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authorRoger Frank <rfrank@pglaf.org>2025-10-15 01:38:17 -0700
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+The Project Gutenberg EBook of La vie et la mort du roi Richard II, by
+William Shakespeare
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: La vie et la mort du roi Richard II
+
+Author: William Shakespeare
+
+Translator: François Pierre Guillaume Guizot
+
+Release Date: May 2, 2007 [EBook #21277]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK RICHARD II ***
+
+
+
+
+Produced by Paul Murray, Rénald Lévesque and the Online
+Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This
+file was produced from images generously made available
+by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
+http://gallica.bnf.fr)
+
+
+
+
+
+
+
+ Note du transcripteur.
+
+ ===========================================================
+ Ce document est tiré de:
+
+
+ OEUVRES COMPLÈTES DE
+ SHAKSPEARE
+
+ TRADUCTION DE
+ M. GUIZOT
+
+ NOUVELLE ÉDITION ENTIÈREMENT REVUE
+ AVEC UNE ÉTUDE SUR SHAKSPEARE
+ DES NOTICES SUR CHAQUE PIÈCE ET DES NOTES
+
+ Volume 6
+ Le marchand de Venise
+ Les joyeuses Bourgeoises de Windsor
+ Le roi Jean
+ La vie et la mort du roi Richard II
+ Henri IV (1re partie)
+
+ PARIS
+ A LA LIBRAIRIE ACADÉMIQUE
+ DIDIER ET Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS
+ 35, QUAI DES AUGUSTINS
+ 1862
+
+
+ ==========================================================
+
+ LA VIE ET LA MORT
+ DU
+ ROI RICHARD II
+
+ TRAGÉDIE
+
+
+
+
+ NOTICE
+ SUR
+ LA VIE ET LA MORT DU ROI RICHARD II
+
+
+A mesure que Shakspeare avance vers les temps modernes de l'histoire de
+son pays, les chroniques sur lesquelles il s'appuie concourent plus
+exactement avec l'histoire véritable; et déjà, dans _la Vie et la Mort
+de Richard II_, les détails que lui fournit Hollinshed s'écartent peu
+des données historiques parvenues jusqu'à nous avec une certaine
+authenticité. A l'exception du personnage de la reine, pure invention du
+poëte, et abstraction faite du désordre que met dans la chronologie la
+négligence de Shakspeare à conserver aux événements leurs distances
+respectives, les faits contenus dans cette tragédie ne diffèrent en rien
+des récits historiques, si ce n'est sur le genre de mort qu'on fit subir
+à Richard. Hollinshed, qui a copié d'autres chroniqueurs, à donné à
+Shakspeare la relation qu'il a suivie; mais l'opinion la plus
+vraisemblable, et qui s'accorde le mieux avec le soin qu'on eut
+d'exposer publiquement Richard après sa mort, c'est qu'on le fit mourir
+de faim. Cette attention à sauver du moins les apparences matérielles du
+crime dont on s'inquiétait peu d'éviter le soupçon, commençait à
+s'introduire dans la féroce politique du temps; et Richard lui-même
+avait fait étouffer entre des matelas le duc de Glocester qu'il tenait
+prisonnier à Calais, publiant ensuite qu'il était mort d'une attaque
+d'apoplexie. Outre le penchant de Shakspeare à suivre fidèlement le
+guide historique qu'il avait une fois adopté, cette version lui
+permettait de conserver au caractère de Bolingbroke l'intérêt qu'il a
+répandu sur lui dans les les deux parties de _Henri IV_. Le choix entre
+différentes versions est d'ailleurs le droit le moins contesté et le
+moins contestable des auteurs dramatiques.
+
+La tragédie de _Richard II_ est donc, généralement parlant, assez
+conforme à l'histoire; et la manière dont le poëte a représenté la
+déposition de Richard et l'avénement au trône de Henri de Lancastre
+paraît singulièrement d'accord avec ce que dit Hume au sujet de cet
+avénement: «Il (Henri IV) devint roi, sans que personne pût dire comment
+ni pourquoi.» Mais il faut être, comme l'était Hume, tout à fait
+étranger au spectacle des révolutions, pour être embarrassé à dire
+comment et pourquoi le duc de Lancastre, après avoir agi quelque temps
+au nom du roi qu'il tenait prisonnier, se mit sans aucune peine à sa
+place. Shakspeare n'a pas cru nécessaire de l'expliquer: Richard est
+parti de Flintcastle avec le nom de roi à la suite de Bolingbroke; nous
+le revoyons signant sa propre déposition. Le poëte ne nous indique en
+aucune manière ce qui s'est passé; mais pour ne pas deviner comment
+s'est accomplie la chute de Richard, il faudrait que nous eussions bien
+mal compris ce qui nous a été présenté du spectacle de ses premières
+disgrâces: la conversation du jardinier avec ses garçons en complète le
+tableau en nous révélant leur effet sur l'opinion. C'est un trait de
+l'art de Shakspeare pour nous faire assister à toutes les parties de
+l'événement; il nous transporte toujours là où il frappe ses coups les
+plus décisifs, tandis que loin de nos yeux l'action poursuit son cours,
+et se contente de nous retrouver toujours au but.
+
+Bien que cette tragédie ait été intitulée _la Vie et la Mort de Richard
+II_, elle ne comprend que les deux dernières années de ce prince, et ne
+contient qu'un seul événement, celui de sa chute, catastrophe à laquelle
+tout marche dès le début de la pièce. Cet événement a été considéré sous
+différentes faces, et une anecdote assez singulière nous a révélé
+l'existence d'une autre tragédie sur le même sujet, antérieure, à ce
+qu'il paraît, à celle de Shakspeare, et traitée dans un esprit tout
+différent. Quelques-uns des partisans du comte d'Essex, le jour qui
+précéda son extravagante tentative, voulurent faire jouer une tragédie
+où, comme dans celle de Shakspeare, on voyait Richard II déposé et tué
+sur le théâtre. Les acteurs leur ayant représenté que la pièce était
+tout à fait hors de mode et ne leur attirerait pas assez de monde pour
+couvrir leurs frais, sir Gilly Merrick, l'un d'entre eux, leur donna
+quarante shillings en sus de la recette. Ce fait est rapporté au procès
+de sir Gilly, et servit à sa condamnation.
+
+L'entreprise du comte d'Essex eut lieu en 1601, et la pièce de
+Shakspeare avait paru, à ce qu'on croit, dès l'an 1597. Malgré cette
+antériorité, personne ne sera tenté de soupçonner qu'une pièce de
+Shakspeare ait pu figurer dans une entreprise factieuse contre
+Élisabeth. D'ailleurs la pièce en question paraît avoir été connue sous
+le titre de _Henri IV_, non sous celui de _Richard II_; et l'on est même
+fondé à croire que l'histoire de Henri IV en était le véritable sujet,
+et la mort de Richard seulement un incident. Mais, pour lever toute
+espèce de doute, il suffit de lire la tragédie de Shakspeare; la
+doctrine du droit divin y est sans cesse présentée accompagnée de cet
+intérêt que font naître le malheur et le spectacle de la grandeur
+déchue. Si le poëte n'a pas donné à l'usurpateur cette physionomie
+odieuse qui produit la haine et les passions dramatiques, il suffit de
+lire l'histoire pour en comprendre la cause.
+
+Ce n'est pas un fait particulier à Richard II et à sa destinée, dans
+l'histoire de ces temps désastreux, que ce vague de l'aspect moral sous
+lequel se présentent les hommes et les choses, et qui ne permet aux
+sentiments de s'attacher à rien avec énergie, parce qu'ils ne peuvent se
+reposer sur rien avec satisfaction. Des partis toujours aux prises pour
+s'arracher le pouvoir, tour à tour vaincus et méritant leur défaite,
+sans que jamais un seul ait mérité la victoire, n'offrent pas un
+spectacle très-dramatique, ni très-propre à porter nos sentiments et nos
+facultés à ce degré d'exaltation qui est un des plus nobles buts de
+l'art. La pitié y manque souvent à l'indignation, et l'estime presque
+toujours à la pitié. On n'est pas embarrassé à trouver les crimes du
+plus fort, mais on cherche avec anxiété les vertus du plus faible: et le
+même effet se reproduit dans le sens contraire: des folies, des
+déprédations, des injustices, des violences ont amené la chute de
+Richard, l'ont rendue inévitable, et elles nous détachent de lui sous ce
+double rapport que nous le voyons se perdre lui-même et impossible à
+sauver. Cependant il serait aisé de trouver au moins autant de crimes
+dans le parti qui triomphe de son abaissement. Shakspeare pourrait, à
+peu de frais, amasser contre les rebelles des trésors d'indignation qui
+soulèveraient tous les coeurs en faveur du souverain légitime: mais un
+des principaux caractères du génie de Shakspeare, c'est une vérité, on
+peut dire une fidélité d'observation qui reproduit la nature comme elle
+est, et le temps comme il se présente: celui-là ne lui offrait ni héros
+supérieurs à leur fortune, ni victimes innocentes, ni dévouements
+héroïques, ni passions imposantes; il n'y trouvait que la force même des
+caractères employée au service des intérêts qui les rabaissent, la
+perfidie considérée comme moyen de conduite, la trahison presque
+justifiée par le principe dominant de l'intérêt personnel, la désertion
+presque légitimée par la considération du péril que l'on courrait à
+demeurer fidèle; c'est aussi là tout ce qu'il a peint. C'est, à la
+vérité, le duc d'York, personnage dont l'histoire nous fait connaître
+l'incapacité et la nullité, qu'il a choisi pour représenter ce
+dévouement toujours si ardent pour l'homme qui gouverne, cette facilité
+à transmettre son culte du pouvoir de droit au pouvoir de fait, et _vice
+versa_, se réservant, seulement pour son honneur, des larmes solitaires
+en faveur de celui qu'il abandonne. Pour quiconque n'a pas vu la fortune
+se jouant avec les empires, ce personnage ne serait que comique; mais
+pour qui a assisté à de pareils jeux, n'est-il pas d'une effrayante
+vérité?
+
+Dans un pareil entourage, où Shakspeare pouvait-il puiser ce pathétique
+qu'il aurait aimé à répandre sur le spectacle de la grandeur déchue? Lui
+qui a donné au vieux Lear, dans sa misère, tant de nobles et fidèles
+amis, il n'en a pu trouver un seul à Richard; le roi est tombé
+dépouillé, nu, entre les mains du poëte comme de son trône, et c'est en
+lui seul que le poëte a été obligé de chercher toutes les ressources:
+aussi le rôle de Richard II est-il une des plus profondes conceptions de
+Shakspeare.
+
+Les commentateurs sont en grande discussion pour savoir si c'est à la
+cour de Jacques ou à celle d'Élisabeth que Shakspeare a pris les maximes
+qu'il professe assez communément en faveur du droit divin et du pouvoir
+absolu. Shakspeare les a prises ordinairement dans ses personnages
+mêmes; et il lui suffisait ici d'avoir à peindre un roi élevé sur le
+trône. Richard n'a jamais imaginé qu'il fût ou pût être autre chose
+qu'un roi; sa royauté fait à ses yeux partie de sa nature; c'est un des
+éléments constitutifs de son être qu'il a apporté avec lui en naissant,
+sans autre condition que de vivre: comme il n'a rien à faire pour le
+conserver, il n'est pas plus en son pouvoir de cesser d'en être digne
+que de cesser d'en être revêtu: de là son ignorance de ses devoirs
+envers ses sujets, envers sa propre sûreté, son indolente confiance au
+milieu du danger. Si cette confiance l'abandonne un instant à chaque
+nouveau revers, elle revient aussitôt, doublant de force à mesure qu'il
+lui en faut davantage pour suppléer aux appuis qui s'écroulent
+successivement. Arrivé enfin au point où il ne lui est plus possible
+d'espérer, le roi s'étonne, se regarde, se demande si c'est bien lui.
+Une autre espèce de courage s'élève alors en lui; c'est celui que donne
+un malheur tel que l'homme qui le subit s'exalte par la surprise où le
+plonge sa propre situation; elle devient pour lui l'objet d'une si vive
+attention qu'il ose la considérer sous tous ses rapports, ne fût-ce que
+pour la comprendre; et par cette contemplation il échappe au désespoir,
+et s'élève quelquefois à la vérité, dont la découverte calme toujours à
+un certain point: mais ce calme est stérile, et ce courage inactif; il
+soutient l'esprit, mais il tue l'action: aussi toutes les actions de
+Richard sont-elles de la dernière faiblesse; ses réflexions mêmes sur
+son état actuel décèlent un sentiment de sa nullité qui descend, en de
+certains moments, presque à la bassesse: et qui pourrait le relever, lui
+qui, en cessant d'être roi, a perdu, dans sa propre opinion, la qualité
+distinctive de son être, la dignité de sa nature? Il se croyait précieux
+devant Dieu, soutenu par son bras, armé de sa puissance; déchu de ce
+rang mystérieux où il s'était placé, il ne s'en connaît plus aucun sur
+la terre; dépouillé de la force qu'il croyait son droit, il ne suppose
+pas qu'il lui en puisse rester aucune: aussi ne résiste-t-il à rien; ce
+serait essayer ce qu'il suppose impossible: pour réveiller son énergie,
+il faut qu'un danger pressant, soudain, provoque, pour ainsi dire, à son
+insu, des facultés qu'il désavoue: attaqué dans sa vie, il se défend et
+meurt avec courage. Pour en avoir eu toujours, il lui a manqué de savoir
+ce que vaut un homme.
+
+Il ne faut point chercher dans _Richard II_, non plus que dans la
+plupart des pièces historiques de Shakspeare, un caractère de style
+particulier: la diction en est peu travaillée; assez souvent énergique,
+elle est souvent aussi d'un vague qui laisse la raison absolument
+maîtresse de décider sur le sens des expressions, que ne détermine
+aucune règle de syntaxe.
+
+Cette pièce est toute en vers, et en grande partie rimée. L'auteur
+paraît y avoir fait des changements depuis la première édition, publiée
+en 1597. La scène du procès de Richard, en particulier, manque tout
+entière dans cette édition, et se trouve pour la première fois dans
+celle de 1608.
+
+
+ LA VIE ET LA MORT
+ du
+ ROI RICHARD II
+
+ TRAGÉDIE
+
+PERSONNAGES
+
+LE ROI RICHARD II.
+EDMOND DE LANGLEY, }
+ duc d'York, } oncles du
+JEAN DE GAUNT, duc de } roi.
+ Lancastre. }
+HENRI, surnommé BOLINGBROKE,
+ duc d'Hereford, fils de Jean de Gaunt,
+ ensuite roi d'Angleterre sous le nom
+ de Henri IV.
+LE DUC D'AUMERLE, fils du duc
+ d'York.
+MOWBRAY, duc de Norfolk.
+LE DUC DE SURREY.
+LE COMTE DE SALISBURY.
+LE COMTE DE BERKLEY[1].
+BUSHY, }
+BAGOT, } créatures du roi Richard.
+GREEN, }
+LE COMTE DE NORTHUMBERLAND.
+HENRI PERCY, fils de Northumberland.
+LORD ROSS.
+LORD WILLOUGHBY.
+LORD FITZWATER.
+L'ÉVÊQUE DE CARLISLE.
+L'ABBÉ DE WESTMINSTER.
+LE LORD MARÉCHAL.
+SIR PIERCE D'EXTON.
+SIR ÉTIENNE SCROOP.
+LE CAPITAINE d'une bande de Gallois.
+LA REINE, femme de Richard.
+LA DUCHESSE DE GLOCESTER.
+LA DUCHESSE D'YORK.
+Dames de la suite de la reine. Lords, hérauts, officiers, soldats,
+deux jardiniers, un gardien, un messager, un valet d'écurie, et
+autres personnes de suite.
+
+[Note 1: On remarque que ce titre de comte de Berkley, donné à lord
+Berkley, est un anachronisme, et que les lords Berkley ne furent faits
+comtes que dans un temps très-postérieur à celui de Richard.]
+
+
+La scène se passe successivement dans plusieurs parties de l'Angleterre
+et du pays de Galles.
+
+
+
+
+ ACTE PREMIER
+
+
+
+
+SCÈNE I.
+
+Londres.--Un appartement dans le palais.
+
+_Entrent_ LE ROI RICHARD _avec sa suite_, JEAN DE GAUNT _et d'autres
+nobles avec lui_.
+
+
+RICHARD.--Vieux Jean de Gaunt, vénérable Lancastre, as-tu, comme tu t'y
+étais engagé par serment, amené ici ton fils, l'intrépide Henri
+d'Hereford, pour soutenir devant nous l'injurieux défi qu'il adressa
+dernièrement au duc de Norfolk, Thomas Mowbray, et dont nous n'eûmes pas
+alors le loisir de nous occuper?
+
+GAUNT.--Oui, mon souverain, je l'ai amené.
+
+RICHARD.--Réponds-moi encore: l'as-tu sondé? sais-tu s'il l'a défié,
+poussé par une vieille haine, ou s'il a cédé à la vertueuse colère d'un
+bon sujet, fondée sur quelque trahison dont il sache Mowbray coupable?
+
+GAUNT.--Autant que j'ai pu le pénétrer sur cette question, c'est sur la
+connaissance de quelque danger dont Mowbray menace Votre Altesse, et non
+par aucune haine invétérée.
+
+RICHARD.--Fais-les comparaître tous deux en notre présence; nous voulons
+entendre nous-même l'accusateur et l'accusé parler librement face à
+face, et se menaçant l'un l'autre du regard. (_Sortent quelques-uns des
+gens de la suite du roi._) Ils sont tous deux hautains, pleins de
+colère, et, dans leur fureur, sourds comme la mer, impétueux comme la
+flamme.
+
+(Rentrent les serviteurs avec Bolingbroke et Norfolk.)
+
+BOLINGBROKE.--Que de longues années d'heureux jours échouent en partage
+à mon gracieux souverain, à mon bien-aimé seigneur!
+
+NORFOLK.--Puisse chaque jour ajouter au bonheur de la veille, jusqu'à ce
+que le ciel, envieux des félicités de la terre, ajoute à votre couronne
+un titre immortel!
+
+RICHARD.--Nous vous remercions tous deux: cependant il y en a un de vous
+qui n'est qu'un flatteur, à en juger par le sujet qui vous amène,
+c'est-à-dire l'accusation de haute trahison que vous portez l'un contre
+l'autre.--Cousin Hereford, que reproches-tu au duc de Norfolk, Thomas
+Mowbray?
+
+BOLINGBROKE.--D'abord (et que le ciel prenne acte de mes paroles!) c'est
+excité par le zèle d'un sujet dévoué, et en vue de la précieuse sûreté
+de mon prince, que, libre d'ailleurs de toute autre haine illégitime, je
+viens ici le défier en votre royale présence.--Maintenant, Thomas
+Mowbray, je me tourne vers toi, et remarque le salut que je t'adresse;
+car ce que je vais dire, mon corps le soutiendra sur cette terre, où mon
+âme, divine, en répondra dans le ciel. Tu es un traître et un mécréant,
+de trop bon lieu pour ce que tu es, et trop méchant pour mériter de
+vivre, car plus le ciel est pur et transparent, plus affreux paraissent
+les nuages qui le parcourent; et pour te noter plus sévèrement encore,
+je t'enfonce dans la gorge une seconde fois le nom de détestable
+traître, désirant, sous le bon plaisir de mon souverain, ne point sortir
+d'ici que mon épée, tirée à bon droit, n'ait prouvé ce que ma bouche
+affirme.
+
+NORFOLK.--Que la modération de mes paroles ne fasse pas ici suspecter
+mon courage. Ce n'est point par les procédés d'une guerre de femmes, ni
+par les aigres clameurs de deux langues animées que peut se décider
+cette querelle entre nous deux. Il est bien chaud le sang que ceci va
+refroidir. Cependant je ne peux pas me vanter d'une patience assez
+docile pour me réduire au silence et ne rien dire du tout: et d'abord je
+dirai que c'est le respect de Votre Grandeur qui me tient court,
+m'empêchant de lâcher bride et de donner de l'éperon à mes libres
+paroles; autrement elles s'élanceraient jusqu'à ce qu'elles eussent fait
+rentrer dans sa gorge ces accusations redoublées de trahison. Si je puis
+mettre ici de côté la royauté de son sang illustre, et ne le tenir plus
+pour parent de mon souverain, je le défie, et lui crache au visage comme
+à un lâche calomniateur et un vilain, ce que je soutiendrais en lui
+accordant tous les avantages, et je le rencontrerais quand je serais
+obligé d'aller à pied jusqu'aux sommets glacés des Alpes, ou dans tout
+autre pays inhabitable où jamais Anglais n'a encore osé mettre le pied.
+En tout cas, je maintiens ma loyauté, et déclare, par tout ce que
+j'espère; qu'il en a menti faussement.
+
+BOLINGBROKE.--Pâle et tremblant poltron, je jette mon gage, refusant de
+me prévaloir de ma parenté avec le roi, et je mets à l'écart la noblesse
+de ce sang royal que tu allègues par peur et non par respect. Si un
+effroi coupable t'a laissé encore assez de force pour relever le gage de
+mon honneur, alors baisse-toi. Par ce gage et par toutes les lois de la
+chevalerie, je soutiendrai corps à corps ce que j'ai avancé, ou tout ce
+que tu pourrais imaginer de pis encore.
+
+NORFOLK.--Je le relève, et je jure par cette épée, qui apposa doucement
+sur mon épaule mon titre de chevalier, que je te ferai honorablement
+raison de toutes les manières qui appartiennent aux épreuves
+chevaleresques; et une fois monté à cheval, que je n'en descende pas
+vivant si je suis un traître ou si je combats pour une cause injuste!
+
+RICHARD.--Quelle est l'accusation dont notre cousin charge Mowbray? Il
+faut qu'elle soit grave pour parvenir à nous inspirer même la pensée
+qu'il ait pu mal faire.
+
+BOLINGBROKE.--Écoutez-moi, j'engage ma vie à prouver la vérité de ce que
+je dis: Mowbray a reçu huit mille nobles[2] à titre de prêts pour les
+soldats de Votre Altesse, et il les a retenus pour des usages de
+débauche, comme un faux traître et un insigne vilain. De plus, je dis et
+je le prouverai dans le combat, ou ici ou en quelque lieu que ce soit,
+jusqu'aux extrémités les plus reculées qu'ait jamais contemplées l'oeil
+d'un Anglais, que toutes les trahisons qui depuis dix-huit ans ont été
+complotées et machinées dans ce pays ont eu pour premier chef et pour
+principal auteur le perfide Mowbray. Je dis encore, et je soutiendrai
+tout cela contre sa détestable vie, qu'il a comploté la mort du duc de
+Glocester; qu'il en a suggéré l'idée à ses ennemis faciles à persuader,
+et par conséquent que c'est lui qui, comme un lâche traître, a fait
+écouler son âme innocente dans des ruisseaux de sang; et ce sang, comme
+celui d'Abel tiré à son sacrifice, crie vers moi du fond des cavernes
+muettes de la terre; il me demande justice et un châtiment rigoureux:
+et, j'en jure par la noblesse de ma glorieuse naissance, ce bras fera
+justice, ou j'y perdrai la vie.
+
+[Note 2: Monnaie d'or.]
+
+RICHARD.--A quelle hauteur s'est élevé l'essor de son courage!--Thomas
+de Norfolk, que réponds-tu à cela?
+
+NORFOLK.--Oh! que mon souverain veuille détourner son visage, et
+commander à ses oreilles d'être sourdes un instant, jusqu'à ce que j'aie
+appris à celui qui déshonore son sang à quel point Dieu et les gens de
+bien détestent un si exécrable menteur.
+
+RICHARD.--Mowbray, nos yeux et nos oreilles sont impartiales: fût-il mon
+frère, ou même l'héritier de mon royaume, comme il n'est que le fils du
+frère de mon père, je le jure par le respect dû à mon sceptre, cette
+parenté qui l'allie de si près à notre sang sacré ne lui donnerait aucun
+privilége et ne rendrait point partiale l'inflexible fermeté de mon
+caractère intègre. Il est mon sujet, Mowbray, toi aussi; je te permets
+de parler librement et sans crainte.
+
+NORFOLK.--Eh bien! Bolingbroke, à partir de la basse région de ton
+coeur, et à travers le traître canal de ta gorge, tu en as menti. De
+cette recette que j'avais pour Calais, j'en ai fidèlement remis les
+trois quarts aux soldats de son Altesse: j'ai gardé l'autre de l'aveu de
+mon souverain, qui me devait cette somme pour le reste d'un compte
+considérable dû depuis le dernier voyage que je fis en France pour aller
+y chercher la reine. Avale donc ce démenti.--Quant à la mort de
+Glocester... je ne l'ai point assassiné: seulement j'avoue à ma honte
+qu'en cette occasion j'ai négligé le devoir que j'avais juré de
+remplir.--Pour vous, noble lord de Lancastre, respectable père de mon
+ennemi, j'ai dressé une fois des embûches contre vos jours, crime qui
+tourmente mon âme affligée; mais avant de recevoir pour la dernière fois
+le sacrement, je l'ai confessé, et j'ai eu soin d'en demander pardon à
+Votre Grâce, qui, j'espère, me l'a accordé. Voilà ce que j'ai à me
+reprocher. Pour tous les autres griefs qu'il m'impute, ces accusations
+partent de la haine d'un vilain, d'un traître lâche et dégénéré, sur
+quoi je me défendrai hardiment en propre corps: je jette donc à ce
+traître outrecuidant mon gage en échange du sien; je lui prouverai ma
+loyauté de gentilhomme aux dépens du meilleur sang qu'il renferme dans
+son sein; et pour ce faire promptement, je conjure sincèrement Votre
+Altesse de nous assigner le jour de l'épreuve.
+
+RICHARD.--Gentilshommes enflammés de colère, laissez-moi vous diriger:
+purgeons cette bile sans tirer de sang. Sans être médecin, voici ce que
+je prescris: un ressentiment profond fait de trop profondes incisions;
+ainsi donc, oubliez, pardonnez, terminez ensemble et réconciliez-vous;
+nos docteurs disent que ce n'est pas la saison de saigner.--Mon bon
+oncle, que cette querelle finisse où elle a commencé: nous apaiserons le
+duc de Norfolk; vous, calmez votre fils.
