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+The Project Gutenberg EBook of Le calendrier de Vénus, by Octave Uzanne
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
+other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
+whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of
+the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
+www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have
+to check the laws of the country where you are located before using this ebook.
+
+Title: Le calendrier de Vénus
+
+Author: Octave Uzanne
+
+Release Date: January 19, 2006 [EBook #17551]
+[Most recently updated: August 6, 2020]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: UTF-8
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE CALENDRIER DE VÉNUS ***
+
+
+
+
+Produced by Carlo Traverso, Rénald Lévesque and the Online
+Distributed Proofreaders Europe at http://dp.rastko.net.
+This file was produced from images generously made available
+by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica)
+
+[Illustration]
+
+
+
+
+LE
+CALENDRIER
+DE
+_VÉNUS_
+
+
+PAR
+
+OCTAVE UZANNE
+
+
+PARIS
+LIBRAIRIE ANCIENNE ET MODERNE
+EDOUARD ROUVEYRE
+1, rue des Saints-Pères, 1
+
+1880
+
+
+[Illustration]
+
+
+
+
+_ÉPÎTRE DÉDICATOIRE_
+_A Bétzy_
+
+
+_a vie, dit-on, est un canevas qui ne vaut pas grand chose, la broderie
+qu'on y ajoute seule peut avoir quelque prix, et je ne saurais oublier,
+Madame, sans faire injure à mes sensations passées, les fines et
+capricieuses arabesques dont vos jolies petites mains de fée ont si
+délicatement festonné, pendant de longues heures fugitives, cette toile
+grise, uniforme ou banale qu'enrichissent et agrémentent avec tant
+d'art voluptueux les ivoirines navettes d'amour._
+
+_Selon Beaumarchais, la passion est le roman du coeur tandis que le
+plaisir en est l'histoire: vous auriez donc, à ce titre, de doubles
+droits à mon entière gratitude, aussi bien comme romancière émérite que
+comme historienne exquise dans les belles lettres de Cythère. Au milieu
+des archives bouleversées de mes sens je me plais aujourd'hui à
+rechercher bien des dates que caressent mes souvenirs, et j'aimerais,
+je l'avoue, ajouter, de concert avec vous, un nouveau chapitre à notre
+oeuvre si tôt interrompue, mais la nature qui veut que tout finisse,
+fait clairement appel à ma raison en m'indiquant avec son aimable
+sagesse, que Cupidon aime à renouveller le feu de ses brandons et que,
+dans un parterre de beautés infinies, il ne faut pas cueillir toutes
+les roses sur un même rosier._
+
+_Ne vaut-il pas mieux respirer lentement les doux parfums d'antan, que
+risquer de briser la cassolette en la surchargeant de plus fraiches
+senteurs? Vous me savez, du reste, trop indépendant pour jouer le_
+Pastor fido _et trop loyal pour feindre un sentiment immuable. Les
+girouettes ne se fixent que lorsqu'elles sont rouillées et je pivote
+encore assez bien sous les courants capricieux du désir pour ne pas me
+convaincre chaque jour davantage que l'inconstance ici bas fait plus de
+conquêtes que la fidélité n'en conserve.—L'amour, avec son arsenal de
+soupçons, de craintes, d'inquiétudes, de regrets et d'alarmes ne vaut
+assurément pas qu'on s'y attache; la volupté y passe comme un rêve, la
+douleur s'y implante comme un cauchemar. L'homme amoureux suit la femme
+comme le taureau le sacrificateur, disait Salomon, le sage des sages,
+aussi, pour protéger son coeur contre une passion exclusive,
+entretenait-il une légion de près de huit cents femmes, qu'il traitait
+en esclaves afin de ne pas s'esclaver lui-même à une seule créature._
+
+_Dans l'intimité de nos relations, Madame, le souvenir, dès lors, peut
+prendre place entre l'estime et l'amitié, deux grands mots en vérité
+qui effraient les désirs avant la lettre, mais qui, après, protègent la
+retraite, apaisent les rébellions d'amour-propre, sauvegardent les
+convenances mondaines et abritent mieux les épaves de la passion que
+toutes les feuilles de bananier de Paul et Virginie. Lorsque le goût,
+la curiosité ou le caprice en font tous les frais, les bonnes fortunes
+sont de joyeuses flambées de paille qui ne laissent point de cendres.
+Entre nous, la sympathie intellectuelle fut de moitié dans nos
+accordances amoureuses, aussi bien que l'incendie soit éteint, la part
+du feu est faite, et il nous reste l'un pour l'autre un sentiment moins
+perturbateur allumé au même foyer, forgé au même brasier mais
+assurément mieux trempé et surtout plus tenace._
+
+_Permettez-moi donc, Madame, en mémoire de nos délices d'hier, en
+témoignage de notre félicité présente, et dans l'espérance de nos
+douces causeries d'avenir, de vous présenter ces petits écrits
+boutadeux; lisez-les comme ces chapelets qu'on égrène distraitement
+sans songer à dire le rosaire; arrêtez-vous aux bons endroits, vous y
+trouverez comme l'ombre d'heureuses sensations, et si parfois il vous
+venait à l'idée que je suis plus coloriste que dessinateur, daignez
+vous rappeler que je ne donne pas la gabatine et qu'au temple de la
+Divinité des Grâces, où nous fûmes en pèlerinage, les nombreux bas
+reliefs tracés sur l'autel pourraient vous offrir un curieux démenti._
+
+_Trouvez ici, Madame, l'affectueuse expression de ma plus franche
+amitié._
+
+
+OCTAVE UZANNE.
+
+
+_Paris, 15 novembre 1879._
+
+LE CALENDRIER DE VÉNUS
+
+
+Toujours un tas de petits ris,
+Un tas de petites sornettes;
+Tant de petits charivaris,
+Tant de petites façonnettes,
+Petits gands, petites mainettes,
+Petite touche à barbeter.
+
+ COQUILLARD.
+
+
+
+
+
+[Illustration]
+
+A L'ACADÉMIE DES BEAUX ESPRITS
+
+ET DES
+
+_RAFFINÉS DU LANGAGE_
+
+
+_Le vulgaire parle en fou et censure en impertinent;_
+_il ne faut pas s'arrêter à ce qu'il dit,_
+_encore moins à ce qu'il pense; il importe de le_
+_connaître pour pouvoir s'en délivrer; en sorte que_
+_l'on n'en soit jamais ni le compagnon ni l'objet;_
+_car toute sottise tient de la nature du vulgaire, et_
+_le vulgaire n'est composé que de sots_.
+
+BALTAZAR GRACIAN.
+
+
+_Messieurs et doctes Petits-Maîtres_,
+
+_n des quarante, mais aussi et surtout un des vôtres, un délicat entre
+tous, un chiffonnier musqué de la double colline, et de plus, grand
+donneur de becquée à Vénus, le galant abbé de Bernis, fondait peu de
+foi en son avenir, lors de son arrivée à la Cour, et c'est ainsi qu'il
+modulait, si je ne me trompe, l'expression de son incertitude en fixant
+son petit collet_:
+
+
+_«Aucun chemin de fleurs ne conduit à la gloire._»
+
+_Sans effort cependant, bercé par la main caressante du destin,
+oeilladant aux Muses, cueillant des bouquets à Chloris, paillardant à
+loisir de ci de là et friponnant des coeurs, cet Hercule enjoué et
+mignard, ouaté de graisse et bouffi d'intrigue, put remarquer soudain
+la fausseté de ses appréhensions, du jour où il se prit amoureusement à
+filer sa carrière, aux pieds de Pompadour-Omphale, sur la quenouille
+rouge du cardinalat._
+
+_Si la rieuse fortune de ce badin petit prêtre me revient en mémoire,
+Messieurs, c'est qu'en me présentant devant vous j'éprouve peut-être
+moins encore de vanité que de suffisance. Sans faire montre à vos yeux
+d'un fatalisme oriental qui serait hors de propos, sans mettre en avant
+le_ «Sequere Deum,» _cette devise des stoïciens, je ne crains pas
+d'affirmer que par ma naissance, ou plutôt par mes qualités, ces
+défauts natifs qu'on perfectionne, j'étais appelé à suivre, sans nulle
+ambition, le sentier fleuri qui me conduit en votre compagnie précieuse
+et raffinée._
+
+_Veuillez donc croire que si, par un lyrisme touchant et un feint
+enthousiasme, je me laissais aller à exalter l'honneur qui m'est fait
+aujourd'hui, je mentirais à ma fierté naturelle, de même qu'en vous
+jurant fidélité et reconnaissance—deux sentiments dont on ne saurait
+trop se montrer avare—je perdrais à l'instant le culte de mon
+indépendance et cesserais d'être—ce que je prise le plus au monde—un
+épicurien de la vie et un sceptique des succès faciles._
+
+_En prenant place parmi vous, je prétends rester_ moi-même,
+_c'est-à-dire volontaire, tranchant comme un sabre et ferme comme un
+roc.—A notre époque où tout flotte, sauf un Drapeau, les hommes à
+caractère doivent se tremper une énergie plus dure que le pommeau d'une
+dague, et je ne crois pas que tels êtres soient si communs pour que, me
+rencontrant dans cette assemblée, vous ne teniez pas à l'honneur de me
+ranger au premier rang parmi vous.—Du laisser aller de mon allure, de
+la hardiesse de mes conceptions, de l'originalité téméraire de mes
+écrits, j'assume l'entière responsabilité et n'abandonne rien au
+convenu, encore moins aux convenances; aussi puis-je dire que vous
+devez renoncer dès aujourd'hui à me voir abdiquer la moindre de mes
+opinions, en faveur d'une majorité dont les verdicts me laisseront
+toujours froid et insensible._
+
+_J'estime que si les aigles planent haut et contemplent le soleil,
+c'est qu'ils ont, outre l'envergure des ailes, la farouche acuité de la
+vue, et que si les lions marchent seuls, superbes et méprisants, ce
+n'est pas seulement qu'ils se repaissent de leur puissance et
+nourrissent eux-mêmes leur vitalité, c'est aussi qu'ils sont amoureux
+au désert comme les penseurs de la solitude._
+
+_Il vous paraîtra sans doute extraordinaire, Messieurs, de voir dans
+mon langage ces termes incisifs et ces pensées si hautaines; vous vous
+direz qu'un jouvenceau, qui compte au plus vingt-sept automnes dorés
+devrait se montrer plus malléable dans sa viripotence, et que,
+d'ailleurs, un nouvelliste de Cythère, un anecdotier de ruelles, un
+tisseur de mousseline d'or aurait droit à plus de modestie. Je sais,
+n'en doutez pas, que vous blâmez sourdement l'école buissonnière que je
+me permets bien souvent en dehors de mes travaux littéraires et
+critiques, mais je vous prie de bien examiner, Messieurs, que la
+jeunesse est le temps où l'on cueille les roses, où l'on biscotte et
+fanfreluche la mignardise, que je suis plutôt un athénien qu'un
+spartiate des belles-lettres, et qu'enfin je ne saurais me plier, sans
+me rebeller, au rôle constant d'annotateur et de biographe, ni planter
+des croix de Malte sur le temple de Cypris._
+
+_Les philologues, ces nègres blancs de l'érudition, lorsqu'ils se
+sentent doublés d'un écrivain, aiment surtout à s'affranchir de leur
+rôle de pionnier silencieux, de même que les hommes d'étude sédentaire
+se plaisent dans leurs loisirs à se ruer dans la verte campagne
+embaumée et à fatiguer leurs muscles paralysés dans des courses hâtives
+et extravagantes. Il n'y a que les Fakirs des langues mortes,
+Messieurs, il n'y a, j'ose le proclamer, que les pauvres esprits
+fanatisés par un seul point d'histoire qui puissent consentir à
+ankyloser leur cerveau, sans désencager et donner le vol au grand air à
+des idées personnelles ou frivoles; il n'y a enfin que les embaumeurs
+qui puissent se momifier dans la toilette conservatrice des beaux
+esprits d'antan; à mon âge, on n'a pas la patience et la quiétude
+journalière des prisonniers d'État qui fabriquent lentement et
+minutieusement des cathédrales en liège ou des chapelets de buis
+dentelés._
+
+_Je ne réclame au reste l'indulgence d'aucun, pour ce que des sots à
+vingt-cinq carats, appelleront des_ Escapades de jeunesse;
+_l'indulgence n'atteint pas les forts qui ont le blanc-seing de leur
+volonté, c'est tout au plus si elle donne un nouveau mandat aux faibles
+et aux indécis.—Pour moi, si je mets aux fenêtres la fantaisie, ma
+sultane favorite et rieuse, c'est qu'elle tapisse en rose le temple
+peuplé de mon imagination, et si je m'affiche en plein jour avec elle,
+c'est sans divorcer avec mes légitimes études; Tartuffe n'a qu'à jeter
+son mouchoir comme un voile et Bazile à baisser son chapeau sur ses
+yeux de faune en détresse._
+
+_Au surplus, puisque je dois ici, à mon grand regret, faire sonner mon
+Moi, dans une déclaration de principes, en manière de discours, je
+professerai cyniquement l'égoïsme formidable dans lequel je me plais à
+clandestiner mes caressantes sensations littéraires, et je ferai
+franchement parade, sinon du mépris, du moins de l'indifférence
+profonde que je ressens pour les suffrages de la foule._
+
+_L'Opinion publique étant inconstante comme une femme, banale comme une
+grisette et prostituée comme une fille au premier vendeur de thériaque,
+la courtiser est une faiblesse et l'esclaver est une chimère; je me
+sens donc trop friand de voluptés délicates et trop despote dans mon
+amour-propre pour prétendre jamais vaniteusement forniquer avec
+elle.—Le ferai-je, Messieurs, qu'il me faudrait encore confier mes
+désirs au proxénétisme aveugle et sordide de la Renommée, et cette
+autre mégère m'écoeure et m'épouvante, depuis que ses cent voix usées
+par le concubinage du temps et avilies par des aboiements lucratifs, se
+sont enrouées au diapason de l'unique voix de Jean Hiroux._
+
+_Dans la procréation de mes oeuvres, Messieurs et doctes
+Petits-Maîtres, je suis—n'allez pas, de grâce, crier au
+scandale—imitateur d'Onan, aussi bien qu'en amour, je me révèle
+disciple de talon rouge et petit-fils de Roué.—Onan était en effet un
+grand désabusé des plaisirs partagés, et j'ai toujours pensé que ce
+singulier sceptique nihiliste des incubations froid valait mieux que sa
+réputation de criminel d'Écriture-Sainte; à mes yeux, il se présente
+comme un sublime rêveur de voluptés impossibles, qui, afin de plus
+sûrement dégrader son imagination, s'empressait de noyer ses
+convoitises et d'anéantir ses débauches cérébrales dans les décevantes
+pollutions de la réalité crue._
+
+_Suis-je bien coupable, en cette manière, d'égoïser dans ma tête les
+joies solitaires et folles de mes conceptions, et pouvons-nous croire
+que la majorité des hommes pensent aux enfants qu'ils créent, alors que
+Dieu, dans sa sagesse, a si noblement masqué le corollaire de
+l'enfanture sous les plaisirs fugitifs mais piquants de la galanterie
+ou les ragoûts du libertinage?_
+
+_Vous ne m'accuserez donc plus, entre vous et à voix basse, de chercher
+de petits ou de grands succès, ni de courir dans la poussière, de
+l'arène humaine, afin de tirer la Fortune par sa robe aux faux reflets.
+Douglas Jerrold, un humouriste anglais, disait fort spirituellement que
+la Fortune avait été représentée aveugle afin de ne pas voir les sots
+qu'elle enrichissait; si le temple de cette Déesse contient si notable
+assemblée, il est hors de doute que je puis attendre ses faveurs sur le
+seuil de ma porte, ce que je ne souhaite aucunement, car les sages ne
+courent jamais après leur félicité; ils se la donnent, ce qui est plus
+sur, et j'ai placé en ce qui me concerne toutes mes provisions de
+bonheur dans le coffre-fort de ma boîte osseuse._
+
+_Mais, Messieurs, laissons là ces questions d'intimité confraternelle,
+ces confidences à huis-clos, pour aborder, puisqu'il le faut, la série
+de mes revendications personnelles:_
+
+_Bien que je ne me soucie point des bruits extérieurs, des éclats de
+presse et des sourdes médisances de la pâle envie, et quoique je
+n'ignore point, selon un vieil adage français, qu'_ «à laver la tête
+d'un nègre on perd sa lessive,» _je ne pourrais et ne devrais laisser
+passer sous silence les coups d'espadon maladroits, que des pauvres
+bretteurs sans convictions ont tenté de me porter en pleine poitrine,
+si ces coups d'estoc avaient pu atteindre autre chose que ma cuirasse
+d'indifférence._
+
+_Il en est cependant autrement d'une remarque plus générale et que je
+serais mal fondé prendre en mauvaise part, car je la crois faite
+loyalement et sans parti pris, avec un ton sobre et une affection
+quasi-paternelle, par des écrivains bien élevés, d'un esprit judicieux
+et éclairé; je veux parler de mes déplorables tendances au style
+précieux, papillotant et maniéré; ainsi que de mes aptitudes spéciales
+à forger sur l'enclume des dictionnaires anciens les plus imprévus
+néologismes._
+
+_A ce_ «Cave Canem» _placé si charitablement au début de ma route, je
+m'efforcerai de répondre avec toute la sympathie que m'inspirent mes
+bienveillants critiques et la bonne foi à laquelle ils ont droit. Dans
+ce but, et afin de vous faire prendre patience, je pourrais vous
+conter, Messieurs, un apologue qui serait mon apologie, mais je préfère
+abandonner le genre figuré au propre parler, et laisser de côté
+l'histoire naturaliste et sensualiste du roi des truands_ Fort en
+Gueule _et du prince_ Fine Bouche, _parabole où chacun de vous eût pu
+trouver des allusions peut-être en dehors de mon sujet, mais toutes en
+faveur de ma cause._
+
+_Si j'invoque en premier lieu ma préciosité, je ne nierai pas avoir été
+nourri dans le_ Salon bleu _d'Arthénice et m'être complu aux mièvreries
+galantes de la_ Guirlande de Julie._—Mais qui me porta, je vous le
+demande, Messieurs, à courtiser la princesse Aminthe, fille de la
+Déesse d'Athènes, et à tisonner mes sympathies ardentes pour les
+Ménage, les Voiture, les Sarasin, les Montreuil, les Conrart et ces
+Messieurs de Port-Royal?—Qui m'excita à m'amignoter en compagnie de
+Stratonice, de Félicie, de Doralise ou de Calpurnie? Qui? sinon mes
+précieux instincts littéraires, et mes propensions amoureuses composer
+des métaphores assez riches pour capitoner les murailles grises de la
+réalité attristante et froide._
+
+_Il y a, disait Diderot, des grâces nonchalantes et des nonchalances
+sans grâce. A ceux qui me reprochent mon afféterie, j'opposerai ma
+personne et mon tempérament, et mettrai en avant mon naturel, mes
+goûts, mes sens, mes gestes, ma démarche sans théorie, et l'accent de
+mes paroles. De l'orteil aux cheveux, tout en moi se tient sans se
+contredire; je puis_ plaire _ou_ déplaire, _mais je me déclare et me
+sens incapable d'inspirer de ces sentiments mixtes, tels que de petites
+passions ou d'anodines amitiés, voire de l'indifférence. Tel que je
+suis, comme homme, je puis être un allumeur de désirs chez les quelques
+femmes qui seront frappées par ce qui constitue ma personnalité, de
+même que, tel qu'il se présente, mon style pourra séduire entièrement
+quelque rare lecteur qui y sentira le naturel de ma griffe, sans
+éprouver le besoin d'y apercevoir ma signature au bas de la page._
+
+_Je suis donc aussi naturel dans ma démarche et dans mes amours, que
+dans mes écrits; aussi peu recherché dans la manière de puiser mes
+pensées que dans la façon de les exprimer, si j'y mets quelque chose de
+plus que les autres, c'est que ce quelque chose est en moi: il y a des
+poules dont les oeufs sont marbrés de vert et de rose, de même qu'il y
+a des fleurs au parfum, quintessencié dont peu de personnes peuvent
+subir l'approche, mais qui ravissent les odorats dépravés._
+
+_Eh! Messieurs, tout est là; il est des hommes qui naissent avec un
+caractère bien tranché; il semblerait qu'ils soient plutôt nés
+d'eux-mêmes que descendus d'Adam, ils sont au-dessus des tempêtes comme
+la mer de cristal que saint Jean vit dans le ciel, laquelle n'était
+agitée par aucun vent. Pour moi, toute ma morale consiste dans la façon
+de régler mes moeurs selon les préceptes de mon jugement, et j'ai
+toujours songé que savoir l'art de plaire ne valait pas la sympathique
+manière de pouvoir plaire sans art. Je ne serai jamais, j'en conviens,
+le hochet de la foule; «l'esprit du vulgaire, s'écrie un philosophe
+ancien, est semblable aux rivières dont les eaux soutiennent les choses
+les plus légères et viles comme la paille, les fruits secs et les noix
+creuses, tandis que les objets plus précieux et plus pesants comme l'or
+et les diamants, y sont ensevelis et roulés dans le sable ou la vase.»_
+
+_Qu'on ne dise donc pas que je suis précieux par vanité et par genre,
+que je mets des grelots à mon style ou que je harnache ma prose comme
+une mule espagnole, cela serait hyperbolique et faux, autant vaudrait
+affirmer que si je passe sur la place publique, le chapeau incliné sur
+l'oreille comme un feutre, le torse cambré, la poitrine en avant, le
+manteau jeté en draperie sur la courbe de mon bras et ma canne au côté
+comme une rapière, relevant en retroussis ma cape-pardessus qui traîne
+à terre, autant vaudrait affirmer, dis-je, que tous mes gestes sont
+étudiés, toutes mes poses analysées dans un but de recherche, tous mes
+pas bien mesurés pour ne rien déranger à l'ensemble de ma silhouette,
+et cependant, Messieurs, j'ai cru remarquer des reproches analogues,
+lorsque, ainsi équipé, je passe parmi le brouhaha des foules. J'ai pu
+m'apercevoir que l'oeil béat des simples me regardait singulièrement,
+pendant que des esprits forts esquissaient,—non pas un sourire que
+j'aurais clos à l'instant,—mais une sorte de papillotage de l'oeil qui
+indique la surprise mariée au blâme très légitimement.—Dans ces courses
+à travers la ville, Messieurs, je suis aussi simplement attifé que ma
+prose dans mes écrits, ma personne et mon style me reflètent, aussi
+bien quand je compose, qu'à ces instants où, seul et sans souci je
+marche dans le dédain des inconnus, l'esprit en avant-garde de mon
+corps._
+
+_Il me serait facile de démontrer plus amplement le non-sens de ces
+reproches, je pourrais même dire ici ce que je pense des précieuses et
+des sacrificateurs de leur temple, mais ceci nous entraînerait bien
+loin: je me réserve de vous soumettre à ce sujet un travail séparé qui
+fera bonne justice des sottises qu'on débite journellement sur les
+habitués de l'Hôtel de Rambouillet, mais je n'oublierai pas, Messieurs,
+que dans notre civilisation actuelle, et à l'heure présente, je ne suis
+pas le seul précieux, et que chacun se plaît à reconnaître que le temps
+que vous me consacrez l'est infiniment plus que moi._
+
+_Vous penserez bien que je ne suis pas semblable à ces orateurs dont la
+facilité de parler ne provient que d'une impuissance de se taire; et
+vous me permettrez d'arriver maintenant ma seconde riposte,
+c'est-à-dire au néologisme dont mes excellents critiques me blâment si
+tendrement de faire un usage abusif._
+
+_Je suis de ceux qui croient que l'expression rajeunit la pensée, non
+pas qu'il faille chercher à raviver les choses déjà exprimées, mais au
+contraire, dans ce sens, qu'un écrivain doit mouler ses pensées dans sa
+personnalité et les émettre fraîches écloses, avec l'assurance qu'un
+autre a pu concevoir d'une manière analogue, sans accoucher sous une
+forme identique.—Il y a donc néologismes et néologismes, comme il y a
+fagots et fagots: les uns sont importés dans la langue pour interpréter
+les idées nouvelles, les autres ne sont que des pléonasmes de termes
+anciens qu'il est inutile de refondre dans une matrice moderne._
+
+_On peut m'accuser d'enfanter les premiers, mais je ferais volontiers
+la gageure qu'aucun de mes écrits ne contient le plus mince des
+seconds, car j'_étymologise _plus que je ne_ néologie, _et je ne me
+montrerai jamais ni assez boutadeux, ni assez mauvais grand-prêtre de
+la langue, pour me permettre la fantaisie de baptiser les pauvres
+petits bâtards des piètres écrivassiers d'aujourd'hui_.
+
+_Je professe l'opinion d'un grammairien logique et indépendant, à
+savoir que le français récent sans la langue ancienne est un arbre sans
+racines, et je dévore chaque jour les racines de cet arbre géant,
+Messieurs; je m'en repais comme un Anachorète, je les recherche, et les
+trouve dans Richelet, dans Ménage, dans Furetière, dans Saint-Evremont,
+dans J. Leroux et dans Langlet-Dufresnoy, sans espérer les découvrir
+dans les dictionnaires châtrés de nos Académies patentées. Je les
+savoure surtout, ces racines profondes de notre terroir, dans le sage
+et bon Montaigne, dans Rabelais, le grand néologue, dans les auteurs et
+les poètes satyriques du seizième siècle, dans les épistoliers du
+dix-septième, dans Molière, dans Balzac ou dans Saumaise, et jusque
+dans Diderot, Saint-Simon et Voltaire, ce merveilleux écrivain qui a
+peut-être encore plus ressuscité de mots qu'il n'en a inventés._
+
+_La beauté et le pittoresque de notre langue est dans sa tradition; son
+sang le plus coloré, son génie, sa verdeur toute gauloise, ce je ne
+sais quoi de galant et de bravache qui pique et dévergogne la pensée,
+tout ce sel attique et cette moutarde capiteuse n'ont d'autre
+provenance qu'une origine de plus de cinq siècles; l'écrivain de nos
+fours qui néglige ses ancêtres est plus barbare que les premiers
+Gaulois, il a la sottise d'un guerrier qui ignorerait l'histoire de son
+drapeau et les héroïques faits d'armes de ses vétérans dans la
+carrière. Hélas! Messieurs, il faut bien le dire, nombreux sont ceux-là
+qui négligent les sources salutaires, ils n'apprécient pas la saveur
+des bonnes cuvées, et ils croient toujours boire la piquette du
+néologisme en profanant et méconnaissant la rouge boisson des plus
+vieux crûs._
+
+_Il n'y a que les secs, les constipés d'imagination les petits
+jardiniers d'un vilain style à la Le Nôtre,_ les hommes de marbre,
+comme les nommait Grimm, _qui puissent jouer au casse-tête chinois avec
+les vocables discutés, revus et approuvés par les habitants du
+Palais-Mazarin.—Pourquoi ne pas vendre aux peintres des couleurs
+tolérées par l'État, si l'on ne veut pas permettre aux littérateurs de
+franchir les lourds et ternes in-folios d'académie?_
+
+_Le malheur est qu'on a dit et répété sans raison à la suite de
+l'ennuyeux rhéteur Despréaux, le trop fameux:_ enfin, Malherbe vint,
+_et je ne ferai injure à personne, même à Malherbe, en affirmant qu'il
+n'était nullement nécessaire_ qu'il vînt. _Boileau estimait trop Horace
+pour ne pas méconnaître notre ancienne littérature vivante et vibrante,
+et pour ma part je fais bon marché de ce classique_ aligneur de rimes,
+_ne serait-ce qu'en faveur de Ronsard et_ «ses pipaux rustiques,» _ou
+de Saint-Amant,_ «ce fou qui décrivait les mers.»
+
+_Au reste, sans me lancer dans cette disgression peut-être trop longue
+à votre gré, puisque je parle à des croyants et à des fidèles
+coûtumiers de ma prose, j'aurais pu chevaucher cet aimable paradoxe
+que,_ si tout ce qui est français moderne ne se comprend pas, tout ce
+qui, par contre, se comprend est français; _mais il se pourrait que ce
+sophisme ne vous convaincût pas, Messieurs, et je passerai outre dans
+mes revendications, en affirmant que toute critique relative au
+néologisme ne saurait avoir prise sur moi, car je me considère attaché
+par les entrailles à la langue-mère si chaude et si noble du seizième
+siècle, comme je le suis par l'esprit aux badinages spirituels et aux
+railleries profondes du siècle de la Régence._
+
+_Je ne veux donc pas prostituer mon langage, et si_ je néologie, _je
+fais voeu de ne jamais_ argoter.— _Pour vous prouver combien je suis et
+veux rester constant dans les principes et les sentiments que je viens
+de vous exprimer avec le sans-façon et la quiétude d'un esprit
+indépendant et altier plutôt qu'orgueilleux, je vous présenterai
+aujourd'hui même, dans la fraîcheur de sa novelleté, la plus récente
+expression de mon_ Langage amarivaudé _et de mon_ Style minaudier,
+_sans crainte d'effarer mes charmants aristarques qui finiront, si bon
+leur semble, par ne voir en moi qu'un «grand enfant opiniâtre et
+incorrigible.»_
+
+_J'aurais pu, Messieurs, intituler ce dernier volume_ «Le Cadran de...
+Cupido,» _mais il est des esprits inquiets qui cherchent la petite bête
+sans prendre la peine de se regarder par le gros bout de la lorgnette,
+et comme il existe en plus—et en nombre aussi peu respectable,—des
+Agnès ou des Arsinoë qui n'eussent pas manqué de s'appesantir sur
+l'aiguille de ce cadran, jusqu'à offenser la morale, j'ai cru qu'il
+était de ma dignité de ne pas prêter le dos aux interprétations
+malveillantes et niaises des impuissants assez malheureux pour avoir
+oublié sur l'horloge de l'amour l'heure glorieuse de midi._
+
+_Afin de lasser la curiosité des badauds chercheurs de lune en plein
+jour, et aussi pour mieux me mettre à l'abri du profane vulgaire, j'ai
+pris et accroché au fronton de mon petit temple ce titre simple et..._
+gracieux—_(encore un néologisme inventé par Ménage),—ce titre sans
+fanfare et sans scandale:_ «Le Calendrier de Vénus.» _Vous n'y
+trouverez assurément pas les graves dissertations, les lourds chapitres
+que vous seriez en droit d'attendre d'un homme mûr, adipeux, bardé de
+grec et de latin et blanchi sous le harnais des sciences stériles, ni
+même une étude très fouillée et très prolixe sur la fille de Jupiter et
+de la nymphe Diane, sur celle qu'Énée appelait:_ Dionoea mater.—_Je ne
+voudrais point être aussi mythologique, parler, hors de saison, de
+Pline, d'Horace, de Virgile, de Tacite, de Cicéron ou de Sénèque, pour
+conclure en m'anéantissant dans une érudition sans grâces, lors même
+que j'invoquerais_ Aglæia, Thalie _et_ Euphrosine.
+
+_Ce livre est issu de l'écume de ma fantaisie et de la volupté de mes
+sensations personnelles, comme Vénus est sortie de l'écume de l'onde. A
+ceux qui se voileraient le visage, je dirai que je ne maçonne pas les
+remparts de mon âme avec la perfidie et les apparences de la chasteté;
+je vais volontiers me faire couronner à Amathonte, à Cypre, à Idalie et
+à Gnide, et je le dis loyalement: les myrthes me sont plus agréables
+que les lauriers, et si, en faune bragart, je cours après les nymphes
+roses et friponnes, je ne vais pas avec elles me cacher:_ sub antro.
+_Le soleil peut me voir et Phoebé en pâlir sans que le moindre
+vermillon ne vienne cardinaliser mes joues.—Je ne permets qu'aux
+octogénaires de me blâmer et je leur pardonne, comme on pardonne aux
+goutteux qui blâment la célérité des autres, car, selon l'auteur des_
+Questions sur l'Encyclopédie, _nous ressemblons presque tous à ce vieux
+général qui, ayant rencontré de jeunes officiers qui faisaient la_
+petite joie _avec des filles, leur dit tout en colère. «Eh! Messieurs,
+est-ce là l'exemple que je vous donne?»_
+
+_J'ajouterai, afin de terminer ce discours trop long à mon gré, et sans
+aucun doute au vôtre, que je vous crois, Messieurs et Petits-Maîtres,
+trop raffinés et trop sincèrement dégustateurs pour penser que vous
+puissiez aujourd'hui espérer de moi un long roman bien cousu, brodé sur
+le canevas d'une aventure mirifique et idéale.—Le temps n'est plus où
+Bassompierre buvait dans sa large botte et où les courtisans du
+dix-septième siècle dévoraient l'_Astrée. _Si j'étais gentilhomme
+verrier, comme aux beaux jours d'antan, je dédaignerais de souffler ces
+immenses coupes où s'abreuvent les peuples de Germanie, ces lourds
+Teutons sans délicatesse, je réserverais mes soins à ces mignonnes
+cristalleries de Venise, fines comme la dentelle et légères comme un
+souffle d'amour; c'est dans les petits verres que se versent lentement
+les liqueurs les plus exquises, c'est dans les grands que le peuple
+s'enivre.—Les gros romans grisent brutalement comme ces repas de corps
+des noces de banlieue, où la grossière gaîté tache la nappe et
+éclabousse la nature.—Loin de nous, Messieurs, ces beuveries
+écoeurantes, ces crevailles d'insipides Grandgousiers sans estomacs; si
+nous courons à la lippée, c'est en partie fine, dans des petits soupers
+choisis et bien conçus, sans calbauder ni faire chatte mitte; qui nous
+aime nous suive! et dussé-je pour ma part m'inviter moi-même comme
+Lucullus, cet immense incompris, je n'en aurai pas moins grande joie,
+et penserai, en flaconnant solitairement, que les plaisirs faciles ne
+se dissipent que trop vite et qu'hélas! ce qui nous vient par la flûte
+souvent s'en retourne par le tambourin._
+
+_Paris, 25 septembre 1879_.
+
+
+[Illustration]
+
+
+
+
+[Illustration]
+
+_MEMORANDUM D'UN ÉPICURIEN_.
+
+FRAGMENTS ET NOTES AU CRAYON
+
+
+Je m'accagnarde dans Paris,
+Parmi les amours et les ris.
+
+ BOIS-ROBERT.
+
+e sommeillais encore lorsque Babette m'a remis ce matin la longue
+épitre de sa maîtresse.
+
+Le soleil filtrait timidement au travers de l'épaisse soie bleue des
+rideaux, et je berçais avec complaisance ma langueur dans un réveil
+craintif et caressant. Babette avait les joues fraîches et colorées par
+les baisers de l'air matinal, elle semblait accorte et bien heureuse de
+vivre; l'espièglerie se jouait dans ses narines délicates et nerveuses,
+tandis que le rire, compagnon de son âge, s'était blotti presque
+respectueusement aux commissures de ses lèvres humides et roses. Sur le
+seuil de ma chambre, son pli cacheté à la main, elle n'osait approcher
+de mon lit—: Qu'est-ce, Babette? venez çà; seriez-vous timide, et
+maître Jean n'était-il point là pour vous annoncer?—Pardonnez,
+Monsieur, mais, Madame m'a semblé tenir à ce que je vous remisse
+moi-même cette lettre; peut-être y a-t-il réponse, et j'ai cru...
+
+La soubrette s'avança de trois pas, rougissante comme une pêche
+duveteuse en août, et baissant ses longs cils sur l'azur de ses
+yeux.—Je pris paresseusement l'enveloppe parfumée et l'ouvris. Babette
+alors souleva les tentures pour laisser pénétrer le grand jour; elle
+eut un mouvement exquis, et se campa comme un page auprès de la
+fenêtre; sa légère robe de toile emprisonnait ses larges hanches et
+modelait sa gorge, tandis que, renversée en Bacchante, rose et
+frisonnante, un bras en l'air, elle retenait les lourds plis du rideau
+sombre dans ses doigts mignons et effilés de petite lingère.
+
+Je m'affainéantissais et m'étirais, tout alangouri dans la tiédeur des
+draps; des sensations de moite volupté serpentaient lentement dans mon
+dos; les oreillers battus et chauds avaient des caresses; l'air de la
+chambre appelait l'union.—Babette cariatide était toujours là; la
+lumière mettait des points d'or sur les bandeaux crespelés de sa blonde
+chevelure. La lettre de la baronne tremblait dans ma main, une lutte
+était ouverte dans mon esprit: l'artiste admirait, le libertin souriait
+aux sens, le dandy seul en moi protestait;... une camérière, fi donc!
+et c'est en vain que mon regard errait sur la lettre de la maîtresse
+pour s'arrêter toujours à ce torse de Diane, à ce col droit et bien
+posé sur des épaules aux lignes sculpturales et tentalesques.
+
+Babette!
+
+—Monsieur?
+
+—Approchez je vous prie.
+
+Le rideau qu'elle soutenait retomba, l'obscurité se fit dans la
+chambre; le dandysme céda aux désirs du libertinage. La lettre d'amour
+fut sacrifiée à l'amour même.—Babette babilla comme un ange; le plaisir
+n'a pas d'armoiries lorsque la jeunesse et la beauté sont reines chez
+la créature. La petite colombe fut tendre; elle me donna mille baisers,
+autant que Lesbie en prodigua jadis à Catulle, et Lesbie, assurément,
+ne valait pas Babette, qui, en me quittant respectueusement demanda:
+
+Monsieur n'a-t-il pas de réponse à faire à Madame?
+
+Viens la chercher demain matin, ai-je répondu en reprenant à terre la
+longue épitre de sa maîtresse dans mes doigts qui avaient encore la
+fièvre des caresses-données et le tact des beautés senties.
+
+
+
+Quand, cyniquement, avec la bravoure de ma franchise, je racontai le
+surlendemain à la belle baronne, mon aventure avec la petite Babette,
+lui détaillant la fraîcheur élégante de ce _tendron_, je vis d'abord
+sur son visage un mouvement de dépit et comme la sensation d'un violent
+affront; puis, comme je restais souriant et ironique, elle regarda
+fixement le bout des branches de son éventail nacré, avec un regard
+singulier à la fois cruel et doux. Je lui pris la main et, m'approchant
+davantage à portée de ses lèvres, je me confessai lentement à son
+oreille, sans me signer dans un acte de contrition inutile et menteur.
+
+Babette! Babette!—répétait ma grande amie, tandis que j'enfonçais et
+piquais comme autant d'épingles, sur la pelotte charnue de son coeur,
+les mille petits traits de ma fantaisie galante.—«Ma Babette! une
+enfant! est-ce possible? exclamait-elle;»...et son oeil suivait dans le
+vague comme une illusion qui s'envole à tire d'aile.
+
+Jusqu'alors la baronne, devant des confidences de ce genre, conservait
+une tenue de grande coquette, elle soupirait un «_ingrat!_» plein de
+caresses et de reproches superficiels; car elle savait qu'en amour; les
+romans sont plus amusants que l'histoire ancienne, et que les faits
+divers agrémentent le prosaïsme du journal quotidien. Elle excusait en
+femme du monde qui sait vivre et aimer, le naturalisme de mes passades;
+mais, cette fois-ci, il me parut que je heurtais chez elle moins
+d'insouciance, et je crus lire dans son regard comme un soupçon de
+féroce jalousie.
+
+Étais-je l'objet de ce sentiment passionné, ou mieux encore, ne se
+manifestait-il qu'en faveur de Babette? cette dernière pensée se fixa
+dans mon esprit, évoquant les traits accentués de la tribaderie
+ancienne et moderne, et les vices les plus mignons du XVIIIe
+siècle,—Babette avait, je dus alors m'en souvenir, des manières
+frisques et policées, et elle montrait un certain ragoût dans la
+servilité de ses plaisirs. Vénus est bonne institutrice dans son temple
+de Lesbos, me disais-je; mais depuis la divine Sapho, les hommes ne
+sont plus si grecs dans l'orchestration des joies discrètes, et je jure
+Dieu sur les mânes du chevalier de Faublas, que mon inconstance à la
+baronne ne sera pas comme ces épées à deux mains qui décapitent
+sottement le bourreau sans effleurer les victimes.
+
+
+
+Babette, en me revoyant, a beaucoup ri et un peu pleuré devant le
+tribunal de mon scepticisme; le rire ensoleillait la rosée de ses
+larmes et ses quenottes blanches mordaient, dans un grincement,
+l'incarnat de ses lèvres épaisses. Elle relevait, pour étancher les
+perles humides de ses yeux, un coin de son dernier vêtement, avec un
+mouvement de pudeur impudique qui était l'aveu même de sa beauté. Sur
+de tels appas, on pouvait fourrager les grâces, et jamais Boucher ne
+mit sur les rondeurs satinées d'une gorge deux petites fleurs de pêcher
+d'un rosé plus fondant, d'un coloris plus effronté que celles qu'on
+pouvait cueillir sur le sein de la fillette. Je compris que l'adorable
+soubrette n'était point créée pour se fiancer à un rustre
+d'anti-chambre; l'amour avait sur elle des droits multiples, et les
+passions brutales devaient épargner pour quelques temps la délicatesse
+idéale de ces contours radieux. En éveillant la nature de la friponne,
+j'avais renversé le pot au lait de la réalité; elle me conta l'histoire
+de ses sens—car les sens comme les peuples ont leur histoire,—avec
+l'espièglerie craintive d'un jeune chat; mais l'histoire de ma petite
+blonde avait à peine un chapitre; c'était le début original du plus
+curieux roman qui serait à faire, si les modernes Athéniens ne
+singeaient pas l'austère morale des Spartiates.
+
+O Babette, charmant professeur! comment pourrais-je assez te remercier
+de m'avoir appris à lire dans la grande grammaire de l'humanité que les
+femmes qui sont fidèles au masculin ne le sont pas toujours au
+féminin?—Depuis cette grave leçon, la pauvre baronne est devenue fière
+comme une déesse. Lorsqu'après une absence prolongée, je la trouve
+seule sur sa chaise longue, elle prend une allure de reine amoureuse
+et, d'un ton préfectoral, mitigé par la tristesse railleuse du sourire,
+elle soupire lentement avec des regrets accentués: «Nous sommes bien
+triste, mon doux ami; on vous désire, on vous appelle; c'est mal de
+nous négliger ainsi pour courir après de nouveaux caprices; et
+cependant, libertin, qu'on se défend d'aimer alors qu'on n'en peut
+mais, n'avez-vous pas ici ce qu'il vous faut: de l'amour, des caresses
+et..... même davantage.»
+
+Presque toujours dans l'antichambre, avec ses grands yeux doux, Babette
+par son silence m'en disait tout autant.
+
+
+II
+
+Bien charmants ces quelques vers d'un poète du XVIe siècle; c'est
+l'excuse du _Don-Juanisme_ et la variante du _Pâté d'Anguilles_:
+
+
+Les plus délicieux ragoûts
+Dont une fois nostre appétit s'éguise,
+Si l'adresse ne les déguise,
+Nous donnent souvent des dégoûts;
+Le changement réveille, pique, anime,
+Mêmes chardons dégoûtent le baudet,
+Ce qu'un latin par ces trois mots exprime:
+_Natura diverso gaudet._
+
+
+Chaque femme n'apporte-t-elle pas l'homme, qui sait et peut en jouir,
+son contingent de plaisir?—Il n'y a que l'amateur de femmes qui soit
+logique et indépendant; l'amoureux demeure esclave et sans pratique; il
+ne sait pas, en donnant à sa maîtresse la crainte de le perdre à
+d'autres, lui inoculer le désir de le conserver.—L'amour ne vit que
+d'inquiétudes, de soupçons, d'espérance; il faut y être de sang-froid
+pour laisser tomber traîtreusement ces sentiments dans un coeur qui
+vous aime. Un amant fidèle ne sera jamais un _passionniste_. Pétrarque,
+en affichant une passion sans espoir pour la belle Laure de Noves, se
+consolait charnellement dans les bras d'une boulangère à laquelle il
+laissa mieux que des sonnets, des odes ou des canzones; et Goethe,
+aussi pervers que Valmont, écrivit ses pages les plus sentimentales sur
+le dos complaisant d'une maîtresse passagère.—On peut faire du
+sentiment à la condition de n'en point trop sentir, ou bien encore
+paraître mourant et platonique à la table de l'amour, en ayant le bon
+sens de frétailler de ci, de là au banquet des mamoseux plaisirs.
+
+
+
+Tous ces pauvres diables qui guitarisent sous des balcons déserts, et
+qui semblent affamés comme de jeunes lévrons, n'entendent rien à la
+séduction—à Cythère, on ne prête qu'aux riches; on fait peu l'aumône
+aux pauvres, on ne traite que les repus;—le grand art, c'est de ne rien
+demander, mais de se laisser tout faire. Les vrais libertins sont
+passifs, ils ont le dandysme de leur indifférence; l'imagination est
+leur propre pourvoyeuse; ils fanfreluchent leurs sensations, et sont
+recueillis comme des gourmets en dégustant les plaisirs qu'ils
+éprouvent. Les femmes ne sont jamais les esclaves que de tels hommes;
+devant eux, elles sentent la puissante rivalité des plaisirs passés ou
+des joies futures, elles concourent pour prendre place dans un
+souvenir, et elles déploient toutes les complaisances, toutes les
+ruses, toutes les habilités qu'elles peuvent inventer, semblables à un
+Vatel qui s'ingénierait à découvrir des sauces merveilleuses propres
+flatter le palais blasé d'un royal convive.
+
+Montaigne disait: _que sais-je_? et Rabelais: _peut-être!_—Le petit
+maître amateur et consommateur de femmes est aussi raffiné, il pense
+comme ces grands maîtres, mais sa devise est plus décourageante; il la
+laisse tomber avec un souverain mépris, c'est le gant de l'indifférence
+et de l'impassibilité jeté aux grandes passions ou aux fantaisies
+vulgaires; cette devise, éperon d'acier de la galanterie suprême,
+c'est: _à quoi bon!_ ou bien encore: _que m'importe!_
+
+Toutes les femmes le ramassent ce gant; il provoque à la lutte: _que
+m'importe_, c'est une injure à leur beauté: _à quoi bon_, c'est un défi
+à leur savoir faire.—Achille n'était vulnérable qu'au talon; les fières
+amazones veulent connaître le défaut de la cuirasse de ces superbes
+indolents; elles se croient habiles à l'escrime d'amour; leur vanité
+est en jeu: que ne feront-elles pas? Elles videront le carquois de
+Cupidon jusqu' la dernière flèche, mais si elles ont pour partenaire un
+beau joueur, un homme volontaire et hautain, elles se rendront corps et
+âme à la discrétion du vainqueur, qui, non moins généreux qu'Alexandre
+l'égard de Darius, les traînera un jour son char, sans prétendre les
+esclaver par des chaînes éternelles.
+
+
+
+C'est faire trop d'honneur à la nature humaine, disait Saint-Evremont,
+que de lui donner de l'uniformité.—Ne peut-on pas ajouter: c'est faire
+trop grande injure aux femmes et à l'amour que de leur accorder de la
+constance.—Dans un évangile fantaisiste, d'après un galant écrivain,
+Dieu a dit aux hommes: «Les coteaux sont couverts de vignes, les femmes
+sont pleines de roses, les oiseaux chantent dans les bois: écoutez,
+moissonnez, vendangez.» Aux femmes, Dieu a dit: «Laissez cueillir les
+roses, elles refleuriront sans cesse,» et les femmes ont toujours suivi
+la parole de Dieu.
+
+L'amoureux fait fleurir les roses, le libertin les effeuille, les
+distille et s'en parfume à bon escient; celui-là, au printemps de la
+vie, se laisse asphyxier follement par elles; celui-ci, plus pratique,
+les conserve et en évoque les exquises senteurs, avant même que la bise
+soit venue ou que les frimas aient passé sur sa tête d'archiviste des
+grâces et de mémorialiste de la beauté.
+
+III
+
+Tache sombre, jour néfaste à marquer sur mon coquet calendrier de
+Cypris.
+
+Je la rencontrai après un étincelant dîner d'amis, elle marchait
+crânement, comme seules savent marcher les parisiennes, avec une allure
+gracieuse et caressante; ses souliers mignons me parurent enfermer le
+divin pied d'une Fanchette, tandis que ses talons Louis XV, cerclés
+d'or, battaient avec un son mat l'asphalte du trottoir.
+
+Peut-être avais-je le cerveau quelque peu coiffé de Champagne,
+peut-être aussi la plénitude heureuse de ma digestion me portait-elle
+dans l'oeil le monocle de l'indulgence; je ne sais trop, mais je me
+sentais en veine de gaillardise, l'habit faisait valoir la poupée et,
+nouveau Faust, je cueillis cette Marguerite de carrefour au sortir du
+cabaret.—Je pris cette fille comme on s'asseoit au café, sinon pour
+siroter un grog, du moins pour voir défiler les badauds. Sur la
+contrefaçon de la carte du tendre, le pays galant représente des
+promenades extérieures où défilent les spécimens des vices les plus
+divers, pour peu que l'on sache les faire sortir de l'étrange tanière
+des souvenirs où ils sont blottis.
+
+En entrant dans sa chambre, j'éprouvai le même écoeurement que si je me
+fusse sali salaudement. La pièce, assez vaste, était tendue d'un vilain
+papier à fond rouge, semé d'énormes fleurs grises; une tapisserie de
+vieil hôtel de province. L'armoire à glace à trois corps, en
+palissandre ciré, se dressait contre la paroi qui faisait face la
+cheminée de marbre gris, et d'antiques fauteuils en velours nacarat
+traînaient sur le tapis ponceau râpé, semblable au drap blanchi d'un
+billard. Au fond, dans l'alcôve, le lit—élevé comme un autel à Vénus
+Pandemos—un lit étagé par trois matelas et recouvert d'un surtout en
+fausse guipure, au travers de laquelle apparaissait le blanc douteux
+des draps mous, chiffonnés, frippés, torchons encore chauds d'une sale
+cuisine de gargote d'amour.—Tout cela à l'entresol, en pleine rue
+Lafitte.
+
+Je restais silencieux, pris de honte; le dégoût me serrait à la gorge.
+
+La fille ôta ses gants, retira son chapeau, ouvrit son corsage avec des
+lenteurs accablées et des nonchalances d'abrutissement. Son corset qui
+tomba, oppressait sa taille, et marbrait de filets rouges le jaune
+bilieux de sa peau; ses bas de soie bleue étaient tirés sur des
+maigreurs déplorables, et le petit pied de Fanchette était déformé et
+meurtri. Dans cette mise à nu d'un corps sans ressorts voluptueux, il
+suintait comme d'un mur d'égout une humidité de vice malsain et des
+larmes visqueuses de débauche.
+
+Elle voulut me passer autour du cou ses bras arrondis, mais je reculai
+comme au contact froid d'un serpent.—Depuis quelques instants elle me
+contait l'emploi de ses journées, l'amabilité généreuse des hommes de
+bourse, avec le cynisme du débraillé et l'argot spécial des virtuoses
+de la galanterie.—Je la questionnais tristement, sans avoir le courage
+de jouer les _Desgenais_ vis-à-vis de cette cabotine de l'amour aussi
+repoussante qu'un ulcère qui se découvre alors qu'on voudrait le
+cacher. Lorsqu'elle essaya d'oeillader plus tendrement et qu'elle tenta
+de m'exciter avec la banalité du sourire aux caprioles priapesques, je
+fis un mouvement vers la porte; l'image gracieuse et folâtre de mes
+tant gentes maîtresses, tous ces babouins frais et délicats me
+revinrent en mémoire.—Pousser plus avant cette aventure à bon marché,
+c'eut été non-seulement me souiller, mais bien mieux faire affront à
+mes principes et tirer ma poudre aux chauves-souris des sentines.
+
+Que pouvait m'offrir cette gamelle, moi le repus, qui, dans les plus
+fins soupers n'arrive qu'au dessert? Qu'aurai-je pu trouver d'inédit
+dans cette prostitution? Les courtisanes ont trop connu d'amants pour
+avoir appris les délicatesses du libertinage; ce sont les cuisinières
+des restaurants à bas-prix qui triturent salement un mauvais
+_ordinaire_. Elles sont prudes et bégueules pour tout ce qui sort du
+convenu afin de rentrer dans les convenances personnelles; les grandes
+routes n'offrent pas d'ombrages, on ne s'égare que dans les sentiers
+isolés, l'amour est un art en dehors du vulgaire, chacun croit le
+comprendre, très peu le pratiquent.—Les vrais buveurs soignent
+eux-mêmes leurs vins, et les cavaliers sérieux dressent leurs cavales;
+ainsi font les rois de Cythère: ils aiment apprendre à lire à leurs
+sultanes dans le rarissime manuel des voluptés complexes.
+
+Je me donnai donc la joie de payer le repos d'une nuit à cette
+infortunée servante de Vénus, sans prendre le temps de récolter les
+accolades de sa gratitude. En refermant la porte je l'entendis
+pleurer—le vice a quelquefois fait ses humanités;—ô
+chimistes-philosophes, qu'y avait-il dans ces larmes de pauvresse?
+
+IV
+
+Dans le _Drawing room_ de Miss Georgina, j'ai relu par deux fois, avec
+la plus grande attention, cette singulière annonce du _New-York times_.
+
+
+Une dame, ayant divorcé deux fois, et ayant constaté par expérience
+combien ces sortes de séparations sont cruelles, désirerait convoler
+une troisième fois. Son nouveau mari pourrait lui en faire endurer
+beaucoup, et être certain qu'elle ne se séparerait pas de lui.
+
+Ecrire aux initiales _J. C. W., 31, Wall street, New-York_. Il sera
+répondu par un envoi immédiat de photographie.
+
+La dame qui fait l'objet de cette annonce est grande, forte, et soulève
+_volontiers_ de lourds fardeaux à bras tendu. Dents éclatantes de
+blancheur. Complexion tendre.
+
+On demande un gentleman de quelque fortune, élégant, distingué, petit
+et blond; on le préférerait dans le commerce des huiles minérales.
+
+Ecrire par lettre affranchies.
+
+Miss Georgina, accoudée derrière le fauteuil, pendant cette lecture
+faite à haute voix, riait de ce joli rire guttural spécial aux
+anglaises, et dont la fraîcheur et la vibration argentine rappellent le
+son des clochettes dans l'air pur du matin.
+
+Cela n'est point si ridicule, hasardai-je, en conservant un sérieux
+très britannique, je vois même toute la poétique future des convenances
+matrimoniales, dans cette hardie déclaration de la dame
+_New-Yorkaise_...., et je répétais en scandant les mots, comme pour
+bercer un rêve d'avenir: «_Dents éclatantes de blancheur, complexion
+tendre..... On le préférerait dans le commerce des huiles minérales!_»
+
+_What a Pity!_ soupira Miss Georgina qui ne riait plus,—mais toujours
+pensif sur le fauteuil et pour énerver cette naïve nature blonde et
+rose, je lisais de nouveau avec une affectation réelle: _un gentleman
+de quelque fortune, petit et blond!_ Hélas! Miss, je ne suis ni blond,
+ni petit; _elle_ est _grande, forte et soulève volontiers de lourds
+fardeaux;... volontiers!_ C'est l'idéal, et mon _Byronisme_ en
+tressaille!
+
+Tout le ridicule de ce trivial soliloque dont une française eût haussé
+les épaules en souriant, produisit un singulier effet sur la
+sentimentalité positive de Miss Georgina. Elle fit quelques pas dans le
+salon, réunit deux sièges dos à dos parallèlement; dans un joli
+mouvement fiévreux, elle releva sa longue chevelure d'or, haussa ses
+manches, et avec la lenteur d'un gymnaste consommé ou l'adresse
+puissante d'un clown, je la vis s'élever perpendiculairement, à la
+seule force des poignets, sur le dossier des chaises, et y exécuter des
+rétablissements prodigieux, tantôt sur un bras, tantôt sur l'autre, me
+montrant, dans la complaisance de son rire heureux, ses petites dents
+blanches et serrées.
+
+Puis, après ce viril enfantillage: «_My Darling_, dit-elle toute
+frissonnante et l'oeil scintillant de fierté en venant m'embrasser sur
+le front, votre grande et forte américaine en ferait-elle tout
+autant?»... C'est peine si, dans mon saisissement, je puis lui
+répondre: «_I don't think so, my sweet heart._»
+
+Comme je préférais cette démonstration gymnastique à la sentimentalité,
+aux crises nerveuses, à la tristesse pitoyable de tant d'autres
+maîtresses!
+
+V
+
+Quel adorable petit conte je découvre dans la _Bibliothèque des petits
+maîtres!_ c'est une simple nécrologie, chef-d'oeuvre du genre affadi.
+Je transcris cette littérature au pastel:
+
+«Monsieur l'Abbé de Pouponville était poupon dans tout, il naquit
+pouponnement dans une coulisse, d'une pouponne de l'Opéra et du célèbre
+chevalier de Muscoloris, Seigneur de Pomador, Ambrésée et autres lieux.
+Il était pétri de grâces. Il naquit ce qu'il devait être. A peine
+avait-il deux mois, qu'on remarquait déjà dans ses gestes enfantins un
+bon goût exquis; il tettait si gentiment, si mignonnement, que c'était
+un ravissement pour sa nourrice: toutes les femmes qui le voyaient
+tetter lui auraient volontiers donné leur sein à sucer, suçotter,
+caresser; s'il pleurait, c'était avec une grâce infinie; s'il criait,
+c'était avec une douceur même, une espèce de mélodie cadencée dont le
+charme délicieux passait jusqu'au coeur. Alors un déluge de pralines et
+de bonbons de toutes sortes l'inondaient de toutes parts. Il était
+choyé, caressé, dorlotté, baisé, léché, presqu'étouffé. Dès l'âge de
+dix ans, ces qualités précieuses commencèrent à se développer.—Quelle
+vivacité! que d'esprit! que d'agréments! quelle bouche pour sourire et
+mignarder! quels yeux pour languir et brûler! Sa mère résolut dès lors
+d'en faire un présent à l'Opéra ou de le _jetter dans l'Eglise_. Il fit
+ses études avec une rapidité incroyable. La lecture d'_Angola_, de
+_Bibi_, des _Bijoux indiscrets_, du _Sopha_, des _Matinées de Cythère_
+et autres livres orthodoxes, lui apprirent autant de Théologie qu'il en
+faut pour triompher des coeurs dans les ruelles. Aussi fut-il bientôt
+en possession de subjuguer toutes les femmes. On ne saurait croire
+combien un petit collet donne d'accès auprès du sexe.—Avec un rabat de
+la première faiseuse, un teint miraculeux, des yeux de la plus vive
+expression et jouant à merveille l'attendrissement, l'air et le ton de
+l'extrême bonne compagnie, une voix perlée, flûtée, des lèvres d'un
+incarnat et d'une fraîcheur à faire envie, un _assassin_ placé dans les
+règles les plus étroites de la mode; quelle vertu ou plutôt quelle
+fausse pruderie aurait pu se soutenir et résister à des armes
+pareilles? Enfin, lorsqu'échappé d'un tête-à-tête galant, il montait
+dans la chaire de vérité, il avait l'air d'un chérubin adonisé.—Un
+texte, pris des endroits les plus voluptueux des cantiques, annonçait
+un exorde délicieux suivi d'un discours en deux petites parties aussi
+lestes que divinement bien tournées. Il était couru de toutes les
+femmes du bon ton. La morale qu'il leur débitait était celle des poètes
+et des romanciers, déguisée sous une nuance légère de spiritualité.
+
+Il peignait tout en mignature, jusqu' l'enfer et au péché. Il nous
+reste encore quelques sermons de cet apôtre à blonde chevelure; ce sont
+la vie et la conversion de Madeleine avec ce texte: _osculetur me
+osculo oris sui_, qu'il me donne un baiser de sa bouche;—la
+Samaritaine: _introducet me in cubiculum suum_, il me fera entrer dans
+sa chambre;—la femme adultère: _amore lingueo_, je languis d'amour.—Ces
+trois sermons sont des petits chefs-d'oeuvre de galanterie exquise.
+Toutes ses phrases respirent le souffle léger de la volupté; aussi
+toutes les petites maîtresses s'écriaient au sortir du sermon: ce
+Pouponville est un prédicateur divin! un organe insinuant, des gestes à
+ravir! un air mouton, un sourire supérieurement fin, un persiflage
+décent tel qu'il convient aux gens du beau monde! des descriptions d'un
+gracieux, d'un exquis à faire pâmer! s'il prêchait plus souvent, il
+ferait déserter tous les spectacles. Non, je n'ai jamais eu tant de
+plaisir à l'Opéra qu'aux sermons de cet aimable Pouponville.
+
+C'est de lui que nos jeunes abbés ont hérité des belles manières qui
+les distinguent; la coutume de se faire coëffer double et triple rang
+de boucles; de se parfumer pour remplir l'auditoire de leur bonne
+odeur; de prendre un morceau de sucre candi ou de pâte de guimauve au
+bout de chaque période un peu longue, afin de conforter leur poitrine
+fatiguée, d'avoir un mouchoir ambré qu'on laisse tomber au moins deux
+fois par séance pour voir l'empressement des femmes à le ramasser, de
+promener amoureusement ses regards sur une assemblée brillante de
+beautés à demi voilées, pour se concilier leur attention.
+
+En un mot, c'était un phénomène digne d'être proposé pour modèle aux
+élégants de tout genre et aux amateurs des beaux airs et des manières
+gentilles; aussi avait-il fait une étude sérieuse de ce qu'on appelle
+bon ton, fatuité, élégance, papillonnage. On voit, par quelques
+feuilles manuscrites qu'il composait à sa toilette, combien
+profondément il avait réfléchi sur ces grands objets.
+
+Cependant la prédication lui fut très fatale. Un horrible
+_vent-coulis_, venu d'une porte inexactement fermée, lui ôta tout-à
+coup la voix et la respiration. Un pli qu'il aperçut à son rabat lui
+donna de nouvelles vapeurs qui le firent malade à périr. Il s'évanouit:
+pour le faire revenir, on eut l'incongruité de lui présenter de l'_eau
+de la Reine_ qui ne venait pas de chez la Petite Marchande, la seule
+qui put en avoir de bonne. Ce troisième coup le bouleversa. Enfin, pour
+comble de malheur, un malotru de médecin, habillé comme aurait pu
+l'être Hippocrate ou Gallien, en habit noir et sans dentelles, vint lui
+tâter le pouls. Il ne put digérer ce trait de la dernière maussaderie;
+le coeur lui souleva: et notre damoiseau rendit son âme mignonne en
+demandant si l'on avait apporté ses souliers brodés, sa ceinture à
+glands d'or et la nouvelle façon de mouches, qu'il avait fait demander
+chez du Lack. On l'ouvrit, on ne lui trouva ni cervelle ni cervelet;
+une légère quantité d'une substance neigeuse et fondante au moindre
+trait lui en tenait lieu. Toutes les fibres et fibrilles du cerveau
+étaient d'une ténuité, d'une finesse, d'une exilité bien au-dessus de
+celle d'un fil d'araignée. Son coeur, un peu au-dessous de la grandeur
+ordinaire, avait les deux branches de l'aorte extrêmement étroites: les
+anatomistes attribuèrent cette contraction la facilité prodigieuse
+qu'avait notre Adonis _à vaporer_, s'évanouir, défaillir, périr
+presqu'à chaque moment. Son sang ressemblait à l'eau rose, et sa chair
+était tendre et délicate comme la substance des Zéphirs.
