis:
+mais les voltigeurs français ne redoutent point le choc des cuirassiers
+prussiens; ils les reçurent de pied-ferme, et firent un feu si bien
+nourri, et si adroitement dirigé, que l'ennemi renonça à les enfoncer.
+On vit alors les voltigeurs à pied poursuivre la cavalerie à toute
+course: les Prussiens perdirent sept pièces de canon, et mille hommes.
+
+Mais le 4 au soir, le grand-duc de Berg, qui s'était porté sur la
+droite, arriva avec sa cavalerie sur l'ennemi, dont le projet était
+encore incertain. Le maréchal Soult marcha par Ratzbourg; le prince de
+Ponte-Corvo marcha par Rebna. Il coucha du 5 au 6 à Schoenberg, d'où il
+partit à deux heures après minuit. Arrivé à Schlukup sur la Trave, il
+fit environner un corps de seize cents Suédois, qui avaient enfin jugé
+convenable d'opérer leur retraite du Lauenbourg, pour s'embarquer sur
+la Trave. Des coups de canon coulèrent les bâtimens préparés pour
+l'embarquement. Les Suédois, après avoir riposté, mirent bas les armes.
+Un convoi de trois cents voitures que le général Savary avait poursuivi
+de Wismar, fut enveloppé par la colonne du prince de Ponte-Corvo, et
+pris.--Cependant l'ennemi se fortifiait à Lubeck. Le maréchal Soult
+n'avait pas perdu de temps dans sa marche de Ratzbourg; de sorte qu'il
+arriva à la porte de Mullen lorsque le prince de Ponte-Corvo arrivait à
+celle de la Trave. Le grand-duc de Berg, avec sa cavalerie, était entre
+deux. L'ennemi avait arrangé à la hâte l'ancienne enceinte de Lubeck; il
+avait disposé des batteries sur les bastions; il ne doutait pas qu'il ne
+pût gagner là une journée; mais le voir, le reconnaître et l'attaquer
+fut l'affaire d'un instant. Le général Drouet, à la tête
+du vingt-septième régiment d'infanterie légère, et des
+quatre-vingt-quatorzième et quatre-vingt-quinzième régimens, aborda les
+batteries avec ce sang-froid et cette intrépidité qui appartiennent aux
+troupes françaises. Les portes sont aussitôt enfoncées, les bastions
+escaladés et l'ennemi mis en fuite; et le corps du prince de Ponte-Corvo
+entre par la porte de la Trave. Les chasseurs corses, les tirailleurs
+du Pô et le vingt-sixième d'infanterie légère, composant la division
+d'avant-garde du général Legrand, qui n'avaient point encore combattu
+dans cette campagne, et qui étaient impatiens de se mesurer avec
+l'ennemi, marchèrent avec la rapidité de l'éclair: redoutes, bastions,
+fossés, tout est franchi, et le corps du maréchal Soult entre par la
+porte de Mullen. C'est en vain que l'ennemi voulut se défendre dans les
+rues, dans les places, il fut poursuivi partout. Toutes les rues, toutes
+les places furent jonchées de cadavres. Les deux corps d'armée arrivant
+de deux côtés opposés, se réunirent au milieu de la ville. A peine
+le grand-duc de Berg put-il passer, qu'il se mit à la poursuite des
+fuyards: quatre mille prisonniers, soixante pièces de canon, plusieurs
+généraux, un grand nombre d'officiers tués ou pris, tel est le résultat
+de cette belle journée.
+
+Le 7, avant le jour, tout le monde était à cheval, et le grand-duc de
+Berg cernait l'ennemi près de Schwartau avec la brigade Lasalle et la
+division de cuirassiers d'Hautpoult, Le général Blucher, le prince
+Frédéric-Guillaume de Brunswick-Oels, et tous les généraux se présentent
+alors aux vainqueurs, demandent à signer une capitulation, et défilent
+devant l'armée française.
+
+Ces deux journées ont détruit le dernier corps qui restait de l'armée
+prussienne, et nous ont valu le reste de l'artillerie de cette armée,
+beaucoup de drapeaux et seize mille prisonniers, parmi lesquels se
+trouvent quatre mille hommes de cavalerie.
+
+Ainsi ces généraux prussiens qui, dans le délire de leur vanité,
+s'étaient permis tant de sarcasmes contre les généraux autrichiens,
+ont renouvelé quatre fois la catastrophe d'Ulm, la première, par la
+capitulation d'Erfurt, la seconde, par celle du prince Hohenlohe;
+la troisième, par la reddition de Stettin, et la quatrième par la
+capitulation de Schwartau.
+
+La ville de Lubeck a considérablement souffert: prise d'assaut, ses
+places et les rues ont été le théâtre du carnage. Elle ne doit
+s'en prendre qu'à ceux qui ont attiré la guerre dans ses murs. Le
+Mecklembourg a été également ravagé par les armées françaises et
+prussiennes. Un grand nombre de troupes se croisant en tout sens, et à
+marches forcées sur ce territoire, n'a pu trouver sa subsistance qu'aux
+dépens de cette contrée. Ce pays est intimement lié avec la Russie;
+son sort servira d'exemple aux princes d'Allemagne qui cherchent des
+relations éloignées avec une puissance à l'abri des malheurs qu'elle
+attire sur eux, et qui ne fait rien pour secourir ceux qui lui sont
+attachés par les liens les plus étroits du sang et par les rapports les
+plus intimes.
+
+L'aide-de-camp du grand-duc de Berg, Dery, a fait capituler le corps
+qui escortait les bagages qui s'étaient retirés derrière la Penne. Les
+Suédois ont livré les fuyards et les caissons. Cette capitulation a
+produit quinze cents prisonniers, une grande quantité de bagages et de
+chariots. Il y a aujourd'hui des régimens de cavalerie, qui possèdent
+plusieurs centaines de milliers d'écus.
+
+Le maréchal Ney, chargé du siège de Magdebourg, a fait bombarder cette
+place. Plusieurs maisons ayant été brûlées, les habitans ont manifesté
+leur mécontentement, et le commandant a demandé à capituler. Il y
+a, dans cette forteresse, beaucoup d'artillerie, des magasins
+considérables, seize mille hommes appartenant à plus de soixante-dix
+bataillons, et beaucoup de caisses des corps.
+
+Pendant ces événemens importans, plusieurs corps de notre armée arrivent
+sur la Vistule.
+
+La malle de Varsovie a apporté beaucoup de lettres de Russie qui ont été
+interceptées. On y voit que dans ce pays les fables des journaux anglais
+trouvent une grande croyance; ainsi, l'on est persuadé en Russie que
+le maréchal Masséna a été tué; que la ville de Naples s'est soulevée;
+qu'elle a été occupée par les Calabrais; que le roi s'est réfugié à
+Rome, et que les Anglais, avec cinq ou six mille hommes, sont maîtres de
+l'Italie. Il ne faudrait cependant qu'un peu de réflexion pour rejeter
+de pareils bruits. La France n'a-t-elle donc plus d'armée en Italie? Le
+roi de Naples est dans sa capitale; il a quatre-vingt mille Français; il
+est maître des deux Calabres; et à Pétersbourg on croit les Calabrais
+à Rome. Si quelques galériens armés et endoctrinés par cet infâme
+Sidney-Smith, la honte des braves militaires anglais, tuent des hommes
+isolés, égorgent des propriétaires riches et paisibles, la gendarmerie
+et l'échafaud en font justice.
+
+La marine anglaise ne désavouera point le titre d'infamie donnée à
+Sidney-Smith. Les généraux Stuart et Fox, tous les officiers de terre
+s'indignent de voir le nom anglais associé à des brigands. Le brave
+général Stuart s'est même élevé publiquement contre ces menées aussi
+impuissantes qu'atroces, et qui tendent à faire du noble métier de
+la guerre, un échange d'assassinats et de brigandages. Mais quand
+Sidney-Smith a été choisi pour seconder les fureurs de la reine, on n'a
+vu en lui qu'un de ces instrumens que les gouvernemens emploient trop
+souvent, et qu'ils abandonnent au mépris qu'ils sont les premiers à
+avoir pour eux. Les Napolitains feront connaître un jour avec détail les
+lettres de Sidney-Smith, les missions qu'il a données, l'argent qu'il a
+répandu pour l'exécution des atrocités dont il est l'agent en chef.
+
+On voit aussi dans les lettres de Pétersbourg, et même dans les dépêches
+officielles, qu'on croit qu'il n'y a plus de Français dans l'Italie
+supérieure: on doit savoir cependant que, indépendamment de l'armée de
+Naples, il y a encore en Italie cent mille hommes prêts à punir ceux qui
+voudraient y porter la guerre.
+
+On attend aussi de Pétersbourg des succès de la division de Corfou; mais
+ou ne tardera pas à apprendre que cette division, à peine débarquée aux
+bouches de Cattaro, a été défaite par le général Marmont; qu'une partie
+a été prise, et l'autre rejetée dans ses vaisseaux. C'est une chose fort
+différente d'avoir affaire à des Français, ou à des Turcs que l'on tient
+dans la crainte et dans l'oppression, en fomentant avec art la discorde
+dans les provinces. Mais quoi qu'il en puisse être, les Russes ne seront
+point embarrassés pour détourner d'eux l'opprobre de ces résultats.
+
+Un décret du sénat-dirigeant a déclaré qu'à Austerlitz, ce n'étaient
+point les Russes, mais leurs alliés, qui avaient été battus. S'il y
+a sur la Vistule une nouvelle bataille d'Austerlitz, ce sera encore
+d'autres qu'eux qui auront été vaincus, quoiqu'aujourd'hui, comme alors,
+leurs alliés n'aient point de troupes à joindre à leurs troupes, et que
+leur armée ne puisse être composée que de Russes. Les états de mouvemens
+et ceux des marches de l'armée russe seul tombés dans les mains de
+l'état-major français. Il n'y aurait rien de plus ridicule que les plans
+d'opérations des Russes, si leurs vaines espérances n'étaient plus
+ridicules encore.
+
+Le général Lagrange a été déclaré gouverneur-général de Cassel et des
+états de Hesse.
+
+Le maréchal Mortier s'est mis en marche pour le Hanovre et pour
+Hambourg, avec son corps d'armée.
+
+Le roi de Hollande a fait bloquer Hamelin. Il faut que cette guerre
+soit la dernière, et que ses auteurs soient si sévèrement punis, que
+quiconque voudra désormais prendre les armes contre le peuple Français,
+sache bien, avant de s'engager dans une telle entreprise, quelles
+peuvent en être les conséquences.
+
+
+
+Berlin, le 10 novembre 1806.
+
+_Trentième bulletin de la grande armée_.
+
+La place de Magdebourg s'est rendue le 8: le 9, les portes ont été
+occupées par les troupes françaises.
+
+Seize mille hommes, près de huit cents pièces de canon, des magasins de
+toute espèce tombent en notre pouvoir.
+
+Le prince Jérôme a fait bloquer la place de Glogau, capitale de la
+Haute-Silésie, par le général de brigade Lefebvre, à la tête de deux
+mille chevaux bavarois. La place a été bombardée le 8 par dix obusiers
+servis par de l'artillerie légère. Le prince fait l'éloge de la conduite
+de la cavalerie bavaroise. Le général Deroy, avec sa division, a investi
+Glogau le 9: on est entré en pourparler pour sa reddition.
+
+Le maréchal Davoust est entré à Posen avec un corps d'armée le 10. Il
+est extrêmement content de l'esprit qui anime les Polonais. Les agens
+prussiens auraient été massacrés, si l'armée française ne les eût pris
+sous sa protection.
+
+La tête de quatre colonnes russes, fortes chacune de quinze mille
+hommes, entrait dans les états prussiens par Georgenbourg, Olita, Grodno
+et Jalowka. Le 25 octobre, ces têtes de colonnes avaient fait deux
+marches, lorsqu'elles reçurent la nouvelle de la bataille du 14 et des
+événemens qui l'ont suivie; elles rétrogradèrent sur-le-champ. Tant de
+succès, des événemens d'une si haute importance, ne doivent pas ralentir
+en France les préparatifs militaires; on doit, au contraire, les
+poursuivre avec une nouvelle énergie, non pour satisfaire une ambition
+insatiable, mais pour mettre un terme à celle de nos ennemis. L'armée
+française ne quittera pas la Pologne et Berlin que la Porte ne soit
+rétablie dans toute son indépendance, et que la Valachie et la Moldavie
+ne soient déclarées appartenant en toute suzeraineté à la Porte.
+
+L'armée française ne quittera point Berlin, que les possessions des
+colonies espagnoles, hollandaises et françaises ne soient rendues, et la
+paix générale faite.
+
+On a intercepté une malle de Dantzick, dans laquelle on a trouvé
+beaucoup de lettres venant de Pétersbourg et de Vienne. Ou use à Vienne
+d'une ruse assez simple pour répandre de faux bruits. Avec chaque
+exemplaire des gazettes, dont le ton est fort réservé, on envoie, sous
+la même enveloppe, un bulletin à la main, qui contient les nouvelles les
+plus absurdes. On y lit que la France n'a plus d'armée en Italie; que
+toute cette contrée est en feu; que l'état de Venise est dans le plus
+grand mécontentement et a les armes à la main; que les Russes ont
+attaqué l'armée française en Dalmatie, et l'ont complètement battue.
+
+Quelque fausses et ridicules que soient ces nouvelles, elles arrivent de
+tant de côtés à la fois, qu'elles obscurcissent la vérité. Nous sommes
+autorisés à dire que l'empereur a deux cent mille hommes en Italie, dont
+quatre-vingt mille à Naples, et vingt-cinq mille en Dalmatie; que le
+royaume de Naples n'a jamais été troublé que par des brigandages et des
+assassinats; que le roi de Naples est maître de toute la Calabre; que
+si les Anglais veulent y débarquer avec des troupes régulières, ils
+trouveront a qui parler; que le maréchal Masséna n'a jamais eu que des
+succès, et que le roi est tranquille dans sa capitale, occupé des soins
+de son armée et de l'administration de son royaume; que le général
+Marmont, commandant l'armée française en Dalmatie, a complètement battu
+les Russes et les Monténégrins, entre lesquels la division règne; que
+les Monténégrins accusent les Russes de s'être mal battus, et que les
+Russes reprochent aux Monténégrins d'avoir fui; que de toutes les
+troupes de l'Europe, les moins propres à faire la guerre en Dalmatie
+sont certainement les troupes russes. Aussi y font-elles en général une
+fort mauvaise figure.
+
+Cependant le corps diplomatique, endoctriné par ces fausses directions
+données à Vienne à l'opinion, égare les cabinets par ses rapsodies. De
+faux calculs s'établissent là-dessus; et comme tout ce qui est bâti sur
+le mensonge et sur l'erreur tombe promptement en ruine, des entreprises
+aussi mal calculées tournent à la confusion de leurs auteurs.
+Certainement dans la guerre actuelle, l'empereur n'a pas voulu affaiblir
+son armée d'Italie; il n'en a pas retiré un seul homme; il s'est
+contenté de faire venir huit escadrons de cuirassiers, parce que les
+troupes de cette arme sont inutiles en Italie. Ces escadrons ne sont pas
+encore arrivés à Inspruck. Depuis la dernière campagne, l'empereur a, au
+contraire, augmenté son armée d'Italie de quinze régimens qui étaient
+dans l'intérieur, et de neuf régimens du corps du général Marmont.
+Quarante mille conscrits, presque tous de la conscription de 1806, ont
+été dirigés sur l'Italie; et par les états de situation de cette armée
+au 1er novembre, vingt-cinq mille y étaient déjà arrivés. Quant
+au peuple des états vénitiens, l'empereur ne saurait être que
+très-satisfait de l'esprit qui l'anime. Aussi, S.M. s'occupe-t-elle des
+plus chers intérêts des Vénitiens; aussi a-t-elle ordonné des travaux
+pour réparer et améliorer leur port, et pour rendre la passe de Malmocco
+propre aux vaisseaux de tout rang.
+
+Du reste, tous ces faiseurs de nouvelles en veulent beaucoup à nos
+maréchaux et à nos généraux; il ont tué le maréchal Masséna à Naples;
+ils ont tué en Allemagne le grand-duc de Berg, le maréchal Soult. Cela
+n'empêche heureusement personne de se porter très-bien.
+
+
+
+Berlin. le 12 novembre 1806.
+
+Trente-unième bulletin de la grande armée.
+
+La garnison de Magdebourg a défilé le 11, à neuf heures du matin, devant
+le corps d'armée du maréchal Ney. Nous avons vingt généraux, huit cents
+officiers, vingt-deux mille prisonniers, parmi lesquels deux mille
+artilleurs, cinquante-quatre drapeaux, cinq étendards, huit cents pièces
+de canon, un million de poudre, un grand équipage de pont et un matériel
+immense d'artillerie.
+
+Le colonel Gérard et l'adjudant-commandant Ricard ont présenté, ce
+matin, à l'empereur, au nom des premier et quatrième corps, soixante
+drapeaux qui ont été pris à Lubeck au corps du général prussien Blucher:
+il y avait vingt-deux étendards; quatre mille chevaux tout harnachés,
+pris dans cette journée, se rendent au dépôt de Potsdam.
+
+Dans le vingt-neuvième bulletin, on a dit que le corps du général
+Blucher avait fourni seize mille prisonniers, parmi lesquels quatre
+mille de cavalerie. On s'est trompé, il y avait vingt-un mille
+prisonniers, parmi lesquels cinq mille hommes de cavalerie montés; de
+sorte que, par le résultat de ces deux capitulations, nous avons cent
+vingt drapeaux et étendards, et quarante-cinq mille prisonniers. Le
+nombre des prisonniers qui ont été faits dans la campagne passe cent
+quarante mille; le nombre des drapeaux pris passe deux cent cinquante;
+le nombre des pièces de campagne prises devant l'ennemi et sur le champ
+de bataille, passe huit cents; celui des pièces prises à Berlin et dans
+les places qui se sont rendues, passe quatre mille.
+
+L'empereur a fait manoeuvrer hier sa garde à pied et à cheval, dans une
+plaine aux portes de Berlin. La journée a été superbe.
+
+Le général Savary, avec sa colonne mobile, s'est rendu à Rostock, et y a
+pris quarante ou cinquante bâtimens suédois sur leur lest: il les a fait
+vendre sur-le-champ.
+
+
+
+Berlin, le 16 novembre 1806.
+
+_Trente-deuxième bulletin de la grande armée_.
+
+Après la prise de Magdebourg et l'affaire de Lubeck, la campagne contre
+la Prusse se trouve entièrement finie.
+
+Voici quelle était la situation de l'armée prussienne en entrant en
+campagne: Le corps du général Ruchel, dit de Westphalie, était composé
+de trente-trois bataillons d'infanterie, de quatre compagnies de
+chasseurs, de quarante-cinq escadrons de cavalerie, d'un bataillon
+d'artillerie et de sept batteries, indépendamment des pièces de
+régiment. Le corps du prince de Hohenlohe était composé de vingt-quatre
+bataillons prussiens et de vingt-cinq bataillons saxons, de
+quarante-cinq escadrons prussiens et de trente-six escadrons saxons, de
+deux bataillons d'artillerie, de huit batteries prussiennes et de huit
+batteries saxonnes. L'armée commandée par le roi en personne, était
+composée d'une avant-garde de dix bataillons et de quinze escadrons,
+commandée par le duc de Weimar, et de trois divisions; la première,
+commandée par le prince d'Orange, était composée de onze bataillons
+et de vingt escadrons; la seconde division, commandée par le général
+Wartensleben, était composée de onze bataillons et de quinze escadrons;
+la troisième division, commandée par le général Schmettau, était
+composée de dix bataillons et de quinze escadrons. Le corps de réserve
+de cette armée, que commandait le général Kalkreuth, était composé de
+deux divisions, chacune de dix bataillons des régimens de la garde ou
+d'élite, et de vingt escadrons. La réserve que commandait le prince
+Eugène de Wurtemberg, était composée de dix-huit bataillons et de vingt
+escadrons. Ainsi, le total général de l'armée prussienne était de cent
+soixante bataillons et de deux cent trente-six escadrons, servie par
+cinquante batteries, ce qui faisait, présens sous les armes, cent quinze
+mille hommes d'infanterie, trente mille de cavalerie, et huit cents
+pièces de canon, y compris les canons de bataillons; Toute cette armée
+se trouvait à la bataille du 14, hormis le corps du duc de Weimar, qui
+était encore sur Eisenach, et la réserve du prince de Wurtemberg; ce qui
+porte les forces prussiennes qui se trouvaient à la batailles à cent
+vingt-six mille hommes. De ces cent vingt-six mille hommes, pas un n'a
+échappé. Du corps du duc de Weimar, pas un homme n'a échappé. Du corps
+de réserve du duc de Wurtemberg, qui a été battu à Halle, pas un homme
+n'est échappé. Ainsi, ces cent quarante-cinq mille hommes ont tous été
+pris, blessés ou tués; tous les drapeaux, étendards, tous les canons,
+tous les bagages, tous les généraux ont été pris, et rien n'a passé
+l'Oder. Le roi, la reine, le général Kalkreuth, et à peine dix ou douze
+officiers, voilà tout ce qui s'est sauvé. Il reste aujourd'hui au roi de
+Prusse un régiment dans la place de Gros-Glogau qui est assiégée, un
+à Breslau, un à Brieg, deux à Varsovie, et quelques régimens à
+Koenigsberg, en tout à peu près quinze mille hommes d'infanterie et
+trois ou quatre mille hommes de cavalerie. Une partie de ces troupes
+est enfermée dans des places fortes. Le roi ne peut pas réunir à
+Koenigsberg, où il s'est réfugié dans ce moment, plus de huit mille
+hommes. Le souverain de Saxe a fait présent de son portrait au général
+Lemarrois, gouverneur de Wittemberg, qui, se trouvant à Torgau, a remis
+l'ordre dans une maison de correction, parmi six cents brigands qui
+s'étaient armés et menaçaient de piller la ville. Le lieutenant Lebrun
+a présenté hier à l'empereur quatre étendards de quatre escadrons
+prussiens que commandait le général Pelet, et que le général Drouet a
+fait capituler du côté de Lauembourg. Ils s'étaient échappés du corps du
+général Blucher. Le major Ameil, à la tête d'un escadron du seizième de
+chasseurs, envoyé par le maréchal Soult le long de l'Elbe, pour ramasser
+tout ce qui pourrait s'échapper du corps du général Blucher, a fait un
+millier de prisonniers, dont cinq cents hussards, et a pris une grande
+quantité de bagages.
+
+Voici la position de l'armée française. La division des cuirassiers du
+général d'Hautpoult, les divisions de dragons des généraux Grouchy et
+Sahuc, la cavalerie légère du général Lasalle, faisant partie de la
+réserve de cavalerie que le grand-duc de Berg avait à Lubeck, arrivent à
+Berlin. La tête du corps du maréchal Ney, qui a fait capituler la place
+de Magdebourg, est entrée aujourd'hui à Berlin. Les corps du prince de
+Ponte-Corvo et du maréchal Soult sont en route pour venir à Berlin.
+Le corps du maréchal Soult y arrivera le 20; celui du prince de
+Ponte-Corvo, quelques jours après. Le maréchal Mortier est arrivé avec
+le huitième corps à Hambourg, pour fermer l'Elbe et le Weser. Le général
+Savary a été chargé du blocus de Hameln avec la division hollandaise. Le
+corps du maréchal Lannes est à Thorn. Le corps du maréchal Augereau est
+à Bromberg et vis-à-vis Graudentz. Le corps du maréchal Davoust est
+en marche de Posen sur Varsovie, où se rend le grand-duc de Berg avec
+l'autre partie de la réserve de cavalerie, composée des divisions
+de dragons des généraux Beaumont, Klein et Beker, de la division de
+cuirassiers du général Nansouty, et de la cavalerie légère du
+général Milhaud. Le prince Jérôme, avec le corps des alliés, assiège
+Gros-Glogau; son équipage de siège a été formé à Custrin. Une de ses
+divisions investit Breslau. Il prend possession de la Silésie. Nos
+troupes occupent le fort de Lenczyc, à mi-chemin de Posen à Varsovie;
+on y a trouvé des magasins et de l'artillerie. Les Polonais montrent la
+meilleure volonté, mais jusqu'à la Vistule ce pays est difficile; il y
+a beaucoup de sable. Pour la première fois, la Vistule voit l'aigle
+gauloise. L'empereur a désiré que le roi de Hollande retournât dans son
+royaume pour veiller lui-même à sa défense. Le roi de Hollande a fait
+prendre possession du Hanovre par le corps du général Mortier. Les
+aigles prussiennes et les armes électorales en ont été ôtées ensemble.
+
+
+
+Berlin, le 1er novembre 1806.
+
+_Trente-troisième bulletin de la grande armée._
+
+Une suspension d'armes a été signée hier à Charlottembourg. La saison
+se trouvant avancée, cette suspension d'armes assoit les quartiers de
+l'armée. Partie de la Pologne prussienne se trouve ainsi occupée par
+l'armée française, et partie est neutre.
+
+(_Suit la teneur de cette suspension_).
+
+
+
+Berlin, le 31 novembre 1806.
+
+Message au sénat.
+
+«Sénateurs, nous voulons, dans les circonstances où se trouvent les
+affaires générales de l'Europe, faire connaître, à vous et à la nation,
+les principes que nous avons adoptés comme règle général.
+
+«Notre extrême modération, après chacune des trois premières guerres, a
+été la cause de celle qui leur a succédé. C'est ainsi que nous avons
+eu à lutter contre une quatrième coalition, neuf mois après que la
+troisième avait été dissoute, neuf mois après ces victoires éclatantes
+que nous avait accordées la providence, et qui devaient assurer un long
+repos au continent.
+
+Mais un grand nombre de cabinets de l'Europe est plus tôt ou plus
+tard influencé par l'Angleterre; et sans une solide paix avec cette
+puissance, notre peuple ne saurait jouir des bienfaits qui sont le
+premier but de nos travaux, l'unique objet de notre vie. Aussi, malgré
+notre situation triomphante, nous n'avons été arrêtés, dans nos
+dernières négociations avec l'Angleterre, ni par l'arrogance de son
+langage, ni par les sacrifices qu'elle a voulu nous imposer. L'île de
+Malte, à laquelle s'attachait pour ainsi dire l'honneur de cette guerre,
+et qui, retenue par l'Angleterre au mépris des traités, en était la
+première cause, nous l'avions cédée; nous avions consenti à ce qu'à la
+possession de Ceylan et de l'empire du Myssoure, l'Angleterre joignît
+celle du cap de Bonne-Espérance.
+
+Mais tous nos efforts ont dû échouer lorsque les conseils de nos ennemis
+ont cessé d'être animés de la noble ambition de concilier le bien du
+monde avec la prospérité présente de leur patrie, et la prospérité
+présente de leur patrie avec une prospérité durable; et aucune
+prospérité ne peut être durable pour l'Angleterre, lorsqu'elle sera
+fondée sur une politique exagérée et injuste qui dépouillerait soixante
+millions d'habitans, leurs voisins, riches et braves, de tout commerce
+et de toute navigation. Immédiatement après la mort du principal
+ministre de l'Angleterre, il nous fut facile de nous apercevoir que la
+continuation des négociations n'avait plus d'autre objet que de couvrir
+les trames de cette quatrième coalition, étouffée dès sa naissance.
+
+Dans cette nouvelle position, nous avons pris pour principes invariables
+de notre conduite, de ne point évacuer ni Berlin, ni Varsovie, ni les
+provinces que la force des armes a fait tomber en nos mains, avant
+que la paix générale ne soit conclue; que les colonies espagnoles,
+hollandaises et françaises ne soient rendues; que les fondemens de la
+puissance ottomane ne soient raffermis, et l'indépendance absolue de
+ce vaste empire, premier intérêt de notre peuple, irrévocablement
+consacrée. Nous avons mis les îles britanniques en état de blocus, et
+nous avons ordonné contre elles des dispositions qui répugnaient à
+notre coeur. Il nous en a coûté de faire dépendre les intérêts des
+particuliers de la querelle des rois, et de revenir, après tant d'années
+de civilisation, aux principes qui caractérisent la barbarie des
+premiers âges des nations. Mais nous avons été contraints, pour le bien
+de nos alliés, à opposer à l'ennemi commun les mêmes armes dont il
+se servait contre nous. Ces déterminations, commandées par un juste
+sentiment de réciprocité, n'ont été inspirées ni par la passion, ni
+par la haine. Ce que nous avons offert après avoir dissipé les trois
+coalitions qui avaient tant contribué à la gloire de nos peuples, nous
+l'offrons encore aujourd'hui que nos armes ont obtenu de nouveaux
+triomphes. Nous sommes prêts à faire la paix avec l'Angleterre; nous
+sommes prêts à la faire avec la Russie, avec la Prusse; mais elle ne
+peut être conclue que sur des bases telles qu'elle ne permette à qui que
+ce soit, de s'arroger aucun droit de suprématie à notre égard, qu'elle
+rende les colonies a notre métropole, et qu'elle garantisse à notre
+commerce et à notre industrie la prospérité à laquelle ils doivent
+atteindre. Et si l'ensemble de ces dispositions éloigne de quelque temps
+encore le rétablissement de la paix générale, quelque court que soit ce
+retard, il paraîtra long à notre coeur. Mais nous sommes certains que
+nos peuples apprécieront la sagesse de nos motifs politiques, qu'ils
+jugeront avec nous qu'une paix partielle n'est qu'une trêve qui nous
+fait perdre tous nos avantages acquis pour donner lieu à une nouvelle
+guerre, et qu'enfin ce n'est que dans une paix générale que la France
+peut trouver le bonheur. Nous sommes dans un de ces instans importans
+pour la destinée des nations; et le peuple français se montrera digne de
+celle qui l'attend. Le sénatus-consulte que nous avons ordonné de vous
+proposer, et qui mettra à notre disposition, dans les premiers jours
+de l'année, la conscription de 1807, qui, dans les circonstances
+ordinaires, ne devrait être levée qu'au mois de septembre, sera exécuté
+avec empressement par les pères, comme par les enfans. Et dans quel plus
+beau moment pourrions-nous appeler aux armes les jeunes Français! ils
+auront à traverser, pour se rendre à leurs drapeaux, les capitales de
+nos ennemis et les champs de bataille illustrés par les victoires de
+leurs aînés!»
+
+
+
+En notre camp Impérial de Berlin, le 21 novembre 1806.
+
+_Décret constitutif du blocus continental._
+
+Napoléon, empereur des Français et roi d'Italie, considérant:
+
+1°. Que l'Angleterre n'admet point le droit des gens suivi
+universellement par tous les peuples policés;
+
+2°. Qu'elle répute ennemi tout individu appartenant à l'état ennemi, et
+fait en conséquence prisonniers de guerre, non-seulement les équipages
+des vaisseaux armés en guerre, mais encore les équipages des vaisseaux
+de commerce et des navires marchands, et même les facteurs du commerce
+et les négocians qui voyagent pour les affaires de leur négoce;
+
+3°. Qu'elle étend aux bâtimens et marchandises du commerce et aux
+propriétés des particuliers, le droit de conquête, qui ne peut
+s'appliquer qu'à ce qui appartient à l'état ennemi;
+
+4°. Qu'elle étend aux villes et ports de commerce non fortifiés, aux
+havres et aux embouchures des rivières, le droit de blocus, qui, d'après
+la raison et l'usage de tous les peuples policés, n'est applicable
+qu'aux places fortes; qu'elle déclare bloquées des places devant
+lesquelles elle n'a pas même un seul bâtiment de guerre, quoiqu'une
+place ne soit bloquée que quand elle est tellement investie, qu'on ne
+puisse tenter de s'en approcher sans un danger imminent; qu'elle déclare
+même en état de blocus des lieux que toutes ses forces réunies seraient
+incapables de bloquer, des côtes entières et tout un empire;
+
+5°. Que cet abus monstrueux du droit de blocus n'a d'autre but que
+d'empêcher les communications entre les peuples, et d'élever le commerce
+et l'industrie de l'Angleterre sur la ruine de l'industrie et du
+commerce du continent;
+
+6°. Que tel étant le but évident de l'Angleterre, quiconque fait sur le
+continent le commerce des marchandises anglaises, favorise par-là ses
+desseins et s'en rend le complice;
+
+7°. Que cette conduite de l'Angleterre, digne en tout des premiers âges
+de la barbarie, a profité à cette puissance au détriment de toutes les
+antres;
+
+8°. Qu'il est de droit naturel d'opposer à l'ennemi les armes dont il
+se sert, et de le combattre de la même manière qu'il combat, lorsqu'il
+méconnaît toutes les idées de justice et tous les sentimens libéraux,
+résultat de la civilisation parmi les hommes; nous avons résolu
+d'appliquer à l'Angleterre les usages qu'elle a consacrés dans sa
+législation maritime. Les dispositions du présent décret seront
+constamment considérées comme principe fondamental de l'empire, jusqu'à
+ce que l'Angleterre ait reconnu que le droit de la guerre est un et le
+même sur terre que sur mer; qu'il ne peut s'étendre ni aux propriétés
+privées, quelles qu'elles soient, ni à la personne des individus
+étrangers à la profession des armes, et que le droit de blocus doit
+être restreint aux places fortes réellement investies par des forces
+suffisantes.
+
+Nous avons en conséquence décrété et décrétons ce qui
+
+Art. 1er. Les Iles-Britanniques sont déclarées en état de blocus.
+
+2. Tout commerce et toute correspondance avec les Iles-Britanniques sont
+interdits.
+
+En conséquence, les lettres ou paquets adressés ou en Angleterre ou à un
+Anglais, ou écrits en langue anglaise, n'auront pas cours aux postes, et
+seront saisis.
+
+3. Tout individu sujet de l'Angleterre, de quelque état et condition
+qu'il soit, qui sera trouvé dans les pays occupés par nos troupes ou par
+celles de nos alliés, sera fait prisonnier de guerre.
+
+4. Tout magasin, toute marchandise, toute propriété, de quelque nature
+qu'elle puisse être, appartenant à un sujet de l'Angleterre, sera
+déclaré de bonne prise.
+
+5. Le commerce des marchandises anglaises est défendu; et toute
+marchandise appartenant à l'Angleterre, ou provenant de ses fabriques et
+de ses colonies, est déclarée de bonne prise.
+
+6. La moitié du produit de la confiscation des marchandises et
+propriétés déclarées de bonne prise par les articles précédens, sera
+employée à indemniser les négocians des pertes qu'ils ont éprouvées par
+la prise des bâtimens de commerce qui ont été enlevés par les croisières
+anglaises.
+
+7. Aucun bâtiment venant directement de l'Angleterre ou des colonies
+anglaises, ou y ayant été depuis la publication du présent décret, ne
+sera reçu dans aucun port.
+
+3. Tout bâtiment qui, au moyen d'une fausse déclaration, contreviendra
+à la disposition ci-dessus, sera saisi, et le navire et la cargaison
+seront confisqués comme s'ils étaient propriété anglaise.
+
+9. Notre tribunal des prises de Paris est chargé du jugement définitif
+de toutes les contestations qui pourront survenir dans notre empire ou
+dans les pays occupés par l'armée française, relativement à l'exécution
+du présent décret. Notre tribunal des prises à Milan sera chargé du
+jugement définitif desdites contestations qui pourront survenir dans
+l'étendue de notre royaume d'Italie.
+
+10. Communication du présent décret sera donnée, par notre ministre des
+relations extérieures, aux rois d'Espagne, de Naples, de Hollande et
+d'Étrurie, et à nos autres alliés dont les sujets sont victimes, comme
+les nôtres, de l'injustice et de la barbarie de la législation maritime
+anglaise.
+
+11. Nos ministres des relations extérieures, de la guerre, de la marine,
+des finances, de la police, et nos directeurs-généraux des postes sont
+chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Berlin, le 23 novembre 1806.
+
+_Trente-quatrième bulletin de la grande armée._
+
+On n'a pas encore de nouvelles que la suspension d'armes, signée le
+17, ait été ratifiée par le roi de Prusse, et que l'échange des
+ratifications ait eu lieu. En attendant, les hostilités continuent
+toujours, ne devant cesser qu'au moment de l'échange.
+
+Le général Savary, auquel l'empereur avait confié le commandement du
+siège de Hameln, est arrivé le 19 à Ebersdorff, devant Hameln, a eu
+une conférence, le 20, avec le général Lecoq et les généraux prussiens
+enfermés dans cette place, et leur a fait signer une capitulation.
+Neuf mille prisonniers, parmi lesquels six généraux, des magasins pour
+nourrir dix mille hommes pendant six mois, des munitions de toute
+espèce, une compagnie d'artillerie à cheval, et trois cents hommes à
+cheval sont en notre pouvoir.
+
+Les seules troupes qu'avait le général Savary étaient un régiment
+français d'infanterie légère, et deux régimens hollandais, que
+commandait le général hollandais Dumonceau.
+
+Le général Savary est parti sur-le-champ pour Nienbourg, pour faire
+capituler cette place, dans laquelle on croit qu'il y a deux ou trois
+mille hommes de garnison.
+
+Un bataillon prussien de huit cents hommes, tenant garnison à
+Czentoschau, à l'extrémité de la Pologne prussienne, a capitulé, le 18,
+devant cent cinquante chasseurs du deuxième régiment, réunis à trois
+cents Polonais confédérés qui se sont présentés devant cette place. La
+garnison est prisonnière de guerre; il y a des magasins considérables.
+
+L'empereur a employé toute la journée à passer en revue l'infanterie du
+quatrième corps d'armée, commandé par le maréchal Soult. Il a fait des
+promotions et distribué des récompenses dans chaque corps.
+
+
+
+Posen, le 38 novembre 1806.
+
+_Trente-cinquième bulletin de la grande-armée._
+
+L'empereur est parti de Berlin le 25, à deux heures du matin, et est
+arrivé à Custrin le même jour, à dix heures du matin. Il est arrivé à
+Meseritz le 26, et à Posen le 27, à dix heures du soir. Le lendemain,
+S.M. a reçu les différens ordres des Polonais. Le maréchal du palais,
+Duroc, a été jusqu'à Osterode, où il a vu le roi de Prusse, qui lui a
+déclaré qu'une partie de ses états était occupée par les Russes, et
+qu'il était entièrement dans leur dépendance; qu'en conséquence il
+ne pouvait ratifier la suspension d'armes qu'avaient conclue ses
+plénipotentiaires, parce qu'il ne pourrait pas en exécuter les
+stipulations. S.M. se rendait à Koenigsberg.
+
+Le grand-duc de Berg, avec une partie de sa réserve de cavalerie et les
+corps des maréchaux Davoust, Lannes et Augereau, est entré à Varsovie.
+Le général russe Benigsen, qui avait occupé la ville avant l'approche
+des Français, l'a évacuée, apprenant que l'armée française venait à lui
+et voulait tenter un engagement.
+
+Le prince Jérôme, avec le corps des Bavarois, se trouve à Kalitsch. Tout
+le reste de l'armée est arrivé à Posen, ou en marche par différentes
+directions pour s'y rendre. Le maréchal Mortier marche sur Anklam,
+Rostock et la Poméranie suédoise, après avoir pris possession des villes
+Anséatiques. La reddition d'Hameln a été accompagnée d'événemens assez
+étranges. Outre la garnison destinée à la défense de cette place,
+quelques bataillons prussiens paraissent s'y être réfugiés après la
+bataille du 14. L'anarchie régnait dans cette nombreuse garnison. Les
+officiers étaient insubordonnés contre les généraux, et les soldats
+contre les officiers. A peine la capitulation était-elle signée, que le
+général Savary reçut une lettre du général Von Schoeler, à laquelle il
+répondit. Pendant ce temps la garnison était insurgée, et le premier
+acte de la sédition fut de courir aux magasins d'eaux-de-vie, de les
+enfoncer et d'en boire outre mesure. Bientôt animés par ces boissons
+spiritueuses, on se fusilla dans-les rues, soldats contre soldats,
+soldats contre officiers, soldats contre bourgeois; le désordre était
+extrême. Le général Von Schoeler envoya courrier sur courrier au général
+Savary, pour le prier de venir prendre possession de la place avant le
+moment fixé pour sa remise. Le général Savary accourut aussitôt, entra
+dans la ville à travers une grêle de balles, fit filer tous les soldats
+de la garnison par une porte, et les parqua dans une prairie. Il
+assembla ensuite les officiers, leur fit connaître que ce qui arrivait
+était un effet de la mauvaise discipline, leur fit signer leur cartel,
+et rétablit l'ordre dans la ville. On croit que dans le tumulte, il y a
+eu plusieurs bourgeois Posen, le 1er décembre 1806.
+
+
+
+_Trente-sixième bulletin de la grande armée._
+
+Le quartier-général du grand-duc de Berg était le 27 à Lowiez. Le
+général Benigsen, commandant l'armée russe, espérant empêcher les
+Français d'entrer à Varsovie, avait envoyé une avant-garde border la
+rivière de Bsura. Les avant-postes se rencontrèrent dans la journée du
+26; les Russes furent culbutés. Le général Beaumont passa la Bsura à
+Lowiez, rétablit le pont, tua ou blessa plusieurs hussards russes, fit
+prisonniers plusieurs cosaques, et les poursuivit jusqu'à Blonic. Le
+27, quelques coups de sabre furent donnés entre les grand'-gardes
+de cavalerie; les Russes furent poursuivis; on leur fit quelques
+prisonniers. Le 28, à la nuit tombante, le grand-duc de Berg, avec sa
+cavalerie, entra à Varsovie. Le corps du maréchal Davoust y est entré
+le 29. Les Russes avaient repassé la Vistule en brûlant le pont. Il est
+difficile de peindre l'enthousiasme des Polonais. Notre entrée dans
+cette grande ville était un triomphe, et les sentimens que les Polonais
+de toutes les classes montrent depuis notre arrivée ne sauraient
+s'exprimer. L'amour de la patrie et le sentiment national sont
+non-seulement conservés eu entier dans le coeur du peuple, mais il a été
+retrempé par le malheur; sa première passion, son premier désir est de
+redevenir nation. Les plus riches sortent de leurs châteaux pour venir
+demander à grands cris le rétablissement de la nation, et offrir
+leurs enfans, leur fortune, leur influence. Ce spectacle est vraiment
+touchant. Déjà ils ont partout repris leur ancien costume, leurs
+anciennes habitudes. Le trône de Pologne se rétablira-t-il, et cette
+grande nation reprendra-t-elle son existence et son indépendance? Du
+fond du tombeau renaîtra-t-elle à la vie? Dieu seul, qui tient dans ses
+mains les combinaisons de tous les événemens, est l'arbitre de ce grand
+problème politique; mais certes il n'y eut jamais d'événement plus
+mémorable, plus digne d'intérêt, et, par une correspondance de sentimens
+qui fait l'éloge des Français, des traînards qui avaient commis quelque
+excès dans d'autres pays, ont été touchés du bon accueil du peuple,
+et n'ont eu besoin d'aucun effort pour se bien comporter. Nos soldats
+trouvent que les solitudes de la Pologne contrastent avec les campagnes
+riantes de leur patrie; mais ils ajoutent aussitôt: _Ce sont de bonnes
+gens que les Polonais._ Ce peuple se montre vraiment sous des couleurs
+intéressantes.
+
+
+
+Au quartier impérial de Posen, le 2 décembre 1806.
+
+_Proclamation à la grande armée._
+
+Soldats!
+
+«Il y a aujourd'hui un an, à cette heure même, que vous étiez sur
+le champ mémorable d'Austerlitz. Les bataillons russes, épouvantés,
+fuyaient en déroute, ou, enveloppés, rendaient les armes à leurs
+vainqueurs. Le lendemain ils firent entendre des paroles de paix; mais
+elles étaient trompeuses. A peine échappés par l'effet d'une générosité
+peut-être condamnable, aux désastres de la troisième coalition, ils
+en ont ourdi une quatrième. Mais l'allié, sur la tactique duquel ils
+fondaient leur principale espérance, n'est déjà plus. Ses places fortes,
+ses capitales, ses magasins, ses arsenaux, deux cent quatre-vingts
+drapeaux, sept cents pièces de bataille, cinq grandes places de guerre,
+sont en notre pouvoir. L'Oder, la Wartha, les déserts de la Pologne, les
+mauvais temps de la saison n'ont pu vous arrêter un moment. Vous avez
+tout bravé, tout surmonté; tout a fui à votre approche. C'est en vain
+que les Russes ont voulu défendre la capitale de cette ancienne et
+illustre Pologne; l'aigle française plane sur la Vistule. Le brave
+et infortuné Polonais, en vous voyant, croit revoir les légions de
+Sobieski, de retour de leur mémorable expédition.
+
+«Soldats, nous ne déposerons point les armes que la paix générale n'ait
+affermi et assuré la puissance de nos alliés, n'ait restitué à notre
+commerce sa liberté et ses colonies. Nous avons conquis sur l'Elbe
+et l'Oder, Pondichery, nos établissemens des Indes, le cap de
+Bonne-Espérance et les colonies espagnoles. Qui donnerait le droit de
+faire espérer aux Russes de balancer les destins? Qui leur donnerait le
+droit de renverser de si justes desseins? Eux et nous ne sommes-nous pas
+les soldats d'Austerlitz?»
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+De notre camp impérial de Posen, le 2 décembre 1806.
+
+_Ordre du jour._
+
+Napoléon, empereur des Français et roi d'Italie,
+
+Avons décrété et décrétons ce qui suit:
+
+Art. 1er. Il sera établi sur l'emplacement de la Madelaine de notre
+bonne ville de Paris, aux frais du trésor et de notre couronne,
+un monument dédié à la grande armée, portant sur le frontispice:
+_L'empereur Napoléon aux soldats de la grande armée._
+
+2. Dans l'intérieur du monument seront inscrits, sur des tables de
+marbre, les noms de tous les hommes, par corps d'armée et par régiment,
+qui ont assisté aux batailles d'Ulm, d'Austerlitz et de Jena; et sur des
+tables d'or massif, les noms de tous ceux qui sont morts sur les champs
+de bataille. Sur des tables d'argent sera gravée la récapitulation, par
+département, des soldats que chaque département a fournis à la grande
+armée.
+
+3. Autour de la salle seront sculptés des bas-reliefs où seront
+représentés les colonels de chacun des régimens de la grande armée avec
+leurs noms; ces bas-reliefs seront faits de manière que les colonels
+soient groupés autour de leurs généraux de division et de brigade par
+corps d'armée. Les statues en marbre des maréchaux qui ont commandé des
+corps ou qui ont fait partie de la grande armée, seront placées dans
+l'intérieur de la salle.
+
+3. Les armures, statues, monumens de toutes espèces, enlevés par la
+grande armée dans ces deux campagnes; les drapeaux, étendards et
+tymbales conquis par la grande armée, avec les noms des régimens ennemis
+auxquels ils appartenaient, seront déposés dans l'intérieur du monument.
+
+5. Tous les ans, aux anniversaires des batailles d'Austerlitz et de
+Jena, le monument sera illuminé, et il sera donné vu concert, précédé
+d'un discours sur les vertus nécessaires au soldat, et d'un éloge de
+ceux qui périrent sur le champ de bataille dans ces journées mémorables.
+Un mois avant, un concours sera ouvert pour recevoir la meilleure
+pièce de musique analogue aux circonstances. Une médaille d'or de cent
+cinquante doubles Napoléons, sera donnée aux auteurs de chacune de ces
+pièces qui auront remporté le prix. Dans les discours et odes, il est
+expressément défendu de faire aucune mention de l'empereur.
+
+6. Notre ministre de l'intérieur ouvrira sans délai un concours
+d'architecture pour choisir le meilleur projet pour l'exécution de ce
+monument. Une des conditions du prospectus sera de conserver la partie
+du bâtiment de la Madelaine qui existe aujourd'hui, et que la dépense ne
+dépasse pas trois millions. Une commission de la classe des beaux-arts
+de notre institut sera chargée de faire un rapport à notre ministre
+de l'intérieur, avant le mois de mars 1807, sur les projets soumis au
+concours. Les travaux commenceront le 1er mai, et devront être achevés
+avant l'an 1809. Notre ministre de l'intérieur sera chargé de tous les
+détails relatifs à la construction du monument, et le directeur-général
+de nos musées, de tous les détails des bas-reliefs, statues et tableaux.
+
+7. Il sera acheté cent mille francs de rente en inscriptions sur le
+grand-livre, pour servir à la dotation du monument et à son entretien
+annuel.
+
+8. Une fois le monument construit, le grand-conseil de la légion
+d'honneur sera spécialement chargé de sa garde, de sa conservation, et
+de tout ce qui est relatif au concours annuel.
+
+9. Notre ministre de l'intérieur et l'intendant des biens de notre
+couronne, sont chargés de l'exécution du présent décret.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Posen, le 2 décembre 1806.
+
+_Trente-Septième bulletin de la grande armée._
+
+Le fort de Czentoschau a capitulé. Six cents hommes qui en formaient
+la garnison, trente bouches à feu, des magasins sont tombés en notre
+pouvoir. Il y a un trésor formé de beaucoup d'objets précieux, que la
+dévotion des Polonais avait offerts à une image de la vierge, qui est
+regardée comme la patronne de la Pologne. Ce trésor avait été mis sous
+le séquestre, mais l'empereur a ordonné qu'il fût rendu. La partie de
+l'armée qui est à Varsovie continue à être satisfaite de l'esprit qui
+anime cette grande capitale. La ville de Posen a donné aujourd'hui un
+bal à l'empereur. S.M. y a passé une heure. Il y a eu aujourd'hui un _Te
+Deum_ pour l'anniversaire du couronnement de l'empereur.
+
+
+
+Posen, le 5 décembre 1806.
+
+_Trente-huitième bulletin de la grande armée._
+
+Le prince Jérôme, commandant l'armée des alliés, après avoir resserré le
+blocus de Glogau et fait construire des batteries autour de cette place,
+se porta avec les divisions bavaroises, Wrede et Deroi, du côté de
+Kalistch à la rencontre des Russes, et laissa le général Vandamme et
+le corps wurtembergeois continuer le siége de Glogau. Des mortiers
+et plusieurs pièces de canon arrivèrent le 29 novembre. Ils furent
+sur-le-champ mis en batterie, et après quelques heures de bombardement,
+la place s'est rendue, et la capitulation a été signée.
+
+Les troupes alliées du roi de Wurtemberg se sont bien montrées. Deux
+mille cinq cents hommes, des magasins assez considérables de biscuits,
+de blé, de poudre, près de deux cents pièces de canon sont les résultats
+de cette conquête importante, surtout par la bonté de ses fortifications
+et par sa situation. C'est la capitale de la basse Silésie. Les Russes
+ayant refusé la bataille devant Varsovie, ont repassé la Vistule. Le
+grand-duc de Berg l'a passée après eux; il s'est emparé du faubourg de
+Praga. Il les poursuit sur le Bug. L'empereur a donné en conséquence
+l'ordre au prince Jérôme, de marcher par sa droite sur Breslaw, et de
+cerner cette place, qui ne tardera pas de tomber en notre pouvoir. Les
+sept places de la Silésie seront successivement attaquées et bloquées.
+Vu le moral des troupes qui s'y trouvent, aucune ne fait présumer une
+longue résistance. Le petit fort de Culmbach, nommé _Plassembourg_,
+avait été bloqué par un bataillon bavarois: muni de vivres pour
+plusieurs mois, il n'y avait pas de raison pour qu'il se rendît.
+L'empereur a fait préparer à Cronach et à Forcheim des pièces
+d'artillerie pour battre ce fort et l'obliger à se rendre. Le 24
+novembre, vingt-deux pièces étaient en batterie, ce qui a décidé le
+commandant à livrer la place. M. de Beker, colonel du sixième régiment
+d'infanterie de ligne Bavarois, et commandant le blocus, a montré de
+l'activité et du savoir-faire dans cette circonstance. L'anniversaire de
+la bataille d'Austerlitz et du couronnement de l'empereur, a été célébré
+à Varsovie avec le plus grand enthousiasme.
+
+
+
+Posen, le 7 décembre 1806.
+
+_Trente-neuvième bulletin de la grande armée._
+
+Le général Savary, après avoir pris possession d'Hameln, s'est porté
+sur Nienbourg. Le gouverneur faisait des difficultés pour capituler. Le
+général Savary entra dans la place, et après quelques pourparlers, il
+conclut la capitulation. Un courrier vient d'arriver, apportant la
+nouvelle à l'empereur que les Russes ont déclaré la guerre à la Porte;
+que Choczin et Bender sont cernés par leurs troupes, qu'ils ont passé
+à l'improviste le Dniester, et poussé jusqu'à Jassy. C'est le général
+Michelson qui commande l'armée russe en Valachie. L'armée russe,
+commandée par le général Benigsen, a évacué la Vistule, et paraît
+décidée à s'enfoncer dans les terres. Le maréchal Davoust a passé
+la Vistule, et a établi son quartier-général en avant de Praga; ses
+avant-postes sont sur le Bug. Le grand-duc de Berg est toujours à
+Varsovie. L'empereur a toujours son quartier-général à Posen.
+
+
+
+Posen, le 9 décembre 1806.
+
+_Quarantième bulletin de la grande armée._
+
+Le maréchal Ney a passé la Vistule, et est entré le 6 à Thorn. Il se
+loue particulièrement du colonel Savary, qui, à la tête du
+quatorzième régiment d'infanterie, et des grenadiers et voltigeurs
+du quatre-vingt-seizième et du sixième d'infanterie légère, passa le
+premier la Vistule. Il eut à Thorn un engagement avec les Prussiens,
+qu'il força, après un léger combat, d'évacuer la ville. Il leur tua
+quelques hommes et leur fit vingt prisonniers.
+
+Cette affaire offre un trait remarquable. La rivière large de quatre
+cents toises, charriait des glaçons. Le bateau qui portait notre
+avant-garde, retenu par les glaces, ne pouvait avancer; de l'autre rive,
+des bateliers polonais s'élancèrent au milieu d'une grêle de balles pour
+le dégager. Les bateliers prussiens voulurent s'y opposer: une lutte à
+coups de poing s'engagea entre eux. Les bateliers polonais jetèrent les
+prussiens à l'eau, et guidèrent nos bateaux jusqu'à la rive droite.
+L'empereur a demandé le nom de ces braves gens pour les récompenser.
+
+L'empereur a reçu aujourd'hui la députation de Varsovie, composée de
+MM. Gutakouski, grand-chambellan de Lithuanie, chevalier des ordres de
+Pologne; Gorzenski, lieutenant-général, chevalier des ordres de
+Pologne; Lubienski, chevalier des ordres de Pologne; Alexandre Potocki;
+Rzetkowki, chevalier de l'ordre de Saint-Stanislas; Luszewki.
+
+
+
+Posen, le 14 décembre 1806.
+
+_Quarante-unième bulletin de la grande armée._
+
+Le général de brigade Belair, du corps du maréchal Ney, partit de
+Thorn le 9 de ce mois, et se porta sur Galup. Le sixième, bataillon
+d'infanterie légère et le chef d'escadron Schoeni, avec soixante hommes
+du troisième de hussards, rencontrèrent un parti de quatre cents chevaux
+ennemis. Ces deux avant-postes en vinrent aux mains. Les Prussiens
+perdirent un officier et cinq dragons faits prisonniers, et eurent
+trente hommes tués, dont les chevaux restèrent en notre pouvoir.
+Le maréchal Ney se loue beaucoup du chef d'escadron Schoeni. Nos
+avant-postes de ce côté arrivent jusqu'à Strasbourg.
+
+Le 11, à six heures du matin, la canonnade se fît entendre du côté du
+Bug. Le maréchal Davoust avait fait passer cette rivière au général
+de brigade Gauthier, à l'embouchure de la Wrka, vis-à-vis le village
+d'Okunin.
+
+Le vingt-cinquième de ligne et le quatre-vingt-neuvième étant passés,
+s'étaient déjà couverts par une tête de pont, et s'étaient portés une
+demi-lieue en avant, au village de Pomikuwo, lorsqu'une division russe
+se présenta pour enlever ce village; elle ne fit que des efforts
+inutiles, fut repoussée, et perdit beaucoup de monde. Nous avons eu
+vingt hommes tué ou blessés.
+
+Le pont de Thorn, qui est sur pilotis, est rétabli; on relève les
+fortifications de cette place. Le pont de Varsovie, au faubourg de
+Praga, est terminé; c'est un pont de bateaux. On fait au faubourg de
+Praga un camp retranché; le général du génie Chasseloup dirige en chef
+ces travaux.
+
+Le 10, le maréchal Augereau a passé la Vistule entre Zakroczym et
+Utrata. Ses détachemens travaillent sur la rive droite à se couvrir par
+des retranchemens. Les Russes paraissent avoir des forces à Pultusk.
+
+Le maréchal Bessières débouche de Thorn avec le second corps de la
+réserve de cavalerie, composé de la division de cavalerie légère du
+général Tilly, des dragons des généraux Grouchy et Sahuc, et des
+cuirassiers du général d'Hautpoult.
+
+MM. de Lucchesini et de Zastrow, plénipotentiaires du roi de Prusse, ont
+passé le 10 à Thorn pour se rendre à Koenigsberg auprès de leur maître.
+
+Un bataillon prussien de Klock a déserté tout entier du village de Brok.
+Il s'est dirigé par différens chemins sur nos postes. Il est composé en
+partie de Prussiens et de Polonais. Tous sont indignés du traitement
+qu'ils reçoivent des Russes. «Notre prince nous a vendus aux Russes,
+disent-ils; nous ne voulons point aller avec eux.»
+
+L'ennemi a brûlé les beaux faubourgs de Breslaw, beaucoup de femmes
+et d'enfans ont péri dans cet incendie. Le prince Jérôme a donné des
+secours à ces malheureux habitans. L'humanité l'a emporté sur les lois
+de la guerre qui ordonnent de repousser dans une place assiégée les
+bouches inutiles que l'ennemi veut en éloigner. Le bombardement était
+commencé.
+
+Le général Gouvion est nommé gouverneur de Varsovie.
+
+
+
+Posen, le 15 décembre 1806.
+
+_Quarante-deuxième bulletin de la grande armée._
+
+Le pont sur la Narew, à son embouchure dans le Bug, est terminé. La tête
+de pont est finie et armée de canons.
+
+Le pont sur la Vistule, entre Zakroczym et Utrata, auprès de
+l'embouchure du Bug, est également terminé. La tête de pont, armée d'un
+grand nombre de batteries, est un ouvrage très-redoutable.
+
+Les armées russes viennent sur la direction de Grodno et sur celle de
+Bielk, en longeant la Narew et le Bug. Le quartier-général d'une de
+leurs divisions, était le 10 à Pultusk sur la Narew.
+
+Le général Dulauloi est nommé gouverneur de Thorn.
+
+Le huitième corps de la grande armée, que commande le maréchal Mortier,
+s'avance; il a sa droite à Stettin, sa gauche à Rostock, et son
+quartier-général à Anklain. Les grenadiers de la réserve du général
+Oudinot arrivent à Custrin.
+
+La division des cuirassiers, nouvellement formée sous le commandement
+du général Espagne, arrive à Berlin. La division italienne du général
+Lecchi se réunit à Magdebourg.
+
+Le corps du grand-duc de Bade est à Stettin; sous quinze jours il
+pourra entrer en ligne. Le prince héréditaire a constamment suivi le
+quartier-général, et s'est trouvé à toutes les affaires.
+
+Le division polonaise de Zayonschek, qui a été organisée à Haguenau, et
+qui est forte de six mille hommes, est à Leipsick, pour y former son
+habillement.
+
+S.M. a ordonné de lever dans les états prussiens au-delà de l'Elbe, un
+régiment qui se réunira à Munster. Le prince de Hohenzollern-Sigmaringen
+est nommé colonel de ce corps.
+
+Une division de l'armée de réserve du général Kellermann est partie de
+Mayence. La tête de cette division est déjà arrivée à Magdebourg.
+
+La paix avec l'électeur de Saxe et le duc de Saxe-Weimar a été signée à
+Posen.
+
+Tous les princes de Saxe ont été admis dans la confédération du Rhin.
+
+S.M. a désapprouvé la levée des contributions frappées sur les Etats de
+Saxe-Gotha et Saxe-Meinungen, et a ordonné de restituer ce qui a été
+perçu. Ces princes n'ayant point été en guerre avec la France, et
+n'ayant point fourni de contingent à la Prusse, ne devaient point être
+sujets à des contributions de guerre.
+
+L'armée a pris possession du pays de Mecklembourg. C'est une suite du
+traité signé à Schwerin le 25 octobre 1805. Par ce traité, le prince de
+Mecklembourg avait accordé passage sur son territoire aux troupes russes
+commandées par le général Tolstoy.
+
+La saison étonne les habitans de la Pologne. Il ne gèle point. Le soleil
+parait tous les jours, et il fait encore un temps d'automne.
+
+L'empereur part cette nuit pour Varsovie.
+
+
+
+Kutno, le 17 décembre 1806.
+
+_Quarante-troisième bulletin de la grande armée._
+
+L'empereur est arrivé à Kutno à une heure après midi, ayant voyagé toute
+la nuit dans des calèches du pays, le dégel ne permettant pas de se
+servir de voitures ordinaires. La calèche dans laquelle se trouvait le
+grand-maréchal du palais, Duroc, a versé. Cet officier a été grièvement
+blessé à l'épaule, sans cependant aucune espèce de danger. Cela
+l'obligera à garder le lit huit à dix jours.
+
+Les têtes de pont de Prag, de Zakroczym, de la Narew et de Thorn,
+acquièrent tous les jours un nouveau degré de force.
+
+L'empereur sera demain à Varsovie.
+
+La Vistule étant extrêmement large, les ponts ont partout trois à quatre
+cents toises; ce qui est un travail très-considérable.
+
+
+
+Varsovie, le 21 décembre 1806.
+
+_Quarante-quatrièmes bulletin de la grande armée._
+
+L'empereur a visité hier les travaux de Prag. Huit belles redoutes
+palissadées et fraisées, ferment une enceinte de quinze mille toises, et
+trois fronts bastionnés de six cents toises de développement, forment le
+réduit d'un camp retranché.
+
+La Vistule est une des plus grandes rivières qui existent.
+
+Le Bug, qui est comparativement beaucoup plus petit, est cependant
+beaucoup plus fort que la Seine. Le pont sur ce dernier fleuve est
+entièrement terminé. Le général Gauthier, avec les vingt-cinquième et
+quatre-vingt-cinquième régimens d'infanterie, occupe la tête du pont,
+que le général Chasseloup a fait fortifier avec intelligence; de manière
+que cette tête de pont, qui n'a cependant que quatre cents toises de
+développement, se trouvant appuyée à des marais et à la rivière, entoure
+un camp retranché qui peut renfermer, sur la rive droite, toute une
+armée à l'abri de toute attaque de l'ennemi. Une brigade de cavalerie
+légère de la réserve a tous les jours de petites escarmouches avec la
+cavalerie russe.
+
+Le 18, le maréchal Davoust sentit la nécessité, pour rendre son camp
+sur la rive droite meilleur, de s'emparer d'une petite île située à
+l'embouchure de la Wrka. L'ennemi reconnut l'importance de ce poste.
+Une vive fusillade d'avant-garde s'engagea, mais la victoire et l'île,
+restèrent aux Français. Notre perte a été de peu d'hommes blessés.
+L'officier de génie Clouet, jeune homme de la plus grande espérance, a
+eu une balle dans la poitrine. Le 19, un régiment de cosaques, soutenu
+par des hussards russes, essaya d'enlever la grand'garde de la brigade
+de cavalerie légère placée en avant de la tête du pont du Bug; mais la
+grand'garde s'était placée de manière à être à l'abri d'une surprise. Le
+1er d'hussards sonna à cheval. Le colonel se précipita à la tête d'un
+escadron, et le treizième s'avança pour le soutenir. L'ennemi fut
+culbuté. Nous avons eu dans cette petite affaire trois ou quatre hommes
+blessés, mais le colonel des cosaques a été tué. Une trentaine d'hommes
+et vingt-cinq chevaux sont restés en notre pouvoir. Il n'y a rien de si
+lâche et de si misérable que les cosaques; c'est la honte de la nature
+humaine. Ils passent le Bug et violent chaque jour la neutralité de
+l'Autriche, pour piller une maison en Galicie, ou pour se faire donner
+un verre d'eau-de-vie, dont ils sont très-friands; mais notre cavalerie
+légère est familiarisée, depuis la dernière campagne, avec la manière
+de combattre ces misérables, qui peuvent arrêter par leur nombre et
+le tintamarre qu'ils font en chargeant, des troupes qui n'ont pas
+l'habitude de les voir, mais, quand on les connaît, deux mille de ces
+malheureux ne sont pas capables de charger un escadron qui les attend de
+pied ferme.
+
+Le maréchal Augereau a passé la Vistule à Utrata. Le général Lapisse est
+entré à Plousk, et en a chassé l'ennemi.
+
+Le maréchal Soult a passé la Vistule à Vizogrod.
+
+Le maréchal Bessières est arrivé le 18 à Kikol avec le second corps
+de réserve de cavalerie. La tête est arrivée à Siepez, Différentes
+rencontres de cavalerie avaient eu lieu avec des hussards prussiens,
+dont bon nombre a été pris. La rive droite de la Vistule se trouve
+entièrement nettoyée.
+
+Le maréchal Ney, avec son corps d'armée, appuie le maréchal Bessières.
+Il était arrivé le 18 à Rypin. Il avait lui-même sa droite appuyée par
+le maréchal prince de Ponte-Corvo.
+
+Tout se trouve donc en mouvement. Si l'ennemi persiste à rester dans sa
+position, il y aura une bataille dans peu de jours. Avec l'aide de Dieu,
+l'issue n'en peut être incertaine. L'armée russe est commandée par le
+maréchal Kamenskoy, vieillard de soixante-quinze ans. Il a sous lui les
+généraux Benigsen et Buxhowden.
+
+Le général Michelson est décidèrent entré en Moldavie. Des rapports
+assurent qu'il est entré le 29 novembre à Yassi. On assuré même qu'un de
+ses généraux a pris d'assaut Bender, et a tout passé au fil de l'épée.
+Voilà donc une guerre déclarée à la Porte sans prétexte ni raison; mais
+on avait jugé à Saint-Pétersbourg que le moment où la France et
+la Prusse, les deux puissances les plus intéressées à maintenir
+l'indépendance de la Turquie, étaient aux mains, devenait le moment
+favorable pour assujettir cette puissance. Les événemens d'un mois ont
+déconcerté ces calculs, et la Porte leur devra sa conservation.
+
+Le grand-duc de Berg est malade de la fièvre. Il va mieux. Le temps est
+doux comme à Paris au mois d'octobre, et humide, ce qui rend les chemins
+difficiles. On est parvenu à se procurer une assez grande quantité de
+vin pour soutenir la force du soldat.
+
+Le palais des rois de Pologne est beau et bien meublé. Il y a à Varsovie
+un grand nombre de beaux palais et de belles maisons. Nos hôpitaux y
+sont bien établis, ce qui n'est pas un petit avantage dans ce pays.
+L'ennemi paraît avoir beaucoup de malades; il a aussi beaucoup de
+déserteurs. On ne parle pas des Prussiens, car même des colonnes
+entières ont déserté pour ne pas être, sous les Russes, obligés de
+dévorer de continuels affronts.
+
+
+
+Haluski, le 27 décembre 1806.
+
+_Quarante-cinquième bulletin de la grande armée._
+
+Le général russe Benigsen commandait une armée que l'on évaluait à
+soixante mille hommes. Il avait d'abord le projet de couvrir Varsovie,
+mais la renommée des événemens qui s'étaient passés en Prusse lui porta
+conseil, et il prit le parti de se retirer sur la frontière russe. Sans
+presque aucun engagement, les armées françaises entrèrent dans Varsovie,
+passèrent la Vistule et occupèrent Prag. Sur ces entrefaites, le
+feld-maréchal Kaminski arriva à l'armée russe au moment même où la
+jonction du corps de Benigsen avec celai de Buxhowden, s'opérait.
+Il s'indignait de la marche rétrograde des Russes. Il crut qu'elle
+compromettait l'honneur des armes de sa nation, et il marcha en
+avant. La Prusse faisait instances sur instances, se plaignant qu'on
+l'abandonnait après lui avoir promis de la soutenir, et disant que le
+chemin de Berlin n'était ni par Grodno, ni par Olita, ni par Brezsc; que
+ses sujets se désaffectionnaient; que l'habitude de voir le trône de
+Berlin occupé par des Français était dangereuse pour elle et favorable à
+l'ennemi. Non-seulement le mouvement rétrograde des Russes cessa, mais
+ils se reportèrent en avant. Le 5 décembre, le général Benigsen rétablit
+son quartier-général à Pultusk. Les ordres étaient d'empêcher les
+Français de passer la Narew, de reprendre Prag, et d'occuper la Vistule
+jusqu'au moment où l'on pourrait effectuer des opérations offensives
+d'une plus grande importance.
+
+La réunion, des généraux Kaminski, Buxhowden et Benigsen, fut célébrée
+au château de Sierock par des réjouissances et des illuminations, qui
+furent aperçues du haut des tours de Varsovie.
+
+Cependant, au moment même où l'ennemi s'encourageait par des fêtes, la
+Narew se passait; huit cents Français jetés de l'autre côté de cette
+rivière, à l'embouchure de la Wrka, s'y retranchèrent cette même nuit;
+et lorsque l'ennemi se présenta le matin pour, les rejeter dans la
+rivière, il n'était plus temps; ils se trouvaient à l'abri de tout
+événement.
+
+Instruit de ce changement survenu dans les opérations de l'ennemi,
+l'empereur partit de Posen le 16. Au même moment, il avait mis en
+mouvement son armée. Tout ce qui revenait des discours des Russes
+faisait comprendre qu'ils voulaient reprendre l'offensive.
+
+Le maréchal Ney était depuis plusieurs jours maître de Thorn. Il réunit
+son corps d'armée à Gallup. Le maréchal Bessières, avec le deuxième
+corps de la cavalerie de la réserve, composé des divisions de dragons
+des généraux Sahuc et Grouchy, et de la division des cuirassiers
+d'Hautpoult, partit de Thorn pour se porter sur Biezan. Le maréchal
+prince de Ponte-Corvo partit avec son corps d'armée pour le soutenir.
+Le maréchal Soult passait la Vistule vis à vis de Plock, le maréchal
+Augereau la passait vis à vis de Zakroczym, où l'on travaillait à force
+à établir un pont. Celui de la Narew se poussait aussi vivement.
+
+Le 22, le pont de la Narew fut terminé. Toute la réserve de cavalerie
+passa sur-le-champ la Vistule à Prag, pour se rendre sur la Narew. Le
+maréchal Davoust y réunit tout son corps. Le 23, à une heure du matin,
+l'empereur partit de Varsovie, et passa la Narew à neuf heures. Après
+avoir reconnu l'Wrka et les retranchemens considérables qu'avait élevés
+l'ennemi, il fit jeter un pont au confluent de la Narew et de l'Wrka. Ce
+pont fut jeté en deux heures par les soins du général d'artillerie.
+
+_Combat de nuit de Czarnowo._
+
+La division Morand passa sur-le-champ pour aller s'emparer des
+retranchemens de l'ennemi près du village de Czarnowo. Le général de
+brigade Marulaz la soutenait avec sa cavalerie légère. La division de
+dragons du général Beaumont passa immédiatement après. La canonnade
+s'engagea à Czarnowo. Le maréchal Davoust fît passer le général Petit
+avec le douzième de ligne pour enlever les redoutes du pont. La nuit
+vint, on dut achever toutes les opérations au clair de la lune; et a
+deux heures du matin, l'objet que se proposait l'empereur fut rempli.
+Toutes les batteries du village de Czarnowo furent enlevées; celles du
+pont furent prises; quinze mille Hommes qui les défendaient furent mis
+en déroute, malgré leur vive résistance.
+
+Quelques prisonniers et six pièces de canon restèrent en notre pouvoir.
+Plusieurs généraux ennemis furent blesses. De notre côté, le général de
+brigade Boussard a été légèrement blessé. Nous avons eu peu de morts,
+mais près de deux cents blessés. Dans le même temps, à l'autre extrémité
+de la ligne d'opérations, le maréchal Ney culbutait les restes de
+l'armée prussienne, et les jetait dans les bois de Lauterburg, en leur
+faisant éprouver une perte notable. Le maréchal Bessières avait une
+brillante affaire de cavalerie, cernait trois escadrons de hussards
+qu'il faisait prisonniers, et enlevait plusieurs pièces de canon.
+
+_Combat de Nasielsk._
+
+Le 24, la réserve de cavalerie et le corps du maréchal Davoust
+se dirigèrent sur Nasielsk. L'empereur donna le commandement de
+l'avant-garde au général Rapp. Arrivé à une lieue de Nasielsk, on
+rencontra l'avant-garde ennemie.
+
+Le générai Lemarrois partit avec deux régimens de dragons, pour tourner
+un grand bois et cerner celle avant-garde. Ce mouvement, fut exécuté
+avec promptitude. Mais l'avant-garde ennemie, voyant l'armée française
+ne faire aucun mouvement pour avancer, soupçonna quelque projet et ne
+tint pas. Cependant il se fît quelques charges, dans l'une desquelles
+fut pris le major Ourvarow, aide-de-camp de l'empereur de Russie.
+Immédiatement après, un détachement arriva sur la petite ville de
+Nasielsk. La canonnade devint vive. La position de l'ennemi était bonne;
+il était retranché par des marais et des bois. Le maréchal Kaminski
+commandait lui-même. Il croyait pouvoir passer la nuit dans cette
+position, en attendant que d'autres colonnes vinssent le joindre. Vain
+calcul; il en fut chassé, et mené tambour battant pendant plusieurs
+lieues. Quelques généraux russes furent blessés, plusieurs colonels
+faits prisonniers, et plusieurs pièces de canon prises. Le colonel
+Beker, du huitième régiment de dragons, brave officier, a été blesse
+mortellement.
+
+_Passage de Wrka_
+
+Au même moment, le général Nansouty, avec la division Klein et une
+brigade de cavalerie légère, culbutait, en avant de Kursomb, les
+cosaques et la cavalerie ennemie, qui avait passé l'Wrka sur ce point,
+et traversait là cette rivière. Le septième corps d'armée, que commande
+le maréchal Augereau, effectuait son passage de l'Wrka à Kursomb, et
+culbutait les quinze mille hommes qui la défendaient. Le passage du pont
+fut brillant. Le quatorzième de ligne l'exécuta en colonnes serrées,
+pendant que le seizième d'infanterie légère établissait une vive
+fusillade sur la rive droite. A peine le quatorzième eut-il débouché
+du pont, qu'il essuya une charge de cavalerie, qu'il soutint avec
+l'intrépidité ordinaire à l'infanterie française; mais un malheureux
+lancier pénétra jusqu'à la tête du régiment, et vint percer d'un coup de
+lance le colonel qui tomba raide mort. C'était un brave soldat; il était
+digne de commander un si brave corps. Le feu à bout portant qu'exécuta
+son régiment, et qui mit la cavalerie ennemie dans le plus grand
+désordre, fut le premier des honneurs rendus à sa mémoire.
+
+Le 25, le troisième corps, que commande le maréchal Davoust, se porta à
+Tykoczyn, où s'était retiré l'ennemi. Le cinquième corps commandé par le
+maréchal Lannes, se dirigeait sur Pultusk, avec la division de dragons
+Beker.
+
+L'empereur se porta, avec la plus grande partie de la cavalerie de
+réserve, à Ciechanow.
+
+_Passage de la Sonna._
+
+Le général Gardanne, que l'empereur avait envoyé avec trente hommes de
+sa garde pour reconnaître les mouvemens de l'ennemi, rapporta qu'il
+passait la rivière de Sonna à Lopackzin, et se dirigeait sur Tykoczyn.
+
+Le grand-duc de Berg, qui était resté malade a Varsovie, n'avait
+pu résister à l'impatience de prendre part aux événemens qui se
+préparaient. Il partit de Varsovie et vint rejoindre l'empereur. Il prit
+deux escadrons des chasseurs de la garde pour observer les mouvemens de
+la colonne ennemie. Les brigades de cavalerie légère de la réserve, et
+les divisions Klein et Nansouty, pressèrent le pas pour le joindre.
+Arrivé au pont de Lopackzin, il trouva un régiment de hussards russes,
+qui le gardait. Ce régiment fut aussitôt chargé par les chasseurs de
+la garde, et culbuté dans la rivière, sans autre perte de la part des
+chasseurs, qu'un maréchal-des-logis blessé.
+
+Cependant la moitié de cette colonne n'avait pas encore passé; elle
+passait plus haut. Le grand-duc de Berg la fît charger par le colonel
+Dalhmann, à la tête des chasseurs de la garde, qui lui prit trois pièces
+de canon, après avoir mis plusieurs escadron en déroute.
+
+Tandis que la colonne que l'ennemi avait si imprudemment jetée sur la
+droite, cherchait à gagner la Narew, pour arriver à Tykoczyn, point de
+rendez-vous, Tykoczyn était occupé par le maréchal Davoust, qui y prit
+deux cents voitures de bagages et une grande quantité de traînards qu'on
+ramassa de tous côtés.
+
+Toutes les colonnes russes sont coupées, errantes à l'aventure, dans
+un désordre difficile à imaginer. Le général russe a fait la faute de
+cantonner son armée, ayant sur ses flancs l'armée française, séparée,
+il est vrai, par la Narew, mais ayant un pont sur cette rivière. Si
+la saison était belle, on pourrait prédire que l'armée russe ne se
+retirerait pas et serait perdue sans bataille; mais dans une saison où
+il fait nuit à quatre heures, et où il ne fait jour qu'a huit, l'ennemi
+qu'on poursuit a toutes les chances pour se sauver, surtout dans un pays
+difficile et coupé de bois. D'ailleurs, les chemins sont couverts de
+quatre pieds de boue, et le dégel continue. L'artillerie ne peut faire
+plus de deux lieues dans un jour. Il est donc à prévoir que l'ennemi se
+retirera de la position fâcheuse où il se trouve, mais il perdra toute
+son artillerie, toutes ses voitures, tous ses bagages.
+
+Voici quelle était, le 25 au soir, la position de l'armée française.
+
+La gauche, composée des corps du maréchal prince de Ponte-Corvo et des
+maréchaux Ney et Bessières, marchant de Biézon sur la route de Grodno;
+
+Le maréchal Soult arrivant a Ciechanow;
+
+Le maréchal Augereau marchant sur Golymin;
+
+Le maréchal Davoust entre Golymin et Pultusk;
+
+Le maréchal Lannes à Pultusk.
+
+Dans ces deux jours nous avons fait quinze à seize cents prisonniers,
+pris vingt-cinq à trente pièces de canon, trois drapeaux et un étendard.
+
+Le temps est extraordinaire ici; il fait plus chaud qu'au mois d'octobre
+à Paris, mais il pleut, et dans un pays où il n'y a pas de chaussées, on
+est constamment dans la boue.
+
+
+
+Golymin, le 28 décembre 1806.
+
+_Quarante-sixième bulletin de la grande armée._
+
+Le maréchal Ney, chargé de manoeuvrer pour détacher le
+lieutenant-général prussien Lestocq de l'Wrka, déborder et menacer ses
+communications, et pour le couper des Russes, a dirigé ses mouvemens
+avec son habileté et son intrépidité ordinaires. Le 23, la division
+Marchand se rendit à Gurzno, Le 24, l'ennemi a été poursuivi jusqu'à
+Kunsbroch. Le 25, l'arrière garde de l'ennemi a été entamée. Le 26,
+l'ennemi s'étant concentré à Soldan et Mlawa, le maréchal Ney résolut de
+marcher à lui et de l'attaquer. Les Prussiens occupaient Soldan avec
+six mille hommes d'infanterie et un millier d'hommes de cavalerie; ils
+comptaient, protégés par les marais et les obstacles qui environnent
+cette ville, être à l'abri de toute attaque. Tous ces obstacles ont été
+surmontés par les soixante-neuvième et soixante-seizième. L'ennemi s'est
+défendu dans toutes les rues, et a été repoussé partout à coups de
+baïonnette. Le gênerai Lestocq, voyant le petit nombre de troupes qui
+l'avaient attaqué, voulut reprendre la ville. Il fit quatre attaques
+successives pendant la nuit, dont aucune ne réussit. Il se retira à
+Niedenbourg: six pièces de canon, quelques drapeaux, un assez bon nombre
+de prisonniers, ont été le résultât du combat de Soldan. Le maréchal Ney
+se loue du général Wonderveid, qui a été blessé. Il fait une mention
+particulière du colonel Brun, du soixante-neuvième, qui s'est fait
+remarquer par sa bonne conduite. Le même jour, le cinquante-neuvième a
+passé sur Lauterburg.
+
+Pendant le combat de Soldan, le général Marchand, avec sa division,
+repoussait l'ennemi de Mlawa, où il eut un très-brillant combat.
+
+Le maréchal Bessières, avec le second corps de la réserve de cavalerie,
+avait occupé Biézun dès le 19. L'ennemi reconnaissant l'importance de
+cette position, et sentant que la gauche de l'armée française voulait
+séparer les Prussiens des Russes, tenta de reprendre ce poste; ce qui
+donna lieu au combat de Biézun. Le 23, à huit heures, il déboucha par
+plusieurs routes. Le maréchal Bessières avait placé les deux seules
+compagnies d'infanterie qu'il avait, près du pont. Voyant l'ennemi venir
+en très-grande force, il donna ordre au général Grouchy de déboucher
+avec sa division. L'ennemi était déjà maître du village de Karmidjeu, et
+y avait jeté un bataillon d'infanterie.
+
+Chargée par la division Grouchy, la ligne ennemie fut rompue. Cavalerie
+et infanterie prussienne, fortes de six mille hommes, ont été enfoncées
+et jetées dans les marais; cinq cents prisonniers, cinq pièces de canon,
+deux étendards, sont le résultat de cette charge. Le maréchal Bessières
+se loue beaucoup du général Grouchy, du général Rouget, et de son chef
+d'état-major le général Roussel. Le chef d'escadron Renié, du sixième
+régiment de dragons, s'est distingué. M. Launay, capitaine de la
+compagnie d'élite du même régiment, a été tué.
+
+M. Bourreau, aide-de-camp du maréchal Bessières, a été blessé. Notre
+perte est, du reste, peu considérable. Nous avons eu huit hommes tués et
+une vingtaine de blessés. Les deux étendards ont été pris par le dragon
+Plet, du sixième régiment de dragons, et par le fourrier Jeuffroy, du
+troisième régiment.
+
+S.M. désirant que le prince Jérôme eût occasion de s'instruire l'a fait
+appeler de Silésie. Ce prince a pris part à tous les combats qui ont eu
+lieu, et s'est trouvé souvent aux avant-postes.
+
+S.M. a été satisfaite de la conduite de l'artillerie, pour
+l'intelligence et l'intrépidité qu'elle a montrées devant l'ennemi, soit
+dans la construction des ponts, soit pour faire marcher l'artillerie au
+milieu des mauvais chemins.
+
+Le général Marulaz, commandant la cavalerie légère du troisième corps,
+le colonel Excelmans, du premier de chasseurs, et le général Petit, ont
+fait preuve d'intelligence et de bravoure.
+
+S.M. a recommandé que dans les relations officielles des différentes
+affaires, on fît connaître un grand nombre de traits qui méritent de
+passer à la postérité; car c'est pour elle, et pour vivre éternellement
+dans sa mémoire, que le soldat français affronte tous les dangers et
+toutes les fatigues.
+
+
+
+Pultusk, le 30 décembre 1806.
+
+_Quarante-septième bulletin de la grande armée._
+
+Le combat de Czarnowo, celui de Nasielsk, celui de Kursomb, le combat de
+cavalerie de Lopackzin, ont été suivis par les combats de Golymin et
+de Pultusk; et la retraite entière et précipitée des armées russes a
+terminé l'année et la campagne.
+
+_Combat de Pultusk._
+
+Le maréchal Lannes ne put arriver vis à vis Pultusk que le 26 au matin.
+Tout le corps de Benigsen s'y était réuni dans la nuit. Les divisions
+russes qui avaient été battues à Nasielsk, poursuivies par la troisième
+division du corps du maréchal Davoust, entrèrent dans le camp de Putulsk
+à deux heures après minuit. A dix heures le maréchal Lannes attaqua,
+ayant la division Suchet en première ligne, la division Gazan en seconde
+ligne, la division Gudin, du troisième corps d'armée, commandée par le
+général Daultanne, sur sa gauche. Le combat devint vif. Après différens
+engagemens, l'ennemi fut culbuté. Le dix-septième régiment d'infanterie
+légère et le trente-quatrième se couvrirent de gloire. Les généraux
+Vedel et Claparède ont été blessés. Le général Treillard, commandant la
+cavalerie légère du corps d'armée, le général Boussard, commandant une
+brigade de la division de dragons Beker, le colonel Barthelemy, du
+quinzième régiment de dragons, ont été blessés par la mitraille.
+L'aide-de-camp Voisin, du maréchal Lannes, et l'aide-de-camp Curial, du
+général Suchet, ont été tués l'un et l'autre avec gloire. Le maréchal
+Lannes a été touché d'une balle. Le cinquième corps d'armée a montré,
+dans cette circonstance, ce que peuvent des braves, et l'immense
+supériorité de l'infanterie française sur celle des autres nations. Le
+maréchal Lannes, quoique malade depuis huit jours, avait voulu suivre
+son corps d'armée. Le quatre-vingt-cinquième régiment a soutenu
+plusieurs charges de cavalerie ennemie avec sang-froid et succès.
+L'ennemi, dans la nuit, a battu en retraite et a gagné Ostrolenka.
+
+_Combat de Golymin._
+
+Pendant que le corps de Benigsen était à Pultusk, et y était battu,
+celui de Buxhowden se réunissait à Golymin, à midi. La division Panin,
+de ce corps, qui avait été attaquée la veille par le grand-duc de Berg,
+une autre division qui avait été battue à Nasielsk, arrivaient par
+différens chemins au camp de Golymin.
+
+Le maréchal Davoust, qui poursuivait l'ennemi depuis Nasielsk,
+l'atteignit, le chargea, et lui enleva un bois près du camp de Golymin.
+
+Dans le même temps, le maréchal Augereau arrivant de Golaczima, prenait
+l'ennemi en flanc. Le général de brigade Lapisse, avec le seizième
+d'infanterie légère, enlevait à la baïonnette un village qui servait de
+point d'appui à l'ennemi. La division Heudelet se déployait et marchait
+à lui. A trois heures après midi, le feu était des plus chauds. Le
+grand-duc de Berg fit exécuter avec le plus grand succès plusieurs
+charges, dans lesquelles la division de dragons Klein se distingua.
+Cependant la nuit arrivant trop tôt, le combat continua jusqu'à onze
+heures du soir. L'ennemi fit sa retraite en désordre, laissant son
+artillerie, ses bagages, presque tous ses sacs, et beaucoup de morts.
+Toutes les colonnes ennemies se retirèrent sur Ostrolenka.
+
+Le général Fenerolle, commandant une brigade de dragons, fut tué d'un
+boulet. L'intrépide général Rapp, aide-de-camp de l'empereur, a été
+blessé d'un coup de fusil, à la tête de sa division de dragons. Le
+colonel Sémélé, du brave vingt-quatrième de ligne, a été blessé. Le
+maréchal Augereau a eu un cheval tué sous lui.
+
+Cependant le maréchal Soult, avec son corps d'armée, était déjà arrivé
+à Molati, à deux lieues de Makow; mais les horribles boues, suite des
+pluies et du dégel, arrêtèrent sa marche et sauvèrent l'armée russe,
+dont pas un seul homme n'eût échappé sans cet accident. Les destins de
+l'armée de Benigsen et de celle de Buxhowden devaient se terminer en
+deçà de la petite rivière d'Orcye; mais tous les mouvemens ont été
+contrariés par l'effet du dégel, au point que l'artillerie a mis jusqu'à
+deux jours pour faire trois lieues. Toutefois, l'armée russe a perdu
+quatre-vingt pièces de canon, tous ses caissons, plus de douze cents
+voitures de bagages, et douze mille hommes tués, blessés ou faits
+prisonniers. Les mouvemens des colonnes françaises et russes seront un
+objet de vive curiosité pour les militaires, lorsqu'ils seront tracés
+sur la carte. On y verra à combien peu il a tenu que toute cette armée
+ne fût prise et anéantie en peu de jours, et cela, par l'effet d'une
+seule faute du général russe.
+
+Nous avons perdu huit cents hommes tués, et nous avons eu deux mille
+blessés. Maître d'une grande partie de l'artillerie ennemie, de toutes
+les positions ennemies, ayant repoussé l'ennemi à plus de quarante
+lieues, l'empereur a mis son armée en quartiers d'hiver.
+
+Avant cette expédition, les officiers russes disaient qu'ils avaient
+cent cinquante mille hommes: aujourd'hui ils prétendent n'en avoir eu
+que la moitié. Qui croire, des officiers russes avant la bataille, ou
+des officiers russes après la bataille?
+
+La Perse et la Porte ont déclaré la guerre à la Russie. Michelson
+attaque la Porte. Ces deux grands empires, voisins de la Russie, sont
+tourmentés par la politique fallacieuse du cabinet de Saint-Pétersbourg,
+qui agit depuis dix ans chez eux comme elle a fait pendant cinquante ans
+en Pologne.
+
+M. Philippe Ségur, maréchal-des-logis de la maison de l'empereur, se
+rendant à Nasielsk, est tombé dans une embuscade de cosaques, qui
+s'étaient placés dans une maison de bois qui se trouve derrière
+Nasielsk. Il en a tué deux de sa main, mais il a été fait prisonnier.
+
+L'empereur l'a fait réclamer; mais le général russe l'avait sur-le-champ
+dirigé sur Saint-Pétersbourg.
+
+
+
+De notre camp impérial de Pultusk, le 31 décembre 1806.
+
+«M. l'archevêque (ou évêque), les nouveaux succès que nos armées ont
+remportés sur les bords du Bug et de la Narew, où, en cinq jours
+de temps, elles ont mis en déroute l'armée russe, avec période son
+artillerie, de ses bagages et d'un grand nombre de prisonniers, en les
+obligeant à évacuer toutes les positions importantes où elle s'était
+retranchée, nous portent à désirer que notre peuple adresse des
+remercîmens au ciel, pour qu'il continue à nous être favorable, et pour
+que le Dieu des armées seconde nos justes entreprises, qui ont pour but
+de donner enfin, à nos peuples, une paix stable et solide, que ne puisse
+troubler le génie du mal. Cette lettre n'étant pas à autre fin, nous
+prions Dieu, M. l'archevêque (ou évêque), qu'il vous ait en sa sainte
+garde.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Varsovie, le 3 janvier 1807.
+
+_Quarante-huitième bulletin de la grande armée._
+
+Le général Corbineau, aide-de-camp de l'empereur, est parti de Pultusk
+avec trois régiments de cavalerie légère, pour se mettre à la poursuite
+de l'ennemi. Il est arrivé le 1er janvier à Ostrowiec, après avoir
+occupé Brock. Il a ramassé quatre cents prisonniers, plusieurs officiers
+et plusieurs voitures de bagages.
+
+Le maréchal Soult, ayant sous ses ordres les trois brigades de cavalerie
+légère de la division Lasalle, borde la petite rivière d'Orcye, pour
+mettre à couvert les cantonnemens de l'armée. Le maréchal Ney, le
+maréchal prince de Ponte-Corvo et le maréchal Bessières ont leurs
+troupes cantonnées sur la gauche. Les corps d'armée des maréchaux Soult,
+Davoust et Lannes, occupent Pultusk et les bords du Bug.
+
+L'armée ennemie continue son mouvement de retraite.
+
+L'empereur est arrivé le 2 janvier à Varsovie, à deux heures après midi.
+
+Il a gelé et neigé pendant deux jours, mais déjà le dégel recommence,
+et les chemins, qui paraissaient s'améliorer sont devenus aussi mauvais
+qu'auparavant.
+
+Le prince Borghèse a été constamment à la tête du premier régiment des
+carabiniers, qu'il commande. Les braves carabiniers et cuirassiers
+brûlaient d'en venir aux mains avec l'ennemi; mais les divisions de
+dragons qui marchaient en avant ayant tout enfoncé, ne les ont pas mis
+dans le cas de fournir une charge.
+
+S.M. a nommé le général Lariboissière général de division, et lui a
+donné le commandement de l'artillerie de sa garde. C'est un officier du
+plus rare mérite.
+
+Les troupes du grand-duc de Wurtzbourg forment la garnison de Berlin.
+Elles sont composées de deux régimens qui se font distinguer par leur
+belle tenue.
+
+Le corps du prince Jérôme assiége toujours Breslaw. Cette belle ville
+est réduite en cendres. L'attente des événemens, et l'espérance qu'elle
+avait d'être secourue par les Russes, l'ont empêchée de se rendre; mais
+le siége avance. Les troupes bavaroises et wurtembergeoises ont mérité
+les éloges du prince Jérôme et l'estime de l'armée française.
+
+Le commandant de la Silésie avait réuni les garnisons des places qui ne
+sont pas bloquées et en avait formé un corps de huit mille hommes, avec
+lequel il s'était mis en marche pour inquiéter le siége de Breslaw.
+Le général Hédouville, chef de l'état-major du prince Jérôme, a
+fait marcher contre ce corps le général Montbrun, commandant les
+Wurtembergeois, et le général Minucci, commandant les Bavarois. Ils ont
+atteint les Prussiens à Strehlen, les ont mis dans une grande déroute,
+et leur ont pris quatre cents hommes, six cents chevaux, et des convois
+considérables de subsistances que l'ennemi avait le projet de jeter
+dans la place. Le major Erschet, à la tête de cent cinquante hommes
+des chevau-légers de Linange, a chargé deux escadrons prussiens, les a
+rompus, et leur a fait trente-six prisonniers.
+
+S.M. a ordonné qu'une partie des drapeaux pris au siége de Glogau fût
+envoyée au roi de Wurtemberg, dont les troupes se sont emparées de cette
+place. S.M., voulant aussi reconnaître la bonne conduite de ces troupes,
+a accordé au corps de Wurtemberg dix décorations de la Légion d'Honneur.
+
+Une députation du royaume d'Italie, composée de MM. Prima, ministre des
+finances, et homme d'un grand mérite; Renier, podestat de Venise,
+et Guasta Villani, conseiller-d'état, a été présentée aujourd'hui à
+l'empereur.
+
+S.M. a reçu le même jour toutes les autorités du pays, et les différens
+ministres étrangers qui se trouvent à Varsovie.
+
+
+
+Varsovie, le 8 janvier 1807.
+
+_Quarante-neuvième bulletin de la grande armée._
+
+Breslaw s'est rendu. On n'a pas encore la capitulation au
+quartier-général. On n'a pas non plus l'état des magasins de
+subsistances, d'habillement et d'artillerie. On sait cependant qu'ils
+sont très-considérables. Le prince Jérôme a dû faire son entrée dans la
+place. Il va assiéger Brieg, Schweidnitz et Kosel.
+
+Le général Victor, commandant le dixième corps d'armée, s'est mis en
+marche pour aller faire le siége de Colberg et de Dantzick, et prendre
+ces places pendant le reste de l'hiver.
+
+M. de Zastrow, aide-de-camp du roi de Prusse, homme sage et modéré, qui
+avait signé l'armistice que son maître n'a pas ratifié, a cependant
+été chargé, à son arrivée à Koenigsberg, du porte-feuille des affaires
+étrangères.
+
+Notre cavalerie légère n'est pas loin de Koenigsberg.
+
+L'armée russe continue son mouvement sur Grodno. On apprend que dans
+les dernières affaires elle a eu un grand nombre de généraux tués et
+blessés. Elle montre assez de mécontentement soldats disent que si l'on
+avait jugé leur armée assez forte pour se mesurer avec avantage contre
+les Français, l'empereur, sa garde, la garnison de Saint-Pétersbourg et
+les généraux de la cour, auraient été conduits à l'armée par cette même
+sécurité qui les y amena l'année dernière; que si, au contraire, les
+événemens d'Austerlitz et ceux d'Jéna ont fait penser que les Russes ne
+pouvaient pas obtenir des succès contre l'armée française, il ne fallait
+pas s'engager dans une lutte inégale. Ils disent aussi: L'empereur
+Alexandre a compromis notre gloire. Nous avions toujours été vainqueurs;
+nous avions établi et partagé l'opinion que nous étions invincibles. Les
+choses sont bien changées. Depuis deux ans on nous fait promener des
+frontières de la Pologne en Autriche, de Dniester à la Vistule, et
+tomber partout dans les piéges de l'ennemi. Il est difficile de ne pas
+s'apercevoir que tout cela est mal dirigé.
+
+Le général Michelson est toujours en Moldavie. On n'a pas de nouvelles
+qu'il se soit porté contre l'armée turque qui occupe Bucharest et la
+Valachie. Les faits d'armes de cette guerre se bornent jusqu'à présent à
+l'investissement de Choczym et de Bender. De grands mouvemens ont lieu
+dans toute la Turquie pour repousser une aussi injuste agression.
+
+Le général baron de Vincent est arrivé de Vienne à Varsovie, porteur de
+lettres de l'empereur d'Autriche pour l'empereur Napoléon.
+
+Il était tombé beaucoup de neige, et il avait gelé pendant trois
+jours. L'usage des traîneaux avait donné une grande rapidité aux
+communications, mais le dégel vient de recommencer. Les Polonais
+prétendent qu'un pareil hiver est sans exemple dans ce pays-ci. La
+température est effectivement plus douce qu'elle ne l'est ordinairement
+à Paris dans cette saison.
+
+
+
+Varsovie, le 13 janvier 1807.
+
+_Cinquantième bulletin de la grande armée._
+
+Les troupes françaises ont trouvé à Ostrolenka quelques malades russes
+que l'ennemi n'avait pu transporter. Indépendamment des pertes de
+l'armée russe en tués et en blessés, elle en éprouve encore de
+très-considérables par les maladies, qui se multiplient chaque jour.
+
+La plus grande désunion s'est établie entre les généraux Kaminski,
+Benigsen et Buxhowden.
+
+Tout le territoire de la Pologne prussienne se trouve actuellement
+évacué par l'ennemi.
+
+Le roi de Prusse a quitté Koenigsberg, et s'est réfugié à Memel.
+
+La Vistule, la Narew et le Bug, avaient, pendant quelques jours charrié
+des glaçons; mais le temps s'est ensuite radouci, et tout annonce que
+l'hiver sera moins rude à Varsovie qu'il ne l'est ordinairement à Paris.
+
+Le 8 janvier, la garnison de Breslaw, forte de cinq mille cinq cents
+hommes, a défilé devant le prince Jérôme. La ville a beaucoup souffert.
+Dès les premiers momens où elle a été investie, le gouverneur prussien
+avait fait brûler ses trois faubourgs. La place ayant été assiégée en
+règle, on était déjà à la brèche lorsqu'elle s'est rendue. Les Bavarois
+et les Wurtembergeois se sont distingués par leur intelligence et leur
+bravoure. Le prince Jérôme investit dans ce moment et assiége à la fois
+toutes les autres places de la Silésie. Il est probable qu'elles ne
+feront pas une longue résistance.
+
+Le corps de dix mille hommes que le prince de Pless avait composé de
+tout ce qui était dans les garnisons des places, a été mis en pièces
+dans les combats du 29 et du 30 décembre.
+
+Le général Montbrun, avec la cavalerie wurtembergeoise, fut à la
+rencontre du prince de Pless vers Ohlau, qu'il occupa le 28 au soir. Le
+lendemain, à cinq heures du matin, le prince de Pless le fit attaquer.
+Le général Montbrun, profitant d'une position défavorable où se trouvait
+l'infanterie ennemie, fit un mouvement sur sa gauche, la tourna, lui tua
+beaucoup de monde, lui prit sept cents hommes, quatre pièces de canon et
+beaucoup de chevaux.
+
+Cependant, les principales forces du prince de Pless étaient derrière la
+Neisse, où il les avait rassemblées après le combat de Strehlen. Parti
+de Schurgaft, et marchant jour et nuit, il s'avança jusqu'au bivouac de
+la brigade wurtembergeoise, placé en arrière de d'Hubé sous Breslaw. A
+huit heures du matin, il attaqua avec neuf mille hommes le village
+de Grietern, occupé par deux bataillons d'infanterie et par les
+chevau-légers de Linange, sous les ordres de l'adjudant-commandant
+Duveyrier; mais il fut reçu vigoureusement et forcé à une retraite
+précipitée. Les généraux Montbrun et Minucci, qui revenaient d'Hobleau,
+eurent aussitôt l'ordre de marcher sur Schweidnitz, pour couper la
+retraite à l'ennemi; mais le prince de Pless s'empressa de disperser
+toutes ses troupes, et les fit rentrer par détachemens dans les places,
+en abandonnant dans sa fuite une partie de son artillerie, beaucoup de
+bagages et des chevaux. Il a, de plus, perdu dans cette affaire beaucoup
+d'hommes tués et huit cents prisonniers.
+
+S. M. a ordonné de témoigner sa satisfaction aux troupes bavaroises et
+wurtembergeoises.
+
+Le maréchal Mortier entre dans la Poméranie suédoise.
+
+Des lettres arrivées de Bucharest donnent des détails sur les
+préparatifs de guerre de Barayctar et du pacha de Widdin. Au 20
+décembre, l'avant-garde de l'armée turque, forte de quinze mille hommes,
+était sur les frontières de la Valachie et de la Moldavie. Le prince
+Dolgoroucki s'y trouvait aussi avec ses troupes. Ainsi l'on était en
+présence. En passant à Bucharest, les officiers turcs paraissaient fort
+animés; ils disaient à un officier français qui se trouvait dans
+cette ville: «Les Français verront de quoi nous sommes capables. Nous
+formerons la droite de l'armée de Pologne; nous nous montrerons digne
+d'être loués par l'empereur Napoléon.»
+
+Tout est en mouvement dans ce vaste empire: les scheicks et les ulhemas
+donnent l'impulsion, et tout le monde court aux armes pour repousser la
+plus injuste des agressions.
+
+M. Italinski n'a évité jusqu'à présent d'être mis aux Sept-Tours, qu'en
+promettant qu'au retour de son courrier les Russes auraient l'ordre
+d'abandonner la Moldavie, et de rendre Choczim et Bender.
+
+Les Serviens, que les Russes ne désavouent plus pour alliés, se sont
+emparés d'une île du Danube qui appartient à l'Autriche, et d'où
+ils canonnent Belgrade. Le gouvernement autrichien a ordonné de la
+reprendre.
+
+L'Autriche et la France sont également intéressées à ne pas voir la
+Moldavie, la Valachie, la Servie, la Grèce, la Romélie, la Natolie,
+devenir le jouet de l'ambition des Moscovites.
+
+L'intérêt de l'Angleterre dans cette contestation est au moins
+aussi évident que celui de la France et de l'Autriche, mais le
+reconnaîtra-t-elle? Imposera-t-elle silence à la haine qui dirige son
+cabinet? Écoutera-t-elle les leçons de la politique et de l'expérience?
+Si elle ferme les yeux sur l'avenir, si elle ne vit qu'au jour le jour,
+si elle n'écoute que sa jalousie contre la France, elle déclarera
+peut-être la guerre à la Porte; elle se fera l'auxiliaire de
+l'insatiable ambition des Russes; elle creusera elle même un abîme dont
+elle ne reconnaîtra la profondeur qu'en y tombant.
+
+
+
+Varsovie, le 14 janvier 1807.
+
+_Cinquante-unième bulletin de la grande armée._
+
+Le 29 décembre, une dépêche du général Benigsen parvint à Koenigsberg,
+au roi de Prusse. Elle fut sur-le-champ publiée et placardée dans toute
+la ville, où elle excita les transports de la plus vive joie. Le roi
+reçut publiquement des complimens, mais le 31 au soir, on apprit, par
+des officiers prussiens et par d'autres relations du pays, le véritable
+état des choses. La tristesse et la consternation furent alors d'autant
+plus grandes, qu'on s'était plus entièrement livré à l'allégresse. On
+songea dès-lors à évacuer Koenigsberg, et l'on en fit sur-le-champ
+tous les préparatifs. Le trésor et les effets les plus précieux furent
+aussitôt dirigés sur Memel. La reine, qui était assez malade, s'embarqua
+le 3 janvier pour cette ville. Le roi partit le 6 pour s'y rendre. Les
+débris de la division du général Lestocq se replièrent aussi sur cette
+place, en laissant à Koenigsberg deux bataillons et une compagnie
+d'invalides.
+
+Le ministère du roi de Prusse est composé de la manière suivante:
+
+M. le général de Zastrow est nommé ministre des affaires étrangères;
+
+M. le général Ruchel, encore malade de la blessure qu'il a reçue à la
+bataille de Jéna, est nommé ministre de la guerre;
+
+M. le président de Sagebarthe est nommé ministre de l'intérieur.
+
+Voici en quoi consistent maintenant les forces de la monarchie
+prussienne:
+
+Le roi est accompagné par quinze cents hommes de troupes, tant à pied
+qu'à cheval.
+
+Le général Lestocq a à-peu-près cinq mille hommes, y compris les deux
+bataillons laissés à Koenigsberg avec la compagnie d'invalides;
+
+Le lieutenant-général Hamberg commande à Dantzick, où il a six mille
+hommes de garnison. Les habitans ont été désarmés. On leur a intimé
+qu'en cas d'alerte, les troupes feront feu sur tous ceux qui sortiront
+de leurs maisons.
+
+Le général Gutadon commande à Colberg avec dix-huit cents hommes.
+
+Le lieutenant-général Courbière est à Graudentz avec trois mille hommes.
+
+Les troupes françaises sont en mouvement pour cerner et assiéger ces
+places.
+
+Un certain nombre de recrues que le roi de Prusse avait fait réunir, et
+qui n'étaient ni habillées ni armées, ont été licenciées, parce qu'il
+n'y avait plus de moyen de les contenir.
+
+Deux ou trois officiers anglais étaient à Koenigsberg, et faisaient
+espérer l'arrivée d'une armée anglaise.
+
+Le prince de Pless a en Silésie douze ou quinze cents hommes enfermés
+dans les places de Brieg, Neisse, Schweidnitz et Kosel, que le prince
+Jérôme a fait investir.
+
+Nous ne dirons rien de la ridicule dépêche du général Benigsen;
+nous remarquerons seulement qu'elle paraît contenir quelque chose
+d'inconcevable. Ce général semble accuser son collègue le général
+Buxhowden; il dit qu'il était à Makow. Comment pouvait-il ignorer que le
+général Buxhowden était allé jusqu'à Golymin, où il avait été battu? Il
+prétend avoir remporté une victoire, et cependant il était en pleine
+retraite à dix heures du soir, et cette retraite fut si précipitée,
+qu'il abandonna ses blessés. Qu'il nous montre une seule pièce de canon,
+un seul drapeau français, un seul prisonnier, hormis douze ou quinze
+hommes isolés qui peuvent avoir été pris par les cosaques sur les
+derrières de l'armée, tandis que nous pouvons lui montrer six mille
+prisonniers, deux drapeaux qu'il a perdus près de Pultusk, et trois
+mille blessés qu'il a abandonnés dans sa fuite. Il dit encore qu'il a eu
+contre lui le grand-duc de Berg et le maréchal Davoust, tandis qu'il
+n'a eu affaire qu'à la division Suchet, du corps du maréchal Lannes.
+Le dix-septième d'infanterie légère, le trente-quatrième de ligne, le
+soixante-quatrième et le quatre-vingt-huitième, sont les seuls régimens
+qui se soient battus contre lui. Il faut qu'il ait bien peu réfléchi
+sur la position de Pultusk, pour supposer que les Français voulaient
+s'emparer de cette ville. Elle est dominée à portée de pistolet.
+
+Si le général Buxhowden a fait de son côté une relation aussi véridique
+du combat de Golymin, il deviendra évident que l'armée française a été
+battue, et que, par suite de sa défaite, elle s'est emparée de cent
+pièces de canon et de seize cents voitures de bagages, de tous les
+hôpitaux de l'armée russe, de tous ses blessés, et des importantes
+positions de Sieroch, de Pultusk, d'Ostrolenka, et qu'elle a obligé
+l'ennemi à reculer de quatre-vingt lieues.
+
+Quant à l'induction que le général Benigsen veut tirer de ce qu'il n'a
+pas été poursuivi, il suffira d'observer qu'on se serait bien gardé de
+le poursuivre, puisqu'il était débordé de deux journées, et que, sans
+les mauvais chemins, qui ont empêché le maréchal Soult de suivre ce
+mouvement, le général russe aurait trouvé les Français à Ostrolenka.
+
+Il ne reste plus qu'à chercher quel peut être le but d'une pareille
+relation. Il est le même, sans doute, que celui que se proposaient les
+Russes dans les relations qu'ils ont faites de la bataille d'Austerlitz.
+Il est le même, sans doute, que celui des ukases par lesquels l'empereur
+Alexandre refusait la grande décoration de l'ordre de Saint-Georges,
+parce que, disait-il, il n'avait pas commandé à cette bataille, et
+acceptait la petite décoration pour les succès qu'il y avait obtenus,
+quoique sous le commandement de l'empereur d'Autriche.
+
+Il y a cependant un point de vue sous lequel la relation du général
+Benigsen peut être justifiée. On a craint sans doute l'effet de la
+vérité dans les pays de la Pologne prussienne et de la Pologne russe,
+que l'ennemi avait à traverser, si elle y était parvenue avant qu'il
+eût pu mettre ses hôpitaux et ses détachemens isolés à l'abri de toute
+insulte.
+
+Ces relations, aussi évidemment ridicules, peuvent avoir encore pour les
+Russes l'avantage de retarder de quelques jours l'élan que des récits
+fidèles donneraient aux Turcs, et il est des circonstances où quelques
+jours sont un délai d'une certaine importance. Cependant l'expérience a
+prouvé que toutes ces ruses vont contre leur but, et qu'en toutes choses
+la simplicité et la vérité sont les meilleurs moyens de politique.
+
+
+
+Varsovie, le 19 janvier 1807.
+
+_Cinquante-deuxième bulletin de la grande armée._
+
+Le huitième corps de la grande armée, que commande le maréchal Mortier,
+a détaché un bataillon du deuxième régiment d'infanterie légère sur
+Wollin. Trois compagnies de ce bataillon y étaient à peine arrivées,
+qu'elles furent attaquées avant le jour par un détachement de mille
+hommes d'infanterie, avec cent cinquante chevaux et quatre pièces de
+canon. Ce détachement venait de Colberg, dont la garnison étend ses
+courses jusque-là. Les trois compagnies d'infanterie légère française ne
+s'étonnèrent point du nombre de leurs ennemis et lui enlevèrent un pont
+et ses quatre pièces de canon, et lui firent cent prisonniers; le reste
+prit la fuite, en laissant beaucoup de morts dans la ville de Wollin,
+dont les rues sont jonchées de cadavres prussiens.
+
+La ville de Brieg, en Silésie, s'est rendue après un siége de cinq
+jours. La garnison est composée de trois généraux et de quatorze cents
+hommes.
+
+Le prince héréditaire de Bade a été dangereusement malade, mais il
+est rétabli. Les fatigues de la campagne, et les privations qu'il a
+supportées comme simple officier, ont beaucoup contribué à sa maladie.
+
+La Pologne, riche en blé, en avoine, en fourrages, en bestiaux,
+en pommes de terre, fournit abondamment à nos magasins. La seule
+manutention de Varsovie fait cent mille rations par jour, et nos dépôts
+se remplissent de biscuit. Tout était tellement désorganisé à notre
+arrivée, que pendant quelque temps les subsistances ont été difficiles.
+
+Il ne règne dans l'armée aucune maladie; cependant, pour la conservation
+de la santé du soldat, on désirerait un peu plus de froid. Jusqu'à
+présent, il s'est à peine fait sentir, et l'hiver est déjà fort avancé.
+Sous ce point de vue, l'année est fort extraordinaire.
+
+L'empereur fait tous les jours défiler la parade devant le palais de
+Varsovie, et passe successivement en revue les différens corps de
+l'armée, ainsi que les détachemens et les conscrits venant de France,
+auxquels les magasins de Varsovie distribuent des souliers et des
+capottes.
+
+
+
+Varsovie, le 22 janvier 1807.
+
+_Cinquante-troisième bulletin de la grande armée._
+
+On a trouvé à Brieg (qui vient de capituler) des magasins assez
+considérables de subsistances.
+
+Le prince Jérôme continue avec activité sa campagne de Silésie. Le
+lieutenant-général Deroi avait déjà cerné Kosel et ouvert la tranchée.
+Le siège de Schweidnitz et celui de Neisse se poursuivent en même temps.
+
+Le général Victor se rendant à Stettin, et étant en voiture avec son
+aide-de-camp et un domestique, a été enlevé par un parti de vingt-cinq
+hussards qui battaient le pays.
+
+Le temps est devenu froid. Il est probable que sous peu de jours les
+rivières seront gelées; cependant la saison n'est pas plus rigoureuse
+qu'elle ne l'est ordinairement à Paris. L'empereur fait défiler tous les
+jours la parade et passe en revue plusieurs régimens.
+
+Tous les magasins de l'armée s'organisent et s'approvisionnent. On fait
+du biscuit dans toutes les manutentions. L'empereur vient d'ordonner
+qu'on établît de grands magasins et qu'on confectionnât une quantité
+considérable d'habillemens dans la Silésie.
+
+Les Anglais, qui ne peuvent plus faire accroire que les Russes, les
+Tartares, les Calmoucks vont dévorer l'armée, française, parce que, même
+dans les cafés de Londres, on sait que ces dignes alliés ne soutiennent
+point l'aspect de nos baïonnettes, appellent aujourd'hui à leur secours
+la dysenterie, la peste et toutes les maladies épidémiques.
+
+Si ces fléaux étaient à la disposition du cabinet de Londres, point de
+doute que non-seulement notre armée, mais même nos provinces et toute
+la classe manufacturière du continent, ne devinssent leur proie. En
+attendant, les Anglais se contentent de publier et de faire publier,
+sous toute espèce de forme, par leurs nombreux émissaires, que l'armée
+française est détruite par les maladies. A les entendre, des bataillons
+entiers tombent comme ceux des Grecs au commencement du siége de Troie.
+Ils auraient là une manière toute commode de se défaire de leurs
+ennemis, mais il faut bien qu'ils y renoncent. Jamais l'armée ne s'est
+mieux portée; les blessés guérissent, et le nombre des morts est peu
+considérable. Il n'y a pas autant de malades que dans la campagne
+précédente; il y en a même moins qu'il n'y en aurait en France en temps
+de paix, suivant les calculs ordinaires. Varsovie, le 27 janvier 1807.
+
+
+
+_Cinquante-quatrième bulletin de la grande armée._
+
+Quatre-vingt-neuf pièces de canon prises sur les Russes sont rangées sur
+la place du palais de la République à Varsovie: ce sont celles qui ont
+été enlevées aux généraux Kaminski, Benigsen et Buxhowden, dans les
+combats de Czarnowo, Nazielsk, Pultusk et Golymin. Ce sont les mêmes que
+les Russes traînaient avec ostentation dans les rues de cette ville,
+lorsque naguère ils la traversaient pour aller au-devant des Français.
+Il est facile de comprendre l'effet que produit l'aspect d'un si
+magnifique trophée sur un peuple charmé de voir humiliés les ennemis qui
+l'ont si long-temps et si cruellement outragé.
+
+Il y a dans les pays occupés par l'armée plusieurs hôpitaux renfermant
+un grand nombre de Russes blessés et malades.
+
+Cinq mille prisonniers ont été évacués sur la France, deux mille se sont
+échappés dans les premiers momens du désordre; et quinze cents sont
+entrés dans les troupes polonaises.
+
+Ainsi, les combats livrés contre les Russes leur ont coûté une grande
+partie de leur artillerie, tous leurs bagages, et vingt-cinq ou trente
+mille hommes tant tués que blessés ou prisonniers.
+
+Le général Kaminski, qu'on avait dépeint comme un autre Suwarow, vient
+d'être disgracié; on dit qu'il en est de même du général Buxhowden,
+et il paraît que c'est le général Benigsen qui commande actuellement
+l'armée.
+
+Quelques bataillons d'infanterie légère du maréchal Ney s'étaient portés
+à vingt lieues en avant de leurs cantonnemens; l'armée russe en avait
+conçu des alarmes, et avait fait un mouvement sur sa droite: ces
+bataillons sont rentrés dans la ligne de leurs cantonnemens sans
+éprouver aucune perte.
+
+Pendant ce temps le prince de Ponte-Corvo prenait possession d'Elbing et
+des pays situés sur le bord de la Baltique.
+
+Le général de division Drouet entrait à Chrisbourg, où il faisait trois
+cents prisonniers du régiment de Courbières, y compris un major et
+plusieurs officiers.
+
+Le colonel Saint-Genez, du dix-neuvième de dragons, chargeait un autre
+régiment ennemi et lui faisait cinquante prisonniers, parmi lesquels
+était le colonel commandant.
+
+Une colonne russe s'était portée sur Liebstadt, au-delà de la petite
+rivière du Passarge, et avait enlevé une demi-compagnie de voltigeurs du
+huitième régiment de ligne, qui était aux avant-postes du cantonnement.
+
+Le prince de Ponte-Corvo, informé de ce mouvement, quitta Elbing, réunit
+ses troupes, se porta avec la division Rivaud au-devant de l'ennemi, et
+le rencontra auprès de Mohring.
+
+Le 25 de ce mois, à midi, la division ennemie paraissait forte de douze
+cents hommes; on en vint bientôt aux mains; le huitième régiment de
+ligne se précipita sur les Russes avec une valeur inexprimable, pour
+réparer la perte d'un de ses postes. Les ennemis furent battus, mis dans
+une déroute complète, poursuivis pendant quatre lieues, et forcés de
+repasser la rivière de Passarge. La division Dupont arriva au moment où
+le combat finissait, et ne put y prendre part.
+
+Un vieillard de cent-dix-sept ans a été présenté à l'empereur, qui lui a
+accordé une pension de cent napoléons, et a ordonné qu'une année lui fût
+payée d'avance. La notice jointe à ce bulletin, donne quelques détails
+sur cet homme extraordinaire.
+
+Le temps est fort beau, il ne fait froid qu'autant qu'il le faut pour
+la santé du soldat et pour l'amélioration des chemins, qui deviennent
+praticables.
+
+Sur la droite et sur le centre de l'armée, l'ennemi est éloigné de plus
+de trente lieues de nos postes.
+
+L'empereur est monté à cheval pour aller faire le tour de ses
+cantonnemens; il sera absent de Varsovie pendant huit ou dix jours.
+
+François-Ignace Narocki, né à Witki, près de Wilna, est fils de Joseph
+et Anne Narocki; il est d'une famille noble, et embrassa dans sa
+jeunesse le parti des armes. Il faisait partie de la confédération de
+Bar, fut fait prisonnier par les Russes et conduit à Kasan. Ayant perdu
+le peu de fortune qu'il avait, il se livra à l'agriculture, et fut
+employé comme fermier des biens d'un curé. Il se maria en premières
+noces à l'âge de soixante-dix ans, et eut quatre enfans de ce mariage. A
+quatre-vingt-six ans il épousa une seconde femme, et en eut six enfans,
+qui sont tous morts: il ne lui reste que le dernier fils de sa première
+femme. Le roi de Prusse, en considération de son grand âge, lui avait
+accordé une pension de vingt-quatre florins de Pologne par mois, faisant
+quatorze livres huit sous de France. Il n'est sujet à aucune infirmité,
+jouit encore d'une bonne mémoire, et parle la langue latine avec une
+extrême facilité; il cite les auteurs classiques avec esprit et à
+propos. La pétition dont la traduction est ci-jointe, est entièrement
+écrite de sa main. Le caractère en est très-ferme et très-lisible.
+
+
+_Pétition._
+
+Sire,
+
+Mon extrait baptistaire date de l'an 1690; donc j'ai à présent 117 ans.
+
+Je me rappelle encore la bataille de Vienne, et les temps de Jean
+Sobieski.
+
+Je croyais qu'ils ne se reproduiraient jamais, mais assurément je
+m'attendais encore moins à revoir le siècle d'Alexandre.
+
+Ma vieillesse m'a attiré les bienfaits de tous les souverains qui ont
+été ici, et je réclame ceux du grand Napoléon, étant à mon âge plus que
+séculaire, hors d'état de travailler. Vivez, sire, aussi long-temps que
+moi; votre gloire n'en a pas besoin, mais le bonheur du genre humain le
+demande.
+
+_Signé_ NAROCKI.
+
+
+
+Varsovie, le 29 janvier 1807.
+
+_Cinquante-cinquième bulletin de la grande armée,_
+
+Voici les détails du combat de Mohringen:
+
+Le maréchal prince de Ponte-Corvo arriva à Mohringen avec la division
+Drouet, le 25 de ce mois, à onze heures du matin, au moment où le
+général de brigade Pactod était attaqué par l'ennemi.
+
+Le maréchal prince de Ponte-Corvo fit attaquer sur-le-champ le village
+de Pfarresfeldehen par un bataillon du neuvième d'infanterie légère.
+Ce village était défendu par trois bataillons russes, que l'ennemi fit
+soutenir par trois autres bataillons. Le prince de Ponte-Corvo fit aussi
+marcher deux autres bataillons pour appuyer celui du neuvième. La mêlée
+fut très-vive. L'aigle du neuvième régiment d'infanterie légère fut
+enlevée par l'ennemi; mais à l'aspect de cet affront, dont ce brave
+régiment allait être couvert pour toujours, et que ni la victoire, ni la
+gloire acquise dans cent combats n'auraient lavé, les soldats, animés
+d'une ardeur inconcevable, se précipitent sur l'ennemi, le mettent en
+déroute et ressaisissent leur aigle.
+
+Cependant la ligne française, composée du huitième de ligne, du
+vingt-septième d'infanterie légère, et du quatre-vingt-quatorzième,
+était formée. Elle aborde la ligne russe, qui avait pris position sur un
+rideau. La fusillade devient vive et à bout portant.
+
+A l'instant même le général Dupont débouchait de la route d'Holland avec
+les trente-deuxième et quatre-vingt-seizième régimens, il tourna
+la droite de l'ennemi. Un bataillon du trente-deuxième régiment se
+précipita sur les Russes avec l'impétuosité ordinaire à ce corps; il les
+mit en désordre et leur tua beaucoup de monde. Il ne fit de prisonniers
+que les hommes qui étaient dans les maisons. L'ennemi a été poursuivi
+pendant deux lieues. La nuit a empêché de continuer la poursuite. Les
+comtes Fabien et Gallitzin commandaient les Russes. Ils ont perdu trois
+cents hommes faits prisonniers, mille deux cents hommes laissés sur le
+champ de bataille, et plusieurs obusiers. Nous avons eu cent hommes tués
+et quatre cents blessés.
+
+Le général de brigade Laplanche s'est fait distinguer. Le dix-neuvième
+de dragons a fait une belle charge sur l'infanterie russe. Ce qui est
+à remarquer, ce n'est pas seulement la bonne conduite des soldats et
+l'habileté des généraux, mais la rapidité avec laquelle les corps ont
+levé leurs cantonnemens, et fait une marche très-forte pour toutes
+autres troupes, sans qu'il manquât un seul homme sur le champ de
+bataille; voilà ce qui distingue éminemment des soldats qui ne sont mus
+que par l'honneur.
+
+Un Tartare vient d'arriver de Constantinople, d'où il est parti le 1er
+janvier. Il est expédié à Londres par la Porte.
+
+Le 30 décembre la guerre contre la Russie avait été solennellement
+proclamée. La pelisse et l'épée avaient été envoyées au grand-visir.
+Vingt-huit régimens de janissaires étaient partis de Constantinople.
+Plusieurs autres passaient d'Asie en Europe.
+
+L'ambassadeur de Russie, toutes les personnes de sa légation, tous
+les Russes qui se trouvaient dans cette résidence; et tous les Grecs
+attachés à leur parti, au nombre de sept à huit cents, avaient quitté
+Constantinople le 29.
+
+Le ministre d'Angleterre et les deux vaisseaux anglais restaient
+spectateurs des événemens, et paraissaient attendre les ordres du
+gouvernement.
+
+Le Tartare était passé à Widdin le 15 janvier. Il avait trouvé les
+routes couvertes de troupes qui marchaient avec gaîté contre leur
+éternel ennemi. Soixante mille hommes étaient déjà à Rodschuk, et
+vingt-cinq mille hommes d'avant-garde se trouvaient entre cette ville et
+Bucharest. Les Russes s'étaient arrêtés à Bucharest, qu'ils avaient fait
+occuper par une avant-garde de quinze mille hommes.
+
+Le prince Suzzo a été déclaré hospodar de Valachie. Le prince Ipsilanti
+a été proclamé traître, et l'on a mis sa tête à prix.
+
+Le Tartare a rencontré l'ambassadeur persan à moitié chemin de
+Constantinople à Widdin, et l'ambassadeur extraordinaire de la Porte,
+au-delà de cette dernière ville.
+
+Les victoires de Pultusk et Golymin étaient déjà connues dans l'empire
+ottoman. Le courrier tartare en a entendu le récit de la bouche des
+Turcs avant d'arriver à Widdin.
+
+Le froid se soutient entre deux et trois degrés au-dessous de zéro.
+C'est le temps le plus favorable pour l'armée.
+
+
+
+De notre camp impérial de Varsovie, le 29 janvier 1807.
+
+_Message au sénat conservateur._
+
+«Sénateurs,
+
+Nous avons ordonné à notre ministre des relations extérieures de vous
+communiquer les traités que nous avons faits avec le roi de Saxe et avec
+les différens princes souverains de cette maison.
+
+«La nation saxonne avait perdu son indépendance le 14 octobre 1755;
+elle l'a recouvrée le 14 octobre 1806. Après cinquante années, la Saxe,
+garantie par le traité de Posen, a cessé d'être province prussienne.
+
+«Le duc de Saxe-Weimar, sans déclaration préalable, a embrassé la cause
+de nos ennemis. Son sort devait servir de règle aux petits princes qui,
+sans être liés par des lois fondamentales, se mêlent des querelles
+des grandes nations; mais nous avons cédé au désir de voir notre
+réconciliation avec la maison de Saxe entière et sans mélange.
+
+«Le prince de Saxe-Cobourg est mort. Son fils se trouvant dans le camp
+de nos ennemis, nous avons fait mettre le séquestre sur sa principauté.
+
+«Nous avons aussi ordonné que le rapport de notre ministre des relations
+extérieures, sur les dangers de la Porte-Ottomane, fût mis sous vos
+yeux. Témoin, dès les premiers temps de notre jeunesse, de tous les maux
+que produit la guerre, notre bonheur, notre gloire, notre ambition, nous
+les avons placés dans les conquêtes et les travaux de la paix. Mais la
+force des circonstances dans lesquelles nous nous trouvons mérite notre
+principale sollicitude. Il a fallu quinze ans de victoires pour donner
+à la France des équivalens de ce partage de la Pologne, qu'une seule
+campagne, faite en 1778 aurait empêché.
+
+«Eh! qui pourrait calculer la durée des guerres, le nombre de compagnes
+qu'il faudrait faire un jour pour réparer des malheurs qui résulteraient
+de la perte de l'empire de Constantinople, si l'amour d'un lâche repos
+et des délices de la grande ville l'emportait sur les conseils d'une
+sage prévoyance? Nous laisserions à nos neveux un long héritage de
+guerres et de malheurs. La tiare grecque relevée et triomphante, depuis
+la Baltique jusqu'à la Méditerranée, on verrait de nos jours nos
+provinces attaquées par une nuée de fanatiques et de barbares; et si
+dans cette lutte trop tardive, l'Europe civilisée venait à périr, notre
+coupable indifférence exciterait justement les plaintes de la postérité,
+et serait un titre d'opprobre dans l'histoire.
+
+«L'empereur de Perse, tourmenté dans l'intérieur de ses états comme le
+fut pendant soixante ans la Pologne, comme l'est depuis vingt ans la
+Turquie par la politique du cabinet de Pétersbourg, et animé des mêmes
+sentimens que la Porte, a pris les mêmes résolutions, et marche en
+personne sur le Caucase pour défendre ses frontières.
+
+«Mais déjà l'ambition de nos ennemis a été confondue, leur armée a été
+défaite à Pultusk et à Golymin, et leurs bataillons épouvantés fuient au
+loin à l'aspect de nos aigles.
+
+«Dans de pareilles positions, la paix, pour être sûre pour nous,
+doit garantir l'indépendance entière de ces deux empires. Et si, par
+l'injustice et l'ambition démesurée de nos ennemis, la guerre doit se
+continuer encore, nos peuples se montreront constamment dignes, par leur
+énergie, par leur amour pour notre personne, des hautes destinées qui
+couronneront tous nos travaux; et alors seulement une paix stable et
+longue fera succéder pour nos peuples, à ces jours de gloire, des jours
+heureux et paisibles.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Arensdorf, le 5 février 1807.
+
+_Cinquante-sixième bulletin de la grande armée._
+
+Après le combat de Mohringen, où elle avait été battue et mise en
+déroute, l'avant-garde de l'armée russe se retira sur Liebstadt. Mais le
+surlendemain, 27 janvier, plusieurs divisions russes la joignirent, et
+toutes étaient en marche pour porter le théâtre de la guerre sur le bas
+de la Vistule.
+
+Le corps du général Essen, accouru du fond de la Moldavie, où il était
+d'abord destiné à servir contre les Turcs, et plusieurs régimens qui
+étaient en Russie, mis en marche depuis quelque temps des extrémités de
+ce vaste empire, avaient rejoint les corps d'armée.
+
+L'empereur donna ordre au prince de Ponte-Corvo de battre en retraite,
+et de favoriser les opérations offensives de l'ennemi, en l'attirant sur
+le bas de la Vistule. Il ordonna en même temps la levée de ses quartiers
+d'hiver.
+
+Le cinquième corps commandé par le général Savary, le maréchal Lannes
+étant malade, se trouva réuni le 31 janvier à Brok, devant tenir en
+échec le corps du général Essen cantonné sur le Haut-Bug.
+
+Le troisième corps se trouva réuni à Mysiniez;
+
+Le quatrième corps à Willenberg;
+
+Le sixième corps à Gilgenburg;
+
+Le septième corps à Neidenburg.
+
+L'empereur partit de Varsovie, et arriva le 31 au soir à Willenberg. Le
+grand-duc s'y était rendu depuis deux jours, et y avait réuni toute sa
+cavalerie.
+
+Le prince de Ponte-Corvo avait successivement évacué Osterode, Tobau, et
+s'était jeté sur Strasburg.
+
+Le maréchal Lefebvre avait réuni le dixième corps à Thorn pour la
+défense de la gauche de la Vistule et de cette ville.
+
+Le 1er février, on se mit en marche. On rencontra à Passenheim
+l'avant-garde ennemie qui prenait l'offensive et se dirigeait déjà sur
+Willenberg. Le grand-duc, avec plusieurs colonnes de cavalerie, la fit
+charger et entra de vive force dans la ville.
+
+Le corps du maréchal Davoust se porta à Ortelsburg.
+
+Le 2, le grand-duc de Berg se porta à Allenstein avec le corps du
+maréchal Soult.
+
+Le corps du maréchal Davoust marcha sur Whastruburg.
+
+Les corps des maréchaux Augereau et Ney arrivèrent dans la journée du 3
+à Allenstein.
+
+Le 3 au matin, l'armée ennemie, qui avait rétrogradé en toute hâte, se
+voyant tournée par son flanc gauche et jetée sur cette Vistule qu'elle
+s'était tant vanté de vouloir passer, parut rangée en bataille, la
+gauche appuyée au village de Moudtken, le centre à Joukowe, couvrant la
+grande route de Liebstadt.
+
+_Combat de Bergfrield._
+
+L'empereur se porta au village de Getkendorf, et plaça en bataille le
+corps du maréchal Ney sur la gauche, le corps du maréchal Augereau au
+centre, et le corps du maréchal Soult à la droite, la garde impériale
+en réserve. Il ordonna au maréchal Soult de se porter sur le chemin de
+Custad, et de s'emparer du pont de Bergfried, pour déboucher sur les
+derrières de l'ennemi avec tout son corps d'armée, manoeuvre qui donnait
+à cette bataille un caractère décisif. Vaincu, l'ennemi était perdu sans
+ressource.
+
+Le maréchal Soult envoya le général Guyot, avec sa cavalerie légère,
+s'emparer de Gustadt, où il prit une grande partie du bagage de
+l'ennemi, et fit successivement seize cents prisonniers russes. Gustadt
+était son centre des dépôts. Mais au même moment le maréchal Soult se
+portait sur le pont de Bergfried avec les divisions Leval et Legrand.
+L'ennemi, qui sentait que cette position importante protégeait la
+retraite de son flanc gauche, défendait ce pont avec douze de ses
+meilleurs bataillons. À trois heures après midi, la canonnade s'engagea.
+Le quatrième régiment de ligne et le vingt-quatrième d'infanterie
+légère, eurent la gloire d'aborder les premiers l'ennemi. Ils soutinrent
+leur vieille réputation. Ces deux régimens seuls et un bataillon du
+vingt-huitième en réserve, suffirent pour débusquer l'ennemi, passèrent
+au pas de charge le pont, enfoncèrent les douze bataillons russes,
+prirent quatre pièces de canon, et couvrirent le champ de bataille de
+morts et de blessés. Le quarante-sixième et le cinquante-cinquième,
+qui formaient la seconde brigade, étaient derrière, impatiens de se
+déployer; mais déjà l'ennemi en déroute abandonnait, épouvanté, toutes
+ses belles positions, heureux présage pour la journée du lendemain.
+
+Dans le même temps, le maréchal Ney s'emparait d'un bois où l'ennemi
+avait appuyé sa droite; la division St.-Hilaire s'emparait du village du
+centre, et le grand-duc de Berg, avec une division de dragons placée
+par escadrons au centre, passait le bois et balayait la plaine, afin
+d'éclaircir le devant de notre position. Dans ces petites attaques
+partielles, l'ennemi fut repoussé et perdit une centaine de prisonniers.
+La nuit surprit ainsi les deux armées en présence.
+
+Le temps est superbe pour la saison; il y a trois pieds de neige, le
+thermomètre est à deux et trois degrés de froid.
+
+A la pointe du jour du 4, le général de cavalerie légère Lasalle battit
+la plaine avec ses hussards. Une ligne de cosaques et de cavalerie
+ennemie vint sur-le-champ se placer devant lui. La canonnade s'engagea,
+mais bientôt on acquit la certitude que l'ennemi avait profité de la
+nuit pour battre en retraite, et n'avait laissé qu'une arrière garde
+de la droite, de la gauche et du centre. On marcha à elle, et elle fut
+menée battant pendant six lieues. La cavalerie ennemie fut culbutée
+plusieurs fois; mais les difficultés d'un terrain montueux et inégal
+s'opposèrent aux efforts de la cavalerie. Avant la fin du jour du 4,
+l'avant-garde française vint coucher à Deppen. L'empereur coucha à
+Schlett.
+
+Le 5, à la pointe du jour, toute l'armée française vint coucher à
+Deppen. L'empereur coucha à Schlett.
+
+Le 5, à la pointe du jour, toute l'armée française fut en mouvement à
+Deppen, l'empereur reçut le rapport qu'une colonne ennemie n'avait pas
+encore passé l'Alle, et se trouvait ainsi débordée par notre gauche,
+tandis que l'armée russe rétrogradait toujours sur les routes
+d'Arensdorf et de Landsberg. Sa majesté donna l'ordre au grand-duc de
+Berg et aux maréchaux Soult et Davoust de poursuivre l'ennemi dans cette
+direction. Elle fit passer l'Alle au corps du maréchal Ney, avec la
+division de cavalerie légère du général Lasalle et une division de
+dragons, et lui donna l'ordre d'attaquer le corps ennemi qui se trouvait
+coupé.
+
+_Combat de Waterdorf._
+
+Le grand-duc de Berg, arrivé sur la hauteur de Waterdorf, se trouva en
+présence de huit à neuf mille hommes de cavalerie. Plusieurs charges
+successives eurent lieu, et l'ennemi fit sa retraite.
+
+_Combat de Deppen._
+
+Pendant ce temps, le maréchal Ney se canonnait et était aux prises avec
+le corps ennemi qui était coupé. L'ennemi voulut un moment essayer
+de forcer le passage, mais il vint trouver la mort au milieu de nos
+baïonnettes. Culbuté au pas de charge et mis dans une déroute complète,
+il abandonna canons, drapeaux et bagages. Les autres divisions de ce
+corps voyant le sort de leur avant-garde, battirent en retraite. A la
+nuit, nous avions déjà fait plusieurs milliers de prisonniers, et pris
+seize pièces de canon.
+
+Cependant, par ces mouvemens, la plus grande partie des communications
+de l'armée russe a été coupée. Ses dépôts de Gunstadt et de Liebstadt
+et une partie de ses magasins de l'Alle avaient été enlevés par notre
+cavalerie légère.
+
+Notre perte a été peu considérable dans tous ces petits combats; elle se
+monte à quatre-vingts ou cent morts, et à trois ou quatre cents blessés.
+Le général Gardanne, aide-de-camp de l'empereur et gouverneur des pages,
+a eu une forte contusion à la poitrine. Le colonel du quatrième
+régiment de dragons a été grièvement blessé. Le général de
+brigade Latour-Maubourg a été blessé d'une balle dans le bras.
+L'adjudant-commandant, Lauberdière, chargé du détail des hussards, a été
+blessé dans une charge. Le colonel du quatrième régiment de ligne a été
+blessé.
+
+
+
+A Preussich-Eylau, le 7 février 1807.
+
+_Cinquante-septième bulletin de la grande armée._
+
+Le 6 au matin, l'armée se mit en marche pour suivre l'ennemi: le
+grand-duc de Berg avec le corps du maréchal Soult sur Landsberg, le
+corps du maréchal Davoust sur Heilsberg, et celui du maréchal Ney sur
+Worenditt, pour empêcher le corps coupé à Deppen de s'élever.
+
+_Combat de Hoff._
+
+Arrivé à Glodau, le grand-duc de Berg rencontra l'arrière-garde ennemie,
+et la fit charger entre Glodau et Hoff. L'ennemi déploya plusieurs
+lignes de cavalerie qui paraissaient soutenir cette arrière-garde,
+composée de douze bataillons, ayant le front sur les hauteurs de
+Landsberg. Le grand-duc de Berg fit ses dispositions. Après différentes
+attaques sur la droite et sur la gauche de l'ennemi, appuyées à un
+mamelon et à un bois, les dragons et les cuirassiers de la division du
+général d'Hautpoult firent une brillante charge, culbutèrent et mirent
+en pièces deux régimens d'infanterie russe. Les colonels, les drapeaux,
+les canons et la plupart des officiers et soldats furent pris. L'armée
+ennemie se mit en mouvement pour soutenir son arrière-garde. Le maréchal
+Augereau prit position sur la gauche, et le village de Hoff fut occupé.
+L'ennemi sentit l'importance de cette position, et fit marcher dix
+bataillons pour la reprendre. Le grand-duc de Berg fit exécuter une
+seconde charge par les cuirassiers, qui les prirent en flanc et les
+écharpèrent. Ces manoeuvres sont de beaux faits d'armes et font le plus
+grand honneur à ces intrépides cuirassiers. Cette journée mérite une
+relation particulière; une partie des deux armées passa la nuit du 6 au
+7 en présence. L'ennemi fila pendant la nuit.
+
+A la pointe du jour, l'avant-garde française se mit en marche, rencontra
+l'arrière-garde ennemie entre le bois et la petite ville d'Eylau.
+Plusieurs régimens de chasseurs à pied ennemis qui la défendaient furent
+chargés et en partie pris. On ne tarda pas à arriver à Eylau, et à
+reconnaître que l'ennemi était en position derrière cette ville.
+
+
+
+Preussich-Eylau, le 9 février 1807.
+
+_Cinquante-huitième bulletin de la grande armée._
+
+_Combat d'Eylau._
+
+A un quart de lieue de la petite ville de Preussich-Eylau, est un
+plateau qui défend le débouché de la plaine. Le maréchal Soult ordonna
+au quarante-sixième et au dix-huitième régimens de ligne de l'enlever.
+Trois régimens qui le défendaient furent culbutés, mais au même moment
+une colonne de cavalerie russe chargea l'extrémité de la gauche du
+dix-huitième, et mit en désordre un de ses bataillons. Les dragons de la
+division Klein s'en aperçurent à temps; les troupes s'engagèrent dans
+la ville d'Eylau. L'ennemi avait placé dans une église et un cimetière
+plusieurs régimens. Il fit là une opiniâtre résistance, et après un
+combat meurtrier de part et d'autre, la position fut enlevée à dix
+heures du soir. La division Legrand prit ses bivouacs au-devant de la
+ville, et la division Saint-Hilaire à la droite. Le corps du maréchal
+Augereau se plaça sur la gauche, le corps du maréchal Davoust avait, dès
+la veille, marché pour déborder Eylau, et tomber sur le flanc gauche de
+l'ennemi, s'il ne changeait pas de position. Le maréchal Ney était en
+marche pour le déborder sur son flanc droit. C'est dans cette position
+que la nuit se passa.
+
+_Bataille d'Eylau._
+
+A la pointe du jour, l'ennemi commença l'attaque par une vive canonnade
+sur la ville d'Eylau et sur la division Saint-Hilaire.
+
+L'empereur se porta à la position de l'église que l'ennemi avait tant
+défendue la veille. Il fit avancer le corps du maréchal Augereau, et fit
+canonner le monticule par quarante pièces d'artillerie de sa garde. Une
+épouvantable canonnade s'engagea de part et d'autre.
+
+L'armée russe, rangée en colonnes, était à demi-portée de canon;
+tout coup frappait. Il parut un moment, aux mouvemens de l'ennemi,
+qu'impatienté de tant souffrir, il voulait déborder notre gauche. Au
+même moment, les tirailleurs du maréchal Davoust se firent entendre, et
+arrivèrent sur les derrières de l'armée ennemie; le corps du maréchal
+Augereau déboucha en même temps en colonnes, pour se porter sur le
+centre de l'ennemi, et, partageant ainsi son attention, l'empêcher de
+se porter tout entier contre le corps du maréchal Davoust. La division
+Saint-Hilaire déboucha sur la droite, l'une et l'autre devant manoeuvrer
+pour se réunir au maréchal Davoust: à peine le corps du maréchal
+Augereau et la division Saint-Hilaire eurent-ils débouché, qu'une neige
+épaisse, et telle qu'on ne distinguait pas à deux pas, couvrit les deux
+armées.
+
+Dans cette obscurité, le point de direction fut perdu, et les colonnes,
+appuyant trop à gauche, flottèrent incertaines. Cette désolante
+obscurité dura une demi-heure. Le temps s'étant éclairci, le grand-duc
+de Berg, à la tête de sa cavalerie, et soutenu par le maréchal Bessières
+à la tête de la garde, tourna la division Saint-Hilaire, et tomba sur
+l'armée ennemie: manoeuvre audacieuse, s'il en fut jamais, qui couvrit
+de gloire la cavalerie, et qui était devenue nécessaire dans la
+circonstance où se trouvaient nos colonnes. La cavalerie ennemie, qui
+voulut s'opposer à cette manoeuvre, fut culbutée; le massacre fut
+horrible. Deux lignes d'infanterie russe furent rompues; la troisième
+ne résista qu'en s'adossant à un bois. Des escadrons de la garde
+traversèrent deux fois toute l'armée ennemie.
+
+Cette charge brillante et inouïe qui avait culbuté plus de vingt mille
+hommes d'infanterie, et les avait obligés à abandonner leurs pièces,
+aurait décidé sur-le-champ la victoire sans le bois et quelques
+difficultés de terrain. Le général de division d'Hautpoult fut blessé
+d'un biscaïen. Le général Dalhmann, commandant les chasseurs de la
+garde, et un bon nombre de ses intrépides soldats moururent avec gloire.
+Mais les cent dragons, cuirassiers ou soldats de la garde que l'on
+trouva sur le champ de bataille, on les y trouva environnés de plus de
+mille cadavres ennemis. Cette partie du champ de bataille fait horreur à
+voir. Pendant ce temps, le corps du maréchal Davoust débouchait derrière
+l'ennemi. La neige, qui, plusieurs fois dans la journée, obscurcit le
+temps, retarda aussi sa marche et l'ensemble de ses colonnes.
+
+Le mal de l'ennemi est immense, celui que nous avons éprouvé est
+considérable. Trois cents bouches à feu ont vomi la mort de part et
+d'autre pendant douze heures. La victoire, long-temps incertaine, fut
+décidée et gagnée lorsque le maréchal Davoust déboucha sur le plateau
+et déborda l'ennemi, qui, après avoir fait de vains efforts pour le
+reprendre, battit en retraite. Au même moment, le corps du maréchal Ney
+débouchait par Altorff sur la gauche, et poussait devant lui le reste de
+la colonne prussienne échappée au combat de Deppen. Il vint se placer le
+soir au village de Schnaditten, et par-là l'ennemi se trouva tellement
+serré entre les corps des maréchaux Ney et Davoust, que, craignant de
+voir son arrière-garde compromise, il résolut, à huit heures du soir, de
+reprendre le village de Schnaditten. Plusieurs bataillons de grenadiers
+russes, les seuls qui n'eussent pas donné, se présentèrent à ce village;
+mais le sixième régiment d'infanterie légère les laissa approcher à bout
+portant, et les mit dans une entière déroute. Le lendemain l'ennemi a
+été poursuivi jusqu'à la rivière de Frischling. Il se retire au-delà de
+la Pregel. Il a abandonné sur le champ de bataille seize pièces de canon
+et ses blessés. Toutes les maisons des villages qu'il a parcourus la
+nuit en sont remplies.
+
+Le maréchal Augereau a été blessé d'une balle. Les généraux Desjardins,
+Heudelet, Lochet, ont été blessés. Le général Corbineau a été enlevé
+par un boulet. Le colonel Lacuée, du soixante-troisième, et le colonel
+Lemarois, du quarante-troisième ont été tués par des boulets. Le colonel
+Bouvières, du onzième régiment de dragons, n'a pas survécu à ses
+blessures. Tous sont morts avec gloire. Notre perte se monte exactement
+à dix-neuf cents morts et à cinq mille sept cents blessés, parmi
+lesquels un millier qui le sont grièvement, seront hors de service. Tous
+les morts ont été enterrés dans la journée du 10. On a compté sur le
+champ de bataille sept mille Russes.
+
+Ainsi l'expédition offensive de l'ennemi, qui avait pour but de se
+porter sur Thorn en débordant la gauche de la grande armée, lui a été
+funeste. Douze à quinze mille prisonniers, autant d'hommes hors de
+combat, dix-huit drapeaux, quarante-cinq pièces de canon, sont les
+trophées trop chèrement payés sans doute par le sang de tant de braves.
+
+De petites contrariétés de temps, qui auraient paru légères dans toute
+autre circonstance, ont beaucoup contrarié les combinaisons du général
+français. Notre cavalerie et notre artillerie ont fait des merveilles.
+La garde à cheval s'est surpassée; c'est beaucoup dire. La garde à pied
+a été toute la journée l'arme au bras, sous le feu d'une épouvantable
+mitraille, sans tirer un coup de fusil, ni faire aucun mouvement. Les
+circonstances n'ont point été telles qu'elle ait dû donner. La blessure
+du maréchal Augereau a été aussi un accident défavorable, en laissant,
+pendant le plus fort de la mêlée, son corps d'armée sans chef capable de
+le diriger.
+
+Ce récit est l'idée générale de la bataille. Il s'est passé des
+faits qui honorent le soldat français: l'état-major s'occupe de les
+recueillir.
+
+La consommation en munitions à canon a été considérable; elle a été
+beaucoup moindre en munitions d'infanterie.
+
+L'aigle d'un des bataillons du dix-huitième régiment ne s'est pas
+retrouvée; elle est probablement tombée entre les mains de l'ennemi. On
+ne peut en faire un reproche à ce régiment; c'est, dans la position
+où il se trouvait, un accident de guerre; toutefois l'empereur lui en
+rendra une autre lorsqu'il aura pris un drapeau à l'ennemi.
+
+Cette expédition est terminée, l'ennemi, battu, est rejeté à cent lieues
+de la Vistule. L'armée va reprendre ses cantonnements, et rentrer dans
+ses quartiers-d'hiver.
+
+
+
+A Preussich-Eylau, le 14 février 1807.
+
+_Cinquante-neuvième bulletin de la grande armée_.
+
+L'ennemi prend position derrière la Pregel. Nos coureurs sont sur
+Koenigsberg, mais l'empereur a jugé convenable de mettre son armée en
+quartiers, en se tenant à portée de couvrir la ligne de la Vistule.
+
+Le nombre des canons qu'on a pris depuis le combat de Bergfried se
+monte à près de soixante. Les vingt quatre que l'ennemi a laissés à la
+bataille d'Eylau viennent d'être dirigés sur Thorn.
+
+L'ennemi a fait courir la notice ci-jointe: tout y est faux. L'ennemi a
+attaqué la ville, et a été constamment repoussé; il avoue avoir perdu
+vingt mille hommes tués ou blessés. Sa perte est beaucoup plus forte. La
+prise de neuf aigles est aussi fausse que la prise de la ville.
+
+Le grand-duc de Berg a toujours son quartier-général à Wittemberg, tout
+près de la Prégel.
+
+Le général d'Hautpoult est mort de ses blessures. Il a été généralement
+regretté. Peu de soldats ont eu une fin plus glorieuse. Sa division de
+cuirassiers s'est couverte de gloire à toutes les affaires. L'empereur a
+ordonné que son corps serait transporté à Paris.
+
+Le général de cavalerie Bouardi-Saint-Sulpice, blessé au poignet, ne
+voulut pas aller à l'ambulance, et fournit une seconde charge. Sa
+majesté a été si contente de ses services, qu'elle l'a nommé général de
+division.
+
+Le maréchal Lefebvre s'est porté le 12 sur Marienwerder. Il y a trouvé
+sept escadrons prussiens, les a culbutés, leur a pris trois cents
+hommes, parmi lesquels un colonel, un major et plusieurs officiers, et
+deux cent cinquante chevaux. Ce qui a échappé à ce combat s'est réfugié
+dans Dantzick.
+
+
+
+A Preussich-Eylau, le 17 février 1807.
+
+_Soixantième bulletin de la grande armée._
+
+La reddition de la Silésie avance. La place de Schweidnitz a capitulé.
+Ci-joint la capitulation. Le gouvernement prussien de la Silésie a été
+cerné dans Glatz, après avoir été forcé dans la position de Frankenstein
+et de Neubrode par le général Lefebvre. Les troupes de Wurtemberg se
+sont fort bien comportées dans cette affaire. Le régiment bavarois de la
+Tour-et-Taxis, commandé par le colonel Teydis, et le sixième régiment de
+ligne bavarois, commandé par le colonel Baker, se sont fait remarquer.
+L'ennemi a perdu dans ces combats une centaine d'hommes tués, trois
+cents faits prisonniers.
+
+Le siége de Kosel se poursuit avec activité.
+
+Depuis la bataille d'Eylau, l'ennemi s'est rallié derrière la Prégel. On
+concevait l'espoir de le forcer dans cette position, si la rivière fût
+restée gelée; mais le dégel continue, et cette rivière est une barrière
+au-delà de laquelle l'armée française n'a pas intérêt de le jeter.
+
+Du côté de Willemberg, trois mille prisonniers russes ont été délivrés
+par un parti de mille Cosaques.
+
+Le froid a entièrement cessé; la neige est partout fondue, et la saison
+actuelle nous offre le phénomène, au mois de février, du temps de la fin
+d'avril.
+
+L'armée entre dans ses cantonnemens.
+
+
+
+Preussich-Eylau, le 16 février 1807.
+
+_Proclamation._
+
+Soldats!
+
+Nous commencions à prendre un peu de repos dans nos quartiers d'hiver,
+lorsque l'ennemi a attaqué le premier corps et s'est présenté sur la
+Basse-Vistule. Nous avons marché à lui; nous l'avons poursuivi l'épée
+dans les reins pendant l'espace de quatre-vingts lieues. Il s'est
+réfugié sous les remparts de ses places, et a repassé la Prégel. Nous
+lui avons enlevé, aux combats de Bergfried, de Deppen, de Hoff, à la
+bataille d'Eylau, soixante-cinq pièces de canon, seize drapeaux, et tué,
+blessé ou pris plus de quarante mille hommes. Les braves qui, de
+notre côté, sont restés sur le champ d'honneur, sont morts d'une mort
+glorieuse: c'est la mort des vrais soldats. Leurs familles auront des
+droits constans à notre sollicitude et à nos bienfaits.
+
+Ayant ainsi déjoué tous les projets de l'ennemi, nous allons nous
+approcher de la Vistule, et rentrer dans nos cantonnements. Qui osera
+en troubler le repos, s'en repentira; car au-delà de la Vistule
+comme au-delà du Danube, au milieu des frimas de l'hiver, comme au
+commencement de l'automne, nous serons toujours les soldats français, et
+les soldats français de la grande armée.
+
+
+
+Landsberg, le 18 février 1807.
+
+_Soixante-unième bulletin de la grande armée._
+
+La bataille d'Eylau avait d'abord été présentée par plusieurs officiers
+ennemis comme une victoire. On fut dans cette croyance à Koenigsberg
+toute la matinée du 9. Bientôt le quartier-général et toute l'armée
+russe arrivèrent. L'alarme alors devint grande. Peu de temps après, ou
+entendit des coups de canon, et on vit les Français maîtres d'une petite
+hauteur qui dominait tout le camp russe.
+
+Le général russe a déclaré qu'il voulait défendre la ville; ce qui
+a augmenté la consternation des habitans, qui disaient: Nous allons
+éprouver le sort de Lubeck. Il est heureux pour cette ville qu'il ne
+soit pas entré dans les calculs du général français de forcer l'armée
+russe dans cette position.
+
+Le nombre des morts dans l'armée russe, en généraux et en officiers, est
+extrêmement considérable.
+
+Par la bataille d'Eylau, plus de cinq mille blessés russes restés sur le
+champ de bataille ou dans les ambulances environnantes, sont tombés au
+pouvoir du vainqueur. Partie sont morts, partie légèrement blessés, ont
+augmenté le nombre des prisonniers. Quinze cents prisonniers viennent
+d'être rendus à l'armée russe. Indépendamment des cinq mille blessés qui
+sont restés au pouvoir de l'armée française, on calcule que les Russes
+en ont eu quinze mille.
+
+L'armée vient de prendre ses cantonnemens. Les pays d'Elbing, de
+Liebstadt, d'Osterode sont les plus belle parties de ces contrées. Ce
+sont eux que l'empereur a choisis pour établir sa gauche.
+
+Le maréchal Mortier est entré dans la Poméranie suédoise. Stralsund a
+été bloqué. Il est à regretter que l'ennemi ait mis le feu sans raison
+au beau faubourg de Kniper. Cet incendie offrait un spectacle horrible.
+Plus de deux mille individus se trouvent sans maisons et sans asile.
+
+
+
+Liebstadt, le 21 février 1807.
+
+_Soixante-deuxième bulletin de la grande armée._
+
+La droite de la grande armée a été victorieuse, comme le centre et la
+gauche. Le général Essen, à la tête de vingt-cinq mille hommes, s'est
+porté sur Ostrolenka, le 13, par les deux rives de la Narew. Arrivé au
+village de Flacies-Lawowa, il rencontra l'avant-garde du général Savary,
+commandant le cinquième corps.
+
+Le 16, à la pointe du jour, le général Gazan se porta avec une partie
+de sa division à l'avant-garde. A neuf heures du matin, il rencontra
+l'ennemi sur la route de Nowogrod, l'attaqua, le culbuta et le mit en
+déroute. Mais au même moment, l'ennemi attaquait Ostrolenka par la rive
+gauche. Le général Campana, avec une brigade de la division Gazan, et
+le général Ruffin, avec une brigade de la division du général Oudinot,
+défendaient cette petite ville.
+
+Le général Savary y envoya le général de division Reille, chef de
+l'état-major du corps d'armée. L'infanterie russe, sur plusieurs
+colonnes, voulut emporter la ville. On la laissa avancer jusqu'à la
+moitié des rues; on marcha à elle au pas de charge; elle fut culbutée
+trois fois, et laissa les rues couvertes de morts. La perte de l'ennemi
+fut si grande, qu'il abandonna la ville et prit position derrière les
+monticules de sable qui la recouvrent.
+
+Les divisions des généraux Suchet et Oudinot avancèrent: à midi, leurs
+têtes de colonne arrivèrent à Ostrolenka. Le général Savary rangea sa
+petite armée de la manière suivante:
+
+Le général Oudinot, sur deux lignes, commandait la gauche; le général
+Suchet le centre; et le général Reille, commandant une brigade de
+la division Gazan, formait la droite. Il se couvrit de toute son
+artillerie, et marcha à l'ennemi. L'intrépide général Oudinot se mit à
+la tête de la cavalerie, fit une charge qui eut du succès, et tailla en
+pièces les cosaques de l'arrière-garde ennemie. Le feu fut très-vif,
+l'ennemi ploya de tous côtés, et fut mené battant pendant trois lieues.
+
+Le lendemain, l'ennemi a été poursuivi plusieurs lieues, mais sans qu'on
+pût reconnaître que sa cavalerie avait battu, en retraite toute la nuit.
+Le général Suwarow et plusieurs autres officiers ennemis ont été tués.
+L'ennemi a abandonné un grand nombre de blessés. On en avait ramassé
+douze cents; on en ramassait à chaque instant. Sept pièces de canon et
+deux drapeaux sont les trophées de la victoire. L'ennemi a laissé treize
+cents cadavres sur le champ de bataille. De notre côté, nous avons perdu
+soixante hommes tués et quatre à cinq cents blessés; mais une perte
+vivement sentie est celle du général de brigade Campana, qui était un
+officier d'un grand mérite et d'une grande espérance. Il était né dans
+le département de Marengo. L'empereur a été très-peiné de sa perte. Le
+cent-troisième régiment s'est particulièrement distingué dans cette
+affaire. Parmi les blessés sont le colonel Duhamel, du vingt-unième
+régiment d'infanterie légère, et le colonel d'artillerie Nourrit.
+
+L'empereur a ordonné au cinquième corps de s'arrêter et de prendre ses
+quartiers d'hiver. Le dégel est affreux. La saison ne permet pas de rien
+faire de grand: c'est celle du repos. L'ennemi a le premier levé ses
+quartiers; il s'en repent.
+
+
+
+Osterode, le 28 février 1807.
+
+_Soixante-troisième bulletin de la grande armée._
+
+Le capitaine des grenadiers à cheval de la garde impériale, Auzouï,
+blessé à mort à la bataille d'Eylau, était couché sur le champ de
+bataille. Ses camarades viennent pour l'enlever et le porter
+à l'ambulance. Il ne recouvre ses esprits que pour leur dire:
+«Laissez-moi, mes amis; je meurs content, puisque nous avons la
+victoire, et que je puis mourir sur le lit d'honneur, environné de
+canons pris à l'ennemi et des débris de leur défaite. Dites à l'empereur
+que je n'ai qu'un regret; c'est que, dans quelques momens, je ne pourrai
+plus rien pour son service et pour la gloire de notre belle France. A
+elle mon dernier soupir.» L'effort qu'il fit pour prononcer ces paroles
+épuisa le peu de forces qui lui restaient.
+
+Tous les rapports que l'on reçoit s'accordent à dire que l'ennemi a
+perdu à la bataille d'Eylau vingt généraux et neuf cents officiers tués
+et blessés, et plus de trente mille hommes hors de combat.
+
+Au combat d'Ostrolenka, du 16, deux généraux russes ont été tués et
+trois blessés.
+
+Sa Majesté a envoyé à Paris les seize drapeaux pris à la bataille
+d'Eylau. Tous les canons sont déjà dirigés sur Thorn. Sa Majesté a
+ordonné que ces canons seraient fondus, et qu'il en serait fait une
+statue en bronze du général d'Hautpoult, commandant la deuxième division
+de cuirassiers, dans son costume de cuirassier.
+
+L'armée est concentrée dans ses cantonnemens, derrière la Passarge,
+appuyant sa gauche à Marienwerder, à l'île du Nogat et à Elbing, pays
+qui fournissent des ressources.
+
+Instruit qu'une division russe s'était portée sur Braunsberg, à la tête
+de nos cantonnemens, l'empereur a ordonné qu'elle fût attaquée. Le
+prince de Ponte-Corvo chargea de cette expédition le général Dupont,
+officier d'un grand mérite.
+
+Le 26, à deux heures après-midi, le général Dupont se présenta devant
+Braunsberg, attaqua la division ennemie, forte de dix mille hommes, la
+culbuta à la baïonnette, la chassa de la ville et lui fit repasser la
+Passarge, lui prit seize pièces de canon, deux drapeaux, et lui fit deux
+mille prisonniers. Nous avons eu très-peu d'hommes tués.
+
+Du côté de Gustadt, le général Léger-Belair se porta au village de
+Peterswalde à la pointe du jour du 25, sur l'avis qu'une colonne russe
+était arrivée dans la nuit à ce village, la culbuta, prit le
+général baron de Korff qui la commandait, son état-major, plusieurs
+lieutenans-colonels et officiers, et quatre cents hommes. Cette brigade
+était composée de dix bataillons, qui avaient tellement souffert qu'ils
+ne formaient que seize cents hommes présens sous les armes.
+
+L'empereur a témoigné sa satisfaction au général Savary pour le combat
+d'Ostrolenka, lui a accordé la grande décoration de la légion-d'honneur,
+et l'a rappelé près de sa personne. Sa Majesté a donné le commandement
+du cinquième corps au maréchal Masséna, le maréchal Lannes continuant à
+être malade.
+
+A la bataille d'Eylau, le maréchal Augereau couvert de rhumatismes,
+était malade et avait à peine connaissance; mais le canon réveille les
+braves: il revole au galop à la tête de son corps, après s'être fait
+attacher sur son cheval. Il a été constamment exposé au plus grand feu,
+et a même été légèrement blessé. L'empereur vient de l'autoriser à
+rentrer en France pour y soigner sa santé.
+
+Les garnisons de Colberg et de Dantzick profitant du peu d'attention
+qu'on avait fait à elles, s'étaient encouragées par différentes
+excursions. Un avant-poste de la division italienne a été attaqué, le
+16, à Stutgard, par un parti de huit cents hommes de la garnison de
+Colberg. Le général Bonfanti n'avait avec lui que quelques compagnies du
+premier régiment de ligne italien, qui ont pris les armes à temps, ont
+marché avec résolution sur l'ennemi, et l'ont mis en déroute.
+
+Le général Teulié, de son côté, avec le gros de la division italienne,
+le régiment de fusiliers de la garde et la première compagnie de
+gendarmes d'ordonnance, s'est porté pour investir Colberg. Arrivé à
+Naugarten, il a trouvé l'ennemi retranché, occupant un fort hérissé de
+pièces de canon. Le colonel Boyer, des fusiliers de la garde, est
+monté à l'assaut. Le capitaine de la compagnie des gendarmes, M. de
+Montmorency, a fait une charge qui a eu du succès. Le fort a été pris,
+trois cents hommes faits prisonniers et six pièces de canon enlevées.
+L'ennemi a laissé cent hommes sur le champ de bataille.
+
+Le général Dabrowsky a marché contre la garnison de Dantzick; il l'a
+rencontrée à Dirschau, l'a culbutée, lui a fait six cents prisonniers,
+pris sept pièces de canon, et l'a poursuivie plusieurs lieues l'épée
+dans les reins. Il a été blessé d'une balle. Le maréchal Lefebvre était
+arrivé, sur ces entrefaites, au commandement du dixième corps: il y
+avait été joint par les Saxons, et il marchait pour investir Dantzick.
+
+Le temps est toujours variable. Il gelait hier; il dégèle aujourd'hui.
+L'hiver s'est ainsi passé. Le thermomètre n'a jamais été à plus de cinq
+degrés.
+
+
+
+Osterode, le 2 mars 1807.
+
+_Soixante-quatrième bulletin de la grande armée._
+
+La ville d'Elbing fournit de grandes ressources à l'armée: on y a
+trouvé une grande quantité de vins et d'eaux-de-vie. Ce pays de la
+Basse-Vistule est très-fertile.
+
+Les ambassadeurs de Constantinople et de Perse sont entrés en Pologne,
+et arrivent à Varsovie.
+
+Après la bataille d'Eylau, l'empereur a passé tous les jours plusieurs
+heures sur le champ de bataille, spectacle horrible, mais que le devoir
+rendait nécessaire. Il a failli beaucoup de travail pour enterrer tous
+les morts. On a trouvé un grand nombre de cadavres d'officiers russes
+avec leurs décorations. Il paraît que parmi eux il y avait un prince
+Repnin. Quarante-huit heures encore après la bataille, il y avait plus
+de cinq cents russes blessés qu'on n'avait pas encore pu emporter. On
+leur faisait porter de l'eau-de-vie et du pain, et successivement on les
+a transportés à l'ambulance.
+
+Qu'on se figure sur un espace d'une lieue carrée, neuf ou dix mille
+cadavres, quatre ou cinq mille chevaux tués, des lignes de sacs russes,
+des débris de fusils et de sabres, la terre couverte de boulets, d'obus,
+de munitions, vingt-quatre pièces de canon auprès desquelles on voyait
+les cadavres des conducteurs tués au moment où ils faisaient des efforts
+pour les enlever: tout cela avait plus de relief sur un fond de neige.
+Ce spectacle est fait pour inspirer aux princes l'amour de la paix et
+l'horreur de la guerre.
+
+Les cinq mille blessés que nous avons eus ont été tous évacués sur Thorn
+et sur nos hôpitaux de la rive gauche de la Vistule, sur des traîneaux.
+Les chirurgiens ont observé avec étonnement que la fatigue de cette
+évacuation n'a point nui aux blessés.
+
+Voici quelques détails sur le combat de Braunsberg.
+
+Le général Dupont marcha à l'ennemi sur deux colonnes. Le général
+Bruyer, qui commandait la colonne de droite, rencontra l'ennemi à
+Ragern, le poussa sur la rivière qui se trouve en avant de ce village.
+La colonne de gauche poussa l'ennemi sur Villenberg, et toute la
+division ne tarda pas à déboucher hors du bois. L'ennemi, chassé de sa
+première position, fut obligé de se replier sur la rivière qui couvre la
+ville de Braunsberg: il a d'abord tenu ferme; mais le général Dupont a
+marché à lui, l'a culbuté au pas de charge, et est entré avec lui dans
+la ville, qui a été jonchée de cadavres russes.
+
+Le neuvième d'infanterie légère, le trente-deuxième, le
+quatre-vingt-seizième de ligne qui composent cette division, se sont
+distingués. Les généraux Barrois, Lahoussaye, le colonel Semelle du
+vingt-quatrième de ligne, le colonel Meunier du neuvième d'infanterie
+légère, le chef de bataillon Bouge du trente-deuxième de ligne, et le
+chef d'escadron Hubinet du neuvième de hussards, ont mérité des éloges
+particuliers.
+
+Depuis l'arrivée de l'armée française sur la Vistule, nous avons pris
+aux Russes, aux affaires de Pultusk et de Golymin, quatre vingt-neuf
+pièces de canon; au combat de Bergfried, quatre pièces, dans la retraite
+d'Allenstein, cinq pièces; au combat de Deppen, seize pièces; au combat
+de Hoff, douze pièces; à la bataille d'Eylau, vingt-quatre pièces; au
+combat de Braunsberg, seize pièces; au combat d'Ostrolenka, neuf pièces:
+total, cent soixante-quinze pièces de canon.
+
+On a fait à ce sujet la remarque que l'empereur n'a jamais perdu de
+canons dans les armées qu'il a commandées, soit dans les premières
+campagnes d'Italie et d'Égypte, soit dans celle de l'armée de réserve,
+soit dans celle d'Autriche et de Moravie, soit dans celle de Prusse et
+de Pologne.
+
+
+
+Osterode, le 10 mars 1807.
+
+_Soixante-cinquième bulletin de la grande armée._
+
+L'armée est cantonnée derrière la Passarge:
+
+Le prince de Ponte-Corvo, à Holland et à Braunsberg;
+
+Le maréchal Soult, à Liebstadt et Mohringen;
+
+Le maréchal Ney, à Guttstadt;
+
+Le maréchal Davoust, à Allenstein, Hohenstein et Deppen;
+
+Le quartier-général, à Osterode;
+
+Le corps d'observation polonais, que commande le général Zayonchek, à
+Neidenbourg;
+
+Le corps du maréchal Lefebvre devant Dantzick;
+
+Le cinquième corps, sur l'Omulew;
+
+Une division de Bavarois, que commande le prince royal de Bavière, à
+Varsovie;
+
+Le corps du prince Jérôme, en Silésie;
+
+Le huitième corps, en observation dans la Poméranie suédoise.
+
+Les places de Breslau, de Schweidnitz et de Brieg sont en démolition.
+
+Le général Rapp, aide-de-camp de l'empereur, est gouverneur de Thorn.
+
+On jette des ponts sur la Vistule, à Marienbourg et à Dirschau.
+
+Ayant été instruit, le 1er mars, que l'ennemi, encouragé par les
+positions qu'avait prise l'armée, faisait voir des postes tout le long
+de la rive droite de la Passarge, l'empereur ordonna aux maréchaux Soult
+et Ney de faire des reconnaissances en avant pour repousser l'ennemi. Le
+maréchal Ney marcha sur Guttstadt; le maréchal Soult passa la Passarge
+à Worditt. L'ennemi fit aussitôt un mouvement général, et se mit en
+retraite sur Koenigsberg; ses postes, qui s'étaient retirés en toute
+hâte, furent poursuivis à huit lieues.
+
+Voyant ensuite que les Français ne faisaient plus de mouvemens, et
+s'apercevant que ce n'étaient que des avant-gardes qui avaient quitté
+leurs régimens, deux régimens de grenadiers russes se rapprochèrent et
+se portèrent de nuit sur le cantonnement de Zechern. Le cinquantième
+régiment les reçut à bout portant; le vingt-septième et le
+trente-neuvième se comportèrent de même. Dans ces petits combats, les
+Russes ont eu un millier d'hommes blessés, tués ou prisonniers.
+
+Après s'être ainsi assurée des mouvemens de l'ennemi, l'armée est entrée
+dans ses cantonnemens.
+
+Le grand-duc de Berg, instruit qu'un corps de cavalerie s'était porté
+sur Villenberg, l'a fait attaquer dans cette ville par le prince
+Borghèse, qui, à la tête de son régiment, a chargé huit escadrons
+russes, les a culbutés et mis en déroute, et leur a fait une centaine
+de prisonniers, parmi lesquels se trouvent trois capitaines et huit
+officiers.
+
+Le maréchal Lefebvre a cerné entièrement Dantzick, et a commencé les
+ouvrages de circonvallation de la place.
+
+
+
+Osterode, le 14 mars 1807.
+
+_Soixante-sixième bulletin de la grande armée._
+
+La grande armée est toujours dans ses cantonnemens, où elle prend du
+repos.
+
+De petits combats ont lieu souvent entre les avant-postes des deux
+armées.
+
+Deux régimens de cavalerie russe sont venus, le 12, inquiéter le
+soixante-neuvième régiment d'infanterie de ligne dans son cantonnement
+de Liguau, en avant de Guttstadt.
+
+Un bataillon de ce régiment prit les armes, s'embusqua, et tira à bout
+portant sur l'ennemi, qui laissa quatre-vingts hommes sur la place.
+
+Le général Guyot, qui commande les avant-postes du maréchal Soult, a eu
+de son côté quelques engagemens qui ont été à son avantage.
+
+Après le petit combat de Villenberg, le grand-duc de Berg a chassé
+les cosaques de toute la rive droite de l'Alle, afin de s'assurer
+que l'ennemi ne masquait pas quelque mouvement. Il s'est porté à
+Wartembourg, Seeburg, Meusguth et Bischoffburg. Il a eu quelques
+engagemens avec la cavalerie ennemie, et a fait une centaine de cosaques
+prisonniers.
+
+L'armée russe paraît concentrée du côté de Bartenstein sur l'Alle; la
+division prussienne du côté de Creutsbourg.
+
+L'armée ennemie a fait un mouvement de retraite, et s'est rapprochée
+d'une marche de Koenigsberg.
+
+Toute l'armée française est cantonnée; elle est approvisionnée par les
+villes d'Elbing, de Braunsberg, et par les ressources que l'on tire de
+l'île du Nogat, qui est d'une très-grande fertilité.
+
+Deux-ponts ont été jetés sur la Vistule: un à Marienbourg, et l'autre
+à Marienwerder. Le maréchal Lefebvre a achevé l'investissement de
+Dantzick; le général Tenlié a investi Colberg. L'une et l'autre de ces
+garnisons ont été rejetées dans ces places après de légères attaques.
+
+Une division de douze mille Bavarois, commandée par le prince royal de
+Bavière, a passé la Vistule à Varsovie, et vient joindre l'armée.
+
+
+
+De notre camp impérial d'Osterode, le 20 mars 1807.
+
+_Message de S.M. au Sénat._
+
+SÉNATEURS,
+
+«Nous avons ordonné qu'un projet de sénatus-consulte, ayant pour objet
+d'appeler dès ce moment la conscription de 1808, vous soit présenté.
+
+«Le rapport que nous a fait notre ministre de la guerre vous donnera à
+connaître les avantages de toute espèce qui résulteront de cette mesure.
+
+«Tout s'arme autour de nous. L'Angleterre vient d'ordonner une levée
+extraordinaire de deux cent mille hommes; d'autres puissances ont
+recours également à des recrutemens considérables. Quelque formidables,
+quelque nombreuses que soient nos armées, les dispositions contenues
+dans ce projet de sénatus-consulte nous paraissent, sinon nécessaires,
+du moins utiles et convenables. Il faut qu'à la vue de cette triple
+barrière de camps qui environnera notre territoire, comme à l'aspect
+du triple rang de places fortes qui garantissent nos plus importantes
+frontières, nos ennemis ne conçoivent l'espérance d'aucun succès, se
+découragent, et soient ramenés enfin, par l'impuissance de nous nuire, à
+la justice, à la raison.
+
+«L'empressement avec lequel nos peuples ont exécuté les
+sénatus-consultes du 24 septembre 1805 et du 4 décembre 1806, a vivement
+excité en nous le sentiment de la reconnaissance. Tout Français se
+montrera également digne d'un si beau nom.
+
+«Nous avons appelé à commander et à diriger cette intéressante jeunesse,
+des sénateurs qui se sont distingués dans la carrière des armes, et nous
+désirons que vous reconnaissiez dans cette détermination la confiance
+sans bornes que nous mettons en vous. Ces sénateurs enseigneront aux
+jeunes conscrits, que la discipline et la patience à supporter les
+fatigues et les travaux de la guerre, sont les premiers garans de la
+victoire. Ils leur apprendront à tout sacrifier pour la gloire du trône
+et le bonheur de la patrie, eux, membres d'un corps qui en est le plus
+ferme appui.
+
+«Nous avons été victorieux de tous nos ennemis. En six mois, nous avons
+passé le Mein, la Saale, l'Elbe, l'Oder, la Vistule; nous avons conquis
+les places les plus formidables de l'Europe, Magdebourg, Hameln,
+Spandau, Stettin, Custrin, Glogau, Breslau, Schweidnitz, Brieg; nos
+soldats ont triomphé dans un grand nombre de combats et dans plusieurs
+grandes batailles rangées; ils ont pris plus de huit cents pièces de
+canon sur le champ de bataille; ils ont dirigé vers la France quatre
+mille pièces de siége, quatre cents drapeaux prussiens ou russes, et
+plus de deux cent mille prisonniers de guerre; les sables de la Prusse,
+les solitudes de la Pologne, les pluies de l'automne, les frimas de
+l'hiver, rien n'a ralenti leur ardent désir de parvenir à la paix par la
+victoire, et de se voir ramener sur le territoire de la patrie par des
+triomphes. Cependant nos armées d'Italie, de Dalmatie, de Naples, nos
+camps de Boulogne, de Bretagne, de Normandie, du Rhin sont restés
+intacts.
+
+«Si nous demandons aujourd'hui à nos peuples de nouveaux sacrifices pour
+ranger autour de nous de nouveaux moyens de puissance, nous n'hésitons
+pas à le dire, ce n'est point pour en abuser en prolongeant la guerre.
+Notre politique est fixe: nous avons offert la paix à l'Angleterre,
+avant qu'elle eût fait éclater la quatrième coalition; cette même paix,
+nous la lui offrons encore. Le principal ministre qu'elle a employé dans
+ses négociations a déclaré authentiquement dans ces assemblées publiques
+que cette paix pouvait être pour elle honorable et avantageuse; il a
+ainsi mis en évidence la justice de notre cause. Nous sommes prêts à
+conclure avec la Russie aux mêmes conditions que son négociateur avait
+signées, et que les intrigues et l'influence de l'Angleterre l'ont
+contrainte à repousser. Nous sommes prêts à rendre à ces huit millions
+d'habitans conquis par nos armes, la tranquillité; et au roi de
+Prusse sa capitale. Mais si tant de preuves de modération si souvent
+renouvelées ne peuvent rien contre les illusions que la passion suggère
+à l'Angleterre; si cette puissance ne peut trouver la paix que dans
+notre abaissement, il ne nous reste plus qu'à gémir sur les malheurs
+de la guerre, et à rejeter l'opprobre et le blâme sur cette nation qui
+alimente son monopole avec le sang du continent. Nous trouverons dans
+notre énergie, dans le courage, le dévouement et la puissance de nos
+peuples, des moyens assurés pour rendre vaines les coalitions qu'ont
+cimentées l'injustice et la haine, et pour les faire tourner à la
+confusion de leurs auteurs. Français! nous bravons tous les périls pour
+la gloire et pour le repos de nos enfans.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Osterode, le 25 mars 1807.
+
+_Soixante-septième bulletin de la grande armée._
+
+Le 14 mars à trois heures après-midi, la garnison de Stralsund, à la
+faveur d'un temps brumeux, déboucha avec deux mille hommes d'infanterie,
+deux escadrons de cavalerie et six pièces de canon, pour attaquer une
+redoute construite par la division Dupas. Cette redoute, qui n'était ni
+fermée ni palissadée, ni armée de canons, était occupée par une seule
+compagnie de voltigeurs du cinquante-huitième de ligne. L'immense
+supériorité de l'ennemi n'étonna point ces braves. Cette compagnie ayant
+été renforcée par une compagnie de voltigeurs du quatrième d'infanterie
+légère, commandée par le capitaine Barral, brava les efforts de cette
+brigade suédoise. Quinze soldats suédois arrivèrent sur les parapets,
+mais ils y trouvèrent la mort. Toutes les tentatives que fit l'ennemi
+furent également inutiles. Soixante-deux cadavres suédois ont été
+enterrés au pied de la redoute. On peut supposer que plus de cent vingt
+hommes ont été blessés; cinquante ont été faits prisonniers. Il n'y
+avait cependant dans cette redoute que cent cinquante hommes. Plusieurs
+officiers suédois décorés ont été trouvés parmi les morts. Cet acte
+d'intrépidité a fixé les regards de l'empereur, qui a accordé trois
+décorations de la légion d'honneur aux compagnies de voltigeurs du
+cinquante-huitième et du quatrième léger. Le capitaine Drivet, qui
+commandait dans cette mauvaise redoute, s'est particulièrement
+distingué. Le maréchal Lefebvre a ordonné le 20, au général de brigade
+Schramm, de passer de l'île du Nogat dans le Frich-Hoff, pour couper la
+communication de Dantzick avec la mer. Le passage s'est effectué à trois
+heures du matin; les Prussiens ont été culbutés et ont laissé entre nos
+mains trois cents prisonniers.
+
+A six heures du soir, la garnison a fait un détachement de quatre mille
+hommes pour reprendre ce poste; il a été repoussé avec perte de quelques
+centaines de prisonniers et d'une pièce de canon.
+
+Le général Schramm avait sous ses ordres le deuxième bataillon du
+deuxième régiment d'infanterie légère et plusieurs bataillons saxons qui
+se sont distingués. L'empereur a accordé trois décorations de la légion
+d'honneur aux officiers saxons, et trois aux sous-officiers et soldats
+et au major qui les commandait.
+
+En Silésie, la garnison de Neiss a fait une sortie. Elle a donné dans
+une embuscade. Un régiment de cavalerie wurtembergeois a pris les
+troupes sorties en flanc, leur a tué une cinquantaine d'hommes et fait
+soixante prisonniers.
+
+Cet hiver a été en Pologne comme il paraît qu'il a été à Paris, c'est
+à dire variable. Il gèle et dégèle tour-à-tour. Cependant nous sommes
+assez heureux pour n'avoir pas de malades. Tous les rapports disent
+que l'armée russe en a au contraire beaucoup. L'armée continue à être
+tranquille dans ses cantonnemens.
+
+Les places formant tête de pont de Sierock, Modlin, Praga, Marienbourg,
+et Marienwerder, prennent tous les jours un nouvel accroissement
+de forces. Les manutentions et les magasins sont organisés, et
+s'approvisionnent sur tous les points de l'armée. On a trouvé à Elbing
+trois cent mille bouteilles de vin de Bordeaux; et quoiqu'il coûtât
+quatre francs la bouteille, l'empereur l'a fait distribuer à l'armée, en
+en faisant payer le prix aux marchands.
+
+L'empereur a envoyé le prince de Borghèse à Varsovie avec une mission.
+
+
+
+Osterode, le 39 mars 1807.
+
+_Soixante-huitième bulletin de la grande armée._
+
+Le 17 mars à trois heures du matin, le général de brigade Lefèvre,
+aide-de-camp du prince Jérôme, se trouvant avec trois escadrons de
+chevaux-légers et le régiment d'infanterie légère le Taxis, passa auprès
+de Glatz pour se rendre à Wunchelsbourg. Quinze cents hommes sortirent
+de la place avec deux pièces de canon. Le lieutenant-colonel Gerard les
+chargea aussitôt et les rejeta dans Glatz, après leur avoir pris cent
+soldats, plusieurs officiers et leurs deux pièces de canon. Le maréchal
+Masséna s'est porté de Willemberg sur Ortelsbourg; il y a fait entrer
+la division de dragons Becker, et l'a renforcée d'un détachement de
+Polonais à cheval. Il y avait à Ortelsbourg quelques cosaques; plusieurs
+charges ont eu lieu, et l'ennemi a perdu vingt hommes.
+
+Le général Becker, en venant reprendre sa position à Willemberg, a
+été chargé par deux mille cosaques; on leur avait tendu une embuscade
+d'infanterie, dans laquelle ils ont donné. Ils ont perdu deux cents
+hommes.
+
+Le 26, à cinq heures du matin, la garnison de Dantzick a fait une
+sortie générale qui lui a été funeste. Elle a été repoussée partout. Un
+colonel, nommé Gracow, qui a fait le métier de partisan, a été pris
+avec quatre cents hommes et deux pièces de canon, dans une charge du
+dix-neuvième de chasseurs. La légion polonaise du Nord s'est fort bien
+comportée; deux bataillons saxons se sont distingués.
+
+Du reste, il n'y a rien de nouveau; les lacs sont encore gelés; on
+commence cependant à s'apercevoir de l'approche du printemps.
+
+
+
+Finckenstein, le 4 avril 1807.
+
+_Soixante-neuvième bulletin de la grande armée._
+
+Les gendarmes d'ordonnance sont arrivés à Marienwerder. Le maréchal
+Bessières est parti pour aller en passer la revue. Ils se sont très-bien
+comportés et ont montré beaucoup de bravoure dans les différentes
+affaires qu'ils ont eues.
+
+Le général Teulié, qui jusqu'à présent avait conduit le blocus de
+Colberg, a fait preuve de beaucoup d'activité et de talent. Le général
+de division Loison vient de prendre le commandement du siège de cette
+place.
+
+Le 19 mars, les redoutes de Selnow ont été attaquées et emportées par le
+premier régiment d'infanterie légère italienne. La garnison a fait une
+sortie. La compagnie de carabiniers du premier régiment léger et une
+compagnie de dragons l'ont repoussée.
+
+Les voltigeurs du dix-neuvième régiment de ligne se sont distingués à
+l'attaque du village d'Allstadt. L'ennemi a perdu dans ces affaires
+trois pièces de canon et deux cents hommes faits prisonniers.
+
+Le maréchal Lefebvre commande le siège de Dantzick. Le général
+Lariboissière a le commandement de l'artillerie. Le corps de
+l'artillerie justifie, dans toutes les circonstances, la réputation de
+supériorité qu'il a si bien acquise. Les canonniers français méritent, à
+juste raison, le litre d'hommes d'élite. On est satisfait de la manière
+de servir des bataillons du train.
+
+L'empereur a reçu à Finckenstein une députation de la chambre de
+Marienwerder; composée de MM. le comte de Groeben, le conseiller baron
+de Schleinitz et le comte de Dohna, directeur de la chambre. Cette
+députation a fait à S. M. le tableau des maux que la guerre a attirés
+sur les habitans. L'empereur lui a fait connaître qu'il en était touché,
+et qu'il les exemptait, ainsi que la ville d'Elbing, des contributions
+extraordinaires. Il a dit qu'il y avait des malheurs inévitables pour le
+théâtre de la guerre, qu'il y prenait part, et qu'il ferait tout ce qui
+dépendrait de lui pour les alléger.
+
+On croit que S. M. partira aujourd'hui pour faire une tournée à
+Marienwerder et à Elbing.
+
+La seconde division bavaroise est arrivée à Varsovie.
+
+Le prince royal de Bavière est allé prendre à Pultusk le commandement de
+la première division.
+
+Le prince héréditaire de Bade est allé se mettre à la tête de son corps
+de troupes à Dantzick. Le contingent de Saxe-Weymar est arrivé sur la
+Warta.
+
+Il n'a pas été tiré aux avant-postes de l'armée un coup de fusil depuis
+quinze jours.
+
+La chaleur du soleil commence à se faire sentir; mais elle ne parvient
+point à amollir la terre. Tout est encore gelé: le printemps est tardif
+dans ces climats.
+
+Des courriers de Constantinople et de Perse arrivent fréquemment au
+quartier-général.
+
+La santé de l'empereur ne cesse pas d'être excellente. On remarque même
+qu'elle est meilleure qu'elle n'a jamais été. Il y a des jours où S. M.
+fait quarante lieues à cheval.
+
+On avait cru, la semaine dernière, à Varsovie, que l'empereur y
+était arrivé à dix heures du soir. La ville entière fut aussitôt et
+spontanément illuminée.
+
+Les places de Praga, Sierock, Modlin, Thorn et Marienbourg commencent à
+être en état de défense; celle de Marienwerder est tracée. Toutes ces
+places forment des têtes de pont sur la Vistule.
+
+L'empereur se loue de l'activité du maréchal Kellermann à former des
+régimens provisoires, dont plusieurs sont arrivés à l'armée dans une
+très-bonne tenue, et ont été incorporés.
+
+S. M. se loue également du général Clarke, gouverneur de Berlin, qui
+montre autant d'activité et de zèle que de talent, dans le poste
+important qui lui est confié.
+
+Le prince Jérôme, commandant des troupes en Silésie, fait preuve d'une
+grande activité, et montre les talens et la prudence qui ne sont,
+d'ordinaire, que les fruits d'une longue expérience.
+
+
+
+Finckenstein, le 9 avril 1807.
+
+_Soixante-dixième bulletin de la grande armée._
+
+Un parti de quatre cents Prussiens, qui s'était embarqué à Koenigsberg,
+a débarqué dans la presqu'île, vis-à-vis de Pilau, et s'est avancé vers
+le village de Carlsberg. M. Mainguernaud, aide-de-camp du maréchal
+Lefebvre, s'est porté sur ce point avec quelques hommes. Il a si
+habilement manoeuvré, qu'il a enlevé les quatre cents Prussiens, parmi
+lesquels il y avait cent vingt hommes de cavalerie.
+
+Plusieurs régimens russes sont entrés par mer dans la ville de Dantzick.
+La garnison a fait différentes sorties. La légion polonaise du Nord et
+le prince Michel Radzivil qui la commande, se sont distingués; ils ont
+fait une quarantaine de prisonniers russes. Le siège se continue avec
+activité. L'artillerie de siège commence à arriver.
+
+Il n'y a rien de nouveau sur les différens points de l'armée.
+
+L'empereur est de retour d'une course qu'il a faite a Marienwerder et à
+la tête de pont sur la Vistule. Il a passé en revue le douzième régiment
+d'infanterie légère et les gendarmes d'ordonnance.
+
+La terre, les lacs, dont le pays est rempli, et les petites rivières
+commencent à dégeler. Cependant, il n'y a encore aucune apparence de
+végétation.
+
+
+
+Finckenstein, le 19 avril 1807.
+
+_Soixante-onzième bulletin de la grande armée._
+
+La victoire d'Eylau ayant fait échouer tous les projets que l'ennemi
+avait formés contre la Basse-Vistule, nous a mis en mesure d'investir
+Dantzick et de commencer le siège de cette place. Mais il a fallu tirer
+les équipages de siège des forteresses de la Silésie et de l'Oder, en
+traversant une étendue de plus de cent lieues dans un pays où il n'y a
+pas de chemins. Ces obstacles ont été surmontés, et les équipages de
+siège commencent à arriver. Cent pièces de canon de gros calibre, venues
+de Stettin, de Custrin, de Glogau et de Breslau, auront sous peu de
+jours leur approvisionnement complet.
+
+Le général prussien Kalkreuth commande la ville de Dantzick. Sa garnison
+est composée de quatorze mille Prussiens et six mille Russes. Des
+inondations et des marais, plusieurs rangs de fortifications et le fort
+de Weischelmunde, ont rendu difficile l'investissement de la place.
+
+Le journal du siège de Dantzick fera connaître ses progrès à la date du
+17 de ce mois. Nos ouvrages sont parvenus à quatre-vingt toises de la
+place; nous avons même plusieurs fois insulté et dépalissadé les chemins
+couverts.
+
+Le maréchal Lefebvre montre l'activité d'un jeune homme. Il était
+parfaitement secondé par le général Savary; mais ce général est tombé
+malade d'une fièvre bilieuse à l'abbaye d'Oliva, qui est à peu de
+distance de la place. Sa maladie a été assez grave pour donner pendant
+quelque temps des craintes sur ses jours. Le général de brigade Schramm,
+le général d'artillerie Lariboissière et le général du génie Kirgener
+ont aussi très-bien secondé le maréchal Lefebvre. Le général de division
+du génie Chasseloup vient de se rendre devant Dantzick.
+
+Les Saxons, les Polonais, ainsi que les Badois, depuis que le prince
+héréditaire de Bade est à leur tête, rivalisent entre eux d'ardeur et de
+courage.
+
+L'ennemi n'a tenté d'autre moyen de secourir Dantzick que d'y faire
+passer par mer quelques bataillons et quelques provisions.
+
+En Silésie, le prince Jérôme fait suivre très-vivement le siége de
+Neiss.
+
+Depuis que le prince de Pletz a abandonné la partie, l'aide-de-camp du
+roi de Prusse, baron de Kleist, est arrivé à Glatz par Vienne, avec le
+titre de gouverneur-général de la Silésie. Un commissaire anglais l'a
+accompagné, pour surveiller l'emploi de 80,000 mille livres sterling,
+donnés au roi de Prusse par l'Angleterre.
+
+Le 13 de ce mois, cet officier est sorti de Glatz avec un corps
+de quatre mille nommes, et est venu attaquer, dans la position de
+Frankenstein, le général de brigade Lefebvre, commandant le corps
+d'observation qui protège le siège de Neiss. Cette entreprise n'a eu
+aucun succès: M. de Kleist a été vivement repoussé.
+
+Le prince Jérôme a porté, le 14, son quartier-général à Munsterberg.
+
+Le général Loison a pris le commandement du siège de Colberg. Les moyens
+nécessaires pour ses opérations commencent à se réunir. Ils ont éprouvé
+quelques retards, parce qu'ils ne devaient pas contrarier la formation
+des équipages de siège de Dantzick.
+
+Le maréchal Mortier, sous la direction duquel se trouve le siège de
+Colberg, s'est porté sur cette place, en laissant en Poméranie le
+général Grandjean avec un corps d'observation, et l'ordre de prendre
+position sur la Peene.
+
+La garnison de Stralsund ayant sur ces entrefaites reçu par mer un
+renfort de quelques régimens, et ayant été informée du mouvement fait
+par le maréchal Mortier, avec une partie de son corps d'armée,
+a débouché en force. Le général Grandjean, conformément à ses
+instructions, a passé la Peene et a pris position à Anclam. La
+nombreuse flottille des Suédois leur a donné la facilité de faire des
+débarquements sur différens points et de surprendre un poste hollandais
+de trente hommes, et un poste italien de trente-sept hommes. Le maréchal
+Mortier, instruit de ces mouvemens, s'est porté, le 13, sur Stettin, et
+ayant réuni ses forces, a manoeuvré pour attirer les Suédois, dont le
+corps ne s'élève pas à douze mille hommes.
+
+La grande-armée est depuis deux mois stationnaire dans ses positions.
+Ce temps a été employé à renouveler et remonter la cavalerie, à réparer
+l'armement, à former de grands magasins de biscuit et d'eau-de-vie, à
+approvisionner le soldat de souliers: chaque homme, indépendamment de la
+paire qu'il porte, en a deux dans le sac.
+
+La Silésie et l'île de Nogat ont fourni aux cuirassiers, aux dragons, à
+la cavalerie légère, de bonnes et nombreuses remontes.
+
+Dans les premiers jours de mai, un corps d'observation de cinquante
+mille hommes, français et espagnols, sera réuni sur l'Elbe. Tandis que
+la Russie a presque toutes ses troupes concentrées en Pologne, l'empire
+français n'y a qu'une partie de ses forces; mais telle est la différence
+de puissance réelle des deux états. Les cinq cent mille Russes que les
+gazetiers font marcher tantôt à droite, tantôt à gauche, n'existent que
+dans leurs feuilles et dans l'imagination de quelques lecteurs qu'on
+abuse d'autant plus facilement, qu'on leur montre l'immensité du
+territoire russe, sans parler de l'étendue de ses pays incultes et de
+ses vastes déserts.
+
+La garde de l'empereur de Russie est, à ce qu'on dit; arrivée à l'armée;
+elle reconnaîtra, lors des premiers événemens, s'il est vrai, comme
+l'ont assuré les généraux ennemis, que la garde impériale ait été
+détruite. Cette garde est aujourd'hui plus nombreuse qu'elle ne l'a
+jamais été, et presque double de ce qu'elle était à Austerlitz.
+
+Indépendamment du pont qui a été établi sur la Narew, on en construit un
+sur pilotis entre Varsovie et Praga; il est déjà fort avancé. L'empereur
+se propose d'en faire faire trois autres sur différens points. Ces ponts
+sur pilotis sont plus solides et d'un meilleur service que les ponts de
+bateaux. Quelque grands travaux qu'exigerait ces entreprises sur une
+rivière de quatre cents toises de large, l'intelligence et l'activité
+des officiers qui les dirigent, et l'abondance de bois, en facilitent le
+succès.
+
+M. le prince de Bénévent est toujours à Varsovie, occupé à traiter avec
+les ambassadeurs de la Porte et de l'empereur de Perse. Indépendamment
+des services qu'il rend à S. M. dans son ministère, il est fréquemment
+chargé de commissions importantes relativement aux différens besoins de
+l'armée.
+
+Finckenstein, où S. M. s'est établie pour rapprocher son
+quartier-général de ses positions, est un très beau château qui a été
+construit par M. de Finckenstein, gouverneur de Frédéric II, et qui
+appartient maintenant à M. de Dohna, grand-maréchal de la cour de
+Prusse.
+
+Le froid a repris depuis deux jours. Le printemps n'est encore annoncé
+que par le dégel. Les arbustes les plus précoces ne donnent aucun signe
+de végétation.
+
+
+
+Finckenstein, le 13 avril 1817.
+
+_Soixante-douzième bulletin de la grande armée._
+
+Les opérations du maréchal Mortier ont réussi comme on pouvait le
+désirer. Les Suédois ont eu l'imprudence de passer la Peene, de
+déboucher sur Anklam et Demmin, et de se porter sur Passewalk. Le 16,
+avant le jour, le maréchal Mortier réunit ses troupes, déboucha de
+Passewalk sur la route d'Anklam, culbuta les positions de Belling et de
+Ferdinandshoff, fit quatre cents prisonniers, prit deux pièces de canon,
+entra pêle-mêle avec l'ennemi dans Anklam, et s'empara de son pont sur
+la Peene.
+
+La colonne du général suédois Cardell a été coupée. Elle était à
+Uckermünde, lorsque nous étions déjà à Anklam. Le général en chef
+d'Armfeld a été blessé d'un coup de mitraille; tous les magasins de
+l'ennemi ont été pris.
+
+La colonne coupée du général Cardell a été attaquée le 17 à Uckermünde,
+par le général de brigade Veau. Elle a perdu trois pièces de canon
+et cinq cents prisonniers; le reste s'est embarqué sur des chaloupes
+canonnières sur le Haff. Deux autres pièces de canon et cent hommes ont
+été pris du côté de Demmin.
+
+Le baron d'Essen qui se trouve commander l'armée suédoise en l'absence
+du général d'Armfeld, a proposé une trêve au général Mortier, en lui
+faisant connaître qu'il avait l'autorisation spéciale du roi pour sa
+conclusion. La paix et même une trêve accordée à la Suède remplirait les
+plus chers désirs de l'empereur, qui a toujours éprouvé une
+véritable douleur de faire la guerre à une nation généreuse, brave,
+géographiquement et historiquement amie de la France. Et dans le fait,
+le sang suédois doit-il être versé pour la défense de l'empire Ottoman
+ou pour sa ruine! Doit-il être versé pour maintenir l'équilibre des mers
+ou pour leur-asservissement? Qu'a à craindre la Suède de la France?
+Rien. Qu'a-t-elle à craindre de la Russie? Tout. Ces raisons sont trop
+solides pour que, dans un cabinet aussi éclairé, et chez une nation qui
+a des lumières et de l'opinion, la guerre actuelle n'ait promptement un
+terme. Immédiatement après la bataille d'Iéna, l'empereur fit connaître
+le désir qu'il avait de rétablir les anciennes relations de la Suède
+avec la France. Ces premières ouvertures furent faites au ministre
+de Suède à Hambourg; mais elles furent repoussées. L'instruction de
+l'empereur à ses généraux a toujours été de traiter les Suédois comme
+des amis avec lesquels la nature des choses ne tardera pas à nous
+remettre en paix. Ce sont-là les plus chers intérêts des deux peuples.
+«S'ils nous faisaient du mal, ils le pleureraient un jour; et nous, nous
+voudrions réparer le mal que nous leur aurions fait. L'intérêt de l'état
+l'emporte tôt ou tard sur les brouilleries et sur les petites passions.»
+Ce sont les propres termes des ordres de l'empereur. C'est dans ce
+sentiment que l'empereur a contremandé les opérations du siège de
+Stralsund, en a fait revenir les mortiers et les pièces qu'on y avait
+envoyés de Stettin. Il écrivait dans ces ternies au général Mortier: «Je
+regrette déjà ce qui s'est fait. Je suis fâché que le beau faubourg de
+Stralsund ait été brûlé. Est-ce à nous à faire du mal à la Suède? Ceci
+n'est qu'un rêve: c'est à nous à la défendre, et non à lui faire du
+mal. Faites-lui en le moins que vous pourrez; proposez au gouverneur de
+Stralsund un armistice, une suspension d'armes, afin d'alléger et de
+rendre moins funeste une guerre que je regarde comme criminelle, parce
+qu'elle est impolitique.»
+
+Une suspension d'armes a été signée le 18, entre le maréchal Mortier et
+le baron d'Essen.
+
+Le siège de Dantzick se continue.
+
+Le 16 avril, à huit heures du soir, un détachement de deux mille hommes,
+et six pièces de canon de la garnison de Glatz, marcha sur la droite de
+la position de Frankenstein; le lendemain, 17, à la pointe du jour, une
+nouvelle colonne de huit cents hommes sortit de Silberberg. Ces troupes
+réunies marchèrent sur Frankenstein et commencèrent l'attaque à cinq
+heures du matin pour en déloger le général Lefebvre, qui était là avec
+son corps d'observation.
+
+Le prince Jérôme partit de Munsterberg au premier coup de canon, et
+arriva à dix heures du matin a Frankenstein. L'ennemi a été complètement
+battu et poursuivi jusque sur les chemins couverts de Glatz. On lui a
+fait six cents prisonniers et pris trois pièces de canon. Parmi les
+prisonniers, se trouvent un major et huit officiers; trois cents morts
+sont restés sur le champ de bataille: quatre cents hommes s'étant perdus
+dans les bois, furent attaqués à onze heures du matin, et pris. Le
+colonel Beckers, commandant le sixième régiment de ligne bavarois, et le
+colonel Scharfenstein, des troupes de Wurtemberg, ont fait des prodiges
+de valeur. Le premier, quoique blessé à l'épaule, ne voulut point
+quitter le champ de bataille; il se portait partout avec son bataillon,
+et partout faisait des prodiges.
+
+L'empereur a accordé à chacun de ces officiers l'aigle de la
+légion-d'honneur. Le capitaine Brockfeld, commandant provisoirement les
+chasseurs à cheval de Wurtemberg, s'est fait remarquer. C'est lui qui a
+pris les pièces de canon.
+
+Le siège de Neiss avance. La ville est déjà à demi-brûlée, et les
+tranchées approchent de la place.
+
+
+
+De notre camp impérial de Finckenstein, lo 5 mai 1807.
+
+_Lettre de S. M. à son ministre des cultes, sur la mort de M.
+Meyneau-Pancemont, évêque de Vannes._
+
+Monsieur Portalis, nous avons appris avec une profonde douleur la mort
+de notre bien-aimé évêque de Vannes, Meyneau-Pancemont. A la lecture de
+votre lettre, les vertus qui distinguent ce digne prélat, les services
+qu'il a rendus à notre sainte religion, à notre couronne, à nos peuples,
+la situation des églises et des consciences dans le Morbihan, au moment
+où it arriva à l'épiscopat; tout ce que nous devons à son zèle, à ses
+lumières, à cette charité évangélique qui dirigeait toutes ses actions;
+tous ces souvenirs se sont présentés à la fois à notre esprit. Nous
+voulons que vous fassiez placer sa statue en marbre dans la cathédrale
+de Vannes: elle excitera ses successeurs à suivre l'exemple qu'il leur
+a tracé; elle fera connaître tout le cas que nous faisons des vertus
+évangéliques d'un véritable évêque, et couvrira de confusion ces faux
+pasteurs qui ont vendu leur foi aux ennemis éternels de la France et de
+la religion catholique, apostolique et romaine, dont toutes les paroles
+appellent l'anarchie, la guerre, le désordre et la rébellion. Enfin,
+elle sera pour nos peuples du Morbihan une nouvelle preuve de l'intérêt
+que nous prenons à leur bonheur. De toutes les parties de notre empire,
+c'est une de celles qui sont le plus souvent présentes à notre pensée,
+parce que c'est une de celles qui ont le plus souffert des malheurs des
+temps passés. Nous regrettons de n'avoir pu encore la visiter; mais un
+de nos premiers voyages que nous ferons à notre retour dans nos états,
+ce sera de voir par nos propres yeux cette partie si intéressante de nos
+peuples. Cette lettre n'étant pas à autre fin, nous prions Dieu qu'il
+vous ait en sa sainte garde.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Elbing, le 8 mai 1807.
+
+_Soixante-treizième bulletin de la grande armée._
+
+L'ambassadeur persan a reçu son audience de congé. Il a apporté de
+très-beaux présens h l'empereur de la part de son maître, et a reçu en
+échange le portrait de l'empereur, enrichi de très-belles pierreries.
+Il retourne en Perse directement: c'est un personnage très-considérable
+dans son pays, et un homme d'esprit et de beaucoup de sagacité; son
+retour dans sa patrie était nécessaire. Il a été réglé qu'il y aurait
+désormais une légation nombreuse de Persans à Paris, et de Français à
+Téhéran.
+
+L'empereur s'est rendu à Elbing, et a passé la revue de dix-huit à vingt
+mille hommes de cavalerie, cantonnés dans les environs de cette ville
+et dans l'île de Nogat, pays qui ressemble beaucoup à la Hollande. Le
+grand-duc de Berg a commandé la manoeuvre. A aucune époque, l'empereur
+n'avait vu sa cavalerie en meilleur état et mieux disposée.
+
+Le journal du siége de Dantzick fera connaître qu'on s'est logé dans le
+chemin couvert, que les feux de la place sont éteints, et donnera les
+détails de la belle opération qu'a dirigée le général Drouet, et qui
+a été exécutée par le colonel Aimé, le chef de bataillon Arnault, du
+deuxième léger, et le capitaine Avy. Cette opération a mis en notre
+pouvoir une île que défendaient mille Russes, et cinq redoutes garnies
+d'artillerie, et qui est très-importante pour le siége, puisqu'elle
+prend de revers la position que l'on attaque. Les Russes ont été surpris
+dans leurs corps-de-garde: quatre cents ont été égorgés à la baïonnette,
+sans avoir le temps de se défendre, et six cents ont été faits
+prisonniers. Cette expédition qui a eu lieu dans la nuit du 6 au 7,
+a été faite en grande partie par les troupes de Paris, qui se sont
+couvertes de gloire.
+
+Le temps devient plus doux, les chemins sont excellens, les bourgeons
+paraissent sur les arbres, l'herbe commence à couvrir les campagnes;
+mais il faut encore un mois pour que la cavalerie puisse trouver à
+vivre.
+
+L'empereur a établi à Magdebourg, sous les ordres du maréchal Brune,
+un corps d'observation qui sera composé de près de quatre-vingt mille
+hommes, moitié Français, et l'autre moitié Hollandais et confédérés du
+Rhin; les troupes hollandaises sont au nombre de vingt mille hommes.
+
+Les divisions françaises Molitor et Boudet, qui font aussi partie de ce
+corps d'observation, arrivent le 15 mai a Magdebourg. Ainsi on est en
+mesure de recevoir l'expédition anglaise sur quelque point qu'elle se
+présente. S'il est certain qu'elle débarquera, il ne l'est pas qu'elle
+puisse se rembarquer.
+
+
+
+Finckenstein, le 16 mai 1807.
+
+_Soixante-quatorzième bulletin de la grande armée._
+
+Le prince Jérôme ayant reconnu que trois ouvrages avancés de Neiss,
+qui étaient le long de la Biélau, gênaient les opérations du siége, a
+ordonné au général Vandamme de les enlever. Ce général à la tête des
+troupes wurtembergeoises, a emporté ces ouvrages dans la nuit du 30
+avril au premier mai, a passé au fil de l'épée les troupes ennemies qui
+les défendaient, a fait cent vingt prisonniers et, pris neuf pièces de
+canon. Les capitaines du génie Depouthou et Prost, le premier, officier
+d'ordonnance de l'empereur, ont marché à la tête des colonnes, et ont
+fait preuve de grande bravoure. Les lieutenans Hohendorff, Bawer et
+Mulher, se sont particulièrement distingués.
+
+Le 2 mai, le lieutenant-général Camrer a pris le commandement de la
+division wurtembergeoise.
+
+Depuis l'arrivée de l'empereur Alexandre à l'armée, il paraît qu'un
+grand conseil de guerre a été tenu à Bartenstein, auquel ont assisté le
+roi de Prusse et le grand-duc Constantin; que les dangers que courait
+Dantzick ont été l'objet des délibérations de ce conseil; que l'on a
+reconnu que Dantzick ne pouvait être sauvé que de deux manières: la
+première en attaquant l'armée française, en passant la Passarge, en
+courant la chance d'une bataille générale, dont l'issue, si l'on avait
+du succès, serait d'obliger l'armée française à découvrir Dantzick;
+l'autre en secourant la place par mer. La première opération paraît
+n'avoir pas été jugée praticable, sans s'exposer à une ruine et à une
+défaite totale; et on s'est arrêté au plan de secourir Dantzick par mer.
+
+En conséquence, le lieutenant-général Kaminski, fils du feld-maréchal de
+ce nom, avec deux divisions russes, formant douze régimens, et plusieurs
+régimens prussiens, ont été embarqués à Pilau. Le 13, soixante-six
+bâtimens de transport, escortés par trois frégates, ont débarqué les
+troupes à l'embouchure de la Vistule, au port de Dantzick, sous la
+protection du fort de Weischelmunde.
+
+L'empereur donna sur le champ l'ordre au maréchal Lannes, commandant
+le corps de réserve de la grande-armée, de se porter à Marienbourg, où
+était son quartier-général, avec la division du général Oudinot, pour
+renforcer l'armée du maréchal Lefebvre. Il arriva en une marche, dans le
+même temps que l'armée ennemie débarquait. Le 13 et le 14, l'ennemi fît
+des préparatifs d'attaque; il était séparé de la ville par une espace
+de moins d'une lieue, mais occupé par les troupes françaises. Le 15, il
+déboucha du fort sur trois colonnes; il projetait de déboucher par la
+droite de la Vistule. Le général de brigade Schramm, qui était aux
+avant-postes avec le deuxième régiment d'infanterie légère, et un
+bataillon de Saxons et de Polonais, reçut les premiers feux de l'ennemi,
+et le contint à portée de canon de Weischelmunde.
+
+Le maréchal Lefebvre s'était porté au pont situé au bas de la Vistule,
+avait fait passer le douzième d'infanterie légère et des Saxons, pour
+soutenir le général Schramm. Le général Gardanne, chargé de la défense
+de la droite de la Vistule, y avait également appuyé le reste de ses
+forces. L'ennemi se trouvait supérieur et le combat se soutenait avec
+une égale opiniâtreté. Le maréchal Lannes, avec la réserve d'Oudinot,
+était placé sur la gauche de la Vistule, par où il paraissait la veille
+que l'ennemi devait déboucher; mais voyant les mouvemens de l'ennemi
+démasqués, le maréchal Lannes passa la Vistule, avec quatre bataillons
+de la réserve d'Oudinot. Toute la ligne et la réserve de l'ennemi furent
+mises en déroute et poursuivies jusqu'aux palissades, et à neuf heures
+du matin l'ennemi était bloqué dans le fort de Weischelmunde. Le champ
+de bataille était couvert de morts. Notre perte se monte à vingt-cinq
+hommes tués et deux cents blessés. Celle de l'ennemi est de neuf cents
+hommes tués, quinze cents blessés et deux cents prisonniers. Le soir
+on distinguait un grand nombre de blessés, qu'on embarquait sur les
+bâtimens qui, successivement, ont pris le large pour retourner à
+Koenigsberg. Pendant cette action, la place n'a fait aucune sortie, et
+s'est contentée de soutenir les Russes par une vive canonnade. Du haut
+de ses remparts délabrés et à demi démolis, l'ennemi a été témoin de
+toute l'affaire. Il a été consterné de voir s'évanouir l'espérance qu'il
+avait d'être secouru. Le général Oudinot a tué de sa propre main trois
+Russes. Plusieurs de ses officiers d'état-major ont été blessés. Le
+douzième et le deuxième régimens d'infanterie légère se sont distingués.
+Les détails de ce combat n'étaient pas encore arrivés à l'état-major.
+
+Le journal du siège de Dantzick fera connaître que les travaux se
+poursuivent avec une égaie activité, que le chemin couvert est couronné,
+et que l'on s'occupe des préparatifs du passage du fossé.
+
+Dès que l'ennemi sut que son expédition maritime était arrivée devant
+Dantzick, ses troupes légères observèrent et inquiétèrent toute la
+ligne, depuis la position qu'occupe le maréchal Soult le long de la
+Passarge, devant la division du général Morand, sur l'Alle. Elles furent
+reçues à bout portant par les voltigeurs, perdirent un bon nombre
+d'hommes, et se retirèrent plus vite qu'elles n'étaient venues.
+
+Les Russes se présentèrent aussi à Malga, devant le général Zayonchek,
+commandant le corps d'observation polonais, et enlevèrent un poste de
+Polonais. Le général de brigade Fischer marcha à eux, les culbuta, leur
+tua une soixantaine d'hommes, un colonel et deux capitaines. Ils se
+présentèrent également devant le cinquième corps, insultèrent les
+avant-postes du général Gazan à Willenberg; ce général les poursuivit
+pendant plusieurs lieues. Ils attaquèrent plus sérieusement la tête du
+pont de l'Omulew de Drenzewo. Le général de brigade Girard marcha à eux
+avec le quatre-vingt-huitième et les culbuta dans la Narew. Le général
+de division Suchet arriva, poussa les Russes l'épée dans les reins, les
+culbuta dans Ostrolenka, leur tua une soixantaine d'hommes, et leur
+prit cinquante chevaux. Le capitaine du soixante-quatrième Laurin, qui
+commandait une grand'garde, cerné de tous côtés par les Cosaques, fît la
+meilleure contenance, et mérita d'être distingué. Le maréchal Masséna,
+qui était monté à cheval avec une brigade de troupes bavaroises, eut
+lieu d'être satisfait du zèle et de la bonne contenance de ces troupes.
+
+Le même jour 13, l'ennemi attaqua le général Lemarrois, à l'embouchure
+du Bug. Ce général avait passé cette rivière le 10 avec une brigade
+bavaroise et un régiment polonais, avait fait construire en trois
+jours des ouvrages de tête de pont, et s'était porté sur Wiskowo, dans
+l'intention de brûler les radeaux auxquels l'ennemi faisait travailler
+depuis six semaines. Son expédition a parfaitement réussi, tout a été
+détruit; et dans un moment, ce ridicule ouvrage de six semaines fut
+anéanti.
+
+Le 13, à neuf heures du matin, six mille Russes, arrivés de Nur,
+attaquèrent le général Lemarrois dans son camp retranché. Ils furent
+reçus par la fusillade et la mitraille; trois cents Russes restèrent sur
+le champ de bataille: et quand le général Lemarrois vit l'ennemi, qui
+était arrivé sur les bords du fossé, repoussé, il fit une sortie et
+le poursuivit l'épée dans les reins. Le colonel du quatrième de ligne
+bavarois, brave militaire, a été tué. Il est généralement regretté. Les
+Bavarois ont perdu vingt hommes, et ont eu une soixantaine de blessés.
+
+Toute l'armée est campée par divisions en bataillons carrés, dans des
+positions saines.
+
+Ces événemens d'avant-postes n'ont occasionné aucun mouvement dans
+l'armée. Tout est tranquille au quartier-général.
+
+Cette attaque générale de nos avant-postes, dans la journée du 13,
+paraît avoir eu pour but d'occuper l'armée française, pour l'empêcher de
+renforcer l'armée qui assiège Dantzick.
+
+Cette espérance de secourir Dantzick par une expédition maritime
+paraîtra fort extraordinaire à tout militaire sensé, et qui connaîtra le
+terrain et la position qu'occupé l'armée française.
+
+Les feuilles commencent à pousser. La saison est comme au mois d'avril
+en France.
+
+
+
+Finckenstein, le 18 mai 1807.
+
+_Soixante-quinzième bulletin de la grande-armée._
+
+Voici de nouveaux détails sur la journée du 15. Le maréchal Lefebvre
+fait une mention, particulière du général Schramm, auquel il attribue en
+grande partie le succès du combat de Weischelmunde.
+
+Le 15, depuis deux heures du matin, le général Schramm était en
+bataille, couvert par deux redoutes construites vis-à-vis le fort de
+Weischelmunde. Il avait les Polonais à sa gauche, les Saxons au centre,
+le deuxième régiment d'infanterie légère à sa droite, et le régiment de
+Paris en réserve. Le lieutenant-général russe Kaminski déboucha du
+fort à la pointe du jour, et après deux heures de combat, l'arrivée du
+douzième d'infanterie légère, que le maréchal Lefebvre expédia de la
+rive gauche, et un bataillon saxon, décidèrent l'affaire. De la
+brigade Oudinot, un seul bataillon put donner. Notre perte a été peu
+considérable. Un colonel polonais, M. Paris, a été tué. La perte de
+l'ennemi est plus forte qu'on ne pensait. On a enterré plus de neuf
+cents cadavres russes. On ne peut pas évaluer la perte de l'ennemi à
+moins de deux mille cinq cents hommes. Aussi ne bouge-t-il plus, et
+parait-t-il très-circonspect derrière l'enceinte de ses fortifications.
+Le nombre de bateaux chargés de blessés qui ont mis à la voile, est de
+quatorze.
+
+Dans la journée du 14, une division de cinq mille hommes prussiens et
+russes, mais en majorité prussiens, partie de Koenigsberg, débarqua à
+Pilau, longea la langue de terre dite le Nehrung, et arriva à Havelberg
+devant nos premiers postes de grand'garde de cavalerie légère, qui se
+replièrent jusqu'à Furtenswerder.
+
+L'ennemi s'avança jusqu'à l'extrémité du Frich-Haff. On s'attendait à
+le voir pénétrer par là sur Dantzick. Un pont jeté sur la Vistule à
+Furtenswerder facilitait le passage à l'infanterie cantonnée dans l'île
+de Nogat pour filer sur les derrières de l'ennemi. Mais les Prussiens
+furent plus avisés, et n'osèrent pas s'aventurer. L'empereur donna ordre
+au général Beaumont, aide de camp du grand-duc de Berg, de les attaquer.
+Le 16, à deux heures du malin, ce général déboucha, avec le général
+de brigade Albert, à la tête de deux bataillons de grenadiers de la
+réserve, le troisième et le onzième régimens de chasseurs et une brigade
+de dragons. Il rencontra l'ennemi entre Passenwerder et Stege, à la
+petite pointe du jour, l'attaqua, le culbuta et le poursuivit l'épée
+dans les reins pendant onze lieues, lui prit onze cents hommes, lui en
+tua un grand nombre, et lui enleva quatre pièces de canon. Le général
+Albert s'est parfaitement comporté; les majors Chemineau et Salmon se
+sont distingués. Le troisième et le onzième régimens de chasseurs ont
+donné avec la plus grande intrépidité. Nous avons eu un capitaine du
+troisième régiment de chasseurs et cinq ou six hommes tués, et huit ou
+dix blessés. Deux bricks ennemis qui naviguaient sur le Haff, sont venus
+nous harceler. Un obus, qui a éclaté sur le pont de l'un d'eux, les a
+fait virer de bord.
+
+Ainsi, depuis le 12, sur les différens points, l'ennemi a fait des
+pertes notables.
+
+L'empereur a fait manoeuvrer, dans la journée du 17, les fusiliers de
+la garde, qui sont campés près du château de Finckenstein dans d'aussi
+belles baraques qu'à Boulogne.
+
+Dans les journées des 18 et 19, toute la garde va également camper au
+même endroit.
+
+En Silésie, le prince Jérôme est campé avec son corps d'observation à
+Frankenstein, protégeant le siège de Neiss.
+
+Le 12, ce prince apprit qu'une colonne de trois mille hommes était
+sortie de Glatz pour surprendre Breslau. Il fit partir le général
+Lefebvre avec le premier régiment de ligne bavarois, excellent régiment,
+cent chevaux et trois cents Saxons. Le général Lefebvre atteignit la
+queue de l'ennemi le 14, à quatre heures du matin, au village de Cauth;
+il l'attaqua aussitôt, enleva le village à la baïonnette, et fit cent
+cinquante prisonniers; cent chevau-légers du roi de Bavière taillèrent
+en pièces la cavalerie ennemie, forte de cinq cents hommes, et la
+dispersèrent. Cependant l'ennemi se plaça en bataille et fit résistance.
+Les trois cents Saxons lâchèrent pied, conduite extraordinaire qui doit
+être le résultat de quelque malveillance; car les troupes saxonnes,
+depuis qu'elles sont réunies aux troupes françaises; se sont toujours
+bravement comportées. Cette défection inattendue mit le premier régiment
+de ligne bavarois dans une situation critique. Il perdit cent cinquante
+hommes gui furent faits prisonniers et dut battre en retraite, ce qu'il
+fit cependant en ordre. L'ennemi reprit le village de Cauth. A onze
+heures du matin, le général Dumuy, qui était sorti de Breslau à la tête
+d'un millier de Français, dragons, chasseurs et hussards à pied, qui
+avaient été envoyés en Silésie pour être montés, et dont une partie
+l'était déjà, attaqua l'ennemi en queue: cent cinquante hussards à pied
+enlevèrent le village de Cauht à la baïonnette, firent cent prisonniers,
+et reprirent tous les Bavarois qui avaient été faits prisonniers.
+
+L'ennemi, pour rentrer avec plus de facilité dans Glatz, s'était séparé
+en deux colonnes. Le général Lefebvre, qui était parti de Schweidnitz le
+15, tomba sur une de ces colonnes, lui tua cent hommes et lui fit quatre
+cents prisonniers, parmi lesquels trente officiers.
+
+Un régiment de lanciers polonais, arrivé la veille à Frankenstein, et
+dont le prince Jérôme avait envoyé un détachement au général Lefebvre,
+s'est distingué.
+
+La seconde colonne de l'ennemi avait cherché à gagner Glatz par
+Siberberg; le lieutenant-colonel Ducoudras, aide-de-camp du prince, la
+rencontra et la mit en déroute. Ainsi cette colonne de trois à quatre
+mille hommes, qui était sortie de Glatz, ne put y rentrer. Elle a été
+toute entière prise, tuée ou éparpillée.
+
+
+
+Finckenstein, le 30 mai 1807.
+
+_Soixante-seizième bulletin de la grande armée._
+
+Une belle corvette anglaise doublée en cuivre, de vingt-quatre canons,
+montée par cent vingt Anglais, et chargée de poudre et de boulets, s'est
+présentée pour entrer dans la ville de Dantzick. Arrivée à la hauteur
+de nos ouvrages, elle a été assaillie par une vive fusillade des deux
+rives, et obligée d'amener. Un piquet du régiment de Paris a sauté le
+premier à bord. Un aide-de-camp du général Kalkreuth, qui revenait du
+quartier-général russe, plusieurs officiers anglais ont été pris à bord.
+
+Cette corvette s'appelle _le Sans-Peur_.
+
+Indépendamment de cent vingt Anglais, il y avait soixante Russes sur ce
+bâtiment.
+
+La perte de l'ennemi au combat de Weischelmunde du 15, a été plus forte
+qu'on ne l'avait d'abord pensé, une colonne russe qui avait longé la
+mer, ayant été passée au fil de la baïonnette. Compte fait, on a enterré
+treize cents cadavres russes.
+
+Le 16, une division de sept mille Russes, commandée par le général
+Turkow, s'est portée de Broc sur le Bug, sur Pultusk, pour s'opposer
+à de nouveaux travaux qui avaient été ordonnés pour rendre plus
+respectable la tête de pont.
+
+Ces ouvrages étaient défendus par six bataillons bavarois, commandés par
+le prince royal de Bavière.
+
+L'ennemi a tenté quatre attaques. Dans toutes, il a été culbuté par les
+Bavarois, et mitraillé par les batteries des différens ouvrages.
+
+Le maréchal Masséna évalue la perte de l'ennemi à trois cents morts et
+au double de blessés.
+
+Ce qui rend l'affaire plus belle, c'est que les Bavarois étaient moins
+de quatre mille hommes.
+
+Le prince royal se loue particulièrement du baron de Wreden,
+officier-général au service de Bavière, d'un mérite distingué. La perte
+des Bavarois a été de quinze hommes tués et de cent cinquante blessés.
+
+Il y a autant de déraison dans l'attaque faite contre les ouvrages du
+général Lemarrois, dans la journée du 13, et dans l'attaque du 16 sur
+Pultusk, qu'il y en avait il y a six semaines, dans la construction de
+ce grand nombre de radeaux auxquels l'ennemi faisait travailler sur le
+Bug.
+
+Le résultat a été que ces radeaux, qui avaient coûté six semaines de
+travail, ont été brûlés en deux heures, quand on l'a voulu, et que ces
+attaques successives contre des ouvrages bien retranchés et soutenus de
+bonnes batteries, leur ont valu des pertes considérables sans espoir de
+profit.
+
+Il paraîtrait que ces opérations ont pour but d'attirer l'attention de
+l'armée française sur sa droite, mais les positions de l'armée française
+sont raisonnées sur toutes les bases et dans toutes les hypothèses,
+défensives comme offensives.
+
+Pendant ce temps, l'intéressant siège de Dantzick continue à marcher.
+L'ennemi éprouvera un notable dommage en perdant cette place importante
+et les vingt mille hommes qui y sont renfermés.
+
+Une mine a joué sur le Blockhausen et l'a fait sauter. On a débouché,
+sur le chemin couvert, par quatre amorces, et on exécute la descente du
+fossé.
+
+L'empereur a passé aujourd'hui l'inspection du cinquième régiment
+provisoire. Les huit premiers ont subi leur incorporation.
+
+On se loue beaucoup dans ces régimens des nouveaux conscrits génois, qui
+montrent de la bonne volonté et de l'ardeur.
+
+
+
+Finckenstein, le 28 mai 1807.
+
+_Soixante-dix-septième bulletin de la grande armée._
+
+Dantzick a capitulé. Cette belle place est en notre pouvoir. Huit cents
+pièces d'artillerie, des magasins de toute espèce, plus de cinq
+cents mille quintaux de grains, des caves considérables, de grands
+approvisionnemens de draps et d'épiceries, des ressources de toute
+espèce pour l'armée, et enfin une place forte du premier ordre appuyant
+notre gauche, comme Thorn appuie notre centre et Prag notre droite;
+tels sont les avantages obtenus pendant l'hiver et qui ont signalé les
+loisirs de la grande armée: c'est le premier, le plus beau fruit de la
+victoire d'Eylau. La rigueur de la saison, la neige qui a couvert nos
+tranchées, la gelée qui y a ajouté de nouvelles difficultés, n'ont pas
+été des obstacles pour nos travaux. Le maréchal Lefebvre a tout bravé;
+il a animé d'un même esprit les Saxons, les Polonais, les Badois, et
+les à fait marcher à son but. Les difficultés que l'artillerie a eues
+à vaincre étaient considérables. Cent bouches à feu, cinq à six cent
+milliers de poudre, une immense quantité de boulets ont été tirés
+de Stettin et des places de la Silésie. Il a fallu vaincre bien des
+difficultés de transport, mais la Vistule a offert un moyen facile et
+prompt. Les marins de la garde ont fait passer les bateaux sous le
+fort de Graudentz avec leur habileté et leur résolution ordinaires.
+Le général Chasseloup, le général Kirgener, le colonel Lacoste, et en
+général tous les officiers du génie ont servi de la manière la plus
+distinguée. Les sapeurs ont montré une rare intrépidité. Tout le
+corps d'artillerie commandé par le général Lariboissière a soutenu sa
+réputation. Le deuxième régiment d'infanterie légère, le douzième et les
+troupes de Paris, le général Schramm et le général Puthod se sont fait
+remarquer.
+
+Un journal détaillé de ce siége sera rédigé avec soin. Il consacrera un
+grand nombre de faits de bravoure dignes d'être offerts comme exemples,
+et faits pour exciter l'enthousiasme et l'admiration.
+
+Le 17, la mine fit sauter un blockhaus de la place d'armes du chemin
+couvert.
+
+Le 19, la descente et le passage du fossé furent exécutés à sept heures
+du soir.
+
+Le 21, le maréchal Lefebvre ayant tout préparé pour l'assaut, on y
+montait lorsque le colonel Lacoste, qui avait été envoyé le matin
+dans la place pour affaires de service, fit connaître que le général
+Kalkreuth demandait à capituler aux mêmes conditions qu'il avait
+autrefois accordées à la garnison de Mayence. On y consentit.
+
+Le Hakelsberg aurait été enlevé d'assaut sans une grande perte, mais le
+corps de place était encore entier; un large fossé rempli d'eau courante
+offrait assez de difficultés pour que les assiégés prolongeassent leur
+défense pendant une quinzaine de jours. Dans cette situation, il a paru
+convenable de leur accorder une capitulation honorable.
+
+Le 27, la garnison a défilé, le général Kalkreuth à sa tête.
+
+Cette forte garnison, qui d'abord était de seize mille hommes, est
+réduite à neuf mille, et sur ce nombre, quatre mille ont déserté. Il y
+a même des officiers parmi les déserteurs. «Nous ne voulons pas,
+disent-ils, aller en Sibérie.» Plusieurs milliers de chevaux nous ont
+été remis; mais ils sont en fort mauvais état.
+
+On dresse en ce moment les inventaires des magasins. Le général Rapp est
+nommé gouverneur de Dantzick.
+
+Le lieutenant-général russe Kamenski, après avoir été battu le 15,
+s'était acculé sous les fortifications de Weischelmunde; il y est
+demeuré sans rien oser entreprendre, et il a été spectateur de la
+reddition de la place. Lorsqu'il a vu que l'on établissait des batteries
+à boulets rouges pour brûler ses vaisseaux, il est monté à bord et s'est
+retiré. Il est retourné à Pilau.
+
+Le fort de Weischelmunde tenait encore. Le maréchal Lefebvre l'a fait
+sommer le 29, et pendant que l'on réglait la capitulation, la garnison
+est sortie du fort et s'est rendue. Le commandant, abandonné, s'est
+sauvé par mer, ainsi nous sommes maîtres de la ville et du port de
+Dantzick. Ces événemens sont d'un heureux présage pour la campagne.
+L'empereur de Russie et le roi de Prusse étaient à Heiligenberg. Ils ont
+pu conjecturer de la reddition de la place, par la cessation du feu. Le
+canon s'entendait jusque-là.
+
+L'empereur, pour témoigner sa satisfaction à l'armée assiégeante, a
+accordé une gratification à chaque soldat.
+
+Le siége de Graudentz commence sous le commandement du général Victor.
+Le général Lazowski commande le génie, et le général Danthouard
+l'artillerie. Graudentz est fort par sa grande quantité de mines.
+
+La cavalerie de l'armée est belle. Les divisions de cavalerie légère,
+deux divisions de cuirassiers et une de dragons ont été passées en revue
+à Elbing, le 26, par le grand-duc de Berg. Le même jour, S.M. s'est
+rendue à Bischoffverder et à Strasburg, où elle a passé en revue la
+division de cuirassiers d'Hautpoult et la division de dragons du général
+Grouchy. Elle a été satisfaite de leur tenue et du bon état des chevaux.
+
+L'ambassadeur de la Porte, Seid-Mohammed-Emen-Vahid, a été présenté le
+28 à deux heures après-midi, par M. le prince de Bénévent, à l'empereur,
+auquel il a remis ses lettres de créance. Il est resté une heure dans
+le cabinet de S.M.; il est logé au château, et occupe l'appartement du
+grand-duc de Berg, absent pour la revue. On assure que l'empereur lui a
+dit que lui et l'empereur Sélim étaient désormais inséparables, comme la
+main droite et la main gauche. Toutes les bonnes nouvelles des succès
+d'Ismaïl et de Valachie venaient d'arriver. Les Russes ont été obligés
+de lever le siége d'Ismaïl et d'évacuer la Valachie.