+
+GAUNT.--Il convient assez à mon âge d'être un médiateur de paix.--Jette
+à terre, mon fils, le gage du duc de Norfolk.
+
+RICHARD.--Et toi, Norfolk, jette à terre le sien.
+
+GAUNT.--Eh bien, Henri, quoi? L'obéissance commande; je ne devrais pas
+avoir à te commander deux fois.
+
+RICHARD.--Allons, Norfolk, jette-le, nous l'ordonnons: cela ne sert de
+rien.
+
+NORFOLK.--C'est moi, redouté souverain, qui me jette à tes pieds: tu
+pourras disposer de ma vie, mais non pas de ma honte; la première
+appartient à mon devoir; mais je ne te livrerais pas, pour en faire un
+usage déshonorant, ma bonne renommée, qui en dépit de la mort vivra sur
+mon tombeau. Je suis ici insulté, accusé, conspué, percé jusqu'au coeur
+du trait empoisonné de la calomnie, sans pouvoir être guéri par aucun
+autre baume que par le sang du coeur d'où s'est exhalé le venin.
+
+RICHARD.--Il faudra bien que cette rage se contienne. Donne-moi son
+gage: les lions apprivoisent les léopards.
+
+NORFOLK.--Oui, mais ils ne peuvent changer leurs taches. Effacez mon
+déshonneur, et je cède mon gage. Mon cher maître, le trésor plus pur que
+puisse donner cette vie mortelle, c'est une réputation sans tache:
+dépouillés de ce bien, les hommes ne sont plus qu'une terre dorée, une
+argile peinte. Le diamant précieux enfermé sous les dix verrous d'un
+coffre-fort, c'est un esprit hardi dans un coeur loyal. Mon honneur est
+ma vie, tous deux existent conjointement: si tu m'ôtes l'honneur, je
+n'ai plus de vie. Ainsi mon cher souverain, laisse-moi défendre mon
+honneur; c'est par lui que je vis, et je mourrai pour lui.
+
+RICHARD.--Cousin, jetez votre gage: commencez-le premier.
+
+BOLINGBROKE.--Que Dieu préserve mon âme d'un si horrible péché! Ne
+montrerai-je le front humilié à la vue de mon père, et démentirai-je ma
+fierté par la crainte d'un pâle mendiant, devant ce lâche que j'ai
+bravé? Avant que ma langue outrage mon honneur par une indigne
+faiblesse, et se prête à une si honteuse composition, mes dents
+déchireront le servile instrument de la crainte renégate, et le
+cracheront sanglant pour compléter sa honte, là où siége la honte, à la
+face de Mowbray.
+
+RICHARD.--Nous ne sommes pas nés pour solliciter, mais pour condamner.
+Puisque nous ne pouvons vous rendre amis, soyez prêts, le jour de
+Saint-Lambert, à répondre sur vos vies: c'est là que vos épées et vos
+lances décideront les débats toujours grossissant de votre haine
+obstinée. Puisque nous ne pouvons vous adoucir, nous, verrons la justice
+manifester par la victoire de quel côté se trouve l'honneur.--Maréchal,
+ordonnez à nos officiers d'armes de se tenir prêts pour diriger ce
+combat domestique.
+
+(Ils sortent.)
+
+
+
+
+SCÈNE II
+
+La scène est toujours à Londres, dans le palais du duc de Lancastre.
+
+_Entrent_ GAUNT, LA DUCHESSE DE GLOCESTER.
+
+
+GAUNT.--Hélas! cette part que j'avais dans le sang de Glocester me
+sollicite plus fortement que vos cris à poursuivre les bouchers de sa
+vie. Mais puisque le châtiment réside dans les mains qui ont fait le
+crime que nous ne pouvons punir, remettons notre cause à la volonté du
+ciel, qui, lorsqu'il en verra les temps mûrs sur la terre, fera pleuvoir
+sa brûlante vengeance sur la tête des coupables.
+
+LA DUCHESSE DE GLOCESTER.--Quoi! la qualité de frère ne trouvera pas en
+toi un aiguillon plus pénétrant? ton vieux sang n'a pas conservé vivante
+une étincelle d'affection? Les sept fils d'Edouard, au nombre desquels
+tu te comptes, étaient comme sept vases de son sang sacré, comme sept
+belles branches sorties d'une seule racine: quelques-uns de ces vases
+ont été desséchés par le cours de la nature; quelques-unes de ces
+branches ont été tranchées par la destinée: mais Thomas, mon cher époux,
+ma vie, mon Glocester, ce vase rempli du sang d'Edouard, a été brisé
+sous la main de la haine et de la sanglante hache du meurtre, sa
+précieuse liqueur s'est épanchée: cette branche florissante de la
+très-royale souche a été coupée, et les feuilles de son été se sont
+flétries. Ah! Gaunt, son sang était le tien: c'est de la couche, c'est
+du flanc, de la matière, de la substance même qui t'ont formé qu'il
+avait tiré son existence; et quoique vivant et respirant, tu as été
+assassiné en lui. C'est à beaucoup d'égards consentir à la mort de ton
+père que de voir ainsi mourir ton malheureux frère, qui était la
+représentation de la vie de ton père. N'appelle point cela patience,
+Gaunt, c'est du désespoir. En souffrant ainsi qu'on égorge ton frère, tu
+montres à découvert le chemin qui conduit à ta vie, tu instruis le
+meurtrier farouche à t'assassiner. Ce que dans les hommes du bas étage
+nous appelons patience est dans un noble sein une froide et tranquille
+lâcheté. Que te dirai-je enfin? Pour mettre ta vie en sûreté, le
+meilleur moyen c'est de venger la mort de mon Glocester.
+
+GAUNT.--Cette cause est celle du ciel, car le délégué du ciel, son
+lieutenant oint devant sa face, est l'auteur de la mort de Glocester:
+lorsqu'il commet le crime, la vengeance en est au ciel; pour moi, je ne
+puis lever un bras irrité contre son ministre.
+
+LA DUCHESSE DE GLOCESTER.--A qui donc, hélas! puis-je porter ma plainte?
+
+GAUNT.--Au ciel, qui est le champion et le défenseur de la veuve.
+
+LA DUCHESSE DE GLOCESTER.--Eh bien! je me plaindrai à lui. Adieu, vieux
+Gaunt. Tu vas à Coventry pour voir le combat de notre cousin d'Hereford
+et du perfide Mowbray. Oh! fais peser sur la lance d'Hereford les
+injures de mon mari, afin qu'elle entre dans le coeur de l'assassin
+Mowbray; ou si, par un malheur, elle manquait la première passe, que les
+crimes de Mowbray surchargent tellement son sein que les reins de son
+coursier écumant en soient rompus et que le cavalier tombe la tête la
+première dans l'arène, lâche, tremblant, à la merci de mon cousin
+d'Hereford! Adieu, vieux Gaunt: celle qui fut un jour la femme de ton
+frère finira sa vie avec sa compagne, la douleur.
+
+GAUNT.--Adieu, ma soeur; il faut que je me rende à Coventry. Que tout le
+bien que je te souhaite m'accompagne!
+
+LA DUCHESSE DE GLOCESTER.--Un mot encore. La douleur, en tombant,
+rebondit non par le vide, mais par le poids. Je prends congé de toi
+avant que je t'aie encore rien dit, car le chagrin ne finit pas là où il
+semble fini: rappelle-moi au souvenir de mon frère York.... Oui, voilà
+tout.... Mais non, ne pars pas encore ainsi; quoique ce soit tout, ne
+t'en va pas si vite.... Je puis me rappeler autre chose. Prie-le.... oh!
+de quoi?... de se hâter de venir me voir à Plashy. Hélas! que
+viendra-t-il y voir, ce bon vieux York, que des appartements déserts,
+des murailles dépouillées, des cuisines dépeuplées, un pavé qu'on ne
+foule plus. Et pour sa bienvenue, quelle autre réception trouvera-t-il
+que mes gémissements? Rappelle-moi donc seulement à son souvenir; qu'il
+ne vienne pas chercher en ce lieu la tristesse qui habite partout:
+désolée, désolée je m'en irai d'ici et je mourrai. Mes yeux, en pleurs
+te disent le dernier adieu.
+
+(Ils sortent.)
+
+
+
+
+SCÈNE III
+
+Gosford-Green, près de Coventry.--Lice préparée avec un trône; hérauts,
+etc., suite.
+
+_Entrent_ LE LORD MARÉCHAL ET D'AUMERLE.
+
+
+LE MARÉCHAL.--Milord Aumerle, Henri d'Hereford est-il armé?
+
+AUMERLE.--Oui, armé de toutes pièces, et il brûle d'entrer dans la lice.
+
+LE MARÉCHAL.--Le duc de Norfolk, plein d'ardeur et d'audace, n'attend
+que le signal de la trompette de l'appelant.
+
+AUMERLE.--En ce cas, les champions sont tout prêts, et n'attendent que
+l'arrivée de Sa Majesté.
+
+(Les trompettes sonnent une fanfare.--Entrent Richard qui va s'asseoir
+sur le trône, Gaunt et plusieurs autres nobles qui prennent leurs
+places.--Une trompette sonne, et une autre lui répond de
+l'intérieur.--Entre alors Norfolk, couvert de son armure, et précédé par
+un héraut.)
+
+RICHARD.--Maréchal, demandez à ce champion le sujet qui l'amène ici en
+armes: demandez-lui son nom; ensuite, procédez avec ordre à lui faire
+prêter serment de la justice de sa cause.
+
+LE MARÉCHAL.--Au nom de Dieu et du roi, dis qui tu es, et pourquoi tu
+viens ainsi armé en chevalier. Contre qui viens-tu combattre, et quelle
+est ta querelle? Réponds la vérité, sur ta foi de chevalier et sur ton
+serment; et après, que le ciel et ta valeur te défendent!
+
+NORFOLK.--Mon nom est Thomas Mowbray, duc de Norfolk. Je viens ici
+engagé par un serment que le ciel préserve un chevalier de violer
+jamais! j'y viens pour défendre ma loyauté et mon honneur devant Dieu,
+mon roi et ma postérité, contre le duc d'Hereford, qui est l'appelant;
+et, par la grâce de Dieu et le secours de ce bras, je viens lui prouver
+pour ma défense qu'il est traître à mon Dieu, à mon roi et à moi. Que le
+ciel me défende, comme je combats pour la vérité.
+
+(Les trompettes sonnent.--Entre Bolingbroke, couvert de son armure, et
+précédé d'un héraut.)
+
+RICHARD.--Maréchal, demandez à ce chevalier armé qui il est et pourquoi
+il vient ici vêtu de ses habits de guerre, et, conformément à nos lois,
+faites-lui déposer dans les formes de la justice de sa cause.
+
+LE MARÉCHAL.--Quel est ton nom, et pourquoi parais-tu ici devant le roi
+Richard dans sa lice royale? Contre qui viens-tu, et quelle est ta
+querelle? Réponds comme un loyal chevalier, et que le ciel te défende.
+
+BOLINGBROKE.--Je suis Henri d'Hereford, de Lancastre et de Derby, qui me
+tiens ici en armes prêt à prouver, par la grâce de Dieu et les prouesses
+de mon corps, à Thomas Mowbray, duc de Norfolk, qu'il est un abominable
+et dangereux traître envers le Dieu des cieux, le roi Richard et moi.
+Que le ciel me défende, comme je combats pour la vérité.
+
+LE MARÉCHAL.--Sous peine de mort, que personne n'ait la hardiesse et
+l'audace de toucher les barrières de la lice, excepté le maréchal et les
+officiers chargés de présider à ces loyaux faits d'armes.
+
+BOLINGBROKE.--Lord maréchal, permettez que je baise la main de mon
+souverain et que je fléchisse le genou devant Sa Majesté; car Mowbray et
+moi nous ressemblons à deux hommes qui font voeu d'accomplir un long et
+fatigant pèlerinage. Prenons donc solennellement congé de nos divers
+amis, et faisons-leur de tendres adieux.
+
+LE MARÉCHAL.--L'appelant salue respectueusement Votre Majesté, et
+demande à vous baiser la main et à prendre congé de vous.
+
+RICHARD.--Nous descendrons et nous le serrerons dans nos bras.--Cousin
+d'Hereford, que ta fortune réponde à la justice de ta cause, dans ce
+combat royal! Adieu, mon sang: si tu le répands aujourd'hui, nous
+pouvons pleurer ta mort, mais non te venger.
+
+BOLINGBROKE.--Oh! que de nobles yeux ne profanent point une larme pour
+moi, si mon sang est versé par la lance de Mowbray. Avec la confiance
+d'un faucon qui fond sur un oiseau, je vais combattre Mowbray. (_Au lord
+maréchal._) Mon cher seigneur, je prends congé de vous; et de vous, lord
+Aumerle, mon noble cousin; bien que j'aie affaire avec la mort, je ne
+suis pas malade, mais vigoureux, jeune, respirant gaiement; maintenant,
+comme aux festins de l'Angleterre, je reviens au mets le plus délicat
+pour le dernier, afin de rendre la fin meilleure. (_A Gaunt._)--O toi,
+auteur terrestre de mon sang, dont la jeune ardeur renaissant en moi me
+soulève avec une double vigueur pour atteindre jusqu'à la victoire
+placée au-dessus de ma tête, ajoute par tes prières à la force de mon
+armure; arme de tes bénédictions la pointe de ma lance, afin qu'elle
+pénètre la cuirasse de Mowbray comme la cire, et que le nom de Jean de
+Gaunt soit fourbi à neuf par la conduite vigoureuse de son fils.
+
+GAUNT.--Que le ciel te fasse prospérer dans ta bonne cause! Sois prompt
+comme l'éclair dans l'attaque, et que tes coups, doublement redoublés,
+tombent comme un tonnerre étourdissant sur le casque du funeste ennemi
+qui te combat; que ton jeune sang s'anime; sois vaillant et vis!
+
+BOLINGBROKE.--Que mon innocence et saint Georges me donnent la victoire!
+
+(Il se rassied à sa place.)
+
+NORFOLK.--Quelque chance qu'amènent pour moi le ciel ou la fortune, ici
+vivra ou mourra, fidèle au trône du roi Richard, un juste, loyal et
+intègre gentilhomme. Jamais captif n'a secoué d'un coeur plus libre les
+chaînes de son esclavage, ni embrassé avec plus de joie le trésor d'une
+liberté sans contrainte, que mon âme bondissante n'en ressent en
+célébrant cette fête de bataille avec mon adversaire.--Puissant
+souverain, et vous pairs, mes compagnons recevez de ma bouche un souhait
+d'heureuses années. Aussi calme, aussi joyeux qu'à une mascarade, je
+vais au combat: la loyauté a un coeur paisible.
+
+RICHARD.--Adieu, milord. Je vois avec la valeur la vertu tranquillement
+assise dans tes yeux.--Maréchal, ordonnez le combat, et que l'on
+commence.
+
+(Richard et les lords retournent à leurs siéges.)
+
+LE MARÉCHAL.--Henri d'Hereford, Lancastre et Derby, reçois ta lance; et
+Dieu défende le droit!
+
+BOLINGBROKE.--Ferme dans mon espérance comme une tour, je dis: _Amen_.
+
+LE MARÉCHAL, _à un officier_.--Allez, portez cette lance à Thomas, duc
+de Norfolk.
+
+PREMIER HÉRAUT.--Henri d'Hereford, Lancastre et Derby, est ici pour
+Dieu, pour son souverain et pour lui-même, à cette fin de prouver, sous
+peine d'être déclaré faux et lâche, que le duc de Norfolk, Thomas
+Mowbray, est un traître à Dieu, à son roi et à lui-même; et il le défie
+au combat.
+
+SECOND HÉRAUT.--Ici est Thomas Mowbray, duc de Norfolk, ensemble pour se
+défendre et pour prouver, sous peine d'être déclaré faux et lâche,
+qu'Henri d'Hereford, Lancastre et Derby, est déloyal envers Dieu, son
+souverain et lui: plein de courage et d'un franc désir, il n'attend que
+le signal pour commencer.
+
+LE MARÉCHAL.--Sonnez, trompettes; combattants, partez. (_On sonne une
+charge_.)--Mais, arrêtez: le roi vient de baisser sa baguette.
+
+RICHARD.--Que tous deux déposent leurs casques et leurs lances et qu'ils
+retournent reprendre leur place.--Éloignez-vous avec nous, et que les
+trompettes sonnent jusqu'au moment où nous reviendrons déclarer nos
+ordres à ces ducs (_Longue fanfare.--Ensuite Richard s'adresse aux deux
+combattants._)--Approchez.... Écoutez ce que nous venons d'arrêter avec
+notre conseil. Comme nous ne voulons pas que la terre de notre royaume
+soit souillée du sang précieux qu'elle a nourri, et que nos yeux
+haïssent l'affreux spectacle des plaies civiles creusées par des mains
+concitoyennes; comme nous jugeons que ce sont les pensées ambitieuses
+d'un orgueil aspirant à s'élever aux cieux sur les ailes de l'aigle,
+qui, jointes à cette envie qui déteste un rival, vous ont portés à
+troubler la paix qui dans le berceau de notre patrie respirait de la
+douce haleine du sommeil d'un enfant, en sorte que, réveillée par le
+bruit discordant des tambours, par le cri effrayant des trompettes aux
+sons aigres, et le confus cliquetis du fer de vos armes furieuses, la
+belle Paix, pourrait, épouvantée, fuir nos tranquilles contrées, et nous
+forcer à marcher à travers le sang de nos parents: en conséquence, nous
+vous bannissons de notre territoire.--Vous, cousin Hereford, sous peine
+de mort, jusqu'à ce que deux fois cinq étés aient enrichi nos plaines,
+vous ne reviendrez pas saluer nos belles possessions, mais vous suivrez
+les routes étrangères de l'exil.
+
+BOLINGBROKE.--Que votre volonté soit faite!--La consolation qui me
+reste, c'est que le soleil qui vous réchauffe ici brillera aussi pour
+moi; et ces rayons d'or qu'il vous prête ici se darderont aussi sur moi,
+et doreront mon exil.
+
+RICHARD.--Norfolk, un arrêt plus rigoureux t'est réservé; je sens
+quelque répugnance à le prononcer. Le vol lent des heures ne déterminera
+point pour toi la limite d'un exil sans terme. Cette parole sans espoir:
+_Tu ne reviendras, jamais_, je la prononce contre toi sous peine de la
+vie.
+
+NORFOLK.--Sentence rigoureuse en effet, mon souverain seigneur, et que
+j'attendais bien peu de la bouche de Votre Majesté. J'ai mérité de la
+main de Votre Altesse une récompense plus bienveillante, une moins
+profonde mutilation, que celle d'être ainsi rejeté au loin dans l'espace
+commun de l'univers. Maintenant il me faut oublier le langage que
+j'appris durant ces quarante années, mon anglais natal. Ma langue me
+sera désormais aussi inutile qu'une viole ou une harpe sans cordes, un
+instrument fait avec art mais enfermé dans son étui, ou qu'on en retire
+pour le placer dans les mains qui ne connaissent point l'art d'en faire
+sortir l'harmonie. Vous avez emprisonné ma langue dans ma bouche, sous
+les doubles guichets de mes dents et de mes lèvres, et la stupide,
+l'insensible, la stérile ignorance est le geôlier qui m'est donné pour
+me garder: je suis trop vieux pour caresser une nourrice, trop avancé en
+âge pour devenir écolier. Votre arrêt n'est donc autre chose que celui
+d'une mort silencieuse qui prive ma langue de la faculté de parler son
+idiome naturel.
+
+RICHARD.--Il ne te sert de rien de te plaindre. Après notre sentence,
+les lamentations viennent trop tard.
+
+NORFOLK, _se retirant_.--Je vais donc quitter la lumière de mon pays,
+pour aller habiter les sombres ténèbres d'une nuit sans fin.
+
+RICHARD.--Reviens encore, et emporte avec toi un serment. Posez sur
+notre épée royale vos mains exilées; jurez par l'obéissance que vous
+devez au ciel (et dont la part qui nous appartient vous accompagnera
+dans votre bannissement)[3], de garder le serment que nous vous faisons
+prêter, que jamais dans votre exil (et qu'ainsi le ciel et l'honneur
+vous soient en aide) vous ne vous rattacherez l'un à l'autre par
+l'affection; que jamais vous ne consentirez l'un l'autre à vous
+regarder; que jamais ni par écrit, ni par aucun rapprochement, vous
+n'éclaircirez la sombre tempête de la haine née entre vous dans votre
+patrie; que jamais vous ne vous réunirez à dessein pour tramer,
+combiner, comploter aucun acte dommageable contre nous, nos sujets et
+notre pays.
+
+[Note 3: _Our part therein we banish with yourselves_.
+
+Les commentateurs ont cru voir dans ce vers que Richard les déliait en
+les bannissant de l'obéissance qu'ils lui devaient; il paraît clair, au
+contraire, que s'il bannit avec eux l'obéissance qu'ils lui doivent;
+c'est pour qu'elle les accompagne.]
+
+BOLINGBROKE.--Je le jure.
+
+NORFOLK.--Et moi aussi, je jure d'observer tout cela.
+
+BOLINGBROKE.--Norfolk, je puis t'adresser encore ceci comme à mon
+ennemi: à cette heure, si le roi nous l'avait permis, une de nos âmes
+serait errante dans les airs, bannie de ce frêle tombeau de notre chair
+comme notre corps est maintenant banni de ce pays. Confesse tes
+trahisons avant de fuir de ce royaume: Tu as bien loin à aller;
+n'emporte pas avec toi le pesant fardeau d'une âme coupable.
+
+NORFOLK.--- Non, Bolingbroke; si jamais je fus un traître, que mon nom
+soit effacé du livre de vie, et moi banni du ciel comme je le suis
+d'ici. Mais ce que tu es, le ciel, toi et moi nous le savons, et je
+crains que le roi n'ait trop tôt à déplorer ceci.--Adieu, mon souverain.
+Maintenant je ne puis plus m'égarer: excepté la route qui ramène en
+Angleterre, le monde entier est mon chemin.
+
+(Il sort.)
+
+RICHARD.--Oncle, je lis clairement dans le miroir de tes yeux le chagrin
+de ton coeur: la tristesse de ton visage a retranché quatre années du
+nombre des années de son exil. (_A Bolingbroke._)--Après que les glaces
+de six hivers se seront écoulées, reviens de ton exil, le bienvenu dans
+ta patrie.
+
+BOLINGBROKE.--Quel long espace de temps renfermé dans un petit mot!
+Quatre traînants hivers et quatre folâtres printemps finis par un mot!
+Telle est la parole des rois.
+
+GAUNT.--Je remercie mon souverain de ce que, par égard pour moi, il
+abrège de quatre ans l'exil de mon fils; mais je n'en retirerai que peu
+d'avantage, car avant que les six années qu'il lui faut passer aient
+changé leurs lunes et fait leur révolution, ma lampe dépourvue d'huile
+et ma lumière usée par le temps s'éteindront dans les années et dans une
+nuit éternelle; ce bout de flambeau qui me reste sera brûlé et fini, et
+l'aveugle Mort ne me laissera pas revoir mon fils.
+
+RICHARD.--Pourquoi, mon oncle? Tu as encore bien des années à vivre.
+
+GAUNT.--Mais pas une minute, roi, que tu puisses me donner. Tu peux
+abréger mes jours par le noir chagrin, tu peux m'enlever des nuits, mais
+non me prêter un lendemain. Tu peux aider le temps à me sillonner de
+vieillesse, mais non pas arrêter dans ses progrès une seule de mes
+rides. S'agit-il de ma mort, ta parole a cours aussi bien que lui: mais
+mort, ton royaume ne saurait racheter ma vie.
+
+RICHARD..--Ton fils est banni d'après une sage délibération dans
+laquelle ta voix même a donné son suffrage. Pourquoi donc maintenant
+sembles-tu te plaindre de notre justice?
+
+GAUNT.--Il est des choses qui, douces au goût, sont dures à digérer.
+Vous m'avez pressé comme juge, mais j'aurais bien mieux aimé que vous
+m'eussiez ordonné de plaider comme un père. Ah! si au lieu de mon
+enfant, c'eût été un étranger, pour adoucir sa faute j'aurais été plus
+indulgent: j'ai cherché à éviter le reproche de partialité; et dans ma
+sentence j'ai détruit ma propre vie.--Hélas! je regardais si quelqu'un
+de vous ne dirait pas que j'étais trop sévère, de rejeter ainsi ce qui
+m'appartient; mais vous avez laissé à ma langue, malgré sa répugnance,
+la liberté de me faire ce tort contre ma volonté.
+
+RICHARD.--Adieu, cousin; et vous, oncle, dites-lui aussi adieu: nous le
+bannissons pour six ans; il faut qu'il parte.
+
+(Fanfare.--Sortent Richard et la suite.)
+
+AUMERLE.--Cousin, adieu. Ce que nous ne pouvons savoir par votre
+présence, que des lieux que vous habiterez vos lettres nous
+l'apprennent.
+
+LE MARÉCHAL.--Milord, moi je ne prends point congé de vous; je
+chevaucherai à vos côtés tant que la terre me le permettra.
+
+GAUNT.--Hélas! pourquoi es-tu si avare de tes paroles et ne réponds-tu
+rien aux salutations de tes amis?
+
+BOLINGBROKE.--Je n'ai pas de quoi suffire à vous faire mes adieux; il me
+faudrait prodiguer l'usage de ma langue pour exhaler toute l'abondance
+de la douleur de mon coeur.
+
+GAUNT.--Ce qui cause ton chagrin n'est qu'une absence passagère.
+
+BOLINGBROKE.--La joie absente, le chagrin reste toujours présent.
+
+GAUNT.--Qu'est-ce que six hivers? Ils passent bien vite.
+
+BOLINGBROKE.--Pour les hommes qui sont heureux; mais d'une heure le
+chagrin en fait dix.
+
+GAUNT.--Suppose que c'est un voyage que tu entreprends pour ton plaisir.
+
+BOLINGBROKE.--Mon coeur soupirera quand je voudrai le tromper par ce nom
+en y reconnaissant un pèlerinage.