+
+Il fut regretté des femmes; les petits maîtres perdirent avec une joie
+maligne un rival aussi formidable. Un adepte de ses élèves lui fit
+ériger par reconnaissance un mausolée élégant. C'était une table de
+toilette richement garnie et très élégamment décorée de bougeoirs, de
+miroirs, de boîtes, de bijoux, de pâtes, de parfums, de rouge, de
+blanc, d'éponges, d'eaux de senteurs, etc. On y mit cette épitaphe:
+
+
+«Ici repose mollement,
+Dessous cette tombe mignonne,
+L'arbitre du raffinement;
+Dont l'air, le coeur, le nom et la personne
+Respiraient tous un doux pouponnement.
+Il avait l'âme si pouponne
+Qu'il pouponna des romans, des chansons,
+Et même aussi de fort jolis sermons.»
+
+
+Ainsi finit cette délicieuse oraison funèbre de Ange Rose-Farfadet,
+abbé de Pouponville, le mignon des grâces, la perle des petits-maîtres,
+l'élixir de la galanterie, la coqueluche des femmes et la quintessence
+de la gentillesse. Je devais exhumer, pour les relire de temps à autre,
+ces quelques pages malicieuses qui dégagent un parfum capricieux comme
+une boîte de pastilles à l'ambre.—Que de Pouponville rencontre-t-on
+aujourd'hui qui ne vont pas à mi-corps du cher petit abbé que nous
+venons de mettre en lumière.—C'est cet émule des Cléon et des Dorival
+qui laissa après sa mort ces quelques notes inimitables:
+
+
+Aujourd'hui j'ai lorgné et relorgné 304 femmes au spectacle; le reste
+n'en valait pas la peine; encore je n'en ai remarqué aucune qui méritât
+qu'on fît une démarche. On est malheureux d'avoir le goût si superfin!
+
+
+
+Il y avait longtemps que les hommes faisaient les avances. J'ai mis les
+femmes sur le pied de jouer ce rôle à leur tour. C'est à mes confrères
+de les y maintenir.—_Je réponds de moi_.
+
+
+
+
+Ne voir et n'avoir une femme qu'une fois, _une seule_, quelque divine
+et miraculeuse qu'elle soit, c'est une maxime dont je me trouve bien.
+Je les laisse toutes sur la bonne bouche et toutes sont folles de moi à
+en mourir,—mais plus jamais je ne leur accorde la moindre faveur.
+
+
+
+Le médecin céleste que Pamoisor! Il a guéri ma levrette grise et mon
+perroquet Amazone. Je veux lui donner un bijoux précieux. C'est le
+portrait de ma dernière maîtresse d'hier.—Qu'en ferais-je aujourd'hui?
+
+VI
+
+Pendant tout le temps que dura le dîner, ma trop charmante amie, Mme
+***, fut effrontée comme un petit page et libertine comme la fameuse
+marquise de Merteuil.
+
+Nous étions six au plus, tous littérateurs, sans compter le mari: un
+hors-d'oeuvre, maigre comme une sardine, pointu comme un radis, dur
+comme une rondelle de saucisson d'Arles.
+
+Elle m'avait placé à sa gauche à table; Ménélas faisait vis-à-vis.
+
+Mon Hélène était prise à ravir dans un merveilleux fourreau de satin
+noir, décolleté à souhait pour le plaisir des yeux; j'entendais la soie
+craquer sous les frissons nerveux que lui faisait éprouver le langage
+éloquent de ma bottine, et je me mordais les lèvres pour ne pas pousser
+des petits éclats joyeux, lorsque sa main mutine folâtrait en
+s'attardant sur un point chatouilleux de mon genou.—Au dehors la pluie
+tombait; l'atmosphère de la salle, tiédie par la lumière des
+candélabres, était imprégnée du fumet des truffes, du bouquet des vins
+et de l'arôme capiteux des caissons de foie gras.—J'éprouvais un
+affaissement, une mollesse, un besoin d'abandon, une certaine chaleur
+de digestion contrariée qui évoquaient le boudoir et le confort des
+divans profonds; j'aurais voulu pouvoir dégrafer, délacer, déchirer des
+étoffes ou mordre des batistes: des perles humides et chaudes
+scintillaient sur les pores de mes mains; les convenances m'empalaient
+sur mon siège.
+
+Elle, la perfide, avec le don d'ubiquité qui semble donné aux femmes du
+monde et également au monde des femmes en général. Elle, souriante pour
+tous, aimable pour chacun, polissonne à mon égard, distribuait ses
+grâces et me réservait sa grâce; elle, maîtresse de maison et maîtresse
+en mon coeur, avait l'oeil à tout et n'avait un regard que pour moi.—O
+créatures complexes qui savez et pouvez vous isoler, vous donner à un
+seul et vous gaspiller à l'humanité tout entière dans le même instant!
+O filles de Vénus, fées capricieuses et insaisissables, alors que vous
+vous êtes implantées par amour dans l'âme de votre amant, votre beauté
+vous prostitue aux désirs, aux rêves licencieux, aux fantaisies
+paillardes, aux embrassements convulsifs, dans l'imagination des mâles
+hardis qui vous contemplent.
+
+Est-il une femme qui soit restée vierge du désir d'autrui!—Peu importe,
+après tout, si le regard altéré et absorbant de l'ivrogne qui me boit
+des yeux, me fait trouver meilleur le vin que je porte à mes lèvres; je
+me mets d'accord avec la trivialité du vieux proverbe: lorsque mon
+verre est plein je le vide, lorsqu'il est vide je le plains.
+
+
+
+Elle avait une rose écarlate plantée glorieusement dans l'échancrure de
+son corsage, entre la double colline tant chantée par tant de poètes
+maupiteux et malingres. A un moment, lorsqu'elle se pencha pour porter
+un toast, elle calcula si gentiment son mouvement, que brusquement mes
+lèvres cheminèrent dans la vallée du Pinde et je respirai moins la
+fleur que le parfum singulier de sa peau qui me fit passer dans la tête
+comme un vertige de rut.
+
+Le mari, aimable et bonasse, dans un langage pompeux critiquait
+Jean-Jacques et _La Nouvelle Héloïse_ sur ce thème: «_Aidé de la
+sagesse, on se sauve de l'amour dans les bras de la raison;_» et moi,
+je répétais doucement ce début de la lettre XIV à Julie: «Qu'as-tu
+fait, ah! qu'as-tu fait, ma Julie? Tu voulais me récompenser et tu m'as
+perdu. Je suis ivre ou plutôt insensé. Mes sens sont altérés, toutes
+mes facultés sont troublées par ce baiser mortel. Tu voulais soulager
+mes maux? cruelle, tu les aigris. C'est du poison que j'ai cueilli sur
+ta gorge; il fermente, il embrase mon sang, il me tue.»...—Rousseau,
+concluait Ménélas, a toujours préféré les paradoxes aux préjugés, et
+puis, reconnaissait-il seulement ses enfants?—Les moeurs, Messieurs,
+comme le disait Restif de la Bretonne, peuvent être comparées à un
+collier de perles: _ôtez le noeud, tout défile_.
+
+Pardieu! je crois bien.—Sous la table, les doigts fluets de ma
+spirituelle voisine s'égaraient de plus en plus dans des caresses
+cupidiques.
+
+
+
+Comme nous nous rendions au fumoir, précédés de l'_Anti-Rousseau_,
+étant le plus jeune, je restai le dernier; elle était près de la porte,
+et lorsque je passai, je reçus le péage.—Avec une étrange bravoure
+devant un danger possible, elle m'entoura par derrière le col de ses
+bras nerveux et me planta crânement un baiser sur la nuque, près de
+l'oreille, en me confirmant à voix basse le rendez-vous du lendemain.
+Je me cabrais sous l'éperon des désirs qu'elle faisait naître et que je
+ne pouvais anéantir dans sa possession.
+
+Pendant qu'elle allumait mes sens, le mari m'offrait un cigare, à
+l'aide duquel j'endormis mes révoltes aussi doucement que l'on berce un
+enfant criard au berceau.
+
+La conversation s'anima dans cette intimité d'homme à hommes. Le grand
+et terrible critique Z..., appuyé au chambranle de la cheminée, superbe
+comme Byron, massacrait de pauvres diables d'écrivains en les criblant
+d'épigrammes cruelles. Ses bons mots verveux pétaradaient comme une
+gerbe de fusées dans un jeu pyrique; il mitraillait les Philistins des
+lettres sans pitié, avec une furia de mousquetaire triomphant et sûr de
+ses coups.
+
+—Mordieu, mon cher, quel superbe franc-archer vous êtes, lui disais-je,
+surpris de la justesse de ses traits piquants et aciérés.
+
+—Que voulez-vous, me répondit-il en se campant le buste en avant, j'ai
+tellement reçu de flèches dans ma vie que je suis devenu carquois; je
+retourne les traits qui m'ont été décochés si souvent mal à propos, et
+je tâche, moi, de ne pas manquer ceux que je vise.—Au reste,
+poursuivit-il, chacun suit son étoile, et je crois aux signes du
+Zodiaque: je suis né _sous le Sagitaire_,—et vous?
+
+—Septembre m'a vu naître, ainsi que dirait un romancier du premier
+Empire, mais j'ignore les fameux signes du calendrier,—sauf ceux du
+_Calendrier de Vénus_.
+
+—Septembre!—c'est _la Balance_, mon ami; pour tout le monde ce serait
+la justice, mais pour vous, c'est mieux encore, et vous ne pouvez en
+nier l'influence: c'est l'art parfait de balancer les femmes sur les
+légers plateaux de l'inconstance. Demandez plutôt à notre hôte.
+
+—Peut-être bien, dit Ménélas.—Ainsi, je suis né en décembre, le jour de
+la Saint Jean; quel est mon signe?
+
+—Décembre!—_le Capricorne_, mon cher, et je vous en félicite, répondit
+avec une superbe ironie le grand critique,—vous, un homme paisible, qui
+s'en serait douté?—Mais, chut! voici votre femme.
+
+Le pauvre homme avait le sourire le plus gaillard du monde; l'amour
+n'est pas le seul à porter un bandeau, les maris ont souvent une
+visière de cuir comme l'aveugle du Pont-des-Arts, mais ils ne
+s'aperçoivent pas toujours qu'ils se mettent à deux pour jouer sur la
+même clarinette, l'un y fait les _canards_, l'autre y roucoule des
+mélodies.
+
+VII
+
+Rien n'approche de l'ennui que donne une passion qui dure trop, dit
+Saint-Evremont, avec un jugement sage et profond. Il y avait plus d'un
+mois que je mitonnais les mêmes plaisirs avec miss Mary; c'était
+esquisser un bail d'amour, et je devais donner congé à demi-terme si je
+ne voulais pas me manquer à moi-même, ce qui eut été la plus grave des
+impolitesses.—L'adage prétend qu'_une maîtresse de perdue, dix de
+trouvées_, mais la logique affirme qu'_une maîtresse de gardée, dix de
+perdues_, et Mary ne valait assurément pas la peine que je perdisse les
+faveurs des plus jolies petites reines de la création. Un Vauvenargues
+quelconque a écrit quelque part: «Nous méprisons beaucoup de choses
+pour ne pas nous mépriser nous-même.» C'est absolument ma pensée.
+N'aimer qu'une femme, c'est se mépriser; en aimer plusieurs, c'est en
+mépriser beaucoup mais se redresser dans sa propre estime, d'où je
+conclus q'une petite femme aimée était un lourd fardeau, et qu'il était
+urgent pour moi de changer à la banque de Cythère ma grande passion
+pour une menue monnaie de petits caprices à gaspiller à pleines mains
+sur la roulette de la bonne fortune.
+
+Mary était une charmante aventurière voluptueuse et fière, pleine de
+jeunesse, de gaité et d'insouciance; l'esprit de Sophie dans le corps
+de Musidora. Ses yeux introuvables cherchaient l'étrange jusque dans la
+jouissance: je la jugeais dangereuse pour un homme à imagination
+dépravée. Je résolus donc de rompre gentiment avec elle dans une petite
+fête intime et je l'engageai par lettre à faire abdication de notre
+amour devant un spirituel flacon d'Ay.
+
+
+
+Elle accepta par ce triste sonnet plus mémorable que parfait dans sa
+forme et sa correction.
+
+
+Est-ce une épître funéraire,
+Ou le billet doux d'un viveur?
+Malgré sa verve cavalière
+Ta lettre m'a fait froid au coeur.
+
+Est-ce ainsi qu'il faut qu'on enterre
+Ce pauvre amour au ton moqueur
+De ton verre heurtant mon verre,
+Chez un fameux restaurateur?
+
+Puisque tu le veux, chez Vachette,
+Au bruit banal de la fourchette
+Et des stupides calembours,
+
+Je serai ta digne compagne
+Et nous noirons dans le Champagne,
+Ce qui reste de nos amours.
+
+
+A dix heures du soir après le dernier verre d'un pétillant Cliquot,
+nous chantions le _De profundis_ sur le cadavre alcoolisé de notre
+passion;—à onze heures j'attendais à la sortie d'un petit théâtre de
+genre, une blonde enfant, cabotine d'opérette, qui remplissait mieux
+son maillot que ses devoirs.—L'hygiène du coeur consiste à y établir
+des courants d'air amoureux, sans y laisser stationner les miasmes
+d'une maladie de langueur. On peut permettre à une femme de se jeter
+par la fenêtre pour ouvrir la porte à une autre aussitôt, sans que les
+regrets, ces huissiers minutieux, aient le temps d'inventorier les doux
+souvenirs des temps qui ne sont plus.
+
+Entre Mary et la jeune _prima donna_, le contraste était grand, mais
+aucune n'avait le désavantage; tout se compensait: à la belle Impéria
+succédait la mignonne Régina; c'était la chatte qui se blottissait dans
+l'antre de la lionne et pour achever cette comparaison naturaliste, je
+pensais au joli mot si profond de Mlle Arnould: «Une souris qui n'a
+qu'un trou est bientôt prise.»
+
+
+
+J'ai reçu une longue lettre de Mary, encore dans les bras de Nanine, ma
+petite commère de revue; je me suis donné le plaisir de la lire
+doucement, en jouant avec les longues torsades de cheveux de ma
+nouvelle maîtresse:—«quand je t'ai quitté hier, mon ami, disait la
+lettre, quand brusquement séparée de toi, j'ai été rappelée à la
+réalité de notre situation, j'ai senti, je t'assure, un vide profond,
+quelque chose comme un déchirement intérieur; je suis rentrée chez moi,
+les yeux secs et le coeur gros; alors, j'ai relu tes lettres, sans y
+trouver hélas! ce que j'y cherchais. Homme insaisissable, j'ai dû me
+rappeler les premiers moments de notre liaison, certains éclairs
+lumineux où tu étais peut-être _toi_, et comme après tout il est
+toujours pénible de perdre une illusion, si légère soit-elle, je le
+confesse, j'ai pleuré.»
+
+—_Il fait faim_, disait Nanine au lit, en étirant ses bras de caillette
+sur les guipures de l'oreiller.
+
+J'embrassai vivement son petit visage chiffonné par le sommeil et
+l'amour et continuai ma lecture:
+
+—«N. I. ni, c'est fini, mon pauvre cher; nous allons donc être amis,
+rien qu'amis, ce sera original du moins, si c'est peu vraisemblable;
+j'ai la mort dans l'âme, mais pour te plaire encore, je prends mon
+papier couleur de printemps, ce papier cuisse de nymphe émue que tu
+aimais tant aux quelques jours fugitifs de nos fugitives amours. Nous
+allons sortir du prévu, du convenu, de l'ordinaire; nous serons amis,
+rien qu'amis; pour un mangeur de coeurs comme toi, pour un franc-buveur
+d'inoubliables voluptés, pour un sceptique qui se retire alors qu'il
+parait se donner, le changement sera peu sensible. Combien de pauvres
+amantes n'as tu pas mises aux invalides de ton amitié?—pour moi je me
+rends, mais ne désarme pas; quelque beau jour un caprice nous réunira,
+nous jaserons comme de vieux camarades, et puis, tout à coup, ma foi,
+sans nul songement, comme tu as vingt six ans et que j'ai, dis-tu, du
+sang de succube dans les veines, nous oublierons l'amitié, la morale,
+les convenances, notre pacte, l'heure qu'il est, le temps qu'il fait et
+un formidable coup de canif sera donné—Oh! ne dis pas non—à ce curieux
+et féroce contrat amical que tu as rédigé toi-même.»
+
+—Fi! Monsieur l'impoli, continuait Nanine; vous lirez votre lettre plus
+tard; Dis moi Mimi: quelle heure est-il? Il ne faut pas que je manque
+ma répétition, le régisseur est un vilain gros singe; je serais à
+l'amende, mon bon chéri.
+
+La lettre de miss Mary se terminait ainsi:—«Ne crains pas cependant que
+je veuille renouer des liens amoureux; nous éprouverons l'un et l'autre
+plus de plaisir à nous voir, parce que tu ne seras pas mon amant, _un
+mot bête_ et que je ne serai pas ta maîtresse, _chose banale_. Je rêve
+néanmoins de m'éveiller encore un matin dans certaine alcôve
+mystérieuse tendue de soie noire, parsemée de boutons de roses, où j'ai
+cru follement avoir été aimée et où je suis certaine d'avoir aimé. Mais
+je vous quitte:—un mot, un petit mot, mon bon monsieur, pour l'amour de
+notre amitié.»
+
+—Ma jolie cabotine s'était rendormie et songeait à des couplets de
+Clairville et des collants mi-partie.—Je n'ai jamais tant aimé la femme
+à travers les femmes et les maillots roses au travers des bas bleus.
+
+
+
+Nanine est une créature tout bêtement exquise; une tête façonnée par
+une manière de satyre tombé en enfer; elle met très au juste
+l'orthographe, parle en fillette de douze ans et possède des pattes de
+mouches à faire revivre tout un ancien vaudeville. Elle joue avec ma
+chatte, sur les tapis, des heures entières en poussant des cris
+adorables de gamine en récréation; elle sauterait à la corde si elle
+pouvait. Elle rit, elle pleure, elle chante toujours aussi gaiement;
+c'est un rayon de soleil fait femme: quand elle boude, sa petite moue
+est réjouissante; quand elle aime, c'est un concert produit par les
+grelots de la folie. Elle a toutes les complaisances, toutes les
+impudeurs, toutes les délicatesses heureuses; jamais gauche, toujours
+coquette, c'est une petite maîtresse d'étagère; elle papillonne dans
+mon intérieur sans faire ombre à ma vie, sans arrêter le vol de mes
+pensées, on lui jette des images sur lesquelles sa vue se pâme; elle
+lit Pigaut-Lebrun ou Paul de Kock en faisant vibrer sa joie; et
+parcourt seulement Musset, car sa naïveté charmante se refuse à
+interpréter _Les Nuits, Rolla_ ou _le Secret de Javotte_, peut-être
+sourit-elle à _Mimi Pinson_, mais il y a encore trop peu de distance de
+la coupe à ses lèvres.—Elle babouine plutôt qu'elle ne parle.
+
+Si je la mène à la campagne, Nanine embellit la nature; elle arrive
+comme une aurore de printemps, le matin, joyeuse et sautillante,
+heureuse de courir dans l'herbe et de fripper ses jupes et ses volants
+dans le brouhaha des gares.—Dans les champs, une poule est une
+révélation, un petit poussin un joujou japonais; elle va, vient, lutine
+les chiens, grimpe aux arbres, fait jouer l'aviron des canots ou
+cueille, baignée de lumière et de grâces, des coquelicots et des bluets
+qui font valoir sa fraîcheur délicate de fille d'amour.
+
+Nanine a dix-huit ans et joue avec son coeur comme avec un hochet.
+Connaît-elle le prix des baisers qu'elle me donne à toute heure, à tout
+instant, à chaque seconde, quand ses fins cheveux Van Dyck au vent,
+étourdie comme un hanneton, le regard espiègle, le nez coquin, le
+menton marqué d'une fossette polissonne, elle applique ses lèvres
+fraîches sur mes lèvres avec l'enfantillage d'une passion qui s'ignore?
+
+Je puis tromper Nanine, sans qu'elle en prenne ombrage. Au reste
+lorsque la cage est peuplée d'oiseaux qui gazouillent, les chats
+rentrent leurs griffes et écoutent. Don-Juan n'aurait que faire de
+briser ce petit coeur d'agnelet. Il n'y a que les rustres qui dénichent
+les nids; les vrais chasseurs ne tuent point les rossignols.
+
+
+
+Revu la triste Mary, ce soir, chez moi, un mois après notre
+rupture.—Tout d'abord un grand froid, puis une conversation amicale à
+la turque sur des coussins jetés à terre.—Retour sur le passé.—Nous
+égrenons sur le tapis tous les souvenirs d'autrefois; elle, avec une
+amertume visible, moi, avec une froideur marquée.—Il me déplait
+d'exhumer des sensations mortes; elles ne revivent jamais avec la même
+expression. Dans le coeur d'un jeune homme, ces sortes de cadavres sont
+toujours trop légèrement enfouis; alors qu'on peut encore agrandir son
+cimetière d'amour, il faut laisser au temps le soin d'achever son
+oeuvre. La vieillesse impuissante retourne ce champ de repos; le
+présent est chargé de meubler l'avenir, ce n'est que lorsque le feu est
+éteint qu'on peut remuer des cendres.
+
+Mary fit des prodiges de diplomatie passionnée; elle essaya, mais en
+vain, de faire sonner toutes les cordes de la lyre, mais je n'étais
+guère en humeur de chanter et ma lyre ne rendait que des sons de
+vieille guitare mal accordée.
+
+A minuit, elle regarda la pendule et fit mine de partir. Je la laissais
+faire sans quitter ma posture alanguie ni proférer une parole. Alors,
+s'élançant sur moi, elle m'enlaça, m'embrassa, me caressa, me réchauffa
+avec une brutalité de tigresse ardente et affamée...—l'amitié jurée fit
+un plongeon. Devant les glaces de mon mutisme, cette femme succube
+s'était redressée, brûlante comme un brasier; le coup de canif était
+porté au contrat, mais mon _moi pensant_ n'avait pas eu part aux ébats.
+J'étais furieux de cette victoire remportée sur mes sens contre mon
+gré, et ma passivité non voulue m'attristait. Ne vaut-il pas mieux
+aimer sans retour, que d'être aimé avec cette furia, quand le dédain du
+coeur le plus grand répond à un sentiment si violent?
+
+Elle, cependant, était glorieuse, et, comme je l'accompagnais à la
+porte, pour ne pas prolonger cette situation trop ou trop peu tendue,
+elle me lança avec un sourire diabolique ce mot d'adieu à la Socrate:
+«_Amour, tu es tout: Amitié tu n'es qu'un vain mot_.»
+
+VIII
+
+—Veuillez croire, mon cher, que cela existe beaucoup plus que vous ne
+le supposez, c'est une femme d'expérience qui vous parle, et tenez:
+voici l'épître que j'ai reçue, lisez; elle est signée en toutes lettres
+par une princesse russe, mais peu importe, vous serez discret si bon
+vous semble.
+
+Et je lus la plus étrange déclaration d'amour, écrite avec l'outrance
+passionnée d'une femelle qui voudrait être homme. Je savais que le
+grand César était appelé _le mari de toutes les femmes et la femme de
+tous les maris_, mais je ne concevais pas chez le sexe faible une
+tendance aussi manifeste et aussi Césarienne. Mon aventure avec Babette
+et la Baronne m'avait révélé des points jusqu'alors indécis dans ces
+curieuses accordailles, mais mon rôle du moins n'y était pas effacé et
+comme les danseurs antiques, je pouvais apparaître au milieu du
+festin—ici la virilité était bafouée, méprisée, dénoncée comme une
+turpitude; le temple de Vesta déployait seul sa svelte architecture;
+maudit était le mâle qui faisait mine d'y pénétrer; c'était l'élément
+destructeur des moeurs douces et liantes, c'était le hideux
+procréateur, le méchant faune égoïste et brutal qui amenait, à la suite
+d'un faux plaisir, la douleur, les anxiétés, les dégoûts et la perte
+fatale des formes les plus pures.
+
+—Voilà qui est fort intéressant pour l'étude sociale, dis-je à mon
+interlocutrice en repliant la lettre; le document est superbe et
+hautement paraphé; suis-je indiscret en vous demandant quelle réponse
+fut la vôtre?
+
+—Aucunement, ami; vous pensez bien que je ne répondis pas; mais à
+quelque temps de là, la signataire m'ayant rencontrée dans un salon,
+vint à moi, aimable et pleine d'attentions, et, après s'être informée
+de ma santé, elle manifesta un grand étonnement de mon silence à sa
+lettre: «Quoi! c'était vous, princesse, fis-je avec la plus souveraine
+froideur. Ah! pardonnez-moi, en vérité, je croyais qu'une telle
+déclaration venait de votre mari.»
+
+—Et vous ne la revîtes plus?
+
+—Jamais.
+
+
+
+—Votre anecdote, ma belle amie, me remet en esprit, ce joli tableau de
+genre en trois mots, que j'ai lu, je crois, vous ne sauriez le
+supposer, dans les _Mémoires de monsieur Joseph Prudhomme_. Monnier y
+raconte ainsi une visite à mademoiselle Raucourt qui était, vous le
+savez, au siècle dernier, la grande prêtresse de la secte
+Anandryne:—«Mademoiselle Raucourt portait une robe de chambre en
+molleton, des pantalons à pied également en molleton, et un bonnet de
+coton incliné sur l'oreille.»
+
+«On venait de servir le déjeuner et elle était assise à table entre une
+jeune fille fort jolie et un petit garçon.
+
+—Prendras-tu du chocolat ou du café au lait ce matin? demanda
+mademoiselle Raucourt à sa voisine.
+
+—Du chocolat, _mon cher Ami_; le café au lait me fait mal.
+
+—Et toi, mon petit, veux-tu encore du beurre?
+
+—Merci, _Papa_, j'en ai assez.»
+
+Cette photographie de famille est exquise, n'est-il pas vrai? Elle en
+dit plus qu'elle n'est grande; on peut y voir des choses l'infini, et,
+pour moi qui ai lu et relu la littérature érotique de tous les temps,
+depuis le grivois jusqu'à l'horrible en passant par les gradations les
+plus nuancées, je n'ai pas encore oublié ce simple petit croquis de
+Joseph Prudhomme, expert en écriture, _élève de Brard et
+Saint-Omer_.—Ah! comme je voudrais, madame, vous montrer mon érudition
+profonde sur ce sujet Lesbien; mais il vous faudrait fermer les portes,
+m'écouter sans rougir ou bien rougir sans m'écouter; je passerai de la
+Grèce à Rome, de la Chine à l'Orient, de Paris à la Province, de la
+Régence à l'Empire avec des textes variés. Si vous étiez la Chevalière
+d'Eon j'oserais peut-être,... mais...
+
+IX
+
+Je comprends mieux que toute autre le _compagnonnage intellectuel_,
+m'écrivait la minaudière madame de C., il y a bientôt huit
+jours;—«croyez-vous que je veuille jouer près de vous le rôle d'une
+femme jalouse, d'une _maîtresse à scènes?_—Le ciel m'en préserve; je ne
+veux rien savoir; je veux _vous voir vivre_, vous panser l'âme comme
+une soeur de charité panse les blessures du corps. Je vous apprendrai à
+aimer de la bonne façon, sans orages, sans déchirements, sans
+inquiétudes, sans jalousies, tout doucement, bien tendrement; vous
+serez pour moi un grand baby devant lequel je serai en adoration comme
+les mères devant leurs enfants.»
+
+Je me suis cru, en lisant ces mots, vers 1820, à l'époque où l'on
+jouait encore de la cithare sentimentale devant des littérateurs
+larmoyeux et des poètes édités par Ladvocat.—Madame de C. fait voile
+vers la quarantaine, ce _Lazaret d'amour_ des femmes du monde; elle est
+forte et langoureuse, il ne lui manque que le turban de madame de
+Staël; elle ne veut rien savoir, _mais elle veut tout connaître_. C'est
+un autre temps vers lequel elle recule et entraîne ma vie comme pour
+mieux se rajeunir. Depuis que je la vois, je me meus dans des intrigues
+à la Ducray-Duminil, je relis par la réalité, _Madame de Valnoir,
+Coelina ou l'Enfant du Mystère, Jules ou le Toit paternel_, et autres
+épopées romancières en plusieurs volumes.—Elle arrive quelquefois le
+matin comme un ouragan, dans un grand manteau noir, la tête encachotée
+dans une longue mantille; elle se pâme et comprime les battements de
+son coeur, s'affaisse sur un siège et semble dire: «_On m'a suivie, je
+suis perdue_.»
+
+Je reste froid à ses déclarations et y porte juste le même intérêt qu'à
+la _reprise_ d'un vieux mélodrame.—Hier, j'ai voulu rompre; cela
+m'agaçait. Dans un billet fatal et ténébreux, je réclamais mes lettres
+en échange des siennes, afin de ne pas oublier le réalisme de la
+couleur locale.—J'attendais Justine, la chambrière; hélas! ce fut elle
+qui vint.
+
+Elle se fit annoncer, et marcha avec un air brisé jusqu'au fauteuil qui
+lui était offert.—Un juge d'instruction eut envié ma rigidité
+impénétrable.
+
+—Monsieur, je vous rapporte vos lettres—(elles étaient nouées dans un
+ruban mauve).
+
+—Madame, je vous rends grâces, voici les vôtres.
+
+—C'est donc fini, dit-elle avec un gros sanglot dans la voix. Ah!
+perfide! que vous ai-je fait?—Voyez mes yeux, ils sont tout rouges des
+pleurs de la nuit. Depuis que je vous connais, je me meurs; _j'ai tant
+besoin de ménagements_—(elle était fraîche comme un Rubens).—Pourquoi
+ne pas nous laisser aller à l'amour? il fait si beau, le ciel est si
+pur, les oiseaux chantent; tout nous invite aux joies enivrantes, aux
+douces caresses, aux charmes profonds; vous m'aimez: je le sais, je
+veux le croire.—(J'avais cependant tout mis en oeuvre pour lui prouver
+la vérité, c'est-à-dire le contraire).—Ah! ne sois pas insensible à ma
+voix; viens, regarde-moi; me trouvez-vous jolie, Monsieur?—Cette beauté
+dont on me gratifie dans le monde, elle est à vous, et vous seul
+cependant ne m'en avez jamais fait le plus petit compliment. Voyons,
+embrassez-moi; faut-il que moi je me jette vos genoux?
+
+Comme je restais glacial et ennuyé, chantonnant intérieurement comme
+ironie une romance en mineur de _la Grâce de Dieu_, elle éclata:
+
+«Ah! ne jouez pas au Byron! ne faites pas votre Manfred, Monsieur!—je
+sais tout ce qu'il y a de grand, d'incompris dans votre âme; vous êtes
+un lion blessé qui se défend d'aimer.
+
+«Dites-moi le nom de celle qui vous a torturé; j'irai la chercher, je
+vous la ramènerai douce, repentante et docile; mais parlez-moi, de
+grâce; ne restez pas ainsi comme une statue de pierre; le destin fatal
+veut que j'aime tout en vous, vos manières, votre personne, votre
+esprit, vos vices et même vos vilains gros défauts.—Moi, qui suis si
+fière, si orgueilleuse, si indomptée! Suis-je assez bas devant vous.
+C'est horrible!»
+
+Elle parlait toujours, et cette petite voix maniérée sortant de cette
+mamoseuse poitrine m'irritait à l'extrême. Cette plantureuse Junon
+jouant à la petite maîtresse, ces langueurs dans cette puissance, ces
+larmes dans ces yeux arides, ce comédisme tout cérébral qui laissait le
+coeur intact et le corps vierge d'émotions, tout cela n'était que
+ridicule et je le comprenais, car le _vrai_ touche toujours son but; on
+peut s'en défendre mais on ne saurait le méconnaître quand en amour on
+reste maître de soi ou qu'on se désintéresse franchement dans la
+partie.
+
+Déjà elle se renversait dans une feinte attaque de nerfs, son mouchoir
+sur la bouche comme pour arrêter des suffocations; je me préparais à
+distiller quelques gouttes d'eau de Mélisse sur ses lèvres, lorsqu'on
+m'annonça un ami. Ma porte n'était pas condamnée, c'était un sauveur.
+Madame de C. prit congé de moi avec l'amer regret d'avoir été
+interrompue dans sa crise. Au moment de franchir la porte elle revint
+sur ses pas:
+
+—Ah! pardon, Monsieur, j'oubliais... mes lettres.
+
+—Lesquelles, Madame, les vôtres ou les miennes?
+
+—Celles que vous m'avez écrites, cruel! et que je ne puis me décider à
+vous restituer.
+
+Je n'ai jamais pu rompre avec Madame de C., alors que je me dispose à
+ranger cette sotte fantaisie dans l'histoire ancienne, elle revient
+ajouter de nouveaux documents au dossier. Il est des orgues de Barbarie
+qui prennent l'habitude périodiquement de _moudre des airs_ dans les
+cours; ainsi fait cette ingénue marquée. Elle se manifeste dans son
+exigence et son encombrante corpulence, à l'exemple d'une trombe
+impétueuse, et elle soupire mignardement comme une sylphide: «_Je tiens
+si peu de place, et veux si peu de chose_.»
+
+Que me serait-il arrivé, grands dieux! si j'avais couronné la flamme
+d'une telle Bacchante-élégiaque? Je lui ai bien permis quelquefois
+certaines privautés—de même qu'on se laisse lécher la main par un bon
+gros chien,—mais je n'en ai jamais prises avec elle. L'ombre de son
+mari sec et parcheminé a toujours flotté comme le pressentiment d'un
+remords, entre ses terribles désirs et mes courtes pensées de
+concupiscence.—Ce pauvre homme! il est maigre à embrasser un bouc entre
+les deux cornes.
+
+X
+
+Je croyais ne plus aimer ma petite Jeanne; le bonheur berce l'amour et
+l'endort. Mais comme elle me quittait certain matin par un gai soleil
+de mai, je la regardais partir et lui adressais de loin de nonchalants
+baisers. Elle se retournait, gracieuse et vive, et de son mouchoir
+fouettait gentiment l'air.
+
+Une sorte de commis de rayon, un goujat vêtu comme un lieu commun, un
+hideux clerc de quelqu'huissier louche, la regarda au passage et avec
+le sans-façon d'un cuistre qui se croit tout permis, frappé d'une idée
+de séduction, il se mit à ajuster son col, à donner une inclinaison à
+son chapeau et à changer son itinéraire dans le but visible de marcher
+dans le sillon de beauté que laissait derrière elle ma charmante
+adorée.
+
+Au tournant de la rue, je ne vis plus rien. Par malheur, j'étais en
+robe de chambre, en pantoufles, au saut du lit; j'aurais voulu avoir
+des ailes, pour rejoindre le faquin, le souffleter et lui tirer les
+oreilles, pour s'être permis de souiller du regard et de la pensée ma
+maîtresse élue, et, bien que le soupçon ne put s'imposer mon esprit
+devant ce ver de terre suivant cette reine, je me suis longtemps
+demandé si je devais attribuer à l'amour, ou au mépris des insolents
+médiocres, le sentiment de rébellion et de sourde rage qui s'était
+emparé de mes sens.
+
+Ah! pensées infâmes qui germent trop souvent dans le cerveau surmené
+par une idée de possession absolue, chez un être qui se sent l'orgueil
+de son despotisme et le despotisme inflexible de son orgueil: Que ne
+peut-on royalement assassiner la créature qu'on est certain d'avoir
+possédée de l'épiderme aux fibrilles les plus tenues, du coeur et de la
+cervelle, de même qu'on peut briser au sortir d'une orgie la coupe de
+cristal où l'on a bu l'ivresse à longs traits, mais sur laquelle aucun
+autre désormais ne pourra porter ses lèvres.
+
+Heureux ces souverains d'Orient, qui après une nuit de délices
+inoubliables, faisaient trancher la tête de leurs plus douces sultanes
+avec une cruauté langoureuse et poétique. Ils éprouvaient la
+philosophie de leur crime, car loin d'ouvrir la porte aux remords, ils
+la fermaient aux désillusions.—_Il y a du satrape chez les hommes
+entiers_.
+
+XI
+
+C'est tout un poème de tristesse dans mon coeur, quand j'y songe: ce
+navrant billet doux disait: «J'aurai le plus grand plaisir à te voir;
+si tu m'as aimé un instant, viens: _Je suis chez Dubois... tu sais...,
+faubourg Saint-Denis_. J'ai cru en y entrant y mourir d'ennui, par
+bonheur jusqu' présent, les amis se sont montrés dévoués... Mais toi,
+je voudrais tant te sentir la main dans ma main. Si tu as un moment,
+viens, viens, je t'en serai si reconnaissante!»
+
+Pauvre grande enfant! elle se nommait Flore de ***. Je l'avais entrevue
+au printemps, alors que pour échapper aux cuissons parisiennes j'étais
+allé à Ermenonville, en compagnie d'une petite déesse de Paphos, faire
+l'amour sous les grands arbres, près des temples mythologiques et des
+grottes voluptueuses, peuplés du souvenir de Rousseau.
+
+En la voyant pour la première fois, dans l'échange seul de nos regards,
+nous avions pris possession l'un de l'autre avec cet instinct curieux
+et impossible à analyser de deux êtres, qui ne se sont jamais vus et
+qui cependant se retrouvent. De ce jour, j'avais l'assurance qu'elle
+était à moi, sans fatuité; c'était mieux qu'un pressentiment, c'était
+une certitude: son oeil fixement me disait: «_Je suis ta chose_;» et
+mon regard inexorable répondait: «_Je le sais et le sens; tu
+m'appartiens_.»—Chaque homme a son harem dispersé dans le monde, dit un
+moraliste; celle-ci était plus sûrement ma sultane que la petite houri
+qui se pendait à mon bras, et qui avait des allures capricantes dans
+l'herbe. L'une m'était réservée par le destin comme une jeune fille au
+minotaure du labyrinthe, l'autre, gentille hétaïre, se prêtait à ma
+fantaisie; elle se donnait un maître par caprice, sans subir le
+fatalisme d'une passion. La première, _dans moi_, ne pouvait
+méconnaître l'amant, la seconde, plus légère, n'y voyait que l'amour.
+Pour la théorie des ardeurs amoureuses celle-là était la flamme,
+celle-ci n'était que la fumée.
+
+A peine étais-je de retour à Paris, où j'avais réintégré mon
+insouciante compagne, que je revins à Ermenonville. Pendant près d'un
+mois je la vis et ne lui parlai pas; ce n'était pas là du
+sentimentalisme ni de la crainte, c'était une jouissance particulière.
+Je planais sur elle comme l'épervier sur la colombe, et la pauvre
+petite tourterelle mettait sa tête sous son aile pour ne pas voir mais
+aussi pour mieux se laisser prendre.
+
+Flore de *** s'isolait dans son veuvage, bien qu'elle eût à peine
+vingt-cinq ans; elle était mieux que jolie et plus que belle: un poète
+eût décrit sa beauté en un volume, pour moi qui ne suis point poète, je
+constatai simplement que cette brune radieuse possédait au complet, et
+au delà, les qualités essentielles de la perfection chez la femme,
+selon Brantôme.
+
+Une heure avant mon départ je lui parlai. Ainsi deux aimants longtemps
+placés côte-à-côte doivent se réunir.—Elle ne dit mot à mes quelques
+paroles, mais le soir le même wagon nous ramenait fiévreux, courbaturés
+par l'attente et les promesses de notre fougue, et cependant notre
+amour plaidait pour lui même, sans que nous eussions besoin de parler
+de nos désirs; nos coeurs battaient avec éloquence, mais nos lèvres
+étaient muettes.—Lorsque les sens s'adressent à des sens qui répondent,
+les paroles sont craintives, on dorlote par la pensée les plaisirs que
+nourrit l'espérance.
+
+—Ah! quel raffinement il y a dans la patience de la possession...
+_qualis nox fuit illa_... disait Pétrone...
+
+
+
+La pauvre mignonne se laissa consumer par l'ardeur de sa passion; elle
+mourut en janvier après plus de six mois de délices surhumaines. Je
+voyageais dans les brumes d'Angleterre lorsque ce navrant billet doux
+me parvint: «_Je suis chez Dubois... tu sais, faubourg Saint-Denis..._»
+
+Hélas! je ne l'ai point revue et peut-être l'ai-je tuée..., cette douce
+amoureuse. C'est tout un poème de tristesse dans mon coeur quand j'y
+songe.
+
+XII
+
+Lorsque la grande comtesse conçut le ridicule projet de me marier, je
+me laissai faire, c'était le testament de son amour dont elle pensait
+ainsi légitimer la succession. Je fis mine d'accéder et poussai jusqu'à
+la présentation, mais pendant le dîner, je lançai froidement dans le
+courant de la conversation d'irréfutables pensées contre le mariage,
+qui, comme toutes les vérités profondes, causèrent la plus déplorable
+sensation parmi les convives engagés dans les liens de l'hyménée. Voici
+quelques-uns de ces aphorismes terribles et tranchants:
+.........................................
+.........................................
+
+_Le Mémorandum d'un Epicurien s'arrête ici.—Une main inconnue a déchiré
+les pages manuscrites qui suivaient ces quelques notes hâtives et
+décousues.—La sottise peut tout lacérer en invoquant le code indigeste
+de la morale.—Les vérités sociales doivent rester cachées dans le puits
+de la logique.—Ici, le_ Mémorandum _devenait peut-être intéressant;
+mais l'éditeur persiste à mettre au jour ce carnet de fat et à le
+reproduire avec ses lacunes et ses errata.—Ainsi soit-il!_
+
+
+[Illustration]
+
+
+
+
+[Illustration]
+
+_Les Fastes du Baiser_
+
+
+Suçotant frétillardement,
+Dérobons nous tout doucement
+Par un baiser l'âme et la vie.
+PARNASSE DES MUSES.
+
+D'après la légende interprétée par Jean Second Evrard, l'auteur des
+_Baisers_—ce chef d'oeuvre d'un poète voluptueux et hardi,—Vénus
+transporta vers l'aurore le jeune Ascagne tout endormi, dans un des
+bosquets enchanteurs qui dominent Cythère. Là, plaçant douillettement
+sur un lit de tendres violettes cet adorable adolescent, elle fit
+naître, de sa volonté de Déesse, une prodigieuse floraison de roses
+blanches dont les suaves senteurs s'épandirent à l'entour. Cypris
+contempla son oeuvre dans le mystère de sa retraite: Sous ses yeux, le
+fils d'Énée respirait doucement; les fleurs fraîches écloses
+s'épanouissaient au-dessus de sa tête, semblant bercer son sommeil,
+tandis que cependant l'air saturé de parfums capricieux conviait les
+sens aux plus charmants ébats. Vénus sentit sourdre en elle un étrange
+frisson; une ardeur fiévreuse se glissa dans ses veines, et les
+caresses, filles du désir, se prirent voleter avec malice sur ses
+divins appas. Adonis, en cet instant, lui apparût dans le lointain du
+passé avec les tièdes souvenances des délices charnelles; elle se mit à
+évoquer les grâces viriles, les valeureux enlacements, les coïntes
+galanteries de son amant, et, devant le repos d'Ascagne, devant ce
+garçonnet plus rose que les roses, devant les beautés sveltes de cette
+puberté découverte, elle se trouva faible, indécise, bouleversée; c'est
+ainsi que dormait son berger; elle eut voulu étreindre ce cou junévile
+et fringuer sur ce torse coquet, mais où Morphée régnait, sa pudeur fut
+maîtresse.
+
+Les roses, dans leur langage, distillaient de capiteux conseils, les
+fleurettes du gazon chatouillaient le derme de ses jambes, ses colombes
+fidèles, battant joyeusement de l'aile, se becquetaient sous la ramée;
+les zéphirs avec un langoureux murmure se jouaient sur ses lèvres
+ardentes; l'amour, dans toutes ses manifestations, chantait une hymne à
+sa reine-mère; la nature par sa sève dictait sa grande loi. Alors, la
+sensible Dionée attendrie, éperdue, se laissa lentement tomber sur les
+parterres fleuris, et se penchant sur la fraîcheur des roses, elle en
+prit une et l'embrassa.—On eut dit, à ce contact, que le sol
+s'enflammait; les roses blanches s'animèrent, devinrent pourpres comme
+de pudibondes damoiselles tout à coup lutinées; autant de baisers
+cueillis par ces lèvres mi-closes, autant de baisers rendus, jusqu'à ce
+que Vénus, fière de sa moisson et trainée travers l'azur par ses cygnes
+éclatants, se mit à parcourir le globe terrestre, semant pleines mains
+comme un nouveau Triptolème des baisers inédits sur les campagnes
+fécondes.
+
+
+«Depuis ce jour, tout brûle, et s'unit, et s'enlace;
+Le bouton d'un beau sein est éclos du baiser;
+Une rose y fleurit pour y marquer sa trace;
+Fier de l'avoir fait naître, il aime à s'y fixer.»
+
+
+C'est à ces baisers tombés du ciel, dans un combat des sens, que nous
+est venue la merveilleuse éclosion des plaisirs les plus vifs: baisers
+voluptueux issus des roses fraîches et vermeilles, baisers humides,
+précieux dictames des amours humaines; baisers frissonnants qui donnez
+la vie et scellez le pacte des âmes, baisers variés mais toujours
+enivrants et nouveaux, je vous salue!
+
+D'autres, nourrissons d'Apollon ou amants favorisés des Parnassides,
+vous ont chantés sur des lyres sonores et harmonieuses; chaque jour des
+lèvres s'unissent pour célébrer votre gloire dans un râle de bonheur et
+d'ivresse: pour moi, heureux baisers, provocateurs de la virilité,
+baisers petits et grands, baisers doucereux ou brutaux, légers ou
+profonds, langoureux ou mordants, libertins ou _vitriolesques_; baisers
+auxquels la mâleté donne toute l'expression, je veux conter vos fastes
+dans le prosaïsme de ma manière, détailler vos mignardises si chères
+aux farfadels de la passion, et annoter vos variations savantes comme
+un pieux dégustateur de vos innombrables fantaisies qui embéguinent ma
+concupiscence.
+
+II
+
+Plusieurs savants, dans de longues dissertations, ont déjà traité la
+question. L'ouvrage le plus intéressant et aussi le plus célèbre est
+l'essai de Kempius, intitulé: _de osculis_. Les latins se servaient de
+mots différents pour mieux marquer la nuance des baisers; ils nommaient
+_Osculum_, un baiser donné entre amis; _Basium_, un baiser offert par
+convenance ou reçu par politesse; et _Suavium_, un tendre baiser
+impudique[1]. Ne nous inquiétons que de celui-ci; les autres ne sont
+que baisements ou baise-mains, contacts sans plaisirs, accolades sans
+convictions, civilités puériles et honnêtes, Berquinades à l'usage des
+hypocrisies sociales. Si je m'étends ici quelque peu sur l'historique
+des baisers, ce sera pour revenir avec plus d'empressement à ces doux
+becquetages de tourterelles, à ces duos des lèvres, à cette fusion des
+désirs que les anciens exprimaient si bien par _columbatim_, un mot
+exquis que _colombellement_ ne saurait traduire à mon gré.
+
+
+ [1] Cette différence est indiquée ainsi dans les _Arrêts d'amours_ de
+ Martial d'Auvergne: «ut paululum a materia divertamus, quid sit
+ discriminis inter basium, osculum, et suavium dicamus, Aelius Donatus
+ in Eunucho Terentiano tria osculandi genera ponit, osculunt silicet,
+ basium, et suavium. Oscula officiorum sunt, basia vero pudicorum
+ affectuum, suavia libidinum vel amorum. Servius Honoratus in primo
+ Æneid super his verbis: _oscula libavit_, osculum religionis esse
+ dicit, suavium autem libidinis.
+
+
+Lorsqu'à Rome l'adultère ne subissait aucune loi de répression, le
+baiser public était ignoré et considéré comme un gage de fidélité
+conjugale mis au nombre des caresses secrètes de la nuictée; un jeune
+citoyen pour avoir eu la témérité de ravir un baiser à une grave
+matrone fut par sentence condamné à mort et exécuté. On peut trouver
+dans le code une loi dont les prérogatives sont connues par les
+jurisconsultes sous le nom de _Droit du Baiser_. Ce droit consistait en
+présents de fiançailles qui devaient compenser l'atteinte que la
+pudicité virginale de l'épousée avait soufferte d'une amoureuse union
+des lèvres, c'était le gage avant-coureur de l'amour conjugal. Les
+Romains ont fait aussi quelquefois du baiser un acte religieux; les
+philosophes et les naturalistes prétendaient que les yeux, le col, les
+bras et généralement toutes les parties du corps étaient consacrées à
+des divinités particulières[2]; on croyait honorer ces divinités en
+baisant les membres qui étaient sous leur protection. Ils embrassaient
+l'oreille, le front et la main droite dans la pensée de rendre hommage
+à la mémoire, à l'intelligence et à la fidélité qu'ils étaient
+accoutumés à symboliser dans un culte divin.
+
+
+ [2] Voyez à ce sujet: _Variétés littéraires ou Recueil de pièces tant
+ originales que traduites (par l'abbé Arnaud et Suard)_. Paris, 1768,
+ tome I, pp. 379 et suivante.
+
+L'usage réservé du baiser sur la bouche tenait également au culte. Les
+vertueux Romains regardaient la divinité qui préside à l'amour comme le
+parangon de la chasteté; les blanches colombes qui conduisaient son
+char étaient la plus naïve expression de la pureté morale, et ils
+auraient cru déplaire à Vénus, en prodiguant hors de propos le baiser
+amoureux qui devait témoigner seulement de la foi des époux. Les
+violateurs de cette loi étaient sévèrement punis. Valère Maxime en a
+relaté plusieurs exemples frappants. Les profonds penseurs sentaient
+que, permis trop légèrement, les baisers conduisent souvent la
+perturbation des moeurs, et ils cherchaient clandestiner ces sensations
+voluptueuses dans la légitimité du mariage, pour inciter la jeunesse à
+l'hyménée et préserver son propre bonheur et la félicité de l'État.
+
+On connaît le chapitre sur les baisers dans lequel Jean de la Caza,
+évêque de Bénevent, dit qu'on peut se baiser de la tête aux pieds; il
+plaint les grands nez qui ne peuvent s'approcher que difficilement et
+il conseille aux dames qui ont le nez long d'avoir des amants camus, et
+aux amoureux doués d'une protubérance nasale exagérée de choisir des
+maîtresses chez lesquelles cette partie saillante du visage soit plus
+fine et moins en avant.
+
+«Le baiser était une manière de saluer très ordinaire dans toute
+l'antiquité, raconte Voltaire[3], Plutarque rapporte que les conjurés
+avant de tuer César, lui baisèrent le visage, la main et la poitrine.
+Tacite dit que lorsque son beau-père Agricola revint de Rome, Domitien
+le reçut avec un froid baiser, ne lui dit rien et le laissa confondu
+dans la foule. L'inférieur qui ne pouvait parvenir à saluer son
+supérieur en le baisant, appliquait sa bouche à sa propre main et lui
+envoyait ce baiser qu'on lui rendait de même si on voulait.»
+
+«Les premiers chrétiens et les premières chrétiennes se baisaient à la
+bouche dans leurs agapes. Ce mot signifiait _repas d'amour_. Ils se
+donnaient le saint baiser, le baiser de paix, le baiser de frère et de
+soeur: _agion Philema_. Cet usage dura plus de quatre siècles et fut
+enfin aboli à cause des conséquences. Ce furent ces baisers de paix,
+ces agapes d'amour, ces noms de _frère_ et de _soeur_, qui attirèrent
+longtemps aux chrétiens peu connus, ces imputations de débauche dont
+les prêtres de Jupiter et les prêtresses de Vesta les chargèrent; vous
+voyez dans Pétrone et dans d'autres auteurs profanes, que les dissolus
+se nommaient _frère_ et _soeur_. On crut que chez les chrétiens les
+mêmes noms signifiaient les mêmes infamies; ils servirent innocemment
+eux-mêmes à répandre ces accusations dans l'Empire romain.
+
+
+ [3] Voltaire. _Questions sur l'Encyclopédie_.
+
+Il y eut dans le commencement dix-sept sociétés chrétiennes
+différentes, comme il y en eut neuf chez les Juifs, en comptant les
+deux espèces de samaritains. Les sociétés qui se flattaient d'être les
+plus orthodoxes, accusaient les autres des impuretés les plus
+inconcevables. Le terme de _Gnostique_ qui fut d'abord si honorable, et
+qui signifiait _savant, éclairé, pur_, devint un terme d'horreur et de
+mépris, un reproche d'hérésie. S. Epiphane, au troisième siècle,
+prétendait qu'ils se chatouillaient d'abord les uns les autres, hommes
+et femmes, qu'ensuite ils se donnaient des baisers fort impudiques, et
+qu'ils jugeaient du degré de leur foi par la volupté de ces baisers;
+que le mari disait à sa femme en lui présentant un jeune initié: _fais
+l'agape avec mon frère_; et qu'ils faisaient l'agape.»
+
+Voltaire n'ose ajouter dans la chaste langue française ce que S.
+Epiphane ajoute en grec[4]. Saint Augustin remarque qu'on regardait
+autrefois les baisers donnés à la femme d'autrui comme dignes de grands
+châtiments. Le Cardinal Tuschus nous apprend aussi que dans le Royaume
+de Naples on infligeait une forte amende à ceux qui baisaient une
+vierge par surprise dans la rue et qu'on les reléguait loin du lieu
+même où le péché mignon avait été commis. Un Évêque de Spire, qui
+vivait du temps de l'empereur Rodolphe fut obligé de sortir de l'Empire
+pour une semblable cause.
+
+
+ [4] Epiphane. _Contra hoeres_, liv. I, tome II.
+
+En France, en Allemagne, en Angleterre, en Italie, le baiser public fut
+toujours considéré comme un acte de civilité et de déférence; les
+Cardinaux avaient droit de donner l'osculation aux reines sur la
+bouche, et toute honnête dame eut considéré comme un affront de ne pas
+recevoir un baiser de lèvres à lèvres lors de la première visite d'un
+seigneur. La plus charmante des voluptés devint ainsi banale: «La
+Cherté, écrivait alors le _Saige Montaigne_, donne du goût à la viande:
+voyez combien la forme de salutations qui est particulière à notre
+nation abâtardit par sa facilité la grâce des baisers, lesquels Socrate
+dit être si puissants et dangereux à voler nos coeurs. C'est une
+déplaisante coutume et injurieuse aux dames, d'avoir à prêter leurs
+lèvres quiconque a trois valets à sa suite, pour mal plaisant qu'il
+soit: et nous mêmes n'y gagnons guère; car comme le monde se voit
+porté, pour trois belles, il en faut baiser cinquante laides, et à un
+estomac tendre comme sont ceux de mon âge, un mauvais baiser en
+surpasse un bon.» Pour les dames, à quelqu'époque que ce soit, elles
+furent toujours sensibles aux baisers énamourés d'un galant cavalier,
+et si quelques-unes s'en offensèrent en apparence, la plupart d'entre
+elles, en recevant l'accolade sur la joue gauche furent tentées, en
+tendant la joue droite de répondre ainsi qu'une belle demoiselle
+surprise à l'improviste par un joyeux brusquaire: «Monsieur, vous
+m'offensez, mais voici l'autre côté, je sais mon évangile.»
+
+III
+
+«S'il est désagréable à une jeune et jolie bouche de se coller par
+politesse a une bouche vieille et laide, dit l'auteur de _Candide_, il
+y avait un grand danger entre les bouches fraîches et vermeilles de
+vingt vingt-cinq ans; et c'est ce qui fit abolir la cérémonie du baiser
+dans les mystères et les agapes, c'est ce qui fit enfermer les femmes
+chez les Orientaux, afin qu'elles ne baisassent que leurs pères et
+leurs frères; coûtume longtemps introduite en Espagne par les Arabes.»
+
+La science a-t-elle besoin de prouver qu'il y a un nerf de la cinquième
+paire qui va de la bouche au coeur et de là plus bas? la nature a tout
+préparé avec le génie le plus délicat: les petites glandes des lèvres,
+leur tissu spongieux, leurs mamelons veloutés, la peau fine,
+chatouilleuse, leur donnent un sentiment exquis et voluptueux, lequel
+n'est pas sans analogie avec une partie plus cachée et plus sensible
+encore. La pudeur peut souffrir d'un baiser longtemps savouré entre
+deux piétistes de dix-huit ans.—Ronsard a poétisé comme suit ce tact
+charmant de lèvres:
+
+
+Il sort de votre bouche un doux flair, que le thim,
+Le jasmin et l'oeillet, la framboise et la fraise,
+Surpasse de douceur, tant une douce braise
+Vient de la bouche au coeur par un nouveau chemin.
+
+
+Le baiser sur les lèvres est l'unique baiser de Vénus, c'est
+l'étincelle, le boute feu d'amour; il scelle l'entente des sexes, arde
+le coeur, allume le sang dans les veines, espoinçonne la virilité,
+cause le prurit vital, et met en appétit d'union. L'âme s'évapore dans
+un tel baiser, lorsque les désirs s'y unissent; il met hors de sens et
+cause un étrange satyriasisme; il fait fomenter la sève et fusionner
+deux existences: on y boit la vie de sa vie, on y heurte lascivement
+d'inoubliables sensations comme dans un toast sublime à l'entremise de
+la nature. Ainsi l'expriment les vers suivants dont on ignore l'auteur:
+
+
+De cent baisers, dans votre ardente flamme,
+Si vous prenez belle gorge et beaux bras,
+C'est vainement; ils ne les rendent pas.
+Baisez la bouche, elle répond à l'âme.
+L'âme se colle aux lèvres de rubis,
+Aux dents d'ivoire, à la langue amoureuse
+Ame contre âme alors est fort heureuse,
+Deux n'en font qu'une et c'est un paradis.
+
+
+La conjonction des lèvres est l'_écussonade_ de la plus vive
+jouissance, lorsque pour la première fois, en toute liberté, deux
+muqueuses se soudent dans une effusion commune—: Les deux amants sont
+là, seuls et encore timides; ils ont la gaucherie d'une entrevue à
+huis-clos, où les sens sont plus éloquents que les proclamations du
+désir; les mains se sont pressées, déjà un bras s'arrondit sur cette
+hanche mignonne; les épaules se touchent, les joues se frôlent, les
+poitrines se soulèvent et soupirent; les coeurs battent à l'unisson
+d'espoir et aussi de cette crainte vague qui fait antichambre à la
+porte du bonheur. _Lui_, sourit et mitonne ses délices; _elle_, sur la
+défensive de convenance, muguette et chiffonne son joli babouin dans
+une moue adorable. Voici que les visages se rapprochent, que les
+cheveux s'unissent et que les yeux dardent les yeux à des profondeurs
+volupteuses et infinies: un fluide mystérieux les enserre et les berce;
+sur cette jolie nuque blonde et rose ainsi que sur ce col brun
+d'Antinoüs, il passe comme un frisson avant coureur du spasme. Leurs
+cerveaux, accablés, semblent en ébétude tant est verdissante cette
+extubérance sensuelle, qui fait que les jouvenceaux, comme les
+bacchantes, se grisent eux-mêmes de leurs propres facultés. Tout à coup
+ces torses se cambrent, ces têtes se renversent, ces lèvres muettes se
+choquent, s'alluchent se confondent dans une haleinée de chaude amour,
+et des baisers acres et mordicants font entendre des petits bruits
+rieurs, délectables, alangouris qui se prolongent et s'achèvent comme
+un glou-glou d'ivresse entre ces deux heureux fretin-fretaillant.
+
+Rien n'est comparable à ces liesses; les corps enlacés, s'acquebutant
+dans une puissante étreinte, se contournent en torsions d'amour; les
+lèvres mâles happent cette bouchelette fraîche ainsi que rosée, tandis
+que lancinantes et frétillant dans de diaboliques mouvements, les
+langues inassouvies se mordillent comme fraises et paraissent, dans
+l'imagination de ces félicités poignantes, sucer l'âme de sa vie, et
+faufrelucher la vie de son âme.
+
+On dirait qu'en pareille délectation, on vide l'épargne de son être;
+Belzébuth trépigne dans les entrailles et s'y démène convulsivement, on
+demeure dans l'oubliance de toute l'humanité, et, sur ces lèvres de
+roses, où balbutie encore l'amour anéanti dans cette longue embrassée,
+les amants ne laissent mourir le plaisir que pour le faire renaître
+avec un renouveau plus quintenencié, avec des accents plus humides et
+brûlants à la fois.
+
+L'abbé Desportes a chanté la saveur de baisers si tendres dans ses
+rhythmes exquis:
+
+
+Et qu'en ces yeux nos langues frétillardes
+S'étreignent mollement...
+Quand je te baise, un gracieux zéphir
+Un petit vent moite et doux qui soupire,
+Va mon coeur éventant.
+
+
+et plus loin:
+
+
+Au paradis de tes lèvres décloses,
+Je vais cueillant de mille et mille roses
+Le miel délicieux...
+Ce ne sont point des baisers, ma mignonne,
+Ce ne sont point des baisers que tu donnes:
+Ce sont de doux appas
+Faits de Nectar...
+Ce sont moissons de l'Arabie heureuse,
+Ce sont parfums qui font l'âme amoureuse.
+S'éjouir de son feu.
+C'est un doux air embaumé de fleurettes,
+Où, comme les oiseaux, volent les amourettes.
+
+
+De tout temps, chez tous les peuples, des poètes de génie ont détaillé
+les charmes du baiser lascif; Virgile, Platon, Moschus, Tibulle et
+Catulle, Le Tasse, Le Dante, Pétrarque, Ronsard, Belleau, de Magny, le
+grave Corneille et le vertueux Racine, Voltaire et Rousseau;
+prosateurs, moralistes et philosophes, chacun a voulu analyser ces
+extases du baiser qui béatifient la passion.
+
+Me sera-t-il permis de traduire ici l'inimitable _Baiser seizième_[5]
+de Jean Second, si chaud et si coloré dans sa belle latinité, qu'il
+peut paraître téméraire d'en rendre le sens exact sans craindre d'en
+atténuer les fantasieuses délicatesses. Je traduirai moins lourdement
+que Ménage, plus tendrement que Balzac, peut-être moins
+sentencieusement que Gui-Patin.
+
+
+ [5] Jean Second.—Basium XVI: _Latonæ nivoeo sidere Blandior_, etc.
+
+IV
+
+—Toi qui es plus étincelante que l'astre brillant de la pâle Phoebé,
+toi qui surpasse en éclat l'étoile d'or de Vénus, ô ma douce Néoera,
+accorde moi cent baisers; prodigue-les moi avec autant d'abandon que
+jadis Lesbie les donna à son poète inassouvi; cueille-les sur ma
+bouche, en aussi grand nombre que ces grâces amoureuses qui se jouent
+sur tes lèvres mutines et sur tes joues rosées. Fais pleuvoir sur mon
+corps ces mêmes accolades aussi drues que ces traits enflammés lancés
+par tes regards ardents qui font naître à la fois la vie et la mort,
+l'espérance et la crainte, la joie et les soucis cuisants. Que tes
+baisers soient plus multiples, plus acérés que ces flèches
+innombrables, dont un petit Dieu léger et moqueur, puise la variété
+dans son carquois doré, pour en férir ma pauvre âme, et, ce chant de
+tes lèvres, joins les propos grivois, les soupirs voluptueux et les
+plus aimables caresses. Imite ces tendres colombes qui, dès le réveil
+du printemps, bec contre bec, se trémoussent des ailes; Néoera, viens à
+moi, éperdue, défaillante, accablée de désirs, ta bouche sur ma bouche,
+collée étroitement: tourne avec langueur tes yeux noyés d'une humide
+flamme et d'une lubricité poignante; alors seulement fais appel à ma
+virilité, renverse-toi sans force entre mes bras: je t'enlacerai, je te
+presserai contre moi, je t'environnerai de mon amour, et, parcourant
+tes appas glacés, je te ferai renaître au rouge soleil de Cythère; je
+te rappelerai à la vie par une savoureuse et lancinante embrassade,
+jusqu' ce que succombant moi-même, dans les plaisirs de cette ardente
+becquée, je sente mon âme m'échapper, s'écouler et passer sur tes
+lèvres. A cet instant, ma Néoera aimée, je soupirerai, bien bas, comme
+dans une agonie de volupté: Je meurs, je meurs, ma tant douce
+maîtresse, je meurs de plaisir et d'amour; prends-moi, recueille-moi,
+embrasse-moi de tes bras frais et potelés, je défaille et suis sans
+ardeur ni puissance. Tu me réchaufferas alors sur ton coeur embrasé;
+dans le parfum d'un de tes baisers tu m'insuffleras la vie et,
+m'éveillant peu à peu sous les mignards attouchements de tes lèvres
+empourprées et mielleuses, je redeviendrai de nouveau ton amant, ton
+seigneur et ton maître.
