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+The Project Gutenberg EBook of Un billet de loterie, by Jules Verne
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Un billet de loterie
+
+Author: Jules Verne
+
+Release Date: February 28, 2005 [EBook #15203]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK UN BILLET DE LOTERIE ***
+
+
+
+
+Produced by Ebooks libres et gratuits. Available at
+http://www.ebooksgratuits.com in Word format, Mobipocket Reader
+format, eReader format and Acrobat Reader format.
+
+
+
+
+
+Jules Verne
+
+
+
+UN BILLET DE LOTERIE
+
+(Le numéro 9672)
+
+
+
+(1886)
+
+
+
+Table des matières
+
+I
+II
+III
+IV
+V
+VI
+VII
+VIII
+IX
+X
+XI
+XII
+XIII
+XIV
+XV
+XVI
+XVII
+XVIII
+XIX
+XX
+
+
+
+
+I
+
+-- Quelle heure est-il? demanda dame Hansen, après avoir secoué
+les cendres de sa pipe, dont les dernières bouffées se perdirent
+entre les poutres coloriées du plafond.
+
+-- Huit heures, ma mère, répondit Hulda.
+
+-- Il n'est pas probable qu'il nous arrive des voyageurs pendant
+la nuit; le temps est trop mauvais.
+
+-- Je ne pense pas qu'il vienne personne. En tout cas, les
+chambres sont prêtes, et j'entendrai bien si l'on appelle du
+dehors.
+
+-- Ton frère n'est pas revenu?
+
+-- Pas encore.
+
+-- N'a-t-il pas dit qu'il rentrerait aujourd'hui?
+
+-- Non, ma mère. Joël est allé conduire un voyageur au lac Tinn,
+et, comme il est parti très tard, je ne crois pas qu'il puisse,
+avant demain, revenir à Dal.
+
+-- Il couchera donc à Moel?
+
+-- Oui, sans doute, à moins qu'il n'aille à Bamble faire visite au
+fermier Helmboë...
+
+-- Et à sa fille?
+
+-- Oui, Siegfrid, ma meilleure amie, et que j'aime comme une
+soeur! répondit en souriant la jeune fille.
+
+-- Eh bien, ferme la porte, Hulda, et allons dormir...
+
+-- Vous n'êtes pas souffrante, ma mère?
+
+-- Non, mais demain je compte me lever de bonne heure. Il faut que
+j'aille à Moel...
+
+-- À quel propos?
+
+-- Eh! ne faut-il pas s'occuper de renouveler nos provisions pour
+la saison qui va venir?
+
+-- Le messager de Christiania est donc arrivé à Moel avec sa
+voiture de vins et de comestibles?
+
+-- Oui, Hulda, cet après-midi, répondit dame Hansen. Lengling, le
+contremaître de la scierie, l'a rencontré et m'a prévenue en
+passant. De nos conserves en jambon et en saumon fumé, il ne reste
+plus grand-chose, et je ne veux pas risquer d'être prise au
+dépourvu. D'un jour à l'autre, surtout si le temps redevient
+meilleur, les touristes peuvent commencer leurs excursions dans le
+Telemark. Il faut que notre auberge soit en état de les recevoir
+et qu'ils y trouvent tout ce dont ils peuvent avoir besoin pendant
+leur séjour. Sais-tu bien, Hulda, que nous voici déjà au 15 avril?
+
+-- Au 15 avril! murmura la jeune fille.
+
+-- Donc, demain, reprit dame Hansen, je m'occuperai de tout cela.
+En deux heures, j'aurai fait nos achats que le messager apportera
+ici, et je reviendrai avec Joël dans sa kariol.
+
+-- Ma mère, au cas où vous rencontreriez le courrier, n'oubliez
+pas de demander s'il y a quelque lettre pour nous...
+
+-- Et surtout pour toi! C'est bien possible, puisque la dernière
+lettre de Ole a déjà un mois de date.
+
+-- Oui! un mois!... un grand mois!
+
+-- Ne te fais pas de peine, Hulda! Ce retard n'a rien qui puisse
+nous étonner. D'ailleurs, si le courrier de Moel n'a rien apporté,
+ce qui n'est pas venu par Christiania ne peut-il venir par Bergen?
+
+-- Sans doute, ma mère, répondit Hulda; mais que voulez-vous? Si
+j'ai le coeur gros, c'est qu'il y a loin d'ici aux pêcheries du
+New Found Land! Toute une mer à traverser, et lorsque la saison
+est mauvaise encore! Voilà près d'un an que mon pauvre Ole est
+parti, et qui pourrait dire quand il viendra nous revoir à Dal?...
+
+-- Et si nous y serons à son retour! murmura dame Hansen, mais si
+bas, que sa fille ne put l'entendre.
+
+Hulda alla fermer la porte de l'auberge, qui s'ouvrait sur le
+chemin du Vestfjorddal. Elle ne prit même pas le soin de donner un
+tour de clé à la serrure. En cet hospitalier pays de Norvège, ces
+précautions ne sont pas nécessaires. Il convient, aussi, que tout
+voyageur puisse entrer, de jour, comme de nuit, dans la maison des
+gaards et des soeters, sans qu'il soit besoin de lui ouvrir.
+
+Aucune visite de rôdeurs ou de malfaiteurs n'est à craindre, ni
+dans les bailliages ni dans les hameaux les plus reculés de la
+province. Aucune tentative criminelle contre les biens ou les
+personnes n'a jamais troublé la sécurité de ses habitants.
+
+La mère et la fille occupaient deux chambres du premier étage sur
+le devant de l'auberge -- deux chambres fraîches et propres,
+d'ameublement modeste, il est vrai, mais dont la tenue indiquait
+les soins d'une bonne ménagère. Au-dessus, sous la couverture,
+débordant comme un toit de chalet, se trouvait la chambre de Joël,
+éclairée par une fenêtre, encadrée d'un découpage en sapin
+amenuisé avec goût. De là, le regard, après avoir parcouru un
+grandiose horizon de montagnes, pouvait descendre jusqu'au fond de
+l'étroite vallée, où mugissait le Maan, moitié torrent, moitié
+rivière. Un escalier de bois, à consoles trapues, à marches
+miroitantes, montait de la grande salle du rez-de-chaussée aux
+étages supérieurs. Rien de plus attrayant que l'aspect de cette
+maison, où le voyageur trouvait un confort bien rare dans les
+auberges de Norvège.
+
+Hulda et sa mère habitaient donc le premier étage. C'est là que de
+bonne heure elles se retiraient toutes deux, quand elles étaient
+seules. Déjà dame Hansen, s'éclairant d'un chandelier de verre
+multicolore, avait gravi les premières marches de l'escalier,
+lorsqu'elle s'arrêta.
+
+On frappait à la porte. Une voix se faisait entendre:
+
+-- Eh! dame Hansen! dame Hansen! Dame Hansen redescendit.
+
+-- Qui peut venir si tard? dit-elle.
+
+-- Est-ce qu'il serait arrivé quelque accident à Joël? répondit
+vivement Hulda. Aussitôt, elle revint vers la porte.
+
+Il y avait là un jeune gars, un de ces gamins qui font le métier
+de skydskarl, lequel consiste à s'accrocher à l'arrière des
+kariols et à ramener le cheval au relais, quand l'étape est finie.
+Celui-ci était venu à pied et se tenait debout sur le seuil.
+
+-- Eh! que veux-tu à cette heure? dit Hulda.
+
+-- D'abord vous souhaiter le bonsoir, répondit le jeune gars.
+
+-- C'est tout?
+
+-- Non! ce n'est pas tout, mais ne faut-il pas toujours commencer
+par être poli?
+
+-- Tu as raison! Enfin, qui t'envoie?
+
+-- Je viens de la part de votre frère Joël.
+
+-- Joël?... Et pourquoi? répliqua dame Hansen. Elle s'avança vers
+la porte, de ce pas lent et mesuré qui caractérise la marche des
+habitants de la Norvège. Qu'il y ait du vif-argent dans les veines
+de leur sol, soit! mais dans les veines de leur corps, peu ou
+point.
+
+Cependant cette réponse avait évidemment causé quelque émotion à
+la mère, car elle se hâta de dire:
+
+-- Il n'est rien arrivé à mon fils?
+
+-- Si!... Il est arrivé une lettre que le courrier de Christiania
+avait apportée de Drammen...
+
+-- Une lettre qui vient de Drammen? dit vivement dame Hansen en
+baissant la voix.
+
+-- Je ne sais pas, répondit le jeune gars. Tout ce que je sais,
+c'est que Joël ne peut revenir avant demain et qu'il m'a envoyé
+ici pour vous apporter cette lettre.
+
+-- C'est donc pressé?
+
+-- Il paraît.
+
+-- Donne, dit dame Hansen, d'un ton qui dénotait une assez vive
+inquiétude.
+
+-- La voici, bien propre et pas chiffonnée. Seulement cette lettre
+n'est pas pour vous. Dame Hansen sembla respirer plus à l'aise.
+
+-- Et pour qui? demanda-t-elle.
+
+-- Pour votre fille.
+
+-- Pour moi! dit Hulda. C'est une lettre de Ole, j'en suis sûre,
+une lettre qui sera venue par Christiania! Mon frère n'aura pas
+voulu me la faire attendre!
+
+Hulda avait pris la lettre, et, après s'être éclairée du
+chandelier, qui avait été déposé sur la table, elle regardait
+l'adresse.
+
+-- Oui!... C'est de lui!... C'est bien de lui!... Puisse-t-il
+m'annoncer que le _Viken _va revenir! Pendant ce temps, dame
+Hansen disait au jeune gars:
+
+-- Tu n'entres pas?
+
+-- Une minute alors! Il faut que je retourne ce soir à la maison,
+parce que je suis retenu demain matin pour une kariol.
+
+-- Eh bien, je te charge de dire à Joël que je compte aller le
+rejoindre. Qu'il m'attende donc.
+
+-- Demain soir?
+
+-- Non, dans la matinée. Qu'il ne quitte pas Moel sans m'avoir
+vue. Nous reviendrons ensemble à Dal.
+
+-- C'est convenu, dame Hansen.
+
+-- Allons, une goutte de brandevin?
+
+-- Avec plaisir! Le jeune gars s'était approché de la table, et
+dame Hansen lui avait présenté un peu de cette réconfortante
+eau-de-vie, toute-puissante contre les brumes du soir. Il n'en
+laissa pas une goutte au fond de la petite tasse. Puis:
+
+-- _God aften! _dit-il.
+
+-- _God aften, _mon garçon!
+
+C'est le bonsoir norvégien. Il fut simplement échangé. Pas même
+une inclination de tête. Et le jeune gars partit, sans s'inquiéter
+de la longue trotte qu'il avait à faire. Ses pas se furent bientôt
+perdus sous les arbres du sentier qui côtoie la torrentueuse
+rivière.
+
+Cependant Hulda regardait toujours la lettre de Ole et ne se
+hâtait pas de l'ouvrir. Qu'on y songe! Cette frêle enveloppe de
+papier avait dû traverser tout l'Océan pour arriver jusqu'à elle,
+toute cette grande mer où se perdent les rivières de la Norvège
+occidentale. Elle en examinait les différents timbres. Mise à la
+poste le 15 mars, cette lettre n'arrivait à Dal que le 15 avril.
+Comment, il y avait un mois déjà que Ole l'avait écrite! Que
+d'événements avaient pu se produire pendant ce mois, sur ces
+parages du New Found Land -- nom que les Anglais donnent à l'île
+de Terre-Neuve! N'était-ce pas encore la période de l'hiver,
+l'époque dangereuse des équinoxes? Ces lieux de pêche ne sont-ils
+pas les plus mauvais du monde, avec les formidables coups de vent
+que le pôle leur envoie à travers les plaines du Nord-Amérique?
+Métier pénible et périlleux, ce métier de pêcheur, qui était celui
+de Ole! Et s'il le faisait, n'était-ce point pour lui en rapporter
+les bénéfices, à elle, sa fiancée, qu'il devait épouser au retour!
+Pauvre Ole! Que disait-il dans cette lettre? Sans doute, qu'il
+aimait toujours Hulda, comme Hulda l'aimerait toujours, que leurs
+pensées se confondaient, malgré la distance, et qu'il voudrait
+être au jour de son arrivée à Dal!
+
+Oui! il devait dire tout cela, Hulda en était sûre. Mais, peut-être
+ajoutait-il que son retour était proche, que cette campagne
+de pêche, qui entraîne les marins de Bergen si loin de leur terre
+natale, allait prendre fin! Peut-être Ole lui apprenait-il que le
+_Viken _achevait d'arrimer sa cargaison, qu'il se préparait à
+appareiller, que les derniers jours d'avril ne s'écouleraient pas
+sans que tous deux fussent réunis en cette heureuse maison du
+Vestfjorddal? Peut-être l'assurait-il, enfin, que l'on pouvait
+déjà fixer le jour où le pasteur viendrait de Moel pour les unir
+dans la modeste chapelle de bois dont le clocher émergeait d'un
+épais massif d'arbres, à quelques centaines de pas de l'auberge de
+dame Hansen?
+
+Pour le savoir, il suffisait simplement de briser le cachet de
+l'enveloppe, d'en tirer la lettre de Ole, de la lire, même à
+travers les larmes de douleur ou de joie que son contenu pourrait
+amener dans les yeux de Hulda. Et, sans doute, plus d'une
+impatiente fille du Midi, une fille de la Dalécarlie, du Danemark
+ou de la Hollande, eût déjà su ce que la jeune Norvégienne ne
+savait pas encore! Mais Hulda rêvait, et les rêves ne se terminent
+que lorsqu'il plaît à Dieu de les finir. Et que de fois on les
+regrette, tant la réalité est décevante!
+
+-- Ma fille, dit alors dame Hansen, cette lettre que ton frère t'a
+envoyée, c'est bien une lettre de Ole?
+
+-- Oui! j'ai reconnu son écriture!
+
+-- Eh bien, veux-tu donc remettre à demain pour la lire? Hulda
+regarda une dernière fois l'enveloppe. Puis, après l'avoir
+décachetée sans trop de hâte, elle en retira une lettre
+soigneusement calligraphiée et lut ce qui suit:
+
+«Saint-Pierre-Miquelon, 17 mars 1882.
+
+«Chère Hulda,
+
+«Tu apprendras avec plaisir que nos opérations de pêche ont
+prospéré et qu'elles seront achevées dans quelques jours.
+
+Oui! Nous touchons à la fin de la campagne! Après un an d'absence,
+combien je serai heureux de revenir à Dal, et d'y retrouver la
+seule famille qui me reste et qui est la tienne.
+
+«Mes parts de bénéfice sont belles. Ce sera pour notre entrée en
+ménage. Messieurs Help frères, Fils de l'Aîné, nos armateurs de
+Bergen, sont avisés que le _Viken _sera probablement de retour du
+15 au 20 mai. Tu peux donc t'attendre à me voir à cette époque,
+c'est-à-dire, au plus, dans quelques semaines.
+
+«Chère Hulda, je compte te trouver encore plus jolie qu'à mon
+départ, et, comme ta mère, en bonne santé. En bonne santé aussi,
+ce hardi et brave camarade, mon cousin Joël, ton frère, qui ne
+demande pas mieux que de devenir le mien.
+
+«Au reçu de la présente, fais bien toutes mes amitiés à dame
+Hansen, que je vois d'ici, au fond de son fauteuil de bois, près
+du vieux poêle, dans la grande salle. Répète-lui que je l'aime
+deux fois, d'abord parce qu'elle est ta mère, et ensuite parce
+qu'elle est ma tante.
+
+«Surtout ne vous dérangez pas pour venir au-devant de moi à
+Bergen. Il serait possible que le _Viken _fût signalé plus tôt que
+je le marque. Quoi qu'il en soit, vingt-quatre heures après mon
+débarquement, chère Hulda, tu peux compter que je serai à Dal.
+Mais ne va pas être trop surprise si j'arrive en avance.
+
+«Nous avons été rudement secoués par les gros temps pendant cet
+hiver, le plus mauvais que nos marins aient jamais passé. Par
+bonheur, la morue du grand banc a donné avec abondance. Le _Viken
+_en rapporte près de cinq mille quintaux, livrables à Bergen, déjà
+vendus par les soins de Messieurs Help frères, Fils de l'Aîné.
+Enfin, ce qui doit intéresser la famille, c'est que nous avons
+réussi, et les profits seront bons pour moi qui, maintenant, suis
+à part entière.
+
+«D'ailleurs, si ce n'est pas la fortune que je rapporte au logis,
+j'ai comme une idée, ou plutôt j'ai comme un pressentiment qu'elle
+doit m'attendre au retour! Oui! la fortune... sans compter le
+bonheur! Comment?... Cela, c'est mon secret, chère Hulda, et tu me
+pardonneras d'avoir un secret pour toi.
+
+«C'est le seul! D'ailleurs, je te le dirai... Quand? Eh bien, dès
+que le moment sera venu -- avant notre mariage, s'il était reculé
+par quelque retard imprévu -- après, si je reviens à l'époque
+dite, et si, dans la semaine qui suivra mon retour à Dal, tu es
+devenue ma femme, comme je le désire tant!
+
+«Je t'embrasse, chère Hulda. Je te charge d'embrasser pour moi
+dame Hansen et mon cousin Joël. J'embrasse encore ton front,
+auquel la couronne rayonnante des mariées du Telemark mettra comme
+un nimbe de sainte. Une dernière fois, adieu, chère Hulda, adieu!
+
+«Ton fiancé,
+
+«Ole Kamp.»
+
+
+II
+
+Dal -- quelques maisons seulement, les unes le long d'une route
+qui n'est à vrai dire qu'un sentier, les autres éparses sur les
+croupes voisines. Elles tournent la face à l'étroite vallée du
+Vestfjorddal, le dos au cadre des collines du nord, au pied
+desquelles coule le Maan. L'ensemble de ces constructions
+formerait un des gaards très communs dans le pays, s'il était sous
+la direction d'un seul propriétaire de cultures ou d'un fermier à
+gages. Mais il a droit, si ce n'est au nom de bourg, du moins à
+celui de hameau. Une petite chapelle, édifiée en 1855, dont le
+chevet est percé de deux étroites fenêtres à vitraux, dresse non
+loin, à travers le fouillis des arbres, son clocher à quatre pans
+-- le tout en bois. Çà et là, au-dessus des rios qui courent à la
+rivière, sont jetés quelques ponceaux, charpentés en losange, dont
+l'entrecroisement est rempli de pierres moussues. Plus loin se
+font entendre les grincements d'une ou deux scieries
+rudimentaires, actionnées par les torrents, avec une roue pour
+manoeuvrer la scie, et une roue pour mouvoir la poutre ou le
+madrier. À courte distance, chapelle, scieries, maisons, cabanes,
+tout semble baigné dans une molle vapeur de verdure, sombre avec
+les sapins, glauque avec les bouleaux, que dessinent les arbres,
+isolés ou groupés, depuis les berges sinueuses du Maan jusqu'à la
+crête des hautes montagnes du Telemark.
+
+Tel est ce hameau de Dal, frais et riant, avec ses habitations
+pittoresques, extérieurement peintes, celles-ci de couleurs
+tendres -- vert naissant ou rose clair -- celles-là enluminées de
+couleurs violentes, jaune éclatant ou sang-de-boeuf. Leurs toits
+d'écorces de bouleau, emplâtrés d'un gazon verdoyant que l'on
+fauche à l'automne, sont coiffés de fleurs naturelles. Tout cela
+est délicieux et appartient au plus charmant pays du monde. Pour
+tout dire, Dal est dans le Telemark, le Telemark est en Norvège,
+et la Norvège, c'est la Suisse avec plusieurs milliers de fiords
+qui permettent à la mer de gronder au pied de ses montagnes.
+
+Le Telemark est compris dans cette portion renflée de l'énorme
+cornue que figure la Norvège entre Bergen et Christiania. Ce
+bailliage -- une dépendance de la préfecture de Batsberg -- a des
+montagnes et des glaciers comme la Suisse, mais ce n'est pas la
+Suisse. Il a des chutes grandioses comme le Nord-Amérique, mais ce
+n'est pas l'Amérique. Il a des paysages avec des maisons peintes
+et des processions d'habitants, vêtus de costumes d'un autre âge,
+comme certains bourgs de la Hollande, mais ce n'est pas la
+Hollande. Le Telemark, c'est mieux que tout cela, c'est le
+Telemark, contrée peut-être unique au monde par les beautés
+naturelles qu'elle renferme. L'auteur a eu le plaisir de le
+visiter. Il l'a parcouru en kariol avec des chevaux pris aux
+relais de poste -- quand il s'en trouvait. Il en a rapporté une
+impression de charme et de poésie, si vivace encore dans son
+souvenir, qu'il voudrait pouvoir en imprégner ce simple récit.
+
+À l'époque où se passe cette histoire -- en 1862 -- la Norvège
+n'était pas encore sillonnée par le chemin de fer qui permet
+actuellement d'aller de Stockholm à Drontheim par Christiania.
+Maintenant un immense lien de rails est tendu à travers ces deux
+pays scandinaves, peu enclins à vivre d'une vie commune. Mais,
+enfermé dans les wagons de ce chemin de fer, si le voyageur va
+plus vite qu'en kariol, il ne voit plus rien de l'originalité des
+routes d'autrefois. Il perd la traversée de la Suède méridionale
+par le curieux canal de Gotha, dont les steam-boats, s'élevant
+d'écluse en écluse, grimpent à trois cents pieds de hauteur.
+Enfin, il ne s'arrête ni aux chutes de Trolletann, ni à Drammen,
+ni à Kongsberg, ni devant toutes les merveilles du Telemark.
+
+À cette époque, le railway n'était qu'en projet. Quelque vingt ans
+devaient s'écouler encore avant qu'on pût traverser le royaume
+scandinave d'un littoral à l'autre -- en quarante heures -- et
+aller jusqu'au cap Nord, avec billets d'aller et retour pour le
+Spitzberg.
+
+Or, précisément, Dal était alors -- et qu'il le soit longtemps! --
+ce point central qui attirait les touristes étrangers ou
+indigènes, ces derniers, pour la plupart, étudiants de
+Christiania. De là, ils peuvent se disperser sur toute la région
+du Telemark et du Hardanger, remonter la vallée du Vestfjorddal
+entre le lac Mjös et le lac Tinn, se rendre aux merveilleuses
+cataractes du Rjukan. Sans doute, il n'y a qu'une seule auberge
+dans ce hameau; mais c'est bien la plus attrayante, la plus
+confortable que l'on puisse désirer, la plus importante aussi,
+puisqu'elle met quatre chambres à la disposition des voyageurs. En
+un mot, c'est l'auberge de dame Hansen.
+
+Quelques bancs entourent la base de ses parois roses, isolées du
+sol par une solide fondation de granit. Les poutres et les
+planches de sapin de ses murs ont acquis avec le temps une dureté
+telle que l'acier d'une hache s'y émousserait. Entre ces poutres,
+à peine équarries, disposées horizontalement les unes sur les
+autres, un rejointoiement de mousses, mélangées de terre glaise,
+forme des bourrelets étanches qui empêchent même les plus
+violentes pluies d'hiver d'y pénétrer. Au-dessus des chambres, le
+plafond chevronné est peint de tons rouges et noirs, contrastant
+avec les couleurs plus douces et plus réjouissantes des lambris.
+En un coin de la grande salle, le poêle circulaire envoie son
+tuyau se perdre dans la cheminée du fourneau de la cuisine.
+
+Ici, la boîte à horloge promène sur un large cadran d'émail ses
+aiguilles ouvragées et pique, de seconde en seconde, un tic-tac
+sonore. Là s'arrondit le vieux secrétaire à moulures brunes, près
+d'un trépied massif, peint en fer. Sur une planchette se dresse le
+chandelier en terre cuite, qui devient candélabre à trois branches
+quand on le retourne. Les plus beaux meubles de la maison ornent
+cette salle; la table en racine de bouleau, à pieds renflés, le
+coffre-bahut, à fermoirs historiés, où sont rangées les belles
+toilettes des fêtes et dimanches, le grand fauteuil dur comme une
+stalle d'église, les chaises de bois peinturluré, le rouet
+rustique, agrémenté de tons verts qui tranchent vivement sur la
+jupe rouge des fileuses. Puis, deçà delà, le pot pour conserver le
+beurre, le rouleau qui sert à le comprimer, la boîte à tabac et la
+râpe en os sculpté. Enfin, au-dessus de la porte, ouverte sur la
+cuisine, un large dressoir étale ses rangées d'ustensiles de
+cuivre et d'étain, des plats et des assiettes, à émail vif, en
+faïence et en bois, la petite meule à aiguiser, à demi plongée
+dans son colimaçon verni, le coquetier antique et solennel qui
+pourrait servir de calice; et quelles parois amusantes, tendues en
+tapisseries de linge, représentant des sujets de la Bible,
+enluminées de toutes les couleurs de l'imagerie d'Épinal! Quant
+aux chambres des voyageurs, pour être plus simples, elles n'en
+sont pas moins confortables avec leurs quelques meubles d'une
+propreté engageante, leurs rideaux de fraîche verdure qui pendent
+de la crête du toit gazonné, leur large lit à draps blancs, en
+frais tissu d'»akloede», et leurs lambris qui portent des versets
+de l'Ancien Testament, écrits en jaune sur fond rouge.
+
+Il ne faut point oublier que les planchers de la grande salle,
+comme ceux des chambres du rez-de-chaussée et du premier étage,
+sont semés de petites branches de bouleau, de sapin, de genévrier,
+dont les feuilles emplissent la maison de leur vivifiante odeur.
+
+Pourrait-on imaginer une plus charmante posada en Italie, une plus
+alléchante fonda en Espagne? Non! Et le flot de touristes anglais
+n'en avait pas encore fait élever les prix, comme en Suisse -- du
+moins à cette époque. À Dal, ce n'est pas la livre sterling, le
+pound d'or, dont la bourse du voyageur est bientôt veuve, c'est le
+species d'argent qui vaut un peu plus de cinq francs, ce sont ses
+subdivisions, le mark d'une valeur d'un franc, et le skilling de
+cuivre, qu'il faut bien se garder de confondre avec le shilling
+britannique, car il n'équivaut qu'à un sou de France. Ce n'est pas
+non plus la prétentieuse bank-note dont le touriste vient faire
+usage et abus au Telemark. C'est le billet d'un species qui est
+blanc, celui de cinq qui est bleu, celui de dix qui est jaune,
+celui de cinquante qui est vert, celui de cent qui est rouge. Deux
+de plus, et l'on ferait toutes les couleurs de l'arc-en-ciel!
+
+Puis -- ce qui n'est point à dédaigner dans cette hospitalière
+maison -- la nourriture y est bonne, chose rare dans la plupart
+des auberges de la région. En effet, le Telemark ne justifie que
+trop son surnom de «Pays du lait caillé». Au fond de ces trous de
+Tiness, de Listhüs, de Tinoset, de bien d'autres, jamais de pain,
+ou si mauvais qu'il vaut mieux s'en passer. Rien qu'une galette
+d'avoine, le «flatbröd», sec, noirâtre, dur comme du carton, ou
+tout simplement un gâteau grossier, fait avec la substance
+intermédiaire de l'écorce de bouleau, mélangée de lichens ou de
+hachures de paille. Rarement des oeufs, à moins que les poules
+n'aient pondu huit jours avant. Mais, à profusion, de la bière
+inférieure, du lait caillé, doux ou sur, et quelquefois un peu de
+café, si épais qu'il ressemble plutôt à de la suie distillée
+qu'aux produits de Moka, de Bourbon ou de Rio Nunez.
+
+Chez dame Hansen, au contraire, la cave et l'office sont
+convenablement garnies. Que faut-il de plus aux touristes même
+exigeants? Saumon cuit, salé ou fumé, «hores», saumons des lacs
+qui n'ont jamais connu les eaux amères, poissons des cours d'eau
+du Telemark, volailles ni trop dures ni trop maigres, oeufs à
+toutes sauces, fines galettes de seigle et d'orge, fruits, et plus
+particulièrement des fraises, pain bis, mais d'excellente qualité,
+bière et vieilles bouteilles de ce vin de Saint-Julien qui propage
+jusqu'en ces contrées lointaines la renommée des crus de France.
+
+Aussi, réputation faite, dans tous les pays du nord de l'Europe,
+pour l'auberge de Dal.
+
+On peut le voir, d'ailleurs, en feuilletant le livre aux feuilles
+jaunâtres sur lesquelles les voyageurs signent volontiers de leur
+nom quelque compliment à l'adresse de dame Hansen. Pour la
+plupart, ce sont des Suédois, des Norvégiens, venus de tous les
+points de la Scandinavie.
+
+Cependant, les Anglais y sont en grand nombre, et l'un d'eux, pour
+avoir attendu une heure que le sommet du Gousta se dégageât de ses
+vapeurs matinales, a britanniquement écrit sur une des pages:
+
+_Patientia omnia vincit._
+
+Il y a également quelques Français, dont l'un, qu'il vaut mieux ne
+pas nommer, s'est permis d'écrire:
+
+«Nous n'avons qu'à nous louer de la réception qu'on nous a «fait»
+dans cette auberge!»
+
+Peu importe la faute grammaticale, après tout! Si la phrase est
+plus reconnaissante que française, elle n'en rend pas moins
+hommage à dame Hansen et à sa fille, la charmante Hulda du
+Vestfjorddal.
+
+
+III
+
+Sans être trop versé dans la science ethnographique, on peut
+croire, avec plusieurs savants, qu'il existe une certaine parenté
+entre les hautes familles de l'aristocratie anglaise et les
+anciennes familles du royaume scandinave. On en trouve de
+nombreuses preuves dans ces noms d'ancêtres qui sont identiques
+entre les deux pays. Et pourtant, il n'y a pas d'aristocratie en
+Norvège. Mais, si la démocratie domine, cela ne l'empêche pas
+d'être aristocratique au plus haut point. Tous sont égaux en haut,
+au lieu de l'être en bas. Jusque dans les plus humbles cabanes se
+dresse encore l'arbre généalogique, qui n'a point dégénéré pour
+avoir repris racine en terre plébéienne. Là s'écartèlent les
+blasons des familles nobles des époques féodales, dont ces simples
+paysans descendent.
+
+Il en était ainsi des Hansen, de Dal, parents, à un degré très
+éloigné, sans doute, de ces pairs d'Angleterre, créés à la suite
+de l'invasion du Rollon de Normandie. Et s'ils n'en possédaient
+plus la situation ni la richesse, du moins en avaient-ils conservé
+la fierté originelle, ou, plutôt, la dignité, qui est à sa place
+dans toutes les conditions sociales.
+
+Peu importait, d'ailleurs! Quoiqu'il eût des ancêtres de haute
+naissance, Harald Hansen n'en était pas moins aubergiste à Dal. La
+maison lui venait de son père et de son grand-père, dont il
+rappelait volontiers la situation dans le pays. Après lui, sa
+femme avait continué d'y exercer cette profession de manière à
+mériter l'estime publique.
+
+Harald avait-il fait fortune à ce métier? On ne sait. Mais il
+avait pu élever son fils Joël et sa fille Hulda, sans que le début
+de la vie eût été trop dur à ses deux enfants. Et même, un fils
+d'une soeur de sa femme, Ole Kamp, que la mort de son père et de
+sa mère devait bientôt laisser à sa charge, avait été élevé par
+lui comme ses propres rejetons. Sans son oncle Harald, cet
+orphelin eût sans doute été un de ces pauvres petits êtres qui ne
+viennent au monde que pour le quitter aussitôt. Du reste, Ole Kamp
+montra pour ses parents adoptifs une reconnaissance toute filiale.
+Rien ne devait jamais rompre ce lien qui l'unissait à la famille
+Hansen. Son mariage avec Hulda allait le resserrer encore et le
+nouer pour la vie.
+
+Harald était mort, il y avait dix-huit mois environ. Sans compter
+l'auberge de Dal, il laissait à sa veuve un petit «soeter», situé
+dans la montagne. Le soeter n'est qu'une sorte de ferme isolée,
+d'un rapport généralement médiocre, quand il n'est pas nul. Or,
+les dernières saisons n'avaient point été bonnes. Toute culture
+avait souffert, même les pâturages. Il y avait eu de ces «nuits de
+fer», comme les appelle le paysan norvégien, nuits de bise et de
+glace, qui dessèchent tout germe jusqu'au plus profond de l'humus.
+De là, ruine pour les paysans du Telemark et du Hardanger.
+
+Cependant, si dame Hansen devait savoir à quoi s'en tenir sur sa
+situation, elle n'en avait jamais rien dit à personne, pas même à
+ses enfants. D'un caractère froid et taciturne, elle était peu
+communicative -- ce dont Hulda et Joël souffraient visiblement.
+Mais, avec ce respect pour le chef de famille, inné dans les pays
+du Nord, ils s'étaient tenus sur une réserve qui ne laissait pas
+de leur être très pénible. D'ailleurs, dame Hansen ne demandait
+pas volontiers aide ou conseil, étant absolument convaincue de la
+sûreté de son jugement -- très norvégienne sous ce rapport.
+
+Dame Hansen comptait alors cinquante ans. L'âge, s'il avait
+blanchi ses cheveux, n'avait point courbé sa haute taille, ni
+amoindri la vivacité de son regard d'un bleu intense, dont l'azur
+se retrouvait inaltéré dans les yeux de sa fille. Seul son teint
+avait pris la nuance jaunâtre d'un vieux papier de procédure, et
+quelques rides commençaient à sillonner son front.
+
+La «madame», comme on dit en pays scandinave, était invariablement
+vêtue d'une jupe noire à gros plis, en signe du deuil qu'elle ne
+quittait plus depuis la mort de Harald. Des entournures de son
+corsage brunâtre sortaient les manches d'une chemise en coton
+écru. Un fichu de couleur sombre se croisait sur sa poitrine que
+recouvrait le montant du tablier rattaché en arrière par de larges
+agrafes. Elle était toujours coiffée d'un épais bonnet de soie,
+sorte de béguin qui tend à disparaître des modes du jour. Assise
+droite, dans le fauteuil de bois, la grave hôtesse de Dal
+n'abandonnait son rouet que pour fumer une petite pipe en écorce
+de bouleau, dont les vapeurs l'entouraient d'un léger nuage.
+
+En vérité, peut-être la maison eût-elle semblé bien triste sans la
+présence des deux enfants!
+
+Un brave garçon, Joël Hansen! Vingt-cinq ans, bien découplé, de
+haute taille, comme les montagnards norvégiens, l'air fier, sans
+forfanterie, l'allure hardie, sans témérité. C'était un blond
+presque châtain, avec des yeux bleus presque noirs. Son costume
+faisait valoir ses puissantes épaules qui ne pliaient pas
+aisément, sa large poitrine dans laquelle fonctionnaient à l'aise
+les poumons du guide des montagnes, ses bras vigoureux, ses jambes
+faites aux plus pénibles ascensions des hauts fields du Telemark.
+En tenue habituelle, on eût dit un cavalier. Sa jaquette bleuâtre,
+avec épaulettes, serrée à la taille, se croisait sur la poitrine
+par deux longues pattes verticales et s'agrémentait dans le dos de
+dessins en couleurs, semblable à certaines vestes celtiques de la
+Bretagne. Son col de chemise s'évasait en entonnoir. Sa culotte
+jaune se rattachait au-dessous du genou par une jarretière à
+boucle. Sur sa tête s'inclinait un chapeau brun à larges bords
+avec ganse noire et lisières rouges. À ses jambes s'adaptaient des
+guêtres de bure ou des bottes à fortes semelles, plates de talons,
+dont le cou-de-pied se dessinait imparfaitement sous le
+chiffonnement du cuir, comme aux bottes de mer.
+
+De son vrai métier, Joël était guide dans le bailliage du Telemark
+et jusqu'au fond des montagnes du Hardanger. Toujours prêt à
+partir, toujours infatigable, il méritait d'être comparé à ce
+héros norvégien, Rollon le Marcheur, célèbre dans les légendes du
+pays. Entre-temps, il accompagnait les chasseurs anglais, qui
+viennent volontiers tirer le «riper», ce ptarmigan plus gros que
+celui des Hébrides, et le «jerper», cette perdrix plus délicate
+que la grouse d'Écosse. L'hiver arrivé, c'était la chasse aux
+loups qui le réclamait, lorsque ces carnassiers, poussés par la
+faim, s'aventurent pendant la mauvaise saison à la surface des
+lacs glacés. Puis, l'été, c'était la chasse à l'ours, quand cet
+animal, suivi de ses petits, vient chercher sa nourriture d'herbe
+fraîche et qu'il faut le poursuivre à travers les plateaux d'une
+altitude de mille à douze cents pieds. Plus d'une fois, Joël ne
+dut la vie qu'à sa force prodigieuse, qui le rendait capable de
+résister aux étreintes de ces formidables bêtes, et à son
+imperturbable sang-froid, qui lui permettait de s'en dégager.
+
+Enfin, lorsqu'il n'y avait ni touriste à guider dans la vallée du
+Vestfjorddal, ni chasseur à conduire sur les fields, Joël
+s'occupait du petit soeter, situé à quelques milles dans la
+montagne. Là, un jeune berger, aux gages de dame Hansen, était
+employé à la garde d'une demi-douzaine de vaches et d'une
+trentaine de moutons -- le soeter ne comprenant que des pâturages
+sans aucune sorte de culture.
+
+De sa nature, Joël était obligeant et serviable. Connu dans tous
+les gaards du Telemark, c'est dire qu'il était aimé dans tous.
+Quant aux trois êtres pour lesquels il éprouvait une affection
+sans bornes, c'étaient, avec sa mère, son cousin Ole et sa soeur
+Hulda.
+
+Lorsque Ole Kamp avait quitté Dal pour s'embarquer une dernière
+fois, combien Joël regretta de ne pouvoir doter Hulda pour lui
+garder son fiancé! En vérité, s'il eût été habitué à la mer, il
+n'aurait pas hésité à partir à la place de son cousin. Mais il
+fallait quelque argent pour les débuts du nouveau ménage. Or, dame
+Hansen n'ayant pris aucun engagement, Joël avait compris qu'elle
+ne pouvait rien distraire du bien de famille. Ole avait donc dû
+s'en aller au loin, de l'autre côté de l'Atlantique. Joël l'avait
+conduit jusqu'aux dernières limites de leur vallée, sur la route
+de Bergen. Là, après l'avoir longtemps serré dans ses bras, il lui
+avait souhaité bon voyage et heureux retour. Puis, il était revenu
+consoler sa soeur qu'il aimait d'un amour à la fois fraternel et
+paternel.
+
+Hulda, à cette époque, avait dix-huit ans. Ce n'était pas la
+«piga», ainsi qu'on appelle la servante dans les auberges
+norvégiennes, mais plutôt la «fraken», la miss des Anglais, «la
+mademoiselle», comme sa mère était «la madame» de la maison. Quel
+charmant visage, encadré de cheveux blonds, un peu dorés, sous un
+léger bonnet de linge, dégagé en arrière pour laisser tomber de
+longues nattes! Quelle jolie taille sous ce corsage d'étoffe rouge
+à lisérés verts, bien ajusté au buste, entrouvert sur le plastron,
+orné de broderies en couleurs, surmonté de la chemisette blanche
+dont les manches venaient se serrer aux poignets par un bracelet
+de rubans! Quelle gracieuse tournure sous le ceinturon rouge à
+fermoirs d'argent filigrané, qui retenait la jupe verdâtre,
+doublée du tablier à losanges multicolores, et sous lequel
+apparaissait le bas blanc, engagé dans cette fine chaussure du
+Telemark, effilée à sa pointe.
+
+Oui! la fiancée de Ole était charmante avec cette physionomie un
+peu mélancolique des filles du Nord, mais souriante aussi. En la
+voyant, on songeait volontiers à cette Hulda la Blonde, dont elle
+portait le nom, et que la mythologie scandinave laisse errer,
+comme la fée heureuse, autour du foyer domestique.
+
+Sa réserve de fille modeste et sage ne lui ôtait rien de la grâce
+avec laquelle elle accueillait les hôtes d'un jour qui
+s'arrêtaient à l'auberge de Dal. On le savait dans le monde des
+touristes. N'était-ce pas déjà une attraction de pouvoir échanger
+avec Hulda le «shake-hand», cette cordiale poignée de main qui se
+donne à tous et à toutes?
+
+Et, après lui avoir dit:
+
+-- Merci pour ce repas, _Tack for mad!_
+
+Quoi de plus agréable que de lui entendre répondre de sa voix
+fraîche et sonore:
+
+-- Puisse-t-il vous faire du bien, _Wed bekomme!_
+
+
+IV
+
+Ole Kamp était parti depuis un an. Il l'avait dit dans sa lettre -
+- une rude campagne, cette campagne d'hiver sur les parages de New
+Found Land! On y gagne bien son argent, quand on en gagne. Il y a
+là-bas des coups de vent d'équinoxe qui surprennent les bâtiments,
+au large des îles, et détruisent en quelques heures toute une
+flottille de pêche. Mais le poisson pullule sur ce haut fond de
+Terre-Neuve, et les équipages, lorsqu'ils sont favorisés, trouvent
+une large compensation aux fatigues comme aux dangers de ce trou à
+tempêtes.
+
+Du reste, les Norvégiens sont de bons marins. Ils ne boudent point
+à la besogne. Au milieu des fiords du littoral, depuis
+Christiansand jusqu'au cap Nord, entre les récifs du Finmark, à
+travers les passes des Loffoden, les occasions ne leur manquent
+pas de se familiariser avec les fureurs de l'Océan. Lorsqu'ils
+traversent l'Atlantique Nord pour aller de conserve aux lointaines
+pêcheries de Terre-Neuve, ils ont déjà fait preuve de courage.
+Pendant leur enfance, ce qu'ils ont reçu de coups de queue
+d'ouragan, sur la côte européenne, les a mis à même d'affronter
+les coups de tête des mêmes tempêtes sur le New Found Land. Ils
+attrapent la bourrasque à son début, voilà toute la différence.
+
+Les Norvégiens ont de qui tenir, d'ailleurs. Leurs ancêtres
+étaient d'intrépides gens de mer, à l'époque où les Hansen avaient
+accaparé le commerce de l'Europe septentrionale. Peut-être
+furent-ils un peu pirates dans les anciens temps; mais la piraterie
+c'était alors la façon de procéder. Sans doute, le commerce s'est
+bien moralisé depuis, bien qu'il soit permis de penser qu'il reste
+encore quelque chose à faire.
+
+Quoi qu'il en soit, les Norvégiens étaient d'audacieux
+navigateurs, ils le sont aujourd'hui, ils le seront toujours. Ole
+Kamp n'était pas homme à démentir les promesses de son origine.
+Son apprentissage, son initiation à ces durs travaux, c'est à un
+vieux maître au cabotage de Bergen qu'il les devait. Toute son
+enfance s'était passée dans ce port, l'un des plus fréquentés du
+royaume scandinave. Avant de prendre la grande mer, il avait été
+un audacieux gamin des fiords, un dénicheur d'oiseaux aquatiques,
+un pêcheur de ces innombrables poissons qui servent à fabriquer le
+stock-fish. Puis, devenu mousse, il a commencé à naviguer sur la
+Baltique, au large de la mer du Nord, et même jusqu'aux parages de
+l'Océan polaire. Il fit ainsi plusieurs voyages à bord des grands
+navires de pêche, et obtint le grade de maître, quand il eut plus
+de vingt et un ans. Il en avait maintenant vingt-trois.
+
+Entre ses campagnes, il ne manquait jamais de venir revoir la
+famille qu'il aimait, la seule qui lui restât au monde.
+
+Et alors, quand il se trouvait à Dal, quel compagnon digne de
+Joël! Il le suivait dans ses courses, à travers les montagnes,
+jusque sur les plus hauts plateaux du Telemark. Les fields après
+les fiords, ça lui allait à ce jeune marin, et il ne restait
+jamais en arrière, à moins que ce ne fût pour tenir compagnie à sa
+cousine Hulda.
+
+Une étroite amitié s'établit peu à peu entre Ole et Joël. Ce fut
+par une conséquence tout indiquée que ce sentiment prit une autre
+forme à l'égard de la jeune fille. Et comment Joël ne l'eût-il pas
+encouragé? Où sa soeur aurait-elle trouvé dans toute la province
+un meilleur garçon, une nature plus sympathique, un caractère plus
+dévoué, un coeur plus chaud? Ole pour mari, le bonheur de Hulda
+était assuré. Ce fut donc avec l'agrément de sa mère et de son
+frère que la jeune fille se laissa aller sur la pente naturelle de
+ses sentiments. De ce que ces gens du Nord sont peu démonstratifs,
+il ne faudrait pas les taxer d'insensibilité. Non! C'est leur
+manière, à eux, et peut-être en vaut-elle bien une autre!
+
+Enfin, un jour, tous quatre étant dans la grande salle, Ole dit,
+sans autre entrée en matière:
+
+-- Il me vient une idée, Hulda!
+
+-- Laquelle? répondit la jeune fille.
+
+-- Il me semble que nous devrions nous marier!
+
+-- Je le crois aussi.
+
+-- Cela serait convenable, ajouta dame Hansen, comme si c'eût été
+une affaire discutée depuis longtemps déjà.
+
+-- En effet, et de cette façon, Ole, répliqua Joël, je deviendrais
+tout naturellement ton beau-frère.
+
+-- Oui, dit Ole, mais il est probable, mon Joël, que je ne t'en
+aimerai que davantage...
+
+-- Si c'est possible!
+
+-- Tu le verras bien!
+
+-- Ma foi, je ne demande pas mieux! répondit Joël, qui vint serrer
+la main de Ole.
+
+-- Ainsi, c'est entendu, Hulda? demanda dame Hansen.
+
+-- Oui, ma mère, répondit la jeune fille.
+
+-- Tu le penses bien, Hulda, reprit Ole. Il y a beau temps que je
+t'aime sans le dire!
+
+-- Moi aussi, Ole!
+
+-- Comment cela m'est venu, je ne le sais guère.
+
+-- Ni moi.
+
+-- Sans doute, Hulda, c'est en te voyant chaque jour plus belle,
+et bonne de plus en plus...
+
+-- Tu vas un peu loin, mon cher Ole!
+
+-- Mais non, et je peux bien te dire cela, sans te faire rougir,
+puisque c'est vrai! Est-ce que vous ne vous étiez pas aperçue,
+dame Hansen, que j'aimais Hulda?
+
+-- Un peu.
+
+-- Et toi, Joël?
+
+-- Moi?... beaucoup!
+
+-- Franchement, répondit Ole en souriant, vous auriez bien dû me
+prévenir!
+
+-- Mais tes voyages, Ole, demanda dame Hansen, est-ce qu'ils ne te
+paraîtront pas trop pénibles, une fois que tu seras marié?
+
+-- Si pénibles, répondit Ole, que je ne voyagerai plus, quand le
+mariage sera fait!
+
+-- Tu ne voyageras plus?...
+
+-- Non, Hulda. Est-ce qu'il me serait possible de te quitter
+pendant de longs mois?
+
+-- Ainsi, tu vas pour la dernière fois aller en mer?
+
+-- Oui, mais, avec un peu de chance, ce voyage me permettra de
+rapporter quelques économies, puisque MM. Help frères m'ont
+formellement promis de me donner part entière...
+
+-- Ce sont de braves gens! dit Joël.
+
+-- Tout ce qu'il y a de meilleur, répondit Ole, et bien connus,
+bien appréciés de tous les marins de Bergen!
+
+-- Mon cher Ole, dit alors Hulda, quand tu ne navigueras plus,
+qu'est-ce que tu feras?
+
+-- Eh bien, je deviendrai le compagnon de Joël. J'ai de bonnes
+jambes, et si elles ne suffisent pas, je m'en fabriquerai en
+m'entraînant peu à peu. D'ailleurs, j'ai pensé à une affaire qui
+ne serait peut-être pas mauvaise. Pourquoi n'établirions-nous pas
+un service de messageries entre Drammen, Kongsberg et les gaards
+du Telemark? Les communications ne sont ni faciles ni régulières,
+et il y aurait peut-être quelque argent à gagner. Enfin, j'ai des
+idées, sans compter...
+
+-- Quoi donc?
+
+-- Rien! Nous verrons cela à mon retour. Mais je vous préviens que
+je suis bien décidé à tout faire pour que Hulda soit la femme la
+plus enviée du pays. Oui! J'y suis bien décidé.
+
+-- Si tu savais, Ole, comme ce sera facile! répondit Hulda en lui
+tendant la main. N'est-ce pas à moitié fait déjà, et existe-t-il
+une aussi heureuse maison que notre maison de Dal?
+
+Dame Hansen avait un instant détourné la tête.
+
+-- Ainsi, reprit Ole en insistant d'un ton joyeux, l'affaire est
+convenue?
+
+-- Oui, répondit Joël.
+
+-- Et il n'y aura plus à en reparler?
+
+-- Jamais.
+
+-- Tu n'auras pas de regret, Hulda?
+
+-- Aucun, mon cher Ole.
+
+-- Quant à fixer la date du mariage, je pense qu'il vaut mieux
+attendre ton retour, ajouta Joël.
+
+-- Soit, mais j'aurai bien du malheur, si avant un an je ne suis
+pas revenu pour conduire Hulda à l'église de Moel, où notre ami,
+le pasteur Andresen ne refusera pas de dire pour nous ses plus
+belles prières!
+
+Et voilà comment avait été décidé le mariage de Hulda Hansen et de
+Ole Kamp.
+
+Huit jours après, le jeune marin devait rejoindre son bord à
+Bergen. Mais, avant de se quitter, les deux futurs avaient été
+fiancés, suivant la touchante coutume des pays scandinaves.
+
+Dans cette simple et honnête Norvège, l'habitude, le plus
+généralement, est de se fiancer avant de s'épouser. Quelquefois,
+même, le mariage n'est célébré que deux ou trois ans après. Cela
+ne rappelle-t-il pas ce qui se passait entre chrétiens aux
+premiers jours de l'Église? Mais il ne faudrait pas croire que les
+fiançailles ne soient qu'un simple échange de paroles, dont la
+valeur ne repose que sur la bonne foi des contractants. Non!
+L'engagement est plus sérieux, et si cet acte n'est pas reconnu
+par la loi, du moins l'est-il par l'usage, cette loi naturelle.
+
+Il s'agissait donc, dans le cas de Hulda et de Ole Kamp,
+d'organiser une cérémonie à laquelle présiderait le pasteur
+Andresen. Il n'y a pas de ministre du culte à Dal, ni dans la
+plupart des gaards environnants. En Norvège, d'ailleurs, on trouve
+certaines localités qui s'appellent «villes de dimanche», où
+s'élève le presbytère, le «proestegjelb». C'est là que se
+rassemblent, pour l'office, les principales familles de la
+paroisse. Elles y ont même un pied-à-terre dans lequel elles
+viennent s'établir pendant vingt-quatre heures, le temps
+d'accomplir leurs devoirs religieux. De là, on s'en retourne comme
+d'un pèlerinage. Dal, il est vrai, possède une chapelle. Toutefois
+le pasteur ne s'y rend que sur demande et pour des cérémonies qui
+ne sont point d'ordre public, mais privé.
+
+Après tout, Moel n'est pas loin. Rien qu'un demi-mille -- soit à
+peu près dix kilomètres de France, depuis Dal jusqu'à l'extrémité
+du lac Tinn. Quant au pasteur Andresen, c'est un homme obligeant
+et un bon marcheur.
+
+Le pasteur Andresen fut donc prié de venir aux fiançailles, en
+cette double qualité de ministre et d'ami de la famille Hansen.
+Elle le connaissait et il la connaissait de longue date. Il avait
+vu grandir Hulda et Joël. Il les aimait comme il aimait ce «jeune
+loup marin» de Ole Kamp. Rien ne pouvait lui faire plus de plaisir
+qu'un tel mariage. Il y avait là de quoi mettre en fête toute la
+vallée du Vestfjorddal.
+
+Il s'ensuit que le pasteur Andresen prit son petit collet, son
+rabat de crêpe, son livre d'office, et partit un beau matin, par
+un temps assez pluvieux d'ailleurs. Il arriva en compagnie de
+Joël, qui était allé à sa rencontre à mi-route. On laisse à penser
+s'il fut bien reçu dans l'auberge de dame Hansen, et s'il eut la
+belle chambre du rez-de-chaussée, avec des branches de genévrier
+toutes fraîches, qui la parfumaient comme une chapelle.
+
+Le lendemain, à la première heure, s'ouvrit la petite église de
+Dal. Là, devant le pasteur et sur son livre d'office, en présence
+de quelques amis et des voisins de l'auberge, Ole jura d'épouser
+Hulda, et Hulda jura d'épouser Ole, au retour du dernier voyage
+que le jeune marin allait entreprendre. Un an d'attente, c'est
+long, mais cela passe tout de même, quand on est sûr l'un de
+l'autre.
+
+Maintenant, Ole ne pourrait plus, sans un motif grave, répudier
+celle dont il avait fait sa fiancée. Hulda ne pourrait pas trahir
+la foi qu'elle avait jurée à Ole. Et si Ole Kamp ne fût pas parti
+quelques jours après les fiançailles, il aurait pu profiter des
+droits qu'elles lui donnaient sans conteste: rendre visite à la
+jeune fille quand il lui conviendrait, lui écrire lorsqu'il lui
+plairait de le faire, l'accompagner à la promenade, bras dessus,
+bras dessous, même en l'absence de la famille, obtenir la
+préférence sur tous autres pour danser avec elle dans les fêtes et
+cérémonies quelconques.
+
+Mais Ole Kamp avait dû regagner Bergen. Huit jours après, le
+_Viken _était parti pour les pêcheries de Terre-Neuve. Maintenant,
+Hulda n'avait plus qu'à attendre les lettres que son fiancé avait
+promis de lui adresser par tous les courriers d'Europe.
+
+Elles ne manquèrent pas, ces lettres, toujours si impatiemment
+attendues. Elles apportèrent un peu de bonheur à la maison
+attristée depuis le départ. Le voyage s'accomplissait dans des
+conditions favorables. La pêche était fructueuse, les profits
+seraient grands. Et puis, à la fin de chaque lettre, Ole parlait
+toujours d'un certain secret et de la fortune qu'il devait lui
+assurer. Voilà un secret que Hulda aurait bien voulu connaître, et
+aussi dame Hansen pour des raisons qu'il eût été difficile de
+soupçonner.
+
+C'est que dame Hansen était de plus en plus sombre, inquiète,
+renfermée. Et une circonstance, dont elle ne parla point à ses
+enfants, vint encore accroître ses soucis.
+
+Trois jours après l'arrivée de la dernière lettre de Ole, le 19
+avril, dame Hansen revenait seule de la scierie où elle était
+allée commander un sac de copeaux au contremaître Lengling, et se
+dirigeait vers la maison. Un peu avant d'arriver devant la porte,
+elle fut accostée par un homme qui n'était pas du pays.
+
+-- Vous êtes bien dame Hansen? demanda cet homme.
+
+-- Oui, répondit-elle, mais je ne vous connais pas.
+
+-- Oh! peu importe! reprit l'homme. Je suis arrivé ce matin de
+Drammen et j'y retourne.
+
+-- De Drammen? dit vivement dame Hansen.
+
+-- Est-ce que vous ne connaissez pas un certain monsieur
+Sandgoïst, qui y demeure?...
+
+-- Monsieur Sandgoïst! répéta dame Hansen, dont la figure pâlit à
+ce nom. Oui... je le connais!
+
+-- Eh bien, quand monsieur Sandgoïst a su que je venais à Dal, il
+m'a prié de vous donner le bonjour de sa part.
+
+-- Et... rien de plus?...
+
+-- Rien, si ce n'est de vous dire qu'il viendrait probablement
+vous voir le mois prochain! -- Bonne santé et bonsoir, dame
+Hansen!
+
+
+V
+
+Hulda, en effet, était très frappée de cette persistance de Ole à
+toujours lui parler dans ses lettres de cette fortune qu'il
+comptait trouver à son retour. Sur quoi le brave garçon fondait-il
+cette espérance? Hulda ne pouvait le deviner, et il lui tardait de
+le savoir. Qu'on excuse cette impatience si naturelle. Était-ce
+donc une vaine curiosité de sa part? Point. Ce secret la regardait
+bien un peu. Non qu'elle fût ambitieuse, l'honnête et simple
+fille, ni que ses visées d'avenir se fussent jamais haussées à ce
+qu'on appelle la richesse. L'affection de Ole lui suffisait, elle
+devait lui suffire toujours. Si la fortune venait, on
+l'accueillerait sans grande joie. Si elle ne venait pas, on s'en
+passerait sans grand déplaisir.
+
+C'est précisément ce que se disaient Hulda et Joël, le lendemain
+du jour où la dernière lettre de Ole était arrivée à Dal. Là-dessus
+ils pensaient de la même façon -- comme sur tout le reste,
+d'ailleurs.
+
+Et alors Joël d'ajouter:
+
+-- Non! Cela n'est pas possible, petite soeur! Il faut que tu me
+caches quelque chose!
+
+-- Moi!... te cacher?...
+
+-- Oui! Que Ole soit parti sans te dire au moins un peu de son
+secret... ce n'est pas croyable!
+
+-- T'en a-t-il dit un mot, Joël? répondit Hulda.
+
+-- Non, soeur. Mais moi, je ne suis pas toi.
+
+-- Si, tu es moi, frère.
+
+-- Je ne suis pas le fiancé de Ole.
+
+-- Presque, dit la jeune fille, et, si quelque malheur
+l'atteignait, s'il ne revenait pas de ce voyage, tu serais frappé
+comme moi, et tes larmes couleraient comme les miennes!
+
+-- Ah! petite soeur, répondit Joël, je te défends bien d'avoir de
+ces idées! Ole ne pas revenir de ce dernier voyage qu'il fait aux
+grandes pêches! Est-ce que tu parles sérieusement, Hulda?
+
+-- Non, sans doute, Joël. Et pourtant, je ne sais... Je ne peux me
+défendre de certains pressentiments... de vilains rêves!...
+
+-- Des rêves, chère Hulda, ne sont que des rêves!
+
+-- Sans doute, mais d'où viennent-ils?
+
+-- De nous-mêmes et non d'en haut. Tu crains, et ce sont tes
+craintes qui hantent ton sommeil. D'ailleurs, il en est presque
+toujours ainsi, quand on a vivement désiré une chose et que le
+moment approche où les désirs vont se réaliser.
+
+-- Je le sais, Joël.
+
+-- Vraiment, je te croyais plus ferme, petite soeur! Oui! plus
+énergique! Comment, tu viens de recevoir une lettre dans laquelle
+Ole te dit que le _Viken _sera de retour avant un mois, et tu te
+mets de pareils soucis dans la tête!...
+
+-- Non... dans le coeur, mon Joël!
+
+-- Et, au fait, reprit Joël, nous sommes déjà au 19 avril. Ole
+doit revenir du 15 au 20 mai. Il n'est donc pas trop tôt de
+commencer les préparatifs du mariage.
+
+-- Y penses-tu, Joël?
+
+-- Si j'y pense, Hulda! Je pense même que nous avons peut-être
+déjà trop tardé! Songes-y donc! Un mariage qui va mettre en joie
+non seulement Dal, mais les gaards voisins. J'entends que cela
+soit très beau, et je vais m'occuper d'arranger les choses!
+
+C'est que ce n'est pas une petite affaire, une cérémonie de ce
+genre dans les campagnes de la Norvège en général et du Telemark
+en particulier. Non! cela ne va pas sans quelque bruit.
+
+Il s'ensuit donc que, le jour même, Joël eut à ce sujet un
+entretien avec sa mère. C'était peu d'instants après que dame
+Hansen avait été si vivement impressionnée par la rencontre de cet
+homme qui venait de lui annoncer la prochaine visite de
+M. Sandgoïst, de Drammen. Elle était allée s'asseoir dans le
+fauteuil de la grande salle, et, là, tout absorbée, faisait
+machinalement tourner son rouet.
+
+Joëlle vit bien, sa mère était encore plus tourmentée que
+d'habitude; mais comme elle répondait invariablement «qu'elle
+n'avait rien», lorsqu'on l'interrogeait à cet égard, son fils ne
+voulut lui parler que du mariage de Hulda.
+
+-- Ma mère, dit-il, vous le savez, nous avons appris par la
+dernière lettre de Ole qu'il sera vraisemblablement de retour au
+Telemark dans quelques semaines.
+
+-- C'est à souhaiter, répondit dame Hansen, et puisse-t-il
+n'éprouver aucun retard!
+
+-- Voyez-vous quelque inconvénient à ce que nous fixions au 25 mai
+la date du mariage?
+
+-- Aucun, si Hulda y consent.
+
+-- Son consentement est tout donné déjà. Et maintenant, je vous
+demanderai, ma mère, si votre intention n'est pas de faire bien
+les choses à cette occasion.
+
+-- Qu'entends-tu par «faire bien les choses»? répondit dame
+Hansen, sans lever les yeux de son rouet.
+
+-- J'entends, avec votre agrément, cela va de soi, ma mère, que la
+cérémonie se rapporte avec notre situation dans le bailliage. Nous
+devons y convier nos connaissances, et, si la maison ne peut
+suffire à nos hôtes, il n'est pas un voisin qui ne s'empressera de
+les héberger.
+
+-- Quels seraient ces hôtes, Joël?
+
+-- Mais je pense qu'il faudra inviter tous nos amis de Moel, de
+Tiness, de Bamble, et je m'en charge. J'imagine aussi que la
+présence de MM. Help frères, les armateurs de Bergen, ne pourra
+que faire honneur à la famille, et, avec votre agrément, je le
+répète, je leur offrirai de venir passer une journée à Dal. Ce
+sont de braves gens qui aiment beaucoup Ole, et je suis sûr qu'ils
+accepteront.
+
+-- Est-il donc si nécessaire, répondit dame Hansen, de traiter ce
+mariage avec tant d'importance?
+
+-- Je le pense, ma mère, et cela me paraît bon, ne fût-ce que dans
+l'intérêt de l'auberge de Dal, qui ne s'est pas dépréciée, que je
+sache, depuis la mort de notre père?
+
+-- Non... Joël... non!
+
+-- N'est-ce pas notre devoir de la maintenir au moins dans l'état
+où il l'a laissée? Donc, il me paraît utile de donner quelque
+retentissement au mariage de ma soeur.
+
+-- Soit, Joël.
+
+-- D'autre part, n'est-il pas temps que Hulda commence ses
+préparatifs, afin qu'aucun retard ne puisse venir d'elle? Que
+répondez-vous, ma mère, à ma proposition?
+
+-- Que Hulda et toi, vous fassiez ce qu'il faut!... répondit dame
+Hansen.
+
+Peut-être trouvera-t-on que Joël se pressait un peu, qu'il eût été
+plus raisonnable d'attendre le retour de Ole, pour fixer la date
+du mariage et surtout en commencer les préparatifs. Mais, comme il
+le disait, ce qui serait fait ne serait plus à faire. Et puis,
+cela distrairait Hulda de s'occuper des mille détails que comporte
+une cérémonie de ce genre. Il importait de ne pas laisser à ses
+pressentiments, que rien ne justifiait d'ailleurs, le temps de
+prendre le dessus.
+
+Et d'abord il fallait songer à la fille d'honneur. Mais qu'on ne
+s'inquiète pas! Le choix était déjà fait. C'était une aimable
+demoiselle de Bamble, l'intime amie de Hulda. Son père, le fermier
+Helmboë, dirigeait un des gaards les plus importants de la
+province. Ce brave homme n'était pas sans une certaine fortune.
+Depuis longtemps déjà, il avait apprécié le caractère généreux de
+Joël, et, il faut le dire, sa fille Siegfrid ne l'appréciait pas
+moins à sa manière. Il était donc probable que, dans un temps
+prochain, après que Siegfrid aurait servi de fille d'honneur à
+Hulda, Hulda lui en servirait à son tour. Cela se fait en Norvège.
+Le plus souvent, même, ces agréables fonctions sont réservées aux
+femmes mariées. C'était donc un peu par dérogation, au profit de
+Joël, que Siegfrid Helmboë devait assister en cette qualité Hulda
+Hansen.
+
+Grosse question, pour la fiancée comme pour la fille d'honneur,
+cette toilette qu'elles mettront le jour de la cérémonie.
+
+Siegfrid, jolie blonde de dix-huit ans, avait la ferme intention
+d'y paraître tout à son avantage. Prévenue par un petit mot de son
+amie Hulda -- Joël avait tenu à le lui remettre en main propre --
+elle s'occupa, sans perdre un instant, de ce travail qui n'est pas
+sans donner quelque souci.
+
+Il s'agissait, en effet, d'un certain corsage dont la broderie, à
+dessins réguliers, devait être combinée de manière à renfermer la
+taille de Siegfrid comme dans un émail cloisonné. Puis, on parlait
+aussi d'une jupe recouvrant une série de jupons, dont le nombre
+serait en rapport avec la fortune de Siegfrid, mais sans rien lui
+faire perdre des grâces de sa personne. Quant aux bijoux, quelle
+affaire que de choisir la plaque centrale du collier à filigrane
+d'argent mêlé de perles, les broches du corsage en argent doré ou
+en cuivre, les pendeloques en forme de coeur avec disques mobiles,
+les doubles boutons qui servent à agrafer le col de la chemise, la
+ceinture de laine ou de soie rouge, d'où partent quatre rangées de
+chaînettes, les bagues avec petits glands qui s'entrechoquent
+harmonieusement, les boucles d'oreilles et les bracelets en argent
+ajouré, enfin toute cette joaillerie campagnarde, dans laquelle, à
+vrai dire, l'or n'est qu'en mince feuille, l'argent en étamage,
+l'orfèvrerie en estampage, dont les perles sont du verre soufflé
+et les diamants du cristal! Mais encore convenait-il que l'oeil
+fût satisfait de l'ensemble. Et, s'il le fallait, Siegfrid
+n'hésiterait pas à aller visiter les riches magasins de M. Benett,
+de Christiania, pour y faire ses emplettes. Son père ne s'y
+opposerait point. Loin de là! L'excellent homme laissait
+volontiers faire sa fille. Siegfrid, d'ailleurs, était assez
+raisonnable pour ne pas mettre à sec la bourse paternelle. Enfin,
+ce qui importait par-dessus tout, c'était que, ce jour-là, Joël la
+trouvât tout à son avantage.
+
+Quant à Hulda, c'était non moins grave. Mais les modes sont
+impitoyables et donnent bien du mal aux fiancées dans le choix de
+leur toilette de mariage.
+
+Hulda allait enfin abandonner les longues nattes enrubannées qui
+s'échappaient de son bonnet de jeune fille, et la haute ceinture à
+fermoir, retenant son tablier sur sa jupe écarlate. Elle ne
+porterait plus les fichus de fiançailles que Ole lui avait donnés
+en partant, ni le cordon auquel pendent ces petits sacs en cuir
+brodé où sont renfermés la cuiller d'argent à manche court, le
+couteau, la fourchette, l'étui à aiguilles -- autant d'objets dont
+une femme doit faire un constant emploi dans le ménage.
+
+Non! Au jour prochain des noces, la chevelure de Hulda flotterait
+librement sur ses épaules, et elle était si abondante qu'il ne
+serait pas nécessaire d'y mêler ces postiches de lin dont abusent
+les jeunes Norvégiennes moins favorisées de la nature. En somme,
+pour son vêtement comme pour ses bijoux, Hulda n'aurait qu'à
+puiser dans le coffre de sa mère. En effet, ces éléments de
+toilette se transmettent de mariage en mariage à toutes les
+générations de la même famille. Ainsi voit-on réapparaître le
+pourpoint brodé d'or, la ceinture de velours, la jupe de soie unie
+ou bariolée, les bas de wadmel, la chaîne d'or du cou et la
+couronne -- cette fameuse couronne scandinave, conservée dans le
+mieux fermé des bahuts, magnifique cartonnage doré qui se relève
+en bosses, tout constellé d'étoiles ou tout enguirlandé de
+feuillage, enfin, l'équivalent de la couronne de fleurs d'oranger
+en d'autres pays de l'Europe. Ce qui est certain, c'est que ce
+nimbe rayonnant avec ses filigranes délicats, ses pendeloques
+sonores, ses verroteries de couleur, devait encadrer d'une façon
+charmante le joli visage de Hulda. La «fiancée couronnée», comme
+on dit, ferait honneur à son époux. Lui, serait digne d'elle dans
+son flambant costume de mariage -- jaquette courte à boutons
+d'argent très rapprochés, chemise empesée à corolle droite, gilet
+à liséré soutaché de soie, culotte étroite, rattachée au genou
+avec des bouquets de floches laineuses, feutre mou, bottes
+jaunâtres, et, à la ceinture, dans sa gaine de cuir, le couteau
+scandinave, le «dolknif», dont est toujours muni le vrai
+Norvégien.
+
+Ainsi donc, de part et d'autre, il y aurait de quoi s'occuper
+sérieusement. Ce ne serait pas trop de quelques semaines, si l'on
+voulait que tout fût fini avant l'arrivée de Ole Kamp. Après tout,
+si Ole était de retour un peu plus tôt qu'il ne l'avait dit, et si
+Hulda n'était pas prête, Hulda ne s'en plaindrait pas, Ole non
+plus.
+
+C'est à ces diverses occupations que se passèrent les dernières
+semaines d'avril et les premières de mai. De son côté, Joël était
+allé faire lui-même ses invitations, profitant de ce que son
+métier de guide lui laissait alors quelques loisirs.
+
+On remarqua même qu'il devait avoir nombre d'amis à Bamble, car il
+y alla souvent. S'il ne s'était pas rendu à Bergen, afin d'inviter
+MM. Help frères, du moins leur avait-il écrit. Et, comme il le
+pensait, ces honnêtes armateurs, avaient accepté, non sans
+empressement, l'invitation d'assister au mariage de Ole Kamp, le
+jeune maître du _Viken._
+
+Cependant, le 15 mai était arrivé. D'un jour à l'autre, on pouvait
+donc s'attendre à voir Ole descendre de sa kariol, ouvrir la
+porte, s'écrier de sa voix joyeuse:
+
+-- C'est moi!... Me voilà! Il ne fallait plus qu'un peu de
+patience. D'ailleurs, tout était prêt. Siegfrid, de son côté,
+n'avait besoin que d'un signe pour apparaître dans tous ses
+atours.
+
+Le 16, le 17, rien encore, et pas de nouvelle lettre que les
+courriers eussent apportée de Terre-Neuve.
+
+-- Il ne faut pas s'en étonner, petite soeur, répétait souvent
+Joël. Un navire à voiles peut avoir des retards. La traversée est
+longue de Saint-Pierre-Miquelon à Bergen. Ah! que n'est-ce un
+bateau à vapeur, ce _Viken, _et que n'en suis-je la machine! Comme
+je le pousserais contre vents et marée, quand je devrais éclater
+en arrivant au port!
+
+Il disait tout cela parce qu'il voyait bien l'inquiétude de Hulda
+grandir de jour en jour.
+
+Précisément, il y avait alors grand mauvais temps au Telemark. De
+rudes vents balayaient les hauts fields, et ces vents, qui
+soufflaient de l'ouest, venaient d'Amérique.
+
+-- Ils devraient pourtant favoriser la marche du _Viken! _répétait
+souvent la jeune fille.
+
+-- Sans doute, répondait Joël, mais s'ils sont trop forts, ils
+peuvent le gêner aussi et l'obliger à tenir tête à l'ouragan. On
+ne fait pas ce qu'on veut sur mer!
+
+-- Ainsi, tu n'es pas inquiet, Joël?
+
+-- Non, Hulda, non! Cela est très fâcheux, mais rien de plus
+naturel que ces retards! Non! Je ne suis pas inquiet, et il n'y a
+vraiment pas lieu de l'être!
+
+Le 19, il arriva à l'auberge un voyageur qui eut besoin d'un
+guide. Il s'agissait de le conduire jusque sur la limite du
+Hardanger en passant par les montagnes. Bien que très contrarié de
+laisser Hulda à elle-même, son frère ne pouvait refuser ses
+services. Ce serait une absence de quarante-huit heures au plus,
+et Joël comptait bien trouver Ole à son retour. La vérité est que
+le brave garçon commençait à être très tourmenté. Il partit donc
+dans la matinée, le coeur gros, il faut bien le dire.
+
+Le lendemain, précisément, vers une heure après midi, on frappait
+à la porte de l'auberge.
+
+-- Serait-ce Ole! s'écria Hulda. Elle alla ouvrir. Sur le seuil se
+tenait un homme en manteau de voyage, juché sur le siège de sa kariol,
+et dont le visage lui était inconnu.
+
+
+VI
+
+-- C'est ici l'auberge de dame Hansen?
+
+-- Oui, monsieur, répondit Hulda.
+
+-- Dame Hansen est-elle là?
+
+-- Non, mais elle va rentrer.
+
+-- Bientôt?
+
+-- À l'instant, et si vous avez à lui parler...
+
+-- Du tout. Je n'ai rien à lui dire.
+
+-- Voulez-vous une chambre?
+
+-- Oui, la plus belle de la maison!
+
+-- Faut-il vous préparer à dîner?
+
+-- Le plus vite possible, et veillez à ce qu'on me serve tout ce
+qu'il y a de meilleur!
+
+Tels furent les propos qui s'échangèrent entre Hulda et le
+voyageur, avant même que celui-ci fût descendu de la kariol dont
+il s'était servi pour venir jusqu'au coeur du Telemark, à travers
+les forêts, les lacs et les vallées de la Norvège centrale.
+
+On connaît la kariol, cet engin de locomotion qu'affectionnent
+particulièrement les Scandinaves. Deux longs brancards entre
+lesquels se meut un cheval carré d'encolure, à robe jaunâtre et
+raie mulassière, dirigé par un simple mors de corde, passé non à
+sa bouche, mais à son nez -- deux grandes roues maigres, dont
+l'essieu, sans ressorts, supporte une petite caisse coloriée, à
+peine assez large pour une personne -- pas de capote, pas de
+garde-crotte, pas de marchepied -- derrière la caisse, une
+planchette sur laquelle se juche le skydskarl. Le tout ressemble à
+quelque énorme araignée, dont la double toile serait formée par
+les deux roues de l'appareil. Et c'est avec cette machine
+rudimentaire que l'on peut faire des relais de quinze à vingt
+kilomètres sans trop de fatigue.
+
+Sur un signe du voyageur, le jeune garçon vint tenir le cheval.
+Alors ce personnage se releva, se secoua, mit pied à terre, non
+sans quelques efforts qui se traduisirent par des maugréements
+d'assez mauvaise humeur.
+
+-- On peut remiser ma kariol? demanda-t-il d'un ton rude, en
+s'arrêtant sur le seuil de la porte.
+
+-- Oui, monsieur, répondit Hulda.
+
+-- Et donner à manger à mon cheval?
+
+-- Je vais le faire mettre à l'écurie.
+
+-- Qu'on en ait soin!
+
+-- Cela sera fait. Puis-je vous demander si vous comptez rester
+quelques jours à Dal?
+
+-- Je n'en sais rien. La kariol et le cheval furent conduits à un
+petit hangar, bâti dans l'enclos même, sous l'abri des premiers
+arbres, au pied de la montagne. C'était la seule écurie-remise
+qu'il y eût à l'auberge, mais elle suffisait au service de ses
+hôtes. Un instant après, le voyageur était installé dans la
+meilleure chambre, comme il l'avait demandé. Là, après s'être
+débarrassé de sa houppelande, il se chauffait devant un bon feu de
+bois sec qu'il avait fait allumer. Pendant ce temps, afin
+de satisfaire son humeur peu accommodante, Hulda recommandait
+à la piga de préparer le meilleur dîner possible -- une forte
+fille des environs, cette piga, qui, pendant la saison d'été,
+aidait à la cuisine et aux gros ouvrages de l'auberge.
+
+Un homme encore solide, ce nouvel arrivé, bien qu'il eût déjà
+dépassé la soixantaine. Maigre, un peu courbé, de moyenne taille,
+une tête osseuse, une face glabre, un nez pointu, des yeux petits
+avec un regard perçant derrière de grosses lunettes, un front le
+plus souvent plissé, des lèvres trop minces pour qu'il pût jamais
+s'en échapper de bonnes paroles, de longues mains crochues --
+c'était un type de prêteur sur gages ou d'usurier. Hulda eut le
+pressentiment que ce voyageur ne devait rien apporter d'heureux
+dans la maison de dame Hansen.
+
+Qu'il fût Norvégien, rien de plus sûr; mais du type scandinave il
+avait surtout pris les côtés vulgaires. Son costume de voyage
+comprenait un chapeau de forme basse à larges bords, un vêtement
+en drap blanchâtre, veste croisée sur la poitrine, culotte
+rattachée au genou par l'ardillon d'une courroie de cuir, et, sur
+le tout, une sorte de pelisse brune, doublée intérieurement de
+peau de mouton -- ce que motivaient les soirées et les nuits très
+froides encore à la surface des plateaux et dans les vallées du
+Telemark.
+
+Quant au nom de ce personnage, Hulda ne l'avait pas demandé. Mais
+elle ne pouvait tarder à l'apprendre, puisqu'il fallait qu'il
+l'inscrivît sur le livre de l'auberge.
+
+En ce moment, dame Hansen rentra. Sa fille lui annonça l'arrivée
+d'un voyageur qui avait demandé le meilleur dîner et la meilleure
+chambre. Quant à savoir s'il prolongerait son séjour à Dal, elle
+l'ignorait; il ne s'était point prononcé à cet égard.
+
+-- Et il n'a pas dit son nom? demanda dame Hansen.
+
+-- Non, ma mère.
+
+-- Ni d'où il venait?
+
+-- Non.
+
+-- C'est quelque touriste, sans doute. Il est fâcheux que Joël ne
+soit pas de retour pour se mettre à sa disposition. Comment
+ferons-nous s'il demande un guide?
+
+-- Je ne crois pas que ce soit un touriste, répondit Hulda. C'est
+un homme déjà âgé...
+
+-- Si ce n'est point un touriste, que vient-il faire à Dal? dit
+dame Hansen, peut-être plus à elle-même qu'à sa fille, et d'un ton
+qui dénotait une certaine inquiétude.
+
+À cette question, Hulda ne pouvait répondre, puisque le voyageur
+n'avait rien fait connaître de ses projets.
+
+Une heure après son arrivée, cet homme entra dans la grande salle
+qui était contiguë à sa chambre. À la vue de dame Hansen, il
+s'arrêta un instant sur le seuil.
+
+Évidemment, il était aussi inconnu à son hôtesse que son hôtesse
+l'était à lui-même. Aussi s'avança-t-il vers elle, et, après
+l'avoir regardée par-dessus ses lunettes:
+
+-- Dame Hansen, je pense? dit-il, sans que le chapeau qu'il avait
+sur la tête eût même été touché de la main.
+
+-- Oui, monsieur, répondit dame Hansen.
+
+Et, en présence de cet homme, elle éprouva, comme sa fille, un
+trouble dont celui-ci dut s'apercevoir.
+
+-- Ainsi, c'est bien vous dame Hansen, de Dal?
+
+-- Sans doute, monsieur. Avez-vous donc quelque chose de
+particulier à me dire?
+
+-- Aucunement. Je voulais seulement faire votre connaissance. Ne
+suis-je pas votre hôte? Et maintenant, veillez à ce qu'on me serve
+à dîner le plus tôt possible.
+
+-- Votre dîner est prêt, répondit Hulda. Si vous voulez passer
+dans la salle à manger...
+
+-- Je le veux! Cela dit, le voyageur se dirigea vers la porte que
+lui montrait la jeune fille. Un instant après, il était assis près
+de la fenêtre devant une petite table proprement servie. Le dîner
+était assurément bon. Aucun touriste -- même des plus difficiles -
+- n'y eût trouvé à reprendre. Cependant, ce personnage peu
+endurant n'épargna pas les signes et les paroles de mécontentement
+-- les signes surtout, car il ne paraissait pas être loquace. On
+pouvait se demander, vraiment, si c'était à son mauvais estomac,
+ou à son mauvais caractère qu'il devait d'être si exigeant. Le
+potage aux cerises et aux groseilles ne lui convint qu'à demi,
+bien qu'il fût excellent. Il ne toucha que des lèvres au saumon et
+au hareng mariné. Le jambon cru, un demi-poulet fort appétissant,
+quelques légumes bien accommodés, ne parurent point lui plaire. Il
+n'y eut pas jusqu'à sa bouteille de Saint-Julien et à sa
+demi-bouteille de champagne dont il ne se montrât mécontent, bien
+qu'elles vinssent authentiquement des bonnes caves de France. Il
+s'ensuit donc que, son repas terminé, le voyageur n'eut pas un
+seul _tack for mad _pour son hôtesse. Après le dîner, ce mal
+embouché alluma sa pipe, sortit de la salle et vint se promener
+sur les bords du Maan. Une fois arrivé sur la rive, il se
+retourna. Ses regards ne quittaient plus l'auberge. Il semblait
+qu'il l'étudiât sous toutes ses faces, plan, coupe, élévation,
+comme s'il eût voulu en estimer la valeur. Il en compta les portes
+et les fenêtres. Alors, s'étant approché des poutres
+horizontalement disposées à la base de la maison, il y fit deux ou
+trois entailles avec la pointe de son dolknif, comme s'il eût
+cherché à reconnaître la qualité du bois et son état de
+conservation. Voulait-il donc se rendre compte de ce que valait
+l'auberge de dame Hansen? Prétendait-il s'en rendre acquéreur,
+bien qu'elle ne fût point à vendre? C'était au moins fort étrange.
+Puis, après la maison, ce fut le petit clos dont il dénombra les
+arbres et les arbustes. Enfin, il en mesura deux des côtés d'un
+pas métrique, et le mouvement de son crayon sur une page de son
+carnet indiqua qu'il les multipliait l'un par l'autre.
+
+Et, à chaque instant, c'étaient des hochements de tête, des
+froncements de sourcil, des hums! peu approbateurs.
+
+Pendant ces allées et venues, dame Hansen et sa fille
+l'observaient à travers la fenêtre de la salle. À quel bizarre
+personnage avaient-elles donc affaire? Quel était le but du voyage
+de ce maniaque? En vérité, il était regrettable que tout cela se
+passât en l'absence de Joël, puisque ce voyageur allait rester
+toute la nuit dans l'auberge.
+
+-- Si c'était un fou? dit Hulda.
+
+-- Un fou?... Non! répondit dame Hansen. Mais c'est au moins un
+homme singulier.
+
+-- Il est toujours fâcheux de ne pas savoir qui on reçoit dans sa
+maison, dit la jeune fille.
+
+-- Hulda, répondit dame Hansen, avant que ce voyageur soit rentré,
+aie soin de porter dans sa chambre le livre de l'auberge.
+
+-- Oui, ma mère.
+
+-- Peut-être se décidera-t-il à y mettre son nom!
+
+Vers huit heures, la nuit étant déjà sombre, une petite pluie fine
+commença à tomber, remplissant la vallée d'un nuage de brumaille
+qui mouillait jusqu'à mi-montagne. Le temps était peu propice à la
+promenade. Aussi, le nouvel hôte de dame Hansen, après avoir
+remonté le sentier jusqu'à la scierie, revint-il à l'auberge où il
+demanda un petit verre de brandevin. Sans dire un mot de plus,
+sans souhaiter le bonsoir à personne, après avoir pris le
+chandelier de bois dont la bougie était allumée, il rentra dans sa
+chambre, il en verrouilla la porte, et on ne l'entendit plus de
+toute la nuit.
+
+Le skydskarl, lui, s'était tout simplement réfugié dans le hangar.
+Là, entre les brancards de la kariol, il dormait déjà, en
+compagnie du cheval jaune, sans s'inquiéter de la bourrasque.
+
+Le lendemain, dame Hansen et sa fille se levèrent dès l'aube.
+Aucun bruit ne venait de la chambre du voyageur, qui reposait
+encore. Un peu après neuf heures, il entra dans la grande salle,
+l'air plus bourru que la veille, se plaignant du lit qui était
+dur, du tapage de la maison qui l'avait éveillé -- ne saluant
+personne, d'ailleurs. Puis, il ouvrit la porte et vint regarder le
+ciel.
+
+Médiocre apparence de temps. Un vent vif balayait les cimes du
+Gousta perdues dans les vapeurs, et s'engouffrait à travers la
+vallée en soufflant de violentes rafales.
+
+Le voyageur ne se hasarda donc point à sortir. Mais il ne perdit
+pas son temps. Tout en fumant sa pipe, il se promena dans
+l'auberge, il chercha à en reconnaître la disposition intérieure,
+il en visita les diverses chambres, il examina le mobilier, il
+ouvrit les placards et les armoires, sans plus de gêne que s'il
+eût été chez lui. On eût dit d'un commissaire-priseur procédant à
+quelque récolement judiciaire.
+
+Décidément, si l'homme était singulier, ses procédés étaient de
+plus en plus suspects.
+
+Cela fait, il vint prendre place dans le grand fauteuil de la
+salle, et d'une voix brève et rude, il adressa plusieurs questions
+à dame Hansen. Depuis combien de temps l'auberge était-elle bâtie?
+Était-ce son mari Harald qui l'avait fait construire ou la tenait-il
+d'héritage? Avait-elle déjà nécessité quelques réparations?
+Quelle était la contenance de l'enclos et du soeter qui en
+dépendaient? Était-elle bien achalandée et d'un bon rapport?
+Combien y venait-il, en moyenne, de touristes pendant la belle
+saison? Y passaient-ils un ou plusieurs jours? etc.
+
+Évidemment, le voyageur n'avait pas pris connaissance du livre qui
+avait été déposé dans sa chambre, car cela l'eût renseigné, au
+moins sur cette dernière question.
+
+En effet, le livre était encore à la place où Hulda l'avait mis la
+veille, et le nom du voyageur ne s'y trouvait pas.
+
+-- Monsieur, dit alors dame Hansen, je ne comprends pas trop
+comment et pourquoi ces choses peuvent vous intéresser. Mais, si
+vous désirez savoir ce qui en est de nos affaires, rien de plus
+facile. Vous n'avez qu'à consulter le livre de l'auberge. Je vous
+prierai même d'y inscrire votre nom, selon l'habitude...
+
+-- Mon nom?... Certes, j'y mettrai mon nom, dame Hansen!... Je le
+mettrai au moment où je prendrai congé de vous!
+
+-- Faut-il vous garder votre chambre?
+
+-- C'est inutile, répondit le voyageur en se levant. Je vais
+partir après déjeuner, afin d'être de retour à Drammen demain
+soir.
+
+-- À Drammen?... dit vivement dame Hansen.
+
+-- Oui! Ainsi, faites-moi servir à l'instant.
+
+-- Vous demeurez à Drammen?
+
+-- Oui! Qu'y a-t-il d'étonnant, s'il vous plaît, à ce que je
+demeure à Drammen?
+
+Ainsi donc, après avoir passé à peine une journée à Dal ou plutôt
+dans l'auberge, ce voyageur s'en retournait sans avoir rien vu du
+pays! Il ne poussait pas plus loin dans le bailliage! Du Gousta,
+du Rjukanfos, des merveilles de la vallée du Vestfjorddal, il ne
+se souciait en aucune façon! Ce n'était pas pour son plaisir,
+c'était pour ses affaires qu'il avait quitté Drammen, où il
+demeurait, et il semblait qu'il n'avait eu d'autre motif que de
+visiter en détail la maison de dame Hansen.
+
+Hulda vit bien que sa mère était profondément troublée. Dame
+Hansen était allée se placer dans le grand fauteuil, et,
+repoussant son rouet, elle resta immobile, sans prononcer une
+parole.
+
+Cependant le voyageur venait de passer dans la salle à manger et
+s'était mis à table.
+
+Du déjeuner, aussi soigné que l'avait été le dîner de la veille,
+il ne parut pas plus satisfait. Et, pourtant, il mangea bien et
+but de même, sans se presser. Son attention semblait se porter
+plus spécialement sur la valeur de l'argenterie -- luxe auquel
+tiennent les campagnards de la Norvège -- quelques cuillers et
+fourchettes qui se transmettent de père en fils et que l'on garde
+précieusement avec les bijoux de famille.
+
+Pendant ce temps, le skydskarl faisait ses préparatifs de départ
+dans la remise. À onze heures, le cheval et la kariol attendaient
+devant la porte de l'auberge.
+
+Le temps était toujours peu engageant, le ciel gris et venteux.
+Parfois la pluie cinglait le vitrail des fenêtres comme une
+mitraille. Mais le voyageur, sous sa grosse capote doublée de
+peau, n'était pas homme à s'inquiéter des rafales.
+
+Le déjeuner terminé, il avala un dernier verre de brandevin, il
+alluma sa pipe, passa sa houppelande, rentra dans la grande salle,
+et demanda sa note.
+
+-- Je vais la préparer, répondit Hulda, qui alla s'asseoir devant
+un petit bureau.
+
+-- Faites vite! dit le voyageur. En attendant, ajouta-t-il,
+donnez-moi le livre pour que j'inscrive mon nom. Dame Hansen se
+leva, alla chercher le livre et vint le poser sur la grande table.
+
+Le voyageur prit une plume, regarda une dernière fois dame Hansen
+par-dessus ses lunettes. Et alors, d'une grosse écriture, il
+écrivit son nom sur le livre, qu'il referma.
+
+En ce moment, Hulda lui apporta la note. Il la prit, il en examina
+les articles, en grommelant; il en refit l'addition, sans doute.
+
+-- Hum! fit-il. Voilà qui est cher! Sept marks et demi pour une
+nuit et deux repas?
+
+-- Il y a le skydskarl et le cheval, fit observer Hulda.
+
+-- N'importe! Je trouve cela cher! En vérité, je ne m'étonne pas
+si on fait de bonnes affaires dans la maison!
+
+-- Vous ne devez rien, monsieur! dit alors dame Hansen d'une voix
+si troublée qu'on l'entendit à peine.
+
+Elle venait d'ouvrir le livre, elle y avait lu le nom inscrit, et
+elle répéta, en reprenant la note, qu'elle déchira:
+
+-- Vous ne devez rien!
+
+-- C'est mon avis! répondit le voyageur. Et, sans donner plus de
+bonsoir en sortant qu'il n'avait donné de bonjour en arrivant, il
+monta dans sa kariol, pendant que le gamin sautait derrière lui
+sur la planchette. Quelques instants après, il avait disparu au
+tournant de la route. Lorsque Hulda eut ouvert le livre, elle n'y
+trouva que ce nom: «Sandgoïst, de Drammen.»
+
+
+VII
+
+C'était dans l'après-midi, le lendemain, que Joël devait rentrer à
+Dal, après avoir laissé sur la route qui conduit au Hardanger le
+touriste auquel il servait de guide.
+
+Hulda, sachant que son frère allait revenir en suivant les
+plateaux du Gousta, par la rive gauche du Maan, était venue
+l'attendre au passage de l'impétueuse rivière. Elle s'assit près
+du petit appontement qui sert d'embarcadère au bac. Là, elle se
+perdit dans ses réflexions. Aux vives inquiétudes que lui causait
+le retard du _Viken _se joignait maintenant une anxiété très
+grande. Cette anxiété avait pour cause la visite de ce Sandgoïst
+et l'attitude de dame Hansen devant lui. Pourquoi, dès qu'elle
+avait appris son nom, avait-elle déchiré la note, refusé de
+recevoir ce qui lui était dû? Il y avait là quelque secret --
+grave sans doute.
+
+Hulda fut enfin tirée de ses réflexions par l'arrivée de Joël.
+Elle l'aperçut qui dévalait les premières assises de la montagne.
+Tantôt il apparaissait au milieu des étroites clairières, entre
+les arbres abattus ou brûlés par places. Tantôt il disparaissait
+sous l'épaisse ramure des pins, des bouleaux et des hêtres dont
+ces croupes sont hérissées. Enfin, il atteignit la rive opposée et
+se jeta dans le petit bac. En quelques coups d'aviron, il eut
+franchi les violents remous du cours d'eau. Puis, sautant sur la
+berge, il fut près de sa soeur.
+
+-- Ole est-il de retour? demanda-t-il.
+
+C'est à Ole qu'il pensa tout d'abord. Mais sa demande fut laissée
+sans réponse.
+
+-- Pas de lettre de lui?
+
+-- Pas une! Et Hulda s'abandonna à ses larmes.
+
+-- Non, s'écria Joël, ne pleure pas, chère soeur, ne pleure
+pas!... Tu me fais trop de mal!... Je ne peux pas te voir
+pleurer!... Voyons! Tu dis: pas de lettre!... Évidemment, cela
+commence à devenir inquiétant! Mais il n'y a pas encore lieu de se
+désespérer! Tiens, si tu veux, je vais aller à Bergen. Je
+m'informerai... Je verrai messieurs Help frères. Peut-être ont-ils
+des nouvelles de Terre-Neuve. Pourquoi le _Viken _n'aurait-il pas
+relâché en quelque port pour cause d'avaries ou par la nécessité
+de fuir devant le mauvais temps? Il est certain que le vent
+souffle en bourrasque depuis plus d'une semaine. Quelquefois on a
+vu des navires du New Found Land se réfugier en Islande ou aux
+Feroë. C'est même arrivé à Ole, il y a deux ans, quand il était à
+bord du _Strenna. _Et on n'a pas tous les jours des courriers pour
+écrire! Je te dis cela comme je le pense, petite soeur. Calme-toi!...
+Si tu me fais pleurer, qu'est-ce que nous deviendrons?
+
+-- C'est plus fort que moi, frère!
+
+-- Hulda!... Hulda!... Ne perds pas courage!... Je t'assure que,
+moi, je ne suis pas désespéré!
+
+-- Dois-je te croire, Joël?
+
+-- Oui, tu le dois! Mais, pour te rassurer, veux-tu que je parte
+pour Bergen, demain matin... ce soir?...
+
+-- Je ne veux pas que tu me quittes!... Non!... Je ne le veux pas!
+répondit Hulda, en s'attachant à son frère comme si elle n'avait
+plus que lui au monde.
+
+Tous deux reprirent alors le chemin de l'auberge. Mais il s'était
+mis à pleuvoir, et même la rafale devint si violente qu'ils durent
+se réfugier dans la hutte du passeur, à quelques centaines de pas
+en arrière des rives du Maan.
+
+Là, il fallait attendre qu'il se fît quelque accalmie. Et alors
+Joël éprouva le besoin de parler, de parler quand même. Le silence
+lui semblait plus désespérant que ce qu'il pourrait dire, quand
+même ce ne seraient pas des paroles d'espoir.
+
+-- Et notre mère? dit-il.
+
+-- Toujours de plus en plus triste! répondit Hulda.
+
+-- Il n'est venu personne en mon absence?
+
+-- Si, un voyageur, qui est reparti.
+
+-- Ainsi, il n'y a en ce moment aucun touriste à l'auberge, et on
+n'a pas fait demander de guide?
+
+-- Non, Joël.
+
+-- Tant mieux, car je préfère ne pas te quitter. D'ailleurs, si le
+mauvais temps continue, je crains bien que, cette année, les
+touristes renoncent à courir le Telemark!
+
+-- Nous ne sommes encore qu'en avril, frère!
+
+-- Sans doute, mais j'ai le pressentiment que la saison ne sera
+pas bonne pour nous! Enfin, nous verrons! Mais dis-moi, c'est hier
+que ce voyageur a quitté Dal?
+
+-- Oui, dans la matinée.
+
+-- Et qui était-ce?
+
+-- Un homme venu de Drammen, où il demeure, paraît-il, et qui se
+nomme Sandgoïst.
+
+-- Sandgoïst?
+
+-- Le connaîtrais-tu?
+
+-- Non, répondit Joël. Hulda s'était déjà demandé si elle
+raconterait à son frère tout ce qui s'était passé à l'auberge en
+son absence. Lorsque Joël apprendrait avec quel sans-gêne cet
+homme s'était conduit, comment il semblait avoir calculé la valeur
+de la maison et du mobilier, quelle attitude dame Hansen avait cru
+devoir prendre vis-à-vis de lui, qu'imaginerait-il? Ne penserait-il
+pas que leur mère devait avoir de bien graves raisons pour agir
+comme elle l'avait fait? Or, quelles étaient ces raisons? Que
+pouvait-il y avoir de commun entre elle et ce Sandgoïst? Il y
+avait certainement là un secret menaçant pour la famille! Joël
+voudrait le connaître, il interrogerait sa mère, il la presserait
+de questions... Dame Hansen, si peu communicative, si réfractaire
+à toute effusion, voudrait garder le silence comme elle l'avait
+fait jusqu'alors. La situation entre elle et ses enfants, si
+affligeante déjà, deviendrait plus pénible encore.
+
+Mais la jeune fille aurait-elle pu rien taire à Joël? Un secret
+pour lui! N'eût-ce pas été comme une paille dans l'amitié de fer
+qui les unissait l'un à l'autre? Non! Il ne fallait pas que cette
+amitié pût jamais être brisée! Hulda résolut donc de tout dire.
+
+-- Tu n'as jamais entendu parler de ce Sandgoïst, quand tu allais
+à Drammen? reprit-elle.
+
+-- Jamais.
+
+-- Eh bien, sache donc, Joël, que notre mère le connaissait déjà,
+au moins de nom!
+
+-- Elle connaissait Sandgoïst?
+
+-- Oui, frère.
+
+-- Mais, ce nom, je ne le lui ai jamais entendu prononcer!
+
+-- Elle le connaissait, cependant, bien qu'elle n'eût jamais vu
+cet homme avant sa visite d'avant-hier!
+
+Et Hulda raconta tous les incidents qui avaient marqué le séjour
+du voyageur dans l'auberge, sans omettre l'acte singulier de dame
+Hansen au moment du départ de Sandgoïst. Elle se hâta d'ajouter:
+
+-- Je pense, mon Joël, qu'il vaut mieux ne rien demander à notre
+mère. Tu la connais! Ce serait la rendre plus malheureuse encore.
+L'avenir nous apprendra, sans doute, ce qui se cache dans son
+passé. Fasse le Ciel que Ole nous soit rendu, et, s'il y a quelque
+affliction qui menace la famille, nous serons trois, du moins, à
+la partager!
+
+Joël avait écouté sa soeur avec une profonde attention. Oui! Entre
+dame Hansen et ce Sandgoïst, il y avait de graves raisons qui
+mettaient l'une à la merci de l'autre! Pouvait-on douter que cet
+homme fût venu pour inventorier l'auberge de Dal? Évidemment non!
+Et cette note déchirée au moment où il allait partir -- ce qui lui
+avait paru tout naturel -- qu'est-ce que cela pouvait signifier?
+
+-- Tu as raison, Hulda, dit Joël, je ne parlerai de rien à notre
+mère. Peut-être regrettera-t-elle de ne pas s'être confiée à nous.
+Pourvu qu'il ne soit pas trop tard! Elle doit bien souffrir, la
+pauvre femme! Elle s'est butée! Elle ne comprend pas que le coeur
+de ses enfants est fait pour qu'elle y verse ses peines!
+
+-- Elle le comprendra un jour, Joël.
+
+-- Oui! Aussi, attendons! Mais, d'ici là, il ne me sera pas
+défendu de chercher à savoir ce qu'est cet individu. Peut-être
+monsieur Helmboë le connaît-il? Je le lui demanderai la première
+fois que j'irai à Bamble, et, s'il le faut, je pousserai jusqu'à
+Drammen. Là, il ne doit pas être difficile d'apprendre au moins ce
+que fait cet homme, à quel genre d'affaires il se livre, ce qu'on
+en pense...