+
+GAUNT.--Regarde le sombre voyage de tes pas fatigués comme un entourage
+dans lequel tu devras placer le joyau précieux du retour dans la patrie.
+
+BOLINGBROKE.--Dites plutôt que chacun des pas pénibles que je vais faire
+me rappellera quel vaste espace du monde j'aurai parcouru loin des
+joyaux que j'aime. Ne me faudra-t-il pas faire un long apprentissage de
+ces routes étrangères? et lorsqu'à la fin j'aurai regagné ma liberté, de
+quoi pourrai-je me vanter, si ce n'est d'avoir travaillé pour le compte
+de la douleur?
+
+GAUNT.--Tous les lieux que visite l'oeil du ciel sont pour le sage des
+ports et des asiles heureux. Instruis tes nécessités à raisonner ainsi,
+car il n'est point de vertu comme la nécessité. Persuade-toi non pas que
+c'est le roi qui t'a banni, mais que tu as banni le roi.--Le malheur
+s'appesantit d'autant plus qu'il s'aperçoit qu'on le porte avec
+faiblesse. Va, dis-toi que je t'ai envoyé acquérir de l'honneur, et non
+que le roi t'a exilé; ou bien suppose encore que la peste dévorante est
+suspendue dans notre atmosphère, et que tu fuis vers un climat plus pur.
+Vois ce que ton coeur a de plus cher; imagine qu'il est dans les lieux
+où tu vas, et non dans ceux d'où tu viens. Pense que les oiseaux qui
+chantent sont des musiciens, le gazon que foulent tes pieds un salon
+parsemé de joncs, les fleurs de belles femmes, et tes pas un menuet[4]
+ou une danse agréable. Le chagrin grondeur a moins de prise pour mordre
+l'homme qui s'en rit et le tient pour léger.
+
+[Note 4: _A delightful measure or a dance._
+
+_A measure_ était en général une danse mesurée ou d'apparat.]
+
+BOLINGBROKE.--Eh! qui pourra tenir le feu dans sa main en pensant aux
+glaces du Caucase, ou assouvir l'âpre avidité de la faim par la simple
+idée d'un festin, ou marcher nu à l'aise dans les neiges de décembre en
+se créant la chaleur d'un été fantastique? L'idée du bien ne peut
+qu'accroître le sentiment du mal. La dent cruelle de la douleur n'est
+jamais si venimeuse que lorsqu'elle mord sans ouvrir une large blessure.
+
+GAUNT.--Viens, viens, mon fils; je vais te mettre dans ton chemin. Si
+j'avais ta cause et ta jeunesse, je ne demeurerais pas ici.
+
+BOLINGBROKE.--Adieu donc, sol de l'Angleterre; douce terre, adieu, ma
+mère et ma nourrice qui me portes encore. Dans quelque lieu que je sois,
+je pourrai du moins me vanter d'être, quoique banni, un véritable
+Anglais.
+
+
+
+
+SCÈNE IV
+
+La scène est toujours à Coventry.--Un appartement dans le château du
+roi.
+
+_Entrent_ LE ROI RICHARD, BAGOT et GREEN, _ensuite_ AUMERLE.
+
+
+RICHARD.--Oui, nous nous en sommes aperçus.--Cousin Aumerle, jusqu'où
+avez-vous conduit le grand Hereford sur son chemin?[5]
+
+[Note 5: Johnson a voulu supposer ici quelque erreur de copiste dans la
+distribution des actes, et, d'après une nouvelle disposition qu'a suivie
+Letourneur, il fait commencer au retour d'Aumerle le second acte, que
+les anciennes copies ne font commencer qu'à l'arrivée du roi à Ely. Il
+se fonde sur ce qu'il faut bien donner au vieux Gaunt le temps
+d'accompagner son fils, de revenir et de tomber malade. Mais d'abord,
+Gaunt n'accompagne point son fils; il le met seulement _en chemin_ (_on
+the way_); ensuite on peut supposer autant de temps que l'on voudra
+entre la troisième et la quatrième scène du premier acte, autant du
+moins qu'il en faut pour le retour d'Aumerle et la nouvelle de la
+maladie du vieux Gaunt, qui, nous dit-on, a été pris subitement. La
+distribution des actes telle qu'on la trouve dans les anciennes éditions
+a du moins l'avantage de renfermer dans le premier acte un événement
+fini, le départ d'Hereford; et comme la distribution imaginée par
+Johnson ne donne d'ailleurs aucun moyen d'expliquer avec vraisemblance
+les événements qui sont censés s'être passés dans l'intervalle du
+premier au deuxième acte, on a conservé l'ancienne. Au reste, dans les
+éditions faites avant la mort de Shakspeare, la pièce n'était point
+coupée en actes, mais simplement composée d'une suite de scènes: les
+éditions faites immédiatement après sa mort n'ont donc sur celles qui
+l'ont précédée que l'avantage d'une tradition plus récente des
+directions théâtrales qu'avait données l'auteur; elles semblent de plus,
+dans ce cas-ci, avoir en leur faveur le bon sens dramatique.]
+
+AUMERLE.--J'ai conduit le grand Hereford, puisqu'il vous plaît de
+l'appeler ainsi, jusqu'au grand chemin le plus voisin, et je l'ai laissé
+là.
+
+RICHARD.--Et dites-moi, quel flot de larmes a-t-il été versé au moment
+de la séparation?
+
+AUMERLE.--Ma foi, de ma part aucune, à moins que le vent du nord-est,
+qui nous soufflait alors cruellement au visage, n'ait mis en mouvement
+un rhume endormi, et n'ait ainsi, par hasard, honoré d'une larme nos
+adieux hypocrites.
+
+RICHARD.--Qu'a dit notre cousin lorsque vous vous êtes quittés?
+
+AUMERLE.--Il m'a dit: _portez-vous bien_[6]; et, comme mon coeur
+dédaignait de voir ma langue profaner ce souhait, je me suis avisé de
+contrefaire l'accablement d'un chagrin si profond, que mes paroles
+semblaient ensevelies dans le tombeau de ma douleur. Vraiment, si ces
+mots, _portez-vous bien_ avaient pu allonger les heures et ajouter aux
+années de son court exil, il aurait eu un volume de _portez-vous bien;_
+mais comme cela n'était pas, il n'en a point eu de moi.
+
+[Note 6: ....._Farewell._
+
+_Farewell_, l'adieu ordinaire des Anglais, signifie _portez-vous bien._
+Il a fallu le traduire ainsi, pour faire comprendre la répugnance
+d'Aumerle à le prononcer.]
+
+RICHARD.--Il est notre cousin, cousin; mais il est douteux, lorsque
+arrivera le temps qui doit le ramener de l'exil, que notre parent
+revienne voir ses amis. Nous-même, et Bushy, et Bagot que voilà, et
+Green aussi, nous avons remarqué comme il faisait la cour au commun
+peuple; comme il cherchait à pénétrer dans leurs coeurs par une
+politesse modeste et familière; quels respects il prodiguait à des
+misérables, s'étudiant à gagner le dernier des artisans par l'art de ses
+sourires et par une soumission patiente à sa fortune, comme s'il eût
+voulu emporter avec lui leurs affections: il ôtait son bonnet à une
+marchande d'huîtres; deux charretiers, pour lui avoir souhaité la faveur
+de Dieu, ont reçu l'hommage de son flexible genou, avec ces mots: «Je
+vous remercie, mes compatriotes, mes bons amis;» comme si notre
+Angleterre lui devait revenir en héritage, et qu'il fût au premier degré
+l'espérance de nos sujets.
+
+GREEN.--Eh bien, il est parti; bannissons avec lui toutes ces idées.
+Maintenant songeons aux rebelles soulevés dans l'Irlande: il faut s'en
+occuper promptement, mon souverain, avant que de plus longs délais
+multiplient leurs moyens à leur avantage et au détriment de Votre
+Majesté.
+
+RICHARD.--Nous irons en personne à cette guerre; et comme une cour trop
+brillante et la libéralité de nos largesses ont rendu nos coffres un peu
+légers, nous nous trouvons forcés d'affermer nos domaines royaux pour en
+retirer un revenu qui puisse fournir aux affaires du moment. Si cela ne
+suffisait pas, nos lieutenants auront ici des blancs seings, au moyen
+desquels, quand ils sauront que les gens sont riches, ils leur
+imposeront de grosses sommes d'or qu'ils nous enverront pour faire face
+à nos besoins; car nous voulons partir sans délai pour l'Irlande.
+(_Entre Bushy._)--Quelles nouvelles, Bushy?
+
+BUSHY.--Le vieux Jean de Gaunt, seigneur, est dangereusement malade: il
+a été pris subitement, et il a envoyé un exprès en diligence pour
+conjurer Votre Majesté d'aller le visiter.
+
+RICHARD.--Où est-il?
+
+BUSHY.--A Ely-House.
+
+RICHARD.--Ciel, inspire à son médecin la pensée de l'aider à descendre
+promptement dans la tombe! La doublure de ses coffres nous ferait des
+habits pour équiper nos soldats de l'armée d'Irlande.--Venez, messieurs;
+allons tous le visiter, et prions le ciel qu'en faisant diligence nous
+arrivions trop tard.
+
+(Ils sortent.)
+
+FIN DU PREMIER ACTE.
+
+
+
+
+ ACTE DEUXIÈME
+
+
+
+
+SCÈNE I
+
+Un appartement à Ely-House.
+
+GAUNT _sur un lit de repos_, LE DUC D'YORK, _et d'autres personnes
+autour de lui._
+
+
+GAUNT.--Le roi viendra-t-il? Pourrai-je rendre le dernier soupir en
+donnant de salutaires conseils à sa jeunesse sans appui?
+
+YORK.--Cessez de vous tourmenter; ne forcez point votre poitrine, car
+c'est bien en vain que les conseils arrivent à son oreille.
+
+GAUNT.--Oh! mais on dit que la voix des mourants captive l'attention
+comme une solennelle harmonie; que lorsque les paroles sont rares, elles
+ne sont guère jetées en vain, car ils exhalent la vérité ceux qui
+exhalent leurs paroles dans la douleur, et celui qui ne parlera plus est
+plus écouté que ceux auxquels la jeunesse et la santé ont appris à
+causer. On remarque plus la fin des hommes que leurs vies précédentes;
+de même que le coucher du soleil, la dernière phrase d'un air, la
+dernière saveur d'un mets agréable sont plus douces à la fin et se
+gravent mieux dans la mémoire que les choses passées depuis longtemps.
+Quoique Richard ait refusé d'écouter les conseils de ma vie, les tristes
+discours de ma mort peuvent encore vaincre la dureté de son oreille.
+
+YORK.--Non, elle est bouchée par d'autres sons plus flatteurs, par
+exemple les éloges donnés à sa magnificence: on entend ensuite autour de
+lui des vers impurs dont les sons empoisonnés trouvent l'oreille de la
+jeunesse toujours ouverte pour les entendre; on l'entretient des modes
+de la superbe Italie, dont notre peuple cherche gauchement à singer, en
+les suivant de loin, les manières dans une honteuse imitation. Quelque
+part qu'il vienne de naître une frivolité dans le monde, quelque
+misérable qu'elle puisse être, pourvu qu'elle soit nouvelle, ne court-on
+pas aussitôt en étourdir l'oreille du roi? Tous les conseils arrivent
+trop tard là où la volonté se révolte contre les considérations de la
+raison. N'entreprends point de guider celui qui veut choisir son chemin
+lui-même. Il ne te reste qu'un souffle, et tu veux le perdre en vain!
+
+GAUNT.--Il me semble que je suis un prophète nouvellement inspiré, et
+voici ce qu'en expirant je prédis de lui: La fougue insensée de cette
+ardeur de désordre ne saurait durer, car les incendies violents sont
+bientôt éteints, les petites ondées durent longtemps; mais les orages
+soudains sont bientôt finis. Celui qui donne trop continuellement de
+l'éperon fatigue bientôt sa monture; et la nourriture avidement
+engloutie étouffe celui qui la dévore: l'imprévoyante vanité, cormoran
+insatiable, consomme ses ressources et finit par se dévorer
+elle-même.--Ce noble trône des rois; cette île souveraine, cette terre
+de majesté, ce séjour de Mars, ce nouvel Éden, ce demi-paradis, cette
+forteresse bâtie par la nature elle-même pour s'y retrancher contre la
+contagion et contre le bras de la guerre; cette heureuse race d'hommes,
+ce petit univers, cette pierre précieuse enchâssée dans la mer d'argent
+qui, comme un rempart ou comme un fossé creusé autour d'une maison, la
+défend contre la jalousie des contrées moins fortunées; ce sol béni du
+ciel, cette terre, ce royaume, cette Angleterre, cette nourrice, ce sein
+fécond en rois redoutés par la valeur de leur race, fameux par leur
+naissance, renommés par leurs exploits, que, pour le service de la
+chrétienté et l'honneur de la chevalerie ils ont portés loin de leur
+patrie, jusqu'au sépulcre qui est dans la rebelle Judée, le tombeau du
+fils de la bienheureuse Marie, la rançon de l'univers; cette chère,
+chère patrie, chérie pour sa réputation dans le monde entier, est
+maintenant (ah! je meurs de le prononcer) engagée à bail comme un fief
+ou une misérable ferme! L'Angleterre, ceinte d'une mer triomphante, dont
+le rivage rocailleux repousse les jaloux assauts de l'humide Neptune,
+est maintenant honteusement enchaînée par quelques taches d'encre et des
+liens de parchemin pourri.... cette Angleterre, qui était accoutumée à
+conquérir les autres, a fait d'elle-même une ignominieuse conquête. Ah!
+si ce scandale devait s'évanouir avec ma vie, combien me trouverais-je
+heureux de voir arriver la mort!
+
+(Entrent le roi Richard, la reine[7], Aumerle, Bushy, Green, Bagot, Ross
+et Willoughby.)
+
+[Note 7: Le personnage de la reine est de l'invention de Shakspeare.
+Richard, veuf d'Anne, soeur de l'empereur Venceslas, était fiancé depuis
+trois ans à Isabelle de France, qui n'en avait que dix.]
+
+YORK.--Voilà le roi arrivé. Ménagez sa jeunesse: un jeune cheval
+bouillant, si l'on s'irrite contre lui, s'en irrite bien davantage.
+
+LA REINE--Comment se porte notre noble oncle Lancastre?
+
+RICHARD.--Eh bien, vieillard, comment cela va-t-il? comment se trouve le
+vieux Gaunt?
+
+GAUNT.--Oh! comme ce nom[8] convient à ma figure! Je suis un vieux
+desséché, en effet, et desséché parce que je suis vieux; le chagrin a
+gardé en moi une longue abstinence; et qui peut s'abstenir de nourriture
+et n'être pas desséché? J'ai veillé longtemps pour l'Angleterre
+endormie: les veilles engendrent la maigreur, et la maigreur est toute
+desséchée; ce plaisir qui sert quelquefois d'aliment à un père, la vue
+de mes enfants, j'en ai sévèrement jeûné; c'est au moyen de ce jeûne que
+tu m'as desséché. Je suis desséché comme il convient à la tombe,
+desséché comme la tombe dont les creuses entrailles ne renferment rien
+que des os.
+
+[Note 8: _Gaunt_ en anglais signifie _mince, maigre, desséché_. Voici
+tout le passage, et cette suite de jeux de mots qui sont bien dans les
+habitudes d'esprit du temps, mais auxquels il a été impossible de
+trouver un équivalent en français:
+
+
+ _O, how that name befits my composition!
+ Old Gaunt, indeed; and gaunt in being old:
+ Within me grief hath kept a tedious fast,
+ And who abstains from meat and is not gaunt?
+ The pleasure, that some fathers feed upon,
+ Is my strict fast, I mean, my children's looks,
+ And therein fasting, hast thou made me Gaunt,
+ Gaunt I am for the grave, Gaunt as a grave
+ Whose hollow womb inherits nought but bones_.]
+
+RICHARD.--Un malade peut-il jouer si subtilement sur son nom?
+
+GAUNT.--Non, la misère se plaît à se jouer d'elle-même. Puisque tu as
+cherché à tuer mon nom dans ma personne; j'insulte à mon nom, grand roi,
+pour te flatter.
+
+RICHARD.--Les mourants devraient-ils flatter les vivants?
+
+GAUNT.--Non, non, mais les vivants flattent les mourants.
+
+RICHARD.--Mais toi qui te meurs maintenant, tu prétends que tu me
+flattes?
+
+GAUNT.--Oh! non, c'est toi qui te meurs, bien que je sois le plus
+malade.
+
+RICHARD.--Moi, je suis en santé, je respire, et je te vois bien malade.
+
+GAUNT.--Celui qui m'a fait sait combien je te vois malade, malade
+moi-même à cause de ce que je vois, et en te voyant malade; ton lit de
+mort est aussi vaste que ton pays où tu languis malade dans ta
+réputation. Et toi, malade trop insouciant, tu confies la guérison de
+ton corps oint du Seigneur aux médecins mêmes qui t'ont blessé. En
+dedans de cette couronne, dont le cercle n'est pas plus grand que ta
+tête, siége un millier de flatteurs qui, bien que renfermés dans cet
+étroit espace, étendent leurs dégâts jusqu'aux confins de ton pays. Oh!
+si ton grand-père eût pu voir d'un oeil prophétique, comment le fils de
+son fils ruinerait sa postérité, il aurait pris soin de placer ta honte
+hors de ta portée, en te déposant avant que tu entrasses en possession,
+puisque tu ne possèdes aujourd'hui que pour te déposer toi-même. Oui,
+mon neveu, quand tu serais le maître du monde entier, il serait encore
+honteux de donner ce pays à bail: mais lorsque ton univers se borne, à
+la possession de ce pays, n'est-il pas plus que honteux de le réduire à
+cette honte? Tu n'es à présent que l'intendant de l'Angleterre, et non
+pas son roi: tu as soumis ton esclave, ta puissance royale à la loi, et
+tu es....[9]
+
+[Note 9: _The state of law is bondslave to the law._]
+
+RICHARD.--Un imbécile lunatique à la tête faible qui te prévaux des
+priviléges de la maladie pour oser, chassant avec violence le sang royal
+de sa résidence naturelle, faire pâlir nos joues par ta morale glacée.
+Mais, j'en jure la majesté royale de mon trône, si tu n'étais pas le
+frère du fils du grand Édouard, ta langue, qui roule si grand train dans
+ta bouche, ferait rouler ta tête de dessus tes insolentes épaules.
+
+GAUNT.--Fils de mon frère Édouard, oh! ne m'épargne pas parce que je
+suis le fils d'Édouard son père. Semblable au pélican, tu l'as déjà fait
+couler ce sang, tu l'as bu dans tes orgies. Mon frère Glocester, cette
+âme simple et de bonnes intentions (veuille le ciel l'admettre au nombre
+des âmes heureuses!), peut servir d'exemple et de témoignage pour
+démontrer que tu ne te fais pas scrupule de verser le sang d'Édouard.
+Ligue-toi avec mon mal actuel, et que ta cruauté, comme la faux de la
+vieillesse, moissonne d'un coup une fleur depuis trop longtemps flétrie.
+Vis dans ta honte, mais que ta honte ne meure pas avec toi, et que ces
+paroles fassent ton supplice dans l'avenir!--Reportez-moi dans mon lit,
+et de mon lit à la tombe. Qu'ils aiment la vie ceux qui y trouvent de la
+tendresse et de l'honneur!
+
+(Il sort emporté par les gens de sa suite.)
+
+RICHARD.--Et ceux-là font bien de mourir qui sont vieux et chagrins. Tu
+es tous les deux, et par là le tombeau te convient doublement.
+
+YORK.--Je supplie Votre Majesté de n'imputer ses paroles qu'à l'humeur
+de la maladie et de la vieillesse. Il vous aime, sur ma vie, et vous
+tient pour aussi cher qu'Henri duc d'Hereford, s'il était ici.
+
+RICHARD.--C'est vrai, vous dites la vérité; son amour pour moi ressemble
+à celui d'Hereford; et le mien est comme le leur.... Que les choses
+soient ce qu'elles sont.
+
+(Entre Northumberland.)
+
+NORTHUMBERLAND.--Mon souverain, le vieux Gaunt se recommande au souvenir
+de Votre Majesté.
+
+RICHARD.--Que dit-il maintenant?
+
+NORTHUMBERLAND.--Rien vraiment. Tout est dit; sa langue est maintenant
+un instrument sans cordes: le vieux Lancastre a dépensé vie, paroles, et
+tout le reste.
+
+YORK.--Qu'York soit après lui le premier qui fasse ainsi banqueroute! La
+mort, tout indigente qu'elle est, met un terme à des douleurs mortelles.
+
+RICHARD.--Le fruit le plus mûr tombe le premier: ainsi fait-il: c'est
+son tour, son temps est passé: c'est celui de notre voyage à nous
+autres. C'en est assez là-dessus.--Maintenant songeons à nos guerres
+d'Irlande. Il nous faut chasser ces sauvages Kernes à la chevelure
+crépue, qui existent comme un venin là où n'a la permission de résider
+aucun autre venin qu'eux-mêmes[10]. Et pour cette importante expédition,
+nous avons besoin de subsides qui nous aident à la soutenir: nous
+saisissons donc l'argenterie, l'argent monnayé, les revenus et le
+mobilier que possédait notre oncle Gaunt.
+
+[Note 10: Il était de tradition que, grâce à la protection de saint
+Patrick, aucun animal venimeux ne pouvait vivre en Irlande.]
+
+YORK.--Jusques à quand serai-je patient? Combien de temps encore mon
+tendre attachement à mon devoir me fera-t-il supporter l'injustice? Ni
+la mort de Glocester, ni le bannissement d'Hereford, ni les affronts de
+Gaunt, ni les maux domestiques de l'Angleterre, ni les empêchements
+apportés au mariage de ce pauvre Bolingbroke[11], ni ma propre disgrâce,
+n'ont jamais apporté une nuance d'aigreur sur mon visage soumis, ne
+m'ont jamais fait porter sur mon souverain un regard irrité.--Je suis le
+dernier des fils du noble Édouard, dont ton père, le prince de Galles,
+était le premier. Jamais lion ne fut plus terrible dans la guerre,
+jamais paisible agneau ne fut plus doux dans la paix que ne l'était ce
+noble jeune homme. Tu as ses traits; oui, c'était là son air à l'âge où
+il comptait le même nombre d'heures que toi. Mais lorsqu'il prenait un
+front menaçant, c'était contre le Français, et non contre ses amis; sa
+main victorieuse conquérait ce qu'elle dépensait, et ne dépensait pas ce
+qu'avait conquis le bras triomphant de son père; ses mains ne furent
+jamais souillées du sang de ses parents; elles ne furent teintes que du
+sang des ennemis de sa race.--O Richard! York est trop accablé par la
+douleur: sans elle il ne vous eût jamais comparés.
+
+[Note 11: Il fut question, dit-on, pendant l'exil du duc d'Hereford en
+France de lui donner en mariage la fille du duc de Berry, mais Richard
+s'y opposa.]
+
+RICHARD.--Eh bien, quoi, mon oncle, qu'est-ce que c'est?
+
+YORK.--O mon souverain, pardonnez-moi si c'est votre bon plaisir; sinon,
+content de n'être pas pardonné, je suis également satisfait. Quoi! vous
+voulez saisir et retenir en vos mains les droits souverains et les biens
+d'Hereford exilé? Gaunt n'est-il pas mort? Hereford n'est-il pas vivant?
+Gaunt ne fut-il pas un homme d'honneur? Henri n'est-il pas fidèle? Le
+père ne mérite-il pas un héritier? son héritier n'est-il pas un fils
+bien méritant? Si tu enlèves à Hereford ses droits, et au temps ses
+chartes et ses droits coutumiers, que demain ne succède donc plus à
+aujourd'hui; ne sois plus ce que tu es: car comment es-tu roi, si ce
+n'est par une descendance et une succession légitime? Maintenant devant
+Dieu, et Dieu me prescrit de dire la vérité, si par une injustice vous
+vous emparez de l'héritage d'Hereford, si vous mettez en question les
+lettres patentes présentées par ses mandataires pour revendiquer sa
+succession, et que vous refusiez l'hommage qu'il vous offre, vous
+attirez mille dangers sur votre tête, vous perdez mille coeurs bien
+disposés pour vous, et vous forcez la patience de mon attachement à des
+pensées que ne peuvent se permettre l'honneur et la fidélité.
+
+RICHARD.--Pensez ce qu'il vous plaira: nous saisissons dans nos mains
+son argenterie, son argent, ses biens et ses terres.
+
+YORK.--Je n'en serai pas témoin. Adieu, mon souverain.--Personne ne peut
+dire quelles seront les suites de ceci: mais d'injustes actions donnent
+lieu de présumer que leurs suites ne peuvent jamais être heureuses.
+
+(Il sort.)
+
+RICHARD.--Bushy, allez sans délai trouver le comte de Wiltshire[12];
+dites-lui de se rendre auprès de nous à Ely-House pour voir à cette
+affaire. Demain nous partons pour l'Irlande, et je crois qu'il en est
+bien temps. Nous créons notre oncle York lord gouverneur de l'Angleterre
+en notre absence, car c'est un homme juste et qui nous a toujours
+tendrement aimé.--Venez, ma reine; demain il faudra nous séparer:
+réjouissons-nous, car nous n'avons que peu de temps à passer ensemble.
+
+[Note 12: Ce fut, selon le bruit qui en courut alors, au comte de
+Wiltshire, à Bushy, à Green et à Bagot que le roi afferma son royaume.]
+
+(Fanfares.--Sortent le roi, la reine, Bushy, Aumerle, Green et Bagot.)
+
+NORTHUMBERLAND.--Eh bien, seigneur, le duc de Lancastre est donc mort?
+
+ROSS.--Et vivant, car maintenant son fils est duc.
+
+WILLOUGHBY.--De nom seulement, mais non quant au revenu.
+
+NORTHUMBERLAND.--Il serait riche en titre et en fortune si la justice
+avait ses droits.
+
+ROSS.--Mon coeur est grand, mais il rompra sous le silence avant que je
+donne à mes paroles la liberté de le décharger.