+
+C'est ainsi, ma Néoera, que nous devons arrêter la faux du temps,
+pendant les courts instants de notre bel âge. C'est ainsi, dans des
+douceurs cupidiques qu'il est sage de laisser s'écouler la jeunesse
+insouciante et rieuse; le plaisir a l'éclat des fleurs nouvelles qui
+tôt se fanent et se dessèchent. Sans qu'on y songe, voici venir la
+morne et pénible vieillesse avec son cortège de douleurs, de
+tristesses, de regrets superflus la décrépitude, et la mort nous
+guettent: Le temps presse, Néoera aimons-nous.
+
+V
+
+La bouche féminine, pour coquettement appeler le baiser et évoquer le
+désir, doit être plus petite que grande, d'une heureuse harmonie, les
+lèvres bien tournées, délicates, ni trop écarlates ni trop pâles,
+colorées d'une pointe de carmin, légèrement retroussée aux commissures
+et scintillantes sous l'humidité des caresses attendues. Le rire y doit
+creuser des fossettes friponnes au bas même du visage, et découvrir,
+comme d'un écrin sort un rang de perles, des dents petites, bien
+enchâssées également dans le vermeil des gencives et dont l'émail soit
+d'une blancheur japonaise à peine irisée. Le plus mince défaut buccal,
+pour un raffiné, est la mort des baisers d'amour; il ne faut point
+qu'une bouche soit ce qu'on appelait au seizième siècle: _un abreuvoir
+mouches_, elle doit, au contraire, prendre des airs musqués et
+affriander les yeux qui la contemplent. Certaines bouches ne sont
+qu'avaloirs sans expression; les lèvres grasses y bobandinent, les
+lourdes lippées y entrent, et les caquets en sortent, ce sont cavernes
+bien aviandées où tombent les léche-frions de cuisine, mais où ne
+parviennent point les hautises des gentilles accolades.
+
+Sur les bouches coïntes et mutines, on peut bailler le _Baiser à la
+pincette_ qui donne moins d'importance au caprice du moment. Pinçant
+doucement les deux joues des doigts, il est ainsi loisible de dérober
+amoureusement un long et sonore attouchement des lèvres, dont on se
+défend toujours trop tard.
+
+Le _Baiser à la dragonne_ est moins civil, il violente, meurtrit et
+blesse comme un éperon c'est le baiser de l'étrier, la vigoureuse botte
+de l'escrime d'amour, c'est la caresse brutale de d'Artagnan à son
+hôtesse, c'est mieux encore la pratique faunesque des amants sabreurs
+de voluptés, qui ne prétendent point s'amuser à la moutarde ou qui ne
+savent pas déguster les douceurs des agaceries prolongées.
+
+Le _Baiser à la florentine_, ou baiser _la langue en bouche_, ainsi que
+disaient nos pères, nous est venu, assure-t-on, d'Italie, bien que ce
+soit le baiser d'amour français par excellence et tradition.—Dans ce
+baiser les langues frétillardes se daguent, se dévergognent et se
+fringuent; c'est une accointance active qui émoustille et que les bons
+sonneurs des lèvres préféreront toujours aux fleurettes naïves des
+Agnès de couvent.
+
+Après la France, l'Italie et l'Espagne ont adopté ce dernier mode
+d'embrassade passionnée. En Allemagne et dans le nord, l'amour est plus
+réservé, bien que dans les hautes classes slaves, par un aimable
+raffinement, on ait inventé dans des petits soupers galants, le
+délicieux _Baiser au champagne_, qui rentre plutôt dans le domaine des
+enfantillages libertins que dans le royaume de l'amour sincère.
+
+En Angleterre, le baiser a pris les proportions d'une institution
+sociale: les blondes et sentimentales fillettes du Pays-Uni, pour ne
+pas s'inféoder à un amant, possèdent toutes plusieurs _Kissing-friends_
+ou bons amis embrasseurs, qui concourent, par différentes manières, à
+déployer leurs talents. Certains gentlemen, réputés excellents
+_Kissing-friends_, sont recherchés des meilleures sociétés et
+quelques-uns, spécialistes émérites, font des conquêtes plus nombreuses
+et causent plus de désespoirs, de suicides et de jalousies qu'un Don
+Juan issu de Lovelace.—Dans le confort d'un divan profond, _seule à
+seul_ avec le _Kissing-friend_ élu de ses lèvres, avec cet «_Exciting
+man,_» une jeune anglaise passerait des heures d'insondable volupté à
+se laisser biscotter dans le tête à tête, sans songer un seul instant à
+invoquer Vénus, à froisser ou à laisser froisser la tunique de la
+morale.
+
+Les lettres d'amour, comme formules de civilités, sont nourries de
+baisers innombrables; ils coûtent moins à écrire qu'ils ne coûteraient
+à donner. La locution «_mille baisers_,» est devenue plus banale, d'une
+familiarité domestique plus grande que la conjugaison du verbe _aimer_.
+Le poète, chevalier de Boufflers, le comprit fort judicieusement, en
+répondant à une dame qui lui envoyait un baiser:
+
+
+Vous m'envoyez sur le papier
+Un baiser qui bien peu me touche;
+Baiser qui vient par le courrier
+Pourrait-il chatouiller ma bouche?
+Votre chimérique faveur
+Me laisse froid comme du marbre;
+Et ce fruit n'a point de saveur
+Quand il n'est point cueilli sur l'arbre.
+
+
+Voltaire n'eut pas mieux dit dans ses épîtres les plus malicieuses.
+
+Madame de La Sablière, pour encourager un jouvenceau timide qui lui
+donnait un baiser furtif, lui murmura finement ce conseil:
+
+
+Un baiser bien souvent se donne à l'aventure,
+Mais ce n'est pas en bien user;
+Il faut que le désir ou l'espoir l'assaisonne:
+Et pour moi, je veux qu'un baiser
+Me promette plus qu'il ne donne.
+
+
+Parbleu!
+
+VI
+
+Le baiser a laissé sa tradition dans l'histoire et la mythologie; Alain
+Chartier, le doux poète, l'homme le plus érudit mais aussi le plus laid
+de son temps, reçut pendant son sommeil un tendre baiser de Marguerite
+d'Écosse, femme de Louis XI; c'est ainsi que la chaste Diane, suivant
+la fable, descendait chaque nuit du ciel pour consteller de baisers
+ardents le corps du jeune et charmant Endimion.
+
+Chaque femme cache un point sensible où se concentre le fluide nerveux
+de son organisme. Pour un amant fortuné, il s'agit de découvrir ce
+ganglion, cette clef des sens, ce ressort des félicités poignantes, ce
+défaut de la cuirasse que toutes maîtresses ont la science de ne pas
+découvrir et dont elles conservent mystérieusement le secret, sachant
+que la divulgation les livrerait à la merci du vainqueur.
+
+Que de femmes prétendues froides et insensibles, ne paraissent telles
+qu'aux yeux des superficiels: Un homme paraît avec la philosophie de la
+volupté et la tactique de l'amour; il étudie, il cherche, il analyse
+les sensations qu'il procure; il fouille de ses baisers cette nuque, ce
+dos, ces bras avec la patience d'un inquisiteur de porte inconnue,
+dissimulée dans une boiserie, il ne néglige aucune saillie, aucune
+vallée corporelle, aucun repli de cet épiderme satiné, jusqu' ce qu'il
+sente un frissonnement spécial qui est l'_Eureka_ de ses recherches
+sensuelles. Heureux ceux-là qui ont la délicate persévérance d'arriver
+à leur but.
+
+Connaître le point sensible d'une femme, cette partie solitaire de son
+être où le baiser frappe comme une balle ou éclate comme une grenade,
+c'est mieux que de la posséder, c'est l'isoler dans l'amour dont on
+l'environne, c'est couper la retraite à ses remords, à son inconstance,
+à ses faiblesses extérieures, c'est se l'attacher par un étrange
+mysticisme, c'est l'encloîtrer dans la dévotion libertine qu'on a su
+faire naître en elle.—Il est une force plus grande encore, c'est de
+connaître la recette des jouissances que l'on donne, et de feindre de
+l'ignorer pour ne pas mettre l'ennemi sur ses gardes.
+
+Les baisers recevront toujours le culte des détrousseurs de coeurs et
+des cavalcadeurs à forte encollure; pour moi, je voudrais un jour
+traiter complètement un si brillant sujet parmi cette réunion d'études
+projetées dans un ensemble d'analyses voluptueuses; les poussifs
+toussotteraient avec indignation, les prudes se voileraient en brûlant
+de me lire, et les francs vivans, sans hypocrisie, reviendraient
+souvent ces dissertations, comme les femmes amoureuses reviennent à
+leur piano pour y jouer et rejouer les valses entraînantes.—Je ne
+saurais mieux conclure ici cette courte étude que sur cette pensée
+remarquable de Byron:
+
+«J'aime les femmes et quelquefois je renverserais volontiers la
+conception de ce tyran qui désirait que le genre humain n'eût qu'une
+seule tête, afin de pouvoir la faire tomber d'un seul coup. Mon désir,
+pour être aussi vaste, est plus tendre et moins féroce: J'ai souvent
+désiré, aux jours heureux de mon célibat, que le sexe féminin n'eût
+qu'une bouche de rose, pour y pouvoir baiser toutes les femmes à la
+fois depuis l'Orient jusqu'à l'Occident.»
+
+—Quel rêve!!!
+
+
+[Illustration]
+
+
+
+
+[Illustration]
+
+VOYAGE AUTOUR DE SA CHAMBRE
+
+RÉMINISCENCE
+
+
+Les souvenirs sont comme les échos
+des passions; et les sons qu'ils répètent
+prennent par l'éloignement quelque
+chose de vague et de mélancolique qui
+les rend plus séduisants que l'accent
+des passions mêmes.
+CHATEAUBRIAND.
+
+
+Des sentiments deviennent frileux, quand le foyer reste vide. Ici même
+où une couvée de plaisirs était éclose, la tristesse seule sanglotte
+lentement dans le crépuscule des regrets superflus.—Une ancienne
+chanson d'amour voltige dans la solitude; dans ce nid charmant où l'on
+était si bien à deux, il ne reste que des rêves de volupté indécise et
+la sarabande enlaçante, mystérieuse et sinistre des souvenirs, ces
+revenants de l'âme qu'on évoque, qu'on chasse et qu'on appelle encore.
+
+Les rideaux sont tirés; il règne dans la chambre un demi-jour, un
+silence où je me complais. La lumière a la crudité, l'effrayante clarté
+qui éblouit ou effarouche les yeux qui ont pleuré et qui ne veulent
+plus regarder ni voir; son éclat possède la brutalité et le frisson
+glacial des réveils subits; la pénombre plus douce, plus insinuante ne
+retire pas les bandages du coeur pour mettre la plaie à vif, elle frôle
+le doute, et, par gradations, comme une mère qui berce, elle assoupit
+la douleur et nous conduit avec des ménagements infinis au soleil de la
+réalité.
+
+En pénétrant ici, j'ai senti dans l'air tiède un refrain du passé,
+quelque chose comme le parfum affadi des amples brassées de fleurs
+étincelantes que j'y avais jadis cueillies. Il m'a semblé voir onduler
+des lignes sur la dernière page du roman si tôt interrompu et un mirage
+trompeur a déroulé devant moi les sensations des caresses friponnes
+d'autrefois.
+
+J'ai cru, ô farouche insenséisme de mon âme! J'ai cru qu'Elle se jouait
+devant moi ma maîtresse aimée avec son rire ambré, jaseur, exquis,
+tintant comme une argentine clochette à mon oreille charmée; j'ai cru
+entendre cette voix si fraîche vibrer d'amour aux échos de mon coeur.
+Dans le vague lugubre qui m'enveloppait, j'ai vu ma charmante amie se
+dresser debout mes côtés, dans de légers tissus transparents, de
+couleur neutre, dont les plis amoureux se collaient à son corps de
+nymphette étoffée. Ses lèvres souriantes, d'une morbidesse savorée, se
+tendaient, se plissaient en avant avec la suave appétence des baisers
+attendus, ses bras souples, roses, polis, agaçants par la grâce aimable
+des fossettes rieuses, ses beaux bras douillets formaient une ceinture
+à mon col, tandis que je dévorais ses yeux pleins d'azur où le bonheur
+s'épanouissait dans la dilatation phosphorescente de ses prunelles.
+
+La moiteur de son haleine passait, comme un souffle attiédi, à travers
+mes cheveux frissonnants; mon coeur battait avec violence d'une épaule
+à l'autre, et, parmi les ténèbres plus épaisses, je pensais caresser,
+manier et affrioler ses formes rondes, charnues, veloutées que
+j'idolâtrai jusqu'au paganisme de la plus folle lubricité.
+
+J'étais inquiet, agité, troublé de même que si j'eusse dû la posséder
+pour la première fois; la pauvre adorée!—Elle était là, devant moi, me
+regardant sous ses cils noirs plus longs qu'un _credo_, lisant dans mes
+sens l'hymne de mes désirs tandis qu'un vermillon très accentué passait
+sous ses joues pâles et porcelainées.
+
+Hélas! fou, double fou!—Ixion croyant saisir la nue fut moins
+douloureusement surpris!—Alors que je croyais sentir le contact
+excitant de son épiderme, et que je m'élançais, éperdu, pour boire
+l'oubliance sur ses lèvres humides, la blanche vision a disparu. Je me
+suis agenouillé avec grand bruit à terre, mes mains crispées dans le
+vide ne saisissaient plus que le néant de mes fantômesques
+attouchements et la hideur de mon hallucination.
+
+Pauvre moi!—Il fallait me ramentevoir: J'accomplissais un pèlerinage à
+l'abbaye des défuntes ivresses, et je dus inventorier le passé, en
+marquant de larmes amères les heureux jours d'autrefois sur le
+calendrier des souvenirs.
+
+Dans la chambre intacte et silencieuse, tous ses chers petits bibelots
+étaient là; sur la cheminée de brocatelle, la pendule restait muette et
+mon coeur seul battait avec force dans cette solitude où le sien, tant
+de fois, avait bondi et éclaté d'allégresse.—Faiblesse étrange qui me
+gagnait, douleurs sourdes et caressantes dont je me croyais à jamais
+guéri, mignardes hantises de mes dix-huit ans, je pensais vous avoir
+égarées à jamais et vous apparaissiez de nouveau!
+
+—O premières amours! délices profondes et vivaces! lorsque vous avez
+conquis la virginité de nos âmes, humé notre sang le plus vermeil,
+grisé nos sens vigoureux et naïfs, quand vous avez imprimé votre marque
+mordante et brûlante à la fois sur la fraîcheur de notre aurorale
+juvénilité, rien désormais ne vous peut effacer!
+
+—Les illusions, sous le doigt brutal de la vie réelle, s'évanouissent
+au toucher comme le prisme et la poussière d'or des ailes de papillons,
+le dégoût survient, la lassitude arrive, le scepticisme s'impose à
+l'esprit blasé, et, aux relais de chaque nouvelle conquête, la passion,
+naguère si fringante, devient plus poussive et aussi efflanquée que ces
+maigres chevaux de poste dont le trot retentit quand même, sous un
+harnachement de grelots sonores et étourdissants.
+
+—C'est en vain que le corps se brise et que le coeur se bronze; la
+statue se souvient d'avoir vécu dans un éclair de joie, et vous,
+sensations neuves, premières caresses de notre puberté, éclose sous un
+regard de femme, nous ne pouvons vous oublier!
+
+Premières amours, rosée de jeunesse ensoleillée, vous anéantissez les
+rêveries trompeuses de notre adolescence; vous dévergognez notre vague
+idéalisme et nos sentiments puérils et mièvres, vous nous remettez le
+sceptre de notre puissance, en nous en inculquant gentiment l'usage,
+vous consacrez enfin notre royauté masculine en nous héroïfiant dans de
+valeureuses prouesses de virilité.
+
+N'est-ce pas dans ce boudoir, où Vénus jamais ne bouda Cupidon, que je
+fis mes premières armes?—N'est-ce pas ici même que je devins homme?
+N'est-ce pas devant ces témoins inanimés, que la chérie, si follement
+dorlotée, me fit éprouver la mâleté de mes muscles?—O douce mignonne!
+quand je jetai mon coeur dans ton âme avec la furie des désirs qui se
+cabrent et l'impétuosité des prurits cuisants, quand je m'agenouillai
+pour la prime fois devant ta beauté absorbante, quand nos lèvres
+allangouries se donnèrent la becquée divine, alors, j'aurais dû cesser
+de vivre; j'étais Dieu dans la Création! En m'approchant de cette rouge
+fournaise du bonheur, je ne pouvais que rétrécir le cercle de mes
+sensations, et, avec l'instinctive philosophie du scorpion, il me
+fallait mourir de moi-même et par moi-même.
+
+On ne contemple pas impunément les radieux levers du soleil sans que
+les tristesses du crépuscule n'en deviennent plus affligeantes.—Ah! que
+ne puis-je reconquérir aujourd'hui cette aurore et cette exubérance de
+mon être!
+
+C'est ainsi que j'étais étendu sur ce siège, accoudé sur cette table
+chargée des riens qu'elle aimait; c'est ainsi que j'attendais sa venue
+du soir, avec des frissons d'espérance, mitonnant des caresses à offrir
+et des ébats à renouveler—: Elle arrivait toute envoilée, émue,
+souriante, presque craintive, et dès lors j'étais enveloppé dans une
+auréole de félicité; le bonheur tient si peu de place!—Déjà, avec ma
+force d'amoureux, je la prenais, la soulevais dans mes bras, la berçant
+comme un enfant avec des éclats de rire joyeux mêlés de baisers, je la
+pressais contre moi, rêvant de m'ouvrir la poitrine pour la loger toute
+entière dans mon coeur—folies suprêmes! Extases divines! pourquoi vous
+ai-je perdues? Avec quelle passion je dégantais ces petites mainettes
+exquises, dont je baisais chaque phalange; puis, dégrafant, délaçant,
+déchirant soie, dentelle ou batiste; avec quelle ivresse curieuse
+j'explorais les rondeurs embaumées de ce buste de déesse!—mes doigts
+ont encore conservé le tact voluptueux de sa peau de satin.
+
+Elle luttait d'abord, se rebellait gentiment, puis se laissait faire,
+vaincue par ses désirs plus encore que par mes démonstrations
+passionnées; puis lorsqu'elle était assise, à genoux devant elle, déjà
+grisé par des ardeurs de faune, je déployais le verbiage de la chair et
+l'éloquence persuasive et enflammée des ambitions sensuelles.—Etais-je
+assez jeune! assez neuf d'expression, assez vibrant dans l'enthousiasme
+de mes croyances!—Je payais d'amour, argent comptant, en belles et
+bonnes pièces, frappées au bon coin de ma puissance de novice.
+
+Et toutes ces mutineries ineffables, ces chuchottements de colombes au
+même nid, ces aveux à voix basse, ce bruissement de soupirs semblables
+à une confession, ces petits cris légers de bergeronnette effarouchée,
+ces spasmes, ces béatitudes, ces râles soudains, ces évanouissements et
+ce silence:—on eut dit d'un meurtre; ce n'était qu'un doux larcin prêt
+à se renouveler.
+
+Pendant près de six mois, ainsi j'ai vécu, comme une torche qui flambe.
+Sa chambre maintenant est solitaire; la mort, en surprenant la
+pauvrette a fauché mon âme avec la sienne.
+
+Dans ce cadre d'émail, voici son portrait, la douceur de son rire,
+l'éclat de ses yeux, le brillant de ses longues tresses blondes dont
+parfois dans sa nudité, elle se faisait un manteau d'or. Voici cette
+mignarde bouche humide et sensuelle, dont la friandise luxurieuse
+n'avait point de bornes, et, sous ses lèvres ardentes, j'entrevois
+encore la blancheur bleutée de ses dents de jeune chien qui marquèrent
+mes joues, mon col, mes bras et mon corps de ces empreintes
+enchanteresses qui sont espiègleries d'amour.
+
+Portrait que je baise et rebaise, image trompeuse et sans expression,
+carton sans relief et sans vie, que n'ai-je la volonté de te détruire,
+alors que ma tant chère amante n'est plus?
+
+Dans les panneaux de chêne, ce n'est qu'un hideux squelette que les
+larves ont décharné! Si mes sens pétillent sous la cendre encore chaude
+des éclatantes souvenances, la logique de ma raison me fait gratter la
+terre où elle est enclose, soulever le couvercle de sa bière et reculer
+d'effroi devant l'oeuvre immonde de la camarde et du temps.
+
+De telles pensées m'entraînent dans des songes funèbres et hideux où la
+matière putrescible fermente et se liquéfie.—Visage aimé, yeux tendres
+et expressifs, beautés corporelles, je me serais fait poëte ou sorcier
+pour vous immortaliser... Ah! qu'êtes-vous devenus lorsqu'un réalisme
+impitoyable me contraint à vous contempler!
+
+
+
+Elle s'est éteinte doucement un matin de mai, dans mes bras, au réveil,
+en parlant du printemps, des oiseaux et des fleurs; projetant de lentes
+promenades dans les bois reverdissants, souriante, dans sa pâleur, à
+l'idée des violettes cueillies sous la mousse et des baisers échangés
+pendant le gazouillis du rossignol.—Elle se faisait petite, gamine,
+caressante et capricieuse, m'enlaçant davantage et se renversant sur
+les guipures des oreillers—(ai-je souffert davantage dans ma vie qu'à
+cet instant où les larmes m'étouffaient comme une hémorragie
+interne?)—Sur la transparence de son visage le sang avait afflué,
+mettant du carmin sur la blancheur de sa chair avec le contact brutal
+du sang épandu sur un linge. Le soleil entrait dans la chambre et
+baignait les courtines du lit. L'oeil fixant le vague, les narines
+dilatées, belle déjà de la froide beauté des vierges expirantes, elle
+évoquait la nature à son renouveau, et, dans le mirage de ses esprits,
+elle revoyait nos plus douces heures de plaisir, nos fuites dans la
+campagne, nos dîners dans les fermes au milieu des basses-cours
+tumultueuses, le petit coq qui sautait sur la nappe, ou le joli chat
+craintif qu'elle mettait à l'abri du despotisme d'un gros
+terre-neuve:—«Nous irons, dis moi, nous irons encore..., tu sais dans
+la vallée aux moulins, où nous nous arrêtions pour boire du lait, près
+du ruisseau bordé de saules où les _mamans canards_ ont de si jolis
+poussins jaunes... et puis..., n'est-ce pas, nous ferons de grands
+bouquets; la main dans la main, nous retournerons, bien seuls, dans les
+sentiers... ne dis pas non,... oh! je suis si heureuse... si
+heureuse!...»
+
+Elle parlait, parlait toujours, avec la poëtique éloquence des choses
+qu'on doit quitter et des sensations qu'on va perdre, sans en avoir
+conscience.—Elle s'épuisait peu à peu, et dans une douloureuse quinte
+de toux elle s'évanouit pour toujours, me serrant la main plus fort et
+murmurant encore faiblement comme un enfant qui s'endort:...
+_l'amour_... _avec toi_,... _c'est si bon_!—».
+
+Pauvre adorée! Certes, dans la fraîcheur de notre adolescence, l'amour
+c'était si bon, si plein de croyances, si rayonnant de clarté, si
+intime et si vrai—tu as aimé avec toutes les forces de ta candeur, et
+tu es sortie palpitante de plaisir, avant de goûter à la lie des
+désillusions et des infamies, avant les tristes lendemains de la vie
+heureuse.
+
+Je suis resté Moi et je t'aime encore, car tu es ma jeunesse, la
+franchise de mon âme et le miroir de mes premiers sentiments.—J'ai vu,
+depuis, que l'amour tel qu'on le comprend ou qu'on le fait dans le
+monde, et tel aussi que la société l'a créé, était un guet apens et je
+me suis armé contre les soupçons, les trahisons, les perfidies, les
+ruses et astuces de la femme, car sur la carte de tendre, on égorge les
+agneaux et la force indépendante de l'amant prime le droit d'esclavage
+du mari.
+
+Dans cette petite chambre j'aime à revivre mon passé, je retrouve un
+calme langoureux et bienfaisant au sortir des orgies de la chair ou des
+lassitudes de l'esprit.—L'hiver j'allume de grands feux dans l'âtre,
+comme si elle allait revenir, gelée, avec cette toux profonde qui me
+faisait si mal, et qu'elle dissimulait dans un sourire morbide. L'été
+j'y viens donner audience au soleil, aux effluves printannières, je
+place près de moi son fauteuil vide, aux coussins de soie, ses petites
+babouches de velours blanc traînent à terre, et, sur le piano ouvert,
+je place sa chanson favorite: alors je parcours quelque vieux poète,
+les yeux demi-fermés, le coeur engourdi, et il me semble qu'au milieu
+d'accords confus j'entends sa voix exquise murmurer comme autrefois ces
+stances Ronsardiennes, sur un rhythme enchanteur:
+
+
+Quand au temple nous serons
+Agenouillez, nous ferons
+Les dévôts, selon la guise
+De ceux, qui, pour louer Dieu,
+Humbles, se courbent au lieu
+Le plus secret de l'église.
+
+Mais, quand au lict nous serons
+Entrelacés, nous ferons
+Les lascifs, selon les guises
+Des amans, qui librement
+Pratiquent folastrement,
+Dans les draps cent mignardises.
+
+
+Je crois sentir le frisson de ses doigts sur l'ivoire des touches,
+tandis que, comme une berceuse, la mignonne poursuit son chant avec une
+langueur plus accentuée, plus émue et plus chaude.
+
+
+Pourquoi doncque, quand je veux
+Ou mordre tes beaux cheveux
+Ou baiser ta bouche aimée,
+Ou toucher à ton beau sein,
+Contrefais-tu la nonnain
+Dans un cloistre enfermée?
+
+Pour qui gardes-tu tes yeux
+Et ton sein délicieux,
+Ta joue et ta bouche belle?
+En veux tu baiser Pluton,
+Là-bas, après que Charon
+T'aura mise en sa nacelle?
+
+
+Sa voix dans ma pensée devient plus faible à l'approche de ces stances
+funèbres que nous répétâmes si souvent, sans songer à la réalité;
+cependant la vibration de ses paroles tinte encore à mon oreille
+semblables à ces ballades allemandes qui s'affaiblissent en prenant
+fin:
+
+
+Après ton dernier trépas,
+Gresle, tu n'auras là-bas
+Q'une bouchelette blesmie,
+Et quand, morte, je te verrois,
+Aux ombres, je n'avou'rois
+Que jadis tu fus m'amie.
+
+Ton test n'aura plus de peau,
+Ni ton visage si beau
+N'aura veines ni artères;
+Tu n'auras plus que des dents
+Telles qu'on les voit dedans
+Les testes des cimetières.
+
+
+
+Doncques, tandis que tu vis,
+Change, maîtresse, d'avis,
+Et ne m'espargne ta bouche;
+Incontinent tu mourras:
+Lors tu te repentiras
+De m'avoir été farouche.
+
+
+Hélas! sa douce jouvence est passée, mais elle ne peut se repentir!
+
+Lorsqu'elle avait terminé cette suave mélopée, elle se levait
+brusquement et m'enlaçant par derrière, m'étreignant comme un être
+qu'on peut perdre, me renversant sur sa gorge, elle m'embrassait avec
+avidité, elle se donnait à moi, elle était affolée comme si elle eut
+compté ses jours et ses nuits, et juré de ne rien regretter selon les
+présages du poète vendômois.
+
+En ouvrant ce tiroir je trouve ses lettres et les miennes: tout un
+roman qu'il faut laisser inédit, à l'abri du vulgaire. Une une, je les
+relis sans y trouver de quoi brutaliser la délicatesse de mes
+souvenirs; ces tendres billets parfumés ont une candeur de passion, une
+verve d'amour, un brillant d'expression qui me transportent. Le coeur a
+son style et son éloquence, l'un et l'autre sont simples et touchants,
+ils frappent plutôt l'âme qu'ils n'éblouissent l'esprit; ils ont le
+pathétique de la foi et la grande beauté des paroles soudainement
+issues des sensations mêmes qui les ont fait proférer.—A quelle école
+autre que l'amour, une femme pourrait-elle apprendre un art si fin
+d'analyse? Sur quelle palette d'adjectifs, dans quels dictionnaires des
+passions puiserait-elle ces nuances expressives, à la fois sobres et
+alambiquées?
+
+Le cerveau livre hâtivement ses trésors quand l'incendie est allumé
+dans le coeur et que la raison en s'enfuyant laisse tout au pillage des
+sentiments majeurs.—Il est des pages qui me feraient pleurer et rougir
+de plaisir au même instant, il en est d'autres que je déguste
+savoureusement dans ma tête, comme ces sucreries quintessenciées qu'on
+laisse fondre en gourmet sur les muqueuses les plus sensuelles. Jolies
+pattes de mouches, coquetteries féminines, petits mots doucereux,
+locutions adorables, néologismes venus de l'âme, à quelle littérature
+peut-on vous comparer! Comme Mme de Sévigné est froide et minaudière
+auprès des vivantes amoureuses et des brûlants épistoliers.
+
+Près de ses lettres, dans une vaste cassette de Lapis-lazuli enchâssé
+d'or, sa longue chevelure blonde est étendue plusieurs fois roulée sur
+elle-même. Elle me l'avait promise maintes fois, et lorsqu'elle resta
+blémie sur l'oreiller, froide et presque violacée, j'eus l'héroïque
+volonté de couper moi-même cette toison superbe, je fis crier les
+ciseaux dans cette chevelure ruisselante, à la racine, et je me pris à
+sanglotter puérilement, quand je vis cette chère petite tête de morte,
+rase, mignonne et garçonnière, comme ces visages étranges de babys des
+peintures anglaises.—N'ai-je pas eu depuis souvent la faiblesse de
+sortir ces nattes de leur écrin, de les baiser avec passion, de les
+manier, de les tresser, de me complaire à les enlacer autour de mes
+bras, de mon cou et quelquefois de m'endormir avec elles.—On a dit avec
+vérité: En amour plus on est délicat, plus on s'amuse aux bagatelles.
+Mais ces bagatelles des amours défuntes, de quel nom peut-on les
+nommer?
+
+Ici, dans un coffret étroit de bois de rose, je retrouve une branche de
+lilas fanée, cueillie, au printemps de l'année, dans l'Eldorado des
+jouissances complètes, à la campagne, pendant une nuit étoilée et
+sereine où j'éprouvai, en sa possession, des sensations si fraîches et
+si entières que je fus heureux jusques aux larmes. Nulle page de mon
+existence galante n'a pu et ne pourra jamais effacer la félicité
+immense, l'épanouissement de joie intime qui me ravit alors en faisant
+tressaillir jusqu'aux fibres les plus tenues de mon être.
+
+Rien ne nuit tant au temps que le temps, disait Machiavel. Il en est
+ainsi des regrets qui sont tués par les souvenirs, ceux-ci demeurent
+plus doux que ceux-là, moins violents et plus flatteurs; l'imagination
+rétablit l'harmonie après le fracas des premières douleurs, et je
+reviens ici, dans ta chambre, ma mignonne, plus calme, plus amoureux du
+passé que jamais. Je me plais à cohabiter dans ce milieu avec tout ce
+qui fut à toi et tout ce qui fut sur toi; bijoux, soieries et
+toilettes, bonbonnières et éventails, jusqu'à ces tissus intimes qui
+emprisonnèrent tes grâces ondoyantes et tes beautés secrètes.
+
+Et vous objets qu'elle aimait, livres d'amour que nous lisions
+ensemble, gravures friponnes, statuettes légères de Saxe, petits
+miroirs qui doubliez sa beauté; glaces qui reflétiez nos plaisirs, je
+vous contemple avec ivresse et ne puis vous quitter. Larges divans,
+coussins moelleux, tapis d'Orient, tête à tête évocateur de caresses,
+toi surtout lit babillard; vous tous, Meubles, champs de bataille de
+nos tournois d'amour, vous qui me vîtes tour à tour Hercule et Adonis,
+amant vainqueur et amoureux vaincu, vous resterez toujours mon bien, ma
+possession, car avec elle et dans votre confort j'ai oublié la vie, car
+sur vous j'ai sablé le bonheur dans le hanap des voluptés, sur vous
+aussi j'ai semé avec insouciance, ma jeunesse et mon sang, ma cervelle
+et mon âme, le meilleur de mon moi, ma sensibilité du coeur et ma
+virilité des sens.
+
+O la seule amante aimée, je reviens chaque jour faire ce tendre voyage
+autour de ta chambre, me rappeller ta grâce et tes fructicoseux
+baisers, car ne pouvant sentir tes palpables réalités, je pense avec
+Brantôme, ce cavalcadour des _Dames galantes_ qui t'égayait si fort,
+que, si le plaisir amoureux ne peut toujours durer, pour le moins la
+souvenance du passé contente encore.
+
+
+[Illustration]
+
+
+
+
+[Illustration]
+
+ÉPHÉMÉRIDES DES SENS
+
+
+Vénus sauve toujours l'amant qu'elle conduit.
+H. DELATOUCHE.
+
+
+A MADAME ***, A PARIS,
+
+otre lettre, mon amie, avant de me parvenir, a couru le monde comme une
+folle aventurière. Je l'ai reçue seulement il y a quelques jours, dans
+ma mystérieuse retraite. La poste encore l'avait-elle marquée
+d'estampilles plus nombreuses que celles que nous vîmes, s'il vous en
+souvient, certain soir, sur le passe-port d'un envoyé chinois. Vous me
+mandez qu'absent de Paris depuis près de dix-huit mois, on daigne
+s'inquiéter fort de ma disparition dans le milieu élégant et féminin où
+j'avais coutume de me laisser vivre. Les gageures sont ouvertes,
+dites-vous, et, tandis que l'envahissante comtesse de C*** professe,
+avec des sous-entendus, l'opinion que je suis retiré dans quelque
+Chartreuse chanter matines sur les dalles froides d'un prieuré, la
+jolie petite baronne de P*** tient pour un mariage, en due forme, avec
+voyage circulaire à prix réduit autour de la lune de miel.—La plupart
+de vos belles amies protestent cependant, et affirment avec raison
+qu'un misogame aussi entêté que je le suis, ne saurait contracter des
+liens si légitimement contraires à ses opinions. La tendre et vaporeuse
+madame de L***, concluez-vous, ajoute en soupirant qu'une douce et
+enlaçante passion m'enclôt dans les roses du plaisir et des délices
+partagées; seule, la vieille douairière hoche la tête dans son fauteuil
+et déclame sentencieusement contre les équipées inconséquentes de la
+jeunesse.
+
+Le tableau est bien en place, et je le vois d'ici, avec la mise en
+scène de votre salon délicieux, au milieu des allées et venues de votre
+jour de réception.—Eh bien! mon adorable petite reine, toutes ces
+caillettes, dans ce gentil jeu de _cache-cache_ et de
+_devine-devinotte_, brûlent peut-être, mais ne découvriront pas
+assurément le but réel de mon exil volontaire et les causes dominantes
+de mon séjour aux champs.
+
+Laissez-moi vous dire que je vous soupçonne tout particulièrement d'une
+haute dose de curiosité à mon endroit, et peut-être, par esprit
+tracassier, devrais-je laisser languir votre attention pour donner plus
+longtemps carrière aux broderies ravissantes de votre imagination. La
+vérité tue le rêve que le mystère nourrit; je veux bien croire
+cependant que l'intérêt que vous n'avez, en toute occasion, cessé de me
+témoigner, vous donne quelques droits à mes confidences; mais
+aujourd'hui, il ne s'agit pas seulement d'un petit conte saupoudré de
+sel grivois, d'une anecdote scandaleuse, ni même d'un récit purement
+galant; les faits que j'ai à vous exposer rentrent dans le domaine de
+la confession intime et complète, je vous fais donc mieux qu'une
+confidence, et, pour bien écouter les variations fantastiques et
+mélo-dramatiques de cette aventure, je réclame votre recueillement.
+Ordonnez donc à Rosine de vous laisser seule et de condamner votre
+porte, puis daignez me donner audience, à huis-clos, comme autrefois,
+dans ce galant oratoire tendu de crêpe de chine bleu pâle, sur le
+moëlleux confessionnal de votre causeuse, où pendant d'heureux jours,
+l'amour—qui sait, peut-être le caprice—fut entier entre nous.
+
+Ma lettre vous semblera sans doute longue, à moins que la curiosité
+féminine ne vous donne du courage; quoiqu'il en soit, comme accessoires
+des sensations où des sentiments, qu'elle peut provoquer, munissez-vous
+d'un mouchoir de fine batiste, d'un flacon de sels anglais, d'une boîte
+de pastilles ambrées, de votre mignon éventail, paravent de la pudeur,
+et maintenant écoutez-moi. Vous me connaissez assez pour ne pas mal
+interpréter la brusquerie de certaines locutions; j'ai appris pour ma
+part à apprécier votre bonne camaraderie qui ne s'effarouche pas trop
+des façons garçonnières, et je vous détaillerai mon cas avec la
+familiarité d'une causerie d'homme à homme.
+
+Il vous souvient sans doute que, la dernière fois que j'eus l'honneur
+de vous voir, je vous fis part d'une grande résolution qui paraissait
+devoir être inébranlable. Je m'étais décidé—dois-je vous le
+rappeler,—ne posséder, quoiqu'il advint, mes maîtresses _qu'une seule
+fois_. Cette détermination vous fit rire aux larmes, et vous vous
+moquâtes de moi comme un joli petit démon, croyant à une nouvelle
+boutade de mon esprit inquiet, lorsque ce n'était que la résultante de
+raisonnements basés sur la logique la plus galante.
+
+Je mis donc ma volonté au service de mon jugement; je me pris la main
+et me fis le serment de ne pas faillir aux engagements que je m'étais
+imposés. Je rompis tout d'abord avec madame de N***, que j'avais prise
+par un instinct curieux; on disait tant de petites calomnies sur ses
+goûts et l'étrangeté de son être, que je me devais à moi-même de
+constater la vérité, et je dois à celle-ci de proclamer hautement
+l'exagération du bruit public. Madame de N*** se montrait, j'en
+conviens, un peu excessive dans la manifestation de ses désirs, mais
+aussi elle était tendre à l'extrême, attentive à tous les raffinements
+du bonheur, servile dans le plaisir et incitante au possible. Je la
+quittai presque avec regret, cependant, comme il faut se méfier des
+feux qui durent trop et qui dessèchent ceux qui en sont l'objet, je me
+retirai brusquement de ce corps en combustion dont quelques journées de
+larmes eurent probablement raison.
+
+C'est alors mon amie, que je déployai ma devise en liberté.—_Never
+more_, disais-je, et tous les échos de mes esprits répétaient _never
+more_. Je saluai une légion de maîtresses de cet axiome sans espoir; je
+les avais eues toutes selon mes principes, et aucune ne voulait
+s'élever à la hauteur sublime de ce: _jamais plus_. Ce fut une chasse à
+travers les taillis de Paphos. Les Nymphes cette fois couraient après
+le faune, et le pauvre satyre, acculé par ces diables roses, toujours
+volontaire et toujours répondant: _jamais plus_, luttait encore
+davantage au-dedans de lui-même que contre l'enlaçante et inexorable
+poursuite de ces démoniaques.
+
+Je pus m'apercevoir, en cet instant, que les femmes sont semblables aux
+enfants qui balbutient: _encore_, et je vis que dans une existence de
+célibataire, on doit craindre plutôt l'excès de l'amour que la créance
+du plaisir. Mes mutines créancières se rebellaient, toujours
+vaillantes, jamais lasses, elles suivaient pas à pas mon ombre, comme
+ces louves ardentes qui rôdent aux alentours des fermes, dans la
+campagne, à la piste d'un vigoureux mâtin. Ce fut un orage déchaîné sur
+ma tête pendant de longs mois; chaque jour en totalisant ma dette à
+l'éternel féminin, je l'augmentais davantage.—Lettres, visites de toute
+heure, imprécations, supplications, menaces, pâmoisons, sanglots
+étouffés, rien ne me fit défaut; dans ce siège en règle autour de ma
+puissance virile, et de ma passive résistance, la rivalité des
+assaillantes paraissait en outre exciter leur ardeur.
+
+Souvent, au milieu de ces longues plaidoiries du désespoir, j'étais sur
+le point de m'attendrir; je contemplais des visages amaigris, des yeux
+brûlés par les larmes, des chevelures défaites et des corsages
+entr'ouverts qui avaient l'éloquence de la chair, j'écoutais des voix
+câlines, harmonieuses, frissonnantes d'émotion, mais, sur le point de
+céder, je me redressais, dans toute mon intégrité, et reprenais ma
+force et l'énergie romaine et pontificale de mon: _non possumus_.
+
+Auprès de mon apparente froideur, la sensualité brûlait comme un
+encens, m'apportant au cerveau une griserie de luxure, et il me
+semblait parfois, que, semblable un dieu sculpté dans du marbre, je
+devais regarder d'un oeil indifférent la flamme de ces âmes aimantes
+qui se consumaient vainement comme autant de longs cierges de cire
+devant ma majesté souveraine. Ces passions incandescentes m'avaient
+déifié; aussi, pour conserver le culte de ma volonté et rester fidèle à
+ma foi jurée, je demeurai impassible et sourd aux prières comme toutes
+les divinités.—Sur mon front marmoréen, n'avais-je pas opiniâtrement
+gravé: _never more_?
+
+Si j'osais, mon amie aimée, vous conter plus d'un détail, et vous
+montrer comment ces femelles éperdues s'offraient moi, s'agriffaient à
+ma tête, à mon coeur, à mes sens surtout, vous ne voudriez point me
+donner un démenti, mais je gage, qu'en vous-même vous seriez incrédule,
+et songeriez que l'humanité est plus digne, plus altière, et que la
+créature faite de limon est moins bestiale dans ses appétences
+charnelles ou plus retenue dans l'expression de ses désirs.
+
+Afin de calmer un peu ces agitations, de me donner un léger repos en me
+_désennamourant_ tout-à-fait,—sans toutefois renoncer à une pratique
+dont la théorie était si chère à mon jugement et par suite à ma
+vanité,—je pris un biais et mis du sentiment dans du Marivaudage;
+c'était doser la sottise en pralines, direz-vous, mais la
+sentimentalité, ainsi qu'un masque de satin, devait me préserver du
+hâle que causent toujours les ardeurs de la passion trop militante. Je
+jetai, à cet effet les yeux sur madame V***, douce et langoureuse comme
+une tourterelle blessée; je me présentai à elle sobrement, comme
+converti par sa candeur extrême, et la mystifiai au point qu'elle crut
+voir en moi le plus dévot des disciples de Platon.
+
+Madame V*** n'était pas encore un de ces fruits mûrs, duveteux,
+provocants, aoûtés dans l'exubérance de leur carnation superbe, c'était
+une petite fleur fine et délicate, qui devait s'épanouir aux baisers de
+l'amour et s'effeuiller aux premières froidures de la galanterie. Elle
+accusait par sa beauté fluette tout au plus vingt-deux printemps, et
+toutes ses manières révélaient un sentiment candide, comme une
+virginité ouatée d'idéal. Son mari, un petit vieux sec et à voix fêlée,
+était pareil à ces saules brisés, rabougris, trapus, difformes, où ne
+nichent plus que les hibous et semblables encore à ces cloches
+ébréchées dont manque le battant.—Madame V*** était mariée devant le
+monde et sacrifiée devant l'hymen.—Une telle conquête devait me tenter,
+mais j'étais si las de libertinage que je songeais plutôt à surprendre
+son coeur qu'à posséder ses charmes. Avec mon but immuable de ne jamais
+renouveller ma reconnaissance à la banque de l'amour, vous pensez bien,
+mon amie, que, eussé-je dû l'avoir (puisque la nature même conduit à la
+possession en dépit du sentiment) rien ne me hâtait absolument, bien au
+contraire. Je pouvais donc tirer les cartes avec la mine désintéressée
+d'un homme qui ne tient point à gagner la partie.
+
+Je fis ma cour assidûment à madame V***, parlant d'amour avec
+l'expression d'une âme dépêtrée de la matière, toujours réservé,
+ponctuel, Tartuffe en diable, demandant à baiser une mitaine et ne
+paraissant jamais troublé par des sensations corporelles; un anglais,
+élève de Brummel, eût envié mes procédés corrects; je poussais bien
+quelques soupirs, mais ne les soulignais point, dans l'espérance qu'ils
+arrivaient affranchis à leur adresse. On ne quitte guère les voluptés
+que par lassitude, disait Saint-Evremont, c'était mon cas, et malgré
+mon nouvel itinéraire d'amoureux, je me considérais comme en
+villégiature au milieu des puérilités de mon comédisme de jeune
+premier. Je traitais madame V*** en flâneur; la promenade pour moi
+avait l'agrément des lentes démarches à travers champs, sans avoir
+l'attrait d'un rendez-vous des sens ou l'intérêt d'un but immédiat à
+atteindre.
+
+Hélas! le croiriez-vous, ma sentimentale et innocente amante
+progressait en sens contraire à mes idées; chaque jour le feu
+s'allumait davantage sur ses joues, dans ses yeux et sur l'incarnat de
+ses lèvres; elle devenait craintive et semblait se défier d'elle-même;
+quelquefois elle me fuyait et je la laissais faire, mais aussitôt elle
+revenait avec une lueur de tristesse, comme si elle se fut trouvée
+toute esseulée loin de moi. Déjà ses mains touchaient les miennes avec
+plus de fièvre et de moiteur, déjà aussi je crus entrevoir ces petits
+mouvements brefs, saccadés, inquiets, qui indiquent des affections
+névritiques chez la femme troublée. Ces constatations me causaient à la
+fois un plaisir mystérieux et un désespoir étrange; l'école
+buissonnière avec elle m'était agréable, et je songeais qu'en
+entr'ouvrant la porte d'un bonheur fugitif, elle allait créer à jamais
+entre nous l'abîme des paradis perdus. Il me faudrait la sacrifier,
+après une initiation incomplète aux joies terrestres, pour ne pas
+mentir à la manifestation de mes opinions volontaires, et cette
+situation ambiguë de mon esprit,—qui semblera ridicule aux âmes
+faibles,—me plongeait dans l'inquiétude et la crainte de faillir
+plusieurs fois, après le plaisir unique à la jouissance duquel je
+devais m'astreindre.
+
+Vous qui connaissez les luttes de mes sentiments dans l'arène de ma
+cervelle, vous comprendrez les conséquences de ma lubie, ô ma charmante
+amie; le despotisme de mes caprices vous a laissé d'assez nombreux
+souvenirs pour que vous puissiez vous mettre à la portée de mes
+querelles intérieures en cet instant, sans me taxer de folie. Tel ce
+petit savoyard qui n'avait qu'un pauvre sou à dépenser, s'en allait,
+hésitant s'il achèterait l'orange que convoitaient ses désirs ou s'il
+conserverait son joli sou pour ne pas mordre à la gourmandise de ces
+pommes d'or; tel j'étais, et j'avais bien envie de conserver mon pauvre
+petit sou de savoyard têtu, pour le jeter aux mains d'une femme moins
+sincère et plus friponne que madame V***.—Celle-ci me prit mon sou,
+cependant, et voici comment, sans trop de détails inutiles ou
+d'analyses oiseuses.
+
+Un soir d'été qu'elle était «_veuve_,» à la campagne, nous nous
+trouvions ensemble, après diner, dans un pavillon désert auprès d'un
+grand parc; c'était l'heure douce et attristante du crépuscule, quand
+le soleil rouge descend à l'horizon et que la mélancolie, comme un
+fluide magnétique, plane sur la nature qui s'endort. La journée avait
+été chaude, et tous deux, dans la pénombre, nous semblions bercer des
+rêves vagues sans songer à nous parler. Dans l'air tiède, montaient
+lentement avec une harmonie pénétrante, le cri monotone des grillons
+sous l'herbe, et le coassement inégal, plaintif et lointain des
+grenouilles, dans les marais voisins; quelques oiseaux attardés
+battaient encore de l'aile sur le sommet des grands chênes, et dans la
+vallée, des jeunes filles et des gars à voix mâle chantaient une
+ancienne ronde du pays singulièrement rhythmée, dont le refrain nous
+arrivait affaibli mais distinct:
+
+
+L'amour carillonne,
+Et j'entends qu'il sonne
+Du haut du clocher,
+L'heure du berger.
+
+
+Je dois avouer, qu'en cet instant, j'éprouvai et sentais renaître en
+moi toute la poésie amoureuse et toutes les amours poétiques de mes
+dix-huit ans; un sentiment profond m'envahissait; je me croyais frôlé
+par de singuliers frissons dans le dos et mes yeux étaient humides de
+bonheur. J'entendis deux longs soupirs auxquels je répondis; nos mains
+se rencontrèrent, se pressèrent avec force, je m'agenouillai près
+d'elle, et la renversant audacieusement dans mes bras, je dévorai
+gloutonnement le plaisir sur ses lèvres.—Ah! mon amie, j'étais perdu!
+
+
+
+Quelle prostration j'éprouvai en sortant de mon ivresse, en me
+rappelant mes engagements et en pensant à ceux qu'on allait exiger de
+moi. Je ne proférai pas une parole, mais je pleurai presque comme un
+enfant, bêtement, sans savoir pourquoi. J'eus honte en ce moment de ces
+larmes bienheureuses qu'elle entendait couler, je voulus les excuser
+pour me redresser à mes propres yeux, et comme elle me demandait
+timidement, avec ce ton adorable de Chloé à Daphnis: «_Pourquoi
+pleures-tu_?» J'eus une réponse horrible, folle, pleine de mépris pour
+l'humanité, pour l'amour, pour les femmes et pour moi-même, je fis
+cette réponse cynique.—... Pardonnez-moi..., mon amie, dois-je oser?—Je
+répondis,—ma foi, j'aurai la crânerie de vous le répéter.—Je répondis
+avec une sorte de férocité et de rage insensée:
+
+«_Quand on pense que les chiens font cela_!»
+
+En proférant ces paroles, je devais avoir un air farouche, car
+l'impression qui me les avait dictées était sombre et cruelle. C'était
+donc là où cette sentimentalité si trompeuse m'avait mené
+insensiblement? C'était donc là le corollaire inévitable des passions
+sacrées entre sexes différents? Je m'étais accoutumé avec elle à vivre
+si entièrement en dehors de mes sens que cette rebellion de la chair
+inassouvie m'écoeurait comme si, en voulant planer dans les airs, je
+fusse tombé dans la boue avec un cri indigné contre ma pesanteur
+individuelle.
+
+La pauvre femme était altérée; la gracieuseté de sa chute s'effaçait
+devant la flétrissure imposée à la mienne, ses remords se taisaient
+pour ne pas surexciter les miens davantage. Vous jugez bien cependant
+que je n'étais pas homme à ne point profiter de ma cruelle réplique, et
+je mis à profit cet éclair de démence, puisque mon petit sou
+d'auvergnat m'était si irrémissiblement dérobé.
+
+Je devins un cabotin infâme, je parlai de nos devoirs, des souillures
+du péché, du vide que le plaisir laisse toujours après lui; je fis
+appel à sa raison, à ses souvenirs d'enfance, à ses joies de fillette,
+j'invoquai même la loyauté de l'époux qui lui avait donné son nom et
+l'honorabilité des liens qu'elle avait contractés. Pour moi, dans ce
+sermon attendri, je me frappais la poitrine et me désespérais avec une
+émotion communicative, tour à tour m'indignant contre ma propre
+faiblesse et les insinuations de Satan, et tour à tour aussi, projetant
+de m'imposer de dures pénitences, et de vivre à l'avenir dans une
+sagesse continente et une austérité claustrale.
+
+Tout ce fatras jésuitique fit un grand effet sur madame V***; elle
+sanglotait silencieusement et me contemplait comme un pontife en
+mission divine. Elle aussi s'accusait avec un fanatisme de dévotion
+très sincère. Peu à peu, je la calmai, battant en retraite, et,
+élargissant le cercle de la clémence céleste, je devins biblique; si
+bien que quand je pris congé d'elle, nous nous étions promis de
+demeurer unis dans une affection intime et toute spirituelle. «Merci, ô
+merci, soupira-t-elle en me quittant, que vous êtes bon et grand, je
+suis tombée pour vous, mon ami, je me relève par vous; je ne
+l'oublierai point, votre grandeur d'âme vous place au-dessus de votre
+amour; merci.»
+
+Pauvre petite créature, moi non plus je ne l'oublierai point, j'avais
+si bien joué mon rôle avec elle, que je l'aime avec ce sentiment à part
+que doivent éprouver les comédiens lorsqu'ils songent, avec l'ivresse
+du triomphe, aux glorieuses soirées où ils se surpassèrent. Je la revis
+depuis toujours douce et pudique et toute confite en religion.—Mon
+Dieu! aurai-je sauvé une âme après en avoir tant égarées!
+
+Nous voici tout au plus, ma lectrice, curieuse, aux deux tiers de mon
+histoire, et je ne répondrai pas d'être aussi bref que je le voudrais
+dans le récit qui va suivre et qui vous révélera les motifs honorables
+de mon incognito.—Pour peu que vous affectionniez l'esprit des
+paraboles et la morale mise en actions, vous ne manquerez pas de faire
+ressortir, en ce qui me concerne, la vérité reconnue de cet axiome
+vulgaire: on est toujours puni par où l'on a péché.—Prenez cependant un
+temps de repos, éventez-vous légèrement, croquez une de vos pastilles à
+l'ambre, renversez vos grâces avec plus d'abandon sur votre causeuse,
+et enfin écoutez les faits lamentables qui m'ont conduit dans la
+chaumière rustique d'où je vous adresse ces lignes.
+
+Pour ménager tout retour offensif de madame V***, je me mis à voyager.
+
+Pendant deux mois je courus la Belgique, la Hollande, la Suisse,
+pratiquant avec une aisance merveilleuse mon procédé d'amour. En voyage
+on aime à la nuit, ceci rentre dans les convenances, on ouvre tout au
+plus sa valise et l'on entr'ouvre à peine son coeur.—Entre deux trains
+on embrasse une femme, avec la notion du temps qui s'écoule, en se
+disant qu'on dégustera en wagon ses sensations par le souvenir.
+
+Il me faudrait ouvrir mon carnet pour vous narrer mes innombrables
+échappades amoureuses, et la liste détaillée de ces plaisirs sur le
+pouce risquerait peut-être de vous affadir. Revenons donc au point qui
+vous intéresse réellement pour ne plus le quitter.
+
+A Genève, pendant un trajet sur un des petits vapeurs du lac, dans un
+milieu cosmopolite de touristes, mon attention fut attirée par la
+remarquable beauté d'une femme assise à l'écart, qui regardait avec une
+attention vague et blasée les sites pittoresques qui sont reproduits
+avec tant de profusion banale sur tous les presse-papiers bourgeois ou
+les tabatières musique.
+
+Je pourrais, mon amie, vous en dresser un portrait saisissant, vous la
+montrer accoudée et rêveuse à l'avant du paquebot, vous décrire tous
+les brimborions de sa toilette de passagère et vous faire un délicieux
+petit pastel ou une eau-forte très mordue, très fouillée et burinée
+avec des ombres profondes, des méplats larges et bien en lumière; je
+pourrais, de ma plume, tracer l'ébène de ses sourcils, l'abondance
+fauve de sa chevelure, busquer son nez aux narines fières et
+voluptueuses, arquer ses lèvres dans l'indifférence et le dédain de
+leur expression, faire jaillir le feu de son regard, arrondir ce menton
+dans sa proéminence volontaire et contourner la petite conque adorable
+de son oreille sans bijoux, mais ces peintures nous égareraient bien
+loin. Les romanciers qui se livrent à cette chromo-lithographie
+littéraire ont d'excellentes raisons pour remplir les trois cents pages
+de leurs oeuvres de petits traits qui trompent l'oeil; ici, rien de
+cela, vous trouverez tous ces clichés de gravure en relief parmi le
+fatras des bas bleus ou des imitateurs de Châteaubriand; les meilleurs
+romans peuvent tenir dans un conte de cinquante pages, le reste est
+accordé à la badauderie des détails et je vous sais trop pratique, trop
+_Lady like_ pour ne pas en user brièvement avec vous.
+
+Cette inconnue m'attirait, me fascinait par l'étrangeté de son allure
+et le charme exotique de sa beauté nettement originale; vous savez ces
+vers du classique Corneille:
+
+
+Il est des noeuds secrets, il est des sympathies
+Dont, par un doux rapport, les âmes assorties,
+S'attachent l'une à l'autre et se laissent piquer
+Par ce je ne sais quoi qu'on ne peut expliquer.
+
+
+
+
+Il y avait sûrement une parenté entre nous, moins parenté des coeurs
+que parenté des sens et des caractères. Platon comparait les sexes à
+des moitiés de poire qui cherchent leur seconde moitié; c'était presque
+mon autre moitié; les pépins, ces yeux du fruit, recherchaient les
+pépins saillants des deux sections. Tels, en dehors de tout esthétique,
+des tronçons de ver de terre coupé rampent instinctivement vers le même
+point pour se souder l'un l'autre.
+
+Je la suivis à Vevey, à Divonne, Lausanne, je me fis son ombre muette,
+me profilant sur sa route pour mieux m'insinuer dans sa vie; dans les
+hôtels, aux tables d'hôte, au _Reading room_, dans les couloirs, jusque
+dans les ascenseurs elle me trouvait à ses côtés; je ne dormais que
+d'un oeil afin d'épier ses fuites matinales; nos valises se heurtaient
+dans les gares, nos coudes se frôlaient en wagon, mais à part des
+politesses d'usage et des paroles timidement échangées, j'éprouvais
+comme une jouissance particulière à sentir battre mon coeur à l'unisson
+du sien, sans que j'éveillasse sa délicatesse féminine par une sotte
+déclaration. L'expérience m'a toujours prouvé que plus les amours
+paraissent languir dans la crainte d'un aveu, plus vite ils se
+fusionnent d'après la loi de la nature. La prise de possession ne
+m'inquiétait guère et je laissais flamber mes désirs autour d'elle
+comme autour d'un _pudding_ la flamme d'un punch qu'on attise et agite
+avec insouciance. Mes théories ne mettaient qu'une corde à mon arc et
+je songeai qu'il me faudrait débander trop tôt cet attribut de
+Cupidon...—vous n'oubliez pas... mon petit sou d'auvergnat?
+
+Ah! petit prêtre! ainsi que jurait le bon roi Louis, pouvais-je me
+douter que le hasard, avec son esprit du diable, allait se charger de
+nous accointer forcément, de la manière la plus incroyable et cependant
+la plus simple, puisque déjà, du moins je le sentais, nos coeurs
+ardaient et nos corps se voulaient entièrement.
+
+Un soir, après une journée de diligence, pendant laquelle notre
+taciturnité ne s'était point donnée le moindre démenti, mais aussi au
+cours de laquelle, dans l'encaissement d'un coupé, nos épaules et nos
+mains s'étaient pressées jusqu'à la courbature et la fièvre des
+voluptés contenues, nous descendîmes côte à côte dans une auberge où un
+dieu malin nous attendait sous l'apparence d'un suisse hospitalier et
+de belle mine.
+
+S'il me fallait vous dialoguer l'aventure, cela vous paraîtrait
+assurément plus pittoresque, mieux exposé, mais peut-être aussi peu
+vraisemblable. L'auberge était isolée et si hautement bondée d'Anglais
+et de _Cook's travellers_ qu'il ne restait qu'une chambre, une honnête
+chambre à deux lits.—L'obséquieux majordome, d'un coup d'oeil expert,
+nous prit assurément pour deux jeunes époux très désireux de passer la
+nuit sous le même plafond; nos colis furent hissés de concert dans un
+Eden de troisième étage;—je me gardai bien de protester, mais elle...,
+jetez de grands cris d'incrédulité, belle parisienne..., mais elle,
+avec une surdité aussi forte que la mienne, laissa tout aménager pour
+deux et ne proféra pas une parole contradictoire.—Je croyais rêver, mon
+coeur battait à se rompre, mais d'une voix aussi impérative que
+possible, j'ordonnai qu'on montât le souper dans notre appartement.
+
+Quel souper ce fut là!—A l'époque de nos amours, ma charmante
+souveraine, nous n'eûmes jamais d'ambigus aussi relevés, dans le
+boudoir même où vous lisez cette lettre.—Sous le regard glacial mais
+inquisiteur de notre officier de bouche cravaté de blanc, nous fûmes
+absolument corrects, parlant peu, avec ce flegme et cette indifférence
+d'américains à table; les plats défilaient comme au théâtre pour la
+parade, c'est à peine si nous effleurions de la fourchette les truites
+roses ou les sanglants roastbeefs. Lorsque les compotes et autres
+variantes d'entre-mets furent enlevées, quand nous fûmes seul à seul,
+je retirai la clef de la porte que je fermai à l'intérieur, et
+m'élançant audacieusement à ses genoux avec un bonheur véritable, je
+m'écriai simplement: _Enfin!_ et _Merci!_—La première exclamation était
+pour moi, la seconde était pour elle.
+
+Vous direz peut-être que tout ce récit est d'un fol qui frise
+l'impertinence et que tout auteur qui se respecte n'oserait jamais
+concevoir même un roman sur une donnée aussi improbable. Vous avez foi
+en ma véracité cependant, et vous me permettrez de ne pas trop
+argumenter sur ce sujet. La fin de cette lettre vous fera comprendre
+davantage pourquoi je ne puis m'étendre plus amplement dans cette
+description sous peine de me fatiguer. Au printemps tout est tendre
+dans la nature et le règne végétal ne peut subir de trop grandes
+pressions barométriques; ainsi, dans mon renouveau, avec un doux
+bégaiement de convalescence, l'écrivain se cherche encore et ne se
+retrouve qu'à moitié dans ma cervelle engourdie.—Plus tard! ah! plus
+tard, je vous donnerai des détails qui ne vous laisseront aucun doute
+sur la parfaite authenticité de mes assertions.
+
+Ne vous imaginez pas néanmoins que les choses se passèrent à la
+dragonne entre nous; je fus très respectueux, très décent, très loyal
+avec mon étrange camarade de chambre. Cette nuit-là, vous me croirez si
+bon vous semble, mais les deux lits furent absolument défaits et
+solitairement foulés; ils se rapprochèrent peut-être, mais ils ne se
+confondirent pas; nos soupirs faisaient un pont entre nos coeurs et je
+parus oublier tout-à-fait les galanteries hatives du dix-huitième
+siècle pour ne me souvenir que des continences de l'école de Salerne.