+
+-- Rien de bon, j'en suis sûre, répondit Hulda. Sa figure est
+mauvaise, son regard méchant. Je serais bien surprise s'il y avait
+une âme généreuse sous cette grossière enveloppe!
+
+-- Allons, reprit Joël, ne jugeons point les gens sur l'apparence!
+Je parie que tu lui trouverais une agréable mine, à ce Sandgoïst,
+si tu le regardais, étant au bras de Ole...
+
+-- Mon pauvre Ole! murmura la jeune fille.
+
+-- Il reviendra, il revient, il est en route! s'écria Joël. Aie
+confiance, Hulda! Ole n'est plus loin maintenant, et nous le
+gronderons au retour pour s'être fait attendre!
+
+La pluie avait cessé. Tous deux sortirent de la hutte et
+remontèrent le sentier afin de regagner l'auberge.
+
+-- À propos, dit alors Joël, je repars demain.
+
+-- Tu repars?...
+
+-- Oui, dès le matin.
+
+-- Déjà, frère?
+
+-- Il le faut, Hulda. En quittant le Hardanger, j'ai été prévenu
+par un de mes camarades qu'un voyageur venait du nord par les
+hauts plateaux du Rjukanfos où il doit arriver demain.
+
+-- Quel est ce voyageur?
+
+-- Ma foi, je ne sais même plus son nom. Mais il est nécessaire
+que je sois là pour le ramener à Dal.
+
+-- Pars donc, puisque tu ne peux t'en dispenser! répondit Hulda
+avec un gros soupir.
+
+-- Demain, au lever du jour, je me mettrai en route. Cela te
+chagrine, Hulda?
+
+-- Oui, frère! Je suis bien plus inquiète quand tu me laisses...
+même pour quelques heures!
+
+-- Eh bien, cette fois, sache que je ne pars pas seul!
+
+-- Et qui donc t'accompagne?
+
+-- Toi, petite soeur, toi! Il faut te distraire, et je t'emmène!
+
+-- Ah! merci, mon Joël!
+
+
+VIII
+
+Le lendemain, tous deux quittèrent l'auberge dès l'aube. Une
+quinzaine de kilomètres de Dal aux célèbres chutes, autant pour en
+revenir, ce n'eût été qu'une promenade pour Joël, mais il fallait
+ménager les forces de Hulda. Joël s'était donc assuré de la kariol
+du contremaître Lengling, et, comme toutes les kariols, celle-ci
+n'avait qu'une place. Il est vrai, ce brave homme était si gros
+qu'il avait fallu fabriquer une caisse à sa convenance. Or,
+c'était suffisant pour que Hulda et Joël pussent y tenir l'un près
+de l'autre. Donc, si le voyageur annoncé se trouvait au Rjukanfos,
+il prendrait la place de Joël, et celui-ci reviendrait à pied ou
+monterait sur la planchette derrière la caisse.
+
+Route charmante, de Dal aux chutes, quoique prodigue de cahots.
+Incontestablement, c'est plutôt un sentier qu'une route. Des
+poutres à peine équarries, jetées sur les rios tributaires du
+Maan, le traversent en formant des ponceaux à quelques centaines
+de pas les uns des autres. Mais le cheval norvégien est habitué à
+les franchir d'un pied sûr, et, si la kariol n'a point de
+ressorts, ses longs brancards, un peu élastiques, atténuent, dans
+une certaine mesure, les heurts du sol.
+
+Le temps était beau. Joël et Hulda allaient d'un bon pas le long
+des verdoyantes prairies, baignées à leur lisière de gauche par
+les eaux claires du Maan. Quelques milliers de bouleaux
+ombrageaient çà et là le chemin gaiement ensoleillé. La buée de la
+nuit se fondait en gouttelettes à la pointe des longues herbes.
+Sur la droite du torrent, à deux mille mètres d'altitude, les
+plaques neigeuses du Gousta jetaient dans l'espace un intense
+rayonnement de lumière.
+
+Pendant une heure, la kariol marcha assez rapidement. La montée
+était insensible encore. Mais bientôt le val se rétrécit peu à
+peu. De part et d'autre les rios se changèrent en fougueux
+torrents. Bien que le chemin devînt sinueux, il ne pouvait éviter
+toutes les dénivellations du sol. De là, des passages vraiment
+durs, dont Joël se tirait avec adresse. Près de lui, d'ailleurs,
+Hulda ne craignait rien. Quand le cahot était trop accentué, elle
+s'accrochait à son bras. La fraîcheur du matin colorait sa jolie
+figure, bien pâle depuis quelque temps.
+
+Cependant, il fallut encore atteindre une altitude plus élevée. La
+vallée ne donnait guère passage qu'au cours resserré du Maan,
+entre deux murailles coupées à pic. Sur les fields voisins
+apparaissaient une vingtaine de maisons isolées, des ruines de
+soeters ou de gaards, livrées à l'abandon, des cabanes de pâtres,
+perdues entre les bouleaux et les hêtres. Bientôt il ne fut plus
+possible de voir la rivière; mais on l'entendait mugir dans le
+sonore encaissement des roches. La contrée avait pris un aspect
+grandiose et sauvage à la fois, en élargissant son cadre jusqu'à
+la crête des montagnes.
+
+Après deux heures de marche, une scierie se montra sur le bord
+d'une chute de quinze cents pieds, utilisée pour le mécanisme de
+sa double roue. Les cascades qui ont cette hauteur ne sont point
+rares dans le Vestfjorddal; mais le volume de leurs eaux est peu
+considérable. C'est en cela que l'emporte celle du Rjukanfos.
+
+Joël et Hulda, arrivés à la scierie, mirent pied à terre.
+
+-- Une demi-heure de marche ne te fatiguera pas trop, petite
+soeur? dit Joël.
+
+-- Non, frère, je ne suis point lasse, et même cela me fera du
+bien de marcher un peu.
+
+-- Un peu... beaucoup, et toujours en montant!
+
+-- Je m'appuierai à ton bras, Joël! Là, en effet, il avait fallu
+abandonner la kariol. Elle n'aurait pu franchir les sentiers
+ardus, les passes étroites, les talus semés de roches branlantes,
+dont les capricieux contours, ombragés d'arbres ou dénudés,
+annoncent la grande chute. Mais, déjà, s'élevait une sorte de
+vapeur épaisse au milieu d'un bleuâtre lointain. C'étaient les
+eaux pulvérisées du Rjukan, et leurs volutes se déroulaient à une
+assez grande hauteur. Hulda et Joël prirent une sente, bien connue
+des guides, qui s'abaisse vers l'étranglement de la vallée. Il
+fallut se glisser entre les arbres et les arbustes. Quelques
+instants après, tous deux étaient assis sur une roche tapissée de
+mousses jaunâtres, presque en face de la chute. On ne peut en
+approcher de ce côté. Là, le frère et la soeur auraient eu quelque
+peine à s'entendre, s'ils eussent parlé. Mais alors leurs pensées
+étaient de celles qui peuvent se communiquer, sans que les lèvres
+les formulent, par le coeur. Le volume de la chute du Rjukan est
+énorme, sa hauteur considérable, son mugissement grandiose. C'est
+de neuf cents pieds que le sol manque subitement au lit du Maan, à
+mi-chemin à peu près entre le lac Mjös en amont et le lac Tinn en
+aval. Neuf cents pieds, c'est-à-dire six fois la hauteur du
+Niagara, dont la largeur, il est vrai, mesure trois milles de la
+rive américaine à la rive canadienne.
+
+Ici, le Rjukanfos a des aspects étranges, difficiles à reproduire
+par la description. La peinture même ne les rendrait que d'une
+façon insuffisante. Il est certaines merveilles naturelles qu'il
+faut voir pour en comprendre toute la beauté, entre autres cette
+chute, la plus célèbre de tout le continent européen.
+
+Et c'est précisément à quoi s'occupait alors un touriste, assis
+sur la paroi de gauche du Maan. À cette place, il pouvait observer
+le Rjukanfos de plus près et de plus haut.
+
+Ni Joël, ni sa soeur ne l'avaient encore aperçu, bien qu'il fût
+visible. Ce n'était pas la distance, mais un effet d'optique,
+spécial aux sites de montagnes, qui le faisait paraître très
+petit, et, par conséquent, plus éloigné qu'il ne l'était
+réellement.
+
+À ce moment, ce voyageur venait de se relever et s'aventurait très
+imprudemment sur la croupe rocheuse qui s'arrondissait comme un
+dôme vers le lit du Maan. Évidemment, ce que ce curieux voulait
+voir, c'étaient les deux cavités du Rjukanfos, l'une à gauche,
+pleine du bouillonnement des eaux, l'autre à droite, toujours
+emplie d'épaisses vapeurs. Peut-être même cherchait-il à
+reconnaître s'il n'existe pas une troisième cavité inférieure à
+mi-hauteur de la chute. Sans doute, cela expliquerait comment le
+Rjukan, après s'y être engouffré, rebondit en rejetant, à de
+certains intervalles, son trop-plein tumultueux. On dirait que les
+eaux sont lancées par quelque coup de mine, qui couvre de leurs
+embruns les fields environnants.
+
+Cependant le touriste s'avançait toujours sur ce dos d'âne,
+pierreux et glissant, sans une racine, sans une touffe, sans une
+herbe, qui porte le nom de Passe-de-Marie ou Maristien.
+
+Il ignorait donc, l'imprudent, la légende qui a rendu cette passe
+célèbre. Un jour, Eystein voulut rejoindre, par ce dangereux
+chemin, la belle Marie du Vestfjorddal. De l'autre côté de la
+passe, sa fiancée lui tendait les bras. Tout à coup, son pied
+manque, il tombe, il glisse, il ne peut se retenir sur ces roches
+unies comme une glace, il disparaît dans le gouffre, et les
+rapides du Maan ne rendirent jamais son cadavre.
+
+Ce qui était arrivé à l'infortuné Eystein allait-il donc arriver à
+ce téméraire engagé sur les pentes du Rjukanfos?
+
+C'était à craindre. Et, en effet, il s'aperçut du péril, mais trop
+tard. Soudain, le point d'appui fit défaut à son pied, il poussa
+un cri, il roula d'une vingtaine de pas, et n'eut que le temps de
+se raccrocher à la saillie d'une roche, presque à la lisière de
+l'abîme.
+
+Joël et Hulda ne l'avaient point encore aperçu, mais ils venaient
+de l'entendre.
+
+-- Qu'est-ce donc? dit Joël en se levant.
+
+-- Un cri! répondit Hulda.
+
+-- Oui!... Un cri de détresse!
+
+-- De quel côté?...
+
+-- Écoutons! Tous deux regardaient à droite, à gauche de la chute;
+ils ne purent rien voir. Ils avaient bien entendu, cependant, ces
+mots: «À moi!... À moi!», jetés au milieu d'une de ces accalmies
+régulières, qui durent près d'une minute entre chaque bond du
+Rjukan.
+
+L'appel se renouvela.
+
+-- Joël, dit Hulda, il y a quelque voyageur en péril, qui demande
+secours! Il faut aller à lui...
+
+-- Oui, soeur, et il ne peut être loin! Mais de quel côté?... Où
+est-il?... Je ne vois rien!
+
+Hulda venait de remonter le talus, en arrière de la roche sur
+laquelle elle était assise, s'accrochant aux maigres touffes qui
+revêtent cette rive gauche du Maan.
+
+-- Joël! cria-t-elle enfin.
+
+-- Tu vois?...
+
+-- Là... là! Et Hulda montrait l'imprudent, suspendu presque
+au-dessus du gouffre. Si son pied, arc-bouté contre la mince saillie,
+lui manquait, s'il glissait un peu plus bas, s'il se laissait
+aller au vertige, il était perdu.
+
+-- Il faut le sauver! dit Hulda.
+
+-- Oui, il le faut! répondit Joël. Avec du sang-froid, nous
+arriverons jusqu'à lui!
+
+Joël poussa alors un long cri. Il fut entendu du voyageur, dont la
+tête se retourna de son côté. Puis, pendant quelques instants,
+Joël chercha à reconnaître ce qu'il y aurait de plus prompt et de
+plus sûr à faire pour le tirer de ce mauvais pas.
+
+-- Hulda, dit-il, tu n'as pas peur?
+
+-- Non, frère!
+
+-- Tu connais bien la Maristien?
+
+-- J'y suis déjà passée plusieurs fois!
+
+-- Eh bien, va par le haut de la croupe en te rapprochant du
+voyageur d'aussi près que possible! Ensuite, laisse-toi glisser
+doucement jusqu'à lui, et prends-le par la main de manière à bien
+le tenir. Mais qu'il n'essaie pas encore de se relever! Le vertige
+le saisirait, il t'entraînerait avec lui, et vous seriez perdus!
+
+-- Et toi, Joël?
+
+-- Moi, pendant que tu iras par le haut, je ramperai par le bas le
+long de l'arête, du côté du Maan. Je serai là quand tu arriveras,
+et, si vous glissiez, peut-être pourrais-je vous retenir tous
+deux!
+
+Puis, d'une voix retentissante, profitant d'une nouvelle accalmie
+du Rjukanfos, Joël cria:
+
+-- Ne bougez pas, monsieur!... Attendez!... Nous allons tâcher
+d'aller à vous!
+
+Hulda avait déjà disparu derrière les hautes touffes du talus,
+afin de redescendre latéralement sur l'autre croupe de la
+Maristien.
+
+Joël ne tarda pas à voir la brave fille qui apparaissait au
+tournant des derniers arbres.
+
+De son côté, au péril de sa vie, il se mit à ramper lentement le
+long de la portion déclive de ce dos arrondi qui borde
+l'encaissement du Rjukanfos. Quel sang-froid surprenant, quelle
+sûreté du pied et de la main ne fallait-il pas pour côtoyer ce
+gouffre, dont les parois s'humectaient des embruns de la
+cataracte!
+
+Parallèlement à lui, mais à une centaine de pieds au-dessus, Hulda
+s'avançait en obliquant, de manière à gagner plus aisément
+l'endroit où le voyageur se tenait immobile.
+
+Dans la position que celui-ci occupait, on ne pouvait voir sa
+figure qui était tournée du côté de la chute.
+
+Joël, arrivé au-dessous de lui, s'arrêta. Après s'être arc-bouté
+solidement dans une cassure de roche:
+
+-- Eh! monsieur! cria-t-il. Le voyageur tourna la tête.
+
+-- Eh! monsieur! reprit Joël. Ne faites pas un mouvement, pas un
+seul, et tenez bon!
+
+-- Soyez tranquille, je tiens bon, mon ami! lui fut-il répondu
+d'un ton qui rassura Joël. Si je ne tenais pas bon, il y a un
+quart d'heure que je serais par le fond du Rjukanfos!
+
+-- Ma soeur va descendre jusqu'à vous, reprit Joël. Elle vous
+prendra par la main. Mais, avant que je sois là, n'essayez pas de
+vous relever!... Ne bougez pas...
+
+-- Pas plus qu'un roc! répliqua le voyageur. Déjà Hulda commençait
+à descendre de son côté, cherchant les points moins glissants de
+la croupe, engageant son pied dans les crevasses où il trouvait un
+appui solide, la tête libre, ainsi qu'il en est de ces filles du
+Telemark, habituées à dévaler les rampes des fields. Et, de même
+que l'avait crié Joël, elle cria aussi:
+
+-- Tenez bon, monsieur!
+
+-- Oui, je tiens... et je tiendrai, je vous l'assure, tant que je
+pourrai tenir!
+
+On le voit, les recommandations ne lui manquaient pas. Elles
+venaient d'en bas et d'en haut.
+
+-- Surtout, n'ayez pas peur! ajouta Hulda.
+
+-- Je n'ai pas peur!
+
+-- Nous vous sauverons! cria Joël.
+
+-- J'y compte bien, car, par saint Olaf! je ne pourrais me sauver
+tout seul!
+
+Évidemment, ce voyageur avait absolument conservé sa présence
+d'esprit. Mais, après sa chute, sans doute, bras et jambes lui
+avaient refusé service, et tout ce qu'il pouvait faire,
+maintenant, c'était de se retenir à la mince saillie qui le
+séparait du gouffre.
+
+Cependant, Hulda descendait toujours. Quelques instants plus tard,
+elle eut rejoint le voyageur. Alors, ayant appuyé son pied contre
+une aspérité du roc, elle lui prit la main.
+
+Le voyageur essaya de se redresser un peu.
+
+-- Ne bougez pas, monsieur!... Ne bougez pas!... dit Hulda. Vous
+m'entraîneriez avec vous, et je ne serais pas assez forte pour
+vous retenir! Il faut attendre l'arrivée de mon frère! Quand il se
+sera placé entre nous et le Rjukanfos, vous essaierez de vous
+relever afin de...
+
+-- Me relever, ma brave fille! C'est plus facile à dire qu'à
+faire, et je crains bien que ce soit peu aisé!
+
+-- Seriez-vous blessé, monsieur?
+
+-- Hum! Rien de cassé, rien de luxé, je l'espère, mais, du moins,
+une belle et bonne écorchure à la jambe!
+
+Joël se trouvait alors à une vingtaine de pieds de la place
+occupée par Hulda et le voyageur -- en contrebas. La courbure de
+la croupe l'avait empêché de les rejoindre directement. Il lui
+fallait donc remonter maintenant cette surface arrondie. C'était
+le plus difficile et aussi le plus dangereux. Il y allait de sa
+vie.
+
+-- Pas un mouvement, Hulda! cria-t-il une dernière fois. Si vous
+glissiez tous deux, comme je ne suis pas en bonne position pour
+vous retenir, nous serions perdus!
+
+-- Ne crains rien, Joël! répondit Hulda. Ne songe qu'à toi, et que
+Dieu te vienne en aide!
+
+Joël commença à se hisser sur le ventre, en se traînant par un
+véritable mouvement de reptation. Deux ou trois fois, il sentit
+que tout point d'appui allait lui manquer. Mais enfin, à force
+d'adresse, il parvint à remonter jusque auprès du voyageur.
+
+Celui-ci, un homme âgé déjà, mais de complexion vigoureuse, avait
+une belle figure, aimable et souriante. En vérité, Joël se fût
+plutôt attendu à trouver là quelque jeune audacieux qui s'était
+engagé à franchir la Maristien.
+
+-- C'est bien imprudent ce que vous avez fait, monsieur! dit-il en
+se couchant à demi pour reprendre haleine.
+
+-- Comment, si c'est imprudent? répliqua le voyageur. Dites donc
+que c'est tout bonnement absurde!
+
+-- Vous avez risqué votre vie...
+
+-- Et je vous ai fait risquer la vôtre!
+
+-- Oh! moi!... c'est un peu mon métier! répondit Joël. Et, se
+relevant:
+
+-- Maintenant, il s'agit de regagner le haut de la croupe, ajouta-t-il,
+mais le plus difficile est fait.
+
+-- Oh! le plus difficile!...
+
+-- Oui, monsieur, c'était d'arriver jusqu'à vous. Nous n'avons
+plus qu'à remonter une pente bien moins raide.
+
+-- C'est que vous ferez bien de ne pas trop compter sur moi, mon
+garçon! J'ai une jambe qui ne pourra guère me servir, ni en ce
+moment ni pendant quelques jours, peut-être!
+
+-- Essayez de vous relever!
+
+-- Volontiers... avec votre aide!
+
+-- Vous prendrez le bras de ma soeur. Moi, je vous soutiendrai et
+vous pousserai par les reins.
+
+-- Solidement?...
+
+-- Solidement.
+
+-- Eh bien, mes amis, je m'en rapporte à vous. Puisque vous avez
+eu la pensée de me tirer d'affaire, cela vous regarde.
+
+On procéda, ainsi que l'avait dit Joël, prudemment. Si de remonter
+la croupe ne fut pas sans quelque danger, tous trois s'en tirèrent
+mieux et plus vite qu'ils ne l'espéraient. D'ailleurs, ce n'était
+ni d'une foulure ni d'une entorse que souffrait le voyageur, mais
+simplement d'une très forte écorchure. Il put donc faire meilleur
+usage de ses deux jambes qu'il ne le croyait, non sans douleur,
+toutefois. Dix minutes après, il était en sûreté au-delà de la
+Maristien.
+
+Là, il aurait pu se reposer sous les premiers sapins qui bordent
+le field supérieur du Rjukanfos. Mais Joël lui demanda un effort
+de plus. Il s'agissait de gagner une cabane perdue sous les
+arbres, un peu en arrière de la roche sur laquelle sa soeur et lui
+s'étaient arrêtés en arrivant à la chute. Le voyageur essaya de
+faire l'effort demandé, il y réussit, et, soutenu, d'un côté par
+Hulda, de l'autre par Joël, il arriva sans trop de mal devant la
+porte de la cabane.
+
+-- Entrons, monsieur, dit alors la jeune fille, et, là, vous vous
+reposerez un instant.
+
+-- L'instant pourra-t-il durer un bon quart d'heure?
+
+-- Oui, monsieur, et ensuite, il faudra bien que vous consentiez à
+venir avec nous jusqu'à Dal.
+
+-- À Dal?... Eh! c'est précisément à Dal que j'allais!
+
+-- Seriez-vous donc le touriste qui vient du nord, demanda Joël,
+et qui m'avait été signalé au Hardanger?
+
+-- Précisément.
+
+-- Ma foi, vous n'aviez pas pris le bon chemin...
+
+-- Je m'en doute un peu.
+
+-- Et, si j'avais pu prévoir ce qui est arrivé, je serais allé
+vous attendre de l'autre côté du Rjukanfos!
+
+-- Ça, c'eût été une bonne idée, mon brave jeune homme! Vous
+m'auriez épargné une imprudence impardonnable à mon âge...
+
+-- À tout âge, monsieur! répondit Hulda. Tous trois entrèrent
+alors dans la cabane, où se trouvait une famille de paysans, le
+père, la mère et leurs deux filles qui se levèrent et firent bon
+accueil aux arrivants. Joël put alors constater que le voyageur
+n'avait qu'une assez grave écorchure à la jambe, un peu au-dessous
+du genou. Cela nécessiterait certainement une bonne semaine de
+repos; mais la jambe n'était ni luxée ni cassée, l'os n'était pas
+même atteint. C'était l'essentiel. Du laitage excellent, des
+fraises en abondance, un peu de pain bis, furent offerts et
+acceptés. Joël ne se cacha point de montrer un formidable appétit,
+et, si Hulda mangea à peine, le voyageur ne refusa pas de tenir
+tête à son frère.
+
+-- Vraiment, dit-il, cet exercice m'a creusé l'estomac! Mais
+j'avouerai volontiers que de prendre par la Maristien, c'était
+plus qu'imprudent! Vouloir jouer le rôle de l'infortuné Eystein,
+quand on pourrait être son père... et même son grand-père!...
+
+-- Ah! vous connaissez la légende? dit Hulda.
+
+-- Si je la connais!... Ma nourrice m'endormait en me la chantant,
+à l'heureux âge où j'avais encore une nourrice! Oui, je la
+connais, ma courageuse fille, et je n'en suis que plus coupable! -
+- Maintenant, mes amis, Dal est un peu loin pour l'invalide que je
+suis! Comment allez-vous me transporter jusque-là?
+
+-- Ne vous inquiétez de rien, monsieur, répondit Joël. Notre
+kariol nous attend au bas du sentier. Seulement, il y aura trois
+cents pas à faire...
+
+-- Hum! Trois cents pas!
+
+-- En descendant, ajouta la jeune fille.
+
+-- Oh! si c'est en descendant, cela ira tout seul, mes amis, et un
+bras me suffira...
+
+-- Et pourquoi pas deux, répondit Joël, puisque nous en avons
+quatre à votre service!
+
+-- Va pour deux, va pour quatre! Ça ne me coûtera pas plus cher,
+n'est-ce pas?
+
+-- Ça ne coûte rien.
+
+-- Si! au moins un remerciement par bras, et je m'aperçois que je
+ne vous ai point encore remerciés...
+
+-- De quoi, monsieur? répondit Joël.
+
+-- Mais tout simplement de ce que vous m'avez sauvé la vie, en
+risquant la vôtre!...
+
+-- Quand vous voudrez?... dit Hulda, qui se leva pour éviter les
+compliments.
+
+-- Comment donc!... Mais je veux!... D'abord, moi, je veux tout ce
+qu'on veut que je veuille!
+
+Là-dessus, le voyageur régla la petite dépense avec les paysans de
+la cabane. Puis, soutenu un peu par Hulda, beaucoup par Joël, il
+commença à descendre le sentier sinueux, qui conduit vers la rive
+du Maan où il rejoint la route de Dal.
+
+Cela ne se fit pas sans quelques «aïe! aïe!» qui se terminaient
+invariablement par un bon éclat de rire. Enfin, on atteignit la
+scierie, et Joël s'occupa d'atteler la kariol.
+
+Cinq minutes après, le voyageur était installé dans la caisse avec
+la jeune fille près de lui.
+
+-- Et vous? demanda-t-il à Joël. Il me semble bien que j'ai dû
+prendre votre place...
+
+-- Une place que je vous cède de bon coeur.
+
+-- Mais peut-être en se serrant...
+
+-- Non... Non!... J'ai mes jambes, monsieur, des jambes de guide!
+Ça vaut des roues...
+
+-- Et de fameuses, mon garçon, de fameuses! On partit en suivant
+la route qui se rapproche peu à peu du Maan. Joël s'était mis à la
+tête du cheval et il le guidait par le bridon, de manière à éviter
+de trop forts cahots à la kariol. Le retour se fit gaiement -- du
+moins de la part du voyageur. Il causait déjà comme un vieil ami
+de la famille Hansen. Avant d'arriver, le frère et la soeur lui
+disaient «monsieur Sylvius», et monsieur Sylvius ne les appelait
+plus que Hulda et Joël, comme s'ils se fussent connus tous trois
+de longue date.
+
+Vers quatre heures, le petit clocher de Dal montra sa fine pointe
+entre les arbres du hameau. Un instant après, le cheval s'arrêtait
+devant l'auberge. Le voyageur descendit de la kariol, non sans
+quelque peine. Dame Hansen était venue le recevoir à la porte, et,
+bien qu'il n'eût pas demandé la meilleure chambre de la maison, ce
+fut celle-là qu'on lui donna tout de même.
+
+
+IX
+
+Sylvius Hog -- tel fut le nom qui, ce soir-là, fut inscrit sur le
+livre des voyageurs, et précisément à la suite du nom de
+Sandgoïst. Vif contraste, on en conviendra, entre les deux noms
+comme entre les deux hommes qui les portaient. Entre eux, il n'y
+avait aucun rapport ni au physique ni au moral. Générosité d'un
+côté, avidité de l'autre. L'un, c'était la bonté du coeur,
+l'autre, c'était la sécheresse de l'âme.
+
+Sylvius Hog avait à peine soixante ans. Encore ne les paraissait-il
+pas. Grand, droit, bien constitué, sain d'esprit et sain de
+corps, il plaisait dès le premier abord avec sa belle et aimable
+figure, sans barbe, bien encadrée sous des cheveux grisonnants et
+un peu longs, avec ses yeux souriants comme ses lèvres, son front
+large où les plus nobles pensées pouvaient circuler sans peine, sa
+vaste poitrine dans laquelle le coeur pouvait battre à l'aise. À
+tous ces avantages, il joignait un inépuisable fonds de bonne
+humeur, une physionomie fine et déliée, une nature capable de
+toutes les générosités comme de tous les dévouements.
+
+Sylvius Hog, de Christiania -- cela disait tout. Et non seulement
+il était connu, apprécié, aimé, honoré dans la capitale
+norvégienne, mais aussi dans tout le pays -- le pays norvégien,
+bien entendu. En effet, les sentiments que l'on professait à son
+égard n'étaient plus les mêmes dans l'autre moitié du royaume
+scandinave, c'est-à-dire, en Suède.
+
+Cela veut être expliqué.
+
+Sylvius Hog était professeur de législation à Christiania. En
+d'autres États, être avocat, ingénieur, médecin, négociant, c'est
+occuper les premiers rangs de l'échelle sociale. En Norvège, il
+n'en va pas ainsi. Être professeur, c'est être au sommet.
+
+Si, en Suède, il y a quatre classes, la noblesse, le clergé, la
+bourgeoisie, le paysan, il n'y en a que trois en Norvège; la
+noblesse manque. On n'y compte aucun représentant de
+l'aristocratie, pas même celle des fonctionnaires. En ce pays
+privilégié où il n'existe pas de privilèges, les fonctionnaires
+sont les très humbles serviteurs du public. En somme, égalité
+sociale parfaite, nulle distinction politique.
+
+Donc, Sylvius Hog étant un des hommes les plus considérables de
+son pays, on ne s'étonnera pas qu'il fût membre du Storthing. Dans
+cette grande assemblée, autant par sa valeur que par la probité de
+sa vie privée et publique, il exerçait une influence que
+subissaient même ces paysans-députés, élus en grand nombre par les
+campagnes.
+
+Depuis la Constitution de 1814, c'est avec raison qu'on a pu dire:
+la Norvège est une république avec le roi de Suède pour président.
+
+Il va de soi que cette Norvège, très jalouse de ses prérogatives,
+a su conserver son autonomie. Le Storthing n'a rien de commun avec
+le parlement suédois. Aussi comprendra-t-on que l'un de ses
+représentants les plus influents et les plus patriotes ne fût pas
+bien vu au-delà de cette frontière idéale qui sépare la Suède de
+la Norvège.
+
+Ainsi était Sylvius Hog. D'un caractère très indépendant, ne
+voulant rien être, il avait maintes fois refusé d'entrer au
+ministère. Défenseur de tous les droits de la Norvège, il s'était
+constamment et inébranlablement opposé aux empiétements de la
+Suède.
+
+Et telle est la séparation morale et politique des deux pays, que
+le roi de Suède -- alors Oscar XV -- après s'être fait couronner à
+Stockholm, a dû se faire couronner à Drontheim, l'ancienne
+capitale de la Norvège. Telle est aussi la réserve quelque peu
+défiante des Norvégiens, en affaires, que la Banque de Christiania
+ne reçoit pas volontiers les billets de la Banque de Stockholm!
+Telle est enfin la démarcation entre les deux peuples, que le
+pavillon suédois ne flotte ni sur les édifices, ni sur les navires
+norvégiens. À l'un, l'étamine bleue traversée d'une croix jaune, à
+l'autre, la croix bleue sur le fond d'étamine rouge.
+
+Or, Sylvius Hog était de coeur et d'âme pour la Norvège. Il en
+défendait les intérêts en toute occasion. Aussi, vers 1854,
+lorsque le Storthing agita la question de ne plus avoir ni vice-roi
+à la tête du pays ni même de gouverneur, il fut l'un de ceux
+qui se jetèrent le plus vivement dans la discussion et firent
+triompher ce principe.
+
+On conçoit donc que, s'il n'était pas très aimé dans l'est du
+royaume, il le fût dans l'ouest, et même au fond des gaards les
+plus reculés du pays. Son nom courait la montagneuse Norvège,
+depuis les parages de Christiansand jusqu'aux extrêmes roches du
+cap Nord. Digne de cette popularité de bon aloi, aucune calomnie
+n'avait jamais pu atteindre ni le député ni le professeur de
+Christiania. C'était, d'ailleurs, un vrai Norvégien, mais un
+Norvégien à sang vif, n'ayant rien du flegme traditionnel de ses
+compatriotes, plus résolu de pensées et d'actes que ne le comporte
+le tempérament scandinave. Cela se sentait à ses mouvements
+prompts, à l'ardeur de sa parole, à la vivacité de ses gestes. Né
+en France, on n'eût pas hésité à le dire «un homme du Midi», si
+l'on veut bien accepter cette comparaison, qui peut lui être
+appliquée avec quelque exactitude.
+
+La situation de fortune de Sylvius Hog ne l'élevait pas au-dessus
+d'une assez belle aisance, bien qu'il n'eût point fait monnaie des
+affaires publiques. Âme désintéressée, il ne songeait jamais à
+lui, mais sans cesse aux autres. Aussi faisait-il fi des
+grandeurs. Être député lui suffisait. Il ne voulait rien de plus.
+
+En ce moment, Sylvius Hog profitait d'un congé de trois mois pour
+se remettre de ses fatigues, après une laborieuse année de travaux
+législatifs. Il avait quitté Christiania depuis six semaines, avec
+l'intention de parcourir toute la contrée qui s'étend jusqu'à
+Drontheim, le Hardanger, le Telemark, les districts de Kongsberg
+et de Drammen. Il voulait visiter ces provinces qu'il ne
+connaissait pas encore. Un voyage d'étude et d'agrément.
+
+Sylvius Hog avait déjà traversé une partie de cette région, et
+c'était en revenant des bailliages du nord qu'il avait voulu voir
+la célèbre chute, une des merveilles du Telemark. Après avoir
+examiné, sur les lieux mêmes, le projet, alors à l'étude, du
+chemin de fer de Drontheim à Christiania, il avait fait demander
+un guide pour le conduire à Dal, et il comptait le trouver sur la
+rive gauche du Maan. Mais, sans l'attendre, attiré par ces
+admirables sites de la Maristien, il s'était aventuré sur la
+dangereuse passe. Rare imprudence! Elle avait failli lui coûter la
+vie. Et, il faut bien le dire, sans l'intervention de Joël et de
+Hulda Hansen, le voyage eût fini avec le voyageur dans les
+gouffres du Rjukanfos.
+
+
+X
+
+On est fort instruit en ces pays scandinaves, non seulement chez
+les habitants des villes, mais aussi en pleine campagne. Cette
+instruction va même au-delà de savoir lire, écrire, compter. Le
+paysan apprend avec plaisir. Son intelligence est ouverte. Il
+s'intéresse à la chose publique. Il prend une large part aux
+affaires politiques et communales. Dans le Storthing, les gens de
+cette condition sont toujours en majorité. Quelquefois, ils y
+siègent avec le costume de leur province. On les cite, et c'est
+justice, pour leur haute raison, leur bon sens pratique, leur
+compréhension juste -- si elle est un peu lente -- et surtout leur
+incorruptibilité.
+
+Il ne faut donc pas s'étonner que le nom de Sylvius Hog fût connu
+dans toute la Norvège et prononcé avec respect jusque dans cette
+portion un peu sauvage du Telemark.
+
+Aussi, dame Hansen, en recevant un hôte si universellement estimé,
+crut-elle convenable de lui dire combien elle était honorée de
+l'avoir pour quelques jours sous son toit.
+
+-- Je ne sais pas si cela vous fait honneur, dame Hansen, répondit
+Sylvius Hog, mais ce que je sais bien, c'est que cela me fait
+plaisir. Oh! il y a longtemps que j'avais entendu mes élèves
+parler de cette hospitalière auberge de Dal! C'est pourquoi, je
+comptais venir m'y reposer pendant une semaine. Pourtant, que
+saint Olaf m'abandonne, si je croyais jamais y arriver sur une
+patte!
+
+Et l'excellent homme serra cordialement la main à son hôtesse.
+
+-- Monsieur Sylvius, dit Hulda, voulez-vous que mon frère aille
+chercher un médecin à Bamble?
+
+-- Un médecin, ma petite Hulda! Mais vous voulez donc que je perde
+l'usage de mes deux jambes!
+
+-- Oh! monsieur Sylvius!
+
+-- Un médecin! Pourquoi pas mon ami le docteur Boek, de
+Christiania? Et tout cela pour une égratignure!...
+
+-- Mais une égratignure, si elle est mal soignée, répondit Joël,
+cela peut devenir grave!
+
+-- Ah! çà, Joël, me direz-vous pourquoi vous voulez que cela
+devienne grave?
+
+-- Je ne le veux pas, monsieur Sylvius, Dieu me garde!
+
+-- Eh bien! il vous gardera, et moi aussi, et toute la maison de
+dame Hansen, surtout si cette gentille Hulda veut bien consentir à
+me donner ses soins...
+
+-- Certainement, monsieur Sylvius!
+
+-- Parfait, mes amis! Encore quatre ou cinq jours, il n'y paraîtra
+plus! D'ailleurs, comment ne guérirait-on pas dans une si jolie
+chambre? Où pourrait-on mieux se faire traiter que dans
+l'excellente auberge de Dal? Et ce bon lit avec ses devises qui
+valent bien les horribles formules de la Faculté! Et cette joyeuse
+fenêtre qui s'ouvre sur la vallée du Maan! Et le murmure des eaux
+qui se glisse jusqu'au fond de mon alcôve! Et la senteur des vieux
+arbres dont toute la maison est embaumée! Et le bon air, l'air de
+la montagne! Eh! ne voilà-t-il pas le meilleur des médecins! Quand
+on a besoin de lui, on n'a qu'à ouvrir la fenêtre, il arrive, il
+vous ragaillardit, et il ne vous met pas à la diète!
+
+Il disait si gaiement toutes ces choses, Sylvius Hog, qu'avec lui,
+semblait-il, un peu de bonheur venait d'entrer dans la maison. Du
+moins, ce fut l'impression du frère et de la soeur, qui se
+tenaient la main en l'écoutant, s'abandonnant tous deux à la même
+émotion.
+
+C'était dans la chambre du rez-de-chaussée qu'avait été tout
+d'abord conduit le professeur. Maintenant, à demi couché dans un
+grand fauteuil, sa jambe étendue sur un escabeau, il recevait les
+soins de Hulda et de Joël. Un pansement à l'eau fraîche, il ne
+voulut que ce remède. Et, en réalité, en fallait-il un autre?
+
+-- Bien, mes amis, bien! disait-il. Il ne faut pas abuser des
+drogues! Et maintenant, savez-vous bien que, sans votre
+obligeance, j'aurais vu d'un peu trop près les merveilles du
+Rjukanfos! Je roulais dans l'abîme comme un simple roc! J'ajoutais
+une nouvelle légende à la légende de Maristien, et, moi, je
+n'avais pas d'excuse! Ma fiancée ne m'attendait pas sur l'autre
+bord, comme le malheureux Eystein!
+
+-- Et quel chagrin c'eût été pour madame Hog! dit Hulda. Elle ne
+se serait jamais consolée...
+
+-- Madame Hog?... répliqua le professeur. Eh bien, madame Hog
+n'aurait pas versé une larme!
+
+-- Oh! monsieur Sylvius!...
+
+-- Non, vous dis-je, par cette raison qu'il n'y a pas de madame
+Hog! Et je ne puis pas même me figurer ce qu'eût été une madame
+Hog: grasse ou maigre, petite ou grande...
+
+-- Elle eût été aimable, intelligente et bonne, étant votre femme,
+répondit Hulda.
+
+-- Ah! vraiment, mademoiselle! Bon! Bon! Je vous crois! Je vous
+crois!
+
+-- Mais, en apprenant un pareil malheur, vos parents, vos amis,
+monsieur Sylvius?... dit Joël.
+
+-- Des parents, je n'en ai guère, mon garçon! Des amis, il paraît
+que j'en ai un certain nombre, sans compter ceux que je viens de
+me faire dans la maison de dame Hansen, et vous leur avez évité la
+peine de me pleurer!
+
+-- À propos, dites-moi, mes enfants, vous pourrez bien me garder
+quelques jours ici?
+
+-- Tant qu'il vous plaira, monsieur Sylvius, répondit Hulda. Cette
+chambre vous appartient.
+
+-- D'ailleurs, j'avais l'intention de m'arrêter à Dal, comme font
+les touristes, de manière à pouvoir rayonner de là sur le
+Telemark... Je ne rayonnerai pas, ou je rayonnerai plus tard,
+voilà tout!
+
+-- Avant la fin de la semaine, monsieur Sylvius, répondit Joël,
+j'espère que vous serez sur pied.
+
+-- Et moi aussi, je l'espère!
+
+-- Et alors je m'offre à vous conduire partout où il vous plaira
+d'aller dans le bailliage.
+
+-- Nous verrons cela, Joël! Nous en reparlerons, quand je ne serai
+plus à l'état d'écorché! J'ai encore un mois de congé devant moi,
+et quand je devrais le passer tout entier dans l'auberge de dame
+Hansen, je ne serais pas trop à plaindre! Ne faudra-t-il pas que
+je visite la vallée du Vestfjorddal entre les deux lacs, que je
+fasse l'ascension du Gousta, que je retourne au Rjukanfos, car
+enfin, si j'ai failli y faire un plongeon, je ne l'ai guère vu...
+et je tiens à le voir!
+
+-- Vous y retournerez, monsieur Sylvius, répondit Hulda.
+
+-- Et nous y retournerons ensemble avec cette bonne madame Hansen,
+si elle veut bien nous accompagner.
+
+-- Eh! j'y pense, mes amis, il faudra que je prévienne, par un
+petit mot, Kate, ma vieille bonne, et Fink, mon vieux domestique
+de Christiania! Ils seraient très inquiets si je ne leur donnais
+pas de mes nouvelles, et je serais grondé!... Et, maintenant, je
+vais vous faire un aveu! Les fraises, le laitage, c'est très
+agréable, très rafraîchissant; mais cela ne suffit pas, puisque je
+ne veux pas entendre parler d'être mis à la diète!... Est-ce
+bientôt l'heure de votre dîner?...
+
+-- Oh! peu importe, monsieur Sylvius!...
+
+-- Il importe beaucoup, au contraire! Croyez-vous donc que,
+pendant mon séjour à Dal, je vais m'ennuyer tout seul à ma table
+et dans ma chambre? Non! je veux manger avec vous et votre mère,
+si dame Hansen n'y voit pas d'inconvénient!
+
+Naturellement, dame Hansen, quand on lui fit connaître le désir du
+professeur, et bien qu'elle eût peut-être préféré se tenir à part,
+suivant son habitude, ne put que s'incliner. Ce serait un honneur
+pour elle et les siens d'avoir à sa table un député du Storthing.
+
+-- Ainsi, c'est convenu, reprit Sylvius Hog, nous mangerons
+ensemble dans la grande salle...
+
+-- Oui, monsieur Sylvius, répondit Joël. Je n'aurai qu'à vous y
+pousser sur votre fauteuil, quand le dîner sera prêt...
+
+-- Bon! Bon! monsieur Joël! Pourquoi pas en kariol? Non! Avec
+l'aide d'un bras, j'arriverai. Je ne suis pas amputé, que je
+sache!
+
+-- Comme vous voudrez, monsieur Sylvius! répondit Hulda. Mais ne
+faites pas inutilement d'imprudences, je vous prie... ou Joël aura
+vite fait d'aller chercher le médecin!
+
+-- Des menaces! Eh bien, oui, je serai prudent et docile! Et du
+moment qu'on ne me met pas à la diète, je vais être le plus
+obéissant des malades! -- Ah! çà! est-ce que vous n'avez pas faim,
+mes amis?
+
+-- Nous ne demandons qu'un quart d'heure, répondit Hulda, pour
+vous servir une soupe aux groseilles, une truite du Maan, une
+grouse que Joël a rapportée hier du Hardanger, et une bonne
+bouteille de vin de France.
+
+-- Merci, ma brave fille, merci! Hulda sortit afin de surveiller
+le dîner et de préparer la table dans la grande salle, pendant que
+Joël allait reconduire la kariol chez le contremaître Lengling.
+Sylvius Hog resta seul. À quoi eût-il pu songer, si ce n'est à
+cette honnête famille, dont maintenant il était à la fois l'hôte
+et l'obligé. Que pourrait-il faire pour reconnaître les services,
+les soins de Hulda et de Joël? Mais il n'eut pas le temps de
+s'abandonner à de longues réflexions, car, dix minutes après, il
+était assis à la place d'honneur de la grande table. Le dîner
+était excellent. Il justifiait le renom de l'auberge, et le
+professeur mangea de grand appétit.
+
+Ensuite, la soirée se passa en causeries auxquelles Sylvius Hog
+prit la plus grande part. À défaut de dame Hansen qui ne s'y mêla
+guère, il fit parler le frère et la soeur. La vive sympathie qu'il
+éprouvait déjà pour eux ne put que s'accroître. Une si touchante
+amitié les unissait l'un à l'autre que le professeur en fut
+plusieurs fois ému.
+
+La nuit venue, il regagna sa chambre avec l'aide de Joël et de
+Hulda, reçut et donna un aimable bonsoir à ses amis, et, à peine
+couché dans le grand lit à devises, il dormit tout d'un somme.
+
+Le lendemain, Sylvius Hog, réveillé dès l'aube, se reprit à
+réfléchir avant qu'on eût frappé à sa porte.
+
+«Non, se disait-il, je ne sais vraiment pas comment je m'en
+tirerai! On ne peut pourtant pas se faire sauver, soigner, guérir,
+et en être quitte pour un simple remerciement! Je suis l'obligé de
+Hulda et de Joël, ce n'est pas contestable! Mais voilà! Ce ne sont
+pas de ces services qu'on puisse payer en argent! Fi donc!...
+D'autre part, cette famille de braves gens me paraît heureuse, et
+je ne pourrais rien ajouter à son bonheur! Enfin nous causerons,
+et, tout en causant, peut-être...»
+
+Aussi, pendant les trois ou quatre jours que le professeur dut
+encore garder sa jambe étendue sur l'escabeau, ils causèrent tous
+trois. Par malheur, ce fut avec une certaine réserve de la part du
+frère et de la soeur. Ni l'un ni l'autre ne voulurent rien dire de
+leur mère, dont Sylvius Hog avait bien observé l'attitude froide
+et soucieuse. Puis, par un autre sentiment de discrétion, ils
+hésitaient à faire connaître les inquiétudes que leur causait le
+retard de Ole Kamp. Ne risquaient-ils pas d'altérer la bonne
+humeur de leur hôte en lui contant leurs peines?
+
+-- Cependant, disait Joël à sa soeur, peut-être avons-nous tort de
+ne pas nous confier à monsieur Sylvius? C'est un homme de bon
+conseil, et, par ses relations, il pourrait peut-être savoir si
+l'on se préoccupe à la Marine de ce qu'est devenu le _Viken._
+
+_-- _Tu as raison, Joël, répondait Hulda. Je pense que nous
+ferons bien de tout lui dire. Mais attendons qu'il soit bien
+guéri!
+
+-- Oui, et cela ne peut tarder! reprenait Joël. La semaine finie,
+Sylvius Hog n'avait plus besoin d'aide pour quitter sa chambre,
+bien qu'il boitât encore un peu. Il venait alors s'asseoir sur un
+des bancs, devant la maison, à l'ombre des arbres. De là, il
+pouvait apercevoir la cime du Gousta, qui resplendissait sous les
+rayons du soleil, pendant que le Maan, charriant des troncs en
+dérive, grondait à ses pieds. On voyait aussi passer du monde sur
+la route de Dal au Rjukanfos. Le plus souvent, c'étaient des
+touristes, dont quelques-uns s'arrêtaient une heure ou deux à
+l'auberge de dame Hansen pour déjeuner ou dîner. Il venait aussi
+des étudiants de Christiania, le sac au dos, la petite cocarde
+norvégienne à la casquette. Ceux-là reconnaissaient le professeur.
+De là, des bonjours interminables, des saluts cordiaux, qui
+prouvaient combien Sylvius Hog était aimé de toute cette jeunesse.
+
+-- Vous ici, monsieur Sylvius?
+
+-- Moi, mes amis!
+
+-- Vous que l'on croit au fond du Hardanger!
+
+-- On a tort! C'est au fond du Rjukanfos que je devrais être!
+
+-- Eh bien! nous dirons partout que vous êtes à Dal!
+
+-- Oui, à Dal, avec une jambe... en écharpe!
+
+-- Heureusement, vous avez trouvé bon gîte et bons soins dans
+l'auberge de dame Hansen!
+
+-- Imaginez-en une meilleure!
+
+-- Il n'y en a guère!
+
+-- Et de plus braves gens?
+
+-- Il n'y en a pas! répétaient gaiement les touristes. Et, tous
+buvaient à la santé de Hulda et de Joël si connus dans tout le
+Telemark. Et alors le professeur narrait son aventure. Il
+confessait son imprudence. Il racontait comment il avait été
+sauvé. Il disait quelle reconnaissance était due à ses sauveurs.
+
+-- Et si je reste ici jusqu'à ce que j'aie payé ma dette,
+ajoutait-il, mon cours de législation est fermé pour longtemps,
+mes amis, et vous pouvez prendre un congé sans limite!
+
+-- Bon, monsieur Sylvius! reprenait toute cette joyeuse bande.
+C'est la jolie Hulda qui vous retient à Dal!
+
+-- Une aimable fille, mes amis, charmante aussi, et je n'ai que
+soixante ans, par saint Olaf!
+
+-- À la santé de monsieur Sylvius!
+
+-- Et à la vôtre, jeunes gens! Courez le pays, instruisez-vous,
+amusez-vous! Il fait toujours beau quand on a votre âge! Mais
+défiez-vous des passes de la Maristien! Joël et Hulda ne seraient
+peut-être plus là pour sauver les imprudents qui s'y
+hasarderaient.
+
+Puis, tous partaient en faisant bruyamment retentir la vallée de
+leur joyeux _God aften._
+
+Cependant, une ou deux fois, Joël dut s'absenter pour servir de
+guide à quelques touristes qui voulaient faire l'ascension du
+Gousta. Sylvius Hog eût bien voulu les accompagner. Il prétendait
+être guéri. En effet, l'écorchure de sa jambe commençait à se
+cicatriser. Mais Hulda lui défendit positivement de s'exposer à
+une fatigue encore trop forte pour lui, et, lorsque Hulda
+ordonnait, il fallait obéir.
+
+Une curieuse montagne, cependant, ce Gousta, dont le cône central,
+vallonné de ravins pleins de neige, émerge d'une forêt de sapins
+comme d'une collerette verdoyante qui s'épanouit à sa base. Et
+quel rayon de vue à son sommet! Dans l'est, le bailliage du
+Numedal; dans l'ouest, tout le Hardanger et ses glaciers
+grandioses; puis, au pied de la montagne, la sinueuse vallée du
+Vestfjorddal entre les lacs Mjös et Tinn, Dal et ses maisons en
+miniature, véritable boîte de jeux d'enfants, et le cours du Maan,
+lacet lumineux qui miroite à travers la verdure des plaines.
+
+Pour faire cette ascension, Joël partait dès cinq heures du matin,
+et il était rentré à six heures du soir. Sylvius Hog et Hulda
+allaient au-devant de lui. Ils l'attendaient près de la hutte du
+passeur. Dès que le bac avait débarqué les touristes et leur
+guide, on échangeait de cordiales poignées de main, et c'était une
+bonne soirée de plus que tous trois passaient ensemble. Le
+professeur traînait bien encore un peu la jambe, mais il ne se
+plaignait pas. Vraiment, on eût dit qu'il n'était pas pressé de
+guérir, autant dire, de quitter l'hospitalière maison de dame
+Hansen.
+
+D'ailleurs, le temps s'écoulait assez vite. Sylvius Hog avait
+écrit à Christiania qu'il resterait quelque temps à Dal. Le bruit
+de son aventure au Rjukanfos s'était répandu dans tout le pays.
+Les feuilles l'avaient racontée -- quelques-unes en la dramatisant
+à leur manière. De là, quantité de lettres qui arrivaient à
+l'auberge, sans compter les brochures et les journaux. Il fallait
+lire tout cela. Il fallait répondre. Sylvius Hog lisait, il
+répondait, et les noms de Joël et de Hulda, mêlés à cette
+correspondance, couraient déjà à travers la Norvège.
+
+Cependant, ce séjour chez dame Hansen ne pouvait se prolonger
+indéfiniment, et Sylvius Hog n'était pas plus fixé qu'à son
+arrivée sur la façon dont il lui serait possible d'acquitter sa
+dette. Toutefois, il commençait à pressentir que cette famille
+n'était pas aussi heureuse qu'il l'avait pu croire. L'impatience
+avec laquelle le frère et la soeur attendaient chaque jour le
+courrier de Christiania ou de Bergen, leur désappointement, leur
+chagrin même, en voyant qu'il n'y avait jamais de lettres, tout
+cela n'était que trop significatif.
+
+C'est qu'on était déjà au 9 juin. Et aucune nouvelle du _Viken!
+_Un retard de plus de deux semaines sur la date fixée pour son
+retour! Pas une seule lettre de Ole! Rien qui pût adoucir les
+tourments de Hulda! La pauvre fille se désespérait, et Sylvius Hog
+lui trouvait les yeux bien rouges, lorsqu'elle venait à lui le
+matin.
+
+-- Qu'y a-t-il? se disait-il alors. Un malheur qu'on craint et
+qu'on me cache! Est-ce un secret de famille dans lequel un
+étranger ne peut intervenir? Mais suis-je donc encore un étranger
+pour eux? Non! Ils devraient bien le penser! Enfin, quand
+j'annoncerai mon départ, peut-être comprendra-t-on que c'est
+un véritable ami qui va partir!
+
+Et, ce jour-là, il dit:
+
+-- Mes amis, le moment approche où, à mon grand regret, je vais
+être obligé de vous quitter!
+
+-- Déjà, monsieur Sylvius, déjà! s'écria Joël avec une vivacité
+dont il ne fut pas maître.
+
+-- Eh! le temps passe vite auprès de vous! Voilà dix-sept jours
+que je suis à Dal!
+
+-- Quoi!... dix-sept jours! dit Hulda.
+
+-- Oui, chère enfant, et la fin de mon congé approche. Je n'ai pas
+une semaine à perdre si je veux achever ce voyage par Drammen et
+Kongsberg. Et cependant, si c'est bien à vous que le Storthing
+doit de ne point avoir à me remplacer sur mon siège de député, le
+Storthing, pas plus que moi, ne saurait comment reconnaître...
+
+-- Oh! monsieur Sylvius!... répondit Hulda, qui, de sa petite
+main, semblait vouloir lui fermer la bouche.
+
+-- C'est convenu, Hulda! Il m'est défendu de parler de cela -- ici
+du moins...
+
+-- Ni ici ni ailleurs! dit la jeune fille.
+
+-- Soit! Je ne suis pas mon maître et je dois obéir! Mais, Joël et
+vous, ne viendrez-vous pas me voir à Christiania?
+
+-- Vous voir, monsieur Sylvius?...
+
+-- Oui! me voir... passer quelques jours dans ma maison... avec
+dame Hansen, s'entend!
+
+-- Et si nous quittons l'auberge, qui la gardera pendant notre
+absence? répondit Joël.
+
+-- Mais l'auberge n'a pas besoin de vous, j'imagine, lorsque la
+saison des excursions est terminée. Aussi, je compte bien venir
+vous chercher à la fin de l'automne...
+
+-- Monsieur Sylvius, dit Hulda, ce sera bien difficile...
+
+-- Ce sera très facile, au contraire, mes amis. Ne me répondez
+pas: non! Je n'accepterais pas cette réponse! Et alors, quand je
+vous tiendrai là-bas, dans la plus belle chambre de ma maison,
+entre ma vieille Kate et mon vieux Fink, vous y serez comme mes
+enfants, et il faudra bien que vous me disiez ce que je puis faire
+pour vous!
+
+-- Ce que vous pouvez faire, monsieur Sylvius? répondit Joël en
+regardant sa soeur.
+
+-- Frère!... dit Hulda, qui avait compris la pensée de Joël.
+
+-- Parlez, mon garçon, parlez!
+
+-- Eh bien, monsieur Sylvius, vous pourriez nous faire un très
+grand honneur!
+
+-- Lequel?
+
+-- Ce serait, si cela ne vous dérangeait pas trop, d'assister au
+mariage de ma soeur Hulda...
+
+-- Son mariage! s'écria Sylvius Hog! Comment! ma petite Hulda se
+marie?... Et on ne m'en avait rien dit encore!...
+
+-- Oh! monsieur Sylvius!... répondit la jeune fille, dont les yeux
+se remplirent de larmes.
+
+-- Et quand doit se faire ce mariage?...
+
+-- Quand il aura plu à Dieu de nous ramener Ole, son fiancé!
+répondit Joël.
+
+
+XI
+
+Alors Joël raconta toute l'histoire de Ole Kamp. Sylvius Hog, très
+ému par ce récit, l'écoutait avec une profonde attention. Il
+savait tout maintenant. Il venait de lire la dernière lettre qui
+annonçait le retour de Ole, et Ole ne revenait pas! Quelles
+inquiétudes, quelles angoisses pour toute la famille Hansen!
+
+«Et moi qui me croyais chez des gens heureux!» pensait-il.
+
+Cependant, en y réfléchissant bien, il lui parut que le frère et
+la soeur se désespéraient, alors que l'on pouvait encore conserver
+quelque espoir. À force de compter ces jours de mai et de juin,
+leur imagination en exagérait le chiffre, comme si elle les eût
+comptés deux fois.
+
+Le professeur voulut donc leur donner ses raisons -- non des
+raisons de commande -- mais très sérieuses, très plausibles, et
+discuter la valeur de ce retard du _Viken._
+
+Pourtant, sa physionomie était devenue grave. Le chagrin de Joël
+et de Hulda l'avait profondément impressionné.
+
+-- Écoutez-moi, mes enfants, leur dit-il. Asseyez-vous à mes côtés
+et causons.
+
+-- Eh! que pourrez-vous nous dire, monsieur Sylvius? répondit
+Hulda, dont la douleur débordait.
+
+-- Je vous dirai ce qui me paraît juste, reprit le professeur, et
+le voici: je viens de réfléchir à tout ce que m'a raconté Joël. Eh
+bien, il me semble que votre inquiétude dépasse la mesure. Je ne
+voudrais pas vous donner des assurances illusoires, mais il
+importe que les choses soient remises à leur véritable point.
+
+-- Hélas! monsieur Sylvius, répondit Hulda, mon pauvre Ole s'est
+perdu avec le _Viken!... _Je ne le reverrai plus!
+
+-- Ma soeur!... Ma soeur!... s'écria Joël. Je t'en prie, calme-toi,
+laisse parler monsieur Sylvius...
+
+-- Et gardons notre sang-froid, mes enfants! Voyons! C'était du 15
+au 20 mai que Ole devait revenir à Bergen?
+
+-- Oui, dit Joël, du 15 au 20 mai, comme le marque sa lettre, et
+nous sommes au 9 juin.
+
+-- Cela fait donc un retard de vingt jours sur la date extrême
+indiquée pour le retour du _Viken. _C'est quelque chose, j'en
+conviens! Cependant, il ne faut pas demander à un navire à voiles
+ce que l'on pourrait attendre d'un navire à vapeur.
+
+-- C'est ce que j'ai toujours répété à Hulda, c'est ce que je lui
+répète encore, dit Joël.
+
+-- Et vous faites bien, mon garçon, reprit Sylvius Hog. En outre,
+il est possible que le _Viken _soit un vieux bâtiment, marchant
+mal comme la plupart des navires de Terre-Neuve, surtout quand ils
+sont lourdement chargés. D'autre part, il y a eu de grands mauvais
+temps depuis quelques semaines. Peut-être Ole n'a-t-il pu prendre
+la mer à l'époque que sa lettre indique. Dans ce cas, il suffit
+qu'il ait tardé de huit jours pour que le _Viken _ne soit pas
+encore arrivé et que vous n'ayez pu recevoir une nouvelle lettre
+de lui. Tout ce que je vous dis là, croyez-le, est le résultat de
+sérieuses réflexions. De plus, savez-vous si les instructions
+données au _Viken _ne lui laissaient pas une certaine latitude
+pour porter sa cargaison en quelque autre port, suivant les
+demandes du marché?
+
+-- Ole l'aurait écrit! répondit Hulda, qui ne pouvait se rattacher
+même à cet espoir.
+
+-- Qui prouve qu'il n'a pas écrit? reprit le professeur. Et, s'il
+l'a fait, ce ne serait plus le _Viken _qui aurait du retard, ce
+serait le courrier d'Amérique. Supposez que le navire de Ole ait
+dû aller en quelque port des États-Unis, cela expliquerait comment
+aucune de ses lettres n'est encore arrivée en Europe!
+
+-- Aux États-Unis... monsieur Sylvius?
+
+-- Cela se voit quelquefois, et il suffit de manquer un courrier
+pour laisser ses amis longtemps sans nouvelles... En tout cas, il
+y a une chose très simple à faire, c'est de demander des
+renseignements aux armateurs de Bergen.
+
+-- Les connaissez-vous?
+
+-- Oui, répondit Joël, messieurs Help frères.
+
+-- Help frères, Fils de l'Aîné? s'écria Sylvius Hog.
+
+-- Oui!
+
+-- Mais moi aussi je les connais! Le plus jeune, Help junior,
+comme on dit, bien qu'il ait mon âge, est un de mes bons amis.
+Nous avons souvent dîné ensemble à Christiania! Help frères, mes
+enfants! Ah! je saurai par eux tout ce qui concerne le _Viken. _Je
+vais leur écrire aujourd'hui même, et, s'il le faut, j'irai les
+voir.
+
+-- Que vous êtes bon, monsieur Sylvius! répondirent à la fois
+Hulda et Joël.
+
+-- Ah! pas de remerciements, s'il vous plaît! Je vous le défends
+bien! Est-ce que je vous ai remerciés, moi, pour ce que vous avez
+fait là-bas?... Comment, je trouve l'occasion de vous rendre un
+petit service, et vous voilà tout en l'air!
+
+-- Mais vous parliez de partir pour retourner à Christiania, fit
+observer Joël.
+
+-- Eh bien, je partirai pour Bergen, s'il est indispensable que
+j'aille à Bergen!
+
+-- Mais vous alliez nous quitter, monsieur Sylvius, dit Hulda.
+
+-- Eh bien, je ne vous quitterai pas, ma chère fille! Je suis
+libre de mes actions, je suppose, et, tant que je n'aurai pas tiré
+cette situation au clair, à moins qu'on ne me mette à la porte...
+
+-- Que dites-vous là?
+
+-- Et tenez, j'ai bonne envie de rester à Dal jusqu'au retour de
+Ole! Je voudrais le connaître, ce fiancé de ma petite Hulda! Ce
+doit être un brave garçon -- dans le genre de Joël.
+
+-- Oui! tout comme lui!... répondit Hulda.
+
+-- J'en étais sûr! s'écria le professeur, dont la belle humeur
+avait repris le dessus, à dessein, sans doute.
+
+-- Ole ressemble à Ole, monsieur Sylvius, dit Joël, et cela suffit
+pour qu'il soit un excellent coeur.
+
+-- C'est possible, mon brave Joël, et cela me donne encore plus le
+désir de le voir. Oh! cela ne tardera pas! Quelque chose me dit
+que le _Viken _va bientôt arriver!
+
+-- Dieu vous entende!
+
+-- Et pourquoi ne m'entendrait-il pas? Il a l'oreille fine! Oui!
+je veux assister à la noce de Hulda, puisque j'y suis invité. Le
+Storthing en sera quitte pour prolonger mon congé de quelques
+semaines. Il l'aurait prolongé bien davantage, si vous m'aviez
+laissé tomber dans le Rjukanfos, comme je le méritais!
+
+-- Monsieur Sylvius, dit Joël, que c'est bon de vous entendre
+parler ainsi, et quel bien vous nous faites!
+
+-- Pas aussi grand que je le voudrais, mes amis; puisque je vous
+dois tout, et que je ne sais...
+
+-- Non!... n'insistez plus sur cette aventure.
+
+-- Au contraire, j'insisterai! Ah! çà! est-ce que c'est moi qui me
+suis tiré des griffes de la Maristien? Est-ce moi qui ai risqué ma
+vie pour me sauver? Est-ce moi qui me suis rapporté jusqu'à
+l'auberge de Dal? Est-ce moi qui me suis soigné et guéri sans le
+secours de la Faculté? Ah! mais je suis entêté comme un cheval de
+kariol, je vous en préviens. Or, je me suis mis dans la tête
+d'assister au mariage de Hulda et de Ole Kamp, et, par saint Olaf!
+j'y assisterai!
+
+La confiance est communicative. Comment résister à celle que
+montrait Sylvius Hog? Il le vit bien, quand un demi-sourire
+éclaira le visage de la pauvre Hulda. Elle ne demandait qu'à le
+croire... Elle ne demandait qu'à espérer.
+
+Sylvius Hog continua de plus belle:
+
+-- Donc, il faut songer que le temps va vite. Allons, commençons
+les préparatifs du mariage!
+
+-- Ils sont commencés, monsieur Sylvius, répondit Hulda, et déjà
+depuis trois semaines!
+
+-- Parfait! Gardons-nous de les interrompre!
+
+-- Les interrompre? répondit Joël. Mais tout est prêt!
+
+-- Quoi! la jupe de mariée, le corset aux agrafes de filigrane, la
+ceinture et ses pendeloques?
+
+-- Même ses pendeloques!
+
+-- Et la couronne rayonnante qui vous coiffera comme une sainte,
+ma petite Hulda?
+
+-- Oui, monsieur Sylvius.
+
+-- Et les invitations sont faites?
+
+-- Toutes faites, répondit Joël, même celle à laquelle nous tenons
+le plus, la vôtre!
+
+-- Et la demoiselle d'honneur a été choisie parmi les plus sages
+filles du Telemark?
+
+-- Et les plus belles, monsieur Sylvius, répondit Joël, puisque
+c'est mademoiselle Siegfrid Helmboë, de Bamble!
+
+-- De quel ton il dit cela, le brave garçon! fit observer le
+professeur, et comme il rougit en le disant! Eh! Eh! Est-ce que
+par hasard mademoiselle Siegfrid Helmboë, de Bamble, serait
+destinée à devenir madame Joël Hansen de Dal?
+
+-- Oui, monsieur Sylvius, répondit Hulda, Siegfrid, qui est ma
+meilleure amie!
+
+-- Bon! Encore une noce! s'écria Sylvius Hog. Et je suis sûr qu'on
+m'y invitera, et je ne pourrai faire moins que d'y assister!
+Décidément, il faudra que je donne ma démission de député au
+Storthing, car je n'aurai plus le temps d'y siéger! Allons, je
+serai votre témoin, mon brave Joël, après avoir d'abord été celui
+de votre soeur, si vous le permettez. Décidément, vous faites de
+moi tout ce que vous voulez, ou plutôt tout ce que je veux!
+Embrassez-moi, petite Hulda! Une poignée de main, mon garçon! Et
+maintenant, allons écrire à mon ami Help junior, de Bergen!
+
+Le frère et la soeur quittèrent la chambre du rez-de-chaussée, que
+le professeur parlait déjà de prendre à bail, et ils revinrent à
+leurs occupations avec un peu plus d'espoir.
+
+Sylvius Hog était resté seul.
+
+-- La pauvre fille! la pauvre fille! murmurait-il. Oui! j'ai un
+instant trompé sa douleur!... Je lui ai rendu quelque calme!...
+Mais c'est un bien long retard et dans des mers très mauvaises à
+cette époque!... Si le _Viken _avait péri!... Si Ole ne devait
+plus revenir!
+
+Un instant après, le professeur écrivait aux armateurs de Bergen.
+Ce que demandait sa lettre, c'étaient les détails les plus précis
+sur tout ce qui concernait le _Viken _et sa campagne de pêche. Il
+voulait savoir si quelque circonstance, prévue ou non, n'avait pu
+l'obliger à changer son port de destination. Il lui importait de
+savoir au plus tôt comment les négociants et les marins de Bergen
+expliquaient ce retard. Enfin il priait son ami Help junior de
+prendre les informations les plus précises et de l'aviser par le
+retour du courrier.
+
+Cette lettre si pressante disait aussi pourquoi Sylvius Hog
+s'intéressait au jeune maître du _Viken, _de quel service il était
+redevable à sa fiancée, et quelle joie ce serait pour lui de
+pouvoir donner quelque espérance aux enfants de dame Hansen.
+
+Dès que cette lettre fut écrite, Joël la porta à la poste de Moel.
+Elle devait partir le lendemain. Le 11 juin, elle serait à Bergen.
+Donc, le 12, dans la soirée, ou le 13 dans la matinée au plus
+tard, M. Help junior pouvait avoir répondu.
+
+Près de trois jours à attendre cette réponse! Comme ils parurent
+longs! Cependant, à force de paroles rassurantes, d'encourageantes
+raisons, le professeur parvint à rendre moins pénible cette
+attente. Maintenant qu'il connaissait le secret de Hulda,
+n'avait-il pas un sujet de conversation tout indiqué, et quelle
+consolation c'était pour Joël et sa soeur de pouvoir sans cesse
+parler de l'absent!
+
+-- À présent, ne suis-je pas de votre famille? répétait Sylvius
+Hog. Oui!... quelque chose comme un oncle qui vous serait arrivé
+d'Amérique -- ou d'ailleurs?
+
+Et, puisqu'il était de la famille, on ne devait plus avoir de
+secrets pour lui.
+
+Or, il n'était pas sans avoir remarqué l'attitude des deux enfants
+vis-à-vis de leur mère. La réserve dans laquelle dame Hansen
+affectait de se tenir devait avoir, selon lui, un autre motif que
+l'inquiétude où l'on était sur le compte de Ole Kamp. Il crut donc
+pouvoir en parler à Joël. Celui-ci ne sut que lui répondre. Il
+voulut alors pressentir dame Hansen à ce sujet; mais elle se
+montra si fermée qu'il dut renoncer à connaître ses secrets.
+L'avenir les lui apprendrait sans doute.
+
+Ainsi que l'avait prévu Sylvius Hog, la réponse de Help junior
+arriva à Dal dans la matinée du 13. Joël était allé, dès l'aube,
+au-devant du courrier. Ce fut lui qui apporta la lettre dans la
+grande salle où le professeur se trouvait avec dame Hansen et sa
+fille.
+
+Il y eut d'abord un moment de silence. Hulda, toute pâle, n'aurait
+pu parler, tant l'émotion lui faisait battre le coeur. Elle avait
+pris la main de son frère, aussi ému qu'elle.
+
+Sylvius Hog ouvrit la lettre et la lut à haute voix. À son grand
+regret, cette réponse de Help junior ne contenait que de vagues
+indications, et le professeur ne put cacher son désappointement
+aux jeunes gens qui l'écoutaient, les larmes aux yeux.
+
+_Le Viken _avait effectivement quitté Saint-Pierre-Miquelon à la
+date indiquée dans la dernière lettre de Ole Kamp. On l'avait
+appris de la façon la plus formelle par d'autres bâtiments qui
+étaient arrivés à Bergen depuis son départ de Terre-Neuve. Ces
+navires ne l'avaient point rencontré sur leur route. Mais eux
+aussi avaient éprouvé de gros mauvais temps dans les parages de
+l'Islande. Cependant, ils avaient pu s'en tirer. Dès lors,
+pourquoi le _Viken _n'en aurait-il pas fait autant? Peut-être
+était-il en relâche quelque part. C'était d'ailleurs un excellent
+bateau, très solide, bien commandé par le capitaine Prikel, de
+Hammersfest, et monté par un vigoureux équipage qui avait fait ses
+preuves. Toutefois, ce retard ne laissait pas d'être inquiétant,
+et, s'il se prolongeait, il serait à craindre que le Viken se fût
+perdu corps et biens.
+
+Help junior regrettait de ne pas avoir de meilleures nouvelles à
+donner du jeune parent des Hansen. En ce qui concernait Ole Kamp,
+il en parlait comme d'un excellent sujet, digne de toute les
+sympathies qu'il inspirait à son ami Sylvius.
+
+Help junior finissait en assurant le professeur de son affection,
+en y joignant les amitiés de sa famille. Enfin, il promettait de
+lui faire parvenir, sans délai, toute nouvelle qui pourrait
+arriver du _Viken _en n'importe quel port de Norvège, et se disait
+son tout dévoué, Help frères.
+
+La pauvre Hulda, défaillante, était tombée sur une chaise, pendant
+que Sylvius Hog lisait cette lettre; elle sanglotait, quand il en
+eut achevé la lecture.
+
+Joël, les bras croisés, avait écouté sans mot dire, sans même oser
+regarder sa soeur.
+
+Dame Hansen, après que Sylvius Hog eut cessé de lire, s'était
+retirée dans sa chambre. Il semblait qu'elle se fût attendue à ce
+malheur comme elle s'attendait à bien d'autres!
+
+Le professeur fit alors signe à Hulda et à son frère de se
+rapprocher de lui. Il voulait encore leur parler de Ole Kamp, leur
+dire tout ce que son imagination lui suggérait de plus ou moins
+plausible, et il s'exprima avec une assurance au moins singulière
+après la lettre de Help junior. Non! -- il en avait le
+pressentiment! -- non, rien n'était désespéré. N'y avait-il pas
+maint exemple de plus longs retards éprouvés au cours d'une
+navigation dans ces mers qui s'étendent de la Norvège à Terre-Neuve?
+Oui, sans aucun doute! Le _Viken _n'était-il pas un solide
+navire, bien commandé, avec un bon équipage, et, par conséquent,
+dans des conditions meilleures que les autres bâtiments qui
+étaient revenus au port? Incontestablement.
+
+-- Espérons donc, mes chers enfants, ajouta-t-il, et attendons! Si
+le _Viken _eût fait naufrage entre l'Islande et Terre-Neuve, les
+nombreux navires qui suivent constamment cette route pour revenir
+en Europe n'en auraient-ils pas retrouvé quelque épave? Eh bien,
+non! Pas un seul débris n'a été rencontré dans ces parages si
+fréquentés au retour de la grande pêche! Néanmoins, il faut agir,
+il faut obtenir des renseignements plus certains. Si, pendant
+cette semaine, nous sommes encore sans nouvelles du _Viken _ou
+sans lettre de Ole, je retournerai à Christiania, je m'adresserai
+à la Marine, qui fera des recherches, et, j'en ai la conviction,
+elles aboutiront pour notre satisfaction à tous!
+
+Quelque confiance que montrât le professeur, Joël et Hulda
+sentaient bien qu'il ne parlait plus maintenant comme il le
+faisait avant d'avoir reçu la lettre de Bergen -- lettre dont les
+termes ne devaient leur laisser que bien peu d'espoir. Sylvius Hog
+n'osait plus à présent faire allusion au mariage prochain de Hulda
+et de Ole Kamp. Et, pourtant, il répéta avec une force qui
+imposait:
+
+-- Non! Ce n'est pas possible! Ole ne plus reparaître dans la
+maison de dame Hansen! Ole ne pas épouser Hulda! Jamais je ne
+croirai possible un tel malheur!
+
+Cette conviction lui était personnelle. Il la puisait dans
+l'énergie de son caractère, dans sa nature que rien ne pouvait
+abattre. Mais comment la faire partager à d'autres, et surtout à
+ceux que le sort du _Viken _touchait si directement?
+
+Cependant, quelques jours se passèrent encore. Sylvius Hog,
+complètement guéri, faisait de grandes promenades aux environs. Il
+obligeait Hulda et son frère à l'accompagner, afin de ne pas les
+laisser seuls à eux-mêmes. Un jour, tous trois remontaient la
+vallée du Vestfjorddal jusqu'à mi-chemin des chutes du Rjukan. Le
+lendemain, ils la descendaient en se dirigeant vers Moel et le lac
+Tinn. Une fois même, ils furent absents vingt-quatre heures. C'est
+qu'ils avaient prolongé leur excursion jusqu'à Bamble, où le
+professeur fit la connaissance du fermier Helmboë et de sa fille
+Siegfrid. Quel accueil celle-ci fit à sa pauvre Hulda, et quels
+accents de tendresse elle trouva pour la consoler!
+
+Là encore, Sylvius Hog rendit un peu d'espoir à ces braves gens.
+Il avait écrit à la Marine de Christiania. Le gouvernement
+s'occupait du _Viken. _On le retrouverait. Ole reviendrait. Il
+pouvait même revenir d'un jour à l'autre. Non! le mariage n'aurait
+pas six semaines de retard! L'excellent homme paraissait si
+convaincu que l'on se rendait peut-être plus à sa conviction qu'à
+ses arguments.
+
+Cette visite à la famille Helmboë fit du bien aux enfants de dame
+Hansen. Et, quand ils rentrèrent à la maison, ils étaient plus
+calmes que lorsqu'ils l'avaient quittée.
+
+On était alors au 15 juin. Le _Viken _avait donc maintenant un
+mois de retard. Or, comme il s'agissait de cette traversée,
+relativement courte, de Terre-Neuve à la côte de Norvège, c'était
+véritablement hors de mesure -- même pour un navire à voiles.
+
+Hulda ne vivait plus. Son frère ne parvenait pas à trouver un seul
+mot qui pût la consoler. Devant ces deux pauvres êtres, le
+professeur succombait à la tâche qu'il s'était donnée de conserver
+un peu d'espoir. Hulda et Joël ne quittaient le seuil de la maison
+que pour aller regarder du côté de Moel, ou pour s'avancer sur la
+route du Rjukanfos. Ole Kamp devait venir par Bergen; mais il
+pouvait se faire qu'il arrivât aussi par Christiania, si la
+destination du _Viken _avait été modifiée. Un bruit de kariol qui
+se faisait entendre sous les arbres, un cri jeté dans les airs,
+l'ombre d'un homme se dessinant au tournant du chemin, cela leur
+faisait battre le coeur, mais inutilement! Les gens de Dal
+veillaient de leur côté. Ils allaient au-devant du courrier, en
+amont et en aval du Maan. Tous s'intéressaient à cette famille si
+aimée dans le pays, à ce pauvre Ole qui était presque un enfant du
+Telemark. Et pas une lettre ne venait de Bergen ou de Christiania
+apporter quelque nouvelle de l'absent!
+
+Le 16, rien de nouveau. Sylvius Hog ne pouvait plus tenir en
+place. Il comprit qu'il fallait donner de sa personne. Aussi
+annonça-t-il que, le lendemain, s'il n'avait rien reçu, il
+partirait pour Christiania et s'assurerait par lui-même que les
+recherches étaient activement faites. Certes! il lui en coûterait
+de laisser Hulda et Joël; mais il le fallait, et il reviendrait,
+dès qu'il aurait achevé ses démarches.
+
+Le 17, une grande partie du jour s'était déjà écoulée -- le plus
+triste de tous, peut-être! La pluie n'avait cessé de tomber depuis
+l'aube. Le vent se déchaînait à travers les arbres. De grands
+coups de rafale crépitaient sur les vitraux des fenêtres du côté
+du Maan.
+
+Il était sept heures. On venait d'achever le dîner, en silence,
+comme dans une maison en deuil. Sylvius Hog n'avait même pu
+soutenir la conversation. Les paroles lui manquaient avec les
+idées. Qu'aurait-il dit qui ne l'eût été cent fois déjà! Ne
+sentait-il pas que cette prolongation d'absence rendait
+inacceptables ses arguments d'autrefois?
+
+-- Je partirai demain matin pour Christiania, dit-il. Joël,
+occupez-vous de me procurer une kariol. Vous me conduirez à Moel,
+et vous reviendrez aussitôt à Dal!
+
+-- Oui, monsieur Sylvius, répondit Joël. Vous ne voulez pas que je
+vous accompagne plus loin? Le professeur fit un signe négatif en
+montrant Hulda qu'il ne voulait pas priver de son frère.
+
+En ce moment, un bruit, peu sensible encore, se fit entendre sur
+la route, du côté de Moel. Tous écoutèrent. Bientôt, il n'y eut
+plus de doute, c'était le bruit d'une kariol. Elle se dirigeait
+rapidement vers Dal. Était-ce donc quelque voyageur qui venait
+passer la nuit à l'auberge? C'était peu probable, et rarement les
+touristes arrivaient à une heure aussi avancée.
+
+Hulda venait de se lever toute tremblante. Joël alla vers la
+porte, l'ouvrit, regarda.
+
+Le bruit s'accentuait. C'était bien le pas d'un cheval et le
+grincement de roues d'une kariol. Mais telle fut alors la violence
+de la bourrasque qu'il fallut refermer la porte.
+
+Sylvius Hog allait et venait dans la salle. Joël et sa soeur se
+tenaient l'un près de l'autre.
+
+La kariol ne devait plus être qu'à une vingtaine de pas de la
+maison. Allait-elle s'arrêter ou passer outre?
+
+Le coeur leur battait à tous -- horriblement.
+
+La kariol s'arrêta. On entendit une voix qui appelait... Ce
+n'était pas la voix de Ole Kamp!
+
+Presque aussitôt, on frappa à la porte.
+
+Joël l'ouvrit.
+
+Un homme était sur le seuil.
+
+-- Monsieur Sylvius Hog? demanda-t-il.
+
+-- C'est moi, répondit le professeur, en s'avançant. Qui êtes-vous,
+mon ami?
+
+-- Un exprès qui vous est envoyé de Christiania par le directeur
+de la Marine.
+
+-- Vous avez une lettre pour moi?
+
+-- La voici! Et l'exprès tendit une grande enveloppe qui était
+cachetée du cachet officiel. Hulda n'avait plus la force de se
+tenir debout. Son frère venait de la faire asseoir sur un
+escabeau. Ni l'un ni l'autre n'osaient presser Sylvius Hog
+d'ouvrir la lettre. Enfin, il lut ce qui suit:
+
+«Monsieur le professeur,
+
+«En réponse à votre dernière lettre, je vous adresse sous ce pli
+un document qui a été recueilli en mer par un navire danois, à la
+date du 5 juin dernier. Malheureusement, ce document ne laisse
+plus aucun doute sur le sort du _Viken..._»
+
+Sylvius Hog, sans prendre le temps d'achever la lettre, avait tiré
+le document de l'enveloppe... Il le regardait... Il le
+retournait...
+
+C'était un billet de loterie, portant le numéro 9672.
+
+Au revers du billet, on lisait ces quelques lignes:
+
+«3 mai. -- Chère Hulda, le _Viken _va sombrer!... Je n'ai plus que
+ce billet pour toute fortune!... Je le confie à Dieu pour qu'il te
+le fasse parvenir, et, puisque je n'y serai pas, je te prie d'être
+là quand il sera tiré!... Reçois-le avec ma dernière pensée pour
+toi!... Hulda, ne m'oublie pas dans tes prières!... Adieu, chère
+fiancée, adieu!...
+
+«Ole Kamp.»
+
+
+XII
+
+Voilà donc quel était le secret du jeune marin! C'était là cette
+chance sur laquelle il comptait pour apporter une fortune à sa
+fiancée! Un billet de loterie, acheté avant son départ!... Et au
+moment où allait sombrer le _Viken, _il l'avait enfermé dans une
+bouteille, il l'avait jeté à la mer, avec un dernier adieu pour
+Hulda!
+
+Cette fois, Sylvius Hog fut anéanti. Il regardait la lettre, puis
+le document!... Il ne parlait plus. Qu'eût-il pu dire, d'ailleurs?
+Quel doute pouvait exister maintenant sur la catastrophe du
+_Viken, _sur la perte de tous ceux qu'il ramenait en Norvège?
+
+Hulda, pendant que Sylvius Hog lisait cette lettre, avait pu
+résister et se raidir contre l'angoisse. Mais, après les derniers
+mots du billet de Ole, elle tomba dans les bras de Joël. Il fallut
+la transporter dans sa chambre, où sa mère lui donna les premiers
+soins. Elle voulut rester seule alors, et, maintenant, agenouillée
+près de son lit, elle priait pour l'âme de Ole Kamp.
+
+Dame Hansen était rentrée dans la salle. Tout d'abord, elle fit un
+pas vers le professeur, comme si elle eût voulu parler, et, se
+dirigeant vers l'escalier, elle disparut.
+
+Joël, lui, après avoir reconduit sa soeur, était aussitôt sorti.
+Il étouffait dans cette maison ouverte à tous les vents de
+malheur. Il lui fallait l'air du dehors, l'air de la bourrasque,
+et, pendant une partie de la nuit, il resta à errer sur les bords
+du Maan.
+
+Sylvius Hog était seul maintenant. Au premier moment, abattu par
+ce coup de foudre, il ne tarda pas à retrouver son énergie
+habituelle. Après avoir fait deux ou trois tours dans la salle, il
+écouta si quelque appel de la jeune fille n'arriverait pas jusqu'à
+lui. N'entendant rien, il s'assit près de la table, et ses
+réflexions reprirent leur cours.
+
+«Hulda, se disait-il, Hulda, ne plus revoir son fiancé! Un pareil
+malheur serait possible!... Non!... À cette pensée tout se révolte
+en moi! Le _Viken _a sombré, soit! Mais y a-t-il donc une
+certitude absolue de la mort de Ole? Je ne puis le croire! Dans
+tous les cas de naufrage, n'est-ce pas le temps seul qui peut
+affirmer que personne n'a pu survivre à la catastrophe?
+
+Oui! je doute, je veux douter encore, dussent ni Hulda, ni Joël,
+ni personne ne plus partager ce doute avec moi! Puisque le _Viken
+_s'est englouti, cela explique-t-il qu'il n'en soit resté aucun
+débris sur la mer?... non!... rien, si ce n'est cette bouteille
+dans laquelle le pauvre Ole a voulu mettre sa dernière pensée, et,
+avec elle, tout ce qui lui restait au monde!»
+
+Sylvius Hog tenait à la main le document, il le regardait, il le
+palpait, il le retournait, ce chiffon de papier sur lequel le
+pauvre garçon avait édifié toute une espérance de fortune!
+
+Cependant, le professeur, voulant l'examiner avec plus de soin, se
+leva, écouta encore si la pauvre fille n'appelait pas sa mère ou
+son frère, et il rentra dans sa chambre.
+
+Ce billet était un billet de la loterie des Écoles de Christiania,
+loterie très populaire alors en Norvège. Gros lot: cent mille
+marks[1]. Valeur totalisée des autres lots: quatre-vingt-dix mille
+marks. Nombre des billets émis: un million -- tous placés
+actuellement.
+
+Le billet de Ole Kamp portait le numéro 9672. Mais, maintenant,
+que ce numéro fût bon ou mauvais, que le jeune marin eût ou non
+quelque secrète raison d'y avoir confiance, il ne serait plus là
+au moment du tirage de cette loterie, qui devait s'effectuer le 15
+juillet prochain, c'est-à-dire dans vingt-huit jours. Hulda,
+suivant sa dernière recommandation, devrait se présenter à sa
+place et répondre pour lui!
+
+Sylvius Hog, à la clarté de son chandelier de terre, relisait
+attentivement les lignes écrites au dos du billet, comme s'il eût
+voulu y découvrir quelque sens caché.
+
+Ces lignes avaient été tracées à l'encre. Il était manifeste que
+la main de Ole n'avait pas tremblé pendant qu'il les écrivait.
+Cela prouvait que le maître du _Viken _avait tout son sang-froid
+au moment du naufrage. Il se trouvait ainsi dans des conditions à
+pouvoir profiter d'un moyen de salut quelconque, un espar
+flottant, une planche en dérive, si tout n'avait pas été englouti
+dans le gouffre où sombrait le navire.
+
+Le plus souvent, ces documents, recueillis en mer, font à peu près
+connaître l'endroit où s'est accomplie la catastrophe. Sur celui-ci,
+il n'y avait pas une latitude, pas une longitude, rien qui
+indiquât quelles étaient les terres les plus rapprochées,
+continent ou îles. Il fallait en conclure que le capitaine ni
+personne de l'équipage ne savait où se trouvait alors le _Viken.
+_Entraîné, sans doute, par une de ces tempêtes auxquelles on ne
+peut résister, il avait dû être rejeté hors de sa route, et,
+l'état du ciel ne permettant pas d'obtenir une observation
+solaire, la position n'avait pu être relevée depuis quelques
+jours. Dès lors, il était probable qu'on ne saurait jamais en
+quels parages du nord de l'Atlantique, au large de Terre-Neuve ou
+de l'Islande, l'abîme s'était refermé sur les naufragés.
+
+C'était là une circonstance qui devait enlever tout espoir, même à
+qui ne voulait pas désespérer.
+
+En effet, avec une indication, si vague qu'elle fût, on aurait pu
+entreprendre des recherches, envoyer un navire sur le lieu de la
+catastrophe, peut-être y retrouver quelques débris
+reconnaissables. Qui sait si un ou plusieurs survivants de
+l'équipage n'avaient pas atteint un point quelconque de ces
+rivages du continent arctique, où ils étaient sans secours, dans
+l'impossibilité de se rapatrier?
+
+Tel était le doute qui peu à peu prenait corps dans l'esprit de
+Sylvius Hog -- doute inacceptable pour Hulda et Joël, doute que le
+professeur eût hésité maintenant à faire naître en eux, tant la
+désillusion, si probable, eût été douloureuse.
+
+«Et cependant, se disait-il, si le document ne donne aucune
+indication qu'on puisse utiliser, on sait, du moins, dans quels
+parages la bouteille a été recueillie! Cette lettre ne le dit pas,
+mais la Marine, à Christiania, ne peut l'ignorer! N'est-ce pas un
+indice dont on pourrait profiter peut-être? En étudiant la
+direction des courants, celle des vents généraux, en se rapportant
+à la date présumée du naufrage, ne serait-il pas possible?...
+Enfin, je vais écrire de nouveau. Il faut que l'on hâte les
+recherches, si peu de chances qu'elles aient d'aboutir! Non!
+jamais je n'abandonnerai cette pauvre Hulda! Jamais, tant que je
+n'en aurai pas une preuve absolue, je ne croirai à la mort de son
+fiancé!»
+
+Ainsi raisonnait Sylvius Hog. Mais, en même temps, il prenait le
+parti de ne plus parler des démarches qu'il allait entreprendre,
+des efforts qu'il allait provoquer de toute son influence. Hulda
+ni son frère ne surent donc rien de ce qu'il écrivit à
+Christiania. De plus, ce départ qui devait s'effectuer le
+lendemain, il se résolut à le remettre indéfiniment, ou plutôt, il
+partirait dans quelques jours, mais ce serait pour se rendre à
+Bergen. Là, il saurait de MM. Help tout ce qui concernait le
+_Viken, _il prendrait lui-même l'avis des gens de mer les plus
+compétents, il déterminerait la manière dont les premières
+recherches devraient être faites.
+
+Cependant, sur les renseignements fournis par la Marine, les
+journaux de Christiania, puis ceux de la Norvège et de la Suède,
+puis ceux de l'Europe, s'étaient peu à peu emparés de ce fait d'un
+billet de loterie transformé en document. Il y avait quelque chose
+de touchant dans cet envoi d'un fiancé à sa fiancée, et l'opinion
+publique s'en émut, non sans raison.
+
+Le doyen des journaux de Norvège, le _Morgen-Blad, _fut le premier
+à rapporter l'histoire du _Viken _et de Ole Kamp. Des trente-sept
+autres journaux qui paraissaient dans le pays à cette époque, pas
+un n'omit de le raconter en termes attendris. _L'Illustreret
+Nyhedsblad _publia un dessin idéal de la scène du naufrage. On
+voyait le _Viken _désemparé, ses voiles en lambeaux, sa mâture en
+partie détruite, prêt à disparaître sous les flots. Ole, debout à
+l'avant, lançait la bouteille à la mer, au moment où il
+recommandait, avec sa dernière pensée pour Hulda, son âme à Dieu.
+Dans un lointain allégorique, au milieu d'une vapeur légère, une
+lame apportait la bouteille aux pieds de la jeune fiancée. Le tout
+tenait dans le cadre de ce billet dont le numéro se détachait en
+exergue. Image naïve, sans doute, mais qui devait avoir un grand
+succès dans ces contrées, encore attachées aux légendes des
+Ondines et des Valkyries.
+
+Le fait fut ensuite reproduit, commenté, en France, en Angleterre,
+jusque dans les États-Unis d'Amérique. Avec les noms de Hulda et
+de Ole, leur histoire se popularisa par le crayon et la plume.
+Cette jeune Norvégienne de Dal, sans le savoir, eut alors le
+privilège de passionner l'opinion publique. La pauvre fille ne
+pouvait se douter du bruit qui se faisait autour d'elle.
+D'ailleurs, rien n'aurait pu la distraire de la douleur dans
+laquelle elle s'absorbait tout entière.
+
+Et, maintenant, on ne s'étonnera pas de l'effet qui se produisit
+dans les deux continents -- effet très explicable, étant donné que
+la nature humaine glisse volontiers sur la pente des choses
+superstitieuses. Un billet de loterie, recueilli dans ces
+circonstances, avec ce numéro 9672, si providentiellement arraché
+aux flots, ne pouvait être qu'un billet prédestiné. Entre tous,
+n'était-il pas miraculeusement indiqué pour gagner le gros lot de
+cent mille marks? Ne valait-il pas une fortune, cette fortune sur
+laquelle comptait Ole Kamp?
+
+Aussi, qu'on n'en soit pas surpris, arriva-t-il à Dal, un peu de
+partout, de très sérieuses propositions d'acheter ce billet, si
+Hulda Hansen consentait à le vendre. Tout d'abord, les prix
+offerts étaient médiocres; mais ils s'élevèrent de jour en jour.
+On pouvait donc prévoir qu'avec le temps et à mesure que se
+rapprocherait le jour du tirage de la loterie, il se présenterait
+de sérieuses surenchères.
+
+Ces offres se manifestèrent non seulement en ces pays scandinaves,
+si portés à reconnaître l'intervention des puissances
+surnaturelles dans les choses de ce monde, mais aussi à l'étranger
+et même en France. Les Anglais, très flegmatiquement, s'en
+mêlèrent, et, après eux, les Américains, dont les dollars ne se
+dépensent pas volontiers à des fantaisies si peu pratiques. Une
+certaine quantité de lettres furent adressées à Dal. Les journaux
+ne négligèrent pas de faire connaître l'importance des
+propositions faites à la famille Hansen. On peut dire qu'il
+s'établit une sorte de petite bourse, dont la cote variait, mais
+toujours en hausse.
+
+Aussi en vint-on à offrir plusieurs centaines de marks de ce
+billet, qui, en somme, n'avait qu'un millionième de chance pour
+gagner le gros lot. C'était absurde, sans doute, mais on ne
+raisonne pas avec les idées superstitieuses. Aussi les
+imaginations se montaient-elles, et, avec la force acquise, elles
+pouvaient, elles devaient aller plus haut.
+
+C'est ce qui se produisit, en effet. Huit jours après cet
+événement, les journaux annonçaient que le cours du billet
+dépassait mille, quinze cents, et même deux mille marks. Un
+Anglais, de Manchester, était allé jusqu'à cent livres sterling,
+soit deux mille cinq cents marks. Un Américain, de Boston,
+renchérit encore, et proposa d'acquérir le numéro 9672 de la
+loterie des Écoles de Christiania pour la somme de mille dollars -
+- environ cinq mille francs.
+
+Il va sans dire que Hulda ne se préoccupait aucunement de ce qui
+passionnait à ce point un certain public. De ces lettres arrivées
+à Dal, au sujet du billet, elle n'avait même pas voulu prendre
+connaissance. Cependant, le professeur fut d'avis qu'on ne pouvait
+lui laisser ignorer quelles propositions étaient faites, puisque
+Ole Kamp lui avait légué la propriété de ce numéro 9672.
+
+Hulda refusa toutes les offres. Ce billet, c'était la dernière
+lettre de son fiancé.
+
+Et qu'on ne croie pas qu'elle y tînt, la pauvre fille, avec
+l'arrière-pensée qu'il pourrait lui valoir un des lots de la
+loterie! Non! Elle ne voyait là que le suprême adieu du naufragé,
+une dernière relique qu'elle voulait conserver précieusement. Elle
+ne songeait guère aux chances d'une fortune que Ole ne pourrait
+plus partager avec elle! Quoi de plus touchant, de plus délicat,
+que ce culte pour un souvenir!
+
+Au surplus, en lui faisant connaître les diverses propositions qui
+lui étaient adressées, Sylvius Hog ni Joël n'entendaient
+influencer Hulda. Elle ne devait prendre avis que de son coeur. On
+sait maintenant ce que son coeur lui avait répondu.
+
+Joël, d'ailleurs, approuva absolument sa soeur. Le billet de Ole
+Kamp ne devait être cédé à personne -- à aucun prix.
+
+Sylvius Hog fit plus qu'approuver Hulda: il la félicita de ne
+point prêter l'oreille à tout ce commerce. Voit-on ce billet vendu
+à l'un, revendu à l'autre, passant de main en main, transformé en
+une sorte de papier-monnaie jusqu'au moment où le tirage de la
+loterie en aurait fait très probablement un chiffon sans valeur?
+
+Et Sylvius Hog allait même plus loin. Est-ce que par hasard il
+était superstitieux? Non, sans doute! Mais Ole Kamp eût été là,
+qu'il lui aurait probablement dit:
+
+«Gardez votre billet, mon garçon, gardez-le! On l'a d'abord sauvé
+du naufrage, vous ensuite! Eh bien, il faut voir!... On ne sait
+pas!... Non!... On ne sait pas!»
+
+Et quand Sylvius Hog, professeur de législation, député au
+Storthing, pensait ainsi, pouvait-on s'étonner de l'engouement du
+public? Non, et rien de plus naturel que le 9672 eût fait prime?
+
+Dans la maison de dame Hansen, il n'y eut donc personne qui
+protestât contre le sentiment si respectable qui faisait agir la
+jeune fille -- personne, si ce n'est sa mère.
+
+Le plus souvent, en effet, on entendait récriminer dame Hansen,
+surtout en l'absence de Hulda. Cela ne laissait pas de causer un
+très gros chagrin à Joël. Sa mère -- il le pensait, du moins -- ne
+s'en tiendrait peut-être pas toujours à des récriminations. Elle
+voudrait entreprendre secrètement Hulda au sujet des offres qui
+lui étaient faites.
+
+-- Cinq mille marks, ce billet! répétait-elle. On en propose cinq
+mille marks!
+
+Dame Hansen ne voulait évidemment rien voir de ce qu'il y avait
+d'attendrissant dans le refus de sa fille. Elle ne pensait qu'à
+cette importante somme de cinq mille marks. Un seul mot de Hulda
+les eût fait entrer dans la maison. Elle ne croyait pas,
+d'ailleurs, à la valeur surnaturelle du billet, si Norvégienne
+qu'elle fût. Et, de sacrifier cinq mille marks pour ce millionième
+de chance d'en gagner cent mille, cela ne pouvait entrer dans son
+esprit froid et positif.
+
+Il est bien évident que, toute superstition mise à part, rejeter
+le certain pour l'incertain, dans des conditions si aléatoires, ce
+n'eût point été acte de sagesse. Mais, on le répète, ce billet
+n'était pas un billet de loterie pour Hulda; c'était la dernière
+lettre de Ole Kamp, et son coeur se fût brisé à la pensée de s'en
+dessaisir.
+
+Cependant dame Hansen désapprouvait très manifestement la conduite
+de sa fille. On sentait une sourde irritation s'amasser en elle.
+Un jour ou l'autre, il était à craindre qu'elle ne mît Hulda en
+demeure de revenir sur sa résolution. Déjà, elle avait parlé dans
+ce sens à Joël, qui n'avait pas hésité à prendre parti pour sa
+soeur.
+
+Naturellement, Sylvius Hog était tenu au courant de ce qui se
+passait. C'était un chagrin de plus ajouté à tout ce que souffrait
+Hulda, et il le regrettait. Joël lui en parlait quelquefois.
+
+-- Est-ce que ma soeur n'a pas raison de refuser? disait-il. Est-ce
+que je ne fais pas bien d'approuver son refus?
+
+-- Sans doute! lui répondait Sylvius Hog. Et, pourtant, au point
+de vue mathématique, votre mère a un million de fois raison! Mais,
+tout n'est pas mathématique en ce monde! Le calcul n'a rien à voir
+dans les choses du coeur!