+
+NORTHUMBERLAND.--Allons, dis ce que tu penses, et que la parole soit
+interdite pour jamais à celui qui répétera les tiennes pour te nuire!
+
+WILLOUGHBY.--Ce que tu veux dire intéresse-t-il le duc d'Hereford? S'il
+en est ainsi, parle hardiment, ami: j'ai l'oreille fine pour entendre ce
+qui lui est bon.
+
+ROSS.--Je ne puis lui être bon à rien du tout, à moins que vous
+n'appeliez lui être bon à quelque chose de le plaindre en le voyant
+ainsi dépouillé et mutilé[13] dans son patrimoine.
+
+[Note 13: _Gelded_.]
+
+NORTHUMBERLAND.--Par le ciel, c'est une honte de souffrir dans ce
+royaume en décadence qu'on lui fasse de semblables injustices, à lui
+prince du sang royal, et à tant d'autres de noble race. Le roi n'est
+plus lui-même; il se laisse lâchement gouverner par des flatteurs; et
+tout ce qu'ils voudront raconter par pure haine contre chacun de nous
+tous, le roi le poursuivra avec rigueur contre nous, notre vie, nos
+enfants et nos héritiers.
+
+ROSS.--Il a ruiné les communes par des taxes accablantes, et il a tout à
+fait perdu leurs coeurs: il a, pour de vieilles querelles, condamné les
+nobles à des amendes, et il a aussi perdu, leurs coeurs.
+
+WILLOUGHBY.--Et chaque jour on invente de nouvelles exactions, comme
+_blancs seings_, _dons gratuits_, et je ne sais pas quoi. Mais, au nom
+de Dieu, que devient tout cela?
+
+NORTHUMBERLAND.--Ce n'est pas la guerre qui l'a consumé, car il n'a
+point fait la guerre: il a honteusement livré par contrat ce que ses
+ancêtres avaient conquis à force de coups: il a plus dépensé dans la
+paix qu'ils n'ont fait dans toutes leurs guerres.
+
+ROSS.--Le comte de Wiltshire tient le royaume à ferme.
+
+WILLOUGHBY.--Le roi s'est fait banqueroutier, comme un homme ruiné.
+
+NORTHUMBERLAND.--L'opprobre et la destruction sont suspendus sur sa
+tête.
+
+ROSS.--Malgré ses lourdes taxes, il n'aura point d'argent pour ces
+guerres d'Irlande, s'il ne le vole au duc banni.
+
+NORTHUMBERLAND.--Son noble parent!--O roi dégénéré!--Mais, milords, nous
+entendons siffler cette horrible tempête, et nous ne cherchons aucun
+abri contre l'orage. Nous voyons les vents serrer de près nos voiles,
+et, sans songer à les carguer, nous nous laissons tranquillement périr.
+
+ROSS.--Nous voyons le naufrage qui nous attend, et le danger est
+inévitable maintenant, parce que nous avons trop supporté les causes de
+notre perte.
+
+NORTHUMBERLAND.--Non, il n'est point inévitable; à travers les yeux
+creusés de la mort même, je vois poindre la vie: mais je n'ose dire
+combien est proche la nouvelle de notre salut.
+
+WILLOUGHBY.--Allons, fais-nous part de tes pensées, comme nous te
+faisons part des nôtres.
+
+ROSS.--Northumberland, parle avec confiance; tous trois nous ne faisons
+qu'un avec toi; et en parlant, tes paroles demeurent comme des pensées.
+Sois donc sans crainte.
+
+NORTHUMBERLAND.--Eh bien, alors, j'ai reçu avis de Port-le-Blanc (une
+baie de la Bretagne) que Henri Hereford, Reynold, lord Cobham, le fils
+de Richard comte d'Arundel[14], échappé dernièrement de chez le duc
+d'Exeter son frère, ci-devant archevêque de Cantorbéry; sir Thomas
+Erpingham, sir John Ramston, sir John Norbery, sir Robert Waterton, et
+François Quoint, tous bien pourvus de munitions par le duc de Bretagne,
+font force de voiles vers l'Angleterre, montés sur huit gros vaisseaux
+avec trois mille hommes de guerre, et se proposent d'aborder sous peu
+sur nos côtes septentrionales; et peut-être y seraient-ils déjà, si ce
+n'est qu'ils attendent d'abord le départ du roi pour l'Irlande. Si donc
+nous voulons secouer le joug de la servitude, regarnir de plumes les
+ailes brisées de notre patrie languissante, racheter la couronne ternie
+à l'usurier qui la tient en gage, essuyer la poussière qui couvre l'or
+de notre sceptre, et rendre à la royauté sa majesté naturelle, venez
+avec moi en toute hâte à Ravensburg. Si vous faiblissez, retenus par la
+crainte, restez ici, gardez notre secret, et moi j'y cours.
+
+[Note 14: _The son of Richard, earl of Arundel._
+
+Ce vers, qui n'est point dans les anciennes éditions de Shakspeare, a
+été suppléé par ses commentateurs, attendu que ce comte d'Arundel, cité
+par Hollinshed dans la liste de ceux qui s'embarquèrent avec
+Bolingbroke, et que Shakspeare lui a d'ailleurs empruntée, est le seul à
+qui puisse s'appliquer le vers suivant:
+
+_That late broke from the duke of Exeter._
+
+Thomas, comte d'Arundel, dont le père, Richard, avait été décapité à la
+Tour, avait été mis, à ce qu'il paraît, en quelque sorte sous la
+surveillance du duc d'Exeter, de chez lequel il s'échappa pour joindre
+Bolingbroke: seulement il était neveu, et non pas frère de Thomas
+Arundel, archevêque de Cantorbéry, privé de son siége par le pape à la
+demande du roi.]
+
+ROSS.--A cheval, à cheval! Propose tes doutes à ceux qui ont peur.
+
+WILLOUGHBY.--Si mon cheval résiste, j'y serai le premier.
+
+(Ils sortent.)
+
+
+
+
+SCÈNE II
+
+La scène est toujours en Angleterre.--Un appartement dans le palais.
+
+_Entrent_ LA REINE, BUSHY, BAGOT.
+
+
+BUSHY.--Madame, Votre Majesté est beaucoup trop triste. Vous avez
+promis au roi, en le quittant, d'écarter cette mélancolie dangereuse et
+d'entretenir la sérénité dans votre âme.
+
+LA REINE.--Je l'ai promis pour plaire au roi; mais si je veux me
+plaire à moi-même, cela m'est impossible. Cependant je ne me connais
+aucun sujet pour accueillir un hôte tel que le chagrin, si ce n'est
+d'avoir dit adieu à un hôte aussi cher que me l'est mon cher Richard: et
+pourtant il me semble que quelque malheur, encore à naître, mais prêt à
+sortir du sein de la fortune, s'avance en ce moment vers moi: le fond de
+mon âme tremble de rien, et elle s'afflige de quelque chose de plus que
+de l'éloignement du roi mon époux.
+
+BUSHY.--Chaque cause réelle de douleur a vingt ombres qui ressemblent
+au chagrin, sans l'être: l'oeil de l'affliction, terni par les larmes
+qui l'aveuglent, décompose une seule chose en plusieurs objets: comme
+ces peintures qui, vues de face, n'offrent que des traits confus, et
+qui, regardées obliquement, présentent des formes distinctes; ainsi
+Votre chère Majesté, considérant de côté le départ du roi, y voit à
+déplorer des apparences de chagrins en dehors de lui, et qui, vues
+telles qu'elles sont, ne sont que des ombres de ce qui n'est pas. Ainsi,
+reine trois fois gracieuse, ne pleurez rien de plus que le départ de
+votre seigneur: il n'y a rien de plus à voir, ou si vous voyez quelque
+chose c'est de l'oeil trompeur du chagrin, qui dans les maux réels
+pleure des maux imaginaires.
+
+LA REINE.--Cela peut être, mais mon coeur me persuade intérieurement
+qu'il en est autrement: quoi qu'il en soit, je ne puis m'empêcher d'être
+triste, et si mortellement triste que, quoique en pensant je ne m'arrête
+à aucune pensée, mon âme frémit et succombe sous ce pesant néant.
+
+BUSHY.--Ce n'est rien, gracieuse dame, qu'un caprice de l'imagination.
+
+LA REINE.--C'est tout autre chose; car l'imagination prend naissance de
+quelque chagrin qui lui sert d'ancêtre, et je ne suis pas dans ce cas.
+Ou le chagrin que j'éprouve est né sans cause, ou d'une véritable cause
+est né pour moi un chagrin sans réalité. Je possède déjà ce qui doit me
+revenir, mais comme une chose encore inconnue, que je ne puis nommer;
+c'est un malheur sans nom que je sens.
+
+(Entre Green.)
+
+GREEN.--Que le ciel conserve Votre Majesté!--Et vous, messieurs, je suis
+bien aise de vous rencontrer.--J'espère que le roi n'est pas encore
+embarqué pour l'Irlande.
+
+LA REINE.--Et pourquoi l'espères-tu? Il vaut mieux espérer qu'il l'est;
+car ses desseins exigent de la célérité, et c'est sur cette célérité que
+se fondent nos espérances. Pourquoi donc espères-tu qu'il n'est pas
+embarqué?
+
+GREEN.--C'est qu'il aurait pu, lui en qui nous espérons, ramener ses
+troupes sur leurs pas, et changer en désespoir les espérances d'un
+ennemi débarqué en force dans ce royaume. Le banni Bolingbroke se
+rappelle lui-même, et, les armes à la main, est arrivé en sûreté jusqu'à
+Ravensburg.
+
+LA REINE.--Que le Dieu du ciel nous en préserve!
+
+GREEN.--Oh! madame, cela n'est que trop vrai! et ce qu'il y a de plus
+fâcheux encore, c'est que lord Northumberland, son jeune fils Henry
+Percy, les lords Ross, Beaumont, et Willoughby, ont couru le rejoindre
+avec tous leurs puissants amis.
+
+BUSHY.--Pourquoi n'avez-vous pas déclaré traîtres Northumberland et tout
+le reste de cette faction rebelle?
+
+GREEN.--Nous l'avons fait; et aussitôt le comte de Worcester a brisé son
+bâton, a remis sa dignité de grand maître d'hôtel, et tous les officiers
+de la maison du roi ont volé avec lui vers Bolingbroke.
+
+LA REINE.--Ainsi, Green, c'est vous qui êtes la sage-femme de mon
+malheur; et Bolingbroke est le funeste héritier qu'avait conçu mon
+chagrin. Enfin mon âme a enfanté son monstre; et, comme une mère encore
+haletante après sa délivrance, j'accumule douleurs sur douleurs et
+chagrins sur chagrins.
+
+BUSHY.--Ne désespérez pas, madame.
+
+LA REINE.--Et qui peut m'en empêcher? Oui, je désespère et me déclare
+ennemie de la trompeuse espérance; c'est une flatteuse, une parasite qui
+retient les pas de la mort, qui dissoudrait doucement les liens de la
+vie, si la perfide espérance ne faisait traîner nos derniers moments.
+
+(Entre York.)
+
+GREEN.--Voici le duc d'York.
+
+LA REINE.--Avec l'armure de la guerre sur ses épaules vieillies. Oh! ses
+regards sont remplis de soucis inquiets!--Mon oncle, au nom du ciel,
+dites-nous des paroles consolantes.
+
+YORK.--Si je le faisais, je mentirais à mes pensées: les consolations
+sont dans le ciel, et nous sommes sur la terre où l'on ne trouve que
+croix, peines et chagrins. Votre mari est allé sauver au loin ce que
+d'autres vont lui faire perdre ici. Il m'a laissé pour être l'appui de
+son royaume, moi qui, affaibli par l'âge, ne puis me soutenir moi-même!
+La voici arrivée l'heure de maladie amenée par ses excès! c'est
+maintenant qu'il va faire l'épreuve des amis qui l'ont flatté.
+
+(Entre un serviteur.)
+
+LE SERVITEUR.--Milord, votre fils était parti avant que j'arrivasse.
+
+YORK.--Il était parti? A la bonne heure; que tout aille comme cela
+voudra. La noblesse a déserté; les communes sont froides, et je crains
+bien qu'elles ne se révoltent et ne se déclarent pour Hereford. Mon ami,
+va à Plashy trouver ma soeur Glocester; dis-lui de m'envoyer
+sur-le-champ mille livres.--Tiens, prends mon anneau.
+
+LE SERVITEUR.--Milord, j'avais oublié de le dire à Votre Seigneurie, j'y
+suis entré aujourd'hui en passant par là--Mais je vais vous affliger si
+je vous dis le reste.
+
+YORK.--Quoi, misérable?
+
+LE SERVITEUR.--Une heure avant mon arrivée, la duchesse était morte.
+
+YORK.--Que le ciel ait pitié de nous! Quel déluge de maux vient fondre à
+la fois sur ce malheureux pays!--Je ne sais que faire.--Plût à Dieu,
+pourvu qu'il n'y eût pas été poussé par mon infidélité, que le roi eût
+fait tomber ma tête avec celle de mon frère.--A-t-on fait partir des
+courriers pour l'Irlande?--Comment trouverons-nous de l'argent pour
+fournir à cette guerre?--Venez ma soeur.... Je voulais dire ma nièce;
+pardonnez-moi, je vous prie. (_Au serviteur._)--Va, mon garçon, va chez
+moi, procure-toi quelques chariots, et apporte les armes que tu
+trouveras.--Messieurs, voulez-vous aller rassembler des soldats?--Si je
+sais comment et par quelle voie mettre fin à ces affaires qu'on a jetées
+ainsi tout embrouillées dans mes mains, ne me croyez jamais.--Tous les
+deux sont mes parents.--L'un est mon souverain, que mon serment et mon
+devoir m'ordonnent de défendre; et l'autre est également mon parent, que
+le roi a injustement dépouillé, à qui ma conscience et les liens du sang
+m'ordonnent de faire justice.--Allons, il faut pourtant faire quelque
+chose.--Venez, ma nièce, je vais disposer de vous.--Vous, allez,
+rassemblez vos troupes, et venez me trouver sans délai au château de
+Berkley. Il serait nécessaire aussi que j'allasse à Plashy, mais le
+temps ne me le permet pas.--Tout est en désordre, tout est laissé sens
+dessus dessous[15].
+
+[Note 15: _..... Every thing is left at six and seven._]
+
+(York et la reine sortent.)
+
+BUSHY.--Les vents sont favorables pour porter des nouvelles en Irlande,
+mais aucune n'en arrive.--Quant à nous, lever une armée proportionnée à
+celle de l'ennemi, c'est ce qui nous est tout à fait impossible.
+
+GREEN.--D'ailleurs, de l'attachement qui nous unit étroitement au roi,
+il n'y a pas loin à la haine de ceux qui n'aiment pas le roi.
+
+BAGOT.--Oui, la haine de ces communes indécises; car leur affection loge
+dans leur bourse: quiconque la vide remplit d'autant leur coeur d'une
+haine mortelle.
+
+BUSHY.--Et c'est pourquoi le roi est généralement condamné.
+
+BAGOT.--Si le jugement dépend d'eux, nous le sommes aussi, nous qui
+avons toujours été près du roi.
+
+GREEN.--Eh bien, pour moi, je vais m'aller réfugier dans le château de
+Bristol; le comte de Wiltshire y est déjà.
+
+BUSHY.--Je m'y rendrai avec vous; car ces détestables communes ne feront
+pas grand'chose pour nous, si ce n'est de nous mettre tous en pièces
+comme des chiens.--Venez-vous avec nous?
+
+BAGOT.--Non: je me rends, en Irlande, auprès de Sa Majesté.--Adieu; si
+les pressentiments du coeur ne sont pas vains, nous voilà trois ici qui
+nous séparons pour ne jamais nous revoir.
+
+BUSHY.--Cela dépend du succès qu'aura York pour chasser Bolingbroke.
+
+GREEN.--Hélas! ce pauvre duc! il entreprend là une tâche.... C'est comme
+s'il voulait boire l'Océan jusqu'à la dernière goutte, ou compter ses
+grains de sable.--Pour un qui va combattre avec lui, il en désertera
+mille.
+
+BUSHY.--Adieu tout de suite pour cette fois, pour tous et pour toujours.
+
+GREEN.--Bon! nous pouvons nous retrouver encore.
+
+BAGOT.--Jamais, je le crains.
+
+
+
+
+SCÈNE III
+
+Les landes du comté de Glocester.
+
+_Entrent_ BOLINGBROKE et NORTHUMBERLAND _avec des troupes_.
+
+
+BOLINGBROKE.--Combien y a-t-il encore d'ici à Berkley, milord?
+
+NORTHUMBERLAND.--En vérité, noble seigneur, je suis absolument étranger
+dans le comté de Glocester. La hauteur de ces montagnes sauvages, la
+rudesse de ces chemins inégaux, allongent nos milles et augmentent la
+fatigue; et cependant l'agrément de votre conversation a été comme du
+sucre et a rendu ces mauvais chemins doux et délicieux. Mais je songe
+quelle fatigue éprouveront Ross; et Willoughby dans leur route de
+Ravensburg à Costwold, où ils n'auront pas votre compagnie qui, je vous
+le proteste, a tout à fait trompé pour moi l'ennui et la longueur du
+voyage. Mais le leur est adouci par l'espérance de jouir de l'avantage
+que je possède actuellement; et l'espérance du plaisir est, à peu de
+chose près, un plaisir égal à celui de la jouissance. Ce sentiment
+abrégera le chemin pour les deux seigneurs fatigués, comme l'a abrégé
+pour moi la jouissance présente de votre noble compagnie.
+
+BOLINGBROKE.--Ma compagnie vaut beaucoup moins que vos paroles
+obligeantes.--Mais qui vient à nous?....
+
+(Entre Henri Percy.)
+
+NORTHUMBERLAND.--C'est mon fils, le jeune Percy, envoyé par mon frère
+Worcester, de quelque lieu qu'il arrive.--Henri, comment se porte votre
+oncle?
+
+PERCY.--Je pensais, milord, que vous me donneriez de ses nouvelles.
+
+NORTHUMBERLAND.--Comment, n'est-il pas avec la reine?
+
+PERCY.--Non, mon bon seigneur, il a abandonné la cour, brisé les
+insignes de sa dignité, et dispersé la maison du roi.
+
+NORTHUMBERLAND.--Quelle a été sa raison? Il n'avait pas cette intention
+la dernière fois que nous nous sommes entretenus ensemble.
+
+PERCY.--C'est parce que Votre Seigneurie a été déclarée traître. Quant à
+lui, milord, il est allé à Ravensburg offrir ses services au duc
+d'Hereford; et il m'a envoyé par Berkley pour découvrir quelles étaient
+les forces que le duc d'York y avait rassemblées, avec ordre de me
+rendre ensuite à Ravensburg.
+
+NORTHUMBERLAND.--Eh bien, mon enfant, est-ce que vous avez oublié le duc
+d'Hereford?
+
+PERCY.--Non, mon bon seigneur, car je n'ai pu oublier ce que je n'ai
+jamais eu à me rappeler. Je ne sache pas l'avoir jamais vu de ma vie.
+
+NORTHUMBERLAND.--Eh bien, apprenez à le connaître aujourd'hui. Voilà le
+duc.
+
+PERCY.--Mon gracieux seigneur, je vous offre mes services tels qu'ils
+sont; je suis jeune, neuf et faible encore, mais les années, en me
+mûrissant, pourront rendre mes services plus utiles et plus dignes de
+votre approbation.
+
+BOLINGBROKE.--Je te remercie, aimable Percy; et sois certain que je
+regarde comme mon plus grand bonheur de posséder un coeur qui se
+souvient de ses bons amis. A mesure que ma fortune croîtra avec ton
+affection, elle deviendra la récompense de cette affection fidèle. Mon
+coeur fait ce traité, et ma main le scelle ainsi.
+
+NORTHUMBERLAND.--Quelle est la distance d'ici à Berkley, et quels sont
+les mouvements qu'y faits le bon vieux York avec ses hommes de guerre?
+
+PERCY.--Là-bas, près de cette touffe d'arbres, est la forteresse,
+défendue par trois cents hommes, à ce que j'ai ouï dire; et là sont
+renfermés les lords d'York, Berkley et Seymour. On n'y compte aucun
+autre homme de nom et distingué par sa noblesse.
+
+(Entrent Ross et Willoughby.)
+
+NORTHUMBERLAND.--Voici les lords de Ross et Willoughby: leurs éperons
+sont tout sanglants, et leur visage est enflammé de la course.
+
+BOLINGBROKE.--Soyez les bienvenus, milords: je sens bien que votre
+amitié s'attache aux pas d'un traître banni. Toute ma richesse se borne
+encore à des remercîments sans effets, qui, devenus plus riches, sauront
+récompenser votre amour et vos travaux.
+
+ROSS.--Très-noble seigneur, votre présence nous fait riches.
+
+WILLOUGHBY.--Et elle surpasse de beaucoup la fatigue que nous avons
+subie pour en jouir.
+
+BOLINGBROKE.--Recevez encore des remercîments, seul trésor du pauvre, le
+seul d'où je puisse tirer mes bienfaits, jusqu'à ce que ma fortune, au
+berceau, ait acquis des années.--Mais qui vient à nous?
+
+(Entre Berkley.)
+
+NORTHUMBERLAND.--C'est, si je ne le trompe, lord Berkley.
+
+BERKLEY.--Milord d'Hereford, c'est à vous que s'adresse mon message.
+
+BOLINGBROKE.--Milord, je ne réponds qu'au nom de Lancastre, et je suis
+venu chercher ce nom en Angleterre: il faut que je trouve ce titre dans
+votre bouche avant que je réponde à rien de ce que vous pourrez me dire.
+
+BERKLEY.--Ne vous méprenez pas sur mes paroles, milord: ce n'est pas mon
+intention d'effacer aucun de vos titres d'honneur.--Je viens vers vous,
+milord.... (ce que vous voudrez), de la part du très-glorieux régent de
+ce royaume, le duc d'York, pour savoir ce qui vous excite à profiter de
+l'absence du roi pour troubler la paix de notre pays avec des armes
+forgées dans son sein.
+
+(Entre York avec sa suite.)
+
+BOLINGBROKE, _à Berkley._--Je n'aurai pas besoin de transmettre par vous
+ma réponse: voilà Sa Seigneurie en personne. (_Il fléchit le
+genou._)--Mon noble oncle!
+
+YORK.--Que je voie s'abaisser devant moi ton coeur et non tes genoux,
+dont le respect est faux et trompeur.
+
+BOLINGBROKE.--Mon gracieux oncle!....
+
+YORK.--Cesse, cesse; ne me gratifie pas du titre de _grâce_, ni de celui
+d'_oncle_: je ne suis point l'oncle d'un traître, et ce titre de _grâce_
+a mauvaise grâce dans ta bouche sacrilège[16]. Pourquoi les pieds d'un
+banni, d'un proscrit, ont-ils osé toucher la poussière du sol
+d'Angleterre? mais surtout, pourquoi ont-ils osé traverser tant de
+milles sur son sein paisible, et effrayer ses pâles hameaux par
+l'appareil de la guerre et une ostentation de forces que je méprise?
+Viens-tu parce que le roi consacré n'est pas ici? Mais, jeune insensé,
+le roi est demeuré dans ma personne, son autorité a été remise à mon
+coeur loyal. Ah! si je possédais encore ma bouillante jeunesse, comme au
+temps où le brave Gaunt ton père, et moi, nous délivrâmes le Prince
+Noir, ce jeune Mars parmi les hommes, du milieu des rangs de tant de
+milliers de Français, oh! comme ce bras, que la paralysie retient
+captif, t'aurait bientôt puni et châtié de ta faute!
+
+[Note 16: _In an ungracious mouth, is but profane._ Il a fallu s'écarter
+un peu du sens littéral pour conserver le jeu de mots.]
+
+BOLINGBROKE.--Mon gracieux oncle, faites-moi connaître ma faute, et
+quelle en est la nature et la gravité.
+
+YORK.--Elle est de la nature la plus grave.--Une révolte ouverte et une
+trahison détestable! Tu es un homme banni, et tu reviens ici avant
+l'expiration du terme de ton exil, bravant ton souverain les armes à la
+main!
+
+BOLINGBROKE.--Quand je fus banni, j'étais Hereford banni, mais
+maintenant je reviens Lancastre: et mon digne oncle, j'en conjure Votre
+Grâce, examinez d'un oeil impartial les injures que j'ai souffertes.
+Vous êtes mon père, car il me semble qu'en vous je vois vivre encore le
+vieux Gaunt; ô vous donc, mon père, souffrirez-vous que je reste
+condamné au sort d'un vagabond errant, mes droits et mon royal héritage
+arrachés de mes mains par la violence et abandonnés à des prodigues
+parvenus? A quoi me sert donc ma naissance? Si le roi mon cousin est roi
+d'Angleterre, il faut bien m'accorder que je suis duc de Lancastre. Vous
+avez un fils, Aumerle, mon noble parent: si vous étiez mort le premier,
+et qu'il eût été foulé aux pieds comme moi, il aurait retrouvé dans son
+oncle Gaunt un père pour poursuivre l'injustice et la mettre aux abois.
+On me refuse le droit de poursuivre la mise en possession de mes biens,
+comme j'y suis autorisé par mes lettres patentes, tous les biens de mon
+père ont été saisis et vendus, et, comme tout le reste, mal employés!
+Que vouliez-vous que je fisse? Je suis un sujet, et je réclame la loi;
+on me refuse des fondés de pouvoir; je viens donc réclamer en personne
+l'héritage qui me revient par légitime descendance.
+
+NORTHUMBERLAND.--Le noble duc a été trop indignement traité.
+
+ROSS.--Il dépend de Votre Grâce de lui rendre justice.
+
+WILLOUGHBY.--Des hommes indignes se sont agrandis à ses dépens.
+
+YORK.--Messeigneurs d'Angleterre, laissez-moi vous parler.--J'ai
+ressenti les outrages faits à mon cousin, et j'ai fait tout ce que j'ai
+pu pour lui faire rendre justice: mais venir ainsi avec des armes
+menaçantes, en s'ouvrant soi-même un chemin l'épée à la main, en
+cherchant à reconquérir ses droits par l'injustice, cela ne se peut
+pas.--Et vous qui le soutenez dans cette conduite, vous favorisez la
+révolte et vous êtes tous des rebelles.