+
+Pouvais-je changer en centimes ou en liards ma petite pièce
+unique?—Certes non, il faut laisser vieillir l'amour comme le vin pour
+le boire, s'il est de bon crû, et j'attendais le moment
+psychologique.—Un caprice qu'on néglige de satisfaire aussitôt, tout en
+l'excitant, se nourrit d'espoir, prend du ventre et devient passion.
+Or, je n'aime point que les feux que j'allume s'éteignent trop vite, et
+si je m'éloigne impitoyablement des brasiers avivés par mon
+machiavélisme, il me plaît de les sentir flamber derrière moi,
+gigantesques, rouges et superbes comme l'incendie d'une Sodome où les
+vices rôtissent et se tordent dans les cuissons du désir, en vains
+appels mon libertinage.
+
+En me jetant à ses genoux, en lui criant: _Merci_, je rendais grâce à
+l'honneur qu'elle m'accordait, à la confiance qu'elle me témoignait,
+mais je me méfiais de moi-même, car dans son regard souriant et trop
+éloquent je lisais ma damnation.
+
+Elle se nommait Ilka, et je prévoyais dans sa possession la sauvagerie
+magyaresque de sa race, plus volontaire que fantasieuse; il se
+dégageait de son corps svelte une énergie et comme une bravoure
+d'écuyère bottée; ses mains de patricienne longues et tissées de nerfs
+délicats mais tenaces et tendues comme des cordes de mandoline,
+accusaient dans l'activité fébrile des doigts une inquiétude
+persistante.—Tandis que je parlais ou plutôt que je murmurais près
+d'elle des déclarations brèves plus crânes et moins niaises que des
+fadaises amoureuses, elle me contemplait, se renversant, analysant tout
+en moi, trahissant à peine par l'oscillation de ses narines ses
+sentiments intérieurs. La prunelle fixe de son oeil excitait ma verve
+et je l'enveloppais toute entière de l'expression de mon individualité
+pour faire pénétrer mon âme par ses oreilles pendant que ses yeux
+buvant lentement les jeux de ma physionomie et les accents de mon
+caractère, épiaient la mobilité de mes traits. A un moment, presque
+brusquement, elle me demanda: «Votre main,» et à peine lui avais-je
+livré ma gauche que redressant la paume en l'air, curieuse comme une
+Gipsy, elle semblait y lire aussi aisément que dans un livre, se
+montrant d'abord perplexe, puis se déridant, enfin joyeuse s'élançant à
+mon cou, m'embrassant sur le front et disant: «Je ne m'étais pas
+trompée, vous êtes un homme dans toute la puissance du mot, vous avez
+la volonté, la force, vous me dominez, hélas! je sens votre influence
+et ne puis m'y soustraire,—je suis vous.»
+
+Je souriais en moi même, alors les confidences commencèrent, les
+baisers, ce sceau des âmes, nous unirent moralement et l'étrange et
+exquise créature se révéla à moi plus extravagante, mais aussi plus
+grande et plus noble par l'esprit qu'elle était belle au physique.
+
+Pour moi, tout me séduisait en elle, sa profonde distinction qui
+ressortait de son maintien et de la petitesse de ses attaches, sa mine
+hautaine voilée de dédain vis-à-vis du vulgaire, sa souplesse de
+panthère dans l'intimité et l'accent de son langage francisé, dépourvu
+de tout parisianisme, mais dicté selon les règles de l'orthologie.
+Cette femme vraiment femme me reposait un peu de toutes les poupées à
+ressort qui tombent en disant: _maman;_ j'adorais ses farouches
+caresses avant même qu'elle fut à moi; si elle parlait de l'avenir de
+nos amours, elle y faisait briller comme l'éclair du poignard dans
+l'ombre d'un drame; il y avait, en un mot, du diable dans sa personne,
+et je sentais qu'en me donnant à elle j'allais signer un pacte avec mon
+sang. Le danger me tentait, la jeunesse aime à le braver, même et
+surtout en amour, j'allais trop tôt hélas! y céder, tout le romantisme
+de ma bonne fortune m'y poussait, et je voulais connaître par la
+réalité, si Belzébuth se mêle parfois comme on le prétend, aux hasards
+de la vie.
+
+Pendant plus de trois jours nous demeurâmes ensemble sans que je me
+décidasse à faire fondre mon pauvre petit sou dans cette fournaise
+pétillante; ma volonté devenait un entêtement dont je souffrais
+cruellement:—je n'ai jamais si bien saisi les cuissons ardentes de la
+vertu. Ilka ne comprenait rien à ce platonisme ridicule, elle se
+tordait par instants à mes pieds comme soumise à mes désirs, mais
+vaincue par les siens; un matin qu'elle était plus pâle et plus agitée,
+elle fit quelques pas vers moi comme pour éclater dans un aveu brutal
+de ses faiblesses, puis se reprenant, comme honteuse, elle prit son
+petit pencil d'or armorié et écrivit sur un billet ces deux mots que je
+conserve et conserverai toujours:—«_Je t'aime et je te veux: tue-moi ou
+prends-moi, mais que je ne voie plus ton indifférence dont je languis
+et meurs trop lentement_.»
+
+Ah! ma belle amie, il faut cueillir les fruits dans leur maturité et
+prendre les femmes au midi de leur concupiscence; je devins Jupiter par
+le plaisir et Titan par mes exploits; ma volonté fit banqueroute, je
+dois en convenir; avec Ilka j'oubliai mes théories de fat et l'énergie
+de ma règle de conduite; je fus aveuglé par l'ivresse et après en avoir
+reçu d'elle cent baisers, j'eusse encore payé de ma vie une seule de
+ses caresses.
+
+Cette fauve créature me brûlait de son amour à ce point que je ne
+pouvais me désacointer d'avec elle ni par la pensée, ni par les sens,
+ni par l'âme; je sombrai tout entier dans cette orgie de ma chair:
+cette indifférence de coeur, cette indépendance d'esprit, ce
+scepticisme des égoïsmes à deux, ces paradoxes sur les unions
+brûlantes, ce culte de mes conceptions personnelles, cette fierté et ce
+despotisme inflexibles que vous me connaissez, je perdis tout dans les
+bras de mon idole.
+
+Nous revînmes ensemble à Paris, et dans une villa des environs, ni trop
+loin ni trop près de la ville, elle prit plaisir se construire un nid
+selon mes goûts. Je la quittais à peine, car toute à ses amours elle se
+recueillait dans son intérieur, bornant son horizon à nos terribles
+jouissances. Je vous expliquerai bientôt de vive voix, à mon retour
+auprès de vous, les étrangetés, les caprices soudains de cette tigresse
+charmante, qui, aux légendes et au fatalisme de son pays, joignait une
+dépravation d'esprit inouïe.—Pour me lier, pour me fixer à elle, dans
+la crainte constante de me perdre, elle ne savait qu'imaginer; chaque
+jour, c'était un nouveau ragoût libertin fortement pimenté par l'ardeur
+de sa sensualité; chaque jour aussi, c'était des exigences volontaires
+qui prenaient l'accent puéril des mutineries amoureuses. Sa croyance au
+vampirisme la poussa un soir à m'ouvrir follement une veine afin d'y
+boire mon sang à petites gorgées comme un filtre immanquable pour me
+posséder à jamais.
+
+Le temps s'écoulait vite dans cette absorption de mon être; habile à
+l'extrême, tour à tour spirituelle ou sagace, apte tout concevoir et à
+tout exprimer, j'avais, à côté de la maîtresse, un camarade génial et
+nos conversations prenaient quelquefois l'allure de graves
+dissertations sur les convenances sociales dont nous nous étions
+affranchis, sur la sottise humaine, sur les sciences surnaturelles ou
+sur les folies de la politique des peuples. Quelquefois, quand la
+fatigue brisait mes membres, elle se levait légère et sans bruit,
+m'embrassait au front, m'enveloppait de confort et se mettant au piano,
+comme pour me bercer; elle jouait alors avec son instinct de tzigane
+des valses exquises de Strauss, de Csardas de Patikarius, ou des danses
+hongroises bizarres, endiablées, qui me faisaient sauter sur la chaise
+longue et ranimaient ma verve endormie.
+
+Après six mois de cette existence qui me montait à la tête comme les
+parfums trop capiteux de la tubéreuse, je devins exsangue, comateux,
+presque acéphale. Ce succube magyar avait vidé ma moëlle et épuisé mes
+sources vitales, je me sentais atteint de vertiges, de cardialgie et
+mon amour encore dansait à la kermesse de mes sens. Il ne fallait pas
+parler à Ilka de la quitter, elle se serait tuée avec un dédain
+superbe; je ménageais une transition pleine de ménagements, lorsque je
+fus atteint d'une fièvre cérébrale qui fit désespérer de mes jours.
+
+Pendant les premiers symptômes de ma convalescence, ma famille, de
+concert avec mes amis, m'emmena au loin, pour me soustraire à des
+retours de moi-même vers ma tendre maîtresse.—La pauvre chère âme
+affolée, partit, me dit-on, en Bohême où elle mourut, sans que j'aie pu
+obtenir le moindre renseignement sur cette fin dramatique; des lettres
+mensongères lui avaient annoncé ma guérison et ma haine ou mieux encore
+mon indifférence pour celle qui avait été la cause de mon mal.—Ah! les
+pavés de l'ours, ils brisent les coeurs sans pitié et assomment
+froidement les plus belles amours, avec la sottise pesante des niais
+qui invoquent la gibbeuse morale.
+
+Un moment abalourdi, hébété par ces nouvelles terribles, qu'on tâcha de
+m'empapilloter sous des phrases de rhétorique et des insinuations d'un
+catholicisme ardent, je pensai moi-même à égarer ma vie sur tous les
+chemins hantés par la mort; le dégoût me serrait à la gorge, l'humanité
+m'effrayait; à vingt-huit ans j'éprouvais déjà une lassitude de vivre,
+comme un centenaire qui aurait vu foudroyer toutes ses affections
+autour de lui...—Peu à peu cependant mon esprit se calma, mon coeur
+devint plus calme, les souvenirs se firent plus doux, et le temps, avec
+un tact extrême pansait mes béantes blessures.
+
+Ma santé si éprouvée ne reprenait aucune force, au contraire; le
+docteur tant pis et le docteur tant mieux provoquaient en vain de
+nouvelles consultations, et j'avais déjà usé sans succès de tous les
+quinas et ferrugineux de la pharmacopée moderne, lorsque, me mettant en
+dehors de tout ce charlatanisme, je résolus, aidé de ma mémoire et du
+bon sens, de me traiter moi-même d'après une méthode ancienne.
+
+Le maréchal duc de Richelieu, souffrant d'un épuisement analogue au
+mien, et désespérant de ranimer sa virilité de cavalier galant, s'en
+fut, paraît-il, à Leyde, consulter le savant Boërhave, le Gallien du
+XVIIIe siècle, dont la réputation était si grande qu'on lui adressait
+ses lettres: _à M. Boërhave, en Europe_.—Cet homme célèbre, après avoir
+contemplé le libertin de qualité, lui dit avec simplicité et douceur:
+«Le médecin est l'esclave de la nature, il n'a autre chose à faire qu'à
+lui obéir et à suivre exactement ses indications. Je m'aperçois que ce
+sont les dames qui ont surtout délabré votre santé, c'est elles à la
+réparer; trouvez-moi une bonne nourrice, et oubliez auprès d'elle que
+vous êtes homme, pour vous faire enfant.»
+
+Je me souvins de ce fait peu connu, et n'allez pas rire, mon amie, je
+fis comme Richelieu; je trouvai en Bourgogne une vigoureuse luronne qui
+voulut bien m'agréer pour son nourrisson. Je me mis à la diète
+laiteuse, buvant du lait régulièrement le matin, le midi et le soir.
+
+C'est ici que je vis depuis près d'un mois, dans une ferme isolée, me
+laissant aller à tous les enfantillages, à tous les bégaiements où
+m'ont conduit mon ramollissement;—le matin à six heures, au milieu du
+chant des oiseaux et du bruit de la métairie, je vois arriver ma bonne
+nounou, comme une mamoseuse providence: elle m'enlève dans ses bras
+comme un bébé, m'habille servilement, et entr'ouvrant son corsage avec
+résignation, elle me présente sa puissante mamelle nourricière que
+j'épuise à longues embrassées. Dans les premiers temps, le breuvage me
+parut un peu fade, je vous l'avoue, et j'eus comme des nausées; il me
+fallut toute la patience de la brave Bourguignonne, toutes ses petites
+claques amicales et ses gros rires de villageoise qu'on lutine, pour
+m'y faire prendre goût.
+
+Aujourd'hui, je commence à redevenir grand garçon, et quand la nounou
+regarde l'heure sur l'horloge à grande gaine de noyer, je n'attends
+plus qu'elle me dise: «_Monsieur veut-il têter_?» Je vais vivement
+délacer la robe et mettre en liberté les prisonniers; ce n'est pas sans
+volupté alors que je hume avec un petit bruit de déglutition cette
+liqueur séreuse qui me ranime et me conduit à la virilité; souvent dans
+ma précipitation, je me comporte en vilain baby, je bavoche et inonde
+les lainages de ma mère nourricière, qui coquettement se secoue ou
+s'essuie en criant à belle gorge comme une ironie à mon impuissance:
+«fi, le polisson _qui salit sa bobonne_!»
+
+Mes journées se passent dans la basse-cour, sur un banc rustique,
+quelquefois presque vautré, auprès du fumier, ce grand aphrodisiaque de
+la terre. Je taquine les poulettes et regarde curieusement les exploits
+du coq, qui me font mourir de honte; je ne lis pas d'autre livre que
+celui de la nature, toujours varié et sincère; enfin, mon amie, cette
+lettre, dans son décousu et le déshabillé de son style, est la première
+que j'écris depuis près de deux mois; j'y remue délicatement les
+cendres du passé pour ne pas faire saigner mes blessures mal fermées;
+serrer mon coeur et tyranniser mon cerveau; ma nounou très inquiète me
+regarde _travailler_, et ne saisit pas bien la portée de ces lignes
+manuscrites écrites en si grande hâte: «Si Monsieur se fatigue, je ne
+pourrai pas le sevrer dans quinze jours, me dit-elle d'un gros air
+grondeur.»
+
+Ah! quand je serai sevré!!!—que toutes les caillettes de votre salon
+prennent garde; le loup rentrera en affamé dans la bergerie, avec ses
+théories anciennes et son petit sou d'auvergnat, qu'il fera sauter et
+passer de mains en mains.—Je sens déjà auprès de ma nourrice des
+distractions charnelles, qui sont d'heureux symptômes. Ah! quand je
+serai sevré!... vous serez appelée la première, si vous le voulez bien,
+mon adorable amie, à prononcer votre jugement si la méthode du docte
+Boërhave est exquise pour apprendre aux hommes à faire et contrefaire
+les enfants, et aux femmes à supporter les hommes qui sortent de
+nourrice.—Adieu, au revoir, à bientôt.
+
+
+[Illustration]
+
+
+
+
+[Illustration]
+
+_LE SOTTISIER D'AMOUR_
+
+ÉPIGRAMMES TIRÉES DU CARQUOIS DE CUPIDON
+
+
+J'ai remarqué que ce sont les plus
+tendres et ceux qui avaient le plus
+le sentiment de la femme, qui les
+traitaient plus mal que tous les autres.
+THÉOPHILE GAUTIER.
+
+
+
+En amour, tout est vrai, tout est
+faux, et c'est la seule chose sur laquelle
+on ne puisse dire une absurdité.
+CHAMFORT.
+
+
+'amour est utile à la vie, comme la rosée est indispensable à la terre,
+mais l'orage du soir provient trop souvent de la rosée du matin. Il
+faut profiter des premiers rayons solaires du bonheur, se hâter de
+boire au plaisir et quitter la partie avant les ardeurs de midi.—Les
+plus belles aurores produisent parfois de sanglants crépuscules.
+
+
+
+
+A Paris on dit: _une femme honnête_; Vienne, pour exprimer la même
+opinion, on dit: _une femme pratique_.—Comme l'adjectif viennois est
+plus profond et plus correct que le dénominatif parisien!
+
+
+
+La langueur est à la nonchalance ce que la mélancolie est à la
+tristesse.—La langueur est une jaunisse de l'âme dont l'amour même a
+raison.—La nonchalance est une apathie corporelle qui donne tous les
+torts à la volupté qu'elle fait naître.
+
+
+
+Les chevaliers anciens arboraient galamment cette noble devise
+française: _Les servir toutes, n'en aimer qu'une_.—Les philosophes
+cavaliers modernes, moins puritains et moins braves surtout au tournois
+d'amour, proclament cet axiome:_ Les aimer toutes, n'en servir
+qu'une_.—Ceci, pour être moins élevé, est peut-être tout aussi logique.
+
+
+
+La femme souffre toujours pour deux, dit Balzac.—C'est fort bien pensé,
+mais le mari, doit-on ajouter, pâtit souvent pour trois.
+
+
+
+Il est infiniment moins aisé de satisfaire une femme que d'en contenter
+plusieurs. (_Les hommes mariés seront de cet avis_). Pour une femme,
+par opposition, il est certes plus facile et plus agréable, de
+satisfaire plusieurs amants que d'en contenter un seul.—La résultante
+nous conduit à ce mot charmant de Montaigne: _la femme est l'ennemie
+naturelle de l'homme_.
+
+
+
+C'est lorsqu'une femme mendie franchement et sans paraphrases l'amour
+d'un homme, qu'elle démontre sa passion; car alors elle lui sacrifie à
+la fois son orgueil, sa coquetterie, son amour-propre et la pudeur de
+ses préjugés; c'est-à-dire plus qu'elle-même mais, aussi, beaucoup
+moins que ses sens.
+
+
+
+La sentimentalité: un oeuf à la coque à... pain mollet; le libertinage:
+une omelette aux fines herbes.
+
+
+
+Certaines femmes naissent belles; d'autres deviennent jolies; on a tout
+à gagner à s'accointer avec celles-ci plus douces et plus charitables
+que les premières, la façon des Gagne-Petit qui se vengent des
+abstinences de leur jeunesse par les libéralités de leur âge mur.
+
+
+
+Les véritables coquettes se gardent bien de prendre un amant dans la
+crainte de perdre un seul de leurs galants.—Une coquette tire vanité du
+nombre de ses amoureux, comme un aventurier qui s'enorgueillit de la
+variété de fausses décorations par lui arborées en brochette devant la
+sottise humaine.
+
+
+
+Les dévotes ou les vieilles filles de haute vertu permettent à leur
+esprit toutes les jouissances qu'elles refusent à leur chair. Elles
+déjeunent le matin avec appétit du scandale de la veille, dînent des
+calomnies ramassées dans le jour, et couchent chaque nuit, par la
+pensée, avec tous les amants qu'elles ont prêtés si gratuitement aux
+autres femmes.
+
+
+
+Que d'infortunés nouveaux mariés ont appris, le soir, à leur dépens,
+que le flambeau de l'hymen est un cierge de cire... qui n'est pas
+toujours vierge et sur lequel d'infâmes sacristains ont déjà posé
+l'éteignoir de l'hypocrisie et du vice!
+
+
+
+Il y a la même différence entre une femme constante et une femme
+fidèle, qu'entre un homme têtu et un homme volontaire.
+
+
+
+Si je portais deux pucelles en sautoir, disait Esope, je ne répondrais
+pas de celle qui serait derrière.—Quel esprit de bossu! Quelle bosse
+d'esprit! Quelle sagesse de fabuliste!!
+
+
+
+Ce qu'une femme pardonne le moins aisément à un homme qu'elle aime ou
+qu'elle a aimé, c'est de n'avoir rien à lui pardonner.
+
+
+
+La continence _congestionne_; le plaisir grise; la jouissance saoule;
+la passion tue:—Grisez-vous quelquefois, ne vous saoulez jamais,
+gardez-vous de vous suicider. A l'auberge de l'amour, le jeu n'en vaut
+pas la chandelle.
+
+
+
+Le caprice passionné vit aux antipodes de l'estime et de la sympathie
+morale: les femmes qui nous ressemblent le plus sont celles que nous
+aimons le moins.
+
+
+
+La princesse B*** s'écriait l'autre jour, avec ennui et par mégarde:
+«Je voudrais pouvoir embrasser à la fois, mon mari, mon amant et mon
+chien;»—Comme c'est bien femme en tous points, par l'expression et la
+pensée.
+
+
+
+Pour une femme mariée, la beauté de son amant est en proportion de la
+laideur de son mari.
+
+
+
+Une maîtresse qui s'ennuie est déjà infidèle.
+
+
+
+Tuer l'amour à son apogée, au risque de se briser l'âme, c'est un acte
+de haute philosophie, de virilité volontaire chez un homme. Lorsque le
+bonheur est constaté, on ne doit point s'y endormir, la troupe légère
+et funèbre des désillusions guette la porte de l'amoureux; il vaut
+toujours mieux déloger que de s'arc-bouter contre l'envie, le soupçon
+et l'inconstance réunis pour forcer l'huis de l'amant fortuné. Les
+femmes ne comprennent jamais ce génial égoïsme du penseur qui brusque
+toujours les dénouements d'amour, et cependant elles poursuivent le
+fugitif, car les curieuses veulent toujours demeurer les dernières au
+spectacle ou quitter la scène d'elles-mêmes les premières. Si une
+maîtresse nous donne le fil de son âme, il faut en profiter, pour en
+sortir, avant que le fil ne soit coupé par les mains de l'infidèle, et
+imiter Thésée en abandonnant la belle Ariane dans l'Ile de Naxos. Les
+horizons de Cythère sont, hélas! très bornés, et, quand on arrive aux
+confins de la félicité parfaite, il n'y a plus qu'un précipice
+descendre ou un calvaire à gravir douloureusement.
+
+Les plus grandes passions satisfaites finissent sottement, elles
+s'atténuent dans l'estime ou bien s'éteignent dans l'indifférence. Si
+elles se transforment en haine, la logique des sentiments est sauvée et
+l'amour-propre sauvegardé.
+
+Les délicats ne vident jamais que les deux-tiers des flacons de vins
+exquis dont ils s'enivrent. Ils n'attendent jamais, pour en changer,
+que leurs gants se salissent, que leurs habits se déforment ou que
+leurs bonnes fortunes montrent la corde; aussi l'amour ne devrait-il
+être le plaisir que des âmes délicates: «Quand je vois des hommes
+grossiers se mêler d'amour, s'écrie Chamfort, je suis tenté de dire:
+«De quoi vous mêlez-vous? du jeu, de la table, de l'ambition à cette
+canaille!»
+
+
+
+Je me suis souvent demandé pourquoi certaines femmes recherchent si
+avidement la société des hommes d'esprit qu'elles comprennent _peu_ ou
+_prou_, lorsqu'elles sont si idéalement heureuses avec des imbéciles?
+
+
+
+A un époux qui déplorait devant lui ses infortunes conjugales,
+Santeuil, le latiniste et spirituel poète, répondait ainsi: «Vous êtes
+cocu... n'est-ce que cela? Ah! mon ami, ne prenez peine, le cocuage,
+croyez-moi, n'est qu'un mal d'imagination: peu de maris en meurent,
+mais il y en a tant qui en vivent!»
+
+
+
+Dans une réconciliation d'amoureux, il est peu de femmes qui n'aient
+pas la sottise de prendre les marques de virilité de leur amant pour
+des preuves de fidélité.
+
+
+
+Passé quarante ans, la plupart des hommes mettent tout en oeuvre pour
+surexciter leurs sens, sans même concevoir le désir de les satisfaire.
+
+
+
+Les grands vicieux sont timides et craintifs, au premier abord, avec
+une femme qu'ils convoitent; les écoliers au contraire sont hardis et
+inconséquents; l'audace de ceux-ci s'évanouit avec le premier désir, la
+timidité de ceux-là, au contraire, prend une hautaine revanche au
+lendemain de la victoire.
+
+
+
+Un mari qui invoque ses droits, est bien près de les perdre.
+
+
+
+Une _fille_ qui aime redevient enfant, espiègle et gamine; une veuve,
+dans le même cas, retourne aux pudeurs et aux timidités de la jeune
+fille.—_L'enfant est préférable_. Une veuve ne cherche à faire oublier
+qu'un seul homme, qui fut son mari,—la courtisane amoureuse, pour se
+reconquérir elle-même et apaiser les jalousies rétrospectives de son
+amant, voudrait biffer de son passé une portion de l'humanité qui
+l'outrage par le souvenir même de sa possession.
+
+
+
+L'inconstance des femelles est si active, si tourmentée, si inassouvie,
+que je me suis quelquefois demandé si Protée eut pu trouver une femme
+fidèle.
+
+
+
+Tout est amour-propre chez la femme, même l'amour qui ne l'est pas;
+plus on y songe, plus on étudie la théorie, plus on observe la pratique
+de l'amour, plus on se confirme davantage que, somme toute, c'est par
+l'amour-propre que commencent et finissent les plus majestueuses
+passions aussi bien que les plus légers caprices.
+
+
+
+Que d'hommes n'ont-ils pas perdu, par trop de discrétion délicate, des
+caresses intimes et variées, que des goujats grossiers ont su récolter
+cyniquement aussitôt après leur départ.—Les femmes ont l'imagination si
+libertine et nourrie de tant de monstruosités voluptueuses et
+antiphysiques, qu'on est tout étonné, après l'impertinence des demandes
+audacieuses, de trouver des complaisances et des facilités de moeurs
+qui émerveillent la dépravation de l'amoureux. Platon disait que les
+femmes avaient été des garçons débauchés autrefois.—Au lendemain de sa
+virginité perdue, si ce n'est peut-être la veille, une initiée aux
+plaisirs de Vénus a d'ore et déjà conçu dans sa tête un tableau de
+luxure comparée qui ferait pâlir toutes les peintures tracées par
+Arétin.
+
+L'imagination des femmes conçoit, c'est l'audace et aussi au
+tempérament des hommes vigoureux d'exécuter les devis. Ils n'iront
+jamais trop loin.
+
+
+
+Lord Byron disait: «Une maîtresse est aussi embarrassante qu'une
+femme... quand on n'en a qu'une.»—L'embarras cesse par la
+multiplication qui cause les divisions, lesquelles conduisent aux
+soustractions; après quoi on se complaît à aligner des additions
+don-Juanesques d'une légèreté totale exquise. C'est la vanité alors qui
+règne en maîtresse heureuse.
+
+
+
+Les femmes n'aiment que ce qu'on ne leur donne pas.
+
+
+
+Les jeunes filles mordent aux fruits verts; les vieilles filles
+ébrèchent leurs dernières dents sur des fruits secs: _Les quatre
+mendiants de l'amour_.
+
+
+
+Aimer sa maîtresse, c'est encore s'aimer soi-même; aimer son épouse,
+c'est abdiquer son individualité au mécanisme banal de la société et
+dédoubler son effigie.—Un célibataire, qui était un _tout_, devient en
+se mariant, une _moitié_ influencée par une autre moitié.
+
+
+
+«Il faut vous distraire, disait-on à un veuf attristé; vous êtes jeune,
+redevenez joyeux et bon vivant; tenez, soupons ce soir en partie fine?»
+
+«Eh! mon cher, vous avez raison, j'accepte, répond notre inconsolé;
+d'autant plus que... croyez-moi si bon vous semble, j'ai renoncé à
+toutes mes maîtresses depuis la mort de ma pauvre femme.»
+
+
+
+Un homme trompé ne doit pas se résigner, encore moins se désespérer. Il
+y a un milieu plus digne. C'est à sa grandeur d'âme à le découvrir.
+
+
+
+On possède les femmes par leurs défauts rarement par leurs qualités.
+
+
+
+Une chambrière, qui avait beaucoup vu, s'écria devant moi, un jour,
+avec un geste superbe de grande comédienne:
+
+«La vertu, puis-je y croire, dans l'exercice de ma profession?—La
+vertu! Mais, Monsieur, _les lits parlent contre_.»
+
+Quelle réponse sublime, dans le réalisme de sa forme, et quel
+argument!—_Les lits parlent_.
+
+
+
+Il n'y a rien de plus compliqué, de plus trompeur, de plus artificieux
+que la naïveté. Telle demoiselle candide et pudique, qui, par ses
+dehors, ne reflète qu'une innocence réelle, sera, dans un imbroglio
+d'amour, plus fine et plus rouée que des vétérantes de la galanterie.
+C'est que la femme est née pour l'astuce et que chez elle la naïveté
+n'est que le masque ou le pléonasme de la ruse. Cette vérité est tout
+entière dans ce mot de Salomon: «Les femmes font apostasier les anges.»
+
+
+
+La propreté des femmes,—_c'est si sale_, disait une dévote, en se
+signant.
+
+
+
+Un poète inconnu du XVIIe siècle, le sieur J. Magnon, nous a laissé
+dans un poème ce vers étonnant:
+
+
+La corne la plus noble incommode le front.
+
+
+Noble ou non, je crois bien.
+
+
+
+Une femme tient tout de l'opinion; _Le qu'en dira-t-on_ la retient plus
+sur le moment de faillir que le _qu'en penserai-je_.—_Qui peut sauver
+une femme de la honte_? a-t-on dit, et l'écho a répondu: _La honte_.
+
+
+
+N'est-ce pas Chamfort ou un de ses disciples qui a proféré cette
+exclamation: «Que de filles aujourd'hui cessent d'être pucelles avant
+d'être vierges!»—Que de femmes aussi dirons-nous bien au contraire,
+demeurent pucelles en cessant d'être vierges!
+
+
+
+Pour régner sur un peuple, il faut le plus souvent passer sur des
+ruines. Pour étendre son empire sur les femmes, on doit marcher sans
+commisération sur bien des coeurs.—Les conquérants doivent fermer une
+oreille à la pitié et ouvrir l'autre à l'ambition, et les talons rouges
+ne se colorent que dans le sang qui jaillit des coeurs savamment
+piétinés.
+
+
+
+Les délicats n'apprécient que les friandes en amour;—les gourmandes
+composent le lot des grossiers ou des porte-faix.
+
+
+
+Après la possession d'une coquette qui nous a fait languir, c'est avec
+un raffinement de vengeance qu'on lui plonge dédaigneusement des _Tu_
+dans l'oreille.—Le tutoiement après la victoire, devient au gré du
+vainqueur, ou une apothéose de sensualité heureuse ou une flétrissure
+brutale et cruelle.
+
+
+
+Selon Casanova, l'amour n'est qu'une curiosité plus ou moins vive,
+jointe au penchant que la nature a mis en nous de veiller à la
+conservation de l'espèce.—Cette définition, par ce païen charmant, est
+assez ingénieuse; mais voici celle plus complète qu'il donne du
+plaisir:
+
+«Le plaisir est la jouissance actuelle des sens; c'est une satisfaction
+entière qu'on leur accorde dans tout ce qu'ils appètent, et, lorsque
+les sens épuisés veulent du repos, ou pour reprendre haleine, ou pour
+se refaire, le plaisir devient de l'imagination, elle se plaît à
+réfléchir au plaisir que sa tranquillité lui procure.—Or, le philosophe
+est celui qui ne se refuse aucun plaisir qui ne produit pas de peines
+plus grandes et qui sait s'en créer.»
+
+Ceci est moins net et plus quintessencié, mais bien réel, lorsqu'on s'y
+retrouve.
+
+
+
+Les hommes fermes, volontaires, opiniâtres, inflexibles sont
+principalement aimés des femmes, qui dans leur faiblesse admirent la
+force:—Peut-être aussi n'est-ce que le mâle que la femme recherche chez
+l'homme. Elle le rencontre si rarement dans son intégrité!
+
+
+
+Que de revolvers se transforment en simples pistolets dans les liaisons
+qui durent trop!
+
+
+
+Un sportman distingué professait cette opinion, à savoir qu'un
+gentleman de bon ton doit toujours entretenir plusieurs amours au
+ratelier de son coeur, de même qu'il nourrit plusieurs chevaux dans ses
+écuries.—C'est Rivarol palfrenier! c'est aussi la morale traînée dans
+le crottin.
+
+
+
+C'est alors qu'on croit dénouer la ceinture d'une femme vertueuse,
+qu'on ne dégrafe souvent qu'un pauvre ceinturon de Messaline impudique.
+
+
+
+Un homme d'étude, sans être un fat, aura toujours, à un trop haut degré
+le culte de lui-même, pour comprendre la servilité nécessaire, selon la
+société, aux convenances féminines.
+
+Un homme de lettres, qui croit aux lettres, et qui éprouve
+l'enthousiasme de sa profession, est quelque peu un Narcisse au moral;
+il se mire dans toutes les sources de ses pensées, et, si une femme
+veut être de moitié dans cette extase égoïste, elle trouble la
+limpidité du miroir. Il faut donc au penseur de belles bêtes, qui se
+croient telles, de bonnes créatures impassibles et peu bavardes, qui
+font le gros dos sur les divans comme les chats, qui attendent les
+caresses ou qui les provoquent doucement, et non pas des bas-bleus
+babillards ou des précieuses minaudières qui mettent tout à sac dans
+une cervelle d'artiste, semblables à des guenons quittant leur perchoir
+pour bouleverser des paperasses, ouvrir des livres et renverser des
+écritoires.
+
+Un travailleur a besoin d'une créature faite d'amour, toujours prête à
+le délasser par l'amour, à laquelle il donne juste le temps de ses
+entr'actes laborieux: un être qui l'aime comme un chien, avec une
+admiration muette et recueillie, qui se couche à ses pieds, s'éloigne
+et se retire sur un geste du maître, assez sage pour trouver tout son
+bonheur dans l'esclavage, et assez bornée pour ne pas concevoir d'autre
+horizon.—Les sots diront en riant que c'est impossible en ce XIXe
+siècle, mais les sots qui sont les laquais des femmes, ne peuvent
+savoir que celles-ci se dressent à l'exemple des pies et des pierrots
+qu'on met en cage d'abord fermée, puis en cage à porte assez largement
+entr'ouverte, sans aucunement s'inquiéter s'ils s'envolent ou s'ils
+restent.
+
+
+
+Si l'on parvenait à détruire la pudeur et à satisfaire plus
+effrontément ses désirs, la société serait, à mon avis, moins folle et
+plus reposée sur la logique.—«Il s'est trouvé nation, écrit Montaigne,
+où, pour endormir la concupiscence de ceux qui venaient à la dévotion,
+on tenait aux temples des garses à jouÿr, et était un acte de cérémonie
+de s'en servir avant de venir à l'office.»—_Nimirum propter
+continentiam, incontinentia, necesseria est. Incendium ignibus
+extinguitur_.
+
+
+
+Il est des ours mal léchés qui allèchent la concupiscence des femmes.
+Cette sauvagerie de caractère hérissé sent le mâle; pour elles, la
+toison des fauves et des boucs est un plus grand aphrodisiaque que
+l'odeur affadie du musc ou de la verveine, dont se servent les débiles
+petits maîtres.
+
+
+
+L'idéal n'est peut-être que la beauté du vrai!
+
+
+
+Beaucoup d'Anglaises lisent la Bible, bien peu la vivent.
+
+
+
+Une femme à tempérament ne se donne pas le temps d'être coquette. Aussi
+bien, un affamé ne songe-t-il pas à faire des grâces sentimentales à
+table—comme l'estomac les sens ont leur fringale.
+
+
+
+Le caprice chuchotte; la passion parle.
+
+
+
+Une revue mondaine a fait paraître dernièrement sous ce titre: _Comment
+ces dames mangent les asperges_, une curieuse étude qui devait avoir
+pour pendant un second article: _Comment ces messieurs mangent les
+moules_.—La censure, en interdisant ces dissertations métaphoriques, a
+mis à nu la dépravation publique. Si les femmes honnêtes n'avaient pas
+dû comprendre les sous-entendus, en quoi la morale eût-elle été
+froissée? Le salon de Mme de Rambouillet eut écouté sérieusement, sans
+y concevoir de malice, ces petites oeuvres littéraires. Les pointes
+d'asperges sont-elles donc des pointes d'esprit bien grivoises? Il faut
+croire que les nidoreuses manifestations du naturalisme nous ont rendus
+bien pudibonds en matière de préciosité raffinée.
+
+
+
+Allez donc parler d'amour à un médecin, il vous dira: «Bah! mais ce
+n'est que l'attraction de deux muqueuses.»
+
+
+
+La vertu ne résisterait jamais aux circonstances, si les hommes
+savaient les deviner.—Une femme est seule, sur sa chaise longue, toute
+frémissante encore de la lecture d'un roman d'amour, vous vous
+présentez, selon les règles du monde, et par une conversation correcte
+et banale, vous ramenez cette pauvre âme émue aux réalités de la vie.
+
+Oh! si vous aviez pu surprendre son rêve, vous identifier avec le héros
+de ses songes, et peu à peu, avec une nuance très fine de brutalité,
+donner un corps à ses fantaisies d'imagination, vous n'eussiez trouvé
+que docilité et abandon, là où vous n'avez su permettre que la rigidité
+des convenances.
+
+Il faut si peu de chose pour être aimé d'une femme langoureuse qui
+laisse une libre carrière aux arabesques de ses rêveries.—Un sylphe ne
+rencontrerait pas de cruelles, le genre féminin serait sa chose, car
+par ses caresses, ses attouchements invisibles, par ses paroles douces
+comme le zéphir, par le mystère même qui l'envelopperait, il
+posséderait grandes et petites faveurs dans les couvents, dans les
+salons, dans les chaumières, entre mari et femme, amant et maîtresse,
+aussi bien que dans la solitude, la clarté ou l'obscurité. L'adultère,
+d'après Napoléon, n'est qu'une question de canapé.—L'amour, mieux
+encore, n'est qu'une question de discrétion et de délicatesse
+mystérieuse: arrachez les trompettes à la Renommée, soyez muet, feignez
+de devenir aveugle; fermez le verrou: les femmes vertueuses se
+donneront toutes à vous, comme au Dieu du silence et des plaisirs
+discrets.
+
+
+
+On a dit: «Bien des femmes en peine de se purger n'ont qu'à dire une
+sottise: elles se portent bien.» On n'a pas vu de cures complètes
+cependant.
+
+
+
+_L'aujourd'hui_ est si beau quand on s'aime, que la sagesse condamne
+absolument le lendemain. Avec des maîtresses nouvelles, c'est toujours
+_aujourd'hui_. Avec une femme légitime, ce n'est qu'un long lendemain,
+qui fait regretter la veille, sans qu'on y puisse revenir.
+
+
+
+Il est difficile de trouver une phrase plus concluante pour le divorce
+que celle de Chamfort: «Le divorce est si naturel, que dans beaucoup de
+maisons il couche toutes les nuits entre les deux époux.»—Le divorce
+est l'unique juge de paix de Cythère; il dénoue ceux que la sottise et
+l'ambition ont unis sans amour.
+
+
+
+J'ai connu des hommes mariés doux, charmants, pleins de cordialité,
+d'esprit et de talents, entièrement soumis à d'affreuses petites femmes
+laides, ignorantes, bêtes et prétentieuses, lesquelles tranchaient sur
+toutes les questions d'art sans que l'infortuné mari osât prendre la
+parole et porter son jugement. De telles femmes se mettent à
+califourchon comme de vilains lorgnons de verre fumé, sur le nez de
+leurs époux qui verraient si bien et si loin sans cet obstacle qui les
+domine, mais qu'ils finissent par accepter avec une béatitude d'idiot.
+La bonté rend souvent imbécile en dehors de l'esprit.
+
+
+
+_Se laisser faire un petit doigt de cour_: cette locution laisse
+rêveuse bien des jeunes filles au couvent. C'est le _Digitus infamis_
+de l'imagination.
+
+
+
+Il n'y a que les amours cachées qui soient réelles! Les passions qui
+s'affichent ne sont que des vanités qui paradent. Un amoureux à
+tempérament entier dérobera sa maîtresse aux yeux de tout l'univers et
+la vue de son plus intime ami.—Le regard d'autrui souille le bonheur,
+et l'homme délicat confine ses amours à huis-clos, sans jamais promener
+son concubinage au dehors. La femme qui aime ne sent pas son
+internement, c'est au plaisir d'embellir la prison; la volupté a des
+horizons infinis à côté des sensations qu'elle procure aux heureux. Il
+n'y a que les petits cerveaux qui recherchent la compagnie; les
+tourterelles vivent isolées; les dindons ou les pintades meurent loin
+des basses-cours nombreuses, quand ils ne peuvent, par leurs ébats,
+provoquer l'attention des poules indolentes ou des coqs superbes.
+
+Que de dindons dans le monde! que de pintades se montrent glorieusement
+accouplés dans l'orgie enrubannée des dimanches ou la houle des
+promenades élégantes!—pauvres bêtes!—pauvres gens!
+
+
+
+Un anonyme du dernier siècle nous a légué ce trait charmant: «_une
+prude a tant d'honneur qu'elle le laisse partout_.» Est-ce assez
+spirituellement juste et merveilleusement trouvé!
+
+
+
+Un célibataire qui se marie par ambition de fortune raisonne à contre
+sens. Un économiste a fait ce curieux calcul que dans le célibat les
+petits besoins augmentent et que les grands besoins diminuent; que dans
+le mariage, au contraire, les petits diminuent et les grands
+augmentent.
+
+Donnerais-je des chiffres... cela ne convaincrait personne, sauf les
+convaincus.
+
+
+
+La franchise et la vérité loyalement affichées étonnent les femmes qui
+ne comprennent rien à la droiture de conscience et lui préfèrent la
+rouerie d'une diplomatie méticuleuse. Un homme sincère et véridique est
+le plus grand des fourbes à leurs yeux. La vérité qui jaillit
+soudainement les éblouit et les écrase dans la mesquinerie de leurs
+petites trames mensongères. Qu'un amant, sur l'interrogation de sa
+maîtresse, réponde mâlement à celle-ci qu'il l'a trompée, il la verra
+tressaillir plutôt par la grande simplicité de la réponse que par la
+nature même de l'acte commis.—Le chacal qui ruse et qui biaise, ne
+conçoit pas le lion qui poitrine au danger.
+
+
+
+De même que la crainte de rougir fait rougir les faibles; la
+préoccupation de témoigner sa virilité fait échouer un amant dans le
+plaisir des sens. C'est qu'en amour il faut plutôt oser que vouloir: la
+volonté use et concentre l'électricité cérébrale, l'audace fait jouer
+les fils conducteurs et regaillardit la verve corporelle. Un libertin
+ne s'expose que rarement à de cruels pas de clercs en pareille
+occurrence, il connaît l'art de lutiner une femme avec tant d'astuce
+qu'il se taquine lui-même par l'imaginative, en donnant à sa partenaire
+l'occasion de se débattre.—Dans le jeu de Vénus, on doit amuser
+l'ennemi et laisser le temps aux forces de réserves d'arriver toutes
+fraîches pour emporter la victoire, sans coup-férir. La tactique ne
+manque jamais aux vrais conquérants.
+
+
+
+Un amour sérieux ne peut se transformer qu'en haine.—La haine a plus
+d'un travestissement; elle met des loups de velours, mais l'ardeur des
+yeux brille au travers.
+
+
+
+Un homme _parle_.—Les mâles _causent_ et s'écoutent.
+
+
+
+Il y a des yeux de femme qui signent des promesses à courte échéance:
+les uns disent: _pour ce soir_, d'autres, _pour demain_; la plupart
+diraient bien: _tout de suite_, mais il faut du temps à l'amour pour
+digérer ses espérances.
+
+
+
+Ce qui cause le bonheur d'un amant, quelquefois fait le désespoir d'un
+mari.
+
+
+
+J'ai trouvé, par hasard, cette observation sur une feuille volante,
+détachée sans doute du carnet d'un philologue: «C'est bizarre les mots!
+ainsi en Irlande, le mot Mac est un signe de noblesse, et à Paris....»
+
+Pascal a bien raison, vanté en deçà des Alpes, erreur au delà.
+
+
+
+En voyant deux amoureux serrés étroitement, passer dans un éclair de
+bonheur, Madame Z, qui était à mon bras, a _diagnostiqué_ en soupirant:
+«Deux jeunes mariés, ou bien deux anciens amants.»
+
+
+
+Joli distique du XVIe siècle:
+
+
+Bien on a peint Vénus et ses amours, tout nuds,
+Car ceux qui s'y sont plûs, tels en sont revenus.
+
+
+
+
+Sénac de Meilhan a écrit: les grandes passions sont aussi rares que les
+grands hommes. Est-ce bien sûr? Cette petite pensée est sujette à
+grande controverse.
+
+
+
+Il est des femmes laides et bégueules qui prennent un soin ridicule
+pour afficher leur vertu et annoncer au monde qu'elles sont
+inaccessibles à la galanterie.—Pareille vanité grotesque me rappelle
+les portes de prison sur lesquelles on a peint en grosses lettres: _le
+public n'entre pas ici_.—«_Plus souvent_,» s'écrie Gavroche dans un
+argot qui dit tout.
+
+
+
+On ne pratique réellement l'amour qu'en France, et à Paris surtout;
+j'entends l'amour avec toutes ses mignardises, toutes ses délicatesses,
+toutes ses ruses polissonnes et tout le luxe intime des femmes. Une
+parisienne semble plutôt créée pour l'amour que pour la maternité; de
+toutes les femmes du globe, elle seule sait être gracieuse, se lever,
+s'habiller, marcher, se baisser, se relever et surtout se coucher, avec
+des poses d'un art exquis, des lenteurs savantes, des enjouements qui
+ravissent et des calineries spéciales dans le moindre geste. S'il est
+des hommes qui ont pu regretter au loin les charmes de la parisienne
+habillée, il n'est pas un raffiné qui n'ait conservé le plus adorable
+et le plus frais souvenir d'une parisienne qui va se mettre au lit.
+Cette manière à la fois chaste et impudique de se défaire des derniers
+voiles comme d'un fardeau importun, cette grâce dans la draperie
+harmonieuse des toiles fines et blanches, cette mutinerie dans la
+dentelle, ces parfums pénétrants qui se dégagent d'elle sont bien faits
+pour marquer une empreinte ineffaçable dans la mémoire de ceux qui
+s'intéressent à la femme par l'enveloppe et les détails.—Ailleurs qu'en
+France peut-on se disposer à l'amour avec un attirail de préparatifs
+aussi ravissant? Une anglaise en robe de chambre est vêtue en
+dessous—et par pudeur, d'une _riding dress_. L'une d'elles disait un
+jour avec ennui: «L'amour... il faut bien le faire, les hommes y
+tiennent.»—Une française n'eut jamais dit cette phrase typique.
+
+Ah! si le cerveau des parisiennes n'était pas une éponge à préjugés, si
+ces roses poupées avaient plus de sang et moins de son dans les
+entrailles, si leur coeur, moins chiffonné par le caprice, était plus
+sensible aux intimités d'amour, elles deviendraient les créatures les
+plus propres à satisfaire la passion des artistes et des voluptueux.
+Mais faut-il tant demander aux filles de Satan?—C'est le jouir et non
+le posséder qui rend heureux, disait Montaigne: Dès que les femmes sont
+à nous, nous ne sommes déjà plus à elles.—Quelle immense compensation
+pour ceux qui analysent et qui pensent sur les sentiments respectifs
+des sexes.
+
+
+[Illustration]
+
+
+
+
+[Illustration]
+
+_ARRIÈRE-PROPOS_
+
+
+_ ceux qui quémanderaient l'explication de ce titre_: Le Calendrier de
+Vénus, _inscrit sur un ouvrage composé de feuilles éparses et de notes
+diverses, je pourrais démontrer, avec grand étalage et luxe
+d'érudition, la signification primitive et réelle du mot:_
+Calendrier.—_On y verrait que le_ Calendarium _n'était autre qu'un
+curieux petit livre où se trouvaient mentionnés les jours_ fériés _et_
+néfastes, _les souvenirs et anniversaires, ainsi que des écrits
+interlignés, en un mot, une manière de carnet semblable à ceux, qu'un
+terme horriblement vulgaire, et qui sent le comptoir, nomme
+aujourd'hui_: Agendas.
+
+_Mais à propos de Vénus et d'opuscules qui sont miens, et qui ont été
+imprimés bien davantage pour ma propre satisfaction que pour l'intérêt
+du lecteur, il ne me convient pas de remuer le volumineux_ Richelet _ou
+le pesant_ Ménage, indignes d'être ouverts pour une si petite
+justification.—Au surplus, dois-je rendre compte au public du baptême
+de mes productions? Point ne crois, car ma vanité y contredit et mon
+esprit s'y oppose.—Ceci m'est affaire personnelle et privée.
+
+Aussi, selon mes principes, je n'ai convié pour cette cérémonie faite
+au baptistère de ma chapelle cérébrale que mon honorable conseiller et
+ami le jugement, comme parrain, et gentille et très familière dame la
+fantaisie, comme marraine; lesquels ont signé sur le registre de mon
+bon plaisir, en foi de quoi j'ai jeté mes dragées sans nul soucy dans
+ce drageoir à boutades.
+
+Que le _Calendrier de Vénus_ devienne l'_Annuaire des Grâces,_ ou qu'il
+s'en aille sur les quais de la Seine, tenir compagnie aux charmants
+_Almanachs des Muses_—peu m'importe!—je n'y mets point de coquetterie
+d'auteur. Ces pages m'ont causé plus de bonheur intime à concevoir et à
+écrire que les délicats eux-mêmes n'éprouveront jamais de contentement
+passager à les lire.—Ceux qui, comme moi, ont produit dans l'amour et
+avec l'enthousiasme des lettres, me comprendront. Il ne reste aux
+autres qu'à me porter envie.—C'est peut-être déjà fait.—Je les plains.
+
+
+[Illustration]
+
+[Illustration]
+
+
+
+
+_TABLE DES MATIÈRES_
+
+
+Epitre dédicatoire à Betzy
+
+A l'Académie des Beaux-Esprits et des Raffinés du Langage
+
+Mémorandum d'un Epicurien
+
+Les Fastes du Baiser
+
+Voyage autour de sa Chambre
+
+Éphémérides des Sens
+
+Le Sottisier d'Amour
+
+Arrière-Propos.
+
+
+
+[Illustration]
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Le calendrier de Vénus, by Octave Uzanne
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE CALENDRIER DE VÉNUS ***
+
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+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
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+Foundation
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+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
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+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
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+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
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+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
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+The Project Gutenberg EBook of Le calendrier de Vénus, by Octave Uzanne
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
+other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
+whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of
+the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
+www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have
+to check the laws of the country where you are located before using this ebook.
+
+Title: Le calendrier de Vénus
+
+Author: Octave Uzanne
+
+Release Date: January 19, 2006 [EBook #17551]
+[Most recently updated: August 6, 2020]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: UTF-8
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE CALENDRIER DE VÉNUS ***
+
+
+
+
+Produced by Carlo Traverso, Rénald Lévesque and the Online
+Distributed Proofreaders Europe at http://dp.rastko.net.
+This file was produced from images generously made available
+by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica)
+
+
+
+
+
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+</pre>
+
+<div class="fig" style="width:100%;">
+<img src="images/01.jpg" width="275" height="300" alt="[Illustration]" />
+</div>
+
+<h1>LE<br />
+CALENDRIER<br />
+DE<br />
+<i>VÉNUS</i></h1>
+
+<h4>PAR</h4>
+
+<h2>OCTAVE UZANNE</h2>
+
+
+
+<p class="mid">PARIS<br />
+LIBRAIRIE ANCIENNE ET MODERNE<br />
+EDOUARD ROUVEYRE<br />
+1, rue des Saints-Pères, 1</p>
+
+<h3>1880</h3>
+
+<div class="chapter">
+
+<div class="fig" style="width:100%;">
+<img src="images/02.jpg" width="500" height="165" alt="[Illustration]" />
+</div>
+
+<h2><i>ÉPÎTRE DÉDICATOIRE</i><br />
+<i>A Bétzy</i></h2>
+
+<p><span class="lef"><img src="images/l.jpg" width="100" height="113" alt="" /></span><i>a vie, dit-on, est un canevas qui ne
+vaut pas grand chose, la broderie
+qu'on y ajoute seule peut avoir quelque
+prix, et je ne saurais oublier, Madame, sans
+faire injure à mes sensations passées, les fines
+et capricieuses arabesques dont vos jolies petites
+mains de fée ont si délicatement festonné, pendant
+de longues heures fugitives, cette toile grise,
+uniforme ou banale qu'enrichissent et agrémentent
+avec tant d'art voluptueux les ivoirines
+navettes d'amour.</i></p>
+
+<p><i>Selon Beaumarchais, la passion est le roman
+du coeur tandis que le plaisir en est l'histoire:
+vous auriez donc, à ce titre, de doubles
+droits à mon entière gratitude, aussi bien
+comme romancière émérite que comme historienne
+exquise dans les belles lettres de Cythère.
+Au milieu des archives bouleversées de
+mes sens je me plais aujourd'hui à rechercher
+bien des dates que caressent mes souvenirs, et
+j'aimerais, je l'avoue, ajouter, de concert avec
+vous, un nouveau chapitre à notre oeuvre si
+tôt interrompue, mais la nature qui veut que
+tout finisse, fait clairement appel à ma raison en
+m'indiquant avec son aimable sagesse, que
+Cupidon aime à renouveller le feu de ses brandons
+et que, dans un parterre de beautés infinies,
+il ne faut pas cueillir toutes les roses sur
+un même rosier.</i></p>
+
+<p><i>Ne vaut-il pas mieux respirer lentement les
+doux parfums d'antan, que risquer de briser
+la cassolette en la surchargeant de plus fraiches
+senteurs? Vous me savez, du reste, trop indépendant
+pour jouer le</i> Pastor fido <i>et trop loyal
+pour feindre un sentiment immuable. Les girouettes
+ne se fixent que lorsqu'elles sont rouillées
+et je pivote encore assez bien sous les courants
+capricieux du désir pour ne pas me convaincre
+chaque jour davantage que l'inconstance ici
+bas fait plus de conquêtes que la fidélité n'en
+conserve.&mdash;L'amour, avec son arsenal de
+soupçons, de craintes, d'inquiétudes, de regrets
+et d'alarmes ne vaut assurément pas qu'on s'y
+attache; la volupté y passe comme un rêve, la
+douleur s'y implante comme un cauchemar.
+L'homme amoureux suit la femme comme le
+taureau le sacrificateur, disait Salomon, le
+sage des sages, aussi, pour protéger son coeur
+contre une passion exclusive, entretenait-il une
+légion de près de huit cents femmes, qu'il traitait
+en esclaves afin de ne pas s'esclaver lui-même
+à une seule créature.</i></p>
+
+<p><i>Dans l'intimité de nos relations, Madame,
+le souvenir, dès lors, peut prendre place entre
+l'estime et l'amitié, deux grands mots en vérité
+qui effraient les désirs avant la lettre, mais
+qui, après, protègent la retraite, apaisent les
+rébellions d'amour-propre, sauvegardent les
+convenances mondaines et abritent mieux les
+épaves de la passion que toutes les feuilles de
+bananier de Paul et Virginie. Lorsque le
+goût, la curiosité ou le caprice en font tous les
+frais, les bonnes fortunes sont de joyeuses
+flambées de paille qui ne laissent point de cendres.