+
+Pendant ces deux semaines, on avait dû surveiller Hulda. Accablée
+par tant de douleurs, elle donna de sérieuses craintes pour sa
+santé. Heureusement, les soins ne lui manquèrent pas. Sur la
+demande de Sylvius Hog, le célèbre docteur Boek, son ami, vint à
+Dal voir la jeune malade. Il n'eut que le repos du corps à lui
+prescrire, et le calme de l'âme, s'il était possible. Mais le vrai
+moyen de la guérir, c'était le retour de Ole, et ce moyen, Dieu
+seul en pouvait disposer. En tout cas, Sylvius Hog n'épargna point
+ses consolations à la jeune fille, et il ne cessa pas de lui faire
+entendre des paroles d'espérance. Et, quoique cela puisse paraître
+invraisemblable, Sylvius Hog ne désespérait pas!
+
+Treize jours s'étaient écoulés depuis l'arrivée du billet envoyé
+par la Marine à Dal. On était au 30 juin. Quinze jours encore, et
+le tirage de la loterie des Écoles allait s'effectuer en grande
+pompe dans un des vastes établissements de Christiania.
+
+Précisément, ce 30 juin, dans la matinée, Sylvius Hog reçut une
+nouvelle lettre de la Marine en réponse à ses instances réitérées.
+Cette lettre l'engageait à s'entendre avec les autorités maritimes
+de Bergen. De plus, elle l'autorisait à organiser immédiatement
+les recherches relatives au _Viken _avec le concours de l'État.
+
+Le professeur ne voulut rien dire à Joël ni à Hulda de ce qu'il
+allait entreprendre. Il se contenta de leur annoncer son départ,
+en prétextant un voyage d'affaires qui ne le retiendrait que
+quelques jours.
+
+-- Monsieur Sylvius, je vous en supplie, ne nous abandonnez pas!
+lui dit la pauvre fille.
+
+-- Vous abandonner... vous qui êtes devenus mes enfants! répondit
+Sylvius Hog.
+
+Joël offrait de l'accompagner. Cependant, ne voulant pas laisser
+soupçonner qu'il allait à Bergen, il ne lui permit de venir que
+jusqu'à Moel. D'ailleurs, il ne fallait pas que Hulda restât seule
+avec sa mère. Après avoir été alitée pendant quelques jours, elle
+commençait à se lever, maintenant; mais elle était faible encore,
+elle gardait la chambre, et son frère sentait bien qu'il ne
+pouvait la quitter.
+
+À onze heures, la kariol se trouvait devant la porte de l'auberge.
+Le professeur y prit place avec Joël, après avoir dit un dernier
+adieu à la jeune fille. Puis, tous deux disparurent au tournant du
+sentier, sous les grands bouleaux de la rive.
+
+Le soir même, Joël était de retour à Dal.
+
+
+XIII
+
+Sylvius Hog était donc parti pour Bergen. Sa nature tenace, son
+caractère énergique, un instant ébranlés, avaient repris le
+dessus. Il ne voulait pas croire à la mort de Ole Kamp, ni
+admettre que Hulda fût condamnée à ne jamais le revoir. Non! tant
+que la matérialité du fait ne serait pas reconnue, il le tenait
+pour faux. Et, comme on dit vulgairement, «c'était plus fort que
+lui».
+
+Mais avait-il donc un indice sur lequel il lui serait possible
+d'appuyer l'oeuvre qu'il allait entreprendre à Bergen? Oui, mais
+un indice bien vague, il faut en convenir!
+
+Il savait, en effet, à quelle date le billet avait été jeté à la
+mer par Ole Kamp, à quelle date et dans quels parages la
+bouteille, qui renfermait ce billet, avait été recueillie. C'est
+ce que venait de lui apprendre la lettre de la Marine, lettre qui
+l'avait décidé à partir immédiatement pour Bergen, afin de
+s'entendre avec la maison Help et les marins les plus compétents
+du port. Peut-être cela suffirait-il pour imprimer une utile
+direction aux recherches dont le _Viken _allait être l'objet.
+
+Le voyage s'accomplit aussi rapidement que possible. Arrivé à
+Moel, Sylvius Hog renvoya son compagnon avec la kariol. Il prit
+passage sur une de ces embarcations d'écorce de bouleau, qui font
+le service du lac Tinn. Une fois à Tinoset, au lieu de se porter
+vers le sud, c'est-à-dire du côté de Bamble, il loua une seconde
+kariol et suivit les routes du Hardanger, afin de gagner le golfe
+de ce nom par le plus court. Là, le _Run, _petit bateau à vapeur
+qui fait le service du golfe, lui permit de le redescendre jusqu'à
+son extrémité inférieure. Enfin, après avoir traversé un lacis de
+fiords, entre les îlots et les îles dont est semé le littoral
+norvégien, le 2 juillet, dès l'aube, il débarqua sur le quai de
+Bergen.
+
+Cette ancienne ville que baignent les deux fiords de Sogne et de
+Hardanger, est située dans une contrée superbe à laquelle
+ressemblera la Suisse, le jour où un bras de mer artificiel aura
+amené les eaux de la Méditerranée au pied de ses montagnes. Une
+magnifique allée de frênes donne accès aux premières habitations
+de Bergen. Ses hautes maisons à pignons pointus resplendissent de
+blancheur, comme celles des villes arabes, et sont agglomérées
+dans ce triangle irrégulier qui renferme ses trente mille
+habitants. Ses églises datent du douzième siècle. Sa haute
+cathédrale la signale de loin aux navires qui viennent du large.
+C'est la capitale de la Norvège commerçante, bien qu'elle soit
+placée très en dehors des voies de communication, et fort éloignée
+des deux autres villes qui, politiquement, tiennent le premier et
+le deuxième rang dans le royaume -- Christiania et Drontheim.
+
+En toute autre circonstance, le professeur eût pris goût à étudier
+ce chef-lieu de préfecture, peut-être plus hollandais que
+norvégien par son aspect et ses moeurs. Cela faisait partie du
+programme de son voyage. Mais, depuis l'aventure de la Maristien,
+depuis son arrivée à Dal, ce programme avait subi d'importantes
+modifications. Sylvius Hog n'était plus maintenant le député
+touriste, qui voulait prendre un exact aperçu du pays, au point de
+vue politique comme au point de vue commercial. C'était l'hôte de
+la maison Hansen, l'obligé de Joël et de Hulda, dont les intérêts
+primaient tout. C'était le débiteur qui voulait, à n'importe quel
+prix, payer sa dette de reconnaissance. «Et, pensait-il, ce qu'il
+allait tenter de faire pour eux, ce serait bien peu de chose!»
+
+En arrivant à Bergen par le _Run, _Sylvius Hog prit terre au fond
+du port, sur le quai du marché au poisson. Aussitôt, il se rendit
+dans le quartier de Tyske-Bodrone, où demeurait Help junior, de la
+maison Help frères.
+
+Naturellement, il pleuvait, puisque la pluie tombe à Bergen trois
+cent soixante jours par an. Mais, pour être clos et couvert, on
+eût difficilement trouvé une maison mieux aménagée que
+l'hospitalière maison de Help junior. Quant à l'accueil qu'y reçut
+Sylvius Hog, nulle part il n'aurait pu être plus chaud, plus
+cordial, plus démonstratif. Son ami s'empara de sa personne comme
+d'un colis précieux qu'il prenait en consignation, qu'il
+emmagasina avec soin, et qu'il ne délivrerait plus que contre un
+reçu en bonne et due forme.
+
+Immédiatement, Sylvius Hog fit connaître le but de son voyage à
+Help junior. Il lui parla du _Viken. _Il lui demanda si aucune
+nouvelle n'en était arrivée depuis sa dernière lettre. Les marins
+de l'endroit le considéraient-ils comme perdu corps et biens? Ce
+naufrage, qui mettait en deuil plusieurs familles de Bergen,
+n'avait-il pas amené les autorités maritimes à commencer des
+recherches?
+
+-- Et comment le pourrait-on, répondit Help junior, puisqu'on ne
+sait quel est le lieu du naufrage?
+
+-- Soit, mon cher Help, et c'est précisément parce qu'on l'ignore
+qu'il faut chercher à le connaître.
+
+-- À le connaître?
+
+-- Oui! Si on ne sait rien de l'endroit où a sombré le _Viken, _on
+sait, du moins, quel est l'endroit où le document a été recueilli
+par le navire danois. Il y a là donc un indice certain que nous
+serions coupables de négliger.
+
+-- Quel est cet endroit?
+
+-- Écoutez-moi, mon cher Help! Sylvius Hog communiqua alors les
+nouveaux renseignements que lui avait fait parvenir en dernier
+lieu la Marine, et les pleins pouvoirs qu'elle lui donnait pour
+les utiliser.
+
+La bouteille qui renfermait le billet de loterie de Ole Kamp avait
+été trouvée, le 5 juin, par le brick-goélette _Christian,
+_capitaine Mosselman, d'Elseneur, à deux cents milles dans le
+sud-ouest de l'Islande, les vents soufflant du sud-est.
+
+Ce capitaine avait aussitôt pris connaissance du document, comme
+il le devait, pour le cas où un secours immédiat eût pu être porté
+aux survivants du _Viken. _Mais les lignes écrites au dos du
+billet de loterie n'indiquaient en aucune façon le lieu du
+naufrage, et le _Christian _ne put se porter sur les parages de la
+catastrophe.
+
+C'était un honnête homme, ce capitaine Mosselman. Peut-être un
+autre, peu scrupuleux, eût-il gardé le billet pour son compte. Lui
+n'eut plus qu'une pensée: c'était de faire parvenir le billet à
+son adresse, dès qu'il serait rentré au port. «Hulda Hansen, de
+Dal», cela suffisait. Il n'était pas nécessaire d'en savoir
+davantage.
+
+Cependant, une fois arrivé à Copenhague, le capitaine Mosselman se
+dit qu'il ferait mieux de remettre le document aux autorités
+danoises au lieu de l'envoyer directement à la destinataire.
+C'était plus sûr et plus régulier. C'est donc ce qu'il fit, et la
+Marine de Copenhague avisa aussitôt la Marine de Christiania.
+
+À cette époque, on avait déjà reçu les premières lettres de
+Sylvius Hog qui demandait des renseignements précis sur le _Viken.
+_L'intérêt tout spécial qu'il portait à la famille Hansen était
+connu. Sylvius Hog devait rester à Dal quelque temps encore, on le
+savait, et ce fut là que le document, recueilli par le capitaine
+danois, lui fut adressé, afin qu'il le remît entre les mains de
+Hulda Hansen.
+
+Depuis lors, cette histoire n'avait cessé de passionner l'opinion
+publique, on ne l'a point oublié, grâce aux détails touchants que
+fournirent les journaux des deux mondes.
+
+Voilà ce que Sylvius Hog apprit sommairement à son ami Help
+junior, qui l'écoutait avec le plus vif intérêt, sans
+l'interrompre, et il termina son récit en disant:
+
+-- Il y a donc un point qui ne peut être mis en doute: c'est que,
+le 5 juin dernier, le document a été trouvé à deux cents milles
+dans le sud-ouest de l'Islande, un mois environ après le départ du
+_Viken _de Saint-Pierre-Miquelon pour l'Europe.
+
+-- Et vous ne savez rien de plus?
+
+-- Non, mon cher Help: mais, en consultant les marins les plus
+expérimentés de Bergen, ceux qui sont ou ont été pratiques de ces
+parages, qui connaissent la direction générale des vents et
+surtout des courants, ne pourrait-on rétablir la route suivie par
+la bouteille? Puis, en tenant compte approximativement de sa
+vitesse et du temps écoulé jusqu'au moment où elle a été
+recueillie, est-il impossible d'imaginer en quel endroit elle a dû
+être jetée par Ole Kamp, c'est-à-dire quel est le lieu du
+naufrage?
+
+Help junior secouait la tête d'un air peu approbatif. Faire
+reposer toute une tentative de recherches sur de si vagues
+indications, auxquelles pouvaient se mêler tant de causes
+d'erreur, ne serait-ce pas courir à l'insuccès? L'armateur, esprit
+froid et pratique, crut devoir le faire observer à Sylvius Hog.
+
+-- Soit, ami Help! Mais, de ce qu'on ne pourra obtenir que des
+données très incertaines, ce n'est pas une raison pour abandonner
+la partie. Je tiens à ce que tout soit tenté en faveur de ces
+pauvres gens, auxquels je suis redevable de la vie. Oui, s'il le
+fallait, je n'hésiterais pas à sacrifier tout ce que je possède
+pour retrouver Ole Kamp et le ramener à sa fiancée Hulda Hansen!
+
+Et Sylvius Hog raconta par le détail son aventure du Rjukanfos. Il
+dit de quelle façon cet intrépide Joël et sa soeur avaient risqué
+leur vie pour lui venir en aide, et comment, sans leur
+intervention, il n'aurait pas aujourd'hui le plaisir d'être l'hôte
+de son ami Help.
+
+L'ami Help, on l'a dit, était un esprit peu enclin à se payer
+d'illusions; mais il n'était point opposé à ce que l'on tentât
+même l'inutile, même l'impossible, quand il s'agissait d'une
+question d'humanité. Il approuva donc finalement ce que voulait
+tenter Sylvius Hog.
+
+-- Sylvius, répondit-il, je vous seconderai de tout mon pouvoir.
+Oui! Vous avez raison! N'y eût-il qu'une faible chance de
+retrouver quelque survivant du _Viken, _et, entre autres, ce brave
+Ole dont la fiancée vous a sauvé la vie, il ne faut pas la
+négliger!
+
+-- Non, Help, non, répondit le professeur, cette chance ne fût-elle
+que d'une sur cent mille!
+
+-- Aujourd'hui même, Sylvius, je réunirai dans mon cabinet les
+meilleurs marins de Bergen. Je ferai appel à tous ceux qui ont
+navigué ou naviguent habituellement dans les parages de l'Islande
+et de Terre-Neuve. Nous verrons ce qu'ils conseilleront de
+faire...
+
+-- Et ce qu'ils conseilleront de faire, nous le ferons! répondit
+Sylvius Hog avec son ardeur si communicative. J'ai l'appui du
+gouvernement. Je suis autorisé à faire concourir un de ses avisos
+à la recherche du _Viken, _et je compte bien que personne
+n'hésitera, quand il s'agira de s'adjoindre à une pareille oeuvre!
+
+-- Je vais au bureau de la Marine, dit Help junior.
+
+-- Voulez-vous que je vous accompagne?
+
+-- C'est inutile! Vous devez être fatigué...
+
+-- Fatigué!... moi!... à mon âge!...
+
+-- N'importe. Reposez-vous, mon cher et toujours jeune Sylvius, en
+m'attendant ici!
+
+Le jour même, il y eut une réunion de capitaines marchands, de
+marins de la grande pêche et de pilotes dans la maison de Help
+frères. Là se trouvaient nombre de gens de mer qui naviguaient
+encore, et quelques-uns, plus âgés, maintenant à la retraite.
+
+Tout d'abord, Sylvius Hog les mit au courant de la situation. Il
+leur apprit à quelle date -- 3 mai -- le document avait été jeté à
+la mer par Ole Kamp, à quelle date -- 5 juin -- le capitaine
+danois l'avait recueilli, et dans quels parages, soit deux cents
+milles au sud-ouest de l'Islande.
+
+La discussion fut assez longue et très sérieuse. Il n'y avait pas
+un de ces braves gens qui ne connût quelle était, sur les parages
+de l'Islande et des mers de Terre-Neuve, la direction générale des
+courants dont il fallait tenir compte pour le problème à résoudre.
+
+Or, il était constant qu'à l'époque du naufrage, pendant
+l'intervalle de temps compris entre le départ du _Viken _de
+Saint-Pierre-Miquelon et le repêchage de la bouteille par le navire
+danois, d'interminables coups de vent de sud-est avaient
+bouleversé cette portion de l'Atlantique. C'est à ces tempêtes,
+sans doute, qu'il fallait attribuer la catastrophe.
+
+Très probablement, le _Viken, _ne pouvant plus tenir la cape,
+avait dû fuir vent arrière. Or, c'est précisément pendant cette
+période de l'équinoxe que les glaces polaires commencent à dériver
+sur l'Atlantique. Il était possible qu'une collision se fût
+produite, et que le _Viken _eût été brisé contre un de ces écueils
+mouvants qu'il est si difficile d'éviter.
+
+Donc, en admettant cette explication, pourquoi l'équipage, en tout
+ou partie, ne se serait-il pas réfugié sur l'un de ces icefields,
+après y avoir déposé une certaine quantité de vivres? Si cela
+était, le banc de glace ayant dû être repoussé dans le nord-ouest,
+il n'était pas impossible que les survivants eussent pu finalement
+atterrir en un point quelconque de la côte groënlandaise. C'était
+donc dans cette direction et dans ces parages que les recherches
+devraient être tentées.
+
+Telle fut la réponse faite, à l'unanimité, dans cette réunion de
+marins, aux diverses questions posées par Sylvius Hog. Nul doute
+qu'il ne fallût procéder de la manière indiquée. Mais que
+retrouver si ce ne sont des débris, au cas où le _Viken _aurait
+abordé quelque énorme iceberg? Devait-on compter sur le
+rapatriement des survivants du naufrage? Chose plus que douteuse.
+Le professeur, à cette demande directe, vit bien que les plus
+compétents ne pouvaient ou ne voulaient rien répondre. Ce n'était
+pas une raison pour ne point agir -- là-dessus, ils étaient tous
+d'accord -- et cela dans le plus bref délai.
+
+Bergen compte habituellement quelques-uns des navires appartenant
+à la flottille norvégienne de l'État. À ce port est attaché un des
+trois avisos qui font le service de la côte occidentale, en
+s'arrêtant aux escales de Drontheim, du Finmark, d'Hammerfest et
+du cap Nord. En ce moment, un de ces avisos était mouillé dans la
+baie.
+
+Après avoir rédigé une note qui résumait l'opinion des marins
+réunis chez Help junior, Sylvius Hog se rendit aussitôt à bord de
+l'aviso _Telegraf. _Là, il fit connaître au commandant la mission
+spéciale dont le gouvernement l'avait chargé.
+
+Le commandant reçut le professeur avec empressement et se déclara
+prêt à lui donner tout son concours. Il avait déjà fait la
+navigation de ces parages pendant les longues et périlleuses
+campagnes qui entraînent les pêcheurs de Bergen, des îles Loffoden
+et du Finmark, jusqu'aux pêcheries de l'Islande et de Terre-Neuve.
+Il pourrait donc apporter ses connaissances personnelles à
+l'oeuvre d'humanité qui allait être entreprise, et il promettait
+de s'y donner tout entier.
+
+Quant à la note que lui remit Sylvius Hog -- note indiquant le
+lieu présumé du naufrage -- il en approuva absolument les
+conclusions. C'était dans cette portion de mer comprise entre
+l'Islande et le Groënland qu'il fallait rechercher les survivants,
+ou tout au moins quelque épave du _Viken. _Si le commandant ne
+réussissait pas, il irait explorer les parages voisins et peut-être
+la mer de Baffin sur sa côte orientale.
+
+-- Je suis prêt à partir, monsieur Hog, ajouta-t-il. Mon charbon
+et mes vivres sont faits, mon équipage est à bord, et je puis
+appareiller aujourd'hui même.
+
+-- Je vous remercie, commandant, répondit le professeur, et je
+suis très touché de l'accueil que vous m'avez fait. Mais encore
+une question: pouvez-vous me dire combien de temps il vous faudra
+pour atteindre les parages du Groënland?
+
+-- Mon aviso peut faire onze noeuds à l'heure. Or, comme la
+distance de Bergen au Groënland n'est que de vingt degrés environ,
+je compte arriver en moins de huit jours.
+
+-- Faites donc toute la diligence possible, commandant, répondit
+Sylvius Hog. Si quelques naufragés ont pu échapper à la
+catastrophe, voilà déjà deux mois qu'ils sont dans le dénuement,
+sans doute, mourant de faim sur quelque côte déserte...
+
+-- Il n'y a pas une heure à perdre, monsieur Hog. Aujourd'hui même
+je prendrai la mer avec le jusant, je me tiendrai à mon maximum de
+vitesse, et, aussitôt que j'aurai trouvé un indice quelconque,
+j'en informerai la marine de Christiania par le fil de Terre-Neuve.
+
+-- Partez donc, commandant, répondit Sylvius Hog, et puissiez-vous
+réussir!
+
+Le jour même, le _Telegraf _appareillait, salué par les
+sympathiques hurrahs de toute la population de Bergen. Et ce ne
+fut pas sans une vive émotion qu'on le vit contourner les passes,
+puis disparaître derrière les derniers îlots du fiord.
+
+Cependant Sylvius Hog ne borna pas ses efforts à cette expédition,
+dont il venait de charger l'aviso _Telegraf. _Dans sa pensée, on
+pouvait faire plus encore en multipliant les moyens de retrouver
+quelque trace du _Viken. _N'était-il pas possible d'exciter
+l'émulation des navires de commerce et de pêche, joëgts ou autres,
+à donner leur concours aux recherches, pendant qu'ils naviguaient
+dans les mers des Feroë et de l'Islande? Oui, sans doute! Aussi
+une prime de deux mille marks fut-elle promise, au nom de l'État,
+à tout bâtiment qui fournirait un indice relatif au navire perdu,
+et de cinq mille à quiconque rapatrierait un des survivants du
+naufrage.
+
+Voilà donc, pendant les deux jours qu'il passa à Bergen, comment
+Sylvius Hog fit tout ce qu'il était possible de faire pour assurer
+le succès de cette campagne. Il fut, en cela, parfaitement secondé
+par son ami Help junior et les autorités maritimes. M. Help eût
+désiré le garder près de lui pendant quelque temps encore. Sylvius
+Hog le remercia et refusa de prolonger son séjour. Il lui tardait
+d'avoir rejoint Hulda et Joël, qu'il craignait de laisser trop
+longtemps livrés à eux-mêmes. Mais Help junior convint avec lui
+que, si quelque nouvelle arrivait, elle lui serait aussitôt
+transmise à Dal. À lui seul appartenait le soin d'en instruire la
+famille Hansen.
+
+Le 4, dès le matin, Sylvius Hog, après avoir pris congé de son ami
+Help junior, se rembarqua sur le _Run _pour traverser le fiord du
+Hardanger, et, à moins de retards improbables, il comptait être de
+retour au Telemark dans la soirée du 5.
+
+
+XIV
+
+Le jour même où Sylvius Hog avait quitté Bergen, une scène grave
+s'était passée dans l'auberge de Dal.
+
+Après le départ du professeur, on eût dit que le bon génie de
+Hulda et de Joël avait emporté, avec son dernier espoir, toute la
+vie de cette famille. C'était comme une maison morte que Sylvius
+Hog laissait derrière lui.
+
+Pendant ces deux jours, d'ailleurs, aucun touriste ne vint à Dal.
+Joël n'eut donc point l'occasion de s'absenter, et il put rester
+près de Hulda qu'il eût été très anxieux de laisser seule.
+
+En effet, dame Hansen était de plus en plus dominée par ses
+secrètes inquiétudes. Elle semblait s'être détachée de tout ce qui
+touchait ses enfants, même de la perte du _Viken. _Elle vivait à
+l'écart, retirée dans sa chambre, ne se montrant qu'aux heures des
+repas. Mais, quand elle adressait la parole à Hulda ou à Joël,
+c'était toujours pour leur faire des reproches directs ou
+indirects au sujet du billet de loterie, dont ils ne voulaient à
+aucun prix se défaire.
+
+C'est que les offres n'avaient cessé de se produire. Il en
+arrivait de tous les coins du monde. C'était comme une folie qui
+s'était emparée de certains cerveaux. Non! Il n'était pas possible
+qu'un pareil billet ne fût pas prédestiné à gagner le lot de cent
+mille marks. Il semblait qu'il n'y eût qu'un seul numéro dans
+cette loterie, et ce numéro, c'était le 9672! En somme, l'Anglais
+de Manchester et l'Américain de Boston tenaient toujours la corde.
+L'Anglais en était arrivé à distancer son rival de quelques
+livres. Mais, à son tour il fut bientôt dépassé de plusieurs
+centaines de dollars. La dernière surenchère était de huit mille
+marks -- ce qui ne pouvait s'expliquer que par une véritable
+monomanie, à moins qu'il ne s'agît là d'une question d'amour-propre
+entre l'Amérique et la Grande-Bretagne.
+
+Quoi qu'il en soit, Hulda répondait négativement à toutes ces
+propositions, si avantageuses qu'elles fussent -- ce qui finit par
+provoquer les plus amères récriminations de dame Hansen.
+
+-- Et si je t'ordonnais de céder ce billet! dit-elle un jour à sa
+fille. Oui! si je te l'ordonnais!
+
+-- Ma mère, je serais désespérée, mais il me faudrait vous
+répondre par un refus!
+
+-- Et s'il le fallait, cependant!
+
+-- Pourquoi le faudrait-il? demanda Joël. Dame Hansen ne répliqua
+rien. Elle était devenue toute pâle devant cette question
+nettement posée, et elle se retira en murmurant d'inintelligibles
+paroles.
+
+-- Il y a quelque chose de grave, et ce doit être une affaire
+entre notre mère et Sandgoïst! dit Joël.
+
+-- Oui, mon frère. Il faut s'attendre à de fâcheuses complications
+pour l'avenir!
+
+-- Ma pauvre Hulda, ne sommes-nous donc pas assez éprouvés depuis
+quelques semaines, et quelle catastrophe nous menace encore?
+
+-- Ah! combien monsieur Sylvius tarde à revenir! dit Hulda. Quand
+il est ici, je me sens moins désespérée...
+
+-- Et, pourtant, que pourrait-il pour nous? répondit Joël. Mais
+qu'y avait-il donc dans le passé de dame Hansen qu'elle ne voulût
+pas confier à ses enfants? Quel amour-propre mal entendu
+l'empêchait de leur dire le motif de ses inquiétudes? Avait-elle
+quelque reproche à se faire? Et, d'autre part, pourquoi cette
+pression qu'elle voulait exercer sur sa fille, à propos du billet
+de Ole Kamp et de la valeur qu'il avait atteinte? D'où venait
+qu'elle se montrait si avide d'en toucher le prix en argent? Hulda
+et Joël allaient enfin l'apprendre.
+
+Le 4 juillet, dans la matinée, Joël avait conduit sa soeur à la
+petite chapelle où Hulda allait prier chaque jour pour le
+naufragé.
+
+Il l'attendait alors et la ramenait à la maison.
+
+Ce jour-là, en revenant, tous deux aperçurent de loin, sous les
+arbres, dame Hansen qui marchait rapidement et se dirigeait vers
+l'auberge.
+
+Elle n'était pas seule. Un homme l'accompagnait, un homme qui
+devait parler à voix haute, et dont les gestes semblaient être
+impérieux.
+
+Hulda et son frère s'étaient soudain arrêtés.
+
+-- Quel est cet homme? dit Joël. Hulda fit quelques pas en avant.
+
+-- Je le reconnais, dit-elle.
+
+-- Tu le reconnais?
+
+-- Oui! C'est Sandgoïst!
+
+-- Sandgoïst, de Drammen, qui est déjà venu à la maison pendant
+mon absence?...
+
+-- Oui!
+
+-- Et qui agissait en maître, comme s'il avait eu des droits...
+sur notre mère... sur nous, peut-être?...
+
+-- Lui-même, frère, et, ces droits, il vient sans doute pour les
+exercer aujourd'hui...
+
+-- Quels droits?... Ah!... cette fois je saurai ce que cet homme a
+la prétention de faire ici!
+
+Joël se contint, non sans peine, et, suivi de sa soeur, il alla se
+mettre un peu à l'écart.
+
+Quelques minutes après, dame Hansen et Sandgoïst arrivaient à la
+porte de l'auberge. Sandgoïst en franchissait le seuil -- le
+premier. La porte se refermait sur dame Hansen et sur lui, et tous
+deux s'installaient dans la grande salle.
+
+Joël et Hulda se rapprochèrent de la maison, où la voix grondante
+de Sandgoïst se faisait entendre. Ils s'arrêtèrent, ils
+écoutèrent. Dame Hansen parlait alors, mais en suppliante.
+
+-- Entrons! dit Joël. Et tous deux, Hulda, le coeur oppressé,
+Joël, frémissant d'impatience, de colère aussi, entrèrent dans la
+grande salle, dont la porte fut soigneusement refermée. Sandgoïst
+était assis dans le grand fauteuil. Il ne se dérangea même pas en
+apercevant le frère et la soeur. Il se contenta de tourner la tête
+et de les regarder par-dessus ses lunettes.
+
+-- Ah! voici la charmante Hulda, si je ne me trompe! dit-il d'un
+ton qui déplut à Joël.
+
+Dame Hansen était debout devant cet homme, dans une humble et
+craintive attitude. Mais elle se redressa soudain et parut très
+contrariée à la vue de ses enfants.
+
+-- Et voilà son frère, sans doute? ajouta Sandgoïst.
+
+-- Oui, son frère, répondit Joël. Puis, s'avançant et s'arrêtant à
+deux pas du fauteuil:
+
+-- Qu'y a-t-il pour votre service? demanda-t-il.
+
+Sandgoïst lui jeta un mauvais regard, et, de sa voix dure et
+méchante, sans se lever:
+
+-- Nous allons vous l'apprendre, jeune homme! dit-il. En vérité,
+vous arrivez à propos! J'avais hâte de vous voir, et, si votre
+soeur est raisonnable, nous finirons par nous entendre!
+
+-- Mais asseyez-vous donc, vous aussi, jeune fille!
+
+Sandgoïst les invitait à s'asseoir, comme s'il eût été chez lui.
+Joël le lui fit observer.
+
+-- Ah! ah! Cela vous blesse! Diable, voilà un gars qui n'a pas
+l'air commode!
+
+-- Pas commode, comme vous dites, répliqua Joël, et qui n'accepte
+les politesses que de ceux qui ont le droit de les lui faire!
+
+-- Joël! dit dame Hansen.
+
+-- Frère!... frère! ajouta Hulda, dont le regard suppliait Joël de
+se contenir.
+
+Celui-ci fit un violent effort pour se maîtriser, et, afin de ne
+point céder à l'envie de jeter à la porte ce grossier personnage,
+il se retira dans un coin de la salle.
+
+-- Puis-je parler, maintenant? demanda Sandgoïst.
+
+Un signe affirmatif de dame Hansen, ce fut tout ce qu'il obtint.
+Mais, paraît-il, cela suffisait.
+
+-- Voici ce dont il s'agit, dit-il, et je vous prie de bien
+écouter tous trois, car je n'aime pas à revenir sur mes paroles!
+
+Il s'exprimait, cela ne se voyait que trop, en homme qui se
+croyait le droit d'imposer sa volonté,
+
+-- J'ai appris par les journaux, reprit-il, l'aventure d'un
+certain Ole Kamp, un jeune marin de Bergen, et d'un billet de
+loterie qu'il a envoyé à sa fiancée Hulda, au moment où son navire
+le _Viken _allait faire naufrage, J'ai appris également que, dans
+le public, on regardait ce billet comme un billet surnaturel, à
+raison des circonstances dans lesquelles il avait été retrouvé,
+J'ai appris, en outre, qu'on lui attribuait une valeur spéciale
+dans les chances du tirage, Enfin, j'ai appris que des offres de
+rachat avaient été faites à Hulda Hansen, et même à des prix
+considérables,
+
+Il se tut un instant, Puis:
+
+-- Est-ce vrai? dit-il, La réponse à cette dernière question se
+fit attendre.
+
+-- Oui!... C'est vrai, dit Joël. Après?
+
+-- Après? reprit Sandgoïst. Voici: que toutes ces offres reposent
+sur une superstition absurde, c'est bien mon avis. Mais enfin,
+elles ne s'en sont pas moins produites et s'accroîtront encore, je
+le suppose, à mesure que le jour du tirage approchera, Or, je suis
+un commerçant, moi. J'estime qu'il y a là une affaire qu'il me
+conviendrait de prendre à mon compte. C'est pourquoi, hier, j'ai
+quitté Drammen pour venir à Dal, afin de traiter de la cession de
+ce billet et prier dame Hansen de me donner la préférence sur tous
+autres acquéreurs,
+
+Hulda, dans un premier mouvement, allait répondre à Sandgoïst
+comme elle l'avait fait à toutes demandes de ce genre, bien qu'il
+ne se fût point adressé directement à elle, lorsque Joël l'arrêta.
+
+-- Avant de répondre à monsieur Sandgoïst, dit-il, je lui
+demanderai s'il sait à qui appartient ce billet.
+
+-- Mais à Hulda Hansen, j'imagine!
+
+-- Eh bien, c'est à Hulda Hansen qu'il faut demander si elle est
+disposée à s'en défaire!
+
+-- Mon fils!... dit dame Hansen.
+
+-- Laissez-moi achever, ma mère, reprit Joël. Ce billet
+n'appartenait-il pas légitimement à notre cousin Ole Kamp, et Ole
+Kamp n'avait-il pas le droit de le léguer à sa fiancée?
+
+-- Incontestablement, répondit Sandgoïst.
+
+-- C'est donc à Hulda Hansen qu'il faut s'adresser pour l'avoir.
+
+-- Soit, monsieur le formaliste, répondit Sandgoïst. Je demande
+donc à Hulda de me céder ce billet, portant le numéro 9672, qui
+lui vient de Ole Kamp.
+
+-- Monsieur Sandgoïst, répondit la jeune fille d'une voix ferme,
+bien des propositions m'ont été faites au sujet de ce billet, mais
+inutilement. Aussi je vous répondrai comme j'ai répondu jusqu'ici.
+Si mon fiancé m'a adressé ce billet avec son dernier adieu, c'est
+parce qu'il a voulu que je le garde, non que je le vende. Je ne
+puis donc m'en dessaisir à aucun prix.
+
+Cela dit, Hulda se disposait à se retirer, considérant que
+l'entretien, en ce qui la regardait, devait être terminé par son
+refus. Sur un geste de sa mère, elle s'arrêta.
+
+Un mouvement de dépit était échappé à dame Hansen, et Sandgoïst,
+par le plissement de son front, l'éclair de ses yeux, montrait que
+la colère commençait à s'emparer de lui.
+
+-- Oui! Restez, Hulda, dit-il. Ce n'est pas votre dernier mot, et,
+si j'insiste, c'est que j'ai le droit d'insister. Je pense,
+d'ailleurs, que je me suis mal expliqué, ou, plutôt, vous m'aurez
+mal compris. Il est certain que les chances de ce billet ne se
+sont point accrues parce que la main d'un naufragé l'a enfermé
+dans une bouteille et qu'il a été fort à propos recueilli. Mais il
+n'y a pas à raisonner avec l'engouement du public. Nul doute que
+beaucoup de gens désirent en devenir possesseurs. Ils ont déjà
+offert de l'acheter, ils l'offriront encore. Je le répète, cela se
+présente comme une affaire, et c'est une affaire que je viens vous
+proposer.
+
+-- Vous aurez quelque peine à vous entendre avec ma soeur,
+monsieur, répondit ironiquement Joël. Quand vous lui parlez
+affaire, elle vous répond sentiment!
+
+-- Des mots, tout cela, jeune homme! répondit Sandgoïst, et, quand
+mon explication sera terminée, vous verrez que, si c'est une
+affaire avantageuse pour moi, elle l'est aussi pour elle. J'ajoute
+qu'elle le sera également pour sa mère, dame Hansen, qui s'y
+trouve directement intéressée.
+
+Joël et Hulda se regardaient. Allaient-ils apprendre ce que dame
+Hansen leur avait caché jusqu'alors?
+
+-- Je reprends, dit Sandgoïst. Je n'ai pas prétendu que ce billet
+me fût cédé pour le prix qu'il a coûté à Ole Kamp. Non!... À tort
+ou à raison, il a acquis une certaine valeur marchande. Aussi,
+j'entends faire un sacrifice pour en devenir possesseur.
+
+-- On vous dit, répliqua Joël, que Hulda a déjà repoussé des
+propositions supérieures à tout ce que vous pourriez offrir...
+
+-- Vraiment! s'écria Sandgoïst. Des propositions supérieures! Et
+qu'en savez-vous?
+
+-- D'ailleurs, quelles qu'elles soient, ma soeur les refuse, et
+j'approuve son refus!
+
+-- Ah! çà, ai-je affaire à Joël ou à Hulda Hansen?
+
+-- Ma soeur et moi, nous ne faisons qu'un, répondit Joël.
+Apprenez-le, monsieur, puisque vous semblez ne pas le savoir!
+
+Sandgoïst, sans se déconcerter, haussa les épaules. Puis, en homme
+sûr de ses arguments, il reprit:
+
+-- Quand j'ai parlé d'un prix en échange du billet, j'aurais dû
+dire que j'ai à vous offrir des avantages: tels que, dans
+l'intérêt de sa famille, Hulda ne pourra les rejeter.
+
+-- Vraiment!
+
+-- Et maintenant, mon garçon, sachez, à votre tour, que je ne suis
+pas venu à Dal pour prier votre soeur de me céder ce billet! Non!
+Mille diables, non!
+
+-- Que demandez-vous alors?
+
+-- Je ne demande pas, j'exige... je veux!...
+
+-- Et de quel droit, s'écria Joël, de quel droit, vous, un
+étranger, osez-vous parler ainsi dans la maison de ma mère?
+
+-- Du droit qu'a tout homme, répondit Sandgoïst, de parler quand
+il lui plaît et comme il lui plaît, lorsqu'il est chez lui!
+
+-- Chez lui! Joël, au comble de l'indignation, marcha vers
+Sandgoïst, qui, bien qu'il ne s'effrayât pas facilement, s'était
+vivement rejeté hors du fauteuil. Mais Hulda retint son frère,
+pendant que dame Hansen, la tête cachée dans ses mains, reculait à
+l'autre extrémité de la salle.
+
+-- Frère!... regarde-la!... dit la jeune fille. Joël s'arrêta
+soudain. La vue de sa mère avait paralysé sa fureur. Tout, dans
+son attitude, disait à quel point dame Hansen était au pouvoir de
+ce Sandgoïst! Celui-ci reprit le dessus en voyant l'hésitation de
+Joël et revint à la place qu'il occupait.
+
+-- Oui, chez lui! s'écria-t-il d'une voix plus menaçante encore.
+Depuis la mort de son mari, dame Hansen s'est jetée dans des
+spéculations qui n'ont point réussi. Elle a compromis le peu de
+fortune qu'avait laissé votre père en mourant. Il lui a fallu
+emprunter chez un banquier de Christiania. À bout de ressources,
+elle a offert cette maison en garantie d'une somme de quinze mille
+marks qui lui a été prêtée par obligation bien en règle,
+obligation que, moi, Sandgoïst, j'ai rachetée de son prêteur.
+Cette maison sera donc la mienne, et très prochainement, si je ne
+suis pas payé à l'échéance.
+
+-- Quand, cette échéance? demanda Joël.
+
+-- Le 20 juillet, dans dix-huit jours, répondit Sandgoïst. Et ce
+jour-là, que cela vous plaise ou non, je serai ici chez moi!
+
+-- Vous ne serez chez vous, à cette date, que si vous n'avez pas
+été remboursé d'ici là! riposta Joël. Je vous défends donc de
+parler comme vous le faites devant ma mère et devant ma soeur!
+
+-- Il me défend!... à moi!... s'écria Sandgoïst. Et sa mère me le
+défend-elle?
+
+-- Mais parlez donc, ma mère! dit Joël, en allant vers dame
+Hansen, dont il voulut écarter les mains.
+
+-- Joël!... Mon frère!... s'écria Hulda... Par pitié pour elle...
+je t'en supplie... calme-toi!
+
+Dame Hansen, la tête courbée, n'osait plus regarder son fils. Il
+n'était que trop vrai, quelques années après la mort de son mari,
+elle avait tenté d'accroître sa fortune en des affaires
+hasardeuses. Le peu d'argent dont elle disposait s'était
+promptement dissipé. Bientôt il lui avait fallu recourir aux
+emprunts ruineux. Et maintenant, une obligation, hypothéquée sur
+sa maison, était passée aux mains de ce Sandgoïst, de Drammen, un
+homme sans coeur, un usurier bien connu, détesté dans le pays.
+Dame Hansen ne l'avait vu pour la première fois que le jour où il
+était venu à Dal afin d'évaluer la valeur de l'auberge.
+
+Ainsi donc, voilà quel était le secret qui pesait sur sa vie!
+Voilà quelle était l'explication de son attitude, et pourquoi elle
+vivait à l'écart, comme si elle eût voulu se cacher de ses
+enfants! Voilà enfin ce qu'elle n'avait jamais voulu dire à ceux
+dont elle avait compromis l'avenir.
+
+Hulda osait à peine songer à ce qu'elle venait d'entendre. Oui!
+Sandgoïst était bien le maître d'imposer ses volontés! Ce billet
+qu'il voulait avoir aujourd'hui, il n'aurait plus de valeur dans
+quinze jours, et, si elle ne le livrait pas, c'était la ruine,
+c'était la maison vendue, c'était la famille Hansen sans domicile,
+sans ressources... C'était la misère.
+
+Hulda n'osait pas lever les yeux sur Joël. Mais Joël, emporté par
+la colère, ne voulut rien entendre des menaces de l'avenir. Il ne
+voyait que Sandgoïst, et, si cet homme parlait encore comme il
+l'avait fait devant lui, il ne pourrait plus se maîtriser...
+
+Sandgoïst, se sachant le maître de la situation, devint plus dur,
+plus impérieux encore.
+
+-- Ce billet, je le veux et je l'aurai! répéta-t-il. En échange,
+je n'offre pas un prix qu'il est impossible d'établir; mais
+j'offre de reculer l'échéance de l'obligation souscrite par dame
+Hansen, de la reculer d'un an... de deux ans!... Fixez vous-même
+la date, Hulda!
+
+Hulda, le coeur étreint par l'angoisse, n'aurait pu répondre. Son
+frère répondit pour elle et s'écria:
+
+-- Le billet de Ole Kamp ne peut être vendu par Hulda Hansen! Ma
+soeur refuse donc, quelles que soient vos prétentions et vos
+menaces! Et maintenant, sortez!
+
+-- Sortir! dit Sandgoïst. Eh bien, non!... Je ne sortirai pas!...
+Et si l'offre que j'ai faite n'est pas suffisante... j'irai plus
+loin!... Oui!... contre la remise du billet, j'offre... j'offre...
+
+Il fallait que Sandgoïst eût vraiment un irrésistible désir de
+posséder ce billet, il fallait qu'il fût bien convaincu que
+l'affaire serait avantageuse pour lui, car il alla s'asseoir
+devant la table, où se trouvait du papier, une plume et de
+l'encre. Un instant après:
+
+-- Voilà ce que j'offre! dit-il. C'était une quittance de la somme
+due par dame Hansen, et pour laquelle elle avait donné en garantie
+la maison de Dal.
+
+Dame Hansen, les mains suppliantes, à demi courbée, regardait,
+implorait sa fille...
+
+-- Et maintenant, reprit Sandgoïst, ce billet... je le veux!... Je
+le veux aujourd'hui... à l'instant!... Je ne quitterai pas Dal
+sans l'emporter!... Je le veux, Hulda!... Je le veux!
+
+Sandgoïst s'était approché de la pauvre fille, comme s'il eût
+voulu la fouiller pour lui arracher le billet de Ole... Ce fut là
+plus que ne put supporter Joël, surtout quand il entendit Hulda
+crier:
+
+-- Frère!... frère!
+
+-- Sortirez-vous! dit-il.
+
+Et, comme Sandgoïst refusait de sortir, il allait s'élancer sur
+lui, lorsque Hulda intervint.
+
+-- Ma mère, voici le billet! dit-elle. Dame Hansen avait vivement
+saisi le billet, et, pendant qu'elle l'échangeait contre la
+quittance de Sandgoïst, Hulda tombait sur le fauteuil, presque
+sans connaissance.
+
+-- Hulda!... Hulda!... s'écria Joël. Reviens à toi!... Ah! ma
+soeur, qu'as-tu fait?
+
+-- Ce qu'elle a fait? répondit dame Hansen. Ce qu'elle a fait?...
+Oui, je suis coupable! Oui! dans l'intérêt de mes enfants, j'ai
+voulu accroître le bien de leur père! Oui! J'ai compromis
+l'avenir! J'ai appelé la misère sur cette maison... Mais Hulda
+nous a sauvés tous!... Voilà ce qu'elle a fait!... Merci, Hulda...
+merci!
+
+Sandgoïst était toujours là. Joël l'aperçut.
+
+-- Vous... ici... encore! s'écria-t-il. Puis, allant vers
+Sandgoïst, il le prit par les épaules, il le souleva, et, malgré
+sa résistance, malgré ses cris, il le jeta dehors.
+
+
+XV
+
+Le lendemain, Sylvius Hog revint à Dal dans la soirée. Il ne dit
+rien de son voyage. Personne ne sut qu'il était allé à Bergen.
+Tant que les recherches commencées n'auraient pas donné un
+résultat quelconque, il voulait les taire à la famille Hansen.
+Toute lettre ou dépêche, qu'elle vînt de Bergen ou de Christiania,
+devait lui être adressée personnellement à l'auberge, où il se
+proposait d'attendre les événements. Espérait-il toujours? Oui!
+mais il fallait bien l'avouer, ce n'était plus que du
+pressentiment.
+
+Dès qu'il fut de retour, le professeur n'eut pas de peine à
+reconnaître qu'un événement grave s'était passé pendant son
+absence. L'attitude de Joël et de Hulda indiquait clairement
+qu'une explication avait dû avoir lieu entre leur mère et eux. Un
+nouveau malheur venait-il donc de frapper la famille Hansen?
+
+Cela ne put qu'affliger profondément Sylvius Hog. Il éprouvait
+pour le frère et la soeur une affection si paternelle qu'il n'eût
+pas été plus étroitement attaché à ses propres enfants. Combien
+lui avaient-ils manqué pendant cette courte absence -- et, peut-être,
+combien leur avait-il manqué lui-même!
+
+-- Ils parleront! se dit-il. Il faudra qu'ils parlent! Ne suis-je
+donc pas de la famille!
+
+Oui! Sylvius Hog se croyait le droit, maintenant, d'intervenir
+dans la vie privée de ses jeunes amis, de savoir pourquoi Joël et
+Hulda paraissaient plus malheureux qu'ils ne l'étaient au moment
+de son départ. Il ne tarda pas à l'apprendre.
+
+En effet, tous deux ne demandaient qu'à se confier à l'excellent
+homme qu'ils aimaient d'une affection filiale. Ils attendaient,
+pour ainsi dire, qu'il lui convînt de les interroger. Depuis deux
+jours, ils s'étaient sentis tellement abandonnés! d'autant plus
+que Sylvius Hog n'avait point dit où il allait. Non! jamais heures
+ne leur avaient paru plus longues! Pour eux, cette absence ne
+pouvait se rapporter aux recherches du _Viken, _et il ne leur
+serait pas venu à la pensée que Sylvius Hog eût voulu cacher ce
+voyage pour leur épargner une suprême désillusion en cas
+d'insuccès.
+
+Et maintenant, combien sa présence leur était plus que jamais
+nécessaire! Quel besoin ils éprouvaient de le voir, de prendre ses
+conseils, d'entendre sa voix toujours si affectueuse, si
+rassurante! Mais oseraient-ils lui dire ce qui s'était passé entre
+eux et l'usurier de Drammen, et comment dame Hansen avait
+compromis l'avenir de la maison? Que penserait Sylvius Hog, quand
+il apprendrait que le billet n'était plus entre les mains de
+Hulda, lorsqu'il saurait que dame Hansen l'avait employé à se
+libérer vis-à-vis de son impitoyable créancier?
+
+Il allait l'apprendre, cependant. Qui commença à parler, de
+Sylvius Hog ou de Joël et de Hulda, on ne sait. Mais peu importe!
+Ce qui est certain, c'est que le professeur fut bientôt au courant
+de l'affaire. Il sut quelle avait été la situation de dame Hansen
+et de ses enfants! Dans quinze jours, l'usurier les aurait chassés
+de l'auberge de Dal si la dette n'eût été éteinte par la cession
+du billet.
+
+Sylvius Hog avait écouté ce triste récit que lui fit Joël en
+présence de sa soeur:
+
+-- Il ne fallait pas vous dessaisir du billet! s'écria-t-il tout
+d'abord. Non!... il ne le fallait pas!
+
+-- Le pouvais-je, monsieur Sylvius? répondit la jeune fille,
+profondément troublée.
+
+-- Eh non! sans doute!... Vous ne le pouviez pas!... Et
+pourtant!... Ah! si j'avais été là!
+
+Et qu'aurait-il fait, s'il eût été là, le professeur Sylvius Hog?
+Il n'en dit rien et reprit:
+
+-- Oui, ma chère Hulda, oui, Joël! En somme, vous avez fait ce que
+vous deviez faire! Mais ce qui m'enrage, c'est que ce sera
+Sandgoïst qui profitera de l'engouement superstitieux du public!
+Si l'on attribue au billet du pauvre Ole une valeur surnaturelle,
+c'est lui qui va l'exploiter! Et cependant, de croire que ce
+numéro 9672 sera nécessairement favorisé par le sort, c'est
+ridicule, absurde! Enfin, pour conclure, moi je n'aurais peut-être
+pas donné le billet. Après l'avoir refusé à Sandgoïst, Hulda
+aurait mieux fait de le refuser à sa mère!
+
+À tout ce que venait de dire Sylvius Hog, le frère et la soeur ne
+purent rien répondre. En remettant le billet à dame Hansen, Hulda
+avait obéi à un sentiment filial dont on ne pouvait la blâmer. Le
+sacrifice auquel elle s'était résolue, ce n'était pas le sacrifice
+des chances plus ou moins aléatoires que représentait ce billet
+dans le tirage de la loterie de Christiania, c'était le sacrifice
+des dernières volontés de Ole Kamp, c'était l'abandon du dernier
+souvenir de son fiancé.
+
+Enfin, il n'y avait plus à y revenir maintenant. Sandgoïst avait
+le billet. Il lui appartenait. Il le mettrait aux enchères. Un
+méchant usurier allait battre monnaie avec ce touchant adieu du
+naufragé! Non! Sylvius Hog ne pouvait se faire à cela!
+
+Aussi, ce jour même, Sylvius Hog voulut-il avoir à ce sujet une
+conversation avec dame Hansen, conversation qui ne pouvait rien
+changer à l'état des choses, mais devenue pour ainsi dire
+nécessaire entre eux. Il se trouva, d'ailleurs, en face d'une
+femme très pratique, qui, à n'en pas douter, avait plus de bon
+sens que de coeur.
+
+-- Ainsi, vous me blâmez, monsieur Hog? dit-elle, après avoir
+laissé le professeur parler tout à son aise.
+
+-- Certainement, dame Hansen.
+
+-- Si vous me reprochez de m'être imprudemment lancée dans de
+mauvaises affaires, d'avoir compromis la fortune de mes enfants,
+vous avez raison. Mais, si vous me reprochez d'avoir agi comme je
+l'ai fait pour me libérer, vous avez tort. Qu'avez-vous à
+répondre?
+
+-- Rien.
+
+-- Sérieusement, fallait-il refuser l'offre de Sandgoïst, qui, en
+fin de compte, a payé quinze mille marks cette cession d'un billet
+dont la valeur ne repose sur rien? Je vous le redemande, fallait-il
+refuser?
+
+-- Oui et non, dame Hansen.
+
+-- Ce n'est pas oui et non, monsieur Hog, c'est non. Dans la
+situation que vous connaissez, si l'avenir n'eût pas été aussi
+menaçant -- par ma faute, j'en conviens -- j'aurais compris le
+refus de Hulda!... Oui!... j'aurais compris qu'elle ne voulût
+céder à aucun prix le billet qu'elle avait reçu de Ole Kamp! Mais,
+quand il s'agissait d'être expulsée dans quelques jours d'une
+maison où mon mari est mort, où mes enfants sont nés, je ne le
+comprends plus, et vous-même, monsieur Hog, à ma place, vous
+n'eussiez pas agi autrement!
+
+-- Si, dame Hansen, si!
+
+-- Et qu'auriez-vous fait?
+
+-- J'aurais tout tenté plutôt que de sacrifier le billet que ma
+fille avait reçu dans de pareilles circonstances!
+
+-- Ces circonstances le rendent-elles donc meilleur?
+
+-- Ni vous, ni moi, personne n'en sait rien.
+
+-- On le sait, au contraire, monsieur Hog! Ce billet n'est rien
+qu'un billet qui a neuf cent quatre-vingt-dix-neuf mille neuf cent
+quatre-vingt-dix-neuf chances de perdre contre une de gagner. Lui
+attribuez-vous donc plus de valeur parce qu'il a été trouvé dans
+une bouteille recueillie en mer?
+
+À cette question si précise, Sylvius Hog ne pouvait qu'être très
+embarrassé de répondre. Aussi revint-il au côté «sentiment» de
+l'affaire, en disant:
+
+-- La situation est celle-ci, à présent. Ole Kamp, au moment du
+naufrage, a légué à Hulda le seul bien qui lui restât au monde! Il
+lui a même recommandé d'être là, le jour du tirage, avec ce
+billet, si quelque heureuse chance le lui avait fait parvenir...
+et, maintenant, ce billet n'est plus entre les mains de Hulda.
+
+-- Ole Kamp eût été de retour, répondit dame Hansen, qu'il
+n'aurait pas hésité à céder son billet à Sandgoïst!
+
+-- C'est possible, reprit Sylvius Hog, mais lui seul avait le
+droit de le faire. Et que lui répondriez-vous, s'il n'était pas
+mort, s'il n'avait pas péri dans ce naufrage... s'il revenait...
+demain... aujourd'hui...
+
+-- Ole ne reviendra pas, répondit dame Hansen d'une voix sourde.
+Ole est mort, monsieur Hog, et bien mort!
+
+-- Vous n'en savez rien, dame Hansen! s'écria le professeur avec
+un accent de conviction vraiment extraordinaire. Des recherches
+très sérieuses sont commencées pour retrouver quelque survivant du
+naufrage! Elles peuvent aboutir -- oui! aboutir même avant que le
+tirage de cette loterie ait eu lieu! Vous n'avez donc pas le droit
+de dire que Ole Kamp est mort, tant qu'il n'y aura pas de preuves
+certaines qu'il ait péri dans la catastrophe du _Viken! _Si,
+maintenant, je ne parle plus avec cette assurance à vos enfants,
+c'est que je ne veux pas leur donner un espoir qui peut amener de
+bien douloureuses déceptions! Mais à vous, dame Hansen, je vous
+dis ce que je pense! Et que Ole soit mort, non! je ne peux pas le
+croire! Non... je ne veux pas le croire... Non! je n'y crois pas!
+
+Dame Hansen, sur ce terrain, où la discussion avait été
+transportée, ne pouvait plus lutter avec le professeur. Aussi se
+taisait-elle, et cette Norvégienne, quelque peu superstitieuse au
+fond, baissait la tête, comme si Ole Kamp eût été prêt à
+apparaître devant elle.
+
+-- En tout cas, dame Hansen, reprit Sylvius Hog, avant de disposer
+du billet de Hulda, il y avait une chose très simple à faire, et
+vous ne l'avez pas faite.
+
+-- Laquelle, monsieur Hog?
+
+-- Il fallait vous adresser d'abord à vos amis, aux amis de votre
+famille. Ils n'auraient point refusé de vous venir en aide, soit
+en se substituant à Sandgoïst dans sa créance, soit en vous
+avançant la somme nécessaire pour le payer!
+
+-- Je n'ai point d'amis, monsieur Hog, auxquels j'eusse pu
+demander ce service!
+
+-- Si, vous en avez, dame Hansen, et j'en connais au moins un, qui
+l'eût fait sans hésiter et comme un acte de reconnaissance.
+
+-- Et quel est-il?
+
+-- Sylvius Hog, député au Storthing!
+
+Dame Hansen ne put rien répondre, et elle se contenta de
+s'incliner devant le professeur.
+
+-- Mais ce qui est fait est fait -- malheureusement! ajouta
+Sylvius Hog. Je vous serai donc obligé, dame Hansen, de ne rien
+dire à vos enfants de cette conversation sur laquelle il n'y aura
+plus lieu de revenir!
+
+Et tous deux se séparèrent.
+
+Le professeur avait repris sa vie habituelle et recommencé ses
+promenades quotidiennes. Pendant quelques heures, il visitait avec
+Joël et Hulda les environs de Dal, mais sans aller trop loin, afin
+de ne point fatiguer la jeune fille. Rentré dans sa chambre, il se
+remettait à sa correspondance qui ne laissait pas d'être
+importante. Il écrivait lettres sur lettres à Bergen, à
+Christiania. Il stimulait le zèle de tous ceux qui concouraient
+maintenant à cette bonne oeuvre de la recherche du _Viken. _Son
+existence se concentrait dans cette unique pensée: retrouver Ole,
+retrouver Ole!
+
+Il crut même devoir s'absenter encore, pendant vingt-quatre
+heures, pour un motif qui, sans doute, devait se rattacher à cette
+affaire qui intéressait la famille Hansen. Mais il garda, comme
+toujours, un secret absolu sur ce qu'il faisait ou faisait faire à
+ce sujet.
+
+Cependant la santé de Hulda, si durement éprouvée, ne se
+rétablissait que bien lentement. La pauvre fille ne vivait que du
+souvenir de Ole, et l'espoir qu'elle mêlait parfois à ce souvenir
+s'affaiblissait de jour en jour. Et, pourtant, elle avait alors
+près d'elle les deux êtres qu'elle aimait le plus au monde, et
+l'un d'eux ne cessait de l'encourager. Mais cela suffisait-il?
+N'aurait-il pas fallu la distraire à tout prix? Et comment
+l'arracher à ces pensées auxquelles se prenait toute son âme, ces
+pensées qui la rattachaient comme par une chaîne de fer au
+naufragé du _Viken?_
+
+Ainsi l'on arriva au 12 juillet.
+
+C'était dans quatre jours que devait être tirée la loterie des
+Écoles de Christiania.
+
+Il va sans dire que la spéculation tentée par Sandgoïst avait été
+portée à la connaissance du public. Par ses soins, les journaux
+avaient annoncé que le «célèbre et providentiel billet» portant le
+numéro 9672 était maintenant entre les mains de monsieur Sandgoïst
+de Drammen, et que ce billet, mis en vente, appartiendrait au plus
+offrant. Et, si monsieur Sandgoïst était possesseur dudit billet,
+c'est qu'il l'avait acheté fort cher à Hulda Hansen.
+
+On le comprend, cette annonce ne pouvait que diminuer
+singulièrement la jeune fille dans l'estime publique. Quoi! Hulda,
+séduite par un haut prix, s'était décidée à vendre le billet du
+naufragé, le billet de son fiancé Ole Kamp! Elle avait fait argent
+de ce dernier souvenir!
+
+Mais une note, parue très à propos dans le _Morgen-Blad, _mit ses
+lecteurs au courant de ce qui s'était passé. On sut de quelle
+nature avait été l'intervention de Sandgoïst et comment le billet
+se trouvait maintenant entre ses mains. Ce fut sur l'usurier de
+Drammen que retomba la réprobation publique, ce créancier sans
+coeur, qui n'avait pas craint d'utiliser à son profit les malheurs
+de la famille Hansen. Et alors il arriva ceci: c'est que, comme
+par une entente générale, les offres qui s'étaient produites
+lorsque Hulda possédait encore le billet ne se renouvelèrent plus
+vis-à-vis du nouveau possesseur. Il semblait que ledit billet
+n'avait plus la valeur surnaturelle qu'on lui attribuait depuis
+que ce Sandgoïst l'avait souillé de son attouchement. Donc,
+Sandgoïst n'avait fait là qu'une très mauvaise affaire, et le
+fameux numéro 9672 menaçait de lui rester pour compte.
+
+Il va sans dire que ni Hulda ni même Joël n'étaient au courant de
+ce qui se disait. Heureusement! Il leur eût été bien pénible de se
+savoir mêlés à cette affaire, qui avait pris une tournure si
+mercantile entre les mains de l'usurier.
+
+Le 12 juillet, vers le soir, une lettre arriva à l'adresse du
+professeur Sylvius Hog.
+
+Cette lettre, envoyée par la Marine, en contenait une autre, qui
+était datée de Christiansand, petit port situé à l'entrée du golfe
+de Christiania. Sans doute, elle n'apprit rien de nouveau à
+Sylvius Hog, car il la serra dans sa poche et n'en parla ni à Joël
+ni à sa soeur.
+
+Seulement, au moment de se retirer dans sa chambre en leur donnant
+le bonsoir, il dit:
+
+-- Vous le savez, mes enfants, c'est dans trois jours que sera
+tirée la loterie. Est-ce que vous ne comptez pas assister à ce
+tirage?
+
+-- À quoi bon, monsieur Sylvius? répondit Hulda.
+
+-- Cependant, reprit le professeur, Ole a voulu que sa fiancée y
+assistât; il en a fait l'expresse recommandation dans les
+dernières lignes qu'il a écrites, et je pense qu'il faut obéir aux
+dernières volontés de Ole.
+
+-- Mais ce billet, Hulda ne l'a plus, répondit Joël, et qui sait
+entre quelles mains il est allé!
+
+-- N'importe, répondit Sylvius Hog. Je vous demande donc à tous
+deux de m'accompagner à Christiania.
+
+-- Vous le voulez, monsieur Sylvius? répondit la jeune fille.
+
+-- Ce n'est pas moi, chère Hulda, c'est Ole qui le veut, et il
+faut obéir à Ole.
+
+-- Soeur, monsieur Sylvius a raison, répondit Joël. Oui! il le
+faut!
+
+-- Quand comptez-vous partir, monsieur Sylvius?
+
+-- Demain, dès l'aube, et que saint Olaf nous protège!
+
+
+XVI
+
+Le lendemain, la kariol du contremaître Lengling emportait Sylvius
+Hog et Hulda, assis côte à côte dans la petite caisse
+peinturlurée. On le sait, il n'y avait pas de place pour Joël.
+Aussi le brave garçon allait-il à pied, près du cheval, qui
+secouait gaiement la tête.
+
+Quatorze kilomètres entre Dal et Moel, ce n'était pas assez pour
+embarrasser ce vigoureux marcheur.
+
+La kariol suivait donc cette charmante vallée du Vestfjorddal, en
+côtoyant la rive gauche du Maan -- vallée étroite et ombreuse,
+arrosée de mille cascades rebondissantes, qui tombent de toutes
+hauteurs. À chaque détour de ce chemin sinueux, on revoyait et on
+perdait de vue la cime du Gousta, marquée de deux brillantes
+taches de neige.
+
+Le ciel était pur, le temps magnifique. De l'air pas trop vif, du
+soleil pas trop chaud.
+
+Remarque singulière, depuis que Sylvius Hog avait quitté la maison
+de Dal, il semblait que sa figure se fût rassérénée. Sans doute,
+il se «forçait» un peu, afin que ce voyage fût au moins une
+distraction aux chagrins de Hulda et de Joël.
+
+Deux heures et demie, il n'en fallut pas davantage pour atteindre
+Moel, à l'extrémité du lac Tinn, où devait s'arrêter la kariol.
+Elle n'aurait pu aller plus loin, à moins d'être une voiture
+flottante. En ce point de la vallée commence, en effet, le chemin
+des lacs. Là se trouve ce qu'on appelle un «vandskyde»,
+c'est-à-dire un relais d'eau. Là, enfin, attendent ces fragiles
+embarcations qui font le service du Tinn, dans sa longueur comme
+dans sa largeur.
+
+La kariol s'arrêta près de la petite église du hameau, au bas
+d'une chute de plus de cinq cents pieds. Cette chute, visible sur
+un cinquième de son parcours, se perd en quelque profonde crevasse
+de la montagne, avant d'être absorbée par le lac.
+
+Deux bateliers se trouvaient sur l'extrême pointe de la rive. Une
+barque en écorce de bouleau, dont l'équilibre, absolument
+instable, ne permet pas un mouvement d'un bord sur l'autre aux
+voyageurs qu'elle transporte, était prête à démarrer.
+
+Le lac apparaissait alors dans toute sa beauté matinale. Le
+soleil, à son lever, avait bu les vapeurs de la nuit. On n'aurait
+pu souhaiter une plus belle journée d'été.
+
+-- Vous n'êtes pas trop fatigué, mon brave Joël? demanda le
+professeur, dès qu'il fut descendu de la kariol.
+
+-- Non, monsieur Sylvius. Ne suis-je pas habitué à ces longues
+courses à travers le Telemark?
+
+-- C'est juste! Dites-moi, savez-vous quelle est la route la plus
+directe pour aller de Moel à Christiania?
+
+-- Parfaitement, monsieur Sylvius. Une fois arrivés à l'extrémité
+du lac, à Tinoset... Par exemple, je ne sais pas si nous y
+trouverons une kariol, faute d'avoir envoyé des «forbuds» pour
+prévenir de notre arrivée au relais, comme on fait d'habitude dans
+le pays...
+
+-- Soyez tranquille, mon garçon, répondit le professeur, j'ai
+prévu le cas. Mon intention n'est point de vous obliger à faire la
+route à pied de Dal à Christiania.
+
+-- S'il le fallait... dit Joël.
+
+-- Il ne le faudra pas. Revenons à notre itinéraire, et dites-moi
+comment vous le comprenez.
+
+-- Eh bien, une fois à Tinoset, monsieur Sylvius, nous
+contournerons le lac Fol, en passant par Vik et Bolkesjö, de
+manière à gagner Möse, et de là, Kongsberg, Hangsund et Drammen.
+Si nous voyageons de nuit comme de jour, il ne sera pas impossible
+d'arriver demain, dans l'après-midi, à Christiania.
+
+-- Très bien, Joël! Je vois que vous connaissez le pays, et voilà,
+en vérité, un agréable itinéraire.
+
+-- C'est le plus court.
+
+-- Eh bien, Joël, je me moque du plus court, vous m'entendez!
+répondit Sylvius Hog. J'en sais un autre qui n'allonge le voyage
+que de quelques heures! Et celui-là, vous le connaissez, mon
+garçon, bien que vous n'en parliez pas!
+
+-- Et lequel?
+
+-- C'est celui qui passe par Bamble!
+
+-- Par Bamble?
+
+-- Oui, Bamble! Faites donc l'ignorant! Bamble, où demeure le
+fermier Helmboë et sa fille Siegfrid!
+
+-- Monsieur Sylvius!...
+
+-- C'est celui-là que nous prendrons, et, en contournant le lac
+Fol par le sud au lieu de le contourner par le nord, est-ce que
+nous n'atteindrons pas tout aussi bien Kongsberg?
+
+-- Tout aussi bien, et même mieux! répondit Joël en souriant.
+
+-- Merci pour mon frère, monsieur Sylvius! dit la jeune fille.
+
+-- Et pour vous aussi, petite Hulda, car j'imagine que cela vous
+fera plaisir de revoir en passant votre amie Siegfrid!
+
+L'embarcation était prête. Tous trois y prirent place sur un
+monceau de feuilles vertes, entassées à l'arrière. Les deux
+bateliers, ramant et gouvernant à la fois, poussèrent au large.
+
+À mesure qu'on s'éloigne de la rive, le lac Tinn commence à
+s'arrondir depuis Haekenoës, petit gaard de deux ou trois maisons,
+bâti sur ce promontoire rocheux que baigne l'étroit fiord dans
+lequel se déversent paisiblement les eaux du Maan. Le lac est
+encore très encaissé; mais, peu à peu, l'arrière-plan des
+montagnes recule, et l'on ne se rend compte de leur hauteur qu'au
+moment où une embarcation passe à leur base, sans paraître plus
+grosse qu'un oiseau aquatique.
+
+De çà et de là émergent une douzaine d'îles ou d'îlots, arides ou
+verdoyants, avec quelques huttes de pêcheurs. À la surface du lac
+flottent des troncs d'arbres non équarris et des trains de poutres
+débités par les scieries du voisinage.
+
+Ce qui fit dire en plaisantant à Sylvius Hog -- et il fallait
+qu'il eût bien envie de plaisanter:
+
+-- Si, selon nos poètes scandinaves, les lacs sont les yeux de la
+Norvège, il faut convenir que la Norvège a plus d'une poutre dans
+l'oeil, comme dit la Bible!
+
+Vers quatre heures, l'embarcation arrivait à Tinoset, simple
+hameau des moins confortables. Peu importait, d'ailleurs.
+L'intention de Sylvius Hog n'était point de s'y arrêter, même une
+heure. Ainsi qu'il l'avait dit à Joël, un véhicule l'attendait sur
+la rive. En prévision de ce voyage, depuis longtemps décidé dans
+son esprit, il avait écrit à M. Benett, de Christiania, de lui
+assurer les moyens de voyager sans retards ni fatigues. C'est
+pourquoi, au jour dit, une vieille calèche se trouvait à Tinoset,
+son coffre bien garni de comestibles. Donc, transport garanti pour
+tout le parcours, nourriture également assurée -- ce qui
+dispensait de recourir aux oeufs à demi couvés, au lait caillé et
+au brouet spartiate des gaards du Telemark.
+
+Tinoset est situé presque à l'extrémité du lac Tinn. De là, par
+une assez belle chute, le Maan se précipite dans la vallée
+inférieure, où il retrouve son cours régulier. Les chevaux, venus
+du relais, étaient déjà attelés, et la voiture prit aussitôt la
+direction de Bamble.
+
+À cette époque, c'était la seule manière de parcourir la Norvège
+en général et le Telemark en particulier. Et peut-être les chemins
+de fer feront-ils regretter aux touristes la kariol nationale et
+les calèches de M. Benett!
+
+Il va sans dire que Joël connaissait parfaitement cette portion du
+bailliage qu'il avait si souvent traversée entre Dal et Bamble.
+
+Il était huit heures du soir, lorsque Sylvius Hog, le frère et la
+soeur arrivèrent dans cette petite localité.
+
+On ne les y attendait pas; mais le fermier Helmboë ne leur en fit
+pas moins le meilleur accueil. Siegfrid embrassa tendrement son
+amie qu'elle trouva bien pâlie par tant de douleurs. Pendant
+quelques instants, les deux jeunes filles restèrent seules à
+échanger leurs peines.
+
+-- Je t'en prie, chère Hulda, dit Siegfrid, ne te laisse pas
+abattre par ton chagrin! Moi, je n'ai pas perdu confiance!
+Pourquoi renoncer à tout espoir de revoir notre pauvre Ole! Nous
+avons appris par les journaux qu'on s'occupait de retrouver le
+_Viken! _Les recherches réussiront!... Tiens! je suis sûre que
+monsieur Sylvius espère encore!... Hulda... ma chérie... je t'en
+supplie... ne désespère pas!
+
+Pour toute réponse, Hulda ne pouvait que pleurer, et Siegfrid la
+pressait sur son coeur.
+
+Ah! quelle joie eût régné dans la maison du fermier Helmboë, au
+milieu de ces braves gens, simples et bons, si tout ce petit monde
+avait eu le droit d'être heureux!
+
+-- Ainsi, vous allez directement à Christiania? demanda le fermier
+à Sylvius Hog.
+
+-- Oui, monsieur Helmboë!
+
+-- Pour assister au tirage de la loterie?
+
+-- Sans doute.
+
+-- À quoi bon, puisque le billet de Ole Kamp est maintenant entre
+les mains de ce misérable Sandgoïst!
+
+-- C'était la volonté de Ole, répondit le professeur, et il faut
+respecter sa volonté.
+
+-- On dit que l'usurier de Drammen n'a pu trouver acquéreur pour
+ce billet qui lui coûte cher!
+
+-- On le dit, en effet, monsieur Helmboë.
+
+-- Bon! Il n'a que ce qu'il mérite, ce vilain homme, ce coquin,
+monsieur Hog, oui!... ce coquin!... Et c'est bien fait!
+
+-- Oui, en vérité, monsieur Helmboë, c'est bien fait!
+
+Naturellement, il fallut souper à la ferme. Siegfrid ni son père
+n'auraient laissé partir leurs amis avant qu'ils n'eussent accepté
+cette invitation. Mais il importait de ne pas s'attarder, si l'on
+voulait regagner pendant la nuit les quelques heures perdues par
+le détour de Bamble. Aussi, à neuf heures, les chevaux avaient-ils
+été amenés du relais par un des garçons du gaard, qui s'occupa de
+les atteler.
+
+-- À ma prochaine visite, cher monsieur Helmboë, dit Sylvius Hog
+au fermier, je resterai six heures à table, si vous l'exigez!
+Mais, aujourd'hui, je vous demanderai la permission de remplacer
+le dessert par une bonne poignée de main que vous me donnerez, et
+par un bon baiser que votre charmante Siegfrid donnera à ma petite
+Hulda!
+
+Cela fait, on partit. Sous cette latitude élevée, le crépuscule
+devait se prolonger pendant quelques heures encore. Aussi,
+l'horizon resta-t-il assez visible, après le coucher du soleil,
+tant l'atmosphère était pure. C'est une belle route, assez
+accidentée, celle qui va de Bamble à Kongsberg, en passant par
+Hitterdal et le sud du lac Fol. Elle traverse ainsi toute la
+portion méridionale du Telemark, en desservant les bourgs, hameaux
+ou gaards des environs. Une heure après le départ, Sylvius Hog,
+sans s'y arrêter, put apercevoir l'église d'Hitterdal, un vieil
+édifice très curieux, coiffé de pinacles qui se hissent les uns
+sur les autres, sans souci de la régularité des lignes. Le tout
+est en bois, depuis les murs faits de poutres jointives et de
+planches imbriquées, jusqu'à l'extrême pointe du dernier
+clocheton. Cet amoncellement de poivrières est, paraît-il, un
+monument vénérable et vénéré de l'architecture scandinave du
+treizième siècle.
+
+La nuit vint peu à peu, une de ces nuits qui sont encore
+imprégnées des dernières lueurs du jour; mais, vers une heure du
+matin, elle allait se fondre dans l'aube naissante.
+
+Joël, assis sur le siège de devant, était absorbé dans ses
+réflexions. Hulda restait pensive au fond de la voiture. Quelques
+paroles furent alors échangées entre Sylvius Hog et le postillon,
+auquel le professeur recommanda de presser ses chevaux. On
+n'entendit plus ensuite que les grelots de l'attelage, le
+claquement du fouet et le grincement des roues sur un sol raviné.
+
+On marcha toute la nuit, sans relayer. Il ne fut pas nécessaire de
+s'arrêter à Listhüs, inconfortable station, perdue au milieu d'un
+cirque de montagnes sapineuses, que circonscrit un second
+périmètre de montagnes arides et sauvages. On dépassa aussi
+Tiness, petit gaard pittoresque, dont quelques maisons sont
+juchées sur des pilotis de pierre. La calèche roulait assez
+rapidement avec son bruit de ferraille, son cliquetis de boulons
+desserrés et de ressorts distendus. Il n'y eut pas un reproche à
+adresser au conducteur -- un bon vieux qui dormait à moitié en
+secouant ses guides. Machinalement, il allongeait quelques coups
+de fouet, pas méchants, mais de préférence au cheval de gauche.
+Cela tenait à ce que, si le cheval de droite lui appartenait,
+l'autre était la propriété de son voisin du gaard.
+
+À cinq heures du matin, Sylvius Hog ouvrit les yeux, étendit les
+bras, et put respirer avec délices la pénétrante senteur des
+sapins qui parfumait l'atmosphère.
+
+On était à Kongsberg. La voiture traversa le pont jeté sur le
+Laagen, et vint s'arrêter au-delà, après avoir passé près de
+l'église, non loin de la chute de Larbrö.
+
+-- Mes amis, dit Sylvius Hog, si vous le voulez, nous ne ferons
+que relayer ici. Il est encore trop tôt pour déjeuner. Mieux vaut
+ne faire une halte sérieuse qu'à Drammen. Là, nous nous offrirons
+un bon repas, afin d'économiser les comestibles de M. Benett!
+
+Cela convenu, le professeur et Joël se contentèrent de prendre un
+petit verre de brandevin à _l'Hôtel des Mines. _Un quart d'heure
+après, les chevaux étant arrivés, on se remit en route.
+
+Au sortir de la ville, la voiture dut remonter une rampe très
+escarpée, hardiment taillée au flanc de la montagne. Un instant,
+les hauts pylônes des mines d'argent de Kongsberg se découpèrent
+en silhouette sur le ciel. Puis, tout cet horizon disparut
+derrière un rideau d'immenses forêts de sapins, obscures et
+fraîches comme des caves, dans lesquelles la chaleur du soleil ne
+pénétrait pas plus que la lumière.
+
+La ville de bois d'Hangsund fournit un nouvel attelage à la
+calèche. On retrouva de longues routes, souvent fermées par
+quelques barrières à pivot qu'il fallait faire ouvrir moyennant
+cinq ou six shillings. Région fertile, où abondaient les arbres,
+qui ressemblaient à des saules pleureurs avec leurs branches
+pliant sous le poids des fruits. En se rapprochant de Drammen, la
+vallée commença à redevenir monstrueuse.
+
+À midi, la ville, assise sur l'un des bras du fiord de
+Christiania, montra ses deux interminables rues, bordées de
+maisons peintes, et son port, toujours très animé, où les trains
+de bois ne laissent que peu de place aux navires qui viennent s'y
+charger des produits du Nord.
+
+La voiture s'arrêta devant _l'Hôtel de Scandinavie. _Le
+propriétaire, un important personnage à barbe blanche, l'air
+doctoral, parut sur le seuil de son établissement.
+
+Avec cette finesse de perception qui distingue les aubergistes en
+tous les pays du monde:
+
+-- Je ne serais pas surpris, dit-il, que ces messieurs et cette
+jeune dame voulussent déjeuner?
+
+-- En effet, ne soyez pas surpris, répondit Sylvius Hog, et
+faites-nous servir le plus tôt possible.
+
+-- À l'instant! Le déjeuner fut bientôt prêt, et, en réalité, très
+acceptable. Il y eut surtout un certain poisson du fiord, truffé
+d'une herbe parfumée, dont le professeur mangea avec un évident
+plaisir. À une heure et demie, la voiture, attelée de chevaux
+frais, revenait devant _l'Hôtel de Scandinavie, _et elle repartit
+en remontant au petit trot la grande rue de Drammen. Mais voilà
+qu'en passant devant une maison basse, d'aspect peu attrayant, qui
+contrastait avec la couleur gaie des maisons voisines, Joël ne put
+retenir un mouvement de répulsion.
+
+-- Sandgoïst! s'écria-t-il.
+
+-- Ah! c'est là monsieur Sandgoïst? dit Sylvius Hog. En vérité, il
+n'a point bonne figure!
+
+C'était Sandgoïst. Il fumait près de sa porte. Reconnut-il Joël
+sur le siège de devant, on ne sait, car la voiture fila rapidement
+entre des piles de madriers et des monceaux de planches.
+
+Au-delà d'une route bordée de sorbiers chargés de leurs fruits de
+corail, l'attelage s'engagea à travers une épaisse forêt de pins,
+qui côtoie la «Vallée du Paradis», magnifique dépression du sol,
+avec ses lointains étagés jusqu'aux dernières limites de
+l'horizon. Des centaines de monticules apparurent alors, la
+plupart couronnés d'une villa ou d'un gaard. Puis, aux approches
+du soir, lorsque la voiture commença à redescendre vers la mer en
+côtoyant de larges prairies, des fermes montrèrent leurs maisons
+d'un rouge vif qui tranchait crûment sur le rideau vert-noir des
+arbres. Enfin, les voyageurs atteignirent le fiord même de
+Christiania, encadré de pittoresques collines, avec ses
+innombrables criques, ses petits ports en miniature, et leurs
+«piers» de bois, où viennent accoster les embarcations de la baie
+et les vapeurs-omnibus.
+
+À neuf heures du soir -- il faisait encore grand jour sous cette
+latitude -- l'antique calèche entrait dans la ville, non sans
+tapage, en suivant les rues déjà désertes.
+
+D'après l'ordre donné par Sylvius Hog, elle vint s'arrêter à
+_l'Hôtel Victoria. _C'est là que descendirent Hulda et Joël. Des
+chambres avaient été d'avance retenues pour eux. Après un bonsoir
+affectueux, le professeur regagna sa vieille maison, où sa vieille
+servante Kate et son vieux domestique Pink l'attendaient avec une
+non moins vieille impatience.
+
+
+XVII
+
+Christiania -- grande cité pour la Norvège -- ne serait qu'une
+assez petite ville en Angleterre ou en France. Sans de fréquents
+incendies, elle se montrerait encore telle qu'elle fut bâtie au
+onzième siècle. En réalité, elle ne date que de l'année 1624,
+époque à laquelle la reconstruisit le roi Christian. D'Opsolö
+qu'elle s'appelait alors, elle devint Christiania, du nom féminisé
+de son royal architecte. C'est donc une ville régulière, à larges
+rues, froides et droites, tracées au tire-ligne, avec des maisons
+de pierres blanches ou de briques rouges. Au milieu d'un assez
+beau jardin, s'élève le château royal, l'Orscarslot, vaste bâtisse
+quadrangulaire, sans style, bien qu'elle soit de style ionien. Çà
+et là, apparaissent quelques églises, dans lesquelles les beautés
+de l'art ne sauraient distraire l'attention des fidèles. Enfin, il
+y a aussi plusieurs édifices civils et établissements publics,
+sans compter un grand bazar, disposé en rotonde, où viennent
+s'entasser les produits étrangers et indigènes.
+
+En tout cet ensemble, rien de très curieux. Mais, ce qu'il faut
+admirer sans réserve, c'est la position de la ville, au milieu de
+ce cirque de montagnes, si variées d'aspect, qui lui font un cadre
+superbe. Presque plate dans ses quartiers riches et neufs, elle ne
+se relève que pour former une sorte de Kasbah, couverte de maisons
+irrégulières où végète la population peu aisée, huttes de bois,
+huttes de brique, dont les tons criards étonnent le regard plus
+qu'ils ne le charment.
+
+Il ne faudrait pas croire que le mot Kasbah, réservé aux villes
+africaines, ne saurait être à sa place dans une cité du nord de
+l'Europe. Christiania n'a-t-elle pas, dans le voisinage du port,
+les quartiers de Tunis, de Maroc et d'Alger? Et, s'il ne s'y
+trouve pas des Tunisiens, des Marocains, des Algériens, leur
+population flottante n'en vaut guère mieux.
+
+En somme, comme toute ville dont les pieds baignent dans la mer et
+qui dresse sa tête au niveau de verdoyantes collines, Christiania
+est extrêmement pittoresque. Il n'est pas injuste de comparer son
+fiord à la baie de Naples. Ainsi que les rivages de Sorrente ou de
+Castellamare, ses rives sont meublées de villas et de chalets, à
+demi perdus dans la verdure presque noire des sapins, au milieu de
+ces légères vapeurs qui leur donnent ce «flou» spécial aux régions
+hyperboréennes.
+
+Sylvius Hog était donc enfin de retour à Christiania. Il est vrai,
+ce retour s'accomplissait dans des conditions qu'il n'aurait
+jamais pu prévoir, au milieu d'un voyage interrompu. Eh bien! il
+en serait quitte pour le recommencer une autre année! En ce
+moment, il ne s'agissait que de Joël et de Hulda Hansen. S'il ne
+les avait pas fait descendre dans sa maison, c'est qu'il eût fallu
+deux chambres pour les recevoir. Bien certainement, le vieux Pink,
+la vieille Kate leur auraient fait bon accueil! Mais on n'avait
+pas eu le temps de se préparer. Aussi le professeur les avait-il
+conduits à _l'Hôtel Victoria _et recommandés particulièrement. Or,
+une recommandation de Sylvius Hog, député au Storthing, cela
+valait qu'on en tînt compte.
+
+Mais, en même temps que le professeur demandait pour ses protégés
+les attentions qu'on aurait eues pour lui-même, il n'avait point
+donné leurs noms. Garder l'incognito, tout d'abord, cela ne lui
+paraissait que prudent à l'endroit de Joël et surtout de Hulda
+Hansen. On sait quel bruit s'était fait autour de la jeune fille,
+ce qui eût été une gêne pour elle. Mieux valait ne rien dire de
+son arrivée à Christiania.
+
+Il avait été convenu que, le lendemain, Sylvius Hog ne reverrait
+pas le frère et la soeur avant l'heure du déjeuner, c'est-à-dire
+entre onze heures et midi.
+
+Le professeur, en effet, avait quelques affaires à régler, qui
+devaient lui prendre toute la matinée; et il viendrait rejoindre
+Hulda et Joël dès qu'elles seraient terminées. Il ne les
+quitterait plus alors, il resterait avec eux jusqu'au moment où
+l'on procéderait au tirage de la loterie, qui devait s'effectuer à
+trois heures.
+
+Donc, Joël, dès qu'il fut levé, alla trouver sa soeur. Hulda, tout
+habillée déjà, l'attendait dans sa chambre. Dans le but de la
+distraire un peu de ses pensées, qui devaient être plus
+douloureuses encore ce jour-là, Joël lui proposa de se promener
+jusqu'à l'heure du déjeuner. Hulda, pour ne pas désobliger son
+frère, accepta l'offre qu'il lui faisait, et tous deux allèrent un
+peu à l'aventure à travers la ville.
+
+C'était un dimanche. Contrairement à ce qui se fait dans les cités
+du Nord pendant les jours fériés, où le nombre des promeneurs est
+plus restreint, il y avait une grande animation par les rues. Non
+seulement les citadins n'avaient point quitté la ville pour la
+campagne, mais ils voyaient les ruraux des environs affluer chez
+eux. Le railway du lac Miosen, qui dessert les environs de la
+capitale, avait dû organiser des trains supplémentaires. Autant de
+curieux et surtout d'intéressés qu'attirait cette populaire
+loterie des Écoles de Christiania!
+
+Donc, beaucoup de monde à travers les rues, des familles au
+complet, même des villages entiers, venus avec l'espérance secrète
+de n'avoir point fait un voyage inutile. Qu'on y songe! Le million
+de billets avait été placé, et, ne dussent-ils gagner qu'un simple
+lot de cent ou deux cents marks, combien de braves gens
+rentreraient contents du sort dans leurs humbles soeters ou leurs
+modestes gaards!
+
+Joël et Hulda, en quittant _l'Hôtel Victoria, _descendirent
+d'abord jusqu'aux quais qui s'arrondissent dans l'est de la baie.
+En cet endroit, l'affluence était un peu moins grande, si ce n'est
+dans les cabarets, où la bière et le brandevin, versés à pleines
+chopes et à pleins verres, rafraîchissaient des gosiers en état de
+soif permanente.
+
+Tandis que le frère et la soeur se promenaient entre les magasins,
+les rangs de barriques, les tas de caisses de toute provenance,
+les bâtiments, amarrés à terre ou mouillés au large, attiraient
+plus spécialement leur attention. N'y avait-il pas quelques-uns de
+ces navires qui étaient attachés au port de Bergen, où le _Viken
+_ne devait plus revenir?
+
+-- Ole!... Mon pauvre Ole! murmurait Hulda. Aussi Joël voulut-il
+l'entraîner loin de la baie, en remontant vers les quartiers de la
+haute ville.
+
+Là, dans les rues, sur les places, au milieu des groupes, ils
+entendirent bien des propos à leur adresse.
+
+-- Oui, disait l'un, on avait été jusqu'à offrir dix mille marks
+du numéro 9672!
+
+-- Dix mille? répondait un autre. J'ai entendu parler de vingt
+mille et même plus!
+
+-- Monsieur Vanderbilt, de New York, est allé jusqu'à trente
+mille!
+
+-- Messieurs Baring, de Londres, à quarante mille!
+
+-- Et messieurs Rothschild, de Paris, à soixante mille! On sait ce
+qu'il fallait croire de ces exagérations du populaire. À continuer
+cette échelle ascendante, les prix offerts eussent fini par
+dépasser le montant du gros lot!
+
+Mais, si les diseurs de nouvelles n'étaient pas d'accord sur le
+chiffre des propositions faites à Hulda Hansen, la foule
+s'entendait à merveille pour qualifier les agissements de
+l'usurier de Drammen.
+
+-- Quel damné coquin, ce Sandgoïst, qui n'a pas eu pitié de ces
+braves gens!
+
+-- Oh! il est bien connu dans le Telemark, et il n'en est pas à
+son coup d'essai!
+
+-- On dit qu'il n'a pu trouver à revendre le billet de Ole Kamp,
+après l'avoir payé d'un bon prix!
+
+-- Non! Personne n'en a voulu!
+
+-- Cela n'est pas étonnant! Entre les mains de Hulda Hansen, ce
+billet était bon!
+
+-- Évidemment, tandis qu'entre les mains de Sandgoïst, il ne vaut
+plus rien!
+
+-- C'est bien fait! Il lui restera pour compte, et puisse-t-il
+perdre les quinze mille marks qu'il lui a coûtés!
+
+-- Mais, si ce gueux allait gagner le gros lot?...
+
+-- Lui!... Par exemple!
+
+-- Voilà qui serait une injustice du sort! En tout cas, qu'il ne
+vienne pas au tirage!...
+
+-- Non, car on lui ferait un mauvais parti! Tel est le résumé des
+opinions émises sur le compte de Sandgoïst. On sait d'ailleurs
+que, par prudence ou pour tout autre motif, il n'avait point
+l'intention d'assister au tirage, puisque, la veille, il était
+encore dans sa maison de Drammen.
+
+Hulda, très émue, et Joël, qui sentait le bras de sa soeur frémir
+au sien, passaient vite, sans chercher à en entendre davantage,
+comme s'ils eussent craint d'être acclamés de tous ces amis
+ignorés qu'ils comptaient parmi cette foule.
+
+Quant à Sylvius Hog, peut-être avaient-ils espéré le rencontrer
+par la ville. Il n'en fut rien. Mais quelques mots, surpris dans
+les conversations, leur apprirent que le retour du professeur à
+Christiania était déjà connu du public. Depuis le matin, on
+l'avait vu marcher d'un air très affairé, en homme qui n'a point
+le temps de questionner ni de répondre, tantôt du côté du port,
+tantôt du côté des bureaux de la Marine.
+
+Certes, Joël aurait pu demander à n'importe quel passant où
+demeurait le professeur Sylvius Hog. Chacun se fût empressé de lui
+indiquer sa maison et de l'y conduire. Il ne le fit pas par
+crainte d'être indiscret, et, puisque rendez-vous était donné à
+l'hôtel, le mieux était de s'en tenir là.
+
+C'est ce que Hulda pria Joël de faire vers dix heures et demie.
+Elle se sentait très lasse, et tous ces propos, auxquels son nom
+était mêlé, lui faisaient mal.
+
+Elle rentra donc à _l'Hôtel Victoria, _puis remonta dans sa
+chambre pour y attendre le retour de Sylvius Hog.
+
+Quant à Joël, il était resté au rez-de-chaussée de l'hôtel, dans
+le salon de lecture. Là, machinalement, il occupa son temps à
+feuilleter les journaux de Christiania.
+
+Tout à coup, sa figure pâlit, son regard se troubla, le journal
+qu'il tenait lui tomba des mains...
+
+Dans un numéro du _Morgen-Blad, _aux nouvelles de mer, il venait
+de lire la dépêche suivante, datée de Terre-Neuve:
+
+«L'aviso _Telegraf, _arrivé sur le lieu présumé du naufrage du
+_Viken, _n'en a retrouvé aucun vestige. Ses recherches sur la côte
+du Groënland n'ont pas eu plus de succès. On doit donc considérer
+comme certain qu'il ne reste aucun survivant de l'équipage du
+_Viken._»
+
+
+XVIII
+
+-- Bonjour, monsieur Benett! Quand je trouve l'occasion de vous
+donner une poignée de main, cela me fait toujours plaisir.
+
+-- Et cela me fait toujours honneur, monsieur Hog.
+
+-- Honneur, plaisir, plaisir, honneur, répondit gaiement le
+professeur, l'un vaut l'autre!
+
+-- Je vois que votre voyage dans la Norvège centrale s'est
+heureusement achevé.
+
+-- Il n'est point achevé, mais il est fini, monsieur Benett --
+pour cette année du moins.
+
+-- Eh bien, monsieur Hog, parlez-moi, s'il vous plaît, de ces
+braves gens dont vous avez fait la connaissance à Dal.
+
+-- De braves gens, en effet, monsieur Benett, de braves gens et
+des gens braves! Le mot leur convient dans les deux sens!
+
+-- D'après ce que les journaux nous ont appris, il faut convenir
+qu'ils sont bien à plaindre!
+
+-- Très à plaindre, monsieur Benett! Je n'ai jamais vu le malheur
+frapper de pauvres êtres avec une obstination pareille!
+
+-- En effet, monsieur Hog. Après l'affaire du _Viken, _l'affaire
+de cet abominable Sandgoïst!
+
+-- Comme vous dites, monsieur Benett.
+
+-- En fin de compte, monsieur Hog, Hulda Hansen a bien fait de
+livrer le billet contre quittance.
+
+-- Vous trouvez?... Et pourquoi donc, s'il vous plaît?
+
+-- Parce que de toucher quinze mille marks contre la quasi-certitude
+de ne rien toucher du tout...
+
+-- Ah! monsieur Benett! riposta Sylvius Hog, vous parlez là en
+homme pratique, en négociant que vous êtes! Mais, si l'on veut se
+placer à un autre point de vue, cela devient une affaire de
+sentiment, et le sentiment ne se chiffre pas!
+
+-- Évidemment, monsieur Hog; mais permettez-moi de vous le dire,
+il est très probable que votre protégée en eût été pour son
+sentiment!
+
+-- Qu'en savez-vous?
+
+-- Mais songez-y donc! Que représentait ce billet? une seule
+chance de gagner sur un million!...
+
+-- En effet, une chance sur un million! C'est bien peu, monsieur
+Benett, c'est bien peu!
+
+-- Aussi la réaction s'est-elle faite, après l'engouement des
+premiers jours, et, dit-on, ce Sandgoïst, qui n'avait acheté ce
+billet que pour spéculer dessus, n'a pu trouver de preneur!
+
+-- Il paraît, monsieur Benett.
+
+-- Et pourtant, si ce maudit usurier venait à gagner le gros lot,
+voilà qui serait un scandale!
+
+-- Un scandale, assurément, monsieur Benett, le mot n'est pas trop
+fort, un scandale!
+
+En parlant ainsi, Sylvius Hog se promenait à travers les magasins,
+on peut dire à travers le bazar de M. Benett, si connu de
+Christiania et de toute la Norvège. En effet, que ne trouve-t-on
+pas dans ce bazar? Voitures de voyages, kariols par douzaines,
+caisses de comestibles, paniers de vins, stock de conserves,
+vêtements et ustensiles de touristes, même des guides pour
+conduire les voyageurs jusqu'aux dernières bourgades du Finmark,
+jusqu'en Laponie, jusqu'au pôle Nord! Et ce n'est pas tout!
+M. Benett n'offre-t-il pas aux amateurs d'histoire naturelle les
+divers échantillons de pierres et de métaux du sol, comme les
+spécimens les plus variés des oiseaux, insectes, reptiles, de la
+faune norvégienne? Et -- ce qu'il est bon de savoir -- où
+rencontrerait-on un assortiment de bijoux et de bibelots du pays
+plus complet que dans ses vitrines?
+
+Aussi ce gentleman est-il la Providence des touristes, désireux de
+visiter la région scandinave. C'est l'homme universel dont
+Christiania ne pourrait plus se passer.
+
+-- Et, à propos, monsieur Hog, dit-il, vous avez bien trouvé à
+Tinoset la voiture que vous m'aviez demandée?
+
+-- Puisque je vous l'avais demandée, monsieur Benett, j'étais
+certain qu'elle y serait à l'heure dite!
+
+-- Vous me comblez, monsieur Hog. Mais, d'après votre lettre, vous
+deviez être trois personnes...
+
+-- Trois, en effet.
+
+-- Et ces personnes?...
+
+-- Elles sont arrivées, hier soir, en bonne santé, et elles
+m'attendent à _l'Hôtel Victoria, _où je vais les rejoindre.
+
+-- Est-ce que ce sont?...
+
+-- Précisément, monsieur Benett, ce sont... Et, je vous prie, n'en
+dites rien. Je tiens à ce que leur arrivée ne s'ébruite pas
+encore.
+
+-- Pauvre fille!
+
+-- Oui!... Elle a bien souffert!
+
+-- Et vous avez voulu qu'elle assistât au tirage de la loterie,
+bien qu'elle n'ait plus le billet que lui avait légué son fiancé?
+
+-- Ce n'est pas moi qui l'ai voulu, monsieur Benett! C'est Ole
+Kamp, et, à vous comme à tous, je répéterai: Il faut obéir aux
+dernières volontés de Ole!
+
+-- Évidemment, ce que vous faites est toujours bien fait, cher
+monsieur Hog.
+
+-- Des compliments, cher monsieur Benett?...
+
+-- Non, mais il est fort heureux pour elle que la famille Hansen
+vous ait trouvé sur son chemin!...
+
+-- Bah! Il est encore plus heureux pour moi de l'avoir trouvée sur
+le mien!
+
+-- Je vois que vous avez toujours votre bon coeur!
+
+-- Monsieur Benett, puisqu'on est obligé d'avoir un coeur, autant
+vaut qu'il soit bon, n'est-ce pas?
+
+Et de quel excellent sourire Sylvius Hog accompagna cette réponse
+au digne commerçant.
+
+-- Et maintenant, monsieur Benett, reprit-il, ne croyez pas que je
+sois venu chercher des félicitations chez vous! Non! C'est un
+autre motif qui m'amène.
+
+-- À votre service.
+
+-- Vous savez, n'est-il pas vrai, que, sans l'intervention de Joël
+et de Hulda Hansen, si le Rjukanfos avait bien voulu me rendre, il
+ne m'aurait rendu qu'à l'état de cadavre. Je n'aurais donc pas
+aujourd'hui le plaisir de vous voir...
+
+-- Oui!... Oui!... Je sais! répondit M. Benett. Les journaux ont
+raconté votre aventure!... Et, en vérité, ces courageux jeunes
+gens eussent bien mérité de gagner le gros lot!
+
+-- C'est mon avis, répondit Sylvius Hog. Mais, puisque c'est
+maintenant impossible, je ne voudrais pas que ma petite Hulda
+retournât à Dal sans quelque petit cadeau... un souvenir...
+
+-- C'est là ce que j'appellerai une bonne idée, monsieur Hog!
+
+-- Vous allez donc m'aider à choisir, parmi toutes vos richesses,
+quelque chose qui puisse plaire à une jeune fille...
+
+-- Volontiers, répondit M. Benett. Et il pria le professeur de
+passer dans le magasin réservé à la joaillerie indigène. Un bijou
+norvégien, n'était-ce pas le plus charmant souvenir qu'on pût
+emporter de Christiania et du merveilleux bazar de M. Benett?
+
+Ce fut aussi l'avis de Sylvius Hog, auquel le complaisant
+gentleman s'empressa d'ouvrir toutes ses vitrines.
+
+-- Voyons, dit-il, je ne suis pas très connaisseur, et je m'en
+rapporte à votre goût, monsieur Benett.
+
+-- Nous nous entendrons, monsieur Hog. Il y avait là tout un
+assortiment de ces bijoux suédois et norvégiens, de fabrication
+très complexe, et qui sont généralement plus précieux de travail
+que de matière.
+
+-- Qu'est-ce que cela? demanda le professeur.
+
+-- C'est une bague en doublé, avec glands mobiles, dont le
+tintement est fort agréable.
+
+-- Très joli! répondit Sylvius Hog, en essayant la bague à
+l'extrémité de son petit doigt. Mettez toujours cette bague de
+côté, monsieur Benett, et voyons autre chose.