+
+NORTHUMBERLAND.--Le noble duc a fait serment qu'il ne revenait que pour
+revendiquer ce qui lui appartient: sa cause est si juste que nous avons
+tous solennellement juré de lui prêter notre secours, et que celui de
+nous qui violera son serment ne voie jamais la joie.
+
+YORK.--Allons, allons, je vois quelle sera l'issue de cet armement. Je
+n'y puis rien, il faut que je le confesse; mon pouvoir est faible, et
+tout m'a été laissé en mauvais état. Si je le pouvais, j'en jure par
+Celui qui m'a donné la vie, je vous ferais tous arrêter et vous
+obligerais à implorer la souveraine miséricorde du roi; mais, puisque je
+ne le puis, je vous déclare que je reste neutre; ainsi, adieu, à moins
+qu'il ne vous plaise d'entrer dans le château, et d'y prendre du repos
+cette nuit.
+
+BOLINGBROKE.--C'est une offre, mon oncle, que nous accepterons
+volontiers; mais il faut que nous persuadions à Votre Grâce de venir
+avec nous au château de Bristol, qu'on dit occupé par Bushy, Bagot et
+leurs complices, ces chenilles de l'État, que j'ai fait serment
+d'abattre et de détruire.
+
+YORK.--Il pourrait se faire que j'allasse avec vous. Mais non,
+cependant, j'y réfléchirai, car j'ai de la répugnance à enfreindre les
+lois de notre patrie. Vous n'êtes ni mes amis ni mes ennemis, mais vous
+êtes les bienvenus chez moi: je ne veux plus prendre souci de choses
+auxquelles on ne peut plus porter remède.
+
+
+
+
+SCÈNE IV[17]
+
+Un camp dans le pays de Galles.
+
+_Entrent_ SALISBURY et UN CAPITAINE.
+
+
+[Note 17: Johnson suppose que cette scène a été, par erreur de copiste,
+déplacée de son lieu naturel, et qu'elle devait, dans l'intention de
+Shakspeare, former la seconde scène du troisième acte, le second se
+terminant ainsi à la sortie de Bolingbroke pour aller à Bristol. Il a dû
+être déterminé dans son opinion par le lieu de cette scène, placée,
+comme troisième scène du troisième acte, dans le pays de Galles; en
+sorte qu'en conservant l'ancienne disposition, il faut passer deux fois
+et rapidement d'Angleterre dans le pays de Galles, et du pays de Galles
+en Angleterre. Mais c'est une considération à laquelle, en général,
+Shakspeare paraît attacher peu d'importance, et qui en a peu en effet
+dans le système qu'il a adopté; au lieu que, pour l'intérêt et la
+progression de la marche dramatique, l'une des parties qu'il a le plus
+soignées, cette scène de la désertion des Gallois doit nécessairement
+faire suite à la soumission du duc d'York, et terminer le second acte
+qui finit ainsi avec la puissance de Richard et l'anéantissement complet
+des forces sur lesquelles il avait compté. L'exécution de Green et de
+Bushy au commencement du troisième acte est le premier exercice de la
+puissance de Bolingbroke, destinée à aller dès ce moment toujours en
+croissant jusqu'à la fin de la pièce, mais qui s'annonce déjà tout
+entière dans cet acte de souveraineté. Elle perdrait ce caractère si la
+partie était encore incertaine, si l'on pouvait supposer qu'il reste
+encore à Richard les moyens de venger ses amis.]
+
+LE CAPITAINE.--Lord Salisbury, nous avons attendu dix jours, et nous
+avons eu bien de la peine à tenir nos compatriotes rassemblés; et
+cependant nous ne recevons aucune nouvelle du roi: en conséquence, nous
+allons nous disperser; adieu.
+
+SALISBURY.--Attends encore un jour, fidèle Gallois, le roi met toute sa
+confiance en toi.
+
+LE CAPITAINE.--On croit le roi mort. Nous ne resterons pas davantage:
+les lauriers dans nos campagnes se sont tous flétris; des météores
+viennent effrayer les étoiles fixes du firmament; la pâle lune jette sur
+la terre une lueur sanglante, et des prophètes au visage hâve annoncent
+tout bas, d'effrayants changements: les riches ont l'air triste, et les
+coquins dansent et sautent de joie, les uns dans la crainte de perdre ce
+qu'ils possèdent, les autres dans les espérances que leur offre la
+violence et la guerre. Ces signes présagent la mort ou la chute des
+rois.--Adieu: nos compatriotes sont partis et déjà loin, bien persuadés
+que leur roi Richard est mort.
+
+(Il sort.)
+
+SALISBURY.--Ah! Richard, c'est avec une douleur profonde que je vois ta
+gloire, comme une étoile filante, s'abîmer du firmament sur la misérable
+terre. Ton soleil descend en pleurant vers l'humble couchant, annonçant
+les orages, les maux et les troubles à venir. Tes amis ont fui et se
+sont joints à tes ennemis; et le cours de tous les événements te devient
+contraire.
+
+(Il sort.)
+
+FIN DU SECOND ACTE.
+
+
+
+
+ ACTE TROISIÈME
+
+
+
+
+SCÈNE I
+
+Le camp de Bolingbroke devant Bristol.
+
+_Entrent_ BOLINGBROKE, YORK, NORTHUMBERLAND, PERCY, ROSS.--_Derrière eux
+viennent des officiers conduisant_ WILLOUGHBY, BUSHY et GREEN
+_prisonniers_.
+
+
+BOLINGBROKE.--Faites approcher ces hommes.--Bushy et Green, je ne veux
+point tourmenter vos âmes (qui dans un instant vont être séparées de
+leurs corps) en vous représentant trop fortement les crimes de votre
+vie: cela serait manquer de charité. Cependant, pour laver mes mains de
+votre sang, je vais ici, à la face des hommes, exposer quelques-unes des
+causes de votre mort. Vous avez perverti un prince, un véritable roi, né
+d'un sang vertueux, d'une physionomie heureuse; vous l'avez dénaturé,
+vous l'avez entièrement défiguré. Vous avez en quelque sorte, par les
+heures choisies pour vos débauches[18], établi le divorce entre la reine
+et lui, et troublé la possession de la couche royale; vous avez flétri
+la beauté des joues d'une belle reine par les larmes qu'ont arrachées de
+ses yeux vos odieux outrages. Moi-même, que la fortune a fait naître
+prince, uni au roi par le sang, uni par l'affection avant que vous
+l'eussiez porté à mal interpréter mes actions, j'ai courbé la tête sous
+vos injustices; j'ai envoyé vers des nuages étrangers les soupirs d'un
+Anglais, mangeant le pain amer de l'exil; tandis que vous vous
+engraissiez sur mes seigneuries, que vous renversiez les clôtures de mes
+parcs, que vous abattiez les arbres de mes forêts, que vous enleviez de
+mes fenêtres les armoiries de ma famille, que vous effaciez partout mes
+devises, ne laissant plus, si ce n'est dans la mémoire des hommes et
+dans ma race vivante, aucun indice qui pût prouver au monde que je suis
+un gentilhomme. C'est là ce que vous avez fait, et bien plus encore,
+bien plus que le double de tout ceci; et c'est ce qui vous condamne à
+mort.--Voyez à ce qu'on les livre aux exécuteurs et à la main de la
+mort.
+
+[Note 18:
+
+ _You have in manner, with your sinful hours,
+ Made a divorce betwixt his queen and him,
+ Broke the possession of a royal bed._
+
+Ces vers ne paraissent pas précisément impliquer que ces favoris de
+Richard l'aient rendu infidèle à la reine, mais plutôt qu'ils l'ont
+entraîné dans des orgies de nuit. Rien d'ailleurs dans la pièce
+n'indique aucun tort de ce genre; Richard et sa femme sont au contraire
+représentés comme des époux très-unis, et même très-tendres.]
+
+BUSHY.--Le coup de la mort est mieux venu pour moi que ne l'est
+Bolingbroke pour l'Angleterre.--Milords, adieu.
+
+GREEN.--Ce qui me console, c'est que le ciel recevra nos âmes, et punira
+l'injustice des peines de l'enfer.
+
+BOLINGBROKE.--Lord Northumberland, veillez à leur exécution. (_Sortent
+Northumberland et plusieurs autres emmenant les prisonniers._)--Ne
+dites-vous pas, mon oncle, que la reine est dans votre château? Au nom
+du ciel, ayez soin qu'elle soit bien traitée: Dites-lui que je lui
+envoie l'assurance de mes sentiments affectueux; ayez bien soin qu'on
+lui transmette mes compliments.
+
+YORK.--J'ai dépêché un de mes gentilshommes, avec une lettre où je lui
+parle au long de votre affection pour elle.
+
+BOLINGBROKE.--Merci, mon bon, mon cher oncle.--Allons, milords, partons
+pour combattre Glendower et ses complices: encore quelque temps à
+l'ouvrage; puis après, congé.
+
+(Ils sortent.)
+
+
+
+
+SCÈNE II
+
+Les côtes du pays de Galles.--On aperçoit un château.
+
+_Fanfares, tambours et trompettes._--_Entrent_ LE ROI RICHARD, L'ÉVÊQUE
+DE CARLISLE, AUMERLE, _des soldats_.
+
+
+RICHARD.--N'est-ce pas Barkloughby que vous appelez ce château près
+duquel nous sommes?
+
+AUMERLE.--Oui, mon prince.--Comment Votre Majesté se trouve-t-elle de
+respirer l'air, après avoir été secouée dernièrement sur les flots
+agités?
+
+RICHARD.--Il doit nécessairement me plaire. Je pleure de joie de me
+retrouver encore une fois sur le sol de mon royaume.--Terre chérie, je
+te salue de ma main, quoique les rebelles te déchirent des fers de leurs
+chevaux. Comme une mère depuis longtemps séparée de son enfant se joue
+tendrement de ses larmes et sourit en le retrouvant, c'est ainsi que
+pleurant et souriant je te salue, ô mon pays, et te caresse de mes mains
+royales. Ma bonne terre, ne nourris pas l'ennemi de ton souverain! Ne
+répare pas, par tes douces productions, ses sens affamés! mais que tes
+araignées nourries de ton venin, tes crapauds à la marche lourde, se
+placent sur son chemin et blessent les pieds perfides qui te foulent de
+leurs pas usurpateurs. Ne cède à mes ennemis que des orties piquantes,
+et s'ils veulent cueillir une fleur sur ton sein, défends-la, je te
+prie, par un serpent caché, dont le double dard, par sa mortelle piqûre,
+lance le trépas sur les ennemis de ton souverain.--Ne riez point,
+milords, de me voir conjurer des êtres insensibles: cette terre prendra
+du sentiment, ces pierres se changeront en soldats armés, avant que
+celui qui naquit leur roi succombe sous les armes d'une odieuse
+rébellion.
+
+L'ÉVÊQUE DE CARLISLE.--Ne craignez rien, seigneur. Le pouvoir qui vous a
+fait roi est assez fort pour vous maintenir roi en dépit de tous. Il
+faut embrasser les moyens que le ciel présente, et ne pas les négliger:
+autrement, si ce que le ciel veut, nous refusons de le vouloir, c'est
+refuser les offres du ciel et les moyens qu'il nous présente pour nous
+secourir et pour nous sauver.
+
+AUMERLE.--Il veut dire, mon seigneur, que nous demeurons trop inactifs,
+tandis que Bolingbroke, par notre sécurité, s'agrandit et se fortifie en
+puissance et en amis.
+
+RICHARD.--Sinistre cousin, ne sais-tu pas que lorsque l'oeil vigilant
+des cieux se cache derrière le globe et descend éclairer le monde qui
+est sous nos pieds, alors les voleurs et les brigands errent ici
+invisibles et sanglants, semant le meurtre et l'outrage? Mais dès que,
+ressortant de dessous le globe terrestre, il enflamme à l'orient la cime
+orgueilleuse des pins et lance sa lumière jusque dans les plus
+criminelles cavités, alors les meurtres, les trahisons, tous les
+forfaits détestés, dépouillés du manteau de la nuit, restent nus et
+découverts, et épouvantés d'eux-mêmes. Ainsi, dès que ce brigand, ce
+traître Bolingbroke, qui, pendant tout ce temps, s'est donné carrière
+dans la nuit, tandis que nous étions errants aux antipodes, nous verra
+remonter à l'orient notre trône, ses trahisons feront rougir son visage;
+et, hors d'état de soutenir la vue du jour, effrayé de lui-même, il
+tremblera de son crime. Toutes les eaux de la mer orageuse ne peuvent
+enlever du front d'un roi le baume dont il a reçu l'onction; le souffle
+d'une voix mortelle ne saurait déposer le député élu par le Seigneur.
+Contre chacun des hommes que Bolingbroke a rassemblés pour lever un fer
+menaçant contre notre couronne d'or, le Dieu des armées paye au ciel
+pour son Richard un ange resplendissant; et où combattent les anges, il
+faut que les faibles mortels succombent, car le ciel défend toujours le
+droit. (_Entre Salisbury._)--Soyez le bienvenu, comte. A quelle distance
+sont vos troupes?
+
+SALISBURY.--Ni plus près ni plus loin, mon gracieux souverain, que n'est
+ce faible bras. Le découragement maîtrise ma voix, et ne me permet que
+des paroles désespérantes. Un jour de trop, mon noble seigneur, a, je le
+crains bien, obscurci tous les jours heureux sur la terre. Oh! rappelle
+le jour d'hier, ordonne au temps de revenir, et tu auras encore douze
+mille combattants, mais ce jour, ce jour, ce malheureux jour, ce jour de
+trop a fait disparaître ton bonheur, tes amis, ta fortune et ta
+grandeur: tous les Gallois, sur le bruit de ta mort, sont allés joindre
+Bolingbroke, ou se sont dispersés et enfuis.
+
+AUMERLE.--Prenez courage, mon souverain. Pourquoi Votre Seigneurie
+pâlit-elle ainsi?
+
+RICHARD.--Il n'y a qu'un moment que le sang de vingt mille hommes
+triomphait dans mon visage, et ils ont tous fui! jusqu'à ce qu'il me
+soit revenu autant de sang, n'ai-je pas des raisons d'être pâle et
+d'avoir l'air mort? Tous ceux qui cherchent leur sûreté abandonnent mon
+parti: le temps a fait une tache à mon éclat.
+
+AUMERLE.--Prenez courage, mon souverain, rappelez-vous qui vous êtes.
+
+RICHARD.--Je m'oubliais moi-même. Ne suis-je pas roi? Réveille-toi,
+indolente majesté. Tu dors! Le nom de roi ne vaut-il pas quarante mille
+noms? Arme-toi, arme-toi, mon nom! un vil sujet s'attaque à ta grande
+gloire!--Ne baissez point les yeux, vous, favoris d'un roi. Ne
+sommes-nous pas grands? Que nos pensées soient grandes! Je sais que mon
+oncle York a des forces suffisantes pour suffire à nos besoins--Mais qui
+vois-je s'avancer vers nous?
+
+(Entre Scroop.)
+
+SCROOP.--Puisse-t-il advenir à mon souverain plus de santé et de bonheur
+que ma voix, montée à la tristesse, ne saurait lui en annoncer!
+
+RICHARD.--Mon oreille est ouverte et mon coeur est préparé. Le pis que
+tu puisses m'apprendre est une perte temporelle. Dis, mon royaume est-il
+perdu? Eh bien! il faisait tout mon souci; et que perd-on à être délivré
+de soucis? Bolingbroke aspire-t-il à être aussi grand que nous? il ne
+sera jamais plus grand. S'il sert Dieu, nous le servirons aussi, et par
+là nous serons son égal. Nos sujets se révoltent-ils! Nous ne pouvons y
+remédier: ils violent leur foi envers Dieu comme envers nous. Crie-moi
+malheur, destruction, ruine, perte, décadence: le pis est la mort, et la
+mort aura son jour.
+
+SCROOP.--Je suis bien aise de voir Votre Majesté si bien armée pour
+supporter les nouvelles de l'adversité. Telle qu'un jour de tempête hors
+de saison qui amène les rivières argentées à submerger leurs rivages,
+comme si l'univers se fondait en pleurs, telle s'enfle au delà de toute
+limite la fureur de Bolingbroke, couvrant vos États consternés d'un
+acier dur et brillant, et de coeurs plus durs que l'acier. Les barbes
+blanches ont armé de casques leurs crânes minces et chauves contre ta
+majesté; les enfants s'efforcent de grossir leur voix féminine, et
+renferment, par haine de ta couronne, leurs membres de femme sous des
+armes roides et pesantes; ceux même qui sont chargés de prier pour toi
+apprennent à bander leurs arcs d'if doublement fatal[19] pour s'en
+servir contre ta puissance. Même, les femmes, quittant leur quenouille,
+brandissent contre ton trône des serpes rouillées. Les jeunes et les
+vieux se révoltent; tout va plus mal que je ne puis vous le dire.
+
+[Note 19: _..... Double-fatal yew._
+
+Doublement fatal par son bois propre à faire des arcs, et par les
+propriétés nuisibles de son feuillage.]
+
+RICHARD.--Tu ne m'as que trop bien, trop bien fait un si triste
+récit.--Où est le comte de Wiltshire? Où est Bagot? Qu'est devenu Bushy?
+Où est Green? Pourquoi ont-ils laissé ce dangereux ennemi mesurer ainsi
+nos frontières d'un pas tranquille?.... Si nous l'emportons, ils le
+payeront de leurs têtes.--Je vous garantis qu'ils ont fait leur paix
+avec Bolingbroke.
+
+SCROOP.--Il est vrai, seigneur, ils ont fait leur paix avec lui.
+
+RICHARD.--Traîtres! ah! vipères! damnés sans rédemption! chiens aisément
+amenés à ramper devant le premier venu! serpents réchauffés dans le sang
+de mon coeur, et qui me percent le coeur! trois Judas, chacun trois fois
+pire que Judas! Devaient-ils faire leur paix? Que pour ce crime le
+terrible enfer déclare la guerre à leurs âmes souillées!
+
+SCROOP.--La tendre amitié, je le vois, lorsqu'elle change de nature,
+produit la plus amère et la plus mortelle haine.--Révoquez vos
+malédictions sur leurs âmes: ils ont fait leur paix en donnant leurs
+têtes, et non leurs mains; ceux que vous maudissez ont reçu le coup le
+plus cruel que puisse frapper la mort, et gisent assez bas ensevelis
+dans le sein de la terre.
+
+AUMERLE.--Quoi! Bushy, Green et le comte de Wiltshire sont morts?
+
+SCROOP.--Oui, ils ont tous perdu la tête à Bristol.
+
+AUMERLE.--Où est le duc mon père avec ses troupes?
+
+RICHARD.--N'importe où il est.... Que personne ne me parle de
+consolation. Entretenons-nous de tombeaux, de vers, d'épitaphes; que la
+poussière soit notre papier, et que la pluie qui coule de nos yeux
+écrive notre douleur sur le sein de la terre; choisissons nos exécuteurs
+testamentaires, et parlons de testaments. Et cependant non; car que
+pourrions-nous léguer sinon nos corps dépouillés à la terre? Nos
+possessions, notre vie, tout appartient à Bolingbroke, et il n'est plus
+rien que nous puissions dire à nous que la mort, et ce petit moule, fait
+d'une terre stérile, qui couvre nos os, comme une pâte. Au nom du ciel,
+asseyons-nous par terre, et racontons les tristes histoires de la mort
+des rois; comment quelques-uns ont été déposés, quelques-uns tués à la
+guerre, d'autres hantés par les fantômes de ceux qu'ils avaient
+dépossédés, d'autres empoisonnés par leurs femmes, d'autres égorgés en
+dormant; tous assassinés! La Mort tient sa cour dans le creux de la
+couronne qui ceint le front mortel d'un roi: c'est là que siége sa
+grotesque figure se riant de la grandeur du souverain, insultant à sa
+pompe: elle lui accorde un souffle de vie, une courte scène pour jouer
+le monarque, être craint et tuer de ses regards, l'enivrant d'une vaine
+opinion de lui-même, comme si cette chair qui sert de rempart à notre
+vie était d'un bronze impénétrable! Et après s'être amusée un moment,
+elle en vient au dernier acte, et d'une petite épingle elle perce le mur
+du château.... et adieu le roi.--Couvrez vos têtes, et n'insultez pas
+par ces profonds hommages la chair et le sang; rejetez loin de vous le
+respect, les traditions, l'étiquette, les devoirs cérémonieux. Vous
+m'avez méconnu jusqu'à présent: je vis de pain, comme vous, je sens
+comme vous le besoin, je suis atteint par le chagrin; j'ai besoin
+d'amis. Ainsi assujetti, comment pouvez-vous me dire que suis un roi?
+
+L'ÉVÊQUE DE CARLISLE.--Seigneur, les hommes sages ne déplorent jamais
+les maux présents: ils emploient le présent à éviter d'en avoir d'autres
+à déplorer. Craindre votre ennemi, puisque la crainte accable la force,
+c'est donner par votre faiblesse des forces à votre ennemi; et par là
+votre folie combat contre vous-même.--Craignez et soyez tué!.... Il ne
+peut rien vous arriver de pis en combattant. Combattre et mourir, c'est
+la mort détruisant la mort; mourir en tremblant, c'est rendre lâchement
+à la mort le tribut de sa vie.
+
+AUMERLE.--Mon père a des troupes: informez-vous où il est; et d'un seul
+membre apprenez à faire un corps.
+
+RICHARD.--Tes reproches sont justes.--Superbe Bolingbroke, je viens pour
+échanger avec toi des coups dans ce jour qui doit nous juger. Cet accès
+de fièvre de terreur est tout à fait dissipé.--C'est une tâche aisée que
+de reprendre son bien.--Dis-moi, Scroop, où est notre oncle avec ses
+troupes? Homme, réponds-moi avec douceur, quoique tes regards soient
+sinistres.
+
+SCROOP.--On juge par la couleur du ciel de l'état et des dispositions de
+la journée: ainsi pouvez-vous juger, par mon air sombre et abattu, que
+ma langue n'a à vous faire qu'un rapport plus triste encore. Je joue ici
+le rôle d'un bourreau, en allongeant ainsi peu à peu ce qu'il y a de pis
+et qu'il faut bien dire.--Votre oncle York s'est joint à Bolingbroke;
+tous vos châteaux du nord se sont rendus, et toute votre noblesse du
+midi est en armes pour sa cause.
+
+RICHARD.--Tu en as dit assez. _(A Aumerle._)--Malédiction sur toi,
+cousin, qui m'as éloigné de la bonne voie où j'étais pour trouver le
+désespoir! Que dites-vous à présent? quelle ressource nous reste-t-il à
+présent? Par le ciel, je haïrai éternellement quiconque m'exhortera
+davantage à prendre courage. Allons au château de Flint; j'y veux mourir
+de ma douleur. Un roi vaincu par le malheur doit obéir au malheur, son
+roi. Congédiez les troupes qui me restent, et qu'elles aillent labourer
+la terre qui leur offre encore quelques espérances: pour moi, je n'en ai
+point.--Que personne ne me parle de changer mon dessein: tout conseil
+serait vain.
+
+AUMERLE.--Mon souverain, un mot.
+
+RICHARD.--Celui dont la langue me blesse par ses flatteries me fait un
+double mal.--Licenciez ma suite, qu'ils s'en aillent. Qu'ils fuient de
+la nuit de Richard vers le jour brillant de Bolingbroke.
+
+(Ils sortent.)
+
+
+
+
+SCÈNE III
+
+La scène est dans le pays de Galles, devant le château de Flint.
+
+_Entrent avec des tambours et des étendards_ BOLINGBROKE _et ses
+troupes_, YORK, NORTHUMBERLAND _et plusieurs autres_.
+
+
+BOLINGBROKE.--Ainsi nous apprenons par cet avis que les Gallois sont
+dispersés, et que Salisbury est allé rejoindre le roi, qui vient de
+débarquer sur cette côte avec quelques-uns de ses amis particuliers.
+
+NORTHUMBERLAND.--Voilà une bonne et agréable nouvelle, seigneur. Richard
+est venu cacher sa tête assez près d'ici.
+
+YORK.--Il serait convenable que lord Northumberland voulût bien dire _le
+roi Richard_.--Hélas! quel triste jour que celui où le souverain sacré
+est obligé de cacher sa tête!
+
+NORTHUMBERLAND.--Votre Grâce se méprend sur mes intentions: c'était pour
+abréger que j'avais omis le titre.
+
+YORK.--Il fut un temps où, si vous aviez abrégé ainsi à son égard, il
+eût aussi abrégé avec vous en vous raccourcissant, pour tant de licence,
+de toute la longueur de votre tête.
+
+BOLINGBROKE.--Mon oncle, ne prenez pas les choses plus mal que vous ne
+le devez.
+
+YORK.--Et vous, mon cher neveu, ne prenez pas plus qu'il ne vous
+appartient, de peur de vous méprendre: le ciel est au-dessus de votre
+tête.
+
+BOLINGBROKE.--Je le sais, mon oncle, et ne m'oppose point à ses
+volontés.--Mais qui s'avance vers nous? (_Entre Percy._)--C'est vous,
+Henri! Eh bien, est-ce que ce château ne se rendra point?
+
+PERCY.--Une force royale, milord, t'en défend l'entrée.
+
+BOLINGBROKE.--Comment, royale? Il ne renferme point de roi?
+
+PERCY.--Oui, milord, il renferme un roi: Le roi Richard est enfermé dans
+cette enceinte de ciment et de pierres; et avec lui sont lord Aumerle,
+lord Salisbury, sir Étienne Scroop, et de plus un ecclésiastique de
+sainte renommée: qui c'est, je n'ai pu le savoir.
+
+NORTHUMBERLAND.--Il y apparence que c'est l'évêque de Carlisle.