+Entre nous, la sympathie intellectuelle
+fut de moitié dans nos accordances amoureuses,
+aussi bien que l'incendie soit éteint, la part du
+feu est faite, et il nous reste l'un pour l'autre
+un sentiment moins perturbateur allumé au
+même foyer, forgé au même brasier mais assurément
+mieux trempé et surtout plus tenace.</i></p>
+
+<p><i>Permettez-moi donc, Madame, en mémoire
+de nos délices d'hier, en témoignage de notre
+félicité présente, et dans l'espérance de nos
+douces causeries d'avenir, de vous présenter ces
+petits écrits boutadeux; lisez-les comme ces
+chapelets qu'on égrène distraitement sans songer
+à dire le rosaire; arrêtez-vous aux bons endroits,
+vous y trouverez comme l'ombre d'heureuses
+sensations, et si parfois il vous venait
+à l'idée que je suis plus coloriste que dessinateur,
+daignez vous rappeler que je ne donne
+pas la gabatine et qu'au temple de la Divinité
+des Grâces, où nous fûmes en pèlerinage,
+les nombreux bas reliefs tracés sur l'autel
+pourraient vous offrir un curieux démenti.</i></p>
+
+<p><i>Trouvez ici, Madame, l'affectueuse expression
+de ma plus franche amitié.</i></p>
+
+
+<p class="rig">OCTAVE UZANNE.<br /><br /></p>
+
+
+<p><i>Paris, 15 novembre 1879.</i></p>
+
+<p><b>LE CALENDRIER DE VÉNUS</b></p>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p class="i30">Toujours un tas de petits ris,</p>
+<p class="i30">Un tas de petites sornettes;</p>
+<p class="i30">Tant de petits charivaris,</p>
+<p class="i30">Tant de petites façonnettes,</p>
+<p class="i30">Petits gands, petites mainettes,</p>
+<p class="i30">Petite touche à barbeter.</p>
+ </div><div class="stanza">
+<p class="i30"> C<span class="sc">OQUILLARD</span>.</p>
+ </div> </div>
+
+</div><!--end chapter-->
+
+<div class="chapter">
+
+<div class="fig" style="width:100%;">
+<img src="images/03.jpg" width="600" height="257" alt="[Illustration]" />
+</div>
+
+<h2>A L'ACADÉMIE DES BEAUX ESPRITS</h2>
+
+<h4>ET DES</h4>
+
+<h3><i>RAFFINÉS DU LANGAGE</i></h3>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i20"><i>Le vulgaire parle en fou et censure en impertinent;</i></p>
+<p class="i20"><i>il ne faut pas s'arrêter à ce qu'il dit,</i></p>
+<p class="i20"><i>encore moins à ce qu'il pense; il importe de le</i></p>
+<p class="i20"><i>connaître pour pouvoir s'en délivrer; en sorte que</i></p>
+<p class="i20"><i>l'on n'en soit jamais ni le compagnon ni l'objet;</i></p>
+<p class="i20"><i>car toute sottise tient de la nature du vulgaire, et</i></p>
+<p class="i20"><i>le vulgaire n'est composé que de sots</i>.</p>
+
+<p class="i40">BALTAZAR GRACIAN.</p>
+</div></div>
+
+
+<p class="mid"><i>Messieurs et doctes Petits-Maîtres</i>,</p>
+
+<p><span class="lef"><img src="images/u.jpg" width="100" height="106" alt="" /></span><i>n des quarante, mais aussi et surtout
+un des vôtres, un délicat entre
+tous, un chiffonnier musqué de la
+double colline, et de plus, grand donneur de
+becquée à Vénus, le galant abbé de Bernis,
+fondait peu de foi en son avenir, lors de son
+arrivée à la Cour, et c'est ainsi qu'il modulait,
+si je ne me trompe, l'expression de son incertitude
+en fixant son petit collet</i>:</p>
+
+<p class="mid">
+<i>«Aucun chemin de fleurs ne conduit à la gloire.</i>»
+</p>
+
+<p><i>Sans effort cependant, bercé par la main
+caressante du destin, oeilladant aux Muses,
+cueillant des bouquets à Chloris, paillardant
+à loisir de ci de là et friponnant des coeurs, cet
+Hercule enjoué et mignard, ouaté de graisse et
+bouffi d'intrigue, put remarquer soudain la
+fausseté de ses appréhensions, du jour où il se
+prit amoureusement à filer sa carrière, aux
+pieds de Pompadour-Omphale, sur la quenouille
+rouge du cardinalat.</i></p>
+
+<p><i>Si la rieuse fortune de ce badin petit prêtre
+me revient en mémoire, Messieurs, c'est qu'en
+me présentant devant vous j'éprouve peut-être
+moins encore de vanité que de suffisance. Sans
+faire montre à vos yeux d'un fatalisme oriental
+qui serait hors de propos, sans mettre en avant
+le</i> «Sequere Deum,» <i>cette devise des stoïciens,
+je ne crains pas d'affirmer que par ma
+naissance, ou plutôt par mes qualités, ces
+défauts natifs qu'on perfectionne, j'étais appelé
+à suivre, sans nulle ambition, le sentier fleuri
+qui me conduit en votre compagnie précieuse et
+raffinée.</i></p>
+
+<p><i>Veuillez donc croire que si, par un lyrisme
+touchant et un feint enthousiasme, je me laissais
+aller à exalter l'honneur qui m'est fait aujourd'hui,
+je mentirais à ma fierté naturelle, de
+même qu'en vous jurant fidélité et reconnaissance&mdash;deux
+sentiments dont on ne saurait
+trop se montrer avare&mdash;je perdrais à l'instant
+le culte de mon indépendance et cesserais d'être&mdash;ce
+que je prise le plus au monde&mdash;un
+épicurien de la vie et un sceptique des succès
+faciles.</i></p>
+
+<p><i>En prenant place parmi vous, je prétends
+rester</i> moi-même, <i>c'est-à-dire volontaire,
+tranchant comme un sabre et ferme comme un
+roc.&mdash;A notre époque où tout flotte, sauf un
+Drapeau, les hommes à caractère doivent se
+tremper une énergie plus dure que le pommeau
+d'une dague, et je ne crois pas que tels êtres
+soient si communs pour que, me rencontrant
+dans cette assemblée, vous ne teniez pas à l'honneur
+de me ranger au premier rang parmi
+vous.&mdash;Du laisser aller de mon allure, de
+la hardiesse de mes conceptions, de l'originalité
+téméraire de mes écrits, j'assume l'entière
+responsabilité et n'abandonne rien au convenu,
+encore moins aux convenances; aussi
+puis-je dire que vous devez renoncer dès aujourd'hui
+à me voir abdiquer la moindre de
+mes opinions, en faveur d'une majorité dont
+les verdicts me laisseront toujours froid et
+insensible.</i></p>
+
+<p><i>J'estime que si les aigles planent haut et
+contemplent le soleil, c'est qu'ils ont, outre
+l'envergure des ailes, la farouche acuité de la
+vue, et que si les lions marchent seuls, superbes
+et méprisants, ce n'est pas seulement qu'ils se
+repaissent de leur puissance et nourrissent eux-mêmes
+leur vitalité, c'est aussi qu'ils sont
+amoureux au désert comme les penseurs de la
+solitude.</i></p>
+
+<p><i>Il vous paraîtra sans doute extraordinaire,
+Messieurs, de voir dans mon langage ces
+termes incisifs et ces pensées si hautaines; vous
+vous direz qu'un jouvenceau, qui compte au
+plus vingt-sept automnes dorés devrait se
+montrer plus malléable dans sa viripotence, et
+que, d'ailleurs, un nouvelliste de Cythère, un
+anecdotier de ruelles, un tisseur de mousseline
+d'or aurait droit à plus de modestie. Je sais,
+n'en doutez pas, que vous blâmez sourdement
+l'école buissonnière que je me permets bien
+souvent en dehors de mes travaux littéraires et
+critiques, mais je vous prie de bien examiner,
+Messieurs, que la jeunesse est le temps où l'on
+cueille les roses, où l'on biscotte et fanfreluche
+la mignardise, que je suis plutôt un athénien
+qu'un spartiate des belles-lettres, et qu'enfin
+je ne saurais me plier, sans me rebeller, au
+rôle constant d'annotateur et de biographe, ni
+planter des croix de Malte sur le temple de
+Cypris.</i></p>
+
+<p><i>Les philologues, ces nègres blancs de l'érudition,
+lorsqu'ils se sentent doublés d'un écrivain,
+aiment surtout à s'affranchir de leur rôle de
+pionnier silencieux, de même que les hommes
+d'étude sédentaire se plaisent dans leurs loisirs
+à se ruer dans la verte campagne embaumée
+et à fatiguer leurs muscles paralysés dans des
+courses hâtives et extravagantes. Il n'y a
+que les Fakirs des langues mortes, Messieurs,
+il n'y a, j'ose le proclamer, que les pauvres
+esprits fanatisés par un seul point d'histoire
+qui puissent consentir à ankyloser leur cerveau,
+sans désencager et donner le vol au grand air
+à des idées personnelles ou frivoles; il n'y a
+enfin que les embaumeurs qui puissent se momifier
+dans la toilette conservatrice des beaux
+esprits d'antan; à mon âge, on n'a pas la
+patience et la quiétude journalière des prisonniers
+d'État qui fabriquent lentement et minutieusement
+des cathédrales en liège ou des
+chapelets de buis dentelés.</i></p>
+
+<p><i>Je ne réclame au reste l'indulgence d'aucun,
+pour ce que des sots à vingt-cinq carats, appelleront
+des</i> Escapades de jeunesse; <i>l'indulgence
+n'atteint pas les forts qui ont le blanc-seing de
+leur volonté, c'est tout au plus si elle donne un
+nouveau mandat aux faibles et aux indécis.&mdash;Pour
+moi, si je mets aux fenêtres la fantaisie,
+ma sultane favorite et rieuse, c'est
+qu'elle tapisse en rose le temple peuplé de mon
+imagination, et si je m'affiche en plein jour
+avec elle, c'est sans divorcer avec mes légitimes
+études; Tartuffe n'a qu'à jeter son mouchoir
+comme un voile et Bazile à baisser son chapeau
+sur ses yeux de faune en détresse.</i></p>
+
+<p><i>Au surplus, puisque je dois ici, à mon
+grand regret, faire sonner mon Moi, dans une
+déclaration de principes, en manière de discours,
+je professerai cyniquement l'égoïsme formidable
+dans lequel je me plais à clandestiner mes
+caressantes sensations littéraires, et je ferai
+franchement parade, sinon du mépris, du moins
+de l'indifférence profonde que je ressens pour les
+suffrages de la foule.</i></p>
+
+<p><i>L'Opinion publique étant inconstante comme
+une femme, banale comme une grisette et prostituée
+comme une fille au premier vendeur de
+thériaque, la courtiser est une faiblesse et
+l'esclaver est une chimère; je me sens donc
+trop friand de voluptés délicates et trop despote
+dans mon amour-propre pour prétendre
+jamais vaniteusement forniquer avec elle.&mdash;Le
+ferai-je, Messieurs, qu'il me faudrait
+encore confier mes désirs au proxénétisme
+aveugle et sordide de la Renommée, et cette autre
+mégère m'écoeure et m'épouvante, depuis que
+ses cent voix usées par le concubinage du temps
+et avilies par des aboiements lucratifs, se sont
+enrouées au diapason de l'unique voix de Jean
+Hiroux.</i></p>
+
+<p><i>Dans la procréation de mes oeuvres, Messieurs
+et doctes Petits-Maîtres, je suis&mdash;n'allez
+pas, de grâce, crier au scandale&mdash;imitateur
+d'Onan, aussi bien qu'en amour, je me révèle
+disciple de talon rouge et petit-fils de Roué.&mdash;Onan
+était en effet un grand désabusé des
+plaisirs partagés, et j'ai toujours pensé que ce
+singulier sceptique nihiliste des incubations
+froid valait mieux que sa réputation de criminel
+d'Écriture-Sainte; à mes yeux, il se
+présente comme un sublime rêveur de voluptés
+impossibles, qui, afin de plus sûrement dégrader
+son imagination, s'empressait de noyer ses
+convoitises et d'anéantir ses débauches cérébrales
+dans les décevantes pollutions de la
+réalité crue.</i></p>
+
+<p><i>Suis-je bien coupable, en cette manière,
+d'égoïser dans ma tête les joies solitaires et folles
+de mes conceptions, et pouvons-nous croire que
+la majorité des hommes pensent aux enfants
+qu'ils créent, alors que Dieu, dans sa sagesse,
+a si noblement masqué le corollaire de l'enfanture
+sous les plaisirs fugitifs mais piquants
+de la galanterie ou les ragoûts du libertinage?</i></p>
+
+<p><i>Vous ne m'accuserez donc plus, entre vous
+et à voix basse, de chercher de petits ou de
+grands succès, ni de courir dans la poussière,
+de l'arène humaine, afin de tirer la Fortune
+par sa robe aux faux reflets. Douglas Jerrold,
+un humouriste anglais, disait fort spirituellement
+que la Fortune avait été représentée
+aveugle afin de ne pas voir les sots qu'elle
+enrichissait; si le temple de cette Déesse contient
+si notable assemblée, il est hors de doute que
+je puis attendre ses faveurs sur le seuil de ma
+porte, ce que je ne souhaite aucunement, car
+les sages ne courent jamais après leur félicité;
+ils se la donnent, ce qui est plus sur, et j'ai placé
+en ce qui me concerne toutes mes provisions de
+bonheur dans le coffre-fort de ma boîte osseuse.</i></p>
+
+<p><i>Mais, Messieurs, laissons là ces questions
+d'intimité confraternelle, ces confidences à huis-clos,
+pour aborder, puisqu'il le faut, la série de
+mes revendications personnelles:</i></p>
+
+<p><i>Bien que je ne me soucie point des bruits
+extérieurs, des éclats de presse et des sourdes
+médisances de la pâle envie, et quoique je
+n'ignore point, selon un vieil adage français,
+qu'</i> «à laver la tête d'un nègre on perd sa
+lessive,» <i>je ne pourrais et ne devrais laisser
+passer sous silence les coups d'espadon maladroits,
+que des pauvres bretteurs sans convictions
+ont tenté de me porter en pleine poitrine,
+si ces coups d'estoc avaient pu atteindre autre
+chose que ma cuirasse d'indifférence.</i></p>
+
+<p><i>Il en est cependant autrement d'une remarque
+plus générale et que je serais mal fondé
+prendre en mauvaise part, car je la crois faite
+loyalement et sans parti pris, avec un ton
+sobre et une affection quasi-paternelle, par des
+écrivains bien élevés, d'un esprit judicieux et
+éclairé; je veux parler de mes déplorables
+tendances au style précieux, papillotant et
+maniéré; ainsi que de mes aptitudes spéciales
+à forger sur l'enclume des dictionnaires anciens
+les plus imprévus néologismes.</i></p>
+
+<p><i>A ce</i> «Cave Canem» <i>placé si charitablement
+au début de ma route, je m'efforcerai de
+répondre avec toute la sympathie que m'inspirent
+mes bienveillants critiques et la bonne
+foi à laquelle ils ont droit. Dans ce but, et
+afin de vous faire prendre patience, je pourrais
+vous conter, Messieurs, un apologue qui
+serait mon apologie, mais je préfère abandonner
+le genre figuré au propre parler, et
+laisser de côté l'histoire naturaliste et sensualiste
+du roi des truands</i> Fort en Gueule <i>et du
+prince</i> Fine Bouche, <i>parabole où chacun de
+vous eût pu trouver des allusions peut-être en
+dehors de mon sujet, mais toutes en faveur de
+ma cause.</i></p>
+
+<p><i>Si j'invoque en premier lieu ma préciosité,
+je ne nierai pas avoir été nourri dans le</i>
+Salon bleu <i>d'Arthénice et m'être complu aux
+mièvreries galantes de la</i> Guirlande de Julie.<i>&mdash;Mais
+qui me porta, je vous le demande,
+Messieurs, à courtiser la princesse Aminthe,
+fille de la Déesse d'Athènes, et à tisonner mes
+sympathies ardentes pour les Ménage, les
+Voiture, les Sarasin, les Montreuil, les Conrart
+et ces Messieurs de Port-Royal?&mdash;Qui
+m'excita à m'amignoter en compagnie de
+Stratonice, de Félicie, de Doralise ou de
+Calpurnie? Qui? sinon mes précieux instincts
+littéraires, et mes propensions amoureuses
+composer des métaphores assez riches pour capitoner
+les murailles grises de la réalité attristante
+et froide.</i></p>
+
+<p><i>Il y a, disait Diderot, des grâces nonchalantes
+et des nonchalances sans grâce. A ceux
+qui me reprochent mon afféterie, j'opposerai
+ma personne et mon tempérament, et mettrai
+en avant mon naturel, mes goûts, mes sens,
+mes gestes, ma démarche sans théorie, et l'accent
+de mes paroles. De l'orteil aux cheveux,
+tout en moi se tient sans se contredire; je
+puis</i> plaire <i>ou</i> déplaire, <i>mais je me déclare
+et me sens incapable d'inspirer de ces sentiments
+mixtes, tels que de petites passions ou d'anodines
+amitiés, voire de l'indifférence. Tel que
+je suis, comme homme, je puis être un allumeur
+de désirs chez les quelques femmes qui seront
+frappées par ce qui constitue ma personnalité,
+de même que, tel qu'il se présente, mon style
+pourra séduire entièrement quelque rare lecteur
+qui y sentira le naturel de ma griffe,
+sans éprouver le besoin d'y apercevoir ma signature
+au bas de la page.</i></p>
+
+<p><i>Je suis donc aussi naturel dans ma démarche
+et dans mes amours, que dans mes
+écrits; aussi peu recherché dans la manière de
+puiser mes pensées que dans la façon de les
+exprimer, si j'y mets quelque chose de plus
+que les autres, c'est que ce quelque chose est
+en moi: il y a des poules dont les oeufs sont
+marbrés de vert et de rose, de même qu'il y a
+des fleurs au parfum, quintessencié dont peu
+de personnes peuvent subir l'approche, mais qui
+ravissent les odorats dépravés.</i></p>
+
+<p><i>Eh! Messieurs, tout est là; il est des
+hommes qui naissent avec un caractère bien
+tranché; il semblerait qu'ils soient plutôt nés
+d'eux-mêmes que descendus d'Adam, ils sont
+au-dessus des tempêtes comme la mer de cristal
+que saint Jean vit dans le ciel, laquelle n'était
+agitée par aucun vent. Pour moi, toute ma
+morale consiste dans la façon de régler mes
+moeurs selon les préceptes de mon jugement, et
+j'ai toujours songé que savoir l'art de plaire
+ne valait pas la sympathique manière de pouvoir
+plaire sans art. Je ne serai jamais, j'en
+conviens, le hochet de la foule; «l'esprit du
+vulgaire, s'écrie un philosophe ancien, est
+semblable aux rivières dont les eaux soutiennent
+les choses les plus légères et viles comme
+la paille, les fruits secs et les noix creuses,
+tandis que les objets plus précieux et plus
+pesants comme l'or et les diamants, y sont
+ensevelis et roulés dans le sable ou la vase.»</i></p>
+
+<p><i>Qu'on ne dise donc pas que je suis précieux
+par vanité et par genre, que je mets des grelots
+à mon style ou que je harnache ma prose
+comme une mule espagnole, cela serait hyperbolique
+et faux, autant vaudrait affirmer
+que si je passe sur la place publique, le
+chapeau incliné sur l'oreille comme un feutre,
+le torse cambré, la poitrine en avant, le
+manteau jeté en draperie sur la courbe de
+mon bras et ma canne au côté comme une
+rapière, relevant en retroussis ma cape-pardessus
+qui traîne à terre, autant vaudrait
+affirmer, dis-je, que tous mes gestes sont
+étudiés, toutes mes poses analysées dans un
+but de recherche, tous mes pas bien mesurés
+pour ne rien déranger à l'ensemble de ma
+silhouette, et cependant, Messieurs, j'ai cru
+remarquer des reproches analogues, lorsque,
+ainsi équipé, je passe parmi le brouhaha des
+foules. J'ai pu m'apercevoir que l'oeil béat des
+simples me regardait singulièrement, pendant
+que des esprits forts esquissaient,&mdash;non pas
+un sourire que j'aurais clos à l'instant,&mdash;mais
+une sorte de papillotage de l'oeil qui
+indique la surprise mariée au blâme très
+légitimement.&mdash;Dans ces courses à travers
+la ville, Messieurs, je suis aussi simplement
+attifé que ma prose dans mes écrits, ma personne
+et mon style me reflètent, aussi bien
+quand je compose, qu'à ces instants où, seul
+et sans souci je marche dans le dédain des
+inconnus, l'esprit en avant-garde de mon
+corps.</i></p>
+
+<p><i>Il me serait facile de démontrer plus amplement
+le non-sens de ces reproches, je pourrais
+même dire ici ce que je pense des précieuses et
+des sacrificateurs de leur temple, mais ceci nous
+entraînerait bien loin: je me réserve de vous
+soumettre à ce sujet un travail séparé qui
+fera bonne justice des sottises qu'on débite journellement
+sur les habitués de l'Hôtel de
+Rambouillet, mais je n'oublierai pas, Messieurs,
+que dans notre civilisation actuelle, et
+à l'heure présente, je ne suis pas le seul
+précieux, et que chacun se plaît à reconnaître
+que le temps que vous me consacrez l'est infiniment
+plus que moi.</i></p>
+
+<p><i>Vous penserez bien que je ne suis pas semblable
+à ces orateurs dont la facilité de parler
+ne provient que d'une impuissance de se taire;
+et vous me permettrez d'arriver maintenant
+ma seconde riposte, c'est-à-dire au néologisme
+dont mes excellents critiques me blâment si
+tendrement de faire un usage abusif.</i></p>
+
+<p><i>Je suis de ceux qui croient que l'expression
+rajeunit la pensée, non pas qu'il faille chercher
+à raviver les choses déjà exprimées, mais
+au contraire, dans ce sens, qu'un écrivain doit
+mouler ses pensées dans sa personnalité et les
+émettre fraîches écloses, avec l'assurance qu'un
+autre a pu concevoir d'une manière analogue,
+sans accoucher sous une forme identique.&mdash;Il
+y a donc néologismes et néologismes, comme il
+y a fagots et fagots: les uns sont importés dans
+la langue pour interpréter les idées nouvelles,
+les autres ne sont que des pléonasmes de termes
+anciens qu'il est inutile de refondre dans une
+matrice moderne.</i></p>
+
+<p><i>On peut m'accuser d'enfanter les premiers,
+mais je ferais volontiers la gageure qu'aucun
+de mes écrits ne contient le plus mince des
+seconds, car j'</i>étymologise <i>plus que je ne</i>
+néologie, <i>et je ne me montrerai jamais ni
+assez boutadeux, ni assez mauvais grand-prêtre
+de la langue, pour me permettre la fantaisie
+de baptiser les pauvres petits bâtards des
+piètres écrivassiers d'aujourd'hui</i>.</p>
+
+<p><i>Je professe l'opinion d'un grammairien logique
+et indépendant, à savoir que le français
+récent sans la langue ancienne est un arbre
+sans racines, et je dévore chaque jour les racines
+de cet arbre géant, Messieurs; je m'en
+repais comme un Anachorète, je les recherche,
+et les trouve dans Richelet, dans Ménage, dans
+Furetière, dans Saint-Evremont, dans J. Leroux
+et dans Langlet-Dufresnoy, sans espérer les
+découvrir dans les dictionnaires châtrés de nos
+Académies patentées. Je les savoure surtout,
+ces racines profondes de notre terroir, dans le
+sage et bon Montaigne, dans Rabelais, le
+grand néologue, dans les auteurs et les poètes
+satyriques du seizième siècle, dans les épistoliers
+du dix-septième, dans Molière, dans Balzac ou
+dans Saumaise, et jusque dans Diderot, Saint-Simon
+et Voltaire, ce merveilleux écrivain qui
+a peut-être encore plus ressuscité de mots qu'il
+n'en a inventés.</i></p>
+
+<p><i>La beauté et le pittoresque de notre langue
+est dans sa tradition; son sang le plus coloré,
+son génie, sa verdeur toute gauloise, ce je ne
+sais quoi de galant et de bravache qui pique
+et dévergogne la pensée, tout ce sel attique et
+cette moutarde capiteuse n'ont d'autre provenance
+qu'une origine de plus de cinq siècles;
+l'écrivain de nos fours qui néglige ses ancêtres
+est plus barbare que les premiers Gaulois, il
+a la sottise d'un guerrier qui ignorerait l'histoire
+de son drapeau et les héroïques faits
+d'armes de ses vétérans dans la carrière.
+Hélas! Messieurs, il faut bien le dire, nombreux
+sont ceux-là qui négligent les sources
+salutaires, ils n'apprécient pas la saveur des
+bonnes cuvées, et ils croient toujours boire la
+piquette du néologisme en profanant et méconnaissant
+la rouge boisson des plus vieux crûs.</i></p>
+
+<p><i>Il n'y a que les secs, les constipés d'imagination
+les petits jardiniers d'un vilain style à la
+Le Nôtre,</i> les hommes de marbre, comme les
+nommait Grimm, <i>qui puissent jouer au casse-tête
+chinois avec les vocables discutés, revus et
+approuvés par les habitants du Palais-Mazarin.&mdash;Pourquoi
+ne pas vendre aux peintres
+des couleurs tolérées par l'État, si l'on ne veut
+pas permettre aux littérateurs de franchir les
+lourds et ternes in-folios d'académie?</i></p>
+
+<p><i>Le malheur est qu'on a dit et répété sans
+raison à la suite de l'ennuyeux rhéteur Despréaux,
+le trop fameux:</i> enfin, Malherbe
+vint, <i>et je ne ferai injure à personne, même
+à Malherbe, en affirmant qu'il n'était nullement
+nécessaire</i> qu'il vînt. <i>Boileau estimait
+trop Horace pour ne pas méconnaître notre
+ancienne littérature vivante et vibrante, et
+pour ma part je fais bon marché de ce classique</i>
+aligneur de rimes, <i>ne serait-ce qu'en faveur
+de Ronsard et</i> «ses pipaux rustiques,» <i>ou
+de Saint-Amant,</i> «ce fou qui décrivait les
+mers.»</p>
+
+<p><i>Au reste, sans me lancer dans cette disgression
+peut-être trop longue à votre gré,
+puisque je parle à des croyants et à des fidèles
+coûtumiers de ma prose, j'aurais pu chevaucher
+cet aimable paradoxe que,</i> si tout ce qui
+est français moderne ne se comprend pas,
+tout ce qui, par contre, se comprend est
+français; <i>mais il se pourrait que ce sophisme
+ne vous convaincût pas, Messieurs, et je passerai
+outre dans mes revendications, en affirmant
+que toute critique relative au néologisme ne
+saurait avoir prise sur moi, car je me considère
+attaché par les entrailles à la langue-mère
+si chaude et si noble du seizième siècle, comme
+je le suis par l'esprit aux badinages spirituels
+et aux railleries profondes du siècle de
+la Régence.</i></p>
+
+<p><i>Je ne veux donc pas prostituer mon langage,
+et si</i> je néologie, <i>je fais voeu de ne jamais</i>
+argoter.&mdash; <i>Pour vous prouver combien je
+suis et veux rester constant dans les principes
+et les sentiments que je viens de vous exprimer
+avec le sans-façon et la quiétude d'un esprit
+indépendant et altier plutôt qu'orgueilleux, je
+vous présenterai aujourd'hui même, dans la
+fraîcheur de sa novelleté, la plus récente expression
+de mon</i> Langage amarivaudé <i>et de mon</i>
+Style minaudier, <i>sans crainte d'effarer mes
+charmants aristarques qui finiront, si bon leur
+semble, par ne voir en moi qu'un «grand
+enfant opiniâtre et incorrigible.»</i></p>
+
+<p><i>J'aurais pu, Messieurs, intituler ce dernier
+volume</i> «Le Cadran de... Cupido,» <i>mais il
+est des esprits inquiets qui cherchent la petite
+bête sans prendre la peine de se regarder par
+le gros bout de la lorgnette, et comme il existe
+en plus&mdash;et en nombre aussi peu respectable,&mdash;des
+Agnès ou des Arsinoë qui n'eussent pas
+manqué de s'appesantir sur l'aiguille de ce
+cadran, jusqu'à offenser la morale, j'ai cru
+qu'il était de ma dignité de ne pas prêter le
+dos aux interprétations malveillantes et niaises
+des impuissants assez malheureux pour avoir
+oublié sur l'horloge de l'amour l'heure glorieuse
+de midi.</i></p>
+
+<p><i>Afin de lasser la curiosité des badauds
+chercheurs de lune en plein jour, et aussi pour
+mieux me mettre à l'abri du profane vulgaire,
+j'ai pris et accroché au fronton de mon petit
+temple ce titre simple et...</i> gracieux&mdash;<i>(encore
+un néologisme inventé par Ménage),&mdash;ce
+titre sans fanfare et sans scandale:</i> «Le
+Calendrier de Vénus.» <i>Vous n'y trouverez
+assurément pas les graves dissertations, les
+lourds chapitres que vous seriez en droit d'attendre
+d'un homme mûr, adipeux, bardé de
+grec et de latin et blanchi sous le harnais
+des sciences stériles, ni même une étude très
+fouillée et très prolixe sur la fille de Jupiter
+et de la nymphe Diane, sur celle qu'Énée
+appelait:</i> Dionoea mater.&mdash;<i>Je ne voudrais
+point être aussi mythologique, parler, hors de
+saison, de Pline, d'Horace, de Virgile, de
+Tacite, de Cicéron ou de Sénèque, pour conclure
+en m'anéantissant dans une érudition
+sans grâces, lors même que j'invoquerais</i>
+Aglæia, Thalie <i>et</i> Euphrosine.</p>
+
+<p><i>Ce livre est issu de l'écume de ma fantaisie
+et de la volupté de mes sensations personnelles,
+comme Vénus est sortie de l'écume de l'onde.
+A ceux qui se voileraient le visage, je dirai
+que je ne maçonne pas les remparts de mon
+âme avec la perfidie et les apparences de la
+chasteté; je vais volontiers me faire couronner
+à Amathonte, à Cypre, à Idalie et à Gnide,
+et je le dis loyalement: les myrthes me sont
+plus agréables que les lauriers, et si, en faune
+bragart, je cours après les nymphes roses et
+friponnes, je ne vais pas avec elles me cacher:</i>
+sub antro. <i>Le soleil peut me voir et Phoebé en
+pâlir sans que le moindre vermillon ne vienne
+cardinaliser mes joues.&mdash;Je ne permets qu'aux
+octogénaires de me blâmer et je leur pardonne,
+comme on pardonne aux goutteux qui
+blâment la célérité des autres, car, selon l'auteur
+des</i> Questions sur l'Encyclopédie, <i>nous
+ressemblons presque tous à ce vieux général
+qui, ayant rencontré de jeunes officiers qui
+faisaient la</i> petite joie <i>avec des filles, leur dit
+tout en colère. «Eh! Messieurs, est-ce là
+l'exemple que je vous donne?»</i></p>
+
+<p><i>J'ajouterai, afin de terminer ce discours
+trop long à mon gré, et sans aucun doute au
+vôtre, que je vous crois, Messieurs et Petits-Maîtres,
+trop raffinés et trop sincèrement
+dégustateurs pour penser que vous puissiez
+aujourd'hui espérer de moi un long roman
+bien cousu, brodé sur le canevas d'une aventure
+mirifique et idéale.&mdash;Le temps n'est plus
+où Bassompierre buvait dans sa large botte
+et où les courtisans du dix-septième siècle
+dévoraient l'</i>Astrée. <i>Si j'étais gentilhomme
+verrier, comme aux beaux jours d'antan, je
+dédaignerais de souffler ces immenses coupes
+où s'abreuvent les peuples de Germanie, ces
+lourds Teutons sans délicatesse, je réserverais
+mes soins à ces mignonnes cristalleries de
+Venise, fines comme la dentelle et légères
+comme un souffle d'amour; c'est dans les petits
+verres que se versent lentement les liqueurs les
+plus exquises, c'est dans les grands que le
+peuple s'enivre.&mdash;Les gros romans grisent
+brutalement comme ces repas de corps des noces
+de banlieue, où la grossière gaîté tache la
+nappe et éclabousse la nature.&mdash;Loin de nous,
+Messieurs, ces beuveries écoeurantes, ces crevailles
+d'insipides Grandgousiers sans estomacs;
+si nous courons à la lippée, c'est en partie
+fine, dans des petits soupers choisis et bien
+conçus, sans calbauder ni faire chatte mitte;
+qui nous aime nous suive! et dussé-je pour
+ma part m'inviter moi-même comme Lucullus,
+cet immense incompris, je n'en aurai pas
+moins grande joie, et penserai, en flaconnant
+solitairement, que les plaisirs faciles ne se
+dissipent que trop vite et qu'hélas! ce qui nous
+vient par la flûte souvent s'en retourne par le
+tambourin.</i></p>
+
+<p class="mid"><i>Paris, 25 septembre 1879</i>.</p>
+
+<div class="fig" style="width:100%;">
+<img src="images/04.jpg" width="300" height="239" alt="[Illustration]" />
+</div>
+
+</div><!--end chapter-->
+
+<div class="chapter">
+
+<div class="fig" style="width:100%;">
+<img src="images/05.jpg" width="400" height="169" alt="[Illustration]" />
+</div>
+
+<h2><i>MEMORANDUM D'UN ÉPICURIEN</i>.</h2>
+
+<h4>FRAGMENTS ET NOTES AU CRAYON</h4>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p class="i40">Je m'accagnarde dans Paris,</p>
+<p class="i40">Parmi les amours et les ris.</p>
+ </div><div class="stanza">
+<p class="i50"> B<span class="sc">OIS</span>-R<span class="sc">OBERT</span>.</p>
+</div></div>
+
+<p><span class="lef"><img src="images/j.jpg" width="100" height="128" alt="" /></span>e sommeillais encore lorsque Babette
+m'a remis ce matin la longue
+épitre de sa maîtresse.</p>
+
+<p>Le soleil filtrait timidement au travers de
+l'épaisse soie bleue des rideaux, et je berçais
+avec complaisance ma langueur dans un
+réveil craintif et caressant. Babette avait les
+joues fraîches et colorées par les baisers de
+l'air matinal, elle semblait accorte et bien
+heureuse de vivre; l'espièglerie se jouait
+dans ses narines délicates et nerveuses,
+tandis que le rire, compagnon de son âge,
+s'était blotti presque respectueusement aux
+commissures de ses lèvres humides et roses.
+Sur le seuil de ma chambre, son pli cacheté
+à la main, elle n'osait approcher de mon
+lit&mdash;: Qu'est-ce, Babette? venez çà; seriez-vous
+timide, et maître Jean n'était-il point
+là pour vous annoncer?&mdash;Pardonnez,
+Monsieur, mais, Madame m'a semblé tenir
+à ce que je vous remisse moi-même cette
+lettre; peut-être y a-t-il réponse, et j'ai cru...</p>
+
+<p>La soubrette s'avança de trois pas, rougissante
+comme une pêche duveteuse en
+août, et baissant ses longs cils sur l'azur de
+ses yeux.&mdash;Je pris paresseusement l'enveloppe
+parfumée et l'ouvris. Babette alors
+souleva les tentures pour laisser pénétrer le
+grand jour; elle eut un mouvement exquis,
+et se campa comme un page auprès de la
+fenêtre; sa légère robe de toile emprisonnait
+ses larges hanches et modelait sa gorge,
+tandis que, renversée en Bacchante, rose et
+frisonnante, un bras en l'air, elle retenait
+les lourds plis du rideau sombre dans ses
+doigts mignons et effilés de petite lingère.</p>
+
+<p>Je m'affainéantissais et m'étirais, tout
+alangouri dans la tiédeur des draps; des
+sensations de moite volupté serpentaient
+lentement dans mon dos; les oreillers battus
+et chauds avaient des caresses; l'air de la
+chambre appelait l'union.&mdash;Babette cariatide
+était toujours là; la lumière mettait des
+points d'or sur les bandeaux crespelés de sa
+blonde chevelure. La lettre de la baronne
+tremblait dans ma main, une lutte était
+ouverte dans mon esprit: l'artiste admirait,
+le libertin souriait aux sens, le dandy seul
+en moi protestait;... une camérière, fi donc!
+et c'est en vain que mon regard errait sur
+la lettre de la maîtresse pour s'arrêter toujours
+à ce torse de Diane, à ce col droit et
+bien posé sur des épaules aux lignes sculpturales
+et tentalesques.</p>
+
+<p>Babette!</p>
+
+<p>&mdash;Monsieur?</p>
+
+<p>&mdash;Approchez je vous prie.</p>
+
+<p>Le rideau qu'elle soutenait retomba,
+l'obscurité se fit dans la chambre; le dandysme
+céda aux désirs du libertinage. La
+lettre d'amour fut sacrifiée à l'amour même.&mdash;Babette
+babilla comme un ange; le plaisir
+n'a pas d'armoiries lorsque la jeunesse
+et la beauté sont reines chez la créature. La
+petite colombe fut tendre; elle me donna
+mille baisers, autant que Lesbie en prodigua
+jadis à Catulle, et Lesbie, assurément,
+ne valait pas Babette, qui, en me quittant
+respectueusement demanda:</p>
+
+<p>Monsieur n'a-t-il pas de réponse à faire
+à Madame?</p>
+
+<p>Viens la chercher demain matin, ai-je
+répondu en reprenant à terre la longue
+épitre de sa maîtresse dans mes doigts qui
+avaient encore la fièvre des caresses-données
+et le tact des beautés senties.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Quand, cyniquement, avec la bravoure
+de ma franchise, je racontai le surlendemain
+à la belle baronne, mon aventure avec la
+petite Babette, lui détaillant la fraîcheur
+élégante de ce <i>tendron</i>, je vis d'abord
+sur son visage un mouvement de dépit et
+comme la sensation d'un violent affront;
+puis, comme je restais souriant et ironique,
+elle regarda fixement le bout des branches de
+son éventail nacré, avec un regard singulier
+à la fois cruel et doux. Je lui pris la main
+et, m'approchant davantage à portée de ses
+lèvres, je me confessai lentement à son
+oreille, sans me signer dans un acte de contrition
+inutile et menteur.</p>
+
+<p>Babette! Babette!&mdash;répétait ma grande
+amie, tandis que j'enfonçais et piquais
+comme autant d'épingles, sur la pelotte charnue
+de son coeur, les mille petits traits de
+ma fantaisie galante.&mdash;«Ma Babette! une
+enfant! est-ce possible? exclamait-elle;»...et
+son oeil suivait dans le vague comme
+une illusion qui s'envole à tire d'aile.</p>
+
+<p>Jusqu'alors la baronne, devant des confidences
+de ce genre, conservait une tenue
+de grande coquette, elle soupirait un
+«<i>ingrat!</i>» plein de caresses et de reproches
+superficiels; car elle savait qu'en amour;
+les romans sont plus amusants que l'histoire
+ancienne, et que les faits divers agrémentent
+le prosaïsme du journal quotidien.
+Elle excusait en femme du monde qui sait
+vivre et aimer, le naturalisme de mes
+passades; mais, cette fois-ci, il me parut que
+je heurtais chez elle moins d'insouciance,
+et je crus lire dans son regard comme un
+soupçon de féroce jalousie.</p>
+
+<p>Étais-je l'objet de ce sentiment passionné,
+ou mieux encore, ne se manifestait-il qu'en
+faveur de Babette? cette dernière pensée se
+fixa dans mon esprit, évoquant les traits accentués
+de la tribaderie ancienne et moderne,
+et les vices les plus mignons du XVIIIe siècle,&mdash;Babette
+avait, je dus alors m'en souvenir,
+des manières frisques et policées, et
+elle montrait un certain ragoût dans la servilité
+de ses plaisirs. Vénus est bonne institutrice
+dans son temple de Lesbos, me
+disais-je; mais depuis la divine Sapho, les
+hommes ne sont plus si grecs dans l'orchestration
+des joies discrètes, et je jure
+Dieu sur les mânes du chevalier de Faublas,
+que mon inconstance à la baronne ne
+sera pas comme ces épées à deux mains
+qui décapitent sottement le bourreau sans
+effleurer les victimes.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Babette, en me revoyant, a beaucoup
+ri et un peu pleuré devant le tribunal
+de mon scepticisme; le rire ensoleillait la
+rosée de ses larmes et ses quenottes blanches
+mordaient, dans un grincement, l'incarnat
+de ses lèvres épaisses. Elle relevait, pour
+étancher les perles humides de ses yeux, un
+coin de son dernier vêtement, avec un
+mouvement de pudeur impudique qui était
+l'aveu même de sa beauté. Sur de tels appas,
+on pouvait fourrager les grâces, et jamais
+Boucher ne mit sur les rondeurs satinées
+d'une gorge deux petites fleurs de pêcher
+d'un rosé plus fondant, d'un coloris plus
+effronté que celles qu'on pouvait cueillir
+sur le sein de la fillette. Je compris que
+l'adorable soubrette n'était point créée pour
+se fiancer à un rustre d'anti-chambre;
+l'amour avait sur elle des droits multiples,
+et les passions brutales devaient épargner
+pour quelques temps la délicatesse idéale
+de ces contours radieux. En éveillant la
+nature de la friponne, j'avais renversé le
+pot au lait de la réalité; elle me conta l'histoire
+de ses sens&mdash;car les sens comme les
+peuples ont leur histoire,&mdash;avec l'espièglerie
+craintive d'un jeune chat; mais l'histoire
+de ma petite blonde avait à peine un
+chapitre; c'était le début original du plus
+curieux roman qui serait à faire, si les modernes
+Athéniens ne singeaient pas l'austère
+morale des Spartiates.</p>
+
+<p>O Babette, charmant professeur! comment
+pourrais-je assez te remercier de m'avoir
+appris à lire dans la grande grammaire
+de l'humanité que les femmes qui sont fidèles
+au masculin ne le sont pas toujours
+au féminin?&mdash;Depuis cette grave leçon,
+la pauvre baronne est devenue fière comme
+une déesse. Lorsqu'après une absence prolongée,
+je la trouve seule sur sa chaise
+longue, elle prend une allure de reine
+amoureuse et, d'un ton préfectoral, mitigé
+par la tristesse railleuse du sourire, elle
+soupire lentement avec des regrets accentués:
+«Nous sommes bien triste, mon
+doux ami; on vous désire, on vous appelle;
+c'est mal de nous négliger ainsi pour courir
+après de nouveaux caprices; et cependant,
+libertin, qu'on se défend d'aimer alors qu'on
+n'en peut mais, n'avez-vous pas ici ce qu'il
+vous faut: de l'amour, des caresses et.....
+même davantage.»</p>
+
+<p>Presque toujours dans l'antichambre,
+avec ses grands yeux doux, Babette par
+son silence m'en disait tout autant.<br /><br /></p>
+
+<h3>II</h3>
+
+<p>Bien charmants ces quelques vers d'un
+poète du XVIe siècle; c'est l'excuse du
+<i>Don-Juanisme</i> et la variante du <i>Pâté d'Anguilles</i>:</p>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p>Les plus délicieux ragoûts</p>
+<p>Dont une fois nostre appétit s'éguise,</p>
+<p>Si l'adresse ne les déguise,</p>
+<p>Nous donnent souvent des dégoûts;</p>
+<p>Le changement réveille, pique, anime,</p>
+<p>Mêmes chardons dégoûtent le baudet,</p>
+<p>Ce qu'un latin par ces trois mots exprime:</p>
+<p><i>Natura diverso gaudet.</i></p>
+ </div> </div>
+
+<p>Chaque femme n'apporte-t-elle pas
+l'homme, qui sait et peut en jouir, son
+contingent de plaisir?&mdash;Il n'y a que l'amateur
+de femmes qui soit logique et indépendant;
+l'amoureux demeure esclave et sans
+pratique; il ne sait pas, en donnant à sa
+maîtresse la crainte de le perdre à d'autres,
+lui inoculer le désir de le conserver.&mdash;L'amour
+ne vit que d'inquiétudes,
+de soupçons, d'espérance; il faut y être de
+sang-froid pour laisser tomber traîtreusement
+ces sentiments dans un coeur qui vous
+aime. Un amant fidèle ne sera jamais un
+<i>passionniste</i>. Pétrarque, en affichant une
+passion sans espoir pour la belle Laure de
+Noves, se consolait charnellement dans les
+bras d'une boulangère à laquelle il laissa
+mieux que des sonnets, des odes ou des
+canzones; et Goethe, aussi pervers que
+Valmont, écrivit ses pages les plus sentimentales
+sur le dos complaisant d'une maîtresse
+passagère.&mdash;On peut faire du sentiment
+à la condition de n'en point trop
+sentir, ou bien encore paraître mourant et
+platonique à la table de l'amour, en ayant
+le bon sens de frétailler de ci, de là au banquet
+des mamoseux plaisirs.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Tous ces pauvres diables qui guitarisent
+sous des balcons déserts, et qui semblent
+affamés comme de jeunes lévrons, n'entendent
+rien à la séduction&mdash;à Cythère, on
+ne prête qu'aux riches; on fait peu l'aumône
+aux pauvres, on ne traite que les
+repus;&mdash;le grand art, c'est de ne rien
+demander, mais de se laisser tout faire. Les
+vrais libertins sont passifs, ils ont le dandysme
+de leur indifférence; l'imagination
+est leur propre pourvoyeuse; ils fanfreluchent
+leurs sensations, et sont recueillis
+comme des gourmets en dégustant les plaisirs
+qu'ils éprouvent. Les femmes ne sont
+jamais les esclaves que de tels hommes;
+devant eux, elles sentent la puissante rivalité
+des plaisirs passés ou des joies futures,
+elles concourent pour prendre place dans
+un souvenir, et elles déploient toutes les
+complaisances, toutes les ruses, toutes les
+habilités qu'elles peuvent inventer, semblables
+à un Vatel qui s'ingénierait à découvrir
+des sauces merveilleuses propres
+flatter le palais blasé d'un royal convive.</p>
+
+<p>Montaigne disait: <i>que sais-je</i>? et Rabelais:
+<i>peut-être!</i>&mdash;Le petit maître amateur et
+consommateur de femmes est aussi raffiné,
+il pense comme ces grands maîtres, mais sa
+devise est plus décourageante; il la laisse
+tomber avec un souverain mépris, c'est le
+gant de l'indifférence et de l'impassibilité
+jeté aux grandes passions ou aux fantaisies
+vulgaires; cette devise, éperon d'acier de la
+galanterie suprême, c'est: <i>à quoi bon!</i> ou
+bien encore: <i>que m'importe!</i></p>
+
+<p>Toutes les femmes le ramassent ce gant;
+il provoque à la lutte: <i>que m'importe</i>, c'est
+une injure à leur beauté: <i>à quoi bon</i>, c'est
+un défi à leur savoir faire.&mdash;Achille n'était
+vulnérable qu'au talon; les fières amazones
+veulent connaître le défaut de la
+cuirasse de ces superbes indolents; elles se
+croient habiles à l'escrime d'amour; leur
+vanité est en jeu: que ne feront-elles pas?
+Elles videront le carquois de Cupidon jusqu'
+la dernière flèche, mais si elles ont
+pour partenaire un beau joueur, un homme
+volontaire et hautain, elles se rendront
+corps et âme à la discrétion du vainqueur,
+qui, non moins généreux qu'Alexandre
+l'égard de Darius, les traînera un jour
+son char, sans prétendre les esclaver par
+des chaînes éternelles.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>C'est faire trop d'honneur à la nature
+humaine, disait Saint-Evremont, que de lui
+donner de l'uniformité.&mdash;Ne peut-on pas
+ajouter: c'est faire trop grande injure aux
+femmes et à l'amour que de leur accorder
+de la constance.&mdash;Dans un évangile fantaisiste,
+d'après un galant écrivain, Dieu a
+dit aux hommes: «Les coteaux sont couverts
+de vignes, les femmes sont pleines
+de roses, les oiseaux chantent dans les bois:
+écoutez, moissonnez, vendangez.» Aux femmes,
+Dieu a dit: «Laissez cueillir les roses,
+elles refleuriront sans cesse,» et les femmes
+ont toujours suivi la parole de Dieu.</p>
+
+<p>L'amoureux fait fleurir les roses, le libertin
+les effeuille, les distille et s'en parfume
+à bon escient; celui-là, au printemps de la
+vie, se laisse asphyxier follement par elles;
+celui-ci, plus pratique, les conserve et en
+évoque les exquises senteurs, avant même
+que la bise soit venue ou que les frimas
+aient passé sur sa tête d'archiviste des
+grâces et de mémorialiste de la beauté.</p>
+
+<h3>III</h3>
+
+<p>Tache sombre, jour néfaste à marquer
+sur mon coquet calendrier de Cypris.</p>
+
+<p>Je la rencontrai après un étincelant
+dîner d'amis, elle marchait crânement,
+comme seules savent marcher les parisiennes,
+avec une allure gracieuse et caressante;
+ses souliers mignons me parurent
+enfermer le divin pied d'une Fanchette,
+tandis que ses talons Louis XV, cerclés
+d'or, battaient avec un son mat l'asphalte
+du trottoir.</p>
+
+<p>Peut-être avais-je le cerveau quelque peu
+coiffé de Champagne, peut-être aussi la plénitude
+heureuse de ma digestion me portait-elle
+dans l'oeil le monocle de l'indulgence;
+je ne sais trop, mais je me sentais
+en veine de gaillardise, l'habit faisait valoir
+la poupée et, nouveau Faust, je cueillis
+cette Marguerite de carrefour au sortir du
+cabaret.&mdash;Je pris cette fille comme on s'asseoit
+au café, sinon pour siroter un grog,
+du moins pour voir défiler les badauds.
+Sur la contrefaçon de la carte du tendre,
+le pays galant représente des promenades
+extérieures où défilent les spécimens des
+vices les plus divers, pour peu que l'on sache
+les faire sortir de l'étrange tanière des souvenirs
+où ils sont blottis.</p>
+
+<p>En entrant dans sa chambre, j'éprouvai
+le même écoeurement que si je me fusse
+sali salaudement. La pièce, assez vaste, était
+tendue d'un vilain papier à fond rouge,
+semé d'énormes fleurs grises; une tapisserie
+de vieil hôtel de province. L'armoire
+à glace à trois corps, en palissandre ciré,
+se dressait contre la paroi qui faisait face
+la cheminée de marbre gris, et d'antiques
+fauteuils en velours nacarat traînaient sur
+le tapis ponceau râpé, semblable au drap
+blanchi d'un billard. Au fond, dans l'alcôve,
+le lit&mdash;élevé comme un autel à Vénus
+Pandemos&mdash;un lit étagé par trois matelas
+et recouvert d'un surtout en fausse guipure,
+au travers de laquelle apparaissait le blanc
+douteux des draps mous, chiffonnés, frippés,
+torchons encore chauds d'une sale cuisine
+de gargote d'amour.&mdash;Tout cela à l'entresol,
+en pleine rue Lafitte.</p>
+
+<p>Je restais silencieux, pris de honte; le
+dégoût me serrait à la gorge.</p>
+
+<p>La fille ôta ses gants, retira son chapeau,
+ouvrit son corsage avec des lenteurs accablées
+et des nonchalances d'abrutissement.
+Son corset qui tomba, oppressait sa taille,
+et marbrait de filets rouges le jaune bilieux
+de sa peau; ses bas de soie bleue étaient
+tirés sur des maigreurs déplorables, et le
+petit pied de Fanchette était déformé et
+meurtri. Dans cette mise à nu d'un corps
+sans ressorts voluptueux, il suintait comme
+d'un mur d'égout une humidité de vice
+malsain et des larmes visqueuses de débauche.</p>
+
+<p>Elle voulut me passer autour du cou ses
+bras arrondis, mais je reculai comme au
+contact froid d'un serpent.&mdash;Depuis quelques
+instants elle me contait l'emploi de
+ses journées, l'amabilité généreuse des
+hommes de bourse, avec le cynisme du
+débraillé et l'argot spécial des virtuoses de
+la galanterie.&mdash;Je la questionnais tristement,
+sans avoir le courage de jouer les
+<i>Desgenais</i> vis-à-vis de cette cabotine de
+l'amour aussi repoussante qu'un ulcère qui
+se découvre alors qu'on voudrait le cacher.
+Lorsqu'elle essaya d'oeillader plus tendrement
+et qu'elle tenta de m'exciter avec la
+banalité du sourire aux caprioles priapesques,
+je fis un mouvement vers la porte;
+l'image gracieuse et folâtre de mes tant
+gentes maîtresses, tous ces babouins frais
+et délicats me revinrent en mémoire.&mdash;Pousser
+plus avant cette aventure à bon
+marché, c'eut été non-seulement me souiller,
+mais bien mieux faire affront à mes
+principes et tirer ma poudre aux chauves-souris
+des sentines.</p>
+
+<p>Que pouvait m'offrir cette gamelle,
+moi le repus, qui, dans les plus fins soupers
+n'arrive qu'au dessert? Qu'aurai-je pu
+trouver d'inédit dans cette prostitution?
+Les courtisanes ont trop connu d'amants
+pour avoir appris les délicatesses du libertinage;
+ce sont les cuisinières des restaurants
+à bas-prix qui triturent salement un
+mauvais <i>ordinaire</i>. Elles sont prudes et bégueules
+pour tout ce qui sort du convenu
+afin de rentrer dans les convenances personnelles;
+les grandes routes n'offrent pas
+d'ombrages, on ne s'égare que dans les
+sentiers isolés, l'amour est un art en dehors
+du vulgaire, chacun croit le comprendre,
+très peu le pratiquent.&mdash;Les vrais buveurs
+soignent eux-mêmes leurs vins, et les
+cavaliers sérieux dressent leurs cavales;
+ainsi font les rois de Cythère: ils aiment
+apprendre à lire à leurs sultanes dans le
+rarissime manuel des voluptés complexes.</p>
+
+<p>Je me donnai donc la joie de payer le
+repos d'une nuit à cette infortunée servante
+de Vénus, sans prendre le temps de
+récolter les accolades de sa gratitude.
+En refermant la porte je l'entendis pleurer&mdash;le
+vice a quelquefois fait ses humanités;&mdash;ô
+chimistes-philosophes, qu'y avait-il
+dans ces larmes de pauvresse?</p>
+
+<h3>IV</h3>
+
+<p>Dans le <i>Drawing room</i> de Miss Georgina,
+j'ai relu par deux fois, avec la plus grande
+attention, cette singulière annonce du <i>New-York
+times</i>.</p>
+
+<blockquote><p>
+Une dame, ayant divorcé deux fois, et ayant
+constaté par expérience combien ces sortes de séparations
+sont cruelles, désirerait convoler une
+troisième fois. Son nouveau mari pourrait lui en
+faire endurer beaucoup, et être certain qu'elle ne
+se séparerait pas de lui.</p>
+
+<p>Ecrire aux initiales <i>J. C. W., 31, Wall street,
+New-York</i>. Il sera répondu par un envoi immédiat
+de photographie.</p>
+
+<p>La dame qui fait l'objet de cette annonce est
+grande, forte, et soulève <i>volontiers</i> de lourds fardeaux
+à bras tendu. Dents éclatantes de blancheur.
+Complexion tendre.</p>
+
+<p>On demande un gentleman de quelque fortune,
+élégant, distingué, petit et blond; on le préférerait
+dans le commerce des huiles minérales.</p>
+
+<p>Ecrire par lettre affranchies.
+</p></blockquote>
+
+<p>Miss Georgina, accoudée derrière le
+fauteuil, pendant cette lecture faite à haute
+voix, riait de ce joli rire guttural spécial
+aux anglaises, et dont la fraîcheur et la vibration
+argentine rappellent le son des
+clochettes dans l'air pur du matin.</p>
+
+<p>Cela n'est point si ridicule, hasardai-je,
+en conservant un sérieux très britannique,
+je vois même toute la poétique future des
+convenances matrimoniales, dans cette
+hardie déclaration de la dame <i>New-Yorkaise</i>....,
+et je répétais en scandant les mots,
+comme pour bercer un rêve d'avenir:
+«<i>Dents éclatantes de blancheur, complexion
+tendre..... On le préférerait dans le commerce
+des huiles minérales!</i>»</p>
+
+<p><i>What a Pity!</i> soupira Miss Georgina qui
+ne riait plus,&mdash;mais toujours pensif sur
+le fauteuil et pour énerver cette naïve nature
+blonde et rose, je lisais de nouveau avec
+une affectation réelle: <i>un gentleman de
+quelque fortune, petit et blond!</i> Hélas! Miss,
+je ne suis ni blond, ni petit; <i>elle</i> est <i>grande,
+forte et soulève volontiers de lourds fardeaux;...
+volontiers!</i> C'est l'idéal, et mon <i>Byronisme</i>
+en tressaille!</p>
+
+<p>Tout le ridicule de ce trivial soliloque
+dont une française eût haussé les épaules
+en souriant, produisit un singulier effet sur
+la sentimentalité positive de Miss Georgina.
+Elle fit quelques pas dans le salon,
+réunit deux sièges dos à dos parallèlement;
+dans un joli mouvement fiévreux, elle releva
+sa longue chevelure d'or, haussa ses
+manches, et avec la lenteur d'un gymnaste
+consommé ou l'adresse puissante d'un
+clown, je la vis s'élever perpendiculairement,
+à la seule force des poignets, sur le
+dossier des chaises, et y exécuter des rétablissements
+prodigieux, tantôt sur un bras,
+tantôt sur l'autre, me montrant, dans la
+complaisance de son rire heureux, ses petites
+dents blanches et serrées.</p>
+
+<p>Puis, après ce viril enfantillage: «<i>My
+Darling</i>, dit-elle toute frissonnante et l'oeil
+scintillant de fierté en venant m'embrasser
+sur le front, votre grande et forte américaine
+en ferait-elle tout autant?»... C'est
+peine si, dans mon saisissement, je puis lui
+répondre: «<i>I don't think so, my sweet heart.</i>»</p>
+
+<p>Comme je préférais cette démonstration
+gymnastique à la sentimentalité, aux crises
+nerveuses, à la tristesse pitoyable de tant
+d'autres maîtresses!</p>
+
+<h3>V</h3>
+
+<p>Quel adorable petit conte je découvre
+dans la <i>Bibliothèque des petits maîtres!</i> c'est
+une simple nécrologie, chef-d'oeuvre du
+genre affadi. Je transcris cette littérature au
+pastel:</p>
+
+<p>«Monsieur l'Abbé de Pouponville était
+poupon dans tout, il naquit pouponnement
+dans une coulisse, d'une pouponne de
+l'Opéra et du célèbre chevalier de Muscoloris,
+Seigneur de Pomador, Ambrésée et
+autres lieux. Il était pétri de grâces. Il
+naquit ce qu'il devait être. A peine avait-il
+deux mois, qu'on remarquait déjà dans ses
+gestes enfantins un bon goût exquis; il
+tettait si gentiment, si mignonnement, que
+c'était un ravissement pour sa nourrice:
+toutes les femmes qui le voyaient tetter
+lui auraient volontiers donné leur sein à
+sucer, suçotter, caresser; s'il pleurait,
+c'était avec une grâce infinie; s'il criait,
+c'était avec une douceur même, une espèce
+de mélodie cadencée dont le charme délicieux
+passait jusqu'au coeur. Alors un déluge
+de pralines et de bonbons de toutes
+sortes l'inondaient de toutes parts. Il était
+choyé, caressé, dorlotté, baisé, léché, presqu'étouffé.
+Dès l'âge de dix ans, ces qualités
+précieuses commencèrent à se développer.&mdash;Quelle
+vivacité! que d'esprit!
+que d'agréments! quelle bouche pour sourire
+et mignarder! quels yeux pour languir
+et brûler! Sa mère résolut dès lors d'en
+faire un présent à l'Opéra ou de le <i>jetter
+dans l'Eglise</i>. Il fit ses études avec une
+rapidité incroyable. La lecture d'<i>Angola</i>,
+de <i>Bibi</i>, des <i>Bijoux indiscrets</i>, du <i>Sopha</i>, des
+<i>Matinées de Cythère</i> et autres livres orthodoxes,
+lui apprirent autant de Théologie
+qu'il en faut pour triompher des coeurs
+dans les ruelles. Aussi fut-il bientôt en
+possession de subjuguer toutes les femmes.
+On ne saurait croire combien un petit
+collet donne d'accès auprès du sexe.&mdash;Avec
+un rabat de la première faiseuse, un
+teint miraculeux, des yeux de la plus vive
+expression et jouant à merveille l'attendrissement,
+l'air et le ton de l'extrême
+bonne compagnie, une voix perlée, flûtée,
+des lèvres d'un incarnat et d'une fraîcheur
+à faire envie, un <i>assassin</i> placé dans les
+règles les plus étroites de la mode; quelle
+vertu ou plutôt quelle fausse pruderie aurait
+pu se soutenir et résister à des armes
+pareilles? Enfin, lorsqu'échappé d'un tête-à-tête
+galant, il montait dans la chaire de
+vérité, il avait l'air d'un chérubin adonisé.&mdash;Un
+texte, pris des endroits les plus voluptueux
+des cantiques, annonçait un exorde
+délicieux suivi d'un discours en deux petites
+parties aussi lestes que divinement
+bien tournées. Il était couru de toutes les
+femmes du bon ton. La morale qu'il leur
+débitait était celle des poètes et des romanciers,
+déguisée sous une nuance légère de
+spiritualité.</p>
+
+<p>Il peignait tout en mignature, jusqu'
+l'enfer et au péché. Il nous reste encore
+quelques sermons de cet apôtre à blonde
+chevelure; ce sont la vie et la conversion
+de Madeleine avec ce texte: <i>osculetur me
+osculo oris sui</i>, qu'il me donne un baiser
+de sa bouche;&mdash;la Samaritaine: <i>introducet
+me in cubiculum suum</i>, il me fera
+entrer dans sa chambre;&mdash;la femme adultère:
+<i>amore lingueo</i>, je languis d'amour.&mdash;Ces
+trois sermons sont des petits chefs-d'oeuvre
+de galanterie exquise. Toutes ses
+phrases respirent le souffle léger de la
+volupté; aussi toutes les petites maîtresses
+s'écriaient au sortir du sermon: ce Pouponville
+est un prédicateur divin! un organe
+insinuant, des gestes à ravir! un air
+mouton, un sourire supérieurement fin,
+un persiflage décent tel qu'il convient aux
+gens du beau monde! des descriptions
+d'un gracieux, d'un exquis à faire pâmer!
+s'il prêchait plus souvent, il ferait déserter
+tous les spectacles. Non, je n'ai jamais
+eu tant de plaisir à l'Opéra qu'aux sermons
+de cet aimable Pouponville.</p>
+
+<p>C'est de lui que nos jeunes abbés ont
+hérité des belles manières qui les distinguent;
+la coutume de se faire coëffer
+double et triple rang de boucles; de se
+parfumer pour remplir l'auditoire de leur
+bonne odeur; de prendre un morceau de
+sucre candi ou de pâte de guimauve au
+bout de chaque période un peu longue,
+afin de conforter leur poitrine fatiguée,
+d'avoir un mouchoir ambré qu'on laisse
+tomber au moins deux fois par séance pour
+voir l'empressement des femmes à le ramasser,
+de promener amoureusement ses
+regards sur une assemblée brillante de
+beautés à demi voilées, pour se concilier
+leur attention.</p>
+
+<p>En un mot, c'était un phénomène digne
+d'être proposé pour modèle aux élégants
+de tout genre et aux amateurs des beaux
+airs et des manières gentilles; aussi avait-il
+fait une étude sérieuse de ce qu'on
+appelle bon ton, fatuité, élégance, papillonnage.
+On voit, par quelques feuilles
+manuscrites qu'il composait à sa toilette,
+combien profondément il avait réfléchi
+sur ces grands objets.</p>
+
+<p>Cependant la prédication lui fut très
+fatale. Un horrible <i>vent-coulis</i>, venu d'une
+porte inexactement fermée, lui ôta tout-à coup
+la voix et la respiration. Un pli qu'il
+aperçut à son rabat lui donna de nouvelles
+vapeurs qui le firent malade à périr. Il s'évanouit:
+pour le faire revenir, on eut l'incongruité
+de lui présenter de l'<i>eau de la
+Reine</i> qui ne venait pas de chez la Petite
+Marchande, la seule qui put en avoir de
+bonne. Ce troisième coup le bouleversa.
+Enfin, pour comble de malheur, un malotru
+de médecin, habillé comme aurait pu
+l'être Hippocrate ou Gallien, en habit noir
+et sans dentelles, vint lui tâter le pouls.
+Il ne put digérer ce trait de la dernière
+maussaderie; le coeur lui souleva: et notre
+damoiseau rendit son âme mignonne en
+demandant si l'on avait apporté ses souliers
+brodés, sa ceinture à glands d'or et la
+nouvelle façon de mouches, qu'il avait
+fait demander chez du Lack. On l'ouvrit,
+on ne lui trouva ni cervelle ni cervelet;
+une légère quantité d'une substance neigeuse
+et fondante au moindre trait lui en
+tenait lieu. Toutes les fibres et fibrilles du
+cerveau étaient d'une ténuité, d'une finesse,
+d'une exilité bien au-dessus de celle d'un
+fil d'araignée. Son coeur, un peu au-dessous
+de la grandeur ordinaire, avait les
+deux branches de l'aorte extrêmement
+étroites: les anatomistes attribuèrent
+cette contraction la facilité prodigieuse
+qu'avait notre Adonis <i>à vaporer</i>, s'évanouir,
+défaillir, périr presqu'à chaque moment.
+Son sang ressemblait à l'eau rose, et sa
+chair était tendre et délicate comme la
+substance des Zéphirs.</p>
+
+<p>Il fut regretté des femmes; les petits
+maîtres perdirent avec une joie maligne
+un rival aussi formidable. Un adepte de ses
+élèves lui fit ériger par reconnaissance un
+mausolée élégant. C'était une table de
+toilette richement garnie et très élégamment
+décorée de bougeoirs, de miroirs, de
+boîtes, de bijoux, de pâtes, de parfums, de
+rouge, de blanc, d'éponges, d'eaux de senteurs,
+etc. On y mit cette épitaphe:</p>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p>«Ici repose mollement,</p>
+<p class="i2">Dessous cette tombe mignonne,</p>
+<p class="i2">L'arbitre du raffinement;</p>
+<p>Dont l'air, le coeur, le nom et la personne</p>
+<p>Respiraient tous un doux pouponnement.</p>
+<p class="i2">Il avait l'âme si pouponne</p>
+<p>Qu'il pouponna des romans, des chansons,</p>
+<p>Et même aussi de fort jolis sermons.»</p>
+ </div> </div>
+
+<p>Ainsi finit cette délicieuse oraison funèbre
+de Ange Rose-Farfadet, abbé de
+Pouponville, le mignon des grâces, la perle
+des petits-maîtres, l'élixir de la galanterie,
+la coqueluche des femmes et la quintessence
+de la gentillesse. Je devais exhumer,
+pour les relire de temps à autre, ces quelques
+pages malicieuses qui dégagent un
+parfum capricieux comme une boîte de
+pastilles à l'ambre.&mdash;Que de Pouponville
+rencontre-t-on aujourd'hui qui ne vont pas
+à mi-corps du cher petit abbé que nous
+venons de mettre en lumière.&mdash;C'est cet
+émule des Cléon et des Dorival qui laissa
+après sa mort ces quelques notes inimitables:</p>
+
+<blockquote><p>
+Aujourd'hui j'ai lorgné et relorgné 304 femmes
+au spectacle; le reste n'en valait pas la peine;
+encore je n'en ai remarqué aucune qui méritât
+qu'on fît une démarche. On est malheureux d'avoir
+le goût si superfin!</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Il y avait longtemps que les hommes faisaient
+les avances. J'ai mis les femmes sur le pied de
+jouer ce rôle à leur tour. C'est à mes confrères de
+les y maintenir.&mdash;<i>Je réponds de moi</i>.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+</blockquote>
+
+<blockquote><p>
+Ne voir et n'avoir une femme qu'une fois, <i>une
+seule</i>, quelque divine et miraculeuse qu'elle soit,
+c'est une maxime dont je me trouve bien. Je les
+laisse toutes sur la bonne bouche et toutes sont
+folles de moi à en mourir,&mdash;mais plus jamais
+je ne leur accorde la moindre faveur.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Le médecin céleste que Pamoisor! Il a guéri ma
+levrette grise et mon perroquet Amazone. Je veux
+lui donner un bijoux précieux. C'est le portrait de
+ma dernière maîtresse d'hier.&mdash;Qu'en ferais-je
+aujourd'hui?
+</p></blockquote>
+
+<h3>VI</h3>
+
+<p>Pendant tout le temps que dura le dîner,
+ma trop charmante amie, Mme ***, fut
+effrontée comme un petit page et libertine
+comme la fameuse marquise de Merteuil.</p>
+
+<p>Nous étions six au plus, tous littérateurs,
+sans compter le mari: un hors-d'oeuvre,
+maigre comme une sardine, pointu comme
+un radis, dur comme une rondelle de saucisson
+d'Arles.</p>
+
+<p>Elle m'avait placé à sa gauche à table;
+Ménélas faisait vis-à-vis.</p>
+
+<p>Mon Hélène était prise à ravir dans un
+merveilleux fourreau de satin noir, décolleté
+à souhait pour le plaisir des yeux; j'entendais
+la soie craquer sous les frissons
+nerveux que lui faisait éprouver le langage
+éloquent de ma bottine, et je me mordais
+les lèvres pour ne pas pousser des petits
+éclats joyeux, lorsque sa main mutine folâtrait
+en s'attardant sur un point chatouilleux
+de mon genou.&mdash;Au dehors la pluie
+tombait; l'atmosphère de la salle, tiédie par
+la lumière des candélabres, était imprégnée
+du fumet des truffes, du bouquet des vins et
+de l'arôme capiteux des caissons de foie gras.&mdash;J'éprouvais
+un affaissement, une mollesse,
+un besoin d'abandon, une certaine
+chaleur de digestion contrariée qui évoquaient
+le boudoir et le confort des divans
+profonds; j'aurais voulu pouvoir dégrafer,
+délacer, déchirer des étoffes ou mordre des
+batistes: des perles humides et chaudes
+scintillaient sur les pores de mes mains;
+les convenances m'empalaient sur mon
+siège.</p>
+
+<p>Elle, la perfide, avec le don d'ubiquité
+qui semble donné aux femmes du monde
+et également au monde des femmes en
+général. Elle, souriante pour tous, aimable
+pour chacun, polissonne à mon égard, distribuait
+ses grâces et me réservait sa grâce;
+elle, maîtresse de maison et maîtresse en
+mon coeur, avait l'oeil à tout et n'avait un
+regard que pour moi.&mdash;O créatures complexes
+qui savez et pouvez vous isoler, vous
+donner à un seul et vous gaspiller à l'humanité
+tout entière dans le même instant!
+O filles de Vénus, fées capricieuses et insaisissables,
+alors que vous vous êtes implantées
+par amour dans l'âme de votre amant,
+votre beauté vous prostitue aux désirs,
+aux rêves licencieux, aux fantaisies paillardes,
+aux embrassements convulsifs, dans
+l'imagination des mâles hardis qui vous
+contemplent.</p>
+
+<p>Est-il une femme qui soit restée vierge du
+désir d'autrui!&mdash;Peu importe, après tout,
+si le regard altéré et absorbant de l'ivrogne
+qui me boit des yeux, me fait trouver
+meilleur le vin que je porte à mes lèvres;
+je me mets d'accord avec la trivialité du
+vieux proverbe: lorsque mon verre est plein
+je le vide, lorsqu'il est vide je le plains.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Elle avait une rose écarlate plantée glorieusement
+dans l'échancrure de son corsage,
+entre la double colline tant chantée
+par tant de poètes maupiteux et malingres.