+
+-- Bracelets ou colliers?
+
+-- Un peu de tout, si vous permettez, monsieur Benett, un peu de
+tout! Ah! ceci?...
+
+-- Ce sont des rondelles qui se portent par paires au corsage.
+Voyez-vous l'effet du cuivre sur ce fond de laine rouge plissée?
+C'est de très bon goût, sans atteindre de trop hauts prix.
+
+-- Charmant, en effet, monsieur Benett. Mettons encore cet
+ornement de côté.
+
+-- Seulement, monsieur Hog, je vous ferai observer que ces
+rondelles sont absolument réservées aux parures des jeunes
+mariées... le jour des noces... et que...
+
+-- Par saint Olaf! vous avez raison, monsieur Benett, vous avez
+bien raison! Ma pauvre Hulda! Ce n'est malheureusement pas Ole qui
+lui fait ce cadeau, c'est moi, et ce n'est plus à une fiancée que
+je vais l'offrir!...
+
+-- En effet, monsieur Hog!
+
+-- Voyons donc d'autres bijoux qui soient à l'usage d'une jeune
+fille. Ah! cette croix, monsieur Benett?
+
+-- C'est une croix de suspension, avec disques concaves qui
+résonnent à chaque mouvement du cou.
+
+-- Fort joli!... Fort joli!... Mettez cela à part, monsieur
+Benett. Quand j'aurai visité toutes vos vitrines, nous ferons
+notre choix...
+
+-- Oui, mais...
+
+-- Encore un mais?
+
+-- Cette croix, c'est celle que portent les mariées de la Scanie,
+en se rendant à l'église...
+
+-- Diable, monsieur Benett!... Il faut bien avouer que je n'ai pas
+la main heureuse!
+
+-- Cela tient, monsieur Hog, à ce que ce sont des bijoux de
+mariées dont j'ai le plus grand assortiment et que je vends en
+plus grand nombre. Vous ne pouvez vous en étonner.
+
+-- Cela ne m'étonne en aucune façon, monsieur Benett; mais, enfin,
+cela m'embarrasse!
+
+-- Eh bien, prenez toujours cet anneau d'or que vous avez fait
+mettre de côté!
+
+-- Oui... cet anneau d'or... J'aurais voulu cependant aussi
+quelque autre bijou plus... comment dirai-je?... plus décoratif...
+
+-- Alors, n'hésitez pas! Prenez cette plaque d'argent filigrané,
+dont les quatre rangées de chaînettes font si bon effet au cou
+d'une jeune fille! Voyez! elle est semée de fines verroteries et
+agrémentée de fusées de laiton en forme de bobines, avec des
+perles de couleur taillées en briolettes! C'est un des plus
+curieux produits de l'orfèvrerie norvégienne!
+
+-- Oui!... Oui!... répondit Sylvius Hog. Un joli bijou, mais un
+peu prétentieux, peut-être, pour ma modeste Hulda! En vérité, je
+préférerais les rondelles que vous m'avez montrées tout à l'heure,
+ainsi que la croix de suspension! Sont-elles donc tellement
+spéciales aux parures de noces qu'on ne puisse en faire cadeau à
+une jeune fille?
+
+-- Monsieur Hog, répondit M. Benett, le Storthing n'a pas encore
+fait de loi à cet égard!... C'est sans doute une lacune...
+
+-- Bon, bon, monsieur Benett, nous arrangerons cela! En attendant,
+je prends toujours la croix et les rondelles!... Et puis, enfin,
+ma petite Hulda peut se marier un jour!... Bonne et charmante
+comme elle est, l'occasion ne lui manquera pas d'utiliser ces
+parures!... C'est donc décidé, je les prends et je les emporte!
+
+-- Bien, monsieur Hog.
+
+-- Est-ce que nous aurons le plaisir de vous voir au tirage de la
+loterie, monsieur Benett?
+
+-- Certainement.
+
+-- Je crois que cela sera très intéressant.
+
+-- J'en suis sûr.
+
+-- À bientôt, monsieur Benett, à bientôt.
+
+-- À bientôt, monsieur Hog.
+
+-- Tiens! fit le professeur en se penchant au-dessus d'une
+vitrine. Voilà deux jolis anneaux que je n'avais pas vus!
+
+-- Oh! Ceux-là ne peuvent vous convenir, monsieur Hog. Ce sont des
+anneaux gravés que le pasteur met au doigt des mariés, pendant la
+cérémonie...
+
+-- Vraiment?... Bah! je les prends tout de même!
+
+-- À bientôt, monsieur Benett, à bientôt. Sylvius Hog sortit, et,
+d'un pas léger -- un pas de vingt ans -- il se dirigea vers
+_l'Hôtel Victoria. _Arrivé sous le vestibule, il aperçut tout
+d'abord ces mots _Fiat lux, _qui sont inscrits en exergue sur la
+lanterne du gaz.
+
+«Eh! se dit-il, ce latin-là est de circonstance! Oui! _Fiat
+lux!... Fiat lux!»_
+
+Hulda était dans sa chambre. Assise près de la fenêtre, elle
+attendait. Le professeur frappa à la porte, qui s'ouvrit aussitôt.
+
+-- Ah! monsieur Sylvius! s'écria la jeune fille en se levant.
+
+-- Me voilà! Me voilà! Mais il ne s'agit pas de monsieur Sylvius,
+ma petite Hulda, il s'agit du déjeuner qui est déjà servi. J'ai
+une faim de loup. Où est Joël?
+
+-- Dans la salle de lecture.
+
+-- Bien!... Je vais l'y chercher! Vous, chère enfant, descendez
+tout de suite nous rejoindre! Sylvius Hog quitta la chambre de
+Hulda et alla trouver Joël qui l'attendait aussi, mais désespéré.
+
+Le pauvre garçon lui montra le numéro du _Morgen-Blad. _La dépêche
+du commandant du _Telegraf _ne laissait plus aucun doute sur la
+perte totale du _Viken._
+
+_-- _Hulda n'a pas lu?... demanda vivement le professeur.
+
+-- Non, monsieur Sylvius, non! Il vaut mieux lui cacher ce qu'elle
+n'apprendra que trop tôt!
+
+-- Vous avez bien fait, mon garçon... Allons déjeuner. Un instant
+après, tous trois étaient assis à une table particulière. Sylvius
+Hog mangeait de grand appétit. Un excellent déjeuner, d'ailleurs,
+et qui avait toute l'importance d'un dîner. Qu'on en juge! Soupe
+froide à la bière, avec tranches de citron, morceaux de cannelle,
+saupoudrée de pain bis en miettes, saumon à la sauce blanche
+sucrée, veau cuit dans de la fine chapelure, rosbif saignant avec
+une salade non assaisonnée, mais relevée d'épices, glaces à la
+vanille, confiture de pommes de terre, framboises, cerises et
+noisettes, le tout arrosé d'un vieux Saint-Julien de France.
+
+-- Excellent!... Excellent!... répétait Sylvius Hog. On se
+croirait à Dal dans l'auberge de dame Hansen! Et, à défaut de sa
+bouche empêchée, ses bons yeux souriaient autant que des yeux
+peuvent sourire.
+
+Joël et Hulda eussent vainement voulu se mettre à ce diapason; ils
+ne l'auraient pu, et la pauvre fille prit à peine sa part du
+déjeuner. Quand le repas fut achevé:
+
+-- Mes enfants, dit Sylvius Hog, vous avez évidemment eu tort de
+ne point faire honneur à cette agréable cuisine. Mais, enfin, je
+ne pouvais pas vous forcer. Après tout, si vous n'avez pas
+déjeuné, vous n'en dînerez que mieux. Par exemple, je ne sais pas
+si je pourrai vous tenir tête ce soir! Et maintenant, voici le
+moment de se lever de table.
+
+Le professeur était déjà debout, il prenait son chapeau que lui
+tendait Joël, lorsque Hulda, l'arrêtant, lui dit:
+
+-- Monsieur Sylvius, vous tenez toujours, n'est-ce pas, à ce que
+je vous accompagne?
+
+-- Pour assister au tirage de la loterie?... Certainement j'y
+tiens, et beaucoup, ma chère fille!
+
+-- Ce sera bien pénible pour moi!
+
+-- Très pénible, j'en conviens! Mais Ole a voulu que vous fussiez
+présente au tirage, Hulda, et il faut respecter la volonté de Ole!
+
+Décidément, cette phrase était devenue un refrain dans la bouche
+de Sylvius Hog!
+
+
+XIX
+
+Quelle affluence en cette grande salle de l'Université de
+Christiania, où allait s'effectuer le tirage de la loterie -- et
+même dans les cours, puisque la grande salle ne pouvait suffire à
+tant de monde -- et jusque dans les rues avoisinantes, puisque les
+cours étaient encore trop petites pour contenir tout ce populaire!
+
+Certes, ce dimanche 15 juillet, ce n'est pas à leur calme qu'on
+eût pu reconnaître ces Norvégiens si étrangement surexcités. Quant
+à cette surexcitation, était-elle due à l'intérêt qui s'attachait
+à ce tirage, ou provenait-elle de la haute température de cette
+journée d'été? Peut-être intérêt et chaleur y contribuaient-ils?
+En tout cas, ce n'était pas l'absorption de ces fruits
+rafraîchissants, de ces _multers, _dont il se fait une si grande
+consommation en Scandinavie, qui eût pu la refroidir!
+
+Le tirage devait commencer à trois heures précises. Il y avait
+cent lots, divisés en trois séries: 1° quatre-vingt-dix lots de
+cent à mille marks, d'une valeur totale de quarante-cinq mille
+marks; 2° neuf lots de mille à neuf mille marks, également d'une
+valeur totale de quarante-cinq mille marks; 3° un lot de cent
+mille marks.
+
+Contrairement à ce qui se fait ordinairement dans les loteries de
+ce genre, le grand effet avait été réservé pour la fin. Ce ne
+devait pas être au premier numéro sortant que serait attribué le
+gros lot, ce serait au dernier, c'est-à-dire, au centième. De là,
+une succession d'impressions, d'émotions, de battements de coeur,
+qui irait toujours croissant. Il va de soi que tout numéro, ayant
+gagné une fois, ne pouvait gagner une seconde, et serait annulé,
+s'il venait à ressortir des urnes.
+
+Tout cela était connu du public. Il n'y avait plus qu'à attendre
+l'heure fixée. Mais, pour tromper les longueurs de l'attente, on
+causait, et, le plus souvent, de la touchante situation de Hulda
+Hansen. Vraiment, si elle eût encore possédé le billet de Ole
+Kamp, chacun aurait fait des voeux pour elle -- après soi, bien
+entendu!
+
+À ce moment, quelques personnes avaient déjà connaissance de la
+dépêche publiée par le _Morgen-Blad. _Elles en parlèrent à leurs
+voisins. On sut bientôt, dans toute l'assistance, que les
+recherches de l'aviso n'avaient point abouti. Ainsi donc, il
+fallait renoncer à retrouver même une épave du _Viken. _Pas un
+homme de l'équipage n'avait survécu au naufrage! Hulda ne
+reverrait jamais son fiancé!
+
+Un incident vint détourner les esprits. Le bruit se répandit que
+Sandgoïst s'était décidé à quitter Drammen, et quelques-uns
+prétendaient l'avoir vu dans les rues de Christiania. Se serait-il
+donc hasardé à venir dans la salle! S'il en était ainsi, ce
+mauvais homme devait s'attendre à un déchaînement formidable
+contre sa personne! Lui! assister au tirage de la loterie!...
+Mais, c'était tellement improbable que ce n'était pas possible. En
+somme, fausse alerte, rien de plus.
+
+Vers deux heures un quart, il se produisit un certain mouvement
+dans la foule.
+
+C'était le professeur Sylvius Hog qui se présentait à la porte de
+l'Université. On savait quelle part il avait prise à toute cette
+affaire, et comment après avoir été sauvé par les enfants de dame
+Hansen, il essayait de payer sa dette.
+
+Aussitôt les rangs de s'ouvrir. Un murmure flatteur, auquel
+Sylvius Hog répondit par d'aimables inclinations de tête, se
+propagea à travers l'assistance et ne tarda pas à se changer en
+acclamations.
+
+Mais le professeur n'était pas seul. Lorsque les plus rapprochés
+se reculèrent pour lui faire place, on vit qu'il avait une jeune
+fille au bras, tandis qu'un jeune homme les suivait tous deux.
+
+Un jeune homme, une jeune fille! Il y eut là une sorte de secousse
+électrique. La même pensée jaillit de tous ces cerveaux comme
+l'étincelle d'autant d'accumulateurs.
+
+-- Hulda!... Hulda Hansen! Tel fut le nom qui s'échappa de toutes
+les bouches. Oui! C'était Hulda, émue à ne pouvoir se soutenir.
+Elle fût tombée, sans le bras de Sylvius Hog. Mais il la tenait
+bien, la touchante héroïne de cette fête à laquelle manquait Ole
+Kamp! Combien elle eût préféré rester dans sa petite chambre de
+Dal! Quel besoin elle éprouvait de se soustraire à toute cette
+curiosité, si sympathique qu'elle pût être! Mais Sylvius Hog avait
+voulu qu'elle vînt: elle était venue.
+
+-- Place! Place! criait-on de toutes parts. Et on se rangeait
+devant Sylvius Hog, devant Hulda, devant Joël. Que de mains
+s'allongèrent pour saisir leurs mains! Que de bonnes et
+accueillantes paroles sur leur passage! Et comme Sylvius Hog
+approuvait toutes ces démonstrations!
+
+-- Oui! c'est elle, mes amis!... C'est ma petite Hulda que j'ai
+ramenée de Dal! disait-il. Puis, se retournant:
+
+-- Et c'est Joël, son brave frère! Et il ajoutait:
+
+-- Mais, surtout, ne me les étouffez pas! Et, pendant que les
+mains de Joël répondaient à toutes les pressions, celles du
+professeur, moins vigoureuses, étaient brisées par tant
+d'étreintes. En même temps, son oeil brillait, quoique une petite
+larme d'émotion se fût glissée sous sa paupière. Mais -- phénomène
+digne de l'attention des ophtalmologistes -- cette petite larme
+était comme lumineuse. Il fallut un bon quart d'heure pour
+traverser les cours de l'Université, gagner la grande salle,
+atteindre les chaises qui avaient été réservées au professeur.
+Enfin, cela fut fait, non sans quelque peine. Sylvius Hog prit
+place entre Hulda et Joël. À deux heures et demie, une porte
+s'ouvrit derrière l'estrade, au fond de la salle. Le président du
+bureau apparut, digne, sérieux, ayant cet air dominateur, ce port
+de tête spécial à tout homme appelé à une présidence quelconque.
+Deux assesseurs le suivaient, non moins graves. Puis, on vit
+entrer six petites filles enrubannées, fleuries, toutes blondes
+aux yeux bleus, avec des mains un peu rouges, dans lesquelles on
+reconnaissait visiblement ces mains de l'innocence, prédestinées
+au tirage des loteries. Cette entrée fut accueillie par un
+brouhaha, qui témoignait d'abord du plaisir qu'on éprouvait à voir
+les directeurs de la loterie de Christiania, ensuite de
+l'impatience qu'ils avaient provoquée en ne paraissant pas plus
+tôt sur l'estrade. S'il y avait six petites filles, c'est qu'il y
+avait six urnes, disposées sur une table, et desquelles six numéros
+devaient sortir à chaque tirage.
+
+Ces six urnes contenaient chacune les dix numéros 1, 2, 3, 4, 5,
+6, 7, 8, 9, 0, représentant les unités, dizaines, centaines,
+mille, dizaines de mille et centaines de mille du nombre million.
+S'il n'y avait pas de septième urne pour la colonne du million,
+c'est que, d'après ce mode de tirage, il est convenu que si les
+six zéros sortent à la fois, ils représentent le nombre million --
+ce qui répartit également les chances sur tous les numéros.
+
+En outre, on avait décidé que les numéros seraient successivement
+extraits des urnes en commençant par celle qui était à la gauche
+du public. Le nombre gagnant se formerait ainsi sous les yeux des
+spectateurs, d'abord par le chiffre de la colonne des centaines de
+mille, puis des dizaines de mille, et ainsi de suite jusqu'à la
+colonne des unités. Grâce à cette convention, on juge avec quelle
+émotion chacun verrait s'accroître ses chances, après la sortie de
+chaque chiffre.
+
+À trois heures sonnant, le président fit un signe de la main et
+déclara la séance ouverte.
+
+Le long murmure qui accueillit cette déclaration dura pendant
+quelques minutes, après lesquelles un certain silence s'établit.
+
+Le président se leva alors. Très ému, il prononça le petit
+discours de circonstance, dans lequel il parut regretter qu'il n'y
+eût pas un gros lot pour chaque billet. Puis, il ordonna de
+procéder au tirage de la première série. Elle comprenait, on le
+sait, quatre-vingt-dix lots, ce qui allait exiger un certain
+temps.
+
+Les six petites filles commencèrent donc à fonctionner avec une
+régularité automatique, sans que la patience du public se lassât
+un seul instant. Il est vrai, l'importance des lots croissant avec
+chaque tirage, l'émotion croissait aussi, et personne ne songeait
+à quitter sa place, pas même ceux dont les numéros sortis
+n'avaient plus rien à prétendre.
+
+Cela dura une heure, sans qu'il se produisit d'incident. Ce que
+l'on put observer, toutefois, c'est que le numéro 9672 n'était pas
+encore sorti -- ce qui lui eût enlevé toutes chances de gagner le
+lot de cent mille marks.
+
+-- Voilà qui est de bon augure pour ce Sandgoïst! dit un des
+voisins du professeur.
+
+-- Bah! Il serait bien étonnant que le gros lot lui échût!
+répondait un autre, bien qu'il ait un fameux numéro!
+
+-- En effet, un fameux! répondit Sylvius Hog. Mais ne me demandez
+pas pourquoi!... Je ne serais pas capable de vous le dire!
+
+Alors commença le tirage de la deuxième série, qui comprenait neuf
+lots. Cela allait devenir tout à fait intéressant, le quatre-
+vingt-onzième étant de mille marks, le quatre-vingt-douzième de
+deux mille, et ainsi de suite jusqu'au quatre-vingt-dix-neuvième,
+lequel était de neuf mille. La troisième série, on ne l'a pas
+oublié, se composait uniquement du gros lot.
+
+Le numéro 72521 gagna un lot de cinq mille marks. Ce billet était
+celui d'un brave marinier du port, qui fut acclamé par toute
+l'assistance et supporta très dignement ces acclamations.
+
+Un autre numéro, le 823752, gagna six mille marks. Et quelle fut
+la joie de Sylvius Hog, lorsque Joël lui apprit qu'il appartenait
+à la charmante Siegfrid, de Bamble!
+
+Mais alors il se produisit un incident, et tout le public éprouva
+une émotion qui se traduisit par des murmures. Lorsqu'on tira le
+quatre-vingt-dix-septième lot -- celui de sept mille marks -- on
+put croire un instant que Sandgoïst allait être favorisé par le
+sort, au moins pour ce lot.
+
+En effet, le numéro qui le gagna fut le 9627. Il ne s'en était
+fallu que de quarante-cinq points que ce ne fût celui d'Ole Kamp!
+
+Les deux tirages suivants donnèrent des numéros très éloignés: 775
+et 76287.
+
+La deuxième série était close. Il ne restait plus à tirer que le
+dernier lot de cent mille marks.
+
+En ce moment, l'agitation des spectateurs devint extraordinaire,
+et il serait assez difficile d'en reproduire l'intensité.
+
+Ce fut d'abord un long murmure, qui se propagea de la grande salle
+dans les cours et jusque dans les rues. Quelques minutes se
+passèrent même, sans qu'il parvînt à se calmer. Cependant le
+decrescendo se fit peu à peu, et un profond silence le suivit. On
+eût dit que toute l'assistance était figée. Il y avait dans ce
+calme une certaine quantité de stupeur -- qu'on nous permette
+cette comparaison -- de cette stupeur qu'on éprouve au moment où
+un condamné paraît sur la place de l'exécution. Mais, cette fois,
+le patient, encore inconnu, n'était condamné qu'à gagner cent
+mille marks, non à perdre la tête, à moins qu'il ne la perdit de
+joie.
+
+Joël, les bras croisés, regardait vaguement devant lui, étant le
+moins émotionné peut-être de toute cette foule.
+
+Hulda, assise, comme repliée en elle-même, ne songeait qu'à son
+pauvre Ole. Elle le cherchait instinctivement du regard, comme
+s'il eût dû apparaître au dernier moment!
+
+Sylvius Hog, lui... Mais il faut renoncer à dépeindre l'état dans
+lequel se trouvait Sylvius Hog.
+
+-- Tirage du lot de cent mille marks! dit le président. Quelle
+voix! Elle semblait venir des entrailles de cet homme solennel.
+Cela tenait à ce qu'il avait plusieurs billets, qui, n'étant pas
+encore sortis, pouvaient prétendre au gros lot.
+
+La première petite fille tira un numéro de l'urne de gauche et le
+montra à l'assemblée.
+
+-- Zéro! dit le président.
+
+Ce zéro ne fit pas un très grand effet. Il semblait vraiment qu'on
+s'attendît à le voir apparaître.
+
+-- Zéro! dit le président, en proclamant le chiffre tiré par la
+seconde petite fille.
+
+Deux zéros! On observa que les chances s'accroissaient notablement
+pour tous les numéros compris entre un et neuf mille neuf cent
+quatre-vingt-dix-neuf. Or, le billet de Ole Kamp -- qu'on ne
+l'oublie pas -- portait le numéro 9672.
+
+Chose singulière, Sylvius Hog commença à s'agiter sur sa chaise,
+comme si elle eût été prise de roulis.
+
+-- Neuf! dit le président, en annonçant le chiffre que la
+troisième petite fille venait d'extraire de la troisième urne.
+Neuf!... C'était le premier chiffre du billet de Ole Kamp!
+
+-- Six! dit le président. Et, en effet, la quatrième fillette
+présentait un six à tous les regards braqués sur elle, comme
+autant de pistolets chargés, ce qui l'intimidait visiblement.
+
+Les chances de gagner étaient maintenant de une sur cent pour tous
+les numéros compris entre un et quatre-vingt-dix-neuf.
+
+Est-ce que le billet de Ole Kamp allait faire tomber cette somme
+de cent mille marks dans la poche de ce misérable Sandgoïst?
+Vraiment, ce serait à faire douter de Dieu!
+
+La cinquième petite fille plongea sa main dans l'urne et tira le
+cinquième chiffre.
+
+-- Sept! dit le président d'une voix si étranglée qu'on l'entendit
+à peine, même des premiers rangs.
+
+Mais, si on n'entendait pas, on voyait, et, à ce moment, les cinq
+fillettes tendaient les chiffres suivants aux yeux du public:
+
+00967
+
+Le numéro gagnant serait nécessairement compris entre 9670 et
+9679. Il avait donc maintenant une chance sur dix.
+
+La stupeur était à son comble.
+
+Sylvius Hog, debout, avait saisi la main de Hulda Hansen. Tous les
+regards se portaient sur la pauvre fille. En sacrifiant le dernier
+souvenir de son fiancé, avait-elle donc sacrifié la fortune que
+Ole Kamp avait rêvée pour elle et pour lui?
+
+La sixième fillette eut quelque peine à introduire sa main dans
+l'urne. Elle tremblait, la petiote! Enfin le numéro parut.
+
+-- Deux! s'écria le président. Et il retomba sur sa chaise, à demi
+suffoqué par l'émotion.
+
+-- Neuf mille six cent soixante-douze! proclama un des assesseurs
+d'une voix retentissante.
+
+C'était le numéro du billet de Ole Kamp, maintenant en la
+possession de Sandgoïst! Tout le monde le savait, et personne
+n'ignorait dans quelles conditions l'usurier l'avait acquis! Aussi
+un profond silence se fit-il, au lieu du tonnerre de hurrahs dont
+eût retenti toute la salle de l'Université, si le billet eût
+toujours été entre les mains de Hulda Hansen.
+
+Et maintenant, ce coquin de Sandgoïst allait-il donc apparaître,
+son billet à la main, pour en toucher le prix?
+
+-- Le numéro neuf mille six cent soixante-douze gagne le lot de
+cent mille marks! répéta l'assesseur. Qui le réclame?
+
+-- Moi! Était-ce l'usurier de Drammen qui venait de jeter ce mot?
+Non! C'était un jeune homme -- un jeune homme à la figure pâle,
+portant, sur ses traits comme dans toute sa personne, les marques
+de longues souffrances, mais vivant, bien vivant!
+
+À cette voix, Hulda s'était levée, elle avait poussé un cri, qui
+avait été entendu de tous. Puis, elle s'était affaissée... Mais ce
+jeune homme venait de fendre la foule, et ce fut lui qui reçut
+dans ses bras la jeune fille sans connaissance... C'était Ole
+Kamp!
+
+
+XX
+
+Oui! c'était Ole Kamp. Ole Kamp qui avait survécu, comme par
+miracle, au naufrage du _Viken._
+
+Et, si le _Telegraf _ne l'avait pas ramené en Europe, c'est qu'il
+n'était plus alors dans les parages visités par l'aviso.
+
+Et, s'il n'y était plus, c'est que, à cette époque, il faisait
+déjà route pour Christiania sur le navire qui le rapatriait.
+
+Voilà ce que racontait Sylvius Hog. Voilà ce qu'il répétait à qui
+voulait l'entendre. Et tous l'écoutaient, on peut le croire! Voilà
+ce qu'il narrait avec un véritable accent de triomphateur. Et ses
+voisins le redisaient à ceux qui n'avaient pas le bonheur d'être
+près de lui. Et cela se transmettait de groupe en groupe jusqu'au
+public du dehors, entassé dans les cours et les rues avoisinantes.
+
+En quelques instants, tout Christiania savait, à la fois, que le
+jeune naufragé du _Viken _était de retour et qu'il avait gagné le
+gros lot de la loterie des Écoles.
+
+Et il fallait bien que ce fût Sylvius Hog qui racontât toute cette
+histoire. Ole ne l'aurait pu, car Joël le serrait dans ses bras à
+l'étouffer, tandis que Hulda revenait à elle.
+
+-- Hulda!... chère Hulda!... disait Ole. Oui!... moi... ton
+fiancé... et bientôt ton mari!...
+
+-- Dès demain, mes enfants, dès demain! s'écria Sylvius Hog. Nous
+partirons ce soir même pour Dal. Et, si cela ne s'est jamais vu,
+on verra un professeur de législation, un député au Storthing,
+danser à une noce comme le plus découplé des gars du Telemark!
+
+Mais comment Sylvius Hog connaissait-il l'histoire de Ole Kamp?
+Tout simplement par la dernière lettre que la Marine lui avait
+adressée à Dal. En effet, cette lettre -- la dernière qu'il eût
+reçue et dont il n'avait parlé à personne -- en renfermait une
+seconde, datée de Christiansand. Cette seconde lettre lui
+apprenait ceci: le brick danois _Génius, _capitaine Kroman, venait
+de relâcher à Christiansand, ayant à son bord les survivants du
+_Viken, _entre autres le jeune maître Ole Kamp, et, trois jours
+après, il devait arriver à Christiania.
+
+La lettre de la Marine ajoutait que ces naufragés avaient
+tellement souffert qu'ils étaient encore dans un extrême état de
+faiblesse. C'est pourquoi Sylvius Hog n'avait rien voulu dire à
+Hulda du retour de son fiancé. Aussi, dans sa réponse, avait-il
+demandé le plus profond secret sur ce retour, secret qui avait été
+soigneusement gardé vis-à-vis du public.
+
+Si l'aviso _Telegraf _n'avait retrouvé ni aucune épave ni aucun
+survivant du _Viken, _cela est facile à expliquer.
+
+Pendant une violente tempête, le _Viken, _à demi désemparé, avait
+été forcé de fuir dans le nord-ouest, lorsqu'il se trouvait à deux
+cents milles au sud de l'Islande. Durant la nuit du 3 au 4 mai --
+nuit de rafales -- il vint se heurter contre un de ces énormes
+icebergs en dérive, qui sortaient des mers du Groënland. La
+collision fut terrible, et si terrible que, cinq minutes après, le
+_Viken _allait couler à pic.
+
+C'est alors que Ole avait écrit ce document. Il avait tracé sur ce
+billet de loterie un dernier adieu à sa fiancée; puis, il l'avait
+jeté à la mer, après l'avoir enfermé dans une bouteille.
+
+Mais la plupart des hommes de l'équipage du _Viken, _y compris le
+capitaine, avaient péri au moment de la collision. Seuls, Ole Kamp
+et quatre de ses camarades purent sauter sur un débris de
+l'iceberg, au moment où s'engloutissait le _Viken. _Pourtant, leur
+mort n'eût été que retardée, si cette épouvantable bourrasque
+n'eût poussé le banc de glace dans le nord-ouest. Deux jours
+après, épuisés, mourant de faim, les cinq survivants du naufrage
+étaient jetés sur la côte sud du Groënland, côte déserte, où ils
+vécurent à la grâce de Dieu.
+
+Là, s'ils n'étaient secourus sous quelques jours, c'en était fait
+d'eux.
+
+Comment auraient-ils eu la force de regagner les pêcheries ou les
+établissements danois de la baie de Baffin, sur l'autre
+littoral?...
+
+C'est alors que le brick _Génius, _qui avait été rejeté hors de sa
+route par la tempête, vint à passer. Les naufragés lui firent des
+signaux. Ils furent recueillis.
+
+Ils étaient sauvés.
+
+Toutefois, le _Génius, _arrêté par les vents contraires, éprouva
+de grands retards dans cette traversée relativement courte du
+Groënland à la Norvège. C'est ce qui explique comment il n'arriva
+à Christiansand que le 12 juillet, et à Christiania que dans la
+matinée du 15.
+
+Or, c'était ce matin même que Sylvius Hog était allé à bord. Là,
+il avait trouvé Ole encore bien faible. Il lui avait dit tout ce
+qui s'était passé depuis sa dernière lettre, datée de Saint-
+Pierre-Miquelon... Puis, il l'avait emmené à sa demeure, après
+avoir demandé quelques heures de secret à l'équipage du _Génius...
+_On sait le reste.
+
+Il fut alors convenu que Ole Kamp viendrait assister au tirage de
+la loterie. En aurait-il la force?
+
+Oui! la force ne lui manquerait pas, puisque Hulda serait là! Mais
+avait-il donc encore un intérêt pour lui, ce tirage? Oui, cent
+fois oui! Intérêt pour lui comme pour sa fiancée!
+
+En effet, Sylvius Hog avait réussi à retirer le billet des mains
+de Sandgoïst. Il l'avait racheté pour le prix que l'usurier de
+Drammen avait payé à dame Hansen. Et Sandgoïst avait été trop
+heureux de s'en défaire, maintenant que les surenchères ne se
+produisaient plus.
+
+-- Mon brave Ole, avait dit Sylvius Hog, en lui remettant le
+billet, ce n'est point une chance de gain, bien improbable en
+somme, que j'ai voulu rendre à Hulda, c'est le dernier adieu que
+vous lui avez adressé au moment où vous croyiez périr!
+
+Eh bien! il faut avouer qu'il avait été bien inspiré, le
+professeur Sylvius Hog, et mieux que ce Sandgoïst, qui faillit se
+briser la tête contre un mur, quand il apprit le résultat du
+tirage!
+
+Maintenant, il y avait cent mille marks dans la maison de Dal!
+Oui! cent mille marks bien au complet, car Sylvius Hog ne voulut
+jamais être remboursé de ce qu'il avait payé pour racheter le
+billet de Ole Kamp.
+
+C'était la dot qu'il était trop heureux d'offrir, le jour de son
+mariage, à sa petite Hulda!
+
+Peut-être trouvera-t-on quelque peu étonnant que ce numéro 9672,
+sur lequel l'attention avait été si vivement attirée, fût
+précisément sorti au tirage du gros lot.
+
+Oui, on en conviendra, c'est étonnant, mais ce n'était pas
+impossible, et, en tout cas, cela est.
+
+Sylvius Hog, Ole, Joël et Hulda quittèrent Christiania le soir
+même. Le retour se fit par Bamble, car il fallait remettre à
+Siegfrid le montant du lot qu'elle avait gagné. En repassant
+devant la petite église d'Hitterdal, Hulda se rappela les tristes
+pensées qui l'obsédaient deux jours avant; mais la vue de Ole la
+ramena bien vite à l'heureuse réalité.
+
+Par saint Olaf! Que Hulda était donc jolie sous sa couronne
+rayonnante, quand, quatre jours après, elle quitta la petite
+chapelle de Dal au bras de son mari Ole Kamp! Et, ensuite, quelle
+cérémonie, dont le retentissement fut immense jusque dans les
+derniers gaards du Telemark! Et quelle joie chez tous, la jolie
+fille d'honneur Siegfrid, son père, le fermier Hemlboë, son futur
+Joël, et aussi dame Hansen que ne hantait plus le spectre de
+Sandgoïst!
+
+Peut-être se demandera-t-on si tous ces amis, tous ces invités,
+MM. Help frères, Fils de l'Aîné, et tant d'autres, étaient venus
+pour assister au bonheur des jeunes mariés, ou pour voir danser
+Sylvius Hog, professeur de législation et député au Storthing.
+Question. En tout cas, il dansa très dignement, et, après avoir
+ouvert le bal avec sa chère Hulda, il le finit avec la charmante
+Siegfrid.
+
+Le lendemain, salué par les hurrahs de toute la vallée du
+Vestfjorddal, il partait, non sans avoir formellement promis de
+revenir pour le mariage de Joël, qui fut célébré quelques semaines
+plus tard, à l'extrême joie des contractants.
+
+Cette fois, le professeur ouvrit le bal avec la charmante
+Siegfrid, et il le finit avec sa chère Hulda. Et, depuis lors,
+Sylvius Hog ne dansa plus. Que de bonheur accumulé maintenant dans
+cette maison de Dal, qui avait été si durement éprouvée. Sans
+doute, c'était un peu l'oeuvre de Sylvius Hog, mais il ne voulait
+point en convenir et répétait toujours:
+
+-- Bon! C'est encore moi qui redois quelque chose aux enfants de
+dame Hansen!
+
+Quant au fameux billet, il avait été rendu à Ole Kamp, après le
+tirage de la loterie. Maintenant, il figure à la place d'honneur,
+au milieu d'un petit cadre de bois, dans la grande salle de
+l'auberge de Dal. Mais, ce que l'on voit, ce n'est point le recto
+du billet où est inscrit le fameux numéro 9672, c'est le dernier
+adieu, écrit au verso, que le naufragé Ole Kamp adressait à sa
+fiancée Hulda Hansen.
+
+
+
+ [1] Environ cent mille francs.
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Un billet de loterie, by Jules Verne
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK UN BILLET DE LOTERIE ***
+
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+The Project Gutenberg EBook of Un billet de loterie, by Jules Verne
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+\par This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+\par almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
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+\par with this eBook or online at www.gutenberg.org
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+\par Title: Un billet de loterie
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+\par Author: Jules Verne
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+\par Release Date: February 28, 2005 [EBook #15203]
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+\par Language: French
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+\par Character set encoding: ISO-8859-1
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+\par *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK UN BILLET DE LOTERIE ***
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+\par Produced by Ebooks libres et gratuits. Available at
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+\par }{\field\fldedit{\*\fldinst {\cs15\ul }{HYPERLINK \\l "_Toc97124748"}{\cs15\ul }{\ul {\*\datafield 08d0c9ea79f9bace118c8200aa004ba90b02000000080000000d0000005f0054006f006300390037003100320034003700340038000000}}}{\fldrslt {\cs15\ul XVIII}{\tab }
+{\field{\*\fldinst { PAGEREF _Toc97124748 \\h }{\fs20 {\*\datafield 08d0c9ea79f9bace118c8200aa004ba90b02000000080000000d0000005f0054006f00630039003700310032003400370034003800000000}}}{\fldrslt {165}}}}}{\f0\fs24\cf0
+\par }{\field\fldedit{\*\fldinst {\cs15\ul }{HYPERLINK \\l "_Toc97124749"}{\cs15\ul }{\ul {\*\datafield 08d0c9ea79f9bace118c8200aa004ba90b02000000080000000d0000005f0054006f006300390037003100320034003700340039000000}}}{\fldrslt {\cs15\ul XIX}{\tab }
+{\field{\*\fldinst { PAGEREF _Toc97124749 \\h }{\fs20 {\*\datafield 08d0c9ea79f9bace118c8200aa004ba90b02000000080000000d0000005f0054006f00630039003700310032003400370034003900000000}}}{\fldrslt {176}}}}}{\f0\fs24\cf0
+\par }{\field\fldedit{\*\fldinst {\cs15\ul }{HYPERLINK \\l "_Toc97124750"}{\cs15\ul }{\ul {\*\datafield 08d0c9ea79f9bace118c8200aa004ba90b02000000080000000d0000005f0054006f006300390037003100320034003700350030000000}}}{\fldrslt {\cs15\ul XX}{\tab }
+{\field{\*\fldinst { PAGEREF _Toc97124750 \\h }{\fs20 {\*\datafield 08d0c9ea79f9bace118c8200aa004ba90b02000000080000000d0000005f0054006f00630039003700310032003400370035003000000000}}}{\fldrslt {185}}}}}{\f0\fs24\cf0
+\par }\pard\plain \qj\fi680\sl-20\slmult0\nowidctlpar\widctlpar\adjustright \f40\fs32\lang1036\cgrid }}\pard\plain \qj\fi680\sl-20\slmult0\nowidctlpar\widctlpar\adjustright \f40\fs32\lang1036\cgrid {
+\par }\pard\plain \s1\qc\sb600\sa480\keepn\pagebb\nowidctlpar\widctlpar\outlinelevel0\adjustright \b\f40\fs38\lang1036\cgrid {{\*\bkmkstart _Toc97124731}I{\*\bkmkend _Toc97124731}\line
+\par }\pard\plain \qj\fi680\nowidctlpar\widctlpar\adjustright \f40\fs32\lang1036\cgrid {\endash \~Quelle heure est-il\~? demanda dame Hansen, apr\'e8s avoir secou\'e9 les cendres de sa pipe, dont les derni\'e8res bouff\'e9
+es se perdirent entre les poutres colori\'e9es du plafond.
+\par
+\par \endash \~Huit heures, ma m\'e8re, r\'e9pondit Hulda.
+\par
+\par \endash \~Il n\rquote est pas probable qu\rquote il nous arrive des voyageurs pendant la nuit\~; le temps est trop mauvais.
+\par
+\par \endash \~Je ne pense pas qu\rquote il vienne personne. En tout cas, les chambres sont pr\'eates, et j\rquote entendrai bien si l\rquote on appelle du dehors.
+\par
+\par \endash \~Ton fr\'e8re n\rquote est pas revenu\~?
+\par
+\par \endash \~Pas encore.
+\par
+\par \endash \~N\rquote a-t-il pas dit qu\rquote il rentrerait aujourd\rquote hui\~?
+\par
+\par \endash \~Non, ma m\'e8re. Jo\'ebl est all\'e9 conduire un voyageur au lac Tinn, et, comme il est parti tr\'e8s tard, je ne crois pas qu\rquote il puisse, avant demain, revenir \'e0 Dal.
+\par
+\par \endash \~Il couchera donc \'e0 Moel\~?
+\par
+\par \endash \~Oui, sans doute, \'e0 moins qu\rquote il n\rquote aille \'e0 Bamble faire visite au fermier Helmbo\'eb\'85
+\par
+\par \endash \~Et \'e0 sa fille\~?
+\par
+\par \endash \~Oui, Siegfrid, ma meilleure amie, et que j\rquote aime comme une s\'9cur\~! r\'e9pondit en souriant la jeune fille.
+\par
+\par \endash \~Eh bien, ferme la porte, Hulda, et allons dormir\'85
+\par
+\par \endash \~Vous n\rquote \'eates pas souffrante, ma m\'e8re\~?
+\par
+\par \endash \~Non, mais demain je compte me lever de bonne heure. Il faut que j\rquote aille \'e0 Moel\'85
+\par
+\par \endash \~\'c0 quel propos\~?
+\par
+\par \endash \~Eh\~! ne faut-il pas s\rquote occuper de renouveler nos provisions pour la saison qui va venir\~?
+\par
+\par \endash \~Le messager de Christiania est donc arriv\'e9 \'e0 Moel avec sa voiture de vins et de comestibles\~?
+\par
+\par \endash \~Oui, Hulda, cet apr\'e8s-midi, r\'e9pondit dame Hansen. Lengling, le contrema\'eetre de la scierie, l\rquote a rencontr\'e9 et m\rquote a pr\'e9venue en passant. De nos conserves en jambon et en saumon fum\'e9
+, il ne reste plus grand-chose, et je ne veux pas risquer d\rquote \'eatre prise au d\'e9pourvu. D\rquote un jour \'e0 l\rquote
+autre, surtout si le temps redevient meilleur, les touristes peuvent commencer leurs excursions dans le Telemark. Il faut que notre auberge soit en \'e9tat de les recevoir et qu\rquote ils y trouvent tout ce dont ils peuvent avoir besoin pendant leur s
+\'e9jour. Sais-tu bien, Hulda, que nous voici d\'e9j\'e0 au 15 avril\~?
+\par
+\par \endash \~Au 15 avril\~! murmura la jeune fille.
+\par
+\par \endash \~Donc, demain, reprit dame Hansen, je m\rquote occuperai de tout cela. En deux heures, j\rquote aurai fait nos achats que le messager apportera ici, et je reviendrai avec Jo\'ebl dans sa kariol.
+\par
+\par \endash \~Ma m\'e8re, au cas o\'f9 vous rencontreriez le courrier, n\rquote oubliez pas de demander s\rquote il y a quelque lettre pour nous\'85
+\par
+\par \endash \~Et surtout pour toi\~! C\rquote est bien possible, puisque la derni\'e8re lettre de Ole a d\'e9j\'e0 un mois de date.
+\par
+\par \endash \~Oui\~! un mois\~!\'85 un grand mois\~!
+\par
+\par \endash \~Ne te fais pas de peine, Hulda\~! Ce retard n\rquote a rien qui puisse nous \'e9tonner. D\rquote ailleurs, si le courrier de Moel n\rquote a rien apport\'e9, ce qui n\rquote est pas venu par Christiania ne peut-il venir par Bergen\~?
+\par
+\par \endash \~Sans doute, ma m\'e8re, r\'e9pondit Hulda\~; mais que voulez-vous\~? Si j\rquote ai le c\'9cur gros, c\rquote est qu\rquote il y a loin d\rquote ici aux p\'eacheries du New Found Land\~! Toute une mer \'e0
+ traverser, et lorsque la saison est mauvaise encore\~! Voil\'e0 pr\'e8s d\rquote un an que mon pauvre Ole est parti, et qui pourrait dire quand il viendra nous revoir \'e0 Dal\~?\'85
+\par
+\par \endash \~Et si nous y serons \'e0 son retour\~! murmura dame Hansen, mais si bas, que sa fille ne put l\rquote entendre.
+\par
+\par Hulda alla fermer la porte de l\rquote auberge, qui s\rquote ouvrait sur le chemin du Vestfjorddal. Elle ne prit m\'eame pas le soin de donner un tour de cl\'e9 \'e0 la serrure. En cet hospitalier pays de Norv\'e8ge, ces pr\'e9cautions ne sont pas n\'e9
+cessaires. Il convient, aussi, que tout voyageur puisse entrer, de jour, comme de nuit, dans la maison des gaards et des soeters, sans qu\rquote il soit besoin de lui ouvrir.
+\par
+\par Aucune visite de r\'f4deurs ou de malfaiteurs n\rquote est \'e0 craindre, ni dans les bailliages ni dans les hameaux les plus recul\'e9s de la province. Aucune tentative criminelle contre les biens ou les personnes n\rquote a jamais troubl\'e9 la s\'e9
+curit\'e9 de ses habitants.
+\par
+\par La m\'e8re et la fille occupaient deux chambres du premier \'e9tage sur le devant de l\rquote auberge \endash deux chambres fra\'eeches et propres, d\rquote ameublement modeste, il est vrai, mais dont la tenue indiquait les soins d\rquote une bonne m\'e9
+nag\'e8re. Au-dessus, sous la couverture, d\'e9bordant comme un toit de chalet, se trouvait la chambre de Jo\'ebl, \'e9clair\'e9e par une fen\'eatre, encadr\'e9e d\rquote un d\'e9coupage en sapin amenuis\'e9 avec go\'fbt. De l\'e0, le regard, apr\'e8
+s avoir parcouru un grandiose horizon de montagnes, pouvait descendre jusqu\rquote au fond de l\rquote \'e9troite vall\'e9e, o\'f9 mugissait le Maan, moiti\'e9 torrent, moiti\'e9 rivi\'e8re. Un escalier de bois, \'e0 consoles trapues, \'e0
+ marches miroitantes, montait de la grande salle du rez-de-chauss\'e9e aux \'e9tages sup\'e9rieurs. Rien de plus attrayant que l\rquote aspect de cette maison, o\'f9 le voyageur trouvait un confort bien rare dans les auberges de Norv\'e8ge.
+\par
+\par Hulda et sa m\'e8re habitaient donc le premier \'e9tage. C\rquote est l\'e0 que de bonne heure elles se retiraient toutes deux, quand elles \'e9taient seules. D\'e9j\'e0 dame Hansen, s\rquote \'e9clairant d\rquote un
+ chandelier de verre multicolore, avait gravi les premi\'e8res marches de l\rquote escalier, lorsqu\rquote elle s\rquote arr\'eata.
+\par
+\par On frappait \'e0 la porte. Une voix se faisait entendre\~:
+\par
+\par \endash \~Eh\~! dame Hansen\~! dame Hansen\~! Dame Hansen redescendit.
+\par
+\par \endash \~Qui peut venir si tard\~? dit-elle.
+\par
+\par \endash \~Est-ce qu\rquote il serait arriv\'e9 quelque accident \'e0 Jo\'ebl\~? r\'e9pondit vivement Hulda. Aussit\'f4t, elle revint vers la porte.
+\par
+\par Il y avait l\'e0 un jeune gars, un de ces gamins qui font le m\'e9tier de skydskarl, lequel consiste \'e0 s\rquote accrocher \'e0 l\rquote arri\'e8re des kariols et \'e0 ramener le cheval au relais, quand l\rquote \'e9tape est finie. Celui-ci \'e9
+tait venu \'e0 pied et se tenait debout sur le seuil.
+\par
+\par \endash \~Eh\~! que veux-tu \'e0 cette heure\~? dit Hulda.
+\par
+\par \endash \~D\rquote abord vous souhaiter le bonsoir, r\'e9pondit le jeune gars.
+\par
+\par \endash \~C\rquote est tout\~?
+\par
+\par \endash \~Non\~! ce n\rquote est pas tout, mais ne faut-il pas toujours commencer par \'eatre poli\~?
+\par
+\par \endash \~Tu as raison\~! Enfin, qui t\rquote envoie\~?
+\par
+\par \endash \~Je viens de la part de votre fr\'e8re Jo\'ebl.
+\par
+\par \endash \~Jo\'ebl\~?\'85 Et pourquoi\~? r\'e9pliqua dame Hansen. Elle s\rquote avan\'e7a vers la porte, de ce pas lent et mesur\'e9 qui caract\'e9rise la marche des habitants de la Norv\'e8ge. Qu\rquote
+il y ait du vif-argent dans les veines de leur sol, soit\~! mais dans les veines de leur corps, peu ou point.
+\par
+\par Cependant cette r\'e9ponse avait \'e9videmment caus\'e9 quelque \'e9motion \'e0 la m\'e8re, car elle se h\'e2ta de dire\~:
+\par
+\par \endash \~Il n\rquote est rien arriv\'e9 \'e0 mon fils\~?
+\par
+\par \endash \~Si\~!\'85 Il est arriv\'e9 une lettre que le courrier de Christiania avait apport\'e9e de Drammen\'85
+\par
+\par \endash \~Une lettre qui vient de Drammen\~? dit vivement dame Hansen en baissant la voix.
+\par
+\par \endash \~Je ne sais pas, r\'e9pondit le jeune gars. Tout ce que je sais, c\rquote est que Jo\'ebl ne peut revenir avant demain et qu\rquote il m\rquote a envoy\'e9 ici pour vous apporter cette lettre.
+\par
+\par \endash \~C\rquote est donc press\'e9\~?
+\par
+\par \endash \~Il para\'eet.
+\par
+\par \endash \~Donne, dit dame Hansen, d\rquote un ton qui d\'e9notait une assez vive inqui\'e9tude.
+\par
+\par \endash \~La voici, bien propre et pas chiffonn\'e9e. Seulement cette lettre n\rquote est pas pour vous. Dame Hansen sembla respirer plus \'e0 l\rquote aise.
+\par
+\par \endash \~Et pour qui\~? demanda-t-elle.
+\par
+\par \endash \~Pour votre fille.
+\par
+\par \endash \~Pour moi\~! dit Hulda. C\rquote est une lettre de Ole, j\rquote en suis s\'fbre, une lettre qui sera venue par Christiania\~! Mon fr\'e8re n\rquote aura pas voulu me la faire attendre\~!
+\par
+\par Hulda avait pris la lettre, et, apr\'e8s s\rquote \'eatre \'e9clair\'e9e du chandelier, qui avait \'e9t\'e9 d\'e9pos\'e9 sur la table, elle regardait l\rquote adresse.
+\par
+\par \endash \~Oui\~!\'85 C\rquote est de lui\~!\'85 C\rquote est bien de lui\~!\'85 Puisse-t-il m\rquote annoncer que le }{\i Viken }{va revenir\~! Pendant ce temps, dame Hansen disait au jeune gars\~:
+\par
+\par \endash \~Tu n\rquote entres pas\~?
+\par
+\par \endash \~Une minute alors\~! Il faut que je retourne ce soir \'e0 la maison, parce que je suis retenu demain matin pour une kariol.
+\par
+\par \endash \~Eh bien, je te charge de dire \'e0 Jo\'ebl que je compte aller le rejoindre. Qu\rquote il m\rquote attende donc.
+\par
+\par \endash \~Demain soir\~?
+\par
+\par \endash \~Non, dans la matin\'e9e. Qu\rquote il ne quitte pas Moel sans m\rquote avoir vue. Nous reviendrons ensemble \'e0 Dal.
+\par
+\par \endash \~C\rquote est convenu, dame Hansen.
+\par
+\par \endash \~Allons, une goutte de brandevin\~?
+\par
+\par \endash \~Avec plaisir\~! Le jeune gars s\rquote \'e9tait approch\'e9 de la table, et dame Hansen lui avait pr\'e9sent\'e9 un peu de cette r\'e9confortante eau-de-vie, toute-puissante contre les brumes du soir. Il n\rquote
+en laissa pas une goutte au fond de la petite tasse. Puis\~:
+\par
+\par \endash \~}{\i God aften\~! }{dit-il.
+\par
+\par \endash \~}{\i God aften, }{mon gar\'e7on\~!
+\par
+\par C\rquote est le bonsoir norv\'e9gien. Il fut simplement \'e9chang\'e9. Pas m\'eame une inclination de t\'eate. Et le jeune gars partit, sans s\rquote inqui\'e9ter de la longue trotte qu\rquote il avait \'e0 faire. Ses pas se furent bient\'f4
+t perdus sous les arbres du sentier qui c\'f4toie la torrentueuse rivi\'e8re.
+\par
+\par Cependant Hulda regardait toujours la lettre de Ole et ne se h\'e2tait pas de l\rquote ouvrir. Qu\rquote on y songe\~! Cette fr\'eale enveloppe de papier avait d\'fb traverser tout l\rquote Oc\'e9an pour arriver jusqu\rquote \'e0
+ elle, toute cette grande mer o\'f9 se perdent les rivi\'e8res de la Norv\'e8ge occidentale. Elle en examinait les diff\'e9rents timbres. Mise \'e0 la poste le 15 mars, cette lettre n\rquote arrivait \'e0 Dal que le 15 avril. Comment, il y avait un mois d
+\'e9j\'e0 que Ole l\rquote avait \'e9crite\~! Que d\rquote \'e9v\'e9nements avaient pu se produire pendant ce mois, sur ces parages du New Found Land \endash nom que les Anglais donnent \'e0 l\rquote \'eele de Terre-Neuve\~! N\rquote \'e9
+tait-ce pas encore la p\'e9riode de l\rquote hiver, l\rquote \'e9poque dangereuse des \'e9quinoxes\~? Ces lieux de p\'eache ne sont-ils pas les plus mauvais du monde, avec les formidables coups de vent que le p\'f4le leur envoie \'e0
+ travers les plaines du Nord-Am\'e9rique\~? M\'e9tier p\'e9nible et p\'e9rilleux, ce m\'e9tier de p\'eacheur, qui \'e9tait celui de Ole\~! Et s\rquote il le faisait, n\rquote \'e9tait-ce point pour lui en rapporter les b\'e9n\'e9fices, \'e0 elle, sa fianc
+\'e9e, qu\rquote il devait \'e9pouser au retour\~! Pauvre Ole\~! Que disait-il dans cette lettre\~? Sans doute, qu\rquote il aimait toujours Hulda, comme Hulda l\rquote aimerait toujours, que leurs pens\'e9es se confondaient, malgr\'e9 la distance, et qu
+\rquote il voudrait \'eatre au jour de son arriv\'e9e \'e0 Dal\~!
+\par
+\par Oui\~! il devait dire tout cela, Hulda en \'e9tait s\'fbre. Mais, peut-\'eatre ajoutait-il que son retour \'e9tait proche, que cette campagne de p\'eache, qui entra\'eene les marins de Bergen si loin de leur terre natale, allait prendre fin\~! Peut-\'ea
+tre Ole lui apprenait-il que le }{\i Viken }{achevait d\rquote arrimer sa cargaison, qu\rquote il se pr\'e9parait \'e0 appareiller, que les derniers jours d\rquote avril ne s\rquote \'e9couleraient pas sans que tous deux fussent r\'e9uni
+s en cette heureuse maison du Vestfjorddal\~? Peut-\'eatre l\rquote assurait-il, enfin, que l\rquote on pouvait d\'e9j\'e0 fixer le jour o\'f9 le pasteur viendrait de Moel pour les unir dans la modeste chapelle de bois dont le clocher \'e9mergeait d
+\rquote un \'e9pais massif d\rquote arbres, \'e0 quelques centaines de pas de l\rquote auberge de dame Hansen\~?
+\par
+\par Pour le savoir, il suffisait simplement de briser le cachet de l\rquote enveloppe, d\rquote en tirer la lettre de Ole, de la lire, m\'eame \'e0 travers les larmes de douleur ou de joie que son contenu pourrait amener dans les y
+eux de Hulda. Et, sans doute, plus d\rquote une impatiente fille du Midi, une fille de la Dal\'e9carlie, du Danemark ou de la Hollande, e\'fbt d\'e9j\'e0 su ce que la jeune Norv\'e9gienne ne savait pas encore\~! Mais Hulda r\'eavait, et les r\'ea
+ves ne se terminent que lorsqu\rquote il pla\'eet \'e0 Dieu de les finir. Et que de fois on les regrette, tant la r\'e9alit\'e9 est d\'e9cevante\~!
+\par
+\par \endash \~Ma fille, dit alors dame Hansen, cette lettre que ton fr\'e8re t\rquote a envoy\'e9e, c\rquote est bien une lettre de Ole\~?
+\par
+\par \endash \~Oui\~! j\rquote ai reconnu son \'e9criture\~!
+\par
+\par \endash \~Eh bien, veux-tu donc remettre \'e0 demain pour la lire\~? Hulda regarda une derni\'e8re fois l\rquote enveloppe. Puis, apr\'e8s l\rquote avoir d\'e9cachet\'e9e sans trop de h\'e2te, elle en retira une lettre soigneusement calligraphi\'e9
+e et lut ce qui suit\~:
+\par
+\par \'ab\~Saint-Pierre-Miquelon, 17 mars 1882.
+\par
+\par \'ab\~Ch\'e8re Hulda,
+\par
+\par \'ab\~Tu apprendras avec plaisir que nos op\'e9rations de p\'eache ont prosp\'e9r\'e9 et qu\rquote elles seront achev\'e9es dans quelques jours.
+\par
+\par Oui\~! Nous touchons \'e0 la fin de la campagne\~! Apr\'e8s un an d\rquote absence, combien je serai heureux de revenir \'e0 Dal, et d\rquote y retrouver la seule famille qui me reste et qui est la tienne.
+\par
+\par \'ab\~Mes parts de b\'e9n\'e9fice sont belles. Ce sera pour notre entr\'e9e en m\'e9nage. Messieurs Help fr\'e8res, Fils de l\rquote A\'een\'e9, nos armateurs de Bergen, sont avis\'e9s que le }{\i Viken }{sera probablement de retour du 1
+5 au 20 mai. Tu peux donc t\rquote attendre \'e0 me voir \'e0 cette \'e9poque, c\rquote est-\'e0-dire, au plus, dans quelques semaines.
+\par
+\par \'ab\~Ch\'e8re Hulda, je compte te trouver encore plus jolie qu\rquote \'e0 mon d\'e9part, et, comme ta m\'e8re, en bonne sant\'e9. En bonne sant\'e9 aussi, ce hardi et brave camarade, mon cousin Jo\'ebl, ton fr\'e8
+re, qui ne demande pas mieux que de devenir le mien.
+\par
+\par \'ab\~Au re\'e7u de la pr\'e9sente, fais bien toutes mes amiti\'e9s \'e0 dame Hansen, que je vois d\rquote ici, au fond de son fauteuil de bois, pr\'e8s du vieux po\'eale, dans la grande salle. R\'e9p\'e8te-lui que je l\rquote aime deux fois, d\rquote
+abord parce qu\rquote elle est ta m\'e8re, et ensuite parce qu\rquote elle est ma tante.
+\par
+\par \'ab\~Surtout ne vous d\'e9rangez pas pour venir au-devant de moi \'e0 Bergen. Il serait possible que le }{\i Viken }{f\'fbt signal\'e9 plus t\'f4t que je le marque. Quoi qu\rquote il en soit, vingt-quatre heures apr\'e8s mon d\'e9barquement, ch\'e8
+re Hulda, tu peux compter que je serai \'e0 Dal. Mais ne va pas \'eatre trop surprise si j\rquote arrive en avance.
+\par
+\par \'ab\~Nous avons \'e9t\'e9 rudement secou\'e9s par les gros temps pendant cet hiver, le plus mauvais que nos marins aient jamais pass\'e9. Par bonheur, la morue du grand banc a donn\'e9 avec abondance. Le }{\i Viken }{en rapporte pr\'e8
+s de cinq mille quintaux, livrables \'e0 Bergen, d\'e9j\'e0 vendus par les soins de Messieurs Help fr\'e8res, Fils de l\rquote A\'een\'e9. Enfin, ce qui doit int\'e9resser la famille, c\rquote est que nous avons r\'e9
+ussi, et les profits seront bons pour moi qui, maintenant, suis \'e0 part enti\'e8re.
+\par
+\par \'ab\~D\rquote ailleurs, si ce n\rquote est pas la fortune que je rapporte au logis, j\rquote ai comme une id\'e9e, ou plut\'f4t j\rquote ai comme un pressentiment qu\rquote elle doit m\rquote attendre au retour\~! Oui\~! la fortune\'85
+ sans compter le bonheur\~! Comment\~?\'85 Cela, c\rquote est mon secret, ch\'e8re Hulda, et tu me pardonneras d\rquote avoir un secret pour toi.
+\par
+\par \'ab\~C\rquote est le seul\~! D\rquote ailleurs, je te le dirai\'85 Quand\~? Eh bien, d\'e8s que le moment sera venu \endash avant notre mariage, s\rquote il \'e9tait recul\'e9 par quelque retard impr\'e9vu \endash apr\'e8s, si je reviens \'e0 l\rquote
+\'e9poque dite, et si, dans la semaine qui suivra mon retour \'e0 Dal, tu es devenue ma femme, comme je le d\'e9sire tant\~!
+\par
+\par \'ab\~Je t\rquote embrasse, ch\'e8re Hulda. Je te charge d\rquote embrasser pour moi dame Hansen et mon cousin Jo\'ebl. J\rquote embrasse encore ton front, auquel la couronne rayonnante des mari\'e9es du Telemark mettra comme un nimbe de sainte. Une derni
+\'e8re fois, adieu, ch\'e8re Hulda, adieu\~!
+\par
+\par \'ab\~Ton fianc\'e9,
+\par
+\par }\pard \qr\fi680\nowidctlpar\widctlpar\adjustright {\'ab\~Ole Kamp.\~\'bb
+\par }\pard \qj\fi680\nowidctlpar\widctlpar\adjustright {
+\par }\pard\plain \s1\qc\sb600\sa480\keepn\pagebb\nowidctlpar\widctlpar\outlinelevel0\adjustright \b\f40\fs38\lang1036\cgrid {{\*\bkmkstart _Toc97124732}II{\*\bkmkend _Toc97124732}\line
+\par }\pard\plain \qj\fi680\nowidctlpar\widctlpar\adjustright \f40\fs32\lang1036\cgrid {Dal \endash quelques maisons seulement, les unes le long d\rquote une route qui n\rquote est \'e0 vrai dire qu\rquote un sentier, les autres \'e9
+parses sur les croupes voisines. Elles tournent la face \'e0 l\rquote \'e9troite vall\'e9e du Vestfjorddal, le dos au cadre des collines du nord, au pied desquelles coule le Maan. L\rquote ensemble de ces constructions formerait un des gaards tr\'e8
+s communs dans le pays, s\rquote il \'e9tait sous la direction d\rquote un seul propri\'e9taire de cultures ou d\rquote un fermier \'e0 gages. Mais il a droit, si ce n\rquote est au nom de bourg, du moins \'e0 celui de hameau. Une petite chapelle, \'e9
+difi\'e9e en 1855, dont le chevet est perc\'e9 de deux \'e9troites fen\'eatres \'e0 vitraux, dresse non loin, \'e0 travers le fouillis des arbres, son clocher \'e0 quatre pans \endash le tout en bois. \'c7\'e0 et l\'e0, au-dessus des rios qui courent
+\'e0 la rivi\'e8re, sont jet\'e9s quelques ponceaux, charpent\'e9s en losange, dont l\rquote entrecroisement est rempli de pierres moussues. Plus loin se font entendre les grincements d\rquote une ou deux scieries rudimentaires, actionn\'e9
+es par les torrents, avec une roue pour man\'9cuvrer la scie, et une roue pour mouvoir la poutre ou le madrier. \'c0 courte distance, chapelle, scieries, maisons, cabanes, tout semble baign\'e9
+ dans une molle vapeur de verdure, sombre avec les sapins, glauque avec les bouleaux, que dessinent les arbres, isol\'e9s ou group\'e9s, depuis les berges sinueuses du Maan jusqu\rquote \'e0 la cr\'eate des hautes montagnes du Telemark.
+\par
+\par Tel est ce hameau de Dal, frais et riant, avec ses habitations pittoresques, ext\'e9rieurement peintes, celles-ci de couleurs tendres \endash vert naissant ou rose clair \endash celles-l\'e0 enlumin\'e9es de couleurs violentes, jaune \'e9
+clatant ou sang-de-b\'9cuf. Leurs toits d\rquote \'e9corces de bouleau, empl\'e2tr\'e9s d\rquote un gazon verdoyant que l\rquote on fauche \'e0 l\rquote automne, sont coiff\'e9s de fleurs naturelles. Tout cela est d\'e9lici
+eux et appartient au plus charmant pays du monde. Pour tout dire, Dal est dans le Telemark, le Telemark est en Norv\'e8ge, et la Norv\'e8ge, c\rquote est la Suisse avec plusieurs milliers de fiords qui permettent \'e0
+ la mer de gronder au pied de ses montagnes.
+\par
+\par Le Telemark est compris dans cette portion renfl\'e9e de l\rquote \'e9norme cornue que figure la Norv\'e8ge entre Bergen et Christiania. Ce bailliage \endash une d\'e9pendance de la pr\'e9fecture de Batsberg \endash
+ a des montagnes et des glaciers comme la Suisse, mais ce n\rquote est pas la Suisse. Il a des chutes grandioses comme le Nord-Am\'e9rique, mais ce n\rquote est pas l\rquote Am\'e9rique. Il a des paysages avec des maisons peintes et des processions d
+\rquote habitants, v\'eatus de costumes d\rquote un autre \'e2ge, comme certains bourgs de la Hollande, mais ce n\rquote est pas la Hollande. Le Telemark, c\rquote est mieux que tout cela, c\rquote est le Telemark, contr\'e9e peut-\'ea
+tre unique au monde par les beaut\'e9s naturelles qu\rquote elle renferme. L\rquote auteur a eu le plaisir de le visiter. Il l\rquote a parcouru en kariol avec des chevaux pris aux relais de poste \endash quand il s\rquote en trouvait. Il en a rapport
+\'e9 une impression de charme et de po\'e9sie, si vivace encore dans son souvenir, qu\rquote il voudrait pouvoir en impr\'e9gner ce simple r\'e9cit.
+\par
+\par \'c0 l\rquote \'e9poque o\'f9 se passe cette histoire \endash en 1862 \endash la Norv\'e8ge n\rquote \'e9tait pas encore sillonn\'e9e par le chemin de fer qui permet actuellement d\rquote aller de Stockholm \'e0
+ Drontheim par Christiania. Maintenant un immense lien de rails est tendu \'e0 travers ces deux pays scandinaves, peu enclins \'e0 vivre d\rquote une vie commune. Mais, enferm\'e9 dans les wagons de ce chemin de fer, si le voyageur va plus vite qu\rquote
+en kariol, il ne voit plus rien de l\rquote originalit\'e9 des routes d\rquote autrefois. Il perd la travers\'e9e de la Su\'e8de m\'e9ridionale par le curieux canal de Gotha, dont les steam-boats, s\rquote \'e9levant d\rquote \'e9cluse en \'e9
+cluse, grimpent \'e0 trois cents pieds de hauteur. Enfin, il ne s\rquote arr\'eate ni aux chutes de Trolletann, ni \'e0 Drammen, ni \'e0 Kongsberg, ni devant toutes les merveilles du Telemark.
+\par
+\par \'c0 cette \'e9poque, le railway n\rquote \'e9tait qu\rquote en projet. Quelque vingt ans devaient s\rquote \'e9couler encore avant qu\rquote on p\'fbt traverser le royaume scandinave d\rquote un littoral \'e0 l\rquote autre \endash en quarante heures
+\endash et aller jusqu\rquote au cap Nord, avec billets d\rquote aller et retour pour le Spitzberg.
+\par
+\par Or, pr\'e9cis\'e9ment, Dal \'e9tait alors \endash et qu\rquote il le soit longtemps\~! \endash ce point central qui attirait les touristes \'e9trangers ou indig\'e8nes, ces derniers, pour la plupart, \'e9tudiants de Christiania. De l\'e0
+, ils peuvent se disperser sur toute la r\'e9gion du Telemark et du Hardanger, remonter la vall\'e9e du Vestfjorddal entre le lac Mj\'f6s et le lac Tinn, se rendre aux merveilleuses cataractes du Rjukan. Sans doute, il n\rquote y a qu\rquote
+une seule auberge dans ce hameau\~; mais c\rquote est bien la plus attrayante, la plus confortable que l\rquote on puisse d\'e9sirer, la plus importante aussi, puisqu\rquote elle met quatre chambres \'e0 la disposition des voyageurs. En un mot, c\rquote
+est l\rquote auberge de dame Hansen.
+\par
+\par Quelques bancs entourent la base de ses parois roses, isol\'e9es du sol par une solide fondation de granit. Les poutres et les planches de sapin de ses murs ont acquis avec le temps une duret\'e9 telle que l\rquote acier d\rquote une hache s\rquote y \'e9
+mousserait. Entre ces poutres, \'e0 peine \'e9quarries, dispos\'e9es horizontalement les unes sur les autres, un rejointoiement de mousses, m\'e9lang\'e9es de terre glaise, forme des bourrelets \'e9tanches qui emp\'eachent m\'eame les plus violentes plu
+ies d\rquote hiver d\rquote y p\'e9n\'e9trer. Au-dessus des chambres, le plafond chevronn\'e9 est peint de tons rouges et noirs, contrastant avec les couleurs plus douces et plus r\'e9jouissantes des lambris. En un coin de la grande salle, le po\'ea
+le circulaire envoie son tuyau se perdre dans la chemin\'e9e du fourneau de la cuisine.
+\par
+\par Ici, la bo\'eete \'e0 horloge prom\'e8ne sur un large cadran d\rquote \'e9mail ses aiguilles ouvrag\'e9es et pique, de seconde en seconde, un tic-tac sonore. L\'e0 s\rquote arrondit le vieux secr\'e9taire \'e0 moulures brunes, pr\'e8s d\rquote un tr\'e9
+pied massif, peint en fer. Sur une planchette se dresse le chandelier en terre cuite, qui devient cand\'e9labre \'e0 trois branches quand on le retourne. Les plus beaux meubles de la maison ornent cette salle\~; la table en racine de bouleau, \'e0
+ pieds renfl\'e9s, le coffre-bahut, \'e0 fermoirs histori\'e9s, o\'f9 sont rang\'e9es les belles toilettes des f\'eates et dimanches, le grand fauteuil dur comme une stalle d\rquote \'e9glise, les chaises de bois peinturlur\'e9, le rouet rustique, agr\'e9
+ment\'e9 de tons verts qui tranchent vivement sur la jupe rouge des fileuses. Puis, de\'e7\'e0 del\'e0, le pot pour conserver le beurre, le rouleau qui sert \'e0 le comprimer, la bo\'eete \'e0 tabac et la r\'e2pe en os sculpt\'e9
+. Enfin, au-dessus de la porte, ouverte sur la cuisine, un large dressoir \'e9tale ses rang\'e9es d\rquote ustensiles de cuivre et d\rquote \'e9tain, des plats et des assiettes, \'e0 \'e9mail vif, en fa\'efence et en bois, la petite meule \'e0 aiguiser,
+\'e0 demi plong\'e9e dans son colima\'e7on verni, le coquetier antique et solennel qui pourrait servir de calice\~; et quelles parois amusantes, tendues en tapisseries de linge, repr\'e9sentant des sujets de la Bible, enlumin\'e9
+es de toutes les couleurs de l\rquote imagerie d\rquote \'c9pinal\~! Quant aux chambres des voyageurs, pour \'eatre plus simples, elles n\rquote en sont pas moins confortables avec leurs quelques meubles d\rquote une propret\'e9 e
+ngageante, leurs rideaux de fra\'eeche verdure qui pendent de la cr\'eate du toit gazonn\'e9, leur large lit \'e0 draps blancs, en frais tissu d\rquote \'ab\~akloede\~\'bb, et leurs lambris qui portent des versets de l\rquote Ancien Testament, \'e9
+crits en jaune sur fond rouge.
+\par
+\par Il ne faut point oublier que les planchers de la grande salle, comme ceux des chambres du rez-de-chauss\'e9e et du premier \'e9tage, sont sem\'e9s de petites branches de bouleau, de sapin, de gen\'e9
+vrier, dont les feuilles emplissent la maison de leur vivifiante odeur.
+\par
+\par Pourrait-on imaginer une plus charmante posada en Italie, une plus all\'e9chante fonda en Espagne\~? Non\~! Et le flot de touristes anglais n\rquote en avait pas encore fait \'e9lever les prix, comme en Suisse \endash du moins \'e0 cette \'e9poque. \'c0
+ Dal, ce n\rquote est pas la livre sterling, le pound d\rquote or, dont la bourse du voyageur est bient\'f4t veuve, c\rquote est le species d\rquote argent qui vaut un peu plus de cinq francs, ce sont ses subdivisions, le mark d\rquote une valeur d
+\rquote un franc, et le skilling de cuivre, qu\rquote il faut bien se garder de confondre avec le shilling britannique, car il n\rquote \'e9quivaut qu\rquote \'e0 un sou de France. Ce n\rquote est pas non plus la pr\'e9
+tentieuse bank-note dont le touriste vient faire usage et abus au Telemark. C\rquote est le billet d\rquote un species qui est blanc, celui de cinq qui est bleu, celui de dix qui est
+jaune, celui de cinquante qui est vert, celui de cent qui est rouge. Deux de plus, et l\rquote on ferait toutes les couleurs de l\rquote arc-en-ciel\~!
+\par
+\par Puis \endash ce qui n\rquote est point \'e0 d\'e9daigner dans cette hospitali\'e8re maison \endash la nourriture y est bonne, chose rare dans la plupart des auberges de la r\'e9gion. En effet, le Telemark ne justifie que trop son surnom de \'ab\~
+Pays du lait caill\'e9\~\'bb. Au fond de ces trous de Tiness, de Listh\'fcs, de Tinoset, de bien d\rquote autres, jamais de pain, ou si mauvais qu\rquote il vaut mieux s\rquote en passer. Rien qu\rquote une galette d\rquote avoine, le \'ab\~flatbr\'f6d\~
+\'bb, sec, noir\'e2tre, dur comme du carton, ou tout simplement un g\'e2teau grossier, fait avec la substance interm\'e9diaire de l\rquote \'e9corce de bouleau, m\'e9lang\'e9e de lichens ou de hachures de paille. Rarement des \'9cufs, \'e0 moins que le
+s poules n\rquote aient pondu huit jours avant. Mais, \'e0 profusion, de la bi\'e8re inf\'e9rieure, du lait caill\'e9, doux ou sur, et quelquefois un peu de caf\'e9, si \'e9pais qu\rquote il ressemble plut\'f4t \'e0 de la suie distill\'e9e qu\rquote
+aux produits de Moka, de Bourbon ou de Rio Nunez.
+\par
+\par Chez dame Hansen, au contraire, la cave et l\rquote office sont convenablement garnies. Que faut-il de plus aux touristes m\'eame exigeants\~? Saumon cuit, sal\'e9 ou fum\'e9, \'ab\~hores\~\'bb, saumons des lacs qui n\rquote ont jamais connu les eaux am
+\'e8res, poissons des cours d\rquote eau du Telemark, volailles ni trop dures ni trop maigres, \'9cufs \'e0 toutes sauces, fines galettes de seigle et d\rquote orge, fruits, et plus particuli\'e8rement des fraises, pain bis, mais d\rquote
+excellente qualit\'e9, bi\'e8re et vieilles bouteilles de ce vin de Saint-Julien qui propage jusqu\rquote en ces contr\'e9es lointaines la renomm\'e9e des crus de France.
+\par
+\par Aussi, r\'e9putation faite, dans tous les pays du nord de l\rquote Europe, pour l\rquote auberge de Dal.
+\par
+\par On peut le voir, d\rquote ailleurs, en feuilletant le livre aux feuilles jaun\'e2tres sur lesquelles les voyageurs signent volontiers de leur nom quelque compliment \'e0 l\rquote adresse de dame Hansen. Pour la plupart, ce sont des Su\'e9dois, des Norv
+\'e9giens, venus de tous les points de la Scandinavie.
+\par
+\par Cependant, les Anglais y sont en grand nombre, et l\rquote un d\rquote eux, pour avoir attendu une heure que le sommet du Gousta se d\'e9gage\'e2t de ses vapeurs matinales, a britanniquement \'e9crit sur une des pages\~:
+\par
+\par }{\i Patientia omnia vincit.}{
+\par
+\par Il y a \'e9galement quelques Fran\'e7ais, dont l\rquote un, qu\rquote il vaut mieux ne pas nommer, s\rquote est permis d\rquote \'e9crire\~:
+\par
+\par \'ab\~Nous n\rquote avons qu\rquote \'e0 nous louer de la r\'e9ception qu\rquote on nous a \'ab\~fait\~\'bb dans cette auberge\~!\~\'bb
+\par
+\par Peu importe la faute grammaticale, apr\'e8s tout\~! Si la phrase est plus reconnaissante que fran\'e7aise, elle n\rquote en rend pas moins hommage \'e0 dame Hansen et \'e0 sa fille, la charmante Hulda du Vestfjorddal.
+\par
+\par }\pard\plain \s1\qc\sb600\sa480\keepn\pagebb\nowidctlpar\widctlpar\outlinelevel0\adjustright \b\f40\fs38\lang1036\cgrid {{\*\bkmkstart _Toc97124733}III{\*\bkmkend _Toc97124733}\line
+\par }\pard\plain \qj\fi680\nowidctlpar\widctlpar\adjustright \f40\fs32\lang1036\cgrid {Sans \'eatre trop vers\'e9 dans la science ethnographique, on peut croire, avec plusieurs savants, qu\rquote il existe une certaine parent\'e9
+ entre les hautes familles de l\rquote aristocratie anglaise et les anciennes familles du royaume scandinave. On en trouve de nombreuses preuves dans ces noms d\rquote anc\'eatres qui sont identiques entre les deux pays. Et pourtant, il n\rquote y a pas d
+\rquote aristocratie en Norv\'e8ge. Mais, si la d\'e9mocratie domine, cela ne l\rquote emp\'eache pas d\rquote \'eatre aristocratique au plus haut point. Tous sont \'e9gaux en haut, au lieu de l\rquote \'ea
+tre en bas. Jusque dans les plus humbles cabanes se dresse encore l\rquote arbre g\'e9n\'e9alogique, qui n\rquote a point d\'e9g\'e9n\'e9r\'e9 pour avoir repris racine en terre pl\'e9b\'e9ienne. L\'e0 s\rquote \'e9cart\'e8lent les blasons des
+ familles nobles des \'e9poques f\'e9odales, dont ces simples paysans descendent.
+\par
+\par Il en \'e9tait ainsi des Hansen, de Dal, parents, \'e0 un degr\'e9 tr\'e8s \'e9loign\'e9, sans doute, de ces pairs d\rquote Angleterre, cr\'e9\'e9s \'e0 la suite de l\rquote invasion du Rollon de Normandie. Et s\rquote ils n\rquote en poss\'e9
+daient plus la situation ni la richesse, du moins en avaient-ils conserv\'e9 la fiert\'e9 originelle, ou, plut\'f4t, la dignit\'e9, qui est \'e0 sa place dans toutes les conditions sociales.
+\par
+\par Peu importait, d\rquote ailleurs\~! Quoiqu\rquote il e\'fbt des anc\'eatres de haute naissance, Harald Hansen n\rquote en \'e9tait pas moins aubergiste \'e0 Dal. La maison lui venait de son p\'e8re et de son grand-p\'e8
+re, dont il rappelait volontiers la situation dans le pays. Apr\'e8s lui, sa femme avait continu\'e9 d\rquote y exercer cette profession de mani\'e8re \'e0 m\'e9riter l\rquote estime publique.
+\par
+\par Harald avait-il fait fortune \'e0 ce m\'e9tier\~? On ne sait. Mais il avait pu \'e9lever son fils Jo\'ebl et sa fille Hulda, sans que le d\'e9but de la vie e\'fbt \'e9t\'e9 trop dur \'e0 ses deux enfants. Et m\'eame, un fils d\rquote une s\'9c
+ur de sa femme, Ole Kamp, que la mort de son p\'e8re et de sa m\'e8re devait bient\'f4t laisser \'e0 sa charge, avait \'e9t\'e9 \'e9lev\'e9 par lui comme ses propres rejetons. Sans son oncle Harald, cet orphelin e\'fbt sans doute \'e9t\'e9
+ un de ces pauvres petits \'eatres qui ne viennent au monde que pour le quitter aussit\'f4t. Du reste, Ole Kamp montra pour ses parents adoptifs une reconnaissance toute filiale. Rien ne devait jamais rompre ce lien qui l\rquote unissait \'e0
+ la famille Hansen. Son mariage avec Hulda allait le resserrer encore et le nouer pour la vie.
+\par
+\par Harald \'e9tait mort, il y avait dix-huit mois environ. Sans compter l\rquote auberge de Dal, il laissait \'e0 sa veuve un petit \'ab\~soeter\~\'bb, situ\'e9 dans la montagne. Le soeter n\rquote est qu\rquote une sorte de ferme isol\'e9e, d\rquote
+un rapport g\'e9n\'e9ralement m\'e9diocre, quand il n\rquote est pas nul. Or, les derni\'e8res saisons n\rquote avaient point \'e9t\'e9 bonnes. Toute culture avait souffert, m\'eame les p\'e2turages. Il y avait eu de ces \'ab\~nuits de fer\~\'bb
+, comme les appelle le paysan norv\'e9gien, nuits de bise et de glace, qui dess\'e8chent tout germe jusqu\rquote au plus profond de l\rquote humus. De l\'e0, ruine pour les paysans du Telemark et du Hardanger.
+\par
+\par Cependant, si dame Hansen devait savoir \'e0 quoi s\rquote en tenir sur sa situation, elle n\rquote en avait jamais rien dit \'e0 personne, pas m\'eame \'e0 ses enfants. D\rquote un caract\'e8re froid et taciturne, elle \'e9tait peu communicative \endash
+ ce dont Hulda et Jo\'ebl souffraient visiblement. Mais, avec ce respect pour le chef de famille, inn\'e9 dans les pays du Nord, ils s\rquote \'e9taient tenus sur une r\'e9serve qui ne laissait pas de leur \'eatre tr\'e8s p\'e9nible. D\rquote
+ailleurs, dame Hansen ne demandait pas volontiers aide ou conseil, \'e9tant absolument convaincue de la s\'fbret\'e9 de son jugement \endash tr\'e8s norv\'e9gienne sous ce rapport.
+\par
+\par Dame Hansen comptait alors cinquante ans. L\rquote \'e2ge, s\rquote il avait blanchi ses cheveux, n\rquote avait point courb\'e9 sa haute taille, ni amoindri la vivacit\'e9 de son regard d\rquote un bleu intense, dont l\rquote azur se retrouvait inalt\'e9
+r\'e9 dans les yeux de sa fille. Seul son teint avait pris la nuance jaun\'e2tre d\rquote un vieux papier de proc\'e9dure, et quelques rides commen\'e7aient \'e0 sillonner son front.
+\par
+\par La \'ab\~madame\~\'bb, comme on dit en pays scandinave, \'e9tait invariablement v\'eatue d\rquote une jupe noire \'e0 gros plis, en signe du deuil qu\rquote elle ne quittait plus depuis la mort de Harald. Des entournures de son corsage brun\'e2
+tre sortaient les manches d\rquote une chemise en coton \'e9cru. Un fichu de couleur sombre se croisait sur sa poitrine que recouvrait le montant du tablier rattach\'e9 en arri\'e8re par de larges agrafes. Elle \'e9tait toujours coiff\'e9e d\rquote un
+\'e9pais bonnet de soie, sorte de b\'e9guin qui tend \'e0 dispara\'eetre des modes du jour. Assise droite, dans le fauteuil de bois, la grave h\'f4tesse de Dal n\rquote abandonnait son rouet que pour fumer une petite pipe en \'e9
+corce de bouleau, dont les vapeurs l\rquote entouraient d\rquote un l\'e9ger nuage.
+\par
+\par En v\'e9rit\'e9, peut-\'eatre la maison e\'fbt-elle sembl\'e9 bien triste sans la pr\'e9sence des deux enfants\~!
+\par
+\par Un brave gar\'e7on, Jo\'ebl Hansen\~! Vingt-cinq ans, bien d\'e9coupl\'e9, de haute taille, comme les montagnards norv\'e9giens, l\rquote air fier, sans forfanterie, l\rquote allure hardie, sans t\'e9m\'e9rit\'e9. C\rquote \'e9tait un blond presque ch\'e2
+tain, avec des yeux bleus presque noirs. Son costume faisait valoir ses puissantes \'e9paules qui ne pliaient pas ais\'e9ment, sa large poitrine dans laquelle fonctionnaient \'e0 l\rquote
+aise les poumons du guide des montagnes, ses bras vigoureux, ses jambes faites aux plus p\'e9nibles ascensions des hauts fields du Telemark. En tenue habituelle, on e\'fbt dit un cavalier. Sa jaquette bleu\'e2tre, avec \'e9paulettes, serr\'e9e \'e0
+ la taille, se croisait sur la poitrine par deux longues pattes verticales et s\rquote agr\'e9mentait dans le dos de dessins en couleurs, semblable \'e0 certaines vestes celtiques de la Bretagne. Son col de chemise s\rquote \'e9
+vasait en entonnoir. Sa culotte jaune se rattachait au-dessous du genou par une jarreti\'e8re \'e0 boucle. Sur sa t\'eate s\rquote inclinait un chapeau brun \'e0 larges bords avec ganse noire et lisi\'e8res rouges. \'c0 ses jambes s\rquote
+adaptaient des gu\'eatres de bure ou des bottes \'e0 fortes semelles, plates de talons, dont le cou-de-pied se dessinait imparfaitement sous le chiffonnement du cuir, comme aux bottes de mer.
+\par
+\par De son vrai m\'e9tier, Jo\'ebl \'e9tait guide dans le bailliage du Telemark et jusqu\rquote au fond des montagnes du Hardanger. Toujours pr\'eat \'e0 partir, toujours infatigable, il m\'e9ritait d\rquote \'eatre compar\'e9 \'e0 ce h\'e9ros norv\'e9
+gien, Rollon le Marcheur, c\'e9l\'e8bre dans les l\'e9gendes du pays. Entre-temps, il accompagnait les chasseurs anglais, qui viennent volontiers tirer le \'ab\~riper\~\'bb, ce ptarmigan plus gros que celui des H\'e9brides, et le \'ab\~jerper\~\'bb
+, cette perdrix plus d\'e9licate que la grouse d\rquote \'c9cosse. L\rquote hiver arriv\'e9, c\rquote \'e9tait la chasse aux loups qui le r\'e9clamait, lorsque ces carnassiers, pouss\'e9s par la faim, s\rquote aventurent pendant la mauvaise saison \'e0
+ la surface des lacs glac\'e9s. Puis, l\rquote \'e9t\'e9, c\rquote \'e9tait la chasse \'e0 l\rquote ours, quand cet animal, suivi de ses petits, vient chercher sa nourriture d\rquote herbe fra\'eeche et qu\rquote il faut le poursuivre \'e0
+ travers les plateaux d\rquote une altitude de mille \'e0 douze cents pieds. Plus d\rquote une fois, Jo\'ebl ne dut la vie qu\rquote \'e0 sa force prodigieuse, qui le rendait capable de r\'e9sister aux \'e9treintes de ces formidables b\'eates, et \'e0
+ son imperturbable sang-froid, qui lui permettait de s\rquote en d\'e9gager.
+\par
+\par Enfin, lorsqu\rquote il n\rquote y avait ni touriste \'e0 guider dans la vall\'e9e du Vestfjorddal, ni chasseur \'e0 conduire sur les fields, Jo\'ebl s\rquote occupait du petit soeter, situ\'e9 \'e0 quelques milles dans la montagne. L\'e0
+, un jeune berger, aux gages de dame Hansen, \'e9tait employ\'e9 \'e0 la garde d\rquote une demi-douzaine de vaches et d\rquote une trentaine de moutons \endash le soeter ne comprenant que des p\'e2turages sans aucune sorte de culture.
+\par
+\par De sa nature, Jo\'ebl \'e9tait obligeant et serviable. Connu dans tous les gaards du Telemark, c\rquote est dire qu\rquote il \'e9tait aim\'e9 dans tous. Quant aux trois \'eatres pour lesquels il \'e9prouvait une affection sans bornes, c\rquote \'e9
+taient, avec sa m\'e8re, son cousin Ole et sa s\'9cur Hulda.
+\par
+\par Lorsque Ole Kamp avait quitt\'e9 Dal pour s\rquote embarquer une derni\'e8re fois, combien Jo\'ebl regretta de ne pouvoir doter Hulda pour lui garder son fianc\'e9\~! En v\'e9rit\'e9, s\rquote il e\'fbt \'e9t\'e9 habitu\'e9 \'e0 la mer, il n\rquote
+aurait pas h\'e9sit\'e9 \'e0 partir \'e0 la place de son cousin. Mais il fallait quelque argent pour les d\'e9buts du nouveau m\'e9nage. Or, dame Hansen n\rquote ayant pris aucun engagement, Jo\'ebl avait compris qu\rquote
+elle ne pouvait rien distraire du bien de famille. Ole avait donc d\'fb s\rquote en aller au loin, de l\rquote autre c\'f4t\'e9 de l\rquote Atlantique. Jo\'ebl l\rquote avait conduit jusqu\rquote aux derni\'e8res limites de leur vall\'e9
+e, sur la route de Bergen. L\'e0, apr\'e8s l\rquote avoir longtemps serr\'e9 dans ses bras, il lui avait souhait\'e9 bon voyage et heureux retour. Puis, il \'e9tait revenu consoler sa s\'9cur qu\rquote il aimait d\rquote un amour \'e0
+ la fois fraternel et paternel.
+\par
+\par Hulda, \'e0 cette \'e9poque, avait dix-huit ans. Ce n\rquote \'e9tait pas la \'ab\~piga\~\'bb, ainsi qu\rquote on appelle la servante dans les auberges norv\'e9giennes, mais plut\'f4t la \'ab\~fraken\~\'bb, la miss des Anglais, \'ab\~la mademoiselle\~\'bb
+, comme sa m\'e8re \'e9tait \'ab\~la madame\~\'bb de la maison. Quel charmant visage, encadr\'e9 de cheveux blonds, un peu dor\'e9s, sous un l\'e9ger bonnet de linge, d\'e9gag\'e9 en arri\'e8re pour laisser tomber de longues nattes\~
+! Quelle jolie taille sous ce corsage d\rquote \'e9toffe rouge \'e0 lis\'e9r\'e9s verts, bien ajust\'e9 au buste, entrouvert sur le plastron, orn\'e9 de broderies en couleurs, surmont\'e9 de la chemisette blanche dont l
+es manches venaient se serrer aux poignets par un bracelet de rubans\~! Quelle gracieuse tournure sous le ceinturon rouge \'e0 fermoirs d\rquote argent filigran\'e9, qui retenait la jupe verd\'e2tre, doubl\'e9e du tablier \'e0
+ losanges multicolores, et sous lequel apparaissait le bas blanc, engag\'e9 dans cette fine chaussure du Telemark, effil\'e9e \'e0 sa pointe.
+\par
+\par Oui\~! la fianc\'e9e de Ole \'e9tait charmante avec cette physionomie un peu m\'e9lancolique des filles du Nord, mais souriante aussi. En la voyant, on songeait volontiers \'e0 cette Hulda
+ la Blonde, dont elle portait le nom, et que la mythologie scandinave laisse errer, comme la f\'e9e heureuse, autour du foyer domestique.
+\par
+\par Sa r\'e9serve de fille modeste et sage ne lui \'f4tait rien de la gr\'e2ce avec laquelle elle accueillait les h\'f4tes d\rquote un jour qui s\rquote arr\'eataient \'e0 l\rquote auberge de Dal. On le savait dans le monde des touristes. N\rquote \'e9
+tait-ce pas d\'e9j\'e0 une attraction de pouvoir \'e9changer avec Hulda le \'ab\~shake-hand\~\'bb, cette cordiale poign\'e9e de main qui se donne \'e0 tous et \'e0 toutes\~?
+\par
+\par Et, apr\'e8s lui avoir dit\~:
+\par
+\par \endash \~Merci pour ce repas, }{\i Tack for mad\~!}{
+\par
+\par Quoi de plus agr\'e9able que de lui entendre r\'e9pondre de sa voix fra\'eeche et sonore\~:
+\par
+\par \endash \~Puisse-t-il vous faire du bien, }{\i Wed bekomme\~!}{
+\par
+\par }\pard\plain \s1\qc\sb600\sa480\keepn\pagebb\nowidctlpar\widctlpar\outlinelevel0\adjustright \b\f40\fs38\lang1036\cgrid {{\*\bkmkstart _Toc97124734}IV{\*\bkmkend _Toc97124734}\line
+\par }\pard\plain \qj\fi680\nowidctlpar\widctlpar\adjustright \f40\fs32\lang1036\cgrid {Ole Kamp \'e9tait parti depuis un an. Il l\rquote avait dit dans sa lettre \endash une rude campagne, cette campagne d\rquote hiver sur les parages de New Found Land\~
+! On y gagne bien son argent, quand on en gagne. Il y a l\'e0-bas des coups de vent d\rquote \'e9quinoxe qui surprennent les b\'e2timents, au large des \'eeles, et d\'e9truisent en quelques heures toute une flottille de p\'ea
+che. Mais le poisson pullule sur ce haut fond de Terre-Neuve, et les \'e9quipages, lorsqu\rquote ils sont favoris\'e9s, trouvent une large compensation aux fatigues comme aux dangers de ce trou \'e0 temp\'eates.
+\par
+\par Du reste, les Norv\'e9giens sont de bons marins. Ils ne boudent point \'e0 la besogne. Au milieu des fiords du littoral, depuis Christiansand jusqu\rquote au cap Nord, entre les r\'e9cifs du Finmark, \'e0
+ travers les passes des Loffoden, les occasions ne leur manquent pas de se familiariser avec les fureurs de l\rquote Oc\'e9an. Lorsqu\rquote ils traversent l\rquote Atlantique Nord pour aller de conserve aux lointaines p\'ea
+cheries de Terre-Neuve, ils ont d\'e9j\'e0 fait preuve de courage. Pendant leur enfance, ce qu\rquote ils ont re\'e7u de coups de queue d\rquote ouragan, sur la c\'f4te europ\'e9enne, les a mis \'e0 m\'eame d\rquote affronter les coups de t\'eate des m
+\'eames temp\'eates sur le New Found Land. Ils attrapent la bourrasque \'e0 son d\'e9but, voil\'e0 toute la diff\'e9rence.
+\par
+\par Les Norv\'e9giens ont de qui tenir, d\rquote ailleurs. Leurs anc\'eatres \'e9taient d\rquote intr\'e9pides gens de mer, \'e0 l\rquote \'e9poque o\'f9 les Hansen avaient accapar\'e9 le commerce de l\rquote Europe septentrionale. Peut-\'ea
+tre furent-ils un peu pirates dans les anciens temps\~; mais la piraterie c\rquote \'e9tait alors la fa\'e7on de proc\'e9der. Sans doute, le commerce s\rquote est bien moralis\'e9 depuis, bien qu\rquote il soit permis de penser qu\rquote
+il reste encore quelque chose \'e0 faire.
+\par
+\par Quoi qu\rquote il en soit, les Norv\'e9giens \'e9taient d\rquote audacieux navigateurs, ils le sont aujourd\rquote hui, ils le seront toujours. Ole Kamp n\rquote \'e9tait pas homme \'e0 d\'e9mentir les promesses de son origine. Son apprentissa
+ge, son initiation \'e0 ces durs travaux, c\rquote est \'e0 un vieux ma\'eetre au cabotage de Bergen qu\rquote il les devait. Toute son enfance s\rquote \'e9tait pass\'e9e dans ce port, l\rquote un des plus fr\'e9quent\'e9
+s du royaume scandinave. Avant de prendre la grande mer, il avait \'e9t\'e9 un audacieux gamin des fiords, un d\'e9nicheur d\rquote oiseaux aquatiques, un p\'eacheur de ces innombrables poissons qui servent \'e0
+ fabriquer le stock-fish. Puis, devenu mousse, il a commenc\'e9 \'e0 naviguer sur la Baltique, au large de la mer du Nord, et m\'eame jusqu\rquote aux parages de l\rquote Oc\'e9an polaire. Il fit ainsi plusieurs voyages \'e0 bord des grands navires de p
+\'eache, et obtint le grade de ma\'eetre, quand il eut plus de vingt et un ans. Il en avait maintenant vingt-trois.
+\par
+\par Entre ses campagnes, il ne manquait jamais de venir revoir la famille qu\rquote il aimait, la seule qui lui rest\'e2t au monde.
+\par
+\par Et alors, quand il se trouvait \'e0 Dal, quel compagnon digne de Jo\'ebl\~! Il le suivait dans ses courses, \'e0 travers les montagnes, jusque sur les plus hauts plateaux du Telemark. Les fields apr\'e8s les fiords, \'e7a lui allait \'e0
+ ce jeune marin, et il ne restait jamais en arri\'e8re, \'e0 moins que ce ne f\'fbt pour tenir compagnie \'e0 sa cousine Hulda.
+\par
+\par Une \'e9troite amiti\'e9 s\rquote \'e9tablit peu \'e0 peu entre Ole et Jo\'ebl. Ce fut par une cons\'e9quence tout indiqu\'e9e que ce sentiment prit une autre forme \'e0 l\rquote \'e9gard de la jeune fille. Et comment Jo\'ebl ne l\rquote e\'fb
+t-il pas encourag\'e9\~? O\'f9 sa s\'9cur aurait-elle trouv\'e9 dans toute la province un meilleur gar\'e7on, une nature plus sympathique, un caract\'e8re plus d\'e9vou\'e9, un c\'9cur plus chaud\~? Ole pour mari, le bonheur de Hulda \'e9tait assur\'e9
+. Ce fut donc avec l\rquote agr\'e9ment de sa m\'e8re et de son fr\'e8re que la jeune fille se laissa aller sur la pente naturelle de ses sentiments. De ce que ces gens du Nord sont peu d\'e9monstratifs, il ne faudrait pas les taxer d\rquote insensibilit
+\'e9. Non\~! C\rquote est leur mani\'e8re, \'e0 eux, et peut-\'eatre en vaut-elle bien une autre\~!
+\par
+\par Enfin, un jour, tous quatre \'e9tant dans la grande salle, Ole dit, sans autre entr\'e9e en mati\'e8re\~:
+\par
+\par \endash \~Il me vient une id\'e9e, Hulda\~!
+\par
+\par \endash \~Laquelle\~? r\'e9pondit la jeune fille.
+\par
+\par \endash \~Il me semble que nous devrions nous marier\~!
+\par
+\par \endash \~Je le crois aussi.
+\par
+\par \endash \~Cela serait convenable, ajouta dame Hansen, comme si c\rquote e\'fbt \'e9t\'e9 une affaire discut\'e9e depuis longtemps d\'e9j\'e0.
+\par
+\par \endash \~En effet, et de cette fa\'e7on, Ole, r\'e9pliqua Jo\'ebl, je deviendrais tout naturellement ton beau-fr\'e8re.
+\par
+\par \endash \~Oui, dit Ole, mais il est probable, mon Jo\'ebl, que je ne t\rquote en aimerai que davantage\'85
+\par
+\par \endash \~Si c\rquote est possible\~!
+\par
+\par \endash \~Tu le verras bien\~!
+\par
+\par \endash \~Ma foi, je ne demande pas mieux\~! r\'e9pondit Jo\'ebl, qui vint serrer la main de Ole.
+\par
+\par \endash \~Ainsi, c\rquote est entendu, Hulda\~? demanda dame Hansen.
+\par
+\par \endash \~Oui, ma m\'e8re, r\'e9pondit la jeune fille.
+\par
+\par \endash \~Tu le penses bien, Hulda, reprit Ole. Il y a beau temps que je t\rquote aime sans le dire\~!
+\par
+\par \endash \~Moi aussi, Ole\~!
+\par
+\par \endash \~Comment cela m\rquote est venu, je ne le sais gu\'e8re.
+\par
+\par \endash \~Ni moi.
+\par
+\par \endash \~Sans doute, Hulda, c\rquote est en te voyant chaque jour plus belle, et bonne de plus en plus\'85
+\par
+\par \endash \~Tu vas un peu loin, mon cher Ole\~!