+
+
+
+De notre camp impérial de Finckenstein, le 28 mai 1807.
+
+_Lettre de S.M. aux archevêques et évêques de France._
+
+«Monsieur l'évêque de .... après la mémorable victoire d'Eylau, qui a
+terminé la dernière campagne, l'ennemi, chassé à plus de quarante lieues
+de la Vistule, n'a pu porter aucun secours à la ville de Dantzick.
+Malgré la rigueur de la saison, nous en avons fait sur-le-champ
+commencer le siége. Après quarante jours de tranchée, cette importante
+place est tombée au pouvoir de nos armes. Tout ce que nos ennemis ont pu
+entreprendre pour la secourir, a été déjoué. La victoire a constamment
+suivi nos drapeaux. Des magasins immenses de subsistances et
+d'artillerie, une des villes les plus riches et les plus commerçantes du
+monde se trouvent par-là en notre pouvoir dès le début de la campagne.
+Nous ne pouvons attribuer des succès si prompts et si éclatans qu'à
+cette protection spéciale, dont la divine Providence nous a donné tant
+de preuves. Notre volonté est donc qu'au reçu de la présente, vous
+ayez à vous concerter avec qui de droit, et à réunir nos peuples pour
+adresser de solennelles actions de grâces au Dieu des armées, afin qu'il
+daigne continuer à favoriser nos armes et à veiller sur le bonheur
+de notre patrie. Que nos peuples prient aussi pour que ce cabinet
+persécuteur de notre sainte religion, tout autant qu'ennemi éternel
+de notre nation, cesse d'avoir de l'influence dans les cabinets du
+continent, afin qu'une paix solide et glorieuse, digne de nous et de
+notre grand peuple, console l'humanité, et nous mette à même de donner
+un plein essor à tous les projets que nous méditons pour le bien de la
+religion et de nos peuples. Cette lettre n'étant pas à autre fin, nous
+prions Dieu qu'il vous ait, monsieur l'évêque, en sa sainte garde.»
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+De notre camp impérial de Finckenstein, le 28 mai 1807.
+
+_Message de S.M. l'empereur et roi au sénat._
+
+«Sénateurs, par nos décrets du 30 mars de l'année 1806, nous avons
+institué des duchés pour récompenser les grands services civils et
+militaires qui nous ont été ou qui nous seront rendus, et pour donner de
+nouveaux appuis à notre trône, et environner notre couronne d'un nouvel
+éclat.
+
+«C'est à nous à songer à assurer l'état et la fortune des familles qui
+se dévouent entièrement à notre service, et qui sacrifient constamment
+leurs intérêts aux nôtres. Les honneurs permanens, la fortune légitime,
+honorable et glorieuse que nous voulons donner à ceux qui nous rendent
+des services éminens, soit dans la carrière civile, soit dans la
+carrière militaire, contrasteront avec la fortune illégitime,
+cachée, honteuse de ceux qui, dans l'exercice de leurs fonctions, ne
+chercheraient que leur intérêt, au lieu d'avoir en vue celui de nos
+peuples et le bien de notre service. Sans doute, la conscience d'avoir
+fait son devoir, et les biens attachés à notre estime, suffisent pour
+retenir un bon Français dans la ligne de l'honneur; mais l'ordre de
+notre société est ainsi constitué, qu'à des distinctions apparentes, à
+une grande fortune sont attachés une considération et un éclat dont
+nous voulons que soient environnés ceux de nos sujets grands par leurs
+talens, par leurs services, et par leur caractère, ce premier don de
+l'homme.
+
+Celui qui nous a le plus secondé dans cette première journée de
+notre règne, et qui, après avoir rendu des services dans toutes les
+circonstances de sa carrière militaire, vient d'attacher son nom à un
+siége mémorable où il a déployé des talens et un brillant courage,
+nous a paru mériter une éclatante distinction. Nous avons voulu
+aussi consacrer une époque si honorable pour nos armes, et par les
+lettres-patentes dont nous chargeons notre cousin l'archi-chancelier de
+vous donner communication, nous avons créé notre cousin le maréchal
+et sénateur Lefebvre, duc de Dantzick. Que ce titre porté par ses
+descendans, leur retrace les vertus de leur père, et qu'eux-mêmes ils
+s'en reconnaissent indignes, s'ils préféraient jamais un lâche repos et
+l'oisiveté de la grande ville aux périls et à la noble poussière des
+camps, si jamais leurs premiers sentimens cessaient d'être pour la
+patrie et pour nous! Qu'aucun d'eux ne termine sa carrière sans avoir
+versé son sang pour la gloire et l'honneur de notre belle France; que
+dans le nom qu'ils portent, ils ne voient jamais un privilège, mais
+des devoirs envers nos peuples et envers nous. A ces conditions, notre
+protection et celle de nos successeurs les distinguera dans tous les
+temps.
+
+«Sénateurs, nous éprouvons un sentiment de satisfaction en pensant
+que les premières lettres-patentes qui, en conséquence de notre
+sénatus-consulte du 14 août 1806, doivent être inscrites sur vos
+registres, consacrent les services de votre préteur.»
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+De notre camp impérial de Finckenstein, le 28 mai 1807.
+
+_Lettres-patentes de S.M. l'empereur et roi._
+
+NAPOLÉON, par la grâce de Dieu et par les constitutions de la
+république, empereur des Français, à tous présens et à venir, salut:
+
+Voulant donner à notre cousin le maréchal et sénateur Lefebvre, un
+témoignage de notre bienveillance pour l'attachement et fidélité qu'il
+a toujours montrés, et reconnaître les services éminens qu'il nous a
+rendus le premier jour de nôtre règne, qu'il n'a cessé de nous rendre
+depuis, et auquel il vient d'ajouter encore un nouvel éclat par la
+prise de la ville de Dantzick; désirant de plus, consacrer par un titre
+spécial le souvenir de cette circonstance mémorable et glorieuse, nous
+avons résolu de lui conférer et nous lui conférons, par les présentes,
+le titre de _duc de Dantzick_, avec une dotation en domaines situés dans
+l'intérieur de nos états.
+
+Nous entendons que ledit duché de Dantzick soit possédé par notre cousin
+le maréchal et sénateur Lefebvre, et transmis héréditairement à ses
+enfans mâles, légitimes et naturels, par ordre de primogéniture, pour en
+jouir en toute propriété aux charges et conditions, et avec les
+droits, titres, honneurs et prérogatives attachés aux duchés par les
+constitutions de l'empire, nous réservant, si sa descendance masculine
+légitime et naturelle venait à s'éteindre, ce que Dieu ne veuille,
+de transmettre ledit duché à notre choix et ainsi qu'il sera jugé
+convenable par nous ou nos successeurs, pour le bien de nos peuples et
+l'intérêt de notre couronne.
+
+Nous ordonnons que les présentes lettres-patentes soient communiquées au
+sénat, pour être transcrites sur ses registres.
+
+Ordonnons pareillement qu'aussitôt que la dotation définitive du duché
+de Dantzick aura été revêtue de notre approbation, l'état détaillé des
+biens dont elle se trouvera composée, soit, en exécution des ordres
+donnés à cet effet par notre ministre de la justice, inscrit au greffe
+de la cour d'appel dans le ressort de laquelle l'habitation principale
+du duché sera située, et que la même inscription ait lieu au bureau des
+hypothèques des arrondissemens respectifs, afin que la condition desdits
+biens, résultant des dispositions du sénatus-consulte du 14 août 1806,
+soit généralement reconnue, et que personne ne puisse en prétendre cause
+d'ignorance.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Heilsberg, le 12 juin 1807.
+
+_Soixante-dix-huitième bulletin de la grande armée._
+
+Des négociations de paix avaient eu lieu pendant tout l'hiver. On avait
+proposé à la France un congrès général, auquel toutes les puissances
+belligérantes auraient été admises, la Turquie seule exceptée.
+L'empereur avait été justement révolté d'une telle proposition. Après
+quelques mois de pourparlers, il fut convenu que toutes les puissances
+belligérantes; sans exception, enverraient des plénipotentiaires au
+congrès, gui se tiendrait à Copenhague. L'empereur avait fait connaître
+que la Turquie étant admise à faire cause commune dans les négociations
+avec la France, il n'y avait pas d'inconvénient à ce que l'Angleterre
+fît cause commune avec la Russie. Les ennemis demandèrent alors sur
+quelles bases le congrès aurait à négocier. Ils n'en proposaient aucune,
+et voulaient cependant que l'empereur en proposât. L'empereur ne fit
+point de difficulté de déclarer que, selon lui, la base des négociations
+devait être égalité et réciprocité entre les deux masses belligérantes,
+et que les deux masses belligérantes entreraient en commun dans un
+système de compensations.
+
+La modération, la clarté, la promptitude de cette réponse, ne laissèrent
+aucun doute aux ennemis de la paix sur les dispositions pacifiques de
+l'empereur; ils en craignirent les effets, et au moment même où l'on
+répondait qu'il n'y avait plus d'obstacles à l'ouverture du congrès,
+l'armée russe sortit de ses cantonnemens et vint attaquer l'armée
+française. Le sang a de nouveau été répandu, mais du moins la France en
+est innocente. Il n'est aucune ouverture pacifique que l'empereur n'ait
+écoutée, il n'est aucune proposition à laquelle il ait différé de
+répondre; il n'est aucun piége tendu par les fauteurs de la guerre que
+sa volonté n'ait écarté. Ils ont inconsidérément fait courir l'armée
+russe aux armes, quand ils ont vu leurs démarches déjouées, et ces
+coupables entreprises, que désavouait la justice, ont été confondues. De
+nouveaux échecs ont été attirés sur les armées de la Russie, de nouveaux
+trophées ont couronné celles de la France. Rien ne prouve davantage que
+la passion et des intérêts étrangers à ceux de la Russie et de la Prusse
+dirigent le cabinet de ces deux puissances, et conduisent leurs braves
+armées à de nouveaux malheurs, en les forçant à de nouveaux combats, que
+la circonstance où l'armée russe reprend les hostilités: c'est quinze
+jours après que Dantzick s'est rendu, c'est lorsque ses opérations sont
+sans objets, c'est lorsqu'il ne s'agit plus de faire lever le siége de
+ce boulevard, dont l'importance aurait justifié toutes les tentatives,
+et pour la conservation duquel aucun militaire n'aurait été blâmé
+d'avoir tenté le sort de trois batailles. Ces considérations sont
+étrangères aux passions qui ont préparé les événemens qui viennent de
+se passer; empêcher les négociations de s'ouvrir, éloigner deux princes
+prêts à se rapprocher et à s'entendre, tel est le but qu'on s'est
+proposé. Quel sera le résultat d'une telle démarche? où est la
+probabilité du succès? Toutes ces questions sont indifférentes à ceux
+qui soufflent la guerre. Que leur importent les malheurs des armées
+russes et prussiennes? S'ils peuvent prolonger encore les calamités qui
+pèsent sur l'Europe, leur but est rempli.
+
+Si l'empereur n'avait eu en vue d'autre intérêt que celui de sa gloire,
+s'il n'avait fait d'autres calculs que ceux qui étaient relatifs à
+l'avantage de ses opérations militaires, il aurait ouvert la campagne
+immédiatement après la prise de Dantzick; et cependant quoiqu'il
+n'existât ni trêve, ni armistice, il ne s'est occupé que de l'espérance
+de voir arriver à bien les négociations commencées.
+
+_Combat de Spanden._
+
+Le 5 juin, l'armée russe se mit en mouvement; ses divisions de droite
+attaquèrent la tête de pont de Spanden, que le général Frère défendait
+avec le vingt-septième régiment d'infanterie légère. Douze régimens
+russes et prussiens firent de nouveaux efforts; sept fois ils les
+renouvelèrent, et sept fois ils furent repoussés. Cependant le prince
+de Ponte-Corvo avait réuni son corps d'armée; mais avant qu'il
+pût déboucher, une seule charge du dix-septième de dragons, faite
+immédiatement après le septième assaut donné à la tête de pont, avait
+forcé l'ennemi à abandonner le champ de bataille et à battre en
+retraite. Ainsi, pendant tout un jour, deux divisions ont attaqué sans
+succès un régiment qui, à la vérité, était retranché.
+
+Le prince de Ponte-Corvo visitant en personne les retranchemens, dans
+l'intervalle des attaques, pour s'assurer de l'état des batteries, a
+reçu une blessure légère, qui le tiendra pendant une quinzaine de jours
+éloigné de son commandement. Notre perte dans cette affaire a été peu
+considérable; l'ennemi a perdu douze cents hommes, et a eu beaucoup de
+blessés.
+
+_Combat de Lomitten._
+
+Deux divisions russes du centre attaquaient au même moment la tête de
+pont de Lomitten. La brigade du général Ferrey, du corps du
+maréchal Soult, défendait cette position. Le quarante-sixième,
+le cinquante-septième et le vingt-quatrième d'infanterie légère
+repoussèrent l'ennemi pendant toute la journée. Les abattis et les
+ouvrages restèrent couverts de Russes; leur général fut tué. La perte
+de l'ennemi fut de onze cents hommes tués, cent prisonniers et un grand
+nombre de blessés. Nous avons eu deux cents hommes tués ou blessés.
+
+Pendant ce temps, le général en chef russe, avec le grand-duc
+Constantin, la garde impériale russe et trois divisions, attaqua à la
+fois les positions du maréchal Ney sur Altkirken, Amt, Guttstadt et
+Volfsdorff; il fut partout repoussé, mais lorsque le maréchal Ney
+s'aperçut que les forces qui lui étaient opposées étaient de plus de
+quarante mille hommes, il suivit ses instructions, et porta son corps à
+Ackendorff.
+
+_Combat de Deppen._
+
+Le lendemain 6, l'ennemi attaqua le sixième corps dans sa position de
+Deppen sur la Passarge; il y fut culbuté. Les manoeuvres du maréchal
+Ney, l'intrépidité qu'il a montrée et qu'il a communiquée à toutes ses
+troupes, les talens déployés dans cette circonstance par le général de
+division Marchand et par les autres officiers-généraux, sont dignes
+des plus grands éloges. L'ennemi, de son propre aveu, a eu, dans cette
+journée, deux mille hommes tués et plus de trois mille blessés; notre
+perte a été de cent soixante hommes tués, deux cents blessés et deux
+cent cinquante faits prisonniers. Ceux-ci ont été, pour la plupart,
+enlevés par les cosaques qui, le matin de l'attaque, s'étaient portés
+sur les dernières de l'armée. Le général Roger ayant été blessé, est
+tombé de cheval, et a été fait prisonnier dans une charge. Le général de
+brigade Dutaillis a eu le bras emporté par un boulet.
+
+L'empereur arriva le 8 à Deppen au camp du maréchal Ney; il donna
+sur-le-champ les ordres nécessaires. Le quatrième corps se porta sur
+Volfsdorff, où, ayant rencontré une division russe de Kamenski, qui
+rejoignait le corps d'armée, il l'attaqua, lui mit hors de combat quatre
+ou cinq cents hommes, lui fit cent-cinquante prisonniers et vint prendre
+position le soir à Altirken. Le 9, l'empereur se porta sur Guttstadt
+avec les corps des maréchaux Ney, Davoust et Lannes, avec sa garde et la
+cavalerie de réserve. Une partie de l'arrière-garde ennemie, formant
+dix mille hommes de cavalerie et quinze mille hommes d'infanterie, prit
+position à Glottau, et voulut disputer le passage. Le grand-duc de Berg,
+après des manoeuvres fort habiles, la débusqua successivement de toutes
+ses positions. Les brigades de cavalerie légère des généraux Pajol,
+Bruyer et Durosnel et la division de grosse cavalerie du général
+Nansouty triomphèrent de tous les efforts de l'ennemi.
+
+Le soir, à huit heures, nous entrâmes de vive force à Guttstadt; un
+millier de prisonniers, la prise de toutes les positions en avant de
+Guttstadt, et la déroute de l'infanterie ennemie furent les suites de
+cette journée. Les régimens de cavalerie de la garde russe ont surtout
+été très-maltraités.
+
+Le 10, l'armée se dirigea sur Heilsberg; elle enleva les divers camps
+de l'ennemi. Un quart de lieue au-delà de ces camps, l'arrière-garde
+se montra en position, elle avait quinze à dix-huit mille hommes de
+cavalerie et plusieurs lignes d'infanterie. Les cuirassiers de la
+division Espagne, la division de dragons Latour-Maubourg et les brigades
+de cavalerie légère, entreprirent différentes charges et gagnèrent du
+terrain. A deux heures le corps du maréchal Soult se trouva formé; deux
+divisions marchèrent sur la droite, tandis que la division Legrand
+marchait sur la gauche pour s'emparer de la pointe d'un bois dont
+l'occupation était nécessaire, afin d'appuyer la gauche de la cavalerie.
+Toute l'armée russe se trouvait alors à Heilsberg; elle alimenta ses
+colonnes d'infanterie et de cavalerie, et fit de nombreux efforts pour
+se maintenir dans ses positions en avant de cette ville. Plusieurs
+divisions russes furent mises en déroute, et à neuf heures du soir, on
+se trouva sous les retranchemens ennemis.
+
+Les fusiliers de la garde, commandés par le général Savary, furent
+mis en mouvement pour soutenir la division St.-Hilaire, et firent des
+prodiges. La division Verdier, du corps d'infanterie de réserve du
+maréchal Lannes, s'engagea, la nuit étant déjà tombée, et déborda
+l'ennemi, afin de lui couper le chemin de Lansberg; elle y réussit
+parfaitement. L'ardeur des troupes était telle, que plusieurs compagnies
+d'infanterie furent insulter les ouvrages retranchés des Russes.
+Quelques braves trouvèrent la mort dans les fossés des redoutes et au
+pied des palissades.
+
+L'empereur passa la journée du 11 sur le champ de bataille; il y plaça
+les corps d'armée et les divisions pour donner une bataille qui fût
+décisive, et telle qu'elle pût mettre fin à la guerre. Toute l'armée
+russe était réunie; elle avait à Heilsberg tous ses magasins; elle
+occupait une superbe position que la nature avait rendue très-forte, et
+que l'ennemi avait encore fortifiée par un travail de quatre mois.
+
+A quatre heures après-midi, l'empereur ordonna au maréchal Davoust de
+faire un changement de front par son extrémité de droite, la gauche
+en avant; ce mouvement le porta sur la basse Alle, et intercepta
+complètement le chemin d'Eylau. Chaque corps d'armée avait ses postes
+assignés; ils étaient tous réunis, hormis le premier corps, qui
+continuait à manoeuvrer sur la basse Passarge. Ainsi les Russes, qui
+avaient les premiers recommencé les hostilités, se trouvaient comme
+bloqués dans leur camp retranché; on venait leur présenter la bataille
+dans la position qu'ils avaient eux-mêmes choisie.
+
+On crut long-temps qu'ils attaqueraient dans la journée du 11.
+
+Au moment où l'armée française faisait ses dispositions, ils se
+laissaient voir rangés en colonnes au milieu de leurs retranchemens,
+farcis de canons.
+
+Mais soit que ces retranchemens ne leur parussent pas assez formidables,
+à l'aspect des préparatifs qu'ils voyaient faire devant eux, soit que
+cette impétuosité qu'avait montrée l'armée française dans la journée du
+10 leur en imposât, ils commencèrent, à dix heures du soir, à passer sur
+la rive droite de l'Alle, en abandonnant tous les pays de la gauche, et
+laissant à la disposition du vainqueur leurs blessés, leurs magasins et
+ces retranchemens, fruit d'un travail si long et si pénible. Le 12, à
+la pointe du jour, tous les corps d'armée s'ébranlèrent, et prirent
+différentes directions.
+
+Les maisons d'Heilsberg et celles des villages voisins sont remplies de
+blessés russes.
+
+Le résultat de ces différentes journées, depuis le 5 jusqu'au 12, a été
+de priver l'armée russe d'environ trente mille combattans; elle a laissé
+dans nos mains trois ou quatre mille hommes, sept ou huit drapeaux et
+neuf pièces de canon. Au dire des paysans et des prisonniers, plusieurs
+des généraux russes les plus marquans ont été tués ou blessés.
+
+Notre perte monte à six ou sept cents hommes tués, deux mille ou deux
+mille deux cents blessés, deux ou trois cents prisonniers. Le général de
+division Espagne a été blessé; le général Roussel, chef de l'état-major
+de la garde, qui se trouvait au milieu des fusiliers, a eu la tête
+emportée par un boulet de canon; c'était un officier très-distingué.
+
+Le grand-duc de Berg a eu deux chevaux tués sous lui. M. de Ségur, un
+de ses aides-de-camp, a eu un bras emporté. M. Lameth, aide-de-camp du
+maréchal Soult, a été blessé. M. Lagrange, colonel du septième régiment
+de chasseurs à cheval, a été atteint par une balle.
+
+Dans les rapports détaillés que rédigera l'état-major, on fera connaître
+les traits de bravoure par lesquels se sont signalés un grand nombre
+d'officiers et de soldats, et les noms de ceux qui ont été blessés dans
+la mémorable journée du 10 juin.
+
+On a trouvé dans les magasins d'Heilsberg plusieurs milliers de quintaux
+de farine et beaucoup de denrées de diverses sortes. L'impuissance de
+l'armée russe, démontrée par la prise de Dantzick, vient de l'être
+encore par l'évacuation du camp de Heilsberg; elle l'est par sa
+retraite; elle le sera d'une manière plus éclatante encore si les Russes
+attendent l'armée française; mais dans de si grandes armées, qui exigent
+vingt-quatre heures pour mettre tous les corps en position, on ne peut
+avoir que des affaires partielles, lorsque l'une d'elles n'est pas
+disposée à finir bravement la querelle dans une affaire générale.
+
+Il parait que l'empereur Alexandre avait quitté son armée quelques jours
+avant la reprise des hostilités. Plusieurs personnes prétendent que le
+parti anglais l'a éloigné, pour qu'il ne fût pas témoin des malheurs
+qu'entraîne la guerre et des désastres de son armée, prévus par ceux
+mêmes qui l'ont excité à rentrer en campagne. On a craint qu'un si
+déplorable spectacle ne lui rappelât les véritables intérêts de son
+pays, ne le fît revenir aux conseils des hommes sages et désintéressés,
+et ne le ramenât enfin, par les sentimens les plus propres à toucher un
+souverain, à repousser la funeste influence que la corruption anglaise
+exerce autour de lui.
+
+
+
+De notre camp impérial de Friedland, le 15 juin 1807.
+
+_Lettre de S. M. l'empereur et roi à MM. les archevêques et évêques._
+
+Monsieur l'évêque de...... La victoire éclatante qui vient d'être
+remportée par nos armes sur le champ de bataille de Friedland, qui a
+confondu les ennemis de notre peuple, et qui a mis en notre pouvoir la
+ville importante de Koenigsberg et les magasins considérables qu'elle
+contenait, doit être pour nos sujets un nouveau motif d'actions de
+grâce envers le dieu des armées. Cette victoire mémorable a signalé
+l'anniversaire de la bataille de Marengo, de ce jour, où tout couvert
+de poussière du champ de bataille, notre première pensée, notre premier
+soin fut pour le rétablissement de l'ordre et de la paix dans l'église
+de France. Notre intention est qu'au reçu de la présente vous vous
+concertiez avec qui de droit, et vous réunissiez nos sujets de votre
+diocèse dans vos églises cathédrales et paroissiales, pour y chanter
+un Te Deum, et adresser au ciel les autres prières que vous jugerez
+convenable d'ordonner dans de pareilles circonstances. Cette lettre
+n'étant à d'autre fin, monsieur l'évêque de......., je prie Dieu qu'il
+vous ait en sa sainte garde.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Wehlau, le 17 juin 1807.
+
+_Soixante-dix-neuvième bulletin de la grande armée._
+
+Les combats de Spanden, de Lomitten, les journées de Guttstadt et de
+Heilsberg n'étaient que le prélude de plus grands événemens.
+
+Le 12, à quatre heures du matin, l'armée française entra à Heilsberg. Le
+général Latour-Maubourg avec sa division de dragons et les brigades
+de cavalerie légère des généraux Durosnel et Wattier, poursuivirent
+l'ennemi sur la rive droite de l'Alle dans la direction de Bartenstein,
+pendant que les corps d'armée se mettaient en marche dans différentes
+directions pour déborder l'ennemi et lui couper sa retraite sur
+Koenigsberg, en arrivant avant lui sur ses magasins. La fortune a souri
+à ce projet.
+
+Le 12, à cinq heures après-midi, l'empereur porta son quartier-général
+à Eylau. Ce n'étaient plus ces champs couverts de glaces et de neige,
+c'était le plus beau pays de la nature, coupé de beaux bois, de beaux
+lacs, et peuplé de jolis villages.
+
+Le grand-duc de Berg se porta le 13 sur Koenigsberg avec sa cavalerie;
+le maréchal Davoust marcha derrière pour le soutenir; le maréchal Soult
+se porta sur Creutzbourg; le maréchal Lannes sur Damnau; les maréchaux
+Ney et Mortier sur Lampaseh.
+
+Cependant le général Latour-Maubourg écrivait qu'il avait poursuivi
+l'arrière-garde ennemie; que les Russes abandonnaient beaucoup de
+blessés; qu'ils avaient évacué Bartenstein, et continuaient leur
+retraite sur Schippenbeil, par la rive droite de l'Alle. L'empereur se
+mit sur-le-champ en marche sur Friedland; il donna ordre au duc de Berg,
+aux maréchaux Soult et Davoust de manoeuvrer sur Koenigsberg, et avec
+les corps des maréchaux Ney, Lannes, Mortier, avec la garde impériale et
+le premier corps commandé par le général Victor, il marcha en personne
+sur Friedland.
+
+Le 13, le neuvième de hussards entra à Friedland; mais il en fut chassé
+par trois mille hommes de cavalerie.
+
+Le 14, l'ennemi déboucha sur le pont de Friedland. A trois heures du
+matin, des coups de canon se firent entendre. «C'est un jour de bonheur,
+dit l'empereur, c'est l'anniversaire de Marengo.»
+
+Les maréchaux Lannes et Mortier furent les premiers engagés; ils étaient
+soutenus par la division de dragons du général Grouchy et par les
+cuirassiers du général Nansouty. Différens mouvemens, différentes
+actions eurent lieu. L'ennemi fut contenu, et ne put pas dépasser le
+village de Posthenem. Croyant qu'il n'avait devant lui qu'un corps de
+quinze mille hommes, l'ennemi continua son mouvement pour filer sur
+Koenigsberg. Dans cette occasion, les dragons et les cuirassiers
+français et saxons firent les plus belles charges, et prirent quatre
+pièces de canon à l'ennemi.
+
+À cinq heures du soir, les différens corps d'armée étaient à leur place.
+A la droite, le maréchal Ney; au centre, le maréchal Lannes; à la
+gauche, le Maréchal Mortier; à la réserve, le corps du général Victor et
+la garde.
+
+La cavalerie, sous les ordres du général Grouchy, soutenait la gauche.
+La division de dragons du général Latour-Maubourg était en réserve
+derrière la droite, la division de dragons du général Lahoussaye et les
+cuirassiers saxons étaient en réserve derrière le centre.
+
+Cependant l'ennemi avait déployé toute son armée; il appuyait sa gauche
+à la ville de Friedland et sa droite se prolongeait à une lieue et
+demie.
+
+L'empereur, après avoir reconnu la position, décida d'enlever
+sur-le-champ la ville de Friedland, en faisant brusquement un changement
+de front, la droite en avant, et fit commencer l'attaque par l'extrémité
+de sa droite.
+
+A cinq heures et demie, le maréchal Ney se mit en mouvement, quelques
+salves d'une batterie de vingt pièces de canon furent le signal. Au même
+moment, la division du général Marchand avança, l'arme au bras, sur
+l'ennemi, prenant sa direction sur le clocher de la ville. La division
+du général Bisson la soutenait sur la gauche. Du moment où l'ennemi
+s'aperçut que le maréchal Ney avait quitté le bois où sa droite était
+en position, il le fit déborder par des régimens de cavalerie,
+précédés d'une nuée de cosaques. La division de dragons du général
+Latour-Maubourg se forma sur-le-champ au galop sur la droite, et
+repoussa la charge ennemie. Cependant le général Victor fit placer une
+batterie de trente pièces de canon en avant de son centre; le général
+Sennarmont, qui la commandait, se porta à plus de quatre cents pas en
+avant et fit éprouver une horrible perte à l'ennemi. Les différentes
+démonstrations que les Russes voulurent faire pour opérer une diversion
+furent inutiles. Le maréchal Ney, avec un sang-froid, et avec cette
+intrépidité qui lui est particulière, était en avant de ses échelons,
+dirigeant lui-même les plus petits détails, et donnait l'exemple à un
+corps d'armée, qui toujours s'est fait distinguer, même parmi les
+corps de la grande armée. Plusieurs colonnes d'infanterie ennemie, qui
+attaquaient la droite du maréchal Ney, furent chargées à la baïonnette
+et précipitées dans l'Alle. Plusieurs milliers d'hommes y trouvèrent
+la mort; quelques-uns échappèrent à la nage. La gauche du maréchal Ney
+arriva sur ces entrefaites au ravin qui entoure la ville de Friedland.
+L'ennemi, qui y avait embusqué la garde impériale russe à pied et à
+cheval, déboucha avec intrépidité, et fit une charge sur la gauche du
+maréchal Ney, qui fut un moment ébranlée; mais la division Dupont, qui
+formait la droite de la réserve, marcha sur la garde impériale, la
+culbuta et en fit un horrible carnage.
+
+L'ennemi tira de ses réserves et de son centre d'autres corps pour
+défendre Friedland. Vains efforts! Friedland fut forcé et ses rues
+furent jonchées de morts.
+
+Le centre, que commandait le maréchal Lannes, se trouva dans ce moment
+engagé. L'effort que l'ennemi avait fait sur l'extrémité de la droite de
+l'armée française ayant échoué, il voulut essayer un semblable effort
+sur le centre. Il y fut reçu comme on devait l'attendre des braves
+divisions Oudinot et Verdier, et du maréchal qui les commandait.
+
+Des charges d'infanterie et de cavalerie ne purent pas retarder la
+marche de nos colonnes. Tous les efforts de la bravoure des Russes
+furent inutiles; ils ne purent rien entamer, et vinrent trouver la mort
+sur nos baïonnettes.
+
+Le maréchal Mortier, qui pendant toute la journée fit grandes preuves de
+sang-froid et d'intrépidité, en maintenant la gauche, marcha alors en
+avant, et fut soutenu par les fusiliers de la garde, que commandait le
+général Savary. Cavalerie, infanterie, artillerie, tout le monde s'est
+distingué.
+
+La garde impériale à pied et à cheval, et deux divisions de la réserve
+du premier corps n'ont pas été engagées. La victoire n'a pas hésité
+un seul instant. Le champ de bataille est un des plus horribles qu'on
+puisse voir. Ce n'est pas exagérer que de porter le nombre des morts, du
+côté des Russes, de quinze à dix-huit mille hommes. Du côté des Français
+la perte ne se monte pas à cinq cents morts, ni à plus de trois mille
+blessés. Nous avons pris quatre-vingt pièces de canon et une grande
+quantité de caissons. Plusieurs drapeaux sont restés en notre pouvoir.
+Les Russes ont eu vingt-cinq généraux tués, pris ou blessés. Leur
+cavalerie a fait des pertes immenses.
+
+Les carabiniers et les cuirassiers, commandés par le général Nansouty,
+et les différentes divisions de dragons se sont fait remarquer. Le
+général Grouchy, qui commandait la cavalerie de l'aile gauche, a rendu
+des services importans.
+
+Le général Drouet, chef de l'état-major du corps d'armée du maréchal
+Lannes; le général Cohorn, le colonel Regaud, du quinzième de ligne; le
+colonel Lajonquière, du soixantième de ligne; le colonel Lamotte, du
+quatrième de dragons, et le général de brigade Brun, ont été blessés.
+Le général de division Latour-Maubourg l'a été à la main. Le colonel
+d'artillerie de Forno, et le chef d'escadron Hutin, premier aide-de-camp
+du général Oudinot, ont été tués. Les aides-de-camp de l'empereur,
+Mouton et Lacoste, ont été légèrement blessés.
+
+La nuit n'a point empêché de poursuivre l'ennemi; on l'a suivi jusqu'à
+onze heures du soir. Le reste de la nuit, les colonnes qui avaient été
+coupées ont essayé de passer l'Alle, à plusieurs gués. Partout, le
+lendemain et à plusieurs lieues, nous avons trouvé des caissons, des
+canons et des voitures perdus dans la rivière.
+
+La bataille de Friedland est digne d'être mise à côté de celles de
+Marengo, d'Austerlitz et d'Iéna. L'ennemi était nombreux, avait une
+belle et forte cavalerie, et s'est battu avec courage.
+
+Le lendemain 15, pendant que l'ennemi essayait de se rallier, et faisait
+sa retraite sur la rive droite de l'Alle, l'armée française continuait,
+sur la rive gauche, ses manoeuvres pour le couper de Koenigsberg.
+
+Les têtes des colonnes sont arrivées ensemble à Wehlau, ville située
+au confluent de l'Alle et de la Prégel. L'empereur avait son
+quartier-général au village de Peterswalde.
+
+Le 16, à la pointe du jour, l'ennemi ayant coupé tous les ponts, mit
+à profit cet obstacle pour continuer son mouvement rétrograde sur la
+Russie.
+
+A huit heures du matin, l'empereur fit jeter un pont sur la Prégel, et
+l'armée s'y mit en position.
+
+Presque tous les magasins que l'ennemi avait sur l'Alle ont été par lui
+jetés à l'eau ou brûlés. Par ce qui nous reste, on peut connaître les
+pertes immenses qu'il a faites. Partout dans les villages, les Russes
+avaient des magasins, et partout, en passant, ils les ont incendiés.
+Nous avons cependant trouvé à Wehlau plus de six mille quintaux de blé.
+
+A la nouvelle de la victoire de Friedland, Koenigsberg a été abandonné.
+Le maréchal Soult est entré dans cette place, où nous avons trouvé des
+richesses immenses, plusieurs centaines de milliers de quintaux de
+blé, plus de vingt mille blessés russes et prussiens, tout ce que
+l'Angleterre a envoyé de munitions de guerre à la Russie, entr'autres
+cent soixante mille fusils encore embarqués. Ainsi la Providence a puni
+ceux qui, au lieu de négocier de bonne foi pour arriver à l'oeuvre
+salutaire de la paix, s'en sont fait un jeu, prenant pour faiblesse et
+pour impuissance la tranquillité du vainqueur.
+
+L'armée occupe ici le plus beau pays possible. Les bords de la Prégel
+sont riches. Dans peu les magasins et les caves de Dantzick et
+Koenigsberg vont nous apporter de nouveaux moyens d'abondance et de
+santé.
+
+Les noms des braves qui se sont distingués, les détails de ce que chaque
+corps a fait, passent les bornes d'un simple bulletin, et l'état-major
+s'occupe de réunir tous les faits.
+
+Le prince de Neufchâtel a, dans la bataille de Friedland, donné des
+preuves particulières de son zèle et de ses talens. Plusieurs fois il
+s'est trouvé au fort de la mêlée, et y a fait des dispositions utiles.
+
+L'ennemi avait recommencé les hostilités le 5: on peut évaluer la perte
+qu'il a éprouvée en dix jours, et par suite des opérations, à soixante
+mille hommes pris, blessés, tués ou hors de combat. Il a perdu une
+partie de son artillerie, presque toutes ses munitions, et tous ses
+magasins sur une ligne de plus de quarante lieues.
+
+
+
+Tilsitt, le 19 juin 1807.
+
+_Quatre-vingtième bulletin de la grande armée_.
+
+Les armées françaises ont rarement obtenu de si grands succès avec moins
+de perte.
+
+Pendant le temps que les armées françaises se signalaient sur le
+champ de bataille de Friedland, le grand-duc de Berg, arrivé devant
+Koenigsberg, prenait en flanc le corps d'armée du général Lestocq.
+
+Le 13, le maréchal Soult trouva à Creutzbourg l'arrière-garde
+prussienne; la division de dragons Milhaud exécuta une belle charge,
+culbuta la cavalerie prussienne, et enleva plusieurs pièces de canon.
+
+Le 14, l'ennemi fut obligé de s'enfermer dans la place de Koenigsberg.
+Vers le milieu de la journée, deux colonnes ennemies coupées se
+présentèrent pour entrer dans la place. Six pièces de canon et trois à
+quatre mille hommes qui composaient cette troupe furent pris; tous les
+faubourgs de Koenigsberg furent enlevés; on y fit un bon nombre de
+prisonniers: le général de brigade Buget a eu la main emportée par un
+boulet.
+
+En résumé, les résultats de toutes ces affaires sont quatre à cinq mille
+prisonniers et quinze pièces de canon.
+
+Le 15 et le 16, le corps d'armée du maréchal Soult fut contenu devant
+les retranchemens de Koenigsberg, mais la marche du gros de l'armée sur
+Wehlau obligea l'ennemi à évacuer Koenigsberg, et cette place tomba en
+notre pouvoir.
+
+Ce qu'on a trouvé à Koenigsberg en subsistances, est immense. Deux cents
+gros bâtimens, venant de Russie, sont encore tous chargés dans le port.
+Il y a beaucoup plus de vins et d'eaux-de-vie qu'on était dans le cas de
+l'espérer.
+
+Une brigade de la division Saint-Hilaire s'est portée devant Pilau pour
+en former le siège, et le général Rapp a fait partir de Dantzick une
+colonne chargée d'aller, par le Niérung, établir devant Pilau une
+batterie qui ferme le Haff. Des bâtimens montés par des marins de la
+garde nous rendent maîtres de cette petite mer.
+
+Le 17, l'empereur porta son quartier-général à la métairie de Crucken,
+près Klein-Schirau; le 18, il le porta à Sgaisgirren; le 19, à deux
+heures après-midi, il entra dans Tilsitt.
+
+Le grand-duc de Berg, à la tête de la plus grande partie de la cavalerie
+légère, des divisions de dragons et de cuirassiers, a mené battant
+l'ennemi ces trois jours derniers, et lui a fait beaucoup de mal. Le
+cinquième régiment de hussards s'est distingué; les cosaques ont été
+culbutés plusieurs fois et ont beaucoup souffert dans ces différentes
+charges. Nous avons eu peu de tués et de blessés. Au nombre de ces
+derniers se trouve le chef d'escadron Piéton, aide-de-camp du grand-duc
+de Berg.
+
+Après le passage de la Prégel, vis-à-vis Wehlau, un tambour fut chargé
+par un cosaque, et se jeta ventre à terre; le cosaque prend sa lance
+pour en percer le tambour; mais celui-ci conserve toute sa présence
+d'esprit, tire à lui la lance, désarme le cosaque et le poursuit.
+
+Un fait particulier, qui a excité le rire des soldats, a eu lieu pour la
+première fois vers Tilsitt; on a vu une nuée de Kalmoucks se battant à
+coup de flèches.
+
+Nous en sommes fâchés pour ceux qui donnent l'avantage aux armes
+anciennes sur les modernes; mais rien n'est plus risible que le jeu de
+ces armes contre nos fusils.
+
+Le maréchal Davoust, à la tête du troisième corps, a débouché par
+Labiau, est tombé sur l'arrière-garde ennemie, et lui a fait deux mille
+cinq cents prisonniers.
+
+De son côté, le maréchal Ney est arrivé le 17 à Insterbourg, y a pris
+un millier de blessés et a enlevé à l'ennemi des magasins assez
+considérables.
+
+Les bois, les villages sont pleins de Russes isolés, ou blessés ou
+malades.
+
+Les pertes de l'armée russe sont énormes; elle n'a ramené avec elle
+qu'une soixantaine de pièces de canon.
+
+La rapidité des marches empêche de connaître encore toutes les pièces
+qu'on a prises à la bataille de Friedland; on croit que le nombre
+passera cent vingt.
+
+A la hauteur de Tilsitt, deux billets ont été remis au grand-duc de
+Berg, et par suite le prince russe, lieutenant-général Labanoff a passé
+le Niémen, et a conféré une heure avec le prince de Neufchâtel.
+
+L'ennemi a brûlé en grande hâte le pont de Tilsitt sur le Niémen, et
+parait continuer sa retraite sur la Russie. Nous sommes sur les confins
+de cet empire.
+
+Le Niémen, vis-à-vis Tilsitt, est un peu plus large que la Seine.
+
+L'on voit, de la rive gauche, une nuée de cosaques qui forment
+l'arrière-garde ennemie sur la rive droite.
+
+Déjà l'on ne commet aucune hostilité.
+
+Ce qui restait au roi de Prusse est conquis. Cet infortuné prince n'a
+plus en son pouvoir que le pays situé entre le Niémen et Mémel.
+
+La plus grande partie de son armée on plutôt de la division de ses
+troupes, déserte ne voulant pas aller en Russie.
+
+L'empereur de Russie est resté trois semaines à Tilsitt avec le roi de
+Prusse.
+
+A la nouvelle de la bataille de Friedland, l'un et l'autre sont partis
+en toute hâte.
+
+
+
+Tilsitt, le 21 juin 1807.
+
+_Quatre-vingt-unième bulletin de la grande armée_.
+
+A la journée d'Heilsberg, le grand-duc de Berg passa sur la ligne de la
+troisième division de cuirassiers, au moment où le sixième régiment de
+cuirassiers venait de faire une charge. Le colonel d'Avenay, commandant
+ce régiment, son sabre dégouttant de sang, lui dit: «Prince, faites la
+revue de mon régiment, vous verrez qu'il n'est aucun soldat dont le
+sabre ne soit comme le mien.»
+
+Les colonels Colbert, du septième de hussards, Léry, du cinquième, se
+sont fait également remarquer par la plus brillante intrépidité. Le
+colonel Borde-Soult, du vingt-deuxième de chasseurs, a été blessé. M.
+Gueheneuc, aide-de-camp du maréchal Lannes, a été blessé d'une balle au
+bras.
+
+Les généraux aides-de-camp de l'empereur, Reille et Bertrand, ont
+rendu des services importans. Les officiers d'ordonnance de l'empereur
+Bongars, Montesquiou, Labiffe, ont mérité des éloges pour leur conduite.
+
+Les aides-de-camp du prince de Neufchâtel Louis de Périgord, capitaine,
+et Piré, chef d'escadron, se sont fait remarquer.
+
+Le colonel Curial, commandant les fusiliers de la garde, a été nommé
+général de brigade.
+
+Le général de division Dupas, commandant une division sous les ordres du
+maréchal Mortier, a rendu d'importans Les fils des sénateurs Pérignon,
+Clément de Ris et Garran de Coulon, sont morts avec honneur sur le champ
+de bataille.
+
+Le maréchal Ney s'étant porté sur Gumbinnen, a arrêté quelques parcs
+d'artillerie ennemie, beaucoup de convois de blessés, et fait un grand
+nombre de prisonniers.
+
+
+
+Tilsitt, le 22 juin 1807.
+
+_Quatre-vingt-deuxième bulletin de la grande armée._
+
+En conséquence de la proposition qui a été faite par le commandant de
+l'armée russe, un armistice a été conclu.
+
+L'armée française occupe tout le thalweg du Niémen, de sorte qu'il ne
+reste plus au roi de Prusse que la petite ville et le territoire de
+Mémel.
+
+
+
+Au camp de Tilsitt, le 22 juin 1807.
+
+_Proclamation de S. M. à la grande armée._
+
+Soldats!
+
+Le 5 juin nous avons été attaqués dans nos cantonnemens par l'armée
+russe. L'ennemi s'est mépris sur les causes de notre inactivité. Il
+s'est aperçu trop tard que notre repos était celui du lion: il se repent
+de l'avoir oublié.
+
+Dans les journées de Guttstadt, de Heilsberg, dans celle, à jamais
+mémorable, de Friedland, dans dix jours de campagne enfin, nous avons
+pris cent vingt pièces de canon, sept drapeaux; tué, blessé, ou fait
+prisonniers soixante mille Russes; enlevé à l'armée ennemie tous ses
+magasins, ses hôpitaux, ses ambulances, la place de Koenigsberg, les
+trois cents bâtimens qui étaient dans ce port, chargés de toute espèce
+de munitions, cent soixante mille fusils que l'Angleterre envoyait pour
+armer nos ennemis.
+
+Des bords de la Vistule, nous sommes arrivés sur ceux du Niémen avec
+la rapidité de l'aigle. Vous célébrâtes à Austerlitz l'anniversaire du
+couronnement; vous avez cette année célébré celui de la bataille de
+Marengo, qui mit fin à la guerre de la seconde coalition.
+
+Français! vous avez été dignes de vous et de moi. Vous rentrerez en
+France couverts de tous vos lauriers, après avoir obtenu une paix
+glorieuse qui porte avec elle la garantie de sa durée. Il est temps
+que notre patrie vive en repos, à l'abri de la maligne influence de
+l'Angleterre. Mes bienfaits vous prouveront ma reconnaissance et toute
+l'étendue de l'amour que je vous porte.
+
+
+
+Tilsitt, le 23 juin 1807
+
+_Quatre-vingt-troisième bulletin de la grande armée._
+
+La place de Neiss a capitulé.
+
+La garnison, forte de six mille hommes d'infanterie et de trois cents
+hommes de cavalerie, a défilé le 16 juin devant le prince Jérôme. On
+a trouvé dans la place trois cent milliers de poudre et trois cents
+bouches à feu.
+
+
+
+Tilsitt, le 24 juin 1807
+
+_Quatre-vingt-quatrième bulletin de la grande armée_.
+
+Le grand-maréchal du palais Duroc s'est rendu le 23 au quartier-général
+des Russes, au-delà du Niémen, pour échanger les ratifications de
+l'armistice qui a été ratifié par l'empereur Alexandre.
+
+Le 24, le prince Labanoff ayant fait demander une audience à l'empereur,
+y a été admis le même jour à deux heures après midi. Il est resté
+long-temps dans le cabinet de S. M.
+
+Le générai Kalkreuth est attendu au quartier-général pour signer
+l'armistice du roi de Prusse.
+
+Le 11 juin, à quatre heures du matin, les Russes attaquèrent en force
+Druczewo. Le général Claparède soutint le feu de l'ennemi. Le maréchal
+Masséna se porta sur la ligne, repoussa l'ennemi et déconcerta ses
+projets. Le dix-septième régiment d'infanterie légère a soutenu sa
+réputation. Le général Montbrun s'est fait remarquer. Un détachement du
+vingt-huitième d'infanterie légère et un piquet du vingt-cinquième de
+dragons ont mis en fuite les cosaques. Tout ce que l'ennemi a entrepris
+contre nos postes dans les journées du 12 et du 12, a tourné à sa
+confusion.
+
+On a vu par l'armistice que la gauche de l'armée française est appuyée
+sur Currisch-Haff, à l'embouchure du Niémen; de là notre ligne se
+prolonge sur Grodno. La droite, commandée par le maréchal Massena,
+s'étend sur les confins de la Russie, entre les sources de la Narew et
+du Bug.
+
+Le quartier-général va se concentrer à Koenigsberg, où l'on fait
+toujours de nouvelles découvertes en vivres, munitions et autres effets
+appartenant à l'ennemi.
+
+Une position aussi formidable est le résultat des succès les plus
+brillans; et tandis que toute l'armée ennemie est en fuite et presque
+anéantie, plus de la moitié de l'armée française n'a pas tiré un coup de
+fusil.
+
+
+
+Tilsitt; le 24 juin 1807.
+
+_Quatre-vingt-cinquième bulletin de la grande armée._
+
+Demain les deux empereurs de France et de Russie doivent avoir une
+entrevue. On a à cet effet, élevé au milieu du Niémen, un pavillon où
+les deux monarques se rendront de chaque rive.
+
+Peu de spectacles seront aussi intéressans. Les deux côtés du fleuve
+seront bordés par les deux armées, pendant que les deux chefs
+conféreront sur les moyens de rétablir l'ordre et de donner le repos à
+la génération présente.
+
+Le grand-maréchal du palais Duroc est allé, hier à trois heures après
+midi, complimenter l'empereur Alexandre.
+
+Le maréchal comte de Kalkreuth a été présenté aujourd'hui à l'empereur;
+il est resté une heure dans le cabinet de S.M.
+
+L'empereur a passé ce matin la revue du corps du maréchal Lannes. Il a
+fait différentes promotions, a récompensé les braves, et a témoigné sa
+satisfaction aux cuirassiers saxons.
+
+
+
+Tilsitt, le 25 juin 1807.
+
+_Quatre-vingt-sixième bulletin de la grande armée._
+
+Le 25 juin, à une heure après midi, l'empereur accompagné du grand-duc
+de Berg, du prince de Neufchâtel, du maréchal du palais Duroc et du
+grand-écuyer Caulaincourt, s'est embarqué sur les bords du Niémen dans
+un bateau préparé à cet effet; il s'est rendu au milieu de la rivière,
+où le général Lariboissière, commandant de l'artillerie de la garde,
+avait fait placer un large radeau, et élever un pavillon. A côté, était
+un autre radeau et pavillon pour la suite de LL. MM. Au même moment,
+l'empereur Alexandre est parti de la rive droite, sur un bateau, avec
+le grand-duc Constantin, le général Benigsen, le général Ouwaroff, le
+prince Labanoff et son premier aide-de-camp, le comte de Liéven.
+
+Les deux bateaux sont arrivés en même temps; les deux empereurs se sont
+embrassés en mettant le pied sur le radeau; ils sont entrés ensemble
+dans la salle qui avait été préparée, et y sont restés deux heures. La
+conférence finie, les personnes de la suite des deux empereurs ont
+été introduites. L'empereur Alexandre a dit des choses agréables aux
+militaires qui accompagnaient l'empereur, qui, de son côté, s'est
+entretenu long-temps avec le grand-duc Constantin et le général
+Benigsen.
+
+La conférence finie, les deux empereurs sont montés chacun dans leur
+barque. On conjecture que la conférence a eut le résultat le plus
+satisfaisant. Immédiatement après, le prince Labanoff s'est rendu au
+quartier-général français. On est convenu que la moitié de la ville de
+Tilsitt serait neutralisée. On y a marqué le logement de l'empereur de
+Russie et de sa cour. La garde impériale russe passera le fleuve et sera
+cantonnée dans la partie de la ville qui lui est destinée.
+
+Le grand nombre des personnes de l'une et l'autre armée, accourues sur
+l'une et l'autre rive pour être témoins de cette scène, rendaient ce
+spectacle d'autant plus intéressant, que les spectateurs étaient des
+braves des extrémités du monde.
+
+
+
+Tilsitt, le 26 juin 1807.
+
+Aujourd'hui à midi et demi, S.M. s'est rendue au pavillon de Niémen.
+L'empereur Alexandre et le roi de Prusse y sont arrivés au même moment.
+Ces trois souverains sont restés ensemble dans le salon du pavillon
+pendant une demi-heure.
+
+A cinq heures et demie, l'empereur Alexandre est passé sur la rive
+gauche. L'empereur Napoléon l'a reçu à la descente du bateau. Ils sont
+montés à cheval l'un et l'autre; ils ont parcouru la grande rue de la
+ville, où se trouvait rangée la garde impériale française à pied et à
+cheval, et sont descendus au palais de l'empereur Napoléon. L'empereur
+Alexandre y a dîné avec l'empereur, le grand-duc Constantin et le
+grand-duc de Berg.
+
+
+
+Tilsitt, le 27 juin 1807.
+
+Le général de division Teulié, commandant la division italienne au
+siége de Colbert, qui avait été blessé à la cuisse d'un boulet, le 12 à
+l'attaque du fort Wolsberg, vient de mourir de ses blessures. C'était un
+officier également distingué par sa bravoure et ses talens militaires.
+
+La ville de Kosel a capitulé.
+
+Le 24 juin à deux heures du matin, S.A.I. le prince Jérôme a fait
+attaquer et enlever le camp retranché que les Prussiens occupaient sous
+Glatz, à portée de mitraille de cette place.
+
+Le général Vandamme, à la tête de la division, wurtembergeoise, ayant
+avec lui un régiment provisoire de chasseurs français à cheval, a
+commencé l'attaque sur la rive gauche de la Neisse, tandis que le
+général Lefebvre avec les Bavarois attaquait sur la rive droite. En
+une demi-heure, toutes les redoutes ont été enlevées à la baïonnette,
+l'ennemi a fait sa retraite en désordre, abandonnant dans le camp douze
+cents hommes tués et blessés, cinq cents prisonniers et douze pièces de
+canon.
+
+Les Bavarois et les Wurtembergeois se sont très-bien conduits. Les
+généraux Vandamme et Lefebvre ont dirigé les attaques avec une grande
+habileté.
+
+
+
+Tilsitt, le 28 juin 1807.
+
+Hier, à trois heures après midi, l'empereur s'est rendu chez l'empereur
+Alexandre. Ces deux princes sont restés ensemble jusqu'à six heures.
+Ils sont alors montés à cheval et sont allés voir manoeuvrer la garde
+impériale. L'empereur Alexandre a montré qu'il connaît très-bien toutes
+nos manoeuvres, et qu'il entend parfaitement tous les détails de la
+tactique militaire.
+
+A huit heures, les deux souverains sont revenus au palais de l'empereur
+Napoléon, où ils ont dîné, comme la veille, avec le grand-duc Constantin
+et le grand-duc de Berg.
+
+Après le dîner, l'empereur Napoléon a présenté LL. Exc. le ministre des
+relations extérieures et le ministre secrétaire d'état à l'empereur
+Alexandre, qui lui a aussi présenté S. Exc. M. de Budberg, ministre des
+affaires étrangères, et le prince Kourakin.
+
+Les deux souverains sont ensuite rentrés dans le cabinet de l'empereur
+Napoléon, où ils sont restés seuls jusqu'à onze heures du soir.
+
+Aujourd'hui 28, à midi, le roi de Prusse a passé le Niémen, et est venu
+occuper à Tilsitt le palais qui lui avait été préparé. Il a été reçu
+à la descente de son bateau, par le maréchal Bessières. Immédiatement
+après, le grand-duc de Berg est allé lui rendre visite.
+
+A une heure, l'empereur Alexandre est venu faire une visite à l'empereur
+Napoléon, qui est allé au-devant de lui jusqu'à la porte de son palais.
+
+A deux heures, S.M. le roi de Prusse est venu, chez l'empereur Napoléon,
+qui est allé le recevoir jusqu'au pied de l'escalier de son appartement.
+
+A quatre heures, l'empereur Napoléon est allé voir l'empereur Alexandre.
+Ils sont montés à cheval à cinq heures, et se sont rendus sur le terrain
+où devait manoeuvrer le corps du maréchal Davoust.
+
+
+
+Tilsitt, le 1er juillet 1807.
+
+Le 29 et le 30 juin, les choses se sont passées entre les trois
+souverains comme les jours précédens. Le 29, à six heures du soir, ils
+sont allés voir manoeuvrer l'artillerie de la garde. Le lendemain, à
+la même heure, ils ont vu manoeuvrer les grenadiers à cheval. La plus
+grande amitié paraît régner entre ces princes.
+
+A l'un de ces dîners qui ont toujours lieu chez l'empereur
+Napoléon, S.M. a porté la santé de l'impératrice de Russie et de
+l'impératrice-mère. Le lendemain, l'empereur Alexandre a porté la santé
+de l'impératrice des Français.
+
+La première fois que le roi de Prusse a dîné chez l'empereur Napoléon,
+S. M. a porté la santé de la reine de Prusse.
+
+Le 29, le prince Alexandre Kourakin, ambassadeur et ministre
+plénipotentiaire de l'empereur Alexandre, a été présenté à l'empereur
+Napoléon.
+
+Le 30, la garde impériale a donné un dîner de corps à la garde impériale
+russe. Les choses se sont passées avec beaucoup d'ordre. Cette réunion a
+produit beaucoup de gaité dans la ville.
+
+La place de Glatz a capitulé. Le fort de Silberberg est la seule place
+de la Silésie qui tienne encore.
+
+
+
+Tilsitt, le 7 juillet 1807.
+
+La reine de Prusse est arrivée ici hier à midi. A midi et demi
+l'empereur Napoléon est allé lui rendre visite.
+
+Les trois souverains ont fait chaque jour, à six heures du soir, leurs
+promenades accoutumées. Ils ont ensuite dîné chez l'empereur Napoléon
+avec la reine de Prusse, le grand-duc Constantin, le prince Henri de
+Prusse, le grand-duc de Berg et le prince royal de Bavière.
+
+On a distribué à l'ordre de la grande armée la notice suivante:
+
+Au quartier-général impérial à Tilsitt, le 9 juillet 1807.
+
+_Notice pour l'armée._
+
+La paix a été conclue entre l'empereur des Français et l'empereur de
+Russie, hier 8 juillet, à Tilsitt, et signée par le prince de Bénévent,
+ministre des relations extérieures de France, et par les princes
+Kourakin et Labanoff de Rostow, pour l'empereur de Russie, chacun de
+ces plénipotentiaires étant muni de pleins-pouvoirs de leurs souverains
+respectifs. Les ratifications ont été échangées aujourd'hui 9 juillet,
+ces deux souverains se trouvant encore à Tilsitt.
+
+
+
+Tilsitt, le 9 juillet 1807.
+
+L'échange des ratifications du traité de paix entre la France et la
+Russie a eu lieu aujourd'hui à neuf heures du matin. A onze heures,
+l'empereur Napoléon, portant le grand cordon de l'ordre de Saint-André,
+s'est rendu chez l'empereur Alexandre, qui l'a reçu à la tête de sa
+garde, et ayant la grande décoration de la légion-d'honneur.
+
+L'empereur a demandé à voir le soldat de la garde russe qui s'était
+le plus distingué; il lui a été présenté. S. M., en témoignage de son
+estime pour la garde impériale russe, a donné à ce brave l'aigle d'or de
+la légion-d'honneur.
+
+Les empereurs sont restés ensemble pendant trois heures, et sont ensuite
+montés à cheval; ils se sont rendus au bord du Niémen, où l'empereur
+Alexandre s'est embarqué. L'empereur Napoléon est demeuré sur le rivage
+jusqu'à ce que l'empereur Alexandre fût arrivé à l'autre bord. Les
+marques d'affection que ces princes se sont données en se séparant, ont
+excité la plus vive émotion parmi les nombreux spectateurs qui s'étaient
+rassemblés pour voir les plus grands souverains du monde, offrir dans
+les témoignages de leur union et de leur amitié un solide garant du
+repos de la terre.
+
+L'empereur Napoléon a fait remettre le grand cordon de la
+légion-d'honneur au grand-duc Constantin, au prince Kourakine, au prince
+Labanoff et à M. de Budberg.
+
+L'empereur Alexandre a donné le grand ordre de Saint-André au prince
+Jérôme Napoléon, roi de Westphalie, au grand-duc de Berg et de Clèves,
+au prince de Neufchâtel et au prince de Bénévent.
+
+A trois heures de l'après midi, le roi de Prusse est venu voir
+l'empereur Napoléon. Ces deux souverains se sont entretenus pendant une
+demi-heure. Immédiatement après, l'empereur Napoléon a rendu au roi de
+Prusse sa visite; il est ensuite parti pour Koenigsberg.
+
+Ainsi, les trois souverains ont séjourné pendant vingt jours à Tilsitt.
+Cette petite ville était le point de réunion des deux armées. Ces
+soldats qui naguères étaient ennemis, se donnaient des témoignages
+réciproques d'amitié qui n'ont pas été troublés par le plus léger
+désordre.
+
+Hier, l'empereur Alexandre avait fait passer le Niémen à une dizaine de
+Baschirs qui ont donné à l'empereur Napoléon un concert à la manière de
+leur pays.
+
+L'empereur, en témoignage de son estime pour le général Platow, hetman
+des cosaques, lui a fait présent de son portrait.
+
+Les Russes ont remarqué que le 27 juin (style russe, 9 juillet du
+calendrier grégorien), jour de la ratification du traité de paix, est
+l'anniversaire de la bataille de Pultawa, qui fut si glorieuse et qui
+assura tant d'avantages à l'empire de Russie; ils en tirent un augure
+favorable pour la durée de la paix et de l'amitié qui viennent de
+s'établir entre ces deux grands empires.
+
+
+
+Koenigsberg, le 12 juillet 1807.
+
+_Quatre-vingt-septième bulletin de la grande armée._
+
+Les empereurs de France et de Russie, après avoir séjourné pendant vingt
+jours à Tilsitt, où les deux maisons impériales, situées dans la même
+rue, étaient à peu de distance l'une de l'autre, se sont séparés le 9,
+à trois heures après midi, en se donnant les plus grandes marques
+d'amitié. Le journal de ce qui s'est passé pendant leur séjour, sera
+d'un véritable intérêt pour les deux peuples.
+
+Après avoir reçu, à trois heures et demie, la visite d'adieu du roi de
+Prusse, qui est retourné à Memel, l'empereur Napoléon est parti pour
+Koenigsberg, où il est arrivé le 10 à quatre heures du matin.
+
+Il a fait hier la visite du port dans un canot qui était servi par
+les marins de la garde. S. M. passe aujourd'hui la revue du corps du
+maréchal Soult, et part demain, à deux heures du matin, pour Dresde.
+
+Le nombre des Russes tués à la bataille de Friedland s'élève à dix-sept
+mille cinq cents, celui des prisonniers est de quarante mille, dix-huit
+mille sont passés à Koenigsberg, sept mille sont restés malades dans les
+hôpitaux, le reste a été dirigé sur Thorn et Varsovie.
+
+Les ordres ont été donnés pour qu'ils fussent renvoyés en Russie sans
+délai, sept mille sont déjà revenus à Koenigsberg, et vont être rendus.
+
+Ceux qui sont en France seront formés en régimens provisoires.
+L'empereur a ordonné de les habiller et de les armer.
+
+Les ratifications du traité de paix entre la France et la Russie avaient
+été échangées à Tilsitt le 9; celles du traité de paix entre la France
+et la Prusse l'ont été ici aujourd'hui.
+
+Les plénipotentiaires chargés de ces négociations étaient, pour la
+France, M. le prince de Bénévent; pour la Russie, le prince Kourakin et
+le prince Labanoff; pour la Prusse, le feld-maréchal Kalkreuth et le
+comte de Glotz.
+
+Après de tels événemens on ne peut s'empêcher de sourire quand on entend
+parler de la grande expédition anglaise et de la nouvelle frénésie qui
+s'est emparée du roi de Suède.
+
+On doit remarquer d'ailleurs que l'armée d'observation de l'Elbe et de
+l'Oder était de soixante-dix mille hommes, indépendamment de la grande
+armée, et non compris les divisions espagnoles qui sont en ce moment sur
+l'Oder.
+
+Ainsi, il aurait fallu que l'Angleterre mît en expédition toute son
+armée, ses milices, ses volontaires, ses fencibles, pour opérer une
+diversion sérieuse.
+
+Quand on considère que, dans de telles circonstances, elle a envoyé six
+mille hommes se faire massacrer par les Arabes, et sept mille hommes
+dans les Indes espagnoles, on ne peut qu'avoir pitié de l'excessive
+avidité qui tourmente ce cabinet.
+
+La paix de Tilsitt met fin aux opérations de la grande armée, mais
+toutes les côtes, tous les ports de la Prusse n'en resteront pas moins
+fermés aux Anglais. Il est probable que le blocus continental ne sera
+pas un vain mot.
+
+La Porte a été comprise dans le traité. La révolution qui vient de
+s'opérer à Constantinople est une révolution anti-chrétienne qui n'a
+rien de commun avec la politique de l'Europe. L'adjudant-commandant
+Guilleminot est parti pour la Bessarabie, où il va informer le
+grand-visir de la paix, de la liberté qu'a la Porte d'y prendre part, et
+des conditions qui la concernent.
+
+
+
+Koenigsberg, le 13 juillet 1807.
+
+L'empereur a passé hier la revue du quatrième corps d'armée. Arrivé au
+vingt-sixième régiment d'infanterie légère, on lui présenta le capitaine
+de grenadiers Roussel. Ce brave soldat, fait prisonnier à l'affaire de
+Aoff, avait été remis aux Prussiens. Il se trouva dans un appartement
+où un insolent officier se livrait à toute espèce d'invectives contre
+l'empereur. Roussel supporta d'abord patiemment ces injures, mais enfin
+il se lève fièrement en disant: «Il n'y a que des lâches qui puissent
+tenir de pareils propos contre l'empereur Napoléon devant un de ses
+soldats. Si je suis contraint d'entendre de pareilles infamies, je suis
+à votre discrétion, donnez-moi la mort.» Plusieurs autres officiers
+prussiens qui étaient présens, ayant autant de jactance que peu de
+mérite et d'honneur, voulurent se porter contre ce brave militaire à des
+voies de fait. Roussel, seul contre sept ou huit personnes, aurait passé
+un mauvais quart-d'heure, si un officier russe, survenant à l'instant,
+ne se fût jeté devant lui le sabre à la main: c'est notre prisonnier,
+dit-il, et non le vôtre; il a raison, et vous outragez lâchement le
+premier capitaine de l'Europe. Avant de frapper ce brave homme, il vous
+faudra passer sur mon corps.
+
+En général, autant les prisonniers français se louent des Russes, autant
+ils se plaignent des Prussiens, surtout du général Ruchel, officier
+aussi méchant et fanfaron qu'il est inepte et ignorant sur le champ de
+bataille. Des corps prussiens qui se trouvaient à la journée d'Iéna, le
+sien est celui qui s'est le moins bravement comporté.
+
+En entrant à Koenigsberg, on a trouvé aux galères un caporal français
+qui y avait été jeté, parce qu'entendant les sectateurs de Ruchel parler
+mal de l'empereur, il s'était emporté et avait déclaré ne pas vouloir le
+souffrir en sa présence.
+
+Le général Victor, qui fut fait prisonnier dans une chaise de poste par
+un guet-apens, a eu aussi à se plaindre du traitement qu'il a reçu du
+général Ruchel, qui était gouverneur de Koenigsberg. C'est cependant le
+même Ruchel qui, blessé grièvement à la bataille d'Iéna, fut accablé de
+bons traitemens par les Français; c'est lui qu'on laissa libre, et à
+qui, au lieu d'envoyer des gardes comme on devait le faire, on envoya
+des chirurgiens. Heureusement que le nombre des hommes auxquels il faut
+se repentir d'avoir fait du bien, n'est pas grand. Quoi qu'en disent
+les misanthropes, les ingrats et les pervers forment une exception dans
+l'espèce humaine.
+
+
+
+Dresde, le 18 juillet 1817.
+
+S. M. l'empereur est parti de Koenigsberg le 13 à six heures du soir; il
+est arrivé le 14 à midi à Marienwerder, où il s'est arrêté pendant une
+heure.
+
+Il a passé à Posen le 14, à dix heures du soir; il s'y est reposé deux
+heures; il y a reçu les autorités du gouvernement polonais.
+
+Il est arrivé à Glogau le 16 à midi, et le 17, à sept heures du matin, à
+Bautzen, première ville du royaume de Saxe, où il a été reçu par le roi.
+
+Ces deux souverains se sont entretenus un moment dans la maison de
+l'évêché. Le roi est monté dans la voiture de l'empereur; ils sont
+arrivés ensemble à Dresde et sont descendus au palais.
+
+Aujourd'hui à six heures du matin, l'empereur est monté à cheval pour
+parcourir les environs de Dresde.
+
+Les sentimens que S.M. à trouvés en Saxe sont semblables à ceux qui lui
+ont été exprimés sur toute sa route en Pologne; un immense concours de
+peuple était partout sur son passage.
+
+
+
+Paris, le 12 août 1807.
+
+_Réponse de l'empereur à une députation du royaume d'Italie._
+
+«J'agrée les sentimens que vous m'exprimez au nom de mes peuples
+d'Italie. J'ai éprouvé une joie particulière dans le cours de la
+campagne dernière, de la conduite distinguée qu'ont tenue mes troupes
+italiennes. Pour la première fois, depuis bien des siècles, les Italiens
+se sont montrés avec honneur sur le grand théâtre du monde: j'espère
+qu'un si heureux commencement excitera l'émulation de la nation; que les
+femmes elles-mêmes renverront d'auprès d'elle cette jeunesse oisive qui
+languit dans leurs boudoirs, ou du moins ne les recevront que lorsqu'ils
+seront couverts d'honorables cicatrices. Du reste, j'espère avant
+l'hiver aller faire un tour dans mes Etats d'Italie, et je me fais un
+plaisir tout particulier de me trouver au milieu des habitans de ma
+bonne ville de Venise. Le vice-roi ne m'a pas laissé ignorer les
+bons sentiments qui les animent, et les preuves d'amour qu'ils m'ont
+données.»
+
+BONAPARTE.
+
+
+
+En notre palais impérial de Saint-Cloud, le 14 août 1807.
+
+_Message de Sa Majesté impériale et royale au sénat._
+
+Sénateurs,
+
+Conformément à l'article LVI de l'acte des constitutions de l'empire en
+date du 28 floréal an 12, nous avons nommé membres du sénat.
+
+MM. Klein, général de division; Beaunont, général de division, et
+Béguinot, général de division.
+
+Nous désirons que l'armée voie dans ce choix l'intention où nous sommes
+de distinguer constamment ses services.
+
+MM. Fabre (de l'Aude), président du tribunat; et Curée; membre du
+tribunat.
+
+Nous désirons que les membres du tribunat trouvent dans ces nominations
+un témoignage de notre satisfaction pour la manière dont ils ont
+concouru avec notre conseil d'Etat, à établir les grandes bases de la
+législation civile.
+
+M. l'archevêque de Turin.
+
+Nous saisissons avec plaisir cette occasion de témoigner notre
+satisfaction au clergé de notre empire, et particulièrement à celui de
+nos départements au-delà des Alpes.
+
+M. Dupont, maire de Paris.
+
+Notre bonne ville de Paris verra dans le choix d'un de ses maires, le
+désir que nous avons de lui donner constamment des preuves de notre
+affection.
+
+BONAPARTE.
+
+
+
+_Autre message de S. M. impériale et royale au sénat._
+
+Sénateurs,
+
+Nous avons jugé convenable de nommer à la place de vice-grand-électeur
+le prince de Bénévent; c'est une marque éclatante de notre satisfaction,
+que nous avons voulu lui donner pour la manière distinguée dont il nous
+a constamment secondé dans la direction des affaires extérieures de
+l'empire.
+
+Nous avons nommé vice-connétable notre cousin le prince de Neufchâtel:
+en l'élevant à cette haute dignité, nous avons voulu reconnaître son
+attachement à notre personne, et les services réels qu'il nous a rendus
+dans toutes les circonstances par son zèle et ses talents.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Paris, le 16 août 1807.
+
+_Discours de Sa Majesté l'empereur et roi à l'ouverture du corps
+législatif._
+
+«Messieurs les députés des départements au corps législatif, messieurs
+les tribuns et les membres de mon conseil d'état,
+
+Depuis votre dernière session, de nouvelles guerres, de nouveaux
+triomphes, de nouveaux traités de paix ont changé la face de l'Europe
+politique.
+
+Si la maison de Brandebourg, qui, la première, se conjura contre notre
+indépendance, règne encore, elle le doit à la sincère amitié que m'a
+inspiré le puissant empereur du Nord.
+
+Un prince français régnera sur l'Elbe: il saura concilier les intérêts
+de ses nouveaux sujets avec ses premiers et ses plus sacrés devoir.
+
+La maison de Saxe a recouvré, après cinquante ans, l'indépendance
+qu'elle avait perdue.
+
+Les peuples du duché de Varsovie, de la ville de Dantzick, ont recouvré
+leur patrie et leurs droits.
+
+Toutes les nations se réjouissent d'un commun accord, de voir
+l'influence malfaisante que l'Angleterre exerçait sur le continent,
+détruite sans retour.
+
+»La France est unie aux peuples de l'Allemagne par les lois de la
+confédération du Rhin, à ceux des Espagnes, de la Hollande, de la Suisse
+et des Italies, par les lois de notre système fédératif. Nos nouveaux
+rapports avec la Russie sont cimentés par l'estime réciproque de ces
+deux grandes nations.
+
+»Dans tout ce que j'ai fait, j'ai eu uniquement en vue le bonheur de mes
+peuples, plus cher à mes yeux que ma propre gloire.
+
+»Je désire la paix maritime. Aucun ressentiment n'influera jamais sur
+mes déterminations: je n'en saurais avoir contre une nation, jouet et
+victime des partis qui la déchirent, et trompée sur la situation de ses
+affaires, comme sur celle de ses voisins.
+
+»Mais quelle que soit l'issue que les décrets de la Providence aient
+assignée à la guerre maritime, mes peuples me trouveront toujours le
+même, et je trouverai toujours mes peuples dignes de moi.
+
+»Français, votre conduite dans ces derniers temps, où votre empereur
+était éloigné de plus de cinq cents lieues, a augmenté mon estime et
+l'opinion que j'avais conçue de votre caractère. Je me suis senti fier
+d'être le premier parmi vous.--Si, pendant ces dix mois d'absence et de
+périls, j'ai été présent à votre pensée, les marques d'amour que vous
+m'avez données ont excité constamment mes plus vives émotions.
+Toutes mes sollicitudes, tout ce qui pouvait avoir rapport même à la
+conservation de ma personne, ne me touchaient que par l'intérêt que vous
+y portiez et par l'importance dont elles pouvaient être pour vos futures
+destinée. _Vous êtes un bon et grand peuple._
+
+»J'ai médité différentes dispositions pour simplifier et perfectionner
+nos institutions.
+
+»La nation a éprouvé les plus heureux effets de l'établissement de la
+légion d'honneur. J'ai créé différens titres impériaux pour donner un
+nouvel éclat aux principaux de mes sujets, pour honorer d'éclatans
+services par d'éclatantes récompenses, et aussi pour empêcher le retour
+de tout titre féodal, incompatible avec nos constitutions.
+
+»Les comptes de mes ministres des finances et du trésor public
+vous feront connaître l'état prospère de nos finances. Mes peuples
+éprouveront une considérable décharge sur la contribution foncière.
+
+»Mon ministre de l'intérieur vous fera connaître les travaux qui ont été
+commencés ou finis; mais ce qui reste à faire est bien plus important
+encore, car je veux que dans toutes les parties de mon empire, même dans
+le plus petit hameau, l'aisance des citoyens et la valeur des terres se
+trouvent augmentées par l'effet du système général d'amélioration que
+j'ai conçu.
+
+»Messieurs les députés des départemens au corps législatif, votre
+assistance me sera nécessaire pour arriver à ce grand résultat, et j'ai
+le droit d'y compter constamment.»
+
+
+
+Paris, le 19 août 1807.
+
+_Décret qui supprime le tribunat._
+
+ART. 1er. A l'avenir, et à compter de la fin de la session qui va
+s'ouvrir, la discussion préalable des lois qui est faite par les
+sections du tribunat, le sera, pendant la durée de chaque session, par
+trois commissions du corps législatif, sous le titre, la première,
+de _commission de législation civile et criminelle_; la seconde, de
+_commission d'administration intérieure_; la troisième, de _commission
+des finances_.
+
+2. Chacune de ces commissions délibérera séparément et sans assistans;
+elle sera composée de sept membres nommés par le corps législatif, au
+scrutin secret et à la majorité absolue des voix. Le président sera
+nommé par l'empereur, soit parmi les membres de la commission, soit
+parmi les autres membres du corps législatif.
+
+3. La forme du scrutin sera dirigée de manière qu'il y ait, autant qu'il
+sera possible, quatre jurisconsultes dans la commission de législation.
+
+4. En cas de discordance d'opinion entre la section du conseil d'état,
+qui aura rédigé le projet de loi, et la commission compétente du corps
+législatif, l'une et l'autre se réuniront en conférence, sous la
+présidence de l'archi-chancelier de l'empire, ou de l'archi-trésorier,
+suivant la nature des objets à examiner.
+
+5. Si les conseillers d'état et les membres de la commission du corps
+législatif sont du même avis, le président de la commission sera
+entendu, après que l'orateur du conseil d'état aura exposé devant le
+corps législatif les motifs de la loi.
+
+6. Lorsque la commission se décidera contre le projet de loi, tous les
+membres de la commission auront la faculté d'exposer devant le corps
+législatif les motifs de leur opinion.
+
+7. Les membres de la commission qui auront discuté un projet de loi
+seront admis, comme les autres membres du corps législatif, à voter sur
+le projet.
+
+8. Lorsque les circonstances donneront lieu à l'examen de quelque projet
+d'une importance particulière, il sera loisible à l'empereur d'appeler,
+dans l'intervalle de deux sessions, les membres du corps législatif
+nécessaires pour former les commissions, lesquelles procéderont,
+de suite, à la discussion préalable du projet: ces commissions se
+trouveront nommées pour la session prochaine.
+
+9. Les membres du tribunal qui, aux termes de l'acte du sénat
+conservateur, en date du 17 fructidor an 10 devaient rester jusqu'en
+l'an 19, et dont pouvoirs avaient été, par l'article 89 de l'acte des
+constitutions de l'empire, du 28 floréal an 12, prorogés jusqu'en l'an
+21, correspondant à l'année 1812 du calendrier grégorien, entreront au
+corps législatif, et feront partie de ce corps jusqu'à l'époque où leurs
+fonctions auraient dû cesser au tribunat.
+
+10. A l'avenir, nul ne pourra être renommé membre du corps législatif, à
+moins qu'il n'ait quarante ans accomplis.
+
+
+
+En notre palais royal de Milan, le 17 décembre 1807.
+
+_Décret qui déclare en état de blocus les îles britanniques._
+
+Napoléon, empereur des Français, roi d'Italie, et protecteur de la
+confédération du Rhin.
+
+Vu les dispositions arrêtées par le gouvernement britannique, en date
+du 11 novembre dernier, qui assujettissent les bâtimens des puissances
+neutres, amies et même alliées de l'Angleterre, non-seulement à une
+visite par les croiseurs anglais, mais encore à une station obligée en
+Angleterre et à une imposition arbitraire de tant pour cent sur leur
+chargement, qui doit être réglée par la législation anglaise;
+
+Considérant que, par ces actes, le gouvernement anglais a dénationalisé
+les bâtimens de toutes les nations de l'Europe; qu'il n'est au pouvoir
+d'aucun gouvernement de transiger sur son indépendance et sur ses
+droits, tous les souverains de l'Europe étant solidaires de la
+souveraineté et de l'indépendance de leur pavillon; que si, par une
+faiblesse inexcusable, et qui serait une tache ineffaçable aux yeux de
+la postérité, ou laissait passer en principe et consacrer par l'usage
+une pareille tyrannie, les Anglais en prendraient acte pour l'établir
+en droit, comme ils ont profité de la tolérance des gouvernemens pour
+établir l'infâme principe que le pavillon ne couvre pas la marchandise,
+et pour donner à leur droit de blocus une extension arbitraire et
+attentatoire à la souveraineté de tous les états.
+
+Nous avons décrété et décrétons ce qui suit:
+
+Art. 1er. Tout bâtiment, de quelque nation qu'il soit, qui aura souffert
+la visite d'un vaisseau anglais, ou se sera soumis à un voyage en
+Angleterre, ou aura payé une imposition quelconque au gouvernement
+anglais, est par cela seul déclaré dénationalisé, a perdu la garantie de
+son pavillon et est devenu propriété anglaise.
+
+2. Soit que lesdits bâtimens ainsi dénationalisés par les mesures
+arbitraires du gouvernement anglais, entrent dans nos ports ou dans ceux
+de nos alliés, soit qu'ils tombent au pouvoir de nos vaisseaux de guerre
+ou de nos corsaires, ils sont déclarés de bonne et valable prise.
+
+3. Les îles britanniques sont déclarées en état de blocus sur mer comme
+sur terre. Tout bâtiment de quelque nation qu'il soit, quel que soit son
+chargement, expédié des ports d'Angleterre ou des colonies anglaises, ou
+des pays occupés par les troupes anglaises, ou allant en Angleterre, ou
+dans les colonies anglaises, ou dans des pays occupés par les troupes
+anglaises, est de bonne prise, comme contrevenant au présent décret; il
+sera capturé par nos vaisseaux de guerre ou par nos corsaires, et adjugé
+au capteur.
+
+4. Ces mesures, qui ne sont qu'une juste réciprocité pour le système
+barbare adopté par le gouvernement anglais, qui assimile sa législation
+à celle d'Alger, cesseront d'avoir leur effet pour toutes les nations
+qui sauraient obliger le gouvernement anglais à respecter leur pavillon.
+Elles continueront d'être en vigueur pendant tout le temps que ce
+gouvernement ne reviendra pas aux principes du droit des gens, qui
+règle les relations des états civilisés dans l'état de guerre. Les
+dispositions du présent décret seront abrogées et nulles par le fait,
+dès que le gouvernement anglais sera revenu aux principes du droit des
+gens, qui sont aussi ceux de la justice et de l'honneur.
+
+5. Tous nos ministres sont chargés de l'exécution du présent décret, qui
+sera inséré au bulletin des lois.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+En notre palais royal de Milan, la 20 décembre 1807.
+
+_Lettres-patentes._
+
+Napoléon, par la grâce de Dieu et par les constitutions, empereur des
+Français, roi d'Italie, protecteur de la confédération du Rhin, à tous
+ceux qui les présentes verront; salut:
+
+Voulant donner une preuve particulière de notre satisfaction à notre
+bonne ville de Venise, nous avons conféré et conférons, par ces
+présentes lettres-patentes, à notre bien-aimé fils le prince Eugène
+Napoléon, notre héritier présomptif à la couronne d'Italie, le titre de
+_prince de Venise_.
+
+Nous mandons et ordonnons que les présentes lettres-patentes soient
+enregistrées à la consulte d'état, transcrites sur le grand livre
+qu'ouvrira à cet effet notre chancelier garde-des-sceaux, et insérées
+au bulletin des lois, afin que personne ne puisse en prétexter cause
+d'ignorance.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+En notre palais royal de Milan, le 20 décembre 1807.
+
+_Lettres-patentes._
+
+
+Napoléon, par la grâce de Dieu et les constitutions, empereur des
+Français, roi d'Italie, protecteur de la confédération du Rhin, à tous
+ceux qui les présentes verront; salut:
+
+Voulant donner une preuve particulière de notre satisfaction à notre
+bonne ville de Bologne, nous avons conféré et conférons par les
+présentes, le titre de _princesse de Bologne_ à notre bien-aimée
+petite-fille la princesse Joséphine.
+
+Nous mandons et ordonnons que les présentes lettres-patentes soient
+enregistrées à la consulte-d'état, transcrites sur les registres du
+sénat à la première session, inscrites sur le grand livre qu'ouvrira à
+cet effet notre chancelier garde-des-sceaux, et insérées au bulletin des
+lois, afin que personne ne puisse en prétexter cause d'ignorance.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+En notre palais royal de Milan, le 20 décembre 1807.
+
+_Lettres-patentes._
+
+Napoléon, par la grâce de Dieu et les constitutions, empereur des
+Français, roi d'Italie, protecteur de la confédération du Rhin, à tous
+ceux qui les présentes verront; salut:
+
+Voulant reconnaître les services que le sieur Melzi, chancelier
+garde-des-sceaux de notre royaume d'Italie, nous a rendus dans toutes
+les circonstances, dans l'administration publique, où il a déployé, pour
+le bien de nos peuples et de notre couronne, les plus hauts talens et la
+plus sévère intégrité;
+
+Nous souvenant qu'il fut le premier Italien qui nous porta, sur le champ
+de bataille de Lodi, les clefs et les voeux de notre bonne ville de
+Milan, nous avons résolu de lui conférer le titre de _duc de Lodi_, pour
+être possédé par lui ou par ses héritiers masculins, soit naturels, soit
+adoptifs, par ordre de primogéniture; entendant que le cas d'adoption
+ayant lieu par le titulaire et ses descendans, elle sera soumise à notre
+approbation ou à celle de nos successeurs.
+
+Nous mandons et ordonnons que l'état des biens que nous avons annexés
+au duché de Lodi, soit envoyé par notre grand-juge aux cours d'appel du
+lieu où ils sont situés, pour être inscrit au greffe, afin que personne
+n'en puisse prétexter cause d'ignorance; notre intention étant que ces
+biens soient exceptés des dispositions du Code Napoléon, et possédés
+toujours et en entier par les titulaires du duché, comme en faisant
+partie intégrante.
+
+Les présentes lettres-patentes seront enregistrées à la consulte-d'état,
+imprimées au bulletin des lois, et transcrites sur les registres du
+sénat, à sa première session, et sur le grand livre qu'ouvrira à cet
+effet notre chancelier garde-des-sceaux.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Milan, le 21 décembre 1807.
+
+_Discours de l'empereur et roi au corps législatif italien, après la
+lecture des lettres-patentes gui précèdent._
+
+«Messieurs les possidenti, dotti et commercianti,
+
+«Je vous vois avec plaisir environner mon trône.
+
+«De retour, après trois ans d'absence, je me plais à remarquer les
+progrès qu'ont faits mes peuples; mais que de choses il reste encore à
+faire pour effacer les fautes de nos pères, et vous rendre dignes des
+destins que je vous prépare!
+
+«Les divisions intestines de nos ancêtres, leur misérable égoïsme de
+ville, préparèrent la perte de tous nos droits. La patrie fut déshéritée
+de son rang et de sa dignité, elle qui, dans des siècles plus éloignés,
+avait porté si loin l'honneur de ses armes et l'éclat de ses vertus. Cet
+éclat, ces vertus, je fais consister ma gloire à les reconquérir.
+
+«Citoyens d'Italie, j'ai beaucoup fait pour vous; je ferai, plus encore.
+Mais de vôtre côté, unis de coeur comme vous l'êtes d'intérêt avec
+mes peuples de France, considérez-les comme des frères aînés. Voyez
+constamment la source de notre prospérité, la garantie de nos
+institutions, celle de notre indépendance, dans l'union de cette
+couronne de fer avec ma couronne impériale.»
+
+
+
+
+LIVRE SIXIÈME.
+
+
+
+EMPIRE.
+
+1808.
+
+
+
+Paris, le 6 janvier 1808.
+
+_Notes extraites du Moniteur._
+
+[5]Nous sommes autorisés à déclarer qu'il n'a été pris, pendant les
+conférences de Tilsitt, aucun engagement secret dont l'Angleterre puisse
+se plaindre, et qui la concerne en aucune manière. Pourquoi le cabinet
+de Londres, s'il est instruit d'engagemens secrets, contraires aux
+intérêts de l'Angleterre, ne les fait-il pas connaître? Son manifeste
+deviendrait inutile, et la seule communication de ces articles secrets
+justifierait sa conduite aux yeux de l'Europe, et redoublerait la bonne
+volonté et l'énergie de tout citoyen anglais. Mais c'est l'usage de
+ce gouvernement de partir d'une assertion fausse pour autoriser ses
+injustices, et pour chercher à justifier les vexations qu'il fait
+éprouver sans distinction à tous les peuples du monde. Lorsqu'il jugea
+convenable de ne point exécuter l'article du traité d'Amiens qui
+exigeait l'évacuation de Malte, il fit dire au roi dans un message au
+parlement: que tous les ports français étaient remplis de vaisseaux
+prêts à effectuer une descente en Angleterre, et l'Europe entière
+sait s'il y avait alors le moindre armement dans les ports de France.
+Lorsqu'il voulut ravir quelques millions de piastres, que quatre
+frégates espagnoles rapportaient du continent de l'Amérique, il fit
+un mensonge non moins grossier, pour justifier l'agression la plus
+honteuse. Lorsqu'enfin, il veut excuser l'inexcusable expédition de
+Copenhague, il a recours à des suppositions d'une fausseté évidente pour
+toute l'Europe.
+
+[Note 5: Cette note est une réponse aux plaintes que faisait le
+gouvernement anglais sur des engagement secrets auxquels aurait souscrit
+la Russie lors du traité de Tilsitt.]
+
+Mais si les dénégations formelles de la Russie et de la France, si
+l'expérience si souvent renouvelée de l'infidélité des assertions de
+l'Angleterre, si le défi qu'on lui fait de donner connaissance de
+quelque article secret du traité de Tilsitt qui serait contraire à ses
+intérêts, ne suffisent point pour convaincre tout homme impartial, un
+très-petit nombre de réflexions prouvera que l'Angleterre ne croit pas à
+ces engagemens secrets pris par la Russie contre elle.
+
+En effet, si le cabinet de Londres croyait qu'il existait de tels
+engagemens contre la France et la Russie, pourquoi, dans le moment même
+où il avait fait cette découverte, qui le portait à attaquer Copenhague,
+ne faisait-il pas attaquer l'escadre russe dans la Méditerranée, et lui
+permettait-il de franchir librement le détroit de Gibraltar? Pourquoi
+trois vaisseaux russes, qui venaient de la mer du Nord, traversaient-ils
+l'escadre anglaise qui bloquait Copenhague? Pourquoi, s'il était
+vrai que des conditions secrètes eussent été stipulées à Tilsitt, au
+désavantage de l'Angleterre, le cabinet de Londres recourait-il à la
+médiation de la Russie pour concilier ses différens avec le Danemarck?
+Que ses ministres soient au moins d'accord avec eux-mêmes, et qu'ils
+ne disent pas quelques pages plus bas ces propres mots: «Et cependant
+jusqu'à la publication de la déclaration russe (c'est-à-dire jusqu'en
+novembre), S.M. n'avait aucune raison de soupçonner que, quelle que pût
+être l'opinion de l'empereur de Russie sur les événemens de
+Copenhague, elle pût empêcher S.M.I. de se charger, à la demande de la
+Grande-Bretagne, de ce même rôle de médiateur.» Ainsi les Anglais ont eu
+recours à la médiation de la Russie pour s'arranger avec le Danemarck
+plus de trois mois après le traité de Tilsitt; et ils prétendent, comme
+on le verra encore plus bas, n'avoir fait l'expédition de Danemarck, que
+pour s'opposer à l'exécution des ces arrangemens de Tilsitt, et pour
+déjouer un des objets de ces arrangemens. Ils se sont emparés des
+vaisseaux danois, à cause des arrangemens que l'empereur de Russie
+avait faits à Tilsitt; ils ont laissé passer librement les vaisseaux de
+l'empereur de Russie; ils étaient en paix avec la Russie, puisqu'ils
+avaient recours à sa médiation; il n'est donc pas vrai qu'ils crussent
+alors que la Russie avait pris des arrangemens contre eux; il n'est donc
+pas vrai qu'ils croient aujourd'hui que ces arrangemens ont existé. Que
+cette malheureuse nation est déchue! par quels misérables conseils ses
+affaires sont-elles dirigées! Ses ministres, en arrêtant un manifeste de
+quelques pages, n'ont pas même assez de bon sens et de réflexion pour
+éviter des contradictions aussi grossières.
+
+[6]La bonne foi du cabinet de Londres paraît ici dans tout son jour:
+il espérait que l'empereur de Russie, après avoir pris des engagemens
+contraires à l'Angleterre, y manquerait presque aussitôt. Le
+gouvernement anglais en juge sans doute d'après ses propres sentimens.
+Il révèle son secret à toute la terre. Les traités qu'il signe ne sont
+que des actes éventuels; les obligations qu'il contracte ne sont que des
+engagemens simulés, qu'il tient ou qu'il viole au gré de ses caprices ou
+de ses intérêts. Nous le répétons, l'empereur de Russie n'a rien signé à
+Tilsitt qui fût contraire aux intérêts de l'Angleterre; mais s'il l'eût
+fait, son caractère, sa loyauté, n'autorisaient pas l'Angleterre à
+penser qu'il aurait aussitôt violé ses engagemens. Nous ne relèverons
+pas le ton de tout ce paragraphe où on représente la Russie cédant à un
+moment d'alarme et d'abattement; les Russes y répondront mieux que
+nous. Nous remarquerons seulement la différence qui existe entre la
+déclaration de la Russie et la réponse de l'Angleterre. On trouve dans
+la première le noble langage d'un prince qui respecte le rang suprême et
+la dignité des nations; qui, s'il dit des faits honteux pour un état, ne
+les dit que parce qu'il y est forcé pour exposer ses motifs de plainte.
+Nous voyons au contraire, dans la réponse de l'Angleterre, la grossière
+insolence d'un club oligarque qui ne respecte rien, qui cherche à
+humilier par ses expressions, et qui, au défaut de bonnes raisons, a
+recours à des imputations calomnieuses, et à des sarcasmes outrageans.
+
+[Note 6: L'Angleterre paraissait croire que l'empereur de Russie ne
+tarderait pas à revenir à son système.]
+
+[7]Deux grandes nations égales en force, en courage, versaient des flots
+du plus pur de leur sang pour le seul intérêt des oppresseurs des mers:
+ces calamités ont touché les deux souverains; ils ont voulu les faire
+cesser, et l'empereur de Russie, lors même qu'il était animé par un si
+puissant motif, a désiré faire sentir à l'Angleterre les effets de son
+ancienne affection: il a demandé que la France acceptât sa médiation,
+condition que la générosité de l'empereur de Russie a rendu moins
+pénible à l'empereur des Français. Elle pouvait l'être cependant,
+puisque la médiation qu'il s'agissait d'accepter était celle d'un prince
+si nouvellement réconcilié avec la France; et cette médiation ainsi
+proposée, ainsi accueillie, l'Angleterre, au lieu de l'accepter
+avec empressement, a répondu à tant de générosité avec une défiance
+insultante; elle a demandé qu'avant tout, on lui communiquât les
+articles secrets du traité de Tilsitt qui la concernaient; on lui a
+répondu qu'il n'existait pas d'articles secrets qui la concernassent, et
+il aurait fallu sans doute, que l'empereur de Russie en forgeât exprès
+pour dissiper un odieux soupçon: lui qui, dans les négociations, a eu
+toujours à coeur de laisser la porte ouverte aux arrangemens entre la
+France et l'Angleterre. Il n'avait pas lieu de s'attendre à être si mal
+récompensé de soins si généreux. En vérité, il est difficile de porter
+plus loin l'oubli de toutes les convenances, de tout sentiment et de
+toute raison.
+
+[Note 7: Dans le paragraphe qui a motivé cette note, l'Angleterre
+exigeait de la Russie communication des prétendus articles secrets qui
+la concernaient.]
+
+[8]Les ministres de Londres manquent de mémoire d'une manière bien
+étrange. S'ils voulaient persuader à l'Europe qu'ils n'avaient aucune
+liaison avec la Russie lorsque la guerre a éclaté entre la France et la
+Prusse, il fallait effacer de tous les souvenirs, retirer de tous les
+documens publics, les pièces qu'ils firent imprimer sur les événements
+de 1805. Ces pièces publiées par l'Angleterre, ont appris que le cabinet
+de Londres, pour éloigner l'orage qui se préparait à Boulogne, fit alors
+un traité avec la Russie et l'Autriche. Ce fut contre opinion du prince
+Charles et de tous les hommes éclairés, qu'une armée autrichienne se
+précipita sur l'Iller. La faction que le gouvernement anglais avait
+alors à Vienne, n'examina pas s'il convenait aux puissances de la
+coalition d'attendre que les troupes russes fussent réunies aux troupes
+autrichiennes: ce retard de trois mois effrayait l'Angleterre; les
+longues nuits de l'automne la menaçaient d'un trop grand péril, et
+Cobentzel envoya la note qui décidait la guerre, au moment même où
+l'armée de Boulogne était embarquée; et Mack finissait ses destins à
+Ulm, tandis que les Russes étaient encore en Pologne. Lorsqu'on
+peut répondre à l'Angleterre par des faits aussi publics, comment
+nierait-elle que c'est pour elle, et pour elle seule, que l'Autriche et
+la Russie ont fait la guerre? L'Autriche ne tarda point à conclure
+sa paix; la Russie resta en guerre avec la France. Depuis, un
+plénipotentiaire russe signa un traité de paix à Paris; la Russie ne le
+ratifia point, par la seule raison qu'ayant fait la guerre avec vous,
+c'était avec vous qu'elle voulait faire la paix. Ainsi, après avoir fait
+la guerre pour l'Angleterre, c'est encore pour elle que la Russie n'a
+pas fait la paix; c'est encore pour elle que la Russie a continué la
+guerre. Ce n'est point pour la Prusse, parce que la Russie ne devait
+rien à cette puissance; elle ne devait rien à cette puissance, parce que
+la Prusse, après avoir signé à Berlin un traité de coopération, l'avait
+presque aussitôt fait désavouer à Vienne, s'était séparée de ses
+alliés, et avait conclu avec la France ses arrangemens particuliers. La
+possession du Hanovre, désirée par la Prusse, l'avait été non-seulement
+sans l'intention de la Russie, mais contre ses intérêts et sa volonté.
+C'est encore une vérité historique, que la Prusse a armé sur le bruit du
+traité de paix signé à Paris par M. Doubril, et d'après l'assurance qui
+lui fut donnée par le marquis de Lucchesini, que, par un article secret
+de ce traité, la Pologne avait été cédée au grand-duc Constantin. Cet
+inconcevable cabinet de Berlin, après avoir trompé tout le monde, avait
+enfin été pris dans ses propres filets. Il est donc vrai que lorsque la
+Prusse arma en 1806, ce fut tout à la fois contre la France et contre
+la Russie; il n'est pas moins vrai que la bataille d'Iéna avait déjà
+détruit l'armée prussienne, que les Français étaient déjà à Berlin et
+sur l'Oder, lorsqu'il n'y avait point encore de traité entre la Prusse
+et la Russie. La Russie dut marcher sur la Vistule, à cause de l'état
+de guerre où elle se trouvait avec la France depuis 1805, et pour se
+défendre elle-même. Cette confusion des événemens les plus récens, cette
+ignorance des affaires de nos jours, sont dignes de l'administration
+actuelle de l'Angleterre. Toute cette conduite enfin décèle l'égoïsme et
+le machiavélisme de ce cabinet.
+
+[Note 8: L'Angleterre se défend d'avoir eu, plus que la Russie, un
+intérêt immédiat à la guerre de Prusse.]
+
+[9]Ainsi l'empereur de Russie n'est pas fondé à se plaindre de ce que,
+pendant qu'il était aux prises avec l'armée française, le cabinet
+de Londres employait les forces britanniques pour le seul profit de
+l'Angleterre. Si l'escadre anglaise qui a forcé les Dardanelles, avait
+voulu se combiner avec l'escadre russe, si elle avait pris à bord les
+dix mille hommes qui ont été envoyés en Ègypte, si elle les avait réunis
+aux douze mille Russes de Corfou, l'attaque de Constantinople eût été
+une diversion efficace pour la Russie. La conduite de l'Angleterre fut
+dans un sens tout opposé: après avoir subi à Constantinople une honte
+ineffaçable, elle fit son expédition d'Egypte, qui n'affaiblissait pas
+le grand-visir d'un seul homme, et qui n'avait rien de commun avec la
+querelle dans laquelle elle avait engagé la Russie.
+
+[Note 9: La déclaration anglaise cherche à repousser le reproche
+qu'on lui adressait de n'avoir rien tenté en faveur de ses alliés.]
+
+Ainsi l'empereur de Russie ne doit s'en prendre qu'à lui, puisqu'il n'a
+pas voulu attendre les secours que l'Angleterre était disposée à lui
+accorder. Mais ces secours, il fallait les faire marcher lorsque
+Dantzick était encore dans la possession de Kalkreuth. Si aux douze
+mille hommes qui ont mis bas les armes et capitulé dans les rues de
+Buénos-Ayres, l'Angleterre avait joint les quinze mille hommes qui
+depuis ont incendié Copenhague, ces forces n'auraient pas sans doute
+fait triompher les armes britanniques; la France était en mesure;
+elle estimait assez l'Angleterre pour avoir compté sur de plus grands
+efforts; mais la Russie n'avait pas à se plaindre. Il importait bien peu
+au cabinet de Londres que deux nations du continent s'entr'égorgeassent
+sur la Vistule; les trésors de Monte-Vidéo et de Buénos-Ayres excitaient
+sa cupidité, et Dantzick n'a point été secouru.
+
+S. M., disent les ministres, faisait les plus grands efforts pour
+remplir l'attente de son allié. Et qu'ont produit ces grands efforts?
+L'arrivée de six mille Hanovriens à l'île de Rugen, au mois de juillet,
+c'est-à-dire, un mois après que la querelle était terminée. N'était-il
+pas évident qu'une si misérable expédition avait été conçue dans le
+seul but d'occuper le Hanovre, si l'armée russe avait été victorieuse?
+n'est-il pas évident qu'elle n'arrivait à Rugen que pour le compte de
+l'Angleterre? n'est-it pas évident que si l'armée française avait été
+victorieuse, un secours de six mille hommes n'aurait été d'aucun effet?
+n'est-il pas évident qu'au mois de juillet, l'armée française devait
+être victorieuse ou battue? n'est-il pas évident que les vingt mille
+Espagnols, que les quarante mille Français venus de l'armée d'Italie, et
+dont une partie s'était trouvée disponible par la sûreté que donnait
+à la France les expéditions d'Egypte et de Buénos-Ayres, réunis aux
+vingt-quatre mille Hollandais qui étaient à Hambourg, formaient au mois
+de juillet une armée plus que suffisante pour anéantir tous les efforts
+de l'Angleterre?
+
+Ce n'est donc pas au mois de juillet qu'il fallait envoyer des secours.
+C'était en avril. Mais alors la légion hanovrienne n'était point formée,
+et avant qu'on pût faire marcher ce ramas de déserteurs étrangers, les
+ministres n'avaient à leur disposition que des troupes nationales, et
+nous dirons pourquoi ils n'aiment pas à en disposer. Les quinze mille
+hommes de Buénos-Ayres, réunis à quinze mille hommes des milices de la
+Grande-Bretagne, pouvaient fournir au mois d'avril une armée de trente
+mille Anglais; mais ce n'était point là ce qui convenait au cabinet
+de Londres: le sang des peuples du continent doit seul couler pour
+la défense de l'Angleterre. Qu'on lise attentivement les débats du
+parlement, on y trouvera le développement de cette politique; et c'est
+de cette politique que la Russie se plaint justement. Elle avait le
+droit de voir débarquer quarante mille Anglais au mois d'avril, ou à
+Dantzick ou même à Stralsund. L'Angleterre l'a-t-elle fait? Non; l'a-t
+elle pu faire? Si elle répond négativement, elle est donc une nation
+bien faible et bien misérable; elle a donc bien peu de titres pour être
+si exigeante envers ses alliés. Mais ce qui manquait aux ministres,
+c'était la volonté; il ne leur faut que des opérations de pirates; ils
+calculent les résultats de la guerre à tant pour cent; ils ne songent
+qu'à gagner de l'argent, et les champs de la Pologne n'offraient que
+des dangers et de la gloire; et si l'Angleterre avait enfin pris part
+à quelques combats, du sang anglais aurait été versé; le peuple de la
+Grande-Bretagne, en apprenant quels sacrifices exige la guerre, aurait
+désiré la paix; le deuil des pères, des mères pleurant leurs enfans
+morts au champ d'honneur, aurait peut-être fait naître enfin, dans le
+coeur des ministres, ces mêmes sentimens qu'une longue guerre a inspirés
+aux Français, aux Russes, aux Autrichiens. Le cabinet britannique
+n'aurait pu se défendre à son tour d'avoir horreur de la guerre
+perpétuelle, ou bien les hommes de sang qui le composent seraient
+devenus l'exécration du peuple. Il n'en est pas de la guerre de terre
+comme de la guerre de mer: la plus forte escadre n'exige pas quinze
+mille hommes parfaitement approvisionnés et n'ayant à souffrir aucune
+privation; le plus grand combat naval n'équivaut pas une escarmouche
+de terre, il coûte peu de sang et de larmes. La France, l'Autriche, la
+Russie emploient à la guerre des armées de quatre cent mille hommes, qui
+sont exposés à tous les genres de dangers et qui se battent tous les
+jours. Le désir de la paix naît au sein même de la victoire; et pour
+des souverains pères de leurs sujets, il se place bientôt parmi leurs
+sentimens les plus chers. De tous les gouvernemens, l'oligarchie est le
+plus dur; lui même cependant est aussi ramené vers la paix, quand la
+guerre coûte tant de victimes. Le système qui a conduit l'Angleterre à
+ne point secourir ses alliés, est la suite de son égoïsme, et l'effet
+de sa maxime barbare d'une guerre perpétuelle. Le peuple anglais ne se
+révolte point à cette idée, parce qu'on a soin d'éloigner de lui les
+sacrifices de la guerre. C'est ainsi que, pendant quatre coalitions,
+nous avons vu l'Angleterre rire a l'aspect des malheurs du continent,
+alimenter son commerce de sang humain, et se faire un jeu des scènes de
+carnage auxquelles elle ne prenait point de part. Elle rentrera dans
+l'estime de l'Europe, elle sera digne d'avoir des alliés quand elle se
+présentera en front de bandière avec quatre-vingt mille hommes; alors,
+quel que soit l'événement, elle ne voudra pas une guerre perpétuelle;
+son peuple ne se soumettra point aux caprices d'une ambition
+désordonnée, ses alliés ne seront pas ses victimes. C'est en se battant
+que les Russes, les Autrichiens, les Français ont appris à s'estimer;
+c'est en se battant qu'ils ont appris à faire céder les passions
+haineuses ou cruelles au désir de la paix. L'Angleterre a acquis sa
+supériorité sur les mers par la trahison à Toulon et dans la Vendée:
+elle n'a exposé aux convulsions qu'elle a suscitées, que quelques
+vaisseaux et quelques milliers d'hommes; elle n'a éprouvé ni le besoin
+de la paix, ni les pertes sanglantes de la guerre. Mais il est naturel
+que le continent veuille la paix, et que les puissances continentales
+aient en horreur la république d'Angleterre.
+
+[10] Il est vrai que la cour de l'amirauté n'a condamné qu'un seul
+bâtiment russe; mais ce raisonnement n'en est pas moins faux: plus de
+cent bàtimens russes ont été détournés de leur navigation, assujettis
+à d'odieuses visites et retenus en Angleterre. Depuis le manifeste du
+cabinet de Londres, plus de douze de ces vaisseaux arrêtés pendant que
+les Russes se battaient pour la cause de l'Angleterre, ont déjà été
+condamnés. Ce n'est donc point à la cour de l'amirauté qu'il fallait
+s'adresser pour vérifier les sujets de plaintes de la Russie: ce sont
+les registres des croiseurs, ce sont ceux des capitaines de ports qu'il
+faut consulter. C'est une étrange manière de chercher à persuader qu'on
+n'a point de torts, que de chercher les preuves de ces torts où elles ne
+sont pas.
+
+[Note 10: Réfutation des griefs de la Russie, qui se plaignait des
+vexations que son commerce avait éprouvées de la part des Anglais.]
+
+[11] Le sophisme et l'hypocrisie ajoutent encore au sentiment de dégoût
+qu'on éprouve en lisant de telles absurdités. Quelque horrible que
+soit le principe de la guerre perpétuelle, il serait moins honteux
+de l'avouer: il y a une sorte de grandeur à proclamer hautement la
+scélératesse; l'Angleterre dit qu'elle n'a pas refusé la médiation
+offerte par l'empereur de Russie, et le même jour où parut sa note en
+réponse à cette offre, ses troupes entrèrent à Copenhague, déclarant
+ainsi la guerre, non-seulement à la Russie, mais à l'Autriche, mais à
+tout le continent. Sa réponse au cabinet de Saint-Pétersbourg a été lue
+à la lueur de l'incendie de Copenhague. Que disait cette réponse? Que
+l'Angleterre voulait connaître les bases de la négociation; ressource
+misérable lorsqu'il s'agit de si grands intérêts. Lord Yarmouth, Lord
+Lauderdale connaissent ces bases: qu'on leur demande s'ils pensent que
+la France voulait la paix? La base la plus désirable se trouvait énoncée
+dans les notes de la Russie, puisqu'elle offrait sa médiation pour
+une paix juste et honorable. L'Angleterre demandait une garantie, et
+l'empereur de Russie offrait la sienne. Etait-il sur la terre une
+garantie plus puissante et plus auguste? Quant à la communication
+des articles secrets vous concernant, qu'aviez-vous donc à demander,
+puisqu'ils n'existaient pas? et que vouliez-vous réellement? refuser
+la médiation? Vous l'avez refusée, et la main qui a signé ce refus
+dégouttait du sang des Danois, le plus cher et le plus ancien des alliés
+de la Russie.
+
+[Note 11: L'Angleterre cherche à colorer son refus d'accepter la
+médiation de la Russie pour traiter avec la France.]
+
+[12] La Prusse avait perdu tous ses états; Memel était au moment
+d'échapper au pouvoir du roi. Le cabinet de Londres était une des causes
+de cette situation malheureuse, en insinuant à la Prusse que la France
+voulait remettre le Hanovre au roi d'Angleterre. Est-ce avec le secours
+des Anglais que le roi de Prusse est sorti d'une position désespérée?
+C'est l'empereur de Russie qui a combattu pour lui et qui lui a fait
+restituer sa couronne. Voilà une étrange manière d'abandonner ses
+alliés. Les anciens alliés de l'Angleterre seraient bien heureux s'ils
+n'avaient à se plaindre que d'un abandon de cette espèce. Sans doute la
+France a proposé deux fois à la Prusse une paix séparée, mais il
+était bien entendu, lorsqu'elle n'avait pas pour elle la généreuse
+intervention de la Russie, que le territoire prussien n'aurait été
+évacué que quand les Anglais auraient eux-mêmes fait la paix.
+
+[Note 12: Elle prétexte l'abandon des intérêts de la Prusse.]
+
+[13] Ce paragraphe ne contient que des assertions fausses. Aucune
+nouvelle contribution n'a été mise sur les états prussiens, mais celles
+qui avaient été imposées pendant la guerre doivent être acquittées. Tous
+les pays entre le Niémen et la Vistule, formant une population de plus
+d'un million, ont été évacués. Le reste ne l'est pas: il n'a pas dû
+l'être, parce que le traité n'a pas fixé le temps; parce que les
+arrangemens préalables avec le roi de Prusse ne sont pas terminés; parce
+que l'expédition de Copenhague est venue jeter de nouvelles incertitudes
+dans les affaires du Nord de l'Europe; parce que le ministre de Prusse,
+qui, selon l'ancienne politique de son cabinet, a si bien instruit le
+cabinet britannique par de fausses confidences, est encore à Londres;
+parce que les vaisseaux anglais ont été reçus à Memel; parce
+qu'enfin dans la circonstance extraordinaire où les injustices de
+la Grande-Bretagne ont placé l'Europe, la Russie et la France ont à
+s'entendre.
+
+[Note 13: Elle allègue la conduite de la France à l'égard de la
+Prusse.]
+
+Quant à la mort d'individus sujets de S. M. prussienne, et à la remise
+de forteresses prussiennes qui n'avaient pu être réduites pendant la
+guerre, ces assertions sont tout à fait inintelligibles. La France a, au
+contraire, rendu deux forteresses de plus à la Prusse, Cassel et Gratz.
+Les Français font la guerre loyalement, et assurément ils ne tuent
+point les sujets paisibles des pays conquis; ils ne prennent pas les
+propriétés des particuliers, ils les protègent. Peuples du continent,
+lisez le code maritime de l'Angleterre, et vous verrez quel serait son
+code terrestre si elle était puissante sur terre comme sur mer. Elle ne
+s'empare pas seulement des vaisseaux des princes avec lesquels elle
+est en guerre, mais aussi des vaisseaux marchands qui transportent des
+propriétés privées. Il n'y a aucune différence, aux yeux de l'équité,
+entre les magasins de marchandises appartenant à des particuliers dans
+les provinces conquises, et les marchandises qui appartiennent à des
+négocians et qui naviguent sur bâtimens marchands; il n'y a point de
+différence, sous le rapport de l'équité, entre les vaisseaux marchands
+et les convois de marchandises transportées par terre de Hambourg à
+Berlin, ou de Trieste en Allemagne. Et a-t-on jamais vu les armées
+françaises arrêter des convois? n'a-t-on pas vu lord Keith vouloir
+s'emparer à Gênes des vaisseaux qui étaient dans le port, et des denrées
+qui se trouvaient chez les marchands de cette ville? il ne faisait
+là qu'une application à la terre des principes du code maritime de
+l'Angleterre. Les Autrichiens et le prince Hohenzollern qui les
+commandait, furent indignés de ces vexations; ils s'y opposèrent, et
+la journée de Marengo amenant, quelques jours après, les Français dans
+Gênes, y ramena aussi la sécurité sur les propriétés privées. D'où
+viennent donc des procédés si différens? Les uns sont le résultat de la
+politique atrabilaire, injuste de l'Angleterre, les autres sont le fruit
+de la politique libérale et de la civilisation de la France. Si, à son
+tour, elle dominait sur les mers, on ne la verrait attaquer que les
+vaisseaux armés; on la verrait protéger même les propriétés appartenant
+aux sujets des états avec lesquels elle serait en guerre. Si l'on veut
+comparer l'esprit de libéralité et la civilisation des deux nations,
+il faut prendre pour termes de cette comparaison le code des Français
+pendant la guerre de terre, et son application aux individus et aux
+propriétés, et le code maritime des Anglais, et son application aux
+individus et aux propriétés qui se trouvent sur les mers.
+
+Mais quel est le motif qui a porté les ministres de Londres à faire
+mention de la Prusse dans ce manifeste? est-ce l'intérêt de la Prusse?
+Mais si l'intérêt de la Prusse les avait touchés, ils auraient accepté
+la médiation de l'empereur de Russie. Pourquoi publier aujourd'hui ce
+paragraphe indiscret qui laisse voir clairement que l'esprit qui a fait
+faire tant de faux pas au cabinet de Berlin s'agite encore? est-ce pour
+être utile à la Prusse, et lui concilier l'intérêt de la France dont
+elle a tant besoin dans ces circonstances?
+
+La France a évacué beaucoup de pays, et l'Angleterre n'en a pas évacué
+un seul, et la base préalable de toutes ses négociations est _l'uti
+possidetis_. Lorsque les Français traitent avec leurs ennemis, ou ils
+changent les gouvernemens coupables de s'être unis à l'Angleterre contre
+les intérêts du continent, ou, s'ils évacuent les pays conquis, ce n'est
+qu'en conséquence d'une paix solide dont toutes les stipulations sont
+observées: et de même qu'en ne les voit pas attaquer leurs alliés sans
+déclaration de guerre, surprendre leurs capitales par trahison, de même
+on ne les voit pas abandonner une place avant que les négociations
+aient décidé de son sort. Les Anglais attaquent pour dépouiller, et se
+retirent après le pillage et l'incendie. Cette guerre leur convient,
+car c'est celle des pirates. Puisqu'ils étaient entrés à Copenhague, il
+fallait qu'ils y demeurassent jusqu'à la paix. Ils ont joint à la honte
+d'une entreprise atroce, le déshonneur d'une fuite honteuse.
+
+Mais s'il était vrai que les Français fussent exigeans envers leurs
+ennemis, il faut le dire, comment ne le seraient-ils point? Ils ont huit
+cent mille hommes sur pied, et ils sont prêts à tous les sacrifices pour
+doubler encore leurs forces si cela était nécessaire: non que les armes
+soient leur métier naturel, et que tant de bras arrachés à la culture
+d'un sol si fertile, ne soient pas pour eux un sensible sacrifice.
+Possesseurs d'un beau pays, ils voudraient se livrer aux conquêtes du
+commerce et de l'industrie; mais votre tyrannie les en empêche. C'est un
+géant que vous avez excité et que vous irritez sans cesse. Depuis quinze
+ans vos injustices n'ont fait qu'ajouter à son énergie et à sa puissance
+que votre persévérance dans la tyrannie doit accroître encore.
+Non-seulement il ne posera pas les armes, mais il augmentera ses forces
+jusqu'à ce qu'il ait conquis la liberté des mers qui est son premier
+droit et le patrimoine de toutes les nations. Si les suites affligeantes
+de la guerre se prolongent, si le séjour des troupes françaises est à
+charge aux pays qu'elles occupent, c'est à vous qu'il faut s'en prendre:
+tous les maux qui ont tourmenté l'Europe sont venus de vous seuls. Les
+lieux communs diplomatiques ne résolvent pas de si grandes questions.
+Quand vous voudrez la paix, la France sera prête à la faire; vous ne
+pouvez l'ignorer, vous ne l'ignorez point. On peut citer à ce sujet une
+anecdote qui est généralement connue. Lorsque la garde impériale partit
+pour Jéna, et que l'on sut que peu de jours après l'empereur devait
+partir pour l'armée, lord Lauderdale demanda à M. de Champagny si, dans
+le cas où l'Angleterre ferait la paix, l'empereur Napoléon consentirait
+à s'arrêter et à contremander la marche de ses troupes contre la Prusse:
+l'empereur fit répondre affirmativement. D'un seul mot vous auriez sauvé
+la Prusse. En prévenant la chute de cette puissance, vous mainteniez sur
+l'Elbe cette barrière si nécessaire à vos intérêts les plus chers, et
+dont le rétablissement est désormais impossible.
+
+[14]L'empereur de Russie a du être offensé de la communication que fit
+M. Canning à M. Ryder, et dans laquelle le ministre anglais se disait
+certain que la Russie garantirait le Danemarck du juste ressentiment de
+la France, si, après avoir laissé violer son indépendance et ravir sa
+flotte, le Danemarck se constituait province anglaise. Ce mensonge ne
+fit qu'irriter le prince royal: il ne pouvait en imposer à personne.
+L'Angleterre voulait que la Russie garantît le Danemarck du ressentiment
+de la France, tandis qu'elle déclarait qu'elle ne faisait violence au
+Danemarck que pour se garantir des engagemens secrets contractés à
+Tilsitt par l'empereur de Russie. On ne sait, en vérité, ce qui est ici
+le plus frappant, ou la déraison ou l'immoralité du cabinet de Londres.
+
+[Note 14: Elle oppose à son refus d'accepter la médiation de la
+Russie, celui fait par cette puissance de lui servir de médiatrice
+envers le Danemarck.]
+
+[15]Si l'empereur de Russie a montrée à l'Angleterre les premiers
+symptômes d'une paix renaissante depuis la paix de Tilsitt, il n'est
+donc pas vrai qu'il ait conclu à Tilsitt des arrangemens secrets qui
+l'avaient mis en inimitié avec l'Angleterre. Si ces démonstrations ont
+eu lieu au moment où l'on venait d'apprendre à Pétersbourg la nouvelle
+de l'investissement de Copenhague, ce n'est pas que l'empereur de Russie
+n'en éprouvât aucun ressentiment; c'est qu'il concevait quelqu'espoir
+d'adoucir la férocité de l'Angleterre par de bons procédés; c'est qu'il
+a désiré intervenir pour sauver son malheureux allié; c'est qu'ignorant
+les causes de l'expédition de Copenhague, sachant qu'il n'y avait donné
+lieu, ni directement, ni indirectement, il a pu croire pendant quelque
+temps que l'Angleterre avait eu des motifs pour se porter à une démarche
+si importante. Mais il fut éclairé par les communications du prince
+royal, par les propres communications de l'Angleterre, par le manifeste
+du général anglais qui expliquait les odieuses prétentions de son
+gouvernement; et alors il demanda que l'attaque de Copenhague cessât.
+L'Angleterre lui répondit en brûlant Copenhague et en enlevant la
+flotte.
+
+[Note 15: Elle insinue que les premiers symptômes de bienveillance
+envers elle n'ont eu lieu a Saint-Pétersbourg qu'au moment où la
+nouvelle du siège de Copenhague venait d'y arriver.]
+
+Après cette opération la plus funeste pour l'Angleterre de toutes les
+entreprises qu'elle ait jamais formées, elle n'avait que deux partis à
+prendre: ou continuer à occuper Copenhague, et elle ne l'osait pas;
+ou évacuer Copenhague, et elle sentit que le Sund lui serait à jamais
+fermé. Elle eut alors la lâcheté de recourir à la médiation de la
+Russie; elle mit à nu son caractère; elle crut qu'elle imposerait à
+l'empereur Alexandre; mais elle ne put rien obtenir d'une démarche que
+cette opinion rendait offensante: la Russie lui répondit par le silence
+du mépris et en armant Cronstadt et ses côtes. Cette démarche de
+l'Angleterre prouve donc une seule chose; c'est qu'elle ne pensait pas
+que la Russie eût arrêté à Tilsitt des articles secrets contraires à ses
+intérêts. Cette vérité démontrée dans ces notes de tant de manières,
+fait crouler tout l'échafaudage du manifeste anglais.
+
+[16]Comment l'Angleterre peut-elle ne pas convenir de l'inviolabilité
+de la Baltique? Si cette mer n'est point une mer fermée, pourquoi les
+vaisseaux anglais paient-ils à Elseneur?
+
+[17]L'Europe va juger si ces conditions, sont en effet telles que la
+guerre la plus heureuse de la part du Danemarck pourrait à peine les lui
+faire obtenir. L'Angleterre demandait:
+
+[Note 16: Elle nie avoir jamais acquiescé à la reconnaissance de
+inviolabilité de la mer Baltique.]
+
+[Note 17: Elle se targue des conditions avantageuses qu'elle offrait
+au Danemarck.]
+
+1º Que la marine danoise restât en dépôt jusqu'à la paix;
+
+2º Que le juste ressentiment de l'outrage fait à Copenhague, fît place
+à des sentimens d'amitié pour l'Angleterre;
+
+3.° Que les armées danoises prissent parti contre la France et fissent
+la guerre pour l'Angleterre.
+
+Il faut ajouter à tous les avantages que présentaient de si belles
+conditions accordées par l'Angleterre, la perte des possessions danoises
+en Allemagne, dont la France se serait emparée, et sur le territoire
+desquelles elle aurait battu les Anglais, si elle leur avait permis d'y
+descendre.
+
+On chercherait vainement la trace de quelques calculs, de quelque
+apparence de raison dans de tels raisonnemens. Le fait est que la
+précipitation et l'ignorance président aux conseils britanniques, et
+qu'on ne peut trouver dans ce que ce gouvernement dit, fait ou veut, ni
+but, ni vue, ni motif.
+
+[18]Ainsi la Russie n'a point d'intérêt à faire la guerre à
+l'Angleterre, car les intérêts du commerce et de la navigation ne
+regardent pas les Busses: ils n'ont point d'intérêt à l'indépendance de
+la Baltique, car un arrêt du conseil britannique a déchu la mer Baltique
+de son indépendance; car une autre décision du même conseil peut décider
+qu'ils n'ont point d'intérêt à la navigation de la Newa. Le but que se
+proposent toutes les puissances en rétablissant la liberté des mers,
+et en rendant la paix à l'Europe, est un but étranger à la Russie. La
+Russie a retiré depuis cent ans un si grand avantage de ses liaisons
+avec l'Angleterre, qu'elle n'a plus rien à désirer. Ce grand avantage
+consiste dans un traité de commerce qui a entravé, ruiné l'industrie et
+le commerce en Russie; mais puisque ce traité a contribué éminemment
+à la prospérité de l'Angleterre, qu'importe qu'il équivaille pour la
+Russie au fléau d'une gelée perpétuelle?
+
+[Note 18: La Russie, suivant elle, se trouve engagée dans une guerre
+contraire à ses Intérêts.]
+
+[19]S. M. britannique éprouve ici un étrange embarras, et son conseil
+n'est pas fertile en expédiens. La France, l'Autriche, la Russie
+demandent que la flotte danoise soit rendue; que des réparations soient
+faites au prince royal; que le peuple anglais, imitant ce que fit le
+peuple romain en pareille circonstance, mette à la disposition du
+prince royal, celui qui a conseillé au roi d'Angleterre l'expédition de
+Copenhague; que les maisons incendiées à Copenhague soient reconstruites
+aux frais de l'Angleterre; et qu'enfin S. M. britannique montre qu'elle
+désavoue l'outrage fait à tous les souverains. Il y a loin de là aux
+propositions que fait l'Angleterre.
+
+[Note 19: Elle allègue les efforts qu'elle a faits pour terminer la
+guerre avec le Danemarck.]
+
+[20]Quand on veut soutenir une cause étrangère a toute justice, à toute
+vérité; il faut du moins le faire avec talent, et ce talent ne se
+manifeste point par l'aveu fort remarquable que contient ce paragraphe.
+«La dernière négociation entre la France et l'Angleterre, a été rompue
+pour des points qui touchaient immédiatement, non les intérêts de S. M.
+britannique, mais ceux de son allié impérial.» Peuples de l'Europe, vous
+l'entendez! Ce n'est pas la France qui s'est opposée à la paix, ce ne
+sont pas des intérêts importans pour l'Angleterre qui ont empêché la
+paix, c'est la Russie seule qui alors y mettait obstacle. Eh bien!
+lorsque cet obstacle n'existe plus, pourquoi l'Angleterre se
+refuse-t-elle à la paix? pourquoi, au lieu de négocier, demande-t-elle
+sur quelles bases veut traiter la France? pourquoi continue-t-elle à
+violer tous les pavillons? pourquoi maintient-elle le monde entier dans
+cet état d'irritation et de violence qui opprime tous les peuples, qui
+est à charge à tous les souverains? Tout Anglais doit rougir d'être
+gouverné par de tels hommes.
+
+[Note 20: Elle repousse l'idée de la conclusion d'un traité avec la
+France, et s'excuse sur la forme offensante que la Russie aurait donnée
+à cette proposition.]
+
+Nous ne relevons point la phrase qui termine ce paragraphe. Le langage
+insultant de souverain à souverain n'avilit que celui qui se le permet.
+L'empereur de Russie méprisera l'insulte de l'Angleterre; mais la nation
+russe ne manquera pas de s'en ressouvenir. On ne voit pas ce que le
+manifeste aurait perdu à la suppression de cette phrase et de beaucoup
+d'autres. La plus haute estime réunit la France et la Russie; leur union
+fait le désespoir de l'Angleterre, et lui sera funeste. Si l'Angleterre
+avait voulu qu'elle n'eût pas lieu, il ne fallait pas faire l'expédition
+de Copenhague; il fallait ouvrir des négociations pour arriver à cette
+paix, d'autant plus facile à conclure, que, selon les ministres anglais,
+elle n'a été rompue que pour des points qui touchaient immédiatement aux
+intérêts de S. M. impériale.
+
+[21]Ce qui a maintenu la puissance maritime de l'Angleterre, ce ne
+sont ni des principes, ni des maximes tyranniques; c'est la politique,
+l'énergie, le bon sens, la bonne conduite de vos pères; c'est la
+division qu'ils ont souvent eu l'adresse de semer sur le continent. Ce
+qui contribuera essentiellement à sa ruine, c'est l'inconsidération, la
+précipitation, la violence et la folle arrogance de leurs successeurs.
+L'empereur de Russie désire la paix maritime; l'Autriche, la France,
+l'Espagne partagent les mêmes sentimens.
+
+[Note 21: Elle s'étaie des principes de droit maritime auxquels elle
+attribue sa prospérité.]
+
+Vous avez dit que la négociation avec la France n'avait été rompue que
+pour des points qui touchaient les intérêts de la Russie; pourquoi
+donc aujourd'hui, nous le répétons encore, continuez-vous la guerre?
+Pourquoi? c'est que vous ne voulez pas la paix.
+
+C'est parce que vous ne voulez pas la paix que vous élevez des questions
+inutiles. La France, l'Autriche, l'Espagne, la Hollande, Naples, disent
+comme l'empereur de Russie, qu'ils proclament de nouveau les principes
+de la neutralité armée. Ces puissances ont sans doute le droit de
+déclarer les principes qui doivent être la règle de leur politique;
+elles ont le droit de dire à quelles conditions il leur convient d'être
+neutres ou ennemies. Vous proclamez de nouveau les principes de vos
+lois maritimes; eh bien! cette opposition de principes ne sera point un
+obstacle au rétablissement de la paix; ils ne sont de part et d'autre
+d'aucun effet en temps de paix; ils ne trouvent leur application que
+quand vous êtes en guerre avec une puissance maritime; mais alors chaque
+gouvernement a le droit et le pouvoir de considérer comme une hostilité
+la première violation de son pavillon. Les circonstances où vous vous
+trouvez, décideront la conduite que vous tiendrez alors; si c'est avec
+la France que vous êtes en guerre, vous ne la jugerez pas une puissance
+assez faible pour qu'il vous soit indifférent de vous attirer d'autres
+ennemis, et vous userez de ménagemens avec le reste de l'Europe. Vous
+n'en êtes venus à insulter tous les pavillons, qu'après avoir eu
+l'adresse d'armer tout le continent contre la France. Vos principes
+maritimes ont alors changé, et ils ont été plus violens, plus injustes à
+mesure que vos liaisons continentales se resserraient, ou que vos alliés
+soutenaient plus péniblement la lutte dans laquelle vous les aviez
+engagés. C'est ainsi que quand la Russie était obligée de réunir tous
+ses moyens contre les Français en Pologne, vous avez violé son pavillon;
+vous lui avez refusé pour son traité de commerce, des concessions que
+vous vous êtes montrés disposés à lui accorder, lorsqu'elle n'a plus eu
+d'ennemis à combattre. Les puissances du continent, en proclamant de
+nouveau les principes de la neutralité armée, ne font autre chose que
+d'énoncer les maximes qu'elles se proposent d'adopter dans la prochaine
+guerre maritime. Vous ne pouvez les empêcher de diriger leur politique
+comme elles l'entendent; elles usent en cela d'un droit qui appartient
+à tous les gouvernemens, et à l'usurpation duquel elles n'auraient à
+opposer que l'_ultima ratio regum_. De votre côté, vous proclamez les
+principes de vos lois maritimes, c'est-à-dire, les principes dont vous
+voulez vous servir à la prochaine guerre. Le continent n'a aucun intérêt
+à exiger de vous à cet égard ni des déclarations, ni des renonciations;
+les déclarations seraient inutiles dès le moment où vous croiriez
+pouvoir les oublier impunément; des renonciations sont sans objet, car
+on ne renonce point à des droits qu'on n'a pas. Si l'on juge de ce que
+vous ferez par ce que vous avez fait jusqu'à ce jour, on en conclura
+que vous n'exigerez des puissances du continent, ni déclaration, ni
+renonciation; et comme elles n'en exigeront pas de vous, il n'y a donc
+aucune question à discuter, aucune difficulté à résoudre; il n'y a donc
+rien ici qui puisse retarder d'un jour les bienfaits de la paix. Si
+cependant vous éleviez l'étrange et nouvelle prétention d'imposer à la
+France et autres puissances du continent, par un acte de votre seule
+volonté, l'obligation de souscrire à vos lois maritimes, ce serait la
+même chose que si vous exigiez que la législature et la souveraineté de
+la Russie, de la France, de l'Espagne, fussent transportées à Londres:
+belle prérogative pour votre parlement. Ce serait la même chose que si
+vous proclamiez la guerre perpétuelle, ou du moins que si vous mettiez
+pour terme à la guerre, le moment où vos armes se seraient emparées de
+Pétersbourg, de Paris, de Vienne et de Madrid. Mais si tel n'est point
+le fond de votre pensée, il n'y a donc plus aucun obstacle à la paix.
+Car, selon vos propres expressions, les négociations n'ont été rompues
+que pour des points qui touchaient immédiatement, non les intérêts de S.
+M. britannique, mais ceux de son allié impérial; car l'allié impérial
+de S. M. britannique vous a fait connaître que la paix est désormais le
+principal but de ses voeux, le principal objet de son intérêt.
+
+
+
+Paris, le 4 février 1808.
+
+_Lettre de S. M. l'empereur et roi, à madame mère._
+
+Madame.
+
+J'ai lu avec attention les procès-verbaux du chapitre-général des soeurs
+de la Charité. J'ai fort à coeur de voir s'augmenter et s'accroître le
+nombre des maisons et des individus de ces différentes institutions,
+ayant pour but le soulagement et le soin des malades de mon empire.
+
+J'ai fait connaître à mon ministre des cultes ma volonté, que les
+réglemens de ces différentes institutions fussent révisés et arrêtés
+définitivement par mon conseil, dans l'année. Je désire que les chefs
+des différentes maisons sentent la nécessité de réunir des institutions
+séparées autant que cela sera possible; elles acquerront plus de
+considération, trouveront plus de facilités pour leur administration,
+et auront droit à ma protection spéciale. Toutes les maisons que les
+députés ont demandées, tous les secours de premier établissement et
+secours annuels que vous-avez jugé convenable de demander pour elles,
+seront accordés. Je suis même disposé à leur faire de nouvelles et
+de plus grandes faveurs, toutes les fois que les différens chefs des
+maisons seconderont de tous leurs efforts et de tout leur zèle le voeu
+de mon coeur pour le soulagement des pauvres, et en se dévouant avec
+cette charité que notre sainte religion peut seule inspirer au service
+des hôpitaux et des malheureux. Je ne puis, madame, que vous témoigner
+ma satisfaction du zèle que vous montrez et des nouveaux soins que vous
+vous donnez. Ils ne peuvent rien ajouter aux sentimens de vénération et
+à l'amour filial que je vous porte. Votre affectionné fils.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Paris, le 15 février 1808. _Message de S. M. au Sénat-conservateur._
+
+Sénateurs,
+
+Nous avons jugé convenable de nommer notre beau-frère le prince Borghèse
+à la dignité de gouverneur-général, érigée par le sénatus-consulte
+organique du 2 du présent mois. Nos peuples des départemens au-delà des
+Alpes reconnaîtront dans la création de cette dignité, et dans le
+choix que nous avons fait pour la remplir, notre désir d'être plus
+immédiatement instruit de tout ce qui peut les intéresser, et le
+sentiment qui rend toujours présentes à notre pensée les parties même
+les plus éloignées de notre empire.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Paris, le 27 février 1807.
+
+_Réponse de S. M. à une députation de la deuxième classe de l'Institut._
+
+Messieurs les députés de la seconde classe de l'Institut, si la langue
+française est devenue une langue universelle, c'est aux hommes de génie
+qui ont siégé, ou qui siégent parmi vous, que nous en sommes redevables.
+
+J'attache du prix au succès de vos travaux; ils tendent à éclairer mes
+peuples et sont nécessaires à la gloire de ma couronne.
+
+J'ai entendu avec satisfaction le compte que vous venez de me rendre.
+
+Vous pouvez compter sur ma protection.
+
+
+
+Paris, le 5 mars 1808.
+
+_Réponse de S. M. à une députation de la quatrième classe de
+l'Institut._
+
+Messieurs les président et députés de la quatrième classe de l'Institut,
+Athènes et Rome sont encore célèbres par leurs succès dans les arts;
+l'Italie dont les peuples me sont chers à tant de titres, s'est
+distinguée la première parmi les nations modernes. J'ai à coeur de voir
+les artistes français effacer la gloire d'Athènes et de l'Italie. C'est
+à vous de réaliser de si belles espérances. Vous pouvez compter sur ma
+protection.
+
+
+
+Baïonne, le 16 avril 1808.
+
+_Lettre de S. M. l'empereur au prince des Asturies._
+
+Mon frère, j'ai reçu la lettre de votre altesse royale. Elle doit avoir
+acquis la preuve, dans les papiers qu'elle a eus du roi son père, de
+l'intérêt que je lui ai toujours porté. Elle me permettra, dans la
+circonstance actuelle, de lui parler avec franchise et loyauté. En
+arrivant à Madrid, j'espérais porter mon illustre ami à quelques
+réformes nécessaires dans ses états, et à donner quelque satisfaction
+à l'opinion publique. Le renvoi du prince de la Paix me paraissait
+nécessaire pour son bonheur, et celui de ses sujets. Les affaires du
+Nord ont retardé mon voyage. Les événemens d'Aranjuez ont eu lieu. Je ne
+suis point juge de ce qui s'est passé, et de la conduite du prince de la
+Paix; mais ce que je sais bien, c'est qu'il est dangereux pour les
+rois d'accoutumer les peuples à répandre du sang et à se faire justice
+eux-mêmes. Je prie Dieu que V. A. R. n'en fasse pas elle-même un jour
+l'expérience. Il n'est pas de l'intérêt de l'Espagne de faire du mal à
+un prince qui a épousé une princesse du sang royal et qui a si longtemps
+régi le royaume. Il n'a plus d'amis: V. A. R. n'en aura plus, si jamais
+elle est malheureuse. Les peuples se vengent volontiers des hommages
+qu'ils nous rendent. Comment d'ailleurs pourrait-on faire le procès au
+prince de la Paix, sans le faire à la reine et au roi votre père? Ce
+procès alimentera les haines et les passions factieuses: le résultat en
+sera funeste pour votre couronne. V. A. R. n'y a de droits que ceux que
+lui a transmis sa mère. Si le procès la déshonore, V.A.R. déchire par là
+ses droits. Qu'elle ferme l'oreille à des conseils faibles et perfides.
+Elle n'a pas le droit de juger le prince de la Paix. Ses crimes, si
+on lui en reproche, se perdent dans les droits du trône. J'ai souvent
+manifesté le désir que le prince de la Paix fût éloigné des affaires;
+l'amitié du roi Charles m'a porté souvent à me taire et à détourner
+les yeux des faiblesses de son attachement. Misérables hommes que nous
+sommes! faiblesse et erreur, c'est notre devise. Mais tout cela peut
+se concilier: que le prince de la Paix soit exilé d'Espagne, et je lui
+offre un refuge en France. Quant à l'abdication de Charles IV, elle a eu
+lieu dans un moment où mes armées couvraient les Espagnes: et aux yeux
+de l'Europe et de la postérité, je paraîtrais n'avoir envoyé tant
+de troupes que pour précipiter du trône mon allié et mon ami. Comme
+souverain voisin, il m'est permis de vouloir en connaître les motifs
+avant de reconnaître cette abdication. Je le dis à V.A.R., aux
+Espagnols, au monde entier: si l'abdication du roi Charles est de pur
+mouvement, s'il n'y a pas été forcé par l'insurrection et l'émeute
+d'Aranjuez, je ne fais aucune difficulté de l'admettre, et je reconnais
+V.A.R. comme roi d'Espagne. Je désire donc causer avec elle sur cet
+objet. La circonspection que je porte depuis un mois dans ces affaires,
+doit être garant de l'appui qu'elle trouvera en moi, si, à son tour, des
+factions, de quelque nature qu'elles soient, venaient à l'inquiéter
+sur son trône. Quand le roi Charles me fit part de l'événement du mois
+d'octobre dernier, j'en fus douloureusement affecté; et je pense avoir
+contribué par les insinuations que j'ai faites, à la bonne issue de
+l'affaire de l'Escurial. V.A.R. avait bien des torts; je n'en veux pour
+preuve que la lettre qu'elle m'a écrite, et que j'ai constamment voulu
+ignorer. Roi à son tour, elle saura combien les droits du trône sont
+sacrés. Toute démarche près d'un souverain étranger de la part d'un
+prince héréditaire, est criminelle. V. A. R. doit se défier des écarts,
+des émotions populaires. On pourra commettre quelques meurtres sur mes
+soldats isolés, mais la ruine de l'Espagne en serait le résultat.
+J'ai déjà vu avec peine qu'à Madrid on avait répandu des lettres du
+capitaine-général de la Catalogne et fait tout ce qui pouvait donner du
+mouvement aux têtes. V. A. R. connaît ma pensée toute entière. Elle voit
+que je flotte entre diverses idées qui ont besoin d'être fixées. Elle
+peut être certaine que dans tous les cas je me comporterai avec elle,
+comme envers le roi son père. Qu'elle croie à mon désir de tout
+concilier et de trouver des occasions de lui donner des preuves de mon
+affection et de ma parfaite estime. Sur ce, etc., etc.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Baïonne, le 25 mai 1808.
+
+_Proclamation._
+
+Napoléon, empereur des Français, roi d'Italie, protecteur de la
+confédération du Rhin, etc., etc., etc.
+
+A tous ceux qui les présentes verront, salut.
+
+Espagnols!
+
+Après une longue agonie, votre nation périssait; j'ai vu vos maux, je
+vais y porter remède; votre grandeur, votre puissance fait partie de la
+mienne.
+
+Vos princes m'ont cédé tous leurs droits à la couronne des Espagnes. Je
+ne veux point régner sur vos provinces, mais je veux acquérir des titres
+éternels à l'amour et à la reconnaissance de votre postérité.
+
+Votre monarchie est vieille: ma mission est de la rajeunir.
+J'améliorerai toutes vos institutions, et je vous ferai jouir, si
+vous me secondez, des bienfaits d'une réforme, sans froissemens, sans
+désordre, sans convulsions.
+
+Espagnols, j'ai fait convoquer une assemblée générale des députations
+des provinces et des villes. Je veux m'assurer par moi-même de vos
+désirs et de vos besoins.
+
+Je déposerai alors tous mes droits et je placerai votre glorieuse
+couronne sur la tête d'un autre moi-même, en vous garantissant une
+constitution qui concilie la sainte et salutaire autorité du souverain
+avec les libertés et les priviléges du peuple.
+
+Espagnols, souvenez-vous de ce qu'ont été vos pères: voyez ce que
+vous êtes devenus. La faute n'en est pas à vous, mais à la mauvaise
+administration qui vous a régis. Soyez pleins d'espérance et de
+confiance dans les circonstances actuelles; car je veux que vos derniers
+neveux conservent mon souvenir et disent; _Il est le régénérateur de
+notre patrie._
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Baïonne, le 6 juin 1808.
+
+_Proclamation._
+
+Napoléon, par la grâce de Dieu, empereur des Français, roi d'Italie,
+protecteur de la confédération du Rhin, à tous ceux qui ces présentes
+verront, salut.
+
+La junte d'état, le conseil de Castille, la ville de Madrid, etc., nous
+ayant, par des adresses, fait connaître que le bien de l'Espagne voulait
+que l'on mît promptement un terme à l'interrègne, nous avons résolu de
+proclamer, comme nous proclamons par la présente, notre bien-aimé frère
+Joseph Napoléon, actuellement roi de Naples et de Sicile, roi des
+Espagnes et des Indes.
+
+Nous garantissons au roi des Espagnes l'indépendance et l'intégrité de
+ses états, soit d'Europe, soit d'Afrique, soit d'Asie, soit d'Amérique.
+
+Enjoignons au lieutenant-général du royaume, aux ministres, et
+au conseil de Castille, de faire expédier et publier la présente
+proclamation dans les formes accoutumées, afin que personne n'en puisse
+prétendre cause d'ignorance.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+_Notes contenues dans le Moniteur._
+
+[22] Il est vrai que quarante mille hommes de la dernière conscription
+se rendent en Allemagne pour renforcer les cadres de la grande armée,
+et remplacer le double de vieilles troupes qui en sont retirées pour
+l'Espagne; ainsi la grande armée sera plutôt diminuée qu'augmentée par
+l'effet de cette mesure, qui n'indique donc aucun projet hostile.
+
+[23] Jamais le royaume de Naples n'a été plus tranquille. Depuis cent
+ans, il n'y a jamais eu moins d'assassinats et de brigandages, les
+galériens que des frégates anglaises y ont débarqués, ont été pris
+par les gardes du pays et livrés à la justice. La présence de l'armée
+anglaise en Sicile ne s'y fait point sentir; elle est retranchée dans
+Syracuse et Messine; l'expérience prouvera si elle saura défendre la
+Sicile.
+
+[24] Bruits d'agiotage; le comte de Metternich est à Paris, et, qui
+mieux est, y est très-bien vu. Le général Andréossi est à Vienne. Les
+troupes françaises sont dans leurs cantonnemens, et à plus de cent
+lieues de l'Autriche proprement dite.
+
+[25] Il est plaisant de mettre en doute si la France et ses alliés
+peuvent à la fois faire la guerre à l'Autriche et à l'Espagne, lorsque,
+sans alliés, elle a vaincu quatre coalitions dix fois plus redoutables;
+n'importe, les Anglais verraient avec plaisir l'Autriche faire la
+guerre dans le même esprit qu'ils ont excité la coalition de la Prusse,
+quoiqu'ils prévissent bien ce qui arriverait à la Prusse; mais ils
+vivent au jour le jour; une guerre qui ne durerait que six mois, serait
+toujours autant de gagné pour eux; ils ne songent pas au résultat qui ne
+pourrait qu'empirer leur position.
+
+[Note 22: Les gazettes anglaises annonçaient une concentration de
+troupes françaises sur le Rhin.]
+
+[Note 23: Elles parlaient de troubles dans l'Italie.]
+
+[Note 24: Elles donnaient comme certaines la nouvelle du rappel de
+l'ambassadeur d'Autriche de Paris.]
+
+[Note 25: Elles parlaient de la détermination qu'avait prise
+Napoléon de faire marcher de front la guerre d'Espagne avec celle qu'il
+méditait contre l'Autriche.]
+
+[26] L'Angleterre connaît l'étroite union qui existe entre la France et
+la Russie; elle sait que ces deux grandes puissances sont résolues
+à réunir leurs forces, et à reconnaître pour ennemi tout ami de
+l'Angleterre; elle sait que la paix ne sera pas troublée en Allemagne,
+et elle ne conserve aucun espoir raisonnable de succès définitifs, en
+fomentant des troubles et des désordres en Espagne; elle sait que c'est
+du sang et des victimes inutiles; mais cet encens lui est agréable; les
+déchiremens du continent sont ses délices; elle sait bien aussi qu'avant
+que l'année soit révolue, il n'y aura pas un seul village d'Espagne
+insurgé, pas un Anglais sur cette terre: mais qu'importe à l'Angleterre?
+elle ne connaît ni honte ni remords; ses armées se rembarqueront et
+abandonneront ses dupes; elle traitera les insurgés d'Espagne comme elle
+a traité le roi de Suède. Elle a mis les armes à la main à ce souverain,
+l'a flatté d'un secours puissant: vingt ou trente mille hommes devaient
+le secourir contre le Danemarck et contre la Russie; mais les promesses
+sont faciles. Le général Moore et cinq mille hommes sont arrivés et sont
+restés deux mois mouillés sur la côte de Suède, pendant que la Finlande
+était conquise, et que les Suédois étaient chassés de la Norwège. Il y a
+peu de semaines, nous cherchions comment l'Angleterre pourrait se tirer
+avec honneur de cette lutte folle du Nord; si elle débarque une armée,
+disions-nous, cette armée sera prise pendant l'hiver; nous ne pouvions
+nous attendre, quelque mauvaise opinion que nous eussions de la bonne
+foi britannique, que cette perfide puissance abandonnerait la Suède à
+son malheureux sort, et sortirait de là en donnant de nouvelles preuves
+de ce que les alliés de l'Angleterre ont à attendre d'elle; trahison
+et abandon. Les insurgés espagnols seront trahis et abandonnés de même
+lorsque l'aigle française couvrira de ses ailes toutes les Espagnes.
+
+[Note 26: Le journaliste regardait comme un devoir du gouvernement
+anglais de fournir à ses alliés des subsides et des munitions.]
+
+L'ineptie, le défaut de courage d'esprit ont fait essuyer quelques
+échecs à nos armes; ils seront promptement réparés, et alors les Anglais
+se précipiteront sur leurs vaisseaux; ils abandonneront leurs alliés,
+et, comme à Quiberon, tireront sur les malheureux qu'ils auront laissés
+sur le rivage.
+
+Quant à l'Autriche, la paix sera maintenue sur le continent, parce que
+l'Angleterre y est sans influence. Le mépris et la haine qu'elle inspire
+sont communs à toutes les grandes puissances; toutes ont été ses
+victimes; M. Adair a été chassé de Vienne, le jour où M. de Staremberg
+est revenu de Londres.
+
+Les armemens faits par l'Angleterre sous pavillon américain,
+qu'escortaient à Trieste des frégates anglaises, ont été repoussés
+et proscrits par un dernier édit de l'empereur François II. La bonne
+intelligence n'a pas cessé de régner entre l'Autriche et la France.
+
+Les agens obscurs que l'Angleterre solde, et qui se cachent dans cette
+foule d'escrocs que poursuit la police de tous les gouvernemens de
+l'Europe, ont dit à Vienne que la France allait faire la guerre à
+l'Autriche; et à Paris, que l'Autriche levait de nouvelles armées pour
+attaquer la France. Les oisifs avides de nouvelles et d'émotions, ont
+pu, sur ces obscures rumeurs, supposer des marches, des contremarches,
+et bâtir des plans de campagne aussi frivoles qu'eux; mais les deux
+cabinets n'ont pas cessé d'être dans les relations les plus amicales.
+Dans l'entrevue que l'empereur Napoléon a eue avec l'empereur Francois
+II en Moravie, l'empereur François lui promit qu'il ne lui ferait plus
+la guerre. Ce prince a prouvé qu'il tenait sa parole. Il est curieux de
+voir que, tandis que le cabinet d'Autriche assure et déclare qu'il est
+bien avec la France, que la France publie les mêmes assurances; il est
+curieux, disons-nous, de voir que cette faction brouillonne, qui
+se nourrit d'agiotage, de calomnies, de libelles, continue à jeter
+l'inquiétude parmi les hommes paisibles.
+
+Les affaires d'Espagne sont irrévocablement fixées; elles sont reconnues
+par les grandes puissances du continent. Si l'on a été déçu dans
+l'espoir de conduire ces peuples à un meilleur ordre de choses, sans
+troubles, sans désordres, sans guerre, c'est une victoire qu'a obtenue
+le génie du mal sur l'esprit du bien. Du reste et en définitif, cela
+ne sera funeste qu'à l'Angleterre et à ses partisans. Ces vérités sont
+évidentes, et il n'y a pas un homme de sens à Londres qui n'en soit
+pénétré.
+
+Que penser de la politique et de la raison d'un cabinet qui; ayant,
+excité la Suède contre la Russie, espérait la soutenir avec une
+expédition de cinq mille hommes?
+
+Tant qu'il s'agira de calomnier, de séduire, de suborner, l'Angleterre
+aura l'avantage dans ce genre de guerre; mais lorsqu'il verra l'aigle le
+suivre de l'oeil, le léopard sentira fuir sous ses pas la terre ferme,
+et ne trouvera de refuge que sur ses flottes et dans l'élément des
+tempêtes.
+
+La paix est le voeu de l'univers; les événemens qui ont changé la face
+du monde depuis la rupture de la paix d'Amiens, c'est à la rupture de
+cette paix qu'il faut les attribuer; les événemens si défavorables à
+l'Angleterre qui se sont passés depuis la mort de Fox, c'est à sa
+mort et à la rupture des négociations qu'il faut les attribuer; les
+changemens survenus en Europe depuis la paix de Tilsitt, c'est au refus
+d'accepter la médiation de la Russie qu'il faut les attribuer: ce qui
+arrivera encore sur le continent, de contraire à la grandeur et
+à l'intérêt de l'Angleterre, si la paix n'a pas lieu, il faudra
+l'attribuer à cette obstination folle, à cette politique aveugle et
+furibonde qui, malgré l'union des grandes puissances, met toujours son
+avenir dans les rêves d'une division impossible, et du renouvellement
+de coalitions qui ne peuvent exister que contre elle. C'est bien ici le
+lieu d'appliquer cette maxime de Cicéron, que le parti le plus politique
+est celui qui est le plus conforme à la justice. La continuation de la
+paix d'Amiens eût laissé l'Europe dans le même état. La paix que voulait
+Fox eût empêché la ruine de la Prusse et l'occupation des villes du
+Nord. L'acceptation de la médiation offerte par la Russie eût empêché
+les affaires de la Baltique et d'Espagne. Et si la paix n'a pas lieu
+dans l'année, qui peut prédire les événemens contraires à l'intérêt de
+l'Angleterre qui se se seront passés d'ici à un an?
+
+
+
+Saint-Cloud, le 4 septembre 1808.
+
+_Message de S. M. l'empereur et roi au sénat conservateur._
+
+Sénateurs,
+
+Mon ministre des relations extérieures mettra sous vos yeux les
+différens traités relatifs à l'Espagne, et les constitutions acceptées
+par la junte espagnole.
+
+Mon ministre de la guerre vous fera connaître les besoins et la
+situation de mes armées dans les différentes parties du monde.
+
+Je suis résolu à pousser les affaires d'Espagne avec la plus grande
+activité et à détruire les armées que l'Angleterre a débarquées dans ce
+pays.
+
+La sécurité future de mes peuples, la prospérité du commerce, et la paix
+maritime sont également attachées à ces importantes opérations.
+
+Mon alliance avec l'empereur de Russie ne laisse à l'Angleterre aucun
+espoir dans ses projets. Je crois à la paix du continent; mais je ne
+veux, ni ne dois dépendre des faux calculs et des erreurs des autres
+cours; et puisque mes voisins augmentent leurs armées, il est de mon
+devoir d'augmenter les miennes.
+
+L'empire de Constantinople est en proie aux plus affreux bouleversemens;
+le sultan Sélim, le meilleur empereur qu'aient eu depuis long-temps
+les Ottomans, vient de mourir de la main de ses propres neveux; cette
+catastrophe m'a été sensible.
+
+J'impose avec confiance de nouveaux sacrifices à mes peuples; ils sont
+nécessaires pour leur en épargner de plus considérables et pour nous
+conduire au grand résultat de la paix générale, qui doit seul être
+regardé comme le moment du repos.
+
+Français, je n'ai dans mes projets qu'un but, le bonheur et la sécurité
+de vos enfans, et, si je vous connais bien, vous vous hâterez de
+répondre au nouvel appel qu'exige l'intérêt de la patrie. Vous m'avez
+dit si souvent que vous m'aimiez! Je reconnaîtrai la vérité de vos
+sentimens à l'empressement que vous mettrez à seconder des projets si
+intimement liés à vos plus chers intérêts, à l'honneur de l'empire et à
+ma gloire.
+
+
+
+Paris, le 19 septembre 1808.
+
+_Allocution à l'avant-garde des troupes de la grande armée, réunie à la
+parade du 11 septembre 1808, dans la place du Carrousel._
+
+Soldats!
+
+Après avoir triomphé sur les bords du Danube et de la Vistule, vous
+avez traversé l'Allemagne à marches forcées; je vous fais aujourd'hui
+traverser la France sans vous donner un moment de repos.
+
+Soldats, j'ai besoin de vous; la présence hideuse du léopard souille les
+continens d'Espagne et du Portugal. Qu'à votre aspect il fuie épouvanté:
+portons nos aigles triomphantes jusqu'aux colonnes d'Hercule: là aussi
+nous avons des outrages à venger.
+
+Soldats, vous avez surpassé la renommée des armées modernes; mais
+avez-vous égalé la gloire des armées de Rome, qui, dans une même
+campagne, triomphèrent sur le Rhin et sur l'Euphrate, en Illyrie et sur
+le Tage?
+
+Une longue paix, une prospérité durable seront le prix de vos travaux;
+un vrai Français ne peut, ne doit prendre aucun repos jusqu'à ce que les
+mers soient ouvertes et affranchies.
+
+Soldats, tout ce que vous avez fait, tout ce que vous ferez encore pour
+le bonheur du peuple français et pour ma gloire, sera éternellement dans
+mon coeur.
+
+
+
+Erfurth, le 12 octobre 1808.
+
+_Lettre de LL. MM. les empereurs de France et de Russie à S. M. le roi
+d'Angleterre._
+
+Sire,
+
+Les circonstances actuelles de l'Europe nous ont réunis à Erfurth. Notre
+première pensée est de céder au voeu et aux besoins de tous les peuples,
+et de chercher, par une prompte pacification avec Votre Majesté, le
+remède le plus efficace aux malheurs qui pèsent sur toutes les nations.
+Nous en faisons connaître notre sincère désir à Votre Majesté par cette
+présente lettre.
+
+La guerre longue et sanglante qui a déchiré le continent est terminée,
+sans qu'elle puisse se renouveler. Beaucoup de changemens ont eu lieu
+en Europe: beaucoup d'états ont été bouleversés. La cause en est dans
+l'état d'agitation et de malheurs où la cessation du commerce maritime a
+placé les grands peuples. De plus grands changemens encore peuvent avoir
+lieu et tout contraires à la politique de la nation anglaise. La paix
+est donc à la fois dans l'intérêt des peuples du continent comme dans
+l'intérêt des peuples de la Grande-Bretagne.
+
+Nous nous réunissons pour prier Votre Majesté d'écouter la voix de
+l'humanité, en faisant taire celle des passions, de chercher, avec
+l'intention d'y parvenir, à concilier tous les intérêts, et par là,
+garantir toutes les puissances qui existent, et assurer le bonheur de
+l'Europe et de cette génération à la tête de laquelle la Providence nous
+à placés.
+
+NAPOLÉON, ALEXANDRE.
+
+
+
+Erfurth, le 12 octobre 1808.
+
+_Lettre de S. M. l'empereur Napoléon aux rois de Bavière, de Saxe, de
+Westphalie, de Wurtemberg, au grand-duc de Bade et au Prince-Primat._
+
+Monsieur mon frère, les assurances données par la cour de Vienne que les
+milices étaient renvoyées chez elles et ne seraient plus rassemblées,
+qu'aucun armement ne donnerait plus d'inquiétude pour les frontières de
+la confédération; la lettre que je reçois de l'empereur d'Autriche, les
+protestations réitérées que m'a faites M. le baron de Vincent, et plus
+que cela, le commencement d'exécution qui a eu déjà lieu en ce moment
+en Autriche, de différentes promesses qui ont été faites, me portent
+à écrire à V. M. que je crois que la tranquillité des états de la
+confédération n'est d'aucune manière menacée, et que V. M. est maîtresse
+de lever ses camps et de remettre ses troupes dans leurs quartiers de
+la manière qu'elle est accoutumée de le faire. Je pense qu'il est
+convenable que son ministre a Vienne reçoive pour instruction de tenir
+ce langage, que les camps seront reformés, et que les troupes de la
+confédération et du protecteur seront remises en situation hostile
+toutes les fois que l'Autriche ferait des armemens extraordinaires et
+inusités; que nous voulons enfin tranquillité et sûreté.
+
+Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Erfurt, le 14 octobre 1808.
+
+_Lettre de Sa Majesté l'empereur Napoléon à Sa Majesté l'empereur
+d'Autriche._
+
+Monsieur mon frère, je remercie Votre Majesté impériale et royale de la
+lettre qu'elle a bien voulu m'écrire, et que M. le baron de Vincent m'a
+remise. Je n'ai jamais douté des intentions droites de Votre Majesté;
+mais je n'en ai pas moins craint un moment de voir les hostilités se
+renouveler entre nous. Il est à Vienne une faction qui affecte la peur
+pour précipiter votre cabinet dans des mesures violentes qui seraient
+l'origine de malheurs plus grands que ceux qui ont précédé. J'ai été le
+maître de démembrer la monarchie de Votre Majesté, ou du moins de la
+laisser moins puissante. Je ne l'ai pas voulu: ce qu'elle est, elle
+l'est de mon voeu. C'est la plus évidente preuve que nos comptes sont
+soldés et que je ne veux rien d'elle. Je suis toujours prêt à garantir
+l'intégrité de sa monarchie; je ne ferai jamais rien contre les
+principaux intérêts de ses états; mais Votre Majesté ne doit pas mettre
+en discussion ce que quinze ans de guerre ont terminé; elle doit
+défendre toute proclamation ou démarche provoquant la guerre. La
+dernière levée en masse aurait produit la guerre, si j'avais pu craindre
+que cette levée et ces préparatifs fussent combinés avec la Russie. Je
+viens de licencier les camps de la confédération. Cent mille hommes
+de mes troupes vont à Boulogne pour renouveler mes projets sur
+l'Angleterre; j'ai dû croire, lorsque j'ai eu le bonheur de voir Votre
+Majesté, et que j'ai conclu le traité de Presbourg, que nos affaires
+étaient terminées pour toujours, et que je pourrais me livrer à la
+guerre maritime sans être inquiété ni distrait. Que Votre Majesté se
+méfie de ceux qui, lui parlant des dangers de sa monarchie, troublent
+ainsi son bonheur, celui de sa famille et de ses peuples. Ceux-là seuls
+sont dangereux, ceux-là seuls appellent les dangers qu'ils feignent de
+craindre. Avec une conduite droite, franche et simple, Votre Majesté
+rendra ses peuples heureux, jouira elle-même du bonheur dont elle doit
+sentir le besoin après tant de troubles, et sera sûre d'avoir en moi un
+homme décidé à ne jamais rien faire contre ses principaux intérêts.
+Que ses démarches montrent de la confiance, elles en inspireront. La
+meilleure politique aujourd'hui, c'est la simplicité et la vérité.
+Qu'elle me confie ses inquiétudes, lorsqu'on parviendra à lui en donner,
+je les dissiperai sur-le-champ. Que Votre Majesté me permette un dernier
+mot: qu'elle écoute son opinion, son sentiment, il est bien supérieur à
+celui de ses conseils.
+
+Je prie Votre Majesté de lire ma lettre dans un bon sens; et de n'y voir
+rien qui ne soit pour le bien et la tranquillité de l'Europe et de Votre
+Majesté.
+
+NAPOLÉON
+
+
+
+Paris, le 25 octobre 1808.
+
+_Discours de l'empereur à l'ouverture du corps législatif._
+
+Messieurs les députés des départemens au corps législatif,
+
+Les Codes qui fixent les principes de la propriété et de la liberté
+civile qui sont l'objet de vos travaux obtiennent l'opinion de l'Europe.
+Mes peuples en éprouvent déjà les plus salutaires effets.
+
+Les dernières lois ont posé les bases de notre système de finances.
+C'est un monument de la puissance et de la grandeur de la France. Nous
+pourrons désormais subvenir aux dépenses que nécessiterait même une
+coalition générale de l'Europe, par nos seules recettes annuelles; nous
+ne serons jamais contraints d'avoir recours aux mesures désastreuses du
+papier-monnaie, des emprunts et des arriérés.
+
+J'ai fait cette année plus de mille lieues dans l'intérieur de mon
+empire. Le système de travaux que j'ai arrêté pour l'amélioration du
+territoire se poursuit avec activité.
+
+La vue de cette grande famille française, naguère déchirée par les
+opinions et les haines intestines, aujourd'hui prospère, tranquille et
+unie, a sensiblement ému mon âme. J'ai senti que pour être heureux, il
+me fallait d'abord l'assurance que la France fût heureuse.
+
+Le traité de paix de Presbourg, celui de Tilsitt, l'attaque de
+Copenhague, l'attentat de l'Angleterre contre toutes les nations
+maritimes, les différentes révolutions de Constantinople, les affaires
+de Portugal et d'Espagne ont diversement influé sur les affaires du
+monde.
+
+La Russie et le Danemarck se sont unis à moi contre l'Angleterre.
+
+Les Etat-Unis d'Amérique ont préféré renoncer au commerce et à la mer,
+plutôt que d'en reconnaître l'esclavage.
+
+Une partie de mon armée marche contre celles que l'Angleterre a formées
+ou débarquées dans les Espagnes. C'est un bienfait particulier de cette
+Providence, qui a constamment protégé nos armes, que les passions aient
+assez aveuglé les conseils anglais pour qu'ils renoncent à la protection
+des mers et présentent enfin leur armée sur le continent.
+
+Je pars dans peu de jours pour me mettre moi-même à la tête de mon
+armée, et, avec l'aide de Dieu, couronner dans Madrid le roi d'Espagne
+et planter mes aigles sur les forts de Lisbonne.
+
+Je ne puis que me louer des sentimens des princes de la confédération du
+Rhin.
+
+La Suisse sent tous les jours davantage les bienfaits de l'acte de
+médiation.
+
+Les peuples d'Italie ne me donnent que des sujets de contentement.
+
+L'empereur de Russie et moi nous nous sommes vus à Erfurt. Notre
+première pensée a été une pensée de paix. Nous avons résolu de faire
+quelques sacrifices, pour faire jouir plus tôt s'il se peut les cent
+millions d'hommes que nous représentons, de tous les bienfaits du
+commerce maritime. Nous sommes d'accord et invariablement unis pour la
+paix comme pour la guerre.
+
+Messieurs les députés des départemens au corps législatif, j'ai ordonné
+à mes ministres des finances et du trésor public de mettre sous vos yeux
+les comptes des recettes et des dépenses de cette année. Vous y verrez
+avec satisfaction que je n'ai besoin de hausser le tarif d'aucune
+imposition. Mes peuples n'éprouveront aucune nouvelle charge.
+
+Les orateurs de mon conseil-d'état vous présenteront différens projets
+de lois, et entr'autres tous ceux relatifs au Code criminel.
+
+Je compte constamment sur toute votre assistance.
+
+
+
+Paris, le 27 octobre 1808.
+
+_Réponse de l'empereur à une députation du corps législatif, et annonce
+de son prochain départ pour l'Espagne._
+
+Mon devoir et mes inclinations me portent à partager les dangers de mes
+soldats. Nous nous sommes mutuellement nécessaires. Mon retour dans ma
+capitale sera prompt. Je compte pour peu les fatigues, lorsqu'elles
+peuvent contribuer à assurer la gloire et la grandeur de la France. Je
+reconnais, dans la sollicitude que vous m'exprimez, l'amour que vous me
+portez; je vous en remercie.
+
+
+
+Paris, le 27 octobre 1808.
+
+_Réponse de l'empereur à une députation de plusieurs départemens
+d'Italie._
+
+J'agrée les sentimens que vous m'exprimez au nom de mes peuples du
+Musone, du Metauro et du Tronto. Je suis bien aise de les voir heureux
+dans leur nouvelle situation. J'ai été témoin des vices de votre
+ancienne administration. Les ecclésiastiques doivent se renfermer dans
+le gouvernement des affaires du Ciel. La théologie, qu'ils apprennent
+dans leur enfance, leur donne des règles sûres pour le gouvernement
+spirituel, mais ne leur en donne aucune pour le gouvernement des armées
+et pour l'administration.
+
+Nos conciles ont voulu que les prêtres ne fussent pas mariés, pour que
+les soins de la famille ne les détournassent pas du soin des affaires
+spirituelles auxquelles ils doivent être exclusivement livrés.
+
+La décadence de l'Italie date du moment où les prêtres ont voulu
+gouverner et les finances et la police et l'armée.
+
+Après de grandes révolutions, j'ai relevé les autels en France et en
+Italie; je leur ai donné un nouvel éclat dans plusieurs parties de
+l'Allemagne et de la Pologne. J'en protégerai constamment les ministres.
+
+Je n'ai qu'à me louer de mon clergé de France et d'Italie. Il sait que
+les trônes émanent de Dieu, et que le crime le plus grand à ses yeux,
+parce que c'est celui qui fait le plus de mal aux hommes, c'est
+d'ébranler le respect et l'amour que l'on doit aux souverains. Je fais
+un cas particulier de votre archevêque d'Urbin. Ce prélat, animé d'une
+véritable foi a repoussé avec indignation les conseils, comme il a bravé
+les menaces de ceux qui veulent confondre les affaires du Ciel, qui ne
+changent jamais, avec les affaires de la terre, qui se modifient selon
+les circonstances de la force et de la politique. Je saurai faire
+respecter en Italie comme en France les droits des nations et de ma
+couronne, et réprimer ceux qui voudraient se servir de l'influence
+spirituelle pour troubler mes peuples et leur prêcher le désordre et
+la rébellion. Ma couronne de fer est entière et indépendante comme ma
+couronne de France. Je ne veux aucun assujettissement qui en altère
+l'indépendance.
+
+Les sentimens que vous m'exprimez, et qui animent mes peuples du Musone,
+du Metauro et du Tronto me sont connus. Assurez les que constamment ils
+peuvent compter sur les effets de ma protection, et que la première fois
+que je passerai les Alpes, j'irai jusqu'à eux.
+
+
+
+Vittoria, le 9 novembre 1808.
+
+_Premier bulletin de l'armée d'Espagne._
+
+Position de l'armée française au 25 octobre: le quartier-général à
+Vittoria.
+
+Le maréchal duc de Conegliano, avec la gauche, bordant l'Aragon et
+l'Ebre: son quartier-général à Rafalla.
+
+Le maréchal duc d'Elchingen: son quartier-général à Guardia.
+
+Le maréchal duc d'Istrie: son quartier-général à Miranda, occupant le
+fort de Pancorba par une garnison.
+
+Le général de division Merlin, occupant avec une division les hauteurs
+de Durango, et contenant l'ennemi, qui paraissait vouloir tomber sur les
+hauteurs de Mondragon.
+
+Le maréchal duc de Dantzick étant arrivé avec la division Sébastiani et
+Leval, le roi jugea à propos de faire rentrer la division Merlin.
+
+Cependant l'ennemi ayant pris de l'audace, et ayant occupé Lérin, Viana
+et plusieurs postes sur la rive gauche de l'Ebre, le roi ordonna au
+maréchal duc de Conegliano de marcher sur lui. Le général Watier,
+commandant la cavalerie, et les brigades des généraux Habert, Brun et
+Razout, marchèrent contre les postes ennemis; l'ennemi fut culbuté
+partout dans la journée du 27; douze cents hommes armés dans Lerin
+voulurent d'abord se défendre, mais le général de division Grandjean
+ayant fait ses dispositions pour les attaquer, les culbuta, fit
+prisonnier un colonel, deux lieutenans-colonels, quarante officiers et
+les douze cents soldats: ce sont les troupes qui faisaient partie du
+camp Saint-Roch. Dans le même temps le maréchal duc d'Elchingen marchait
+sur Logrono, passait l'Ebre, faisait à l'ennemi trois cents prisonniers,
+le poursuivait à plusieurs lieues de l'Ebre, et rétablissait le pont de
+Logrono. Par suite de cet événement, le général espagnol Pignatelli, qui
+commandait les insurgés, fut lapidé par eux.
+
+Les troupes du traître la Romana, et les Espagnols prisonniers en
+Angleterre, que les Anglais avaient débarqués en Espagne, et les
+divisions de Galice, formant une force de trente mille hommes, de
+Bilbao, menaçaient le maréchal duc de Dantzick, qui, emporté par une
+noble impatience, marcha à eux dans la journée du 31, et les culbuta
+de toutes leurs positions, au pas de charge: les troupes de la
+confédération du Rhin se sont distinguées, principalement le corps de
+Bade.
+
+Le maréchal duc de Dantzick poursuivit l'ennemi, l'épée dans les reins,
+toute la journée du premier novembre, jusqu'à Guenès, et entra dans
+Bilbao. Des magasins considérables ont été trouvés dans cette ville;
+plusieurs Anglais ont été faits prisonniers. La perte de l'ennemi a été
+considérable en tués et blessés; elle l'a été peu en prisonniers. Notre
+perte n'a été que d'une quinzaine de tués et d'une centaine de blessés.
+Tout honorable qu'est cette affaire, il serait à désirer qu'elle n'eût
+pas eu lieu. Le corps espagnol était dans une position à être enlevé.
+
+Sur ces entrefaites, le corps du maréchal Victor étant arrivé, fut
+dirigé de Vittoria sur Orduna. Dans la journée du 7, l'ennemi renforcé
+de nouvelles troupes arrivées de Saint-Ander, avait couronné les
+hauteurs de Guenès. Le maréchal duc de Dantzick marcha à eux et
+perça leur centre. Les cinquante-huitième et trente-deuxième se sont
+distingués.
+
+Si ces événemens se fussent passés en plaine, pas un ennemi n'eût
+échappé; mais les montagnes de Saint-Ander et de Bilbao sont presque
+inaccessibles. Le duc de Dantzick poursuivit toute la journée l'ennemi
+dans les gorges de Valmaseda.
+
+Dans ces dernières affaires, l'ennemi a perdu en hommes tués, blessés et
+prisonniers, plus de trois mille cinq cents à quatre mille hommes.
+
+Le duc de Dantzick se loue particulièrement du général de division
+Leval, du général de division Sébastiani, du général hollandais Chassey,
+du colonel Lacoste, du vingt-septième régiment d'infanterie légère,
+du colonel Bacon, du soixante-troisième d'infanterie de ligne, et des
+colonels des régimens de Bade et de Nassau, auxquels S. M. a accordé des
+récompenses.
+
+L'armée est abondamment pourvue de vivres; le temps est très-beau.
+
+Nos colonnes marchent en combinant leurs mouvemens.
+
+On croit que le quartier-général part cette nuit de Vittoria.
+
+
+
+Burgos, le 12 novembre 1808.
+
+_Deuxième bulletin de l'armée d'Espagne,_
+
+Le duc de Dantzick est entré dans Valmaseda en poursuivant l'ennemi.
+
+Dans la journée du 8, le général Sébastiani découvrit sur une montagne
+très-élevée, à la droite de Valmaseda, l'arrière-garde des insurgés;
+il marcha sur-le-champ à eux, les culbuta, et fit une centaine de
+prisonniers.
+
+Cependant, la ville de Burgos était occupée par l'armée d'Estramadure,
+formée en trois divisions: l'avant-garde composée des gardes wallonnes
+et espagnoles et du corps d'étudians des universités de Salamanque et de
+Léon, formant plusieurs bataillons; plusieurs régimens de ligne et des
+régimens de nouvelle formation, formés depuis l'insurrection de Badajoz,
+portaient cette armée à environ vingt mille hommes.
+
+L'empereur ayant donné le commandement de la cavalerie de l'armée au
+maréchal duc d'Istrie, donna le commandement du deuxième corps au
+maréchal duc de Dalmatie. Le 10, à la pointe du jour, ce maréchal marcha
+à la tête de la division Mouton, pour reconnaître l'ennemi. Arrivé à
+Gamonal, il fut accueilli par une décharge de trente pièces de canon:
+ce fut le signal du pas de charge. L'infanterie de la division Mouton
+marcha soutenue par des salves d'artillerie. Les gardes wallonnes et
+espagnoles furent culbutées à la première attaque. Le duc d'Istrie, à la
+tête de sa cavalerie, déborda leurs ailes; l'ennemi fut mis en pleine
+déroute; trois mille hommes sont restés sur le champ de bataille,
+douze drapeaux et vingt-cinq pièces de canon ont été pris, trois mille
+prisonniers ont été faits; le reste est dispersé. Nos troupes sont
+entrées pêle-mêle avec l'ennemi dans la ville de Burgos, et la cavalerie
+le poursuit dans toutes les directions.
+
+Cette armée d'Estramadure, qui venait de Madrid à marches forcées, qui
+s'était signalée pour premier exploit, par l'égorgement de son infortuné
+général, le comte de Torrès, toute armée de fusils anglais, et
+spécialement soldée par l'Angleterre, n'existe plus. Le colonel des
+gardes wallonnes et un grand nombre d'officiers supérieurs ont été faits
+prisonniers. Notre perte a été très-légère; elle consiste en douze ou
+quinze hommes tués et cinquante blessés au plus. Un seul capitaine a été
+tué d'un boulet.
+
+Cette affaire, due aux dispositions du duc de Dalmatie et à
+l'intrépidité avec laquelle le duc d'Istrie a fait charger la cavalerie,
+fait le plus grand honneur à la division Mouton; il est vrai que cette
+division est composée de corps dont le seul nom est depuis long-temps un
+dire d'honneur.
+
+Le château de Burgos a été occupé et trouvé en bon état. Il y a des
+magasins considérables de farines, de vin et de blé.
+
+Le 11, l'empereur a passé la revue de la division Bonnet, et l'a dirigée
+immédiatement sur les débouchés des gorges de Saint-Ander.
+
+Voici la position de l'armée aujourd'hui:
+
+Le maréchal duc de Bellune poursuivant vivement les restes de l'armée de
+Galice, qui se retire par Villarcayo et Reynosa, point vers lequel
+le duc de Dalmatie est en marche. Il ne lui restera plus d'autres
+ressources que de se disséminer dans des montagnes, en abandonnant son
+artillerie, ses bagages et tout ce qui constitue une armée.
+
+S. M. l'empereur est à Burgos avec sa garde; le général Milhaud, avec
+sa division de dragons, marche sur Palencia; le général Lasalle a pris
+possession de Lerma.
+
+Ainsi, dans un moment, les armées de Galice et d'Estramadure ont été
+battues, dispersées et en partie détruites, et cependant tous les corps
+de l'armée ne sont pas arrivés. Les trois-quarts de la cavalerie sont en
+arrière, et près de la moitié de l'infanterie.
+
+On a remarqué dans l'armée insurgée les contrastes les plus opposés. On
+a trouvé dans la poche des officiers morts, des contrôles de compagnies
+qui s'intitulaient compagnies de Brutus, compagnies del Populo;
+c'étaient les compagnies des étudians des écoles; d'autres dont les
+compagnies portaient des noms de saints; c'était l'insurrection des
+paysans. Anarchie et désordres, voilà ce que l'Angleterre sème en
+Espagne. Qu'en recueillera-t-elle? la haine de cette brave nation
+éclairée et réorganisée. Du reste, l'extravagance des meneurs des
+insurgés s'aperçoit partout. Il y a des drapeaux parmi ceux que nous
+avons pris, où l'aigle impérial se trouve déchiré par le lion d'Espagne;
+et qui se permet de pareilles allégories? Les troupes les plus mauvaises
+qui existent en Europe.
+
+La cavalerie de l'armée d'Estramadure a été battue de l'oeil. Du moment
+que le dixième de chasseurs l'a aperçue, elle s'est mise en déroute, et
+on ne l'a plus revue.
+
+L'empereur a passé la revue du corps du duc de Dalmatie, comme il
+partait de Burgos pour marcher sur les derrières de l'armée de Galice.
+S. M. a fait des promotions, donné des récompenses, et a été fort
+contente de la troupe. Elle a témoigné sa satisfaction aux vainqueurs
+de Médina del Riosecco et de Burgos, le maréchal duc d'Istrie, et les
+généraux Merle et Mouton.
+
+
+
+An quartier-impérial de Burgos, le 12 novembre 1808.
+
+_Au président du corps législatif._
+
+Monsieur le président du corps législatif, mes troupes ayant, au combat
+de Burgos, pris douze drapeaux de l'armée d'Estramadure, parmi lesquels
+se trouvent ceux des gardes wallonnes et espagnoles, j'ai voulu profiter
+de cette circonstance et donner une marque de ma considération aux
+députés des départemens au corps législatif, en leur envoyant ces
+drapeaux pris dans la même quinzaine où j'ai présidé à l'ouverture de
+leur session. Que les députés des départemens et les collèges électoraux
+dont ils font partie, y voient le désir que j'ai de leur donner une
+preuve de mon estime. Cette lettre n'étant à autre fin, je prie Dieu
+qu'il vous ait, monsieur le président du corps législatif, en sa sainte
+et digne garde.
+
+
+
+Burgos, le 13 décembre 1808.
+
+_Troisième bulletin de l'armée d'Espagne._
+
+L'armée de Galice, qui est en fuite de Bilbao, est poursuivie par le
+maréchal duc de Bellune, dans la direction d'Espinosa; par le maréchal
+duc de Dantzick, dans celle de Villarcayo, et tournée sur Reynosa, par
+le maréchal duc de Dalmatie. Des événemens importans doivent avoir lieu.
+
+Le général Milhaud, avec sa division de cavalerie, est entré à Palencia,
+et a poussé des détachemens sur les débouchés de Reynosa, à la suite
+d'un parc d'artillerie de l'armée de Galice.
+
+Les jeunes étudians de Salamanque, qui croyaient faire la conquête de la
+France, les paysans fanatiques qui rêvaient déjà le pillage de Baïonne
+et de Bordeaux, et se croyaient conduits par tous les saints apparus à
+des moines imposteurs, se trouvent déchus de leurs folles chimères. Leur
+désespoir et leur consternation sont au comble; ils se lamentent des
+malheurs auxquels ils sont en proie, des mensonges qu'on leur a fait
+accroire, et de la lutte sans objet dans laquelle ils sont engagés.
+
+Toute la plaine de Castille est déjà couverte de notre cavalerie. L'élan
+et l'ardeur de nos troupes les portent à faire quatorze et quinze lieues
+par jour. Nos grand'gardes sont sur le Duero. Toute la côte de Bilbao et
+de Saint-Ander est nettoyée d'ennemis.
+
+L'infortunée ville de Burgos, en proie à tous les maux d'une ville prise
+d'assaut, fait frémir d'horreur. Prêtres, moines, habitans, se sont
+sauvés à la première nouvelle du combat, menacés de voir les soldats de
+l'armée d'Estramadure se défendre dans les maisons, comme ils en avaient
+annoncé l'intention, pillés d'abord par eux, et ensuite par nos soldats
+entrant dans les maisons pour en chasser les ennemis et n'y trouvant
+plus d'habitans.
+
+Il faudrait que des hommes comme M. de Stein, qui, au défaut de troupes
+de ligne qui n'ont pu résister à nos aigles, méditent le sublime projet
+de lever des masses, fussent témoins des malheurs qu'elles entraînent,
+et du peu d'obstacle que cette ressource peut offrir à des troupes
+réglées.
+
+On a trouvé dans Burgos et dans les environs pour trente millions
+de laines que S. M. l'empereur a fait séquestrer. Toutes celles qui
+appartiendraient à des moines et à des individus faisant partie des
+insurgés, seront confisquées et serviront de première indemnité aux
+Français, pour les pertes qu'ils ont éprouvées; car à Madrid même, les
+Français domiciliés depuis quarante ans, ont été dépouillés de leurs
+biens; les Espagnols fidèles à leur roi, ont été déclarés émigrés. Les
+biens de d'Aranza, le ministre le plus vertueux et le plus éclairé; de
+Massaredo, le marin le plus instruit; d'Offarill, le meilleur militaire
+de l'Espagne, ont été vendus à l'encan. Ceux de Campo d'Alange,
+respectable par ses vertus, par son nom et par sa fortune, propriétaire
+de soixante mille mérinos et de trois millions de revenus, sont devenus
+la proie de ces frénétiques.
+
+Une autre mesure que l'empereur à ordonnée, c'est la confiscation
+de toutes les marchandises de fabrique anglaise, celle des denrées
+coloniales débarquées en Espagne depuis l'insurrection. Les marchands de
+Londres feront donc bien d'envoyer des marchandises à Lisbonne, à Porto
+et dans les ports d'Espagne. Plus ils en enverront et plus grande sera
+la contribution qu'ils nous paient.
+
+La ville de Palencia, dirigée par un digne évêque, a accueilli nos
+troupes avec empressement. Cette ville ne se ressent pas des calamités
+de la guerre. Un saint évêque qui pratique les principes de l'évangile,
+animé par la charité chrétienne, des lèvres duquel il ne découle que du
+miel, est le plus grand bienfait que le Ciel accorde aux peuples.
+Un évêque passionné, haineux et furibond, qui ne prêche que la
+désobéissance et la rébellion, le désordre et la guerre, est un monstre
+que Dieu a donné aux peuples dans sa colère, pour les égarer dans la
+source même de la morale.
+
+Dans les prisons de Burgos étaient renfermés plusieurs moines. Les
+paysans les ont lapidés. «Malheureux que vous êtes, leur disaient-ils,
+c'est vous qui nous avez entraînés dans ce comble d'infortunes. Nos
+malheureuses femmes, nos pauvres enfans, nous ne les reverrons peut-être
+plus. Misérables que vous êtes, le Dieu juste vous punira aux enfers de
+tous les maux que vous causez à nos familles et à notre patrie.»
+
+
+
+Burgos, le 15 novembre 1808.
+
+_Quatrième bulletin de l'armée d'Espagne._
+
+S. M. a passé hier la revue de la division Marchand, a nommé les
+officiers et sous-officiers les plus méritans à toutes les places
+vacantes, et a donné des récompenses aux soldats qui s'étaient
+distingués. S. M. a été extrêmement contente de ces troupes, qui
+arrivent presque sans s'arrêter des bords de la Vistule.
+
+Le duc d'Elchingen est parti de Burgos. L'empereur a passé ce matin
+la revue de sa garde dans la plaine de Burgos. S. M. a vu ensuite la
+division Dessolles et a nommé à toutes les places vacantes dans cette
+division.
+
+Les événemens se préparent et tout est en marche. Rien ne réussit à la
+guerre qu'en conséquence d'un plan bien combiné.
+
+Parmi les prisonniers nous en avons trouvé qui portaient à la
+boutonnière un aigle renversé percé de deux flèches, avec celle
+inscription: _au vainqueur de la France_. A cette ridicule fanfaronnade,
+on reconnaît les compatriotes de Don Quichotte. Le fait est qu'il est
+impossible de trouver de plus mauvaises troupes, soit dans les montagnes
+soit dans la plaine. Ignorance crasse, folle présomption, cruauté contre
+le faible, souplesse et lâcheté avec le fort, voilà le spectacle que
+nous avons sous les yeux. Les moines et l'inquisition ont abruti cette
+nation.
+
+Dix mille hommes de cavalerie légère et de dragons, avec vingt-quatre
+pièces d'artillerie légère, s'étaient mis en marche le 11 pour courir
+sur les derrières de la division anglaise que l'on disait être à
+Valladolid. Ces braves ont fait trente-quatre lieues en deux jours,
+mais notre espérance a été déçue. Nous sommes entrés à Palencia, à
+Valladolid; on a poussé six lieues plus loin; point d'Anglais, mais bien
+des promesses et des assurances.
+
+Il paraît certain qu'une division de leur troupes a débarqué à la
+Corogne, et qu'une autre division est entrée à Badajoz au commencement
+du mois. Le jour où nous les trouverons sera un jour de fête pour
+l'armée française. Puissent-ils rougir de leur sang ce continent qu'ils
+dévastent par leurs intrigues, leur monopole et leur épouvantable
+égoïsme! Puissent-ils, au lieu de vingt mille, être quatre-vingt ou cent
+mille hommes, afin que les mères de famille anglaises apprennent ce que
+c'est que les maux de la guerre, et que le gouvernement britannique
+cesse de se jouer de la vie et du sang des peuples du continent. Les
+mensonges les plus grossiers, les moyens les plus vils sont mis en
+oeuvre par le machiavélisme anglais pour égarer la nation espagnole.
+Mais la masse est bonne: la Biscaye, la Navarre, la Vieille-Castille, la
+plus grande partie de l'Aragon même, sont animées d'un bon esprit. La
+généralité de la nation voit avec une profonde douleur l'abîme où on la
+jette, et ne tardera pas à maudire les auteurs de tant de maux.
+
+Florida Blanca, qui est à la tête de l'insurrection espagnole, est le
+même qui a été ministre sous Charles III. Il a toujours été ennemi
+décidé de la France, et partisan zélé de l'Angleterre. Il faut espérer
+qu'à sa dernière heure, il reconnaîtra les erreurs de la politique de sa
+vie. C'est un vieillard qui réunit à l'anglomanie la plus aveugle, la
+dévotion la plus superstitieuse. Ses confidens et ses amis sont les
+moines les plus fanatiques et les plus ignares.
+
+L'ordre est rétabli dans Burgos et dans les environs. A ce premier
+moment de terreur a succédé la confiance. Les paysans sont retournés
+dans leurs villages et à leur labour.
+
+
+
+
+Burgos, le 16 novembre 1808.
+
+_Cinquième bulletin de l'armée d'Espagne._
+
+Les destinées de l'armée d'Estramadure se sont terminées dans les
+plaines de Burgos. L'armée de Galice, battue aux combats de Durango,
+de Guénès, de Valmaseda, a péri ou a été dispersée à la bataille
+d'Espinosa. Cette armée était composée de l'infanterie de l'ancienne
+armée espagnole qui était en Portugal et en Galice, et qui a quitté
+Porto à la fin de juin; des milices de la Galice, des Asturies et de la
+Vieille-Castille;
+
+De cinq mille prisonniers espagnols que les Anglais avaient habillés et
+armés à leurs frais et débarqués à Saint Ander;
+
+Des volontaires de levées extraordinaires de la Galice, de la
+Vieille-Castille et des Asturies;
+
+Des régimens d'artillerie, des garnisons de marine, et des matelots des
+départemens de la Corogne et du Ferrol;
+
+Enfin des corps que le traître la Romana avait amenés du Nord et
+débarqués a Saint-Ander.
+
+Dans sa folle présomption, cette armée manoeuvrait sur le flanc droit de
+l'armée française, et voulait couper la communication par la Biscaye.
+Pendant l'espace de dix jours, elle a été menée battant de gorge en
+gorge, de mamelon en mamelon. Enfin, le 10 novembre, arrivée à Espinosa,
+elle voulut couvrir sa retraite, ses parcs, ses hôpitaux et ses
+magasins.
+
+Elle se rangea en bataille et se crut dans une position inattaquable.
+
+Le maréchal duc de Bellune culbuta son arrière-garde, et se trouva
+à trois heures après midi devant son front de bataille. Le général
+Pacthod, avec les quatre-vingt-quatorzième et quatre-vingt-quinzième
+régimens de ligne, eut ordre d'enlever un mamelon situé en avant de
+la ligne de bataille qu'occupait la troupe du traître la Romana. La
+position était belle; les soldats qui la défendaient, les meilleurs du
+pays et soutenus par toute la ligne ennemie. Le général Pacthod gravit,
+l'arme au bras, ces montagnes escarpées, et fondit sur ces régimens qui
+avaient abusé de notre loyauté et faussé leurs sermens. Dans un clin
+d'oeil ils furent rompus et jetés dans les précipices. Le régiment de la
+Princesse a été détruit.
+
+La ligne ennemie se porta alors en avant et combina des attaques pour
+reprendre le plateau. Toutes les colonnes qui avancèrent disparurent et
+trouvèrent la mort. La nuit obscure surprit les deux armées dans cette
+position.
+
+Pendant ce temps, le maréchal duc de Dalmatie filait sur Reynosa, seule
+retraite de l'ennemi.
+
+A la pointe du jour, le duc de Bellune fit déborder par le général de
+brigade Maison, à la tête du seizième régiment d'infanterie légère, la
+gauche de l'ennemi; de son côté le duc de Dantzick accourut au feu et
+déborda sa droite.
+
+Le général Maison, avec les braves du seizième, gravit sur des montagnes
+escarpées à tout autre inaccessibles, et culbuta l'ennemi. Le duc de
+Bellune fit alors avancer le centre; et l'ennemi coupé et tourné, fuit à
+la débandade, jetant ses armes, ses drapeaux et abandonnant ses canons.
+
+La division Sébastiani poursuivit les fuyards dans la direction de
+Villarcayo, attaqua, tua, prit ou dispersa une division et lui enleva
+ses canons.
+
+Le duc de Dalmatie enleva à Reynosa tous les parcs, magasins, bagages,
+et fit quelques prisonniers.
+
+Le colonel Tascher, envoyé à la poursuite de l'ennemi à la tête d'un
+régiment de chasseurs, a ramené un grand nombre de prisonniers.
+
+Cependant l'ennemi qui nous menaçait avec tant d'ignorance et une si
+aveugle présomption, était non-seulement tourné par Reynosa, mais encore
+par Palencia, par la cavalerie qui déjà occupait les débouchés des
+montagnes dans la plaine à vingt lieues de ses derrières.
+
+Soixante pièces de canon, vingt mille hommes tués ou pris, le reste
+dispersé; douze généraux espagnols tués; tous les secours en armes,
+habillemens, munitions, que les Anglais avaient débarqués, tombés en
+notre pouvoir, sont le résultat de cette affaire. La terreur est dans
+l'âme du soldat espagnol. Il jette sa veste rouge au chiffre du roi
+Georges, son fusil anglais, et cherche à se cacher dans des cavernes,
+dans des hameaux sous l'habit de paysan. Blake se sauve errant dans les
+montagnes des Asturies; la Romana, avec quelques milliers d'hommes,
+s'est jeté sur la marine de Saint-Ander.
+
+Cependant notre perte est de peu de conséquence. Aux combats de
+Durango, de Guenès, de Valmaseda, d'Espinosa, nous n'avons perdu que
+quatre-vingts hommes tués et trois cents blessés, aucun homme de marque.
+On a brisé trente mille fusils et on en a pris en magasin à Reynosa.
+
+S.M. a nommé le général de brigade Pacthod général de division, et
+a accordé dix décorations de la légion d'honneur aux
+quatre-vingt-quatorzième et quatre-vingt-quinzième régimens d'infanterie
+de ligne et au seizième d'infanterie légère.
+
+
+
+Burgos, le 18 novembre 1808.
+
+_Sixième bulletin de l'armée d'Espagne._
+
+Des quarante-cinq mille hommes qui composaient l'armée de Galice, partie
+a été tuée et prise, le reste a été éparpillé. Les débris en tombent de
+tous côtés dans nos postes. Le général de division Debelle a fait cinq
+cents prisonniers du côté de Vasconcellos.
+
+Le colonel Tascher, commandant le premier régiment provisoire de
+chasseurs, a donné sur l'escorte du général espagnol Acebedo; l'escorte
+ayant fait résistance, tout a été tué.
+
+Le général Bonnet est tombé avec sa division sur la tête d'une colonne
+de fuyards de deux mille hommes; partie a été prise et l'autre partie
+détruite.
+
+Le maréchal duc d'Istrie, commandant la cavalerie de l'armée, est entré
+à Aranda, le 16 à midi. Nos partis de cavalerie vont sur la gauche
+jusqu'à Soria et Madrid, et sur la droite jusqu'à Léon et Zamora.
+
+L'ennemi a évacué Aranda avec la plus grande précipitation. Il y a
+laissé quatre pièces de canon. On a trouvé dans cette ville un magasin
+considérable de biscuit, quarante mille quintaux de blé, et une grande
+quantité d'effets d'habillement.
+
+A Reynosa on a trouvé beaucoup d'objets anglais, et des
+approvisionnemens de toute espèce.
+
+Les habitans de Montana, de toute la plaine de la Castille jusqu'au
+Portugal, de la province de Soria, maudissent hautement les auteurs de
+cette guerre, et demandent à grands cris le repos et la paix.
+
+Le maréchal duc de Dantzick fait une mention particulière du général de
+brigade Roguet. Il cite avec éloge le lieutenant de Coigny, aide-de-camp
+du général Sébastiani, qui a eu un cheval tué sous lui.
+
+Le duc de Bellune fait une mention particulière du général de division
+Villatte.
+
+Vingt mille balles de laine valant de quinze à vingt millions, saisis à
+Burgos, ont été dirigées sur Baïonne. La vente publique en sera faite à
+l'enchère au premier janvier. Tous les négocians de France pourront y
+concourir. Sur le produit de cette vente le droit de vingt pour cent est
+dû au roi. Le surplus servira soit à rendre aux propriétaires qui
+n'ont point pris part à l'insurrection, le prix des laines qui leur
+appartiennent, ce qui se réduit à peu de chose, servir d'indemnité aux
+négocians français qui ont été pillés ou ont essuyé des confiscations en
+Espagne.
+
+S.M. a ordonné qu'une commission présidée par un maître des requêtes, et
+composée de deux membres de chacune des chambres de commerce des villes
+de Baïonne, Bordeaux, Toulouse et Marseille, un auditeur au conseil
+d'État faisant les fonctions de secrétaire-général, se réunirait
+à Baïonne, et que toutes les villes et corporations françaises et
+italiennes qui auraient des réclamations à faire à raison des pertes et
+confiscations qu'elles auraient essuyées en Espagne, s'adresseraient à
+cette commission pour en poursuivre la liquidation. S.M. a chargé le
+ministre de l'intérieur de faire un règlement sur la manière de procéder
+de cette commission.
+
+L'intention de S.M. est également que les biens qui sont en France, dans
+le royaume d'Italie ou dans le royaume de Naples, appartenant à des
+Espagnols insurgés, soient séquestrés pour servir également aux
+indemnités.
+
+
+
+Burgos, le 18 novembre 1808.
+
+_Lettre de S.M. l'empereur au grand-juge, ministre de la justice._
+
+Monsieur le comte Régnier, nous avons résolu de faire placer dans la
+salle de notre conseil d'état les statues en marbre des sieur Tronchet
+et Portalis, rédacteurs du premier projet du code Napoléon, et dont nous
+avons été à même d'apprécier les grands talens dans les conférences qui
+ont eu lieu lors de la rédaction dudit code; notre intention est que nos
+ministres, conseillers d'état et magistrats de toutes les cours voient
+dans cette résolution le désir que nous avons d'illustrer leurs talens
+et de récompenser leurs services, la seule récompense du génie étant
+l'immortalité et la gloire. Nous avons fait connaître nos volontés à
+notre grand-maréchal du palais et à l'intendant de notre maison; mais
+nous vous chargeons spécialement de porter tous vos soins à ce que les
+statues soient promptement faites et ressemblantes. Nous désirons que
+vous fassiez connaître ces dispositions à nos différentes cours.
+
+Cette lettre n'étant à autre fin, nous prions Dieu qu'il vous ait en sa
+sainte garde.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Burgos, le 20 novembre 1808.
+
+_Septième bulletin de l'armée d'Espagne._
+
+Le 16, l'avant-garde du maréchal duc de Dalmatie est entrée à
+Saint-Ander, et y a trouvé une grande quantité de farine, de blé, de
+munitions de guerre et de poudre, un magasin de neuf mille fusils
+anglais, des dépôts assez considérables de coton et de marchandises de
+fabrique anglaise et coloniale.
+
+Pendant que nos troupes entraient à Saint-Ander, il y avait à deux
+lieues au large un grand convoi anglais chargé de troupes, de munitions
+et d'habillemens; lorsqu'il a vu le drapeau français arboré et salué par
+la garnison, il a pris le large.
+
+On a trouvé à Saint-Ander un dépôt considérable de laines qui est
+transporté en France.
+
+Le 17, le colonel Tascher a rencontré à Cunillas les fuyards ennemis.
+Il y a eu quelques coups de sabre de donnés; on a fait une trentaine de
+prisonniers.
+
+L'évêquè de Saint-Ander, animé plutôt de l'esprit du démon que de
+l'esprit de l'évangile, homme furibond et fanatique, marchant toujours
+un coutelas au côté, s'est sauvé à bord des frégates anglaises. Toutes
+les lettres interceptées font voir la terreur et l'effroi qui agitent
+cette partie de l'armée espagnole.
+
+On a procédé au désarmement de la Montana, de Bilbao et de la partie de
+la Biscaye qui s'est insurgée. On marche également du côté de Soria pour
+désarmer cette province. Les provinces de Valladolid et de Palencia le
+sont déjà.
+
+Le général Franceschi, commandant un corps de cavalerie légère, a
+rencontré à Sahagun, à six lieues de Léon, un grand convoi de bagages et
+de malades de l'armée de Galice, qu'il a enlevé.
+
+A Mayorga, un escadron de cavalerie légère a rencontré trois cents
+hommes qu'ils a chargés; partie a été tuée, l'autre prise.
+
+La cavalerie du général Lasalle a poussé des partis jusqu'à Somo-Sierra.
+
+Des officiers des régimens espagnols de Zamora et de la Princesse, qui
+étaient dans le Nord, et qui s'étaient sauvés à Zamora, ont été faits
+prisonniers. «Vous avez prêté serment au roi, leur a-t-on dit. Ils
+l'ont avoué;--Vous avez faussé votre serment.--Nous avons obéi à notre
+général.--Vous faisiez partie de l'armée française, et vous avez reconnu
+les meilleurs procédés par la plus infâme trahison.--Ils répondirent
+encore qu'ils étaient sous les ordres de leur général, et qu'ils
+n'avaient fait qu'obéir.--On aurait pu vous désarmer, a-t-on ajouté,
+peut-être l'aurait-on dû; mais on a eu confiance en vos sermens. Il vaut
+mieux pour la gloire de l'empereur qu'il ait eu à vous combattre, que de
+s'être porté à un acte qui aurait pu être taxé de trop de méfiance. Vous
+n'êtes plus couverts par le droit des gens que vous avez violé. Vous
+devriez être passés par les armes; l'empereur veut vous pardonner une
+seconde fois.» Au reste, les régimens de Zamora et de la Princesse ont
+cruellement souffert; il en est peu resté aux drapeaux.
+
+
+
+Burgos, le 23 novembre 1808.
+
+_Huitième bulletin de l'armée d'Espagne._
+
+Le duc de Dalmatie poursuit ses succès avec la plus grande activité.
+
+Un convoi chargé d'artillerie, de munitions et de fusils anglais, a été
+pris dans le port de Cunillas au moment où il allait appareiller: on en
+fait l'inventaire. On a déjà noté trente pièces de canon et une grande
+quantité de malles d'officiers.
+
+Le général Sarrut, à la tête de sa brigade, pousse vivement l'ennemi;
+arrivé à Saint-Vicente, et cotoyant la mer, l'ennemi s'aperçut d'une
+hauteur qui couvrait le défilé de Saint-Vicente, que le général Sarrut
+n'avait que neuf cents hommes; il crut avoir le temps de tenir pour
+passer le défilé qui est un pont de quatre cents toises sur un bras de
+mer; mais il ignorait que ces neuf cents hommes étaient du deuxième
+d'infanterie légère; il ne tarda pas à l'apprendre. A peine le général
+Sarrut fut à portée, que ces braves chargèrent, et l'on vit neuf cents
+hommes rompre et mettre en désordre six mille hommes bien postés, sans
+éprouver de perte et sans presque coup férir. Cependant le colonel
+Tascher avait habilement placé cent cinquante hommes de son régiment de
+chasseurs en colonne serrée, par peloton, derrière celle avant-garde; et
+aussitôt qu'il vit l'ennemi ébranlé, il chargea, sans délibérer, dans
+le défilé, tua et jeta dans la mer et le marais, ou prit la plus grande
+partie de cette colonne. On avait déjà fait un millier de prisonniers
+lorsque le dernier compte a été rendu, et la colonne du général Sarrut
+avait déjà dépassé la province de la Montana et était entrée dans les
+Asturies. Les voltigeurs du trente-sixième régiment ont arrêté dans le
+port de Santillana un convoi anglais chargé de sucre, de café, de coton
+et d'autres denrées coloniales. Le nombre de bâtimens anglais, richement
+chargés, qui ont été pris sur cette côte, était déjà de 25.
+
+Dans la plaine, le général de division Milhaud annonce que le 19, non
+loin de Léon, une reconnaissance a chargé dans le village de Valverde,
+un bataillon d'étudians, dont un grand nombre a été sabré et le reste
+dispersé.
+
+Le septième corps de l'armée d'Espagne, que commande le général
+Gouvion-Saint-Cyr, commence aussi à faire parler de lui. Le 6 novembre,
+la place de Roses a été investie par les généraux Reille et Pino. Les
+hauteurs de Saint-Pedro ont été enlevées par les Italiens avec cette
+impétuosité qu'ils avaient au quinzième siècle, et dont les troupes du
+royaume d'Italie ont donné tant de preuves dans la dernière campagne
+d'Allemagne. Un grand nombre de miquelets et d'Anglais débarqués
+occupaient le port de Selva. Le général Fontana, à la tête de trois
+bataillons d'infanterie légère italienne et des grenadiers et voltigeurs
+du septième régiment français, se porta sur Selva, chargea les miquelets
+et les Anglais, les culbuta dans la mer, et s'empara de dix pièces
+de 24, dont quatre de bronze, que les Anglais n'eurent pas le temps
+d'embarquer.
+
+Le 8, la garnison de Roses fit sortir trois colonnes protégées par
+l'artillerie des vaisseaux anglais. Le général Mazuchelli les reçut à
+bout portant et leur tua plus de six cents hommes.
+
+Le 12, les ennemis voulurent encore faire une sortie; ils trouvèrent les
+mêmes braves, et le général Mazuchelli en couvrit ses tranchées. Depuis
+ce moment, la garnison a paru consternée et n'a plus voulu sortir.
+
+Dans Barcelonne, le général Duhesme fait le plus grand éloge des vélites
+et des troupes d'Italie qui sont sous ses ordres.
+
+On croit que le quartier-général part cette nuit de Burgos.
+
+
+
+Aranda, le 25 novembre 1808.
+
+_Neuvième bulletin de l'armée d'Espagne._
+
+Le système militaire des ennemis paraît avoir été le suivant:
+
+Sur leur gauche était l'armée de Galice, composée de la moitié des
+troupes de ligne d'Espagne et de toutes les ressources de la Galice, des
+Asturies et du royaume de Léon.
+
+Au centre, était l'armée d'Estramadure, que les corps anglais avaient
+promis d'appuyer, et qui était composée de toutes les ressources que
+pouvaient fournir l'Estramadure et les provinces voisines.
+
+L'armée d'Andalousie, de Valence, de la Nouvelle-Castille et d'Aragon,
+que l'on porte à soixante-dix ou quatre-vingt mille hommes, occupait,
+le 20 novembre, Calehorra, Tudela et les bords de l'Aragon. Cette armée
+appuyait la droite de l'ennemi: elle était composée de toutes les
+troupes qui se trouvaient au camp de Saint-Roch, en Andalousie, à
+Valence, à Carthagène et à Madrid, de toutes les levées et de toutes les
+ressources de ces provinces. C'est contre cette armée que les corps
+de l'armée française manoeuvrent aujourd'hui, les autres ayant été
+dispersés et détruits dans les batailles d'Espinosa et de Burgos.
+
+Le quartier-général a été transporté le 22 de Burgos à Lerma, et le 23,
+de Lerma à Aranda.
+
+Le duc d'Elchingen s'est porté le 22 à Soria: cette ville, qui est
+l'ancienne Numance, est un chef-lieu de province: c'est un des pays de
+l'Espagne où les têtes avaient été le plus volcanisées, et c'est celui
+qui a fait le moins de résistance. La ville a été désarmée, et un comité
+composé de gens bien intentionnés a été chargé de l'administration de la
+province.
+
+Le duc d'Elchingen occupait par sa cavalerie légère Medina-Celi, et
+battait la route de Sarragosse à Madrid; son avant-garde marchait sur
+Agréda.
+
+Le 22, les ducs de Montebello et de Conegliano faisaient leur jonction
+au pont de Lodosa.
+
+Le 24, le duc de Bellune portait son quartier-général à Venta-Gonnez.
+
+Presque toutes les routes de communication de Madrid avec les provinces
+du Nord se trouvent interceptées; un grand nombre de courriers et de
+malles de poste aux lettres sont tombés entre les mains de nos coureurs.
+La confusion paraît extrême à Madrid, et il règne dans toute la nation
+un défaut de confiance et un désir du repos et de la paix que la puérile
+arrogance et la criminelle astuce des meneurs ne parviennent pas à
+détruire.
+
+Il paraît difficile que l'armée qui forme la droite de l'ennemi et
+qui est sur l'Ebre, puisse se replier sur Madrid et sur le Midi de
+l'Espagne. Les événemens qui se préparent décideront probablement du
+sort de cette autre moitié de l'armée espagnole.
+
+Le temps est humide; un brouillard épais règne depuis trois jours: cette
+saison est plus défavorable encore aux naturels du pays qu'aux hommes
+accoutumés aux climats du Nord.
+
+Le général Gouvion-Saint-Cyr continue à faire pousser vivement le siège
+de Roses.
+
+
+
+Aranda de Duero, le 26 novembre 1808.
+
+_Dixième bulletin de l'armée d'Espagne._
+
+Il paraît que les forces espagnoles s'élèvent à cent quatre-vingt-dix
+mille hommes effectifs.
+
+Quatre-vingt mille hommes effectifs faisant soixante mille hommes sous
+les armes, qui composaient les armées de Galice et d'Estramadure, et que
+commandaient Blake, la Romana et Galluzzo, ont été dispersés et mis hors
+de combat.
+
+L'armée d'Andalousie, de Valence, de la Nouvelle-Castille et d'Aragon,
+que commandaient Castanos, Penas et Palafox, et qui paraissait être
+également de quatre-vingt mille hommes, c'est-à-dire soixante mille
+hommes sous les armes, aura sous peu de jours accompli ses destins. Le
+maréchal duc de Montebello a ordre de l'attaquer de front avec trente
+mille hommes, tandis que les ducs d'Elchingen et de Bellune sont déjà
+placés sur ses derrières.
+
+Reste soixante mille hommes effectifs qui peuvent donner quarante mille
+hommes sous les armes, dont trente mille sont en Catalogne et dix mille
+hommes existent à Madrid, à Valence et dans les autres lieux de dépôts,
+ou sont en mouvement.
+
+Avant de faire un pas au-delà du Duero, l'empereur a pris la résolution
+de faire anéantir les armées du centre et de gauche, et de faire subir
+le même sort à celle de droite du général Castanos.
+
+Lorsque ce plan aura été exécuté, la marche sur Madrid ne sera plus
+qu'une promenade. Ce grand dessein doit, à l'heure qu'il est, être
+accompli.
+
+Quant au corps de Catalogne, étant en partie composé des troupes de
+Valence, Murcie et Grenade, ces provinces menacées retireront leurs
+troupes, si toutefois l'état des communications le permet; dans tous les
+cas, le septième corps, après avoir terminé le siége de Roses, en rendra
+bon compte.
+
+A Barcelonne, le général Duhesine, avec quinze mille hommes
+approvisionnés pour six mois, répond de cette importante place.
+
+Nous n'avons pas parlé des forces anglaises. Il paraît qu'une division
+est en Galice, et qu'une autre s'est montrée à Badajoz vers la fin du
+mois passé. Si les Anglais ont de la cavalerie, nous devrions nous
+en apercevoir; car nos troupes légères sont presque parvenues aux
+frontières du Portugal. S'ils ont de l'infanterie, ils ne sont pas
+probablement dans l'intention de s'en servir en faveur de leurs alliés,
+car voilà trente jours que la campagne est ouverte; trois fortes armées
+ont été détruites, une immense artillerie a été enlevée; les provinces
+de Castille, de la Montana, d'Aragon, de Soria, etc., sont conquises;
+enfin le sort de l'Espagne et du Portugal est décidé, et l'on n'entend
+parler d'aucun mouvement des troupes anglaises.
+
+Cependant la moitié de l'armée française n'est point encore arrivée; une
+partie du quatrième corps d'armée, le cinquième et le huitième corps
+entiers, six régimens de cavalerie légère, beaucoup de compagnies
+d'artillerie et de sapeurs, et un grand nombre d'hommes des régimens qui
+sont en Espagne, n'ont pas encore passé la Bidassoa.
+
+A la vérité, et sans faire tort à la bravoure de nos soldats, on
+doit dire qu'il n'y a pas de plus mauvaises troupes que les troupes
+espagnoles; elles peuvent, comme les Arabes, tenir derrière des maisons,
+mais elle n'ont aucune discipline, aucune connaissance des manoeuvres,
+et il leur est impossible de résister sur un champ de bataille, Les
+montagnes même ne leur ont offert qu'une faible protection. Mais grâce à
+la puissance de l'inquisition, à l'influence des moines, à leur adresse
+à s'emparer de toutes les plumes et à faire parler toutes les langues,
+on croit encore dans une grande partie de l'Espagne que Blake a été
+vainqueur, que l'armée française a été détruite, que la garde impériale
+a été prise. Quel que soit le succès momentané de ces misérables
+ressources et de ces ridicules efforts, le règne de l'Inquisition est
+fini; ses tribunaux révolutionnaires ne tourmenteront plus aucune
+contrée de l'Europe; en Espagne comme à Rome l'inquisition sera abolie,
+et l'affreux spectacle des auto-da-fé ne se renouvellera pas; cette
+réforme s'opérera malgré le zèle religieux des Anglais, malgré
+l'alliance qu'ils ont contractée avec les moines imposteurs qui ont fait
+parler la Vierge d'el Pilar et les saints de Valladolid. L'Angleterre a
+pour alliés le monopole, l'inquisition et les franciscains; tout lui
+est bon pourvu qu'elle divise les peuples et qu'elle ensanglante le
+continent. Un brick anglais, _le Ferrets_, parti de Portsmouth le 11 de
+ce mois, a mouillé le 22 dans le port de Saint-Ander qu'il ne savait pas
+être occupé par les Français; il avait à bord des dépêches importantes
+et beaucoup de papiers anglais dont on s'est emparé.
+
+On a trouvé à Saint-Ander une grande quantité de quinquina et de denrées
+coloniales qui ont été envoyées à Baïonne.
+
+Le duc de Dalmatie est entré dans les Asturies; plusieurs villes et
+beaucoup de villages ont demandé à se soumettre pour sortir enfin de
+l'abîme creusé par les conseils des étrangers, et par les passions de la
+multitude.
+
+
+
+Aranda de Duero, le 27 novembre 1808.
+
+_Onzième bulletin de l'armée d'Espagne._
+
+S. M., dans la journée du 19, avait fait partir le maréchal duc de
+Montebello avec des instructions pour les mouvemens de la gauche dont
+elle lui donna le commandement.
+
+Le duc de Montebello et le duc de Conegliano se concertèrent le 20, à
+Lodosa, pour l'exécution des ordres de S. M.
+
+Le 21, la division du général Lagrange, avec la brigade de cavalerie
+légère du général Colbert et la brigade de dragons du général Dijon,
+partirent de Logrono par la droite de l'Ebre.
+
+Au même moment, les quatre divisions composant le corps d'armée du duc
+de Conegliano, passèrent le fleuve à Lodosa, abandonnant tout le pays
+entre l'Ebre et Pampelune.
+
+Le 22, à la pointe du jour, l'armée française se mit en marche. Elle
+se dirigea sur Calahora, où était la veille le quartier-général de
+Castanos; elle trouva cette ville évacuée. Elle marcha ensuite sur
+Alfaro; l'ennemi s'était également retiré.
+
+Le 23, à la pointe du jour, le général de division Lefebvre, à la tête
+de la cavalerie et appuyé par la division du général Morlot, faisant
+l'avant-garde, rencontra l'ennemi. Il en donna sur-le-champ avis au
+duc de Montebello, qui trouva l'armée ennemie forte de sept divisions,
+formant quarante-cinq mille hommes présens sous les armes, la droite en
+avant de Tudela, et la gauche occupant une ligne d'une lieue et demie,
+disposition absolument vicieuse. Les Aragonais étaient à la droite, les
+troupes de Valence et de la nouvelle Castille étaient au centre, et
+les trois divisions d'Andalousie, que commandait plus spécialement
+le général Castanos, formaient la gauche. Quarante pièces de canon
+couvraient la ligne ennemie.
+
+A neuf heures du matin, les colonnes de l'armée française commencèrent
+à se déployer avec cet ordre, cette régularité, ce sang-froid qui
+caractérisent de vieilles troupes. On choisissait les emplacement pour
+établir en batterie une soixantaine de canons; mais l'impétuosité des
+troupes et l'inquiétude de l'ennemi n'en donnèrent pas le temps; l'armée
+espagnole était déjà vaincue par l'ordre et par les mouvemens de l'armée
+française.
+
+Le duc de Montebello fit enfoncer le centre par la division du général
+Maurice Mathieu.
+
+Le général de division Lefebvre, avec sa cavalerie, passa aussitôt
+au trot par cette trouée, et enveloppa, par un quart de conversion à
+gauche, toute la droite de l'ennemi.
+
+Le moment où la moitié de la ligne ennemie se trouva ainsi tournée et
+culbutée, fut celui où le général Lagrange attaqua la ville de Cascante,
+où était placée la ligne de Castanos, qui ne fit pas meilleure
+contenance que la droite, et abandonna le champ de bataille, en
+laissant son artillerie et un grand nombre de prisonniers. La cavalerie
+poursuivit les débris de l'armée ennemie jusqu'à Tarracone, dans la
+direction d'Agreda. Sept drapeaux, trente pièces de canon avec leurs
+attelages et leurs caissons, douze colonels, trois cents officiers et
+trois mille hommes ont été pris; quatre mille Espagnols sont restés sur
+le champ de bataille, ou ont été jetés dans l'Ebre. Notre perte a été
+légère; nous avons eu soixante hommes tués et quatre cents blessés;
+parmi ces derniers se trouve le général de division Lagrange, qui a été
+atteint d'une balle au bras.
+
+Nos troupes ont trouvé à Tudela beaucoup de magasins.
+
+Le maréchal duc de Conegliano s'est mis en marche sur Sarragosse.
+
+Pendant qu'une partie des fuyards se retirait sur cette place, la gauche
+qui avait été coupée, fuyait en désordre sur Tarraçone et Agreda.
+
+Le duc d'Elchingen, qui était le 22 à Soria, devait être le 23 à Agreda;
+pas un homme n'aurait échappé, mais ce corps d'armée se trouvant trop
+fatigué, séjourna le 23 et le 24 à Soria; il arriva le 24 à Agreda assez
+à temps pour s'emparer encore d'une grande quantité de magasins.
+
+Un nommé Palafox, ancien garde-du-corps, homme sans talens et sans
+courage, espèce de mannequin d'un moine, véritable chef de parti, qui
+lui avait fait donner le titre de général, a été le premier à prendre la
+fuite. Au reste, ce n'est pas la première fois qu'il agit de la sorte;
+il a fait de même dans toutes les occasions.
+
+Cette armée de quarante-cinq mille hommes a été ainsi battue et défaite,
+sans que nous en ayons eu plus de six mille engagés.
+
+Le combat de Burgos avait frappé le centre de l'ennemi, la bataille
+d'Espinosa la droite, et la bataille de Tudela la gauche. La victoire a
+ainsi foudroyé et dispersé toute la ligne ennemie.
+
+
+
+Aranda de Duero, 28 novembre 1808.
+
+_Douzième bulletin de l'armée d'Espagne._
+
+A la bataille de Tudela, le général de division Lagrange, chargé de
+l'attaque de Cascante, fit marcher sa division par échelons, et se mit
+à la tête du premier échelon, composé du vingt-cinquième régiment
+d'infanterie légère, qui aborda l'ennemi avec une telle décision, que
+deux cents Espagnols furent percés dans la première charge par les
+baïonnettes. Les autres échelons ne purent donner. Cette singulière
+intrépidité avait jeté la consternation et le désordre dans les troupes
+de Castanos. C'est dans cette circonstance que le général Lagrange, qui
+était à la tête de son premier échelon, a reçu une balle qui l'a blessé
+assez dangereusement.
+
+Le 26, le duc d'Elchingen s'est porté par Tarraçonne, sur Borja. Les
+ennemis avait mis le feu à un parc d'artillerie de soixante caissons
+qu'ils avaient à Tarraçonne.
+
+Le général Maurice Mathieu est arrivé le 25 à Borja, poursuivant
+l'ennemi et ramassant à chaque instant de nouveaux prisonniers dont le
+nombre est déjà de cinq mille; ils appartiennent tous aux troupes de
+ligue; le soldat n'a pardonné à aucun paysan armé. Le nombre des pièces
+de canon prises est de trente-sept.
+
+Le désordre et le délire se sont emparés des meneurs. Pour première
+mesure, ils ont fait un manifeste violent par lequel ils déclarent la
+guerre à la France; ils lui imputent tous les désordres de leur cour,
+l'abâtardissement de la race qui régnait, et la lâcheté des grands, qui,
+pendant tant d'années, se sont prosternés de la manière la plus abjecte
+aux pieds de l'idole qu'ils accablent de toute leur rage, aujourd'hui
+qu'elle est tombée.
+
+On se ferait en Allemagne, en Italie, en France, une bien fausse idée
+des moines espagnols, si on les comparait aux moines qui ont existé dans
+ces contrées. On trouvait parmi les bénédictins, les bernardins, etc.,
+etc., de France, d'Italie, une foule d'hommes remarquables dans les
+sciences et les lettres; ils se distinguaient et par leur éducation et
+par la classe honorable et utile d'où ils étaient sortis; les moines
+espagnols, au contraire, sont tirés de la lie du peuple, ils sont
+ignares et crapuleux; on ne saurait leur trouver de ressemblance qu'avec
+des artisans employés dans les boucheries; ils en ont l'ignorance, le
+ton et la tournure. Ce n'est que sur le bas peuple qu'ils exercent leur
+influence. Une maison bourgeoise se serait crue déshonorée en admettant
+un moine à sa table.
+
+Quant aux malheureux paysans espagnols, on ne peut les comparer qu'aux
+fellahs d'Egypte; ils n'ont aucune propriété; tout appartient soit aux
+moines, soit à quelque maison puissante. La faculté de tenir une auberge
+est un droit féodal; et dans un pays aussi favorisé de la nature, on ne
+trouve ni postes, ni hôtelleries. Les impositions même ont été aliénées
+et appartiennent aux seigneurs. Les grands ont tellement dégénéré, qu'il
+sont sans énergie, sans mérite et même sans influence.
+
+On trouve tous les jours à Valladolid et au-delà, des magasins d'armes
+considérables. Les Anglais ont bien exécuté cette partie de leurs
+engagemens; ils avaient promis des fusils, des poignards, des libelles,
+et ils en ont envoyé avec profusion. Leur esprit inventif s'est signalé,
+et ils ont poussé fort loin l'art de répandre des libelles, comme
+dans ces derniers temps ils s'étaient distingués par leurs fusées
+incendiaires. Tous les maux, tous les fléaux qui peuvent affliger les
+hommes, viennent de Londres.
+
+
+
+Saint-Martin près Madrid, 2 décembre 1808.
+
+_Treizième bulletin de l'armée d'Espagne._
+
+Le 29, le quartier-général de l'empereur a été porté au village de
+Bozeguillas; le 30, à la pointe du jour, le duc de Bellune s'est
+présenté au pied du Somo-Sierra; une division de treize mille hommes de
+l'armée de réserve espagnole, défendait le passage de cette montagne.
+L'ennemi se croyait inexpugnable dans cette position. Il avait retranché
+le col que les Espagnols appellent _Puerto_, et y avait placé seize
+pièces de canon. Le neuvième d'infanterie légère couronna la droite;
+le quatre-vingt-seizième marcha sur la chaussée, et le vingt-quatrième
+suivit à mi-côte les hauteurs de gauche. Le général Sennarmont avec six
+pièces d'artillerie avança par la chaussée.
+
+La fusillade et la canonnade s'engagèrent. Une charge que fit le général
+Montbrun, à la tête des chevau-légers polonais, décida l'affaire; charge
+brillante s'il en fut, où ce régiment s'est couvert de gloire et a
+montré qu'il était digne de faire partie de la garde impériale. Canons,
+drapeaux, fusils, soldats, tout fut enlevé, coupé ou pris. Huit
+chevau-légers polonais ont été tués sur les pièces, et seize ont
+été blessés. Parmi ces derniers, le capitaine Dzievanoski à été si
+grièvement blessé qu'il est presque sans espérance. Le major Ségur,
+maréchal-des-logis de la maison de l'empereur, chargeant parmi les
+Polonais, a reçu plusieurs blessures dont une assez grave. Les seize
+pièces de canon, dix drapeaux, une trentaine de caissons, deux cents
+chariots de toute espèce de bagage, les caisses des régimens, sont
+les fruits de cette brillante affaire. Parmi les prisonniers qui sont
+très-nombreux, se trouvent tous les colonels et les lieutenans-colonels
+des corps de la division espagnole. Tous les soldats auraient été pris,
+s'ils n'avaient pas jeté leurs armes et ne s'étaient éparpillés dans les
+montagnes.
+
+Le premier décembre, le quartier-général de l'empereur était à
+Saint-Augustin, et le 2, le duc d'Istrie, avec la cavalerie, est venu
+couronner les hauteurs de Madrid. L'infanterie ne pourra arriver que le
+3. Les renseignemens qu'on a pris jusqu'à cette heure, portent à penser
+que la ville est livrée à toute espèce de désordre, et que les portes
+sont barricadées.
+
+Le temps est très-beau.
+
+
+
+Madrid, 5 décembre 1808.
+
+_Quatorzième bulletin de l'armée d'Espagne._
+
+Le 3, à midi, S. M. arriva de sa personne sur les hauteurs qui
+couronnent Madrid, et où étaient placées les divisions de dragons des
+généraux Latour-Maubourg et Lahoussaye, et la garde impériale à cheval.
+L'anniversaire du couronnement, cette époque qui a signalé tant de jours
+à jamais heureux pour la France, réveilla dans tous les coeurs les plus
+doux souvenirs et inspira à toutes les troupes un enthousiasme qui se
+manifesta par mille acclamations. Le temps était superbe et semblable à
+celui dont on jouit eu France dans les belles journées du mois de mai.
+
+Le maréchal duc d'Istrie envoya sommer la ville, où s'était formé une
+junte militaire, sous la présidence du général Castellar, qui avait
+sous ses ordres le général Morla, capitaine-général de l'Andalousie et
+inspecteur-général de l'artillerie. La ville renfermait un grand nombre
+de paysans armés qui s'y étaient rendus de tous côtés, six mille hommes
+de troupes de ligne et cent pièces de canon. Depuis huit jours on
+barricadait les rues et les portes de la ville; soixante mille hommes
+étaient en armes; des cris se faisaient entendre de toutes parts; les
+cloches de deux cents églises sonnaient à la fois et tout présentait
+l'image du désordre et du délire.
+
+Un général de troupes de ligne parut aux avant-postes pour répondre à la
+sommation du duc d'Istrie; il était accompagné et surveillé par trente
+hommes du peuple dont le costume, les regards et le farouche langage,
+rappelaient les assassins de septembre. Lorsqu'on demandait au général
+espagnol s'il voulait exposer des femmes, des enfans, des vieillards aux
+horreurs d'un assaut, il manifestait à la dérobée la douleur dont il
+était pénétré; il faisait connaître par des signes qu'il gémissait sous
+l'oppression ainsi que tous les honnêtes gens de Madrid, et lorsqu'il
+élevait la voix, ses paroles étaient dictées par les misérables qui
+le surveillaient. On ne put avoir aucun doute de l'excès auquel
+était portée la tyrannie de la multitude, lorsqu'on le vit dresser
+procès-verbal de ses propres discours, et les faire attester par la
+signature des spadassins qui l'environnaient.
+
+L'aide-de-camp du duc d'Istrie, qui avait été envoyé dans la ville,
+saisi par des hommes de la dernière classe du peuple, allait être
+massacré, lorsque les troupes de ligne indignées le prirent sous leur
+sauve-garde et le firent remettre à son général.
+
+Un garçon boucher de l'Estramadure, qui commandait une des portes,
+osa demander que le duc d'Istrie vint lui-même dans la ville les yeux
+bandés; le général Montbrun repoussa cette audace avec indignation; il
+fut aussitôt entouré, et il n'échappa qu'en tirant son sabre. Il faillit
+être victime de l'imprudence avec laquelle il avait oublié qu'il n'avait
+point affaire avec des ennemis civilisés.
+
+Peu de temps après des déserteurs des gardes wallonnes se rendirent au
+camp. Leurs dépositions donnèrent la conviction que les propriétaires,
+les honnêtes gens étaient sans influence, et l'on dut croire que toute
+conciliation était impossible.
+
+La veille, le marquis de Perales, homme respectable qui avait paru jouir
+jusqu'alors de la confiance du peuple, fut accusé d'avoir fait mettre
+du sable dans les cartouches. Il fut aussitôt étranglé, et ses membres
+déchirés furent envoyés comme des trophées dans les quartiers de la
+ville. On arrêta que toutes les cartouches seraient refaites, et trois
+ou quatre mille moines furent conduits au Retiro et employés à ce
+travail. Il avait été ordonné que tous les palais, toutes les maisons
+seraient constamment ouvertes aux paysans des environs, qui devaient y
+trouver de la soupe et des alimens à discrétion.
+
+L'infanterie française était encore à trois lieues de Madrid. L'empereur
+employa la soirée à reconnaître la ville et à arrêter un plan d'attaque
+qui se conciliait avec les ménagemens que méritent le grand nombre
+d'hommes honnêtes qui se trouvent toujours dans une grande capitale.
+
+Prendre Madrid d'assaut pouvait être une opération militaire de peu de
+difficulté; mais amener cette grande ville se soumettre en employant
+tour à tour la force et la persuasion et en arrachant les propriétaires
+et les véritables hommes de bien à l'oppression sous laquelle ils
+gémissaient, c'est là ce qui était difficile. Tous les efforts de
+l'empereur dans ces deux journées n'eurent pas d'autre but; ils ont été
+couronnés du plus grand succès.
+
+A sept heures, la division Lapisse, du corps du maréchal duc de Bellune,
+arriva. La lune donnait une clarté qui semblait prolonger celle du
+jour. L'empereur ordonna au général de brigade Maison de s'emparer des
+faubourgs, et chargea le général de division Lauriston de protéger cette
+occupation par le feu de quatre pièces d'artillerie de la garde. Les
+voltigeurs du seizième s'emparèrent des maisons et notamment d'un grand
+cimetière. Au premier feu l'ennemi montra autant de lâcheté qu'il avait
+montré d'arrogance pendant toute la journée. Le duc de Bellune employa
+toute la nuit à placer son artillerie dans les lieux désignés pour
+l'attaque.
+
+A minuit, le prince de Neufchâtel envoya à Madrid un lieutenant-colonel
+d'artillerie espagnole qui avait été pris à Somo-Sierra et qui voyait
+avec effroi la folle obstination de ses concitoyens. Il se chargea de la
+lettre ci-jointe (nº 1).
+
+Le 3, à neuf heures du matin, le même parlementaire revint au
+quartier-général avec la lettre ci-jointe (nº 2).
+
+Mais déjà le général de brigade d'artillerie Sénarmont, officier d'un
+grand mérite, avait placé ses trente pièces d'artillerie et avait
+commencé un feu très-vif qui avait fait brèche aux murs du Retiro. Des
+voltigeurs de la division Villatte ayant passé la brèche, leur bataillon
+les suivit, et en moins d'une heure, quatre mille hommes qui défendaient
+le Retiro furent culbutés. Le palais du Retiro, les postes importans de
+l'observatoire, de la manufacture de porcelaine, de la grande caserne et
+de l'hôtel de Medina-Celi et tous les débouchés qui avaient été mis en
+défense furent emportés par nos troupes.
+
+D'un autre côté, vingt pièces de canon de la garde jetaient des obus et
+attiraient l'attention de l'ennemi sur une fausse attaque.
+
+On se serait peint difficilement le désordre qui régnait dans Madrid, si
+un grand nombre de prisonniers arrivant successivement n'avaient rendu
+compte des scènes épouvantables et de tout genre dont cette capitale
+offrait le spectacle. On avait coupé les rues, crénelé les maisons;
+des barricades de balles de coton et de laine avaient été fermées; les
+fenêtres étaient matelassées; ceux des habitans qui désespéraient du
+succès d'une aveugle résistance, fuyaient dans les campagnes; d'autres
+qui avaient conservé quelque raison, et qui aimaient mieux se montrer
+au sein de leurs propriétés devant un ennemi généreux, que de les
+abandonner au pillage de leurs propres concitoyens, demandaient qu'on ne
+s'exposât point à un assaut. Ceux qui étaient étrangers à la ville
+ou qui n'avaient rien à perdre, voulaient qu'on se défendît à toute
+outrance, accusaient les troupes de ligne de trahison et les obligeaient
+à continuer le feu.
+
+L'ennemi avait plus de cent pièces de canon en batterie; un nombre plus
+considérable de pièces de 2 et de 3 avaient été déterrées, tirées des
+caves et ficelées sur des charrettes; équipage grotesque qui seul aurait
+prouvé le délire d'un peuple abandonné à lui-même. Mais tous moyens de
+défense étaient devenus inutiles: étant maître du Retiro, on l'est de
+Madrid. L'empereur mit tous ses soins à empêcher qu'on entrât de maison
+en maison. C'en était fait de la ville si beaucoup de troupes avaient
+été employées. On ne laissa avancer que quelques compagnies de
+voltigeurs que l'empereur se refusa toujours à faire soutenir.