+
+BOLINGBROKE, _à Northumberland._--Noble seigneur, approchez-vous des
+rudes flancs de cet antique château; que l'airain de la trompette
+transmette à ses oreilles ruinées la demande d'une conférence, et portez
+au roi ce message: «Henri de Bolingbroke, à deux genoux, baise la main
+du roi Richard, et envoie à sa personne royale l'hommage de son
+allégeance et de la fidélité loyale de son coeur. Je viens ici mettre à
+ses pieds mes armes et mes forces, pourvu que mon bannissement soit
+annulé, et que mes domaines me soient restitués libres de toutes
+charges: sinon, j'userai de l'avantage de ma puissance, et j'abattrai la
+poussière de l'été par une pluie de sang versée par les blessures des
+Anglais égorgés. Mais il est bien loin du coeur de Bolingbroke de
+vouloir que cette tempête pourpre vienne arroser le sein frais et
+verdoyant du beau royaume du roi Richard, et c'est ce que lui prouvera
+assez mon humble soumission.»--Allez, faites-lui entendre ceci, tandis
+que nous, nous avancerons sur le tapis de gazon de cette plaine.
+(_Northumberland s'avance vers le château avec un trompette_.)--Marchons
+sans faire entendre le bruit menaçant des tambours, afin que du haut des
+murs en ruine de ce château on puisse bien entendre nos honorables
+offres.--Il me semble que le roi Richard et moi nous devons nous
+rencontrer d'une manière aussi terrible que les éléments du feu et de
+l'eau, lorsque leurs tonnerres se rencontrant déchirent de leur choc le
+front nébuleux du firmament. Qu'il soit le feu, je serai l'eau docile;
+que la rage soit de son côté, tandis que je répandrai la pluie de mes
+eaux sur la terre, sur la terre, non sur lui. Marchons en avant, et
+observons quelle sera la contenance du roi Richard.
+
+(La trompette sonne pour demander un pourparler, une autre trompette
+répond de l'intérieur de la forteresse.--Fanfare.--Richard paraît sur
+les remparts, suivi de l'évêque de Carlisle, d'Aumerle, de Scroop et de
+Salisbury.)
+
+YORK.--Voyez, voyez: le roi Richard paraît lui-même, semblable au soleil
+rougissant et mécontent, lorsque, sortant du portail enflammé de
+l'orient, il voit les nuages jaloux s'avancer pour ternir sa gloire et
+obscurcir le cours de son brillant passage vers l'occident. Il a
+pourtant encore l'air d'un roi. Voyez: son oeil, aussi brillant que
+celui de l'aigle, lance les éclairs de la majesté souveraine. Hélas!
+hélas! malheur à nous si quelque mal venait à ternir un si noble aspect!
+
+RICHARD, _à Northumberland._--Nous sommes surpris, et nous nous sommes
+si longtemps arrêté pour attendre que ton genou respectueux fléchît
+devant nous parce que nous croyons être ton légitime souverain. Si nous
+le sommes, comment tes articulations osent-elles oublier de nous rendre
+l'hommage solennel que tu dois à notre présence? Si nous ne le sommes
+pas, montre-nous comment la main de Dieu nous a dépossédé des fonctions
+dont il nous avait revêtu; car nous savons que nulle main d'os et de
+sang ne peut saisir la poignée sacrée de notre sceptre, sans le
+profaner, le voler, ou l'usurper; et dussiez-vous penser que tous mes
+sujets ont comme vous violemment séparé leurs coeurs de notre cause, et
+que nous sommes abandonné et dénué d'amis, sachez que mon maître, le
+Dieu tout-puissant, assemble dans ses nuages en notre faveur des armées
+de pestes qui frapperont vos enfants encore à naître, encore non
+engendrés, parce que vous avez levé vos mains vassales contre ma tête,
+et menacé la gloire de ma précieuse couronne. Dis à Bolingbroke (car je
+crois le voir là-bas) que chaque pas qu'il fait dans mes États est une
+dangereuse trahison. Il vient ouvrir le rouge testament de la guerre
+sanglante: mais avant que la couronne où visent ses regards repose en
+paix sur sa tête, les couronnes ensanglantées des crânes de dix mille
+fils de bonnes mères dépareront dans sa fleur la face de l'Angleterre,
+changeront la blancheur du teint virginal de sa Paix en une rougeur
+d'indignation, et humecteront l'herbe de ses pâturages du sang des
+fidèles Anglais.
+
+NORTHUMBERLAND.--Le roi des cieux nous préserve de voir le roi notre
+maître ainsi assailli par des armes à la fois concitoyennes et
+ennemies[20]! Ton trois fois noble cousin Henri Bolingbroke te baise
+humblement la main; et il jure par la tombe honorable qui recouvre les
+os de ton royal aïeul, par la royale noblesse de votre sang à tous deux,
+ruisseaux sortis d'une seule source très-précieuse, par le bras enseveli
+du belliqueux Gaunt, par sa propre valeur et son honneur personnel,
+serment qui comprend toutes les paroles et tous les serments, que son
+retour dans ce royaume n'a d'autre but que de réclamer son illustre
+héritage, et de te demander à genoux l'annulation immédiate de son arrêt
+d'exil. Dès qu'une fois Votre Majesté aura souscrit à sa demande, il
+abandonnera à la rouille ses armes brillantes, rendra ses chevaux armés
+en guerre à leurs écuries, et son coeur au fidèle service de Votre
+Majesté. Voilà ce qu'il jure, et, sur sa foi de prince, il promet de
+l'observer: et moi, j'en réponds comme gentilhomme.
+
+[Note 20: _Should so with civil and uncivil arms Be rush'd upon._
+
+Le jeu de mots entre _civil_ et _uncivil_ était impossible à reproduire
+dans le français, qui n'a pas conservé à _incivil_ son sens propre.]
+
+RICHARD.--Northumberland, dis-lui: «Voici la réponse du roi: Son noble
+cousin est le bienvenu ici, et toutes ses justes demandes seront
+satisfaites sans contradiction;» et dans les termes les plus gracieux
+que tu possèdes, parle à son affection de mes tendres sentiments. _(A
+Aumerle._)--Nous nous abaissons, cousin, n'est-il pas vrai, en montrant
+tant de faiblesse et en parlant avec tant de douceur? Rappellerons-nous
+Northumberland, et enverrons-nous un défi au traître, pour mourir ainsi?
+
+AUMERLE.--Non, mon bon maître; combattons avec de bonnes paroles jusqu'à
+ce que le temps nous prête des amis, et ces amis le secours de leurs
+épées.
+
+RICHARD.--O Dieu, ô Dieu! que ma bouche, qui a prononcé le terrible
+arrêt du bannissement contre cet homme hautain, le révoque aujourd'hui
+par des paroles si douces! Oh! que ne suis-je aussi grand que ma
+douleur, ou moins grand que mon nom! Que ne puis-je oublier ce que j'ai
+été, ou cesser de me rappeler ce que je suis à présent! Tu te gonfles,
+coeur superbe? Je te mettrai en liberté de battre, puisque mes ennemis
+ont la liberté de battre toi et moi.
+
+AUMERLE.--Voilà Northumberland que Bolingbroke renvoie.
+
+RICHARD.--Que doit faire le roi maintenant? Faut-il qu'il se soumette?
+le roi se soumettra. Faut-il qu'il soit déposé? le roi y consentira. Lui
+faut-il perdre le titre de roi? Au nom de Dieu, qu'on me l'ôte! Je
+changerai mes joyaux contre un chapelet, mes palais somptueux contre un
+ermitage, mes brillants vêtements contre la robe du mendiant, mes coupes
+ciselées pour un plat de bois, mon sceptre pour un bâton de pèlerin,
+tous mes sujets pour une couple de saints sculptés, et mon vaste royaume
+pour un petit tombeau, un petit, petit tombeau, un tombeau obscur! Ou
+peut-être serai-je enseveli sur quelque route royale, sur quelque chemin
+fréquenté où les pieds de mes sujets pourront à toute heure fouler la
+tête de leur souverain; car c'est mon coeur qu'ils foulent aux pieds,
+moi encore vivant; une fois enseveli, pourquoi ne fouleraient-ils pas ma
+tête?--Aumerle, tu pleures, mon cousin au coeur tendre! De nos larmes
+méprisées nous susciterons une tempête; elles et nos soupirs détruiront
+la moisson de l'été, et amèneront la famine dans cette terre révoltée;
+ou bien nous ferons-nous un jeu de nos maux, et prendrons-nous nos
+larmes pour le sujet de quelque joli pari, comme de les faire tomber sur
+un seul endroit jusqu'à ce qu'elles nous aient creusé deux tombeaux dans
+la terre, et que là, couchés tous deux, on y puisse graver: _Là gisent
+deux parents qui se sont creusé leur tombeau des larmes de leurs yeux?_
+Ce malheur n'aurait-il pas bonne grâce?--Allons, allons, je vois que je
+parle follement, et que tu te moques de moi--Très-puissant prince,
+milord Northumberland, que dit le roi Bolingbroke? Sa Majesté veut-elle
+permettre à Richard de vivre jusqu'à ce que Richard meure?--Vous saluez;
+c'est-à-dire que Bolingbroke dit _oui_.
+
+NORTHUMBERLAND.--Seigneur, il vous attend dans la cour basse pour
+conférer avec vous. Vous plaît-il de descendre?
+
+RICHARD.--Je descends! je descends comme le brillant Phaéton hors d'état
+de gouverner des coursiers indociles! (_Northumberland se retire vers
+Bolingbroke._) Dans la cour basse? c'est une cour basse que celle où les
+rois s'abaissent jusqu'à obéir à l'appel des traîtres, et à leur faire
+grâce! Dans la cour basse? Descendons! A bas, cour! à bas, roi! car les
+hiboux de la nuit font entendre leurs cris là où l'alouette devrait
+s'élever en chantant.
+
+(Le roi et les lords se retirent des remparts.)
+
+BOLINGBROKE, _à Northumberland._--Que dit Sa Majesté?
+
+NORTHUMBERLAND.--La tristesse et le chagrin de son coeur lui font dire
+des choses insensées comme un homme égaré. Cependant il vient.
+
+(Entrent Richard et sa suite.)
+
+BOLINGBROKE.--Tenez-vous tous à l'écart, et montrez un grand respect à
+Sa Majesté. (_Fléchissant un genou en terre._)--Mon gracieux
+souverain....
+
+RICHARD.--Beau cousin, vous abaissez votre genou de prince, en
+permettant à la vile terre l'orgueil de le baiser. J'aimerais mieux
+éprouver dans mon coeur l'effet de votre amitié que de sentir mes yeux
+blessés par vos respects. Levez-vous, cousin, levez-vous: votre coeur
+s'élève, je le sais, au moins à cette hauteur (_portant la main à sa
+tête_), bien que vos genoux s'abaissent.
+
+BOLINGBROKE.--Mon gracieux souverain, je ne viens que pour réclamer mes
+biens.
+
+RICHARD.--Vos biens sont à vous, et je suis à vous, et tout est à vous!
+
+BOLINGBROKE.--Soyez à moi, mon très-redouté souverain, autant que mes
+fidèles services mériteront votre affection.
+
+RICHARD.--Vous avez bien mérité.--Ils méritent de posséder ceux qui
+connaissent le moyen le plus sûr et le plus énergique d'obtenir.--Mon
+oncle, donnez-moi votre main: allons, séchez vos larmes. Les larmes
+prouvent l'amitié qui les excite, mais elles manquent du remède. (_A
+Bolingbroke._)--Cousin, je suis trop jeune pour être votre père, quoique
+vous soyez assez vieux pour être mon héritier. Ce que vous voulez avoir,
+je vous le donnerai, et même volontairement; car il faut faire de
+soi-même ce que la force nous contraint de faire.--Marchons vers
+Londres.--Le voulez-vous, cousin?
+
+BOLINGBROKE.--Oui, mon bon seigneur.
+
+RICHARD.--Alors je ne dois pas dire non.
+
+(Fanfares.--Ils sortent.)
+
+
+
+
+SCÈNE IV
+
+La scène est à Langley dans le jardin du duc d'York.
+
+_Entrent_ LA REINE et DEUX DE SES DAMES.
+
+
+LA REINE.--Quel jeu pourrions-nous imaginer dans ce jardin, pour écarter
+les accablantes pensées de mes soucis?
+
+UNE DES DAMES.--Madame, nous pourrions jouer aux boules.
+
+LA REINE.--Cela ferait songer que le monde est plein d'inégalités, et
+que ma fortune est détournée de sa route.
+
+LA DAME.--Madame, nous danserons.
+
+LA REINE.--Mes pieds ne peuvent danser en mesure avec plaisir lorsque
+mon pauvre coeur ne garde aucune mesure dans son chagrin: ainsi, mon
+enfant, point de danse; quelque autre jeu.
+
+LA DAME.--Eh bien, madame, nous conterons des histoires.
+
+LA REINE.--Tristes, ou joyeuses?
+
+LA DAME.--L'une ou l'autre, madame.
+
+LA REINE.--Ni l'une ni l'autre, ma fille: si elles me parlaient de joie,
+comme la joie me manque absolument, elles ne feraient que me rappeler
+davantage ma tristesse: si elles me parlaient de chagrin, comme le
+chagrin me possède complétement, elles ne feraient qu'ajouter plus de
+douleur encore à mon manque de joie. Je n'ai pas besoin de répéter ce
+que j'ai déjà; et ce qui me manque, il est inutile de s'en plaindre....
+
+LA DAME.--Madame, je chanterai.
+
+LA REINE.--Je suis bien aise que tu aies sujet de chanter; mais tu me
+plairais davantage si tu voulais pleurer.
+
+LA DAME.--Je pleurerais, madame, si cela pouvait vous faire du bien.
+
+LA REINE.--Je pleurerais aussi, moi, si cela pouvait me faire du bien,
+et je ne t'emprunterais pas une larme. Mais attends.--Voilà les
+jardiniers. (_Entrent un jardinier et deux garçons._) Enfonçons-nous
+sous l'ombrage de ces arbres: je gagerais ma misère contre une rangée
+d'épingles qu'ils vont parler de l'État, car tout le monde en parle dans
+le moment d'une révolution. Les malheurs ont toujours le malheur pour
+avant-coureur.
+
+(La reine et ses deux dames se retirent.)
+
+LE JARDINIER.--Va, rattache ces branches pendantes d'abricotier qui,
+comme des enfants indisciplinés, font ployer leur père sous l'oppression
+de leur poids surabondant; quelque appui aux rameaux qui se courbent. Et
+toi, va comme un exécuteur abattre la tête de ces jets trop prompts à
+croître, et qui s'élèvent trop orgueilleusement au-dessus de notre
+république. Tout doit être de niveau dans notre gouvernement. Tandis que
+vous y travaillerez, moi je vais arracher ces herbes sauvages et
+nuisibles qui dérobent sans profit aux fleurs utiles les sucs féconds de
+la terre.
+
+UN DES GARÇONS.--Pourquoi prétendrions-nous entretenir dans l'étendue de
+cette enceinte des lois, des formes, des proportions régulières, et
+montrer, comme un échantillon, un état solide, lorsque notre jardin,
+enclos par la mer, le pays entier est rempli de mauvaises herbes, que
+ses plus belles fleurs sont étouffées, que ses arbres fruitiers ne sont
+pas taillés; que ses clôtures sont ruinées, ses parterres en désordre,
+et ses plantes utiles dévorées par les chenilles?
+
+LE JARDINIER.--Sois tranquille: celui qui a souffert tout ce désordre du
+printemps est arrivé à la chute des feuilles; les mauvaises herbes qu'il
+abritait au loin de son vaste feuillage, et qui le dévoraient en
+paraissant l'appuyer, sont arrachées, racine et tout, par Bolingbroke;
+je veux dire, le comte de Wiltshire, Green et Bushy.
+
+LE GARÇON.--Comment? Est-ce qu'ils sont morts?
+
+LE JARDINIER.--Ils sont morts, et Bolingbroke a saisi le roi
+dissipateur. Oh! quelle pitié qu'il n'ait pas soigné et cultivé son
+royaume comme nous ce jardin! Nous, dans la saison, nous blessons
+l'écorce, la peau de nos arbres fruitiers, de crainte que, regorgeant de
+sève et de sang, ils ne périssent de l'excès de leurs richesses. S'il en
+eût usé de même avec les grands et les ambitieux, ils auraient pu vivre
+pour porter, et lui pour recueillir leurs fruits d'obéissance. Nous
+élaguons toutes les branches superflues pour conserver la vie aux
+rameaux féconds: s'il en eût agi ainsi, il porterait encore la couronne
+qu'en dissipant follement les heures il a fait complétement tomber de sa
+tête.
+
+LE GARÇON.--Quoi! vous croyez donc que le roi sera déposé?
+
+LE JARDINIER.--Il est déjà vaincu, et il y a toute apparence qu'il sera
+déposé. La nuit dernière il est venu des lettres à un ami intime du bon
+duc d'York qui annoncent de tristes nouvelles.
+
+LA REINE, _sortant du lieu où elle était cachée._--Oh! je suis suffoquée
+jusqu'à mourir de mon silence:--Toi, vieille figure d'Adam, établie pour
+soigner ces jardins, comment ta langue brutale ose-t-elle redire ces
+fâcheuses nouvelles? Quelle Ève, quel serpent t'a suggéré de renouveler
+ainsi la chute de l'homme maudit? Pourquoi dis-tu que le roi Richard est
+déposé? Oses-tu, toi qui ne vaux guère mieux que de la terre, présager
+sa chute? Dis-moi, où, quand et comment as-tu appris ces mauvaises
+nouvelles? Parle, misérable que tu es.
+
+LE JARDINIER.--Madame, pardonnez-moi; je n'ai guère de plaisir à répéter
+ces nouvelles, mais ce que je dis est la vérité. Le roi Richard est
+entre les mains puissantes de Bolingbroke; leurs fortunes à tous deux
+ont été pesées: dans le bassin de votre seigneur il n'y a que lui seul,
+et quelques frivolités qui le rendent léger; mais dans le bassin du
+grand Bolingbroke sont avec lui tous les pairs d'Angleterre, et avec ce
+surpoids il emporte le roi Richard. Rendez-vous à Londres, et vous
+trouverez les choses ainsi: je ne dis que ce que tout le monde sait.
+
+LA REINE.--Agile adversité, toi qui marches d'un pied si léger, n'est-ce
+pas à moi qu'appartenait ton message? Et je suis la dernière à en être
+informée? Oh! tu as soin de me servir la dernière afin que je conserve
+plus longtemps tes douleurs dans mon sein.--Venez, mes dames; allons
+trouver à Londres le roi de Londres dans l'infortune.--O ciel! étais-je
+née pour que ma tristesse embellît le triomphe du grand
+Bolingbroke?--Jardinier, pour m'avoir annoncé ces nouvelles de malheur,
+je voudrais que les plantes que tu greffes ne poussassent jamais.
+
+(Elle sort avec ses dames.)
+
+LE JARDINIER.--Pauvre reine? pour que ta situation n'empirât pas, je
+consentirais à ce que mes travaux subissent l'effet de ta
+malédiction.--Là, elle a laissé tomber une larme; je veux y planter une
+rue, l'amère herbe de grâce; la rue, qui exprime la compassion[21],
+croîtra bientôt ici en souvenir d'une reine qui pleurait.
+
+(Ils sortent.)
+
+[Note 21: _Rue, even for ruth._
+
+«_Rue_, qui veut dire la même chose que _ruth_.» _Ruth_ (compassion),
+vient en effet de _to rue_ (déplorer). On appelait la rue l'herbe de
+grâce, parce qu'elle servait d'aspersoir pour l'eau bénite.]
+
+FIN DU TROISIÈME ACTE.
+
+
+
+
+ ACTE QUATRIÈME
+
+
+
+
+SCÈNE I
+
+A Londres.--La salle de Westminster.
+
+_Les lords spirituels à la droite du trône, les lords temporels à la
+gauche, les communes au bas._
+
+_Entrent_ BOLINGBROKE, AUMERLE, NORTHUMBERLAND, PERCY, SURREY,
+FITZWATER, UN AUTRE LORD, L'ÉVÊQUE DE CARLISLE, L'ABBÉ DE WESTMINSTER,
+_suite;--viennent ensuite des officiers conduisant_ BAGOT.
+
+
+BOLINGBROKE.--Qu'on fasse avancer Bagot.--Allons, Bagot, parle librement
+et dis ce que tu sais de la mort du noble Glocester. Qui l'a tramée avec
+le roi, et qui a exécuté le sanglant office de sa mort prématurée?
+
+BAGOT.--Alors faites paraître devant moi le lord Aumerle.
+
+BOLINGBROKE.--Cousin, avancez, et regardez cet homme.
+
+BAGOT.--Lord Aumerle, je sais que votre langue hardie dédaigne de
+désavouer ce qu'elle a une fois prononcé. Dans ces temps d'oppression où
+l'on complota la mort de Glocester, je vous ai entendu dire: «Mon bras
+n'est-il pas assez long pour atteindre, du sein de la tranquille cour
+d'Angleterre jusqu'à Calais, la tête de mon oncle?» Parmi plusieurs
+autres propos que vous avez tenus dans ce temps-là même, je vous ai ouï
+dire que vous refuseriez l'offre de cent mille couronnes[22] plutôt que
+de consentir au retour en Angleterre de Bolingbroke; ajoutant encore que
+la mort de votre cousin serait un grand bonheur pour le pays.
+
+[Note 22: Monnaie d'or.]
+
+AUMERLE.--Princes, et vous, nobles seigneurs, quelle réponse dois-je
+faire à cet homme de rien? Faudra-t-il que je déshonore l'étoile
+illustre de ma naissance jusqu'à le châtier comme un égal? Il le faut
+cependant, ou consentir à voir mon honneur flétri par l'accusation de sa
+bouche calomnieuse.--Voilà mon gage, le sceau par lequel ma main te
+dévoue à la mort, et qui te marque pour l'enfer.--Je dis que tu en as
+menti; et je soutiendrai que ce que tu dis est faux, aux dépens du sang
+de ton coeur, bien qu'il soit trop vil pour que je dusse en ternir
+l'éclat de mon épée de chevalier.
+
+BOLINGBROKE.--Arrête; Bagot, je te défends de le relever.
+
+AUMERLE.--Hors un seul homme, je voudrais que ce fût le plus illustre de
+l'assemblée qui m'eût ainsi défié.
+
+FITZWATER.--Si ta valeur tient à la sympathie[23], voilà mon gage,
+Aumerle, que j'oppose au tien. Par ce beau soleil qui me montre où tu
+es, je t'ai entendu dire, et tu t'en faisais gloire, que tu étais la
+cause de la mort du noble Glocester. Si tu le nies, tu en as vingt fois
+menti; et avec la pointe de ma rapière je ferai rentrer ton mensonge
+dans le coeur où il a été forgé.
+
+[Note 23: _...... Stand on sympathies._]
+
+AUMERLE.--Lâche, tu n'oserais vivre assez pour voir cette journée.
+
+FITZWATER.--Par mon âme, je voudrais que ce fût à l'heure même.
+
+AUMERLE.--Fitzwater, tu viens de dévouer ton âme à l'enfer.
+
+PERCY.--Tu mens, Aumerle: son honneur est aussi pur dans ce défi qu'il
+est vrai que tu es déloyal; et pour preuve que tu l'es, je jette ici mon
+gage, prêt à le soutenir contre toi jusqu'à la dernière limite de la
+respiration. Relève-le si tu l'oses.
+
+AUMERLE.--Si je ne le relève pas, puissent mes mains se pourrir, et ne
+plus jamais brandir un fer vengeur sur le casque étincelant de mon
+ennemi.
+
+UN AUTRE LORD.--Je te défie de même sur le terrain, parjure Aumerle, et
+je te provoque par autant de démentis que j'en pourrais crier à tes
+oreilles perfides depuis un soleil jusqu'à l'autre. Voilà le gage de mon
+honneur; mets-le à l'épreuve si tu l'oses.
+
+AUMERLE.--Qui en est encore? Par le ciel, je répondrai à tous: j'ai dans
+un seul coeur mille courages pour faire tête à vingt mille comme vous.
+
+SURREY.--Lord Fitzwater, je me rappelle très-bien le jour où Aumerle et
+vous vous entretîntes ensemble.
+
+FITZWATER.--Il est vrai; milord, vous étiez présent, et vous pouvez
+témoigner comme moi que ce que je dis est vrai.
+
+SURREY.--Cela est aussi faux, par le ciel, que le ciel lui-même est
+sincère.
+
+FITZWATER.--Surrey, tu en as menti.
+
+SURREY.--Enfant sans honneur, ce démenti pèsera si lourdement sur mon
+épée, qu'il en sera tiré revanche et vengeance jusqu'à ce que toi qui
+m'as donné le démenti et ton démenti[24] gisiez vous la terre, aussi,
+tranquilles que le crâne de ton père; et pour preuve, voilà mon gage
+d'honneur: mets-le à l'épreuve.
+
+[Note 24: _That lie shall lie so heavy on my sword Till thou the lie
+giver and that lie do lie._
+
+Jeux de mots impossibles à rendre en français, même par des
+équivalents.]
+
+FITZWATER.--Comme tu te plais follement à exciter un cheval emporté! De
+même que j'ose manger, boire, respirer et vivre, j'oserai affronter
+Surrey dans un désert, et lui cracher au visage en lui disant qu'il en a
+menti, et qu'il a menti, et qu'il en a menti. Voilà qui engage ma foi à
+t'obliger de recevoir ma vigoureuse correction.--Comme j'espère
+prospérer dans ce monde nouveau pour moi, Aumerle est coupable de ce que
+lui reproche mon loyal défi; de plus, j'ai ouï dire au banni Norfolk,
+que c'est toi, Aumerle, qui as envoyé deux de tes gens à Calais pour
+assassiner le noble duc.
+
+AUMERLE.--Que quelque honnête chrétien me confie un gage pour prouver
+que Norfolk ment. Je jette ceci, dans le cas où Norfolk serait rappelé
+pour défendre son honneur.
+
+BOLINGBROKE.--Tous ces défis resteront en suspens jusqu'au retour de
+Norfolk: il sera rappelé; et quoiqu'il soit mon ennemi, il sera rétabli
+dans tous ses biens et seigneuries, et à son arrivée nous le forcerons
+de justifier son honneur contre Aumerle.