+\par
+\par \endash \~Mais non, et je peux bien te dire cela, sans te faire rougir, puisque c\rquote est vrai\~! Est-ce que vous ne vous \'e9tiez pas aper\'e7ue, dame Hansen, que j\rquote aimais Hulda\~?
+\par
+\par \endash \~Un peu.
+\par
+\par \endash \~Et toi, Jo\'ebl\~?
+\par
+\par \endash \~Moi\~?\'85 beaucoup\~!
+\par
+\par \endash \~Franchement, r\'e9pondit Ole en souriant, vous auriez bien d\'fb me pr\'e9venir\~!
+\par
+\par \endash \~Mais tes voyages, Ole, demanda dame Hansen, est-ce qu\rquote ils ne te para\'eetront pas trop p\'e9nibles, une fois que tu seras mari\'e9\~?
+\par
+\par \endash \~Si p\'e9nibles, r\'e9pondit Ole, que je ne voyagerai plus, quand le mariage sera fait\~!
+\par
+\par \endash \~Tu ne voyageras plus\~?\'85
+\par
+\par \endash \~Non, Hulda. Est-ce qu\rquote il me serait possible de te quitter pendant de longs mois\~?
+\par
+\par \endash \~Ainsi, tu vas pour la derni\'e8re fois aller en mer\~?
+\par
+\par \endash \~Oui, mais, avec un peu de chance, ce voyage me permettra de rapporter quelques \'e9conomies, puisque MM.\~Help fr\'e8res m\rquote ont formellement promis de me donner part enti\'e8re\'85
+\par
+\par \endash \~Ce sont de braves gens\~! dit Jo\'ebl.
+\par
+\par \endash \~Tout ce qu\rquote il y a de meilleur, r\'e9pondit Ole, et bien connus, bien appr\'e9ci\'e9s de tous les marins de Bergen\~!
+\par
+\par \endash \~Mon cher Ole, dit alors Hulda, quand tu ne navigueras plus, qu\rquote est-ce que tu feras\~?
+\par
+\par \endash \~Eh bien, je deviendrai le compagnon de Jo\'ebl. J\rquote ai de bonnes jambes, et si elles ne suffisent pas, je m\rquote en fabriquerai en m\rquote entra\'eenant peu \'e0 peu. D\rquote ailleurs, j\rquote ai pens\'e9 \'e0
+ une affaire qui ne serait peut-\'eatre pas mauvaise. Pourquoi n\rquote \'e9tablirions-nous pas un service de messageries entre Drammen, Kongsberg et les gaards du Telemark\~? Les communications ne sont ni faciles ni r\'e9guli\'e8res, et il y aurait peut-
+\'eatre quelque argent \'e0 gagner. Enfin, j\rquote ai des id\'e9es, sans compter\'85
+\par
+\par \endash \~Quoi donc\~?
+\par
+\par \endash \~Rien\~! Nous verrons cela \'e0 mon retour. Mais je vous pr\'e9viens que je suis bien d\'e9cid\'e9 \'e0 tout faire pour que Hulda soit la femme la plus envi\'e9e du pays. Oui\~! J\rquote y suis bien d\'e9cid\'e9.
+\par
+\par \endash \~Si tu savais, Ole, comme ce sera facile\~! r\'e9pondit Hulda en lui tendant la main. N\rquote est-ce pas \'e0 moiti\'e9 fait d\'e9j\'e0, et existe-t-il une aussi heureuse maison que notre maison de Dal\~?
+\par
+\par Dame Hansen avait un instant d\'e9tourn\'e9 la t\'eate.
+\par
+\par \endash \~Ainsi, reprit Ole en insistant d\rquote un ton joyeux, l\rquote affaire est convenue\~?
+\par
+\par \endash \~Oui, r\'e9pondit Jo\'ebl.
+\par
+\par \endash \~Et il n\rquote y aura plus \'e0 en reparler\~?
+\par
+\par \endash \~Jamais.
+\par
+\par \endash \~Tu n\rquote auras pas de regret, Hulda\~?
+\par
+\par \endash \~Aucun, mon cher Ole.
+\par
+\par \endash \~Quant \'e0 fixer la date du mariage, je pense qu\rquote il vaut mieux attendre ton retour, ajouta Jo\'ebl.
+\par
+\par \endash \~Soit, mais j\rquote aurai bien du malheur, si avant un an je ne suis pas revenu pour conduire Hulda \'e0 l\rquote \'e9glise de Moel, o\'f9 notre ami, le pasteur Andresen ne refusera pas de dire pour nous ses plus belles pri\'e8res\~!
+\par
+\par Et voil\'e0 comment avait \'e9t\'e9 d\'e9cid\'e9 le mariage de Hulda Hansen et de Ole Kamp.
+\par
+\par Huit jours apr\'e8s, le jeune marin devait rejoindre son bord \'e0 Bergen. Mais, avant de se quitter, les deux futurs avaient \'e9t\'e9 fianc\'e9s, suivant la touchante coutume des pays scandinaves.
+\par
+\par Dans cette simple et honn\'eate Norv\'e8ge, l\rquote habitude, le plus g\'e9n\'e9ralement, est de se fiancer avant de s\rquote \'e9pouser. Quelquefois, m\'eame, le mariage n\rquote est c\'e9l\'e9br\'e9 que deux ou trois ans apr\'e8
+s. Cela ne rappelle-t-il pas ce qui se passait entre chr\'e9tiens aux premiers jours de l\rquote \'c9glise\~? Mais il ne faudrait pas croire que les fian\'e7ailles ne soient qu\rquote un simple \'e9ch
+ange de paroles, dont la valeur ne repose que sur la bonne foi des contractants. Non\~! L\rquote engagement est plus s\'e9rieux, et si cet acte n\rquote est pas reconnu par la loi, du moins l\rquote est-il par l\rquote usage, cette loi naturelle.
+\par
+\par Il s\rquote agissait donc, dans le cas de Hulda et de Ole Kamp, d\rquote organiser une c\'e9r\'e9monie \'e0 laquelle pr\'e9siderait le pasteur Andresen. Il n\rquote y a pas de ministre du culte \'e0 Dal, ni dans la plupart des gaards environnants. En Norv
+\'e8ge, d\rquote ailleurs, on trouve certaines localit\'e9s qui s\rquote appellent \'ab\~villes de dimanche\~\'bb, o\'f9 s\rquote \'e9l\'e8ve le presbyt\'e8re, le \'ab\~proestegjelb\~\'bb. C\rquote est l\'e0 que se rassemblent, pour l\rquote
+office, les principales familles de la paroisse. Elles y ont m\'eame un pied-\'e0-terre dans lequel elles viennent s\rquote \'e9tablir pendant vingt-quatre heures, le temps d\rquote accomplir leurs devoirs religieux. De l\'e0, on s\rquote
+en retourne comme d\rquote un p\'e8lerinage. Dal, il est vrai, poss\'e8de une chapelle. Toutefois le pasteur ne s\rquote y rend que sur demande et pour des c\'e9r\'e9monies qui ne sont point d\rquote ordre public, mais priv\'e9.
+\par
+\par Apr\'e8s tout, Moel n\rquote est pas loin. Rien qu\rquote un demi-mille \endash soit \'e0 peu pr\'e8s dix kilom\'e8tres de France, depuis Dal jusqu\rquote \'e0 l\rquote extr\'e9mit\'e9 du lac Tinn. Quant au pasteur Andresen, c\rquote
+est un homme obligeant et un bon marcheur.
+\par
+\par Le pasteur Andresen fut donc pri\'e9 de venir aux fian\'e7ailles, en cette double qualit\'e9 de ministre et d\rquote ami de la famille Hansen. Elle le connaissait et il la connaissait de longue date. Il avait vu grandir Hulda et Jo\'eb
+l. Il les aimait comme il aimait ce \'ab\~jeune loup marin\~\'bb de Ole Kamp. Rien ne pouvait lui faire plus de plaisir qu\rquote un tel mariage. Il y avait l\'e0 de quoi mettre en f\'eate toute la vall\'e9e du Vestfjorddal.
+\par
+\par Il s\rquote ensuit que le pasteur Andresen prit son petit collet, son rabat de cr\'eape, son livre d\rquote office, et partit un beau matin, par un temps assez pluvieux d\rquote ailleurs. Il arriva en compagnie de Jo\'ebl, qui \'e9tait all\'e9 \'e0
+ sa rencontre \'e0 mi-route. On laisse \'e0 penser s\rquote il fut bien re\'e7u dans l\rquote auberge de dame Hansen, et s\rquote il eut la belle chambre du rez-de-chauss\'e9e, avec des branches de gen\'e9vrier toutes fra\'eeches, qui l
+a parfumaient comme une chapelle.
+\par
+\par Le lendemain, \'e0 la premi\'e8re heure, s\rquote ouvrit la petite \'e9glise de Dal. L\'e0, devant le pasteur et sur son livre d\rquote office, en pr\'e9sence de quelques amis et des voisins de l\rquote auberge, Ole jura d\rquote \'e9
+pouser Hulda, et Hulda jura d\rquote \'e9pouser Ole, au retour du dernier voyage que le jeune marin allait entreprendre. Un an d\rquote attente, c\rquote est long, mais cela passe tout de m\'eame, quand on est s\'fbr l\rquote un de l\rquote autre.
+\par
+\par Maintenant, Ole ne pourrait plus, sans un motif grave, r\'e9pudier celle dont il avait fait sa fianc\'e9e. Hulda ne pourrait pas trahir la foi qu\rquote elle avait jur\'e9e \'e0 Ole. Et si Ole Kamp ne f\'fbt pas parti quelques jours apr\'e8s les fian\'e7
+ailles, il aurait pu profiter des droits qu\rquote elles lui donnaient sans conteste\~: rendre visite \'e0 la jeune fille quand il lui conviendrait, lui \'e9crire lorsqu\rquote il lui plairait de le faire, l\rquote accompagner \'e0
+ la promenade, bras dessus, bras dessous, m\'eame en l\rquote absence de la famille, obtenir la pr\'e9f\'e9rence sur tous autres pour danser avec elle dans les f\'eates et c\'e9r\'e9monies quelconques.
+\par
+\par Mais Ole Kamp avait d\'fb regagner Bergen. Huit jours apr\'e8s, le }{\i Viken }{\'e9tait parti pour les p\'eacheries de Terre-Neuve. Maintenant, Hulda n\rquote avait plus qu\rquote \'e0 attendre les lettres que son fianc\'e9
+ avait promis de lui adresser par tous les courriers d\rquote Europe.
+\par
+\par Elles ne manqu\'e8rent pas, ces lettres, toujours si impatiemment attendues. Elles apport\'e8rent un peu de bonheur \'e0 la maison attrist\'e9e depuis le d\'e9part. Le voyage s\rquote accomplissait dans des conditions favorables. La p\'eache \'e9
+tait fructueuse, les profits seraient grands. Et puis, \'e0 la fin de chaque lettre, Ole parlait toujours d\rquote un certain secret et de la fortune qu\rquote il devait lui assurer. Voil\'e0 un secret que Hulda aurait bien voulu conna\'ee
+tre, et aussi dame Hansen pour des raisons qu\rquote il e\'fbt \'e9t\'e9 difficile de soup\'e7onner.
+\par
+\par C\rquote est que dame Hansen \'e9tait de plus en plus sombre, inqui\'e8te, renferm\'e9e. Et une circonstance, dont elle ne parla point \'e0 ses enfants, vint encore accro\'eetre ses soucis.
+\par
+\par Trois jours apr\'e8s l\rquote arriv\'e9e de la derni\'e8re lettre de Ole, le 19 avril, dame Hansen revenait seule de la scierie o\'f9 elle \'e9tait all\'e9e commander un sac de copeaux au contrema\'ee
+tre Lengling, et se dirigeait vers la maison. Un peu avant d\rquote arriver devant la porte, elle fut accost\'e9e par un homme qui n\rquote \'e9tait pas du pays.
+\par
+\par \endash \~Vous \'eates bien dame Hansen\~? demanda cet homme.
+\par
+\par \endash \~Oui, r\'e9pondit-elle, mais je ne vous connais pas.
+\par
+\par \endash \~Oh\~! peu importe\~! reprit l\rquote homme. Je suis arriv\'e9 ce matin de Drammen et j\rquote y retourne.
+\par
+\par \endash \~De Drammen\~? dit vivement dame Hansen.
+\par
+\par \endash \~Est-ce que vous ne connaissez pas un certain monsieur Sandgo\'efst, qui y demeure\~?\'85
+\par
+\par \endash \~Monsieur Sandgo\'efst\~! r\'e9p\'e9ta dame Hansen, dont la figure p\'e2lit \'e0 ce nom. Oui\'85 je le connais\~!
+\par
+\par \endash \~Eh bien, quand monsieur Sandgo\'efst a su que je venais \'e0 Dal, il m\rquote a pri\'e9 de vous donner le bonjour de sa part.
+\par
+\par \endash \~Et\'85 rien de plus\~?\'85
+\par
+\par \endash \~Rien, si ce n\rquote est de vous dire qu\rquote il viendrait probablement vous voir le mois prochain\~! \endash Bonne sant\'e9 et bonsoir, dame Hansen\~!
+\par
+\par }\pard\plain \s1\qc\sb600\sa480\keepn\pagebb\nowidctlpar\widctlpar\outlinelevel0\adjustright \b\f40\fs38\lang1036\cgrid {{\*\bkmkstart _Toc97124735}V{\*\bkmkend _Toc97124735}\line
+\par }\pard\plain \qj\fi680\nowidctlpar\widctlpar\adjustright \f40\fs32\lang1036\cgrid {Hulda, en effet, \'e9tait tr\'e8s frapp\'e9e de cette persistance de Ole \'e0 toujours lui parler dans ses lettres de cette fortune qu\rquote il comptait trouver \'e0
+ son retour. Sur quoi le brave gar\'e7on fondait-il cette esp\'e9rance\~? Hulda ne pouvait le deviner, et il lui tardait de le savoir. Qu\rquote on excuse cette impatience si naturelle. \'c9tait-ce donc une vaine curiosit\'e9 de sa part\~
+? Point. Ce secret la regardait bien un peu. Non qu\rquote elle f\'fbt ambitieuse, l\rquote honn\'eate et simple fille, ni que ses vis\'e9es d\rquote avenir se fussent jamais hauss\'e9es \'e0 ce qu\rquote on appelle la richesse. L\rquote
+affection de Ole lui suffisait, elle devait lui suffire toujours. Si la fortune venait, on l\rquote accueillerait sans grande joie. Si elle ne venait pas, on s\rquote en passerait sans grand d\'e9plaisir.
+\par
+\par C\rquote est pr\'e9cis\'e9ment ce que se disaient Hulda et Jo\'ebl, le lendemain du jour o\'f9 la derni\'e8re lettre de Ole \'e9tait arriv\'e9e \'e0 Dal. L\'e0-dessus ils pensaient de la m\'eame fa\'e7on \endash comme sur tout le reste, d\rquote
+ailleurs.
+\par
+\par Et alors Jo\'ebl d\rquote ajouter\~:
+\par
+\par \endash \~Non\~! Cela n\rquote est pas possible, petite s\'9cur\~! Il faut que tu me caches quelque chose\~!
+\par
+\par \endash \~Moi\~!\'85 te cacher\~?\'85
+\par
+\par \endash \~Oui\~! Que Ole soit parti sans te dire au moins un peu de son secret\'85 ce n\rquote est pas croyable\~!
+\par
+\par \endash \~T\rquote en a-t-il dit un mot, Jo\'ebl\~? r\'e9pondit Hulda.
+\par
+\par \endash \~Non, s\'9cur. Mais moi, je ne suis pas toi.
+\par
+\par \endash \~Si, tu es moi, fr\'e8re.
+\par
+\par \endash \~Je ne suis pas le fianc\'e9 de Ole.
+\par
+\par \endash \~Presque, dit la jeune fille, et, si quelque malheur l\rquote atteignait, s\rquote il ne revenait pas de ce voyage, tu serais frapp\'e9 comme moi, et tes larmes couleraient comme les miennes\~!
+\par
+\par \endash \~Ah\~! petite s\'9cur, r\'e9pondit Jo\'ebl, je te d\'e9fends bien d\rquote avoir de ces id\'e9es\~! Ole ne pas revenir de ce dernier voyage qu\rquote il fait aux grandes p\'eaches\~! Est-ce que tu parles s\'e9rieusement, Hulda\~?
+\par
+\par \endash \~Non, sans doute, Jo\'ebl. Et pourtant, je ne sais\'85 Je ne peux me d\'e9fendre de certains pressentiments\'85 de vilains r\'eaves\~!\'85
+\par
+\par \endash \~Des r\'eaves, ch\'e8re Hulda, ne sont que des r\'eaves\~!
+\par
+\par \endash \~Sans doute, mais d\rquote o\'f9 viennent-ils\~?
+\par
+\par \endash \~De nous-m\'eames et non d\rquote en haut. Tu crains, et ce sont tes craintes qui hantent ton sommeil. D\rquote ailleurs, il en est presque toujours ainsi, quand on a vivement d\'e9sir\'e9 une chose et que le moment approche o\'f9 les d\'e9
+sirs vont se r\'e9aliser.
+\par
+\par \endash \~Je le sais, Jo\'ebl.
+\par
+\par \endash \~Vraiment, je te croyais plus ferme, petite s\'9cur\~! Oui\~! plus \'e9nergique\~! Comment, tu viens de recevoir une lettre dans laquelle Ole te dit que le }{\i Viken }{sera de retour avant un mois, et tu te mets de pareils soucis dans la t\'eate
+\~!\'85
+\par
+\par \endash \~Non\'85 dans le c\'9cur, mon Jo\'ebl\~!
+\par
+\par \endash \~Et, au fait, reprit Jo\'ebl, nous sommes d\'e9j\'e0 au 19 avril. Ole doit revenir du 15 au 20 mai. Il n\rquote est donc pas trop t\'f4t de commencer les pr\'e9paratifs du mariage.
+\par
+\par \endash \~Y penses-tu, Jo\'ebl\~?
+\par
+\par \endash \~Si j\rquote y pense, Hulda\~! Je pense m\'eame que nous avons peut-\'eatre d\'e9j\'e0 trop tard\'e9\~! Songes-y donc\~! Un mariage qui va mettre en joie non seulement Dal, mais les gaards voisins. J\rquote entends que cela soit tr\'e8
+s beau, et je vais m\rquote occuper d\rquote arranger les choses\~!
+\par
+\par C\rquote est que ce n\rquote est pas une petite affaire, une c\'e9r\'e9monie de ce genre dans les campagnes de la Norv\'e8ge en g\'e9n\'e9ral et du Telemark en particulier. Non\~! cela ne va pas sans quelque bruit.
+\par
+\par Il s\rquote ensuit donc que, le jour m\'eame, Jo\'ebl eut \'e0 ce sujet un entretien avec sa m\'e8re. C\rquote \'e9tait peu d\rquote instants apr\'e8s que dame Hansen avait \'e9t\'e9 si vivement impressionn\'e9
+e par la rencontre de cet homme qui venait de lui annoncer la prochaine visite de M.\~Sandgo\'efst, de Drammen. Elle \'e9tait all\'e9e s\rquote asseoir dans le fauteuil de la grande salle, et, l\'e0, tout absorb\'e9
+e, faisait machinalement tourner son rouet.
+\par
+\par Jo\'eblle vit bien, sa m\'e8re \'e9tait encore plus tourment\'e9e que d\rquote habitude\~; mais comme elle r\'e9pondait invariablement \'ab\~qu\rquote elle n\rquote avait rien\~\'bb, lorsqu\rquote on l\rquote interrogeait \'e0 cet \'e9
+gard, son fils ne voulut lui parler que du mariage de Hulda.
+\par
+\par \endash \~Ma m\'e8re, dit-il, vous le savez, nous avons appris par la derni\'e8re lettre de Ole qu\rquote il sera vraisemblablement de retour au Telemark dans quelques semaines.
+\par
+\par \endash \~C\rquote est \'e0 souhaiter, r\'e9pondit dame Hansen, et puisse-t-il n\rquote \'e9prouver aucun retard\~!
+\par
+\par \endash \~Voyez-vous quelque inconv\'e9nient \'e0 ce que nous fixions au 25 mai la date du mariage\~?
+\par
+\par \endash \~Aucun, si Hulda y consent.
+\par
+\par \endash \~Son consentement est tout donn\'e9 d\'e9j\'e0. Et maintenant, je vous demanderai, ma m\'e8re, si votre intention n\rquote est pas de faire bien les choses \'e0 cette occasion.
+\par
+\par \endash \~Qu\rquote entends-tu par \'ab\~faire bien les choses\~\'bb\~? r\'e9pondit dame Hansen, sans lever les yeux de son rouet.
+\par
+\par \endash \~J\rquote entends, avec votre agr\'e9ment, cela va de soi, ma m\'e8re, que la c\'e9r\'e9monie se rapporte avec notre situation dans le bailliage. Nous devons y convier nos connaissances, et, si la maison ne peut suffire \'e0 nos h\'f4tes, il n
+\rquote est pas un voisin qui ne s\rquote empressera de les h\'e9berger.
+\par
+\par \endash \~Quels seraient ces h\'f4tes, Jo\'ebl\~?
+\par
+\par \endash \~Mais je pense qu\rquote il faudra inviter tous nos amis de Moel, de Tiness, de Bamble, et je m\rquote en charge. J\rquote imagine aussi que la pr\'e9sence de MM.\~Help fr\'e8res, les armateurs de Bergen, ne pourra que faire honneur \'e0
+ la famille, et, avec votre agr\'e9ment, je le r\'e9p\'e8te, je leur offrirai de venir passer une journ\'e9e \'e0 Dal. Ce sont de braves gens qui aiment beaucoup Ole, et je suis s\'fbr qu\rquote ils accepteront.
+\par
+\par \endash \~Est-il donc si n\'e9cessaire, r\'e9pondit dame Hansen, de traiter ce mariage avec tant d\rquote importance\~?
+\par
+\par \endash \~Je le pense, ma m\'e8re, et cela me para\'eet bon, ne f\'fbt-ce que dans l\rquote int\'e9r\'eat de l\rquote auberge de Dal, qui ne s\rquote est pas d\'e9pr\'e9ci\'e9e, que je sache, depuis la mort de notre p\'e8re\~?
+\par
+\par \endash \~Non\'85 Jo\'ebl\'85 non\~!
+\par
+\par \endash \~N\rquote est-ce pas notre devoir de la maintenir au moins dans l\rquote \'e9tat o\'f9 il l\rquote a laiss\'e9e\~? Donc, il me para\'eet utile de donner quelque retentissement au mariage de ma s\'9cur.
+\par
+\par \endash \~Soit, Jo\'ebl.
+\par
+\par \endash \~D\rquote autre part, n\rquote est-il pas temps que Hulda commence ses pr\'e9paratifs, afin qu\rquote aucun retard ne puisse venir d\rquote elle\~? Que r\'e9pondez-vous, ma m\'e8re, \'e0 ma proposition\~?
+\par
+\par \endash \~Que Hulda et toi, vous fassiez ce qu\rquote il faut\~!\'85 r\'e9pondit dame Hansen.
+\par
+\par Peut-\'eatre trouvera-t-on que Jo\'ebl se pressait un peu, qu\rquote il e\'fbt \'e9t\'e9 plus raisonnable d\rquote attendre le retour de Ole, pour fixer la date du mariage et surtout en commencer les pr\'e9
+paratifs. Mais, comme il le disait, ce qui serait fait ne serait plus \'e0 faire. Et puis, cela distrairait Hulda de s\rquote occuper des mille d\'e9tails que comporte une c\'e9r\'e9monie de ce genre. Il importait de ne pas laisser \'e0 ses pressentiments
+, que rien ne justifiait d\rquote ailleurs, le temps de prendre le dessus.
+\par
+\par Et d\rquote abord il fallait songer \'e0 la fille d\rquote honneur. Mais qu\rquote on ne s\rquote inqui\'e8te pas\~! Le choix \'e9tait d\'e9j\'e0 fait. C\rquote \'e9tait une aimable demoiselle de Bamble, l\rquote intime amie de Hulda. Son p\'e8re, le
+fermier Helmbo\'eb, dirigeait un des gaards les plus importants de la province. Ce brave homme n\rquote \'e9tait pas sans une certaine fortune. Depuis longtemps d\'e9j\'e0, il avait appr\'e9ci\'e9 le caract\'e8re g\'e9n\'e9reux de Jo\'eb
+l, et, il faut le dire, sa fille Siegfrid ne l\rquote appr\'e9ciait pas moins \'e0 sa mani\'e8re. Il \'e9tait donc probable que, dans un temps prochain, apr\'e8s que Siegfrid aurait servi de fille d\rquote honneur \'e0 Hulda, Hulda lui en servirait \'e0
+ son tour. Cela se fait en Norv\'e8ge. Le plus souvent, m\'eame, ces agr\'e9ables fonctions sont r\'e9serv\'e9es aux femmes mari\'e9es. C\rquote \'e9tait donc un peu par d\'e9rogation, au profit de Jo\'ebl, que Siegfrid Helmbo\'eb
+ devait assister en cette qualit\'e9 Hulda Hansen.
+\par
+\par Grosse question, pour la fianc\'e9e comme pour la fille d\rquote honneur, cette toilette qu\rquote elles mettront le jour de la c\'e9r\'e9monie.
+\par
+\par Siegfrid, jolie blonde de dix-huit ans, avait la ferme intention d\rquote y para\'eetre tout \'e0 son avantage. Pr\'e9venue par un petit mot de son amie Hulda \endash Jo\'ebl avait tenu \'e0 le lui remettre en main propre \endash elle s\rquote
+occupa, sans perdre un instant, de ce travail qui n\rquote est pas sans donner quelque souci.
+\par
+\par Il s\rquote agissait, en effet, d\rquote un certain corsage dont la broderie, \'e0 dessins r\'e9guliers, devait \'eatre combin\'e9e de mani\'e8re \'e0 renfermer la taille de Siegfrid comme dans un \'e9mail cloisonn\'e9. Puis, on parlait aussi d\rquote
+une jupe recouvrant une s\'e9rie de jupons, dont le nombre serait en rapport avec la fortune de Siegfrid, mais sans rien lui faire perdre des gr\'e2ces de sa personne. Quant aux bijoux, quelle affaire que de choisir la plaque centrale du collier \'e0
+ filigrane d\rquote argent m\'eal\'e9 de perles, les broches du corsage en argent dor\'e9 ou en cuivre, les pendeloques en forme de c\'9cur avec disques mobiles, les doubles boutons qui servent \'e0
+ agrafer le col de la chemise, la ceinture de laine ou de soie rouge, d\rquote o\'f9 partent quatre rang\'e9es de cha\'eenettes, les bagues avec petits glands qui s\rquote entrechoquent harmonieusement, les boucles d\rquote
+oreilles et les bracelets en argent ajour\'e9, enfin toute cette joaillerie campagnarde, dans laquelle, \'e0 vrai dire, l\rquote or n\rquote est qu\rquote en mince feuille, l\rquote argent en \'e9tamage, l\rquote orf\'e8
+vrerie en estampage, dont les perles sont du verre souffl\'e9 et les diamants du cristal\~! Mais encore convenait-il que l\rquote \'9cil f\'fbt satisfait de l\rquote ensemble. Et, s\rquote il le fallait, Siegfrid n\rquote h\'e9siterait pas \'e0
+ aller visiter les riches magasins de M.\~Benett, de Christiania, pour y faire ses emplettes. Son p\'e8re ne s\rquote y opposerait point. Loin de l\'e0\~! L\rquote excellent homme laissait volontiers faire sa fille. Siegfrid, d\rquote ailleurs, \'e9
+tait assez raisonnable pour ne pas mettre \'e0 sec la bourse paternelle. Enfin, ce qui importait par-dessus tout, c\rquote \'e9tait que, ce jour-l\'e0, Jo\'ebl la trouv\'e2t tout \'e0 son avantage.
+\par
+\par Quant \'e0 Hulda, c\rquote \'e9tait non moins grave. Mais les modes sont impitoyables et donnent bien du mal aux fianc\'e9es dans le choix de leur toilette de mariage.
+\par
+\par Hulda allait enfin abandonner les longues nattes enrubann\'e9es qui s\rquote \'e9chappaient de son bonnet de jeune fille, et la haute ceinture \'e0 fermoir, retenant son tablier sur sa jupe \'e9carlate. Elle ne porterait plus les fichus de fian\'e7
+ailles que Ole lui avait donn\'e9s en partant, ni le cordon auquel pendent ces petits sacs en cuir brod\'e9 o\'f9 sont renferm\'e9s la cuiller d\rquote argent \'e0 manche court, le couteau, la fourchette, l\rquote \'e9tui \'e0 aiguilles \endash autant d
+\rquote objets dont une femme doit faire un constant emploi dans le m\'e9nage.
+\par
+\par Non\~! Au jour prochain des noces, la chevelure de Hulda flotterait librement sur ses \'e9paules, et elle \'e9tait si abondante qu\rquote il ne serait pas n\'e9cessaire d\rquote y m\'ealer ces postiches de lin dont abusent les jeunes Norv\'e9
+giennes moins favoris\'e9es de la nature. En somme, pour son v\'eatement comme pour ses bijoux, Hulda n\rquote aurait qu\rquote \'e0 puiser dans le coffre de sa m\'e8re. En effet, ces \'e9l\'e9ments de toilette se transmettent de mariage en mariage \'e0
+ toutes les g\'e9n\'e9rations de la m\'eame famille. Ainsi voit-on r\'e9appara\'eetre le pourpoint brod\'e9 d\rquote or, la ceinture de velours, la jupe de soie unie ou bariol\'e9e, les bas de wadmel, la cha\'eene d\rquote or du cou et la couronne
+\endash cette fameuse couronne scandinave, conserv\'e9e dans le mieux ferm\'e9 des bahuts, magnifique cartonnage dor\'e9 qui se rel\'e8ve en bosses, tout constell\'e9 d\rquote \'e9toiles ou tout enguirland\'e9 de feuillage, enfin, l\rquote \'e9
+quivalent de la couronne de fleurs d\rquote oranger en d\rquote autres pays de l\rquote Europe. Ce qui est certain, c\rquote est que ce nimbe rayonnant avec ses filigranes d\'e9licats, ses pendeloques sonores, ses verroteries de couleur, devait encadrer d
+\rquote une fa\'e7on charmante le joli visage de Hulda. La \'ab\~fianc\'e9e couronn\'e9e\~\'bb, comme on dit, ferait honneur \'e0 son \'e9poux. Lui, serait digne d\rquote elle dans son flambant costume de mariage \endash jaquette courte \'e0 boutons d
+\rquote argent tr\'e8s rapproch\'e9s, chemise empes\'e9e \'e0 corolle droite, gilet \'e0 lis\'e9r\'e9 soutach\'e9 de soie, culotte \'e9troite, rattach\'e9e au genou avec des bouquets de floches laineuses, feutre mou, bottes jaun\'e2tres, et, \'e0
+ la ceinture, dans sa gaine de cuir, le couteau scandinave, le \'ab\~dolknif\~\'bb, dont est toujours muni le vrai Norv\'e9gien.
+\par
+\par Ainsi donc, de part et d\rquote autre, il y aurait de quoi s\rquote occuper s\'e9rieusement. Ce ne serait pas trop de quelques semaines, si l\rquote on voulait que tout f\'fbt fini avant l\rquote arriv\'e9e de Ole Kamp. Apr\'e8s tout, si Ole \'e9
+tait de retour un peu plus t\'f4t qu\rquote il ne l\rquote avait dit, et si Hulda n\rquote \'e9tait pas pr\'eate, Hulda ne s\rquote en plaindrait pas, Ole non plus.
+\par
+\par C\rquote est \'e0 ces diverses occupations que se pass\'e8rent les derni\'e8res semaines d\rquote avril et les premi\'e8res de mai. De son c\'f4t\'e9, Jo\'ebl \'e9tait all\'e9 faire lui-m\'eame ses invitations, profitant de ce que son m\'e9
+tier de guide lui laissait alors quelques loisirs.
+\par
+\par On remarqua m\'eame qu\rquote il devait avoir nombre d\rquote amis \'e0 Bamble, car il y alla souvent. S\rquote il ne s\rquote \'e9tait pas rendu \'e0 Bergen, afin d\rquote inviter MM.\~Help fr\'e8res, du moins leur avait-il \'e9
+crit. Et, comme il le pensait, ces honn\'eates armateurs, avaient accept\'e9, non sans empressement, l\rquote invitation d\rquote assister au mariage de Ole Kamp, le jeune ma\'eetre du }{\i Viken.}{
+\par
+\par Cependant, le 15 mai \'e9tait arriv\'e9. D\rquote un jour \'e0 l\rquote autre, on pouvait donc s\rquote attendre \'e0 voir Ole descendre de sa kariol, ouvrir la porte, s\rquote \'e9crier de sa voix joyeuse\~:
+\par
+\par \endash \~C\rquote est moi\~!\'85 Me voil\'e0\~! Il ne fallait plus qu\rquote un peu de patience. D\rquote ailleurs, tout \'e9tait pr\'eat. Siegfrid, de son c\'f4t\'e9, n\rquote avait besoin que d\rquote un signe pour appara\'eetre dans tous ses atours.
+
+\par
+\par Le 16, le 17, rien encore, et pas de nouvelle lettre que les courriers eussent apport\'e9e de Terre-Neuve.
+\par
+\par \endash \~Il ne faut pas s\rquote en \'e9tonner, petite s\'9cur, r\'e9p\'e9tait souvent Jo\'ebl. Un navire \'e0 voiles peut avoir des retards. La travers\'e9e est longue de Saint-Pierre-Miquelon \'e0 Bergen. Ah\~! que n\rquote est-ce un bateau \'e0
+ vapeur, ce }{\i Viken, }{et que n\rquote en suis-je la machine\~! Comme je le pousserais contre vents et mar\'e9e, quand je devrais \'e9clater en arrivant au port\~!
+\par
+\par Il disait tout cela parce qu\rquote il voyait bien l\rquote inqui\'e9tude de Hulda grandir de jour en jour.
+\par
+\par Pr\'e9cis\'e9ment, il y avait alors grand mauvais temps au Telemark. De rudes vents balayaient les hauts fields, et ces vents, qui soufflaient de l\rquote ouest, venaient d\rquote Am\'e9rique.
+\par
+\par \endash \~Ils devraient pourtant favoriser la marche du }{\i Viken\~! }{r\'e9p\'e9tait souvent la jeune fille.
+\par
+\par \endash \~Sans doute, r\'e9pondait Jo\'ebl, mais s\rquote ils sont trop forts, ils peuvent le g\'eaner aussi et l\rquote obliger \'e0 tenir t\'eate \'e0 l\rquote ouragan. On ne fait pas ce qu\rquote on veut sur mer\~!
+\par
+\par \endash \~Ainsi, tu n\rquote es pas inquiet, Jo\'ebl\~?
+\par
+\par \endash \~Non, Hulda, non\~! Cela est tr\'e8s f\'e2cheux, mais rien de plus naturel que ces retards\~! Non\~! Je ne suis pas inquiet, et il n\rquote y a vraiment pas lieu de l\rquote \'eatre\~!
+\par
+\par Le 19, il arriva \'e0 l\rquote auberge un voyageur qui eut besoin d\rquote un guide. Il s\rquote agissait de le conduire jusque sur la limite du Hardanger en passant par les montagnes. Bien que tr\'e8s contrari\'e9 de laisser Hulda \'e0 elle-m\'ea
+me, son fr\'e8re ne pouvait refuser ses services. Ce serait une absence de quarante-huit heures au plus, et Jo\'ebl comptait bien trouver Ole \'e0 son retour. La v\'e9rit\'e9 est que le brave gar\'e7on commen\'e7ait \'e0 \'eatre tr\'e8s tourment\'e9
+. Il partit donc dans la matin\'e9e, le c\'9cur gros, il faut bien le dire.
+\par
+\par Le lendemain, pr\'e9cis\'e9ment, vers une heure apr\'e8s midi, on frappait \'e0 la porte de l\rquote auberge.
+\par
+\par \endash \~Serait-ce Ole\~! s\rquote \'e9cria Hulda. Elle alla ouvrir. Sur le seuil se tenait un homme en manteau de voyage, juch\'e9 sur le si\'e8ge de sa kariol, et dont le visage lui \'e9tait inconnu.
+\par
+\par }\pard\plain \s1\qc\sb600\sa480\keepn\pagebb\nowidctlpar\widctlpar\outlinelevel0\adjustright \b\f40\fs38\lang1036\cgrid {{\*\bkmkstart _Toc97124736}VI{\*\bkmkend _Toc97124736}\line
+\par }\pard\plain \qj\fi680\nowidctlpar\widctlpar\adjustright \f40\fs32\lang1036\cgrid {\endash \~C\rquote est ici l\rquote auberge de dame Hansen\~?
+\par
+\par \endash \~Oui, monsieur, r\'e9pondit Hulda.
+\par
+\par \endash \~Dame Hansen est-elle l\'e0\~?
+\par
+\par \endash \~Non, mais elle va rentrer.
+\par
+\par \endash \~Bient\'f4t\~?
+\par
+\par \endash \~\'c0 l\rquote instant, et si vous avez \'e0 lui parler\'85
+\par
+\par \endash \~Du tout. Je n\rquote ai rien \'e0 lui dire.
+\par
+\par \endash \~Voulez-vous une chambre\~?
+\par
+\par \endash \~Oui, la plus belle de la maison\~!
+\par
+\par \endash \~Faut-il vous pr\'e9parer \'e0 d\'eener\~?
+\par
+\par \endash \~Le plus vite possible, et veillez \'e0 ce qu\rquote on me serve tout ce qu\rquote il y a de meilleur\~!
+\par
+\par Tels furent les propos qui s\rquote \'e9chang\'e8rent entre Hulda et le voyageur, avant m\'eame que celui-ci f\'fbt descendu de la kariol dont il s\rquote \'e9tait servi pour venir jusqu\rquote au c\'9cur du Telemark, \'e0 travers les for\'ea
+ts, les lacs et les vall\'e9es de la Norv\'e8ge centrale.
+\par
+\par On conna\'eet la kariol, cet engin de locomotion qu\rquote affectionnent particuli\'e8rement les Scandinaves. Deux longs brancards entre lesquels se meut un cheval carr\'e9 d\rquote encolure, \'e0 robe jaun\'e2tre et raie mulassi\'e8re, dirig\'e9
+ par un simple mors de corde, pass\'e9 non \'e0 sa bouche, mais \'e0 son nez \endash \~deux grandes roues maigres, dont l\rquote essieu, sans ressorts, supporte une petite caisse colori\'e9e, \'e0 peine assez large pour une personne \endash
+ pas de capote, pas de garde-crotte, pas de marchepied \endash derri\'e8re la caisse, une planchette sur laquelle se juche le skydskarl. Le tout ressemble \'e0 quelque \'e9norme araign\'e9e, dont la double toile serait form\'e9e par les deux roues de l
+\rquote appareil. Et c\rquote est avec cette machine rudimentaire que l\rquote on peut faire des relais de quinze \'e0 vingt kilom\'e8tres sans trop de fatigue.
+\par
+\par Sur un signe du voyageur, le jeune gar\'e7on vint tenir le cheval. Alors ce personnage se releva, se secoua, mit pied \'e0 terre, non sans quelques efforts qui se traduisirent par des maugr\'e9ements d\rquote assez mauvaise humeur.
+\par
+\par \endash \~On peut remiser ma kariol\~? demanda-t-il d\rquote un ton rude, en s\rquote arr\'eatant sur le seuil de la porte.
+\par
+\par \endash \~Oui, monsieur, r\'e9pondit Hulda.
+\par
+\par \endash \~Et donner \'e0 manger \'e0 mon cheval\~?
+\par
+\par \endash \~Je vais le faire mettre \'e0 l\rquote \'e9curie.
+\par
+\par \endash \~Qu\rquote on en ait soin\~!
+\par
+\par \endash \~Cela sera fait. Puis-je vous demander si vous comptez rester quelques jours \'e0 Dal\~?
+\par
+\par \endash \~Je n\rquote en sais rien. La kariol et le cheval furent conduits \'e0 un petit hangar, b\'e2ti dans l\rquote enclos m\'eame, sous l\rquote abri des premiers arbres, au pied de la montagne. C\rquote \'e9tait la seule \'e9curie-remise qu\rquote
+il y e\'fbt \'e0 l\rquote auberge, mais elle suffisait au service de ses h\'f4tes. Un instant apr\'e8s, le voyageur \'e9tait install\'e9 dans la meilleure chambre, comme il l\rquote avait demand\'e9. L\'e0, apr\'e8s s\rquote \'eatre d\'e9barrass\'e9
+ de sa houppelande, il se chauffait devant un bon feu de bois sec qu\rquote il avait fait allumer. Pendant ce temps, afin de satisfaire son humeur peu accommodante, Hulda recommandait \'e0 la piga de pr\'e9parer le meilleur d\'eener possible \endash \~
+une forte fille des environs, cette piga, qui, pendant la saison d\rquote \'e9t\'e9, aidait \'e0 la cuisine et aux gros ouvrages de l\rquote auberge.
+\par
+\par Un homme encore solide, ce nouvel arriv\'e9, bien qu\rquote il e\'fbt d\'e9j\'e0 d\'e9pass\'e9 la soixantaine. Maigre, un peu courb\'e9, de moyenne taille, une t\'eate osseuse, une face glabre, un nez pointu, des yeux petits avec un regard per\'e7
+ant derri\'e8re de grosses lunettes, un front le plus souvent pliss\'e9, des l\'e8vres trop minces pour qu\rquote il p\'fbt jamais s\rquote en \'e9chapper de bonnes paroles, de longues mains crochues \endash c\rquote \'e9tait un type de pr\'ea
+teur sur gages ou d\rquote usurier. Hulda eut le pressentiment que ce voyageur ne devait rien apporter d\rquote heureux dans la maison de dame Hansen.
+\par
+\par Qu\rquote il f\'fbt Norv\'e9gien, rien de plus s\'fbr\~; mais du type scandinave il avait surtout pris les c\'f4t\'e9s vulgaires. Son costume de voyage comprenait un chapeau de forme basse \'e0 larges bords, un v\'eatement en drap blanch\'e2
+tre, veste crois\'e9e sur la poitrine, culotte rattach\'e9e au genou par l\rquote ardillon d\rquote une courroie de cuir, et, sur le tout, une sorte de pelisse brune, doubl\'e9e int\'e9rieurement de peau de mouton \endash ce que motivaient les soir\'e9
+es et les nuits tr\'e8s froides encore \'e0 la surface des plateaux et dans les vall\'e9es du Telemark.
+\par
+\par Quant au nom de ce personnage, Hulda ne l\rquote avait pas demand\'e9. Mais elle ne pouvait tarder \'e0 l\rquote apprendre, puisqu\rquote il fallait qu\rquote il l\rquote inscriv\'eet sur le livre de l\rquote auberge.
+\par
+\par En ce moment, dame Hansen rentra. Sa fille lui annon\'e7a l\rquote arriv\'e9e d\rquote un voyageur qui avait demand\'e9 le meilleur d\'eener et la meilleure chambre. Quant \'e0 savoir s\rquote il prolongerait son s\'e9jour \'e0 Dal, elle l\rquote ignorait
+\~; il ne s\rquote \'e9tait point prononc\'e9 \'e0 cet \'e9gard.
+\par
+\par \endash \~Et il n\rquote a pas dit son nom\~? demanda dame Hansen.
+\par
+\par \endash \~Non, ma m\'e8re.
+\par
+\par \endash \~Ni d\rquote o\'f9 il venait\~?
+\par
+\par \endash \~Non.
+\par
+\par \endash \~C\rquote est quelque touriste, sans doute. Il est f\'e2cheux que Jo\'ebl ne soit pas de retour pour se mettre \'e0 sa disposition. Comment ferons-nous s\rquote il demande un guide\~?
+\par
+\par \endash \~Je ne crois pas que ce soit un touriste, r\'e9pondit Hulda. C\rquote est un homme d\'e9j\'e0 \'e2g\'e9\'85
+\par
+\par \endash \~Si ce n\rquote est point un touriste, que vient-il faire \'e0 Dal\~? dit dame Hansen, peut-\'eatre plus \'e0 elle-m\'eame qu\rquote \'e0 sa fille, et d\rquote un ton qui d\'e9notait une certaine inqui\'e9tude.
+\par
+\par \'c0 cette question, Hulda ne pouvait r\'e9pondre, puisque le voyageur n\rquote avait rien fait conna\'eetre de ses projets.
+\par
+\par Une heure apr\'e8s son arriv\'e9e, cet homme entra dans la grande salle qui \'e9tait contigu\'eb \'e0 sa chambre. \'c0 la vue de dame Hansen, il s\rquote arr\'eata un instant sur le seuil.
+\par
+\par \'c9videmment, il \'e9tait aussi inconnu \'e0 son h\'f4tesse que son h\'f4tesse l\rquote \'e9tait \'e0 lui-m\'eame. Aussi s\rquote avan\'e7a-t-il vers elle, et, apr\'e8s l\rquote avoir regard\'e9e par-dessus ses lunettes\~:
+\par
+\par \endash \~Dame Hansen, je pense\~? dit-il, sans que le chapeau qu\rquote il avait sur la t\'eate e\'fbt m\'eame \'e9t\'e9 touch\'e9 de la main.
+\par
+\par \endash \~Oui, monsieur, r\'e9pondit dame Hansen.
+\par
+\par Et, en pr\'e9sence de cet homme, elle \'e9prouva, comme sa fille, un trouble dont celui-ci dut s\rquote apercevoir.
+\par
+\par \endash \~Ainsi, c\rquote est bien vous dame Hansen, de Dal\~?
+\par
+\par \endash \~Sans doute, monsieur. Avez-vous donc quelque chose de particulier \'e0 me dire\~?
+\par
+\par \endash \~Aucunement. Je voulais seulement faire votre connaissance. Ne suis-je pas votre h\'f4te\~? Et maintenant, veillez \'e0 ce qu\rquote on me serve \'e0 d\'eener le plus t\'f4t possible.
+\par
+\par \endash \~Votre d\'eener est pr\'eat, r\'e9pondit Hulda. Si vous voulez passer dans la salle \'e0 manger\'85
+\par
+\par \endash \~Je le veux\~! Cela dit, le voyageur se dirigea vers la porte que lui montrait la jeune fille. Un instant apr\'e8s, il \'e9tait assis pr\'e8s de la fen\'eatre devant une petite table proprement servie. Le d\'eener \'e9tait assur\'e9
+ment bon. Aucun touriste \endash m\'eame des plus difficiles \endash n\rquote y e\'fbt trouv\'e9 \'e0 reprendre. Cependant, ce personnage peu endurant n\rquote \'e9pargna pas les signes et les paroles de m\'e9contentement \endash
+ les signes surtout, car il ne paraissait pas \'eatre loquace. On pouvait se demander, vraiment, si c\rquote \'e9tait \'e0 son mauvais estomac, ou \'e0 son mauvais caract\'e8re qu\rquote il devait d\rquote \'eatre si exigea
+nt. Le potage aux cerises et aux groseilles ne lui convint qu\rquote \'e0 demi, bien qu\rquote il f\'fbt excellent. Il ne toucha que des l\'e8vres au saumon et au hareng marin\'e9. Le jambon cru, un demi-poulet fort app\'e9tissant, quelques l\'e9
+gumes bien accommod\'e9s, ne parurent point lui plaire. Il n\rquote y eut pas jusqu\rquote \'e0 sa bouteille de Saint-Julien et \'e0 sa demi-bouteille de champagne dont il ne se montr\'e2t m\'e9content, bien qu\rquote
+elles vinssent authentiquement des bonnes caves de France. Il s\rquote ensuit donc que, son repas termin\'e9, le voyageur n\rquote eut pas un seul }{\i tack for mad }{pour son h\'f4tesse. Apr\'e8s le d\'eener, ce mal embouch\'e9
+ alluma sa pipe, sortit de la salle et vint se promener sur les bords du Maan. Une fois arriv\'e9 sur la rive, il se retourna. Ses regards ne quittaient plus l\rquote auberge. Il semblait qu\rquote il l\rquote \'e9tudi\'e2
+t sous toutes ses faces, plan, coupe, \'e9l\'e9vation, comme s\rquote il e\'fbt voulu en estimer la valeur. Il en compta les portes et les fen\'eatres. Alors, s\rquote \'e9tant approch\'e9 des poutres horizontalement dispos\'e9es \'e0
+ la base de la maison, il y fit deux ou trois entailles avec la pointe de son dolknif, comme s\rquote il e\'fbt cherch\'e9 \'e0 reconna\'eetre la qualit\'e9 du bois et son \'e9tat de conservation. Voulait-il donc se rendre compte de ce que valait l
+\rquote auberge de dame Hansen\~? Pr\'e9tendait-il s\rquote en rendre acqu\'e9reur, bien qu\rquote elle ne f\'fbt point \'e0 vendre\~? C\rquote \'e9tait au moins fort \'e9trange. Puis, apr\'e8s la maison, ce fut le petit clos dont il d\'e9
+nombra les arbres et les arbustes. Enfin, il en mesura deux des c\'f4t\'e9s d\rquote un pas m\'e9trique, et le mouvement de son crayon sur une page de son carnet indiqua qu\rquote il les multipliait l\rquote un par l\rquote autre.
+\par
+\par Et, \'e0 chaque instant, c\rquote \'e9taient des hochements de t\'eate, des froncements de sourcil, des hums\~! peu approbateurs.
+\par
+\par Pendant ces all\'e9es et venues, dame Hansen et sa fille l\rquote observaient \'e0 travers la fen\'eatre de la salle. \'c0 quel bizarre personnage avaient-elles donc affaire\~? Quel \'e9tait le but du voyage de ce maniaque\~? En v\'e9rit\'e9, il \'e9
+tait regrettable que tout cela se pass\'e2t en l\rquote absence de Jo\'ebl, puisque ce voyageur allait rester toute la nuit dans l\rquote auberge.
+\par
+\par \endash \~Si c\rquote \'e9tait un fou\~? dit Hulda.
+\par
+\par \endash \~Un fou\~?\'85 Non\~! r\'e9pondit dame Hansen. Mais c\rquote est au moins un homme singulier.
+\par
+\par \endash \~Il est toujours f\'e2cheux de ne pas savoir qui on re\'e7oit dans sa maison, dit la jeune fille.
+\par
+\par \endash \~Hulda, r\'e9pondit dame Hansen, avant que ce voyageur soit rentr\'e9, aie soin de porter dans sa chambre le livre de l\rquote auberge.
+\par
+\par \endash \~Oui, ma m\'e8re.
+\par
+\par \endash \~Peut-\'eatre se d\'e9cidera-t-il \'e0 y mettre son nom\~!
+\par
+\par Vers huit heures, la nuit \'e9tant d\'e9j\'e0 sombre, une petite pluie fine commen\'e7a \'e0 tomber, remplissant la vall\'e9e d\rquote un nuage de brumaille qui mouillait jusqu\rquote \'e0 mi-montagne. Le temps \'e9tait peu propice \'e0
+ la promenade. Aussi, le nouvel h\'f4te de dame Hansen, apr\'e8s avoir remont\'e9 le sentier jusqu\rquote \'e0 la scierie, revint-il \'e0 l\rquote auberge o\'f9 il demanda un petit verre de brandevin. Sans dire un mot de plus, sans souhaiter le bonsoir
+\'e0 personne, apr\'e8s avoir pris le chandelier de bois dont la bougie \'e9tait allum\'e9e, il rentra dans sa chambre, il en verrouilla la porte, et on ne l\rquote entendit plus de toute la nuit.
+\par
+\par Le skydskarl, lui, s\rquote \'e9tait tout simplement r\'e9fugi\'e9 dans le hangar. L\'e0, entre les brancards de la kariol, il dormait d\'e9j\'e0, en compagnie du cheval jaune, sans s\rquote inqui\'e9ter de la bourrasque.
+\par
+\par Le lendemain, dame Hansen et sa fille se lev\'e8rent d\'e8s l\rquote aube. Aucun bruit ne venait de la chambre du voyageur, qui reposait encore. Un peu apr\'e8s neuf heures, il entra dans la grande salle, l\rquote
+air plus bourru que la veille, se plaignant du lit qui \'e9tait dur, du tapage de la maison qui l\rquote avait \'e9veill\'e9 \endash ne saluant personne, d\rquote ailleurs. Puis, il ouvrit la porte et vint regarder le ciel.
+\par
+\par M\'e9diocre apparence de temps. Un vent vif balayait les cimes du Gousta perdues dans les vapeurs, et s\rquote engouffrait \'e0 travers la vall\'e9e en soufflant de violentes rafales.
+\par
+\par Le voyageur ne se hasarda donc point \'e0 sortir. Mais il ne perdit pas son temps. Tout en fumant sa pipe, il se promena dans l\rquote auberge, il chercha \'e0 en reconna\'eetre la disposition int\'e9
+rieure, il en visita les diverses chambres, il examina le mobilier, il ouvrit les placards et les armoires, sans plus de g\'eane que s\rquote il e\'fbt \'e9t\'e9 chez lui. On e\'fbt dit d\rquote un commissaire-priseur proc\'e9dant \'e0 quelque r\'e9
+colement judiciaire.
+\par
+\par D\'e9cid\'e9ment, si l\rquote homme \'e9tait singulier, ses proc\'e9d\'e9s \'e9taient de plus en plus suspects.
+\par
+\par Cela fait, il vint prendre place dans le grand fauteuil de la salle, et d\rquote une voix br\'e8ve et rude, il adressa plusieurs questions \'e0 dame Hansen. Depuis combien de temps l\rquote auberge \'e9tait-elle b\'e2tie\~? \'c9
+tait-ce son mari Harald qui l\rquote avait fait construire ou la tenait-il d\rquote h\'e9ritage\~? Avait-elle d\'e9j\'e0 n\'e9cessit\'e9 quelques r\'e9parations\~? Quelle \'e9tait la contenance de l\rquote enclos et du soeter qui en d\'e9pendaient\~? \'c9
+tait-elle bien achaland\'e9e et d\rquote un bon rapport\~? Combien y venait-il, en moyenne, de touristes pendant la belle saison\~? Y passaient-ils un ou plusieurs jours\~? etc.
+\par
+\par \'c9videmment, le voyageur n\rquote avait pas pris connaissance du livre qui avait \'e9t\'e9 d\'e9pos\'e9 dans sa chambre, car cela l\rquote e\'fbt renseign\'e9, au moins sur cette derni\'e8re question.
+\par
+\par En effet, le livre \'e9tait encore \'e0 la place o\'f9 Hulda l\rquote avait mis la veille, et le nom du voyageur ne s\rquote y trouvait pas.
+\par
+\par \endash \~Monsieur, dit alors dame Hansen, je ne comprends pas trop comment et pourquoi ces choses peuvent vous int\'e9resser. Mais, si vous d\'e9sirez savoir ce qui en est de nos affaires, rien de plus facile. Vous n\rquote avez qu\rquote \'e0
+ consulter le livre de l\rquote auberge. Je vous prierai m\'eame d\rquote y inscrire votre nom, selon l\rquote habitude\'85
+\par
+\par \endash \~Mon nom\~?\'85 Certes, j\rquote y mettrai mon nom, dame Hansen\~!\'85 Je le mettrai au moment o\'f9 je prendrai cong\'e9 de vous\~!
+\par
+\par \endash \~Faut-il vous garder votre chambre\~?
+\par
+\par \endash \~C\rquote est inutile, r\'e9pondit le voyageur en se levant. Je vais partir apr\'e8s d\'e9jeuner, afin d\rquote \'eatre de retour \'e0 Drammen demain soir.
+\par
+\par \endash \~\'c0 Drammen\~?\'85 dit vivement dame Hansen.
+\par
+\par \endash \~Oui\~! Ainsi, faites-moi servir \'e0 l\rquote instant.
+\par
+\par \endash \~Vous demeurez \'e0 Drammen\~?
+\par
+\par \endash \~Oui\~! Qu\rquote y a-t-il d\rquote \'e9tonnant, s\rquote il vous pla\'eet, \'e0 ce que je demeure \'e0 Drammen\~?
+\par
+\par Ainsi donc, apr\'e8s avoir pass\'e9 \'e0 peine une journ\'e9e \'e0 Dal ou plut\'f4t dans l\rquote auberge, ce voyageur s\rquote en retournait sans avoir rien vu du pays\~! Il ne poussait pas plus loin dans le bailliage\~
+! Du Gousta, du Rjukanfos, des merveilles de la vall\'e9e du Vestfjorddal, il ne se souciait en aucune fa\'e7on\~! Ce n\rquote \'e9tait pas pour son plaisir, c\rquote \'e9tait pour ses affaires qu\rquote il avait quitt\'e9 Drammen, o\'f9
+ il demeurait, et il semblait qu\rquote il n\rquote avait eu d\rquote autre motif que de visiter en d\'e9tail la maison de dame Hansen.
+\par
+\par Hulda vit bien que sa m\'e8re \'e9tait profond\'e9ment troubl\'e9e. Dame Hansen \'e9tait all\'e9e se placer dans le grand fauteuil, et, repoussant son rouet, elle resta immobile, sans prononcer une parole.
+\par
+\par Cependant le voyageur venait de passer dans la salle \'e0 manger et s\rquote \'e9tait mis \'e0 table.
+\par
+\par Du d\'e9jeuner, aussi soign\'e9 que l\rquote avait \'e9t\'e9 le d\'eener de la veille, il ne parut pas plus satisfait. Et, pourtant, il mangea bien et but de m\'eame, sans se presser. Son attention semblait se porter plus sp\'e9
+cialement sur la valeur de l\rquote argenterie \endash luxe auquel tiennent les campagnards de la Norv\'e8ge \endash quelques cuillers et fourchettes qui se transmettent de p\'e8re en fils et que l\rquote on garde pr\'e9
+cieusement avec les bijoux de famille.
+\par
+\par Pendant ce temps, le skydskarl faisait ses pr\'e9paratifs de d\'e9part dans la remise. \'c0 onze heures, le cheval et la kariol attendaient devant la porte de l\rquote auberge.
+\par
+\par Le temps \'e9tait toujours peu engageant, le ciel gris et venteux. Parfois la pluie cinglait le vitrail des fen\'eatres comme une mitraille. Mais le voyageur, sous sa grosse capote doubl\'e9e de peau, n\rquote \'e9tait pas homme \'e0 s\rquote inqui\'e9
+ter des rafales.
+\par
+\par Le d\'e9jeuner termin\'e9, il avala un dernier verre de brandevin, il alluma sa pipe, passa sa houppelande, rentra dans la grande salle, et demanda sa note.
+\par
+\par \endash \~Je vais la pr\'e9parer, r\'e9pondit Hulda, qui alla s\rquote asseoir devant un petit bureau.
+\par
+\par \endash \~Faites vite\~! dit le voyageur. En attendant, ajouta-t-il, donnez-moi le livre pour que j\rquote inscrive mon nom. Dame Hansen se leva, alla chercher le livre et vint le poser sur la grande table.
+\par
+\par Le voyageur prit une plume, regarda une derni\'e8re fois dame Hansen par-dessus ses lunettes. Et alors, d\rquote une grosse \'e9criture, il \'e9crivit son nom sur le livre, qu\rquote il referma.
+\par
+\par En ce moment, Hulda lui apporta la note. Il la prit, il en examina les articles, en grommelant\~; il en refit l\rquote addition, sans doute.
+\par
+\par \endash \~Hum\~! fit-il. Voil\'e0 qui est cher\~! Sept marks et demi pour une nuit et deux repas\~?
+\par
+\par \endash \~Il y a le skydskarl et le cheval, fit observer Hulda.
+\par
+\par \endash \~N\rquote importe\~! Je trouve cela cher\~! En v\'e9rit\'e9, je ne m\rquote \'e9tonne pas si on fait de bonnes affaires dans la maison\~!
+\par
+\par \endash \~Vous ne devez rien, monsieur\~! dit alors dame Hansen d\rquote une voix si troubl\'e9e qu\rquote on l\rquote entendit \'e0 peine.
+\par
+\par Elle venait d\rquote ouvrir le livre, elle y avait lu le nom inscrit, et elle r\'e9p\'e9ta, en reprenant la note, qu\rquote elle d\'e9chira\~:
+\par
+\par \endash \~Vous ne devez rien\~!
+\par
+\par \endash \~C\rquote est mon avis\~! r\'e9pondit le voyageur. Et, sans donner plus de bonsoir en sortant qu\rquote il n\rquote avait donn\'e9 de bonjour en arrivant, il monta dans sa kariol, pendant que le gamin sautait derri\'e8
+re lui sur la planchette. Quelques instants apr\'e8s, il avait disparu au tournant de la route. Lorsque Hulda eut ouvert le livre, elle n\rquote y trouva que ce nom\~: \'ab\~Sandgo\'efst, de Drammen.\~\'bb
+\par
+\par }\pard\plain \s1\qc\sb600\sa480\keepn\pagebb\nowidctlpar\widctlpar\outlinelevel0\adjustright \b\f40\fs38\lang1036\cgrid {{\*\bkmkstart _Toc97124737}VII{\*\bkmkend _Toc97124737}\line
+\par }\pard\plain \qj\fi680\nowidctlpar\widctlpar\adjustright \f40\fs32\lang1036\cgrid {C\rquote \'e9tait dans l\rquote apr\'e8s-midi, le lendemain, que Jo\'ebl devait rentrer \'e0 Dal, apr\'e8s avoir laiss\'e9
+ sur la route qui conduit au Hardanger le touriste auquel il servait de guide.
+\par
+\par Hulda, sachant que son fr\'e8re allait revenir en suivant les plateaux du Gousta, par la rive gauche du Maan, \'e9tait venue l\rquote attendre au passage de l\rquote imp\'e9tueuse rivi\'e8re. Elle s\rquote assit pr\'e8s du petit appontement qui sert d
+\rquote embarcad\'e8re au bac. L\'e0, elle se perdit dans ses r\'e9flexions. Aux vives inqui\'e9tudes que lui causait le retard du }{\i Viken }{se joignait maintenant une anxi\'e9t\'e9 tr\'e8s grande. Cette anxi\'e9t\'e9
+ avait pour cause la visite de ce Sandgo\'efst et l\rquote attitude de dame Hansen devant lui. Pourquoi, d\'e8s qu\rquote elle avait appris son nom, avait-elle d\'e9chir\'e9 la note, refus\'e9 de recevoir ce qui lui \'e9tait d\'fb\~? Il y avait l\'e0
+ quelque secret \endash grave sans doute.
+\par
+\par Hulda fut enfin tir\'e9e de ses r\'e9flexions par l\rquote arriv\'e9e de Jo\'ebl. Elle l\rquote aper\'e7ut qui d\'e9valait les premi\'e8res assises de la montagne. Tant\'f4t il apparaissait au milieu des \'e9troites clairi\'e8res, entre
+les arbres abattus ou br\'fbl\'e9s par places. Tant\'f4t il disparaissait sous l\rquote \'e9paisse ramure des pins, des bouleaux et des h\'eatres dont ces croupes sont h\'e9riss\'e9es. Enfin, il atteignit la rive oppos\'e9
+e et se jeta dans le petit bac. En quelques coups d\rquote aviron, il eut franchi les violents remous du cours d\rquote eau. Puis, sautant sur la berge, il fut pr\'e8s de sa s\'9cur.
+\par
+\par \endash \~Ole est-il de retour\~? demanda-t-il.
+\par
+\par C\rquote est \'e0 Ole qu\rquote il pensa tout d\rquote abord. Mais sa demande fut laiss\'e9e sans r\'e9ponse.
+\par
+\par \endash \~Pas de lettre de lui\~?
+\par
+\par \endash \~Pas une\~! Et Hulda s\rquote abandonna \'e0 ses larmes.
+\par
+\par \endash \~Non, s\rquote \'e9cria Jo\'ebl, ne pleure pas, ch\'e8re s\'9cur, ne pleure pas\~!\'85 Tu me fais trop de mal\~!\'85 Je ne peux pas te voir pleurer\~!\'85 Voyons\~! Tu dis\~: pas de lettre\~!\'85 \'c9videmment, cela commence \'e0 devenir inqui
+\'e9tant\~! Mais il n\rquote y a pas encore lieu de se d\'e9sesp\'e9rer\~! Tiens, si tu veux, je vais aller \'e0 Bergen. Je m\rquote informerai\'85 Je verrai messieurs Help fr\'e8res. Peut-\'eatre ont-ils des nouvelles de Terre-Neuve. Pourquoi le }{\i
+Viken }{n\rquote aurait-il pas rel\'e2ch\'e9 en quelque port pour cause d\rquote avaries ou par la n\'e9cessit\'e9 de fuir devant le mauvais temps\~? Il est certain que le vent souffle en bourrasque depuis plus d\rquote
+une semaine. Quelquefois on a vu des navires du New Found Land se r\'e9fugier en Islande ou aux Fero\'eb. C\rquote est m\'eame arriv\'e9 \'e0 Ole, il y a deux ans, quand il \'e9tait \'e0 bord du }{\i Strenna. }{Et on n\rquote
+a pas tous les jours des courriers pour \'e9crire\~! Je te dis cela comme je le pense, petite s\'9cur. Calme-toi\~!\'85 Si tu me fais pleurer, qu\rquote est-ce que nous deviendrons\~?
+\par
+\par \endash \~C\rquote est plus fort que moi, fr\'e8re\~!
+\par
+\par \endash \~Hulda\~!\'85 Hulda\~!\'85 Ne perds pas courage\~!\'85 Je t\rquote assure que, moi, je ne suis pas d\'e9sesp\'e9r\'e9\~!
+\par
+\par \endash \~Dois-je te croire, Jo\'ebl\~?
+\par
+\par \endash \~Oui, tu le dois\~! Mais, pour te rassurer, veux-tu que je parte pour Bergen, demain matin\'85 ce soir\~?\'85
+\par
+\par \endash \~Je ne veux pas que tu me quittes\~!\'85 Non\~!\'85 Je ne le veux pas\~! r\'e9pondit Hulda, en s\rquote attachant \'e0 son fr\'e8re comme si elle n\rquote avait plus que lui au monde.
+\par
+\par Tous deux reprirent alors le chemin de l\rquote auberge. Mais il s\rquote \'e9tait mis \'e0 pleuvoir, et m\'eame la rafale devint si violente qu\rquote ils durent se r\'e9fugier dans la hutte du passeur, \'e0 quelques centaines de pas en arri\'e8
+re des rives du Maan.
+\par
+\par L\'e0, il fallait attendre qu\rquote il se f\'eet quelque accalmie. Et alors Jo\'ebl \'e9prouva le besoin de parler, de parler quand m\'eame. Le silence lui semblait plus d\'e9sesp\'e9rant que ce qu\rquote il pourrait dire, quand m\'ea
+me ce ne seraient pas des paroles d\rquote espoir.
+\par
+\par \endash \~Et notre m\'e8re\~? dit-il.
+\par
+\par \endash \~Toujours de plus en plus triste\~! r\'e9pondit Hulda.
+\par
+\par \endash \~Il n\rquote est venu personne en mon absence\~?
+\par
+\par \endash \~Si, un voyageur, qui est reparti.
+\par
+\par \endash \~Ainsi, il n\rquote y a en ce moment aucun touriste \'e0 l\rquote auberge, et on n\rquote a pas fait demander de guide\~?
+\par
+\par \endash \~Non, Jo\'ebl.
+\par
+\par \endash \~Tant mieux, car je pr\'e9f\'e8re ne pas te quitter. D\rquote ailleurs, si le mauvais temps continue, je crains bien que, cette ann\'e9e, les touristes renoncent \'e0 courir le Telemark\~!
+\par
+\par \endash \~Nous ne sommes encore qu\rquote en avril, fr\'e8re\~!
+\par
+\par \endash \~Sans doute, mais j\rquote ai le pressentiment que la saison ne sera pas bonne pour nous\~! Enfin, nous verrons\~! Mais dis-moi, c\rquote est hier que ce voyageur a quitt\'e9 Dal\~?
+\par
+\par \endash \~Oui, dans la matin\'e9e.
+\par
+\par \endash \~Et qui \'e9tait-ce\~?
+\par
+\par \endash \~Un homme venu de Drammen, o\'f9 il demeure, para\'eet-il, et qui se nomme Sandgo\'efst.
+\par
+\par \endash \~Sandgo\'efst\~?
+\par
+\par \endash \~Le conna\'eetrais-tu\~?
+\par
+\par \endash \~Non, r\'e9pondit Jo\'ebl. Hulda s\rquote \'e9tait d\'e9j\'e0 demand\'e9 si elle raconterait \'e0 son fr\'e8re tout ce qui s\rquote \'e9tait pass\'e9 \'e0 l\rquote auberge en son absence. Lorsque Jo\'ebl apprendrait avec quel sans-g\'ea
+ne cet homme s\rquote \'e9tait conduit, comment il semblait avoir calcul\'e9 la valeur de la maison et du mobilier, quelle attitude dame Hansen avait cru devoir prendre vis-\'e0-vis de lui, qu\rquote imaginerait-il\~? Ne penserait-il pas que leur m\'e8
+re devait avoir de bien graves raisons pour agir comme elle l\rquote avait fait\~? Or, quelles \'e9taient ces raisons\~? Que pouvait-il y avoir de commun entre elle et ce Sandgo\'efst\~? Il y avait certainement l\'e0 un secret mena\'e7ant pour la famille
+\~! Jo\'ebl voudrait le conna\'eetre, il interrogerait sa m\'e8re, il la presserait de questions\'85 Dame Hansen, si peu communicative, si r\'e9fractaire \'e0 toute effusion, voudrait garder le silence comme elle l\rquote avait fait jusqu\rquote
+alors. La situation entre elle et ses enfants, si affligeante d\'e9j\'e0, deviendrait plus p\'e9nible encore.
+\par
+\par Mais la jeune fille aurait-elle pu rien taire \'e0 Jo\'ebl\~? Un secret pour lui\~! N\rquote e\'fbt-ce pas \'e9t\'e9 comme une paille dans l\rquote amiti\'e9 de fer qui les unissait l\rquote un \'e0 l\rquote autre\~? Non\~! Il ne fallait pas
+ que cette amiti\'e9 p\'fbt jamais \'eatre bris\'e9e\~! Hulda r\'e9solut donc de tout dire.
+\par
+\par \endash \~Tu n\rquote as jamais entendu parler de ce Sandgo\'efst, quand tu allais \'e0 Drammen\~? reprit-elle.
+\par
+\par \endash \~Jamais.
+\par
+\par \endash \~Eh bien, sache donc, Jo\'ebl, que notre m\'e8re le connaissait d\'e9j\'e0, au moins de nom\~!
+\par
+\par \endash \~Elle connaissait Sandgo\'efst\~?
+\par
+\par \endash \~Oui, fr\'e8re.
+\par
+\par \endash \~Mais, ce nom, je ne le lui ai jamais entendu prononcer\~!
+\par
+\par \endash \~Elle le connaissait, cependant, bien qu\rquote elle n\rquote e\'fbt jamais vu cet homme avant sa visite d\rquote avant-hier\~!
+\par
+\par Et Hulda raconta tous les incidents qui avaient marqu\'e9 le s\'e9jour du voyageur dans l\rquote auberge, sans omettre l\rquote acte singulier de dame Hansen au moment du d\'e9part de Sandgo\'efst. Elle se h\'e2ta d\rquote ajouter\~:
+\par
+\par \endash \~Je pense, mon Jo\'ebl, qu\rquote il vaut mieux ne rien demander \'e0 notre m\'e8re. Tu la connais\~! Ce serait la rendre plus malheureuse encore. L\rquote avenir nous apprendra, sans doute, ce qui se cache dans son pass\'e9
+. Fasse le Ciel que Ole nous soit rendu, et, s\rquote il y a quelque affliction qui menace la famille, nous serons trois, du moins, \'e0 la partager\~!
+\par
+\par Jo\'ebl avait \'e9cout\'e9 sa s\'9cur avec une profonde attention. Oui\~! Entre dame Hansen et ce Sandgo\'efst, il y avait de graves raisons qui mettaient l\rquote une \'e0 la merci de l\rquote autre\~! Pouvait-on douter que cet homme f\'fb
+t venu pour inventorier l\rquote auberge de Dal\~? \'c9videmment non\~! Et cette note d\'e9chir\'e9e au moment o\'f9 il allait partir \endash ce qui lui avait paru tout naturel \endash qu\rquote est-ce que cela pouvait signifier\~?
+\par
+\par \endash \~Tu as raison, Hulda, dit Jo\'ebl, je ne parlerai de rien \'e0 notre m\'e8re. Peut-\'eatre regrettera-t-elle de ne pas s\rquote \'eatre confi\'e9e \'e0 nous. Pourvu qu\rquote il ne soit pas trop tard\~! Elle doit bien souffrir, la pauvre femme\~
+! Elle s\rquote est but\'e9e\~! Elle ne comprend pas que le c\'9cur de ses enfants est fait pour qu\rquote elle y verse ses peines\~!
+\par
+\par \endash \~Elle le comprendra un jour, Jo\'ebl.
+\par
+\par \endash \~Oui\~! Aussi, attendons\~! Mais, d\rquote ici l\'e0, il ne me sera pas d\'e9fendu de chercher \'e0 savoir ce qu\rquote est cet individu. Peut-\'eatre monsieur Helmbo\'eb le conna\'eet-il\~? Je le lui demanderai la premi\'e8re fois que j\rquote
+irai \'e0 Bamble, et, s\rquote il le faut, je pousserai jusqu\rquote \'e0 Drammen. L\'e0, il ne doit pas \'eatre difficile d\rquote apprendre au moins ce que fait cet homme, \'e0 quel genre d\rquote affaires il se livre, ce qu\rquote on en pense\'85
+
+\par
+\par \endash \~Rien de bon, j\rquote en suis s\'fbre, r\'e9pondit Hulda. Sa figure est mauvaise, son regard m\'e9chant. Je serais bien surprise s\rquote il y avait une \'e2me g\'e9n\'e9reuse sous cette grossi\'e8re enveloppe\~!
+\par
+\par \endash \~Allons, reprit Jo\'ebl, ne jugeons point les gens sur l\rquote apparence\~! Je parie que tu lui trouverais une agr\'e9able mine, \'e0 ce Sandgo\'efst, si tu le regardais, \'e9tant au bras de Ole\'85
+\par
+\par \endash \~Mon pauvre Ole\~! murmura la jeune fille.
+\par
+\par \endash \~Il reviendra, il revient, il est en route\~! s\rquote \'e9cria Jo\'ebl. Aie confiance, Hulda\~! Ole n\rquote est plus loin maintenant, et nous le gronderons au retour pour s\rquote \'eatre fait attendre\~!
+\par
+\par La pluie avait cess\'e9. Tous deux sortirent de la hutte et remont\'e8rent le sentier afin de regagner l\rquote auberge.
+\par
+\par \endash \~\'c0 propos, dit alors Jo\'ebl, je repars demain.
+\par
+\par \endash \~Tu repars\~?\'85
+\par
+\par \endash \~Oui, d\'e8s le matin.
+\par
+\par \endash \~D\'e9j\'e0, fr\'e8re\~?
+\par
+\par \endash \~Il le faut, Hulda. En quittant le Hardanger, j\rquote ai \'e9t\'e9 pr\'e9venu par un de mes camarades qu\rquote un voyageur venait du nord par les hauts plateaux du Rjukanfos o\'f9 il doit arriver demain.
+\par
+\par \endash \~Quel est ce voyageur\~?
+\par
+\par \endash \~Ma foi, je ne sais m\'eame plus son nom. Mais il est n\'e9cessaire que je sois l\'e0 pour le ramener \'e0 Dal.
+\par
+\par \endash \~Pars donc, puisque tu ne peux t\rquote en dispenser\~! r\'e9pondit Hulda avec un gros soupir.
+\par
+\par \endash \~Demain, au lever du jour, je me mettrai en route. Cela te chagrine, Hulda\~?
+\par
+\par \endash \~Oui, fr\'e8re\~! Je suis bien plus inqui\'e8te quand tu me laisses\'85 m\'eame pour quelques heures\~!
+\par
+\par \endash \~Eh bien, cette fois, sache que je ne pars pas seul\~!
+\par
+\par \endash \~Et qui donc t\rquote accompagne\~?
+\par
+\par \endash \~Toi, petite s\'9cur, toi\~! Il faut te distraire, et je t\rquote emm\'e8ne\~!
+\par
+\par \endash \~Ah\~! merci, mon Jo\'ebl\~!
+\par
+\par }\pard\plain \s1\qc\sb600\sa480\keepn\pagebb\nowidctlpar\widctlpar\outlinelevel0\adjustright \b\f40\fs38\lang1036\cgrid {{\*\bkmkstart _Toc97124738}VIII{\*\bkmkend _Toc97124738}\line
+\par }\pard\plain \qj\fi680\nowidctlpar\widctlpar\adjustright \f40\fs32\lang1036\cgrid {Le lendemain, tous deux quitt\'e8rent l\rquote auberge d\'e8s l\rquote aube. Une quinzaine de kilom\'e8tres de Dal aux c\'e9l\'e8bres chutes, autant pour en revenir, ce n
+\rquote e\'fbt \'e9t\'e9 qu\rquote une promenade pour Jo\'ebl, mais il fallait m\'e9nager les forces de Hulda. Jo\'ebl s\rquote \'e9tait donc assur\'e9 de la kariol du contrema\'eetre Lengling, et, comme toutes les kariols, celle-ci n\rquote avait qu
+\rquote une place. Il est vrai, ce brave homme \'e9tait si gros qu\rquote il avait fallu fabriquer une caisse \'e0 sa convenance. Or, c\rquote \'e9tait suffisant pour que Hulda et Jo\'ebl pussent y tenir l\rquote un pr\'e8s de l\rquote
+autre. Donc, si le voyageur annonc\'e9 se trouvait au Rjukanfos, il prendrait la place de Jo\'ebl, et celui-ci reviendrait \'e0 pied ou monterait sur la planchette derri\'e8re la caisse.
+\par
+\par Route charmante, de Dal aux chutes, quoique prodigue de cahots. Incontestablement, c\rquote est plut\'f4t un sentier qu\rquote une route. Des poutres \'e0 peine \'e9quarries, jet\'e9
+es sur les rios tributaires du Maan, le traversent en formant des ponceaux \'e0 quelques centaines de pas les uns des autres. Mais le cheval norv\'e9gien est habitu\'e9 \'e0 les franchir d\rquote un pied s\'fbr, et, si la kariol n\rquote a point de r
+essorts, ses longs brancards, un peu \'e9lastiques, att\'e9nuent, dans une certaine mesure, les heurts du sol.
+\par
+\par Le temps \'e9tait beau. Jo\'ebl et Hulda allaient d\rquote un bon pas le long des verdoyantes prairies, baign\'e9es \'e0 leur lisi\'e8re de gauche par les eaux claires du Maan. Quelques milliers de bouleaux ombrageaient \'e7\'e0 et l\'e0
+ le chemin gaiement ensoleill\'e9. La bu\'e9e de la nuit se fondait en gouttelettes \'e0 la pointe des longues herbes. Sur la droite du torrent, \'e0 deux mille m\'e8tres d\rquote altitude, les plaques neigeuses du Gousta jetaient dans l\rquote
+espace un intense rayonnement de lumi\'e8re.
+\par
+\par Pendant une heure, la kariol marcha assez rapidement. La mont\'e9e \'e9tait insensible encore. Mais bient\'f4t le val se r\'e9tr\'e9cit peu \'e0 peu. De part et d\rquote autre les rios se chang\'e8rent en fougueux torrents. Bien que le chemin dev\'ee
+nt sinueux, il ne pouvait \'e9viter toutes les d\'e9nivellations du sol. De l\'e0, des passages vraiment durs, dont Jo\'ebl se tirait avec adresse. Pr\'e8s de lui, d\rquote ailleurs, Hulda ne craignait rien. Quand le cahot \'e9tait trop accentu\'e9
+, elle s\rquote accrochait \'e0 son bras. La fra\'eecheur du matin colorait sa jolie figure, bien p\'e2le depuis quelque temps.
+\par
+\par Cependant, il fallut encore atteindre une altitude plus \'e9lev\'e9e. La vall\'e9e ne donnait gu\'e8re passage qu\rquote au cours resserr\'e9 du Maan, entre deux murailles coup\'e9es \'e0
+ pic. Sur les fields voisins apparaissaient une vingtaine de maisons isol\'e9es, des ruines de soeters ou de gaards, livr\'e9es \'e0 l\rquote abandon, des cabanes de p\'e2tres, perdues entre les bouleaux et les h\'eatres. Bient\'f4
+t il ne fut plus possible de voir la rivi\'e8re\~; mais on l\rquote entendait mugir dans le sonore encaissement des roches. La contr\'e9e avait pris un aspect grandiose et sauvage \'e0 la fois, en \'e9largissant son cadre jusqu\rquote \'e0 la cr\'ea
+te des montagnes.
+\par
+\par Apr\'e8s deux heures de marche, une scierie se montra sur le bord d\rquote une chute de quinze cents pieds, utilis\'e9e pour le m\'e9canisme de sa double roue. Les cascades qui ont cette hauteur ne sont point rares dans le Vestfjorddal\~
+; mais le volume de leurs eaux est peu consid\'e9rable. C\rquote est en cela que l\rquote emporte celle du Rjukanfos.
+\par
+\par Jo\'ebl et Hulda, arriv\'e9s \'e0 la scierie, mirent pied \'e0 terre.
+\par
+\par \endash \~Une demi-heure de marche ne te fatiguera pas trop, petite s\'9cur\~? dit Jo\'ebl.
+\par
+\par \endash \~Non, fr\'e8re, je ne suis point lasse, et m\'eame cela me fera du bien de marcher un peu.
+\par
+\par \endash \~Un peu\'85 beaucoup, et toujours en montant\~!
+\par
+\par \endash \~Je m\rquote appuierai \'e0 ton bras, Jo\'ebl\~! L\'e0, en effet, il avait fallu abandonner la kariol. Elle n\rquote aurait pu franchir les sentiers ardus, les passes \'e9troites, les talus sem\'e9
+s de roches branlantes, dont les capricieux contours, ombrag\'e9s d\rquote arbres ou d\'e9nud\'e9s, annoncent la grande chute. Mais, d\'e9j\'e0, s\rquote \'e9levait une sorte de vapeur \'e9paisse au milieu d\rquote un bleu\'e2tre lointain. C\rquote \'e9
+taient les eaux pulv\'e9ris\'e9es du Rjukan, et leurs volutes se d\'e9roulaient \'e0 une assez grande hauteur. Hulda et Jo\'ebl prirent une sente, bien connue des guides, qui s\rquote abaisse vers l\rquote \'e9tranglement de la vall\'e9
+e. Il fallut se glisser entre les arbres et les arbustes. Quelques instants apr\'e8s, tous deux \'e9taient assis sur une roche tapiss\'e9e de mousses jaun\'e2tres, presque en face de la chute. On ne peut en approcher de ce c\'f4t\'e9. L\'e0, le fr\'e8
+re et la s\'9cur auraient eu quelque peine \'e0 s\rquote entendre, s\rquote ils eussent parl\'e9. Mais alors leurs pens\'e9es \'e9taient de celles qui peuvent se communiquer, sans que les l\'e8vres les formulent, par le c\'9cur. Le volume de la chute du
+Rjukan est \'e9norme, sa hauteur consid\'e9rable, son mugissement grandiose. C\rquote est de neuf cents pieds que le sol manque subitement au lit du Maan, \'e0 mi-chemin \'e0 peu pr\'e8s entre le lac Mj\'f6
+s en amont et le lac Tinn en aval. Neuf cents pieds, c\rquote est-\'e0-dire six fois la hauteur du Niagara, dont la largeur, il est vrai, mesure trois milles de la rive am\'e9ricaine \'e0 la rive canadienne.
+\par
+\par Ici, le Rjukanfos a des aspects \'e9tranges, difficiles \'e0 reproduire par la description. La peinture m\'eame ne les rendrait que d\rquote une fa\'e7on insuffisante. Il est certaines merveilles naturelles qu\rquote
+il faut voir pour en comprendre toute la beaut\'e9, entre autres cette chute, la plus c\'e9l\'e8bre de tout le continent europ\'e9en.
+\par
+\par Et c\rquote est pr\'e9cis\'e9ment \'e0 quoi s\rquote occupait alors un touriste, assis sur la paroi de gauche du Maan. \'c0 cette place, il pouvait observer le Rjukanfos de plus pr\'e8s et de plus haut.
+\par
+\par Ni Jo\'ebl, ni sa s\'9cur ne l\rquote avaient encore aper\'e7u, bien qu\rquote il f\'fbt visible. Ce n\rquote \'e9tait pas la distance, mais un effet d\rquote optique, sp\'e9cial aux sites de montagnes, qui le faisait para\'eetre tr\'e8
+s petit, et, par cons\'e9quent, plus \'e9loign\'e9 qu\rquote il ne l\rquote \'e9tait r\'e9ellement.
+\par
+\par \'c0 ce moment, ce voyageur venait de se relever et s\rquote aventurait tr\'e8s imprudemment sur la croupe rocheuse qui s\rquote arrondissait comme un d\'f4me vers le lit du Maan. \'c9videmment, ce que ce curieux voulait voir, c\rquote \'e9
+taient les deux cavit\'e9s du Rjukanfos, l\rquote une \'e0 gauche, pleine du bouillonnement des eaux, l\rquote autre \'e0 droite, toujours emplie d\rquote \'e9paisses vapeurs. Peut-\'eatre m\'eame cherchait-il \'e0 reconna\'eetre s\rquote il n\rquote
+existe pas une troisi\'e8me cavit\'e9 inf\'e9rieure \'e0 mi-hauteur de la chute. Sans doute, cela expliquerait comment le Rjukan, apr\'e8s s\rquote y \'eatre engouffr\'e9, rebondit en rejetant, \'e0
+ de certains intervalles, son trop-plein tumultueux. On dirait que les eaux sont lanc\'e9es par quelque coup de mine, qui couvre de leurs embruns les fields environnants.
+\par
+\par Cependant le touriste s\rquote avan\'e7ait toujours sur ce dos d\rquote \'e2ne, pierreux et glissant, sans une racine, sans une touffe, sans une herbe, qui porte le nom de Passe-de-Marie ou Maristien.
+\par
+\par Il ignorait donc, l\rquote imprudent, la l\'e9gende qui a rendu cette passe c\'e9l\'e8bre. Un jour, Eystein voulut rejoindre, par ce dangereux chemin, la belle Marie du Vestfjorddal. De l\rquote autre c\'f4t\'e9 de la passe, sa fianc\'e9
+e lui tendait les bras. Tout \'e0 coup, son pied manque, il tombe, il glisse, il ne peut se retenir sur ces roches unies comme une glace, il dispara\'eet dans le gouffre, et les rapides du Maan ne rendirent jamais son cadavre.
+\par
+\par Ce qui \'e9tait arriv\'e9 \'e0 l\rquote infortun\'e9 Eystein allait-il donc arriver \'e0 ce t\'e9m\'e9raire engag\'e9 sur les pentes du Rjukanfos\~?
+\par
+\par C\rquote \'e9tait \'e0 craindre. Et, en effet, il s\rquote aper\'e7ut du p\'e9ril, mais trop tard. Soudain, le point d\rquote appui fit d\'e9faut \'e0 son pied, il poussa un cri, il roula d\rquote une vingtaine de pas, et n\rquote
+eut que le temps de se raccrocher \'e0 la saillie d\rquote une roche, presque \'e0 la lisi\'e8re de l\rquote ab\'eeme.
+\par
+\par Jo\'ebl et Hulda ne l\rquote avaient point encore aper\'e7u, mais ils venaient de l\rquote entendre.
+\par
+\par \endash \~Qu\rquote est-ce donc\~? dit Jo\'ebl en se levant.
+\par
+\par \endash \~Un cri\~! r\'e9pondit Hulda.
+\par
+\par \endash \~Oui\~!\'85 Un cri de d\'e9tresse\~!
+\par
+\par \endash \~De quel c\'f4t\'e9\~?\'85
+\par
+\par \endash \~\'c9coutons\~! Tous deux regardaient \'e0 droite, \'e0 gauche de la chute\~; ils ne purent rien voir. Ils avaient bien entendu, cependant, ces mots\~: \'ab\~\'c0 moi\~!\'85 \'c0 moi\~!\~\'bb, jet\'e9s au milieu d\rquote une de ces accalmies r
+\'e9guli\'e8res, qui durent pr\'e8s d\rquote une minute entre chaque bond du Rjukan.
+\par
+\par L\rquote appel se renouvela.
+\par
+\par \endash \~Jo\'ebl, dit Hulda, il y a quelque voyageur en p\'e9ril, qui demande secours\~! Il faut aller \'e0 lui\'85
+\par
+\par \endash \~Oui, s\'9cur, et il ne peut \'eatre loin\~! Mais de quel c\'f4t\'e9\~?\'85 O\'f9 est-il\~?\'85 Je ne vois rien\~!
+\par
+\par Hulda venait de remonter le talus, en arri\'e8re de la roche sur laquelle elle \'e9tait assise, s\rquote accrochant aux maigres touffes qui rev\'eatent cette rive gauche du Maan.
+\par
+\par \endash \~Jo\'ebl\~! cria-t-elle enfin.
+\par
+\par \endash \~Tu vois\~?\'85
+\par
+\par \endash \~L\'e0\'85 l\'e0\~! Et Hulda montrait l\rquote imprudent, suspendu presque au-dessus du gouffre. Si son pied, arc-bout\'e9 contre la mince saillie, lui manquait, s\rquote il glissait un peu plus bas, s\rquote il se laissait aller au vertige, il
+\'e9tait perdu.
+\par
+\par \endash \~Il faut le sauver\~! dit Hulda.
+\par
+\par \endash \~Oui, il le faut\~! r\'e9pondit Jo\'ebl. Avec du sang-froid, nous arriverons jusqu\rquote \'e0 lui\~!
+\par
+\par Jo\'ebl poussa alors un long cri. Il fut entendu du voyageur, dont la t\'eate se retourna de son c\'f4t\'e9. Puis, pendant quelques instants, Jo\'ebl chercha \'e0 reconna\'eetre ce qu\rquote il y aurait de plus prompt et de plus s\'fbr \'e0 faire po
+ur le tirer de ce mauvais pas.
+\par
+\par \endash \~Hulda, dit-il, tu n\rquote as pas peur\~?
+\par
+\par \endash \~Non, fr\'e8re\~!
+\par
+\par \endash \~Tu connais bien la Maristien\~?
+\par
+\par \endash \~J\rquote y suis d\'e9j\'e0 pass\'e9e plusieurs fois\~!
+\par
+\par \endash \~Eh bien, va par le haut de la croupe en te rapprochant du voyageur d\rquote aussi pr\'e8s que possible\~! Ensuite, laisse-toi glisser doucement jusqu\rquote \'e0 lui, et prends-le par la main de mani\'e8re \'e0 bien le tenir. Mais qu\rquote il n
+\rquote essaie pas encore de se relever\~! Le vertige le saisirait, il t\rquote entra\'eenerait avec lui, et vous seriez perdus\~!
+\par
+\par \endash \~Et toi, Jo\'ebl\~?
+\par
+\par \endash \~Moi, pendant que tu iras par le haut, je ramperai par le bas le long de l\rquote ar\'eate, du c\'f4t\'e9 du Maan. Je serai l\'e0 quand tu arriveras, et, si vous glissiez, peut-\'eatre pourrais-je vous retenir tous deux\~!
+\par
+\par Puis, d\rquote une voix retentissante, profitant d\rquote une nouvelle accalmie du Rjukanfos, Jo\'ebl cria\~:
+\par
+\par \endash \~Ne bougez pas, monsieur\~!\'85 Attendez\~!\'85 Nous allons t\'e2cher d\rquote aller \'e0 vous\~!
+\par
+\par Hulda avait d\'e9j\'e0 disparu derri\'e8re les hautes touffes du talus, afin de redescendre lat\'e9ralement sur l\rquote autre croupe de la Maristien.
+\par
+\par Jo\'ebl ne tarda pas \'e0 voir la brave fille qui apparaissait au tournant des derniers arbres.
+\par
+\par De son c\'f4t\'e9, au p\'e9ril de sa vie, il se mit \'e0 ramper lentement le long de la portion d\'e9clive de ce dos arrondi qui borde l\rquote encaissement du Rjukanfos. Quel sang-froid surprenant, quelle s\'fbret\'e9
+ du pied et de la main ne fallait-il pas pour c\'f4toyer ce gouffre, dont les parois s\rquote humectaient des embruns de la cataracte\~!
+\par
+\par Parall\'e8lement \'e0 lui, mais \'e0 une centaine de pieds au-dessus, Hulda s\rquote avan\'e7ait en obliquant, de mani\'e8re \'e0 gagner plus ais\'e9ment l\rquote endroit o\'f9 le voyageur se tenait immobile.
+\par
+\par Dans la position que celui-ci occupait, on ne pouvait voir sa figure qui \'e9tait tourn\'e9e du c\'f4t\'e9 de la chute.
+\par
+\par Jo\'ebl, arriv\'e9 au-dessous de lui, s\rquote arr\'eata. Apr\'e8s s\rquote \'eatre arc-bout\'e9 solidement dans une cassure de roche\~:
+\par
+\par \endash \~Eh\~! monsieur\~! cria-t-il. Le voyageur tourna la t\'eate.
+\par
+\par \endash \~Eh\~! monsieur\~! reprit Jo\'ebl. Ne faites pas un mouvement, pas un seul, et tenez bon\~!
+\par
+\par \endash \~Soyez tranquille, je tiens bon, mon ami\~! lui fut-il r\'e9pondu d\rquote un ton qui rassura Jo\'ebl. Si je ne tenais pas bon, il y a un quart d\rquote heure que je serais par le fond du Rjukanfos\~!
+\par
+\par \endash \~Ma s\'9cur va descendre jusqu\rquote \'e0 vous, reprit Jo\'ebl. Elle vous prendra par la main. Mais, avant que je sois l\'e0, n\rquote essayez pas de vous relever\~!\'85 Ne bougez pas\'85
+\par
+\par \endash \~Pas plus qu\rquote un roc\~! r\'e9pliqua le voyageur. D\'e9j\'e0 Hulda commen\'e7ait \'e0 descendre de son c\'f4t\'e9, cherchant les points moins glissants de la croupe, engageant son pied dans les crevasses o\'f9
+ il trouvait un appui solide, la t\'eate libre, ainsi qu\rquote il en est de ces filles du Telemark, habitu\'e9es \'e0 d\'e9valer les rampes des fields. Et, de m\'eame que l\rquote avait cri\'e9 Jo\'ebl, elle cria aussi\~:
+\par
+\par \endash \~Tenez bon, monsieur\~!
+\par
+\par \endash \~Oui, je tiens\'85 et je tiendrai, je vous l\rquote assure, tant que je pourrai tenir\~!
+\par
+\par On le voit, les recommandations ne lui manquaient pas. Elles venaient d\rquote en bas et d\rquote en haut.
+\par
+\par \endash \~Surtout, n\rquote ayez pas peur\~! ajouta Hulda.
+\par
+\par \endash \~Je n\rquote ai pas peur\~!
+\par
+\par \endash \~Nous vous sauverons\~! cria Jo\'ebl.
+\par
+\par \endash \~J\rquote y compte bien, car, par saint Olaf\~! je ne pourrais me sauver tout seul\~!
+\par
+\par \'c9videmment, ce voyageur avait absolument conserv\'e9 sa pr\'e9sence d\rquote esprit. Mais, apr\'e8s sa chute, sans doute, bras et jambes lui avaient refus\'e9 service, et tout ce qu\rquote il pouvait faire, maintenant, c\rquote \'e9tait de se retenir
+\'e0 la mince saillie qui le s\'e9parait du gouffre.
+\par
+\par Cependant, Hulda descendait toujours. Quelques instants plus tard, elle eut rejoint le voyageur. Alors, ayant appuy\'e9 son pied contre une asp\'e9rit\'e9 du roc, elle lui prit la main.
+\par
+\par Le voyageur essaya de se redresser un peu.
+\par
+\par \endash \~Ne bougez pas, monsieur\~!\'85 Ne bougez pas\~!\'85 dit Hulda. Vous m\rquote entra\'eeneriez avec vous, et je ne serais pas assez forte pour vous retenir\~! Il faut attendre l\rquote arriv\'e9e de mon fr\'e8re\~! Quand il se sera plac\'e9
+ entre nous et le Rjukanfos, vous essaierez de vous relever afin de\'85
+\par
+\par \endash \~Me relever, ma brave fille\~! C\rquote est plus facile \'e0 dire qu\rquote \'e0 faire, et je crains bien que ce soit peu ais\'e9\~!
+\par
+\par \endash \~Seriez-vous bless\'e9, monsieur\~?
+\par
+\par \endash \~Hum\~! Rien de cass\'e9, rien de lux\'e9, je l\rquote esp\'e8re, mais, du moins, une belle et bonne \'e9corchure \'e0 la jambe\~!
+\par
+\par Jo\'ebl se trouvait alors \'e0 une vingtaine de pieds de la place occup\'e9e par Hulda et le voyageur \endash en contrebas. La courbure de la croupe l\rquote avait emp\'each\'e9
+ de les rejoindre directement. Il lui fallait donc remonter maintenant cette surface arrondie. C\rquote \'e9tait le plus difficile et aussi le plus dangereux. Il y allait de sa vie.
+\par
+\par \endash \~Pas un mouvement, Hulda\~! cria-t-il une derni\'e8re fois. Si vous glissiez tous deux, comme je ne suis pas en bonne position pour vous retenir, nous serions perdus\~!
+\par
+\par \endash \~Ne crains rien, Jo\'ebl\~! r\'e9pondit Hulda. Ne songe qu\rquote \'e0 toi, et que Dieu te vienne en aide\~!
+\par
+\par Jo\'ebl commen\'e7a \'e0 se hisser sur le ventre, en se tra\'eenant par un v\'e9ritable mouvement de reptation. Deux ou trois fois, il sentit que tout point d\rquote appui allait lui manquer. Mais enfin, \'e0 force d\rquote adresse, il parvint \'e0
+ remonter jusque aupr\'e8s du voyageur.
+\par
+\par Celui-ci, un homme \'e2g\'e9 d\'e9j\'e0, mais de complexion vigoureuse, avait une belle figure, aimable et souriante. En v\'e9rit\'e9, Jo\'ebl se f\'fbt plut\'f4t attendu \'e0 trouver l\'e0 quelque jeune audacieux qui s\rquote \'e9tait engag\'e9 \'e0
+ franchir la Maristien.
+\par
+\par \endash \~C\rquote est bien imprudent ce que vous avez fait, monsieur\~! dit-il en se couchant \'e0 demi pour reprendre haleine.
+\par
+\par \endash \~Comment, si c\rquote est imprudent\~? r\'e9pliqua le voyageur. Dites donc que c\rquote est tout bonnement absurde\~!
+\par
+\par \endash \~Vous avez risqu\'e9 votre vie\'85
+\par
+\par \endash \~Et je vous ai fait risquer la v\'f4tre\~!
+\par
+\par \endash \~Oh\~! moi\~!\'85 c\rquote est un peu mon m\'e9tier\~! r\'e9pondit Jo\'ebl. Et, se relevant\~:
+\par
+\par \endash \~Maintenant, il s\rquote agit de regagner le haut de la croupe, ajouta-t-il, mais le plus difficile est fait.