+
+A onze heures, le prince de Neufchâtel écrivit la lettre ci-jointe nº
+3; S.M. ordonna aussitôt que le feu cessât sur tous les points.
+
+A cinq heures, le maréchal Morla, l'un des membres de la junte
+militaire, et don Bernardo Yriarte, envoyé de la ville, se rendirent
+dans la tente de S.A.S. le major-général. Ils firent connaître que
+tous les hommes bien pensans ne doutaient pas que la ville ne fût sans
+ressources, et que la continuation de la défense était un véritable
+délire; mais que les dernières classes du peuple et la foule des hommes
+étrangers à Madrid voulaient se défendre et croyaient le pouvoir. Ils
+demandaient la journée du 4 pour faire entendre raison au peuple. Le
+prince major-général les présenta à S.M. l'empereur et roi, qui leur
+dit: «Vous employez en vain le nom du peuple; si vous ne pouvez parvenir
+à le calmer, c'est parce que vous-mêmes vous l'avez excité, vous l'avez
+égaré par des mensonges. Rassemblez les curés, les chefs des couvens,
+les alcades, les principaux propriétaires, et que d'ici à six heures du
+matin la ville se rende, ou elle aura cessé d'exister. Je ne veux ni ne
+dois retirer mes troupes. Vous avez massacré les malheureux prisonniers
+français qui étaient tombés entre vos mains. Vous avez, il y a peu de
+jours, laissé traîner et mettre à mort dans les rues deux domestiques de
+l'ambassadeur de Russie parce qu'ils étaient nés Français. L'inhabileté
+et la lâcheté d'un général avaient mis en vos mains des troupes qui
+avaient capitulé sur le champ de bataille, et la capitulation a été
+violée. Vous, monsieur Morla, quelle lettre avez-vous écrite à ce
+général? Il vous convenait bien de parler de pillage, vous qui étant
+entré en Roussillon avez enlevé toutes les femmes et les avez partagées
+comme un butin entre vos soldats. Quel droit aviez-vous, d'ailleurs,
+de tenir un pareil langage? La capitulation vous l'interdisait. Voyez
+quelle a été la conduite des Anglais, qui sont bien loin de se piquer
+d'être rigides observateurs du droit des nations; ils se sont plaints de
+la convention du Portugal, mais ils l'ont exécutée. Violer les traités
+militaires, c'est renoncer à toute civilisation, c'est se mettre sur la
+même ligne que les Bédouins du désert. Comment donc osez-vous demander
+une capitulation, vous qui avez violé celle de Baylen? Voilà comme
+l'injustice et la mauvaise foi tournent toujours au préjudice de ceux
+qui s'en s'en sont rendus coupables. J'avais une flotte à Cadix; elle
+était l'alliée de l'Espagne, et vous avez dirigé contre elle les
+mortiers de la ville où vous commandiez. J'avais une armée espagnole
+dans mes rangs: j'ai mieux aimé la voir passer sur les vaisseaux
+anglais, et être obligé de la précipiter du haut des rochers d'Espinosa,
+que de la désarmer; j'ai préféré avoir sept mille ennemis de plus à
+combattre, que de manquer à la bonne foi et à l'honneur. Retournez à
+Madrid. Je vous donne jusqu'à demain à six heures du matin. Revenez
+alors, si vous n'avez à me parler du peuple que pour m'apprendre qu'il
+s'est soumis. Sinon vous et vos troupes, vous serez tous passés par les
+armes.»
+
+Le 4 à six heures du matin, le général Morla et le général don Fernando
+de la Vera, gouverneur de la ville, se présentèrent à la tente du
+prince major-général. Les discours de l'empereur, répétés au milieu
+des notables, la certitude qu'il commandait en personne; les pertes
+éprouvées pendant la journée précédente avaient porté le repentir et
+la douleur dans tous les esprits; pendant la nuit, les plus mutins
+s'étaient soustraits au danger par la fuite, et une partie des troupes
+s'était débandée.
+
+A dix heures, le général Belliard prit le commandement de Madrid, tous
+les postes furent remis aux Français, et un pardon général fut proclamé.
+
+A dater de ce moment, les hommes, les femmes, les enfans se répandirent
+dans les rues avec sécurité. Jusqu'à onze heures du soir les boutiques
+furent ouvertes. Tous les citoyens se mirent à détruire les barricades
+et à repaver les rues; les moines rentrèrent dans leurs couvens, et
+en peu d'heures Madrid présenta le contraste le plus extraordinaire;
+contraste inexplicable pour qui ne connaît pas les moeurs des grandes
+villes. Tant d'hommes qui ne pouvaient se dissimuler à eux-mêmes ce
+qu'ils auraient fait dans pareille circonstance, s'étonnent de la
+générosité des Français. Cinquante mille armes ont été rendues, et cent
+pièces de canon sont remises au Retiro. Au reste les angoisses dans
+lesquelles les habitans de cette malheureuse ville ont vécu depuis
+quatre mois, ne peuvent se dépeindre. La junte était sans puissance; les
+hommes les plus ignorans et les plus forcenés exerçaient le pouvoir, et
+le peuple, à chaque instant, massacrait ou menaçait de la potence ses
+magistrats et ses généraux. Le général de brigade Maison a été blessé.
+Le général Bruyère, qui s'était avancé imprudemment dans le moment
+où l'on avait cessé le feu, a été tué. Douze soldats ont été tués,
+cinquante ont été blessés. Cette perte faible pour un événement aussi
+mémorable, est due au peu de troupes qu'on a engagées; on la doit aussi,
+il faut le dire, à l'extrême lâcheté de tout ce qui avait les armes à la
+main.
+
+L'artillerie a, à son ordinaire, rendu les plus grands services.
+
+Dix mille fuyards échappés de Burgos et de Somo-Sierra, et la deuxième
+division de l'armée de réserve se trouvaient, le 3, à trois lieues de
+Madrid; mais chargés par un piquet de dragons, ils se sont sauvés en
+abandonnant quarante pièces de canon et soixante caissons.
+
+Un trait mérite d'être cité:
+
+Un vieux général retiré du service et âgé de quatre-vingts ans, était
+dans sa maison à Madrid, près de la rue d'Alcala. Un officier français
+s'y loge avec sa troupe. Ce respectable vieillard paraît devant cet
+officier, tenant une jeune fille par la main et dit: Je suis un vieux
+soldat, voilà ma fille: je lui donne neuf cent mille livres de dot;
+sauvez lui l'honneur et soyez son époux. Le jeune officier prend le
+vieillard, sa famille et sa maison sous sa protection. Qu'ils
+sont coupables ceux qui exposent tant de citoyens paisibles, tant
+d'infortunés habitans d'une grande capitale à tant de malheurs!
+
+Le duc de Dantzick est arrivé le 3 à Ségovie. Le duc d'Istrie, avec
+quatre mille hommes de cavalerie, s'est mis à la poursuite de la
+division Pennas, qui s'étant échappée de la bataille de Tudela, s'était
+dirigée sur Guadalaxara.
+
+Florida Blanca et la junte s'étaient enfuis d'Aranjuez et s'étaient
+sauvés à Tolède; ils ne se sont pas crus en sûreté dans cette ville, et
+se sont réfugiés auprès des Anglais.
+
+La conduite des Anglais est honteuse. Dès le 20, ils étaient à
+l'Escurial au nombre de six mille, ils y ont passé quelques jours. Ils
+ne prétendaient pas moins que franchir les Pyrénées et venir sur la
+Garonne. Leurs troupes sont superbes et bien disciplinées. La confiance
+qu'elles avaient inspirée aux Espagnols est inconcevable; les uns
+espéraient que cette division irait à Somo-Sierra, les autres
+qu'elle viendrait défendre la capitale d'un allié si cher; mais tous
+connaissaient mal les Anglais. A peine eut-on avis que l'empereur était
+à Somo-Sierra, que les troupes anglaises battirent en retraite sur
+l'Escurial. De là, combinant leur marche avec la division de Salamanque,
+elles se dirigèrent sur la mer. Des armes, de la poudre, des habits, ils
+nous en ont donné, disait un Espagnol; mais leurs soldats ne sont venus
+que pour nous exciter, nous égarer et nous abandonner au milieu de la
+crise.--Mais, répondit un officier français, ignorez-vous donc les
+faits les plus récens de notre histoire? Qu'ont-ils donc fait pour le
+stathouder, pour la Sardaigne, pour l'Autriche? Qu'ont-ils fait plus
+récemment encore pour la Suède? Ils fomentent partout la guerre, ils
+distribuent des armes comme du poison, mais ils ne versent leur sang que
+pour leurs intérêts directs et personnels. N'attendez pas autre chose
+de leur égoïsme.--Cependant, répliqua l'Espagnol, leur cause était
+la nôtre. Quarante mille Anglais ajoutés à nos forces à Tudela et à
+Espinosa pouvaient balancer les destins et sauver le Portugal. Mais à
+présent que notre armée de Blake à la gauche, que celle du centre, que
+celle d'Aragon à la droite sont détruites, que les Espagnes sont presque
+conquises, et que la raison va achever de les soumettre, que deviendra
+le Portugal? Ce n'est pas à Lisbonne que les Anglais devaient le
+défendre, c'est à Espinosa, à Burgos, à Tudela, à Somo-Sierra et devant
+Madrid.
+
+
+
+Devant Madrid, le 3 décembre 1808.
+
+Nº 1. _A Monsieur le commandant de la ville de Madrid._
+
+Les circonstances de la guerre ayant conduit l'armée française aux
+portes de Madrid, et toutes les dispositions étant faites pour s'emparer
+de la ville de vive force, je crois convenable et conforme à l'usage
+de toutes les nations de vous sommer, monsieur le général, de ne pas
+exposer une ville aussi importante à toutes les horreurs d'un assaut, et
+rendre tant d'habitans paisibles victimes des maux de la guerre. Voulant
+ne rien épargner pour vous éclairer sur votre véritable situation,
+je vous envoie la présente sommation par l'un de vos officiers fait
+prisonnier et qui a été à portée de voir les moyens qu'a l'armée pour
+réduire la ville.
+
+Recevez, monsieur le général, etc.
+
+ALEXANDRE.
+
+
+
+No. 2. _A S.A.S. le prince de Neufchâtel._
+
+Monseigneur,
+
+Avant de répondre catégoriquement à V.A., je ne puis me dispenser de
+consulter les autorités constituées de cette ville et de connaître les
+dispositions du peuple en lui donnant avis des circonstances présentes.
+
+A ces fins, je supplie V.A. de m'accorder cette journée de suspension
+pour m'acquitter de ces obligations, vous promettant que demain, de
+bonne heure, ou même cette nuit, j'enverrai ma réponse à V.A. par un
+officier-général.
+
+Je prie V.A. d'agréer, etc.
+
+F. marquis de CASTELAR.
+
+
+
+Au camp impérial devant Madrid, le 4 décembre 1808, à onze heures du
+matin.
+
+Nº 3. _ Au général commandant Madrid._
+
+Monsieur le général Castelar, défendre Madrid est contraire aux
+principes de la guerre et inhumain pour les habitans. S.M. m'autorise
+à vous envoyer une seconde sommation. Une artillerie immense est en
+batterie; des mineurs sont prêts à faire sauter vos principaux édifices;
+des colonnes sont à l'entrée des débouchés de la ville, dont quelques
+compagnies de voltigeurs se sont rendues maîtresses. Mais l'empereur,
+toujours généreux dans le cours de ses victoires, suspend l'attaque
+jusqu'à deux heures. La ville de Madrid doit espérer protection et
+sûreté pour ses habitans paisibles, pour le culte, pour ses ministres,
+enfin l'oubli du passé. Arborez un pavillon blanc avant deux heures et
+envoyez des commissaires pour traiter de la reddition de la ville.
+
+Recevez, monsieur le général, etc.
+
+Le major-général,
+
+ALEXANDRE.
+
+
+
+Madrid, 7 décembre 1808.
+
+_Quinzième bulletin de l'armée d'Espagne._
+
+Sa Majesté a nommé le général d'artillerie Sénarmont général de
+division. Le major Ségur a été nommé adjudant-commandant. On avait
+désespéré de la vie de cet officier; mais il est aujourd'hui hors de
+danger.
+
+Le comte Krazinski, colonel des chevau-légers polonais, quoique malade,
+a toujours voulu charger à la tête de son corps.
+
+Les sieurs Balecki et Wolygurski, maréchaux-des-logis, et Surzieski,
+soldat des chevau-légers polonais qui ont pris des drapeaux à l'ennemi,
+ont été nommés membres de la légion-d'honneur.
+
+Sa Majesté a de plus accordé aux chevau-légers polonais huit décorations
+pour les officiers, et un pareil nombre pour les soldats.
+
+Le duc de l'Infantado a été une des premières causes des malheurs que
+son pays a éprouvés; il fut le principal instrument de l'Angleterre dans
+ses funestes projets contre l'Espagne; c'est lui qu'elle employa pour
+diviser le père et le fils, pour renverser du trône le roi Charles,
+dont l'attachement pour la France était connu; pour susciter des orages
+populaires contre le premier ministre de ce souverain; pour élever à
+la puissance suprême ce jeune prince, qui, dans son mariage avec une
+princesse de l'ancienne maison de Naples, avait puisé cette haine contre
+les Français dont cette maison ne s'est jamais départie. Ce fut le
+duc de l'Infantado qui joua le premier rôle dans la conspiration
+de l'Escurial, et c'est à lui que fut alors confié le pouvoir de
+généralissime des armées d'Espagne. On le vit ensuite prêter serment
+à Baïonne entre les mains du roi Joseph comme colonel des gardes
+espagnoles. De retour à Madrid, on le vit jeter le masque et se montrer
+ouvertement l'homme des Anglais. C'est chez lui que logeaient les
+ministres de l'Angleterre; c'est dans sa société que vivaient les
+agens accrédités ou secrets de cette puissance. Après avoir excité
+ses concitoyens à une résistance insensée, on l'a vu, aussi lâche que
+traître, s'enfuir de Madrid à Guadalaxara, sous le prétexte d'aller
+chercher du secours, se soustraire par cette ruse aux périls dans
+lesquels il avait entraîné ses concitoyens, et ne montrer quelque
+sollicitude que pour l'agent anglais, qu'il emmena dans sa propre
+voiture et auquel il servit d'escorte. Que lui vaudra cette conduite? Il
+perdra ses titres, il perdra ses biens, qu'on évalue à deux millions de
+rentes, et il ira chercher à Londres les mépris, les dédains et l'oubli
+dont l'Angleterre a toujours payé les hommes qui ont sacrifié leur
+honneur et leur patrie à l'injustice de sa cause.
+
+Aussitôt que le rapport du chef d'escadron comte Lubienski fut connu,
+le duc d'Istrie se mit en marche avec seize escadrons de cavalerie pour
+observer l'ennemi. Le duc de Bellune suivit avec l'infanterie. Le duc
+d'Istrie, arrivé à Guadalaxara, y trouva l'arrière-garde ennemie qui
+filait sur l'Andalousie, la culbuta et lui fit cinq cents prisonniers.
+Le général de division Ruffin et la brigade de dragons Bordesoult
+informés que des ennemis se dirigeaient sur Aranjuez, se sont portés
+sur ce point; l'ennemi en a été chassé, et ces troupes se sont mises
+aussitôt à la poursuite de tout ce qui fuit vers l'Andalousie.
+
+Le général de division Lahoussaye est entré le 5 à l'Escurial. Cinq à
+six cents paysans voulaient défendre le couvent, ils en ont été chassés
+de vive force.
+
+Chaque jour les restes de la stupeur dans laquelle étaient tombés les
+habitans de Madrid, se dissipent. Ceux qui avaient caché leurs meubles
+et leurs effets précieux les rapportent dans leurs maisons. Les
+boutiques se garnissent comme à l'ordinaire; les barricades et tous
+autres apprêts de défense ont disparu. L'occupation de Madrid s'est
+faite sans désordre, et la tranquillité règne dans toutes les parties de
+cette grande ville. Un fusilier de la garde ayant été trouvé saisi de
+plusieurs montres, et ayant été convaincu de les avoir volées, a été
+fusillé sur la principale place de Madrid.
+
+On a trouvé dans cette ville deux cents milliers de poudre, dix mille
+boulets, deux millions de plomb, cent pièces de canon de campagne et
+cent vingt mille fusils, la plupart anglais. Le désarmement continue
+sans aucune difficulté; tous les habitans s'y prêtent avec la meilleure
+volonté; ils reviennent avec empressement et de bonne foi à l'autorité
+royale qui les soustrait à la malfaisance de l'Angleterre, à la violence
+des factions et aux désordres des mouvemens populaires.
+
+Le roi d'Espagne a créé un régiment qui porte le nom de royal-étranger,
+et dans lequel sont admis les déserteurs et les Allemands qui étaient
+au service d'Espagne. Il a aussi formé un régiment suisse de Réding
+le jeune: cet officier s'étant comporté parfaitement et en véritable
+patriote suisse; bien différent en cela du général Réding; l'un a bien
+mérité de ses compatriotes, et obtiendra partout l'estime; l'autre,
+généralement méprisé, ira dans les tavernes de Londres jouir d'une
+centaine de livres sterling mal acquises et payées avec dédain; il sera
+émigré du continent. Les régimens royal-étranger et Réding le jeune ont
+déjà plusieurs milliers d'hommes.
+
+Le cinquième et le huitième corps de l'armée d'Espagne et trois
+divisions de cavalerie ne font que passer la Bidassoa; ils sont encore
+bien loin d'être en ligne, et cependant beaucoup de victoires ont déjà
+été obtenues, et la plus grande partie de la besogne est faite.
+
+
+
+Au camp impérial de Madrid, 7 décembre 1808.
+
+_Proclamation._
+
+Espagnols,
+
+Vous avez été égarés par des hommes perfides; ils vous ont engagés dans
+une lutte insensée, et vous ont fait courir aux armes. Est-il quelqu'un
+parmi vous qui, réfléchissant un moment sur tout ce qui s'est passé,
+ne soit aussitôt convaincu que vous avez été le jouet des perpétuels
+ennemis du continent qui se réjouissaient en voyant répandre le sang
+espagnol et le sang français? Quel pouvait être le résultat du succès
+même de quelques campagnes? Une guerre de terre sans fin et une longue
+incertitude sur le sort de vos propriétés et de votre existence. Dans
+peu de mois vous avez été livrés à toutes les angoisses des factions
+populaires. La défaite de vos armées a été l'affaire de quelques
+marches. Je suis entré dans Madrid: les droits de la guerre
+m'autorisaient à donner un grand exemple, et à laver dans le sang des
+outrages faits à moi et à ma nation: je n'ai écouté que la clémence.
+Quelques hommes, auteurs de tous vos maux, seront seuls frappés. Je
+chasserai bientôt de la Péninsule cette armée anglaise qui a été envoyée
+en Espagne non pour vous secourir, mais pour vous inspirer une fausse
+confiance et vous égarer.
+
+Je vous avais dit dans ma proclamation du 2 juin que je voulais être
+votre régénérateur. Aux droits qui m'ont été cédés par les princes de la
+dernière dynastie, vous avez voulu que j'ajoutasse le droit de conquête.
+Cela ne changera rien à mes dispositions. Je veux même louer ce qu'il
+peut y avoir eu de généreux dans vos efforts, je veux reconnaître
+que l'on vous a caché vos vrais intérêts, qu'on vous a dissimulé le
+véritable état des choses. Espagnols, votre destinée est entre vos
+mains. Rejetez les poisons que les Anglais ont répandus parmi vous; que
+votre roi soit certain de votre amour et de votre confiance, et vous
+serez plus puissans, plus heureux que vous n'avez jamais été. Tout ce
+qui s'opposait à votre prospérité et à votre grandeur, je l'ai détruit;
+les entraves qui pesaient sur le peuple, je les ai brisées; une
+constitution libérale vous donne, au lieu d'une monarchie absolue, une
+monarchie tempérée et constitutionnelle. Il dépend de vous que cette
+constitution soit encore votre loi.
+
+Mais si tous mes efforts sont inutiles, et si vous ne répondez pas à ma
+confiance, il ne me restera qu'à vous traiter en provinces conquises,
+et à placer mon frère sur un autre trône. Je mettrai alors la couronne
+d'Espagne sur ma tête et je saurai la faire respecter des méchans, car
+Dieu m'a donné la force et la volonté nécessaires pour surmonter tous
+les obstacles.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Au camp impérial de Madrid, 7 décembre 1808.
+
+_Circulaire aux archevêques, aux évêques et aux président des
+consistoires._
+
+M. l'évêque de......,
+
+Les victoires remportées par nos armes aux champs d'Espinosa, de Burgos,
+de Tudela et de Somo-Sierra, l'entrée de nos troupes dans la ville de
+Madrid, et le bonheur particulier que nous avons eu de sauver cette
+ville intacte des mains des brigands insurgés qui en tenaient tous les
+honnêtes habitans sous l'oppression, nous portent à vous écrire cette
+lettre. Nous désirons qu'aussitôt après sa réception, vous vous
+concertiez avec qui de droit, afin d'appeler nos peuples dans les
+églises, et de faire chanter un _Te Deum_ et telles autres prières que
+vous vous voudrez désigner, pour rendre grâce à Dieu d'avoir protégé
+nos armes et d'avoir confondu les ennemis de notre nation et de la
+tranquillité du continent, qui, réveillant sans cesse l'esprit de
+faction, cherchent à consolider leur monopole par les désordres publics
+et par le malheur des peuples.
+
+Sur ce, M. l'évêque d...., nous prions Dieu qu'il vous ait en sa sainte
+garde.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Madrid, le 8 décembre 1808.
+
+_Seizième bulletin de l'armée d'Espagne._
+
+Le duc de Montebello se loue beaucoup de la conduite du général de
+brigade Pouzet à la bataille de Tudela; du général de division Lefebvre,
+du général de brigade d'artillerie Couin, de son aide-de-camp Gueheneuc.
+Il fait une mention particulière des trois régimens de la Vistule. Le
+général de brigade Augereau, qui a chargé à la tête de la division
+Morlot, s'est fait remarquer. Messieurs Viry et Labédoyère ont pris une
+pièce de canon au milieu de la ligne ennemie. Le second a été légèrement
+blessé au bras.
+
+S. M. a nommé le colonel Pépin général de brigade, et le major polonais
+Kliki, colonel. Le colonel polonais Kasinowski, qui a été blessé, a été
+nommé membre de la légion-d'honneur.
+
+Le général de division Ruffin, ayant passé le Tage à Aranjuez,
+s'est porté sur Orcanna et a coupé le chemin aux débris de l'armée
+d'Andalousie qui voulaient se retirer en Andalousie et qui se sont jetés
+sur Cuença.
+
+Les divisions de cavalerie des généraux Lasalle et Milhaud se sont
+dirigées sur le Portugal par Talavera de la Reina.
+
+Le duc de Dantzick arrive aujourd'hui à Madrid avec son corps d'armée.
+
+Le maréchal Ney, avec son corps d'armée, est arrivé à Guadalaxara venant
+de Sarragosse.
+
+S. M. voulant épargner aux honnêtes habitans de cette ville les horreurs
+d'un assaut, n'a pas voulu qu'on attaquât Sarragosse jusqu'au moment
+où la nouvelle des événemens de Madrid et de la dispersion des armées
+espagnoles y serait connue. Cependant si cette ville s'obstinait dans sa
+résistance, les mines et les bombes en feraient raison.
+
+Le huitième corps est entré en Espagne. Le général Delaborde va porter
+son quartier-général à Vittoria.
+
+La division polonaise du générai Valence arrive aujourd'hui à Buitrago.
+
+Les Anglais sont en retraite de tous côtés. La division Lasalle a
+cependant rencontré seize hommes qu'elle a sabrés; c'était des traîneurs
+ou des hommes qui s'étaient égarés.
+
+Le maréchal Mortier arrivera le 16 en Catalogne, pour tourner l'armée
+ennemie et faire sa jonction avec les généraux Duhesnie et Saint-Cyr.
+
+Le 23 novembre, la brèche du château de la Trinité de la ville de Roses
+était au moment de se trouver praticable. Le même jour, les Anglais ont
+débarqué quatre cents hommes au pied du château. Un bataillon italien a
+marché sur eux, leur a tué dix hommes, en a blessé davantage et a jeté
+le reste dans la mer.
+
+On a remarqué une trentaine de barques qui sortaient du port de Roses,
+ce qui porte à penser que les habitans commencent à évacuer la ville.
+
+Le 24, l'avant-garde ennemie, campée sur la Fluvia, forte de cinq à
+six mille hommes, et commandée par le général Alvarès, est venue en
+plusieurs colonnes attaquer les points de Navata, Puntos, Armodas et
+Garrigas, occupés par la division du général Souham. Le premier régiment
+d'infanterie légère et le quatrième bataillon de la troisième légère ont
+soutenu seuls l'effort de l'ennemi et l'ont ensuite repoussé.
+
+L'ennemi a été rejeté au-delà de la Fluvia, avec une perte considérable
+en tués et blessés. On a fait des prisonniers, parmi lesquels se
+trouvent le colonel Lebrun, commandant en second de l'expédition, et
+colonel du régiment de Tarragone, le major et un capitaine du même
+régiment.
+
+
+
+Madrid, le 10 décembre 1808.
+
+_Dix-septième bulletin de l'armée d'Espagne._
+
+S. M. a passé hier, au Prado, la revue du corps du maréchal duc de
+Dantzick, arrivé avant-hier à Madrid; elle a témoigné sa satisfaction à
+ces braves troupes.
+
+Elle a passé aujourd'hui la revue des troupes de la confédération du
+Rhin, formant la division commandée par le général Leval. Les
+régimens de Nassau et de Bade se sont bien comportés. Le régiment de
+Hesse-Darmstadt n'a pas soutenu la réputation des troupes de ce pays et
+n'a pas répondu à l'opinion qu'elles avaient donnée d'elles dans les
+campagnes de Pologne. Le colonel et le major paraissent être des hommes
+médiocres.
+
+Le duc d'Istrie est parti le 6 de Guadalaxara; il a fait battre toute la
+route de Sarragosse et de Valence, a fait cinq cents prisonniers et a
+pris beaucoup de bagages. Au Bastan, un bataillon de cinq cents hommes,
+cerné par la cavalerie, a été écharpé.
+
+L'armée ennemie, battue à Tudela, à Catalayud, abandonnée par ses
+généraux, par une partie de ses officiers et par un grand nombre de
+soldats, était réduite à six mille hommes.
+
+Le 8, à minuit, le duc d'Istrie fit attaquer par le général Montbrun à
+Santa-Cruz un corps qui protégeait la fuite de l'armée ennemie. Ce corps
+fut poursuivi l'épée dans les reins, et on lui fit mille prisonniers. Il
+voulut se jeter dans l'Andalousie par Madridego. Il paraît qu'il a été
+forcé de se disperser dans les montagnes de Cuença.
+
+
+
+Madrid, 12 décembre 1808.
+
+_Dix-huitième bulletin de l'armée d'Espagne._
+
+La junte centrale d'Espagne avait peu de pouvoir. La plupart des
+provinces lui répondaient à peine; toutes lui avaient arraché
+l'administration des finances. Elle était influencée par la dernière
+classe du peuple; elle était gouvernée par la minorité; Florida-Blanca
+était sans aucun crédit. La junte était soumise à la volonté de deux
+hommes, l'un nommé Lorenzo-Calvo, marchand épicier de Sarragosse, qui
+avait gagné en peu de mois le titre d'excellence; c'était un de ces
+hommes violens qui paraissent dans les révolutions; sa probité était
+plus que suspecte; l'autre était un nommé Tilly, condamné autrefois aux
+galères comme voleur, frère cadet du nommé Gusman, qui a joué un rôle
+sous Robespierre dans le temps de la terreur, et bien digne d'avoir eu
+pour frère ce misérable. Aussitôt que quelque membre de la junte voulait
+s'opposer à des mesures violentes, ces deux hommes criaient à la
+trahison: un rassemblement se formait sous les fenêtres d'Aranjuez, et
+tout le monde signait. L'extravagance et la méchanceté de ces meneurs
+se manifestaient de toutes les manières. Aussitôt qu'ils apprirent
+que l'empereur était à Burgos et que bientôt il serait à Madrid, ils
+poussèrent le délire jusqu'à faire contre la France une déclaration de
+guerre remplie d'injures et de traits de folie.
+
+Ce que les honnêtes gens ont à en souffrir de la dernière classe du
+peuple se concevrait à peine, si chaque nation ne trouvait dans ses
+annales le souvenir de crises semblables.
+
+Récemment encore trois respectables habitans de Tolède ont été égorgés.
+
+Lorsque le 11, le général de division Lasalle, poursuivant l'ennemi, est
+arrivé à Talavera de la Reyna, où les Anglais étaient passés en triomphe
+dix jours auparavant, en annonçant qu'ils allaient secourir la capitale,
+un spectacle affreux s'est offert aux yeux des Français: un cadavre
+revêtu de l'uniforme de général espagnol, était suspendu a une potence
+et percé de mille coups de fusil: c'était le général Bénito San Juan,
+que ses soldats, dans le désordre de leur terreur panique, et pour
+donner un prétexte à leur lâcheté, avaient aussi indignement sacrifié.
+
+Ils n'ont repris haleine à Talavera, que pour torturer leur infortuné
+général, qui pendant tout un jour, a été le but de leur barbarie et de
+leur adresse atroce.
+
+Talavera de la Reyna est une ville considérable, située sur la belle
+vallée du Tage et dans un pays très-fertile.
+
+Les évêques de Léon et d'Astorga, et un grand nombre d'ecclésiastiques,
+se sont distingués par leur bonne conduite et par l'exemple des vertus
+apostoliques.
+
+Le pardon général accordé par l'empereur et les dispositions qui
+marquent l'établissement de la nouvelle dynastie par l'anéantissement
+des maisons des principaux coupables, ont produit un grand effet. La
+destruction de droits odieux au peuple et contraires à la prospérité de
+l'état, et la mesure qui ne laisse plus à la classe nombreuse des moines
+aucune incertitude sur son sort, ont un bon résultat.
+
+L'animadversion générale se dirige contre les Anglais. Les paysans
+disent dans leur langage, qu'à l'approche des Français, les Anglais sont
+allés monter sur leurs chevaux de bois.
+
+S. M. a passé hier la revue de plusieurs corps de cavalerie. Elle
+a nommé commandant de la Légion d'Honneur, le colonel des lanciers
+polonais Konopka. Le corps que cet officier commande s'est couvert de
+gloire dans toutes les occasions.
+
+S. M. a témoigné sa satisfaction à la brigade Dijon, pour sa bonne
+conduite à la bataille de Tudela.
+
+
+
+Madrid, 13 décembre 1808.
+
+_Dix-neuvième bulletin de l'armée d'Espagne._
+
+La place de Roses s'est rendue le 6; deux mille hommes ont été faits
+prisonniers. On a trouvé dans la place une artillerie considérable; six
+vaisseaux de ligne anglais qui étaient mouillés sur la rade, n'ont pu
+recevoir la garnison à leur bord. Le général Gouvion-Saint-Cyr se loue
+beaucoup du général de division Pino. Les troupes du royaume d'Italie se
+sont distinguées pendant le siège.
+
+L'empereur a passé aujourd'hui en revue, au-delà du pont de Ségovie,
+toutes les troupes réunies du corps du maréchal duc de Dantzick.
+
+La division du général Sébastiani s'est mise en marche pour Talavera de
+la Reyna.
+
+La division polonaise du général Valence est fort belle.
+
+La dissolution des troupes espagnoles continue de tous côtés; les
+nouvelles levées qu'on était occupé à faire, se dispersent de toutes
+parts et retournent dans leurs foyers.
+
+Les détails que l'on recueille de la bouche des Espagnols, sur la junte
+centrale, tendent tous à la couvrir de ridicule. Cette assemblée était
+devenue l'objet du mépris de toute l'Espagne. Ses membres, au nombre
+de trente-six, s'étaient attribué eux-mêmes des titres, des cordons de
+toute espèce, et soixante mille livres de traitement. Florida-Blanca
+était un véritable mannequin. Il rougit à présent du déshonneur qu'il
+a répandu sur sa vieillesse. Ainsi que cela arrive toujours dans de
+pareilles assemblées, deux ou trois hommes dominaient tous les autres,
+et ces deux ou trois misérables étaient aux gages de l'Angleterre.
+L'opinion de la ville de Madrid est très-prononcée à l'égard de cette
+junte, qui est vouée au ridicule et au mépris, ainsi qu'à la haine de
+tous les habitans de la capitale.
+
+La bourgeoisie, le clergé, la noblesse, convoqués par le corregidor, se
+sont assemblés deux fois.
+
+L'esprit de la capitale est fort différent de ce qu'il était avant le
+départ des Français. Pendant le temps qui s'est écoulé depuis cette
+époque, cette ville a éprouvé tous les maux qui résultent de l'absence
+du gouvernement. Sa propre expérience lui a inspiré le dégoût des
+révolutions; elle a resserré les liens qui l'attachaient au roi. Pendant
+les scènes de désordre qui ont agité l'Espagne, les voeux et les regards
+des hommes sages se tournaient vers leur souverain.
+
+Jamais on n'a vu dans ce pays un aussi beau mois de décembre; on se
+croirait au commencement du printemps. L'empereur profite de ce temps
+magnifique pour rester à la campagne à une lieue de Madrid.
+
+
+
+Paris, le 14 décembre 1808.
+
+_Note extraite du Moniteur._
+
+Plusieurs de nos journaux ont imprimé que S. M. l'impératrice, dans sa
+réponse à la députation du corps législatif, avait dit qu'elle était
+bien aise de voir que le premier sentiment de l'empereur avait été pour
+le corps législatif qui représente la nation.
+
+S. M. l'impératrice n'a point dit cela; elle connaît trop bien nos
+constitutions; elle sait trop bien que le premier représentant de la
+nation, c'est l'empereur; car tout pouvoir vient de Dieu et de la
+nation.
+
+Dans l'ordre de nos constitutions, après l'empereur, est le sénat; après
+le sénat, est le conseil d'état; après le conseil d'état, est le corps
+législatif; après le corps législatif, viennent chaque tribunal et
+fonctionnaire public dans l'ordre de ses attributions; car, s'il y avait
+dans nos constitutions un corps représentant la nation, ce corps serait
+souverain; les autres corps ne seraient rien, et ses volontés seraient
+tout.
+
+La convention, même le corps législatif, ont été représentans. Telles
+étaient nos constitutions alors. Aussi le président disputa-t-il
+le fauteuil au roi, se fondant sur le principe que le président de
+l'assemblée de la nation, était avant les autorités de la nation. Nos
+malheurs sont venus en partie de cette exagération d'idées. Ce serait
+une prétention chimérique et même criminelle, que de vouloir représenter
+la nation avant l'empereur.
+
+Le corps législatif, improprement appelé de ce nom, devrait être appelé
+conseil législatif, puisqu'il n'a pas la faculté de faire des lois, n'en
+ayant pas la proposition. Le conseil législatif est donc la réunion
+des mandataires des collèges électoraux. Ou les appelle députés des
+départemens, parce qu'ils sont nommés par les départemens.
+
+Dans l'ordre de notre hiérarchie constitutionnelle, le premier
+représentant de la nation, c'est l'empereur, et ses ministres, organes
+de ses décisions; la seconde autorité représentante, est le sénat;
+la troisième, le conseil d'état qui a de véritables attributions
+législatives; le conseil législatif a le quatrième rang.
+
+Tout rentrerait dans le désordre, si d'autres idées constitutionnelles
+venaient pervertir les idées de nos constitutions monarchiques.
+
+
+
+Madrid, 15 décembre 1808.
+
+_Réponse de l'empereur à une députation de la ville de Madrid._
+
+J'agrée les sentimens de la ville de Madrid. Je regrette le mal qu'elle
+a essuyé, et je tiens à bonheur particulier d'avoir pu, dans ces
+circonstances, le sauver et lui épargner de plus grands maux.
+
+Je me suis empressé de prendre des mesures qui tranquillisent toutes les
+classes des citoyens, sachant combien l'incertitude est pénible pour
+tous les peuples et pour tous les hommes.
+
+J'ai conservé les ordres religieux en restreignant le nombre des moines.
+Il n'est pas un homme sensé qui ne jugeât qu'ils étaient trop nombreux.
+Ceux qui sont appelés par une vocation qui vient de Dieu, resteront
+dans leur couvens. Quant à ceux dont la vocation était peu solide et
+déterminée par des considérations mondaines, j'ai assuré leur existence
+dans l'ordre des ecclésiastiques séculiers. Du surplus des biens des
+couvens, j'ai pourvu aux besoins des curés, de cette classe la plus
+intéressante et la plus utile parmi le clergé.
+
+J'ai aboli ce tribunal contre lequel le siècle et l'Europe réclamaient.
+Les prêtres doivent guider les consciences, mais ne doivent exercer
+aucune juridiction extérieure et corporelle sur les citoyens.
+
+J'ai satisfait à ce que je devais à moi et à ma nation; la part de la
+vengeance est faite; elle est tombée sur dix des principaux coupables;
+le pardon est entier et absolu pour tous les autres.
+
+J'ai supprimé des droits usurpés par les seigneurs, dans le temps des
+guerres civiles, où les rois ont trop souvent été obligés d'abandonner
+leurs droits, pour acheter leur tranquillité et le repos des peuples.
+
+J'ai supprimé les droits féodaux, et chacun pourra établir des
+hôtelleries, des fours, des moulins, des madragues, des pêcheries et
+donner un libre essor à son industrie, en observant les lois et les
+réglemens de la police. L'égoïsme, la richesse et la prospérité d'un
+petit nombre d'hommes nuisaient plus à votre agriculture que les
+chaleurs de la canicule.
+
+Comme il n'y a qu'un Dieu, il ne doit y avoir dans un état qu'une
+justice. Toutes les justices particulières avaient été usurpées et
+étaient contraires aux droits de la nation. Je les ai détruites.
+
+J'ai aussi fait connaître à chacun ce qu'il pouvait avoir à craindre, ce
+qu'il pouvait espérer.
+
+Les armées anglaises, je les chasserai de la Péninsule.
+
+Sarragosse, Valence, Séville seront soumises ou par la persuasion, ou
+parla force de mes armes.
+
+Il n'est aucun obstacle capable de retarder long-temps l'exécution de
+mes volontés.
+
+Mais ce qui est au-dessus de mon pouvoir,, c'est de constituer les
+Espagnols en nation sous les ordres du roi, s'ils continuent à être
+imbus des principes de scission et de haine envers la France, que les
+partisans des Anglais et les ennemis du continent ont répandus au sein
+de l'Espagne. Je ne puis établir une nation, un roi et l'indépendance
+des Espagnols, si ce roi n'est pas sûr de leur affection et de leur
+fidélité.
+
+Les Bourbons ne peuvent plus régner en Europe. Les divisions dans la
+famille royale avaient été tramées par les Anglais. Ce n'était pas le
+roi Charles et le favori, que le duc de l'Infantado, instrument de
+l'Angleterre, comme le prouvent les papiers récemment trouvés dans
+sa maison, voulait renverser du trône, c'était la prépondérance de
+l'Angleterre qu'on voulait établir en Espagne; projet insensé, dont le
+résultat aurait été une guerre de terre sans fin, et qui aurait fait
+couler des flots de sang. Aucune puissance ne peut exister sur le
+continent, influencée par l'Angleterre. S'il en est qui le désirent,
+leur désir est insensé et produira tôt ou tard leur ruine.
+
+Il me serait facile, et je serais obligé de gouverner l'Espagne en y
+établissant autant de vice-rois qu'il y a de provinces. Cependant, je ne
+me refuse point de céder mes droits de conquête au roi, et à l'établir
+dans Madrid, lorsque les trente mille citoyens que renferme cette
+capitale, ecclésiastiques, nobles, négocians, hommes de loi, auront
+manifesté leurs sentimens et leur fidélité, donné l'exemple aux
+provinces, éclairé le peuple et fait connaître à la nation, que son
+existence et son bonheur dépendent d'un roi et d'une constitution
+libérale, favorable au peuple et contraire seulement à l'égoïsme et aux
+passions orgueilleuses des grands.
+
+Si tels sont les sentimens des habitans de la ville de Madrid, que ces
+trente mille citoyens se rassemblent dans les églises, qu'ils prêtent,
+devant le Saint-Sacrement, un serment qui sorte non-seulement de la
+bouche, mais du coeur, et qui soit sans restriction jésuitique; qu'ils
+jurent appui, amour et fidélité au roi; que les prêtres au confessionnal
+et dans la chaire, les négocians dans leur correspondance, les hommes
+de loi dans leurs écrits et leurs discours, inculquent ces sentimens au
+peuple; alors je me dessaisirai du droit, de conquête, je placerai le
+roi sur le trône, et je me ferai une douce tâche de me conduire envers
+les Espagnols en ami fidèle. La génération pourra varier dans ses
+opinions; trop de passions ont été mises en jeu; mais vos neveux me
+béniront comme votre régénérateur; ils placeront au nombre des jours
+mémorables, ceux où j'ai paru parmi vous; et, de ces jours, datera la
+prospérité de l'Espagne.
+
+Voilà, M. le corregidor, ma pensée tout entière. Consultez vos
+concitoyens et voyez le parti que vous avez à prendre; mais quel qu'il
+soit, prenez-le franchement et ne me montrez que des dispositions
+vraies.
+
+
+
+Valderad, 28 décembre 1808.
+
+_Vingt-unième bulletin de l'armée d'Espagne._
+
+Les Anglais sont entrés en Espagne le 29 octobre.
+
+Ils ont vu dans les mois de novembre et de décembre, détruire l'armée de
+Galice à Espinosa, celle d'Estramadure à Burgos, celle d'Aragon et de
+Valence à Tudela, celle de réserve à Somo-Sierra; enfin, ils ont vu
+prendre Madrid, sans faire aucun mouvement et sans secourir aucune des
+armées espagnoles, pour lesquelles une division de troupes anglaises eût
+été cependant un secours considérable.
+
+Dans les premiers jours du mois de décembre, on apprit que les colonnes
+de l'armée anglaise étaient en retraite, et se dirigeaient vers la
+Corogne, où elles devaient se rembarquer. De nouvelles informations
+firent ensuite connaître qu'elles s'étaient arrêtées, et que le 16 elles
+étaient parties de Salamanque, pour entrer en campagne. Dès le 15, la
+cavalerie légère avait paru à Valladolid. Toute l'armée anglaise passa
+le Duero, et arriva le 23 devant le duc de Dalmatie à Saldagua.
+
+Aussitôt que l'empereur fut instruit à Madrid de cette résolution
+inespérée des Anglais, il marcha pour leur couper la retraite et se
+porter sur leurs derrières; mais quelque diligence que fissent les
+troupes françaises, le passage de la montagne de Guadarama, qui était
+couverte de neige, les pluies continuelles et le débordement des
+torrens, retardèrent leur marche de deux jours.
+
+Le 22, l'empereur était parti de Madrid; son quartier-général était le
+23 à Villa-Castin, le 25 à Tordesillas, et le 27 a Médina del Rio-Secco.
+
+Le 21, à la pointe du jour, l'ennemi s'était mis en marche pour déborder
+la gauche du duc de Dalmatie; mais dans la matinée ayant appris le
+mouvement qui se faisait de Madrid, il se mit sur-le-champ en retraite,
+abandonnant ceux de ses partisans du pays dont il avait réveillé
+les passions, les restes de l'armée de Galice, qui avaient conçu de
+nouvelles espérances, une partie de ses hôpitaux et de ses bagages, et
+un grand nombre de traînards. Cette armée a été dans un péril imminent;
+douze heures de différence, elle était perdue pour l'Angleterre.
+
+Elle a commis beaucoup de ravages, résultat inévitable des marches
+forcées de troupes en retraite; elle a enlevé les couvertures, les
+mules, les mulets et beaucoup d'autres effets; elle a pillé un grand
+nombre d'églises et de couvens. L'abbaye de Sahagun, qui contenait
+soixante religieux et qui avait toujours été respectée par l'armée
+française, a été ravagée par les Anglais; partout les moines et les
+prêtres ont fui à leur approche. Ces désordres ont exaspéré le pays
+contre les Anglais: la différence de la langue, des moeurs et de la
+religion, n'a pas peu contribué à cette disposition des esprits; ils
+reprochent aux Espagnols de n'avoir plus d'armée à joindre à la leur, et
+d'avoir trompé le gouvernement anglais; les Espagnols leur répondent,
+que l'Espagne a eu des armées nombreuses, mais que les Anglais les ont
+laissé détruire sans faire aucun effort pour les secourir.
+
+Dans les quinze jours qui viennent de s'écouler, on n'a pas tiré un coup
+de fusil; la cavalerie légère a seulement donné quelques coups de sabre.
+
+Le général Durosnel, avec quatre cents chevau-légers de la garde, donna,
+à la nuit tombante, dans une colonne d'infanterie anglaise, en marche,
+sabra un grand nombre d'hommes, et jeta le désordre dans la colonne.
+
+Le général Lefebvre-Desnouettes, colonel des chasseurs de la garde,
+détaché depuis deux jours du quartier-général, avec trois escadrons de
+son régiment, ayant pris beaucoup de bagages, de femmes, de traînards,
+et trouvant le pont de l'Ezla coupé, crut la ville de Bénavente évacuée;
+emporté par cette ardeur qu'on a si souvent reprochée au soldat
+français, il passa la rivière à la nage pour se porter sur Bénavente,
+où il trouva toute la cavalerie de l'arrière-garde anglaise; alors
+s'engagea un long combat de quatre cents hommes contre deux mille. Il
+fallut enfin céder au nombre; ces braves repassèrent la rivière; une
+balle tua le cheval du général Lefebvre-Desnouettes, qui avait été
+blessé d'un coup de pistolet, et qui resté à pied, fut fait prisonnier.
+Dix de ses chasseurs, qui étaient aussi démontés, ont également été
+pris, cinq se sont noyés, vingt ont été blessés. Cette échauffourée a
+dû convaincre les Anglais de ce qu'ils auraient à redouter de pareilles
+gens dans une affaire générale. Le général Lefebvre a sans doute fait
+une faute, mais cette faute est d'un Français: il doit être à la fois
+blâmé et récompensé.
+
+Le nombre des prisonniers qu'on a faits à l'ennemi jusqu'à cette heure,
+et qui sont la plupart des hommes isolés et des traînards, s'élève à
+trois cents.
+
+Le 28, le quartier-général de l'empereur était à Valderas;
+
+Celui du duc de Dalmatie, à Mancilla;
+
+Celui du duc d'Elchingen, à Villafer.
+
+En partant de Madrid, l'empereur avait nommé le roi Joseph, son
+lieutenant-général commandant la garnison de la capitale; les corps des
+ducs de Dantzick et de Bellune, et les divisions de cavalerie Lasalle,
+Milhaud, et Latour-Maubourg, avaient été laissés pour la protection du
+centre.
+
+Le temps est extrêmement mauvais. A un froid vif, ont succédé des pluies
+abondantes. Nous souffrons, mais les Anglais doivent bien souffrir
+davantage.
+
+
+
+Benavente, le 31 décembre 1808.
+
+_Vingt-deuxième bulletin de l'armée d'Espagne._
+
+Dans la journée du 30, la cavalerie, commandée par le duc d'Istrie, a
+passé l'Ezla. Le 30 au soir, elle a traversé Benavente et a poursuivi
+l'ennemi jusqu'à Puente de la Velana.
+
+Le même jour, le quartier-général a été établi à Benavente.
+
+Les Anglais ne se sont pas contentés de couper une arche du pont de
+l'Ezla, ils ont aussi fait sauter les piles avec des mines, dégât
+inutile, qui est très-nuisible au pays. Ils se sont livrés partout au
+plus affreux pillage. Les soldats, dans l'excès de leur perpétuelle
+intempérance, se sont portés à tous les désordres d'une ivresse brutale.
+Tout enfin, dans leur conduite, annonçait plutôt une armée ennemie
+qu'une armée qui venait secourir un peuple ami. Le mépris que les
+Anglais témoignaient pour les Espagnols, a rendu plus profonde encore
+l'impression causée par tant d'outrages. Cette expérience est un utile
+calmant pour les insurrections suscitées par les étrangers. On ne
+peut que regretter que les Anglais n'aient pas envoyé une armée en
+Andalousie. Celle qui a traversé Benavente, il y a dix jours, triomphait
+en espérance et couvrait déjà ses drapeaux de trophées; rien n'égalait
+la sécurité et l'audace qu'elle faisait paraître. A son retour, son
+attitude était bien changée; elle était harassée de fatigues et
+paraissait accablée de la honte de fuir sans avoir combattu. Pour
+prévenir les justes reproches des Espagnols, les Anglais répétaient sans
+cesse qu'on leur avait promis de joindre des forces nombreuses à leur
+armée; et les Espagnols repoussaient encore cette calomnieuse assertion
+par des raisons auxquelles il n'y avait rien à répondre.
+
+Lorsqu'il y a dix jours les Anglais traversaient le pays, ils savaient
+bien que les armées espagnoles étaient détruites. Les commissaires
+qu'ils avaient entretenus aux armées de la gauche, du centre et de la
+droite, n'ignoraient pas que ce n'était point cinquante mille hommes,
+mais cent quatre-vingt mille, que les Espagnols avaient mis sous les
+armes; que ces cent quatre-vingt mille hommes s'étaient battus, tandis
+que pendant six semaines les Anglais avaient été spectateurs indifférens
+de leurs combats. Ces commissaires n'avaient pas laissé ignorer que les
+armées espagnoles avaient cessé d'exister. Les Anglais savaient donc
+que les Espagnol étaient sans armées, lorsqu'il y a dix jours ils
+se portèrent en avant, enivrés de la folle espérance de tromper la
+vigilance du général français, et donnant dans le piège qu'il-leur avait
+tendu pour les attirer en rase campagne. Ils avaient fait auparavant
+quelques marches pour retourner à leurs vaisseaux.
+
+Vous deviez, ajoutaient les Espagnols, persister dans cette résolution
+prudente, ou bien il fallait être assez forts pour balancer les destins
+des Français. Il ne fallait pas surtout avancer d'abord avec tant de
+confiance pour reculer ensuite avec tant de précipitation; il ne fallait
+pas attirer chez nous le théâtre de la guerre, et nous exposer aux
+ravages de deux armées; après avoir appelé sur nos têtes tant de
+désastres, il ne faut pas en jeter la faute sur nous.
+
+Nous n'avons pu résister aux armes françaises, vous ne pouvez pas leur
+résister davantage; cessez donc de nous accuser, de nous outrager: tous
+nos malheurs viennent de vous.
+
+Les Anglais avaient répandu dans le pays qu'ils avaient battu cinq mille
+hommes de cavalerie française sur les bords de l'Ezla, et que le champ
+de bataille était couvert de morts. Les habitans de Benavente ont été
+fort surpris, lorsque visitant le champ de bataille, ils n'y ont trouvé
+que trois Anglais et deux Français. Ce combat de quatre cents hommes
+contre deux mille, fait beaucoup d'honneur aux Français. Les eaux de la
+rivière avaient augmenté pendant toute la journée du 29, de sorte qu'à
+la fin du jour le gué n'était plus praticable. C'est au milieu de la
+rivière, et dans le temps où il était prêt à se noyer, que le général
+Lefebvre-Desnouettes ayant été porté par le courant sur la rive occupée
+par les Anglais, a été fait prisonnier. La perte des ennemis en tués
+et en blessés dans cette affaire d'avant-postes, a été beaucoup plus
+considérable que celle des Français. La fuite des Anglais a été si
+précipitée, qu'ils ont laissé à l'hôpital leurs malades et leurs
+blessés, et qu'ils ont été obligés de brûler un superbe magasin de
+tentes et d'effets d'habillemens. Ils ont tué tous les chevaux blessés
+ou fatigués qui les embarrassaient. On ne saurait croire combien ce
+spectacle, si contraire à nos moeurs, de plusieurs centaines de chevaux
+tués à coups de pistolet, indigne les Espagnols; plusieurs y voient une
+sorte de sacrifice, un usage religieux, et cela leur fait naître des
+idées bizarres sur la religion anglicane.
+
+Les Anglais se retirent eu toute hâte. Tous les Allemands à leur service
+désertent. Notre armée sera ce soir à Astorga et près des confins de la
+Galice.
+
+
+
+Benavente, 1er janvier 1809.
+
+_Vingt troisième bulletin de l'armée d'Espagne._
+
+Le duc de Dalmatie arriva le 30 à Mancilla où était la gauche des
+ennemis, occupée par les Espagnols du général la Romana. Le général
+Franceschi les culbuta d'une seule charge, leur tua beaucoup de
+monde, leur prit deux drapeaux, fit prisonniers un colonel, deux
+lieutenans-colonels, cinquante officiers et quinze cents soldats.
+
+Le 31, le duc de Dalmatie entra à Léon; il y trouva deux mille malades.
+La Romana avait succédé dans le commandement à Blake, après la bataille
+d'Espinosa. Les restes de cette armée qui, devant Bilbao, était de
+plus de cinquante mille hommes, formaient à peine cinq mille hommes
+à Mancilla. Ces malheureux, sans vêtemens, accablés par la misère,
+remplissent les hôpitaux.
+
+Les Anglais sont en horreur à ces troupes qu'ils méprisent, aux citoyens
+paisibles qu'ils maltraitent et dont ils dévorent la subsistance pour
+faire vivre leur armée. L'esprit des habitans du royaume de Léon est
+bien changé; ils demandent à grands cris et la paix et leur roi; ils
+maudissent les Anglais et leurs insinuations fallacieuses; ils leur
+reprochent d'avoir fait verser le sang espagnol pour nourrir le monopole
+anglais et perpétuer la guerre du continent. La perfidie de l'Angleterre
+et ses motifs sont maintenant à la portée de tout le monde et
+n'échappent pas même à la pénétration du dernier des habitans des
+campagnes. Ils savent ce qu'ils souffrent, et les auteurs de leurs maux
+étaient sous leurs yeux.
+
+Cependant les Anglais fuient en toute hâte, poursuivis par le duc
+d'Istrie avec neuf mille hommes de cavalerie. Dans les magasins qu'ils
+ont brûlés à Bénavente, se trouvaient, indépendamment des tentes, quatre
+mille couvertures et une grande quantité de rhum. On a ramassé plus de
+deux cents chariots de bagages et de munitions de guerre abandonnés sur
+la route de Bénavente à Astorga. Les débris de la division la Romana se
+sont jetés sur cette dernière ville et ont encore augmenté la confusion.
+
+Les événement de l'expédition de l'Angleterre en Espagne fourniront le
+sujet d'un beau discours d'ouverture du parlement. Il faudra annoncer à
+la nation anglaise qui son armée est restée trois mois dans l'inaction,
+tandis qu'elle pouvait secourir les Espagnols; que ses chefs, ou ceux
+dont elle exécutait les ordres, ont eu l'extrême ineptie de la porter en
+avant lorsque les armées espagnoles étaient détruites; qu'enfin elle a
+commencé l'année, fuyant l'épée dans les reins, poursuivie par l'ennemi
+qu'elle n'a pas osé combattre, et par les malédictions de ceux qu'elle
+avait excités, fit qu'elle aurait dû défendre: de telles entreprises et
+de semblables résultats ne peuvent appartenir qu'à un pays qui n'a pas
+de gouvernement. Fox, ou même Pitt, n'auraient pas commis de telles
+fautes. S'engager dans une lutte de terre contre la France qui a cent
+mille hommes de cavalerie, cinquante mille chevaux d'équipages et neuf
+cent mille hommes d'infanterie; c'est, pour l'Angleterre, pousser la
+folie jusqu'à ses derniers excès; c'est être avide de honte, c'est enfin
+diriger les affaires de la Grande-Bretagne comme pouvait le désirer le
+cabinet des Tuileries. Il fallait bien peu connaître l'Espagne pour
+attacher quelque importance à des mouvemens populaires, et pour espérer
+qu'en y soufflant le feu de la sédition, cet incendie aurait quelques
+résultats et quelque durée. Il ne faut que quelques prêtres fanatiques
+pour composer et répandre des libelles, pour porter un désordre
+momentané dans les esprits; mais il faut autre chose pour constituer une
+nation en armes. Lors de la révolution de France il fallut trois années
+et le régime de la convention pour préparer des succès militaires; et
+qui ne sait encore à quelles chances la France fut exposée? Cependant
+elle était excitée, soutenue par la volonté unanime de recouvrer les
+droits qui lui avaient été ravis dans des temps d'obscurité. En Espagne,
+c'étaient quelques hommes qui soulevaient le peuple pour conserver la
+possession exclusive de droits odieux au peuple. Ceux qui se battaient
+pour l'inquisition, les Franciscains et les droits féodaux, pouvaient
+être animés d'un zèle ardent pour leurs intérêts personnels, mais ne
+pouvaient inspirer à toute une nation une volonté ferme et des sentimens
+durables. Malgré les Anglais, les droits féodaux, les Franciscains et
+l'inquisition n'existent plus en Espagne.
+
+Après la prise de Roses, le général Gouvion-Saint-Cyr s'est dirigé sur
+Barcelonne avec le septième coups; il a dispersé tout ce qui se trouvait
+aux environs de cette place, et il a fait sa jonction avec le général
+Duhesme. Cette réunion a porté son armée à quarante mille hommes.
+
+Les ducs de Trévise et d'Abrantès ont enlevé tous les ouvrages avancés
+de Sarragosse. Le général du génie Lacoste prépare ses moyens pour
+s'emparer de cette ville sans perte.
+
+Le roi d'Espagne s'est rendu à Aranjuez pour passer en revue le premier
+corps commandé par le duc de Bellune.
+
+
+
+Astorga, 2 janvier 1809.
+
+_Vingt-quatrième bulletin de l'armée d'Espagne._
+
+L'empereur est arrivé à Astorga le 1er janvier.
+
+La route de Bénavente à Astorga est couverte de chevaux anglais morts,
+de voitures d'équipages, de caissons d'artillerie et de munitions de
+guerre. On a trouvé à Astorga des magasins de draps, de couvertures,
+et d'outils de pionniers. Dans la route d'Astorga à Villa-Franca, le
+général Colbert commandant l'avant-garde de cavalerie du duc d'Istrie, a
+fait deux mille prisonniers, pris des convois de fusils, et délivré
+une quarantaine d'hommes isolés qui étaient tombés entre les mains des
+Anglais.
+
+Quant à l'armée de la Romana, elle est réduite presqu'à rien. Ce
+petit nombre de soldats, sans habits, sans souliers, sans solde, sans
+nourriture, ne peut plus être compté pour quelque chose.
+
+L'empereur a chargé le duc de Dalmatie de la mission glorieuse de
+poursuivre les Anglais jusqu'au lieu de leur embarquement, et de les
+jeter dans la mer l'épée dans les reins.
+
+Les Anglais sauront ce qu'il en coûte pour faire un mouvement
+inconsidéré devant l'armée française. La manière dont ils sont chassés
+du royaume de Léon et de la Galice, et la destruction d'une partie de
+leur armée leur apprendra sans doute à être plus circonspects dans leurs
+opérations sur le continent.
+
+La neige a tombé à gros flocons pendant toute la journée du 1er janvier.
+Ce temps, très-mauvais pour l'armée française, est encore plus mauvais
+pour une armée qui bat en retraite.
+
+En Catalogne, le général Gouvion-Saint-Cyr est entré à Barcelonne.
+
+A Sarragosse, les ducs de Conegliano et de Trévise se sont emparés, avec
+peu de perte, du Monte-Torrero; ils ont fait un millier de prisonniers,
+et ont entièrement cerné la ville. Les mineurs ont commencé leurs
+travaux.
+
+Dans l'Estramadure, la division du général Sébastiani ayant passé le
+Tage, le 24, au pont de l'Arzobispo, a attaqué les débris de l'armée
+d'Estramadure. Une seule charge du vingt-huitième régiment d'infanterie
+de ligne a suffi pour les mettre en déroute. Le duc de Dantzick avait en
+même temps fait passer le Tage à la division du général Valence sur le
+pont d'Almaraz. Quatre pièces de canon, douze caissons, et quatre ou
+cinq cents prisonniers ont été le fruit de cette journée. On s'est
+emparé de divers magasins, et notamment d'un immense magasin de tentes.
+
+Tout ce qui reste de troupes espagnoles insurgées est sans solde depuis
+plusieurs mois.
+
+
+
+Benavente, 5 janvier 1809.
+
+_Vingt-cinquième bulletin de l'armée d'Espagne._
+
+La tête de la division Merle, faisant partie du corps du duc de
+Dalmatie, a gagné l'avant-garde dans la journée du 3 de ce mois.
+
+A quatre heures après-midi, elle s'est trouvée en présence de
+l'arrière-garde anglaise qui était en position sur les hauteurs de
+Prieros, a une lieue devant Villa-Franca, et qui était composée de cinq
+mille hommes d'infanterie et six cents chevaux. Cette position
+était fort belle et difficile à aborder. Le général Merle fit ses
+dispositions. L'infanterie s'approcha, on battit la charge, et les
+Anglais furent mis dans une entière déroute. La difficulté du terrain
+ne permit pas à la cavalerie de charger, et l'on ne put faire que deux
+cents prisonniers. Nous avons eu une cinquantaine d'hommes tués ou
+blessés.
+
+Le général de brigade Colbert, commandant la cavalerie de l'avant-garde,
+s'était avancé avec les tirailleurs de l'infanterie, pour voir si le
+terrain s'élargissait, et s'il pouvait former sa cavalerie. Son heure
+était arrivée; une balle le frappa au front, le renversa, et il ne vécut
+qu'un quart d'heure; revenu un moment à lui, il s'était fait placer sur
+son séant, et voyant alors la déroute complète des Anglais, il dit: Je
+suis bien jeune encore pour mourir, mais du moins ma mort est digne d'un
+soldat de la grande armée, puisqu'en mourant je vois fuir les derniers
+et les éternels ennemis de ma patrie. Le général Colbert était un
+officier d'un grand mérite.
+
+Il y a deux routes d'Astorga à Villa-Franca. Les Anglais passaient par
+celle de droite, les Espagnols suivaient celle de gauche; ils marchaient
+sans ordre; ils ont été coupés et cernés par les chasseurs hanovriens.
+Un général de brigade et une division entière, officiers et soldats,
+ont mis bas les armes. On lui a pris ses équipages, dix drapeaux et six
+pièces de canon.
+
+Depuis le 27, nous avons déjà fait à l'ennemi plus de dix mille
+prisonniers parmi lesquels sont quinze cents Anglais. Nous lui avons
+pris plus de quatre cents voitures de bagages et de munitions, quinze
+voitures de fusils, ses magasins et ses hôpitaux de Bénavente, Astorga
+et Bembibre. Dans ce dernier endroit, le magasin à poudre qu'il avait
+établi dans une église, a sauté.
+
+Les Anglais se retirent en désordre, laissant ainsi leurs magasins,
+leurs blessés, leurs malades, et abandonnant leurs équipages sur
+les chemins. Ils éprouveront une plus grande perte encore; et s'ils
+parviennent à s'embarquer, il est probable que ce ne sera qu'après avoir
+perdu la moitié de leur armée.
+
+Sa Majesté, informée que celle armée était réduite au-dessous de vingt
+mille hommes, a pris le parti de porter son quartier-général d'Astorga à
+Bénavente, où elle restera quelques jours, et d'où elle ira occuper une
+position centrale à Valladolid, laissant au duc de Dalmatie le soin de
+détruire l'armée anglaise.
+
+On a trouvé dans les granges beaucoup d'Anglais qui avaient été pendus
+par les Espagnols. Sa Majesté a été indignée; elle a fait brûler les
+granges. Les paysans, quel que soit le ressentiment dont ils sont
+animés, n'ont pas le droit d'attenter à la vie des traînards de l'une
+ou de l'autre armée. Sa Majesté a ordonné de traiter les prisonniers
+anglais avec les égards dus à des soldats qui, dans toutes les
+circonstances, ont manifesté des idées libérales et des sentimens
+d'honneur. Informée que dans les lieux où les prisonniers sont
+rassemblés, et où se trouvent dix Espagnols contre un Anglais, les
+Espagnols maltraitent les Anglais et les dépouillent, elle a ordonné de
+séparer les uns des autres, et elle a prescrit, pour les Anglais, un
+traitement tout particulier.
+
+L'arrière-garde anglaise, en acceptant le combat de Prieros, avait
+espéré donner le temps à la colonne de gauche, composée pour la plus
+grande partie d'Espagnols, de faire sa jonction à Villa-Francs. Elle
+comptait aussi gagner une nuit pour rendre plus complète l'évacuation de
+Villa-Franca.
+
+Nous avons trouvé à l'hôpital de Villa-Franca trois cents Anglais
+malades ou blessés. Les Anglais avaient brûlé dans cette ville un grand
+magasin de farine et de blé; ils y avaient détruit beaucoup d'équipages
+d'artillerie, et tué cinq cents de leurs chevaux. On en a déjà compté
+seize cents laissés morts sur les routes.
+
+Le nombre des prisonniers est assez considérable et s'accroît de moment
+en moment. On trouve dans toutes les caves de la ville des soldats
+anglais morts ivres.
+
+Le quartier-général du duc de Dalmatie était, le 4 au soir, à dix lieues
+de Lugo.
+
+Le 2, Sa Majesté a passé en revue, à Astorga, les divisions Laborde et
+Loison, qui formaient l'Armée de Portugal. Ces troupes voient fuir les
+Anglais et brûlent du désir de les joindre.
+
+Sa Majesté a laissé en réserve à Astorga le corps du duc d'Elchingen,
+qui a son avant-garde sur les débouchés de la Galice, et qui est à
+portée d'appuyer, en cas d'événement, le corps du duc de Dalmatie.
+
+On a reçu la confirmation de la nouvelle de l'arrivée du général
+Gouvion-Saint-Cyr avec le septième corps à Barcelonne. Il y est entré
+le 17; le 15, il avait rencontré a Linas les troupes commandées par les
+généraux Reding et Vivès et les avait mises dans une entière déroute. Il
+leur a pris six pièces de canon, trente caissons et trois mille hommes.
+Moyennant la jonction du septième corps avec les troupes du général
+Duhesme, nous avons une grosse armée à Barcelonne.
+
+Lorsque Sa Majesté était à Tordesillas, elle avait son quartier-général
+dans les bâtimens extérieurs du couvent royal de Sainte-Claire. C'est
+dans ces bâtimens que s'était retirée et qu'est morte la mère de
+Charles-Quint, surnommée Jeanne la folle. Le couvent de Sainte-Claire a
+été construit sur un ancien palais des Maures, dont il reste un bain
+et deux salles d'une belle conservation. L'abbesse a été présentée
+à l'empereur; elle est âgée de soixante-quinze ans, et il y avait
+soixante-cinq ans qu'elle n'était sortie de sa clôture. Cette religieuse
+parut fort émue lorsqu'elle franchit le seuil; mais elle entretint
+l'empereur avec beaucoup de présence d'esprit, et elle obtint un grand
+nombre de grâces pour tout ce qui l'intéressait.
+
+
+
+Valladolid, 7 janvier 1809.
+
+_Vingt-sixième bulletin de l'armée d'Espagne._
+
+Le général Gouvion-Saint-Cyr, aussitôt après son entrée à Barcelonne,
+s'est porté sur Lobregat, a forcé l'ennemi dans son camp retranché, lui
+a pris vingt-cinq pièces de canon, et a marché sur Tarragone dont il
+s'est emparé. La prise de cette ville est d'une grande importance.
+
+Les rapports du général Duhesme et du général Saint-Cyr contiennent le
+détail des événemens militaires qui ont eu lieu en Catalogne jusqu'au 21
+décembre; ils font le plus grand honneur au général Gouvion-Saint-Cyr.
+Tout ce qui s'est passé à Barcelonne est un titre d'éloge pour le
+général Duhesme, qui a déployé autant de talent que de fermeté.
+
+Les troupes du royaume d'Italie se sont couvertes de gloire: leur belle
+conduite a sensiblement touché le coeur de l'empereur; elles sont à la
+vérité composées pour la plupart des corps formés par Sa Majesté pendant
+la campagne de l'an 5. Les vélites italiens sont aussi sages que braves:
+ils n'ont donné lieu à aucune plainte, et ils ont montré le plus grand
+courage. Depuis les Romains, les peuples d'Italie n'avaient pas fait
+la guerre en Espagne; depuis les Romains, aucune époque n'a été si
+glorieuse pour les armes italiennes.
+
+L'armée du royaume d'Italie est déjà de quatre-vingt mille soldats, et
+bons soldats; voilà les garans qu'a cette belle contrée de n'être plus
+le théâtre de la guerre.
+
+Sa Majesté a porté son quartier-général de Benavente à Valladolid.
+
+Elle a reçu aujourd'hui toutes les autorités de la ville. Dix des plus
+mauvais sujets de la dernière classe du peuple ont été passés par les
+armes. Ce sont les mêmes qui avaient massacré le général Cevallos, et
+qui, pendant si long temps, ont opprimé les gens de bien.
+
+Sa Majesté a ordonné la suppression du couvent des Dominicains dans
+lequel un Français a été tué.
+
+Elle a témoigné sa satisfaction au couvent de San-Benito dont les moines
+sont des hommes éclairés, qui, bien loin d'avoir prêché la guerre et le
+désordre, de s'être montrés avides de sang et de meurtre, ont employé
+tous leurs soins et consacré les efforts les plus courageux à calmer le
+peuple et à le ramener au bon ordre. Plusieurs Français leur doivent la
+vie. L'empereur a voulu voir ces religieux, et lorsqu'il a appris qu'ils
+étaient de l'ordre des Bénédictins, dont les membres se sont toujours
+illustrés dans les lettres et dans les sciences, soit en France, soit
+en Italie, il a daigné exprimer la satisfaction qu'il éprouvait de leur
+avoir cette obligation.
+
+En général, le clergé de cette ville est bon; les moines vraiment
+dangereux sont ces dominicains fanatiques qui s'étaient emparés de
+l'inquisition, et qui, ayant baigné leurs mains dans le sang d'un
+Français, ont eu la lâcheté sacrilége, de jurer sur l'évangile que
+l'infortuné dont on leur demandait compte, n'était point mort et avait
+été conduit à l'hôpital, et qui ensuite ont avoué qu'après qu'il eut
+été privé de la vie on avait jeté son corps dans un puits, où on l'a en
+effet trouvé. Hommes hypocrites et barbares, qui prêchez l'intolérance,
+qui suscitez la discorde, qui excitez à verser le sang, vous n'êtes
+pas les ministres de l'évangile! Le temps où l'Europe voyait sans
+indignation célébrer par des illuminations, dans les grandes villes, le
+massacre des protestans, ne peut renaître. Les bienfaits de la tolérance
+sont les premiers droits des hommes; elle est la première maxime de
+l'évangile, puisqu'elle est le premier attribut de la charité. S'il
+fût une époque où quelques faux docteurs de la religion chrétienne
+prêchaient l'intolérance, alors ils n'avaient pas en vue les intérêts du
+ciel, mais ceux de leur influence temporelle; ils voulaient s'emparer de
+l'autorité chez des peuples ignorans. Lorsqu'un moine, un théologien, un
+évêque, un pontife prêche l'intolérance, il prêche sa condamnation; il
+se livre à la risée des nations.
+
+Le duc de Dalmatie doit être ce soir à Lugo. De nombreuses colonnes de
+prisonniers sont en marche pour se rendre ici.
+
+Le général de brigade Duvernay s'est porté avec cinq cents chevaux sur
+Toro. Il y a rencontré deux ou trois cents hommes restes des débris
+de l'insurrection; il les a chargés et en a tué ou pris le plus grand
+nombre. Le colonel des hussards hollandais a été blessé dans cette
+charge.
+
+
+
+Valladolid, 9 janvier 1809.
+
+_Vingt-septième bulletin de l'armée d'Espagne._
+
+Après le combat de Prieros contre l'arrière-garde anglaise, le duc de
+Dalmatie jugea nécessaire de déposter promptement l'ennemi du col de
+Piedra-Filla. Il fit une marche très-longue, et il en recueillit le
+fruit. Il prit quinze cents Anglais, cinq pièces de canon, beaucoup de
+caissons. Il obligea l'ennemi à détruire considérablement d'affûts, de
+voitures, de bagages et de munitions. Les précipices étaient remplis
+de ces débris; le désordre était tel, que les divisions Lorges et
+Lahoussaye ont trouvé parmi les équipages abandonnés, des voitures
+remplies d'or et d'argent: c'était une partie du trésor de l'armée
+anglaise: on évalue ce qui est tombé entre les mains des divisions à
+deux millions.
+
+Le 4 au soir, l'avant-garde de l'armée française était à Castillo et à
+Nocedo.
+
+Le lendemain 5, l'arrière-garde ennemie a été rencontrée à Puente de
+Ferrerya au moment où elle faisait une fougasse pour faire sauter le
+pont; une charge de cavalerie a rendu cette tentative inutile. Il en a
+été de même au pont de Crueril.
+
+Le 5 au soir, les divisions Lorges et Lahoussaye étaient à Constantin,
+et l'ennemi à peu de distance de Lugo.
+
+Le 6, le duc de Dalmatie s'est mis en marche pour arriver sur cette
+ville.
+
+L'armée anglaise souffre considérablement; elle n'a presque plus de
+munitions et de bagages, et la moitié de sa cavalerie est à pied. Depuis
+le départ de Benavente jusqu'au 5 de ce mois, on a compté sur la route
+dix-huit cents chevaux anglais tués.
+
+Les débris du corps de la Romana errent partout. Dans la journée du 1er
+janvier, le huitième régiment de dragons chargea un carré d'infanterie
+espagnole et le culbuta. Les régimens du roi, de Mayorca, d'Ibernia, de
+Barcelonne et de Naples ont été faits prisonniers.
+
+Le général Maupetit ayant rencontré du côté de Zamora, avec sa division
+de dragons, une colonne de huit cents fuyards, l'a chargée et dispersée,
+et en a pris ou tué la plus grande partie.
+
+Les paysans espagnols de la Galice et du royaume de Léon sont
+impitoyables pour les traînards anglais. Malgré les sévères défenses qui
+ont été faites, on trouve tous les jours beaucoup d'Anglais assassinés.
+
+Le quartier-général du duc d'Elchingen est à Villa-Franca, sur les
+confins de la Galice et du royaume de Léon.
+
+Le duc de Bellune est sur le Tage.
+
+Toute la garde impériale se concentre à Valladolid.
+
+Les villes de Valladolid, de Palencia, de Ségovie, d'Avila, d'Astorga,
+de Léon, etc., envoient de nombreuses députations au roi. La fuite de
+l'armée anglaise, la dispersion des restes des armées de la Romana et de
+l'Estramadure, et les maux que les troupes des différentes armées font
+peser sur le pays, rallient les provinces autour de l'autorité légitime.
+
+La ville de Madrid s'est particulièrement distinguée. Les procès-verbaux
+constatant le serment prêté devant le saint-Sacrement par vingt-huit
+mille sept cents chefs de famille, ont été mis sous les yeux de
+l'empereur. Les citoyens de Madrid ont promis à Sa Majesté, que, si elle
+place sur le trône le roi son frère, ils le seconderont de tous leurs
+efforts et le défendront de tous leurs moyens.
+
+
+
+Valladolid, 13 janvier 1809.
+
+_Vingt-huitième bulletin de l'armée d'Espagne._
+
+La partie du trésor de l'ennemi qui est tombée entre les mains de nos
+troupes était d'un million huit cent mille francs. Les habitans assurent
+que les Anglais ont emporté huit à dix millions.
+
+Le général anglais jugeant qu'il était impossible que l'infanterie et
+l'artillerie l'eussent suivi, et eussent gagné sur lui un certain nombre
+de marches, surtout dans des montagnes aussi difficiles que celles de la
+Galice, comprit qu'il ne devait avoir à sa poursuite que des voltigeurs
+et de la cavalerie. Il prit donc la position de Castro, sa droite
+appuyée à la rivière de Tamboya, qui passe à Lugo, et qui n'est pas
+guéable.
+
+Le duc de Dalmatie arriva le 6 en présence de l'ennemi. Il employa les
+journées du 7 et du 8 à le reconnaître, et à réunir son infanterie
+et son artillerie, qui étaient encore en arrière. Il forma son plan
+d'attaque. La gauche seule de l'ennemi était attaquable; il manoeuvra
+sur cette gauche. Ses dispositions exigèrent quelques mouvemens dans la
+journée du 8, le duc de Dalmatie étant dans l'intention d'attaquer le
+lendemain 9. Mais l'ennemi s'en étant douté, fit sa retraite pendant la
+nuit, et le matin, notre avant-garde entra à Lugo. L'ennemi a abandonné
+trois cents malades anglais dans les hôpitaux de la ville, un parc de
+dix-huit pièces de canon et trois cents chariots de munitions. Nous lui
+avons fait sept cents prisonniers. La ville et les environs de Lugo sont
+encombrés de cadavres de chevaux anglais. Ainsi voilà plus de deux mille
+cinq cents chevaux que les Anglais ont tués dans leur retraite.
+
+Il fait un temps affreux; la neige et la pluie tombent continuellement.
+
+Les Anglais gagnent à toute force la Corogne où ils ont quatre cents
+bâtimens de transport pour leur embarquement. Ils ont déjà perdu
+leurs bagages, leurs munitions, une partie même du matériel de leur
+artillerie, et plus de trois mille hommes faits prisonniers.
+
+Le 10, notre avant-garde était à Betancos, à peu de distance de la
+Corogne.
+
+Le duc d'Elchingen est avec son corps d'armée sur Lugo.
+
+En comptant les malades, les hommes égarés, ceux qui ont été tués par
+les paysans, et ceux qui ont été faits prisonniers par nos troupes, on
+peut calculer que les Anglais ont perdu le tiers de leur armée. Ils
+sont réduits à dix mille hommes et ne sont pas encore embarqués. Depuis
+Sahagun, ils ont fait une retraite de cent cinquante lieues par un
+mauvais temps, dans des chemins affreux, au milieu des montagnes et
+toujours l'épée dans les reins.
+
+On a de la peine à concevoir la folie de leur plan de campagne. Il faut
+l'attribuer non au général qui commande, et qui est un homme habile
+et sage, mais à cet esprit de haine et de rage qui anime le ministère
+anglais. Jeter ainsi en avant trente mille hommes pour les exposer à
+être détruits, ou à n'avoir de ressource que dans la fuite, c'est une
+conception qui ne peut être inspirée que par l'esprit de passion, ou
+par la plus extravagante présomption. Le gouvernement anglais, comme le
+menteur du théâtre, est parvenu à se persuader lui-même; il s'est pris
+dans son propre piége.
+
+La ville de Lugo a été pillée et saccagée par l'ennemi. On ne peut
+imputer ces désastres au général anglais; c'est une suite ordinaire
+et inévitable des marches forcées et des retraites précipitées. Les
+habitans du royaume de Léon et de la Galice ont les Anglais en horreur.
+Sous ce rapport, les événemens qui viennent de se passer équivalent à
+une grande victoire.
+
+La ville de Zamora, dont les habitans avaient été exaltés par la
+présence des Anglais, a fermé ses portes au général de cavalerie
+Maupetit. Le général Darricau s'y est porté avec quatre bataillons. Il
+a escaladé la ville, l'a prise, et a fait passer les plus coupables par
+les armes.
+
+De toutes les provinces de l'Espagne, la Galice est celle qui manifeste
+le meilleur esprit; elle reçoit les Français comme des libérateurs qui
+l'ont délivrée à la fois des étrangers et de l'anarchie. L'évêque de
+Lugo et le clergé de toute la province manifestent les plus sages
+dispositions.
+
+La ville de Valladolid a prêté serment au roi Joseph, et a fait une
+adresse à S.M.I. et R.
+
+Six hommes, chefs d'émeutes et des massacres contre les Français, ont
+été condamnés à mort. Cinq ont été exécutés. L clergé est venu demander
+la grâce du sixième qui est père de quatre enfans. S.M. a commué sa
+peine; elle a dit qu'elle voulait en cela témoigner sa satisfaction
+pour la bonne conduite que le clergé séculier de Valladolid a tenue en
+plusieurs occasions importantes.
+
+
+
+Valladolid, 16 janvier 1809.
+
+_Vingt-neuvième bulletin de l'armée d'Espagne._
+
+Le 10 janvier, le quartier-général du duc de Bellune était à Aranjuez.
+
+Instruit que les débris de l'armée battue à Tudéla s'étaient réunis
+du côté de Cuença et avaient été joints par les nouvelles levées de
+Grenade, de Valence et de Murcie, le roi d'Espagne conçut la possibilité
+d'attirer l'ennemi. A cet effet, il fit replier tous les postes qui
+s'avançaient jusqu'aux montagnes de Cuença au-delà de Tarançon et de
+Huete. L'armée espagnole suivit ce mouvement. Le 12 elle prit position
+à Uclès. Le duc de Bellune se porta alors à Tarançon et à Fuente de
+Padronaro. Le 13 la division Villatte marcha droit à l'ennemi, tandis
+que le duc de Bellune, avec la division Ruffin, tournait par Alcazar.
+Aussitôt que le général Villatte découvrit les Espagnols, il marcha
+au pas de charge, et mit en déroute les douze ou treize mille hommes
+qu'avait l'ennemi et qui cherchèrent à se retirer par Carascosa sur
+Alcazar; mais déjà le duc de Bellune occupait la route d'Alcazar. Le
+neuvième régiment d'infanterie légère, le vingt-quatrième de ligne, et
+le quatre-vingt-seizième présentèrent à l'ennemi un mur de baïonnettes.
+Les Espagnols mirent bas les armes. Trois cents officiers, deux
+généraux, sept colonels, vingt lieutenant-colonels et douze mille
+hommes ont été faits prisonniers. On a pris trente drapeaux et toute
+l'artillerie. Le nommé Venegas, qui commandait ces troupes, a été tué.
+
+Cette armée avec ses drapeaux et son artillerie, escortée par trois
+bataillons, fera demain 17 son entrée à Madrid.
+
+Ce succès fait honneur au duc de Bellune et à la conduite des troupes.
+Le général Villatte a manoeuvré avec habileté. Le général Ruffin s'est
+distingué. Il en a été de même du général Latour-Maubourg. Ses dragons
+se sont comportés avec intrépidité. Le jeune Sopransi, chef d'escadron
+au premier de dragons, s'est précipité au milieu des ennemis, en
+déployant une singulière bravoure. Il a apporté six drapeaux au duc de
+Bellune.
+
+Le général d'artillerie Sénarmont s'est conduit comme il l'a fait dans
+toutes les circonstances. Lorsque l'armée ennemie se vit coupée, elle
+changea de direction. Le général Sénarmont était alors engagé dans une
+gorge avec son artillerie, et c'est sur cette gorge que l'ennemi se
+dirigea pour y chercher un passage. L'artillerie avait peu d'escorte,
+mais les canonniers de la grande-armée n'en ont pas besoin. Le général
+Sénarmont plaça ses pièces en bataillon carré et tira à mitraille. La
+colonne ennemie changea encore de direction et se porta sur le point où
+elle est venue mettre bas les armes. Le duc de Bellune se loue de M.
+Château son premier aide-de-camp, et de M. l'adjudant commandant Aimé.
+Il donne des éloges au général Sémélé, aux colonels Jamin, Meunier,
+Mouton Duvernay, Lacoste, Pescheux et Combelle, tous officiers dont la
+bravoure et l'habileté ont été éprouvées dans cent combats.
+
+En Galice les Anglais continuent d'être poursuivis l'épée dans les
+reins. Après avoir été chassés de Lugo, les trois quarts ont pris la
+direction de la Corogne, et un quart celle de Vigo où les Anglais ont
+des transports. Le duc de Dalmatie s'est porté sur la Corogne et le duc
+d'Elchingen sur Vigo.
+
+Des députations du conseil d'état d'Espagne, du conseil des Indes, du
+conseil des finances, du conseil de la guerre, du conseil de marine, du
+conseil des ordres, de la junte de commerce et des monnaies, du tribunal
+des alcades de casa y corte, de la municipalité de Madrid, du clergé
+séculier et régulier, du corps de la noblesse, des corporations majeures
+et mineures et des habitans des paroisses et des quartiers, parties de
+Madrid le 11, ont été présentées le 16 à S. M. I. et R. à Valladolid.
+
+
+
+Valladolid, 21 janvier 1809.
+
+_Trentième bulletin de l'armée d'Espagne._
+
+Le duc de Dalmatie partit le 12 de Betanzos. Arrivé sur le Meso, il
+trouva le pont de Burgo coupé. L'ennemi fut délogé du village de Burgo.
+Pendant ce temps, le général Franceschi remonta la rivière qu'il passa
+sur le pont de Cela. Il intercepta la grande route de la Corogne à
+Santyago et prit six officiers et soixante soldats. Le même jour un
+poste de trente marins qui étaient à Meso sur le golfe, et qui y faisait
+de l'eau, fut pris. Du village de Perillo on put observer la flotte
+anglaise en rade de la Corogne.
+
+Le 13, l'ennemi fit sauter deux magasins à poudre situés sur les
+hauteurs de Sainte Marguerite, à une demi-lieue de la Corogne. La
+détonation fut terrible et se fit sentir à plus de trois lieues dans les
+terres.
+
+Le 14, le pont de Burgo fut raccommodé et l'artillerie française put y
+passer. L'ennemi était en position sur deux lignes, à une demi-lieue en
+avant de la Corogne. On le voyait s'occuper à embarquer en toute hâte
+ses malades et ses blessés, les espions et les déserteurs en portent le
+nombre à trois ou quatre mille hommes. Les Anglais s'occupaient en même
+temps à détruire les batteries de la côte, et à dévaster le pays voisin
+de la mer. Le commandant du fort de Saint-Philippe se doutant du sort
+qu'ils réservaient à la place, refusa de les y recevoir.
+
+Le 14 au soir, on vit arriver un nouveau convoi de cent soixante voiles,
+parmi lesquelles on comptait quatre vaisseaux de ligne.
+
+Le 15 au matin, les divisions Merle et Mermet occupèrent les hauteurs
+de Vallaboa où se trouvait l'avant-garde ennemie, qui fut attaquée et
+culbutée. Notre droite fut appuyée au point d'intersection de la route
+de la Corogne à Lugo, et de la Corogne à Santyago. La gauche était
+placée en arrière du village d'Elvina. L'ennemi occupait en face de
+très-belles hauteurs.
+
+Le reste de la journée du 15 fut employé à placer une batterie de douze
+pièces de canon, et ce ne fut que le 16, à trois heures après midi que
+le duc de Dalmatie donna l'ordre de l'attaque.
+
+Les Anglais furent abordés franchement par la première brigade de la
+division Mermet qui les culbuta et les délogea du village d'Elvina. Le
+deuxième régiment d'infanterie légère se couvrit de gloire. Le général
+Jardon à la tête des voltigeurs fit paraître un notable courage.
+L'ennemi culbuté de ses positions, se retira dans les jardins qui sont
+autour de la Corogne. La nuit devenant très-obscure, on fut obligé de
+suspendre l'attaque. L'ennemi en a profité pour s'embarquer en toute
+hâte. Nous n'avons eu d'engagés pendant le combat, qu'environ six mille
+hommes, et tout était disposé pour partir de la position que nos troupes
+occupaient le soir, et profiter du lendemain pour une affaire générale.
+La perte de l'ennemi est immense; deux batteries de notre artillerie
+l'ont foudroyé pendant la durée du combat. On a compté sur le champ de
+bataille plus de huit cents cadavres anglais, parmi lesquels on a trouvé
+le corps du général Hamilton, et ceux de deux autres officiers généraux
+dont on ignore les noms. Nous avons pris vingt officiers, trois cents
+soldats et quatre pièces de canon. Les Anglais ont laissé plus de quinze
+cents chevaux qu'ils avaient tués. Notre perte s'élève à cent
+hommes; nous en avons eu cent cinquante blesses. Le colonel du
+quarante-cinquième s'est distingué. Un porte-aigle du trente-unième
+d'infanterie légère a tue de sa propre main un officier anglais qui,
+dans la mêlée, s'était attaché a lui pour tâcher de lui enlever son
+aigle. Le général d'artillerie Bourgeat et le colonel Fontenay se sont
+très-bien montrés.
+
+Le 17 à la pointe du jour, on a vu le convoi anglais mettre à la voile:
+le 18 tout avait disparu. Le duc de Dalmatie avait fait canonner les
+bâtiments des hauteurs du fort Sandiego. Plusieurs transports ont
+échoué, et tous les hommes qu'ils portaient ont été pris.
+
+On a trouvé dans l'établissement de la Payoza trois mille fusils
+anglais. On s'est aussi emparé des magasins de l'ennemi et d'une
+quantité considérable de munitions et d'effets appartenant à l'armée. On
+a ramassé dans les faubourgs beaucoup de blessés. L'opinion des habitans
+du pays et des déserteurs est que le nombre des blessés dans le combat
+excède deux mille cinq cents.
+
+Ainsi s'est terminée l'expédition anglaise envoyée en Espagne. Après
+avoir fomenté la guerre dans ce malheureux pays, les Anglais l'ont
+abandonné. Ils avaient débarqué trente-huit mille hommes et six mille
+chevaux; nous leur avons pris de compte fait six mille cinq cents
+hommes, non compris les malades. Ils ont rembarqué très-peu de bagages,
+très-peu de munitions et très-peu de chevaux: on en a compté cinq
+mille tués et abandonnés. Les hommes qui ont trouvé un asile sur leurs
+vaisseaux sont harassés et découragés. Dans une autre saison, il n'en
+aurait pas échappé un seul. La facilité de couper les ponts, la rapidité
+des torrens qui, pendant l'hiver, deviennent de profondes rivières, le
+peu de durée des journées et la longueur des nuits, sont très-favorables
+à une armée en retraite.
+
+Des trente-huit mille hommes que les Anglais avaient débarqués, on peut
+assurer qu'à peine vingt-quatre mille hommes retourneront en Angleterre.
+
+L'armée de la Romana, qui, à la fin de décembre, au moyen des renforts
+qu'elle avait reçus de la Galice, était forte de seize mille hommes, est
+réduite à moins de cinq mille hommes, qui errent entre Vigo et Santyago,
+et sont vivement poursuivis. Le royaume de Léon, la province de Zamora
+et toute la Galice que les Anglais avaient voulu couvrir, sont conquis
+et soumis.
+
+Le général de division Lapisse a envoyé en Portugal des patrouilles qui
+y ont été très-bien reçues.
+
+Le général Maupetit est entré à Salamanque. Il y a encore trouvé
+quelques malades anglais.
+
+
+
+_Trente-unième bulletin de l'année d'Espagne._
+
+Les régimens anglais portant les numéros 42, 50 et 52 ont été
+entièrement détruits au combat du 16 près la Corogne. Il ne s'est pas
+embarqué soixante hommes de chacun de ces corps. Le général en chef
+Moore a été tué en voulant charger à la tête de cette brigade, pour
+rétablir les affaires. Efforts impuissans! cette troupe a été dispersée
+et son général frappé au milieu d'elle. Le général Baird avait déjà été
+blessé; il traversa la Corogne pour gagner son vaisseau, et ne se fit
+panser qu'à bord. Le bruit court qu'il est mort le 19.
+
+Après la bataille du 16, la nuit fut terrible à la Corogne. Les Anglais
+y entrèrent consternés et pêle-mêle. L'armée anglaise avait débarqué
+plus de quatre-vingts pièces de Canon; elle n'en a pas rembarqué douze.
+Le reste a été pris ou perdu, et décompte fait, nous nous trouvons en
+possession de soixante pièces de canon anglaises.
+
+Indépendamment du trésor de deux millions que l'armée a pris aux
+Anglais, il paraît qu'un trésor plus considérable a été jeté dans les
+précipices qui bordent la route d'Astorga à la Corogne. Les paysans et
+les soldats ont ramassé parmi les rochers une grande quantité d'argent.
+
+Dans les engagemens qui ont eu lieu pendant la retraite, et avant le
+combat de la Corogne, deux généraux anglais avaient été tués, et trois
+avaient été blessés. On nomme parmi ces derniers le général Crawford.
+Les Anglais ont perdu tout ce qui constitue une armée: généraux,
+artillerie, chevaux, bagages, munitions, magasins.
+
+Dès le 17, à la pointe du jour, nous étions maîtres des hauteurs qui
+dominent la rade de la Corogne, et nos batteries jouaient contre le
+convoi anglais. Il en est résulté que plusieurs bàtimens n'ont pu
+sortir, et ont été pris lors de la capitulation de la Corogne. On a
+trouvé aussi cinq cents chevaux anglais encore vivans, seize mille
+fusils, et beaucoup d'artillerie de siège abandonnée par l'ennemi. Un
+grand nombre de magasins sont pleins de munitions confectionnées que les
+Anglais voulaient emmener, mais qu'ils ont été forcés de laisser. Un
+magasin à poudre situé dans la presqu'île, contenant deux cents milliers
+de poudre, nous est également resté. Les Anglais surpris par l'événement
+du combat du 16, n'ont pas même eu le temps de détruire leurs magasins.
+Il y nvait trois cents malades anglais dans les hôpitaux. Nous avons
+trouvé dans le port sept bâtimens anglais; trois étaient chargés de
+chevaux et quatre de troupes, lis n'avaient pu appareiller.
+
+La place de la Corogne a une enceinte qui la met à l'abri d'un coup
+de main. Il n'a donc été possible d'y entrer que le 20 par une
+capitulation. On a trouvé à la Corogne plus de deux cents pièces de
+canon espagnoles. Le consul français Fourcroy, le général Quesnel et son
+état-major; M. Bougars, officier d'ordonnance, M. Taboureau, auditeur,
+et trois cent cinquante Français, soldats ou marins qui avaient été pris
+ou en Portugal ou sur le bâtiment l'_Atlas_, ont été délivrés. Ils se
+louent beaucoup des officiers de la marine espagnole.
+
+Les Anglais n'auront rapporté de leur expédition que la haine des
+Espagnols, la honte et le déshonneur. L'élite de leur armée, composée
+d'Écossais, a été blessée, tuée ou prise.
+
+Le général Franceschi est entré à Santyago de Compostelle, où il a
+trouvé quelques magasins et une garde anglaise qu'il a fait prisonnière.
+Il a sur-le-champ marché sur Vigo. La Romana paraissait se diriger
+sur ce port avec deux mille cinq cents hommes, les seuls qu'il ait pu
+rallier. La division Mermet marchait sur le Ferrol.
+
+L'air était infecté à la Corogne par douze cents cadavres de chevaux que
+les Anglais avaient égorgés dans les rues. Le premier soin du duc
+de Dalmatie a été de pourvoir au rétablissement de la salubrité si
+importante pour le soldat et pour les habitans.
+
+Le général Alzedo, gouverneur de la Corogne, paraît n'avoir pris
+parti pour les insurgés, que contraint par la force. Il a prêté avec
+enthousiasme le serment de fidélité au roi Joseph Napoléon. Le peuple
+manifeste la joie qu'il éprouve d'être délivré des Anglais.
+
+
+
+_Trente-deuxième bulletin de l'armée d'Espagne._
+
+Le duc de Dalmatie arrivé devant le Ferrol, fit investir la place. Des
+négociations furent entamées. Les autorités civiles et les officiers
+de terre et de mer paraissaient disposés à se rendre; mais le peuple,
+fomenté par les espions qu'avaient laissés les Anglais, se souleva.
+
+Le 24, le duc de Dalmatie reçut deux parlementaires. L'un avait été
+envoyé par l'amiral Melgarejo, commandant l'escadre espagnole; l'autre,
+qui passa par les montagnes, avait été envoyé par les commandans des
+troupes de terre. Ces deux parlementaires étaient partis à l'insu du
+peuple. Ils firent connaître que toutes les autorités étaient sous le
+joug d'une populace effrénée, soudoyée et soulevée par les agens de
+l'Angleterre, et que huit mille hommes de la ville et des environs
+étaient armés.
+
+Le duc de Dalmatie dut se résoudre à faire ouvrir la tranchée; mais
+du 24 au 25, différens mouvemens se manifestèrent dans la ville. Le
+dix-septième régiment d'infanterie légère s'étant porté à Mugardos, le
+trente-unième d'infanterie légère étant aux forts de la Palma et de
+Saint-Martin et à Lugrana, et bloquant le fort Saint-Philippe, le peuple
+commença à craindre les suites d'un assaut et à écouter les hommes
+sensés. Dans la journée du 26, trois parlementaires munis de pouvoirs
+et porteurs d'une lettre arrivèrent au quartier-général et signèrent la
+reddition de la place.
+
+Le 27, à sept heures du matin, la ville a été occupée par la division
+Mermet et par une brigade de dragons.
+
+Le même jour à midi, la garnison a été désarmée: le désarmement a déjà
+produit cinq mille fusils. Les personnes étrangères au Ferrol ont été
+renvoyées dans leurs villages. Les hommes connus pour s'être souillés de
+sang pendant l'insurrection, ont été arrêtés.
+
+L'amiral Obregon, que le peuple avait arrêté pendant l'insurrection, a
+été mis à la tête de l'arsenal.
+
+On a trouvé dans le port, trois vaisseaux de cent douze canons; deux de
+quatre-vingts; un de soixante-quatorze; deux de soixante-quatre; trois
+frégates et un certain nombre de corvettes, de bricks et autres bâtimens
+désarmés; plus de quinze cents pièces de canon de tous calibres, et des
+munitions de toute espèce.
+
+Il est probable que sans la retraite précipitée des Anglais, et sans
+l'événement du 16, ils auraient occupé le Ferrol, et se seraient emparés
+de cette belle escadre. Les officiers de terre et de mer ont prêté
+serment au roi Joseph avec le plus grand enthousiasme. Ce qu'ils
+racontent de ce qu'ils ont eu à souffrir de la dernière classe du peuple
+et des boute-feux de l'Angleterre est difficile à concevoir.
+
+L'ordre règne dans la Galice, et l'autorité du roi est rétablie dans
+cette province, l'une des plus considérables de la monarchie espagnole.
+
+Le général Laborde a trouvé à la Corogne, sur le bord de la mer, sept
+pièces de canon que les Anglais avaient enterrées dans la journée du 16,
+ne pouvant les emmener. La Romana, abandonné par les Anglais et par ses
+troupes, s'est enfui avec cinq cents hommes du côté du Portugal, pour se
+jeter en Andalousie.
+
+Il ne restait à Lisbonne que quatre à cinq mille Anglais. Tous les
+hôpitaux, tous les magasins étaient embarqués, et la garnison se
+disposait à abandonner ce peuple, aussi indigné de la perfidie des
+Anglais que révolté par la différence de moeurs et de religion, par
+la brutale et continuelle intempérance des troupes anglaises, par cet
+entêtement et par cet orgueil si mal fondés qui rendent cette nation
+odieuse à tous les peuples du continent.
+
+
+
+_Trente-troisième bulletin de l'armée d'Espagne._
+
+Le duc de Dalmatie est arrivé le 10 février à Tuy. Toute la province est
+soumise.
+
+Il réunissait tous les moyens pour passer le lendemain le Minho, qui
+est extrêmement large dans cet endroit. It a dû arriver du 15 au 20 à
+Oporto, et du 20 au 28 à Lisbonne.
+
+Les Anglais s'embarquaient à Lisbonne pour abandonner le Portugal;
+l'indignation des Portugais était au comble, et il y avait journellement
+des engagemens notables et sanglans entre les Portugais et les Anglais.
+
+En Galice, le duc d'Elchingen achevait l'organisation de la province.
+L'amiral Messaredra était arrivé au Ferrol, et l'activité commençait à
+renaître dans cet arsenal important. La tranquillité est rétablie dans
+toutes les provinces sous les ordres du duc d'Istrie, et situées entre
+les Pyrénées, la mer, le Portugal, et la chaîne de montagnes qui
+couvrent Madrid. La sécurité succède aux jours d'alarmes et de
+désordres.
+
+De nombreuses députations se rendent de toutes parts auprès du roi à
+Madrid. La réorganisation et l'esprit public font des progrès rapides
+sous la nouvelle administration.
+
+Le duc de Bellune marche sur Badajoz; il désarme et pacifie toute la
+basse Estramadure.
+
+Sarragosse s'est rendue. Les calamités qui ont pesé sur cette ville
+infortunée, sont un effrayant exemple pour les peuples. L'ordre rétabli
+dans Sarragosse, s'étend à tout l'Aragon, et les deux corps d'armée qui
+se trouvaient autour de cette ville, deviennent disponibles.
+
+Sarragosse a été le véritable siège de l'insurrection de l'Espagne.
+C'est dans cette ville qu'existait le parti qui voulait appeler un
+prince de la maison d'Autriche à régner sur le Tage. Les hommes de ce
+parti avaient hérité de cette opinion qui fut celle de leurs ancêtres
+à l'époque de le guerre de la succession, et qui vient d'être étouffée
+sans retour.
+
+La bataille de Tudela avait été gagnée le 23 novembre, et dès le 27,
+l'armée française campait à peu de distance de Sarragosse.
+
+La population de cette ville était armée. Celle des campagnes de
+l'Aragon s'y était jointe, et Sarragosse contenait cinquante mille
+hommes, formés par régimens de mille hommes, et par compagnies de cent
+hommes. Tous les grades de généraux, d'officiers et de sous-officiers,
+étaient remplis par des moines. Un corps de troupes de dix mille hommes
+échappés de la bataille de Tudela, s'était renfermé dans la ville, dont
+les subsistances étaient assurées par d'immenses, magasins, et qui était
+défendue par deux cents pièces de canon. L'image de notre dame del
+Pilar, faisait, au gré des moines, des miracles qui animaient l'ardeur
+de cette nombreuse population, ou qui soutenaient sa confiance. En
+plaine ces cinquante mille hommes n'auraient pas tenu contre trois
+régimens; mais enfermés dans leur ville, excités par tous les chefs de
+partis, pouvaient-ils échapper aux maux que l'ignorance et le fanatisme
+attiraient sur tant d'infortunés?
+
+Tout ce qu'il était possible de faire pour les éclairer, les ramener à
+la raison, a été entrepris. Immédiatement après la bataille de Tudela,
+on jugea que l'opinion où on était à Sarragosse, que Madrid ferait de
+la résistance, que les armées de Somo-Sierra, du Guadarama, de
+l'Estramadure, de Léon et de la Catalogne, obtiendraient quelques
+succès, servirait de prétexte aux chefs des insurgés pour entretenir le
+fanatisme des habitans. On résolut de ne pas investir la ville, et de la
+laisser communiquer avec toute l'Espagne, afin qu'elle apprît la déroute
+des armées espagnoles, et qu'elle connût les détails de l'entrée de
+l'armée française à Madrid. Mais ces nouvelles ne parvinrent qu'aux
+meneurs, et demeurèrent inconnues à la masse de la population.
+Non-seulement on lui cachait la vérité, mais on l'encourageait par des
+mensonges. Tantôt les Français avaient perdu quarante mille hommes à
+Madrid, la Romana était entré en France; enfin l'armée anglaise arrivait
+en grande hâte, et les aigles françaises devaient fuir à l'aspect du
+terrible léopard.
+
+Ce temps sacrifié à des vues politiques et à l'espoir de voir se calmer
+des têtes exaltées par le fanatisme et par l'erreur, n'était pas perdu
+pour l'armée française. Le général du génie Lacoste, aide-de-camp de
+l'empereur et officier du plus grand mérite, réunissait à Alagon, les
+outils, les équipages de mines et les matériaux nécessaires à la guerre
+souterraine que S. M. avait ordonnée.
+
+Le général de division Dedon, commandant l'artillerie, rassemblait une
+grande quantité de mortiers, de bombes, d'obus et des bouches à feu de
+tous calibre. On tirait tous ces objets de Pampelune, éloignée de sept
+marches de Sarragosse.
+
+Cependant on remarqua que l'ennemi mettait le temps à profit pour
+fortifier le Monte-Torrero et d'autres positions importantes. Le 21
+décembre, la division Suchet le chassa des hauteurs de Saint-Lambert,
+et de deux ouvrages de campagne qui étaient à portée de la place.
+La division du général Gazan culbuta l'ennemi des hauteurs de
+Saint-Grégorio, et fit enlever par le vingt-unième d'infanterie légère
+et le centième de ligne, les redoutes adossées aux faubourgs, qui
+défendaient les routes de Suéva et de Barcelonne. I1 s'empara également
+d'une grande manufacture située près de Galliego, où s'étaient
+retranchés cinq cents Suisses. Le même jour, le duc de Conegliano
+s'empara des ouvrages et de la position du Monte-Torrero, enleva tous
+les canons, fit beaucoup de prisonniers et un grand mal à l'ennemi.
+
+Le duc de Conegliano étant tombé malade, le duc d'Abrantès vint dans le
+commencement de janvier, prendre le commandement du troisième corps.
+
+Il signala son arrivée par la prise du couvent de Saint-Joseph, et
+poursuivit ses succès le 16 janvier, en enlevant la tête du pont de
+la Huerba, où ses troupes se logèrent. Le chef de bataillon Athal, du
+quatorzième de ligne, se distingua à l'attaque du couvent Saint-Joseph,
+et le lieutenant Victor de Buffon, monta des premiers à l'assaut.
+
+L'investissement de Sarragosse n'était cependant pas encore terminé. On
+persistait toujours dans les mêmes ménagemens, et on laissait à dessein
+les communications libres, afin que les insurgés pussent apprendre la
+déroute des Anglais et leur honteuse fuite au-delà des Espagnes. Ce fut
+le 16 janvier, que les Anglais furent jetés dans la mer à la Corogne, et
+ce fut le 26, que les opérations commencèrent à devenir sérieuses devant
+Sarragosse.
+
+Le duc de Montebello y arriva le 20 pour prendre le commandement
+supérieur du siège. Lorsqu'il eut acquis la certitude que toutes les
+nouvelles que l'on faisait parvenir dans la ville, ne produisaient
+aucun effet, et que quelques moines, qui s'étaient emparés des esprits,
+réussissaient, ou à empêcher qu'elles vinssent à la connaissance
+du peuple, ou à les travestir de manière à perpétuer le délire des
+assiégés, il prit le parti de renoncer à tous les ménagements.
+
+Quinze mille paysans s'étaient réunis sur la gauche de l'Ebre à
+Perdiguera. Le duc de Trévise les attaqua avec trois régimens, et malgré
+la belle position qu'ils occupaient, le soixante-quatrième régiment les
+culbuta et les mit en déroute. Le dixième de hussards se trouva dans
+la plaine pour les recevoir, et un grand nombre resta sar le champ de
+bataille. Neuf pièces de canon et plusieurs drapeaux furent les trophées
+de cette rencontre.
+
+En même temps, le duc de Montebello avait envoyé l'adjudant-commandant
+Gasquet sur Zuer, pour y dissiper un rassemblement. Cet officier, avec
+trois bataillons, attaqua quatre mille insurgés, les culbuta et leur
+prit quatre pièces de canon avec leurs caissons attelés.
+
+Le général Vattier avait en même temps été détaché avec trois cents
+hommes d'infanterie et deux cents chevaux sur la route de Valence. Il
+rencontra cinq mille insurgés à Alcanitz, les força dans la ville même à
+jeter leurs fusils dans leur fuite; leur tua six cents hommes, et
+prit des magasins de subsistances, de munitions et d'armes; parmi ces
+derniers se trouvèrent mille fusils anglais. L'adjudant-commandant
+Carrion de Nizas, à la tête d'une colon de d'infanterie, s'est conduit
+d'une manière brillante; le colonel Burthe, du quatrième de hussards, et
+le chef de bataillon Camus, du vingt-huitième d'infanterie légère, se
+sont distingués.
+
+Ces opérations se faisaient entre le 20 et le 26 janvier.
+
+Le 26, on commença à attaquer sérieusement la ville, et l'on démasqua
+les batteries. Le 27 à midi, la brèche se trouva praticable sur
+plusieurs points de l'enceinte. Les troupes se logèrent dans le couvent
+de San-Ingracia. La division Grandjean occupa une trentaine de maisons
+dans la ville. Le colonel Chlopiscki et les soldats de la Vistule, se
+distinguèrent. Dans le même moment, le général de division Merlot, dans
+une attaque sur la gauche, s'empara de tout le front de défense de
+l'ennemi.
+
+Le capitaine Guetteman, à la tête des travailleurs et de trente-six
+grenadiers du quarante-quatrième, est monté à la brèche avec une
+hardiesse rare. M. Bobieski, officier des voltigeurs de la Vistule,
+jeune homme âgé de dix-sept ans, et déjà couvert de sept blessures,
+s'est présenté le premier à la brèche. Le chef de bataillon Lejeune,
+aide-de-camp du prince de Neufchâtel, s'est conduit avec distinction,
+et a reçu deux blessures légères. Le chef de bataillon Haxo a aussi été
+légèrement blessé et s'est également distingué.
+
+Le 30, les couvens de Sainte-Monique et des Grands-Augustins furent
+enlevés. Soixante maisons furent prises à la sape. Les sapeurs du
+quatorzième régiment de ligue se distinguèrent.
+
+Le premier février, le général Lacoste fut atteint d'une balle,
+et mourut sur le champ d'honneur. C'était un officier aussi brave
+qu'instruit. Sa perte a été sensible à toute l'armée, et plus
+particulièrement encore à l'empereur. Le colonel Rogniat lui succéda
+dans le commandement de l'arme du génie et dans la direction du siège.
+
+L'ennemi défendait chaque maison. Trois attaques de mines étaient
+conduites de front, et tous les jours trois ou quatre mines faisaient
+sauter plusieurs maisons, et permettaient aux troupes de se loger dans
+plusieurs autres.
+
+C'est ainsi qu'on arriva jusqu'au Corso (grande rue de Sarragosse),
+qu'on se logea sur les quais, et que l'on s'empara de la maison des
+écoles et de celle de l'université. L'ennemi tentait d'opposer mineurs
+à mineurs; mais peu habiles dans ce genre d'opérations, ses mineurs
+étaient sur-le-champ découverts et étouffés.
+
+Cette manière de conduire le siège rendait sa marche lente, mais
+certaine et moins coûteuse pour l'armée. Pendant que trois compagnies
+de mineurs, et huit compagnies de sapeurs sont seules occupées à cette
+guerre souterraine, dont les résultats sont si terribles, le feu est
+presque constamment entretenu dans la ville par les mortiers qui
+lancent, des bombes remplies de cloches à feu.
+
+Il n'y avait que dix jours que l'attaque avait commencé, et déjà on
+présageait la prochaine reddition de la ville. On s'était emparé de
+plus du tiers des maisons et on s'y était logé. L'église où se trouvait
+l'image de Notre-Dame del Pifar, qui par tant de miracles avait promis
+de la défendre, était écrasée par les bombes, et n'était plus habitable.
+
+Le duc de Montebello jugea alors nécessaire de s'emparer du faubourg de
+la rive gauche, pour occuper tout le diamètre de la ville, et croiser
+son feu. Le général de division Gazan enleva la caserne des Suisses,
+par une attaque prompte et brillante. Le 17, une batterie de cinquante
+pièces de canon qu'on avait établie, joua dès le matin. A trois heures
+après midi, un bataillon du vingt-huitième attaqua un énorme couvent
+dont les murs en briques avaient trois à quatre pieds d'épaisseur, et
+s'en empara. Sept mille ennemis défendaient le faubourg. Le général
+Gazan se porta rapidement sur le pont par où les insurgés avaient leur
+retraite dans la ville. Il en tua un grand nombre, et fit quatre mille
+prisonniers, au nombre desquels se trouvaient deux généraux, douze
+colonels, dix-neuf lieutenans-colonels et deux cent trente officiers. Il
+prit six drapeaux et trente pièces de canon. Presque toutes les troupes
+de ligne de la place occupaient ce point important qui était menacé
+depuis le 10.
+
+Au même instant, le duc d'Abrantès traversait le Corso par plusieurs
+canonnières, et faisait sauter, au moyen de deux fourneaux de mine, le
+vaste bâtiment des écoles.
+
+Après ces événemens la terreur se mit dans la ville. La junte, pour
+obtenir quelques délais, et donner le temps à la frayeur des habitans de
+se dissiper, demanda à parlementer; mais sa mauvaise foi était connue et
+cette ruse lui fut inutile. Trente autres maisons furent enlevées à la
+sape ou par des mines.
+
+Enfin le 21, toute la ville fut occupée par nos troupes. Quinze mille
+hommes d'infanterie et deux mille de cavalerie ont posé les armes a la
+porte de Portillo, et ont remis quarante drapeaux et cent cinquante
+pièces de canon. Les insurgés ont perdu vingt mille hommes pendant le
+siège. On en a trouvé treize mille dans les hôpitaux. Il en mourait cinq
+cents par jour.
+
+Le duc de Montebello n'a pas voulu accorder de capitulation à la ville
+de Sarragosse; il a seulement fait connaître les dispositions suivantes:
+
+La garnison posera les armes le 21, à midi, à là porte de Portillo;
+après quoi elle sera prisonnière de guerre. Les hommes des troupes
+de ligne qui voudraient prêter serment au roi Joseph et entrer à son
+service, pourront y être admis. Dans le cas où leur admission ne serait
+pas accordée par le ministre de la guerre du roi d'Espagne, ils seront
+prisonniers de guerre et conduits en France. La religion sera respectée.
+Les troupes françaises occuperont, le 21 à midi, le château. Toute
+l'artillerie et toutes les munitions de toute espèce, leur seront
+remises. Toutes les armes seront déposées aux portes de chaque maison,
+et recueillies par les alcades de chaque quartier.
+
+Les magasins en blé, riz et légumes qu'on a trouvés dans la place, sont
+très-considérables.
+
+Le duc de Montebello a nommé le général Laval, gouverneur de Sarragosse.
+
+Une députation du clergé et des principaux habitans est partie pour se
+rendre à Madrid.
+
+Palafox est dangereusement malade. Cet homme était l'objet du mépris de
+toute l'armée ennemie, qui l'accusait de présomption et de lâcheté.
+
+On ne l'a jamais vu dans les postes où il y avait quelques dangers.
+
+Le comte de Fuentes, grand d'Espagne, que les insurgés avaient arrêté
+dans ses terres, il y a sept mois, a été trouvé dans un cachot de huit
+pieds carrés, et délivré. On ne peut se faire une idée des maux qu'il a
+soufferts.
+
+
+
+
+GUERRE D'AUTRICHE
+
+
+
+Donswerth, 17 avril 1809.
+
+_Proclamation à l'armée._
+
+Soldats!
+
+Le territoire de la confédération a été violé. Le général autrichien
+veut que nous fuyions à l'aspect de ses armes, et que nous lui
+abandonnions nos alliés; j'arrive avec la rapidité de l'éclair.
+
+Soldats, j'étais entouré de vous lorsque le souverain d'Autriche vint à
+mon bivouac de Moravie; vous l'avez entendu implorer ma clémence et me
+jurer une amitié éternelle. Vainqueurs dans trois guerres, l'Autriche a
+dû tout à notre générosité; trois fois elle a été parjure!!! Nos succès
+passés sont un sûr garant de la victoire qui nous attend.
+
+Marchons donc, et qu'à votre aspect l'ennemi reconnaisse son vainqueur.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Ratisbonne, 24 avril 1809.
+
+_Premier bulletin de la grande armée._
+
+L'armée autrichienne a passé l'Inn le 9 avril; par là les hostilités ont
+commencé, et l'Autriche a déclaré une guerre implacable à la France, à
+ses alliés et à la confédération du Rhin.
+
+Voici quelle était la position des corps français et alliés.
+
+Le corps du duc d'Auerstaedt à Ratisbonne.
+
+Le corps du duc de Rivoli à Ulm.
+
+Le corps du général Oudinot à Augsbourg.
+
+Le quartier-général à Strasbourg.
+
+Les trois divisions bavaroises, sous les ordres du duc de Dantzick:
+placées, la première, commandée parle prince royal, à Munich; la
+deuxième, commandée par le général Deroi, à Landshut; et la troisième,
+commandée par le général de Wrede, a Straubing.
+
+La division wurtembergeoise à Heidenheim.
+
+Les troupes saxonnes campées sous les murs de Dresde.
+
+Le corps du duché de Varsovie, commandé par le prince Poniatowski, sous
+Varsovie.
+
+Le 10, les troupes autrichiennes investirent Passau, où s'enferma
+un bataillon bavarois; elles investirent en même temps Kufftein, où
+s'enferma également un bataillon bavarois. Ce mouvement eut lieu sans
+tirer un coup de fusil.
+
+Les Autrichiens publièrent dans le Tyrol la proclamation ci-jointe. La
+cour de Bavière quitta Munich pour se rendre à Dillingen.
+
+La division bavaroise qui était à Landshut se porta à Altorff, sur la
+rive gauche de l'Iser.
+
+La division commandée par le général de Wrede se porta sur Neustadt.
+
+Le duc de Rivoli partit d'Ulm et se porta sur Augsbourg.
+
+Du 10 au 16, l'armée ennemie s'avança de l'Inn sur l'Iser. Des partis
+de cavalerie se rencontrèrent, et il y eut plusieurs charges, dans
+lesquelles les Bavarois eurent l'avantage. Le 16, à Pfaffenhoffen, les
+deuxième et troisième régimens de chevau-légers bavarois culbutèrent les
+hussards Stipschitz et les dragons de Rosemberg.
+
+Au même moment, l'ennemi se présenta en force pour déboucher par
+Landshut. Le pont était rompu, et la division bavaroise, commandée par
+le général Deroy, opposait une vive résistance à ce mouvement; mais
+menacée par des colonnes qui avaient passé l'Iser à Moorburg et à
+Freysing, cette division se retira en bon ordre sur celle du général de
+Wrede, et l'armée bavaroise se centralisa sur Neustadt.
+
+_Départ de l'empereur de Paris, le 13._
+
+L'empereur apprit par le télégraphe, dans la soirée du 12, le passage de
+l'Inn par l'armée autrichienne, et partit de Paris un instant après. Il
+arriva le 16, à trois heures du matin, à Louisbourg, et dans la soirée
+du même jour à Dillingen, où il vit le roi de Bavière; passa une
+demi-heure avec ce prince et lui promit de le ramener en quinze jours
+dans sa capitale et de venger l'affront fait à sa maison, en le faisant
+plus grand que ne furent jamais aucun de ses ancêtres. Le 17, à
+sept heures du matin, S. M. arriva à Donswerth, où était établi le
+quartier-général, et donna sur-le-champ les ordres nécessaires.
+
+Le 18, le quartier-général fut transporté à Ingolstadt.
+
+_Combat de Pfaffenhoffen, le 19._
+
+Le 19, le général Oudinot, parti d'Augsbourg, arriva à la pointe du jour
+à Pfaffenhoffen, y rencontra trois à quatre mille Autrichiens qu'il
+attaqua et dispersa, et fit trois cents prisonniers.
+
+Le duc de Rivoli, avec son corps d'armée, arriva le lendemain à
+Pfaffenhoffen.
+
+Le même jour, le duc d'Auerstaedt quitta Ratisbonne pour se porter sur
+Neustadt et se rapprocher d'Ingolstadt. Il parut évident alors que le
+projet de l'empereur était de manoeuvrer sur l'ennemi qui avait débouché
+de Landshut, et de l'attaquer dans le moment même où, croyant avoir
+l'initiative, il marchait sut Ratisbonne.
+
+_Bataille de Tann, le 19._
+
+Le 19, à la pointe du jour, le duc d'Auerstaedt se mit en marche sur
+deux colonnes. Les divisions Morand et Gudin formaient sa droite; les
+divisions Saint-Hilaire et Friant formaient sa gauche. La division
+Saint-Hilaire, arrivée au village de Peissing, y rencontra l'ennemi
+plus fort en nombre, mais bien inférieur en bravoure; et là s'ouvrit
+la campagne par un combat glorieux pour nos armées. Le général
+Saint-Hilaire, soutenu par le général Friant, culbuta tout ce qui
+était devant lui, enleva les positions de l'ennemi, lui tua une grande
+quantité de monde et lui fit six à sept cents prisonniers.
+
+Le soixante-douzième se distingua dans cette journée, et le
+cinquante-septième soutint son ancienne réputation. Il y a seize ans
+ce régiment avait été surnommé en Italie _le terrible_, et il a
+bien justifié ce surnom dans cette affaire, où seul il a abordé et
+successivement défait six régimens autrichiens.
+
+Sur la gauche, à deux heures après-midi, le général Morand rencontra
+également une division autrichienne qu'il attaqua en tête, tandis que
+le duc de Dantzick, avec un corps bavarois, parti d'Abensberg, vint la
+prendre en queue. Cette division fut bientôt débusquée de toutes ses
+positions, et laissa quelques centaines de morts et de prisonniers.
+Le régiment entier des dragons de Levenher fut détruit par les
+chevau-légers bavarois, et son colonel fut tué.
+
+A la chute du jour, le corps du duc de Dantzick fit sa jonction avec
+celui du duc d'Auerstaedt.
+
+Dans toutes ces affaires les généraux Saint-Hilaire et Friant se sont
+particulièrement distingués.
+
+Ces malheureuses troupes autrichiennes qu'on avait amenées de Vienne au
+bruit des chansons et des fifres, en leur faisant croire qu'il n'y avait
+plus d'armée française en Allemagne, et qu'elles n'auraient affaire
+qu'aux Bavarois et aux Wurtembergeois, montrèrent tout le ressentiment
+qu'elles concevaient contre leurs chefs, des erreurs où ils les avaient
+entretenues, et leur terreur ne fut que plus grande à la vue de ces
+vieilles bandes qu'elles étaient accoutumées à considérer comme leurs
+maîtres.
+
+Dans tous ces combats, notre perte fut peu considérable en comparaison
+de celle de l'ennemi, qui surtout perdit beaucoup d'officiers et de
+généraux, obligés de se mettre en avant pour donner de l'élan à leurs
+troupes. Le prince de Liechtenstein, le général de Lusignan et plusieurs
+autres furent blessés. La perte des Autrichiens en colonels et officiers
+de moindre grade, est extrêmement considérable.
+
+_Bataille d'Abensberg, le 20._
+
+L'empereur résolut de battre et de détruire le corps de l'archiduc Louis
+et celui du général Hiller, forts ensemble de soixante mille hommes. Le
+20, Sa Majesté se porta à Abensberg; il donna ordre au duc d'Auerstaedt
+de tenir en respect les corps de Hohenzollern, Rosemberg et de
+Liechtenstein, pendant qu'avec les deux divisions Morand et Gudin,
+les Bavarois et les Wurtembergeois, il attaquait de front l'armée de
+l'archiduc Louis et du général Hiller, et qu'il faisait couper les
+communications de l'ennemi par le duc de Rivoli, en le faisant passer à
+Freysing, et de là sur les derrières de l'armée autrichienne.
+
+Les divisions Morand et Gudin formèrent la gauche et manoeuvrèrent sous
+les ordres du duc de Montebello. L'empereur se décida à combattre ce
+jour-là à la tête des Bavarois et des Wurtembergeois. Il fit réunir en
+cercle les officiers de ces deux armées et leur parla long-temps. Le
+prince royal de Bavière traduisait en allemand ce qu'il disait en
+français. L'empereur leur fit sentir la marque de confiance qu'il leur
+donnait. Il dit aux officiers bavarois que les Autrichiens avaient
+toujours été leurs ennemis; que c'était à leur indépendance qu'ils en
+voulaient; que depuis plus de deux cents ans les drapeaux bavarois
+étaient déployés contre la maison d'Autriche; mais que cette fois il
+les rendrait si puissans, qu'ils suffiraient seuls désormais pour lui
+résister.
+
+Il parla aux Wurtembergeois des victoires qu'ils avaient remportées sur
+la maison d'Autriche, lorsqu'ils servaient dans l'armée prussienne,
+et des derniers avantages qu'ils avaient obtenus dans la campagne de
+Silésie. Il leur dit à tous que le moment de vaincre était venu pour
+porter la guerre sur le territoire autrichien. Ces discours, qui
+furent répétés aux compagnies par les capitaines, et les différentes
+dispositions que fit l'empereur, produisirent l'effet qu'on pouvait en
+attendre.
+
+L'empereur donna alors le signal du combat et mesura les manoeuvres sur
+le caractère particulier de ces troupes. Le général de Wrede, officier
+bavarois d'un grand mérite, placé au devant du pont de Siegenburg,
+attaqua une division autrichienne qui lui était opposée. Le général
+Vandamme, qui commandait les Wurtembergeois, la déborda sur son flanc
+droit. Le duc de Dantzick, avec la division du prince royal et celle du
+général Deroy, marcha sur le village de Rennhause pour arriver sur la
+grande route d'Abensberg à Landshut. Le duc de Montebello, avec ses deux
+divisions françaises, força l'extrême gauche, culbuta tout ce qui était
+devant lui, et se porta sur Rohr et Rothemburg. Sur tous les points,
+la canonnade était engagée avec succès. L'ennemi, déconcerté par ces
+dispositions, ne combattit qu'une heure et battit en retraite. Huit
+drapeaux, douze pièces de canon, dix-huit mille prisonniers furent le
+résultat de cette affaire, qui ne nous a coûté-que peu de monde.
+
+_Bataille d'Eckmülh, le 22._
+
+Tandis que la bataille d'Abensberg et le combat de Landshut avaient des
+résultats si importans, le prince Charles se réunissait avec le corps de
+Bohême, commandé par le général Kollowrath, et obtenait à Ratisbonne un
+faible succès.
+
+Mille hommes du soixante-cinquième, qui avaient été laissés pour garder
+le pont de Ratisbonne, ne reçurent point l'ordre de se retirer. Cernés
+par l'armée autrichienne, ces braves ayant épuisé leurs cartouches,
+furent obligés de se rendre. Cet événement fut sensible à l'empereur; il
+jura que dans les vingt-quatre heures le sang autrichien coulerait dans
+Ratisbonne, pour venger cet affront fait à ses armes.
+
+Dans le même temps, les ducs d'Auerstaedt et de Dantzick tenaient en
+échec les corps de Rosemberg, de Hohenzollern et de Liechtenstein. Il
+n'y avait pas de temps à perdre. Le 22 au matin, l'empereur se mit en
+marche de Landshut avec les deux divisions du duc de Montebello, le
+corps du duc de Rivoli, les divisions de cuirassiers Nansouty et
+Saint-Sulpice et la division wurtembergeoise. A deux heures après-midi,
+il arriva vis-à-vis Eckmülh, où les quatre corps de l'armée
+autrichienne, formant cent dix mille hommes, étaient en position sous
+le commandement de l'archiduc Charles. Le duc de Montebello déborda
+l'ennemi par la gauche avec la division Gudin. Au premier signal, les
+ducs d'Auerstaedt et de Dantzick, et la division de cavalerie légère
+du général Montbrun, débouchèrent. On vit alors un des plus beaux
+spectacles qu'aient offerts la guerre. Cent dix mille ennemis attaqués
+sur tous les points, tournés par leur gauche, et successivement dépostés
+de toutes leurs positions. Le détail des événemens militaires serait
+trop long; il suffit de dire que, mis en pleine déroute, l'ennemi
+a perdu la plus grande partie de ses canons et un grand nombre de
+prisonniers; que le dixième d'infanterie légère, de la division
+Saint-Hilaire, se couvrit de gloire en débouchant sur l'ennemi, et que
+les Autrichiens, débusqués du bois qui couvre Ratisbonne, furent jetés
+dans la plaine et coupés par la cavalerie. Le sénateur général de
+division Demont eut un cheval tué sous lui. La cavalerie autrichienne,
+forte et nombreuse, se présenta pour protéger la retraite de son
+infanterie; la division Saint-Sulpice sur la droite, la division
+Nansouty sur la gauche, l'abordèrent; la ligne de hussards et de
+cuirassiers ennemis fut mise en déroute. Plus de trois cents cuirassiers
+autrichiens furent faits prisonniers. La nuit commençait; nos
+cuirassiers continuèrent leur marche sur Ratisbonne. La division
+Nansouty rencontra une colonne ennemie qui se sauvait, la chargea et la
+fit prisonnière; elle était composée de trois bataillons hongrois de
+quinze cents hommes.
+
+La division Saint-Sulpice chargea un autre carré dans lequel faillit
+être pris le prince Charles, qui ne dut son salut qu'à la vitesse de
+son cheval. Cette colonne fut également enfoncée et prise. L'obscurité
+obligea enfin à s'arrêter. Dans cette bataille d'Eckmülh, il n'y eut que
+la moitié à peu près des troupes françaises engagée. Poussée l'épée
+dans les reins, l'armée ennemie continua de défiler toute la nuit par
+morceaux et dans la plus épouvantable déroute. Tous ses blessés, la
+plus grande partie de son artillerie, quinze drapeaux et vingt mille
+prisonniers sont tombés eu notre pouvoir. Les cuirassiers se sont, comme
+à l'ordinaire, couverts de gloire.
+
+_Combat et prise de Ratisbonne, le 23._
+
+Le 20, à la pointe du jour, on s'avança sur Ratisbonne; l'avant-garde
+formée par la division Gudin et par les cuirassiers des divisions
+Nansouty et Saint-Sulpice; on ne tarda pas à apercevoir la cavalerie
+ennemie gui prétendait couvrir la ville. Trois charges successives
+s'engagèrent: toutes furent à notre avantage. Sabrés et mis en pièces,
+huit mille hommes de cavalerie ennemie repassèrent précipitamment le
+Danube. Sur ces entrefaites, nos tirailleurs tâtèrent la ville. Par
+une inconcevable disposition, le général autrichien y avait placé six
+régiments sacrifiés sans raison. La ville est enveloppée d'une
+mauvaise enceinte, d'un mauvais fossé et d'une mauvaise contrescarpe.
+L'artillerie arriva; on mit en batterie des pièces de 12. On reconnut
+une issue par laquelle, au moyen d'une échelle, on pouvait descendre
+dans le fossé, et remonter ensuite par une brèche faite à la muraille.
+
+Le duc de Montebello fit passer par cette ouverture un bataillon qui
+gagna une poterne et l'ouvrit; on s'introduisit alors dans la ville.
+Tout ce qui fit résistance fut sabré; le nombre des prisonniers passa
+huit mille. Par suite de ses mauvaises dispositions, l'ennemi n'eut pas
+le temps de couper le pont, et les Français passèrent avec lui sur
+la rive gauche. Cette malheureuse ville, qu'il a eu la barbarie de
+défendre, a beaucoup souffert; le feu y a été une partie de la nuit;
+mais par les soins du général Morand et de sa division, on parvint à le
+dominer et à l'éteindre.
+
+Ainsi, à la bataille d'Abensberg, l'empereur battit séparément les deux
+corps de l'archiduc Louis et du général Hiller. Au combat de Landshut,
+il s'empara du centre des communications de l'ennemi et du dépôt général
+de ses magasins et de son artillerie. Enfin, à la bataille d'Eckmülh,
+les quatre corps d'Hohenzollern, de Rosemberg, de Kollowrath et de
+Lichtenstein furent défaits et mis en déroute. Le corps du général
+Bellegarde, arrivé le lendemain de cette bataille, ne put qu'être témoin
+de la prise de Ratisbonne, et se sauva en Bohême.
+
+Cette première notice des opérations militaires qui ont ouvert la
+campagne d'une manière si brillante, sera suivie d'une relation plus
+détaillée de tous les faits d'armes qui ont illustré les armées
+française et alliées.
+
+Dans tous ces combats, notre perte peut se monter à douze cents tués
+et à quatre mille blessés. Le général de division Cervoni, chef
+d'état-major du général Montebello, fut frappé d'un boulet de canon et
+tomba mort sur le champ de bataille d'Eckmülh. C'était un officier de
+mérite et qui s'était distingué dans nos premières campagnes. Au combat
+de Peissing, le général Hervo, chef de l'état-major du duc d'Auerstaedt,
+a été également tué. Le duc d'Auerstaedt regrette vivement cet officier,
+dont il estimait la bravoure, l'intelligence et l'activité. Le général
+de brigade Clément, commandant une brigade de cuirassiers de la division
+Saint-Sulpice, a eu un bras emporté. C'est un officier de courage et
+d'un mérite distingué. Le général Schramm a été blessé. Le colonel du
+quatorzième de chasseurs a été tué dans une charge. En général,
+notre perte en officiers est peu considérable. Les mille hommes du
+soixante-cinquième qui ont été faits prisonniers, ont été pour la
+plupart repris. Il est impossible de montrer plus de bravoure et de
+bonne volonté qu'en ont montré les troupes.
+
+A la bataille d'Eckmülh, le corps du duc de Rivoli n'ayant pu encore
+joindre, ce maréchal est resté constamment auprès de l'empereur, il a
+porté des ordres et fait exécuter différentes manoeuvres.
+
+A l'assaut de Ratisbonne, le duc de Montebello, qui avait désigné le
+lieu du passage, a fait porter les échelles par ses aides-de-camp.
+
+Le prince de Neufchâtel, afin d'encourager les troupes et donner en même
+temps une preuve de confiance aux alliés, a marché plusieurs fois à
+l'avant-garde avec les régiments bavarois.
+
+Le duc d'Auerstaedt a donné dans ces différentes affaires de nouvelles
+preuves de l'intrépidité qui le caractérise.
+
+Le duc de Rovigo, avec autant de dévouement que d'intrépidité, a
+traversé plusieurs fois les légions ennemies, pour aller faire connaître
+aux différentes colonnes l'intention de l'empereur.
+
+Des deux cent vingt mille hommes qui composaient l'armée autrichienne,
+tous ont été engagés hormis les vingt mille hommes que commande le
+général Bellegarde et qui n'ont pas donné. De l'armée française, au
+contraire, près de la moitié n'a pas tiré un coup de fusil. L'ennemi,
+étonné, par des mouvemens rapides, et hors de ses calculs, s'est trouvé
+en un moment déchu de sa folle espérance, et transporté du délire de la
+présomption dans un abattement approchant du désespoir.
+
+
+
+_Proclamation du général Jellachich aux habitons du Tyrol._
+
+Tyroliens,
+
+Si vous êtes encore ce que vous avez été il n'y a pas longtemps; si vous
+vous rappelez le bonheur, la prospérité, la liberté véritable dont vous
+avez joui sous le sceptre bienfaisant de l'Autriche; si la voix du
+général que vous avez reconnu comme un des vôtres, lorsqu'on 1799 il
+vous a sauvés d'un danger imminent par la victoire de Feldkirch, qui,
+dans l'année suivante, a rendu inattaquable votre frontière depuis
+Arbberg jusqu'à la vallée de Karabendel; si tout cela n'est pas effacé
+de votre mémoire, écoutez ce que je viens vous dire; écoutez et soyez-en
+pénétrés.
+
+Votre seigneur légitime (je devrais dire votre père) vous recherche:
+placez-vous sous son égide! Son coeur saigne de vous voir sous une
+domination étrangère; vous, ses fidèles, redevenez les enfans de
+l'Autriche, ne méconnaissez pas ce titre précieux!
+
+Des armées autrichiennes plus nombreuses que jamais, plus animées et
+plus patriotiques, vont entrer dans votre pays; considérez-les comme vos
+frères, comme les enfans d'un même père; réunissez-vous à elles, suivant
+l'exemple de tous les peuples qui rendent hommage au trône autrichien.
+Enfin, comportez-vous en tout comme vous l'avez fait tout récemment à
+l'admiration de toute l'Europe.
+
+Tyroliens, Dieu est avec nous. Nous ne cherchons pas de nouvelles
+conquêtes, mais nous voulons ramener dans le sein de notre père impérial
+et gracieux des frères qui ont été détachés de lui. Rien ne nous
+résiste, rien ne peut nous vaincre dès que nous nous unissons pour
+notre bonheur et pour la conservation de notre existence. Croyez-moi,
+Tyroliens, Dieu est avec nous!
+
+
+
+Mulhdorf, 27 avril 1809.
+
+_Deuxième bulletin de la grande armée._
+
+Le 22, le lendemain du combat de Landshut, l'empereur partit de cette
+ville pour Ratisbonne et livra la bataille d'Eckmülh. En même temps il
+envoya le maréchal duc d'Istrie, avec la division bavaroise aux ordres
+du général de Wrede, et la division Molitor, pour se porter sur l'Inn
+et poursuivre les deux corps d'armée autrichiens battus à la bataille
+d'Abensberg et au combat de Landshut.
+
+Le maréchal duc d'Istrie, arrivé successivement à Wilsbiburg et à
+Neumark, y trouva un équipage de pont attelé, plus de quatre cents
+voitures, des caissons et des équipages, et fit dans sa marche quinze à
+dix-huit cents prisonniers.
+
+Les corps autrichiens trouvèrent au-delà de Neumark un corps de réserve
+qui arrivait sur l'Inn; ils s'y rallièrent, et le 25 livrèrent à Neumark
+un combat où les Bavarois, malgré leur extrême infériorité, conservèrent
+leurs positions.
+
+Le 24, l'empereur avait dirigé le corps du maréchal duc de Rivoli, de
+Ratisbonne sur Straubing, et de là sur Passau, où il arriva le 26. Le
+duc de Rivoli fit passer l'Inn au bataillon du Pô, qui fit trois cents
+prisonniers, débloqua la citadelle et occupa Scharding.
+
+Le 25, le maréchal duc de Montebello avait eu ordre de marcher avec son
+corps, de Ratisbonne sur Mulhdorf; le 27, il passa l'Inn et se porta sur
+la Salza.
+
+Aujourd'hui 27, l'empereur a son quartier-général à Mulhdorf.
+
+La division autrichienne, commandée par le général Jellachich, qui
+occupait Munich, est poursuivie par le corps du duc de Dantzick.
+
+Le roi de Bavière s'est montré de sa personne à Munich; il est retourné
+ensuite à Augsbourg, où il restera encore quelques jours, attendant,
+pour établir fixement sa résidence à Munich, que la Bavière soit
+entièrement purgée des partis ennemis.
+
+Cependant, du côté de Ratisbonne, le duc d'Auerstaedt s'est mis à la
+poursuite du prince Charles, qui, coupé de ses communications avec l'Inn
+et Vienne, n'a eu d'autre ressource que de se retirer dans les montagnes
+de Bohême par Waldmunchen et Cham.
+
+Quant à l'empereur d'Autriche, il parait qu'il était devant Passau,
+s'étant chargé d'assiéger cette place avec trois bataillons de landwerh.
+
+Toute la Bavière et le Palatinat sont délivrés de la présence des armées
+ennemies.
+
+A Ratisbonne, l'empereur a passé la revue de plusieurs corps, ci s'est
+fait présenter le plus brave soldat, auquel il a donné des distinctions
+et des pensions, et le plus brave officier, auquel il a donné des
+baronnies et des terres. Il a spécialement témoigné sa satisfaction aux
+divisions Saint-Hilaire et Friant.
+
+Jusqu'à cette heure, l'empereur a fait la guerre presque sans équipages
+et sans garde, et l'on a remarqué qu'en l'absence de sa garde, il
+avait toujours autour de lui des troupes alliées bavaroises et
+wurtembergeoises, voulant par là leur donner une preuve particulière
+de confiance. Hier sont arrivés à Landshut une partie des chasseurs
+et grenadiers à cheval de la garde, le régiment de fusiliers et un
+bataillon de chasseurs à pied.
+
+D'ici à huit jours, toute la garde sera arrivée.
+
+On a fait courir le bruit que l'empereur avait eu la jambe cassée; le
+fuit est qu'une balle morte a effleuré le talon de la botte de S. M.,
+mais n'a pas même altéré la peau. Jamais S. M., au milieu des plus
+grandes fatigues, ne s'est mieux portée.
+
+On remarque comme un fuit singulier qu'un des premiers officiers
+autrichiens faits prisonniers dans cette guerre, se trouve être
+l'aide-de-camp du prince Charles, envoyé à M. Otto pour lui remettre la
+fameuse lettre portant que l'armée française eût à s'éloigner.
+
+Les habitans de Ratisbonne s'étant très-bien comportés, et ayant montré
+l'esprit patriotique et confédéré que nous étions en droit d'attendre
+d'eux, S. M. a ordonné que les dégâts qui avaient été faits seraient
+réparés à ses frais, et particulièrement la restauration des maisons
+incendiées, dont la dépense s'élèvera à plusieurs millions.
+
+Tous les souverains et tous les pays de la confédération montrent
+l'esprit le plus patriotique. Lorsque le ministre d'Autriche à Dresde
+remit la déclaration de sa cour au roi de Saxe, ce prince ne put retenir
+son indignation. «Vous voulez la guerre, dit le roi, et contre qui? Vous
+attaquez et vous invectivez celui qui, il y a trois ans, maître de votre
+sort, vous a restitué vos états. Les propositions que l'on me fait
+m'affligent; mes engagemens sont connus de toute l'Europe; aucun prince
+de la confédération ne s'en détachera.»
+
+Le grand duc de Wurtzbourg, frère de l'empereur d'Autriche, a montré les
+mêmes sentimens, et a déclaré que si les Autrichiens avançaient sur ses
+états, il se retirerait, s'il le fallait, au-delà du Rhin; tout l'esprit
+de vertige et les injures de la cour de Vienne sont généralement
+appréciés. Les régimens des petits princes, toutes les troupes alliées,
+demandent à l'envi à marcher à l'ennemi.
+
+Une chose notable, et que la postérité remarquera comme une nouvelle
+preuve de l'insigne mauvaise foi de la maison d'Autriche, c'est que
+le même jour qu'elle faisait écrire au roi de Bavière la lettre, elle
+faisait publier dans le Tyrol la proclamation du général Jellachich: le
+même jour on proposait au roi d'être neutre et on insurgeait ses sujets.
+Comment concilier cette contradiction, ou plutôt, comment justifier
+cette infamie?
+
+
+
+Ratisbonne, 24 avril 1809.
+
+_Ordre du jour._
+
+Soldats!
+
+Vous avez justifié mon attente: vous avez suppléé au nombre par votre
+courage; vous avez glorieusement marqué la différence qui existe entre
+les soldats de César et les armées de Xerxès.
+
+En peu de jours nous avons triomphé dans les trois batailles de Tann,
+d'Abensberg et d'Eckmühl, et dans les combats de Peissing, Landshut et
+de Ratisbonne. Cent pièces de canon, quarante drapeaux, cinquante mille
+prisonniers, trois équipages attelés, trois mille voitures attelées
+portant les bagages, toutes les caisses des régimens, voilà le résultat
+de la rapidité de vos marches et de votre courage.
+
+L'ennemi enivré par un cabinet parjure, paraissait ne plus conserver
+aucun souvenir de vous; son réveil a été prompt; vous lui avez paru
+plus terribles que jamais. Naguère il a traversé l'Inn et envahi le
+territoire de nos alliés; naguère il se promettait de porter la guerre
+au sein de notre patrie. Aujourd'hui, défait, épouvanté, il fuit en
+désordre; déjà mon avant-garde a passé l'Inn; avant un mois nous serons
+à Vienne.
+
+
+
+Burghausen, 30 avril 1809.
+
+_Troisième bulletin de la grande armée._
+
+L'empereur est arrivé le 27, à six heures du soir, à Mulhdorf. S. M.
+a envoyé la division du général de Wrede à Lauffen, sur l'Alza, pour
+tâcher d'atteindre le corps que l'ennemi avait dans le Tyrol, et qui
+battait en retraite à marches forcées. Le général de Wrede arriva le 28
+à Lauffen, rencontra l'arrière-garde ennemie, prit ses bagages, et lui
+fit bon nombre de prisonniers; mais l'ennemi eut le temps de passer la
+rivière et brûla le pont.
+
+Le 27, le duc de Dantzick arriva à Wanesburk et le 28 à Altenmarck.
+
+Le 29, le général de Wrede avec sa division, continua sa marche sur
+Salzbourg: à trois lieues de cette ville, sur la route de Lauffen,
+il trouva des avant-postes de l'armée ennemie. Les Bavarois les
+poursuivirent l'épée dans les reins, et entrèrent pêle-mêle avec eux
+dans Salzbourg. Le général de Wrede assure que la division du général
+Jellachich est entièrement dispersée. Ainsi, ce général a porté la peine
+de l'infâme proclamation par laquelle il a mis le poignard aux mains des
+Tyroliens.
+
+Les Bavarois ont fait cinq cents prisonniers. On a trouvé à Salzbourg
+des magasins assez considérables.
+
+Le 28, à la pointe du jour, le duc d'Istrie arriva à Burghausen, et
+posta une avant-garde sur la rive droite de l'Inn. Le même jour, le duc
+de Montebello arriva à Burghausen. Le comte Bertrand disposa tout pour
+raccommoder le pont que l'ennemi avait brûlé. La crue de la
+rivière occasionnée par la fonte des neiges, mit quelque retard au
+rétablissement du pont. Toute la journée du 29 fut employée à ce
+travail. Dans la journée du 30, le pont a été rétabli et toute l'armée a
+passé.
+
+Le 28, un détachement de cinquante chasseurs, sous le commandement du
+chef d'escadron Margaron, est arrivé à Dittemaning, où il a rencontré
+un bataillon de la fameuse landwerh qui à son approche se jeta dans
+un bois. Le chef d'escadron Margaron l'envoya sommer; après s'être
+long-temps consultés, mille hommes de ces redoutables milices postés
+dans un bois fourré et inaccessible à la cavalerie, se sont rendus à
+cinquante chasseurs. L'empereur voulut les voir; ils faisaient pitié:
+ils étaient commandés par de vieux officiers d'artillerie, mal armés et
+plus mal équipés encore.
+
+Le génie arrogant et farouche de l'Autrichien s'était entièrement
+découvert dans le moment de fausse prospérité dont leur entrée à Munich
+les avait éblouis. Ils feignirent de caresser les Bavarois; mais les
+griffes du tigre reparurent bientôt. Le bailli de Mulhdorf, nommé Stark,
+qui avait mérité une distinction du roi de Bavière, pour les services
+qu'il avait rendus à ses troupes dans la dernière guerre, a été arrêté
+et conduit à Vienne pour y être jugé. A Burghausen la femme du bailli,
+comte d'Armansperd, est venue supplier l'empereur de lui faire rendre
+son mari que les Autrichiens ont emmené à Lintz, et de là à Vienne, sans
+qu'on en ait entendu parler depuis. La raison de ce mauvais traitement
+est qu'en 1805, il lui fut fait des réquisitions auxquelles il
+n'obtempéra point. Voilà le crime dont les Autrichiens lui ont gardé un
+si long ressentiment et dont ils ont tiré cette injuste vengeance.
+
+Les Bavarois feront sans doute un récit de toutes les vexations et
+des violences que les Autrichiens ont exercées envers eux, pour en
+transmettre la mémoire à leurs enfans, quoiqu'il soit probable que c'est
+pour la dernière fois que les Autrichiens ont insulté aux alliés de la
+France. Des intrigues ont été ourdies par eux, en Tyrol et en Westphalie
+pour exciter les sujets à la révolte contre leurs princes.
+
+Levant des armées nombreuses divisées en corps comme l'armée française,
+marchant au pas accéléré pour singer l'armée française, faisant des
+bulletins, des proclamations, des ordres du jour, en singeant même
+encore l'armée française, ils ne représentent pas mal l'âne qui, couvert
+de la peau du lion, cherche à l'imiter; mais le bout de l'oreille se
+laisse apercevoir, et le naturel l'emporte toujours.
+
+L'empereur d'Autriche a quitté Vienne et a signé en partant une
+proclamation, rédigée par Gentz dans le style de l'esprit des plus
+sots libelles. Il s'est porté à Scharding, position qu'il a choisie,
+précisément pour n'être nulle part, ni dans sa capitale pour gouverner
+ses états, ni au camp où il n'eût été qu'un inutile embarras. Il est
+difficile de voir un prince plus débile et plus faux. Lorsqu'il a appris
+la suite de la bataille d'Eckmülh, il a quitté les bords de l'Inn et est
+rentré dans le sein de ses états.
+
+La ville de Scharding que le duc de Rivoli a occupée, a beaucoup
+souffert. Les Autrichiens en se retirant ont mis le feu à leurs magasins
+et ont brûlé la moitié de la ville qui leur appartenait. Sans doute
+qu'ils avaient le pressentiment, et qu'ils ont adopté l'adage que ce qui
+leur appartenait, ne leur appartiendra plus.
+
+
+
+Braunau, 1er mai 1809.
+
+_Quatrième bulletin de la grande armée._
+
+Au passage du pont de Landshut, le général de brigade Lacour a montré du
+courage et du sang-froid. Le comte Lauriston a placé l'artillerie avec
+intelligence, et a contribué au succès de cette brillante affaire.
+
+L'évêque et les principales autorités de Salzbourg sont venus à
+Burghausen implorer la clémence de l'empereur pour leur pays. S. M. leur
+a donné l'assurance qu'ils ne retourneraient plus sous la domination de
+la maison d'Autriche. Ils ont promis de prendre des mesures pour faire
+rentrer les quatre bataillons de milices que le cercle avait fournis, et
+dont une partie avait déjà été prise et dispersée.
+
+Le quartier-général part pour se rendre aujourd'hui premier mai, à Ried.
+
+On a trouvé à Braunau des magasins de deux cent mille rations de
+biscuit et de six mille sacs d'avoine. On espère en trouver de plus
+considérables à Ried. Le cercle de Ried a fourni trois bataillons de
+milices; mais la plus grande partie est déjà rentrée.
+
+L'empereur d'Autriche a été pendant trois jours à Braunau. C'est à
+Scharding qu'il a appris la défaite de son armée. Les habitans lui
+imputent d'être le principal auteur de la guerre.
+
+Les fameux volontaires de Vienne, battus à Landshut, ont repassé ici,
+jetant leurs armes et portant à toutes jambes l'alarme à Vienne.
+
+Le 21 avril, on a publié dans cette capitale un décret du souverain qui
+déclare que les ports sont rouverts aux Anglais, les relations avec
+cet ancien allié rétablies, et les hostilités commencées avec l'ennemi
+commun.
+
+Le général Oudinot a pris entre Altain et Ried un bataillon de mille
+hommes: ce bataillon était sans cavalerie et sans artillerie; à
+l'approche de nos troupes, il se mit en devoir de commencer la
+fusillade; mais cerné de tous côtés par la cavalerie, il posa les armes.
+
+S. M. a passé en revue à Burghausen plusieurs brigades de cavalerie
+légère, entre autres celle de Hesse-Darmstadt, à laquelle elle a
+témoigné sa satisfaction. Le général Marulaz, sous les ordres duquel est
+cette troupe, en fait une mention, particulière. S. M. lui a accordé
+plusieurs décorations de la légion d'honneur.
+
+
+
+Enns, 4 mai 1809.
+
+_Cinquième bulletin de la grande armée._
+
+Le premier mai, le général Oudinot, après avoir fait onze cents
+prisonniers, a poussé au-delà de Ried où il en a encore fait quatre
+cents, de sorte que dans cette journée il a pris quinze cents hommes
+sans tirer un coup de fusil.
+
+La ville de Braunau était une place forte d'assez d'importance,
+puisqu'elle rendait maître d'un pont sur la rivière qui forme la
+frontière de l'Autriche. Par un esprit de vertige digne de ce débile
+cabinet, il a détruit une forteresse située dans une position frontière
+où elle pouvait lui être d'une grande utilité, pour en construire une à
+Comorn, au milieu de la Hongrie. La postérité aura peine à croire à cet
+excès d'inconséquence et de folie.
+
+L'empereur est arrivé à Ried, le 2 mai à une heure du matin, et à
+Lambach le même jour à une heure après midi.
+
+On a trouvé à Ried une manutention de huit fours organisés et des
+magasins contenant vingt mille quintaux de farine.
+
+Le pont de Lambach sur la Braun avait été coupé par l'ennemi; il a été
+rétabli dans la journée.
+
+Le même jour, le duc d'Istrie, commandant la cavalerie, et le duc de
+Montebello, avec le corps du général Oudinot, sont entrés à Wels. On a
+trouvé dans cette ville une manutention, douze ou quinze mille quintaux
+de farine et des magasins de vin et d'eau-de-vie.
+
+Le duc de Dantzick, arrivé le 30 avril à Salzbourg, a fait marcher
+sur-le-champ une brigade sur Kufstein et une autre sur Rastadt, dans la
+direction des chemins d'Italie. Son avant-garde poursuivant le général
+Jellachich, l'a forcé dans la position de Colling.
+
+Le premier mai, le quartier-général du maréchal duc de Rivoli était à
+Sharding. L'adjudant commandant Tringualye, commandant l'avant-garde de
+la division Saint-Cyr, a rencontré à Riedau, sur la route de Neumarck,
+l'avant-garde de l'ennemi; les chevau-légers wurtembergeois, les dragons
+badois et trois compagnies de voltigeurs du quatrième régiment de ligne
+français, aussitôt qu'ils aperçurent l'ennemi, l'attaquèrent et le
+poursuivirent jusqu'à Neumarck. Ils lui ont tué cinquante hommes et fait
+cinq cents prisonniers.
+
+Les dragons badois ont bravement chargé un demi-bataillon du régiment
+de Jordis et lui ont fait mettre bas les armes; le lieutenant-colonel
+d'Emmerade, qui les commandait, a en son cheval percé de coups de
+baïonnette. Le major Sainte-Croix a pris de sa propre main un drapeau à
+l'ennemi. Notre perte est de trois hommes tués et de cinquante blessés.
+
+Le duc de Rivoli continua sa marche le 2, et arriva le 3 à Lintz.
+L'archiduc Louis et le général Hiller, avec les débris de leurs corps
+renforcés d'une réserve de grenadiers et de tout ce qu'avait pu
+leur fournir le pays, était en avant de la Traun avec trente-cinq
+mille-hommes; mais menacés d'être tournés par le duc de Montebello, ils
+se portèrent sur Ebersberg pour y passer la rivière.
+
+Le 3, le duc d'Istrie et le général Oudinot se dirigèrent sur Ebersberg
+et firent leur jonction avec le duc de Rivoli. Ils rencontrèrent en
+avant d'Ebersberg l'arrière-garde des Autrichiens. Les intrépides
+bataillons des tirailleurs du Pô et des tirailleurs corses poursuivirent
+l'ennemi qui passait le pont, culbutèrent dans la rivière les canons,
+les chariots, huit à neuf cents hommes, et prirent dans la ville trois
+à quatre mille hommes que l'ennemi y avait laissés pour sa défense. Le
+général Claparède. dont ces bataillons faisaient l'avant-garde, les
+suivait; il déboucha à Ebersberg et trouva trente mille Autrichiens
+occupant une superbe position. Le maréchal duc d'Istrie passait le
+pont avec sa cavalerie pour soutenir la division, et le duc de Rivoli
+ordonnait d'appuyer son avant-garde par le corps d'armée. Ces restes
+du corps du prince Louis et du général Hitler étaient perdus sans
+ressource. Dans cet extrême danger l'ennemi mit le feu à la ville, qui
+est construite en bois. Le feu s'étendit en un instant partout; le pont
+fut bientôt encombré, et l'incendie gagna même jusqu'aux premières
+travées qu'on fut obligé de couper pour le conserver. Cavalerie,
+infanterie, rien ne put déboucher, et la division Claparède, seule, et
+n'ayant que quatre pièces de canon, lutta pendant trois heures contre
+trente mille ennemis. Cette action d'Ebersberg est un des plus beaux
+faits d'armes dont l'histoire puisse conserver le souvenir.
+
+L'ennemi voyant que la division Claparède était sans communications,
+avança trois fois sur elle, et fut toujours arrêté et reçu par les
+baïonnettes. Enfin, après un travail de trois heures, on parvint à
+détourner les flammes et à ouvrir un passage. Le général de division
+Legrand, avec le vingt-cinquième d'infanterie légère et le dix-huitième
+de ligne, se porta sur le château que l'ennemi avait fait occuper par
+huit cents hommes. Les sapeurs enfoncèrent les portes, et l'incendie
+ayant gagné le château, tout ce qu'il renfermait y périt. Le général
+Legrand marcha ensuite au secours de la division Claparède. Le général
+Durosnel qui venait par la rive droite avec un millier de chevaux, se
+joignit à lui, et l'ennemi fut obligé de se mettre en retraite en
+toute hâte. Au premier bruit de ces événemens, l'empereur avait marché
+lui-même par la rive droite avec les divisions Nansouty et Molitor.
+
+L'ennemi, qui se retirait avec la plus grande rapidité, arriva la nuit
+à Enns, brûla le pont, et continua sa fuite sur la route de Vienne.
+Sa perte consiste en douze mille hommes, dont sept mille cinq cents
+prisonniers, quatre pièces de canon et deux drapeaux.
+
+La division Claparède, qui fait partie des grenadiers d'Oudinot, s'est
+couverte de gloire; elle eu trois cents hommes tués et six cents
+blessés. L'impétuosité des bataillons des tirailleurs du Pô et des
+tirailleurs corses a fixé l'attention de toute l'armée. Le pont, la
+ville, et la position d'Ebersberg, serons des monumens durables de leur
+courage. Le voyageur s'arrêtera et dira: C'est ici, c'est de cette
+superbe position, de ce pont d'une si longue étendue, de ce château si
+fort par sa situation, qu'une armée de trente-cinq mille Autrichiens a
+été chassée par sept mille Français.
+
+Le général de brigade Cohorne, officier d'une singulière intrépidité, a
+eu un cheval tué sous lui.
+
+Les colonels en second Cardenau et Leudy ont été tués.
+
+Une compagnie du bataillon corse poursuivant l'ennemi dans les bois, a
+fait à elle seule sept cents prisonniers.
+
+Pendant l'affaire d'Ebersberg, le duc de Montebello arrivait à Steyer où
+il a fait rétablir le pont que l'ennemi avait coupé.
+
+L'empereur couche aujourd'hui à Enns dans le château dit prince
+d'Awersperg; la journée de demain sera employée à rétablir le pont.
+
+Les députés des états de la Haute-Autriche ont été présentés à S. M. à
+son bivouac d'Ebersberg.
+
+Les citoyens de toutes les classes et de toutes les provinces
+reconnaissent que l'empereur François II est l'agresseur: ils
+s'attendent à de grands changemens, et conviennent que la maison
+d'Autriche a mérité tous ses malheurs. Ils accusent même ouvertement de
+leurs maux, le caractère faible, opiniâtre et perfide de leur souverain;
+ils manifestent tous la plus grande reconnaissance pour la générosité
+dont l'empereur Napoléon usa pendant la dernière guerre envers la
+capitale et les pays qu'il avait conquis; ils s'indignent avec toute
+l'Europe, du ressentiment et de la haine que l'empereur François II
+n'a cessé de nourrir contre une nation qui avait été si grande et si
+magnanime envers lui; ainsi, dans l'opinion même des sujets de notre
+ennemi, la victoire est du côté du bon droit.
+
+
+
+Saint-Polten, 9 mai 1809.
+
+_Sixième bulletin de la grande armée._
+
+Le maréchal prince de Ponte-Corvo qui commande le neuvième corps,
+composé en grande partie de l'armée saxonne, et qui a longé toute la
+Bohême, portant partout l'inquiétude, a fait marcher le général saxon
+Guts Schmitt sur Egra. Ce général a été bien reçu par les habitans,
+auxquels il a ordonné de faire désarmer la landwerh. Le 6, le
+quartier-général du prince de Ponte-Corvo était à Retz, entre la Bohême
+et Ratisbonne.
+
+Le nommé Schill, espèce de brigand qui s'est couvert de crimes dans la
+dernière campagne de Prusse, et qui avait obtenu le grade de colonel, a
+déserté de Berlin avec tout son régiment, et s'est porté à Wittemberg,
+frontière de la Saxe. Il a cerné cette ville. Le général Lestocq l'a
+fait mettre à l'ordre comme déserteur. Ce ridicule mouvement était
+concerté avec le parti qui voulait mettre tout a feu et à sang en
+Allemagne.
+
+S. M. a ordonné la formation d'un corps d'observation de l'Elbe, qui
+sera commandé par le maréchal duc de Valmy, et composé de soixante mille
+hommes. L'avant-garde est déjà en mouvement pour se porter d'abord sur
+Hanau.
+
+Le maréchal duc de Montebello a passé l'Enns à Steyer le 4, et est
+arrivé le 5 à Amstetten, où il a rencontré l'avant-garde ennemie. Le
+général de brigade Colbert a fait faire par le vingtième régiment de
+chasseurs à cheval une charge sur un régiment de houlans dont cinq cents
+ont été pris. Le jeune Lauriston, âgé de dix-huit ans, et sorti depuis
+six mois des pages, a arrêté le commandant des houlans, et après un
+combat singulier, l'a terrassé et l'a fait prisonnier. S. M. lui a
+accordé la décoration de la légion d'honneur.
+
+Le 6, le duc de Montebello est arrivé à Molk, le maréchal duc de Rivoli
+à Amstetten, et le maréchal duc d'Auerstaedt à Lintz.
+
+Les débris du corps de l'archiduc Louis et du général Hiller ont quitté
+Saint-Polten le 7; les deux tiers ont passé le Danube à Crems; on les a
+poursuivis jusqu'à Mautern où l'on a trouvé le pont coupé; l'autre tiers
+a pris la direction de Vienne.
+
+Le 8, le quartier-général de l'empereur était à Saint-Polten.
+
+Le quartier-général du duc de Montebello est aujourd'hui à
+Sigarhiztzkirchen.
+
+Le maréchal duc de Dantzick marche de Salzbourg sur Inspruck, pour
+prendre à revers les détachemens que l'ennemi a encore dans le Tyrol, et
+qui inquiètent les frontières de la Bavière.
+
+On a trouvé dans les caves de l'abbaye de Molck plusieurs millions de
+bouteilles de vin qui sont très-utiles à l'armée. Ce n'est qu'après
+avoir passé Molck qu'on entre dans les pays de vignobles.
+
+Il résulte des états qui ont été dressés, que sur la ligne de
+l'armée depuis le passage de l'Inn, on a trouvé dans les différentes
+manutentions de l'ennemi, quarante mille quintaux de farine, quatre cent
+mille rations de biscuit et plusieurs centaines de milliers de rations
+de pain. L'Autriche avait formé ces magasins pour marcher en avant; ils
+nous ont beaucoup servi.
+
+
+
+Vienne, 13 mai 1809.
+
+_Septième bulletin de la grande armée._
+
+Le 10, à neuf heures du matin, l'empereur a paru aux portes de Vienne,
+avec le corps du maréchal duc de Montebello; c'était à la même heure, le
+même jour et un mois juste après que l'armée autrichienne avait passé
+l'Inn, et que l'empereur François II s'était rendu coupable d'un
+parjure, signal de sa ruine.
+
+Le 5 mai, l'archiduc Maximilien, frère de l'impératrice, jeune prince
+âgé de vingt-six ans, présomptueux, sans expérience, d'un caractère
+ardent, avait pris le commandement de Vienne.
+
+Le bruit était général dans le pays que tous les retranchemens qui
+environnaient la capitale, étaient armés, qu'on avait construit des
+redoutes, qu'on travaillait à des camps retranchés, et que la ville
+était résolue à se défendre. L'empereur avait peine à croire qu'une
+capitale si généreusement traitée par l'armée française en 1805, et que
+des habitans dont le bon esprit et la sagesse sont reconnus, eussent été
+fanatisés au point de se déterminer à une aussi folle entreprise. Il
+éprouva donc une douce satisfaction, lorqu'en approchant des immenses
+faubourgs de Vienne, il vit une population nombreuse, des femmes, des
+enfans, des vieillards, se précipiter au devant de l'armée française, et
+accueillir nos soldats comme des amis.
+
+Le général Conroux traversa les faubourgs, et le général Barreau se
+rendit sur l'esplanade qui les sépare de la cité. Au moment où il
+débouchait, il fut reçu par une fusillade et par des coups de canon, et
+légèrement blessé.
+
+Sur trois cent mille habitans qui composent la population de la ville de
+Vienne, la cité proprement dite, qui a une enceinte avec des bastions et
+une contrescarpe, contient à peine quatre-vingt mille habitans et treize
+cents maisons. Les huit quartiers de la ville qui ont conservé le nom de
+faubourgs, et qui sont séparés de la ville par une vaste esplanade et
+couverts du côté de la campagne, par des retranchements, renferment plus
+de cinq mille maisons et sont habités par plus de deux cent vingt mille
+ames, qui tirent leur subsistance de la cité, où sont les marchés et les
+magasins.
+
+L'archiduc Maximilien avait fait ouvrir des registres pour recueillir
+les noms des habitans qui voudraient se défendre. Trente individus
+seulement se firent inscrire; tous les autres refusèrent avec
+indignation. Déjoué dans ses espérances par le bons sens des Viennois,
+il fit venir dix bataillons, de landwehr et dix bataillons de troupes
+de ligne, composant une force de quinze a seize mille hommes, et se
+renferma dans la place.
+
+Le duc de Montebello lui envoya un aide-de-camp porteur d'une sommation;
+mais des bouchers et quelques centaines de gens sans aveu, qui
+étaient les satellites de l'archiduc Maximilien, s'élancèrent sur le
+parlementaire, et l'un d'eux le blessa. L'archiduc ordonna que le
+misérable qui avait commis une action aussi infâme, fût promené en
+triomphe dans toute la ville, monté sur le cheval de l'officier français
+et environné par la landwehr.
+
+Après cette violation inouie du droit des gens, on vit l'affreux
+spectacle d'une partie d'une ville qui tirait contre l'autre, et d'une
+cité dont les armes étaient dirigées contre ses propres concitoyens.
+
+Le général Andréossi, nommé gouverneur de la ville, organisa dans chaque
+faubourg, des municipalités, un comité central des subsistances, et une
+garde nationale, composée des négocians, des fabricans et de tous les
+bons citoyens, armés pour contenir les prolétaires et les mauvais
+sujets.
+
+Le général gouverneur fit venir à Schoenbrunn une députation des huit
+faubourgs: l'empereur la chargea de se rendre dans la cité pour porter
+une lettre écrite par le prince de Neufchâtel, major-général, à
+l'archiduc Maximilien. Il recommanda aux députés de représenter à
+l'archiduc, que, s'il continuait à faire tirer sur les faubourgs, et
+si un seul de ses habitans y perdait la vie par ses armes, cet acte de
+frénésie, cet attentat envers les peuples, briserait à jamais les liens
+qui attachent les sujets à leurs souverains.
+
+La députation entra dans la cité, le 11 à dix heures du matin, et l'on
+ne s'aperçut de son arrivée que par le redoublement du feu des remparts.
+Quinze habitans des faubourgs ont péri et deux Français seulement ont
+été tués.
+
+La patience de l'empereur se lassa: il se porta avec le duc de Rivoli
+sur le bras du Danube qui sépare la promenade du Prater des faubourgs,
+et ordonna que deux compagnies de voltigeurs occupassent un petit
+pavillon sur la rive gauche, pour protéger la construction d'un pont.
+Le bataillon de grenadiers qui défendait le passage, fut chassé par ces
+voltigeurs et par la mitraille de quinze pièces d'artillerie. A huit
+heures du soir, ce pavillon était occupé, et les matériaux du pont
+réunis. Le capitaine Pourtalès, aide-de-camp du prince de Neufchâtel, et
+le sieur Susaldi, aide-de-camp du général Boudet, s'étaient jetés des
+premiers à la nage, pour aller chercher les bateaux qui étaient sur la
+rive opposée.
+
+A neuf heures du soir, une batterie de vingt obusiers, construite par
+les généraux Bertrand et Navelet, à cent toises de la place, commença
+le bombardement: dix-huit cents obus furent lancés en moins de quatre
+heures, et bientôt toute la ville parut en flammes. Il faut avoir vu
+Vienne, ses maisons à huit et neuf étages, ses rues resserrées, cette
+population si nombreuse dans une aussi étroite enceinte, pour se
+faire une idée du désordre, de la rumeur et des désastres que devait
+occasionner une telle opération.
+
+L'archiduc Maximilien avait fait marcher, à une heure du matin, deux
+bataillons en colonne serrée, pour tâcher de reprendre le pavillon qui
+protégeait la construction du pont. Les deux compagnies de voltigeurs
+qui occupaient ce pavillon qu'elles avaient crénelé, reçurent l'ennemi
+à bout portant: leur feu et celui des quinze pièces d'artillerie qui
+étaient sur la rive droite, couchèrent par terre une partie de la
+colonne; le reste se sauva dans le plus grand désordre.
+
+L'archiduc perdit la tête au milieu du bombardement, et au moment
+surtout où il apprit que nous avions passé un bras du Danube, et
+que nous marchions pour lui couper la retraite. Aussi faible, aussi
+pusillanime qu'il avait été arrogant et inconsidéré, il s'enfuit le
+premier et repassa les ponts. Le respectable général O'Reilly
+n'apprit que par la fuite de l'archiduc, qu'il se trouvait investi du
+commandement.
+
+Le 12, à la pointe du jour, ce général fit prévenir les avant-postes
+qu'on allait cesser le feu, et qu'une députation allait être envoyée à
+l'empereur.
+
+Cette députation fut présentée à S. M. dans le parc de Schoenbrunn.
+Elle était composée de messieurs le comte de Dietricshtein, maréchal
+provisoire des états; le prélat de Klosternenbourg; le prélat des
+Écossais; le comte Perges; le comte Veterain; le baron de Bartenstein;
+M. de Mayenberg; le baron de Hafen, référendaire de la Basse-Autriche;
+tous membres des états; l'archevêque de Vienne; le baron de Lederer,
+capitaine de la ville; M. Wohlleben, bourguemestre; M. Meher,
+vice-bourguemestre; Egger, Pinck, Staif, conseillers du magistrat.
+
+S. M. assura les députés de sa protection; elle exprima la peine que
+lui avait fait éprouver la conduite inhumaine de leur gouverneur, qui
+n'avait pas craint de livrer sa capitale à tous les malheurs de la
+guerre, qui, portant lui-même atteinte à ses droits, au lieu d'être le
+père et le roi de ses sujets, s'en était montré l'ennemi et en avait été
+le tyran. S. M. fit connaître que Vienne serait traitée avec les mêmes
+ménagemens et les mêmes égards dont on avait usé en 1805. La députation
+répondit à cette assurance par les témoignages de la plus vive
+reconnaissance.
+
+A neuf heures du matin, le duc de Rivoli, avec les divisions Saint-Cyr
+et Boudet, s'est emparé de Léopoldstadt.
+
+Pendant ce temps, le lieutenant-général O'Reilly envoyait le
+lieutenant-général de Vaux, et M. Bellonte, colonel, pour traiter de la
+capitulation de la place. La capitulation a été signée dans la soirée,
+et le 13, à six heures du matin, les grenadiers du corps d'Oudinot ont
+pris possession de la ville.
+
+
+
+Schoenbrunn, 13 mai 1809.
+
+_Ordre du jour._
+
+Soldats,
+
+Un mois après que l'ennemi passa l'Inn, au même jour, à la même heure,
+nous sommes entrés dans Vienne.
+
+Ses landwehrs, ses levées en masse, ses remparts créés par la rage
+impuissante des princes de la maison de Lorraine, n'ont point soutenu
+vos regards. Les princes de cette maison ont abandonné leur capitale,
+non comme des soldats d'honneur qui cèdent aux circonstances et aux
+revers de la guerre, mais comme des parjures que poursuivent leurs
+remords. En fuyant de Vienne, leurs adieux à ses habitans ont été le
+meurtre et l'incendie; comme Médée, ils ont de leurs propres mains
+égorgé leurs enfans.
+
+Le peuple de Vienne, selon l'expression de la députation de ses
+faubourgs, délaissé, abandonné, veuf, sera l'objet de vos égards. J'en
+prends les habitans sous ma spéciale protection: quant aux hommes
+turbulens et méchans, j'en ferai une justice exemplaire.
+
+Soldats! soyons bons pour les pauvres paysans, pour ce bon peuple qui a
+tant de droits à notre estime: ne conservons aucun orgueil de tous nos
+succès; voyons-y une preuve de cette justice divine qui punit l'ingrat
+et le parjure.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Schoenbrunn, 13 mai 1809.
+
+_Circulaire aux archevêques et évêques, et aux présidens des
+consistoires._
+
+Monsieur l'évêque de ... la divine providence ayant voulu nous donner
+une nouvelle preuve de sa spéciale protection en permettant notre entrée
+dans la capitale de notre ennemi, le même jour où, un mois auparavant,
+il avait violé la paix, et manifester ainsi d'une manière éclatante,
+qu'elle punit l'ingrat et le parjure, il est dans notre intention que
+vous réunissiez nos peuples dans les églises pour chanter un _Te Deum_
+en actions de grâce et toutes autres prières que vous jugerez convenable
+d'ordonner. Cette lettre n'étant à autre fin, monsieur l'évêque de ...
+nous prions Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.
+
+
+
+Vienne, 16 mai 1809.
+
+_Huitième bulletin de la grande armée._
+
+Les habitans de Vienne se louent de l'archiduc Rainier. Il était
+gouverneur de Vienne, et lorsqu'il eut connaissance des mesures
+révolutionnaires ordonnées par l'empereur François II, il refusa de
+conserver le gouvernement. L'archiduc Maximilien fut envoyé à sa place.
+Ce jeune prince ayant toute l'inconséquence de son âge, déclara qu'il
+s'enterrerait sous les ruines de la capitale. Il fit appeler les hommes
+turbulens et sans aveu, qui sont toujours nombreux dans une grande
+ville, les arma de piques, et leur distribua toutes les armes qui
+étaient dans les arsenaux. Eu vain les habitans lui représentèrent
+qu'une grande ville, parvenue à un si haut degré de splendeur, au
+prix de tant de travaux et de trésors, ne devait pas être exposée
+aux désastres que la guerre entraîne avec elle. Ces représentations
+exaltèrent sa colère, et sa fureur était portée à un tel point, qu'il ne
+répondait qu'en ordonnant de jeter sur les faubourgs des bombes et des
+obus, qui ne devaient tuer que des Viennois, les Français trouvant
+un abri dans leurs tranchées, et leur sécurité dans l'habitude de la
+guerre.
+
+Les Viennois éprouvaient des frayeurs mortelles, et la ville se croyait
+perdue, lorsque l'empereur Napoléon, pour épargner à la capitale les
+désastres d'une défense prolongée, en la rendant promptement inutile,
+fit passer le bras du Danube et occuper le Prater.
+
+A huit heures, un officier vint annoncer à l'archiduc qu'un pont se
+construisait, qu'un grand nombre de Français avait passé la rivière à la
+nage, et qu'ils étaient déjà sur l'autre rive. Cette nouvelle fit pâlir
+ce prince furibond, et porta la crainte dans ses esprits. Il traversa
+le Prater en toute hâte; il renvoya au-delà des ponts chaque bataillon
+qu'il rencontrait, et il se sauva sans faire aucune disposition, et sans
+donner à personne le commandement qu'il abandonnait. C'était cependant
+le même homme qui, une heure auparavant, protestait de s'ensevelir sous
+les ruines de la capitale.
+
+La catastrophe de la maison de Lorraine était prévue par les hommes
+sensés des opinions les plus opposées. Manfredini avait demandé une
+audience à l'empereur, pour lui représenter que cette guerre pèserait
+long-temps sur sa conscience, qu'elle entraînerait la ruine de sa
+maison, et que bientôt les Français seraient dans Vienne. Bah! bah!
+répondit l'empereur, ils sont tous en Espagne.
+
+Thugut, profitant de l'ancienne confiance que l'empereur avait mise en
+lui, s'est aussi permis des représentations réitérées.
+
+Le prince de Ligne disait hautement: Je croyais être assez vieux pour
+ne pas survivre à la monarchie autrichienne. Et lorsque le vieux comte
+Wallis vit l'empereur partir pour l'armée: «C'est Darius, dit-il, qui
+court au-devant d'Alexandre; il aura le même sort.»
+
+Le comte Louis de Cobentzel, principal auteur de la guerre de 1805,
+étant à son lit de mort, et vingt-quatre heures avant de fermer
+les yeux, adressa à l'empereur une lettre fort pathétique. «V. M.,
+écrivait-il, doit se trouver heureuse de l'état où l'a mise la paix de
+Presbourg; elle est au second rang parmi les puissances de l'Europe;
+c'est celui de ses ancêtres. Qu'elle renonce à une guerre qui n'a point
+été provoquée et qui entraînera la ruine de sa maison. Napoléon sera
+vainqueur et il aura le droit d'être inflexible, etc., etc.» Cette
+dernière action de Cobentzel a jeté de l'intérêt sur ses derniers
+momens.
+
+Le prince de Zinzendorf, ministre de l'intérieur, plusieurs hommes
+d'état demeurés étrangers comme lui à la corruption et aux fatales
+illusions du moment, beaucoup d'autres personnages distingués, et ce
+qu'il y avait de plus considérable dans la bourgeoisie, partageaient
+tous, exprimaient tous la même opinion.
+
+Mais l'orgueil humilié de l'empereur François II, la haine de l'archiduc
+Charles contre les Russes, le ressentiment qu'il éprouvait en voyant la
+Russie et la France intimement unies, l'or de l'Angleterre qui avait
+corrompu le ministre Sladion, la légèreté et l'inconséquence d'une
+soixantaine de femmelettes, l'hypocrisie et les faux rapports de
+l'ambassadeur Metternich, les intrigues des Razumowski, des Dalpozzo,
+des Schlegel, des Gentz et autres aventuriers que l'Angleterre
+entretient sur le continent pour y fomenter des discussions, ont produit
+cette guerre insensée et sacrilège.
+
+Avant que les Français eussent été vainqueurs sur le champ de bataille,
+on disait qu'ils n'étaient pas nombreux, qu'il n'y en avait plus en
+Allemagne, que les corps n'étaient composés que de conscrits, que la
+cavalerie était à pied, la garde impériale en révolte, les Parisiens en
+insurrection contre l'empereur Napoléon. Après nos victoires, on a dit
+que l'armée française était innombrable, qu'elle n'avait jamais été
+composée d'hommes plus aguerris et plus braves, que le dévouement
+des soldats à Napoléon, triplait et quadruplait leurs moyens, que la
+cavalerie était superbe, nombreuse, redoutable, que l'artillerie, mieux
+attelée que celle d'aucune autre nation, marchait avec la rapidité de la
+foudre, etc., etc.
+
+Princes faibles! cabinets corrompus! hommes ignorans, légers,
+inconséquens! voilà cependant les pièges que l'Angleterre vous tend
+depuis quinze années, et vous y tombez toujours; mais enfin la
+catastrophe que vous avez préparée s'est accomplie, la paix du continent
+est assurée pour jamais.
+
+L'empereur a passé hier la revue de la division de grosse cavalerie
+du général Nansouty. Il à donné des éloges à la tenue de cette belle
+division qui, après une campagne aussi active, a présenté cinq mille
+chevaux en bataille. S. M. a nommé aux places vacantes, a accordé le
+titre de baron, avec des dotations en terres, au plus brave officier, et
+la décoration de la Légion-d'Honneur, avec une pension de douze cents
+francs, au plus brave cuirassier de chaque régiment.
+
+On a trouvé à Vienne cinq cents pièces de canon, beaucoup d'affûts,
+beaucoup de fusils, de poudre et de munitions confectionnées, et une
+grande quantité de boulets et de fer coulé.
+
+Il n'y a eu que dis maisons brûlées pendant le bombardement. Les
+Viennois ont remarqué que ce malheur est tombé sur les partisans les
+plus ardens de la guerre; aussi disaient-ils que le général Andréossi
+dirigeait les batteries. La nomination de ce général au gouvernement
+de Vienne, a été agréable à tous les habitans; il avait laissé dans la
+capitale des souvenirs agréables, et il jouit de l'estime universelle.
+
+Quelques jours de repos ont fait beaucoup de bien à l'armée; et le temps
+est si beau que nous n'avons presque pas de malades. Le vin que l'on
+distribue aux troupes est abondant et de bonne qualité.
+
+La monarchie autrichienne avait fait pour cette guerre des efforts
+prodigieux: on calcule que ses préparatifs lui ont coûté au-delà de
+trois cents millions en papier. La masse des billets en circulation
+excède quinze cents millions. La cour de Vienne a emporté les planches
+de cette espèce d'assignats, hypothéqués sur une partie des mines de la
+monarchie, c'est-à-dire, sur des propriétés presque chimériques, et
+qui ne sont pas disponibles. Pendant qu'on prodiguait ainsi un
+papier-monnaie que le public ne pouvait pas réaliser, et qui perdait
+chaque jour davantage, la cour faisait acheter par les banquiers de
+Vienne tout l'or qu'elle pouvait se procurer, et l'envoyait en pays
+étranger. Il y a à peine quelques mois que des caisses de ducats d'or,
+scellés du sceau impérial, ont été expédiées pour la Hollande, par le
+nord de l'Allemagne.
+
+
+
+Vienne, 19 mai 1809.
+
+_Neuvième bulletin de la grande armée._
+
+Pendant que l'armée prenait quelque repos dans Vienne, que ses corps
+se ralliaient, que l'empereur passait des revues, pour accorder des
+récompenses aux braves qui s'étaient distingués, et pour nommer
+aux emplois vacans, on préparait tout ce qui était nécessaire pour
+l'importante opération du passage du Danube.
+
+Le prince Charles, après la bataille d'Eckmülh, jeté sur l'autre rive du
+Danube, n'eût d'autre refuge que les montagnes de la Bohème.
+
+En suivant les débris de l'armée du prince Charles dans l'intérieur de
+la Bohème, l'empereur lui aurait enlevé son artillerie et ses bagages;
+mais cet avantage ne valait pas l'inconvénient de promener son armée,
+pendant quinze jours, dans des pays pauvres, montagneux et dévastés.
+
+L'empereur n'adopta aucun plan qui pût retarder d'un jour son entrée
+à Vienne, se doutant bien que, dans l'état d'irritation qu'on avait
+excité, on songerait à défendre cette ville, qui a une excellente
+enceinte bastionnée, et à opposer quelque obstacle. D'un autre côté, son
+armée d'Italie attirait son attention, et l'idée que les Autrichiens
+occupaient ses belles provinces du Frioul et de la Piave, ne lui
+laissait point de repos.
+
+Le maréchal duc d'Auerstaedt resta en position en avant de Ratisbonne,
+pendant le temps que mit le prince Charles à déboucher en Bohème, et
+immédiatement après, il se dirigea sur Passau et Lintz, sur la rive
+gauche du Danube, gagnant quatre marches sur ce prince. Le corps du
+prince de Ponte-Corvo fut dirigé dans le même système. D'abord il fit
+un mouvement sur Egra, ce qui obligea le prince Charles à y détacher
+le corps du général Bellegarde; mais par une contremarche, il se porta
+brusquement sur Lintz, où il arriva avant le général Bellegarde, qui,
+ayant appris cette contremarche, se dirigea aussi sur le Danube.
+
+Ces manoeuvres habiles, faites jour par jour, selon les circonstances,
+ont dégagé l'Italie, livré sans défense les barrières de l'Inn, de
+la Salza, de la Traun et tous les magasins ennemis, soumis Vienne,
+désorganisé les milices et la landwerh, terminé la défaite des corps de
+l'archiduc Louis et du général Hiller, et achevé de perdre la réputation
+du général ennemi. Celui-ci, voyant la marche de l'empereur, devait
+penser à se porter sur Lintz, passer le pont, et s'y réunir aux corps de
+l'archiduc Louis et du général Hiller; mais l'armée française y était
+réunie plusieurs jours avant qu'il pût y arriver. Il aurait pu espérer
+de faire sa jonction à Krems; vains-calculs! il était encore en retard
+de quatre jours, et le général Hiller, en repassant le Danube, fut
+obligé de brûler le beau pont de Krems. Il espérait enfin se réunir
+devant Vienne; il était encore eu retard de plusieurs jours.
+
+L'empereur a fait jeter un pont sur le Danube, vis-à-vis le village
+d'Ebersdorf, à deux lieues au-dessous de Vienne. Le fleuve divisé en cet
+endroit en plusieurs bras, a quatre cents toises de largeur. L'opération
+a commencé hier 18, à quatre heures après midi. La division Molitor a
+été jetée sur la rive gauche, et a culbuté les faibles détachemens qui
+voulaient lui disputer le terrain et couvrir le dernier bras du fleuve.
+
+Les généraux Bertrand et Pernetti ont fait travailler aux deux ponts,
+l'un de plus de deux cent quarante, l'autre de plus de cent trente
+toises, communiquant entre eux par une île. On espère que les travaux
+seront finis demain.
+
+Tous les renseignemens qu'on a recueillis portent à penser que
+l'empereur d'Autriche est à Znaïm.
+
+Il n'y a encore aucune levée en Hongrie: sans armes, sans selles, sans
+argent, et fort peu attachée à la maison d'Autriche, cette nation paraît
+avoir refusé toute espèce de secours.
+
+Le général Lauriston, aide-de-camp de S. M., à la tête de la brigade
+d'infanterie badoise et de la brigade de cavalerie légère du général
+Colbert, s'est porté de Neustadt sur Bruck et sur la Simeringberg, haute
+montagne qui sépare les eaux qui coulent dans la mer Noire et dans la
+Méditerranée. Dans ce passage difficile il a fait quelques centaines de
+prisonniers.
+
+Le général Dupellin a marché sur Mariazell, où il a désarmé un millier
+de landwehr et fait quelques centaines de prisonniers.
+
+Le maréchal duc de Dantzick s'est porté sur Inspruck; il a rencontré le
+14, à Vorgel, le général Chasteller avec ses Tyroliens. Il l'a culbuté
+et lui a pris sept cents hommes et onze pièces d'artillerie.
+
+Kufstein a été débloqué le 12. Le chambellan de S. M., Germain, qui
+s'était renfermé dans cette place, s'est bien montré.
+
+Voici quelle est aujourd'hui la position de l'armée:
+
+Les corps des maréchaux duc de Rivoli et de Montebello, et le corps
+des grenadiers du général Oudinot, sont à Vienne, ainsi que la garde
+impériale. Le corps du maréchal duc d'Auerstaedt est réparti entre
+Saint-Polten et Vienne. Le maréchal prince Ponte-Corvo est à Lintz, avec
+les Saxons et les Wurtembergeois, il a une réserve à Passau. Le maréchal
+duc de Dantzick est, avec les Bavarois, à Saltzbourg et à Inspruck.
+
+Le colonel comte de Czernichew, aide-de-camp de l'empereur de Russie,
+qui avait été expédié pour Paris, est arrivé au moment où l'armée
+entrait à Vienne. Depuis ce moment, il fait le service, et suit S. M. Il
+a apporté des nouvelles de l'armée russe, qui n'aura pu sortir de ses
+cantonnemens que vers le l0 ou 12 mai.
+
+
+
+Ebersdorf, 23 mai 1809.
+
+_Dixième bulletin de la grande armée._
+
+Vis-à-vis Ebersdorf, le Danube est divisé en trois bras séparés par deux
+îles. De la rive droite à la première île il y a deux cent quarante
+toises; cette île a à-peu-près mille toises de tour. De cette île à la
+grande île, où est le principal courant, le canal est de cent vingt
+toises. La grande île, appelée In-der-Lobau, a sept mille toises de
+tour, et le canal qui la sépare du continent a soixante-dix toises. Les
+premiers villages que l'on rencontre ensuite sont Gross-Aspern, Esling
+et Enzersdorf. Le passage d'une rivière comme le Danube devant un ennemi
+connaissant parfaitement les localités, et ayant les habitans pour lui,
+est une des plus grandes opérations de guerre qu'il soit possible de
+concevoir.
+
+Le pont de la rive droite à la première île et celui de la première île
+à celle de In-der-Lobau ont été faits dans la journée du 19, et dès le
+18 la division Molitor avait été jetée par des bateaux à rames, dans la
+grande île.
+
+Le 20, l'empereur passa dans cette île, et fit établir un pont sur
+le dernier bras, entre Gross-Aspern et Esling. Ce bras n'ayant que
+soixante-dix toises, le pont n'exigea que quinze pontons, et fut jeté en
+trois heures par le colonel d'artillerie Aubry.
+
+Le colonel Sainte-Croix, aide-de-camp du maréchal duc de Rivoli, passa
+le premier dans un bateau sur la rive gauche.
+
+La division de cavalerie légère du général Lasalle et les divisions
+Molitor et Boudet passèrent dans la nuit.
+
+Le 21, l'empereur, accompagné du prince de Neufchâtel et des maréchaux
+ducs de Rivoli et de Montebello, reconnut la position de la rive gauche,
+et établit son champ de bataille, la droite au village d'Esling, et la
+gauche à celui de Gross-Aspern, qui furent sur le champ occupés.
+
+Le 21, à quatre heures après midi, l'armée ennemie se montra et parut
+avoir le dessein de culbuter notre avant-garde et de la jeter dans le
+fleuve; vain projet! Le maréchal duc de Rivoli fut le premier attaqué à
+Gross-Aspern, par le corps du général Bellegarde. Il manoeuvra avec les
+divisions Molitor et Legrand, et pendant toute la soirée, fit tourner à
+la confusion de l'ennemi toutes les attaques qui furent entreprises.
+Le duc de Montebello défendit le village d'Esling, et le maréchal duc
+d'Istrie, avec la cavalerie légère et la division de cuirassiers Espagne
+couvrit la plaine et protégea Enzersdorf. L'affaire fut vive; l'ennemi
+déploya deux cents pièces de canon et à peu près quatre-vingt dix mille
+hommes composés des débris de tous les corps de l'armée autrichienne.
+
+La division de cuirassiers Espagne fit plusieurs belles charges, enfonça
+deux carrés et s'empara de quatorze pièces de canon. Un boulet tua
+le général Espagne, combattant glorieusement à la tête des troupes,
+officier brave, distingué et recommandable sous tous les points de vue.
+Le général de brigade Foulers fut tué dans une charge.
+
+Le général Nansouty, avec la seule brigade commandée par le général
+Saint-Germain, arriva sur le champ de bataille vers la fin du jour.
+Cette brigade se distingua par plusieurs belles charges. A huit heures
+du soir le combat cessa, et nous restâmes entièrement maîtres du champ
+de bataille.
+
+Pendant la nuit, le corps du général Oudinot, la division Saint-Hilaire,
+deux brigades de cavalerie légère et le train d'artillerie passèrent les
+trois ponts.
+
+Le 22, à quatre heures du matin, le duc de Rivoli fut le premier engagé.
+L'ennemi fit successivement plusieurs attaques pour reprendre le
+village. Enfin, ennuyé de rester sur la défensive, le duc de Rivoli
+attaqua à son tour et culbuta l'ennemi. Le général de division Legrand
+s'est fait remarquer par ce sang-froid et cette intrépidité qui le
+distinguent. Le général de division Boudet, placé au village d'Esling,
+était chargé de défendre ce poste important.
+
+Voyant que l'ennemi occupait un grand espace, de la droite à la gauche,
+on conçut le projet de le percer par le centre. Le duc de Montebello se
+mit à la tête de l'attaque, ayant le général Oudinot à la gauche, la
+division Saint-Hilaire au centre et la division Boudet à la droite. Le
+centre de l'armée ennemie ne soutint pas les regards de nos troupes.
+Dans un moment tout fut culbuté. Le duc d'Istrie fit faire plusieurs
+belles charges, qui toutes eurent du succès. Trois colonnes d'infanterie
+ennemie furent chargées par les cuirassiers et sabrées. C'en était fait
+de l'armée autrichienne, lorsqu'à sept heures du matin, un aide-de-camp
+vint annoncer à l'empereur que la crue subite du Danube ayant mis à flot
+un grand nombre de gros arbres et de radeaux, coupés et jetés sur les
+rives, dans les événemens qui ont eu lieu lors de la prise de Vienne,
+les ponts qui communiquaient de la rive droite à la petite île, et de
+celle-ci à l'île de In-der-Lobau, venaient d'être rompus; cette crue
+périodique, qui n'a ordinairement lieu qu'à la mi-juin, par la fonte des
+neiges, a été accélérée par la chaleur prématurée qui se fait sentir
+depuis quelques jours. Tous les parcs de réserve qui défilaient se
+trouvèrent retenus sur la rive droite par la rupture des ponts, ainsi
+qu'une partie de notre grosse cavalerie, et le corps entier du maréchal
+duc d'Auerstaedt. Ce terrible contre-temps décida l'empereur à arrêter
+le mouvement en avant. Il ordonna au duc de Montebello de garder le
+champ de bataille qui avait été reconnu, et de prendre position, la
+gauche appuyée à un rideau qui couvrait le duc de Rivoli, et la droite à
+Esling.
+
+Les cartouches à canon et d'infanterie, que portait notre parc de
+réserve, ne pouvaient plus passer. L'ennemi était dans la plus
+épouvantable déroute, lorsqu'il apprit que nos ponts étaient rompus. Le
+ralentissement de notre feu et le mouvement concentré que faisait notre
+armée, ne lui laissaient aucun doute sur cet événement imprévu. Tous
+ses canons et ses équipages d'artillerie, qui étaient en retraite, se
+représentèrent sur la ligne, et depuis neuf heures du matin jusqu'à sept
+heures du soir, il fit des efforts inouïs, secondé par le feu de deux
+cents pièces de canon, pour culbuter l'armée française. Ces efforts
+tournèrent à sa honte; il attaqua trois fois les villages d'Esling et de
+Gross-Aspern, et trois fois il les remplit de ses morts. Les fusiliers
+de la garde, commandés par le général Mouton, se couvrirent de gloire,
+et culbutèrent la réserve, composée de tous les grenadiers de l'armée
+autrichienne, les seules troupes fraîches qui restassent à l'ennemi.
+Le général Gros fit passer au fil de l'épée sept cents Hongrois qui
+s'étaient déjà logés dans le cimetière du village d'Ësling. Les
+tirailleurs sous les ordres du général Curial firent leurs premières
+armes dans cette journée, et montrèrent de la vigueur. Le général
+Dorsenne, colonel commandant la vieille garde, la plaça en troisième
+ligne, formant un mur d'airain, seul capable d'arrêter tous les efforts
+de l'armée autrichienne. L'ennemi tira quarante mille coups de canon,
+tandis que, privés de nos parcs de réserve, nous étions dans la
+nécessité de ménager nos munitions pour quelques circonstances
+imprévues.
+
+Le soir, l'ennemi reprit les anciennes positions qu'il avait quittées
+pour l'attaque, et nous restâmes maîtres du champ de bataille. Sa perte
+est immense; les militaires dont le coup d'oeil est le plus exercé ont
+évalué à plus de douze mille les morts qu'il a laissés sur le champ de
+bataille. Selon le rapport des prisonniers, il a eu vingt-trois
+généraux et soixante officiers supérieurs tués ou blessés. Le
+feld-maréchal-lieutenant Weber, quinze cents hommes et quatre drapeaux
+sont restés en notre pouvoir. La perte de notre côté a été considérable;
+nous avons eu onze cents tués et trois mille blessés. Le duc de
+Montebello a eu la cuisse emportée par un boulet, le 22, sur les six
+heures du soir. L'amputation a été faite, et sa vie est hors de danger.
+Au premier moment on le crut mort. Transporté sur un brancard auprès de
+l'empereur, ses adieux furent touchans. Au milieu des sollicitudes de
+cette journée, l'empereur se livra à la tendre amitié qu'il porte depuis
+tant d'années à ce brave compagnon d'armes. Quelques larmes coulèrent
+de ses yeux, et se tournant vers ceux qui l'environnaient: «Il fallait,
+dit-il, que dans cette journée mon coeur fût frappé par un coup aussi
+sensible, pour que je pusse m'abandonner à d'autres soins qu'à ceux de
+mon armée.» Le duc de Montebello avait perdu connaissance; la présence
+de l'empereur le fit revenir; il se jeta à son cou en lui disant:
+«Dans une heure vous aurez perdu celui qui meurt avec la gloire et la
+conviction d'avoir été et d'être votre meilleur ami.»
+
+Le général de division Saint-Hilaire a été blessé; c'est un des généraux
+les plus distingués de la France.
+
+Le général Durosnel, aide-de-camp de l'empereur, a été enlevé par un
+boulet en portant un ordre.
+
+Le soldat a montré un sang-froid et une intrépidité qui n'appartiennent
+qu'à des Français.
+
+Les eaux du Danube croissant toujours, les ponts n'ont pu être rétablis
+pendant la nuit. L'empereur a fait repasser le 23, à l'armée le petit
+bras de la rive gauche, et a fait prendre position dans l'île de
+In-der-Lobau, en gardant les têtes de pont.
+
+On travaille à rétablir les ponts; l'on n'entreprendra rien qu'ils ne
+soient à l'abri des accidens des eaux, et même de tout ce que l'on
+pourrait tenter contre eux: l'élévation du fleuve et la rapidité
+du courant obligent à des travaux considérables et à de grandes
+précautions.
+
+Lorsque le 23, au matin, on fit connaître à l'armée que l'empereur avait
+ordonné qu'elle repassât dans la grande île, l'étonnement de ces braves
+fut extrême. Vainqueurs dans les deux journées, ils croyaient que le
+reste de l'armée allait les rejoindre; et quand on leur dit que les
+grandes eaux ayant rompu les ponts et augmentant sans cesse, rendaient
+le renouvellement des munitions et des vivres impossible, et que tout
+mouvement en avant serait insensé, on eut de la peine à les persuader.
+
+C'est un malheur très-grand et tout à fait imprévu que des ponts formés
+des plus grands bateaux du Danube, amarrés par de doubles ancres et par
+des cinquenelles, aient été enlevés; mais c'est un grand bonheur
+que l'empereur ne l'ait pas appris deux heures plus tard; l'armée
+poursuivant l'ennemi aurait épuisé ses munitions, et se serait trouvée
+sans moyen de les renouveler.
+
+Le 23, on a fait passer une grande quantité de vivres au camp
+d'In-der-Lobau.
+
+La bataille d'Esling, dont il sera fait une relation plus détaillée qui
+fera connaître les braves qui se sont distingués, sera, aux yeux de la
+postérité, un nouveau monument de la gloire et de l'inébranlable fermeté
+de l'armée française.
+
+Les maréchaux ducs de Montebello et de Rivoli ont montré dans cette
+journée tonte la force de leur caractère militaire.
+
+L'empereur a donné le commandement du second corps au comte Oudinot,
+général éprouvé dans cent combats, où il a montré autant d'intrépidité
+que de savoir.
+
+
+
+Ebersdorf, 24 mai 1809.
+
+_Onzième bulletin du la grande armée._
+
+Le maréchal duc de Dantzick est maître du Tyrol. Il est entré à Inspruck
+le 19 de ce mois. Le pays entier s'est soumis.
+
+Le 11, le duc de Dantzick avait enlevé la forte position de Strob-Pass,
+et pris à l'ennemi sept canons et six cents hommes.
+
+Le 13, après avoir battu Chasteller dans la position de Voergel, l'avoir
+mis dans une déroute complète, et lui avoir pris toute son artillerie,
+il l'avait poursuivi jusqu'au-delà de Rattenberg. Ce misérable n'a dû
+son salut qu'à la vitesse de son cheval.
+
+En même temps, le général Deroy, ayant débloqué la forteresse de
+Kufstein, faisait sa jonction avec les troupes que le duc de Dantzick
+commandait en personne. Ce maréchal se loue de la conduite du major
+Palm, du chef du bataillon léger bavarois, du lieutenant-colonel
+Habérman, du capitaine Laider, du capitaine Bernard du troisième
+régiment de chevau-légers de Bavière, de ses aides-de-camp Montmarie,
+Maingarnaud et Montelegier, et du chef d'escadron Fontange, officier
+d'état-major.
+
+Chasteller était entré dans le Tyrol avec une poignée de mauvais sujets.
+Il a prêché la révolte, le pillage et l'assassinat. Il a vu égorger
+sous ses yeux plusieurs milliers de Bavarois et une centaine de soldats
+français. Il a encouragé les assassins par ses éloges, et excité la
+férocité de ces ours des montagnes. Parmi les Français qui ont péri dans
+ce massacre se trouvaient une soixantaine de Belges tous compatriotes de
+Chasteller. Ce misérable couvert des bienfaits de l'empereur, à qui il
+doit d'avoir recouvré des biens montant à plusieurs millions, était
+incapable d'éprouver le sentiment de la reconnaissance, et ces
+affections qui attachent même les barbares aux habitans du pays qui leur
+a donné naissance.
+
+Les Tyroliens vouent à l'exécration les hommes dont les perfides
+insinuations les ont excités à la rébellion et ont appelé sur eux les
+malheurs qu'elle entraîne avec elle. Leur fureur contre Chasteller
+était telle, que lorsqu'il se sauva après la déroute de Voergel, ils
+l'arrêtèrent à Hall, le fustigèrent et le maltraitèrent au point qu'il
+fut obligé de passer deux jours dans son lit. Il osa ensuite reparaître
+pour demander à capituler; on lui répondit qu'on ne capitulait pas
+avec un brigand, et il s'enfuit à toute hâte dans les montagnes de la
+Carinthie.
+
+La vallée de Zillerthal a été la première à se soumettre; elle a remis
+ses armes et donné des otages; le reste du pays a suivi cet exemple.
+Tous les chefs ont ordonné aux paysans de rentrer chez eux, et on les
+a vus quitter les montagnes de toutes parts, et revenir dans leurs
+villages. La ville d'Inspruck et tous les cercles ont envoyé des
+députations à S. M. le roi de Bavière, pour protester de leur fidélité
+et implorer sa clémence.
+
+Le Voralberg, que les proclamations incendiaires et les intrigues de
+l'ennemi avaient aussi égaré, imitera le Tyrol; et cette partie de
+l'Allemagne sera arrachée aux désastres et aux crimes des insurrections
+populaires.
+
+_Combat de Urfar._
+
+Le 17 de ce mois, à deux heures après midi, trois colonnes autrichiennes
+commandées par les généraux Grainville, Bucalowitz et Sommariva, et
+soutenues par une réserve aux ordres du général Jellachich, ont attaqué
+le général Vandamme, au village de Urfar, eu avant de la tête du pont
+de Lintz. Dans le même moment arrivait à Lintz le maréchal prince de
+Ponte-Corvo, avec la cavalerie et la première brigade d'infanterie
+saxonne. Le général Vandamme, à la tète des troupes wurtembergeoises,
+et avec quatre escadrons de hussards et de dragon saxons, repoussa
+vigoureusement les deux premières colonnes ennemies, les chassa de leurs
+positions, leur prit six pièces de canon et quatre cents hommes, et les
+mit dans une pleine déroute. La troisième colonne ennemie parut sur
+les hauteurs de Boslingberg, à sept heures du soir, et son infanterie
+couronna en un instant la Crète des montagnes voisines. L'infanterie
+saxonne attaqua l'ennemi avec impétuosité, le chassa de toutes ses
+positions, lui prit trois cents hommes et plusieurs caissons de
+munitions.
+
+L'ennemi s'est retiré en désordre sur Freystadt et sur Haslach. Les
+hussards envoyés à sa poursuite ont ramené beaucoup de prisonniers. On a
+pris dans les bois cinq cents fusils et une quantité de voitures et
+de caissons chargés d'effets d'habillement. La perte de l'ennemi,
+indépendamment des prisonniers, est de deux mille hommes tués ou
+blessés; la nôtre ne va pas à quatre cents hommes hors de combat.
+
+Le maréchal prince de Ponte-Corvo fait beaucoup d'éloges du général
+Vandamme. Il se loue de la conduite de M. de Leschwitz, général en chef
+des Saxons, qui conserve, à soixante-cinq ans, l'activité et l'ardeur
+d'un jeune homme; du général d'artillerie Mossel; du général Gérard,
+chef d'état-major, et du lieutenant-colonel aide-de-camp Hamelinaie.
+
+
+
+Ebersdorf, 26 mai 1809.
+
+_Douzième bulletin de la grande armée._
+
+On a employé toute la journée du 23, la nuit du 23 au 24, et toute la
+journée du 24 à réparer les ponts.
+
+Le 25, à la pointe du jour, ils étaient en état. Les blessés, les
+caissons vides, et tous les objets qu'il était nécessaire de renouveler,
+ont passé sur la rive droite.
+
+La crue du Danube devant encore durer jusqu'au 15 juin, on a pensé que
+pour pouvoir compter sur les ponts, il convenait de planter en avant des
+lignes de pilotis auxquels on amarrera la grande chaîne de fer qui est
+à l'arsenal, et qui fut prise par les Autrichiens sur les Turcs, qui la
+destinaient à un semblable usage.
+
+On travaille à ces ouvrages avec la plus grande activité, et déjà un
+grand nombre de sonnettes battent des pilotis; par ce moyen, et avec les
+fortifications qu'on fait sur la rive gauche, nous sommes assurés de
+pouvoir manoeuvrer sur les deux rives à volonté.
+
+Notre cavalerie légère est vis-à-vis de Presbourg, appuyée sur le lac de
+Neusiedel.
+
+Le général Lauriston est en Styrie sur le Simmeringberg et sur Bruck.
+
+Le maréchal duc de Dantzick est en grandes marches avec les Bavarois. Il
+ne tardera pas à rejoindre l'armée près de Vienne.
+
+Les chasseurs à cheval de la garde sont arrivés hier; les dragons
+arrivent aujourd'hui; on attend dans peu de jours les grenadiers à
+cheval et soixante pièces d'artillerie de la garde.
+
+Nous avons fait prisonniers lors de la capitulation de Vienne, sept
+feld-maréchaux-lieutenans, neuf généraux-majors, dix colonels, vingt
+majors et lieutenans-colonels, cent capitaines, cent cinquante
+lieutenans, deux cents sous-lieutenans, et trois mille sous-officiers et
+soldats, parmi lesquels ne sont pas compris les hommes qui étaient aux
+hôpitaux, et qui montaient à plusieurs milliers.
+
+
+
+Ebersdorf, 27 mai 1809.
+
+_Proclamation à l'armée d'Italie._
+
+Soldats de l'armée d'Italie,
+
+Vous avez glorieusement atteint le but que je vous avais marqué; le
+Simering a été témoin de voire jonction avec la grande armée.
+
+Soyez les bienvenus! Je suis content de vous!!! Surpris par un ennemi
+perfide avant que vos colonnes fussent réunies, vous avez dû rétrograder
+jusqu'à l'Adige; mais lorsque vous reçûtes l'ordre de marcher en avant,
+vous étiez sur le champ mémorable d'Arcole, et là, vous jurâtes sur les
+mânes de nos héros de triompher. Vous avez tenu parole à la bataille de
+la Piave, aux combats de Saint-Daniel, de Tarvis, de Gorice. Vous avez
+pris d'assaut les forts de Malborghetto, de Pradel et fait capituler la
+division ennemie retranchée dans Prévald et Laybach. Vous n'aviez pas
+encore passé la Drave, et déjà vingt-cinq mille prisonniers, soixante
+pièces de bataille, dix drapeaux avaient signalé votre valeur. Depuis,
+la Drave, la Save, la Muer n'ont pu retarder votre marche. La colonne
+autrichienne de Jellachich, qui la première entra dans Munich, qui donna
+le signai des massacres dans le Tyrol, environnée à Saint-Michel, est
+tombée dans vos baïonnettes. Vous avez fait une prompte justice de ces
+débris dérobés à la colère de la grande armée.
+
+Soldats, cette armée autrichienne d'Italie, qui un moment souilla par sa
+présence mes provinces, qui avait la prétention de briser ma couronne de
+fer, battue, dispersée, anéantie, grâces à vous, sera un exemple de la
+vérité de cette devise: _Dieu me la donne, gare à qui la touche._
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Ebersdorf, 28 mai 1809.
+
+_Treizième bulletin de la grande armée._
+
+Dans la nuit du 26 au 27, nos ponts sur le Danube ont été enlevés par
+les eaux et par des moulins qu'on a détachés. On n'avait pas encore eu
+le temps d'achever les pilotis et de placer la grande chaîne de fer.
+Aujourd'hui, l'un des ponts est rétabli, on espère que l'autre le sera
+demain.
+
+L'empereur a passé la journée d'hier sur la rive gauche, pour visiter
+les fortifications que l'on élève dans l'île d'In-der-Lobau, et pour
+voir plusieurs régimens du corps du duc de Rivoli en position de cette
+espèce de tête de pont.
+
+Le 27, à midi, le capitaine Bataille, aide-de-camp du prince vice-roi, a
+apporté l'agréable nouvelle de l'arrivée de l'armée d'Italie à Bruck. Le
+général Lauriston avait été envoyé au devant d'elle, et la jonction a eu
+lieu sur le Simmeringberg. Un chasseur du neuvième qui était en coureur
+en avant d'une reconnaissance de l'armée d'Italie, rencontra un chasseur
+d'un peloton du vingtième, envoyé par le général Lauriston, Après s'être
+observés pendant quelque temps, ils reconnurent qu'ils étaient Français
+et s'embrassèrent. Le chasseur du vingtième marcha sur Bruck, pour se
+rendre auprès du vice-roi, et celui du neuvième se dirigea vers le
+général Lauriston pour l'informer de l'approche de l'armée d'Italie.
+Il y avait plus de douze jours que les deux armées n'avaient pas de
+nouvelles l'une de l'autre. Le 26 au soir, le général Lauriston était à
+Bruck au quartier-général du vice-roi.
+
+Le vice-roi a montré dans toute cette campagne un sang-froid et un coup
+d'oeil qui présagent un grand capitaine.
+
+Dans la relation des faits qui ont illustré l'armée d'Italie pendant ces
+vingt derniers jours, Sa Majesté a remarqué avec plaisir la destruction
+du corps de Jellachich. C'est ce général qui fit aux Tyroliens cette
+insolente proclamation qui alluma leur fureur et aiguisa leurs
+poignards. Poursuivi par le duc de Dantzick, menacé d'être pris eu flanc
+par la brigade du général Dupellin, que le duc d'Auerstaedt avait fait
+déboucher par Mariazell, il est venu tomber comme dans un piége en avant
+de l'armée d'Italie. L'archiduc Jean qui, il y a si peu de temps, et
+dans l'excès de sa présomption, se dégradait par sa lettre au duc de
+Raguse, a évacué Gratz, hier, 27, ramenant à peine vingt ou vingt-cinq
+mille hommes de cette belle armée qui était entrée en Italie.
+L'arrogance, l'insulte, les provocations à la révolte, toutes ses
+actions portant le caractère de la rage, ont tourné à sa honte.
+
+Les peuples de l'Italie se sont conduits comme auraient pu le faire les
+peuples de l'Alsace, de la Normandie ou du Dauphiné. Dans la retraite de
+nos soldais, ils les accompagnaient de leurs voeux et de leurs larmes;
+ils reconduisaient par des chemins détournés, et jusqu'à cinq marches
+de l'armée, les hommes égarés. Lorsque quelques prisonniers ou quelques
+blessés, français ou italiens, ramenés par l'ennemi, traversaient les
+villes et les villages, les habitans leur portaient des secours; ils
+cherchaient pendant la nuit les moyens de les travestir et de les faire
+sauver.
+
+Les proclamations et les discours de l'archiduc Jean n'inspiraient que
+le mépris et le dédain, et l'on aurait peine à se peindre la joie des
+peuples de la Piave, du Tagliamento et du Frioul, lorsqu'ils virent
+l'armée de l'ennemi fuyant en désordre, et l'armée du souverain et de la
+patrie revenant triomphante.
+
+Lorsqu'on a visité les papiers de l'intendant de l'armée autrichienne
+qui était à la fois le chef du gouvernement et de la police, et qui a
+été pris à Padoue avec quatre voitures, on y a découvert la preuve de
+l'amour des peuples d'Italie pour l'empereur. Tout le monde avait
+refusé des places, personne ne voulait servir l'Autriche: et parmi sept
+millions d'hommes qui composent la population du royaume, l'ennemi n'a
+trouvé que trois misérables qui n'aient pas repoussé la séduction.
+
+Les régimens d'Italie qui s'étaient distingués en Pologne et qui avaient
+rivalisé d'intrépidité dans la campagne de Catalogne avec les plus
+vieilles bandes françaises, se sont couverts de gloire dans toutes les
+affaires. Les peuples d'Italie marchent à grands pas vers le dernier
+terme d'un heureux changement. Cette belle partie du continent, où
+s'attachent tant de grands et d'illustres souvenirs, que la cour de
+Rome, que, cette nuée de moines, que ses divisions avaient perdue,
+reparaît avec honneur sur la scène de l'Europe.
+
+Tous les détails qui suivent, de l'armée autrichienne, constatent que
+dans les journées du 21 et du 22, sa perte a été énorme. L'élite de
+l'armée a péri. Selon les aimables de Vienne, les manoeuvres du général
+Danube ont sauvé l'armée autrichienne.
+
+Le Tyrol et le Voralberg sont parfaitement soumis. La Carniole,
+la Styrie, la Carinthie, le pays de Salzbourg, la Haute et la
+Basse-Autriche sont pacifiés et désarmés.
+
+Trieste, cette ville où les Français et les Italiens ont subi tant
+d'outrages, a été occupée. Les marchandises coloniales anglaises ont été
+confisquées. Une circonstance de la prise de Trieste a été très-agréable
+a l'empereur: c'est la délivrance de l'escadre russe; elle avait eu
+ordre d'appareiller pour Ancône; mais retenue par les vents contraires,
+elle était restée au pouvoir des Autrichiens.
+
+La jonction de l'armée de Dalmatie est prochaine. Le duc de Raguse s'est
+mis en marche aussitôt qu'il a appris que l'armée d'Italie était sur
+l'Izonso. On espère qu'il arrivera à Laybach avant le 5 juin.
+
+Le brigand Schill qui se donnait, et avec raison, le titre de général au
+service de l'Angleterre, après avoir prostitué le nom du roi de Prusse,
+comme les satellites de l'Angleterre prostituent celui de Ferdinand
+à Séville, a été poursuivi et jeté dans une île de l'Elbe. Le roi de
+Westphalie, indépendamment de quinze mille hommes de ses troupes, avait
+une division hollandaise et une division française; et le duc de Valmy a
+déjà réuni à Hanau deux divisions du corps d'observation, commandées
+par les généraux Rivaux et Despeaux, et composées des brigades Lameth,
+Clément, Taupin et Vaufreland.
+
+La pacification de la Souabe rend disponible le corps d'observation du
+général Beaumont qui est réuni à Augsbourg, et où se trouvent plus de
+trois mille dragons.
+
+La rage des princes de la maison de Lorraine contre la ville de Vienne
+peut se peindre par un seul trait. La capitale est nourrie par quarante
+moulins établis sur la rive gauche du fleuve. Ils les ont fait enlever
+et détruire.
+
+
+
+Ebersdorf, 1er juin 1809.
+
+_Quatorzième bulletin de la grande armée._
+
+Les ponts sur le Danube sont entièrement rétablis. On y a joint un pont
+volant, et l'on prépare tous les matériaux nécessaires pour jeter un
+autre pont de radeaux. Sept sonnettes battent des pilotis; mais le
+Danube ayant dans plusieurs endroits vingt-quatre et vingt-six pieds de
+profondeur, on emploie toujours beaucoup de temps pour faire tenir les
+ancres, lorsqu'on déplace les sonnettes. Cependant les travaux avancent
+et seront terminés sous peu.
+
+Le général de brigade du génie Lazowski fait travailler, sur la rive
+gauche, à une tête de pont qui aura seize cents toises de développement,
+et qui sera couverte par un bon fossé plein d'eau courante.
+
+Le quarante-quatrième équipage de la flottille de Boulogne, commandé par
+le capitaine de vaisseau Baste, est arrivé. Un grand nombre de bateaux
+en croisière battent toutes les îles, couvrent le pont et rendent
+beaucoup de services.
+
+Le bataillon des ouvriers de la marine travaille à la construction de
+petites péniches armées, qui serviront a maîtriser parfaitement le
+fleuve.
+
+Après la défaite du corps du général Jellachich, M. Mathieu,
+capitaine-adjoint à l'état-major de l'armée d'Italie, fut envoyé avec
+un dragon d'ordonnance sur la route de Salzbourg; ayant rencontré
+successivement une colonne de six cent cinquante hommes de troupes de
+ligne, et une colonne de deux mille landwehrs qui, l'une et l'autre
+étaient coupées et égarées, il les somma de se rendre, et elles mirent
+bas les armes.
+
+Le général de division Lauriston est arrivé à Oedembourg, premier
+comitat de Hongrie, avec une forte avant-garde. Il paraît qu'il y a de
+la fermentation en Hongrie, que les esprits y sont très-divisés, et que
+la majorité n'est pas favorable à l'Autriche.
+
+Le général de division Lasalle a son quartier-général vis-à-vis
+Presbourg, a poussé ses postes jusqu'à Altenbourg et jusqu'auprès de
+Raab.
+
+Trois-divisions de l'armée d'Italie sont arrivées a Neustadt. Le
+vice-roi est depuis deux jours au quartier-général de l'empereur.
+
+Le général Macdonald, commandant un des corps de l'armée d'Italie, est
+entré à Gratz. On a trouvé dans cette capitale de la Styrie d'immenses
+magasins de vivres et d'effets d'habillement et d'équipement de toute
+espèce.
+
+Le duc de Dantzick est à Lintz.
+
+Le prince de Ponte-Corvo marche sur Vienne. Le général de division
+Vandamme, avec les Wurtembergeois, est à Saint-Polten, Mauteru et Krems.
+
+La tranquillité règne dans le Tyrol. Coupés par les mouvemens du duc
+de Dantzick et de l'armée d'Italie, tous les Autrichiens qui s'étaient
+imprudemment engagés dans cette pointe, ont été détruits, les uns par
+le duc de Dantzick, les autres, tels que le corps de Jellachich, par
+l'armée d'Italie. Ceux qui étaient en Souabe n'ont eu d'autre ressource
+que de tâcher de traverser en partisans l'Allemagne, en se portant sur
+le Haut-Palatinat. Ils formaient une petite colonne d'infanterie et de
+cavalerie qui s'était échappée de Lindau et qui avait été rencontrée par
+le colonel Reiset du corps d'observation du général Beaumont; elle a été
+coupée à Neumarck, et la colonne entière, officiers et soldats, a mis
+bas les armes.
+
+Vienne est tranquille, le pain et le vin sont en abondance; mais la
+viande que cette capitale tirait du fond de la Hongrie, commence à
+devenir rare. Contre toutes les raisons politiques et tous les
+motifs d'humanité, les ennemis font l'impossible pour affamer leurs
+compatriotes et cette capitale qui renferme cependant leurs femmes et
+leurs enfans. Il y a loin de cette conduite à celle de notre Henri
+IV, nourrissant lui-même une ville qui était alors ennemie et qu'il
+assiégeait.
+
+Le duc de Montebello est mort hier à cinq heures du matin. Quelque temps
+auparavant, l'empereur s'était entretenu pendant une heure avec lui. Sa
+Majesté avait envoyé chercher par le général Rapp, son aide-de-camp, M.
+le docteur Franck, l'un des médecins les plus célèbres de l'Europe; ses
+blessures étaient en bon état, mais une fièvre pernicieuse avait fait
+en peu d'heures les plus funestes progrès. Tous les secours de l'art
+étaient devenus inutiles. S. M. a ordonné que le corps du duc de
+Montebello soit embaumé et transporté en France pour y recevoir les
+honneurs qui sont dus à un rang élevé et à d'éminens services. Ainsi a
+fini l'un des militaires les plus distingués qu'ait eus la France.
+Dans les nombreuses batailles où il s'est trouvé, il avait reçu treize
+blessures. L'empereur a été extrêmement sensible à cette perte qui sera
+ressentie par tous les Français.
+
+
+
+Ebersdorf, 2 juin 1809.
+
+_Quinzième bulletin de la grande armée._
+
+L'armée de Dalmatie a obtenu les plus grands succès; elle a défait
+tout ce qui s'est présenté devant elle aux combats de Mont-Kitta, de
+Gradchatz, de la Liéca et d'Ottachatz. Le général en chef Sloissevich a
+été pris.
+
+Le duc de Raguse est arrivé le 28 à Fiume, et a fait ainsi sa jonction
+avec l'armée d'Italie et avec la grande armée, dont l'armée de Dalmatie
+forme l'extrême droite. On fera connaître la relation du duc de Raguse
+sur ces différens événemens.
+
+Le 28, une escadre anglaise de quatre vaisseaux, deux frégates et un
+brick, s'est présentée devant Trieste, avec l'intention de prendre
+l'escadre russe. Le général comte Cafarelli venait d'arriver dans ce
+port. Comme la ville était désarmée, les Russes ont débarqué quarante
+pièces de canon, dont vingt-quatre de 36 et seize de 24. On a mis ces
+pièces en batterie, et l'escadre russe s'est embossée. Tout était prêt
+pour bien recevoir l'ennemi qui, voyant son coup manqué, s'est éloigné.
+
+Un millier d'Autrichiens ayant passé de Krems sur la rive droite du
+Danube, ont été culbutés par le corps, wurtembergeois qui leur a fait
+soixante prisonniers.
+
+
+
+Ebersdorf, 4 juin 1809.
+
+_Seizième bulletin de la grande armée._
+
+L'ennemi avait jeté sur la rive droite du Danube, vis-à-vis Presbourg,
+une division de neuf mille hommes, qui s'était retranchée dans le
+village d'Engerau. Le duc d'Auerstaedt l'a fait attaquer hier par les
+tirailleurs de Hesse-Darmstadt, soutenus par le douzième régiment
+d'infanterie de ligne. Le village a été emporté avec rapidité. Un major,
+huit officiers du régiment de Beaulieu, parmi lesquels se trouve le
+petit-fils de ce feld-maréchal, et quatre cents hommes ont été pris.
+Le reste du régiment a été tué, ou blessé, ou jeté dans l'eau; ce qui
+restait de la division a trouvé protection dans une île pour repasser le
+fleuve. Les tirailleurs de Hesse-Darmstadt se sont très-bien battus.
+
+Le vice-roi a aujourd'hui son quartier-général à Oedembourg.
+
+Les effets les plus précieux de la cour ont été transportés de Bude à
+Peterswalde, où l'impératrice s'est retirée.
+
+Le duc de Raguse est arrivé à Laybach.
+
+Le général Macdonald est maître de Gratz; il cerne la citadelle qui fait
+mine de résister.
+
+A la bataille d'Esling, le général de brigade Foulers, blessé dans une
+charge, fut précipité de son cheval, et le général de division
+Durosnel, aide-de-camp de l'empereur, portant un ordre à la division de
+cuirassiers qui chargeait, avait aussi été renversé. Nous avons eu la
+satisfaction d'apprendre que ces deux généreux et cent cinquante soldats
+que nous croyions avoir perdus, ne sont que blessés, et étaient restés
+dans les blés, lorsque l'empereur ayant appris que les ponts du Danube
+venaient de se rompre, ordonna de se concentrer entre Esling et
+Gross-Aspern.
+
+Le Danube baisse; cependant la continuation des chaleurs fait encore
+craindre une crue.
+
+
+
+Vienne, 8 juin 1809.
+
+_Dix-septième bulletin de la grande armée._
+
+Le colonel Gorgoli, aide-de-camp de l'empereur de Russie, est arrivé
+au quartier-impérial avec une lettre de ce souverain pour S. M. Il
+a annoncé que l'armée russe se dirigeant sur Olmutz avait passé la
+frontière le 24 mai.
+
+L'empereur a passé avant-hier la revue de sa garde, infanterie,
+cavalerie et artillerie. Les habitans de Vienne ont admiré le nombre, la
+belle tenue et le bon état de ces troupes.
+
+Le vice-roi s'est porté avec l'armée d'Italie à Oedembourg, en Hongrie.
+Il paraît que l'archiduc Jean cherche à rallier son armée sur Raab.
+
+Le duc de Raguse est arrivé avec l'armée de Dalmatie, le 3 de ce mois, à
+Laybach.
+
+Les chaleurs sont très-fortes, et les gens-pratiques du Danube annoncent
+qu'il y aura un débordement d'ici à peu de jours. On profite de ce temps
+pour achever, indépendamment des ponts de bateaux et de radeaux, de
+planter les pilotis.
+
+Tous les renseignemens que l'on reçoit du côté de l'ennemi annoncent que
+les villes de Presbourg, Brunn et Znaïm sont remplies de blessés. Les
+Autrichiens évaluent eux-mêmes leur perte à dix-huit mille hommes.
+
+Le prince Poniatowski, avec l'armée du grand-duché de Varsovie, poursuit
+ses succès. Après la prise de Sandomir, il s'est emparé de la forteresse
+de Zamosc, où il a fait éprouver à l'ennemi une perte de trois mille
+hommes et pris trente pièces de canon. Tous les Polonais qui sont à
+l'armée autrichienne désertent.
+
+L'ennemi, après avoir échoué devant Thorn, a été vivement poursuivi par
+le général Dombrowski.
+
+L'archiduc Ferdinand ne retirera que de la honte de son expédition. Il
+doit être arrivé dans la Silésie autrichienne, réduit au tiers de ses
+forces.
+
+Le sénateur Wibiski s'est distingué par ses sentimens patriotiques et
+son activité.
+
+M. le comte de Metternich «st arrivé à Vienne. Il va être échangé aux
+avant-postes avec la légation française, à qui les Autrichiens avaient,
+contre le droit des gens, refusé des passeports, et qu'ils avaient
+emmenée à Pest.
+
+
+
+Vienne, 13 juin 1809.
+
+_Dix-huitième bulletin de la grande armée._
+
+La division du général Chasteller, qui avait insurgé le Tyrol, a passé
+le 4 de ce mois aux environs de Clagenfurth, pour se jeter en Hongrie.
+Le général Rusca a marché à elle, et il y a eu un engagement assez vif,
+où l'ennemi a été battu, et où on lui a fait neuf cents prisonniers.
+
+Le prince Eugène, avec un gros corps, manoeuvre au milieu de la Hongrie.
+
+Depuis quelques jours le Danube a augmenté d'un pied.
+
+Le général Gratien, avec une division hollandaise, ayant marché
+sur Stralsund, où s'était retranché le nommé Schill, a enlevé ses
+retranchemens d'assaut. Schill avait donné ordre de brûler la ville pour
+assurer sa retraite, mais sa bande n'en a pas eu le temps; elle a été
+en entier tuée ou prise; lui-même a été tué sur la grande place près du
+corps-de-garde, dans le moment où il se sauvait et cherchait à gagner le
+port pour s'embarquer.
+
+L'archiduc Ferdinand a évacué précipitamment Varsovie le 2 juin. Ainsi
+tout le grand-duché est abandonné par l'armée ennemie, tandis que les
+troupes que commande le prince Poniatowski occupent les trois quarts de
+la Galicie.
+
+
+
+Vienne, 16 juin 1809.
+
+_Dix-neuvième bulletin de la grande armée._
+
+L'anniversaire de la bataille de Marengo a été célébré par la victoire
+de Raab, que la droite de l'armée commandée par le vice-roi, a remportée
+sur les corps réunis de l'archiduc Jean et de l'archiduc Palatin.
+
+Depuis la bataille de la Piave, le vice-roi a poursuivi l'archiduc Jean,
+l'épée dans les reins.
+
+L'armée autrichienne espérait se cantonner aux sources de la Raab, entre
+Saint-Gothard et Comorn.
+
+Le 5 juin, le vice-roi partit de Neustadt et porta son quartier-général
+à Oedembourg, en Hongrie.
+
+Le 7, il continua son mouvement, et arriva à Guns. Le général Lauriston,
+avec son corps d'observation, le rejoignit sur la gauche.
+
+Le 8, le général Montbrun, avec sa division de cavalerie légère, força
+le passage de la Raabnilz, auprès de Sovenshaga, culbuta trois cents
+cavaliers de l'insurrection hongroise, et les rejeta sur Raab.
+
+Le 9, le vice-roi se porta sur Sarvar.
+
+La cavalerie du général Grouchy rencontra l'arrière-garde ennemie à
+Vasvar, et fit quelques prisonniers.
+
+Le 10, le général Macdonald, venant de Gratz, arriva à Comorn.
+
+Le 11, le général de division Grenier rencontra à Karako, une colonne de
+flanqueurs ennemis qui défendait le pont, et passa la rivière de vive
+force. Le général Debroc, avec le neuvième de hussards, a fait une belle
+charge sur un bataillon de quatre cents hommes, dont trois cents ont été
+faits prisonniers.
+
+Le 12, l'armée déboucha par le pont de Merse sur Papa. Le vice-roi
+aperçut d'une hauteur toute l'armée ennemie en bataille. Le général
+de division Montbrun, général de cavalerie et officier d'une grande
+espérance, déboucha dans la plaine, attaqua et culbuta la cavalerie
+ennemie, après avoir fait plusieurs manoeuvres précises et vigoureuses.
+L'ennemi avait déjà commencé sa retraite. Le vice-roi passa la nuit à
+Papa.
+
+Le 13, à cinq heures du matin, l'armée se mit en marche pour se porter
+sur Raab. Notre cavalerie et la cavalerie autrichienne se rencontrèrent
+un village de Szanak. L'ennemi fut culbuté et on lui fit quatre cents
+prisonniers.
+
+L'archiduc Jean, ayant fait sa jonction avec l'archiduc Palatin, près de
+Raab, prit position sur de belles hauteurs, la droite appuyée à Raab,
+ville fortifiée, et la gauche couvrant le chemin de Comorn, autre place
+forte de la Hongrie.
+
+Le 14 à onze heures du matin, le vice-roi range son armée en bataille,
+et avec trente-cinq mille hommes, en attaque cinquante mille. L'ardeur
+de nos troupes est encore augmentée par le souvenir de la victoire
+mémorable qui a consacré cette journée. Tous les soldats poussent des
+cris de joie à la vue de l'armée ennemie, qui était sur trois lignes et
+composée de vingt à vingt-cinq mille hommes, restes de cette superbe
+armée d'Italie, qui naguère se croyait déjà maîtresse de toute l'Italie;
+de dix mille hommes commandés par le général Haddick, et formés des
+réserves des places fortes de Hongrie; de cinq à six mille hommes
+composés des débris réunis du corps de Jellachich, et des autres
+colonnes du Tyrol, échappés aux mouvemens de l'armée, par les gorges de
+la Carinthie; enfin, de douze a quinze mille hommes de l'insurrection
+hongroise, cavalerie et infanterie.
+
+Le vice-roi plaça son armée, la cavalerie du général Montbrun, la
+brigade du général Colbert et la cavalerie du général Grouchy sur la
+droite; le corps du général Grenier, formant deux échelons, dont la
+division du général Serras formait l'échelon de droite, en avant; une
+division italienne commandée par le général Baragucy-d'Hilliers, formant
+le second échelon, et la division du général Puthod, en réserve. Le
+général Lauriston, avec son corps d'observation, soutenu par le général
+Sahuc, formait l'extrême gauche, et observait la place de Raab.
+
+A deux heures après midi, la canonnade s'engagea. A trois heures, le
+premier, le second et le troisième échelons, en vinrent aux mains. La
+fusillade devint vive, la première ligne de l'ennemi fut culbutée,
+mais la seconde ligne arrêta un instant l'impétuosité de notre premier
+échelon qui fut aussitôt renforcé et la culbuta. Alors la réserve de
+l'ennemi se présenta. Le vice-roi qui suivait tous les mouvemens de
+l'ennemi, marcha, de son côté, avec sa réserve: la belle position des
+Autrichiens fut enlevée, et à quatre heures la victoire était décidée.