+
+L'ÉVÊQUE DE CARLISLE.--Jamais on ne verra ce jour honorable.--Norfolk,
+banni, a combattu bien des fois pour Jésus-Christ; il a porté dans les
+champs glorieux des chrétiens l'étendard de la croix chrétienne contre
+les noirs païens, les Turcs et les Sarrasins. Fatigué de travaux
+guerriers, il s'est retiré en Italie; et là, à Venise, il a rendu son
+corps à la terre de ces belles contrées, et son âme pure à Jésus-Christ
+son chef, sous les drapeaux duquel il avait combattu si longtemps.
+
+BOLINGBROKE.--Quoi, prélat, Norfolk est mort?
+
+L'ÉVÊQUE DE CARLISLE.--Aussi sûrement que je vis, milord.
+
+BOLINGBROKE.--Qu'une heureuse paix conduise sa belle âme dans le sein du
+bon vieil Abraham!--Seigneurs appelants, vos défis resteront tous en
+suspens jusqu'à ce que nous vous assignions le jour du combat.
+
+(Entre York avec sa suite.)
+
+YORK.--Puissant duc de Lancastre, je viens vers toi de la part de
+Richard, dépouillé de ses plumes, qui t'adopte d'un coeur satisfait pour
+son héritier, et met tes mains royales en possession de son auguste
+sceptre. Monte sur le trône que tu hérites aujourd'hui de lui, et vive
+Henri, le quatrième du nom!
+
+BOLINGBROKE.--C'est au nom de Dieu que je monte sur le trône royal.
+
+L'ÉVÊQUE DE CARLISLE.--Que Dieu vous en préserve!--Je parlerai mal en
+votre royale présence; mais c'est à moi qu'il convient le mieux de dire
+la vérité. Plût à Dieu qu'il y eût dans cette noble assemblée un homme
+assez noble pour être le juge impartial du noble Richard: alors la vraie
+noblesse lui apprendrait à éviter une injustice aussi odieuse! Quel
+sujet peut prononcer l'arrêt de son roi? et qui de ceux qui siégent ici
+n'est pas sujet de Richard? Les voleurs ne sont jamais jugés sans être
+entendus, quelque évidente que soit en eux l'apparence du crime; et
+l'image de la majesté de Dieu, son lieutenant, son fondé de pouvoirs,
+son député choisi, oint, couronné et maintenu sur le trône depuis tant
+d'années, sera jugé par des bouches sujettes et inférieures, et cela
+sans même être présent! O Dieu! ne permets pas que dans un pays
+chrétien, des âmes civilisées donnent l'exemple d'un attentat si odieux,
+si noir, si indécent! Je parle à des sujets, et c'est un sujet qui
+parle, animé par le ciel pour prendre hardiment la défense de son roi.
+Milord d'Hereford, qui est ici présent, et que vous appelez roi, est un
+insigne traître au roi du superbe Hereford: si vous le couronnez, je
+vous prédis que le sang anglais engraissera la terre, et que les
+générations futures payeront de leurs gémissements cet horrible forfait.
+La paix ira dormir chez les Turcs et les infidèles; et dans ce séjour de
+la paix, des guerres tumultueuses confondront les familles contre les
+familles, les parents contre les parents; le désordre, l'horreur, la
+crainte et la révolte habiteront parmi vous; et cette terre sera nommée
+le champ de Golgotha et la place des crânes des morts. Oh! si vous
+élevez cette maison contre cette maison, il en résultera les plus
+désastreuses divisions qui jamais aient désolé ce monde maudit. Empêchez
+cela, résistez; qu'il n'en soit pas ainsi, de peur que vos enfants et
+les enfants de vos enfants ne crient sur vous: Malédiction!
+
+NORTHUMBERLAND.--Vous avez parlé à merveille, monsieur; et pour votre
+peine, nous vous arrêtons ici comme coupable de haute trahison.--Lord
+Westminster, chargez-vous de veiller sur sa personne jusqu'au jour de
+son procès.--Vous plaît-il, milords, d'accorder aux communes leur
+requête?
+
+BOLINGBROKE.--Qu'on introduise ici Richard, afin qu'il abdique
+publiquement: alors nous procéderons à l'abri de tout soupçon.
+
+YORK.--Je vais me charger de l'amener.
+
+(Il sort.)
+
+BOLINGBROKE.--Vous, seigneurs, qui êtes ici arrêtés par nos ordres,
+donnez vos cautions de vous représenter au jour où vous serez sommés de
+répondre. (_A l'évêque de Carlisle:_)--Nous devons peu à votre affection
+pour nous, et nous comptions peu sur votre secours.
+
+(Rentre York avec le roi Richard et des officiers portant la couronne.)
+
+RICHARD.--Hélas! pourquoi m'oblige-t-on de me rendre aux ordres d'un roi
+avant que j'aie pu secouer encore les pensées royales qui ont accompagné
+mon règne! Je n'ai pu encore apprendre à insinuer, à flatter, à me
+courber, à fléchir le genou. Donnez au chagrin quelque temps pour
+m'instruire à la soumission.--Cependant, je n'ai point encore oublié la
+figure de ces hommes... Ne furent-ils pas à moi? ne m'ont-ils pas crié
+parfois: Salut? C'est ce que Judas fit à Jésus-Christ; mais lui, sur
+douze, il trouva la fidélité chez tous, sauf un seul; et moi, sur douze
+mille, je n'en trouve chez aucun.--Dieu sauve le roi!--Quoi! personne ne
+dira: _Amen?_ serai-je à la fois le prêtre et le clerc? Eh bien, _amen_,
+Dieu sauve le roi, quoique ce ne soit pas moi; et _amen_ encore si le
+ciel pense que c'est moi.--Pour rendre quel service m'amène-t-on ici?
+
+YORK.--Pour accomplir ce que de ta libre volonté ta grandeur fatiguée
+t'a porté à offrir, la cession de ta puissance et de la couronne à Henri
+Bolingbroke.
+
+RICHARD.--Donne-moi la couronne.--Cousin, la voilà; prends la couronne:
+ma main de ce côté-ci; la tienne de ce côté-là.--Maintenant cette
+couronne d'or ressemble à un puits profond... renfermant deux seaux qui
+se remplissent l'un l'autre, toujours le vide se balance dans l'air,
+tandis que l'autre est au bas, caché et plein d'eau: le seau d'en bas
+est rempli de larmes; c'est moi qui m'abreuve de ma douleur, tandis que
+vous vous élevez en haut.
+
+BOLINGBROKE.--J'avais cru que vous abdiquiez de bon gré.
+
+RICHARD.--Ma couronne, oui; mais mes chagrins me restent toujours. Vous
+pouvez me déposer de mes titres et de ma grandeur, mais non pas de mes
+chagrins; j'en suis toujours le roi.
+
+BOLINGBROKE.--Vous me donnez une partie de vos soucis avec votre
+couronne.
+
+RICHARD.--Vos soucis en croissant ne diminuent pas les miens: mes soucis
+viennent de la perte des soucis qui ont fait longtemps mon souci. Votre
+souci est le souci de gagner, causé par de nouveaux soucis. Les soucis
+que je vous cède, je les ai toujours après les avoir cédés: ils suivent
+la couronne; et cependant ils ne me quitteront point.
+
+BOLINGBROKE.--Êtes-vous satisfait de renoncer à la couronne?
+
+RICHARD.--Oui, non... non, oui[25]; car je ne dois être rien. Par
+conséquent, non, car je te résigne ce que je suis.--Maintenant, voyez
+comment je me dépouille moi-même. Je décharge ma tête de ce lourd
+fardeau, et mon bras de ce sceptre pesant; j'arrache de mon coeur
+l'orgueil du pouvoir royal; j'efface de mes larmes l'onction que j'ai
+reçue, je donne ma couronne de mes propres mains; j'abjure de ma propre
+bouche ma grandeur sacrée, et ma propre voix délie tous mes sujets de
+leurs serments d'obéissance; je renonce solennellement à toute pompe et
+à toute majesté; j'abandonne tous mes manoirs, domaines, revenus; je
+rétracte tous mes actes, décrets et statuts. Que Dieu pardonne tous les
+serments violés envers moi! Que Dieu conserve inviolables, tous les
+serments qu'on te fait! qu'il m'ôte tout regret, à moi qui ne possède
+plus rien; et qu'il te contente en tout, toi qui as tout acquis!
+Puisses-tu vivre longtemps assis sur le trône de Richard! Puisse Richard
+descendre bientôt dans le sein de la terre! Dieu conserve le roi Henri
+et qu'il lui envoie de longues années de jours radieux! Ainsi dit
+Richard, qui n'est plus roi. Que faut-il de plus?
+
+[Note 25: _Ay, no, no, ay, for I must nothing be._ Vous me demandez si
+je suis satisfait, comme je ne dois être rien, je ne puis être
+satisfait, c'est donc: oui et non, non et oui. _Ay, no. No, ay._]
+
+NORTHUMBERLAND _lui présente un écrit._--Rien que de lire vous-même ces
+accusations, ces crimes terribles commis par votre personne et par vos
+adhérents contre la gloire et les intérêts du pays, afin que, d'après
+vos aveux, les âmes des hommes puissent croire que vous êtes justement
+déposé.
+
+RICHARD.--Faut-il que je fasse cela, et faut-il que je démêle
+péniblement le tissu de mes égarements? Cher Northumberland, si tes
+fautes étaient écrites, ne serais-tu pas honteux d'en faire la lecture
+devant une si brillante assemblée? Si tu la faisais, tu y trouverais un
+article bien odieux... celui qui contiendrait la déposition d'un roi, et
+la violente lacération du puissant contrat des serments, crime marqué de
+noir et condamné dans le livre du ciel.--Et vous tous qui restez là à me
+regarder pris au piége par ma propre misère (bien que quelques-uns de
+vous, avec Pilate, en lavent leurs mains et affectent une pitié
+extérieure), tout Pilate que vous êtes, vous m'avez abandonné aux
+amertumes de ma croix, et l'eau ne saurait laver votre péché.
+
+NORTHUMBERLAND.--Seigneur, hâtez-vous: lisez ces articles.
+
+RICHARD.--Mes yeux sont pleins de larmes, je ne peux voir; et cependant
+l'eau salée ne les aveugle pas tant que je ne voie bien encore une
+troupe de traîtres ici. Eh quoi! si je tourne mes regards sur moi-même,
+j'y vois un traître comme les autres, car j'ai donné ici le consentement
+de ma volonté pour dépouiller la majestueuse personne d'un roi, avilir
+sa gloire, changer le souverain en esclave, faire de la majesté un
+sujet, et de la grandeur royale un paysan.
+
+NORTHUMBERLAND.--Seigneur!
+
+RICHARD.--Je ne suis pas ton seigneur, homme hautain et arrogant; je ne
+suis le seigneur de personne; je n'ai point de nom, point de titre, pas
+même le nom qui me fut donné sur les fonts baptismaux, qui ne soit
+usurpé.--O jour malheureux! que j'aie vu tant d'hivers, et que je ne
+sache de quel nom m'appeler aujourd'hui! Oh! que ne suis-je une figure
+de roi en neige exposé au soleil de Bolingbroke, pour me fondre en
+gouttes d'eau!--Bon roi... grand roi (et cependant non pas grandement
+bon), si ma parole vaut encore quelque chose en Angleterre, qu'à mon
+ordre on m'apporte sur-le-champ un miroir, afin qu'il me montre quel air
+a mon visage depuis qu'il a fait faillite de sa majesté royale.
+
+BOLINGBROKE.--Allez, quelqu'un; qu'on apporte un miroir.
+
+(Sort un homme de suite.)
+
+NORTHUMBERLAND.--Lisez cet écrit pendant qu'on va chercher le miroir.
+
+RICHARD.--Démon, tu me tourmentes avant que je sois en enfer.
+
+BOLINGBROKE.--Lord Northumberland, n'insistez plus.
+
+NORTHUMBERLAND.--Alors les communes ne seront pas satisfaites.
+
+RICHARD.--Elles seront satisfaites: j'en lirai assez lorsque je verrai
+le véritable livre où tous mes péchés sont inscrits; ce livre c'est
+moi-même. (_On apporte un miroir._)--Donnez-moi ce miroir; c'est là que
+je veux lire.--Quoi! ces rides ne sont pas plus profondes? Quoi! la
+douleur a frappé tant de coups sur ce visage, et n'y a pas fait des
+plaies plus profondes? O miroir flatteur, tu fais comme mes courtisans
+au temps de ma prospérité, tu me trompes! Est-ce là le visage de celui
+qui sous le toit de sa demeure entretenait chaque jour dix mille
+personnes? Est-ce là ce visage qui, comme le soleil, faisait cligner les
+yeux à ceux qui le contemplaient? Est-ce là le visage qui a soutenu tant
+de folie, et qui a été à la fin éclipsé par Bolingbroke? C'est une
+gloire fragile que celle qui brille sur ce visage, et ce visage est
+aussi fragile que la gloire (_il jette contre terre le miroir qui se
+brise_), car le voilà brisé en mille éclats.--Fais attention, roi
+silencieux, à la moralité de ce jeu.--Comme mon chagrin a vite détruit
+mon visage!
+
+BOLINGBROKE.--L'image de votre chagrin a détruit l'image de votre
+figure.
+
+RICHARD.--Répétez-moi cela: «l'image de votre chagrin?» Ah! voyons: oui,
+cela est vrai, mon chagrin est tout entier au dedans, et ces formes
+extérieures de deuil ne sont que des ombres du chagrin caché qui se
+gonfle en silence dans l'âme torturée. C'est là que vit le chagrin
+lui-même; et je te remercie, roi, de ta grande bonté, qui non-seulement
+me donne sujet de gémir, mais m'apprend de quelle manière je dois
+gémir.--Je ne vous demanderai plus qu'une grâce, et après je me retire;
+je ne vous importunerai plus: l'obtiendrai-je?
+
+BOLINGBROKE.--Nommez-la, beau cousin.
+
+RICHARD.--Beau cousin! Eh quoi! je suis plus grand qu'un roi; car,
+lorsque j'étais roi, je n'étais flatté que par des sujets; et maintenant
+que je ne suis plus qu'un sujet, j'ai ici un roi pour flatteur. Puisque
+je suis si grand, je n'ai pas besoin de demander de grâce.
+
+BOLINGBROKE.--Demandez toujours.
+
+RICHARD.--Et l'obtiendrai-je?
+
+BOLINGBROKE.--Vous l'obtiendrez.
+
+RICHARD.--Eh bien, donnez-moi la permission de m'en aller.
+
+BOLINGBROKE.--Où?
+
+RICHARD.--Où vous voudrez, pourvu que je sois loin de votre vue.
+
+BOLINGBROKE.--Allez, quelques-uns de vous: qu'on le conduise à la Tour.
+
+RICHARD.--Oh! vous êtes très-bons pour me conduire[26]; vous êtes tous
+des gens de conduite, vous qui savez si lestement vous élever sur la
+chute d'un roi légitime.
+
+(Sortent Richard, quelques-uns des lords et une garde.)
+
+[Note 26: _O good! convey, conveyors are you all._
+
+_Convey_, _conveyor_, signifie aussi escamoter, escamoteur. Il était
+impossible de donner un sens en français à cette plaisanterie en
+traduisant littéralement.]
+
+BOLINGBROKE.--C'est à mercredi prochain que nous fixons le jour de notre
+couronnement. Seigneurs, préparez-vous.
+
+(Tous sortent, excepté l'abbé de Westminster, l'évêque de Carlisle,
+Aumerle.)
+
+L'ABBÉ DE WESTMINSTER.--Nous avons vu là une triste cérémonie.
+
+L'ÉVÊQUE DE CARLISLE.--La tristesse est à venir: les enfants qui ne sont
+pas encore nés sentiront ce jour les déchirer comme une épine.
+
+AUMERLE.--Vous, saints ecclésiastiques, dites-nous, n'est-il point de
+moyen pour délivrer le royaume de cette pernicieuse souillure?
+
+L'ABBÉ DE WESTMINSTER.--Avant que je vous explique librement ma pensée,
+il faudra que vous vous engagiez par serment, non-seulement à tenir mes
+projets ensevelis, mais à exécuter tout ce que je pourrai imaginer.--Je
+vois que vos regards sont remplis de mécontentement, vos coeurs de
+chagrin, et vos yeux de larmes. Venez souper chez moi, et je préparerai
+un plan qui nous ramènera à tous des jours de bonheur.
+
+(Ils sortent.)
+
+FIN DU QUATRIÈME ACTE.
+
+
+
+
+ ACTE CINQUIÈME
+
+
+
+
+SCÈNE I
+
+Une des rues conduisant à la Tour.
+
+_Entrent_ LA REINE _et ses dames_.
+
+
+_LA REINE._--C'est par cette rue que le roi va passer: voilà le chemin
+de cette Tour qu'à la maleheure a bâtie Jules César[27], et dont le sein
+de pierre devient, par arrêt de l'orgueilleux Bolingbroke, la prison de
+mon seigneur condamné.--Reposons-nous ici, si cette terre rebelle a
+encore un lieu de repos pour la reine de son légitime souverain! (_Entre
+le roi Richard conduit par des gardes._) Mais paix; ah! que je voie...
+ou plutôt ne voyons pas se flétrir ma belle rose. Et cependant, levons
+les yeux, regardons-le, afin que la pitié nous dissolve en rosée pour
+lui rendre sa fraîcheur en l'arrosant des larmes du fidèle amour.--O
+toi, l'image des lieux où fut la vieille Troie, carte d'honneur, tombeau
+du roi Richard et non plus le roi Richard, toi la plus belle des
+demeures, pourquoi faut-il que le chagrin au sombre visage habite chez
+toi, tandis que le succès triomphant s'est logé dans un cabaret?
+
+[Note 27: La tradition en Angleterre attribue à César l'érection de la
+Tour de Londres.]
+
+RICHARD.--Femme charmante, ne te ligue pas avec ma douleur, je t'en
+prie, pour me faire mourir trop promptement. Apprends, bonne âme, à
+tenir notre ancienne fortune comme un songe heureux dont nous nous
+réveillons pour voir dans l'état où nous sommes réduits la vérité de ce
+que nous sommes. Me voilà, ma douce amie, devenu l'inséparable frère de
+la hideuse nécessité; elle et moi nous sommes liés jusqu'à la
+mort.--Retire-toi en France, et va te cloîtrer dans quelque maison
+religieuse: il faut qu'une sainte vie nous gagne dans un monde nouveau
+la couronne que nos heures profanes ont abattue ici.
+
+LA REINE.--Quoi! l'âme de mon Richard est-elle donc changée et affaiblie
+comme sa personne? Bolingbroke a-t-il aussi déposé ta raison? est-il
+entré dans ton coeur? Le lion mourant avance encore la griffe, et, dans
+la rage de se voir dompté, déchire la terre s'il ne peut atteindre autre
+chose; et toi, subiras-tu patiemment la correction comme un écolier?
+Baiseras-tu la verge? flatteras-tu avec une basse humilité la fureur de
+tes ennemis, toi qui es un lion et le roi des animaux?
+
+RICHARD.--Oui, roi des animaux: si j'avais gouverné autre chose que des
+animaux, je régnerais encore heureux sur les hommes.--Ma bien-aimée,
+autrefois reine, prépare-toi à partir pour la France; suppose que je
+suis mort, et qu'ici, dans cet instant; tu reçois de moi, comme de mon
+lit de mort, mon dernier adieu de vivant. Dans les ennuyeuses soirées de
+l'hiver, assise auprès d'un foyer avec quelques bons vieillards,
+fais-toi raconter les histoires des siècles malheureux passés depuis
+longtemps; et avant de leur souhaiter le bonsoir, pour acquitter ta part
+de douleurs, dis-leur ma lamentable chute, et renvoie tes auditeurs
+pleurants à leurs lits.--Eh quoi! aux tristes accents de ta voix
+touchante, les insensibles tisons eux-mêmes, émus de sympathie,
+éteindront le feu sous les larmes de leur compassion; et les uns sous
+leurs cendres, les autres, noirs comme le charbon, pleureront la
+déposition d'un roi légitime.
+
+(Entrent Northumberland et une suite.)
+
+NORTHUMBERLAND.--Seigneur, les intentions de Bolingbroke sont changées:
+c'est à Pomfret, et non à la Tour, qu'il faut vous rendre.--Et vous,
+madame, je suis aussi chargé d'ordres pour vous: il vous faut partir
+sans délai pour la France.
+
+RICHARD.--Northumberland, toi l'échelle au moyen de laquelle l'ambitieux
+Bolingbroke monte sur mon trône, le temps n'aura pas vieilli d'un grand
+nombre d'heures avant que ton odieux péché, se grossissant de sa propre
+matière, n'éclate en pourriture. Quand Bolingbroke partagerait son
+royaume et t'en donnerait la moitié, tu penseras que c'est trop peu pour
+l'avoir aidé à s'emparer du tout; et lui, il pensera que toi qui sais le
+moyen d'établir les rois illégitimes, tu sauras aussi, sous le moindre
+prétexte, trouver un autre moyen de le renverser la tête la première de
+son trône usurpé. L'attachement des amis pervers se convertit en
+défiance, la défiance en haine; et la haine conduit l'un, ou tous deux
+ensemble, à de justes périls et à une mort méritée.
+
+NORTHUMBERLAND.--Que mon crime retombe sur ma tête, et que tout finisse
+là. Faites-vous vos adieux et séparez-vous, car il faut vous quitter sur
+l'heure.
+
+RICHARD.--Accablé d'un double divorce! Méchants hommes, vous violez une
+double union; d'abord entre ma couronne et moi, et puis entre moi et la
+femme que j'ai épousée.--Délions par un baiser le serment qui subsiste
+entre toi et moi: et cependant cela ne se peut, car il fut consacré par
+un baiser[28].--Sépare-nous, Northumberland: moi pour aller vers le
+nord, où le froid transi et la maladie font languir le pays; ma femme
+pour aller en France, d'où elle est venue avec pompe et parée comme le
+doux mois de mai, et où elle est renvoyée comme la Toussaint, ou comme
+le jour le plus court.
+
+[Note 28: C'était alors l'usage de consacrer, à l'église même, l'union
+nuptiale par un baiser.]
+
+LA REINE.--Eh quoi! faut-il qu'on nous sépare? faut-il nous quitter?
+
+RICHARD.--Oui, ma bien-aimée, ta main de ma main, et ton coeur de mon
+coeur.
+
+LA REINE.--Bannissez-nous tous deux, et renvoyez le roi avec moi.
+
+NORTHUMBERLAND.--Il y aurait à cela quelque bonté, mais peu de
+politique.
+
+LA REINE.--Eh bien, là où il va, laissez-moi y aller aussi.
+
+RICHARD.--Pleurant ainsi tous deux ensemble, nous ne ferions qu'une
+seule douleur. Pleure pour moi en France, je pleurerai ici pour toi: il
+vaut mieux être loin l'un de l'autre, que réunis pour n'être jamais plus
+heureux[29]. Va, compte tes pas par tes soupirs, et moi les miens par
+mes gémissements.
+
+[Note 29: _Be never the near,_ n'avoir rien gagné, n'être jamais plus
+près de ce qu'on désire.]
+
+LA REINE.--Ainsi le chemin plus long fournira les plus longues plaintes.
+
+RICHARD.--Je pousserai deux gémissements à chaque pas puisque mon chemin
+est court, et je l'allongerai par le poids que j'ai sur le coeur.
+Allons, allons, ne faisons pas plus longtemps la cour à la douleur,
+puisqu'une fois qu'on l'a épousée la douleur dure si longtemps. Qu'un
+baiser nous ferme la bouche, et séparons-nous en silence. (_Ils
+s'embrassent._) Dans ce baiser je te donne mon coeur, et je prends le
+tien.
+
+LA REINE.--Rends-moi le mien: c'est un triste rôle que de prendre ton
+coeur pour le tuer. (_Ils s'embrassent encore une fois._) Maintenant que
+j'ai repris le mien, va-t'en; que je puisse m'efforcer de le tuer d'un
+seul gémissement.
+
+RICHARD.--Nous jouons avec le malheur dans ces tendres délais. Encore
+une fois, adieu: que la douleur dise le reste.
+
+(Ils sortent.)
+
+
+
+
+SCÈNE II
+
+La scène est toujours à Londres.--Un appartement dans le palais du duc
+d'York.
+
+_Entrent_ YORK et LA DUCHESSE D'YORK.
+
+
+LA DUCHESSE D'YORK.--Milord, vous m'aviez promis de m'achever le récit
+de l'entrée de nos deux cousins dans Londres, lorsque vos larmes vous
+ont forcé de l'interrompre.
+
+YORK.--Où en suis-je resté?
+
+LA DUCHESSE D'YORK.--A ce triste moment où des mains brutales et
+insolentes jetaient, du haut des fenêtres, de la poussière et des
+ordures sur la tête du roi Richard.
+
+YORK.--Alors, comme je vous l'ai dit, le duc, le grand Bolingbroke,
+monté sur un bouillant et fougueux coursier qui semblait connaître son
+ambitieux maître, poursuivait sa marche à pas lents et majestueux,
+tandis que toutes les voix criaient: «Dieu te garde, Bolingbroke!» Vous
+auriez cru que les fenêtres parlaient, tant s'y pressaient les figures
+de tout âge, jeunes et vieilles, pour lancer à travers les ouvertures
+d'avides regards sur le visage de Bolingbroke: on eût dit que toutes les
+murailles, chargées d'images peintes, répétaient à la fois: «Jésus te
+conserve! sois le bienvenu, Bolingbroke!» tandis que lui, se tournant de
+côté et d'autre, la tête découverte et courbée plus bas que le cou de
+son fier coursier, leur disait: «Je vous remercie, mes compatriotes.» Et
+faisant toujours ainsi, il continuait sa marche.
+
+LA DUCHESSE D'YORK.--Hélas! et le pauvre Richard, que faisait-il alors?