+\par
+\par \endash \~Oh\~! le plus difficile\~!\'85
+\par
+\par \endash \~Oui, monsieur, c\rquote \'e9tait d\rquote arriver jusqu\rquote \'e0 vous. Nous n\rquote avons plus qu\rquote \'e0 remonter une pente bien moins raide.
+\par
+\par \endash \~C\rquote est que vous ferez bien de ne pas trop compter sur moi, mon gar\'e7on\~! J\rquote ai une jambe qui ne pourra gu\'e8re me servir, ni en ce moment ni pendant quelques jours, peut-\'eatre\~!
+\par
+\par \endash \~Essayez de vous relever\~!
+\par
+\par \endash \~Volontiers\'85 avec votre aide\~!
+\par
+\par \endash \~Vous prendrez le bras de ma s\'9cur. Moi, je vous soutiendrai et vous pousserai par les reins.
+\par
+\par \endash \~Solidement\~?\'85
+\par
+\par \endash \~Solidement.
+\par
+\par \endash \~Eh bien, mes amis, je m\rquote en rapporte \'e0 vous. Puisque vous avez eu la pens\'e9e de me tirer d\rquote affaire, cela vous regarde.
+\par
+\par On proc\'e9da, ainsi que l\rquote avait dit Jo\'ebl, prudemment. Si de remonter la croupe ne fut pas sans quelque danger, tous trois s\rquote en tir\'e8rent mieux et plus vite qu\rquote ils ne l\rquote esp\'e9raient. D\rquote ailleurs, ce n\rquote \'e9
+tait ni d\rquote une foulure ni d\rquote une entorse que souffrait le voyageur, mais simplement d\rquote une tr\'e8s forte \'e9corchure. Il put donc faire meilleur usage de ses deux jambes qu\rquote il ne le croyait, non sans douleur
+, toutefois. Dix minutes apr\'e8s, il \'e9tait en s\'fbret\'e9 au-del\'e0 de la Maristien.
+\par
+\par L\'e0, il aurait pu se reposer sous les premiers sapins qui bordent le field sup\'e9rieur du Rjukanfos. Mais Jo\'ebl lui demanda un effort de plus. Il s\rquote agissait de gagner une cabane perdue sous les arbres, un peu en arri\'e8
+re de la roche sur laquelle sa s\'9cur et lui s\rquote \'e9taient arr\'eat\'e9s en arrivant \'e0 la chute. Le voyageur essaya de faire l\rquote effort demand\'e9, il y r\'e9ussit, et, soutenu, d\rquote un c\'f4t\'e9 par Hulda, de l\rquote autre par Jo\'eb
+l, il arriva sans trop de mal devant la porte de la cabane.
+\par
+\par \endash \~Entrons, monsieur, dit alors la jeune fille, et, l\'e0, vous vous reposerez un instant.
+\par
+\par \endash \~L\rquote instant pourra-t-il durer un bon quart d\rquote heure\~?
+\par
+\par \endash \~Oui, monsieur, et ensuite, il faudra bien que vous consentiez \'e0 venir avec nous jusqu\rquote \'e0 Dal.
+\par
+\par \endash \~\'c0 Dal\~?\'85 Eh\~! c\rquote est pr\'e9cis\'e9ment \'e0 Dal que j\rquote allais\~!
+\par
+\par \endash \~Seriez-vous donc le touriste qui vient du nord, demanda Jo\'ebl, et qui m\rquote avait \'e9t\'e9 signal\'e9 au Hardanger\~?
+\par
+\par \endash \~Pr\'e9cis\'e9ment.
+\par
+\par \endash \~Ma foi, vous n\rquote aviez pas pris le bon chemin\'85
+\par
+\par \endash \~Je m\rquote en doute un peu.
+\par
+\par \endash \~Et, si j\rquote avais pu pr\'e9voir ce qui est arriv\'e9, je serais all\'e9 vous attendre de l\rquote autre c\'f4t\'e9 du Rjukanfos\~!
+\par
+\par \endash \~\'c7a, c\rquote e\'fbt \'e9t\'e9 une bonne id\'e9e, mon brave jeune homme\~! Vous m\rquote auriez \'e9pargn\'e9 une imprudence impardonnable \'e0 mon \'e2ge\'85
+\par
+\par \endash \~\'c0 tout \'e2ge, monsieur\~! r\'e9pondit Hulda. Tous trois entr\'e8rent alors dans la cabane, o\'f9 se trouvait une famille de paysans, le p\'e8re, la m\'e8re et leurs deux filles qui se lev\'e8rent et firent bon accueil aux arrivants. Jo\'eb
+l put alors constater que le voyageur n\rquote avait qu\rquote une assez grave \'e9corchure \'e0 la jambe, un peu au-dessous du genou. Cela n\'e9cessiterait certainement une bonne semaine de repos\~; mais la jambe n\rquote \'e9tait ni lux\'e9e ni cass\'e9
+e, l\rquote os n\rquote \'e9tait pas m\'eame atteint. C\rquote \'e9tait l\rquote essentiel. Du laitage excellent, des fraises en abondance, un peu de pain bis, furent offerts et accept\'e9s. Jo\'ebl ne se cacha point de montrer un formidable app\'e9
+tit, et, si Hulda mangea \'e0 peine, le voyageur ne refusa pas de tenir t\'eate \'e0 son fr\'e8re.
+\par
+\par \endash \~Vraiment, dit-il, cet exercice m\rquote a creus\'e9 l\rquote estomac\~! Mais j\rquote avouerai volontiers que de prendre par la Maristien, c\rquote \'e9tait plus qu\rquote imprudent\~! Vouloir jouer le r\'f4le de l\rquote infortun\'e9
+ Eystein, quand on pourrait \'eatre son p\'e8re\'85 et m\'eame son grand-p\'e8re\~!\'85
+\par
+\par \endash \~Ah\~! vous connaissez la l\'e9gende\~? dit Hulda.
+\par
+\par \endash \~Si je la connais\~!\'85 Ma nourrice m\rquote endormait en me la chantant, \'e0 l\rquote heureux \'e2ge o\'f9 j\rquote avais encore une nourrice\~! Oui, je la connais, ma courageuse fille, et je n\rquote en suis que plus coupable\~! \endash
+ Maintenant, mes amis, Dal est un peu loin pour l\rquote invalide que je suis\~! Comment allez-vous me transporter jusque-l\'e0\~?
+\par
+\par \endash \~Ne vous inqui\'e9tez de rien, monsieur, r\'e9pondit Jo\'ebl. Notre kariol nous attend au bas du sentier. Seulement, il y aura trois cents pas \'e0 faire\'85
+\par
+\par \endash \~Hum\~! Trois cents pas\~!
+\par
+\par \endash \~En descendant, ajouta la jeune fille.
+\par
+\par \endash \~Oh\~! si c\rquote est en descendant, cela ira tout seul, mes amis, et un bras me suffira\'85
+\par
+\par \endash \~Et pourquoi pas deux, r\'e9pondit Jo\'ebl, puisque nous en avons quatre \'e0 votre service\~!
+\par
+\par \endash \~Va pour deux, va pour quatre\~! \'c7a ne me co\'fbtera pas plus cher, n\rquote est-ce pas\~?
+\par
+\par \endash \~\'c7a ne co\'fbte rien.
+\par
+\par \endash \~Si\~! au moins un remerciement par bras, et je m\rquote aper\'e7ois que je ne vous ai point encore remerci\'e9s\'85
+\par
+\par \endash \~De quoi, monsieur\~? r\'e9pondit Jo\'ebl.
+\par
+\par \endash \~Mais tout simplement de ce que vous m\rquote avez sauv\'e9 la vie, en risquant la v\'f4tre\~!\'85
+\par
+\par \endash \~Quand vous voudrez\~?\'85 dit Hulda, qui se leva pour \'e9viter les compliments.
+\par
+\par \endash \~Comment donc\~!\'85 Mais je veux\~!\'85 D\rquote abord, moi, je veux tout ce qu\rquote on veut que je veuille\~!
+\par
+\par L\'e0-dessus, le voyageur r\'e9gla la petite d\'e9pense avec les paysans de la cabane. Puis, soutenu un peu par Hulda, beaucoup par Jo\'ebl, il commen\'e7a \'e0 descendre le sentier sinueux, qui conduit vers la rive du Maan o\'f9
+ il rejoint la route de Dal.
+\par
+\par Cela ne se fit pas sans quelques \'ab\~a\'efe\~! a\'efe\~!\~\'bb qui se terminaient invariablement par un bon \'e9clat de rire. Enfin, on atteignit la scierie, et Jo\'ebl s\rquote occupa d\rquote atteler la kariol.
+\par
+\par Cinq minutes apr\'e8s, le voyageur \'e9tait install\'e9 dans la caisse avec la jeune fille pr\'e8s de lui.
+\par
+\par \endash \~Et vous\~? demanda-t-il \'e0 Jo\'ebl. Il me semble bien que j\rquote ai d\'fb prendre votre place\'85
+\par
+\par \endash \~Une place que je vous c\'e8de de bon c\'9cur.
+\par
+\par \endash \~Mais peut-\'eatre en se serrant\'85
+\par
+\par \endash \~Non\'85 Non\~!\'85 J\rquote ai mes jambes, monsieur, des jambes de guide\~! \'c7a vaut des roues\'85
+\par
+\par \endash \~Et de fameuses, mon gar\'e7on, de fameuses\~! On partit en suivant la route qui se rapproche peu \'e0 peu du Maan. Jo\'ebl s\rquote \'e9tait mis \'e0 la t\'eate du cheval et il le guidait par le bridon, de mani\'e8re \'e0 \'e9
+viter de trop forts cahots \'e0 la kariol. Le retour se fit gaiement \endash du moins de la part du voyageur. Il causait d\'e9j\'e0 comme un vieil ami de la famille Hansen. Avant d\rquote arriver, le fr\'e8re et la s\'9cur lui disaient \'ab\~
+monsieur Sylvius\~\'bb, et monsieur Sylvius ne les appelait plus que Hulda et Jo\'ebl, comme s\rquote ils se fussent connus tous trois de longue date.
+\par
+\par Vers quatre heures, le petit clocher de Dal montra sa fine pointe entre les arbres du hameau. Un instant apr\'e8s, le cheval s\rquote arr\'eatait devant l\rquote auberge. Le voyageur descendit de la kariol, non sans quelque peine. Dame Hansen \'e9
+tait venue le recevoir \'e0 la porte, et, bien qu\rquote il n\rquote e\'fbt pas demand\'e9 la meilleure chambre de la maison, ce fut celle-l\'e0 qu\rquote on lui donna tout de m\'eame.
+\par
+\par }\pard\plain \s1\qc\sb600\sa480\keepn\pagebb\nowidctlpar\widctlpar\outlinelevel0\adjustright \b\f40\fs38\lang1036\cgrid {{\*\bkmkstart _Toc97124739}IX{\*\bkmkend _Toc97124739}\line
+\par }\pard\plain \qj\fi680\nowidctlpar\widctlpar\adjustright \f40\fs32\lang1036\cgrid {Sylvius Hog \endash tel fut le nom qui, ce soir-l\'e0, fut inscrit sur le livre des voyageurs, et pr\'e9cis\'e9ment \'e0 la suite du nom de Sandgo\'ef
+st. Vif contraste, on en conviendra, entre les deux noms comme entre les deux hommes qui les portaient. Entre eux, il n\rquote y avait aucun rapport ni au physique ni au moral. G\'e9n\'e9rosit\'e9 d\rquote un c\'f4t\'e9, avidit\'e9 de l\rquote autre. L
+\rquote un, c\rquote \'e9tait la bont\'e9 du c\'9cur, l\rquote autre, c\rquote \'e9tait la s\'e9cheresse de l\rquote \'e2me.
+\par
+\par Sylvius Hog avait \'e0 peine soixante ans. Encore ne les paraissait-il pas. Grand, droit, bien constitu\'e9, sain d\rquote esprit et sain de corps, il plaisait d\'e8s le premier abord avec sa belle et aimable figure, sans barbe, bien encadr\'e9
+e sous des cheveux grisonnants et un peu longs, avec ses yeux souriants comme ses l\'e8vres, son front large o\'f9 les plus nobles pens\'e9es pouvaient circuler sans peine, sa vaste poitrine dans laquelle le c\'9cur pouvait battre \'e0 l\rquote aise. \'c0
+ tous ces avantages, il joignait un in\'e9puisable fonds de bonne humeur, une physionomie fine et d\'e9li\'e9e, une nature capable de toutes les g\'e9n\'e9rosit\'e9s comme de tous les d\'e9vouements.
+\par
+\par Sylvius Hog, de Christiania \endash cela disait tout. Et non seulement il \'e9tait connu, appr\'e9ci\'e9, aim\'e9, honor\'e9 dans la capitale norv\'e9gienne, mais aussi dans tout le pays \endash le pays norv\'e9
+gien, bien entendu. En effet, les sentiments que l\rquote on professait \'e0 son \'e9gard n\rquote \'e9taient plus les m\'eames dans l\rquote autre moiti\'e9 du royaume scandinave, c\rquote est-\'e0-dire, en Su\'e8de.
+\par
+\par Cela veut \'eatre expliqu\'e9.
+\par
+\par Sylvius Hog \'e9tait professeur de l\'e9gislation \'e0 Christiania. En d\rquote autres \'c9tats, \'eatre avocat, ing\'e9nieur, m\'e9decin, n\'e9gociant, c\rquote est occuper les premiers rangs de l\rquote \'e9chelle sociale. En Norv\'e8ge, il n\rquote
+en va pas ainsi. \'catre professeur, c\rquote est \'eatre au sommet.
+\par
+\par Si, en Su\'e8de, il y a quatre classes, la noblesse, le clerg\'e9, la bourgeoisie, le paysan, il n\rquote y en a que trois en Norv\'e8ge\~; la noblesse manque. On n\rquote y compte aucun repr\'e9sentant de l\rquote aristocratie, pas m\'ea
+me celle des fonctionnaires. En ce pays privil\'e9gi\'e9 o\'f9 il n\rquote existe pas de privil\'e8ges, les fonctionnaires sont les tr\'e8s humbles serviteurs du public. En somme, \'e9galit\'e9 sociale parfaite, nulle distinction politique.
+\par
+\par Donc, Sylvius Hog \'e9tant un des hommes les plus consid\'e9rables de son pays, on ne s\rquote \'e9tonnera pas qu\rquote il f\'fbt membre du Storthing. Dans cette grande assembl\'e9e, autant par sa valeur que par la probit\'e9 de sa vie priv\'e9
+e et publique, il exer\'e7ait une influence que subissaient m\'eame ces paysans-d\'e9put\'e9s, \'e9lus en grand nombre par les campagnes.
+\par
+\par Depuis la Constitution de 1814, c\rquote est avec raison qu\rquote on a pu dire\~: la Norv\'e8ge est une r\'e9publique avec le roi de Su\'e8de pour pr\'e9sident.
+\par
+\par Il va de soi que cette Norv\'e8ge, tr\'e8s jalouse de ses pr\'e9rogatives, a su conserver son autonomie. Le Storthing n\rquote a rien de commun avec le parlement su\'e9dois. Aussi comprendra-t-on que l\rquote un de ses repr\'e9
+sentants les plus influents et les plus patriotes ne f\'fbt pas bien vu au-del\'e0 de cette fronti\'e8re id\'e9ale qui s\'e9pare la Su\'e8de de la Norv\'e8ge.
+\par
+\par Ainsi \'e9tait Sylvius Hog. D\rquote un caract\'e8re tr\'e8s ind\'e9pendant, ne voulant rien \'eatre, il avait maintes fois refus\'e9 d\rquote entrer au minist\'e8re. D\'e9fenseur de tous les droits de la Norv\'e8ge, il s\rquote \'e9tait constamment et in
+\'e9branlablement oppos\'e9 aux empi\'e9tements de la Su\'e8de.
+\par
+\par Et telle est la s\'e9paration morale et politique des deux pays, que le roi de Su\'e8de \endash alors Oscar XV \endash apr\'e8s s\rquote \'eatre fait couronner \'e0 Stockholm, a d\'fb se faire couronner \'e0 Drontheim, l\rquote
+ancienne capitale de la Norv\'e8ge. Telle est aussi la r\'e9serve quelque peu d\'e9fiante des Norv\'e9giens, en affaires, que la Banque de Christiania ne re\'e7oit pas volontiers les billets de la Banque de Stockholm\~! Telle est enfin la d\'e9
+marcation entre les deux peuples, que le pavillon su\'e9dois ne flotte ni sur les \'e9difices, ni sur les navires norv\'e9giens. \'c0 l\rquote un, l\rquote \'e9tamine bleue travers\'e9e d\rquote une croix jaune, \'e0 l\rquote
+autre, la croix bleue sur le fond d\rquote \'e9tamine rouge.
+\par
+\par Or, Sylvius Hog \'e9tait de c\'9cur et d\rquote \'e2me pour la Norv\'e8ge. Il en d\'e9fendait les int\'e9r\'eats en toute occasion. Aussi, vers 1854, lorsque le Storthing agita la question de ne plus avoir ni vice-roi \'e0 la t\'eate du pays ni m\'ea
+me de gouverneur, il fut l\rquote un de ceux qui se jet\'e8rent le plus vivement dans la discussion et firent triompher ce principe.
+\par
+\par On con\'e7oit donc que, s\rquote il n\rquote \'e9tait pas tr\'e8s aim\'e9 dans l\rquote est du royaume, il le f\'fbt dans l\rquote ouest, et m\'eame au fond des gaards les plus recul\'e9s du pays. Son nom courait la montagneuse Norv\'e8
+ge, depuis les parages de Christiansand jusqu\rquote aux extr\'eames roches du cap Nord. Digne de cette popularit\'e9 de bon aloi, aucune calomnie n\rquote avait jamais pu atteindre ni le d\'e9put\'e9 ni le professeur de Christiania. C\rquote \'e9tait, d
+\rquote ailleurs, un vrai Norv\'e9gien, mais un Norv\'e9gien \'e0 sang vif, n\rquote ayant rien du flegme traditionnel de ses compatriotes, plus r\'e9solu de pens\'e9es et d\rquote actes que ne le comporte le temp\'e9rament scandinave. Cela se sentait
+\'e0 ses mouvements prompts, \'e0 l\rquote ardeur de sa parole, \'e0 la vivacit\'e9 de ses gestes. N\'e9 en France, on n\rquote e\'fbt pas h\'e9sit\'e9 \'e0 le dire \'ab\~un homme du Midi\~\'bb, si l\rquote
+on veut bien accepter cette comparaison, qui peut lui \'eatre appliqu\'e9e avec quelque exactitude.
+\par
+\par La situation de fortune de Sylvius Hog ne l\rquote \'e9levait pas au-dessus d\rquote une assez belle aisance, bien qu\rquote il n\rquote e\'fbt point fait monnaie des affaires publiques. \'c2me d\'e9sint\'e9ress\'e9e, il ne songeait jamais \'e0
+ lui, mais sans cesse aux autres. Aussi faisait-il fi des grandeurs. \'catre d\'e9put\'e9 lui suffisait. Il ne voulait rien de plus.
+\par
+\par En ce moment, Sylvius Hog profitait d\rquote un cong\'e9 de trois mois pour se remettre de ses fatigues, apr\'e8s une laborieuse ann\'e9e de travaux l\'e9gislatifs. Il avait quitt\'e9 Christiania depuis six semaines, avec l\rquote intention de parcou
+rir toute la contr\'e9e qui s\rquote \'e9tend jusqu\rquote \'e0 Drontheim, le Hardanger, le Telemark, les districts de Kongsberg et de Drammen. Il voulait visiter ces provinces qu\rquote il ne connaissait pas encore. Un voyage d\rquote \'e9tude et d
+\rquote agr\'e9ment.
+\par
+\par Sylvius Hog avait d\'e9j\'e0 travers\'e9 une partie de cette r\'e9gion, et c\rquote \'e9tait en revenant des bailliages du nord qu\rquote il avait voulu voir la c\'e9l\'e8bre chute, une des merveilles du Telemark. Apr\'e8s avoir examin\'e9
+, sur les lieux m\'eames, le projet, alors \'e0 l\rquote \'e9tude, du chemin de fer de Drontheim \'e0 Christiania, il avait fait demander un guide pour le conduire \'e0 Dal, et il comptait le trouver sur la rive gauche du Maan. Mais, sans l\rquote
+attendre, attir\'e9 par ces admirables sites de la Maristien, il s\rquote \'e9tait aventur\'e9 sur la dangereuse passe. Rare imprudence\~! Elle avait failli lui co\'fbter la vie. Et, il faut bien le dire, sans l\rquote intervention de Jo\'eb
+l et de Hulda Hansen, le voyage e\'fbt fini avec le voyageur dans les gouffres du Rjukanfos.
+\par
+\par }\pard\plain \s1\qc\sb600\sa480\keepn\pagebb\nowidctlpar\widctlpar\outlinelevel0\adjustright \b\f40\fs38\lang1036\cgrid {{\*\bkmkstart _Toc97124740}X{\*\bkmkend _Toc97124740}\line
+\par }\pard\plain \qj\fi680\nowidctlpar\widctlpar\adjustright \f40\fs32\lang1036\cgrid {On est fort instruit en ces pays scandinaves, non seulement chez les habitants des villes, mais aussi en pleine campagne. Cette instruction va m\'eame au-del\'e0
+ de savoir lire, \'e9crire, compter. Le paysan apprend avec plaisir. Son intelligence est ouverte. Il s\rquote int\'e9resse \'e0 la chose publique. Il prend une la
+rge part aux affaires politiques et communales. Dans le Storthing, les gens de cette condition sont toujours en majorit\'e9. Quelquefois, ils y si\'e8gent avec le costume de leur province. On les cite, et c\rquote
+est justice, pour leur haute raison, leur bon sens pratique, leur compr\'e9hension juste \endash si elle est un peu lente \endash et surtout leur incorruptibilit\'e9.
+\par
+\par Il ne faut donc pas s\rquote \'e9tonner que le nom de Sylvius Hog f\'fbt connu dans toute la Norv\'e8ge et prononc\'e9 avec respect jusque dans cette portion un peu sauvage du Telemark.
+\par
+\par Aussi, dame Hansen, en recevant un h\'f4te si universellement estim\'e9, crut-elle convenable de lui dire combien elle \'e9tait honor\'e9e de l\rquote avoir pour quelques jours sous son toit.
+\par
+\par \endash \~Je ne sais pas si cela vous fait honneur, dame Hansen, r\'e9pondit Sylvius Hog, mais ce que je sais bien, c\rquote est que cela me fait plaisir. Oh\~! il y a longtemps que j\rquote avais entendu mes \'e9l\'e8ves parler de cette hospitali\'e8
+re auberge de Dal\~! C\rquote est pourquoi, je comptais venir m\rquote y reposer pendant une semaine. Pourtant, que saint Olaf m\rquote abandonne, si je croyais jamais y arriver sur une patte\~!
+\par
+\par Et l\rquote excellent homme serra cordialement la main \'e0 son h\'f4tesse.
+\par
+\par \endash \~Monsieur Sylvius, dit Hulda, voulez-vous que mon fr\'e8re aille chercher un m\'e9decin \'e0 Bamble\~?
+\par
+\par \endash \~Un m\'e9decin, ma petite Hulda\~! Mais vous voulez donc que je perde l\rquote usage de mes deux jambes\~!
+\par
+\par \endash \~Oh\~! monsieur Sylvius\~!
+\par
+\par \endash \~Un m\'e9decin\~! Pourquoi pas mon ami le docteur Boek, de Christiania\~? Et tout cela pour une \'e9gratignure\~!\'85
+\par
+\par \endash \~Mais une \'e9gratignure, si elle est mal soign\'e9e, r\'e9pondit Jo\'ebl, cela peut devenir grave\~!
+\par
+\par \endash \~Ah\~! \'e7\'e0, Jo\'ebl, me direz-vous pourquoi vous voulez que cela devienne grave\~?
+\par
+\par \endash \~Je ne le veux pas, monsieur Sylvius, Dieu me garde\~!
+\par
+\par \endash \~Eh bien\~! il vous gardera, et moi aussi, et toute la maison de dame Hansen, surtout si cette gentille Hulda veut bien consentir \'e0 me donner ses soins\'85
+\par
+\par \endash \~Certainement, monsieur Sylvius\~!
+\par
+\par \endash \~Parfait, mes amis\~! Encore quatre ou cinq jours, il n\rquote y para\'eetra plus\~! D\rquote ailleurs, comment ne gu\'e9rirait-on pas dans une si jolie chambre\~? O\'f9 pourrait-on mieux se faire traiter que dans l\rquote
+excellente auberge de Dal\~? Et ce bon lit avec ses devises qui valent bien les horribles formules de la Facult\'e9\~! Et cette joyeuse fen\'eatre qui s\rquote ouvre sur la vall\'e9e du Maan\~! Et le murmure des eaux qui se glisse jusqu\rquote
+au fond de mon alc\'f4ve\~! Et la senteur des vieux arbres dont toute la maison est embaum\'e9e\~! Et le bon air, l\rquote air de la montagne\~! Eh\~! ne voil\'e0-t-il pas le meilleur des m\'e9decins\~! Quand on a besoin de lui, on n\rquote a qu\rquote
+\'e0 ouvrir la fen\'eatre, il arrive, il vous ragaillardit, et il ne vous met pas \'e0 la di\'e8te\~!
+\par
+\par Il disait si gaiement toutes ces choses, Sylvius Hog, qu\rquote avec lui, semblait-il, un peu de bonheur venait d\rquote entrer dans la maison. Du moins, ce fut l\rquote impression du fr\'e8re et de la s\'9cur, qui se tenaient la main en l\rquote \'e9
+coutant, s\rquote abandonnant tous deux \'e0 la m\'eame \'e9motion.
+\par
+\par C\rquote \'e9tait dans la chambre du rez-de-chauss\'e9e qu\rquote avait \'e9t\'e9 tout d\rquote abord conduit le professeur. Maintenant, \'e0 demi couch\'e9 dans un grand fauteuil, sa jambe \'e9tendue sur un escabeau, il recevait
+ les soins de Hulda et de Jo\'ebl. Un pansement \'e0 l\rquote eau fra\'eeche, il ne voulut que ce rem\'e8de. Et, en r\'e9alit\'e9, en fallait-il un autre\~?
+\par
+\par \endash \~Bien, mes amis, bien\~! disait-il. Il ne faut pas abuser des drogues\~! Et maintenant, savez-vous bien que, sans votre obligeance, j\rquote aurais vu d\rquote un peu trop pr\'e8s les merveilles du Rjukanfos\~! Je roulais dans l\rquote ab\'ee
+me comme un simple roc\~! J\rquote ajoutais une nouvelle l\'e9gende \'e0 la l\'e9gende de Maristien, et, moi, je n\rquote avais pas d\rquote excuse\~! Ma fianc\'e9e ne m\rquote attendait pas sur l\rquote autre bord, comme le malheureux Eystein\~!
+\par
+\par \endash \~Et quel chagrin c\rquote e\'fbt \'e9t\'e9 pour madame Hog\~! dit Hulda. Elle ne se serait jamais consol\'e9e\'85
+\par
+\par \endash \~Madame Hog\~?\'85 r\'e9pliqua le professeur. Eh bien, madame Hog n\rquote aurait pas vers\'e9 une larme\~!
+\par
+\par \endash \~Oh\~! monsieur Sylvius\~!\'85
+\par
+\par \endash \~Non, vous dis-je, par cette raison qu\rquote il n\rquote y a pas de madame Hog\~! Et je ne puis pas m\'eame me figurer ce qu\rquote e\'fbt \'e9t\'e9 une madame Hog\~: grasse ou maigre, petite ou grande\'85
+\par
+\par \endash \~Elle e\'fbt \'e9t\'e9 aimable, intelligente et bonne, \'e9tant votre femme, r\'e9pondit Hulda.
+\par
+\par \endash \~Ah\~! vraiment, mademoiselle\~! Bon\~! Bon\~! Je vous crois\~! Je vous crois\~!
+\par
+\par \endash \~Mais, en apprenant un pareil malheur, vos parents, vos amis, monsieur Sylvius\~?\'85 dit Jo\'ebl.
+\par
+\par \endash \~Des parents, je n\rquote en ai gu\'e8re, mon gar\'e7on\~! Des amis, il para\'eet que j\rquote en ai un certain nombre, sans compter ceux que je viens de me faire dans la maison de dame Hansen, et vous leur avez \'e9vit\'e9 la peine de me pleurer
+\~!
+\par
+\par \endash \~\'c0 propos, dites-moi, mes enfants, vous pourrez bien me garder quelques jours ici\~?
+\par
+\par \endash \~Tant qu\rquote il vous plaira, monsieur Sylvius, r\'e9pondit Hulda. Cette chambre vous appartient.
+\par
+\par \endash \~D\rquote ailleurs, j\rquote avais l\rquote intention de m\rquote arr\'eater \'e0 Dal, comme font les touristes, de mani\'e8re \'e0 pouvoir rayonner de l\'e0 sur le Telemark\'85 Je ne rayonnerai pas, ou je rayonnerai plus tard, voil\'e0 tout\~!
+
+\par
+\par \endash \~Avant la fin de la semaine, monsieur Sylvius, r\'e9pondit Jo\'ebl, j\rquote esp\'e8re que vous serez sur pied.
+\par
+\par \endash \~Et moi aussi, je l\rquote esp\'e8re\~!
+\par
+\par \endash \~Et alors je m\rquote offre \'e0 vous conduire partout o\'f9 il vous plaira d\rquote aller dans le bailliage.
+\par
+\par \endash \~Nous verrons cela, Jo\'ebl\~! Nous en reparlerons, quand je ne serai plus \'e0 l\rquote \'e9tat d\rquote \'e9corch\'e9\~! J\rquote ai encore un mois de cong\'e9 devant moi, et quand je devrais le passer tout entier dans l\rquote
+auberge de dame Hansen, je ne serais pas trop \'e0 plaindre\~! Ne faudra-t-il pas que je visite la vall\'e9e du Vestfjorddal entre les deux lacs, que je fasse l\rquote ascension du Gousta, que je retourne au Rjukanfos, car enfin, si j\rquote
+ai failli y faire un plongeon, je ne l\rquote ai gu\'e8re vu\'85 et je tiens \'e0 le voir\~!
+\par
+\par \endash \~Vous y retournerez, monsieur Sylvius, r\'e9pondit Hulda.
+\par
+\par \endash \~Et nous y retournerons ensemble avec cette bonne madame Hansen, si elle veut bien nous accompagner.
+\par
+\par \endash \~Eh\~! j\rquote y pense, mes amis, il faudra que je pr\'e9vienne, par un petit mot, Kate, ma vieille bonne, et Fink, mon vieux domestique de Christiania\~! Ils seraient tr\'e8s i
+nquiets si je ne leur donnais pas de mes nouvelles, et je serais grond\'e9\~!\'85 Et, maintenant, je vais vous faire un aveu\~! Les fraises, le laitage, c\rquote est tr\'e8s agr\'e9able, tr\'e8s rafra\'eechissant\~
+; mais cela ne suffit pas, puisque je ne veux pas entendre parler d\rquote \'eatre mis \'e0 la di\'e8te\~!\'85 Est-ce bient\'f4t l\rquote heure de votre d\'eener\~?\'85
+\par
+\par \endash \~Oh\~! peu importe, monsieur Sylvius\~!\'85
+\par
+\par \endash \~Il importe beaucoup, au contraire\~! Croyez-vous donc que, pendant mon s\'e9jour \'e0 Dal, je vais m\rquote ennuyer tout seul \'e0 ma table et dans ma chambre\~? Non\~! je veux manger avec vous et votre m\'e8re, si dame Hansen n\rquote
+y voit pas d\rquote inconv\'e9nient\~!
+\par
+\par Naturellement, dame Hansen, quand on lui fit conna\'eetre le d\'e9sir du professeur, et bien qu\rquote elle e\'fbt peut-\'eatre pr\'e9f\'e9r\'e9 se tenir \'e0 part, suivant son habitude, ne put que s\rquote i
+ncliner. Ce serait un honneur pour elle et les siens d\rquote avoir \'e0 sa table un d\'e9put\'e9 du Storthing.
+\par
+\par \endash \~Ainsi, c\rquote est convenu, reprit Sylvius Hog, nous mangerons ensemble dans la grande salle\'85
+\par
+\par \endash \~Oui, monsieur Sylvius, r\'e9pondit Jo\'ebl. Je n\rquote aurai qu\rquote \'e0 vous y pousser sur votre fauteuil, quand le d\'eener sera pr\'eat\'85
+\par
+\par \endash \~Bon\~! Bon\~! monsieur Jo\'ebl\~! Pourquoi pas en kariol\~? Non\~! Avec l\rquote aide d\rquote un bras, j\rquote arriverai. Je ne suis pas amput\'e9, que je sache\~!
+\par
+\par \endash \~Comme vous voudrez, monsieur Sylvius\~! r\'e9pondit Hulda. Mais ne faites pas inutilement d\rquote imprudences, je vous prie\'85 ou Jo\'ebl aura vite fait d\rquote aller chercher le m\'e9decin\~!
+\par
+\par \endash \~Des menaces\~! Eh bien, oui, je serai prudent et docile\~! Et du moment qu\rquote on ne me met pas \'e0 la di\'e8te, je vais \'eatre le plus ob\'e9issant des malades\~! \endash Ah\~! \'e7\'e0\~! est-ce que vous n\rquote avez pas faim, mes amis
+\~?
+\par
+\par \endash \~Nous ne demandons qu\rquote un quart d\rquote heure, r\'e9pondit Hulda, pour vous servir une soupe aux groseilles, une truite du Maan, une grouse que Jo\'ebl a rapport\'e9e hier du Hardanger, et une bonne bouteille de vin de France.
+\par
+\par \endash \~Merci, ma brave fille, merci\~! Hulda sortit afin de surveiller le d\'eener et de pr\'e9parer la table dans la grande salle, pendant que Jo\'ebl allait reconduire la kariol chez le contrema\'eetre Lengling. Sylvius Hog resta seul. \'c0 quoi e
+\'fbt-il pu songer, si ce n\rquote est \'e0 cette honn\'eate famille, dont maintenant il \'e9tait \'e0 la fois l\rquote h\'f4te et l\rquote oblig\'e9. Que pourrait-il faire pour reconna\'eetre les services, les soins de Hulda et de Jo\'ebl\~? Mais il n
+\rquote eut pas le temps de s\rquote abandonner \'e0 de longues r\'e9flexions, car, dix minutes apr\'e8s, il \'e9tait assis \'e0 la place d\rquote honneur de la grande table. Le d\'eener \'e9tait excellent. Il justifiait le renom de l\rquote
+auberge, et le professeur mangea de grand app\'e9tit.
+\par
+\par Ensuite, la soir\'e9e se passa en causeries auxquelles Sylvius Hog prit la plus grande part. \'c0 d\'e9faut de dame Hansen qui ne s\rquote y m\'eala gu\'e8re, il fit parler le fr\'e8re et la s\'9cur. La vive sympathie qu\rquote il \'e9prouvait d\'e9j\'e0
+ pour eux ne put que s\rquote accro\'eetre. Une si touchante amiti\'e9 les unissait l\rquote un \'e0 l\rquote autre que le professeur en fut plusieurs fois \'e9mu.
+\par
+\par La nuit venue, il regagna sa chambre avec l\rquote aide de Jo\'ebl et de Hulda, re\'e7ut et donna un aimable bonsoir \'e0 ses amis, et, \'e0 peine couch\'e9 dans le grand lit \'e0 devises, il dormit tout d\rquote un somme.
+\par
+\par Le lendemain, Sylvius Hog, r\'e9veill\'e9 d\'e8s l\rquote aube, se reprit \'e0 r\'e9fl\'e9chir avant qu\rquote on e\'fbt frapp\'e9 \'e0 sa porte.
+\par
+\par \'ab\~Non, se disait-il, je ne sais vraiment pas comment je m\rquote en tirerai\~! On ne peut pourtant pas se faire sauver, soigner, gu\'e9rir, et en \'eatre quitte pour un simple remerciement\~! Je suis l\rquote oblig\'e9 de Hulda et de Jo\'ebl, ce n
+\rquote est pas contestable\~! Mais voil\'e0\~! Ce ne sont pas de ces services qu\rquote on puisse payer en argent\~! Fi donc\~!\'85 D\rquote autre part, cette famille de braves gens me para\'eet heureuse, et je ne pourrais rien ajouter \'e0 son bonheur\~
+! Enfin nous causerons, et, tout en causant, peut-\'eatre\'85\~\'bb
+\par
+\par Aussi, pendant les trois ou quatre jours que le professeur dut encore garder sa jambe \'e9tendue sur l\rquote escabeau, ils caus\'e8rent tous trois. Par malheur, ce fut avec une certaine r\'e9serve de la part du fr\'e8re et de la s\'9cur. Ni l\rquote
+un ni l\rquote autre ne voulurent rien dire de leur m\'e8re, dont Sylvius Hog avait bien observ\'e9 l\rquote attitude froide et soucieuse. Puis, par un autre sentiment de discr\'e9tion, ils h\'e9sitaient \'e0 faire conna\'eetre les inqui\'e9
+tudes que leur causait le retard de Ole Kamp. Ne risquaient-ils pas d\rquote alt\'e9rer la bonne humeur de leur h\'f4te en lui contant leurs peines\~?
+\par
+\par \endash \~Cependant, disait Jo\'ebl \'e0 sa s\'9cur, peut-\'eatre avons-nous tort de ne pas nous confier \'e0 monsieur Sylvius\~? C\rquote est un homme de bon conseil, et, par ses relations, il pourrait peut-\'eatre savoir si l\rquote on se pr\'e9occupe
+\'e0 la Marine de ce qu\rquote est devenu le }{\i Viken.}{
+\par
+\par }{\i \endash \~}{Tu as raison, Jo\'ebl, r\'e9pondait Hulda. Je pense que nous ferons bien de tout lui dire. Mais attendons qu\rquote il soit bien gu\'e9ri\~!
+\par
+\par \endash \~Oui, et cela ne peut tarder\~! reprenait Jo\'ebl. La semaine finie, Sylvius Hog n\rquote avait plus besoin d\rquote aide pour quitter sa chambre, bien qu\rquote il boit\'e2t encore un peu. Il venait alors s\rquote
+asseoir sur un des bancs, devant la maison, \'e0 l\rquote ombre des arbres. De l\'e0, il pouvait apercevoir la cime du Gousta, qui resplendissait sous les rayons du soleil, pendant que le Maan, charriant des troncs en d\'e9rive, grondait \'e0
+ ses pieds. On voyait aussi passer du monde sur la route de Dal au Rjukanfos. Le plus souvent, c\rquote \'e9taient des touristes, dont quelques-uns s\rquote arr\'eataient une heure ou deux \'e0 l\rquote auberge de dame Hansen pour d\'e9jeuner ou d\'ee
+ner. Il venait aussi des \'e9tudiants de Christiania, le sac au dos, la petite cocarde norv\'e9gienne \'e0 la casquette. Ceux-l\'e0 reconnaissaient le professeur. De l\'e0, des bonjours interminables, des saluts co
+rdiaux, qui prouvaient combien Sylvius Hog \'e9tait aim\'e9 de toute cette jeunesse.
+\par
+\par \endash \~Vous ici, monsieur Sylvius\~?
+\par
+\par \endash \~Moi, mes amis\~!
+\par
+\par \endash \~Vous que l\rquote on croit au fond du Hardanger\~!
+\par
+\par \endash \~On a tort\~! C\rquote est au fond du Rjukanfos que je devrais \'eatre\~!
+\par
+\par \endash \~Eh bien\~! nous dirons partout que vous \'eates \'e0 Dal\~!
+\par
+\par \endash \~Oui, \'e0 Dal, avec une jambe\'85 en \'e9charpe\~!
+\par
+\par \endash \~Heureusement, vous avez trouv\'e9 bon g\'eete et bons soins dans l\rquote auberge de dame Hansen\~!
+\par
+\par \endash \~Imaginez-en une meilleure\~!
+\par
+\par \endash \~Il n\rquote y en a gu\'e8re\~!
+\par
+\par \endash \~Et de plus braves gens\~?
+\par
+\par \endash \~Il n\rquote y en a pas\~! r\'e9p\'e9taient gaiement les touristes. Et, tous buvaient \'e0 la sant\'e9 de Hulda et de Jo\'eb
+l si connus dans tout le Telemark. Et alors le professeur narrait son aventure. Il confessait son imprudence. Il racontait comment il avait \'e9t\'e9 sauv\'e9. Il disait quelle reconnaissance \'e9tait due \'e0 ses sauveurs.
+\par
+\par \endash \~Et si je reste ici jusqu\rquote \'e0 ce que j\rquote aie pay\'e9 ma dette, ajoutait-il, mon cours de l\'e9gislation est ferm\'e9 pour longtemps, mes amis, et vous pouvez prendre un cong\'e9 sans limite\~!
+\par
+\par \endash \~Bon, monsieur Sylvius\~! reprenait toute cette joyeuse bande. C\rquote est la jolie Hulda qui vous retient \'e0 Dal\~!
+\par
+\par \endash \~Une aimable fille, mes amis, charmante aussi, et je n\rquote ai que soixante ans, par saint Olaf\~!
+\par
+\par \endash \~\'c0 la sant\'e9 de monsieur Sylvius\~!
+\par
+\par \endash \~Et \'e0 la v\'f4tre, jeunes gens\~! Courez le pays, instruisez-vous, amusez-vous\~! Il fait toujours beau quand on a votre \'e2ge\~! Mais d\'e9fiez-vous des passes de la Maristien\~! Jo\'ebl et Hulda ne seraient peut-\'eatre plus l\'e0
+ pour sauver les imprudents qui s\rquote y hasarderaient.
+\par
+\par Puis, tous partaient en faisant bruyamment retentir la vall\'e9e de leur joyeux }{\i God aften.}{
+\par
+\par Cependant, une ou deux fois, Jo\'ebl dut s\rquote absenter pour servir de guide \'e0 quelques touristes qui voulaient faire l\rquote ascension du Gousta. Sylvius Hog e\'fbt bien voulu les accompagner. Il pr\'e9tendait \'eatre gu\'e9ri. En effet, l\rquote
+\'e9corchure de sa jambe commen\'e7ait \'e0 se cicatriser. Mais Hulda lui d\'e9fendit positivement de s\rquote exposer \'e0 une fatigue encore trop forte pour lui, et, lorsque Hulda ordonnait, il fallait ob\'e9ir.
+\par
+\par Une curieuse montagne, cependant, ce Gousta, dont le c\'f4ne central, vallonn\'e9 de ravins pleins de neige, \'e9merge d\rquote une for\'eat de sapins comme d\rquote une collerette verdoyante qui s\rquote \'e9panouit \'e0 sa base. Et quel rayon de vue
+\'e0 son sommet\~! Dans l\rquote est, le bailliage du Numedal\~; dans l\rquote ouest, tout le Hardanger et ses glaciers grandioses\~; puis, au pied de la montagne, la sinueuse vall\'e9e du Vestfjorddal entre les lacs Mj\'f6
+s et Tinn, Dal et ses maisons en miniature, v\'e9ritable bo\'eete de jeux d\rquote enfants, et le cours du Maan, lacet lumineux qui miroite \'e0 travers la verdure des plaines.
+\par
+\par Pour faire cette ascension, Jo\'ebl partait d\'e8s cinq heures du matin, et il \'e9tait rentr\'e9 \'e0 six heures du soir. Sylvius Hog et Hulda allaient au-devant de lui. Ils l\rquote attendaient pr\'e8s de la hutte du passeur. D\'e8s que le bac avait d
+\'e9barqu\'e9 les touristes et leur guide, on \'e9changeait de cordiales poign\'e9es de main, et c\rquote \'e9tait une bonne soir\'e9e de plus que tous trois passaient ensemble. Le professeur tra\'eenait bien encore un peu la jambe, mais il ne se plaignai
+t pas. Vraiment, on e\'fbt dit qu\rquote il n\rquote \'e9tait pas press\'e9 de gu\'e9rir, autant dire, de quitter l\rquote hospitali\'e8re maison de dame Hansen.
+\par
+\par D\rquote ailleurs, le temps s\rquote \'e9coulait assez vite. Sylvius Hog avait \'e9crit \'e0 Christiania qu\rquote il resterait quelque temps \'e0 Dal. Le bruit de son aventure au Rjukanfos s\rquote \'e9tait r\'e9pandu dans tout le pays. Les feuilles l
+\rquote avaient racont\'e9e \endash quelques-unes en la dramatisant \'e0 leur mani\'e8re. De l\'e0, quantit\'e9 de lettres qui arrivaient \'e0 l\rquote auberge, sans compter les brochures et les journaux. Il fallait lire tout cela. Il fallait r\'e9
+pondre. Sylvius Hog lisait, il r\'e9pondait, et les noms de Jo\'ebl et de Hulda, m\'eal\'e9s \'e0 cette correspondance, couraient d\'e9j\'e0 \'e0 travers la Norv\'e8ge.
+\par
+\par Cependant, ce s\'e9jour chez dame Hansen ne pouvait se prolonger ind\'e9finiment, et Sylvius Hog n\rquote \'e9tait pas plus fix\'e9 qu\rquote \'e0 son arriv\'e9e sur la fa\'e7on dont il lui serait possible d\rquote acquitter sa dette. Toutefois, il commen
+\'e7ait \'e0 pressentir que cette famille n\rquote \'e9tait pas aussi heureuse qu\rquote il l\rquote avait pu croire. L\rquote impatience avec laquelle le fr\'e8re et la s\'9cur attendaient chaque jour le courrier de Christiania ou de Bergen, leur d\'e9
+sappointement, leur chagrin m\'eame, en voyant qu\rquote il n\rquote y avait jamais de lettres, tout cela n\rquote \'e9tait que trop significatif.
+\par
+\par C\rquote est qu\rquote on \'e9tait d\'e9j\'e0 au 9 juin. Et aucune nouvelle du }{\i Viken\~! }{Un retard de plus de deux semaines sur la date fix\'e9e pour son retour\~! Pas une seule lettre de Ole\~! Rien qui p\'fbt adoucir les tourments de Hulda\~
+! La pauvre fille se d\'e9sesp\'e9rait, et Sylvius Hog lui trouvait les yeux bien rouges, lorsqu\rquote elle venait \'e0 lui le matin.
+\par
+\par \endash \~Qu\rquote y a-t-il\~? se disait-il alors. Un malheur qu\rquote on craint et qu\rquote on me cache\~! Est-ce un secret de famille dans lequel un \'e9tranger ne peut intervenir\~? Mais suis-je donc encore un \'e9tranger pour eux\~? Non\~
+! Ils devraient bien le penser\~! Enfin, quand j\rquote annoncerai mon d\'e9part, peut-\'eatre comprendra-t-on que c\rquote est un v\'e9ritable ami qui va partir\~!
+\par
+\par Et, ce jour-l\'e0, il dit\~:
+\par
+\par \endash \~Mes amis, le moment approche o\'f9, \'e0 mon grand regret, je vais \'eatre oblig\'e9 de vous quitter\~!
+\par
+\par \endash \~D\'e9j\'e0, monsieur Sylvius, d\'e9j\'e0\~! s\rquote \'e9cria Jo\'ebl avec une vivacit\'e9 dont il ne fut pas ma\'eetre.
+\par
+\par \endash \~Eh\~! le temps passe vite aupr\'e8s de vous\~! Voil\'e0 dix-sept jours que je suis \'e0 Dal\~!
+\par
+\par \endash \~Quoi\~!\'85 dix-sept jours\~! dit Hulda.
+\par
+\par \endash \~Oui, ch\'e8re enfant, et la fin de mon cong\'e9 approche. Je n\rquote ai pas une semaine \'e0 perdre si je veux achever ce voyage par Drammen et Kongsberg. Et cependant, si c\rquote est bien \'e0 vous que le Storthing doit de ne point avoir \'e0
+ me remplacer sur mon si\'e8ge de d\'e9put\'e9, le Storthing, pas plus que moi, ne saurait comment reconna\'eetre\'85
+\par
+\par \endash \~Oh\~! monsieur Sylvius\~!\'85 r\'e9pondit Hulda, qui, de sa petite main, semblait vouloir lui fermer la bouche.
+\par
+\par \endash \~C\rquote est convenu, Hulda\~! Il m\rquote est d\'e9fendu de parler de cela \endash ici du moins\'85
+\par
+\par \endash \~Ni ici ni ailleurs\~! dit la jeune fille.
+\par
+\par \endash \~Soit\~! Je ne suis pas mon ma\'eetre et je dois ob\'e9ir\~! Mais, Jo\'ebl et vous, ne viendrez-vous pas me voir \'e0 Christiania\~?
+\par
+\par \endash \~Vous voir, monsieur Sylvius\~?\'85
+\par
+\par \endash \~Oui\~! me voir\'85 passer quelques jours dans ma maison\'85 avec dame Hansen, s\rquote entend\~!
+\par
+\par \endash \~Et si nous quittons l\rquote auberge, qui la gardera pendant notre absence\~? r\'e9pondit Jo\'ebl.
+\par
+\par \endash \~Mais l\rquote auberge n\rquote a pas besoin de vous, j\rquote imagine, lorsque la saison des excursions est termin\'e9e. Aussi, je compte bien venir vous chercher \'e0 la fin de l\rquote automne\'85
+\par
+\par \endash \~Monsieur Sylvius, dit Hulda, ce sera bien difficile\'85
+\par
+\par \endash \~Ce sera tr\'e8s facile, au contraire, mes amis. Ne me r\'e9pondez pas\~: non\~! Je n\rquote accepterais pas cette r\'e9ponse\~! Et alors, quand je vous tiendrai l\'e0
+-bas, dans la plus belle chambre de ma maison, entre ma vieille Kate et mon vieux Fink, vous y serez comme mes enfants, et il faudra bien que vous me disiez ce que je puis faire pour vous\~!
+\par
+\par \endash \~Ce que vous pouvez faire, monsieur Sylvius\~? r\'e9pondit Jo\'ebl en regardant sa s\'9cur.
+\par
+\par \endash \~Fr\'e8re\~!\'85 dit Hulda, qui avait compris la pens\'e9e de Jo\'ebl.
+\par
+\par \endash \~Parlez, mon gar\'e7on, parlez\~!
+\par
+\par \endash \~Eh bien, monsieur Sylvius, vous pourriez nous faire un tr\'e8s grand honneur\~!
+\par
+\par \endash \~Lequel\~?
+\par
+\par \endash \~Ce serait, si cela ne vous d\'e9rangeait pas trop, d\rquote assister au mariage de ma s\'9cur Hulda\'85
+\par
+\par \endash \~Son mariage\~! s\rquote \'e9cria Sylvius Hog\~! Comment\~! ma petite Hulda se marie\~?\'85 Et on ne m\rquote en avait rien dit encore\~!\'85
+\par
+\par \endash \~Oh\~! monsieur Sylvius\~!\'85 r\'e9pondit la jeune fille, dont les yeux se remplirent de larmes.
+\par
+\par \endash \~Et quand doit se faire ce mariage\~?\'85
+\par
+\par \endash \~Quand il aura plu \'e0 Dieu de nous ramener Ole, son fianc\'e9\~! r\'e9pondit Jo\'ebl.
+\par
+\par }\pard\plain \s1\qc\sb600\sa480\keepn\pagebb\nowidctlpar\widctlpar\outlinelevel0\adjustright \b\f40\fs38\lang1036\cgrid {{\*\bkmkstart _Toc97124741}XI{\*\bkmkend _Toc97124741}\line
+\par }\pard\plain \qj\fi680\nowidctlpar\widctlpar\adjustright \f40\fs32\lang1036\cgrid {Alors Jo\'ebl raconta toute l\rquote histoire de Ole Kamp. Sylvius Hog, tr\'e8s \'e9mu par ce r\'e9cit, l\rquote \'e9
+coutait avec une profonde attention. Il savait tout maintenant. Il venait de lire la derni\'e8re lettre qui annon\'e7ait le retour de Ole, et Ole ne revenait pas\~! Quelles inqui\'e9tudes, quelles angoisses pour toute la famille Hansen\~!
+\par
+\par \'ab\~Et moi qui me croyais chez des gens heureux\~!\~\'bb pensait-il.
+\par
+\par Cependant, en y r\'e9fl\'e9chissant bien, il lui parut que le fr\'e8re et la s\'9cur se d\'e9sesp\'e9raient, alors que l\rquote on pouvait encore conserver quelque espoir. \'c0 force de compter ces jours de mai et de juin, leur imagination en exag\'e9
+rait le chiffre, comme si elle les e\'fbt compt\'e9s deux fois.
+\par
+\par Le professeur voulut donc leur donner ses raisons \endash non des raisons de commande \endash mais tr\'e8s s\'e9rieuses, tr\'e8s plausibles, et discuter la valeur de ce retard du }{\i Viken.}{
+\par
+\par Pourtant, sa physionomie \'e9tait devenue grave. Le chagrin de Jo\'ebl et de Hulda l\rquote avait profond\'e9ment impressionn\'e9.
+\par
+\par \endash \~\'c9coutez-moi, mes enfants, leur dit-il. Asseyez-vous \'e0 mes c\'f4t\'e9s et causons.
+\par
+\par \endash \~Eh\~! que pourrez-vous nous dire, monsieur Sylvius\~? r\'e9pondit Hulda, dont la douleur d\'e9bordait.
+\par
+\par \endash \~Je vous dirai ce qui me para\'eet juste, reprit le professeur, et le voici\~: je viens de r\'e9fl\'e9chir \'e0 tout ce que m\rquote a racont\'e9 Jo\'ebl. Eh bien, il me semble que votre inqui\'e9tude d\'e9
+passe la mesure. Je ne voudrais pas vous donner des assurances illusoires, mais il importe que les choses soient remises \'e0 leur v\'e9ritable point.
+\par
+\par \endash \~H\'e9las\~! monsieur Sylvius, r\'e9pondit Hulda, mon pauvre Ole s\rquote est perdu avec le }{\i Viken\~!\'85 }{Je ne le reverrai plus\~!
+\par
+\par \endash \~Ma s\'9cur\~!\'85 Ma s\'9cur\~!\'85 s\rquote \'e9cria Jo\'ebl. Je t\rquote en prie, calme-toi, laisse parler monsieur Sylvius\'85
+\par
+\par \endash \~Et gardons notre sang-froid, mes enfants\~! Voyons\~! C\rquote \'e9tait du 15 au 20 mai que Ole devait revenir \'e0 Bergen\~?
+\par
+\par \endash \~Oui, dit Jo\'ebl, du 15 au 20 mai, comme le marque sa lettre, et nous sommes au 9 juin.
+\par
+\par \endash \~Cela fait donc un retard de vingt jours sur la date extr\'eame indiqu\'e9e pour le retour du }{\i Viken. }{C\rquote est quelque chose, j\rquote en conviens\~! Cependant, il ne faut pas demander \'e0 un navire \'e0 voiles ce que l\rquote
+on pourrait attendre d\rquote un navire \'e0 vapeur.
+\par
+\par \endash \~C\rquote est ce que j\rquote ai toujours r\'e9p\'e9t\'e9 \'e0 Hulda, c\rquote est ce que je lui r\'e9p\'e8te encore, dit Jo\'ebl.
+\par
+\par \endash \~Et vous faites bien, mon gar\'e7on, reprit Sylvius Hog. En outre, il est possible que le }{\i Viken }{soit un vieux b\'e2timent, marchant mal comme la plupart des navires de Terre-Neuve, surtout quand ils sont lourdement charg\'e9s. D\rquote
+autre part, il y a eu de grands mauvais temps depuis quelques semaines. Peut-\'eatre Ole n\rquote a-t-il pu prendre la mer \'e0 l\rquote \'e9poque que sa lettre indique. Dans ce cas, il suffit qu\rquote il ait tard\'e9 de huit jours pour que le }{\i
+Viken }{ne soit pas encore arriv\'e9 et que vous n\rquote ayez pu recevoir une nouvelle lettre de lui. Tout ce que je vous dis l\'e0, croyez-le, est le r\'e9sultat de s\'e9rieuses r\'e9flexions. De plus, savez-vous si les instructions donn\'e9es au }{\i
+Viken }{ne lui laissaient pas une certaine latitude pour porter sa cargaison en quelque autre port, suivant les demandes du march\'e9\~?
+\par
+\par \endash \~Ole l\rquote aurait \'e9crit\~! r\'e9pondit Hulda, qui ne pouvait se rattacher m\'eame \'e0 cet espoir.
+\par
+\par \endash \~Qui prouve qu\rquote il n\rquote a pas \'e9crit\~? reprit le professeur. Et, s\rquote il l\rquote a fait, ce ne serait plus le }{\i Viken }{qui aurait du retard, ce serait le courrier d\rquote Am\'e9rique. Supposez que le navire de Ole ait d\'fb
+ aller en quelque port des \'c9tats-Unis, cela expliquerait comment aucune de ses lettres n\rquote est encore arriv\'e9e en Europe\~!
+\par
+\par \endash \~Aux \'c9tats-Unis\'85 monsieur Sylvius\~?
+\par
+\par \endash \~Cela se voit quelquefois, et il suffit de manquer un courrier pour laisser ses amis longtemps sans nouvelles\'85 En tout cas, il y a une chose tr\'e8s simple \'e0 faire, c\rquote est de demander des renseignements aux armateurs de Bergen.
+\par
+\par \endash \~Les connaissez-vous\~?
+\par
+\par \endash \~Oui, r\'e9pondit Jo\'ebl, messieurs Help fr\'e8res.
+\par
+\par \endash \~Help fr\'e8res, Fils de l\rquote A\'een\'e9\~? s\rquote \'e9cria Sylvius Hog.
+\par
+\par \endash \~Oui\~!
+\par
+\par \endash \~Mais moi aussi je les connais\~! Le plus jeune, Help junior, comme on dit, bien qu\rquote il ait mon \'e2ge, est un de mes bons amis. Nous avons souvent d\'een\'e9 ensemble \'e0 Christiania\~! Help fr\'e8res, mes enfants\~! Ah\~
+! je saurai par eux tout ce qui concerne le }{\i Viken. }{Je vais leur \'e9crire aujourd\rquote hui m\'eame, et, s\rquote il le faut, j\rquote irai les voir.
+\par
+\par \endash \~Que vous \'eates bon, monsieur Sylvius\~! r\'e9pondirent \'e0 la fois Hulda et Jo\'ebl.
+\par
+\par \endash \~Ah\~! pas de remerciements, s\rquote il vous pla\'eet\~! Je vous le d\'e9fends bien\~! Est-ce que je vous ai remerci\'e9s, moi, pour ce que vous avez fait l\'e0-bas\~?\'85 Comment, je trouve l\rquote
+occasion de vous rendre un petit service, et vous voil\'e0 tout en l\rquote air\~!
+\par
+\par \endash \~Mais vous parliez de partir pour retourner \'e0 Christiania, fit observer Jo\'ebl.
+\par
+\par \endash \~Eh bien, je partirai pour Bergen, s\rquote il est indispensable que j\rquote aille \'e0 Bergen\~!
+\par
+\par \endash \~Mais vous alliez nous quitter, monsieur Sylvius, dit Hulda.
+\par
+\par \endash \~Eh bien, je ne vous quitterai pas, ma ch\'e8re fille\~! Je suis libre de mes actions, je suppose, et, tant que je n\rquote aurai pas tir\'e9 cette situation au clair, \'e0 moins qu\rquote on ne me mette \'e0 la porte\'85
+\par
+\par \endash \~Que dites-vous l\'e0\~?
+\par
+\par \endash \~Et tenez, j\rquote ai bonne envie de rester \'e0 Dal jusqu\rquote au retour de Ole\~! Je voudrais le conna\'eetre, ce fianc\'e9 de ma petite Hulda\~! Ce doit \'eatre un brave gar\'e7on \endash dans le genre de Jo\'ebl.
+\par
+\par \endash \~Oui\~! tout comme lui\~!\'85 r\'e9pondit Hulda.
+\par
+\par \endash \~J\rquote en \'e9tais s\'fbr\~! s\rquote \'e9cria le professeur, dont la belle humeur avait repris le dessus, \'e0 dessein, sans doute.
+\par
+\par \endash \~Ole ressemble \'e0 Ole, monsieur Sylvius, dit Jo\'ebl, et cela suffit pour qu\rquote il soit un excellent c\'9cur.
+\par
+\par \endash \~C\rquote est possible, mon brave Jo\'ebl, et cela me donne encore plus le d\'e9sir de le voir. Oh\~! cela ne tardera pas\~! Quelque chose me dit que le }{\i Viken }{va bient\'f4t arriver\~!
+\par
+\par \endash \~Dieu vous entende\~!
+\par
+\par \endash \~Et pourquoi ne m\rquote entendrait-il pas\~? Il a l\rquote oreille fine\~! Oui\~! je veux assister \'e0 la noce de Hulda, puisque j\rquote y suis invit\'e9. Le Storthing en sera quitte pour prolonger mon cong\'e9 de quelques semaines. Il l
+\rquote aurait prolong\'e9 bien davantage, si vous m\rquote aviez laiss\'e9 tomber dans le Rjukanfos, comme je le m\'e9ritais\~!
+\par
+\par \endash \~Monsieur Sylvius, dit Jo\'ebl, que c\rquote est bon de vous entendre parler ainsi, et quel bien vous nous faites\~!
+\par
+\par \endash \~Pas aussi grand que je le voudrais, mes amis\~; puisque je vous dois tout, et que je ne sais\'85
+\par
+\par \endash \~Non\~!\'85 n\rquote insistez plus sur cette aventure.
+\par
+\par \endash \~Au contraire, j\rquote insisterai\~! Ah\~! \'e7\'e0\~! est-ce que c\rquote est moi qui me suis tir\'e9 des griffes de la Maristien\~? Est-ce moi qui ai risqu\'e9 ma vie pour me sauver\~? Est-ce moi qui me suis rapport\'e9 jusqu\rquote \'e0 l
+\rquote auberge de Dal\~? Est-ce moi qui me suis soign\'e9 et gu\'e9ri sans le secours de la Facult\'e9\~? Ah\~! mais je suis ent\'eat\'e9 comme un cheval de kariol, je vous en pr\'e9viens. Or, je me suis mis dans la t\'eate d\rquote
+assister au mariage de Hulda et de Ole Kamp, et, par saint Olaf\~! j\rquote y assisterai\~!
+\par
+\par La confiance est communicative. Comment r\'e9sister \'e0 celle que montrait Sylvius Hog\~? Il le vit bien, quand un demi-sourire \'e9claira le visage de la pauvre Hulda. Elle ne demandait qu\rquote \'e0 le croire\'85 Elle ne demandait qu\rquote \'e0 esp
+\'e9rer.
+\par
+\par Sylvius Hog continua de plus belle\~:
+\par
+\par \endash \~Donc, il faut songer que le temps va vite. Allons, commen\'e7ons les pr\'e9paratifs du mariage\~!
+\par
+\par \endash \~Ils sont commenc\'e9s, monsieur Sylvius, r\'e9pondit Hulda, et d\'e9j\'e0 depuis trois semaines\~!
+\par
+\par \endash \~Parfait\~! Gardons-nous de les interrompre\~!
+\par
+\par \endash \~Les interrompre\~? r\'e9pondit Jo\'ebl. Mais tout est pr\'eat\~!
+\par
+\par \endash \~Quoi\~! la jupe de mari\'e9e, le corset aux agrafes de filigrane, la ceinture et ses pendeloques\~?
+\par
+\par \endash \~M\'eame ses pendeloques\~!
+\par
+\par \endash \~Et la couronne rayonnante qui vous coiffera comme une sainte, ma petite Hulda\~?
+\par
+\par \endash \~Oui, monsieur Sylvius.
+\par
+\par \endash \~Et les invitations sont faites\~?
+\par
+\par \endash \~Toutes faites, r\'e9pondit Jo\'ebl, m\'eame celle \'e0 laquelle nous tenons le plus, la v\'f4tre\~!
+\par
+\par \endash \~Et la demoiselle d\rquote honneur a \'e9t\'e9 choisie parmi les plus sages filles du Telemark\~?
+\par
+\par \endash \~Et les plus belles, monsieur Sylvius, r\'e9pondit Jo\'ebl, puisque c\rquote est mademoiselle Siegfrid Helmbo\'eb, de Bamble\~!
+\par
+\par \endash \~De quel ton il dit cela, le brave gar\'e7on\~! fit observer le professeur, et comme il rougit en le disant\~! Eh\~! Eh\~! Est-ce que par hasard mademoiselle Siegfrid Helmbo\'eb, de Bamble, serait destin\'e9e \'e0 devenir madame Jo\'eb
+l Hansen de Dal\~?
+\par
+\par \endash \~Oui, monsieur Sylvius, r\'e9pondit Hulda, Siegfrid, qui est ma meilleure amie\~!
+\par
+\par \endash \~Bon\~! Encore une noce\~! s\rquote \'e9cria Sylvius Hog. Et je suis s\'fbr qu\rquote on m\rquote y invitera, et je ne pourrai faire moins que d\rquote y assister\~! D\'e9cid\'e9ment, il faudra que je donne ma d\'e9mission de d\'e9put\'e9
+ au Storthing, car je n\rquote aurai plus le temps d\rquote y si\'e9ger\~! Allons, je serai votre t\'e9moin, mon brave Jo\'ebl, apr\'e8s avoir d\rquote abord \'e9t\'e9 celui de votre s\'9cur, si vous le permettez. D\'e9cid\'e9
+ment, vous faites de moi tout ce que vous voulez, ou plut\'f4t tout ce que je veux\~! Embrassez-moi, petite Hulda\~! Une poign\'e9e de main, mon gar\'e7on\~! Et maintenant, allons \'e9crire \'e0 mon ami Help junior, de Bergen\~!
+\par
+\par Le fr\'e8re et la s\'9cur quitt\'e8rent la chambre du rez-de-chauss\'e9e, que le professeur parlait d\'e9j\'e0 de prendre \'e0 bail, et ils revinrent \'e0 leurs occupations avec un peu plus d\rquote espoir.
+\par
+\par Sylvius Hog \'e9tait rest\'e9 seul.
+\par
+\par \endash \~La pauvre fille\~! la pauvre fille\~! murmurait-il. Oui\~! j\rquote ai un instant tromp\'e9 sa douleur\~!\'85 Je lui ai rendu quelque calme\~!\'85 Mais c\rquote est un bien long retard et dans des mers tr\'e8s mauvaises \'e0 cette \'e9poque\~!
+\'85 Si le }{\i Viken }{avait p\'e9ri\~!\'85 Si Ole ne devait plus revenir\~!
+\par
+\par Un instant apr\'e8s, le professeur \'e9crivait aux armateurs de Bergen. Ce que demandait sa lettre, c\rquote \'e9taient les d\'e9tails les plus pr\'e9cis sur tout ce qui concernait le }{\i Viken }{et sa campagne de p\'ea
+che. Il voulait savoir si quelque circonstance, pr\'e9vue ou non, n\rquote avait pu l\rquote obliger \'e0 changer son port de destination. Il lui importait de savoir au plus t\'f4t comment les n\'e9
+gociants et les marins de Bergen expliquaient ce retard. Enfin il priait son ami Help junior de prendre les informations les plus pr\'e9cises et de l\rquote aviser par le retour du courrier.
+\par
+\par Cette lettre si pressante disait aussi pourquoi Sylvius Hog s\rquote int\'e9ressait au jeune ma\'eetre du }{\i Viken, }{de quel service il \'e9tait redevable \'e0 sa fianc\'e9e, et quelle joie ce serait pour lui de pouvoir donner quelque esp\'e9
+rance aux enfants de dame Hansen.
+\par
+\par D\'e8s que cette lettre fut \'e9crite, Jo\'ebl la porta \'e0 la poste de Moel. Elle devait partir le lendemain. Le 11 juin, elle serait \'e0 Bergen. Donc, le 12, dans la soir\'e9e, ou le 13 dans la matin\'e9e au plus tard, M.\~Help junior pouvait avoir r
+\'e9pondu.
+\par
+\par Pr\'e8s de trois jours \'e0 attendre cette r\'e9ponse\~! Comme ils parurent longs\~! Cependant, \'e0 force de paroles rassurantes, d\rquote encourageantes raisons, le professeur parvint \'e0 rendre moins p\'e9nible cette attente. Maintenant qu\rquote
+il connaissait le secret de Hulda, n\rquote avait-il pas un sujet de conversation tout indiqu\'e9, et quelle consolation c\rquote \'e9tait pour Jo\'ebl et sa s\'9cur de pouvoir sans cesse parler de l\rquote absent\~!
+\par
+\par \endash \~\'c0 pr\'e9sent, ne suis-je pas de votre famille\~? r\'e9p\'e9tait Sylvius Hog. Oui\~!\'85 quelque chose comme un oncle qui vous serait arriv\'e9 d\rquote Am\'e9rique \endash ou d\rquote ailleurs\~?
+\par
+\par Et, puisqu\rquote il \'e9tait de la famille, on ne devait plus avoir de secrets pour lui.
+\par
+\par Or, il n\rquote \'e9tait pas sans avoir remarqu\'e9 l\rquote attitude des deux enfants vis-\'e0-vis de leur m\'e8re. La r\'e9serve dans laquelle dame Hansen affectait de se tenir devait avoir, selon lui, un autre motif que l\rquote inqui\'e9tude o\'f9 l
+\rquote on \'e9tait sur le compte de Ole Kamp. Il crut donc pouvoir en parler \'e0 Jo\'ebl. Celui-ci ne sut que lui r\'e9pondre. Il voulut alors pressentir dame Hansen \'e0 ce sujet\~; mais elle se montra si ferm\'e9e qu\rquote il dut renoncer \'e0 conna
+\'eetre ses secrets. L\rquote avenir les lui apprendrait sans doute.
+\par
+\par Ainsi que l\rquote avait pr\'e9vu Sylvius Hog, la r\'e9ponse de Help junior arriva \'e0 Dal dans la matin\'e9e du 13. Jo\'ebl \'e9tait all\'e9, d\'e8s l\rquote aube, au-devant du courrier. Ce fut lui qui apporta la lettre dans la grande salle o\'f9
+ le professeur se trouvait avec dame Hansen et sa fille.
+\par
+\par Il y eut d\rquote abord un moment de silence. Hulda, toute p\'e2le, n\rquote aurait pu parler, tant l\rquote \'e9motion lui faisait battre le c\'9cur. Elle avait pris la main de son fr\'e8re, aussi \'e9mu qu\rquote elle.
+\par
+\par Sylvius Hog ouvrit la lettre et la lut \'e0 haute voix. \'c0 son grand regret, cette r\'e9ponse de Help junior ne contenait que de vagues indications, et le professeur ne put cacher son d\'e9sappointement aux jeunes gens qui l\rquote \'e9
+coutaient, les larmes aux yeux.
+\par
+\par }{\i Le Viken }{avait effectivement quitt\'e9 Saint-Pierre-Miquelon \'e0 la date indiqu\'e9e dans la derni\'e8re lettre de Ole Kamp. On l\rquote avait appris de la fa\'e7on la plus formelle par d\rquote autres b\'e2timents qui \'e9taient arriv\'e9s \'e0
+ Bergen depuis son d\'e9part de Terre-Neuve. Ces navires ne l\rquote avaient point rencontr\'e9 sur leur route. Mais eux aussi avaient \'e9prouv\'e9 de gros mauvais temps dans les parages de l\rquote Islande. Cependant, ils avaient pu s\rquote en tirer. D
+\'e8s lors, pourquoi le }{\i Viken }{n\rquote en aurait-il pas fait autant\~? Peut-\'eatre \'e9tait-il en rel\'e2che quelque part. C\rquote \'e9tait d\rquote ailleurs un excellent bateau, tr\'e8s solide, bien command\'e9
+ par le capitaine Prikel, de Hammersfest, et mont\'e9 par un vigoureux \'e9quipage qui avait fait ses preuves. Toutefois, ce retard ne laissait pas d\rquote \'eatre inqui\'e9tant, et, s\rquote il se prolongeait, il serait \'e0 craindre que le Viken se f
+\'fbt perdu corps et biens.
+\par
+\par Help junior regrettait de ne pas avoir de meilleures nouvelles \'e0 donner du jeune parent des Hansen. En ce qui concernait Ole Kamp, il en parlait comme d\rquote un excellent sujet, digne de toute les sympathies qu\rquote il inspirait \'e0
+ son ami Sylvius.
+\par
+\par Help junior finissait en assurant le professeur de son affection, en y joignant les amiti\'e9s de sa famille. Enfin, il promettait de lui faire parvenir, sans d\'e9lai, toute nouvelle qui pourrait arriver du }{\i Viken }{en n\rquote
+importe quel port de Norv\'e8ge, et se disait son tout d\'e9vou\'e9, Help fr\'e8res.
+\par
+\par La pauvre Hulda, d\'e9faillante, \'e9tait tomb\'e9e sur une chaise, pendant que Sylvius Hog lisait cette lettre\~; elle sanglotait, quand il en eut achev\'e9 la lecture.
+\par
+\par Jo\'ebl, les bras crois\'e9s, avait \'e9cout\'e9 sans mot dire, sans m\'eame oser regarder sa s\'9cur.
+\par
+\par Dame Hansen, apr\'e8s que Sylvius Hog eut cess\'e9 de lire, s\rquote \'e9tait retir\'e9e dans sa chambre. Il semblait qu\rquote elle se f\'fbt attendue \'e0 ce malheur comme elle s\rquote attendait \'e0 bien d\rquote autres\~!
+\par
+\par Le professeur fit alors signe \'e0 Hulda et \'e0 son fr\'e8re de se rapprocher de lui. Il voulait encore leur parler de Ole Kamp, leur dire tout ce que son imagination lui sugg\'e9rait de plus ou moins plausible, et il s\rquote
+exprima avec une assurance au moins singuli\'e8re apr\'e8s la lettre de Help junior. Non\~! \endash il en avait le pressentiment\~! \endash non, rien n\rquote \'e9tait d\'e9sesp\'e9r\'e9. N\rquote y avait-il pas maint exemple de plus longs retards \'e9
+prouv\'e9s au cours d\rquote une navigation dans ces mers qui s\rquote \'e9tendent de la Norv\'e8ge \'e0 Terre-Neuve\~? Oui, sans aucun doute\~! Le }{\i Viken }{n\rquote \'e9tait-il pas un solide navire, bien command\'e9, avec un bon \'e9
+quipage, et, par cons\'e9quent, dans des conditions meilleures que les autres b\'e2timents qui \'e9taient revenus au port\~? Incontestablement.
+\par
+\par \endash \~Esp\'e9rons donc, mes chers enfants, ajouta-t-il, et attendons\~! Si le }{\i Viken }{e\'fbt fait naufrage entre l\rquote Islande et Terre-Neuve, les nombreux navires qui suivent constamment cette route pour revenir en Europe n\rquote
+en auraient-ils pas retrouv\'e9 quelque \'e9pave\~? Eh bien, non\~! Pas un seul d\'e9bris n\rquote a \'e9t\'e9 rencontr\'e9 dans ces parages si fr\'e9quent\'e9s au retour de la grande p\'eache\~! N\'e9
+anmoins, il faut agir, il faut obtenir des renseignements plus certains. Si, pendant cette semaine, nous sommes encore sans nouvelles du }{\i Viken }{ou sans lettre de Ole, je retournerai \'e0 Christiania, je m\rquote adresserai \'e0
+ la Marine, qui fera des recherches, et, j\rquote en ai la conviction, elles aboutiront pour notre satisfaction \'e0 tous\~!
+\par
+\par Quelque confiance que montr\'e2t le professeur, Jo\'ebl et Hulda sentaient bien qu\rquote il ne parlait plus maintenant comme il le faisait avant d\rquote avoir re\'e7u la lettre de Bergen \endash
+ lettre dont les termes ne devaient leur laisser que bien peu d\rquote espoir. Sylvius Hog n\rquote osait plus \'e0 pr\'e9sent faire allusion au mariage prochain de Hulda et de Ole Kamp. Et, pourtant, il r\'e9p\'e9ta avec une force qui imposait\~:
+\par
+\par \endash \~Non\~! Ce n\rquote est pas possible\~! Ole ne plus repara\'eetre dans la maison de dame Hansen\~! Ole ne pas \'e9pouser Hulda\~! Jamais je ne croirai possible un tel malheur\~!
+\par
+\par Cette conviction lui \'e9tait personnelle. Il la puisait dans l\rquote \'e9nergie de son caract\'e8re, dans sa nature que rien ne pouvait abattre. Mais comment la faire partager \'e0 d\rquote autres, et surtout \'e0 ceux que le sort du }{\i Viken }{
+touchait si directement\~?
+\par
+\par Cependant, quelques jours se pass\'e8rent encore. Sylvius Hog, compl\'e8tement gu\'e9ri, faisait de grandes promenades aux environs. Il obligeait Hulda et son fr\'e8re \'e0 l\rquote accompagner, afin de ne pas les laisser seuls \'e0 eux-m\'ea
+mes. Un jour, tous trois remontaient la vall\'e9e du Vestfjorddal jusqu\rquote \'e0 mi-chemin des chutes du Rjukan. Le lendemain, ils la descendaient en se dirigeant vers Moel et le lac Tinn. Une fois m\'eame, ils furent absents vingt-quatre heures. C
+\rquote est qu\rquote ils avaient prolong\'e9 leur excursion jusqu\rquote \'e0 Bamble, o\'f9 le professeur fit la connaissance du fermier Helmbo\'eb et de sa fille Siegfrid. Quel accueil celle-ci fit \'e0
+ sa pauvre Hulda, et quels accents de tendresse elle trouva pour la consoler\~!
+\par
+\par L\'e0 encore, Sylvius Hog rendit un peu d\rquote espoir \'e0 ces braves gens. Il avait \'e9crit \'e0 la Marine de Christiania. Le gouvernement s\rquote occupait du }{\i Viken. }{On le retrouverait. Ole reviendrait. Il pouvait m\'eame revenir d\rquote
+un jour \'e0 l\rquote autre. Non\~! le mariage n\rquote aurait pas six semaines de retard\~! L\rquote excellent homme paraissait si convaincu que l\rquote on se rendait peut-\'eatre plus \'e0 sa conviction qu\rquote \'e0 ses arguments.
+\par
+\par Cette visite \'e0 la famille Helmbo\'eb fit du bien aux enfants de dame Hansen. Et, quand ils rentr\'e8rent \'e0 la maison, ils \'e9taient plus calmes que lorsqu\rquote ils l\rquote avaient quitt\'e9e.
+\par
+\par On \'e9tait alors au 15 juin. Le }{\i Viken }{avait donc maintenant un mois de retard. Or, comme il s\rquote agissait de cette travers\'e9e, relativement courte, de Terre-Neuve \'e0 la c\'f4te de Norv\'e8ge, c\rquote \'e9tait v\'e9
+ritablement hors de mesure \endash m\'eame pour un navire \'e0 voiles.
+\par
+\par Hulda ne vivait plus. Son fr\'e8re ne parvenait pas \'e0 trouver un seul mot qui p\'fbt la consoler. Devant ces deux pauvres \'eatres, le professeur succombait \'e0 la t\'e2che qu\rquote il s\rquote \'e9tait donn\'e9e de conserver un peu d\rquote
+espoir. Hulda et Jo\'ebl ne quittaient le seuil de la maison que pour aller regarder du c\'f4t\'e9 de Moel, ou pour s\rquote avancer sur la route du Rjukanfos. Ole Kamp devait venir par Bergen\~; mais il pouvait se faire qu\rquote il arriv\'e2
+t aussi par Christiania, si la destination du }{\i Viken }{avait \'e9t\'e9 modifi\'e9e. Un bruit de kariol qui se faisait entendre sous les arbres, un cri jet\'e9 dans les airs, l\rquote ombre d\rquote
+un homme se dessinant au tournant du chemin, cela leur faisait battre le c\'9cur, mais inutilement\~! Les gens de Dal veillaient de leur c\'f4t\'e9. Ils allaient au-devant du courrier, en amont et en aval du Maan. Tous s\rquote int\'e9ressaient \'e0
+ cette famille si aim\'e9e dans le pays, \'e0 ce pauvre Ole qui \'e9tait presque un enfant du Telemark. Et pas une lettre ne venait de Bergen ou de Christiania apporter quelque nouvelle de l\rquote absent\~!
+\par
+\par Le 16, rien de nouveau. Sylvius Hog ne pouvait plus tenir en place. Il comprit qu\rquote il fallait donner de sa personne. Aussi annon\'e7a-t-il que, le lendemain, s\rquote il n\rquote avait rien re\'e7u, il partirait pour Christiania et s\rquote
+assurerait par lui-m\'eame que les recherches \'e9taient activement faites. Certes\~! il lui en co\'fbterait de laisser Hulda et Jo\'ebl\~; mais il le fallait, et il reviendrait, d\'e8s qu\rquote il aurait achev\'e9 ses d\'e9marches.
+\par
+\par Le 17, une grande partie du jour s\rquote \'e9tait d\'e9j\'e0 \'e9coul\'e9e \endash le plus triste de tous, peut-\'eatre\~! La pluie n\rquote avait cess\'e9 de tomber depuis l\rquote aube. Le vent se d\'e9cha\'eenait \'e0
+ travers les arbres. De grands coups de rafale cr\'e9pitaient sur les vitraux des fen\'eatres du c\'f4t\'e9 du Maan.
+\par
+\par Il \'e9tait sept heures. On venait d\rquote achever le d\'eener, en silence, comme dans une maison en deuil. Sylvius Hog n\rquote avait m\'eame pu soutenir la conversation. Les paroles lui manquaient avec les id\'e9es. Qu\rquote aurait-il dit qui ne l
+\rquote e\'fbt \'e9t\'e9 cent fois d\'e9j\'e0\~! Ne sentait-il pas que cette prolongation d\rquote absence rendait inacceptables ses arguments d\rquote autrefois\~?
+\par
+\par \endash \~Je partirai demain matin pour Christiania, dit-il. Jo\'ebl, occupez-vous de me procurer une kariol. Vous me conduirez \'e0 Moel, et vous reviendrez aussit\'f4t \'e0 Dal\~!
+\par
+\par \endash \~Oui, monsieur Sylvius, r\'e9pondit Jo\'ebl. Vous ne voulez pas que je vous accompagne plus loin\~? Le professeur fit un signe n\'e9gatif en montrant Hulda qu\rquote il ne voulait pas priver de son fr\'e8re.
+\par
+\par En ce moment, un bruit, peu sensible encore, se fit entendre sur la route, du c\'f4t\'e9 de Moel. Tous \'e9cout\'e8rent. Bient\'f4t, il n\rquote y eut plus de doute, c\rquote \'e9tait le bruit d\rquote une kariol. Elle se dirigeait rapidement vers Dal.
+\'c9tait-ce donc quelque voyageur qui venait passer la nuit \'e0 l\rquote auberge\~? C\rquote \'e9tait peu probable, et rarement les touristes arrivaient \'e0 une heure aussi avanc\'e9e.
+\par
+\par Hulda venait de se lever toute tremblante. Jo\'ebl alla vers la porte, l\rquote ouvrit, regarda.
+\par
+\par Le bruit s\rquote accentuait. C\rquote \'e9tait bien le pas d\rquote un cheval et le grincement de roues d\rquote une kariol. Mais telle fut alors la violence de la bourrasque qu\rquote il fallut refermer la porte.
+\par
+\par Sylvius Hog allait et venait dans la salle. Jo\'ebl et sa s\'9cur se tenaient l\rquote un pr\'e8s de l\rquote autre.
+\par
+\par La kariol ne devait plus \'eatre qu\rquote \'e0 une vingtaine de pas de la maison. Allait-elle s\rquote arr\'eater ou passer outre\~?
+\par
+\par Le c\'9cur leur battait \'e0 tous \endash horriblement.
+\par
+\par La kariol s\rquote arr\'eata. On entendit une voix qui appelait\'85 Ce n\rquote \'e9tait pas la voix de Ole Kamp\~!
+\par
+\par Presque aussit\'f4t, on frappa \'e0 la porte.
+\par
+\par Jo\'ebl l\rquote ouvrit.
+\par
+\par Un homme \'e9tait sur le seuil.
+\par
+\par \endash \~Monsieur Sylvius Hog\~? demanda-t-il.
+\par
+\par \endash \~C\rquote est moi, r\'e9pondit le professeur, en s\rquote avan\'e7ant. Qui \'eates-vous, mon ami\~?
+\par
+\par \endash \~Un expr\'e8s qui vous est envoy\'e9 de Christiania par le directeur de la Marine.
+\par
+\par \endash \~Vous avez une lettre pour moi\~?
+\par
+\par \endash \~La voici\~! Et l\rquote expr\'e8s tendit une grande enveloppe qui \'e9tait cachet\'e9e du cachet officiel. Hulda n\rquote avait plus la force de se tenir debout. Son fr\'e8re venait de la faire asseoir sur un escabeau. Ni l\rquote un ni l
+\rquote autre n\rquote osaient presser Sylvius Hog d\rquote ouvrir la lettre. Enfin, il lut ce qui suit\~:
+\par
+\par \'ab\~Monsieur le professeur,
+\par
+\par \'ab\~En r\'e9ponse \'e0 votre derni\'e8re lettre, je vous adresse sous ce pli un document qui a \'e9t\'e9 recueilli en mer par un navire danois, \'e0 la date du 5 juin dernier. Malheureusement, ce document ne laisse plus aucun doute sur le sort du }{\i
+Viken\'85}{\~\'bb
+\par
+\par Sylvius Hog, sans prendre le temps d\rquote achever la lettre, avait tir\'e9 le document de l\rquote enveloppe\'85 Il le regardait\'85 Il le retournait\'85
+\par
+\par C\rquote \'e9tait un billet de loterie, portant le num\'e9ro 9672.
+\par
+\par Au revers du billet, on lisait ces quelques lignes\~:
+\par
+\par \'ab\~3 mai. \endash Ch\'e8re Hulda, le }{\i Viken }{va sombrer\~!\'85 Je n\rquote ai plus que ce billet pour toute fortune\~!\'85 Je le confie \'e0 Dieu pour qu\rquote il te le fasse parvenir, et, puisque je n\rquote y serai pas, je te prie d\rquote
+\'eatre l\'e0 quand il sera tir\'e9\~!\'85 Re\'e7ois-le avec ma derni\'e8re pens\'e9e pour toi\~!\'85 Hulda, ne m\rquote oublie pas dans tes pri\'e8res\~!\'85 Adieu, ch\'e8re fianc\'e9e, adieu\~!\'85
+\par
+\par \'ab\~Ole Kamp.\~\'bb
+\par
+\par }\pard\plain \s1\qc\sb600\sa480\keepn\pagebb\nowidctlpar\widctlpar\outlinelevel0\adjustright \b\f40\fs38\lang1036\cgrid {{\*\bkmkstart _Toc97124742}XII{\*\bkmkend _Toc97124742}\line
+\par }\pard\plain \qj\fi680\nowidctlpar\widctlpar\adjustright \f40\fs32\lang1036\cgrid {Voil\'e0 donc quel \'e9tait le secret du jeune marin\~! C\rquote \'e9tait l\'e0 cette chance sur laquelle il comptait pour apporter une fortune \'e0 sa fianc\'e9e\~
+! Un billet de loterie, achet\'e9 avant son d\'e9part\~!\'85 Et au moment o\'f9 allait sombrer le }{\i Viken, }{il l\rquote avait enferm\'e9 dans une bouteille, il l\rquote avait jet\'e9 \'e0 la mer, avec un dernier adieu pour Hulda\~!
+\par
+\par Cette fois, Sylvius Hog fut an\'e9anti. Il regardait la lettre, puis le document\~!\'85 Il ne parlait plus. Qu\rquote e\'fbt-il pu dire, d\rquote ailleurs\~? Quel doute pouvait exister maintenant sur la catastrophe du }{\i Viken, }{
+sur la perte de tous ceux qu\rquote il ramenait en Norv\'e8ge\~?
+\par
+\par Hulda, pendant que Sylvius Hog lisait cette lettre, avait pu r\'e9sister et se raidir contre l\rquote angoisse. Mais, apr\'e8s les derniers mots du billet de Ole, elle tomba dans les bras de Jo\'ebl. Il fallut la transporter dans sa chambre, o\'f9 sa m
+\'e8re lui donna les premiers soins. Elle voulut rester seule alors, et, maintenant, agenouill\'e9e pr\'e8s de son lit, elle priait pour l\rquote \'e2me de Ole Kamp.
+\par
+\par Dame Hansen \'e9tait rentr\'e9e dans la salle. Tout d\rquote abord, elle fit un pas vers le professeur, comme si elle e\'fbt voulu parler, et, se dirigeant vers l\rquote escalier, elle disparut.
+\par
+\par Jo\'ebl, lui, apr\'e8s avoir reconduit sa s\'9cur, \'e9tait aussit\'f4t sorti. Il \'e9touffait dans cette maison ouverte \'e0 tous les vents de malheur. Il lui fallait l\rquote air du dehors, l\rquote
+air de la bourrasque, et, pendant une partie de la nuit, il resta \'e0 errer sur les bords du Maan.
+\par
+\par Sylvius Hog \'e9tait seul maintenant. Au premier moment, abattu par ce coup de foudre, il ne tarda pas \'e0 retrouver son \'e9nergie habituelle. Apr\'e8s avoir fait deux ou trois tours dans la salle, il \'e9couta si quelque appel de la jeune fille n
+\rquote arriverait pas jusqu\rquote \'e0 lui. N\rquote entendant rien, il s\rquote assit pr\'e8s de la table, et ses r\'e9flexions reprirent leur cours.
+\par
+\par \'ab\~Hulda, se disait-il, Hulda, ne plus revoir son fianc\'e9\~! Un pareil malheur serait possible\~!\'85 Non\~!\'85 \'c0 cette pens\'e9e tout se r\'e9volte en moi\~! Le }{\i Viken }{a sombr\'e9, soit\~
+! Mais y a-t-il donc une certitude absolue de la mort de Ole\~? Je ne puis le croire\~! Dans tous les cas de naufrage, n\rquote est-ce pas le temps seul qui peut affirmer que personne n\rquote a pu survivre \'e0 la catastrophe\~?
+\par
+\par Oui\~! je doute, je veux douter encore, dussent ni Hulda, ni Jo\'ebl, ni personne ne plus partager ce doute avec moi\~! Puisque le }{\i Viken }{s\rquote est englouti, cela explique-t-il qu\rquote il n\rquote en soit rest\'e9 aucun d\'e9bris sur la mer\~?
+\'85 non\~!\'85 rien, si ce n\rquote est cette bouteille dans laquelle le pauvre Ole a voulu mettre sa derni\'e8re pens\'e9e, et, avec elle, tout ce qui lui restait au monde\~!\~\'bb
+\par
+\par Sylvius Hog tenait \'e0 la main le document, il le regardait, il le palpait, il le retournait, ce chiffon de papier sur lequel le pauvre gar\'e7on avait \'e9difi\'e9 toute une esp\'e9rance de fortune\~!
+\par
+\par Cependant, le professeur, voulant l\rquote examiner avec plus de soin, se leva, \'e9couta encore si la pauvre fille n\rquote appelait pas sa m\'e8re ou son fr\'e8re, et il rentra dans sa chambre.
+\par
+\par Ce billet \'e9tait un billet de la loterie des \'c9coles de Christiania, loterie tr\'e8s populaire alors en Norv\'e8ge. Gros lot\~: cent mille marks}{\cs30\b\fs36\super \chftn {\footnote \pard\plain \s31\qj\fi680\nowidctlpar\widctlpar\adjustright
+\f40\fs30\lang1036\cgrid {\cs30\b\fs36\super \chftn }{ Environ cent mille francs.}}}{. Valeur totalis\'e9e des autres lots\~: quatre-vingt-dix mille marks. Nombre des billets \'e9mis\~: un million \endash tous plac\'e9s actuellement.
+\par
+\par Le billet de Ole Kamp portait le num\'e9ro 9672. Mais, maintenant, que ce num\'e9ro f\'fbt bon ou mauvais, que le jeune marin e\'fbt ou non quelque secr\'e8te raison d\rquote y avoir confiance, il ne serait plus l\'e0
+ au moment du tirage de cette loterie, qui devait s\rquote effectuer le 15 juillet prochain, c\rquote est-\'e0-dire dans vingt-huit jours. Hulda, suivant sa derni\'e8re recommandation, devrait se pr\'e9senter \'e0 sa place et r\'e9pondre pour lui\~!
+
+\par
+\par Sylvius Hog, \'e0 la clart\'e9 de son chandelier de terre, relisait attentivement les lignes \'e9crites au dos du billet, comme s\rquote il e\'fbt voulu y d\'e9couvrir quelque sens cach\'e9.
+\par
+\par Ces lignes avaient \'e9t\'e9 trac\'e9es \'e0 l\rquote encre. Il \'e9tait manifeste que la main de Ole n\rquote avait pas trembl\'e9 pendant qu\rquote il les \'e9crivait. Cela prouvait que le ma\'eetre du }{\i Viken }{
+avait tout son sang-froid au moment du naufrage. Il se trouvait ainsi dans des conditions \'e0 pouvoir profiter d\rquote un moyen de salut quelconque, un espar flottant, une planche en d\'e9rive, si tout n\rquote avait pas \'e9t\'e9
+ englouti dans le gouffre o\'f9 sombrait le navire.
+\par
+\par Le plus souvent, ces documents, recueillis en mer, font \'e0 peu pr\'e8s conna\'eetre l\rquote endroit o\'f9 s\rquote est accomplie la catastrophe. Sur celui-ci, il n\rquote y avait pas une latitude, pas une longitude, rien qui indiqu\'e2t quelles \'e9
+taient les terres les plus rapproch\'e9es, continent ou \'eeles. Il fallait en conclure que le capitaine ni personne de l\rquote \'e9quipage ne savait o\'f9 se trouvait alors le }{\i Viken. }{Entra\'een\'e9, sans doute, par une de ces temp\'ea
+tes auxquelles on ne peut r\'e9sister, il avait d\'fb \'eatre rejet\'e9 hors de sa route, et, l\rquote \'e9tat du ciel ne permettant pas d\rquote obtenir une observation solaire, la position n\rquote avait pu \'eatre relev\'e9e depuis quelques jours. D
+\'e8s lors, il \'e9tait probable qu\rquote on ne saurait jamais en quels parages du nord de l\rquote Atlantique, au large de Terre-Neuve ou de l\rquote Islande, l\rquote ab\'eeme s\rquote \'e9tait referm\'e9 sur les naufrag\'e9s.
+\par
+\par C\rquote \'e9tait l\'e0 une circonstance qui devait enlever tout espoir, m\'eame \'e0 qui ne voulait pas d\'e9sesp\'e9rer.
+\par
+\par En effet, avec une indication, si vague qu\rquote elle f\'fbt, on aurait pu entreprendre des recherches, envoyer un navire sur le lieu de la catastrophe, peut-\'eatre y retrouver quelques d\'e9
+bris reconnaissables. Qui sait si un ou plusieurs survivants de l\rquote \'e9quipage n\rquote avaient pas atteint un point quelconque de ces rivages du continent arctique, o\'f9 ils \'e9taient sans secours, dans l\rquote impossibilit\'e9 de se rapatrier\~
+?
+\par
+\par Tel \'e9tait le doute qui peu \'e0 peu prenait corps dans l\rquote esprit de Sylvius Hog \endash doute inacceptable pour Hulda et Jo\'ebl, doute que le professeur e\'fbt h\'e9sit\'e9 maintenant \'e0 faire na\'eetre en eux, tant la d\'e9
+sillusion, si probable, e\'fbt \'e9t\'e9 douloureuse.
+\par
+\par \'ab\~Et cependant, se disait-il, si le document ne donne aucune indication qu\rquote on puisse utiliser, on sait, du moins, dans quels parages la bouteille a \'e9t\'e9 recueillie\~! Cette lettre ne le dit pas, mais la Marine, \'e0 Christiania, ne peut l
+\rquote ignorer\~! N\rquote est-ce pas un indice dont on pourrait profiter peut-\'eatre\~? En \'e9tudiant la direction des courants, celle des vents g\'e9n\'e9raux, en se rapportant \'e0 la date pr\'e9sum\'e9e du naufrage, ne serait-il pas possible\~?\'85
+ Enfin, je vais \'e9crire de nouveau. Il faut que l\rquote on h\'e2te les recherches, si peu de chances qu\rquote elles aient d\rquote aboutir\~! Non\~! jamais je n\rquote abandonnerai cette pauvre Hulda\~! Jamais, tant que je n\rquote
+en aurai pas une preuve absolue, je ne croirai \'e0 la mort de son fianc\'e9\~!\~\'bb
+\par
+\par Ainsi raisonnait Sylvius Hog. Mais, en m\'eame temps, il prenait le parti de ne plus parler des d\'e9marches qu\rquote il allait entreprendre, des efforts qu\rquote il allait provoquer de toute son influence. Hulda ni son fr\'e8re ne surent
+donc rien de ce qu\rquote il \'e9crivit \'e0 Christiania. De plus, ce d\'e9part qui devait s\rquote effectuer le lendemain, il se r\'e9solut \'e0 le remettre ind\'e9finiment, ou plut\'f4t, il partirait dans quelques jours, mais ce serait pour se rendre
+\'e0 Bergen. L\'e0, il saurait de MM.\~Help tout ce qui concernait le }{\i Viken, }{il prendrait lui-m\'eame l\rquote avis des gens de mer les plus comp\'e9tents, il d\'e9terminerait la mani\'e8re dont les premi\'e8res recherches devraient \'eatre faites.
+
+\par
+\par Cependant, sur les renseignements fournis par la Marine, les journaux de Christiania, puis ceux de la Norv\'e8ge et de la Su\'e8de, puis ceux de l\rquote Europe, s\rquote \'e9taient peu \'e0 peu empar\'e9s de ce fait d\rquote
+un billet de loterie transform\'e9 en document. Il y avait quelque chose de touchant dans cet envoi d\rquote un fianc\'e9 \'e0 sa fianc\'e9e, et l\rquote opinion publique s\rquote en \'e9mut, non sans raison.
+\par
+\par Le doyen des journaux de Norv\'e8ge, le }{\i Morgen-Blad, }{fut le premier \'e0 rapporter l\rquote histoire du }{\i Viken }{et de Ole Kamp. Des trente-sept autres journaux qui paraissaient dans le pays \'e0 cette \'e9poque, pas un n\rquote
+omit de le raconter en termes attendris. }{\i L\rquote Illustreret Nyhedsblad }{publia un dessin id\'e9al de la sc\'e8ne du naufrage. On voyait le }{\i Viken }{d\'e9sempar\'e9, ses voiles en lambeaux, sa m\'e2ture en partie d\'e9truite, pr\'eat \'e0
+ dispara\'eetre sous les flots. Ole, debout \'e0 l\rquote avant, lan\'e7ait la bouteille \'e0 la mer, au moment o\'f9 il recommandait, avec sa derni\'e8re pens\'e9e pour Hulda, son \'e2me \'e0 Dieu. Dans un lointain all\'e9gorique, au milieu d\rquote
+une vapeur l\'e9g\'e8re, une lame apportait la bouteille aux pieds de la jeune fianc\'e9e. Le tout tenait dans le cadre de ce billet dont le num\'e9ro se d\'e9tachait en exergue. Image na\'efve, sans doute, mais qui devait avoir un grand succ\'e8
+s dans ces contr\'e9es, encore attach\'e9es aux l\'e9gendes des Ondines et des Valkyries.