+
+L'ennemi, en pleine déroute, se serait difficilement rallié si un défilé
+ne s'était opposé aux mouvemens de notre cavalerie. Trois mille hommes
+faits prisonniers, six pièces de canon et quatre drapeaux, sont les
+trophées de cette journée. L'ennemi a laissé sur le champ de bataille
+trois mille morts, parmi lesquels on a trouvé un général major. Notre
+perte s'est élevée à neuf cents hommes tués ou blessés. Au nombre des
+premiers se trouve le colonel Thierry, du vingt-troisième régiment
+d'infanterie légère, et parmi les derniers, le général de brigade
+Valentin et le colonel Expert.
+
+Le vice-roi fait une mention particulière des généraux Grenier,
+Montbrun, Serras et Danthouard. La division italienne Severoli a montré
+beaucoup de précision et de sang-froid. Plusieurs généraux ont eu leurs
+chevaux tués; quatre aides-de-camp du vice-roi ont été légèrement
+atteints. Ce prince a été constamment au milieu de la plus grande mêlée.
+L'artillerie commandée par le général Sabatier, a soutenu sa réputation.
+
+Le champ de bataille de Raab avait été dès long-temps reconnu par
+l'ennemi, car il annonçait fort à l'avance qu'il tiendrait dans cette
+belle position. Le 15, il a été vivement poursuivi sur la route de
+Comorn et de Pest.
+
+Les habitans du pays sont tranquilles, et ne prennent aucune part à la
+guerre. La proclamation de l'empereur a mis de l'agitation dans
+les esprits. On sait que la nation hongroise a toujours désiré son
+indépendance. La partie de l'insurrection qui se trouve à l'armée avait
+déjà été levée par la dernière diète; elle est sous les armes et elle
+obéît.
+
+
+
+Vienne, 20 juin 1809.
+
+_Vingtième bulletin de la grande armée._
+
+Lorsque la nouvelle de la victoire de Raab arriva à Bude, l'impératrice
+en partit à l'heure même, ainsi que tout ce qui tenait au gouvernement.
+
+L'armée ennemie a été poursuivie pendant les journées du 15 et du 16;
+elle a passé le Danube sur le pont de Comorn. La ville de Raab a été
+investie. On espère être maître sous peu de jours de cette place
+importante. On a trouvé dans les faubourgs des magasins assez
+considérables.
+
+On a pris le superbe camp retranché de Raab, qui pouvait contenir cent
+mille hommes. La colonne destinée à le défendre n'a pu s'y introduire;
+elle a été coupée.
+
+Un courrier venant de Bude, a été intercepté. Les dépêches écrites en
+latin, dont il était porteur, font connaître l'effet qu'a produit la
+bataille de Raab.
+
+L'ennemi inonde le pays de faux bruits; cela tient au système adopté
+pour remuer les dernières classes du peuple.
+
+M. de Metternich est parti le 18 de Vienne. Il sera échangé entre Comorn
+et Bude, avec M. Dodun et les autres personnes de la légation française.
+
+M. d'Epinay, officier d'ordonnance de S.M., est arrivé à Pétersbourg. Il
+a passé au quartier-général de l'armée russe. Le prince Serge-Galitzin
+est entré en Galicie le 3 de ce mois, sur trois colonnes; savoir,
+celle du général Levis par Drohyezim; celle du prince Gortszakoff par
+Therespold, et celle du prince Suwarow par Wlodzimirz.
+
+
+
+Vienne, 22 juin 1809.
+
+_Vingt-unième bulletin de la grande armée._
+
+Un aide-de-camp du prince Joseph Poniatowski est arrivé du
+quartier-général de l'armée du grand-duché. Le 10 de ce mois le prince
+Serge Galitzin devait être à Lublin et son avant-garde à Sandomir.
+
+L'ennemi se complaît à répandre des bulletins éphémères, où il rapporte
+tous les jours une victoire: selon lui, il a pris vingt mille fusils et
+deux mille cuirasses à la bataille d'Esling. Il dit que le 21 et le
+22 il était maître du champ de bataille. Il a même fait imprimer et
+répandre une gravure de celle bataille, où on le voit enjambant de l'une
+à l'autre rive, et ses batteries traversant les îles et le champ de
+bataille dans tous les sens. Il imagine aussi une bataille, qu'il
+appelle la bataille de Kitsée, dans laquelle un nombre immense de
+Français auraient été pris ou tués. Ces puérilités, colportées par de
+petites colonnes de landwehrs comme celle de Schill, sont une tactique
+employée pour inquiéter et soulever le pays.
+
+Le général Maziani qui a été fait prisonnier à la bataille de Raab, est
+arrivé au quartier-général. Il dit que, depuis la bataille de la Piave,
+l'archiduc Jean avait perdu les deux tiers de son monde; qu'il a ensuite
+reçu des recrues qui ont à peu près rempli les cadres, mais qui ne
+savent pas faire usage de leurs fusils. Il porte à douze mille hommes la
+perte de l'archiduc Jean et du Palatin à la bataille de Raab. Selon le
+rapport des prisonniers hongrois, l'archiduc Palatin a été le premier
+dans cette journée à prendre la fuite.
+
+Quelques personnes ont voulu mettre en opposition la force de l'armée
+autrichienne à Esling, estimée à quatre-vingt-dix mille hommes, avec
+les quatre-vingt mille hommes qui ont été faits prisonniers depuis
+l'ouverture de la campagne; elles ont montré peu de réflexion. L'armée
+autrichienne est entrée en campagne avec neuf corps d'armée de quarante
+mille hommes chacun, et il y avait dans l'intérieur des corps de recrues
+et de landwehrs; de sorte que l'Autriche avait réellement plus de quatre
+cent mille hommes sous les armes. Depuis la bataille d'Ebensberg jusqu'à
+la prise de Vienne, y compris l'Italie et la Pologne, on peut avoir fait
+cent mille prisonniers à l'ennemi, et il a perdu cent mille hommes tués,
+déserteurs ou égarés. Il devait donc lui rester encore deux cent mille
+hommes distribués comme il suit: l'archiduc Jean avait à la bataille de
+Raab cinquante mille hommes, la principale armée autrichienne avait,
+avant la bataille d'Esling quatre-vingt-dix mille hommes; il restait
+donc, vingt-cinq mille hommes à l'archiduc Ferdinand à Varsovie, et
+vingt-cinq mille hommes étaient disséminés dans le Tyrol, dans la
+Croatie et répandus en partisans sur les confins de la Bohème.
+
+L'armée autrichienne à Esling était composée du premier corps commandé
+par le général Bellegarde, le seul qui n'eût pas donné et qui fût encore
+entier, et des débris du deuxième, du troisième, du quatrième, du
+cinquième et du sixième corps qui avaient été écrasés dans les batailles
+précédentes. Si ces corps n'avaient rien perdu et eussent été réunis
+tels qu'ils étaient au commencement de la campagne, ils auraient
+formé deux cent quarante mille hommes. L'ennemi n'avait pas plus de
+quatre-vingt-dix mille hommes, ainsi l'on voit combien sont énormes les
+pertes qu'il avait éprouvées.
+
+Lorsque l'archiduc Jean est entré en campagne, son armée était composée
+des huitième et neuvième corps, formant quatre-vingt mille hommes. A
+Raab elle se trouvait de cinquante mille hommes. Sa perte aurait donc
+été de trente mille hommes. Mais dans ces cinquante mille hommes étaient
+compris quinze mille Hongrois de l'insurrection. Sa perte était donc
+réellement de quarante-cinq mille hommes.
+
+L'archiduc Ferdinand était entré à Varsovie avec le septième corps
+formant quarante mille hommes. Il est réduit à vingt-cinq mille. Sa
+perte est donc de quinze mille hommes.
+
+On voit comment ces différens calculs se vérifient.
+
+Le vice-roi a battu à Raab cinquante mille hommes avec trente mille
+Français.
+
+A Esling quatre-vingt-dix mille hommes ont été battus et contenus par
+trente mille Français qui les auraient mis dans une complète déroute
+et détruits, sans l'événement des ponts qui a produit le défaut de
+munitions.
+
+Les grands efforts de l'Autriche ont été le résultat du papier-monnaie,
+et de la résolution que le gouvernement autrichien a prise de jouer le
+tout pour le tout. Dans le péril d'une banqueroute qui aurait pu amener
+une révolution, il a préféré ajouter cinq cents millions à la masse de
+son papier-monnaie, et tenter un dernier effort pour le faire escompter
+par l'Allemagne, l'Italie et la Pologne. Il est fort probable que cette
+raison ait influé plus que toute autre, sur ses déterminations.
+
+Pas un seul régiment français n'a été tiré d'Espagne, si ce n'est la
+garde impériale.
+
+Le général comte Lauriston continue le siège de Raab avec la plus grande
+activité. La ville brûle déjà depuis vingt-quatre heures, et cette armée
+qui a remporté à Esling une si grande victoire, qu'elle s'est emparée
+de vingt mille fusils et de deux mille cuirasses; cette armée qui, à la
+bataille de Kitsée, a tué tant de monde et fait tant de prisonniers;
+cette armée qui, selon ses bulletins apocryphes, a obtenu de si grands
+avantages à la bataille de Raab, voit tranquillement assiéger et brûler
+ses principales places et inonder la Hongrie de partis, et fait sauver
+son impératrice, ses dicastères, tous les effets précieux de son
+gouvernement, jusqu'aux frontières de la Turquie et aux extrémités les
+plus reculées de l'Europe.
+
+Un major autrichien a eu la fantaisie de passer le Danube sur deux
+bateaux à l'embouchure de la Marsch. Le général Gilly-Vieux s'est porté
+à sa rencontre avec quelques compagnies, l'a jeté dans l'eau et lui a
+fait quarante prisonniers.
+
+
+
+Vienne, 24 juin 1809.
+
+_Vingt-deuxième bulletin de la grande armée._
+
+La place de Raab a capitulé. Cette ville est une excellente position
+au centre de la Hongrie. Son enceinte est bastionnée, ses fossés sont
+pleins d'eau, et une inondation en couvre une hommes, la principale
+armée autrichienne avait, avant la bataille d'Esling quatre-vingt-dix
+mille hommes; il restait donc, vingt-cinq mille hommes à l'archiduc
+Ferdinand à Varsovie, et vingt-cinq mille hommes étaient disséminés dans
+le Tyrol, dans la Croatie et répandus en partisans sur les confins de la
+Bohème.
+
+L'armée autrichienne à Esling était composée du premier corps commandé
+par le général Bellegarde, le seul qui n'eût pas donné et qui fût encore
+entier, et des débris du deuxième, du troisième, du quatrième, du
+cinquième et du sixième corps qui avaient été écrasés dans les batailles
+précédentes. Si ces corps n'avaient rien perdu et eussent été réunis
+tels qu'ils étaient au commencement de la campagne, ils auraient
+formé deux cent quarante mille hommes. L'ennemi n'avait pas plus de
+quatre-vingt-dix mille hommes, ainsi l'on voit combien sont énormes les
+pertes qu'il avait éprouvées.
+
+Lorsque l'archiduc Jean est entré en campagne, son armée était composée
+des huitième et neuvième corps, formant quatre-vingt mille hommes. A
+Raab elle se trouvait de cinquante mille hommes. Sa perte aurait donc
+été de trente mille hommes. Mais dans ces cinquante mille hommes étaient
+compris quinze mille Hongrois de l'insurrection. Sa perte était donc
+réellement de quarante-cinq mille hommes.
+
+L'archiduc Ferdinand était entré à Varsovie avec le septième corps
+formant quarante mille hommes. Il est réduit à vingt-cinq mille. Sa
+perte est donc de quinze mille hommes.
+
+On voit comment ces différens calculs se vérifient.
+
+Le vice-roi a battu à Raab cinquante mille hommes avec trente mille
+Français.
+
+A Esling quatre-vingt-dix mille hommes ont été battus et contenus par
+trente mille Français qui les auraient mis dans une complète déroute
+et détruits, sans l'événement des ponts qui a produit le défaut de
+munitions.
+
+
+
+Vienne, 28 juin 1809.
+
+_Vingt-troisième bulletin de la grande armée._
+
+Le 25 de ce mois, S. M. a passé en revue un grand nombre de troupes sur
+les hauteurs de Schoenbrunn. On a remarqué une superbe ligne de huit
+mille hommes de cavalerie dont la garde faisait partie, et où ne se
+trouvait pas un régiment de cuirassiers. On a remarqué également une
+ligne de deux cents pièces de canon. La tenue et l'air martial des
+troupes excitaient l'admiration des spectateurs.
+
+Samedi 24, à quatre heures après-midi, nos troupes sont entrées à Raab.
+Le 25, la garnison prisonnière de guerre est partie. Décompte fait, elle
+s'est trouvée monter à deux mille cinq cents hommes.
+
+S. M. a donné au général de division Narbonne le commandement de cette
+place et de tous les comitats hongrois soumis aux armes françaises.
+
+Le duc d'Auerstaedt est devant Presbourg. L'ennemi travaillait à des
+fortifications. On lui a intimé de cesser ses travaux s'il ne voulait
+pas attirer de grands malheurs sur les paisibles habitans. Il n'en a
+tenu compte: quatre cents bombes et obus l'ont forcé de renoncer à son
+projet, mais le feu a pris dans cette malheureuse ville, et plusieurs
+quartiers ont été brûlés.
+
+Le duc de Raguse avec l'armée de Dalmatie a passé la Drave le 22, et
+marchait sur Dratz.
+
+Le 24, le général Vandamme a fait embarquer à Molck trois cents
+Wurtembergeois commandés par le général Kechler, pour les jeter sur
+l'autre rive, et avoir des nouvelles. Le débarquement s'est fait. Ces
+troupes ont mis en déroute deux compagnies ennemies, et ont pris deux
+officiers et quatre-vingts hommes du régiment de Mitrowski.
+
+Le prince de Ponte-Corvo et l'armée saxonne sont à Saint-Polien.
+
+Le duc de Dantzick qui est à Lintz, a fait faire une reconnaissance sur
+la rive gauche par le général de Wrede. Tous les postes ennemis ont été
+repoussés. On a pris plusieurs officiers et une vingtaine d'hommes.
+L'objet de cette reconnaissance était aussi de se procurer des
+nouvelles.
+
+La ville de Vienne est abondamment approvisionnée de viande;
+l'approvisionnement de pain est plus difficile à cause des embarras
+qu'on éprouve pour la mouture. Quant aux subsistances de l'armée, elles
+sont assurées pour six mois: elle a des vivres, du vin et des légumes
+en abondance. Le vin des caves des couvens a été mis en magasin pour
+fournir aux distributions à faire à l'armée. On a réuni ainsi plusieurs
+millions de bouteilles.
+
+Le 10 avril, au moment même où le général autrichien prostituait son
+caractère et tendait un piège au roi de Bavière, en écrivant la lettre
+qui a été insérée dans tous les papiers publics, le général Chasteller
+insurgeait le Tyrol et surprenait sept cents conscrits français qui
+allaient à Augsbourg où étaient leurs régimens, et qui marchaient sur la
+foi de la paix. Obligés de se rendre et faits prisonniers, ils furent
+massacrés. Parmi eux se trouvaient quatre-vingt Belges nés dans la même
+ville que Chasteller. Dix-huit cents Bavarois, faits prisonniers à la
+même époque, furent aussi massacrés. Chasteller qui commandait fut
+témoin de ces horreurs. Non-seulement il ne s'y opposa point, mais on
+l'accusa d'avoir souri à ce massacre, espérant que les Tyroliens, ayant
+à redouter la vengeance d'un crime dont ils ne pouvaient espérer le
+pardon, seraient ainsi plus fortement engagés dans leur rébellion.
+
+Lorsque S. M. eut connaissance de ces atrocités, elle se trouva dans une
+position difficile: si elle voulait recourir aux représailles, vingt
+généraux, mille officiers, quatre-vingt mille hommes faits prisonniers
+pendant le mois d'avril pouvaient satisfaire aux mânes des malheureux
+Français si lâchement égorgés. Mais des prisonniers n'appartiennent
+pas à la puissance pour laquelle ils ont combattu; ils sont tous la
+sauve-garde de l'honneur et de la générosité de la nation qui les a
+désarmés. S. M. considéra Chasteller comme étant sans aveu; car, malgré
+les proclamations furibondes et les discours violens des princes de la
+maison de Lorraine, il était impossible de croire qu'ils approuvaient
+de pareils attentats. S. M. fit en conséquence publier l'ordre du jour
+suivant:
+
+
+
+Au quartier-général impérial à Ens, le 5 mai 1809.
+
+_Ordre du jour._
+
+D'après les ordres de l'empereur, le nommé Chasteller, soi-disant
+général au service d'Autriche, moteur de l'insurrection du Tyrol,
+et prévenu d'être l'auteur des massacres commis sur les prisonniers
+bavarois et français par les insurgés, sera traduit à une commission
+militaire, aussitôt qu'il sera fait prisonnier, et passé par les armes
+s'il y a lieu, dans les vingt-quatre heures qui suivront la saisie.
+
+BERTHIER.
+
+
+A la bataille d'Esling, le général Durosnel, portant un ordre à un
+escadron avancé, fut fait prisonnier par vingt-cinq hulans. L'empereur
+d'Autriche, fier d'un triomphe si facile, fit publier un ordre du jour
+conçu en ces termes:
+
+_Copie d'une lettre de S. M. l'empereur d'Autriche au prince Charles._
+
+Mon cher frère,
+
+J'ai appris que l'empereur Napoléon a déclaré le marquis de Chasteller
+hors du droit des gens. Cette conduite injuste et contraire aux usages
+des nations, et dont on n'a aucun exemple dans les dernières époques de
+l'histoire, m'oblige d'user de représailles: en conséquence, j'ordonne
+que les généraux français Durosnel et Foulers soient gardés comme
+otages, pour subir le même sort et les mêmes traitemens que l'empereur
+Napoléon se permettrait de faire éprouver au général Chasteller. Il
+en coûte à mon coeur de donner un pareil ordre, mais je le dois à
+mes braves guerriers et à mes braves peuples, qu'un pareil sort peut
+atteindre au milieu des devoirs qu'ils remplissent avec tant de
+dévouement. Je vous charge de faire connaître cette lettre à l'armée,
+et de l'envoyer, par un parlementaire, au major-général de l'empereur
+Napoléon.
+
+_Signé_ FRANÇOIS.
+
+
+Aussitôt que cet ordre du jour parvint à la connaissance de S. M., elle
+ordonna d'arrêter le prince de Colloredo, le prince Metternich, le comte
+de Pergen et le comte de Harddeck, et de les conduire en France, pour
+répondre des jours des généraux Durosnel et Foulers. Le major-général
+écrivit au chef d'état-major de l'armée autrichienne la lettre
+ci-jointe:
+
+_A monsieur le major-général de l'armée autrichienne._
+
+Monsieur,
+
+S. M. l'empereur a eu connaissance d'un ordre donné par l'empereur
+François, qui déclare que les généraux français Durosnel et Foulers, que
+les circonstances de la guerre ont mis en son pouvoir, doivent répondre
+de la peine que les lois de la justice infligeraient à M. Chasteller,
+qui s'est mis à la tête des insurgés du Tyrol, et a laissé égorger sept
+cents prisonniers français et dix-huit à dix-neuf cents Bavarois; crime
+inouï dans l'histoire des nations, qui eût pu exciter une terrible
+représaille contre quarante feld-maréchaux-lieutenans, trente-six
+généraux-majors, plus de soixante colonels ou majors, douze cents
+officiers et quatre-vingt mille soldats, qui sont nos prisonniers, si S.
+M. ne regardait les prisonniers comme placés sous sa foi ou son honneur,
+et d'ailleurs n'avait eu des preuves que les officiers autrichiens du
+Tyrol en ont été aussi indignés que nous.
+
+Cependant, S. M. a ordonné que le prince de Colloredo, le prince
+Metternich, le comte Frédéric de Harddeck et le comte Pergen, seraient
+arrêtés et transférés en France, pour répondre de la sûreté des généraux
+Durosnel et Foulers, menacés par l'ordre du jour de votre souverain.
+Ces officiers pourront mourir, monsieur, mais ils ne mourront pas sans
+vengeance: cette vengeance ne tombera sur aucun prisonnier, mais sur les
+parens de ceux qui ordonneraient leur mort.
+
+Quant à M. Chasteller, il n'est pas encore au pouvoir de l'armée; mais
+s'il est arrêté, vous pouvez compter que son procès sera instruit, et
+qu'il sera traduit à une commission militaire. Je prie votre excellence
+de croire aux sentimens de ma haute considération.
+
+Le major-général _Signé_ BERTHIER.
+
+
+La ville de Vienne et le corps des états de la Basse-Autriche
+sollicitèrent la clémence de S. M., et demandèrent à envoyer une
+députation à l'empereur François, pour faire sentir la déraison du
+procédé dont on usait à l'égard des généraux Durosnel et Foulers, pour
+représenter que Chasteller n'était pas condamné, qu'il n'était point
+arrêté, qu'il était seulement traduit devant les tribunaux; que les
+pères, les femmes, les enfans, les propriétés des généraux autrichiens
+étaient entre les mains des Français, et que l'armée française était
+décidée, si l'on attentait à un seul prisonnier, à faire un exemple dont
+la postérité conserverait long-temps le souvenir.
+
+L'estime que S. M. accorde aux bons habitans de Vienne et aux corps des
+états, la détermina à accéder à cette demande. Elle autorisa MM. de
+Colloredo, de Metternich, de Pergen et de Harddeck à rester à Vienne,
+et la députation à partir pour le quartier-général de l'empereur
+d'Autriche.
+
+Cette députation est de retour. L'empereur François a répondu à ses
+représentations qu'il ignorait le massacre des prisonniers français en
+Tyrol; qu'il compatissait aux maux de la capitale et des provinces; que
+ses ministres l'avaient trompé, etc., etc., etc. Les députés firent
+observer que tous les hommes sages voient avec peine l'existence de
+cette poignée de brouillons qui, par les démarches qu'ils conseillent,
+par les proclamations, les ordres du jour, etc., etc., etc., qu'ils font
+adopter, ne cherchent qu'à fomenter les passions et les haines, et
+à exaspérer un ennemi maître de la Croatie, de la Carniole, de la
+Carinthie, de la Styrie, de la Haute et de la Basse-Autriche, de la
+capitale de l'empire et d'une grande partie de la Hongrie; que les
+sentimens de l'empereur pour ses sujets devaient le porter à calmer le
+vainqueur, plutôt qu'à l'irriter, et à donner à la guerre le caractère
+qui lui est naturel chez les peuples civilisés, puisque ce vainqueur
+pouvait en appesantir les maux sur la moitié de la monarchie.
+
+On dit que l'empereur d'Autriche a répondu que la plupart des écrits
+dont les députés voulaient parler, étaient controuvés; que ceux, dont on
+ne désavouait pas l'existence, étaient plus modérés; que les rédacteurs
+dont on se servait, étaient d'ailleurs des commis français, et que,
+lorsque ces écrits contenaient des choses inconvenantes, on ne s'en
+apercevait que quand le mal était fait. Si cette réponse qui court dans
+le public, est vraie, nous n'avons aucune observation à faire. On ne
+peut méconnaître l'influence de l'Angleterre; car ce petit nombre
+d'hommes, traîtres à leur patrie, est certainement à la solde de cette
+puissance.
+
+Lorsque les députés ont passé à Bude, ils ont vu l'impératrice; c'était
+quelques jours avant qu'elle fût obligée de quitter cette ville. Ils
+l'ont trouvée changée, abattue et consternée des malheurs qui menaçaient
+sa maison. L'opinion de la monarchie est extrêmement défavorable à
+la famille de cette princesse. C'est cette famille qui a excité à
+la guerre. Les archiducs Palatin et Régnier sont les seuls princes
+autrichiens qui aient insisté pour le maintien de la paix. L'impératrice
+était loin de prévoir les événemens qui se sont passés. Elle a beaucoup
+pleuré; elle a montré un grand effroi du nuage épais qui couvre
+l'avenir; elle parlait de paix; elle demandait la paix; elle conjurait
+les députés de parler à l'empereur François en faveur de la paix.
+Ils ont rapporté que la conduite de l'archiduc Maximilien avait été
+désavouée, et que l'empereur d'Autriche l'avait envoyé au fond de la
+Hongrie.
+
+
+
+Vienne, 3 juillet 1809.
+
+_Vingt-quatrième bulletin de la grande armée._
+
+Le général Broussier avait laissé deux bataillons du
+quatre-vingt-quatrième régiment de ligne dans la ville de Gratz, et
+s'était porté sur Vilden, pour se joindre à l'armée de Dalmatie.
+
+Le 26 juin, le général Giulay se présenta devant Gratz, avec dix mille
+hommes, composés, il est vrai, de Croates et de régimens des frontières.
+Le quatre-vingt-quatrième se cantonna dans un des faubourgs de la ville,
+repoussa les attaques de l'ennemi, les culbuta partout, lui prit cinq
+cents hommes, deux drapeaux, et se maintint dans sa position pendant
+quatorze heures, donnant le temps au général Broussier de le secourir.
+Ce combat d'un contre dix, a couvert de gloire le quatre-vingt-quatrième
+et son colonel, Gambin. Les drapeaux ont été présentés à S. M. à la
+parade. Nous avons à regretter vingt tués et quatre-vingt-douze blessés
+de ces braves gens.
+
+Le duc d'Auerstaedt a fait attaquer le 30, une des îles du Danube, peu
+éloignée de la rive droite, vis-à-vis Presbourg, où l'ennemi avait
+quelques troupes.
+
+Le général Gudin a dirigé cette opération avec habileté: elle a
+été exécutée par le colonel Decouz et par le vingt-unième régiment
+d'infanterie de ligne, que commande cet officier. A deux heures du
+matin, ce régiment, partie à la nage, partie dans des nacelles, a passé
+le très-petit bras du Danube, s'est emparé de l'île, a culbuté les
+quinze cents hommes qui s'y trouvaient, a fait deux cent cinquante
+prisonniers, parmi lesquels le colonel du régiment de Saint-Julien et
+plusieurs officiers, et a pris trois pièces de canon que l'ennemi avait
+débarquées pour la défense de l'île.
+
+Enfin, il n'existe plus de Danube pour l'armée française: le général
+comte Bertrand a fait exécuter des travaux qui excitent l'étonnement et
+inspirent l'admiration.
+
+Sur une largeur de quatre cents toises, et sur un fleuve le plus rapide
+du monde, il a, en quinze jours, construit un pont formé de soixante
+arches, où trois voitures peuvent passer de front; un second pont de
+pilotis a été construit, mais pour l'infanterie seulement, et de la
+largeur de huit pieds. Après ces deux ponts, vient un pont de bateaux.
+Nous pouvons donc passer le Danube en trois colonnes. Ces trois ponts
+sont assurés contre toute insulte, même contre l'effet des brûlots et
+machines incendiaires, par des estacades sur pilotis, construites entre
+les îles, dans différentes directions, et dont les plus éloignées sont
+à deux cent cinquante toises des ponts. Quand on voit ces immenses
+travaux, on croit qu'on a employé plusieurs années à les exécuter; ils
+sont cependant l'ouvrage de quinze à vingt jours: ces beaux travaux
+sont défendus par des têtes de pont ayant chacune seize cents toises de
+développement, formées de redoutes palissadées, fraisées et entourées
+de fosses pleins d'eau. L'île de Lobau est une place forte: il y a des
+manutentions de vivres, cent pièces de gros calibre et vingt mortiers ou
+obusiers de siège en batterie. Vis-à-vis Esling, sur le dernier bras
+du Danube, est un pont que le duc de Rivoli a fait jeter hier. Il est
+couvert par une tête de pont qui avait été construite lors du premier
+passage.
+
+Le général Legrand, avec sa division, occupe les bois en avant de
+la tête du pont. L'armée ennemie est en bataille, couverte par des
+redoutes, la gauche à Euzendorf, la droite à Gros-Aspern: quelques
+légères fusillades d'avant-postes ont eu lieu.
+
+A présent que le passage du Danube est assuré, que nos ponts sont à
+l'abri de toute tentative, le sort de la monarchie autrichienne sera
+décidé dans une seule affaire.
+
+Les eaux du Danube étaient le premier juillet de quatre pieds au-dessous
+des plus basses et de-treize pieds au-dessous des plus hautes.
+
+La rapidité de ce fleuve dans cette partie est, lors des grandes eaux,
+de sept à douze pieds, et lors de la hauteur moyenne, de quatre pieds
+six pouces par seconde, et plus forte que sur aucun autre point. En
+Hongrie, elle diminue beaucoup, et à l'endroit où Trajan fit jeter un
+pont, elle est presque insensible. Le Danube est là d'une largeur de
+quatre cent cinquante toises; ici il n'est que de quatre cents. Le pont
+de Trajan était un pont de pierres fait en plusieurs années. Le pont de
+César, sur le Rhin, fut jeté, il est vrai, en huit jours, mais aucune
+voiture chargée n'y pouvait passer.
+
+Les ouvrages sur le Danube sont les plus beaux ouvrages de campagne qui
+aient jamais été construits.
+
+Le prince Gagarin, aide-de-camp de l'empereur de Russie, est arrivé
+avant-hier à quatre heures du matin à Schoenbrunn, au moment où
+l'empereur montait à cheval. Il était parti de Pétersbourg le 8 juin. Il
+a apporté des nouvelles de la marche de l'armée russe en Gallicie.
+
+Sa Majesté a quitté Schoenbrunn. Elle campe depuis deux jours. Ses
+tentes sont fort belles et faites à la manière des tentes égyptiennes.
+
+
+
+Wolfersdorf, 8 juillet 1809.
+
+_Vingt-cinquième bulletin de la grande armée._
+
+Les travaux du général comte Bertrand et du corps qu'il commande,
+avaient, dès les premiers jours du mois, dompté entièrement le Danube.
+S. M. résolut, sur-le-champ, de réunir son armée dans l'île de Lobau,
+de déboucher sur l'armée autrichienne et de lui livrer une bataille
+générale. Ce n'était pas que la position de l'armée française ne fût
+très-belle à Vienne; maîtresse de toute la rive droite du Danube, ayant
+en son pouvoir l'Autriche et une forte partie de la Hongrie, elle se
+trouvait dans la plus grande abondance. Si l'on éprouvait quelques
+difficultés pour l'approvisionnement de la population de Vienne, cela
+tenait à la mauvaise organisation de l'administration, à quelques
+embarras que chaque jour aurait fait cesser, et aux difficultés qui
+naissent naturellement de circonstances telles que celles où l'on se
+trouvait, et dans un pays où le commerce des grains est un privilége
+exclusif du gouvernement. Mais comment rester ainsi séparé de l'armée
+ennemie par un canal de trois ou quatre cents toises, lorsque les moyens
+de passage avaient été préparés et assurés? C'eût été accréditer les
+impostures que l'ennemi a débitées et répandues avec tant de profusion
+dans son pays et dans les pays voisins. C'était laisser du doute sur les
+événemens d'Esling; c'était enfin autoriser à supposer qu'il y avait
+une égalité de consistance entre deux armées si différentes, dont
+l'une était animée et en quelque sorte renforcée par des succès et des
+victoires multipliées, et l'autre était découragée par les revers les
+plus mémorables.
+
+Tous les renseignemens que l'on avait sur l'armée autrichienne portaient
+qu'elle était considérable, qu'elle avait été recrutée par de nombreuses
+réserves, par les levées de Moravie et de Hongrie, par toutes les
+landwehrs des provinces; qu'elle avait remonté sa cavalerie par des
+réquisitions dans tous les cercles, et triplé ses attelages d'artillerie
+en faisant d'immenses levées de charrettes et de chevaux en Moravie, en
+Bohême et en Hongrie. Pour ajouter de nouvelles chances en leur faveur,
+les généraux autrichiens avaient établi des ouvrages de campagne dont la
+droite était appuyée à Gros-Aspern et la gauche à Enzersdorf.
+
+Les villages d'Aspern, d'Esling et d'Enzersdorf, et les intervalles qui
+les séparaient, étaient couverts de redoutes palissadées, fraisées et
+armées de plus de cent cinquante pièces de canon de position, tirées des
+places de la Bohême et de la Moravie. On ne concevait pas comment il
+était possible qu'avec son expérience de la guerre, l'empereur voulût
+attaquer des ouvrages si puissamment défendus, soutenus par une armée
+qu'on évaluait à deux cent mille hommes, tant de troupes de ligne
+que des milices et de l'insurrection, et qui étaient appuyés par une
+artillerie de huit ou neuf cents pièces de campagne. Il paraissait plus
+simple de jeter de nouveaux ponts sur le Danube, quelques lieues plus
+bas, et de rendre ainsi inutile le champ de bataille préparé par
+l'ennemi. Mais dans ce dernier cas, on ne voyait pas comment écarter
+les inconvéniens qui avaient déjà failli être funestes à l'armée, et
+parvenir en deux ou trois jours à mettre ces nouveaux ponts à l'abri des
+machines de l'ennemi.
+
+D'un autre côté, l'empereur était tranquille. On voyait élever ouvrages
+sur ouvrages dans l'île de Lobau, et établir sur le même point,
+plusieurs ponts sur pilotis et plusieurs rangs d'estacades.
+
+Cette situation de l'armée française, placée entre ces deux grandes
+difficultés, n'avait pas échappé à l'ennemi. Il convenait que son armée
+trop nombreuse et pas assez maniable, s'exposerait à une perte certaine,
+si elle prenait l'offensive; mais en même temps, il croyait qu'il était
+impossible de le déposter de la position centrale où il couvrait la
+Bohême, la Moravie et une partie de la Hongrie. Il est vrai que
+cette position ne couvrait pas Vienne et que les Français étaient en
+possession de cette capitale; mais cette position était, jusqu'à un
+certain point, disputée, puisque les Autrichiens se maintenaient maîtres
+du Danube, et empêchaient les arrivages des choses les plus nécessaires
+à la subsistance d'une si grande cité.
+
+Telles étaient les raisons d'espérance et de crainte, et la matière des
+conversations des deux armées, lorsque le premier juillet, à quatre
+heures du matin, l'empereur porta son quartier-général à l'île Lobau,
+qui avait déjà été nommée, par les ingénieurs, île Napoléon; une petite
+île à laquelle on avait donné le nom du duc de Montebello et qui battait
+Enzersdorf, avait été armée de dix mortiers et de vingt pièces de
+dix-huit. Une autre île, nommée île Espagne, avait été armée de six
+pièces de position de douze et de quatre mortiers. Entre ces deux îles,
+on avait établi une batterie égale en force à celle de l'île Montebello
+et battant également Enzersdorf. Ces soixante-deux pièces de position
+avaient le même but et devaient, en deux heures de temps, raser la
+petite ville d'Enzersdorf, en chasser l'ennemi, et en détruire les
+ouvrages. Sur la droite, l'île Alexandre, armée de quatre mortiers, de
+dix pièces de douze et de douze pièces de six de position, avaient pour
+but de battre la plaine et de protéger le ploiement et le déploiement de
+nos ponts.
+
+Le 2, un aide-de-camp du duc de Rivoli passa avec cinq cents voltigeurs,
+dans l'île du Moulin, et s'en empara. On arma cette île; on la joignit
+au continent par un petit pont qui allait à la rive gauche. En avant, on
+construisit une petite flèche que l'on appela redoute Petit. Le soir,
+les redoutes d'Esling, en parurent jalouses: ne doutant pas que ce ne
+fût une première batterie que l'on voulait faire agir contre elles,
+elles tirèrent avec la plus grande activité. C'était précisément
+l'intention que l'on avait eue en s'emparant de cette île; on voulait y
+attirer l'attention de l'ennemi pour la détourner du véritable but de
+l'opération.
+
+_Passage du bras du Danube à l'île Lobau._
+
+Le 4, à dix heures du soir, le général Oudinot fit embarquer, sur le
+grand bras du Danube, quinze cents voltigeurs, commandés par le général
+Conroux. Le colonel Baste, avec dix chaloupes canonnières, les convoya
+et les débarqua au-delà du petit bras de l'île Lobau dans le Danube. Les
+batteries de l'ennemi furent bientôt écrasées, et il fut chassé des bois
+jusqu'au village de Muhllenten.
+
+À onze heures du soir les batteries dirigées contre Enzersdorf reçurent
+l'ordre de commencer leur feu. Les obus brûlèrent cette infortunée
+petite ville, et en moins d'une demi-heure les batteries ennemies furent
+éteintes.
+
+Le chef de bataillon Dessales, directeur des équipages des ponts, et un
+ingénieur de marine avaient préparé, dans le bras de l'île Alexandre, un
+pont de quatre-vingts toises d'une seule pièce et cinq gros bacs.
+
+Le colonel Sainte-Croix, aide-de-camp du duc de Rivoli, se jeta dans
+des barques avec deux mille cinq cents hommes et débarqua sur la rive
+gauche.
+
+Le pont d'une seule pièce, le premier de cette espèce qui, jusqu'à
+ce jour, ait été construit, fut placé en moins de cinq minutes, et
+l'infanterie y passa au pas accéléré.
+
+Le capitaine Buzelle jeta un pont de bateaux en une heure et demie.
+
+Le capitaine Payerimoffe jeta un pont de radeaux en deux heures.
+
+Ainsi, à deux heures après minuit, l'armée avait quatre ponts, et avait
+débouché, la gauche à quinze cents toises au-dessous d'Enzersdorf,
+protégée par les batteries, et la droite sur Vittau. Le corps du duc de
+Rivoli forma la gauche; celui du comte Oudinot le centre, et celui du
+duc d'Auerstaedt la droite. Les corps du prince de Ponte-Corvo, du
+vice-roi et du duc de Raguse, la garde et les cuirassiers formaient la
+seconde ligne et les réserves. Une profonde obscurité, un violent orage
+et une pluie qui tombait par torrens, rendait cette nuit aussi affreuse
+qu'elle était propice à l'armée française et qu'elle devait lui être
+glorieuse.
+
+Le 5, aux premiers rayons du soleil, tout le monde reconnut quel avait
+été le projet de l'empereur, qui se trouvait alors avec son armée en
+bataille sur l'extrémité de la gauche de l'ennemi, ayant tourné ses
+camps retranchés, ayant rendu tous ses ouvrages inutiles, et obligeant
+ainsi les Autrichiens à sortir de leurs positions et à venir lui livrer
+bataille, dans le terrain qui lui convenait. Ce grand problème était
+résolu, et sans passer le Danube ailleurs, sans recevoir aucune
+protection des ouvrages qu'on avait construits, on forçait l'ennemi à se
+battre à trois quarts de lieue de ses redoutes. On présagea dès-lors les
+plus grands et les plus heureux résultats.
+
+A huit heures du matin, les batteries qui tiraient sur Enzersdorf
+avaient produit un tel effet que l'ennemi s'était borné à laisser
+occuper cette ville par quatre bataillons. Le duc de Rivoli fit marcher
+contre elle son premier aide-de-camp Sainte-Croix, qui n'éprouva pas
+une grande résistance, s'en empara et fit prisonnier tout ce qui s'y
+trouvait.
+
+Le comte Oudinot cerna le château de Sachsengand que l'ennemi avait
+fortifié, fit capituler les neuf cents hommes qui le défendaient, et
+prit douze pièces de canon. L'empereur fit alors déployer toute l'armée
+dans l'immense plaine d'Enzersdorf.
+
+_Bataille d'Enzersdorf._
+
+Cependant, l'ennemi, confondu dans ses projets, revint peu a peu de sa
+surprise, et tenta de ressaisir quelques avantages dans ce nouveau champ
+de bataille. A cet effet, il détacha plusieurs colonnes d'infanterie,
+un bon nombre de pièces d'artillerie, et sa cavalerie tant de ligue
+qu'insurgée, pour essayer de déborder la droite de l'armée française.
+En conséquence, il vint occuper le village de Rutzendorf. L'empereur
+ordonna au général Oudinot de faire enlever ce village, à la droite
+duquel il fit passer le duc d'Auerstaedt, pour se diriger sur le
+quartier-général du prince Charles, en marchant toujours de la droite a
+la gauche.
+
+Depuis midi jusqu'à neuf heures du soir, on manoeuvra dans cette immense
+plaine; on occupa tous les villages, et à mesure qu'on arrivait à la
+hauteur des camps retranchés de l'ennemi, ils tombaient d'eux-mêmes
+et comme par enchantement. Le duc de Rivoli les faisait occuper sans
+résistance. C'est ainsi que nous nous sommes emparés des ouvrages
+d'Esling et de Gros-Aspern, et que le travail de quarante jours n'a été
+d'aucune utilité à l'ennemi. Il fit quelque résistance au village de
+Raschdorf, que le prince de Ponte-Corvo fit attaquer et enlever par les
+Saxons. L'ennemi fut partout mené battant et écrasé par la supériorité
+de notre feu. Cet immense champ de bataille resta couvert de ses débris.
+
+_Bataille de Wagram._
+
+Vivement effrayé des progrès de l'armée française et des grands
+résultats qu'elle obtenait presque sans effort, l'ennemi fit marcher
+presque toutes ses troupes, et à six heures du soir, il occupa la
+position suivante: sa droite, de Stadelau à Gerardorf; son centre,
+de Gerardorf à Wagram, et sa gauche, de Wagram à Neusiedel. L'armée
+française avait sa gauche à Gros-Aspern, son centre à Raschdorf, et sa
+droite à Gluzendorf. Dans cette position, la journée paraissait presque
+finie, et il fallait s'attendre à avoir le lendemain une grande
+bataille; mais on l'évitait et on, coupait la position de l'ennemi en
+l'empêchant de concevoir aucun système, si dans la nuit on s'emparait du
+village de Wagram. Alors sa ligne, déjà immense, prise à la hâte et par
+les chances du combat, laissait errer les différens corps de l'armée
+sans ordre et sans direction, et on en aurait eu bon marché sans
+engagement sérieux. L'attaque de Wagram eut lieu, nos troupes
+emportèrent ce village; mais une colonne de Saxons et une colonne de
+Français se prirent dans l'obscurité pour des troupes ennemies, et cette
+opération fut manquée.
+
+On se prépara alors à la bataille de Wagram. Il parait que les
+dispositions du général français et du général autrichien furent
+inverses. L'empereur passa toute la nuit à rassembler ses forces sur son
+centre où il était de sa personne à une portée de canon de Wagram. A cet
+effet, le duc de Rivoli se porta sur la gauche d'Aderklau en laissant
+sur Aspern une seule division qui eut ordre de se replier en cas
+d'événement sur l'île de Lobau. Le duc d'Auerstaedt recevait l'ordre
+de dépasser le village de Grosshoffen pour s'approcher du centre. Le
+général autrichien, au contraire, affaiblissait son centre pour garnir
+et augmenter ses extrémités auxquelles il donnait une nouvelle étendue.
+
+Le 6, à la pointe du jour, le prince de Ponte-Corvo occupa la gauche,
+ayant en seconde ligne le duc de Rivoli. Le vice-roi le liait au centre,
+où le corps du comte Oudinot, celui du duc de Raguse, ceux de la garde
+impériale, et les divisions de cuirassiers formaient sept ou huit
+lignes.
+
+Le duc d'Auerstaedt marcha de la droite pour arriver au centre.
+L'ennemi, au contraire, mettait le corps de Bellegarde en marche sur
+Stadelau. Les corps de Kollowrath, de Lichtenstein et de Hiller liaient
+cette droite à la position de Wagram où était le prince de Hohenzollern,
+et à l'extrémité de la gauche à Neusiedel, où débouchait le corps de
+Rosemberg pour déborder également le duc d'Auerstaedt. Le corps de
+Rosemberg et celui du duc d'Auerstaedt faisant un mouvement inverse, se
+rencontrèrent aux premiers rayons du soleil, et donnèrent le signal de
+la bataille. L'empereur se porta aussitôt sur ce point, fit renforcer le
+duc d'Auerstaedt par la division de cuirassiers du duc de Padoue, et fit
+prendre le corps de Rosemberg en flanc par une batterie de douze pièces
+de la division du général comte de Nansouty. En moins de trois quarts
+d'heure le beau corps du duc d'Auerstaedt eut fait raison du corps de
+Rosemberg, le culbuta et le rejeta au-delà de Neusiedel après lui avoir
+fait beaucoup de mal.
+
+Pendant ce temps, la canonnade s'engageait sur toute la ligne et la
+disposition de l'ennemi se développait de moment en moment. Toute sa
+gauche se garnissait d'artillerie. On eût dit que le général autrichien
+ne se battait pas pour la victoire, mais qu'il n'avait en vue que
+le moyen d'en profiter. Cette disposition de l'ennemi paraissait si
+insensée, que l'on craignait quelque piège, et que l'empereur différa
+quelque temps avant d'ordonner les faciles dispositions qu'il avait à
+faire pour annuler celles de l'ennemi et les lui rendre funestes. Il
+ordonna au duc de Rivoli de faire une attaque sur un village qu'occupait
+l'ennemi, et qui pressait un peu l'extrémité du centre de l'armée. Il
+ordonna au duc d'Auerstaedt de tourner la position de Neusiedel et de
+pousser de là sur Wagram au moment où déboucherait le duc de Rivoli.
+
+Sur ces entrefaites, on vint prévenir que l'ennemi attaquait avec fureur
+le village qu'avait enlevé le duc de Rivoli, que notre gauche était
+débordée de trois mille toises, qu'une vive canonnade se faisait déjà
+entendre à Gros-Aspern, et que l'intervalle de Gros-Aspern à Wagram
+paraissait couvert d'une immense ligne d'artillerie. Il n'y eut plus à
+douter; l'ennemi commettait une énorme faute; il ne s'agissait que
+d'en profiter. L'empereur ordonna sur-le-champ au général Macdonald de
+disposer les divisions Broussier et Lamarque en colonnes d'attaque; il
+les fit soutenir par la division du général Nansouty, par la garde
+à cheval, et par une batterie de soixante pièces de la garde et de
+quarante pièces de différens corps. Le général comte de Lauriston, à la
+tête de cette batterie de cent pièces d'artillerie, marcha au trot
+à l'ennemi, s'avança sans tirer jusqu'à demi-portée de canon, et là
+commença un feu prodigieux qui éteignit celui de l'ennemi, et porta la
+mort dans ses rangs. Le général Macdonald marcha alors au pas de charge;
+le général de division Reille, avec la brigade de fusiliers et de
+tirailleurs de la garde, soutenait le général Macdonald. La garde avait
+fait un changement de front pour rendre cette attaque infaillible. Dans
+un clin d'oeil, le centre de l'ennemi perdit une lieue de terrain; sa
+droite, épouvantée, sentit le danger de la position où elle s'était
+placée, et rétrograda en grande hâte. Le duc de Rivoli l'attaqua alors
+en tète. Pendant que la déroute du centre portait la consternation et
+forçait les mouvemens de la droite de l'ennemi, sa gauche était attaquée
+et débordée par le duc d'Auerstaedt, qui avait enlevé Neusiedel, et qui,
+étant monté sur le plateau, marchait sur Wagram. La division Broussier
+et la division Gudin se sont couvertes de gloire.
+
+Il n'était alors que dix heures du matin, et les hommes les moins
+clairvoyans voyaient que la journée était décidée et que la victoire
+était à nous.
+
+A midi, le comte Oudinot marcha sur Wagram pour aider à l'attaque du duc
+d'Auerstaedt. Il y réussit et enleva cette importante position. Dès dix
+heures, l'ennemi ne se battait plus que pour sa retraite; dès midi, elle
+était prononcée et se faisait en désordre, et beaucoup avant la nuit,
+l'ennemi était hors de vue. Notre gauche était placée à Jetessée et
+Ebersdorf, notre centre sur Obersdorf, et la cavalerie de notre droite
+avait des postes jusqu'à Shoukirchen.
+
+Le 7, à la pointe du jour, l'armée était en mouvement et marchait
+sur Kornenbourg et Wolkersdorf, et avait des postes sur Nicolsbourg.
+L'ennemi, coupé de la Hongrie et de la Moravie, se trouvait acculé du
+côté de la Bohême.
+
+Tel est le récit de la bataille de Wagram, bataille décisive et à jamais
+célèbre, où trois à quatre cent mille hommes, douze à quinze cents
+pièces de canon se battaient pour de grands intérêts, sur un champ de
+bataille étudié, médité, fortifié par l'ennemi depuis plusieurs mois.
+Dix drapeaux, quarante pièces de canon, vingt mille prisonniers, dont
+trois ou quatre cents officiers et bon nombre de généraux, de colonels
+et de majors, sont les trophées de cette victoire. Les champs de
+bataille sont couverts de morts, parmi lesquels on trouve les corps
+de plusieurs généraux, et entre autres d'un nommé Normann, Français,
+traître à sa patrie, qui avait prostitué ses talens contre elle.
+
+Tous les blessés de l'ennemi sont tombés en notre pouvoir. Ceux qu'il
+avait évacués au commencement de l'action, ont été trouvés dans les
+villages environnans. On peut calculer que le résultat de cette bataille
+sera de réduire l'armée autrichienne à moins de soixante mille hommes.
+
+Notre perte a été considérable: on l'évalue à quinze cents hommes tués
+et à trois ou quatre mille blessés. Le duc d'Istrie, au moment où il
+disposait l'attaque de la cavalerie, a eu son cheval emporté d'un coup
+de canon; le boulet est tombé sur sa selle, et lui a fait une légère
+contusion à la cuisse.
+
+Le général de division Lasalle a été tué d'une balle. C'était un
+officier du plus grand mérite et l'un de nos meilleurs généraux de
+cavalerie légère.
+
+Le général bavarois de Wrede, et les généraux Seras, Grenier, Vignolle,
+Sahuc, Frère et Defrance ont été blessés.
+
+Le colonel prince Aldobrandini a été frappé au bras par une balle. Les
+majors de la garde Daumesnil et Corbineau et le colonel Sainte-Croix,
+ont aussi été blessés. L'adjudant-commandant Duprat a été tué. Le
+colonel du neuvième d'infanterie de ligne est resté sur le champ de
+bataille. Ce régiment s'est couvert de gloire.
+
+L'état-major fait dresser l'état de nos pertes.
+
+Une circonstance particulière de cette grande bataille, c'est que les
+colonnes les plus rapprochées de Vienne n'en étaient pas à douze cents
+toises. La nombreuse population de cette capitale couvrait les tours,
+les clochers, les toits, les monticules pour être témoin de ce grand
+spectacle.
+
+L'empereur d'Autriche avait quitté Wolkersdorf le 6, à cinq heures
+du matin, et était monté sur un belvédère d'où il voyait le champ de
+bataille, et où il est resté jusqu'à midi. Il est alors parti en toute
+hâte.
+
+Le quartier-général français est arrivé à Wolkersdorf, dans la matinée
+du 7.
+
+
+
+Wolkersdorf, 9 juillet 1809.
+
+_Vingt-sixième bulletin de la grande armée._
+
+La retraite de l'ennemi est une déroute. On a ramassé une partie de ses
+équipages; ses blessés sont tombés en notre pouvoir; on compte déjà
+au-delà de douze mille hommes; tous les villages en sont remplis. Dans
+cinq de ses hôpitaux seulement on en a trouvé plus de six mille.
+
+Le duc de Rivoli, poursuivant l'ennemi par Stokerau, est déjà arrivé à
+Hollabrunn.
+
+Le duc de Raguse l'avait d'abord suivi sur la route de Brunn, qu'il a
+quittée à Wolfersdorf pour prendre celle de Znaïm. Aujourd'hui, à
+neuf heures du matin, il a rencontré à Laa une arrière-garde qu'il a
+culbutée, et à laquelle il a fait neuf cents prisonniers. Il sera demain
+à Znaïm.
+
+Le duc d'Auerstaedt est arrivé aujourd'hui à Nicolsbourg.
+
+L'empereur d'Autriche, le prince Antoine, une suite d'environ deux cents
+calèches, carrosses et autres voitures, ont couché, le 6, à Erensbrunn;
+le 7, à Hollabrunn, et le 8 à Znaïm, d'où ils sont partis le 9 au
+matin: selon les rapports des gens du pays qui les conduisaient, leur
+abattement était extrême.
+
+L'un des princes de Rohan a été trouvé blessé sur le champ de bataille.
+Le feld-maréchal lieutenant Wussakowicz est parmi les prisonniers.
+
+L'artillerie de la garde s'est couverte de gloire; le major d'Aboville
+qui la commandait, a été blessé. L'empereur l'a fait général de brigade.
+Le chef d'escadron d'artillerie Grenier a eu un bras emporté. Ces
+intrépides canonniers ont montré toute la puissance de cette arme
+terrible.
+
+Les chasseurs à cheval de la garde ont chargé, le jour de là bataille
+de Wagram, trois carrés d'infanterie qu'ils ont enfoncés; ils ont pris
+quatre pièces de canon. Les chevau-légers polonais de la garde ont
+chargé un régiment de lanciers. Ils ont fait prisonnier le prince
+d'Awersperg et pris deux pièces de canon.
+
+Les hussards saxons d'Albert ont chargé les cuirassiers d'Albert, et
+leur ont pris un drapeau. C'était une chose fort singulière de voir deux
+régimens appartenant au même colonel combattre l'un contre l'autre.
+
+Il paraît que l'ennemi abandonne la Moravie et la Hongrie et se retire
+en Bohême.
+
+Les routes sont couvertes de gens de la landwehr et de la levée en
+masse, qui retournent chez eux.
+
+Les pertes que la désertion ajoute à celles que l'ennemi a éprouvées,
+en tués, blessés et prisonniers, concourent a l'anéantissement de cette
+armée.
+
+Les nombreuses lettres interceptées font un tableau frappant du
+mécontentement de l'armée ennemie et du désordre qui y règne.
+
+A présent que la monarchie autrichienne est sans espérance, ce serait
+mal connaître le caractère de ceux qui l'ont gouvernée, que de ne pas
+s'attendre qu'ils s'humilieront, comme ils le firent après la bataille
+d'Austerlitz. A cette époque ils étaient, comme aujourd'hui, sans
+espoir, et ils épuisèrent les protestations et les sermens.
+
+Pendant la journée du 6, l'ennemi a jeté sur la rive droite du Danube
+quelques centaines d'hommes des postes d'observation. Ils se sont
+rembarques après avoir perdu quelques hommes tués ou faits prisonniers.
+
+La chaleur a été excessive ces jours-ci; le thermomètre a été presque
+constamment à vingt-six degrés.
+
+Le vin est en très-grande abondance. Il y a tel village où on eu a
+trouvé jusqu'à trois millions de pintes. Il n'a heureusement aucune
+qualité malfaisante.
+
+Vingt villages, les plus considérables de la belle plaine de Vienne, et
+tels qu'on en voit aux environs d'une grande capitale, ont été brûlés
+pendant la bataille. La juste haine de la nation se prononce contre les
+hommes criminels qui ont attiré tous ces malheurs sur elle.
+
+Le général de brigade Laroche est entré, le 28 juin, avec un corps de
+cavalerie, à Nuremberg et s'est dirigé sur Bayreuth; il a rencontré
+l'ennemi à Besentheim, l'a fait charger par le premier régiment
+provisoire de dragons, a sabré tout ce qui s'est trouvé devant lui, et a
+pris deux pièces de canon.
+
+
+
+Znaïm, 13 juillet 1809.
+
+_Vingt-septième bulletin de la grande armée._
+
+Le 10, le duc de Rivoli a battu devant Hollabrunn l'arrière-garde
+ennemie.
+
+Le même jour à midi, le duc de Raguse, arrivé sur les hauteurs de Znaïm,
+vit les bagages et l'artillerie de l'ennemi qui filaient sur la Bohême.
+Le général Bellegarde lui écrivit que le prince Jean de Lichtenstein
+se rendait auprès de l'empereur avec une mission de son maître, pour
+traiter de la paix, et demanda en conséquence une suspension d'armes.
+Le duc de Raguse répondit qu'il n'était pas en son pouvoir d'accéder
+à cette demande, mais qu'il allait en rendre compte à l'empereur. En
+attendant il attaqua l'ennemi, lui enleva une belle position, lui fit
+des prisonniers et prit deux drapeaux.
+
+Le même jour au matin, le duc d'Auerstaedt avait passé la Taya vis-à-vis
+Nicolsbourg, et le général Grouchy avait battu l'arriére-garde du prince
+de Rosemberg et lui avait fait quatre cent cinquante prisonniers du
+régiment du prince Charles.
+
+Le 11 a midi, l'empereur arriva vis-à-vis Znaïm. Le combat était engagé.
+Le duc de Raguse avait débordé la ville, et le duc de Rivoli s'était
+emparé du pont et avait occupé la fabrique de tabac. On avait pris à
+l'ennemi, dans les différens engagemens de celle journée, trois mille
+hommes, deux drapeaux et trois pièces de canon. Le général de brigade
+Bruyères, officier d'une grande espérance, a été blessé. Le général de
+brigade Guiton a fait une belle charge avec le dixième de cuirassiers.
+L'empereur instruit que le prince Jean de Lichtenstein, envoyé auprès de
+lui, était entré dans nos avant-postes, fît cesser le feu. Un armistice
+fut signé à minuit chez le prince de Neufchâtel. Le prince de
+Lichtenstein a été présenté à l'empereur dans sa tente à deux heures du
+matin.
+
+
+
+Znaïm, en Moravie, 13 juillet 1809.
+
+_Circulaire aux évéques._
+
+M. l'évêque de......, les victoires d'Enzersdorf et de Wagram, où le
+Dieu des armées a si visiblement protégé les armées françaises, doivent
+exciter la plus vive reconnaissance dans le coeur de nos peuples. Notre
+intention est donc qu'au reçu de la présente vous vous concertiez avec
+qui de droit pour réunir nos peuples dans les églises, et adresser au
+ciel des actions de grâces et des prières conformes aus sentimens qui
+nous animent.
+
+Notre Seigneur Jésus-Christ, quoique issu du sang de David, ne voulut
+aucun règne temporel. Il voulut au contraire qu'on obéît à César dans le
+règlement des affaires de la terre; il ne fut animé que du grand objet
+de la rédemption, et du salut des âmes. Héritier du pouvoir de César,
+nous sommes résolus à maintenir l'indépendance de notre trône et de nos
+droits. Nous persévérons dans le grand oeuvre du rétablissement de la
+religion. Nous environnerons ses ministres de la considération que nous
+seul pouvons leur donner. Nous écouterons leur voix dans tout ce qui a
+rapport au spirituel et au règlement des consciences.
+
+Au milieu des soins des camps, des alarmes et des sollicitudes de la
+guerre, nous avons été bien aise de vous donner connaissance de ces
+sentimens afin de faire tomber dans le mépris ces oeuvres de l'ignorance
+et de la faiblesse, de la méchanceté ou de la démence, par lesquelles on
+voudrait semer le trouble et le désordre dans nos provinces. On ne nous
+détournera pas du grand but vers lequel nous tendons, et que nous avons
+déjà en partie heureusement atteint, le rétablissement des autels
+de notre religion, en nous portant à croire que ses principes sont
+incompatibles, comme l'ont prétendu les Grecs, les Anglais, les
+protestans et les calvinistes, avec l'indépendance des trônes et des
+nations. Dieu nous a assez éclairé pour que nous soyons loin de partager
+de pareilles erreurs: notre coeur et ceux de nos sujets n'éprouvent
+point de semblables craintes. Nous savons que ceux qui voudraient faire
+dépendre de l'intérêt d'un temporel périssable, l'intérêt éternel des
+consciences et des affaires spirituelles, sont hors de la charité, de
+l'esprit et de la religion de celui qui a dit: Mon empire n'est pas dans
+ce monde. Cette lettre n'étant à d'autres fins, je prie Dieu, monsieur
+l'évêque, qu'il vous ait en sa sainte garde.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Vienne, 14 juillet 1809.
+
+_Vingt-huitième bulletin de la grande armée._
+
+Le Danube a crû de six pieds. Les ponts de bateaux qu'on avait établis
+devant Vienne depuis la bataille de Wagram, ont été rompus par les
+effets de la crue. Mais nos ponts d'Ebersdorf, solides et permanens,
+n'en ont pas souffert. Ces ponts et les ouvrages de l'île de Lobau sont
+le sujet de l'admiration des militaires autrichiens. Ils avouent que de
+tels travaux à la guerre sont sans exemple depuis les Romains.
+
+L'archiduc Charles ayant envoyé le général-major Weisseuvof complimenter
+l'empereur, et depuis, le baron Wimpffen et le prince Jean de
+Lichtenstein ayant fait la même politesse en son nom, S. M., a jugé à
+propos de lui envoyer le duc de Frioul, grand-maréchal du palais, qui
+l'a trouvée Budweis et a passé une partie de la journée d'hier à son
+quartier-général.
+
+L'empereur est parti hier à neuf heures du matin de son camp de Znaïm,
+et est arrivé au palais de Schoenbrunn à trois heures après-midi. S. M.
+a visité les environs du village de Spilz qui forme la tête du pont de
+Vienne. Elle a ordonné au général comte Bertrand différens ouvrages qui
+doivent avoir été tracés et commencés aujourd'hui.
+
+Le pont sur pilotis de Vienne sera rétabli dans le plus court délai.
+
+S. M. a nommé maréchaux de l'empire le général Oudinot, le duc de Raguse
+et le général Macdonald; le nombre des maréchaux était de onze. Cette
+nomination le porte à quatorze: il reste encore deux places vacantes.
+Les places de colonel-général des Suisses et de colonel-général des
+chasseurs sont aussi vacantes.
+
+Le colonel-général des chasseurs est, d'après nos constitutions,
+grand-officier de l'empire.
+
+S. M. a témoigné sa satisfaction de la manière dont la chirurgie
+a servi, et particulièrement des services du chirurgien en chef
+Heurteloup.
+
+Le 7, S. M. traversant le champ de bataille a fait enlever un grand
+nombre de blessés et y a laissé le duc de Frioul, grand-maréchal du
+palais, qui y a passé toute la journée.
+
+Le nombre des blessés autrichiens tombés en notre pouvoir s'élève de
+douze à treize mille.
+
+Les Autrichiens ont eu dix-neuf généraux tués ou blessés. On a remarqué
+comme un fait singulier que les officiers français, soit de l'ancienne
+France, soit des nouvelles provinces, qui se trouvaient au service
+d'Autriche, ont pour la plupart péri.
+
+On a intercepté plusieurs courriers, et l'on a trouvé dans les lettres
+dont ils étaient porteurs, une correspondance suivie de Gentz avec le
+comte Stadion. L'influence de ce misérable dans les grandes décisions
+du cabinet autrichien est ainsi matériellement prouvée. Voilà les
+instrumens dont l'Angleterre se servait comme d'une nouvelle boîte
+de Pandore pour souffler les tempêtes et répandre les poisons sur le
+continent.
+
+Le corps du duc de Rivoli forme ses camps dans le cercle de Znaïm. Celui
+du duc d'Auerstaedt dans le cercle de Brunn; celui du maréchal duc de
+Raguse dans le cercle de Korn-Neubourg; celui du maréchal Oudinot, en
+avant de Vienne à Spitz; celui du vice-roi, sur Presbourg et Gratz. La
+garde impériale rentre dans les environs de Schoenbrunn.
+
+La récolte est très-belle et partout d'une grande abondance. L'armée est
+cantonnée dans de superbes pays, riches en denrées de toutes espèces, et
+surtout en vins.
+
+
+
+Vienne, 22 juillet 1809.
+
+_Vingt-neuvième bulletin de la grande armée._
+
+Les généraux Durosnel et Foulers sont arrivés au quartier-général. Les
+conjectures qu'on avait formées au sujet du général Durosnel se sont
+toutes trouvées fausses. Il n'a pas été blessé; il n'a pas eu de cheval
+tué sous lui; mais en revenant de porter au duc de Montebello, dans la
+journée du 22 mai, l'ordre de concentrer son mouvement à cause de la
+rupture des ponts, il traversa un ravin où il trouva vingt-cinq hussards
+qu'il croyait former un de nos postes. Il ne s'aperçut qu'ils étaient
+ennemis qu'au moment où ils lui sautèrent au collet. Comme on avait
+été long-temps sans avoir de ses nouvelles, et d'après quelques autres
+indices, on l'avait cru mort.
+
+Le général de division Reynier a pris le commandement des Saxons, et a
+occupé Presbourg.
+
+Le maréchal Macdonald s'est mis en marche pour aller prendre possession
+de la citadelle de Gratz, où il doit être entré aujourd'hui.
+
+Le maréchal duc de Raguse a campé ses troupes sur les hauteurs de Krems.
+
+S. M. assiste tous les matins aux parades de la garde, qui sont fort
+belles. Les vélites et les grenadiers à pied de la garde italienne se
+font remarquer par une excellente tenue.
+
+Le prince Jean de Lichtenstein revenant de Bude, a été présenté le 18 à
+S. M. Il apportait une lettre de l'empereur d'Autriche.
+
+Le comte de Bubna, général-major aide-de-camp de l'empereur d'Autriche,
+a dîné plusieurs fois chez M. le comte Champagny.
+
+Sur les rives du Danube on a rassemblé et réparé les bateaux du commerce
+qui avaient été dispersés par les événemens de la guerre, et on les
+charge partout de bois, de légumes, de blés et de farines. On en voit
+arriver chaque jour.
+
+Toute l'armée est campée.
+
+
+
+Vienne, 30 juillet 1809.
+
+_Trentième bulletin de la grande armée._
+
+Le neuvième corps, que commandait le prince de Ponte-Corvo, a été
+dissous le 8. Les Saxons qui en faisaient partie sont sous les ordres
+du général Reynier. Le prince de Ponte-Corvo est allé prendre les eaux.
+Dans la bataille de Wagram, le village de Wagram a été enlevé le 6,
+entre dix et onze heures du matin, et la gloire en appartient tout
+entière au maréchal Oudinot et à son corps.
+
+D'après tous les renseignemens qui ont été pris, la maison d'Autriche se
+préparait à la guerre depuis près de quatre ans, c'est'à-dire, depuis la
+guerre de Presbourg. Son état militaire lui a coûté pendant trois années
+trois cents millions de francs chaque année. Aussi son papier-monnaie,
+qui ne se montait qu'à un milliard de francs, lors de la paix de
+Presbourg, passe-il aujourd'hui deux milliards.
+
+La maison d'Autriche est entrée en campagne avec soixante-deux régimens
+de ligne, dix-huit régimens de frontières, quatre corps francs ou
+légions, ayant ensemble un présent sous les armes de trois cent dix
+mille hommes; cent cinquante bataillons de landwehr, commandés par
+d'anciens officiers et exercés pendant dix mois, formant cent cinquante
+mille hommes; quarante mille hommes de l'insurrection hongroise, et
+soixante mille hommes de cavalerie, d'artillerie et de sapeurs; ce qui
+a porté ses forces réelles de cinq à six cents mille hommes. Aussi la
+maison d'Autriche se croyait-elle sûre de la victoire. Elle espérait
+balancer les destins de la France, lors même que toutes nos forces
+auraient été réunies, et elle ne doutait pas qu'elle s'avançât sur le
+Rhin, sachant que la majeure partie de nos troupes et nos plus beaux
+régimens étaient en Espagne. Cependant ses armées sont aujourd'hui
+réduites à moins du quart, tandis que l'armée française est doublée de
+ce qu'elle était à Ratisbonne.
+
+Ces efforts, la maison d'Autriche n'a pu les faire qu'une fois. C'est un
+miracle attaché au papier-monnaie. Le numéraire est si rare, que l'on
+ne croit pas qu'il y ait dans les états de cette monarchie, soixante
+millions de francs en espèces. C'est ce qui soutient le papier-monnaie,
+puisque près de deux milliards, qui, moyennant la réduction au tiers, ne
+valent que six à sept cents millions, ne sont que le signe nécessaire à
+la circulation.
+
+On a trouvé dans la citadelle de Gratz vingt-deux pièces de canon.
+
+La forteresse de Sachsenbourg, située aux débouchés du Tyrol, a été
+remise au-général Rusca.
+
+Le duc de Dantzick est entré en Tyrol avec vingt-cinq mille hommes. Il a
+occupé le 28 Lovers, et il a partout désarmé les habitans. Il doit en ce
+moment être à Inspruck.
+
+Le général Thielmann est entré à Dresde.
+
+Le duc d'Abrantès est à Bayreuth. Il a établi ses postes sur les
+frontières de la Bohême.
+
+
+
+Schoenbrunn, 7 septembre 1809.
+
+_Lettre de S. M. l'empereur et roi au ministre de la guerre._
+
+Monsieur le comte de Hunebourg, notre ministre de la guerre, des
+rapports qui sont sous nos yeux, contiennent les assertions suivantes:
+le gouverneur commandant la place de Flessingue n'aurait pas exécuté
+l'ordre que nous lui avions donné de couper les digues et d'inonder
+l'île de Walcheren, aussitôt qu'une force supérieure ennemie y aurait
+débarqué; il aurait rendu la place que nous lui avions confiée, l'ennemi
+n'ayant pas exécuté le passage du fossé, le revêtement du rempart étant
+sans brèche praticable et intact dès-lors, sans avoir soutenu d'assaut,
+et même lorsque les tranchées des ennemis n'étaient qu'à cent cinquante
+toises de la place, et lorsqu'il avait encore quatre mille hommes sous
+les armes; enfin, la place se serait rendue par l'effet d'un premier
+bombardement. Si telle était la vérité, le gouverneur serait coupable,
+et il resterait à savoir si c'est à la trahison ou à la lâcheté que nous
+devrions attribuer sa conduite.
+
+Nous vous écrivons la présente lettre close, pour qu'aussitôt après
+l'avoir reçue, vous ayez à réunir un conseil d'enquête, qui sera composé
+du comte Aboville, sénateur; du comte Rampon, sénateur; du vice-amiral
+Thévenard, et du comte Sougis, premier inspecteur-général de
+l'artillerie. Toutes les pièces qui se trouveront dans votre ministère,
+dans ceux de la marine, de l'intérieur, de la police, ou de tout autre
+département, sur la reddition de la place de Flessingue, tant sous le
+rapport de la défense, que de tout autre objet qui pourrait intéresser
+notre service, seront adressées au conseil, pour nous être mises sous
+les yeux, avec le résultat de ladite enquête.
+
+Cette lettre n'étant à autre fin, nous prions Dieu, monsieur le comte de
+Hunebourg, qu'il'vous ait en sa sainte garde.
+
+_Signé_ NAPOLÉON.
+
+
+
+Paris, 3 décembre 1809.
+
+_Discours de S. M. l'empereur, à l'ouverture du corps législatif._
+
+Messieurs les députés des départemens au corps législatif, depuis votre
+dernière session, j'ai soumis l'Aragon et la Castille, et chassé de
+Madrid le gouvernement fallacieux formé par l'Angleterre.
+
+Je marchais sur Cadix et Lisbonne, lorsque j'ai dû revenir sur mes pas,
+et planter mes aigles sur les remparts de Vienne. Trois mois ont
+vu naître et terminer cette quatrième guerre punique. Accoutumé au
+dévouement et au courage de mes armées, je ne puis cependant, dans cette
+circonstance, ne pas reconnaître les preuves particulières d'amour que
+m'ont données mes soldats d'Allemagne.
+
+Le génie de la France a conduit l'armée anglaise; elle a terminé
+ses destins dans les marais pestilentiels de Walcheren. Dans cette
+importante circonstance, je suis resté éloigné de quatre cents lieues,
+certain de la nouvelle gloire qu'allaient acquérir mes peuples et du
+grand caractère qu'ils allaient déployer. Mes espérances n'ont pas été
+trompées. Je dois des remercîmens en particulier, aux citoyens des
+départemens du Pas-de-Calais et du Nord ... Français! tout ce qui voudra
+s'opposer à vous, sera vaincu et soumis. Votre grandeur s'accroîtra de
+toute la haine de vos ennemis. Vous avez devant vous de longues années
+de gloire et de prospérité à parcourir. Vous avez la force et l'énergie
+de l'Hercule des anciens.
+
+J'ai réuni la Toscane à l'empire. Ces peuples en sont dignes par la
+douceur de leur caractère, par l'attachement que nous ont toujours
+montré leurs ancêtres, et par les services qu'ils ont rendus à la
+civilisation européenne.
+
+L'histoire m'a indiqué la conduite que je devais tenir envers Rome. Les
+papes, devenus souverains d'une partie de l'Italie, se sont constamment
+montrés les ennemis de toute puissance prépondérante dans la Péninsule.
+Ils ont employé leur influence spirituelle pour lui nuire. Il m'a donc
+été démontré que l'influence spirituelle exercée dans mes états par un
+souverain étranger, était contraire à l'indépendance de la France, à la
+dignité et à la sûreté de mon trône. Cependant, comme je reconnais la
+nécessité de l'influence spirituelle des descendans du premier des
+pasteurs, je n'ai pu concilier ces grands intérêts qu'en annulant la
+donation des empereurs français, mes prédécesseurs, et en réunissant les
+états romains à la France.
+
+Par le traité de Vienne, tous les rois et souverains, mes alliés, qui
+m'ont donné tant de témoignages de la constance de leur amitié, ont
+acquis et acquerront un nouvel accroissement de territoire.
+
+Les provinces Illyriennes portent sur la Save les frontières de mon
+grand empire. Contigu avec l'empire de Constantinople, je me trouverai
+en situation naturelle de surveiller les premiers intérêts de mon
+commerce dans la Méditerranée, l'Adriatique et le Levant. Je protégerai
+la Porte, si la Porte s'arrache à la funeste influence de l'Angleterre:
+je saurai la punir si elle se laisse dominer par des conseils astucieux
+et perfides.
+
+J'ai voulu donner une nouvelle preuve de mon estime à la nation suisse,
+en joignant à mes titres celui de son médiateur, et mettre un terme à
+toutes les inquiétudes que l'on cherche à répandre parmi cette brave
+nation.
+
+La Hollande, placée entre l'Angleterre et la France, en est également
+froissée. Cependant, elle est le débouché des principales artères de
+mon empire. Des changemens deviendront nécessaires; là sûreté de
+mes frontiéres et l'intérêt bien entendu des deux pays l'exigent
+impérieusement.
+
+La Suède a perdu, par son alliance avec l'Angleterre, après une guerre
+désastreuse, la plus belle et la plus importante de ses provinces.
+Heureuse cette nation, si le prince sage qui la gouverne aujourd'hui eût
+pu monter sur le trône quelques années plus tôt! Cet exemple prouve de
+nouveau aux rois que l'alliance de l'Angleterre est le présage le plus
+certain de leur ruine.
+
+Mon allié et ami, l'empereur de Russie, a réuni à son vaste empire, la
+Finlande, la Moldavie, la Valachie, et un district de la Gallicie. Je
+ne suis jaloux de rien de ce qui peut arriver de bien à cet empire. Mes
+sentimens pour son illustre souverain sont d'accord avec ma politique.
+
+Lorsque je me montrerai au-delà des Pyrénées, le léopard épouvanté
+cherchera l'Océan, pour éviter la honte, la défaite et la mort. Le
+triomphe de mes armes sera le triomphe du génie du bien sur celui du
+mal, de la modération, de l'ordre, de la morale, sur la guerre civile,
+l'anarchie et les passions malfaisantes. Mon amitié et ma protection
+rendront, je l'espère, la tranquillité et le bonheur aux peuples des
+Espagnes.
+
+Messieurs les députés des départemens au corps législatif, j'ai chargé
+mon ministre de l'intérieur de vous faire connaître l'historique de la
+législation, de l'administration et des finances, dans l'année qui vient
+de s'écouler. Vous y verrez que toutes les pensées que j'ai conçues
+pour l'amélioration de mes peuples, se sont suivies avec la plus grande
+activité; que dans Paris, comme dans les parties les plus éloignées de
+mon empire, là guerre n'a apporté aucun retard dans les travaux. Les
+membres de mon conseil d'état vous présenteront différens projets de
+lois, spécialement la loi sur les finances; vous y verrez leur état
+prospère. Je ne demande à mes peuples aucun nouveau sacrifice, quoique
+les circonstances m'aient obligé à doubler mon état militaire.
+
+
+
+Paris, 2 janvier 1810.
+
+_A M. le comte Dejean, ministre de l'administration de la guerre._
+
+Monsieur le comte Dejean, j'accepte votre démission; je regrette de
+ne plus vous compter parmi mes ministres. J'ai été satisfait de vos
+services; mais cinquante années d'expérience vous rendent nécessaire
+aux travaux que j'ai entrepris sur toutes mes frontières et que je suis
+encore dans l'intention d'accroître. Vous continuerez là à me donner des
+preuves de vos talens et de votre attachement à ma personne. Comptez
+toujours sur mon estime: cette lettre n'étant à autre fin, je prie Dieu,
+monsieur le comte Dejean, qu'il vous ait en sa sainte garde.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Paris, 5 janvier 1810.
+
+_Réponse de Sa Majesté à l'adresse du collège électoral du département
+de la Drôme._
+
+Messieurs les députés du collège du département de la Drôme, j'agrée les
+sentimens que vous m'exprimez au nom de votre collège; je connais le
+bon esprit des citoyens de votre département et leur attachement à ma
+personne.
+
+_Réponse de Sa Majesté à l'adresse du collège électoral du département
+du Rhône._
+
+Messieurs les députés du collège du département du Rhône, j'aime à vous
+entendre; il me semble être dans ma bonne ville de Lyon. Dans toutes les
+occasions, ses habitans se sont distingués par leur attachement à ma
+personne. Ils doivent compter constamment sur mon amour.
+
+_Réponse de Sa Majesté à l'adresse du collège électoral du département
+de Saône-et-Loire._
+
+Messieurs les députes du collège du département de Saône-et-Loire, tout
+ce que le président de votre assemblée m'a dit sur le bon esprit qui y
+a régné, m'a fait plaisir; soyez unis entre vous et avec les villes
+voisines; il ne faut conserver le souvenir du passé, que pour connaître
+la grandeur du danger que la patrie a couru. La monarchie et le trône
+sont aussi nécessaires à l'existence et au bonheur de la France, que
+le soleil qui nous éclaire: sans eux tout est trouble, anarchie et
+confusion.
+
+_A celle de la Sarthe._
+
+Messieurs les députés du collège du département de la Sarthe, je
+viendrai avec plaisir dans vos cités; je me félicite des bons sentimens
+qui les animent. C'est aux collèges à donner l'exemple de l'union. Tous
+les Français, de quelque classes qu'ils aient été, quelque conduite
+qu'ils aient tenue dans des temps de discorde et de guerre civile, sont
+également mes enfans.
+
+
+
+Paris, 5 février 1810.
+
+_Réponse de Sa Majesté à l'adresse du collège électoral du département
+de la Dordogne._
+
+Messieurs les députes du collège électoral du département de la
+Dordogne, moi et mon allié l'empereur de Russie, nous avons tout
+fait pour pacifier le monde, nous n'avons pu y réussir. Le roi de
+l'Angleterre, vieilli dans sa haine contre la France, veut la guerre...
+Son état l'empêche d'en sentir les maux pour le monde et d'en calculer
+les résultats pour sa famille. Toutefois la guerre doit avoir un terme,
+et alors nous serons plus grands, plus puissans et plus forts que nous
+n'avons jamais été. L'empire français a la vie de la jeunesse; il ne
+peut que croître et se consolider; celui de mes ennemis est à son
+arrière-raison; tout en présage la décroissance. Chaque année dont ils
+retarderont la paix du monde, ne fera qu'augmenter sa puissance.
+
+_Réponse de Sa Majesté à l'adresse du collège électoral du département
+du Doubs._
+
+Messieurs les députés du collège du département du Doubs, j'ai eu
+souvent occasion de distinguer vos citoyens sur le champ d'honneur.
+Ce sera avec plaisir que je verrai vos campagnes; mais ma famille est
+devenue bien grande. Cependant j'irai vous voir quand le canal qui doit
+joindre le Rhin au Rhône passera par votre ville.
+
+_Réponse de Sa Majesté à l'adresse du collège électoral du département
+de l'Indre._
+
+Messieurs les députés du collège du département de l'Indre, je vous
+remercie des sentimens que vous m'exprimez; je les mérite de mes peuples
+par la sollicitude que je porte constamment à tout ce qui les intéresse.
+
+_Réponse de Sa Majesté à l'adresse du collège électoral du département
+du Léman._
+
+J'agrée vos sentimens; moi et ceux de mes descendans qui occuperont ce
+trône, nous protégerons toute religion fondée sur l'évangile, puisque
+toutes en prêchent la morale et en respirent la charité.
+
+Ce n'est pas que je ne déplore l'ignorance et l'ambition de ceux qui,
+voulant, sous le masque de la religion, dominer sur l'univers et y
+lever des tributs à leur profit, ont donné un si précieux prétexte aux
+discordes qui ont divisé la famille chrétienne.
+
+Ma doctrine comme mes principes sont invariables. Quelles que puissent
+être les clameurs du fanatisme et de l'ignorance, tolérance et
+protection pour toutes les religions chrétiennes, garantie et
+indépendance pour ma religion et celle de la majorité de mes peuples,
+contre les attentats des Grégoire, des Jules, des Boniface. En
+rétablissant en France, par un concordat, mes relations avec les papes,
+je n'ai entendu le faire que sous l'égide des quatre propositions
+de l'église gallicane, sans quoi j'aurais sacrifié l'honneur et
+l'indépendance de l'empire aux plus absurdes prétentions.
+
+
+_Réponse de Sa Majesté à l'adresse du collège électoral du département
+de la Loire-Inférieure._
+
+Messieurs les députés du collège du département de la Loire-Inférieure,
+c'est en entrant dans vos murs que je reçus l'avis que des Français
+avaient rendu mes aigles sans combattre, et avaient préféré la vie et
+le déshonneur aux dangers et à la gloire. Il n'a fallu rien moins que
+l'expression des sentimens des citoyens de ma bonne ville de Nantes pour
+me rendre des momens de joie et de plaisir. J'ai éprouvé au milieu de
+vous ce qu'on éprouve au milieu de ses vrais amis: c'est vous dire
+combien ces sentimens sont profondément gravés dans mon coeur.
+
+_Réponse de Sa Majesté à l'adresse du collège électoral du département
+du Lot._
+
+Messieurs les députés du collège du département du Lot, j'ai pensé à
+ce que vous me demandez; le Lot sera rendu navigable aussitôt que les
+canaux de l'Escaut au Rhin, du Rhin au Rhône, du Rhône à la Seine, et de
+la Rance à la Vilaine, seront terminés. Ce sera dans six ans. Je connais
+l'attachement de votre département a ma personne.
+
+_Réponse de Sa Majesté à l'adresse du collège électoral du département
+de la Roër._
+
+Messieurs les députés du collège du département de la Roër, j'agrée vos
+sentimens. Votre pays est celui de Charlemagne; vous faites aujourd'hui,
+comme alors, partie du grand empire. J'apprends avec plaisir le bon
+esprit qui anime vos habitans. Je désire que ceux de vos concitoyens
+qui ont leurs enfans au service étranger, les rappellent en France. Un
+Français ne doit verser son sang que pour son prince et pour sa patrie.
+
+_Réponse de fa Majesté à la députation de la ville de Lyon, qui
+sollicitait la permission d'élever dans ses murs une statue à Napoléon._
+
+J'approuve la délibération du conseil municipal. Je verrai avec plaisir
+une statue au milieu de ma bonne ville de Lyon; mais je désire qu'avant
+de travailler à ce monument, vous ayez fait disparaître toutes ces
+ruines, restes de nos malheureuses guerres civiles. J'apprends que
+déjà la place de Bellecour est rétablie. Ne commencez le piédestal que
+lorsque tout sera entièrement achevé.
+
+
+
+Au palais des Tuileries, le 27 février 1810.
+
+_Message au sénat._
+
+Sénateurs,
+
+Nous avons fait partir pour Vienne, comme notre ambassadeur
+extraordinaire, notre cousin le prince de Neufchâtel, pour faire la
+demande de la main de l'archiduchesse Marie-Louise, fille de l'empereur
+d'Autriche.
+
+Nous ordonnons à notre ministre des relations extérieures de vous
+communiquer les articles de la convention de mariage entre nous et
+l'archiduchesse Marie-Louise, laquelle a été conclue, signée et
+ratifiée.
+
+Nous avons voulu contribuer éminemment au bonheur de la présente
+génération. Les ennemis du continent ont fondé leur prospérité sur ses
+dissensions et son déchirement. Ils ne pourront plus alimenter la guerre
+en nous supposant des projets incompatibles avec les liens et les
+devoirs de parenté que nous venons de contracter avec la maison
+impériale régnante en Autriche.
+
+Les brillantes qualités qui distinguent l'archiduchesse Marie-Louise
+lui ont acquis l'amour des peuples de l'Autriche. Elles ont fixé nos
+regards. Nos peuples aimeront cette princesse pour l'amour de nous,
+jusqu'à ce que, témoins de toutes les vertus qui l'ont placée si haut
+dans notre pensée, ils l'aiment pour elle-même.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Au palais des Tuileries, 1er mars 1810.
+
+_Message de S. M. l'empereur et roi au sénat._
+
+Sénateurs,
+
+Les principes de l'empire s'opposant à ce que le sacerdoce soit réuni à
+aucune souveraineté temporelle, nous avons dû regarder comme non avenue
+la nomination que le Prince-Primat avait faite du cardinal Fesch pour
+son successeur. Ce prélat, si distingué par sa piété et par les vertus
+de son état, nous avait d'ailleurs fait connaître la répugnance qu'il
+avait à être distrait des soins et de l'administration de ses diocèses.
+
+Nous avons voulu aussi reconnaître les grands services que le
+Prince-Primat nous a rendus, et les preuves multipliées que nous avons
+reçues de son amitié. Nous avons ajouté à l'étendue de ses états et nous
+les avons constitués sous le titre de grand duché de Francfort. Il en
+jouira jusqu'au moment marqué pour le terme d'une vie consacrée à faire
+le bien.
+
+Nous avons en même temps voulu ne laisser aucune incertitude sur le sort
+de ses peuples, et nous avons en conséquence cédé à notre cher fils le
+prince Eugène-Napoléon, tous nos droits sur le grand-duché de Francfort.
+Nous l'avons appelé à posséder héréditairement cet état après le décès
+du Prince-Primat, et conformément à ce qui est établi dans les lettres
+d'investiture dont nous chargeons notre cousin le prince archichancelier
+de vous donner connaissance.
+
+Il a été doux pour notre coeur de saisir cette occasion de donner un
+nouveau témoignage de notre estime et de notre tendre amitié à un jeune
+prince dont nous avons dirigé les premiers pas dans la carrière du
+gouvernement et des armes, qui, au milieu de tant de circonstances, ne
+nous a jamais donné aucun motif du moindre mécontentement. Il nous a,
+au contraire, secondé avec une prudence au-dessus de ce qu'on pouvait
+attendre de son âge, et dans ces derniers temps, il a montré, à la tête
+de nos armées, autant de bravoure que de connaissance de l'art de la
+guerre. Il convenait de le fixer d'une manière stable dans le haut rang
+où nous l'avons placé.
+
+Élevé au grand duché de Francfort, nos peuples d'Italie ne seront pas
+pour cela privés de ses soins et de son administration; notre confiance
+en lui sera constante, comme les sentimens qu'il nous porte.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Paris, 4 mars 1810.
+
+_Réponse de Sa Majesté à une adresse du sénat._
+
+Sénateurs,
+
+Je suis touché des sentimens que vous m'exprimez. L'impératrice
+Marie-Louise sera pour les Français une tendre mère; elle fera ainsi mon
+bonheur. Je suis heureux d'avoir été appelé par la Providence à régner
+sur ce peuple affectueux et sensible, que j'ai trouvé dans toutes les
+circonstances de ma vie, si fidèle et si bon pour moi.
+
+_Réponse de Sa Majesté à l'adresse du collège électoral du département
+de l'Herault._
+
+Ce que vous me dites au nom de votre département me fait plaisir.
+J'ai besoin de connaître le bien que mes sujets éprouvent; je ressens
+vivement leurs moindres maux, car ma véritable gloire, je l'ai placée
+dans le bonheur de la France.
+
+
+_Réponse de Sa Majesté à l'adresse du collège électoral du département
+de la Haute-Loire._
+
+Messieurs les députés du collège du département de la Haute-Loire,
+
+Je vous remercie des sentimens que vous m'exprimez. Si j'ai confiance
+dans ma force, c'est que j'en ai dans l'amour de mes peuples.
+
+_Réponse de Sa Majesté à l'adresse du collège électoral du département
+des Basses-Pyrénées._
+
+J'agrée vos sentimens; j'ai parcouru l'année passée votre département
+avec intérêt.......... Si j'ai porté tant d'intérêt à fixer les
+destinées des Espagnes et à les lier, d'une manière immuable à l'empire,
+c'est surtout pour assurer la tranquillité de vos enfans.
+
+_Réponse de Sa Majesté à l'adresse du collège de Montenotte._
+
+Messieurs les députés du collège du département de Montenotte,
+
+Le nom que porte votre département réveille dans mon coeur bien des
+sentimens. Il me fait souvenir de tout ce que je dois de reconnaissance
+aux vieilles bandes de ma première armée d'Italie. Un bon nombre de ces
+intrépides soldats sont morts aux champs d'Egypte et d'Allemagne; un
+plus grand nombre, ou soutiennent encore l'honneur de mes aigles, ou
+vivent couverts de glorieuses cicatrices dans leurs foyers. Qu'ils
+soient l'objet de la considération et des soins de leurs concitoyens;
+c'est le meilleur moyen que mes peuples puissent choisir pour m'être
+agréable.
+
+Je prends un intérêt spécial à votre pays; j'ai vu avec plaisir que les
+travaux que j'ai ordonnés pour l'amélioration de votre port, et pour
+ouvrir des communications avec le Piémont et la Provence, s'achèvent.
+
+
+
+Paris, 4 avril 1810.
+
+_Réponse de Sa Majesté au discours du président du sénat, après le
+mariage de Napoléon._
+
+Sénateurs,
+
+Moi et l'impératrice, nous méritons les sentimens que vous nous
+exprimez, par l'amour que nous portons à nos peuples. Le bien de la
+France est notre premier besoin.
+
+_Réponse de Sa Majesté à l'adresse du sénat d'Italie._
+
+Messieurs les députés du sénat de notre royaume d'Italie, Nos peuples
+d'Italie savent combien nous les aimons. Aussitôt que cela sera
+possible, moi et l'impératrice, nous voulons aller dans nos bonnes
+villes de Milan, de Venise et de Bologne, donner de nouveaux gages de
+notre amour à nos peuples d'Italie.
+
+_Réponse de Sa Majesté au discours du président du corps législatif._
+
+Messieurs les députés des départemens au corps législatif, Les voeux
+que vous faites pour nous nous sont fort agréables. Vous allez bientôt
+retourner dans vos départemens; dites-leur que l'impératrice, bonne mère
+de ce grand peuple, partage tous nos sentimens pour lui. Nous et elle ne
+pouvons goûter de félicité qu'autant que nous sommes assurés de l'amour
+de la France.
+
+
+
+Saint-Cloud, 3 juin 1810.
+
+_Lettre de l'empereur au ministre de la police générale._
+
+Monsieur le duc d'Otrante, les services que vous nous avez rendus dans
+les différentes circonstances qui se sont présentées, nous portent à
+vous confier le gouvernement de Rome jusqu'à ce que nous ayons pourvu
+à l'exécution de l'article 8 de l'acte des constitutions du 17 février
+dernier. Nous avons déterminé par un décret spécial les pouvoirs
+extraordinaires dont les circonstances particulières où se trouvent ces
+départemens, exigent que vous soyez investi. Nous attendons que vous
+continuerez, dans ce nouveau poste, à nous donner des preuves de votre
+zèle pour notre service et de votre attachement à notre personne.
+
+Cette lettre n'étant à d'autre fin, nous prions Dieu, mon duc d'Otrante,
+qu'il vous ait en sa sainte garde.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Paris, 3l juillet 1810.
+
+_Paroles de Napoléon au jeune duc de Berg, fils de Louis Bonaparte,
+après l'abdication faite par celui-ci de la couronne de Hollande._
+
+Lorsque Napoléon eut reçu l'abdication de Louis, il fit venir le jeune
+prince son neveu, le tint long-temps embrassé et lui parla en ces
+termes:
+
+«Venez, mon fils, lui a-t-il dit, je serai votre père, vous n'y perdrez
+rien.
+
+La conduite de votre père afflige mon coeur; sa maladie seule peut
+l'expliquer. Quand vous serez grand, vous paierez sa dette et la vôtre.
+N'oubliez jamais, dans quelque position que vous placent ma politique et
+l'intérêt de mon empire, que vos premiers devoirs, même ceux envers les
+peuples que je pourrais vous confier, ne viennent qu'après.»
+
+
+
+Paris, 15 août 1810.
+
+_Réponse de Napoléon à une députation du corps législatif batave, après
+l'abdication du roi Louis._
+
+Messieurs les députés du corps législatif, des armées de terre et de mer
+de la Hollande, et Messieurs les députés de ma bonne ville d'Amsterdam,
+vous avez été depuis trente ans le jouet de bien des vicissitudes.
+Vous perdîtes votre liberté lorsqu'un des grands officiers de votre
+république, favorisé par l'Angleterre, fit intervenir les baïonnettes
+prussiennes aux délibérations de vos conseils: les constitutions
+politiques que vous teniez de vos pères furent déchirées et le furent
+pour toujours.
+
+Lors de la première coalition, vous en fîtes partie. Par suite, les
+armées françaises conquirent votre pays, fatalité attachée à l'alliance
+de l'Angleterre.
+
+Depuis la conquête, vous fûtes gouvernés par une administration
+particulière; mais votre république fit partie de l'empire. Vos places
+fortes et les principales positions de votre pays restèrent occupées par
+mes troupes. Votre administration changea au gré des opinions qui se
+succédèrent en France.
+
+Lorsque la providence me fit monter sur le premier trône du monde, je
+dus, en fixant à jamais les destinées de la France, régler le sort de
+tous les peuples qui faisaient partie de l'empire, faire éprouver à tous
+les bienfaits de la stabilité et de l'ordre, et faire disparaître chez
+tous les maux de l'anarchie. Je terminai les incertitudes de l'Italie en
+plaçant sur ma tête la couronne de fer; je supprimai le gouvernement
+qui régissait le Piémont. Je traçai dans mon acte de médiation les
+constitutions de la Suisse, et conciliai les circonstances locales de ce
+pays, les souvenirs de son histoire, avec la sûreté et les droits de la
+couronne impériale.
+
+Je vous donnai un prince de mon sang pour vous gouverner: c'était un
+lien naturel qui devait concilier les intérêts de votre administration
+et les droits de l'empire. Mes espérances ont été trompées. J'ai, dans
+cette circonstance, usé de plus de longanimité que ne comportaient
+mon caractère et mes droits. Enfin, je viens de mettre un terme à la
+douloureuse incertitude où vous vous trouviez, et de faire cesser une
+agonie qui achevait d'anéantir vos forces et vos ressources. Je viens
+d'ouvrir à votre industrie le continent. Le jour viendra où vous
+porterez mes aigles sur les mers qui ont illustré vos ancêtres. Vous
+vous y montrerez alors dignes d'eux et de moi. D'ici là, tous les
+changemens qui surviendront sur la face de l'Europe auront pour cause
+première le système tyrannique, aveugle et destructif de sa prospérité,
+qui a porté le gouvernement anglais à mettre le commerce hors de la loi
+commune, en le plaçant sous le régime arbitraire des licences.
+
+Messieurs les députés du corps législatif, des armées de terre et de mer
+de la Hollande, et messieurs les députés de ma bonne ville d'Amsterdam,
+dites à mes sujets de Hollande que je suis satisfait des sentimens
+qu'ils me montrent, que je ne doute pas de leur fidélité; que je compte
+que leurs efforts se réuniront aux efforts de tous mes autres sujets,
+pour reconquérir les droits maritimes que cinq coalitions successives
+fomentées par l'Angleterre, ont fait perdre au continent. Dites-leur
+qu'ils peuvent compter, dans toutes les circonstances, sur ma spéciale
+protection.
+
+_Réponse de Napoléon à une députation des provinces Illyriennes._
+
+Messieurs les députés de mes provinces Illyriennes, j'agrée vos
+sentimens. Je désire connaître les besoins de vos compatriotes et
+assurer leur bien-être.
+
+Je mets du prix à vous savoir contens, et je serai heureux d'apprendre
+que les plaies de tant de guerres sont cicatrisées, et toutes vos pertes
+réparées.
+
+Assurez mes sujets de l'Illyrie de ma protection impériale.
+
+
+
+Fontainebleau, 13 novembre 1810.
+
+_Lettre de Sa majesté impériale et royale au président du sénat._
+
+Monsieur le comte Garnier, président du sénat, la satisfaction que nous
+fait éprouver l'heureuse grossesse de l'impératrice, notre très-chère et
+bien aimée épouse, nous porte à vous écrire cette lettre pour que vous
+fassiez part, en notre nom, au sénat de cet événement aussi essentiel
+à notre bonheur, qu'à l'intérêt et à la politique de notre empire. La
+présente n'étant à autre fin, nous prions Dieu qu'il vous ait, monsieur
+le comte Garnier, président du sénat, en sa sainte et digne garde.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Paris, l0 décembre 1810.
+
+_Message de Sa Majesté impériale et royale au sénat._
+
+Sénateurs,
+
+J'ordonne à mon ministre des relations extérieures de vous faire
+connaître les différentes circonstances qui nécessitent la réunion de la
+Hollande à l'empire.
+
+Les arrêts publiés par le consul britannique en 1806 et 1807, ont
+déchiré le droit public de l'Europe. Un nouvel ordre de choses régit
+l'univers; de nouvelles garanties m'étant devenues nécessaires, la
+réunion des embouchures de l'Escaut, de la Meuse, du Rhin, de l'Ems,
+du Wéser et de l'Elbe à l'empire, l'établissement d'une navigation
+intérieure avec la Baltique, m'ont paru être les premières et les plus
+importantes.
+
+J'ai fait dresser le plan d'un canal qui sera exécuté avant cinq ans, et
+qui joindra la Baltique à la Seine.
+
+Des indemnités seront données aux princes qui pourront se trouver
+froissés par cette grande mesure, que commande la nécessité, et qui
+appuie sur la Baltique la droite des frontières de mon empire.
+
+Avant de prendre ces déterminations, j'ai fait pressentir l'Angleterre;
+elle a su que le seul moyen de maintenir l'indépendance de la Hollande
+était de rapporter ses arrêts du conseil de 1806 et 1807, ou de revenir
+enfin à des sentimens pacifiques; mais cette puissance a été sourde à la
+voix de de ses intérêts comme au cri de l'Europe.
+
+J'espérais pouvoir établir un cartel d'échange des prisonniers entre
+la France et l'Angleterre, et par suite profiter du séjour des deux
+commissaires, à Paris et à Londres, pour arriver à un rapprochement
+entre les deux nations. Mes espérances ont été déçues. Je n'ai reconnu
+dans la manière de négocier du gouvernement anglais qu'astuce et que
+mauvaise foi.
+
+La réunion du Valais est une conséquence prévue des immenses travaux
+que je fais faire depuis dix ans dans cette partie. Lors de mon acte
+de médiation, je séparai le Valais de la confédération helvétique,
+prévoyant dès-lors une mesure si utile à la France et à l'Italie.
+
+Tant que la guerre durera avec l'Angleterre, le peuple français ne doit
+pas poser les armes.
+
+Mes finances sont dans l'état le plus prospère. Je puis fournir à toutes
+les dépenses que nécessite cet immense empire, sans demander à mes
+peuples de nouveaux sacrifices.
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Paris, 11 mars 1811. _Réponse de S. M. à différentes députations.
+
+A la députation du département de Gènes._
+
+«Mes peuples de Gènes connaissent la prédilection que j'ai eue pour eux
+dès le premier moment où j'ai paru à la tête de mes armées en Italie.
+Ils peuvent aussi se vanter avec raison de m'avoir été constamment
+fidèles, et leur attachement n'a fait qu'acquérir une nouvelle chaleur
+toutes les fois que la fortune de mes armes a été incertaine. Ils
+fournissent aujourd'hui un grand nombre de matelots à mes escadres, et
+lorsque mes amiraux m'ont rendu compte du zèle et du bon esprit qui les
+animaient, mon coeur en a été vivement ému.
+
+Les momens ne sont pas éloignés où je vous mettrai à même de surpasser
+la gloire qu'ont acquise vos pères sur toutes les côtes de la
+Méditerranée.»
+
+_A la députation de Marengo._
+
+«Je vous remercie de ce que vous me dites. Les grands travaux que,
+depuis dix-huit ans, je fais faire à Alexandrie, rendent cette ville
+l'une des plus fortes de l'Europe: je compte sur la fidélité et la
+bravoure de mes peuples de Marengo.»
+
+_A la députation de Tarn-et-Garonne._
+
+«J'agrée vos-sentimens; j'en connais la sincérité. Lors de mon dernier
+voyage, j'ai été satisfait de tout ce que j'ai vu dans vos belles
+contrées, et spécialement dans ma bonne ville de Montauban. Comptez
+toujours sur mon affection.»
+
+_A la députation de la Vendée._
+
+«Tout ce que vous me dites dans votre adresse, je l'ai éprouvé lors de
+mon dernier voyage dans votre pays. Le spectacle que m'ont offert vos
+villages, dix ans après la guerre, m'a paru horrible. J'ai fait la
+guerre dans les trois parties du, monde, Je crois avoir des droits à
+la reconnaissance des peuples que j'ai vaincus; car, six mois après la
+guerre terminée, il n'en restait plus de traces sur leur territoire.
+J'ai été touché des sentimens que mes peuples de la Vendée m'ont
+témoignés. Ils ont raison de compter sur l'amour que je leur porte.
+Faites disparaître promptement ces traces de nos malheurs domestiques.
+J'ai mis, cette année, à la disposition de mon ministre de l'intérieur
+de nouveaux moyens pour vous y aider. Lorsque vous relevez une ruine,
+que vous rebâtissez une de vos maisons, songez que vous faites la chose
+qui m'est le plus agréable; c'est une manière sûre de me plaire. La
+première fois que vous reviendrez ici, dites-moi que toutes vos villes
+et villages sont entièrement rebâtis, et que mes peuples de la Vendée
+sont logés comme le comporte la fertilité de leur sol.»
+
+
+
+Paris, 17 mars 1811.
+
+_Réponse de l'empereur à une députation des villes de Hambourg, Lubeck
+et Brême._
+
+«Messieurs les députés des villes anséatiques de Hambourg, Brême et
+Lubeck, vous faisiez partie de l'empire germanique: votre constitution
+a fini avec lui. Depuis ce temps votre situation était incertaine. Je
+voulais reconstituer vos villes sous une administration indépendante,
+lorsque les changemens qu'ont produits dans le monde les nouvelles lois
+du conseil britannique, ont rendu ce projet impraticable il m'a été
+impossible de vous donner une administration indépendante, puisque vous
+ne pouviez plus avoir un pavillon indépendant.
+
+Les décrets de Berlin et de Milan sont la loi fondamentale de mon
+empire. Ils ne cessent d'avoir leur effet que pour les nations qui
+défendent leur souveraineté et maintiennent la religion de leur
+pavillon. L'Angleterre est en état de blocus pour les nations qui se
+soumettent aux arrêts de 1806, parce que les pavillons qui se sont ainsi
+soumis aux lois anglaises, sont dénationalisés; ils sont Anglais. Les
+nations, au contraire, qui ont le sentiment de leur dignité, et qui
+trouvent, dans leur courage et dans leurs forces, assez de ressources
+pour méconnaître le blocus par notification, vulgairement appelé _blocus
+sur le papier_, et aborder dans les ports de mon empire, autres que ceux
+réellement bloqués, en suivant l'usage reconnu et les stipulations du
+traité d'Utrecht, peuvent communiquer avec l'Angleterre, L'Angleterre
+n'est pas bloquée pour elles. Les décrets de Berlin et de Milan,
+dérivant de la nature des choses, formeront constamment le droit public
+de mon empire pendant tout le temps que l'Angleterre maintiendra ses
+arrêts de 1806 et 1807, et violera les stipulations du traité d'Utrecht
+sur cette matière. «L'Angleterre a pour principe de saisir les
+marchandises appartenant à son ennemi sous quelque pavillon qu'elles
+soient. L'empire a dû admettre le principe de saisir les marchandises
+anglaises ou provenant du commerce de l'Angleterre, sur quelque
+territoire que ce soit. L'Angleterre saisit les marchands, les
+voyageurs, les charretiers de la nation avec laquelle elle est en guerre
+sur toutes les mers. La France a dû saisir les voyageurs, les marchands,
+les charretiers anglais sur quelque point du continent qu'ils se
+trouvent et où elle peut les atteindre; et si dans ce système il y a
+quelque chose de peu conforme à l'esprit du siècle, c'est l'injustice
+des nouvelles lois anglaises qu'il faut en accuser.
+
+Je me suis plu à entrer dans ces développemens avec vous, pour vous
+faire voir que votre réunion à l'empire est une suite nécessaire des
+lois britanniques de 1806 et 1807, et non l'effet d'aucun calcul
+ambitieux. Vous trouverez dans mes lois civiles une protection que, dans
+votre position maritime, vous ne sauriez plus trouver dans les lois
+politiques. Le commerce maritime, qui a fait votre prospérité, ne peut
+renaître désormais qu'avec ma puissance maritime. Il faut reconquérir à
+la fois les droits des nations, la liberté des mers et la paix générale.
+Quand j'aurai plus de cent vaisseaux de haut-bord, je soumettrai
+dans peu de campagnes l'Angleterre. Les matelots de vos côtes et
+les matériaux qui arrivent aux débouchés de vos rivières me sont
+nécessaires. La France, dans ses anciennes limites, ne pouvait
+construire une marine en temps de guerre: lorsque ses côtes étaient
+bloquées, elle était réduite à recevoir la loi. Aujourd'hui, par
+l'accroissement qu'a reçu mon empire depuis six ans, je puis construire,
+équiper et armer vingt-cinq vaisseaux de haut-bord par an, sans que
+l'état de guerre maritime puisse l'empêcher ou me retarder en rien.
+
+Les comptes qui m'ont été rendus du bon esprit qui anime vos
+concitoyens, m'ont fait plaisir; et j'espère, avant peu, avoir à me
+louer du zèle et de la bravoure de vos matelots.»
+
+
+
+Paris, 22 mars 1811.
+
+_Réponse de l'empereur à une députation du sénat et du conseil d'état,
+envoyée pour le féliciter sur la naissance de son fils le roi de Rome.
+
+Au Sénat._
+
+Sénateurs,
+
+«Tout ce que la France me témoigne dans cette circonstance va droit
+à mon coeur. Les grandes destinées de mon fils s'accompliront. Avec
+l'amour des Français, tout lui deviendra facile.
+
+J'agrée les sentimens que vous m'exprimez.»
+
+_Au conseil d'état._
+
+Messieurs les conseillers d'état,
+
+«J'ai ardemment désiré ce que la providence vient de m'accorder. Mon
+fils vivra pour le bonheur et la gloire de la France. Nos enfans se
+dévoueront pour son bonheur et sa gloire.
+
+Je vous remercie des sentimens que vous m'exprimez.»
+
+
+
+Saint-Cloud, 25 avril 1811.
+
+_Lettre de l'empereur aux évêques de France, pour les inviter à se
+rassembler en concile._
+
+«Monsieur l'évêque de.....les églises les plus illustres et les plus
+populeuses de l'empire sont vacantes; une des parties contractantes du
+concordat l'a méconnu. La conduite que l'on a tenue en Allemagne
+depuis dix ans a presque détruit l'épiscopat dans cette partie de la
+chrétienté: il n'y a aujourd'hui que huit évêques; grand nombre de
+diocèses sont gouvernés par des vicaires apostoliques; on a troublé les
+chapitres dans le droit qu'ils ont de pourvoir, pendant la vacance du
+siège, à l'administration du diocèse, et l'on a ourdi des manoeuvres
+ténébreuses tendantes à exciter la discorde et la sédition parmi nos
+sujets. Les chapitres ont rejeté des brefs contraires à leurs droits et
+aux saints canons.
+
+Cependant les années s'écoulent, de nouveaux évêchés viennent à
+vaquer tous les jours: s'il n'y était pourvu promptement, l'épiscopat
+s'éteindrait en France et en Italie comme en Allemagne. Voulant prévenir
+un état de choses si contraire au bien de notre religion, aux principes
+de l'église gallicane, et aux intérêts de l'état, nous avons résolu de
+réunir, au 9 juin prochain, dans l'église de Notre-Dame de Paris, tous
+les évêques de France et d'Italie en concile national.
+
+Nous désirons donc qu'aussitôt que vous aurez reçu la présente, vous
+ayez à vous mettre en route, afin d'être arrivé dans notre bonne ville
+de Paris dans la première semaine du mois de juin.
+
+Cette lettre n'étant à autre fin, nous prions Dieu qu'il vous ait en sa
+sainte garde.»
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Rambouillet, 18 août 1811.
+
+_Lettre de l'empereur aux evêques._
+
+«Monsieur l'évêque de........, la naissance du roi de Rome est une
+occasion solennelle de prières et de remercîmens envers l'auteur de tous
+biens. Le 9 juin, jour de la Trinité, nous irons nous-même le présenter
+au baptême dans l'église de Notre-Dame de Paris. Notre intention est que
+le même jour nos peuples se réunissent dans leurs églises pour assister
+au _Te Deum_, et joindre leurs prières et leurs voeux aux nôtres.
+
+Concertez-vous à cet effet avec qui de droit, et remplissez nos
+intentions avec le zèle dont vous avez donné des preuves réitérées.
+Cette lettre n'étant à autre fin, nous prions Dieu, etc.»
+
+NAPOLÉON.
+
+
+
+Paris, 17 juin 1811.
+
+_Discours de l'empereur à l'ouverture du corps-législatif._
+
+«Messieurs les députés des départemens au corps-législatif,
+
+La paix conclue avec l'empire d'Autriche a été depuis cimentée par
+l'heureuse alliance que j'ai contractée: la naissance du roi de Rome a
+rempli mes voeux et satisfait à l'avenir de mes peuples.
+
+Les affaires de la religion ont été trop souvent mêlées et sacrifiées
+aux intérêts d'un état du troisième ordre. Si la moitié de l'Europe
+s'est séparée de l'église de Rome, on peut l'attribuer spécialement à la
+contradiction qui n'a cessé d'exister entre les vérités et les principes
+de la religion, qui sont pour tout l'univers, et des prétentions et des
+intérêts qui ne regardaient qu'un très-petit coin de l'Italie. J'ai
+mis fin à ce scandale pour toujours. J'ai réuni Rome à l'empire. J'ai
+accordé; des palais aux papes, à Rome et à Paris: s'ils ont à coeur les
+intérêts de la religion, ils voudront séjourner souvent au centre des
+affaires de la chrétienté; c'est ainsi que Saint Pierre préféra Rome au
+séjour même de la Terre-Sainte.
+
+La Hollande a été réunie à l'empire; elle n'en est qu'une émanation.
+Sans elle, l'empire ne serait pas complet.
+
+Les principes adoptés par le gouvernement anglais, de ne reconnaître la
+neutralité d'aucun pavillon, m'ont obligé de m'assurer des débouchés
+de l'Ems, du Weser et de l'Elbe, et m'ont rendu indispensable une
+communication intérieure avec la Baltique. Ce n'est pas mon territoire
+que j'ai voulu accroître, mais bien mes moyens maritimes.
+
+L'Amérique a fait des efforts pour faire reconnaître la liberté de son
+pavillon. Je la seconderai.
+
+Je n'ai qu'à me louer des souverains de la confédération du Rhin.
+
+La réunion du Valais avait été prévue dès l'acte de médiation, et
+considérée comme nécessaire pour concilier les intérêts de la Suisse
+avec les intérêts de la France et de l'Italie.
+
+Les Anglais mettent en jeu toutes les passions. Tantôt ils supposent à
+la France tous les projets qui peuvent alarmer les autres puissances;
+projets qu'elle aurait pu mettre à exécution s'ils étaient entrés dans
+sa politique: tantôt ils font un appel à l'amour propre des nations pour
+exciter leur jalousie; ils saisissent toutes les circonstances que font
+naître les événemens inattendus des temps où nous nous trouvons: c'est
+la guerre dans toutes les parties du continent qui peut seule assurer
+leur prospérité. Je ne veux rien qui ne soit dans les traités que j'ai
+conclus. Je ne sacrifierai jamais le sang de mes peuples pour des
+intérêts qui ne sont pas immédiatement ceux de mon empire. Je me flatte
+que la paix du continent ne sera pas troublée.
+
+Le roi d'Espagne est venu assister à cette dernière solennité. Je lui ai
+accordé tout ce qui était nécessaire et propre à réunir les intérêts et
+l'esprit des différens peuples de ses provinces. Depuis 1809, la plupart
+des places fortes d'Espagne ont été prises après des sièges mémorables.
+Les insurgés ont été battus dans un grand nombre de batailles rangées.
+L'Angleterre a compris que cette guerre tournait à sa fin, et que les
+intrigues et l'or n'étaient plus suffisans désormais pour la nourrir.
+Elle s'est trouvée contrainte à en changer la nature; et d'auxiliaire,
+elle est devenue partie principale. Tout ce qu'elle a de troupes de
+ligue a été envoyé dans la péninsule: l'Angleterre, l'Écosse, l'Irlande
+sont dégarnies. Le sang anglais a enfin coulé à grands flots dans
+plusieurs actions glorieuses pour les armes françaises.........Cette
+lutte contre Carthage, qui paraissait devoir se décider sur les champs
+de bataille de l'Océan ou au-delà des mers, le sera donc désormais dans
+les plaines des Espagnes! Lorsque l'Angleterre sera épuisée, qu'elle
+aura enfin ressenti les maux qu'avec tant de cruauté elle verse depuis
+vingt ans sur le continent, que la moitié de ses familles sera couverte
+du voile funèbre, un coup de tonnerre mettra un aux affaires de la
+péninsule, aux destins de ses armées, et vengera l'Europe et l'Asie en
+terminant cette seconde guerre punique.
+
+Messieurs les députés des départemens au corps-législatif,
+
+J'ordonne à mon ministre de mettre sous vos yeux les comptes de 1809
+et 1810. C'est l'objet pour lequel je vous ai réunis. Vous y verrez la
+situation prospère de mes finances. Quoique j'aie mis, il y a trois
+mois, cent millions d'extraordinaire à la disposition de mes ministres
+de la guerre, pour subvenir aux dépenses des nouveaux armemens qui alors
+paraissaient nécessaires, je me trouve dans l'heureuse situation de
+n'avoir à imposer aucune nouvelle surcharge à mes peuples. Je ne
+hausserai aucun tarif; je n'ai besoin d'aucun accroissement dans les
+impositions.»
+
+
+
+Paris, 30 juin 1811.
+
+_Réponse de l'empereur à une députation du corps-législatif envoyée
+après le baptême du roi de Rome._
+
+«Monsieur le président et messieurs les députés du corps-législatif,
+
+J'ai été bien aise de vous voir auprès de moi dans cette circonstance si
+chère à mon coeur.
+
+Tous les voeux que vous formez pour l'avenir me sont très-agréables.
+Mon fils répondra à l'attente de la France; il aura pour vos enfans les
+sentimens que je vous porte. Les Français n'oublieront jamais que leur
+bonheur et leur gloire sont attachés à la prospérité de ce trône que
+j'ai élevé, consolidé et agrandi avec eux et pour eux: je désire que
+ceci soit entendu de tous les Français. Dans quelque position que la
+Providence et ma volonté les aient placés, le bien, l'amour de la France
+est leur premier devoir.
+
+J'agrée vos sentimens.»
+
+
+
+Paris, 18 août 1811.
+
+_Réponse de l'empereur à deux députations, l'une du département de la
+Lippe et l'autre des Iles Ioniennes.
+
+A celle de la Lippe._
+
+«Messieurs les députés du département de la Lippe, la ville de Munster
+appartenait à un souverain ecclésiastique, déplorable effet de
+l'ignorance et de la superstition. Vous étiez sans patrie. La
+Providence, qui a voulu que je rétablisse le trône de Charlemagne,
+vous a fait naturellement rentrer, avec la Hollande et les villes
+anséatiques, dans le sein de l'empire. Du moment où vous êtes devenus
+Français, mon coeur ne fait pas de différence entre vous et les autres
+parties de mes états. Aussitôt que les circonstances me le permettront,
+j'éprouverai une vive satisfaction de me trouver au milieu de vous.»
+
+_A celle des Iles Ioniennes._
+
+«Messieurs les députés des Iles Ioniennes, j'ai fait faire dans votre
+pays de grands travaux. J'y ai réuni un grand nombre de troupes et de
+munitions de toute espèce. Je ne regrette pas les dépenses que Corfou
+coûte à mon trésor; elle est la clé de l'Adriatique.
+
+Je n'abandonnerai jamais des îles que la supériorité de l'ennemi sur mer
+a fait tomber en son pouvoir. Dans l'Inde, comme dans l'Amérique,
+comme dans la Méditerranée, tout ce qui est et a été Français, le sera
+constamment. Conquis par l'ennemi, par les vicissitudes de la guerre,
+ou par les stipulations de la paix, je regarderais comme une tache
+ineffaçable à la gloire de mon règne, de sanctionner jamais l'abandon
+d'un seul Français.
+
+J'agrée les sentimens que vous m'exprimez.»
+
+
+
+
+FIN DU CINQUIÈME VOLUME.
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Oeuvres de Napoléon Bonaparte, Tome IV.
+by Napoléon Bonaparte
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK OEUVRES DE NAPOLEON, IV ***
+
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+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
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+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
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+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
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+information can be found at the Foundation's web site and official
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+ gbnewby@pglaf.org
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+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
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+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
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+increasing the number of public domain and licensed works that can be
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+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
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+status with the IRS.
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+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
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+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
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+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
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+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including including checks, online payments and credit card
+donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate
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+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
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+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
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+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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+The Project Gutenberg EBook of Oeuvres de Napoléon Bonaparte, Tome IV.
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+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
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+Title: Oeuvres de Napoléon Bonaparte, Tome IV.
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+Author: Napoléon Bonaparte
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+Release Date: August 15, 2004 [EBook #13192]
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+
+
+<h1>OEUVRES DE<br>
+
+NAPOLÉON BONAPARTE.</h1>
+
+<h3>TOME QUATRIÈME.</h3>
+
+<h2>C.L.F. PANCKOUCKE, Éditeur</h2>
+
+<h4>MDCCCXXI.</h4>
+<br><br><br>
+
+
+<p><b>LIVRE CINQUIÈME.</b></p>
+
+
+
+<h3>EMPIRE.<br>
+1806.</h3>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Munich, le 6 janvier 1806<a id="footnotetag1" name="footnotetag1"></a><a href="#footnote1"><sup>1</sup></a>.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Au sénat conservateur.</i></p>
+
+<p>Sénateurs,</p>
+
+<p>«La paix a été conclue à Presbourg et ratifiée à Vienne
+entre moi et l'empereur d'Autriche. Je voulais, dans une
+séance solennelle, vous en faire connaître moi-même les conditions;
+mais ayant depuis long-temps arrêté, avec le roi
+de Bavière, le mariage de mon fils le prince Eugène, avec la
+princesse Augusta, sa fille, et me trouvant à Munich au moment
+où la célébration du mariage devait avoir lieu, je n'ai
+pu résister au plaisir d'unir moi-même les jeunes époux qui
+sont tous deux le modèle de leur sexe. Je suis, d'ailleurs,
+bien aise de donner à la maison royale de Bavière, et à ce
+brave peuple bavarois, qui, dans cette circonstance, m'a
+rendu tant de services et montré tant d'amitié, et dont tes ancêtres
+furent constamment unis de politique et de coeurs à la
+France, cette preuve de ma considération et de mon estime
+particulière.</p>
+
+<p>Le mariage aura lieu le 15 janvier. Mon arrivée au milieu
+de mon peuple sera donc retardée de quelques jours; ces jours
+paraîtront longs à mon coeur; mais après avoir été sans cesse
+livré aux devoirs d'un soldat, j'éprouve un tendre délassement
+à m'occuper des détails et des devoirs d'un père de famille.
+Mais ne voulant point retarder davantage la publication
+du traité de paix, j'ai ordonné, en conséquence de nos
+statuts constitutionnels, qu'il vous fût communiqué sans
+délai, pour être ensuite publié comme loi de l'empire.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote1" name="footnote1"></a><b>Note 1:</b><a href="#footnotetag1"> (retour) </a> A compter du 1er janvier 1806, le calendrier républicain
+a été supprimé par une loi.</blockquote>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Munich, le 12 janvier 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Au sénat conservateur.</i></p>
+
+<p>Sénateurs,</p>
+
+<p>«Le sénatus-consulte organique du 18 floréal an 12 a
+pourvu à tout ce qui était relatif à l'hérédité de la couronne
+impériale en France.</p>
+
+<p>«Le premier statut constitutionnel de notre royaume
+d'Italie, en date du 19 mars 1805, a fixé l'hérédité de cette
+couronne dans notre descendance directe et légitime, soit
+naturelle, soit adoptive<a id="footnotetag2" name="footnotetag2"></a><a href="#footnote2"><sup>2</sup></a>.</p>
+
+<p>«Les dangers que nous avons courus au milieu de la guerre,
+et qui se sont encore exagérés chez nos peuples d'Italie, ceux
+que nous pouvons courir en combattant les ennemis qui restent
+encore à la France, leur font concevoir de vives inquiétudes:
+ils ne jouissent pas de la sécurité que leur offre la
+modération et la libéralité de nos lois, parce que leur avenir
+est encore incertain.</p>
+
+<p>«Nous avons considéré comme un de nos premiers devoirs
+de faire cesser ces inquiétudes.</p>
+
+<p>«Nous nous sommes en conséquence déterminé à adopter
+comme notre fils le prince Eugène, archi-chancelier d'état
+de notre empire, et vice-roi de notre royaume d'Italie. Nous
+l'avons appelé, après nous et nos enfans naturels et légitimes,
+au trône d'Italie, et nous avons statué qu'à défaut, soit de
+notre descendance directe, légitime et naturelle, soit de la
+descendance du prince Eugène, notre fils, il appartiendra au
+parent le plus proche de celui des princes de notre sang, qui,
+le cas arrivant, se trouvera alors régner en France.</p>
+
+<p>«Nous avons jugé de notre dignité que le prince Eugène
+jouisse de tous les honneurs attachés à notre adoption, quoiqu'elle
+ne lui donne des droits que sur la couronne d'Italie;
+entendant que dans aucun cas, ni dans aucune circonstance,
+notre adoption ne puisse autoriser ni lui, ni ses descendans,
+à élever des prétentions sur la couronne de France, dont la
+succession est irrévocablement réglée par les constitutions de
+l'empire.</p>
+
+<p>«L'histoire de tous les siècles nous apprend que l'uniformité
+des lois nuit essentiellement à la force et à la bonne organisation
+des empires, lorsqu'elle s'étend au-delà de ce que
+permettent, soit les moeurs des nations, soit les considérations
+géographiques.</p>
+
+<p>«Nous nous réservons, d'ailleurs, de faire connaître par
+des dispositions ultérieures les liaisons que nous entendons
+qu'il existe après nous, entre tous les états fédératifs de
+l'empire français. Les différentes parties indépendantes entre
+elles, ayant un intérêt commun, doivent avoir un lien
+commun.</p>
+
+<p>«Nos peuples d'Italie accueilleront avec des transports de
+joie les nouveaux témoignages de notre sollicitude; ils verront
+un garant de la félicité dont ils jouissent, dans la permanence
+du gouvernement de ce jeune prince, qui, dans des
+circonstances si orageuses, et surtout dans ces premiers momens
+si difficiles pour les hommes même expérimentés, a su
+gouverner par l'amour, et faire chérir nos lois.</p>
+
+<p>«Il nous a offert un spectacle dont tous les instans nous
+ont vivement intéressés. Nous l'avons vu mettre en pratique,
+dans des circonstances nouvelles, les principes que nous nous
+étions étudié à inculquer dans son esprit et dans son coeur,
+pendant tout le temps où il a été sous nos yeux. Lorsqu'il
+s'agira de défendre nos peuples d'Italie, il se montrera également
+digne d'imiter et de renouveler ce que nous pouvons
+avoir fait de bien dans l'art si difficile des batailles.</p>
+
+<p>«Au même moment où nous avons ordonné que notre quatrième
+statut constitutionnel fût communiqué aux trois collèges
+d'Italie, il nous a paru indispensable de ne pas différer
+un instant à vous instruire des dispositions qui assoient la
+prospérité et la durée de l'empire sur l'amour et l'intérêt de
+toutes les nations qui le composent. Nous avons aussi été
+persuadés que tout ce qui est pour nous un sujet de bonheur
+et de joie, ne saurait être indifférent ni à vous, ni à mon
+peuple.»</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote2" name="footnote2"></a><b>Note 2:</b><a href="#footnotetag2"> (retour) </a> Art. 2. La couronne d'Italie est héréditaire dans sa descendance
+directe et légitime, soit naturelle, soit adoptive, de mâle en mâle, et à
+l'exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance, sans néanmoins
+que son droit d'adoption puisse s'étendre sur une autre personne, qu'un
+citoyen de l'empire français ou du royaume d'Italie (<i>Statut
+constitutionnel du royaume d'Italie</i>, 19 mars 1805).</blockquote>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Paris, le 2 mars 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Discours prononcé par l'empereur à l'ouverture du corps
+législatif.</i></p>
+
+<p>«Messieurs les députés des départemens au corps législatif,
+messieurs les tribuns et les membres de mon conseil d'état,
+depuis votre dernière session, la plus grande partie de
+l'Europe s'est coalisée avec l'Angleterre. Mes armées n'ont
+cessé de vaincre que lorsque je leur ai ordonné de ne plus
+combattre. J'ai vengé les droits des états faibles, opprimés
+par les forts. Mes alliés ont augmenté en puissance et en
+considération; mes ennemis ont été humiliés et confondus; la
+maison de Naples a perdu sa couronne sans retour; la presqu'île
+de l'Italie toute entière fait partie du grand empire.
+J'ai garanti, comme chef suprême, les souverains et les constitutions
+qui en gouvernent les différentes parties.</p>
+
+<p>«La Russie ne doit le retour des débris de son armée,
+qu'au bienfait de la capitulation que je lui ai accordée.
+Maître de renverser le trône impérial d'Autriche, je l'ai raffermi.
+La conduite du cabinet de Vienne sera telle, que la
+postérité ne me reprochera pas d'avoir manqué de prévoyance.
+J'ai ajouté une entière confiance aux protestations qui m'ont
+été faites par son souverain. D'ailleurs, les hautes destinées
+de ma couronne ne dépendent pas des sentimens et des dispositions
+des cours étrangères. Mon peuple maintiendra toujours
+ce trône à l'abri des efforts de la haine et de la jalousie; aucun
+sacrifice ne lui sera pénible pour assurer ce premier intérêt
+de la patrie.</p>
+
+<p>«Nourri dans les camps, et dans des camps toujours
+triomphans, je dois dire cependant que, dans ces dernières
+circonstances, mes soldats ont surpassé mon attente; mais il
+m'est doux de déclarer aussi que mon peuple a rempli tous
+ses devoirs. Au fond de la Moravie, je n'ai pas cessé un instant
+d'éprouver les effets de son amour et de son enthousiasme.
+Jamais il ne m'en a donné des marques qui aient pénétré
+mon coeur de plus douces émotions. Français! je n'ai
+pas été trompé dans mon espérance. Votre amour, plus que
+l'étendue et la richesse de votre territoire, fait ma gloire. Magistrats,
+prêtres, citoyens, tous se sont montrés dignes des
+hautes destinées de cette belle France, qui, depuis deux
+siècles, est l'objet des ligues et de la jalousie de ses voisins.</p>
+
+<p>«Mon ministre de l'intérieur vous fera connaître les événemens
+qui se sont passés dans le cours de l'année. Mon
+conseil-d'état vous présentera des projets de lois pour améliorer
+les différentes branches de l'administration. Mes ministres
+des finances et du trésor public vous communiqueront
+les comptes qu'ils m'ont rendus, vous y verrez l'état prospère
+de nos finances. Depuis mon retour, je me suis occupé
+sans relâche de rendre à l'administration ce ressort et cette
+activité qui portent la vie jusqu'aux extrémités de ce vaste
+empire. Mon peuple ne supportera pas de nouvelles charges,
+mais il vous sera proposé de nouveaux développemens au
+système des finances, dont les bases ont été posées l'année
+dernière. J'ai l'intention de diminuer les impositions directes
+qui pèsent uniquement sur le territoire, en remplaçant une
+partie de ces charges par des perceptions indirectes.</p>
+
+<p>Les tempêtes nous ont fait perdre quelques vaisseaux après
+un combat imprudemment engagé. Je ne saurais trop me
+louer de la grandeur d'âme et de l'attachement que le roi
+d'Espagne a montrés dans ces circonstances pour la cause
+commune. Je désire la paix avec l'Angleterre. De mon côté,
+je n'en retarderai jamais le moment. Je serai toujours prêt à
+la conclure, en prenant pour base les stipulations du traité
+d'Amiens. Messieurs les députés du corps législatif, l'attachement
+que vous m'avez montré, la manière dont vous m'avez
+secondé dans les dernières sessions ne me laissent point de
+doute sur votre assistance. Rien ne vous sera proposé qui ne
+soit nécessaire pour garantir la gloire et la sûreté de mes
+peuples.»</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Au palais des Tuileries, le 15 mars 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Acte impérial.</i></p>
+
+<p>Napoléon, par la grâce de Dieu et les constitutions, empereur
+des Français et roi d'Italie, à tous ceux gui les présentes
+verront salut:</p>
+
+<p>LL. MM. les rois de Prusse et de Bavière nous ayant cédé
+respectivement les duchés de Clèves et de Berg dans toute
+leur souveraineté, généralement avec tous droits, titres et
+prérogatives qui ont été de tous temps attachés à la possession
+de ces deux duchés, ainsi qu'ils ont été possédés par
+eux, pour en disposer en faveur d'un prince à notre choix,
+nous avons transmis lesdits duchés, droits, titres, prérogatives,
+avec la pleine souveraineté, ainsi qu'ils nous ont été
+cédés, et les transmettons par la présente au prince Joachim,
+notre très-cher beau-frère, pour qu'il les possède pleinement
+et dans toute leur étendue, en qualité de duc de Clèves et de
+Berg, et les transmette héréditairement à ses descendans
+mâles naturels et légitimes, d'après l'ordre de primogéniture,
+avec exclusion perpétuelle du sexe féminin et de sa descendance.</p>
+
+<p>Mais si, ce que Dieu veuille prévenir, il n'existait plus
+de descendant mâle, naturel et légitime dudit prince Joachim,
+notre beau-frère, les duchés de Clèves et de Berg passeront
+avec tous droits, titres et prérogatives, à nos descendans
+mâles, naturels et légitimes, et s'il n'en existe plus, aux descendans
+de notre frère le prince Joseph, et à défaut d'eux,
+aux descendans de notre frère le prince Louis, sans que dans
+aucun cas lesdits duchés de Clèves et de Berg puissent être
+réunis à notre couronne impériale.</p>
+
+<p>Comme nous avons été particulièrement déterminés au
+choix que nous avons fait de la personne du prince Joachim,
+notre beau-frère, parce que nous connaissons ses qualités distinguées,
+et que nous étions assuré des avantages qui doivent
+en résulter pour les habitans des duchés de Berg et de
+Clèves, nous avons la ferme confiance qu'ils se montreront
+dignes de la grâce de leur nouveau prince, en continuant de
+jouir de la bonne réputation acquise sous leur ancien prince,
+par leur fidélité et attachement, et qu'ils mériteront par là
+notre grâce et notre protection impériale.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Au palais des Tuileries, le 30 mars 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Message au sénat conservateur.</i></p>
+
+<p>Sénateurs,</p>
+
+<p>«Nous avons chargé notre cousin, l'archi-chancelier de
+l'empire, de vous donner connaissance, pour être transcrits
+sur vos registres: 1°. Des statuts qu'en vertu de l'article 14
+de l'acte des constitutions de l'empire, en date du 28 floréal
+an 12, nous avons jugé convenable d'adopter: ils forment la
+loi de notre famille impériale. 2°. De la disposition que nous
+avons faite du royaume de Naples et de Sicile, des duchés de
+Berg et de Clèves, du duché de Guastalla et de la principauté
+de Neufchâtel, que différentes transactions politiques
+ont mis entre nos mains. 3°. De l'accroissement de territoire
+que nous avons trouvé à propos de donner, tant à notre
+royaume d'Italie, en y incorporant tous les états vénitiens,
+qu'à la principauté de Lucques.</p>
+
+<p>«Nous avons jugé, dans ces circonstances, devoir imposer
+plusieurs obligations, et faire supporter plusieurs charges à
+notre couronne d'Italie, au roi de Naples et au prince de
+Lucques. Nous avons ainsi trouvé moyen de concilier les intérêts
+et la dignité de notre trône, et le sentiment de notre
+reconnaissance pour les services qui nous ont été rendus dans
+la carrière civile et dans la carrière militaire. Quelle que soit
+la puissance à laquelle la divine Providence et l'amour de nos
+peuples nous aient élevé, elle est insuffisante pour récompenser
+tant de braves, et pour reconnaître les nombreux témoignages
+de fidélité et d'amour qu'ils ont donnés à notre personne.
+Vous remarquerez dans plusieurs des dispositions qui vous
+seront communiquées, que nous ne nous sommes pas uniquement
+abandonné aux sentimens affectueux dont nous étions
+pénétré, et au bonheur de faire du bien à ceux qui nous ont
+si bien servi: nous avons été principalement guidé par la
+grande pensée de consolider l'ordre social et notre trône qui
+en est le fondement et la base, et de donner des centres de
+correspondance et d'appui à ce grand empire; elle se rattache
+à nos pensées les plus chères, à celle à laquelle nous
+avons dévoué notre vie entière, la grandeur et la prospérité
+de nos peuples.»</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Au palais des Tuileries, le 30 mars 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Préambule de l'acte constitutif de la famille impériale.</i></p>
+
+<p>Napoléon, par la grâce de Dieu et les constitutions de
+l'état, empereur des Français et roi d'Italie, à tous présens
+et à venir, salut:</p>
+
+<p>L'article 14 de l'acte des constitutions du 28 floréal an 12,
+porte que nous établirons par des statuts auxquels nos successeurs
+seront tenus de se conformer, les devoirs des individus
+de tout sexe, membres de la maison impériale, envers
+l'empereur. Pour nous acquitter de cette importante obligation,
+nous avons considéré dans son objet et dans ses conséquences
+la disposition dont il s'agit, et nous avons pesé les
+principes sur lesquels doit reposer le statut constitutionnel
+qui formera la loi de notre famille. L'état des princes appelés
+à régner sur ce vaste empire et à le fortifier par des alliances,
+ne saurait être absolument le même que celui des autres Français.
+Leur naissance, leur mariage, leur décès, les adoptions
+qu'ils pourraient faire, intéressent la nation toute entière, et
+influent plus ou moins sur ses destinées; comme tout ce qui
+concerne l'existence sociale de ces principes appartient plus
+au droit politique qu'au droit civil, les dispositions de celui-ci
+ne peuvent leur être appliquées qu'avec les modifications déterminées
+par la raison d'état; et si cette raison d'état leur
+impose des obligations dont les simples citoyens sont affranchis,
+ils doivent les considérer comme une conséquence nécessaire
+de cette haute dignité à laquelle ils sont élevés, et
+qui les dévoue sans réserve aux grands intérêts de la patrie et
+à la gloire de notre maison. Des actes aussi importans que ceux
+qui constatent l'état civil de la maison impériale, doivent
+être reçus dans les formes les plus solennelles; la dignité du
+trône l'exige, et il faut d'ailleurs rendre toute surprise impossible.</p>
+
+<p>En conséquence, nous avons jugé convenable de confier à
+notre cousin l'archi-chancelier de l'empire, le droit de remplir
+exclusivement, par rapport à nous et aux princes et
+princesses de notre maison, les fonctions attribuées par les
+lois aux officiers de l'état civil. Nous avons aussi commis à
+l'archi-chancelier le soin de recevoir le testament de l'empereur
+et le statut qui fixera le douaire de l'impératrice. Ces
+actes, ainsi que ceux de l'état civil, tiennent de si près à la
+maison impériale et à l'ordre politique, qu'il est impossible
+de leur appliquer exclusivement les formes ordinairement
+employées pour les contrats et pour les dispositions de dernière
+volonté.</p>
+
+<p>Après avoir réglé l'état des princes et princesses de notre
+sang, notre sollicitude devait se porter sur l'éducation de
+leurs enfans; rien de plus important que d'écarter d'eux, de
+bonne heure, les flatteurs qui tenteraient de les corrompre;
+les ambitieux qui, par des complaisances coupables, pourraient
+capter leur confiance, et préparer à la nation des souverains
+faibles, sous le nom desquels ils se promettraient un
+jour de régner. Le choix des personnes chargées de l'éducation
+des enfans des princes et princesses de la maison impériale
+doit donc être réservé à l'empereur. Nous avons ensuite
+considéré les princes et princesses dans les actions communes
+de la vie. Trop souvent la conduite des princes a troublé le
+repos des peuples, et produit des déchiremens dans l'état.
+Nous devons armer les empereurs qui régneront après nous,
+de tout le pouvoir nécessaire pour prévenir ces malheurs dans
+leur cause éloignée, pour les arrêter dans leurs progrès, pour
+les étouffer lorsqu'ils éclatent. Nous avons aussi pensé que
+les princes de l'empire, titulaires des grandes dignités, étant
+appelés par leurs éminentes prérogatives à servir d'exemple
+au reste de nos sujets, leur conduite devait, à plusieurs égards,
+être l'objet de notre particulière sollicitude. Tant de précautions
+seraient sans doute inutiles, si les souverains qui sont
+destinés à s'asseoir un jour sur le trône impérial, avaient,
+comme nous, l'avantage de ne voir autour d'eux que des parens
+dévoués à leur service et au bonheur des peuples, que
+des grands, distingués par un attachement inviolable à leur
+personne; mais notre prévoyance doit se porter sur d'autres
+temps, et notre amour pour la patrie nous presse d'assurer,
+s'il se peut, aux Français, pour une longue suite de siècles,
+l'état de gloire et de prospérité où, avec l'aide de Dieu, nous
+sommes parvenu à les placer.</p>
+
+<p>A ces causes, nous avons décrété et décrétons le présent
+statut, auquel, en exécution de l'article 14 de l'acte des
+constitutions de l'empire, du 28 floréal an 12, nos successeurs
+seront tenus de se conformer.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Au palais des Tuileries, le 30 mars 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Acte impérial</i>.</p>
+
+<p>Les intérêts de notre peuple, l'honneur de notre couronne,
+et la tranquillité du continent de l'Europe, voulant que nous
+assurions d'une manière stable et définitive le sort des peuples
+de Naples et de Sicile tombés en notre pouvoir par le
+droit de conquête, et faisant d'ailleurs partie du grand empire,
+nous avons déclaré et déclarons par les présentes, reconnaître
+pour roi de Naples et de Sicile, notre frère bien
+aimé Joseph Napoléon, grand-électeur de France. Cette couronne
+sera héréditaire par ordre de primogéniture dans sa descendance
+masculine, légitime et naturelle. Venant à s'éteindre,
+ce que Dieu ne veuille, sa dite descendance, nous prétendons
+y appeler nos enfans mâles, légitimes et naturels, par ordre
+de primogéniture, et à défaut de nos enfans mâles, légitimes
+et naturels, ceux de notre frère Louis et de sa descendance
+masculine, légitime et naturelle, par ordre de primogéniture;
+nous réservant, si notre frère Joseph Napoléon venait à mourir
+de notre vivant, sans laisser d'enfans mâles, légitimes et
+naturels, le droit de désigner, pour succéder à ladite couronne,
+un prince de notre maison, ou même d'y appeler un
+enfant adoptif, selon que nous le jugerons convenable pour
+l'intérêt de nos peuples et pour l'avantage du grand système
+que la divine Providence nous a destiné à fonder.</p>
+
+<p>Nous instituons dans ledit royaume de Naples et de Sicile
+six grands fiefs de l'empire, avec le titre de duché et les mêmes
+avantages et prérogatives que ceux qui sont institués dans
+les provinces vénitiennes réunies à notre couronne d'Italie,
+pour être, lesdits duchés, grands fiefs de l'empire, à perpétuité,
+et le cas échéant, à notre nomination et à celle de nos
+successeurs. Tous les détails de la formation desdits fiefs sont
+remis aux soins de notre dit frère Joseph Napoléon.</p>
+
+<p>Nous nous réservons sur ledit royaume de Naples et de
+Sicile, la disposition d'un million de rentes pour être distribué
+aux généraux, officiers et soldats de notre armée qui ont
+rendu le plus de services à la patrie et au trône, et que nous
+désignerons à cet effet, sous la condition expresse de ne pouvoir,
+lesdits généraux, officiers ou soldats, avant l'expiration
+de dix années, vendre ou aliéner lesdites rentes qu'avec
+notre autorisation.</p>
+
+<p>Le roi de Naples sera à perpétuité grand dignitaire de
+l'empire, sous le titre de grand-électeur; nous réservant
+toutefois, lorsque nous le jugerons convenable, de créer la
+dignité de prince vice-grand-électeur.</p>
+
+<p>Nous entendons que la couronne de Naples et de Sicile,
+que nous plaçons sur la tête de notre frère Joseph Napoléon
+et de ses descendans, ne porte atteinte en aucune manière
+que ce soit à leurs droits de succession au trône de France.
+Mais il est également dans notre volonté que les couronnes,
+soit de France, soit d'Italie, soit de Naples et de Sicile, ne
+puissent jamais être réunies sur la même tête.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Au palais des Tuileries, le 30 mars 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Acte impérial.</i></p>
+
+<p>Napoléon, par la grâce de Dieu et les constitutions, empereur
+des Français et roi d'Italie, à tous présens et à venir,
+salut:</p>
+
+<p>La principauté de Guastalla étant à notre disposition,
+nous en avons disposé, comme nous en disposons par les présentes,
+en faveur de la princesse Pauline, notre bien-aimée
+soeur, pour en jouir, en toute propriété et souveraineté,
+sous le titre de princesse et duchesse de Guastalla.</p>
+
+<p>Nous entendons que le prince Borghèse, son époux, porte
+le titre de prince et duc de Guastalla; que cette principauté
+soit transmise, par ordre de primogéniture, à la descendance
+masculine, légitime et naturelle de notre soeur Pauline; et, à
+défaut de ladite descendance masculine, légitime et naturelle,
+nous nous réservons de disposer de la principauté de
+Guastalla, à notre choix, et ainsi que nous le jugerons convenable
+pour le bien de nos peuples, et pour l'intérêt de notre
+couronne.</p>
+
+<p>Nous entendons toutefois que le cas arrivant où ledit
+prince Borghèse survivrait à son épouse, notre soeur, la
+princesse Pauline, il ne cesse pas de jouir personnellement
+et sa vie durant, de ladite principauté.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Au palais des Tuileries, le 30 mars 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Acte impérial.</i></p>
+
+<p>Voulant donner à notre cousin le maréchal Berthier, notre
+grand-veneur et notre ministre de la guerre, un témoignage
+de notre bienveillance pour l'attachement qu'il nous a montré,
+et la fidélité et le talent avec lesquels il nous a constamment
+servi, nous avons résolu de lui transférer, comme en
+effet, nous lui transférons par les présentes, la principauté
+de Neufchâtel avec le titre de prince et duc de Neufchâtel,
+pour la posséder en toute propriété et souveraineté, telle
+qu'elle nous a été cédée par S.M. le roi de Prusse. Nous entendons
+qu'il transmettra ladite principauté à ses enfans mâles,
+légitimes et naturels, par ordre de primogéniture, nous réservant,
+si sa descendance masculine légitime et naturelle
+venait à s'éteindre, ce que Dieu ne veuille, de transmettre
+ladite principauté aux mêmes titres et charges, à notre choix,
+et ainsi que nous le croirons convenable pour le bien de nos
+peuples et l'intérêt de notre couronne. Notre cousin le maréchal
+Berthier prêtera en nos mains, et en sa dite qualité de
+prince et duc de Neufchâtel, le serment de nous servir en
+bon et loyal sujet. Le même serment sera prêté à chaque
+vacance par ses successeurs. Nous ne doutons pas qu'ils n'héritent
+de ses sentimens pour nous, et qu'ils nous portent,
+ainsi qu'à nos descendans, le même attachement et la même
+fidélité. Nos peuples de Neufchâtel mériteront, par leur obéissance
+envers leur nouveau souverain, la protection spéciale
+qu'il est dans notre intention de leur accorder constamment.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Paris, le 21 avril 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Copie d'une note remise par Napoléon, lui-même, à<br>
+M. Talleyrand, ministre des relations extérieures.</i></p>
+
+<p>Faire un nouvel état au nord de l'Allemagne, qui soit dans
+les intérêts de la France; qui garantisse la Hollande et la
+Flandre contre la Prusse, et l'Europe contre la Russie.</p>
+
+<p>Le noyau serait le duché de Berg, le duché de Clèves,
+Hesse-Darmstadt, etc., etc.: chercher, en outre, dans les
+entours tout ce qui pourrait y être incorporé, pour pouvoir
+former un million ou douze cent mille âmes.</p>
+
+<p>Y joindre, si l'on veut, le Hanovre.</p>
+
+<p>Y joindre, dans la perspective, Hambourg, Bremen,
+Lubeck.</p>
+
+<p>Donner la statistique de ce nouvel état.</p>
+
+<p>Cela fait, considérer l'Allemagne comme divisée en huit
+états: Bavière, Bade, Wurtemberg, et le nouvel état; ces
+quatre, dans les intérêts de la France.</p>
+
+<p>L'Autriche, la Prusse, la Saxe, Hesse-Cassel, dans les
+quatre autres.</p>
+
+<p>D'après cette division, supposez qu'on détruise la constitution
+germanique, et qu'on annule, au profit des huit grands
+états, les petites souverainetés, il faut faire un calcul statistique
+pour savoir si les quatre états qui sont dans les intérêts
+de la France perdront ou gagneront plus à cette destruction,
+que les quatre états qui n'y sont pas.</p>
+
+<p>Un rapport sur ces deux objets, dimanche matin.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+
+<p><i>Nota.</i> Le dimanche était le 23 d'avril.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Paris, le 5 juin 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de l'empereur à un discours de l'ambassadeur de
+la Porte-Ottomane.</i></p>
+
+<p>Monsieur l'ambassadeur, votre mission m'est agréable. Les
+assurances que vous me donnez des sentimens du sultan Sélim,
+votre maître, vont à mon coeur. Un des plus grands, des
+plus précieux avantages que je veux retirer des succès qu'ont
+obtenus mes armes, c'est de soutenir et d'aider le plus utile
+comme le plus ancien de mes alliés. Je me plais à vous en
+donner publiquement et solennellement l'assurance. Tout ce
+qui arrivera d'heureux ou de malheureux aux Ottomans, sera
+heureux ou malheureux pour la France. Monsieur l'ambassadeur,
+transmettez ces paroles au sultan Sélim; qu'il s'en
+souvienne toutes les fois que mes ennemis, qui sont aussi les
+siens, voudront arriver jusqu'à lui. Il ne peut jamais rien
+avoir à craindre de moi; uni avec moi, il n'aura jamais à redouter
+la puissance d'aucun de ses ennemis.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Paris, le 5 juin 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de l'empereur à une députation du corps législatif
+hollandais.</i></p>
+
+<p>Messieurs les représentans du peuple batave,</p>
+
+<p>J'ai toujours regardé comme le premier intérêt de ma couronne
+de protéger votre patrie. Toutes les fois que j'ai dû
+intervenir dans vos affaires intérieures, j'ai d'abord été frappé
+des inconvéniens attachés à la forme incertaine de votre gouvernement.
+Gouvernés par une assemblée populaire, elle eût
+été influencée par les intrigues, et agitée par les puissances
+voisines. Gouvernés par une magistrature élective, tous les
+renouvellemens de cette magistrature eussent été des momens
+de crise pour l'Europe, et le signal de nouvelles guerres maritimes.
+Tous ces inconvéniens ne pouvaient être parés que
+par un gouvernement héréditaire. Je l'ai appelé dans votre
+patrie par mes conseils, lors de l'établissement de votre dernière
+constitution; et l'offre que vous faites de la couronne
+de Hollande au prince Louis, est conforme aux vrais intérêts
+de votre patrie, aux miens, et propre à assurer le repos général
+de l'Europe. La France a été assez généreuse pour renoncer
+à tous les droits que les événemens de la guerre lui
+avaient donnés sur vous; mais je ne pouvais confier les places
+fortes qui couvrent ma frontière du Nord à la garde d'une
+main infidèle, ou même douteuse.</p>
+
+<p>Messieurs les représentans du peuple batave, j'adhère au
+voeu de LL.HH.PP. Je proclame roi de Hollande le prince
+Louis. Vous, prince, régnez sur ces peuples; leurs pères
+n'acquirent leur indépendance que par les secours constans
+de la France. Depuis, la Hollande fut l'alliée de l'Angleterre;
+elle fut conquise; elle dut encore à la France son existence.
+Qu'elle vous doive donc des rois qui protègent ses libertés,
+ses lois et sa religion. Mais ne cessez jamais d'être Français.
+La dignité de connétable de l'empire sera possédée par vous
+et vos descendans: elle vous retracera les devoirs que vous
+avez à remplir envers moi, et l'importance que j'attache à la
+garde des places fortes qui garantissent le nord de mes états,
+et que je vous confie. Prince, entretenez parmi vos troupes
+cet esprit que je leur ai vu sur les champs de bataille. Entretenez
+dans vos nouveaux sujets des sentimens d'union et
+d'amour pour la France. Soyez l'effroi des méchans et le père
+des bons: c'est le caractère des grands rois.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Au palais de Saint-Cloud, le 5 juin 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Message au sénat conservateur.</i></p>
+
+<p>Sénateurs,</p>
+
+<p>Nous chargeons notre cousin l'archichancelier de l'empire
+de vous faire connaître, qu'adhérant au voeu de leurs hautes
+puissances, nous avons proclamé le prince Louis Napoléon,
+notre bien aimé frère, roi de Hollande, pour ladite couronne
+être héréditaire en toute souveraineté, par ordre de primogéniture,
+dans sa descendance naturelle, légitime et masculine;
+notre intention étant en même temps que le roi de Hollande
+et ses descendans conservent la dignité de connétable
+de l'empire. Notre détermination dans cette circonstance nous
+a paru conforme aux intérêts de nos peuples. Sous le point
+de vue militaire, la Hollande possédant toutes les places
+fortes qui garantissent notre frontière du Nord, il importait
+à la sûreté de nos états que la garde en fût confiée à des personnes
+sur l'attachement desquelles nous ne pussions concevoir
+aucun doute. Sous le point de vue commercial, la Hollande
+étant située à l'embouchure des grandes rivières qui
+arrosent une partie considérable de notre territoire, il fallait
+que nous eussions la garantie que le traité de commerce que
+nous conclurons avec elle serait fidèlement exécuté, afin de
+concilier les intérêts de nos manufactures et de notre commerce
+avec ceux du commerce de ces peuples. Enfin, la Hollande
+est le premier intérêt politique de la France. Une magistrature
+élective aurait eu l'inconvénient de livrer fréquemment
+ce pays aux intrigues de nos ennemis, et chaque élection
+serait devenue le signal d'une guerre nouvelle.</p>
+
+<p>Le prince Louis, n'étant animé d'aucune ambition personnelle,
+nous a donné une preuve de l'amour qu'il nous porte,
+et de son estime pour les peuples de Hollande, en acceptant
+un trône qui lui impose de si grandes obligations.</p>
+
+<p>L'archichancelier de l'empire d'Allemagne, électeur de
+Ratisbonne et primat de Germanie, nous ayant fait connaître
+que son intention était de se donner un coadjuteur, et que,
+d'accord avec ses ministres et les principaux membres de son
+chapitre, il avait pensé qu'il était du bien de la religion et de
+l'empire germanique qu'il nommât à cette place notre oncle
+et cousin le cardinal Fesch, notre grand aumônier et archevêque
+de Lyon, nous avons accepté ladite nomination au
+nom dudit cardinal. Si cette détermination de l'électeur archichancelier
+de l'empire germanique est utile à l'Allemagne,
+elle n'est pas moins conforme à la politique de la France.</p>
+
+<p>Ainsi, le service de la patrie appelle loin de nous nos frères
+et nos enfans; mais le bonheur et les prospérités de nos peuples
+composent aussi nos plus chères affections.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Au palais de Saint-Cloud, le 5 juin 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Message au sénat conservateur.</i></p>
+
+<p>Sénateurs, les duchés de Bénévent et de Ponte-Corvo
+étaient un sujet de litige entre le roi de Naples et la cour de
+Rome: nous avons jugé convenable de mettre un terme à
+ces difficultés, en érigeant ces duchés en fiefs immédiats de
+notre empire. Nous avons saisi cette occasion de récompenser
+les services qui nous ont été rendus par notre grand chambellan
+et ministre des relations extérieures, Talleyrand, et
+par notre cousin le maréchal de l'empire, Bernadotte. Nous
+n'entendons pas cependant, par ces dispositions, porter aucune
+atteinte aux droits du roi de Naples et de la cour de
+Rome, notre intention étant de les indemniser l'un et l'autre.
+Par cette mesure, ces deux gouvernemens, sans éprouver
+aucune perte, verront disparaître les causes de mésintelligence
+qui, en différens temps, ont compromis leur tranquillité,
+et qui, encore aujourd'hui, sont un sujet d'inquiétude
+pour l'un et pour l'autre de ces états, et surtout pour le
+royaume de Naples, dans le territoire duquel ces deux principautés
+se trouvent enclavées.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Au palais de Saint-Cloud, le 5 juin 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Acte impérial.</i></p>
+
+<p>Voulant donner à notre grand-chambellan et ministre des
+relations extérieures, Talleyrand, un témoignage de notre
+bienveillance pour les services qu'il a rendus à notre couronne,
+nous avons résolu de lui transférer, comme en effet
+nous lui transférons par les présentes la principauté de Bénévent,
+avec le titre de prince et duc de Bénévent, pour la
+posséder en toute propriété et souveraineté, et comme fief
+immédiat de notre couronne.</p>
+
+<p>Nous entendons qu'il transmettra ladite principauté à ses
+enfans mâles, légitimes et naturels, par ordre de primogéniture,
+nous réservant, si sa descendance masculine, naturelle
+et légitime venait à s'éteindre, ce que Dieu ne veuille, de
+transmettre ladite principauté, aux mêmes titres et charges,
+à notre choix et ainsi que nous le croirons convenable pour
+le bien de nos peuples et l'intérêt de notre couronne.</p>
+
+<p>Notre grand chambellan et ministre des relations extérieures,
+Talleyrand, prêtera en nos mains, et en sa dite qualité
+de prince et duc de Bénévent, le serment de nous servir
+en bon et loyal sujet. Le même serment sera prêté à chaque
+vacance par ses successeurs.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Au palais de Saint-Cloud, le 11 septembre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>A.S.A.E. le prince primat.</i></p>
+
+<p>Mon frère!</p>
+
+<p>Les formes de nos communications en ma qualité de protecteur,
+avec les souverains réunis en congrès à Francfort,
+n'étant pas encore terminées, nous avons pensé qu'il n'en était
+aucune qui fût plus convenable que d'adresser la présente à
+votre A. Em., afin qu'elle en fasse part aux deux collèges.
+En effet, quel organe pouvions-nous plus naturellement choisir,
+que celui d'un prince à la sagesse duquel a été confié
+le soin de préparer le premier statut fondamental? Nous aurions
+attendu que ce statut eût été arrêté par le congrès, et
+nous eût été donné en communication, s'il ne devait pas
+contenir des dispositions qui nous regardent personnellement.
+Cela seul a dû nous porter à prendre nous-même l'initiative
+pour soumettre nos sentimens et nos réflexions à la sagesse
+des princes confédérés.</p>
+
+<p>Lorsque nous avons accepté le titre de protecteur de la
+confédération du Rhin, nous n'avons eu en vue que d'établir
+en droit ce qui existait de fait depuis plusieurs siècles. En
+l'acceptant, nous avons contracté la double obligation de garantir
+le territoire de la confédération contre les troupes
+étrangères et le territoire de chaque confédéré contre les entreprises
+des autres. Ces observations, toutes conservatrices,
+plaisent à notre coeur; elles sont conformes à ces sentimens
+de bienveillance et d'amitié dont nous n'avons cessé, dans
+toutes les circonstances, de donner des preuves aux membres
+de la confédération. Mais là se bornent nos devoirs envers
+eux. Nous n'entendons en rien nous arroger la portion
+de souveraineté qu'exerçait l'empereur d'Allemagne comme
+suzerain. Le gouvernement des peuples que la providence
+nous a confié, occupant tous nos momens, nous ne saurions
+voir croître nos obligations sans en être alarmé. Comme nous
+ne voulons pas qu'on puisse nous attribuer le bien que les
+souverains font dans leurs états, nous ne voulons pas non
+plus qu'on nous impute les maux que la vicissitude des choses
+humaines peut y introduire. Les affaires intérieures de chaque
+état ne nous regardent pas. Les princes de la confédération du
+Rhin sont les souverains qui n'ont point de suzerain. Nous
+les avons reconnus comme tels. Les discussions qu'ils pourraient
+avoir avec leurs sujets, ne peuvent donc être portées
+à un tribunal étranger? La diète est le tribunal politique,
+conservateur de la paix entre les différens souverains qui composent
+la confédération. Ayant reconnu tous les autres princes
+qui formaient le corps germanique, comme souverains
+indépendans, nous ne pouvons reconnaître qui que ce soit
+comme leur suzerain. Ce ne sont point des rapports de suzeraineté
+qui nous lient à la confédération, mais des rapports
+de simple protection. Plus puissant que les princes confédérés,
+nous voulons jouir de la supériorité de notre puissance,
+non pour restreindre leurs droits de suzeraineté, mais pour
+leur en garantir la plénitude.</p>
+
+<p>Sur ce, nous prions Dieu, mon frère, qu'il vous ait en sa
+sainte et digne garde.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Au palais de Saint-Cloud, le 21 septembre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>A.S.M. le roi de Bavière.</i></p>
+
+<p>Monsieur mon frère!</p>
+
+<p>Il y a plus d'un mois que la Prusse arme, et il est connu
+de tout le monde qu'elle arme contre la France et contre la
+confédération du Rhin. Nous cherchons les motifs sans pouvoir
+les pénétrer. Les lettres que S. M. prussienne nous écrit
+sont amicales; son ministre des affaires étrangères a notifié,
+à notre envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire,
+qu'elle reconnaissait la confédération du Rhin, et qu'elle
+n'avait rien à objecter contre les arrangemens faits dans le
+midi de l'Allemagne.</p>
+
+<p>Les armemens de la Prusse sont-ils le résultat d'une coalition
+avec la Russie, ou seulement des intrigues des différens
+partis qui existent à Berlin, et de l'irréflexion, du cabinet?
+Ont-ils pour objet de forcer la Hesse, la Saxe et les
+villes anséatiques à contracter des liens que ces deux dernières
+puissances paraissent ne pas vouloir former? La Prusse
+voudrait-elle nous obliger nous-même à nous départir de la
+déclaration que nous avons faite, que les villes anséatiques
+ne pourront entrer dans aucune confédération particulière;
+déclaration fondée sur l'intérêt du commerce de la France et
+du midi de l'Allemagne, et sur ce que l'Angleterre nous a
+fait connaître que tout changement dans la situation présente
+des villes anséatiques, serait un obstacle de plus à la paix
+générale? Nous avons aussi déclaré que les princes de la confédération
+germanique, qui n'étaient point compris dans la confédération
+du Rhin, devaient être maîtres de ne consulter
+que leurs intérêts et leurs convenances, qu'ils devaient se regarder
+comme parfaitement libres, que nous ne ferions rien
+pour qu'ils entrassent dans la confédération du Rhin, mais
+que nous ne souffririons pas que qui que ce fût les forçât de
+faire ce qui serait contraire à leur volonté, à leur politique,
+aux intérêts de leurs peuples. Cette déclaration si juste aurait-elle
+blessé le cabinet de Berlin, et voudrait-il nous obliger
+à la rétracter! Entre tous ces motifs, quel peut être le
+véritable? Nous ne saurions le deviner, et l'avenir seul pourra
+révéler le secret d'une conduite aussi étrange qu'elle était
+inattendue. Nous avons été un mois sans y faire attention.
+Notre impassibilité n'a fait qu'enhardir tous les brouillons
+qui veulent précipiter la cour de Berlin dans la lutte la plus
+inconsidérée.</p>
+
+<p>Toutefois, les armemens de la Prusse ont amené le cas prévu
+par l'un des articles du traité du 12 juillet, et nous croyons
+nécessaire que tous les souverains qui composent la confédération
+du Rhin, arment pour défendre ses intérêts, pour garantir
+son territoire et en maintenir l'inviolabilité. Au lieu
+de 200,000 hommes que la France est obligée de fournir,
+elle en fournira 300,000, et nous venons d'ordonner que les
+troupes nécessaires pour compléter ce nombre, soient transportées
+en poste sur le Bas-Rhin; les troupes de V. M. étant
+toujours restées sur le pied de guerre, nous invitons V. M.
+à ordonner qu'elles soient mises, sans délai, en état de marche
+avec leurs équipages de campagne, et de concourir à la
+défense de la cause commune, dont le succès, nous avons lieu
+de le croire, répondra à sa justice, si toutefois, contre nos désirs
+et contre nos espérances, la Prusse nous met dans la nécessité
+de repousser la force par la force.</p>
+
+<p>Sur ce, nous prions Dieu, mon frère, qu'il vous ait en sa
+sainte et digne garde.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Au quartier impérial de Bamberg, le 6 octobre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Proclamation à la grande armée.</i></p>
+
+<p>Soldats,</p>
+
+<p>«L'ordre pour votre rentrée en France était parti; vous
+vous en étiez déjà rapprochés de plusieurs marches. Des fêtes
+triomphales vous attendaient, et les préparatifs pour vous recevoir
+étaient commencés dans la capitale.</p>
+
+<p>«Mais, lorsque nous nous abandonnions à cette trop confiante
+sécurité, de nouvelles trames s'ourdissaient sous le masque
+de l'amitié et de l'alliance. Des cris de guerre se sont fait
+entendre à Berlin; depuis deux mois nous sommes provoqués
+tous les jours davantage.</p>
+
+<p>«La même faction, le même esprit de vertige qui, à la
+faveur de nos dissensions intestines, conduisit, il y a quatorze
+ans, les Prussiens au milieu des plaines de la Champagne,
+domine dans leurs conseils. Si ce n'est plus Paris qu'ils
+veulent brûler et renverser jusque dans ses fondemens, c'est,
+aujourd'hui, leurs drapeaux qu'ils se vantent de planter dans
+les capitales de nos alliés; c'est la Saxe qu'ils veulent obliger
+à renoncer, par une transaction honteuse, à son indépendance,
+en la rangeant au nombre de leurs provinces; c'est
+enfin vos lauriers qu'ils veulent arracher de votre front. Ils
+veulent que nous évacuions l'Allemagne à l'aspect de leur armée!
+les insensés!!! Qu'ils sachent donc qu'il serait mille
+fois plus facile de détruire la grande capitale que de flétrir
+l'honneur des enfans du grand-peuple et de ses alliés. Leurs
+projets furent confondus alors; ils trouvèrent dans les plaines
+de la Champagne la défaite, la mort et la honte: mais les
+leçons de l'expérience s'effacent, et il est des hommes chez
+lesquels le sentiment de la haine et de la jalousie ne meurt
+jamais.</p>
+
+<p>«Soldats, il n'est aucun de vous qui veuille retourner en
+France par un autre chemin que par celui de l'honneur. Nous
+ne devons y rentrer que sous des arcs de triomphe.</p>
+
+<p>«Eh quoi! aurions-nous donc bravé les saisons, les mers,
+les déserts; vaincu l'Europe plusieurs fois coalisée contre
+nous; porté notre gloire de l'orient à l'occident, pour retourner
+aujourd'hui dans notre patrie comme des transfuges,
+après avoir abandonné nos alliés, et pour entendre dire que
+l'aigle française a fui épouvantée à l'aspect des armées prussiennes...
+Mais déjà ils sont arrivés sur nos avant-postes...</p>
+
+<p>«Marchons donc, puisque la modération n'a pu les faire
+sortir de cette étonnante ivresse. Que l'armée prussienne
+éprouve le même sort qu'elle éprouva il y a quatorze ans!
+qu'ils apprennent que s'il est facile d'acquérir un accroissement
+de domaines et de puissance avec l'amitié du grand-peuple,
+son inimitié (qu'on ne peut provoquer que par l'abandon
+de tout esprit de sagesse et de raison) est plus terrible
+que les tempêtes de l'Océan.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Au quartier impérial de Bamberg, le 7 octobre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Au sénat conservateur.</i></p>
+
+<p>«Sénateurs,</p>
+
+<p>«Nous avons quitté notre capitale, pour nous rendre au
+milieu de notre armée d'Allemagne, dès l'instant que nous
+avons su avec certitude qu'elle était menacée sur ses flancs
+par des mouvemens inopinés. A peine arrivé sur les frontières
+de nos états, nous avons eu lieu de reconnaître combien
+notre présence y était nécessaire, et de nous applaudir des
+mesures défensives que nous avons prises avant de quitter le
+centre de notre empire. Déjà les armées prussiennes, portées
+au grand complet de guerre, s'étaient ébranlées de toutes
+parts; elles avaient dépassé leurs frontières, la Saxe était
+envahie, et le sage prince qui gouverne était forcé d'agir contre
+sa volonté, contre l'intérêt de ses peuples. Les armées
+prussiennes étaient arrivées devant les cantonnemens de nos
+troupes. Des provocations de toutes espèces, et mêmes des
+voies de fait avaient signalé l'esprit de haine qui animait nos
+ennemis, et la modération de nos soldats, qui, tranquilles à
+l'aspect de tous ces mouvemens, étonnés seulement de ne
+recevoir aucun ordre, se reposaient dans la double confiance
+que donnent le courage et le bon droit. Notre premier devoir a
+été de passer le Rhin nous-même, de former nos camps,
+et de faire entendre le cri de guerre. Il a retenti au coeur de
+tous nos guerriers. Des marches combinées et rapides les ont
+portés en un clin-d'oeil au lieu que nous leur avons indiqué.
+Tous nos camps sont formés; nous allons marcher contre
+les armées prussiennes, et repousser la force par la force.
+Toutefois, nous osons le dire, notre coeur est péniblement
+affecté de cette prépondérance constante qu'obtient en Europe
+le génie du mal, occupé sans cesse à traverser les desseins
+que nous formons pour la tranquillité de l'Europe, le
+repos et le bonheur de la génération présente, assiégeant tous
+les cabinets par tous les genres de séductions, et égarant ceux
+qu'il n'a pu corrompre, les aveuglant sur leurs véritables intérêts,
+et les lançant au milieu des partis, sans autre guide
+que les passions qu'il a su inspirer. Le cabinet de Berlin lui-même
+n'a point choisi avec délibération le parti qu'il prend;
+il y a été jeté avec art et une malicieuse adresse. Le roi s'est
+trouvé tout-à-coup à cent lieues de sa capitale, aux frontières
+de la confédération du Rhin, au milieu de son armée et
+vis-à-vis des troupes françaises dispersées dans leurs cantonnemens,
+et qui croyaient devoir compter sur les liens qui unissaient
+les deux états, et sur les protestations prodiguées en
+toutes circonstances par la cour de Berlin. Dans une guerre
+aussi juste, où nous ne prenons les armes que pour nous défendre,
+que nous n'avons provoquée par aucun acte, par aucune
+prétention, et dont il nous serait impossible d'assigner
+la véritable cause, nous comptons entièrement sur l'appui des
+lois et sur celui des peuples, que les circonstances appellent
+à nous donner de nouvelles preuves de leur dévouement et
+de leur courage. De notre côté, aucun sacrifice personnel ne
+nous sera pénible, aucun danger ne nous arrêtera, toutes les
+fois qu'il s'agira d'assurer les droits, l'honneur et la prospérité
+de nos peuples.</p>
+
+<p>«Donné en notre quartier-impérial de Bamberg, le 7 octobre
+1806.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Bamberg, le 8 octobre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Premier bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>La paix avec la Russie, conclue et signée le 20 juillet, des
+négociations avec l'Angleterre, entamées et presque conduites
+à leur maturité, avaient porté l'alarme à Berlin. Les bruits
+vagues qui se multiplièrent, et la conscience des torts de ce
+cabinet envers toutes les puissances qu'il avait successivement
+trahis, le portèrent à ajouter croyance aux bruits répandus
+qu'un des articles secrets du traité conclu avec la Russie, donnait
+la Pologne au prince Constantin, avec le titre de roi; la
+Silésie à l'Autriche, en échange de la portion autrichienne
+de la Pologne, et le Hanovre à l'Angleterre. Il se persuada
+enfin que ces trois puissances étaient d'accord avec la France,
+et que de cet accord résultait un danger imminent pour la
+Prusse.</p>
+
+<p>Les torts de la Prusse envers la France remontaient à des
+époques fort éloignées. La première, elle avait armé pour
+profiter de nos dissensions intestines. On la vit ensuite courir
+aux armes au moment de l'invasion du duc d'Yorck en Hollande;
+et, lors des événemens de la guerre, quoiqu'elle n'eût
+aucun motif de mécontentement contre la France, elle arma
+de nouveau, et signa, le 1er octobre 1805, ce fameux traité
+de Potsdam, qui fut, un mois après, remplacé par le traité
+de Vienne.</p>
+
+<p>Elle avait des torts envers la Russie, qui ne peut oublier
+l'inexécution du traité de Potsdam et la conclusion subséquente
+du traité de Vienne.</p>
+
+<p>Ses torts envers l'empereur d'Allemagne et le corps germanique,
+plus nombreux et plus anciens, ont été connus de
+tous les temps. Elle se tint toujours en opposition avec la
+diète. Quand le corps germanique était en guerre, elle était
+en paix avec ses ennemis. Jamais ses traités avec l'Autriche
+ne recevaient d'exécution, et sa constante étude était d'exciter
+les puissances au combat, afin de pouvoir, au moment de la
+paix, venir recueillir les fruits de son adresse et de leurs succès.</p>
+
+<p>Ceux qui supposeraient que tant de versatilité tient à un
+défaut de moralité de la part du prince, seraient dans une
+grande erreur. Depuis quinze ans, la cour de Berlin est une
+arène où les partis se combattent et triomphent tour à tour;
+l'un veut la guerre, et l'autre veut la paix. Le moindre événement
+politique, le plus léger incident donne l'avantage à
+l'un ou à l'autre, et le roi, au milieu de ce mouvement des
+passions opposées, au sein de ce dédale d'intrigues, flotte
+incertain sans cesser un moment d'être honnête homme.</p>
+
+<p>Le 11 août, un courrier de M. le marquis de Lucchesini
+arriva à Berlin, et y porta, dans les termes les plus positifs,
+l'assurance de ces prétendues dispositions par lesquelles la
+France et la Russie seraient convenues, par le traité du 20
+juillet, de rétablir le royaume de Pologne, et d'enlever la Silésie
+à la Prusse. Les partisans de la guerre s'enflammèrent
+aussitôt; ils firent violence aux sentimens personnels du roi;
+quarante courriers partirent dans une seule nuit, et l'on courut
+aux armes.</p>
+
+<p>La nouvelle de cette explosion soudaine parvint à Paris
+le 20 du même mois. On plaignit un allié si cruellement
+abusé; on lui donna sur-le-champ des explications, des assurances
+précises, et comme une erreur manifeste était le
+seul motif de ces armemens imprévus, on espéra que la réflexion
+calmerait une effervescence aussi peu motivée.</p>
+
+<p>Cependant le traité signé à Paris, ne fut pas ratifié à Saint-Pétersbourg,
+et des renseignemens de toute espèce ne tardèrent
+pas à faire connaître à la Prusse, que M. le marquis de Lucchesini
+avait puisé ses renseignemens dans les réunions les plus suspectes
+de la capitale, et parmi les hommes d'intrigues qui composaient
+sa société habituelle. En conséquence il fut rappelé,
+on annonça pour lui succéder M. le baron de Knobelsdorff,
+homme d'un caractère plein de droiture et de franchise, et
+d'une moralité parfaite.</p>
+
+<p>Cet envoyé extraordinaire arriva bientôt à Paris, porteur
+d'une lettre du roi de Prusse, datée du 23 août.</p>
+
+<p>Cette lettre était remplie d'expressions obligeantes et de
+déclarations pacifiques, et l'empereur y répondit d'une manière
+franche et rassurante.</p>
+
+<p>Le lendemain du jour où partit le courrier porteur de
+cette réponse, on apprit que des chansons outrageantes pour
+la France avaient été chantées sur le théâtre de Berlin;
+qu'aussitôt après le départ de M. de Knobelsdorff les armemens
+avaient redoublé, et que, quoique les hommes demeurés
+de sang-froid eussent rougi de ces fausses alarmes, le parti
+de la guerre soufflant la discorde de tous côtés, avait si bien
+exalté toutes les tètes que le roi se trouvait dans l'impuissance
+de résister au torrent.</p>
+
+<p>On commença dès-lors à comprendre à Paris, que le parti
+de la paix ayant lui-même été alarmé par des assurances mensongères
+et des apparences trompeuses, avait perdu tous ses
+avantages, tandis que le parti de la guerre mettant à profit
+l'erreur dans laquelle ses adversaires s'étaient laissé entraîner,
+avait ajouté provocation à provocation, et accumulé insulte
+sur insulte, et que les choses étaient arrivées à un tel
+point, qu'on ne pourrait sortir de cette situation que par la
+guerre.</p>
+
+<p>L'empereur vit alors que telle était la force des circonstances,
+qu'il ne pouvait éviter de prendre les armes contre
+son allié. Il ordonna ses préparatifs.</p>
+
+<p>Tout marchait à Berlin avec une grande rapidité: les
+troupes prussiennes entrèrent en Saxe, arrivèrent sur les
+frontières de la confédération, et insultèrent les avant-postes.</p>
+
+<p>Le 24 septembre, la garde impériale partit de Paris pour
+Bamberg, où elle est arrivée le 6 octobre. Les ordres furent
+expédiés pour l'armée, et tout se mit en mouvement.</p>
+
+<p>Ce fut le 25 septembre que l'empereur quitta Paris; le 28
+il était à Mayence, le 2 octobre à Wurtzbourg, et le 6 à
+Bamberg.</p>
+
+<p>Le même jour, deux coups de carabine furent tirés par
+les hussards prussiens sur un officier de l'état-major français.
+Les deux armées pouvaient se considérer comme en présence.</p>
+
+<p>Le 7, S. M. l'empereur reçut un courrier de Mayence, dépêché
+par le prince de Bénévent, qui était porteur de deux
+dépêches importantes: l'une était une lettre du roi de Prusse,
+d'une vingtaine de pages, qui n'était réellement qu'un mauvais
+pamphlet contre la France, dans le genre de ceux que
+le cabinet anglais fait faire par ses écrivains à cinq cents livres
+sterling par an. L'Empereur n'en acheva point la lecture, et
+dit aux personnes qui l'entouraient: «Je plains mon frère le
+roi de Prusse, il n'entend pas le français, il n'a sûrement
+pas lu cette rapsodie.» A cette lettre était jointe la célèbre
+note de M. Knobelsdorff. «Maréchal, dit l'Empereur au
+maréchal Berthier, on nous donne un rendez-vous d'honneur
+pour le 8; jamais un Français n'y a manqué; mais comme on
+dit qu'il y a une belle reine qui veut être témoin des combats,
+soyons courtois, et marchons, sans nous coucher, pour la
+Saxe.» L'empereur avait raison de parler ainsi, car la reine
+de Prusse est à l'armée, habillée en amazone, portant l'uniforme
+de son régiment de dragons, écrivant vingt lettres par
+jour pour exciter de toute part l'incendie. Il semble voir Armide
+dans son égarement, mettant le feu à son propre palais;
+après elle le prince Louis de Prusse, jeune prince plein de
+bravoure et de courage, excité par le parti, croit trouver
+une grande renommée dans les vicissitudes de la guerre. A
+l'exemple de ces deux grands personnages, toute la cour crie
+à la guerre; mais quand la guerre se sera présentée, avec
+toutes ses horreurs, tout le monde s'excusera d'avoir été coupable,
+et d'avoir attiré la foudre sur les provinces paisibles
+du Nord; alors par une suite naturelle des inconséquences
+des gens de cour, ou verra les auteurs de la guerre, non seulement
+la trouver insensée, s'excuser de l'avoir provoquée,
+et dire qu'ils la voulaient, mais dans un autre temps; mais
+même en faire retomber le blâme sur le roi, honnête homme,
+qu'ils ont rendu la dupe de leurs intrigues et de leurs artifices.</p>
+
+<p>Voici la disposition de l'armée française:</p>
+
+<p>L'armée doit se mettre en marche par trois débouchés.</p>
+
+<p>La droite, composée des corps des maréchaux Soult et Ney
+et d'une division des Bavarois, part d'Amberg et de Nuremberg,
+se réunit à Bayreuth, et doit se porter sur Hoff, où elle
+arrivera le 9.</p>
+
+<p>Le centre, composé de la réserve du grand-duc de Berg,
+du corps du maréchal prince de Ponte-Corvo et du maréchal
+Davoust, et de la garde impériale, débouche par Bamberg
+sur Cronach, arrivera le 8 à Saalbourg, et de là se portera
+par Saalbourg et Schleitz sur Géra.</p>
+
+<p>La gauche, composée des corps des maréchaux Lannes et
+Augereau, doit se porter de Schwenfurth sur Cobourg, Graffental
+et Saalfed.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">De mon camp impérial de Géra, le 12 octobre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Au roi de Prusse.</i></p>
+
+<p>«Monsieur mon frère,<br><br> Je n'ai reçu que le 7 la lettre de
+V. M., du 25 septembre. Je suis fâché qu'on lui ait fait signer
+cette espèce de pamphlet<a id="footnotetag3" name="footnotetag3"></a><a href="#footnote3"><sup>3</sup></a>. Je ne lui réponds que pour
+lui protester que jamais je n'attribuerai à elle les choses qui
+y sont contenues; toutes sont contraires à son caractère et à
+l'honneur de tous deux. Je plains et dédaigne les rédacteurs
+d'un pareil ouvrage. J'ai reçu immédiatement après la note
+de son ministre, du 1er octobre. Elle m'a donné rendez-vous
+le 8: en bon chevalier, je lui ai tenu parole; je suis au milieu
+de la Saxe. Qu'elle m'en croie, j'ai des forces telles que
+toutes ses forces ne peuvent balancer longtemps la victoire.
+Mais pourquoi répandre tant de sang? A quel but? Je tiendrai
+à V. M. le même langage que j'ai tenu à l'empereur
+Alexandre deux jours avant la bataille d'Austerlitz. Fasse le
+ciel que des hommes vendus ou fanatisés, plus les ennemis
+d'elle et de son règne, qu'ils ne sont les miens et de ma
+nation, ne lui donnent pas les mêmes conseils pour la faire
+arriver au même résultat!</p>
+
+<p>«Sire, j'ai été ami de V. M. depuis six ans. Je ne veux point
+profiter de cette espèce de vertige qui anime ses conseils, et
+qui lui ont fait commettre des erreurs politiques dont l'Europe
+est encore tout étonnée, et des erreurs militaires de
+l'énormité desquelles l'Europe ne tardera pas à retentir. Si elle
+m'eût demandé des choses possibles, par sa note, je les lui
+eusse accordées; elle a demandé mon déshonneur, elle devait
+être certaine de ma réponse. La guerre est donc faite entre
+nous, l'alliance rompue pour jamais. Mais pourquoi faire
+égorger nos sujets? Je ne prise point une victoire qui sera
+achetée par la vie d'un bon nombre de mes enfans. Si j'étais
+à mon début dans la carrière militaire, et si je pouvais
+craindre les hasards des combats, ce langage serait tout à
+fait déplacé. Sire, votre majesté sera vaincue; elle aura
+compromis le repos de ses jours, l'existence de ses sujets
+sans l'ombre d'un prétexte. Elle est aujourd'hui intacte, et
+peut traiter avec moi d'une manière conforme à son rang;
+elle traitera avant un mois dans une situation différente.
+Elle s'est laissé aller à des irritations qu'on a calculées et
+préparées avec art; elle m'a dit qu'elle m'avait souvent rendu
+des services; eh bien! je veux lui donner la plus grande
+preuve du souvenir que j'en ai; elle est maîtresse de sauver
+à ses sujets les ravages et les malheurs de la guerre; à peine
+commencée, elle peut la terminer, et elle fera une chose dont
+l'Europe lui saura gré. Si elle écoute les furibonds qui, il y
+a quatorze ans, voulaient prendre Paris, et qui aujourd'hui
+l'ont embarquée dans une guerre, et immédiatement après
+dans des plans offensifs également inconcevables, elle fera à
+son peuple un mal que le reste de sa vie ne pourra guérir.
+Sire, je n'ai rien à gagner contre V. M.; je ne veux rien et
+n'ai rien voulu d'elle; la guerre actuelle est une guerre impolitique.
+Je sens que peut-être j'irrite dans cette lettre une
+certaine susceptibilité naturelle à tout souverain; mais les circonstances
+ne demandent aucun ménagement; je lui dis les
+choses comme je les pense; et d'ailleurs, que V. M. me permette
+de le lui dire, ce n'est pas pour l'Europe une grande
+découverte que d'apprendre que la Francs est du triple plus
+populeuse et aussi brave et aguerrie que les États de V. M.
+Je ne lui ai donné aucun sujet réel de guerre. Qu'elle ordonne
+à cet essaim de malveillans et d'inconsidérés de se taire à
+l'aspect de son trône dans le respect qui lui est dû; et qu'elle
+rende la tranquillité à elle et à ses États. Si elle ne retrouve
+plus jamais en moi un allié, elle retrouvera un homme désireux
+de ne faire que des guerres indispensables à la politique
+de mes peuples, et de ne point répandre le sang dans une
+lutte avec des souverains qui n'ont avec moi aucune opposition
+d'industrie, de commerce et de politique. Je prie V. M.
+de ne voir dans cette lettre que le désir que j'ai d'épargner
+le sang des hommes, et d'éviter à une nation qui, géographiquement,
+ne saurait être ennemie de la mienne, l'amer
+repentir d'avoir trop écouté des sentimens éphémères qui
+s'excitent et se calment avec tant de facilité parmi les peuples.
+«Sur ce, je prie Dieu, monsieur mon frère, qu'il vous ait
+en sa sainte et digne garde.</p>
+
+<p>«De votre majesté, le bon frère,</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote3" name="footnote3"></a><b>Note 3:</b><a href="#footnotetag3"> (retour) </a> Ceci a rapport à une lettre du roi de Prusse, composée de
+vingt pages, véritable rapsodie, et que très-certainement le roi n'a pu
+ni lire ni comprendre. Nous ne pouvons l'imprimer, attendu que tout ce
+qui tient à la correspondance particulière des souverains, reste dans le
+portefeuille de l'empereur, et ne vient point à la connaissance du public.
+Si nous publions celle de S. M., c'est parce que beaucoup d'exemplaires
+en ayant été faits au quartier-général des Prussiens, où on la trouve
+très-belle, une copie en est tombée entre nos mains. (<i>Moniteur</i>)</blockquote>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Auma, le 13 octobre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Deuxième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>L'empereur est parti de Bamberg le 8 octobre, à trois
+heures du matin, et est arrivé à neuf heures à Cronach. Sa
+majesté a traversé la forêt de Franconie à la pointe du
+jour du 9, pour se rendre a Ebersdorff, et de là elle s'est
+portée sur Schleitz, où elle a assisté au premier combat de
+la campagne. Elle est revenue coucher à Ebersdorff, en est
+repartie le 10 pour Schleitz, et est arrivée le 11 à Auma, où
+elle a couché après avoir passé la journée à Gera. Le quartier-général
+part dans l'instant même pour Gera. Tous les ordres
+de l'empereur ont été parfaitement exécutés.</p>
+
+<p>Le maréchal Soult se portait le 7 à Bayreuth, se présentait
+le 9 à Hoff, a enlevé tous les magasins de l'ennemi, lui a fait
+plusieurs prisonniers, et s'est porté sur Planen le 10.</p>
+
+<p>Le maréchal Ney a suivi son mouvement à une demi-journée
+de distance.</p>
+
+<p>Le 8, le grand duc de Berg a débouché avec la cavalerie
+légère, de Cronach, et s'est porté devant Saalbourg, ayant
+avec lui le vingt-cinquième régiment d'infanterie légère. Un
+régiment prussien voulut défendre le passage de la Saale;
+après une canonnade d'une demi-heure, menacé d'être tourné,
+il a abandonné apposition et la Saale.</p>
+
+<p>Le 9, le grand duc de Berg se porta sur Schleitz; un
+général prussien y était avec dix mille hommes. L'empereur
+y arriva à midi, et chargea le maréchal prince de Ponte-Corvo
+d'attaquer et d'enlever le village, voulant l'avoir avant la fin
+du jour. Le maréchal fit ses dispositions, se mit à la tête de
+ses colonnes; le village fut enlevé et l'ennemi poursuivi. Sans
+la nuit, la plus grande partie de cette division eût été prise.
+Le général Walter, avec le quatrième régiment de hussards
+et le cinquième régiment de chasseurs, fit une belle charge
+de cavalerie contre trois régimens prussiens; quatre compagnies
+du vingt-septième d'infanterie légère se trouvant en
+plaine, furent chargées par les hussards prussiens; mais
+ceux-ci virent comme l'infanterie française reçoit la cavalerie
+prussienne. Deux cents cavaliers prussiens restèrent sur le
+champ de bataille. Le général Maisons commandait l'infanterie
+légère. Un colonel ennemi fut tué, deux pièces de canon
+prises, trois cents hommes furent faits prisonniers, et quatre
+cents tués. Notre perte a été de peu d'hommes; l'infanterie
+prussienne a jeté ses armes, et a fui, épouvantée, devant les
+baïonnettes françaises. Le grand-duc de Berg était au milieu
+des charges, le sabre à la main.</p>
+
+<p>Le 10, le prince de Ponte-Corvo a porté son quartier-général
+à Auma; le 11, le grand-duc de Berg est arrivé à
+Gera. Le général de brigade Lasalle, de la cavalerie de réserve,
+a culbuté l'escorte des bagages ennemis; cinq cents
+caissons et voitures de bagage ont été pris par les hussards
+français. Notre cavalerie légère est couverte d'or. Les équipages
+de pont et plusieurs objets importans font partie du
+convoi.</p>
+
+<p>La gauche a eu des succès égaux. Le maréchal Lannes est
+entré à Cobourg le 8, se portait le 9 sur Graffenthal. Il a
+attaqué, le 10, à Saalfeld, l'avant-garde du prince Hohenlohe,
+qui était commandée par le prince Louis de Prusse, un
+des champions de la guerre. La canonnade n'a duré que deux
+heures; la moitié de la division du général Suchet a seule
+donné. La cavalerie prussienne a été culbutée par les neuvième
+et dixième régimens d'hussards; l'infanterie prussienne
+n'a pu conserver aucun ordre de retraite; partie a été culbutée
+dans un marais, partie dispersée dans les bois. On a fait mille
+prisonniers, six cents hommes sont restés sur le champ de
+bataille; trente pièces de canon sont tombées au pouvoir de
+l'armée.</p>
+
+<p>Voyant ainsi la déroute de ses gens, le prince Louis de
+Prusse, en brave et loyal soldat, se prit corps à corps avec
+un maréchal-des-logis du dixième régiment de hussards. <i>Rendez
+vous, colonel,</i> lui dit le hussard, <i>ou vous êtes mort.</i> Le
+prince lui répondit par un coup de sabre; le maréchal-des-logis
+riposta par un coup de pointe, et le prince tomba mort.
+Si les derniers instans de sa vie ont été ceux d'un mauvais
+citoyen, sa mort est glorieuse et digne de regrets. Il est mort
+comme doit désirer de mourir tout bon soldat. Deux de ses
+aides-de-camp ont été tués à ses côtés. Ou a trouvé sur lui
+des lettres de Berlin, qui font voir que le projet de l'ennemi
+était d'attaquer incontinent, et que le parti de la guerre, à
+la tête duquel étaient le jeune prince et la reine, craignait toujours
+que les intentions pacifiques du roi, et l'amour qu'il
+porte à ses sujets ne lui fissent adopter des tempéramens, et ne
+déjouassent leurs cruelles espérances. On peut dire que les
+premiers coups de la guerre ont tué un de ses auteurs.</p>
+
+<p>Dresde ni Berlin ne sont couverts par aucun corps d'armée.
+Tournée par sa gauche, prise en flagrant délit au moment
+où elle se livrait aux combinaisons les plus hasardées,
+l'armée prussienne se trouve, dès le début, dans une position
+assez critique. Elle occupe Eisenach, Gotha, Erfurt, Weimar.
+Le 12, l'armée française occupe Saalfed et Gera, et
+marche sur Naumbourg et Jena. Des coureurs de l'armée
+française inondent la plaine de Leipsick.</p>
+
+<p>Toutes les lettres interceptées peignent le conseil du roi
+déchiré par des opinions différentes, toujours délibérant et
+jamais d'accord. L'incertitude, l'alarme et l'épouvante paraissent
+déjà succéder à l'arrogance, à l'inconsidération et à
+la folie.</p>
+
+<p>Hier 11, en passant à Gera devant le vingt-septième régiment
+d'infanterie légère, l'empereur a chargé le colonel de
+témoigner sa satisfaction à ce régiment, sur sa bonne conduite.</p>
+
+<p>Dans tous ces combats, nous n'avons à regretter aucun
+officier de marque: le plus élevé en grade est le capitaine
+Campobasso, du vingt-septième régiment d'infanterie légère,
+brave et loyal officier. Nous n'avons pas eu quarante hommes
+tués et soixante blessés.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Gera, le 13 octobre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Troisième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le combat de Schleitz, qui a ouvert la campagne, et qui
+a été très-funeste à l'armée prussienne, celui de Saalfeld
+qui l'a suivi le lendemain, ont porté la consternation chez
+l'ennemi. Toutes les lettres interceptées disent que la consternation
+est à Erfurt, où se trouvent encore le roi et la reine,
+le duc de Brunswick, etc.; qu'on discute sur le parti à prendre
+sans pouvoir s'accorder. Mais pendant qu'on délibère,
+l'armée française marche. A cet esprit d'effervescence, à cette
+excessive jactance, commencent à succéder des observations
+critiques sur l'inutilité de cette guerre, sur l'injustice de s'en
+prendre à la France, sur l'impossibilité d'être secouru, sur
+la mauvaise volonté des soldats, sur ce qu'on n'a pas fait
+ceci, et mille et une autres observations qui sont toujours
+dans la bouche de la multitude, lorsque les princes sont assez
+faibles pour la consulter sur les grands intérêts politiques au-dessus
+de sa portée.</p>
+
+<p>Cependant, le 12 au soir, les coureurs de l'armée française
+étaient aux portes de Leipsick; le quartier-général du grand-duc
+de Berg, entre Zeist et Leipzick; celui du prince de
+Ponte-Corvo, à Zeist; le quartier impérial à Gera; la garde
+impériale et le corps d'armée du maréchal Soult, à Gera;
+le corps d'armée du maréchal Ney, à Neustadt; en première
+ligne, le corps d'armée du maréchal Davoust, à Naumbourg,
+celui du maréchal Lannes, à Jena; celui du maréchal Augereau,
+à Kala. Le prince Jérôme, auquel l'empereur a confié
+le commandement des alliés et d'un corps de troupes bavaroises,
+est arrivé à Schleitz, après avoir fait bloquer le fort
+de Culenbach par un régiment.</p>
+
+<p>L'ennemi, coupé a Dresde, était encore le 11 à Erfurt, et
+travaillait à réunir ses colonnes qu'il avait envoyées sur Cassel
+et Wurtzbourg, dans des projets offensifs; voulant ouvrir la
+campagne par une invasion en Allemagne. Le Weser, où il
+avait construit des batteries, la Saale qu'il prétendait également
+défendre, et les autres rivières, sont tournées à-peu-près
+comme le fut l'Iller l'année passée; de sorte que l'armée
+française borde la Saale, ayant le dos à l'Elbe et marchant
+sur l'armée prussienne qui, de son côté, a le dos sur le Rhin,
+position assez bizarre, d'où doivent naître dès événemens d'une
+grande importance.</p>
+
+<p>Le temps, depuis notre entrée en campagne, est superbe,
+le pays abondant, le soldat plein de vigueur et de santé. On
+fait des marches de dix lieues, et pas un traîneur; jamais
+l'armée n'a été si belle.</p>
+
+<p>Toutes les intentions du roi de Prusse se trouvent exécutées:
+il voulait que le 8 octobre l'armée française eût évacué
+le territoire de la confédération, et elle l'avait évacué; mais
+au lieu de repasser le Rhin, elle a passé la Saale.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Gera, le 14 octobre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Quatrième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Les événemens se succèdent avec rapidité. L'armée prussienne
+est prise en flagrant délit, ses magasins enlevés: elle
+est tournée.</p>
+
+<p>Le maréchal Davoust est arrivé à Naumbourg le 12, à neuf
+heures du soir, y a saisi les magasins de l'armée ennemie,
+fait des prisonniers et pris un superbe équipage de 18 pontons
+de cuivre attelés.</p>
+
+<p>Il paraît que l'armée prussienne se met en marche pour gagner
+Magdebourg; mais l'armée française a gagné trois marches
+sur elle. L'anniversaire des affaires d'Ulm sera célèbre,
+dans l'histoire de France.</p>
+
+<p>Une lettre qui vient d'être interceptée, fait connaître la
+vraie situation des esprits, mais cette bataille dont parle
+l'officier prussien, aura lieu dans peu de jours. Les résultats
+décideront du sort la guerre. Les Français doivent être sans
+inquiétude.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Jéna, 15 octobre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Cinquième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>La bataille de Jéna a lavé l'affront de Rosbach et décidé,
+en sept jours, une campagne qui a entièrement calmé cette
+frénésie guerrière qui s'était emparée des têtes prussiennes.</p>
+
+<p>Voici la position de l'armée au 13:</p>
+
+<p>Le grand-duc de Berg et le maréchal Davoust, avec leurs
+corps d'armée, étaient à Naumbourg, ayant des partis sur
+Leipsick et Halle.</p>
+
+<p>Le corps du maréchal prince de Ponte-Corvo était en marche
+pour se rendre à Dornbourg.</p>
+
+<p>Le corps du maréchal Lannes arrivait à Iéna.</p>
+
+<p>Le corps du maréchal Augereau était en position à Kala.</p>
+
+<p>Le corps du maréchal Ney était à Roda.</p>
+
+<p>Le quartier-général, à Gera.</p>
+
+<p>L'empereur, en marche pour se rendre à Jéna.</p>
+
+<p>Le corps du maréchal Soult, de Gera était en marche pour
+prendre une position plus rapprochée, à l'embranchement des
+routes de Naumbourg et d'Jéna.</p>
+
+<p>Voici la position de l'ennemi:</p>
+
+<p>Le roi de Prusse voulut commencer les hostilités au 9 octobre,
+en débouchant sur Francfort par sa droite, sur Wurtzbourg
+par son centre, et sur Bamberg par sa gauche, toutes
+les divisions de son armée étaient disposées pour exécuter ce
+plan; mais l'armée française tournant sur l'extrémité de sa
+gauche, se trouva en peu de jours à Saalbourg, à Lobenstein,
+à Schleitz, à Gera, à Naumbourg. L'armée prussienne,
+tournée employa, les journées des 9, 10, 11 et 12 à rappeler
+tous ses détachemens, et le 13, elle se présenta en bataille
+entre Capelsdorf et Auerstaedt, forte de près de cent cinquante
+mille hommes.</p>
+
+<p>Le 13, à deux heures après-midi, l'empereur arriva à Iéna,
+et sur un petit plateau qu'occupait notre avant-garde, il aperçut
+les dispositions de l'ennemi qui paraissait manoeuvrer
+pour attaquer le lendemain, et forcer les divers débouchés de
+la Saale. L'ennemi défendait en force, et par une position
+inexpugnable, la chaussée de Jéna à Weimar, et paraissait
+penser que les Français ne pourraient déboucher dans la
+plaine, sans avoir forcé ce passage. Il ne paraissait pas possible
+en effet de faire monter de l'artillerie sur le plateau, qui
+d'ailleurs était si petit, que quatre bataillons pouvaient à
+peine s'y déployer. On fit travailler toute la nuit à un chemin
+dans le roc, et l'on parvint à conduire l'artillerie sur la
+hauteur.</p>
+
+<p>Le maréchal Davoust reçut l'ordre de déboucher par Naumbourg
+pour défendre les défilés de Koesen si l'ennemi voulait
+marcher sur Naumbourg, ou pour se rendre à Apolda pour
+le prendre à dos, s'il restait dans la position où il était.</p>
+
+<p>Le corps du maréchal prince de Ponte-Corvo fut destiné à
+déboucher de Dornbourg, pour tomber sur les derrières de
+l'ennemi, soit qu'il se portât en force sur Naumbourg, soit
+qu'il se portât sur Jéna.</p>
+
+<p>La grosse cavalerie qui n'avait pas encore rejoint l'armée,
+ne pouvait la rejoindre qu'à midi; la cavalerie de la garde
+impériale était à trente-six heures de distance, quelque fortes
+marches qu'elle eût faites depuis son départ de Paris. Mais il
+est des momens à la guerre où aucune considération ne doit
+balancer l'avantage de prévenir l'ennemi et de l'attaquer le
+premier. L'empereur fit ranger sur le plateau qu'occupait
+l'avant-garde, que l'ennemi paraissait avoir négligé, et vis-à-vis
+duquel il était en position, tout le corps du maréchal
+Lannes; ce corps d'armée fut rangé par les soins du général
+Victor, chaque division formant une aile. Le maréchal Lefebvre
+fit ranger au sommet la garde impériale en bataillon
+carré. L'empereur bivouaqua au milieu de ses braves. La nuit
+offrait un spectacle digne d'observation, celui de deux armées
+dont l'une déployait son front sur six lieues d'étendue, et
+embrasait de ses feux l'atmosphère, l'autre dont les feux apparens
+étaient concentrés sur un petit point; et dans l'une et
+l'autre armée, de l'activité et du mouvement; les feux des
+deux armées étaient à une demi-portée de canon; les sentinelles
+se touchaient presque, et il ne se faisait pas un mouvement
+qui ne fut entendu.</p>
+
+<p>Les corps des maréchaux Ney et Soult passaient la nuit en
+marche. A la pointe du jour, toute l'armée prit les armes. La
+division Gazan était rangée sur trois lignes, sur la gauche
+du plateau. La division Suchet formait la droite; la garde impériale
+occupait le sommet du monticule; chacun de ces corps
+ayant ses canons dans les intervalles. De la ville et des vallées
+voisines on avait pratiqué des débouchés qui permettaient
+le déploiement le plus facile aux troupes qui n'avaient pu être
+placées sur le plateau; car c'était peut-être la première fois
+qu'une armée devait passer par un si petit débouché.</p>
+
+<p>Un brouillard épais obscurcissait le jour. L'empereur passa
+devant plusieurs lignes. Il recommanda aux soldats de se
+tenir en garde contre cette cavalerie prussienne qu'on peignait
+comme si redoutable. Il les fit souvenir qu'il y avait un an
+qu'à la même époque ils avaient pris Ulm; que l'armée prussienne,
+comme l'armée autrichienne, était aujourd'hui cernée,
+ayant perdu sa ligne d'opérations, ses magasins; qu'elle
+ne se battait plus dans ce moment pour la gloire, mais pour
+sa retraite; que cherchant à faire une trouée sur différens
+points, les corps d'armée qui la laisseraient passer, seraient
+perdus d'honneur et de réputation. A ce discours animé, le
+soldat répondit par des cris de <i>marchons</i>. Les tirailleurs
+engagèrent
+l'action, la fusillade devint vive. Quelque bonne
+que fût la position que l'ennemi occupait, il en fut débusqué,
+et l'armée française, débouchant dans la plaine, commença
+à prendre son ordre de bataille.</p>
+
+<p>De son côté, le gros de l'armée ennemie, qui n'avait eu le
+projet d'attaquer que lorsque le brouillard serait dissipé, prit
+les armes. Un corps de cinquante mille hommes de la gauche, se
+posta pour couvrir les défilés de Naumbourg et s'emparer des
+débouchés de Koesen; mais il avait déjà été prévenu par le maréchal
+Davoust. Les deux autres corps formant une force de
+80,000 hommes, se portèrent en avant de l'armée française
+qui débouchait du plateau de Jéna. Le brouillard couvrit les
+deux armées pendant deux heures, mais enfin il fut dissipé
+par un beau soleil d'automne. Les deux armées s'aperçurent
+à petite portée de canon. La gauche de l'armée française, appuyée
+sur un village et des bois, était commandée par le maréchal
+Augereau. La garde impériale la séparait du centre
+qu'occupait le maréchal Lannes. La droite était formée par
+le corps du maréchal Soult; le maréchal Ney n'avait qu'un
+simple corps de trois mille hommes, seules troupes qui fussent
+arrivées de son corps d'armée.</p>
+
+<p>L'armée ennemie était nombreuse et montrait une belle
+cavalerie. Ses manoeuvres étaient exécutées avec précision et
+rapidité. L'empereur eût désiré retarder de deux heures d'en
+venir aux mains, afin d'attendre dans la position qu'il venait
+de prendre après l'attaque du matin, les troupes qui devaient
+le joindre, et surtout sa cavalerie; mais l'ardeur française
+l'emporta. Plusieurs bataillons s'étant engagés, au village de
+Hollstedt, il vit l'ennemi s'ébranler pour les en déposter. Le
+maréchal Lannes reçut ordre sur-le-champ de marcher en
+échelons pour soutenir ce village. Le maréchal Soult avait attaqué
+un bois sur la droite; l'ennemi ayant fait un mouvement
+de sa droite sur notre gauche, le maréchal Augereau
+fut chargé de le repousser; en moins d'une heure, l'action
+devint générale; deux cent cinquante ou trois cent mille hommes
+avec sept ou huit cents pièces de canon, semaient partout
+la mort, et offraient un de ces spectacles rares dans l'histoire. De
+part et d'autre, on manoeuvra constamment comme à une parade.
+Parmi nos troupes, il n'y eut jamais le moindre désordre,
+la victoire ne fut pas un moment incertaine. L'empereur
+eut toujours auprès de lui, indépendamment de la garde impériale,
+un bon nombre de troupes de réserve pour pouvoir
+parer à tout accident imprévu.</p>
+
+<p>Le maréchal Soult ayant enlevé le bois qu'il attaquait depuis
+deux heures, fit un mouvement en avant. Dans cet instant,
+on prévint l'empereur que la division de cavalerie française
+de réserve commençait à se placer, et que deux divisions
+du corps du maréchal Ney se plaçaient en arrière sur le champ
+de bataille. On fit alors avancer toutes les troupes qui étaient
+en réserve sur la première ligne, et qui, se trouvant ainsi appuyées,
+culbutèrent l'ennemi dans un clin-d'oeil, et le mirent
+en pleine retraite. Il la fit en ordre pendant la première heure;
+mais elle devint un affreux désordre du moment que nos divisions
+de dragons et nos cuirassiers, ayant le grand-duc de
+Berg à leur tête, purent prendre part à l'affaire. Ces braves
+cavaliers, frémissant de voir la victoire décidée sans eux, se
+précipitèrent partout où ils rencontrèrent l'ennemi. La cavalerie,
+l'infanterie prussienne ne purent soutenir leur choc.
+En vain l'infanterie ennemie se forma en bataillons carrés,
+cinq de ces bataillons furent enfoncés; artillerie, cavalerie,
+infanterie, tout fut culbuté et pris. Les Français arrivèrent à
+Weimar en même temps que l'ennemi, qui fut ainsi poursuivi
+pendant l'espace de six lieues.</p>
+
+<p>A notre droite, le corps du maréchal Davoust faisait des
+prodiges. Non-seulement il contint, mais mena battant pendant
+plus de trois lieues, le gros des troupes ennemies qui devait
+déboucher du côté de Koesen. Ce maréchal a déployé une
+bravoure distinguée et de la fermeté de caractère, première
+qualité d'un homme de guerre. Il a été secondé par les généraux
+Gudin, Friant, Morand, Daultanne, chef de l'état-major,
+et par la rare intrépidité de son brave corps d'armée.</p>
+
+<p>Les résultats de la bataille sont trente à quarante mille prisonniers;
+il en arrive à chaque moment; vingt-cinq à trente drapeaux,
+trois cents pièces de canon, des magasins immenses de
+subsistances. Parmi les prisonniers, se trouvent plus de vingt généraux,
+dont plusieurs lieutenants-généraux, entr'autres le lieutenant-général
+Schmettau. Le nombre des morts est immense
+dans l'armée prussienne. On compte qu'il y a plus de vingt mille
+tués ou blessés; le feld-maréchal Mollendorff a été blessé; le duc
+de Brunswick a été tué; le général Rüchel a été tué; le prince
+Henri de Prusse grièvement blessé. Au dire des déserteurs,
+des prisonniers et des parlementaires, le désordre et la consternation
+sont extrêmes dans les débris de l'armée ennemie.</p>
+
+<p>De notre côté, nous n'avons à regretter parmi les généraux
+que la perte du général de brigade de Billy, excellent soldat;
+parmi les blessés, le général de brigade Conroux. Parmi les
+colonels morts, les colonels Vergès, du douzième régiment
+d'infanterie de ligne; Lamotte, du trente-sixième; Barbenègre,
+du neuvième de hussards; Marigny, du vingtième de
+chasseurs; Harispe, du seizième d'infanterie légère; Dulembourg,
+du premier de dragons; Nicolas, du soixante-unième
+de ligne; Viala, du quatre-vingt-unième; Higonet, du cent-huitième.</p>
+
+<p>Les hussards et les chasseurs ont montré dans cette journée
+une audace digne des plus grands éloges. La cavalerie
+prussienne n'a jamais tenu devant eux; et toutes les charges
+qu'ils ont faites devant l'infanterie, ont été heureuses.</p>
+
+<p>Nous ne parlons pas de l'infanterie française; il est reconnu
+depuis long-temps que c'est la meilleure infanterie du monde.
+L'empereur a déclaré que la cavalerie française, après l'expérience
+des deux campagnes et de cette dernière bataille, n'avait
+pas d'égale.</p>
+
+<p>L'armée prussienne a dans cette bataille perdu toute retraite
+et toute sa ligne d'opérations. Sa gauche, poursuivie par le
+maréchal Davoust, opéra sa retraite sur Weimar, dans le
+temps que sa droite et son centre se retiraient de Weimar sur
+Naumbourg. La confusion fut donc extrême. Le roi a dû
+se retirer à travers les champs, à la tête de son régiment de
+cavalerie.</p>
+
+<p>Notre perte est évaluée à mille ou douze cents tués et à
+trois mille blessés. Le grand-duc de Berg investit en ce moment
+la place d'Erfurth, où se trouve un corps d'ennemis
+que commandent le maréchal de Mollendorff et le prince
+d'Orange.</p>
+
+<p>L'état-major s'occupe d'une relation officielle, qui fera
+connaître dans tous ses détails cette bataille et les services
+rendus par les différens corps d'armée et régimens. Si cela peut
+ajouter quelque chose aux titres qu'a l'armée à l'estime et à
+la considération de la nation, rien ne pourra ajouter au sentiment
+d'attendrissement qu'ont éprouvé ceux qui ont été témoins
+de l'enthousiasme et de l'amour qu'elle témoignait à
+l'empereur au plus fort du combat. S'il y avait un moment
+d'hésitation, le seul cri de vive l'empereur! ranimait les courages
+et retrempait toutes les ames. Au fort de la mêlée, l'empereur
+voyant ses ailes menacées par la cavalerie, se portait
+au galop pour ordonner des manoeuvres et des changemens de
+front en carrés; il était interrompu à chaque instant par des
+cris de <i>vive l'empereur!</i> La garde impériale à pied voyait
+avec un dépit qu'elle ne pouvait dissimuler, tout le monde
+aux mains et elle dans l'inaction. Plusieurs voix firent entendre
+les mots <i>en avant</i>? «Qu'est-ce? dit l'empereur; ce ne
+peut être qu'un jeune homme qui n'a pas de barbe qui peut
+vouloir préjuger ce que je dois faire; qu'il attende qu'il ait
+commandé dans trente batailles rangées, avant de prétendre
+me donner des avis.» C'étaient effectivement des vélites, dont
+le jeune courage était impatient de se signaler.</p>
+
+<p>Dans une mêlée aussi chaude, pendant que l'ennemi perdait
+presque tous ses généraux, on doit remercier cette Providence
+qui gardait notre armée. Aucun homme de marque n'a
+été tué ni blessé. Le maréchal Lannes a eu un biscaïen qui lui
+a rasé le poitrine sans le blesser. Le maréchal Davoust a eu son
+chapeau emporté et un grand nombre de balles dans ses habits.
+L'empereur a toujours été entouré, partout où il a paru, du
+prince de Neufchâtel, du maréchal Bessières, du grand maréchal
+du palais, Duroc, du grand-écuyer Caulincourt, et de
+ses aides-de-camp et écuyers de service. Une partie de l'armée
+n'a pas donné, ou est encore sans avoir tiré un coup de
+fusil.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">De notre camp impérial de Weimar, le 15 octobre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Aux archevêques et évêques de l'empire.</i></p>
+
+<p>«Monsieur l'évêque, le succès que nous venons de remporter
+sur nos ennemis, avec l'aide de la divine providence,
+imposent à nous et à notre peuple l'obligation d'en rendre
+au Dieu des armées de solennelles actions de graces. Vous
+avez vu, par la dernière note du roi de Prusse, la nécessité
+où nous nous sommes trouvé de tirer l'épée pour défendre
+le bien le plus précieux de notre peuple, l'honneur. Quelque
+répugnance que nous ayons eue, nous avons été poussé à
+bout par nos ennemis; ils ont été battus et confondus. Au
+reçu de la présente, veuillez donc réunir nos peuples dans
+les temples, chanter un <i>Te Deum</i>, et ordonner des prières
+pour remercier Dieu de la prospérité qu'il a accordée à nos
+armes. Cette lettre n'étant pas à une autre fin, je prie Dieu,
+M. l'évêque, qu'il vous ait en sa sainte garde.»</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Weimar, le 15 octobre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Sixième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Six mille Saxons et plus de trois cents officiers ont été faits
+prisonniers. L'empereur a fait réunir les officiers, et leur a dit
+qu'il voyait avec peine que leur armée lui faisait la guerre;
+qu'il n'avait pris les armes que pour assurer l'indépendance
+de la nation saxonne, et s'opposer à ce qu'elle fût incorporée
+à la monarchie prussienne; que son intention était, de les renvoyer
+tous chez eux s'il donnait leur parole de ne jamais servir
+contre la France; que leur souverain, dont il reconnaissait
+les qualités, avait été d'une extrême faiblesse en cédant ainsi
+aux menaces des Prussiens, et en les laissant entrer sur son territoire;
+mais qu'il fallait que tout cela finît; que les Prussiens
+restassent en Prusse, et qu'ils ne se mêlassent en rien des affaires
+de l'Allemagne; que les Saxons devaient se trouver réunis
+dans la confédération du Rhin, sous la protection de la
+France, protection qui n'était pas nouvelle, puisque depuis
+deux cents ans, sans la France, ils eussent été envahis par
+l'Autriche, ou par la Prusse; que l'empereur n'avait pris les
+armes que lorsque la Prusse avait envahi la Saxe; qu'il fallait
+mettre un terme à ces violences; que le continent avait besoin
+de repos, et que, malgré les intrigues et les basses passions qui
+agitent plusieurs cours, il fallait que ce repos existât, dût-il
+en coûter la chute de quelques trônes.</p>
+
+<p>Effectivement tous les prisonniers saxons ont été renvoyés
+chez eux avec la proclamation de l'empereur aux Saxons, et
+des assurances qu'on n'en voulait point à leur nation.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Weimar, le 16 octobre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Septième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le grand-duc de Berg a cerné Erfurth le 15, dans la matinée.
+Le 16, la place a capitulé. Par ce moyen, quatorze
+mille hommes, dont huit mille blessés et six mille bien portans,
+sont devenus prisonniers de guerre, parmi lesquels
+sont le prince d'Orange, le feld-maréchal Mollendorff, le
+lieutenant-général Larisph, le lieutenant-général Graver,
+les généraux majors Leffave et Zveilfel. Un parc de cent vingt
+pièces d'artillerie approvisionné est également tombé en notre
+pouvoir. On ramasse tous les jours des prisonniers.</p>
+
+<p>Le roi de Prusse a envoyé un aide-de-camp à l'empereur,
+avec une lettre en réponse à celle que l'empereur lui avait
+écrite avant la bataille; mais le roi de Prusse n'a répondu
+qu'après. Cette démarche de l'empereur Napoléon était pareille
+à celle qu'il fit auprès de l'empereur de Russie, avant
+la bataille d'Austerlitz; il dit au roi de Prusse: «Le succès
+de mes armes n'est point incertain. Vos troupes seront battues;
+mais il en coûtera le sang de mes enfans; s'il pouvait être
+épargné par quelque arrangement compatible avec l'honneur
+de ma couronne, il n'y a rien que je ne fasse pour épargner
+un sang si précieux. Il n'y a que l'honneur qui, à mes yeux,
+soit encore plus précieux que le sang de mes soldats.»</p>
+
+<p>Il paraît que les débris de l'armée prussienne se retirent
+sur Magdebourg. De toute cette immense et belle armée, il
+ne s'en réunira que des débris.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Weimar, le 16 octobre 1806, au soir.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Huitième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Les différens corps d'armée qui sont à la poursuite de
+l'ennemi, annoncent à chaque instant des prisonniers, la
+prise de bagages, de pièces de canon, de magasins, de munitions
+de toute espèce. Le maréchal Davoust vient de prendre
+trente pièces de canon; le maréchal Soult, un convoi de trois
+mille tonneaux de farine; le maréchal Bernadotte, quinze
+cents prisonniers; l'armée ennemie est tellement dispersée et
+mêlée avec nos troupes, qu'un de ses bataillons vint se placer
+dans un de nos bivouacs, se croyant dans le sien.</p>
+
+<p>Le roi de Prusse tâche de gagner Magdebourg. Le maréchal
+Mollendorf est très-malade à Erfurth, le grand-duc de
+Berg lui a envoyé son médecin.</p>
+
+<p>La reine de Prusse a été plusieurs fois en vue de nos postes;
+elle est dans des transes et dans des alarmes continuelles. La
+veille, elle avait passé son régiment en revue. Elle excitait
+sans cesse le roi et les généraux. Elle voulait du sang, le sang
+le plus précieux a coulé. Les généraux les plus marquans
+sont ceux sur qui sont tombés les premiers coups.</p>
+
+<p>Le général de brigade Durosnel a fait, avec les septième
+et vingtième de chasseurs, une charge hardie qui a eu le plus
+grand effet. Le major du vingtième régiment s'y est distingué.
+Le général de brigade Colbert, à la tête du troisième de
+hussards et du douzième de chasseurs, a fait sur l'infanterie
+ennemie plusieurs charges qui ont eu le plus grand succès.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Weimar, le 17 octobre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Neuvième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>La garnison d'Erfurth a défilé. On y a trouvé beaucoup
+plus de monde qu'on ne croyait. Il y a une grande quantité
+de magasins. L'empereur a nommé le général Clarke commandant
+de la ville et citadelle d'Erfurth et du pays environnant.
+La citadelle d'Erfurth est un bel octogone bastionné, avec
+casemates, et bien armé. C'est une acquisition précieuse qui
+nous servira de point d'appui au milieu de nos opérations.</p>
+
+<p>On a dit dans le cinquième bulletin qu'on avait pris vingt-cinq
+à trente drapeaux; il y en a jusqu'ici quarante-cinq au
+quartier-général. Il est probable qu'il y en aura plus de
+soixante. Ce sont des drapeaux donnés par le grand Frédéric
+à ses soldats. Celui du régiment des gardes, celui du régiment
+de la reine, brodé des mains de cette princesse, se
+trouvent du nombre. Il paraît que l'ennemi veut tâcher de se
+rallier sur Magdebourg; mais pendant ce temps-là on marche
+de tous côtés. Les différens corps de l'armée sont à sa poursuite
+par différens chemins. A chaque instant arrivent des
+courriers annonçant que des bataillons entiers sont coupés,
+des pièces de canon prises, des bagages, etc.</p>
+
+<p>L'empereur est logé au palais de Weimar, où logeait quelques
+jours avant la reine de Prusse. Il paraît que ce qu'on a
+dit d'elle est vrai. Elle était ici pour souffler le feu de la
+guerre. C'est une femme d'une jolie figure, mais de peu d'esprit,
+incapable de présager les conséquences de ce qu'elle
+faisait. Il faut aujourd'hui, au lieu de l'accuser, la plaindre,
+car elle doit avoir bien des remords des maux qu'elle a faits
+à sa patrie, et de l'ascendant qu'elle a exercé sur le roi son
+mari, qu'on s'accorde à présenter comme un parfait honnête
+homme, qui voulait la paix et le bien de ses peuples.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Naumbourg, le 18 octobre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Dixième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Parmi les soixante drapeaux qui ont été pris à la bataille
+de Jéna, il s'en trouve plusieurs des gardes du roi de Prusse
+et un des gardes du corps, sur lequel la légende est écrite en
+français.</p>
+
+<p>Le roi de Prusse a fait demander un armistice de six semaines.
+L'empereur a répondu qu'il était impossible, après
+une victoire, de donner à l'ennemi le temps de se rallier.</p>
+
+<p>Cependant les Prussiens ont fait tellement courir ce bruit,
+que plusieurs de nos généraux les ayant rencontrés, on leur
+a fait croire que cet armistice était conclu.</p>
+
+<p>Le maréchal Soult est arrivé le 16 à Greussen, poursuivant
+devant lui la colonne où était le roi, qu'on estimait forte
+de dix ou douze mille hommes. Le général Kalkreuth, qui la
+commandait, fit dire au maréchal Soult qu'un armistice avait
+été conclu. Ce maréchal répondit qu'il était impossible que
+l'empereur eût fait cette faute; qu'il croirait à cet armistice,
+lorsqu'il lui aurait été notifié officiellement. Le général Kalkreuth
+témoigna le désir de voir le maréchal Soult, qui se
+rendit aux avant-postes. «Que voulez-vous de nous, lui dit
+le général prussien? le duc de Brunswick est mort, tous nos
+généraux sont tués, blessés ou pris, la plus grande partie de
+notre armée est en fuite; vos succès sont assez grands. Le roi
+a demandé une suspension d'armes, il est impossible que votre
+empereur ne l'accorde pas.&mdash;Monsieur le général, lui répondit
+le maréchal Soult, il y a long-temps qu'on en agit ainsi
+avec nous; on en appelle à notre générosité quand on est
+vaincu, et on oublie un instant après la magnanimité que
+nous avons coutume de montrer. Après la bataille d'Austerlitz,
+l'empereur accorda un armistice à l'armée russe; cet armistice
+sauva l'armée. Voyez la manière indigne dont agissent
+aujourd'hui les Russes. On dit qu'ils veulent revenir:
+nous brûlons du désir de les revoir. S'il y avait eu chez eux
+autant de générosité que chez nous, on nous aurait laissé
+tranquilles enfin, après la modération que nous avons montrée
+dans la victoire. Nous n'avons en rien provoqué la guerre
+injuste que vous nous faites. Vous l'avez déclarée de gaîté
+de coeur; la bataille de Jéna a décidé du sort de la campagne.
+Notre métier est de vous faire le plus de mal que nous pourrons.
+Posez les armes, et j'attendrai dans cette situation les
+ordres de l'Empereur.» Le vieux général Kalkreuth vit bien
+qu'il n'avait rien à répondre. Les deux généraux se séparèrent,
+et les hostilités recommencèrent un instant après: le
+village de Greussen fut enlevé, l'ennemi culbuté et poursuivi
+l'épée dans les reins.</p>
+
+<p>Le grand-duc de Berg et les maréchaux Soult et Ney doivent,
+dans les journées des 17 et 18, se réunir par des marches
+combinées et écraser l'ennemi. Ils auront sans doute cerné
+un bon nombre de fuyards; les campagnes en sont couvertes,
+et les routes sont encombrées de caissons et de bagages de
+toute espèce.</p>
+
+<p>Jamais plus grande victoire ne fut signalée par de plus
+grands désastres. La réserve que commande le prince Eugène
+de Wurtemberg, est arrivée à Halle; ainsi nous ne sommes
+qu'au neuvième jour de la campagne, et déjà l'ennemi est
+obligé de mettre en avant sa dernière ressource. L'empereur
+marche à elle; elle sera attaquée demain, si elle tient dans
+la position de Halle.</p>
+
+<p>Le maréchal Davoust est parti aujourd'hui pour prendre
+possession de Leipsick et jeter un pont sur l'Elbe. La garde
+impériale à cheval vient enfin nous joindre.</p>
+
+<p>Indépendamment des magasins considérables trouvés à
+Naumbourg, on en a trouvé un grand nombre à Weissenfels.</p>
+
+<p>Le général en chef Rüchel a été trouvé, dans un village,
+mortellement blessé; le maréchal Soult lui a envoyé son
+chirurgien. Il semble que ce soit un décret de la Providence,
+que tous ceux qui ont poussé à cette guerre aient été frappés
+par ses premiers coups.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Mersebourg, le 19 octobre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Onzième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le nombre des prisonniers qui ont été faits à Erfurth est
+plus considérable qu'on ne le croyait. Les passeports accordés
+aux officiers qui doivent retourner chez eux sur parole,
+en vertu d'un des articles de la capitulation, se sont montés
+à six cents.</p>
+
+<p>Le corps du maréchal Davoust a pris possession le 18 de
+Leipsick.</p>
+
+<p>Le prince de Ponte-Corvo, qui se trouvait le 17 à Eisleben,
+pour couper des colonnes prussiennes, ayant appris que la
+réserve de S. M. le roi de Prusse, commandée par le prince
+Eugène de Wurtemberg, était arrivée à Halle, s'y porta.
+Après avoir fait ses dispositions, le prince de Ponte-Corvo
+fit attaquer Halle par le général Dupont, et laissa la division
+Drouet en réserve sur sa gauche. Le trente-deuxième et le
+neuvième d'infanterie légère passèrent les trois ponts au pas
+de charge, et entrèrent dans la ville, soutenus par le quatre-vingt-seizième.
+En moins d'une heure tout fut culbuté. Les
+deuxième et quatrième régimens de hussards et toute la division
+du général Rivaut traversèrent la ville et chassèrent
+l'ennemi de Dienitz, de Peissen et de Rabatz. La cavalerie
+prussienne voulut charger le huitième et le quatre-vingt-seizième
+d'infanterie, mais elle fut vivement reçue et repoussée.</p>
+
+<p>La réserve du prince de Wurtemberg fut mise dans la plus
+complète déroute, et poursuivie l'espace de quatre lieues.</p>
+
+<p>Les résultats de ce combat, qui mérite une relation particulière
+et soignée, sont cinq mille prisonniers, dont deux généraux
+et trois colonels, quatre drapeaux et trente-quatre
+pièces de canon.</p>
+
+<p>Le général Dupont s'est conduit avec beaucoup de distinction.</p>
+
+<p>Le général de division Rouyer a eu un cheval tué sons
+lui. Le général de division Drouet a pris en entier le régiment
+de Treskow.</p>
+
+<p>De notre côté, la perte ne se monte qu'à quarante hommes
+tués et deux cents blessés. Le colonel du neuvième régiment
+d'infanterie légère a été blessé.</p>
+
+<p>Le général Léopold Berthier, chef de l'état-major du prince
+de Ponte-Corvo, s'est comporté avec distinction.</p>
+
+<p>Par le résultat du combat de Halle, il n'est plus de troupes
+ennemies qui n'aient été entamées.</p>
+
+<p>Le général prussien Blucher, avec cinq mille hommes, a
+traversé la division de dragons du général Klein, qui l'avait
+coupé. Ayant allégué au général Klein qu'il y avait un armistice
+de six semaines, ce général a eu la simplicité de le
+croire.</p>
+
+<p>L'officier d'ordonnance près de l'empereur, Montesquiou,
+qui avait été envoyé en parlementaire auprès du roi de Prusse
+l'avant-veille de la bataille, est de retour. Il a été entraîné,
+pendant plusieurs jours, avec les fuyards ennemis; il dépeint
+le désordre de l'armée prussienne comme inexprimable. Cependant
+la veille de la bataille, leur jactance était sans égale.
+Il n'était question de rien moins que de couper l'armée française
+et d'enlever des colonnes de quarante mille hommes.
+Les généraux prussiens singeaient, autant qu'ils pouvaient,
+les manières du grand Frédéric.</p>
+
+<p>Quoique nous fussions dans leur pays, les généraux paraissaient
+être dans l'ignorance la plus absolue de nos mouvements;
+ils croyaient qu'il n'y avait sur le petit plateau de
+Jéna que quatre mille hommes; et cependant la plus grande
+partie de l'armée a débouché sur ce plateau.</p>
+
+<p>L'armée ennemie se retire à force sur Magdebourg. Il est
+probable que plusieurs colonnes seront coupées avant d'y arriver.
+On n'a point de nouvelles depuis plusieurs jours du
+maréchal Soult, qui a été détaché avec quarante mille hommes
+pour poursuivre l'armée ennemie.</p>
+
+<p>L'empereur a traversé le champ de bataille de Rosbach; il
+a ordonné que la colonne qui y avait été élevée, fût transportée
+à Paris.</p>
+
+<p>Le quartier-général de l'empereur a été le 18 à Mersebourg;
+il sera le 19 à Halle. On a trouvé dans cette dernière
+ville des magasins de toute espèce, très-considérables.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Halle, le 19 octobre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Douzième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le maréchal Soult a poursuivi l'ennemi jusqu'aux portes de
+Magdebourg. Plusieurs fois les Prussiens ont voulu prendre
+position, et toujours ils ont été culbutés.</p>
+
+<p>On a trouvé à Nordhausen des magasins considérables, et
+même une caisse du roi de Prusse, remplie d'argent.</p>
+
+<p>Pendant les cinq jours que le maréchal Soult a employés
+à la poursuite de l'ennemi, il a fait douze cents prisonniers
+et pris trente pièces de canon, et deux ou trois cents caissons.</p>
+
+<p>Le premier objet de la campagne se trouve rempli. La
+Saxe, la Westphalie, et tous les pays situés sur la rive gauche
+de l'Elbe, sont délivrés de la présence de l'armée prussienne.
+Cette armée, battue et poursuivie l'épée dans les reins
+pendant plus de cinquante lieues, est aujourd'hui sans artillerie,
+sans bagages, et sans officiers, réduite au-dessous du
+tiers de ce qu'elle était il y a huit jours; et, ce qui est encore
+pis que cela, elle a perdu son moral et toute confiance en elle-même.</p>
+
+<p>Deux corps de l'armée française sont sur l'Elbe, occupés
+à construire des ponts.</p>
+
+<p>Le quartier-général est à Halle.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Halle, le 20 octobre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Treizième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le général Macon, commandant à Leipsick, a fait aux
+banquiers, négocians et marchands de cette ville une notification<a id="footnotetag4" name="footnotetag4"></a><a href="#footnote4"><sup>4</sup></a>.
+Puisque les oppresseurs des mers ne respectent aucun
+pavillon, l'intention de l'empereur est de saisir partout leurs
+marchandises et de les bloquer véritablement dans leur île.</p>
+
+<p>On a trouvé dans les magasins militaires de Leipsick
+quinze mille quintaux de farine et beaucoup d'autres denrées
+d'approvisionnement.</p>
+
+<p>Le grand-duc de Berg est arrivé à Halberstadt le 19. Le 20,
+il a inondé toute la plaine de Magdebourg, par sa cavalerie,
+jusqu'à la portée du canon. Les troupes ennemies, les détachemens
+isolés, les hommes perdus, seront pris au moment
+où ils se présenteront pour entrer dans la place.</p>
+
+<p>Un régiment de hussards ennemis croyait que Halberstadt
+était encore occupé par les Prussiens; il a été chargé par le
+deuxième de hussards, et a éprouvé une perte de trois cents
+hommes.</p>
+
+<p>Le général Beaumont s'est emparé de six cents hommes de
+la garde du roi, et de tous les équipages de ce corps.</p>
+
+<p>Deux heures auparavant, deux compagnies de la garde
+royale à pied avaient été prises par le maréchal Soult.</p>
+
+<p>Le lieutenant-général, comte de Schmettau, qui avait été
+fait prisonnier, vient de mourir à Weimar.</p>
+
+<p>Ainsi, de cette belle et superbe armée qui, il y a peu de
+jours, menaçait d'envahir la confédération du Rhin, et qui
+inspirait à son souverain une telle confiance, qu'il osait ordonner
+à l'empereur Napoléon de sortir de l'Allemagne avant
+le 8 octobre, s'il ne voulait pas y être contraint par la force;
+de cette belle et superbe armée, disons-nous, il ne reste que
+les débris, chaos informe qui mérite plutôt le nom de rassemblement
+que celui d'armée. De cent soixante mille hommes
+qu'avait le roi de Prusse, il serait difficile d'en réunir plus de
+cinquante mille, encore sont-ils sans artillerie et sans bagages,
+armés en partie, en partie désarmés. Tous ces événemens
+justifient ce que l'empereur a dit dans sa première proclamation,
+lorsqu'il s'est exprimé ainsi: «Qu'ils apprennent que
+s'il est facile d'acquérir un accroissement de domaines et de
+puissance avec l'amitié du grand peuple, son inimitié est plus
+terrible que les tempêtes de l'Océan.»</p>
+
+<p>Rien ne ressemble en effet davantage à l'état actuel de
+l'armée prussienne que les débris d'un naufrage. C'était une
+belle et nombreuse flotte qui ne prétendait pus moins qu'asservir
+les mers; les vents impétueux du nord ont soulevé l'Océan
+contre elle. Il ne rentre au port qu'une petite partie des
+équipages qui n'ont trouvé de salut qu'en se sauvant sur des
+débris.</p>
+
+<p>Trois lettres interceptées peignent au vrai la situation des
+choses.</p>
+
+<p>Une autre lettre également interceptée, montre à quel point
+le cabinet prussien a été dupe de fausses apparences. Il a pris
+la modération de l'empereur Napoléon pour de la faiblesse.