+A un moment, lorsqu'elle se pencha pour
+porter un toast, elle calcula si gentiment
+son mouvement, que brusquement mes
+lèvres cheminèrent dans la vallée du Pinde
+et je respirai moins la fleur que le parfum
+singulier de sa peau qui me fit passer dans
+la tête comme un vertige de rut.</p>
+
+<p>Le mari, aimable et bonasse, dans un
+langage pompeux critiquait Jean-Jacques
+et <i>La Nouvelle Héloïse</i> sur ce thème: «<i>Aidé
+de la sagesse, on se sauve de l'amour dans les
+bras de la raison;</i>» et moi, je répétais doucement
+ce début de la lettre XIV à Julie:
+«Qu'as-tu fait, ah! qu'as-tu fait, ma Julie?
+Tu voulais me récompenser et tu m'as
+perdu. Je suis ivre ou plutôt insensé. Mes
+sens sont altérés, toutes mes facultés sont
+troublées par ce baiser mortel. Tu voulais
+soulager mes maux? cruelle, tu les aigris.
+C'est du poison que j'ai cueilli sur ta gorge; il
+fermente, il embrase mon sang, il me tue.»...&mdash;Rousseau,
+concluait Ménélas, a toujours préféré les paradoxes aux préjugés,
+et puis, reconnaissait-il seulement ses enfants?&mdash;Les
+moeurs, Messieurs, comme le
+disait Restif de la Bretonne, peuvent être
+comparées à un collier de perles: <i>ôtez le
+noeud, tout défile</i>.</p>
+
+<p>Pardieu! je crois bien.&mdash;Sous la table,
+les doigts fluets de ma spirituelle voisine
+s'égaraient de plus en plus dans des caresses
+cupidiques.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Comme nous nous rendions au fumoir,
+précédés de l'<i>Anti-Rousseau</i>, étant le plus
+jeune, je restai le dernier; elle était près
+de la porte, et lorsque je passai, je reçus le
+péage.&mdash;Avec une étrange bravoure devant
+un danger possible, elle m'entoura
+par derrière le col de ses bras nerveux et
+me planta crânement un baiser sur la
+nuque, près de l'oreille, en me confirmant
+à voix basse le rendez-vous du lendemain.
+Je me cabrais sous l'éperon des désirs
+qu'elle faisait naître et que je ne pouvais
+anéantir dans sa possession.</p>
+
+<p>Pendant qu'elle allumait mes sens, le
+mari m'offrait un cigare, à l'aide duquel
+j'endormis mes révoltes aussi doucement
+que l'on berce un enfant criard au berceau.</p>
+
+<p>La conversation s'anima dans cette intimité
+d'homme à hommes. Le grand et
+terrible critique Z..., appuyé au chambranle
+de la cheminée, superbe comme Byron,
+massacrait de pauvres diables d'écrivains
+en les criblant d'épigrammes cruelles. Ses
+bons mots verveux pétaradaient comme
+une gerbe de fusées dans un jeu pyrique;
+il mitraillait les Philistins des lettres sans
+pitié, avec une furia de mousquetaire triomphant
+et sûr de ses coups.</p>
+
+<p>&mdash;Mordieu, mon cher, quel superbe
+franc-archer vous êtes, lui disais-je, surpris
+de la justesse de ses traits piquants et aciérés.</p>
+
+<p>&mdash;Que voulez-vous, me répondit-il en
+se campant le buste en avant, j'ai tellement
+reçu de flèches dans ma vie que je suis
+devenu carquois; je retourne les traits qui
+m'ont été décochés si souvent mal à propos,
+et je tâche, moi, de ne pas manquer
+ceux que je vise.&mdash;Au reste, poursuivit-il,
+chacun suit son étoile, et je crois aux
+signes du Zodiaque: je suis né <i>sous le Sagitaire</i>,&mdash;et
+vous?</p>
+
+<p>&mdash;Septembre m'a vu naître, ainsi que dirait
+un romancier du premier Empire, mais
+j'ignore les fameux signes du calendrier,&mdash;sauf
+ceux du <i>Calendrier de Vénus</i>.</p>
+
+<p>&mdash;Septembre!&mdash;c'est <i>la Balance</i>, mon
+ami; pour tout le monde ce serait la justice,
+mais pour vous, c'est mieux encore, et vous
+ne pouvez en nier l'influence: c'est l'art
+parfait de balancer les femmes sur les légers
+plateaux de l'inconstance. Demandez
+plutôt à notre hôte.</p>
+
+<p>&mdash;Peut-être bien, dit Ménélas.&mdash;Ainsi,
+je suis né en décembre, le jour de la Saint
+Jean; quel est mon signe?</p>
+
+<p>&mdash;Décembre!&mdash;<i>le Capricorne</i>, mon cher,
+et je vous en félicite, répondit avec une
+superbe ironie le grand critique,&mdash;vous,
+un homme paisible, qui s'en serait douté?&mdash;Mais,
+chut! voici votre femme.</p>
+
+<p>Le pauvre homme avait le sourire le plus
+gaillard du monde; l'amour n'est pas le
+seul à porter un bandeau, les maris ont souvent
+une visière de cuir comme l'aveugle
+du Pont-des-Arts, mais ils ne s'aperçoivent
+pas toujours qu'ils se mettent à deux pour
+jouer sur la même clarinette, l'un y fait les
+<i>canards</i>, l'autre y roucoule des mélodies.</p>
+
+<h3>VII</h3>
+
+<p>Rien n'approche de l'ennui que donne
+une passion qui dure trop, dit Saint-Evremont,
+avec un jugement sage et profond. Il
+y avait plus d'un mois que je mitonnais les
+mêmes plaisirs avec miss Mary; c'était esquisser
+un bail d'amour, et je devais donner
+congé à demi-terme si je ne voulais pas me
+manquer à moi-même, ce qui eut été la
+plus grave des impolitesses.&mdash;L'adage
+prétend qu'<i>une maîtresse de perdue, dix de
+trouvées</i>, mais la logique affirme qu'<i>une
+maîtresse de gardée, dix de perdues</i>, et Mary
+ne valait assurément pas la peine que je
+perdisse les faveurs des plus jolies petites
+reines de la création. Un Vauvenargues
+quelconque a écrit quelque part: «Nous
+méprisons beaucoup de choses pour ne
+pas nous mépriser nous-même.» C'est
+absolument ma pensée. N'aimer qu'une
+femme, c'est se mépriser; en aimer plusieurs,
+c'est en mépriser beaucoup mais se
+redresser dans sa propre estime, d'où je
+conclus q'une petite femme aimée était un
+lourd fardeau, et qu'il était urgent pour
+moi de changer à la banque de Cythère
+ma grande passion pour une menue monnaie
+de petits caprices à gaspiller à pleines
+mains sur la roulette de la bonne fortune.</p>
+
+<p>Mary était une charmante aventurière
+voluptueuse et fière, pleine de jeunesse,
+de gaité et d'insouciance; l'esprit de Sophie
+dans le corps de Musidora. Ses yeux introuvables
+cherchaient l'étrange jusque dans
+la jouissance: je la jugeais dangereuse pour
+un homme à imagination dépravée. Je résolus
+donc de rompre gentiment avec elle
+dans une petite fête intime et je l'engageai
+par lettre à faire abdication de notre amour
+devant un spirituel flacon d'Ay.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Elle accepta par ce triste sonnet plus
+mémorable que parfait dans sa forme et sa
+correction.</p>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p>Est-ce une épître funéraire,</p>
+<p>Ou le billet doux d'un viveur?</p>
+<p>Malgré sa verve cavalière</p>
+<p>Ta lettre m'a fait froid au coeur.</p>
+ </div><div class="stanza">
+<p>Est-ce ainsi qu'il faut qu'on enterre</p>
+<p>Ce pauvre amour au ton moqueur</p>
+<p>De ton verre heurtant mon verre,</p>
+<p>Chez un fameux restaurateur?</p>
+ </div><div class="stanza">
+<p>Puisque tu le veux, chez Vachette,</p>
+<p>Au bruit banal de la fourchette</p>
+<p>Et des stupides calembours,</p>
+ </div><div class="stanza">
+<p>Je serai ta digne compagne</p>
+<p>Et nous noirons dans le Champagne,</p>
+<p>Ce qui reste de nos amours.</p>
+ </div> </div>
+
+<p>A dix heures du soir après le dernier
+verre d'un pétillant Cliquot, nous chantions
+le <i>De profundis</i> sur le cadavre alcoolisé de
+notre passion;&mdash;à onze heures j'attendais
+à la sortie d'un petit théâtre de genre, une
+blonde enfant, cabotine d'opérette, qui
+remplissait mieux son maillot que ses devoirs.&mdash;L'hygiène
+du coeur consiste à y
+établir des courants d'air amoureux, sans
+y laisser stationner les miasmes d'une maladie
+de langueur. On peut permettre à une
+femme de se jeter par la fenêtre pour ouvrir
+la porte à une autre aussitôt, sans que
+les regrets, ces huissiers minutieux, aient
+le temps d'inventorier les doux souvenirs
+des temps qui ne sont plus.</p>
+
+<p>Entre Mary et la jeune <i>prima donna</i>,
+le contraste était grand, mais aucune n'avait
+le désavantage; tout se compensait: à la
+belle Impéria succédait la mignonne Régina;
+c'était la chatte qui se blottissait dans l'antre
+de la lionne et pour achever cette comparaison
+naturaliste, je pensais au joli mot
+si profond de Mlle Arnould: «Une souris
+qui n'a qu'un trou est bientôt prise.»</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>J'ai reçu une longue lettre de Mary, encore
+dans les bras de Nanine, ma petite commère
+de revue; je me suis donné le plaisir de la lire
+doucement, en jouant avec les longues torsades
+de cheveux de ma nouvelle maîtresse:&mdash;«quand
+je t'ai quitté hier, mon ami, disait
+la lettre, quand brusquement séparée de toi,
+j'ai été rappelée à la réalité de notre situation,
+j'ai senti, je t'assure, un vide profond,
+quelque chose comme un déchirement intérieur;
+je suis rentrée chez moi, les yeux
+secs et le coeur gros; alors, j'ai relu tes lettres,
+sans y trouver hélas! ce que j'y cherchais.
+Homme insaisissable, j'ai dû me rappeler
+les premiers moments de notre liaison,
+certains éclairs lumineux où tu étais peut-être
+<i>toi</i>, et comme après tout il est toujours
+pénible de perdre une illusion, si légère
+soit-elle, je le confesse, j'ai pleuré.»</p>
+
+<p>&mdash;<i>Il fait faim</i>, disait Nanine au lit, en
+étirant ses bras de caillette sur les guipures
+de l'oreiller.</p>
+
+<p>J'embrassai vivement son petit visage
+chiffonné par le sommeil et l'amour et
+continuai ma lecture:</p>
+
+<p>&mdash;«N. I. ni, c'est fini, mon pauvre cher;
+nous allons donc être amis, rien qu'amis,
+ce sera original du moins, si c'est peu vraisemblable;
+j'ai la mort dans l'âme, mais
+pour te plaire encore, je prends mon papier
+couleur de printemps, ce papier cuisse
+de nymphe émue que tu aimais tant aux quelques
+jours fugitifs de nos fugitives amours.
+Nous allons sortir du prévu, du convenu,
+de l'ordinaire; nous serons amis, rien
+qu'amis; pour un mangeur de coeurs comme
+toi, pour un franc-buveur d'inoubliables
+voluptés, pour un sceptique qui se retire
+alors qu'il parait se donner, le changement
+sera peu sensible. Combien de pauvres
+amantes n'as tu pas mises aux invalides de
+ton amitié?&mdash;pour moi je me rends, mais
+ne désarme pas; quelque beau jour un caprice
+nous réunira, nous jaserons comme
+de vieux camarades, et puis, tout à coup,
+ma foi, sans nul songement, comme tu as
+vingt six ans et que j'ai, dis-tu, du sang de
+succube dans les veines, nous oublierons
+l'amitié, la morale, les convenances, notre
+pacte, l'heure qu'il est, le temps qu'il fait
+et un formidable coup de canif sera donné&mdash;Oh!
+ne dis pas non&mdash;à ce curieux et
+féroce contrat amical que tu as rédigé toi-même.»</p>
+
+<p>&mdash;Fi! Monsieur l'impoli, continuait
+Nanine; vous lirez votre lettre plus tard;
+Dis moi Mimi: quelle heure est-il? Il ne
+faut pas que je manque ma répétition, le
+régisseur est un vilain gros singe; je serais
+à l'amende, mon bon chéri.</p>
+
+<p>La lettre de miss Mary se terminait ainsi:&mdash;«Ne
+crains pas cependant que je veuille
+renouer des liens amoureux; nous éprouverons
+l'un et l'autre plus de plaisir à nous
+voir, parce que tu ne seras pas mon amant,
+<i>un mot bête</i> et que je ne serai pas ta maîtresse,
+<i>chose banale</i>. Je rêve néanmoins de
+m'éveiller encore un matin dans certaine
+alcôve mystérieuse tendue de soie noire,
+parsemée de boutons de roses, où j'ai cru
+follement avoir été aimée et où je suis certaine
+d'avoir aimé. Mais je vous quitte:&mdash;un
+mot, un petit mot, mon bon monsieur,
+pour l'amour de notre amitié.»</p>
+
+<p>&mdash;Ma jolie cabotine s'était rendormie et
+songeait à des couplets de Clairville et
+des collants mi-partie.&mdash;Je n'ai jamais
+tant aimé la femme à travers les femmes et
+les maillots roses au travers des bas bleus.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Nanine est une créature tout bêtement
+exquise; une tête façonnée par une manière
+de satyre tombé en enfer; elle met très
+au juste l'orthographe, parle en fillette de
+douze ans et possède des pattes de mouches
+à faire revivre tout un ancien vaudeville.
+Elle joue avec ma chatte, sur les tapis,
+des heures entières en poussant des cris
+adorables de gamine en récréation; elle
+sauterait à la corde si elle pouvait. Elle
+rit, elle pleure, elle chante toujours aussi
+gaiement; c'est un rayon de soleil fait
+femme: quand elle boude, sa petite moue
+est réjouissante; quand elle aime, c'est un
+concert produit par les grelots de la folie.
+Elle a toutes les complaisances, toutes les
+impudeurs, toutes les délicatesses heureuses;
+jamais gauche, toujours coquette, c'est une
+petite maîtresse d'étagère; elle papillonne
+dans mon intérieur sans faire ombre à ma
+vie, sans arrêter le vol de mes pensées, on
+lui jette des images sur lesquelles sa vue se
+pâme; elle lit Pigaut-Lebrun ou Paul de
+Kock en faisant vibrer sa joie; et parcourt
+seulement Musset, car sa naïveté charmante
+se refuse à interpréter <i>Les Nuits, Rolla</i> ou <i>le
+Secret de Javotte</i>, peut-être sourit-elle à <i>Mimi
+Pinson</i>, mais il y a encore trop peu de distance
+de la coupe à ses lèvres.&mdash;Elle babouine
+plutôt qu'elle ne parle.</p>
+
+<p>Si je la mène à la campagne, Nanine
+embellit la nature; elle arrive comme une
+aurore de printemps, le matin, joyeuse et
+sautillante, heureuse de courir dans l'herbe
+et de fripper ses jupes et ses volants dans
+le brouhaha des gares.&mdash;Dans les champs,
+une poule est une révélation, un petit poussin
+un joujou japonais; elle va, vient, lutine
+les chiens, grimpe aux arbres, fait
+jouer l'aviron des canots ou cueille, baignée
+de lumière et de grâces, des coquelicots et
+des bluets qui font valoir sa fraîcheur délicate
+de fille d'amour.</p>
+
+<p>Nanine a dix-huit ans et joue avec son
+coeur comme avec un hochet. Connaît-elle
+le prix des baisers qu'elle me donne à toute
+heure, à tout instant, à chaque seconde,
+quand ses fins cheveux Van Dyck au vent,
+étourdie comme un hanneton, le regard
+espiègle, le nez coquin, le menton marqué
+d'une fossette polissonne, elle applique
+ses lèvres fraîches sur mes lèvres avec l'enfantillage
+d'une passion qui s'ignore?</p>
+
+<p>Je puis tromper Nanine, sans qu'elle
+en prenne ombrage. Au reste lorsque la
+cage est peuplée d'oiseaux qui gazouillent,
+les chats rentrent leurs griffes et écoutent.
+Don-Juan n'aurait que faire de briser ce
+petit coeur d'agnelet. Il n'y a que les rustres
+qui dénichent les nids; les vrais chasseurs
+ne tuent point les rossignols.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Revu la triste Mary, ce soir, chez moi, un
+mois après notre rupture.&mdash;Tout d'abord
+un grand froid, puis une conversation amicale
+à la turque sur des coussins jetés à terre.&mdash;Retour
+sur le passé.&mdash;Nous égrenons
+sur le tapis tous les souvenirs d'autrefois;
+elle, avec une amertume visible, moi, avec
+une froideur marquée.&mdash;Il me déplait
+d'exhumer des sensations mortes; elles ne
+revivent jamais avec la même expression.
+Dans le coeur d'un jeune homme, ces sortes
+de cadavres sont toujours trop légèrement
+enfouis; alors qu'on peut encore agrandir
+son cimetière d'amour, il faut laisser au
+temps le soin d'achever son oeuvre. La
+vieillesse impuissante retourne ce champ de
+repos; le présent est chargé de meubler
+l'avenir, ce n'est que lorsque le feu est
+éteint qu'on peut remuer des cendres.</p>
+
+<p>Mary fit des prodiges de diplomatie
+passionnée; elle essaya, mais en vain, de
+faire sonner toutes les cordes de la lyre,
+mais je n'étais guère en humeur de chanter
+et ma lyre ne rendait que des sons de
+vieille guitare mal accordée.</p>
+
+<p>A minuit, elle regarda la pendule et fit
+mine de partir. Je la laissais faire sans quitter
+ma posture alanguie ni proférer une
+parole. Alors, s'élançant sur moi, elle
+m'enlaça, m'embrassa, me caressa, me réchauffa
+avec une brutalité de tigresse ardente
+et affamée...&mdash;l'amitié jurée fit un
+plongeon. Devant les glaces de mon mutisme,
+cette femme succube s'était redressée,
+brûlante comme un brasier; le coup de canif
+était porté au contrat, mais mon <i>moi pensant</i>
+n'avait pas eu part aux ébats. J'étais furieux
+de cette victoire remportée sur mes
+sens contre mon gré, et ma passivité non
+voulue m'attristait. Ne vaut-il pas mieux
+aimer sans retour, que d'être aimé avec
+cette furia, quand le dédain du coeur le plus
+grand répond à un sentiment si violent?</p>
+
+<p>Elle, cependant, était glorieuse, et, comme
+je l'accompagnais à la porte, pour ne pas
+prolonger cette situation trop ou trop peu
+tendue, elle me lança avec un sourire diabolique
+ce mot d'adieu à la Socrate: «<i>Amour,
+tu es tout: Amitié tu n'es qu'un vain mot</i>.»</p>
+
+<h3>VIII</h3>
+
+<p>&mdash;Veuillez croire, mon cher, que cela
+existe beaucoup plus que vous ne le supposez,
+c'est une femme d'expérience qui vous
+parle, et tenez: voici l'épître que j'ai reçue,
+lisez; elle est signée en toutes lettres par
+une princesse russe, mais peu importe,
+vous serez discret si bon vous semble.</p>
+
+<p>Et je lus la plus étrange déclaration d'amour,
+écrite avec l'outrance passionnée
+d'une femelle qui voudrait être homme. Je
+savais que le grand César était appelé <i>le
+mari de toutes les femmes et la femme de
+tous les maris</i>, mais je ne concevais pas
+chez le sexe faible une tendance aussi manifeste
+et aussi Césarienne. Mon aventure
+avec Babette et la Baronne m'avait révélé
+des points jusqu'alors indécis dans ces
+curieuses accordailles, mais mon rôle du
+moins n'y était pas effacé et comme les
+danseurs antiques, je pouvais apparaître au
+milieu du festin&mdash;ici la virilité était bafouée,
+méprisée, dénoncée comme une
+turpitude; le temple de Vesta déployait
+seul sa svelte architecture; maudit était le
+mâle qui faisait mine d'y pénétrer; c'était
+l'élément destructeur des moeurs douces
+et liantes, c'était le hideux procréateur, le
+méchant faune égoïste et brutal qui amenait,
+à la suite d'un faux plaisir, la douleur,
+les anxiétés, les dégoûts et la perte fatale
+des formes les plus pures.</p>
+
+<p>&mdash;Voilà qui est fort intéressant pour
+l'étude sociale, dis-je à mon interlocutrice
+en repliant la lettre; le document est superbe
+et hautement paraphé; suis-je indiscret
+en vous demandant quelle réponse fut
+la vôtre?</p>
+
+<p>&mdash;Aucunement, ami; vous pensez bien
+que je ne répondis pas; mais à quelque
+temps de là, la signataire m'ayant rencontrée
+dans un salon, vint à moi, aimable et
+pleine d'attentions, et, après s'être informée
+de ma santé, elle manifesta un grand étonnement
+de mon silence à sa lettre: «Quoi!
+c'était vous, princesse, fis-je avec la plus
+souveraine froideur. Ah! pardonnez-moi,
+en vérité, je croyais qu'une telle déclaration
+venait de votre mari.»</p>
+
+<p>&mdash;Et vous ne la revîtes plus?</p>
+
+<p>&mdash;Jamais.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>&mdash;Votre anecdote, ma belle amie, me remet
+en esprit, ce joli tableau de genre en
+trois mots, que j'ai lu, je crois, vous ne
+sauriez le supposer, dans les <i>Mémoires de
+monsieur Joseph Prudhomme</i>. Monnier y raconte
+ainsi une visite à mademoiselle Raucourt
+qui était, vous le savez, au siècle dernier,
+la grande prêtresse de la secte Anandryne:&mdash;«Mademoiselle
+Raucourt portait
+une robe de chambre en molleton, des
+pantalons à pied également en molleton, et
+un bonnet de coton incliné sur l'oreille.»</p>
+
+<p>«On venait de servir le déjeuner et elle
+était assise à table entre une jeune fille fort
+jolie et un petit garçon.</p>
+
+<p>&mdash;Prendras-tu du chocolat ou du café
+au lait ce matin? demanda mademoiselle
+Raucourt à sa voisine.</p>
+
+<p>&mdash;Du chocolat, <i>mon cher Ami</i>; le café
+au lait me fait mal.</p>
+
+<p>&mdash;Et toi, mon petit, veux-tu encore du
+beurre?</p>
+
+<p>&mdash;Merci, <i>Papa</i>, j'en ai assez.»</p>
+
+<p>Cette photographie de famille est exquise,
+n'est-il pas vrai? Elle en dit plus qu'elle
+n'est grande; on peut y voir des choses
+l'infini, et, pour moi qui ai lu et relu la littérature
+érotique de tous les temps, depuis
+le grivois jusqu'à l'horrible en passant par
+les gradations les plus nuancées, je n'ai
+pas encore oublié ce simple petit croquis
+de Joseph Prudhomme, expert en écriture,
+<i>élève de Brard et Saint-Omer</i>.&mdash;Ah! comme
+je voudrais, madame, vous montrer mon
+érudition profonde sur ce sujet Lesbien;
+mais il vous faudrait fermer les portes,
+m'écouter sans rougir ou bien rougir sans
+m'écouter; je passerai de la Grèce à Rome,
+de la Chine à l'Orient, de Paris à la Province,
+de la Régence à l'Empire avec des
+textes variés. Si vous étiez la Chevalière
+d'Eon j'oserais peut-être,... mais...</p>
+
+<h3>IX</h3>
+
+<p>Je comprends mieux que toute autre le
+<i>compagnonnage intellectuel</i>, m'écrivait la minaudière
+madame de C., il y a bientôt huit
+jours;&mdash;«croyez-vous que je veuille jouer
+près de vous le rôle d'une femme jalouse,
+d'une <i>maîtresse à scènes?</i>&mdash;Le ciel m'en préserve;
+je ne veux rien savoir; je veux <i>vous
+voir vivre</i>, vous panser l'âme comme une
+soeur de charité panse les blessures du
+corps. Je vous apprendrai à aimer de la
+bonne façon, sans orages, sans déchirements,
+sans inquiétudes, sans jalousies, tout doucement,
+bien tendrement; vous serez pour
+moi un grand baby devant lequel je serai
+en adoration comme les mères devant leurs
+enfants.»</p>
+
+<p>Je me suis cru, en lisant ces mots, vers
+1820, à l'époque où l'on jouait encore de la
+cithare sentimentale devant des littérateurs
+larmoyeux et des poètes édités par Ladvocat.&mdash;Madame
+de C. fait voile vers la
+quarantaine, ce <i>Lazaret d'amour</i> des femmes
+du monde; elle est forte et langoureuse, il
+ne lui manque que le turban de madame
+de Staël; elle ne veut rien savoir, <i>mais elle
+veut tout connaître</i>. C'est un autre temps
+vers lequel elle recule et entraîne ma vie
+comme pour mieux se rajeunir. Depuis
+que je la vois, je me meus dans des intrigues
+à la Ducray-Duminil, je relis par la
+réalité, <i>Madame de Valnoir, Coelina ou l'Enfant
+du Mystère, Jules ou le Toit paternel</i>,
+et autres épopées romancières en plusieurs
+volumes.&mdash;Elle arrive quelquefois le matin
+comme un ouragan, dans un grand manteau
+noir, la tête encachotée dans une
+longue mantille; elle se pâme et comprime
+les battements de son coeur, s'affaisse
+sur un siège et semble dire: «<i>On m'a
+suivie, je suis perdue</i>.»</p>
+
+<p>Je reste froid à ses déclarations et y
+porte juste le même intérêt qu'à la <i>reprise</i>
+d'un vieux mélodrame.&mdash;Hier, j'ai voulu
+rompre; cela m'agaçait. Dans un billet
+fatal et ténébreux, je réclamais mes lettres
+en échange des siennes, afin de ne pas
+oublier le réalisme de la couleur locale.&mdash;J'attendais
+Justine, la chambrière; hélas!
+ce fut elle qui vint.</p>
+
+<p>Elle se fit annoncer, et marcha avec un
+air brisé jusqu'au fauteuil qui lui était
+offert.&mdash;Un juge d'instruction eut envié
+ma rigidité impénétrable.</p>
+
+<p>&mdash;Monsieur, je vous rapporte vos lettres&mdash;(elles
+étaient nouées dans un ruban
+mauve).</p>
+
+<p>&mdash;Madame, je vous rends grâces, voici
+les vôtres.</p>
+
+<p>&mdash;C'est donc fini, dit-elle avec un gros
+sanglot dans la voix. Ah! perfide! que
+vous ai-je fait?&mdash;Voyez mes yeux, ils
+sont tout rouges des pleurs de la nuit.
+Depuis que je vous connais, je me meurs;
+<i>j'ai tant besoin de ménagements</i>&mdash;(elle
+était fraîche comme un Rubens).&mdash;Pourquoi
+ne pas nous laisser aller à l'amour?
+il fait si beau, le ciel est si pur,
+les oiseaux chantent; tout nous invite aux
+joies enivrantes, aux douces caresses, aux
+charmes profonds; vous m'aimez: je le
+sais, je veux le croire.&mdash;(J'avais cependant
+tout mis en oeuvre pour lui prouver
+la vérité, c'est-à-dire le contraire).&mdash;Ah!
+ne sois pas insensible à ma voix; viens,
+regarde-moi; me trouvez-vous jolie, Monsieur?&mdash;Cette
+beauté dont on me gratifie
+dans le monde, elle est à vous, et vous
+seul cependant ne m'en avez jamais fait
+le plus petit compliment. Voyons, embrassez-moi;
+faut-il que moi je me jette
+vos genoux?</p>
+
+<p>Comme je restais glacial et ennuyé,
+chantonnant intérieurement comme ironie
+une romance en mineur de <i>la Grâce de
+Dieu</i>, elle éclata:</p>
+
+<p>«Ah! ne jouez pas au Byron! ne faites
+pas votre Manfred, Monsieur!&mdash;je sais
+tout ce qu'il y a de grand, d'incompris
+dans votre âme; vous êtes un lion blessé
+qui se défend d'aimer.</p>
+
+<p>«Dites-moi le nom de celle qui vous a
+torturé; j'irai la chercher, je vous la ramènerai
+douce, repentante et docile; mais
+parlez-moi, de grâce; ne restez pas ainsi
+comme une statue de pierre; le destin
+fatal veut que j'aime tout en vous, vos
+manières, votre personne, votre esprit, vos
+vices et même vos vilains gros défauts.&mdash;Moi,
+qui suis si fière, si orgueilleuse,
+si indomptée! Suis-je assez bas devant
+vous. C'est horrible!»</p>
+
+<p>Elle parlait toujours, et cette petite voix
+maniérée sortant de cette mamoseuse poitrine
+m'irritait à l'extrême. Cette plantureuse
+Junon jouant à la petite maîtresse,
+ces langueurs dans cette puissance, ces
+larmes dans ces yeux arides, ce comédisme
+tout cérébral qui laissait le coeur
+intact et le corps vierge d'émotions,
+tout cela n'était que ridicule et je le
+comprenais, car le <i>vrai</i> touche toujours
+son but; on peut s'en défendre mais on
+ne saurait le méconnaître quand en
+amour on reste maître de soi ou qu'on
+se désintéresse franchement dans la partie.</p>
+
+<p>Déjà elle se renversait dans une feinte
+attaque de nerfs, son mouchoir sur la
+bouche comme pour arrêter des suffocations;
+je me préparais à distiller quelques
+gouttes d'eau de Mélisse sur ses lèvres,
+lorsqu'on m'annonça un ami. Ma porte
+n'était pas condamnée, c'était un sauveur.
+Madame de C. prit congé de moi avec
+l'amer regret d'avoir été interrompue dans
+sa crise. Au moment de franchir la porte
+elle revint sur ses pas:</p>
+
+<p>&mdash;Ah! pardon, Monsieur, j'oubliais...
+mes lettres.</p>
+
+<p>&mdash;Lesquelles, Madame, les vôtres ou
+les miennes?</p>
+
+<p>&mdash;Celles que vous m'avez écrites,
+cruel! et que je ne puis me décider à vous
+restituer.</p>
+
+<p>Je n'ai jamais pu rompre avec Madame
+de C., alors que je me dispose à ranger
+cette sotte fantaisie dans l'histoire ancienne,
+elle revient ajouter de nouveaux documents
+au dossier. Il est des orgues de
+Barbarie qui prennent l'habitude périodiquement
+de <i>moudre des airs</i> dans les cours;
+ainsi fait cette ingénue marquée. Elle se
+manifeste dans son exigence et son encombrante
+corpulence, à l'exemple d'une
+trombe impétueuse, et elle soupire mignardement
+comme une sylphide: «<i>Je tiens
+si peu de place, et veux si peu de chose</i>.»</p>
+
+<p>Que me serait-il arrivé, grands dieux!
+si j'avais couronné la flamme d'une telle
+Bacchante-élégiaque? Je lui ai bien permis
+quelquefois certaines privautés&mdash;de même
+qu'on se laisse lécher la main par un bon
+gros chien,&mdash;mais je n'en ai jamais prises
+avec elle. L'ombre de son mari sec et parcheminé
+a toujours flotté comme le pressentiment
+d'un remords, entre ses terribles
+désirs et mes courtes pensées de concupiscence.&mdash;Ce
+pauvre homme! il est maigre
+à embrasser un bouc entre les deux cornes.</p>
+
+<h3>X</h3>
+
+<p>Je croyais ne plus aimer ma petite
+Jeanne; le bonheur berce l'amour et l'endort.
+Mais comme elle me quittait certain
+matin par un gai soleil de mai, je la regardais
+partir et lui adressais de loin de
+nonchalants baisers. Elle se retournait,
+gracieuse et vive, et de son mouchoir
+fouettait gentiment l'air.</p>
+
+<p>Une sorte de commis de rayon, un goujat
+vêtu comme un lieu commun, un hideux
+clerc de quelqu'huissier louche, la regarda
+au passage et avec le sans-façon d'un cuistre
+qui se croit tout permis, frappé d'une
+idée de séduction, il se mit à ajuster son
+col, à donner une inclinaison à son chapeau
+et à changer son itinéraire dans le
+but visible de marcher dans le sillon de
+beauté que laissait derrière elle ma charmante
+adorée.</p>
+
+<p>Au tournant de la rue, je ne vis plus
+rien. Par malheur, j'étais en robe de
+chambre, en pantoufles, au saut du lit;
+j'aurais voulu avoir des ailes, pour rejoindre
+le faquin, le souffleter et lui tirer les
+oreilles, pour s'être permis de souiller du
+regard et de la pensée ma maîtresse élue,
+et, bien que le soupçon ne put s'imposer
+mon esprit devant ce ver de terre suivant
+cette reine, je me suis longtemps demandé
+si je devais attribuer à l'amour, ou au mépris
+des insolents médiocres, le sentiment
+de rébellion et de sourde rage qui s'était
+emparé de mes sens.</p>
+
+<p>Ah! pensées infâmes qui germent trop
+souvent dans le cerveau surmené par une
+idée de possession absolue, chez un être
+qui se sent l'orgueil de son despotisme et
+le despotisme inflexible de son orgueil:
+Que ne peut-on royalement assassiner la
+créature qu'on est certain d'avoir possédée
+de l'épiderme aux fibrilles les plus tenues,
+du coeur et de la cervelle, de même qu'on
+peut briser au sortir d'une orgie la coupe
+de cristal où l'on a bu l'ivresse à longs
+traits, mais sur laquelle aucun autre désormais
+ne pourra porter ses lèvres.</p>
+
+<p>Heureux ces souverains d'Orient, qui
+après une nuit de délices inoubliables,
+faisaient trancher la tête de leurs plus
+douces sultanes avec une cruauté langoureuse
+et poétique. Ils éprouvaient la philosophie
+de leur crime, car loin d'ouvrir la
+porte aux remords, ils la fermaient aux désillusions.&mdash;<i>Il
+y a du satrape chez les hommes
+entiers</i>.</p>
+
+<h3>XI</h3>
+
+<p>C'est tout un poème de tristesse dans
+mon coeur, quand j'y songe: ce navrant
+billet doux disait: «J'aurai le plus grand
+plaisir à te voir; si tu m'as aimé un instant,
+viens: <i>Je suis chez Dubois... tu sais...,
+faubourg Saint-Denis</i>. J'ai cru en y entrant
+y mourir d'ennui, par bonheur jusqu'
+présent, les amis se sont montrés dévoués...
+Mais toi, je voudrais tant te sentir
+la main dans ma main. Si tu as un moment,
+viens, viens, je t'en serai si reconnaissante!»</p>
+
+<p>Pauvre grande enfant! elle se nommait
+Flore de ***. Je l'avais entrevue au printemps,
+alors que pour échapper aux cuissons
+parisiennes j'étais allé à Ermenonville,
+en compagnie d'une petite déesse de Paphos,
+faire l'amour sous les grands arbres,
+près des temples mythologiques et des
+grottes voluptueuses, peuplés du souvenir
+de Rousseau.</p>
+
+<p>En la voyant pour la première fois, dans
+l'échange seul de nos regards, nous avions
+pris possession l'un de l'autre avec cet
+instinct curieux et impossible à analyser de
+deux êtres, qui ne se sont jamais vus et
+qui cependant se retrouvent. De ce jour,
+j'avais l'assurance qu'elle était à moi, sans
+fatuité; c'était mieux qu'un pressentiment,
+c'était une certitude: son oeil fixement me
+disait: «<i>Je suis ta chose</i>;» et mon regard
+inexorable répondait: «<i>Je le sais et le
+sens; tu m'appartiens</i>.»&mdash;Chaque homme a
+son harem dispersé dans le monde, dit un
+moraliste; celle-ci était plus sûrement ma
+sultane que la petite houri qui se pendait
+à mon bras, et qui avait des allures capricantes
+dans l'herbe. L'une m'était réservée
+par le destin comme une jeune fille au
+minotaure du labyrinthe, l'autre, gentille
+hétaïre, se prêtait à ma fantaisie; elle se
+donnait un maître par caprice, sans subir
+le fatalisme d'une passion. La première,
+<i>dans moi</i>, ne pouvait méconnaître l'amant,
+la seconde, plus légère, n'y voyait que
+l'amour. Pour la théorie des ardeurs
+amoureuses celle-là était la flamme, celle-ci
+n'était que la fumée.</p>
+
+<p>A peine étais-je de retour à Paris, où j'avais
+réintégré mon insouciante compagne,
+que je revins à Ermenonville. Pendant près
+d'un mois je la vis et ne lui parlai pas; ce
+n'était pas là du sentimentalisme ni de la
+crainte, c'était une jouissance particulière.
+Je planais sur elle comme l'épervier sur la
+colombe, et la pauvre petite tourterelle
+mettait sa tête sous son aile pour ne pas
+voir mais aussi pour mieux se laisser prendre.</p>
+
+<p>Flore de *** s'isolait dans son veuvage,
+bien qu'elle eût à peine vingt-cinq ans;
+elle était mieux que jolie et plus que belle:
+un poète eût décrit sa beauté en un volume,
+pour moi qui ne suis point poète,
+je constatai simplement que cette brune radieuse
+possédait au complet, et au delà,
+les qualités essentielles de la perfection
+chez la femme, selon Brantôme.</p>
+
+<p>Une heure avant mon départ je lui parlai.
+Ainsi deux aimants longtemps placés côte-à-côte
+doivent se réunir.&mdash;Elle ne dit mot
+à mes quelques paroles, mais le soir le
+même wagon nous ramenait fiévreux,
+courbaturés par l'attente et les promesses
+de notre fougue, et cependant notre amour
+plaidait pour lui même, sans que nous
+eussions besoin de parler de nos désirs;
+nos coeurs battaient avec éloquence, mais
+nos lèvres étaient muettes.&mdash;Lorsque les
+sens s'adressent à des sens qui répondent,
+les paroles sont craintives, on dorlote par
+la pensée les plaisirs que nourrit l'espérance.</p>
+
+<p>&mdash;Ah! quel raffinement il y a dans la patience
+de la possession... <i>qualis nox fuit
+illa</i>... disait Pétrone...</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>La pauvre mignonne se laissa consumer
+par l'ardeur de sa passion; elle mourut en
+janvier après plus de six mois de délices
+surhumaines. Je voyageais dans les brumes
+d'Angleterre lorsque ce navrant billet doux
+me parvint: «<i>Je suis chez Dubois... tu sais,
+faubourg Saint-Denis...</i>»</p>
+
+<p>Hélas! je ne l'ai point revue et peut-être
+l'ai-je tuée..., cette douce amoureuse.
+C'est tout un poème de tristesse dans mon
+coeur quand j'y songe.</p>
+
+<h3>XII</h3>
+
+<p>Lorsque la grande comtesse conçut le
+ridicule projet de me marier, je me laissai
+faire, c'était le testament de son amour dont
+elle pensait ainsi légitimer la succession.
+Je fis mine d'accéder et poussai jusqu'à la
+présentation, mais pendant le dîner, je
+lançai froidement dans le courant de la
+conversation d'irréfutables pensées contre
+le mariage, qui, comme toutes les vérités
+profondes, causèrent la plus déplorable sensation
+parmi les convives engagés dans les
+liens de l'hyménée. Voici quelques-uns de
+ces aphorismes terribles et tranchants:<br />
+.........................................<br />
+.........................................</p>
+
+<p><i>Le Mémorandum d'un Epicurien s'arrête ici.&mdash;Une
+main inconnue a déchiré les pages manuscrites
+qui suivaient ces quelques notes hâtives et décousues.&mdash;La
+sottise peut tout lacérer en invoquant le code
+indigeste de la morale.&mdash;Les vérités sociales doivent
+rester cachées dans le puits de la logique.&mdash;Ici,
+le</i> Mémorandum <i>devenait peut-être intéressant;
+mais l'éditeur persiste à mettre au jour ce carnet
+de fat et à le reproduire avec ses lacunes et ses errata.&mdash;Ainsi
+soit-il!</i></p>
+
+<div class="fig" style="width:100%;">
+<img src="images/06.jpg" width="200" height="184" alt="[Illustration]" />
+</div>
+
+</div><!--end chapter-->
+
+<div class="chapter">
+
+<div class="fig" style="width:100%;">
+<img src="images/07.jpg" width="400" height="175" alt="[Illustration]" />
+</div>
+
+<h2><i>Les Fastes du Baiser</i></h2>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p class="i40">Suçotant frétillardement,</p>
+<p class="i40">Dérobons nous tout doucement</p>
+<p class="i40">Par un baiser l'âme et la vie.</p>
+<p class="i50">PARNASSE DES MUSES.</p>
+</div></div>
+
+<p>D'après la légende interprétée par
+Jean Second Evrard, l'auteur des
+<i>Baisers</i>&mdash;ce chef d'oeuvre d'un
+poète voluptueux et hardi,&mdash;Vénus transporta
+vers l'aurore le jeune Ascagne tout
+endormi, dans un des bosquets enchanteurs
+qui dominent Cythère. Là, plaçant douillettement
+sur un lit de tendres violettes cet
+adorable adolescent, elle fit naître, de sa
+volonté de Déesse, une prodigieuse floraison
+de roses blanches dont les suaves senteurs
+s'épandirent à l'entour. Cypris contempla
+son oeuvre dans le mystère de sa retraite:
+Sous ses yeux, le fils d'Énée respirait doucement;
+les fleurs fraîches écloses s'épanouissaient
+au-dessus de sa tête, semblant
+bercer son sommeil, tandis que cependant
+l'air saturé de parfums capricieux conviait
+les sens aux plus charmants ébats. Vénus
+sentit sourdre en elle un étrange frisson; une
+ardeur fiévreuse se glissa dans ses veines,
+et les caresses, filles du désir, se prirent
+voleter avec malice sur ses divins appas.
+Adonis, en cet instant, lui apparût dans le
+lointain du passé avec les tièdes souvenances
+des délices charnelles; elle se mit à évoquer
+les grâces viriles, les valeureux enlacements,
+les coïntes galanteries de son amant,
+et, devant le repos d'Ascagne, devant ce
+garçonnet plus rose que les roses, devant
+les beautés sveltes de cette puberté découverte,
+elle se trouva faible, indécise, bouleversée;
+c'est ainsi que dormait son berger;
+elle eut voulu étreindre ce cou junévile
+et fringuer sur ce torse coquet, mais où
+Morphée régnait, sa pudeur fut maîtresse.</p>
+
+<p>Les roses, dans leur langage, distillaient
+de capiteux conseils, les fleurettes du
+gazon chatouillaient le derme de ses
+jambes, ses colombes fidèles, battant
+joyeusement de l'aile, se becquetaient
+sous la ramée; les zéphirs avec un langoureux
+murmure se jouaient sur ses lèvres
+ardentes; l'amour, dans toutes ses manifestations,
+chantait une hymne à sa reine-mère;
+la nature par sa sève dictait sa grande loi.
+Alors, la sensible Dionée attendrie, éperdue,
+se laissa lentement tomber sur les
+parterres fleuris, et se penchant sur la
+fraîcheur des roses, elle en prit une et
+l'embrassa.&mdash;On eut dit, à ce contact, que
+le sol s'enflammait; les roses blanches s'animèrent,
+devinrent pourpres comme de pudibondes
+damoiselles tout à coup lutinées;
+autant de baisers cueillis par ces lèvres
+mi-closes, autant de baisers rendus, jusqu'à
+ce que Vénus, fière de sa moisson et trainée
+travers l'azur par ses cygnes éclatants, se
+mit à parcourir le globe terrestre, semant
+pleines mains comme un nouveau Triptolème
+des baisers inédits sur les campagnes
+fécondes.</p>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p>«Depuis ce jour, tout brûle, et s'unit, et s'enlace;</p>
+<p>Le bouton d'un beau sein est éclos du baiser;</p>
+<p>Une rose y fleurit pour y marquer sa trace;</p>
+<p>Fier de l'avoir fait naître, il aime à s'y fixer.»</p>
+ </div> </div>
+
+<p>C'est à ces baisers tombés du ciel, dans
+un combat des sens, que nous est venue la
+merveilleuse éclosion des plaisirs les plus
+vifs: baisers voluptueux issus des roses
+fraîches et vermeilles, baisers humides,
+précieux dictames des amours humaines;
+baisers frissonnants qui donnez la vie et
+scellez le pacte des âmes, baisers variés
+mais toujours enivrants et nouveaux, je
+vous salue!</p>
+
+<p>D'autres, nourrissons d'Apollon ou
+amants favorisés des Parnassides, vous
+ont chantés sur des lyres sonores et harmonieuses;
+chaque jour des lèvres s'unissent
+pour célébrer votre gloire dans un
+râle de bonheur et d'ivresse: pour moi,
+heureux baisers, provocateurs de la virilité,
+baisers petits et grands, baisers doucereux
+ou brutaux, légers ou profonds, langoureux
+ou mordants, libertins ou <i>vitriolesques</i>;
+baisers auxquels la mâleté donne toute
+l'expression, je veux conter vos fastes
+dans le prosaïsme de ma manière, détailler
+vos mignardises si chères aux farfadels de
+la passion, et annoter vos variations savantes
+comme un pieux dégustateur de vos
+innombrables fantaisies qui embéguinent
+ma concupiscence.</p>
+
+<h3>II</h3>
+
+<p>Plusieurs savants, dans de longues dissertations,
+ont déjà traité la question.
+L'ouvrage le plus intéressant et aussi le
+plus célèbre est l'essai de Kempius, intitulé:
+<i>de osculis</i>. Les latins se servaient de
+mots différents pour mieux marquer la
+nuance des baisers; ils nommaient <i>Osculum</i>,
+un baiser donné entre amis; <i>Basium</i>, un
+baiser offert par convenance ou reçu par
+politesse; et <i>Suavium</i>, un tendre baiser
+impudique<a href="#fn-1" name="fnref-1" id="fnref-1"><sup>[1]</sup></a>. Ne nous inquiétons que de
+celui-ci; les autres ne sont que baisements
+ou baise-mains, contacts sans plaisirs, accolades
+sans convictions, civilités puériles
+et honnêtes, Berquinades à l'usage des
+hypocrisies sociales. Si je m'étends ici
+quelque peu sur l'historique des baisers,
+ce sera pour revenir avec plus d'empressement
+à ces doux becquetages de tourterelles,
+à ces duos des lèvres, à cette fusion
+des désirs que les anciens exprimaient si
+bien par <i>columbatim</i>, un mot exquis que
+<i>colombellement</i> ne saurait traduire à mon gré.</p>
+
+<p class="footnote">
+<a name="fn-1" id="fn-1"></a> <a href="#fnref-1">[1]</a>
+Cette différence est indiquée ainsi dans les
+<i>Arrêts d'amours</i> de Martial d'Auvergne: «ut paululum
+a materia divertamus, quid sit discriminis
+inter basium, osculum, et suavium dicamus,
+Aelius Donatus in Eunucho Terentiano tria osculandi
+genera ponit, osculunt silicet, basium, et
+suavium. Oscula officiorum sunt, basia vero pudicorum
+affectuum, suavia libidinum vel amorum.
+Servius Honoratus in primo Æneid super his
+verbis: <i>oscula libavit</i>, osculum religionis esse dicit,
+suavium autem libidinis.</p>
+
+
+
+<p>Lorsqu'à Rome l'adultère ne subissait
+aucune loi de répression, le baiser public
+était ignoré et considéré comme un gage
+de fidélité conjugale mis au nombre des
+caresses secrètes de la nuictée; un jeune
+citoyen pour avoir eu la témérité de ravir
+un baiser à une grave matrone fut par sentence
+condamné à mort et exécuté. On
+peut trouver dans le code une loi dont les
+prérogatives sont connues par les jurisconsultes
+sous le nom de <i>Droit du Baiser</i>. Ce
+droit consistait en présents de fiançailles
+qui devaient compenser l'atteinte que la
+pudicité virginale de l'épousée avait soufferte
+d'une amoureuse union des lèvres,
+c'était le gage avant-coureur de l'amour
+conjugal. Les Romains ont fait aussi quelquefois
+du baiser un acte religieux; les
+philosophes et les naturalistes prétendaient
+que les yeux, le col, les bras et généralement
+toutes les parties du corps étaient
+consacrées à des divinités particulières<a href="#fn-2" name="fnref-2" id="fnref-2"><sup>[2]</sup></a>; on
+croyait honorer ces divinités en baisant les
+membres qui étaient sous leur protection.
+Ils embrassaient l'oreille, le front et la main
+droite dans la pensée de rendre hommage
+à la mémoire, à l'intelligence et à la fidélité
+qu'ils étaient accoutumés à symboliser dans
+un culte divin.</p>
+
+<p class="footnote">
+<a name="fn-2" id="fn-2"></a> <a href="#fnref-2">[2]</a>
+Voyez à ce sujet: <i>Variétés littéraires ou
+Recueil de pièces tant originales que traduites (par
+l'abbé Arnaud et Suard)</i>. Paris, 1768, tome I,
+pp. 379 et suivante.</p>
+
+<p>L'usage réservé du baiser sur la bouche
+tenait également au culte. Les vertueux
+Romains regardaient la divinité qui préside
+à l'amour comme le parangon de la chasteté;
+les blanches colombes qui conduisaient
+son char étaient la plus naïve expression
+de la pureté morale, et ils auraient cru
+déplaire à Vénus, en prodiguant hors de
+propos le baiser amoureux qui devait témoigner
+seulement de la foi des époux.
+Les violateurs de cette loi étaient sévèrement
+punis. Valère Maxime en a relaté
+plusieurs exemples frappants. Les profonds
+penseurs sentaient que, permis trop légèrement,
+les baisers conduisent souvent
+la perturbation des moeurs, et ils cherchaient
+clandestiner ces sensations voluptueuses
+dans la légitimité du mariage, pour inciter
+la jeunesse à l'hyménée et préserver son
+propre bonheur et la félicité de l'État.</p>
+
+<p>On connaît le chapitre sur les baisers
+dans lequel Jean de la Caza, évêque de
+Bénevent, dit qu'on peut se baiser de la
+tête aux pieds; il plaint les grands nez qui
+ne peuvent s'approcher que difficilement
+et il conseille aux dames qui ont le nez
+long d'avoir des amants camus, et aux
+amoureux doués d'une protubérance nasale
+exagérée de choisir des maîtresses chez lesquelles
+cette partie saillante du visage soit
+plus fine et moins en avant.</p>
+
+<p>«Le baiser était une manière de saluer
+très ordinaire dans toute l'antiquité, raconte
+Voltaire<a href="#fn-3" name="fnref-3" id="fnref-3"><sup>[3]</sup></a>, Plutarque rapporte que les conjurés
+avant de tuer César, lui baisèrent
+le visage, la main et la poitrine. Tacite
+dit que lorsque son beau-père Agricola
+revint de Rome, Domitien le reçut avec
+un froid baiser, ne lui dit rien et le laissa
+confondu dans la foule. L'inférieur qui ne
+pouvait parvenir à saluer son supérieur en
+le baisant, appliquait sa bouche à sa propre
+main et lui envoyait ce baiser qu'on
+lui rendait de même si on voulait.»</p>
+
+<p>«Les premiers chrétiens et les premières
+chrétiennes se baisaient à la bouche dans
+leurs agapes. Ce mot signifiait <i>repas d'amour</i>.
+Ils se donnaient le saint baiser, le baiser
+de paix, le baiser de frère et de soeur:
+<i>agion Philema</i>. Cet usage dura plus de
+quatre siècles et fut enfin aboli à cause des
+conséquences. Ce furent ces baisers de paix,
+ces agapes d'amour, ces noms de <i>frère</i>
+et de <i>soeur</i>, qui attirèrent longtemps aux
+chrétiens peu connus, ces imputations de
+débauche dont les prêtres de Jupiter et les
+prêtresses de Vesta les chargèrent; vous
+voyez dans Pétrone et dans d'autres auteurs
+profanes, que les dissolus se nommaient
+<i>frère</i> et <i>soeur</i>. On crut que chez les
+chrétiens les mêmes noms signifiaient les
+mêmes infamies; ils servirent innocemment
+eux-mêmes à répandre ces accusations
+dans l'Empire romain.</p>
+
+<p class="footnote">
+<a name="fn-3" id="fn-3"></a> <a href="#fnref-3">[3]</a>
+Voltaire. <i>Questions sur l'Encyclopédie</i>.</p>
+
+<p>Il y eut dans le commencement dix-sept
+sociétés chrétiennes différentes, comme il
+y en eut neuf chez les Juifs, en comptant
+les deux espèces de samaritains. Les sociétés
+qui se flattaient d'être les plus orthodoxes,
+accusaient les autres des impuretés
+les plus inconcevables. Le terme de <i>Gnostique</i>
+qui fut d'abord si honorable, et qui signifiait
+<i>savant, éclairé, pur</i>, devint un terme
+d'horreur et de mépris, un reproche d'hérésie.
+S. Epiphane, au troisième siècle, prétendait
+qu'ils se chatouillaient d'abord les
+uns les autres, hommes et femmes, qu'ensuite
+ils se donnaient des baisers fort impudiques,
+et qu'ils jugeaient du degré de
+leur foi par la volupté de ces baisers; que
+le mari disait à sa femme en lui présentant
+un jeune initié: <i>fais l'agape avec mon frère</i>;
+et qu'ils faisaient l'agape.»</p>
+
+<p>Voltaire n'ose ajouter dans la chaste
+langue française ce que S. Epiphane ajoute
+en grec<a href="#fn-4" name="fnref-4" id="fnref-4"><sup>[4]</sup></a>. Saint Augustin remarque qu'on
+regardait autrefois les baisers donnés à la
+femme d'autrui comme dignes de grands
+châtiments. Le Cardinal Tuschus nous
+apprend aussi que dans le Royaume de
+Naples on infligeait une forte amende à ceux
+qui baisaient une vierge par surprise dans
+la rue et qu'on les reléguait loin du lieu
+même où le péché mignon avait été commis.
+Un Évêque de Spire, qui vivait du temps
+de l'empereur Rodolphe fut obligé de sortir
+de l'Empire pour une semblable cause.</p>
+
+<p class="footnote">
+<a name="fn-4" id="fn-4"></a> <a href="#fnref-4">[4]</a>
+Epiphane. <i>Contra hoeres</i>, liv. I, tome II.</p>
+
+<p>En France, en Allemagne, en Angleterre,
+en Italie, le baiser public fut toujours considéré
+comme un acte de civilité et de déférence;
+les Cardinaux avaient droit de
+donner l'osculation aux reines sur la bouche,
+et toute honnête dame eut considéré comme
+un affront de ne pas recevoir un baiser de
+lèvres à lèvres lors de la première visite
+d'un seigneur. La plus charmante des
+voluptés devint ainsi banale: «La Cherté,
+écrivait alors le <i>Saige Montaigne</i>, donne du
+goût à la viande: voyez combien la forme
+de salutations qui est particulière à notre
+nation abâtardit par sa facilité la grâce des
+baisers, lesquels Socrate dit être si puissants
+et dangereux à voler nos coeurs.
+C'est une déplaisante coutume et injurieuse
+aux dames, d'avoir à prêter leurs lèvres
+quiconque a trois valets à sa suite, pour
+mal plaisant qu'il soit: et nous mêmes n'y
+gagnons guère; car comme le monde se
+voit porté, pour trois belles, il en faut baiser
+cinquante laides, et à un estomac
+tendre comme sont ceux de mon âge, un
+mauvais baiser en surpasse un bon.»
+Pour les dames, à quelqu'époque que ce
+soit, elles furent toujours sensibles aux
+baisers énamourés d'un galant cavalier, et
+si quelques-unes s'en offensèrent en apparence,
+la plupart d'entre elles, en recevant
+l'accolade sur la joue gauche furent tentées,
+en tendant la joue droite de répondre ainsi
+qu'une belle demoiselle surprise à l'improviste
+par un joyeux brusquaire: «Monsieur,
+vous m'offensez, mais voici l'autre côté,
+je sais mon évangile.»</p>
+
+<h3>III</h3>
+
+<p>«S'il est désagréable à une jeune et
+jolie bouche de se coller par politesse a une
+bouche vieille et laide, dit l'auteur de <i>Candide</i>,
+il y avait un grand danger entre les
+bouches fraîches et vermeilles de vingt
+vingt-cinq ans; et c'est ce qui fit abolir la
+cérémonie du baiser dans les mystères et
+les agapes, c'est ce qui fit enfermer les
+femmes chez les Orientaux, afin qu'elles
+ne baisassent que leurs pères et leurs frères;
+coûtume longtemps introduite en Espagne
+par les Arabes.»</p>
+
+<p>La science a-t-elle besoin de prouver
+qu'il y a un nerf de la cinquième paire qui
+va de la bouche au coeur et de là plus bas?
+la nature a tout préparé avec le génie le
+plus délicat: les petites glandes des lèvres,
+leur tissu spongieux, leurs mamelons veloutés,
+la peau fine, chatouilleuse, leur
+donnent un sentiment exquis et voluptueux,
+lequel n'est pas sans analogie avec une
+partie plus cachée et plus sensible encore.
+La pudeur peut souffrir d'un baiser longtemps
+savouré entre deux piétistes de dix-huit
+ans.&mdash;Ronsard a poétisé comme suit
+ce tact charmant de lèvres:</p>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p>Il sort de votre bouche un doux flair, que le thim,</p>
+<p>Le jasmin et l'oeillet, la framboise et la fraise,</p>
+<p>Surpasse de douceur, tant une douce braise</p>
+<p>Vient de la bouche au coeur par un nouveau chemin.</p>
+ </div> </div>
+
+<p>Le baiser sur les lèvres est l'unique baiser
+de Vénus, c'est l'étincelle, le boute feu
+d'amour; il scelle l'entente des sexes, arde
+le coeur, allume le sang dans les veines,
+espoinçonne la virilité, cause le prurit vital,
+et met en appétit d'union. L'âme s'évapore
+dans un tel baiser, lorsque les désirs s'y
+unissent; il met hors de sens et cause un
+étrange satyriasisme; il fait fomenter la sève
+et fusionner deux existences: on y boit la
+vie de sa vie, on y heurte lascivement
+d'inoubliables sensations comme dans un
+toast sublime à l'entremise de la nature.
+Ainsi l'expriment les vers suivants dont on
+ignore l'auteur:</p>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p>De cent baisers, dans votre ardente flamme,</p>
+<p>Si vous prenez belle gorge et beaux bras,</p>
+<p>C'est vainement; ils ne les rendent pas.</p>
+<p>Baisez la bouche, elle répond à l'âme.</p>
+<p>L'âme se colle aux lèvres de rubis,</p>
+<p>Aux dents d'ivoire, à la langue amoureuse</p>
+<p>Ame contre âme alors est fort heureuse,</p>
+<p>Deux n'en font qu'une et c'est un paradis.</p>
+ </div> </div>
+
+<p>La conjonction des lèvres est l'<i>écussonade</i>
+de la plus vive jouissance, lorsque pour la
+première fois, en toute liberté, deux muqueuses
+se soudent dans une effusion commune&mdash;:
+Les deux amants sont là, seuls
+et encore timides; ils ont la gaucherie
+d'une entrevue à huis-clos, où les sens
+sont plus éloquents que les proclamations
+du désir; les mains se sont pressées, déjà
+un bras s'arrondit sur cette hanche mignonne;
+les épaules se touchent, les joues
+se frôlent, les poitrines se soulèvent et
+soupirent; les coeurs battent à l'unisson
+d'espoir et aussi de cette crainte vague qui
+fait antichambre à la porte du bonheur.
+<i>Lui</i>, sourit et mitonne ses délices; <i>elle</i>, sur
+la défensive de convenance, muguette et
+chiffonne son joli babouin dans une moue
+adorable. Voici que les visages se rapprochent,
+que les cheveux s'unissent et
+que les yeux dardent les yeux à des profondeurs
+volupteuses et infinies: un fluide
+mystérieux les enserre et les berce; sur
+cette jolie nuque blonde et rose ainsi que
+sur ce col brun d'Antinoüs, il passe comme
+un frisson avant coureur du spasme. Leurs
+cerveaux, accablés, semblent en ébétude
+tant est verdissante cette extubérance sensuelle,
+qui fait que les jouvenceaux, comme
+les bacchantes, se grisent eux-mêmes de
+leurs propres facultés. Tout à coup ces
+torses se cambrent, ces têtes se renversent,
+ces lèvres muettes se choquent, s'alluchent
+se confondent dans une haleinée de chaude
+amour, et des baisers acres et mordicants
+font entendre des petits bruits rieurs, délectables,
+alangouris qui se prolongent et s'achèvent
+comme un glou-glou d'ivresse
+entre ces deux heureux fretin-fretaillant.</p>
+
+<p>Rien n'est comparable à ces liesses; les
+corps enlacés, s'acquebutant dans une puissante
+étreinte, se contournent en torsions
+d'amour; les lèvres mâles happent cette
+bouchelette fraîche ainsi que rosée, tandis
+que lancinantes et frétillant dans de diaboliques
+mouvements, les langues inassouvies
+se mordillent comme fraises et paraissent,
+dans l'imagination de ces félicités
+poignantes, sucer l'âme de sa vie, et faufrelucher
+la vie de son âme.</p>
+
+<p>On dirait qu'en pareille délectation, on
+vide l'épargne de son être; Belzébuth trépigne
+dans les entrailles et s'y démène convulsivement,
+on demeure dans l'oubliance
+de toute l'humanité, et, sur ces lèvres de
+roses, où balbutie encore l'amour anéanti
+dans cette longue embrassée, les amants
+ne laissent mourir le plaisir que pour le
+faire renaître avec un renouveau plus
+quintenencié, avec des accents plus humides
+et brûlants à la fois.</p>
+
+<p>L'abbé Desportes a chanté la saveur de
+baisers si tendres dans ses rhythmes exquis:</p>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p>Et qu'en ces yeux nos langues frétillardes</p>
+<p class="i2">S'étreignent mollement...</p>
+<p>Quand je te baise, un gracieux zéphir</p>
+<p>Un petit vent moite et doux qui soupire,</p>
+<p class="i2">Va mon coeur éventant.</p>
+ </div> </div>
+
+<p>et plus loin:</p>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p>Au paradis de tes lèvres décloses,</p>
+<p>Je vais cueillant de mille et mille roses</p>
+<p class="i2">Le miel délicieux...</p>
+<p>Ce ne sont point des baisers, ma mignonne,</p>
+<p>Ce ne sont point des baisers que tu donnes:</p>
+<p class="i2">Ce sont de doux appas</p>
+<p>Faits de Nectar...</p>
+<p>Ce sont moissons de l'Arabie heureuse,</p>
+<p>Ce sont parfums qui font l'âme amoureuse.</p>
+<p class="i2">S'éjouir de son feu.</p>
+<p>C'est un doux air embaumé de fleurettes,</p>
+<p>Où, comme les oiseaux, volent les amourettes.</p>
+ </div> </div>
+
+<p>De tout temps, chez tous les peuples,
+des poètes de génie ont détaillé les charmes
+du baiser lascif; Virgile, Platon,
+Moschus, Tibulle et Catulle, Le Tasse,
+Le Dante, Pétrarque, Ronsard, Belleau,
+de Magny, le grave Corneille et le vertueux
+Racine, Voltaire et Rousseau; prosateurs,
+moralistes et philosophes, chacun
+a voulu analyser ces extases du baiser qui
+béatifient la passion.</p>
+
+<p>Me sera-t-il permis de traduire ici l'inimitable
+<i>Baiser seizième</i><a href="#fn-5" name="fnref-5" id="fnref-5"><sup>[5]</sup></a> de Jean Second,
+si chaud et si coloré dans sa belle latinité,
+qu'il peut paraître téméraire d'en rendre
+le sens exact sans craindre d'en atténuer
+les fantasieuses délicatesses. Je traduirai
+moins lourdement que Ménage, plus tendrement
+que Balzac, peut-être moins sentencieusement
+que Gui-Patin.</p>
+
+<p class="footnote">
+<a name="fn-5" id="fn-5"></a> <a href="#fnref-5">[5]</a>
+Jean Second.&mdash;Basium XVI: <i>Latonæ nivoeo
+sidere Blandior</i>, etc.</p>
+
+<h3>IV</h3>
+
+<p>&mdash;Toi qui es plus étincelante que l'astre
+brillant de la pâle Phoebé, toi qui surpasse
+en éclat l'étoile d'or de Vénus, ô ma douce
+Néoera, accorde moi cent baisers; prodigue-les
+moi avec autant d'abandon que jadis
+Lesbie les donna à son poète inassouvi;
+cueille-les sur ma bouche, en aussi grand
+nombre que ces grâces amoureuses qui se
+jouent sur tes lèvres mutines et sur tes
+joues rosées. Fais pleuvoir sur mon corps
+ces mêmes accolades aussi drues que ces
+traits enflammés lancés par tes regards
+ardents qui font naître à la fois la vie et
+la mort, l'espérance et la crainte, la joie et
+les soucis cuisants. Que tes baisers soient
+plus multiples, plus acérés que ces flèches
+innombrables, dont un petit Dieu léger et
+moqueur, puise la variété dans son carquois
+doré, pour en férir ma pauvre âme, et,
+ce chant de tes lèvres, joins les propos
+grivois, les soupirs voluptueux et les plus
+aimables caresses. Imite ces tendres colombes
+qui, dès le réveil du printemps,
+bec contre bec, se trémoussent des ailes;
+Néoera, viens à moi, éperdue, défaillante,
+accablée de désirs, ta bouche sur ma bouche,
+collée étroitement: tourne avec langueur
+tes yeux noyés d'une humide flamme et
+d'une lubricité poignante; alors seulement
+fais appel à ma virilité, renverse-toi sans
+force entre mes bras: je t'enlacerai, je te
+presserai contre moi, je t'environnerai de
+mon amour, et, parcourant tes appas glacés,
+je te ferai renaître au rouge soleil de
+Cythère; je te rappelerai à la vie par une
+savoureuse et lancinante embrassade, jusqu'
+ce que succombant moi-même, dans
+les plaisirs de cette ardente becquée, je sente
+mon âme m'échapper, s'écouler et passer
+sur tes lèvres. A cet instant, ma Néoera
+aimée, je soupirerai, bien bas, comme dans
+une agonie de volupté: Je meurs, je meurs,
+ma tant douce maîtresse, je meurs de plaisir
+et d'amour; prends-moi, recueille-moi, embrasse-moi
+de tes bras frais et potelés, je
+défaille et suis sans ardeur ni puissance.