+\par
+\par Le fait fut ensuite reproduit, comment\'e9, en France, en Angleterre, jusque dans les \'c9tats-Unis d\rquote Am\'e9rique. Avec les noms de Hulda et de Ole, leur histoire se popularisa par le crayon et la plume. Cette jeune Norv\'e9
+gienne de Dal, sans le savoir, eut alors le privil\'e8ge de passionner l\rquote opinion publique. La pauvre fille ne pouvait se douter du bruit qui se faisait autour d\rquote elle. D\rquote ailleurs, rien n\rquote
+aurait pu la distraire de la douleur dans laquelle elle s\rquote absorbait tout enti\'e8re.
+\par
+\par Et, maintenant, on ne s\rquote \'e9tonnera pas de l\rquote effet qui se produisit dans les deux continents \endash effet tr\'e8s explicable, \'e9tant donn\'e9
+ que la nature humaine glisse volontiers sur la pente des choses superstitieuses. Un billet de loterie, recueilli dans ces circonstances, avec ce num\'e9ro 9672, si providentiellement arrach\'e9 aux flots, ne pouvait \'eatre qu\rquote un billet pr\'e9
+destin\'e9. Entre tous, n\rquote \'e9tait-il pas miraculeusement indiqu\'e9 pour gagner le gros lot de cent mille marks\~? Ne valait-il pas une fortune, cette fortune sur laquelle comptait Ole Kamp\~?
+\par
+\par Aussi, qu\rquote on n\rquote en soit pas surpris, arriva-t-il \'e0 Dal, un peu de partout, de tr\'e8s s\'e9rieuses propositions d\rquote acheter ce billet, si Hulda Hansen consentait \'e0 le vendre. Tout d\rquote abord, les prix offerts \'e9taient m\'e9
+diocres\~; mais ils s\rquote \'e9lev\'e8rent de jour en jour. On pouvait donc pr\'e9voir qu\rquote avec le temps et \'e0 mesure que se rapprocherait le jour du tirage de la loterie, il se pr\'e9senterait de s\'e9rieuses surench\'e8res.
+\par
+\par Ces offres se manifest\'e8rent non seulement en ces pays scandinaves, si port\'e9s \'e0 reconna\'eetre l\rquote intervention des puissances surnaturelles dans les choses de ce monde, mais aussi \'e0 l\rquote \'e9tranger et m\'ea
+me en France. Les Anglais, tr\'e8s flegmatiquement, s\rquote en m\'eal\'e8rent, et, apr\'e8s eux, les Am\'e9ricains, dont les dollars ne se d\'e9pensent pas volontiers \'e0 des fantaisies si peu pratiques. Une certaine quantit\'e9 de lettres furent adress
+\'e9es \'e0 Dal. Les journaux ne n\'e9glig\'e8rent pas de faire conna\'eetre l\rquote importance des propositions faites \'e0 la famille Hansen. On peut dire qu\rquote il s\rquote \'e9
+tablit une sorte de petite bourse, dont la cote variait, mais toujours en hausse.
+\par
+\par Aussi en vint-on \'e0 offrir plusieurs centaines de marks de ce billet, qui, en somme, n\rquote avait qu\rquote un millioni\'e8me de chance pour gagner le gros lot. C\rquote \'e9tait absurde, sans doute, mais on ne raisonne pas avec les id\'e9
+es superstitieuses. Aussi les imaginations se montaient-elles, et, avec la force acquise, elles pouvaient, elles devaient aller plus haut.
+\par
+\par C\rquote est ce qui se produisit, en effet. Huit jours apr\'e8s cet \'e9v\'e9nement, les journaux annon\'e7aient que le cours du billet d\'e9passait mille, quinze cents, et m\'eame deux mille marks. Un Anglais, de Manchester, \'e9tait all\'e9 jusqu
+\rquote \'e0 cent livres sterling, soit deux mille cinq cents marks. Un Am\'e9ricain, de Boston, rench\'e9rit encore, et proposa d\rquote acqu\'e9rir le num\'e9ro 9672 de la loterie des \'c9coles de Christiania pour la somme de mille dollars \endash
+ environ cinq mille francs.
+\par
+\par Il va sans dire que Hulda ne se pr\'e9occupait aucunement de ce qui passionnait \'e0 ce point un certain public. De ces lettres arriv\'e9es \'e0 Dal, au sujet du billet, elle n\rquote avait m\'ea
+me pas voulu prendre connaissance. Cependant, le professeur fut d\rquote avis qu\rquote on ne pouvait lui laisser ignorer quelles propositions \'e9taient faites, puisque Ole Kamp lui avait l\'e9gu\'e9 la propri\'e9t\'e9 de ce num\'e9ro 9672.
+\par
+\par Hulda refusa toutes les offres. Ce billet, c\rquote \'e9tait la derni\'e8re lettre de son fianc\'e9.
+\par
+\par Et qu\rquote on ne croie pas qu\rquote elle y t\'eent, la pauvre fille, avec l\rquote arri\'e8re-pens\'e9e qu\rquote il pourrait lui valoir un des lots de la loterie\~! Non\~! Elle ne voyait l\'e0 que le supr\'eame adieu du naufrag\'e9, une derni\'e8
+re relique qu\rquote elle voulait conserver pr\'e9cieusement. Elle ne songeait gu\'e8re aux chances d\rquote une fortune que Ole ne pourrait plus partager avec elle\~! Quoi de plus touchant, de plus d\'e9licat, que ce culte pour un souvenir\~!
+\par
+\par Au surplus, en lui faisant conna\'eetre les diverses propositions qui lui \'e9taient adress\'e9es, Sylvius Hog ni Jo\'ebl n\rquote entendaient influencer Hulda. Elle ne devait prendre avis que de son c\'9cur. On sait maintenant ce que son c\'9c
+ur lui avait r\'e9pondu.
+\par
+\par Jo\'ebl, d\rquote ailleurs, approuva absolument sa s\'9cur. Le billet de Ole Kamp ne devait \'eatre c\'e9d\'e9 \'e0 personne \endash \'e0 aucun prix.
+\par
+\par Sylvius Hog fit plus qu\rquote approuver Hulda\~: il la f\'e9licita de ne point pr\'eater l\rquote oreille \'e0 tout ce commerce. Voit-on ce billet vendu \'e0 l\rquote un, revendu \'e0 l\rquote autre, passant de main en main, transform\'e9
+ en une sorte de papier-monnaie jusqu\rquote au moment o\'f9 le tirage de la loterie en aurait fait tr\'e8s probablement un chiffon sans valeur\~?
+\par
+\par Et Sylvius Hog allait m\'eame plus loin. Est-ce que par hasard il \'e9tait superstitieux\~? Non, sans doute\~! Mais Ole Kamp e\'fbt \'e9t\'e9 l\'e0, qu\rquote il lui aurait probablement dit\~:
+\par
+\par \'ab\~Gardez votre billet, mon gar\'e7on, gardez-le\~! On l\rquote a d\rquote abord sauv\'e9 du naufrage, vous ensuite\~! Eh bien, il faut voir\~!\'85 On ne sait pas\~!\'85 Non\~!\'85 On ne sait pas\~!\~\'bb
+\par
+\par Et quand Sylvius Hog, professeur de l\'e9gislation, d\'e9put\'e9 au Storthing, pensait ainsi, pouvait-on s\rquote \'e9tonner de l\rquote engouement du public\~? Non, et rien de plus naturel que le 9672 e\'fbt fait prime\~?
+\par
+\par Dans la maison de dame Hansen, il n\rquote y eut donc personne qui protest\'e2t contre le sentiment si respectable qui faisait agir la jeune fille \endash personne, si ce n\rquote est sa m\'e8re.
+\par
+\par Le plus souvent, en effet, on entendait r\'e9criminer dame Hansen, surtout en l\rquote absence de Hulda. Cela ne laissait pas de causer un tr\'e8s gros chagrin \'e0 Jo\'ebl. Sa m\'e8re \endash il le pensait, du moins \endash ne s\rquote
+en tiendrait peut-\'eatre pas toujours \'e0 des r\'e9criminations. Elle voudrait entreprendre secr\'e8tement Hulda au sujet des offres qui lui \'e9taient faites.
+\par
+\par \endash \~Cinq mille marks, ce billet\~! r\'e9p\'e9tait-elle. On en propose cinq mille marks\~!
+\par
+\par Dame Hansen ne voulait \'e9videmment rien voir de ce qu\rquote il y avait d\rquote attendrissant dans le refus de sa fille. Elle ne pensait qu\rquote \'e0 cette importante somme de cinq mille marks. Un seul mot de Hulda les e\'fb
+t fait entrer dans la maison. Elle ne croyait pas, d\rquote ailleurs, \'e0 la valeur surnaturelle du billet, si Norv\'e9gienne qu\rquote elle f\'fbt. Et, de sacrifier cinq mille marks pour ce millioni\'e8me de chance d\rquote
+en gagner cent mille, cela ne pouvait entrer dans son esprit froid et positif.
+\par
+\par Il est bien \'e9vident que, toute superstition mise \'e0 part, rejeter le certain pour l\rquote incertain, dans des conditions si al\'e9atoires, ce n\rquote e\'fbt point \'e9t\'e9 acte de sagesse. Mais, on le r\'e9p\'e8te, ce billet n\rquote \'e9
+tait pas un billet de loterie pour Hulda\~; c\rquote \'e9tait la derni\'e8re lettre de Ole Kamp, et son c\'9cur se f\'fbt bris\'e9 \'e0 la pens\'e9e de s\rquote en dessaisir.
+\par
+\par Cependant dame Hansen d\'e9sapprouvait tr\'e8s manifestement la conduite de sa fille. On sentait une sourde irritation s\rquote amasser en elle. Un jour ou l\rquote autre, il \'e9tait \'e0 craindre qu\rquote elle ne m\'ee
+t Hulda en demeure de revenir sur sa r\'e9solution. D\'e9j\'e0, elle avait parl\'e9 dans ce sens \'e0 Jo\'ebl, qui n\rquote avait pas h\'e9sit\'e9 \'e0 prendre parti pour sa s\'9cur.
+\par
+\par Naturellement, Sylvius Hog \'e9tait tenu au courant de ce qui se passait. C\rquote \'e9tait un chagrin de plus ajout\'e9 \'e0 tout ce que souffrait Hulda, et il le regrettait. Jo\'ebl lui en parlait quelquefois.
+\par
+\par \endash \~Est-ce que ma s\'9cur n\rquote a pas raison de refuser\~? disait-il. Est-ce que je ne fais pas bien d\rquote approuver son refus\~?
+\par
+\par \endash \~Sans doute\~! lui r\'e9pondait Sylvius Hog. Et, pourtant, au point de vue math\'e9matique, votre m\'e8re a un million de fois raison\~! Mais, tout n\rquote est pas math\'e9matique en ce monde\~! Le calcul n\rquote a rien \'e0 voir dans les chos
+es du c\'9cur\~!
+\par
+\par Pendant ces deux semaines, on avait d\'fb surveiller Hulda. Accabl\'e9e par tant de douleurs, elle donna de s\'e9rieuses craintes pour sa sant\'e9. Heureusement, les soins ne lui manqu\'e8rent pas. Sur la demande de Sylvius Hog, le c\'e9l\'e8
+bre docteur Boek, son ami, vint \'e0 Dal voir la jeune malade. Il n\rquote eut que le repos du corps \'e0 lui prescrire, et le calme de l\rquote \'e2me, s\rquote il \'e9tait possible. Mais le vrai moyen de la gu\'e9rir, c\rquote \'e9
+tait le retour de Ole, et ce moyen, Dieu seul en pouvait disposer. En tout cas, Sylvius Hog n\rquote \'e9pargna point ses consolations \'e0 la jeune fille, et il ne cessa pas de lui faire entendre des paroles d\rquote esp\'e9
+rance. Et, quoique cela puisse para\'eetre invraisemblable, Sylvius Hog ne d\'e9sesp\'e9rait pas\~!
+\par
+\par Treize jours s\rquote \'e9taient \'e9coul\'e9s depuis l\rquote arriv\'e9e du billet envoy\'e9 par la Marine \'e0 Dal. On \'e9tait au 30 juin. Quinze jours encore, et le tirage de la loterie des \'c9coles allait s\rquote
+effectuer en grande pompe dans un des vastes \'e9tablissements de Christiania.
+\par
+\par Pr\'e9cis\'e9ment, ce 30 juin, dans la matin\'e9e, Sylvius Hog re\'e7ut une nouvelle lettre de la Marine en r\'e9ponse \'e0 ses instances r\'e9it\'e9r\'e9es. Cette lettre l\rquote engageait \'e0 s\rquote entendre avec les autorit\'e9
+s maritimes de Bergen. De plus, elle l\rquote autorisait \'e0 organiser imm\'e9diatement les recherches relatives au }{\i Viken }{avec le concours de l\rquote \'c9tat.
+\par
+\par Le professeur ne voulut rien dire \'e0 Jo\'ebl ni \'e0 Hulda de ce qu\rquote il allait entreprendre. Il se contenta de leur annoncer son d\'e9part, en pr\'e9textant un voyage d\rquote affaires qui ne le retiendrait que quelques jours.
+\par
+\par \endash \~Monsieur Sylvius, je vous en supplie, ne nous abandonnez pas\~! lui dit la pauvre fille.
+\par
+\par \endash \~Vous abandonner\'85 vous qui \'eates devenus mes enfants\~! r\'e9pondit Sylvius Hog.
+\par
+\par Jo\'ebl offrait de l\rquote accompagner. Cependant, ne voulant pas laisser soup\'e7onner qu\rquote il allait \'e0 Bergen, il ne lui permit de venir que jusqu\rquote \'e0 Moel. D\rquote ailleurs, il ne fallait pas que Hulda rest\'e2t seule avec sa m\'e8
+re. Apr\'e8s avoir \'e9t\'e9 alit\'e9e pendant quelques jours, elle commen\'e7ait \'e0 se lever, maintenant\~; mais elle \'e9tait faible encore, elle gardait la chambre, et son fr\'e8re sentait bien qu\rquote il ne pouvait la quitter.
+\par
+\par \'c0 onze heures, la kariol se trouvait devant la porte de l\rquote auberge. Le professeur y prit place avec Jo\'ebl, apr\'e8s avoir dit un dernier adieu \'e0 la jeune fille. Puis, tous deux disparurent au tournant du sentier, sous les grands bo
+uleaux de la rive.
+\par
+\par Le soir m\'eame, Jo\'ebl \'e9tait de retour \'e0 Dal.
+\par
+\par }\pard\plain \s1\qc\sb600\sa480\keepn\pagebb\nowidctlpar\widctlpar\outlinelevel0\adjustright \b\f40\fs38\lang1036\cgrid {{\*\bkmkstart _Toc97124743}XIII{\*\bkmkend _Toc97124743}\line
+\par }\pard\plain \qj\fi680\nowidctlpar\widctlpar\adjustright \f40\fs32\lang1036\cgrid {Sylvius Hog \'e9tait donc parti pour Bergen. Sa nature tenace, son caract\'e8re \'e9nergique, un instant \'e9branl\'e9s, avaient repris le dessus. Il ne voulait pas croire
+\'e0 la mort de Ole Kamp, ni admettre que Hulda f\'fbt condamn\'e9e \'e0 ne jamais le revoir. Non\~! tant que la mat\'e9rialit\'e9 du fait ne serait pas reconnue, il le tenait pour faux. Et, comme on dit vulgairement, \'ab\~c\rquote \'e9
+tait plus fort que lui\~\'bb.
+\par
+\par Mais avait-il donc un indice sur lequel il lui serait possible d\rquote appuyer l\rquote \'9cuvre qu\rquote il allait entreprendre \'e0 Bergen\~? Oui, mais un indice bien vague, il faut en convenir\~!
+\par
+\par Il savait, en effet, \'e0 quelle date le billet avait \'e9t\'e9 jet\'e9 \'e0 la mer par Ole Kamp, \'e0 quelle date et dans quels parages la bouteille, qui renfermait ce billet, avait \'e9t\'e9 recueillie. C\rquote
+est ce que venait de lui apprendre la lettre de la Marine, lettre qui l\rquote avait d\'e9cid\'e9 \'e0 partir imm\'e9diatement pour Bergen, afin de s\rquote entendre avec la maison Help et les marins les plus comp\'e9tents du port. Peut-\'ea
+tre cela suffirait-il pour imprimer une utile direction aux recherches dont le }{\i Viken }{allait \'eatre l\rquote objet.
+\par
+\par Le voyage s\rquote accomplit aussi rapidement que possible. Arriv\'e9 \'e0 Moel, Sylvius Hog renvoya son compagnon avec la kariol. Il prit passage sur une de ces embarcations d\rquote \'e9corce de bouleau, qui font le service du lac Tinn. Une fois \'e0
+ Tinoset, au lieu de se porter vers le sud, c\rquote est-\'e0-dire du c\'f4t\'e9 de Bamble, il loua une seconde kariol et suivit les routes du Hardanger, afin de gagner le golfe de ce nom par le plus court. L\'e0, le }{\i Run, }{petit bateau \'e0
+ vapeur qui fait le service du golfe, lui permit de le redescendre jusqu\rquote \'e0 son extr\'e9mit\'e9 inf\'e9rieure. Enfin, apr\'e8s avoir travers\'e9 un lacis de fiords, entre les \'eelots et les \'eeles dont est sem\'e9 le littoral norv\'e9
+gien, le 2 juillet, d\'e8s l\rquote aube, il d\'e9barqua sur le quai de Bergen.
+\par
+\par Cette ancienne ville que baignent les deux fiords de Sogne et de Hardanger, est situ\'e9e dans une contr\'e9e superbe \'e0 laquelle ressemblera la Suisse, le jour o\'f9 un bras de mer artificiel aura amen\'e9 les eaux de la M\'e9diterran\'e9
+e au pied de ses montagnes. Une magnifique all\'e9e de fr\'eanes donne acc\'e8s aux premi\'e8res habitations de Bergen. Ses hautes maisons \'e0 pignons pointus resplendissent de blancheur, comme celles des villes arabes, et sont agglom\'e9r\'e9
+es dans ce triangle irr\'e9gulier qui renferme ses trente mille habitants. Ses \'e9glises datent du douzi\'e8me si\'e8cle. Sa haute cath\'e9drale la signale de loin aux navires qui viennent du large. C\rquote est la capitale de la Norv\'e8ge commer\'e7
+ante, bien qu\rquote elle soit plac\'e9e tr\'e8s en dehors des voies de communication, et fort \'e9loign\'e9e des deux autres villes qui, politiquement, tiennent le premier et le deuxi\'e8me rang dans le royaume \endash Christiania et Drontheim.
+\par
+\par En toute autre circonstance, le professeur e\'fbt pris go\'fbt \'e0 \'e9tudier ce chef-lieu de pr\'e9fecture, peut-\'eatre plus hollandais que norv\'e9gien par son aspect et ses m\'9curs. Cela faisait partie du programme de son voyage. Mais, depuis l
+\rquote aventure de la Maristien, depuis son arriv\'e9e \'e0 Dal, ce programme avait subi d\rquote importantes modifications. Sylvius Hog n\rquote \'e9tait plus maintenant le d\'e9put\'e9 touriste, qui voulait prendre un exact aper\'e7
+u du pays, au point de vue politique comme au point de vue commercial. C\rquote \'e9tait l\rquote h\'f4te de la maison Hansen, l\rquote oblig\'e9 de Jo\'ebl et de Hulda, dont les int\'e9r\'eats primaient tout. C\rquote \'e9tait le d\'e9
+biteur qui voulait, \'e0 n\rquote importe quel prix, payer sa dette de reconnaissance. \'ab\~Et, pensait-il, ce qu\rquote il allait tenter de faire pour eux, ce serait bien peu de chose\~!\~\'bb
+\par
+\par En arrivant \'e0 Bergen par le }{\i Run, }{Sylvius Hog prit terre au fond du port, sur le quai du march\'e9 au poisson. Aussit\'f4t, il se rendit dans le quartier de Tyske-Bodrone, o\'f9 demeurait Help junior, de la maison Help fr\'e8res.
+\par
+\par Naturellement, il pleuvait, puisque la pluie tombe \'e0 Bergen trois cent soixante jours par an. Mais, pour \'eatre clos et couvert, on e\'fbt difficilement trouv\'e9 une maison mieux am\'e9nag\'e9e que l\rquote hospitali\'e8
+re maison de Help junior. Quant \'e0 l\rquote accueil qu\rquote y re\'e7ut Sylvius Hog, nulle part il n\rquote aurait pu \'eatre plus chaud, plus cordial, plus d\'e9monstratif. Son ami s\rquote empara de sa personne comme d\rquote un colis pr\'e9cieux qu
+\rquote il prenait en consignation, qu\rquote il emmagasina avec soin, et qu\rquote il ne d\'e9livrerait plus que contre un re\'e7u en bonne et due forme.
+\par
+\par Imm\'e9diatement, Sylvius Hog fit conna\'eetre le but de son voyage \'e0 Help junior. Il lui parla du }{\i Viken. }{Il lui demanda si aucune nouvelle n\rquote en \'e9tait arriv\'e9e depuis sa derni\'e8re lettre. Les marins de l\rquote endroit le consid
+\'e9raient-ils comme perdu corps et biens\~? Ce naufrage, qui mettait en deuil plusieurs familles de Bergen, n\rquote avait-il pas amen\'e9 les autorit\'e9s maritimes \'e0 commencer des recherches\~?
+\par
+\par \endash \~Et comment le pourrait-on, r\'e9pondit Help junior, puisqu\rquote on ne sait quel est le lieu du naufrage\~?
+\par
+\par \endash \~Soit, mon cher Help, et c\rquote est pr\'e9cis\'e9ment parce qu\rquote on l\rquote ignore qu\rquote il faut chercher \'e0 le conna\'eetre.
+\par
+\par \endash \~\'c0 le conna\'eetre\~?
+\par
+\par \endash \~Oui\~! Si on ne sait rien de l\rquote endroit o\'f9 a sombr\'e9 le }{\i Viken, }{on sait, du moins, quel est l\rquote endroit o\'f9 le document a \'e9t\'e9 recueilli par le navire danois. Il y a l\'e0
+ donc un indice certain que nous serions coupables de n\'e9gliger.
+\par
+\par \endash \~Quel est cet endroit\~?
+\par
+\par \endash \~\'c9coutez-moi, mon cher Help\~! Sylvius Hog communiqua alors les nouveaux renseignements que lui avait fait parvenir en dernier lieu la Marine, et les pleins pouvoirs qu\rquote elle lui donnait pour les utiliser.
+\par
+\par La bouteille qui renfermait le billet de loterie de Ole Kamp avait \'e9t\'e9 trouv\'e9e, le 5 juin, par le brick-go\'e9lette }{\i Christian, }{capitaine Mosselman, d\rquote Elseneur, \'e0 deux cents milles dans le sud-ouest de l\rquote
+Islande, les vents soufflant du sud-est.
+\par
+\par Ce capitaine avait aussit\'f4t pris connaissance du document, comme il le devait, pour le cas o\'f9 un secours imm\'e9diat e\'fbt pu \'eatre port\'e9 aux survivants du }{\i Viken. }{Mais les lignes \'e9crites au dos du billet de loterie n\rquote
+indiquaient en aucune fa\'e7on le lieu du naufrage, et le }{\i Christian }{ne put se porter sur les parages de la catastrophe.
+\par
+\par C\rquote \'e9tait un honn\'eate homme, ce capitaine Mosselman. Peut-\'eatre un autre, peu scrupuleux, e\'fbt-il gard\'e9 le billet pour son compte. Lui n\rquote eut plus qu\rquote une pens\'e9e\~: c\rquote \'e9tait de faire parvenir le billet \'e0 so
+n adresse, d\'e8s qu\rquote il serait rentr\'e9 au port. \'ab\~Hulda Hansen, de Dal\~\'bb, cela suffisait. Il n\rquote \'e9tait pas n\'e9cessaire d\rquote en savoir davantage.
+\par
+\par Cependant, une fois arriv\'e9 \'e0 Copenhague, le capitaine Mosselman se dit qu\rquote il ferait mieux de remettre le document aux autorit\'e9s danoises au lieu de l\rquote envoyer directement \'e0 la destinataire. C\rquote \'e9tait plus s\'fbr et plus r
+\'e9gulier. C\rquote est donc ce qu\rquote il fit, et la Marine de Copenhague avisa aussit\'f4t la Marine de Christiania.
+\par
+\par \'c0 cette \'e9poque, on avait d\'e9j\'e0 re\'e7u les premi\'e8res lettres de Sylvius Hog qui demandait des renseignements pr\'e9cis sur le }{\i Viken. }{L\rquote int\'e9r\'eat tout sp\'e9cial qu\rquote il portait \'e0 la famille Hansen \'e9
+tait connu. Sylvius Hog devait rester \'e0 Dal quelque temps encore, on le savait, et ce fut l\'e0 que le document, recueilli par le capitaine danois, lui fut adress\'e9, afin qu\rquote il le rem\'eet entre les mains de Hulda Hansen.
+\par
+\par Depuis lors, cette histoire n\rquote avait cess\'e9 de passionner l\rquote opinion publique, on ne l\rquote a point oubli\'e9, gr\'e2ce aux d\'e9tails touchants que fournirent les journaux des deux mondes.
+\par
+\par Voil\'e0 ce que Sylvius Hog apprit sommairement \'e0 son ami Help junior, qui l\rquote \'e9coutait avec le plus vif int\'e9r\'eat, sans l\rquote interrompre, et il termina son r\'e9cit en disant\~:
+\par
+\par \endash \~Il y a donc un point qui ne peut \'eatre mis en doute\~: c\rquote est que, le 5 juin dernier, le document a \'e9t\'e9 trouv\'e9 \'e0 deux cents milles dans le sud-ouest de l\rquote Islande, un mois environ apr\'e8s le d\'e9part du }{\i Viken }{
+de Saint-Pierre-Miquelon pour l\rquote Europe.
+\par
+\par \endash \~Et vous ne savez rien de plus\~?
+\par
+\par \endash \~Non, mon cher Help\~: mais, en consultant les marins les plus exp\'e9riment\'e9s de Bergen, ceux qui sont ou ont \'e9t\'e9 pratiques de ces parages, qui connaissent la direction g\'e9n\'e9rale des vents et surtout des courants, ne pourrait-on r
+\'e9tablir la route suivie par la bouteille\~? Puis, en tenant compte approximativement de sa vitesse et du temps \'e9coul\'e9 jusqu\rquote au moment o\'f9 elle a \'e9t\'e9 recueillie, est-il impossible d\rquote imaginer en quel endroit elle a d\'fb \'ea
+tre jet\'e9e par Ole Kamp, c\rquote est-\'e0-dire quel est le lieu du naufrage\~?
+\par
+\par Help junior secouait la t\'eate d\rquote un air peu approbatif. Faire reposer toute une tentative de recherches sur de si vagues indications, auxquelles pouvaient se m\'ealer tant de causes d\rquote erreur, ne serait-ce pas courir \'e0 l\rquote insucc\'e8
+s\~? L\rquote armateur, esprit froid et pratique, crut devoir le faire observer \'e0 Sylvius Hog.
+\par
+\par \endash \~Soit, ami Help\~! Mais, de ce qu\rquote on ne pourra obtenir que des donn\'e9es tr\'e8s incertaines, ce n\rquote est pas une raison pour abandonner la partie. Je tiens \'e0 ce que tout soit tent\'e9
+ en faveur de ces pauvres gens, auxquels je suis redevable de la vie. Oui, s\rquote il le fallait, je n\rquote h\'e9siterais pas \'e0 sacrifier tout ce que je poss\'e8de pour retrouver Ole Kamp et le ramener \'e0 sa fianc\'e9e Hulda Hansen\~!
+\par
+\par Et Sylvius Hog raconta par le d\'e9tail son aventure du Rjukanfos. Il dit de quelle fa\'e7on cet intr\'e9pide Jo\'ebl et sa s\'9cur avaient risqu\'e9 leur vie pour lui venir en aide, et comment, sans leur intervention, il n\rquote aurait pas aujourd
+\rquote hui le plaisir d\rquote \'eatre l\rquote h\'f4te de son ami Help.
+\par
+\par L\rquote ami Help, on l\rquote a dit, \'e9tait un esprit peu enclin \'e0 se payer d\rquote illusions\~; mais il n\rquote \'e9tait point oppos\'e9 \'e0 ce que l\rquote on tent\'e2t m\'eame l\rquote inutile, m\'eame l\rquote impossible, quand il s\rquote
+agissait d\rquote une question d\rquote humanit\'e9. Il approuva donc finalement ce que voulait tenter Sylvius Hog.
+\par
+\par \endash \~Sylvius, r\'e9pondit-il, je vous seconderai de tout mon pouvoir. Oui\~! Vous avez raison\~! N\rquote y e\'fbt-il qu\rquote une faible chance de retrouver quelque survivant du }{\i Viken, }{et, entre autres, ce brave Ole dont la fianc\'e9
+e vous a sauv\'e9 la vie, il ne faut pas la n\'e9gliger\~!
+\par
+\par \endash \~Non, Help, non, r\'e9pondit le professeur, cette chance ne f\'fbt-elle que d\rquote une sur cent mille\~!
+\par
+\par \endash \~Aujourd\rquote hui m\'eame, Sylvius, je r\'e9unirai dans mon cabinet les meilleurs marins de Bergen. Je ferai appel \'e0 tous ceux qui ont navigu\'e9 ou naviguent habituellement dans les parages de l\rquote
+Islande et de Terre-Neuve. Nous verrons ce qu\rquote ils conseilleront de faire\'85
+\par
+\par \endash \~Et ce qu\rquote ils conseilleront de faire, nous le ferons\~! r\'e9pondit Sylvius Hog avec son ardeur si communicative. J\rquote ai l\rquote appui du gouvernement. Je suis autoris\'e9 \'e0 faire concourir un de ses avisos \'e0 la recherche du }{
+\i Viken, }{et je compte bien que personne n\rquote h\'e9sitera, quand il s\rquote agira de s\rquote adjoindre \'e0 une pareille \'9cuvre\~!
+\par
+\par \endash \~Je vais au bureau de la Marine, dit Help junior.
+\par
+\par \endash \~Voulez-vous que je vous accompagne\~?
+\par
+\par \endash \~C\rquote est inutile\~! Vous devez \'eatre fatigu\'e9\'85
+\par
+\par \endash \~Fatigu\'e9\~!\'85 moi\~!\'85 \'e0 mon \'e2ge\~!\'85
+\par
+\par \endash \~N\rquote importe. Reposez-vous, mon cher et toujours jeune Sylvius, en m\rquote attendant ici\~!
+\par
+\par Le jour m\'eame, il y eut une r\'e9union de capitaines marchands, de marins de la grande p\'eache et de pilotes dans la maison de Help fr\'e8res. L\'e0 se trouvaient nombre de gens de mer qui naviguaient encore, et quelques-uns, plus \'e2g\'e9
+s, maintenant \'e0 la retraite.
+\par
+\par Tout d\rquote abord, Sylvius Hog les mit au courant de la situation. Il leur apprit \'e0 quelle date \endash 3 mai \endash le document avait \'e9t\'e9 jet\'e9 \'e0 la mer par Ole Kamp, \'e0 quelle date \endash 5 juin \endash le capitaine danois l
+\rquote avait recueilli, et dans quels parages, soit deux cents milles au sud-ouest de l\rquote Islande.
+\par
+\par La discussion fut assez longue et tr\'e8s s\'e9rieuse. Il n\rquote y avait pas un de ces braves gens qui ne conn\'fbt quelle \'e9tait, sur les parages de l\rquote Islande et des mers de Terre-Neuve, la direction g\'e9n\'e9
+rale des courants dont il fallait tenir compte pour le probl\'e8me \'e0 r\'e9soudre.
+\par
+\par Or, il \'e9tait constant qu\rquote \'e0 l\rquote \'e9poque du naufrage, pendant l\rquote intervalle de temps compris entre le d\'e9part du }{\i Viken }{de Saint-Pierre-Miquelon et le rep\'eachage de la bouteille par le navire danois, d\rquote
+interminables coups de vent de sud-est avaient boulevers\'e9 cette portion de l\rquote Atlantique. C\rquote est \'e0 ces temp\'eates, sans doute, qu\rquote il fallait attribuer la catastrophe.
+\par
+\par Tr\'e8s probablement, le }{\i Viken, }{ne pouvant plus tenir la cape, avait d\'fb fuir vent arri\'e8re. Or, c\rquote est pr\'e9cis\'e9ment pendant cette p\'e9riode de l\rquote \'e9quinoxe que les glaces polaires commencent \'e0 d\'e9river sur l\rquote
+Atlantique. Il \'e9tait possible qu\rquote une collision se f\'fbt produite, et que le }{\i Viken }{e\'fbt \'e9t\'e9 bris\'e9 contre un de ces \'e9cueils mouvants qu\rquote il est si difficile d\rquote \'e9viter.
+\par
+\par Donc, en admettant cette explication, pourquoi l\rquote \'e9quipage, en tout ou partie, ne se serait-il pas r\'e9fugi\'e9 sur l\rquote un de ces icefields, apr\'e8s y avoir d\'e9pos\'e9 une certaine quantit\'e9 de vivres\~? Si cela \'e9
+tait, le banc de glace ayant d\'fb \'eatre repouss\'e9 dans le nord-ouest, il n\rquote \'e9tait pas impossible que les survivants eussent pu finalement atterrir en un point quelconque de la c\'f4te gro\'ebnlandaise. C\rquote \'e9
+tait donc dans cette direction et dans ces parages que les recherches devraient \'eatre tent\'e9es.
+\par
+\par Telle fut la r\'e9ponse faite, \'e0 l\rquote unanimit\'e9, dans cette r\'e9union de marins, aux diverses questions pos\'e9es par Sylvius Hog. Nul doute qu\rquote il ne fall\'fbt proc\'e9der de la mani\'e8re indiqu\'e9e. Mais que retrouver si ce ne s
+ont des d\'e9bris, au cas o\'f9 le }{\i Viken }{aurait abord\'e9 quelque \'e9norme iceberg\~? Devait-on compter sur le rapatriement des survivants du naufrage\~? Chose plus que douteuse. Le professeur, \'e0
+ cette demande directe, vit bien que les plus comp\'e9tents ne pouvaient ou ne voulaient rien r\'e9pondre. Ce n\rquote \'e9tait pas une raison pour ne point agir \endash l\'e0-dessus, ils \'e9taient tous d\rquote accord \endash
+ et cela dans le plus bref d\'e9lai.
+\par
+\par Bergen compte habituellement quelques-uns des navires appartenant \'e0 la flottille norv\'e9gienne de l\rquote \'c9tat. \'c0 ce port est attach\'e9 un des trois avisos qui font le service de la c\'f4te occidentale, en s\rquote arr\'ea
+tant aux escales de Drontheim, du Finmark, d\rquote Hammerfest et du cap Nord. En ce moment, un de ces avisos \'e9tait mouill\'e9 dans la baie.
+\par
+\par Apr\'e8s avoir r\'e9dig\'e9 une note qui r\'e9sumait l\rquote opinion des marins r\'e9unis chez Help junior, Sylvius Hog se rendit aussit\'f4t \'e0 bord de l\rquote aviso }{\i Telegraf. }{L\'e0, il fit conna\'eetre au commandant la mission sp\'e9
+ciale dont le gouvernement l\rquote avait charg\'e9.
+\par
+\par Le commandant re\'e7ut le professeur avec empressement et se d\'e9clara pr\'eat \'e0 lui donner tout son concours. Il avait d\'e9j\'e0 fait la navigation de ces parages pendant les longues et p\'e9rilleuses campagnes qui entra\'eenent les p\'ea
+cheurs de Bergen, des \'eeles Loffoden et du Finmark, jusqu\rquote aux p\'eacheries de l\rquote Islande et de Terre-Neuve. Il pourrait donc apporter ses connaissances personnelles \'e0 l\rquote \'9cuvre d\rquote humanit\'e9 qui allait \'ea
+tre entreprise, et il promettait de s\rquote y donner tout entier.
+\par
+\par Quant \'e0 la note que lui remit Sylvius Hog \endash note indiquant le lieu pr\'e9sum\'e9 du naufrage \endash il en approuva absolument les conclusions. C\rquote \'e9tait dans cette portion de mer comprise entre l\rquote Islande et le Gro\'ebnland qu
+\rquote il fallait rechercher les survivants, ou tout au moins quelque \'e9pave du }{\i Viken. }{Si le commandant ne r\'e9ussissait pas, il irait explorer les parages voisins et peut-\'eatre la mer de Baffin sur sa c\'f4te orientale.
+\par
+\par \endash \~Je suis pr\'eat \'e0 partir, monsieur Hog, ajouta-t-il. Mon charbon et mes vivres sont faits, mon \'e9quipage est \'e0 bord, et je puis appareiller aujourd\rquote hui m\'eame.
+\par
+\par \endash \~Je vous remercie, commandant, r\'e9pondit le professeur, et je suis tr\'e8s touch\'e9 de l\rquote accueil que vous m\rquote avez fait. Mais encore une question\~
+: pouvez-vous me dire combien de temps il vous faudra pour atteindre les parages du Gro\'ebnland\~?
+\par
+\par \endash \~Mon aviso peut faire onze n\'9cuds \'e0 l\rquote heure. Or, comme la distance de Bergen au Gro\'ebnland n\rquote est que de vingt degr\'e9s environ, je compte arriver en moins de huit jours.
+\par
+\par \endash \~Faites donc toute la diligence possible, commandant, r\'e9pondit Sylvius Hog. Si quelques naufrag\'e9s ont pu \'e9chapper \'e0 la catastrophe, voil\'e0 d\'e9j\'e0 deux mois qu\rquote ils sont dans le d\'e9
+nuement, sans doute, mourant de faim sur quelque c\'f4te d\'e9serte\'85
+\par
+\par \endash \~Il n\rquote y a pas une heure \'e0 perdre, monsieur Hog. Aujourd\rquote hui m\'eame je prendrai la mer avec le jusant, je me tiendrai \'e0 mon maximum de vitesse, et, aussit\'f4t que j\rquote aurai trouv\'e9 un indice quelconque, j\rquote
+en informerai la marine de Christiania par le fil de Terre-Neuve.
+\par
+\par \endash \~Partez donc, commandant, r\'e9pondit Sylvius Hog, et puissiez-vous r\'e9ussir\~!
+\par
+\par Le jour m\'eame, le }{\i Telegraf }{appareillait, salu\'e9 par les sympathiques hurrahs de toute la population de Bergen. Et ce ne fut pas sans une vive \'e9motion qu\rquote on le vit contourner les passes, puis dispara\'eetre derri\'e8re les derniers
+\'eelots du fiord.
+\par
+\par Cependant Sylvius Hog ne borna pas ses efforts \'e0 cette exp\'e9dition, dont il venait de charger l\rquote aviso }{\i Telegraf. }{Dans sa pens\'e9e, on pouvait faire plus encore en multipliant les moyens de retrouver quelque trace du }{\i Viken. }{N
+\rquote \'e9tait-il pas possible d\rquote exciter l\rquote \'e9mulation des navires de commerce et de p\'eache, jo\'ebgts ou autres, \'e0 donner leur concours aux recherches, pendant qu\rquote ils naviguaient dans les mers des Fero\'eb et de l\rquote
+Islande\~? Oui, sans doute\~! Aussi une prime de deux mille marks fut-elle promise, au nom de l\rquote \'c9tat, \'e0 tout b\'e2timent qui fournirait un indice relatif au navire perdu, et de cinq mille \'e0
+ quiconque rapatrierait un des survivants du naufrage.
+\par
+\par Voil\'e0 donc, pendant les deux jours qu\rquote il passa \'e0 Bergen, comment Sylvius Hog fit tout ce qu\rquote il \'e9tait possible de faire pour assurer le succ\'e8s de cette campagne. Il fut, en cela, parfaitement second\'e9
+ par son ami Help junior et les autorit\'e9s maritimes. M.\~Help e\'fbt d\'e9sir\'e9 le garder pr\'e8s de lui pendant quelque temps encore. Sylvius Hog le remercia et refusa de prolonger son s\'e9jour. Il lui tardait d\rquote avoir rejoint Hulda et Jo\'eb
+l, qu\rquote il craignait de laisser trop longtemps livr\'e9s \'e0 eux-m\'eames. Mais Help junior convint avec lui que, si quelque nouvelle arrivait, elle lui serait aussit\'f4t transmise \'e0 Dal. \'c0 lui seul appartenait le soin d\rquote
+en instruire la famille Hansen.
+\par
+\par Le 4, d\'e8s le matin, Sylvius Hog, apr\'e8s avoir pris cong\'e9 de son ami Help junior, se rembarqua sur le }{\i Run }{pour traverser le fiord du Hardanger, et, \'e0 moins de retards improbables, il comptait \'eatre de retour au Telemark dans la soir\'e9
+e du 5.
+\par
+\par }\pard\plain \s1\qc\sb600\sa480\keepn\pagebb\nowidctlpar\widctlpar\outlinelevel0\adjustright \b\f40\fs38\lang1036\cgrid {{\*\bkmkstart _Toc97124744}XIV{\*\bkmkend _Toc97124744}\line
+\par }\pard\plain \qj\fi680\nowidctlpar\widctlpar\adjustright \f40\fs32\lang1036\cgrid {Le jour m\'eame o\'f9 Sylvius Hog avait quitt\'e9 Bergen, une sc\'e8ne grave s\rquote \'e9tait pass\'e9e dans l\rquote auberge de Dal.
+\par
+\par Apr\'e8s le d\'e9part du professeur, on e\'fbt dit que le bon g\'e9nie de Hulda et de Jo\'ebl avait emport\'e9, avec son dernier espoir, toute la vie de cette famille. C\rquote \'e9tait comme une maison morte que Sylvius Hog laissait derri\'e8re lui.
+
+\par
+\par Pendant ces deux jours, d\rquote ailleurs, aucun touriste ne vint \'e0 Dal. Jo\'ebl n\rquote eut donc point l\rquote occasion de s\rquote absenter, et il put rester pr\'e8s de Hulda qu\rquote il e\'fbt \'e9t\'e9 tr\'e8s anxieux de laisser seule.
+\par
+\par En effet, dame Hansen \'e9tait de plus en plus domin\'e9e par ses secr\'e8tes inqui\'e9tudes. Elle semblait s\rquote \'eatre d\'e9tach\'e9e de tout ce qui touchait ses enfants, m\'eame de la perte du }{\i Viken. }{Elle vivait \'e0 l\rquote \'e9cart, retir
+\'e9e dans sa chambre, ne se montrant qu\rquote aux heures des repas. Mais, quand elle adressait la parole \'e0 Hulda ou \'e0 Jo\'ebl, c\rquote \'e9
+tait toujours pour leur faire des reproches directs ou indirects au sujet du billet de loterie, dont ils ne voulaient \'e0 aucun prix se d\'e9faire.
+\par
+\par C\rquote est que les offres n\rquote avaient cess\'e9 de se produire. Il en arrivait de tous les coins du monde. C\rquote \'e9tait comme une folie qui s\rquote \'e9tait empar\'e9e de certains cerveaux. Non\~! Il n\rquote \'e9tait pas possible qu\rquote
+un pareil billet ne f\'fbt pas pr\'e9destin\'e9 \'e0 gagner le lot de cent mille marks. Il semblait qu\rquote il n\rquote y e\'fbt qu\rquote un seul num\'e9ro dans cette loterie, et ce num\'e9ro, c\rquote \'e9tait le 9672\~! En somme, l\rquote
+Anglais de Manchester et l\rquote Am\'e9ricain de Boston tenaient toujours la corde. L\rquote Anglais en \'e9tait arriv\'e9 \'e0 distancer son rival de quelques livres. Mais, \'e0 son tour il fut bient\'f4t d\'e9pass\'e9
+ de plusieurs centaines de dollars. La derni\'e8re surench\'e8re \'e9tait de huit mille marks \endash ce qui ne pouvait s\rquote expliquer que par une v\'e9ritable monomanie, \'e0 moins qu\rquote il ne s\rquote ag\'eet l\'e0 d\rquote une question d
+\rquote amour-propre entre l\rquote Am\'e9rique et la Grande-Bretagne.
+\par
+\par Quoi qu\rquote il en soit, Hulda r\'e9pondait n\'e9gativement \'e0 toutes ces propositions, si avantageuses qu\rquote elles fussent \endash ce qui finit par provoquer les plus am\'e8res r\'e9criminations de dame Hansen.
+\par
+\par \endash \~Et si je t\rquote ordonnais de c\'e9der ce billet\~! dit-elle un jour \'e0 sa fille. Oui\~! si je te l\rquote ordonnais\~!
+\par
+\par \endash \~Ma m\'e8re, je serais d\'e9sesp\'e9r\'e9e, mais il me faudrait vous r\'e9pondre par un refus\~!
+\par
+\par \endash \~Et s\rquote il le fallait, cependant\~!
+\par
+\par \endash \~Pourquoi le faudrait-il\~? demanda Jo\'ebl. Dame Hansen ne r\'e9pliqua rien. Elle \'e9tait devenue toute p\'e2le devant cette question nettement pos\'e9e, et elle se retira en murmurant d\rquote inintelligibles paroles.
+\par
+\par \endash \~Il y a quelque chose de grave, et ce doit \'eatre une affaire entre notre m\'e8re et Sandgo\'efst\~! dit Jo\'ebl.
+\par
+\par \endash \~Oui, mon fr\'e8re. Il faut s\rquote attendre \'e0 de f\'e2cheuses complications pour l\rquote avenir\~!
+\par
+\par \endash \~Ma pauvre Hulda, ne sommes-nous donc pas assez \'e9prouv\'e9s depuis quelques semaines, et quelle catastrophe nous menace encore\~?
+\par
+\par \endash \~Ah\~! combien monsieur Sylvius tarde \'e0 revenir\~! dit Hulda. Quand il est ici, je me sens moins d\'e9sesp\'e9r\'e9e\'85
+\par
+\par \endash \~Et, pourtant, que pourrait-il pour nous\~? r\'e9pondit Jo\'ebl. Mais qu\rquote y avait-il donc dans le pass\'e9 de dame Hansen qu\rquote elle ne voul\'fbt pas confier \'e0 ses enfants\~? Quel amour-propre mal entendu l\rquote emp\'ea
+chait de leur dire le motif de ses inqui\'e9tudes\~? Avait-elle quelque reproche \'e0 se faire\~? Et, d\rquote autre part, pourquoi cette pression qu\rquote elle voulait exercer sur sa fille, \'e0 propos du billet de Ole Kamp et de la valeur qu\rquote
+il avait atteinte\~? D\rquote o\'f9 venait qu\rquote elle se montrait si avide d\rquote en toucher le prix en argent\~? Hulda et Jo\'ebl allaient enfin l\rquote apprendre.
+\par
+\par Le 4 juillet, dans la matin\'e9e, Jo\'ebl avait conduit sa s\'9cur \'e0 la petite chapelle o\'f9 Hulda allait prier chaque jour pour le naufrag\'e9.
+\par
+\par Il l\rquote attendait alors et la ramenait \'e0 la maison.
+\par
+\par Ce jour-l\'e0, en revenant, tous deux aper\'e7urent de loin, sous les arbres, dame Hansen qui marchait rapidement et se dirigeait vers l\rquote auberge.
+\par
+\par Elle n\rquote \'e9tait pas seule. Un homme l\rquote accompagnait, un homme qui devait parler \'e0 voix haute, et dont les gestes semblaient \'eatre imp\'e9rieux.
+\par
+\par Hulda et son fr\'e8re s\rquote \'e9taient soudain arr\'eat\'e9s.
+\par
+\par \endash \~Quel est cet homme\~? dit Jo\'ebl. Hulda fit quelques pas en avant.
+\par
+\par \endash \~Je le reconnais, dit-elle.
+\par
+\par \endash \~Tu le reconnais\~?
+\par
+\par \endash \~Oui\~! C\rquote est Sandgo\'efst\~!
+\par
+\par \endash \~Sandgo\'efst, de Drammen, qui est d\'e9j\'e0 venu \'e0 la maison pendant mon absence\~?\'85
+\par
+\par \endash \~Oui\~!
+\par
+\par \endash \~Et qui agissait en ma\'eetre, comme s\rquote il avait eu des droits\'85 sur notre m\'e8re\'85 sur nous, peut-\'eatre\~?\'85
+\par
+\par \endash \~Lui-m\'eame, fr\'e8re, et, ces droits, il vient sans doute pour les exercer aujourd\rquote hui\'85
+\par
+\par \endash \~Quels droits\~?\'85 Ah\~!\'85 cette fois je saurai ce que cet homme a la pr\'e9tention de faire ici\~!
+\par
+\par Jo\'ebl se contint, non sans peine, et, suivi de sa s\'9cur, il alla se mettre un peu \'e0 l\rquote \'e9cart.
+\par
+\par Quelques minutes apr\'e8s, dame Hansen et Sandgo\'efst arrivaient \'e0 la porte de l\rquote auberge. Sandgo\'efst en franchissait le seuil \endash le premier. La porte se refermait sur dame Hansen et sur lui, et tous deux s\rquote
+installaient dans la grande salle.
+\par
+\par Jo\'ebl et Hulda se rapproch\'e8rent de la maison, o\'f9 la voix grondante de Sandgo\'efst se faisait entendre. Ils s\rquote arr\'eat\'e8rent, ils \'e9cout\'e8rent. Dame Hansen parlait alors, mais en suppliante.
+\par
+\par \endash \~Entrons\~! dit Jo\'ebl. Et tous deux, Hulda, le c\'9cur oppress\'e9, Jo\'ebl, fr\'e9missant d\rquote impatience, de col\'e8re aussi, entr\'e8rent dans la grande salle, dont la porte fut soigneusement referm\'e9e. Sandgo\'efst \'e9
+tait assis dans le grand fauteuil. Il ne se d\'e9rangea m\'eame pas en apercevant le fr\'e8re et la s\'9cur. Il se contenta de tourner la t\'eate et de les regarder par-dessus ses lunettes.
+\par
+\par \endash \~Ah\~! voici la charmante Hulda, si je ne me trompe\~! dit-il d\rquote un ton qui d\'e9plut \'e0 Jo\'ebl.
+\par
+\par Dame Hansen \'e9tait debout devant cet homme, dans une humble et craintive attitude. Mais elle se redressa soudain et parut tr\'e8s contrari\'e9e \'e0 la vue de ses enfants.
+\par
+\par \endash \~Et voil\'e0 son fr\'e8re, sans doute\~? ajouta Sandgo\'efst.
+\par
+\par \endash \~Oui, son fr\'e8re, r\'e9pondit Jo\'ebl. Puis, s\rquote avan\'e7ant et s\rquote arr\'eatant \'e0 deux pas du fauteuil\~:
+\par
+\par \endash \~Qu\rquote y a-t-il pour votre service\~? demanda-t-il.
+\par
+\par Sandgo\'efst lui jeta un mauvais regard, et, de sa voix dure et m\'e9chante, sans se lever\~:
+\par
+\par \endash \~Nous allons vous l\rquote apprendre, jeune homme\~! dit-il. En v\'e9rit\'e9, vous arrivez \'e0 propos\~! J\rquote avais h\'e2te de vous voir, et, si votre s\'9cur est raisonnable, nous finirons par nous entendre\~!
+\par
+\par \endash \~Mais asseyez-vous donc, vous aussi, jeune fille\~!
+\par
+\par Sandgo\'efst les invitait \'e0 s\rquote asseoir, comme s\rquote il e\'fbt \'e9t\'e9 chez lui. Jo\'ebl le lui fit observer.
+\par
+\par \endash \~Ah\~! ah\~! Cela vous blesse\~! Diable, voil\'e0 un gars qui n\rquote a pas l\rquote air commode\~!
+\par
+\par \endash \~Pas commode, comme vous dites, r\'e9pliqua Jo\'ebl, et qui n\rquote accepte les politesses que de ceux qui ont le droit de les lui faire\~!
+\par
+\par \endash \~Jo\'ebl\~! dit dame Hansen.
+\par
+\par \endash \~Fr\'e8re\~!\'85 fr\'e8re\~! ajouta Hulda, dont le regard suppliait Jo\'ebl de se contenir.
+\par
+\par Celui-ci fit un violent effort pour se ma\'eetriser, et, afin de ne point c\'e9der \'e0 l\rquote envie de jeter \'e0 la porte ce grossier personnage, il se retira dans un coin de la salle.
+\par
+\par \endash \~Puis-je parler, maintenant\~? demanda Sandgo\'efst.
+\par
+\par Un signe affirmatif de dame Hansen, ce fut tout ce qu\rquote il obtint. Mais, para\'eet-il, cela suffisait.
+\par
+\par \endash \~Voici ce dont il s\rquote agit, dit-il, et je vous prie de bien \'e9couter tous trois, car je n\rquote aime pas \'e0 revenir sur mes paroles\~!
+\par
+\par Il s\rquote exprimait, cela ne se voyait que trop, en homme qui se croyait le droit d\rquote imposer sa volont\'e9,
+\par
+\par \endash \~J\rquote ai appris par les journaux, reprit-il, l\rquote aventure d\rquote un certain Ole Kamp, un jeune marin de Bergen, et d\rquote un billet de loterie qu\rquote il a envoy\'e9 \'e0 sa fianc\'e9e Hulda, au moment o\'f9 son navire le }{\i
+Viken }{allait faire naufrage, J\rquote ai appris \'e9galement que, dans le public, on regardait ce billet comme un billet surnaturel, \'e0 raison des circonstances dans lesquelles il avait \'e9t\'e9 retrouv\'e9, J\rquote ai appris, en outre, qu\rquote
+on lui attribuait une valeur sp\'e9ciale dans les chances du tirage, Enfin, j\rquote ai appris que des offres de rachat avaient \'e9t\'e9 faites \'e0 Hulda Hansen, et m\'eame \'e0 des prix consid\'e9rables,
+\par
+\par Il se tut un instant, Puis\~:
+\par
+\par \endash \~Est-ce vrai\~? dit-il, La r\'e9ponse \'e0 cette derni\'e8re question se fit attendre.
+\par
+\par \endash \~Oui\~!\'85 C\rquote est vrai, dit Jo\'ebl. Apr\'e8s\~?
+\par
+\par \endash \~Apr\'e8s\~? reprit Sandgo\'efst. Voici\~: que toutes ces offres reposent sur une superstition absurde, c\rquote est bien mon avis. Mais enfin, elles ne s\rquote en sont pas moins produites et s\rquote accro\'eetront encore, je le suppose, \'e0
+ mesure que le jour du tirage approchera, Or, je suis un commer\'e7ant, moi. J\rquote estime qu\rquote il y a l\'e0 une affaire qu\rquote il me conviendrait de prendre \'e0 mon compte. C\rquote est pourquoi, hier, j\rquote ai quitt\'e9 Drammen pour venir
+\'e0 Dal, afin de traiter de la cession de ce billet et prier dame Hansen de me donner la pr\'e9f\'e9rence sur tous autres acqu\'e9reurs,
+\par
+\par Hulda, dans un premier mouvement, allait r\'e9pondre \'e0 Sandgo\'efst comme elle l\rquote avait fait \'e0 toutes demandes de ce genre, bien qu\rquote il ne se f\'fbt point adress\'e9 directement \'e0 elle, lorsque Jo\'ebl l\rquote arr\'eata.
+\par
+\par \endash \~Avant de r\'e9pondre \'e0 monsieur Sandgo\'efst, dit-il, je lui demanderai s\rquote il sait \'e0 qui appartient ce billet.
+\par
+\par \endash \~Mais \'e0 Hulda Hansen, j\rquote imagine\~!
+\par
+\par \endash \~Eh bien, c\rquote est \'e0 Hulda Hansen qu\rquote il faut demander si elle est dispos\'e9e \'e0 s\rquote en d\'e9faire\~!
+\par
+\par \endash \~Mon fils\~!\'85 dit dame Hansen.
+\par
+\par \endash \~Laissez-moi achever, ma m\'e8re, reprit Jo\'ebl. Ce billet n\rquote appartenait-il pas l\'e9gitimement \'e0 notre cousin Ole Kamp, et Ole Kamp n\rquote avait-il pas le droit de le l\'e9guer \'e0 sa fianc\'e9e\~?
+\par
+\par \endash \~Incontestablement, r\'e9pondit Sandgo\'efst.
+\par
+\par \endash \~C\rquote est donc \'e0 Hulda Hansen qu\rquote il faut s\rquote adresser pour l\rquote avoir.
+\par
+\par \endash \~Soit, monsieur le formaliste, r\'e9pondit Sandgo\'efst. Je demande donc \'e0 Hulda de me c\'e9der ce billet, portant le num\'e9ro 9672, qui lui vient de Ole Kamp.
+\par
+\par \endash \~Monsieur Sandgo\'efst, r\'e9pondit la jeune fille d\rquote une voix ferme, bien des propositions m\rquote ont \'e9t\'e9 faites au sujet de ce billet, mais inutilement. Aussi je vous r\'e9pondrai comme j\rquote ai r\'e9pondu jusqu\rquote
+ici. Si mon fianc\'e9 m\rquote a adress\'e9 ce billet avec son dernier adieu, c\rquote est parce qu\rquote il a voulu que je le garde, non que je le vende. Je ne puis donc m\rquote en dessaisir \'e0 aucun prix.
+\par
+\par Cela dit, Hulda se disposait \'e0 se retirer, consid\'e9rant que l\rquote entretien, en ce qui la regardait, devait \'eatre termin\'e9 par son refus. Sur un geste de sa m\'e8re, elle s\rquote arr\'eata.
+\par
+\par Un mouvement de d\'e9pit \'e9tait \'e9chapp\'e9 \'e0 dame Hansen, et Sandgo\'efst, par le plissement de son front, l\rquote \'e9clair de ses yeux, montrait que la col\'e8re commen\'e7ait \'e0 s\rquote emparer de lui.
+\par
+\par \endash \~Oui\~! Restez, Hulda, dit-il. Ce n\rquote est pas votre dernier mot, et, si j\rquote insiste, c\rquote est que j\rquote ai le droit d\rquote insister. Je pense, d\rquote ailleurs, que je me suis mal expliqu\'e9, ou, plut\'f4t, vous m\rquote
+aurez mal compris. Il est certain que les chances de ce billet ne se sont point accrues parce que la main d\rquote un naufrag\'e9 l\rquote a enferm\'e9 dans une bouteille et qu\rquote il a \'e9t\'e9 fort \'e0 propos recueilli. Mais il n\rquote y a pas
+\'e0 raisonner avec l\rquote engouement du public. Nul doute que beaucoup de gens d\'e9sirent en devenir possesseurs. Ils ont d\'e9j\'e0 offert de l\rquote acheter, ils l\rquote offriront encore. Je le r\'e9p\'e8te, cela se pr\'e9
+sente comme une affaire, et c\rquote est une affaire que je viens vous proposer.
+\par
+\par \endash \~Vous aurez quelque peine \'e0 vous entendre avec ma s\'9cur, monsieur, r\'e9pondit ironiquement Jo\'ebl. Quand vous lui parlez affaire, elle vous r\'e9pond sentiment\~!
+\par
+\par \endash \~Des mots, tout cela, jeune homme\~! r\'e9pondit Sandgo\'efst, et, quand mon explication sera termin\'e9e, vous verrez que, si c\rquote est une affaire avantageuse pour moi, elle l\rquote est aussi pour elle. J\rquote ajoute qu\rquote
+elle le sera \'e9galement pour sa m\'e8re, dame Hansen, qui s\rquote y trouve directement int\'e9ress\'e9e.
+\par
+\par Jo\'ebl et Hulda se regardaient. Allaient-ils apprendre ce que dame Hansen leur avait cach\'e9 jusqu\rquote alors\~?
+\par
+\par \endash \~Je reprends, dit Sandgo\'efst. Je n\rquote ai pas pr\'e9tendu que ce billet me f\'fbt c\'e9d\'e9 pour le prix qu\rquote il a co\'fbt\'e9 \'e0 Ole Kamp. Non\~!\'85 \'c0 tort ou \'e0 raison, il a acquis une certaine valeur marchande. Aussi, j
+\rquote entends faire un sacrifice pour en devenir possesseur.
+\par
+\par \endash \~On vous dit, r\'e9pliqua Jo\'ebl, que Hulda a d\'e9j\'e0 repouss\'e9 des propositions sup\'e9rieures \'e0 tout ce que vous pourriez offrir\'85
+\par
+\par \endash \~Vraiment\~! s\rquote \'e9cria Sandgo\'efst. Des propositions sup\'e9rieures\~! Et qu\rquote en savez-vous\~?
+\par
+\par \endash \~D\rquote ailleurs, quelles qu\rquote elles soient, ma s\'9cur les refuse, et j\rquote approuve son refus\~!
+\par
+\par \endash \~Ah\~! \'e7\'e0, ai-je affaire \'e0 Jo\'ebl ou \'e0 Hulda Hansen\~?
+\par
+\par \endash \~Ma s\'9cur et moi, nous ne faisons qu\rquote un, r\'e9pondit Jo\'ebl. Apprenez-le, monsieur, puisque vous semblez ne pas le savoir\~!
+\par
+\par Sandgo\'efst, sans se d\'e9concerter, haussa les \'e9paules. Puis, en homme s\'fbr de ses arguments, il reprit\~:
+\par
+\par \endash \~Quand j\rquote ai parl\'e9 d\rquote un prix en \'e9change du billet, j\rquote aurais d\'fb dire que j\rquote ai \'e0 vous offrir des avantages\~: tels que, dans l\rquote int\'e9r\'eat de sa famille, Hulda ne pourra les rejeter.
+\par
+\par \endash \~Vraiment\~!
+\par
+\par \endash \~Et maintenant, mon gar\'e7on, sachez, \'e0 votre tour, que je ne suis pas venu \'e0 Dal pour prier votre s\'9cur de me c\'e9der ce billet\~! Non\~! Mille diables, non\~!
+\par
+\par \endash \~Que demandez-vous alors\~?
+\par
+\par \endash \~Je ne demande pas, j\rquote exige\'85 je veux\~!\'85
+\par
+\par \endash \~Et de quel droit, s\rquote \'e9cria Jo\'ebl, de quel droit, vous, un \'e9tranger, osez-vous parler ainsi dans la maison de ma m\'e8re\~?
+\par
+\par \endash \~Du droit qu\rquote a tout homme, r\'e9pondit Sandgo\'efst, de parler quand il lui pla\'eet et comme il lui pla\'eet, lorsqu\rquote il est chez lui\~!
+\par
+\par \endash \~Chez lui\~! Jo\'ebl, au comble de l\rquote indignation, marcha vers Sandgo\'efst, qui, bien qu\rquote il ne s\rquote effray\'e2t pas facilement, s\rquote \'e9tait vivement rejet\'e9 hors du fauteuil. Mais Hulda retint son fr\'e8
+re, pendant que dame Hansen, la t\'eate cach\'e9e dans ses mains, reculait \'e0 l\rquote autre extr\'e9mit\'e9 de la salle.
+\par
+\par \endash \~Fr\'e8re\~!\'85 regarde-la\~!\'85 dit la jeune fille. Jo\'ebl s\rquote arr\'eata soudain. La vue de sa m\'e8re avait paralys\'e9 sa fureur. Tout, dans son attitude, disait \'e0 quel point dame Hansen \'e9tait au pouvoir de ce Sandgo\'efst\~
+! Celui-ci reprit le dessus en voyant l\rquote h\'e9sitation de Jo\'ebl et revint \'e0 la place qu\rquote il occupait.
+\par
+\par \endash \~Oui, chez lui\~! s\rquote \'e9cria-t-il d\rquote une voix plus mena\'e7ante encore. Depuis la mort de son mari, dame Hansen s\rquote est jet\'e9e dans des sp\'e9culations qui n\rquote ont point r\'e9ussi. Elle a compromis le peu de fortune qu
+\rquote avait laiss\'e9 votre p\'e8re en mourant. Il lui a fallu emprunter chez un banquier de Christiania. \'c0 bout de ressources, elle a offert cette maison en garantie d\rquote une somme de quinze mille marks qui lui a \'e9t\'e9 pr\'eat\'e9
+e par obligation bien en r\'e8gle, obligation que, moi, Sandgo\'efst, j\rquote ai rachet\'e9e de son pr\'eateur. Cette maison sera donc la mienne, et tr\'e8s prochainement, si je ne suis pas pay\'e9 \'e0 l\rquote \'e9ch\'e9ance.
+\par
+\par \endash \~Quand, cette \'e9ch\'e9ance\~? demanda Jo\'ebl.
+\par
+\par \endash \~Le 20 juillet, dans dix-huit jours, r\'e9pondit Sandgo\'efst. Et ce jour-l\'e0, que cela vous plaise ou non, je serai ici chez moi\~!
+\par
+\par \endash \~Vous ne serez chez vous, \'e0 cette date, que si vous n\rquote avez pas \'e9t\'e9 rembours\'e9 d\rquote ici l\'e0\~! riposta Jo\'ebl. Je vous d\'e9fends donc de parler comme vous le faites devant ma m\'e8re et devant ma s\'9cur\~!
+\par
+\par \endash \~Il me d\'e9fend\~!\'85 \'e0 moi\~!\'85 s\rquote \'e9cria Sandgo\'efst. Et sa m\'e8re me le d\'e9fend-elle\~?
+\par
+\par \endash \~Mais parlez donc, ma m\'e8re\~! dit Jo\'ebl, en allant vers dame Hansen, dont il voulut \'e9carter les mains.
+\par
+\par \endash \~Jo\'ebl\~!\'85 Mon fr\'e8re\~!\'85 s\rquote \'e9cria Hulda\'85 Par piti\'e9 pour elle\'85 je t\rquote en supplie\'85 calme-toi\~!
+\par
+\par Dame Hansen, la t\'eate courb\'e9e, n\rquote osait plus regarder son fils. Il n\rquote \'e9tait que trop vrai, quelques ann\'e9es apr\'e8s la mort de son mari, elle avait tent\'e9 d\rquote accro\'eetre sa fortune en des affaires hasardeuses. Le peu d
+\rquote argent dont elle disposait s\rquote \'e9tait promptement dissip\'e9. Bient\'f4t il lui avait fallu recourir aux emprunts ruineux. Et maintenant, une obligation, hypoth\'e9qu\'e9e sur sa maison, \'e9tait pass\'e9e aux mains de ce Sandgo\'ef
+st, de Drammen, un homme sans c\'9cur, un usurier bien connu, d\'e9test\'e9 dans le pays. Dame Hansen ne l\rquote avait vu pour la premi\'e8re fois que le jour o\'f9 il \'e9tait venu \'e0 Dal afin d\rquote \'e9valuer la valeur de l\rquote auberge.
+\par
+\par Ainsi donc, voil\'e0 quel \'e9tait le secret qui pesait sur sa vie\~! Voil\'e0 quelle \'e9tait l\rquote explication de son attitude, et pourquoi elle vivait \'e0 l\rquote \'e9cart, comme si elle e\'fbt voulu se cacher de ses enfants\~! Voil\'e0
+ enfin ce qu\rquote elle n\rquote avait jamais voulu dire \'e0 ceux dont elle avait compromis l\rquote avenir.
+\par
+\par Hulda osait \'e0 peine songer \'e0 ce qu\rquote elle venait d\rquote entendre. Oui\~! Sandgo\'efst \'e9tait bien le ma\'eetre d\rquote imposer ses volont\'e9s\~! Ce billet qu\rquote il voulait avoir aujourd\rquote hui, il n\rquote
+aurait plus de valeur dans quinze jours, et, si elle ne le livrait pas, c\rquote \'e9tait la ruine, c\rquote \'e9tait la maison vendue, c\rquote \'e9tait la famille Hansen sans domicile, sans ressources\'85 C\rquote \'e9tait la mis\'e8re.
+\par
+\par Hulda n\rquote osait pas lever les yeux sur Jo\'ebl. Mais Jo\'ebl, emport\'e9 par la col\'e8re, ne voulut rien entendre des menaces de l\rquote avenir. Il ne voyait que Sandgo\'efst, et, si cet homme parlait encore comme il l\rquote
+avait fait devant lui, il ne pourrait plus se ma\'eetriser\'85
+\par
+\par Sandgo\'efst, se sachant le ma\'eetre de la situation, devint plus dur, plus imp\'e9rieux encore.
+\par
+\par \endash \~Ce billet, je le veux et je l\rquote aurai\~! r\'e9p\'e9ta-t-il. En \'e9change, je n\rquote offre pas un prix qu\rquote il est impossible d\rquote \'e9tablir\~; mais j\rquote offre de reculer l\rquote \'e9ch\'e9ance de l\rquote
+obligation souscrite par dame Hansen, de la reculer d\rquote un an\'85 de deux ans\~!\'85 Fixez vous-m\'eame la date, Hulda\~!
+\par
+\par Hulda, le c\'9cur \'e9treint par l\rquote angoisse, n\rquote aurait pu r\'e9pondre. Son fr\'e8re r\'e9pondit pour elle et s\rquote \'e9cria\~:
+\par
+\par \endash \~Le billet de Ole Kamp ne peut \'eatre vendu par Hulda Hansen\~! Ma s\'9cur refuse donc, quelles que soient vos pr\'e9tentions et vos menaces\~! Et maintenant, sortez\~!
+\par
+\par \endash \~Sortir\~! dit Sandgo\'efst. Eh bien, non\~!\'85 Je ne sortirai pas\~!\'85 Et si l\rquote offre que j\rquote ai faite n\rquote est pas suffisante\'85 j\rquote irai plus loin\~!\'85 Oui\~!\'85 contre la remise du billet, j\rquote offre\'85 j
+\rquote offre\'85
+\par
+\par Il fallait que Sandgo\'efst e\'fbt vraiment un irr\'e9sistible d\'e9sir de poss\'e9der ce billet, il fallait qu\rquote il f\'fbt bien convaincu que l\rquote affaire serait avantageuse pour lui, car il alla s\rquote asseoir devant la table, o\'f9
+ se trouvait du papier, une plume et de l\rquote encre. Un instant apr\'e8s\~:
+\par
+\par \endash \~Voil\'e0 ce que j\rquote offre\~! dit-il. C\rquote \'e9tait une quittance de la somme due par dame Hansen, et pour laquelle elle avait donn\'e9 en garantie la maison de Dal.
+\par
+\par Dame Hansen, les mains suppliantes, \'e0 demi courb\'e9e, regardait, implorait sa fille\'85
+\par
+\par \endash \~Et maintenant, reprit Sandgo\'efst, ce billet\'85 je le veux\~!\'85 Je le veux aujourd\rquote hui\'85 \'e0 l\rquote instant\~!\'85 Je ne quitterai pas Dal sans l\rquote emporter\~!\'85 Je le veux, Hulda\~!\'85 Je le veux\~!
+\par
+\par Sandgo\'efst s\rquote \'e9tait approch\'e9 de la pauvre fille, comme s\rquote il e\'fbt voulu la fouiller pour lui arracher le billet de Ole\'85 Ce fut l\'e0 plus que ne put supporter Jo\'ebl, surtout quand il entendit Hulda crier\~:
+\par
+\par \endash \~Fr\'e8re\~!\'85 fr\'e8re\~!
+\par
+\par \endash \~Sortirez-vous\~! dit-il.
+\par
+\par Et, comme Sandgo\'efst refusait de sortir, il allait s\rquote \'e9lancer sur lui, lorsque Hulda intervint.
+\par
+\par \endash \~Ma m\'e8re, voici le billet\~! dit-elle. Dame Hansen avait vivement saisi le billet, et, pendant qu\rquote elle l\rquote \'e9changeait contre la quittance de Sandgo\'efst, Hulda tombait sur le fauteuil, presque sans connaissance.
+\par
+\par \endash \~Hulda\~!\'85 Hulda\~!\'85 s\rquote \'e9cria Jo\'ebl. Reviens \'e0 toi\~!\'85 Ah\~! ma s\'9cur, qu\rquote as-tu fait\~?
+\par
+\par \endash \~Ce qu\rquote elle a fait\~? r\'e9pondit dame Hansen. Ce qu\rquote elle a fait\~?\'85 Oui, je suis coupable\~! Oui\~! dans l\rquote int\'e9r\'eat de mes enfants, j\rquote ai voulu accro\'eetre le bien de leur p\'e8re\~! Oui\~! J\rquote
+ai compromis l\rquote avenir\~! J\rquote ai appel\'e9 la mis\'e8re sur cette maison\'85 Mais Hulda nous a sauv\'e9s tous\~!\'85 Voil\'e0 ce qu\rquote elle a fait\~!\'85 Merci, Hulda\'85 merci\~!
+\par
+\par Sandgo\'efst \'e9tait toujours l\'e0. Jo\'ebl l\rquote aper\'e7ut.
+\par
+\par \endash \~Vous\'85 ici\'85 encore\~! s\rquote \'e9cria-t-il. Puis, allant vers Sandgo\'efst, il le prit par les \'e9paules, il le souleva, et, malgr\'e9 sa r\'e9sistance, malgr\'e9 ses cris, il le jeta dehors.
+\par
+\par }\pard\plain \s1\qc\sb600\sa480\keepn\pagebb\nowidctlpar\widctlpar\outlinelevel0\adjustright \b\f40\fs38\lang1036\cgrid {{\*\bkmkstart _Toc97124745}XV{\*\bkmkend _Toc97124745}\line
+\par }\pard\plain \qj\fi680\nowidctlpar\widctlpar\adjustright \f40\fs32\lang1036\cgrid {Le lendemain, Sylvius Hog revint \'e0 Dal dans la soir\'e9e. Il ne dit rien de son voyage. Personne ne sut qu\rquote il \'e9tait all\'e9 \'e0
+ Bergen. Tant que les recherches commenc\'e9es n\rquote auraient pas donn\'e9 un r\'e9sultat quelconque, il voulait les taire \'e0 la famille Hansen. Toute lettre ou d\'e9p\'eache, qu\rquote elle v\'eent de Bergen ou de Christiania, devait lui \'ea
+tre adress\'e9e personnellement \'e0 l\rquote auberge, o\'f9 il se proposait d\rquote attendre les \'e9v\'e9nements. Esp\'e9rait-il toujours\~? Oui\~! mais il fallait bien l\rquote avouer, ce n\rquote \'e9tait plus que du pressentiment.
+\par
+\par D\'e8s qu\rquote il fut de retour, le professeur n\rquote eut pas de peine \'e0 reconna\'eetre qu\rquote un \'e9v\'e9nement grave s\rquote \'e9tait pass\'e9 pendant son absence. L\rquote attitude de Jo\'ebl et de Hulda indiquait clairement qu\rquote
+une explication avait d\'fb avoir lieu entre leur m\'e8re et eux. Un nouveau malheur venait-il donc de frapper la famille Hansen\~?
+\par
+\par Cela ne put qu\rquote affliger profond\'e9ment Sylvius Hog. Il \'e9prouvait pour le fr\'e8re et la s\'9cur une affection si paternelle qu\rquote il n\rquote e\'fbt pas \'e9t\'e9 plus \'e9troitement attach\'e9 \'e0 s
+es propres enfants. Combien lui avaient-ils manqu\'e9 pendant cette courte absence \endash et, peut-\'eatre, combien leur avait-il manqu\'e9 lui-m\'eame\~!
+\par
+\par \endash \~Ils parleront\~! se dit-il. Il faudra qu\rquote ils parlent\~! Ne suis-je donc pas de la famille\~!
+\par
+\par Oui\~! Sylvius Hog se croyait le droit, maintenant, d\rquote intervenir dans la vie priv\'e9e de ses jeunes amis, de savoir pourquoi Jo\'ebl et Hulda paraissaient plus malheureux qu\rquote ils ne l\rquote \'e9taient au moment de son d\'e9
+part. Il ne tarda pas \'e0 l\rquote apprendre.
+\par
+\par En effet, tous deux ne demandaient qu\rquote \'e0 se confier \'e0 l\rquote excellent homme qu\rquote ils aimaient d\rquote une affection filiale. Ils attendaient, pour ainsi dire, qu\rquote il lui conv\'eent de les interroger. Depuis deux jours, ils s
+\rquote \'e9taient sentis tellement abandonn\'e9s\~! d\rquote autant plus que Sylvius Hog n\rquote avait point dit o\'f9 il allait. Non\~! jamais heures ne leur avaient paru plus longues\~
+! Pour eux, cette absence ne pouvait se rapporter aux recherches du }{\i Viken, }{et il ne leur serait pas venu \'e0 la pens\'e9e que Sylvius Hog e\'fbt voulu cacher ce voyage pour leur \'e9pargner une supr\'eame d\'e9sillusion en cas d\rquote insucc\'e8
+s.
+\par
+\par Et maintenant, combien sa pr\'e9sence leur \'e9tait plus que jamais n\'e9cessaire\~! Quel besoin ils \'e9prouvaient de le voir, de prendre ses conseils, d\rquote entendre sa voix toujours si affectueuse, si rassurante\~! Mais oseraient-ils lui
+ dire ce qui s\rquote \'e9tait pass\'e9 entre eux et l\rquote usurier de Drammen, et comment dame Hansen avait compromis l\rquote avenir de la maison\~? Que penserait Sylvius Hog, quand il apprendrait que le billet n\rquote \'e9
+tait plus entre les mains de Hulda, lorsqu\rquote il saurait que dame Hansen l\rquote avait employ\'e9 \'e0 se lib\'e9rer vis-\'e0-vis de son impitoyable cr\'e9ancier\~?
+\par
+\par Il allait l\rquote apprendre, cependant. Qui commen\'e7a \'e0 parler, de Sylvius Hog ou de Jo\'ebl et de Hulda, on ne sait. Mais peu importe\~! Ce qui est certain, c\rquote est que le professeur fut bient\'f4t au courant de l\rquote
+affaire. Il sut quelle avait \'e9t\'e9 la situation de dame Hansen et de ses enfants\~! Dans quinze jours, l\rquote usurier les aurait chass\'e9s de l\rquote auberge de Dal si la dette n\rquote e\'fbt \'e9t\'e9 \'e9teinte par la cession du billet.
+\par
+\par Sylvius Hog avait \'e9cout\'e9 ce triste r\'e9cit que lui fit Jo\'ebl en pr\'e9sence de sa s\'9cur\~:
+\par
+\par \endash \~Il ne fallait pas vous dessaisir du billet\~! s\rquote \'e9cria-t-il tout d\rquote abord. Non\~!\'85 il ne le fallait pas\~!
+\par
+\par \endash \~Le pouvais-je, monsieur Sylvius\~? r\'e9pondit la jeune fille, profond\'e9ment troubl\'e9e.
+\par
+\par \endash \~Eh non\~! sans doute\~!\'85 Vous ne le pouviez pas\~!\'85 Et pourtant\~!\'85 Ah\~! si j\rquote avais \'e9t\'e9 l\'e0\~!
+\par
+\par Et qu\rquote aurait-il fait, s\rquote il e\'fbt \'e9t\'e9 l\'e0, le professeur Sylvius Hog\~? Il n\rquote en dit rien et reprit\~:
+\par
+\par \endash \~Oui, ma ch\'e8re Hulda, oui, Jo\'ebl\~! En somme, vous avez fait ce que vous deviez faire\~! Mais ce qui m\rquote enrage, c\rquote est que ce sera Sandgo\'efst qui profitera de l\rquote engouement superstitieux du public\~! Si l\rquote
+on attribue au billet du pauvre Ole une valeur surnaturelle, c\rquote est lui qui va l\rquote exploiter\~! Et cependant, de croire que ce num\'e9ro 9672 sera n\'e9cessairement favoris\'e9 par le sort, c\rquote est ridicule, absurde\~
+! Enfin, pour conclure, moi je n\rquote aurais peut-\'eatre pas donn\'e9 le billet. Apr\'e8s l\rquote avoir refus\'e9 \'e0 Sandgo\'efst, Hulda aurait mieux fait de le refuser \'e0 sa m\'e8re\~!
+\par
+\par \'c0 tout ce que venait de dire Sylvius Hog, le fr\'e8re et la s\'9cur ne purent rien r\'e9pondre. En remettant le billet \'e0 dame Hansen, Hulda avait ob\'e9i \'e0 un sentiment filial dont on ne pouvait la bl\'e2mer. Le sacrifice auquel elle s\rquote
+\'e9tait r\'e9solue, ce n\rquote \'e9tait pas le sacrifice des chances plus ou moins al\'e9atoires que repr\'e9sentait ce billet dans le tirage de la loterie de Christiania, c\rquote \'e9tait le sacrifice des derni\'e8res volont\'e9s de Ole Kamp, c
+\rquote \'e9tait l\rquote abandon du dernier souvenir de son fianc\'e9.
+\par
+\par Enfin, il n\rquote y avait plus \'e0 y revenir maintenant. Sandgo\'efst avait le billet. Il lui appartenait. Il le mettrait aux ench\'e8res. Un m\'e9chant usurier allait battre monnaie avec ce touchant adieu du naufrag\'e9\~! Non\~
+! Sylvius Hog ne pouvait se faire \'e0 cela\~!
+\par
+\par Aussi, ce jour m\'eame, Sylvius Hog voulut-il avoir \'e0 ce sujet une conversation avec dame Hansen, conversation qui ne pouvait rien changer \'e0 l\rquote \'e9tat des choses, mais devenue pour ainsi dire n\'e9cessaire entre eux. Il se trouva, d\rquote
+ailleurs, en face d\rquote une femme tr\'e8s pratique, qui, \'e0 n\rquote en pas douter, avait plus de bon sens que de c\'9cur.
+\par
+\par \endash \~Ainsi, vous me bl\'e2mez, monsieur Hog\~? dit-elle, apr\'e8s avoir laiss\'e9 le professeur parler tout \'e0 son aise.
+\par
+\par \endash \~Certainement, dame Hansen.
+\par
+\par \endash \~Si vous me reprochez de m\rquote \'eatre imprudemment lanc\'e9e dans de mauvaises affaires, d\rquote avoir compromis la fortune de mes enfants, vous avez raison. Mais, si vous me reprochez d\rquote avoir agi comme je l\rquote ai fait pour me lib
+\'e9rer, vous avez tort. Qu\rquote avez-vous \'e0 r\'e9pondre\~?
+\par
+\par \endash \~Rien.
+\par
+\par \endash \~S\'e9rieusement, fallait-il refuser l\rquote offre de Sandgo\'efst, qui, en fin de compte, a pay\'e9 quinze mille marks cette cession d\rquote un billet dont la valeur ne repose sur rien\~? Je vous le redemande, fallait-il refuser\~?
+\par
+\par \endash \~Oui et non, dame Hansen.
+\par
+\par \endash \~Ce n\rquote est pas oui et non, monsieur Hog, c\rquote est non. Dans la situation que vous connaissez, si l\rquote avenir n\rquote e\'fbt pas \'e9t\'e9 aussi mena\'e7ant \endash par ma faute, j\rquote en conviens \endash j\rquote
+aurais compris le refus de Hulda\~!\'85 Oui\~!\'85 j\rquote aurais compris qu\rquote elle ne voul\'fbt c\'e9der \'e0 aucun prix le billet qu\rquote elle avait re\'e7u de Ole Kamp\~! Mais, quand il s\rquote agissait d\rquote \'eatre expuls\'e9
+e dans quelques jours d\rquote une maison o\'f9 mon mari est mort, o\'f9 mes enfants sont n\'e9s, je ne le comprends plus, et vous-m\'eame, monsieur Hog, \'e0 ma place, vous n\rquote eussiez pas agi autrement\~!
+\par
+\par \endash \~Si, dame Hansen, si\~!
+\par
+\par \endash \~Et qu\rquote auriez-vous fait\~?
+\par
+\par \endash \~J\rquote aurais tout tent\'e9 plut\'f4t que de sacrifier le billet que ma fille avait re\'e7u dans de pareilles circonstances\~!
+\par
+\par \endash \~Ces circonstances le rendent-elles donc meilleur\~?
+\par
+\par \endash \~Ni vous, ni moi, personne n\rquote en sait rien.
+\par
+\par \endash \~On le sait, au contraire, monsieur Hog\~! Ce billet n\rquote est rien qu\rquote un
+ billet qui a neuf cent quatre-vingt-dix-neuf mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf chances de perdre contre une de gagner. Lui attribuez-vous donc plus de valeur parce qu\rquote il a \'e9t\'e9 trouv\'e9 dans une bouteille recueillie en mer\~?
+\par
+\par \'c0 cette question si pr\'e9cise, Sylvius Hog ne pouvait qu\rquote \'eatre tr\'e8s embarrass\'e9 de r\'e9pondre. Aussi revint-il au c\'f4t\'e9 \'ab\~sentiment\~\'bb de l\rquote affaire, en disant\~:
+\par
+\par \endash \~La situation est celle-ci, \'e0 pr\'e9sent. Ole Kamp, au moment du naufrage, a l\'e9gu\'e9 \'e0 Hulda le seul bien qui lui rest\'e2t au monde\~! Il lui a m\'eame recommand\'e9 d\rquote \'eatre l\'e0
+, le jour du tirage, avec ce billet, si quelque heureuse chance le lui avait fait parvenir\'85 et, maintenant, ce billet n\rquote est plus entre les mains de Hulda.
+\par
+\par \endash \~Ole Kamp e\'fbt \'e9t\'e9 de retour, r\'e9pondit dame Hansen, qu\rquote il n\rquote aurait pas h\'e9sit\'e9 \'e0 c\'e9der son billet \'e0 Sandgo\'efst\~!
+\par
+\par \endash \~C\rquote est possible, reprit Sylvius Hog, mais lui seul avait le droit de le faire. Et que lui r\'e9pondriez-vous, s\rquote il n\rquote \'e9tait pas mort, s\rquote il n\rquote avait pas p\'e9ri dans ce naufrage\'85 s\rquote il revenait\'85
+ demain\'85 aujourd\rquote hui\'85
+\par
+\par \endash \~Ole ne reviendra pas, r\'e9pondit dame Hansen d\rquote une voix sourde. Ole est mort, monsieur Hog, et bien mort\~!
+\par
+\par \endash \~Vous n\rquote en savez rien, dame Hansen\~! s\rquote \'e9cria le professeur avec un accent de conviction vraiment extraordinaire. Des recherches tr\'e8s s\'e9rieuses sont commenc\'e9es pour retrouver quelque survivant du naufrage\~
+! Elles peuvent aboutir \endash oui\~! aboutir m\'eame avant que le tirage de cette loterie ait eu lieu\~! Vous n\rquote avez donc pas le droit de dire que Ole Kamp est mort, tant qu\rquote il n\rquote y aura pas de preuves certaines qu\rquote il ait p
+\'e9ri dans la catastrophe du }{\i Viken\~! }{Si, maintenant, je ne parle plus avec cette assurance \'e0 vos enfants, c\rquote est que je ne veux pas leur donner un espoir qui peut amener de bien douloureuses d\'e9ceptions\~! Mais \'e0
+ vous, dame Hansen, je vous dis ce que je pense\~! Et que Ole soit mort, non\~! je ne peux pas le croire\~! Non\'85 je ne veux pas le croire\'85 Non\~! je n\rquote y crois pas\~!
+\par
+\par Dame Hansen, sur ce terrain, o\'f9 la discussion avait \'e9t\'e9 transport\'e9e, ne pouvait plus lutter avec le professeur. Aussi se taisait-elle, et cette Norv\'e9gienne, quelque peu superstitieuse au fond, baissait la t\'eate, comme si Ole Kamp e\'fbt
+\'e9t\'e9 pr\'eat \'e0 appara\'eetre devant elle.
+\par
+\par \endash \~En tout cas, dame Hansen, reprit Sylvius Hog, avant de disposer du billet de Hulda, il y avait une chose tr\'e8s simple \'e0 faire, et vous ne l\rquote avez pas faite.
+\par
+\par \endash \~Laquelle, monsieur Hog\~?
+\par
+\par \endash \~Il fallait vous adresser d\rquote abord \'e0 vos amis, aux amis de votre famille. Ils n\rquote auraient point refus\'e9 de vous venir en aide, soit en se substituant \'e0 Sandgo\'efst dans sa cr\'e9ance, soit en vous avan\'e7ant la somme n\'e9
+cessaire pour le payer\~!
+\par
+\par \endash \~Je n\rquote ai point d\rquote amis, monsieur Hog, auxquels j\rquote eusse pu demander ce service\~!
+\par
+\par \endash \~Si, vous en avez, dame Hansen, et j\rquote en connais au moins un, qui l\rquote e\'fbt fait sans h\'e9siter et comme un acte de reconnaissance.
+\par
+\par \endash \~Et quel est-il\~?
+\par
+\par \endash \~Sylvius Hog, d\'e9put\'e9 au Storthing\~!
+\par
+\par Dame Hansen ne put rien r\'e9pondre, et elle se contenta de s\rquote incliner devant le professeur.
+\par
+\par \endash \~Mais ce qui est fait est fait \endash malheureusement\~! ajouta Sylvius Hog. Je vous serai donc oblig\'e9, dame Hansen, de ne rien dire \'e0 vos enfants de cette conversation sur laquelle il n\rquote y aura plus lieu de revenir\~!
+\par
+\par Et tous deux se s\'e9par\'e8rent.
+\par
+\par Le professeur avait repris sa vie habituelle et recommenc\'e9 ses promenades quotidiennes. Pendant quelques heures, il visitait avec Jo\'ebl et Hulda les environs de Dal, mais sans aller trop loin, afin de ne point fatiguer la jeune fille. Rentr\'e9
+ dans sa chambre, il se remettait \'e0 sa correspondance qui ne laissait pas d\rquote \'eatre importante. Il \'e9crivait lettres sur lettres \'e0 Bergen, \'e0 Christiania. Il stimulait le z\'e8le de tous ceux qui concouraient maintenant \'e0 cette bonne
+\'9cuvre de la recherche du }{\i Viken. }{Son existence se concentrait dans cette unique pens\'e9e\~: retrouver Ole, retrouver Ole\~!
+\par
+\par Il crut m\'eame devoir s\rquote absenter encore, pendant vingt-quatre heures, pour un motif qui, sans doute, devait se rattacher \'e0 cette affaire qui int\'e9ressait la famille Hansen. Mais il garda, comme toujours, un secret absolu sur ce qu\rquote
+il faisait ou faisait faire \'e0 ce sujet.
+\par
+\par Cependant la sant\'e9 de Hulda, si durement \'e9prouv\'e9e, ne se r\'e9tablissait que bien lentement. La pauvre fille ne vivait que du souvenir de Ole, et l\rquote espoir qu\rquote elle m\'ealait parfois \'e0 ce souvenir s\rquote
+affaiblissait de jour en jour. Et, pourtant, elle avait alors pr\'e8s d\rquote elle les deux \'eatres qu\rquote elle aimait le plus au monde, et l\rquote un d\rquote eux ne cessait de l\rquote encourager. Mais cela suffisait-il\~? N\rquote
+aurait-il pas fallu la distraire \'e0 tout prix\~? Et comment l\rquote arracher \'e0 ces pens\'e9es auxquelles se prenait toute son \'e2me, ces pens\'e9es qui la rattachaient comme par une cha\'eene de fer au naufrag\'e9 du }{\i Viken\~?}{
+\par
+\par Ainsi l\rquote on arriva au 12 juillet.
+\par
+\par C\rquote \'e9tait dans quatre jours que devait \'eatre tir\'e9e la loterie des \'c9coles de Christiania.
+\par
+\par Il va sans dire que la sp\'e9culation tent\'e9e par Sandgo\'efst avait \'e9t\'e9 port\'e9e \'e0 la connaissance du public. Par ses soins, les journaux avaient annonc\'e9 que le \'ab\~c\'e9l\'e8bre et providentiel billet\~\'bb portant le num\'e9ro 9672
+\'e9tait maintenant entre les mains de monsieur Sandgo\'efst de Drammen, et que ce billet, mis en vente, appartiendrait au plus offrant. Et, si monsieur Sandgo\'efst \'e9tait possesseur dudit billet, c\rquote est qu\rquote il l\rquote avait achet\'e9
+ fort cher \'e0 Hulda Hansen.
+\par
+\par On le comprend, cette annonce ne pouvait que diminuer singuli\'e8rement la jeune fille dans l\rquote estime publique. Quoi\~! Hulda, s\'e9duite par un haut prix, s\rquote \'e9tait d\'e9cid\'e9e \'e0 vendre le billet du naufrag\'e9, le billet de son fianc
+\'e9 Ole Kamp\~! Elle avait fait argent de ce dernier souvenir\~!
+\par
+\par Mais une note, parue tr\'e8s \'e0 propos dans le }{\i Morgen-Blad, }{mit ses lecteurs au courant de ce qui s\rquote \'e9tait pass\'e9. On sut de quelle nature avait \'e9t\'e9 l\rquote intervention de Sandgo\'ef
+st et comment le billet se trouvait maintenant entre ses mains. Ce fut sur l\rquote usurier de Drammen que retomba la r\'e9probation publique, ce cr\'e9ancier sans c\'9cur, qui n\rquote avait pas craint d\rquote utiliser \'e0
+ son profit les malheurs de la famille Hansen. Et alors il arriva ceci\~: c\rquote est que, comme par une entente g\'e9n\'e9rale, les offres qui s\rquote \'e9taient produites lorsque Hulda poss\'e9dait encore le billet ne se renouvel\'e8rent plus vis-\'e0
+-vis du nouveau possesseur. Il semblait que ledit billet n\rquote avait plus la valeur surnaturelle qu\rquote on lui attribuait depuis que ce Sandgo\'efst l\rquote avait souill\'e9 de son attouchement. Donc, Sandgo\'efst n\rquote avait fait l\'e0 qu
+\rquote une tr\'e8s mauvaise affaire, et le fameux num\'e9ro 9672 mena\'e7ait de lui rester pour compte.
+\par
+\par Il va sans dire que ni Hulda ni m\'eame Jo\'ebl n\rquote \'e9taient au courant de ce qui se disait. Heureusement\~! Il leur e\'fbt \'e9t\'e9 bien p\'e9nible de se savoir m\'eal\'e9s \'e0
+ cette affaire, qui avait pris une tournure si mercantile entre les mains de l\rquote usurier.
+\par
+\par Le 12 juillet, vers le soir, une lettre arriva \'e0 l\rquote adresse du professeur Sylvius Hog.
+\par
+\par Cette lettre, envoy\'e9e par la Marine, en contenait une autre, qui \'e9tait dat\'e9e de Christiansand, petit port situ\'e9 \'e0 l\rquote entr\'e9e du golfe de Christiania. Sans doute, elle n\rquote apprit rien de nouveau \'e0
+ Sylvius Hog, car il la serra dans sa poche et n\rquote en parla ni \'e0 Jo\'ebl ni \'e0 sa s\'9cur.
+\par
+\par Seulement, au moment de se retirer dans sa chambre en leur donnant le bonsoir, il dit\~:
+\par
+\par \endash \~Vous le savez, mes enfants, c\rquote est dans trois jours que sera tir\'e9e la loterie. Est-ce que vous ne comptez pas assister \'e0 ce tirage\~?
+\par
+\par \endash \~\'c0 quoi bon, monsieur Sylvius\~? r\'e9pondit Hulda.
+\par
+\par \endash \~Cependant, reprit le professeur, Ole a voulu que sa fianc\'e9e y assist\'e2t\~; il en a fait l\rquote expresse recommandation dans les derni\'e8res lignes qu\rquote il a \'e9crites, et je pense qu\rquote il faut ob\'e9ir aux derni\'e8res volont
+\'e9s de Ole.
+\par
+\par \endash \~Mais ce billet, Hulda ne l\rquote a plus, r\'e9pondit Jo\'ebl, et qui sait entre quelles mains il est all\'e9\~!
+\par
+\par \endash \~N\rquote importe, r\'e9pondit Sylvius Hog. Je vous demande donc \'e0 tous deux de m\rquote accompagner \'e0 Christiania.
+\par
+\par \endash \~Vous le voulez, monsieur Sylvius\~? r\'e9pondit la jeune fille.
+\par
+\par \endash \~Ce n\rquote est pas moi, ch\'e8re Hulda, c\rquote est Ole qui le veut, et il faut ob\'e9ir \'e0 Ole.
+\par
+\par \endash \~S\'9cur, monsieur Sylvius a raison, r\'e9pondit Jo\'ebl. Oui\~! il le faut\~!
+\par
+\par \endash \~Quand comptez-vous partir, monsieur Sylvius\~?
+\par
+\par \endash \~Demain, d\'e8s l\rquote aube, et que saint Olaf nous prot\'e8ge\~!
+\par
+\par }\pard\plain \s1\qc\sb600\sa480\keepn\pagebb\nowidctlpar\widctlpar\outlinelevel0\adjustright \b\f40\fs38\lang1036\cgrid {{\*\bkmkstart _Toc97124746}XVI{\*\bkmkend _Toc97124746}\line
+\par }\pard\plain \qj\fi680\nowidctlpar\widctlpar\adjustright \f40\fs32\lang1036\cgrid {Le lendemain, la kariol du contrema\'eetre Lengling emportait Sylvius Hog et Hulda, assis c\'f4te \'e0 c\'f4te dans la petite caisse peinturlur\'e9e. On le sait, il n
+\rquote y avait pas de place pour Jo\'ebl. Aussi le brave gar\'e7on allait-il \'e0 pied, pr\'e8s du cheval, qui secouait gaiement la t\'eate.
+\par
+\par Quatorze kilom\'e8tres entre Dal et Moel, ce n\rquote \'e9tait pas assez pour embarrasser ce vigoureux marcheur.
+\par
+\par La kariol suivait donc cette charmante vall\'e9e du Vestfjorddal, en c\'f4toyant la rive gauche du Maan \endash vall\'e9e \'e9troite et ombreuse, arros\'e9e de mille cascades rebondissantes, qui tombent de toutes hauteurs. \'c0 chaque d\'e9
+tour de ce chemin sinueux, on revoyait et on perdait de vue la cime du Gousta, marqu\'e9e de deux brillantes taches de neige.
+\par
+\par Le ciel \'e9tait pur, le temps magnifique. De l\rquote air pas trop vif, du soleil pas trop chaud.
+\par
+\par Remarque singuli\'e8re, depuis que Sylvius Hog avait quitt\'e9 la maison de Dal, il semblait que sa figure se f\'fbt rass\'e9r\'e9n\'e9e. Sans doute, il se \'ab\~for\'e7ait\~\'bb un peu, afin que ce voyage f\'fb
+t au moins une distraction aux chagrins de Hulda et de Jo\'ebl.
+\par
+\par Deux heures et demie, il n\rquote en fallut pas davantage pour atteindre Moel, \'e0 l\rquote extr\'e9mit\'e9 du lac Tinn, o\'f9 devait s\rquote arr\'eater la kariol. Elle n\rquote aurait pu aller plus loin, \'e0 moins d\rquote \'ea
+tre une voiture flottante. En ce point de la vall\'e9e commence, en effet, le chemin des lacs. L\'e0 se trouve ce qu\rquote on appelle un \'ab\~vandskyde\~\'bb, c\rquote est-\'e0-dire un relais d\rquote eau. L\'e0, enfin, attendent ces f
+ragiles embarcations qui font le service du Tinn, dans sa longueur comme dans sa largeur.
+\par
+\par La kariol s\rquote arr\'eata pr\'e8s de la petite \'e9glise du hameau, au bas d\rquote une chute de plus de cinq cents pieds. Cette chute, visible sur un cinqui\'e8me de son parcours, se perd en quelque profonde crevasse de la montagne, avant d\rquote
+\'eatre absorb\'e9e par le lac.