+De ce que ce monarque ne voulait pas la guerre, et faisait tout
+ce qui pouvait être convenable pour l'éviter, on a conclu qu'il
+n'était pas en mesure, et qu'il avait besoin de deux cent mille
+conscrits pour recruter son armée.</p>
+
+<p>Cependant l'armée française n'était plus claquemurée dans
+les camps de Boulogne; elle était en Allemagne: M. Ch.
+L. de Hesse et M. d'Haugwitz auraient pu la compter.
+Reconnaissons donc ici la volonté de cette providence qui ne
+laisse pas à nos ennemis des yeux pour voir, des oreilles
+pour entendre, du jugement et de la raison pour raisonner.</p>
+
+<p>Il paraît que M. Charles Louis de Hesse convoitait seulement
+Mayence. Pourquoi pas Metz? pourquoi pas les autres
+places de l'ouest de la France? Ne dites donc plus que l'ambition
+des Français vous a fait prendre les armes; convenez
+que c'est votre ambition mal raisonnée qui vous a excités à la
+guerre. Parce qu'il y avait une armée française à Naples, une
+autre en Dalmatie, vous avez projeté de tomber sur le
+grand-peuple; mais en sept jours vos projets ont été confondus.
+Vous vouliez attaquer la France sans courir aucun danger,
+et déjà vous avez cessé d'exister.</p>
+
+<p>On rapporte que l'empereur Napoléon ayant, avant de
+quitter Paris, rassemblé ses ministres, leur dit: «Je suis innocent
+de cette guerre; je ne l'ai provoquée en rien: elle
+n'est point entrée dans mes calculs. Que je sois battu si elle
+est de mon fait. Un des principaux motifs de la confiance dans
+laquelle je suis que mes ennemis seront détruits, c'est que je
+vois dans leur conduite le doigt de la providence, qui, voulant
+que les traîtres soient punis, a tellement éloigné toute
+sagesse de leurs conseils, que lorqu'ils pensent m'attaquer dans
+un moment de faiblesse, ils choisissent l'instant même où je
+suis le plus fort.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote4" name="footnote4"></a><b>Note 4:</b><a href="#footnotetag4"> (retour) </a> Cette notification était une injonction à tous les négocians
+de déclarer les marchandises anglaises, dont la saisie était ordonnée.</blockquote>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Dessau, le 22 octobre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Quatorzième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le maréchal Davoust est arrivé le 20 à Wittemberg, et a
+surpris le pont sur l'Elbe au moment où l'ennemi y mettait
+le feu.</p>
+
+<p>Le maréchal Lannes est arrivé à Dessau; le pont était brûlé;
+il a fait travailler sur-le-champ à le réparer.</p>
+
+<p>Le marquis de Lucchesini s'est présenté aux avant-postes
+avec une lettre du roi de Prusse. L'empereur a envoyé le
+grand-maréchal de son palais, Duroc, pour conférer avec lui.</p>
+
+<p>Magdebourg est bloqué. Le général de division Legrand,
+dans sa marche sur Magdehourg, a fait quelques prisonniers.
+Le maréchal Soult a ses postes autour de la ville. Le grand-duc
+de Berg y a envoyé son chef d'état-major le général Belliard.
+Ce général y a vu le prince de Hohenlohe. Le langage des
+officiers prussiens était bien changé. Ils demandent la paix à
+grands cris. «Que veut votre empereur, nous disent-ils? Nous
+poursuivra-t-il toujours l'épée dans les reins? Nous n'avons
+pas un moment de repos depuis la bataille.» Ces messieurs
+étaient sans doute accoutumés aux manoeuvres de la guerre
+de sept ans. Ils voulaient demander trois jours pour enterrer
+les morts. «Songez aux vivans, a répondu l'empereur, et laissez-nous
+le soin d'enterrer les morts; il n'y a pas besoin de
+trêve pour cela.»</p>
+
+<p>La confusion est extrême dans Berlin. Tous les bons citoyens,
+qui gémissaient de la fausse direction donnée à la politique
+de leur pays, reprochent avec raison aux boute-feux
+excités par l'Angleterre, les tristes effets de leurs menées. Il
+n'y a qu'un cri contre la reine dans tout le pays.</p>
+
+<p>Il paraît que l'ennemi cherche à se rallier derrière l'Oder.</p>
+
+<p>Le souverain de Saxe a remercié l'empereur de la générosité
+avec laquelle il l'a traité, et qui va l'arracher à l'influence
+prussienne. Cependant bon nombre de ses soldats ont péri dans
+toute cette bagarre.</p>
+
+<p>Le quartier-général était, le 21, à Dessau.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Wittemberg, le 23 octobre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Quinzième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Voici les renseignemens qu'on a pu recueillir sur les causes
+de cette étrange guerre.</p>
+
+<p>Le général Schmettau (mort prisonnier à Weymar) fit
+un mémoire écrit, avec beaucoup de force et dans lequel il
+établissait que l'armée prussienne devait se regarder comme
+déshonorée, qu'elle était cependant en état de battre les Français,
+et qu'il fallait faire la guerre.</p>
+
+<p>Les généraux Ruchel (tué) et Blucher (qui ne s'est sauvé
+que par un subterfuge, en abusant de la bonne foi française),
+souscrivirent ce mémoire, qui était rédigé en forme de pétition
+au roi. Le prince Louis-Ferdinand de Prusse (tué) l'appuya
+de toutes sortes de sarcasmes. L'incendie gagna toutes
+les tètes. Le duc de Brunswick (blessé très-grièvement),
+homme connu pour être sans volonté et sans caractère, fut
+enrôlé dans la faction de la guerre. Enfin, le mémoire étant
+ainsi appuyé, on le presenta au roi. La reine se chargea de
+disposer l'esprit de ce prince, et de lui faire connaître ce
+qu'on pensait de lui. Elle lui rapporta qu'on disait qu'il
+n'était pas brave, et que, s'il ne faisait pas la guerre, c'est
+qu'il n'osait pas se mettre à la tête de l'armée. Le roi, réellement
+aussi brave qu'aucun prince de Prusse, se laissa entraîner
+sans cesser de conserver l'opinion intime qu'il faisait une
+grande faute.</p>
+
+<p>Il faut signaler les hommes qui n'ont pas partagé les illusions
+des partisans de la guerre. Ce sont le respectable feld-maréchal
+Mollendorf et le général Kalkreuth.</p>
+
+<p>On assure qu'après la belle charge du neuvième et du
+dixième régiment de hussards à Saalfeld, le roi dit: «Vous
+prétendiez que la cavalerie française ne valait rien, voyez cependant
+ce que fait la cavalerie légère, et jugez ce que feront
+les cuirassiers. Ces troupes ont acquis leur supériorité par
+quinze ans de combats. Il en faudrait autant, afin de parvenir
+à les égaler; mais qui de nous serait assez ennemi de la Prusse
+pour désirer cette terrible épreuve?»</p>
+
+<p>L'empereur, déjà maître de toutes les communications et
+des magasins de l'ennemi, écrivit le 12 de ce mois la lettre
+ci-jointe (nous l'avons rapportée à son ordre de date), qu'il envoya
+au roi de Prusse par l'officier d'ordonnance Montesquiou.</p>
+
+<p>Cet officier arriva le 13, à quatre heures après midi, au
+quartier du général Hohenlohe, qui le retint auprès de lui,
+et qui prit la lettre dont il était porteur.</p>
+
+<p>Le camp dit roi de Prusse était à deux lieues en arrière. Ce
+prince devait donc recevoir la lettre de l'empereur au plus
+tard à six heures du soir. On assure cependant qu'il ne la reçut
+que le 14, à neuf heures du matin, c'est-à-dire, lorsque déjà
+l'on se battait.
+On rapporte aussi que le roi de Prusse dit alors: «Si cette
+lettre était arrivée plus tôt, peut-être aurait-on pu ne pas se
+battre; mais ces jeunes gens ont la tête tellement montée, que
+s'il eût été question hier de la paix, je n'aurais pas ramené le
+tiers de mon armée à Berlin.»</p>
+
+<p>Le roi de Prusse a eu deux chevaux tués sous lui, et a
+reçu un coup de fusil dans la manche.</p>
+
+<p>Le duc de Brunswick a eu tous les torts dans cette guerre;
+il a mal conçu et mal dirigé les mouvemens de l'armée; il
+croyait l'empereur à Paris, lorsqu'il se trouvait sur ses flancs;
+il pensait avoir l'initiative des mouvemens, et il était déjà
+tourné.</p>
+
+<p>Au reste, la veille de la bataille, la consternation était
+déjà dans les chefs; ils reconnaissaient qu'on était mal posté,
+et qu'on allait jouer le va-tout de la monarchie. Ils disaient
+tous: «Eh bien? nous paierons de notre personne». Ce qui
+est, d'ordinaire, le sentiment des hommes qui conservent peu
+d'espérance.</p>
+
+<p>La reine se trouvait toujours au quartier-général à Weimar;
+il a bien fallu lui dire enfin que les circonstances étaient
+sérieuses, et que le lendemain il pouvait se passer de grands
+événemens pour la monarchie prussienne. Elle voulait que
+le roi lui dît de s'en aller; et, en effet elle fut mise dans le
+cas de partir.</p>
+
+<p>Lord Morpelh, envoyé par la cour de Londres pour marchander
+le sang prussien, mission véritablement indigne
+d'un homme tel que lui, arriva le 11 à Weimar, chargé de
+faire des offres séduisantes, et de proposer des subsides considérables.
+L'horizon s'était déjà fort obscurci, le cabinet ne
+voulut pas voir cet envoyé; il lui fit dire qu'il y avait peut-être
+peu de sûreté pour sa personne, et il l'engagea à retourner
+à Hambourg, pour y attendre l'événement. Qu'aurait
+dit la duchesse de Devonshire, si elle avait vu son gendre
+chargé de souffler le feu de la guerre, de venir offrir un or
+empoisonné, et obligé de retourner sur ses pas tristement et
+en grande hâte? Ou ne peut que s'indigner de voir l'Angleterre
+compromettre de la sorte des agens estimables et jouer
+un rôle aussi odieux.</p>
+
+<p>On n'a point encore de nouvelles de la conclusion d'un
+traité entre la Prusse et la Russie, et il est certain qu'aucun
+Russe n'a paru, jusqu'à ce jour, sur le territoire prussien.
+Du reste, l'armée désire fort les voir; ils trouveront Austerlitz
+en Prusse.</p>
+
+<p>Le prince Louis-Ferdinand de Prusse, et les autres généraux
+qui ont succombé sous les premiers coups des Français,
+sont aujourd'hui désignés comme les principaux moteurs
+de cette incroyable frénésie. Le roi, qui en a couru toutes
+les chances, et qui supporte tous les malheurs qui en ont été
+le résultat, est de tous les hommes entraînés par elle, celui
+qui y était demeuré le plus étranger.</p>
+
+<p>Il y a à Leipsick une telle quantité de marchandises
+anglaises, qu'on a déjà offert soixante millions pour les
+racheter.</p>
+
+<p>On se demande ce que l'Angleterre gagnera à tout ceci.
+Elle pouvait recouvrer le Hanovre, garder le cap de Bonne-Espérance,
+conserver Malte, faire une paix honorable, et
+rendre la tranquillité au Monde. Elle a voulu exciter la
+Prusse contre la France, pousser l'empereur et la France à
+bout; eh bien! elle a conduit la Prusse à sa ruine, procuré à
+l'empereur une plus grande gloire, à la France une plus
+grande puissance; el le temps approche où l'on pourra déclarer
+l'Angleterre en état de blocus continental. Est-ce donc
+avec du sang que les Anglais ont espéré alimenter leur commerce
+et ranimer leur industrie? De grands malheurs peuvent
+fondre sur l'Angleterre; l'Europe les attribuera à la
+perte de ce ministre honnête homme, qui voulait gouverner
+par des idées grandes et libérales, et que le peuple anglais
+pleurera un jour avec des larmes de sang.</p>
+
+<p>Les colonnes françaises sont déjà en marche sur Potsdam
+et Berlin. Les députés de Potsdam sont arrivés pour demander
+une sauve-garde.</p>
+
+<p>Le quartier impérial est aujourd'hui à Wittemberg.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Wittemberg, le 24 octobre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Seizième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le duc de Brunswick a envoyé son maréchal du palais à
+l'empereur. Cet officier était chargé d'une lettre par laquelle
+le duc recommandait ses états à S.M.</p>
+
+<p>L'empereur lui a dit: Si je faisais démolir la ville de
+Brunswick, et si je n'y laissais pas pierre sur pierre, que
+dirait votre prince? La loi du talion ne me permet-elle pas
+de faire à Brunswick ce qu'il voulait faire dans ma capitale?
+Annoncer le projet de démolir des villes, cela peut être insensé;
+mais vouloir ôter l'honneur à toute une armée de
+braves gens, lui proposer de quitter l'Allemagne par journées
+d'étapes, à la seule sommation de l'armée prussienne,
+voilà ce que la postérité aura peine à croire. Le duc de Brunswick
+n'eût jamais dû se permettre un tel outrage; lorsqu'on
+a blanchi sous les armes, on doit respecter l'honneur militaire,
+et ce n'est pas d'ailleurs dans les plaines de Champagne
+que ce général a pu acquérir le droit de traiter les drapeaux;
+français avec un tel mépris. Une pareille sommation ne déshonorera
+que le militaire qui l'a pu faire. Ce n'est pas au roi de
+Prusse que restera ce déshonneur, c'est au chef de son conseil
+militaire, c'est au général à qui, dans ces circonstances
+difficiles, il avait remis le soin des affaires; c'est enfin le duc
+de Brunswick que la France et la Prusse peuvent accuser seul
+de la guerre. La frénésie dont ce vieux général a donné
+l'exemple, a autorisé une jeunesse turbulente et entraîné le
+roi contre sa propre pensée et son intime conviction. Toutefois,
+monsieur, dites aux habitans du pays de Brunswick
+qu'ils trouveront dans les Français des ennemis généreux,
+que je désire adoucir à leur égard les rigueurs de la guerre,
+et que le mal que pourrait occasionner le passage des troupes,
+serait contre mon gré. Dites au général Brunswick qu'il
+sera traité avec tous les honneurs dus à un officier prussien;
+mais que je ne puis reconnaître dans un général prussien, un
+souverain. S'il arrive que la maison de Brunswick perde la
+souveraineté de ses ancêtres, elle ne pourra s'en prendre qu'à
+l'auteur de deux guerres qui, dans l'une, voulut saper jusque
+dans ses fondemens la grande capitale; qui, dans l'autre,
+prétendit déshonorer deux cent mille braves, qu'on parviendrait
+peut-être à vaincre, mais qu'on ne surprendra jamais
+hors du chemin de l'honneur et de la gloire. Beaucoup de sang
+a été versé en peu de jours; de grands désastres pèsent sur
+la monarchie prussienne. Qu'il est digne de blâme cet homme
+qui d'un mot pouvait les prévenir, si, comme Nestor, élevant
+la parole au milieu des conseils, il avait dit:</p>
+
+<p>«Jeunesse inconsidérée, taisez-vous; femmes, retournez à
+vos fuseaux et rentrez dans l'intérieur de vos ménages; et vous,
+sire, croyez-en le compagnon du plus illustre de vos prédécesseurs:
+puisque l'empereur Napoléon ne veut pas la guerre,
+ne le placez pas entre la guerre et le déshonneur; ne vous engagez
+pas dans une lutte dangereuse avec une armée qui s'honore
+de quinze ans de travaux glorieux, et que la victoire a
+accoutumée à tout soumettre.» Au lieu de tenir ce langage qui
+convenait si bien à la prudence de son âge et à l'expérience
+de sa longue carrière, il a été le premier à crier aux armes. Il
+a méconnu jusqu'aux liens du sang, en armant un fils contre
+son père; il a menacé de planter ses drapeaux sur le palais de
+Stuttgard, et accompagnant ses démarches d'imprécations
+contre la France, il s'est déclaré l'auteur de ce manifeste insensé
+qu'il avait désavoué pendant quatorze ans, quoiqu'il
+n'osât pas nier de l'avoir revêtu de sa signature.</p>
+
+<p>On a remarqué que pendant cette conversation, l'empereur
+avec cette chaleur dont il est quelquefois animé, a répété souvent:
+renverser et détruire les habitations des citoyens paisibles,
+c'est un crime qui se répare avec du temps et de l'argent;
+mais déshonorer une armée, vouloir qu'elle fuie hors
+de l'Allemagne, devant l'aigle prussienne, c'est une bassesse
+que celui-là seul qui la conseille, était capable de commettre.</p>
+
+<p>M. de Lucchesini est toujours au quartier-général; l'empereur
+a refusé de le voir, mais on observe qu'il a de fréquentes
+conférences avec le grand-maréchal du palais Duroc.</p>
+
+<p>L'empereur a ordonné de faire présent, sur la grande
+quantité de draps anglais trouvée à Leipsick, d'un habillement
+complet à chaque officier, et d'une capote et d'un habit
+à chaque soldat.</p>
+
+<p>Le quartier-général est à Kropstadt.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Potsdam, le 25 octobre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Dix-septième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le corps du maréchal Lannes est arrivé le 24 à Potsdam.</p>
+
+<p>Le corps du maréchal Davoust a fait son entrée le 25, à
+dix heures du matin, à Berlin.</p>
+
+<p>Le corps du maréchal prince de Ponte-Corvo est à Brandenbourg.</p>
+
+<p>Le corps du maréchal Augereau fera son entrée à Berlin,
+demain 26.</p>
+
+<p>L'empereur est arrivé hier à Potsdam, et est descendu au
+palais. Dans la soirée, il est allé visiter le nouveau palais,
+Sans-Soucy, et toutes les positions qui environnent Potsdam.
+Il a trouvé la situation et la distribution du château de Sans-Soucy,
+agréables. Il est resté quelque temps dans la chambre
+du grand Frédéric, qui se trouve tendue et meublée telle
+qu'elle l'était à sa mort.</p>
+
+<p>Le prince Ferdinand, frère du grand Frédéric, est demeuré
+à Berlin.</p>
+
+<p>On a trouvé dans l'arsenal de Berlin cinq cents pièces de
+canon, plusieurs centaines de milliers de poudre et plusieurs
+milliers de fusils.</p>
+
+<p>Le général Hullin est nommé commandant de Berlin.</p>
+
+<p>Le général Bertrand, aide-de-camp de l'empereur, s'est
+rendu à Spandau, la forteresse se défend; il en a fait l'investissement
+avec les dragons de la division Dupont.</p>
+
+<p>Le grand-duc de Berg s'est rendu à Spandau pour se mettre
+à la poursuite d'une colonne qui file de Spandau sur Stettin,
+et qu'on espère couper.</p>
+
+<p>Le maréchal Lefebvre, commandant la garde impériale à
+pied, et le maréchal Bessières, commandant la garde impériale
+à cheval, sont arrivés à Potsdam le 24 à neuf heures
+du soir. La garde à pied a fait quatorze lieues dans un jour.</p>
+
+<p>L'empereur reste toute la journée du 25 à Potsdam.</p>
+
+<p>Le corps du maréchal Ney bloque Magdebourg.</p>
+
+<p>Le corps du maréchal Soult a passé l'Elbe à une journée
+de Magdebourg, et poursuit l'ennemi sur Stettin.</p>
+
+<p>Le temps continue à être superbe; c'est le plus bel automne
+que l'on ait vu.</p>
+
+<p>En route, l'empereur étant à cheval, pour se rendre de
+Wittemberg à Potsdam, a été surpris par un orage, et a
+mis pied à terre dans la maison du grand-veneur de Saxe.
+S.M. a été fort étonnée de s'entendre appeler par son nom
+par une jolie femme; c'était une Égyptienne, veuve d'un
+officier français de l'armée d'Égypte, et qui se trouvait en
+Saxe depuis trois mois; elle demeurait chez le grand-veneur
+de Saxe, qui l'avait recueillie et honorablement traitée. L'empereur
+lui a fait une pension de 1200 fr. et s'est chargé de
+placer son enfant. «C'est la première fois, a dit l'empereur,
+que je mets pied à terre pour un orage; j'avais le pressentiment
+qu'une bonne action m'attendait là.»</p>
+
+<p>On remarque comme une singularité, que l'empereur Napoléon
+est arrivé à Potsdam,, et descendu dans le même appartement,
+le jour même, et presque à la même heure que
+l'empereur de Russie, lors du voyage que fit ce prince, l'an
+passé, et qui a été si funeste à la Prusse. C'est de ce moment,
+que la reine a quitté le soin de ses affaires intérieures et les
+graves occupations de la toilette, pour se mêler des affaires
+d'état, influencer le roi, et susciter partout ce feu dont elle
+était possédée.</p>
+
+<p>La saine partie de la nation prussienne regarde ce voyage
+comme un des plus grands malheurs qui soit arrivé à la Prusse.
+On ne se fait point d'idée de l'activité de la faction pour
+porter le roi à la guerre malgré lui.</p>
+
+<p>Le résultat du célèbre serment fait sur le tombeau du
+grand Frédéric le 4 novembre 1805, a été la bataillé d'Austerlitz
+et l'évacuation de l'Allemagne par l'armée russe, à
+journées d'étapes. On fit quarante-huit heures après, sur ce
+sujet, une gravure qu'on trouve dans toutes les boutiques, et
+qui excite le rire même des paysans. On y voit le bel empereur
+de Russie, près de lui la reine, et de l'autre côté le roi
+qui lève la main sur le tombeau du grand Frédéric; la reine
+elle-même, drapée d'un schall à peu près comme les gravures
+de Londres représentent lady Hamilton, appuie la main sur
+son coeur, et a l'air de regarder l'empereur de Russie. On ne
+conçoit point que la police de Berlin ait laissé répandre une
+aussi pitoyable satire.</p>
+
+<p>Toutefois, l'ombre du grand Frédéric n'a pu que s'indigner
+de cette scène scandaleuse. Son esprit, son génie et ses voeux
+étaient avec la nation qu'il a tant estimée, et dont il disait
+que s'il en était roi, il ne se tirerait pas un coup de canon en
+Europe, sans sa permission.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Potsdam, le 26 octobre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Dix-huitième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>L'empereur a passé à Potsdam la revue de la garde à pied,
+composée de dix bataillons et de soixante pièces d'artillerie,
+servie par l'artillerie à cheval. Ces troupes, qui ont éprouvé
+tant de fatigues, avaient la même tenue qu'à la parade de
+Paris.</p>
+
+<p>A la bataille de Jéna, le général de division Victor a reçu
+un biscaïen qui lui a fait une contusion: il a été obligé de
+garder le lit pendant quelques jours. Le général de brigade
+Gardanne, aide-de-camp de l'empereur, a eu un cheval tué et
+a été légèrement blessé. Quelques officiers supérieurs ont eu
+des blessures, d'autres des chevaux tués, et tous ont rivalisé
+de courage et de zèle.</p>
+
+<p>L'empereur a été voir le tombeau du grand Frédéric. Les
+restes de ce grand homme sont renfermés dans un cercueil de
+bois recouvert en cuivre, placé dans un caveau sans ornemens,
+sans trophées, sans aucune distinction qui rappellent les
+grandes actions qu'il a faites.</p>
+
+<p>L'empereur a fait présent à l'Hôtel-des-Invalides de Paris,
+de l'épée de Frédéric, de son cordon de l'Aigle-Noir, de sa
+ceinture de général, ainsi que des drapeaux que portait sa
+garde dans la guerre de sept ans. Les vieux invalides de l'armée
+de Hanovre accueilleront avec un respect religieux tout
+ce qui a appartenu à un des premiers capitaines dont l'histoire
+conservera le souvenir.</p>
+
+<p>Lord Morpelh, envoyé d'Angleterre auprès du cabinet
+prussien, ne se trouvait, pendant la journée de Jéna, qu'à
+six lieues du champ de bataille. Il a entendu le canon; un
+courrier vint bientôt lui annoncer que la bataille était perdue,
+et en un moment il fut entouré de fuyards qui le poussaient
+de tous côtés. Il courait en criant: <i>Il ne faut pas que je sois
+pris!</i> Il offrit jusqu'à soixante guinées pour obtenir un cheval;
+il en obtint un et se sauva.</p>
+
+<p>La citadelle de Spandau, située à trois lieues de Berlin,
+et à quatre lieues de Potsdam, forte par sa situation au milieu
+des eaux, et renfermant douze cents hommes de garnison,
+et une grande quantité de munitions de guerre et de
+bouche, a été cernée le 24 dans la nuit. Le général Bertrand,
+aide-de-camp de l'empereur, avait déjà reconnu la
+place. Les pièces étaient disposées pour jeter des obus et intimider
+la garnison. Le maréchal Lannes a fait signer par le
+commandant la capitulation de cette place.</p>
+
+<p>On a trouvé à Berlin des magasins considérables d'effets
+de campement et d'habillement; ou en dresse les inventaires.</p>
+
+<p>Une colonne, commandée par le duc de Weimar, est
+poursuivie par le maréchal Soult. Elle s'est présentée le 23
+devant Magdebourg. Nos troupes étaient là depuis le 20. Il
+est probable que nette colonne, forte de quinze mille hommes,
+sera coupée et prise. Magdebourg est le premier point de
+rendez-vous des troupes prussiennes. Beaucoup de corps s'y
+rendent. Les Français le bloquent.</p>
+
+<p>Une lettre de Helmstadt, récemment interceptée, contient
+des détails curieux.</p>
+
+<p>MM. le prince d'Hatzfeld, Basching, président de la police,
+le président de Kercheisen; Formey, conseiller intime;
+Polzig, conseiller de la municipalité; MM. Ruek, Siegr et
+Hermensdorf, conseillers députés de la ville de Berlin, ont
+remis ce matin à l'empereur, à Potsdam, les clefs de cette
+capitale. Ils étaient accompagnés de MM. Grote, conseiller
+des finances; le baron de Vichnitz et le baron d'Eckarlstein.
+Ils ont dit que les bruits qu'on avait répandus sur l'esprit de
+cette ville étaient faux; que les bourgeois et la masse du
+peuple avaient vu la guerre avec peine; qu'une poignée de
+femmes et de jeunes officiers avaient fait seuls ce tapage;
+qu'il n'y avait pas un seul homme sensé qui n'eût vu ce qu'on
+avait à craindre, et qui pût deviner ce qu'on avait à espérer.
+Comme tous les Prussiens, ils accusent le voyage de l'empereur
+Alexandre des malheurs de la Prusse. Le changement
+qui s'est dès-lors opéré dans l'esprit de la reine, qui, de
+femme timide et modeste, s'occupant de son intérieur, est
+devenue turbulente et guerrière, a été une révolution subite.
+Elle a voulu tout à coup avoir un régiment, aller au conseil;
+elle a si bien mené la monarchie, qu'en peu de jours elle l'a
+conduite au bord du précipice.</p>
+
+<p>Le quartier-général est à Charlottembourg.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Charlottembourg, le 27 octobre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Dix-neuvième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>L'empereur, parti de Potsdam aujourd'hui à midi, a été
+visiter la forteresse de Spandau. Il a donné des ordres au
+général de division Chasseloup, commandant le génie de
+l'armée, sur les améliorations à faire aux fortifications de cette
+place. C'est un ouvrage superbe; les magasins sont magnifiques.
+On a trouvé à Spandau des farines, des grains, de l'avoine
+pour nourrir l'armée pendant deux mois, des munitions de
+guerre pour doubler l'approvisionnement de l'artillerie. Cette
+forteresse, située sur la Sprée, à deux lieues de Berlin, est une
+acquisition inestimable. Dans nos mains, elle soutiendra deux
+mois de tranchée ouverte. Si les Prussiens ne l'ont pas défendue,
+c'est que le commandant n'avait pas reçu d'ordre, et que
+les Français y sont arrivés en même temps que la nouvelle
+de la bataille perdue. Les batteries n'étaient pas faites et la
+place était désarmée.</p>
+
+<p>Pour donner une idée de l'extrême confusion qui règne
+dans cette monarchie, il suffît de dire que la reine, à son retour
+de ses ridicules et tristes voyages d'Erfurt et de Weimar, a
+passé la nuit à Berlin, sans voir personne; qu'on a été long-temps
+sans avoir de nouvelles du roi; que personne n'a pourvu
+à la sûreté de la capitale, et que les bourgeois ont été obligés
+de se réunir pour former un gouvernement provisoire.</p>
+
+<p>L'indignation est à son comble contre les auteurs de la
+guerre. Le manifeste, que l'on appelle à Berlin un indécent libelle
+où aucun grief n'est articulé, a soulevé la nation contre
+son auteur, misérable scribe nommé Gentz, un de ces hommes
+sans honneur qui se vendent pour de l'argent.</p>
+
+<p>Tout le monde avoue que la reine est l'auteur des maux
+que souffre la nation prussienne. On entend dire partout:
+Elle était si bonne, si douce il y a un an! mais depuis cette
+fatale entrevue avec l'empereur Alexandre, combien elle est
+changée!</p>
+
+<p>Il n'y a eu aucun ordre donné dans les palais, de manière
+qu'on a trouvé à Potsdam l'épée du grand Frédéric, la ceinture
+dégénérai qu'il portait à la guerre de sept ans, et son cordon
+de l'Aigle-Noir. L'empereur s'est saisi de ces trophées avec
+empressement, et a dit: «J'aime mieux cela que vingt millions.»
+Puis, pensant un moment à qui il confierait ce précieux
+dépôt: «Je les enverrai, dit-il, à mes vieux soldats de la
+guerre d'Hanovre, j'en ferai présent au gouverneur des Invalides:
+cela restera à l'Hôtel.»</p>
+
+<p>On a trouvé dans l'appartement qu'occupait la reine, à
+Potsdam, le portrait de l'empereur de Russie, dont ce prince
+lui avait fait présent; on a trouvé à Charlottembourg sa correspondance
+avec le roi, pendant trois ans, et des mémoires
+rédigés par des écrivains anglais, pour prouver qu'on ne devait
+tenir aucun compte des traités conclus avec l'empereur
+Napoléon, mais se tourner tout à fait du côté de la Russie.
+Ces pièces surtout sont des pièces historiques; elles démontreraient,
+si cela avait besoin d'une démonstration, combien
+sont malheureux les princes qui laissent prendre aux femmes
+l'influence sur les affaires politiques. Les notes, les rapports,
+les papiers d'état étaient musqués, et se trouvaient mêlés
+avec les chiffons et d'autres objets de la toilette de la reine.
+Cette princesse avait exalté les têtes de toutes les femmes de
+Berlin; mais aujourd'hui elles ont bien changé: les premiers
+fuyards ont été mal reçus; on leur a rappelé, avec ironie, le
+jour où ils aiguisaient leurs sabres sur les places de Berlin,
+voulant tout tuer et tout pour fendre.</p>
+
+<p>Le général Savary, envoyé avec un détachement de cavalerie
+à la recherche de l'ennemi, mande que le prince de
+Hohenlohe, obligé de quitter Magdebourg, se trouvait, le
+25, entre Rattenau et Ruppin, se retirant sur Stettin.</p>
+
+<p>Le maréchal Lannes était déjà à Zehdenick; il est probable
+que les débris de ce corps ne parviendront pas à se sauver
+sans être de nouveau entamés.</p>
+
+<p>Le corps bavarois doit être entré ce matin à Dresde, on
+n'en a pas encore de nouvelles.</p>
+
+<p>Le prince Louis-Ferdinand, qui a été tué dans la première
+affaire de la campagne, est appelé publiquement, à
+Berlin, le petit duc d'Orléans. Ce jeune homme abusait de
+la bonté du roi au point de l'insulter. C'est lui qui, à la tête
+d'une troupe de jeunes officiers, se porta, pendant une nuit,
+à la maison de M. de Haugwitz, lorsque ce ministre revint
+de Paris, et cassa ses fenêtres.</p>
+
+<p>On ne sait si l'on doit le plus s'étonner de tant d'audace ou
+de tant de faiblesse.</p>
+
+<p>Une grande partie de ce qui a été dirigé de Berlin sur
+Magdebourg et sur l'Oder a été intercepté par la cavalerie
+légère. On a déjà arrêté plus de soixante bateaux chargée
+d'effets d'habillement, de farine d'artillerie. Il y a des régimens
+d'hussards qui ont plus de 500,000 francs. On a
+rendu compte qu'ils achetaient de l'or pour de l'argent à
+cinquante pour cent de perte.</p>
+
+<p>Le château de Charlottembourg, où loge l'empereur, est
+situé à une lieue de Berlin, sur la Sprée.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Charlottembourg, le 27 octobre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Vingtième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Si les événemens militaires n'ont plus l'intérêt de l'incertitude,
+ils ont toujours l'intérêt des combinaisons, des marches
+et des manoeuvres. L'infatigable grand-duc de Berg se trouvait
+à Zehdenick le 26, à trois heures après-midi, avec la brigade
+de cavalerie légère du général Lasalle, et les divisions de dragons
+des généraux Beaumont et Grouchy étaient en marche
+pour arriver sur ce point.</p>
+
+<p>La brigade du général Lasalle contint l'ennemi, qui lui
+montra près de six mille hommes de cavalerie. C'était toute
+la cavalerie de l'armée prussienne, qui, ayant abandonné
+Magdebourg, formait l'avant garde du corps du prince de
+Hohenlohe, qui se dirigeait sur Stettin. A quatre heures après
+midi, les deux divisions de dragons étant arrivées, la brigade
+du général Lasalle chargea l'ennemi avec cette singulière intrépidité
+qui a caractérisé les hussards et les chasseurs français
+dans cette campagne, La ligne de l'ennemi, quoique
+triple, fut rompue, l'ennemi poursuivi dans le village de
+Zehdenick et culbuté dans les défilés. Le régiment des dragons
+de la reine voulut se reformer; mais les dragons de la
+division Grouchy se présentèrent, chargèrent l'ennemi, et
+en firent un horrible carnage. De ces six mille hommes de cavalerie,
+partie a été culbutée dans les marais; trois cents
+hommes sont restés sur le champ de bataille; sept cents ont
+été pris avec leurs chevaux, le colonel du régiment de la
+reine et un grand nombre d'officiers sont de ce nombre. L'étendard
+de ce régiment a été pris. Le corps du maréchal
+Lannes est en pleine marche pour soutenir la cavalerie. Les
+cuirassiers se portent en colonne sur la droite, et un autre
+corps d'armée se porte sur Gransée. Nous arriverons à Stettin
+avant cette armée, qui, attaquée dans sa marche en flanc,
+est déjà débordée par sa tête. Démoralisée comme elle l'est,
+on a lieu d'espérer que rien n'échappera, et que toute la
+partie de l'armée prussienne qui a inutilement perdu deux
+jours à Magdebourg pour se rallier, n'arrivera pas sur l'Oder.</p>
+
+<p>Ce combat de cavalerie de Zehdenick a son intérêt comme
+fait militaire. De part et d'autre, il n'y avait pas d'infanterie;
+mais la cavalerie prussienne est si loin de la nôtre, que les
+événemens de la campagne ont prouvé qu'elle ne pouvait
+tenir vis à vis de forces moindres de la moitié.</p>
+
+<p>Un adjoint de l'état-major, arrêté par un parti ennemi du
+côté de la Thuringe, lorsqu'il portait des ordres au maréchal
+Mortier, a été conduit à Custrin, et y a vu le roi. Il rapporte
+qu'au-delà de l'Oder, il n'est arrivé que très-peu de
+fuyards, soit à Stettin, soit à Custrin; il n'a presque point
+vu de troupes d'infanterie.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Berlin, le 28 octobre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Vingt-unième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>L'empereur a fait, hier 27, une entrée solennelle à Berlin.
+Il était environné du prince de Neufchâtel, des maréchaux
+Davoust et Augereau, de son grand-maréchal du palais, de
+son grand-écuyer et de ses aides-de-camp. Le maréchal Lefebvre
+ouvrait la marche, à la tête de la garde impériale à
+pied; les cuirassiers de la division Nansouty étaient en bataille
+sur le chemin. L'empereur marchait entre les grenadiers
+et les chasseurs à cheval de sa garde. Il est descendu au
+palais à trois heures après-midi; il a été reçu par le grand-maréchal
+du palais, Duroc. Un foule immense était accourue
+sur son passage. L'avenue de Charlottembourg à Berlin est
+très-belle; l'entrée par cette porte est magnifique. La journée
+était superbe. Tout le corps de la ville, présenté par le général
+Hullin, commandant de la place, est venu à la porte
+offrir les clefs de la ville à l'empereur; ce corps s'est rendu
+ensuite chez S.M. Le général prince d'Hatzfeld était à la tête.</p>
+
+<p>L'empereur a ordonné que les deux mille bourgeois les
+plus riches se réunissent a l'hôtel-de-ville, pour nommer
+soixante d'entr'eux, qui formeront le corps municipal. Les
+vingt cantons fourniront une garde de soixante hommes chacun;
+ce qui fera douze cents des plus riches bourgeois pour
+garder la ville et en faire la police. L'empereur a dit au prince
+d'Hatzfeld: «Ne vous présentez pas devant moi, je n'ai pas
+besoin de vos services. Retirez-vous dans vos terres.» Il a reçu
+le chancelier et les ministres du roi de Prusse.</p>
+
+<p>Le 28, à neuf heures du matin, les ministres de Bavière,
+d'Espagne, de Portugal et de la Porte, qui étaient à Berlin,
+ont été admis à l'audience de l'empereur. Il a dit au ministre
+de la Porte d'envoyer un courrier à Constantinople, pour
+porter des nouvelles de ce qui se passait, et annoncer que les
+Russes n'entreraient pas aujourd'hui en Moldavie, et qu'ils
+ne tenteraient rien contre l'empire ottoman. Ensuite il a reçu
+tout le clergé protestant et calviniste. Il y a à Berlin plus de
+dix ou douze mille Français réfugiés par suite de l'édit de
+Nantes. S. M. a causé avec les principaux d'entr'eux. Il leur
+a dit qu'ils avaient de justes droits à sa protection, et que
+leurs privilèges et leur culte seraient maintenus. Il leur a recommandé
+de s'occuper de leurs affaires, de rester tranquilles,
+et de porter obéissance et respect à <i>César</i>.</p>
+
+<p>Les cours de justice lui ont été présentées par le chancelier.
+Il s'est entretenu avec les membres de la division des
+cours d'appel et de première instance; il s'est informé de la
+manière dont se rendait la justice.</p>
+
+<p>M. le comte de Néale s'étant présenté dans les salons de
+l'empereur, S.M. lui a dit: «Eh! bien, Monsieur, vos femmes
+ont voulu la guerre, en voici le résultat; vous deviez
+mieux contenir votre famille.» Des lettres de sa fille avaient
+été interceptées: «Napoléon, disaient ces lettres, ne veut
+pas la guerre, il faut la lui faire.» --«Non, dit S.M. à
+M. de Néale, je ne veux pas la guerre, non pas que je me méfie
+de ma puissance, comme vous le pensez, mais parce que le
+sang de mes peuples m'est précieux, et que mon premier devoir
+est de ne le répandre que pour sa sûreté et son honneur.
+Mais ce bon peuple de Berlin est victime de la guerre, tandis
+que ceux qui l'ont attirée se sont sauvés. Je rendrai cette
+noblesse de cour si petite, qu'elle sera obligée de mendier
+son pain.»</p>
+
+<p>En faisant connaître ses intentions au corps municipal,
+«j'entends, dit l'empereur, qu'on ne casse les fenêtres de
+personne. Mon frère le roi de Prusse a cessé d'être roi le jour
+où il n'a pas fait pendre le prince Louis-Ferdinand, lorsqu'il
+a été assez osé pour aller casser les fenêtres de ses ministres.»</p>
+
+<p>Aujourd'hui 28, l'empereur est monté à cheval pour passer
+en revue le corps du maréchal Davoust; demain S.M.
+passera en revue le corps du maréchal Augereau.</p>
+
+<p>Le grand-duc de Berg, et les maréchaux Lannes et prince
+de Ponte-Corvo sont à la poursuite du prince de Hohenlohe.
+Après le brillant combat de cavalerie de Zehdenick, le
+grand-duc de Berg s'est porté à Templin; il y a trouvé les
+vivres et le dîner préparés pour les généraux et les troupes
+prussienne.</p>
+
+<p>À Gransée, le prince de Hohenlohe a changé de route,
+et s'est dirigé sur Furstemberg. Il est probable qu'il sera
+coupé de l'Oder, et qu'il sera enveloppé et pris.</p>
+
+<p>Le duc de Weimar est dans une position semblable vis-à-vis
+du maréchal Soult. Ce duc a montré l'intention de passer
+l'Elbe à Tanger-Munde, pour gagner l'Oder. Le 25, le maréchal
+Soult l'a prévenu. S'il est joint, pas un homme n'échappera;
+s'il parvient à passer, il tombe dans les mains du grand-duc
+de Berg et des maréchaux Lannes et prince de Ponte-Corvo.
+Une partie de nos troupes borde l'Oder. Le roi de
+Prusse a passé la Vistule.</p>
+
+<p>M. le comte de Zastrow a été présenté à l'empereur le 27,
+à Charlottembourg, et lui a remis une lettre du roi de Prusse.
+Au moment même l'empereur reçoit un aide-de-camp du
+prince Eugène, qui lui annonce une victoire remportée sur
+les Russes en Albanie.</p>
+
+<p>Voici la proclamation que l'empereur a faite à ses soldats:</p>
+
+<p class="milieu"><i>Proclamation de l'empereur à l'armée.</i></p>
+
+<p>Soldats! vous avez justifié mon attente, et répondu dignement
+à la confiance du peuple français. Tous avez supporté
+les privations et les fatigues avec autant de courage que vous
+avez montré d'intrépidité et de sang-froid au milieu des combats.
+Vous êtes les dignes défenseurs de l'honneur de ma couronne
+et de la gloire du grand peuple; tant que vous serez
+animés de cet esprit, rien ne pourra vous résister. Je ne
+sais désormais à quelle arme je dois donner la préférence....
+vous êtes tous de bons soldats. Voici les résultats de nos
+travaux.</p>
+
+<p>Une des premières puissances militaires de l'Europe, qui
+osa naguère nous proposer une honteuse capitulation, est
+anéantie. Les forêts, les défilés de la Franconie, la Saale,
+l'Elbe, que nos pères n'eussent pas traversés en sept ans, nous
+les avons traversés en sept jours, et livré dans l'intervalle
+quatre combats et une grande bataille, Nous avons précédé à
+Potsdam, à Berlin, la renommée de nos victoires. Nous avons
+fait soixante mille prisonniers, pris soixante-cinq drapeaux,
+parmi lesquels ceux des gardes du roi de Prusse; six cents
+pièces de canon, trois forteresses, plus de vingt généraux.
+Cependant, près de la moitié de vous regrettent de n'avoir
+pas encore tiré un coup de fusil. Toutes les provinces de la
+monarchie prussienne, jusqu'à l'Oder, sont en notre pouvoir.</p>
+
+<p>Soldats! les Russes se vantent de venir à nous. Nous marcherons
+à leur rencontre, nous leur épargnerons la moitié du
+chemin, ils retrouveront Austerlitz au milieu de la Prusse.
+Une nation qui a aussitôt oublié la générosité dont nous
+avons usé envers elle après cette bataille, où son empereur,
+sa cour, les débris de son armée n'ont dû leur salut qu'à la
+capitulation que nous leur avons accordée, est une nation qui
+ne saurait lutter avec succès contre nous.</p>
+
+<p>Cependant, tandis que nous marchons au-devant des Russes,
+de nouvelles armées, formées dans l'intérieur de l'empire,
+tiennent prendre notre place pour garder nos conquêtes. Mon
+peuple tout entier s'est levé, indigné de la honteuse capitulation
+que les ministres prussiens, dans leur délire, nous ont
+proposée. Nos routes et nos villes frontières sont remplies de
+conscrits qui brûlent de marcher sur vos traces. Nous ne serons
+plus désormais les jouets d'une paix traîtresse, et nous
+ne poserons plus les armes que nous n'ayons obligé les Anglais,
+ces éternels ennemis de notre nation, à renoncer au
+projet de troubler le continent, et à la tyrannie des mers.</p>
+
+<p>Soldats! je ne puis mieux vous exprimer les sentimens que
+j'ai pour vous, qu'en vous disant que je vous porta dans
+mon coeur l'amour que vous me montrez tous les jours.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Berlin, le 29 octobre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Vingt-deuxième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Les événemens se succèdent avec rapidité. Le grand-duc
+de Berg est arrivé le 27 à Hasleben avec une division de dragons.
+Il avait envoyé à Boitzenhourg le général Milhaud, avec
+le treizième régiment de chasseurs et la brigade de cavalerie
+légère du général Lasalle, sur Prentzlow. Instruit que
+l'ennemi était en force à Boitzenbourg, il s'est porté à Wigneensdorf.
+A peine arrivé là, il s'aperçut qu'une brigade de
+cavalerie ennemie s'était portée sur la gauche, dans l'intention
+de couper le général Milhaud. Les voir, les charger,
+jeter le corps des gendarmes du roi dans le lac, fut l'affaire
+d'un moment. Ce régiment se voyant perdu, demanda à capituler.
+Cinq cents hommes mirent pied à terre et remirent
+leurs chevaux. Les officiers se retirent chez eux sur parole.
+Quatre étendards de la garde, tous d'or, furent le trophée
+du petit combat de Wigneensdorf, qui n'était que le prélude
+de la belle affaire de Prentzlow.</p>
+
+<p>Ces célèbres gendarmes, qui ont trouvé tant de commisération
+après la défaite, sont les mêmes qui, pendant trois mois,
+ont révolté la ville de Berlin par toutes sortes de provocations.
+Ils allaient sous les fenêtres de M. Laforêt, ministre de
+France, aiguiser leurs sabres: les gens de bon sens haussaient
+les épaules; mais la jeunesse sans expérience, et les femmes
+passionnées, à l'exemple de la reine, voyaient dans cette fanfaronnade,
+un pronostic sûr des grandes destinées qui attendaient
+l'armée prussienne.</p>
+
+<p>Le prince de Hohenlohe, avec les débris de la bataille
+de Jéna, cherchait à gagner Stettin. Il avait été obligé de changer
+de route, parce que le grand-duc de Berg était à Templin
+avant lui. Il voulut déboucher de Boitzenbourg sur Hasleben,
+il fut trompé dans son mouvement. Le grand-duc de
+Berg jugea que l'ennemi cherchait à gagner Prentzlow; cette
+conjecture était fondée. Le prince marcha toute la nuit avec
+les divisions de dragons des généraux Beaumont et Grouchy,
+éclairées par la cavalerie légère du général Lasalle. Les premiers
+postes de nos hussards arrivèrent à Prentzlow avec
+l'ennemi, mais ils furent obligés de se retirer le 28 au matin
+devant les forces supérieures que déploya le prince de
+Hohenlohe. A neuf heures du matin, le grand-duc de Berg
+arriva à Prentow, et à dix heures, il vit l'armée ennemie en
+pleine marche. Sans perdre de temps en vains mouvemens,
+le prince ordonna, au général Lasalle de charger dans les faubourgs
+de Prentzlow, et le fit soutenir par les généraux Grouchy
+et Beaumont, et leurs six pièces d'artillerie légère. Il fît
+traverser à Golmitz la petite rivière qui passe à Prentzlow,
+par trois régimens de dragons, attaquer le flanc de l'ennemi,
+et chargea son autre brigade de dragons de tourner la ville.
+Nos braves canonnières à cheval placèrent si bien leurs pièces,
+et tirèrent avec tant d'assurance, qu'ils mirent de l'incertitude
+dans les mouvemens de l'ennemi. Dans le moment, le
+général Grouchy reçut ordre de charger: ses braves dragons
+s'en acquittèrent avec intrépidité. Cavalerie, infanterie, artillerie,
+tout fut culbuté dans les faubourgs de Prentzlow. On
+pouvait entrer pêle-mêle avec l'ennemi dans la ville; mais le
+prince préféra les faire sommer par le général Belliard. Les
+portes de la ville étaient déjà brisées; Sans espérance, le prince
+de Hohenlohe, un des principaux boute-feux de cette guerre
+impie, capitula, et défila devant l'armée française avec seize
+mille hommes d'infanterie, presque tous gardes ou grenadiers;
+six régimens de cavalerie, quarante-cinq drapeaux et soixante-quatre
+pièces d'artillerie attelées. Tout ce qui avait échappé
+des gardes du roi de Prusse à la bataille de Jéna, est tombé en
+notre pouvoir. Nous avons tous les drapeaux des gardes à pied
+et à cheval du roi. Le prince de Hohenlohe, commandant en
+chef, après la blessure du duc de Brunswick, un prince de
+Mecklembourg-Schwerin et plusieurs généraux sont nos prisonniers.</p>
+
+<p>«Mais il n'y a rien de fait, tant qu'il reste à faire, écrivit
+l'empereur au grand-duc de Berg. Vous avez débordé une
+colonne de huit mille hommes, commandée par le général
+Blucher; que j'apprenne bientôt qu'elle a éprouvé le même
+sort.»</p>
+
+<p>Une autre de dix mille hommes a passé l'Elbe; elle est
+commandée par le duc de Weimar. Tout porte à croire que
+lui et toute sa colonne vont être enveloppés.</p>
+
+<p>Le prince Auguste-Ferdinand, frère du prince Louis, tué
+à Saalfeld, et fils du prince Ferdinand, frère du Grand-Frédéric,
+a été pris par nos dragons les armes à la main.</p>
+
+<p>Ainsi, cette grande et belle armée prussienne a disparu
+comme un brouillard d'automne au lever du soleil. Généraux
+en chef, généraux commandant les corps d'armée, princes,
+infanterie, cavalerie, artillerie, il n'en reste plus rien. Nos
+postes étant entrés à Francfort sur l'Oder, le roi de Prusse
+s'est porté plus loin. Il ne lui reste pas quinze mille hommes;
+et pour un tel résultat, il n'y a presque aucune perte de notre
+côté.</p>
+
+<p>Le général Clarke, gouverneur du pays d'Erfurth, a fait
+capituler un bataillon saxon qui errait sans direction.</p>
+
+<p>L'empereur a passé, le 28, la revue du corps du maréchal
+Davoust, sous les murs de Berlin. Il a nommé à toutes les
+places vacantes, il a récompensé les braves. Il a ensuite réuni
+les officiers et sous-officiers en cercle, et leur a dit: «Officiers
+et sous-officiers du troisième corps d'armée, vous vous
+êtes couverts de gloire à la bataille de Jéna; j'en conserverai
+un éternel souvenir. Les braves qui sont morts, sont morts
+avec gloire. Nous devons désirer de mourir dans des circonstances
+si glorieuses.» En passant la revue des douzième,
+soixante-unième et quatre-vingt-cinquième régimens de ligne
+qui ont le plus perdu à cette bataille, parce qu'ils ont dû
+soutenir les plus grands efforts, l'empereur a été attendri de
+savoir morts, ou grièvement blessés, beaucoup de ses vieux
+soldats dont il connaissait le dévouement et la bravoure depuis
+quatorze ans. Le douzième régiment surtout a montré
+une intrépidité digne des plus grands éloges.</p>
+
+<p>Aujourd'hui à midi, l'empereur a passé la revue du septième
+corps, que commande le maréchal Augereau. Ce corps
+a très-peu souffert. La moitié des soldats n'a pas eu occasion
+de tirer un coup de fusil, mais tous avaient la même volonté
+et la même intrépidité. La vue de ce corps était magnifique.
+«Votre corps seul, a dit l'empereur, est plus fort que tout
+ce qui reste au roi de Prusse, et vous ne composez pas le
+dixième de mon armée.»</p>
+
+<p>Tous les dragons à pied que l'empereur avait fait venir à
+la grande armée sont montés, et il y a au grand dépôt de
+Spandau quatre mille chevaux sellés et bridés dont on ne
+sait que faire, parce qu'il n'y a pas de cavaliers qui en aient
+besoin. On attend avec impatience l'arrivée des dépôts.</p>
+
+<p>Le prince Auguste a été présenté à l'empereur, au palais
+de Berlin, après la revue du septième corps d'année. Ce
+prince a été renvoyé chez son père, le prince Ferdinand,
+pour se reposer et se faire panser de ses blessures.</p>
+
+<p>Hier, avant d'aller à la revue du corps du maréchal Davoust,
+l'empereur avait rendu visite à la veuve du prince
+Henri, et au prince et à la princesse Ferdinand, qui se sont
+toujours fait remarquer par la manière distinguée avec laquelle
+ils n'ont cessé d'accueillir les Français.</p>
+
+<p>Dans le palais qu'habite l'empereur à Berlin, se trouve la
+soeur du roi de Prusse, princesse électorale de Hesse-Cassel.
+Cette princesse est en couche. L'empereur a ordonné à son
+grand-maréchal du palais de veiller à ce qu'elle ne fût pas
+incommodée du bruit et des mouvemens du quartier-général.</p>
+
+<p>Le dernier bulletin rapporte la manière dont l'empereur a
+reçu le prince d'Hatzfeld à son audience. Quelques instans après
+ce prince fut arrêté. Il aurait été traduit devant une commission militaire
+et inévitablement condamné à mort: des lettres
+de ce prince au prince Hohenlohe, interceptées aux avant-postes,
+avaient appris que, quoiqu'il se dit chargé du gouvernement
+civil de la ville, il instruisait l'ennemi des mouvemens
+des Français. Sa femme, fille du ministre Schulenbourg,
+est venue se jeter aux pieds de l'empereur; elle croyait
+que son mari était arrêté à cause de la haine que le ministre
+Schulenbourg portait à la France. L'empereur la dissuada
+bientôt, et lui fit connaître qu'on avait intercepté des papiers
+dont il résultait que son mari faisait un double rôle, et que
+les lois de la guerre étaient impitoyables sur un pareil délit.
+La princesse attribuait à l'imposture de ses ennemis cette accusation,
+qu'elle appelait une calomnie. «Vous connaissez
+l'écriture de votre mari, dit l'empereur, je vais vous faire
+juge.» Il fit apporter la lettre interceptée, et la lui remit. Cette
+femme, grosse de plus de huit mois, s'évanouissait à chaque
+mot qui lui découvrait jusqu'à quel point était compromis
+son mari, dont elle reconnaissait l'écriture. L'empereur fut
+touché de sa douleur, de sa confusion, des angoisses qui la déchiraient.
+«Eh! bien, lui dit-il, vous tenez cette lettre,
+jetez-la au feu; cette pièce anéantie, je ne pourrai plus faire
+condamner votre mari.» (Cette scène touchante se passait
+près de la cheminée). Madame d'Hatzfeld ne se le fit pas dire
+deux fois. Immédiatement après, le prince de Neufchâtel
+reçut ordre de lui rendre son mari. La commission militaire
+était déjà réunie. La lettre seule de M. d'Hatzfeld le condamnait;
+trois heures plus tard il était fusillé.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Berlin, le 30 octobre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Vingt-troisième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le duc de Weimar est parvenu à passer l'Elbe à Havelberg.
+Le général Soult s'est porté le 9 à Rathnau, et le 30 à
+Wertenhausen.</p>
+
+<p>Le 29, la colonne du duc de Weimar était à Rhinsberg, et
+le maréchal prince de Ponte-Corvo à Furstemberg. Il n'y a
+pas de doute que ces quatorze mille hommes ne soient tombés
+ou ne tombent, dans ce moment, au pouvoir de l'armée
+française. D'un autre côté, le général Blucher, avec sept
+mille hommes, quittait Rhinsberg, le 29 au matin, pour se
+porter sur Stettin, le maréchal Lannes et le grand-duc de
+Berg avaient trois journées de marche d'avance sur lui. Cette
+colonne est tombée en notre pouvoir, ou y tombera sous quarante-huit
+heures.</p>
+
+<p>Nous avons rendu compte, dans le dernier bulletin, qu'à
+l'affaire de Prentzlow, le grand-duc de Berg avait fait mettre
+bas les armes au prince de Hohenlohe et à ses dix-sept mille
+hommes. Le 29, une colonne ennemie de six mille hommes a
+capitulé dans les mains du général Milhaud à Passewalk. Cela
+nous donne encore deux mille chevaux sellés et bridés, avec
+les sabres. Voilà plus de six mille chevaux que l'empereur a
+ainsi à Spandau, après avoir monté toute sa cavalerie.</p>
+
+<p>Le maréchal Soult, arrivé à Rathnau, a rencontré cinq
+escadrons de cavalerie saxonne qui ont demandé à capituler.
+Il leur a fait signer une capitulation. C'est encore cinq cents
+chevaux pour l'armée.</p>
+
+<p>Le maréchal Davoust a passé l'Oder à Francfort. Les alliés
+bavarois et wurtembergeois, sous les ordres du prince Jérôme,
+sont en marche de Dresde sur Francfort.</p>
+
+<p>Le roi de Prusse a quitté l'Oder, et a passé la Vistule; il
+est à Graudentz. Les places de la Silésie sont sans garnison
+et sans approvisionnemens. Il est probable que la place de
+Stettin ne tardera pas à tomber en notre pouvoir. Le roi de
+Prusse est sans armée, sans artillerie, sans fusils. C'est beaucoup
+que d'évaluer à douze ou quinze mille hommes ce qu'il
+aura pu réunir sur la Vistule. Rien n'est curieux comme les
+mouvemens actuels. C'est une espèce de chasse où la cavalerie
+légère, qui va aux aguets des corps d'armée, est sans cesse
+détournée par des colonnes ennemies qui sont coupées.</p>
+
+<p>Jusqu'à cette heure, nous avons cent cinquante drapeaux,
+parmi lesquels sont ceux brodés des mains de la belle reine,
+beauté aussi funeste aux peuples de Prusse, que le fut Hélène
+aux Troyens.</p>
+
+<p>Les gendarmes de la garde ont traversé Berlin pour se
+rendre prisonniers à Spandau. Le peuple, qui les avait vus
+si arrogans il y a peu de semaines, les a vus dans toute leur
+humiliation.</p>
+
+<p>L'empereur a fait aujourd'hui une grande parade, qui a
+duré depuis onze heures du matin, jusqu'à six heures du
+soir. Il a vu en détail toute sa garde à pied et à cheval, et
+les beaux régimens des carabiniers et des cuirassiers de la division
+Nansouty; il a fait différentes promotions, en se faisant
+rendre compte de tout dans le plus grand détail.</p>
+
+<p>Le général Savary, avec deux régimens de cavalerie, a
+déjà atteint le corps du duc de Weimar, et sert de communication
+pour transmettre des renseignemens au grand-duc de
+Berg, au prince de Ponte-Corvo et au maréchal Soult.</p>
+
+<p>On a pris possession des états du duc de Brunswick. On
+croit que ce duc s'est réfugié en Angleterre. Toutes ses
+troupes ont été désarmées. Si ce prince a mérité, à juste
+titre, l'animadversion du peuple français, il a aussi encouru
+celle du peuple et de l'armée prussienne; du peuple qui lui
+reproche d'être l'un des auteurs de la guerre; de l'armée;
+qui se plaint de ses manoeuvres et de sa conduite militaire.
+Les faux calculs des jeunes gendarmes sont pardonnables;
+mais la conduite de ce vieux prince, âgé de soixante-douze
+ans, est un excès de délire dont la catastrophe ne saurait exciter
+de regrets. Qu'aura donc de respectable la vieillesse, si,
+au défaut de son âge, elle joint la fanfaronnade et l'inconsidération
+de la jeunesse?</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Berlin, le 31 octobre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Vingt-quatrième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Stettin est en notre pouvoir. Pendant que la gauche du
+grand-duc de Berg, commandée par le général Milhaud, faisait
+mettre bas les armes, à une colonne de six mille hommes
+à Passewalk, la droite, commandée par le général Lasalle,
+sommait la ville de Stettin, et l'obligeait à capituler. Stettin
+est une place en bon état, bien armée et bien palissadée:
+cent-soixante pièces de canon, des magasins considérables,
+une garnison de six mille hommes de belles troupes, prisonnière,
+beaucoup de généraux, tel est le résultat de la
+capitulation de Stettin, qui ne peut s'expliquer que par l'extrême
+découragement qu'a produit sur l'Oder et dans tous
+les pays de la rive droite la disparition de la grande armée
+prussienne.</p>
+
+<p>De toute cette belle armée de cent quatre-vingt mille
+hommes, rien n'a passé l'Oder. Tout a été pris, ou erre encore
+entre l'Elbe et l'Oder, et sera pris avant quatre jours. Le
+nombre des prisonniers montera à près de cent mille hommes.
+Il est inutile de faire sentir l'importance de la prise de la
+ville de Stettin, une des places les plus commerçantes de la
+Prusse, et qui assure à l'armée un bon pont sur l'Oder et une
+bonne ligne d'opérations.</p>
+
+<p>Du moment que les colonnes du duc de Weimar et du général
+Blucher, qui sont débordées par la droite et la gauche,
+et poursuivies par la queue, seront rendues, l'armée prendra
+quelques jours de repos.</p>
+
+<p>On n'entend point encore parler des Russes. Nous désirons
+fort qu'il en vienne une centaine de milliers. Mais le bruit
+de leur marche est une vraie fanfaronnade. Ils n'oseront pas
+venir à notre rencontre. La journée d'Austerlitz se représente
+à leurs yeux. Ce qui indigne les gens sensés, c'est d'entendre
+l'empereur Alexandre et son sénat dirigeant, dire que ce sont
+les alliés qui ont été battus. Toute l'Europe sait bien qu'il n'y
+a pas de familles en Russie qui ne portent le deuil.</p>
+
+<p>Ce n'est point la perte des alliés qu'elle pleure: cent
+quatre-vingt-quinze pièces de bataille russes qui ont été
+prises, et qui sont à Strasbourg, ne sont pas les canons des
+alliés.</p>
+
+<p>Les cinquante drapeaux russes qui sont suspendus a Notre-Dame
+de Paris, ne sont point les drapeaux des alliés. Les
+bandes de Russes qui sont morts dans nos hôpitaux, ou sont
+prisonniers dans nos villes, ne sont pas les soldats des alliés.</p>
+
+<p>L'empereur Alexandre, qui commandait à Austerlitz et à
+Vischau, avec un si grand corps d'armée, et qui faisait tant
+de tapage, ne commandait pas les alliés.</p>
+
+<p>Le prince qui a capitulé, et s'est soumis à évacuer l'Allemagne
+par journées d'étapes, n'était pas sans doute un prince
+allié. On ne peut que hausser les épaules à de pareilles forfanteries.
+Voilà le résultat de la faiblesse des princes et de la
+vénalité des ministres. Il était bien plus simple pour l'empereur
+Alexandre de ratifier le traité de paix qu'avait conclu son
+plénipotentiaire, et de donner le repos au continent. Plus la
+guerre durera, plus la chimère de la Russie s'effacera, et elle
+finira par être anéantie; autant la sage politique de Catherine
+était parvenue à faire de sa puissance un immense épouvantail, autant
+l'extravagance et la folie des ministres actuels la
+rendront ridicule en Europe.</p>
+
+<p>Le roi de Hollande, avec l'avant-garde de l'armée du Nord,
+est arrivé, le 21, à Gottingue. Le maréchal Mortier, avec les
+deux divisions du huitième corps de la grande armée, commandées
+par les généraux Lagrange et Dupas, est arrivé le
+26 à Fulde.</p>
+
+<p>Le roi de Hollande a trouvé, à Munster, dans le comté de
+la Marck et autres états prussiens, des magasins et de l'artillerie.</p>
+
+<p>On a ôté à Fulde et à Brunswick les armes du prince d'Orange
+et celles du duc. Ces deux princes ne régneront plus.
+Ce sont les principaux auteurs de cette nouvelle coalition.</p>
+
+<p>Les Anglais n'ont pas voulu faire la paix; ils la feront;
+mais la France aura plus d'états et de côtes dans son système
+fédératif.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Berlin, le 2 novembre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Vingt-cinquième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le général de division Beaumont a présenté aujourd'hui
+à l'empereur cinquante nouveaux drapeaux et étendards pris
+sur l'ennemi; il a traversé toute la ville avec les dragons qu'il
+commande, et qui portaient ces trophées; le nombre des drapeaux,
+dont la prise a été la suite de la bataille de Jéna, s'élève
+en ce moment à deux cents.</p>
+
+<p>Le général Davoust a fait cerner et sommer Custrin, et
+cette place s'est rendue. On y a fait quatre mille hommes prisonniers
+de guerre. Les officiers retournent chez eux sur parole,
+et les soldats sont conduits en France. Quatre-vingt-dix
+pièces de canon ont été trouvées sur les remparts; la place,
+en très-bon état, est située au milieu des marais; elle renferme
+des magasins considérables. C'est une des conquêtes les plus
+importantes de l'armée; elle a achevé de nous rendre maître
+de toutes les places sur l'Oder.</p>
+
+<p>Le maréchal Ney va attaquer en règle Magdebourg, et il
+est probable que cette forteresse fera peu de résistance.</p>
+
+<p>Le grand-duc de Berg avait son quartier général, le 31, à
+Friedland. Ses dispositions faites, il a ordonné l'attaque de la
+colonne du général prussien Bila que le général Beker a chargé
+dans la plaine en avant de la petite ville d'Anklam, avec la
+brigade de dragons du général Boussart. Tout a été enfoncé,
+cavalerie et infanterie, et le général Beker est entré dans la
+ville avec les ennemis, qu'il a forcés de capituler. Le résultat
+de cette capitulation a été quatre mille prisonniers de guerre:
+les officiers sont renvoyés sur parole, et les soldats sont conduits
+en France. Parmi ces prisonniers, se trouve le régiment
+de hussards de la garde du roi, qui, après la guerre de sept
+ans, avaient reçu de l'impératrice Catherine, en témoignage
+de leur bonne conduite, des pelisses de peau de tigre.</p>
+
+<p>La caisse du corps du général Bila, et une partie des bagages
+avaient passé la Penne et se trouvaient dans la Poméranie
+suédoise. Le grand-duc de Berg les a fait réclamer.</p>
+
+<p>Le 1er novembre au soir, le grand-duc avait son quartier-général
+à Demmin.</p>
+
+<p>Le général Blucher et le duc de Weimar, voyant le chemin
+de Stettin fermé, se portaient sur leur gauche, comme pour
+retourner sur l'Elbe; mais le maréchal Soult avait prévu ce
+mouvement: et il y a peu de doute que ces deux corps ne
+tombent bientôt entre nos mains.</p>
+
+<p>Le maréchal a réuni son corps d'armée à Stettin, où l'on
+trouve encore chaque jour des magasins et des pièces de
+canon.</p>
+
+<p>Nos coureurs sont déjà entrés en Pologne.</p>
+
+<p>Le prince Jérôme, avec les Bavarois et les Wurtembergeois,
+formant un corps d'armée, se porte en Silésie.</p>
+
+<p>S.M. a nommé le général Clarke gouverneur général de
+Berlin et de la Prusse, et a déjà arrêté toutes les bases de
+l'organisation intérieure du pays.</p>
+
+<p>Le roi de Hollande marche sur Hanovre, et le maréchal
+Mortier sur Cassel.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Berlin, le 3 novembre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Vingt-sixième bulletin de la grande armée</i>.</p>
+
+<p>On n'a pas encore reçu la nouvelle de la prise des colonnes
+du général Blucher et du duc de Weimar. Voici la situation
+de ces deux divisions ennemies et celle de nos troupes. Le
+général Blucher, avec sa colonne, s'était dirigé sur Stettin.
+Ayant appris que nous étions déjà dans cette ville, et que
+nous avions gagné deux marches sur lui, il se reploya, de
+Gransée, où nous arrivions en même temps que lui, sur
+Neustrelitz, où il arriva le 30 octobre, ne s'arrêtant point là,
+et se dirigeant sur Wharen, où on le suppose arrivé le 31,
+avec le projet de chercher à se retirer du côté de Rostock
+pour s'y embarquer.</p>
+
+<p>Le 31, six heures après son départ, le général Savary,
+avec une colonne de six cents chevaux, est arrivé à Strelitz,
+où il a fait prisonnier le frère de la reine de Prusse, qui est
+général au service du roi.</p>
+
+<p>Le 1er novembre, le grand-duc de Berg était à Demmin,
+filant pour arriver a Rostock, et couper la mer au général
+Blucher.</p>
+
+<p>Le maréchal prince de Ponte-Corvo avait débordé le général
+Blucher. Ce maréchal se trouvait le 31, avec son corps
+d'armée, à Neubrandebourg, et se mettait en marche sur
+Wharen, ce qui a dû le mettre aux prises, dans la journée
+du 1er, avec le général Blucher.</p>
+
+<p>La colonne commandée par le duc de Weimar était arrivée
+le 29 octobre à Neustrelitz; mais instruit que la route de
+Stettin était coupée, et ayant rencontré les avant-postes
+français, il fit une marche rétrograde, le 29, sur Wistock.
+Le 30, le maréchal Soult en avait connaissance par ses hussards,
+et se mettait en marche sur Wertenhausen. Il l'a immanquablement
+rencontré le 31 ou le 1er. Ces deux colonnes
+ont donc été prises hier, ou aujourd'hui au plus tard.</p>
+
+<p>Voici leurs forces: le général Blucher a trente pièces de
+canon, sept bataillons d'infanterie et quinze cents hommes de
+cavalerie. Il est difficile d'évaluer la force de ce corps; ses
+équipages, ses caissons, ses munitions ont été pris. Il est
+dans la plus pitoyable situation.</p>
+
+<p>Le duc de Weimar a douze bataillons et trente-cinq escadrons
+en bon état; mais il n'a pas une pièce d'artillerie.</p>
+
+<p>Tels sont les faibles débris de toute l'armée prussienne:
+il n'en restera rien. Ces deux colonnes prises, la puissance de
+la Prusse est anéantie, et elle n'a presque plus de soldats. En
+évaluant à dix mille hommes ce qui s'est retiré avec le roi sur
+la Vistule, ce serait exagérer.</p>
+
+<p>M. Schulenbourg s'est présenté à Strelitz pour demander
+un passeport pour Berlin. Il a dit au général Savary: «Il y a
+huit heures que j'ai vu passer les débris de la monarchie prussienne.
+Vous les aurez aujourd'hui ou demain. Quelle destinée
+inconcevable et inattendue! La foudre nous a frappés.»
+Il est vrai que depuis que l'empereur est entré en campagne,
+il n'a pas pris un moment de repos. Toujours en marches forcées,
+devinant constamment les mouvemens de l'ennemi. Les
+résultats en sont tels qu'il n'y en a aucun exemple dans l'histoire.
+De plus de cent cinquante mille hommes qui se sont
+présentés à la bataille de Jéna, pas un ne s'est échappé pour
+en porter la nouvelle au-delà de l'Oder. Certes, jamais
+agression ne fut plus injuste; jamais guerre ne fut plus intempestive.
+Puisse cet exemple servir de leçon aux princes faibles,
+que les intrigues, les cris et l'or de l'Angleterre excitent
+toujours à des entreprises insensées.</p>
+
+<p>La division bavaroise, commandée par le général Wrede,
+est partie de Dresde le 31 octobre. Celle commandée par le
+général Deroi est partie le 1er novembre. La colonne wurtembergeoise
+est partie le 3. Toutes ces colonnes se rendent
+sur l'Oder; elles forment le corps d'armée du prince Jérôme.</p>
+
+<p>Le général Durosnet a été envoyé à Odesberg avec un
+parti de cavalerie immédiatement après notre entrée à Berlin,
+pour intercepter tout ce qui se jetterait du canal dans
+l'Oder. Il a pris plus de quatre-vingts bateaux chargés de
+munitions de toute espèce qu'il a envoyés à Spandau.</p>
+
+<p>On a trouvé à Custrin des magasins de vivres suffisans
+pour nourrir l'armée pendant deux mois.</p>
+
+<p>Le général de brigade Macon, que l'empereur avait nommé
+commandant de Leipsick, est mort dans cette ville d'une
+fièvre putride. C'était un brave soldat et un parfait honnête
+homme. L'empereur en faisait cas, et a été très-affligé de sa
+mort.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Berlin, le 6 novembre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Vingt-septième bulletin de la grande armée</i>.</p>
+
+<p>On a trouvé à Stettin une grande quantité de marchandises
+anglaises, à l'entrepôt sur l'Oder; on y a trouvé cinq
+cents pièces de canon et des magasins considérables de vivres.</p>
+
+<p>Le 1er novembre, le grand-duc de Berg était à Demmin: le
+2 à Tetetow, ayant sa droite sur Rostock. Le général Savary
+était le 1er à Kratzebourg, et le 2, de bonne heure, à Wharen
+et à Jabel. Le prince de Ponte-Corvo attaqua, le soir du
+1er à Jabel, l'arrière-garde de l'ennemi. Le combat fut assez
+soutenu; le corps ennemi fut plusieurs fois mis en déroute:
+il eût été entièrement enlevé si les difficultés de passer le pays
+de Mecklembourg ne l'eussent encore sauvé ce jour-là. Le
+prince de Ponte-Corvo, en chargeant avec la cavalerie, a fait
+une chute de cheval, qui n'a eu aucune suite. Le maréchal
+Soult est arrivé le 2 à Plauer.</p>
+
+<p>Ainsi, l'ennemi a renoncé à se porter sur l'Oder. Il change
+tous les jours de projets. Voyant que la route de l'Oder lui
+était fermée, il a voulu se retirer sur la Poméranie suédoise.
+Voyant celle-ci également interceptée, il a voulu retourner
+sur l'Elbe; mais le maréchal Soult l'ayant prévenu, il paraît
+se diriger sur le point le plus prochain des côtes. Il doit avoir
+été à bout le 4 ou le 5 novembre. Cependant tous les jours
+un ou deux bataillons, et même des escadrons de cette colonne
+tombent en notre pouvoir. Elle n'a plus ni caissons, ni
+bagages.</p>
+
+<p>Le maréchal Lannes est à Stettin; le maréchal Davoust à
+Francfort; le prince Jérôme en Silésie. Le duc de Weimar
+a quitté le commandement pour retourner chez lui, et l'a
+laissé à un général peu connu.</p>
+
+<p>L'empereur a passé aujourd'hui la revue de la division de
+dragons du général Beaumont, sur la place du palais de
+Berlin. Il a fait différentes promotions.</p>
+
+<p>Tous les hommes de cavalerie qui se trouvaient à pied, se
+sont rendus a Potsdam, où l'on a envoyé les chevaux de prise.
+Le général de division Bourcier a été chargé de la direction
+de ce grand dépôt. Deux mille dragons à pied qui suivaient
+l'armée, sont déjà montés.</p>
+
+<p>On travaille avec activité à armer la forteresse de Spandau,
+et à rétablir les fortifications de Wittemberg, d'Erfurt, de
+Custrin et de Stettin.</p>
+
+<p>Le maréchal Mortier, commandant le huitième corps de la
+grande armée, s'est mis en marche le 30 octobre sur Cassel:
+il y est arrivé le 31.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Berlin, 7 novembre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Vingt-huitième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Sa majesté a passé aujourd'hui, sur la place du palais de
+Berlin, depuis onze heures du matin jusqu'à trois après-midi,
+la revue de la division de dragons du générai Klein. Elle a
+fait plusieurs promotions. Cette division a donné avec distinction
+à la bataille de Jéna et a enfoncé plusieurs carrés d'infanterie
+prussienne. L'empereur a vu ensuite défiler le grand
+parc de l'armée, l'équipage de pont et le parc du génie:
+le grand parc est commandé par le général d'artillerie Saint-Laurent;
+l'équipage de pont, par le colonel Boucher, et le
+parc de génie, par le général du génie Casals.</p>
+
+<p>S.M. a témoigné au général Songis, inspecteur-général,
+sa satisfaction de l'activité qu'il mettait dans l'organisation
+des différentes parties du service de l'artillerie de cette grande
+armée.</p>
+
+<p>Le général Savary a tourné près de Wismar sur la Baltique,
+à la tête de cinq cents chevaux du premier de hussards
+et du septième de chasseurs, le général prussien Husdunne,
+et l'a fait prisonnier avec deux brigades de hussards et deux
+pièces de canon. Cette colonne appartient au corps que poursuivent
+le grand-duc de Berg, le prince de Ponte-Corvo et le
+maréchal Soult, lequel corps, coupé de l'Oder et de la Poméranie,
+paraît acculé du côté de Lubeck.</p>
+
+<p>Le colonel Excelmans, commandant le premier régiment
+de chasseurs du maréchal Davoust, est entré à Posen, capitale
+de la Grande-Pologne. Il a été reçu avec un enthousiasme
+difficile à peindre; la ville était remplie de monde, les fenêtres
+parées comme en un jour de fête;: à peine la cavalerie
+pouvait-elle se faire jour pour traverser les rues.</p>
+
+<p>Le général du génie Bertrand, aide-de-camp de l'empereur,
+s'est embarqué sur le lac de Stettin, pour faire la reconnaissance
+de toutes les passes.</p>
+
+<p>On a formé à Dresde et à Wittemberg un équipage de siège
+pour Magdebourg: l'Elbe en est couvert. Il est à espérer
+que cette place ne tiendra pas long-temps. Le maréchal Ney
+est chargé de ce siège.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Berlin, le 9 novembre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Vingt-neuvième, bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>La brigade de dragons du général Beker a paru aujourd'hui
+à la parade.</p>
+
+<p>S.M. voulant récompenser la bonne conduite des régimens
+qui la composent, a fait différentes promotions.</p>
+
+<p>Mille dragons, qui étaient venus à pied à l'armée, et qui
+ont été montés au dépôt de Potsdam, ont passé hier la revue
+du général Bessières; ils ont été munis de quelques objets
+d'équipement qui leur manquaient, et ils partent aujourd'hui
+pour rejoindre leurs corps respectifs, pourvus de bonnes selles
+et montés sur de bons chevaux, fruits de la victoire.</p>
+
+<p>S.M. a ordonné qu'il serait frappé une contribution de
+cent cinquante millions sur les états prussiens et sur ceux des
+alliés de la Prusse.</p>
+
+<p>Après la capitulation du prince Hohenlohe, le général
+Blucher, qui le suivait, changea de direction, et parvint à se
+réunir à la colonne du duc de Weimar, à laquelle s'était
+jointe celle du prince Frédéric-Guillaume Brunswick-Oels,
+fils du duc de Brunswick. Ces trois divisions se trouvèrent
+ainsi sous les ordres du général Blucher. Différentes petites
+colonnes se joignirent également à ce corps. Pendant plusieurs
+jours, ces troupes essayèrent de pénétrer par des chemins que
+les Français pouvaient avoir laissés libres; mais les marches
+combinées du grand-duc de Berg, du maréchal Soult et du
+prince de Ponte-Corvo avaient obstrué tous les passages. L'ennemi
+tenta d'abord de se porter sur Anklam, et ensuite sur
+Rostock: prévenu dans l'exécution de ce projet, il essaya de
+revenir sur l'Elbe; mais s'étant trouvé encore prévenu, il
+marche devant lui pour gagner Lubeck.</p>
+
+<p>Le 4 novembre, il prit position à Crevismulen; le prince
+de Ponte-Corvo culbuta l'arrière-garde, mais il ne put entamer
+ce corps, parce qu'il n'avait que six cents hommes de
+cavalerie, et que celle de l'ennemi était beaucoup plus forte.
+Le général Vattier a fait, dans cette affaire, de très-belles
+charges, soutenues par les généraux Pactod et Maisons,
+avec le vingt-septième régiment d'infanterie légère et le huitième
+de ligne.</p>
+
+<p>On remarque, dans les différentes circonstances de ce combat,
+qu'une compagnie d'éclaireurs du quatre-vingt-quatorzième
+régiment, commandée par le capitaine Razout, fut entourée
+par quelques escadrons ennemis: mais les voltigeurs
+français ne redoutent point le choc des cuirassiers prussiens;
+ils les reçurent de pied-ferme, et firent un feu si bien nourri,
+et si adroitement dirigé, que l'ennemi renonça à les enfoncer.
+On vit alors les voltigeurs à pied poursuivre la cavalerie à
+toute course: les Prussiens perdirent sept pièces de canon, et
+mille hommes.</p>
+
+<p>Mais le 4 au soir, le grand-duc de Berg, qui s'était porté
+sur la droite, arriva avec sa cavalerie sur l'ennemi, dont le
+projet était encore incertain. Le maréchal Soult marcha par
+Ratzbourg; le prince de Ponte-Corvo marcha par Rebna. Il
+coucha du 5 au 6 à Schoenberg, d'où il partit à deux heures
+après minuit. Arrivé à Schlukup sur la Trave, il fit environner
+un corps de seize cents Suédois, qui avaient enfin jugé
+convenable d'opérer leur retraite du Lauenbourg, pour s'embarquer
+sur la Trave. Des coups de canon coulèrent les bâtimens
+préparés pour l'embarquement. Les Suédois, après
+avoir riposté, mirent bas les armes. Un convoi de trois cents
+voitures que le général Savary avait poursuivi de Wismar,
+fut enveloppé par la colonne du prince de Ponte-Corvo, et
+pris.&mdash;Cependant l'ennemi se fortifiait à Lubeck. Le maréchal
+Soult n'avait pas perdu de temps dans sa marche de
+Ratzbourg; de sorte qu'il arriva à la porte de Mullen lorsque
+le prince de Ponte-Corvo arrivait à celle de la Trave.
+Le grand-duc de Berg, avec sa cavalerie, était entre deux.
+L'ennemi avait arrangé à la hâte l'ancienne enceinte de
+Lubeck; il avait disposé des batteries sur les bastions; il
+ne doutait pas qu'il ne pût gagner là une journée; mais le
+voir, le reconnaître et l'attaquer fut l'affaire d'un instant.
+Le général Drouet, à la tête du vingt-septième régiment d'infanterie
+légère, et des quatre-vingt-quatorzième et quatre-vingt-quinzième
+régimens, aborda les batteries avec ce sang-froid
+et cette intrépidité qui appartiennent aux troupes françaises.
+Les portes sont aussitôt enfoncées, les bastions escaladés
+et l'ennemi mis en fuite; et le corps du prince de Ponte-Corvo
+entre par la porte de la Trave. Les chasseurs corses,
+les tirailleurs du Pô et le vingt-sixième d'infanterie légère,
+composant la division d'avant-garde du général Legrand, qui
+n'avaient point encore combattu dans cette campagne, et qui
+étaient impatiens de se mesurer avec l'ennemi, marchèrent
+avec la rapidité de l'éclair: redoutes, bastions, fossés, tout est
+franchi, et le corps du maréchal Soult entre par la porte de
+Mullen. C'est en vain que l'ennemi voulut se défendre dans les
+rues, dans les places, il fut poursuivi partout. Toutes les
+rues, toutes les places furent jonchées de cadavres. Les deux
+corps d'armée arrivant de deux côtés opposés, se réunirent
+au milieu de la ville. A peine le grand-duc de Berg put-il passer,
+qu'il se mit à la poursuite des fuyards: quatre mille prisonniers,
+soixante pièces de canon, plusieurs généraux, un
+grand nombre d'officiers tués ou pris, tel est le résultat de
+cette belle journée.</p>
+
+<p>Le 7, avant le jour, tout le monde était à cheval, et le
+grand-duc de Berg cernait l'ennemi près de Schwartau avec
+la brigade Lasalle et la division de cuirassiers d'Hautpoult,
+Le général Blucher, le prince Frédéric-Guillaume de Brunswick-Oels,
+et tous les généraux se présentent alors aux vainqueurs,
+demandent à signer une capitulation, et défilent devant
+l'armée française.</p>
+
+<p>Ces deux journées ont détruit le dernier corps qui restait
+de l'armée prussienne, et nous ont valu le reste de l'artillerie
+de cette armée, beaucoup de drapeaux et seize mille prisonniers,
+parmi lesquels se trouvent quatre mille hommes de
+cavalerie.</p>
+
+<p>Ainsi ces généraux prussiens qui, dans le délire de leur vanité,
+s'étaient permis tant de sarcasmes contre les généraux
+autrichiens, ont renouvelé quatre fois la catastrophe d'Ulm,
+la première, par la capitulation d'Erfurt, la seconde, par
+celle du prince Hohenlohe; la troisième, par la reddition de
+Stettin, et la quatrième par la capitulation de Schwartau.</p>
+
+<p>La ville de Lubeck a considérablement souffert: prise d'assaut,
+ses places et les rues ont été le théâtre du carnage. Elle
+ne doit s'en prendre qu'à ceux qui ont attiré la guerre dans
+ses murs. Le Mecklembourg a été également ravagé par les
+armées françaises et prussiennes. Un grand nombre de troupes
+se croisant en tout sens, et à marches forcées sur ce territoire,
+n'a pu trouver sa subsistance qu'aux dépens de cette
+contrée. Ce pays est intimement lié avec la Russie; son sort
+servira d'exemple aux princes d'Allemagne qui cherchent des
+relations éloignées avec une puissance à l'abri des malheurs
+qu'elle attire sur eux, et qui ne fait rien pour secourir ceux
+qui lui sont attachés par les liens les plus étroits du sang et
+par les rapports les plus intimes.</p>
+
+<p>L'aide-de-camp du grand-duc de Berg, Dery, a fait capituler
+le corps qui escortait les bagages qui s'étaient retirés
+derrière la Penne. Les Suédois ont livré les fuyards et les
+caissons. Cette capitulation a produit quinze cents prisonniers,
+une grande quantité de bagages et de chariots. Il y a aujourd'hui
+des régimens de cavalerie, qui possèdent plusieurs centaines
+de milliers d'écus.</p>
+
+<p>Le maréchal Ney, chargé du siège de Magdebourg, a fait
+bombarder cette place. Plusieurs maisons ayant été brûlées,
+les habitans ont manifesté leur mécontentement, et le commandant
+a demandé à capituler. Il y a, dans cette forteresse,
+beaucoup d'artillerie, des magasins considérables, seize mille
+hommes appartenant à plus de soixante-dix bataillons, et
+beaucoup de caisses des corps.</p>
+
+<p>Pendant ces événemens importans, plusieurs corps de notre
+armée arrivent sur la Vistule.</p>
+
+<p>La malle de Varsovie a apporté beaucoup de lettres de Russie
+qui ont été interceptées. On y voit que dans ce pays les
+fables des journaux anglais trouvent une grande croyance;
+ainsi, l'on est persuadé en Russie que le maréchal Masséna
+a été tué; que la ville de Naples s'est soulevée; qu'elle a été
+occupée par les Calabrais; que le roi s'est réfugié à Rome,
+et que les Anglais, avec cinq ou six mille hommes, sont maîtres
+de l'Italie. Il ne faudrait cependant qu'un peu de réflexion
+pour rejeter de pareils bruits. La France n'a-t-elle donc plus
+d'armée en Italie? Le roi de Naples est dans sa capitale; il
+a quatre-vingt mille Français; il est maître des deux Calabres;
+et à Pétersbourg on croit les Calabrais à Rome. Si quelques
+galériens armés et endoctrinés par cet infâme Sidney-Smith,
+la honte des braves militaires anglais, tuent des hommes
+isolés, égorgent des propriétaires riches et paisibles, la
+gendarmerie et l'échafaud en font justice.</p>
+
+<p>La marine anglaise ne désavouera point le titre d'infamie
+donnée à Sidney-Smith. Les généraux Stuart et Fox, tous les
+officiers de terre s'indignent de voir le nom anglais associé
+à des brigands. Le brave général Stuart s'est même élevé publiquement
+contre ces menées aussi impuissantes qu'atroces,
+et qui tendent à faire du noble métier de la guerre, un échange
+d'assassinats et de brigandages. Mais quand Sidney-Smith a
+été choisi pour seconder les fureurs de la reine, on n'a vu
+en lui qu'un de ces instrumens que les gouvernemens emploient
+trop souvent, et qu'ils abandonnent au mépris qu'ils
+sont les premiers à avoir pour eux. Les Napolitains feront connaître
+un jour avec détail les lettres de Sidney-Smith, les
+missions qu'il a données, l'argent qu'il a répandu pour l'exécution
+des atrocités dont il est l'agent en chef.</p>
+
+<p>On voit aussi dans les lettres de Pétersbourg, et même dans
+les dépêches officielles, qu'on croit qu'il n'y a plus de Français
+dans l'Italie supérieure: on doit savoir cependant que,
+indépendamment de l'armée de Naples, il y a encore en Italie
+cent mille hommes prêts à punir ceux qui voudraient y
+porter la guerre.</p>
+
+<p>On attend aussi de Pétersbourg des succès de la division
+de Corfou; mais ou ne tardera pas à apprendre que cette division,
+à peine débarquée aux bouches de Cattaro, a été défaite
+par le général Marmont; qu'une partie a été prise, et
+l'autre rejetée dans ses vaisseaux. C'est une chose fort différente
+d'avoir affaire à des Français, ou à des Turcs que l'on
+tient dans la crainte et dans l'oppression, en fomentant avec
+art la discorde dans les provinces. Mais quoi qu'il en puisse
+être, les Russes ne seront point embarrassés pour détourner
+d'eux l'opprobre de ces résultats.</p>
+
+<p>Un décret du sénat-dirigeant a déclaré qu'à Austerlitz,
+ce n'étaient point les Russes, mais leurs alliés, qui avaient
+été battus. S'il y a sur la Vistule une nouvelle bataille d'Austerlitz,
+ce sera encore d'autres qu'eux qui auront été vaincus,
+quoiqu'aujourd'hui, comme alors, leurs alliés n'aient point
+de troupes à joindre à leurs troupes, et que leur armée ne
+puisse être composée que de Russes. Les états de mouvemens
+et ceux des marches de l'armée russe seul tombés dans
+les mains de l'état-major français. Il n'y aurait rien de plus
+ridicule que les plans d'opérations des Russes, si leurs vaines
+espérances n'étaient plus ridicules encore.</p>
+
+<p>Le général Lagrange a été déclaré gouverneur-général de
+Cassel et des états de Hesse.</p>
+
+<p>Le maréchal Mortier s'est mis en marche pour le Hanovre
+et pour Hambourg, avec son corps d'armée.</p>
+
+<p>Le roi de Hollande a fait bloquer Hamelin. Il faut que cette
+guerre soit la dernière, et que ses auteurs soient si sévèrement
+punis, que quiconque voudra désormais prendre les armes
+contre le peuple Français, sache bien, avant de s'engager
+dans une telle entreprise, quelles peuvent en être les
+conséquences.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Berlin, le 10 novembre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Trentième bulletin de la grande armée</i>.</p>
+
+<p>La place de Magdebourg s'est rendue le 8: le 9, les portes
+ont été occupées par les troupes françaises.</p>
+
+<p>Seize mille hommes, près de huit cents pièces de canon,
+des magasins de toute espèce tombent en notre pouvoir.</p>
+
+<p>Le prince Jérôme a fait bloquer la place de Glogau, capitale
+de la Haute-Silésie, par le général de brigade Lefebvre,
+à la tête de deux mille chevaux bavarois. La place a été bombardée
+le 8 par dix obusiers servis par de l'artillerie légère.
+Le prince fait l'éloge de la conduite de la cavalerie bavaroise.
+Le général Deroy, avec sa division, a investi Glogau le 9:
+on est entré en pourparler pour sa reddition.</p>
+
+<p>Le maréchal Davoust est entré à Posen avec un corps d'armée
+le 10. Il est extrêmement content de l'esprit qui anime
+les Polonais. Les agens prussiens auraient été massacrés, si
+l'armée française ne les eût pris sous sa protection.</p>
+
+<p>La tête de quatre colonnes russes, fortes chacune de quinze
+mille hommes, entrait dans les états prussiens par Georgenbourg,
+Olita, Grodno et Jalowka. Le 25 octobre, ces têtes
+de colonnes avaient fait deux marches, lorsqu'elles reçurent
+la nouvelle de la bataille du 14 et des événemens qui l'ont
+suivie; elles rétrogradèrent sur-le-champ. Tant de succès,
+des événemens d'une si haute importance, ne doivent pas
+ralentir en France les préparatifs militaires; on doit, au contraire,
+les poursuivre avec une nouvelle énergie, non pour
+satisfaire une ambition insatiable, mais pour mettre un terme
+à celle de nos ennemis. L'armée française ne quittera pas la
+Pologne et Berlin que la Porte ne soit rétablie dans toute son
+indépendance, et que la Valachie et la Moldavie ne soient
+déclarées appartenant en toute suzeraineté à la Porte.</p>
+
+<p>L'armée française ne quittera point Berlin, que les possessions
+des colonies espagnoles, hollandaises et françaises ne
+soient rendues, et la paix générale faite.</p>
+
+<p>On a intercepté une malle de Dantzick, dans laquelle on a
+trouvé beaucoup de lettres venant de Pétersbourg et de
+Vienne. Ou use à Vienne d'une ruse assez simple pour répandre
+de faux bruits. Avec chaque exemplaire des gazettes,
+dont le ton est fort réservé, on envoie, sous la même enveloppe,
+un bulletin à la main, qui contient les nouvelles les
+plus absurdes. On y lit que la France n'a plus d'armée en
+Italie; que toute cette contrée est en feu; que l'état de Venise
+est dans le plus grand mécontentement et a les armes à
+la main; que les Russes ont attaqué l'armée française en Dalmatie,
+et l'ont complètement battue.</p>
+
+<p>Quelque fausses et ridicules que soient ces nouvelles,
+elles arrivent de tant de côtés à la fois, qu'elles obscurcissent
+la vérité. Nous sommes autorisés à dire que l'empereur a deux
+cent mille hommes en Italie, dont quatre-vingt mille à Naples,
+et vingt-cinq mille en Dalmatie; que le royaume de Naples
+n'a jamais été troublé que par des brigandages et des assassinats;
+que le roi de Naples est maître de toute la Calabre;
+que si les Anglais veulent y débarquer avec des troupes régulières,
+ils trouveront a qui parler; que le maréchal Masséna
+n'a jamais eu que des succès, et que le roi est tranquille dans
+sa capitale, occupé des soins de son armée et de l'administration
+de son royaume; que le général Marmont, commandant
+l'armée française en Dalmatie, a complètement battu les
+Russes et les Monténégrins, entre lesquels la division règne;
+que les Monténégrins accusent les Russes de s'être mal battus,
+et que les Russes reprochent aux Monténégrins d'avoir fui;
+que de toutes les troupes de l'Europe, les moins propres à
+faire la guerre en Dalmatie sont certainement les troupes
+russes. Aussi y font-elles en général une fort mauvaise figure.</p>
+
+<p>Cependant le corps diplomatique, endoctriné par ces fausses
+directions données à Vienne à l'opinion, égare les cabinets
+par ses rapsodies. De faux calculs s'établissent là-dessus; et
+comme tout ce qui est bâti sur le mensonge et sur l'erreur
+tombe promptement en ruine, des entreprises aussi mal calculées
+tournent à la confusion de leurs auteurs. Certainement
+dans la guerre actuelle, l'empereur n'a pas voulu affaiblir
+son armée d'Italie; il n'en a pas retiré un seul homme; il
+s'est contenté de faire venir huit escadrons de cuirassiers,
+parce que les troupes de cette arme sont inutiles en Italie.
+Ces escadrons ne sont pas encore arrivés à Inspruck. Depuis
+la dernière campagne, l'empereur a, au contraire, augmenté
+son armée d'Italie de quinze régimens qui étaient dans l'intérieur,
+et de neuf régimens du corps du général Marmont.
+Quarante mille conscrits, presque tous de la conscription de
+1806, ont été dirigés sur l'Italie; et par les états de situation
+de cette armée au 1er novembre, vingt-cinq mille y
+étaient déjà arrivés. Quant au peuple des états vénitiens,
+l'empereur ne saurait être que très-satisfait de l'esprit qui
+l'anime. Aussi, S.M. s'occupe-t-elle des plus chers intérêts
+des Vénitiens; aussi a-t-elle ordonné des travaux pour réparer
+et améliorer leur port, et pour rendre la passe de Malmocco
+propre aux vaisseaux de tout rang.</p>
+
+<p>Du reste, tous ces faiseurs de nouvelles en veulent beaucoup
+à nos maréchaux et à nos généraux; il ont tué le maréchal
+Masséna à Naples; ils ont tué en Allemagne le grand-duc
+de Berg, le maréchal Soult. Cela n'empêche heureusement
+personne de se porter très-bien.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Berlin. le 12 novembre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Trente-unième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>La garnison de Magdebourg a défilé le 11, à neuf heures
+du matin, devant le corps d'armée du maréchal Ney. Nous
+avons vingt généraux, huit cents officiers, vingt-deux mille
+prisonniers, parmi lesquels deux mille artilleurs, cinquante-quatre
+drapeaux, cinq étendards, huit cents pièces de canon,
+un million de poudre, un grand équipage de pont et un matériel
+immense d'artillerie.</p>
+
+<p>Le colonel Gérard et l'adjudant-commandant Ricard ont
+présenté, ce matin, à l'empereur, au nom des premier et quatrième
+corps, soixante drapeaux qui ont été pris à Lubeck
+au corps du général prussien Blucher: il y avait vingt-deux
+étendards; quatre mille chevaux tout harnachés, pris dans
+cette journée, se rendent au dépôt de Potsdam.</p>
+
+<p>Dans le vingt-neuvième bulletin, on a dit que le corps du
+général Blucher avait fourni seize mille prisonniers, parmi
+lesquels quatre mille de cavalerie. On s'est trompé, il y avait
+vingt-un mille prisonniers, parmi lesquels cinq mille hommes
+de cavalerie montés; de sorte que, par le résultat de ces deux
+capitulations, nous avons cent vingt drapeaux et étendards,
+et quarante-cinq mille prisonniers. Le nombre des prisonniers
+qui ont été faits dans la campagne passe cent quarante mille;
+le nombre des drapeaux pris passe deux cent cinquante; le
+nombre des pièces de campagne prises devant l'ennemi et
+sur le champ de bataille, passe huit cents; celui des pièces
+prises à Berlin et dans les places qui se sont rendues, passe
+quatre mille.</p>
+
+<p>L'empereur a fait manoeuvrer hier sa garde à pied et à cheval,
+dans une plaine aux portes de Berlin. La journée a été
+superbe.</p>
+
+<p>Le général Savary, avec sa colonne mobile, s'est rendu à
+Rostock, et y a pris quarante ou cinquante bâtimens suédois
+sur leur lest: il les a fait vendre sur-le-champ.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Berlin, le 16 novembre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Trente-deuxième bulletin de la grande armée</i>.</p>
+
+<p>Après la prise de Magdebourg et l'affaire de Lubeck, la
+campagne contre la Prusse se trouve entièrement finie.</p>
+
+<p>Voici quelle était la situation de l'armée prussienne en entrant
+en campagne: Le corps du général Ruchel, dit de
+Westphalie, était composé de trente-trois bataillons d'infanterie,
+de quatre compagnies de chasseurs, de quarante-cinq
+escadrons de cavalerie, d'un bataillon d'artillerie et de sept
+batteries, indépendamment des pièces de régiment. Le corps
+du prince de Hohenlohe était composé de vingt-quatre bataillons
+prussiens et de vingt-cinq bataillons saxons, de quarante-cinq
+escadrons prussiens et de trente-six escadrons
+saxons, de deux bataillons d'artillerie, de huit batteries
+prussiennes et de huit batteries saxonnes. L'armée commandée
+par le roi en personne, était composée d'une avant-garde
+de dix bataillons et de quinze escadrons, commandée par le
+duc de Weimar, et de trois divisions; la première, commandée
+par le prince d'Orange, était composée de onze bataillons
+et de vingt escadrons; la seconde division, commandée par
+le général Wartensleben, était composée de onze bataillons
+et de quinze escadrons; la troisième division, commandée
+par le général Schmettau, était composée de dix bataillons
+et de quinze escadrons. Le corps de réserve de cette armée,
+que commandait le général Kalkreuth, était composé de deux
+divisions, chacune de dix bataillons des régimens de la garde
+ou d'élite, et de vingt escadrons. La réserve que commandait
+le prince Eugène de Wurtemberg, était composée de dix-huit
+bataillons et de vingt escadrons. Ainsi, le total général
+de l'armée prussienne était de cent soixante bataillons et de
+deux cent trente-six escadrons, servie par cinquante batteries,
+ce qui faisait, présens sous les armes, cent quinze mille
+hommes d'infanterie, trente mille de cavalerie, et huit cents
+pièces de canon, y compris les canons de bataillons; Toute
+cette armée se trouvait à la bataille du 14, hormis le corps du
+duc de Weimar, qui était encore sur Eisenach, et la réserve
+du prince de Wurtemberg; ce qui porte les forces prussiennes
+qui se trouvaient à la batailles à cent vingt-six mille hommes.
+De ces cent vingt-six mille hommes, pas un n'a échappé. Du
+corps du duc de Weimar, pas un homme n'a échappé. Du
+corps de réserve du duc de Wurtemberg, qui a été battu à
+Halle, pas un homme n'est échappé. Ainsi, ces cent quarante-cinq
+mille hommes ont tous été pris, blessés ou tués;
+tous les drapeaux, étendards, tous les canons, tous les
+bagages, tous les généraux ont été pris, et rien n'a
+passé l'Oder. Le roi, la reine, le général Kalkreuth, et à
+peine dix ou douze officiers, voilà tout ce qui s'est sauvé. Il
+reste aujourd'hui au roi de Prusse un régiment dans la place
+de Gros-Glogau qui est assiégée, un à Breslau, un à Brieg,
+deux à Varsovie, et quelques régimens à Koenigsberg, en tout
+à peu près quinze mille hommes d'infanterie et trois ou quatre
+mille hommes de cavalerie. Une partie de ces troupes est enfermée
+dans des places fortes. Le roi ne peut pas réunir à
+Koenigsberg, où il s'est réfugié dans ce moment, plus de
+huit mille hommes. Le souverain de Saxe a fait présent de
+son portrait au général Lemarrois, gouverneur de Wittemberg,
+qui, se trouvant à Torgau, a remis l'ordre dans une
+maison de correction, parmi six cents brigands qui s'étaient
+armés et menaçaient de piller la ville. Le lieutenant Lebrun
+a présenté hier à l'empereur quatre étendards de quatre escadrons
+prussiens que commandait le général Pelet, et que le
+général Drouet a fait capituler du côté de Lauembourg. Ils
+s'étaient échappés du corps du général Blucher. Le major
+Ameil, à la tête d'un escadron du seizième de chasseurs, envoyé
+par le maréchal Soult le long de l'Elbe, pour ramasser
+tout ce qui pourrait s'échapper du corps du général Blucher,
+a fait un millier de prisonniers, dont cinq cents hussards, et
+a pris une grande quantité de bagages.</p>
+
+<p>Voici la position de l'armée française. La division des
+cuirassiers du général d'Hautpoult, les divisions de dragons
+des généraux Grouchy et Sahuc, la cavalerie légère du général
+Lasalle, faisant partie de la réserve de cavalerie que le
+grand-duc de Berg avait à Lubeck, arrivent à Berlin. La tête
+du corps du maréchal Ney, qui a fait capituler la place de
+Magdebourg, est entrée aujourd'hui à Berlin. Les corps du
+prince de Ponte-Corvo et du maréchal Soult sont en route
+pour venir à Berlin. Le corps du maréchal Soult y arrivera
+le 20; celui du prince de Ponte-Corvo, quelques jours après.
+Le maréchal Mortier est arrivé avec le huitième corps à
+Hambourg, pour fermer l'Elbe et le Weser. Le général Savary
+a été chargé du blocus de Hameln avec la division hollandaise.
+Le corps du maréchal Lannes est à Thorn. Le corps
+du maréchal Augereau est à Bromberg et vis-à-vis Graudentz.
+Le corps du maréchal Davoust est en marche de Posen sur
+Varsovie, où se rend le grand-duc de Berg avec l'autre partie
+de la réserve de cavalerie, composée des divisions de dragons
+des généraux Beaumont, Klein et Beker, de la division de
+cuirassiers du général Nansouty, et de la cavalerie légère du
+général Milhaud. Le prince Jérôme, avec le corps des alliés,
+assiège Gros-Glogau; son équipage de siège a été formé à
+Custrin. Une de ses divisions investit Breslau. Il prend possession
+de la Silésie. Nos troupes occupent le fort de Lenczyc,
+à mi-chemin de Posen à Varsovie; on y a trouvé des
+magasins et de l'artillerie. Les Polonais montrent la meilleure
+volonté, mais jusqu'à la Vistule ce pays est difficile; il y a
+beaucoup de sable. Pour la première fois, la Vistule voit
+l'aigle gauloise. L'empereur a désiré que le roi de Hollande
+retournât dans son royaume pour veiller lui-même à sa défense.
+Le roi de Hollande a fait prendre possession du Hanovre
+par le corps du général Mortier. Les aigles prussiennes
+et les armes électorales en ont été ôtées ensemble.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Berlin, le 1er novembre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Trente-troisième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Une suspension d'armes a été signée hier à Charlottembourg.
+La saison se trouvant avancée, cette suspension d'armes
+assoit les quartiers de l'armée. Partie de la Pologne
+prussienne se trouve ainsi occupée par l'armée française, et
+partie est neutre.</p>
+
+<p>(<i>Suit la teneur de cette suspension</i>).</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Berlin, le 31 novembre 1806.</p>
+
+<p class="milieu">Message au sénat.</p>
+
+<p>«Sénateurs, nous voulons, dans les circonstances où se
+trouvent les affaires générales de l'Europe, faire connaître,
+à vous et à la nation, les principes que nous avons adoptés
+comme règle général.</p>
+
+<p>«Notre extrême modération, après chacune des trois premières
+guerres, a été la cause de celle qui leur a succédé.
+C'est ainsi que nous avons eu à lutter contre une quatrième
+coalition, neuf mois après que la troisième avait été dissoute,
+neuf mois après ces victoires éclatantes que nous avait accordées
+la providence, et qui devaient assurer un long repos au
+continent.</p>
+
+<p>Mais un grand nombre de cabinets de l'Europe est plus
+tôt ou plus tard influencé par l'Angleterre; et sans une solide
+paix avec cette puissance, notre peuple ne saurait jouir des
+bienfaits qui sont le premier but de nos travaux, l'unique
+objet de notre vie. Aussi, malgré notre situation triomphante,
+nous n'avons été arrêtés, dans nos dernières négociations avec
+l'Angleterre, ni par l'arrogance de son langage, ni par les sacrifices
+qu'elle a voulu nous imposer. L'île de Malte, à laquelle
+s'attachait pour ainsi dire l'honneur de cette guerre,
+et qui, retenue par l'Angleterre au mépris des traités, en était
+la première cause, nous l'avions cédée; nous avions consenti
+à ce qu'à la possession de Ceylan et de l'empire du Myssoure,
+l'Angleterre joignît celle du cap de Bonne-Espérance.</p>
+
+<p>Mais tous nos efforts ont dû échouer lorsque les conseils
+de nos ennemis ont cessé d'être animés de la noble ambition
+de concilier le bien du monde avec la prospérité présente de
+leur patrie, et la prospérité présente de leur patrie avec une
+prospérité durable; et aucune prospérité ne peut être durable
+pour l'Angleterre, lorsqu'elle sera fondée sur une politique
+exagérée et injuste qui dépouillerait soixante millions d'habitans,
+leurs voisins, riches et braves, de tout commerce et de
+toute navigation. Immédiatement après la mort du principal
+ministre de l'Angleterre, il nous fut facile de nous apercevoir
+que la continuation des négociations n'avait plus d'autre
+objet que de couvrir les trames de cette quatrième coalition,
+étouffée dès sa naissance.</p>
+
+<p>Dans cette nouvelle position, nous avons pris pour principes
+invariables de notre conduite, de ne point évacuer ni
+Berlin, ni Varsovie, ni les provinces que la force des armes
+a fait tomber en nos mains, avant que la paix générale ne
+soit conclue; que les colonies espagnoles, hollandaises et françaises
+ne soient rendues; que les fondemens de la puissance
+ottomane ne soient raffermis, et l'indépendance absolue de ce
+vaste empire, premier intérêt de notre peuple, irrévocablement
+consacrée. Nous avons mis les îles britanniques en état
+de blocus, et nous avons ordonné contre elles des dispositions
+qui répugnaient à notre coeur. Il nous en a coûté de faire dépendre
+les intérêts des particuliers de la querelle des rois, et
+de revenir, après tant d'années de civilisation, aux principes
+qui caractérisent la barbarie des premiers âges des nations.
+Mais nous avons été contraints, pour le bien de nos alliés, à
+opposer à l'ennemi commun les mêmes armes dont il se servait
+contre nous. Ces déterminations, commandées par un
+juste sentiment de réciprocité, n'ont été inspirées ni par la
+passion, ni par la haine. Ce que nous avons offert après avoir
+dissipé les trois coalitions qui avaient tant contribué à la
+gloire de nos peuples, nous l'offrons encore aujourd'hui que
+nos armes ont obtenu de nouveaux triomphes. Nous sommes
+prêts à faire la paix avec l'Angleterre; nous sommes prêts
+à la faire avec la Russie, avec la Prusse; mais elle ne peut
+être conclue que sur des bases telles qu'elle ne permette
+à qui que ce soit, de s'arroger aucun droit de suprématie à
+notre égard, qu'elle rende les colonies a notre métropole, et
+qu'elle garantisse à notre commerce et à notre industrie la
+prospérité à laquelle ils doivent atteindre. Et si l'ensemble de
+ces dispositions éloigne de quelque temps encore le rétablissement
+de la paix générale, quelque court que soit ce retard,
+il paraîtra long à notre coeur. Mais nous sommes certains que
+nos peuples apprécieront la sagesse de nos motifs politiques,
+qu'ils jugeront avec nous qu'une paix partielle n'est qu'une
+trêve qui nous fait perdre tous nos avantages acquis pour
+donner lieu à une nouvelle guerre, et qu'enfin ce n'est que
+dans une paix générale que la France peut trouver le bonheur.
+Nous sommes dans un de ces instans importans pour la
+destinée des nations; et le peuple français se montrera digne
+de celle qui l'attend. Le sénatus-consulte que nous avons ordonné
+de vous proposer, et qui mettra à notre disposition,
+dans les premiers jours de l'année, la conscription de 1807,
+qui, dans les circonstances ordinaires, ne devrait être levée
+qu'au mois de septembre, sera exécuté avec empressement
+par les pères, comme par les enfans. Et dans quel plus beau
+moment pourrions-nous appeler aux armes les jeunes Français!
+ils auront à traverser, pour se rendre à leurs drapeaux,
+les capitales de nos ennemis et les champs de bataille illustrés
+par les victoires de leurs aînés!»</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">En notre camp Impérial de Berlin, le 21 novembre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Décret constitutif du blocus continental.</i></p>
+
+<p>Napoléon, empereur des Français et roi d'Italie, considérant:</p>
+
+<p>1°. Que l'Angleterre n'admet point le droit des gens
+suivi universellement par tous les peuples policés;</p>
+
+<p>2°. Qu'elle répute ennemi tout individu appartenant à
+l'état ennemi, et fait en conséquence prisonniers de guerre,
+non-seulement les équipages des vaisseaux armés en guerre,
+mais encore les équipages des vaisseaux de commerce et des
+navires marchands, et même les facteurs du commerce et les
+négocians qui voyagent pour les affaires de leur négoce;</p>
+
+<p>3°. Qu'elle étend aux bâtimens et marchandises du commerce
+et aux propriétés des particuliers, le droit de conquête,
+qui ne peut s'appliquer qu'à ce qui appartient à l'état
+ennemi;</p>
+
+<p>4°. Qu'elle étend aux villes et ports de commerce non fortifiés,
+aux havres et aux embouchures des rivières, le droit
+de blocus, qui, d'après la raison et l'usage de tous les peuples
+policés, n'est applicable qu'aux places fortes; qu'elle
+déclare bloquées des places devant lesquelles elle n'a pas
+même un seul bâtiment de guerre, quoiqu'une place ne soit
+bloquée que quand elle est tellement investie, qu'on ne puisse
+tenter de s'en approcher sans un danger imminent; qu'elle
+déclare même en état de blocus des lieux que toutes ses
+forces réunies seraient incapables de bloquer, des côtes entières
+et tout un empire;</p>
+
+<p>5°. Que cet abus monstrueux du droit de blocus n'a d'autre
+but que d'empêcher les communications entre les peuples, et
+d'élever le commerce et l'industrie de l'Angleterre sur la
+ruine de l'industrie et du commerce du continent;</p>
+
+<p>6°. Que tel étant le but évident de l'Angleterre, quiconque
+fait sur le continent le commerce des marchandises anglaises,
+favorise par-là ses desseins et s'en rend le complice;</p>
+
+<p>7°. Que cette conduite de l'Angleterre, digne en tout des
+premiers âges de la barbarie, a profité à cette puissance au
+détriment de toutes les antres;</p>
+
+<p>8°. Qu'il est de droit naturel d'opposer à l'ennemi les armes
+dont il se sert, et de le combattre de la même manière qu'il
+combat, lorsqu'il méconnaît toutes les idées de justice et tous
+les sentimens libéraux, résultat de la civilisation parmi les
+hommes; nous avons résolu d'appliquer à l'Angleterre les
+usages qu'elle a consacrés dans sa législation maritime. Les
+dispositions du présent décret seront constamment considérées
+comme principe fondamental de l'empire, jusqu'à ce que
+l'Angleterre ait reconnu que le droit de la guerre est un et le
+même sur terre que sur mer; qu'il ne peut s'étendre ni aux
+propriétés privées, quelles qu'elles soient, ni à la personne
+des individus étrangers à la profession des armes, et que le
+droit de blocus doit être restreint aux places fortes réellement
+investies par des forces suffisantes.</p>
+
+<p>Nous avons en conséquence décrété et décrétons ce qui suit:</p>
+
+<p>Art. 1er. Les Iles-Britanniques sont déclarées en état de
+blocus.</p>
+
+<p>2. Tout commerce et toute correspondance avec les Iles-Britanniques
+sont interdits.</p>
+
+<p>En conséquence, les lettres ou paquets adressés ou en Angleterre
+ou à un Anglais, ou écrits en langue anglaise, n'auront
+pas cours aux postes, et seront saisis.</p>
+
+<p>3. Tout individu sujet de l'Angleterre, de quelque état et
+condition qu'il soit, qui sera trouvé dans les pays occupés
+par nos troupes ou par celles de nos alliés, sera fait prisonnier
+de guerre.</p>
+
+<p>4. Tout magasin, toute marchandise, toute propriété, de
+quelque nature qu'elle puisse être, appartenant à un sujet de
+l'Angleterre, sera déclaré de bonne prise.</p>
+
+<p>5. Le commerce des marchandises anglaises est défendu;
+et toute marchandise appartenant à l'Angleterre, ou provenant
+de ses fabriques et de ses colonies, est déclarée de bonne
+prise.</p>
+
+<p>6. La moitié du produit de la confiscation des marchandises
+et propriétés déclarées de bonne prise par les articles
+précédens, sera employée à indemniser les négocians des
+pertes qu'ils ont éprouvées par la prise des bâtimens de commerce
+qui ont été enlevés par les croisières anglaises.</p>
+
+<p>7. Aucun bâtiment venant directement de l'Angleterre ou
+des colonies anglaises, ou y ayant été depuis la publication
+du présent décret, ne sera reçu dans aucun port.</p>
+
+<p>3. Tout bâtiment qui, au moyen d'une fausse déclaration,
+contreviendra à la disposition ci-dessus, sera saisi, et le navire
+et la cargaison seront confisqués comme s'ils étaient propriété
+anglaise.</p>
+
+<p>9. Notre tribunal des prises de Paris est chargé du jugement
+définitif de toutes les contestations qui pourront survenir
+dans notre empire ou dans les pays occupés par l'armée française,
+relativement à l'exécution du présent décret. Notre tribunal
+des prises à Milan sera chargé du jugement définitif
+desdites contestations qui pourront survenir dans l'étendue
+de notre royaume d'Italie.</p>
+
+<p>10. Communication du présent décret sera donnée, par
+notre ministre des relations extérieures, aux rois d'Espagne,
+de Naples, de Hollande et d'Étrurie, et à nos autres alliés
+dont les sujets sont victimes, comme les nôtres, de l'injustice
+et de la barbarie de la législation maritime anglaise.</p>
+
+<p>11. Nos ministres des relations extérieures, de la guerre,
+de la marine, des finances, de la police, et nos directeurs-généraux
+des postes sont chargés, chacun en ce qui le concerne,
+de l'exécution du présent décret.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Berlin, le 23 novembre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Trente-quatrième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>On n'a pas encore de nouvelles que la suspension d'armes,
+signée le 17, ait été ratifiée par le roi de Prusse, et que l'échange
+des ratifications ait eu lieu. En attendant, les hostilités
+continuent toujours, ne devant cesser qu'au moment de
+l'échange.</p>
+
+<p>Le général Savary, auquel l'empereur avait confié le commandement
+du siège de Hameln, est arrivé le 19 à Ebersdorff,
+devant Hameln, a eu une conférence, le 20, avec le
+général Lecoq et les généraux prussiens enfermés dans cette
+place, et leur a fait signer une capitulation. Neuf mille prisonniers,
+parmi lesquels six généraux, des magasins pour
+nourrir dix mille hommes pendant six mois, des munitions
+de toute espèce, une compagnie d'artillerie à cheval, et
+trois cents hommes à cheval sont en notre pouvoir.</p>
+
+<p>Les seules troupes qu'avait le général Savary étaient un
+régiment français d'infanterie légère, et deux régimens hollandais,
+que commandait le général hollandais Dumonceau.</p>
+
+<p>Le général Savary est parti sur-le-champ pour Nienbourg,
+pour faire capituler cette place, dans laquelle on croit qu'il
+y a deux ou trois mille hommes de garnison.</p>
+
+<p>Un bataillon prussien de huit cents hommes, tenant garnison
+à Czentoschau, à l'extrémité de la Pologne prussienne,
+a capitulé, le 18, devant cent cinquante chasseurs du
+deuxième régiment, réunis à trois cents Polonais confédérés
+qui se sont présentés devant cette place. La garnison est prisonnière
+de guerre; il y a des magasins considérables.</p>
+
+<p>L'empereur a employé toute la journée à passer en revue
+l'infanterie du quatrième corps d'armée, commandé par le
+maréchal Soult. Il a fait des promotions et distribué des récompenses
+dans chaque corps.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Posen, le 38 novembre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Trente-cinquième bulletin de la grande-armée.</i></p>
+
+<p>L'empereur est parti de Berlin le 25, à deux heures du
+matin, et est arrivé à Custrin le même jour, à dix heures
+du matin. Il est arrivé à Meseritz le 26, et à Posen le 27, à
+dix heures du soir. Le lendemain, S.M. a reçu les différens
+ordres des Polonais. Le maréchal du palais, Duroc, a été
+jusqu'à Osterode, où il a vu le roi de Prusse, qui lui a déclaré
+qu'une partie de ses états était occupée par les Russes,
+et qu'il était entièrement dans leur dépendance; qu'en conséquence
+il ne pouvait ratifier la suspension d'armes qu'avaient
+conclue ses plénipotentiaires, parce qu'il ne pourrait
+pas en exécuter les stipulations. S.M. se rendait à Koenigsberg.</p>
+
+<p>Le grand-duc de Berg, avec une partie de sa réserve de
+cavalerie et les corps des maréchaux Davoust, Lannes et
+Augereau, est entré à Varsovie. Le général russe Benigsen,
+qui avait occupé la ville avant l'approche des Français, l'a
+évacuée, apprenant que l'armée française venait à lui et voulait
+tenter un engagement.</p>
+
+<p>Le prince Jérôme, avec le corps des Bavarois, se trouve
+à Kalitsch. Tout le reste de l'armée est arrivé à Posen, ou
+en marche par différentes directions pour s'y rendre. Le maréchal
+Mortier marche sur Anklam, Rostock et la Poméranie
+suédoise, après avoir pris possession des villes Anséatiques.
+La reddition d'Hameln a été accompagnée d'événemens assez
+étranges. Outre la garnison destinée à la défense de cette
+place, quelques bataillons prussiens paraissent s'y être réfugiés
+après la bataille du 14. L'anarchie régnait dans cette
+nombreuse garnison. Les officiers étaient insubordonnés contre
+les généraux, et les soldats contre les officiers. A peine
+la capitulation était-elle signée, que le général Savary reçut
+une lettre du général Von Schoeler, à laquelle il répondit.
+Pendant ce temps la garnison était insurgée, et le premier
+acte de la sédition fut de courir aux magasins d'eaux-de-vie,
+de les enfoncer et d'en boire outre mesure. Bientôt animés
+par ces boissons spiritueuses, on se fusilla dans-les rues,
+soldats contre soldats, soldats contre officiers, soldats contre
+bourgeois; le désordre était extrême. Le général Von Schoeler
+envoya courrier sur courrier au général Savary, pour le
+prier de venir prendre possession de la place avant le moment
+fixé pour sa remise. Le général Savary accourut aussitôt,
+entra dans la ville à travers une grêle de balles, fit filer
+tous les soldats de la garnison par une porte, et les parqua
+dans une prairie. Il assembla ensuite les officiers, leur
+fit connaître que ce qui arrivait était un effet de la mauvaise
+discipline, leur fit signer leur cartel, et rétablit l'ordre dans
+la ville. On croit que dans le tumulte, il y a eu plusieurs bourgeois.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Posen, le 1er décembre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Trente-sixième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le quartier-général du grand-duc de Berg était le 27 à Lowiez.
+Le général Benigsen, commandant l'armée russe, espérant
+empêcher les Français d'entrer à Varsovie, avait envoyé une
+avant-garde border la rivière de Bsura. Les avant-postes se
+rencontrèrent dans la journée du 26; les Russes furent culbutés.
+Le général Beaumont passa la Bsura à Lowiez, rétablit
+le pont, tua ou blessa plusieurs hussards russes, fit prisonniers
+plusieurs cosaques, et les poursuivit jusqu'à Blonic.
+Le 27, quelques coups de sabre furent donnés entre les
+grand'-gardes de cavalerie; les Russes furent poursuivis; on
+leur fit quelques prisonniers. Le 28, à la nuit tombante, le
+grand-duc de Berg, avec sa cavalerie, entra à Varsovie. Le
+corps du maréchal Davoust y est entré le 29. Les Russes
+avaient repassé la Vistule en brûlant le pont. Il est difficile
+de peindre l'enthousiasme des Polonais. Notre entrée dans
+cette grande ville était un triomphe, et les sentimens que les
+Polonais de toutes les classes montrent depuis notre arrivée
+ne sauraient s'exprimer. L'amour de la patrie et le sentiment
+national sont non-seulement conservés eu entier dans le coeur
+du peuple, mais il a été retrempé par le malheur; sa première
+passion, son premier désir est de redevenir nation.
+Les plus riches sortent de leurs châteaux pour venir demander
+à grands cris le rétablissement de la nation, et offrir leurs
+enfans, leur fortune, leur influence. Ce spectacle est vraiment
+touchant. Déjà ils ont partout repris leur ancien costume,
+leurs anciennes habitudes. Le trône de Pologne se rétablira-t-il,
+et cette grande nation reprendra-t-elle son existence et
+son indépendance? Du fond du tombeau renaîtra-t-elle à la
+vie? Dieu seul, qui tient dans ses mains les combinaisons de
+tous les événemens, est l'arbitre de ce grand problème politique;
+mais certes il n'y eut jamais d'événement plus mémorable,
+plus digne d'intérêt, et, par une correspondance de
+sentimens qui fait l'éloge des Français, des traînards qui
+avaient commis quelque excès dans d'autres pays, ont été touchés
+du bon accueil du peuple, et n'ont eu besoin d'aucun
+effort pour se bien comporter. Nos soldats trouvent que les
+solitudes de la Pologne contrastent avec les campagnes riantes
+de leur patrie; mais ils ajoutent aussitôt: <i>Ce sont de bonnes
+gens que les Polonais.</i> Ce peuple se montre vraiment sous
+des couleurs intéressantes.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Au quartier impérial de Posen, le 2 décembre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Proclamation à la grande armée.</i></p>
+
+<p>Soldats!</p>
+
+<p>Il y a aujourd'hui un an, à cette heure même, que vous
+étiez sur le champ mémorable d'Austerlitz. Les bataillons
+russes, épouvantés, fuyaient en déroute, ou, enveloppés,
+rendaient les armes à leurs vainqueurs. Le lendemain ils firent
+entendre des paroles de paix; mais elles étaient trompeuses.
+A peine échappés par l'effet d'une générosité peut-être
+condamnable, aux désastres de la troisième coalition, ils
+en ont ourdi une quatrième. Mais l'allié, sur la tactique duquel
+ils fondaient leur principale espérance, n'est déjà plus. Ses places
+fortes, ses capitales, ses magasins, ses arsenaux, deux cent
+quatre-vingts drapeaux, sept cents pièces de bataille, cinq grandes
+places de guerre, sont en notre pouvoir. L'Oder, la Wartha,
+les déserts de la Pologne, les mauvais temps de la saison
+n'ont pu vous arrêter un moment. Vous avez tout bravé,
+tout surmonté; tout a fui à votre approche. C'est en vain
+que les Russes ont voulu défendre la capitale de cette ancienne
+et illustre Pologne; l'aigle française plane sur la Vistule. Le
+brave et infortuné Polonais, en vous voyant, croit revoir
+les légions de Sobieski, de retour de leur mémorable expédition.</p>
+
+<p>Soldats, nous ne déposerons point les armes que la paix
+générale n'ait affermi et assuré la puissance de nos alliés, n'ait
+restitué à notre commerce sa liberté et ses colonies. Nous
+avons conquis sur l'Elbe et l'Oder, Pondichery, nos établissemens
+des Indes, le cap de Bonne-Espérance et les colonies
+espagnoles. Qui donnerait le droit de faire espérer aux
+Russes de balancer les destins? Qui leur donnerait le droit de
+renverser de si justes desseins? Eux et nous ne sommes-nous
+pas les soldats d'Austerlitz?»</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">De notre camp impérial de Posen, le 2 décembre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Ordre du jour.</i></p>
+
+<p>Napoléon, empereur des Français et roi d'Italie,</p>
+
+<p>Avons décrété et décrétons ce qui suit:</p>
+
+<p>Art. 1er. Il sera établi sur l'emplacement de la Madelaine
+de notre bonne ville de Paris, aux frais du trésor et de notre
+couronne, un monument dédié à la grande armée, portant
+sur le frontispice: <i>L'empereur Napoléon aux soldats de
+la grande armée.</i></p>
+
+<p>2. Dans l'intérieur du monument seront inscrits, sur des
+tables de marbre, les noms de tous les hommes, par corps
+d'armée et par régiment, qui ont assisté aux batailles d'Ulm,
+d'Austerlitz et de Jena; et sur des tables d'or massif, les noms
+de tous ceux qui sont morts sur les champs de bataille. Sur
+des tables d'argent sera gravée la récapitulation, par département,
+des soldats que chaque département a fournis à la
+grande armée.</p>
+
+<p>3. Autour de la salle seront sculptés des bas-reliefs où seront
+représentés les colonels de chacun des régimens de la
+grande armée avec leurs noms; ces bas-reliefs seront faits de
+manière que les colonels soient groupés autour de leurs généraux
+de division et de brigade par corps d'armée. Les statues
+en marbre des maréchaux qui ont commandé des corps
+ou qui ont fait partie de la grande armée, seront placées dans
+l'intérieur de la salle.</p>
+
+<p>3. Les armures, statues, monumens de toutes espèces, enlevés
+par la grande armée dans ces deux campagnes; les drapeaux,
+étendards et tymbales conquis par la grande armée,
+avec les noms des régimens ennemis auxquels ils appartenaient,
+seront déposés dans l'intérieur du monument.</p>
+
+<p>5. Tous les ans, aux anniversaires des batailles d'Austerlitz
+et de Jena, le monument sera illuminé, et il sera donné
+vu concert, précédé d'un discours sur les vertus nécessaires
+au soldat, et d'un éloge de ceux qui périrent sur le champ
+de bataille dans ces journées mémorables. Un mois avant,
+un concours sera ouvert pour recevoir la meilleure pièce de
+musique analogue aux circonstances. Une médaille d'or de
+cent cinquante doubles Napoléons, sera donnée aux auteurs
+de chacune de ces pièces qui auront remporté le prix. Dans
+les discours et odes, il est expressément défendu de faire aucune
+mention de l'empereur.</p>
+
+<p>6. Notre ministre de l'intérieur ouvrira sans délai un concours
+d'architecture pour choisir le meilleur projet pour l'exécution
+de ce monument. Une des conditions du prospectus
+sera de conserver la partie du bâtiment de la Madelaine qui
+existe aujourd'hui, et que la dépense ne dépasse pas trois
+millions. Une commission de la classe des beaux-arts de notre
+institut sera chargée de faire un rapport à notre ministre
+de l'intérieur, avant le mois de mars 1807, sur les projets
+soumis au concours. Les travaux commenceront le 1er mai,
+et devront être achevés avant l'an 1809. Notre ministre de
+l'intérieur sera chargé de tous les détails relatifs à la construction
+du monument, et le directeur-général de nos musées,
+de tous les détails des bas-reliefs, statues et tableaux.</p>
+
+<p>7. Il sera acheté cent mille francs de rente en inscriptions
+sur le grand-livre, pour servir à la dotation du monument
+et à son entretien annuel.</p>
+
+<p>8. Une fois le monument construit, le grand-conseil de la
+légion d'honneur sera spécialement chargé de sa garde, de
+sa conservation, et de tout ce qui est relatif au concours annuel.</p>
+
+<p>9. Notre ministre de l'intérieur et l'intendant des biens
+de notre couronne, sont chargés de l'exécution du présent
+décret.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Posen, le 2 décembre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Trente-Septième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le fort de Czentoschau a capitulé. Six cents hommes qui
+en formaient la garnison, trente bouches à feu, des magasins
+sont tombés en notre pouvoir. Il y a un trésor formé de beaucoup
+d'objets précieux, que la dévotion des Polonais avait
+offerts à une image de la vierge, qui est regardée comme la
+patronne de la Pologne. Ce trésor avait été mis sous le séquestre,
+mais l'empereur a ordonné qu'il fût rendu. La partie de
+l'armée qui est à Varsovie continue à être satisfaite de l'esprit
+qui anime cette grande capitale. La ville de Posen a
+donné aujourd'hui un bal à l'empereur. S.M. y a passé une
+heure. Il y a eu aujourd'hui un <i>Te Deum</i> pour l'anniversaire
+du couronnement de l'empereur.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Posen, le 5 décembre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Trente-huitième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le prince Jérôme, commandant l'armée des alliés, après
+avoir resserré le blocus de Glogau et fait construire des batteries
+autour de cette place, se porta avec les divisions bavaroises,
+Wrede et Deroi, du côté de Kalistch à la rencontre
+des Russes, et laissa le général Vandamme et le corps wurtembergeois
+continuer le siége de Glogau. Des mortiers et
+plusieurs pièces de canon arrivèrent le 29 novembre. Ils furent
+sur-le-champ mis en batterie, et après quelques heures
+de bombardement, la place s'est rendue, et la capitulation
+a été signée.</p>
+
+<p>Les troupes alliées du roi de Wurtemberg se sont bien montrées.
+Deux mille cinq cents hommes, des magasins assez considérables
+de biscuits, de blé, de poudre, près de deux cents
+pièces de canon sont les résultats de cette conquête importante,
+surtout par la bonté de ses fortifications et par sa situation.
+C'est la capitale de la basse Silésie. Les Russes ayant
+refusé la bataille devant Varsovie, ont repassé la Vistule. Le
+grand-duc de Berg l'a passée après eux; il s'est emparé du
+faubourg de Praga. Il les poursuit sur le Bug. L'empereur a
+donné en conséquence l'ordre au prince Jérôme, de marcher
+par sa droite sur Breslaw, et de cerner cette place, qui ne
+tardera pas de tomber en notre pouvoir. Les sept places de la
+Silésie seront successivement attaquées et bloquées. Vu le moral
+des troupes qui s'y trouvent, aucune ne fait présumer une
+longue résistance. Le petit fort de Culmbach, nommé <i>Plassembourg</i>,
+avait été bloqué par un bataillon bavarois: muni
+de vivres pour plusieurs mois, il n'y avait pas de raison pour
+qu'il se rendît. L'empereur a fait préparer à Cronach et à
+Forcheim des pièces d'artillerie pour battre ce fort et l'obliger
+à se rendre. Le 24 novembre, vingt-deux pièces étaient en
+batterie, ce qui a décidé le commandant à livrer la place. M. de
+Beker, colonel du sixième régiment d'infanterie de ligne
+Bavarois, et commandant le blocus, a montré de l'activité et
+du savoir-faire dans cette circonstance. L'anniversaire de la
+bataille d'Austerlitz et du couronnement de l'empereur, a
+été célébré à Varsovie avec le plus grand enthousiasme.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Posen, le 7 décembre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Trente-neuvième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le général Savary, après avoir pris possession d'Hameln,
+s'est porté sur Nienbourg. Le gouverneur faisait des difficultés
+pour capituler. Le général Savary entra dans la place, et
+après quelques pourparlers, il conclut la capitulation. Un
+courrier vient d'arriver, apportant la nouvelle à l'empereur
+que les Russes ont déclaré la guerre à la Porte; que Choczin
+et Bender sont cernés par leurs troupes, qu'ils ont passé à
+l'improviste le Dniester, et poussé jusqu'à Jassy. C'est le général
+Michelson qui commande l'armée russe en Valachie.
+L'armée russe, commandée par le général Benigsen, a évacué
+la Vistule, et paraît décidée à s'enfoncer dans les terres. Le
+maréchal Davoust a passé la Vistule, et a établi son quartier-général
+en avant de Praga; ses avant-postes sont sur le Bug. Le
+grand-duc de Berg est toujours à Varsovie. L'empereur a toujours
+son quartier-général à Posen.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Posen, le 9 décembre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Quarantième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le maréchal Ney a passé la Vistule, et est entré le 6 à
+Thorn. Il se loue particulièrement du colonel Savary, qui,
+à la tête du quatorzième régiment d'infanterie, et des grenadiers
+et voltigeurs du quatre-vingt-seizième et du sixième
+d'infanterie légère, passa le premier la Vistule. Il eut à Thorn
+un engagement avec les Prussiens, qu'il força, après un léger
+combat, d'évacuer la ville. Il leur tua quelques hommes et
+leur fit vingt prisonniers.</p>
+
+<p>Cette affaire offre un trait remarquable. La rivière large
+de quatre cents toises, charriait des glaçons. Le bateau qui
+portait notre avant-garde, retenu par les glaces, ne pouvait
+avancer; de l'autre rive, des bateliers polonais s'élancèrent au
+milieu d'une grêle de balles pour le dégager. Les bateliers
+prussiens voulurent s'y opposer: une lutte à coups de poing
+s'engagea entre eux. Les bateliers polonais jetèrent les prussiens
+à l'eau, et guidèrent nos bateaux jusqu'à la rive droite.
+L'empereur a demandé le nom de ces braves gens pour les
+récompenser.</p>
+
+<p>L'empereur a reçu aujourd'hui la députation de Varsovie,
+composée de MM. Gutakouski, grand-chambellan de Lithuanie,
+chevalier des ordres de Pologne; Gorzenski, lieutenant-général,
+chevalier des ordres de Pologne; Lubienski, chevalier
+des ordres de Pologne; Alexandre Potocki; Rzetkowki,
+chevalier de l'ordre de Saint-Stanislas; Luszewki.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Posen, le 14 décembre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Quarante-unième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le général de brigade Belair, du corps du maréchal Ney,
+partit de Thorn le 9 de ce mois, et se porta sur Galup. Le
+sixième, bataillon d'infanterie légère et le chef d'escadron
+Schoeni, avec soixante hommes du troisième de hussards, rencontrèrent
+un parti de quatre cents chevaux ennemis. Ces
+deux avant-postes en vinrent aux mains. Les Prussiens perdirent
+un officier et cinq dragons faits prisonniers, et eurent
+trente hommes tués, dont les chevaux restèrent en notre pouvoir.
+Le maréchal Ney se loue beaucoup du chef d'escadron
+Schoeni. Nos avant-postes de ce côté arrivent jusqu'à Strasbourg.</p>
+
+<p>Le 11, à six heures du matin, la canonnade se fît entendre
+du côté du Bug. Le maréchal Davoust avait fait passer cette
+rivière au général de brigade Gauthier, à l'embouchure de
+la Wrka, vis-à-vis le village d'Okunin.</p>
+
+<p>Le vingt-cinquième de ligne et le quatre-vingt-neuvième
+étant passés, s'étaient déjà couverts par une tête de pont, et
+s'étaient portés une demi-lieue en avant, au village de Pomikuwo,
+lorsqu'une division russe se présenta pour enlever ce
+village; elle ne fit que des efforts inutiles, fut repoussée, et
+perdit beaucoup de monde. Nous avons eu vingt hommes tué
+ou blessés.</p>
+
+<p>Le pont de Thorn, qui est sur pilotis, est rétabli; on relève
+les fortifications de cette place. Le pont de Varsovie, au
+faubourg de Praga, est terminé; c'est un pont de bateaux. On
+fait au faubourg de Praga un camp retranché; le général du
+génie Chasseloup dirige en chef ces travaux.</p>
+
+<p>Le 10, le maréchal Augereau a passé la Vistule entre Zakroczym
+et Utrata. Ses détachemens travaillent sur la rive
+droite à se couvrir par des retranchemens. Les Russes paraissent
+avoir des forces à Pultusk.</p>
+
+<p>Le maréchal Bessières débouche de Thorn avec le second
+corps de la réserve de cavalerie, composé de la division de
+cavalerie légère du général Tilly, des dragons des généraux
+Grouchy et Sahuc, et des cuirassiers du général d'Hautpoult.</p>
+
+<p>MM. de Lucchesini et de Zastrow, plénipotentiaires du
+roi de Prusse, ont passé le 10 à Thorn pour se rendre à Koenigsberg
+auprès de leur maître.</p>
+
+<p>Un bataillon prussien de Klock a déserté tout entier du
+village de Brok. Il s'est dirigé par différens chemins sur nos
+postes. Il est composé en partie de Prussiens et de Polonais.
+Tous sont indignés du traitement qu'ils reçoivent des Russes.
+«Notre prince nous a vendus aux Russes, disent-ils; nous
+ne voulons point aller avec eux.»</p>
+
+<p>L'ennemi a brûlé les beaux faubourgs de Breslaw, beaucoup
+de femmes et d'enfans ont péri dans cet incendie. Le
+prince Jérôme a donné des secours à ces malheureux habitans.
+L'humanité l'a emporté sur les lois de la guerre qui ordonnent
+de repousser dans une place assiégée les bouches
+inutiles que l'ennemi veut en éloigner. Le bombardement était
+commencé.</p>
+
+<p>Le général Gouvion est nommé gouverneur de Varsovie.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Posen, le 15 décembre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Quarante-deuxième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le pont sur la Narew, à son embouchure dans le Bug, est
+terminé. La tête de pont est finie et armée de canons.</p>
+
+<p>Le pont sur la Vistule, entre Zakroczym et Utrata, auprès
+de l'embouchure du Bug, est également terminé. La tête de
+pont, armée d'un grand nombre de batteries, est un ouvrage
+très-redoutable.</p>
+
+<p>Les armées russes viennent sur la direction de Grodno et
+sur celle de Bielk, en longeant la Narew et le Bug. Le quartier-général
+d'une de leurs divisions, était le 10 à Pultusk
+sur la Narew.</p>
+
+<p>Le général Dulauloi est nommé gouverneur de Thorn.</p>
+
+<p>Le huitième corps de la grande armée, que commande le
+maréchal Mortier, s'avance; il a sa droite à Stettin, sa gauche
+à Rostock, et son quartier-général à Anklain. Les grenadiers
+de la réserve du général Oudinot arrivent à Custrin.</p>
+
+<p>La division des cuirassiers, nouvellement formée sous le
+commandement du général Espagne, arrive à Berlin. La
+division italienne du général Lecchi se réunit à Magdebourg.</p>
+
+<p>Le corps du grand-duc de Bade est à Stettin; sous quinze
+jours il pourra entrer en ligne. Le prince héréditaire a constamment
+suivi le quartier-général, et s'est trouvé à toutes les
+affaires.</p>
+
+<p>Le division polonaise de Zayonschek, qui a été organisée
+à Haguenau, et qui est forte de six mille hommes, est à Leipsick,
+pour y former son habillement.</p>
+
+<p>S.M. a ordonné de lever dans les états prussiens au-delà
+de l'Elbe, un régiment qui se réunira à Munster. Le prince
+de Hohenzollern-Sigmaringen est nommé colonel de ce
+corps.</p>
+
+<p>Une division de l'armée de réserve du général Kellermann
+est partie de Mayence. La tête de cette division est déjà arrivée
+à Magdebourg.</p>
+
+<p>La paix avec l'électeur de Saxe et le duc de Saxe-Weimar
+a été signée à Posen.</p>
+
+<p>Tous les princes de Saxe ont été admis dans la confédération
+du Rhin.</p>
+
+<p>S.M. a désapprouvé la levée des contributions frappées
+sur les Etats de Saxe-Gotha et Saxe-Meinungen, et a ordonné
+de restituer ce qui a été perçu. Ces princes n'ayant point été
+en guerre avec la France, et n'ayant point fourni de contingent
+à la Prusse, ne devaient point être sujets à des contributions
+de guerre.</p>
+
+<p>L'armée a pris possession du pays de Mecklembourg. C'est
+une suite du traité signé à Schwerin le 25 octobre 1805. Par
+ce traité, le prince de Mecklembourg avait accordé passage
+sur son territoire aux troupes russes commandées par le général Tolstoy.</p>
+
+<p>La saison étonne les habitans de la Pologne. Il ne gèle
+point. Le soleil parait tous les jours, et il fait encore un temps
+d'automne.</p>
+
+<p>L'empereur part cette nuit pour Varsovie.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Kutno, le 17 décembre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Quarante-troisième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>L'empereur est arrivé à Kutno à une heure après midi,
+ayant voyagé toute la nuit dans des calèches du pays, le dégel
+ne permettant pas de se servir de voitures ordinaires. La
+calèche dans laquelle se trouvait le grand-maréchal du palais,
+Duroc, a versé. Cet officier a été grièvement blessé à l'épaule,
+sans cependant aucune espèce de danger. Cela l'obligera à garder
+le lit huit à dix jours.</p>
+
+<p>Les têtes de pont de Prag, de Zakroczym, de la Narew et
+de Thorn, acquièrent tous les jours un nouveau degré de
+force.</p>
+
+<p>L'empereur sera demain à Varsovie.</p>
+
+<p>La Vistule étant extrêmement large, les ponts ont partout
+trois à quatre cents toises; ce qui est un travail très-considérable.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Varsovie, le 21 décembre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Quarante-quatrième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>L'empereur a visité hier les travaux de Prag. Huit belles
+redoutes palissadées et fraisées, ferment une enceinte de
+quinze mille toises, et trois fronts bastionnés de six cents
+toises de développement, forment le réduit d'un camp retranché.</p>
+
+<p>La Vistule est une des plus grandes rivières qui existent.</p>
+
+<p>Le Bug, qui est comparativement beaucoup plus petit, est
+cependant beaucoup plus fort que la Seine. Le pont sur ce
+dernier fleuve est entièrement terminé. Le général Gauthier,
+avec les vingt-cinquième et quatre-vingt-cinquième régimens
+d'infanterie, occupe la tête du pont, que le général Chasseloup
+a fait fortifier avec intelligence; de manière que cette
+tête de pont, qui n'a cependant que quatre cents toises de
+développement, se trouvant appuyée à des marais et à la rivière,
+entoure un camp retranché qui peut renfermer, sur
+la rive droite, toute une armée à l'abri de toute attaque de
+l'ennemi. Une brigade de cavalerie légère de la réserve a tous
+les jours de petites escarmouches avec la cavalerie russe.</p>
+
+<p>Le 18, le maréchal Davoust sentit la nécessité, pour rendre
+son camp sur la rive droite meilleur, de s'emparer d'une petite
+île située à l'embouchure de la Wrka. L'ennemi reconnut
+l'importance de ce poste. Une vive fusillade d'avant-garde
+s'engagea, mais la victoire et l'île, restèrent aux Français.
+Notre perte a été de peu d'hommes blessés. L'officier de génie
+Clouet, jeune homme de la plus grande espérance, a eu
+une balle dans la poitrine. Le 19, un régiment de cosaques,
+soutenu par des hussards russes, essaya d'enlever la grand'garde
+de la brigade de cavalerie légère placée en avant de la
+tête du pont du Bug; mais la grand'garde s'était placée de
+manière à être à l'abri d'une surprise. Le 1er d'hussards sonna
+à cheval. Le colonel se précipita à la tête d'un escadron, et
+le treizième s'avança pour le soutenir. L'ennemi fut culbuté.
+Nous avons eu dans cette petite affaire trois ou quatre hommes
+blessés, mais le colonel des cosaques a été tué. Une trentaine
+d'hommes et vingt-cinq chevaux sont restés en notre
+pouvoir. Il n'y a rien de si lâche et de si misérable que les cosaques;
+c'est la honte de la nature humaine. Ils passent le
+Bug et violent chaque jour la neutralité de l'Autriche, pour
+piller une maison en Galicie, ou pour se faire donner un
+verre d'eau-de-vie, dont ils sont très-friands; mais notre cavalerie
+légère est familiarisée, depuis la dernière campagne,
+avec la manière de combattre ces misérables, qui peuvent arrêter
+par leur nombre et le tintamarre qu'ils font en chargeant,
+des troupes qui n'ont pas l'habitude de les voir, mais,
+quand on les connaît, deux mille de ces malheureux ne sont
+pas capables de charger un escadron qui les attend de pied
+ferme.</p>
+
+<p>Le maréchal Augereau a passé la Vistule à Utrata. Le
+général Lapisse est entré à Plousk, et en a chassé l'ennemi.</p>
+
+<p>Le maréchal Soult a passé la Vistule à Vizogrod.</p>
+
+<p>Le maréchal Bessières est arrivé le 18 à Kikol avec le second
+corps de réserve de cavalerie. La tête est arrivée à Siepez,
+Différentes rencontres de cavalerie avaient eu lieu avec
+des hussards prussiens, dont bon nombre a été pris. La rive
+droite de la Vistule se trouve entièrement nettoyée.</p>
+
+<p>Le maréchal Ney, avec son corps d'armée, appuie le maréchal
+Bessières. Il était arrivé le 18 à Rypin. Il avait lui-même
+sa droite appuyée par le maréchal prince de Ponte-Corvo.</p>
+
+<p>Tout se trouve donc en mouvement. Si l'ennemi persiste à
+rester dans sa position, il y aura une bataille dans peu de
+jours. Avec l'aide de Dieu, l'issue n'en peut être incertaine.
+L'armée russe est commandée par le maréchal Kamenskoy,
+vieillard de soixante-quinze ans. Il a sous lui les généraux
+Benigsen et Buxhowden.</p>
+
+<p>Le général Michelson est décidèrent entré en Moldavie.
+Des rapports assurent qu'il est entré le 29 novembre à Yassi.
+On assuré même qu'un de ses généraux a pris d'assaut Bender,
+et a tout passé au fil de l'épée. Voilà donc une guerre déclarée
+à la Porte sans prétexte ni raison; mais on avait jugé
+à Saint-Pétersbourg que le moment où la France et la Prusse,
+les deux puissances les plus intéressées à maintenir l'indépendance
+de la Turquie, étaient aux mains, devenait le moment
+favorable pour assujettir cette puissance. Les événemens
+d'un mois ont déconcerté ces calculs, et la Porte leur devra
+sa conservation.</p>
+
+<p>Le grand-duc de Berg est malade de la fièvre. Il va mieux.
+Le temps est doux comme à Paris au mois d'octobre, et
+humide, ce qui rend les chemins difficiles. On est parvenu à
+se procurer une assez grande quantité de vin pour soutenir la
+force du soldat.</p>
+
+<p>Le palais des rois de Pologne est beau et bien meublé. Il
+y a à Varsovie un grand nombre de beaux palais et de belles
+maisons. Nos hôpitaux y sont bien établis, ce qui n'est pas
+un petit avantage dans ce pays. L'ennemi paraît avoir beaucoup
+de malades; il a aussi beaucoup de déserteurs. On ne
+parle pas des Prussiens, car même des colonnes entières ont
+déserté pour ne pas être, sous les Russes, obligés de dévorer
+de continuels affronts.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Haluski, le 27 décembre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Quarante-cinquième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le général russe Benigsen commandait une armée que l'on
+évaluait à soixante mille hommes. Il avait d'abord le projet de
+couvrir Varsovie, mais la renommée des événemens qui s'étaient
+passés en Prusse lui porta conseil, et il prit le parti de
+se retirer sur la frontière russe. Sans presque aucun engagement,
+les armées françaises entrèrent dans Varsovie, passèrent
+la Vistule et occupèrent Prag. Sur ces entrefaites, le feld-maréchal
+Kaminski arriva à l'armée russe au moment même où
+la jonction du corps de Benigsen avec celai de Buxhowden,
+s'opérait. Il s'indignait de la marche rétrograde des Russes.
+Il crut qu'elle compromettait l'honneur des armes de sa nation,
+et il marcha en avant. La Prusse faisait instances sur
+instances, se plaignant qu'on l'abandonnait après lui avoir
+promis de la soutenir, et disant que le chemin de Berlin n'était
+ni par Grodno, ni par Olita, ni par Brezsc; que ses sujets
+se désaffectionnaient; que l'habitude de voir le trône de
+Berlin occupé par des Français était dangereuse pour elle et
+favorable à l'ennemi. Non-seulement le mouvement rétrograde
+des Russes cessa, mais ils se reportèrent en avant. Le 5 décembre,
+le général Benigsen rétablit son quartier-général à
+Pultusk. Les ordres étaient d'empêcher les Français de passer
+la Narew, de reprendre Prag, et d'occuper la Vistule jusqu'au
+moment où l'on pourrait effectuer des opérations offensives
+d'une plus grande importance.</p>
+
+<p>La réunion, des généraux Kaminski, Buxhowden et Benigsen,
+fut célébrée au château de Sierock par des réjouissances
+et des illuminations, qui furent aperçues du haut des
+tours de Varsovie.</p>
+
+<p>Cependant, au moment même où l'ennemi s'encourageait
+par des fêtes, la Narew se passait; huit cents Français jetés
+de l'autre côté de cette rivière, à l'embouchure de la Wrka,
+s'y retranchèrent cette même nuit; et lorsque l'ennemi se présenta
+le matin pour, les rejeter dans la rivière, il n'était plus
+temps; ils se trouvaient à l'abri de tout événement.</p>
+
+<p>Instruit de ce changement survenu dans les opérations de
+l'ennemi, l'empereur partit de Posen le 16. Au même moment,
+il avait mis en mouvement son armée. Tout ce qui revenait
+des discours des Russes faisait comprendre qu'ils voulaient
+reprendre l'offensive.</p>
+
+<p>Le maréchal Ney était depuis plusieurs jours maître de
+Thorn. Il réunit son corps d'armée à Gallup. Le maréchal
+Bessières, avec le deuxième corps de la cavalerie de la réserve,
+composé des divisions de dragons des généraux Sahuc
+et Grouchy, et de la division des cuirassiers d'Hautpoult,
+partit de Thorn pour se porter sur Biezan. Le maréchal
+prince de Ponte-Corvo partit avec son corps d'armée pour le
+soutenir. Le maréchal Soult passait la Vistule vis à vis de
+Plock, le maréchal Augereau la passait vis à vis de Zakroczym,
+où l'on travaillait à force à établir un pont. Celui de la Narew
+se poussait aussi vivement.</p>
+
+<p>Le 22, le pont de la Narew fut terminé. Toute la réserve
+de cavalerie passa sur-le-champ la Vistule à Prag, pour se
+rendre sur la Narew. Le maréchal Davoust y réunit tout son
+corps. Le 23, à une heure du matin, l'empereur partit de
+Varsovie, et passa la Narew à neuf heures. Après avoir reconnu
+l'Wrka et les retranchemens considérables qu'avait
+élevés l'ennemi, il fit jeter un pont au confluent de la Narew
+et de l'Wrka. Ce pont fut jeté en deux heures par les soins
+du général d'artillerie.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Combat de nuit de Czarnowo.</i></p>
+
+<p>La division Morand passa sur-le-champ pour aller s'emparer
+des retranchemens de l'ennemi près du village de Czarnowo.
+Le général de brigade Marulaz la soutenait avec sa
+cavalerie légère. La division de dragons du général Beaumont
+passa immédiatement après. La canonnade s'engagea à
+Czarnowo. Le maréchal Davoust fît passer le général Petit
+avec le douzième de ligne pour enlever les redoutes du pont.
+La nuit vint, on dut achever toutes les opérations au clair de
+la lune; et a deux heures du matin, l'objet que se proposait
+l'empereur fut rempli. Toutes les batteries du village de Czarnowo
+furent enlevées; celles du pont furent prises; quinze
+mille Hommes qui les défendaient furent mis en déroute,
+malgré leur vive résistance.</p>
+
+<p>Quelques prisonniers et six pièces de canon restèrent en
+notre pouvoir. Plusieurs généraux ennemis furent blesses.
+De notre côté, le général de brigade Boussard a été légèrement
+blessé. Nous avons eu peu de morts, mais près de deux
+cents blessés. Dans le même temps, à l'autre extrémité de la
+ligne d'opérations, le maréchal Ney culbutait les restes de
+l'armée prussienne, et les jetait dans les bois de Lauterburg,
+en leur faisant éprouver une perte notable. Le maréchal Bessières
+avait une brillante affaire de cavalerie, cernait trois
+escadrons de hussards qu'il faisait prisonniers, et enlevait
+plusieurs pièces de canon.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Combat de Nasielsk.</i></p>
+
+<p>Le 24, la réserve de cavalerie et le corps du maréchal Davoust
+se dirigèrent sur Nasielsk. L'empereur donna le commandement
+de l'avant-garde au général Rapp. Arrivé à une
+lieue de Nasielsk, on rencontra l'avant-garde ennemie.</p>
+
+<p>Le générai Lemarrois partit avec deux régimens de dragons,
+pour tourner un grand bois et cerner celle avant-garde.
+Ce mouvement, fut exécuté avec promptitude. Mais l'avant-garde
+ennemie, voyant l'armée française ne faire aucun mouvement
+pour avancer, soupçonna quelque projet et ne tint
+pas. Cependant il se fît quelques charges, dans l'une desquelles
+fut pris le major Ourvarow, aide-de-camp de l'empereur
+de Russie. Immédiatement après, un détachement
+arriva sur la petite ville de Nasielsk. La canonnade devint
+vive. La position de l'ennemi était bonne; il était retranché
+par des marais et des bois. Le maréchal Kaminski commandait
+lui-même. Il croyait pouvoir passer la nuit dans cette
+position, en attendant que d'autres colonnes vinssent le
+joindre. Vain calcul; il en fut chassé, et mené tambour battant
+pendant plusieurs lieues. Quelques généraux russes furent
+blessés, plusieurs colonels faits prisonniers, et plusieurs
+pièces de canon prises. Le colonel Beker, du huitième régiment
+de dragons, brave officier, a été blesse mortellement.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Passage de Wrka</i></p>
+
+<p>Au même moment, le général Nansouty, avec la division
+Klein et une brigade de cavalerie légère, culbutait, en avant
+de Kursomb, les cosaques et la cavalerie ennemie, qui avait
+passé l'Wrka sur ce point, et traversait là cette rivière. Le
+septième corps d'armée, que commande le maréchal Augereau,
+effectuait son passage de l'Wrka à Kursomb, et culbutait
+les quinze mille hommes qui la défendaient. Le passage
+du pont fut brillant. Le quatorzième de ligne l'exécuta en colonnes
+serrées, pendant que le seizième d'infanterie légère
+établissait une vive fusillade sur la rive droite. A peine le
+quatorzième eut-il débouché du pont, qu'il essuya une
+charge de cavalerie, qu'il soutint avec l'intrépidité ordinaire
+à l'infanterie française; mais un malheureux lancier pénétra
+jusqu'à la tête du régiment, et vint percer d'un coup de lance
+le colonel qui tomba raide mort. C'était un brave soldat; il
+était digne de commander un si brave corps. Le feu à bout
+portant qu'exécuta son régiment, et qui mit la cavalerie ennemie
+dans le plus grand désordre, fut le premier des honneurs
+rendus à sa mémoire.</p>
+
+<p>Le 25, le troisième corps, que commande le maréchal
+Davoust, se porta à Tykoczyn, où s'était retiré l'ennemi. Le
+cinquième corps commandé par le maréchal Lannes, se dirigeait
+sur Pultusk, avec la division de dragons Beker.</p>
+
+<p>L'empereur se porta, avec la plus grande partie de la cavalerie
+de réserve, à Ciechanow.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Passage de la Sonna.</i></p>
+
+<p>Le général Gardanne, que l'empereur avait envoyé avec
+trente hommes de sa garde pour reconnaître les mouvemens
+de l'ennemi, rapporta qu'il passait la rivière de Sonna à Lopackzin,
+et se dirigeait sur Tykoczyn.</p>
+
+<p>Le grand-duc de Berg, qui était resté malade a Varsovie,
+n'avait pu résister à l'impatience de prendre part aux événemens
+qui se préparaient. Il partit de Varsovie et vint rejoindre
+l'empereur. Il prit deux escadrons des chasseurs de la garde
+pour observer les mouvemens de la colonne ennemie. Les brigades de
+cavalerie légère de la réserve, et les divisions Klein
+et Nansouty, pressèrent le pas pour le joindre. Arrivé au
+pont de Lopackzin, il trouva un régiment de hussards russes,
+qui le gardait. Ce régiment fut aussitôt chargé par les chasseurs
+de la garde, et culbuté dans la rivière, sans autre perte
+de la part des chasseurs, qu'un maréchal-des-logis blessé.</p>
+
+<p>Cependant la moitié de cette colonne n'avait pas encore
+passé; elle passait plus haut. Le grand-duc de Berg la fît
+charger par le colonel Dalhmann, à la tête des chasseurs de la
+garde, qui lui prit trois pièces de canon, après avoir mis
+plusieurs escadron en déroute.</p>
+
+<p>Tandis que la colonne que l'ennemi avait si imprudemment
+jetée sur la droite, cherchait à gagner la Narew, pour arriver
+à Tykoczyn, point de rendez-vous, Tykoczyn était occupé
+par le maréchal Davoust, qui y prit deux cents voitures
+de bagages et une grande quantité de traînards qu'on ramassa
+de tous côtés.</p>
+
+<p>Toutes les colonnes russes sont coupées, errantes à l'aventure,
+dans un désordre difficile à imaginer. Le général russe
+a fait la faute de cantonner son armée, ayant sur ses flancs
+l'armée française, séparée, il est vrai, par la Narew, mais
+ayant un pont sur cette rivière. Si la saison était belle, on
+pourrait prédire que l'armée russe ne se retirerait pas et serait
+perdue sans bataille; mais dans une saison où il fait nuit à
+quatre heures, et où il ne fait jour qu'a huit, l'ennemi qu'on
+poursuit a toutes les chances pour se sauver, surtout dans un
+pays difficile et coupé de bois. D'ailleurs, les chemins sont
+couverts de quatre pieds de boue, et le dégel continue. L'artillerie
+ne peut faire plus de deux lieues dans un jour. Il est
+donc à prévoir que l'ennemi se retirera de la position fâcheuse
+où il se trouve, mais il perdra toute son artillerie, toutes ses
+voitures, tous ses bagages.</p>
+
+<p>Voici quelle était, le 25 au soir, la position de l'armée
+française.</p>
+
+<p>La gauche, composée des corps du maréchal prince de
+Ponte-Corvo et des maréchaux Ney et Bessières, marchant
+de Biézon sur la route de Grodno;</p>
+
+<p>Le maréchal Soult arrivant a Ciechanow;</p>
+
+<p>Le maréchal Augereau marchant sur Golymin;</p>
+
+<p>Le maréchal Davoust entre Golymin et Pultusk;</p>
+
+<p>Le maréchal Lannes à Pultusk.</p>
+
+<p>Dans ces deux jours nous avons fait quinze à seize cents
+prisonniers, pris vingt-cinq à trente pièces de canon, trois
+drapeaux et un étendard.</p>
+
+<p>Le temps est extraordinaire ici; il fait plus chaud qu'au
+mois d'octobre à Paris, mais il pleut, et dans un pays où il
+n'y a pas de chaussées, on est constamment dans la boue.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Golymin, le 28 décembre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Quarante-sixième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le maréchal Ney, chargé de manoeuvrer pour détacher le
+lieutenant-général prussien Lestocq de l'Wrka, déborder et
+menacer ses communications, et pour le couper des Russes,
+a dirigé ses mouvemens avec son habileté et son intrépidité
+ordinaires. Le 23, la division Marchand se rendit à Gurzno,
+Le 24, l'ennemi a été poursuivi jusqu'à Kunsbroch. Le 25,
+l'arrière garde de l'ennemi a été entamée. Le 26, l'ennemi
+s'étant concentré à Soldan et Mlawa, le maréchal Ney résolut
+de marcher à lui et de l'attaquer. Les Prussiens occupaient
+Soldan avec six mille hommes d'infanterie et un millier
+d'hommes de cavalerie; ils comptaient, protégés par les
+marais et les obstacles qui environnent cette ville, être à l'abri
+de toute attaque. Tous ces obstacles ont été surmontés par
+les soixante-neuvième et soixante-seizième. L'ennemi s'est
+défendu dans toutes les rues, et a été repoussé partout à
+coups de baïonnette. Le gênerai Lestocq, voyant le petit
+nombre de troupes qui l'avaient attaqué, voulut reprendre
+la ville. Il fit quatre attaques successives pendant la nuit,
+dont aucune ne réussit. Il se retira à Niedenbourg: six pièces
+de canon, quelques drapeaux, un assez bon nombre de prisonniers,
+ont été le résultât du combat de Soldan. Le maréchal
+Ney se loue du général Wonderveid, qui a été blessé.
+Il fait une mention particulière du colonel Brun, du soixante-neuvième,
+qui s'est fait remarquer par sa bonne conduite.
+Le même jour, le cinquante-neuvième a passé sur Lauterburg.</p>
+
+<p>Pendant le combat de Soldan, le général Marchand, avec
+sa division, repoussait l'ennemi de Mlawa, où il eut un très-brillant
+combat.</p>
+
+<p>Le maréchal Bessières, avec le second corps de la réserve
+de cavalerie, avait occupé Biézun dès le 19. L'ennemi reconnaissant
+l'importance de cette position, et sentant que la
+gauche de l'armée française voulait séparer les Prussiens des
+Russes, tenta de reprendre ce poste; ce qui donna lieu au
+combat de Biézun. Le 23, à huit heures, il déboucha par
+plusieurs routes. Le maréchal Bessières avait placé les deux
+seules compagnies d'infanterie qu'il avait, près du pont.
+Voyant l'ennemi venir en très-grande force, il donna ordre au
+général Grouchy de déboucher avec sa division. L'ennemi
+était déjà maître du village de Karmidjeu, et y avait jeté un
+bataillon d'infanterie.</p>
+
+<p>Chargée par la division Grouchy, la ligne ennemie fut
+rompue. Cavalerie et infanterie prussienne, fortes de six
+mille hommes, ont été enfoncées et jetées dans les marais;
+cinq cents prisonniers, cinq pièces de canon, deux étendards,
+sont le résultat de cette charge. Le maréchal Bessières se
+loue beaucoup du général Grouchy, du général Rouget, et
+de son chef d'état-major le général Roussel. Le chef d'escadron
+Renié, du sixième régiment de dragons, s'est distingué.
+M. Launay, capitaine de la compagnie d'élite du même régiment,
+a été tué.</p>
+
+<p>M. Bourreau, aide-de-camp du maréchal Bessières, a été
+blessé. Notre perte est, du reste, peu considérable. Nous
+avons eu huit hommes tués et une vingtaine de blessés. Les
+deux étendards ont été pris par le dragon Plet, du sixième
+régiment de dragons, et par le fourrier Jeuffroy, du troisième
+régiment.</p>
+
+<p>S.M. désirant que le prince Jérôme eût occasion de s'instruire
+l'a fait appeler de Silésie. Ce prince a pris part à tous
+les combats qui ont eu lieu, et s'est trouvé souvent aux
+avant-postes.</p>
+
+<p>S.M. a été satisfaite de la conduite de l'artillerie, pour
+l'intelligence et l'intrépidité qu'elle a montrées devant l'ennemi,
+soit dans la construction des ponts, soit pour faire
+marcher l'artillerie au milieu des mauvais chemins.</p>
+
+<p>Le général Marulaz, commandant la cavalerie légère du
+troisième corps, le colonel Excelmans, du premier de chasseurs,
+et le général Petit, ont fait preuve d'intelligence et de
+bravoure.</p>
+
+<p>S.M. a recommandé que dans les relations officielles des
+différentes affaires, on fît connaître un grand nombre de
+traits qui méritent de passer à la postérité; car c'est pour
+elle, et pour vivre éternellement dans sa mémoire, que le
+soldat français affronte tous les dangers et toutes les fatigues.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Pultusk, le 30 décembre 1806.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Quarante-septième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le combat de Czarnowo, celui de Nasielsk, celui de Kursomb,
+le combat de cavalerie de Lopackzin, ont été suivis
+par les combats de Golymin et de Pultusk; et la retraite entière
+et précipitée des armées russes a terminé l'année et la
+campagne.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Combat de Pultusk.</i></p>
+
+<p>Le maréchal Lannes ne put arriver vis à vis Pultusk que
+le 26 au matin. Tout le corps de Benigsen s'y était réuni
+dans la nuit. Les divisions russes qui avaient été battues à
+Nasielsk, poursuivies par la troisième division du corps du
+maréchal Davoust, entrèrent dans le camp de Putulsk à deux
+heures après minuit. A dix heures le maréchal Lannes attaqua,
+ayant la division Suchet en première ligne, la division
+Gazan en seconde ligne, la division Gudin, du troisième
+corps d'armée, commandée par le général Daultanne, sur sa
+gauche. Le combat devint vif. Après différens engagemens,
+l'ennemi fut culbuté. Le dix-septième régiment d'infanterie
+légère et le trente-quatrième se couvrirent de gloire. Les
+généraux Vedel et Claparède ont été blessés. Le général Treillard,
+commandant la cavalerie légère du corps d'armée, le général
+Boussard, commandant une brigade de la division de
+dragons Beker, le colonel Barthelemy, du quinzième régiment
+de dragons, ont été blessés par la mitraille. L'aide-de-camp
+Voisin, du maréchal Lannes, et l'aide-de-camp Curial,
+du général Suchet, ont été tués l'un et l'autre avec gloire.
+Le maréchal Lannes a été touché d'une balle. Le cinquième
+corps d'armée a montré, dans cette circonstance, ce que peuvent
+des braves, et l'immense supériorité de l'infanterie française
+sur celle des autres nations. Le maréchal Lannes, quoique
+malade depuis huit jours, avait voulu suivre son corps
+d'armée. Le quatre-vingt-cinquième régiment a soutenu plusieurs charges de cavalerie ennemie avec sang-froid et succès.
+L'ennemi, dans la nuit, a battu en retraite et a gagné Ostrolenka.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Combat de Golymin.</i></p>
+
+<p>Pendant que le corps de Benigsen était à Pultusk, et y était
+battu, celui de Buxhowden se réunissait à Golymin, à midi.
+La division Panin, de ce corps, qui avait été attaquée la
+veille par le grand-duc de Berg, une autre division qui avait
+été battue à Nasielsk, arrivaient par différens chemins au
+camp de Golymin.</p>
+
+<p>Le maréchal Davoust, qui poursuivait l'ennemi depuis
+Nasielsk, l'atteignit, le chargea, et lui enleva un bois près
+du camp de Golymin.</p>
+
+<p>Dans le même temps, le maréchal Augereau arrivant de
+Golaczima, prenait l'ennemi en flanc. Le général de brigade
+Lapisse, avec le seizième d'infanterie légère, enlevait à la
+baïonnette un village qui servait de point d'appui à l'ennemi.
+La division Heudelet se déployait et marchait à lui. A trois
+heures après midi, le feu était des plus chauds. Le grand-duc
+de Berg fit exécuter avec le plus grand succès plusieurs
+charges, dans lesquelles la division de dragons Klein se distingua.
+Cependant la nuit arrivant trop tôt, le combat continua
+jusqu'à onze heures du soir. L'ennemi fit sa retraite en
+désordre, laissant son artillerie, ses bagages, presque tous
+ses sacs, et beaucoup de morts. Toutes les colonnes ennemies
+se retirèrent sur Ostrolenka.</p>
+
+<p>Le général Fenerolle, commandant une brigade de dragons,
+fut tué d'un boulet. L'intrépide général Rapp, aide-de-camp
+de l'empereur, a été blessé d'un coup de fusil, à la
+tête de sa division de dragons. Le colonel Sémélé, du brave
+vingt-quatrième de ligne, a été blessé. Le maréchal Augereau
+a eu un cheval tué sous lui.</p>
+
+<p>Cependant le maréchal Soult, avec son corps d'armée,
+était déjà arrivé à Molati, à deux lieues de Makow; mais les
+horribles boues, suite des pluies et du dégel, arrêtèrent sa
+marche et sauvèrent l'armée russe, dont pas un seul homme
+n'eût échappé sans cet accident. Les destins de l'armée de
+Benigsen et de celle de Buxhowden devaient se terminer en
+deçà de la petite rivière d'Orcye; mais tous les mouvemens
+ont été contrariés par l'effet du dégel, au point que l'artillerie
+a mis jusqu'à deux jours pour faire trois lieues. Toutefois,
+l'armée russe a perdu quatre-vingt pièces de canon, tous ses
+caissons, plus de douze cents voitures de bagages, et douze
+mille hommes tués, blessés ou faits prisonniers. Les mouvemens
+des colonnes françaises et russes seront un objet de vive
+curiosité pour les militaires, lorsqu'ils seront tracés sur la
+carte. On y verra à combien peu il a tenu que toute cette armée
+ne fût prise et anéantie en peu de jours, et cela, par
+l'effet d'une seule faute du général russe.</p>
+
+<p>Nous avons perdu huit cents hommes tués, et nous avons
+eu deux mille blessés. Maître d'une grande partie de l'artillerie
+ennemie, de toutes les positions ennemies, ayant repoussé
+l'ennemi à plus de quarante lieues, l'empereur a mis son armée
+en quartiers d'hiver.</p>
+
+<p>Avant cette expédition, les officiers russes disaient qu'ils
+avaient cent cinquante mille hommes: aujourd'hui ils prétendent
+n'en avoir eu que la moitié. Qui croire, des officiers
+russes avant la bataille, ou des officiers russes après la bataille?</p>
+
+<p>La Perse et la Porte ont déclaré la guerre à la Russie.
+Michelson attaque la Porte. Ces deux grands empires, voisins
+de la Russie, sont tourmentés par la politique fallacieuse du
+cabinet de Saint-Pétersbourg, qui agit depuis dix ans chez
+eux comme elle a fait pendant cinquante ans en Pologne.</p>
+
+<p>M. Philippe Ségur, maréchal-des-logis de la maison de
+l'empereur, se rendant à Nasielsk, est tombé dans une embuscade
+de cosaques, qui s'étaient placés dans une maison de
+bois qui se trouve derrière Nasielsk. Il en a tué deux de sa
+main, mais il a été fait prisonnier.</p>
+
+<p>L'empereur l'a fait réclamer; mais le général russe l'avait
+sur-le-champ dirigé sur Saint-Pétersbourg.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">De notre camp impérial de Pultusk, le 31 décembre 1806.</p>
+
+<p>M. l'archevêque (ou évêque), les nouveaux succès que
+nos armées ont remportés sur les bords du Bug et de la Narew,
+où, en cinq jours de temps, elles ont mis en déroute l'armée
+russe, avec période son artillerie, de ses bagages et d'un grand
+nombre de prisonniers, en les obligeant à évacuer toutes les
+positions importantes où elle s'était retranchée, nous portent
+à désirer que notre peuple adresse des remercîmens au ciel,
+pour qu'il continue à nous être favorable, et pour que le Dieu
+des armées seconde nos justes entreprises, qui ont pour but de
+donner enfin, à nos peuples, une paix stable et solide, que ne
+puisse troubler le génie du mal. Cette lettre n'étant pas à autre
+fin, nous prions Dieu, M. l'archevêque (ou évêque), qu'il
+vous ait en sa sainte garde.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Varsovie, le 3 janvier 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Quarante-huitième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le général Corbineau, aide-de-camp de l'empereur, est
+parti de Pultusk avec trois régiments de cavalerie légère, pour
+se mettre à la poursuite de l'ennemi. Il est arrivé le 1er janvier
+à Ostrowiec, après avoir occupé Brock. Il a ramassé
+quatre cents prisonniers, plusieurs officiers et plusieurs voitures
+de bagages.</p>
+
+<p>Le maréchal Soult, ayant sous ses ordres les trois brigades
+de cavalerie légère de la division Lasalle, borde la petite rivière
+d'Orcye, pour mettre à couvert les cantonnemens de
+l'armée. Le maréchal Ney, le maréchal prince de Ponte-Corvo
+et le maréchal Bessières ont leurs troupes cantonnées
+sur la gauche. Les corps d'armée des maréchaux Soult, Davoust
+et Lannes, occupent Pultusk et les bords du Bug.</p>
+
+<p>L'armée ennemie continue son mouvement de retraite.</p>
+
+<p>L'empereur est arrivé le 2 janvier à Varsovie, à deux heures
+après midi.</p>
+
+<p>Il a gelé et neigé pendant deux jours, mais déjà le dégel
+recommence, et les chemins, qui paraissaient s'améliorer
+sont devenus aussi mauvais qu'auparavant.</p>
+
+<p>Le prince Borghèse a été constamment à la tête du premier
+régiment des carabiniers, qu'il commande. Les braves carabiniers
+et cuirassiers brûlaient d'en venir aux mains avec
+l'ennemi; mais les divisions de dragons qui marchaient en
+avant ayant tout enfoncé, ne les ont pas mis dans le cas de
+fournir une charge.</p>
+
+<p>S.M. a nommé le général Lariboissière général de division,
+et lui a donné le commandement de l'artillerie de sa garde.
+C'est un officier du plus rare mérite.</p>
+
+<p>Les troupes du grand-duc de Wurtzbourg forment la garnison
+de Berlin. Elles sont composées de deux régimens qui
+se font distinguer par leur belle tenue.</p>
+
+<p>Le corps du prince Jérôme assiége toujours Breslaw. Cette
+belle ville est réduite en cendres. L'attente des événemens, et
+l'espérance qu'elle avait d'être secourue par les Russes, l'ont
+empêchée de se rendre; mais le siége avance. Les troupes bavaroises
+et wurtembergeoises ont mérité les éloges du prince
+Jérôme et l'estime de l'armée française.</p>
+
+<p>Le commandant de la Silésie avait réuni les garnisons des
+places qui ne sont pas bloquées et en avait formé un corps
+de huit mille hommes, avec lequel il s'était mis en marche
+pour inquiéter le siége de Breslaw. Le général Hédouville,
+chef de l'état-major du prince Jérôme, a fait marcher contre
+ce corps le général Montbrun, commandant les Wurtembergeois,
+et le général Minucci, commandant les Bavarois. Ils
+ont atteint les Prussiens à Strehlen, les ont mis dans une
+grande déroute, et leur ont pris quatre cents hommes, six
+cents chevaux, et des convois considérables de subsistances
+que l'ennemi avait le projet de jeter dans la place. Le major
+Erschet, à la tête de cent cinquante hommes des chevau-légers
+de Linange, a chargé deux escadrons prussiens, les a
+rompus, et leur a fait trente-six prisonniers.</p>
+
+<p>S.M. a ordonné qu'une partie des drapeaux pris au siége
+de Glogau fût envoyée au roi de Wurtemberg, dont les
+troupes se sont emparées de cette place. S.M., voulant aussi
+reconnaître la bonne conduite de ces troupes, a accordé au
+corps de Wurtemberg dix décorations de la Légion d'Honneur.</p>
+
+<p>Une députation du royaume d'Italie, composée de
+MM. Prima, ministre des finances, et homme d'un grand
+mérite; Renier, podestat de Venise, et Guasta Villani, conseiller-d'état,
+a été présentée aujourd'hui à l'empereur.</p>
+
+<p>S.M. a reçu le même jour toutes les autorités du pays, et
+les différens ministres étrangers qui se trouvent à Varsovie.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Varsovie, le 8 janvier 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Quarante-neuvième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Breslaw s'est rendu. On n'a pas encore la capitulation au
+quartier-général. On n'a pas non plus l'état des magasins de
+subsistances, d'habillement et d'artillerie. On sait cependant
+qu'ils sont très-considérables. Le prince Jérôme a dû faire
+son entrée dans la place. Il va assiéger Brieg, Schweidnitz et
+Kosel.</p>
+
+<p>Le général Victor, commandant le dixième corps d'armée,
+s'est mis en marche pour aller faire le siége de Colberg et de
+Dantzick, et prendre ces places pendant le reste de l'hiver.</p>
+
+<p>M. de Zastrow, aide-de-camp du roi de Prusse, homme
+sage et modéré, qui avait signé l'armistice que son maître n'a
+pas ratifié, a cependant été chargé, à son arrivée à Koenigsberg,
+du porte-feuille des affaires étrangères.</p>
+
+<p>Notre cavalerie légère n'est pas loin de Koenigsberg.</p>
+
+<p>L'armée russe continue son mouvement sur Grodno. On
+apprend que dans les dernières affaires elle a eu un grand
+nombre de généraux tués et blessés. Elle montre assez de mécontentement
+soldats disent que si l'on avait jugé leur armée assez forte
+pour se mesurer avec avantage contre les Français, l'empereur,
+sa garde, la garnison de Saint-Pétersbourg et les généraux
+de la cour, auraient été conduits à l'armée par cette
+même sécurité qui les y amena l'année dernière; que si, au
+contraire, les événemens d'Austerlitz et ceux d'Jéna ont fait
+penser que les Russes ne pouvaient pas obtenir des succès
+contre l'armée française, il ne fallait pas s'engager dans une
+lutte inégale. Ils disent aussi: L'empereur Alexandre a compromis
+notre gloire. Nous avions toujours été vainqueurs;
+nous avions établi et partagé l'opinion que nous étions invincibles.
+Les choses sont bien changées. Depuis deux ans on
+nous fait promener des frontières de la Pologne en Autriche,
+de Dniester à la Vistule, et tomber partout dans les piéges
+de l'ennemi. Il est difficile de ne pas s'apercevoir que tout
+cela est mal dirigé.</p>
+
+<p>Le général Michelson est toujours en Moldavie. On n'a
+pas de nouvelles qu'il se soit porté contre l'armée turque qui
+occupe Bucharest et la Valachie. Les faits d'armes de cette
+guerre se bornent jusqu'à présent à l'investissement de Choczym
+et de Bender. De grands mouvemens ont lieu dans toute
+la Turquie pour repousser une aussi injuste agression.</p>
+
+<p>Le général baron de Vincent est arrivé de Vienne à Varsovie,
+porteur de lettres de l'empereur d'Autriche pour l'empereur
+Napoléon.</p>
+
+<p>Il était tombé beaucoup de neige, et il avait gelé pendant
+trois jours. L'usage des traîneaux avait donné une grande rapidité
+aux communications, mais le dégel vient de recommencer.
+Les Polonais prétendent qu'un pareil hiver est sans
+exemple dans ce pays-ci. La température est effectivement
+plus douce qu'elle ne l'est ordinairement à Paris dans cette
+saison.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Varsovie, le 13 janvier 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Cinquantième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Les troupes françaises ont trouvé à Ostrolenka quelques
+malades russes que l'ennemi n'avait pu transporter. Indépendamment
+des pertes de l'armée russe en tués et en blessés,
+elle en éprouve encore de très-considérables par les maladies,
+qui se multiplient chaque jour.</p>
+
+<p>La plus grande désunion s'est établie entre les généraux
+Kaminski, Benigsen et Buxhowden.</p>
+
+<p>Tout le territoire de la Pologne prussienne se trouve actuellement
+évacué par l'ennemi.</p>
+
+<p>Le roi de Prusse a quitté Koenigsberg, et s'est réfugié à
+Memel.</p>
+
+<p>La Vistule, la Narew et le Bug, avaient, pendant quelques
+jours charrié des glaçons; mais le temps s'est ensuite
+radouci, et tout annonce que l'hiver sera moins rude à Varsovie
+qu'il ne l'est ordinairement à Paris.</p>
+
+<p>Le 8 janvier, la garnison de Breslaw, forte de cinq mille
+cinq cents hommes, a défilé devant le prince Jérôme. La ville
+a beaucoup souffert. Dès les premiers momens où elle a été
+investie, le gouverneur prussien avait fait brûler ses trois
+faubourgs. La place ayant été assiégée en règle, on était
+déjà à la brèche lorsqu'elle s'est rendue. Les Bavarois et les
+Wurtembergeois se sont distingués par leur intelligence et
+leur bravoure. Le prince Jérôme investit dans ce moment
+et assiége à la fois toutes les autres places de la Silésie. Il est
+probable qu'elles ne feront pas une longue résistance.</p>
+
+<p>Le corps de dix mille hommes que le prince de Pless avait
+composé de tout ce qui était dans les garnisons des places, a
+été mis en pièces dans les combats du 29 et du 30 décembre.</p>
+
+<p>Le général Montbrun, avec la cavalerie wurtembergeoise,
+fut à la rencontre du prince de Pless vers Ohlau, qu'il occupa
+le 28 au soir. Le lendemain, à cinq heures du matin, le
+prince de Pless le fit attaquer. Le général Montbrun, profitant
+d'une position défavorable où se trouvait l'infanterie ennemie,
+fit un mouvement sur sa gauche, la tourna, lui tua
+beaucoup de monde, lui prit sept cents hommes, quatre
+pièces de canon et beaucoup de chevaux.</p>
+
+<p>Cependant, les principales forces du prince de Pless étaient
+derrière la Neisse, où il les avait rassemblées après le combat
+de Strehlen. Parti de Schurgaft, et marchant jour et nuit,
+il s'avança jusqu'au bivouac de la brigade wurtembergeoise,
+placé en arrière de d'Hubé sous Breslaw. A huit heures du
+matin, il attaqua avec neuf mille hommes le village de Grietern,
+occupé par deux bataillons d'infanterie et par les chevau-légers
+de Linange, sous les ordres de l'adjudant-commandant
+Duveyrier; mais il fut reçu vigoureusement et forcé
+à une retraite précipitée. Les généraux Montbrun et Minucci,
+qui revenaient d'Hobleau, eurent aussitôt l'ordre de marcher
+sur Schweidnitz, pour couper la retraite à l'ennemi; mais le
+prince de Pless s'empressa de disperser toutes ses troupes, et
+les fit rentrer par détachemens dans les places, en abandonnant
+dans sa fuite une partie de son artillerie, beaucoup de
+bagages et des chevaux. Il a, de plus, perdu dans cette affaire
+beaucoup d'hommes tués et huit cents prisonniers.</p>
+
+<p>S. M. a ordonné de témoigner sa satisfaction aux troupes
+bavaroises et wurtembergeoises.</p>
+
+<p>Le maréchal Mortier entre dans la Poméranie suédoise.</p>
+
+<p>Des lettres arrivées de Bucharest donnent des détails sur
+les préparatifs de guerre de Barayctar et du pacha de Widdin.
+Au 20 décembre, l'avant-garde de l'armée turque, forte
+de quinze mille hommes, était sur les frontières de la Valachie
+et de la Moldavie. Le prince Dolgoroucki s'y trouvait aussi
+avec ses troupes. Ainsi l'on était en présence. En passant à
+Bucharest, les officiers turcs paraissaient fort animés; ils
+disaient à un officier français qui se trouvait dans cette ville:
+«Les Français verront de quoi nous sommes capables. Nous
+formerons la droite de l'armée de Pologne; nous nous montrerons
+digne d'être loués par l'empereur Napoléon.»</p>
+
+<p>Tout est en mouvement dans ce vaste empire: les scheicks
+et les ulhemas donnent l'impulsion, et tout le monde court
+aux armes pour repousser la plus injuste des agressions.</p>
+
+<p>M. Italinski n'a évité jusqu'à présent d'être mis aux Sept-Tours,
+qu'en promettant qu'au retour de son courrier les
+Russes auraient l'ordre d'abandonner la Moldavie, et de
+rendre Choczim et Bender.</p>
+
+<p>Les Serviens, que les Russes ne désavouent plus pour
+alliés, se sont emparés d'une île du Danube qui appartient à
+l'Autriche, et d'où ils canonnent Belgrade. Le gouvernement
+autrichien a ordonné de la reprendre.</p>
+
+<p>L'Autriche et la France sont également intéressées à ne
+pas voir la Moldavie, la Valachie, la Servie, la Grèce, la
+Romélie, la Natolie, devenir le jouet de l'ambition des Moscovites.</p>
+
+<p>L'intérêt de l'Angleterre dans cette contestation est au
+moins aussi évident que celui de la France et de l'Autriche,
+mais le reconnaîtra-t-elle? Imposera-t-elle silence à la haine
+qui dirige son cabinet? Écoutera-t-elle les leçons de la politique
+et de l'expérience? Si elle ferme les yeux sur l'avenir,
+si elle ne vit qu'au jour le jour, si elle n'écoute que sa jalousie
+contre la France, elle déclarera peut-être la guerre à la
+Porte; elle se fera l'auxiliaire de l'insatiable ambition des
+Russes; elle creusera elle même un abîme dont elle ne reconnaîtra
+la profondeur qu'en y tombant.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Varsovie, le 14 janvier 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Cinquante-unième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le 29 décembre, une dépêche du général Benigsen parvint
+à Koenigsberg, au roi de Prusse. Elle fut sur-le-champ
+publiée et placardée dans toute la ville, où elle excita les
+transports de la plus vive joie. Le roi reçut publiquement
+des complimens, mais le 31 au soir, on apprit, par des officiers
+prussiens et par d'autres relations du pays, le véritable
+état des choses. La tristesse et la consternation furent alors
+d'autant plus grandes, qu'on s'était plus entièrement livré à
+l'allégresse. On songea dès-lors à évacuer Koenigsberg, et
+l'on en fit sur-le-champ tous les préparatifs. Le trésor et les
+effets les plus précieux furent aussitôt dirigés sur Memel. La
+reine, qui était assez malade, s'embarqua le 3 janvier pour
+cette ville. Le roi partit le 6 pour s'y rendre. Les débris de la
+division du général Lestocq se replièrent aussi sur cette
+place, en laissant à Koenigsberg deux bataillons et une compagnie
+d'invalides.</p>
+
+<p>Le ministère du roi de Prusse est composé de la manière
+suivante:</p>
+
+<p>M. le général de Zastrow est nommé ministre des affaires
+étrangères;</p>
+
+<p>M. le général Ruchel, encore malade de la blessure qu'il
+a reçue à la bataille de Jéna, est nommé ministre de la
+guerre;</p>
+
+<p>M. le président de Sagebarthe est nommé ministre de l'intérieur.</p>
+
+<p>Voici en quoi consistent maintenant les forces de la monarchie
+prussienne:</p>
+
+<p>Le roi est accompagné par quinze cents hommes de troupes,
+tant à pied qu'à cheval.</p>
+
+<p>Le général Lestocq a à-peu-près cinq mille hommes, y
+compris les deux bataillons laissés à Koenigsberg avec la
+compagnie d'invalides;</p>
+
+<p>Le lieutenant-général Hamberg commande à Dantzick,
+où il a six mille hommes de garnison. Les habitans ont été
+désarmés. On leur a intimé qu'en cas d'alerte, les troupes
+feront feu sur tous ceux qui sortiront de leurs maisons.</p>
+
+<p>Le général Gutadon commande à Colberg avec dix-huit
+cents hommes.</p>
+
+<p>Le lieutenant-général Courbière est à Graudentz avec trois
+mille hommes.</p>
+
+<p>Les troupes françaises sont en mouvement pour cerner et
+assiéger ces places.</p>
+
+<p>Un certain nombre de recrues que le roi de Prusse avait
+fait réunir, et qui n'étaient ni habillées ni armées, ont été
+licenciées, parce qu'il n'y avait plus de moyen de les contenir.</p>
+
+<p>Deux ou trois officiers anglais étaient à Koenigsberg, et
+faisaient espérer l'arrivée d'une armée anglaise.</p>
+
+<p>Le prince de Pless a en Silésie douze ou quinze cents
+hommes enfermés dans les places de Brieg, Neisse, Schweidnitz
+et Kosel, que le prince Jérôme a fait investir.</p>
+
+<p>Nous ne dirons rien de la ridicule dépêche du général
+Benigsen; nous remarquerons seulement qu'elle paraît contenir
+quelque chose d'inconcevable. Ce général semble accuser
+son collègue le général Buxhowden; il dit qu'il était à Makow.
+Comment pouvait-il ignorer que le général Buxhowden
+était allé jusqu'à Golymin, où il avait été battu? Il prétend
+avoir remporté une victoire, et cependant il était en pleine
+retraite à dix heures du soir, et cette retraite fut si précipitée,
+qu'il abandonna ses blessés. Qu'il nous montre une seule
+pièce de canon, un seul drapeau français, un seul prisonnier,
+hormis douze ou quinze hommes isolés qui peuvent avoir été
+pris par les cosaques sur les derrières de l'armée, tandis que
+nous pouvons lui montrer six mille prisonniers, deux drapeaux
+qu'il a perdus près de Pultusk, et trois mille blessés
+qu'il a abandonnés dans sa fuite. Il dit encore qu'il a eu
+contre lui le grand-duc de Berg et le maréchal Davoust,
+tandis qu'il n'a eu affaire qu'à la division Suchet, du corps
+du maréchal Lannes. Le dix-septième d'infanterie légère, le
+trente-quatrième de ligne, le soixante-quatrième et le quatre-vingt-huitième,
+sont les seuls régimens qui se soient battus
+contre lui. Il faut qu'il ait bien peu réfléchi sur la position de
+Pultusk, pour supposer que les Français voulaient s'emparer
+de cette ville. Elle est dominée à portée de pistolet.</p>
+
+<p>Si le général Buxhowden a fait de son côté une relation
+aussi véridique du combat de Golymin, il deviendra évident
+que l'armée française a été battue, et que, par suite de sa
+défaite, elle s'est emparée de cent pièces de canon et de seize
+cents voitures de bagages, de tous les hôpitaux de l'armée
+russe, de tous ses blessés, et des importantes positions de Sieroch,
+de Pultusk, d'Ostrolenka, et qu'elle a obligé l'ennemi
+à reculer de quatre-vingt lieues.</p>
+
+<p>Quant à l'induction que le général Benigsen veut tirer de
+ce qu'il n'a pas été poursuivi, il suffira d'observer qu'on se
+serait bien gardé de le poursuivre, puisqu'il était débordé de
+deux journées, et que, sans les mauvais chemins, qui ont
+empêché le maréchal Soult de suivre ce mouvement, le général
+russe aurait trouvé les Français à Ostrolenka.</p>
+
+<p>Il ne reste plus qu'à chercher quel peut être le but d'une
+pareille relation. Il est le même, sans doute, que celui que
+se proposaient les Russes dans les relations qu'ils ont faites
+de la bataille d'Austerlitz. Il est le même, sans doute, que
+celui des ukases par lesquels l'empereur Alexandre refusait
+la grande décoration de l'ordre de Saint-Georges, parce que,
+disait-il, il n'avait pas commandé à cette bataille, et acceptait
+la petite décoration pour les succès qu'il y avait obtenus,
+quoique sous le commandement de l'empereur d'Autriche.</p>
+
+<p>Il y a cependant un point de vue sous lequel la relation
+du général Benigsen peut être justifiée. On a craint sans doute
+l'effet de la vérité dans les pays de la Pologne prussienne et
+de la Pologne russe, que l'ennemi avait à traverser, si elle y
+était parvenue avant qu'il eût pu mettre ses hôpitaux et ses
+détachemens isolés à l'abri de toute insulte.</p>
+
+<p>Ces relations, aussi évidemment ridicules, peuvent avoir
+encore pour les Russes l'avantage de retarder de quelques
+jours l'élan que des récits fidèles donneraient aux Turcs, et
+il est des circonstances où quelques jours sont un délai d'une
+certaine importance. Cependant l'expérience a prouvé que
+toutes ces ruses vont contre leur but, et qu'en toutes choses
+la simplicité et la vérité sont les meilleurs moyens de politique.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Varsovie, le 19 janvier 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Cinquante-deuxième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le huitième corps de la grande armée, que commande le
+maréchal Mortier, a détaché un bataillon du deuxième régiment
+d'infanterie légère sur Wollin. Trois compagnies de ce
+bataillon y étaient à peine arrivées, qu'elles furent attaquées
+avant le jour par un détachement de mille hommes d'infanterie,
+avec cent cinquante chevaux et quatre pièces de canon.
+Ce détachement venait de Colberg, dont la garnison étend ses
+courses jusque-là. Les trois compagnies d'infanterie légère
+française ne s'étonnèrent point du nombre de leurs ennemis
+et lui enlevèrent un pont et ses quatre pièces de canon, et
+lui firent cent prisonniers; le reste prit la fuite, en laissant
+beaucoup de morts dans la ville de Wollin, dont les rues sont
+jonchées de cadavres prussiens.</p>
+
+<p>La ville de Brieg, en Silésie, s'est rendue après un siége
+de cinq jours. La garnison est composée de trois généraux et
+de quatorze cents hommes.</p>
+
+<p>Le prince héréditaire de Bade a été dangereusement malade,
+mais il est rétabli. Les fatigues de la campagne, et les
+privations qu'il a supportées comme simple officier, ont beaucoup
+contribué à sa maladie.</p>
+
+<p>La Pologne, riche en blé, en avoine, en fourrages, en
+bestiaux, en pommes de terre, fournit abondamment à nos
+magasins. La seule manutention de Varsovie fait cent mille
+rations par jour, et nos dépôts se remplissent de biscuit.
+Tout était tellement désorganisé à notre arrivée, que pendant
+quelque temps les subsistances ont été difficiles.</p>
+
+<p>Il ne règne dans l'armée aucune maladie; cependant, pour
+la conservation de la santé du soldat, on désirerait un peu
+plus de froid. Jusqu'à présent, il s'est à peine fait sentir, et
+l'hiver est déjà fort avancé. Sous ce point de vue, l'année
+est fort extraordinaire.</p>
+
+<p>L'empereur fait tous les jours défiler la parade devant le
+palais de Varsovie, et passe successivement en revue les différens
+corps de l'armée, ainsi que les détachemens et les conscrits
+venant de France, auxquels les magasins de Varsovie
+distribuent des souliers et des capottes.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Varsovie, le 22 janvier 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Cinquante-troisième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>On a trouvé à Brieg (qui vient de capituler) des magasins
+assez considérables de subsistances.</p>
+
+<p>Le prince Jérôme continue avec activité sa campagne de
+Silésie. Le lieutenant-général Deroi avait déjà cerné Kosel et
+ouvert la tranchée. Le siège de Schweidnitz et celui de Neisse
+se poursuivent en même temps.</p>
+
+<p>Le général Victor se rendant à Stettin, et étant en voiture
+avec son aide-de-camp et un domestique, a été enlevé par un
+parti de vingt-cinq hussards qui battaient le pays.</p>
+
+<p>Le temps est devenu froid. Il est probable que sous peu de
+jours les rivières seront gelées; cependant la saison n'est pas
+plus rigoureuse qu'elle ne l'est ordinairement à Paris. L'empereur
+fait défiler tous les jours la parade et passe en revue
+plusieurs régimens.</p>
+
+<p>Tous les magasins de l'armée s'organisent et s'approvisionnent.
+On fait du biscuit dans toutes les manutentions. L'empereur
+vient d'ordonner qu'on établît de grands magasins et
+qu'on confectionnât une quantité considérable d'habillemens
+dans la Silésie.</p>
+
+<p>Les Anglais, qui ne peuvent plus faire accroire que les
+Russes, les Tartares, les Calmoucks vont dévorer l'armée,
+française, parce que, même dans les cafés de Londres, on
+sait que ces dignes alliés ne soutiennent point l'aspect de nos
+baïonnettes, appellent aujourd'hui à leur secours la dysenterie,
+la peste et toutes les maladies épidémiques.</p>
+
+<p>Si ces fléaux étaient à la disposition du cabinet de Londres,
+point de doute que non-seulement notre armée, mais
+même nos provinces et toute la classe manufacturière du
+continent, ne devinssent leur proie. En attendant, les Anglais
+se contentent de publier et de faire publier, sous toute
+espèce de forme, par leurs nombreux émissaires, que l'armée
+française est détruite par les maladies. A les entendre, des
+bataillons entiers tombent comme ceux des Grecs au commencement
+du siége de Troie. Ils auraient là une manière
+toute commode de se défaire de leurs ennemis, mais il faut
+bien qu'ils y renoncent. Jamais l'armée ne s'est mieux portée;
+les blessés guérissent, et le nombre des morts est peu
+considérable. Il n'y a pas autant de malades que dans la campagne
+précédente; il y en a même moins qu'il n'y en aurait
+en France en temps de paix, suivant les calculs ordinaires.</p>
+
+
+<p class="droite">Varsovie, le 27 janvier 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Cinquante-quatrième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Quatre-vingt-neuf pièces de canon prises sur les Russes
+sont rangées sur la place du palais de la République à Varsovie:
+ce sont celles qui ont été enlevées aux généraux Kaminski,
+Benigsen et Buxhowden, dans les combats de Czarnowo,
+Nazielsk, Pultusk et Golymin. Ce sont les mêmes que
+les Russes traînaient avec ostentation dans les rues de cette
+ville, lorsque naguère ils la traversaient pour aller au-devant
+des Français. Il est facile de comprendre l'effet que produit
+l'aspect d'un si magnifique trophée sur un peuple charmé de
+voir humiliés les ennemis qui l'ont si long-temps et si cruellement
+outragé.</p>
+
+<p>Il y a dans les pays occupés par l'armée plusieurs hôpitaux
+renfermant un grand nombre de Russes blessés et malades.</p>
+
+<p>Cinq mille prisonniers ont été évacués sur la France, deux
+mille se sont échappés dans les premiers momens du désordre;
+et quinze cents sont entrés dans les troupes polonaises.</p>
+
+<p>Ainsi, les combats livrés contre les Russes leur ont coûté
+une grande partie de leur artillerie, tous leurs bagages, et
+vingt-cinq ou trente mille hommes tant tués que blessés ou
+prisonniers.</p>
+
+<p>Le général Kaminski, qu'on avait dépeint comme un autre
+Suwarow, vient d'être disgracié; on dit qu'il en est de
+même du général Buxhowden, et il paraît que c'est le général
+Benigsen qui commande actuellement l'armée.</p>
+
+<p>Quelques bataillons d'infanterie légère du maréchal Ney
+s'étaient portés à vingt lieues en avant de leurs cantonnemens;
+l'armée russe en avait conçu des alarmes, et avait fait un mouvement
+sur sa droite: ces bataillons sont rentrés dans la ligne
+de leurs cantonnemens sans éprouver aucune perte.</p>
+
+<p>Pendant ce temps le prince de Ponte-Corvo prenait possession
+d'Elbing et des pays situés sur le bord de la Baltique.</p>
+
+<p>Le général de division Drouet entrait à Chrisbourg, où il
+faisait trois cents prisonniers du régiment de Courbières, y
+compris un major et plusieurs officiers.</p>
+
+<p>Le colonel Saint-Genez, du dix-neuvième de dragons, chargeait
+un autre régiment ennemi et lui faisait cinquante prisonniers,
+parmi lesquels était le colonel commandant.</p>
+
+<p>Une colonne russe s'était portée sur Liebstadt, au-delà de
+la petite rivière du Passarge, et avait enlevé une demi-compagnie
+de voltigeurs du huitième régiment de ligne, qui
+était aux avant-postes du cantonnement.</p>
+
+<p>Le prince de Ponte-Corvo, informé de ce mouvement,
+quitta Elbing, réunit ses troupes, se porta avec la division Rivaud
+au-devant de l'ennemi, et le rencontra auprès de Mohring.</p>
+
+<p>Le 25 de ce mois, à midi, la division ennemie paraissait
+forte de douze cents hommes; on en vint bientôt aux mains;
+le huitième régiment de ligne se précipita sur les Russes
+avec une valeur inexprimable, pour réparer la perte d'un de
+ses postes. Les ennemis furent battus, mis dans une déroute
+complète, poursuivis pendant quatre lieues, et forcés de
+repasser la rivière de Passarge. La division Dupont arriva au
+moment où le combat finissait, et ne put y prendre part.</p>
+
+<p>Un vieillard de cent-dix-sept ans a été présenté à l'empereur,
+qui lui a accordé une pension de cent napoléons, et a
+ordonné qu'une année lui fût payée d'avance. La notice jointe
+à ce bulletin, donne quelques détails sur cet homme extraordinaire.</p>
+
+<p>Le temps est fort beau, il ne fait froid qu'autant qu'il le
+faut pour la santé du soldat et pour l'amélioration des chemins,
+qui deviennent praticables.</p>
+
+<p>Sur la droite et sur le centre de l'armée, l'ennemi est éloigné
+de plus de trente lieues de nos postes.</p>
+
+<p>L'empereur est monté à cheval pour aller faire le tour de
+ses cantonnemens; il sera absent de Varsovie pendant huit
+ou dix jours.</p>
+
+<p>François-Ignace Narocki, né à Witki, près de Wilna, est
+fils de Joseph et Anne Narocki; il est d'une famille noble,
+et embrassa dans sa jeunesse le parti des armes. Il faisait
+partie de la confédération de Bar, fut fait prisonnier par les
+Russes et conduit à Kasan. Ayant perdu le peu de fortune
+qu'il avait, il se livra à l'agriculture, et fut employé comme
+fermier des biens d'un curé. Il se maria en premières noces
+à l'âge de soixante-dix ans, et eut quatre enfans de ce mariage.
+A quatre-vingt-six ans il épousa une seconde femme, et en
+eut six enfans, qui sont tous morts: il ne lui reste que le dernier
+fils de sa première femme. Le roi de Prusse, en considération
+de son grand âge, lui avait accordé une pension de
+vingt-quatre florins de Pologne par mois, faisant quatorze
+livres huit sous de France. Il n'est sujet à aucune infirmité,
+jouit encore d'une bonne mémoire, et parle la langue latine
+avec une extrême facilité; il cite les auteurs classiques avec
+esprit et à propos. La pétition dont la traduction est ci-jointe,
+est entièrement écrite de sa main. Le caractère en est très-ferme
+et très-lisible.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Pétition.</i></p>
+
+<p>Sire,</p>
+
+<p>Mon extrait baptistaire date de l'an 1690; donc j'ai à présent
+117 ans.</p>
+
+<p>Je me rappelle encore la bataille de Vienne, et les temps
+de Jean Sobieski.</p>
+
+<p>Je croyais qu'ils ne se reproduiraient jamais, mais assurément
+je m'attendais encore moins à revoir le siècle d'Alexandre.</p>
+
+<p>Ma vieillesse m'a attiré les bienfaits de tous les souverains
+qui ont été ici, et je réclame ceux du grand Napoléon, étant
+à mon âge plus que séculaire, hors d'état de travailler.
+Vivez, sire, aussi long-temps que moi; votre gloire n'en
+a pas besoin, mais le bonheur du genre humain le demande.</p>
+
+<p class="droite"><i>Signé</i><br>NAROCKI.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Varsovie, le 29 janvier 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Cinquante-cinquième bulletin de la grande armée,</i></p>
+
+<p>Voici les détails du combat de Mohringen:</p>
+
+<p>Le maréchal prince de Ponte-Corvo arriva à Mohringen
+avec la division Drouet, le 25 de ce mois, à onze heures du
+matin, au moment où le général de brigade Pactod était attaqué
+par l'ennemi.</p>
+
+<p>Le maréchal prince de Ponte-Corvo fit attaquer sur-le-champ
+le village de Pfarresfeldehen par un bataillon du neuvième
+d'infanterie légère. Ce village était défendu par trois
+bataillons russes, que l'ennemi fit soutenir par trois autres
+bataillons. Le prince de Ponte-Corvo fit aussi marcher deux
+autres bataillons pour appuyer celui du neuvième. La mêlée
+fut très-vive. L'aigle du neuvième régiment d'infanterie légère
+fut enlevée par l'ennemi; mais à l'aspect de cet affront,
+dont ce brave régiment allait être couvert pour toujours, et
+que ni la victoire, ni la gloire acquise dans cent combats n'auraient
+lavé, les soldats, animés d'une ardeur inconcevable, se
+précipitent sur l'ennemi, le mettent en déroute et ressaisissent
+leur aigle.</p>
+
+<p>Cependant la ligne française, composée du huitième de
+ligne, du vingt-septième d'infanterie légère, et du quatre-vingt-quatorzième,
+était formée. Elle aborde la ligne russe,
+qui avait pris position sur un rideau. La fusillade devient vive
+et à bout portant.</p>
+
+<p>A l'instant même le général Dupont débouchait de la route
+d'Holland avec les trente-deuxième et quatre-vingt-seizième
+régimens, il tourna la droite de l'ennemi. Un bataillon du
+trente-deuxième régiment se précipita sur les Russes avec
+l'impétuosité ordinaire à ce corps; il les mit en désordre et
+leur tua beaucoup de monde. Il ne fit de prisonniers que les
+hommes qui étaient dans les maisons. L'ennemi a été poursuivi
+pendant deux lieues. La nuit a empêché de continuer
+la poursuite. Les comtes Fabien et Gallitzin commandaient
+les Russes. Ils ont perdu trois cents hommes faits prisonniers,
+mille deux cents hommes laissés sur le champ de bataille,
+et plusieurs obusiers. Nous avons eu cent hommes tués et
+quatre cents blessés.</p>
+
+<p>Le général de brigade Laplanche s'est fait distinguer. Le
+dix-neuvième de dragons a fait une belle charge sur l'infanterie
+russe. Ce qui est à remarquer, ce n'est pas seulement la
+bonne conduite des soldats et l'habileté des généraux, mais
+la rapidité avec laquelle les corps ont levé leurs cantonnemens,
+et fait une marche très-forte pour toutes autres troupes,
+sans qu'il manquât un seul homme sur le champ de bataille;
+voilà ce qui distingue éminemment des soldats qui ne sont
+mus que par l'honneur.</p>
+
+<p>Un Tartare vient d'arriver de Constantinople, d'où il est
+parti le 1er janvier. Il est expédié à Londres par la Porte.</p>
+
+<p>Le 30 décembre la guerre contre la Russie avait été solennellement
+proclamée. La pelisse et l'épée avaient été envoyées
+au grand-visir. Vingt-huit régimens de janissaires
+étaient partis de Constantinople. Plusieurs autres passaient
+d'Asie en Europe.</p>
+
+<p>L'ambassadeur de Russie, toutes les personnes de sa légation,
+tous les Russes qui se trouvaient dans cette résidence;
+et tous les Grecs attachés à leur parti, au nombre de sept à
+huit cents, avaient quitté Constantinople le 29.</p>
+
+<p>Le ministre d'Angleterre et les deux vaisseaux anglais restaient
+spectateurs des événemens, et paraissaient attendre les
+ordres du gouvernement.</p>
+
+<p>Le Tartare était passé à Widdin le 15 janvier. Il avait trouvé
+les routes couvertes de troupes qui marchaient avec gaîté contre
+leur éternel ennemi. Soixante mille hommes étaient déjà à
+Rodschuk, et vingt-cinq mille hommes d'avant-garde se trouvaient
+entre cette ville et Bucharest. Les Russes s'étaient arrêtés
+à Bucharest, qu'ils avaient fait occuper par une avant-garde
+de quinze mille hommes.</p>
+
+<p>Le prince Suzzo a été déclaré hospodar de Valachie. Le
+prince Ipsilanti a été proclamé traître, et l'on a mis sa tête
+à prix.</p>
+
+<p>Le Tartare a rencontré l'ambassadeur persan à moitié chemin
+de Constantinople à Widdin, et l'ambassadeur extraordinaire
+de la Porte, au-delà de cette dernière ville.</p>
+
+<p>Les victoires de Pultusk et Golymin étaient déjà connues
+dans l'empire ottoman. Le courrier tartare en a entendu le
+récit de la bouche des Turcs avant d'arriver à Widdin.</p>
+
+<p>Le froid se soutient entre deux et trois degrés au-dessous
+de zéro. C'est le temps le plus favorable pour l'armée.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">De notre camp impérial de Varsovie, le 29 janvier 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Message au sénat conservateur.</i></p>
+
+<p>«Sénateurs,</p>
+
+<p>Nous avons ordonné à notre ministre des relations extérieures
+de vous communiquer les traités que nous avons faits
+avec le roi de Saxe et avec les différens princes souverains
+de cette maison.</p>
+
+<p>«La nation saxonne avait perdu son indépendance le 14
+octobre 1755; elle l'a recouvrée le 14 octobre 1806. Après
+cinquante années, la Saxe, garantie par le traité de Posen,
+a cessé d'être province prussienne.</p>
+
+<p>«Le duc de Saxe-Weimar, sans déclaration préalable, a
+embrassé la cause de nos ennemis. Son sort devait servir de
+règle aux petits princes qui, sans être liés par des lois fondamentales,
+se mêlent des querelles des grandes nations;
+mais nous avons cédé au désir de voir notre réconciliation
+avec la maison de Saxe entière et sans mélange.</p>
+
+<p>«Le prince de Saxe-Cobourg est mort. Son fils se trouvant
+dans le camp de nos ennemis, nous avons fait mettre le séquestre
+sur sa principauté.</p>
+
+<p>«Nous avons aussi ordonné que le rapport de notre ministre
+des relations extérieures, sur les dangers de la Porte-Ottomane,
+fût mis sous vos yeux. Témoin, dès les premiers
+temps de notre jeunesse, de tous les maux que produit la
+guerre, notre bonheur, notre gloire, notre ambition, nous
+les avons placés dans les conquêtes et les travaux de la paix.
+Mais la force des circonstances dans lesquelles nous nous
+trouvons mérite notre principale sollicitude. Il a fallu quinze
+ans de victoires pour donner à la France des équivalens de
+ce partage de la Pologne, qu'une seule campagne, faite en
+1778 aurait empêché.</p>
+
+<p>«Eh! qui pourrait calculer la durée des guerres, le nombre
+de compagnes qu'il faudrait faire un jour pour réparer
+des malheurs qui résulteraient de la perte de l'empire de
+Constantinople, si l'amour d'un lâche repos et des délices de
+la grande ville l'emportait sur les conseils d'une sage prévoyance?
+Nous laisserions à nos neveux un long héritage de
+guerres et de malheurs. La tiare grecque relevée et triomphante,
+depuis la Baltique jusqu'à la Méditerranée, on verrait
+de nos jours nos provinces attaquées par une nuée de
+fanatiques et de barbares; et si dans cette lutte trop tardive,
+l'Europe civilisée venait à périr, notre coupable indifférence
+exciterait justement les plaintes de la postérité, et serait un
+titre d'opprobre dans l'histoire.</p>
+
+<p>«L'empereur de Perse, tourmenté dans l'intérieur de ses
+états comme le fut pendant soixante ans la Pologne, comme
+l'est depuis vingt ans la Turquie par la politique du cabinet
+de Pétersbourg, et animé des mêmes sentimens que la Porte,
+a pris les mêmes résolutions, et marche en personne sur le
+Caucase pour défendre ses frontières.</p>
+
+<p>«Mais déjà l'ambition de nos ennemis a été confondue,
+leur armée a été défaite à Pultusk et à Golymin, et leurs
+bataillons épouvantés fuient au loin à l'aspect de nos aigles.</p>
+
+<p>«Dans de pareilles positions, la paix, pour être sûre
+pour nous, doit garantir l'indépendance entière de ces deux
+empires. Et si, par l'injustice et l'ambition démesurée de nos
+ennemis, la guerre doit se continuer encore, nos peuples se
+montreront constamment dignes, par leur énergie, par leur
+amour pour notre personne, des hautes destinées qui couronneront
+tous nos travaux; et alors seulement une paix stable
+et longue fera succéder pour nos peuples, à ces jours de
+gloire, des jours heureux et paisibles.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Arensdorf, le 5 février 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Cinquante-sixième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Après le combat de Mohringen, où elle avait été battue
+et mise en déroute, l'avant-garde de l'armée russe se retira
+sur Liebstadt. Mais le surlendemain, 27 janvier, plusieurs
+divisions russes la joignirent, et toutes étaient en marche
+pour porter le théâtre de la guerre sur le bas de la Vistule.</p>
+
+<p>Le corps du général Essen, accouru du fond de la Moldavie,
+où il était d'abord destiné à servir contre les Turcs, et
+plusieurs régimens qui étaient en Russie, mis en marche depuis
+quelque temps des extrémités de ce vaste empire, avaient
+rejoint les corps d'armée.</p>
+
+<p>L'empereur donna ordre au prince de Ponte-Corvo de
+battre en retraite, et de favoriser les opérations offensives de
+l'ennemi, en l'attirant sur le bas de la Vistule. Il ordonna en
+même temps la levée de ses quartiers d'hiver.</p>
+
+<p>Le cinquième corps commandé par le général Savary, le
+maréchal Lannes étant malade, se trouva réuni le 31 janvier
+à Brok, devant tenir en échec le corps du général Essen cantonné
+sur le Haut-Bug.</p>
+
+<p>Le troisième corps se trouva réuni à Mysiniez;</p>
+
+<p>Le quatrième corps à Willenberg;</p>
+
+<p>Le sixième corps à Gilgenburg;</p>
+
+<p>Le septième corps à Neidenburg.</p>
+
+<p>L'empereur partit de Varsovie, et arriva le 31 au soir à
+Willenberg. Le grand-duc s'y était rendu depuis deux jours,
+et y avait réuni toute sa cavalerie.</p>
+
+<p>Le prince de Ponte-Corvo avait successivement évacué
+Osterode, Tobau, et s'était jeté sur Strasburg.</p>
+
+<p>Le maréchal Lefebvre avait réuni le dixième corps à Thorn
+pour la défense de la gauche de la Vistule et de cette ville.</p>
+
+<p>Le 1er février, on se mit en marche. On rencontra à Passenheim
+l'avant-garde ennemie qui prenait l'offensive et se
+dirigeait déjà sur Willenberg. Le grand-duc, avec plusieurs
+colonnes de cavalerie, la fit charger et entra de vive force
+dans la ville.</p>
+
+<p>Le corps du maréchal Davoust se porta à Ortelsburg.</p>
+
+<p>Le 2, le grand-duc de Berg se porta à Allenstein avec le
+corps du maréchal Soult.</p>
+
+<p>Le corps du maréchal Davoust marcha sur Whastruburg.</p>
+
+<p>Les corps des maréchaux Augereau et Ney arrivèrent dans
+la journée du 3 à Allenstein.</p>
+
+<p>Le 3 au matin, l'armée ennemie, qui avait rétrogradé en
+toute hâte, se voyant tournée par son flanc gauche et jetée
+sur cette Vistule qu'elle s'était tant vanté de vouloir passer,
+parut rangée en bataille, la gauche appuyée au village de
+Moudtken, le centre à Joukowe, couvrant la grande route de
+Liebstadt.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Combat de Bergfrield.</i></p>
+
+<p>L'empereur se porta au village de Getkendorf, et plaça en
+bataille le corps du maréchal Ney sur la gauche, le corps du
+maréchal Augereau au centre, et le corps du maréchal Soult
+à la droite, la garde impériale en réserve. Il ordonna au maréchal Soult
+de se porter sur le chemin de Custad, et de
+s'emparer du pont de Bergfried, pour déboucher sur les derrières
+de l'ennemi avec tout son corps d'armée, manoeuvre qui
+donnait à cette bataille un caractère décisif. Vaincu, l'ennemi
+était perdu sans ressource.</p>
+
+<p>Le maréchal Soult envoya le général Guyot, avec sa cavalerie
+légère, s'emparer de Gustadt, où il prit une grande
+partie du bagage de l'ennemi, et fit successivement seize cents
+prisonniers russes. Gustadt était son centre des dépôts. Mais
+au même moment le maréchal Soult se portait sur le pont de
+Bergfried avec les divisions Leval et Legrand. L'ennemi, qui
+sentait que cette position importante protégeait la retraite de
+son flanc gauche, défendait ce pont avec douze de ses meilleurs
+bataillons. À trois heures après midi, la canonnade
+s'engagea. Le quatrième régiment de ligne et le vingt-quatrième
+d'infanterie légère, eurent la gloire d'aborder les premiers
+l'ennemi. Ils soutinrent leur vieille réputation. Ces deux
+régimens seuls et un bataillon du vingt-huitième en réserve,
+suffirent pour débusquer l'ennemi, passèrent au pas de charge
+le pont, enfoncèrent les douze bataillons russes, prirent quatre
+pièces de canon, et couvrirent le champ de bataille de morts
+et de blessés. Le quarante-sixième et le cinquante-cinquième,
+qui formaient la seconde brigade, étaient derrière, impatiens
+de se déployer; mais déjà l'ennemi en déroute abandonnait,
+épouvanté, toutes ses belles positions, heureux présage pour
+la journée du lendemain.</p>
+
+<p>Dans le même temps, le maréchal Ney s'emparait d'un bois
+où l'ennemi avait appuyé sa droite; la division St.-Hilaire
+s'emparait du village du centre, et le grand-duc de Berg, avec
+une division de dragons placée par escadrons au centre, passait
+le bois et balayait la plaine, afin d'éclaircir le devant de
+notre position. Dans ces petites attaques partielles, l'ennemi
+fut repoussé et perdit une centaine de prisonniers. La nuit
+surprit ainsi les deux armées en présence.</p>
+
+<p>Le temps est superbe pour la saison; il y a trois pieds de
+neige, le thermomètre est à deux et trois degrés de froid.</p>
+
+<p>A la pointe du jour du 4, le général de cavalerie légère
+Lasalle battit la plaine avec ses hussards. Une ligne de cosaques
+et de cavalerie ennemie vint sur-le-champ se placer devant
+lui. La canonnade s'engagea, mais bientôt on acquit la
+certitude que l'ennemi avait profité de la nuit pour battre en
+retraite, et n'avait laissé qu'une arrière garde de la droite,
+de la gauche et du centre. On marcha à elle, et elle fut menée
+battant pendant six lieues. La cavalerie ennemie fut culbutée
+plusieurs fois; mais les difficultés d'un terrain montueux
+et inégal s'opposèrent aux efforts de la cavalerie. Avant
+la fin du jour du 4, l'avant-garde française vint coucher à
+Deppen. L'empereur coucha à Schlett.</p>
+
+<p>Le 5, à la pointe du jour, toute l'armée française vint coucher
+à Deppen. L'empereur coucha à Schlett.</p>
+
+<p>Le 5, à la pointe du jour, toute l'armée française fut en
+mouvement à Deppen, l'empereur reçut le rapport qu'une
+colonne ennemie n'avait pas encore passé l'Alle, et se trouvait
+ainsi débordée par notre gauche, tandis que l'armée
+russe rétrogradait toujours sur les routes d'Arensdorf et de
+Landsberg. Sa majesté donna l'ordre au grand-duc de Berg
+et aux maréchaux Soult et Davoust de poursuivre l'ennemi
+dans cette direction. Elle fit passer l'Alle au corps du maréchal
+Ney, avec la division de cavalerie légère du général Lasalle
+et une division de dragons, et lui donna l'ordre d'attaquer
+le corps ennemi qui se trouvait coupé.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Combat de Waterdorf.</i></p>
+
+<p>Le grand-duc de Berg, arrivé sur la hauteur de Waterdorf,
+se trouva en présence de huit à neuf mille hommes de cavalerie.
+Plusieurs charges successives eurent lieu, et l'ennemi
+fit sa retraite.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Combat de Deppen.</i></p>
+
+<p>Pendant ce temps, le maréchal Ney se canonnait et était
+aux prises avec le corps ennemi qui était coupé. L'ennemi
+voulut un moment essayer de forcer le passage, mais il vint
+trouver la mort au milieu de nos baïonnettes. Culbuté au
+pas de charge et mis dans une déroute complète, il abandonna
+canons, drapeaux et bagages. Les autres divisions de
+ce corps voyant le sort de leur avant-garde, battirent en retraite.
+A la nuit, nous avions déjà fait plusieurs milliers de
+prisonniers, et pris seize pièces de canon.</p>
+
+<p>Cependant, par ces mouvemens, la plus grande partie des
+communications de l'armée russe a été coupée. Ses dépôts de
+Gunstadt et de Liebstadt et une partie de ses magasins de
+l'Alle avaient été enlevés par notre cavalerie légère.</p>
+
+<p>Notre perte a été peu considérable dans tous ces petits
+combats; elle se monte à quatre-vingts ou cent morts, et à
+trois ou quatre cents blessés. Le général Gardanne, aide-de-camp
+de l'empereur et gouverneur des pages, a eu une forte contusion
+à la poitrine. Le colonel du quatrième régiment de
+dragons a été grièvement blessé. Le général de brigade
+Latour-Maubourg a été blessé d'une balle dans le bras. L'adjudant-commandant,
+Lauberdière, chargé du détail des hussards,
+a été blessé dans une charge. Le colonel du quatrième
+régiment de ligne a été blessé.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">A Preussich-Eylau, le 7 février 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Cinquante-septième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le 6 au matin, l'armée se mit en marche pour suivre
+l'ennemi: le grand-duc de Berg avec le corps du maréchal
+Soult sur Landsberg, le corps du maréchal Davoust sur
+Heilsberg, et celui du maréchal Ney sur Worenditt, pour
+empêcher le corps coupé à Deppen de s'élever.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Combat de Hoff.</i></p>
+
+<p>Arrivé à Glodau, le grand-duc de Berg rencontra l'arrière-garde
+ennemie, et la fit charger entre Glodau et Hoff. L'ennemi
+déploya plusieurs lignes de cavalerie qui paraissaient
+soutenir cette arrière-garde, composée de douze bataillons,
+ayant le front sur les hauteurs de Landsberg. Le grand-duc
+de Berg fit ses dispositions. Après différentes attaques sur
+la droite et sur la gauche de l'ennemi, appuyées à un mamelon
+et à un bois, les dragons et les cuirassiers de la division
+du général d'Hautpoult firent une brillante charge, culbutèrent
+et mirent en pièces deux régimens d'infanterie russe.
+Les colonels, les drapeaux, les canons et la plupart des officiers
+et soldats furent pris. L'armée ennemie se mit en mouvement
+pour soutenir son arrière-garde. Le maréchal Augereau
+prit position sur la gauche, et le village de Hoff fut occupé.
+L'ennemi sentit l'importance de cette position, et fit
+marcher dix bataillons pour la reprendre. Le grand-duc de
+Berg fit exécuter une seconde charge par les cuirassiers, qui
+les prirent en flanc et les écharpèrent. Ces manoeuvres sont
+de beaux faits d'armes et font le plus grand honneur à ces intrépides
+cuirassiers. Cette journée mérite une relation particulière;
+une partie des deux armées passa la nuit du 6 au 7
+en présence. L'ennemi fila pendant la nuit.</p>
+
+<p>A la pointe du jour, l'avant-garde française se mit en
+marche, rencontra l'arrière-garde ennemie entre le bois et
+la petite ville d'Eylau. Plusieurs régimens de chasseurs à
+pied ennemis qui la défendaient furent chargés et en partie
+pris. On ne tarda pas à arriver à Eylau, et à reconnaître que
+l'ennemi était en position derrière cette ville.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Preussich-Eylau, le 9 février 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Cinquante-huitième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p class="milieu"><i>Combat d'Eylau.</i></p>
+
+<p>A un quart de lieue de la petite ville de Preussich-Eylau,
+est un plateau qui défend le débouché de la plaine. Le maréchal
+Soult ordonna au quarante-sixième et au dix-huitième
+régimens de ligne de l'enlever. Trois régimens qui le défendaient
+furent culbutés, mais au même moment une colonne
+de cavalerie russe chargea l'extrémité de la gauche du dix-huitième,
+et mit en désordre un de ses bataillons. Les dragons
+de la division Klein s'en aperçurent à temps; les troupes
+s'engagèrent dans la ville d'Eylau. L'ennemi avait placé dans
+une église et un cimetière plusieurs régimens. Il fit là une
+opiniâtre résistance, et après un combat meurtrier de part
+et d'autre, la position fut enlevée à dix heures du soir. La
+division Legrand prit ses bivouacs au-devant de la ville, et
+la division Saint-Hilaire à la droite. Le corps du maréchal
+Augereau se plaça sur la gauche, le corps du maréchal Davoust
+avait, dès la veille, marché pour déborder Eylau, et
+tomber sur le flanc gauche de l'ennemi, s'il ne changeait pas
+de position. Le maréchal Ney était en marche pour le déborder
+sur son flanc droit. C'est dans cette position que la nuit
+se passa.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Bataille d'Eylau.</i></p>
+
+<p>A la pointe du jour, l'ennemi commença l'attaque par une
+vive canonnade sur la ville d'Eylau et sur la division Saint-Hilaire.</p>
+
+<p>L'empereur se porta à la position de l'église que l'ennemi
+avait tant défendue la veille. Il fit avancer le corps du maréchal
+Augereau, et fit canonner le monticule par quarante pièces
+d'artillerie de sa garde. Une épouvantable canonnade s'engagea
+de part et d'autre.</p>
+
+<p>L'armée russe, rangée en colonnes, était à demi-portée de
+canon; tout coup frappait. Il parut un moment, aux mouvemens
+de l'ennemi, qu'impatienté de tant souffrir, il voulait
+déborder notre gauche. Au même moment, les tirailleurs du
+maréchal Davoust se firent entendre, et arrivèrent sur les
+derrières de l'armée ennemie; le corps du maréchal Augereau
+déboucha en même temps en colonnes, pour se porter sur le
+centre de l'ennemi, et, partageant ainsi son attention, l'empêcher
+de se porter tout entier contre le corps du maréchal
+Davoust. La division Saint-Hilaire déboucha sur la droite,
+l'une et l'autre devant manoeuvrer pour se réunir au maréchal
+Davoust: à peine le corps du maréchal Augereau et la
+division Saint-Hilaire eurent-ils débouché, qu'une neige
+épaisse, et telle qu'on ne distinguait pas à deux pas, couvrit
+les deux armées.</p>
+
+<p>Dans cette obscurité, le point de direction fut perdu, et
+les colonnes, appuyant trop à gauche, flottèrent incertaines.
+Cette désolante obscurité dura une demi-heure. Le temps s'étant
+éclairci, le grand-duc de Berg, à la tête de sa cavalerie,
+et soutenu par le maréchal Bessières à la tête de la garde,
+tourna la division Saint-Hilaire, et tomba sur l'armée ennemie:
+manoeuvre audacieuse, s'il en fut jamais, qui couvrit
+de gloire la cavalerie, et qui était devenue nécessaire dans la
+circonstance où se trouvaient nos colonnes. La cavalerie ennemie,
+qui voulut s'opposer à cette manoeuvre, fut culbutée;
+le massacre fut horrible. Deux lignes d'infanterie russe furent
+rompues; la troisième ne résista qu'en s'adossant à un bois.
+Des escadrons de la garde traversèrent deux fois toute l'armée
+ennemie.</p>
+
+<p>Cette charge brillante et inouïe qui avait culbuté plus de
+vingt mille hommes d'infanterie, et les avait obligés à abandonner
+leurs pièces, aurait décidé sur-le-champ la victoire
+sans le bois et quelques difficultés de terrain. Le général de
+division d'Hautpoult fut blessé d'un biscaïen. Le général
+Dalhmann, commandant les chasseurs de la garde, et un bon
+nombre de ses intrépides soldats moururent avec gloire. Mais
+les cent dragons, cuirassiers ou soldats de la garde que l'on
+trouva sur le champ de bataille, on les y trouva environnés
+de plus de mille cadavres ennemis. Cette partie du champ de
+bataille fait horreur à voir. Pendant ce temps, le corps du
+maréchal Davoust débouchait derrière l'ennemi. La neige,
+qui, plusieurs fois dans la journée, obscurcit le temps, retarda
+aussi sa marche et l'ensemble de ses colonnes.</p>
+
+<p>Le mal de l'ennemi est immense, celui que nous avons
+éprouvé est considérable. Trois cents bouches à feu ont vomi
+la mort de part et d'autre pendant douze heures. La victoire,
+long-temps incertaine, fut décidée et gagnée lorsque le maréchal
+Davoust déboucha sur le plateau et déborda l'ennemi,
+qui, après avoir fait de vains efforts pour le reprendre, battit
+en retraite. Au même moment, le corps du maréchal Ney
+débouchait par Altorff sur la gauche, et poussait devant lui
+le reste de la colonne prussienne échappée au combat de Deppen.
+Il vint se placer le soir au village de Schnaditten, et
+par-là l'ennemi se trouva tellement serré entre les corps des
+maréchaux Ney et Davoust, que, craignant de voir son arrière-garde
+compromise, il résolut, à huit heures du soir, de reprendre
+le village de Schnaditten. Plusieurs bataillons de
+grenadiers russes, les seuls qui n'eussent pas donné, se présentèrent
+à ce village; mais le sixième régiment d'infanterie
+légère les laissa approcher à bout portant, et les mit dans une
+entière déroute. Le lendemain l'ennemi a été poursuivi jusqu'à
+la rivière de Frischling. Il se retire au-delà de la Pregel.
+Il a abandonné sur le champ de bataille seize pièces de canon
+et ses blessés. Toutes les maisons des villages qu'il a parcourus
+la nuit en sont remplies.</p>
+
+<p>Le maréchal Augereau a été blessé d'une balle. Les généraux
+Desjardins, Heudelet, Lochet, ont été blessés. Le général
+Corbineau a été enlevé par un boulet. Le colonel Lacuée,
+du soixante-troisième, et le colonel Lemarois, du quarante-troisième
+ont été tués par des boulets. Le colonel Bouvières,
+du onzième régiment de dragons, n'a pas survécu à
+ses blessures. Tous sont morts avec gloire. Notre perte se
+monte exactement à dix-neuf cents morts et à cinq mille sept
+cents blessés, parmi lesquels un millier qui le sont grièvement,
+seront hors de service. Tous les morts ont été enterrés
+dans la journée du 10. On a compté sur le champ de bataille
+sept mille Russes.</p>
+
+<p>Ainsi l'expédition offensive de l'ennemi, qui avait pour
+but de se porter sur Thorn en débordant la gauche de la
+grande armée, lui a été funeste. Douze à quinze mille prisonniers,
+autant d'hommes hors de combat, dix-huit drapeaux,
+quarante-cinq pièces de canon, sont les trophées trop
+chèrement payés sans doute par le sang de tant de braves.</p>
+
+<p>De petites contrariétés de temps, qui auraient paru légères
+dans toute autre circonstance, ont beaucoup contrarié les
+combinaisons du général français. Notre cavalerie et notre artillerie
+ont fait des merveilles. La garde à cheval s'est surpassée;
+c'est beaucoup dire. La garde à pied a été toute la
+journée l'arme au bras, sous le feu d'une épouvantable mitraille,
+sans tirer un coup de fusil, ni faire aucun mouvement.