+Tu me réchaufferas alors sur ton coeur
+embrasé; dans le parfum d'un de tes baisers
+tu m'insuffleras la vie et, m'éveillant
+peu à peu sous les mignards attouchements
+de tes lèvres empourprées et mielleuses, je
+redeviendrai de nouveau ton amant, ton
+seigneur et ton maître.</p>
+
+<p>C'est ainsi, ma Néoera, que nous devons
+arrêter la faux du temps, pendant les courts
+instants de notre bel âge. C'est ainsi, dans
+des douceurs cupidiques qu'il est sage de
+laisser s'écouler la jeunesse insouciante et
+rieuse; le plaisir a l'éclat des fleurs nouvelles
+qui tôt se fanent et se dessèchent.
+Sans qu'on y songe, voici venir la morne
+et pénible vieillesse avec son cortège de
+douleurs, de tristesses, de regrets superflus
+la décrépitude, et la mort nous guettent:
+Le temps presse, Néoera aimons-nous.</p>
+
+<h3>V</h3>
+
+<p>La bouche féminine, pour coquettement
+appeler le baiser et évoquer le désir, doit
+être plus petite que grande, d'une heureuse
+harmonie, les lèvres bien tournées, délicates,
+ni trop écarlates ni trop pâles, colorées
+d'une pointe de carmin, légèrement
+retroussée aux commissures et scintillantes
+sous l'humidité des caresses attendues. Le
+rire y doit creuser des fossettes friponnes
+au bas même du visage, et découvrir,
+comme d'un écrin sort un rang de perles,
+des dents petites, bien enchâssées également
+dans le vermeil des gencives et dont l'émail
+soit d'une blancheur japonaise à peine irisée.
+Le plus mince défaut buccal, pour un raffiné,
+est la mort des baisers d'amour; il ne
+faut point qu'une bouche soit ce qu'on
+appelait au seizième siècle: <i>un abreuvoir
+mouches</i>, elle doit, au contraire, prendre des
+airs musqués et affriander les yeux qui la
+contemplent. Certaines bouches ne sont
+qu'avaloirs sans expression; les lèvres grasses
+y bobandinent, les lourdes lippées y entrent,
+et les caquets en sortent, ce sont cavernes
+bien aviandées où tombent les léche-frions
+de cuisine, mais où ne parviennent
+point les hautises des gentilles accolades.</p>
+
+<p>Sur les bouches coïntes et mutines, on
+peut bailler le <i>Baiser à la pincette</i> qui donne
+moins d'importance au caprice du moment.
+Pinçant doucement les deux joues
+des doigts, il est ainsi loisible de dérober
+amoureusement un long et sonore attouchement
+des lèvres, dont on se défend
+toujours trop tard.</p>
+
+<p>Le <i>Baiser à la dragonne</i> est moins civil, il
+violente, meurtrit et blesse comme un éperon
+c'est le baiser de l'étrier, la vigoureuse
+botte de l'escrime d'amour, c'est la caresse
+brutale de d'Artagnan à son hôtesse, c'est
+mieux encore la pratique faunesque des
+amants sabreurs de voluptés, qui ne prétendent
+point s'amuser à la moutarde ou
+qui ne savent pas déguster les douceurs
+des agaceries prolongées.</p>
+
+<p>Le <i>Baiser à la florentine</i>, ou baiser <i>la
+langue en bouche</i>, ainsi que disaient nos
+pères, nous est venu, assure-t-on, d'Italie,
+bien que ce soit le baiser d'amour français
+par excellence et tradition.&mdash;Dans ce
+baiser les langues frétillardes se daguent, se
+dévergognent et se fringuent; c'est une
+accointance active qui émoustille et que
+les bons sonneurs des lèvres préféreront
+toujours aux fleurettes naïves des Agnès de
+couvent.</p>
+
+<p>Après la France, l'Italie et l'Espagne ont
+adopté ce dernier mode d'embrassade passionnée.
+En Allemagne et dans le nord,
+l'amour est plus réservé, bien que dans
+les hautes classes slaves, par un aimable
+raffinement, on ait inventé dans des petits
+soupers galants, le délicieux <i>Baiser au
+champagne</i>, qui rentre plutôt dans le domaine
+des enfantillages libertins que dans
+le royaume de l'amour sincère.</p>
+
+<p>En Angleterre, le baiser a pris les proportions
+d'une institution sociale: les blondes
+et sentimentales fillettes du Pays-Uni, pour
+ne pas s'inféoder à un amant, possèdent
+toutes plusieurs <i>Kissing-friends</i> ou bons amis
+embrasseurs, qui concourent, par différentes
+manières, à déployer leurs talents. Certains
+gentlemen, réputés excellents <i>Kissing-friends</i>,
+sont recherchés des meilleures
+sociétés et quelques-uns, spécialistes émérites,
+font des conquêtes plus nombreuses
+et causent plus de désespoirs, de suicides
+et de jalousies qu'un Don Juan issu de
+Lovelace.&mdash;Dans le confort d'un divan
+profond, <i>seule à seul</i> avec le <i>Kissing-friend</i> élu
+de ses lèvres, avec cet «<i>Exciting man,</i>»
+une jeune anglaise passerait des heures
+d'insondable volupté à se laisser biscotter
+dans le tête à tête, sans songer un
+seul instant à invoquer Vénus, à froisser
+ou à laisser froisser la tunique de la
+morale.</p>
+
+<p>Les lettres d'amour, comme formules de
+civilités, sont nourries de baisers innombrables;
+ils coûtent moins à écrire qu'ils
+ne coûteraient à donner. La locution
+«<i>mille baisers</i>,» est devenue plus banale,
+d'une familiarité domestique plus grande
+que la conjugaison du verbe <i>aimer</i>. Le
+poète, chevalier de Boufflers, le comprit
+fort judicieusement, en répondant à une
+dame qui lui envoyait un baiser:</p>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p>Vous m'envoyez sur le papier</p>
+<p>Un baiser qui bien peu me touche;</p>
+<p>Baiser qui vient par le courrier</p>
+<p>Pourrait-il chatouiller ma bouche?</p>
+<p>Votre chimérique faveur</p>
+<p>Me laisse froid comme du marbre;</p>
+<p>Et ce fruit n'a point de saveur</p>
+<p>Quand il n'est point cueilli sur l'arbre.</p>
+ </div> </div>
+
+<p>Voltaire n'eut pas mieux dit dans ses
+épîtres les plus malicieuses.</p>
+
+<p>Madame de La Sablière, pour encourager
+un jouvenceau timide qui lui donnait
+un baiser furtif, lui murmura finement ce
+conseil:</p>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p>Un baiser bien souvent se donne à l'aventure,</p>
+<p>Mais ce n'est pas en bien user;</p>
+<p>Il faut que le désir ou l'espoir l'assaisonne:</p>
+<p>Et pour moi, je veux qu'un baiser</p>
+<p>Me promette plus qu'il ne donne.</p>
+ </div> </div>
+
+<p>Parbleu!</p>
+
+<h3>VI</h3>
+
+<p>Le baiser a laissé sa tradition dans l'histoire
+et la mythologie; Alain Chartier, le
+doux poète, l'homme le plus érudit mais
+aussi le plus laid de son temps, reçut pendant
+son sommeil un tendre baiser de Marguerite
+d'Écosse, femme de Louis XI; c'est
+ainsi que la chaste Diane, suivant la fable,
+descendait chaque nuit du ciel pour consteller
+de baisers ardents le corps du jeune
+et charmant Endimion.</p>
+
+<p>Chaque femme cache un point sensible où
+se concentre le fluide nerveux de son organisme.
+Pour un amant fortuné, il s'agit de
+découvrir ce ganglion, cette clef des sens,
+ce ressort des félicités poignantes, ce défaut
+de la cuirasse que toutes maîtresses
+ont la science de ne pas découvrir et dont
+elles conservent mystérieusement le secret,
+sachant que la divulgation les livrerait à la
+merci du vainqueur.</p>
+
+<p>Que de femmes prétendues froides et
+insensibles, ne paraissent telles qu'aux yeux
+des superficiels: Un homme paraît avec la
+philosophie de la volupté et la tactique de
+l'amour; il étudie, il cherche, il analyse les
+sensations qu'il procure; il fouille de ses
+baisers cette nuque, ce dos, ces bras avec la
+patience d'un inquisiteur de porte inconnue,
+dissimulée dans une boiserie, il ne néglige
+aucune saillie, aucune vallée corporelle,
+aucun repli de cet épiderme satiné, jusqu'
+ce qu'il sente un frissonnement spécial qui
+est l'<i>Eureka</i> de ses recherches sensuelles.
+Heureux ceux-là qui ont la délicate persévérance
+d'arriver à leur but.</p>
+
+<p>Connaître le point sensible d'une femme,
+cette partie solitaire de son être où le baiser
+frappe comme une balle ou éclate comme
+une grenade, c'est mieux que de la posséder,
+c'est l'isoler dans l'amour dont on l'environne,
+c'est couper la retraite à ses remords,
+à son inconstance, à ses faiblesses extérieures,
+c'est se l'attacher par un étrange
+mysticisme, c'est l'encloîtrer dans la dévotion
+libertine qu'on a su faire naître
+en elle.&mdash;Il est une force plus grande
+encore, c'est de connaître la recette des
+jouissances que l'on donne, et de feindre
+de l'ignorer pour ne pas mettre l'ennemi
+sur ses gardes.</p>
+
+<p>Les baisers recevront toujours le culte
+des détrousseurs de coeurs et des cavalcadeurs
+à forte encollure; pour moi, je voudrais
+un jour traiter complètement un si
+brillant sujet parmi cette réunion d'études
+projetées dans un ensemble d'analyses voluptueuses;
+les poussifs toussotteraient
+avec indignation, les prudes se voileraient
+en brûlant de me lire, et les francs vivans,
+sans hypocrisie, reviendraient souvent
+ces dissertations, comme les femmes amoureuses
+reviennent à leur piano pour y
+jouer et rejouer les valses entraînantes.&mdash;Je
+ne saurais mieux conclure ici cette courte
+étude que sur cette pensée remarquable de
+Byron:</p>
+
+<p>«J'aime les femmes et quelquefois je
+renverserais volontiers la conception de ce
+tyran qui désirait que le genre humain n'eût
+qu'une seule tête, afin de pouvoir la faire
+tomber d'un seul coup. Mon désir, pour
+être aussi vaste, est plus tendre et moins
+féroce: J'ai souvent désiré, aux jours heureux
+de mon célibat, que le sexe féminin
+n'eût qu'une bouche de rose, pour y pouvoir
+baiser toutes les femmes à la fois
+depuis l'Orient jusqu'à l'Occident.»</p>
+
+<p>&mdash;Quel rêve!!!</p>
+
+<div class="fig" style="width:100%;">
+<img src="images/08.jpg" width="300" height="150" alt="[Illustration]" />
+</div>
+
+</div><!--end chapter-->
+
+<div class="chapter">
+
+<div class="fig" style="width:100%;">
+<img src="images/09.jpg" width="400" height="171" alt="[Illustration]" />
+</div>
+
+<h2>VOYAGE AUTOUR DE SA CHAMBRE</h2>
+
+<h3>RÉMINISCENCE</h3>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p class="i30">Les souvenirs sont comme les échos</p>
+<p class="i30">des passions; et les sons qu'ils répètent</p>
+<p class="i30">prennent par l'éloignement quelque</p>
+<p class="i30">chose de vague et de mélancolique qui</p>
+<p class="i30">les rend plus séduisants que l'accent</p>
+<p class="i30">des passions mêmes.</p>
+<p class="i50">CHATEAUBRIAND.</p>
+ </div> </div>
+
+<p>Des sentiments deviennent frileux,
+quand le foyer reste vide. Ici
+même où une couvée de plaisirs
+était éclose, la tristesse seule sanglotte lentement
+dans le crépuscule des regrets superflus.&mdash;Une
+ancienne chanson d'amour voltige
+dans la solitude; dans ce nid charmant
+où l'on était si bien à deux, il ne reste que
+des rêves de volupté indécise et la sarabande
+enlaçante, mystérieuse et sinistre des souvenirs,
+ces revenants de l'âme qu'on évoque,
+qu'on chasse et qu'on appelle encore.</p>
+
+<p>Les rideaux sont tirés; il règne dans la
+chambre un demi-jour, un silence où je
+me complais. La lumière a la crudité, l'effrayante
+clarté qui éblouit ou effarouche
+les yeux qui ont pleuré et qui ne veulent
+plus regarder ni voir; son éclat possède la
+brutalité et le frisson glacial des réveils
+subits; la pénombre plus douce, plus insinuante
+ne retire pas les bandages du coeur
+pour mettre la plaie à vif, elle frôle le
+doute, et, par gradations, comme une
+mère qui berce, elle assoupit la douleur et
+nous conduit avec des ménagements infinis
+au soleil de la réalité.</p>
+
+<p>En pénétrant ici, j'ai senti dans l'air
+tiède un refrain du passé, quelque chose
+comme le parfum affadi des amples brassées
+de fleurs étincelantes que j'y avais
+jadis cueillies. Il m'a semblé voir onduler
+des lignes sur la dernière page du roman
+si tôt interrompu et un mirage trompeur a
+déroulé devant moi les sensations des caresses
+friponnes d'autrefois.</p>
+
+<p>J'ai cru, ô farouche insenséisme de mon
+âme! J'ai cru qu'Elle se jouait devant moi
+ma maîtresse aimée avec son rire ambré,
+jaseur, exquis, tintant comme une argentine
+clochette à mon oreille charmée; j'ai
+cru entendre cette voix si fraîche vibrer
+d'amour aux échos de mon coeur. Dans le
+vague lugubre qui m'enveloppait, j'ai vu
+ma charmante amie se dresser debout
+mes côtés, dans de légers tissus transparents,
+de couleur neutre, dont les plis
+amoureux se collaient à son corps de
+nymphette étoffée. Ses lèvres souriantes,
+d'une morbidesse savorée, se tendaient, se
+plissaient en avant avec la suave appétence
+des baisers attendus, ses bras souples,
+roses, polis, agaçants par la grâce aimable
+des fossettes rieuses, ses beaux bras douillets
+formaient une ceinture à mon col,
+tandis que je dévorais ses yeux pleins
+d'azur où le bonheur s'épanouissait dans
+la dilatation phosphorescente de ses prunelles.</p>
+
+<p>La moiteur de son haleine passait,
+comme un souffle attiédi, à travers mes
+cheveux frissonnants; mon coeur battait
+avec violence d'une épaule à l'autre, et,
+parmi les ténèbres plus épaisses, je pensais
+caresser, manier et affrioler ses formes
+rondes, charnues, veloutées que j'idolâtrai
+jusqu'au paganisme de la plus folle lubricité.</p>
+
+<p>J'étais inquiet, agité, troublé de même
+que si j'eusse dû la posséder pour la première
+fois; la pauvre adorée!&mdash;Elle était
+là, devant moi, me regardant sous ses cils
+noirs plus longs qu'un <i>credo</i>, lisant dans
+mes sens l'hymne de mes désirs tandis qu'un
+vermillon très accentué passait sous ses
+joues pâles et porcelainées.</p>
+
+<p>Hélas! fou, double fou!&mdash;Ixion croyant
+saisir la nue fut moins douloureusement
+surpris!&mdash;Alors que je croyais sentir le
+contact excitant de son épiderme, et que je
+m'élançais, éperdu, pour boire l'oubliance
+sur ses lèvres humides, la blanche vision a
+disparu. Je me suis agenouillé avec grand
+bruit à terre, mes mains crispées dans le
+vide ne saisissaient plus que le néant de
+mes fantômesques attouchements et la
+hideur de mon hallucination.</p>
+
+<p>Pauvre moi!&mdash;Il fallait me ramentevoir:
+J'accomplissais un pèlerinage à l'abbaye
+des défuntes ivresses, et je dus inventorier
+le passé, en marquant de larmes amères
+les heureux jours d'autrefois sur le calendrier
+des souvenirs.</p>
+
+<p>Dans la chambre intacte et silencieuse,
+tous ses chers petits bibelots étaient là;
+sur la cheminée de brocatelle, la pendule
+restait muette et mon coeur seul battait
+avec force dans cette solitude où le sien,
+tant de fois, avait bondi et éclaté d'allégresse.&mdash;Faiblesse
+étrange qui me gagnait,
+douleurs sourdes et caressantes dont je me
+croyais à jamais guéri, mignardes hantises
+de mes dix-huit ans, je pensais vous avoir
+égarées à jamais et vous apparaissiez de
+nouveau!</p>
+
+<p>&mdash;O premières amours! délices profondes
+et vivaces! lorsque vous avez conquis la
+virginité de nos âmes, humé notre sang
+le plus vermeil, grisé nos sens vigoureux
+et naïfs, quand vous avez imprimé votre
+marque mordante et brûlante à la fois sur
+la fraîcheur de notre aurorale juvénilité,
+rien désormais ne vous peut effacer!</p>
+
+<p>&mdash;Les illusions, sous le doigt brutal de la vie
+réelle, s'évanouissent au toucher comme le
+prisme et la poussière d'or des ailes de papillons,
+le dégoût survient, la lassitude
+arrive, le scepticisme s'impose à l'esprit
+blasé, et, aux relais de chaque nouvelle conquête,
+la passion, naguère si fringante, devient
+plus poussive et aussi efflanquée que
+ces maigres chevaux de poste dont le trot
+retentit quand même, sous un harnachement
+de grelots sonores et étourdissants.</p>
+
+<p>&mdash;C'est en vain que le corps se brise
+et que le coeur se bronze; la statue se souvient
+d'avoir vécu dans un éclair de joie,
+et vous, sensations neuves, premières caresses
+de notre puberté, éclose sous un
+regard de femme, nous ne pouvons vous
+oublier!</p>
+
+<p>Premières amours, rosée de jeunesse
+ensoleillée, vous anéantissez les rêveries
+trompeuses de notre adolescence; vous
+dévergognez notre vague idéalisme et nos
+sentiments puérils et mièvres, vous nous
+remettez le sceptre de notre puissance,
+en nous en inculquant gentiment l'usage,
+vous consacrez enfin notre royauté masculine
+en nous héroïfiant dans de valeureuses
+prouesses de virilité.</p>
+
+<p>N'est-ce pas dans ce boudoir, où Vénus
+jamais ne bouda Cupidon, que je fis mes
+premières armes?&mdash;N'est-ce pas ici même
+que je devins homme? N'est-ce pas devant
+ces témoins inanimés, que la chérie, si follement
+dorlotée, me fit éprouver la mâleté
+de mes muscles?&mdash;O douce mignonne!
+quand je jetai mon coeur dans ton âme avec
+la furie des désirs qui se cabrent et l'impétuosité
+des prurits cuisants, quand je m'agenouillai
+pour la prime fois devant ta
+beauté absorbante, quand nos lèvres allangouries
+se donnèrent la becquée divine,
+alors, j'aurais dû cesser de vivre; j'étais
+Dieu dans la Création! En m'approchant
+de cette rouge fournaise du bonheur, je ne
+pouvais que rétrécir le cercle de mes sensations,
+et, avec l'instinctive philosophie du
+scorpion, il me fallait mourir de moi-même
+et par moi-même.</p>
+
+<p>On ne contemple pas impunément les
+radieux levers du soleil sans que les tristesses
+du crépuscule n'en deviennent plus
+affligeantes.&mdash;Ah! que ne puis-je reconquérir
+aujourd'hui cette aurore et cette
+exubérance de mon être!</p>
+
+<p>C'est ainsi que j'étais étendu sur ce siège,
+accoudé sur cette table chargée des riens
+qu'elle aimait; c'est ainsi que j'attendais sa
+venue du soir, avec des frissons d'espérance,
+mitonnant des caresses à offrir et
+des ébats à renouveler&mdash;: Elle arrivait
+toute envoilée, émue, souriante, presque
+craintive, et dès lors j'étais enveloppé dans
+une auréole de félicité; le bonheur tient
+si peu de place!&mdash;Déjà, avec ma force
+d'amoureux, je la prenais, la soulevais dans
+mes bras, la berçant comme un enfant avec
+des éclats de rire joyeux mêlés de baisers,
+je la pressais contre moi, rêvant de m'ouvrir
+la poitrine pour la loger toute entière
+dans mon coeur&mdash;folies suprêmes! Extases
+divines! pourquoi vous ai-je perdues?
+Avec quelle passion je dégantais ces petites
+mainettes exquises, dont je baisais chaque
+phalange; puis, dégrafant, délaçant, déchirant
+soie, dentelle ou batiste; avec quelle
+ivresse curieuse j'explorais les rondeurs
+embaumées de ce buste de déesse!&mdash;mes
+doigts ont encore conservé le tact voluptueux
+de sa peau de satin.</p>
+
+<p>Elle luttait d'abord, se rebellait gentiment,
+puis se laissait faire, vaincue par ses
+désirs plus encore que par mes démonstrations
+passionnées; puis lorsqu'elle était
+assise, à genoux devant elle, déjà grisé par
+des ardeurs de faune, je déployais le verbiage
+de la chair et l'éloquence persuasive
+et enflammée des ambitions sensuelles.&mdash;Etais-je
+assez jeune! assez neuf d'expression,
+assez vibrant dans l'enthousiasme de
+mes croyances!&mdash;Je payais d'amour, argent
+comptant, en belles et bonnes pièces,
+frappées au bon coin de ma puissance de
+novice.</p>
+
+<p>Et toutes ces mutineries ineffables, ces
+chuchottements de colombes au même nid,
+ces aveux à voix basse, ce bruissement de
+soupirs semblables à une confession, ces
+petits cris légers de bergeronnette effarouchée,
+ces spasmes, ces béatitudes, ces
+râles soudains, ces évanouissements et ce
+silence:&mdash;on eut dit d'un meurtre; ce n'était
+qu'un doux larcin prêt à se renouveler.</p>
+
+<p>Pendant près de six mois, ainsi j'ai vécu,
+comme une torche qui flambe. Sa chambre
+maintenant est solitaire; la mort, en surprenant
+la pauvrette a fauché mon âme avec
+la sienne.</p>
+
+<p>Dans ce cadre d'émail, voici son portrait,
+la douceur de son rire, l'éclat de ses yeux,
+le brillant de ses longues tresses blondes
+dont parfois dans sa nudité, elle se faisait un
+manteau d'or. Voici cette mignarde bouche
+humide et sensuelle, dont la friandise luxurieuse
+n'avait point de bornes, et, sous ses
+lèvres ardentes, j'entrevois encore la blancheur
+bleutée de ses dents de jeune chien
+qui marquèrent mes joues, mon col, mes
+bras et mon corps de ces empreintes enchanteresses
+qui sont espiègleries d'amour.</p>
+
+<p>Portrait que je baise et rebaise, image
+trompeuse et sans expression, carton sans
+relief et sans vie, que n'ai-je la volonté
+de te détruire, alors que ma tant chère
+amante n'est plus?</p>
+
+<p>Dans les panneaux de chêne, ce n'est
+qu'un hideux squelette que les larves ont
+décharné! Si mes sens pétillent sous la
+cendre encore chaude des éclatantes souvenances,
+la logique de ma raison me fait
+gratter la terre où elle est enclose, soulever
+le couvercle de sa bière et reculer d'effroi
+devant l'oeuvre immonde de la camarde
+et du temps.</p>
+
+<p>De telles pensées m'entraînent dans des
+songes funèbres et hideux où la matière
+putrescible fermente et se liquéfie.&mdash;Visage
+aimé, yeux tendres et expressifs,
+beautés corporelles, je me serais fait poëte
+ou sorcier pour vous immortaliser... Ah!
+qu'êtes-vous devenus lorsqu'un réalisme impitoyable
+me contraint à vous contempler!</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Elle s'est éteinte doucement un matin
+de mai, dans mes bras, au réveil, en parlant
+du printemps, des oiseaux et des fleurs;
+projetant de lentes promenades dans les
+bois reverdissants, souriante, dans sa pâleur,
+à l'idée des violettes cueillies sous la
+mousse et des baisers échangés pendant le
+gazouillis du rossignol.&mdash;Elle se faisait
+petite, gamine, caressante et capricieuse,
+m'enlaçant davantage et se renversant sur
+les guipures des oreillers&mdash;(ai-je souffert
+davantage dans ma vie qu'à cet instant où
+les larmes m'étouffaient comme une hémorragie
+interne?)&mdash;Sur la transparence de
+son visage le sang avait afflué, mettant du
+carmin sur la blancheur de sa chair avec le
+contact brutal du sang épandu sur un linge.
+Le soleil entrait dans la chambre et baignait
+les courtines du lit. L'oeil fixant le vague,
+les narines dilatées, belle déjà de la froide
+beauté des vierges expirantes, elle évoquait
+la nature à son renouveau, et, dans le mirage
+de ses esprits, elle revoyait nos plus
+douces heures de plaisir, nos fuites dans la
+campagne, nos dîners dans les fermes au
+milieu des basses-cours tumultueuses, le
+petit coq qui sautait sur la nappe, ou le
+joli chat craintif qu'elle mettait à l'abri du
+despotisme d'un gros terre-neuve:&mdash;«Nous
+irons, dis moi, nous irons encore...,
+tu sais dans la vallée aux moulins, où nous
+nous arrêtions pour boire du lait, près du
+ruisseau bordé de saules où les <i>mamans
+canards</i> ont de si jolis poussins jaunes... et
+puis..., n'est-ce pas, nous ferons de grands
+bouquets; la main dans la main, nous retournerons,
+bien seuls, dans les sentiers...
+ne dis pas non,... oh! je suis si heureuse...
+si heureuse!...»</p>
+
+<p>Elle parlait, parlait toujours, avec la
+poëtique éloquence des choses qu'on doit
+quitter et des sensations qu'on va perdre,
+sans en avoir conscience.&mdash;Elle s'épuisait
+peu à peu, et dans une douloureuse
+quinte de toux elle s'évanouit pour toujours,
+me serrant la main plus fort et
+murmurant encore faiblement comme un
+enfant qui s'endort:... <i>l'amour</i>... <i>avec toi</i>,...
+<i>c'est si bon</i>!&mdash;».</p>
+
+<p>Pauvre adorée! Certes, dans la fraîcheur
+de notre adolescence, l'amour c'était si bon,
+si plein de croyances, si rayonnant de clarté,
+si intime et si vrai&mdash;tu as aimé avec toutes
+les forces de ta candeur, et tu es sortie palpitante
+de plaisir, avant de goûter à la lie
+des désillusions et des infamies, avant les
+tristes lendemains de la vie heureuse.</p>
+
+<p>Je suis resté Moi et je t'aime encore,
+car tu es ma jeunesse, la franchise de mon
+âme et le miroir de mes premiers sentiments.&mdash;J'ai
+vu, depuis, que l'amour tel
+qu'on le comprend ou qu'on le fait dans le
+monde, et tel aussi que la société l'a créé,
+était un guet apens et je me suis armé contre
+les soupçons, les trahisons, les perfidies,
+les ruses et astuces de la femme, car sur
+la carte de tendre, on égorge les agneaux et
+la force indépendante de l'amant prime le
+droit d'esclavage du mari.</p>
+
+<p>Dans cette petite chambre j'aime à revivre
+mon passé, je retrouve un calme
+langoureux et bienfaisant au sortir des orgies
+de la chair ou des lassitudes de l'esprit.&mdash;L'hiver
+j'allume de grands feux dans
+l'âtre, comme si elle allait revenir, gelée,
+avec cette toux profonde qui me faisait si
+mal, et qu'elle dissimulait dans un sourire
+morbide. L'été j'y viens donner audience
+au soleil, aux effluves printannières, je
+place près de moi son fauteuil vide, aux
+coussins de soie, ses petites babouches de
+velours blanc traînent à terre, et, sur le
+piano ouvert, je place sa chanson favorite:
+alors je parcours quelque vieux poète, les
+yeux demi-fermés, le coeur engourdi, et il
+me semble qu'au milieu d'accords confus
+j'entends sa voix exquise murmurer comme
+autrefois ces stances Ronsardiennes, sur
+un rhythme enchanteur:</p>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p>Quand au temple nous serons</p>
+<p>Agenouillez, nous ferons</p>
+<p>Les dévôts, selon la guise</p>
+<p>De ceux, qui, pour louer Dieu,</p>
+<p>Humbles, se courbent au lieu</p>
+<p>Le plus secret de l'église.</p>
+ </div><div class="stanza">
+<p>Mais, quand au lict nous serons</p>
+<p>Entrelacés, nous ferons</p>
+<p>Les lascifs, selon les guises</p>
+<p>Des amans, qui librement</p>
+<p>Pratiquent folastrement,</p>
+<p>Dans les draps cent mignardises.</p>
+ </div> </div>
+
+<p>Je crois sentir le frisson de ses doigts sur
+l'ivoire des touches, tandis que, comme
+une berceuse, la mignonne poursuit son
+chant avec une langueur plus accentuée,
+plus émue et plus chaude.</p>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p>Pourquoi doncque, quand je veux</p>
+<p>Ou mordre tes beaux cheveux</p>
+<p>Ou baiser ta bouche aimée,</p>
+<p>Ou toucher à ton beau sein,</p>
+<p>Contrefais-tu la nonnain</p>
+<p>Dans un cloistre enfermée?</p>
+ </div><div class="stanza">
+<p>Pour qui gardes-tu tes yeux</p>
+<p>Et ton sein délicieux,</p>
+<p>Ta joue et ta bouche belle?</p>
+<p>En veux tu baiser Pluton,</p>
+<p>Là-bas, après que Charon</p>
+<p>T'aura mise en sa nacelle?</p>
+ </div> </div>
+
+<p>Sa voix dans ma pensée devient plus
+faible à l'approche de ces stances funèbres
+que nous répétâmes si souvent, sans songer
+à la réalité; cependant la vibration de ses
+paroles tinte encore à mon oreille semblables
+à ces ballades allemandes qui s'affaiblissent
+en prenant fin:</p>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p>Après ton dernier trépas,</p>
+<p>Gresle, tu n'auras là-bas</p>
+<p>Q'une bouchelette blesmie,</p>
+<p>Et quand, morte, je te verrois,</p>
+<p>Aux ombres, je n'avou'rois</p>
+<p>Que jadis tu fus m'amie.</p>
+ </div><div class="stanza">
+<p>Ton test n'aura plus de peau,</p>
+<p>Ni ton visage si beau</p>
+<p>N'aura veines ni artères;</p>
+<p>Tu n'auras plus que des dents</p>
+<p>Telles qu'on les voit dedans</p>
+<p>Les testes des cimetières.</p>
+ </div> </div>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p>Doncques, tandis que tu vis,</p>
+<p>Change, maîtresse, d'avis,</p>
+<p>Et ne m'espargne ta bouche;</p>
+<p>Incontinent tu mourras:</p>
+<p>Lors tu te repentiras</p>
+<p>De m'avoir été farouche.</p>
+ </div> </div>
+
+<p>Hélas! sa douce jouvence est passée,
+mais elle ne peut se repentir!</p>
+
+<p>Lorsqu'elle avait terminé cette suave
+mélopée, elle se levait brusquement et
+m'enlaçant par derrière, m'étreignant
+comme un être qu'on peut perdre, me
+renversant sur sa gorge, elle m'embrassait
+avec avidité, elle se donnait à moi, elle
+était affolée comme si elle eut compté ses
+jours et ses nuits, et juré de ne rien regretter
+selon les présages du poète vendômois.</p>
+
+<p>En ouvrant ce tiroir je trouve ses lettres
+et les miennes: tout un roman qu'il faut
+laisser inédit, à l'abri du vulgaire. Une
+une, je les relis sans y trouver de quoi
+brutaliser la délicatesse de mes souvenirs;
+ces tendres billets parfumés ont une candeur
+de passion, une verve d'amour, un
+brillant d'expression qui me transportent. Le
+coeur a son style et son éloquence, l'un et
+l'autre sont simples et touchants, ils frappent
+plutôt l'âme qu'ils n'éblouissent l'esprit;
+ils ont le pathétique de la foi et la grande
+beauté des paroles soudainement issues des
+sensations mêmes qui les ont fait proférer.&mdash;A
+quelle école autre que l'amour, une
+femme pourrait-elle apprendre un art si fin
+d'analyse? Sur quelle palette d'adjectifs,
+dans quels dictionnaires des passions puiserait-elle
+ces nuances expressives, à la fois
+sobres et alambiquées?</p>
+
+<p>Le cerveau livre hâtivement ses trésors
+quand l'incendie est allumé dans le coeur
+et que la raison en s'enfuyant laisse tout
+au pillage des sentiments majeurs.&mdash;Il est
+des pages qui me feraient pleurer et rougir
+de plaisir au même instant, il en est d'autres
+que je déguste savoureusement dans ma tête,
+comme ces sucreries quintessenciées qu'on
+laisse fondre en gourmet sur les muqueuses
+les plus sensuelles. Jolies pattes de mouches,
+coquetteries féminines, petits mots
+doucereux, locutions adorables, néologismes
+venus de l'âme, à quelle littérature
+peut-on vous comparer! Comme Mme de
+Sévigné est froide et minaudière auprès
+des vivantes amoureuses et des brûlants
+épistoliers.</p>
+
+<p>Près de ses lettres, dans une vaste cassette
+de Lapis-lazuli enchâssé d'or, sa longue
+chevelure blonde est étendue plusieurs
+fois roulée sur elle-même. Elle me l'avait
+promise maintes fois, et lorsqu'elle resta
+blémie sur l'oreiller, froide et presque violacée,
+j'eus l'héroïque volonté de couper
+moi-même cette toison superbe, je fis crier
+les ciseaux dans cette chevelure ruisselante,
+à la racine, et je me pris à sanglotter
+puérilement, quand je vis cette chère petite
+tête de morte, rase, mignonne et garçonnière,
+comme ces visages étranges de babys
+des peintures anglaises.&mdash;N'ai-je pas eu
+depuis souvent la faiblesse de sortir ces
+nattes de leur écrin, de les baiser avec
+passion, de les manier, de les tresser, de
+me complaire à les enlacer autour de mes
+bras, de mon cou et quelquefois de m'endormir
+avec elles.&mdash;On a dit avec vérité:
+En amour plus on est délicat, plus on
+s'amuse aux bagatelles. Mais ces bagatelles
+des amours défuntes, de quel nom peut-on
+les nommer?</p>
+
+<p>Ici, dans un coffret étroit de bois de
+rose, je retrouve une branche de lilas fanée,
+cueillie, au printemps de l'année, dans
+l'Eldorado des jouissances complètes, à la
+campagne, pendant une nuit étoilée et
+sereine où j'éprouvai, en sa possession, des
+sensations si fraîches et si entières que je
+fus heureux jusques aux larmes. Nulle page
+de mon existence galante n'a pu et ne
+pourra jamais effacer la félicité immense,
+l'épanouissement de joie intime qui me
+ravit alors en faisant tressaillir jusqu'aux
+fibres les plus tenues de mon être.</p>
+
+<p>Rien ne nuit tant au temps que le temps,
+disait Machiavel. Il en est ainsi des regrets
+qui sont tués par les souvenirs, ceux-ci
+demeurent plus doux que ceux-là, moins
+violents et plus flatteurs; l'imagination
+rétablit l'harmonie après le fracas des premières
+douleurs, et je reviens ici, dans ta
+chambre, ma mignonne, plus calme, plus
+amoureux du passé que jamais. Je me
+plais à cohabiter dans ce milieu avec tout
+ce qui fut à toi et tout ce qui fut sur toi;
+bijoux, soieries et toilettes, bonbonnières
+et éventails, jusqu'à ces tissus intimes qui
+emprisonnèrent tes grâces ondoyantes et tes
+beautés secrètes.</p>
+
+<p>Et vous objets qu'elle aimait, livres
+d'amour que nous lisions ensemble, gravures
+friponnes, statuettes légères de Saxe,
+petits miroirs qui doubliez sa beauté; glaces
+qui reflétiez nos plaisirs, je vous contemple
+avec ivresse et ne puis vous quitter.
+Larges divans, coussins moelleux, tapis d'Orient,
+tête à tête évocateur de caresses, toi
+surtout lit babillard; vous tous, Meubles,
+champs de bataille de nos tournois d'amour,
+vous qui me vîtes tour à tour Hercule et
+Adonis, amant vainqueur et amoureux
+vaincu, vous resterez toujours mon bien,
+ma possession, car avec elle et dans votre
+confort j'ai oublié la vie, car sur vous j'ai
+sablé le bonheur dans le hanap des voluptés,
+sur vous aussi j'ai semé avec insouciance,
+ma jeunesse et mon sang, ma cervelle et
+mon âme, le meilleur de mon moi, ma
+sensibilité du coeur et ma virilité des sens.</p>
+
+<p>O la seule amante aimée, je reviens
+chaque jour faire ce tendre voyage autour
+de ta chambre, me rappeller ta grâce et
+tes fructicoseux baisers, car ne pouvant
+sentir tes palpables réalités, je pense avec
+Brantôme, ce cavalcadour des <i>Dames galantes</i>
+qui t'égayait si fort, que, si le
+plaisir amoureux ne peut toujours durer,
+pour le moins la souvenance du passé contente
+encore.</p>
+
+<div class="fig" style="width:100%;">
+<img src="images/10.jpg" width="250" height="261" alt="[Illustration]" />
+</div>
+
+</div><!--end chapter-->
+
+<div class="chapter">
+
+<div class="fig" style="width:100%;">
+<img src="images/11.jpg" width="400" height="173" alt="[Illustration]" />
+</div>
+
+<h2>ÉPHÉMÉRIDES DES SENS</h2>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p class="i20">Vénus sauve toujours l'amant qu'elle conduit.</p>
+<p class="i40">H. DELATOUCHE.</p>
+ </div> </div>
+
+<h3>A MADAME ***, A PARIS,</h3>
+
+<p><span class="lef"><img src="images/v.jpg" width="100" height="103" alt="" /></span>otre lettre, mon amie, avant
+de me parvenir, a couru le
+monde comme une folle aventurière.
+Je l'ai reçue seulement il y a
+quelques jours, dans ma mystérieuse retraite.
+La poste encore l'avait-elle marquée
+d'estampilles plus nombreuses que celles
+que nous vîmes, s'il vous en souvient,
+certain soir, sur le passe-port d'un envoyé
+chinois. Vous me mandez qu'absent de
+Paris depuis près de dix-huit mois, on
+daigne s'inquiéter fort de ma disparition
+dans le milieu élégant et féminin où j'avais
+coutume de me laisser vivre. Les gageures
+sont ouvertes, dites-vous, et, tandis que
+l'envahissante comtesse de C*** professe,
+avec des sous-entendus, l'opinion que je
+suis retiré dans quelque Chartreuse
+chanter matines sur les dalles froides d'un
+prieuré, la jolie petite baronne de P***
+tient pour un mariage, en due forme, avec
+voyage circulaire à prix réduit autour de
+la lune de miel.&mdash;La plupart de vos belles
+amies protestent cependant, et affirment
+avec raison qu'un misogame aussi entêté
+que je le suis, ne saurait contracter des
+liens si légitimement contraires à ses opinions.
+La tendre et vaporeuse madame
+de L***, concluez-vous, ajoute en soupirant
+qu'une douce et enlaçante passion
+m'enclôt dans les roses du plaisir et des
+délices partagées; seule, la vieille douairière
+hoche la tête dans son fauteuil et
+déclame sentencieusement contre les équipées
+inconséquentes de la jeunesse.</p>
+
+<p>Le tableau est bien en place, et je le vois
+d'ici, avec la mise en scène de votre salon
+délicieux, au milieu des allées et venues de
+votre jour de réception.&mdash;Eh bien! mon
+adorable petite reine, toutes ces caillettes,
+dans ce gentil jeu de <i>cache-cache</i> et de <i>devine-devinotte</i>,
+brûlent peut-être, mais ne découvriront
+pas assurément le but réel de mon
+exil volontaire et les causes dominantes de
+mon séjour aux champs.</p>
+
+<p>Laissez-moi vous dire que je vous soupçonne
+tout particulièrement d'une haute
+dose de curiosité à mon endroit, et peut-être,
+par esprit tracassier, devrais-je laisser
+languir votre attention pour donner plus
+longtemps carrière aux broderies ravissantes
+de votre imagination. La vérité tue le rêve
+que le mystère nourrit; je veux bien croire
+cependant que l'intérêt que vous n'avez, en
+toute occasion, cessé de me témoigner, vous
+donne quelques droits à mes confidences;
+mais aujourd'hui, il ne s'agit pas seulement
+d'un petit conte saupoudré de sel grivois,
+d'une anecdote scandaleuse, ni même
+d'un récit purement galant; les faits que
+j'ai à vous exposer rentrent dans le domaine
+de la confession intime et complète,
+je vous fais donc mieux qu'une confidence,
+et, pour bien écouter les variations fantastiques
+et mélo-dramatiques de cette aventure,
+je réclame votre recueillement.
+Ordonnez donc à Rosine de vous laisser
+seule et de condamner votre porte, puis
+daignez me donner audience, à huis-clos,
+comme autrefois, dans ce galant oratoire
+tendu de crêpe de chine bleu pâle, sur
+le moëlleux confessionnal de votre causeuse,
+où pendant d'heureux jours, l'amour&mdash;qui
+sait, peut-être le caprice&mdash;fut entier entre nous.</p>
+
+<p>Ma lettre vous semblera sans doute
+longue, à moins que la curiosité féminine
+ne vous donne du courage; quoiqu'il en
+soit, comme accessoires des sensations où
+des sentiments, qu'elle peut provoquer,
+munissez-vous d'un mouchoir de fine batiste,
+d'un flacon de sels anglais, d'une
+boîte de pastilles ambrées, de votre mignon
+éventail, paravent de la pudeur, et maintenant
+écoutez-moi. Vous me connaissez
+assez pour ne pas mal interpréter la brusquerie
+de certaines locutions; j'ai appris
+pour ma part à apprécier votre bonne
+camaraderie qui ne s'effarouche pas trop
+des façons garçonnières, et je vous détaillerai
+mon cas avec la familiarité d'une
+causerie d'homme à homme.</p>
+
+<p>Il vous souvient sans doute que, la dernière
+fois que j'eus l'honneur de vous voir,
+je vous fis part d'une grande résolution
+qui paraissait devoir être inébranlable. Je
+m'étais décidé&mdash;dois-je vous le rappeler,&mdash;ne
+posséder, quoiqu'il advint, mes
+maîtresses <i>qu'une seule fois</i>. Cette détermination
+vous fit rire aux larmes, et vous
+vous moquâtes de moi comme un joli
+petit démon, croyant à une nouvelle boutade
+de mon esprit inquiet, lorsque ce
+n'était que la résultante de raisonnements
+basés sur la logique la plus galante.</p>
+
+<p>Je mis donc ma volonté au service de
+mon jugement; je me pris la main et me
+fis le serment de ne pas faillir aux engagements
+que je m'étais imposés. Je rompis
+tout d'abord avec madame de N***, que
+j'avais prise par un instinct curieux; on
+disait tant de petites calomnies sur ses
+goûts et l'étrangeté de son être, que je
+me devais à moi-même de constater la
+vérité, et je dois à celle-ci de proclamer
+hautement l'exagération du bruit public.
+Madame de N*** se montrait, j'en conviens,
+un peu excessive dans la manifestation
+de ses désirs, mais aussi elle était
+tendre à l'extrême, attentive à tous les
+raffinements du bonheur, servile dans le
+plaisir et incitante au possible. Je la quittai
+presque avec regret, cependant, comme il
+faut se méfier des feux qui durent trop
+et qui dessèchent ceux qui en sont l'objet,
+je me retirai brusquement de ce corps en
+combustion dont quelques journées de
+larmes eurent probablement raison.</p>
+
+<p>C'est alors mon amie, que je déployai
+ma devise en liberté.&mdash;<i>Never more</i>, disais-je,
+et tous les échos de mes esprits répétaient
+<i>never more</i>. Je saluai une légion de
+maîtresses de cet axiome sans espoir; je
+les avais eues toutes selon mes principes,
+et aucune ne voulait s'élever à la hauteur
+sublime de ce: <i>jamais plus</i>. Ce fut une
+chasse à travers les taillis de Paphos. Les
+Nymphes cette fois couraient après le
+faune, et le pauvre satyre, acculé par ces
+diables roses, toujours volontaire et toujours
+répondant: <i>jamais plus</i>, luttait encore
+davantage au-dedans de lui-même que
+contre l'enlaçante et inexorable poursuite
+de ces démoniaques.</p>
+
+<p>Je pus m'apercevoir, en cet instant, que
+les femmes sont semblables aux enfants
+qui balbutient: <i>encore</i>, et je vis que dans
+une existence de célibataire, on doit
+craindre plutôt l'excès de l'amour que la
+créance du plaisir. Mes mutines créancières
+se rebellaient, toujours vaillantes,
+jamais lasses, elles suivaient pas à pas
+mon ombre, comme ces louves ardentes
+qui rôdent aux alentours des fermes, dans
+la campagne, à la piste d'un vigoureux
+mâtin. Ce fut un orage déchaîné sur ma
+tête pendant de longs mois; chaque jour
+en totalisant ma dette à l'éternel féminin,
+je l'augmentais davantage.&mdash;Lettres,
+visites de toute heure, imprécations, supplications,
+menaces, pâmoisons, sanglots
+étouffés, rien ne me fit défaut; dans ce
+siège en règle autour de ma puissance
+virile, et de ma passive résistance, la rivalité
+des assaillantes paraissait en outre
+exciter leur ardeur.</p>
+
+<p>Souvent, au milieu de ces longues plaidoiries
+du désespoir, j'étais sur le point de
+m'attendrir; je contemplais des visages
+amaigris, des yeux brûlés par les larmes,
+des chevelures défaites et des corsages
+entr'ouverts qui avaient l'éloquence de la
+chair, j'écoutais des voix câlines, harmonieuses,
+frissonnantes d'émotion, mais, sur
+le point de céder, je me redressais, dans
+toute mon intégrité, et reprenais ma force
+et l'énergie romaine et pontificale de mon:
+<i>non possumus</i>.</p>
+
+<p>Auprès de mon apparente froideur, la
+sensualité brûlait comme un encens, m'apportant
+au cerveau une griserie de luxure,
+et il me semblait parfois, que, semblable
+un dieu sculpté dans du marbre, je devais
+regarder d'un oeil indifférent la flamme de
+ces âmes aimantes qui se consumaient vainement
+comme autant de longs cierges de
+cire devant ma majesté souveraine. Ces
+passions incandescentes m'avaient déifié;
+aussi, pour conserver le culte de ma volonté
+et rester fidèle à ma foi jurée, je
+demeurai impassible et sourd aux prières
+comme toutes les divinités.&mdash;Sur mon
+front marmoréen, n'avais-je pas opiniâtrement
+gravé: <i>never more</i>?</p>
+
+<p>Si j'osais, mon amie aimée, vous conter
+plus d'un détail, et vous montrer comment
+ces femelles éperdues s'offraient
+moi, s'agriffaient à ma tête, à mon coeur,
+à mes sens surtout, vous ne voudriez
+point me donner un démenti, mais je gage,
+qu'en vous-même vous seriez incrédule, et
+songeriez que l'humanité est plus digne,
+plus altière, et que la créature faite de
+limon est moins bestiale dans ses appétences
+charnelles ou plus retenue dans
+l'expression de ses désirs.</p>
+
+<p>Afin de calmer un peu ces agitations,
+de me donner un léger repos en me <i>désennamourant</i>
+tout-à-fait,&mdash;sans toutefois
+renoncer à une pratique dont la théorie
+était si chère à mon jugement et par suite
+à ma vanité,&mdash;je pris un biais et mis du
+sentiment dans du Marivaudage; c'était
+doser la sottise en pralines, direz-vous,
+mais la sentimentalité, ainsi qu'un masque
+de satin, devait me préserver du hâle que
+causent toujours les ardeurs de la passion
+trop militante. Je jetai, à cet effet les yeux
+sur madame V***, douce et langoureuse
+comme une tourterelle blessée; je me présentai
+à elle sobrement, comme converti
+par sa candeur extrême, et la mystifiai au
+point qu'elle crut voir en moi le plus dévot
+des disciples de Platon.</p>
+
+<p>Madame V*** n'était pas encore un de
+ces fruits mûrs, duveteux, provocants,
+aoûtés dans l'exubérance de leur carnation
+superbe, c'était une petite fleur fine et délicate,
+qui devait s'épanouir aux baisers
+de l'amour et s'effeuiller aux premières
+froidures de la galanterie. Elle accusait par
+sa beauté fluette tout au plus vingt-deux
+printemps, et toutes ses manières révélaient
+un sentiment candide, comme une
+virginité ouatée d'idéal. Son mari, un petit
+vieux sec et à voix fêlée, était pareil à ces
+saules brisés, rabougris, trapus, difformes,
+où ne nichent plus que les hibous et semblables
+encore à ces cloches ébréchées dont
+manque le battant.&mdash;Madame V*** était
+mariée devant le monde et sacrifiée devant
+l'hymen.&mdash;Une telle conquête devait me
+tenter, mais j'étais si las de libertinage que
+je songeais plutôt à surprendre son coeur
+qu'à posséder ses charmes. Avec mon but
+immuable de ne jamais renouveller ma
+reconnaissance à la banque de l'amour,
+vous pensez bien, mon amie, que, eussé-je
+dû l'avoir (puisque la nature même conduit
+à la possession en dépit du sentiment)
+rien ne me hâtait absolument, bien au
+contraire. Je pouvais donc tirer les cartes
+avec la mine désintéressée d'un homme
+qui ne tient point à gagner la partie.</p>
+
+<p>Je fis ma cour assidûment à madame
+V***, parlant d'amour avec l'expression
+d'une âme dépêtrée de la matière,
+toujours réservé, ponctuel, Tartuffe en
+diable, demandant à baiser une mitaine et
+ne paraissant jamais troublé par des sensations
+corporelles; un anglais, élève de
+Brummel, eût envié mes procédés corrects;
+je poussais bien quelques soupirs,
+mais ne les soulignais point, dans l'espérance
+qu'ils arrivaient affranchis à leur
+adresse. On ne quitte guère les voluptés
+que par lassitude, disait Saint-Evremont,
+c'était mon cas, et malgré mon nouvel
+itinéraire d'amoureux, je me considérais
+comme en villégiature au milieu des puérilités
+de mon comédisme de jeune premier.
+Je traitais madame V*** en flâneur;
+la promenade pour moi avait l'agrément
+des lentes démarches à travers champs, sans
+avoir l'attrait d'un rendez-vous des sens ou
+l'intérêt d'un but immédiat à atteindre.</p>
+
+<p>Hélas! le croiriez-vous, ma sentimentale
+et innocente amante progressait en
+sens contraire à mes idées; chaque jour le
+feu s'allumait davantage sur ses joues,
+dans ses yeux et sur l'incarnat de ses
+lèvres; elle devenait craintive et semblait
+se défier d'elle-même; quelquefois elle me
+fuyait et je la laissais faire, mais aussitôt
+elle revenait avec une lueur de tristesse,
+comme si elle se fut trouvée toute esseulée
+loin de moi. Déjà ses mains touchaient
+les miennes avec plus de fièvre et de moiteur,
+déjà aussi je crus entrevoir ces petits
+mouvements brefs, saccadés, inquiets, qui
+indiquent des affections névritiques chez
+la femme troublée. Ces constatations me
+causaient à la fois un plaisir mystérieux et
+un désespoir étrange; l'école buissonnière
+avec elle m'était agréable, et je songeais
+qu'en entr'ouvrant la porte d'un bonheur
+fugitif, elle allait créer à jamais entre nous
+l'abîme des paradis perdus. Il me faudrait
+la sacrifier, après une initiation incomplète
+aux joies terrestres, pour ne pas
+mentir à la manifestation de mes opinions
+volontaires, et cette situation ambiguë de
+mon esprit,&mdash;qui semblera ridicule aux
+âmes faibles,&mdash;me plongeait dans l'inquiétude
+et la crainte de faillir plusieurs
+fois, après le plaisir unique à la jouissance
+duquel je devais m'astreindre.</p>
+
+<p>Vous qui connaissez les luttes de mes
+sentiments dans l'arène de ma cervelle,
+vous comprendrez les conséquences de ma
+lubie, ô ma charmante amie; le despotisme
+de mes caprices vous a laissé d'assez nombreux
+souvenirs pour que vous puissiez vous
+mettre à la portée de mes querelles intérieures
+en cet instant, sans me taxer de folie.
+Tel ce petit savoyard qui n'avait qu'un pauvre
+sou à dépenser, s'en allait, hésitant s'il
+achèterait l'orange que convoitaient ses désirs
+ou s'il conserverait son joli sou pour ne
+pas mordre à la gourmandise de ces pommes
+d'or; tel j'étais, et j'avais bien envie de
+conserver mon pauvre petit sou de savoyard
+têtu, pour le jeter aux mains d'une femme
+moins sincère et plus friponne que madame
+V***.&mdash;Celle-ci me prit mon sou, cependant,
+et voici comment, sans trop de détails
+inutiles ou d'analyses oiseuses.</p>
+
+<p>Un soir d'été qu'elle était «<i>veuve</i>,» à la
+campagne, nous nous trouvions ensemble,
+après diner, dans un pavillon désert auprès
+d'un grand parc; c'était l'heure douce et
+attristante du crépuscule, quand le soleil
+rouge descend à l'horizon et que la mélancolie,
+comme un fluide magnétique, plane
+sur la nature qui s'endort. La journée avait
+été chaude, et tous deux, dans la pénombre,
+nous semblions bercer des rêves vagues sans
+songer à nous parler. Dans l'air tiède, montaient
+lentement avec une harmonie pénétrante,
+le cri monotone des grillons sous
+l'herbe, et le coassement inégal, plaintif et
+lointain des grenouilles, dans les marais voisins;
+quelques oiseaux attardés battaient encore
+de l'aile sur le sommet des grands chênes,
+et dans la vallée, des jeunes filles et des
+gars à voix mâle chantaient une ancienne ronde
+du pays singulièrement rhythmée, dont
+le refrain nous arrivait affaibli mais distinct:</p>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p>L'amour carillonne,</p>
+<p>Et j'entends qu'il sonne</p>
+<p>Du haut du clocher,</p>
+<p>L'heure du berger.</p>
+ </div> </div>
+
+<p>Je dois avouer, qu'en cet instant, j'éprouvai
+et sentais renaître en moi toute
+la poésie amoureuse et toutes les amours
+poétiques de mes dix-huit ans; un sentiment
+profond m'envahissait; je me croyais
+frôlé par de singuliers frissons dans le dos et
+mes yeux étaient humides de bonheur. J'entendis
+deux longs soupirs auxquels je répondis;
+nos mains se rencontrèrent, se pressèrent
+avec force, je m'agenouillai près d'elle,
+et la renversant audacieusement dans mes
+bras, je dévorai gloutonnement le plaisir sur
+ses lèvres.&mdash;Ah! mon amie, j'étais perdu!</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Quelle prostration j'éprouvai en sortant
+de mon ivresse, en me rappelant mes engagements
+et en pensant à ceux qu'on allait
+exiger de moi. Je ne proférai pas une parole,
+mais je pleurai presque comme un enfant,
+bêtement, sans savoir pourquoi. J'eus
+honte en ce moment de ces larmes bienheureuses
+qu'elle entendait couler, je voulus
+les excuser pour me redresser à mes
+propres yeux, et comme elle me demandait
+timidement, avec ce ton adorable de Chloé
+à Daphnis: «<i>Pourquoi pleures-tu</i>?» J'eus
+une réponse horrible, folle, pleine de mépris
+pour l'humanité, pour l'amour, pour
+les femmes et pour moi-même, je fis cette
+réponse cynique.&mdash;... Pardonnez-moi...,
+mon amie, dois-je oser?&mdash;Je répondis,&mdash;ma
+foi, j'aurai la crânerie de vous le répéter.&mdash;Je
+répondis avec une sorte de férocité
+et de rage insensée:</p>
+
+<p>«<i>Quand on pense que les chiens font cela</i>!»</p>
+
+<p>En proférant ces paroles, je devais avoir
+un air farouche, car l'impression qui me les
+avait dictées était sombre et cruelle. C'était
+donc là où cette sentimentalité si trompeuse
+m'avait mené insensiblement? C'était
+donc là le corollaire inévitable des
+passions sacrées entre sexes différents? Je
+m'étais accoutumé avec elle à vivre si entièrement
+en dehors de mes sens que cette
+rebellion de la chair inassouvie m'écoeurait
+comme si, en voulant planer dans les airs,
+je fusse tombé dans la boue avec un cri
+indigné contre ma pesanteur individuelle.</p>
+
+<p>La pauvre femme était altérée; la gracieuseté
+de sa chute s'effaçait devant la
+flétrissure imposée à la mienne, ses remords
+se taisaient pour ne pas surexciter
+les miens davantage. Vous jugez bien cependant
+que je n'étais pas homme à ne
+point profiter de ma cruelle réplique, et
+je mis à profit cet éclair de démence, puisque
+mon petit sou d'auvergnat m'était si
+irrémissiblement dérobé.</p>
+
+<p>Je devins un cabotin infâme, je parlai de
+nos devoirs, des souillures du péché, du
+vide que le plaisir laisse toujours après lui;
+je fis appel à sa raison, à ses souvenirs d'enfance,
+à ses joies de fillette, j'invoquai même
+la loyauté de l'époux qui lui avait donné son
+nom et l'honorabilité des liens qu'elle avait
+contractés. Pour moi, dans ce sermon
+attendri, je me frappais la poitrine et me
+désespérais avec une émotion communicative,
+tour à tour m'indignant contre ma
+propre faiblesse et les insinuations de
+Satan, et tour à tour aussi, projetant de
+m'imposer de dures pénitences, et de vivre
+à l'avenir dans une sagesse continente
+et une austérité claustrale.</p>
+
+<p>Tout ce fatras jésuitique fit un grand effet
+sur madame V***; elle sanglotait silencieusement
+et me contemplait comme un
+pontife en mission divine. Elle aussi s'accusait
+avec un fanatisme de dévotion très
+sincère. Peu à peu, je la calmai, battant en
+retraite, et, élargissant le cercle de la clémence
+céleste, je devins biblique; si bien
+que quand je pris congé d'elle, nous nous
+étions promis de demeurer unis dans une
+affection intime et toute spirituelle.
+«Merci, ô merci, soupira-t-elle en me
+quittant, que vous êtes bon et grand, je
+suis tombée pour vous, mon ami, je me
+relève par vous; je ne l'oublierai point,
+votre grandeur d'âme vous place au-dessus
+de votre amour; merci.»</p>
+
+<p>Pauvre petite créature, moi non plus je
+ne l'oublierai point, j'avais si bien joué
+mon rôle avec elle, que je l'aime avec ce
+sentiment à part que doivent éprouver les
+comédiens lorsqu'ils songent, avec l'ivresse
+du triomphe, aux glorieuses soirées où ils
+se surpassèrent. Je la revis depuis toujours
+douce et pudique et toute confite en religion.&mdash;Mon
+Dieu! aurai-je sauvé une âme après
+en avoir tant égarées!</p>
+
+<p>Nous voici tout au plus, ma lectrice,
+curieuse, aux deux tiers de mon histoire,
+et je ne répondrai pas d'être aussi bref que
+je le voudrais dans le récit qui va suivre et
+qui vous révélera les motifs honorables de
+mon incognito.&mdash;Pour peu que vous
+affectionniez l'esprit des paraboles et la
+morale mise en actions, vous ne manquerez
+pas de faire ressortir, en ce qui me concerne,
+la vérité reconnue de cet axiome
+vulgaire: on est toujours puni par où l'on
+a péché.&mdash;Prenez cependant un temps
+de repos, éventez-vous légèrement, croquez
+une de vos pastilles à l'ambre, renversez
+vos grâces avec plus d'abandon sur
+votre causeuse, et enfin écoutez les faits
+lamentables qui m'ont conduit dans la
+chaumière rustique d'où je vous adresse
+ces lignes.</p>
+
+<p>Pour ménager tout retour offensif de
+madame V***, je me mis à voyager.</p>
+
+<p>Pendant deux mois je courus la Belgique,
+la Hollande, la Suisse, pratiquant avec une
+aisance merveilleuse mon procédé d'amour.