+\par
+\par Deux bateliers se trouvaient sur l\rquote extr\'eame pointe de la rive. Une barque en \'e9corce de bouleau, dont l\rquote \'e9quilibre, absolument instable, ne permet pas un mouvement d\rquote un bord sur l\rquote autre aux voyageurs qu\rquote
+elle transporte, \'e9tait pr\'eate \'e0 d\'e9marrer.
+\par
+\par Le lac apparaissait alors dans toute sa beaut\'e9 matinale. Le soleil, \'e0 son lever, avait bu les vapeurs de la nuit. On n\rquote aurait pu souhaiter une plus belle journ\'e9e d\rquote \'e9t\'e9.
+\par
+\par \endash \~Vous n\rquote \'eates pas trop fatigu\'e9, mon brave Jo\'ebl\~? demanda le professeur, d\'e8s qu\rquote il fut descendu de la kariol.
+\par
+\par \endash \~Non, monsieur Sylvius. Ne suis-je pas habitu\'e9 \'e0 ces longues courses \'e0 travers le Telemark\~?
+\par
+\par \endash \~C\rquote est juste\~! Dites-moi, savez-vous quelle est la route la plus directe pour aller de Moel \'e0 Christiania\~?
+\par
+\par \endash \~Parfaitement, monsieur Sylvius. Une fois arriv\'e9s \'e0 l\rquote extr\'e9mit\'e9 du lac, \'e0 Tinoset\'85 Par exemple, je ne sais pas si nous y trouverons une kariol, faute d\rquote avoir envoy\'e9 des \'ab\~forbuds\~\'bb pour pr\'e9
+venir de notre arriv\'e9e au relais, comme on fait d\rquote habitude dans le pays\'85
+\par
+\par \endash \~Soyez tranquille, mon gar\'e7on, r\'e9pondit le professeur, j\rquote ai pr\'e9vu le cas. Mon intention n\rquote est point de vous obliger \'e0 faire la route \'e0 pied de Dal \'e0 Christiania.
+\par
+\par \endash \~S\rquote il le fallait\'85 dit Jo\'ebl.
+\par
+\par \endash \~Il ne le faudra pas. Revenons \'e0 notre itin\'e9raire, et dites-moi comment vous le comprenez.
+\par
+\par \endash \~Eh bien, une fois \'e0 Tinoset, monsieur Sylvius, nous contournerons le lac Fol, en passant par Vik et Bolkesj\'f6, de mani\'e8re \'e0 gagner M\'f6se, et de l\'e0, Kongsberg, Hangsu
+nd et Drammen. Si nous voyageons de nuit comme de jour, il ne sera pas impossible d\rquote arriver demain, dans l\rquote apr\'e8s-midi, \'e0 Christiania.
+\par
+\par \endash \~Tr\'e8s bien, Jo\'ebl\~! Je vois que vous connaissez le pays, et voil\'e0, en v\'e9rit\'e9, un agr\'e9able itin\'e9raire.
+\par
+\par \endash \~C\rquote est le plus court.
+\par
+\par \endash \~Eh bien, Jo\'ebl, je me moque du plus court, vous m\rquote entendez\~! r\'e9pondit Sylvius Hog. J\rquote en sais un autre qui n\rquote allonge le voyage que de quelques heures\~! Et celui-l\'e0, vous le connaissez, mon gar\'e7on, bien que vous n
+\rquote en parliez pas\~!
+\par
+\par \endash \~Et lequel\~?
+\par
+\par \endash \~C\rquote est celui qui passe par Bamble\~!
+\par
+\par \endash \~Par Bamble\~?
+\par
+\par \endash \~Oui, Bamble\~! Faites donc l\rquote ignorant\~! Bamble, o\'f9 demeure le fermier Helmbo\'eb et sa fille Siegfrid\~!
+\par
+\par \endash \~Monsieur Sylvius\~!\'85
+\par
+\par \endash \~C\rquote est celui-l\'e0 que nous prendrons, et, en contournant le lac Fol par le sud au lieu de le contourner par le nord, est-ce que nous n\rquote atteindrons pas tout aussi bien Kongsberg\~?
+\par
+\par \endash \~Tout aussi bien, et m\'eame mieux\~! r\'e9pondit Jo\'ebl en souriant.
+\par
+\par \endash \~Merci pour mon fr\'e8re, monsieur Sylvius\~! dit la jeune fille.
+\par
+\par \endash \~Et pour vous aussi, petite Hulda, car j\rquote imagine que cela vous fera plaisir de revoir en passant votre amie Siegfrid\~!
+\par
+\par L\rquote embarcation \'e9tait pr\'eate. Tous trois y prirent place sur un monceau de feuilles vertes, entass\'e9es \'e0 l\rquote arri\'e8re. Les deux bateliers, ramant et gouvernant \'e0 la fois, pouss\'e8rent au large.
+\par
+\par \'c0 mesure qu\rquote on s\rquote \'e9loigne de la rive, le lac Tinn commence \'e0 s\rquote arrondir depuis Haekeno\'ebs, petit gaard de deux ou trois maisons, b\'e2ti sur ce promontoire rocheux que baigne l\rquote \'e9troit fiord dans lequel se d\'e9
+versent paisiblement les eaux du Maan. Le lac est encore tr\'e8s encaiss\'e9\~; mais, peu \'e0 peu, l\rquote arri\'e8re-plan des montagnes recule, et l\rquote on ne se rend compte de leur hauteur qu\rquote au moment o\'f9 une embarcation passe \'e0
+ leur base, sans para\'eetre plus grosse qu\rquote un oiseau aquatique.
+\par
+\par De \'e7\'e0 et de l\'e0 \'e9mergent une douzaine d\rquote \'eeles ou d\rquote \'eelots, arides ou verdoyants, avec quelques huttes de p\'eacheurs. \'c0 la surface du lac flottent des troncs d\rquote arbres non \'e9quarris et des trains de poutres d\'e9bit
+\'e9s par les scieries du voisinage.
+\par
+\par Ce qui fit dire en plaisantant \'e0 Sylvius Hog \endash et il fallait qu\rquote il e\'fbt bien envie de plaisanter\~:
+\par
+\par \endash \~Si, selon nos po\'e8tes scandinaves, les lacs sont les yeux de la Norv\'e8ge, il faut convenir que la Norv\'e8ge a plus d\rquote une poutre dans l\rquote \'9cil, comme dit la Bible\~!
+\par
+\par Vers quatre heures, l\rquote embarcation arrivait \'e0 Tinoset, simple hameau des moins confortables. Peu importait, d\rquote ailleurs. L\rquote intention de Sylvius Hog n\rquote \'e9tait point de s\rquote y arr\'eater, m\'eame une heure. Ainsi qu\rquote
+il l\rquote avait dit \'e0 Jo\'ebl, un v\'e9hicule l\rquote attendait sur la rive. En pr\'e9vision de ce voyage, depuis longtemps d\'e9cid\'e9 dans son esprit, il avait \'e9crit \'e0 M.\~
+Benett, de Christiania, de lui assurer les moyens de voyager sans retards ni fatigues. C\rquote est pourquoi, au jour dit, une vieille cal\'e8che se trouvait \'e0 Tinoset, son coff
+re bien garni de comestibles. Donc, transport garanti pour tout le parcours, nourriture \'e9galement assur\'e9e \endash ce qui dispensait de recourir aux \'9cufs \'e0 demi couv\'e9s, au lait caill\'e9 et au brouet spartiate des gaards du Telemark.
+\par
+\par Tinoset est situ\'e9 presque \'e0 l\rquote extr\'e9mit\'e9 du lac Tinn. De l\'e0, par une assez belle chute, le Maan se pr\'e9cipite dans la vall\'e9e inf\'e9rieure, o\'f9 il retrouve son cours r\'e9gulier. Les chevaux, venus du relais, \'e9taient d\'e9j
+\'e0 attel\'e9s, et la voiture prit aussit\'f4t la direction de Bamble.
+\par
+\par \'c0 cette \'e9poque, c\rquote \'e9tait la seule mani\'e8re de parcourir la Norv\'e8ge en g\'e9n\'e9ral et le Telemark en particulier. Et peut-\'eatre les chemins de fer feront-ils regretter aux touristes la kariol nationale et les cal\'e8ches de M.\~
+Benett\~!
+\par
+\par Il va sans dire que Jo\'ebl connaissait parfaitement cette portion du bailliage qu\rquote il avait si souvent travers\'e9e entre Dal et Bamble.
+\par
+\par Il \'e9tait huit heures du soir, lorsque Sylvius Hog, le fr\'e8re et la s\'9cur arriv\'e8rent dans cette petite localit\'e9.
+\par
+\par On ne les y attendait pas\~; mais le fermier Helmbo\'eb ne leur en fit pas moins le meilleur accueil. Siegfrid embrassa tendrement son amie qu\rquote elle trouva bien p\'e2lie par tant de douleurs. Pendant quelques instants, les deux jeunes filles rest
+\'e8rent seules \'e0 \'e9changer leurs peines.
+\par
+\par \endash \~Je t\rquote en prie, ch\'e8re Hulda, dit Siegfrid, ne te laisse pas abattre par ton chagrin\~! Moi, je n\rquote ai pas perdu confiance\~! Pourquoi renoncer \'e0 tout espoir de revoir notre pauvre Ole\~! Nous avons appris par les journaux qu
+\rquote on s\rquote occupait de retrouver le }{\i Viken\~! }{Les recherches r\'e9ussiront\~!\'85 Tiens\~! je suis s\'fbre que monsieur Sylvius esp\'e8re encore\~!\'85 Hulda\'85 ma ch\'e9rie\'85 je t\rquote en supplie\'85 ne d\'e9sesp\'e8re pas\~!
+\par
+\par Pour toute r\'e9ponse, Hulda ne pouvait que pleurer, et Siegfrid la pressait sur son c\'9cur.
+\par
+\par Ah\~! quelle joie e\'fbt r\'e9gn\'e9 dans la maison du fermier Helmbo\'eb, au milieu de ces braves gens, simples et bons, si tout ce petit monde avait eu le droit d\rquote \'eatre heureux\~!
+\par
+\par \endash \~Ainsi, vous allez directement \'e0 Christiania\~? demanda le fermier \'e0 Sylvius Hog.
+\par
+\par \endash \~Oui, monsieur Helmbo\'eb\~!
+\par
+\par \endash \~Pour assister au tirage de la loterie\~?
+\par
+\par \endash \~Sans doute.
+\par
+\par \endash \~\'c0 quoi bon, puisque le billet de Ole Kamp est maintenant entre les mains de ce mis\'e9rable Sandgo\'efst\~!
+\par
+\par \endash \~C\rquote \'e9tait la volont\'e9 de Ole, r\'e9pondit le professeur, et il faut respecter sa volont\'e9.
+\par
+\par \endash \~On dit que l\rquote usurier de Drammen n\rquote a pu trouver acqu\'e9reur pour ce billet qui lui co\'fbte cher\~!
+\par
+\par \endash \~On le dit, en effet, monsieur Helmbo\'eb.
+\par
+\par \endash \~Bon\~! Il n\rquote a que ce qu\rquote il m\'e9rite, ce vilain homme, ce coquin, monsieur Hog, oui\~!\'85 ce coquin\~!\'85 Et c\rquote est bien fait\~!
+\par
+\par \endash \~Oui, en v\'e9rit\'e9, monsieur Helmbo\'eb, c\rquote est bien fait\~!
+\par
+\par Naturellement, il fallut souper \'e0 la ferme. Siegfrid ni son p\'e8re n\rquote auraient laiss\'e9 partir leurs amis avant qu\rquote ils n\rquote eussent accept\'e9 cette invitation. Mais il importait de ne pas s\rquote attarder, si l\rquote
+on voulait regagner pendant la nuit les quelques heures perdues par le d\'e9tour de Bamble. Aussi, \'e0 neuf heures, les chevaux avaient-ils \'e9t\'e9 amen\'e9s du relais par un des gar\'e7ons du gaard, qui s\rquote occupa de les atteler.
+\par
+\par \endash \~\'c0 ma prochaine visite, cher monsieur Helmbo\'eb, dit Sylvius Hog au fermier, je resterai six heures \'e0 table, si vous l\rquote exigez\~! Mais, aujourd\rquote hui, je vous demanderai la permission de remplacer le dessert par une bonne poign
+\'e9e de main que vous me donnerez, et par un bon baiser que votre charmante Siegfrid donnera \'e0 ma petite Hulda\~!
+\par
+\par Cela fait, on partit. Sous cette latitude \'e9lev\'e9e, le cr\'e9puscule devait se prolonger pendant quelques heures encore. Aussi, l\rquote horizon resta-t-il assez visible, apr\'e8s le coucher du soleil, tant l\rquote atmosph\'e8re \'e9tait pure. C
+\rquote est une belle route, assez accident\'e9e, celle qui va de Bamble \'e0 Kongsberg, en passant par Hitterdal et le sud du lac Fol. Elle traverse ainsi toute la portion m\'e9
+ridionale du Telemark, en desservant les bourgs, hameaux ou gaards des environs. Une heure apr\'e8s le d\'e9part, Sylvius Hog, sans s\rquote y arr\'eater, put apercevoir l\rquote \'e9glise d\rquote Hitterdal, un vieil \'e9difice tr\'e8s curieux, coiff\'e9
+ de pinacles qui se hissent les uns sur les autres, sans souci de la r\'e9gularit\'e9 des lignes. Le tout est en bois, depuis les murs faits de poutres jointives et de planches imbriqu\'e9es, jusqu\rquote \'e0 l\rquote extr\'ea
+me pointe du dernier clocheton. Cet amoncellement de poivri\'e8res est, para\'eet-il, un monument v\'e9n\'e9rable et v\'e9n\'e9r\'e9 de l\rquote architecture scandinave du treizi\'e8me si\'e8cle.
+\par
+\par La nuit vint peu \'e0 peu, une de ces nuits qui sont encore impr\'e9gn\'e9es des derni\'e8res lueurs du jour\~; mais, vers une heure du matin, elle allait se fondre dans l\rquote aube naissante.
+\par
+\par Jo\'ebl, assis sur le si\'e8ge de devant, \'e9tait absorb\'e9 dans ses r\'e9flexions. Hulda restait pensive au fond de la voiture. Quelques paroles furent alors \'e9chang\'e9
+es entre Sylvius Hog et le postillon, auquel le professeur recommanda de presser ses chevaux. On n\rquote entendit plus ensuite que les grelots de l\rquote attelage, le claquement du fouet et le grincement des roues sur un sol ravin\'e9.
+\par
+\par On marcha toute la nuit, sans relayer. Il ne fut pas n\'e9cessaire de s\rquote arr\'eater \'e0 Listh\'fcs, inconfortable station, perdue au milieu d\rquote un cirque de montagnes sapineuses, que circonscrit un second p\'e9rim\'e8
+tre de montagnes arides et sauvages. On d\'e9passa aussi Tiness, petit gaard pittoresque, dont quelques maisons sont juch\'e9es sur des pilotis de pierre. La cal\'e8che roulait assez rapidement avec son bruit de ferraille, son cliquetis de boulons desserr
+\'e9s et de ressorts distendus. Il n\rquote y eut pas un reproche \'e0 adresser au conducteur \endash \~un bon vieux qui dormait \'e0 moiti\'e9 en secouant ses guides. Machinalement, il allongeait quelques coups de fouet, pas m\'e9chants, mais de pr\'e9f
+\'e9rence au cheval de gauche. Cela tenait \'e0 ce que, si le cheval de droite lui appartenait, l\rquote autre \'e9tait la propri\'e9t\'e9 de son voisin du gaard.
+\par
+\par \'c0 cinq heures du matin, Sylvius Hog ouvrit les yeux, \'e9tendit les bras, et put respirer avec d\'e9lices la p\'e9n\'e9trante senteur des sapins qui parfumait l\rquote atmosph\'e8re.
+\par
+\par On \'e9tait \'e0 Kongsberg. La voiture traversa le pont jet\'e9 sur le Laagen, et vint s\rquote arr\'eater au-del\'e0, apr\'e8s avoir pass\'e9 pr\'e8s de l\rquote \'e9glise, non loin de la chute de Larbr\'f6.
+\par
+\par \endash \~Mes amis, dit Sylvius Hog, si vous le voulez, nous ne ferons que relayer ici. Il est encore trop t\'f4t pour d\'e9jeuner. Mieux vaut ne faire une halte s\'e9rieuse qu\rquote \'e0 Drammen. L\'e0, nous nous offrirons un bon repas, afin d\rquote
+\'e9conomiser les comestibles de M.\~Benett\~!
+\par
+\par Cela convenu, le professeur et Jo\'ebl se content\'e8rent de prendre un petit verre de brandevin \'e0 }{\i l\rquote H\'f4tel des Mines. }{Un quart d\rquote heure apr\'e8s, les chevaux \'e9tant arriv\'e9s, on se remit en route.
+\par
+\par Au sortir de la ville, la voiture dut remonter une rampe tr\'e8s escarp\'e9e, hardiment taill\'e9e au flanc de la montagne. Un instant, les hauts pyl\'f4nes des mines d\rquote argent de Kongsberg se d\'e9coup\'e8rent
+en silhouette sur le ciel. Puis, tout cet horizon disparut derri\'e8re un rideau d\rquote immenses for\'eats de sapins, obscures et fra\'eeches comme des caves, dans lesquelles la chaleur du soleil ne p\'e9n\'e9trait pas plus que la lumi\'e8re.
+\par
+\par La ville de bois d\rquote Hangsund fournit un nouvel attelage \'e0 la cal\'e8che. On retrouva de longues routes, souvent ferm\'e9es par quelques barri\'e8res \'e0 pivot qu\rquote il fallait faire ouvrir moyennant cinq ou six shillings. R\'e9
+gion fertile, o\'f9 abondaient les arbres, qui ressemblaient \'e0 des saules pleureurs avec leurs branches pliant sous le poids des fruits. En se rapprochant de Drammen, la vall\'e9e commen\'e7a \'e0 redevenir monstrueuse.
+\par
+\par \'c0 midi, la ville, assise sur l\rquote un des bras du fiord de Christiania, montra ses deux interminables rues, bord\'e9es de maisons peintes, et son port, toujours tr\'e8s anim\'e9, o\'f9
+ les trains de bois ne laissent que peu de place aux navires qui viennent s\rquote y charger des produits du Nord.
+\par
+\par La voiture s\rquote arr\'eata devant }{\i l\rquote H\'f4tel de Scandinavie. }{Le propri\'e9taire, un important personnage \'e0 barbe blanche, l\rquote air doctoral, parut sur le seuil de son \'e9tablissement.
+\par
+\par Avec cette finesse de perception qui distingue les aubergistes en tous les pays du monde\~:
+\par
+\par \endash \~Je ne serais pas surpris, dit-il, que ces messieurs et cette jeune dame voulussent d\'e9jeuner\~?
+\par
+\par \endash \~En effet, ne soyez pas surpris, r\'e9pondit Sylvius Hog, et faites-nous servir le plus t\'f4t possible.
+\par
+\par \endash \~\'c0 l\rquote instant\~! Le d\'e9jeuner fut bient\'f4t pr\'eat, et, en r\'e9alit\'e9, tr\'e8s acceptable. Il y eut surtout un certain poisson du fiord, truff\'e9 d\rquote une herbe parfum\'e9e, dont le professeur mangea avec un \'e9
+vident plaisir. \'c0 une heure et demie, la voiture, attel\'e9e de chevaux frais, revenait devant }{\i l\rquote H\'f4tel de Scandinavie, }{et elle repartit en remontant au petit trot la grande rue de Drammen. Mais voil\'e0 qu\rquote
+en passant devant une maison basse, d\rquote aspect peu attrayant, qui contrastait avec la couleur gaie des maisons voisines, Jo\'ebl ne put retenir un mouvement de r\'e9pulsion.
+\par
+\par \endash \~Sandgo\'efst\~! s\rquote \'e9cria-t-il.
+\par
+\par \endash \~Ah\~! c\rquote est l\'e0 monsieur Sandgo\'efst\~? dit Sylvius Hog. En v\'e9rit\'e9, il n\rquote a point bonne figure\~!
+\par
+\par C\rquote \'e9tait Sandgo\'efst. Il fumait pr\'e8s de sa porte. Reconnut-il Jo\'ebl sur le si\'e8ge de devant, on ne sait, car la voiture fila rapidement entre des piles de madriers et des monceaux de planches.
+\par
+\par Au-del\'e0 d\rquote une route bord\'e9e de sorbiers charg\'e9s de leurs fruits de corail, l\rquote attelage s\rquote engagea \'e0 travers une \'e9paisse for\'eat de pins, qui c\'f4toie la \'ab\~Vall\'e9e du Paradis\~\'bb, magnifique d\'e9
+pression du sol, avec ses lointains \'e9tag\'e9s jusqu\rquote aux derni\'e8res limites de l\rquote horizon. Des centaines de monticules apparurent alors, la plupart couronn\'e9s d\rquote une villa ou d\rquote
+un gaard. Puis, aux approches du soir, lorsque la voiture commen\'e7a \'e0 redescendre vers la mer en c\'f4toyant de larges prairies, des fermes montr\'e8rent leurs maisons d\rquote un rouge vif qui tranchait cr\'fbment sur le rideau vert-noir de
+s arbres. Enfin, les voyageurs atteignirent le fiord m\'eame de Christiania, encadr\'e9 de pittoresques collines, avec ses innombrables criques, ses petits ports en miniature, et leurs \'ab\~piers\~\'bb de bois, o\'f9
+ viennent accoster les embarcations de la baie et les vapeurs-omnibus.
+\par
+\par \'c0 neuf heures du soir \endash il faisait encore grand jour sous cette latitude \endash l\rquote antique cal\'e8che entrait dans la ville, non sans tapage, en suivant les rues d\'e9j\'e0 d\'e9sertes.
+\par
+\par D\rquote apr\'e8s l\rquote ordre donn\'e9 par Sylvius Hog, elle vint s\rquote arr\'eater \'e0 }{\i l\rquote H\'f4tel Victoria. }{C\rquote est l\'e0 que descendirent Hulda et Jo\'ebl. Des chambres avaient \'e9t\'e9 d\rquote avance retenues pour eux. Apr
+\'e8s un bonsoir affectueux, le professeur regagna sa vieille maison, o\'f9 sa vieille servante Kate et son vieux domestique Pink l\rquote attendaient avec une non moins vieille impatience.
+\par
+\par }\pard\plain \s1\qc\sb600\sa480\keepn\pagebb\nowidctlpar\widctlpar\outlinelevel0\adjustright \b\f40\fs38\lang1036\cgrid {{\*\bkmkstart _Toc97124747}XVII{\*\bkmkend _Toc97124747}\line
+\par }\pard\plain \qj\fi680\nowidctlpar\widctlpar\adjustright \f40\fs32\lang1036\cgrid {Christiania \endash grande cit\'e9 pour la Norv\'e8ge \endash ne serait qu\rquote une assez petite ville en Angleterre ou en France. Sans de fr\'e9
+quents incendies, elle se montrerait encore telle qu\rquote elle fut b\'e2tie au onzi\'e8me si\'e8cle. En r\'e9alit\'e9, elle ne date que de l\rquote ann\'e9e 1624, \'e9poque \'e0 laquelle la reconstruisit le roi Christian. D\rquote Opsol\'f6 qu\rquote
+elle s\rquote appelait alors, elle devint Christiania, du nom f\'e9minis\'e9 de son royal architecte. C\rquote est donc une ville r\'e9guli\'e8re, \'e0 larges rues, froides et droites, trac\'e9
+es au tire-ligne, avec des maisons de pierres blanches ou de briques rouges. Au milieu d\rquote un assez beau jardin, s\rquote \'e9l\'e8ve le ch\'e2teau royal, l\rquote Orscarslot, vaste b\'e2tisse quadrangulaire, sans style, bien qu\rquote
+elle soit de style ionien. \'c7\'e0 et l\'e0, apparaissent quelques \'e9glises, dans lesquelles les beaut\'e9s de l\rquote art ne sauraient distraire l\rquote attention des fid\'e8les. Enfin, il y a aussi plusieurs \'e9difices civils et \'e9
+tablissements publics, sans compter un grand bazar, dispos\'e9 en rotonde, o\'f9 viennent s\rquote entasser les produits \'e9trangers et indig\'e8nes.
+\par
+\par En tout cet ensemble, rien de tr\'e8s curieux. Mais, ce qu\rquote il faut admirer sans r\'e9serve, c\rquote est la position de la ville, au milieu de ce cirque de montagnes, si vari\'e9es d\rquote aspect, qui lui font un cadre superbe. Pr
+esque plate dans ses quartiers riches et neufs, elle ne se rel\'e8ve que pour former une sorte de Kasbah, couverte de maisons irr\'e9guli\'e8res o\'f9 v\'e9g\'e8te la population peu ais\'e9e, huttes de bois, huttes de brique, dont les tons criards \'e9
+tonnent le regard plus qu\rquote ils ne le charment.
+\par
+\par Il ne faudrait pas croire que le mot Kasbah, r\'e9serv\'e9 aux villes africaines, ne saurait \'eatre \'e0 sa place dans une cit\'e9 du nord de l\rquote Europe. Christiania n\rquote
+a-t-elle pas, dans le voisinage du port, les quartiers de Tunis, de Maroc et d\rquote Alger\~? Et, s\rquote il ne s\rquote y trouve pas des Tunisiens, des Marocains, des Alg\'e9riens, leur population flottante n\rquote en vaut gu\'e8re mieux.
+\par
+\par En somme, comme toute ville dont les pieds baignent dans la mer et qui dresse sa t\'eate au niveau de verdoyantes collines, Christiania est extr\'eamement pittoresque. Il n\rquote est pas injuste de comparer son fiord \'e0
+ la baie de Naples. Ainsi que les rivages de Sorrente ou de Castellamare, ses rives sont meubl\'e9es de villas et de chalets, \'e0 demi perdus dans la verdure presque noire des sapins, au milieu de ces l\'e9g\'e8res vapeurs qui leur donnent ce \'ab\~flou
+\~\'bb sp\'e9cial aux r\'e9gions hyperbor\'e9ennes.
+\par
+\par Sylvius Hog \'e9tait donc enfin de retour \'e0 Christiania. Il est vrai, ce retour s\rquote accomplissait dans des conditions qu\rquote il n\rquote aurait jamais pu pr\'e9voir, au milieu d\rquote un voyage interrompu. Eh bien\~
+! il en serait quitte pour le recommencer une autre ann\'e9e\~! En ce moment, il ne s\rquote agissait que de Jo\'ebl et de Hulda Hansen. S\rquote il ne les avait pas fait descendre dans sa maison, c\rquote est qu\rquote il e\'fb
+t fallu deux chambres pour les recevoir. Bien certainement, le vieux Pink, la vieille Kate leur auraient fait bon accueil\~! Mais on n\rquote avait pas eu le temps de se pr\'e9parer. Aussi le professeur les avait-il conduits \'e0 }{\i l\rquote H\'f4
+tel Victoria }{et recommand\'e9s particuli\'e8rement. Or, une recommandation de Sylvius Hog, d\'e9put\'e9 au Storthing, cela valait qu\rquote on en t\'eent compte.
+\par
+\par Mais, en m\'eame temps que le professeur demandait pour ses prot\'e9g\'e9s les attentions qu\rquote on aurait eues pour lui-m\'eame, il n\rquote avait point donn\'e9 leurs noms. Garder l\rquote incognito, tout d\rquote abord, cela
+ne lui paraissait que prudent \'e0 l\rquote endroit de Jo\'ebl et surtout de Hulda Hansen. On sait quel bruit s\rquote \'e9tait fait autour de la jeune fille, ce qui e\'fbt \'e9t\'e9 une g\'eane pour elle. Mieux valait ne rien dire de son arriv\'e9e \'e0
+ Christiania.
+\par
+\par Il avait \'e9t\'e9 convenu que, le lendemain, Sylvius Hog ne reverrait pas le fr\'e8re et la s\'9cur avant l\rquote heure du d\'e9jeuner, c\rquote est-\'e0-dire entre onze heures et midi.
+\par
+\par Le professeur, en effet, avait quelques affaires \'e0 r\'e9gler, qui devaient lui prendre toute la matin\'e9e\~; et il viendrait rejoindre Hulda et Jo\'ebl d\'e8s qu\rquote elles seraient termin\'e9
+es. Il ne les quitterait plus alors, il resterait avec eux jusqu\rquote au moment o\'f9 l\rquote on proc\'e9derait au tirage de la loterie, qui devait s\rquote effectuer \'e0 trois heures.
+\par
+\par Donc, Jo\'ebl, d\'e8s qu\rquote il fut lev\'e9, alla trouver sa s\'9cur. Hulda, tout habill\'e9e d\'e9j\'e0, l\rquote attendait dans sa chambre. Dans le but de la distraire un peu de ses pens\'e9es, qui devaient \'eatre plus douloureuses encore ce jour-l
+\'e0, Jo\'ebl lui proposa de se promener jusqu\rquote \'e0 l\rquote heure du d\'e9jeuner. Hulda, pour ne pas d\'e9sobliger son fr\'e8re, accepta l\rquote offre qu\rquote il lui faisait, et tous deux all\'e8rent un peu \'e0 l\rquote aventure \'e0
+ travers la ville.
+\par
+\par C\rquote \'e9tait un dimanche. Contrairement \'e0 ce qui se fait dans les cit\'e9s du Nord pendant les jours f\'e9ri\'e9s, o\'f9 le nombre des promeneurs est plus restreint, il y avait une grande animation par les rues. Non seulement les citadins n
+\rquote avaient point quitt\'e9 la ville pour la campagne, mais ils voyaient les ruraux des environs affluer chez eux. Le railway du lac Miosen, qui dessert les environs de la capitale, avait d\'fb organiser des trains suppl\'e9
+mentaires. Autant de curieux et surtout d\rquote int\'e9ress\'e9s qu\rquote attirait cette populaire loterie des \'c9coles de Christiania\~!
+\par
+\par Donc, beaucoup de monde \'e0 travers les rues, des familles au complet, m\'eame des villages entiers, venus avec l\rquote esp\'e9rance secr\'e8te de n\rquote avoir point fait un voyage inutile. Qu\rquote on y songe\~! Le million de billets avait \'e9t\'e9
+ plac\'e9, et, ne dussent-ils gagner qu\rquote un simple lot de cent ou deux cents marks, combien de braves gens rentreraient contents du sort dans leurs humbles soeters ou leurs modestes gaards\~!
+\par
+\par Jo\'ebl et Hulda, en quittant }{\i l\rquote H\'f4tel Victoria, }{descendirent d\rquote abord jusqu\rquote aux quais qui s\rquote arrondissent dans l\rquote est de la baie. En cet endroit, l\rquote affluence \'e9tait un peu moins grande, si ce n\rquote
+est dans les cabarets, o\'f9 la bi\'e8re et le brandevin, vers\'e9s \'e0 pleines chopes et \'e0 pleins verres, rafra\'eechissaient des gosiers en \'e9tat de soif permanente.
+\par
+\par Tandis que le fr\'e8re et la s\'9cur se promenaient entre les magasins, les rangs de barriques, les tas de caisses de toute provenance, les b\'e2timents, amarr\'e9s \'e0 terre ou mouill\'e9s au large, attiraient plus sp\'e9cialement leur attention. N
+\rquote y avait-il pas quelques-uns de ces navires qui \'e9taient attach\'e9s au port de Bergen, o\'f9 le }{\i Viken }{ne devait plus revenir\~?
+\par
+\par \endash \~Ole\~!\'85 Mon pauvre Ole\~! murmurait Hulda. Aussi Jo\'ebl voulut-il l\rquote entra\'eener loin de la baie, en remontant vers les quartiers de la haute ville.
+\par
+\par L\'e0, dans les rues, sur les places, au milieu des groupes, ils entendirent bien des propos \'e0 leur adresse.
+\par
+\par \endash \~Oui, disait l\rquote un, on avait \'e9t\'e9 jusqu\rquote \'e0 offrir dix mille marks du num\'e9ro 9672\~!
+\par
+\par \endash \~Dix mille\~? r\'e9pondait un autre. J\rquote ai entendu parler de vingt mille et m\'eame plus\~!
+\par
+\par \endash \~Monsieur Vanderbilt, de New York, est all\'e9 jusqu\rquote \'e0 trente mille\~!
+\par
+\par \endash \~Messieurs Baring, de Londres, \'e0 quarante mille\~!
+\par
+\par \endash \~Et messieurs Rothschild, de Paris, \'e0 soixante mille\~! On sait ce qu\rquote il fallait croire de ces exag\'e9rations du populaire. \'c0 continuer cette \'e9chelle ascendante, les prix offerts eussent fini par d\'e9
+passer le montant du gros lot\~!
+\par
+\par Mais, si les diseurs de nouvelles n\rquote \'e9taient pas d\rquote accord sur le chiffre des propositions faites \'e0 Hulda Hansen, la foule s\rquote entendait \'e0 merveille pour qualifier les agissements de l\rquote usurier de Drammen.
+\par
+\par \endash \~Quel damn\'e9 coquin, ce Sandgo\'efst, qui n\rquote a pas eu piti\'e9 de ces braves gens\~!
+\par
+\par \endash \~Oh\~! il est bien connu dans le Telemark, et il n\rquote en est pas \'e0 son coup d\rquote essai\~!
+\par
+\par \endash \~On dit qu\rquote il n\rquote a pu trouver \'e0 revendre le billet de Ole Kamp, apr\'e8s l\rquote avoir pay\'e9 d\rquote un bon prix\~!
+\par
+\par \endash \~Non\~! Personne n\rquote en a voulu\~!
+\par
+\par \endash \~Cela n\rquote est pas \'e9tonnant\~! Entre les mains de Hulda Hansen, ce billet \'e9tait bon\~!
+\par
+\par \endash \~\'c9videmment, tandis qu\rquote entre les mains de Sandgo\'efst, il ne vaut plus rien\~!
+\par
+\par \endash \~C\rquote est bien fait\~! Il lui restera pour compte, et puisse-t-il perdre les quinze mille marks qu\rquote il lui a co\'fbt\'e9s\~!
+\par
+\par \endash \~Mais, si ce gueux allait gagner le gros lot\~?\'85
+\par
+\par \endash \~Lui\~!\'85 Par exemple\~!
+\par
+\par \endash \~Voil\'e0 qui serait une injustice du sort\~! En tout cas, qu\rquote il ne vienne pas au tirage\~!\'85
+\par
+\par \endash \~Non, car on lui ferait un mauvais parti\~! Tel est le r\'e9sum\'e9 des opinions \'e9mises sur le compte de Sandgo\'efst. On sait d\rquote ailleurs que, par prudence ou pour tout autre motif, il n\rquote avait point l\rquote intention d\rquote
+assister au tirage, puisque, la veille, il \'e9tait encore dans sa maison de Drammen.
+\par
+\par Hulda, tr\'e8s \'e9mue, et Jo\'ebl, qui sentait le bras de sa s\'9cur fr\'e9mir au sien, passaient vite, sans chercher \'e0 en entendre davantage, comme s\rquote ils eussent craint d\rquote \'eatre acclam\'e9s de tous ces amis ignor\'e9s qu\rquote
+ils comptaient parmi cette foule.
+\par
+\par Quant \'e0 Sylvius Hog, peut-\'eatre avaient-ils esp\'e9r\'e9 le rencontrer par la ville. Il n\rquote en fut rien. Mais quelques mots, surpris dans les conversations, leur apprirent que le retour du professeur \'e0 Christiania \'e9tait d\'e9j\'e0
+ connu du public. Depuis le matin, on l\rquote avait vu marcher d\rquote un air tr\'e8s affair\'e9, en homme qui n\rquote a point le temps de questionner ni de r\'e9pondre, tant\'f4t du c\'f4t\'e9 du port, tant\'f4t du c\'f4t\'e9 des bureaux de la Marine.
+
+\par
+\par Certes, Jo\'ebl aurait pu demander \'e0 n\rquote importe quel passant o\'f9 demeurait le professeur Sylvius Hog. Chacun se f\'fbt empress\'e9 de lui indiquer sa maison et de l\rquote y conduire. Il ne le fit pas par crainte d\rquote \'ea
+tre indiscret, et, puisque rendez-vous \'e9tait donn\'e9 \'e0 l\rquote h\'f4tel, le mieux \'e9tait de s\rquote en tenir l\'e0.
+\par
+\par C\rquote est ce que Hulda pria Jo\'ebl de faire vers dix heures et demie. Elle se sentait tr\'e8s lasse, et tous ces propos, auxquels son nom \'e9tait m\'eal\'e9, lui faisaient mal.
+\par
+\par Elle rentra donc \'e0 }{\i l\rquote H\'f4tel Victoria, }{puis remonta dans sa chambre pour y attendre le retour de Sylvius Hog.
+\par
+\par Quant \'e0 Jo\'ebl, il \'e9tait rest\'e9 au rez-de-chauss\'e9e de l\rquote h\'f4tel, dans le salon de lecture. L\'e0, machinalement, il occupa son temps \'e0 feuilleter les journaux de Christiania.
+\par
+\par Tout \'e0 coup, sa figure p\'e2lit, son regard se troubla, le journal qu\rquote il tenait lui tomba des mains\'85
+\par
+\par Dans un num\'e9ro du }{\i Morgen-Blad, }{aux nouvelles de mer, il venait de lire la d\'e9p\'eache suivante, dat\'e9e de Terre-Neuve\~:
+\par
+\par \'ab\~L\rquote aviso }{\i Telegraf, }{arriv\'e9 sur le lieu pr\'e9sum\'e9 du naufrage du }{\i Viken, }{n\rquote en a retrouv\'e9 aucun vestige. Ses recherches sur la c\'f4te du Gro\'ebnland n\rquote ont pas eu plus de succ\'e8s. On doit donc consid\'e9
+rer comme certain qu\rquote il ne reste aucun survivant de l\rquote \'e9quipage du }{\i Viken.}{\~\'bb
+\par
+\par }\pard\plain \s1\qc\sb600\sa480\keepn\pagebb\nowidctlpar\widctlpar\outlinelevel0\adjustright \b\f40\fs38\lang1036\cgrid {{\*\bkmkstart _Toc97124748}XVIII{\*\bkmkend _Toc97124748}\line
+\par }\pard\plain \qj\fi680\nowidctlpar\widctlpar\adjustright \f40\fs32\lang1036\cgrid {\endash \~Bonjour, monsieur Benett\~! Quand je trouve l\rquote occasion de vous donner une poign\'e9e de main, cela me fait toujours plaisir.
+\par
+\par \endash \~Et cela me fait toujours honneur, monsieur Hog.
+\par
+\par \endash \~Honneur, plaisir, plaisir, honneur, r\'e9pondit gaiement le professeur, l\rquote un vaut l\rquote autre\~!
+\par
+\par \endash \~Je vois que votre voyage dans la Norv\'e8ge centrale s\rquote est heureusement achev\'e9.
+\par
+\par \endash \~Il n\rquote est point achev\'e9, mais il est fini, monsieur Benett \endash pour cette ann\'e9e du moins.
+\par
+\par \endash \~Eh bien, monsieur Hog, parlez-moi, s\rquote il vous pla\'eet, de ces braves gens dont vous avez fait la connaissance \'e0 Dal.
+\par
+\par \endash \~De braves gens, en effet, monsieur Benett, de braves gens et des gens braves\~! Le mot leur convient dans les deux sens\~!
+\par
+\par \endash \~D\rquote apr\'e8s ce que les journaux nous ont appris, il faut convenir qu\rquote ils sont bien \'e0 plaindre\~!
+\par
+\par \endash \~Tr\'e8s \'e0 plaindre, monsieur Benett\~! Je n\rquote ai jamais vu le malheur frapper de pauvres \'eatres avec une obstination pareille\~!
+\par
+\par \endash \~En effet, monsieur Hog. Apr\'e8s l\rquote affaire du }{\i Viken, }{l\rquote affaire de cet abominable Sandgo\'efst\~!
+\par
+\par \endash \~Comme vous dites, monsieur Benett.
+\par
+\par \endash \~En fin de compte, monsieur Hog, Hulda Hansen a bien fait de livrer le billet contre quittance.
+\par
+\par \endash \~Vous trouvez\~?\'85 Et pourquoi donc, s\rquote il vous pla\'eet\~?
+\par
+\par \endash \~Parce que de toucher quinze mille marks contre la quasi-certitude de ne rien toucher du tout\'85
+\par
+\par \endash \~Ah\~! monsieur Benett\~! riposta Sylvius Hog, vous parlez l\'e0 en homme pratique, en n\'e9gociant que vous \'eates\~! Mais, si l\rquote on veut se placer \'e0 un autre point de vue
+, cela devient une affaire de sentiment, et le sentiment ne se chiffre pas\~!
+\par
+\par \endash \~\'c9videmment, monsieur Hog\~; mais permettez-moi de vous le dire, il est tr\'e8s probable que votre prot\'e9g\'e9e en e\'fbt \'e9t\'e9 pour son sentiment\~!
+\par
+\par \endash \~Qu\rquote en savez-vous\~?
+\par
+\par \endash \~Mais songez-y donc\~! Que repr\'e9sentait ce billet\~? une seule chance de gagner sur un million\~!\'85
+\par
+\par \endash \~En effet, une chance sur un million\~! C\rquote est bien peu, monsieur Benett, c\rquote est bien peu\~!
+\par
+\par \endash \~Aussi la r\'e9action s\rquote est-elle faite, apr\'e8s l\rquote engouement des premiers jours, et, dit-on, ce Sandgo\'efst, qui n\rquote avait achet\'e9 ce billet que pour sp\'e9culer dessus, n\rquote a pu trouver de preneur\~!
+\par
+\par \endash \~Il para\'eet, monsieur Benett.
+\par
+\par \endash \~Et pourtant, si ce maudit usurier venait \'e0 gagner le gros lot, voil\'e0 qui serait un scandale\~!
+\par
+\par \endash \~Un scandale, assur\'e9ment, monsieur Benett, le mot n\rquote est pas trop fort, un scandale\~!
+\par
+\par En parlant ainsi, Sylvius Hog se promenait \'e0 travers les magasins, on peut dire \'e0 travers le bazar de M.\~Benett, si connu de Christiania et de toute la Norv\'e8ge. En effet, que ne trouve-t-on pas dans ce bazar\~
+? Voitures de voyages, kariols par douzaines, caisses de comestibles, paniers de vins, stock de conserves, v\'eatements et ustensiles de touristes, m\'eame des guides pour conduire les voyageurs jusqu\rquote aux derni\'e8res bourgades du Finmark, jusqu
+\rquote en Laponie, jusqu\rquote au p\'f4le Nord\~! Et ce n\rquote est pas tout\~! M.\~Benett n\rquote offre-t-il pas aux amateurs d\rquote histoire naturelle les divers \'e9chantillons de pierres et de m\'e9taux du sol, comme les sp\'e9
+cimens les plus vari\'e9s des oiseaux, insectes, reptiles, de la faune norv\'e9gienne\~? Et \endash ce qu\rquote il est bon de savoir \endash o\'f9 rencontrerait-on un assortiment de bijoux et de bibelots du pays plus complet que dans ses vitrines\~?
+
+\par
+\par Aussi ce gentleman est-il la Providence des touristes, d\'e9sireux de visiter la r\'e9gion scandinave. C\rquote est l\rquote homme universel dont Christiania ne pourrait plus se passer.
+\par
+\par \endash \~Et, \'e0 propos, monsieur Hog, dit-il, vous avez bien trouv\'e9 \'e0 Tinoset la voiture que vous m\rquote aviez demand\'e9e\~?
+\par
+\par \endash \~Puisque je vous l\rquote avais demand\'e9e, monsieur Benett, j\rquote \'e9tais certain qu\rquote elle y serait \'e0 l\rquote heure dite\~!
+\par
+\par \endash \~Vous me comblez, monsieur Hog. Mais, d\rquote apr\'e8s votre lettre, vous deviez \'eatre trois personnes\'85
+\par
+\par \endash \~Trois, en effet.
+\par
+\par \endash \~Et ces personnes\~?\'85
+\par
+\par \endash \~Elles sont arriv\'e9es, hier soir, en bonne sant\'e9, et elles m\rquote attendent \'e0 }{\i l\rquote H\'f4tel Victoria, }{o\'f9 je vais les rejoindre.
+\par
+\par \endash \~Est-ce que ce sont\~?\'85
+\par
+\par \endash \~Pr\'e9cis\'e9ment, monsieur Benett, ce sont\'85 Et, je vous prie, n\rquote en dites rien. Je tiens \'e0 ce que leur arriv\'e9e ne s\rquote \'e9bruite pas encore.
+\par
+\par \endash \~Pauvre fille\~!
+\par
+\par \endash \~Oui\~!\'85 Elle a bien souffert\~!
+\par
+\par \endash \~Et vous avez voulu qu\rquote elle assist\'e2t au tirage de la loterie, bien qu\rquote elle n\rquote ait plus le billet que lui avait l\'e9gu\'e9 son fianc\'e9\~?
+\par
+\par \endash \~Ce n\rquote est pas moi qui l\rquote ai voulu, monsieur Benett\~! C\rquote est Ole Kamp, et, \'e0 vous comme \'e0 tous, je r\'e9p\'e9terai\~: Il faut ob\'e9ir aux derni\'e8res volont\'e9s de Ole\~!
+\par
+\par \endash \~\'c9videmment, ce que vous faites est toujours bien fait, cher monsieur Hog.
+\par
+\par \endash \~Des compliments, cher monsieur Benett\~?\'85
+\par
+\par \endash \~Non, mais il est fort heureux pour elle que la famille Hansen vous ait trouv\'e9 sur son chemin\~!\'85
+\par
+\par \endash \~Bah\~! Il est encore plus heureux pour moi de l\rquote avoir trouv\'e9e sur le mien\~!
+\par
+\par \endash \~Je vois que vous avez toujours votre bon c\'9cur\~!
+\par
+\par \endash \~Monsieur Benett, puisqu\rquote on est oblig\'e9 d\rquote avoir un c\'9cur, autant vaut qu\rquote il soit bon, n\rquote est-ce pas\~?
+\par
+\par Et de quel excellent sourire Sylvius Hog accompagna cette r\'e9ponse au digne commer\'e7ant.
+\par
+\par \endash \~Et maintenant, monsieur Benett, reprit-il, ne croyez pas que je sois venu chercher des f\'e9licitations chez vous\~! Non\~! C\rquote est un autre motif qui m\rquote am\'e8ne.
+\par
+\par \endash \~\'c0 votre service.
+\par
+\par \endash \~Vous savez, n\rquote est-il pas vrai, que, sans l\rquote intervention de Jo\'ebl et de Hulda Hansen, si le Rjukanfos avait bien voulu me rendre, il ne m\rquote aurait rendu qu\rquote \'e0 l\rquote \'e9tat de cadavre. Je n\rquote
+aurais donc pas aujourd\rquote hui le plaisir de vous voir\'85
+\par
+\par \endash \~Oui\~!\'85 Oui\~!\'85 Je sais\~! r\'e9pondit M.\~Benett. Les journaux ont racont\'e9 votre aventure\~!\'85 Et, en v\'e9rit\'e9, ces courageux jeunes gens eussent bien m\'e9rit\'e9 de gagner le gros lot\~!
+\par
+\par \endash \~C\rquote est mon avis, r\'e9pondit Sylvius Hog. Mais, puisque c\rquote est maintenant impossible, je ne voudrais pas que ma petite Hulda retourn\'e2t \'e0 Dal sans quelque petit cadeau\'85 un souvenir\'85
+\par
+\par \endash \~C\rquote est l\'e0 ce que j\rquote appellerai une bonne id\'e9e, monsieur Hog\~!
+\par
+\par \endash \~Vous allez donc m\rquote aider \'e0 choisir, parmi toutes vos richesses, quelque chose qui puisse plaire \'e0 une jeune fille\'85
+\par
+\par \endash \~Volontiers, r\'e9pondit M.\~Benett. Et il pria le professeur de passer dans le magasin r\'e9serv\'e9 \'e0 la joaillerie indig\'e8ne. Un bijou norv\'e9gien, n\rquote \'e9tait-ce pas le plus charmant souvenir qu\rquote on p\'fb
+t emporter de Christiania et du merveilleux bazar de M.\~Benett\~?
+\par
+\par Ce fut aussi l\rquote avis de Sylvius Hog, auquel le complaisant gentleman s\rquote empressa d\rquote ouvrir toutes ses vitrines.
+\par
+\par \endash \~Voyons, dit-il, je ne suis pas tr\'e8s connaisseur, et je m\rquote en rapporte \'e0 votre go\'fbt, monsieur Benett.
+\par
+\par \endash \~Nous nous entendrons, monsieur Hog. Il y avait l\'e0 tout un assortiment de ces bijoux su\'e9dois et norv\'e9giens, de fabrication tr\'e8s complexe, et qui sont g\'e9n\'e9ralement plus pr\'e9cieux de travail que de mati\'e8re.
+\par
+\par \endash \~Qu\rquote est-ce que cela\~? demanda le professeur.
+\par
+\par \endash \~C\rquote est une bague en doubl\'e9, avec glands mobiles, dont le tintement est fort agr\'e9able.
+\par
+\par \endash \~Tr\'e8s joli\~! r\'e9pondit Sylvius Hog, en essayant la bague \'e0 l\rquote extr\'e9mit\'e9 de son petit doigt. Mettez toujours cette bague de c\'f4t\'e9, monsieur Benett, et voyons autre chose.
+\par
+\par \endash \~Bracelets ou colliers\~?
+\par
+\par \endash \~Un peu de tout, si vous permettez, monsieur Benett, un peu de tout\~! Ah\~! ceci\~?\'85
+\par
+\par \endash \~Ce sont des rondelles qui se portent par paires au corsage. Voyez-vous l\rquote effet du cuivre sur ce fond de laine rouge pliss\'e9e\~? C\rquote est de tr\'e8s bon go\'fbt, sans atteindre de trop hauts prix.
+\par
+\par \endash \~Charmant, en effet, monsieur Benett. Mettons encore cet ornement de c\'f4t\'e9.
+\par
+\par \endash \~Seulement, monsieur Hog, je vous ferai observer que ces rondelles sont absolument r\'e9serv\'e9es aux parures des jeunes mari\'e9es\'85 le jour des noces\'85 et que\'85
+\par
+\par \endash \~Par saint Olaf\~! vous avez raison, monsieur Benett, vous avez bien raison\~! Ma pauvre Hulda\~! Ce n\rquote est malheureusement pas Ole qui lui fait ce cadeau, c\rquote est moi, et ce n\rquote est plus \'e0 une fianc\'e9e que je vais l\rquote
+offrir\~!\'85
+\par
+\par \endash \~En effet, monsieur Hog\~!
+\par
+\par \endash \~Voyons donc d\rquote autres bijoux qui soient \'e0 l\rquote usage d\rquote une jeune fille. Ah\~! cette croix, monsieur Benett\~?
+\par
+\par \endash \~C\rquote est une croix de suspension, avec disques concaves qui r\'e9sonnent \'e0 chaque mouvement du cou.
+\par
+\par \endash \~Fort joli\~!\'85 Fort joli\~!\'85 Mettez cela \'e0 part, monsieur Benett. Quand j\rquote aurai visit\'e9 toutes vos vitrines, nous ferons notre choix\'85
+\par
+\par \endash \~Oui, mais\'85
+\par
+\par \endash \~Encore un mais\~?
+\par
+\par \endash \~Cette croix, c\rquote est celle que portent les mari\'e9es de la Scanie, en se rendant \'e0 l\rquote \'e9glise\'85
+\par
+\par \endash \~Diable, monsieur Benett\~!\'85 Il faut bien avouer que je n\rquote ai pas la main heureuse\~!
+\par
+\par \endash \~Cela tient, monsieur Hog, \'e0 ce que ce sont des bijoux de mari\'e9es dont j\rquote ai le plus grand assortiment et que je vends en plus grand nombre. Vous ne pouvez vous en \'e9tonner.
+\par
+\par \endash \~Cela ne m\rquote \'e9tonne en aucune fa\'e7on, monsieur Benett\~; mais, enfin, cela m\rquote embarrasse\~!
+\par
+\par \endash \~Eh bien, prenez toujours cet anneau d\rquote or que vous avez fait mettre de c\'f4t\'e9\~!
+\par
+\par \endash \~Oui\'85 cet anneau d\rquote or\'85 J\rquote aurais voulu cependant aussi quelque autre bijou plus\'85 comment dirai-je\~?\'85 plus d\'e9coratif\'85
+\par
+\par \endash \~Alors, n\rquote h\'e9sitez pas\~! Prenez cette plaque d\rquote argent filigran\'e9, dont les quatre rang\'e9es de cha\'eenettes font si bon effet au cou d\rquote une jeune fille\~! Voyez\~! elle est sem\'e9e de fines verroteries et agr\'e9ment
+\'e9e de fus\'e9es de laiton en forme de bobines, avec des perles de couleur taill\'e9es en briolettes\~! C\rquote est un des plus curieux produits de l\rquote orf\'e8vrerie norv\'e9gienne\~!
+\par
+\par \endash \~Oui\~!\'85 Oui\~!\'85 r\'e9pondit Sylvius Hog. Un joli bijou, mais un peu pr\'e9tentieux, peut-\'eatre, pour ma modeste Hulda\~! En v\'e9rit\'e9, je pr\'e9f\'e9rerais les rondelles que vous m\rquote avez montr\'e9es tout \'e0 l\rquote
+heure, ainsi que la croix de suspension\~! Sont-elles donc tellement sp\'e9ciales aux parures de noces qu\rquote on ne puisse en faire cadeau \'e0 une jeune fille\~?
+\par
+\par \endash \~Monsieur Hog, r\'e9pondit M.\~Benett, le Storthing n\rquote a pas encore fait de loi \'e0 cet \'e9gard\~!\'85 C\rquote est sans doute une lacune\'85
+\par
+\par \endash \~Bon, bon, monsieur Benett, nous arrangerons cela\~! En attendant, je prends toujours la croix et les rondelles\~!\'85 Et puis, enfin, ma petite Hulda peut se marier un jour\~!\'85 Bonne et charmante comme elle est, l\rquote
+occasion ne lui manquera pas d\rquote utiliser ces parures\~!\'85 C\rquote est donc d\'e9cid\'e9, je les prends et je les emporte\~!
+\par
+\par \endash \~Bien, monsieur Hog.
+\par
+\par \endash \~Est-ce que nous aurons le plaisir de vous voir au tirage de la loterie, monsieur Benett\~?
+\par
+\par \endash \~Certainement.
+\par
+\par \endash \~Je crois que cela sera tr\'e8s int\'e9ressant.
+\par
+\par \endash \~J\rquote en suis s\'fbr.
+\par
+\par \endash \~\'c0 bient\'f4t, monsieur Benett, \'e0 bient\'f4t.
+\par
+\par \endash \~\'c0 bient\'f4t, monsieur Hog.
+\par
+\par \endash \~Tiens\~! fit le professeur en se penchant au-dessus d\rquote une vitrine. Voil\'e0 deux jolis anneaux que je n\rquote avais pas vus\~!
+\par
+\par \endash \~Oh\~! Ceux-l\'e0 ne peuvent vous convenir, monsieur Hog. Ce sont des anneaux grav\'e9s que le pasteur met au doigt des mari\'e9s, pendant la c\'e9r\'e9monie\'85
+\par
+\par \endash \~Vraiment\~?\'85 Bah\~! je les prends tout de m\'eame\~!
+\par
+\par \endash \~\'c0 bient\'f4t, monsieur Benett, \'e0 bient\'f4t. Sylvius Hog sortit, et, d\rquote un pas l\'e9ger \endash un pas de vingt ans \endash \~il se dirigea vers }{\i l\rquote H\'f4tel Victoria. }{Arriv\'e9 sous le vestibule, il aper\'e7ut tout d
+\rquote abord ces mots }{\i Fiat lux, }{qui sont inscrits en exergue sur la lanterne du gaz.
+\par
+\par \'ab\~Eh\~! se dit-il, ce latin-l\'e0 est de circonstance\~! Oui\~! }{\i Fiat lux\~!\'85 Fiat lux\~!\~\'bb}{
+\par
+\par Hulda \'e9tait dans sa chambre. Assise pr\'e8s de la fen\'eatre, elle attendait. Le professeur frappa \'e0 la porte, qui s\rquote ouvrit aussit\'f4t.
+\par
+\par \endash \~Ah\~! monsieur Sylvius\~! s\rquote \'e9cria la jeune fille en se levant.
+\par
+\par \endash \~Me voil\'e0\~! Me voil\'e0\~! Mais il ne s\rquote agit pas de monsieur Sylvius, ma petite Hulda, il s\rquote agit du d\'e9jeuner qui est d\'e9j\'e0 servi. J\rquote ai une faim de loup. O\'f9 est Jo\'ebl\~?
+\par
+\par \endash \~Dans la salle de lecture.
+\par
+\par \endash \~Bien\~!\'85 Je vais l\rquote y chercher\~! Vous, ch\'e8re enfant, descendez tout de suite nous rejoindre\~! Sylvius Hog quitta la chambre de Hulda et alla trouver Jo\'ebl qui l\rquote attendait aussi, mais d\'e9sesp\'e9r\'e9.
+\par
+\par Le pauvre gar\'e7on lui montra le num\'e9ro du }{\i Morgen-Blad. }{La d\'e9p\'eache du commandant du }{\i Telegraf }{ne laissait plus aucun doute sur la perte totale du }{\i Viken.}{
+\par
+\par }{\i \endash \~}{Hulda n\rquote a pas lu\~?\'85 demanda vivement le professeur.
+\par
+\par \endash \~Non, monsieur Sylvius, non\~! Il vaut mieux lui cacher ce qu\rquote elle n\rquote apprendra que trop t\'f4t\~!
+\par
+\par \endash \~Vous avez bien fait, mon gar\'e7on\'85 Allons d\'e9jeuner. Un instant apr\'e8s, tous trois \'e9taient assis \'e0 une table particuli\'e8re. Sylvius Hog mangeait de grand app\'e9tit. Un excellent d\'e9jeuner, d\rquote
+ailleurs, et qui avait toute l\rquote importance d\rquote un d\'eener. Qu\rquote on en juge\~! Soupe froide \'e0 la bi\'e8re, avec tranches de citron, morceaux de cannelle, saupoudr\'e9e de pain bis en miettes, saumon \'e0 la sauce blanche sucr\'e9
+e, veau cuit dans de la fine chapelure, rosbif saignant avec une salade non assaisonn\'e9e, mais relev\'e9e d\rquote \'e9pices, glaces \'e0 la vanille, confiture de pommes de terre, framboises, cerises et noisettes, le tout arros\'e9 d\rquote
+un vieux Saint-Julien de France.
+\par
+\par \endash \~Excellent\~!\'85 Excellent\~!\'85 r\'e9p\'e9tait Sylvius Hog. On se croirait \'e0 Dal dans l\rquote auberge de dame Hansen\~! Et, \'e0 d\'e9faut de sa bouche emp\'each\'e9e, ses bons yeux souriaient autant que des yeux peuvent sourire.
+\par
+\par Jo\'ebl et Hulda eussent vainement voulu se mettre \'e0 ce diapason\~; ils ne l\rquote auraient pu, et la pauvre fille prit \'e0 peine sa part du d\'e9jeuner. Quand le repas fut achev\'e9\~:
+\par
+\par \endash \~Mes enfants, dit Sylvius Hog, vous avez \'e9videmment eu tort de ne point faire honneur \'e0 cette agr\'e9able cuisine. Mais, enfin, je ne pouvais pas vous forcer. Apr\'e8s tout, si vous n\rquote avez pas d\'e9jeun\'e9, vous n\rquote en d\'ee
+nerez que mieux. Par exemple, je ne sais pas si je pourrai vous tenir t\'eate ce soir\~! Et maintenant, voici le moment de se lever de table.
+\par
+\par Le professeur \'e9tait d\'e9j\'e0 debout, il prenait son chapeau que lui tendait Jo\'ebl, lorsque Hulda, l\rquote arr\'eatant, lui dit\~:
+\par
+\par \endash \~Monsieur Sylvius, vous tenez toujours, n\rquote est-ce pas, \'e0 ce que je vous accompagne\~?
+\par
+\par \endash \~Pour assister au tirage de la loterie\~?\'85 Certainement j\rquote y tiens, et beaucoup, ma ch\'e8re fille\~!
+\par
+\par \endash \~Ce sera bien p\'e9nible pour moi\~!
+\par
+\par \endash \~Tr\'e8s p\'e9nible, j\rquote en conviens\~! Mais Ole a voulu que vous fussiez pr\'e9sente au tirage, Hulda, et il faut respecter la volont\'e9 de Ole\~!
+\par
+\par D\'e9cid\'e9ment, cette phrase \'e9tait devenue un refrain dans la bouche de Sylvius Hog\~!
+\par
+\par }\pard\plain \s1\qc\sb600\sa480\keepn\pagebb\nowidctlpar\widctlpar\outlinelevel0\adjustright \b\f40\fs38\lang1036\cgrid {{\*\bkmkstart _Toc97124749}XIX{\*\bkmkend _Toc97124749}\line
+\par }\pard\plain \qj\fi680\nowidctlpar\widctlpar\adjustright \f40\fs32\lang1036\cgrid {Quelle affluence en cette grande salle de l\rquote Universit\'e9 de Christiania, o\'f9 allait s\rquote effectuer le tirage de la loterie \endash et m\'ea
+me dans les cours, puisque la grande salle ne pouvait suffire \'e0 tant de monde \endash et jusque dans les rues avoisinantes, puisque les cours \'e9taient encore trop petites pour contenir tout ce populaire\~!
+\par
+\par Certes, ce dimanche 15 juillet, ce n\rquote est pas \'e0 leur calme qu\rquote on e\'fbt pu reconna\'eetre ces Norv\'e9giens si \'e9trangement surexcit\'e9s. Quant \'e0 cette surexcitation, \'e9tait-elle due \'e0 l\rquote int\'e9r\'eat qui s\rquote
+attachait \'e0 ce tirage, ou provenait-elle de la haute temp\'e9rature de cette journ\'e9e d\rquote \'e9t\'e9\~? Peut-\'eatre int\'e9r\'eat et chaleur y contribuaient-ils\~? En tout cas, ce n\rquote \'e9tait pas l\rquote absorption de ces fruits rafra\'ee
+chissants, de ces }{\i multers, }{dont il se fait une si grande consommation en Scandinavie, qui e\'fbt pu la refroidir\~!
+\par
+\par Le tirage devait commencer \'e0 trois heures pr\'e9cises. Il y avait cent lots, divis\'e9s en trois s\'e9ries\~: 1\'b0 quatre-vingt-dix lots de cent \'e0 mille marks, d\rquote une valeur totale de quarante-cinq mille marks\~; 2\'b0 neuf lots de mille \'e0
+ neuf mille marks, \'e9galement d\rquote une valeur totale de quarante-cinq mille marks\~; 3\'b0 un lot de cent mille marks.
+\par
+\par Contrairement \'e0 ce qui se fait ordinairement dans les loteries de ce genre, le grand effet avait \'e9t\'e9 r\'e9serv\'e9 pour la fin. Ce ne devait pas \'eatre au premier num\'e9ro sortant que serait attribu\'e9 le gros lot, ce serait au dernier, c
+\rquote est-\'e0-dire, au centi\'e8me. De l\'e0, une succession d\rquote impressions, d\rquote \'e9motions, de battements de c\'9cur, qui irait toujours croissant. Il va de soi que tout num\'e9ro, ayant gagn\'e9
+ une fois, ne pouvait gagner une seconde, et serait annul\'e9, s\rquote il venait \'e0 ressortir des urnes.
+\par
+\par Tout cela \'e9tait connu du public. Il n\rquote y avait plus qu\rquote \'e0 attendre l\rquote heure fix\'e9e. Mais, pour tromper les longueurs de l\rquote attente, on causait, et, le plus
+souvent, de la touchante situation de Hulda Hansen. Vraiment, si elle e\'fbt encore poss\'e9d\'e9 le billet de Ole Kamp, chacun aurait fait des v\'9cux pour elle \endash apr\'e8s soi, bien entendu\~!
+\par
+\par \'c0 ce moment, quelques personnes avaient d\'e9j\'e0 connaissance de la d\'e9p\'eache publi\'e9e par le }{\i Morgen-Blad. }{Elles en parl\'e8rent \'e0 leurs voisins. On sut bient\'f4t, dans toute l\rquote assistance, que les recherches de l\rquote
+aviso n\rquote avaient point abouti. Ainsi donc, il fallait renoncer \'e0 retrouver m\'eame une \'e9pave du }{\i Viken. }{Pas un homme de l\rquote \'e9quipage n\rquote avait surv\'e9cu au naufrage\~! Hulda ne reverrait jamais son fianc\'e9\~!
+\par
+\par Un incident vint d\'e9tourner les esprits. Le bruit se r\'e9pandit que Sandgo\'efst s\rquote \'e9tait d\'e9cid\'e9 \'e0 quitter Drammen, et quelques-uns pr\'e9tendaient l\rquote avoir vu dans les rues de Christiania. Se serait-il donc hasard\'e9 \'e0
+ venir dans la salle\~! S\rquote il en \'e9tait ainsi, ce mauvais homme devait s\rquote attendre \'e0 un d\'e9cha\'eenement formidable contre sa personne\~! Lui\~! assister au tirage de la loterie\~!\'85 Mais, c\rquote \'e9
+tait tellement improbable que ce n\rquote \'e9tait pas possible. En somme, fausse alerte, rien de plus.
+\par
+\par Vers deux heures un quart, il se produisit un certain mouvement dans la foule.
+\par
+\par C\rquote \'e9tait le professeur Sylvius Hog qui se pr\'e9sentait \'e0 la porte de l\rquote Universit\'e9. On savait quelle part il avait prise \'e0 toute cette affaire, et comment apr\'e8s avoir \'e9t\'e9 sauv\'e9
+ par les enfants de dame Hansen, il essayait de payer sa dette.
+\par
+\par Aussit\'f4t les rangs de s\rquote ouvrir. Un murmure flatteur, auquel Sylvius Hog r\'e9pondit par d\rquote aimables inclinations de t\'eate, se propagea \'e0 travers l\rquote assistance et ne tarda pas \'e0 se changer en acclamations.
+\par
+\par Mais le professeur n\rquote \'e9tait pas seul. Lorsque les plus rapproch\'e9s se recul\'e8rent pour lui faire place, on vit qu\rquote il avait une jeune fille au bras, tandis qu\rquote un jeune homme les suivait tous deux.
+\par
+\par Un jeune homme, une jeune fille\~! Il y eut l\'e0 une sorte de secousse \'e9lectrique. La m\'eame pens\'e9e jaillit de tous ces cerveaux comme l\rquote \'e9tincelle d\rquote autant d\rquote accumulateurs.
+\par
+\par \endash \~Hulda\~!\'85 Hulda Hansen\~! Tel fut le nom qui s\rquote \'e9chappa de toutes les bouches. Oui\~! C\rquote \'e9tait Hulda, \'e9mue \'e0 ne pouvoir se soutenir. Elle f\'fbt tomb\'e9
+e, sans le bras de Sylvius Hog. Mais il la tenait bien, la touchante h\'e9ro\'efne de cette f\'eate \'e0 laquelle manquait Ole Kamp\~! Combien elle e\'fbt pr\'e9f\'e9r\'e9 rester dans sa petite chambre de Dal\~! Quel besoin elle \'e9prouvait de se sous
+traire \'e0 toute cette curiosit\'e9, si sympathique qu\rquote elle p\'fbt \'eatre\~! Mais Sylvius Hog avait voulu qu\rquote elle v\'eent\~: elle \'e9tait venue.
+\par
+\par \endash \~Place\~! Place\~! criait-on de toutes parts. Et on se rangeait devant Sylvius Hog, devant Hulda, devant Jo\'ebl. Que de mains s\rquote allong\'e8rent pour saisir leurs mains\~! Que de bonnes et accueillantes paroles sur leur passage\~
+! Et comme Sylvius Hog approuvait toutes ces d\'e9monstrations\~!
+\par
+\par \endash \~Oui\~! c\rquote est elle, mes amis\~!\'85 C\rquote est ma petite Hulda que j\rquote ai ramen\'e9e de Dal\~! disait-il. Puis, se retournant\~:
+\par
+\par \endash \~Et c\rquote est Jo\'ebl, son brave fr\'e8re\~! Et il ajoutait\~:
+\par
+\par \endash \~Mais, surtout, ne me les \'e9touffez pas\~! Et, pendant que les mains de Jo\'ebl r\'e9pondaient \'e0 toutes les pressions, celles du professeur, moins vigoureuses, \'e9taient bris\'e9es par tant d\rquote \'e9treintes. En m\'eame temps, son \'9c
+il brillait, quoique une petite larme d\rquote \'e9motion se f\'fbt gliss\'e9e sous sa paupi\'e8re. Mais \endash ph\'e9nom\'e8ne digne de l\rquote attention des ophtalmologistes \endash cette petite larme \'e9
+tait comme lumineuse. Il fallut un bon quart d\rquote heure pour traverser les cours de l\rquote Universit\'e9, gagner la grande salle, atteindre les chaises qui avaient \'e9t\'e9 r\'e9serv\'e9
+es au professeur. Enfin, cela fut fait, non sans quelque peine. Sylvius Hog prit place entre Hulda et Jo\'ebl. \'c0 deux heures et demie, une porte s\rquote ouvrit derri\'e8re l\rquote estrade, au fond de la salle. Le pr\'e9
+sident du bureau apparut, digne, s\'e9rieux, ayant cet air dominateur, ce port de t\'eate sp\'e9cial \'e0 tout homme appel\'e9 \'e0 une pr\'e9sidence quelconque. Deux assesseurs le suivaient, non moins graves. Puis, on vit entrer six p
+etites filles enrubann\'e9es, fleuries, toutes blondes aux yeux bleus, avec des mains un peu rouges, dans lesquelles on reconnaissait visiblement ces mains de l\rquote innocence, pr\'e9destin\'e9es au tirage des loteries. Cette entr\'e9
+e fut accueillie par un brouhaha, qui t\'e9moignait d\rquote abord du plaisir qu\rquote on \'e9prouvait \'e0 voir les directeurs de la loterie de Christiania, ensuite de l\rquote impatience qu\rquote ils avaient provoqu\'e9e en ne paraissant pas plus t
+\'f4t sur l\rquote estrade. S\rquote il y avait six petites filles, c\rquote est qu\rquote il y avait six urnes, dispos\'e9es sur une table, et desquelles six num\'e9ros devaient sortir \'e0 chaque tirage.
+\par
+\par Ces six urnes contenaient chacune les dix num\'e9ros 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 0, repr\'e9sentant les unit\'e9s, dizaines, centaines, mille, dizaines de mille et centaines de mille du nombre million. S\rquote il n\rquote y avait pas de septi\'e8
+me urne pour la colonne du million, c\rquote est que, d\rquote apr\'e8s ce mode de tirage, il est convenu que si les six z\'e9ros sortent \'e0 la fois, ils repr\'e9sentent le nombre million \endash ce qui r\'e9partit \'e9galement les chances su
+r tous les num\'e9ros.
+\par
+\par En outre, on avait d\'e9cid\'e9 que les num\'e9ros seraient successivement extraits des urnes en commen\'e7ant par celle qui \'e9tait \'e0 la gauche du public. Le nombre gagnant se formerait ainsi sous les yeux des spectateurs, d\rquote
+abord par le chiffre de la colonne des centaines de mille, puis des dizaines de mille, et ainsi de suite jusqu\rquote \'e0 la colonne des unit\'e9s. Gr\'e2ce \'e0 cette convention, on juge avec quelle \'e9motion chacun verrait s\rquote accro\'ee
+tre ses chances, apr\'e8s la sortie de chaque chiffre.
+\par
+\par \'c0 trois heures sonnant, le pr\'e9sident fit un signe de la main et d\'e9clara la s\'e9ance ouverte.
+\par
+\par Le long murmure qui accueillit cette d\'e9claration dura pendant quelques minutes, apr\'e8s lesquelles un certain silence s\rquote \'e9tablit.
+\par
+\par Le pr\'e9sident se leva alors. Tr\'e8s \'e9mu, il pronon\'e7a le petit discours de circonstance, dans lequel il parut regretter qu\rquote il n\rquote y e\'fbt pas un gros lot pour chaque billet. Puis, il ordonna de proc\'e9der au tirage de la premi\'e8
+re s\'e9rie. Elle comprenait, on le sait, quatre-vingt-dix lots, ce qui allait exiger un certain temps.
+\par
+\par Les six petites filles commenc\'e8rent donc \'e0 fonctionner avec une r\'e9gularit\'e9 automatique, sans que la patience du public se lass\'e2t un seul instant. Il est vrai, l\rquote importance des lots croissant avec chaque tirage, l\rquote \'e9
+motion croissait aussi, et personne ne songeait \'e0 quitter sa place, pas m\'eame ceux dont les num\'e9ros sortis n\rquote avaient plus rien \'e0 pr\'e9tendre.
+\par
+\par Cela dura une heure, sans qu\rquote il se produisit d\rquote incident. Ce que l\rquote on put observer, toutefois, c\rquote est que le num\'e9ro 9672 n\rquote \'e9tait pas encore sorti \endash ce qui lui e\'fbt enlev\'e9
+ toutes chances de gagner le lot de cent mille marks.
+\par
+\par \endash \~Voil\'e0 qui est de bon augure pour ce Sandgo\'efst\~! dit un des voisins du professeur.
+\par
+\par \endash \~Bah\~! Il serait bien \'e9tonnant que le gros lot lui \'e9ch\'fbt\~! r\'e9pondait un autre, bien qu\rquote il ait un fameux num\'e9ro\~!
+\par
+\par \endash \~En effet, un fameux\~! r\'e9pondit Sylvius Hog. Mais ne me demandez pas pourquoi\~!\'85 Je ne serais pas capable de vous le dire\~!
+\par
+\par Alors commen\'e7a le tirage de la deuxi\'e8me s\'e9rie, qui comprenait neuf lots. Cela allait devenir tout \'e0 fait int\'e9ressant, le quatre-vingt-onzi\'e8me \'e9tant de mille marks, le quatre-vingt-douzi\'e8me de deux mille, et ainsi de suite jusqu
+\rquote au quatre-vingt-dix-neuvi\'e8me, lequel \'e9tait de neuf mille. La troisi\'e8me s\'e9rie, on ne l\rquote a pas oubli\'e9, se composait uniquement du gros lot.
+\par
+\par Le num\'e9ro 72521 gagna un lot de cinq mille marks. Ce billet \'e9tait celui d\rquote un brave marinier du port, qui fut acclam\'e9 par toute l\rquote assistance et supporta tr\'e8s dignement ces acclamations.
+\par
+\par Un autre num\'e9ro, le 823752, gagna six mille marks. Et quelle fut la joie de Sylvius Hog, lorsque Jo\'ebl lui apprit qu\rquote il appartenait \'e0 la charmante Siegfrid, de Bamble\~!
+\par
+\par Mais alors il se produisit un incident, et tout le public \'e9prouva une \'e9motion qui se traduisit par des murmures. Lorsqu\rquote on tira le quatre-vingt-dix-septi\'e8me lot \endash celui de sept mille marks \endash
+ on put croire un instant que Sandgo\'efst allait \'eatre favoris\'e9 par le sort, au moins pour ce lot.
+\par
+\par En effet, le num\'e9ro qui le gagna fut le 9627. Il ne s\rquote en \'e9tait fallu que de quarante-cinq points que ce ne f\'fbt celui d\rquote Ole Kamp\~!
+\par
+\par Les deux tirages suivants donn\'e8rent des num\'e9ros tr\'e8s \'e9loign\'e9s\~: 775 et 76287.
+\par
+\par La deuxi\'e8me s\'e9rie \'e9tait close. Il ne restait plus \'e0 tirer que le dernier lot de cent mille marks.
+\par
+\par En ce moment, l\rquote agitation des spectateurs devint extraordinaire, et il serait assez difficile d\rquote en reproduire l\rquote intensit\'e9.
+\par
+\par Ce fut d\rquote abord un long murmure, qui se propagea de la grande salle dans les cours et jusque dans les rues. Quelques minutes se pass\'e8rent m\'eame, sans qu\rquote il parv\'eent \'e0 se calmer. Cependant le decrescendo se fit peu \'e0
+ peu, et un profond silence le suivit. On e\'fbt dit que toute l\rquote assistance \'e9tait fig\'e9e. Il y avait dans ce calme une certaine quantit\'e9 de stupeur \endash qu\rquote on nous permette cette comparaison \endash de cette stupeur qu\rquote
+on \'e9prouve au moment o\'f9 un condamn\'e9 para\'eet sur la place de l\rquote ex\'e9cution. Mais, cette fois, le patient, encore inconnu, n\rquote \'e9tait condamn\'e9 qu\rquote \'e0 gagner cent mille marks, non \'e0 perdre la t\'eate, \'e0 moins qu
+\rquote il ne la perdit de joie.
+\par
+\par Jo\'ebl, les bras crois\'e9s, regardait vaguement devant lui, \'e9tant le moins \'e9motionn\'e9 peut-\'eatre de toute cette foule.
+\par
+\par Hulda, assise, comme repli\'e9e en elle-m\'eame, ne songeait qu\rquote \'e0 son pauvre Ole. Elle le cherchait instinctivement du regard, comme s\rquote il e\'fbt d\'fb appara\'eetre au dernier moment\~!
+\par
+\par Sylvius Hog, lui\'85 Mais il faut renoncer \'e0 d\'e9peindre l\rquote \'e9tat dans lequel se trouvait Sylvius Hog.
+\par
+\par \endash \~Tirage du lot de cent mille marks\~! dit le pr\'e9sident. Quelle voix\~! Elle semblait venir des entrailles de cet homme solennel. Cela tenait \'e0 ce qu\rquote il avait plusieurs billets, qui, n\rquote \'e9tant pas encore sortis, pouvaient pr
+\'e9tendre au gros lot.
+\par
+\par La premi\'e8re petite fille tira un num\'e9ro de l\rquote urne de gauche et le montra \'e0 l\rquote assembl\'e9e.
+\par
+\par \endash \~Z\'e9ro\~! dit le pr\'e9sident.
+\par
+\par Ce z\'e9ro ne fit pas un tr\'e8s grand effet. Il semblait vraiment qu\rquote on s\rquote attend\'eet \'e0 le voir appara\'eetre.
+\par
+\par \endash \~Z\'e9ro\~! dit le pr\'e9sident, en proclamant le chiffre tir\'e9 par la seconde petite fille.
+\par
+\par Deux z\'e9ros\~! On observa que les chances s\rquote accroissaient notablement pour tous les num\'e9ros compris entre un et neuf mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf. Or, le billet de Ole Kamp \endash qu\rquote on ne l\rquote oublie pas \endash
+ portait le num\'e9ro 9672.
+\par
+\par Chose singuli\'e8re, Sylvius Hog commen\'e7a \'e0 s\rquote agiter sur sa chaise, comme si elle e\'fbt \'e9t\'e9 prise de roulis.
+\par
+\par \endash \~Neuf\~! dit le pr\'e9sident, en annon\'e7ant le chiffre que la troisi\'e8me petite fille venait d\rquote extraire de la troisi\'e8me urne. Neuf\~!\'85 C\rquote \'e9tait le premier chiffre du billet de Ole Kamp\~!
+\par
+\par \endash \~Six\~! dit le pr\'e9sident. Et, en effet, la quatri\'e8me fillette pr\'e9sentait un six \'e0 tous les regards braqu\'e9s sur elle, comme autant de pistolets charg\'e9s, ce qui l\rquote intimidait visiblement.
+\par
+\par Les chances de gagner \'e9taient maintenant de une sur cent pour tous les num\'e9ros compris entre un et quatre-vingt-dix-neuf.
+\par
+\par Est-ce que le billet de Ole Kamp allait faire tomber cette somme de cent mille marks dans la poche de ce mis\'e9rable Sandgo\'efst\~? Vraiment, ce serait \'e0 faire douter de Dieu\~!
+\par
+\par La cinqui\'e8me petite fille plongea sa main dans l\rquote urne et tira le cinqui\'e8me chiffre.
+\par
+\par \endash \~Sept\~! dit le pr\'e9sident d\rquote une voix si \'e9trangl\'e9e qu\rquote on l\rquote entendit \'e0 peine, m\'eame des premiers rangs.
+\par
+\par Mais, si on n\rquote entendait pas, on voyait, et, \'e0 ce moment, les cinq fillettes tendaient les chiffres suivants aux yeux du public\~:
+\par
+\par }\pard \qc\nowidctlpar\widctlpar\adjustright {00967
+\par }\pard \qj\fi680\nowidctlpar\widctlpar\adjustright {
+\par Le num\'e9ro gagnant serait n\'e9cessairement compris entre 9670 et 9679. Il avait donc maintenant une chance sur dix.
+\par
+\par La stupeur \'e9tait \'e0 son comble.
+\par
+\par Sylvius Hog, debout, avait saisi la main de Hulda Hansen. Tous les regards se portaient sur la pauvre fille. En sacrifiant le dernier souvenir de son fianc\'e9, avait-elle donc sacrifi\'e9 la fortune que Ole Kamp avait r\'eav\'e9e pour elle et pour lui\~?
+
+\par
+\par La sixi\'e8me fillette eut quelque peine \'e0 introduire sa main dans l\rquote urne. Elle tremblait, la petiote\~! Enfin le num\'e9ro parut.
+\par
+\par \endash \~Deux\~! s\rquote \'e9cria le pr\'e9sident. Et il retomba sur sa chaise, \'e0 demi suffoqu\'e9 par l\rquote \'e9motion.
+\par
+\par \endash \~Neuf mille six cent soixante-douze\~! proclama un des assesseurs d\rquote une voix retentissante.
+\par
+\par C\rquote \'e9tait le num\'e9ro du billet de Ole Kamp, maintenant en la possession de Sandgo\'efst\~! Tout le monde le savait, et personne n\rquote ignorait dans quelles conditions l\rquote usurier l\rquote avait acquis\~
+! Aussi un profond silence se fit-il, au lieu du tonnerre de hurrahs dont e\'fbt retenti toute la salle de l\rquote Universit\'e9, si le billet e\'fbt toujours \'e9t\'e9 entre les mains de Hulda Hansen.
+\par
+\par Et maintenant, ce coquin de Sandgo\'efst allait-il donc appara\'eetre, son billet \'e0 la main, pour en toucher le prix\~?
+\par
+\par \endash \~Le num\'e9ro neuf mille six cent soixante-douze gagne le lot de cent mille marks\~! r\'e9p\'e9ta l\rquote assesseur. Qui le r\'e9clame\~?
+\par
+\par \endash \~Moi\~! \'c9tait-ce l\rquote usurier de Drammen qui venait de jeter ce mot\~? Non\~! C\rquote \'e9tait un jeune homme \endash un jeune homme \'e0 la figure p\'e2
+le, portant, sur ses traits comme dans toute sa personne, les marques de longues souffrances, mais vivant, bien vivant\~!
+\par
+\par \'c0 cette voix, Hulda s\rquote \'e9tait lev\'e9e, elle avait pouss\'e9 un cri, qui avait \'e9t\'e9 entendu de tous. Puis, elle s\rquote \'e9tait affaiss\'e9e\'85 Mais ce jeune homme venait de fendre la foule, et ce fut lui qui re\'e7
+ut dans ses bras la jeune fille sans connaissance\'85 C\rquote \'e9tait Ole Kamp\~!
+\par
+\par }\pard\plain \s1\qc\sb600\sa480\keepn\pagebb\nowidctlpar\widctlpar\outlinelevel0\adjustright \b\f40\fs38\lang1036\cgrid {{\*\bkmkstart _Toc97124750}XX{\*\bkmkend _Toc97124750}\line
+\par }\pard\plain \qj\fi680\nowidctlpar\widctlpar\adjustright \f40\fs32\lang1036\cgrid {Oui\~! c\rquote \'e9tait Ole Kamp. Ole Kamp qui avait surv\'e9cu, comme par miracle, au naufrage du }{\i Viken.}{
+\par
+\par Et, si le }{\i Telegraf }{ne l\rquote avait pas ramen\'e9 en Europe, c\rquote est qu\rquote il n\rquote \'e9tait plus alors dans les parages visit\'e9s par l\rquote aviso.
+\par
+\par Et, s\rquote il n\rquote y \'e9tait plus, c\rquote est que, \'e0 cette \'e9poque, il faisait d\'e9j\'e0 route pour Christiania sur le navire qui le rapatriait.
+\par
+\par Voil\'e0 ce que racontait Sylvius Hog. Voil\'e0 ce qu\rquote il r\'e9p\'e9tait \'e0 qui voulait l\rquote entendre. Et tous l\rquote \'e9coutaient, on peut le croire\~! Voil\'e0 ce qu\rquote il narrait avec un v\'e9
+ritable accent de triomphateur. Et ses voisins le redisaient \'e0 ceux qui n\rquote avaient pas le bonheur d\rquote \'eatre pr\'e8s de lui. Et cela se transmettait de groupe en groupe jusqu\rquote au public du dehors, entass\'e9
+ dans les cours et les rues avoisinantes.
+\par
+\par En quelques instants, tout Christiania savait, \'e0 la fois, que le jeune naufrag\'e9 du }{\i Viken }{\'e9tait de retour et qu\rquote il avait gagn\'e9 le gros lot de la loterie des \'c9coles.
+\par
+\par Et il fallait bien que ce f\'fbt Sylvius Hog qui racont\'e2t toute cette histoire. Ole ne l\rquote aurait pu, car Jo\'ebl le serrait dans ses bras \'e0 l\rquote \'e9touffer, tandis que Hulda revenait \'e0 elle.
+\par
+\par \endash \~Hulda\~!\'85 ch\'e8re Hulda\~!\'85 disait Ole. Oui\~!\'85 moi\'85 ton fianc\'e9\'85 et bient\'f4t ton mari\~!\'85
+\par
+\par \endash \~D\'e8s demain, mes enfants, d\'e8s demain\~! s\rquote \'e9cria Sylvius Hog. Nous partirons ce soir m\'eame pour Dal. Et, si cela ne s\rquote est jamais vu, on verra un professeur de l\'e9gislation, un d\'e9put\'e9 au Storthing, danser \'e0
+ une noce comme le plus d\'e9coupl\'e9 des gars du Telemark\~!
+\par
+\par Mais comment Sylvius Hog connaissait-il l\rquote histoire de Ole Kamp\~? Tout simplement par la derni\'e8re lettre que la Marine lui avait adress\'e9e \'e0 Dal. En effet, cette lettre \endash la derni\'e8re qu\rquote il e\'fbt re\'e7ue et dont il n
+\rquote avait parl\'e9 \'e0 personne \endash en renfermait une seconde, dat\'e9e de Christiansand. Cette seconde lettre lui apprenait ceci\~: le brick danois }{\i G\'e9nius, }{capitaine Kroman, venait de rel\'e2cher \'e0 Christiansand, ayant \'e0
+ son bord les survivants du }{\i Viken, }{entre autres le jeune ma\'eetre Ole Kamp, et, trois jours apr\'e8s, il devait arriver \'e0 Christiania.
+\par
+\par La lettre de la Marine ajoutait que ces naufrag\'e9s avaient tellement souffert qu\rquote ils \'e9taient encore dans un extr\'eame \'e9tat de faiblesse. C\rquote est pourquoi Sylvius Hog n\rquote avait rien voulu dire \'e0 Hulda du retour de son fianc\'e9
+. Aussi, dans sa r\'e9ponse, avait-il demand\'e9 le plus profond secret sur ce retour, secret qui avait \'e9t\'e9 soigneusement gard\'e9 vis-\'e0-vis du public.
+\par
+\par Si l\rquote aviso }{\i Telegraf }{n\rquote avait retrouv\'e9 ni aucune \'e9pave ni aucun survivant du }{\i Viken, }{cela est facile \'e0 expliquer.
+\par
+\par Pendant une violente temp\'eate, le }{\i Viken, }{\'e0 demi d\'e9sempar\'e9, avait \'e9t\'e9 forc\'e9 de fuir dans le nord-ouest, lorsqu\rquote il se trouvait \'e0 deux cents milles au sud de l\rquote Islande. Durant la nuit du 3 au 4 mai \endash
+ nuit de rafales \endash il vint se heurter contre un de ces \'e9normes icebergs en d\'e9rive, qui sortaient des mers du Gro\'ebnland. La collision fut terrible, et si terrible que, cinq minutes apr\'e8s, le }{\i Viken }{allait couler \'e0 pic.
+\par
+\par C\rquote est alors que Ole avait \'e9crit ce document. Il avait trac\'e9 sur ce billet de loterie un dernier adieu \'e0 sa fianc\'e9e\~; puis, il l\rquote avait jet\'e9 \'e0 la mer, apr\'e8s l\rquote avoir enferm\'e9 dans une bouteille.
+\par
+\par Mais la plupart des hommes de l\rquote \'e9quipage du }{\i Viken, }{y compris le capitaine, avaient p\'e9ri au moment de la collision. Seuls, Ole Kamp et quatre de ses camarades purent sauter sur un d\'e9bris de l\rquote iceberg, au moment o\'f9 s\rquote
+engloutissait le }{\i Viken. }{Pourtant, leur mort n\rquote e\'fbt \'e9t\'e9 que retard\'e9e, si cette \'e9pouvantable bourrasque n\rquote e\'fbt pouss\'e9 le banc de glace dans le nord-ouest. Deux jours apr\'e8s, \'e9puis\'e9
+s, mourant de faim, les cinq survivants du naufrage \'e9taient jet\'e9s sur la c\'f4te sud du Gro\'ebnland, c\'f4te d\'e9serte, o\'f9 ils v\'e9curent \'e0 la gr\'e2ce de Dieu.
+\par
+\par L\'e0, s\rquote ils n\rquote \'e9taient secourus sous quelques jours, c\rquote en \'e9tait fait d\rquote eux.
+\par
+\par Comment auraient-ils eu la force de regagner les p\'eacheries ou les \'e9tablissements danois de la baie de Baffin, sur l\rquote autre littoral\~?\'85
+\par
+\par C\rquote est alors que le brick }{\i G\'e9nius, }{qui avait \'e9t\'e9 rejet\'e9 hors de sa route par la temp\'eate, vint \'e0 passer. Les naufrag\'e9s lui firent des signaux. Ils furent recueillis.
+\par
+\par Ils \'e9taient sauv\'e9s.
+\par
+\par Toutefois, le }{\i G\'e9nius, }{arr\'eat\'e9 par les vents contraires, \'e9prouva de grands retards dans cette travers\'e9e relativement courte du Gro\'ebnland \'e0 la Norv\'e8ge. C\rquote est ce qui explique comment il n\rquote arriva \'e0
+ Christiansand que le 12 juillet, et \'e0 Christiania que dans la matin\'e9e du 15.
+\par
+\par Or, c\rquote \'e9tait ce matin m\'eame que Sylvius Hog \'e9tait all\'e9 \'e0 bord. L\'e0, il avait trouv\'e9 Ole encore bien faible. Il lui avait dit tout ce qui s\rquote \'e9tait pass\'e9 depuis sa derni\'e8re lettre, dat\'e9e de Saint-Pierre-Miquelon
+\'85 Puis, il l\rquote avait emmen\'e9 \'e0 sa demeure, apr\'e8s avoir demand\'e9 quelques heures de secret \'e0 l\rquote \'e9quipage du }{\i G\'e9nius\'85 }{On sait le reste.
+\par
+\par Il fut alors convenu que Ole Kamp viendrait assister au tirage de la loterie. En aurait-il la force\~?
+\par
+\par Oui\~! la force ne lui manquerait pas, puisque Hulda serait l\'e0\~! Mais avait-il donc encore un int\'e9r\'eat pour lui, ce tirage\~? Oui, cent fois oui\~! Int\'e9r\'eat pour lui comme pour sa fianc\'e9e\~!
+\par
+\par En effet, Sylvius Hog avait r\'e9ussi \'e0 retirer le billet des mains de Sandgo\'efst. Il l\rquote avait rachet\'e9 pour le prix que l\rquote usurier de Drammen avait pay\'e9 \'e0 dame Hansen. Et Sandgo\'efst avait \'e9t\'e9 trop heureux de s\rquote en d
+\'e9faire, maintenant que les surench\'e8res ne se produisaient plus.
+\par
+\par \endash \~Mon brave Ole, avait dit Sylvius Hog, en lui remettant le billet, ce n\rquote est point une chance de gain, bien improbable en somme, que j\rquote ai voulu rendre \'e0 Hulda, c\rquote est le dernier adieu que vous lui avez adress\'e9 au moment o
+\'f9 vous croyiez p\'e9rir\~!
+\par
+\par Eh bien\~! il faut avouer qu\rquote il avait \'e9t\'e9 bien inspir\'e9, le professeur Sylvius Hog, et mieux que ce Sandgo\'efst, qui faillit se briser la t\'eate contre un mur, quand il apprit le r\'e9sultat du tirage\~!
+\par
+\par Maintenant, il y avait cent mille marks dans la maison de Dal\~! Oui\~! cent mille marks bien au complet, car Sylvius Hog ne voulut jamais \'eatre rembours\'e9 de ce qu\rquote il avait pay\'e9 pour racheter le billet de Ole Kamp.
+\par
+\par C\rquote \'e9tait la dot qu\rquote il \'e9tait trop heureux d\rquote offrir, le jour de son mariage, \'e0 sa petite Hulda\~!
+\par
+\par Peut-\'eatre trouvera-t-on quelque peu \'e9tonnant que ce num\'e9ro 9672, sur lequel l\rquote attention avait \'e9t\'e9 si vivement attir\'e9e, f\'fbt pr\'e9cis\'e9ment sorti au tirage du gros lot.
+\par
+\par Oui, on en conviendra, c\rquote est \'e9tonnant, mais ce n\rquote \'e9tait pas impossible, et, en tout cas, cela est.
+\par
+\par Sylvius Hog, Ole, Jo\'ebl et Hulda quitt\'e8rent Christiania le soir m\'eame. Le retour se fit par Bamble, car il fallait remettre \'e0 Siegfrid le montant du lot qu\rquote elle avait gagn\'e9. En repassant devant la petite \'e9glise d\rquote Hitter
+dal, Hulda se rappela les tristes pens\'e9es qui l\rquote obs\'e9daient deux jours avant\~; mais la vue de Ole la ramena bien vite \'e0 l\rquote heureuse r\'e9alit\'e9.
+\par
+\par Par saint Olaf\~! Que Hulda \'e9tait donc jolie sous sa couronne rayonnante, quand, quatre jours apr\'e8s, elle quitta la petite chapelle de Dal au bras de son mari Ole Kamp\~! Et, ensuite, quelle c\'e9r\'e9
+monie, dont le retentissement fut immense jusque dans les derniers gaards du Telemark\~! Et quelle joie chez tous, la jolie fille d\rquote honneur Siegfrid, son p\'e8re, le fermier Hemlbo\'eb, son futur Jo\'eb
+l, et aussi dame Hansen que ne hantait plus le spectre de Sandgo\'efst\~!
+\par
+\par Peut-\'eatre se demandera-t-on si tous ces amis, tous ces invit\'e9s, MM.\~Help fr\'e8res, Fils de l\rquote A\'een\'e9, et tant d\rquote autres, \'e9taient venus pour assister au bonheur des jeunes mari\'e9s,
+ ou pour voir danser Sylvius Hog, professeur de l\'e9gislation et d\'e9put\'e9 au Storthing. Question. En tout cas, il dansa tr\'e8s dignement, et, apr\'e8s avoir ouvert le bal avec sa ch\'e8re Hulda, il le finit avec la charmante Siegfrid.
+\par
+\par Le lendemain, salu\'e9 par les hurrahs de toute la vall\'e9e du Vestfjorddal, il partait, non sans avoir formellement promis de revenir pour le mariage de Jo\'ebl, qui fut c\'e9l\'e9br\'e9 quelques semaines plus tard, \'e0 l\rquote extr\'ea
+me joie des contractants.
+\par
+\par Cette fois, le professeur ouvrit le bal avec la charmante Siegfrid, et il le finit avec sa ch\'e8re Hulda. Et, depuis lors, Sylvius Hog ne dansa plus. Que de bonheur accumul\'e9 maintenant dans cette maison de Dal, qui avait \'e9t\'e9 si durement \'e9
+prouv\'e9e. Sans doute, c\rquote \'e9tait un peu l\rquote \'9cuvre de Sylvius Hog, mais il ne voulait point en convenir et r\'e9p\'e9tait toujours\~:
+\par
+\par \endash \~Bon\~! C\rquote est encore moi qui redois quelque chose aux enfants de dame Hansen\~!
+\par
+\par Quant au fameux billet, il avait \'e9t\'e9 rendu \'e0 Ole Kamp, apr\'e8s le tirage de la loterie. Maintenant, il figure \'e0 la place d\rquote honneur, au milieu d\rquote un petit cadre de bois, dans la grande salle de l\rquote
+auberge de Dal. Mais, ce que l\rquote on voit, ce n\rquote est point le recto du billet o\'f9 est inscrit le fameux num\'e9ro 9672, c\rquote est le dernier adieu, \'e9crit au verso, que le naufrag\'e9 Ole Kamp adressait \'e0 sa fianc\'e9e Hulda Hansen.
+
+\par \page }{\f2\fs20\lang1033\cgrid0 End of the Project Gutenberg EBook of Un billet de loterie, by Jules Verne
+\par
+\par *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK UN BILLET DE LOTERIE ***
+\par
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+\f2\fs20\lang1033\cgrid0 .zip *****
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+\par Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
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+\par Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+\par electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+\par including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
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+\par Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+\par assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+\par goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+\par remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+\par Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+\par and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+\par To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+\par and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+\par and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
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+\par
+\par Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+\par Foundation
+\par
+\par The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+\par 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+\par state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+\par Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+\par number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+\par https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+\par Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+\par permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
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+\par The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+\par Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+\par throughout numerous locations. Its business office is located at
+\par 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+\par business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+\par information can be found at the Foundation's web site and official
+\par page at https://pglaf.org
+\par
+\par For additional contact information:
+\par Dr. Gregory B. Newby
+\par Chief Executive and Director
+\par gbnewby@pglaf.org
+\par
+\par
+\par Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+\par Literary Archive Foundation
+\par
+\par Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+\par spread public support and donations to carry out its mission of
+\par increasing the number of public domain and licensed works that can be
+\par freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+\par array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+\par ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+\par status with the IRS.
+\par
+\par The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+\par charities and charitable donations in all 50 states of the United
+\par States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+\par considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+\par with these requirements. We do not solicit donations in locations
+\par where we have not received written confirmation of compliance. To
+\par SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+\par particular state visit https://pglaf.org
+\par
+\par While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+\par have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+\par against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+\par approach us with offers to donate.
+\par
+\par International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+\par any statements concerning tax treatment of donations received from
+\par outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+\par
+\par Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+\par methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+\par ways including including checks, online payments and credit card
+\par donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate
+\par
+\par
+\par Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+\par works.
+\par
+\par Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+\par concept of a library of electronic works that could be freely shared
+\par with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+\par Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+\par
+\par
+\par Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+\par editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+\par unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+\par keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+\par
+\par
+\par Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+\par
+\par https://www.gutenberg.org
+\par
+\par This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+\par including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+\par Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+\par subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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