+Les circonstances n'ont point été telles qu'elle ait dû donner.
+La blessure du maréchal Augereau a été aussi un accident
+défavorable, en laissant, pendant le plus fort de la mêlée,
+son corps d'armée sans chef capable de le diriger.</p>
+
+<p>Ce récit est l'idée générale de la bataille. Il s'est passé des
+faits qui honorent le soldat français: l'état-major s'occupe de
+les recueillir.</p>
+
+<p>La consommation en munitions à canon a été considérable;
+elle a été beaucoup moindre en munitions d'infanterie.</p>
+
+<p>L'aigle d'un des bataillons du dix-huitième régiment ne
+s'est pas retrouvée; elle est probablement tombée entre les
+mains de l'ennemi. On ne peut en faire un reproche à ce régiment;
+c'est, dans la position où il se trouvait, un accident
+de guerre; toutefois l'empereur lui en rendra une autre lorsqu'il
+aura pris un drapeau à l'ennemi.</p>
+
+<p>Cette expédition est terminée, l'ennemi, battu, est rejeté à
+cent lieues de la Vistule. L'armée va reprendre ses cantonnements,
+et rentrer dans ses quartiers-d'hiver.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">A Preussich-Eylau, le 14 février 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Cinquante-neuvième bulletin de la grande armée</i>.</p>
+
+<p>L'ennemi prend position derrière la Pregel. Nos coureurs
+sont sur Koenigsberg, mais l'empereur a jugé convenable de
+mettre son armée en quartiers, en se tenant à portée de couvrir
+la ligne de la Vistule.</p>
+
+<p>Le nombre des canons qu'on a pris depuis le combat de
+Bergfried se monte à près de soixante. Les vingt quatre que
+l'ennemi a laissés à la bataille d'Eylau viennent d'être dirigés
+sur Thorn.</p>
+
+<p>L'ennemi a fait courir la notice ci-jointe: tout y est faux.
+L'ennemi a attaqué la ville, et a été constamment repoussé;
+il avoue avoir perdu vingt mille hommes tués ou blessés. Sa
+perte est beaucoup plus forte. La prise de neuf aigles est aussi
+fausse que la prise de la ville.</p>
+
+<p>Le grand-duc de Berg a toujours son quartier-général à
+Wittemberg, tout près de la Prégel.</p>
+
+<p>Le général d'Hautpoult est mort de ses blessures. Il a été
+généralement regretté. Peu de soldats ont eu une fin plus
+glorieuse. Sa division de cuirassiers s'est couverte de gloire à
+toutes les affaires. L'empereur a ordonné que son corps serait
+transporté à Paris.</p>
+
+<p>Le général de cavalerie Bouardi-Saint-Sulpice, blessé au
+poignet, ne voulut pas aller à l'ambulance, et fournit une
+seconde charge. Sa majesté a été si contente de ses services,
+qu'elle l'a nommé général de division.</p>
+
+<p>Le maréchal Lefebvre s'est porté le 12 sur Marienwerder.
+Il y a trouvé sept escadrons prussiens, les a culbutés, leur
+a pris trois cents hommes, parmi lesquels un colonel, un
+major et plusieurs officiers, et deux cent cinquante chevaux.
+Ce qui a échappé à ce combat s'est réfugié dans Dantzick.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">A Preussich-Eylau, le 17 février 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Soixantième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>La reddition de la Silésie avance. La place de Schweidnitz
+a capitulé. Ci-joint la capitulation. Le gouvernement prussien
+de la Silésie a été cerné dans Glatz, après avoir été forcé
+dans la position de Frankenstein et de Neubrode par le général
+Lefebvre. Les troupes de Wurtemberg se sont fort bien
+comportées dans cette affaire. Le régiment bavarois de la
+Tour-et-Taxis, commandé par le colonel Teydis, et le
+sixième régiment de ligne bavarois, commandé par le colonel
+Baker, se sont fait remarquer. L'ennemi a perdu dans ces
+combats une centaine d'hommes tués, trois cents faits prisonniers.</p>
+
+<p>Le siége de Kosel se poursuit avec activité.</p>
+
+<p>Depuis la bataille d'Eylau, l'ennemi s'est rallié derrière
+la Prégel. On concevait l'espoir de le forcer dans cette position,
+si la rivière fût restée gelée; mais le dégel continue, et
+cette rivière est une barrière au-delà de laquelle l'armée
+française n'a pas intérêt de le jeter.</p>
+
+<p>Du côté de Willemberg, trois mille prisonniers russes ont
+été délivrés par un parti de mille Cosaques.</p>
+
+<p>Le froid a entièrement cessé; la neige est partout fondue,
+et la saison actuelle nous offre le phénomène, au mois de février,
+du temps de la fin d'avril.</p>
+
+<p>L'armée entre dans ses cantonnemens.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Preussich-Eylau, le 16 février 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Proclamation.</i></p>
+
+<p>Soldats!</p>
+
+<p>Nous commencions à prendre un peu de repos dans nos
+quartiers d'hiver, lorsque l'ennemi a attaqué le premier corps
+et s'est présenté sur la Basse-Vistule. Nous avons marché à
+lui; nous l'avons poursuivi l'épée dans les reins pendant l'espace
+de quatre-vingts lieues. Il s'est réfugié sous les remparts
+de ses places, et a repassé la Prégel. Nous lui avons enlevé,
+aux combats de Bergfried, de Deppen, de Hoff, à la bataille
+d'Eylau, soixante-cinq pièces de canon, seize drapeaux, et
+tué, blessé ou pris plus de quarante mille hommes. Les
+braves qui, de notre côté, sont restés sur le champ d'honneur,
+sont morts d'une mort glorieuse: c'est la mort des vrais
+soldats. Leurs familles auront des droits constans à notre
+sollicitude et à nos bienfaits.</p>
+
+<p>Ayant ainsi déjoué tous les projets de l'ennemi, nous allons
+nous approcher de la Vistule, et rentrer dans nos cantonnements.
+Qui osera en troubler le repos, s'en repentira;
+car au-delà de la Vistule comme au-delà du Danube, au milieu
+des frimas de l'hiver, comme au commencement de l'automne,
+nous serons toujours les soldats français, et les soldats
+français de la grande armée.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Landsberg, le 18 février 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Soixante-unième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>La bataille d'Eylau avait d'abord été présentée par plusieurs
+officiers ennemis comme une victoire. On fut dans
+cette croyance à Koenigsberg toute la matinée du 9. Bientôt
+le quartier-général et toute l'armée russe arrivèrent. L'alarme
+alors devint grande. Peu de temps après, ou entendit des
+coups de canon, et on vit les Français maîtres d'une petite
+hauteur qui dominait tout le camp russe.</p>
+
+<p>Le général russe a déclaré qu'il voulait défendre la ville;
+ce qui a augmenté la consternation des habitans, qui disaient:
+Nous allons éprouver le sort de Lubeck. Il est heureux
+pour cette ville qu'il ne soit pas entré dans les calculs
+du général français de forcer l'armée russe dans cette position.</p>
+
+<p>Le nombre des morts dans l'armée russe, en généraux et
+en officiers, est extrêmement considérable.</p>
+
+<p>Par la bataille d'Eylau, plus de cinq mille blessés russes
+restés sur le champ de bataille ou dans les ambulances environnantes,
+sont tombés au pouvoir du vainqueur. Partie sont
+morts, partie légèrement blessés, ont augmenté le nombre
+des prisonniers. Quinze cents prisonniers viennent d'être rendus
+à l'armée russe. Indépendamment des cinq mille blessés
+qui sont restés au pouvoir de l'armée française, on calcule
+que les Russes en ont eu quinze mille.</p>
+
+<p>L'armée vient de prendre ses cantonnemens. Les pays
+d'Elbing, de Liebstadt, d'Osterode sont les plus belle parties
+de ces contrées. Ce sont eux que l'empereur a choisis
+pour établir sa gauche.</p>
+
+<p>Le maréchal Mortier est entré dans la Poméranie suédoise.
+Stralsund a été bloqué. Il est à regretter que l'ennemi ait mis
+le feu sans raison au beau faubourg de Kniper. Cet incendie
+offrait un spectacle horrible. Plus de deux mille individus se
+trouvent sans maisons et sans asile.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Liebstadt, le 21 février 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Soixante-deuxième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>La droite de la grande armée a été victorieuse, comme le
+centre et la gauche. Le général Essen, à la tête de vingt-cinq
+mille hommes, s'est porté sur Ostrolenka, le 13, par les deux
+rives de la Narew. Arrivé au village de Flacies-Lawowa, il
+rencontra l'avant-garde du général Savary, commandant le
+cinquième corps.</p>
+
+<p>Le 16, à la pointe du jour, le général Gazan se porta avec
+une partie de sa division à l'avant-garde. A neuf heures du
+matin, il rencontra l'ennemi sur la route de Nowogrod, l'attaqua,
+le culbuta et le mit en déroute. Mais au même moment,
+l'ennemi attaquait Ostrolenka par la rive gauche. Le
+général Campana, avec une brigade de la division Gazan, et
+le général Ruffin, avec une brigade de la division du général
+Oudinot, défendaient cette petite ville.</p>
+
+<p>Le général Savary y envoya le général de division Reille,
+chef de l'état-major du corps d'armée. L'infanterie russe, sur
+plusieurs colonnes, voulut emporter la ville. On la laissa
+avancer jusqu'à la moitié des rues; on marcha à elle au pas de
+charge; elle fut culbutée trois fois, et laissa les rues couvertes
+de morts. La perte de l'ennemi fut si grande, qu'il abandonna
+la ville et prit position derrière les monticules de sable
+qui la recouvrent.</p>
+
+<p>Les divisions des généraux Suchet et Oudinot avancèrent:
+à midi, leurs têtes de colonne arrivèrent à Ostrolenka. Le
+général Savary rangea sa petite armée de la manière suivante:</p>
+
+<p>Le général Oudinot, sur deux lignes, commandait la gauche;
+le général Suchet le centre; et le général Reille, commandant
+une brigade de la division Gazan, formait la droite.
+Il se couvrit de toute son artillerie, et marcha à l'ennemi.
+L'intrépide général Oudinot se mit à la tête de la cavalerie,
+fit une charge qui eut du succès, et tailla en pièces les cosaques
+de l'arrière-garde ennemie. Le feu fut très-vif, l'ennemi
+ploya de tous côtés, et fut mené battant pendant trois
+lieues.</p>
+
+<p>Le lendemain, l'ennemi a été poursuivi plusieurs lieues,
+mais sans qu'on pût reconnaître que sa cavalerie avait battu,
+en retraite toute la nuit. Le général Suwarow et plusieurs
+autres officiers ennemis ont été tués. L'ennemi a abandonné
+un grand nombre de blessés. On en avait ramassé douze
+cents; on en ramassait à chaque instant. Sept pièces de canon
+et deux drapeaux sont les trophées de la victoire. L'ennemi
+a laissé treize cents cadavres sur le champ de bataille. De
+notre côté, nous avons perdu soixante hommes tués et quatre
+à cinq cents blessés; mais une perte vivement sentie est celle
+du général de brigade Campana, qui était un officier d'un
+grand mérite et d'une grande espérance. Il était né dans le
+département de Marengo. L'empereur a été très-peiné de sa
+perte. Le cent-troisième régiment s'est particulièrement distingué
+dans cette affaire. Parmi les blessés sont le colonel
+Duhamel, du vingt-unième régiment d'infanterie légère, et
+le colonel d'artillerie Nourrit.</p>
+
+<p>L'empereur a ordonné au cinquième corps de s'arrêter et
+de prendre ses quartiers d'hiver. Le dégel est affreux. La
+saison ne permet pas de rien faire de grand: c'est celle du
+repos. L'ennemi a le premier levé ses quartiers; il s'en
+repent.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Osterode, le 28 février 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Soixante-troisième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le capitaine des grenadiers à cheval de la garde impériale,
+Auzouï, blessé à mort à la bataille d'Eylau, était couché sur
+le champ de bataille. Ses camarades viennent pour l'enlever
+et le porter à l'ambulance. Il ne recouvre ses esprits que pour
+leur dire: «Laissez-moi, mes amis; je meurs content, puisque
+nous avons la victoire, et que je puis mourir sur le lit
+d'honneur, environné de canons pris à l'ennemi et des débris
+de leur défaite. Dites à l'empereur que je n'ai qu'un regret;
+c'est que, dans quelques momens, je ne pourrai plus rien
+pour son service et pour la gloire de notre belle France. A
+elle mon dernier soupir.» L'effort qu'il fit pour prononcer
+ces paroles épuisa le peu de forces qui lui restaient.</p>
+
+<p>Tous les rapports que l'on reçoit s'accordent à dire que
+l'ennemi a perdu à la bataille d'Eylau vingt généraux et neuf
+cents officiers tués et blessés, et plus de trente mille hommes
+hors de combat.</p>
+
+<p>Au combat d'Ostrolenka, du 16, deux généraux russes
+ont été tués et trois blessés.</p>
+
+<p>Sa Majesté a envoyé à Paris les seize drapeaux pris à la bataille
+d'Eylau. Tous les canons sont déjà dirigés sur Thorn.
+Sa Majesté a ordonné que ces canons seraient fondus, et qu'il
+en serait fait une statue en bronze du général d'Hautpoult,
+commandant la deuxième division de cuirassiers, dans son
+costume de cuirassier.</p>
+
+<p>L'armée est concentrée dans ses cantonnemens, derrière la
+Passarge, appuyant sa gauche à Marienwerder, à l'île du
+Nogat et à Elbing, pays qui fournissent des ressources.</p>
+
+<p>Instruit qu'une division russe s'était portée sur Braunsberg,
+à la tête de nos cantonnemens, l'empereur a ordonné qu'elle
+fût attaquée. Le prince de Ponte-Corvo chargea de cette expédition
+le général Dupont, officier d'un grand mérite.</p>
+
+<p>Le 26, à deux heures après-midi, le général Dupont se
+présenta devant Braunsberg, attaqua la division ennemie,
+forte de dix mille hommes, la culbuta à la baïonnette, la
+chassa de la ville et lui fit repasser la Passarge, lui prit seize
+pièces de canon, deux drapeaux, et lui fit deux mille prisonniers.
+Nous avons eu très-peu d'hommes tués.</p>
+
+<p>Du côté de Gustadt, le général Léger-Belair se porta au
+village de Peterswalde à la pointe du jour du 25, sur l'avis
+qu'une colonne russe était arrivée dans la nuit à ce village,
+la culbuta, prit le général baron de Korff qui la commandait,
+son état-major, plusieurs lieutenans-colonels et officiers, et
+quatre cents hommes. Cette brigade était composée de dix bataillons,
+qui avaient tellement souffert qu'ils ne formaient
+que seize cents hommes présens sous les armes.</p>
+
+<p>L'empereur a témoigné sa satisfaction au général Savary
+pour le combat d'Ostrolenka, lui a accordé la grande décoration
+de la légion-d'honneur, et l'a rappelé près de sa personne.
+Sa Majesté a donné le commandement du cinquième corps
+au maréchal Masséna, le maréchal Lannes continuant à être
+malade.</p>
+
+<p>A la bataille d'Eylau, le maréchal Augereau couvert de
+rhumatismes, était malade et avait à peine connaissance; mais
+le canon réveille les braves: il revole au galop à la tête de
+son corps, après s'être fait attacher sur son cheval. Il a été
+constamment exposé au plus grand feu, et a même été légèrement
+blessé. L'empereur vient de l'autoriser à rentrer en
+France pour y soigner sa santé.</p>
+
+<p>Les garnisons de Colberg et de Dantzick profitant du peu
+d'attention qu'on avait fait à elles, s'étaient encouragées par
+différentes excursions. Un avant-poste de la division italienne
+a été attaqué, le 16, à Stutgard, par un parti de huit cents
+hommes de la garnison de Colberg. Le général Bonfanti n'avait
+avec lui que quelques compagnies du premier régiment
+de ligne italien, qui ont pris les armes à temps, ont marché
+avec résolution sur l'ennemi, et l'ont mis en déroute.</p>
+
+<p>Le général Teulié, de son côté, avec le gros de la division
+italienne, le régiment de fusiliers de la garde et la première
+compagnie de gendarmes d'ordonnance, s'est porté pour investir
+Colberg. Arrivé à Naugarten, il a trouvé l'ennemi retranché,
+occupant un fort hérissé de pièces de canon. Le colonel
+Boyer, des fusiliers de la garde, est monté à l'assaut.
+Le capitaine de la compagnie des gendarmes, M. de Montmorency,
+a fait une charge qui a eu du succès. Le fort a été pris,
+trois cents hommes faits prisonniers et six pièces de canon enlevées.
+L'ennemi a laissé cent hommes sur le champ de bataille.</p>
+
+<p>Le général Dabrowsky a marché contre la garnison de
+Dantzick; il l'a rencontrée à Dirschau, l'a culbutée, lui a fait
+six cents prisonniers, pris sept pièces de canon, et l'a poursuivie
+plusieurs lieues l'épée dans les reins. Il a été blessé
+d'une balle. Le maréchal Lefebvre était arrivé, sur ces entrefaites,
+au commandement du dixième corps: il y avait été
+joint par les Saxons, et il marchait pour investir Dantzick.</p>
+
+<p>Le temps est toujours variable. Il gelait hier; il dégèle aujourd'hui.
+L'hiver s'est ainsi passé. Le thermomètre n'a jamais
+été à plus de cinq degrés.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Osterode, le 2 mars 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Soixante-quatrième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>La ville d'Elbing fournit de grandes ressources à l'armée:
+on y a trouvé une grande quantité de vins et d'eaux-de-vie.
+Ce pays de la Basse-Vistule est très-fertile.</p>
+
+<p>Les ambassadeurs de Constantinople et de Perse sont entrés
+en Pologne, et arrivent à Varsovie.</p>
+
+<p>Après la bataille d'Eylau, l'empereur a passé tous les jours
+plusieurs heures sur le champ de bataille, spectacle horrible,
+mais que le devoir rendait nécessaire. Il a failli beaucoup de
+travail pour enterrer tous les morts. On a trouvé un grand
+nombre de cadavres d'officiers russes avec leurs décorations.
+Il paraît que parmi eux il y avait un prince Repnin. Quarante-huit
+heures encore après la bataille, il y avait plus de
+cinq cents russes blessés qu'on n'avait pas encore pu emporter.
+On leur faisait porter de l'eau-de-vie et du pain, et successivement
+on les a transportés à l'ambulance.</p>
+
+<p>Qu'on se figure sur un espace d'une lieue carrée, neuf ou
+dix mille cadavres, quatre ou cinq mille chevaux tués, des
+lignes de sacs russes, des débris de fusils et de sabres, la terre
+couverte de boulets, d'obus, de munitions, vingt-quatre
+pièces de canon auprès desquelles on voyait les cadavres des
+conducteurs tués au moment où ils faisaient des efforts pour
+les enlever: tout cela avait plus de relief sur un fond de neige.
+Ce spectacle est fait pour inspirer aux princes l'amour de la
+paix et l'horreur de la guerre.</p>
+
+<p>Les cinq mille blessés que nous avons eus ont été tous évacués
+sur Thorn et sur nos hôpitaux de la rive gauche de la
+Vistule, sur des traîneaux. Les chirurgiens ont observé avec
+étonnement que la fatigue de cette évacuation n'a point nui
+aux blessés.</p>
+
+<p>Voici quelques détails sur le combat de Braunsberg.</p>
+
+<p>Le général Dupont marcha à l'ennemi sur deux colonnes.
+Le général Bruyer, qui commandait la colonne de droite,
+rencontra l'ennemi à Ragern, le poussa sur la rivière qui se
+trouve en avant de ce village. La colonne de gauche poussa
+l'ennemi sur Villenberg, et toute la division ne tarda pas à
+déboucher hors du bois. L'ennemi, chassé de sa première position,
+fut obligé de se replier sur la rivière qui couvre la ville
+de Braunsberg: il a d'abord tenu ferme; mais le général Dupont
+a marché à lui, l'a culbuté au pas de charge, et est entré
+avec lui dans la ville, qui a été jonchée de cadavres russes.</p>
+
+<p>Le neuvième d'infanterie légère, le trente-deuxième, le
+quatre-vingt-seizième de ligne qui composent cette division,
+se sont distingués. Les généraux Barrois, Lahoussaye, le colonel
+Semelle du vingt-quatrième de ligne, le colonel Meunier
+du neuvième d'infanterie légère, le chef de bataillon
+Bouge du trente-deuxième de ligne, et le chef d'escadron Hubinet
+du neuvième de hussards, ont mérité des éloges particuliers.</p>
+
+<p>Depuis l'arrivée de l'armée française sur la Vistule, nous
+avons pris aux Russes, aux affaires de Pultusk et de Golymin,
+quatre vingt-neuf pièces de canon; au combat de Bergfried,
+quatre pièces, dans la retraite d'Allenstein, cinq pièces;
+au combat de Deppen, seize pièces; au combat de Hoff,
+douze pièces; à la bataille d'Eylau, vingt-quatre pièces; au
+combat de Braunsberg, seize pièces; au combat d'Ostrolenka,
+neuf pièces: total, cent soixante-quinze pièces de canon.</p>
+
+<p>On a fait à ce sujet la remarque que l'empereur n'a jamais
+perdu de canons dans les armées qu'il a commandées, soit
+dans les premières campagnes d'Italie et d'Égypte, soit dans
+celle de l'armée de réserve, soit dans celle d'Autriche et de
+Moravie, soit dans celle de Prusse et de Pologne.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Osterode, le 10 mars 1807.</p>
+
+<p><i>Soixante-cinquième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>L'armée est cantonnée derrière la Passarge:</p>
+
+<p>Le prince de Ponte-Corvo, à Holland et à Braunsberg;</p>
+
+<p>Le maréchal Soult, à Liebstadt et Mohringen;</p>
+
+<p>Le maréchal Ney, à Guttstadt;</p>
+
+<p>Le maréchal Davoust, à Allenstein, Hohenstein et Deppen;</p>
+
+<p>Le quartier-général, à Osterode;</p>
+
+<p>Le corps d'observation polonais, que commande le général
+Zayonchek, à Neidenbourg;</p>
+
+<p>Le corps du maréchal Lefebvre devant Dantzick;</p>
+
+<p>Le cinquième corps, sur l'Omulew;</p>
+
+<p>Une division de Bavarois, que commande le prince royal
+de Bavière, à Varsovie;</p>
+
+<p>Le corps du prince Jérôme, en Silésie;</p>
+
+<p>Le huitième corps, en observation dans la Poméranie suédoise.</p>
+
+<p>Les places de Breslau, de Schweidnitz et de Brieg sont en
+démolition.</p>
+
+<p>Le général Rapp, aide-de-camp de l'empereur, est gouverneur
+de Thorn.</p>
+
+<p>On jette des ponts sur la Vistule, à Marienbourg et à Dirschau.</p>
+
+<p>Ayant été instruit, le 1er mars, que l'ennemi, encouragé
+par les positions qu'avait prise l'armée, faisait voir des postes
+tout le long de la rive droite de la Passarge, l'empereur ordonna
+aux maréchaux Soult et Ney de faire des reconnaissances
+en avant pour repousser l'ennemi. Le maréchal Ney
+marcha sur Guttstadt; le maréchal Soult passa la Passarge à
+Worditt. L'ennemi fit aussitôt un mouvement général, et se
+mit en retraite sur Koenigsberg; ses postes, qui s'étaient retirés
+en toute hâte, furent poursuivis à huit lieues.</p>
+
+<p>Voyant ensuite que les Français ne faisaient plus de mouvemens,
+et s'apercevant que ce n'étaient que des avant-gardes
+qui avaient quitté leurs régimens, deux régimens de grenadiers
+russes se rapprochèrent et se portèrent de nuit sur le cantonnement
+de Zechern. Le cinquantième régiment les reçut à
+bout portant; le vingt-septième et le trente-neuvième se comportèrent
+de même. Dans ces petits combats, les Russes ont
+eu un millier d'hommes blessés, tués ou prisonniers.</p>
+
+<p>Après s'être ainsi assurée des mouvemens de l'ennemi, l'armée
+est entrée dans ses cantonnemens.</p>
+
+<p>Le grand-duc de Berg, instruit qu'un corps de cavalerie
+s'était porté sur Villenberg, l'a fait attaquer dans cette ville
+par le prince Borghèse, qui, à la tête de son régiment, a
+chargé huit escadrons russes, les a culbutés et mis en déroute,
+et leur a fait une centaine de prisonniers, parmi lesquels
+se trouvent trois capitaines et huit officiers.</p>
+
+<p>Le maréchal Lefebvre a cerné entièrement Dantzick, et a
+commencé les ouvrages de circonvallation de la place.</p>
+<br><br><br>
+
+
+
+<p class="droite">Osterode, le 14 mars 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Soixante-sixième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>La grande armée est toujours dans ses cantonnemens, où
+elle prend du repos.</p>
+
+<p>De petits combats ont lieu souvent entre les avant-postes
+des deux armées.</p>
+
+<p>Deux régimens de cavalerie russe sont venus, le 12, inquiéter
+le soixante-neuvième régiment d'infanterie de ligne dans
+son cantonnement de Liguau, en avant de Guttstadt.</p>
+
+<p>Un bataillon de ce régiment prit les armes, s'embusqua,
+et tira à bout portant sur l'ennemi, qui laissa quatre-vingts
+hommes sur la place.</p>
+
+<p>Le général Guyot, qui commande les avant-postes du maréchal
+Soult, a eu de son côté quelques engagemens qui ont
+été à son avantage.</p>
+
+<p>Après le petit combat de Villenberg, le grand-duc de Berg
+a chassé les cosaques de toute la rive droite de l'Alle, afin de
+s'assurer que l'ennemi ne masquait pas quelque mouvement.
+Il s'est porté à Wartembourg, Seeburg, Meusguth et Bischoffburg.
+Il a eu quelques engagemens avec la cavalerie ennemie,
+et a fait une centaine de cosaques prisonniers.</p>
+
+<p>L'armée russe paraît concentrée du côté de Bartenstein sur
+l'Alle; la division prussienne du côté de Creutsbourg.</p>
+
+<p>L'armée ennemie a fait un mouvement de retraite, et s'est
+rapprochée d'une marche de Koenigsberg.</p>
+
+<p>Toute l'armée française est cantonnée; elle est approvisionnée
+par les villes d'Elbing, de Braunsberg, et par les
+ressources que l'on tire de l'île du Nogat, qui est d'une très-grande
+fertilité.</p>
+
+<p>Deux-ponts ont été jetés sur la Vistule: un à Marienbourg,
+et l'autre à Marienwerder. Le maréchal Lefebvre a achevé
+l'investissement de Dantzick; le général Tenlié a investi Colberg.
+L'une et l'autre de ces garnisons ont été rejetées dans
+ces places après de légères attaques.</p>
+
+<p>Une division de douze mille Bavarois, commandée par le
+prince royal de Bavière, a passé la Vistule à Varsovie, et
+vient joindre l'armée.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">De notre camp impérial d'Osterode, le 20 mars 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Message de S.M. au Sénat.</i></p>
+
+<p>SÉNATEURS,</p>
+
+<p>«Nous avons ordonné qu'un projet de sénatus-consulte,
+ayant pour objet d'appeler dès ce moment la conscription de
+1808, vous soit présenté.</p>
+
+<p>«Le rapport que nous a fait notre ministre de la guerre
+vous donnera à connaître les avantages de toute espèce qui
+résulteront de cette mesure.</p>
+
+<p>«Tout s'arme autour de nous. L'Angleterre vient d'ordonner
+une levée extraordinaire de deux cent mille hommes;
+d'autres puissances ont recours également à des recrutemens
+considérables. Quelque formidables, quelque nombreuses que
+soient nos armées, les dispositions contenues dans ce projet
+de sénatus-consulte nous paraissent, sinon nécessaires, du
+moins utiles et convenables. Il faut qu'à la vue de cette triple
+barrière de camps qui environnera notre territoire, comme
+à l'aspect du triple rang de places fortes qui garantissent nos
+plus importantes frontières, nos ennemis ne conçoivent l'espérance
+d'aucun succès, se découragent, et soient ramenés
+enfin, par l'impuissance de nous nuire, à la justice, à la
+raison.</p>
+
+<p>«L'empressement avec lequel nos peuples ont exécuté les
+sénatus-consultes du 24 septembre 1805 et du 4 décembre
+1806, a vivement excité en nous le sentiment de la reconnaissance.
+Tout Français se montrera également digne d'un
+si beau nom.</p>
+
+<p>«Nous avons appelé à commander et à diriger cette intéressante
+jeunesse, des sénateurs qui se sont distingués
+dans la carrière des armes, et nous désirons que vous reconnaissiez
+dans cette détermination la confiance sans bornes
+que nous mettons en vous. Ces sénateurs enseigneront aux
+jeunes conscrits, que la discipline et la patience à supporter
+les fatigues et les travaux de la guerre, sont les premiers garans
+de la victoire. Ils leur apprendront à tout sacrifier
+pour la gloire du trône et le bonheur de la patrie, eux, membres
+d'un corps qui en est le plus ferme appui.</p>
+
+<p>«Nous avons été victorieux de tous nos ennemis. En six
+mois, nous avons passé le Mein, la Saale, l'Elbe, l'Oder, la
+Vistule; nous avons conquis les places les plus formidables
+de l'Europe, Magdebourg, Hameln, Spandau, Stettin, Custrin,
+Glogau, Breslau, Schweidnitz, Brieg; nos soldats
+ont triomphé dans un grand nombre de combats et dans plusieurs
+grandes batailles rangées; ils ont pris plus de huit
+cents pièces de canon sur le champ de bataille; ils ont dirigé
+vers la France quatre mille pièces de siége, quatre cents drapeaux
+prussiens ou russes, et plus de deux cent mille prisonniers
+de guerre; les sables de la Prusse, les solitudes de
+la Pologne, les pluies de l'automne, les frimas de l'hiver,
+rien n'a ralenti leur ardent désir de parvenir à la paix par la
+victoire, et de se voir ramener sur le territoire de la patrie
+par des triomphes. Cependant nos armées d'Italie, de Dalmatie,
+de Naples, nos camps de Boulogne, de Bretagne, de
+Normandie, du Rhin sont restés intacts.</p>
+
+<p>«Si nous demandons aujourd'hui à nos peuples de nouveaux
+sacrifices pour ranger autour de nous de nouveaux
+moyens de puissance, nous n'hésitons pas à le dire, ce n'est
+point pour en abuser en prolongeant la guerre. Notre politique
+est fixe: nous avons offert la paix à l'Angleterre, avant
+qu'elle eût fait éclater la quatrième coalition; cette même
+paix, nous la lui offrons encore. Le principal ministre qu'elle
+a employé dans ses négociations a déclaré authentiquement
+dans ces assemblées publiques que cette paix pouvait être
+pour elle honorable et avantageuse; il a ainsi mis en évidence
+la justice de notre cause. Nous sommes prêts à conclure avec
+la Russie aux mêmes conditions que son négociateur avait
+signées, et que les intrigues et l'influence de l'Angleterre
+l'ont contrainte à repousser. Nous sommes prêts à rendre à
+ces huit millions d'habitans conquis par nos armes, la tranquillité;
+et au roi de Prusse sa capitale. Mais si tant de
+preuves de modération si souvent renouvelées ne peuvent
+rien contre les illusions que la passion suggère à l'Angleterre;
+si cette puissance ne peut trouver la paix que dans
+notre abaissement, il ne nous reste plus qu'à gémir sur les
+malheurs de la guerre, et à rejeter l'opprobre et le blâme sur
+cette nation qui alimente son monopole avec le sang du continent.
+Nous trouverons dans notre énergie, dans le courage,
+le dévouement et la puissance de nos peuples, des moyens
+assurés pour rendre vaines les coalitions qu'ont cimentées
+l'injustice et la haine, et pour les faire tourner à la confusion
+de leurs auteurs. Français! nous bravons tous les périls
+pour la gloire et pour le repos de nos enfans.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Osterode, le 25 mars 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Soixante-septième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le 14 mars à trois heures après-midi, la garnison de Stralsund,
+à la faveur d'un temps brumeux, déboucha avec deux
+mille hommes d'infanterie, deux escadrons de cavalerie et
+six pièces de canon, pour attaquer une redoute construite par
+la division Dupas. Cette redoute, qui n'était ni fermée ni
+palissadée, ni armée de canons, était occupée par une seule
+compagnie de voltigeurs du cinquante-huitième de ligne.
+L'immense supériorité de l'ennemi n'étonna point ces braves.
+Cette compagnie ayant été renforcée par une compagnie de
+voltigeurs du quatrième d'infanterie légère, commandée par
+le capitaine Barral, brava les efforts de cette brigade suédoise.
+Quinze soldats suédois arrivèrent sur les parapets,
+mais ils y trouvèrent la mort. Toutes les tentatives que fit
+l'ennemi furent également inutiles. Soixante-deux cadavres
+suédois ont été enterrés au pied de la redoute. On peut supposer
+que plus de cent vingt hommes ont été blessés; cinquante
+ont été faits prisonniers. Il n'y avait cependant dans
+cette redoute que cent cinquante hommes. Plusieurs officiers
+suédois décorés ont été trouvés parmi les morts. Cet acte
+d'intrépidité a fixé les regards de l'empereur, qui a accordé
+trois décorations de la légion d'honneur aux compagnies de
+voltigeurs du cinquante-huitième et du quatrième léger. Le
+capitaine Drivet, qui commandait dans cette mauvaise redoute,
+s'est particulièrement distingué. Le maréchal Lefebvre
+a ordonné le 20, au général de brigade Schramm, de passer de
+l'île du Nogat dans le Frich-Hoff, pour couper la communication
+de Dantzick avec la mer. Le passage s'est effectué à
+trois heures du matin; les Prussiens ont été culbutés et ont
+laissé entre nos mains trois cents prisonniers.</p>
+
+<p>A six heures du soir, la garnison a fait un détachement
+de quatre mille hommes pour reprendre ce poste; il a été repoussé
+avec perte de quelques centaines de prisonniers et
+d'une pièce de canon.</p>
+
+<p>Le général Schramm avait sous ses ordres le deuxième bataillon
+du deuxième régiment d'infanterie légère et plusieurs
+bataillons saxons qui se sont distingués. L'empereur a accordé
+trois décorations de la légion d'honneur aux officiers saxons,
+et trois aux sous-officiers et soldats et au major qui les commandait.</p>
+
+<p>En Silésie, la garnison de Neiss a fait une sortie. Elle a donné
+dans une embuscade. Un régiment de cavalerie wurtembergeois
+a pris les troupes sorties en flanc, leur a tué une cinquantaine
+d'hommes et fait soixante prisonniers.</p>
+
+<p>Cet hiver a été en Pologne comme il paraît qu'il a été à
+Paris, c'est à dire variable. Il gèle et dégèle tour-à-tour. Cependant
+nous sommes assez heureux pour n'avoir pas de malades.
+Tous les rapports disent que l'armée russe en a au contraire
+beaucoup. L'armée continue à être tranquille dans ses
+cantonnemens.</p>
+
+<p>Les places formant tête de pont de Sierock, Modlin, Praga,
+Marienbourg, et Marienwerder, prennent tous les jours un
+nouvel accroissement de forces. Les manutentions et les magasins
+sont organisés, et s'approvisionnent sur tous les points
+de l'armée. On a trouvé à Elbing trois cent mille bouteilles
+de vin de Bordeaux; et quoiqu'il coûtât quatre francs la bouteille,
+l'empereur l'a fait distribuer à l'armée, en en faisant
+payer le prix aux marchands.</p>
+
+<p>L'empereur a envoyé le prince de Borghèse à Varsovie
+avec une mission.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Osterode, le 39 mars 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Soixante-huitième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le 17 mars à trois heures du matin, le général de brigade
+Lefèvre, aide-de-camp du prince Jérôme, se trouvant avec
+trois escadrons de chevaux-légers et le régiment d'infanterie
+légère le Taxis, passa auprès de Glatz pour se rendre à Wunchelsbourg.
+Quinze cents hommes sortirent de la place avec
+deux pièces de canon. Le lieutenant-colonel Gerard les chargea
+aussitôt et les rejeta dans Glatz, après leur avoir pris
+cent soldats, plusieurs officiers et leurs deux pièces de canon.
+Le maréchal Masséna s'est porté de Willemberg sur Ortelsbourg;
+il y a fait entrer la division de dragons Becker, et l'a
+renforcée d'un détachement de Polonais à cheval. Il y avait à
+Ortelsbourg quelques cosaques; plusieurs charges ont eu
+lieu, et l'ennemi a perdu vingt hommes.</p>
+
+<p>Le général Becker, en venant reprendre sa position à Willemberg,
+a été chargé par deux mille cosaques; on leur avait
+tendu une embuscade d'infanterie, dans laquelle ils ont
+donné. Ils ont perdu deux cents hommes.</p>
+
+<p>Le 26, à cinq heures du matin, la garnison de Dantzick a
+fait une sortie générale qui lui a été funeste. Elle a été repoussée
+partout. Un colonel, nommé Gracow, qui a fait le métier
+de partisan, a été pris avec quatre cents hommes et deux
+pièces de canon, dans une charge du dix-neuvième de chasseurs.
+La légion polonaise du Nord s'est fort bien comportée;
+deux bataillons saxons se sont distingués.</p>
+
+<p>Du reste, il n'y a rien de nouveau; les lacs sont encore
+gelés; on commence cependant à s'apercevoir de l'approche
+du printemps.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Finckenstein, le 4 avril 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Soixante-neuvième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Les gendarmes d'ordonnance sont arrivés à Marienwerder.
+Le maréchal Bessières est parti pour aller en passer la revue.
+Ils se sont très-bien comportés et ont montré beaucoup de
+bravoure dans les différentes affaires qu'ils ont eues.</p>
+
+<p>Le général Teulié, qui jusqu'à présent avait conduit le
+blocus de Colberg, a fait preuve de beaucoup d'activité et de
+talent. Le général de division Loison vient de prendre le
+commandement du siège de cette place.</p>
+
+<p>Le 19 mars, les redoutes de Selnow ont été attaquées et
+emportées par le premier régiment d'infanterie légère italienne.
+La garnison a fait une sortie. La compagnie de carabiniers
+du premier régiment léger et une compagnie de dragons
+l'ont repoussée.</p>
+
+<p>Les voltigeurs du dix-neuvième régiment de ligne se sont
+distingués à l'attaque du village d'Allstadt. L'ennemi a perdu
+dans ces affaires trois pièces de canon et deux cents hommes
+faits prisonniers.</p>
+
+<p>Le maréchal Lefebvre commande le siège de Dantzick. Le
+général Lariboissière a le commandement de l'artillerie. Le
+corps de l'artillerie justifie, dans toutes les circonstances, la
+réputation de supériorité qu'il a si bien acquise. Les canonniers
+français méritent, à juste raison, le litre d'hommes d'élite.
+On est satisfait de la manière de servir des bataillons du
+train.</p>
+
+<p>L'empereur a reçu à Finckenstein une députation de la
+chambre de Marienwerder; composée de MM. le comte de
+Groeben, le conseiller baron de Schleinitz et le comte de
+Dohna, directeur de la chambre. Cette députation a fait à
+S. M. le tableau des maux que la guerre a attirés sur les habitans.
+L'empereur lui a fait connaître qu'il en était touché,
+et qu'il les exemptait, ainsi que la ville d'Elbing, des contributions
+extraordinaires. Il a dit qu'il y avait des malheurs
+inévitables pour le théâtre de la guerre, qu'il y prenait part,
+et qu'il ferait tout ce qui dépendrait de lui pour les alléger.</p>
+
+<p>On croit que S. M. partira aujourd'hui pour faire une
+tournée à Marienwerder et à Elbing.</p>
+
+<p>La seconde division bavaroise est arrivée à Varsovie.</p>
+
+<p>Le prince royal de Bavière est allé prendre à Pultusk le
+commandement de la première division.</p>
+
+<p>Le prince héréditaire de Bade est allé se mettre à la tête
+de son corps de troupes à Dantzick. Le contingent de Saxe-Weymar
+est arrivé sur la Warta.</p>
+
+<p>Il n'a pas été tiré aux avant-postes de l'armée un coup de
+fusil depuis quinze jours.</p>
+
+<p>La chaleur du soleil commence à se faire sentir; mais elle
+ne parvient point à amollir la terre. Tout est encore gelé: le
+printemps est tardif dans ces climats.</p>
+
+<p>Des courriers de Constantinople et de Perse arrivent fréquemment
+au quartier-général.</p>
+
+<p>La santé de l'empereur ne cesse pas d'être excellente. On
+remarque même qu'elle est meilleure qu'elle n'a jamais été.
+Il y a des jours où S. M. fait quarante lieues à cheval.</p>
+
+<p>On avait cru, la semaine dernière, à Varsovie, que l'empereur
+y était arrivé à dix heures du soir. La ville entière fut
+aussitôt et spontanément illuminée.</p>
+
+<p>Les places de Praga, Sierock, Modlin, Thorn et Marienbourg
+commencent à être en état de défense; celle de Marienwerder
+est tracée. Toutes ces places forment des têtes de pont
+sur la Vistule.</p>
+
+<p>L'empereur se loue de l'activité du maréchal Kellermann à
+former des régimens provisoires, dont plusieurs sont arrivés
+à l'armée dans une très-bonne tenue, et ont été incorporés.</p>
+
+<p>S. M. se loue également du général Clarke, gouverneur de
+Berlin, qui montre autant d'activité et de zèle que de talent,
+dans le poste important qui lui est confié.</p>
+
+<p>Le prince Jérôme, commandant des troupes en Silésie,
+fait preuve d'une grande activité, et montre les talens et la
+prudence qui ne sont, d'ordinaire, que les fruits d'une longue
+expérience.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Finckenstein, le 9 avril 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Soixante-dixième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Un parti de quatre cents Prussiens, qui s'était embarqué
+à Koenigsberg, a débarqué dans la presqu'île, vis-à-vis de
+Pilau, et s'est avancé vers le village de Carlsberg. M. Mainguernaud,
+aide-de-camp du maréchal Lefebvre, s'est porté
+sur ce point avec quelques hommes. Il a si habilement manoeuvré,
+qu'il a enlevé les quatre cents Prussiens, parmi lesquels
+il y avait cent vingt hommes de cavalerie.</p>
+
+<p>Plusieurs régimens russes sont entrés par mer dans la ville
+de Dantzick. La garnison a fait différentes sorties. La légion
+polonaise du Nord et le prince Michel Radzivil qui la commande,
+se sont distingués; ils ont fait une quarantaine de prisonniers
+russes. Le siège se continue avec activité. L'artillerie
+de siège commence à arriver.</p>
+
+<p>Il n'y a rien de nouveau sur les différens points de l'armée.</p>
+
+<p>L'empereur est de retour d'une course qu'il a faite a Marienwerder
+et à la tête de pont sur la Vistule. Il a passé en
+revue le douzième régiment d'infanterie légère et les gendarmes
+d'ordonnance.</p>
+
+<p>La terre, les lacs, dont le pays est rempli, et les petites
+rivières commencent à dégeler. Cependant, il n'y a encore
+aucune apparence de végétation.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Finckenstein, le 19 avril 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Soixante-onzième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>La victoire d'Eylau ayant fait échouer tous les projets que
+l'ennemi avait formés contre la Basse-Vistule, nous a mis en
+mesure d'investir Dantzick et de commencer le siège de cette
+place. Mais il a fallu tirer les équipages de siège des forteresses
+de la Silésie et de l'Oder, en traversant une étendue de
+plus de cent lieues dans un pays où il n'y a pas de chemins.
+Ces obstacles ont été surmontés, et les équipages de siège commencent
+à arriver. Cent pièces de canon de gros calibre, venues
+de Stettin, de Custrin, de Glogau et de Breslau, auront
+sous peu de jours leur approvisionnement complet.</p>
+
+<p>Le général prussien Kalkreuth commande la ville de Dantzick.
+Sa garnison est composée de quatorze mille Prussiens et
+six mille Russes. Des inondations et des marais, plusieurs
+rangs de fortifications et le fort de Weischelmunde, ont rendu
+difficile l'investissement de la place.</p>
+
+<p>Le journal du siège de Dantzick fera connaître ses progrès
+à la date du 17 de ce mois. Nos ouvrages sont parvenus à quatre-vingt
+toises de la place; nous avons même plusieurs fois
+insulté et dépalissadé les chemins couverts.</p>
+
+<p>Le maréchal Lefebvre montre l'activité d'un jeune homme.
+Il était parfaitement secondé par le général Savary; mais ce
+général est tombé malade d'une fièvre bilieuse à l'abbaye
+d'Oliva, qui est à peu de distance de la place. Sa maladie a
+été assez grave pour donner pendant quelque temps des
+craintes sur ses jours. Le général de brigade Schramm, le
+général d'artillerie Lariboissière et le général du génie Kirgener
+ont aussi très-bien secondé le maréchal Lefebvre. Le
+général de division du génie Chasseloup vient de se rendre devant
+Dantzick.</p>
+
+<p>Les Saxons, les Polonais, ainsi que les Badois, depuis
+que le prince héréditaire de Bade est à leur tête, rivalisent
+entre eux d'ardeur et de courage.</p>
+
+<p>L'ennemi n'a tenté d'autre moyen de secourir Dantzick que
+d'y faire passer par mer quelques bataillons et quelques provisions.</p>
+
+<p>En Silésie, le prince Jérôme fait suivre très-vivement le
+siége de Neiss.</p>
+
+<p>Depuis que le prince de Pletz a abandonné la partie, l'aide-de-camp
+du roi de Prusse, baron de Kleist, est arrivé à Glatz
+par Vienne, avec le titre de gouverneur-général de la Silésie.
+Un commissaire anglais l'a accompagné, pour surveiller l'emploi
+de 80,000 mille livres sterling, donnés au roi de Prusse
+par l'Angleterre.</p>
+
+<p>Le 13 de ce mois, cet officier est sorti de Glatz avec un
+corps de quatre mille nommes, et est venu attaquer, dans
+la position de Frankenstein, le général de brigade Lefebvre,
+commandant le corps d'observation qui protège le siège de
+Neiss. Cette entreprise n'a eu aucun succès: M. de Kleist a
+été vivement repoussé.</p>
+
+<p>Le prince Jérôme a porté, le 14, son quartier-général à
+Munsterberg.</p>
+
+<p>Le général Loison a pris le commandement du siège de
+Colberg. Les moyens nécessaires pour ses opérations commencent
+à se réunir. Ils ont éprouvé quelques retards, parce
+qu'ils ne devaient pas contrarier la formation des équipages
+de siège de Dantzick.</p>
+
+<p>Le maréchal Mortier, sous la direction duquel se trouve
+le siège de Colberg, s'est porté sur cette place, en laissant en
+Poméranie le général Grandjean avec un corps d'observation,
+et l'ordre de prendre position sur la Peene.</p>
+
+<p>La garnison de Stralsund ayant sur ces entrefaites reçu par
+mer un renfort de quelques régimens, et ayant été informée
+du mouvement fait par le maréchal Mortier, avec une partie
+de son corps d'armée, a débouché en force. Le général Grandjean,
+conformément à ses instructions, a passé la Peene et a
+pris position à Anclam. La nombreuse flottille des Suédois
+leur a donné la facilité de faire des débarquements sur différens
+points et de surprendre un poste hollandais de trente
+hommes, et un poste italien de trente-sept hommes. Le maréchal
+Mortier, instruit de ces mouvemens, s'est porté, le 13,
+sur Stettin, et ayant réuni ses forces, a manoeuvré pour attirer
+les Suédois, dont le corps ne s'élève pas à douze mille
+hommes.</p>
+
+<p>La grande-armée est depuis deux mois stationnaire dans
+ses positions. Ce temps a été employé à renouveler et remonter
+la cavalerie, à réparer l'armement, à former de grands
+magasins de biscuit et d'eau-de-vie, à approvisionner le
+soldat de souliers: chaque homme, indépendamment de la
+paire qu'il porte, en a deux dans le sac.</p>
+
+<p>La Silésie et l'île de Nogat ont fourni aux cuirassiers, aux
+dragons, à la cavalerie légère, de bonnes et nombreuses remontes.</p>
+
+<p>Dans les premiers jours de mai, un corps d'observation
+de cinquante mille hommes, français et espagnols,
+sera réuni sur l'Elbe. Tandis que la Russie a presque toutes
+ses troupes concentrées en Pologne, l'empire français n'y a
+qu'une partie de ses forces; mais telle est la différence de
+puissance réelle des deux états. Les cinq cent mille Russes
+que les gazetiers font marcher tantôt à droite, tantôt à gauche,
+n'existent que dans leurs feuilles et dans l'imagination de
+quelques lecteurs qu'on abuse d'autant plus facilement, qu'on
+leur montre l'immensité du territoire russe, sans parler de
+l'étendue de ses pays incultes et de ses vastes déserts.</p>
+
+<p>La garde de l'empereur de Russie est, à ce qu'on dit;
+arrivée à l'armée; elle reconnaîtra, lors des premiers événemens,
+s'il est vrai, comme l'ont assuré les généraux ennemis,
+que la garde impériale ait été détruite. Cette garde est aujourd'hui
+plus nombreuse qu'elle ne l'a jamais été, et presque
+double de ce qu'elle était à Austerlitz.</p>
+
+<p>Indépendamment du pont qui a été établi sur la Narew,
+on en construit un sur pilotis entre Varsovie et Praga; il est
+déjà fort avancé. L'empereur se propose d'en faire faire trois
+autres sur différens points. Ces ponts sur pilotis sont plus solides
+et d'un meilleur service que les ponts de bateaux. Quelque
+grands travaux qu'exigerait ces entreprises sur une rivière
+de quatre cents toises de large, l'intelligence et l'activité
+des officiers qui les dirigent, et l'abondance de bois, en facilitent
+le succès.</p>
+
+<p>M. le prince de Bénévent est toujours à Varsovie, occupé
+à traiter avec les ambassadeurs de la Porte et de l'empereur
+de Perse. Indépendamment des services qu'il rend à S. M.
+dans son ministère, il est fréquemment chargé de commissions
+importantes relativement aux différens besoins de
+l'armée.</p>
+
+<p>Finckenstein, où S. M. s'est établie pour rapprocher son
+quartier-général de ses positions, est un très beau château
+qui a été construit par M. de Finckenstein, gouverneur de
+Frédéric II, et qui appartient maintenant à M. de Dohna,
+grand-maréchal de la cour de Prusse.</p>
+
+<p>Le froid a repris depuis deux jours. Le printemps n'est encore
+annoncé que par le dégel. Les arbustes les plus précoces
+ne donnent aucun signe de végétation.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Finckenstein, le 13 avril 1817.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Soixante-douzième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Les opérations du maréchal Mortier ont réussi comme
+on pouvait le désirer. Les Suédois ont eu l'imprudence de
+passer la Peene, de déboucher sur Anklam et Demmin, et de
+se porter sur Passewalk. Le 16, avant le jour, le maréchal
+Mortier réunit ses troupes, déboucha de Passewalk sur la
+route d'Anklam, culbuta les positions de Belling et de Ferdinandshoff,
+fit quatre cents prisonniers, prit deux pièces
+de canon, entra pêle-mêle avec l'ennemi dans Anklam, et
+s'empara de son pont sur la Peene.</p>
+
+<p>La colonne du général suédois Cardell a été coupée. Elle
+était à Uckermünde, lorsque nous étions déjà à Anklam. Le
+général en chef d'Armfeld a été blessé d'un coup de mitraille;
+tous les magasins de l'ennemi ont été pris.</p>
+
+<p>La colonne coupée du général Cardell a été attaquée le 17
+à Uckermünde, par le général de brigade Veau. Elle a perdu
+trois pièces de canon et cinq cents prisonniers; le reste s'est
+embarqué sur des chaloupes canonnières sur le Haff. Deux
+autres pièces de canon et cent hommes ont été pris du côté
+de Demmin.</p>
+
+<p>Le baron d'Essen qui se trouve commander l'armée suédoise
+en l'absence du général d'Armfeld, a proposé une trêve
+au général Mortier, en lui faisant connaître qu'il avait l'autorisation
+spéciale du roi pour sa conclusion. La paix et même
+une trêve accordée à la Suède remplirait les plus chers désirs
+de l'empereur, qui a toujours éprouvé une véritable douleur
+de faire la guerre à une nation généreuse, brave, géographiquement
+et historiquement amie de la France. Et dans le fait,
+le sang suédois doit-il être versé pour la défense de l'empire
+Ottoman ou pour sa ruine! Doit-il être versé pour maintenir
+l'équilibre des mers ou pour leur-asservissement? Qu'a à
+craindre la Suède de la France? Rien. Qu'a-t-elle à craindre
+de la Russie? Tout. Ces raisons sont trop solides pour que,
+dans un cabinet aussi éclairé, et chez une nation qui a des
+lumières et de l'opinion, la guerre actuelle n'ait promptement
+un terme. Immédiatement après la bataille d'Iéna, l'empereur
+fit connaître le désir qu'il avait de rétablir les anciennes
+relations de la Suède avec la France. Ces premières ouvertures
+furent faites au ministre de Suède à Hambourg; mais elles
+furent repoussées. L'instruction de l'empereur à ses généraux
+a toujours été de traiter les Suédois comme des amis avec lesquels
+la nature des choses ne tardera pas à nous remettre en
+paix. Ce sont-là les plus chers intérêts des deux peuples.
+«S'ils nous faisaient du mal, ils le pleureraient un jour; et
+nous, nous voudrions réparer le mal que nous leur aurions
+fait. L'intérêt de l'état l'emporte tôt ou tard sur les brouilleries
+et sur les petites passions.» Ce sont les propres termes
+des ordres de l'empereur. C'est dans ce sentiment que l'empereur
+a contremandé les opérations du siège de Stralsund,
+en a fait revenir les mortiers et les pièces qu'on y avait envoyés
+de Stettin. Il écrivait dans ces ternies au général Mortier:
+«Je regrette déjà ce qui s'est fait. Je suis fâché que le
+beau faubourg de Stralsund ait été brûlé. Est-ce à nous à faire
+du mal à la Suède? Ceci n'est qu'un rêve: c'est à nous à la
+défendre, et non à lui faire du mal. Faites-lui en le moins
+que vous pourrez; proposez au gouverneur de Stralsund un
+armistice, une suspension d'armes, afin d'alléger et de rendre
+moins funeste une guerre que je regarde comme criminelle,
+parce qu'elle est impolitique.»</p>
+
+<p>Une suspension d'armes a été signée le 18, entre le maréchal
+Mortier et le baron d'Essen.</p>
+
+<p>Le siège de Dantzick se continue.</p>
+
+<p>Le 16 avril, à huit heures du soir, un détachement de deux
+mille hommes, et six pièces de canon de la garnison de Glatz,
+marcha sur la droite de la position de Frankenstein; le lendemain,
+17, à la pointe du jour, une nouvelle colonne de
+huit cents hommes sortit de Silberberg. Ces troupes réunies
+marchèrent sur Frankenstein et commencèrent l'attaque à
+cinq heures du matin pour en déloger le général Lefebvre,
+qui était là avec son corps d'observation.</p>
+
+<p>Le prince Jérôme partit de Munsterberg au premier coup
+de canon, et arriva à dix heures du matin a Frankenstein.
+L'ennemi a été complètement battu et poursuivi jusque sur
+les chemins couverts de Glatz. On lui a fait six cents prisonniers
+et pris trois pièces de canon. Parmi les prisonniers, se
+trouvent un major et huit officiers; trois cents morts sont
+restés sur le champ de bataille: quatre cents hommes s'étant
+perdus dans les bois, furent attaqués à onze heures du matin,
+et pris. Le colonel Beckers, commandant le sixième régiment
+de ligne bavarois, et le colonel Scharfenstein, des troupes de
+Wurtemberg, ont fait des prodiges de valeur. Le premier,
+quoique blessé à l'épaule, ne voulut point quitter le champ
+de bataille; il se portait partout avec son bataillon, et partout
+faisait des prodiges.</p>
+
+<p>L'empereur a accordé à chacun de ces officiers l'aigle de la
+légion-d'honneur. Le capitaine Brockfeld, commandant provisoirement
+les chasseurs à cheval de Wurtemberg, s'est fait
+remarquer. C'est lui qui a pris les pièces de canon.</p>
+
+<p>Le siège de Neiss avance. La ville est déjà à demi-brûlée,
+et les tranchées approchent de la place.</p>
+
+<p>De noire camp impérial de Finckenstein, lo 5 mai 1807.</p>
+
+<p><i>Lettre de S. M. à son ministre des cultes, sur la mort de
+M. Meyneau-Pancemont, évêque de Vannes.</i></p>
+
+<p>Monsieur Portalis, nous avons appris avec une profonde
+douleur la mort de notre bien-aimé évêque de Vannes, Meyneau-Pancemont.
+A la lecture de votre lettre, les vertus qui
+distinguent ce digne prélat, les services qu'il a rendus à notre
+sainte religion, à notre couronne, à nos peuples, la situation
+des églises et des consciences dans le Morbihan, au moment
+où it arriva à l'épiscopat; tout ce que nous devons à son zèle,
+à ses lumières, à cette charité évangélique qui dirigeait toutes
+ses actions; tous ces souvenirs se sont présentés à la fois à
+notre esprit. Nous voulons que vous fassiez placer sa statue
+en marbre dans la cathédrale de Vannes: elle excitera ses successeurs
+à suivre l'exemple qu'il leur a tracé; elle fera connaître
+tout le cas que nous faisons des vertus évangéliques
+d'un véritable évêque, et couvrira de confusion ces faux pasteurs
+qui ont vendu leur foi aux ennemis éternels de la France
+et de la religion catholique, apostolique et romaine, dont
+toutes les paroles appellent l'anarchie, la guerre, le désordre
+et la rébellion. Enfin, elle sera pour nos peuples du Morbihan
+une nouvelle preuve de l'intérêt que nous prenons à leur
+bonheur. De toutes les parties de notre empire, c'est une de
+celles qui sont le plus souvent présentes à notre pensée, parce
+que c'est une de celles qui ont le plus souffert des malheurs des
+temps passés. Nous regrettons de n'avoir pu encore la visiter;
+mais un de nos premiers voyages que nous ferons à notre retour
+dans nos états, ce sera de voir par nos propres yeux
+cette partie si intéressante de nos peuples. Cette lettre n'étant
+pas à autre fin, nous prions Dieu qu'il vous ait en sa sainte
+garde.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Elbing, le 8 mai 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Soixante-treizième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>L'ambassadeur persan a reçu son audience de congé. Il a
+apporté de très-beaux présens h l'empereur de la part de son
+maître, et a reçu en échange le portrait de l'empereur, enrichi
+de très-belles pierreries. Il retourne en Perse directement:
+c'est un personnage très-considérable dans son pays, et un
+homme d'esprit et de beaucoup de sagacité; son retour dans
+sa patrie était nécessaire. Il a été réglé qu'il y aurait désormais
+une légation nombreuse de Persans à Paris, et de Français
+à Téhéran.</p>
+
+<p>L'empereur s'est rendu à Elbing, et a passé la revue de
+dix-huit à vingt mille hommes de cavalerie, cantonnés dans
+les environs de cette ville et dans l'île de Nogat, pays qui
+ressemble beaucoup à la Hollande. Le grand-duc de Berg a
+commandé la manoeuvre. A aucune époque, l'empereur n'avait
+vu sa cavalerie en meilleur état et mieux disposée.</p>
+
+<p>Le journal du siége de Dantzick fera connaître qu'on s'est
+logé dans le chemin couvert, que les feux de la place sont
+éteints, et donnera les détails de la belle opération qu'a dirigée
+le général Drouet, et qui a été exécutée par le colonel
+Aimé, le chef de bataillon Arnault, du deuxième léger, et
+le capitaine Avy. Cette opération a mis en notre pouvoir une
+île que défendaient mille Russes, et cinq redoutes garnies
+d'artillerie, et qui est très-importante pour le siége, puisqu'elle
+prend de revers la position que l'on attaque. Les
+Russes ont été surpris dans leurs corps-de-garde: quatre cents
+ont été égorgés à la baïonnette, sans avoir le temps de se défendre,
+et six cents ont été faits prisonniers. Cette expédition
+qui a eu lieu dans la nuit du 6 au 7, a été faite en grande
+partie par les troupes de Paris, qui se sont couvertes de
+gloire.</p>
+
+<p>Le temps devient plus doux, les chemins sont excellens,
+les bourgeons paraissent sur les arbres, l'herbe commence à
+couvrir les campagnes; mais il faut encore un mois pour que
+la cavalerie puisse trouver à vivre.</p>
+
+<p>L'empereur a établi à Magdebourg, sous les ordres du
+maréchal Brune, un corps d'observation qui sera composé
+de près de quatre-vingt mille hommes, moitié Français,
+et l'autre moitié Hollandais et confédérés du Rhin; les troupes
+hollandaises sont au nombre de vingt mille hommes.</p>
+
+<p>Les divisions françaises Molitor et Boudet, qui font aussi
+partie de ce corps d'observation, arrivent le 15 mai a Magdebourg.
+Ainsi on est en mesure de recevoir l'expédition anglaise
+sur quelque point qu'elle se présente. S'il est certain
+qu'elle débarquera, il ne l'est pas qu'elle puisse se rembarquer.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Finckenstein, le 16 mai 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Soixante-quatorzième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le prince Jérôme ayant reconnu que trois ouvrages avancés
+de Neiss, qui étaient le long de la Biélau, gênaient
+les opérations du siége, a ordonné au général Vandamme de
+les enlever. Ce général à la tête des troupes wurtembergeoises,
+a emporté ces ouvrages dans la nuit du 30 avril au premier
+mai, a passé au fil de l'épée les troupes ennemies qui les défendaient,
+a fait cent vingt prisonniers et, pris neuf pièces
+de canon. Les capitaines du génie Depouthou et Prost,
+le premier, officier d'ordonnance de l'empereur, ont marché
+à la tête des colonnes, et ont fait preuve de grande bravoure.
+Les lieutenans Hohendorff, Bawer et Mulher, se sont particulièrement
+distingués.</p>
+
+<p>Le 2 mai, le lieutenant-général Camrer a pris le commandement
+de la division wurtembergeoise.</p>
+
+<p>Depuis l'arrivée de l'empereur Alexandre à l'armée, il paraît
+qu'un grand conseil de guerre a été tenu à Bartenstein,
+auquel ont assisté le roi de Prusse et le grand-duc Constantin;
+que les dangers que courait Dantzick ont été l'objet des délibérations
+de ce conseil; que l'on a reconnu que Dantzick ne
+pouvait être sauvé que de deux manières: la première en attaquant
+l'armée française, en passant la Passarge, en courant
+la chance d'une bataille générale, dont l'issue, si l'on avait
+du succès, serait d'obliger l'armée française à découvrir Dantzick;
+l'autre en secourant la place par mer. La première opération
+paraît n'avoir pas été jugée praticable, sans s'exposer à
+une ruine et à une défaite totale; et on s'est arrêté au plan
+de secourir Dantzick par mer.</p>
+
+<p>En conséquence, le lieutenant-général Kaminski, fils du
+feld-maréchal de ce nom, avec deux divisions russes, formant
+douze régimens, et plusieurs régimens prussiens, ont
+été embarqués à Pilau. Le 13, soixante-six bâtimens de transport,
+escortés par trois frégates, ont débarqué les troupes à
+l'embouchure de la Vistule, au port de Dantzick, sous la
+protection du fort de Weischelmunde.</p>
+
+<p>L'empereur donna sur le champ l'ordre au maréchal Lannes,
+commandant le corps de réserve de la grande-armée, de se
+porter à Marienbourg, où était son quartier-général, avec
+la division du général Oudinot, pour renforcer l'armée du maréchal
+Lefebvre. Il arriva en une marche, dans le même
+temps que l'armée ennemie débarquait. Le 13 et le 14, l'ennemi
+fît des préparatifs d'attaque; il était séparé de la ville
+par une espace de moins d'une lieue, mais occupé par les
+troupes françaises. Le 15, il déboucha du fort sur trois colonnes;
+il projetait de déboucher par la droite de la Vistule.
+Le général de brigade Schramm, qui était aux avant-postes
+avec le deuxième régiment d'infanterie légère, et un bataillon
+de Saxons et de Polonais, reçut les premiers feux de l'ennemi,
+et le contint à portée de canon de Weischelmunde.</p>
+
+<p>Le maréchal Lefebvre s'était porté au pont situé au bas de
+la Vistule, avait fait passer le douzième d'infanterie légère et
+des Saxons, pour soutenir le général Schramm. Le général
+Gardanne, chargé de la défense de la droite de la Vistule,
+y avait également appuyé le reste de ses forces. L'ennemi se
+trouvait supérieur et le combat se soutenait avec une égale
+opiniâtreté. Le maréchal Lannes, avec la réserve d'Oudinot,
+était placé sur la gauche de la Vistule, par où il paraissait la
+veille que l'ennemi devait déboucher; mais voyant les mouvemens
+de l'ennemi démasqués, le maréchal Lannes passa la
+Vistule, avec quatre bataillons de la réserve d'Oudinot.
+Toute la ligne et la réserve de l'ennemi furent mises en déroute
+et poursuivies jusqu'aux palissades, et à neuf heures
+du matin l'ennemi était bloqué dans le fort de Weischelmunde.
+Le champ de bataille était couvert de morts. Notre perte se
+monte à vingt-cinq hommes tués et deux cents blessés. Celle
+de l'ennemi est de neuf cents hommes tués, quinze cents
+blessés et deux cents prisonniers. Le soir on distinguait un
+grand nombre de blessés, qu'on embarquait sur les bâtimens
+qui, successivement, ont pris le large pour retourner à Koenigsberg.
+Pendant cette action, la place n'a fait aucune sortie,
+et s'est contentée de soutenir les Russes par une vive
+canonnade. Du haut de ses remparts délabrés et à demi démolis,
+l'ennemi a été témoin de toute l'affaire. Il a été consterné
+de voir s'évanouir l'espérance qu'il avait d'être secouru.
+Le général Oudinot a tué de sa propre main trois Russes.
+Plusieurs de ses officiers d'état-major ont été blessés. Le douzième
+et le deuxième régimens d'infanterie légère se sont distingués.
+Les détails de ce combat n'étaient pas encore arrivés
+à l'état-major.</p>
+
+<p>Le journal du siège de Dantzick fera connaître que les travaux
+se poursuivent avec une égaie activité, que le chemin
+couvert est couronné, et que l'on s'occupe des préparatifs du
+passage du fossé.</p>
+
+<p>Dès que l'ennemi sut que son expédition maritime était
+arrivée devant Dantzick, ses troupes légères observèrent et
+inquiétèrent toute la ligne, depuis la position qu'occupe le
+maréchal Soult le long de la Passarge, devant la division du
+général Morand, sur l'Alle. Elles furent reçues à bout portant
+par les voltigeurs, perdirent un bon nombre d'hommes,
+et se retirèrent plus vite qu'elles n'étaient venues.</p>
+
+<p>Les Russes se présentèrent aussi à Malga, devant le général
+Zayonchek, commandant le corps d'observation polonais,
+et enlevèrent un poste de Polonais. Le général de brigade
+Fischer marcha à eux, les culbuta, leur tua une soixantaine
+d'hommes, un colonel et deux capitaines. Ils se présentèrent
+également devant le cinquième corps, insultèrent les avant-postes
+du général Gazan à Willenberg; ce général les poursuivit
+pendant plusieurs lieues. Ils attaquèrent plus sérieusement
+la tête du pont de l'Omulew de Drenzewo. Le général
+de brigade Girard marcha à eux avec le quatre-vingt-huitième
+et les culbuta dans la Narew. Le général de division
+Suchet arriva, poussa les Russes l'épée dans les reins, les culbuta
+dans Ostrolenka, leur tua une soixantaine d'hommes,
+et leur prit cinquante chevaux. Le capitaine du soixante-quatrième
+Laurin, qui commandait une grand'garde, cerné de
+tous côtés par les Cosaques, fît la meilleure contenance, et
+mérita d'être distingué. Le maréchal Masséna, qui était monté
+à cheval avec une brigade de troupes bavaroises, eut lieu d'être
+satisfait du zèle et de la bonne contenance de ces troupes.</p>
+
+<p>Le même jour 13, l'ennemi attaqua le général Lemarrois,
+à l'embouchure du Bug. Ce général avait passé cette rivière
+le 10 avec une brigade bavaroise et un régiment polonais,
+avait fait construire en trois jours des ouvrages de tête de
+pont, et s'était porté sur Wiskowo, dans l'intention de brûler
+les radeaux auxquels l'ennemi faisait travailler depuis six semaines.
+Son expédition a parfaitement réussi, tout a été détruit;
+et dans un moment, ce ridicule ouvrage de six semaines
+fut anéanti.</p>
+
+<p>Le 13, à neuf heures du matin, six mille Russes, arrivés
+de Nur, attaquèrent le général Lemarrois dans son camp retranché.
+Ils furent reçus par la fusillade et la mitraille; trois
+cents Russes restèrent sur le champ de bataille: et quand le
+général Lemarrois vit l'ennemi, qui était arrivé sur les bords
+du fossé, repoussé, il fit une sortie et le poursuivit l'épée
+dans les reins. Le colonel du quatrième de ligne bavarois,
+brave militaire, a été tué. Il est généralement regretté. Les
+Bavarois ont perdu vingt hommes, et ont eu une soixantaine
+de blessés.</p>
+
+<p>Toute l'armée est campée par divisions en bataillons carrés,
+dans des positions saines.</p>
+
+<p>Ces événemens d'avant-postes n'ont occasionné aucun mouvement
+dans l'armée. Tout est tranquille au quartier-général.</p>
+
+<p>Cette attaque générale de nos avant-postes, dans la journée
+du 13, paraît avoir eu pour but d'occuper l'armée
+française, pour l'empêcher de renforcer l'armée qui assiège
+Dantzick.</p>
+
+<p>Cette espérance de secourir Dantzick par une expédition
+maritime paraîtra fort extraordinaire à tout militaire sensé,
+et qui connaîtra le terrain et la position qu'occupé l'armée
+française.</p>
+
+<p>Les feuilles commencent à pousser. La saison est comme
+au mois d'avril en France.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Finckenstein, le 18 mai 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Soixante-quinzième bulletin de la grande-armée.</i></p>
+
+<p>Voici de nouveaux détails sur la journée du 15. Le maréchal
+Lefebvre fait une mention, particulière du général
+Schramm, auquel il attribue en grande partie le succès du
+combat de Weischelmunde.</p>
+
+<p>Le 15, depuis deux heures du matin, le général Schramm
+était en bataille, couvert par deux redoutes construites vis-à-vis
+le fort de Weischelmunde. Il avait les Polonais à sa
+gauche, les Saxons au centre, le deuxième régiment d'infanterie
+légère à sa droite, et le régiment de Paris en réserve.
+Le lieutenant-général russe Kaminski déboucha du fort à la
+pointe du jour, et après deux heures de combat, l'arrivée
+du douzième d'infanterie légère, que le maréchal Lefebvre
+expédia de la rive gauche, et un bataillon saxon, décidèrent
+l'affaire. De la brigade Oudinot, un seul bataillon put donner.
+Notre perte a été peu considérable. Un colonel polonais,
+M. Paris, a été tué. La perte de l'ennemi est plus forte qu'on
+ne pensait. On a enterré plus de neuf cents cadavres russes.
+On ne peut pas évaluer la perte de l'ennemi à moins de deux
+mille cinq cents hommes. Aussi ne bouge-t-il plus, et parait-t-il
+très-circonspect derrière l'enceinte de ses fortifications.
+Le nombre de bateaux chargés de blessés qui ont mis
+à la voile, est de quatorze.</p>
+
+<p>Dans la journée du 14, une division de cinq mille hommes
+prussiens et russes, mais en majorité prussiens, partie de Koenigsberg,
+débarqua à Pilau, longea la langue de terre dite le
+Nehrung, et arriva à Havelberg devant nos premiers postes
+de grand'garde de cavalerie légère, qui se replièrent jusqu'à
+Furtenswerder.</p>
+
+<p>L'ennemi s'avança jusqu'à l'extrémité du Frich-Haff. On
+s'attendait à le voir pénétrer par là sur Dantzick. Un pont jeté
+sur la Vistule à Furtenswerder facilitait le passage à l'infanterie
+cantonnée dans l'île de Nogat pour filer sur les derrières
+de l'ennemi. Mais les Prussiens furent plus avisés, et n'osèrent
+pas s'aventurer. L'empereur donna ordre au général Beaumont,
+aide de camp du grand-duc de Berg, de les attaquer.
+Le 16, à deux heures du malin, ce général déboucha, avec
+le général de brigade Albert, à la tête de deux bataillons de
+grenadiers de la réserve, le troisième et le onzième régimens
+de chasseurs et une brigade de dragons. Il rencontra l'ennemi
+entre Passenwerder et Stege, à la petite pointe du jour, l'attaqua,
+le culbuta et le poursuivit l'épée dans les reins pendant
+onze lieues, lui prit onze cents hommes, lui en tua un
+grand nombre, et lui enleva quatre pièces de canon. Le général
+Albert s'est parfaitement comporté; les majors Chemineau
+et Salmon se sont distingués. Le troisième et le onzième
+régimens de chasseurs ont donné avec la plus grande intrépidité.
+Nous avons eu un capitaine du troisième régiment de
+chasseurs et cinq ou six hommes tués, et huit ou dix blessés.
+Deux bricks ennemis qui naviguaient sur le Haff, sont venus
+nous harceler. Un obus, qui a éclaté sur le pont de l'un
+d'eux, les a fait virer de bord.</p>
+
+<p>Ainsi, depuis le 12, sur les différens points, l'ennemi a
+fait des pertes notables.</p>
+
+<p>L'empereur a fait manoeuvrer, dans la journée du 17, les
+fusiliers de la garde, qui sont campés près du château de Finckenstein
+dans d'aussi belles baraques qu'à Boulogne.</p>
+
+<p>Dans les journées des 18 et 19, toute la garde va également
+camper au même endroit.</p>
+
+<p>En Silésie, le prince Jérôme est campé avec son corps
+d'observation à Frankenstein, protégeant le siège de Neiss.</p>
+
+<p>Le 12, ce prince apprit qu'une colonne de trois mille hommes
+était sortie de Glatz pour surprendre Breslau. Il fit partir le
+général Lefebvre avec le premier régiment de ligne bavarois,
+excellent régiment, cent chevaux et trois cents Saxons. Le
+général Lefebvre atteignit la queue de l'ennemi le 14, à quatre
+heures du matin, au village de Cauth; il l'attaqua aussitôt,
+enleva le village à la baïonnette, et fit cent cinquante prisonniers;
+cent chevau-légers du roi de Bavière taillèrent en pièces
+la cavalerie ennemie, forte de cinq cents hommes, et la dispersèrent.
+Cependant l'ennemi se plaça en bataille et fit résistance.
+Les trois cents Saxons lâchèrent pied, conduite extraordinaire
+qui doit être le résultat de quelque malveillance; car les
+troupes saxonnes, depuis qu'elles sont réunies aux troupes
+françaises; se sont toujours bravement comportées. Cette défection
+inattendue mit le premier régiment de ligne bavarois
+dans une situation critique. Il perdit cent cinquante hommes
+gui furent faits prisonniers et dut battre en retraite, ce qu'il fit
+cependant en ordre. L'ennemi reprit le village de Cauth. A
+onze heures du matin, le général Dumuy, qui était sorti de
+Breslau à la tête d'un millier de Français, dragons, chasseurs
+et hussards à pied, qui avaient été envoyés en Silésie pour
+être montés, et dont une partie l'était déjà, attaqua l'ennemi
+en queue: cent cinquante hussards à pied enlevèrent le village
+de Cauht à la baïonnette, firent cent prisonniers, et reprirent
+tous les Bavarois qui avaient été faits prisonniers.</p>
+
+<p>L'ennemi, pour rentrer avec plus de facilité dans Glatz,
+s'était séparé en deux colonnes. Le général Lefebvre, qui
+était parti de Schweidnitz le 15, tomba sur une de ces colonnes,
+lui tua cent hommes et lui fit quatre cents prisonniers,
+parmi lesquels trente officiers.</p>
+
+<p>Un régiment de lanciers polonais, arrivé la veille à Frankenstein,
+et dont le prince Jérôme avait envoyé un détachement
+au général Lefebvre, s'est distingué.</p>
+
+<p>La seconde colonne de l'ennemi avait cherché à gagner
+Glatz par Siberberg; le lieutenant-colonel Ducoudras, aide-de-camp
+du prince, la rencontra et la mit en déroute. Ainsi
+cette colonne de trois à quatre mille hommes, qui était sortie
+de Glatz, ne put y rentrer. Elle a été toute entière prise,
+tuée ou éparpillée.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Finckenstein, le 30 mai 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Soixante-seizième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Une belle corvette anglaise doublée en cuivre, de vingt-quatre
+canons, montée par cent vingt Anglais, et chargée de
+poudre et de boulets, s'est présentée pour entrer dans la ville
+de Dantzick. Arrivée à la hauteur de nos ouvrages, elle a été
+assaillie par une vive fusillade des deux rives, et obligée d'amener.
+Un piquet du régiment de Paris a sauté le premier à
+bord. Un aide-de-camp du général Kalkreuth, qui revenait
+du quartier-général russe, plusieurs officiers anglais ont été
+pris à bord.</p>
+
+<p>Cette corvette s'appelle <i>le Sans-Peur</i>.</p>
+
+<p>Indépendamment de cent vingt Anglais, il y avait soixante
+Russes sur ce bâtiment.</p>
+
+<p>La perte de l'ennemi au combat de Weischelmunde du
+15, a été plus forte qu'on ne l'avait d'abord pensé, une colonne
+russe qui avait longé la mer, ayant été passée au fil de
+la baïonnette. Compte fait, on a enterré treize cents cadavres
+russes.</p>
+
+<p>Le 16, une division de sept mille Russes, commandée par
+le général Turkow, s'est portée de Broc sur le Bug, sur Pultusk,
+pour s'opposer à de nouveaux travaux qui avaient été
+ordonnés pour rendre plus respectable la tête de pont.</p>
+
+<p>Ces ouvrages étaient défendus par six bataillons bavarois,
+commandés par le prince royal de Bavière.</p>
+
+<p>L'ennemi a tenté quatre attaques. Dans toutes, il a été culbuté
+par les Bavarois, et mitraillé par les batteries des différens
+ouvrages.</p>
+
+<p>Le maréchal Masséna évalue la perte de l'ennemi à trois
+cents morts et au double de blessés.</p>
+
+<p>Ce qui rend l'affaire plus belle, c'est que les Bavarois
+étaient moins de quatre mille hommes.</p>
+
+<p>Le prince royal se loue particulièrement du baron de
+Wreden, officier-général au service de Bavière, d'un mérite
+distingué. La perte des Bavarois a été de quinze hommes tués
+et de cent cinquante blessés.</p>
+
+<p>Il y a autant de déraison dans l'attaque faite contre les ouvrages
+du général Lemarrois, dans la journée du 13, et dans
+l'attaque du 16 sur Pultusk, qu'il y en avait il y a six semaines,
+dans la construction de ce grand nombre de radeaux
+auxquels l'ennemi faisait travailler sur le Bug.</p>
+
+<p>Le résultat a été que ces radeaux, qui avaient coûté six semaines
+de travail, ont été brûlés en deux heures, quand on
+l'a voulu, et que ces attaques successives contre des ouvrages
+bien retranchés et soutenus de bonnes batteries, leur ont valu
+des pertes considérables sans espoir de profit.</p>
+
+<p>Il paraîtrait que ces opérations ont pour but d'attirer l'attention
+de l'armée française sur sa droite, mais les positions
+de l'armée française sont raisonnées sur toutes les bases et dans
+toutes les hypothèses, défensives comme offensives.</p>
+
+<p>Pendant ce temps, l'intéressant siège de Dantzick continue
+à marcher. L'ennemi éprouvera un notable dommage en perdant
+cette place importante et les vingt mille hommes qui y
+sont renfermés.</p>
+
+<p>Une mine a joué sur le Blockhausen et l'a fait sauter. On
+a débouché, sur le chemin couvert, par quatre amorces, et
+on exécute la descente du fossé.</p>
+
+<p>L'empereur a passé aujourd'hui l'inspection du cinquième
+régiment provisoire. Les huit premiers ont subi leur incorporation.</p>
+
+<p>On se loue beaucoup dans ces régimens des nouveaux conscrits
+génois, qui montrent de la bonne volonté et de l'ardeur.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Finckenstein, le 28 mai 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Soixante-dix-septième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Dantzick a capitulé. Cette belle place est en notre pouvoir.
+Huit cents pièces d'artillerie, des magasins de toute espèce,
+plus de cinq cents mille quintaux de grains, des caves considérables,
+de grands approvisionnemens de draps et d'épiceries,
+des ressources de toute espèce pour l'armée, et enfin une
+place forte du premier ordre appuyant notre gauche, comme
+Thorn appuie notre centre et Prag notre droite; tels sont les
+avantages obtenus pendant l'hiver et qui ont signalé les loisirs
+de la grande armée: c'est le premier, le plus beau fruit
+de la victoire d'Eylau. La rigueur de la saison, la neige qui
+a couvert nos tranchées, la gelée qui y a ajouté de nouvelles
+difficultés, n'ont pas été des obstacles pour nos travaux. Le
+maréchal Lefebvre a tout bravé; il a animé d'un même esprit
+les Saxons, les Polonais, les Badois, et les à fait marcher à
+son but. Les difficultés que l'artillerie a eues à vaincre étaient
+considérables. Cent bouches à feu, cinq à six cent milliers de
+poudre, une immense quantité de boulets ont été tirés de
+Stettin et des places de la Silésie. Il a fallu vaincre bien des
+difficultés de transport, mais la Vistule a offert un moyen
+facile et prompt. Les marins de la garde ont fait passer les
+bateaux sous le fort de Graudentz avec leur habileté et leur
+résolution ordinaires. Le général Chasseloup, le général Kirgener,
+le colonel Lacoste, et en général tous les officiers du
+génie ont servi de la manière la plus distinguée. Les sapeurs
+ont montré une rare intrépidité. Tout le corps d'artillerie
+commandé par le général Lariboissière a soutenu sa réputation.
+Le deuxième régiment d'infanterie légère, le douzième
+et les troupes de Paris, le général Schramm et le général Puthod
+se sont fait remarquer.</p>
+
+<p>Un journal détaillé de ce siége sera rédigé avec soin. Il
+consacrera un grand nombre de faits de bravoure dignes d'être
+offerts comme exemples, et faits pour exciter l'enthousiasme
+et l'admiration.</p>
+
+<p>Le 17, la mine fit sauter un blockhaus de la place d'armes
+du chemin couvert.</p>
+
+<p>Le 19, la descente et le passage du fossé furent exécutés
+à sept heures du soir.</p>
+
+<p>Le 21, le maréchal Lefebvre ayant tout préparé pour l'assaut,
+on y montait lorsque le colonel Lacoste, qui avait été
+envoyé le matin dans la place pour affaires de service, fit
+connaître que le général Kalkreuth demandait à capituler aux
+mêmes conditions qu'il avait autrefois accordées à la garnison
+de Mayence. On y consentit.</p>
+
+<p>Le Hakelsberg aurait été enlevé d'assaut sans une grande
+perte, mais le corps de place était encore entier; un large
+fossé rempli d'eau courante offrait assez de difficultés pour
+que les assiégés prolongeassent leur défense pendant une quinzaine
+de jours. Dans cette situation, il a paru convenable de
+leur accorder une capitulation honorable.</p>
+
+<p>Le 27, la garnison a défilé, le général Kalkreuth à sa tête.</p>
+
+<p>Cette forte garnison, qui d'abord était de seize mille hommes,
+est réduite à neuf mille, et sur ce nombre, quatre mille
+ont déserté. Il y a même des officiers parmi les déserteurs.
+«Nous ne voulons pas, disent-ils, aller en Sibérie.» Plusieurs
+milliers de chevaux nous ont été remis; mais ils sont en fort
+mauvais état.</p>
+
+<p>On dresse en ce moment les inventaires des magasins. Le
+général Rapp est nommé gouverneur de Dantzick.</p>
+
+<p>Le lieutenant-général russe Kamenski, après avoir été
+battu le 15, s'était acculé sous les fortifications de Weischelmunde;
+il y est demeuré sans rien oser entreprendre, et il a
+été spectateur de la reddition de la place. Lorsqu'il a vu que
+l'on établissait des batteries à boulets rouges pour brûler ses
+vaisseaux, il est monté à bord et s'est retiré. Il est retourné à
+Pilau.</p>
+
+<p>Le fort de Weischelmunde tenait encore. Le maréchal
+Lefebvre l'a fait sommer le 29, et pendant que l'on réglait la
+capitulation, la garnison est sortie du fort et s'est rendue.
+Le commandant, abandonné, s'est sauvé par mer, ainsi nous
+sommes maîtres de la ville et du port de Dantzick. Ces événemens
+sont d'un heureux présage pour la campagne. L'empereur
+de Russie et le roi de Prusse étaient à Heiligenberg. Ils
+ont pu conjecturer de la reddition de la place, par la cessation
+du feu. Le canon s'entendait jusque-là.</p>
+
+<p>L'empereur, pour témoigner sa satisfaction à l'armée assiégeante,
+a accordé une gratification à chaque soldat.</p>
+
+<p>Le siége de Graudentz commence sous le commandement
+du général Victor. Le général Lazowski commande le génie,
+et le général Danthouard l'artillerie. Graudentz est fort par
+sa grande quantité de mines.</p>
+
+<p>La cavalerie de l'armée est belle. Les divisions de cavalerie
+légère, deux divisions de cuirassiers et une de dragons ont
+été passées en revue à Elbing, le 26, par le grand-duc de
+Berg. Le même jour, S.M. s'est rendue à Bischoffverder et à
+Strasburg, où elle a passé en revue la division de cuirassiers
+d'Hautpoult et la division de dragons du général Grouchy.
+Elle a été satisfaite de leur tenue et du bon état des chevaux.</p>
+
+<p>L'ambassadeur de la Porte, Seid-Mohammed-Emen-Vahid,
+a été présenté le 28 à deux heures après-midi, par M. le
+prince de Bénévent, à l'empereur, auquel il a remis ses lettres
+de créance. Il est resté une heure dans le cabinet de S.M.; il
+est logé au château, et occupe l'appartement du grand-duc
+de Berg, absent pour la revue. On assure que l'empereur lui
+a dit que lui et l'empereur Sélim étaient désormais inséparables,
+comme la main droite et la main gauche. Toutes les
+bonnes nouvelles des succès d'Ismaïl et de Valachie venaient
+d'arriver. Les Russes ont été obligés de lever le siége d'Ismaïl
+et d'évacuer la Valachie.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">De notre camp impérial de Finckenstein, le 28 mai 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Lettre de S.M. aux archevêques et évêques de France.</i></p>
+
+<p>«Monsieur l'évêque de .... après la mémorable victoire
+d'Eylau, qui a terminé la dernière campagne, l'ennemi,
+chassé à plus de quarante lieues de la Vistule, n'a pu porter
+aucun secours à la ville de Dantzick. Malgré la rigueur de
+la saison, nous en avons fait sur-le-champ commencer le
+siége. Après quarante jours de tranchée, cette importante
+place est tombée au pouvoir de nos armes. Tout ce que nos
+ennemis ont pu entreprendre pour la secourir, a été déjoué.
+La victoire a constamment suivi nos drapeaux. Des magasins
+immenses de subsistances et d'artillerie, une des villes les plus
+riches et les plus commerçantes du monde se trouvent par-là en
+notre pouvoir dès le début de la campagne. Nous ne pouvons
+attribuer des succès si prompts et si éclatans qu'à cette protection
+spéciale, dont la divine Providence nous a donné
+tant de preuves. Notre volonté est donc qu'au reçu de la présente,
+vous ayez à vous concerter avec qui de droit, et à
+réunir nos peuples pour adresser de solennelles actions de
+grâces au Dieu des armées, afin qu'il daigne continuer à favoriser
+nos armes et à veiller sur le bonheur de notre patrie.
+Que nos peuples prient aussi pour que ce cabinet persécuteur
+de notre sainte religion, tout autant qu'ennemi éternel de
+notre nation, cesse d'avoir de l'influence dans les cabinets du
+continent, afin qu'une paix solide et glorieuse, digne de nous
+et de notre grand peuple, console l'humanité, et nous mette
+à même de donner un plein essor à tous les projets que nous
+méditons pour le bien de la religion et de nos peuples. Cette
+lettre n'étant pas à autre fin, nous prions Dieu qu'il vous ait,
+monsieur l'évêque, en sa sainte garde.»</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">De notre camp impérial de Finckenstein, le 28 mai 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Message de S.M. l'empereur et roi au sénat.</i></p>
+
+<p>«Sénateurs, par nos décrets du 30 mars de l'année 1806,
+nous avons institué des duchés pour récompenser les grands
+services civils et militaires qui nous ont été ou qui nous seront
+rendus, et pour donner de nouveaux appuis à notre
+trône, et environner notre couronne d'un nouvel éclat.</p>
+
+<p>«C'est à nous à songer à assurer l'état et la fortune des
+familles qui se dévouent entièrement à notre service, et qui
+sacrifient constamment leurs intérêts aux nôtres. Les honneurs
+permanens, la fortune légitime, honorable et glorieuse
+que nous voulons donner à ceux qui nous rendent des services
+éminens, soit dans la carrière civile, soit dans la carrière
+militaire, contrasteront avec la fortune illégitime, cachée,
+honteuse de ceux qui, dans l'exercice de leurs fonctions, ne
+chercheraient que leur intérêt, au lieu d'avoir en vue celui
+de nos peuples et le bien de notre service. Sans doute, la
+conscience d'avoir fait son devoir, et les biens attachés à
+notre estime, suffisent pour retenir un bon Français dans la
+ligne de l'honneur; mais l'ordre de notre société est ainsi
+constitué, qu'à des distinctions apparentes, à une grande fortune
+sont attachés une considération et un éclat dont nous
+voulons que soient environnés ceux de nos sujets grands par
+leurs talens, par leurs services, et par leur caractère, ce premier
+don de l'homme.</p>
+
+<p>Celui qui nous a le plus secondé dans cette première journée
+de notre règne, et qui, après avoir rendu des services
+dans toutes les circonstances de sa carrière militaire, vient
+d'attacher son nom à un siége mémorable où il a déployé des
+talens et un brillant courage, nous a paru mériter une éclatante
+distinction. Nous avons voulu aussi consacrer une époque
+si honorable pour nos armes, et par les lettres-patentes dont
+nous chargeons notre cousin l'archi-chancelier de vous donner
+communication, nous avons créé notre cousin le maréchal et
+sénateur Lefebvre, duc de Dantzick. Que ce titre porté par
+ses descendans, leur retrace les vertus de leur père, et
+qu'eux-mêmes ils s'en reconnaissent indignes, s'ils préféraient
+jamais un lâche repos et l'oisiveté de la grande ville aux périls
+et à la noble poussière des camps, si jamais leurs premiers
+sentimens cessaient d'être pour la patrie et pour nous! Qu'aucun
+d'eux ne termine sa carrière sans avoir versé son sang
+pour la gloire et l'honneur de notre belle France; que dans
+le nom qu'ils portent, ils ne voient jamais un privilège,
+mais des devoirs envers nos peuples et envers nous. A ces
+conditions, notre protection et celle de nos successeurs les
+distinguera dans tous les temps.</p>
+
+<p>«Sénateurs, nous éprouvons un sentiment de satisfaction
+en pensant que les premières lettres-patentes qui, en conséquence
+de notre sénatus-consulte du 14 août 1806, doivent
+être inscrites sur vos registres, consacrent les services de
+votre préteur.»</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">De notre camp impérial de Finckenstein, le 28 mai 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Lettres-patentes de S.M. l'empereur et roi.</i></p>
+
+<p>NAPOLÉON, par la grâce de Dieu et par les constitutions
+de la république, empereur des Français, à tous présens et
+à venir, salut:</p>
+
+<p>Voulant donner à notre cousin le maréchal et sénateur Lefebvre,
+un témoignage de notre bienveillance pour l'attachement
+et fidélité qu'il a toujours montrés, et reconnaître les
+services éminens qu'il nous a rendus le premier jour de nôtre
+règne, qu'il n'a cessé de nous rendre depuis, et auquel il
+vient d'ajouter encore un nouvel éclat par la prise de la ville
+de Dantzick; désirant de plus, consacrer par un titre spécial
+le souvenir de cette circonstance mémorable et glorieuse,
+nous avons résolu de lui conférer et nous lui conférons, par
+les présentes, le titre de <i>duc de Dantzick</i>, avec une dotation
+en domaines situés dans l'intérieur de nos états.</p>
+
+<p>Nous entendons que ledit duché de Dantzick soit possédé
+par notre cousin le maréchal et sénateur Lefebvre, et transmis
+héréditairement à ses enfans mâles, légitimes et naturels,
+par ordre de primogéniture, pour en jouir en toute propriété
+aux charges et conditions, et avec les droits, titres, honneurs
+et prérogatives attachés aux duchés par les constitutions
+de l'empire, nous réservant, si sa descendance masculine
+légitime et naturelle venait à s'éteindre, ce que Dieu ne
+veuille, de transmettre ledit duché à notre choix et ainsi
+qu'il sera jugé convenable par nous ou nos successeurs, pour
+le bien de nos peuples et l'intérêt de notre couronne.</p>
+
+<p>Nous ordonnons que les présentes lettres-patentes soient
+communiquées au sénat, pour être transcrites sur ses registres.</p>
+
+<p>Ordonnons pareillement qu'aussitôt que la dotation définitive
+du duché de Dantzick aura été revêtue de notre approbation,
+l'état détaillé des biens dont elle se trouvera composée,
+soit, en exécution des ordres donnés à cet effet par
+notre ministre de la justice, inscrit au greffe de la cour d'appel
+dans le ressort de laquelle l'habitation principale du duché
+sera située, et que la même inscription ait lieu au bureau
+des hypothèques des arrondissemens respectifs, afin que la
+condition desdits biens, résultant des dispositions du sénatus-consulte
+du 14 août 1806, soit généralement reconnue, et
+que personne ne puisse en prétendre cause d'ignorance.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Heilsberg, le 12 juin 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Soixante-dix-huitième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Des négociations de paix avaient eu lieu pendant tout l'hiver.
+On avait proposé à la France un congrès général, auquel
+toutes les puissances belligérantes auraient été admises, la
+Turquie seule exceptée. L'empereur avait été justement révolté
+d'une telle proposition. Après quelques mois de pourparlers,
+il fut convenu que toutes les puissances belligérantes;
+sans exception, enverraient des plénipotentiaires au congrès,
+gui se tiendrait à Copenhague. L'empereur avait fait connaître
+que la Turquie étant admise à faire cause commune
+dans les négociations avec la France, il n'y avait pas d'inconvénient
+à ce que l'Angleterre fît cause commune avec la Russie.
+Les ennemis demandèrent alors sur quelles bases le congrès
+aurait à négocier. Ils n'en proposaient aucune, et voulaient
+cependant que l'empereur en proposât. L'empereur ne fit point
+de difficulté de déclarer que, selon lui, la base des négociations
+devait être égalité et réciprocité entre les deux masses
+belligérantes, et que les deux masses belligérantes entreraient
+en commun dans un système de compensations.</p>
+
+<p>La modération, la clarté, la promptitude de cette réponse,
+ne laissèrent aucun doute aux ennemis de la paix sur les dispositions
+pacifiques de l'empereur; ils en craignirent les effets,
+et au moment même où l'on répondait qu'il n'y avait plus
+d'obstacles à l'ouverture du congrès, l'armée russe sortit de
+ses cantonnemens et vint attaquer l'armée française. Le sang
+a de nouveau été répandu, mais du moins la France en est
+innocente. Il n'est aucune ouverture pacifique que l'empereur
+n'ait écoutée, il n'est aucune proposition à laquelle il ait différé
+de répondre; il n'est aucun piége tendu par les fauteurs
+de la guerre que sa volonté n'ait écarté. Ils ont inconsidérément
+fait courir l'armée russe aux armes, quand ils ont vu
+leurs démarches déjouées, et ces coupables entreprises, que désavouait
+la justice, ont été confondues. De nouveaux échecs
+ont été attirés sur les armées de la Russie, de nouveaux trophées
+ont couronné celles de la France. Rien ne prouve davantage
+que la passion et des intérêts étrangers à ceux de la
+Russie et de la Prusse dirigent le cabinet de ces deux puissances,
+et conduisent leurs braves armées à de nouveaux malheurs,
+en les forçant à de nouveaux combats, que la circonstance
+où l'armée russe reprend les hostilités: c'est quinze jours
+après que Dantzick s'est rendu, c'est lorsque ses opérations
+sont sans objets, c'est lorsqu'il ne s'agit plus de faire lever le
+siége de ce boulevard, dont l'importance aurait justifié toutes
+les tentatives, et pour la conservation duquel aucun militaire
+n'aurait été blâmé d'avoir tenté le sort de trois batailles. Ces
+considérations sont étrangères aux passions qui ont préparé
+les événemens qui viennent de se passer; empêcher les négociations
+de s'ouvrir, éloigner deux princes prêts à se rapprocher
+et à s'entendre, tel est le but qu'on s'est proposé. Quel
+sera le résultat d'une telle démarche? où est la probabilité
+du succès? Toutes ces questions sont indifférentes à ceux qui
+soufflent la guerre. Que leur importent les malheurs des armées
+russes et prussiennes? S'ils peuvent prolonger encore
+les calamités qui pèsent sur l'Europe, leur but est rempli.</p>
+
+<p>Si l'empereur n'avait eu en vue d'autre intérêt que celui
+de sa gloire, s'il n'avait fait d'autres calculs que ceux qui
+étaient relatifs à l'avantage de ses opérations militaires, il aurait
+ouvert la campagne immédiatement après la prise de Dantzick;
+et cependant quoiqu'il n'existât ni trêve, ni armistice,
+il ne s'est occupé que de l'espérance de voir arriver à bien les
+négociations commencées.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Combat de Spanden.</i></p>
+
+<p>Le 5 juin, l'armée russe se mit en mouvement; ses divisions
+de droite attaquèrent la tête de pont de Spanden, que le
+général Frère défendait avec le vingt-septième régiment d'infanterie
+légère. Douze régimens russes et prussiens firent de
+nouveaux efforts; sept fois ils les renouvelèrent, et sept fois
+ils furent repoussés. Cependant le prince de Ponte-Corvo
+avait réuni son corps d'armée; mais avant qu'il pût déboucher,
+une seule charge du dix-septième de dragons, faite immédiatement
+après le septième assaut donné à la tête de pont,
+avait forcé l'ennemi à abandonner le champ de bataille et à
+battre en retraite. Ainsi, pendant tout un jour, deux divisions
+ont attaqué sans succès un régiment qui, à la vérité,
+était retranché.</p>
+
+<p>Le prince de Ponte-Corvo visitant en personne les retranchemens,
+dans l'intervalle des attaques, pour s'assurer de l'état
+des batteries, a reçu une blessure légère, qui le tiendra
+pendant une quinzaine de jours éloigné de son commandement.
+Notre perte dans cette affaire a été peu considérable;
+l'ennemi a perdu douze cents hommes, et a eu beaucoup de
+blessés.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Combat de Lomitten.</i></p>
+
+<p>Deux divisions russes du centre attaquaient au même moment
+la tête de pont de Lomitten. La brigade du général Ferrey,
+du corps du maréchal Soult, défendait cette position.
+Le quarante-sixième, le cinquante-septième et le vingt-quatrième
+d'infanterie légère repoussèrent l'ennemi pendant toute
+la journée. Les abattis et les ouvrages restèrent couverts de
+Russes; leur général fut tué. La perte de l'ennemi fut de
+onze cents hommes tués, cent prisonniers et un grand nombre
+de blessés. Nous avons eu deux cents hommes tués ou blessés.</p>
+
+<p>Pendant ce temps, le général en chef russe, avec le grand-duc
+Constantin, la garde impériale russe et trois divisions,
+attaqua à la fois les positions du maréchal Ney sur Altkirken,
+Amt, Guttstadt et Volfsdorff; il fut partout repoussé, mais
+lorsque le maréchal Ney s'aperçut que les forces qui lui étaient
+opposées étaient de plus de quarante mille hommes, il suivit
+ses instructions, et porta son corps à Ackendorff.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Combat de Deppen.</i></p>
+
+<p>Le lendemain 6, l'ennemi attaqua le sixième corps dans sa
+position de Deppen sur la Passarge; il y fut culbuté. Les
+manoeuvres du maréchal Ney, l'intrépidité qu'il a montrée
+et qu'il a communiquée à toutes ses troupes, les talens déployés
+dans cette circonstance par le général de division Marchand
+et par les autres officiers-généraux, sont dignes des
+plus grands éloges. L'ennemi, de son propre aveu, a eu,
+dans cette journée, deux mille hommes tués et plus de trois
+mille blessés; notre perte a été de cent soixante hommes tués,
+deux cents blessés et deux cent cinquante faits prisonniers.
+Ceux-ci ont été, pour la plupart, enlevés par les cosaques
+qui, le matin de l'attaque, s'étaient portés sur les dernières
+de l'armée. Le général Roger ayant été blessé, est tombé de
+cheval, et a été fait prisonnier dans une charge. Le général
+de brigade Dutaillis a eu le bras emporté par un boulet.</p>
+
+<p>L'empereur arriva le 8 à Deppen au camp du maréchal Ney;
+il donna sur-le-champ les ordres nécessaires. Le quatrième
+corps se porta sur Volfsdorff, où, ayant rencontré une division
+russe de Kamenski, qui rejoignait le corps d'armée, il
+l'attaqua, lui mit hors de combat quatre ou cinq cents hommes,
+lui fit cent-cinquante prisonniers et vint prendre position
+le soir à Altirken. Le 9, l'empereur se porta sur Guttstadt
+avec les corps des maréchaux Ney, Davoust et Lannes,
+avec sa garde et la cavalerie de réserve. Une partie de l'arrière-garde
+ennemie, formant dix mille hommes de cavalerie
+et quinze mille hommes d'infanterie, prit position à Glottau,
+et voulut disputer le passage. Le grand-duc de Berg, après
+des manoeuvres fort habiles, la débusqua successivement de
+toutes ses positions. Les brigades de cavalerie légère des généraux
+Pajol, Bruyer et Durosnel et la division de grosse
+cavalerie du général Nansouty triomphèrent de tous les efforts
+de l'ennemi.</p>
+
+<p>Le soir, à huit heures, nous entrâmes de vive force à Guttstadt;
+un millier de prisonniers, la prise de toutes les positions
+en avant de Guttstadt, et la déroute de l'infanterie ennemie
+furent les suites de cette journée. Les régimens de cavalerie
+de la garde russe ont surtout été très-maltraités.</p>
+
+<p>Le 10, l'armée se dirigea sur Heilsberg; elle enleva les divers
+camps de l'ennemi. Un quart de lieue au-delà de ces
+camps, l'arrière-garde se montra en position, elle avait quinze
+à dix-huit mille hommes de cavalerie et plusieurs lignes d'infanterie.
+Les cuirassiers de la division Espagne, la division
+de dragons Latour-Maubourg et les brigades de cavalerie légère,
+entreprirent différentes charges et gagnèrent du terrain.
+A deux heures le corps du maréchal Soult se trouva
+formé; deux divisions marchèrent sur la droite, tandis que
+la division Legrand marchait sur la gauche pour s'emparer
+de la pointe d'un bois dont l'occupation était nécessaire, afin
+d'appuyer la gauche de la cavalerie. Toute l'armée russe se
+trouvait alors à Heilsberg; elle alimenta ses colonnes d'infanterie
+et de cavalerie, et fit de nombreux efforts pour se maintenir
+dans ses positions en avant de cette ville. Plusieurs divisions
+russes furent mises en déroute, et à neuf heures du
+soir, on se trouva sous les retranchemens ennemis.</p>
+
+<p>Les fusiliers de la garde, commandés par le général Savary,
+furent mis en mouvement pour soutenir la division
+St.-Hilaire, et firent des prodiges. La division Verdier, du
+corps d'infanterie de réserve du maréchal Lannes, s'engagea,
+la nuit étant déjà tombée, et déborda l'ennemi, afin de lui
+couper le chemin de Lansberg; elle y réussit parfaitement.
+L'ardeur des troupes était telle, que plusieurs compagnies
+d'infanterie furent insulter les ouvrages retranchés des Russes.
+Quelques braves trouvèrent la mort dans les fossés des redoutes
+et au pied des palissades.</p>
+
+<p>L'empereur passa la journée du 11 sur le champ de bataille;
+il y plaça les corps d'armée et les divisions pour donner
+une bataille qui fût décisive, et telle qu'elle pût mettre
+fin à la guerre. Toute l'armée russe était réunie; elle avait à
+Heilsberg tous ses magasins; elle occupait une superbe position
+que la nature avait rendue très-forte, et que l'ennemi
+avait encore fortifiée par un travail de quatre mois.</p>
+
+<p>A quatre heures après-midi, l'empereur ordonna au maréchal
+Davoust de faire un changement de front par son extrémité
+de droite, la gauche en avant; ce mouvement le porta
+sur la basse Alle, et intercepta complètement le chemin
+d'Eylau. Chaque corps d'armée avait ses postes assignés; ils
+étaient tous réunis, hormis le premier corps, qui continuait
+à manoeuvrer sur la basse Passarge. Ainsi les Russes, qui
+avaient les premiers recommencé les hostilités, se trouvaient
+comme bloqués dans leur camp retranché; on venait leur présenter
+la bataille dans la position qu'ils avaient eux-mêmes
+choisie.</p>
+
+<p>On crut long-temps qu'ils attaqueraient dans la journée
+du 11.</p>
+
+<p>Au moment où l'armée française faisait ses dispositions,
+ils se laissaient voir rangés en colonnes au milieu de leurs retranchemens,
+farcis de canons.</p>
+
+<p>Mais soit que ces retranchemens ne leur parussent pas assez
+formidables, à l'aspect des préparatifs qu'ils voyaient faire
+devant eux, soit que cette impétuosité qu'avait montrée l'armée
+française dans la journée du 10 leur en imposât, ils commencèrent,
+à dix heures du soir, à passer sur la rive droite
+de l'Alle, en abandonnant tous les pays de la gauche, et laissant
+à la disposition du vainqueur leurs blessés, leurs magasins
+et ces retranchemens, fruit d'un travail si long et si pénible.
+Le 12, à la pointe du jour, tous les corps d'armée s'ébranlèrent,
+et prirent différentes directions.</p>
+
+<p>Les maisons d'Heilsberg et celles des villages voisins sont
+remplies de blessés russes.</p>
+
+<p>Le résultat de ces différentes journées, depuis le 5 jusqu'au
+12, a été de priver l'armée russe d'environ trente mille combattans;
+elle a laissé dans nos mains trois ou quatre mille
+hommes, sept ou huit drapeaux et neuf pièces de canon. Au
+dire des paysans et des prisonniers, plusieurs des généraux
+russes les plus marquans ont été tués ou blessés.</p>
+
+<p>Notre perte monte à six ou sept cents hommes tués, deux
+mille ou deux mille deux cents blessés, deux ou trois cents
+prisonniers. Le général de division Espagne a été blessé; le
+général Roussel, chef de l'état-major de la garde, qui se trouvait
+au milieu des fusiliers, a eu la tête emportée par un boulet
+de canon; c'était un officier très-distingué.</p>
+
+<p>Le grand-duc de Berg a eu deux chevaux tués sous lui.
+M. de Ségur, un de ses aides-de-camp, a eu un bras emporté.
+M. Lameth, aide-de-camp du maréchal Soult, a été
+blessé. M. Lagrange, colonel du septième régiment de chasseurs
+à cheval, a été atteint par une balle.</p>
+
+<p>Dans les rapports détaillés que rédigera l'état-major, on
+fera connaître les traits de bravoure par lesquels se sont signalés
+un grand nombre d'officiers et de soldats, et les noms
+de ceux qui ont été blessés dans la mémorable journée du
+10 juin.</p>
+
+<p>On a trouvé dans les magasins d'Heilsberg plusieurs milliers
+de quintaux de farine et beaucoup de denrées de diverses
+sortes. L'impuissance de l'armée russe, démontrée par la
+prise de Dantzick, vient de l'être encore par l'évacuation du
+camp de Heilsberg; elle l'est par sa retraite; elle le sera
+d'une manière plus éclatante encore si les Russes attendent
+l'armée française; mais dans de si grandes armées, qui exigent
+vingt-quatre heures pour mettre tous les corps en position,
+on ne peut avoir que des affaires partielles, lorsque
+l'une d'elles n'est pas disposée à finir bravement la querelle
+dans une affaire générale.</p>
+
+<p>Il parait que l'empereur Alexandre avait quitté son armée
+quelques jours avant la reprise des hostilités. Plusieurs personnes
+prétendent que le parti anglais l'a éloigné, pour qu'il
+ne fût pas témoin des malheurs qu'entraîne la guerre et des
+désastres de son armée, prévus par ceux mêmes qui l'ont excité
+à rentrer en campagne. On a craint qu'un si déplorable
+spectacle ne lui rappelât les véritables intérêts de son pays,
+ne le fît revenir aux conseils des hommes sages et désintéressés,
+et ne le ramenât enfin, par les sentimens les plus propres
+à toucher un souverain, à repousser la funeste influence que
+la corruption anglaise exerce autour de lui.</p>
+<br><br><br>
+
+
+
+<p class="droite">De notre camp impérial de Friedland, le 15 juin 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Lettre de S. M. l'empereur et roi à MM. les archevêques
+et évêques.</i></p>
+
+<p>Monsieur l'évêque de...... La victoire éclatante qui vient
+d'être remportée par nos armes sur le champ de bataille de
+Friedland, qui a confondu les ennemis de notre peuple, et
+qui a mis en notre pouvoir la ville importante de Koenigsberg
+et les magasins considérables qu'elle contenait, doit être pour
+nos sujets un nouveau motif d'actions de grâce envers le
+dieu des armées. Cette victoire mémorable a signalé l'anniversaire
+de la bataille de Marengo, de ce jour, où tout couvert
+de poussière du champ de bataille, notre première pensée,
+notre premier soin fut pour le rétablissement de l'ordre
+et de la paix dans l'église de France. Notre intention est qu'au
+reçu de la présente vous vous concertiez avec qui de droit,
+et vous réunissiez nos sujets de votre diocèse dans vos églises
+cathédrales et paroissiales, pour y chanter un Te Deum, et
+adresser au ciel les autres prières que vous jugerez convenable
+d'ordonner dans de pareilles circonstances. Cette lettre
+n'étant à d'autre fin, monsieur l'évêque de......., je prie Dieu
+qu'il vous ait en sa sainte garde.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Wehlau, le 17 juin 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Soixante-dix-neuvième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Les combats de Spanden, de Lomitten, les journées de
+Guttstadt et de Heilsberg n'étaient que le prélude de plus
+grands événemens.</p>
+
+<p>Le 12, à quatre heures du matin, l'armée française entra
+à Heilsberg. Le général Latour-Maubourg avec sa division
+de dragons et les brigades de cavalerie légère des généraux
+Durosnel et Wattier, poursuivirent l'ennemi sur la rive
+droite de l'Alle dans la direction de Bartenstein, pendant que
+les corps d'armée se mettaient en marche dans différentes directions
+pour déborder l'ennemi et lui couper sa retraite sur
+Koenigsberg, en arrivant avant lui sur ses magasins. La fortune
+a souri à ce projet.</p>
+
+<p>Le 12, à cinq heures après-midi, l'empereur porta son
+quartier-général à Eylau. Ce n'étaient plus ces champs couverts
+de glaces et de neige, c'était le plus beau pays de la
+nature, coupé de beaux bois, de beaux lacs, et peuplé de
+jolis villages.</p>
+
+<p>Le grand-duc de Berg se porta le 13 sur Koenigsberg avec
+sa cavalerie; le maréchal Davoust marcha derrière pour le
+soutenir; le maréchal Soult se porta sur Creutzbourg; le maréchal
+Lannes sur Damnau; les maréchaux Ney et Mortier
+sur Lampaseh.</p>
+
+<p>Cependant le général Latour-Maubourg écrivait qu'il avait
+poursuivi l'arrière-garde ennemie; que les Russes abandonnaient
+beaucoup de blessés; qu'ils avaient évacué Bartenstein,
+et continuaient leur retraite sur Schippenbeil, par la
+rive droite de l'Alle. L'empereur se mit sur-le-champ en
+marche sur Friedland; il donna ordre au duc de Berg, aux
+maréchaux Soult et Davoust de manoeuvrer sur Koenigsberg,
+et avec les corps des maréchaux Ney, Lannes, Mortier,
+avec la garde impériale et le premier corps commandé par le
+général Victor, il marcha en personne sur Friedland.</p>
+
+<p>Le 13, le neuvième de hussards entra à Friedland; mais il
+en fut chassé par trois mille hommes de cavalerie.</p>
+
+<p>Le 14, l'ennemi déboucha sur le pont de Friedland. A
+trois heures du matin, des coups de canon se firent entendre.
+«C'est un jour de bonheur, dit l'empereur, c'est l'anniversaire
+de Marengo.»</p>
+
+<p>Les maréchaux Lannes et Mortier furent les premiers engagés;
+ils étaient soutenus par la division de dragons du général
+Grouchy et par les cuirassiers du général Nansouty.
+Différens mouvemens, différentes actions eurent lieu. L'ennemi
+fut contenu, et ne put pas dépasser le village de Posthenem.
+Croyant qu'il n'avait devant lui qu'un corps de
+quinze mille hommes, l'ennemi continua son mouvement
+pour filer sur Koenigsberg. Dans cette occasion, les dragons
+et les cuirassiers français et saxons firent les plus belles charges,
+et prirent quatre pièces de canon à l'ennemi.</p>
+
+<p>À cinq heures du soir, les différens corps d'armée étaient
+à leur place. A la droite, le maréchal Ney; au centre, le
+maréchal Lannes; à la gauche, le Maréchal Mortier; à la réserve,
+le corps du général Victor et la garde.</p>
+
+<p>La cavalerie, sous les ordres du général Grouchy, soutenait
+la gauche. La division de dragons du général Latour-Maubourg
+était en réserve derrière la droite, la division de
+dragons du général Lahoussaye et les cuirassiers saxons
+étaient en réserve derrière le centre.</p>
+
+<p>Cependant l'ennemi avait déployé toute son armée; il appuyait
+sa gauche à la ville de Friedland et sa droite se prolongeait
+à une lieue et demie.</p>
+
+<p>L'empereur, après avoir reconnu la position, décida d'enlever
+sur-le-champ la ville de Friedland, en faisant brusquement
+un changement de front, la droite en avant, et fit
+commencer l'attaque par l'extrémité de sa droite.</p>
+
+<p>A cinq heures et demie, le maréchal Ney se mit en mouvement,
+quelques salves d'une batterie de vingt pièces de canon
+furent le signal. Au même moment, la division du général
+Marchand avança, l'arme au bras, sur l'ennemi, prenant
+sa direction sur le clocher de la ville. La division du général
+Bisson la soutenait sur la gauche. Du moment où l'ennemi
+s'aperçut que le maréchal Ney avait quitté le bois où sa droite
+était en position, il le fit déborder par des régimens de cavalerie,
+précédés d'une nuée de cosaques. La division de
+dragons du général Latour-Maubourg se forma sur-le-champ
+au galop sur la droite, et repoussa la charge ennemie. Cependant
+le général Victor fit placer une batterie de trente pièces
+de canon en avant de son centre; le général Sennarmont, qui
+la commandait, se porta à plus de quatre cents pas en avant
+et fit éprouver une horrible perte à l'ennemi. Les différentes
+démonstrations que les Russes voulurent faire pour opérer
+une diversion furent inutiles. Le maréchal Ney, avec un
+sang-froid, et avec cette intrépidité qui lui est particulière,
+était en avant de ses échelons, dirigeant lui-même les plus
+petits détails, et donnait l'exemple à un corps d'armée, qui
+toujours s'est fait distinguer, même parmi les corps de la
+grande armée. Plusieurs colonnes d'infanterie ennemie, qui
+attaquaient la droite du maréchal Ney, furent chargées à la
+baïonnette et précipitées dans l'Alle. Plusieurs milliers
+d'hommes y trouvèrent la mort; quelques-uns échappèrent
+à la nage. La gauche du maréchal Ney arriva sur ces entrefaites
+au ravin qui entoure la ville de Friedland. L'ennemi,
+qui y avait embusqué la garde impériale russe à pied et à
+cheval, déboucha avec intrépidité, et fit une charge sur la
+gauche du maréchal Ney, qui fut un moment ébranlée; mais
+la division Dupont, qui formait la droite de la réserve, marcha
+sur la garde impériale, la culbuta et en fit un horrible
+carnage.</p>
+
+<p>L'ennemi tira de ses réserves et de son centre d'autres
+corps pour défendre Friedland. Vains efforts! Friedland fut
+forcé et ses rues furent jonchées de morts.</p>
+
+<p>Le centre, que commandait le maréchal Lannes, se trouva
+dans ce moment engagé. L'effort que l'ennemi avait fait sur
+l'extrémité de la droite de l'armée française ayant échoué, il
+voulut essayer un semblable effort sur le centre. Il y fut reçu
+comme on devait l'attendre des braves divisions Oudinot et
+Verdier, et du maréchal qui les commandait.</p>
+
+<p>Des charges d'infanterie et de cavalerie ne purent pas retarder
+la marche de nos colonnes. Tous les efforts de la bravoure
+des Russes furent inutiles; ils ne purent rien entamer,
+et vinrent trouver la mort sur nos baïonnettes.</p>
+
+<p>Le maréchal Mortier, qui pendant toute la journée fit
+grandes preuves de sang-froid et d'intrépidité, en maintenant
+la gauche, marcha alors en avant, et fut soutenu par les fusiliers
+de la garde, que commandait le général Savary. Cavalerie,
+infanterie, artillerie, tout le monde s'est distingué.</p>
+
+<p>La garde impériale à pied et à cheval, et deux divisions
+de la réserve du premier corps n'ont pas été engagées. La
+victoire n'a pas hésité un seul instant. Le champ de bataille
+est un des plus horribles qu'on puisse voir. Ce n'est pas exagérer
+que de porter le nombre des morts, du côté des Russes,
+de quinze à dix-huit mille hommes. Du côté des Français la
+perte ne se monte pas à cinq cents morts, ni à plus de trois
+mille blessés. Nous avons pris quatre-vingt pièces de canon
+et une grande quantité de caissons. Plusieurs drapeaux sont
+restés en notre pouvoir. Les Russes ont eu vingt-cinq généraux
+tués, pris ou blessés. Leur cavalerie a fait des pertes
+immenses.</p>
+
+<p>Les carabiniers et les cuirassiers, commandés par le général
+Nansouty, et les différentes divisions de dragons se
+sont fait remarquer. Le général Grouchy, qui commandait
+la cavalerie de l'aile gauche, a rendu des services importans.</p>
+
+<p>Le général Drouet, chef de l'état-major du corps d'armée
+du maréchal Lannes; le général Cohorn, le colonel Regaud,
+du quinzième de ligne; le colonel Lajonquière, du soixantième
+de ligne; le colonel Lamotte, du quatrième de dragons,
+et le général de brigade Brun, ont été blessés. Le général de
+division Latour-Maubourg l'a été à la main. Le colonel d'artillerie
+de Forno, et le chef d'escadron Hutin, premier aide-de-camp
+du général Oudinot, ont été tués. Les aides-de-camp
+de l'empereur, Mouton et Lacoste, ont été légèrement blessés.</p>
+
+<p>La nuit n'a point empêché de poursuivre l'ennemi; on l'a
+suivi jusqu'à onze heures du soir. Le reste de la nuit, les colonnes
+qui avaient été coupées ont essayé de passer l'Alle, à
+plusieurs gués. Partout, le lendemain et à plusieurs lieues,
+nous avons trouvé des caissons, des canons et des voitures
+perdus dans la rivière.</p>
+
+<p>La bataille de Friedland est digne d'être mise à côté de
+celles de Marengo, d'Austerlitz et d'Iéna. L'ennemi était
+nombreux, avait une belle et forte cavalerie, et s'est battu
+avec courage.</p>
+
+<p>Le lendemain 15, pendant que l'ennemi essayait de se rallier,
+et faisait sa retraite sur la rive droite de l'Alle, l'armée
+française continuait, sur la rive gauche, ses manoeuvres pour
+le couper de Koenigsberg.</p>
+
+<p>Les têtes des colonnes sont arrivées ensemble à Wehlau,
+ville située au confluent de l'Alle et de la Prégel.
+L'empereur avait son quartier-général au village de Peterswalde.</p>
+
+<p>Le 16, à la pointe du jour, l'ennemi ayant coupé tous les
+ponts, mit à profit cet obstacle pour continuer son mouvement
+rétrograde sur la Russie.</p>
+
+<p>A huit heures du matin, l'empereur fit jeter un pont sur
+la Prégel, et l'armée s'y mit en position.</p>
+
+<p>Presque tous les magasins que l'ennemi avait sur l'Alle ont
+été par lui jetés à l'eau ou brûlés. Par ce qui nous reste, on
+peut connaître les pertes immenses qu'il a faites. Partout dans
+les villages, les Russes avaient des magasins, et partout, en
+passant, ils les ont incendiés. Nous avons cependant trouvé
+à Wehlau plus de six mille quintaux de blé.</p>
+
+<p>A la nouvelle de la victoire de Friedland, Koenigsberg a
+été abandonné. Le maréchal Soult est entré dans cette place,
+où nous avons trouvé des richesses immenses, plusieurs centaines
+de milliers de quintaux de blé, plus de vingt mille
+blessés russes et prussiens, tout ce que l'Angleterre a envoyé
+de munitions de guerre à la Russie, entr'autres cent soixante
+mille fusils encore embarqués. Ainsi la Providence a puni
+ceux qui, au lieu de négocier de bonne foi pour arriver à
+l'oeuvre salutaire de la paix, s'en sont fait un jeu, prenant
+pour faiblesse et pour impuissance la tranquillité du vainqueur.</p>
+
+<p>L'armée occupe ici le plus beau pays possible. Les bords
+de la Prégel sont riches. Dans peu les magasins et les caves
+de Dantzick et Koenigsberg vont nous apporter de nouveaux
+moyens d'abondance et de santé.</p>
+
+<p>Les noms des braves qui se sont distingués, les détails de
+ce que chaque corps a fait, passent les bornes d'un simple
+bulletin, et l'état-major s'occupe de réunir tous les faits.</p>
+
+<p>Le prince de Neufchâtel a, dans la bataille de Friedland,
+donné des preuves particulières de son zèle et de ses talens.
+Plusieurs fois il s'est trouvé au fort de la mêlée, et y a fait
+des dispositions utiles.</p>
+
+<p>L'ennemi avait recommencé les hostilités le 5: on peut
+évaluer la perte qu'il a éprouvée en dix jours, et par suite
+des opérations, à soixante mille hommes pris, blessés, tués
+ou hors de combat. Il a perdu une partie de son artillerie,
+presque toutes ses munitions, et tous ses magasins sur une
+ligne de plus de quarante lieues.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Tilsitt, le 19 juin 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Quatre-vingtième bulletin de la grande armée</i>.</p>
+
+<p>Les armées françaises ont rarement obtenu de si grands
+succès avec moins de perte.</p>
+
+<p>Pendant le temps que les armées françaises se signalaient
+sur le champ de bataille de Friedland, le grand-duc de
+Berg, arrivé devant Koenigsberg, prenait en flanc le corps
+d'armée du général Lestocq.</p>
+
+<p>Le 13, le maréchal Soult trouva à Creutzbourg l'arrière-garde
+prussienne; la division de dragons Milhaud exécuta
+une belle charge, culbuta la cavalerie prussienne, et enleva
+plusieurs pièces de canon.</p>
+
+<p>Le 14, l'ennemi fut obligé de s'enfermer dans la place de
+Koenigsberg. Vers le milieu de la journée, deux colonnes
+ennemies coupées se présentèrent pour entrer dans la place.
+Six pièces de canon et trois à quatre mille hommes qui composaient
+cette troupe furent pris; tous les faubourgs de Koenigsberg
+furent enlevés; on y fit un bon nombre de prisonniers:
+le général de brigade Buget a eu la main emportée par
+un boulet.</p>
+
+<p>En résumé, les résultats de toutes ces affaires sont quatre
+à cinq mille prisonniers et quinze pièces de canon.</p>
+
+<p>Le 15 et le 16, le corps d'armée du maréchal Soult fut
+contenu devant les retranchemens de Koenigsberg, mais la
+marche du gros de l'armée sur Wehlau obligea l'ennemi à
+évacuer Koenigsberg, et cette place tomba en notre pouvoir.</p>
+
+<p>Ce qu'on a trouvé à Koenigsberg en subsistances, est immense.
+Deux cents gros bâtimens, venant de Russie, sont
+encore tous chargés dans le port. Il y a beaucoup plus de vins
+et d'eaux-de-vie qu'on était dans le cas de l'espérer.</p>
+
+<p>Une brigade de la division Saint-Hilaire s'est portée devant
+Pilau pour en former le siège, et le général Rapp a fait
+partir de Dantzick une colonne chargée d'aller, par le Niérung,
+établir devant Pilau une batterie qui ferme le Haff.
+Des bâtimens montés par des marins de la garde nous rendent
+maîtres de cette petite mer.</p>
+
+<p>Le 17, l'empereur porta son quartier-général à la métairie
+de Crucken, près Klein-Schirau; le 18, il le porta à Sgaisgirren;
+le 19, à deux heures après-midi, il entra dans
+Tilsitt.</p>
+
+<p>Le grand-duc de Berg, à la tête de la plus grande partie
+de la cavalerie légère, des divisions de dragons et de cuirassiers,
+a mené battant l'ennemi ces trois jours derniers, et lui
+a fait beaucoup de mal. Le cinquième régiment de hussards
+s'est distingué; les cosaques ont été culbutés plusieurs fois
+et ont beaucoup souffert dans ces différentes charges. Nous
+avons eu peu de tués et de blessés. Au nombre de ces derniers
+se trouve le chef d'escadron Piéton, aide-de-camp du
+grand-duc de Berg.</p>
+
+<p>Après le passage de la Prégel, vis-à-vis Wehlau, un tambour
+fut chargé par un cosaque, et se jeta ventre à terre; le
+cosaque prend sa lance pour en percer le tambour; mais
+celui-ci conserve toute sa présence d'esprit, tire à lui la lance,
+désarme le cosaque et le poursuit.</p>
+
+<p>Un fait particulier, qui a excité le rire des soldats, a eu lieu
+pour la première fois vers Tilsitt; on a vu une nuée de Kalmoucks
+se battant à coup de flèches.</p>
+
+<p>Nous en sommes fâchés pour ceux qui donnent l'avantage
+aux armes anciennes sur les modernes; mais rien n'est plus risible
+que le jeu de ces armes contre nos fusils.</p>
+
+<p>Le maréchal Davoust, à la tête du troisième corps, a débouché
+par Labiau, est tombé sur l'arrière-garde ennemie,
+et lui a fait deux mille cinq cents prisonniers.</p>
+
+<p>De son côté, le maréchal Ney est arrivé le 17 à Insterbourg,
+y a pris un millier de blessés et a enlevé à l'ennemi des
+magasins assez considérables.</p>
+
+<p>Les bois, les villages sont pleins de Russes isolés, ou blessés
+ou malades.</p>
+
+<p>Les pertes de l'armée russe sont énormes; elle n'a ramené
+avec elle qu'une soixantaine de pièces de canon.</p>
+
+<p>La rapidité des marches empêche de connaître encore toutes
+les pièces qu'on a prises à la bataille de Friedland; on
+croit que le nombre passera cent vingt.</p>
+
+<p>A la hauteur de Tilsitt, deux billets ont été remis au
+grand-duc de Berg, et par suite le prince russe, lieutenant-général
+Labanoff a passé le Niémen, et a conféré une heure
+avec le prince de Neufchâtel.</p>
+
+<p>L'ennemi a brûlé en grande hâte le pont de Tilsitt sur le
+Niémen, et parait continuer sa retraite sur la Russie.
+Nous sommes sur les confins de cet empire.</p>
+
+<p>Le Niémen, vis-à-vis Tilsitt, est un peu plus large que
+la Seine.</p>
+
+<p>L'on voit, de la rive gauche, une nuée de cosaques qui
+forment l'arrière-garde ennemie sur la rive droite.</p>
+
+<p>Déjà l'on ne commet aucune hostilité.</p>
+
+<p>Ce qui restait au roi de Prusse est conquis. Cet infortuné
+prince n'a plus en son pouvoir que le pays situé entre le Niémen
+et Mémel.</p>
+
+<p>La plus grande partie de son armée on plutôt de la division
+de ses troupes, déserte ne voulant pas aller en Russie.</p>
+
+<p>L'empereur de Russie est resté trois semaines à Tilsitt
+avec le roi de Prusse.</p>
+
+<p>A la nouvelle de la bataille de Friedland, l'un et l'autre
+sont partis en toute hâte.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Tilsitt, le 21 juin 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Quatre-vingt-unième bulletin de la grande armée</i>.</p>
+
+<p>A la journée d'Heilsberg, le grand-duc de Berg passa sur
+la ligne de la troisième division de cuirassiers, au moment
+où le sixième régiment de cuirassiers venait de faire une
+charge. Le colonel d'Avenay, commandant ce régiment, son
+sabre dégouttant de sang, lui dit: «Prince, faites la revue de
+mon régiment, vous verrez qu'il n'est aucun soldat dont le
+sabre ne soit comme le mien.»</p>
+
+<p>Les colonels Colbert, du septième de hussards, Léry, du
+cinquième, se sont fait également remarquer par la plus brillante
+intrépidité. Le colonel Borde-Soult, du vingt-deuxième
+de chasseurs, a été blessé. M. Gueheneuc, aide-de-camp du
+maréchal Lannes, a été blessé d'une balle au bras.</p>
+
+<p>Les généraux aides-de-camp de l'empereur, Reille et Bertrand,
+ont rendu des services importans. Les officiers d'ordonnance
+de l'empereur Bongars, Montesquiou, Labiffe,
+ont mérité des éloges pour leur conduite.</p>
+
+<p>Les aides-de-camp du prince de Neufchâtel Louis de Périgord,
+capitaine, et Piré, chef d'escadron, se sont fait remarquer.</p>
+
+<p>Le colonel Curial, commandant les fusiliers de la garde,
+a été nommé général de brigade.</p>
+
+<p>Le général de division Dupas, commandant une division
+sous les ordres du maréchal Mortier, a rendu d'importans
+Les fils des sénateurs Pérignon, Clément de Ris et Garran
+de Coulon, sont morts avec honneur sur le champ de
+bataille.</p>
+
+<p>Le maréchal Ney s'étant porté sur Gumbinnen, a arrêté
+quelques parcs d'artillerie ennemie, beaucoup de convois de
+blessés, et fait un grand nombre de prisonniers.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Tilsitt, le 22 juin 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Quatre-vingt-deuxième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>En conséquence de la proposition qui a été faite par le
+commandant de l'armée russe, un armistice a été conclu.</p>
+
+<p>L'armée française occupe tout le thalweg du Niémen,
+de sorte qu'il ne reste plus au roi de Prusse que la petite ville
+et le territoire de Mémel.</p>
+<br><br><br>
+
+
+
+
+<p class="droite">Au camp de Tilsitt, le 22 juin 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Proclamation de S. M. à la grande armée.</i></p>
+
+<p>Soldats!</p>
+
+<p>Le 5 juin nous avons été attaqués dans nos cantonnemens
+par l'armée russe. L'ennemi s'est mépris sur les causes de notre
+inactivité. Il s'est aperçu trop tard que notre repos était celui
+du lion: il se repent de l'avoir oublié.</p>
+
+<p>Dans les journées de Guttstadt, de Heilsberg, dans celle,
+à jamais mémorable, de Friedland, dans dix jours de campagne
+enfin, nous avons pris cent vingt pièces de canon,
+sept drapeaux; tué, blessé, ou fait prisonniers soixante mille
+Russes; enlevé à l'armée ennemie tous ses magasins, ses hôpitaux,
+ses ambulances, la place de Koenigsberg, les trois
+cents bâtimens qui étaient dans ce port, chargés de toute espèce
+de munitions, cent soixante mille fusils que l'Angleterre
+envoyait pour armer nos ennemis.</p>
+
+<p>Des bords de la Vistule, nous sommes arrivés sur ceux du
+Niémen avec la rapidité de l'aigle. Vous célébrâtes à Austerlitz
+l'anniversaire du couronnement; vous avez cette année
+célébré celui de la bataille de Marengo, qui mit fin à la guerre
+de la seconde coalition.</p>
+
+<p>Français! vous avez été dignes de vous et de moi. Vous
+rentrerez en France couverts de tous vos lauriers, après avoir
+obtenu une paix glorieuse qui porte avec elle la garantie de
+sa durée. Il est temps que notre patrie vive en repos, à l'abri
+de la maligne influence de l'Angleterre. Mes bienfaits vous
+prouveront ma reconnaissance et toute l'étendue de l'amour
+que je vous porte.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Tilsitt, le 23 juin 1807</p>
+
+<p class="milieu"><i>Quatre-vingt-troisième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>La place de Neiss a capitulé.</p>
+
+<p>La garnison, forte de six mille hommes d'infanterie et de
+trois cents hommes de cavalerie, a défilé le 16 juin devant
+le prince Jérôme. On a trouvé dans la place trois cent milliers
+de poudre et trois cents bouches à feu.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Tilsitt, le 24 juin 1807</p>
+
+<p class="milieu"><i>Quatre-vingt-quatrième bulletin de la grande armée</i>.</p>
+
+<p>Le grand-maréchal du palais Duroc s'est rendu le 23 au
+quartier-général des Russes, au-delà du Niémen, pour
+échanger les ratifications de l'armistice qui a été ratifié par
+l'empereur Alexandre.</p>
+
+<p>Le 24, le prince Labanoff ayant fait demander une audience
+à l'empereur, y a été admis le même jour à deux heures
+après midi. Il est resté long-temps dans le cabinet de S. M.</p>
+
+<p>Le générai Kalkreuth est attendu au quartier-général pour
+signer l'armistice du roi de Prusse.</p>
+
+<p>Le 11 juin, à quatre heures du matin, les Russes attaquèrent
+en force Druczewo. Le général Claparède soutint le feu
+de l'ennemi. Le maréchal Masséna se porta sur la ligne, repoussa
+l'ennemi et déconcerta ses projets. Le dix-septième
+régiment d'infanterie légère a soutenu sa réputation. Le général
+Montbrun s'est fait remarquer. Un détachement du
+vingt-huitième d'infanterie légère et un piquet du vingt-cinquième
+de dragons ont mis en fuite les cosaques. Tout ce
+que l'ennemi a entrepris contre nos postes dans les journées
+du 12 et du 12, a tourné à sa confusion.</p>
+
+<p>On a vu par l'armistice que la gauche de l'armée française
+est appuyée sur Currisch-Haff, à l'embouchure du Niémen;
+de là notre ligne se prolonge sur Grodno. La droite, commandée
+par le maréchal Massena, s'étend sur les confins de
+la Russie, entre les sources de la Narew et du Bug.</p>
+
+<p>Le quartier-général va se concentrer à Koenigsberg, où l'on
+fait toujours de nouvelles découvertes en vivres, munitions
+et autres effets appartenant à l'ennemi.</p>
+
+<p>Une position aussi formidable est le résultat des succès les
+plus brillans; et tandis que toute l'armée ennemie est en
+fuite et presque anéantie, plus de la moitié de l'armée française
+n'a pas tiré un coup de fusil.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Tilsitt; le 24 juin 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Quatre-vingt-cinquième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Demain les deux empereurs de France et de Russie doivent
+avoir une entrevue. On a à cet effet, élevé au milieu du
+Niémen, un pavillon où les deux monarques se rendront de
+chaque rive.</p>
+
+<p>Peu de spectacles seront aussi intéressans. Les deux côtés
+du fleuve seront bordés par les deux armées, pendant que
+les deux chefs conféreront sur les moyens de rétablir l'ordre
+et de donner le repos à la génération présente.</p>
+
+<p>Le grand-maréchal du palais Duroc est allé, hier à trois
+heures après midi, complimenter l'empereur Alexandre.</p>
+
+<p>Le maréchal comte de Kalkreuth a été présenté aujourd'hui
+à l'empereur; il est resté une heure dans le cabinet
+de S.M.</p>
+
+<p>L'empereur a passé ce matin la revue du corps du maréchal
+Lannes. Il a fait différentes promotions, a récompensé les
+braves, et a témoigné sa satisfaction aux cuirassiers saxons.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Tilsitt, le 25 juin 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Quatre-vingt-sixième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le 25 juin, à une heure après midi, l'empereur accompagné
+du grand-duc de Berg, du prince de Neufchâtel, du
+maréchal du palais Duroc et du grand-écuyer Caulaincourt,
+s'est embarqué sur les bords du Niémen dans un bateau préparé
+à cet effet; il s'est rendu au milieu de la rivière, où le
+général Lariboissière, commandant de l'artillerie de la garde,
+avait fait placer un large radeau, et élever un pavillon. A
+côté, était un autre radeau et pavillon pour la suite de LL.
+MM. Au même moment, l'empereur Alexandre est parti de
+la rive droite, sur un bateau, avec le grand-duc Constantin,
+le général Benigsen, le général Ouwaroff, le prince Labanoff
+et son premier aide-de-camp, le comte de Liéven.</p>
+
+<p>Les deux bateaux sont arrivés en même temps; les deux
+empereurs se sont embrassés en mettant le pied sur le radeau;
+ils sont entrés ensemble dans la salle qui avait été préparée,
+et y sont restés deux heures. La conférence finie, les personnes
+de la suite des deux empereurs ont été introduites. L'empereur
+Alexandre a dit des choses agréables aux militaires qui
+accompagnaient l'empereur, qui, de son côté, s'est entretenu
+long-temps avec le grand-duc Constantin et le général Benigsen.</p>
+
+<p>La conférence finie, les deux empereurs sont montés chacun
+dans leur barque. On conjecture que la conférence a eut
+le résultat le plus satisfaisant. Immédiatement après, le prince
+Labanoff s'est rendu au quartier-général français. On est convenu
+que la moitié de la ville de Tilsitt serait neutralisée.
+On y a marqué le logement de l'empereur de Russie et de sa
+cour. La garde impériale russe passera le fleuve et sera cantonnée
+dans la partie de la ville qui lui est destinée.</p>
+
+<p>Le grand nombre des personnes de l'une et l'autre armée,
+accourues sur l'une et l'autre rive pour être témoins de cette
+scène, rendaient ce spectacle d'autant plus intéressant, que
+les spectateurs étaient des braves des extrémités du monde.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Tilsitt, le 26 juin 1807.</p>
+
+<p>Aujourd'hui à midi et demi, S.M. s'est rendue au pavillon
+de Niémen. L'empereur Alexandre et le roi de Prusse y
+sont arrivés au même moment. Ces trois souverains sont
+restés ensemble dans le salon du pavillon pendant une demi-heure.</p>
+
+<p>A cinq heures et demie, l'empereur Alexandre est passé
+sur la rive gauche. L'empereur Napoléon l'a reçu à la descente
+du bateau. Ils sont montés à cheval l'un et l'autre; ils
+ont parcouru la grande rue de la ville, où se trouvait rangée
+la garde impériale française à pied et à cheval, et sont descendus
+au palais de l'empereur Napoléon. L'empereur Alexandre
+y a dîné avec l'empereur, le grand-duc Constantin et le
+grand-duc de Berg.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Tilsitt, le 27 juin 1807.</p>
+
+<p>Le général de division Teulié, commandant la division
+italienne au siége de Colbert, qui avait été blessé à la cuisse
+d'un boulet, le 12 à l'attaque du fort Wolsberg, vient de
+mourir de ses blessures. C'était un officier également distingué
+par sa bravoure et ses talens militaires.</p>
+
+<p>La ville de Kosel a capitulé.</p>
+
+<p>Le 24 juin à deux heures du matin, S.A.I. le prince
+Jérôme a fait attaquer et enlever le camp retranché que les
+Prussiens occupaient sous Glatz, à portée de mitraille de
+cette place.</p>
+
+<p>Le général Vandamme, à la tête de la division, wurtembergeoise,
+ayant avec lui un régiment provisoire de chasseurs
+français à cheval, a commencé l'attaque sur la rive gauche
+de la Neisse, tandis que le général Lefebvre avec les Bavarois
+attaquait sur la rive droite. En une demi-heure, toutes
+les redoutes ont été enlevées à la baïonnette, l'ennemi a fait
+sa retraite en désordre, abandonnant dans le camp douze
+cents hommes tués et blessés, cinq cents prisonniers et douze
+pièces de canon.</p>
+
+<p>Les Bavarois et les Wurtembergeois se sont très-bien conduits.
+Les généraux Vandamme et Lefebvre ont dirigé les
+attaques avec une grande habileté.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Tilsitt, le 28 juin 1807.</p>
+
+<p>Hier, à trois heures après midi, l'empereur s'est rendu
+chez l'empereur Alexandre. Ces deux princes sont restés ensemble
+jusqu'à six heures. Ils sont alors montés à cheval et
+sont allés voir manoeuvrer la garde impériale. L'empereur
+Alexandre a montré qu'il connaît très-bien toutes nos manoeuvres,
+et qu'il entend parfaitement tous les détails de la
+tactique militaire.</p>
+
+<p>A huit heures, les deux souverains sont revenus au palais
+de l'empereur Napoléon, où ils ont dîné, comme la veille, avec
+le grand-duc Constantin et le grand-duc de Berg.</p>
+
+<p>Après le dîner, l'empereur Napoléon a présenté LL. Exc.
+le ministre des relations extérieures et le ministre secrétaire
+d'état à l'empereur Alexandre, qui lui a aussi présenté S. Exc.
+M. de Budberg, ministre des affaires étrangères, et le prince
+Kourakin.</p>
+
+<p>Les deux souverains sont ensuite rentrés dans le cabinet
+de l'empereur Napoléon, où ils sont restés seuls jusqu'à onze
+heures du soir.</p>
+
+<p>Aujourd'hui 28, à midi, le roi de Prusse a passé le Niémen,
+et est venu occuper à Tilsitt le palais qui lui avait été préparé.
+Il a été reçu à la descente de son bateau, par le maréchal
+Bessières. Immédiatement après, le grand-duc de Berg est
+allé lui rendre visite.</p>
+
+<p>A une heure, l'empereur Alexandre est venu faire une visite
+à l'empereur Napoléon, qui est allé au-devant de lui jusqu'à
+la porte de son palais.</p>
+
+<p>A deux heures, S.M. le roi de Prusse est venu, chez l'empereur
+Napoléon, qui est allé le recevoir jusqu'au pied de
+l'escalier de son appartement.</p>
+
+<p>A quatre heures, l'empereur Napoléon est allé voir l'empereur
+Alexandre. Ils sont montés à cheval à cinq heures, et
+se sont rendus sur le terrain où devait manoeuvrer le corps
+du maréchal Davoust.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Tilsitt, le 1er juillet 1807.</p>
+
+<p>Le 29 et le 30 juin, les choses se sont passées entre les trois
+souverains comme les jours précédens. Le 29, à six heures
+du soir, ils sont allés voir manoeuvrer l'artillerie de la garde.
+Le lendemain, à la même heure, ils ont vu manoeuvrer les
+grenadiers à cheval. La plus grande amitié paraît régner
+entre ces princes.</p>
+
+<p>A l'un de ces dîners qui ont toujours lieu chez l'empereur
+Napoléon, S.M. a porté la santé de l'impératrice de Russie
+et de l'impératrice-mère. Le lendemain, l'empereur Alexandre
+a porté la santé de l'impératrice des Français.</p>
+
+<p>La première fois que le roi de Prusse a dîné chez l'empereur
+Napoléon, S. M. a porté la santé de la reine de Prusse.</p>
+
+<p>Le 29, le prince Alexandre Kourakin, ambassadeur et
+ministre plénipotentiaire de l'empereur Alexandre, a été présenté
+à l'empereur Napoléon.</p>
+
+<p>Le 30, la garde impériale a donné un dîner de corps à la
+garde impériale russe. Les choses se sont passées avec beaucoup
+d'ordre. Cette réunion a produit beaucoup de gaité dans
+la ville.</p>
+
+<p>La place de Glatz a capitulé. Le fort de Silberberg est la
+seule place de la Silésie qui tienne encore.</p>
+<br><br><br>
+
+
+
+<p class="droite">Tilsitt, le 7 juillet 1807.</p>
+
+<p>La reine de Prusse est arrivée ici hier à midi. A midi et
+demi l'empereur Napoléon est allé lui rendre visite.</p>
+
+<p>Les trois souverains ont fait chaque jour, à six heures du
+soir, leurs promenades accoutumées. Ils ont ensuite dîné chez
+l'empereur Napoléon avec la reine de Prusse, le grand-duc
+Constantin, le prince Henri de Prusse, le grand-duc de Berg
+et le prince royal de Bavière.</p>
+
+<p>On a distribué à l'ordre de la grande armée la notice suivante:</p>
+<br><br><br>
+
+
+
+<p class="droite">Au quartier-général impérial à Tilsitt, le 9 juillet 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Notice pour l'armée.</i></p>
+
+<p>La paix a été conclue entre l'empereur des Français et
+l'empereur de Russie, hier 8 juillet, à Tilsitt, et signée par
+le prince de Bénévent, ministre des relations extérieures de
+France, et par les princes Kourakin et Labanoff de Rostow,
+pour l'empereur de Russie, chacun de ces plénipotentiaires
+étant muni de pleins-pouvoirs de leurs souverains respectifs.
+Les ratifications ont été échangées aujourd'hui 9 juillet,
+ces deux souverains se trouvant encore à Tilsitt.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Tilsitt, le 9 juillet 1807.</p>
+
+<p>L'échange des ratifications du traité de paix entre la France
+et la Russie a eu lieu aujourd'hui à neuf heures du matin. A
+onze heures, l'empereur Napoléon, portant le grand cordon
+de l'ordre de Saint-André, s'est rendu chez l'empereur
+Alexandre, qui l'a reçu à la tête de sa garde, et ayant la
+grande décoration de la légion-d'honneur.</p>
+
+<p>L'empereur a demandé à voir le soldat de la garde russe
+qui s'était le plus distingué; il lui a été présenté. S. M., en
+témoignage de son estime pour la garde impériale russe, a
+donné à ce brave l'aigle d'or de la légion-d'honneur.</p>
+
+<p>Les empereurs sont restés ensemble pendant trois heures,
+et sont ensuite montés à cheval; ils se sont rendus au bord
+du Niémen, où l'empereur Alexandre s'est embarqué. L'empereur
+Napoléon est demeuré sur le rivage jusqu'à ce que
+l'empereur Alexandre fût arrivé à l'autre bord. Les marques
+d'affection que ces princes se sont données en se séparant, ont
+excité la plus vive émotion parmi les nombreux spectateurs
+qui s'étaient rassemblés pour voir les plus grands souverains
+du monde, offrir dans les témoignages de leur union et de
+leur amitié un solide garant du repos de la terre.</p>
+
+<p>L'empereur Napoléon a fait remettre le grand cordon de la
+légion-d'honneur au grand-duc Constantin, au prince Kourakine,
+au prince Labanoff et à M. de Budberg.</p>
+
+<p>L'empereur Alexandre a donné le grand ordre de Saint-André
+au prince Jérôme Napoléon, roi de Westphalie, au
+grand-duc de Berg et de Clèves, au prince de Neufchâtel et
+au prince de Bénévent.</p>
+
+<p>A trois heures de l'après midi, le roi de Prusse est venu voir
+l'empereur Napoléon. Ces deux souverains se sont entretenus
+pendant une demi-heure. Immédiatement après, l'empereur
+Napoléon a rendu au roi de Prusse sa visite; il est ensuite
+parti pour Koenigsberg.</p>
+
+<p>Ainsi, les trois souverains ont séjourné pendant vingt jours
+à Tilsitt. Cette petite ville était le point de réunion des deux
+armées. Ces soldats qui naguères étaient ennemis, se donnaient
+des témoignages réciproques d'amitié qui n'ont pas été troublés
+par le plus léger désordre.</p>
+
+<p>Hier, l'empereur Alexandre avait fait passer le Niémen à
+une dizaine de Baschirs qui ont donné à l'empereur Napoléon
+un concert à la manière de leur pays.</p>
+
+<p>L'empereur, en témoignage de son estime pour le général
+Platow, hetman des cosaques, lui a fait présent de son portrait.</p>
+
+<p>Les Russes ont remarqué que le 27 juin (style russe, 9
+juillet du calendrier grégorien), jour de la ratification du
+traité de paix, est l'anniversaire de la bataille de Pultawa,
+qui fut si glorieuse et qui assura tant d'avantages à l'empire
+de Russie; ils en tirent un augure favorable pour la durée
+de la paix et de l'amitié qui viennent de s'établir entre ces
+deux grands empires.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Koenigsberg, le 12 juillet 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Quatre-vingt-septième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Les empereurs de France et de Russie, après avoir séjourné
+pendant vingt jours à Tilsitt, où les deux maisons impériales,
+situées dans la même rue, étaient à peu de distance l'une de
+l'autre, se sont séparés le 9, à trois heures après midi, en se
+donnant les plus grandes marques d'amitié. Le journal de ce
+qui s'est passé pendant leur séjour, sera d'un véritable intérêt
+pour les deux peuples.</p>
+
+<p>Après avoir reçu, à trois heures et demie, la visite d'adieu
+du roi de Prusse, qui est retourné à Memel, l'empereur Napoléon
+est parti pour Koenigsberg, où il est arrivé le 10 à
+quatre heures du matin.</p>
+
+<p>Il a fait hier la visite du port dans un canot qui était servi
+par les marins de la garde. S. M. passe aujourd'hui la revue
+du corps du maréchal Soult, et part demain, à deux heures
+du matin, pour Dresde.</p>
+
+<p>Le nombre des Russes tués à la bataille de Friedland s'élève
+à dix-sept mille cinq cents, celui des prisonniers est de
+quarante mille, dix-huit mille sont passés à Koenigsberg,
+sept mille sont restés malades dans les hôpitaux, le reste a été
+dirigé sur Thorn et Varsovie.</p>
+
+<p>Les ordres ont été donnés pour qu'ils fussent renvoyés en
+Russie sans délai, sept mille sont déjà revenus à Koenigsberg,
+et vont être rendus.</p>
+
+<p>Ceux qui sont en France seront formés en régimens provisoires.
+L'empereur a ordonné de les habiller et de les armer.</p>
+
+<p>Les ratifications du traité de paix entre la France et la
+Russie avaient été échangées à Tilsitt le 9; celles du traité de
+paix entre la France et la Prusse l'ont été ici aujourd'hui.</p>
+
+<p>Les plénipotentiaires chargés de ces négociations étaient,
+pour la France, M. le prince de Bénévent; pour la Russie,
+le prince Kourakin et le prince Labanoff; pour la Prusse, le
+feld-maréchal Kalkreuth et le comte de Glotz.</p>
+
+<p>Après de tels événemens on ne peut s'empêcher de sourire
+quand on entend parler de la grande expédition anglaise et de
+la nouvelle frénésie qui s'est emparée du roi de Suède.</p>
+
+<p>On doit remarquer d'ailleurs que l'armée d'observation de
+l'Elbe et de l'Oder était de soixante-dix mille hommes, indépendamment
+de la grande armée, et non compris les divisions
+espagnoles qui sont en ce moment sur l'Oder.</p>
+
+<p>Ainsi, il aurait fallu que l'Angleterre mît en expédition
+toute son armée, ses milices, ses volontaires, ses fencibles,
+pour opérer une diversion sérieuse.</p>
+
+<p>Quand on considère que, dans de telles circonstances, elle
+a envoyé six mille hommes se faire massacrer par les Arabes,
+et sept mille hommes dans les Indes espagnoles, on ne peut
+qu'avoir pitié de l'excessive avidité qui tourmente ce cabinet.</p>
+
+<p>La paix de Tilsitt met fin aux opérations de la grande armée,
+mais toutes les côtes, tous les ports de la Prusse n'en
+resteront pas moins fermés aux Anglais. Il est probable que le
+blocus continental ne sera pas un vain mot.</p>
+
+<p>La Porte a été comprise dans le traité. La révolution qui
+vient de s'opérer à Constantinople est une révolution anti-chrétienne
+qui n'a rien de commun avec la politique de l'Europe.
+L'adjudant-commandant Guilleminot est parti pour la
+Bessarabie, où il va informer le grand-visir de la paix, de la
+liberté qu'a la Porte d'y prendre part, et des conditions qui
+la concernent.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Koenigsberg, le 13 juillet 1807.</p>
+
+<p>L'empereur a passé hier la revue du quatrième corps d'armée.
+Arrivé au vingt-sixième régiment d'infanterie légère,
+on lui présenta le capitaine de grenadiers Roussel. Ce brave
+soldat, fait prisonnier à l'affaire de Aoff, avait été remis aux
+Prussiens. Il se trouva dans un appartement où un insolent
+officier se livrait à toute espèce d'invectives contre l'empereur.
+Roussel supporta d'abord patiemment ces injures, mais
+enfin il se lève fièrement en disant: «Il n'y a que des lâches
+qui puissent tenir de pareils propos contre l'empereur Napoléon
+devant un de ses soldats. Si je suis contraint d'entendre
+de pareilles infamies, je suis à votre discrétion, donnez-moi
+la mort.» Plusieurs autres officiers prussiens qui étaient présens,
+ayant autant de jactance que peu de mérite et d'honneur,
+voulurent se porter contre ce brave militaire à des voies de
+fait. Roussel, seul contre sept ou huit personnes, aurait passé
+un mauvais quart-d'heure, si un officier russe, survenant à
+l'instant, ne se fût jeté devant lui le sabre à la main: c'est
+notre prisonnier, dit-il, et non le vôtre; il a raison, et vous
+outragez lâchement le premier capitaine de l'Europe. Avant
+de frapper ce brave homme, il vous faudra passer sur mon
+corps.</p>
+
+<p>En général, autant les prisonniers français se louent des
+Russes, autant ils se plaignent des Prussiens, surtout du général
+Ruchel, officier aussi méchant et fanfaron qu'il est
+inepte et ignorant sur le champ de bataille. Des corps prussiens
+qui se trouvaient à la journée d'Iéna, le sien est celui qui
+s'est le moins bravement comporté.</p>
+
+<p>En entrant à Koenigsberg, on a trouvé aux galères un caporal
+français qui y avait été jeté, parce qu'entendant les sectateurs
+de Ruchel parler mal de l'empereur, il s'était emporté
+et avait déclaré ne pas vouloir le souffrir en sa présence.</p>
+
+<p>Le général Victor, qui fut fait prisonnier dans une chaise
+de poste par un guet-apens, a eu aussi à se plaindre du traitement
+qu'il a reçu du général Ruchel, qui était gouverneur
+de Koenigsberg. C'est cependant le même Ruchel qui, blessé
+grièvement à la bataille d'Iéna, fut accablé de bons traitemens
+par les Français; c'est lui qu'on laissa libre, et à qui, au lieu
+d'envoyer des gardes comme on devait le faire, on envoya des
+chirurgiens. Heureusement que le nombre des hommes auxquels
+il faut se repentir d'avoir fait du bien, n'est pas grand.
+Quoi qu'en disent les misanthropes, les ingrats et les pervers
+forment une exception dans l'espèce humaine.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Dresde, le 18 juillet 1817.</p>
+
+<p>S. M. l'empereur est parti de Koenigsberg le 13 à six heures
+du soir; il est arrivé le 14 à midi à Marienwerder, où il s'est
+arrêté pendant une heure.</p>
+
+<p>Il a passé à Posen le 14, à dix heures du soir; il s'y est
+reposé deux heures; il y a reçu les autorités du gouvernement
+polonais.</p>
+
+<p>Il est arrivé à Glogau le 16 à midi, et le 17, à sept heures
+du matin, à Bautzen, première ville du royaume de Saxe, où
+il a été reçu par le roi.</p>
+
+<p>Ces deux souverains se sont entretenus un moment dans la
+maison de l'évêché. Le roi est monté dans la voiture de l'empereur;
+ils sont arrivés ensemble à Dresde et sont descendus
+au palais.</p>
+
+<p>Aujourd'hui à six heures du matin, l'empereur est monté à
+cheval pour parcourir les environs de Dresde.</p>
+
+<p>Les sentimens que S.M. à trouvés en Saxe sont semblables
+à ceux qui lui ont été exprimés sur toute sa route en Pologne;
+un immense concours de peuple était partout sur son passage.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Paris, le 12 août 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de l'empereur à une députation du royaume
+d'Italie.</i></p>
+
+<p>«J'agrée les sentimens que vous m'exprimez au nom de
+mes peuples d'Italie. J'ai éprouvé une joie particulière dans
+le cours de la campagne dernière, de la conduite distinguée
+qu'ont tenue mes troupes italiennes. Pour la première fois,
+depuis bien des siècles, les Italiens se sont montrés avec honneur
+sur le grand théâtre du monde: j'espère qu'un si heureux
+commencement excitera l'émulation de la nation; que
+les femmes elles-mêmes renverront d'auprès d'elle cette jeunesse
+oisive qui languit dans leurs boudoirs, ou du moins
+ne les recevront que lorsqu'ils seront couverts d'honorables
+cicatrices. Du reste, j'espère avant l'hiver aller faire un tour
+dans mes Etats d'Italie, et je me fais un plaisir tout particulier
+de me trouver au milieu des habitans de ma bonne
+ville de Venise. Le vice-roi ne m'a pas laissé ignorer les bons
+sentiments qui les animent, et les preuves d'amour qu'ils
+m'ont données.»</p>
+
+<p class="droite">BONAPARTE.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">En notre palais impérial de Saint-Cloud, le 14 août 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Message de Sa Majesté impériale et royale au sénat.</i></p>
+
+<p>Sénateurs,</p>
+
+<p>Conformément à l'article LVI de l'acte des constitutions de
+l'empire en date du 28 floréal an 12, nous avons nommé
+membres du sénat.</p>
+
+<p>MM. Klein, général de division; Beaunont, général de
+division, et Béguinot, général de division.</p>
+
+<p>Nous désirons que l'armée voie dans ce choix l'intention
+où nous sommes de distinguer constamment ses services.</p>
+
+<p>MM. Fabre (de l'Aude), président du tribunat; et Curée;
+membre du tribunat.</p>
+
+<p>Nous désirons que les membres du tribunat trouvent dans
+ces nominations un témoignage de notre satisfaction pour la
+manière dont ils ont concouru avec notre conseil d'Etat, à
+établir les grandes bases de la législation civile.</p>
+
+<p>M. l'archevêque de Turin.</p>
+
+<p>Nous saisissons avec plaisir cette occasion de témoigner
+notre satisfaction au clergé de notre empire, et particulièrement
+à celui de nos départements au-delà des Alpes.</p>
+
+<p>M. Dupont, maire de Paris.</p>
+
+<p>Notre bonne ville de Paris verra dans le choix d'un de ses
+maires, le désir que nous avons de lui donner constamment
+des preuves de notre affection.</p>
+
+<p class="droite">BONAPARTE.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="milieu"><i>Autre message de S. M. impériale et royale au sénat.</i></p>
+
+<p>Sénateurs,</p>
+
+<p>Nous avons jugé convenable de nommer à la place de vice-grand-électeur
+le prince de Bénévent; c'est une marque éclatante de notre
+satisfaction, que nous avons voulu lui donner
+pour la manière distinguée dont il nous a constamment secondé
+dans la direction des affaires extérieures de l'empire.</p>
+
+<p>Nous avons nommé vice-connétable notre cousin le prince
+de Neufchâtel: en l'élevant à cette haute dignité, nous avons
+voulu reconnaître son attachement à notre personne, et les
+services réels qu'il nous a rendus dans toutes les circonstances
+par son zèle et ses talents.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Paris, le 16 août 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Discours de Sa Majesté l'empereur et roi à l'ouverture du
+corps législatif.</i></p>
+
+<p>«Messieurs les députés des départements au corps législatif,
+messieurs les tribuns et les membres de mon conseil
+d'état,</p>
+
+<p>Depuis votre dernière session, de nouvelles guerres,
+de nouveaux triomphes, de nouveaux traités de paix ont
+changé la face de l'Europe politique.</p>
+
+<p>Si la maison de Brandebourg, qui, la première, se conjura
+contre notre indépendance, règne encore, elle le doit à
+la sincère amitié que m'a inspiré le puissant empereur du
+Nord.</p>
+
+<p>Un prince français régnera sur l'Elbe: il saura concilier
+les intérêts de ses nouveaux sujets avec ses premiers et ses plus
+sacrés devoir.</p>
+
+<p>La maison de Saxe a recouvré, après cinquante ans, l'indépendance
+qu'elle avait perdue.</p>
+
+<p>Les peuples du duché de Varsovie, de la ville de Dantzick,
+ont recouvré leur patrie et leurs droits.</p>
+
+<p>Toutes les nations se réjouissent d'un commun accord,
+de voir l'influence malfaisante que l'Angleterre exerçait sur le
+continent, détruite sans retour.</p>
+
+<p>»La France est unie aux peuples de l'Allemagne par les
+lois de la confédération du Rhin, à ceux des Espagnes, de
+la Hollande, de la Suisse et des Italies, par les lois de notre
+système fédératif. Nos nouveaux rapports avec la Russie sont
+cimentés par l'estime réciproque de ces deux grandes nations.</p>
+
+<p>»Dans tout ce que j'ai fait, j'ai eu uniquement en vue le
+bonheur de mes peuples, plus cher à mes yeux que ma propre
+gloire.</p>
+
+<p>»Je désire la paix maritime. Aucun ressentiment n'influera
+jamais sur mes déterminations: je n'en saurais avoir contre
+une nation, jouet et victime des partis qui la déchirent, et
+trompée sur la situation de ses affaires, comme sur celle de
+ses voisins.</p>
+
+<p>»Mais quelle que soit l'issue que les décrets de la Providence
+aient assignée à la guerre maritime, mes peuples me
+trouveront toujours le même, et je trouverai toujours mes
+peuples dignes de moi.</p>
+
+<p>»Français, votre conduite dans ces derniers temps, où
+votre empereur était éloigné de plus de cinq cents lieues, a
+augmenté mon estime et l'opinion que j'avais conçue de votre
+caractère. Je me suis senti fier d'être le premier parmi vous.&mdash;Si,
+pendant ces dix mois d'absence et de périls, j'ai été
+présent à votre pensée, les marques d'amour que vous m'avez
+données ont excité constamment mes plus vives émotions.
+Toutes mes sollicitudes, tout ce qui pouvait avoir rapport
+même à la conservation de ma personne, ne me touchaient
+que par l'intérêt que vous y portiez et par l'importance dont
+elles pouvaient être pour vos futures destinée. <i>Vous êtes un
+bon et grand peuple.</i></p>
+
+<p>»J'ai médité différentes dispositions pour simplifier et
+perfectionner nos institutions.</p>
+
+<p>»La nation a éprouvé les plus heureux effets de l'établissement
+de la légion d'honneur. J'ai créé différens titres impériaux
+pour donner un nouvel éclat aux principaux de mes
+sujets, pour honorer d'éclatans services par d'éclatantes récompenses,
+et aussi pour empêcher le retour de tout titre féodal,
+incompatible avec nos constitutions.</p>
+
+<p>»Les comptes de mes ministres des finances et du trésor
+public vous feront connaître l'état prospère de nos finances.
+Mes peuples éprouveront une considérable décharge sur la
+contribution foncière.</p>
+
+<p>»Mon ministre de l'intérieur vous fera connaître les travaux
+qui ont été commencés ou finis; mais ce qui reste à faire
+est bien plus important encore, car je veux que dans toutes
+les parties de mon empire, même dans le plus petit hameau,
+l'aisance des citoyens et la valeur des terres se trouvent augmentées
+par l'effet du système général d'amélioration que j'ai
+conçu.</p>
+
+<p>»Messieurs les députés des départemens au corps législatif,
+votre assistance me sera nécessaire pour arriver à ce grand
+résultat, et j'ai le droit d'y compter constamment.»</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Paris, le 19 août 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Décret qui supprime le tribunat.</i></p>
+
+<p>ART. 1er. A l'avenir, et à compter de la fin de la session
+qui va s'ouvrir, la discussion préalable des lois qui est faite
+par les sections du tribunat, le sera, pendant la durée de chaque
+session, par trois commissions du corps législatif, sous
+le titre, la première, de <i>commission de législation civile et
+criminelle</i>; la seconde, de <i>commission d'administration intérieure</i>;
+la troisième, de <i>commission des finances</i>.</p>
+
+<p>2. Chacune de ces commissions délibérera séparément et
+sans assistans; elle sera composée de sept membres nommés
+par le corps législatif, au scrutin secret et à la majorité absolue
+des voix. Le président sera nommé par l'empereur,
+soit parmi les membres de la commission, soit parmi les autres
+membres du corps législatif.</p>
+
+<p>3. La forme du scrutin sera dirigée de manière qu'il y ait,
+autant qu'il sera possible, quatre jurisconsultes dans la commission
+de législation.</p>
+
+<p>4. En cas de discordance d'opinion entre la section du conseil
+d'état, qui aura rédigé le projet de loi, et la commission
+compétente du corps législatif, l'une et l'autre se réuniront
+en conférence, sous la présidence de l'archi-chancelier de l'empire,
+ou de l'archi-trésorier, suivant la nature des objets à
+examiner.</p>
+
+<p>5. Si les conseillers d'état et les membres de la commission
+du corps législatif sont du même avis, le président de la
+commission sera entendu, après que l'orateur du conseil
+d'état aura exposé devant le corps législatif les motifs de
+la loi.</p>
+
+<p>6. Lorsque la commission se décidera contre le projet de
+loi, tous les membres de la commission auront la faculté
+d'exposer devant le corps législatif les motifs de leur opinion.</p>
+
+<p>7. Les membres de la commission qui auront discuté un
+projet de loi seront admis, comme les autres membres du
+corps législatif, à voter sur le projet.</p>
+
+<p>8. Lorsque les circonstances donneront lieu à l'examen de
+quelque projet d'une importance particulière, il sera loisible
+à l'empereur d'appeler, dans l'intervalle de deux sessions,
+les membres du corps législatif nécessaires pour former les
+commissions, lesquelles procéderont, de suite, à la discussion
+préalable du projet: ces commissions se trouveront
+nommées pour la session prochaine.</p>
+
+<p>9. Les membres du tribunal qui, aux termes de l'acte du
+sénat conservateur, en date du 17 fructidor an 10 devaient
+rester jusqu'en l'an 19, et dont pouvoirs avaient été, par
+l'article 89 de l'acte des constitutions de l'empire, du 28 floréal
+an 12, prorogés jusqu'en l'an 21, correspondant à l'année
+1812 du calendrier grégorien, entreront au corps législatif,
+et feront partie de ce corps jusqu'à l'époque où leurs fonctions
+auraient dû cesser au tribunat.</p>
+
+<p>10. A l'avenir, nul ne pourra être renommé membre du corps
+législatif, à moins qu'il n'ait quarante ans accomplis.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">En notre palais royal de Milan, le 17 décembre 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Décret qui déclare en état de blocus les îles britanniques.</i></p>
+
+<p>Napoléon, empereur des Français, roi d'Italie, et protecteur
+de la confédération du Rhin.</p>
+
+<p>Vu les dispositions arrêtées par le gouvernement britannique,
+en date du 11 novembre dernier, qui assujettissent les
+bâtimens des puissances neutres, amies et même alliées de
+l'Angleterre, non-seulement à une visite par les croiseurs
+anglais, mais encore à une station obligée en Angleterre et à
+une imposition arbitraire de tant pour cent sur leur chargement,
+qui doit être réglée par la législation anglaise;</p>
+
+<p>Considérant que, par ces actes, le gouvernement anglais a
+dénationalisé les bâtimens de toutes les nations de l'Europe;
+qu'il n'est au pouvoir d'aucun gouvernement de transiger sur
+son indépendance et sur ses droits, tous les souverains de
+l'Europe étant solidaires de la souveraineté et de l'indépendance
+de leur pavillon; que si, par une faiblesse inexcusable,
+et qui serait une tache ineffaçable aux yeux de la postérité,
+ou laissait passer en principe et consacrer par l'usage une pareille
+tyrannie, les Anglais en prendraient acte pour l'établir
+en droit, comme ils ont profité de la tolérance des gouvernemens
+pour établir l'infâme principe que le pavillon ne
+couvre pas la marchandise, et pour donner à leur droit de
+blocus une extension arbitraire et attentatoire à la souveraineté
+de tous les états.</p>
+
+<p>Nous avons décrété et décrétons ce qui suit:</p>
+
+<p>Art. 1er. Tout bâtiment, de quelque nation qu'il soit, qui
+aura souffert la visite d'un vaisseau anglais, ou se sera soumis
+à un voyage en Angleterre, ou aura payé une imposition
+quelconque au gouvernement anglais, est par cela seul déclaré
+dénationalisé, a perdu la garantie de son pavillon et est
+devenu propriété anglaise.</p>
+
+<p>2. Soit que lesdits bâtimens ainsi dénationalisés par les
+mesures arbitraires du gouvernement anglais, entrent dans
+nos ports ou dans ceux de nos alliés, soit qu'ils tombent
+au pouvoir de nos vaisseaux de guerre ou de nos corsaires,
+ils sont déclarés de bonne et valable prise.</p>
+
+<p>3. Les îles britanniques sont déclarées en état de blocus
+sur mer comme sur terre. Tout bâtiment de quelque nation
+qu'il soit, quel que soit son chargement, expédié des ports
+d'Angleterre ou des colonies anglaises, ou des pays occupés
+par les troupes anglaises, ou allant en Angleterre, ou dans
+les colonies anglaises, ou dans des pays occupés par les troupes
+anglaises, est de bonne prise, comme contrevenant au
+présent décret; il sera capturé par nos vaisseaux de guerre
+ou par nos corsaires, et adjugé au capteur.</p>
+
+<p>4. Ces mesures, qui ne sont qu'une juste réciprocité pour le
+système barbare adopté par le gouvernement anglais, qui assimile
+sa législation à celle d'Alger, cesseront d'avoir leur
+effet pour toutes les nations qui sauraient obliger le gouvernement
+anglais à respecter leur pavillon. Elles continueront
+d'être en vigueur pendant tout le temps que ce gouvernement
+ne reviendra pas aux principes du droit des gens, qui règle
+les relations des états civilisés dans l'état de guerre. Les dispositions
+du présent décret seront abrogées et nulles par le
+fait, dès que le gouvernement anglais sera revenu aux principes
+du droit des gens, qui sont aussi ceux de la justice et
+de l'honneur.</p>
+
+<p>5. Tous nos ministres sont chargés de l'exécution du présent
+décret, qui sera inséré au bulletin des lois.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">En notre palais royal de Milan, la 20 décembre 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Lettres-patentes.</i></p>
+
+<p>Napoléon, par la grâce de Dieu et par les constitutions,
+empereur des Français, roi d'Italie, protecteur de la confédération
+du Rhin, à tous ceux qui les présentes verront; salut:</p>
+
+<p>Voulant donner une preuve particulière de notre satisfaction
+à notre bonne ville de Venise, nous avons conféré et
+conférons, par ces présentes lettres-patentes, à notre bien-aimé
+fils le prince Eugène Napoléon, notre héritier présomptif
+à la couronne d'Italie, le titre de <i>prince de Venise</i>.</p>
+
+<p>Nous mandons et ordonnons que les présentes lettres-patentes
+soient enregistrées à la consulte d'état, transcrites sur
+le grand livre qu'ouvrira à cet effet notre chancelier garde-des-sceaux,
+et insérées au bulletin des lois, afin que personne
+ne puisse en prétexter cause d'ignorance.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">En notre palais royal de Milan, le 20 décembre 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Lettres-patentes.</i></p>
+
+
+<p>Napoléon, par la grâce de Dieu et les constitutions, empereur
+des Français, roi d'Italie, protecteur de la confédération
+du Rhin, à tous ceux qui les présentes verront; salut:</p>
+
+<p>Voulant donner une preuve particulière de notre satisfaction
+à notre bonne ville de Bologne, nous avons conféré et conférons
+par les présentes, le titre de <i>princesse de Bologne</i> à
+notre bien-aimée petite-fille la princesse Joséphine.</p>
+
+<p>Nous mandons et ordonnons que les présentes lettres-patentes
+soient enregistrées à la consulte-d'état, transcrites sur
+les registres du sénat à la première session, inscrites sur le
+grand livre qu'ouvrira à cet effet notre chancelier garde-des-sceaux,
+et insérées au bulletin des lois, afin que personne ne
+puisse en prétexter cause d'ignorance.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">En notre palais royal de Milan, le 20 décembre 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Lettres-patentes.</i></p>
+
+<p>Napoléon, par la grâce de Dieu et les constitutions, empereur
+des Français, roi d'Italie, protecteur de la confédération
+du Rhin, à tous ceux qui les présentes verront; salut:</p>
+
+<p>Voulant reconnaître les services que le sieur Melzi, chancelier
+garde-des-sceaux de notre royaume d'Italie, nous a
+rendus dans toutes les circonstances, dans l'administration
+publique, où il a déployé, pour le bien de nos peuples et de
+notre couronne, les plus hauts talens et la plus sévère intégrité;</p>
+
+<p>Nous souvenant qu'il fut le premier Italien qui nous porta,
+sur le champ de bataille de Lodi, les clefs et les voeux de
+notre bonne ville de Milan, nous avons résolu de lui conférer
+le titre de <i>duc de Lodi</i>, pour être possédé par lui ou par ses
+héritiers masculins, soit naturels, soit adoptifs, par ordre de
+primogéniture; entendant que le cas d'adoption ayant lieu
+par le titulaire et ses descendans, elle sera soumise à notre
+approbation ou à celle de nos successeurs.</p>
+
+<p>Nous mandons et ordonnons que l'état des biens que nous
+avons annexés au duché de Lodi, soit envoyé par notre grand-juge
+aux cours d'appel du lieu où ils sont situés, pour être
+inscrit au greffe, afin que personne n'en puisse prétexter
+cause d'ignorance; notre intention étant que ces biens soient
+exceptés des dispositions du Code Napoléon, et possédés toujours
+et en entier par les titulaires du duché, comme en faisant
+partie intégrante.</p>
+
+<p>Les présentes lettres-patentes seront enregistrées à la consulte-d'état,
+imprimées au bulletin des lois, et transcrites sur
+les registres du sénat, à sa première session, et sur le grand
+livre qu'ouvrira à cet effet notre chancelier garde-des-sceaux.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Milan, le 21 décembre 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Discours de l'empereur et roi au corps législatif italien,
+après la lecture des lettres-patentes gui précèdent.</i></p>
+
+<p>«Messieurs les possidenti, dotti et commercianti,</p>
+
+<p>«Je vous vois avec plaisir environner mon trône.</p>
+
+<p>«De retour, après trois ans d'absence, je me plais à remarquer
+les progrès qu'ont faits mes peuples; mais que de
+choses il reste encore à faire pour effacer les fautes de nos
+pères, et vous rendre dignes des destins que je vous prépare!</p>
+
+<p>«Les divisions intestines de nos ancêtres, leur misérable
+égoïsme de ville, préparèrent la perte de tous nos droits. La
+patrie fut déshéritée de son rang et de sa dignité, elle qui,
+dans des siècles plus éloignés, avait porté si loin l'honneur
+de ses armes et l'éclat de ses vertus. Cet éclat, ces vertus, je
+fais consister ma gloire à les reconquérir.</p>
+
+<p>«Citoyens d'Italie, j'ai beaucoup fait pour vous; je ferai,
+plus encore. Mais de vôtre côté, unis de coeur comme vous
+l'êtes d'intérêt avec mes peuples de France, considérez-les
+comme des frères aînés. Voyez constamment la source de notre
+prospérité, la garantie de nos institutions, celle de notre indépendance,
+dans l'union de cette couronne de fer avec ma
+couronne impériale.»</p>
+<br><br><br>
+
+
+
+<h3>LIVRE SIXIÈME.</h3>
+<br><br><br>
+
+
+<h3>EMPIRE.</h3>
+
+<h4>1808.</h4>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Paris, le 6 janvier 1808.</p>
+
+<p><b><i>Notes extraites du Moniteur.</i></b></p>
+
+<p><a id="footnotetag5" name="footnotetag5"></a><a href="#footnote5"><sup>5</sup></a>Nous sommes autorisés à déclarer qu'il n'a été pris, pendant
+les conférences de Tilsitt, aucun engagement secret
+dont l'Angleterre puisse se plaindre, et qui la concerne en
+aucune manière. Pourquoi le cabinet de Londres, s'il est instruit
+d'engagemens secrets, contraires aux intérêts de l'Angleterre,
+ne les fait-il pas connaître? Son manifeste deviendrait
+inutile, et la seule communication de ces articles secrets
+justifierait sa conduite aux yeux de l'Europe, et redoublerait
+la bonne volonté et l'énergie de tout citoyen anglais. Mais
+c'est l'usage de ce gouvernement de partir d'une assertion
+fausse pour autoriser ses injustices, et pour chercher à justifier
+les vexations qu'il fait éprouver sans distinction à tous
+les peuples du monde. Lorsqu'il jugea convenable de ne point
+exécuter l'article du traité d'Amiens qui exigeait l'évacuation
+de Malte, il fit dire au roi dans un message au parlement:
+que tous les ports français étaient remplis de vaisseaux prêts
+à effectuer une descente en Angleterre, et l'Europe entière
+sait s'il y avait alors le moindre armement dans les ports de
+France. Lorsqu'il voulut ravir quelques millions de piastres,
+que quatre frégates espagnoles rapportaient du continent de
+l'Amérique, il fit un mensonge non moins grossier, pour justifier
+l'agression la plus honteuse. Lorsqu'enfin, il veut excuser
+l'inexcusable expédition de Copenhague, il a recours à
+des suppositions d'une fausseté évidente pour toute l'Europe.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote5" name="footnote5"></a><b>Note 5:</b><a href="#footnotetag5"> (retour) </a> Cette note est une réponse aux plaintes que faisait le
+gouvernement anglais sur des engagement secrets auxquels aurait souscrit
+la Russie lors du traité de Tilsitt.</blockquote>
+
+<p>Mais si les dénégations formelles de la Russie et de la
+France, si l'expérience si souvent renouvelée de l'infidélité
+des assertions de l'Angleterre, si le défi qu'on lui fait de donner
+connaissance de quelque article secret du traité de Tilsitt
+qui serait contraire à ses intérêts, ne suffisent point pour convaincre
+tout homme impartial, un très-petit nombre de réflexions
+prouvera que l'Angleterre ne croit pas à ces engagemens
+secrets pris par la Russie contre elle.</p>
+
+<p>En effet, si le cabinet de Londres croyait qu'il existait de tels
+engagemens contre la France et la Russie, pourquoi, dans le moment
+même où il avait fait cette découverte, qui le portait à attaquer
+Copenhague, ne faisait-il pas attaquer l'escadre russe dans
+la Méditerranée, et lui permettait-il de franchir librement le
+détroit de Gibraltar? Pourquoi trois vaisseaux russes, qui
+venaient de la mer du Nord, traversaient-ils l'escadre anglaise
+qui bloquait Copenhague? Pourquoi, s'il était vrai que des
+conditions secrètes eussent été stipulées à Tilsitt, au désavantage
+de l'Angleterre, le cabinet de Londres recourait-il
+à la médiation de la Russie pour concilier ses différens avec
+le Danemarck? Que ses ministres soient au moins d'accord
+avec eux-mêmes, et qu'ils ne disent pas quelques pages plus
+bas ces propres mots: «Et cependant jusqu'à la publication
+de la déclaration russe (c'est-à-dire jusqu'en novembre), S.M.
+n'avait aucune raison de soupçonner que, quelle que pût être
+l'opinion de l'empereur de Russie sur les événemens de Copenhague,
+elle pût empêcher S.M.I. de se charger, à la
+demande de la Grande-Bretagne, de ce même rôle de médiateur.»
+Ainsi les Anglais ont eu recours à la médiation de la
+Russie pour s'arranger avec le Danemarck plus de trois mois
+après le traité de Tilsitt; et ils prétendent, comme on le verra
+encore plus bas, n'avoir fait l'expédition de Danemarck,
+que pour s'opposer à l'exécution des ces arrangemens de Tilsitt,
+et pour déjouer un des objets de ces arrangemens. Ils se sont
+emparés des vaisseaux danois, à cause des arrangemens que
+l'empereur de Russie avait faits à Tilsitt; ils ont laissé passer
+librement les vaisseaux de l'empereur de Russie; ils étaient
+en paix avec la Russie, puisqu'ils avaient recours à sa médiation;
+il n'est donc pas vrai qu'ils crussent alors que la Russie
+avait pris des arrangemens contre eux; il n'est donc pas
+vrai qu'ils croient aujourd'hui que ces arrangemens ont existé.
+Que cette malheureuse nation est déchue! par quels misérables
+conseils ses affaires sont-elles dirigées! Ses ministres,
+en arrêtant un manifeste de quelques pages, n'ont pas même
+assez de bon sens et de réflexion pour éviter des contradictions
+aussi grossières.</p>
+
+<p><a id="footnotetag6" name="footnotetag6"></a><a href="#footnote6"><sup>6</sup></a>La bonne foi du cabinet de Londres paraît ici dans tout
+son jour: il espérait que l'empereur de Russie, après avoir
+pris des engagemens contraires à l'Angleterre, y manquerait
+presque aussitôt. Le gouvernement anglais en juge
+sans doute d'après ses propres sentimens. Il révèle son
+secret à toute la terre. Les traités qu'il signe ne sont que
+des actes éventuels; les obligations qu'il contracte ne sont que
+des engagemens simulés, qu'il tient ou qu'il viole au gré de
+ses caprices ou de ses intérêts. Nous le répétons, l'empereur
+de Russie n'a rien signé à Tilsitt qui fût contraire aux intérêts
+de l'Angleterre; mais s'il l'eût fait, son caractère, sa
+loyauté, n'autorisaient pas l'Angleterre à penser qu'il aurait
+aussitôt violé ses engagemens. Nous ne relèverons pas le ton
+de tout ce paragraphe où on représente la Russie cédant à un
+moment d'alarme et d'abattement; les Russes y répondront
+mieux que nous. Nous remarquerons seulement la différence
+qui existe entre la déclaration de la Russie et la réponse de
+l'Angleterre. On trouve dans la première le noble langage
+d'un prince qui respecte le rang suprême et la dignité
+des nations; qui, s'il dit des faits honteux pour un état,
+ne les dit que parce qu'il y est forcé pour exposer ses motifs
+de plainte. Nous voyons au contraire, dans la réponse de
+l'Angleterre, la grossière insolence d'un club oligarque qui
+ne respecte rien, qui cherche à humilier par ses expressions,
+et qui, au défaut de bonnes raisons, a recours à des imputations
+calomnieuses, et à des sarcasmes outrageans.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote6" name="footnote6"></a><b>Note 6:</b><a href="#footnotetag6"> (retour) </a> L'Angleterre paraissait croire que l'empereur de Russie
+ne tarderait pas à revenir à son système.</blockquote>
+
+<p><a id="footnotetag7" name="footnotetag7"></a><a href="#footnote7"><sup>7</sup></a>Deux grandes nations égales en force, en courage, versaient
+des flots du plus pur de leur sang pour le seul intérêt
+des oppresseurs des mers: ces calamités ont touché les deux
+souverains; ils ont voulu les faire cesser, et l'empereur de
+Russie, lors même qu'il était animé par un si puissant motif,
+a désiré faire sentir à l'Angleterre les effets de son ancienne affection:
+il a demandé que la France acceptât sa médiation, condition
+que la générosité de l'empereur de Russie a rendu moins
+pénible à l'empereur des Français. Elle pouvait l'être cependant,
+puisque la médiation qu'il s'agissait d'accepter était celle
+d'un prince si nouvellement réconcilié avec la France; et cette
+médiation ainsi proposée, ainsi accueillie, l'Angleterre, au lieu
+de l'accepter avec empressement, a répondu à tant de générosité
+avec une défiance insultante; elle a demandé qu'avant
+tout, on lui communiquât les articles secrets du traité de
+Tilsitt qui la concernaient; on lui a répondu qu'il n'existait
+pas d'articles secrets qui la concernassent, et il aurait fallu
+sans doute, que l'empereur de Russie en forgeât exprès pour
+dissiper un odieux soupçon: lui qui, dans les négociations,
+a eu toujours à coeur de laisser la porte ouverte aux arrangemens
+entre la France et l'Angleterre. Il n'avait pas lieu de
+s'attendre à être si mal récompensé de soins si généreux. En
+vérité, il est difficile de porter plus loin l'oubli de toutes les
+convenances, de tout sentiment et de toute raison.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote7" name="footnote7"></a><b>Note 7:</b><a href="#footnotetag7"> (retour) </a> Dans le paragraphe qui a motivé cette note, l'Angleterre
+exigeait de la Russie communication des prétendus articles secrets qui
+la concernaient.</blockquote>
+
+<p><a id="footnotetag8" name="footnotetag8"></a><a href="#footnote8"><sup>8</sup></a>Les ministres de Londres manquent de mémoire d'une manière
+bien étrange. S'ils voulaient persuader à l'Europe qu'ils
+n'avaient aucune liaison avec la Russie lorsque la guerre a
+éclaté entre la France et la Prusse, il fallait effacer de tous
+les souvenirs, retirer de tous les documens publics, les pièces
+qu'ils firent imprimer sur les événements de 1805. Ces pièces
+publiées par l'Angleterre, ont appris que le cabinet de Londres,
+pour éloigner l'orage qui se préparait à Boulogne, fit
+alors un traité avec la Russie et l'Autriche. Ce fut contre opinion
+du prince Charles et de tous les hommes éclairés,
+qu'une armée autrichienne se précipita sur l'Iller. La faction
+que le gouvernement anglais avait alors à Vienne, n'examina
+pas s'il convenait aux puissances de la coalition d'attendre
+que les troupes russes fussent réunies aux troupes autrichiennes:
+ce retard de trois mois effrayait l'Angleterre; les longues
+nuits de l'automne la menaçaient d'un trop grand péril, et
+Cobentzel envoya la note qui décidait la guerre, au moment
+même où l'armée de Boulogne était embarquée; et Mack finissait
+ses destins à Ulm, tandis que les Russes étaient encore
+en Pologne. Lorsqu'on peut répondre à l'Angleterre par des
+faits aussi publics, comment nierait-elle que c'est pour elle,
+et pour elle seule, que l'Autriche et la Russie ont fait la guerre?
+L'Autriche ne tarda point à conclure sa paix; la Russie resta
+en guerre avec la France. Depuis, un plénipotentiaire russe
+signa un traité de paix à Paris; la Russie ne le ratifia point,
+par la seule raison qu'ayant fait la guerre avec vous, c'était
+avec vous qu'elle voulait faire la paix. Ainsi, après avoir fait
+la guerre pour l'Angleterre, c'est encore pour elle que la Russie
+n'a pas fait la paix; c'est encore pour elle que la Russie a
+continué la guerre. Ce n'est point pour la Prusse, parce que
+la Russie ne devait rien à cette puissance; elle ne devait rien
+à cette puissance, parce que la Prusse, après avoir signé à
+Berlin un traité de coopération, l'avait presque aussitôt fait
+désavouer à Vienne, s'était séparée de ses alliés, et avait conclu
+avec la France ses arrangemens particuliers. La possession
+du Hanovre, désirée par la Prusse, l'avait été non-seulement
+sans l'intention de la Russie, mais contre ses intérêts et sa
+volonté. C'est encore une vérité historique, que la Prusse a
+armé sur le bruit du traité de paix signé à Paris par M. Doubril,
+et d'après l'assurance qui lui fut donnée par le marquis
+de Lucchesini, que, par un article secret de ce traité, la Pologne
+avait été cédée au grand-duc Constantin. Cet inconcevable
+cabinet de Berlin, après avoir trompé tout le monde,
+avait enfin été pris dans ses propres filets. Il est donc vrai que
+lorsque la Prusse arma en 1806, ce fut tout à la fois contre
+la France et contre la Russie; il n'est pas moins vrai que la
+bataille d'Iéna avait déjà détruit l'armée prussienne, que les
+Français étaient déjà à Berlin et sur l'Oder, lorsqu'il n'y avait
+point encore de traité entre la Prusse et la Russie. La Russie
+dut marcher sur la Vistule, à cause de l'état de guerre où elle
+se trouvait avec la France depuis 1805, et pour se défendre
+elle-même. Cette confusion des événemens les plus récens,
+cette ignorance des affaires de nos jours, sont dignes de l'administration
+actuelle de l'Angleterre. Toute cette conduite
+enfin décèle l'égoïsme et le machiavélisme de ce cabinet.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote8" name="footnote8"></a><b>Note 8:</b><a href="#footnotetag8"> (retour) </a> L'Angleterre se défend d'avoir eu, plus que la Russie,
+un intérêt immédiat à la guerre de Prusse.</blockquote>
+
+<p><a id="footnotetag9" name="footnotetag9"></a><a href="#footnote9"><sup>9</sup></a>Ainsi l'empereur de Russie n'est pas fondé à se plaindre de
+ce que, pendant qu'il était aux prises avec l'armée française,
+le cabinet de Londres employait les forces britanniques pour
+le seul profit de l'Angleterre. Si l'escadre anglaise qui a forcé
+les Dardanelles, avait voulu se combiner avec l'escadre russe,
+si elle avait pris à bord les dix mille hommes qui ont été envoyés
+en Ègypte, si elle les avait réunis aux douze mille
+Russes de Corfou, l'attaque de Constantinople eût été une
+diversion efficace pour la Russie. La conduite de l'Angleterre
+fut dans un sens tout opposé: après avoir subi à Constantinople
+une honte ineffaçable, elle fit son expédition d'Egypte,
+qui n'affaiblissait pas le grand-visir d'un seul homme, et qui
+n'avait rien de commun avec la querelle dans laquelle elle
+avait engagé la Russie.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote9" name="footnote9"></a><b>Note 9:</b><a href="#footnotetag9"> (retour) </a> La déclaration anglaise cherche à repousser le reproche
+qu'on lui adressait de n'avoir rien tenté en faveur de ses alliés.</blockquote>
+
+<p>Ainsi l'empereur de Russie ne doit s'en prendre qu'à lui,
+puisqu'il n'a pas voulu attendre les secours que l'Angleterre
+était disposée à lui accorder. Mais ces secours, il fallait les
+faire marcher lorsque Dantzick était encore dans la possession
+de Kalkreuth. Si aux douze mille hommes qui ont mis bas
+les armes et capitulé dans les rues de Buénos-Ayres, l'Angleterre
+avait joint les quinze mille hommes qui depuis ont incendié
+Copenhague, ces forces n'auraient pas sans doute fait
+triompher les armes britanniques; la France était en mesure;
+elle estimait assez l'Angleterre pour avoir compté sur de plus
+grands efforts; mais la Russie n'avait pas à se plaindre. Il
+importait bien peu au cabinet de Londres que deux nations
+du continent s'entr'égorgeassent sur la Vistule; les trésors
+de Monte-Vidéo et de Buénos-Ayres excitaient sa cupidité,
+et Dantzick n'a point été secouru.</p>
+
+<p>S. M., disent les ministres, faisait les plus grands efforts
+pour remplir l'attente de son allié. Et qu'ont produit ces
+grands efforts? L'arrivée de six mille Hanovriens à l'île de
+Rugen, au mois de juillet, c'est-à-dire, un mois après que
+la querelle était terminée. N'était-il pas évident qu'une si
+misérable expédition avait été conçue dans le seul but d'occuper
+le Hanovre, si l'armée russe avait été victorieuse?
+n'est-il pas évident qu'elle n'arrivait à Rugen que pour le
+compte de l'Angleterre? n'est-it pas évident que si l'armée
+française avait été victorieuse, un secours de six mille hommes
+n'aurait été d'aucun effet? n'est-il pas évident qu'au mois de
+juillet, l'armée française devait être victorieuse ou battue?
+n'est-il pas évident que les vingt mille Espagnols, que les
+quarante mille Français venus de l'armée d'Italie, et dont une
+partie s'était trouvée disponible par la sûreté que donnait à
+la France les expéditions d'Egypte et de Buénos-Ayres, réunis
+aux vingt-quatre mille Hollandais qui étaient à Hambourg,
+formaient au mois de juillet une armée plus que suffisante
+pour anéantir tous les efforts de l'Angleterre?</p>
+
+<p>Ce n'est donc pas au mois de juillet qu'il fallait envoyer
+des secours. C'était en avril. Mais alors la légion hanovrienne
+n'était point formée, et avant qu'on pût faire marcher ce ramas
+de déserteurs étrangers, les ministres n'avaient à leur
+disposition que des troupes nationales, et nous dirons pourquoi
+ils n'aiment pas à en disposer. Les quinze mille hommes
+de Buénos-Ayres, réunis à quinze mille hommes des milices
+de la Grande-Bretagne, pouvaient fournir au mois d'avril une
+armée de trente mille Anglais; mais ce n'était point là ce qui
+convenait au cabinet de Londres: le sang des peuples du continent
+doit seul couler pour la défense de l'Angleterre. Qu'on
+lise attentivement les débats du parlement, on y trouvera le
+développement de cette politique; et c'est de cette politique
+que la Russie se plaint justement. Elle avait le droit de voir
+débarquer quarante mille Anglais au mois d'avril, ou à Dantzick
+ou même à Stralsund. L'Angleterre l'a-t-elle fait? Non;
+l'a-t elle pu faire? Si elle répond négativement, elle est donc
+une nation bien faible et bien misérable; elle a donc bien
+peu de titres pour être si exigeante envers ses alliés. Mais ce
+qui manquait aux ministres, c'était la volonté; il ne leur faut
+que des opérations de pirates; ils calculent les résultats de
+la guerre à tant pour cent; ils ne songent qu'à gagner de
+l'argent, et les champs de la Pologne n'offraient que des dangers
+et de la gloire; et si l'Angleterre avait enfin pris part à
+quelques combats, du sang anglais aurait été versé; le peuple
+de la Grande-Bretagne, en apprenant quels sacrifices exige
+la guerre, aurait désiré la paix; le deuil des pères, des mères
+pleurant leurs enfans morts au champ d'honneur, aurait peut-être
+fait naître enfin, dans le coeur des ministres, ces mêmes
+sentimens qu'une longue guerre a inspirés aux Français, aux
+Russes, aux Autrichiens. Le cabinet britannique n'aurait pu
+se défendre à son tour d'avoir horreur de la guerre perpétuelle,
+ou bien les hommes de sang qui le composent seraient
+devenus l'exécration du peuple. Il n'en est pas de la guerre de
+terre comme de la guerre de mer: la plus forte escadre
+n'exige pas quinze mille hommes parfaitement approvisionnés
+et n'ayant à souffrir aucune privation; le plus grand combat
+naval n'équivaut pas une escarmouche de terre, il coûte peu
+de sang et de larmes. La France, l'Autriche, la Russie emploient
+à la guerre des armées de quatre cent mille hommes,
+qui sont exposés à tous les genres de dangers et qui se battent
+tous les jours. Le désir de la paix naît au sein même de la
+victoire; et pour des souverains pères de leurs sujets, il se
+place bientôt parmi leurs sentimens les plus chers. De tous
+les gouvernemens, l'oligarchie est le plus dur; lui même cependant
+est aussi ramené vers la paix, quand la guerre coûte
+tant de victimes. Le système qui a conduit l'Angleterre à ne
+point secourir ses alliés, est la suite de son égoïsme, et l'effet
+de sa maxime barbare d'une guerre perpétuelle. Le peuple
+anglais ne se révolte point à cette idée, parce qu'on a soin
+d'éloigner de lui les sacrifices de la guerre. C'est ainsi que, pendant
+quatre coalitions, nous avons vu l'Angleterre rire a l'aspect
+des malheurs du continent, alimenter son commerce de
+sang humain, et se faire un jeu des scènes de carnage auxquelles
+elle ne prenait point de part. Elle rentrera dans l'estime
+de l'Europe, elle sera digne d'avoir des alliés quand elle
+se présentera en front de bandière avec quatre-vingt mille
+hommes; alors, quel que soit l'événement, elle ne voudra pas
+une guerre perpétuelle; son peuple ne se soumettra point
+aux caprices d'une ambition désordonnée, ses alliés ne seront
+pas ses victimes. C'est en se battant que les Russes, les Autrichiens,
+les Français ont appris à s'estimer; c'est en se battant
+qu'ils ont appris à faire céder les passions haineuses ou
+cruelles au désir de la paix. L'Angleterre a acquis sa supériorité
+sur les mers par la trahison à Toulon et dans la Vendée:
+elle n'a exposé aux convulsions qu'elle a suscitées, que
+quelques vaisseaux et quelques milliers d'hommes; elle n'a
+éprouvé ni le besoin de la paix, ni les pertes sanglantes de la
+guerre. Mais il est naturel que le continent veuille la paix,
+et que les puissances continentales aient en horreur la république
+d'Angleterre.</p>
+
+<p><a id="footnotetag10" name="footnotetag10"></a><a href="#footnote10"><sup>10</sup></a> Il est vrai que la cour de l'amirauté n'a condamné qu'un
+seul bâtiment russe; mais ce raisonnement n'en est pas
+moins faux: plus de cent bàtimens russes ont été détournés
+de leur navigation, assujettis à d'odieuses visites et retenus
+en Angleterre. Depuis le manifeste du cabinet de Londres,
+plus de douze de ces vaisseaux arrêtés pendant que les Russes
+se battaient pour la cause de l'Angleterre, ont déjà été condamnés.
+Ce n'est donc point à la cour de l'amirauté qu'il fallait
+s'adresser pour vérifier les sujets de plaintes de la Russie:
+ce sont les registres des croiseurs, ce sont ceux des capitaines
+de ports qu'il faut consulter. C'est une étrange manière
+de chercher à persuader qu'on n'a point de torts, que
+de chercher les preuves de ces torts où elles ne sont pas.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote10" name="footnote10"></a><b>Note 10:</b><a href="#footnotetag10"> (retour) </a> Réfutation des griefs de la Russie, qui se plaignait des
+vexations que son commerce avait éprouvées de la part des Anglais.</blockquote>
+
+<p><a id="footnotetag11" name="footnotetag11"></a><a href="#footnote11"><sup>11</sup></a> Le sophisme et l'hypocrisie ajoutent encore au sentiment
+de dégoût qu'on éprouve en lisant de telles absurdités. Quelque
+horrible que soit le principe de la guerre perpétuelle,
+il serait moins honteux de l'avouer: il y a une sorte de grandeur
+à proclamer hautement la scélératesse; l'Angleterre dit
+qu'elle n'a pas refusé la médiation offerte par l'empereur de
+Russie, et le même jour où parut sa note en réponse à cette
+offre, ses troupes entrèrent à Copenhague, déclarant ainsi la
+guerre, non-seulement à la Russie, mais à l'Autriche, mais
+à tout le continent. Sa réponse au cabinet de Saint-Pétersbourg
+a été lue à la lueur de l'incendie de Copenhague. Que
+disait cette réponse? Que l'Angleterre voulait connaître les
+bases de la négociation; ressource misérable lorsqu'il s'agit de
+si grands intérêts. Lord Yarmouth, Lord Lauderdale connaissent
+ces bases: qu'on leur demande s'ils pensent que la France
+voulait la paix? La base la plus désirable se trouvait énoncée
+dans les notes de la Russie, puisqu'elle offrait sa médiation
+pour une paix juste et honorable. L'Angleterre demandait
+une garantie, et l'empereur de Russie offrait la sienne. Etait-il
+sur la terre une garantie plus puissante et plus auguste?
+Quant à la communication des articles secrets vous concernant,
+qu'aviez-vous donc à demander, puisqu'ils n'existaient
+pas? et que vouliez-vous réellement? refuser la médiation?
+Vous l'avez refusée, et la main qui a signé ce refus dégouttait
+du sang des Danois, le plus cher et le plus ancien des alliés
+de la Russie.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote11" name="footnote11"></a><b>Note 11:</b><a href="#footnotetag11"> (retour) </a> L'Angleterre cherche à colorer son refus d'accepter
+la médiation de la Russie pour traiter avec la France.</blockquote>
+
+<p><a id="footnotetag12" name="footnotetag12"></a><a href="#footnote12"><sup>12</sup></a> La Prusse avait perdu tous ses états; Memel était au moment
+d'échapper au pouvoir du roi. Le cabinet de Londres
+était une des causes de cette situation malheureuse, en insinuant
+à la Prusse que la France voulait remettre le Hanovre
+au roi d'Angleterre. Est-ce avec le secours des Anglais que le
+roi de Prusse est sorti d'une position désespérée? C'est l'empereur
+de Russie qui a combattu pour lui et qui lui a fait restituer
+sa couronne. Voilà une étrange manière d'abandonner
+ses alliés. Les anciens alliés de l'Angleterre seraient bien heureux
+s'ils n'avaient à se plaindre que d'un abandon de cette
+espèce. Sans doute la France a proposé deux fois à la Prusse
+une paix séparée, mais il était bien entendu, lorsqu'elle n'avait
+pas pour elle la généreuse intervention de la Russie, que
+le territoire prussien n'aurait été évacué que quand les Anglais
+auraient eux-mêmes fait la paix.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote12" name="footnote12"></a><b>Note 12:</b><a href="#footnotetag12"> (retour) </a> Elle prétexte l'abandon des intérêts de la Prusse.</blockquote>
+
+<p><a id="footnotetag13" name="footnotetag13"></a><a href="#footnote13"><sup>13</sup></a> Ce paragraphe ne contient que des assertions fausses. Aucune
+nouvelle contribution n'a été mise sur les états prussiens,
+mais celles qui avaient été imposées pendant la guerre doivent
+être acquittées. Tous les pays entre le Niémen et la Vistule,
+formant une population de plus d'un million, ont été
+évacués. Le reste ne l'est pas: il n'a pas dû l'être, parce que
+le traité n'a pas fixé le temps; parce que les arrangemens préalables
+avec le roi de Prusse ne sont pas terminés; parce que
+l'expédition de Copenhague est venue jeter de nouvelles incertitudes
+dans les affaires du Nord de l'Europe; parce que
+le ministre de Prusse, qui, selon l'ancienne politique de son
+cabinet, a si bien instruit le cabinet britannique par de fausses
+confidences, est encore à Londres; parce que les vaisseaux
+anglais ont été reçus à Memel; parce qu'enfin dans la circonstance
+extraordinaire où les injustices de la Grande-Bretagne
+ont placé l'Europe, la Russie et la France ont à s'entendre.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote13" name="footnote13"></a><b>Note 13:</b><a href="#footnotetag13"> (retour) </a> Elle allègue la conduite de la France à l'égard de la Prusse.</blockquote>
+
+<p>Quant à la mort d'individus sujets de S. M. prussienne,
+et à la remise de forteresses prussiennes qui n'avaient pu être
+réduites pendant la guerre, ces assertions sont tout à fait inintelligibles.
+La France a, au contraire, rendu deux forteresses
+de plus à la Prusse, Cassel et Gratz. Les Français font la
+guerre loyalement, et assurément ils ne tuent point les sujets
+paisibles des pays conquis; ils ne prennent pas les propriétés
+des particuliers, ils les protègent. Peuples du continent,
+lisez le code maritime de l'Angleterre, et vous verrez quel serait
+son code terrestre si elle était puissante sur terre comme
+sur mer. Elle ne s'empare pas seulement des vaisseaux des
+princes avec lesquels elle est en guerre, mais aussi des vaisseaux
+marchands qui transportent des propriétés privées. Il
+n'y a aucune différence, aux yeux de l'équité, entre les magasins
+de marchandises appartenant à des particuliers dans les
+provinces conquises, et les marchandises qui appartiennent
+à des négocians et qui naviguent sur bâtimens marchands;
+il n'y a point de différence, sous le rapport de l'équité, entre
+les vaisseaux marchands et les convois de marchandises
+transportées par terre de Hambourg à Berlin, ou de Trieste
+en Allemagne. Et a-t-on jamais vu les armées françaises
+arrêter des convois? n'a-t-on pas vu lord Keith vouloir
+s'emparer à Gênes des vaisseaux qui étaient dans le
+port, et des denrées qui se trouvaient chez les marchands de
+cette ville? il ne faisait là qu'une application à la terre des
+principes du code maritime de l'Angleterre. Les Autrichiens
+et le prince Hohenzollern qui les commandait, furent indignés
+de ces vexations; ils s'y opposèrent, et la journée de Marengo
+amenant, quelques jours après, les Français dans
+Gênes, y ramena aussi la sécurité sur les propriétés privées.
+D'où viennent donc des procédés si différens? Les uns sont
+le résultat de la politique atrabilaire, injuste de l'Angleterre,
+les autres sont le fruit de la politique libérale et de la civilisation
+de la France. Si, à son tour, elle dominait sur les mers,
+on ne la verrait attaquer que les vaisseaux armés; on la verrait
+protéger même les propriétés appartenant aux sujets des
+états avec lesquels elle serait en guerre. Si l'on veut comparer
+l'esprit de libéralité et la civilisation des deux nations, il faut
+prendre pour termes de cette comparaison le code des Français
+pendant la guerre de terre, et son application aux individus
+et aux propriétés, et le code maritime des Anglais, et
+son application aux individus et aux propriétés qui se trouvent
+sur les mers.</p>
+
+<p>Mais quel est le motif qui a porté les ministres de Londres
+à faire mention de la Prusse dans ce manifeste? est-ce l'intérêt
+de la Prusse? Mais si l'intérêt de la Prusse les avait touchés,
+ils auraient accepté la médiation de l'empereur de Russie.
+Pourquoi publier aujourd'hui ce paragraphe indiscret
+qui laisse voir clairement que l'esprit qui a fait faire tant de
+faux pas au cabinet de Berlin s'agite encore? est-ce pour être
+utile à la Prusse, et lui concilier l'intérêt de la France dont
+elle a tant besoin dans ces circonstances?</p>
+
+<p>La France a évacué beaucoup de pays, et l'Angleterre n'en
+a pas évacué un seul, et la base préalable de toutes ses négociations
+est <i>l'uti possidetis</i>. Lorsque les Français traitent
+avec leurs ennemis, ou ils changent les gouvernemens coupables
+de s'être unis à l'Angleterre contre les intérêts du continent,
+ou, s'ils évacuent les pays conquis, ce n'est qu'en
+conséquence d'une paix solide dont toutes les stipulations
+sont observées: et de même qu'en ne les voit pas attaquer
+leurs alliés sans déclaration de guerre, surprendre leurs capitales
+par trahison, de même on ne les voit pas abandonner
+une place avant que les négociations aient décidé de son sort.
+Les Anglais attaquent pour dépouiller, et se retirent après
+le pillage et l'incendie. Cette guerre leur convient, car c'est
+celle des pirates. Puisqu'ils étaient entrés à Copenhague, il
+fallait qu'ils y demeurassent jusqu'à la paix. Ils ont joint à
+la honte d'une entreprise atroce, le déshonneur d'une fuite
+honteuse.</p>
+
+<p>Mais s'il était vrai que les Français fussent exigeans envers
+leurs ennemis, il faut le dire, comment ne le seraient-ils
+point? Ils ont huit cent mille hommes sur pied, et ils sont
+prêts à tous les sacrifices pour doubler encore leurs forces si
+cela était nécessaire: non que les armes soient leur métier
+naturel, et que tant de bras arrachés à la culture d'un sol si
+fertile, ne soient pas pour eux un sensible sacrifice. Possesseurs
+d'un beau pays, ils voudraient se livrer aux conquêtes du
+commerce et de l'industrie; mais votre tyrannie les en empêche.
+C'est un géant que vous avez excité et que vous irritez
+sans cesse. Depuis quinze ans vos injustices n'ont fait qu'ajouter
+à son énergie et à sa puissance que votre persévérance
+dans la tyrannie doit accroître encore. Non-seulement il ne
+posera pas les armes, mais il augmentera ses forces jusqu'à
+ce qu'il ait conquis la liberté des mers qui est son premier
+droit et le patrimoine de toutes les nations. Si les suites affligeantes
+de la guerre se prolongent, si le séjour des troupes
+françaises est à charge aux pays qu'elles occupent, c'est à vous
+qu'il faut s'en prendre: tous les maux qui ont tourmenté
+l'Europe sont venus de vous seuls. Les lieux communs diplomatiques
+ne résolvent pas de si grandes questions. Quand
+vous voudrez la paix, la France sera prête à la faire; vous
+ne pouvez l'ignorer, vous ne l'ignorez point. On peut citer à
+ce sujet une anecdote qui est généralement connue. Lorsque
+la garde impériale partit pour Jéna, et que l'on sut que peu
+de jours après l'empereur devait partir pour l'armée, lord Lauderdale
+demanda à M. de Champagny si, dans le cas où l'Angleterre
+ferait la paix, l'empereur Napoléon consentirait à
+s'arrêter et à contremander la marche de ses troupes contre
+la Prusse: l'empereur fit répondre affirmativement. D'un
+seul mot vous auriez sauvé la Prusse. En prévenant la chute
+de cette puissance, vous mainteniez sur l'Elbe cette barrière
+si nécessaire à vos intérêts les plus chers, et dont le rétablissement
+est désormais impossible.</p>
+
+<p><a id="footnotetag14" name="footnotetag14"></a><a href="#footnote14"><sup>14</sup></a>L'empereur de Russie a du être offensé de la communication
+que fit M. Canning à M. Ryder, et dans laquelle le ministre
+anglais se disait certain que la Russie garantirait le Danemarck
+du juste ressentiment de la France, si, après avoir
+laissé violer son indépendance et ravir sa flotte, le Danemarck
+se constituait province anglaise. Ce mensonge ne fit qu'irriter
+le prince royal: il ne pouvait en imposer à personne.
+L'Angleterre voulait que la Russie garantît le Danemarck du
+ressentiment de la France, tandis qu'elle déclarait qu'elle ne
+faisait violence au Danemarck que pour se garantir des engagemens
+secrets contractés à Tilsitt par l'empereur de Russie.
+On ne sait, en vérité, ce qui est ici le plus frappant, ou la
+déraison ou l'immoralité du cabinet de Londres.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote14" name="footnote14"></a><b>Note 14:</b><a href="#footnotetag14"> (retour) </a> Elle oppose à son refus d'accepter la médiation de la
+Russie, celui fait par cette puissance de lui servir de médiatrice envers
+le Danemarck.</blockquote>
+
+<p><a id="footnotetag15" name="footnotetag15"></a><a href="#footnote15"><sup>15</sup></a>Si l'empereur de Russie a montrée à l'Angleterre les premiers
+symptômes d'une paix renaissante depuis la paix de
+Tilsitt, il n'est donc pas vrai qu'il ait conclu à Tilsitt des arrangemens
+secrets qui l'avaient mis en inimitié avec l'Angleterre.
+Si ces démonstrations ont eu lieu au moment où l'on
+venait d'apprendre à Pétersbourg la nouvelle de l'investissement
+de Copenhague, ce n'est pas que l'empereur de Russie
+n'en éprouvât aucun ressentiment; c'est qu'il concevait quelqu'espoir
+d'adoucir la férocité de l'Angleterre par de bons
+procédés; c'est qu'il a désiré intervenir pour sauver son malheureux
+allié; c'est qu'ignorant les causes de l'expédition de
+Copenhague, sachant qu'il n'y avait donné lieu, ni directement,
+ni indirectement, il a pu croire pendant quelque temps
+que l'Angleterre avait eu des motifs pour se porter à une démarche
+si importante. Mais il fut éclairé par les communications
+du prince royal, par les propres communications de
+l'Angleterre, par le manifeste du général anglais qui expliquait
+les odieuses prétentions de son gouvernement; et alors
+il demanda que l'attaque de Copenhague cessât. L'Angleterre
+lui répondit en brûlant Copenhague et en enlevant la flotte.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote15" name="footnote15"></a><b>Note 15:</b><a href="#footnotetag15"> (retour) </a> Elle insinue que les premiers symptômes de bienveillance
+envers elle n'ont eu lieu a Saint-Pétersbourg qu'au moment où la nouvelle
+du siège de Copenhague venait d'y arriver.</blockquote>
+
+<p>Après cette opération la plus funeste pour l'Angleterre de
+toutes les entreprises qu'elle ait jamais formées, elle n'avait
+que deux partis à prendre: ou continuer à occuper Copenhague,
+et elle ne l'osait pas; ou évacuer Copenhague, et elle
+sentit que le Sund lui serait à jamais fermé. Elle eut alors la
+lâcheté de recourir à la médiation de la Russie; elle mit à
+nu son caractère; elle crut qu'elle imposerait à l'empereur
+Alexandre; mais elle ne put rien obtenir d'une démarche que
+cette opinion rendait offensante: la Russie lui répondit par
+le silence du mépris et en armant Cronstadt et ses côtes. Cette
+démarche de l'Angleterre prouve donc une seule chose; c'est
+qu'elle ne pensait pas que la Russie eût arrêté à Tilsitt des
+articles secrets contraires à ses intérêts. Cette vérité démontrée
+dans ces notes de tant de manières, fait crouler tout l'échafaudage
+du manifeste anglais.</p>
+
+<p><a id="footnotetag16" name="footnotetag16"></a><a href="#footnote16"><sup>16</sup></a>Comment l'Angleterre peut-elle ne pas convenir de l'inviolabilité
+de la Baltique? Si cette mer n'est point une mer
+fermée, pourquoi les vaisseaux anglais paient-ils à Elseneur?</p>
+
+<p><a id="footnotetag17" name="footnotetag17"></a><a href="#footnote17"><sup>17</sup></a>L'Europe va juger si ces conditions, sont en effet telles
+que la guerre la plus heureuse de la part du Danemarck pourrait
+à peine les lui faire obtenir. L'Angleterre demandait:</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote16" name="footnote16"></a><b>Note 16:</b><a href="#footnotetag16"> (retour) </a> Elle nie avoir jamais acquiescé à la reconnaissance de inviolabilité de la mer Baltique.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote17" name="footnote17"></a><b>Note 17:</b><a href="#footnotetag17"> (retour) </a> Elle se targue des conditions avantageuses qu'elle offrait
+au Danemarck.</blockquote>
+
+<p>1º Que la marine danoise restât en dépôt jusqu'à la paix;</p>
+
+<p>2º Que le juste ressentiment de l'outrage fait à Copenhague,
+fît place à des sentimens d'amitié pour l'Angleterre;</p>
+
+<p>3.° Que les armées danoises prissent parti contre la France
+et fissent la guerre pour l'Angleterre.</p>
+
+<p>Il faut ajouter à tous les avantages que présentaient de si
+belles conditions accordées par l'Angleterre, la perte des
+possessions danoises en Allemagne, dont la France se serait
+emparée, et sur le territoire desquelles elle aurait battu les
+Anglais, si elle leur avait permis d'y descendre.</p>
+
+<p>On chercherait vainement la trace de quelques calculs, de
+quelque apparence de raison dans de tels raisonnemens. Le
+fait est que la précipitation et l'ignorance président aux conseils
+britanniques, et qu'on ne peut trouver dans ce que ce
+gouvernement dit, fait ou veut, ni but, ni vue, ni motif.</p>
+
+<p><a id="footnotetag18" name="footnotetag18"></a><a href="#footnote18"><sup>18</sup></a>Ainsi la Russie n'a point d'intérêt à faire la guerre à
+l'Angleterre, car les intérêts du commerce et de la navigation
+ne regardent pas les Busses: ils n'ont point d'intérêt à
+l'indépendance de la Baltique, car un arrêt du conseil britannique
+a déchu la mer Baltique de son indépendance; car
+une autre décision du même conseil peut décider qu'ils n'ont
+point d'intérêt à la navigation de la Newa. Le but que se
+proposent toutes les puissances en rétablissant la liberté des
+mers, et en rendant la paix à l'Europe, est un but étranger
+à la Russie. La Russie a retiré depuis cent ans un si grand
+avantage de ses liaisons avec l'Angleterre, qu'elle n'a plus
+rien à désirer. Ce grand avantage consiste dans un traité de
+commerce qui a entravé, ruiné l'industrie et le commerce en
+Russie; mais puisque ce traité a contribué éminemment à la
+prospérité de l'Angleterre, qu'importe qu'il équivaille pour
+la Russie au fléau d'une gelée perpétuelle?</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote18" name="footnote18"></a><b>Note 18:</b><a href="#footnotetag18"> (retour) </a> La Russie, suivant elle, se trouve engagée dans une
+guerre contraire à ses Intérêts.</blockquote>
+
+<p><a id="footnotetag19" name="footnotetag19"></a><a href="#footnote19"><sup>19</sup></a>S. M. britannique éprouve ici un étrange embarras, et
+son conseil n'est pas fertile en expédiens. La France, l'Autriche,
+la Russie demandent que la flotte danoise soit rendue;
+que des réparations soient faites au prince royal; que le
+peuple anglais, imitant ce que fit le peuple romain en pareille
+circonstance, mette à la disposition du prince royal, celui qui
+a conseillé au roi d'Angleterre l'expédition de Copenhague;
+que les maisons incendiées à Copenhague soient reconstruites
+aux frais de l'Angleterre; et qu'enfin S. M. britannique montre
+qu'elle désavoue l'outrage fait à tous les souverains. Il y
+a loin de là aux propositions que fait l'Angleterre.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote19" name="footnote19"></a><b>Note 19:</b><a href="#footnotetag19"> (retour) </a> Elle allègue les efforts qu'elle a faits pour terminer
+la guerre avec le Danemarck.</blockquote>
+
+<p><a id="footnotetag20" name="footnotetag20"></a><a href="#footnote20"><sup>20</sup></a>Quand on veut soutenir une cause étrangère a toute justice,
+à toute vérité; il faut du moins le faire avec talent, et
+ce talent ne se manifeste point par l'aveu fort remarquable
+que contient ce paragraphe. «La dernière négociation entre
+la France et l'Angleterre, a été rompue pour des points qui
+touchaient immédiatement, non les intérêts de S. M. britannique,
+mais ceux de son allié impérial.» Peuples de l'Europe,
+vous l'entendez! Ce n'est pas la France qui s'est opposée à la
+paix, ce ne sont pas des intérêts importans pour l'Angleterre
+qui ont empêché la paix, c'est la Russie seule qui alors y
+mettait obstacle. Eh bien! lorsque cet obstacle n'existe plus,
+pourquoi l'Angleterre se refuse-t-elle à la paix? pourquoi,
+au lieu de négocier, demande-t-elle sur quelles bases veut
+traiter la France? pourquoi continue-t-elle à violer tous les
+pavillons? pourquoi maintient-elle le monde entier dans cet
+état d'irritation et de violence qui opprime tous les peuples,
+qui est à charge à tous les souverains? Tout Anglais doit
+rougir d'être gouverné par de tels hommes.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote20" name="footnote20"></a><b>Note 20:</b><a href="#footnotetag20"> (retour) </a> Elle repousse l'idée de la conclusion d'un traité avec
+la France, et s'excuse sur la forme offensante que la Russie aurait donnée
+à cette proposition.</blockquote>
+
+<p>Nous ne relevons point la phrase qui termine ce paragraphe.
+Le langage insultant de souverain à souverain n'avilit que
+celui qui se le permet. L'empereur de Russie méprisera l'insulte
+de l'Angleterre; mais la nation russe ne manquera pas
+de s'en ressouvenir. On ne voit pas ce que le manifeste aurait
+perdu à la suppression de cette phrase et de beaucoup d'autres.
+La plus haute estime réunit la France et la Russie; leur
+union fait le désespoir de l'Angleterre, et lui sera funeste.
+Si l'Angleterre avait voulu qu'elle n'eût pas lieu, il ne fallait
+pas faire l'expédition de Copenhague; il fallait ouvrir des
+négociations pour arriver à cette paix, d'autant plus facile à
+conclure, que, selon les ministres anglais, elle n'a été rompue
+que pour des points qui touchaient immédiatement aux intérêts
+de S. M. impériale.</p>
+
+<p><a id="footnotetag21" name="footnotetag21"></a><a href="#footnote21"><sup>21</sup></a>Ce qui a maintenu la puissance maritime de l'Angleterre,
+ce ne sont ni des principes, ni des maximes tyranniques;
+c'est la politique, l'énergie, le bon sens, la bonne conduite
+de vos pères; c'est la division qu'ils ont souvent eu l'adresse
+de semer sur le continent. Ce qui contribuera essentiellement
+à sa ruine, c'est l'inconsidération, la précipitation, la violence
+et la folle arrogance de leurs successeurs. L'empereur
+de Russie désire la paix maritime; l'Autriche, la France,
+l'Espagne partagent les mêmes sentimens.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote21" name="footnote21"></a><b>Note 21:</b><a href="#footnotetag21"> (retour) </a> Elle s'étaie des principes de droit maritime auxquels elle
+attribue sa prospérité.</blockquote>
+
+<p>Vous avez dit que la négociation avec la France n'avait été
+rompue que pour des points qui touchaient les intérêts de la
+Russie; pourquoi donc aujourd'hui, nous le répétons encore,
+continuez-vous la guerre? Pourquoi? c'est que vous ne voulez
+pas la paix.</p>
+
+<p>C'est parce que vous ne voulez pas la paix que vous élevez
+des questions inutiles. La France, l'Autriche, l'Espagne, la
+Hollande, Naples, disent comme l'empereur de Russie, qu'ils
+proclament de nouveau les principes de la neutralité armée.
+Ces puissances ont sans doute le droit de déclarer les principes
+qui doivent être la règle de leur politique; elles ont le
+droit de dire à quelles conditions il leur convient d'être neutres
+ou ennemies. Vous proclamez de nouveau les principes
+de vos lois maritimes; eh bien! cette opposition de
+principes ne sera point un obstacle au rétablissement de la
+paix; ils ne sont de part et d'autre d'aucun effet en temps de
+paix; ils ne trouvent leur application que quand vous êtes
+en guerre avec une puissance maritime; mais alors chaque
+gouvernement a le droit et le pouvoir de considérer comme
+une hostilité la première violation de son pavillon. Les circonstances
+où vous vous trouvez, décideront la conduite que
+vous tiendrez alors; si c'est avec la France que vous êtes en
+guerre, vous ne la jugerez pas une puissance assez faible pour
+qu'il vous soit indifférent de vous attirer d'autres ennemis, et
+vous userez de ménagemens avec le reste de l'Europe. Vous
+n'en êtes venus à insulter tous les pavillons, qu'après avoir
+eu l'adresse d'armer tout le continent contre la France. Vos
+principes maritimes ont alors changé, et ils ont été plus violens,
+plus injustes à mesure que vos liaisons continentales se
+resserraient, ou que vos alliés soutenaient plus péniblement
+la lutte dans laquelle vous les aviez engagés. C'est ainsi que
+quand la Russie était obligée de réunir tous ses moyens contre
+les Français en Pologne, vous avez violé son pavillon;
+vous lui avez refusé pour son traité de commerce, des concessions
+que vous vous êtes montrés disposés à lui accorder,
+lorsqu'elle n'a plus eu d'ennemis à combattre. Les puissances
+du continent, en proclamant de nouveau les principes de la
+neutralité armée, ne font autre chose que d'énoncer les
+maximes qu'elles se proposent d'adopter dans la prochaine
+guerre maritime. Vous ne pouvez les empêcher de diriger
+leur politique comme elles l'entendent; elles usent en cela
+d'un droit qui appartient à tous les gouvernemens, et à
+l'usurpation duquel elles n'auraient à opposer que l'<i>ultima
+ratio regum</i>. De votre côté, vous proclamez les principes
+de vos lois maritimes, c'est-à-dire, les principes dont vous
+voulez vous servir à la prochaine guerre. Le continent n'a
+aucun intérêt à exiger de vous à cet égard ni des déclarations,
+ni des renonciations; les déclarations seraient inutiles dès le
+moment où vous croiriez pouvoir les oublier impunément;
+des renonciations sont sans objet, car on ne renonce point à
+des droits qu'on n'a pas. Si l'on juge de ce que vous ferez par
+ce que vous avez fait jusqu'à ce jour, on en conclura que
+vous n'exigerez des puissances du continent, ni déclaration, ni
+renonciation; et comme elles n'en exigeront pas de vous, il
+n'y a donc aucune question à discuter, aucune difficulté à
+résoudre; il n'y a donc rien ici qui puisse retarder d'un jour
+les bienfaits de la paix. Si cependant vous éleviez l'étrange
+et nouvelle prétention d'imposer à la France et autres puissances
+du continent, par un acte de votre seule volonté, l'obligation
+de souscrire à vos lois maritimes, ce serait la même
+chose que si vous exigiez que la législature et la souveraineté
+de la Russie, de la France, de l'Espagne, fussent transportées
+à Londres: belle prérogative pour votre parlement. Ce
+serait la même chose que si vous proclamiez la guerre perpétuelle,
+ou du moins que si vous mettiez pour terme à la
+guerre, le moment où vos armes se seraient emparées de Pétersbourg,
+de Paris, de Vienne et de Madrid. Mais si tel n'est
+point le fond de votre pensée, il n'y a donc plus aucun obstacle
+à la paix. Car, selon vos propres expressions, les négociations
+n'ont été rompues que pour des points qui touchaient
+immédiatement, non les intérêts de S. M. britannique, mais
+ceux de son allié impérial; car l'allié impérial de S. M.
+britannique vous a fait connaître que la paix est désormais le
+principal but de ses voeux, le principal objet de son intérêt.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Paris, le 4 février 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Lettre de S. M. l'empereur et roi, à madame mère.</i></p>
+
+<p>Madame.</p>
+
+<p>J'ai lu avec attention les procès-verbaux du chapitre-général
+des soeurs de la Charité. J'ai fort à coeur de voir s'augmenter
+et s'accroître le nombre des maisons et des individus de
+ces différentes institutions, ayant pour but le soulagement et
+le soin des malades de mon empire.</p>
+
+<p>J'ai fait connaître à mon ministre des cultes ma volonté,
+que les réglemens de ces différentes institutions fussent révisés
+et arrêtés définitivement par mon conseil, dans l'année.
+Je désire que les chefs des différentes maisons sentent la nécessité
+de réunir des institutions séparées autant que cela sera
+possible; elles acquerront plus de considération, trouveront
+plus de facilités pour leur administration, et auront droit à
+ma protection spéciale. Toutes les maisons que les députés
+ont demandées, tous les secours de premier établissement et
+secours annuels que vous-avez jugé convenable de demander
+pour elles, seront accordés. Je suis même disposé à leur faire
+de nouvelles et de plus grandes faveurs, toutes les fois que
+les différens chefs des maisons seconderont de tous leurs efforts
+et de tout leur zèle le voeu de mon coeur pour le soulagement
+des pauvres, et en se dévouant avec cette charité
+que notre sainte religion peut seule inspirer au service des
+hôpitaux et des malheureux. Je ne puis, madame, que vous
+témoigner ma satisfaction du zèle que vous montrez et des
+nouveaux soins que vous vous donnez. Ils ne peuvent rien
+ajouter aux sentimens de vénération et à l'amour filial que je
+vous porte. Votre affectionné fils.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Paris, le 15 février 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Message de S. M. au Sénat-conservateur.</i></p>
+
+<p>Sénateurs,</p>
+
+<p>Nous avons jugé convenable de nommer notre beau-frère
+le prince Borghèse à la dignité de gouverneur-général, érigée
+par le sénatus-consulte organique du 2 du présent mois. Nos
+peuples des départemens au-delà des Alpes reconnaîtront
+dans la création de cette dignité, et dans le choix que nous
+avons fait pour la remplir, notre désir d'être plus immédiatement
+instruit de tout ce qui peut les intéresser, et le sentiment
+qui rend toujours présentes à notre pensée les parties même
+les plus éloignées de notre empire.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Paris, le 27 février 1807.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de S. M. à une députation de la deuxième
+classe de l'Institut.</i></p>
+
+<p>Messieurs les députés de la seconde classe de l'Institut, si la
+langue française est devenue une langue universelle, c'est
+aux hommes de génie qui ont siégé, ou qui siégent parmi
+vous, que nous en sommes redevables.</p>
+
+<p>J'attache du prix au succès de vos travaux; ils tendent à
+éclairer mes peuples et sont nécessaires à la gloire de ma couronne.</p>
+
+<p>J'ai entendu avec satisfaction le compte que vous venez de
+me rendre.</p>
+
+<p>Vous pouvez compter sur ma protection.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Paris, le 5 mars 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de S. M. à une députation de la quatrième
+classe de l'Institut.</i></p>
+
+<p>Messieurs les président et députés de la quatrième classe
+de l'Institut, Athènes et Rome sont encore célèbres par leurs
+succès dans les arts; l'Italie dont les peuples me sont chers à
+tant de titres, s'est distinguée la première parmi les nations
+modernes. J'ai à coeur de voir les artistes français effacer la
+gloire d'Athènes et de l'Italie. C'est à vous de réaliser de si
+belles espérances. Vous pouvez compter sur ma protection.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Baïonne, le 16 avril 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Lettre de S. M. l'empereur au prince des Asturies.</i></p>
+
+<p>Mon frère, j'ai reçu la lettre de votre altesse royale. Elle
+doit avoir acquis la preuve, dans les papiers qu'elle a eus du
+roi son père, de l'intérêt que je lui ai toujours porté. Elle
+me permettra, dans la circonstance actuelle, de lui parler avec
+franchise et loyauté. En arrivant à Madrid, j'espérais porter
+mon illustre ami à quelques réformes nécessaires dans ses
+états, et à donner quelque satisfaction à l'opinion publique.
+Le renvoi du prince de la Paix me paraissait nécessaire pour
+son bonheur, et celui de ses sujets. Les affaires du Nord ont
+retardé mon voyage. Les événemens d'Aranjuez ont eu lieu.
+Je ne suis point juge de ce qui s'est passé, et de la conduite
+du prince de la Paix; mais ce que je sais bien, c'est qu'il est
+dangereux pour les rois d'accoutumer les peuples à répandre
+du sang et à se faire justice eux-mêmes. Je prie Dieu que
+V. A. R. n'en fasse pas elle-même un jour l'expérience. Il
+n'est pas de l'intérêt de l'Espagne de faire du mal à un prince
+qui a épousé une princesse du sang royal et qui a si longtemps
+régi le royaume. Il n'a plus d'amis: V. A. R. n'en aura
+plus, si jamais elle est malheureuse. Les peuples se vengent volontiers
+des hommages qu'ils nous rendent. Comment d'ailleurs
+pourrait-on faire le procès au prince de la Paix, sans
+le faire à la reine et au roi votre père? Ce procès alimentera
+les haines et les passions factieuses: le résultat en sera funeste
+pour votre couronne. V. A. R. n'y a de droits que ceux
+que lui a transmis sa mère. Si le procès la déshonore, V.A.R.