+En voyage on aime à la nuit, ceci rentre
+dans les convenances, on ouvre tout au
+plus sa valise et l'on entr'ouvre à peine
+son coeur.&mdash;Entre deux trains on embrasse
+une femme, avec la notion du temps
+qui s'écoule, en se disant qu'on dégustera
+en wagon ses sensations par le souvenir.</p>
+
+<p>Il me faudrait ouvrir mon carnet pour
+vous narrer mes innombrables échappades
+amoureuses, et la liste détaillée de ces
+plaisirs sur le pouce risquerait peut-être de
+vous affadir. Revenons donc au point qui
+vous intéresse réellement pour ne plus le
+quitter.</p>
+
+<p>A Genève, pendant un trajet sur un des
+petits vapeurs du lac, dans un milieu cosmopolite
+de touristes, mon attention fut
+attirée par la remarquable beauté d'une
+femme assise à l'écart, qui regardait avec
+une attention vague et blasée les sites
+pittoresques qui sont reproduits avec tant
+de profusion banale sur tous les presse-papiers
+bourgeois ou les tabatières
+musique.</p>
+
+<p>Je pourrais, mon amie, vous en dresser
+un portrait saisissant, vous la montrer accoudée
+et rêveuse à l'avant du paquebot,
+vous décrire tous les brimborions de sa
+toilette de passagère et vous faire un
+délicieux petit pastel ou une eau-forte
+très mordue, très fouillée et burinée avec
+des ombres profondes, des méplats larges
+et bien en lumière; je pourrais, de ma
+plume, tracer l'ébène de ses sourcils,
+l'abondance fauve de sa chevelure, busquer
+son nez aux narines fières et voluptueuses,
+arquer ses lèvres dans l'indifférence
+et le dédain de leur expression, faire jaillir
+le feu de son regard, arrondir ce menton
+dans sa proéminence volontaire et contourner
+la petite conque adorable de son
+oreille sans bijoux, mais ces peintures nous
+égareraient bien loin. Les romanciers qui
+se livrent à cette chromo-lithographie littéraire
+ont d'excellentes raisons pour
+remplir les trois cents pages de leurs oeuvres
+de petits traits qui trompent l'oeil;
+ici, rien de cela, vous trouverez tous ces
+clichés de gravure en relief parmi le fatras
+des bas bleus ou des imitateurs de Châteaubriand;
+les meilleurs romans peuvent
+tenir dans un conte de cinquante pages,
+le reste est accordé à la badauderie des
+détails et je vous sais trop pratique, trop
+<i>Lady like</i> pour ne pas en user brièvement
+avec vous.</p>
+
+<p>Cette inconnue m'attirait, me fascinait
+par l'étrangeté de son allure et le charme
+exotique de sa beauté nettement originale;
+vous savez ces vers du classique Corneille:</p>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p>Il est des noeuds secrets, il est des sympathies</p>
+<p>Dont, par un doux rapport, les âmes assorties,</p>
+<p>S'attachent l'une à l'autre et se laissent piquer</p>
+<p>Par ce je ne sais quoi qu'on ne peut expliquer.</p>
+ </div> </div>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Il y avait sûrement une parenté entre
+nous, moins parenté des coeurs que parenté
+des sens et des caractères. Platon comparait
+les sexes à des moitiés de poire qui
+cherchent leur seconde moitié; c'était
+presque mon autre moitié; les pépins, ces
+yeux du fruit, recherchaient les pépins
+saillants des deux sections. Tels, en
+dehors de tout esthétique, des tronçons de
+ver de terre coupé rampent instinctivement
+vers le même point pour se souder l'un
+l'autre.</p>
+
+<p>Je la suivis à Vevey, à Divonne,
+Lausanne, je me fis son ombre muette,
+me profilant sur sa route pour mieux
+m'insinuer dans sa vie; dans les hôtels,
+aux tables d'hôte, au <i>Reading room</i>, dans
+les couloirs, jusque dans les ascenseurs
+elle me trouvait à ses côtés; je ne
+dormais que d'un oeil afin d'épier ses
+fuites matinales; nos valises se heurtaient
+dans les gares, nos coudes se frôlaient en
+wagon, mais à part des politesses d'usage
+et des paroles timidement échangées,
+j'éprouvais comme une jouissance particulière
+à sentir battre mon coeur à l'unisson
+du sien, sans que j'éveillasse sa délicatesse
+féminine par une sotte déclaration. L'expérience
+m'a toujours prouvé que plus les
+amours paraissent languir dans la crainte
+d'un aveu, plus vite ils se fusionnent
+d'après la loi de la nature. La prise de
+possession ne m'inquiétait guère et je
+laissais flamber mes désirs autour d'elle
+comme autour d'un <i>pudding</i> la flamme
+d'un punch qu'on attise et agite avec
+insouciance. Mes théories ne mettaient
+qu'une corde à mon arc et je songeai
+qu'il me faudrait débander trop tôt cet
+attribut de Cupidon...&mdash;vous n'oubliez
+pas... mon petit sou d'auvergnat?</p>
+
+<p>Ah! petit prêtre! ainsi que jurait le
+bon roi Louis, pouvais-je me douter que
+le hasard, avec son esprit du diable, allait
+se charger de nous accointer forcément,
+de la manière la plus incroyable et cependant
+la plus simple, puisque déjà, du
+moins je le sentais, nos coeurs ardaient et
+nos corps se voulaient entièrement.</p>
+
+<p>Un soir, après une journée de diligence,
+pendant laquelle notre taciturnité ne s'était
+point donnée le moindre démenti, mais
+aussi au cours de laquelle, dans l'encaissement
+d'un coupé, nos épaules et nos
+mains s'étaient pressées jusqu'à la courbature
+et la fièvre des voluptés contenues,
+nous descendîmes côte à côte dans une
+auberge où un dieu malin nous attendait
+sous l'apparence d'un suisse hospitalier et
+de belle mine.</p>
+
+<p>S'il me fallait vous dialoguer l'aventure,
+cela vous paraîtrait assurément plus pittoresque,
+mieux exposé, mais peut-être
+aussi peu vraisemblable. L'auberge était
+isolée et si hautement bondée d'Anglais et
+de <i>Cook's travellers</i> qu'il ne restait qu'une
+chambre, une honnête chambre à deux
+lits.&mdash;L'obséquieux majordome, d'un
+coup d'oeil expert, nous prit assurément
+pour deux jeunes époux très désireux de
+passer la nuit sous le même plafond; nos
+colis furent hissés de concert dans un
+Eden de troisième étage;&mdash;je me gardai
+bien de protester, mais elle..., jetez de
+grands cris d'incrédulité, belle parisienne...,
+mais elle, avec une surdité aussi forte
+que la mienne, laissa tout aménager pour
+deux et ne proféra pas une parole contradictoire.&mdash;Je
+croyais rêver, mon coeur
+battait à se rompre, mais d'une voix
+aussi impérative que possible, j'ordonnai
+qu'on montât le souper dans notre appartement.</p>
+
+<p>Quel souper ce fut là!&mdash;A l'époque de
+nos amours, ma charmante souveraine,
+nous n'eûmes jamais d'ambigus aussi
+relevés, dans le boudoir même où vous
+lisez cette lettre.&mdash;Sous le regard glacial
+mais inquisiteur de notre officier de
+bouche cravaté de blanc, nous fûmes absolument
+corrects, parlant peu, avec ce
+flegme et cette indifférence d'américains
+à table; les plats défilaient comme au
+théâtre pour la parade, c'est à peine si
+nous effleurions de la fourchette les
+truites roses ou les sanglants roastbeefs.
+Lorsque les compotes et autres variantes
+d'entre-mets furent enlevées, quand nous
+fûmes seul à seul, je retirai la clef de la
+porte que je fermai à l'intérieur, et m'élançant
+audacieusement à ses genoux avec
+un bonheur véritable, je m'écriai simplement:
+<i>Enfin!</i> et <i>Merci!</i>&mdash;La première
+exclamation était pour moi, la seconde
+était pour elle.</p>
+
+<p>Vous direz peut-être que tout ce récit
+est d'un fol qui frise l'impertinence et que
+tout auteur qui se respecte n'oserait jamais
+concevoir même un roman sur une donnée
+aussi improbable. Vous avez foi en ma
+véracité cependant, et vous me permettrez
+de ne pas trop argumenter sur ce sujet.
+La fin de cette lettre vous fera comprendre
+davantage pourquoi je ne puis m'étendre
+plus amplement dans cette description
+sous peine de me fatiguer. Au printemps
+tout est tendre dans la nature et le règne
+végétal ne peut subir de trop grandes
+pressions barométriques; ainsi, dans mon
+renouveau, avec un doux bégaiement de
+convalescence, l'écrivain se cherche encore
+et ne se retrouve qu'à moitié dans ma
+cervelle engourdie.&mdash;Plus tard! ah! plus
+tard, je vous donnerai des détails qui ne
+vous laisseront aucun doute sur la parfaite
+authenticité de mes assertions.</p>
+
+<p>Ne vous imaginez pas néanmoins que
+les choses se passèrent à la dragonne entre
+nous; je fus très respectueux, très décent,
+très loyal avec mon étrange camarade de
+chambre. Cette nuit-là, vous me croirez
+si bon vous semble, mais les deux lits
+furent absolument défaits et solitairement
+foulés; ils se rapprochèrent peut-être,
+mais ils ne se confondirent pas; nos soupirs
+faisaient un pont entre nos coeurs et
+je parus oublier tout-à-fait les galanteries
+hatives du dix-huitième siècle pour ne
+me souvenir que des continences de l'école
+de Salerne.</p>
+
+<p>Pouvais-je changer en centimes ou en
+liards ma petite pièce unique?&mdash;Certes
+non, il faut laisser vieillir l'amour comme
+le vin pour le boire, s'il est de bon crû, et
+j'attendais le moment psychologique.&mdash;Un
+caprice qu'on néglige de satisfaire aussitôt,
+tout en l'excitant, se nourrit d'espoir,
+prend du ventre et devient passion. Or, je
+n'aime point que les feux que j'allume s'éteignent
+trop vite, et si je m'éloigne impitoyablement
+des brasiers avivés par mon
+machiavélisme, il me plaît de les sentir flamber
+derrière moi, gigantesques, rouges et
+superbes comme l'incendie d'une Sodome
+où les vices rôtissent et se tordent dans
+les cuissons du désir, en vains appels
+mon libertinage.</p>
+
+<p>En me jetant à ses genoux, en lui
+criant: <i>Merci</i>, je rendais grâce à l'honneur
+qu'elle m'accordait, à la confiance qu'elle
+me témoignait, mais je me méfiais de
+moi-même, car dans son regard souriant
+et trop éloquent je lisais ma damnation.</p>
+
+<p>Elle se nommait Ilka, et je prévoyais
+dans sa possession la sauvagerie magyaresque
+de sa race, plus volontaire que
+fantasieuse; il se dégageait de son corps
+svelte une énergie et comme une bravoure
+d'écuyère bottée; ses mains de patricienne
+longues et tissées de nerfs délicats mais
+tenaces et tendues comme des cordes de
+mandoline, accusaient dans l'activité fébrile
+des doigts une inquiétude persistante.&mdash;Tandis
+que je parlais ou plutôt que je murmurais
+près d'elle des déclarations brèves
+plus crânes et moins niaises que des fadaises
+amoureuses, elle me contemplait, se renversant,
+analysant tout en moi, trahissant
+à peine par l'oscillation de ses narines ses
+sentiments intérieurs. La prunelle fixe de
+son oeil excitait ma verve et je l'enveloppais
+toute entière de l'expression de mon
+individualité pour faire pénétrer mon âme
+par ses oreilles pendant que ses yeux buvant
+lentement les jeux de ma physionomie
+et les accents de mon caractère, épiaient
+la mobilité de mes traits. A un moment,
+presque brusquement, elle me demanda:
+«Votre main,» et à peine lui avais-je
+livré ma gauche que redressant la paume
+en l'air, curieuse comme une Gipsy, elle
+semblait y lire aussi aisément que dans un
+livre, se montrant d'abord perplexe, puis
+se déridant, enfin joyeuse s'élançant à mon
+cou, m'embrassant sur le front et disant:
+«Je ne m'étais pas trompée, vous êtes
+un homme dans toute la puissance du mot,
+vous avez la volonté, la force, vous me
+dominez, hélas! je sens votre influence
+et ne puis m'y soustraire,&mdash;je suis
+vous.»</p>
+
+<p>Je souriais en moi même, alors les
+confidences commencèrent, les baisers,
+ce sceau des âmes, nous unirent moralement
+et l'étrange et exquise créature
+se révéla à moi plus extravagante, mais
+aussi plus grande et plus noble par l'esprit
+qu'elle était belle au physique.</p>
+
+<p>Pour moi, tout me séduisait en elle, sa
+profonde distinction qui ressortait de son
+maintien et de la petitesse de ses attaches,
+sa mine hautaine voilée de dédain vis-à-vis
+du vulgaire, sa souplesse de panthère
+dans l'intimité et l'accent de son langage
+francisé, dépourvu de tout parisianisme,
+mais dicté selon les règles de l'orthologie.
+Cette femme vraiment femme me reposait
+un peu de toutes les poupées à ressort qui
+tombent en disant: <i>maman;</i> j'adorais ses
+farouches caresses avant même qu'elle fut
+à moi; si elle parlait de l'avenir de nos
+amours, elle y faisait briller comme l'éclair
+du poignard dans l'ombre d'un drame;
+il y avait, en un mot, du diable dans sa
+personne, et je sentais qu'en me donnant
+à elle j'allais signer un pacte avec mon
+sang. Le danger me tentait, la jeunesse
+aime à le braver, même et surtout en
+amour, j'allais trop tôt hélas! y céder,
+tout le romantisme de ma bonne fortune
+m'y poussait, et je voulais connaître par la
+réalité, si Belzébuth se mêle parfois comme
+on le prétend, aux hasards de la vie.</p>
+
+<p>Pendant plus de trois jours nous demeurâmes
+ensemble sans que je me décidasse
+à faire fondre mon pauvre petit sou dans
+cette fournaise pétillante; ma volonté devenait
+un entêtement dont je souffrais
+cruellement:&mdash;je n'ai jamais si bien saisi
+les cuissons ardentes de la vertu. Ilka ne
+comprenait rien à ce platonisme ridicule,
+elle se tordait par instants à mes pieds
+comme soumise à mes désirs, mais vaincue
+par les siens; un matin qu'elle était plus
+pâle et plus agitée, elle fit quelques pas
+vers moi comme pour éclater dans un aveu
+brutal de ses faiblesses, puis se reprenant,
+comme honteuse, elle prit son petit pencil
+d'or armorié et écrivit sur un billet ces
+deux mots que je conserve et conserverai
+toujours:&mdash;«<i>Je t'aime et je te veux:
+tue-moi ou prends-moi, mais que je ne voie
+plus ton indifférence dont je languis et meurs
+trop lentement</i>.»</p>
+
+<p>Ah! ma belle amie, il faut cueillir les
+fruits dans leur maturité et prendre les
+femmes au midi de leur concupiscence;
+je devins Jupiter par le plaisir et Titan par
+mes exploits; ma volonté fit banqueroute,
+je dois en convenir; avec Ilka j'oubliai
+mes théories de fat et l'énergie de ma
+règle de conduite; je fus aveuglé par l'ivresse
+et après en avoir reçu d'elle cent
+baisers, j'eusse encore payé de ma vie une
+seule de ses caresses.</p>
+
+<p>Cette fauve créature me brûlait de son
+amour à ce point que je ne pouvais me
+désacointer d'avec elle ni par la pensée,
+ni par les sens, ni par l'âme; je sombrai
+tout entier dans cette orgie de ma chair:
+cette indifférence de coeur, cette indépendance
+d'esprit, ce scepticisme des égoïsmes
+à deux, ces paradoxes sur les unions
+brûlantes, ce culte de mes conceptions
+personnelles, cette fierté et ce despotisme
+inflexibles que vous me connaissez, je
+perdis tout dans les bras de mon idole.</p>
+
+<p>Nous revînmes ensemble à Paris, et dans
+une villa des environs, ni trop loin ni
+trop près de la ville, elle prit plaisir
+se construire un nid selon mes goûts.
+Je la quittais à peine, car toute à ses
+amours elle se recueillait dans son intérieur,
+bornant son horizon à nos terribles
+jouissances. Je vous expliquerai bientôt de
+vive voix, à mon retour auprès de vous,
+les étrangetés, les caprices soudains de
+cette tigresse charmante, qui, aux légendes
+et au fatalisme de son pays, joignait une
+dépravation d'esprit inouïe.&mdash;Pour me
+lier, pour me fixer à elle, dans la crainte
+constante de me perdre, elle ne savait
+qu'imaginer; chaque jour, c'était un nouveau
+ragoût libertin fortement pimenté
+par l'ardeur de sa sensualité; chaque jour
+aussi, c'était des exigences volontaires qui
+prenaient l'accent puéril des mutineries
+amoureuses. Sa croyance au vampirisme
+la poussa un soir à m'ouvrir follement une
+veine afin d'y boire mon sang à petites
+gorgées comme un filtre immanquable pour
+me posséder à jamais.</p>
+
+<p>Le temps s'écoulait vite dans cette absorption
+de mon être; habile à l'extrême,
+tour à tour spirituelle ou sagace, apte
+tout concevoir et à tout exprimer, j'avais,
+à côté de la maîtresse, un camarade génial
+et nos conversations prenaient quelquefois
+l'allure de graves dissertations sur les convenances
+sociales dont nous nous étions
+affranchis, sur la sottise humaine, sur les
+sciences surnaturelles ou sur les folies de la
+politique des peuples. Quelquefois, quand
+la fatigue brisait mes membres, elle se
+levait légère et sans bruit, m'embrassait au
+front, m'enveloppait de confort et se mettant
+au piano, comme pour me bercer;
+elle jouait alors avec son instinct de tzigane
+des valses exquises de Strauss, de
+Csardas de Patikarius, ou des danses hongroises
+bizarres, endiablées, qui me faisaient
+sauter sur la chaise longue et
+ranimaient ma verve endormie.</p>
+
+<p>Après six mois de cette existence qui
+me montait à la tête comme les parfums
+trop capiteux de la tubéreuse, je devins
+exsangue, comateux, presque acéphale. Ce
+succube magyar avait vidé ma moëlle et
+épuisé mes sources vitales, je me sentais
+atteint de vertiges, de cardialgie et mon
+amour encore dansait à la kermesse de
+mes sens. Il ne fallait pas parler à Ilka de
+la quitter, elle se serait tuée avec un dédain
+superbe; je ménageais une transition pleine
+de ménagements, lorsque je fus atteint
+d'une fièvre cérébrale qui fit désespérer de
+mes jours.</p>
+
+<p>Pendant les premiers symptômes de ma
+convalescence, ma famille, de concert avec
+mes amis, m'emmena au loin, pour me
+soustraire à des retours de moi-même vers
+ma tendre maîtresse.&mdash;La pauvre chère
+âme affolée, partit, me dit-on, en Bohême
+où elle mourut, sans que j'aie pu obtenir le
+moindre renseignement sur cette fin dramatique;
+des lettres mensongères lui
+avaient annoncé ma guérison et ma haine
+ou mieux encore mon indifférence pour
+celle qui avait été la cause de mon mal.&mdash;Ah!
+les pavés de l'ours, ils brisent les
+coeurs sans pitié et assomment froidement
+les plus belles amours, avec la sottise
+pesante des niais qui invoquent la gibbeuse
+morale.</p>
+
+<p>Un moment abalourdi, hébété par ces
+nouvelles terribles, qu'on tâcha de m'empapilloter
+sous des phrases de rhétorique
+et des insinuations d'un catholicisme ardent,
+je pensai moi-même à égarer ma vie
+sur tous les chemins hantés par la mort;
+le dégoût me serrait à la gorge, l'humanité
+m'effrayait; à vingt-huit ans j'éprouvais
+déjà une lassitude de vivre, comme un
+centenaire qui aurait vu foudroyer toutes
+ses affections autour de lui...&mdash;Peu à peu
+cependant mon esprit se calma, mon
+coeur devint plus calme, les souvenirs se
+firent plus doux, et le temps, avec un tact
+extrême pansait mes béantes blessures.</p>
+
+<p>Ma santé si éprouvée ne reprenait aucune
+force, au contraire; le docteur tant
+pis et le docteur tant mieux provoquaient
+en vain de nouvelles consultations, et
+j'avais déjà usé sans succès de tous les
+quinas et ferrugineux de la pharmacopée
+moderne, lorsque, me mettant en dehors
+de tout ce charlatanisme, je résolus, aidé
+de ma mémoire et du bon sens, de me
+traiter moi-même d'après une méthode
+ancienne.</p>
+
+<p>Le maréchal duc de Richelieu, souffrant
+d'un épuisement analogue au mien, et
+désespérant de ranimer sa virilité de cavalier
+galant, s'en fut, paraît-il, à Leyde,
+consulter le savant Boërhave, le Gallien
+du XVIIIe siècle, dont la réputation était si
+grande qu'on lui adressait ses lettres:
+<i>à M. Boërhave, en Europe</i>.&mdash;Cet homme
+célèbre, après avoir contemplé le libertin
+de qualité, lui dit avec simplicité et douceur:
+«Le médecin est l'esclave de la
+nature, il n'a autre chose à faire qu'à lui
+obéir et à suivre exactement ses indications.
+Je m'aperçois que ce sont les dames qui
+ont surtout délabré votre santé, c'est
+elles à la réparer; trouvez-moi une bonne
+nourrice, et oubliez auprès d'elle que vous
+êtes homme, pour vous faire enfant.»</p>
+
+<p>Je me souvins de ce fait peu connu,
+et n'allez pas rire, mon amie, je fis comme
+Richelieu; je trouvai en Bourgogne une vigoureuse
+luronne qui voulut bien m'agréer
+pour son nourrisson. Je me mis à la diète
+laiteuse, buvant du lait régulièrement le
+matin, le midi et le soir.</p>
+
+<p>C'est ici que je vis depuis près d'un
+mois, dans une ferme isolée, me laissant aller
+à tous les enfantillages, à tous les
+bégaiements où m'ont conduit mon ramollissement;&mdash;le
+matin à six heures, au
+milieu du chant des oiseaux et du bruit de
+la métairie, je vois arriver ma bonne nounou,
+comme une mamoseuse providence:
+elle m'enlève dans ses bras comme un bébé,
+m'habille servilement, et entr'ouvrant son
+corsage avec résignation, elle me présente
+sa puissante mamelle nourricière que j'épuise
+à longues embrassées. Dans les premiers
+temps, le breuvage me parut un peu
+fade, je vous l'avoue, et j'eus comme des
+nausées; il me fallut toute la patience de
+la brave Bourguignonne, toutes ses petites
+claques amicales et ses gros rires de villageoise
+qu'on lutine, pour m'y faire prendre
+goût.</p>
+
+<p>Aujourd'hui, je commence à redevenir
+grand garçon, et quand la nounou regarde
+l'heure sur l'horloge à grande gaine de
+noyer, je n'attends plus qu'elle me dise:
+«<i>Monsieur veut-il têter</i>?» Je vais vivement
+délacer la robe et mettre en liberté
+les prisonniers; ce n'est pas sans volupté
+alors que je hume avec un petit bruit de
+déglutition cette liqueur séreuse qui me
+ranime et me conduit à la virilité; souvent
+dans ma précipitation, je me comporte en
+vilain baby, je bavoche et inonde les lainages
+de ma mère nourricière, qui coquettement
+se secoue ou s'essuie en criant
+à belle gorge comme une ironie à mon impuissance:
+«fi, le polisson <i>qui salit sa
+bobonne</i>!»</p>
+
+<p>Mes journées se passent dans la basse-cour,
+sur un banc rustique, quelquefois
+presque vautré, auprès du fumier, ce grand
+aphrodisiaque de la terre. Je taquine les
+poulettes et regarde curieusement les exploits
+du coq, qui me font mourir de
+honte; je ne lis pas d'autre livre que
+celui de la nature, toujours varié et sincère;
+enfin, mon amie, cette lettre, dans son
+décousu et le déshabillé de son style, est
+la première que j'écris depuis près de deux
+mois; j'y remue délicatement les cendres
+du passé pour ne pas faire saigner mes
+blessures mal fermées; serrer mon coeur et
+tyranniser mon cerveau; ma nounou très
+inquiète me regarde <i>travailler</i>, et ne saisit
+pas bien la portée de ces lignes manuscrites
+écrites en si grande hâte: «Si Monsieur
+se fatigue, je ne pourrai pas le sevrer
+dans quinze jours, me dit-elle d'un gros
+air grondeur.»</p>
+
+<p>Ah! quand je serai sevré!!!&mdash;que toutes
+les caillettes de votre salon prennent
+garde; le loup rentrera en affamé dans la
+bergerie, avec ses théories anciennes et
+son petit sou d'auvergnat, qu'il fera sauter
+et passer de mains en mains.&mdash;Je sens
+déjà auprès de ma nourrice des distractions
+charnelles, qui sont d'heureux symptômes.
+Ah! quand je serai sevré!... vous serez
+appelée la première, si vous le voulez bien,
+mon adorable amie, à prononcer votre
+jugement si la méthode du docte Boërhave
+est exquise pour apprendre aux hommes
+à faire et contrefaire les enfants, et aux
+femmes à supporter les hommes qui sortent
+de nourrice.&mdash;Adieu, au revoir, à bientôt.</p>
+
+<div class="fig" style="width:100%;">
+<img src="images/12.jpg" width="300" height="150" alt="[Illustration]" />
+</div>
+
+</div><!--end chapter-->
+
+<div class="chapter">
+
+<div class="fig" style="width:100%;">
+<img src="images/13.jpg" width="400" height="153" alt="[Illustration]" />
+</div>
+
+<h2><i>LE SOTTISIER D'AMOUR</i></h2>
+
+<h3>ÉPIGRAMMES TIRÉES DU CARQUOIS DE CUPIDON</h3>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p class="i30">J'ai remarqué que ce sont les plus</p>
+<p class="i30">tendres et ceux qui avaient le plus</p>
+<p class="i30">le sentiment de la femme, qui les</p>
+<p class="i30">traitaient plus mal que tous les autres.</p>
+<p class="i40">THÉOPHILE GAUTIER.</p>
+ </div> </div>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p class="i30">En amour, tout est vrai, tout est</p>
+<p class="i30">faux, et c'est la seule chose sur laquelle</p>
+<p class="i30">on ne puisse dire une absurdité.</p>
+<p class="i50">CHAMFORT.</p>
+ </div> </div>
+
+<p><span class="lef"><img src="images/l.jpg" width="100" height="113" alt="" /></span>'amour est utile à la vie, comme
+la rosée est indispensable à la
+terre, mais l'orage du soir provient
+trop souvent de la rosée du matin. Il
+faut profiter des premiers rayons solaires
+du bonheur, se hâter de boire au plaisir et
+quitter la partie avant les ardeurs de midi.&mdash;Les
+plus belles aurores produisent parfois
+de sanglants crépuscules.<br /><br /></p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>A Paris on dit: <i>une femme honnête</i>;
+Vienne, pour exprimer la même opinion,
+on dit: <i>une femme pratique</i>.&mdash;Comme
+l'adjectif viennois est plus profond et plus
+correct que le dénominatif parisien!</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>La langueur est à la nonchalance ce que
+la mélancolie est à la tristesse.&mdash;La
+langueur est une jaunisse de l'âme dont
+l'amour même a raison.&mdash;La nonchalance
+est une apathie corporelle qui donne tous
+les torts à la volupté qu'elle fait naître.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Les chevaliers anciens arboraient galamment
+cette noble devise française: <i>Les servir
+toutes, n'en aimer qu'une</i>.&mdash;Les philosophes
+cavaliers modernes, moins puritains et
+moins braves surtout au tournois d'amour,
+proclament cet axiome:<i> Les aimer toutes,
+n'en servir qu'une</i>.&mdash;Ceci, pour être moins
+élevé, est peut-être tout aussi logique.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>La femme souffre toujours pour deux, dit
+Balzac.&mdash;C'est fort bien pensé, mais le mari,
+doit-on ajouter, pâtit souvent pour trois.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Il est infiniment moins aisé de satisfaire
+une femme que d'en contenter plusieurs.
+(<i>Les hommes mariés seront de cet avis</i>). Pour
+une femme, par opposition, il est certes
+plus facile et plus agréable, de satisfaire
+plusieurs amants que d'en contenter un
+seul.&mdash;La résultante nous conduit à ce
+mot charmant de Montaigne: <i>la femme est
+l'ennemie naturelle de l'homme</i>.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>C'est lorsqu'une femme mendie franchement
+et sans paraphrases l'amour d'un
+homme, qu'elle démontre sa passion; car
+alors elle lui sacrifie à la fois son orgueil,
+sa coquetterie, son amour-propre et la
+pudeur de ses préjugés; c'est-à-dire plus
+qu'elle-même mais, aussi, beaucoup moins
+que ses sens.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>La sentimentalité: un oeuf à la coque
+à... pain mollet; le libertinage: une omelette
+aux fines herbes.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Certaines femmes naissent belles; d'autres
+deviennent jolies; on a tout à gagner
+à s'accointer avec celles-ci plus douces
+et plus charitables que les premières,
+la façon des Gagne-Petit qui se vengent
+des abstinences de leur jeunesse par
+les libéralités de leur âge mur.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Les véritables coquettes se gardent bien
+de prendre un amant dans la crainte de
+perdre un seul de leurs galants.&mdash;Une
+coquette tire vanité du nombre de ses
+amoureux, comme un aventurier qui s'enorgueillit
+de la variété de fausses décorations
+par lui arborées en brochette devant
+la sottise humaine.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Les dévotes ou les vieilles filles de haute
+vertu permettent à leur esprit toutes les
+jouissances qu'elles refusent à leur chair.
+Elles déjeunent le matin avec appétit du
+scandale de la veille, dînent des calomnies
+ramassées dans le jour, et couchent chaque
+nuit, par la pensée, avec tous les amants
+qu'elles ont prêtés si gratuitement aux autres
+femmes.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Que d'infortunés nouveaux mariés ont
+appris, le soir, à leur dépens, que le flambeau
+de l'hymen est un cierge de cire...
+qui n'est pas toujours vierge et sur lequel
+d'infâmes sacristains ont déjà posé l'éteignoir
+de l'hypocrisie et du vice!</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Il y a la même différence entre une femme
+constante et une femme fidèle, qu'entre
+un homme têtu et un homme volontaire.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Si je portais deux pucelles en sautoir,
+disait Esope, je ne répondrais pas de celle
+qui serait derrière.&mdash;Quel esprit de
+bossu! Quelle bosse d'esprit! Quelle sagesse
+de fabuliste!!</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Ce qu'une femme pardonne le moins
+aisément à un homme qu'elle aime ou
+qu'elle a aimé, c'est de n'avoir rien à lui
+pardonner.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>La continence <i>congestionne</i>; le plaisir
+grise; la jouissance saoule; la passion tue:&mdash;Grisez-vous
+quelquefois, ne vous saoulez
+jamais, gardez-vous de vous suicider. A
+l'auberge de l'amour, le jeu n'en vaut pas
+la chandelle.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Le caprice passionné vit aux antipodes
+de l'estime et de la sympathie morale:
+les femmes qui nous ressemblent le plus
+sont celles que nous aimons le moins.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>La princesse B*** s'écriait l'autre jour,
+avec ennui et par mégarde: «Je voudrais
+pouvoir embrasser à la fois, mon mari,
+mon amant et mon chien;»&mdash;Comme
+c'est bien femme en tous points, par l'expression
+et la pensée.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Pour une femme mariée, la beauté de
+son amant est en proportion de la laideur
+de son mari.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Une maîtresse qui s'ennuie est déjà
+infidèle.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Tuer l'amour à son apogée, au risque
+de se briser l'âme, c'est un acte de haute
+philosophie, de virilité volontaire chez un
+homme. Lorsque le bonheur est constaté,
+on ne doit point s'y endormir, la troupe
+légère et funèbre des désillusions guette
+la porte de l'amoureux; il vaut toujours
+mieux déloger que de s'arc-bouter contre
+l'envie, le soupçon et l'inconstance réunis
+pour forcer l'huis de l'amant fortuné. Les
+femmes ne comprennent jamais ce génial
+égoïsme du penseur qui brusque toujours
+les dénouements d'amour, et cependant
+elles poursuivent le fugitif, car les curieuses
+veulent toujours demeurer les dernières
+au spectacle ou quitter la scène d'elles-mêmes
+les premières. Si une maîtresse
+nous donne le fil de son âme, il faut en
+profiter, pour en sortir, avant que le fil ne
+soit coupé par les mains de l'infidèle, et
+imiter Thésée en abandonnant la belle
+Ariane dans l'Ile de Naxos. Les horizons
+de Cythère sont, hélas! très bornés, et,
+quand on arrive aux confins de la félicité
+parfaite, il n'y a plus qu'un précipice
+descendre ou un calvaire à gravir douloureusement.</p>
+
+<p>Les plus grandes passions satisfaites finissent
+sottement, elles s'atténuent dans
+l'estime ou bien s'éteignent dans l'indifférence.
+Si elles se transforment en haine,
+la logique des sentiments est sauvée et
+l'amour-propre sauvegardé.</p>
+
+<p>Les délicats ne vident jamais que les
+deux-tiers des flacons de vins exquis dont
+ils s'enivrent. Ils n'attendent jamais, pour
+en changer, que leurs gants se salissent,
+que leurs habits se déforment ou que leurs
+bonnes fortunes montrent la corde; aussi
+l'amour ne devrait-il être le plaisir que des
+âmes délicates: «Quand je vois des
+hommes grossiers se mêler d'amour, s'écrie
+Chamfort, je suis tenté de dire: «De quoi
+vous mêlez-vous? du jeu, de la table, de
+l'ambition à cette canaille!»</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Je me suis souvent demandé pourquoi
+certaines femmes recherchent si avidement
+la société des hommes d'esprit qu'elles
+comprennent <i>peu</i> ou <i>prou</i>, lorsqu'elles sont
+si idéalement heureuses avec des imbéciles?</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>A un époux qui déplorait devant lui ses
+infortunes conjugales, Santeuil, le latiniste
+et spirituel poète, répondait ainsi: «Vous
+êtes cocu... n'est-ce que cela? Ah! mon
+ami, ne prenez peine, le cocuage, croyez-moi,
+n'est qu'un mal d'imagination: peu
+de maris en meurent, mais il y en a tant
+qui en vivent!»</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Dans une réconciliation d'amoureux, il
+est peu de femmes qui n'aient pas la sottise
+de prendre les marques de virilité de leur
+amant pour des preuves de fidélité.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Passé quarante ans, la plupart des
+hommes mettent tout en oeuvre pour
+surexciter leurs sens, sans même concevoir
+le désir de les satisfaire.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Les grands vicieux sont timides et craintifs,
+au premier abord, avec une femme
+qu'ils convoitent; les écoliers au contraire
+sont hardis et inconséquents; l'audace de
+ceux-ci s'évanouit avec le premier désir, la
+timidité de ceux-là, au contraire, prend
+une hautaine revanche au lendemain de
+la victoire.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Un mari qui invoque ses droits, est bien
+près de les perdre.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Une <i>fille</i> qui aime redevient enfant,
+espiègle et gamine; une veuve, dans le
+même cas, retourne aux pudeurs et aux
+timidités de la jeune fille.&mdash;<i>L'enfant est
+préférable</i>. Une veuve ne cherche à faire
+oublier qu'un seul homme, qui fut son
+mari,&mdash;la courtisane amoureuse, pour
+se reconquérir elle-même et apaiser les
+jalousies rétrospectives de son amant,
+voudrait biffer de son passé une portion
+de l'humanité qui l'outrage par le souvenir
+même de sa possession.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>L'inconstance des femelles est si active,
+si tourmentée, si inassouvie, que je me
+suis quelquefois demandé si Protée eut pu
+trouver une femme fidèle.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Tout est amour-propre chez la femme,
+même l'amour qui ne l'est pas; plus on y
+songe, plus on étudie la théorie, plus on
+observe la pratique de l'amour, plus on se
+confirme davantage que, somme toute,
+c'est par l'amour-propre que commencent
+et finissent les plus majestueuses passions
+aussi bien que les plus légers caprices.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Que d'hommes n'ont-ils pas perdu, par
+trop de discrétion délicate, des caresses
+intimes et variées, que des goujats grossiers
+ont su récolter cyniquement aussitôt après
+leur départ.&mdash;Les femmes ont l'imagination
+si libertine et nourrie de tant de monstruosités
+voluptueuses et antiphysiques,
+qu'on est tout étonné, après l'impertinence
+des demandes audacieuses, de trouver des
+complaisances et des facilités de moeurs
+qui émerveillent la dépravation de l'amoureux.
+Platon disait que les femmes avaient
+été des garçons débauchés autrefois.&mdash;Au
+lendemain de sa virginité perdue, si ce
+n'est peut-être la veille, une initiée aux
+plaisirs de Vénus a d'ore et déjà conçu dans
+sa tête un tableau de luxure comparée qui
+ferait pâlir toutes les peintures tracées par
+Arétin.</p>
+
+<p>L'imagination des femmes conçoit, c'est
+l'audace et aussi au tempérament des hommes
+vigoureux d'exécuter les devis. Ils
+n'iront jamais trop loin.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Lord Byron disait: «Une maîtresse est
+aussi embarrassante qu'une femme... quand
+on n'en a qu'une.»&mdash;L'embarras cesse
+par la multiplication qui cause les divisions,
+lesquelles conduisent aux soustractions;
+après quoi on se complaît à aligner des
+additions don-Juanesques d'une légèreté
+totale exquise. C'est la vanité alors qui
+règne en maîtresse heureuse.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Les femmes n'aiment que ce qu'on ne
+leur donne pas.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Les jeunes filles mordent aux fruits
+verts; les vieilles filles ébrèchent leurs
+dernières dents sur des fruits secs: <i>Les
+quatre mendiants de l'amour</i>.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Aimer sa maîtresse, c'est encore s'aimer
+soi-même; aimer son épouse, c'est abdiquer
+son individualité au mécanisme banal
+de la société et dédoubler son effigie.&mdash;Un
+célibataire, qui était un <i>tout</i>, devient en se
+mariant, une <i>moitié</i> influencée par une
+autre moitié.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>«Il faut vous distraire, disait-on à un
+veuf attristé; vous êtes jeune, redevenez
+joyeux et bon vivant; tenez, soupons ce
+soir en partie fine?»</p>
+
+<p>«Eh! mon cher, vous avez raison, j'accepte,
+répond notre inconsolé; d'autant
+plus que... croyez-moi si bon vous semble,
+j'ai renoncé à toutes mes maîtresses depuis
+la mort de ma pauvre femme.»</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Un homme trompé ne doit pas se résigner,
+encore moins se désespérer. Il y a
+un milieu plus digne. C'est à sa grandeur
+d'âme à le découvrir.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>On possède les femmes par leurs défauts
+rarement par leurs qualités.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Une chambrière, qui avait beaucoup vu,
+s'écria devant moi, un jour, avec un geste
+superbe de grande comédienne:</p>
+
+<p>«La vertu, puis-je y croire, dans l'exercice
+de ma profession?&mdash;La vertu! Mais,
+Monsieur, <i>les lits parlent contre</i>.»</p>
+
+<p>Quelle réponse sublime, dans le réalisme
+de sa forme, et quel argument!&mdash;<i>Les
+lits parlent</i>.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Il n'y a rien de plus compliqué, de plus
+trompeur, de plus artificieux que la naïveté.
+Telle demoiselle candide et pudique, qui,
+par ses dehors, ne reflète qu'une innocence
+réelle, sera, dans un imbroglio d'amour,
+plus fine et plus rouée que des vétérantes
+de la galanterie. C'est que la femme est
+née pour l'astuce et que chez elle la
+naïveté n'est que le masque ou le pléonasme
+de la ruse. Cette vérité est tout
+entière dans ce mot de Salomon: «Les
+femmes font apostasier les anges.»</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>La propreté des femmes,&mdash;<i>c'est si sale</i>,
+disait une dévote, en se signant.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Un poète inconnu du XVIIe siècle, le
+sieur J. Magnon, nous a laissé dans un
+poème ce vers étonnant:</p>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p>La corne la plus noble incommode le front.</p>
+ </div> </div>
+
+<p>Noble ou non, je crois bien.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Une femme tient tout de l'opinion; <i>Le
+qu'en dira-t-on</i> la retient plus sur le moment
+de faillir que le <i>qu'en penserai-je</i>.&mdash;<i>Qui
+peut sauver une femme de la honte</i>? a-t-on
+dit, et l'écho a répondu: <i>La honte</i>.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>N'est-ce pas Chamfort ou un de ses disciples
+qui a proféré cette exclamation: «Que
+de filles aujourd'hui cessent d'être pucelles
+avant d'être vierges!»&mdash;Que de femmes
+aussi dirons-nous bien au contraire, demeurent
+pucelles en cessant d'être vierges!</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Pour régner sur un peuple, il faut le
+plus souvent passer sur des ruines. Pour
+étendre son empire sur les femmes, on
+doit marcher sans commisération sur bien
+des coeurs.&mdash;Les conquérants doivent fermer
+une oreille à la pitié et ouvrir l'autre
+à l'ambition, et les talons rouges ne se
+colorent que dans le sang qui jaillit des
+coeurs savamment piétinés.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Les délicats n'apprécient que les friandes
+en amour;&mdash;les gourmandes composent
+le lot des grossiers ou des porte-faix.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Après la possession d'une coquette qui
+nous a fait languir, c'est avec un raffinement
+de vengeance qu'on lui plonge dédaigneusement
+des <i>Tu</i> dans l'oreille.&mdash;Le
+tutoiement après la victoire, devient
+au gré du vainqueur, ou une apothéose de
+sensualité heureuse ou une flétrissure brutale
+et cruelle.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Selon Casanova, l'amour n'est qu'une
+curiosité plus ou moins vive, jointe au
+penchant que la nature a mis en nous de
+veiller à la conservation de l'espèce.&mdash;Cette
+définition, par ce païen charmant, est
+assez ingénieuse; mais voici celle plus
+complète qu'il donne du plaisir:</p>
+
+<p>«Le plaisir est la jouissance actuelle des
+sens; c'est une satisfaction entière qu'on
+leur accorde dans tout ce qu'ils appètent,
+et, lorsque les sens épuisés veulent du
+repos, ou pour reprendre haleine, ou
+pour se refaire, le plaisir devient de l'imagination,
+elle se plaît à réfléchir au plaisir
+que sa tranquillité lui procure.&mdash;Or, le
+philosophe est celui qui ne se refuse aucun
+plaisir qui ne produit pas de peines
+plus grandes et qui sait s'en créer.»</p>
+
+<p>Ceci est moins net et plus quintessencié,
+mais bien réel, lorsqu'on s'y retrouve.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Les hommes fermes, volontaires, opiniâtres,
+inflexibles sont principalement aimés
+des femmes, qui dans leur faiblesse admirent
+la force:&mdash;Peut-être aussi n'est-ce que
+le mâle que la femme recherche chez l'homme.
+Elle le rencontre si rarement dans son
+intégrité!</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Que de revolvers se transforment en
+simples pistolets dans les liaisons qui durent
+trop!</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Un sportman distingué professait cette
+opinion, à savoir qu'un gentleman de bon
+ton doit toujours entretenir plusieurs
+amours au ratelier de son coeur, de même
+qu'il nourrit plusieurs chevaux dans ses
+écuries.&mdash;C'est Rivarol palfrenier! c'est
+aussi la morale traînée dans le crottin.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>C'est alors qu'on croit dénouer la ceinture
+d'une femme vertueuse, qu'on ne
+dégrafe souvent qu'un pauvre ceinturon de
+Messaline impudique.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Un homme d'étude, sans être un fat,
+aura toujours, à un trop haut degré le
+culte de lui-même, pour comprendre la
+servilité nécessaire, selon la société, aux
+convenances féminines.</p>
+
+<p>Un homme de lettres, qui croit aux
+lettres, et qui éprouve l'enthousiasme de
+sa profession, est quelque peu un Narcisse
+au moral; il se mire dans toutes les
+sources de ses pensées, et, si une femme
+veut être de moitié dans cette extase
+égoïste, elle trouble la limpidité du miroir.
+Il faut donc au penseur de belles bêtes, qui
+se croient telles, de bonnes créatures impassibles
+et peu bavardes, qui font le gros
+dos sur les divans comme les chats, qui
+attendent les caresses ou qui les provoquent
+doucement, et non pas des bas-bleus
+babillards ou des précieuses minaudières
+qui mettent tout à sac dans une
+cervelle d'artiste, semblables à des guenons
+quittant leur perchoir pour bouleverser
+des paperasses, ouvrir des livres et
+renverser des écritoires.</p>
+
+<p>Un travailleur a besoin d'une créature
+faite d'amour, toujours prête à le délasser
+par l'amour, à laquelle il donne juste le
+temps de ses entr'actes laborieux: un être
+qui l'aime comme un chien, avec une admiration
+muette et recueillie, qui se couche
+à ses pieds, s'éloigne et se retire sur un
+geste du maître, assez sage pour trouver
+tout son bonheur dans l'esclavage, et assez
+bornée pour ne pas concevoir d'autre horizon.&mdash;Les
+sots diront en riant que c'est
+impossible en ce XIXe siècle, mais les sots
+qui sont les laquais des femmes, ne peuvent
+savoir que celles-ci se dressent à l'exemple
+des pies et des pierrots qu'on met en cage
+d'abord fermée, puis en cage à porte assez
+largement entr'ouverte, sans aucunement
+s'inquiéter s'ils s'envolent ou s'ils restent.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Si l'on parvenait à détruire la pudeur et
+à satisfaire plus effrontément ses désirs, la
+société serait, à mon avis, moins folle et
+plus reposée sur la logique.&mdash;«Il s'est
+trouvé nation, écrit Montaigne, où, pour
+endormir la concupiscence de ceux qui
+venaient à la dévotion, on tenait aux
+temples des garses à jouÿr, et était un
+acte de cérémonie de s'en servir avant de
+venir à l'office.»&mdash;<i>Nimirum propter continentiam,
+incontinentia, necesseria est. Incendium
+ignibus extinguitur</i>.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Il est des ours mal léchés qui allèchent
+la concupiscence des femmes. Cette sauvagerie
+de caractère hérissé sent le mâle;
+pour elles, la toison des fauves et des
+boucs est un plus grand aphrodisiaque que
+l'odeur affadie du musc ou de la verveine,
+dont se servent les débiles petits maîtres.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>L'idéal n'est peut-être que la beauté du
+vrai!</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Beaucoup d'Anglaises lisent la Bible,
+bien peu la vivent.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Une femme à tempérament ne se donne
+pas le temps d'être coquette. Aussi bien, un
+affamé ne songe-t-il pas à faire des grâces
+sentimentales à table&mdash;comme l'estomac
+les sens ont leur fringale.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Le caprice chuchotte; la passion parle.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Une revue mondaine a fait paraître dernièrement
+sous ce titre: <i>Comment ces dames
+mangent les asperges</i>, une curieuse étude qui
+devait avoir pour pendant un second article:
+<i>Comment ces messieurs mangent les
+moules</i>.&mdash;La censure, en interdisant ces
+dissertations métaphoriques, a mis à nu la
+dépravation publique. Si les femmes honnêtes
+n'avaient pas dû comprendre les
+sous-entendus, en quoi la morale eût-elle
+été froissée? Le salon de Mme de Rambouillet
+eut écouté sérieusement, sans y
+concevoir de malice, ces petites oeuvres
+littéraires. Les pointes d'asperges sont-elles
+donc des pointes d'esprit bien grivoises?
+Il faut croire que les nidoreuses manifestations
+du naturalisme nous ont rendus bien
+pudibonds en matière de préciosité raffinée.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Allez donc parler d'amour à un médecin,
+il vous dira: «Bah! mais ce n'est que
+l'attraction de deux muqueuses.»</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>La vertu ne résisterait jamais aux circonstances,
+si les hommes savaient les
+deviner.&mdash;Une femme est seule, sur sa
+chaise longue, toute frémissante encore de
+la lecture d'un roman d'amour, vous vous
+présentez, selon les règles du monde, et
+par une conversation correcte et banale,
+vous ramenez cette pauvre âme émue aux
+réalités de la vie.</p>
+
+<p>Oh! si vous aviez pu surprendre son rêve,
+vous identifier avec le héros de ses songes,
+et peu à peu, avec une nuance très fine de
+brutalité, donner un corps à ses fantaisies
+d'imagination, vous n'eussiez trouvé que
+docilité et abandon, là où vous n'avez su
+permettre que la rigidité des convenances.</p>
+
+<p>Il faut si peu de chose pour être aimé
+d'une femme langoureuse qui laisse une
+libre carrière aux arabesques de ses rêveries.&mdash;Un
+sylphe ne rencontrerait pas
+de cruelles, le genre féminin serait sa
+chose, car par ses caresses, ses attouchements
+invisibles, par ses paroles douces
+comme le zéphir, par le mystère même
+qui l'envelopperait, il posséderait grandes
+et petites faveurs dans les couvents, dans
+les salons, dans les chaumières, entre mari
+et femme, amant et maîtresse, aussi bien
+que dans la solitude, la clarté ou l'obscurité.
+L'adultère, d'après Napoléon, n'est
+qu'une question de canapé.&mdash;L'amour,
+mieux encore, n'est qu'une question de
+discrétion et de délicatesse mystérieuse:
+arrachez les trompettes à la Renommée,
+soyez muet, feignez de devenir aveugle;
+fermez le verrou: les femmes vertueuses
+se donneront toutes à vous, comme au
+Dieu du silence et des plaisirs discrets.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>On a dit: «Bien des femmes en peine
+de se purger n'ont qu'à dire une sottise:
+elles se portent bien.» On n'a pas vu de
+cures complètes cependant.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p><i>L'aujourd'hui</i> est si beau quand on
+s'aime, que la sagesse condamne absolument
+le lendemain. Avec des maîtresses
+nouvelles, c'est toujours <i>aujourd'hui</i>. Avec
+une femme légitime, ce n'est qu'un long
+lendemain, qui fait regretter la veille, sans
+qu'on y puisse revenir.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Il est difficile de trouver une phrase plus
+concluante pour le divorce que celle de
+Chamfort: «Le divorce est si naturel, que
+dans beaucoup de maisons il couche toutes
+les nuits entre les deux époux.»&mdash;Le divorce
+est l'unique juge de paix de Cythère;
+il dénoue ceux que la sottise et l'ambition
+ont unis sans amour.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>J'ai connu des hommes mariés doux,
+charmants, pleins de cordialité, d'esprit
+et de talents, entièrement soumis à d'affreuses
+petites femmes laides, ignorantes,
+bêtes et prétentieuses, lesquelles tranchaient
+sur toutes les questions d'art sans
+que l'infortuné mari osât prendre la parole
+et porter son jugement. De telles
+femmes se mettent à califourchon comme
+de vilains lorgnons de verre fumé, sur le
+nez de leurs époux qui verraient si bien
+et si loin sans cet obstacle qui les domine,
+mais qu'ils finissent par accepter avec une
+béatitude d'idiot. La bonté rend souvent
+imbécile en dehors de l'esprit.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p><i>Se laisser faire un petit doigt de cour</i>: cette
+locution laisse rêveuse bien des jeunes
+filles au couvent. C'est le <i>Digitus infamis</i>
+de l'imagination.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Il n'y a que les amours cachées qui
+soient réelles! Les passions qui s'affichent
+ne sont que des vanités qui paradent. Un
+amoureux à tempérament entier dérobera
+sa maîtresse aux yeux de tout l'univers et
+la vue de son plus intime ami.&mdash;Le regard
+d'autrui souille le bonheur, et l'homme
+délicat confine ses amours à huis-clos,
+sans jamais promener son concubinage au
+dehors. La femme qui aime ne sent pas
+son internement, c'est au plaisir d'embellir
+la prison; la volupté a des horizons infinis
+à côté des sensations qu'elle procure aux
+heureux. Il n'y a que les petits cerveaux
+qui recherchent la compagnie; les tourterelles
+vivent isolées; les dindons ou les
+pintades meurent loin des basses-cours
+nombreuses, quand ils ne peuvent, par
+leurs ébats, provoquer l'attention des
+poules indolentes ou des coqs superbes.</p>
+
+<p>Que de dindons dans le monde! que de
+pintades se montrent glorieusement accouplés
+dans l'orgie enrubannée des dimanches
+ou la houle des promenades élégantes!&mdash;pauvres
+bêtes!&mdash;pauvres gens!</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Un anonyme du dernier siècle nous a
+légué ce trait charmant: «<i>une prude a tant
+d'honneur qu'elle le laisse partout</i>.» Est-ce
+assez spirituellement juste et merveilleusement
+trouvé!</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Un célibataire qui se marie par ambition
+de fortune raisonne à contre sens. Un économiste
+a fait ce curieux calcul que dans le
+célibat les petits besoins augmentent et que
+les grands besoins diminuent; que dans
+le mariage, au contraire, les petits diminuent
+et les grands augmentent.</p>
+
+<p>Donnerais-je des chiffres... cela ne convaincrait
+personne, sauf les convaincus.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>La franchise et la vérité loyalement affichées
+étonnent les femmes qui ne comprennent
+rien à la droiture de conscience
+et lui préfèrent la rouerie d'une diplomatie
+méticuleuse. Un homme sincère et véridique
+est le plus grand des fourbes à leurs
+yeux. La vérité qui jaillit soudainement
+les éblouit et les écrase dans la mesquinerie
+de leurs petites trames mensongères.
+Qu'un amant, sur l'interrogation de sa maîtresse,
+réponde mâlement à celle-ci qu'il
+l'a trompée, il la verra tressaillir plutôt
+par la grande simplicité de la réponse que
+par la nature même de l'acte commis.&mdash;Le
+chacal qui ruse et qui biaise, ne conçoit
+pas le lion qui poitrine au danger.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>De même que la crainte de rougir fait
+rougir les faibles; la préoccupation de témoigner
+sa virilité fait échouer un amant
+dans le plaisir des sens. C'est qu'en amour
+il faut plutôt oser que vouloir: la volonté
+use et concentre l'électricité cérébrale,
+l'audace fait jouer les fils conducteurs et
+regaillardit la verve corporelle. Un libertin
+ne s'expose que rarement à de cruels pas
+de clercs en pareille occurrence, il connaît
+l'art de lutiner une femme avec tant d'astuce
+qu'il se taquine lui-même par l'imaginative,
+en donnant à sa partenaire l'occasion
+de se débattre.&mdash;Dans le jeu de Vénus,
+on doit amuser l'ennemi et laisser le temps
+aux forces de réserves d'arriver toutes
+fraîches pour emporter la victoire, sans
+coup-férir. La tactique ne manque jamais
+aux vrais conquérants.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Un amour sérieux ne peut se transformer
+qu'en haine.&mdash;La haine a plus
+d'un travestissement; elle met des loups
+de velours, mais l'ardeur des yeux brille
+au travers.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Un homme <i>parle</i>.&mdash;Les mâles <i>causent</i>
+et s'écoutent.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Il y a des yeux de femme qui signent
+des promesses à courte échéance: les uns
+disent: <i>pour ce soir</i>, d'autres, <i>pour demain</i>;
+la plupart diraient bien: <i>tout de suite</i>, mais
+il faut du temps à l'amour pour digérer ses
+espérances.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Ce qui cause le bonheur d'un amant,
+quelquefois fait le désespoir d'un mari.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>J'ai trouvé, par hasard, cette observation
+sur une feuille volante, détachée sans doute
+du carnet d'un philologue: «C'est bizarre
+les mots! ainsi en Irlande, le mot Mac
+est un signe de noblesse, et à Paris....»</p>
+
+<p>Pascal a bien raison, vanté en deçà des
+Alpes, erreur au delà.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>En voyant deux amoureux serrés étroitement,
+passer dans un éclair de bonheur,
+Madame Z, qui était à mon bras, a <i>diagnostiqué</i>
+en soupirant: «Deux jeunes mariés,
+ou bien deux anciens amants.»</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Joli distique du <span class="sc">XVI</span>e siècle:</p>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p>Bien on a peint Vénus et ses amours, tout nuds,</p>
+<p>Car ceux qui s'y sont plûs, tels en sont revenus.</p>
+ </div> </div>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Sénac de Meilhan a écrit: les grandes
+passions sont aussi rares que les grands
+hommes. Est-ce bien sûr? Cette petite
+pensée est sujette à grande controverse.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>Il est des femmes laides et bégueules
+qui prennent un soin ridicule pour afficher
+leur vertu et annoncer au monde qu'elles
+sont inaccessibles à la galanterie.&mdash;Pareille
+vanité grotesque me rappelle les
+portes de prison sur lesquelles on a peint
+en grosses lettres: <i>le public n'entre pas ici</i>.&mdash;«<i>Plus
+souvent</i>,» s'écrie Gavroche dans
+un argot qui dit tout.</p>
+
+<p class="mid"><img src="images/14.jpg" width="30" height="40" alt="" /></p>
+
+<p>On ne pratique réellement l'amour qu'en
+France, et à Paris surtout; j'entends l'amour
+avec toutes ses mignardises, toutes ses délicatesses,
+toutes ses ruses polissonnes et
+tout le luxe intime des femmes. Une parisienne
+semble plutôt créée pour l'amour
+que pour la maternité; de toutes les femmes
+du globe, elle seule sait être gracieuse, se
+lever, s'habiller, marcher, se baisser, se
+relever et surtout se coucher, avec des
+poses d'un art exquis, des lenteurs savantes,
+des enjouements qui ravissent et
+des calineries spéciales dans le moindre
+geste. S'il est des hommes qui ont pu
+regretter au loin les charmes de la parisienne
+habillée, il n'est pas un raffiné qui
+n'ait conservé le plus adorable et le plus
+frais souvenir d'une parisienne qui va se
+mettre au lit. Cette manière à la fois chaste
+et impudique de se défaire des derniers
+voiles comme d'un fardeau importun, cette
+grâce dans la draperie harmonieuse des
+toiles fines et blanches, cette mutinerie
+dans la dentelle, ces parfums pénétrants
+qui se dégagent d'elle sont bien faits pour
+marquer une empreinte ineffaçable dans
+la mémoire de ceux qui s'intéressent à la
+femme par l'enveloppe et les détails.&mdash;Ailleurs
+qu'en France peut-on se disposer
+à l'amour avec un attirail de préparatifs
+aussi ravissant? Une anglaise en robe de
+chambre est vêtue en dessous&mdash;et par
+pudeur, d'une <i>riding dress</i>. L'une d'elles
+disait un jour avec ennui: «L'amour...
+il faut bien le faire, les hommes y tiennent.»&mdash;Une
+française n'eut jamais dit
+cette phrase typique.</p>
+
+<p>Ah! si le cerveau des parisiennes n'était
+pas une éponge à préjugés, si ces
+roses poupées avaient plus de sang et
+moins de son dans les entrailles, si leur
+coeur, moins chiffonné par le caprice,
+était plus sensible aux intimités d'amour,
+elles deviendraient les créatures les plus
+propres à satisfaire la passion des artistes
+et des voluptueux. Mais faut-il tant demander
+aux filles de Satan?&mdash;C'est le
+jouir et non le posséder qui rend heureux,
+disait Montaigne: Dès que les femmes
+sont à nous, nous ne sommes déjà plus à
+elles.&mdash;Quelle immense compensation
+pour ceux qui analysent et qui pensent
+sur les sentiments respectifs des sexes.</p>
+
+<div class="fig" style="width:100%;">
+<img src="images/10.jpg" width="250" height="261" alt="[Illustration]" />
+</div>
+
+</div><!--end chapter-->
+
+<div class="chapter">
+
+<div class="fig" style="width:100%;">
+<img src="images/15.jpg" width="400" height="175" alt="[Illustration]" />
+</div>
+
+<h2><i>ARRIÈRE-PROPOS</i></h2>
+
+<p><span class="lef"><img src="images/a.jpg" width="100" height="105" alt="" /></span><i>
+ceux qui quémanderaient l'explication
+de ce titre</i>: Le Calendrier de
+Vénus, <i>inscrit sur un ouvrage
+composé de feuilles éparses et de notes diverses,
+je pourrais démontrer, avec grand étalage et
+luxe d'érudition, la signification primitive et
+réelle du mot:</i> Calendrier.&mdash;<i>On y verrait
+que le</i> Calendarium <i>n'était autre qu'un curieux
+petit livre où se trouvaient mentionnés les jours</i>
+fériés <i>et</i> néfastes, <i>les souvenirs et anniversaires,
+ainsi que des écrits interlignés, en un mot,
+une manière de carnet semblable à ceux, qu'un
+terme horriblement vulgaire, et qui sent le
+comptoir, nomme aujourd'hui</i>: Agendas.</p>
+
+<p><i>Mais à propos de Vénus et d'opuscules qui
+sont miens, et qui ont été imprimés bien davantage
+pour ma propre satisfaction que pour
+l'intérêt du lecteur, il ne me convient pas de
+remuer le volumineux</i> Richelet <i>ou le pesant</i>
+Ménage, indignes d'être ouverts pour une si
+petite justification.&mdash;Au surplus, dois-je
+rendre compte au public du baptême de mes
+productions? Point ne crois, car ma vanité y
+contredit et mon esprit s'y oppose.&mdash;Ceci m'est
+affaire personnelle et privée.</p>
+
+<p>Aussi, selon mes principes, je n'ai convié
+pour cette cérémonie faite au baptistère de ma
+chapelle cérébrale que mon honorable conseiller
+et ami le jugement, comme parrain, et gentille
+et très familière dame la fantaisie, comme
+marraine; lesquels ont signé sur le registre de
+mon bon plaisir, en foi de quoi j'ai jeté mes
+dragées sans nul soucy dans ce drageoir à boutades.</p>
+
+<p>Que le <i>Calendrier de Vénus</i> devienne
+l'<i>Annuaire des Grâces,</i> ou qu'il s'en aille
+sur les quais de la Seine, tenir compagnie
+aux charmants <i>Almanachs des Muses</i>&mdash;peu
+m'importe!&mdash;je n'y mets point de
+coquetterie d'auteur. Ces pages m'ont causé
+plus de bonheur intime à concevoir et à écrire
+que les délicats eux-mêmes n'éprouveront jamais
+de contentement passager à les lire.&mdash;Ceux
+qui, comme moi, ont produit dans l'amour
+et avec l'enthousiasme des lettres, me comprendront.
+Il ne reste aux autres qu'à me porter
+envie.&mdash;C'est peut-être déjà fait.&mdash;Je les
+plains.</p>
+
+<div class="fig" style="width:100%;">
+<img src="images/16.jpg" width="200" height="174" alt="[Illustration]" />
+</div>
+
+<div class="fig" style="width:100%;">
+<img src="images/17.jpg" width="400" height="122" alt="[Illustration]" />
+</div>
+
+<h3><i>TABLE DES MATIÈRES</i></h3>
+
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p>Epitre dédicatoire à Betzy</p>
+ </div><div class="stanza">
+<p>A l'Académie des Beaux-Esprits et des Raffinés du Langage</p>
+ </div><div class="stanza">
+<p>Mémorandum d'un Epicurien</p>
+ </div><div class="stanza">
+<p>Les Fastes du Baiser</p>
+ </div><div class="stanza">
+<p>Voyage autour de sa Chambre</p>
+ </div><div class="stanza">
+<p>Éphémérides des Sens</p>
+ </div><div class="stanza">
+<p>Le Sottisier d'Amour</p>
+ </div><div class="stanza">
+<p>Arrière-Propos.</p>
+ </div> </div>
+
+<div class="fig" style="width:100%;">
+<img src="images/18.jpg" width="163" height="200" alt="[Illustration]" />
+</div>
+
+</div><!--end chapter-->
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Le calendrier de Vénus, by Octave Uzanne
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE CALENDRIER DE VÉNUS ***
+
+***** This file should be named 17551-h.htm or 17551-h.zip *****
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+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
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+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
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+ gbnewby@pglaf.org
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+Literary Archive Foundation
+
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+
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+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
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+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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+This eBook, including all associated images, markup, improvements,
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+
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+status under the laws that apply to them.
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+Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for
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