+déchire par là ses droits. Qu'elle ferme l'oreille à des conseils
+faibles et perfides. Elle n'a pas le droit de juger le prince de
+la Paix. Ses crimes, si on lui en reproche, se perdent dans
+les droits du trône. J'ai souvent manifesté le désir que le
+prince de la Paix fût éloigné des affaires; l'amitié du roi
+Charles m'a porté souvent à me taire et à détourner les yeux
+des faiblesses de son attachement. Misérables hommes que
+nous sommes! faiblesse et erreur, c'est notre devise. Mais tout
+cela peut se concilier: que le prince de la Paix soit exilé
+d'Espagne, et je lui offre un refuge en France. Quant à l'abdication
+de Charles IV, elle a eu lieu dans un moment où mes
+armées couvraient les Espagnes: et aux yeux de l'Europe et
+de la postérité, je paraîtrais n'avoir envoyé tant de troupes que
+pour précipiter du trône mon allié et mon ami. Comme souverain
+voisin, il m'est permis de vouloir en connaître les motifs
+avant de reconnaître cette abdication. Je le dis à V.A.R., aux
+Espagnols, au monde entier: si l'abdication du roi Charles
+est de pur mouvement, s'il n'y a pas été forcé par l'insurrection
+et l'émeute d'Aranjuez, je ne fais aucune difficulté de
+l'admettre, et je reconnais V.A.R. comme roi d'Espagne. Je
+désire donc causer avec elle sur cet objet. La circonspection
+que je porte depuis un mois dans ces affaires, doit être garant
+de l'appui qu'elle trouvera en moi, si, à son tour, des factions,
+de quelque nature qu'elles soient, venaient à l'inquiéter sur
+son trône. Quand le roi Charles me fit part de l'événement
+du mois d'octobre dernier, j'en fus douloureusement affecté;
+et je pense avoir contribué par les insinuations que j'ai faites,
+à la bonne issue de l'affaire de l'Escurial. V.A.R. avait
+bien des torts; je n'en veux pour preuve que la lettre qu'elle
+m'a écrite, et que j'ai constamment voulu ignorer. Roi à son
+tour, elle saura combien les droits du trône sont sacrés. Toute
+démarche près d'un souverain étranger de la part d'un prince
+héréditaire, est criminelle. V. A. R. doit se défier des écarts,
+des émotions populaires. On pourra commettre quelques meurtres
+sur mes soldats isolés, mais la ruine de l'Espagne en serait
+le résultat. J'ai déjà vu avec peine qu'à Madrid on avait
+répandu des lettres du capitaine-général de la Catalogne et
+fait tout ce qui pouvait donner du mouvement aux têtes.
+V. A. R. connaît ma pensée toute entière. Elle voit que je
+flotte entre diverses idées qui ont besoin d'être fixées. Elle
+peut être certaine que dans tous les cas je me comporterai
+avec elle, comme envers le roi son père. Qu'elle croie à mon
+désir de tout concilier et de trouver des occasions de lui donner
+des preuves de mon affection et de ma parfaite estime.
+Sur ce, etc., etc.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Baïonne, le 25 mai 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Proclamation.</i></p>
+
+<p>Napoléon, empereur des Français, roi d'Italie, protecteur
+de la confédération du Rhin, etc., etc., etc.</p>
+
+<p>A tous ceux qui les présentes verront, salut.</p>
+
+<p>Espagnols!</p>
+
+<p>Après une longue agonie, votre nation périssait; j'ai vu
+vos maux, je vais y porter remède; votre grandeur, votre
+puissance fait partie de la mienne.</p>
+
+<p>Vos princes m'ont cédé tous leurs droits à la couronne des
+Espagnes. Je ne veux point régner sur vos provinces, mais
+je veux acquérir des titres éternels à l'amour et à la reconnaissance
+de votre postérité.</p>
+
+<p>Votre monarchie est vieille: ma mission est de la rajeunir.
+J'améliorerai toutes vos institutions, et je vous ferai jouir,
+si vous me secondez, des bienfaits d'une réforme, sans froissemens,
+sans désordre, sans convulsions.</p>
+
+<p>Espagnols, j'ai fait convoquer une assemblée générale des
+députations des provinces et des villes. Je veux m'assurer par
+moi-même de vos désirs et de vos besoins.</p>
+
+<p>Je déposerai alors tous mes droits et je placerai votre glorieuse
+couronne sur la tête d'un autre moi-même, en vous garantissant
+une constitution qui concilie la sainte et salutaire
+autorité du souverain avec les libertés et les priviléges du
+peuple.</p>
+
+<p>Espagnols, souvenez-vous de ce qu'ont été vos pères:
+voyez ce que vous êtes devenus. La faute n'en est pas à vous,
+mais à la mauvaise administration qui vous a régis. Soyez
+pleins d'espérance et de confiance dans les circonstances actuelles;
+car je veux que vos derniers neveux conservent mon
+souvenir et disent; <i>Il est le régénérateur de notre patrie.</i></p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Baïonne, le 6 juin 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Proclamation.</i></p>
+
+<p>Napoléon, par la grâce de Dieu, empereur des Français,
+roi d'Italie, protecteur de la confédération du Rhin, à tous
+ceux qui ces présentes verront, salut.</p>
+
+<p>La junte d'état, le conseil de Castille, la ville de Madrid,
+etc., nous ayant, par des adresses, fait connaître que
+le bien de l'Espagne voulait que l'on mît promptement un
+terme à l'interrègne, nous avons résolu de proclamer, comme
+nous proclamons par la présente, notre bien-aimé frère Joseph
+Napoléon, actuellement roi de Naples et de Sicile, roi
+des Espagnes et des Indes.</p>
+
+<p>Nous garantissons au roi des Espagnes l'indépendance et
+l'intégrité de ses états, soit d'Europe, soit d'Afrique, soit
+d'Asie, soit d'Amérique.</p>
+
+<p>Enjoignons au lieutenant-général du royaume, aux ministres,
+et au conseil de Castille, de faire expédier et publier la
+présente proclamation dans les formes accoutumées, afin que
+personne n'en puisse prétendre cause d'ignorance.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p><b><i>Notes contenues dans le Moniteur.</i></b></p>
+
+<p><a id="footnotetag22" name="footnotetag22"></a><a href="#footnote22"><sup>22</sup></a> Il est vrai que quarante mille hommes de la dernière conscription
+se rendent en Allemagne pour renforcer les cadres
+de la grande armée, et remplacer le double de vieilles troupes
+qui en sont retirées pour l'Espagne; ainsi la grande armée
+sera plutôt diminuée qu'augmentée par l'effet de cette
+mesure, qui n'indique donc aucun projet hostile.</p>
+
+<p><a id="footnotetag23" name="footnotetag23"></a><a href="#footnote23"><sup>23</sup></a> Jamais le royaume de Naples n'a été plus tranquille. Depuis
+cent ans, il n'y a jamais eu moins d'assassinats et de brigandages,
+les galériens que des frégates anglaises y ont débarqués,
+ont été pris par les gardes du pays et livrés à la
+justice. La présence de l'armée anglaise en Sicile ne s'y fait
+point sentir; elle est retranchée dans Syracuse et Messine;
+l'expérience prouvera si elle saura défendre la Sicile.</p>
+
+<p><a id="footnotetag24" name="footnotetag24"></a><a href="#footnote24"><sup>24</sup></a> Bruits d'agiotage; le comte de Metternich est à Paris, et,
+qui mieux est, y est très-bien vu. Le général Andréossi est
+à Vienne. Les troupes françaises sont dans leurs cantonnemens,
+et à plus de cent lieues de l'Autriche proprement dite.</p>
+
+<p><a id="footnotetag25" name="footnotetag25"></a><a href="#footnote25"><sup>25</sup></a> Il est plaisant de mettre en doute si la France et ses alliés
+peuvent à la fois faire la guerre à l'Autriche et à l'Espagne,
+lorsque, sans alliés, elle a vaincu quatre coalitions dix fois
+plus redoutables; n'importe, les Anglais verraient avec plaisir
+l'Autriche faire la guerre dans le même esprit qu'ils ont
+excité la coalition de la Prusse, quoiqu'ils prévissent bien ce
+qui arriverait à la Prusse; mais ils vivent au jour le jour;
+une guerre qui ne durerait que six mois, serait toujours autant
+de gagné pour eux; ils ne songent pas au résultat qui
+ne pourrait qu'empirer leur position.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote22" name="footnote22"></a><b>Note 22:</b><a href="#footnotetag22"> (retour) </a> Les gazettes anglaises annonçaient une concentration de
+troupes françaises sur le Rhin.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote23" name="footnote23"></a><b>Note 23:</b><a href="#footnotetag23"> (retour) </a> Elles parlaient de troubles dans l'Italie.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote24" name="footnote24"></a><b>Note 24:</b><a href="#footnotetag24"> (retour) </a> Elles donnaient comme certaines la nouvelle du rappel
+de l'ambassadeur d'Autriche de Paris.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote25" name="footnote25"></a><b>Note 25:</b><a href="#footnotetag25"> (retour) </a> Elles parlaient de la détermination qu'avait prise Napoléon
+de faire marcher de front la guerre d'Espagne avec celle qu'il méditait
+contre l'Autriche.</blockquote>
+
+<p><a id="footnotetag26" name="footnotetag26"></a><a href="#footnote26"><sup>26</sup></a> L'Angleterre connaît l'étroite union qui existe entre la
+France et la Russie; elle sait que ces deux grandes puissances
+sont résolues à réunir leurs forces, et à reconnaître pour ennemi
+tout ami de l'Angleterre; elle sait que la paix ne sera
+pas troublée en Allemagne, et elle ne conserve aucun espoir
+raisonnable de succès définitifs, en fomentant des troubles
+et des désordres en Espagne; elle sait que c'est du sang et
+des victimes inutiles; mais cet encens lui est agréable; les
+déchiremens du continent sont ses délices; elle sait bien aussi
+qu'avant que l'année soit révolue, il n'y aura pas un seul
+village d'Espagne insurgé, pas un Anglais sur cette terre:
+mais qu'importe à l'Angleterre? elle ne connaît ni honte ni
+remords; ses armées se rembarqueront et abandonneront ses
+dupes; elle traitera les insurgés d'Espagne comme elle a traité
+le roi de Suède. Elle a mis les armes à la main à ce souverain,
+l'a flatté d'un secours puissant: vingt ou trente mille
+hommes devaient le secourir contre le Danemarck et contre
+la Russie; mais les promesses sont faciles. Le général Moore
+et cinq mille hommes sont arrivés et sont restés deux mois
+mouillés sur la côte de Suède, pendant que la Finlande était
+conquise, et que les Suédois étaient chassés de la Norwège. Il
+y a peu de semaines, nous cherchions comment l'Angleterre
+pourrait se tirer avec honneur de cette lutte folle du Nord;
+si elle débarque une armée, disions-nous, cette armée sera
+prise pendant l'hiver; nous ne pouvions nous attendre, quelque
+mauvaise opinion que nous eussions de la bonne foi britannique,
+que cette perfide puissance abandonnerait la Suède
+à son malheureux sort, et sortirait de là en donnant de nouvelles
+preuves de ce que les alliés de l'Angleterre ont à attendre
+d'elle; trahison et abandon. Les insurgés espagnols
+seront trahis et abandonnés de même lorsque l'aigle française
+couvrira de ses ailes toutes les Espagnes.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote26" name="footnote26"></a><b>Note 26:</b><a href="#footnotetag26"> (retour) </a> Le journaliste regardait comme un devoir du gouvernement
+anglais de fournir à ses alliés des subsides et des munitions.</blockquote>
+
+<p>L'ineptie, le défaut de courage d'esprit ont fait essuyer
+quelques échecs à nos armes; ils seront promptement réparés,
+et alors les Anglais se précipiteront sur leurs vaisseaux; ils
+abandonneront leurs alliés, et, comme à Quiberon, tireront
+sur les malheureux qu'ils auront laissés sur le rivage.</p>
+
+<p>Quant à l'Autriche, la paix sera maintenue sur le continent,
+parce que l'Angleterre y est sans influence. Le mépris
+et la haine qu'elle inspire sont communs à toutes les grandes
+puissances; toutes ont été ses victimes; M. Adair a été
+chassé de Vienne, le jour où M. de Staremberg est revenu de
+Londres.</p>
+
+<p>Les armemens faits par l'Angleterre sous pavillon américain,
+qu'escortaient à Trieste des frégates anglaises, ont été
+repoussés et proscrits par un dernier édit de l'empereur François II.
+La bonne intelligence n'a pas cessé de régner entre
+l'Autriche et la France.</p>
+
+<p>Les agens obscurs que l'Angleterre solde, et qui se cachent
+dans cette foule d'escrocs que poursuit la police de tous les
+gouvernemens de l'Europe, ont dit à Vienne que la France
+allait faire la guerre à l'Autriche; et à Paris, que l'Autriche
+levait de nouvelles armées pour attaquer la France. Les oisifs
+avides de nouvelles et d'émotions, ont pu, sur ces obscures
+rumeurs, supposer des marches, des contremarches, et bâtir
+des plans de campagne aussi frivoles qu'eux; mais les deux
+cabinets n'ont pas cessé d'être dans les relations les plus amicales.
+Dans l'entrevue que l'empereur Napoléon a eue avec l'empereur
+Francois II en Moravie, l'empereur François lui promit
+qu'il ne lui ferait plus la guerre. Ce prince a prouvé qu'il
+tenait sa parole. Il est curieux de voir que, tandis que le cabinet
+d'Autriche assure et déclare qu'il est bien avec la France,
+que la France publie les mêmes assurances; il est curieux,
+disons-nous, de voir que cette faction brouillonne, qui se
+nourrit d'agiotage, de calomnies, de libelles, continue à jeter
+l'inquiétude parmi les hommes paisibles.</p>
+
+<p>Les affaires d'Espagne sont irrévocablement fixées; elles
+sont reconnues par les grandes puissances du continent. Si
+l'on a été déçu dans l'espoir de conduire ces peuples à un
+meilleur ordre de choses, sans troubles, sans désordres, sans
+guerre, c'est une victoire qu'a obtenue le génie du mal sur
+l'esprit du bien. Du reste et en définitif, cela ne sera funeste
+qu'à l'Angleterre et à ses partisans. Ces vérités sont
+évidentes, et il n'y a pas un homme de sens à Londres qui
+n'en soit pénétré.</p>
+
+<p>Que penser de la politique et de la raison d'un cabinet
+qui; ayant, excité la Suède contre la Russie, espérait la soutenir
+avec une expédition de cinq mille hommes?</p>
+
+<p>Tant qu'il s'agira de calomnier, de séduire, de suborner,
+l'Angleterre aura l'avantage dans ce genre de guerre; mais
+lorsqu'il verra l'aigle le suivre de l'oeil, le léopard sentira fuir
+sous ses pas la terre ferme, et ne trouvera de refuge que sur
+ses flottes et dans l'élément des tempêtes.</p>
+
+<p>La paix est le voeu de l'univers; les événemens qui ont
+changé la face du monde depuis la rupture de la paix d'Amiens,
+c'est à la rupture de cette paix qu'il faut les attribuer;
+les événemens si défavorables à l'Angleterre qui se sont passés
+depuis la mort de Fox, c'est à sa mort et à la rupture des
+négociations qu'il faut les attribuer; les changemens survenus
+en Europe depuis la paix de Tilsitt, c'est au refus d'accepter
+la médiation de la Russie qu'il faut les attribuer: ce
+qui arrivera encore sur le continent, de contraire à la grandeur
+et à l'intérêt de l'Angleterre, si la paix n'a pas lieu, il
+faudra l'attribuer à cette obstination folle, à cette politique
+aveugle et furibonde qui, malgré l'union des grandes puissances,
+met toujours son avenir dans les rêves d'une division
+impossible, et du renouvellement de coalitions qui ne peuvent
+exister que contre elle. C'est bien ici le lieu d'appliquer
+cette maxime de Cicéron, que le parti le plus politique est
+celui qui est le plus conforme à la justice. La continuation
+de la paix d'Amiens eût laissé l'Europe dans le même
+état. La paix que voulait Fox eût empêché la ruine de la
+Prusse et l'occupation des villes du Nord. L'acceptation de la
+médiation offerte par la Russie eût empêché les affaires de la
+Baltique et d'Espagne. Et si la paix n'a pas lieu dans l'année,
+qui peut prédire les événemens contraires à l'intérêt de
+l'Angleterre qui se se seront passés d'ici à un an?</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Saint-Cloud, le 4 septembre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Message de S. M. l'empereur et roi au sénat conservateur.</i></p>
+
+<p>Sénateurs,</p>
+
+<p>Mon ministre des relations extérieures mettra sous vos
+yeux les différens traités relatifs à l'Espagne, et les constitutions
+acceptées par la junte espagnole.</p>
+
+<p>Mon ministre de la guerre vous fera connaître les besoins
+et la situation de mes armées dans les différentes parties du
+monde.</p>
+
+<p>Je suis résolu à pousser les affaires d'Espagne avec la plus
+grande activité et à détruire les armées que l'Angleterre a débarquées
+dans ce pays.</p>
+
+<p>La sécurité future de mes peuples, la prospérité du commerce,
+et la paix maritime sont également attachées à ces
+importantes opérations.</p>
+
+<p>Mon alliance avec l'empereur de Russie ne laisse à l'Angleterre
+aucun espoir dans ses projets. Je crois à la paix du
+continent; mais je ne veux, ni ne dois dépendre des faux
+calculs et des erreurs des autres cours; et puisque mes voisins
+augmentent leurs armées, il est de mon devoir d'augmenter
+les miennes.</p>
+
+<p>L'empire de Constantinople est en proie aux plus affreux
+bouleversemens; le sultan Sélim, le meilleur empereur qu'aient
+eu depuis long-temps les Ottomans, vient de mourir de la
+main de ses propres neveux; cette catastrophe m'a été sensible.</p>
+
+<p>J'impose avec confiance de nouveaux sacrifices à mes peuples;
+ils sont nécessaires pour leur en épargner de plus considérables
+et pour nous conduire au grand résultat de la paix
+générale, qui doit seul être regardé comme le moment du
+repos.</p>
+
+<p>Français, je n'ai dans mes projets qu'un but, le bonheur
+et la sécurité de vos enfans, et, si je vous connais bien, vous
+vous hâterez de répondre au nouvel appel qu'exige l'intérêt
+de la patrie. Vous m'avez dit si souvent que vous m'aimiez!
+Je reconnaîtrai la vérité de vos sentimens à l'empressement
+que vous mettrez à seconder des projets si intimement liés
+à vos plus chers intérêts, à l'honneur de l'empire et à ma
+gloire.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Paris, le 19 septembre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Allocution à l'avant-garde des troupes de la grande armée,
+réunie à la parade du 11 septembre 1808, dans
+la place du Carrousel.</i></p>
+
+<p>Soldats!</p>
+
+<p>Après avoir triomphé sur les bords du Danube et de la
+Vistule, vous avez traversé l'Allemagne à marches forcées;
+je vous fais aujourd'hui traverser la France sans vous donner
+un moment de repos.</p>
+
+<p>Soldats, j'ai besoin de vous; la présence hideuse du léopard
+souille les continens d'Espagne et du Portugal. Qu'à
+votre aspect il fuie épouvanté: portons nos aigles triomphantes
+jusqu'aux colonnes d'Hercule: là aussi nous avons
+des outrages à venger.</p>
+
+<p>Soldats, vous avez surpassé la renommée des armées modernes;
+mais avez-vous égalé la gloire des armées de Rome,
+qui, dans une même campagne, triomphèrent sur le Rhin et
+sur l'Euphrate, en Illyrie et sur le Tage?</p>
+
+<p>Une longue paix, une prospérité durable seront le prix de
+vos travaux; un vrai Français ne peut, ne doit prendre aucun
+repos jusqu'à ce que les mers soient ouvertes et affranchies.</p>
+
+<p>Soldats, tout ce que vous avez fait, tout ce que vous ferez
+encore pour le bonheur du peuple français et pour ma gloire,
+sera éternellement dans mon coeur.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Erfurth, le 12 octobre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Lettre de LL. MM. les empereurs de France et de
+Russie à S. M. le roi d'Angleterre.</i></p>
+
+<p>Sire,</p>
+
+<p>Les circonstances actuelles de l'Europe nous ont réunis à
+Erfurth. Notre première pensée est de céder au voeu et aux
+besoins de tous les peuples, et de chercher, par une prompte
+pacification avec Votre Majesté, le remède le plus efficace
+aux malheurs qui pèsent sur toutes les nations. Nous en faisons
+connaître notre sincère désir à Votre Majesté par cette
+présente lettre.</p>
+
+<p>La guerre longue et sanglante qui a déchiré le continent
+est terminée, sans qu'elle puisse se renouveler. Beaucoup de
+changemens ont eu lieu en Europe: beaucoup d'états ont été
+bouleversés. La cause en est dans l'état d'agitation et de malheurs
+où la cessation du commerce maritime a placé les grands
+peuples. De plus grands changemens encore peuvent avoir
+lieu et tout contraires à la politique de la nation anglaise. La
+paix est donc à la fois dans l'intérêt des peuples du continent
+comme dans l'intérêt des peuples de la Grande-Bretagne.</p>
+
+<p>Nous nous réunissons pour prier Votre Majesté d'écouter
+la voix de l'humanité, en faisant taire celle des passions, de
+chercher, avec l'intention d'y parvenir, à concilier tous les
+intérêts, et par là, garantir toutes les puissances qui existent,
+et assurer le bonheur de l'Europe et de cette génération à la
+tête de laquelle la Providence nous à placés.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON, ALEXANDRE.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Erfurth, le 12 octobre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Lettre de S. M. l'empereur Napoléon aux rois de Bavière,
+de Saxe, de Westphalie, de Wurtemberg, au
+grand-duc de Bade et au Prince-Primat.</i></p>
+
+<p>Monsieur mon frère, les assurances données par la cour de
+Vienne que les milices étaient renvoyées chez elles et ne seraient
+plus rassemblées, qu'aucun armement ne donnerait
+plus d'inquiétude pour les frontières de la confédération; la
+lettre que je reçois de l'empereur d'Autriche, les protestations
+réitérées que m'a faites M. le baron de Vincent, et plus
+que cela, le commencement d'exécution qui a eu déjà lieu
+en ce moment en Autriche, de différentes promesses qui ont
+été faites, me portent à écrire à V. M. que je crois que la
+tranquillité des états de la confédération n'est d'aucune manière
+menacée, et que V. M. est maîtresse de lever ses camps
+et de remettre ses troupes dans leurs quartiers de la manière
+qu'elle est accoutumée de le faire. Je pense qu'il est convenable
+que son ministre a Vienne reçoive pour instruction de
+tenir ce langage, que les camps seront reformés, et que les
+troupes de la confédération et du protecteur seront remises
+en situation hostile toutes les fois que l'Autriche ferait des
+armemens extraordinaires et inusités; que nous voulons enfin
+tranquillité et sûreté.</p>
+
+<p>Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne
+garde.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Erfurt, le 14 octobre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Lettre de Sa Majesté l'empereur Napoléon à Sa Majesté
+l'empereur d'Autriche.</i></p>
+
+<p>Monsieur mon frère, je remercie Votre Majesté impériale
+et royale de la lettre qu'elle a bien voulu m'écrire, et que
+M. le baron de Vincent m'a remise. Je n'ai jamais douté des
+intentions droites de Votre Majesté; mais je n'en ai pas
+moins craint un moment de voir les hostilités se renouveler
+entre nous. Il est à Vienne une faction qui affecte la peur
+pour précipiter votre cabinet dans des mesures violentes qui
+seraient l'origine de malheurs plus grands que ceux qui ont
+précédé. J'ai été le maître de démembrer la monarchie de
+Votre Majesté, ou du moins de la laisser moins puissante.
+Je ne l'ai pas voulu: ce qu'elle est, elle l'est de mon voeu.
+C'est la plus évidente preuve que nos comptes sont soldés
+et que je ne veux rien d'elle. Je suis toujours prêt à garantir
+l'intégrité de sa monarchie; je ne ferai jamais rien contre
+les principaux intérêts de ses états; mais Votre Majesté ne doit
+pas mettre en discussion ce que quinze ans de guerre ont
+terminé; elle doit défendre toute proclamation ou démarche
+provoquant la guerre. La dernière levée en masse aurait produit
+la guerre, si j'avais pu craindre que cette levée et ces
+préparatifs fussent combinés avec la Russie. Je viens de licencier
+les camps de la confédération. Cent mille hommes de
+mes troupes vont à Boulogne pour renouveler mes projets
+sur l'Angleterre; j'ai dû croire, lorsque j'ai eu le bonheur
+de voir Votre Majesté, et que j'ai conclu le traité de Presbourg,
+que nos affaires étaient terminées pour toujours, et
+que je pourrais me livrer à la guerre maritime sans être inquiété
+ni distrait. Que Votre Majesté se méfie de ceux qui,
+lui parlant des dangers de sa monarchie, troublent ainsi son
+bonheur, celui de sa famille et de ses peuples. Ceux-là seuls
+sont dangereux, ceux-là seuls appellent les dangers qu'ils
+feignent de craindre. Avec une conduite droite, franche et
+simple, Votre Majesté rendra ses peuples heureux, jouira
+elle-même du bonheur dont elle doit sentir le besoin après
+tant de troubles, et sera sûre d'avoir en moi un homme décidé
+à ne jamais rien faire contre ses principaux intérêts. Que
+ses démarches montrent de la confiance, elles en inspireront.
+La meilleure politique aujourd'hui, c'est la simplicité et la
+vérité. Qu'elle me confie ses inquiétudes, lorsqu'on parviendra
+à lui en donner, je les dissiperai sur-le-champ. Que Votre
+Majesté me permette un dernier mot: qu'elle écoute son opinion,
+son sentiment, il est bien supérieur à celui de ses
+conseils.</p>
+
+<p>Je prie Votre Majesté de lire ma lettre dans un bon sens;
+et de n'y voir rien qui ne soit pour le bien et la tranquillité
+de l'Europe et de Votre Majesté.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Paris, le 25 octobre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Discours de l'empereur à l'ouverture du corps législatif.</i></p>
+
+<p>Messieurs les députés des départemens au corps législatif,</p>
+
+<p>Les Codes qui fixent les principes de la propriété et de la
+liberté civile qui sont l'objet de vos travaux obtiennent l'opinion
+de l'Europe. Mes peuples en éprouvent déjà les plus salutaires
+effets.</p>
+
+<p>Les dernières lois ont posé les bases de notre système de
+finances. C'est un monument de la puissance et de la grandeur
+de la France. Nous pourrons désormais subvenir aux dépenses
+que nécessiterait même une coalition générale de l'Europe,
+par nos seules recettes annuelles; nous ne serons jamais contraints
+d'avoir recours aux mesures désastreuses du papier-monnaie,
+des emprunts et des arriérés.</p>
+
+<p>J'ai fait cette année plus de mille lieues dans l'intérieur de
+mon empire. Le système de travaux que j'ai arrêté pour l'amélioration
+du territoire se poursuit avec activité.</p>
+
+<p>La vue de cette grande famille française, naguère déchirée
+par les opinions et les haines intestines, aujourd'hui prospère,
+tranquille et unie, a sensiblement ému mon âme. J'ai senti que
+pour être heureux, il me fallait d'abord l'assurance que la
+France fût heureuse.</p>
+
+<p>Le traité de paix de Presbourg, celui de Tilsitt, l'attaque
+de Copenhague, l'attentat de l'Angleterre contre toutes les
+nations maritimes, les différentes révolutions de Constantinople,
+les affaires de Portugal et d'Espagne ont diversement
+influé sur les affaires du monde.</p>
+
+<p>La Russie et le Danemarck se sont unis à moi contre l'Angleterre.</p>
+
+<p>Les Etat-Unis d'Amérique ont préféré renoncer au commerce
+et à la mer, plutôt que d'en reconnaître l'esclavage.</p>
+
+<p>Une partie de mon armée marche contre celles que l'Angleterre
+a formées ou débarquées dans les Espagnes. C'est un
+bienfait particulier de cette Providence, qui a constamment
+protégé nos armes, que les passions aient assez aveuglé les
+conseils anglais pour qu'ils renoncent à la protection des
+mers et présentent enfin leur armée sur le continent.</p>
+
+<p>Je pars dans peu de jours pour me mettre moi-même à la
+tête de mon armée, et, avec l'aide de Dieu, couronner dans
+Madrid le roi d'Espagne et planter mes aigles sur les forts de
+Lisbonne.</p>
+
+<p>Je ne puis que me louer des sentimens des princes de la
+confédération du Rhin.</p>
+
+<p>La Suisse sent tous les jours davantage les bienfaits de
+l'acte de médiation.</p>
+
+<p>Les peuples d'Italie ne me donnent que des sujets de contentement.</p>
+
+<p>L'empereur de Russie et moi nous nous sommes vus à Erfurt.
+Notre première pensée a été une pensée de paix. Nous
+avons résolu de faire quelques sacrifices, pour faire jouir plus
+tôt s'il se peut les cent millions d'hommes que nous représentons,
+de tous les bienfaits du commerce maritime. Nous sommes
+d'accord et invariablement unis pour la paix comme pour
+la guerre.</p>
+
+<p>Messieurs les députés des départemens au corps législatif,
+j'ai ordonné à mes ministres des finances et du trésor public
+de mettre sous vos yeux les comptes des recettes et des dépenses
+de cette année. Vous y verrez avec satisfaction que je
+n'ai besoin de hausser le tarif d'aucune imposition. Mes peuples
+n'éprouveront aucune nouvelle charge.</p>
+
+<p>Les orateurs de mon conseil-d'état vous présenteront différens
+projets de lois, et entr'autres tous ceux relatifs au Code
+criminel.</p>
+
+<p>Je compte constamment sur toute votre assistance.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Paris, le 27 octobre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de l'empereur à une députation du corps législatif,
+et annonce de son prochain départ pour l'Espagne.</i></p>
+
+<p>Mon devoir et mes inclinations me portent à partager les
+dangers de mes soldats. Nous nous sommes mutuellement nécessaires.
+Mon retour dans ma capitale sera prompt. Je compte
+pour peu les fatigues, lorsqu'elles peuvent contribuer à assurer
+la gloire et la grandeur de la France. Je reconnais, dans
+la sollicitude que vous m'exprimez, l'amour que vous me
+portez; je vous en remercie.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Paris, le 27 octobre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de l'empereur à une députation de plusieurs
+départemens d'Italie.</i></p>
+
+<p>J'agrée les sentimens que vous m'exprimez au nom de mes
+peuples du Musone, du Metauro et du Tronto. Je suis bien
+aise de les voir heureux dans leur nouvelle situation. J'ai été
+témoin des vices de votre ancienne administration. Les ecclésiastiques
+doivent se renfermer dans le gouvernement des affaires
+du Ciel. La théologie, qu'ils apprennent dans leur enfance,
+leur donne des règles sûres pour le gouvernement spirituel,
+mais ne leur en donne aucune pour le gouvernement
+des armées et pour l'administration.</p>
+
+<p>Nos conciles ont voulu que les prêtres ne fussent pas mariés,
+pour que les soins de la famille ne les détournassent pas
+du soin des affaires spirituelles auxquelles ils doivent être
+exclusivement livrés.</p>
+
+<p>La décadence de l'Italie date du moment où les prêtres ont
+voulu gouverner et les finances et la police et l'armée.</p>
+
+<p>Après de grandes révolutions, j'ai relevé les autels en
+France et en Italie; je leur ai donné un nouvel éclat dans plusieurs
+parties de l'Allemagne et de la Pologne. J'en protégerai
+constamment les ministres.</p>
+
+<p>Je n'ai qu'à me louer de mon clergé de France et d'Italie.
+Il sait que les trônes émanent de Dieu, et que le crime le plus
+grand à ses yeux, parce que c'est celui qui fait le plus de mal
+aux hommes, c'est d'ébranler le respect et l'amour que l'on
+doit aux souverains. Je fais un cas particulier de votre archevêque
+d'Urbin. Ce prélat, animé d'une véritable foi a repoussé
+avec indignation les conseils, comme il a bravé les menaces
+de ceux qui veulent confondre les affaires du Ciel, qui
+ne changent jamais, avec les affaires de la terre, qui se modifient
+selon les circonstances de la force et de la politique.
+Je saurai faire respecter en Italie comme en France les droits
+des nations et de ma couronne, et réprimer ceux qui voudraient
+se servir de l'influence spirituelle pour troubler mes
+peuples et leur prêcher le désordre et la rébellion. Ma couronne
+de fer est entière et indépendante comme ma couronne
+de France. Je ne veux aucun assujettissement qui en altère
+l'indépendance.</p>
+
+<p>Les sentimens que vous m'exprimez, et qui animent mes
+peuples du Musone, du Metauro et du Tronto me sont connus.
+Assurez les que constamment ils peuvent compter sur les
+effets de ma protection, et que la première fois que je passerai
+les Alpes, j'irai jusqu'à eux.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Vittoria, le 9 novembre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Premier bulletin de l'armée d'Espagne.</i></p>
+
+<p>Position de l'armée française au 25 octobre: le quartier-général
+à Vittoria.</p>
+
+<p>Le maréchal duc de Conegliano, avec la gauche, bordant
+l'Aragon et l'Ebre: son quartier-général à Rafalla.</p>
+
+<p>Le maréchal duc d'Elchingen: son quartier-général à
+Guardia.</p>
+
+<p>Le maréchal duc d'Istrie: son quartier-général à Miranda,
+occupant le fort de Pancorba par une garnison.</p>
+
+<p>Le général de division Merlin, occupant avec une division
+les hauteurs de Durango, et contenant l'ennemi, qui paraissait
+vouloir tomber sur les hauteurs de Mondragon.</p>
+
+<p>Le maréchal duc de Dantzick étant arrivé avec la division
+Sébastiani et Leval, le roi jugea à propos de faire rentrer la
+division Merlin.</p>
+
+<p>Cependant l'ennemi ayant pris de l'audace, et ayant occupé
+Lérin, Viana et plusieurs postes sur la rive gauche de
+l'Ebre, le roi ordonna au maréchal duc de Conegliano de
+marcher sur lui. Le général Watier, commandant la cavalerie,
+et les brigades des généraux Habert, Brun et Razout, marchèrent
+contre les postes ennemis; l'ennemi fut culbuté partout
+dans la journée du 27; douze cents hommes armés dans
+Lerin voulurent d'abord se défendre, mais le général de division
+Grandjean ayant fait ses dispositions pour les attaquer,
+les culbuta, fit prisonnier un colonel, deux lieutenans-colonels,
+quarante officiers et les douze cents soldats: ce sont les
+troupes qui faisaient partie du camp Saint-Roch. Dans le
+même temps le maréchal duc d'Elchingen marchait sur Logrono,
+passait l'Ebre, faisait à l'ennemi trois cents prisonniers,
+le poursuivait à plusieurs lieues de l'Ebre, et rétablissait le
+pont de Logrono. Par suite de cet événement, le général
+espagnol Pignatelli, qui commandait les insurgés, fut lapidé
+par eux.</p>
+
+<p>Les troupes du traître la Romana, et les Espagnols prisonniers
+en Angleterre, que les Anglais avaient débarqués en
+Espagne, et les divisions de Galice, formant une force de
+trente mille hommes, de Bilbao, menaçaient le maréchal duc
+de Dantzick, qui, emporté par une noble impatience, marcha
+à eux dans la journée du 31, et les culbuta de toutes leurs
+positions, au pas de charge: les troupes de la confédération
+du Rhin se sont distinguées, principalement le corps de
+Bade.</p>
+
+<p>Le maréchal duc de Dantzick poursuivit l'ennemi, l'épée
+dans les reins, toute la journée du premier novembre, jusqu'à
+Guenès, et entra dans Bilbao. Des magasins considérables
+ont été trouvés dans cette ville; plusieurs Anglais ont été
+faits prisonniers. La perte de l'ennemi a été considérable en
+tués et blessés; elle l'a été peu en prisonniers. Notre perte n'a
+été que d'une quinzaine de tués et d'une centaine de blessés.
+Tout honorable qu'est cette affaire, il serait à désirer qu'elle
+n'eût pas eu lieu. Le corps espagnol était dans une position à
+être enlevé.</p>
+
+<p>Sur ces entrefaites, le corps du maréchal Victor étant
+arrivé, fut dirigé de Vittoria sur Orduna. Dans la journée
+du 7, l'ennemi renforcé de nouvelles troupes arrivées de
+Saint-Ander, avait couronné les hauteurs de Guenès. Le
+maréchal duc de Dantzick marcha à eux et perça leur centre.
+Les cinquante-huitième et trente-deuxième se sont distingués.</p>
+
+<p>Si ces événemens se fussent passés en plaine, pas un ennemi
+n'eût échappé; mais les montagnes de Saint-Ander et
+de Bilbao sont presque inaccessibles. Le duc de Dantzick
+poursuivit toute la journée l'ennemi dans les gorges de
+Valmaseda.</p>
+
+<p>Dans ces dernières affaires, l'ennemi a perdu en hommes
+tués, blessés et prisonniers, plus de trois mille cinq cents à
+quatre mille hommes.</p>
+
+<p>Le duc de Dantzick se loue particulièrement du général
+de division Leval, du général de division Sébastiani, du général
+hollandais Chassey, du colonel Lacoste, du vingt-septième
+régiment d'infanterie légère, du colonel Bacon, du
+soixante-troisième d'infanterie de ligne, et des colonels des
+régimens de Bade et de Nassau, auxquels S. M. a accordé
+des récompenses.</p>
+
+<p>L'armée est abondamment pourvue de vivres; le temps est
+très-beau.</p>
+
+<p>Nos colonnes marchent en combinant leurs mouvemens.</p>
+
+<p>On croit que le quartier-général part cette nuit de Vittoria.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Burgos, le 12 novembre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Deuxième bulletin de l'armée d'Espagne,</i></p>
+
+<p>Le duc de Dantzick est entré dans Valmaseda en poursuivant
+l'ennemi.</p>
+
+<p>Dans la journée du 8, le général Sébastiani découvrit sur
+une montagne très-élevée, à la droite de Valmaseda, l'arrière-garde
+des insurgés; il marcha sur-le-champ à eux, les
+culbuta, et fit une centaine de prisonniers.</p>
+
+<p>Cependant, la ville de Burgos était occupée par l'armée
+d'Estramadure, formée en trois divisions: l'avant-garde
+composée des gardes wallonnes et espagnoles et du corps d'étudians
+des universités de Salamanque et de Léon, formant
+plusieurs bataillons; plusieurs régimens de ligne et des régimens
+de nouvelle formation, formés depuis l'insurrection
+de Badajoz, portaient cette armée à environ vingt mille
+hommes.</p>
+
+<p>L'empereur ayant donné le commandement de la cavalerie
+de l'armée au maréchal duc d'Istrie, donna le commandement
+du deuxième corps au maréchal duc de Dalmatie. Le
+10, à la pointe du jour, ce maréchal marcha à la tête de la
+division Mouton, pour reconnaître l'ennemi. Arrivé à Gamonal,
+il fut accueilli par une décharge de trente pièces de
+canon: ce fut le signal du pas de charge. L'infanterie de la
+division Mouton marcha soutenue par des salves d'artillerie.
+Les gardes wallonnes et espagnoles furent culbutées à la première
+attaque. Le duc d'Istrie, à la tête de sa cavalerie, déborda
+leurs ailes; l'ennemi fut mis en pleine déroute; trois
+mille hommes sont restés sur le champ de bataille, douze
+drapeaux et vingt-cinq pièces de canon ont été pris, trois
+mille prisonniers ont été faits; le reste est dispersé. Nos troupes
+sont entrées pêle-mêle avec l'ennemi dans la ville de
+Burgos, et la cavalerie le poursuit dans toutes les directions.</p>
+
+<p>Cette armée d'Estramadure, qui venait de Madrid à marches
+forcées, qui s'était signalée pour premier exploit, par
+l'égorgement de son infortuné général, le comte de Torrès,
+toute armée de fusils anglais, et spécialement soldée par
+l'Angleterre, n'existe plus. Le colonel des gardes wallonnes
+et un grand nombre d'officiers supérieurs ont été faits prisonniers.
+Notre perte a été très-légère; elle consiste en douze ou
+quinze hommes tués et cinquante blessés au plus. Un seul
+capitaine a été tué d'un boulet.</p>
+
+<p>Cette affaire, due aux dispositions du duc de Dalmatie et
+à l'intrépidité avec laquelle le duc d'Istrie a fait charger la
+cavalerie, fait le plus grand honneur à la division Mouton;
+il est vrai que cette division est composée de corps dont le
+seul nom est depuis long-temps un dire d'honneur.</p>
+
+<p>Le château de Burgos a été occupé et trouvé en bon
+état. Il y a des magasins considérables de farines, de vin et
+de blé.</p>
+
+<p>Le 11, l'empereur a passé la revue de la division Bonnet,
+et l'a dirigée immédiatement sur les débouchés des gorges de
+Saint-Ander.</p>
+
+<p>Voici la position de l'armée aujourd'hui:</p>
+
+<p>Le maréchal duc de Bellune poursuivant vivement les
+restes de l'armée de Galice, qui se retire par Villarcayo et
+Reynosa, point vers lequel le duc de Dalmatie est en marche.
+Il ne lui restera plus d'autres ressources que de se disséminer
+dans des montagnes, en abandonnant son artillerie, ses bagages
+et tout ce qui constitue une armée.</p>
+
+<p>S. M. l'empereur est à Burgos avec sa garde; le général
+Milhaud, avec sa division de dragons, marche sur Palencia;
+le général Lasalle a pris possession de Lerma.</p>
+
+<p>Ainsi, dans un moment, les armées de Galice et d'Estramadure
+ont été battues, dispersées et en partie détruites, et
+cependant tous les corps de l'armée ne sont pas arrivés. Les
+trois-quarts de la cavalerie sont en arrière, et près de la moitié
+de l'infanterie.</p>
+
+<p>On a remarqué dans l'armée insurgée les contrastes les plus
+opposés. On a trouvé dans la poche des officiers morts, des
+contrôles de compagnies qui s'intitulaient compagnies de
+Brutus, compagnies del Populo; c'étaient les compagnies des
+étudians des écoles; d'autres dont les compagnies portaient
+des noms de saints; c'était l'insurrection des paysans. Anarchie
+et désordres, voilà ce que l'Angleterre sème en Espagne.
+Qu'en recueillera-t-elle? la haine de cette brave nation éclairée
+et réorganisée. Du reste, l'extravagance des meneurs des
+insurgés s'aperçoit partout. Il y a des drapeaux parmi ceux
+que nous avons pris, où l'aigle impérial se trouve déchiré par
+le lion d'Espagne; et qui se permet de pareilles allégories?
+Les troupes les plus mauvaises qui existent en Europe.</p>
+
+<p>La cavalerie de l'armée d'Estramadure a été battue de
+l'oeil. Du moment que le dixième de chasseurs l'a aperçue,
+elle s'est mise en déroute, et on ne l'a plus revue.</p>
+
+<p>L'empereur a passé la revue du corps du duc de Dalmatie,
+comme il partait de Burgos pour marcher sur les derrières de
+l'armée de Galice. S. M. a fait des promotions, donné des récompenses,
+et a été fort contente de la troupe. Elle a témoigné
+sa satisfaction aux vainqueurs de Médina del Riosecco et
+de Burgos, le maréchal duc d'Istrie, et les généraux Merle
+et Mouton.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">An quartier-impérial de Burgos, le 12 novembre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Au président du corps législatif.</i></p>
+
+<p>Monsieur le président du corps législatif, mes troupes
+ayant, au combat de Burgos, pris douze drapeaux de l'armée
+d'Estramadure, parmi lesquels se trouvent ceux des
+gardes wallonnes et espagnoles, j'ai voulu profiter de cette
+circonstance et donner une marque de ma considération aux
+députés des départemens au corps législatif, en leur envoyant
+ces drapeaux pris dans la même quinzaine où j'ai présidé à
+l'ouverture de leur session. Que les députés des départemens
+et les collèges électoraux dont ils font partie, y voient le
+désir que j'ai de leur donner une preuve de mon estime. Cette
+lettre n'étant à autre fin, je prie Dieu qu'il vous ait, monsieur
+le président du corps législatif, en sa sainte et digne
+garde.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Burgos, le 13 décembre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Troisième bulletin de l'armée d'Espagne.</i></p>
+
+<p>L'armée de Galice, qui est en fuite de Bilbao, est poursuivie
+par le maréchal duc de Bellune, dans la direction d'Espinosa;
+par le maréchal duc de Dantzick, dans celle de Villarcayo,
+et tournée sur Reynosa, par le maréchal duc de
+Dalmatie. Des événemens importans doivent avoir lieu.</p>
+
+<p>Le général Milhaud, avec sa division de cavalerie, est entré
+à Palencia, et a poussé des détachemens sur les débouchés
+de Reynosa, à la suite d'un parc d'artillerie de l'armée de
+Galice.</p>
+
+<p>Les jeunes étudians de Salamanque, qui croyaient faire la
+conquête de la France, les paysans fanatiques qui rêvaient
+déjà le pillage de Baïonne et de Bordeaux, et se croyaient
+conduits par tous les saints apparus à des moines imposteurs,
+se trouvent déchus de leurs folles chimères. Leur désespoir
+et leur consternation sont au comble; ils se lamentent des
+malheurs auxquels ils sont en proie, des mensonges qu'on
+leur a fait accroire, et de la lutte sans objet dans laquelle ils
+sont engagés.</p>
+
+<p>Toute la plaine de Castille est déjà couverte de notre cavalerie.
+L'élan et l'ardeur de nos troupes les portent à faire
+quatorze et quinze lieues par jour. Nos grand'gardes sont
+sur le Duero. Toute la côte de Bilbao et de Saint-Ander est
+nettoyée d'ennemis.</p>
+
+<p>L'infortunée ville de Burgos, en proie à tous les maux
+d'une ville prise d'assaut, fait frémir d'horreur. Prêtres,
+moines, habitans, se sont sauvés à la première nouvelle du
+combat, menacés de voir les soldats de l'armée d'Estramadure
+se défendre dans les maisons, comme ils en avaient annoncé
+l'intention, pillés d'abord par eux, et ensuite par nos soldats
+entrant dans les maisons pour en chasser les ennemis et n'y
+trouvant plus d'habitans.</p>
+
+<p>Il faudrait que des hommes comme M. de Stein, qui, au
+défaut de troupes de ligne qui n'ont pu résister à nos aigles,
+méditent le sublime projet de lever des masses, fussent témoins
+des malheurs qu'elles entraînent, et du peu d'obstacle
+que cette ressource peut offrir à des troupes réglées.</p>
+
+<p>On a trouvé dans Burgos et dans les environs pour trente
+millions de laines que S. M. l'empereur a fait séquestrer.
+Toutes celles qui appartiendraient à des moines et à des
+individus faisant partie des insurgés, seront confisquées et
+serviront de première indemnité aux Français, pour les pertes
+qu'ils ont éprouvées; car à Madrid même, les Français
+domiciliés depuis quarante ans, ont été dépouillés de leurs
+biens; les Espagnols fidèles à leur roi, ont été déclarés émigrés.
+Les biens de d'Aranza, le ministre le plus vertueux et
+le plus éclairé; de Massaredo, le marin le plus instruit;
+d'Offarill, le meilleur militaire de l'Espagne, ont été vendus
+à l'encan. Ceux de Campo d'Alange, respectable par ses
+vertus, par son nom et par sa fortune, propriétaire de
+soixante mille mérinos et de trois millions de revenus, sont
+devenus la proie de ces frénétiques.</p>
+
+<p>Une autre mesure que l'empereur à ordonnée, c'est la confiscation
+de toutes les marchandises de fabrique anglaise, celle
+des denrées coloniales débarquées en Espagne depuis l'insurrection.
+Les marchands de Londres feront donc bien d'envoyer
+des marchandises à Lisbonne, à Porto et dans les ports
+d'Espagne. Plus ils en enverront et plus grande sera la contribution
+qu'ils nous paient.</p>
+
+<p>La ville de Palencia, dirigée par un digne évêque, a accueilli
+nos troupes avec empressement. Cette ville ne se ressent
+pas des calamités de la guerre. Un saint évêque qui pratique
+les principes de l'évangile, animé par la charité chrétienne,
+des lèvres duquel il ne découle que du miel, est le
+plus grand bienfait que le Ciel accorde aux peuples. Un évêque
+passionné, haineux et furibond, qui ne prêche que la désobéissance
+et la rébellion, le désordre et la guerre, est un
+monstre que Dieu a donné aux peuples dans sa colère, pour
+les égarer dans la source même de la morale.</p>
+
+<p>Dans les prisons de Burgos étaient renfermés plusieurs moines.
+Les paysans les ont lapidés. «Malheureux que vous êtes,
+leur disaient-ils, c'est vous qui nous avez entraînés dans ce
+comble d'infortunes. Nos malheureuses femmes, nos pauvres
+enfans, nous ne les reverrons peut-être plus. Misérables que
+vous êtes, le Dieu juste vous punira aux enfers de tous les
+maux que vous causez à nos familles et à notre patrie.»</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Burgos, le 15 novembre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Quatrième bulletin de l'armée d'Espagne.</i></p>
+
+<p>S. M. a passé hier la revue de la division Marchand, a
+nommé les officiers et sous-officiers les plus méritans à toutes
+les places vacantes, et a donné des récompenses aux soldats
+qui s'étaient distingués. S. M. a été extrêmement contente de
+ces troupes, qui arrivent presque sans s'arrêter des bords de
+la Vistule.</p>
+
+<p>Le duc d'Elchingen est parti de Burgos. L'empereur a
+passé ce matin la revue de sa garde dans la plaine de Burgos.
+S. M. a vu ensuite la division Dessolles et a nommé à toutes
+les places vacantes dans cette division.</p>
+
+<p>Les événemens se préparent et tout est en marche. Rien
+ne réussit à la guerre qu'en conséquence d'un plan bien combiné.</p>
+
+<p>Parmi les prisonniers nous en avons trouvé qui portaient
+à la boutonnière un aigle renversé percé de deux flèches, avec
+celle inscription: <i>au vainqueur de la France</i>. A cette ridicule
+fanfaronnade, on reconnaît les compatriotes de Don
+Quichotte. Le fait est qu'il est impossible de trouver de plus
+mauvaises troupes, soit dans les montagnes soit dans la plaine.
+Ignorance crasse, folle présomption, cruauté contre le faible,
+souplesse et lâcheté avec le fort, voilà le spectacle que
+nous avons sous les yeux. Les moines et l'inquisition ont
+abruti cette nation.</p>
+
+<p>Dix mille hommes de cavalerie légère et de dragons, avec
+vingt-quatre pièces d'artillerie légère, s'étaient mis en marche
+le 11 pour courir sur les derrières de la division anglaise que
+l'on disait être à Valladolid. Ces braves ont fait trente-quatre
+lieues en deux jours, mais notre espérance a été déçue. Nous
+sommes entrés à Palencia, à Valladolid; on a poussé six lieues
+plus loin; point d'Anglais, mais bien des promesses et des
+assurances.</p>
+
+<p>Il paraît certain qu'une division de leur troupes a débarqué
+à la Corogne, et qu'une autre division est entrée à Badajoz
+au commencement du mois. Le jour où nous les trouverons
+sera un jour de fête pour l'armée française. Puissent-ils
+rougir de leur sang ce continent qu'ils dévastent par leurs
+intrigues, leur monopole et leur épouvantable égoïsme! Puissent-ils,
+au lieu de vingt mille, être quatre-vingt ou cent
+mille hommes, afin que les mères de famille anglaises apprennent
+ce que c'est que les maux de la guerre, et que le gouvernement
+britannique cesse de se jouer de la vie et du sang
+des peuples du continent. Les mensonges les plus grossiers,
+les moyens les plus vils sont mis en oeuvre par le machiavélisme
+anglais pour égarer la nation espagnole. Mais la masse
+est bonne: la Biscaye, la Navarre, la Vieille-Castille, la plus
+grande partie de l'Aragon même, sont animées d'un bon esprit.
+La généralité de la nation voit avec une profonde douleur
+l'abîme où on la jette, et ne tardera pas à maudire les
+auteurs de tant de maux.</p>
+
+<p>Florida Blanca, qui est à la tête de l'insurrection espagnole,
+est le même qui a été ministre sous Charles III. Il a toujours
+été ennemi décidé de la France, et partisan zélé de l'Angleterre.
+Il faut espérer qu'à sa dernière heure, il reconnaîtra
+les erreurs de la politique de sa vie. C'est un vieillard qui
+réunit à l'anglomanie la plus aveugle, la dévotion la plus
+superstitieuse. Ses confidens et ses amis sont les moines les
+plus fanatiques et les plus ignares.</p>
+
+<p>L'ordre est rétabli dans Burgos et dans les environs. A ce
+premier moment de terreur a succédé la confiance. Les paysans
+sont retournés dans leurs villages et à leur labour.</p>
+<br><br><br>
+
+
+
+<p class="droite">Burgos, le 16 novembre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Cinquième bulletin de l'armée d'Espagne.</i></p>
+
+<p>Les destinées de l'armée d'Estramadure se sont terminées
+dans les plaines de Burgos. L'armée de Galice, battue aux
+combats de Durango, de Guénès, de Valmaseda, a péri ou
+a été dispersée à la bataille d'Espinosa. Cette armée était
+composée de l'infanterie de l'ancienne armée espagnole qui
+était en Portugal et en Galice, et qui a quitté Porto à la fin
+de juin; des milices de la Galice, des Asturies et de la Vieille-Castille;</p>
+
+<p>De cinq mille prisonniers espagnols que les Anglais avaient
+habillés et armés à leurs frais et débarqués à Saint Ander;</p>
+
+<p>Des volontaires de levées extraordinaires de la Galice, de
+la Vieille-Castille et des Asturies;</p>
+
+<p>Des régimens d'artillerie, des garnisons de marine, et des
+matelots des départemens de la Corogne et du Ferrol;</p>
+
+<p>Enfin des corps que le traître la Romana avait amenés du
+Nord et débarqués a Saint-Ander.</p>
+
+<p>Dans sa folle présomption, cette armée manoeuvrait sur le
+flanc droit de l'armée française, et voulait couper la communication
+par la Biscaye. Pendant l'espace de dix jours,
+elle a été menée battant de gorge en gorge, de mamelon en
+mamelon. Enfin, le 10 novembre, arrivée à Espinosa, elle
+voulut couvrir sa retraite, ses parcs, ses hôpitaux et ses magasins.</p>
+
+<p>Elle se rangea en bataille et se crut dans une position inattaquable.</p>
+
+<p>Le maréchal duc de Bellune culbuta son arrière-garde, et
+se trouva à trois heures après midi devant son front de bataille.
+Le général Pacthod, avec les quatre-vingt-quatorzième
+et quatre-vingt-quinzième régimens de ligne, eut ordre d'enlever
+un mamelon situé en avant de la ligne de bataille qu'occupait
+la troupe du traître la Romana. La position était belle;
+les soldats qui la défendaient, les meilleurs du pays et soutenus
+par toute la ligne ennemie. Le général Pacthod gravit,
+l'arme au bras, ces montagnes escarpées, et fondit sur ces
+régimens qui avaient abusé de notre loyauté et faussé leurs
+sermens. Dans un clin d'oeil ils furent rompus et jetés dans
+les précipices. Le régiment de la Princesse a été détruit.</p>
+
+<p>La ligne ennemie se porta alors en avant et combina des
+attaques pour reprendre le plateau. Toutes les colonnes qui
+avancèrent disparurent et trouvèrent la mort. La nuit obscure
+surprit les deux armées dans cette position.</p>
+
+<p>Pendant ce temps, le maréchal duc de Dalmatie filait sur
+Reynosa, seule retraite de l'ennemi.</p>
+
+<p>A la pointe du jour, le duc de Bellune fit déborder par le
+général de brigade Maison, à la tête du seizième régiment d'infanterie
+légère, la gauche de l'ennemi; de son côté le duc de
+Dantzick accourut au feu et déborda sa droite.</p>
+
+<p>Le général Maison, avec les braves du seizième, gravit sur
+des montagnes escarpées à tout autre inaccessibles, et culbuta
+l'ennemi. Le duc de Bellune fit alors avancer le centre; et
+l'ennemi coupé et tourné, fuit à la débandade, jetant ses
+armes, ses drapeaux et abandonnant ses canons.</p>
+
+<p>La division Sébastiani poursuivit les fuyards dans la direction
+de Villarcayo, attaqua, tua, prit ou dispersa une division
+et lui enleva ses canons.</p>
+
+<p>Le duc de Dalmatie enleva à Reynosa tous les parcs, magasins,
+bagages, et fit quelques prisonniers.</p>
+
+<p>Le colonel Tascher, envoyé à la poursuite de l'ennemi à la
+tête d'un régiment de chasseurs, a ramené un grand nombre
+de prisonniers.</p>
+
+<p>Cependant l'ennemi qui nous menaçait avec tant d'ignorance
+et une si aveugle présomption, était non-seulement
+tourné par Reynosa, mais encore par Palencia, par la cavalerie
+qui déjà occupait les débouchés des montagnes dans la
+plaine à vingt lieues de ses derrières.</p>
+
+<p>Soixante pièces de canon, vingt mille hommes tués ou pris,
+le reste dispersé; douze généraux espagnols tués; tous les
+secours en armes, habillemens, munitions, que les Anglais
+avaient débarqués, tombés en notre pouvoir, sont le résultat
+de cette affaire. La terreur est dans l'âme du soldat espagnol.
+Il jette sa veste rouge au chiffre du roi Georges,
+son fusil anglais, et cherche à se cacher dans des cavernes,
+dans des hameaux sous l'habit de paysan. Blake se sauve errant
+dans les montagnes des Asturies; la Romana, avec
+quelques milliers d'hommes, s'est jeté sur la marine de Saint-Ander.</p>
+
+<p>Cependant notre perte est de peu de conséquence. Aux
+combats de Durango, de Guenès, de Valmaseda, d'Espinosa,
+nous n'avons perdu que quatre-vingts hommes tués et trois
+cents blessés, aucun homme de marque. On a brisé trente
+mille fusils et on en a pris en magasin à Reynosa.</p>
+
+<p>S.M. a nommé le général de brigade Pacthod général de division,
+et a accordé dix décorations de la légion d'honneur
+aux quatre-vingt-quatorzième et quatre-vingt-quinzième régimens
+d'infanterie de ligne et au seizième d'infanterie légère.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Burgos, le 18 novembre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Sixième bulletin de l'armée d'Espagne.</i></p>
+
+<p>Des quarante-cinq mille hommes qui composaient l'armée
+de Galice, partie a été tuée et prise, le reste a été éparpillé.
+Les débris en tombent de tous côtés dans nos postes. Le général
+de division Debelle a fait cinq cents prisonniers du côté
+de Vasconcellos.</p>
+
+<p>Le colonel Tascher, commandant le premier régiment provisoire
+de chasseurs, a donné sur l'escorte du général espagnol
+Acebedo; l'escorte ayant fait résistance, tout a été tué.</p>
+
+<p>Le général Bonnet est tombé avec sa division sur la tête
+d'une colonne de fuyards de deux mille hommes; partie a
+été prise et l'autre partie détruite.</p>
+
+<p>Le maréchal duc d'Istrie, commandant la cavalerie de l'armée,
+est entré à Aranda, le 16 à midi. Nos partis de cavalerie
+vont sur la gauche jusqu'à Soria et Madrid, et sur la droite
+jusqu'à Léon et Zamora.</p>
+
+<p>L'ennemi a évacué Aranda avec la plus grande précipitation.
+Il y a laissé quatre pièces de canon. On a trouvé dans
+cette ville un magasin considérable de biscuit, quarante
+mille quintaux de blé, et une grande quantité d'effets d'habillement.</p>
+
+<p>A Reynosa on a trouvé beaucoup d'objets anglais, et des
+approvisionnemens de toute espèce.</p>
+
+<p>Les habitans de Montana, de toute la plaine de la Castille
+jusqu'au Portugal, de la province de Soria, maudissent hautement
+les auteurs de cette guerre, et demandent à grands
+cris le repos et la paix.</p>
+
+<p>Le maréchal duc de Dantzick fait une mention particulière
+du général de brigade Roguet. Il cite avec éloge le lieutenant
+de Coigny, aide-de-camp du général Sébastiani, qui a eu
+un cheval tué sous lui.</p>
+
+<p>Le duc de Bellune fait une mention particulière du général
+de division Villatte.</p>
+
+<p>Vingt mille balles de laine valant de quinze à vingt millions,
+saisis à Burgos, ont été dirigées sur Baïonne. La vente publique
+en sera faite à l'enchère au premier janvier. Tous les négocians
+de France pourront y concourir. Sur le produit de cette vente
+le droit de vingt pour cent est dû au roi. Le surplus servira
+soit à rendre aux propriétaires qui n'ont point pris part à
+l'insurrection, le prix des laines qui leur appartiennent, ce
+qui se réduit à peu de chose, servir d'indemnité aux négocians
+français qui ont été pillés ou ont essuyé des confiscations
+en Espagne.</p>
+
+<p>S.M. a ordonné qu'une commission présidée par un maître
+des requêtes, et composée de deux membres de chacune des
+chambres de commerce des villes de Baïonne, Bordeaux,
+Toulouse et Marseille, un auditeur au conseil d'État faisant
+les fonctions de secrétaire-général, se réunirait à Baïonne,
+et que toutes les villes et corporations françaises et italiennes
+qui auraient des réclamations à faire à raison des pertes et
+confiscations qu'elles auraient essuyées en Espagne, s'adresseraient
+à cette commission pour en poursuivre la liquidation.
+S.M. a chargé le ministre de l'intérieur de faire un règlement
+sur la manière de procéder de cette commission.</p>
+
+<p>L'intention de S.M. est également que les biens qui sont
+en France, dans le royaume d'Italie ou dans le royaume de
+Naples, appartenant à des Espagnols insurgés, soient séquestrés
+pour servir également aux indemnités.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Burgos, le 18 novembre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Lettre de S.M. l'empereur au grand-juge, ministre de la
+justice.</i></p>
+
+<p>Monsieur le comte Régnier, nous avons résolu de faire
+placer dans la salle de notre conseil d'état les statues en marbre
+des sieur Tronchet et Portalis, rédacteurs du premier
+projet du code Napoléon, et dont nous avons été à même
+d'apprécier les grands talens dans les conférences qui ont eu
+lieu lors de la rédaction dudit code; notre intention est que
+nos ministres, conseillers d'état et magistrats de toutes les
+cours voient dans cette résolution le désir que nous avons
+d'illustrer leurs talens et de récompenser leurs services, la
+seule récompense du génie étant l'immortalité et la gloire.
+Nous avons fait connaître nos volontés à notre grand-maréchal
+du palais et à l'intendant de notre maison; mais nous
+vous chargeons spécialement de porter tous vos soins à ce que
+les statues soient promptement faites et ressemblantes. Nous
+désirons que vous fassiez connaître ces dispositions à nos différentes
+cours.</p>
+
+<p>Cette lettre n'étant à autre fin, nous prions Dieu qu'il vous
+ait en sa sainte garde.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Burgos, le 20 novembre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Septième bulletin de l'armée d'Espagne.</i></p>
+
+<p>Le 16, l'avant-garde du maréchal duc de Dalmatie est
+entrée à Saint-Ander, et y a trouvé une grande quantité de
+farine, de blé, de munitions de guerre et de poudre, un
+magasin de neuf mille fusils anglais, des dépôts assez considérables
+de coton et de marchandises de fabrique anglaise et
+coloniale.</p>
+
+<p>Pendant que nos troupes entraient à Saint-Ander, il y avait
+à deux lieues au large un grand convoi anglais chargé de
+troupes, de munitions et d'habillemens; lorsqu'il a vu le drapeau
+français arboré et salué par la garnison, il a pris le large.</p>
+
+<p>On a trouvé à Saint-Ander un dépôt considérable de laines
+qui est transporté en France.</p>
+
+<p>Le 17, le colonel Tascher a rencontré à Cunillas les fuyards
+ennemis. Il y a eu quelques coups de sabre de donnés; on a
+fait une trentaine de prisonniers.</p>
+
+<p>L'évêquè de Saint-Ander, animé plutôt de l'esprit du démon
+que de l'esprit de l'évangile, homme furibond et fanatique,
+marchant toujours un coutelas au côté, s'est sauvé à
+bord des frégates anglaises. Toutes les lettres interceptées
+font voir la terreur et l'effroi qui agitent cette partie de l'armée
+espagnole.</p>
+
+<p>On a procédé au désarmement de la Montana, de Bilbao
+et de la partie de la Biscaye qui s'est insurgée. On marche
+également du côté de Soria pour désarmer cette province.
+Les provinces de Valladolid et de Palencia le sont déjà.</p>
+
+<p>Le général Franceschi, commandant un corps de cavalerie
+légère, a rencontré à Sahagun, à six lieues de Léon, un grand
+convoi de bagages et de malades de l'armée de Galice, qu'il
+a enlevé.</p>
+
+<p>A Mayorga, un escadron de cavalerie légère a rencontré
+trois cents hommes qu'ils a chargés; partie a été tuée, l'autre
+prise.</p>
+
+<p>La cavalerie du général Lasalle a poussé des partis jusqu'à
+Somo-Sierra.</p>
+
+<p>Des officiers des régimens espagnols de Zamora et de la
+Princesse, qui étaient dans le Nord, et qui s'étaient sauvés à
+Zamora, ont été faits prisonniers. «Vous avez prêté serment
+au roi, leur a-t-on dit. Ils l'ont avoué;--Vous avez faussé
+votre serment.--Nous avons obéi à notre général.--Vous
+faisiez partie de l'armée française, et vous avez reconnu les
+meilleurs procédés par la plus infâme trahison.--Ils répondirent
+encore qu'ils étaient sous les ordres de leur général, et
+qu'ils n'avaient fait qu'obéir.--On aurait pu vous désarmer,
+a-t-on ajouté, peut-être l'aurait-on dû; mais on a eu confiance
+en vos sermens. Il vaut mieux pour la gloire de l'empereur
+qu'il ait eu à vous combattre, que de s'être porté à un
+acte qui aurait pu être taxé de trop de méfiance. Vous n'êtes
+plus couverts par le droit des gens que vous avez violé. Vous
+devriez être passés par les armes; l'empereur veut vous pardonner
+une seconde fois.» Au reste, les régimens de Zamora
+et de la Princesse ont cruellement souffert; il en est
+peu resté aux drapeaux.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Burgos, le 23 novembre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Huitième bulletin de l'armée d'Espagne.</i></p>
+
+<p>Le duc de Dalmatie poursuit ses succès avec la plus grande
+activité.</p>
+
+<p>Un convoi chargé d'artillerie, de munitions et de fusils
+anglais, a été pris dans le port de Cunillas au moment où il
+allait appareiller: on en fait l'inventaire. On a déjà noté
+trente pièces de canon et une grande quantité de malles d'officiers.</p>
+
+<p>Le général Sarrut, à la tête de sa brigade, pousse vivement
+l'ennemi; arrivé à Saint-Vicente, et cotoyant la mer, l'ennemi
+s'aperçut d'une hauteur qui couvrait le défilé de Saint-Vicente,
+que le général Sarrut n'avait que neuf cents hommes;
+il crut avoir le temps de tenir pour passer le défilé qui
+est un pont de quatre cents toises sur un bras de mer; mais
+il ignorait que ces neuf cents hommes étaient du deuxième
+d'infanterie légère; il ne tarda pas à l'apprendre. A peine le
+général Sarrut fut à portée, que ces braves chargèrent, et
+l'on vit neuf cents hommes rompre et mettre en désordre six
+mille hommes bien postés, sans éprouver de perte et sans
+presque coup férir. Cependant le colonel Tascher avait habilement
+placé cent cinquante hommes de son régiment de
+chasseurs en colonne serrée, par peloton, derrière celle avant-garde;
+et aussitôt qu'il vit l'ennemi ébranlé, il chargea, sans
+délibérer, dans le défilé, tua et jeta dans la mer et le marais,
+ou prit la plus grande partie de cette colonne. On avait déjà
+fait un millier de prisonniers lorsque le dernier compte a été
+rendu, et la colonne du général Sarrut avait déjà dépassé la
+province de la Montana et était entrée dans les Asturies.
+Les voltigeurs du trente-sixième régiment ont arrêté dans le
+port de Santillana un convoi anglais chargé de sucre, de café,
+de coton et d'autres denrées coloniales. Le nombre de bâtimens
+anglais, richement chargés, qui ont été pris sur cette côte,
+était déjà de 25.</p>
+
+<p>Dans la plaine, le général de division Milhaud annonce
+que le 19, non loin de Léon, une reconnaissance a chargé
+dans le village de Valverde, un bataillon d'étudians, dont un
+grand nombre a été sabré et le reste dispersé.</p>
+
+<p>Le septième corps de l'armée d'Espagne, que commande
+le général Gouvion-Saint-Cyr, commence aussi à faire parler
+de lui. Le 6 novembre, la place de Roses a été investie par
+les généraux Reille et Pino. Les hauteurs de Saint-Pedro ont
+été enlevées par les Italiens avec cette impétuosité qu'ils avaient
+au quinzième siècle, et dont les troupes du royaume d'Italie
+ont donné tant de preuves dans la dernière campagne d'Allemagne.
+Un grand nombre de miquelets et d'Anglais débarqués
+occupaient le port de Selva. Le général Fontana, à la
+tête de trois bataillons d'infanterie légère italienne et des grenadiers
+et voltigeurs du septième régiment français, se porta
+sur Selva, chargea les miquelets et les Anglais, les culbuta
+dans la mer, et s'empara de dix pièces de 24, dont quatre
+de bronze, que les Anglais n'eurent pas le temps d'embarquer.</p>
+
+<p>Le 8, la garnison de Roses fit sortir trois colonnes protégées
+par l'artillerie des vaisseaux anglais. Le général Mazuchelli
+les reçut à bout portant et leur tua plus de six cents
+hommes.</p>
+
+<p>Le 12, les ennemis voulurent encore faire une sortie; ils
+trouvèrent les mêmes braves, et le général Mazuchelli en couvrit
+ses tranchées. Depuis ce moment, la garnison a paru
+consternée et n'a plus voulu sortir.</p>
+
+<p>Dans Barcelonne, le général Duhesme fait le plus grand
+éloge des vélites et des troupes d'Italie qui sont sous ses
+ordres.</p>
+
+<p>On croit que le quartier-général part cette nuit de Burgos.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Aranda, le 25 novembre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Neuvième bulletin de l'armée d'Espagne.</i></p>
+
+<p>Le système militaire des ennemis paraît avoir été le suivant:</p>
+
+<p>Sur leur gauche était l'armée de Galice, composée de la
+moitié des troupes de ligne d'Espagne et de toutes les ressources
+de la Galice, des Asturies et du royaume de Léon.</p>
+
+<p>Au centre, était l'armée d'Estramadure, que les corps anglais
+avaient promis d'appuyer, et qui était composée de toutes
+les ressources que pouvaient fournir l'Estramadure et les
+provinces voisines.</p>
+
+<p>L'armée d'Andalousie, de Valence, de la Nouvelle-Castille
+et d'Aragon, que l'on porte à soixante-dix ou quatre-vingt
+mille hommes, occupait, le 20 novembre, Calehorra,
+Tudela et les bords de l'Aragon. Cette armée appuyait
+la droite de l'ennemi: elle était composée de toutes
+les troupes qui se trouvaient au camp de Saint-Roch, en Andalousie,
+à Valence, à Carthagène et à Madrid, de toutes les
+levées et de toutes les ressources de ces provinces. C'est contre
+cette armée que les corps de l'armée française manoeuvrent
+aujourd'hui, les autres ayant été dispersés et détruits dans les
+batailles d'Espinosa et de Burgos.</p>
+
+<p>Le quartier-général a été transporté le 22 de Burgos à
+Lerma, et le 23, de Lerma à Aranda.</p>
+
+<p>Le duc d'Elchingen s'est porté le 22 à Soria: cette ville,
+qui est l'ancienne Numance, est un chef-lieu de province:
+c'est un des pays de l'Espagne où les têtes avaient été le plus
+volcanisées, et c'est celui qui a fait le moins de résistance. La
+ville a été désarmée, et un comité composé de gens bien intentionnés
+a été chargé de l'administration de la province.</p>
+
+<p>Le duc d'Elchingen occupait par sa cavalerie légère Medina-Celi,
+et battait la route de Sarragosse à Madrid; son
+avant-garde marchait sur Agréda.</p>
+
+<p>Le 22, les ducs de Montebello et de Conegliano faisaient
+leur jonction au pont de Lodosa.</p>
+
+<p>Le 24, le duc de Bellune portait son quartier-général à
+Venta-Gonnez.</p>
+
+<p>Presque toutes les routes de communication de Madrid
+avec les provinces du Nord se trouvent interceptées; un grand
+nombre de courriers et de malles de poste aux lettres sont
+tombés entre les mains de nos coureurs. La confusion paraît
+extrême à Madrid, et il règne dans toute la nation un défaut
+de confiance et un désir du repos et de la paix que la puérile
+arrogance et la criminelle astuce des meneurs ne parviennent
+pas à détruire.</p>
+
+<p>Il paraît difficile que l'armée qui forme la droite de l'ennemi
+et qui est sur l'Ebre, puisse se replier sur Madrid et sur
+le Midi de l'Espagne. Les événemens qui se préparent décideront
+probablement du sort de cette autre moitié de l'armée
+espagnole.</p>
+
+<p>Le temps est humide; un brouillard épais règne depuis
+trois jours: cette saison est plus défavorable encore aux naturels
+du pays qu'aux hommes accoutumés aux climats du
+Nord.</p>
+
+<p>Le général Gouvion-Saint-Cyr continue à faire pousser
+vivement le siège de Roses.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Aranda de Duero, le 26 novembre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Dixième bulletin de l'armée d'Espagne.</i></p>
+
+<p>Il paraît que les forces espagnoles s'élèvent à cent quatre-vingt-dix
+mille hommes effectifs.</p>
+
+<p>Quatre-vingt mille hommes effectifs faisant soixante mille
+hommes sous les armes, qui composaient les armées de
+Galice et d'Estramadure, et que commandaient Blake, la Romana
+et Galluzzo, ont été dispersés et mis hors de combat.</p>
+
+<p>L'armée d'Andalousie, de Valence, de la Nouvelle-Castille
+et d'Aragon, que commandaient Castanos, Penas et
+Palafox, et qui paraissait être également de quatre-vingt
+mille hommes, c'est-à-dire soixante mille hommes sous les
+armes, aura sous peu de jours accompli ses destins. Le maréchal
+duc de Montebello a ordre de l'attaquer de front avec
+trente mille hommes, tandis que les ducs d'Elchingen et de
+Bellune sont déjà placés sur ses derrières.</p>
+
+<p>Reste soixante mille hommes effectifs qui peuvent donner
+quarante mille hommes sous les armes, dont trente mille sont
+en Catalogne et dix mille hommes existent à Madrid, à Valence
+et dans les autres lieux de dépôts, ou sont en mouvement.</p>
+
+<p>Avant de faire un pas au-delà du Duero, l'empereur a pris
+la résolution de faire anéantir les armées du centre et de gauche,
+et de faire subir le même sort à celle de droite du général
+Castanos.</p>
+
+<p>Lorsque ce plan aura été exécuté, la marche sur Madrid ne
+sera plus qu'une promenade. Ce grand dessein doit, à l'heure
+qu'il est, être accompli.</p>
+
+<p>Quant au corps de Catalogne, étant en partie composé des
+troupes de Valence, Murcie et Grenade, ces provinces menacées
+retireront leurs troupes, si toutefois l'état des communications
+le permet; dans tous les cas, le septième corps,
+après avoir terminé le siége de Roses, en rendra bon compte.</p>
+
+<p>A Barcelonne, le général Duhesine, avec quinze mille
+hommes approvisionnés pour six mois, répond de cette importante
+place.</p>
+
+<p>Nous n'avons pas parlé des forces anglaises. Il paraît qu'une
+division est en Galice, et qu'une autre s'est montrée à Badajoz
+vers la fin du mois passé. Si les Anglais ont de la cavalerie,
+nous devrions nous en apercevoir; car nos troupes légères
+sont presque parvenues aux frontières du Portugal.
+S'ils ont de l'infanterie, ils ne sont pas probablement dans
+l'intention de s'en servir en faveur de leurs alliés, car voilà
+trente jours que la campagne est ouverte; trois fortes armées
+ont été détruites, une immense artillerie a été enlevée; les
+provinces de Castille, de la Montana, d'Aragon, de Soria,
+etc., sont conquises; enfin le sort de l'Espagne et du
+Portugal est décidé, et l'on n'entend parler d'aucun mouvement
+des troupes anglaises.</p>
+
+<p>Cependant la moitié de l'armée française n'est point encore
+arrivée; une partie du quatrième corps d'armée, le cinquième
+et le huitième corps entiers, six régimens de cavalerie légère,
+beaucoup de compagnies d'artillerie et de sapeurs, et
+un grand nombre d'hommes des régimens qui sont en Espagne,
+n'ont pas encore passé la Bidassoa.</p>
+
+<p>A la vérité, et sans faire tort à la bravoure de nos soldats,
+on doit dire qu'il n'y a pas de plus mauvaises troupes que les
+troupes espagnoles; elles peuvent, comme les Arabes, tenir
+derrière des maisons, mais elle n'ont aucune discipline, aucune
+connaissance des manoeuvres, et il leur est impossible
+de résister sur un champ de bataille, Les montagnes même
+ne leur ont offert qu'une faible protection. Mais grâce à la
+puissance de l'inquisition, à l'influence des moines, à leur
+adresse à s'emparer de toutes les plumes et à faire parler toutes
+les langues, on croit encore dans une grande partie de l'Espagne
+que Blake a été vainqueur, que l'armée française a été
+détruite, que la garde impériale a été prise. Quel que soit
+le succès momentané de ces misérables ressources et de ces
+ridicules efforts, le règne de l'Inquisition est fini; ses tribunaux
+révolutionnaires ne tourmenteront plus aucune contrée
+de l'Europe; en Espagne comme à Rome l'inquisition sera
+abolie, et l'affreux spectacle des auto-da-fé ne se renouvellera
+pas; cette réforme s'opérera malgré le zèle religieux des
+Anglais, malgré l'alliance qu'ils ont contractée avec les moines
+imposteurs qui ont fait parler la Vierge d'el Pilar et les
+saints de Valladolid. L'Angleterre a pour alliés le monopole,
+l'inquisition et les franciscains; tout lui est bon pourvu
+qu'elle divise les peuples et qu'elle ensanglante le continent.
+Un brick anglais, <i>le Ferrets</i>, parti de Portsmouth le 11 de
+ce mois, a mouillé le 22 dans le port de Saint-Ander qu'il
+ne savait pas être occupé par les Français; il avait à bord des
+dépêches importantes et beaucoup de papiers anglais dont on
+s'est emparé.</p>
+
+<p>On a trouvé à Saint-Ander une grande quantité de quinquina
+et de denrées coloniales qui ont été envoyées à Baïonne.</p>
+
+<p>Le duc de Dalmatie est entré dans les Asturies; plusieurs
+villes et beaucoup de villages ont demandé à se soumettre
+pour sortir enfin de l'abîme creusé par les conseils des étrangers,
+et par les passions de la multitude.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Aranda de Duero, le 27 novembre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Onzième bulletin de l'armée d'Espagne.</i></p>
+
+<p>S. M., dans la journée du 19, avait fait partir le maréchal
+duc de Montebello avec des instructions pour les mouvemens
+de la gauche dont elle lui donna le commandement.</p>
+
+<p>Le duc de Montebello et le duc de Conegliano se concertèrent
+le 20, à Lodosa, pour l'exécution des ordres de S. M.</p>
+
+<p>Le 21, la division du général Lagrange, avec la brigade
+de cavalerie légère du général Colbert et la brigade de dragons
+du général Dijon, partirent de Logrono par la droite
+de l'Ebre.</p>
+
+<p>Au même moment, les quatre divisions composant le corps
+d'armée du duc de Conegliano, passèrent le fleuve à Lodosa,
+abandonnant tout le pays entre l'Ebre et Pampelune.</p>
+
+<p>Le 22, à la pointe du jour, l'armée française se mit en
+marche. Elle se dirigea sur Calahora, où était la veille le
+quartier-général de Castanos; elle trouva cette ville évacuée.
+Elle marcha ensuite sur Alfaro; l'ennemi s'était également
+retiré.</p>
+
+<p>Le 23, à la pointe du jour, le général de division Lefebvre,
+à la tête de la cavalerie et appuyé par la division du général
+Morlot, faisant l'avant-garde, rencontra l'ennemi. Il en
+donna sur-le-champ avis au duc de Montebello, qui trouva
+l'armée ennemie forte de sept divisions, formant quarante-cinq
+mille hommes présens sous les armes, la droite en avant de
+Tudela, et la gauche occupant une ligne d'une lieue et demie,
+disposition absolument vicieuse. Les Aragonais étaient à la
+droite, les troupes de Valence et de la nouvelle Castille étaient
+au centre, et les trois divisions d'Andalousie, que commandait
+plus spécialement le général Castanos, formaient
+la gauche. Quarante pièces de canon couvraient la ligne
+ennemie.</p>
+
+<p>A neuf heures du matin, les colonnes de l'armée française
+commencèrent à se déployer avec cet ordre, cette régularité, ce
+sang-froid qui caractérisent de vieilles troupes. On choisissait
+les emplacement pour établir en batterie une soixantaine de canons;
+mais l'impétuosité des troupes et l'inquiétude de l'ennemi
+n'en donnèrent pas le temps; l'armée espagnole était déjà vaincue
+par l'ordre et par les mouvemens de l'armée française.</p>
+
+<p>Le duc de Montebello fit enfoncer le centre par la division
+du général Maurice Mathieu.</p>
+
+<p>Le général de division Lefebvre, avec sa cavalerie, passa
+aussitôt au trot par cette trouée, et enveloppa, par un quart
+de conversion à gauche, toute la droite de l'ennemi.</p>
+
+<p>Le moment où la moitié de la ligne ennemie se trouva ainsi
+tournée et culbutée, fut celui où le général Lagrange attaqua
+la ville de Cascante, où était placée la ligne de Castanos,
+qui ne fit pas meilleure contenance que la droite, et abandonna
+le champ de bataille, en laissant son artillerie et un
+grand nombre de prisonniers. La cavalerie poursuivit les débris
+de l'armée ennemie jusqu'à Tarracone, dans la direction
+d'Agreda. Sept drapeaux, trente pièces de canon avec leurs
+attelages et leurs caissons, douze colonels, trois cents officiers
+et trois mille hommes ont été pris; quatre mille Espagnols
+sont restés sur le champ de bataille, ou ont été jetés dans
+l'Ebre. Notre perte a été légère; nous avons eu soixante
+hommes tués et quatre cents blessés; parmi ces derniers se
+trouve le général de division Lagrange, qui a été atteint d'une
+balle au bras.</p>
+
+<p>Nos troupes ont trouvé à Tudela beaucoup de magasins.</p>
+
+<p>Le maréchal duc de Conegliano s'est mis en marche sur
+Sarragosse.</p>
+
+<p>Pendant qu'une partie des fuyards se retirait sur cette
+place, la gauche qui avait été coupée, fuyait en désordre sur
+Tarraçone et Agreda.</p>
+
+<p>Le duc d'Elchingen, qui était le 22 à Soria, devait être
+le 23 à Agreda; pas un homme n'aurait échappé, mais ce
+corps d'armée se trouvant trop fatigué, séjourna le 23 et le
+24 à Soria; il arriva le 24 à Agreda assez à temps pour s'emparer
+encore d'une grande quantité de magasins.</p>
+
+<p>Un nommé Palafox, ancien garde-du-corps, homme sans
+talens et sans courage, espèce de mannequin d'un moine,
+véritable chef de parti, qui lui avait fait donner le titre de
+général, a été le premier à prendre la fuite. Au reste, ce n'est
+pas la première fois qu'il agit de la sorte; il a fait de même
+dans toutes les occasions.</p>
+
+<p>Cette armée de quarante-cinq mille hommes a été ainsi
+battue et défaite, sans que nous en ayons eu plus de six mille
+engagés.</p>
+
+<p>Le combat de Burgos avait frappé le centre de l'ennemi,
+la bataille d'Espinosa la droite, et la bataille de Tudela la
+gauche. La victoire a ainsi foudroyé et dispersé toute la ligne
+ennemie.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Aranda de Duero, 28 novembre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Douzième bulletin de l'armée d'Espagne.</i></p>
+
+<p>A la bataille de Tudela, le général de division Lagrange,
+chargé de l'attaque de Cascante, fit marcher sa division par
+échelons, et se mit à la tête du premier échelon, composé
+du vingt-cinquième régiment d'infanterie légère, qui aborda
+l'ennemi avec une telle décision, que deux cents Espagnols
+furent percés dans la première charge par les baïonnettes.
+Les autres échelons ne purent donner. Cette singulière intrépidité
+avait jeté la consternation et le désordre dans les troupes
+de Castanos. C'est dans cette circonstance que le général
+Lagrange, qui était à la tête de son premier échelon, a reçu
+une balle qui l'a blessé assez dangereusement.</p>
+
+<p>Le 26, le duc d'Elchingen s'est porté par Tarraçonne, sur
+Borja. Les ennemis avait mis le feu à un parc d'artillerie
+de soixante caissons qu'ils avaient à Tarraçonne.</p>
+
+<p>Le général Maurice Mathieu est arrivé le 25 à Borja, poursuivant
+l'ennemi et ramassant à chaque instant de nouveaux
+prisonniers dont le nombre est déjà de cinq mille; ils appartiennent
+tous aux troupes de ligue; le soldat n'a pardonné à
+aucun paysan armé. Le nombre des pièces de canon prises est
+de trente-sept.</p>
+
+<p>Le désordre et le délire se sont emparés des meneurs. Pour
+première mesure, ils ont fait un manifeste violent par lequel
+ils déclarent la guerre à la France; ils lui imputent tous les
+désordres de leur cour, l'abâtardissement de la race qui régnait,
+et la lâcheté des grands, qui, pendant tant d'années,
+se sont prosternés de la manière la plus abjecte aux pieds de
+l'idole qu'ils accablent de toute leur rage, aujourd'hui qu'elle
+est tombée.</p>
+
+<p>On se ferait en Allemagne, en Italie, en France, une bien
+fausse idée des moines espagnols, si on les comparait aux
+moines qui ont existé dans ces contrées. On trouvait parmi les
+bénédictins, les bernardins, etc., etc., de France, d'Italie, une
+foule d'hommes remarquables dans les sciences et les lettres;
+ils se distinguaient et par leur éducation et par la classe honorable
+et utile d'où ils étaient sortis; les moines espagnols,
+au contraire, sont tirés de la lie du peuple, ils sont ignares
+et crapuleux; on ne saurait leur trouver de ressemblance
+qu'avec des artisans employés dans les boucheries; ils en ont
+l'ignorance, le ton et la tournure. Ce n'est que sur le bas
+peuple qu'ils exercent leur influence. Une maison bourgeoise
+se serait crue déshonorée en admettant un moine à sa table.</p>
+
+<p>Quant aux malheureux paysans espagnols, on ne peut les
+comparer qu'aux fellahs d'Egypte; ils n'ont aucune propriété;
+tout appartient soit aux moines, soit à quelque maison
+puissante. La faculté de tenir une auberge est un droit féodal;
+et dans un pays aussi favorisé de la nature, on ne trouve ni
+postes, ni hôtelleries. Les impositions même ont été aliénées
+et appartiennent aux seigneurs. Les grands ont tellement dégénéré,
+qu'il sont sans énergie, sans mérite et même sans
+influence.</p>
+
+<p>On trouve tous les jours à Valladolid et au-delà, des magasins
+d'armes considérables. Les Anglais ont bien exécuté
+cette partie de leurs engagemens; ils avaient promis des fusils,
+des poignards, des libelles, et ils en ont envoyé avec
+profusion. Leur esprit inventif s'est signalé, et ils ont poussé
+fort loin l'art de répandre des libelles, comme dans ces derniers
+temps ils s'étaient distingués par leurs fusées incendiaires.
+Tous les maux, tous les fléaux qui peuvent affliger les hommes,
+viennent de Londres.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Saint-Martin près Madrid, 2 décembre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Treizième bulletin de l'armée d'Espagne.</i></p>
+
+<p>Le 29, le quartier-général de l'empereur a été porté au
+village de Bozeguillas; le 30, à la pointe du jour, le duc de
+Bellune s'est présenté au pied du Somo-Sierra; une division
+de treize mille hommes de l'armée de réserve espagnole, défendait
+le passage de cette montagne. L'ennemi se croyait
+inexpugnable dans cette position. Il avait retranché le col
+que les Espagnols appellent <i>Puerto</i>, et y avait placé seize
+pièces de canon. Le neuvième d'infanterie légère couronna
+la droite; le quatre-vingt-seizième marcha sur la chaussée,
+et le vingt-quatrième suivit à mi-côte les hauteurs de gauche.
+Le général Sennarmont avec six pièces d'artillerie avança par
+la chaussée.</p>
+
+<p>La fusillade et la canonnade s'engagèrent. Une charge que fit
+le général Montbrun, à la tête des chevau-légers polonais,
+décida l'affaire; charge brillante s'il en fut, où ce régiment
+s'est couvert de gloire et a montré qu'il était digne de faire
+partie de la garde impériale. Canons, drapeaux, fusils, soldats,
+tout fut enlevé, coupé ou pris. Huit chevau-légers
+polonais ont été tués sur les pièces, et seize ont été blessés.
+Parmi ces derniers, le capitaine Dzievanoski à été si grièvement
+blessé qu'il est presque sans espérance. Le major Ségur,
+maréchal-des-logis de la maison de l'empereur, chargeant
+parmi les Polonais, a reçu plusieurs blessures dont une assez
+grave. Les seize pièces de canon, dix drapeaux, une trentaine
+de caissons, deux cents chariots de toute espèce de bagage,
+les caisses des régimens, sont les fruits de cette brillante
+affaire. Parmi les prisonniers qui sont très-nombreux, se trouvent
+tous les colonels et les lieutenans-colonels des corps de
+la division espagnole. Tous les soldats auraient été pris, s'ils
+n'avaient pas jeté leurs armes et ne s'étaient éparpillés dans
+les montagnes.</p>
+
+<p>Le premier décembre, le quartier-général de l'empereur
+était à Saint-Augustin, et le 2, le duc d'Istrie, avec la cavalerie,
+est venu couronner les hauteurs de Madrid. L'infanterie
+ne pourra arriver que le 3. Les renseignemens qu'on a
+pris jusqu'à cette heure, portent à penser que la ville est
+livrée à toute espèce de désordre, et que les portes sont
+barricadées.</p>
+
+<p>Le temps est très-beau.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Madrid, 5 décembre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Quatorzième bulletin de l'armée d'Espagne.</i></p>
+
+<p>Le 3, à midi, S. M. arriva de sa personne sur les hauteurs
+qui couronnent Madrid, et où étaient placées les divisions de
+dragons des généraux Latour-Maubourg et Lahoussaye, et la
+garde impériale à cheval. L'anniversaire du couronnement,
+cette époque qui a signalé tant de jours à jamais heureux
+pour la France, réveilla dans tous les coeurs les plus doux
+souvenirs et inspira à toutes les troupes un enthousiasme
+qui se manifesta par mille acclamations. Le temps était superbe
+et semblable à celui dont on jouit eu France dans les
+belles journées du mois de mai.</p>
+
+<p>Le maréchal duc d'Istrie envoya sommer la ville, où s'était
+formé une junte militaire, sous la présidence du général
+Castellar, qui avait sous ses ordres le général Morla, capitaine-général
+de l'Andalousie et inspecteur-général de l'artillerie.
+La ville renfermait un grand nombre de paysans armés qui
+s'y étaient rendus de tous côtés, six mille hommes de troupes
+de ligne et cent pièces de canon. Depuis huit jours on barricadait
+les rues et les portes de la ville; soixante mille hommes
+étaient en armes; des cris se faisaient entendre de toutes
+parts; les cloches de deux cents églises sonnaient à la fois et
+tout présentait l'image du désordre et du délire.</p>
+
+<p>Un général de troupes de ligne parut aux avant-postes
+pour répondre à la sommation du duc d'Istrie; il était accompagné
+et surveillé par trente hommes du peuple dont le costume,
+les regards et le farouche langage, rappelaient les
+assassins de septembre. Lorsqu'on demandait au général espagnol
+s'il voulait exposer des femmes, des enfans, des vieillards
+aux horreurs d'un assaut, il manifestait à la dérobée la
+douleur dont il était pénétré; il faisait connaître par des
+signes qu'il gémissait sous l'oppression ainsi que tous les
+honnêtes gens de Madrid, et lorsqu'il élevait la voix, ses paroles
+étaient dictées par les misérables qui le surveillaient.
+On ne put avoir aucun doute de l'excès auquel était portée la
+tyrannie de la multitude, lorsqu'on le vit dresser procès-verbal
+de ses propres discours, et les faire attester par la signature
+des spadassins qui l'environnaient.</p>
+
+<p>L'aide-de-camp du duc d'Istrie, qui avait été envoyé dans
+la ville, saisi par des hommes de la dernière classe du peuple,
+allait être massacré, lorsque les troupes de ligne indignées
+le prirent sous leur sauve-garde et le firent remettre à son
+général.</p>
+
+<p>Un garçon boucher de l'Estramadure, qui commandait une
+des portes, osa demander que le duc d'Istrie vint lui-même
+dans la ville les yeux bandés; le général Montbrun repoussa
+cette audace avec indignation; il fut aussitôt entouré, et il
+n'échappa qu'en tirant son sabre. Il faillit être victime de
+l'imprudence avec laquelle il avait oublié qu'il n'avait point
+affaire avec des ennemis civilisés.</p>
+
+<p>Peu de temps après des déserteurs des gardes wallonnes se
+rendirent au camp. Leurs dépositions donnèrent la conviction
+que les propriétaires, les honnêtes gens étaient sans influence,
+et l'on dut croire que toute conciliation était impossible.</p>
+
+<p>La veille, le marquis de Perales, homme respectable qui
+avait paru jouir jusqu'alors de la confiance du peuple, fut
+accusé d'avoir fait mettre du sable dans les cartouches. Il fut
+aussitôt étranglé, et ses membres déchirés furent envoyés
+comme des trophées dans les quartiers de la ville. On arrêta
+que toutes les cartouches seraient refaites, et trois ou quatre
+mille moines furent conduits au Retiro et employés à ce travail.
+Il avait été ordonné que tous les palais, toutes les maisons
+seraient constamment ouvertes aux paysans des environs,
+qui devaient y trouver de la soupe et des alimens à discrétion.</p>
+
+<p>L'infanterie française était encore à trois lieues de Madrid.
+L'empereur employa la soirée à reconnaître la ville et à arrêter
+un plan d'attaque qui se conciliait avec les ménagemens
+que méritent le grand nombre d'hommes honnêtes qui se trouvent
+toujours dans une grande capitale.</p>
+
+<p>Prendre Madrid d'assaut pouvait être une opération militaire
+de peu de difficulté; mais amener cette grande ville
+se soumettre en employant tour à tour la force et la persuasion
+et en arrachant les propriétaires et les véritables hommes
+de bien à l'oppression sous laquelle ils gémissaient, c'est là
+ce qui était difficile. Tous les efforts de l'empereur dans ces
+deux journées n'eurent pas d'autre but; ils ont été couronnés
+du plus grand succès.</p>
+
+<p>A sept heures, la division Lapisse, du corps du maréchal
+duc de Bellune, arriva. La lune donnait une clarté qui semblait
+prolonger celle du jour. L'empereur ordonna au général
+de brigade Maison de s'emparer des faubourgs, et chargea le
+général de division Lauriston de protéger cette occupation
+par le feu de quatre pièces d'artillerie de la garde. Les voltigeurs
+du seizième s'emparèrent des maisons et notamment
+d'un grand cimetière. Au premier feu l'ennemi montra autant
+de lâcheté qu'il avait montré d'arrogance pendant toute la
+journée. Le duc de Bellune employa toute la nuit à placer
+son artillerie dans les lieux désignés pour l'attaque.</p>
+
+<p>A minuit, le prince de Neufchâtel envoya à Madrid un
+lieutenant-colonel d'artillerie espagnole qui avait été pris à
+Somo-Sierra et qui voyait avec effroi la folle obstination de
+ses concitoyens. Il se chargea de la lettre ci-jointe (nº 1).</p>
+
+<p>Le 3, à neuf heures du matin, le même parlementaire revint
+au quartier-général avec la lettre ci-jointe (nº 2).</p>
+
+<p>Mais déjà le général de brigade d'artillerie Sénarmont, officier
+d'un grand mérite, avait placé ses trente pièces d'artillerie
+et avait commencé un feu très-vif qui avait fait brèche
+aux murs du Retiro. Des voltigeurs de la division Villatte
+ayant passé la brèche, leur bataillon les suivit, et en moins
+d'une heure, quatre mille hommes qui défendaient le Retiro
+furent culbutés. Le palais du Retiro, les postes importans de
+l'observatoire, de la manufacture de porcelaine, de la grande
+caserne et de l'hôtel de Medina-Celi et tous les débouchés qui
+avaient été mis en défense furent emportés par nos troupes.</p>
+
+<p>D'un autre côté, vingt pièces de canon de la garde jetaient
+des obus et attiraient l'attention de l'ennemi sur une fausse
+attaque.</p>
+
+<p>On se serait peint difficilement le désordre qui régnait dans
+Madrid, si un grand nombre de prisonniers arrivant successivement
+n'avaient rendu compte des scènes épouvantables et
+de tout genre dont cette capitale offrait le spectacle. On avait
+coupé les rues, crénelé les maisons; des barricades de balles
+de coton et de laine avaient été fermées; les fenêtres étaient
+matelassées; ceux des habitans qui désespéraient du succès
+d'une aveugle résistance, fuyaient dans les campagnes; d'autres
+qui avaient conservé quelque raison, et qui aimaient
+mieux se montrer au sein de leurs propriétés devant un ennemi
+généreux, que de les abandonner au pillage de leurs propres
+concitoyens, demandaient qu'on ne s'exposât point à un
+assaut. Ceux qui étaient étrangers à la ville ou qui n'avaient
+rien à perdre, voulaient qu'on se défendît à toute outrance,
+accusaient les troupes de ligne de trahison et les obligeaient
+à continuer le feu.</p>
+
+<p>L'ennemi avait plus de cent pièces de canon en batterie; un
+nombre plus considérable de pièces de 2 et de 3 avaient été déterrées,
+tirées des caves et ficelées sur des charrettes; équipage
+grotesque qui seul aurait prouvé le délire d'un peuple abandonné
+à lui-même. Mais tous moyens de défense étaient devenus
+inutiles: étant maître du Retiro, on l'est de Madrid. L'empereur
+mit tous ses soins à empêcher qu'on entrât de maison
+en maison. C'en était fait de la ville si beaucoup de troupes
+avaient été employées. On ne laissa avancer que quelques compagnies
+de voltigeurs que l'empereur se refusa toujours à faire
+soutenir.</p>
+
+<p>A onze heures, le prince de Neufchâtel écrivit la lettre ci-jointe
+nº 3; S.M. ordonna aussitôt que le feu cessât sur
+tous les points.</p>
+
+<p>A cinq heures, le maréchal Morla, l'un des membres de
+la junte militaire, et don Bernardo Yriarte, envoyé de la ville,
+se rendirent dans la tente de S.A.S. le major-général. Ils
+firent connaître que tous les hommes bien pensans ne doutaient
+pas que la ville ne fût sans ressources, et que la continuation
+de la défense était un véritable délire; mais que les dernières
+classes du peuple et la foule des hommes étrangers à Madrid
+voulaient se défendre et croyaient le pouvoir. Ils demandaient
+la journée du 4 pour faire entendre raison au peuple.
+Le prince major-général les présenta à S.M. l'empereur et
+roi, qui leur dit: «Vous employez en vain le nom du peuple;
+si vous ne pouvez parvenir à le calmer, c'est parce que
+vous-mêmes vous l'avez excité, vous l'avez égaré par des
+mensonges. Rassemblez les curés, les chefs des couvens,
+les alcades, les principaux propriétaires, et que d'ici à six
+heures du matin la ville se rende, ou elle aura cessé d'exister.
+Je ne veux ni ne dois retirer mes troupes. Vous avez massacré
+les malheureux prisonniers français qui étaient tombés
+entre vos mains. Vous avez, il y a peu de jours, laissé traîner
+et mettre à mort dans les rues deux domestiques de l'ambassadeur
+de Russie parce qu'ils étaient nés Français. L'inhabileté
+et la lâcheté d'un général avaient mis en vos mains des
+troupes qui avaient capitulé sur le champ de bataille, et la
+capitulation a été violée. Vous, monsieur Morla, quelle lettre
+avez-vous écrite à ce général? Il vous convenait bien de parler
+de pillage, vous qui étant entré en Roussillon avez enlevé
+toutes les femmes et les avez partagées comme un butin entre
+vos soldats. Quel droit aviez-vous, d'ailleurs, de tenir un pareil
+langage? La capitulation vous l'interdisait. Voyez quelle
+a été la conduite des Anglais, qui sont bien loin de se piquer
+d'être rigides observateurs du droit des nations; ils se sont
+plaints de la convention du Portugal, mais ils l'ont exécutée.
+Violer les traités militaires, c'est renoncer à toute civilisation,
+c'est se mettre sur la même ligne que les Bédouins du désert.
+Comment donc osez-vous demander une capitulation, vous
+qui avez violé celle de Baylen? Voilà comme l'injustice et la
+mauvaise foi tournent toujours au préjudice de ceux qui s'en
+s'en sont rendus coupables. J'avais une flotte à Cadix; elle
+était l'alliée de l'Espagne, et vous avez dirigé contre elle les
+mortiers de la ville où vous commandiez. J'avais une armée
+espagnole dans mes rangs: j'ai mieux aimé la voir passer sur
+les vaisseaux anglais, et être obligé de la précipiter du haut
+des rochers d'Espinosa, que de la désarmer; j'ai préféré
+avoir sept mille ennemis de plus à combattre, que de manquer
+à la bonne foi et à l'honneur. Retournez à Madrid. Je
+vous donne jusqu'à demain à six heures du matin. Revenez
+alors, si vous n'avez à me parler du peuple que pour m'apprendre
+qu'il s'est soumis. Sinon vous et vos troupes, vous
+serez tous passés par les armes.»</p>
+
+<p>Le 4 à six heures du matin, le général Morla et le général
+don Fernando de la Vera, gouverneur de la ville, se présentèrent
+à la tente du prince major-général. Les discours de
+l'empereur, répétés au milieu des notables, la certitude qu'il
+commandait en personne; les pertes éprouvées pendant la
+journée précédente avaient porté le repentir et la douleur
+dans tous les esprits; pendant la nuit, les plus mutins s'étaient
+soustraits au danger par la fuite, et une partie des
+troupes s'était débandée.</p>
+
+<p>A dix heures, le général Belliard prit le commandement
+de Madrid, tous les postes furent remis aux Français, et un
+pardon général fut proclamé.</p>
+
+<p>A dater de ce moment, les hommes, les femmes, les enfans
+se répandirent dans les rues avec sécurité. Jusqu'à onze
+heures du soir les boutiques furent ouvertes. Tous les citoyens
+se mirent à détruire les barricades et à repaver les rues; les
+moines rentrèrent dans leurs couvens, et en peu d'heures Madrid
+présenta le contraste le plus extraordinaire; contraste
+inexplicable pour qui ne connaît pas les moeurs des grandes
+villes. Tant d'hommes qui ne pouvaient se dissimuler à eux-mêmes
+ce qu'ils auraient fait dans pareille circonstance, s'étonnent
+de la générosité des Français. Cinquante mille armes
+ont été rendues, et cent pièces de canon sont remises au Retiro.
+Au reste les angoisses dans lesquelles les habitans de
+cette malheureuse ville ont vécu depuis quatre mois, ne peuvent
+se dépeindre. La junte était sans puissance; les hommes
+les plus ignorans et les plus forcenés exerçaient le pouvoir,
+et le peuple, à chaque instant, massacrait ou menaçait de la
+potence ses magistrats et ses généraux. Le général de brigade
+Maison a été blessé. Le général Bruyère, qui s'était avancé
+imprudemment dans le moment où l'on avait cessé le feu, a
+été tué. Douze soldats ont été tués, cinquante ont été blessés.
+Cette perte faible pour un événement aussi mémorable, est
+due au peu de troupes qu'on a engagées; on la doit aussi, il
+faut le dire, à l'extrême lâcheté de tout ce qui avait les armes
+à la main.</p>
+
+<p>L'artillerie a, à son ordinaire, rendu les plus grands services.</p>
+
+<p>Dix mille fuyards échappés de Burgos et de Somo-Sierra,
+et la deuxième division de l'armée de réserve se trouvaient,
+le 3, à trois lieues de Madrid; mais chargés par un piquet
+de dragons, ils se sont sauvés en abandonnant quarante pièces
+de canon et soixante caissons.</p>
+
+<p>Un trait mérite d'être cité:</p>
+
+<p>Un vieux général retiré du service et âgé de quatre-vingts
+ans, était dans sa maison à Madrid, près de la rue d'Alcala.
+Un officier français s'y loge avec sa troupe. Ce respectable
+vieillard paraît devant cet officier, tenant une jeune fille par
+la main et dit: Je suis un vieux soldat, voilà ma fille: je lui
+donne neuf cent mille livres de dot; sauvez lui l'honneur et
+soyez son époux. Le jeune officier prend le vieillard, sa famille
+et sa maison sous sa protection. Qu'ils sont coupables
+ceux qui exposent tant de citoyens paisibles, tant d'infortunés
+habitans d'une grande capitale à tant de malheurs!</p>
+
+<p>Le duc de Dantzick est arrivé le 3 à Ségovie. Le duc d'Istrie,
+avec quatre mille hommes de cavalerie, s'est mis à la poursuite
+de la division Pennas, qui s'étant échappée de la bataille
+de Tudela, s'était dirigée sur Guadalaxara.</p>
+
+<p>Florida Blanca et la junte s'étaient enfuis d'Aranjuez et
+s'étaient sauvés à Tolède; ils ne se sont pas crus en sûreté
+dans cette ville, et se sont réfugiés auprès des Anglais.</p>
+
+<p>La conduite des Anglais est honteuse. Dès le 20, ils étaient
+à l'Escurial au nombre de six mille, ils y ont passé quelques
+jours. Ils ne prétendaient pas moins que franchir les Pyrénées
+et venir sur la Garonne. Leurs troupes sont superbes
+et bien disciplinées. La confiance qu'elles avaient inspirée aux
+Espagnols est inconcevable; les uns espéraient que cette division
+irait à Somo-Sierra, les autres qu'elle viendrait défendre
+la capitale d'un allié si cher; mais tous connaissaient
+mal les Anglais. A peine eut-on avis que l'empereur était à
+Somo-Sierra, que les troupes anglaises battirent en retraite
+sur l'Escurial. De là, combinant leur marche avec la division
+de Salamanque, elles se dirigèrent sur la mer. Des armes,
+de la poudre, des habits, ils nous en ont donné, disait un
+Espagnol; mais leurs soldats ne sont venus que pour nous
+exciter, nous égarer et nous abandonner au milieu de la crise.&mdash;Mais,
+répondit un officier français, ignorez-vous donc les
+faits les plus récens de notre histoire? Qu'ont-ils donc fait
+pour le stathouder, pour la Sardaigne, pour l'Autriche?
+Qu'ont-ils fait plus récemment encore pour la Suède? Ils fomentent
+partout la guerre, ils distribuent des armes comme
+du poison, mais ils ne versent leur sang que pour leurs intérêts
+directs et personnels. N'attendez pas autre chose de
+leur égoïsme.&mdash;Cependant, répliqua l'Espagnol, leur cause
+était la nôtre. Quarante mille Anglais ajoutés à nos forces à
+Tudela et à Espinosa pouvaient balancer les destins et sauver
+le Portugal. Mais à présent que notre armée de Blake à la
+gauche, que celle du centre, que celle d'Aragon à la droite
+sont détruites, que les Espagnes sont presque conquises, et
+que la raison va achever de les soumettre, que deviendra le
+Portugal? Ce n'est pas à Lisbonne que les Anglais devaient
+le défendre, c'est à Espinosa, à Burgos, à Tudela, à Somo-Sierra
+et devant Madrid.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Devant Madrid, le 3 décembre 1808.</p>
+
+<p class="milieu">Nº 1. <i>A Monsieur le commandant de la ville de Madrid.</i></p>
+
+<p>Les circonstances de la guerre ayant conduit l'armée française
+aux portes de Madrid, et toutes les dispositions étant
+faites pour s'emparer de la ville de vive force, je crois convenable
+et conforme à l'usage de toutes les nations de vous
+sommer, monsieur le général, de ne pas exposer une ville
+aussi importante à toutes les horreurs d'un assaut, et rendre
+tant d'habitans paisibles victimes des maux de la guerre. Voulant
+ne rien épargner pour vous éclairer sur votre véritable
+situation, je vous envoie la présente sommation par l'un de
+vos officiers fait prisonnier et qui a été à portée de voir les
+moyens qu'a l'armée pour réduire la ville.</p>
+
+<p>Recevez, monsieur le général, etc.</p>
+
+<p class="droite">ALEXANDRE.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="milieu">No. 2. <i>A S.A.S. le prince de Neufchâtel.</i></p>
+
+<p>Monseigneur,</p>
+
+<p>Avant de répondre catégoriquement à V.A., je ne puis
+me dispenser de consulter les autorités constituées de cette
+ville et de connaître les dispositions du peuple en lui donnant
+avis des circonstances présentes.</p>
+
+<p>A ces fins, je supplie V.A. de m'accorder cette journée
+de suspension pour m'acquitter de ces obligations, vous promettant
+que demain, de bonne heure, ou même cette nuit,
+j'enverrai ma réponse à V.A. par un officier-général.</p>
+
+<p>Je prie V.A. d'agréer, etc.</p>
+
+<p class="droite">F. marquis de CASTELAR.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Au camp impérial devant Madrid, le 4 décembre 1808, à onze heures du
+matin.</p>
+
+<p class="milieu">Nº 3. <i> Au général commandant Madrid.</i></p>
+
+<p>Monsieur le général Castelar, défendre Madrid est contraire
+aux principes de la guerre et inhumain pour les habitans.
+S.M. m'autorise à vous envoyer une seconde sommation.
+Une artillerie immense est en batterie; des mineurs sont prêts
+à faire sauter vos principaux édifices; des colonnes sont à
+l'entrée des débouchés de la ville, dont quelques compagnies
+de voltigeurs se sont rendues maîtresses. Mais l'empereur, toujours
+généreux dans le cours de ses victoires, suspend l'attaque
+jusqu'à deux heures. La ville de Madrid doit espérer protection
+et sûreté pour ses habitans paisibles, pour le culte,
+pour ses ministres, enfin l'oubli du passé. Arborez un pavillon
+blanc avant deux heures et envoyez des commissaires
+pour traiter de la reddition de la ville.</p>
+
+<p>Recevez, monsieur le général, etc.</p>
+
+<p>Le major-général,</p>
+
+<p class="droite">ALEXANDRE.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Madrid, 7 décembre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Quinzième bulletin de l'armée d'Espagne.</i></p>
+
+<p>Sa Majesté a nommé le général d'artillerie Sénarmont général
+de division. Le major Ségur a été nommé adjudant-commandant.
+On avait désespéré de la vie de cet officier;
+mais il est aujourd'hui hors de danger.</p>
+
+<p>Le comte Krazinski, colonel des chevau-légers polonais,
+quoique malade, a toujours voulu charger à la tête de son
+corps.</p>
+
+<p>Les sieurs Balecki et Wolygurski, maréchaux-des-logis,
+et Surzieski, soldat des chevau-légers polonais qui ont pris
+des drapeaux à l'ennemi, ont été nommés membres de la légion-d'honneur.</p>
+
+<p>Sa Majesté a de plus accordé aux chevau-légers polonais
+huit décorations pour les officiers, et un pareil nombre pour
+les soldats.</p>
+
+<p>Le duc de l'Infantado a été une des premières causes des
+malheurs que son pays a éprouvés; il fut le principal instrument
+de l'Angleterre dans ses funestes projets contre l'Espagne;
+c'est lui qu'elle employa pour diviser le père et le
+fils, pour renverser du trône le roi Charles, dont l'attachement
+pour la France était connu; pour susciter des orages
+populaires contre le premier ministre de ce souverain; pour
+élever à la puissance suprême ce jeune prince, qui, dans son
+mariage avec une princesse de l'ancienne maison de Naples,
+avait puisé cette haine contre les Français dont cette maison
+ne s'est jamais départie. Ce fut le duc de l'Infantado qui
+joua le premier rôle dans la conspiration de l'Escurial, et
+c'est à lui que fut alors confié le pouvoir de généralissime
+des armées d'Espagne. On le vit ensuite prêter serment à
+Baïonne entre les mains du roi Joseph comme colonel des
+gardes espagnoles. De retour à Madrid, on le vit jeter le
+masque et se montrer ouvertement l'homme des Anglais.
+C'est chez lui que logeaient les ministres de l'Angleterre;
+c'est dans sa société que vivaient les agens accrédités ou secrets
+de cette puissance. Après avoir excité ses concitoyens à
+une résistance insensée, on l'a vu, aussi lâche que traître,
+s'enfuir de Madrid à Guadalaxara, sous le prétexte d'aller
+chercher du secours, se soustraire par cette ruse aux périls
+dans lesquels il avait entraîné ses concitoyens, et ne montrer
+quelque sollicitude que pour l'agent anglais, qu'il emmena
+dans sa propre voiture et auquel il servit d'escorte. Que lui
+vaudra cette conduite? Il perdra ses titres, il perdra ses
+biens, qu'on évalue à deux millions de rentes, et il ira chercher
+à Londres les mépris, les dédains et l'oubli dont l'Angleterre
+a toujours payé les hommes qui ont sacrifié leur
+honneur et leur patrie à l'injustice de sa cause.</p>
+
+<p>Aussitôt que le rapport du chef d'escadron comte Lubienski
+fut connu, le duc d'Istrie se mit en marche avec seize
+escadrons de cavalerie pour observer l'ennemi. Le duc de Bellune
+suivit avec l'infanterie. Le duc d'Istrie, arrivé à Guadalaxara,
+y trouva l'arrière-garde ennemie qui filait sur
+l'Andalousie, la culbuta et lui fit cinq cents prisonniers. Le
+général de division Ruffin et la brigade de dragons Bordesoult
+informés que des ennemis se dirigeaient sur Aranjuez, se
+sont portés sur ce point; l'ennemi en a été chassé, et ces troupes
+se sont mises aussitôt à la poursuite de tout ce qui fuit
+vers l'Andalousie.</p>
+
+<p>Le général de division Lahoussaye est entré le 5 à l'Escurial.
+Cinq à six cents paysans voulaient défendre le couvent,
+ils en ont été chassés de vive force.</p>
+
+<p>Chaque jour les restes de la stupeur dans laquelle étaient
+tombés les habitans de Madrid, se dissipent. Ceux qui avaient
+caché leurs meubles et leurs effets précieux les rapportent
+dans leurs maisons. Les boutiques se garnissent comme à l'ordinaire;
+les barricades et tous autres apprêts de défense ont
+disparu. L'occupation de Madrid s'est faite sans désordre,
+et la tranquillité règne dans toutes les parties de cette grande
+ville. Un fusilier de la garde ayant été trouvé saisi de plusieurs
+montres, et ayant été convaincu de les avoir volées, a
+été fusillé sur la principale place de Madrid.</p>
+
+<p>On a trouvé dans cette ville deux cents milliers de poudre,
+dix mille boulets, deux millions de plomb, cent pièces
+de canon de campagne et cent vingt mille fusils, la plupart
+anglais. Le désarmement continue sans aucune difficulté;
+tous les habitans s'y prêtent avec la meilleure volonté; ils
+reviennent avec empressement et de bonne foi à l'autorité
+royale qui les soustrait à la malfaisance de l'Angleterre, à la
+violence des factions et aux désordres des mouvemens populaires.</p>
+
+<p>Le roi d'Espagne a créé un régiment qui porte le nom de
+royal-étranger, et dans lequel sont admis les déserteurs et
+les Allemands qui étaient au service d'Espagne. Il a aussi
+formé un régiment suisse de Réding le jeune: cet officier s'étant
+comporté parfaitement et en véritable patriote suisse;
+bien différent en cela du général Réding; l'un a bien mérité
+de ses compatriotes, et obtiendra partout l'estime; l'autre,
+généralement méprisé, ira dans les tavernes de Londres
+jouir d'une centaine de livres sterling mal acquises et payées
+avec dédain; il sera émigré du continent. Les régimens royal-étranger
+et Réding le jeune ont déjà plusieurs milliers
+d'hommes.</p>
+
+<p>Le cinquième et le huitième corps de l'armée d'Espagne
+et trois divisions de cavalerie ne font que passer la Bidassoa;
+ils sont encore bien loin d'être en ligne, et cependant beaucoup
+de victoires ont déjà été obtenues, et la plus grande
+partie de la besogne est faite.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Au camp impérial de Madrid, 7 décembre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Proclamation.</i></p>
+
+<p>Espagnols,</p>
+
+<p>Vous avez été égarés par des hommes perfides; ils vous
+ont engagés dans une lutte insensée, et vous ont fait courir
+aux armes. Est-il quelqu'un parmi vous qui, réfléchissant un
+moment sur tout ce qui s'est passé, ne soit aussitôt convaincu
+que vous avez été le jouet des perpétuels ennemis du continent
+qui se réjouissaient en voyant répandre le sang espagnol
+et le sang français? Quel pouvait être le résultat du succès
+même de quelques campagnes? Une guerre de terre sans fin
+et une longue incertitude sur le sort de vos propriétés et de
+votre existence. Dans peu de mois vous avez été livrés à toutes
+les angoisses des factions populaires. La défaite de vos armées
+a été l'affaire de quelques marches. Je suis entré dans
+Madrid: les droits de la guerre m'autorisaient à donner un
+grand exemple, et à laver dans le sang des outrages faits à
+moi et à ma nation: je n'ai écouté que la clémence. Quelques
+hommes, auteurs de tous vos maux, seront seuls frappés. Je
+chasserai bientôt de la Péninsule cette armée anglaise qui a
+été envoyée en Espagne non pour vous secourir, mais pour
+vous inspirer une fausse confiance et vous égarer.</p>
+
+<p>Je vous avais dit dans ma proclamation du 2 juin que je
+voulais être votre régénérateur. Aux droits qui m'ont été cédés
+par les princes de la dernière dynastie, vous avez voulu
+que j'ajoutasse le droit de conquête. Cela ne changera rien à mes
+dispositions. Je veux même louer ce qu'il peut y avoir eu de généreux
+dans vos efforts, je veux reconnaître que l'on vous a
+caché vos vrais intérêts, qu'on vous a dissimulé le véritable
+état des choses. Espagnols, votre destinée est entre vos mains.
+Rejetez les poisons que les Anglais ont répandus parmi vous;
+que votre roi soit certain de votre amour et de votre confiance,
+et vous serez plus puissans, plus heureux que vous
+n'avez jamais été. Tout ce qui s'opposait à votre prospérité
+et à votre grandeur, je l'ai détruit; les entraves qui pesaient
+sur le peuple, je les ai brisées; une constitution libérale vous
+donne, au lieu d'une monarchie absolue, une monarchie
+tempérée et constitutionnelle. Il dépend de vous que cette
+constitution soit encore votre loi.</p>
+
+<p>Mais si tous mes efforts sont inutiles, et si vous ne répondez
+pas à ma confiance, il ne me restera qu'à vous traiter en
+provinces conquises, et à placer mon frère sur un autre trône.
+Je mettrai alors la couronne d'Espagne sur ma tête et je saurai
+la faire respecter des méchans, car Dieu m'a donné la force
+et la volonté nécessaires pour surmonter tous les obstacles.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Au camp impérial de Madrid, 7 décembre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Circulaire aux archevêques, aux évêques et aux président
+des consistoires.</i></p>
+
+<p>M. l'évêque de......,</p>
+
+<p>Les victoires remportées par nos armes aux champs d'Espinosa,
+de Burgos, de Tudela et de Somo-Sierra, l'entrée
+de nos troupes dans la ville de Madrid, et le bonheur particulier
+que nous avons eu de sauver cette ville intacte des
+mains des brigands insurgés qui en tenaient tous les honnêtes
+habitans sous l'oppression, nous portent à vous écrire cette
+lettre. Nous désirons qu'aussitôt après sa réception, vous
+vous concertiez avec qui de droit, afin d'appeler nos peuples
+dans les églises, et de faire chanter un <i>Te Deum</i> et telles
+autres prières que vous vous voudrez désigner, pour rendre
+grâce à Dieu d'avoir protégé nos armes et d'avoir confondu
+les ennemis de notre nation et de la tranquillité du continent,
+qui, réveillant sans cesse l'esprit de faction, cherchent à consolider
+leur monopole par les désordres publics et par le
+malheur des peuples.</p>
+
+<p>Sur ce, M. l'évêque d...., nous prions Dieu qu'il vous ait
+en sa sainte garde.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Madrid, le 8 décembre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Seizième bulletin de l'armée d'Espagne.</i></p>
+
+<p>Le duc de Montebello se loue beaucoup de la conduite du
+général de brigade Pouzet à la bataille de Tudela; du général
+de division Lefebvre, du général de brigade d'artillerie Couin,
+de son aide-de-camp Gueheneuc. Il fait une mention particulière
+des trois régimens de la Vistule. Le général de brigade
+Augereau, qui a chargé à la tête de la division Morlot, s'est
+fait remarquer. Messieurs Viry et Labédoyère ont pris une
+pièce de canon au milieu de la ligne ennemie. Le second a été
+légèrement blessé au bras.</p>
+
+<p>S. M. a nommé le colonel Pépin général de brigade, et le
+major polonais Kliki, colonel. Le colonel polonais Kasinowski,
+qui a été blessé, a été nommé membre de la légion-d'honneur.</p>
+
+<p>Le général de division Ruffin, ayant passé le Tage à Aranjuez,
+s'est porté sur Orcanna et a coupé le chemin aux débris
+de l'armée d'Andalousie qui voulaient se retirer en Andalousie
+et qui se sont jetés sur Cuença.</p>
+
+<p>Les divisions de cavalerie des généraux Lasalle et Milhaud
+se sont dirigées sur le Portugal par Talavera de la Reina.</p>
+
+<p>Le duc de Dantzick arrive aujourd'hui à Madrid avec son
+corps d'armée.</p>
+
+<p>Le maréchal Ney, avec son corps d'armée, est arrivé à
+Guadalaxara venant de Sarragosse.</p>
+
+<p>S. M. voulant épargner aux honnêtes habitans de cette
+ville les horreurs d'un assaut, n'a pas voulu qu'on attaquât
+Sarragosse jusqu'au moment où la nouvelle des événemens
+de Madrid et de la dispersion des armées espagnoles y serait
+connue. Cependant si cette ville s'obstinait dans sa résistance,
+les mines et les bombes en feraient raison.</p>
+
+<p>Le huitième corps est entré en Espagne. Le général Delaborde
+va porter son quartier-général à Vittoria.</p>
+
+<p>La division polonaise du générai Valence arrive aujourd'hui
+à Buitrago.</p>
+
+<p>Les Anglais sont en retraite de tous côtés. La division Lasalle
+a cependant rencontré seize hommes qu'elle a sabrés;
+c'était des traîneurs ou des hommes qui s'étaient égarés.</p>
+
+<p>Le maréchal Mortier arrivera le 16 en Catalogne, pour
+tourner l'armée ennemie et faire sa jonction avec les généraux
+Duhesnie et Saint-Cyr.</p>
+
+<p>Le 23 novembre, la brèche du château de la Trinité de la
+ville de Roses était au moment de se trouver praticable. Le
+même jour, les Anglais ont débarqué quatre cents hommes
+au pied du château. Un bataillon italien a marché sur eux,
+leur a tué dix hommes, en a blessé davantage et a jeté le reste
+dans la mer.</p>
+
+<p>On a remarqué une trentaine de barques qui sortaient du
+port de Roses, ce qui porte à penser que les habitans commencent
+à évacuer la ville.</p>
+
+<p>Le 24, l'avant-garde ennemie, campée sur la Fluvia, forte
+de cinq à six mille hommes, et commandée par le général Alvarès,
+est venue en plusieurs colonnes attaquer les points de
+Navata, Puntos, Armodas et Garrigas, occupés par la division
+du général Souham. Le premier régiment d'infanterie
+légère et le quatrième bataillon de la troisième légère ont soutenu
+seuls l'effort de l'ennemi et l'ont ensuite repoussé.</p>
+
+<p>L'ennemi a été rejeté au-delà de la Fluvia, avec une perte
+considérable en tués et blessés. On a fait des prisonniers,
+parmi lesquels se trouvent le colonel Lebrun, commandant
+en second de l'expédition, et colonel du régiment de Tarragone,
+le major et un capitaine du même régiment.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Madrid, le 10 décembre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Dix-septième bulletin de l'armée d'Espagne.</i></p>
+
+<p>S. M. a passé hier, au Prado, la revue du corps du maréchal
+duc de Dantzick, arrivé avant-hier à Madrid; elle a témoigné
+sa satisfaction à ces braves troupes.</p>
+
+<p>Elle a passé aujourd'hui la revue des troupes de la confédération
+du Rhin, formant la division commandée par le général
+Leval. Les régimens de Nassau et de Bade se sont bien
+comportés. Le régiment de Hesse-Darmstadt n'a pas soutenu
+la réputation des troupes de ce pays et n'a pas répondu à
+l'opinion qu'elles avaient donnée d'elles dans les campagnes de
+Pologne. Le colonel et le major paraissent être des hommes
+médiocres.</p>
+
+<p>Le duc d'Istrie est parti le 6 de Guadalaxara; il a fait
+battre toute la route de Sarragosse et de Valence, a fait cinq
+cents prisonniers et a pris beaucoup de bagages. Au Bastan,
+un bataillon de cinq cents hommes, cerné par la cavalerie, a
+été écharpé.</p>
+
+<p>L'armée ennemie, battue à Tudela, à Catalayud, abandonnée
+par ses généraux, par une partie de ses officiers et par un
+grand nombre de soldats, était réduite à six mille hommes.</p>
+
+<p>Le 8, à minuit, le duc d'Istrie fit attaquer par le général
+Montbrun à Santa-Cruz un corps qui protégeait la fuite de
+l'armée ennemie. Ce corps fut poursuivi l'épée dans les reins,
+et on lui fit mille prisonniers. Il voulut se jeter dans l'Andalousie
+par Madridego. Il paraît qu'il a été forcé de se disperser
+dans les montagnes de Cuença.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Madrid, 12 décembre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Dix-huitième bulletin de l'armée d'Espagne.</i></p>
+
+<p>La junte centrale d'Espagne avait peu de pouvoir. La
+plupart des provinces lui répondaient à peine; toutes lui
+avaient arraché l'administration des finances. Elle était influencée
+par la dernière classe du peuple; elle était gouvernée
+par la minorité; Florida-Blanca était sans aucun crédit. La
+junte était soumise à la volonté de deux hommes, l'un nommé
+Lorenzo-Calvo, marchand épicier de Sarragosse, qui avait
+gagné en peu de mois le titre d'excellence; c'était un de ces
+hommes violens qui paraissent dans les révolutions; sa probité
+était plus que suspecte; l'autre était un nommé Tilly,
+condamné autrefois aux galères comme voleur, frère cadet
+du nommé Gusman, qui a joué un rôle sous Robespierre
+dans le temps de la terreur, et bien digne d'avoir eu pour
+frère ce misérable. Aussitôt que quelque membre de la junte
+voulait s'opposer à des mesures violentes, ces deux hommes
+criaient à la trahison: un rassemblement se formait sous les
+fenêtres d'Aranjuez, et tout le monde signait. L'extravagance
+et la méchanceté de ces meneurs se manifestaient de toutes les
+manières. Aussitôt qu'ils apprirent que l'empereur était à
+Burgos et que bientôt il serait à Madrid, ils poussèrent le
+délire jusqu'à faire contre la France une déclaration de guerre
+remplie d'injures et de traits de folie.</p>
+
+<p>Ce que les honnêtes gens ont à en souffrir de la dernière
+classe du peuple se concevrait à peine, si chaque nation ne
+trouvait dans ses annales le souvenir de crises semblables.</p>
+
+<p>Récemment encore trois respectables habitans de Tolède
+ont été égorgés.</p>
+
+<p>Lorsque le 11, le général de division Lasalle, poursuivant
+l'ennemi, est arrivé à Talavera de la Reyna, où les Anglais
+étaient passés en triomphe dix jours auparavant, en annonçant
+qu'ils allaient secourir la capitale, un spectacle affreux
+s'est offert aux yeux des Français: un cadavre revêtu de l'uniforme
+de général espagnol, était suspendu a une potence
+et percé de mille coups de fusil: c'était le général Bénito San Juan,
+que ses soldats, dans le désordre de leur terreur panique,
+et pour donner un prétexte à leur lâcheté, avaient aussi
+indignement sacrifié.</p>
+
+<p>Ils n'ont repris haleine à Talavera, que pour torturer leur
+infortuné général, qui pendant tout un jour, a été le but de
+leur barbarie et de leur adresse atroce.</p>
+
+<p>Talavera de la Reyna est une ville considérable, située
+sur la belle vallée du Tage et dans un pays très-fertile.</p>
+
+<p>Les évêques de Léon et d'Astorga, et un grand nombre
+d'ecclésiastiques, se sont distingués par leur bonne conduite
+et par l'exemple des vertus apostoliques.</p>
+
+<p>Le pardon général accordé par l'empereur et les dispositions
+qui marquent l'établissement de la nouvelle dynastie
+par l'anéantissement des maisons des principaux coupables,
+ont produit un grand effet. La destruction de droits odieux
+au peuple et contraires à la prospérité de l'état, et la mesure
+qui ne laisse plus à la classe nombreuse des moines aucune
+incertitude sur son sort, ont un bon résultat.</p>
+
+<p>L'animadversion générale se dirige contre les Anglais.
+Les paysans disent dans leur langage, qu'à l'approche des
+Français, les Anglais sont allés monter sur leurs chevaux
+de bois.</p>
+
+<p>S. M. a passé hier la revue de plusieurs corps de cavalerie.
+Elle a nommé commandant de la Légion d'Honneur, le colonel
+des lanciers polonais Konopka. Le corps que cet officier
+commande s'est couvert de gloire dans toutes les occasions.</p>
+
+<p>S. M. a témoigné sa satisfaction à la brigade Dijon, pour
+sa bonne conduite à la bataille de Tudela.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Madrid, 13 décembre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Dix-neuvième bulletin de l'armée d'Espagne.</i></p>
+
+<p>La place de Roses s'est rendue le 6; deux mille hommes ont
+été faits prisonniers. On a trouvé dans la place une artillerie
+considérable; six vaisseaux de ligne anglais qui étaient mouillés
+sur la rade, n'ont pu recevoir la garnison à leur bord. Le
+général Gouvion-Saint-Cyr se loue beaucoup du général de
+division Pino. Les troupes du royaume d'Italie se sont distinguées
+pendant le siège.</p>
+
+<p>L'empereur a passé aujourd'hui en revue, au-delà du pont
+de Ségovie, toutes les troupes réunies du corps du maréchal
+duc de Dantzick.</p>
+
+<p>La division du général Sébastiani s'est mise en marche pour
+Talavera de la Reyna.</p>
+
+<p>La division polonaise du général Valence est fort belle.</p>
+
+<p>La dissolution des troupes espagnoles continue de tous
+côtés; les nouvelles levées qu'on était occupé à faire, se dispersent
+de toutes parts et retournent dans leurs foyers.</p>
+
+<p>Les détails que l'on recueille de la bouche des Espagnols,
+sur la junte centrale, tendent tous à la couvrir de ridicule.
+Cette assemblée était devenue l'objet du mépris de toute l'Espagne.
+Ses membres, au nombre de trente-six, s'étaient attribué
+eux-mêmes des titres, des cordons de toute espèce, et
+soixante mille livres de traitement. Florida-Blanca était un
+véritable mannequin. Il rougit à présent du déshonneur qu'il
+a répandu sur sa vieillesse. Ainsi que cela arrive toujours dans
+de pareilles assemblées, deux ou trois hommes dominaient
+tous les autres, et ces deux ou trois misérables étaient aux
+gages de l'Angleterre. L'opinion de la ville de Madrid est
+très-prononcée à l'égard de cette junte, qui est vouée au ridicule
+et au mépris, ainsi qu'à la haine de tous les habitans
+de la capitale.</p>
+
+<p>La bourgeoisie, le clergé, la noblesse, convoqués par le
+corregidor, se sont assemblés deux fois.</p>
+
+<p>L'esprit de la capitale est fort différent de ce qu'il était
+avant le départ des Français. Pendant le temps qui s'est écoulé
+depuis cette époque, cette ville a éprouvé tous les maux qui
+résultent de l'absence du gouvernement. Sa propre expérience
+lui a inspiré le dégoût des révolutions; elle a resserré les liens
+qui l'attachaient au roi. Pendant les scènes de désordre qui
+ont agité l'Espagne, les voeux et les regards des hommes sages
+se tournaient vers leur souverain.</p>
+
+<p>Jamais on n'a vu dans ce pays un aussi beau mois de décembre;
+on se croirait au commencement du printemps. L'empereur
+profite de ce temps magnifique pour rester à la campagne
+à une lieue de Madrid.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Paris, le 14 décembre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Note extraite du Moniteur.</i></p>
+
+<p>Plusieurs de nos journaux ont imprimé que S. M. l'impératrice,
+dans sa réponse à la députation du corps législatif,
+avait dit qu'elle était bien aise de voir que le premier sentiment
+de l'empereur avait été pour le corps législatif qui représente
+la nation.</p>
+
+<p>S. M. l'impératrice n'a point dit cela; elle connaît trop bien
+nos constitutions; elle sait trop bien que le premier représentant
+de la nation, c'est l'empereur; car tout pouvoir vient de
+Dieu et de la nation.</p>
+
+<p>Dans l'ordre de nos constitutions, après l'empereur, est
+le sénat; après le sénat, est le conseil d'état; après le conseil
+d'état, est le corps législatif; après le corps législatif, viennent
+chaque tribunal et fonctionnaire public dans l'ordre de
+ses attributions; car, s'il y avait dans nos constitutions un
+corps représentant la nation, ce corps serait souverain; les
+autres corps ne seraient rien, et ses volontés seraient tout.</p>
+
+<p>La convention, même le corps législatif, ont été représentans.
+Telles étaient nos constitutions alors. Aussi le président
+disputa-t-il le fauteuil au roi, se fondant sur le principe
+que le président de l'assemblée de la nation, était avant les
+autorités de la nation. Nos malheurs sont venus en partie de
+cette exagération d'idées. Ce serait une prétention chimérique
+et même criminelle, que de vouloir représenter la nation avant
+l'empereur.</p>
+
+<p>Le corps législatif, improprement appelé de ce nom, devrait
+être appelé conseil législatif, puisqu'il n'a pas la faculté
+de faire des lois, n'en ayant pas la proposition. Le conseil législatif
+est donc la réunion des mandataires des collèges électoraux.
+Ou les appelle députés des départemens, parce qu'ils
+sont nommés par les départemens.</p>
+
+<p>Dans l'ordre de notre hiérarchie constitutionnelle, le premier
+représentant de la nation, c'est l'empereur, et ses ministres,
+organes de ses décisions; la seconde autorité représentante,
+est le sénat; la troisième, le conseil d'état qui a de
+véritables attributions législatives; le conseil législatif a le
+quatrième rang.</p>
+
+<p>Tout rentrerait dans le désordre, si d'autres idées constitutionnelles
+venaient pervertir les idées de nos constitutions
+monarchiques.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Madrid, 15 décembre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de l'empereur à une députation de la ville de
+Madrid.</i></p>
+
+<p>J'agrée les sentimens de la ville de Madrid. Je regrette le
+mal qu'elle a essuyé, et je tiens à bonheur particulier d'avoir
+pu, dans ces circonstances, le sauver et lui épargner de plus
+grands maux.</p>
+
+<p>Je me suis empressé de prendre des mesures qui tranquillisent
+toutes les classes des citoyens, sachant combien l'incertitude
+est pénible pour tous les peuples et pour tous les hommes.</p>
+
+<p>J'ai conservé les ordres religieux en restreignant le nombre
+des moines. Il n'est pas un homme sensé qui ne jugeât qu'ils
+étaient trop nombreux. Ceux qui sont appelés par une vocation
+qui vient de Dieu, resteront dans leur couvens. Quant
+à ceux dont la vocation était peu solide et déterminée par
+des considérations mondaines, j'ai assuré leur existence dans
+l'ordre des ecclésiastiques séculiers. Du surplus des biens des
+couvens, j'ai pourvu aux besoins des curés, de cette classe la
+plus intéressante et la plus utile parmi le clergé.</p>
+
+<p>J'ai aboli ce tribunal contre lequel le siècle et l'Europe réclamaient.
+Les prêtres doivent guider les consciences, mais ne doivent
+exercer aucune juridiction extérieure et corporelle sur les
+citoyens.</p>
+
+<p>J'ai satisfait à ce que je devais à moi et à ma nation; la
+part de la vengeance est faite; elle est tombée sur dix des
+principaux coupables; le pardon est entier et absolu pour
+tous les autres.</p>
+
+<p>J'ai supprimé des droits usurpés par les seigneurs, dans le
+temps des guerres civiles, où les rois ont trop souvent été
+obligés d'abandonner leurs droits, pour acheter leur tranquillité
+et le repos des peuples.</p>
+
+<p>J'ai supprimé les droits féodaux, et chacun pourra établir
+des hôtelleries, des fours, des moulins, des madragues, des
+pêcheries et donner un libre essor à son industrie, en observant
+les lois et les réglemens de la police. L'égoïsme, la richesse
+et la prospérité d'un petit nombre d'hommes nuisaient
+plus à votre agriculture que les chaleurs de la canicule.</p>
+
+<p>Comme il n'y a qu'un Dieu, il ne doit y avoir dans un état
+qu'une justice. Toutes les justices particulières avaient été
+usurpées et étaient contraires aux droits de la nation. Je les
+ai détruites.</p>
+
+<p>J'ai aussi fait connaître à chacun ce qu'il pouvait avoir à
+craindre, ce qu'il pouvait espérer.</p>
+
+<p>Les armées anglaises, je les chasserai de la Péninsule.</p>
+
+<p>Sarragosse, Valence, Séville seront soumises ou par la persuasion,
+ou parla force de mes armes.</p>
+
+<p>Il n'est aucun obstacle capable de retarder long-temps l'exécution
+de mes volontés.</p>
+
+<p>Mais ce qui est au-dessus de mon pouvoir,, c'est de constituer
+les Espagnols en nation sous les ordres du roi, s'ils continuent
+à être imbus des principes de scission et de haine
+envers la France, que les partisans des Anglais et les ennemis
+du continent ont répandus au sein de l'Espagne. Je ne
+puis établir une nation, un roi et l'indépendance des Espagnols,
+si ce roi n'est pas sûr de leur affection et de leur fidélité.</p>
+
+<p>Les Bourbons ne peuvent plus régner en Europe. Les divisions
+dans la famille royale avaient été tramées par les Anglais.
+Ce n'était pas le roi Charles et le favori, que le duc de
+l'Infantado, instrument de l'Angleterre, comme le prouvent
+les papiers récemment trouvés dans sa maison, voulait renverser
+du trône, c'était la prépondérance de l'Angleterre qu'on
+voulait établir en Espagne; projet insensé, dont le résultat
+aurait été une guerre de terre sans fin, et qui aurait fait couler
+des flots de sang. Aucune puissance ne peut exister sur le
+continent, influencée par l'Angleterre. S'il en est qui le désirent,
+leur désir est insensé et produira tôt ou tard leur ruine.</p>
+
+<p>Il me serait facile, et je serais obligé de gouverner l'Espagne
+en y établissant autant de vice-rois qu'il y a de provinces.
+Cependant, je ne me refuse point de céder mes droits de conquête
+au roi, et à l'établir dans Madrid, lorsque les trente
+mille citoyens que renferme cette capitale, ecclésiastiques,
+nobles, négocians, hommes de loi, auront manifesté leurs
+sentimens et leur fidélité, donné l'exemple aux provinces,
+éclairé le peuple et fait connaître à la nation, que son existence
+et son bonheur dépendent d'un roi et d'une constitution
+libérale, favorable au peuple et contraire seulement à l'égoïsme
+et aux passions orgueilleuses des grands.</p>
+
+<p>Si tels sont les sentimens des habitans de la ville de Madrid,
+que ces trente mille citoyens se rassemblent dans les églises,
+qu'ils prêtent, devant le Saint-Sacrement, un serment qui
+sorte non-seulement de la bouche, mais du coeur, et qui soit
+sans restriction jésuitique; qu'ils jurent appui, amour et fidélité
+au roi; que les prêtres au confessionnal et dans la chaire,
+les négocians dans leur correspondance, les hommes de loi
+dans leurs écrits et leurs discours, inculquent ces sentimens
+au peuple; alors je me dessaisirai du droit, de conquête, je
+placerai le roi sur le trône, et je me ferai une douce tâche de
+me conduire envers les Espagnols en ami fidèle. La génération
+pourra varier dans ses opinions; trop de passions ont été mises
+en jeu; mais vos neveux me béniront comme votre régénérateur;
+ils placeront au nombre des jours mémorables, ceux
+où j'ai paru parmi vous; et, de ces jours, datera la prospérité
+de l'Espagne.</p>
+
+<p>Voilà, M. le corregidor, ma pensée tout entière. Consultez
+vos concitoyens et voyez le parti que vous avez à prendre;
+mais quel qu'il soit, prenez-le franchement et ne me montrez
+que des dispositions vraies.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Valderad, 28 décembre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Vingt-unième bulletin de l'armée d'Espagne.</i></p>
+
+<p>Les Anglais sont entrés en Espagne le 29 octobre.</p>
+
+<p>Ils ont vu dans les mois de novembre et de décembre, détruire
+l'armée de Galice à Espinosa, celle d'Estramadure à
+Burgos, celle d'Aragon et de Valence à Tudela, celle de réserve
+à Somo-Sierra; enfin, ils ont vu prendre Madrid, sans
+faire aucun mouvement et sans secourir aucune des armées
+espagnoles, pour lesquelles une division de troupes anglaises
+eût été cependant un secours considérable.</p>
+
+<p>Dans les premiers jours du mois de décembre, on apprit
+que les colonnes de l'armée anglaise étaient en retraite, et se
+dirigeaient vers la Corogne, où elles devaient se rembarquer.
+De nouvelles informations firent ensuite connaître qu'elles
+s'étaient arrêtées, et que le 16 elles étaient parties de Salamanque,
+pour entrer en campagne. Dès le 15, la cavalerie
+légère avait paru à Valladolid. Toute l'armée anglaise passa
+le Duero, et arriva le 23 devant le duc de Dalmatie à Saldagua.</p>
+
+<p>Aussitôt que l'empereur fut instruit à Madrid de cette résolution
+inespérée des Anglais, il marcha pour leur couper la
+retraite et se porter sur leurs derrières; mais quelque diligence
+que fissent les troupes françaises, le passage de la montagne
+de Guadarama, qui était couverte de neige, les pluies
+continuelles et le débordement des torrens, retardèrent leur
+marche de deux jours.</p>
+
+<p>Le 22, l'empereur était parti de Madrid; son quartier-général
+était le 23 à Villa-Castin, le 25 à Tordesillas, et
+le 27 a Médina del Rio-Secco.</p>
+
+<p>Le 21, à la pointe du jour, l'ennemi s'était mis en marche
+pour déborder la gauche du duc de Dalmatie; mais dans la
+matinée ayant appris le mouvement qui se faisait de Madrid,
+il se mit sur-le-champ en retraite, abandonnant ceux de ses
+partisans du pays dont il avait réveillé les passions, les restes
+de l'armée de Galice, qui avaient conçu de nouvelles espérances,
+une partie de ses hôpitaux et de ses bagages, et un
+grand nombre de traînards. Cette armée a été dans un péril
+imminent; douze heures de différence, elle était perdue pour
+l'Angleterre.</p>
+
+<p>Elle a commis beaucoup de ravages, résultat inévitable des
+marches forcées de troupes en retraite; elle a enlevé les couvertures,
+les mules, les mulets et beaucoup d'autres effets; elle
+a pillé un grand nombre d'églises et de couvens. L'abbaye
+de Sahagun, qui contenait soixante religieux et qui avait toujours
+été respectée par l'armée française, a été ravagée par
+les Anglais; partout les moines et les prêtres ont fui à leur
+approche. Ces désordres ont exaspéré le pays contre les Anglais:
+la différence de la langue, des moeurs et de la religion,
+n'a pas peu contribué à cette disposition des esprits; ils reprochent
+aux Espagnols de n'avoir plus d'armée à joindre à
+la leur, et d'avoir trompé le gouvernement anglais; les Espagnols
+leur répondent, que l'Espagne a eu des armées nombreuses,
+mais que les Anglais les ont laissé détruire sans faire
+aucun effort pour les secourir.</p>
+
+<p>Dans les quinze jours qui viennent de s'écouler, on n'a pas
+tiré un coup de fusil; la cavalerie légère a seulement donné
+quelques coups de sabre.</p>
+
+<p>Le général Durosnel, avec quatre cents chevau-légers de
+la garde, donna, à la nuit tombante, dans une colonne d'infanterie
+anglaise, en marche, sabra un grand nombre d'hommes,
+et jeta le désordre dans la colonne.</p>
+
+<p>Le général Lefebvre-Desnouettes, colonel des chasseurs de
+la garde, détaché depuis deux jours du quartier-général, avec
+trois escadrons de son régiment, ayant pris beaucoup de bagages,
+de femmes, de traînards, et trouvant le pont de l'Ezla
+coupé, crut la ville de Bénavente évacuée; emporté par cette
+ardeur qu'on a si souvent reprochée au soldat français, il
+passa la rivière à la nage pour se porter sur Bénavente, où il
+trouva toute la cavalerie de l'arrière-garde anglaise; alors
+s'engagea un long combat de quatre cents hommes contre deux
+mille. Il fallut enfin céder au nombre; ces braves repassèrent
+la rivière; une balle tua le cheval du général Lefebvre-Desnouettes,
+qui avait été blessé d'un coup de pistolet, et qui
+resté à pied, fut fait prisonnier. Dix de ses chasseurs, qui
+étaient aussi démontés, ont également été pris, cinq se sont
+noyés, vingt ont été blessés. Cette échauffourée a dû convaincre
+les Anglais de ce qu'ils auraient à redouter de pareilles gens
+dans une affaire générale. Le général Lefebvre a sans doute
+fait une faute, mais cette faute est d'un Français: il doit être
+à la fois blâmé et récompensé.</p>
+
+<p>Le nombre des prisonniers qu'on a faits à l'ennemi jusqu'à
+cette heure, et qui sont la plupart des hommes isolés et des
+traînards, s'élève à trois cents.</p>
+
+<p>Le 28, le quartier-général de l'empereur était à Valderas;</p>
+
+<p>Celui du duc de Dalmatie, à Mancilla;</p>
+
+<p>Celui du duc d'Elchingen, à Villafer.</p>
+
+<p>En partant de Madrid, l'empereur avait nommé le roi
+Joseph, son lieutenant-général commandant la garnison de
+la capitale; les corps des ducs de Dantzick et de Bellune, et
+les divisions de cavalerie Lasalle, Milhaud, et Latour-Maubourg,
+avaient été laissés pour la protection du centre.</p>
+
+<p>Le temps est extrêmement mauvais. A un froid vif, ont
+succédé des pluies abondantes. Nous souffrons, mais les Anglais
+doivent bien souffrir davantage.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Benavente, le 31 décembre 1808.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Vingt-deuxième bulletin de l'armée d'Espagne.</i></p>
+
+<p>Dans la journée du 30, la cavalerie, commandée par le
+duc d'Istrie, a passé l'Ezla. Le 30 au soir, elle a traversé
+Benavente et a poursuivi l'ennemi jusqu'à Puente de la Velana.</p>
+
+<p>Le même jour, le quartier-général a été établi à Benavente.</p>
+
+<p>Les Anglais ne se sont pas contentés de couper une arche
+du pont de l'Ezla, ils ont aussi fait sauter les piles avec des
+mines, dégât inutile, qui est très-nuisible au pays. Ils se sont
+livrés partout au plus affreux pillage. Les soldats, dans l'excès
+de leur perpétuelle intempérance, se sont portés à tous
+les désordres d'une ivresse brutale. Tout enfin, dans leur
+conduite, annonçait plutôt une armée ennemie qu'une armée
+qui venait secourir un peuple ami. Le mépris que les Anglais
+témoignaient pour les Espagnols, a rendu plus profonde encore
+l'impression causée par tant d'outrages. Cette expérience
+est un utile calmant pour les insurrections suscitées par les
+étrangers. On ne peut que regretter que les Anglais n'aient
+pas envoyé une armée en Andalousie. Celle qui a traversé
+Benavente, il y a dix jours, triomphait en espérance et couvrait
+déjà ses drapeaux de trophées; rien n'égalait la sécurité
+et l'audace qu'elle faisait paraître. A son retour, son attitude
+était bien changée; elle était harassée de fatigues et paraissait
+accablée de la honte de fuir sans avoir combattu. Pour prévenir
+les justes reproches des Espagnols, les Anglais répétaient
+sans cesse qu'on leur avait promis de joindre des forces
+nombreuses à leur armée; et les Espagnols repoussaient encore
+cette calomnieuse assertion par des raisons auxquelles il
+n'y avait rien à répondre.</p>
+
+<p>Lorsqu'il y a dix jours les Anglais traversaient le pays, ils
+savaient bien que les armées espagnoles étaient détruites. Les
+commissaires qu'ils avaient entretenus aux armées de la gauche,
+du centre et de la droite, n'ignoraient pas que ce n'était
+point cinquante mille hommes, mais cent quatre-vingt mille,
+que les Espagnols avaient mis sous les armes; que ces cent
+quatre-vingt mille hommes s'étaient battus, tandis que pendant
+six semaines les Anglais avaient été spectateurs indifférens
+de leurs combats. Ces commissaires n'avaient pas laissé
+ignorer que les armées espagnoles avaient cessé d'exister. Les
+Anglais savaient donc que les Espagnol étaient sans armées,
+lorsqu'il y a dix jours ils se portèrent en avant, enivrés de
+la folle espérance de tromper la vigilance du général français,
+et donnant dans le piège qu'il-leur avait tendu pour les attirer
+en rase campagne. Ils avaient fait auparavant quelques
+marches pour retourner à leurs vaisseaux.</p>
+
+<p>Vous deviez, ajoutaient les Espagnols, persister dans cette
+résolution prudente, ou bien il fallait être assez forts pour
+balancer les destins des Français. Il ne fallait pas surtout
+avancer d'abord avec tant de confiance pour reculer ensuite
+avec tant de précipitation; il ne fallait pas attirer chez nous
+le théâtre de la guerre, et nous exposer aux ravages de deux
+armées; après avoir appelé sur nos têtes tant de désastres, il
+ne faut pas en jeter la faute sur nous.</p>
+
+<p>Nous n'avons pu résister aux armes françaises, vous ne
+pouvez pas leur résister davantage; cessez donc de nous accuser,
+de nous outrager: tous nos malheurs viennent de vous.</p>
+
+<p>Les Anglais avaient répandu dans le pays qu'ils avaient
+battu cinq mille hommes de cavalerie française sur les bords
+de l'Ezla, et que le champ de bataille était couvert de morts.
+Les habitans de Benavente ont été fort surpris, lorsque visitant
+le champ de bataille, ils n'y ont trouvé que trois Anglais
+et deux Français. Ce combat de quatre cents hommes contre
+deux mille, fait beaucoup d'honneur aux Français. Les eaux
+de la rivière avaient augmenté pendant toute la journée du
+29, de sorte qu'à la fin du jour le gué n'était plus praticable.
+C'est au milieu de la rivière, et dans le temps où il était prêt
+à se noyer, que le général Lefebvre-Desnouettes ayant été
+porté par le courant sur la rive occupée par les Anglais, a été
+fait prisonnier. La perte des ennemis en tués et en blessés
+dans cette affaire d'avant-postes, a été beaucoup plus considérable
+que celle des Français. La fuite des Anglais a été si
+précipitée, qu'ils ont laissé à l'hôpital leurs malades et leurs
+blessés, et qu'ils ont été obligés de brûler un superbe magasin
+de tentes et d'effets d'habillemens. Ils ont tué tous les
+chevaux blessés ou fatigués qui les embarrassaient. On ne saurait
+croire combien ce spectacle, si contraire à nos moeurs, de
+plusieurs centaines de chevaux tués à coups de pistolet, indigne
+les Espagnols; plusieurs y voient une sorte de sacrifice,
+un usage religieux, et cela leur fait naître des idées
+bizarres sur la religion anglicane.</p>
+
+<p>Les Anglais se retirent eu toute hâte. Tous les Allemands
+à leur service désertent. Notre armée sera ce soir à Astorga
+et près des confins de la Galice.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Benavente, 1er janvier 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Vingt troisième bulletin de l'armée d'Espagne.</i></p>
+
+<p>Le duc de Dalmatie arriva le 30 à Mancilla où était la
+gauche des ennemis, occupée par les Espagnols du général
+la Romana. Le général Franceschi les culbuta d'une seule
+charge, leur tua beaucoup de monde, leur prit deux drapeaux,
+fit prisonniers un colonel, deux lieutenans-colonels,
+cinquante officiers et quinze cents soldats.</p>
+
+<p>Le 31, le duc de Dalmatie entra à Léon; il y trouva deux
+mille malades. La Romana avait succédé dans le commandement
+à Blake, après la bataille d'Espinosa. Les restes de cette
+armée qui, devant Bilbao, était de plus de cinquante mille
+hommes, formaient à peine cinq mille hommes à Mancilla.
+Ces malheureux, sans vêtemens, accablés par la misère,
+remplissent les hôpitaux.</p>
+
+<p>Les Anglais sont en horreur à ces troupes qu'ils méprisent,
+aux citoyens paisibles qu'ils maltraitent et dont ils dévorent
+la subsistance pour faire vivre leur armée. L'esprit des habitans
+du royaume de Léon est bien changé; ils demandent à
+grands cris et la paix et leur roi; ils maudissent les Anglais
+et leurs insinuations fallacieuses; ils leur reprochent d'avoir
+fait verser le sang espagnol pour nourrir le monopole anglais
+et perpétuer la guerre du continent. La perfidie de l'Angleterre
+et ses motifs sont maintenant à la portée de tout le
+monde et n'échappent pas même à la pénétration du dernier
+des habitans des campagnes. Ils savent ce qu'ils souffrent, et
+les auteurs de leurs maux étaient sous leurs yeux.</p>
+
+<p>Cependant les Anglais fuient en toute hâte, poursuivis
+par le duc d'Istrie avec neuf mille hommes de cavalerie. Dans
+les magasins qu'ils ont brûlés à Bénavente, se trouvaient, indépendamment
+des tentes, quatre mille couvertures et une
+grande quantité de rhum. On a ramassé plus de deux cents
+chariots de bagages et de munitions de guerre abandonnés
+sur la route de Bénavente à Astorga. Les débris de la division
+la Romana se sont jetés sur cette dernière ville et ont encore
+augmenté la confusion.</p>
+
+<p>Les événement de l'expédition de l'Angleterre en Espagne
+fourniront le sujet d'un beau discours d'ouverture du parlement.
+Il faudra annoncer à la nation anglaise qui son armée
+est restée trois mois dans l'inaction, tandis qu'elle pouvait
+secourir les Espagnols; que ses chefs, ou ceux dont elle exécutait
+les ordres, ont eu l'extrême ineptie de la porter en
+avant lorsque les armées espagnoles étaient détruites; qu'enfin
+elle a commencé l'année, fuyant l'épée dans les reins,
+poursuivie par l'ennemi qu'elle n'a pas osé combattre, et par
+les malédictions de ceux qu'elle avait excités, fit qu'elle aurait
+dû défendre: de telles entreprises et de semblables résultats
+ne peuvent appartenir qu'à un pays qui n'a pas de gouvernement.
+Fox, ou même Pitt, n'auraient pas commis de telles
+fautes. S'engager dans une lutte de terre contre la France qui
+a cent mille hommes de cavalerie, cinquante mille chevaux
+d'équipages et neuf cent mille hommes d'infanterie; c'est,
+pour l'Angleterre, pousser la folie jusqu'à ses derniers excès;
+c'est être avide de honte, c'est enfin diriger les affaires de la
+Grande-Bretagne comme pouvait le désirer le cabinet des
+Tuileries. Il fallait bien peu connaître l'Espagne pour attacher
+quelque importance à des mouvemens populaires, et
+pour espérer qu'en y soufflant le feu de la sédition, cet incendie
+aurait quelques résultats et quelque durée. Il ne faut
+que quelques prêtres fanatiques pour composer et répandre
+des libelles, pour porter un désordre momentané dans les esprits;
+mais il faut autre chose pour constituer une nation en
+armes. Lors de la révolution de France il fallut trois années et
+le régime de la convention pour préparer des succès militaires;
+et qui ne sait encore à quelles chances la France fut
+exposée? Cependant elle était excitée, soutenue par la volonté
+unanime de recouvrer les droits qui lui avaient été ravis
+dans des temps d'obscurité. En Espagne, c'étaient quelques
+hommes qui soulevaient le peuple pour conserver la
+possession exclusive de droits odieux au peuple. Ceux qui se
+battaient pour l'inquisition, les Franciscains et les droits
+féodaux, pouvaient être animés d'un zèle ardent pour leurs
+intérêts personnels, mais ne pouvaient inspirer à toute une
+nation une volonté ferme et des sentimens durables. Malgré
+les Anglais, les droits féodaux, les Franciscains et l'inquisition
+n'existent plus en Espagne.</p>
+
+<p>Après la prise de Roses, le général Gouvion-Saint-Cyr
+s'est dirigé sur Barcelonne avec le septième coups; il a dispersé
+tout ce qui se trouvait aux environs de cette place, et
+il a fait sa jonction avec le général Duhesme. Cette réunion
+a porté son armée à quarante mille hommes.</p>
+
+<p>Les ducs de Trévise et d'Abrantès ont enlevé tous les ouvrages
+avancés de Sarragosse. Le général du génie Lacoste
+prépare ses moyens pour s'emparer de cette ville sans perte.</p>
+
+<p>Le roi d'Espagne s'est rendu à Aranjuez pour passer en
+revue le premier corps commandé par le duc de Bellune.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Astorga, 2 janvier 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Vingt-quatrième bulletin de l'armée d'Espagne.</i></p>
+
+<p>L'empereur est arrivé à Astorga le 1er janvier.</p>
+
+<p>La route de Bénavente à Astorga est couverte de chevaux
+anglais morts, de voitures d'équipages, de caissons d'artillerie
+et de munitions de guerre. On a trouvé à Astorga des
+magasins de draps, de couvertures, et d'outils de pionniers.
+Dans la route d'Astorga à Villa-Franca, le général Colbert
+commandant l'avant-garde de cavalerie du duc d'Istrie, a fait
+deux mille prisonniers, pris des convois de fusils, et délivré
+une quarantaine d'hommes isolés qui étaient tombés entre les
+mains des Anglais.</p>
+
+<p>Quant à l'armée de la Romana, elle est réduite presqu'à rien.
+Ce petit nombre de soldats, sans habits, sans souliers, sans
+solde, sans nourriture, ne peut plus être compté pour quelque
+chose.</p>
+
+<p>L'empereur a chargé le duc de Dalmatie de la mission
+glorieuse de poursuivre les Anglais jusqu'au lieu de leur embarquement,
+et de les jeter dans la mer l'épée dans les reins.</p>
+
+<p>Les Anglais sauront ce qu'il en coûte pour faire un mouvement
+inconsidéré devant l'armée française. La manière dont
+ils sont chassés du royaume de Léon et de la Galice, et la destruction
+d'une partie de leur armée leur apprendra sans doute
+à être plus circonspects dans leurs opérations sur le continent.</p>
+
+<p>La neige a tombé à gros flocons pendant toute la journée
+du 1er janvier. Ce temps, très-mauvais pour l'armée française,
+est encore plus mauvais pour une armée qui bat en
+retraite.</p>
+
+<p>En Catalogne, le général Gouvion-Saint-Cyr est entré à
+Barcelonne.</p>
+
+<p>A Sarragosse, les ducs de Conegliano et de Trévise se sont
+emparés, avec peu de perte, du Monte-Torrero; ils ont fait
+un millier de prisonniers, et ont entièrement cerné la ville.
+Les mineurs ont commencé leurs travaux.</p>
+
+<p>Dans l'Estramadure, la division du général Sébastiani
+ayant passé le Tage, le 24, au pont de l'Arzobispo, a attaqué
+les débris de l'armée d'Estramadure. Une seule charge
+du vingt-huitième régiment d'infanterie de ligne a suffi pour
+les mettre en déroute. Le duc de Dantzick avait en même
+temps fait passer le Tage à la division du général Valence
+sur le pont d'Almaraz. Quatre pièces de canon, douze caissons,
+et quatre ou cinq cents prisonniers ont été le fruit de
+cette journée. On s'est emparé de divers magasins, et notamment
+d'un immense magasin de tentes.</p>
+
+<p>Tout ce qui reste de troupes espagnoles insurgées est sans
+solde depuis plusieurs mois.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Benavente, 5 janvier 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Vingt-cinquième bulletin de l'armée d'Espagne.</i></p>
+
+<p>La tête de la division Merle, faisant partie du corps du duc
+de Dalmatie, a gagné l'avant-garde dans la journée du 3 de
+ce mois.</p>
+
+<p>A quatre heures après-midi, elle s'est trouvée en présence
+de l'arrière-garde anglaise qui était en position sur les hauteurs
+de Prieros, a une lieue devant Villa-Franca, et qui
+était composée de cinq mille hommes d'infanterie et six cents
+chevaux. Cette position était fort belle et difficile à aborder.
+Le général Merle fit ses dispositions. L'infanterie s'approcha,
+on battit la charge, et les Anglais furent mis dans une entière
+déroute. La difficulté du terrain ne permit pas à la cavalerie
+de charger, et l'on ne put faire que deux cents prisonniers.
+Nous avons eu une cinquantaine d'hommes tués ou blessés.</p>
+
+<p>Le général de brigade Colbert, commandant la cavalerie
+de l'avant-garde, s'était avancé avec les tirailleurs de l'infanterie,
+pour voir si le terrain s'élargissait, et s'il pouvait former
+sa cavalerie. Son heure était arrivée; une balle le frappa
+au front, le renversa, et il ne vécut qu'un quart d'heure; revenu
+un moment à lui, il s'était fait placer sur son séant, et
+voyant alors la déroute complète des Anglais, il dit: Je suis
+bien jeune encore pour mourir, mais du moins ma mort est
+digne d'un soldat de la grande armée, puisqu'en mourant je
+vois fuir les derniers et les éternels ennemis de ma patrie. Le
+général Colbert était un officier d'un grand mérite.</p>
+
+<p>Il y a deux routes d'Astorga à Villa-Franca. Les Anglais
+passaient par celle de droite, les Espagnols suivaient celle de
+gauche; ils marchaient sans ordre; ils ont été coupés et cernés
+par les chasseurs hanovriens. Un général de brigade et une
+division entière, officiers et soldats, ont mis bas les armes. On
+lui a pris ses équipages, dix drapeaux et six pièces de canon.</p>
+
+<p>Depuis le 27, nous avons déjà fait à l'ennemi plus de dix
+mille prisonniers parmi lesquels sont quinze cents Anglais.
+Nous lui avons pris plus de quatre cents voitures de bagages
+et de munitions, quinze voitures de fusils, ses magasins et
+ses hôpitaux de Bénavente, Astorga et Bembibre. Dans ce
+dernier endroit, le magasin à poudre qu'il avait établi dans
+une église, a sauté.</p>
+
+<p>Les Anglais se retirent en désordre, laissant ainsi leurs
+magasins, leurs blessés, leurs malades, et abandonnant leurs
+équipages sur les chemins. Ils éprouveront une plus grande
+perte encore; et s'ils parviennent à s'embarquer, il est probable
+que ce ne sera qu'après avoir perdu la moitié de leur
+armée.</p>
+
+<p>Sa Majesté, informée que celle armée était réduite au-dessous
+de vingt mille hommes, a pris le parti de porter son quartier-général
+d'Astorga à Bénavente, où elle restera quelques jours,
+et d'où elle ira occuper une position centrale à Valladolid,
+laissant au duc de Dalmatie le soin de détruire l'armée anglaise.</p>
+
+<p>On a trouvé dans les granges beaucoup d'Anglais qui avaient
+été pendus par les Espagnols. Sa Majesté a été indignée; elle
+a fait brûler les granges. Les paysans, quel que soit le ressentiment
+dont ils sont animés, n'ont pas le droit d'attenter
+à la vie des traînards de l'une ou de l'autre armée. Sa Majesté
+a ordonné de traiter les prisonniers anglais avec les égards
+dus à des soldats qui, dans toutes les circonstances, ont manifesté
+des idées libérales et des sentimens d'honneur. Informée
+que dans les lieux où les prisonniers sont rassemblés,
+et où se trouvent dix Espagnols contre un Anglais, les Espagnols
+maltraitent les Anglais et les dépouillent, elle a ordonné
+de séparer les uns des autres, et elle a prescrit, pour
+les Anglais, un traitement tout particulier.</p>
+
+<p>L'arrière-garde anglaise, en acceptant le combat de Prieros,
+avait espéré donner le temps à la colonne de gauche,
+composée pour la plus grande partie d'Espagnols, de faire sa
+jonction à Villa-Francs. Elle comptait aussi gagner une nuit
+pour rendre plus complète l'évacuation de Villa-Franca.</p>
+
+<p>Nous avons trouvé à l'hôpital de Villa-Franca trois cents
+Anglais malades ou blessés. Les Anglais avaient brûlé dans
+cette ville un grand magasin de farine et de blé; ils y avaient
+détruit beaucoup d'équipages d'artillerie, et tué cinq cents de
+leurs chevaux. On en a déjà compté seize cents laissés morts
+sur les routes.</p>
+
+<p>Le nombre des prisonniers est assez considérable et s'accroît
+de moment en moment. On trouve dans toutes les caves
+de la ville des soldats anglais morts ivres.</p>
+
+<p>Le quartier-général du duc de Dalmatie était, le 4 au
+soir, à dix lieues de Lugo.</p>
+
+<p>Le 2, Sa Majesté a passé en revue, à Astorga, les divisions
+Laborde et Loison, qui formaient l'Armée de Portugal.
+Ces troupes voient fuir les Anglais et brûlent du désir de les
+joindre.</p>
+
+<p>Sa Majesté a laissé en réserve à Astorga le corps du duc
+d'Elchingen, qui a son avant-garde sur les débouchés de la
+Galice, et qui est à portée d'appuyer, en cas d'événement,
+le corps du duc de Dalmatie.</p>
+
+<p>On a reçu la confirmation de la nouvelle de l'arrivée du
+général Gouvion-Saint-Cyr avec le septième corps à Barcelonne.
+Il y est entré le 17; le 15, il avait rencontré a Linas
+les troupes commandées par les généraux Reding et Vivès
+et les avait mises dans une entière déroute. Il leur a pris six
+pièces de canon, trente caissons et trois mille hommes. Moyennant
+la jonction du septième corps avec les troupes du général
+Duhesme, nous avons une grosse armée à Barcelonne.</p>
+
+<p>Lorsque Sa Majesté était à Tordesillas, elle avait son
+quartier-général dans les bâtimens extérieurs du couvent
+royal de Sainte-Claire. C'est dans ces bâtimens que s'était
+retirée et qu'est morte la mère de Charles-Quint, surnommée
+Jeanne la folle. Le couvent de Sainte-Claire a été construit
+sur un ancien palais des Maures, dont il reste un bain et
+deux salles d'une belle conservation. L'abbesse a été présentée
+à l'empereur; elle est âgée de soixante-quinze ans, et il y
+avait soixante-cinq ans qu'elle n'était sortie de sa clôture.
+Cette religieuse parut fort émue lorsqu'elle franchit le seuil;
+mais elle entretint l'empereur avec beaucoup de présence
+d'esprit, et elle obtint un grand nombre de grâces pour tout
+ce qui l'intéressait.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Valladolid, 7 janvier 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Vingt-sixième bulletin de l'armée d'Espagne.</i></p>
+
+<p>Le général Gouvion-Saint-Cyr, aussitôt après son entrée
+à Barcelonne, s'est porté sur Lobregat, a forcé l'ennemi dans
+son camp retranché, lui a pris vingt-cinq pièces de canon, et
+a marché sur Tarragone dont il s'est emparé. La prise de cette
+ville est d'une grande importance.</p>
+
+<p>Les rapports du général Duhesme et du général Saint-Cyr
+contiennent le détail des événemens militaires qui ont eu lieu
+en Catalogne jusqu'au 21 décembre; ils font le plus grand
+honneur au général Gouvion-Saint-Cyr. Tout ce qui s'est
+passé à Barcelonne est un titre d'éloge pour le général Duhesme,
+qui a déployé autant de talent que de fermeté.</p>
+
+<p>Les troupes du royaume d'Italie se sont couvertes de
+gloire: leur belle conduite a sensiblement touché le coeur de
+l'empereur; elles sont à la vérité composées pour la plupart
+des corps formés par Sa Majesté pendant la campagne de l'an 5.
+Les vélites italiens sont aussi sages que braves: ils n'ont
+donné lieu à aucune plainte, et ils ont montré le plus grand
+courage. Depuis les Romains, les peuples d'Italie n'avaient
+pas fait la guerre en Espagne; depuis les Romains, aucune
+époque n'a été si glorieuse pour les armes italiennes.</p>
+
+<p>L'armée du royaume d'Italie est déjà de quatre-vingt mille
+soldats, et bons soldats; voilà les garans qu'a cette belle contrée
+de n'être plus le théâtre de la guerre.</p>
+
+<p>Sa Majesté a porté son quartier-général de Benavente à
+Valladolid.</p>
+
+<p>Elle a reçu aujourd'hui toutes les autorités de la ville. Dix
+des plus mauvais sujets de la dernière classe du peuple ont
+été passés par les armes. Ce sont les mêmes qui avaient massacré
+le général Cevallos, et qui, pendant si long temps, ont
+opprimé les gens de bien.</p>
+
+<p>Sa Majesté a ordonné la suppression du couvent des Dominicains
+dans lequel un Français a été tué.</p>
+
+<p>Elle a témoigné sa satisfaction au couvent de San-Benito
+dont les moines sont des hommes éclairés, qui, bien loin d'avoir
+prêché la guerre et le désordre, de s'être montrés avides
+de sang et de meurtre, ont employé tous leurs soins et consacré
+les efforts les plus courageux à calmer le peuple et à le
+ramener au bon ordre. Plusieurs Français leur doivent la
+vie. L'empereur a voulu voir ces religieux, et lorsqu'il a appris
+qu'ils étaient de l'ordre des Bénédictins, dont les membres
+se sont toujours illustrés dans les lettres et dans les
+sciences, soit en France, soit en Italie, il a daigné exprimer
+la satisfaction qu'il éprouvait de leur avoir cette obligation.</p>
+
+<p>En général, le clergé de cette ville est bon; les moines
+vraiment dangereux sont ces dominicains fanatiques qui s'étaient
+emparés de l'inquisition, et qui, ayant baigné leurs
+mains dans le sang d'un Français, ont eu la lâcheté sacrilége,
+de jurer sur l'évangile que l'infortuné dont on leur demandait
+compte, n'était point mort et avait été conduit à l'hôpital, et
+qui ensuite ont avoué qu'après qu'il eut été privé de la vie
+on avait jeté son corps dans un puits, où on l'a en effet
+trouvé. Hommes hypocrites et barbares, qui prêchez l'intolérance,
+qui suscitez la discorde, qui excitez à verser le sang,
+vous n'êtes pas les ministres de l'évangile! Le temps où l'Europe
+voyait sans indignation célébrer par des illuminations,
+dans les grandes villes, le massacre des protestans, ne peut
+renaître. Les bienfaits de la tolérance sont les premiers droits
+des hommes; elle est la première maxime de l'évangile, puisqu'elle
+est le premier attribut de la charité. S'il fût une
+époque où quelques faux docteurs de la religion chrétienne
+prêchaient l'intolérance, alors ils n'avaient pas en vue les intérêts
+du ciel, mais ceux de leur influence temporelle; ils
+voulaient s'emparer de l'autorité chez des peuples ignorans.
+Lorsqu'un moine, un théologien, un évêque, un pontife prêche
+l'intolérance, il prêche sa condamnation; il se livre à la risée
+des nations.</p>
+
+<p>Le duc de Dalmatie doit être ce soir à Lugo. De nombreuses
+colonnes de prisonniers sont en marche pour se rendre ici.</p>
+
+<p>Le général de brigade Duvernay s'est porté avec cinq cents
+chevaux sur Toro. Il y a rencontré deux ou trois cents hommes
+restes des débris de l'insurrection; il les a chargés et en
+a tué ou pris le plus grand nombre. Le colonel des hussards
+hollandais a été blessé dans cette charge.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Valladolid, 9 janvier 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Vingt-septième bulletin de l'armée d'Espagne.</i></p>
+
+<p>Après le combat de Prieros contre l'arrière-garde anglaise,
+le duc de Dalmatie jugea nécessaire de déposter promptement
+l'ennemi du col de Piedra-Filla. Il fit une marche très-longue,
+et il en recueillit le fruit. Il prit quinze cents Anglais,
+cinq pièces de canon, beaucoup de caissons. Il obligea l'ennemi
+à détruire considérablement d'affûts, de voitures, de
+bagages et de munitions. Les précipices étaient remplis de ces
+débris; le désordre était tel, que les divisions Lorges et Lahoussaye
+ont trouvé parmi les équipages abandonnés, des
+voitures remplies d'or et d'argent: c'était une partie du trésor
+de l'armée anglaise: on évalue ce qui est tombé entre les
+mains des divisions à deux millions.</p>
+
+<p>Le 4 au soir, l'avant-garde de l'armée française était à
+Castillo et à Nocedo.</p>
+
+<p>Le lendemain 5, l'arrière-garde ennemie a été rencontrée
+à Puente de Ferrerya au moment où elle faisait une fougasse
+pour faire sauter le pont; une charge de cavalerie a rendu
+cette tentative inutile. Il en a été de même au pont de
+Crueril.</p>
+
+<p>Le 5 au soir, les divisions Lorges et Lahoussaye étaient à
+Constantin, et l'ennemi à peu de distance de Lugo.</p>
+
+<p>Le 6, le duc de Dalmatie s'est mis en marche pour arriver
+sur cette ville.</p>
+
+<p>L'armée anglaise souffre considérablement; elle n'a presque
+plus de munitions et de bagages, et la moitié de sa cavalerie
+est à pied. Depuis le départ de Benavente jusqu'au 5 de
+ce mois, on a compté sur la route dix-huit cents chevaux anglais
+tués.</p>
+
+<p>Les débris du corps de la Romana errent partout. Dans la
+journée du 1er janvier, le huitième régiment de dragons chargea
+un carré d'infanterie espagnole et le culbuta. Les régimens
+du roi, de Mayorca, d'Ibernia, de Barcelonne et de
+Naples ont été faits prisonniers.</p>
+
+<p>Le général Maupetit ayant rencontré du côté de Zamora,
+avec sa division de dragons, une colonne de huit cents
+fuyards, l'a chargée et dispersée, et en a pris ou tué la plus
+grande partie.</p>
+
+<p>Les paysans espagnols de la Galice et du royaume de Léon
+sont impitoyables pour les traînards anglais. Malgré les sévères
+défenses qui ont été faites, on trouve tous les jours
+beaucoup d'Anglais assassinés.</p>
+
+<p>Le quartier-général du duc d'Elchingen est à Villa-Franca,
+sur les confins de la Galice et du royaume de Léon.</p>
+
+<p>Le duc de Bellune est sur le Tage.</p>
+
+<p>Toute la garde impériale se concentre à Valladolid.</p>
+
+<p>Les villes de Valladolid, de Palencia, de Ségovie, d'Avila,
+d'Astorga, de Léon, etc., envoient de nombreuses députations
+au roi. La fuite de l'armée anglaise, la dispersion des
+restes des armées de la Romana et de l'Estramadure, et les
+maux que les troupes des différentes armées font peser sur le
+pays, rallient les provinces autour de l'autorité légitime.</p>
+
+<p>La ville de Madrid s'est particulièrement distinguée. Les procès-verbaux
+constatant le serment prêté devant le saint-Sacrement
+par vingt-huit mille sept cents chefs de famille, ont été
+mis sous les yeux de l'empereur. Les citoyens de Madrid ont
+promis à Sa Majesté, que, si elle place sur le trône le roi son
+frère, ils le seconderont de tous leurs efforts et le défendront
+de tous leurs moyens.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Valladolid, 13 janvier 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Vingt-huitième bulletin de l'armée d'Espagne.</i></p>
+
+<p>La partie du trésor de l'ennemi qui est tombée entre les
+mains de nos troupes était d'un million huit cent mille
+francs. Les habitans assurent que les Anglais ont emporté
+huit à dix millions.</p>
+
+<p>Le général anglais jugeant qu'il était impossible que l'infanterie
+et l'artillerie l'eussent suivi, et eussent gagné sur lui
+un certain nombre de marches, surtout dans des montagnes
+aussi difficiles que celles de la Galice, comprit qu'il ne devait
+avoir à sa poursuite que des voltigeurs et de la cavalerie.
+Il prit donc la position de Castro, sa droite appuyée à la rivière
+de Tamboya, qui passe à Lugo, et qui n'est pas guéable.</p>
+
+<p>Le duc de Dalmatie arriva le 6 en présence de l'ennemi.
+Il employa les journées du 7 et du 8 à le reconnaître, et à
+réunir son infanterie et son artillerie, qui étaient encore en
+arrière. Il forma son plan d'attaque. La gauche seule de l'ennemi
+était attaquable; il manoeuvra sur cette gauche. Ses dispositions
+exigèrent quelques mouvemens dans la journée du
+8, le duc de Dalmatie étant dans l'intention d'attaquer le lendemain
+9. Mais l'ennemi s'en étant douté, fit sa retraite pendant
+la nuit, et le matin, notre avant-garde entra à Lugo.
+L'ennemi a abandonné trois cents malades anglais dans les hôpitaux
+de la ville, un parc de dix-huit pièces de canon et
+trois cents chariots de munitions. Nous lui avons fait sept
+cents prisonniers. La ville et les environs de Lugo sont encombrés
+de cadavres de chevaux anglais. Ainsi voilà plus de
+deux mille cinq cents chevaux que les Anglais ont tués dans
+leur retraite.</p>
+
+<p>Il fait un temps affreux; la neige et la pluie tombent continuellement.</p>
+
+<p>Les Anglais gagnent à toute force la Corogne où ils ont
+quatre cents bâtimens de transport pour leur embarquement.
+Ils ont déjà perdu leurs bagages, leurs munitions, une partie
+même du matériel de leur artillerie, et plus de trois mille
+hommes faits prisonniers.</p>
+
+<p>Le 10, notre avant-garde était à Betancos, à peu de distance
+de la Corogne.</p>
+
+<p>Le duc d'Elchingen est avec son corps d'armée sur Lugo.</p>
+
+<p>En comptant les malades, les hommes égarés, ceux qui
+ont été tués par les paysans, et ceux qui ont été faits prisonniers
+par nos troupes, on peut calculer que les Anglais ont
+perdu le tiers de leur armée. Ils sont réduits à dix mille
+hommes et ne sont pas encore embarqués. Depuis Sahagun,
+ils ont fait une retraite de cent cinquante lieues par un mauvais
+temps, dans des chemins affreux, au milieu des montagnes
+et toujours l'épée dans les reins.</p>
+
+<p>On a de la peine à concevoir la folie de leur plan de campagne.
+Il faut l'attribuer non au général qui commande, et
+qui est un homme habile et sage, mais à cet esprit de haine
+et de rage qui anime le ministère anglais. Jeter ainsi en avant
+trente mille hommes pour les exposer à être détruits, ou à
+n'avoir de ressource que dans la fuite, c'est une conception
+qui ne peut être inspirée que par l'esprit de passion,
+ou par la plus extravagante présomption. Le gouvernement
+anglais, comme le menteur du théâtre, est parvenu à se persuader
+lui-même; il s'est pris dans son propre piége.</p>
+
+<p>La ville de Lugo a été pillée et saccagée par l'ennemi. On ne
+peut imputer ces désastres au général anglais; c'est une suite
+ordinaire et inévitable des marches forcées et des retraites précipitées.
+Les habitans du royaume de Léon et de la Galice ont
+les Anglais en horreur. Sous ce rapport, les événemens qui
+viennent de se passer équivalent à une grande victoire.</p>
+
+<p>La ville de Zamora, dont les habitans avaient été exaltés
+par la présence des Anglais, a fermé ses portes au général de
+cavalerie Maupetit. Le général Darricau s'y est porté avec
+quatre bataillons. Il a escaladé la ville, l'a prise, et a fait
+passer les plus coupables par les armes.</p>
+
+<p>De toutes les provinces de l'Espagne, la Galice est celle
+qui manifeste le meilleur esprit; elle reçoit les Français comme
+des libérateurs qui l'ont délivrée à la fois des étrangers et de
+l'anarchie. L'évêque de Lugo et le clergé de toute la province
+manifestent les plus sages dispositions.</p>
+
+<p>La ville de Valladolid a prêté serment au roi Joseph, et a
+fait une adresse à S.M.I. et R.</p>
+
+<p>Six hommes, chefs d'émeutes et des massacres contre les
+Français, ont été condamnés à mort. Cinq ont été exécutés.
+L clergé est venu demander la grâce du sixième qui est père
+de quatre enfans. S.M. a commué sa peine; elle a dit qu'elle
+voulait en cela témoigner sa satisfaction pour la bonne conduite
+que le clergé séculier de Valladolid a tenue en plusieurs
+occasions importantes.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Valladolid, 16 janvier 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Vingt-neuvième bulletin de l'armée d'Espagne.</i></p>
+
+<p>Le 10 janvier, le quartier-général du duc de Bellune était
+à Aranjuez.</p>
+
+<p>Instruit que les débris de l'armée battue à Tudéla s'étaient
+réunis du côté de Cuença et avaient été joints par les nouvelles
+levées de Grenade, de Valence et de Murcie, le roi
+d'Espagne conçut la possibilité d'attirer l'ennemi. A cet effet,
+il fit replier tous les postes qui s'avançaient jusqu'aux montagnes
+de Cuença au-delà de Tarançon et de Huete. L'armée
+espagnole suivit ce mouvement. Le 12 elle prit position à
+Uclès. Le duc de Bellune se porta alors à Tarançon et à
+Fuente de Padronaro. Le 13 la division Villatte marcha droit
+à l'ennemi, tandis que le duc de Bellune, avec la division
+Ruffin, tournait par Alcazar. Aussitôt que le général Villatte
+découvrit les Espagnols, il marcha au pas de charge, et mit
+en déroute les douze ou treize mille hommes qu'avait l'ennemi
+et qui cherchèrent à se retirer par Carascosa sur Alcazar;
+mais déjà le duc de Bellune occupait la route d'Alcazar. Le
+neuvième régiment d'infanterie légère, le vingt-quatrième de
+ligne, et le quatre-vingt-seizième présentèrent à l'ennemi un
+mur de baïonnettes. Les Espagnols mirent bas les armes.
+Trois cents officiers, deux généraux, sept colonels, vingt
+lieutenant-colonels et douze mille hommes ont été faits prisonniers.
+On a pris trente drapeaux et toute l'artillerie. Le
+nommé Venegas, qui commandait ces troupes, a été tué.</p>
+
+<p>Cette armée avec ses drapeaux et son artillerie, escortée
+par trois bataillons, fera demain 17 son entrée à Madrid.</p>
+
+<p>Ce succès fait honneur au duc de Bellune et à la conduite
+des troupes. Le général Villatte a manoeuvré avec habileté.
+Le général Ruffin s'est distingué. Il en a été de même du
+général Latour-Maubourg. Ses dragons se sont comportés
+avec intrépidité. Le jeune Sopransi, chef d'escadron au premier
+de dragons, s'est précipité au milieu des ennemis, en
+déployant une singulière bravoure. Il a apporté six drapeaux
+au duc de Bellune.</p>
+
+<p>Le général d'artillerie Sénarmont s'est conduit comme il
+l'a fait dans toutes les circonstances. Lorsque l'armée ennemie
+se vit coupée, elle changea de direction. Le général Sénarmont
+était alors engagé dans une gorge avec son artillerie,
+et c'est sur cette gorge que l'ennemi se dirigea pour y chercher
+un passage. L'artillerie avait peu d'escorte, mais les canonniers
+de la grande-armée n'en ont pas besoin. Le général
+Sénarmont plaça ses pièces en bataillon carré et tira à mitraille.
+La colonne ennemie changea encore de direction et se porta
+sur le point où elle est venue mettre bas les armes. Le duc de
+Bellune se loue de M. Château son premier aide-de-camp, et
+de M. l'adjudant commandant Aimé. Il donne des éloges au
+général Sémélé, aux colonels Jamin, Meunier, Mouton Duvernay,
+Lacoste, Pescheux et Combelle, tous officiers dont
+la bravoure et l'habileté ont été éprouvées dans cent combats.</p>
+
+<p>En Galice les Anglais continuent d'être poursuivis l'épée
+dans les reins. Après avoir été chassés de Lugo, les trois
+quarts ont pris la direction de la Corogne, et un quart celle
+de Vigo où les Anglais ont des transports. Le duc de Dalmatie
+s'est porté sur la Corogne et le duc d'Elchingen sur
+Vigo.</p>
+
+<p>Des députations du conseil d'état d'Espagne, du conseil
+des Indes, du conseil des finances, du conseil de la guerre,
+du conseil de marine, du conseil des ordres, de la junte de
+commerce et des monnaies, du tribunal des alcades de casa
+y corte, de la municipalité de Madrid, du clergé séculier et
+régulier, du corps de la noblesse, des corporations majeures
+et mineures et des habitans des paroisses et des quartiers,
+parties de Madrid le 11, ont été présentées le 16 à S. M. I.
+et R. à Valladolid.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Valladolid, 21 janvier 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Trentième bulletin de l'armée d'Espagne.</i></p>
+
+<p>Le duc de Dalmatie partit le 12 de Betanzos. Arrivé sur le
+Meso, il trouva le pont de Burgo coupé. L'ennemi fut délogé
+du village de Burgo. Pendant ce temps, le général Franceschi
+remonta la rivière qu'il passa sur le pont de Cela. Il intercepta
+la grande route de la Corogne à Santyago et prit six officiers
+et soixante soldats. Le même jour un poste de trente marins
+qui étaient à Meso sur le golfe, et qui y faisait de l'eau,
+fut pris. Du village de Perillo on put observer la flotte anglaise
+en rade de la Corogne.</p>
+
+<p>Le 13, l'ennemi fit sauter deux magasins à poudre situés
+sur les hauteurs de Sainte Marguerite, à une demi-lieue de
+la Corogne. La détonation fut terrible et se fit sentir à plus
+de trois lieues dans les terres.</p>
+
+<p>Le 14, le pont de Burgo fut raccommodé et l'artillerie française
+put y passer. L'ennemi était en position sur deux lignes,
+à une demi-lieue en avant de la Corogne. On le voyait s'occuper
+à embarquer en toute hâte ses malades et ses blessés,
+les espions et les déserteurs en portent le nombre à trois ou quatre
+mille hommes. Les Anglais s'occupaient en même temps
+à détruire les batteries de la côte, et à dévaster le pays voisin
+de la mer. Le commandant du fort de Saint-Philippe se doutant
+du sort qu'ils réservaient à la place, refusa de les y recevoir.</p>
+
+<p>Le 14 au soir, on vit arriver un nouveau convoi de cent
+soixante voiles, parmi lesquelles on comptait quatre vaisseaux
+de ligne.</p>
+
+<p>Le 15 au matin, les divisions Merle et Mermet occupèrent
+les hauteurs de Vallaboa où se trouvait l'avant-garde ennemie,
+qui fut attaquée et culbutée. Notre droite fut appuyée au point
+d'intersection de la route de la Corogne à Lugo, et de la Corogne
+à Santyago. La gauche était placée en arrière du village
+d'Elvina. L'ennemi occupait en face de très-belles hauteurs.</p>
+
+<p>Le reste de la journée du 15 fut employé à placer une
+batterie de douze pièces de canon, et ce ne fut que le 16, à
+trois heures après midi que le duc de Dalmatie donna l'ordre
+de l'attaque.</p>
+
+<p>Les Anglais furent abordés franchement par la première
+brigade de la division Mermet qui les culbuta et les délogea
+du village d'Elvina. Le deuxième régiment d'infanterie légère
+se couvrit de gloire. Le général Jardon à la tête des voltigeurs
+fit paraître un notable courage. L'ennemi culbuté de ses positions,
+se retira dans les jardins qui sont autour de la Corogne.
+La nuit devenant très-obscure, on fut obligé de suspendre
+l'attaque. L'ennemi en a profité pour s'embarquer en
+toute hâte. Nous n'avons eu d'engagés pendant le combat,
+qu'environ six mille hommes, et tout était disposé pour partir
+de la position que nos troupes occupaient le soir, et profiter
+du lendemain pour une affaire générale. La perte de l'ennemi
+est immense; deux batteries de notre artillerie l'ont foudroyé
+pendant la durée du combat. On a compté sur le champ
+de bataille plus de huit cents cadavres anglais, parmi lesquels
+on a trouvé le corps du général Hamilton, et ceux de deux
+autres officiers généraux dont on ignore les noms. Nous avons
+pris vingt officiers, trois cents soldats et quatre pièces de canon.
+Les Anglais ont laissé plus de quinze cents chevaux qu'ils
+avaient tués. Notre perte s'élève à cent hommes; nous en avons
+eu cent cinquante blesses. Le colonel du quarante-cinquième
+s'est distingué. Un porte-aigle du trente-unième d'infanterie
+légère a tue de sa propre main un officier anglais qui, dans
+la mêlée, s'était attaché a lui pour tâcher de lui enlever son
+aigle. Le général d'artillerie Bourgeat et le colonel Fontenay
+se sont très-bien montrés.</p>
+
+<p>Le 17 à la pointe du jour, on a vu le convoi anglais mettre
+à la voile: le 18 tout avait disparu. Le duc de Dalmatie avait
+fait canonner les bâtiments des hauteurs du fort Sandiego.
+Plusieurs transports ont échoué, et tous les hommes qu'ils
+portaient ont été pris.</p>
+
+<p>On a trouvé dans l'établissement de la Payoza trois mille
+fusils anglais. On s'est aussi emparé des magasins de l'ennemi
+et d'une quantité considérable de munitions et d'effets appartenant
+à l'armée. On a ramassé dans les faubourgs beaucoup
+de blessés. L'opinion des habitans du pays et des déserteurs
+est que le nombre des blessés dans le combat excède deux
+mille cinq cents.</p>
+
+<p>Ainsi s'est terminée l'expédition anglaise envoyée en Espagne.
+Après avoir fomenté la guerre dans ce malheureux
+pays, les Anglais l'ont abandonné. Ils avaient débarqué
+trente-huit mille hommes et six mille chevaux; nous leur
+avons pris de compte fait six mille cinq cents hommes, non
+compris les malades. Ils ont rembarqué très-peu de bagages,
+très-peu de munitions et très-peu de chevaux: on en a compté
+cinq mille tués et abandonnés. Les hommes qui ont trouvé
+un asile sur leurs vaisseaux sont harassés et découragés. Dans
+une autre saison, il n'en aurait pas échappé un seul. La facilité
+de couper les ponts, la rapidité des torrens qui, pendant
+l'hiver, deviennent de profondes rivières, le peu de durée
+des journées et la longueur des nuits, sont très-favorables
+à une armée en retraite.</p>
+
+<p>Des trente-huit mille hommes que les Anglais avaient débarqués,
+on peut assurer qu'à peine vingt-quatre mille hommes
+retourneront en Angleterre.</p>
+
+<p>L'armée de la Romana, qui, à la fin de décembre, au
+moyen des renforts qu'elle avait reçus de la Galice, était forte
+de seize mille hommes, est réduite à moins de cinq mille
+hommes, qui errent entre Vigo et Santyago, et sont vivement
+poursuivis. Le royaume de Léon, la province de Zamora
+et toute la Galice que les Anglais avaient voulu couvrir, sont
+conquis et soumis.</p>
+
+<p>Le général de division Lapisse a envoyé en Portugal des
+patrouilles qui y ont été très-bien reçues.</p>
+
+<p>Le général Maupetit est entré à Salamanque. Il y a encore
+trouvé quelques malades anglais.</p>
+<br><br><br>
+
+
+
+<p class="milieu"><i>Trente-unième bulletin de l'année d'Espagne.</i></p>
+
+<p>Les régimens anglais portant les numéros 42, 50 et 52
+ont été entièrement détruits au combat du 16 près la Corogne.
+Il ne s'est pas embarqué soixante hommes de chacun de
+ces corps. Le général en chef Moore a été tué en voulant
+charger à la tête de cette brigade, pour rétablir les affaires.
+Efforts impuissans! cette troupe a été dispersée et son général
+frappé au milieu d'elle. Le général Baird avait déjà été
+blessé; il traversa la Corogne pour gagner son vaisseau, et
+ne se fit panser qu'à bord. Le bruit court qu'il est mort le 19.</p>
+
+<p>Après la bataille du 16, la nuit fut terrible à la Corogne.
+Les Anglais y entrèrent consternés et pêle-mêle. L'armée
+anglaise avait débarqué plus de quatre-vingts pièces de Canon;
+elle n'en a pas rembarqué douze. Le reste a été pris ou perdu,
+et décompte fait, nous nous trouvons en possession de soixante
+pièces de canon anglaises.</p>
+
+<p>Indépendamment du trésor de deux millions que l'armée
+a pris aux Anglais, il paraît qu'un trésor plus considérable a
+été jeté dans les précipices qui bordent la route d'Astorga à
+la Corogne. Les paysans et les soldats ont ramassé parmi les
+rochers une grande quantité d'argent.</p>
+
+<p>Dans les engagemens qui ont eu lieu pendant la retraite,
+et avant le combat de la Corogne, deux généraux anglais
+avaient été tués, et trois avaient été blessés. On nomme parmi
+ces derniers le général Crawford. Les Anglais ont perdu tout
+ce qui constitue une armée: généraux, artillerie, chevaux,
+bagages, munitions, magasins.</p>
+
+<p>Dès le 17, à la pointe du jour, nous étions maîtres des
+hauteurs qui dominent la rade de la Corogne, et nos batteries
+jouaient contre le convoi anglais. Il en est résulté que
+plusieurs bàtimens n'ont pu sortir, et ont été pris lors de la
+capitulation de la Corogne. On a trouvé aussi cinq cents chevaux
+anglais encore vivans, seize mille fusils, et beaucoup
+d'artillerie de siège abandonnée par l'ennemi. Un grand nombre
+de magasins sont pleins de munitions confectionnées que
+les Anglais voulaient emmener, mais qu'ils ont été forcés de
+laisser. Un magasin à poudre situé dans la presqu'île, contenant
+deux cents milliers de poudre, nous est également resté.
+Les Anglais surpris par l'événement du combat du 16, n'ont
+pas même eu le temps de détruire leurs magasins. Il y nvait
+trois cents malades anglais dans les hôpitaux. Nous avons
+trouvé dans le port sept bâtimens anglais; trois étaient chargés
+de chevaux et quatre de troupes, lis n'avaient pu appareiller.</p>
+
+<p>La place de la Corogne a une enceinte qui la met à l'abri d'un
+coup de main. Il n'a donc été possible d'y entrer que le 20
+par une capitulation. On a trouvé à la Corogne plus de deux
+cents pièces de canon espagnoles. Le consul français Fourcroy,
+le général Quesnel et son état-major; M. Bougars, officier
+d'ordonnance, M. Taboureau, auditeur, et trois cent cinquante
+Français, soldats ou marins qui avaient été pris ou
+en Portugal ou sur le bâtiment l'<i>Atlas</i>, ont été délivrés. Ils
+se louent beaucoup des officiers de la marine espagnole.</p>
+
+<p>Les Anglais n'auront rapporté de leur expédition que la
+haine des Espagnols, la honte et le déshonneur. L'élite de
+leur armée, composée d'Écossais, a été blessée, tuée ou prise.</p>
+
+<p>Le général Franceschi est entré à Santyago de Compostelle,
+où il a trouvé quelques magasins et une garde anglaise qu'il
+a fait prisonnière. Il a sur-le-champ marché sur Vigo. La Romana
+paraissait se diriger sur ce port avec deux mille cinq
+cents hommes, les seuls qu'il ait pu rallier. La division Mermet
+marchait sur le Ferrol.</p>
+
+<p>L'air était infecté à la Corogne par douze cents cadavres de
+chevaux que les Anglais avaient égorgés dans les rues. Le
+premier soin du duc de Dalmatie a été de pourvoir au rétablissement
+de la salubrité si importante pour le soldat et pour
+les habitans.</p>
+
+<p>Le général Alzedo, gouverneur de la Corogne, paraît n'avoir
+pris parti pour les insurgés, que contraint par la force. Il
+a prêté avec enthousiasme le serment de fidélité au roi Joseph
+Napoléon. Le peuple manifeste la joie qu'il éprouve d'être
+délivré des Anglais.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="milieu"><i>Trente-deuxième bulletin de l'armée d'Espagne.</i></p>
+
+<p>Le duc de Dalmatie arrivé devant le Ferrol, fit investir la
+place. Des négociations furent entamées. Les autorités civiles
+et les officiers de terre et de mer paraissaient disposés à se
+rendre; mais le peuple, fomenté par les espions qu'avaient
+laissés les Anglais, se souleva.</p>
+
+<p>Le 24, le duc de Dalmatie reçut deux parlementaires. L'un
+avait été envoyé par l'amiral Melgarejo, commandant l'escadre
+espagnole; l'autre, qui passa par les montagnes, avait
+été envoyé par les commandans des troupes de terre. Ces deux
+parlementaires étaient partis à l'insu du peuple. Ils firent connaître
+que toutes les autorités étaient sous le joug d'une populace
+effrénée, soudoyée et soulevée par les agens de l'Angleterre,
+et que huit mille hommes de la ville et des environs
+étaient armés.</p>
+
+<p>Le duc de Dalmatie dut se résoudre à faire ouvrir la tranchée;
+mais du 24 au 25, différens mouvemens se manifestèrent
+dans la ville. Le dix-septième régiment d'infanterie légère
+s'étant porté à Mugardos, le trente-unième d'infanterie
+légère étant aux forts de la Palma et de Saint-Martin et à
+Lugrana, et bloquant le fort Saint-Philippe, le peuple commença
+à craindre les suites d'un assaut et à écouter les hommes
+sensés. Dans la journée du 26, trois parlementaires munis
+de pouvoirs et porteurs d'une lettre arrivèrent au quartier-général
+et signèrent la reddition de la place.</p>
+
+<p>Le 27, à sept heures du matin, la ville a été occupée par
+la division Mermet et par une brigade de dragons.</p>
+
+<p>Le même jour à midi, la garnison a été désarmée: le désarmement
+a déjà produit cinq mille fusils. Les personnes
+étrangères au Ferrol ont été renvoyées dans leurs villages.
+Les hommes connus pour s'être souillés de sang pendant l'insurrection,
+ont été arrêtés.</p>
+
+<p>L'amiral Obregon, que le peuple avait arrêté pendant l'insurrection,
+a été mis à la tête de l'arsenal.</p>
+
+<p>On a trouvé dans le port, trois vaisseaux de cent douze
+canons; deux de quatre-vingts; un de soixante-quatorze;
+deux de soixante-quatre; trois frégates et un certain nombre
+de corvettes, de bricks et autres bâtimens désarmés; plus de
+quinze cents pièces de canon de tous calibres, et des munitions
+de toute espèce.</p>
+
+<p>Il est probable que sans la retraite précipitée des Anglais,
+et sans l'événement du 16, ils auraient occupé le Ferrol, et
+se seraient emparés de cette belle escadre. Les officiers de
+terre et de mer ont prêté serment au roi Joseph avec le plus
+grand enthousiasme. Ce qu'ils racontent de ce qu'ils ont eu
+à souffrir de la dernière classe du peuple et des boute-feux
+de l'Angleterre est difficile à concevoir.</p>
+
+<p>L'ordre règne dans la Galice, et l'autorité du roi est rétablie
+dans cette province, l'une des plus considérables de la
+monarchie espagnole.</p>
+
+<p>Le général Laborde a trouvé à la Corogne, sur le bord de
+la mer, sept pièces de canon que les Anglais avaient enterrées
+dans la journée du 16, ne pouvant les emmener. La Romana,
+abandonné par les Anglais et par ses troupes, s'est enfui avec
+cinq cents hommes du côté du Portugal, pour se jeter en
+Andalousie.</p>
+
+<p>Il ne restait à Lisbonne que quatre à cinq mille Anglais.
+Tous les hôpitaux, tous les magasins étaient embarqués, et
+la garnison se disposait à abandonner ce peuple, aussi indigné
+de la perfidie des Anglais que révolté par la différence
+de moeurs et de religion, par la brutale et continuelle intempérance
+des troupes anglaises, par cet entêtement et par cet
+orgueil si mal fondés qui rendent cette nation odieuse à tous
+les peuples du continent.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="milieu"><i>Trente-troisième bulletin de l'armée d'Espagne.</i></p>
+
+<p>Le duc de Dalmatie est arrivé le 10 février à Tuy. Toute
+la province est soumise.</p>
+
+<p>Il réunissait tous les moyens pour passer le lendemain le
+Minho, qui est extrêmement large dans cet endroit. It a dû
+arriver du 15 au 20 à Oporto, et du 20 au 28 à Lisbonne.</p>
+
+<p>Les Anglais s'embarquaient à Lisbonne pour abandonner
+le Portugal; l'indignation des Portugais était au comble, et
+il y avait journellement des engagemens notables et sanglans
+entre les Portugais et les Anglais.</p>
+
+<p>En Galice, le duc d'Elchingen achevait l'organisation de
+la province. L'amiral Messaredra était arrivé au Ferrol, et
+l'activité commençait à renaître dans cet arsenal important. La
+tranquillité est rétablie dans toutes les provinces sous les ordres
+du duc d'Istrie, et situées entre les Pyrénées, la mer, le
+Portugal, et la chaîne de montagnes qui couvrent Madrid.
+La sécurité succède aux jours d'alarmes et de désordres.</p>
+
+<p>De nombreuses députations se rendent de toutes parts auprès
+du roi à Madrid. La réorganisation et l'esprit public
+font des progrès rapides sous la nouvelle administration.</p>
+
+<p>Le duc de Bellune marche sur Badajoz; il désarme et pacifie
+toute la basse Estramadure.</p>
+
+<p>Sarragosse s'est rendue. Les calamités qui ont pesé sur cette
+ville infortunée, sont un effrayant exemple pour les peuples.
+L'ordre rétabli dans Sarragosse, s'étend à tout l'Aragon, et
+les deux corps d'armée qui se trouvaient autour de cette ville,
+deviennent disponibles.</p>
+
+<p>Sarragosse a été le véritable siège de l'insurrection de l'Espagne.
+C'est dans cette ville qu'existait le parti qui voulait appeler
+un prince de la maison d'Autriche à régner sur le Tage.
+Les hommes de ce parti avaient hérité de cette opinion qui fut
+celle de leurs ancêtres à l'époque de le guerre de la succession,
+et qui vient d'être étouffée sans retour.</p>
+
+<p>La bataille de Tudela avait été gagnée le 23 novembre,
+et dès le 27, l'armée française campait à peu de distance de
+Sarragosse.</p>
+
+<p>La population de cette ville était armée. Celle des campagnes
+de l'Aragon s'y était jointe, et Sarragosse contenait
+cinquante mille hommes, formés par régimens de mille hommes,
+et par compagnies de cent hommes. Tous les grades de
+généraux, d'officiers et de sous-officiers, étaient remplis par
+des moines. Un corps de troupes de dix mille hommes échappés
+de la bataille de Tudela, s'était renfermé dans la ville,
+dont les subsistances étaient assurées par d'immenses, magasins,
+et qui était défendue par deux cents pièces de canon.
+L'image de notre dame del Pilar, faisait, au gré des moines,
+des miracles qui animaient l'ardeur de cette nombreuse population,
+ou qui soutenaient sa confiance. En plaine ces cinquante
+mille hommes n'auraient pas tenu contre trois régimens;
+mais enfermés dans leur ville, excités par tous les chefs
+de partis, pouvaient-ils échapper aux maux que l'ignorance
+et le fanatisme attiraient sur tant d'infortunés?</p>
+
+<p>Tout ce qu'il était possible de faire pour les éclairer, les
+ramener à la raison, a été entrepris. Immédiatement après la
+bataille de Tudela, on jugea que l'opinion où on était à Sarragosse,
+que Madrid ferait de la résistance, que les armées
+de Somo-Sierra, du Guadarama, de l'Estramadure, de Léon
+et de la Catalogne, obtiendraient quelques succès, servirait
+de prétexte aux chefs des insurgés pour entretenir le fanatisme
+des habitans. On résolut de ne pas investir la ville, et de la
+laisser communiquer avec toute l'Espagne, afin qu'elle apprît
+la déroute des armées espagnoles, et qu'elle connût les détails
+de l'entrée de l'armée française à Madrid. Mais ces nouvelles ne
+parvinrent qu'aux meneurs, et demeurèrent inconnues à la
+masse de la population. Non-seulement on lui cachait la vérité,
+mais on l'encourageait par des mensonges. Tantôt les
+Français avaient perdu quarante mille hommes à Madrid,
+la Romana était entré en France; enfin l'armée anglaise arrivait
+en grande hâte, et les aigles françaises devaient fuir à
+l'aspect du terrible léopard.</p>
+
+<p>Ce temps sacrifié à des vues politiques et à l'espoir de voir
+se calmer des têtes exaltées par le fanatisme et par l'erreur,
+n'était pas perdu pour l'armée française. Le général du génie
+Lacoste, aide-de-camp de l'empereur et officier du plus grand
+mérite, réunissait à Alagon, les outils, les équipages de mines
+et les matériaux nécessaires à la guerre souterraine que
+S. M. avait ordonnée.</p>
+
+<p>Le général de division Dedon, commandant l'artillerie,
+rassemblait une grande quantité de mortiers, de bombes,
+d'obus et des bouches à feu de tous calibre. On tirait tous
+ces objets de Pampelune, éloignée de sept marches de Sarragosse.</p>
+
+<p>Cependant on remarqua que l'ennemi mettait le temps à
+profit pour fortifier le Monte-Torrero et d'autres positions
+importantes. Le 21 décembre, la division Suchet le chassa
+des hauteurs de Saint-Lambert, et de deux ouvrages de campagne
+qui étaient à portée de la place. La division du général
+Gazan culbuta l'ennemi des hauteurs de Saint-Grégorio, et
+fit enlever par le vingt-unième d'infanterie légère et le centième
+de ligne, les redoutes adossées aux faubourgs, qui défendaient
+les routes de Suéva et de Barcelonne. I1 s'empara
+également d'une grande manufacture située près de Galliego,
+où s'étaient retranchés cinq cents Suisses. Le même jour, le
+duc de Conegliano s'empara des ouvrages et de la position du
+Monte-Torrero, enleva tous les canons, fit beaucoup de prisonniers
+et un grand mal à l'ennemi.</p>
+
+<p>Le duc de Conegliano étant tombé malade, le duc d'Abrantès
+vint dans le commencement de janvier, prendre le commandement
+du troisième corps.</p>
+
+<p>Il signala son arrivée par la prise du couvent de Saint-Joseph,
+et poursuivit ses succès le 16 janvier, en enlevant la
+tête du pont de la Huerba, où ses troupes se logèrent. Le
+chef de bataillon Athal, du quatorzième de ligne, se distingua
+à l'attaque du couvent Saint-Joseph, et le lieutenant Victor
+de Buffon, monta des premiers à l'assaut.</p>
+
+<p>L'investissement de Sarragosse n'était cependant pas encore
+terminé. On persistait toujours dans les mêmes ménagemens,
+et on laissait à dessein les communications libres, afin que les
+insurgés pussent apprendre la déroute des Anglais et leur
+honteuse fuite au-delà des Espagnes. Ce fut le 16 janvier,
+que les Anglais furent jetés dans la mer à la Corogne, et ce
+fut le 26, que les opérations commencèrent à devenir sérieuses
+devant Sarragosse.</p>
+
+<p>Le duc de Montebello y arriva le 20 pour prendre le commandement
+supérieur du siège. Lorsqu'il eut acquis la certitude
+que toutes les nouvelles que l'on faisait parvenir dans la
+ville, ne produisaient aucun effet, et que quelques moines,
+qui s'étaient emparés des esprits, réussissaient, ou à empêcher
+qu'elles vinssent à la connaissance du peuple, ou à les
+travestir de manière à perpétuer le délire des assiégés, il prit
+le parti de renoncer à tous les ménagements.</p>
+
+<p>Quinze mille paysans s'étaient réunis sur la gauche de l'Ebre
+à Perdiguera. Le duc de Trévise les attaqua avec trois régimens,
+et malgré la belle position qu'ils occupaient, le soixante-quatrième
+régiment les culbuta et les mit en déroute. Le dixième
+de hussards se trouva dans la plaine pour les recevoir, et un
+grand nombre resta sar le champ de bataille. Neuf pièces de
+canon et plusieurs drapeaux furent les trophées de cette
+rencontre.</p>
+
+<p>En même temps, le duc de Montebello avait envoyé l'adjudant-commandant
+Gasquet sur Zuer, pour y dissiper un
+rassemblement. Cet officier, avec trois bataillons, attaqua
+quatre mille insurgés, les culbuta et leur prit quatre pièces
+de canon avec leurs caissons attelés.</p>
+
+<p>Le général Vattier avait en même temps été détaché avec
+trois cents hommes d'infanterie et deux cents chevaux sur la
+route de Valence. Il rencontra cinq mille insurgés à Alcanitz,
+les força dans la ville même à jeter leurs fusils dans leur fuite;
+leur tua six cents hommes, et prit des magasins de subsistances,
+de munitions et d'armes; parmi ces derniers se
+trouvèrent mille fusils anglais. L'adjudant-commandant Carrion
+de Nizas, à la tête d'une colon de d'infanterie, s'est conduit
+d'une manière brillante; le colonel Burthe, du quatrième
+de hussards, et le chef de bataillon Camus, du vingt-huitième
+d'infanterie légère, se sont distingués.</p>
+
+<p>Ces opérations se faisaient entre le 20 et le 26 janvier.</p>
+
+<p>Le 26, on commença à attaquer sérieusement la ville, et
+l'on démasqua les batteries. Le 27 à midi, la brèche se trouva
+praticable sur plusieurs points de l'enceinte. Les troupes se
+logèrent dans le couvent de San-Ingracia. La division Grandjean occupa
+une trentaine de maisons dans la ville. Le colonel
+Chlopiscki et les soldats de la Vistule, se distinguèrent. Dans
+le même moment, le général de division Merlot, dans une
+attaque sur la gauche, s'empara de tout le front de défense
+de l'ennemi.</p>
+
+<p>Le capitaine Guetteman, à la tête des travailleurs et de
+trente-six grenadiers du quarante-quatrième, est monté à la
+brèche avec une hardiesse rare. M. Bobieski, officier des voltigeurs
+de la Vistule, jeune homme âgé de dix-sept ans, et
+déjà couvert de sept blessures, s'est présenté le premier à la
+brèche. Le chef de bataillon Lejeune, aide-de-camp du prince
+de Neufchâtel, s'est conduit avec distinction, et a reçu deux
+blessures légères. Le chef de bataillon Haxo a aussi été légèrement
+blessé et s'est également distingué.</p>
+
+<p>Le 30, les couvens de Sainte-Monique et des Grands-Augustins
+furent enlevés. Soixante maisons furent prises à
+la sape. Les sapeurs du quatorzième régiment de ligue se
+distinguèrent.</p>
+
+<p>Le premier février, le général Lacoste fut atteint d'une
+balle, et mourut sur le champ d'honneur. C'était un officier
+aussi brave qu'instruit. Sa perte a été sensible à toute l'armée,
+et plus particulièrement encore à l'empereur. Le colonel Rogniat
+lui succéda dans le commandement de l'arme du génie
+et dans la direction du siège.</p>
+
+<p>L'ennemi défendait chaque maison. Trois attaques de mines
+étaient conduites de front, et tous les jours trois ou quatre
+mines faisaient sauter plusieurs maisons, et permettaient aux
+troupes de se loger dans plusieurs autres.</p>
+
+<p>C'est ainsi qu'on arriva jusqu'au Corso (grande rue de Sarragosse),
+qu'on se logea sur les quais, et que l'on s'empara de
+la maison des écoles et de celle de l'université. L'ennemi
+tentait d'opposer mineurs à mineurs; mais peu habiles dans
+ce genre d'opérations, ses mineurs étaient sur-le-champ découverts
+et étouffés.</p>
+
+<p>Cette manière de conduire le siège rendait sa marche
+lente, mais certaine et moins coûteuse pour l'armée. Pendant
+que trois compagnies de mineurs, et huit compagnies de sapeurs
+sont seules occupées à cette guerre souterraine, dont
+les résultats sont si terribles, le feu est presque constamment
+entretenu dans la ville par les mortiers qui lancent, des bombes
+remplies de cloches à feu.</p>
+
+<p>Il n'y avait que dix jours que l'attaque avait commencé, et
+déjà on présageait la prochaine reddition de la ville. On s'était
+emparé de plus du tiers des maisons et on s'y était logé.
+L'église où se trouvait l'image de Notre-Dame del Pifar, qui
+par tant de miracles avait promis de la défendre, était écrasée
+par les bombes, et n'était plus habitable.</p>
+
+<p>Le duc de Montebello jugea alors nécessaire de s'emparer
+du faubourg de la rive gauche, pour occuper tout le diamètre
+de la ville, et croiser son feu. Le général de division Gazan
+enleva la caserne des Suisses, par une attaque prompte et
+brillante. Le 17, une batterie de cinquante pièces de canon
+qu'on avait établie, joua dès le matin. A trois heures après
+midi, un bataillon du vingt-huitième attaqua un énorme couvent
+dont les murs en briques avaient trois à quatre pieds
+d'épaisseur, et s'en empara. Sept mille ennemis défendaient le
+faubourg. Le général Gazan se porta rapidement sur le pont
+par où les insurgés avaient leur retraite dans la ville. Il en tua
+un grand nombre, et fit quatre mille prisonniers, au nombre
+desquels se trouvaient deux généraux, douze colonels, dix-neuf
+lieutenans-colonels et deux cent trente officiers. Il prit
+six drapeaux et trente pièces de canon. Presque toutes les
+troupes de ligne de la place occupaient ce point important
+qui était menacé depuis le 10.</p>
+
+<p>Au même instant, le duc d'Abrantès traversait le Corso
+par plusieurs canonnières, et faisait sauter, au moyen de deux
+fourneaux de mine, le vaste bâtiment des écoles.</p>
+
+<p>Après ces événemens la terreur se mit dans la ville. La
+junte, pour obtenir quelques délais, et donner le temps à la
+frayeur des habitans de se dissiper, demanda à parlementer;
+mais sa mauvaise foi était connue et cette ruse lui fut inutile.
+Trente autres maisons furent enlevées à la sape ou par des mines.</p>
+
+<p>Enfin le 21, toute la ville fut occupée par nos troupes.
+Quinze mille hommes d'infanterie et deux mille de cavalerie
+ont posé les armes a la porte de Portillo, et ont remis quarante
+drapeaux et cent cinquante pièces de canon. Les insurgés
+ont perdu vingt mille hommes pendant le siège. On en a
+trouvé treize mille dans les hôpitaux. Il en mourait cinq cents
+par jour.</p>
+
+<p>Le duc de Montebello n'a pas voulu accorder de capitulation
+à la ville de Sarragosse; il a seulement fait connaître les
+dispositions suivantes:</p>
+
+<p>La garnison posera les armes le 21, à midi, à là porte de
+Portillo; après quoi elle sera prisonnière de guerre. Les hommes
+des troupes de ligne qui voudraient prêter serment au
+roi Joseph et entrer à son service, pourront y être admis.
+Dans le cas où leur admission ne serait pas accordée par le
+ministre de la guerre du roi d'Espagne, ils seront prisonniers
+de guerre et conduits en France. La religion sera respectée.
+Les troupes françaises occuperont, le 21 à midi, le château.
+Toute l'artillerie et toutes les munitions de toute espèce,
+leur seront remises. Toutes les armes seront déposées aux
+portes de chaque maison, et recueillies par les alcades de
+chaque quartier.</p>
+
+<p>Les magasins en blé, riz et légumes qu'on a trouvés dans
+la place, sont très-considérables.</p>
+
+<p>Le duc de Montebello a nommé le général Laval, gouverneur
+de Sarragosse.</p>
+
+<p>Une députation du clergé et des principaux habitans est
+partie pour se rendre à Madrid.</p>
+
+<p>Palafox est dangereusement malade. Cet homme était l'objet
+du mépris de toute l'armée ennemie, qui l'accusait de
+présomption et de lâcheté.</p>
+
+<p>On ne l'a jamais vu dans les postes où il y avait quelques
+dangers.</p>
+
+<p>Le comte de Fuentes, grand d'Espagne, que les insurgés
+avaient arrêté dans ses terres, il y a sept mois, a été trouvé
+dans un cachot de huit pieds carrés, et délivré. On ne peut
+se faire une idée des maux qu'il a soufferts.</p>
+<br><br><br>
+
+
+
+<h3>GUERRE D'AUTRICHE</h3>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Donswerth, 17 avril 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Proclamation à l'armée.</i></p>
+
+<p>Soldats!</p>
+
+<p>Le territoire de la confédération a été violé. Le général autrichien
+veut que nous fuyions à l'aspect de ses armes, et que
+nous lui abandonnions nos alliés; j'arrive avec la rapidité de
+l'éclair.</p>
+
+<p>Soldats, j'étais entouré de vous lorsque le souverain d'Autriche
+vint à mon bivouac de Moravie; vous l'avez entendu
+implorer ma clémence et me jurer une amitié éternelle. Vainqueurs
+dans trois guerres, l'Autriche a dû tout à notre générosité;
+trois fois elle a été parjure!!! Nos succès passés sont
+un sûr garant de la victoire qui nous attend.</p>
+
+<p>Marchons donc, et qu'à votre aspect l'ennemi reconnaisse
+son vainqueur.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Ratisbonne, 24 avril 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Premier bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>L'armée autrichienne a passé l'Inn le 9 avril; par là les hostilités
+ont commencé, et l'Autriche a déclaré une guerre implacable
+à la France, à ses alliés et à la confédération du
+Rhin.</p>
+
+<p>Voici quelle était la position des corps français et alliés.</p>
+
+<p>Le corps du duc d'Auerstaedt à Ratisbonne.</p>
+
+<p>Le corps du duc de Rivoli à Ulm.</p>
+
+<p>Le corps du général Oudinot à Augsbourg.</p>
+
+<p>Le quartier-général à Strasbourg.</p>
+
+<p>Les trois divisions bavaroises, sous les ordres du duc de
+Dantzick: placées, la première, commandée parle prince
+royal, à Munich; la deuxième, commandée par le général
+Deroi, à Landshut; et la troisième, commandée par le général
+de Wrede, a Straubing.</p>
+
+<p>La division wurtembergeoise à Heidenheim.</p>
+
+<p>Les troupes saxonnes campées sous les murs de Dresde.</p>
+
+<p>Le corps du duché de Varsovie, commandé par le prince
+Poniatowski, sous Varsovie.</p>
+
+<p>Le 10, les troupes autrichiennes investirent Passau, où
+s'enferma un bataillon bavarois; elles investirent en même
+temps Kufftein, où s'enferma également un bataillon bavarois.
+Ce mouvement eut lieu sans tirer un coup de fusil.</p>
+
+<p>Les Autrichiens publièrent dans le Tyrol la proclamation
+ci-jointe. La cour de Bavière quitta Munich pour se rendre à
+Dillingen.</p>
+
+<p>La division bavaroise qui était à Landshut se porta à Altorff,
+sur la rive gauche de l'Iser.</p>
+
+<p>La division commandée par le général de Wrede se porta
+sur Neustadt.</p>
+
+<p>Le duc de Rivoli partit d'Ulm et se porta sur Augsbourg.</p>
+
+<p>Du 10 au 16, l'armée ennemie s'avança de l'Inn sur l'Iser.
+Des partis de cavalerie se rencontrèrent, et il y eut plusieurs
+charges, dans lesquelles les Bavarois eurent l'avantage. Le 16,
+à Pfaffenhoffen, les deuxième et troisième régimens de chevau-légers
+bavarois culbutèrent les hussards Stipschitz et les
+dragons de Rosemberg.</p>
+
+<p>Au même moment, l'ennemi se présenta en force pour déboucher
+par Landshut. Le pont était rompu, et la division
+bavaroise, commandée par le général Deroy, opposait une
+vive résistance à ce mouvement; mais menacée par des colonnes
+qui avaient passé l'Iser à Moorburg et à Freysing, cette
+division se retira en bon ordre sur celle du général de Wrede,
+et l'armée bavaroise se centralisa sur Neustadt.</p>
+
+<p><i>Départ de l'empereur de Paris, le 13.</i></p>
+
+<p>L'empereur apprit par le télégraphe, dans la soirée du 12,
+le passage de l'Inn par l'armée autrichienne, et partit de Paris
+un instant après. Il arriva le 16, à trois heures du matin, à
+Louisbourg, et dans la soirée du même jour à Dillingen, où
+il vit le roi de Bavière; passa une demi-heure avec ce prince
+et lui promit de le ramener en quinze jours dans sa capitale et
+de venger l'affront fait à sa maison, en le faisant plus grand
+que ne furent jamais aucun de ses ancêtres. Le 17, à sept
+heures du matin, S. M. arriva à Donswerth, où était établi
+le quartier-général, et donna sur-le-champ les ordres nécessaires.</p>
+
+<p>Le 18, le quartier-général fut transporté à Ingolstadt.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Combat de Pfaffenhoffen, le 19.</i></p>
+
+<p>Le 19, le général Oudinot, parti d'Augsbourg, arriva à la
+pointe du jour à Pfaffenhoffen, y rencontra trois à quatre
+mille Autrichiens qu'il attaqua et dispersa, et fit trois cents
+prisonniers.</p>
+
+<p>Le duc de Rivoli, avec son corps d'armée, arriva le lendemain
+à Pfaffenhoffen.</p>
+
+<p>Le même jour, le duc d'Auerstaedt quitta Ratisbonne pour
+se porter sur Neustadt et se rapprocher d'Ingolstadt. Il parut
+évident alors que le projet de l'empereur était de manoeuvrer
+sur l'ennemi qui avait débouché de Landshut, et de l'attaquer
+dans le moment même où, croyant avoir l'initiative, il
+marchait sut Ratisbonne.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Bataille de Tann, le 19.</i></p>
+
+<p>Le 19, à la pointe du jour, le duc d'Auerstaedt se mit en
+marche sur deux colonnes. Les divisions Morand et Gudin
+formaient sa droite; les divisions Saint-Hilaire et Friant formaient
+sa gauche. La division Saint-Hilaire, arrivée au village
+de Peissing, y rencontra l'ennemi plus fort en nombre, mais
+bien inférieur en bravoure; et là s'ouvrit la campagne par un
+combat glorieux pour nos armées. Le général Saint-Hilaire,
+soutenu par le général Friant, culbuta tout ce qui était devant
+lui, enleva les positions de l'ennemi, lui tua une grande
+quantité de monde et lui fit six à sept cents prisonniers.</p>
+
+<p>Le soixante-douzième se distingua dans cette journée, et
+le cinquante-septième soutint son ancienne réputation. Il y a
+seize ans ce régiment avait été surnommé en Italie <i>le terrible</i>,
+et il a bien justifié ce surnom dans cette affaire, où seul il a
+abordé et successivement défait six régimens autrichiens.</p>
+
+<p>Sur la gauche, à deux heures après-midi, le général Morand
+rencontra également une division autrichienne qu'il attaqua
+en tête, tandis que le duc de Dantzick, avec un corps
+bavarois, parti d'Abensberg, vint la prendre en queue. Cette
+division fut bientôt débusquée de toutes ses positions, et
+laissa quelques centaines de morts et de prisonniers. Le régiment
+entier des dragons de Levenher fut détruit par les chevau-légers
+bavarois, et son colonel fut tué.</p>
+
+<p>A la chute du jour, le corps du duc de Dantzick fit sa
+jonction avec celui du duc d'Auerstaedt.</p>
+
+<p>Dans toutes ces affaires les généraux Saint-Hilaire et Friant
+se sont particulièrement distingués.</p>
+
+<p>Ces malheureuses troupes autrichiennes qu'on avait amenées
+de Vienne au bruit des chansons et des fifres, en leur
+faisant croire qu'il n'y avait plus d'armée française en Allemagne,
+et qu'elles n'auraient affaire qu'aux Bavarois et aux
+Wurtembergeois, montrèrent tout le ressentiment qu'elles
+concevaient contre leurs chefs, des erreurs où ils les avaient
+entretenues, et leur terreur ne fut que plus grande à la vue de
+ces vieilles bandes qu'elles étaient accoutumées à considérer
+comme leurs maîtres.</p>
+
+<p>Dans tous ces combats, notre perte fut peu considérable en
+comparaison de celle de l'ennemi, qui surtout perdit beaucoup
+d'officiers et de généraux, obligés de se mettre en avant pour
+donner de l'élan à leurs troupes. Le prince de Liechtenstein,
+le général de Lusignan et plusieurs autres furent blessés. La
+perte des Autrichiens en colonels et officiers de moindre
+grade, est extrêmement considérable.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Bataille d'Abensberg, le 20.</i></p>
+
+<p>L'empereur résolut de battre et de détruire le corps de
+l'archiduc Louis et celui du général Hiller, forts ensemble de
+soixante mille hommes. Le 20, Sa Majesté se porta à Abensberg;
+il donna ordre au duc d'Auerstaedt de tenir en respect
+les corps de Hohenzollern, Rosemberg et de Liechtenstein,
+pendant qu'avec les deux divisions Morand et Gudin, les Bavarois
+et les Wurtembergeois, il attaquait de front l'armée
+de l'archiduc Louis et du général Hiller, et qu'il faisait couper
+les communications de l'ennemi par le duc de Rivoli, en
+le faisant passer à Freysing, et de là sur les derrières de l'armée
+autrichienne.</p>
+
+<p>Les divisions Morand et Gudin formèrent la gauche et
+manoeuvrèrent sous les ordres du duc de Montebello. L'empereur
+se décida à combattre ce jour-là à la tête des Bavarois
+et des Wurtembergeois. Il fit réunir en cercle les officiers de
+ces deux armées et leur parla long-temps. Le prince royal de
+Bavière traduisait en allemand ce qu'il disait en français.
+L'empereur leur fit sentir la marque de confiance qu'il leur
+donnait. Il dit aux officiers bavarois que les Autrichiens
+avaient toujours été leurs ennemis; que c'était à leur indépendance
+qu'ils en voulaient; que depuis plus de deux cents ans
+les drapeaux bavarois étaient déployés contre la maison d'Autriche;
+mais que cette fois il les rendrait si puissans, qu'ils
+suffiraient seuls désormais pour lui résister.</p>
+
+<p>Il parla aux Wurtembergeois des victoires qu'ils avaient
+remportées sur la maison d'Autriche, lorsqu'ils servaient dans
+l'armée prussienne, et des derniers avantages qu'ils avaient
+obtenus dans la campagne de Silésie. Il leur dit à tous que le
+moment de vaincre était venu pour porter la guerre sur le
+territoire autrichien. Ces discours, qui furent répétés aux
+compagnies par les capitaines, et les différentes dispositions
+que fit l'empereur, produisirent l'effet qu'on pouvait en attendre.</p>
+
+<p>L'empereur donna alors le signal du combat et mesura les
+manoeuvres sur le caractère particulier de ces troupes. Le général
+de Wrede, officier bavarois d'un grand mérite, placé
+au devant du pont de Siegenburg, attaqua une division autrichienne
+qui lui était opposée. Le général Vandamme, qui
+commandait les Wurtembergeois, la déborda sur son flanc
+droit. Le duc de Dantzick, avec la division du prince royal
+et celle du général Deroy, marcha sur le village de Rennhause
+pour arriver sur la grande route d'Abensberg à Landshut.
+Le duc de Montebello, avec ses deux divisions françaises,
+força l'extrême gauche, culbuta tout ce qui était devant
+lui, et se porta sur Rohr et Rothemburg. Sur tous les
+points, la canonnade était engagée avec succès. L'ennemi, déconcerté
+par ces dispositions, ne combattit qu'une heure et
+battit en retraite. Huit drapeaux, douze pièces de canon,
+dix-huit mille prisonniers furent le résultat de cette affaire,
+qui ne nous a coûté-que peu de monde.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Bataille d'Eckmülh, le 22.</i></p>
+
+<p>Tandis que la bataille d'Abensberg et le combat de Landshut
+avaient des résultats si importans, le prince Charles se
+réunissait avec le corps de Bohême, commandé par le général
+Kollowrath, et obtenait à Ratisbonne un faible succès.</p>
+
+<p>Mille hommes du soixante-cinquième, qui avaient été laissés
+pour garder le pont de Ratisbonne, ne reçurent point l'ordre
+de se retirer. Cernés par l'armée autrichienne, ces braves
+ayant épuisé leurs cartouches, furent obligés de se rendre.
+Cet événement fut sensible à l'empereur; il jura que dans les
+vingt-quatre heures le sang autrichien coulerait dans Ratisbonne,
+pour venger cet affront fait à ses armes.</p>
+
+<p>Dans le même temps, les ducs d'Auerstaedt et de Dantzick
+tenaient en échec les corps de Rosemberg, de Hohenzollern
+et de Liechtenstein. Il n'y avait pas de temps à perdre.
+Le 22 au matin, l'empereur se mit en marche de Landshut
+avec les deux divisions du duc de Montebello, le corps du
+duc de Rivoli, les divisions de cuirassiers Nansouty et Saint-Sulpice
+et la division wurtembergeoise. A deux heures après-midi,
+il arriva vis-à-vis Eckmülh, où les quatre corps de l'armée
+autrichienne, formant cent dix mille hommes, étaient
+en position sous le commandement de l'archiduc Charles. Le
+duc de Montebello déborda l'ennemi par la gauche avec la
+division Gudin. Au premier signal, les ducs d'Auerstaedt et
+de Dantzick, et la division de cavalerie légère du général
+Montbrun, débouchèrent. On vit alors un des plus beaux
+spectacles qu'aient offerts la guerre. Cent dix mille ennemis
+attaqués sur tous les points, tournés par leur gauche, et successivement
+dépostés de toutes leurs positions. Le détail des
+événemens militaires serait trop long; il suffit de dire que,
+mis en pleine déroute, l'ennemi a perdu la plus grande partie
+de ses canons et un grand nombre de prisonniers; que le
+dixième d'infanterie légère, de la division Saint-Hilaire, se
+couvrit de gloire en débouchant sur l'ennemi, et que les Autrichiens,
+débusqués du bois qui couvre Ratisbonne, furent
+jetés dans la plaine et coupés par la cavalerie. Le sénateur
+général de division Demont eut un cheval tué sous lui. La
+cavalerie autrichienne, forte et nombreuse, se présenta pour
+protéger la retraite de son infanterie; la division Saint-Sulpice
+sur la droite, la division Nansouty sur la gauche, l'abordèrent;
+la ligne de hussards et de cuirassiers ennemis fut
+mise en déroute. Plus de trois cents cuirassiers autrichiens
+furent faits prisonniers. La nuit commençait; nos cuirassiers
+continuèrent leur marche sur Ratisbonne. La division Nansouty
+rencontra une colonne ennemie qui se sauvait, la chargea
+et la fit prisonnière; elle était composée de trois bataillons
+hongrois de quinze cents hommes.</p>
+
+<p>La division Saint-Sulpice chargea un autre carré dans lequel
+faillit être pris le prince Charles, qui ne dut son salut
+qu'à la vitesse de son cheval. Cette colonne fut également enfoncée
+et prise. L'obscurité obligea enfin à s'arrêter. Dans
+cette bataille d'Eckmülh, il n'y eut que la moitié à peu près
+des troupes françaises engagée. Poussée l'épée dans les reins,
+l'armée ennemie continua de défiler toute la nuit par morceaux
+et dans la plus épouvantable déroute. Tous ses blessés,
+la plus grande partie de son artillerie, quinze drapeaux
+et vingt mille prisonniers sont tombés eu notre pouvoir. Les
+cuirassiers se sont, comme à l'ordinaire, couverts de gloire.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Combat et prise de Ratisbonne, le 23.</i></p>
+
+<p>Le 20, à la pointe du jour, on s'avança sur Ratisbonne;
+l'avant-garde formée par la division Gudin et par les cuirassiers
+des divisions Nansouty et Saint-Sulpice; on ne tarda
+pas à apercevoir la cavalerie ennemie gui prétendait couvrir
+la ville. Trois charges successives s'engagèrent: toutes furent
+à notre avantage. Sabrés et mis en pièces, huit mille hommes
+de cavalerie ennemie repassèrent précipitamment le Danube.
+Sur ces entrefaites, nos tirailleurs tâtèrent la ville. Par
+une inconcevable disposition, le général autrichien y avait
+placé six régiments sacrifiés sans raison. La ville est enveloppée
+d'une mauvaise enceinte, d'un mauvais fossé et d'une
+mauvaise contrescarpe. L'artillerie arriva; on mit en batterie
+des pièces de 12. On reconnut une issue par laquelle, au
+moyen d'une échelle, on pouvait descendre dans le fossé, et
+remonter ensuite par une brèche faite à la muraille.</p>
+
+<p>Le duc de Montebello fit passer par cette ouverture un bataillon
+qui gagna une poterne et l'ouvrit; on s'introduisit
+alors dans la ville. Tout ce qui fit résistance fut sabré; le
+nombre des prisonniers passa huit mille. Par suite de ses
+mauvaises dispositions, l'ennemi n'eut pas le temps de couper
+le pont, et les Français passèrent avec lui sur la rive
+gauche. Cette malheureuse ville, qu'il a eu la barbarie de défendre,
+a beaucoup souffert; le feu y a été une partie de la
+nuit; mais par les soins du général Morand et de sa division,
+on parvint à le dominer et à l'éteindre.</p>
+
+<p>Ainsi, à la bataille d'Abensberg, l'empereur battit séparément
+les deux corps de l'archiduc Louis et du général Hiller.
+Au combat de Landshut, il s'empara du centre des communications
+de l'ennemi et du dépôt général de ses magasins
+et de son artillerie. Enfin, à la bataille d'Eckmülh, les
+quatre corps d'Hohenzollern, de Rosemberg, de Kollowrath
+et de Lichtenstein furent défaits et mis en déroute. Le corps
+du général Bellegarde, arrivé le lendemain de cette bataille,
+ne put qu'être témoin de la prise de Ratisbonne, et se sauva
+en Bohême.</p>
+
+<p>Cette première notice des opérations militaires qui ont
+ouvert la campagne d'une manière si brillante, sera suivie
+d'une relation plus détaillée de tous les faits d'armes qui ont
+illustré les armées française et alliées.</p>
+
+<p>Dans tous ces combats, notre perte peut se monter à douze
+cents tués et à quatre mille blessés. Le général de division
+Cervoni, chef d'état-major du général Montebello, fut frappé
+d'un boulet de canon et tomba mort sur le champ de bataille
+d'Eckmülh. C'était un officier de mérite et qui s'était distingué
+dans nos premières campagnes. Au combat de Peissing,
+le général Hervo, chef de l'état-major du duc d'Auerstaedt,
+a été également tué. Le duc d'Auerstaedt regrette vivement
+cet officier, dont il estimait la bravoure, l'intelligence et
+l'activité. Le général de brigade Clément, commandant une
+brigade de cuirassiers de la division Saint-Sulpice, a eu un
+bras emporté. C'est un officier de courage et d'un mérite
+distingué. Le général Schramm a été blessé. Le colonel du
+quatorzième de chasseurs a été tué dans une charge. En général,
+notre perte en officiers est peu considérable. Les mille
+hommes du soixante-cinquième qui ont été faits prisonniers,
+ont été pour la plupart repris. Il est impossible de montrer plus
+de bravoure et de bonne volonté qu'en ont montré les troupes.</p>
+
+<p>A la bataille d'Eckmülh, le corps du duc de Rivoli n'ayant
+pu encore joindre, ce maréchal est resté constamment auprès
+de l'empereur, il a porté des ordres et fait exécuter différentes
+manoeuvres.</p>
+
+<p>A l'assaut de Ratisbonne, le duc de Montebello, qui avait
+désigné le lieu du passage, a fait porter les échelles par ses
+aides-de-camp.</p>
+
+<p>Le prince de Neufchâtel, afin d'encourager les troupes et
+donner en même temps une preuve de confiance aux alliés, a
+marché plusieurs fois à l'avant-garde avec les régiments bavarois.</p>
+
+<p>Le duc d'Auerstaedt a donné dans ces différentes affaires
+de nouvelles preuves de l'intrépidité qui le caractérise.</p>
+
+<p>Le duc de Rovigo, avec autant de dévouement que d'intrépidité,
+a traversé plusieurs fois les légions ennemies, pour
+aller faire connaître aux différentes colonnes l'intention de
+l'empereur.</p>
+
+<p>Des deux cent vingt mille hommes qui composaient l'armée
+autrichienne, tous ont été engagés hormis les vingt mille
+hommes que commande le général Bellegarde et qui n'ont pas
+donné. De l'armée française, au contraire, près de la moitié
+n'a pas tiré un coup de fusil. L'ennemi, étonné, par des mouvemens
+rapides, et hors de ses calculs, s'est trouvé en un
+moment déchu de sa folle espérance, et transporté du délire
+de la présomption dans un abattement approchant du désespoir.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="milieu"><i>Proclamation du général Jellachich aux habitons du
+Tyrol.</i></p>
+
+<p>Tyroliens,</p>
+
+<p>Si vous êtes encore ce que vous avez été il n'y a pas longtemps;
+si vous vous rappelez le bonheur, la prospérité, la
+liberté véritable dont vous avez joui sous le sceptre bienfaisant
+de l'Autriche; si la voix du général que vous avez reconnu
+comme un des vôtres, lorsqu'on 1799 il vous a sauvés
+d'un danger imminent par la victoire de Feldkirch, qui, dans
+l'année suivante, a rendu inattaquable votre frontière depuis
+Arbberg jusqu'à la vallée de Karabendel; si tout cela n'est
+pas effacé de votre mémoire, écoutez ce que je viens vous
+dire; écoutez et soyez-en pénétrés.</p>
+
+<p>Votre seigneur légitime (je devrais dire votre père) vous
+recherche: placez-vous sous son égide! Son coeur saigne de
+vous voir sous une domination étrangère; vous, ses fidèles,
+redevenez les enfans de l'Autriche, ne méconnaissez pas ce
+titre précieux!</p>
+
+<p>Des armées autrichiennes plus nombreuses que jamais,
+plus animées et plus patriotiques, vont entrer dans votre
+pays; considérez-les comme vos frères, comme les enfans d'un
+même père; réunissez-vous à elles, suivant l'exemple de tous
+les peuples qui rendent hommage au trône autrichien. Enfin,
+comportez-vous en tout comme vous l'avez fait tout récemment
+à l'admiration de toute l'Europe.</p>
+
+<p>Tyroliens, Dieu est avec nous. Nous ne cherchons pas de
+nouvelles conquêtes, mais nous voulons ramener dans le
+sein de notre père impérial et gracieux des frères qui ont été
+détachés de lui. Rien ne nous résiste, rien ne peut nous vaincre
+dès que nous nous unissons pour notre bonheur et pour
+la conservation de notre existence. Croyez-moi, Tyroliens,
+Dieu est avec nous!</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Mulhdorf, 27 avril 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Deuxième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le 22, le lendemain du combat de Landshut, l'empereur
+partit de cette ville pour Ratisbonne et livra la bataille d'Eckmülh.
+En même temps il envoya le maréchal duc d'Istrie,
+avec la division bavaroise aux ordres du général de Wrede, et
+la division Molitor, pour se porter sur l'Inn et poursuivre les
+deux corps d'armée autrichiens battus à la bataille d'Abensberg
+et au combat de Landshut.</p>
+
+<p>Le maréchal duc d'Istrie, arrivé successivement à Wilsbiburg
+et à Neumark, y trouva un équipage de pont attelé, plus
+de quatre cents voitures, des caissons et des équipages, et fit
+dans sa marche quinze à dix-huit cents prisonniers.</p>
+
+<p>Les corps autrichiens trouvèrent au-delà de Neumark un
+corps de réserve qui arrivait sur l'Inn; ils s'y rallièrent, et
+le 25 livrèrent à Neumark un combat où les Bavarois, malgré
+leur extrême infériorité, conservèrent leurs positions.</p>
+
+<p>Le 24, l'empereur avait dirigé le corps du maréchal duc
+de Rivoli, de Ratisbonne sur Straubing, et de là sur Passau,
+où il arriva le 26. Le duc de Rivoli fit passer l'Inn au bataillon
+du Pô, qui fit trois cents prisonniers, débloqua la
+citadelle et occupa Scharding.</p>
+
+<p>Le 25, le maréchal duc de Montebello avait eu ordre de
+marcher avec son corps, de Ratisbonne sur Mulhdorf; le 27,
+il passa l'Inn et se porta sur la Salza.</p>
+
+<p>Aujourd'hui 27, l'empereur a son quartier-général à Mulhdorf.</p>
+
+<p>La division autrichienne, commandée par le général Jellachich,
+qui occupait Munich, est poursuivie par le corps du
+duc de Dantzick.</p>
+
+<p>Le roi de Bavière s'est montré de sa personne à Munich;
+il est retourné ensuite à Augsbourg, où il restera encore quelques
+jours, attendant, pour établir fixement sa résidence à
+Munich, que la Bavière soit entièrement purgée des partis
+ennemis.</p>
+
+<p>Cependant, du côté de Ratisbonne, le duc d'Auerstaedt
+s'est mis à la poursuite du prince Charles, qui, coupé de ses
+communications avec l'Inn et Vienne, n'a eu d'autre ressource
+que de se retirer dans les montagnes de Bohême par Waldmunchen
+et Cham.</p>
+
+<p>Quant à l'empereur d'Autriche, il parait qu'il était devant
+Passau, s'étant chargé d'assiéger cette place avec trois bataillons
+de landwerh.</p>
+
+<p>Toute la Bavière et le Palatinat sont délivrés de la présence
+des armées ennemies.</p>
+
+<p>A Ratisbonne, l'empereur a passé la revue de plusieurs
+corps, ci s'est fait présenter le plus brave soldat, auquel il a
+donné des distinctions et des pensions, et le plus brave officier,
+auquel il a donné des baronnies et des terres. Il a spécialement
+témoigné sa satisfaction aux divisions Saint-Hilaire et
+Friant.</p>
+
+<p>Jusqu'à cette heure, l'empereur a fait la guerre presque sans
+équipages et sans garde, et l'on a remarqué qu'en l'absence de
+sa garde, il avait toujours autour de lui des troupes alliées
+bavaroises et wurtembergeoises, voulant par là leur donner
+une preuve particulière de confiance. Hier sont arrivés à
+Landshut une partie des chasseurs et grenadiers à cheval de
+la garde, le régiment de fusiliers et un bataillon de chasseurs
+à pied.</p>
+
+<p>D'ici à huit jours, toute la garde sera arrivée.</p>
+
+<p>On a fait courir le bruit que l'empereur avait eu la jambe
+cassée; le fuit est qu'une balle morte a effleuré le talon de la
+botte de S. M., mais n'a pas même altéré la peau. Jamais
+S. M., au milieu des plus grandes fatigues, ne s'est mieux
+portée.</p>
+
+<p>On remarque comme un fuit singulier qu'un des premiers
+officiers autrichiens faits prisonniers dans cette guerre, se
+trouve être l'aide-de-camp du prince Charles, envoyé à
+M. Otto pour lui remettre la fameuse lettre portant que l'armée
+française eût à s'éloigner.</p>
+
+<p>Les habitans de Ratisbonne s'étant très-bien comportés, et
+ayant montré l'esprit patriotique et confédéré que nous étions
+en droit d'attendre d'eux, S. M. a ordonné que les dégâts qui
+avaient été faits seraient réparés à ses frais, et particulièrement
+la restauration des maisons incendiées, dont la dépense
+s'élèvera à plusieurs millions.</p>
+
+<p>Tous les souverains et tous les pays de la confédération
+montrent l'esprit le plus patriotique. Lorsque le ministre
+d'Autriche à Dresde remit la déclaration de sa cour au roi de
+Saxe, ce prince ne put retenir son indignation. «Vous voulez
+la guerre, dit le roi, et contre qui? Vous attaquez et vous
+invectivez celui qui, il y a trois ans, maître de votre sort,
+vous a restitué vos états. Les propositions que l'on me fait
+m'affligent; mes engagemens sont connus de toute l'Europe;
+aucun prince de la confédération ne s'en détachera.»</p>
+
+<p>Le grand duc de Wurtzbourg, frère de l'empereur d'Autriche,
+a montré les mêmes sentimens, et a déclaré que si les
+Autrichiens avançaient sur ses états, il se retirerait, s'il le
+fallait, au-delà du Rhin; tout l'esprit de vertige et les injures
+de la cour de Vienne sont généralement appréciés. Les régimens
+des petits princes, toutes les troupes alliées, demandent
+à l'envi à marcher à l'ennemi.</p>
+
+<p>Une chose notable, et que la postérité remarquera comme
+une nouvelle preuve de l'insigne mauvaise foi de la maison
+d'Autriche, c'est que le même jour qu'elle faisait écrire au
+roi de Bavière la lettre, elle faisait publier dans le Tyrol la
+proclamation du général Jellachich: le même jour on proposait
+au roi d'être neutre et on insurgeait ses sujets. Comment
+concilier cette contradiction, ou plutôt, comment justifier
+cette infamie?</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Ratisbonne, 24 avril 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Ordre du jour.</i></p>
+
+<p>Soldats!</p>
+
+<p>Vous avez justifié mon attente: vous avez suppléé au nombre
+par votre courage; vous avez glorieusement marqué la
+différence qui existe entre les soldats de César et les armées
+de Xerxès.</p>
+
+<p>En peu de jours nous avons triomphé dans les trois batailles
+de Tann, d'Abensberg et d'Eckmühl, et dans les combats de
+Peissing, Landshut et de Ratisbonne. Cent pièces de canon,
+quarante drapeaux, cinquante mille prisonniers, trois équipages
+attelés, trois mille voitures attelées portant les bagages,
+toutes les caisses des régimens, voilà le résultat de la rapidité
+de vos marches et de votre courage.</p>
+
+<p>L'ennemi enivré par un cabinet parjure, paraissait ne plus
+conserver aucun souvenir de vous; son réveil a été prompt;
+vous lui avez paru plus terribles que jamais. Naguère il a
+traversé l'Inn et envahi le territoire de nos alliés; naguère
+il se promettait de porter la guerre au sein de notre patrie.
+Aujourd'hui, défait, épouvanté, il fuit en désordre; déjà
+mon avant-garde a passé l'Inn; avant un mois nous serons à
+Vienne.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Burghausen, 30 avril 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Troisième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>L'empereur est arrivé le 27, à six heures du soir, à Mulhdorf.
+S. M. a envoyé la division du général de Wrede à Lauffen,
+sur l'Alza, pour tâcher d'atteindre le corps que l'ennemi
+avait dans le Tyrol, et qui battait en retraite à marches forcées.
+Le général de Wrede arriva le 28 à Lauffen, rencontra
+l'arrière-garde ennemie, prit ses bagages, et lui fit bon nombre
+de prisonniers; mais l'ennemi eut le temps de passer la
+rivière et brûla le pont.</p>
+
+<p>Le 27, le duc de Dantzick arriva à Wanesburk et le 28 à
+Altenmarck.</p>
+
+<p>Le 29, le général de Wrede avec sa division, continua sa
+marche sur Salzbourg: à trois lieues de cette ville, sur la
+route de Lauffen, il trouva des avant-postes de l'armée ennemie.
+Les Bavarois les poursuivirent l'épée dans les reins,
+et entrèrent pêle-mêle avec eux dans Salzbourg. Le général
+de Wrede assure que la division du général Jellachich est entièrement
+dispersée. Ainsi, ce général a porté la peine de l'infâme
+proclamation par laquelle il a mis le poignard aux mains
+des Tyroliens.</p>
+
+<p>Les Bavarois ont fait cinq cents prisonniers. On a trouvé
+à Salzbourg des magasins assez considérables.</p>
+
+<p>Le 28, à la pointe du jour, le duc d'Istrie arriva à Burghausen,
+et posta une avant-garde sur la rive droite de l'Inn.
+Le même jour, le duc de Montebello arriva à Burghausen.
+Le comte Bertrand disposa tout pour raccommoder le pont
+que l'ennemi avait brûlé. La crue de la rivière occasionnée
+par la fonte des neiges, mit quelque retard au rétablissement
+du pont. Toute la journée du 29 fut employée à ce travail.
+Dans la journée du 30, le pont a été rétabli et toute l'armée
+a passé.</p>
+
+<p>Le 28, un détachement de cinquante chasseurs, sous le
+commandement du chef d'escadron Margaron, est arrivé à Dittemaning,
+où il a rencontré un bataillon de la fameuse landwerh
+qui à son approche se jeta dans un bois. Le chef d'escadron
+Margaron l'envoya sommer; après s'être long-temps consultés,
+mille hommes de ces redoutables milices postés dans
+un bois fourré et inaccessible à la cavalerie, se sont rendus à
+cinquante chasseurs. L'empereur voulut les voir; ils faisaient
+pitié: ils étaient commandés par de vieux officiers d'artillerie,
+mal armés et plus mal équipés encore.</p>
+
+<p>Le génie arrogant et farouche de l'Autrichien s'était entièrement
+découvert dans le moment de fausse prospérité dont
+leur entrée à Munich les avait éblouis. Ils feignirent de caresser
+les Bavarois; mais les griffes du tigre reparurent bientôt.
+Le bailli de Mulhdorf, nommé Stark, qui avait mérité
+une distinction du roi de Bavière, pour les services qu'il avait
+rendus à ses troupes dans la dernière guerre, a été arrêté et
+conduit à Vienne pour y être jugé. A Burghausen la femme
+du bailli, comte d'Armansperd, est venue supplier l'empereur
+de lui faire rendre son mari que les Autrichiens ont emmené
+à Lintz, et de là à Vienne, sans qu'on en ait entendu
+parler depuis. La raison de ce mauvais traitement est qu'en
+1805, il lui fut fait des réquisitions auxquelles il n'obtempéra
+point. Voilà le crime dont les Autrichiens lui ont gardé un
+si long ressentiment et dont ils ont tiré cette injuste vengeance.</p>
+
+<p>Les Bavarois feront sans doute un récit de toutes les vexations
+et des violences que les Autrichiens ont exercées envers
+eux, pour en transmettre la mémoire à leurs enfans, quoiqu'il
+soit probable que c'est pour la dernière fois que les Autrichiens
+ont insulté aux alliés de la France. Des intrigues ont
+été ourdies par eux, en Tyrol et en Westphalie pour exciter
+les sujets à la révolte contre leurs princes.</p>
+
+<p>Levant des armées nombreuses divisées en corps comme
+l'armée française, marchant au pas accéléré pour singer l'armée
+française, faisant des bulletins, des proclamations, des
+ordres du jour, en singeant même encore l'armée française,
+ils ne représentent pas mal l'âne qui, couvert de la peau du
+lion, cherche à l'imiter; mais le bout de l'oreille se laisse
+apercevoir, et le naturel l'emporte toujours.</p>
+
+<p>L'empereur d'Autriche a quitté Vienne et a signé en partant
+une proclamation, rédigée par Gentz dans le style de
+l'esprit des plus sots libelles. Il s'est porté à Scharding, position
+qu'il a choisie, précisément pour n'être nulle part, ni
+dans sa capitale pour gouverner ses états, ni au camp où il
+n'eût été qu'un inutile embarras. Il est difficile de voir un
+prince plus débile et plus faux. Lorsqu'il a appris la suite
+de la bataille d'Eckmülh, il a quitté les bords de l'Inn et est
+rentré dans le sein de ses états.</p>
+
+<p>La ville de Scharding que le duc de Rivoli a occupée, a
+beaucoup souffert. Les Autrichiens en se retirant ont mis le
+feu à leurs magasins et ont brûlé la moitié de la ville qui
+leur appartenait. Sans doute qu'ils avaient le pressentiment,
+et qu'ils ont adopté l'adage que ce qui leur appartenait, ne
+leur appartiendra plus.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Braunau, 1er mai 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Quatrième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Au passage du pont de Landshut, le général de brigade
+Lacour a montré du courage et du sang-froid. Le comte Lauriston
+a placé l'artillerie avec intelligence, et a contribué au
+succès de cette brillante affaire.</p>
+
+<p>L'évêque et les principales autorités de Salzbourg sont venus
+à Burghausen implorer la clémence de l'empereur pour
+leur pays. S. M. leur a donné l'assurance qu'ils ne retourneraient
+plus sous la domination de la maison d'Autriche. Ils ont
+promis de prendre des mesures pour faire rentrer les quatre
+bataillons de milices que le cercle avait fournis, et dont une
+partie avait déjà été prise et dispersée.</p>
+
+<p>Le quartier-général part pour se rendre aujourd'hui premier
+mai, à Ried.</p>
+
+<p>On a trouvé à Braunau des magasins de deux cent mille
+rations de biscuit et de six mille sacs d'avoine. On espère en
+trouver de plus considérables à Ried. Le cercle de Ried a
+fourni trois bataillons de milices; mais la plus grande partie
+est déjà rentrée.</p>
+
+<p>L'empereur d'Autriche a été pendant trois jours à Braunau.
+C'est à Scharding qu'il a appris la défaite de son armée. Les
+habitans lui imputent d'être le principal auteur de la guerre.</p>
+
+<p>Les fameux volontaires de Vienne, battus à Landshut,
+ont repassé ici, jetant leurs armes et portant à toutes jambes
+l'alarme à Vienne.</p>
+
+<p>Le 21 avril, on a publié dans cette capitale un décret du
+souverain qui déclare que les ports sont rouverts aux Anglais,
+les relations avec cet ancien allié rétablies, et les hostilités
+commencées avec l'ennemi commun.</p>
+
+<p>Le général Oudinot a pris entre Altain et Ried un bataillon
+de mille hommes: ce bataillon était sans cavalerie et sans artillerie;
+à l'approche de nos troupes, il se mit en devoir de
+commencer la fusillade; mais cerné de tous côtés par la cavalerie,
+il posa les armes.</p>
+
+<p>S. M. a passé en revue à Burghausen plusieurs brigades de
+cavalerie légère, entre autres celle de Hesse-Darmstadt, à laquelle
+elle a témoigné sa satisfaction. Le général Marulaz,
+sous les ordres duquel est cette troupe, en fait une mention,
+particulière. S. M. lui a accordé plusieurs décorations de la
+légion d'honneur.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Enns, 4 mai 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Cinquième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le premier mai, le général Oudinot, après avoir fait onze
+cents prisonniers, a poussé au-delà de Ried où il en a encore
+fait quatre cents, de sorte que dans cette journée il a pris
+quinze cents hommes sans tirer un coup de fusil.</p>
+
+<p>La ville de Braunau était une place forte d'assez d'importance,
+puisqu'elle rendait maître d'un pont sur la rivière qui
+forme la frontière de l'Autriche. Par un esprit de vertige digne
+de ce débile cabinet, il a détruit une forteresse située
+dans une position frontière où elle pouvait lui être d'une
+grande utilité, pour en construire une à Comorn, au milieu de
+la Hongrie. La postérité aura peine à croire à cet excès d'inconséquence
+et de folie.</p>
+
+<p>L'empereur est arrivé à Ried, le 2 mai à une heure du
+matin, et à Lambach le même jour à une heure après midi.</p>
+
+<p>On a trouvé à Ried une manutention de huit fours organisés
+et des magasins contenant vingt mille quintaux de farine.</p>
+
+<p>Le pont de Lambach sur la Braun avait été coupé par l'ennemi;
+il a été rétabli dans la journée.</p>
+
+<p>Le même jour, le duc d'Istrie, commandant la cavalerie,
+et le duc de Montebello, avec le corps du général Oudinot,
+sont entrés à Wels. On a trouvé dans cette ville une manutention,
+douze ou quinze mille quintaux de farine et des magasins
+de vin et d'eau-de-vie.</p>
+
+<p>Le duc de Dantzick, arrivé le 30 avril à Salzbourg, a fait
+marcher sur-le-champ une brigade sur Kufstein et une autre
+sur Rastadt, dans la direction des chemins d'Italie. Son avant-garde
+poursuivant le général Jellachich, l'a forcé dans la position
+de Colling.</p>
+
+<p>Le premier mai, le quartier-général du maréchal duc de
+Rivoli était à Sharding. L'adjudant commandant Tringualye,
+commandant l'avant-garde de la division Saint-Cyr, a rencontré
+à Riedau, sur la route de Neumarck, l'avant-garde
+de l'ennemi; les chevau-légers wurtembergeois, les dragons
+badois et trois compagnies de voltigeurs du quatrième régiment
+de ligne français, aussitôt qu'ils aperçurent l'ennemi,
+l'attaquèrent et le poursuivirent jusqu'à Neumarck. Ils lui
+ont tué cinquante hommes et fait cinq cents prisonniers.</p>
+
+<p>Les dragons badois ont bravement chargé un demi-bataillon
+du régiment de Jordis et lui ont fait mettre bas les armes;
+le lieutenant-colonel d'Emmerade, qui les commandait, a en
+son cheval percé de coups de baïonnette. Le major Sainte-Croix
+a pris de sa propre main un drapeau à l'ennemi. Notre
+perte est de trois hommes tués et de cinquante blessés.</p>
+
+<p>Le duc de Rivoli continua sa marche le 2, et arriva le 3 à
+Lintz. L'archiduc Louis et le général Hiller, avec les débris
+de leurs corps renforcés d'une réserve de grenadiers et de tout
+ce qu'avait pu leur fournir le pays, était en avant de la Traun
+avec trente-cinq mille-hommes; mais menacés d'être tournés
+par le duc de Montebello, ils se portèrent sur Ebersberg pour
+y passer la rivière.</p>
+
+<p>Le 3, le duc d'Istrie et le général Oudinot se dirigèrent
+sur Ebersberg et firent leur jonction avec le duc de Rivoli.
+Ils rencontrèrent en avant d'Ebersberg l'arrière-garde des
+Autrichiens. Les intrépides bataillons des tirailleurs du Pô
+et des tirailleurs corses poursuivirent l'ennemi qui passait le
+pont, culbutèrent dans la rivière les canons, les chariots, huit
+à neuf cents hommes, et prirent dans la ville trois à quatre
+mille hommes que l'ennemi y avait laissés pour sa défense.
+Le général Claparède. dont ces bataillons faisaient l'avant-garde,
+les suivait; il déboucha à Ebersberg et trouva trente
+mille Autrichiens occupant une superbe position. Le maréchal
+duc d'Istrie passait le pont avec sa cavalerie pour soutenir
+la division, et le duc de Rivoli ordonnait d'appuyer son
+avant-garde par le corps d'armée. Ces restes du corps du
+prince Louis et du général Hitler étaient perdus sans ressource.
+Dans cet extrême danger l'ennemi mit le feu à la ville,
+qui est construite en bois. Le feu s'étendit en un instant partout;
+le pont fut bientôt encombré, et l'incendie gagna même
+jusqu'aux premières travées qu'on fut obligé de couper pour
+le conserver. Cavalerie, infanterie, rien ne put déboucher,
+et la division Claparède, seule, et n'ayant que quatre pièces
+de canon, lutta pendant trois heures contre trente mille ennemis.
+Cette action d'Ebersberg est un des plus beaux faits
+d'armes dont l'histoire puisse conserver le souvenir.</p>
+
+<p>L'ennemi voyant que la division Claparède était sans communications,
+avança trois fois sur elle, et fut toujours arrêté
+et reçu par les baïonnettes. Enfin, après un travail de trois
+heures, on parvint à détourner les flammes et à ouvrir un
+passage. Le général de division Legrand, avec le vingt-cinquième
+d'infanterie légère et le dix-huitième de ligne, se porta
+sur le château que l'ennemi avait fait occuper par huit cents
+hommes. Les sapeurs enfoncèrent les portes, et l'incendie
+ayant gagné le château, tout ce qu'il renfermait y périt. Le
+général Legrand marcha ensuite au secours de la division Claparède.
+Le général Durosnel qui venait par la rive droite
+avec un millier de chevaux, se joignit à lui, et l'ennemi fut
+obligé de se mettre en retraite en toute hâte. Au premier bruit
+de ces événemens, l'empereur avait marché lui-même par la
+rive droite avec les divisions Nansouty et Molitor.</p>
+
+<p>L'ennemi, qui se retirait avec la plus grande rapidité, arriva
+la nuit à Enns, brûla le pont, et continua sa fuite sur la
+route de Vienne. Sa perte consiste en douze mille hommes,
+dont sept mille cinq cents prisonniers, quatre pièces de canon
+et deux drapeaux.</p>
+
+<p>La division Claparède, qui fait partie des grenadiers d'Oudinot,
+s'est couverte de gloire; elle eu trois cents hommes tués
+et six cents blessés. L'impétuosité des bataillons des tirailleurs
+du Pô et des tirailleurs corses a fixé l'attention de toute l'armée.
+Le pont, la ville, et la position d'Ebersberg, serons
+des monumens durables de leur courage. Le voyageur s'arrêtera
+et dira: C'est ici, c'est de cette superbe position, de ce
+pont d'une si longue étendue, de ce château si fort par sa situation,
+qu'une armée de trente-cinq mille Autrichiens a été
+chassée par sept mille Français.</p>
+
+<p>Le général de brigade Cohorne, officier d'une singulière
+intrépidité, a eu un cheval tué sous lui.</p>
+
+<p>Les colonels en second Cardenau et Leudy ont été tués.</p>
+
+<p>Une compagnie du bataillon corse poursuivant l'ennemi
+dans les bois, a fait à elle seule sept cents prisonniers.</p>
+
+<p>Pendant l'affaire d'Ebersberg, le duc de Montebello arrivait
+à Steyer où il a fait rétablir le pont que l'ennemi avait
+coupé.</p>
+
+<p>L'empereur couche aujourd'hui à Enns dans le château dit
+prince d'Awersperg; la journée de demain sera employée à
+rétablir le pont.</p>
+
+<p>Les députés des états de la Haute-Autriche ont été présentés
+à S. M. à son bivouac d'Ebersberg.</p>
+
+<p>Les citoyens de toutes les classes et de toutes les provinces
+reconnaissent que l'empereur François II est l'agresseur: ils
+s'attendent à de grands changemens, et conviennent que la
+maison d'Autriche a mérité tous ses malheurs. Ils accusent
+même ouvertement de leurs maux, le caractère faible, opiniâtre
+et perfide de leur souverain; ils manifestent tous la
+plus grande reconnaissance pour la générosité dont l'empereur
+Napoléon usa pendant la dernière guerre envers la capitale
+et les pays qu'il avait conquis; ils s'indignent avec toute
+l'Europe, du ressentiment et de la haine que l'empereur François II
+n'a cessé de nourrir contre une nation qui avait été si
+grande et si magnanime envers lui; ainsi, dans l'opinion
+même des sujets de notre ennemi, la victoire est du côté du
+bon droit.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Saint-Polten, 9 mai 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Sixième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le maréchal prince de Ponte-Corvo qui commande le neuvième
+corps, composé en grande partie de l'armée saxonne,
+et qui a longé toute la Bohême, portant partout l'inquiétude,
+a fait marcher le général saxon Guts Schmitt sur Egra. Ce
+général a été bien reçu par les habitans, auxquels il a ordonné
+de faire désarmer la landwerh. Le 6, le quartier-général du
+prince de Ponte-Corvo était à Retz, entre la Bohême et Ratisbonne.</p>
+
+<p>Le nommé Schill, espèce de brigand qui s'est couvert de
+crimes dans la dernière campagne de Prusse, et qui avait obtenu
+le grade de colonel, a déserté de Berlin avec tout son régiment,
+et s'est porté à Wittemberg, frontière de la Saxe. Il
+a cerné cette ville. Le général Lestocq l'a fait mettre à l'ordre
+comme déserteur. Ce ridicule mouvement était concerté avec
+le parti qui voulait mettre tout a feu et à sang en Allemagne.</p>
+
+<p>S. M. a ordonné la formation d'un corps d'observation de
+l'Elbe, qui sera commandé par le maréchal duc de Valmy,
+et composé de soixante mille hommes. L'avant-garde est déjà
+en mouvement pour se porter d'abord sur Hanau.</p>
+
+<p>Le maréchal duc de Montebello a passé l'Enns à Steyer
+le 4, et est arrivé le 5 à Amstetten, où il a rencontré l'avant-garde
+ennemie. Le général de brigade Colbert a fait faire par
+le vingtième régiment de chasseurs à cheval une charge sur
+un régiment de houlans dont cinq cents ont été pris. Le jeune
+Lauriston, âgé de dix-huit ans, et sorti depuis six mois des
+pages, a arrêté le commandant des houlans, et après un combat
+singulier, l'a terrassé et l'a fait prisonnier. S. M. lui a
+accordé la décoration de la légion d'honneur.</p>
+
+<p>Le 6, le duc de Montebello est arrivé à Molk, le maréchal
+duc de Rivoli à Amstetten, et le maréchal duc d'Auerstaedt
+à Lintz.</p>
+
+<p>Les débris du corps de l'archiduc Louis et du général Hiller
+ont quitté Saint-Polten le 7; les deux tiers ont passé le
+Danube à Crems; on les a poursuivis jusqu'à Mautern où
+l'on a trouvé le pont coupé; l'autre tiers a pris la direction de
+Vienne.</p>
+
+<p>Le 8, le quartier-général de l'empereur était à Saint-Polten.</p>
+
+<p>Le quartier-général du duc de Montebello est aujourd'hui
+à Sigarhiztzkirchen.</p>
+
+<p>Le maréchal duc de Dantzick marche de Salzbourg sur
+Inspruck, pour prendre à revers les détachemens que l'ennemi
+a encore dans le Tyrol, et qui inquiètent les frontières
+de la Bavière.</p>
+
+<p>On a trouvé dans les caves de l'abbaye de Molck plusieurs
+millions de bouteilles de vin qui sont très-utiles à l'armée.
+Ce n'est qu'après avoir passé Molck qu'on entre dans les
+pays de vignobles.</p>
+
+<p>Il résulte des états qui ont été dressés, que sur la ligne de
+l'armée depuis le passage de l'Inn, on a trouvé dans les différentes
+manutentions de l'ennemi, quarante mille quintaux
+de farine, quatre cent mille rations de biscuit et plusieurs
+centaines de milliers de rations de pain. L'Autriche avait
+formé ces magasins pour marcher en avant; ils nous ont
+beaucoup servi.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Vienne, 13 mai 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Septième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le 10, à neuf heures du matin, l'empereur a paru aux
+portes de Vienne, avec le corps du maréchal duc de Montebello;
+c'était à la même heure, le même jour et un mois
+juste après que l'armée autrichienne avait passé l'Inn, et que
+l'empereur François II s'était rendu coupable d'un parjure,
+signal de sa ruine.</p>
+
+<p>Le 5 mai, l'archiduc Maximilien, frère de l'impératrice,
+jeune prince âgé de vingt-six ans, présomptueux, sans expérience,
+d'un caractère ardent, avait pris le commandement
+de Vienne.</p>
+
+<p>Le bruit était général dans le pays que tous les retranchemens
+qui environnaient la capitale, étaient armés, qu'on avait
+construit des redoutes, qu'on travaillait à des camps retranchés,
+et que la ville était résolue à se défendre. L'empereur
+avait peine à croire qu'une capitale si généreusement traitée
+par l'armée française en 1805, et que des habitans dont le
+bon esprit et la sagesse sont reconnus, eussent été fanatisés
+au point de se déterminer à une aussi folle entreprise. Il
+éprouva donc une douce satisfaction, lorqu'en approchant
+des immenses faubourgs de Vienne, il vit une population
+nombreuse, des femmes, des enfans, des vieillards, se précipiter
+au devant de l'armée française, et accueillir nos soldats
+comme des amis.</p>
+
+<p>Le général Conroux traversa les faubourgs, et le général
+Barreau se rendit sur l'esplanade qui les sépare de la cité. Au
+moment où il débouchait, il fut reçu par une fusillade et par
+des coups de canon, et légèrement blessé.</p>
+
+<p>Sur trois cent mille habitans qui composent la population
+de la ville de Vienne, la cité proprement dite, qui a une enceinte
+avec des bastions et une contrescarpe, contient à peine
+quatre-vingt mille habitans et treize cents maisons. Les huit
+quartiers de la ville qui ont conservé le nom de faubourgs,
+et qui sont séparés de la ville par une vaste esplanade et couverts
+du côté de la campagne, par des retranchements, renferment
+plus de cinq mille maisons et sont habités par plus
+de deux cent vingt mille ames, qui tirent leur subsistance de
+la cité, où sont les marchés et les magasins.</p>
+
+<p>L'archiduc Maximilien avait fait ouvrir des registres pour
+recueillir les noms des habitans qui voudraient se défendre.
+Trente individus seulement se firent inscrire; tous les autres
+refusèrent avec indignation. Déjoué dans ses espérances par
+le bons sens des Viennois, il fit venir dix bataillons, de landwehr
+et dix bataillons de troupes de ligne, composant une
+force de quinze a seize mille hommes, et se renferma dans la
+place.</p>
+
+<p>Le duc de Montebello lui envoya un aide-de-camp porteur
+d'une sommation; mais des bouchers et quelques centaines de
+gens sans aveu, qui étaient les satellites de l'archiduc Maximilien,
+s'élancèrent sur le parlementaire, et l'un d'eux le blessa.
+L'archiduc ordonna que le misérable qui avait commis une
+action aussi infâme, fût promené en triomphe dans toute la
+ville, monté sur le cheval de l'officier français et environné
+par la landwehr.</p>
+
+<p>Après cette violation inouie du droit des gens, on vit l'affreux
+spectacle d'une partie d'une ville qui tirait contre l'autre,
+et d'une cité dont les armes étaient dirigées contre ses
+propres concitoyens.</p>
+
+<p>Le général Andréossi, nommé gouverneur de la ville,
+organisa dans chaque faubourg, des municipalités, un comité
+central des subsistances, et une garde nationale, composée
+des négocians, des fabricans et de tous les bons citoyens,
+armés pour contenir les prolétaires et les mauvais sujets.</p>
+
+<p>Le général gouverneur fit venir à Schoenbrunn une députation
+des huit faubourgs: l'empereur la chargea de se rendre
+dans la cité pour porter une lettre écrite par le prince de
+Neufchâtel, major-général, à l'archiduc Maximilien. Il recommanda
+aux députés de représenter à l'archiduc, que, s'il
+continuait à faire tirer sur les faubourgs, et si un seul de ses
+habitans y perdait la vie par ses armes, cet acte de frénésie,
+cet attentat envers les peuples, briserait à jamais les liens
+qui attachent les sujets à leurs souverains.</p>
+
+<p>La députation entra dans la cité, le 11 à dix heures du
+matin, et l'on ne s'aperçut de son arrivée que par le redoublement
+du feu des remparts. Quinze habitans des faubourgs
+ont péri et deux Français seulement ont été tués.</p>
+
+<p>La patience de l'empereur se lassa: il se porta avec le duc
+de Rivoli sur le bras du Danube qui sépare la promenade du
+Prater des faubourgs, et ordonna que deux compagnies de
+voltigeurs occupassent un petit pavillon sur la rive gauche,
+pour protéger la construction d'un pont. Le bataillon de grenadiers
+qui défendait le passage, fut chassé par ces voltigeurs et
+par la mitraille de quinze pièces d'artillerie. A huit heures du
+soir, ce pavillon était occupé, et les matériaux du pont réunis.
+Le capitaine Pourtalès, aide-de-camp du prince de Neufchâtel,
+et le sieur Susaldi, aide-de-camp du général Boudet,
+s'étaient jetés des premiers à la nage, pour aller chercher les
+bateaux qui étaient sur la rive opposée.</p>
+
+<p>A neuf heures du soir, une batterie de vingt obusiers, construite
+par les généraux Bertrand et Navelet, à cent toises de
+la place, commença le bombardement: dix-huit cents obus
+furent lancés en moins de quatre heures, et bientôt toute la
+ville parut en flammes. Il faut avoir vu Vienne, ses maisons
+à huit et neuf étages, ses rues resserrées, cette population si
+nombreuse dans une aussi étroite enceinte, pour se faire une
+idée du désordre, de la rumeur et des désastres que devait
+occasionner une telle opération.</p>
+
+<p>L'archiduc Maximilien avait fait marcher, à une heure du
+matin, deux bataillons en colonne serrée, pour tâcher de reprendre
+le pavillon qui protégeait la construction du pont.
+Les deux compagnies de voltigeurs qui occupaient ce pavillon
+qu'elles avaient crénelé, reçurent l'ennemi à bout portant:
+leur feu et celui des quinze pièces d'artillerie qui étaient sur
+la rive droite, couchèrent par terre une partie de la colonne;
+le reste se sauva dans le plus grand désordre.</p>
+
+<p>L'archiduc perdit la tête au milieu du bombardement, et
+au moment surtout où il apprit que nous avions passé un bras
+du Danube, et que nous marchions pour lui couper la retraite.
+Aussi faible, aussi pusillanime qu'il avait été arrogant et
+inconsidéré, il s'enfuit le premier et repassa les ponts. Le
+respectable général O'Reilly n'apprit que par la fuite de l'archiduc,
+qu'il se trouvait investi du commandement.</p>
+
+<p>Le 12, à la pointe du jour, ce général fit prévenir les
+avant-postes qu'on allait cesser le feu, et qu'une députation
+allait être envoyée à l'empereur.</p>
+
+<p>Cette députation fut présentée à S. M. dans le parc de
+Schoenbrunn. Elle était composée de messieurs le comte de
+Dietricshtein, maréchal provisoire des états; le prélat de Klosternenbourg;
+le prélat des Écossais; le comte Perges; le
+comte Veterain; le baron de Bartenstein; M. de Mayenberg;
+le baron de Hafen, référendaire de la Basse-Autriche;
+tous membres des états; l'archevêque de Vienne; le baron de
+Lederer, capitaine de la ville; M. Wohlleben, bourguemestre;
+M. Meher, vice-bourguemestre; Egger, Pinck, Staif,
+conseillers du magistrat.</p>
+
+<p>S. M. assura les députés de sa protection; elle exprima la
+peine que lui avait fait éprouver la conduite inhumaine de
+leur gouverneur, qui n'avait pas craint de livrer sa capitale
+à tous les malheurs de la guerre, qui, portant lui-même atteinte
+à ses droits, au lieu d'être le père et le roi de ses sujets,
+s'en était montré l'ennemi et en avait été le tyran. S. M. fit
+connaître que Vienne serait traitée avec les mêmes ménagemens
+et les mêmes égards dont on avait usé en 1805. La députation
+répondit à cette assurance par les témoignages de la
+plus vive reconnaissance.</p>
+
+<p>A neuf heures du matin, le duc de Rivoli, avec les divisions
+Saint-Cyr et Boudet, s'est emparé de Léopoldstadt.</p>
+
+<p>Pendant ce temps, le lieutenant-général O'Reilly envoyait le
+lieutenant-général de Vaux, et M. Bellonte, colonel, pour
+traiter de la capitulation de la place. La capitulation a été
+signée dans la soirée, et le 13, à six heures du matin, les
+grenadiers du corps d'Oudinot ont pris possession de la
+ville.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Schoenbrunn, 13 mai 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Ordre du jour.</i></p>
+
+<p>Soldats,</p>
+
+<p>Un mois après que l'ennemi passa l'Inn, au même jour, à
+la même heure, nous sommes entrés dans Vienne.</p>
+
+<p>Ses landwehrs, ses levées en masse, ses remparts créés par
+la rage impuissante des princes de la maison de Lorraine, n'ont
+point soutenu vos regards. Les princes de cette maison ont
+abandonné leur capitale, non comme des soldats d'honneur
+qui cèdent aux circonstances et aux revers de la guerre, mais
+comme des parjures que poursuivent leurs remords. En fuyant
+de Vienne, leurs adieux à ses habitans ont été le meurtre et
+l'incendie; comme Médée, ils ont de leurs propres mains
+égorgé leurs enfans.</p>
+
+<p>Le peuple de Vienne, selon l'expression de la députation
+de ses faubourgs, délaissé, abandonné, veuf, sera l'objet de
+vos égards. J'en prends les habitans sous ma spéciale protection:
+quant aux hommes turbulens et méchans, j'en ferai une
+justice exemplaire.</p>
+
+<p>Soldats! soyons bons pour les pauvres paysans, pour ce
+bon peuple qui a tant de droits à notre estime: ne conservons
+aucun orgueil de tous nos succès; voyons-y une preuve de
+cette justice divine qui punit l'ingrat et le parjure.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Schoenbrunn, 13 mai 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Circulaire aux archevêques et évêques, et aux présidens
+des consistoires.</i></p>
+
+<p>Monsieur l'évêque de ... la divine providence ayant
+voulu nous donner une nouvelle preuve de sa spéciale protection
+en permettant notre entrée dans la capitale de notre
+ennemi, le même jour où, un mois auparavant, il avait violé
+la paix, et manifester ainsi d'une manière éclatante, qu'elle
+punit l'ingrat et le parjure, il est dans notre intention que vous
+réunissiez nos peuples dans les églises pour chanter un <i>Te
+Deum</i> en actions de grâce et toutes autres prières que vous
+jugerez convenable d'ordonner. Cette lettre n'étant à autre
+fin, monsieur l'évêque de ... nous prions Dieu qu'il vous
+ait en sa sainte garde.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Vienne, 16 mai 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Huitième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Les habitans de Vienne se louent de l'archiduc Rainier.
+Il était gouverneur de Vienne, et lorsqu'il eut connaissance
+des mesures révolutionnaires ordonnées par l'empereur François II,
+il refusa de conserver le gouvernement. L'archiduc
+Maximilien fut envoyé à sa place. Ce jeune prince ayant toute
+l'inconséquence de son âge, déclara qu'il s'enterrerait sous
+les ruines de la capitale. Il fit appeler les hommes turbulens
+et sans aveu, qui sont toujours nombreux dans une grande
+ville, les arma de piques, et leur distribua toutes les armes
+qui étaient dans les arsenaux. Eu vain les habitans lui représentèrent
+qu'une grande ville, parvenue à un si haut degré
+de splendeur, au prix de tant de travaux et de trésors, ne
+devait pas être exposée aux désastres que la guerre entraîne
+avec elle. Ces représentations exaltèrent sa colère, et sa fureur
+était portée à un tel point, qu'il ne répondait qu'en ordonnant
+de jeter sur les faubourgs des bombes et des obus, qui
+ne devaient tuer que des Viennois, les Français trouvant un
+abri dans leurs tranchées, et leur sécurité dans l'habitude de
+la guerre.</p>
+
+<p>Les Viennois éprouvaient des frayeurs mortelles, et la ville
+se croyait perdue, lorsque l'empereur Napoléon, pour épargner
+à la capitale les désastres d'une défense prolongée, en la
+rendant promptement inutile, fit passer le bras du Danube
+et occuper le Prater.</p>
+
+<p>A huit heures, un officier vint annoncer à l'archiduc qu'un
+pont se construisait, qu'un grand nombre de Français avait
+passé la rivière à la nage, et qu'ils étaient déjà sur l'autre
+rive. Cette nouvelle fit pâlir ce prince furibond, et porta la
+crainte dans ses esprits. Il traversa le Prater en toute hâte; il
+renvoya au-delà des ponts chaque bataillon qu'il rencontrait,
+et il se sauva sans faire aucune disposition, et sans donner à
+personne le commandement qu'il abandonnait. C'était cependant
+le même homme qui, une heure auparavant, protestait
+de s'ensevelir sous les ruines de la capitale.</p>
+
+<p>La catastrophe de la maison de Lorraine était prévue par
+les hommes sensés des opinions les plus opposées. Manfredini
+avait demandé une audience à l'empereur, pour lui représenter
+que cette guerre pèserait long-temps sur sa conscience,
+qu'elle entraînerait la ruine de sa maison, et que
+bientôt les Français seraient dans Vienne. Bah! bah! répondit
+l'empereur, ils sont tous en Espagne.</p>
+
+<p>Thugut, profitant de l'ancienne confiance que l'empereur
+avait mise en lui, s'est aussi permis des représentations réitérées.</p>
+
+<p>Le prince de Ligne disait hautement: Je croyais être assez
+vieux pour ne pas survivre à la monarchie autrichienne. Et
+lorsque le vieux comte Wallis vit l'empereur partir pour l'armée:
+«C'est Darius, dit-il, qui court au-devant d'Alexandre;
+il aura le même sort.»</p>
+
+<p>Le comte Louis de Cobentzel, principal auteur de la guerre
+de 1805, étant à son lit de mort, et vingt-quatre heures
+avant de fermer les yeux, adressa à l'empereur une lettre fort
+pathétique. «V. M., écrivait-il, doit se trouver heureuse de
+l'état où l'a mise la paix de Presbourg; elle est au second rang
+parmi les puissances de l'Europe; c'est celui de ses ancêtres.
+Qu'elle renonce à une guerre qui n'a point été provoquée et
+qui entraînera la ruine de sa maison. Napoléon sera vainqueur
+et il aura le droit d'être inflexible, etc., etc.» Cette
+dernière action de Cobentzel a jeté de l'intérêt sur ses derniers
+momens.</p>
+
+<p>Le prince de Zinzendorf, ministre de l'intérieur, plusieurs
+hommes d'état demeurés étrangers comme lui à la corruption
+et aux fatales illusions du moment, beaucoup d'autres personnages
+distingués, et ce qu'il y avait de plus considérable
+dans la bourgeoisie, partageaient tous, exprimaient tous la
+même opinion.</p>
+
+<p>Mais l'orgueil humilié de l'empereur François II, la haine
+de l'archiduc Charles contre les Russes, le ressentiment qu'il
+éprouvait en voyant la Russie et la France intimement unies,
+l'or de l'Angleterre qui avait corrompu le ministre Sladion,
+la légèreté et l'inconséquence d'une soixantaine de femmelettes,
+l'hypocrisie et les faux rapports de l'ambassadeur Metternich,
+les intrigues des Razumowski, des Dalpozzo, des
+Schlegel, des Gentz et autres aventuriers que l'Angleterre entretient
+sur le continent pour y fomenter des discussions, ont
+produit cette guerre insensée et sacrilège.</p>
+
+<p>Avant que les Français eussent été vainqueurs sur le champ
+de bataille, on disait qu'ils n'étaient pas nombreux, qu'il n'y
+en avait plus en Allemagne, que les corps n'étaient composés
+que de conscrits, que la cavalerie était à pied, la garde impériale
+en révolte, les Parisiens en insurrection contre l'empereur
+Napoléon. Après nos victoires, on a dit que l'armée
+française était innombrable, qu'elle n'avait jamais été composée
+d'hommes plus aguerris et plus braves, que le dévouement
+des soldats à Napoléon, triplait et quadruplait leurs moyens,
+que la cavalerie était superbe, nombreuse, redoutable, que
+l'artillerie, mieux attelée que celle d'aucune autre nation,
+marchait avec la rapidité de la foudre, etc., etc.</p>
+
+<p>Princes faibles! cabinets corrompus! hommes ignorans,
+légers, inconséquens! voilà cependant les pièges que l'Angleterre
+vous tend depuis quinze années, et vous y tombez
+toujours; mais enfin la catastrophe que vous avez préparée
+s'est accomplie, la paix du continent est assurée pour jamais.</p>
+
+<p>L'empereur a passé hier la revue de la division de grosse
+cavalerie du général Nansouty. Il à donné des éloges à la
+tenue de cette belle division qui, après une campagne aussi
+active, a présenté cinq mille chevaux en bataille. S. M. a
+nommé aux places vacantes, a accordé le titre de baron, avec
+des dotations en terres, au plus brave officier, et la décoration
+de la Légion-d'Honneur, avec une pension de douze cents
+francs, au plus brave cuirassier de chaque régiment.</p>
+
+<p>On a trouvé à Vienne cinq cents pièces de canon, beaucoup
+d'affûts, beaucoup de fusils, de poudre et de munitions
+confectionnées, et une grande quantité de boulets et de fer
+coulé.</p>
+
+<p>Il n'y a eu que dis maisons brûlées pendant le bombardement.
+Les Viennois ont remarqué que ce malheur est tombé sur
+les partisans les plus ardens de la guerre; aussi disaient-ils
+que le général Andréossi dirigeait les batteries. La nomination
+de ce général au gouvernement de Vienne, a été agréable
+à tous les habitans; il avait laissé dans la capitale des souvenirs
+agréables, et il jouit de l'estime universelle.</p>
+
+<p>Quelques jours de repos ont fait beaucoup de bien à l'armée;
+et le temps est si beau que nous n'avons presque pas de
+malades. Le vin que l'on distribue aux troupes est abondant
+et de bonne qualité.</p>
+
+<p>La monarchie autrichienne avait fait pour cette guerre
+des efforts prodigieux: on calcule que ses préparatifs lui ont
+coûté au-delà de trois cents millions en papier. La masse des
+billets en circulation excède quinze cents millions. La cour
+de Vienne a emporté les planches de cette espèce d'assignats,
+hypothéqués sur une partie des mines de la monarchie, c'est-à-dire,
+sur des propriétés presque chimériques, et qui ne
+sont pas disponibles. Pendant qu'on prodiguait ainsi un papier-monnaie
+que le public ne pouvait pas réaliser, et qui
+perdait chaque jour davantage, la cour faisait acheter par
+les banquiers de Vienne tout l'or qu'elle pouvait se procurer,
+et l'envoyait en pays étranger. Il y a à peine quelques mois
+que des caisses de ducats d'or, scellés du sceau impérial, ont
+été expédiées pour la Hollande, par le nord de l'Allemagne.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Vienne, 19 mai 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Neuvième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Pendant que l'armée prenait quelque repos dans Vienne,
+que ses corps se ralliaient, que l'empereur passait des revues,
+pour accorder des récompenses aux braves qui s'étaient distingués,
+et pour nommer aux emplois vacans, on préparait tout
+ce qui était nécessaire pour l'importante opération du passage
+du Danube.</p>
+
+<p>Le prince Charles, après la bataille d'Eckmülh, jeté sur
+l'autre rive du Danube, n'eût d'autre refuge que les montagnes
+de la Bohème.</p>
+
+<p>En suivant les débris de l'armée du prince Charles dans
+l'intérieur de la Bohème, l'empereur lui aurait enlevé son
+artillerie et ses bagages; mais cet avantage ne valait pas l'inconvénient
+de promener son armée, pendant quinze jours,
+dans des pays pauvres, montagneux et dévastés.</p>
+
+<p>L'empereur n'adopta aucun plan qui pût retarder d'un jour
+son entrée à Vienne, se doutant bien que, dans l'état d'irritation
+qu'on avait excité, on songerait à défendre cette ville, qui a
+une excellente enceinte bastionnée, et à opposer quelque obstacle.
+D'un autre côté, son armée d'Italie attirait son attention,
+et l'idée que les Autrichiens occupaient ses belles provinces
+du Frioul et de la Piave, ne lui laissait point de
+repos.</p>
+
+<p>Le maréchal duc d'Auerstaedt resta en position en avant
+de Ratisbonne, pendant le temps que mit le prince Charles
+à déboucher en Bohème, et immédiatement après, il se dirigea
+sur Passau et Lintz, sur la rive gauche du Danube, gagnant
+quatre marches sur ce prince. Le corps du prince de
+Ponte-Corvo fut dirigé dans le même système. D'abord il fit
+un mouvement sur Egra, ce qui obligea le prince Charles à y
+détacher le corps du général Bellegarde; mais par une contremarche,
+il se porta brusquement sur Lintz, où il arriva
+avant le général Bellegarde, qui, ayant appris cette contremarche,
+se dirigea aussi sur le Danube.</p>
+
+<p>Ces manoeuvres habiles, faites jour par jour, selon les circonstances,
+ont dégagé l'Italie, livré sans défense les barrières de l'Inn,
+de la Salza, de la Traun et tous les magasins ennemis,
+soumis Vienne, désorganisé les milices et la landwerh,
+terminé la défaite des corps de l'archiduc Louis et du général
+Hiller, et achevé de perdre la réputation du général ennemi.
+Celui-ci, voyant la marche de l'empereur, devait penser à se
+porter sur Lintz, passer le pont, et s'y réunir aux corps de
+l'archiduc Louis et du général Hiller; mais l'armée française
+y était réunie plusieurs jours avant qu'il pût y arriver. Il aurait
+pu espérer de faire sa jonction à Krems; vains-calculs!
+il était encore en retard de quatre jours, et le général Hiller,
+en repassant le Danube, fut obligé de brûler le beau pont de
+Krems. Il espérait enfin se réunir devant Vienne; il était
+encore eu retard de plusieurs jours.</p>
+
+<p>L'empereur a fait jeter un pont sur le Danube, vis-à-vis
+le village d'Ebersdorf, à deux lieues au-dessous de Vienne.
+Le fleuve divisé en cet endroit en plusieurs bras, a quatre
+cents toises de largeur. L'opération a commencé hier 18, à
+quatre heures après midi. La division Molitor a été jetée sur
+la rive gauche, et a culbuté les faibles détachemens qui voulaient
+lui disputer le terrain et couvrir le dernier bras du
+fleuve.</p>
+
+<p>Les généraux Bertrand et Pernetti ont fait travailler aux
+deux ponts, l'un de plus de deux cent quarante, l'autre de
+plus de cent trente toises, communiquant entre eux par une
+île. On espère que les travaux seront finis demain.</p>
+
+<p>Tous les renseignemens qu'on a recueillis portent à penser
+que l'empereur d'Autriche est à Znaïm.</p>
+
+<p>Il n'y a encore aucune levée en Hongrie: sans armes, sans
+selles, sans argent, et fort peu attachée à la maison d'Autriche,
+cette nation paraît avoir refusé toute espèce de
+secours.</p>
+
+<p>Le général Lauriston, aide-de-camp de S. M., à la tête de
+la brigade d'infanterie badoise et de la brigade de cavalerie
+légère du général Colbert, s'est porté de Neustadt sur Bruck
+et sur la Simeringberg, haute montagne qui sépare les eaux
+qui coulent dans la mer Noire et dans la Méditerranée. Dans
+ce passage difficile il a fait quelques centaines de prisonniers.</p>
+
+<p>Le général Dupellin a marché sur Mariazell, où il a désarmé
+un millier de landwehr et fait quelques centaines de
+prisonniers.</p>
+
+<p>Le maréchal duc de Dantzick s'est porté sur Inspruck; il
+a rencontré le 14, à Vorgel, le général Chasteller avec ses
+Tyroliens. Il l'a culbuté et lui a pris sept cents hommes et
+onze pièces d'artillerie.</p>
+
+<p>Kufstein a été débloqué le 12. Le chambellan de S. M., Germain,
+qui s'était renfermé dans cette place, s'est bien montré.</p>
+
+<p>Voici quelle est aujourd'hui la position de l'armée:</p>
+
+<p>Les corps des maréchaux duc de Rivoli et de Montebello,
+et le corps des grenadiers du général Oudinot, sont à Vienne,
+ainsi que la garde impériale. Le corps du maréchal duc
+d'Auerstaedt est réparti entre Saint-Polten et Vienne. Le maréchal
+prince Ponte-Corvo est à Lintz, avec les Saxons et les
+Wurtembergeois, il a une réserve à Passau. Le maréchal duc
+de Dantzick est, avec les Bavarois, à Saltzbourg et à Inspruck.</p>
+
+<p>Le colonel comte de Czernichew, aide-de-camp de l'empereur
+de Russie, qui avait été expédié pour Paris, est arrivé
+au moment où l'armée entrait à Vienne. Depuis ce moment,
+il fait le service, et suit S. M. Il a apporté des nouvelles de
+l'armée russe, qui n'aura pu sortir de ses cantonnemens que
+vers le l0 ou 12 mai.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Ebersdorf, 23 mai 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Dixième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Vis-à-vis Ebersdorf, le Danube est divisé en trois bras séparés
+par deux îles. De la rive droite à la première île il y a
+deux cent quarante toises; cette île a à-peu-près mille toises
+de tour. De cette île à la grande île, où est le principal courant,
+le canal est de cent vingt toises. La grande île, appelée
+In-der-Lobau, a sept mille toises de tour, et le canal qui la
+sépare du continent a soixante-dix toises. Les premiers villages
+que l'on rencontre ensuite sont Gross-Aspern, Esling
+et Enzersdorf. Le passage d'une rivière comme le Danube
+devant un ennemi connaissant parfaitement les localités, et
+ayant les habitans pour lui, est une des plus grandes opérations
+de guerre qu'il soit possible de concevoir.</p>
+
+<p>Le pont de la rive droite à la première île et celui de la
+première île à celle de In-der-Lobau ont été faits dans la journée
+du 19, et dès le 18 la division Molitor avait été jetée par
+des bateaux à rames, dans la grande île.</p>
+
+<p>Le 20, l'empereur passa dans cette île, et fit établir un
+pont sur le dernier bras, entre Gross-Aspern et Esling. Ce
+bras n'ayant que soixante-dix toises, le pont n'exigea que
+quinze pontons, et fut jeté en trois heures par le colonel d'artillerie
+Aubry.</p>
+
+<p>Le colonel Sainte-Croix, aide-de-camp du maréchal duc
+de Rivoli, passa le premier dans un bateau sur la rive gauche.</p>
+
+<p>La division de cavalerie légère du général Lasalle et les divisions
+Molitor et Boudet passèrent dans la nuit.</p>
+
+<p>Le 21, l'empereur, accompagné du prince de Neufchâtel
+et des maréchaux ducs de Rivoli et de Montebello, reconnut
+la position de la rive gauche, et établit son champ de bataille,
+la droite au village d'Esling, et la gauche à celui de Gross-Aspern,
+qui furent sur le champ occupés.</p>
+
+<p>Le 21, à quatre heures après midi, l'armée ennemie se
+montra et parut avoir le dessein de culbuter notre avant-garde
+et de la jeter dans le fleuve; vain projet! Le maréchal
+duc de Rivoli fut le premier attaqué à Gross-Aspern, par le
+corps du général Bellegarde. Il manoeuvra avec les divisions
+Molitor et Legrand, et pendant toute la soirée, fit tourner à
+la confusion de l'ennemi toutes les attaques qui furent entreprises.
+Le duc de Montebello défendit le village d'Esling, et
+le maréchal duc d'Istrie, avec la cavalerie légère et la division
+de cuirassiers Espagne couvrit la plaine et protégea Enzersdorf.
+L'affaire fut vive; l'ennemi déploya deux cents pièces
+de canon et à peu près quatre-vingt dix mille hommes composés
+des débris de tous les corps de l'armée autrichienne.</p>
+
+<p>La division de cuirassiers Espagne fit plusieurs belles
+charges, enfonça deux carrés et s'empara de quatorze pièces
+de canon. Un boulet tua le général Espagne, combattant
+glorieusement à la tête des troupes, officier brave, distingué
+et recommandable sous tous les points de vue. Le général de
+brigade Foulers fut tué dans une charge.</p>
+
+<p>Le général Nansouty, avec la seule brigade commandée
+par le général Saint-Germain, arriva sur le champ de bataille
+vers la fin du jour. Cette brigade se distingua par plusieurs
+belles charges. A huit heures du soir le combat cessa, et nous
+restâmes entièrement maîtres du champ de bataille.</p>
+
+<p>Pendant la nuit, le corps du général Oudinot, la division
+Saint-Hilaire, deux brigades de cavalerie légère et le train
+d'artillerie passèrent les trois ponts.</p>
+
+<p>Le 22, à quatre heures du matin, le duc de Rivoli fut le
+premier engagé. L'ennemi fit successivement plusieurs attaques
+pour reprendre le village. Enfin, ennuyé de rester sur la défensive,
+le duc de Rivoli attaqua à son tour et culbuta l'ennemi.
+Le général de division Legrand s'est fait remarquer par
+ce sang-froid et cette intrépidité qui le distinguent.
+Le général de division Boudet, placé au village d'Esling,
+était chargé de défendre ce poste important.</p>
+
+<p>Voyant que l'ennemi occupait un grand espace, de la
+droite à la gauche, on conçut le projet de le percer par le
+centre. Le duc de Montebello se mit à la tête de l'attaque,
+ayant le général Oudinot à la gauche, la division Saint-Hilaire
+au centre et la division Boudet à la droite. Le centre de l'armée
+ennemie ne soutint pas les regards de nos troupes. Dans
+un moment tout fut culbuté. Le duc d'Istrie fit faire plusieurs
+belles charges, qui toutes eurent du succès. Trois colonnes
+d'infanterie ennemie furent chargées par les cuirassiers et sabrées.
+C'en était fait de l'armée autrichienne, lorsqu'à sept
+heures du matin, un aide-de-camp vint annoncer à l'empereur
+que la crue subite du Danube ayant mis à flot un grand
+nombre de gros arbres et de radeaux, coupés et jetés sur les
+rives, dans les événemens qui ont eu lieu lors de la prise de
+Vienne, les ponts qui communiquaient de la rive droite à la
+petite île, et de celle-ci à l'île de In-der-Lobau, venaient d'être
+rompus; cette crue périodique, qui n'a ordinairement lieu
+qu'à la mi-juin, par la fonte des neiges, a été accélérée par
+la chaleur prématurée qui se fait sentir depuis quelques jours.
+Tous les parcs de réserve qui défilaient se trouvèrent retenus
+sur la rive droite par la rupture des ponts, ainsi qu'une partie
+de notre grosse cavalerie, et le corps entier du maréchal duc
+d'Auerstaedt. Ce terrible contre-temps décida l'empereur à
+arrêter le mouvement en avant. Il ordonna au duc de Montebello
+de garder le champ de bataille qui avait été reconnu, et
+de prendre position, la gauche appuyée à un rideau qui couvrait
+le duc de Rivoli, et la droite à Esling.</p>
+
+<p>Les cartouches à canon et d'infanterie, que portait notre
+parc de réserve, ne pouvaient plus passer. L'ennemi était
+dans la plus épouvantable déroute, lorsqu'il apprit que nos
+ponts étaient rompus. Le ralentissement de notre feu et le
+mouvement concentré que faisait notre armée, ne lui laissaient
+aucun doute sur cet événement imprévu. Tous ses canons et
+ses équipages d'artillerie, qui étaient en retraite, se représentèrent
+sur la ligne, et depuis neuf heures du matin jusqu'à
+sept heures du soir, il fit des efforts inouïs, secondé par le feu
+de deux cents pièces de canon, pour culbuter l'armée française.
+Ces efforts tournèrent à sa honte; il attaqua trois fois
+les villages d'Esling et de Gross-Aspern, et trois fois il les
+remplit de ses morts. Les fusiliers de la garde, commandés
+par le général Mouton, se couvrirent de gloire, et culbutèrent
+la réserve, composée de tous les grenadiers de l'armée
+autrichienne, les seules troupes fraîches qui restassent à l'ennemi.
+Le général Gros fit passer au fil de l'épée sept cents
+Hongrois qui s'étaient déjà logés dans le cimetière du village
+d'Ësling. Les tirailleurs sous les ordres du général Curial
+firent leurs premières armes dans cette journée, et montrèrent
+de la vigueur. Le général Dorsenne, colonel commandant la
+vieille garde, la plaça en troisième ligne, formant un mur
+d'airain, seul capable d'arrêter tous les efforts de l'armée autrichienne.
+L'ennemi tira quarante mille coups de canon,
+tandis que, privés de nos parcs de réserve, nous étions dans
+la nécessité de ménager nos munitions pour quelques circonstances
+imprévues.</p>
+
+<p>Le soir, l'ennemi reprit les anciennes positions qu'il avait
+quittées pour l'attaque, et nous restâmes maîtres du champ
+de bataille. Sa perte est immense; les militaires dont le coup
+d'oeil est le plus exercé ont évalué à plus de douze mille les
+morts qu'il a laissés sur le champ de bataille. Selon le rapport
+des prisonniers, il a eu vingt-trois généraux et soixante officiers
+supérieurs tués ou blessés. Le feld-maréchal-lieutenant
+Weber, quinze cents hommes et quatre drapeaux sont restés
+en notre pouvoir. La perte de notre côté a été considérable;
+nous avons eu onze cents tués et trois mille blessés. Le duc
+de Montebello a eu la cuisse emportée par un boulet, le 22,
+sur les six heures du soir. L'amputation a été faite, et sa vie
+est hors de danger. Au premier moment on le crut mort.
+Transporté sur un brancard auprès de l'empereur, ses adieux
+furent touchans. Au milieu des sollicitudes de cette journée,
+l'empereur se livra à la tendre amitié qu'il porte depuis tant
+d'années à ce brave compagnon d'armes. Quelques larmes coulèrent
+de ses yeux, et se tournant vers ceux qui l'environnaient:
+«Il fallait, dit-il, que dans cette journée mon coeur
+fût frappé par un coup aussi sensible, pour que je pusse
+m'abandonner à d'autres soins qu'à ceux de mon armée.» Le
+duc de Montebello avait perdu connaissance; la présence de
+l'empereur le fit revenir; il se jeta à son cou en lui disant:
+«Dans une heure vous aurez perdu celui qui meurt avec la
+gloire et la conviction d'avoir été et d'être votre meilleur
+ami.»</p>
+
+<p>Le général de division Saint-Hilaire a été blessé; c'est un
+des généraux les plus distingués de la France.</p>
+
+<p>Le général Durosnel, aide-de-camp de l'empereur, a été
+enlevé par un boulet en portant un ordre.</p>
+
+<p>Le soldat a montré un sang-froid et une intrépidité qui
+n'appartiennent qu'à des Français.</p>
+
+<p>Les eaux du Danube croissant toujours, les ponts n'ont pu
+être rétablis pendant la nuit. L'empereur a fait repasser le
+23, à l'armée le petit bras de la rive gauche, et a fait prendre
+position dans l'île de In-der-Lobau, en gardant les têtes de
+pont.</p>
+
+<p>On travaille à rétablir les ponts; l'on n'entreprendra rien
+qu'ils ne soient à l'abri des accidens des eaux, et même de
+tout ce que l'on pourrait tenter contre eux: l'élévation du
+fleuve et la rapidité du courant obligent à des travaux considérables
+et à de grandes précautions.</p>
+
+<p>Lorsque le 23, au matin, on fit connaître à l'armée que
+l'empereur avait ordonné qu'elle repassât dans la grande île,
+l'étonnement de ces braves fut extrême. Vainqueurs dans les
+deux journées, ils croyaient que le reste de l'armée allait les
+rejoindre; et quand on leur dit que les grandes eaux ayant
+rompu les ponts et augmentant sans cesse, rendaient le renouvellement
+des munitions et des vivres impossible, et que
+tout mouvement en avant serait insensé, on eut de la peine à
+les persuader.</p>
+
+<p>C'est un malheur très-grand et tout à fait imprévu que des
+ponts formés des plus grands bateaux du Danube, amarrés
+par de doubles ancres et par des cinquenelles, aient été enlevés;
+mais c'est un grand bonheur que l'empereur ne l'ait pas
+appris deux heures plus tard; l'armée poursuivant l'ennemi
+aurait épuisé ses munitions, et se serait trouvée sans moyen
+de les renouveler.</p>
+
+<p>Le 23, on a fait passer une grande quantité de vivres au
+camp d'In-der-Lobau.</p>
+
+<p>La bataille d'Esling, dont il sera fait une relation plus détaillée
+qui fera connaître les braves qui se sont distingués,
+sera, aux yeux de la postérité, un nouveau monument de la
+gloire et de l'inébranlable fermeté de l'armée française.</p>
+
+<p>Les maréchaux ducs de Montebello et de Rivoli ont montré
+dans cette journée tonte la force de leur caractère militaire.</p>
+
+<p>L'empereur a donné le commandement du second corps au
+comte Oudinot, général éprouvé dans cent combats, où il a
+montré autant d'intrépidité que de savoir.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Ebersdorf, 24 mai 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Onzième bulletin du la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le maréchal duc de Dantzick est maître du Tyrol. Il est entré
+à Inspruck le 19 de ce mois. Le pays entier s'est soumis.</p>
+
+<p>Le 11, le duc de Dantzick avait enlevé la forte position
+de Strob-Pass, et pris à l'ennemi sept canons et six cents
+hommes.</p>
+
+<p>Le 13, après avoir battu Chasteller dans la position de Voergel,
+l'avoir mis dans une déroute complète, et lui avoir pris
+toute son artillerie, il l'avait poursuivi jusqu'au-delà de Rattenberg.
+Ce misérable n'a dû son salut qu'à la vitesse de son
+cheval.</p>
+
+<p>En même temps, le général Deroy, ayant débloqué la forteresse
+de Kufstein, faisait sa jonction avec les troupes que
+le duc de Dantzick commandait en personne. Ce maréchal se
+loue de la conduite du major Palm, du chef du bataillon léger
+bavarois, du lieutenant-colonel Habérman, du capitaine Laider,
+du capitaine Bernard du troisième régiment de chevau-légers
+de Bavière, de ses aides-de-camp Montmarie, Maingarnaud
+et Montelegier, et du chef d'escadron Fontange, officier
+d'état-major.</p>
+
+<p>Chasteller était entré dans le Tyrol avec une poignée de
+mauvais sujets. Il a prêché la révolte, le pillage et l'assassinat.
+Il a vu égorger sous ses yeux plusieurs milliers de Bavarois
+et une centaine de soldats français. Il a encouragé les assassins
+par ses éloges, et excité la férocité de ces ours des montagnes.
+Parmi les Français qui ont péri dans ce massacre se trouvaient
+une soixantaine de Belges tous compatriotes de Chasteller.
+Ce misérable couvert des bienfaits de l'empereur, à qui il
+doit d'avoir recouvré des biens montant à plusieurs millions,
+était incapable d'éprouver le sentiment de la reconnaissance,
+et ces affections qui attachent même les barbares aux habitans
+du pays qui leur a donné naissance.</p>
+
+<p>Les Tyroliens vouent à l'exécration les hommes dont les
+perfides insinuations les ont excités à la rébellion et ont appelé
+sur eux les malheurs qu'elle entraîne avec elle. Leur fureur
+contre Chasteller était telle, que lorsqu'il se sauva après
+la déroute de Voergel, ils l'arrêtèrent à Hall, le fustigèrent
+et le maltraitèrent au point qu'il fut obligé de passer deux
+jours dans son lit. Il osa ensuite reparaître pour demander à
+capituler; on lui répondit qu'on ne capitulait pas avec un
+brigand, et il s'enfuit à toute hâte dans les montagnes de la
+Carinthie.</p>
+
+<p>La vallée de Zillerthal a été la première à se soumettre;
+elle a remis ses armes et donné des otages; le reste du pays a
+suivi cet exemple. Tous les chefs ont ordonné aux paysans de
+rentrer chez eux, et on les a vus quitter les montagnes de
+toutes parts, et revenir dans leurs villages. La ville d'Inspruck
+et tous les cercles ont envoyé des députations à S. M.
+le roi de Bavière, pour protester de leur fidélité et implorer
+sa clémence.</p>
+
+<p>Le Voralberg, que les proclamations incendiaires et les intrigues
+de l'ennemi avaient aussi égaré, imitera le Tyrol; et
+cette partie de l'Allemagne sera arrachée aux désastres et aux
+crimes des insurrections populaires.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Combat de Urfar.</i></p>
+
+<p>Le 17 de ce mois, à deux heures après midi, trois colonnes
+autrichiennes commandées par les généraux Grainville,
+Bucalowitz et Sommariva, et soutenues par une réserve aux
+ordres du général Jellachich, ont attaqué le général Vandamme,
+au village de Urfar, eu avant de la tête du pont de
+Lintz. Dans le même moment arrivait à Lintz le maréchal
+prince de Ponte-Corvo, avec la cavalerie et la première brigade
+d'infanterie saxonne. Le général Vandamme, à la tète
+des troupes wurtembergeoises, et avec quatre escadrons de
+hussards et de dragon saxons, repoussa vigoureusement les
+deux premières colonnes ennemies, les chassa de leurs positions,
+leur prit six pièces de canon et quatre cents hommes,
+et les mit dans une pleine déroute. La troisième colonne ennemie
+parut sur les hauteurs de Boslingberg, à sept heures
+du soir, et son infanterie couronna en un instant la Crète des
+montagnes voisines. L'infanterie saxonne attaqua l'ennemi
+avec impétuosité, le chassa de toutes ses positions, lui prit
+trois cents hommes et plusieurs caissons de munitions.</p>
+
+<p>L'ennemi s'est retiré en désordre sur Freystadt et sur Haslach.
+Les hussards envoyés à sa poursuite ont ramené beaucoup
+de prisonniers. On a pris dans les bois cinq cents fusils
+et une quantité de voitures et de caissons chargés d'effets
+d'habillement. La perte de l'ennemi, indépendamment des
+prisonniers, est de deux mille hommes tués ou blessés; la
+nôtre ne va pas à quatre cents hommes hors de combat.</p>
+
+<p>Le maréchal prince de Ponte-Corvo fait beaucoup d'éloges
+du général Vandamme. Il se loue de la conduite de M. de
+Leschwitz, général en chef des Saxons, qui conserve, à
+soixante-cinq ans, l'activité et l'ardeur d'un jeune homme;
+du général d'artillerie Mossel; du général Gérard, chef d'état-major,
+et du lieutenant-colonel aide-de-camp Hamelinaie.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Ebersdorf, 26 mai 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Douzième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>On a employé toute la journée du 23, la nuit du 23 au
+24, et toute la journée du 24 à réparer les ponts.</p>
+
+<p>Le 25, à la pointe du jour, ils étaient en état. Les blessés,
+les caissons vides, et tous les objets qu'il était nécessaire de
+renouveler, ont passé sur la rive droite.</p>
+
+<p>La crue du Danube devant encore durer jusqu'au 15 juin,
+on a pensé que pour pouvoir compter sur les ponts, il convenait
+de planter en avant des lignes de pilotis auxquels on
+amarrera la grande chaîne de fer qui est à l'arsenal, et qui fut
+prise par les Autrichiens sur les Turcs, qui la destinaient à
+un semblable usage.</p>
+
+<p>On travaille à ces ouvrages avec la plus grande activité,
+et déjà un grand nombre de sonnettes battent des pilotis; par
+ce moyen, et avec les fortifications qu'on fait sur la rive
+gauche, nous sommes assurés de pouvoir manoeuvrer sur les
+deux rives à volonté.</p>
+
+<p>Notre cavalerie légère est vis-à-vis de Presbourg, appuyée
+sur le lac de Neusiedel.</p>
+
+<p>Le général Lauriston est en Styrie sur le Simmeringberg
+et sur Bruck.</p>
+
+<p>Le maréchal duc de Dantzick est en grandes marches avec
+les Bavarois. Il ne tardera pas à rejoindre l'armée près de
+Vienne.</p>
+
+<p>Les chasseurs à cheval de la garde sont arrivés hier; les
+dragons arrivent aujourd'hui; on attend dans peu de jours
+les grenadiers à cheval et soixante pièces d'artillerie de la
+garde.</p>
+
+<p>Nous avons fait prisonniers lors de la capitulation de Vienne,
+sept feld-maréchaux-lieutenans, neuf généraux-majors, dix
+colonels, vingt majors et lieutenans-colonels, cent capitaines,
+cent cinquante lieutenans, deux cents sous-lieutenans, et trois
+mille sous-officiers et soldats, parmi lesquels ne sont pas
+compris les hommes qui étaient aux hôpitaux, et qui montaient
+à plusieurs milliers.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Ebersdorf, 27 mai 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Proclamation à l'armée d'Italie.</i></p>
+
+<p>Soldats de l'armée d'Italie,</p>
+
+<p>Vous avez glorieusement atteint le but que je vous avais
+marqué; le Simering a été témoin de voire jonction avec
+la grande armée.</p>
+
+<p>Soyez les bienvenus! Je suis content de vous!!! Surpris
+par un ennemi perfide avant que vos colonnes fussent réunies,
+vous avez dû rétrograder jusqu'à l'Adige; mais lorsque vous
+reçûtes l'ordre de marcher en avant, vous étiez sur le champ
+mémorable d'Arcole, et là, vous jurâtes sur les mânes de nos
+héros de triompher. Vous avez tenu parole à la bataille de la
+Piave, aux combats de Saint-Daniel, de Tarvis, de Gorice.
+Vous avez pris d'assaut les forts de Malborghetto, de Pradel
+et fait capituler la division ennemie retranchée dans Prévald
+et Laybach. Vous n'aviez pas encore passé la Drave, et déjà
+vingt-cinq mille prisonniers, soixante pièces de bataille, dix
+drapeaux avaient signalé votre valeur. Depuis, la Drave, la
+Save, la Muer n'ont pu retarder votre marche. La colonne autrichienne
+de Jellachich, qui la première entra dans Munich,
+qui donna le signai des massacres dans le Tyrol, environnée
+à Saint-Michel, est tombée dans vos baïonnettes. Vous avez
+fait une prompte justice de ces débris dérobés à la colère de
+la grande armée.</p>
+
+<p>Soldats, cette armée autrichienne d'Italie, qui un moment
+souilla par sa présence mes provinces, qui avait la prétention de
+briser ma couronne de fer, battue, dispersée, anéantie,
+grâces à vous, sera un exemple de la vérité de cette devise:
+<i>Dieu me la donne, gare à qui la touche.</i></p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Ebersdorf, 28 mai 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Treizième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Dans la nuit du 26 au 27, nos ponts sur le Danube ont
+été enlevés par les eaux et par des moulins qu'on a détachés.
+On n'avait pas encore eu le temps d'achever les pilotis et de
+placer la grande chaîne de fer. Aujourd'hui, l'un des ponts
+est rétabli, on espère que l'autre le sera demain.</p>
+
+<p>L'empereur a passé la journée d'hier sur la rive gauche,
+pour visiter les fortifications que l'on élève dans l'île d'In-der-Lobau,
+et pour voir plusieurs régimens du corps du duc de
+Rivoli en position de cette espèce de tête de pont.</p>
+
+<p>Le 27, à midi, le capitaine Bataille, aide-de-camp du prince
+vice-roi, a apporté l'agréable nouvelle de l'arrivée de l'armée
+d'Italie à Bruck. Le général Lauriston avait été envoyé au devant
+d'elle, et la jonction a eu lieu sur le Simmeringberg. Un
+chasseur du neuvième qui était en coureur en avant d'une
+reconnaissance de l'armée d'Italie, rencontra un chasseur
+d'un peloton du vingtième, envoyé par le général Lauriston,
+Après s'être observés pendant quelque temps, ils reconnurent
+qu'ils étaient Français et s'embrassèrent. Le chasseur du
+vingtième marcha sur Bruck, pour se rendre auprès du vice-roi,
+et celui du neuvième se dirigea vers le général Lauriston
+pour l'informer de l'approche de l'armée d'Italie. Il y avait
+plus de douze jours que les deux armées n'avaient pas de
+nouvelles l'une de l'autre. Le 26 au soir, le général Lauriston
+était à Bruck au quartier-général du vice-roi.</p>
+
+<p>Le vice-roi a montré dans toute cette campagne un sang-froid
+et un coup d'oeil qui présagent un grand capitaine.</p>
+
+<p>Dans la relation des faits qui ont illustré l'armée d'Italie
+pendant ces vingt derniers jours, Sa Majesté a remarqué avec
+plaisir la destruction du corps de Jellachich. C'est ce général
+qui fit aux Tyroliens cette insolente proclamation qui alluma
+leur fureur et aiguisa leurs poignards. Poursuivi par le
+duc de Dantzick, menacé d'être pris eu flanc par la brigade
+du général Dupellin, que le duc d'Auerstaedt avait fait
+déboucher par Mariazell, il est venu tomber comme dans un
+piége en avant de l'armée d'Italie. L'archiduc Jean qui, il y
+a si peu de temps, et dans l'excès de sa présomption, se dégradait
+par sa lettre au duc de Raguse, a évacué Gratz, hier,
+27, ramenant à peine vingt ou vingt-cinq mille hommes de
+cette belle armée qui était entrée en Italie. L'arrogance, l'insulte,
+les provocations à la révolte, toutes ses actions portant
+le caractère de la rage, ont tourné à sa honte.</p>
+
+<p>Les peuples de l'Italie se sont conduits comme auraient pu
+le faire les peuples de l'Alsace, de la Normandie ou du Dauphiné.
+Dans la retraite de nos soldais, ils les accompagnaient
+de leurs voeux et de leurs larmes; ils reconduisaient par des
+chemins détournés, et jusqu'à cinq marches de l'armée,
+les hommes égarés. Lorsque quelques prisonniers ou quelques
+blessés, français ou italiens, ramenés par l'ennemi, traversaient
+les villes et les villages, les habitans leur portaient
+des secours; ils cherchaient pendant la nuit les moyens de
+les travestir et de les faire sauver.</p>
+
+<p>Les proclamations et les discours de l'archiduc Jean n'inspiraient
+que le mépris et le dédain, et l'on aurait peine à se
+peindre la joie des peuples de la Piave, du Tagliamento et du
+Frioul, lorsqu'ils virent l'armée de l'ennemi fuyant en désordre,
+et l'armée du souverain et de la patrie revenant triomphante.</p>
+
+<p>Lorsqu'on a visité les papiers de l'intendant de l'armée autrichienne
+qui était à la fois le chef du gouvernement et de la
+police, et qui a été pris à Padoue avec quatre voitures, on y
+a découvert la preuve de l'amour des peuples d'Italie pour
+l'empereur. Tout le monde avait refusé des places, personne
+ne voulait servir l'Autriche: et parmi sept millions d'hommes
+qui composent la population du royaume, l'ennemi n'a trouvé
+que trois misérables qui n'aient pas repoussé la séduction.</p>
+
+<p>Les régimens d'Italie qui s'étaient distingués en Pologne
+et qui avaient rivalisé d'intrépidité dans la campagne de Catalogne
+avec les plus vieilles bandes françaises, se sont couverts
+de gloire dans toutes les affaires. Les peuples d'Italie
+marchent à grands pas vers le dernier terme d'un heureux
+changement. Cette belle partie du continent, où s'attachent
+tant de grands et d'illustres souvenirs, que la cour de Rome,
+que, cette nuée de moines, que ses divisions avaient perdue,
+reparaît avec honneur sur la scène de l'Europe.</p>
+
+<p>Tous les détails qui suivent, de l'armée autrichienne, constatent
+que dans les journées du 21 et du 22, sa perte a été
+énorme. L'élite de l'armée a péri. Selon les aimables de
+Vienne, les manoeuvres du général Danube ont sauvé l'armée
+autrichienne.</p>
+
+<p>Le Tyrol et le Voralberg sont parfaitement soumis. La
+Carniole, la Styrie, la Carinthie, le pays de Salzbourg, la
+Haute et la Basse-Autriche sont pacifiés et désarmés.</p>
+
+<p>Trieste, cette ville où les Français et les Italiens ont subi
+tant d'outrages, a été occupée. Les marchandises coloniales
+anglaises ont été confisquées. Une circonstance de la prise de
+Trieste a été très-agréable a l'empereur: c'est la délivrance
+de l'escadre russe; elle avait eu ordre d'appareiller pour Ancône;
+mais retenue par les vents contraires, elle était restée
+au pouvoir des Autrichiens.</p>
+
+<p>La jonction de l'armée de Dalmatie est prochaine. Le duc
+de Raguse s'est mis en marche aussitôt qu'il a appris que
+l'armée d'Italie était sur l'Izonso. On espère qu'il arrivera
+à Laybach avant le 5 juin.</p>
+
+<p>Le brigand Schill qui se donnait, et avec raison, le titre
+de général au service de l'Angleterre, après avoir prostitué
+le nom du roi de Prusse, comme les satellites de l'Angleterre
+prostituent celui de Ferdinand à Séville, a été poursuivi et
+jeté dans une île de l'Elbe. Le roi de Westphalie, indépendamment
+de quinze mille hommes de ses troupes, avait une
+division hollandaise et une division française; et le duc de
+Valmy a déjà réuni à Hanau deux divisions du corps d'observation,
+commandées par les généraux Rivaux et Despeaux, et
+composées des brigades Lameth, Clément, Taupin et Vaufreland.</p>
+
+<p>La pacification de la Souabe rend disponible le corps d'observation
+du général Beaumont qui est réuni à Augsbourg,
+et où se trouvent plus de trois mille dragons.</p>
+
+<p>La rage des princes de la maison de Lorraine contre la
+ville de Vienne peut se peindre par un seul trait. La capitale
+est nourrie par quarante moulins établis sur la rive gauche
+du fleuve. Ils les ont fait enlever et détruire.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Ebersdorf, 1er juin 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Quatorzième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Les ponts sur le Danube sont entièrement rétablis. On y a
+joint un pont volant, et l'on prépare tous les matériaux nécessaires
+pour jeter un autre pont de radeaux. Sept sonnettes
+battent des pilotis; mais le Danube ayant dans plusieurs endroits
+vingt-quatre et vingt-six pieds de profondeur, on emploie
+toujours beaucoup de temps pour faire tenir les ancres,
+lorsqu'on déplace les sonnettes. Cependant les travaux avancent
+et seront terminés sous peu.</p>
+
+<p>Le général de brigade du génie Lazowski fait travailler,
+sur la rive gauche, à une tête de pont qui aura seize cents
+toises de développement, et qui sera couverte par un bon
+fossé plein d'eau courante.</p>
+
+<p>Le quarante-quatrième équipage de la flottille de Boulogne,
+commandé par le capitaine de vaisseau Baste, est arrivé. Un
+grand nombre de bateaux en croisière battent toutes les îles,
+couvrent le pont et rendent beaucoup de services.</p>
+
+<p>Le bataillon des ouvriers de la marine travaille à la construction
+de petites péniches armées, qui serviront a maîtriser
+parfaitement le fleuve.</p>
+
+<p>Après la défaite du corps du général Jellachich, M. Mathieu,
+capitaine-adjoint à l'état-major de l'armée d'Italie, fut
+envoyé avec un dragon d'ordonnance sur la route de Salzbourg;
+ayant rencontré successivement une colonne de six cent cinquante
+hommes de troupes de ligne, et une colonne de deux
+mille landwehrs qui, l'une et l'autre étaient coupées et égarées,
+il les somma de se rendre, et elles mirent bas les armes.</p>
+
+<p>Le général de division Lauriston est arrivé à Oedembourg,
+premier comitat de Hongrie, avec une forte avant-garde. Il
+paraît qu'il y a de la fermentation en Hongrie, que les esprits
+y sont très-divisés, et que la majorité n'est pas favorable à
+l'Autriche.</p>
+
+<p>Le général de division Lasalle a son quartier-général vis-à-vis
+Presbourg, a poussé ses postes jusqu'à Altenbourg et
+jusqu'auprès de Raab.</p>
+
+<p>Trois-divisions de l'armée d'Italie sont arrivées a Neustadt.
+Le vice-roi est depuis deux jours au quartier-général de l'empereur.</p>
+
+<p>Le général Macdonald, commandant un des corps de l'armée
+d'Italie, est entré à Gratz. On a trouvé dans cette capitale
+de la Styrie d'immenses magasins de vivres et d'effets
+d'habillement et d'équipement de toute espèce.</p>
+
+<p>Le duc de Dantzick est à Lintz.</p>
+
+<p>Le prince de Ponte-Corvo marche sur Vienne. Le général
+de division Vandamme, avec les Wurtembergeois, est à Saint-Polten,
+Mauteru et Krems.</p>
+
+<p>La tranquillité règne dans le Tyrol. Coupés par les mouvemens
+du duc de Dantzick et de l'armée d'Italie, tous les
+Autrichiens qui s'étaient imprudemment engagés dans cette
+pointe, ont été détruits, les uns par le duc de Dantzick, les
+autres, tels que le corps de Jellachich, par l'armée d'Italie.
+Ceux qui étaient en Souabe n'ont eu d'autre ressource que de
+tâcher de traverser en partisans l'Allemagne, en se portant
+sur le Haut-Palatinat. Ils formaient une petite colonne d'infanterie
+et de cavalerie qui s'était échappée de Lindau et qui
+avait été rencontrée par le colonel Reiset du corps d'observation
+du général Beaumont; elle a été coupée à Neumarck, et la
+colonne entière, officiers et soldats, a mis bas les armes.</p>
+
+<p>Vienne est tranquille, le pain et le vin sont en abondance;
+mais la viande que cette capitale tirait du fond de la Hongrie,
+commence à devenir rare. Contre toutes les raisons politiques
+et tous les motifs d'humanité, les ennemis font l'impossible
+pour affamer leurs compatriotes et cette capitale qui renferme
+cependant leurs femmes et leurs enfans. Il y a loin de cette
+conduite à celle de notre Henri IV, nourrissant lui-même une
+ville qui était alors ennemie et qu'il assiégeait.</p>
+
+<p>Le duc de Montebello est mort hier à cinq heures du matin.
+Quelque temps auparavant, l'empereur s'était entretenu
+pendant une heure avec lui. Sa Majesté avait envoyé chercher
+par le général Rapp, son aide-de-camp, M. le docteur
+Franck, l'un des médecins les plus célèbres de l'Europe; ses
+blessures étaient en bon état, mais une fièvre pernicieuse avait
+fait en peu d'heures les plus funestes progrès. Tous les secours
+de l'art étaient devenus inutiles. S. M. a ordonné que le corps
+du duc de Montebello soit embaumé et transporté en France
+pour y recevoir les honneurs qui sont dus à un rang élevé et
+à d'éminens services. Ainsi a fini l'un des militaires les plus
+distingués qu'ait eus la France. Dans les nombreuses batailles
+où il s'est trouvé, il avait reçu treize blessures. L'empereur
+a été extrêmement sensible à cette perte qui sera ressentie par
+tous les Français.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Ebersdorf, 2 juin 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Quinzième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>L'armée de Dalmatie a obtenu les plus grands succès; elle
+a défait tout ce qui s'est présenté devant elle aux combats de
+Mont-Kitta, de Gradchatz, de la Liéca et d'Ottachatz. Le
+général en chef Sloissevich a été pris.</p>
+
+<p>Le duc de Raguse est arrivé le 28 à Fiume, et a fait ainsi
+sa jonction avec l'armée d'Italie et avec la grande armée, dont
+l'armée de Dalmatie forme l'extrême droite. On fera connaître
+la relation du duc de Raguse sur ces différens événemens.</p>
+
+<p>Le 28, une escadre anglaise de quatre vaisseaux, deux
+frégates et un brick, s'est présentée devant Trieste, avec l'intention
+de prendre l'escadre russe. Le général comte Cafarelli
+venait d'arriver dans ce port. Comme la ville était désarmée,
+les Russes ont débarqué quarante pièces de canon,
+dont vingt-quatre de 36 et seize de 24. On a mis ces pièces
+en batterie, et l'escadre russe s'est embossée. Tout était prêt
+pour bien recevoir l'ennemi qui, voyant son coup manqué,
+s'est éloigné.</p>
+
+<p>Un millier d'Autrichiens ayant passé de Krems sur la rive
+droite du Danube, ont été culbutés par le corps, wurtembergeois
+qui leur a fait soixante prisonniers.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Ebersdorf, 4 juin 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Seizième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>L'ennemi avait jeté sur la rive droite du Danube, vis-à-vis
+Presbourg, une division de neuf mille hommes, qui s'était retranchée
+dans le village d'Engerau. Le duc d'Auerstaedt l'a
+fait attaquer hier par les tirailleurs de Hesse-Darmstadt,
+soutenus par le douzième régiment d'infanterie de ligne. Le
+village a été emporté avec rapidité. Un major, huit officiers
+du régiment de Beaulieu, parmi lesquels se trouve le petit-fils
+de ce feld-maréchal, et quatre cents hommes ont été pris. Le
+reste du régiment a été tué, ou blessé, ou jeté dans l'eau; ce
+qui restait de la division a trouvé protection dans une île
+pour repasser le fleuve. Les tirailleurs de Hesse-Darmstadt
+se sont très-bien battus.</p>
+
+<p>Le vice-roi a aujourd'hui son quartier-général à Oedembourg.</p>
+
+<p>Les effets les plus précieux de la cour ont été transportés
+de Bude à Peterswalde, où l'impératrice s'est retirée.</p>
+
+<p>Le duc de Raguse est arrivé à Laybach.</p>
+
+<p>Le général Macdonald est maître de Gratz; il cerne la citadelle
+qui fait mine de résister.</p>
+
+<p>A la bataille d'Esling, le général de brigade Foulers, blessé
+dans une charge, fut précipité de son cheval, et le général
+de division Durosnel, aide-de-camp de l'empereur, portant
+un ordre à la division de cuirassiers qui chargeait, avait aussi
+été renversé. Nous avons eu la satisfaction d'apprendre que
+ces deux généreux et cent cinquante soldats que nous croyions
+avoir perdus, ne sont que blessés, et étaient restés dans les
+blés, lorsque l'empereur ayant appris que les ponts du Danube
+venaient de se rompre, ordonna de se concentrer entre
+Esling et Gross-Aspern.</p>
+
+<p>Le Danube baisse; cependant la continuation des chaleurs
+fait encore craindre une crue.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Vienne, 8 juin 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Dix-septième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le colonel Gorgoli, aide-de-camp de l'empereur de Russie,
+est arrivé au quartier-impérial avec une lettre de ce souverain
+pour S. M. Il a annoncé que l'armée russe se dirigeant sur
+Olmutz avait passé la frontière le 24 mai.</p>
+
+<p>L'empereur a passé avant-hier la revue de sa garde, infanterie,
+cavalerie et artillerie. Les habitans de Vienne ont admiré
+le nombre, la belle tenue et le bon état de ces troupes.</p>
+
+<p>Le vice-roi s'est porté avec l'armée d'Italie à Oedembourg,
+en Hongrie. Il paraît que l'archiduc Jean cherche à rallier son
+armée sur Raab.</p>
+
+<p>Le duc de Raguse est arrivé avec l'armée de Dalmatie, le
+3 de ce mois, à Laybach.</p>
+
+<p>Les chaleurs sont très-fortes, et les gens-pratiques du Danube
+annoncent qu'il y aura un débordement d'ici à peu de
+jours. On profite de ce temps pour achever, indépendamment
+des ponts de bateaux et de radeaux, de planter les pilotis.</p>
+
+<p>Tous les renseignemens que l'on reçoit du côté de l'ennemi
+annoncent que les villes de Presbourg, Brunn et Znaïm sont
+remplies de blessés. Les Autrichiens évaluent eux-mêmes leur
+perte à dix-huit mille hommes.</p>
+
+<p>Le prince Poniatowski, avec l'armée du grand-duché de
+Varsovie, poursuit ses succès. Après la prise de Sandomir,
+il s'est emparé de la forteresse de Zamosc, où il a fait éprouver
+à l'ennemi une perte de trois mille hommes et pris trente
+pièces de canon. Tous les Polonais qui sont à l'armée autrichienne
+désertent.</p>
+
+<p>L'ennemi, après avoir échoué devant Thorn, a été vivement
+poursuivi par le général Dombrowski.</p>
+
+<p>L'archiduc Ferdinand ne retirera que de la honte de son
+expédition. Il doit être arrivé dans la Silésie autrichienne,
+réduit au tiers de ses forces.</p>
+
+<p>Le sénateur Wibiski s'est distingué par ses sentimens patriotiques
+et son activité.</p>
+
+<p>M. le comte de Metternich «st arrivé à Vienne. Il va être
+échangé aux avant-postes avec la légation française, à qui les
+Autrichiens avaient, contre le droit des gens, refusé des passeports,
+et qu'ils avaient emmenée à Pest.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Vienne, 13 juin 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Dix-huitième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>La division du général Chasteller, qui avait insurgé le
+Tyrol, a passé le 4 de ce mois aux environs de Clagenfurth,
+pour se jeter en Hongrie. Le général Rusca a marché à elle,
+et il y a eu un engagement assez vif, où l'ennemi a été battu,
+et où on lui a fait neuf cents prisonniers.</p>
+
+<p>Le prince Eugène, avec un gros corps, manoeuvre au milieu
+de la Hongrie.</p>
+
+<p>Depuis quelques jours le Danube a augmenté d'un pied.</p>
+
+<p>Le général Gratien, avec une division hollandaise, ayant
+marché sur Stralsund, où s'était retranché le nommé Schill,
+a enlevé ses retranchemens d'assaut. Schill avait donné ordre
+de brûler la ville pour assurer sa retraite, mais sa bande n'en
+a pas eu le temps; elle a été en entier tuée ou prise; lui-même
+a été tué sur la grande place près du corps-de-garde, dans
+le moment où il se sauvait et cherchait à gagner le port pour
+s'embarquer.</p>
+
+<p>L'archiduc Ferdinand a évacué précipitamment Varsovie
+le 2 juin. Ainsi tout le grand-duché est abandonné par l'armée
+ennemie, tandis que les troupes que commande le prince
+Poniatowski occupent les trois quarts de la Galicie.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Vienne, 16 juin 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Dix-neuvième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>L'anniversaire de la bataille de Marengo a été célébré par
+la victoire de Raab, que la droite de l'armée commandée par
+le vice-roi, a remportée sur les corps réunis de l'archiduc
+Jean et de l'archiduc Palatin.</p>
+
+<p>Depuis la bataille de la Piave, le vice-roi a poursuivi l'archiduc
+Jean, l'épée dans les reins.</p>
+
+<p>L'armée autrichienne espérait se cantonner aux sources de
+la Raab, entre Saint-Gothard et Comorn.</p>
+
+<p>Le 5 juin, le vice-roi partit de Neustadt et porta son quartier-général
+à Oedembourg, en Hongrie.</p>
+
+<p>Le 7, il continua son mouvement, et arriva à Guns. Le
+général Lauriston, avec son corps d'observation, le rejoignit
+sur la gauche.</p>
+
+<p>Le 8, le général Montbrun, avec sa division de cavalerie
+légère, força le passage de la Raabnilz, auprès de Sovenshaga,
+culbuta trois cents cavaliers de l'insurrection hongroise, et les
+rejeta sur Raab.</p>
+
+<p>Le 9, le vice-roi se porta sur Sarvar.</p>
+
+<p>La cavalerie du général Grouchy rencontra l'arrière-garde
+ennemie à Vasvar, et fit quelques prisonniers.</p>
+
+<p>Le 10, le général Macdonald, venant de Gratz, arriva à
+Comorn.</p>
+
+<p>Le 11, le général de division Grenier rencontra à Karako,
+une colonne de flanqueurs ennemis qui défendait le pont, et
+passa la rivière de vive force. Le général Debroc, avec le
+neuvième de hussards, a fait une belle charge sur un bataillon
+de quatre cents hommes, dont trois cents ont été faits
+prisonniers.</p>
+
+<p>Le 12, l'armée déboucha par le pont de Merse sur Papa.
+Le vice-roi aperçut d'une hauteur toute l'armée ennemie en
+bataille. Le général de division Montbrun, général de cavalerie
+et officier d'une grande espérance, déboucha dans la
+plaine, attaqua et culbuta la cavalerie ennemie, après avoir
+fait plusieurs manoeuvres précises et vigoureuses. L'ennemi
+avait déjà commencé sa retraite. Le vice-roi passa la nuit à
+Papa.</p>
+
+<p>Le 13, à cinq heures du matin, l'armée se mit en marche
+pour se porter sur Raab. Notre cavalerie et la cavalerie autrichienne
+se rencontrèrent un village de Szanak. L'ennemi fut
+culbuté et on lui fit quatre cents prisonniers.</p>
+
+<p>L'archiduc Jean, ayant fait sa jonction avec l'archiduc Palatin,
+près de Raab, prit position sur de belles hauteurs, la
+droite appuyée à Raab, ville fortifiée, et la gauche couvrant
+le chemin de Comorn, autre place forte de la Hongrie.</p>
+
+<p>Le 14 à onze heures du matin, le vice-roi range son armée
+en bataille, et avec trente-cinq mille hommes, en attaque
+cinquante mille. L'ardeur de nos troupes est encore augmentée
+par le souvenir de la victoire mémorable qui a consacré
+cette journée. Tous les soldats poussent des cris de joie à la vue
+de l'armée ennemie, qui était sur trois lignes et composée de
+vingt à vingt-cinq mille hommes, restes de cette superbe armée
+d'Italie, qui naguère se croyait déjà maîtresse de toute l'Italie;
+de dix mille hommes commandés par le général Haddick,
+et formés des réserves des places fortes de Hongrie; de cinq
+à six mille hommes composés des débris réunis du corps de
+Jellachich, et des autres colonnes du Tyrol, échappés aux
+mouvemens de l'armée, par les gorges de la Carinthie; enfin,
+de douze a quinze mille hommes de l'insurrection hongroise,
+cavalerie et infanterie.</p>
+
+<p>Le vice-roi plaça son armée, la cavalerie du général Montbrun,
+la brigade du général Colbert et la cavalerie du général
+Grouchy sur la droite; le corps du général Grenier, formant
+deux échelons, dont la division du général Serras formait
+l'échelon de droite, en avant; une division italienne
+commandée par le général Baragucy-d'Hilliers, formant le second
+échelon, et la division du général Puthod, en réserve.
+Le général Lauriston, avec son corps d'observation, soutenu
+par le général Sahuc, formait l'extrême gauche, et observait
+la place de Raab.</p>
+
+<p>A deux heures après midi, la canonnade s'engagea. A trois
+heures, le premier, le second et le troisième échelons, en
+vinrent aux mains. La fusillade devint vive, la première ligne
+de l'ennemi fut culbutée, mais la seconde ligne arrêta un instant
+l'impétuosité de notre premier échelon qui fut aussitôt
+renforcé et la culbuta. Alors la réserve de l'ennemi se présenta.
+Le vice-roi qui suivait tous les mouvemens de l'ennemi, marcha,
+de son côté, avec sa réserve: la belle position des Autrichiens
+fut enlevée, et à quatre heures la victoire était
+décidée.</p>
+
+<p>L'ennemi, en pleine déroute, se serait difficilement rallié
+si un défilé ne s'était opposé aux mouvemens de notre cavalerie.
+Trois mille hommes faits prisonniers, six pièces de
+canon et quatre drapeaux, sont les trophées de cette journée.
+L'ennemi a laissé sur le champ de bataille trois mille morts,
+parmi lesquels on a trouvé un général major. Notre perte
+s'est élevée à neuf cents hommes tués ou blessés. Au nombre
+des premiers se trouve le colonel Thierry, du vingt-troisième
+régiment d'infanterie légère, et parmi les derniers, le général
+de brigade Valentin et le colonel Expert.</p>
+
+<p>Le vice-roi fait une mention particulière des généraux
+Grenier, Montbrun, Serras et Danthouard. La division italienne
+Severoli a montré beaucoup de précision et de sang-froid.
+Plusieurs généraux ont eu leurs chevaux tués; quatre
+aides-de-camp du vice-roi ont été légèrement atteints. Ce
+prince a été constamment au milieu de la plus grande mêlée.
+L'artillerie commandée par le général Sabatier, a soutenu sa
+réputation.</p>
+
+<p>Le champ de bataille de Raab avait été dès long-temps reconnu
+par l'ennemi, car il annonçait fort à l'avance qu'il
+tiendrait dans cette belle position. Le 15, il a été vivement
+poursuivi sur la route de Comorn et de Pest.</p>
+
+<p>Les habitans du pays sont tranquilles, et ne prennent aucune
+part à la guerre. La proclamation de l'empereur a mis de
+l'agitation dans les esprits. On sait que la nation hongroise a
+toujours désiré son indépendance. La partie de l'insurrection
+qui se trouve à l'armée avait déjà été levée par la dernière
+diète; elle est sous les armes et elle obéît.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Vienne, 20 juin 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Vingtième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Lorsque la nouvelle de la victoire de Raab arriva à Bude,
+l'impératrice en partit à l'heure même, ainsi que tout ce qui
+tenait au gouvernement.</p>
+
+<p>L'armée ennemie a été poursuivie pendant les journées du
+15 et du 16; elle a passé le Danube sur le pont de Comorn.
+La ville de Raab a été investie. On espère être maître sous
+peu de jours de cette place importante. On a trouvé dans les
+faubourgs des magasins assez considérables.</p>
+
+<p>On a pris le superbe camp retranché de Raab, qui pouvait
+contenir cent mille hommes. La colonne destinée à le défendre
+n'a pu s'y introduire; elle a été coupée.</p>
+
+<p>Un courrier venant de Bude, a été intercepté. Les dépêches
+écrites en latin, dont il était porteur, font connaître
+l'effet qu'a produit la bataille de Raab.</p>
+
+<p>L'ennemi inonde le pays de faux bruits; cela tient au système
+adopté pour remuer les dernières classes du peuple.</p>
+
+<p>M. de Metternich est parti le 18 de Vienne. Il sera échangé
+entre Comorn et Bude, avec M. Dodun et les autres personnes
+de la légation française.</p>
+
+<p>M. d'Epinay, officier d'ordonnance de S.M., est arrivé à
+Pétersbourg. Il a passé au quartier-général de l'armée russe.
+Le prince Serge-Galitzin est entré en Galicie le 3 de ce mois,
+sur trois colonnes; savoir, celle du général Levis par Drohyezim;
+celle du prince Gortszakoff par Therespold, et celle
+du prince Suwarow par Wlodzimirz.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Vienne, 22 juin 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Vingt-unième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Un aide-de-camp du prince Joseph Poniatowski est arrivé
+du quartier-général de l'armée du grand-duché. Le 10 de ce
+mois le prince Serge Galitzin devait être à Lublin et son
+avant-garde à Sandomir.</p>
+
+<p>L'ennemi se complaît à répandre des bulletins éphémères,
+où il rapporte tous les jours une victoire: selon lui, il a pris
+vingt mille fusils et deux mille cuirasses à la bataille d'Esling.
+Il dit que le 21 et le 22 il était maître du champ de bataille.
+Il a même fait imprimer et répandre une gravure de celle bataille,
+où on le voit enjambant de l'une à l'autre rive, et ses
+batteries traversant les îles et le champ de bataille dans tous
+les sens. Il imagine aussi une bataille, qu'il appelle la bataille
+de Kitsée, dans laquelle un nombre immense de Français auraient
+été pris ou tués. Ces puérilités, colportées par de petites
+colonnes de landwehrs comme celle de Schill, sont une
+tactique employée pour inquiéter et soulever le pays.</p>
+
+<p>Le général Maziani qui a été fait prisonnier à la bataille
+de Raab, est arrivé au quartier-général. Il dit que, depuis la
+bataille de la Piave, l'archiduc Jean avait perdu les deux
+tiers de son monde; qu'il a ensuite reçu des recrues qui ont
+à peu près rempli les cadres, mais qui ne savent pas faire
+usage de leurs fusils. Il porte à douze mille hommes la perte
+de l'archiduc Jean et du Palatin à la bataille de Raab. Selon
+le rapport des prisonniers hongrois, l'archiduc Palatin a été
+le premier dans cette journée à prendre la fuite.</p>
+
+<p>Quelques personnes ont voulu mettre en opposition la
+force de l'armée autrichienne à Esling, estimée à quatre-vingt-dix
+mille hommes, avec les quatre-vingt mille hommes
+qui ont été faits prisonniers depuis l'ouverture de la campagne;
+elles ont montré peu de réflexion. L'armée autrichienne
+est entrée en campagne avec neuf corps d'armée de
+quarante mille hommes chacun, et il y avait dans l'intérieur
+des corps de recrues et de landwehrs; de sorte que l'Autriche
+avait réellement plus de quatre cent mille hommes sous
+les armes. Depuis la bataille d'Ebensberg jusqu'à la prise de
+Vienne, y compris l'Italie et la Pologne, on peut avoir fait
+cent mille prisonniers à l'ennemi, et il a perdu cent mille
+hommes tués, déserteurs ou égarés. Il devait donc lui rester
+encore deux cent mille hommes distribués comme il suit:
+l'archiduc Jean avait à la bataille de Raab cinquante mille
+hommes, la principale armée autrichienne avait, avant la bataille
+d'Esling quatre-vingt-dix mille hommes; il restait donc,
+vingt-cinq mille hommes à l'archiduc Ferdinand à Varsovie,
+et vingt-cinq mille hommes étaient disséminés dans le Tyrol,
+dans la Croatie et répandus en partisans sur les confins de la
+Bohème.</p>
+
+<p>L'armée autrichienne à Esling était composée du premier
+corps commandé par le général Bellegarde, le seul qui n'eût pas
+donné et qui fût encore entier, et des débris du deuxième, du
+troisième, du quatrième, du cinquième et du sixième corps qui
+avaient été écrasés dans les batailles précédentes. Si ces corps
+n'avaient rien perdu et eussent été réunis tels qu'ils étaient
+au commencement de la campagne, ils auraient formé deux
+cent quarante mille hommes. L'ennemi n'avait pas plus de
+quatre-vingt-dix mille hommes, ainsi l'on voit combien sont
+énormes les pertes qu'il avait éprouvées.</p>
+
+<p>Lorsque l'archiduc Jean est entré en campagne, son armée
+était composée des huitième et neuvième corps, formant quatre-vingt
+mille hommes. A Raab elle se trouvait de cinquante
+mille hommes. Sa perte aurait donc été de trente mille
+hommes. Mais dans ces cinquante mille hommes étaient compris
+quinze mille Hongrois de l'insurrection. Sa perte était
+donc réellement de quarante-cinq mille hommes.</p>
+
+<p>L'archiduc Ferdinand était entré à Varsovie avec le septième
+corps formant quarante mille hommes. Il est réduit à
+vingt-cinq mille. Sa perte est donc de quinze mille hommes.</p>
+
+<p>On voit comment ces différens calculs se vérifient.</p>
+
+<p>Le vice-roi a battu à Raab cinquante mille hommes avec
+trente mille Français.</p>
+
+<p>A Esling quatre-vingt-dix mille hommes ont été battus
+et contenus par trente mille Français qui les auraient mis dans
+une complète déroute et détruits, sans l'événement des ponts
+qui a produit le défaut de munitions.</p>
+
+<p>Les grands efforts de l'Autriche ont été le résultat du papier-monnaie,
+et de la résolution que le gouvernement autrichien
+a prise de jouer le tout pour le tout. Dans le péril d'une
+banqueroute qui aurait pu amener une révolution, il a préféré
+ajouter cinq cents millions à la masse de son papier-monnaie,
+et tenter un dernier effort pour le faire escompter par l'Allemagne,
+l'Italie et la Pologne. Il est fort probable que cette
+raison ait influé plus que toute autre, sur ses déterminations.</p>
+
+<p>Pas un seul régiment français n'a été tiré d'Espagne, si ce
+n'est la garde impériale.</p>
+
+<p>Le général comte Lauriston continue le siège de Raab avec
+la plus grande activité. La ville brûle déjà depuis vingt-quatre
+heures, et cette armée qui a remporté à Esling une si
+grande victoire, qu'elle s'est emparée de vingt mille fusils et
+de deux mille cuirasses; cette armée qui, à la bataille de
+Kitsée, a tué tant de monde et fait tant de prisonniers; cette
+armée qui, selon ses bulletins apocryphes, a obtenu de si grands
+avantages à la bataille de Raab, voit tranquillement assiéger
+et brûler ses principales places et inonder la Hongrie de partis,
+et fait sauver son impératrice, ses dicastères, tous les effets
+précieux de son gouvernement, jusqu'aux frontières de la
+Turquie et aux extrémités les plus reculées de l'Europe.</p>
+
+<p>Un major autrichien a eu la fantaisie de passer le Danube
+sur deux bateaux à l'embouchure de la Marsch. Le général
+Gilly-Vieux s'est porté à sa rencontre avec quelques compagnies,
+l'a jeté dans l'eau et lui a fait quarante prisonniers.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Vienne, 24 juin 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Vingt-deuxième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>La place de Raab a capitulé. Cette ville est une excellente
+position au centre de la Hongrie. Son enceinte est bastionnée,
+ses fossés sont pleins d'eau, et une inondation en couvre une
+hommes, la principale armée autrichienne avait, avant la bataille
+d'Esling quatre-vingt-dix mille hommes; il restait donc,
+vingt-cinq mille hommes à l'archiduc Ferdinand à Varsovie,
+et vingt-cinq mille hommes étaient disséminés dans le Tyrol,
+dans la Croatie et répandus en partisans sur les confins de la
+Bohème.</p>
+
+<p>L'armée autrichienne à Esling était composée du premier
+corps commandé par le général Bellegarde, le seul qui n'eût pas
+donné et qui fût encore entier, et des débris du deuxième, du
+troisième, du quatrième, du cinquième et du sixième corps qui
+avaient été écrasés dans les batailles précédentes. Si ces corps
+n'avaient rien perdu et eussent été réunis tels qu'ils étaient
+au commencement de la campagne, ils auraient formé deux
+cent quarante mille hommes. L'ennemi n'avait pas plus de
+quatre-vingt-dix mille hommes, ainsi l'on voit combien sont
+énormes les pertes qu'il avait éprouvées.</p>
+
+<p>Lorsque l'archiduc Jean est entré en campagne, son armée
+était composée des huitième et neuvième corps, formant quatre-vingt
+mille hommes. A Raab elle se trouvait de cinquante
+mille hommes. Sa perte aurait donc été de trente mille
+hommes. Mais dans ces cinquante mille hommes étaient compris
+quinze mille Hongrois de l'insurrection. Sa perte était
+donc réellement de quarante-cinq mille hommes.</p>
+
+<p>L'archiduc Ferdinand était entré à Varsovie avec le septième
+corps formant quarante mille hommes. Il est réduit à
+vingt-cinq mille. Sa perte est donc de quinze mille hommes.</p>
+
+<p>On voit comment ces différens calculs se vérifient.</p>
+
+<p>Le vice-roi a battu à Raab cinquante mille hommes avec
+trente mille Français.</p>
+
+<p>A Esling quatre-vingt-dix mille hommes ont été battus
+et contenus par trente mille Français qui les auraient mis dans
+une complète déroute et détruits, sans l'événement des ponts
+qui a produit le défaut de munitions.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Vienne, 28 juin 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Vingt-troisième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le 25 de ce mois, S. M. a passé en revue un grand nombre
+de troupes sur les hauteurs de Schoenbrunn. On a remarqué
+une superbe ligne de huit mille hommes de cavalerie dont
+la garde faisait partie, et où ne se trouvait pas un régiment de
+cuirassiers. On a remarqué également une ligne de deux cents
+pièces de canon. La tenue et l'air martial des troupes excitaient
+l'admiration des spectateurs.</p>
+
+<p>Samedi 24, à quatre heures après-midi, nos troupes sont
+entrées à Raab. Le 25, la garnison prisonnière de guerre est
+partie. Décompte fait, elle s'est trouvée monter à deux mille
+cinq cents hommes.</p>
+
+<p>S. M. a donné au général de division Narbonne le commandement
+de cette place et de tous les comitats hongrois
+soumis aux armes françaises.</p>
+
+<p>Le duc d'Auerstaedt est devant Presbourg. L'ennemi travaillait
+à des fortifications. On lui a intimé de cesser ses travaux
+s'il ne voulait pas attirer de grands malheurs sur les
+paisibles habitans. Il n'en a tenu compte: quatre cents bombes
+et obus l'ont forcé de renoncer à son projet, mais le feu
+a pris dans cette malheureuse ville, et plusieurs quartiers ont
+été brûlés.</p>
+
+<p>Le duc de Raguse avec l'armée de Dalmatie a passé la
+Drave le 22, et marchait sur Dratz.</p>
+
+<p>Le 24, le général Vandamme a fait embarquer à Molck
+trois cents Wurtembergeois commandés par le général Kechler,
+pour les jeter sur l'autre rive, et avoir des nouvelles. Le
+débarquement s'est fait. Ces troupes ont mis en déroute deux
+compagnies ennemies, et ont pris deux officiers et quatre-vingts
+hommes du régiment de Mitrowski.</p>
+
+<p>Le prince de Ponte-Corvo et l'armée saxonne sont à Saint-Polien.</p>
+
+<p>Le duc de Dantzick qui est à Lintz, a fait faire une reconnaissance
+sur la rive gauche par le général de Wrede. Tous les
+postes ennemis ont été repoussés. On a pris plusieurs officiers
+et une vingtaine d'hommes. L'objet de cette reconnaissance
+était aussi de se procurer des nouvelles.</p>
+
+<p>La ville de Vienne est abondamment approvisionnée de
+viande; l'approvisionnement de pain est plus difficile à cause
+des embarras qu'on éprouve pour la mouture. Quant aux subsistances
+de l'armée, elles sont assurées pour six mois: elle a
+des vivres, du vin et des légumes en abondance. Le vin des
+caves des couvens a été mis en magasin pour fournir aux
+distributions à faire à l'armée. On a réuni ainsi plusieurs millions
+de bouteilles.</p>
+
+<p>Le 10 avril, au moment même où le général autrichien
+prostituait son caractère et tendait un piège au roi de Bavière,
+en écrivant la lettre qui a été insérée dans tous les papiers
+publics, le général Chasteller insurgeait le Tyrol et surprenait
+sept cents conscrits français qui allaient à Augsbourg où
+étaient leurs régimens, et qui marchaient sur la foi de la paix.
+Obligés de se rendre et faits prisonniers, ils furent massacrés.
+Parmi eux se trouvaient quatre-vingt Belges nés dans la même
+ville que Chasteller. Dix-huit cents Bavarois, faits prisonniers
+à la même époque, furent aussi massacrés. Chasteller
+qui commandait fut témoin de ces horreurs. Non-seulement
+il ne s'y opposa point, mais on l'accusa d'avoir souri à ce
+massacre, espérant que les Tyroliens, ayant à redouter la
+vengeance d'un crime dont ils ne pouvaient espérer le pardon,
+seraient ainsi plus fortement engagés dans leur rébellion.</p>
+
+<p>Lorsque S. M. eut connaissance de ces atrocités, elle se
+trouva dans une position difficile: si elle voulait recourir aux
+représailles, vingt généraux, mille officiers, quatre-vingt
+mille hommes faits prisonniers pendant le mois d'avril pouvaient
+satisfaire aux mânes des malheureux Français si lâchement
+égorgés. Mais des prisonniers n'appartiennent pas à la
+puissance pour laquelle ils ont combattu; ils sont tous la
+sauve-garde de l'honneur et de la générosité de la nation qui
+les a désarmés. S. M. considéra Chasteller comme étant sans
+aveu; car, malgré les proclamations furibondes et les discours
+violens des princes de la maison de Lorraine, il était impossible
+de croire qu'ils approuvaient de pareils attentats. S. M.
+fit en conséquence publier l'ordre du jour suivant:</p>
+<br><br><br>
+<p class="droite">Au quartier-général impérial à Ens, le 5 mai 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Ordre du jour.</i></p>
+
+<p>D'après les ordres de l'empereur, le nommé Chasteller,
+soi-disant général au service d'Autriche, moteur de l'insurrection
+du Tyrol, et prévenu d'être l'auteur des massacres
+commis sur les prisonniers bavarois et français par les insurgés,
+sera traduit à une commission militaire, aussitôt qu'il
+sera fait prisonnier, et passé par les armes s'il y a lieu, dans
+les vingt-quatre heures qui suivront la saisie.</p>
+
+<p class="droite">BERTHIER.</p>
+
+<br><br>
+<p>A la bataille d'Esling, le général Durosnel, portant un
+ordre à un escadron avancé, fut fait prisonnier par vingt-cinq
+hulans. L'empereur d'Autriche, fier d'un triomphe si facile,
+fit publier un ordre du jour conçu en ces termes:</p>
+
+<p class="milieu"><i>Copie d'une lettre de S. M. l'empereur d'Autriche au
+prince Charles.</i></p>
+
+<p>Mon cher frère,</p>
+
+<p>J'ai appris que l'empereur Napoléon a déclaré le marquis
+de Chasteller hors du droit des gens. Cette conduite injuste
+et contraire aux usages des nations, et dont on n'a aucun
+exemple dans les dernières époques de l'histoire, m'oblige
+d'user de représailles: en conséquence, j'ordonne que les généraux
+français Durosnel et Foulers soient gardés comme
+otages, pour subir le même sort et les mêmes traitemens que
+l'empereur Napoléon se permettrait de faire éprouver au général
+Chasteller. Il en coûte à mon coeur de donner un pareil
+ordre, mais je le dois à mes braves guerriers et à mes braves
+peuples, qu'un pareil sort peut atteindre au milieu des devoirs
+qu'ils remplissent avec tant de dévouement. Je vous
+charge de faire connaître cette lettre à l'armée, et de l'envoyer,
+par un parlementaire, au major-général de l'empereur
+Napoléon.</p>
+
+<p class="droite"><i>Signé</i> FRANÇOIS.</p>
+<br><br>
+
+<p>Aussitôt que cet ordre du jour parvint à la connaissance
+de S. M., elle ordonna d'arrêter le prince de Colloredo, le
+prince Metternich, le comte de Pergen et le comte de Harddeck,
+et de les conduire en France, pour répondre des jours
+des généraux Durosnel et Foulers. Le major-général écrivit
+au chef d'état-major de l'armée autrichienne la lettre ci-jointe:</p>
+<br><br>
+
+<p class="milieu"><i>A monsieur le major-général de l'armée autrichienne.</i></p>
+
+<p>Monsieur,</p>
+
+<p>S. M. l'empereur a eu connaissance d'un ordre donné par
+l'empereur François, qui déclare que les généraux français
+Durosnel et Foulers, que les circonstances de la guerre ont
+mis en son pouvoir, doivent répondre de la peine que les lois
+de la justice infligeraient à M. Chasteller, qui s'est mis à la
+tête des insurgés du Tyrol, et a laissé égorger sept cents prisonniers
+français et dix-huit à dix-neuf cents Bavarois; crime
+inouï dans l'histoire des nations, qui eût pu exciter une terrible
+représaille contre quarante feld-maréchaux-lieutenans,
+trente-six généraux-majors, plus de soixante colonels ou majors,
+douze cents officiers et quatre-vingt mille soldats, qui
+sont nos prisonniers, si S. M. ne regardait les prisonniers
+comme placés sous sa foi ou son honneur, et d'ailleurs
+n'avait eu des preuves que les officiers autrichiens du Tyrol
+en ont été aussi indignés que nous.</p>
+
+<p>Cependant, S. M. a ordonné que le prince de Colloredo,
+le prince Metternich, le comte Frédéric de Harddeck et le
+comte Pergen, seraient arrêtés et transférés en France, pour
+répondre de la sûreté des généraux Durosnel et Foulers, menacés
+par l'ordre du jour de votre souverain. Ces officiers pourront
+mourir, monsieur, mais ils ne mourront pas sans vengeance:
+cette vengeance ne tombera sur aucun prisonnier,
+mais sur les parens de ceux qui ordonneraient leur mort.</p>
+
+<p>Quant à M. Chasteller, il n'est pas encore au pouvoir de l'armée;
+mais s'il est arrêté, vous pouvez compter que son procès
+sera instruit, et qu'il sera traduit à une commission militaire.
+Je prie votre excellence de croire aux sentimens de ma
+haute considération.</p>
+
+<p class="droite">Le major-général<br> <i>Signé</i> BERTHIER.</p>
+<br><br>
+
+<p>La ville de Vienne et le corps des états de la Basse-Autriche
+sollicitèrent la clémence de S. M., et demandèrent à
+envoyer une députation à l'empereur François, pour faire
+sentir la déraison du procédé dont on usait à l'égard des généraux
+Durosnel et Foulers, pour représenter que Chasteller
+n'était pas condamné, qu'il n'était point arrêté, qu'il était
+seulement traduit devant les tribunaux; que les pères,
+les femmes, les enfans, les propriétés des généraux autrichiens
+étaient entre les mains des Français, et que l'armée
+française était décidée, si l'on attentait à un seul prisonnier,
+à faire un exemple dont la postérité conserverait long-temps
+le souvenir.</p>
+
+<p>L'estime que S. M. accorde aux bons habitans de Vienne
+et aux corps des états, la détermina à accéder à cette demande.
+Elle autorisa MM. de Colloredo, de Metternich, de Pergen
+et de Harddeck à rester à Vienne, et la députation à partir
+pour le quartier-général de l'empereur d'Autriche.</p>
+
+<p>Cette députation est de retour. L'empereur François a répondu
+à ses représentations qu'il ignorait le massacre des prisonniers
+français en Tyrol; qu'il compatissait aux maux de
+la capitale et des provinces; que ses ministres l'avaient trompé,
+etc., etc., etc. Les députés firent observer que tous les hommes
+sages voient avec peine l'existence de cette poignée de
+brouillons qui, par les démarches qu'ils conseillent, par les
+proclamations, les ordres du jour, etc., etc., etc., qu'ils font
+adopter, ne cherchent qu'à fomenter les passions et les haines,
+et à exaspérer un ennemi maître de la Croatie, de la
+Carniole, de la Carinthie, de la Styrie, de la Haute et de la
+Basse-Autriche, de la capitale de l'empire et d'une grande
+partie de la Hongrie; que les sentimens de l'empereur pour
+ses sujets devaient le porter à calmer le vainqueur, plutôt
+qu'à l'irriter, et à donner à la guerre le caractère qui lui est
+naturel chez les peuples civilisés, puisque ce vainqueur pouvait
+en appesantir les maux sur la moitié de la monarchie.</p>
+
+<p>On dit que l'empereur d'Autriche a répondu que la plupart
+des écrits dont les députés voulaient parler, étaient controuvés;
+que ceux, dont on ne désavouait pas l'existence, étaient
+plus modérés; que les rédacteurs dont on se servait, étaient
+d'ailleurs des commis français, et que, lorsque ces écrits
+contenaient des choses inconvenantes, on ne s'en apercevait
+que quand le mal était fait. Si cette réponse qui court dans
+le public, est vraie, nous n'avons aucune observation à faire.
+On ne peut méconnaître l'influence de l'Angleterre; car ce
+petit nombre d'hommes, traîtres à leur patrie, est certainement
+à la solde de cette puissance.</p>
+
+<p>Lorsque les députés ont passé à Bude, ils ont vu l'impératrice;
+c'était quelques jours avant qu'elle fût obligée de
+quitter cette ville. Ils l'ont trouvée changée, abattue et consternée
+des malheurs qui menaçaient sa maison. L'opinion de
+la monarchie est extrêmement défavorable à la famille de
+cette princesse. C'est cette famille qui a excité à la guerre.
+Les archiducs Palatin et Régnier sont les seuls princes autrichiens
+qui aient insisté pour le maintien de la paix. L'impératrice
+était loin de prévoir les événemens qui se sont passés.
+Elle a beaucoup pleuré; elle a montré un grand effroi
+du nuage épais qui couvre l'avenir; elle parlait de paix;
+elle demandait la paix; elle conjurait les députés de parler à
+l'empereur François en faveur de la paix. Ils ont rapporté
+que la conduite de l'archiduc Maximilien avait été désavouée,
+et que l'empereur d'Autriche l'avait envoyé au fond de la
+Hongrie.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Vienne, 3 juillet 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Vingt-quatrième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le général Broussier avait laissé deux bataillons du quatre-vingt-quatrième
+régiment de ligne dans la ville de Gratz, et
+s'était porté sur Vilden, pour se joindre à l'armée de Dalmatie.</p>
+
+<p>Le 26 juin, le général Giulay se présenta devant Gratz,
+avec dix mille hommes, composés, il est vrai, de Croates et
+de régimens des frontières. Le quatre-vingt-quatrième se
+cantonna dans un des faubourgs de la ville, repoussa les attaques
+de l'ennemi, les culbuta partout, lui prit cinq cents
+hommes, deux drapeaux, et se maintint dans sa position pendant
+quatorze heures, donnant le temps au général Broussier
+de le secourir. Ce combat d'un contre dix, a couvert de gloire
+le quatre-vingt-quatrième et son colonel, Gambin. Les drapeaux
+ont été présentés à S. M. à la parade. Nous avons à regretter
+vingt tués et quatre-vingt-douze blessés de ces braves
+gens.</p>
+
+<p>Le duc d'Auerstaedt a fait attaquer le 30, une des îles du
+Danube, peu éloignée de la rive droite, vis-à-vis Presbourg,
+où l'ennemi avait quelques troupes.</p>
+
+<p>Le général Gudin a dirigé cette opération avec habileté:
+elle a été exécutée par le colonel Decouz et par le vingt-unième
+régiment d'infanterie de ligne, que commande cet officier. A
+deux heures du matin, ce régiment, partie à la nage, partie
+dans des nacelles, a passé le très-petit bras du Danube, s'est
+emparé de l'île, a culbuté les quinze cents hommes qui s'y
+trouvaient, a fait deux cent cinquante prisonniers, parmi
+lesquels le colonel du régiment de Saint-Julien et plusieurs
+officiers, et a pris trois pièces de canon que l'ennemi avait
+débarquées pour la défense de l'île.</p>
+
+<p>Enfin, il n'existe plus de Danube pour l'armée française: le
+général comte Bertrand a fait exécuter des travaux qui excitent
+l'étonnement et inspirent l'admiration.</p>
+
+<p>Sur une largeur de quatre cents toises, et sur un fleuve le
+plus rapide du monde, il a, en quinze jours, construit un
+pont formé de soixante arches, où trois voitures peuvent passer
+de front; un second pont de pilotis a été construit, mais
+pour l'infanterie seulement, et de la largeur de huit pieds.
+Après ces deux ponts, vient un pont de bateaux. Nous pouvons
+donc passer le Danube en trois colonnes. Ces trois ponts
+sont assurés contre toute insulte, même contre l'effet des
+brûlots et machines incendiaires, par des estacades sur pilotis,
+construites entre les îles, dans différentes directions, et dont
+les plus éloignées sont à deux cent cinquante toises des ponts.
+Quand on voit ces immenses travaux, on croit qu'on a employé
+plusieurs années à les exécuter; ils sont cependant l'ouvrage
+de quinze à vingt jours: ces beaux travaux sont défendus
+par des têtes de pont ayant chacune seize cents toises
+de développement, formées de redoutes palissadées, fraisées
+et entourées de fosses pleins d'eau. L'île de Lobau est une
+place forte: il y a des manutentions de vivres, cent pièces de
+gros calibre et vingt mortiers ou obusiers de siège en batterie.
+Vis-à-vis Esling, sur le dernier bras du Danube, est un pont
+que le duc de Rivoli a fait jeter hier. Il est couvert par une
+tête de pont qui avait été construite lors du premier passage.</p>
+
+<p>Le général Legrand, avec sa division, occupe les bois en
+avant de la tête du pont. L'armée ennemie est en bataille,
+couverte par des redoutes, la gauche à Euzendorf, la droite
+à Gros-Aspern: quelques légères fusillades d'avant-postes ont
+eu lieu.</p>
+
+<p>A présent que le passage du Danube est assuré, que nos
+ponts sont à l'abri de toute tentative, le sort de la monarchie
+autrichienne sera décidé dans une seule affaire.</p>
+
+<p>Les eaux du Danube étaient le premier juillet de quatre
+pieds au-dessous des plus basses et de-treize pieds au-dessous
+des plus hautes.</p>
+
+<p>La rapidité de ce fleuve dans cette partie est, lors des grandes
+eaux, de sept à douze pieds, et lors de la hauteur moyenne,
+de quatre pieds six pouces par seconde, et plus forte que sur
+aucun autre point. En Hongrie, elle diminue beaucoup, et
+à l'endroit où Trajan fit jeter un pont, elle est presque insensible.
+Le Danube est là d'une largeur de quatre cent cinquante
+toises; ici il n'est que de quatre cents. Le pont de
+Trajan était un pont de pierres fait en plusieurs années. Le
+pont de César, sur le Rhin, fut jeté, il est vrai, en huit jours,
+mais aucune voiture chargée n'y pouvait passer.</p>
+
+<p>Les ouvrages sur le Danube sont les plus beaux ouvrages
+de campagne qui aient jamais été construits.</p>
+
+<p>Le prince Gagarin, aide-de-camp de l'empereur de Russie,
+est arrivé avant-hier à quatre heures du matin à Schoenbrunn,
+au moment où l'empereur montait à cheval. Il était parti de
+Pétersbourg le 8 juin. Il a apporté des nouvelles de la marche
+de l'armée russe en Gallicie.</p>
+
+<p>Sa Majesté a quitté Schoenbrunn. Elle campe depuis deux
+jours. Ses tentes sont fort belles et faites à la manière des
+tentes égyptiennes.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Wolfersdorf, 8 juillet 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Vingt-cinquième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Les travaux du général comte Bertrand et du corps qu'il
+commande, avaient, dès les premiers jours du mois, dompté
+entièrement le Danube. S. M. résolut, sur-le-champ, de réunir
+son armée dans l'île de Lobau, de déboucher sur l'armée
+autrichienne et de lui livrer une bataille générale. Ce n'était
+pas que la position de l'armée française ne fût très-belle à
+Vienne; maîtresse de toute la rive droite du Danube, ayant
+en son pouvoir l'Autriche et une forte partie de la Hongrie,
+elle se trouvait dans la plus grande abondance. Si l'on éprouvait
+quelques difficultés pour l'approvisionnement de la population
+de Vienne, cela tenait à la mauvaise organisation de
+l'administration, à quelques embarras que chaque jour aurait
+fait cesser, et aux difficultés qui naissent naturellement de
+circonstances telles que celles où l'on se trouvait, et dans un
+pays où le commerce des grains est un privilége exclusif du
+gouvernement. Mais comment rester ainsi séparé de l'armée
+ennemie par un canal de trois ou quatre cents toises, lorsque
+les moyens de passage avaient été préparés et assurés?
+C'eût été accréditer les impostures que l'ennemi a débitées et
+répandues avec tant de profusion dans son pays et dans les
+pays voisins. C'était laisser du doute sur les événemens d'Esling;
+c'était enfin autoriser à supposer qu'il y avait une égalité
+de consistance entre deux armées si différentes, dont
+l'une était animée et en quelque sorte renforcée par des succès
+et des victoires multipliées, et l'autre était découragée par
+les revers les plus mémorables.</p>
+
+<p>Tous les renseignemens que l'on avait sur l'armée autrichienne
+portaient qu'elle était considérable, qu'elle avait été
+recrutée par de nombreuses réserves, par les levées de Moravie
+et de Hongrie, par toutes les landwehrs des provinces;
+qu'elle avait remonté sa cavalerie par des réquisitions dans tous
+les cercles, et triplé ses attelages d'artillerie en faisant d'immenses
+levées de charrettes et de chevaux en Moravie, en
+Bohême et en Hongrie. Pour ajouter de nouvelles chances en
+leur faveur, les généraux autrichiens avaient établi des ouvrages
+de campagne dont la droite était appuyée à Gros-Aspern
+et la gauche à Enzersdorf.</p>
+
+<p>Les villages d'Aspern, d'Esling et d'Enzersdorf, et les intervalles
+qui les séparaient, étaient couverts de redoutes palissadées,
+fraisées et armées de plus de cent cinquante pièces
+de canon de position, tirées des places de la Bohême et de la
+Moravie. On ne concevait pas comment il était possible qu'avec
+son expérience de la guerre, l'empereur voulût attaquer des
+ouvrages si puissamment défendus, soutenus par une armée
+qu'on évaluait à deux cent mille hommes, tant de troupes
+de ligne que des milices et de l'insurrection, et qui étaient
+appuyés par une artillerie de huit ou neuf cents pièces de
+campagne. Il paraissait plus simple de jeter de nouveaux
+ponts sur le Danube, quelques lieues plus bas, et de rendre
+ainsi inutile le champ de bataille préparé par l'ennemi. Mais
+dans ce dernier cas, on ne voyait pas comment écarter les inconvéniens
+qui avaient déjà failli être funestes à l'armée, et
+parvenir en deux ou trois jours à mettre ces nouveaux ponts
+à l'abri des machines de l'ennemi.</p>
+
+<p>D'un autre côté, l'empereur était tranquille. On voyait
+élever ouvrages sur ouvrages dans l'île de Lobau, et établir
+sur le même point, plusieurs ponts sur pilotis et plusieurs
+rangs d'estacades.</p>
+
+<p>Cette situation de l'armée française, placée entre ces deux
+grandes difficultés, n'avait pas échappé à l'ennemi. Il convenait
+que son armée trop nombreuse et pas assez maniable,
+s'exposerait à une perte certaine, si elle prenait l'offensive;
+mais en même temps, il croyait qu'il était impossible de le
+déposter de la position centrale où il couvrait la Bohême, la
+Moravie et une partie de la Hongrie. Il est vrai que cette
+position ne couvrait pas Vienne et que les Français étaient
+en possession de cette capitale; mais cette position était,
+jusqu'à un certain point, disputée, puisque les Autrichiens
+se maintenaient maîtres du Danube, et empêchaient les arrivages
+des choses les plus nécessaires à la subsistance d'une si
+grande cité.</p>
+
+<p>Telles étaient les raisons d'espérance et de crainte, et
+la matière des conversations des deux armées, lorsque le
+premier juillet, à quatre heures du matin, l'empereur
+porta son quartier-général à l'île Lobau, qui avait déjà
+été nommée, par les ingénieurs, île Napoléon; une petite
+île à laquelle on avait donné le nom du duc de Montebello
+et qui battait Enzersdorf, avait été armée de dix mortiers et
+de vingt pièces de dix-huit. Une autre île, nommée île Espagne,
+avait été armée de six pièces de position de douze et de
+quatre mortiers. Entre ces deux îles, on avait établi une batterie
+égale en force à celle de l'île Montebello et battant également
+Enzersdorf. Ces soixante-deux pièces de position avaient
+le même but et devaient, en deux heures de temps, raser la
+petite ville d'Enzersdorf, en chasser l'ennemi, et en détruire
+les ouvrages. Sur la droite, l'île Alexandre, armée de quatre
+mortiers, de dix pièces de douze et de douze pièces de six de
+position, avaient pour but de battre la plaine et de protéger
+le ploiement et le déploiement de nos ponts.</p>
+
+<p>Le 2, un aide-de-camp du duc de Rivoli passa avec
+cinq cents voltigeurs, dans l'île du Moulin, et s'en empara.
+On arma cette île; on la joignit au continent par un petit pont
+qui allait à la rive gauche. En avant, on construisit une petite
+flèche que l'on appela redoute Petit. Le soir, les redoutes
+d'Esling, en parurent jalouses: ne doutant pas que ce ne fût
+une première batterie que l'on voulait faire agir contre elles,
+elles tirèrent avec la plus grande activité. C'était précisément
+l'intention que l'on avait eue en s'emparant de cette île; on
+voulait y attirer l'attention de l'ennemi pour la détourner du
+véritable but de l'opération.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Passage du bras du Danube à l'île Lobau.</i></p>
+
+<p>Le 4, à dix heures du soir, le général Oudinot fit embarquer,
+sur le grand bras du Danube, quinze cents voltigeurs,
+commandés par le général Conroux. Le colonel Baste, avec
+dix chaloupes canonnières, les convoya et les débarqua au-delà
+du petit bras de l'île Lobau dans le Danube. Les batteries de
+l'ennemi furent bientôt écrasées, et il fut chassé des bois jusqu'au
+village de Muhllenten.</p>
+
+<p>À onze heures du soir les batteries dirigées contre Enzersdorf
+reçurent l'ordre de commencer leur feu. Les obus brûlèrent
+cette infortunée petite ville, et en moins d'une demi-heure
+les batteries ennemies furent éteintes.</p>
+
+<p>Le chef de bataillon Dessales, directeur des équipages des
+ponts, et un ingénieur de marine avaient préparé, dans le
+bras de l'île Alexandre, un pont de quatre-vingts toises d'une
+seule pièce et cinq gros bacs.</p>
+
+<p>Le colonel Sainte-Croix, aide-de-camp du duc de Rivoli,
+se jeta dans des barques avec deux mille cinq cents hommes
+et débarqua sur la rive gauche.</p>
+
+<p>Le pont d'une seule pièce, le premier de cette espèce qui,
+jusqu'à ce jour, ait été construit, fut placé en moins de cinq
+minutes, et l'infanterie y passa au pas accéléré.</p>
+
+<p>Le capitaine Buzelle jeta un pont de bateaux en une heure
+et demie.</p>
+
+<p>Le capitaine Payerimoffe jeta un pont de radeaux en deux
+heures.</p>
+
+<p>Ainsi, à deux heures après minuit, l'armée avait quatre
+ponts, et avait débouché, la gauche à quinze cents toises au-dessous
+d'Enzersdorf, protégée par les batteries, et la droite
+sur Vittau. Le corps du duc de Rivoli forma la gauche; celui
+du comte Oudinot le centre, et celui du duc d'Auerstaedt la
+droite. Les corps du prince de Ponte-Corvo, du vice-roi et du
+duc de Raguse, la garde et les cuirassiers formaient la seconde
+ligne et les réserves. Une profonde obscurité, un violent orage
+et une pluie qui tombait par torrens, rendait cette nuit aussi
+affreuse qu'elle était propice à l'armée française et qu'elle devait
+lui être glorieuse.</p>
+
+<p>Le 5, aux premiers rayons du soleil, tout le monde reconnut
+quel avait été le projet de l'empereur, qui se trouvait
+alors avec son armée en bataille sur l'extrémité de la
+gauche de l'ennemi, ayant tourné ses camps retranchés,
+ayant rendu tous ses ouvrages inutiles, et obligeant ainsi les
+Autrichiens à sortir de leurs positions et à venir lui livrer bataille,
+dans le terrain qui lui convenait. Ce grand problème
+était résolu, et sans passer le Danube ailleurs, sans recevoir
+aucune protection des ouvrages qu'on avait construits, on forçait
+l'ennemi à se battre à trois quarts de lieue de ses redoutes.
+On présagea dès-lors les plus grands et les plus heureux
+résultats.</p>
+
+<p>A huit heures du matin, les batteries qui tiraient sur Enzersdorf
+avaient produit un tel effet que l'ennemi s'était
+borné à laisser occuper cette ville par quatre bataillons. Le
+duc de Rivoli fit marcher contre elle son premier aide-de-camp
+Sainte-Croix, qui n'éprouva pas une grande résistance,
+s'en empara et fit prisonnier tout ce qui s'y trouvait.</p>
+
+<p>Le comte Oudinot cerna le château de Sachsengand que
+l'ennemi avait fortifié, fit capituler les neuf cents hommes
+qui le défendaient, et prit douze pièces de canon.
+L'empereur fit alors déployer toute l'armée dans l'immense
+plaine d'Enzersdorf.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Bataille d'Enzersdorf.</i></p>
+
+<p>Cependant, l'ennemi, confondu dans ses projets, revint
+peu a peu de sa surprise, et tenta de ressaisir quelques avantages
+dans ce nouveau champ de bataille. A cet effet, il détacha
+plusieurs colonnes d'infanterie, un bon nombre de pièces
+d'artillerie, et sa cavalerie tant de ligue qu'insurgée, pour
+essayer de déborder la droite de l'armée française. En conséquence,
+il vint occuper le village de Rutzendorf. L'empereur
+ordonna au général Oudinot de faire enlever ce village, à la
+droite duquel il fit passer le duc d'Auerstaedt, pour se diriger
+sur le quartier-général du prince Charles, en marchant
+toujours de la droite a la gauche.</p>
+
+<p>Depuis midi jusqu'à neuf heures du soir, on manoeuvra
+dans cette immense plaine; on occupa tous les villages, et à
+mesure qu'on arrivait à la hauteur des camps retranchés de
+l'ennemi, ils tombaient d'eux-mêmes et comme par enchantement.
+Le duc de Rivoli les faisait occuper sans résistance.
+C'est ainsi que nous nous sommes emparés des ouvrages d'Esling
+et de Gros-Aspern, et que le travail de quarante jours
+n'a été d'aucune utilité à l'ennemi. Il fit quelque résistance au
+village de Raschdorf, que le prince de Ponte-Corvo fit attaquer
+et enlever par les Saxons. L'ennemi fut partout mené
+battant et écrasé par la supériorité de notre feu. Cet immense
+champ de bataille resta couvert de ses débris.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Bataille de Wagram.</i></p>
+
+<p>Vivement effrayé des progrès de l'armée française et des
+grands résultats qu'elle obtenait presque sans effort, l'ennemi
+fit marcher presque toutes ses troupes, et à six heures du
+soir, il occupa la position suivante: sa droite, de Stadelau à
+Gerardorf; son centre, de Gerardorf à Wagram, et sa gauche,
+de Wagram à Neusiedel. L'armée française avait sa
+gauche à Gros-Aspern, son centre à Raschdorf, et sa droite
+à Gluzendorf. Dans cette position, la journée paraissait presque
+finie, et il fallait s'attendre à avoir le lendemain une
+grande bataille; mais on l'évitait et on, coupait la position de
+l'ennemi en l'empêchant de concevoir aucun système, si dans
+la nuit on s'emparait du village de Wagram. Alors sa ligne,
+déjà immense, prise à la hâte et par les chances du combat,
+laissait errer les différens corps de l'armée sans ordre et sans
+direction, et on en aurait eu bon marché sans engagement
+sérieux. L'attaque de Wagram eut lieu, nos troupes emportèrent
+ce village; mais une colonne de Saxons et une colonne
+de Français se prirent dans l'obscurité pour des troupes ennemies,
+et cette opération fut manquée.</p>
+
+<p>On se prépara alors à la bataille de Wagram. Il parait que
+les dispositions du général français et du général autrichien
+furent inverses. L'empereur passa toute la nuit à rassembler
+ses forces sur son centre où il était de sa personne à une portée
+de canon de Wagram. A cet effet, le duc de Rivoli se
+porta sur la gauche d'Aderklau en laissant sur Aspern une
+seule division qui eut ordre de se replier en cas d'événement
+sur l'île de Lobau. Le duc d'Auerstaedt recevait l'ordre de
+dépasser le village de Grosshoffen pour s'approcher du centre.
+Le général autrichien, au contraire, affaiblissait son
+centre pour garnir et augmenter ses extrémités auxquelles il
+donnait une nouvelle étendue.</p>
+
+<p>Le 6, à la pointe du jour, le prince de Ponte-Corvo occupa
+la gauche, ayant en seconde ligne le duc de Rivoli. Le
+vice-roi le liait au centre, où le corps du comte Oudinot, celui
+du duc de Raguse, ceux de la garde impériale, et les divisions
+de cuirassiers formaient sept ou huit lignes.</p>
+
+<p>Le duc d'Auerstaedt marcha de la droite pour arriver au
+centre. L'ennemi, au contraire, mettait le corps de Bellegarde
+en marche sur Stadelau. Les corps de Kollowrath, de
+Lichtenstein et de Hiller liaient cette droite à la position de
+Wagram où était le prince de Hohenzollern, et à l'extrémité
+de la gauche à Neusiedel, où débouchait le corps de Rosemberg
+pour déborder également le duc d'Auerstaedt. Le corps
+de Rosemberg et celui du duc d'Auerstaedt faisant un mouvement
+inverse, se rencontrèrent aux premiers rayons du soleil,
+et donnèrent le signal de la bataille. L'empereur se porta aussitôt
+sur ce point, fit renforcer le duc d'Auerstaedt par la division
+de cuirassiers du duc de Padoue, et fit prendre le
+corps de Rosemberg en flanc par une batterie de douze pièces
+de la division du général comte de Nansouty. En moins de
+trois quarts d'heure le beau corps du duc d'Auerstaedt eut
+fait raison du corps de Rosemberg, le culbuta et le rejeta au-delà
+de Neusiedel après lui avoir fait beaucoup de mal.</p>
+
+<p>Pendant ce temps, la canonnade s'engageait sur toute la
+ligne et la disposition de l'ennemi se développait de moment
+en moment. Toute sa gauche se garnissait d'artillerie. On eût
+dit que le général autrichien ne se battait pas pour la victoire,
+mais qu'il n'avait en vue que le moyen d'en profiter. Cette
+disposition de l'ennemi paraissait si insensée, que l'on craignait
+quelque piège, et que l'empereur différa quelque temps
+avant d'ordonner les faciles dispositions qu'il avait à faire
+pour annuler celles de l'ennemi et les lui rendre funestes. Il
+ordonna au duc de Rivoli de faire une attaque sur un village
+qu'occupait l'ennemi, et qui pressait un peu l'extrémité du
+centre de l'armée. Il ordonna au duc d'Auerstaedt de tourner
+la position de Neusiedel et de pousser de là sur Wagram
+au moment où déboucherait le duc de Rivoli.</p>
+
+<p>Sur ces entrefaites, on vint prévenir que l'ennemi attaquait
+avec fureur le village qu'avait enlevé le duc de Rivoli, que
+notre gauche était débordée de trois mille toises, qu'une vive
+canonnade se faisait déjà entendre à Gros-Aspern, et que
+l'intervalle de Gros-Aspern à Wagram paraissait couvert
+d'une immense ligne d'artillerie. Il n'y eut plus à douter;
+l'ennemi commettait une énorme faute; il ne s'agissait que
+d'en profiter. L'empereur ordonna sur-le-champ au général
+Macdonald de disposer les divisions Broussier et Lamarque
+en colonnes d'attaque; il les fit soutenir par la division du général
+Nansouty, par la garde à cheval, et par une batterie
+de soixante pièces de la garde et de quarante pièces de différens
+corps. Le général comte de Lauriston, à la tête de cette
+batterie de cent pièces d'artillerie, marcha au trot à l'ennemi,
+s'avança sans tirer jusqu'à demi-portée de canon,
+et là commença un feu prodigieux qui éteignit celui de l'ennemi,
+et porta la mort dans ses rangs. Le général Macdonald
+marcha alors au pas de charge; le général de division
+Reille, avec la brigade de fusiliers et de tirailleurs de la
+garde, soutenait le général Macdonald. La garde avait fait
+un changement de front pour rendre cette attaque infaillible.
+Dans un clin d'oeil, le centre de l'ennemi perdit une lieue de
+terrain; sa droite, épouvantée, sentit le danger de la position
+où elle s'était placée, et rétrograda en grande hâte. Le duc
+de Rivoli l'attaqua alors en tète. Pendant que la déroute du
+centre portait la consternation et forçait les mouvemens de la
+droite de l'ennemi, sa gauche était attaquée et débordée par
+le duc d'Auerstaedt, qui avait enlevé Neusiedel, et qui, étant
+monté sur le plateau, marchait sur Wagram. La division
+Broussier et la division Gudin se sont couvertes de gloire.</p>
+
+<p>Il n'était alors que dix heures du matin, et les hommes les
+moins clairvoyans voyaient que la journée était décidée et
+que la victoire était à nous.</p>
+
+<p>A midi, le comte Oudinot marcha sur Wagram pour aider
+à l'attaque du duc d'Auerstaedt. Il y réussit et enleva cette
+importante position. Dès dix heures, l'ennemi ne se battait
+plus que pour sa retraite; dès midi, elle était prononcée et se
+faisait en désordre, et beaucoup avant la nuit, l'ennemi était
+hors de vue. Notre gauche était placée à Jetessée et Ebersdorf,
+notre centre sur Obersdorf, et la cavalerie de notre
+droite avait des postes jusqu'à Shoukirchen.</p>
+
+<p>Le 7, à la pointe du jour, l'armée était en mouvement et
+marchait sur Kornenbourg et Wolkersdorf, et avait des postes
+sur Nicolsbourg. L'ennemi, coupé de la Hongrie et de la
+Moravie, se trouvait acculé du côté de la Bohême.</p>
+
+<p>Tel est le récit de la bataille de Wagram, bataille décisive
+et à jamais célèbre, où trois à quatre cent mille hommes,
+douze à quinze cents pièces de canon se battaient pour
+de grands intérêts, sur un champ de bataille étudié, médité,
+fortifié par l'ennemi depuis plusieurs mois. Dix drapeaux, quarante
+pièces de canon, vingt mille prisonniers, dont trois ou
+quatre cents officiers et bon nombre de généraux, de colonels
+et de majors, sont les trophées de cette victoire. Les champs
+de bataille sont couverts de morts, parmi lesquels on trouve
+les corps de plusieurs généraux, et entre autres d'un nommé
+Normann, Français, traître à sa patrie, qui avait prostitué
+ses talens contre elle.</p>
+
+<p>Tous les blessés de l'ennemi sont tombés en notre pouvoir.
+Ceux qu'il avait évacués au commencement de l'action, ont
+été trouvés dans les villages environnans. On peut calculer
+que le résultat de cette bataille sera de réduire l'armée
+autrichienne à moins de soixante mille hommes.</p>
+
+<p>Notre perte a été considérable: on l'évalue à quinze cents
+hommes tués et à trois ou quatre mille blessés.
+Le duc d'Istrie, au moment où il disposait l'attaque de la
+cavalerie, a eu son cheval emporté d'un coup de canon; le
+boulet est tombé sur sa selle, et lui a fait une légère contusion
+à la cuisse.</p>
+
+<p>Le général de division Lasalle a été tué d'une balle. C'était
+un officier du plus grand mérite et l'un de nos meilleurs
+généraux de cavalerie légère.</p>
+
+<p>Le général bavarois de Wrede, et les généraux Seras,
+Grenier, Vignolle, Sahuc, Frère et Defrance ont été blessés.</p>
+
+<p>Le colonel prince Aldobrandini a été frappé au bras par
+une balle. Les majors de la garde Daumesnil et Corbineau et
+le colonel Sainte-Croix, ont aussi été blessés. L'adjudant-commandant
+Duprat a été tué. Le colonel du neuvième d'infanterie
+de ligne est resté sur le champ de bataille. Ce régiment
+s'est couvert de gloire.</p>
+
+<p>L'état-major fait dresser l'état de nos pertes.</p>
+
+<p>Une circonstance particulière de cette grande bataille, c'est
+que les colonnes les plus rapprochées de Vienne n'en étaient
+pas à douze cents toises. La nombreuse population de cette
+capitale couvrait les tours, les clochers, les toits, les monticules
+pour être témoin de ce grand spectacle.</p>
+
+<p>L'empereur d'Autriche avait quitté Wolkersdorf le 6, à
+cinq heures du matin, et était monté sur un belvédère d'où
+il voyait le champ de bataille, et où il est resté jusqu'à midi.
+Il est alors parti en toute hâte.</p>
+
+<p>Le quartier-général français est arrivé à Wolkersdorf, dans
+la matinée du 7.</p>
+<br><br><br>
+
+
+
+<p class="droite">Wolkersdorf, 9 juillet 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Vingt-sixième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>La retraite de l'ennemi est une déroute. On a ramassé une
+partie de ses équipages; ses blessés sont tombés en notre
+pouvoir; on compte déjà au-delà de douze mille hommes;
+tous les villages en sont remplis. Dans cinq de ses hôpitaux
+seulement on en a trouvé plus de six mille.</p>
+
+<p>Le duc de Rivoli, poursuivant l'ennemi par Stokerau, est
+déjà arrivé à Hollabrunn.</p>
+
+<p>Le duc de Raguse l'avait d'abord suivi sur la route de
+Brunn, qu'il a quittée à Wolfersdorf pour prendre celle de
+Znaïm. Aujourd'hui, à neuf heures du matin, il a rencontré
+à Laa une arrière-garde qu'il a culbutée, et à laquelle il a
+fait neuf cents prisonniers. Il sera demain à Znaïm.</p>
+
+<p>Le duc d'Auerstaedt est arrivé aujourd'hui à Nicolsbourg.</p>
+
+<p>L'empereur d'Autriche, le prince Antoine, une suite
+d'environ deux cents calèches, carrosses et autres voitures,
+ont couché, le 6, à Erensbrunn; le 7, à Hollabrunn, et
+le 8 à Znaïm, d'où ils sont partis le 9 au matin: selon les rapports
+des gens du pays qui les conduisaient, leur abattement
+était extrême.</p>
+
+<p>L'un des princes de Rohan a été trouvé blessé sur le champ
+de bataille. Le feld-maréchal lieutenant Wussakowicz est
+parmi les prisonniers.</p>
+
+<p>L'artillerie de la garde s'est couverte de gloire; le major
+d'Aboville qui la commandait, a été blessé. L'empereur l'a fait
+général de brigade. Le chef d'escadron d'artillerie Grenier a
+eu un bras emporté. Ces intrépides canonniers ont montré
+toute la puissance de cette arme terrible.</p>
+
+<p>Les chasseurs à cheval de la garde ont chargé, le jour de là
+bataille de Wagram, trois carrés d'infanterie qu'ils ont enfoncés;
+ils ont pris quatre pièces de canon. Les chevau-légers
+polonais de la garde ont chargé un régiment de lanciers.
+Ils ont fait prisonnier le prince d'Awersperg et pris deux pièces
+de canon.</p>
+
+<p>Les hussards saxons d'Albert ont chargé les cuirassiers
+d'Albert, et leur ont pris un drapeau. C'était une chose fort
+singulière de voir deux régimens appartenant au même colonel
+combattre l'un contre l'autre.</p>
+
+<p>Il paraît que l'ennemi abandonne la Moravie et la Hongrie
+et se retire en Bohême.</p>
+
+<p>Les routes sont couvertes de gens de la landwehr et de la
+levée en masse, qui retournent chez eux.</p>
+
+<p>Les pertes que la désertion ajoute à celles que l'ennemi a
+éprouvées, en tués, blessés et prisonniers, concourent a l'anéantissement
+de cette armée.</p>
+
+<p>Les nombreuses lettres interceptées font un tableau frappant
+du mécontentement de l'armée ennemie et du désordre
+qui y règne.</p>
+
+<p>A présent que la monarchie autrichienne est sans espérance,
+ce serait mal connaître le caractère de ceux qui l'ont
+gouvernée, que de ne pas s'attendre qu'ils s'humilieront,
+comme ils le firent après la bataille d'Austerlitz. A cette époque
+ils étaient, comme aujourd'hui, sans espoir, et ils épuisèrent
+les protestations et les sermens.</p>
+
+<p>Pendant la journée du 6, l'ennemi a jeté sur la rive droite
+du Danube quelques centaines d'hommes des postes d'observation.
+Ils se sont rembarques après avoir perdu quelques
+hommes tués ou faits prisonniers.</p>
+
+<p>La chaleur a été excessive ces jours-ci; le thermomètre a
+été presque constamment à vingt-six degrés.</p>
+
+<p>Le vin est en très-grande abondance. Il y a tel village où
+on eu a trouvé jusqu'à trois millions de pintes. Il n'a heureusement
+aucune qualité malfaisante.</p>
+
+<p>Vingt villages, les plus considérables de la belle plaine de
+Vienne, et tels qu'on en voit aux environs d'une grande
+capitale, ont été brûlés pendant la bataille. La juste haine de
+la nation se prononce contre les hommes criminels qui ont attiré
+tous ces malheurs sur elle.</p>
+
+<p>Le général de brigade Laroche est entré, le 28 juin, avec
+un corps de cavalerie, à Nuremberg et s'est dirigé sur Bayreuth;
+il a rencontré l'ennemi à Besentheim, l'a fait charger
+par le premier régiment provisoire de dragons, a sabré tout
+ce qui s'est trouvé devant lui, et a pris deux pièces de
+canon.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Znaïm, 13 juillet 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Vingt-septième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le 10, le duc de Rivoli a battu devant Hollabrunn l'arrière-garde
+ennemie.</p>
+
+<p>Le même jour à midi, le duc de Raguse, arrivé sur les hauteurs
+de Znaïm, vit les bagages et l'artillerie de l'ennemi qui
+filaient sur la Bohême. Le général Bellegarde lui écrivit que
+le prince Jean de Lichtenstein se rendait auprès de l'empereur
+avec une mission de son maître, pour traiter de la paix,
+et demanda en conséquence une suspension d'armes. Le duc
+de Raguse répondit qu'il n'était pas en son pouvoir d'accéder à
+cette demande, mais qu'il allait en rendre compte à l'empereur.
+En attendant il attaqua l'ennemi, lui enleva une belle
+position, lui fit des prisonniers et prit deux drapeaux.</p>
+
+<p>Le même jour au matin, le duc d'Auerstaedt avait passé
+la Taya vis-à-vis Nicolsbourg, et le général Grouchy avait
+battu l'arriére-garde du prince de Rosemberg et lui avait fait
+quatre cent cinquante prisonniers du régiment du prince
+Charles.</p>
+
+<p>Le 11 a midi, l'empereur arriva vis-à-vis Znaïm. Le combat
+était engagé. Le duc de Raguse avait débordé la ville, et le duc
+de Rivoli s'était emparé du pont et avait occupé la fabrique de
+tabac. On avait pris à l'ennemi, dans les différens engagemens de
+celle journée, trois mille hommes, deux drapeaux et trois pièces
+de canon. Le général de brigade Bruyères, officier d'une grande
+espérance, a été blessé. Le général de brigade Guiton a fait
+une belle charge avec le dixième de cuirassiers. L'empereur
+instruit que le prince Jean de Lichtenstein, envoyé auprès
+de lui, était entré dans nos avant-postes, fît cesser le feu. Un
+armistice fut signé à minuit chez le prince de Neufchâtel. Le
+prince de Lichtenstein a été présenté à l'empereur dans sa
+tente à deux heures du matin.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Znaïm, en Moravie, 13 juillet 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Circulaire aux évéques.</i></p>
+
+<p>M. l'évêque de......, les victoires d'Enzersdorf et de Wagram,
+où le Dieu des armées a si visiblement protégé les armées
+françaises, doivent exciter la plus vive reconnaissance
+dans le coeur de nos peuples. Notre intention est donc qu'au
+reçu de la présente vous vous concertiez avec qui de droit
+pour réunir nos peuples dans les églises, et adresser au ciel
+des actions de grâces et des prières conformes aus sentimens
+qui nous animent.</p>
+
+<p>Notre Seigneur Jésus-Christ, quoique issu du sang de David,
+ne voulut aucun règne temporel. Il voulut au contraire
+qu'on obéît à César dans le règlement des affaires de la
+terre; il ne fut animé que du grand objet de la rédemption,
+et du salut des âmes. Héritier du pouvoir de César, nous
+sommes résolus à maintenir l'indépendance de notre trône et
+de nos droits. Nous persévérons dans le grand oeuvre du rétablissement
+de la religion. Nous environnerons ses ministres
+de la considération que nous seul pouvons leur donner.
+Nous écouterons leur voix dans tout ce qui a rapport au spirituel
+et au règlement des consciences.</p>
+
+<p>Au milieu des soins des camps, des alarmes et des sollicitudes
+de la guerre, nous avons été bien aise de vous donner
+connaissance de ces sentimens afin de faire tomber dans le mépris
+ces oeuvres de l'ignorance et de la faiblesse, de la méchanceté
+ou de la démence, par lesquelles on voudrait semer le
+trouble et le désordre dans nos provinces. On ne nous détournera
+pas du grand but vers lequel nous tendons, et que
+nous avons déjà en partie heureusement atteint, le rétablissement
+des autels de notre religion, en nous portant à croire
+que ses principes sont incompatibles, comme l'ont prétendu
+les Grecs, les Anglais, les protestans et les calvinistes, avec
+l'indépendance des trônes et des nations. Dieu nous a assez
+éclairé pour que nous soyons loin de partager de pareilles
+erreurs: notre coeur et ceux de nos sujets n'éprouvent point
+de semblables craintes. Nous savons que ceux qui voudraient
+faire dépendre de l'intérêt d'un temporel périssable, l'intérêt
+éternel des consciences et des affaires spirituelles, sont hors
+de la charité, de l'esprit et de la religion de celui qui a dit:
+Mon empire n'est pas dans ce monde. Cette lettre n'étant à
+d'autres fins, je prie Dieu, monsieur l'évêque, qu'il vous
+ait en sa sainte garde.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Vienne, 14 juillet 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Vingt-huitième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le Danube a crû de six pieds. Les ponts de bateaux qu'on
+avait établis devant Vienne depuis la bataille de Wagram, ont
+été rompus par les effets de la crue. Mais nos ponts d'Ebersdorf,
+solides et permanens, n'en ont pas souffert. Ces ponts
+et les ouvrages de l'île de Lobau sont le sujet de l'admiration
+des militaires autrichiens. Ils avouent que de tels travaux à la
+guerre sont sans exemple depuis les Romains.</p>
+
+<p>L'archiduc Charles ayant envoyé le général-major Weisseuvof
+complimenter l'empereur, et depuis, le baron Wimpffen
+et le prince Jean de Lichtenstein ayant fait la même politesse
+en son nom, S. M., a jugé à propos de lui envoyer le duc
+de Frioul, grand-maréchal du palais, qui l'a trouvée Budweis et
+a passé une partie de la journée d'hier à son quartier-général.</p>
+
+<p>L'empereur est parti hier à neuf heures du matin de son
+camp de Znaïm, et est arrivé au palais de Schoenbrunn à trois
+heures après-midi.
+S. M. a visité les environs du village de Spilz qui forme la
+tête du pont de Vienne. Elle a ordonné au général comte Bertrand
+différens ouvrages qui doivent avoir été tracés et commencés
+aujourd'hui.</p>
+
+<p>Le pont sur pilotis de Vienne sera rétabli dans le plus court
+délai.</p>
+
+<p>S. M. a nommé maréchaux de l'empire le général Oudinot,
+le duc de Raguse et le général Macdonald; le nombre des maréchaux
+était de onze. Cette nomination le porte à quatorze:
+il reste encore deux places vacantes. Les places de colonel-général
+des Suisses et de colonel-général des chasseurs sont
+aussi vacantes.</p>
+
+<p>Le colonel-général des chasseurs est, d'après nos constitutions,
+grand-officier de l'empire.</p>
+
+<p>S. M. a témoigné sa satisfaction de la manière dont la chirurgie
+a servi, et particulièrement des services du chirurgien
+en chef Heurteloup.</p>
+
+<p>Le 7, S. M. traversant le champ de bataille a fait enlever
+un grand nombre de blessés et y a laissé le duc de Frioul,
+grand-maréchal du palais, qui y a passé toute la journée.</p>
+
+<p>Le nombre des blessés autrichiens tombés en notre pouvoir
+s'élève de douze à treize mille.</p>
+
+<p>Les Autrichiens ont eu dix-neuf généraux tués ou blessés.
+On a remarqué comme un fait singulier que les officiers français,
+soit de l'ancienne France, soit des nouvelles provinces,
+qui se trouvaient au service d'Autriche, ont pour la plupart
+péri.</p>
+
+<p>On a intercepté plusieurs courriers, et l'on a trouvé dans
+les lettres dont ils étaient porteurs, une correspondance suivie
+de Gentz avec le comte Stadion. L'influence de ce misérable
+dans les grandes décisions du cabinet autrichien est ainsi matériellement
+prouvée. Voilà les instrumens dont l'Angleterre
+se servait comme d'une nouvelle boîte de Pandore pour souffler
+les tempêtes et répandre les poisons sur le continent.</p>
+
+<p>Le corps du duc de Rivoli forme ses camps dans le cercle
+de Znaïm. Celui du duc d'Auerstaedt dans le cercle de Brunn;
+celui du maréchal duc de Raguse dans le cercle de Korn-Neubourg;
+celui du maréchal Oudinot, en avant de Vienne à
+Spitz; celui du vice-roi, sur Presbourg et Gratz. La garde
+impériale rentre dans les environs de Schoenbrunn.</p>
+
+<p>La récolte est très-belle et partout d'une grande abondance.
+L'armée est cantonnée dans de superbes pays, riches en denrées
+de toutes espèces, et surtout en vins.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Vienne, 22 juillet 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Vingt-neuvième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Les généraux Durosnel et Foulers sont arrivés au quartier-général.
+Les conjectures qu'on avait formées au sujet du général Durosnel
+se sont toutes trouvées fausses. Il n'a pas été
+blessé; il n'a pas eu de cheval tué sous lui; mais en revenant
+de porter au duc de Montebello, dans la journée du 22 mai,
+l'ordre de concentrer son mouvement à cause de la rupture
+des ponts, il traversa un ravin où il trouva vingt-cinq hussards
+qu'il croyait former un de nos postes. Il ne s'aperçut
+qu'ils étaient ennemis qu'au moment où ils lui sautèrent au
+collet. Comme on avait été long-temps sans avoir de ses nouvelles,
+et d'après quelques autres indices, on l'avait cru mort.</p>
+
+<p>Le général de division Reynier a pris le commandement des
+Saxons, et a occupé Presbourg.</p>
+
+<p>Le maréchal Macdonald s'est mis en marche pour aller
+prendre possession de la citadelle de Gratz, où il doit être
+entré aujourd'hui.</p>
+
+<p>Le maréchal duc de Raguse a campé ses troupes sur les
+hauteurs de Krems.</p>
+
+<p>S. M. assiste tous les matins aux parades de la garde, qui
+sont fort belles. Les vélites et les grenadiers à pied de la garde
+italienne se font remarquer par une excellente tenue.</p>
+
+<p>Le prince Jean de Lichtenstein revenant de Bude, a été présenté
+le 18 à S. M. Il apportait une lettre de l'empereur
+d'Autriche.</p>
+
+<p>Le comte de Bubna, général-major aide-de-camp de l'empereur
+d'Autriche, a dîné plusieurs fois chez M. le comte
+Champagny.</p>
+
+<p>Sur les rives du Danube on a rassemblé et réparé les bateaux
+du commerce qui avaient été dispersés par les événemens
+de la guerre, et on les charge partout de bois, de légumes,
+de blés et de farines. On en voit arriver chaque jour.</p>
+
+<p>Toute l'armée est campée.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Vienne, 30 juillet 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Trentième bulletin de la grande armée.</i></p>
+
+<p>Le neuvième corps, que commandait le prince de Ponte-Corvo,
+a été dissous le 8. Les Saxons qui en faisaient partie
+sont sous les ordres du général Reynier. Le prince de Ponte-Corvo
+est allé prendre les eaux. Dans la bataille de Wagram,
+le village de Wagram a été enlevé le 6, entre dix et onze
+heures du matin, et la gloire en appartient tout entière au
+maréchal Oudinot et à son corps.</p>
+
+<p>D'après tous les renseignemens qui ont été pris, la maison
+d'Autriche se préparait à la guerre depuis près de quatre ans,
+c'est'à-dire, depuis la guerre de Presbourg. Son état militaire
+lui a coûté pendant trois années trois cents millions de
+francs chaque année. Aussi son papier-monnaie, qui ne se
+montait qu'à un milliard de francs, lors de la paix de Presbourg,
+passe-il aujourd'hui deux milliards.</p>
+
+<p>La maison d'Autriche est entrée en campagne avec soixante-deux
+régimens de ligne, dix-huit régimens de frontières,
+quatre corps francs ou légions, ayant ensemble un présent sous
+les armes de trois cent dix mille hommes; cent cinquante
+bataillons de landwehr, commandés par d'anciens officiers et
+exercés pendant dix mois, formant cent cinquante mille hommes;
+quarante mille hommes de l'insurrection hongroise, et
+soixante mille hommes de cavalerie, d'artillerie et de sapeurs;
+ce qui a porté ses forces réelles de cinq à six cents mille hommes.
+Aussi la maison d'Autriche se croyait-elle sûre de la victoire.
+Elle espérait balancer les destins de la France, lors
+même que toutes nos forces auraient été réunies, et elle ne
+doutait pas qu'elle s'avançât sur le Rhin, sachant que la majeure
+partie de nos troupes et nos plus beaux régimens étaient
+en Espagne. Cependant ses armées sont aujourd'hui réduites
+à moins du quart, tandis que l'armée française est doublée de
+ce qu'elle était à Ratisbonne.</p>
+
+<p>Ces efforts, la maison d'Autriche n'a pu les faire qu'une
+fois. C'est un miracle attaché au papier-monnaie. Le numéraire
+est si rare, que l'on ne croit pas qu'il y ait dans les états
+de cette monarchie, soixante millions de francs en espèces.
+C'est ce qui soutient le papier-monnaie, puisque près de deux
+milliards, qui, moyennant la réduction au tiers, ne valent
+que six à sept cents millions, ne sont que le signe nécessaire
+à la circulation.</p>
+
+<p>On a trouvé dans la citadelle de Gratz vingt-deux pièces
+de canon.</p>
+
+<p>La forteresse de Sachsenbourg, située aux débouchés du
+Tyrol, a été remise au-général Rusca.</p>
+
+<p>Le duc de Dantzick est entré en Tyrol avec vingt-cinq mille
+hommes. Il a occupé le 28 Lovers, et il a partout désarmé
+les habitans. Il doit en ce moment être à Inspruck.</p>
+
+<p>Le général Thielmann est entré à Dresde.</p>
+
+<p>Le duc d'Abrantès est à Bayreuth. Il a établi ses postes sur
+les frontières de la Bohême.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Schoenbrunn, 7 septembre 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Lettre de S. M. l'empereur et roi au ministre de la
+guerre.</i></p>
+
+<p>Monsieur le comte de Hunebourg, notre ministre de la
+guerre, des rapports qui sont sous nos yeux, contiennent les
+assertions suivantes: le gouverneur commandant la place de
+Flessingue n'aurait pas exécuté l'ordre que nous lui avions
+donné de couper les digues et d'inonder l'île de Walcheren,
+aussitôt qu'une force supérieure ennemie y aurait débarqué;
+il aurait rendu la place que nous lui avions confiée, l'ennemi
+n'ayant pas exécuté le passage du fossé, le revêtement du
+rempart étant sans brèche praticable et intact dès-lors, sans
+avoir soutenu d'assaut, et même lorsque les tranchées des
+ennemis n'étaient qu'à cent cinquante toises de la place, et
+lorsqu'il avait encore quatre mille hommes sous les armes;
+enfin, la place se serait rendue par l'effet d'un premier bombardement.
+Si telle était la vérité, le gouverneur serait coupable,
+et il resterait à savoir si c'est à la trahison ou à la lâcheté
+que nous devrions attribuer sa conduite.</p>
+
+<p>Nous vous écrivons la présente lettre close, pour qu'aussitôt
+après l'avoir reçue, vous ayez à réunir un conseil d'enquête,
+qui sera composé du comte Aboville, sénateur; du comte
+Rampon, sénateur; du vice-amiral Thévenard, et du comte
+Sougis, premier inspecteur-général de l'artillerie. Toutes les
+pièces qui se trouveront dans votre ministère, dans ceux de
+la marine, de l'intérieur, de la police, ou de tout autre département,
+sur la reddition de la place de Flessingue, tant
+sous le rapport de la défense, que de tout autre objet qui
+pourrait intéresser notre service, seront adressées au conseil,
+pour nous être mises sous les yeux, avec le résultat de ladite
+enquête.</p>
+
+<p>Cette lettre n'étant à autre fin, nous prions Dieu, monsieur
+le comte de Hunebourg, qu'il'vous ait en sa sainte garde.</p>
+
+<p class="droite"><i>Signé</i> NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Paris, 3 décembre 1809.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Discours de S. M. l'empereur, à l'ouverture du corps
+législatif.</i></p>
+
+<p>Messieurs les députés des départemens au corps législatif,
+depuis votre dernière session, j'ai soumis l'Aragon et la Castille,
+et chassé de Madrid le gouvernement fallacieux formé
+par l'Angleterre.</p>
+
+<p>Je marchais sur Cadix et Lisbonne, lorsque j'ai dû revenir
+sur mes pas, et planter mes aigles sur les remparts de Vienne.
+Trois mois ont vu naître et terminer cette quatrième guerre
+punique. Accoutumé au dévouement et au courage de mes
+armées, je ne puis cependant, dans cette circonstance, ne pas
+reconnaître les preuves particulières d'amour que m'ont données
+mes soldats d'Allemagne.</p>
+
+<p>Le génie de la France a conduit l'armée anglaise; elle a
+terminé ses destins dans les marais pestilentiels de Walcheren.
+Dans cette importante circonstance, je suis resté éloigné
+de quatre cents lieues, certain de la nouvelle gloire qu'allaient
+acquérir mes peuples et du grand caractère qu'ils allaient déployer.
+Mes espérances n'ont pas été trompées. Je dois des
+remercîmens en particulier, aux citoyens des départemens
+du Pas-de-Calais et du Nord ... Français! tout ce qui voudra
+s'opposer à vous, sera vaincu et soumis. Votre grandeur
+s'accroîtra de toute la haine de vos ennemis. Vous avez devant
+vous de longues années de gloire et de prospérité à
+parcourir. Vous avez la force et l'énergie de l'Hercule des
+anciens.</p>
+
+<p>J'ai réuni la Toscane à l'empire. Ces peuples en sont dignes
+par la douceur de leur caractère, par l'attachement que nous
+ont toujours montré leurs ancêtres, et par les services qu'ils
+ont rendus à la civilisation européenne.</p>
+
+<p>L'histoire m'a indiqué la conduite que je devais tenir envers
+Rome. Les papes, devenus souverains d'une partie de
+l'Italie, se sont constamment montrés les ennemis de toute
+puissance prépondérante dans la Péninsule. Ils ont employé
+leur influence spirituelle pour lui nuire. Il m'a donc été démontré
+que l'influence spirituelle exercée dans mes états par
+un souverain étranger, était contraire à l'indépendance de la
+France, à la dignité et à la sûreté de mon trône. Cependant,
+comme je reconnais la nécessité de l'influence spirituelle des descendans
+du premier des pasteurs, je n'ai pu concilier ces grands
+intérêts qu'en annulant la donation des empereurs français,
+mes prédécesseurs, et en réunissant les états romains à la
+France.</p>
+
+<p>Par le traité de Vienne, tous les rois et souverains, mes
+alliés, qui m'ont donné tant de témoignages de la constance
+de leur amitié, ont acquis et acquerront un nouvel accroissement
+de territoire.</p>
+
+<p>Les provinces Illyriennes portent sur la Save les frontières
+de mon grand empire. Contigu avec l'empire de Constantinople,
+je me trouverai en situation naturelle de surveiller les
+premiers intérêts de mon commerce dans la Méditerranée,
+l'Adriatique et le Levant. Je protégerai la Porte, si la Porte
+s'arrache à la funeste influence de l'Angleterre: je saurai la
+punir si elle se laisse dominer par des conseils astucieux et
+perfides.</p>
+
+<p>J'ai voulu donner une nouvelle preuve de mon estime à la
+nation suisse, en joignant à mes titres celui de son médiateur,
+et mettre un terme à toutes les inquiétudes que l'on cherche
+à répandre parmi cette brave nation.</p>
+
+<p>La Hollande, placée entre l'Angleterre et la France, en est
+également froissée. Cependant, elle est le débouché des principales
+artères de mon empire. Des changemens deviendront
+nécessaires; là sûreté de mes frontiéres et l'intérêt bien entendu
+des deux pays l'exigent impérieusement.</p>
+
+<p>La Suède a perdu, par son alliance avec l'Angleterre, après
+une guerre désastreuse, la plus belle et la plus importante de
+ses provinces. Heureuse cette nation, si le prince sage qui la
+gouverne aujourd'hui eût pu monter sur le trône quelques
+années plus tôt! Cet exemple prouve de nouveau aux rois que
+l'alliance de l'Angleterre est le présage le plus certain de leur
+ruine.</p>
+
+<p>Mon allié et ami, l'empereur de Russie, a réuni à son vaste
+empire, la Finlande, la Moldavie, la Valachie, et un district
+de la Gallicie. Je ne suis jaloux de rien de ce qui peut arriver
+de bien à cet empire. Mes sentimens pour son illustre souverain
+sont d'accord avec ma politique.</p>
+
+<p>Lorsque je me montrerai au-delà des Pyrénées, le léopard
+épouvanté cherchera l'Océan, pour éviter la honte, la défaite
+et la mort. Le triomphe de mes armes sera le triomphe du
+génie du bien sur celui du mal, de la modération, de l'ordre,
+de la morale, sur la guerre civile, l'anarchie et les passions
+malfaisantes. Mon amitié et ma protection rendront, je l'espère,
+la tranquillité et le bonheur aux peuples des Espagnes.</p>
+
+<p>Messieurs les députés des départemens au corps législatif,
+j'ai chargé mon ministre de l'intérieur de vous faire connaître
+l'historique de la législation, de l'administration et des
+finances, dans l'année qui vient de s'écouler. Vous y verrez
+que toutes les pensées que j'ai conçues pour l'amélioration de
+mes peuples, se sont suivies avec la plus grande activité; que
+dans Paris, comme dans les parties les plus éloignées de mon
+empire, là guerre n'a apporté aucun retard dans les travaux.
+Les membres de mon conseil d'état vous présenteront différens
+projets de lois, spécialement la loi sur les finances; vous y
+verrez leur état prospère. Je ne demande à mes peuples aucun
+nouveau sacrifice, quoique les circonstances m'aient obligé à
+doubler mon état militaire.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Paris, 2 janvier 1810.</p>
+
+<p class="milieu"><i>A M. le comte Dejean, ministre de l'administration de la
+guerre.</i></p>
+
+<p>Monsieur le comte Dejean, j'accepte votre démission; je regrette
+de ne plus vous compter parmi mes ministres. J'ai été satisfait
+de vos services; mais cinquante années d'expérience vous
+rendent nécessaire aux travaux que j'ai entrepris sur toutes
+mes frontières et que je suis encore dans l'intention d'accroître.
+Vous continuerez là à me donner des preuves de vos
+talens et de votre attachement à ma personne. Comptez toujours
+sur mon estime: cette lettre n'étant à autre fin, je prie
+Dieu, monsieur le comte Dejean, qu'il vous ait en sa sainte
+garde.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Paris, 5 janvier 1810.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de Sa Majesté à l'adresse du collège électoral du
+département de la Drôme.</i></p>
+
+<p>Messieurs les députés du collège du département de la
+Drôme, j'agrée les sentimens que vous m'exprimez au nom
+de votre collège; je connais le bon esprit des citoyens de votre
+département et leur attachement à ma personne.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de Sa Majesté à l'adresse du collège électoral
+du département du Rhône.</i></p>
+
+<p>Messieurs les députés du collège du département du
+Rhône, j'aime à vous entendre; il me semble être dans ma
+bonne ville de Lyon. Dans toutes les occasions, ses habitans
+se sont distingués par leur attachement à ma personne. Ils
+doivent compter constamment sur mon amour.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de Sa Majesté à l'adresse du collège électoral
+du département de Saône-et-Loire.</i></p>
+
+<p>Messieurs les députes du collège du département de Saône-et-Loire,
+tout ce que le président de votre assemblée m'a
+dit sur le bon esprit qui y a régné, m'a fait plaisir; soyez
+unis entre vous et avec les villes voisines; il ne faut conserver
+le souvenir du passé, que pour connaître la grandeur du
+danger que la patrie a couru. La monarchie et le trône sont
+aussi nécessaires à l'existence et au bonheur de la France,
+que le soleil qui nous éclaire: sans eux tout est trouble,
+anarchie et confusion.</p>
+
+<p class="milieu"><i>A celle de la Sarthe.</i></p>
+
+<p>Messieurs les députés du collège du département de la
+Sarthe, je viendrai avec plaisir dans vos cités; je me félicite
+des bons sentimens qui les animent. C'est aux collèges à donner
+l'exemple de l'union. Tous les Français, de quelque
+classes qu'ils aient été, quelque conduite qu'ils aient tenue
+dans des temps de discorde et de guerre civile, sont également
+mes enfans.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Paris, 5 février 1810.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de Sa Majesté à l'adresse du collège électoral du
+département de la Dordogne.</i></p>
+
+<p>Messieurs les députes du collège électoral du département
+de la Dordogne, moi et mon allié l'empereur de Russie, nous
+avons tout fait pour pacifier le monde, nous n'avons pu y
+réussir. Le roi de l'Angleterre, vieilli dans sa haine contre
+la France, veut la guerre... Son état l'empêche d'en sentir
+les maux pour le monde et d'en calculer les résultats pour sa
+famille. Toutefois la guerre doit avoir un terme, et alors
+nous serons plus grands, plus puissans et plus forts que nous
+n'avons jamais été. L'empire français a la vie de la jeunesse;
+il ne peut que croître et se consolider; celui de mes ennemis
+est à son arrière-raison; tout en présage la décroissance. Chaque
+année dont ils retarderont la paix du monde, ne fera
+qu'augmenter sa puissance.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de Sa Majesté à l'adresse du collège électoral du
+département du Doubs.</i></p>
+
+<p>Messieurs les députés du collège du département du
+Doubs, j'ai eu souvent occasion de distinguer vos citoyens
+sur le champ d'honneur. Ce sera avec plaisir que je verrai
+vos campagnes; mais ma famille est devenue bien grande.
+Cependant j'irai vous voir quand le canal qui doit joindre le
+Rhin au Rhône passera par votre ville.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de Sa Majesté à l'adresse du collège électoral
+du département de l'Indre.</i></p>
+
+<p>Messieurs les députés du collège du département de l'Indre,
+je vous remercie des sentimens que vous m'exprimez; je les
+mérite de mes peuples par la sollicitude que je porte constamment
+à tout ce qui les intéresse.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de Sa Majesté à l'adresse du collège électoral du
+département du Léman.</i></p>
+
+<p>J'agrée vos sentimens; moi et ceux de mes descendans qui
+occuperont ce trône, nous protégerons toute religion fondée
+sur l'évangile, puisque toutes en prêchent la morale et en
+respirent la charité.</p>
+
+<p>Ce n'est pas que je ne déplore l'ignorance et l'ambition de
+ceux qui, voulant, sous le masque de la religion, dominer
+sur l'univers et y lever des tributs à leur profit, ont donné
+un si précieux prétexte aux discordes qui ont divisé la famille
+chrétienne.</p>
+
+<p>Ma doctrine comme mes principes sont invariables. Quelles
+que puissent être les clameurs du fanatisme et de l'ignorance,
+tolérance et protection pour toutes les religions chrétiennes,
+garantie et indépendance pour ma religion et celle
+de la majorité de mes peuples, contre les attentats des Grégoire,
+des Jules, des Boniface. En rétablissant en France,
+par un concordat, mes relations avec les papes, je n'ai entendu
+le faire que sous l'égide des quatre propositions de
+l'église gallicane, sans quoi j'aurais sacrifié l'honneur et l'indépendance
+de l'empire aux plus absurdes prétentions.</p>
+
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de Sa Majesté à l'adresse du collège électoral du
+département de la Loire-Inférieure.</i></p>
+
+<p>Messieurs les députés du collège du département de la
+Loire-Inférieure, c'est en entrant dans vos murs que je reçus
+l'avis que des Français avaient rendu mes aigles sans combattre,
+et avaient préféré la vie et le déshonneur aux dangers
+et à la gloire. Il n'a fallu rien moins que l'expression des sentimens
+des citoyens de ma bonne ville de Nantes pour me
+rendre des momens de joie et de plaisir. J'ai éprouvé au milieu
+de vous ce qu'on éprouve au milieu de ses vrais amis:
+c'est vous dire combien ces sentimens sont profondément
+gravés dans mon coeur.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de Sa Majesté à l'adresse du collège électoral du
+département du Lot.</i></p>
+
+<p>Messieurs les députés du collège du département du Lot,
+j'ai pensé à ce que vous me demandez; le Lot sera rendu navigable
+aussitôt que les canaux de l'Escaut au Rhin, du
+Rhin au Rhône, du Rhône à la Seine, et de la Rance à la
+Vilaine, seront terminés. Ce sera dans six ans. Je connais l'attachement
+de votre département a ma personne.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de Sa Majesté à l'adresse du collège électoral du
+département de la Roër.</i></p>
+
+<p>Messieurs les députés du collège du département de la
+Roër, j'agrée vos sentimens. Votre pays est celui de Charlemagne;
+vous faites aujourd'hui, comme alors, partie du grand
+empire. J'apprends avec plaisir le bon esprit qui anime vos
+habitans. Je désire que ceux de vos concitoyens qui ont leurs
+enfans au service étranger, les rappellent en France. Un
+Français ne doit verser son sang que pour son prince et pour
+sa patrie.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de fa Majesté à la députation de la ville de Lyon,
+qui sollicitait la permission d'élever dans ses murs une
+statue à Napoléon.</i></p>
+
+<p>J'approuve la délibération du conseil municipal. Je verrai
+avec plaisir une statue au milieu de ma bonne ville de Lyon;
+mais je désire qu'avant de travailler à ce monument, vous
+ayez fait disparaître toutes ces ruines, restes de nos malheureuses
+guerres civiles. J'apprends que déjà la place de Bellecour
+est rétablie. Ne commencez le piédestal que lorsque tout
+sera entièrement achevé.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Au palais des Tuileries, le 27 février 1810.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Message au sénat.</i></p>
+
+<p>Sénateurs,</p>
+
+<p>Nous avons fait partir pour Vienne, comme notre ambassadeur
+extraordinaire, notre cousin le prince de Neufchâtel,
+pour faire la demande de la main de l'archiduchesse Marie-Louise,
+fille de l'empereur d'Autriche.</p>
+
+<p>Nous ordonnons à notre ministre des relations extérieures
+de vous communiquer les articles de la convention de mariage
+entre nous et l'archiduchesse Marie-Louise, laquelle a été
+conclue, signée et ratifiée.</p>
+
+<p>Nous avons voulu contribuer éminemment au bonheur de
+la présente génération. Les ennemis du continent ont fondé
+leur prospérité sur ses dissensions et son déchirement. Ils ne
+pourront plus alimenter la guerre en nous supposant des
+projets incompatibles avec les liens et les devoirs de parenté
+que nous venons de contracter avec la maison impériale régnante
+en Autriche.</p>
+
+<p>Les brillantes qualités qui distinguent l'archiduchesse
+Marie-Louise lui ont acquis l'amour des peuples de l'Autriche.
+Elles ont fixé nos regards. Nos peuples aimeront cette
+princesse pour l'amour de nous, jusqu'à ce que, témoins de
+toutes les vertus qui l'ont placée si haut dans notre pensée,
+ils l'aiment pour elle-même.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Au palais des Tuileries, 1er mars 1810.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Message de S. M. l'empereur et roi au sénat.</i></p>
+
+<p>Sénateurs,</p>
+
+<p>Les principes de l'empire s'opposant à ce que le sacerdoce
+soit réuni à aucune souveraineté temporelle, nous avons
+dû regarder comme non avenue la nomination que le Prince-Primat
+avait faite du cardinal Fesch pour son successeur. Ce
+prélat, si distingué par sa piété et par les vertus de son état,
+nous avait d'ailleurs fait connaître la répugnance qu'il avait
+à être distrait des soins et de l'administration de ses diocèses.</p>
+
+<p>Nous avons voulu aussi reconnaître les grands services
+que le Prince-Primat nous a rendus, et les preuves multipliées
+que nous avons reçues de son amitié. Nous avons
+ajouté à l'étendue de ses états et nous les avons constitués
+sous le titre de grand duché de Francfort. Il en jouira jusqu'au
+moment marqué pour le terme d'une vie consacrée à
+faire le bien.</p>
+
+<p>Nous avons en même temps voulu ne laisser aucune incertitude
+sur le sort de ses peuples, et nous avons en conséquence
+cédé à notre cher fils le prince Eugène-Napoléon,
+tous nos droits sur le grand-duché de Francfort. Nous l'avons
+appelé à posséder héréditairement cet état après le décès
+du Prince-Primat, et conformément à ce qui est établi
+dans les lettres d'investiture dont nous chargeons notre cousin
+le prince archichancelier de vous donner connaissance.</p>
+
+<p>Il a été doux pour notre coeur de saisir cette occasion de
+donner un nouveau témoignage de notre estime et de notre
+tendre amitié à un jeune prince dont nous avons dirigé les
+premiers pas dans la carrière du gouvernement et des armes,
+qui, au milieu de tant de circonstances, ne nous a jamais
+donné aucun motif du moindre mécontentement. Il nous a,
+au contraire, secondé avec une prudence au-dessus de ce
+qu'on pouvait attendre de son âge, et dans ces derniers
+temps, il a montré, à la tête de nos armées, autant de bravoure
+que de connaissance de l'art de la guerre. Il convenait
+de le fixer d'une manière stable dans le haut rang où nous
+l'avons placé.</p>
+
+<p>Élevé au grand duché de Francfort, nos peuples d'Italie
+ne seront pas pour cela privés de ses soins et de son administration;
+notre confiance en lui sera constante, comme les
+sentimens qu'il nous porte.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Paris, 4 mars 1810.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de Sa Majesté à une adresse du sénat.</i></p>
+
+<p>Sénateurs,</p>
+
+<p>Je suis touché des sentimens que vous m'exprimez. L'impératrice
+Marie-Louise sera pour les Français une tendre
+mère; elle fera ainsi mon bonheur. Je suis heureux d'avoir
+été appelé par la Providence à régner sur ce peuple affectueux
+et sensible, que j'ai trouvé dans toutes les circonstances
+de ma vie, si fidèle et si bon pour moi.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de Sa Majesté à l'adresse du collège électoral du
+département de l'Herault.</i></p>
+
+<p>Ce que vous me dites au nom de votre département me
+fait plaisir. J'ai besoin de connaître le bien que mes sujets
+éprouvent; je ressens vivement leurs moindres maux, car ma
+véritable gloire, je l'ai placée dans le bonheur de la France.</p>
+
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de Sa Majesté à l'adresse du collège électoral
+du département de la Haute-Loire.</i></p>
+
+<p>Messieurs les députés du collège du département de la
+Haute-Loire,</p>
+
+<p>Je vous remercie des sentimens que vous m'exprimez. Si
+j'ai confiance dans ma force, c'est que j'en ai dans l'amour
+de mes peuples.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de Sa Majesté à l'adresse du collège électoral du
+département des Basses-Pyrénées.</i></p>
+
+<p>J'agrée vos sentimens; j'ai parcouru l'année passée votre
+département avec intérêt.......... Si j'ai porté tant d'intérêt
+à fixer les destinées des Espagnes et à les lier, d'une manière
+immuable à l'empire, c'est surtout pour assurer la tranquillité
+de vos enfans.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de Sa Majesté à l'adresse du collège de
+Montenotte.</i></p>
+
+<p>Messieurs les députés du collège du département de Montenotte,</p>
+
+<p>Le nom que porte votre département réveille dans mon
+coeur bien des sentimens. Il me fait souvenir de tout ce que
+je dois de reconnaissance aux vieilles bandes de ma première
+armée d'Italie. Un bon nombre de ces intrépides soldats sont
+morts aux champs d'Egypte et d'Allemagne; un plus grand
+nombre, ou soutiennent encore l'honneur de mes aigles, ou
+vivent couverts de glorieuses cicatrices dans leurs foyers.
+Qu'ils soient l'objet de la considération et des soins de leurs
+concitoyens; c'est le meilleur moyen que mes peuples puissent
+choisir pour m'être agréable.</p>
+
+<p>Je prends un intérêt spécial à votre pays; j'ai vu avec
+plaisir que les travaux que j'ai ordonnés pour l'amélioration
+de votre port, et pour ouvrir des communications avec le
+Piémont et la Provence, s'achèvent.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Paris, 4 avril 1810.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de Sa Majesté au discours du président du sénat,
+après le mariage de Napoléon.</i></p>
+
+<p>Sénateurs,</p>
+
+<p>Moi et l'impératrice, nous méritons les sentimens que vous
+nous exprimez, par l'amour que nous portons à nos peuples.
+Le bien de la France est notre premier besoin.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de Sa Majesté à l'adresse du sénat d'Italie.</i></p>
+
+<p>Messieurs les députés du sénat de notre royaume d'Italie,
+Nos peuples d'Italie savent combien nous les aimons. Aussitôt
+que cela sera possible, moi et l'impératrice, nous voulons
+aller dans nos bonnes villes de Milan, de Venise et de Bologne,
+donner de nouveaux gages de notre amour à nos peuples
+d'Italie.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de Sa Majesté au discours du président du corps
+législatif.</i></p>
+
+<p>Messieurs les députés des départemens au corps législatif,
+Les voeux que vous faites pour nous nous sont fort agréables.
+Vous allez bientôt retourner dans vos départemens;
+dites-leur que l'impératrice, bonne mère de ce grand peuple,
+partage tous nos sentimens pour lui. Nous et elle ne pouvons
+goûter de félicité qu'autant que nous sommes assurés de l'amour
+de la France.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Saint-Cloud, 3 juin 1810.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Lettre de l'empereur au ministre de la police générale.</i></p>
+
+<p>Monsieur le duc d'Otrante, les services que vous nous
+avez rendus dans les différentes circonstances qui se sont
+présentées, nous portent à vous confier le gouvernement de
+Rome jusqu'à ce que nous ayons pourvu à l'exécution de
+l'article 8 de l'acte des constitutions du 17 février dernier.
+Nous avons déterminé par un décret spécial les pouvoirs extraordinaires
+dont les circonstances particulières où se trouvent
+ces départemens, exigent que vous soyez investi. Nous
+attendons que vous continuerez, dans ce nouveau poste, à
+nous donner des preuves de votre zèle pour notre service et
+de votre attachement à notre personne.</p>
+
+<p>Cette lettre n'étant à d'autre fin, nous prions Dieu, mon
+duc d'Otrante, qu'il vous ait en sa sainte garde.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Paris, 3l juillet 1810.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Paroles de Napoléon au jeune duc de Berg, fils de Louis
+Bonaparte, après l'abdication faite par celui-ci de la
+couronne de Hollande.</i></p>
+
+<p>Lorsque Napoléon eut reçu l'abdication de Louis, il fit
+venir le jeune prince son neveu, le tint long-temps embrassé
+et lui parla en ces termes:</p>
+
+<p>«Venez, mon fils, lui a-t-il dit, je serai votre père, vous
+n'y perdrez rien.</p>
+
+<p>La conduite de votre père afflige mon coeur; sa maladie
+seule peut l'expliquer. Quand vous serez grand, vous paierez
+sa dette et la vôtre. N'oubliez jamais, dans quelque position
+que vous placent ma politique et l'intérêt de mon empire, que
+vos premiers devoirs, même ceux envers les peuples que je
+pourrais vous confier, ne viennent qu'après.»</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Paris, 15 août 1810.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de Napoléon à une députation du corps législatif
+batave, après l'abdication du roi Louis.</i></p>
+
+<p>Messieurs les députés du corps législatif, des armées de
+terre et de mer de la Hollande, et Messieurs les députés de
+ma bonne ville d'Amsterdam, vous avez été depuis trente
+ans le jouet de bien des vicissitudes. Vous perdîtes votre liberté
+lorsqu'un des grands officiers de votre république, favorisé
+par l'Angleterre, fit intervenir les baïonnettes prussiennes
+aux délibérations de vos conseils: les constitutions
+politiques que vous teniez de vos pères furent déchirées et le
+furent pour toujours.</p>
+
+<p>Lors de la première coalition, vous en fîtes partie. Par
+suite, les armées françaises conquirent votre pays, fatalité
+attachée à l'alliance de l'Angleterre.</p>
+
+<p>Depuis la conquête, vous fûtes gouvernés par une administration
+particulière; mais votre république fit partie de
+l'empire. Vos places fortes et les principales positions de votre
+pays restèrent occupées par mes troupes. Votre administration
+changea au gré des opinions qui se succédèrent en
+France.</p>
+
+<p>Lorsque la providence me fit monter sur le premier trône
+du monde, je dus, en fixant à jamais les destinées de la
+France, régler le sort de tous les peuples qui faisaient partie
+de l'empire, faire éprouver à tous les bienfaits de la stabilité
+et de l'ordre, et faire disparaître chez tous les maux de l'anarchie.
+Je terminai les incertitudes de l'Italie en plaçant
+sur ma tête la couronne de fer; je supprimai le gouvernement
+qui régissait le Piémont. Je traçai dans mon acte de médiation
+les constitutions de la Suisse, et conciliai les circonstances
+locales de ce pays, les souvenirs de son histoire, avec
+la sûreté et les droits de la couronne impériale.</p>
+
+<p>Je vous donnai un prince de mon sang pour vous gouverner:
+c'était un lien naturel qui devait concilier les intérêts de
+votre administration et les droits de l'empire. Mes espérances
+ont été trompées. J'ai, dans cette circonstance, usé de plus
+de longanimité que ne comportaient mon caractère et mes
+droits. Enfin, je viens de mettre un terme à la douloureuse
+incertitude où vous vous trouviez, et de faire cesser une agonie
+qui achevait d'anéantir vos forces et vos ressources. Je
+viens d'ouvrir à votre industrie le continent. Le jour viendra
+où vous porterez mes aigles sur les mers qui ont illustré vos
+ancêtres. Vous vous y montrerez alors dignes d'eux et de moi.
+D'ici là, tous les changemens qui surviendront sur la face de
+l'Europe auront pour cause première le système tyrannique,
+aveugle et destructif de sa prospérité, qui a porté le gouvernement
+anglais à mettre le commerce hors de la loi commune,
+en le plaçant sous le régime arbitraire des licences.</p>
+
+<p>Messieurs les députés du corps législatif, des armées de
+terre et de mer de la Hollande, et messieurs les députés de
+ma bonne ville d'Amsterdam, dites à mes sujets de Hollande
+que je suis satisfait des sentimens qu'ils me montrent, que je
+ne doute pas de leur fidélité; que je compte que leurs efforts
+se réuniront aux efforts de tous mes autres sujets, pour reconquérir
+les droits maritimes que cinq coalitions successives
+fomentées par l'Angleterre, ont fait perdre au continent.
+Dites-leur qu'ils peuvent compter, dans toutes les circonstances,
+sur ma spéciale protection.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de Napoléon à une députation des provinces
+Illyriennes.</i></p>
+
+<p>Messieurs les députés de mes provinces Illyriennes, j'agrée
+vos sentimens. Je désire connaître les besoins de vos
+compatriotes et assurer leur bien-être.</p>
+
+<p>Je mets du prix à vous savoir contens, et je serai heureux
+d'apprendre que les plaies de tant de guerres sont cicatrisées,
+et toutes vos pertes réparées.</p>
+
+<p>Assurez mes sujets de l'Illyrie de ma protection impériale.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Fontainebleau, 13 novembre 1810.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Lettre de Sa majesté impériale et royale au président
+du sénat.</i></p>
+
+<p>Monsieur le comte Garnier, président du sénat, la satisfaction
+que nous fait éprouver l'heureuse grossesse de l'impératrice,
+notre très-chère et bien aimée épouse, nous porte à vous
+écrire cette lettre pour que vous fassiez part, en notre nom,
+au sénat de cet événement aussi essentiel à notre bonheur,
+qu'à l'intérêt et à la politique de notre empire. La présente
+n'étant à autre fin, nous prions Dieu qu'il vous ait, monsieur
+le comte Garnier, président du sénat, en sa sainte et digne
+garde.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Paris, l0 décembre 1810.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Message de Sa Majesté impériale et royale au sénat.</i></p>
+
+<p>Sénateurs,</p>
+
+<p>J'ordonne à mon ministre des relations extérieures de vous
+faire connaître les différentes circonstances qui nécessitent la
+réunion de la Hollande à l'empire.</p>
+
+<p>Les arrêts publiés par le consul britannique en 1806 et
+1807, ont déchiré le droit public de l'Europe. Un nouvel
+ordre de choses régit l'univers; de nouvelles garanties m'étant
+devenues nécessaires, la réunion des embouchures de l'Escaut,
+de la Meuse, du Rhin, de l'Ems, du Wéser et de
+l'Elbe à l'empire, l'établissement d'une navigation intérieure
+avec la Baltique, m'ont paru être les premières et les plus
+importantes.</p>
+
+<p>J'ai fait dresser le plan d'un canal qui sera exécuté avant
+cinq ans, et qui joindra la Baltique à la Seine.</p>
+
+<p>Des indemnités seront données aux princes qui pourront
+se trouver froissés par cette grande mesure, que commande la
+nécessité, et qui appuie sur la Baltique la droite des frontières
+de mon empire.</p>
+
+<p>Avant de prendre ces déterminations, j'ai fait pressentir
+l'Angleterre; elle a su que le seul moyen de maintenir l'indépendance
+de la Hollande était de rapporter ses arrêts du
+conseil de 1806 et 1807, ou de revenir enfin à des sentimens
+pacifiques; mais cette puissance a été sourde à la voix de
+de ses intérêts comme au cri de l'Europe.</p>
+
+<p>J'espérais pouvoir établir un cartel d'échange des prisonniers
+entre la France et l'Angleterre, et par suite profiter du
+séjour des deux commissaires, à Paris et à Londres, pour
+arriver à un rapprochement entre les deux nations. Mes espérances
+ont été déçues. Je n'ai reconnu dans la manière de négocier
+du gouvernement anglais qu'astuce et que mauvaise
+foi.</p>
+
+<p>La réunion du Valais est une conséquence prévue des immenses
+travaux que je fais faire depuis dix ans dans cette
+partie. Lors de mon acte de médiation, je séparai le Valais
+de la confédération helvétique, prévoyant dès-lors une mesure
+si utile à la France et à l'Italie.</p>
+
+<p>Tant que la guerre durera avec l'Angleterre, le peuple
+français ne doit pas poser les armes.</p>
+
+<p>Mes finances sont dans l'état le plus prospère. Je puis
+fournir à toutes les dépenses que nécessite cet immense empire,
+sans demander à mes peuples de nouveaux sacrifices.</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Paris, 11 mars 1811.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de S. M. à différentes députations.</i></p>
+
+<p class="milieu"><i>A la députation du département de Gènes.</i></p>
+
+<p>«Mes peuples de Gènes connaissent la prédilection que
+j'ai eue pour eux dès le premier moment où j'ai paru à la tête
+de mes armées en Italie. Ils peuvent aussi se vanter avec raison
+de m'avoir été constamment fidèles, et leur attachement
+n'a fait qu'acquérir une nouvelle chaleur toutes les fois que
+la fortune de mes armes a été incertaine. Ils fournissent aujourd'hui
+un grand nombre de matelots à mes escadres, et
+lorsque mes amiraux m'ont rendu compte du zèle et du
+bon esprit qui les animaient, mon coeur en a été vivement
+ému.</p>
+
+<p>Les momens ne sont pas éloignés où je vous mettrai à
+même de surpasser la gloire qu'ont acquise vos pères sur toutes
+les côtes de la Méditerranée.»</p>
+
+<p class="milieu"><i>A la députation de Marengo.</i></p>
+
+<p>«Je vous remercie de ce que vous me dites. Les grands
+travaux que, depuis dix-huit ans, je fais faire à Alexandrie,
+rendent cette ville l'une des plus fortes de l'Europe:
+je compte sur la fidélité et la bravoure de mes peuples de
+Marengo.»</p>
+
+<p class="milieu"><i>A la députation de Tarn-et-Garonne.</i></p>
+
+<p>«J'agrée vos-sentimens; j'en connais la sincérité. Lors de
+mon dernier voyage, j'ai été satisfait de tout ce que j'ai vu
+dans vos belles contrées, et spécialement dans ma bonne
+ville de Montauban. Comptez toujours sur mon affection.»</p>
+
+<p class="milieu"><i>A la députation de la Vendée.</i></p>
+
+<p>«Tout ce que vous me dites dans votre adresse, je l'ai
+éprouvé lors de mon dernier voyage dans votre pays. Le
+spectacle que m'ont offert vos villages, dix ans après la guerre,
+m'a paru horrible. J'ai fait la guerre dans les trois parties du,
+monde, Je crois avoir des droits à la reconnaissance des peuples
+que j'ai vaincus; car, six mois après la guerre terminée,
+il n'en restait plus de traces sur leur territoire. J'ai été touché
+des sentimens que mes peuples de la Vendée m'ont témoignés.
+Ils ont raison de compter sur l'amour que je leur porte. Faites
+disparaître promptement ces traces de nos malheurs domestiques.
+J'ai mis, cette année, à la disposition de mon ministre
+de l'intérieur de nouveaux moyens pour vous y aider. Lorsque
+vous relevez une ruine, que vous rebâtissez une de vos
+maisons, songez que vous faites la chose qui m'est le plus
+agréable; c'est une manière sûre de me plaire. La première fois
+que vous reviendrez ici, dites-moi que toutes vos villes et villages
+sont entièrement rebâtis, et que mes peuples de la Vendée
+sont logés comme le comporte la fertilité de leur sol.»</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Paris, 17 mars 1811.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de l'empereur à une députation des villes de Hambourg,
+Lubeck et Brême.</i></p>
+
+<p>«Messieurs les députés des villes anséatiques de Hambourg,
+Brême et Lubeck, vous faisiez partie de l'empire germanique:
+votre constitution a fini avec lui. Depuis ce temps votre situation
+était incertaine. Je voulais reconstituer vos villes sous
+une administration indépendante, lorsque les changemens
+qu'ont produits dans le monde les nouvelles lois du conseil
+britannique, ont rendu ce projet impraticable il m'a été impossible
+de vous donner une administration indépendante,
+puisque vous ne pouviez plus avoir un pavillon indépendant.</p>
+
+<p>Les décrets de Berlin et de Milan sont la loi fondamentale
+de mon empire. Ils ne cessent d'avoir leur effet que pour
+les nations qui défendent leur souveraineté et maintiennent
+la religion de leur pavillon. L'Angleterre est en état de blocus
+pour les nations qui se soumettent aux arrêts de 1806,
+parce que les pavillons qui se sont ainsi soumis aux lois anglaises,
+sont dénationalisés; ils sont Anglais. Les nations,
+au contraire, qui ont le sentiment de leur dignité, et qui trouvent,
+dans leur courage et dans leurs forces, assez de ressources
+pour méconnaître le blocus par notification, vulgairement
+appelé <i>blocus sur le papier</i>, et aborder dans les ports
+de mon empire, autres que ceux réellement bloqués, en suivant
+l'usage reconnu et les stipulations du traité d'Utrecht, peuvent
+communiquer avec l'Angleterre, L'Angleterre n'est pas
+bloquée pour elles. Les décrets de Berlin et de Milan, dérivant
+de la nature des choses, formeront constamment le droit
+public de mon empire pendant tout le temps que l'Angleterre
+maintiendra ses arrêts de 1806 et 1807, et violera les stipulations
+du traité d'Utrecht sur cette matière.
+«L'Angleterre a pour principe de saisir les marchandises
+appartenant à son ennemi sous quelque pavillon qu'elles soient.
+L'empire a dû admettre le principe de saisir les marchandises
+anglaises ou provenant du commerce de l'Angleterre, sur
+quelque territoire que ce soit. L'Angleterre saisit les marchands,
+les voyageurs, les charretiers de la nation avec laquelle
+elle est en guerre sur toutes les mers. La France a dû
+saisir les voyageurs, les marchands, les charretiers anglais
+sur quelque point du continent qu'ils se trouvent et où elle
+peut les atteindre; et si dans ce système il y a quelque chose
+de peu conforme à l'esprit du siècle, c'est l'injustice des nouvelles
+lois anglaises qu'il faut en accuser.</p>
+
+<p>Je me suis plu à entrer dans ces développemens avec
+vous, pour vous faire voir que votre réunion à l'empire est
+une suite nécessaire des lois britanniques de 1806 et 1807, et
+non l'effet d'aucun calcul ambitieux. Vous trouverez dans
+mes lois civiles une protection que, dans votre position maritime,
+vous ne sauriez plus trouver dans les lois politiques.
+Le commerce maritime, qui a fait votre prospérité, ne peut
+renaître désormais qu'avec ma puissance maritime. Il faut reconquérir
+à la fois les droits des nations, la liberté des mers
+et la paix générale. Quand j'aurai plus de cent vaisseaux
+de haut-bord, je soumettrai dans peu de campagnes l'Angleterre.
+Les matelots de vos côtes et les matériaux qui
+arrivent aux débouchés de vos rivières me sont nécessaires.
+La France, dans ses anciennes limites, ne pouvait construire
+une marine en temps de guerre: lorsque ses côtes étaient
+bloquées, elle était réduite à recevoir la loi. Aujourd'hui, par
+l'accroissement qu'a reçu mon empire depuis six ans, je puis
+construire, équiper et armer vingt-cinq vaisseaux de haut-bord
+par an, sans que l'état de guerre maritime puisse l'empêcher
+ou me retarder en rien.</p>
+
+<p>Les comptes qui m'ont été rendus du bon esprit qui
+anime vos concitoyens, m'ont fait plaisir; et j'espère, avant
+peu, avoir à me louer du zèle et de la bravoure de vos matelots.»</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Paris, 22 mars 1811.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de l'empereur à une députation du sénat et du
+conseil d'état, envoyée pour le féliciter sur la naissance
+de son fils le roi de Rome.</i></p>
+
+<p class="milieu"><i>Au Sénat.</i></p>
+
+<p>Sénateurs,</p>
+
+<p>«Tout ce que la France me témoigne dans cette circonstance
+va droit à mon coeur. Les grandes destinées de mon
+fils s'accompliront. Avec l'amour des Français, tout lui deviendra
+facile.</p>
+
+<p>J'agrée les sentimens que vous m'exprimez.»</p>
+
+<p class="milieu"><i>Au conseil d'état.</i></p>
+
+<p>Messieurs les conseillers d'état,</p>
+
+<p>«J'ai ardemment désiré ce que la providence vient de
+m'accorder. Mon fils vivra pour le bonheur et la gloire de la
+France. Nos enfans se dévoueront pour son bonheur et sa
+gloire.</p>
+
+<p>Je vous remercie des sentimens que vous m'exprimez.»</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Saint-Cloud, 25 avril 1811.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Lettre de l'empereur aux évêques de France, pour les inviter
+à se rassembler en concile.</i></p>
+
+<p>«Monsieur l'évêque de.....les églises les plus illustres et les
+plus populeuses de l'empire sont vacantes; une des parties
+contractantes du concordat l'a méconnu. La conduite que l'on
+a tenue en Allemagne depuis dix ans a presque détruit l'épiscopat
+dans cette partie de la chrétienté: il n'y a aujourd'hui
+que huit évêques; grand nombre de diocèses sont gouvernés
+par des vicaires apostoliques; on a troublé les chapitres
+dans le droit qu'ils ont de pourvoir, pendant la vacance
+du siège, à l'administration du diocèse, et l'on a ourdi
+des manoeuvres ténébreuses tendantes à exciter la discorde
+et la sédition parmi nos sujets. Les chapitres ont rejeté des
+brefs contraires à leurs droits et aux saints canons.</p>
+
+<p>Cependant les années s'écoulent, de nouveaux évêchés
+viennent à vaquer tous les jours: s'il n'y était pourvu promptement,
+l'épiscopat s'éteindrait en France et en Italie comme
+en Allemagne. Voulant prévenir un état de choses si contraire
+au bien de notre religion, aux principes de l'église gallicane,
+et aux intérêts de l'état, nous avons résolu de réunir, au 9
+juin prochain, dans l'église de Notre-Dame de Paris, tous
+les évêques de France et d'Italie en concile national.</p>
+
+<p>Nous désirons donc qu'aussitôt que vous aurez reçu la
+présente, vous ayez à vous mettre en route, afin d'être arrivé
+dans notre bonne ville de Paris dans la première semaine
+du mois de juin.</p>
+
+<p>Cette lettre n'étant à autre fin, nous prions Dieu qu'il
+vous ait en sa sainte garde.»</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Rambouillet, 18 août 1811.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Lettre de l'empereur aux evêques.</i></p>
+
+<p>«Monsieur l'évêque de........, la naissance du roi de Rome
+est une occasion solennelle de prières et de remercîmens envers
+l'auteur de tous biens. Le 9 juin, jour de la Trinité,
+nous irons nous-même le présenter au baptême dans l'église
+de Notre-Dame de Paris. Notre intention est que le même
+jour nos peuples se réunissent dans leurs églises pour assister
+au <i>Te Deum</i>, et joindre leurs prières et leurs voeux aux
+nôtres.</p>
+
+<p>Concertez-vous à cet effet avec qui de droit, et remplissez
+nos intentions avec le zèle dont vous avez donné des
+preuves réitérées. Cette lettre n'étant à autre fin, nous prions
+Dieu, etc.»</p>
+
+<p class="droite">NAPOLÉON.</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Paris, 17 juin 1811.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Discours de l'empereur à l'ouverture du corps-législatif.</i></p>
+
+<p>«Messieurs les députés des départemens au corps-législatif,</p>
+
+<p>La paix conclue avec l'empire d'Autriche a été depuis
+cimentée par l'heureuse alliance que j'ai contractée: la naissance
+du roi de Rome a rempli mes voeux et satisfait à l'avenir
+de mes peuples.</p>
+
+<p>Les affaires de la religion ont été trop souvent mêlées et
+sacrifiées aux intérêts d'un état du troisième ordre. Si la moitié
+de l'Europe s'est séparée de l'église de Rome, on peut l'attribuer
+spécialement à la contradiction qui n'a cessé d'exister
+entre les vérités et les principes de la religion, qui sont pour
+tout l'univers, et des prétentions et des intérêts qui ne regardaient
+qu'un très-petit coin de l'Italie. J'ai mis fin à ce scandale
+pour toujours. J'ai réuni Rome à l'empire. J'ai accordé;
+des palais aux papes, à Rome et à Paris: s'ils ont à coeur les
+intérêts de la religion, ils voudront séjourner souvent au centre
+des affaires de la chrétienté; c'est ainsi que Saint Pierre
+préféra Rome au séjour même de la Terre-Sainte.</p>
+
+<p>La Hollande a été réunie à l'empire; elle n'en est qu'une
+émanation. Sans elle, l'empire ne serait pas complet.</p>
+
+<p>Les principes adoptés par le gouvernement anglais, de
+ne reconnaître la neutralité d'aucun pavillon, m'ont obligé
+de m'assurer des débouchés de l'Ems, du Weser et de l'Elbe,
+et m'ont rendu indispensable une communication intérieure
+avec la Baltique. Ce n'est pas mon territoire que j'ai voulu
+accroître, mais bien mes moyens maritimes.</p>
+
+<p>L'Amérique a fait des efforts pour faire reconnaître la
+liberté de son pavillon. Je la seconderai.</p>
+
+<p>Je n'ai qu'à me louer des souverains de la confédération
+du Rhin.</p>
+
+<p>La réunion du Valais avait été prévue dès l'acte de médiation,
+et considérée comme nécessaire pour concilier les intérêts
+de la Suisse avec les intérêts de la France et de l'Italie.</p>
+
+<p>Les Anglais mettent en jeu toutes les passions. Tantôt
+ils supposent à la France tous les projets qui peuvent alarmer
+les autres puissances; projets qu'elle aurait pu mettre à
+exécution s'ils étaient entrés dans sa politique: tantôt ils
+font un appel à l'amour propre des nations pour exciter leur
+jalousie; ils saisissent toutes les circonstances que font naître
+les événemens inattendus des temps où nous nous trouvons:
+c'est la guerre dans toutes les parties du continent qui peut
+seule assurer leur prospérité. Je ne veux rien qui ne soit dans
+les traités que j'ai conclus. Je ne sacrifierai jamais le sang
+de mes peuples pour des intérêts qui ne sont pas immédiatement
+ceux de mon empire. Je me flatte que la paix du continent
+ne sera pas troublée.</p>
+
+<p>Le roi d'Espagne est venu assister à cette dernière solennité.
+Je lui ai accordé tout ce qui était nécessaire et propre à
+réunir les intérêts et l'esprit des différens peuples de ses provinces.
+Depuis 1809, la plupart des places fortes d'Espagne
+ont été prises après des sièges mémorables. Les insurgés ont
+été battus dans un grand nombre de batailles rangées. L'Angleterre
+a compris que cette guerre tournait à sa fin, et que
+les intrigues et l'or n'étaient plus suffisans désormais pour la
+nourrir. Elle s'est trouvée contrainte à en changer la nature;
+et d'auxiliaire, elle est devenue partie principale. Tout ce
+qu'elle a de troupes de ligue a été envoyé dans la péninsule:
+l'Angleterre, l'Écosse, l'Irlande sont dégarnies. Le sang anglais
+a enfin coulé à grands flots dans plusieurs actions glorieuses
+pour les armes françaises.........Cette lutte contre Carthage,
+qui paraissait devoir se décider sur les champs de bataille
+de l'Océan ou au-delà des mers, le sera donc désormais
+dans les plaines des Espagnes! Lorsque l'Angleterre sera épuisée,
+qu'elle aura enfin ressenti les maux qu'avec tant de cruauté
+elle verse depuis vingt ans sur le continent, que la moitié de
+ses familles sera couverte du voile funèbre, un coup de tonnerre
+mettra un aux affaires de la péninsule, aux destins de
+ses armées, et vengera l'Europe et l'Asie en terminant cette
+seconde guerre punique.</p>
+
+<p>Messieurs les députés des départemens au corps-législatif,</p>
+
+<p>J'ordonne à mon ministre de mettre sous vos yeux les
+comptes de 1809 et 1810. C'est l'objet pour lequel je vous ai
+réunis. Vous y verrez la situation prospère de mes finances.
+Quoique j'aie mis, il y a trois mois, cent millions d'extraordinaire
+à la disposition de mes ministres de la guerre, pour
+subvenir aux dépenses des nouveaux armemens qui alors paraissaient
+nécessaires, je me trouve dans l'heureuse situation
+de n'avoir à imposer aucune nouvelle surcharge à mes peuples.
+Je ne hausserai aucun tarif; je n'ai besoin d'aucun accroissement
+dans les impositions.»</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Paris, 30 juin 1811.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de l'empereur à une députation du corps-législatif
+envoyée après le baptême du roi de Rome.</i></p>
+
+<p>«Monsieur le président et messieurs les députés du
+corps-législatif,</p>
+
+<p>J'ai été bien aise de vous voir auprès de moi dans cette
+circonstance si chère à mon coeur.</p>
+
+<p>Tous les voeux que vous formez pour l'avenir me sont
+très-agréables. Mon fils répondra à l'attente de la France; il
+aura pour vos enfans les sentimens que je vous porte. Les
+Français n'oublieront jamais que leur bonheur et leur gloire
+sont attachés à la prospérité de ce trône que j'ai élevé, consolidé
+et agrandi avec eux et pour eux: je désire que ceci soit
+entendu de tous les Français. Dans quelque position que la
+Providence et ma volonté les aient placés, le bien, l'amour
+de la France est leur premier devoir.</p>
+
+<p>J'agrée vos sentimens.»</p>
+<br><br><br>
+
+
+<p class="droite">Paris, 18 août 1811.</p>
+
+<p class="milieu"><i>Réponse de l'empereur à deux députations, l'une du département
+de la Lippe et l'autre des Iles Ioniennes.</i></p>
+
+<p><i>A celle de la Lippe.</i></p>
+
+<p>«Messieurs les députés du département de la Lippe, la
+ville de Munster appartenait à un souverain ecclésiastique,
+déplorable effet de l'ignorance et de la superstition. Vous
+étiez sans patrie. La Providence, qui a voulu que je rétablisse
+le trône de Charlemagne, vous a fait naturellement rentrer,
+avec la Hollande et les villes anséatiques, dans le sein de l'empire.
+Du moment où vous êtes devenus Français, mon coeur
+ne fait pas de différence entre vous et les autres parties de
+mes états. Aussitôt que les circonstances me le permettront,
+j'éprouverai une vive satisfaction de me trouver au milieu
+de vous.»</p>
+
+<p class="milieu"><i>A celle des Iles Ioniennes.</i></p>
+
+<p>«Messieurs les députés des Iles Ioniennes, j'ai fait faire
+dans votre pays de grands travaux. J'y ai réuni un grand
+nombre de troupes et de munitions de toute espèce. Je ne regrette
+pas les dépenses que Corfou coûte à mon trésor; elle
+est la clé de l'Adriatique.</p>
+
+<p>Je n'abandonnerai jamais des îles que la supériorité de
+l'ennemi sur mer a fait tomber en son pouvoir. Dans l'Inde,
+comme dans l'Amérique, comme dans la Méditerranée,
+tout ce qui est et a été Français, le sera constamment. Conquis
+par l'ennemi, par les vicissitudes de la guerre, ou par les
+stipulations de la paix, je regarderais comme une tache ineffaçable
+à la gloire de mon règne, de sanctionner jamais l'abandon
+d'un seul Français.</p>
+
+<p>J'agrée les sentimens que vous m'exprimez.»</p>
+
+<br><br><br>
+
+
+<p>FIN DU CINQUIÈME VOLUME.</p>
+<br><br><br>
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Oeuvres de Napoléon Bonaparte, Tome IV.
+by Napoléon Bonaparte
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK OEUVRES DE NAPOLEON, IV ***
+
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+
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+works. See paragraph 1.E below.
+
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+Foundation
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+
+
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+</pre>
+
+</body>
+</html>