+
+YORK.--Comme dans un théâtre, lorsqu'un acteur favori vient de quitter
+la scène, les yeux des spectateurs se portent négligemment sur celui qui
+lui succède, tenant son bavardage pour ennuyeux; ainsi, et avec plus de
+mépris encore, les yeux du peuple s'arrêtaient d'un air d'aversion sur
+Richard. Pas un seul n'a crié: Dieu le sauve! Pas une voix joyeuse ne
+lui a souhaité la bienvenue; mais on répandait la poussière sur sa tête
+sacrée; et lui la secouait avec une tristesse si douce, une expression
+si combattue entre les pleurs et le sourire, gages de sa douleur et de
+sa patience; que si Dieu, pour quelque grand dessein, n'avait pas
+endurci les coeurs des hommes, ils auraient été forcés de s'attendrir,
+et la barbarie elle-même eût eu compassion de lui. Mais le ciel a mis la
+main à ces événements; tranquilles et satisfaits, nous nous soumettrons
+à sa haute volonté, Notre foi de sujet est maintenant jurée à
+Bolingbroke dont je reconnais pour toujours la puissance et les droits.
+
+(Entre Aumerle.)
+
+LA DUCHESSE D'YORK.--Voici mon fils Aumerle.
+
+YORK.--Il fut Aumerle jadis, mais il a perdu ce titre pour avoir été
+l'ami de Richard; et il faut désormais, madame, que vous l'appeliez
+Rutland. Je suis caution, devant le parlement, de sa fidélité et de sa
+ferme loyauté envers le nouveau roi.
+
+LA DUCHESSE D'YORK.--Sois le bienvenu, mon fils. Quelles sont les
+violettes parsemées maintenant sur le sein verdoyant du nouveau
+printemps?
+
+AUMERLE.--Madame, je l'ignore et ne m'en embarrasse guère. Dieu sait
+qu'il m'est indifférent d'en être ou de n'en pas être.
+
+YORK.--A la bonne heure; mais comportez-vous bien dans cette saison
+nouvelle, de peur d'être moissonné avant le temps de la maturité. Que
+dit-on d'Oxford? Les joutes et les fêtes continuent-elles?
+
+AUMERLE.--Oui, milord, à ce que j'ai ouï dire.
+
+YORK.--Vous y serez, je le sais.
+
+AUMERLE.--Si Dieu ne s'y oppose, c'est mon dessein.
+
+YORK.--Quel est ce sceau qui pend de ton sein[30]?--Eh quoi! tu pâlis?
+Laisse-moi voir cet écrit.
+
+[Note 30: L'usage était alors, comme on sait, d'apposer aux actes le
+sceau suspendu par une bande de parchemin.]
+
+AUMERLE.--Milord, ce n'est rien.
+
+YORK.--En ce cas, peu importe qu'on le voie. Je veux être satisfait:
+voyons cet écrit.
+
+AUMERLE.--Je conjure Votre Grâce de m'excuser: c'est un écrit de peu
+d'importance, que j'ai quelque raison de tenir caché.
+
+YORK.--Et moi, monsieur, que j'ai quelque raison de vouloir connaître.
+Je crains.... je crains....
+
+LA DUCHESSE D'YORK.--Eh! que pouvez-vous craindre? Ce ne peut être que
+quelque engagement qu'il aura contracté pour ses parures le jour du
+triomphe.
+
+YORK.--Quoi! un engagement avec lui-même? Comment aurait-il entre ses
+mains l'engagement qui le lie? Tu es folle, ma femme.--Jeune homme,
+fais-moi voir cet écrit.
+
+AUMERLE.--Je vous en conjure, excusez-moi: je ne puis le montrer.
+
+YORK.--Je veux être obéi; je veux le voir, te dis-je. (_Il lui arrache
+l'écrit et le lit._)--Trahison! noire trahison!--Déloyal! traître!
+misérable!
+
+LA DUCHESSE D'YORK.--Qu'est-ce que c'est, milord?
+
+YORK.--Holà! quelqu'un ici. _(Entre un serviteur._)--Qu'on selle mon
+cheval.--Le ciel lui fasse miséricorde!--Quelle trahison je découvre
+ici!
+
+LA DUCHESSE D'YORK.--Comment? qu'est-ce, milord?
+
+YORK.--Donnez-moi mes bottes, vous dis-je. Sellez mon cheval.--Oui, sur
+mon honneur, sur ma vie, sur ma foi, je vais dénoncer le scélérat!
+
+LA DUCHESSE D'YORK.--Qu'il y a-t-il donc?
+
+YORK.--Taisez-vous, folle que vous êtes.
+
+LA DUCHESSE D'YORK.--Je ne me tairai point.--De quoi s'agit-il, mon
+fils?
+
+AUMERLE.--Calmez-vous, ma bonne mère: de rien dont ne puisse répondre ma
+pauvre vie.
+
+LA DUCHESSE D'YORK.--Ta vie en répondre!
+
+(Entre un valet apportant des bottes.)
+
+YORK.--Donne-moi mes bottes. Je veux allez trouver le roi.
+
+LA DUCHESSE D'YORK.--Aumerle, frappe-le.--Pauvre enfant, tu es tout
+consterné. _(Au valet._)--Loin d'ici, malheureux! ne reparais jamais en
+ma présence.
+
+YORK.--Donne-moi mes bottes, te dis-je.
+
+LA DUCHESSE D'YORK.--Quoi donc, York, que veux-tu faire? Quoi! tu ne
+cacheras pas la faute de ton propre sang? Avons-nous d'autres fils?
+pouvons-nous en espérer d'autres? le temps n'a-t-il pas épuisé la
+fécondité de mon sein? Et tu veux enlever à ma vieillesse mon aimable
+fils, et me dépouiller de l'heureux titre de mère! Ne te ressemble-t-il
+pas? n'est-il pas à toi?
+
+YORK.--Femme faible et insensée, veux-tu donc celer cette noire
+conspiration? Ils sont là douze traîtres qui ont ici pris par serment et
+réciproquement signé l'engagement d'assassiner le roi à Oxford.
+
+LA DUCHESSE D'YORK.--Il n'en sera pas: nous le garderons ici; et alors
+comment pourra-t-il s'en mêler?
+
+YORK.--Laisse-moi, femme inconsidérée: fût-il vingt fois mon fils, je le
+dénoncerais.
+
+LA DUCHESSE D'YORK.--Ah! si tu avais poussé pour lui autant de
+gémissements que moi, tu serais plus pitoyable. Mais je sais maintenant
+ce que tu penses: tu soupçonnes que j'ai été infidèle à ta couche; et
+qu'il est un bâtard au lieu d'être ton fils. Ah! cher York, cher époux,
+n'aie pas cette pensée; il te ressemble autant qu'homme puisse
+ressembler à un autre; il ne me ressemble pas, ni à personne de ma
+famille, et pourtant je l'aime.
+
+YORK.--Laisse-moi passer, femme indisciplinée.
+
+(Il sort.)
+
+LA DUCHESSE D'YORK.--Va après lui, Aumerle: monte son cheval; pique,
+presse, arrive avant lui auprès du roi, et implore ta grâce avant qu'il
+t'accuse. Je ne tarderai pas à te suivre: quoique vieille, je ne doute
+pas que je ne puisse galoper aussi vite qu'York. Je ne me relèverai
+point de terre que Bolingbroke ne t'ait pardonné. Partons. Va-t'en.
+
+(Ils sortent.)
+
+
+
+
+SCÈNE III
+
+La scène est à Windsor.--Un appartement dans le château.
+
+_Entrent_ BOLINGBROKE _en roi_, PERCY _et autres seigneurs_.
+
+
+BOLINGBROKE.--Personne ne peut-il me donner des nouvelles de mon
+débauché de fils? Il y a trois mois entiers que je ne l'ai vu. S'il est
+quelque fléau dont le ciel nous menace, c'est lui. Plût à Dieu, milords,
+qu'on pût le découvrir! Faites chercher à Londres, dans toutes les
+tavernes; car on dit qu'il les hante journellement avec des compagnons
+sans moeurs et sans frein, de ceux-là mêmes, dit-on, qui se tiennent
+dans des ruelles étroites, où ils battent notre garde et volent les
+passants! Et lui, jeune étourdi, jeune efféminé, il se fait un point
+d'honneur de soutenir cette bande dissolue!
+
+PERCY.--Seigneur, il n'y a guère que deux jours que j'ai vu le prince,
+et je lui ai parle des tournois qui se tiennent à Oxford.
+
+BOLINGBROKE.--Et qu'a répondit ce galant?
+
+PERCY.--Sa réponse fut qu'il irait dans un mauvais lieu[31], qu'il
+arracherait à la plus vile des créatures qui s'y trouveraient un de ses
+gants, qu'il le porterait comme une faveur, et qu'avec ce gage il
+désarçonnerait le plus robuste agresseur.
+
+[Note 31: _..... Unto the stews._]
+
+BOLINGBROKE.--Aussi dissolu que téméraire: et cependant, au travers de
+tout cela, j'entrevois quelques étincelles d'espérance qu'un âge plus
+mûr pourra peut-être développer heureusement.--Mais qui vient à nous?
+
+(Entre Aumerle.)
+
+AUMERLE.--Où est le roi?
+
+BOLINGBROKE.--Que veut dire notre cousin avec cet air de trouble et
+d'effroi?
+
+AUMERLE.--Que Dieu garde Votre Grâce! Je conjure Votre Majesté de
+m'accorder un moment d'entretien, seul avec Votre Grâce.
+
+BOLINGBROKE, _aux lords._--Retirez-vous, et laissez-nous seuls ici.
+(_Percy et les lords se retirent._)--Que nous veut maintenant notre
+cousin?
+
+AUMERLE, _s'agenouillant._--Que mes genoux restent pour toujours
+attachés à la terre, et ma langue fixée dans ma bouche à mon palais, si
+vous ne me pardonnez avant que je me relève ou que je parle.
+
+BOLINGBROKE.--La faute n'est-elle que dans l'intention, ou déjà commise?
+Dans le premier cas, quelque odieuse qu'elle puisse être, pour gagner
+ton amitié à l'avenir, je te pardonne.
+
+AUMERLE.--Permettez-moi donc de tourner la clef, afin que personne
+n'entre jusqu'à ce que je vous aie tout dit.
+
+BOLINGBROKE.--Fais ce que tu voudras.
+
+(Aumerle ferme la porte.)
+
+YORK, _en dehors._--Prends garde, mon souverain; veille à ta sûreté; tu
+as un traître en ta présence.
+
+BOLINGBROKE, _tirant son épée._--Scélérat! je vais m'assurer de toi.
+
+AUMERLE.--Retiens ta main vengeresse; tu n'as aucun sujet de craindre.
+
+YORK, _en dehors._--Ouvre la porte; prends garde, roi follement
+téméraire. Ne pourrai-je, au nom de mon attachement, accuser devant toi
+la trahison? Ouvre la porte, ou je vais la briser.
+
+(Bolingbroke ouvre la porte.)
+
+(Entre York.)
+
+BOLINGBROKE.--Qu'y a-t-il, mon oncle? parlez. Reprenez haleine;
+dites-nous si le danger presse, afin que nous nous armions pour le
+repousser.
+
+YORK.--Parcours cet écrit, et tu connaîtras la trahison que ma course
+rapide m'empêche de te développer.
+
+AUMERLE.--Souviens-toi, en lisant, de ta parole donnée. Je suis
+repentant: ne lis plus mon nom dans cette liste; mon coeur n'est point
+complice de ma main.
+
+YORK.--Traître, il l'était avant que ta main eût signé.--Roi, je l'ai
+arraché du sein de ce traître: c'est la crainte et non l'amour qui
+engendre son repentir. Oublie ta pitié pour lui, de peur que ta pitié ne
+devienne un serpent qui te percera le coeur.
+
+BOLINGBROKE.--O conspiration odieuse, menaçante et audacieuse! O père
+loyal d'un fils perfide! O toi, source argentée, pure et immaculée, d'où
+ce ruisseau a pris son cours à travers des passages fangeux qui l'ont
+sali; comme le surcroît de ta bonté s'est en lui changé en méchanceté,
+de même cette bonté surabondante excusera la faute mortelle de ton
+coupable fils.
+
+YORK.--Ainsi ma vertu servira d'entremetteur à ses vices[32]; il
+dépensera mon honneur à réparer sa honte, comme ces fils prodigues qui
+dépensent l'or amassé par leurs pères. Pour que mon honneur vive, il
+faut que son déshonneur périsse; ou bien son déshonneur va couvrir ma
+vie d'infamie. Tu me tues en lui permettant de vivre: si tu lui laisses
+le jour, le traître vit et tu mets à mort le sujet fidèle.
+
+[Note 32: _So shall my virtue be his vice's bawd._]
+
+LA DUCHESSE D'YORK, _en dehors_.--De grâce, mon souverain, pour l'amour
+de Dieu, laisse-moi entrer.
+
+BOLINGBROKE.--Quelle suppliante à la voix grêle pousse ces cris
+empressés?
+
+LA DUCHESSE D'YORK.--Une femme, ta tante, grand roi. C'est moi,
+écoute-moi, aie pitié de moi; ouvre la porte: c'est une mendiante qui
+mendie sans avoir jamais mendié[33], moi qui ne demandai jamais.
+
+[Note 33: _A beggar begs, that never begg'd before._
+
+C'est sur ce mot _beggar_ que porte la plaisanterie de Bolingbroke.
+
+ _Our scene is alter'd from a serious thing,
+ And now chang'd to the Beggar and the king._
+
+_The beggar_ était, comme on l'a déjà fait voir dans les notes de _Roméo
+et Juliette_, une ballade alors très-connue.]
+
+BOLINGBROKE.--Voilà notre scène changée: nous passons d'une chose
+sérieuse à _la mendiante avec le roi_.--Mon dangereux cousin, faites
+entrer votre mère: je vois bien qu'elle vient intercéder pour votre
+odieux forfait.
+
+YORK.--Si tu lui pardonnes, qui que ce soit qui te prie, ce pardon
+pourra faire germer d'autres crimes. Retranche ce membre corrompu, et
+tous les autres restent sains. Si tu l'épargnes, il corrompra tout le
+reste.
+
+(Entre la duchesse d'York.)
+
+LA DUCHESSE D'YORK.--O roi! ne crois pas cet homme au coeur dur: celui
+qui ne s'aime pas lui-même ne peut aimer personne.
+
+YORK.--Femme extravagante, que fais-tu ici? Ton sein flétri veut-il une
+seconde fois nourrir un traître?
+
+LA DUCHESSE D'YORK.--Cher York, calmez-vous.--Mon gracieux souverain,
+écoutez-moi.
+
+(Elle se met à genoux.)
+
+BOLINGBROKE.--Levez-vous, ma bonne tante.
+
+LA DUCHESSE D'YORK.--Non, pas encore, je t'en conjure: je resterai
+prosternée sur mes genoux, et jamais je ne reverrai le jour que voient
+les heureux, que tu ne m'aies rendue à la joie, que tu ne m'aies dit de
+me réjouir en pardonnant à Rutland, à mon coupable enfant.
+
+AUMERLE, _se mettant à genoux._--Et moi je courbe les genoux pour m'unir
+aux prières de ma mère.
+
+YORK, _se mettant à genoux._--Et moi je courbe mes genoux fidèles pour
+prier contre tous les deux. Si tu accordes la moindre grâce, puisse-t-il
+t'en mal arriver!
+
+LA DUCHESSE D'YORK.--Ah! croyez-vous qu'il parle sérieusement? Voyez son
+visage: ses yeux ne versent point de larmes, sa prière n'est qu'un jeu,
+ses paroles ne viennent que de sa bouche, les nôtres viennent du coeur:
+il ne vous prie que faiblement, et désire qu'on le refuse; mais nous,
+nous vous prions du coeur, de l'âme, de tout le reste: ses genoux
+fatigués se lèveraient avec joie, je le sais; et les nôtres resteront
+agenouillés jusqu'à ce qu'ils s'unissent à terre. Ses prières sont
+remplies d'une menteuse hypocrisie; les nôtres sont pleines d'un vrai
+zèle et d'une intégrité profonde. Nos prières surpassent les siennes:
+qu'elles obtiennent donc cette miséricorde due aux prières véritables.
+
+BOLINGBROKE.--Ma bonne tante, levez-vous.
+
+LA DUCHESSE D'YORK.--Ne me dis point _levez-vous_, mais d'abord _je
+pardonne_; et tu diras ensuite _levez-vous_. Ah! si j'avais été ta
+nourrice et chargée de t'apprendre à parler, _je pardonne_ eut été pour
+toi le premier mot de la langue. Jamais je n'ai tant désiré entendre un
+mot. Roi, dis: _Je pardonne_; que la pitié t'enseigne à le prononcer. Le
+mot est court, mais moins court qu'il n'est doux: il n'en est point qui
+convienne mieux à la bouche des rois que: _je pardonne_.
+
+YORK.--Parle-leur français, roi; dis-leur: _Pardonnez-moi_[34].
+
+[Note 34: _Speak in French, king; say_--pardonnez-moi.
+
+Shakspeare en veut beaucoup au _pardonnez-moi_. Il paraît que de son
+temps l'usage continuel et abusif de cette expression était le signe
+caractéristique de l'affectation des manières françaises. Mais la
+plaisanterie est ici d'autant plus mal placée, que cette manière de
+s'excuser n'a rien de particulier au français: _pardon me_ est
+continuellement employé dans ce même sens par Shakspeare, pas plus loin
+que dans la scène précédente, où Aumerle refuse de donner à son père le
+papier qu'il lui demande.]
+
+LA DUCHESSE D'YORK.--Dois-tu enseigner au pardon à détruire le pardon?
+Ah! mon cruel mari, mon seigneur au coeur dur qui emploie ce mot contre
+lui-même, prononce le pardon commun qui est d'usage dans notre pays;
+nous ne comprenons pas ce jargon français. Tes yeux commencent à parler;
+que ta langue s'y joigne, ou bien place ton oreille dans ton coeur
+compatissant, afin qu'il entende le son pénétrant de nos plaintes et de
+nos prières, et que la pitié t'excite à proférer le pardon.
+
+BOLINGBROKE.--Ma bonne tante, levez-vous.
+
+LA DUCHESSE D'YORK.--Je ne demande point à me relever: la grâce que je
+sollicite, c'est que tu pardonnes.
+
+BOLINGBROKE.--Je lui pardonne, comme je désire que Dieu me pardonne.
+
+LA DUCHESSE D'YORK.--O heureuse victoire d'un genou suppliant! Et
+pourtant je suis malade de crainte; répète-le: prononcer deux fois le
+pardon, ce n'est pas pardonner deux fois, mais c'est fortifier un
+pardon.
+
+BOLINGBROKE.--Je lui pardonne de tout mon coeur.
+
+LA DUCHESSE D'YORK.--Tu es un dieu sur la terre.
+
+BOLINGBROKE.--Mais pour notre loyal beau-frère et l'abbé, et tout le
+reste de cette bande de conspirateurs, la destruction va leur courir sur
+les talons.--Mon bon oncle, chargez-vous d'envoyer plusieurs
+détachements à Oxford, ou en quelque autre lieu que se trouvent ces
+traîtres: ils ne demeureront pas en ce monde, je le jure; mais je les
+aurai si je sais une fois où ils sont. Mon oncle, adieu.--Et vous aussi,
+cousin, adieu. Votre mère a su prier pour vous; devenez fidèle.
+
+LA DUCHESSE D'YORK.--Viens, mon vieux fils, je prie Dieu de faire de toi
+un nouvel homme.
+
+(Ils sortent.)
+
+
+
+
+SCÈNE IV
+
+_Entrent_ EXTON et UN SERVITEUR.
+
+
+EXTON.--N'as-tu pas remarqué ce que le roi a dit? «N'ai-je point un ami
+qui me délivre de cette crainte toujours vivante?» N'est-ce pas cela?
+
+LE SERVITEUR.--Ce sont ses propres paroles.
+
+EXTON.--«N'ai-je point un ami?» a-t-il dit. Il l'a répété deux fois, et
+les deux fois il a répété les deux choses ensemble, n'est-il pas vrai?
+
+LE SERVITEUR.--Il est vrai.
+
+EXTON.--Et en disant ces mots, il me regardait fixement, comme s'il
+voulait dire: «Je voudrais bien que tu fusses l'homme capable de
+délivrer mon âme de cette terreur,» voulant dire le roi qui est à
+Pomfret.--Viens, allons-y: je suis l'ami du roi, et je le débarrasserai
+de son ennemi.
+
+(Ils sortent.)
+
+
+
+
+SCÈNE V
+
+Pomfret.--La prison du château.
+
+
+RICHARD _seul._
+
+Je me suis occupé à étudier comment je pourrais comparer cette prison,
+où je vis, avec le monde; mais comme le monde est peuplé d'hommes, et
+qu'ici il n'y a pas une créature excepté moi, je ne puis y
+réussir.--Cependant il faut que j'en vienne à bout. Ma cervelle
+deviendra la femelle de mon âme; mon âme sera le père: à eux deux ils
+engendreront une génération d'idées sans cesse productives, et toutes
+ces idées peupleront ce petit monde, et le peupleront d'inconséquences,
+comme en est peuplé l'univers; car il n'est point de pensée qui se
+satisfasse. Dans la meilleure espèce de toutes, les pensées des choses
+divines, il se rencontre des embarras, et elles mettent la parole en
+opposition avec la parole; comme: _venez à moi, petits; et ailleurs: il
+est aussi difficile de venir qu'il l'est à un chameau d'enfiler l'entrée
+du trou d'une aiguille_[35]. Les pensées ambitieuses cherchent à
+combiner des prodiges invraisemblables, comme de parvenir, avec ces
+mauvais petits clous, à ouvrir un passage à travers les flancs pierreux
+de ce monde si dur, des murs rocailleux de ma prison; et comme elles ne
+peuvent réussir, elles meurent de leur propre orgueil. Les pensées qui
+s'attachent au contentement flattent l'homme de cette considération
+qu'il n'est pas le premier esclave de la fortune, et qu'il ne sera pas
+le dernier; comme ces misérables mendiants qui, assis dans les ceps,
+cherchent pour refuge contre la honte la pensée que d'autres s'y sont
+assis, et que bien d'autres encore s'y assiéront, et trouvent dans cette
+pensée une espèce d'aisance, portant ainsi leur opprobre sur le dos de
+ceux qui avant eux en ont subi un semblable. De cette manière je
+représente à moi seul bien des personnages dont aucun n'est content.
+Quelquefois je suis le roi; et alors la trahison me fait souhaiter
+d'être un mendiant, et je me fais mendiant. Mais alors l'accablante
+indigence me persuade que j'étais mieux quand j'étais roi, et je
+redeviens roi. Mais peu à peu je viens à songer que je suis détrôné par
+Bolingbroke, et aussitôt je ne suis plus rien. Mais, quoi que je sois,
+ni moi, ni aucun homme, n'étant qu'un homme, ne sera jamais satisfait de
+rien, jusqu'à ce qu'il soit soulagé en n'étant plus rien. (_On entend de
+la musique._)--Est-ce de la musique que j'entends?--La, la.... en
+mesure.--Que la musique la plus mélodieuse est désagréable dès que la
+mesure est rompue et que les temps ne sont pas observés! C'est la même
+chose dans la musique de la vie humaine. Moi dont l'oreille est assez
+délicate pour reprendre une fausse mesure dans un instrument mal
+conduit, je n'ai pas eu assez d'oreille pour m'apercevoir que la mesure
+qui devait entretenir l'accord entre ma puissance et mon temps était
+rompue: j'abusais du temps, et à présent le temps abuse de moi, car il a
+fait de moi l'horloge qui marque les heures: mes pensées sont les
+minutes, et avec des soupirs elles frappent l'heure devant mes yeux,
+montre extérieure à laquelle mon doigt, comme l'aiguille d'un cadran,
+pointe toujours en essuyant leurs larmes: et maintenant, monsieur, le
+son qui m'apprend quelle heure il est n'est autre que celui de mes
+bruyants gémissements lorsqu'ils frappent sur mon coeur, qui est la
+cloche. Ainsi, les soupirs, les larmes et les gémissements marquent les
+minutes, les temps et les heures: mais mon temps s'enfuit rapidement
+dans la joie orgueilleuse de Bolingbroke; tandis que je suis debout ici
+comme un insensé, son jacquemard d'horloge[36].--Cette musique me rend
+furieux; qu'elle cesse. Si quelquefois elle rappela des fous à la
+raison, il me semble qu'en moi elle la ferait perdre à l'homme sage; et
+cependant béni soit le coeur qui m'en fait don! car c'est une marque
+d'amitié; et de l'amitié pour Richard est un étrange joyau dans ce
+monde, où tous me haïssent.
+
+[Note 35: C'est ainsi qu'est rendu ce passage dans les anciennes
+versions des livres saints. Les versions modernes lisant [Greek:
+chamilos] au lieu de [Greek: chamêlos] disent un _câble_ au lieu d'_un
+chameau_, ce qui paraît beaucoup plus vraisemblable.]
+
+[Note 36: _Jack of the clock._ Jacquemard, espèce de figure en bois
+placée encore sur certaines anciennes horloges pour indiquer les
+heures.]
+
+(Entre un valet d'écurie.)
+
+LE VALET.--Salut, royal prince.
+
+RICHARD.--Je te remercie, mon noble pair; le meilleur marché de nous
+deux est de dix sous[37] trop cher.--Qui es-tu? et comment es-tu entré
+ici, où n'entre jamais personne que ce mauvais chien qui m'apporte ma
+nourriture pour prolonger la vie du malheur?
+
+[Note 37: _Ten groats._ Le _groat_ vaut quatre _pence_, c'est-à-dire
+huit sous; ainsi, _ten groats_ donneraient une valeur de _quatre
+francs_. Mais comme _groat_ est aussi le mot dont on se sert pour
+exprimer une chose de peu de valeur, une extrêmement petite somme; à peu
+près comme nous employons le mot _liard_, on a cru conserver mieux
+l'esprit de cette phrase en traduisant _ten groats_ par _dix sous_,
+qu'en exprimant leur valeur réelle.]
+
+LE VALET.--J'étais un pauvre valet de tes écuries, roi, lorsque tu étais
+roi; et voyageant vers York, j'ai, avec beaucoup de peine, obtenu à la
+fin la permission de revoir le visage de celui qui fut autrefois mon
+maître. Oh! comme mon coeur a été navré lorsque j'ai vu dans les rues de
+Londres, le jour du couronnement, Bolingbroke monté sur ton cheval rouan
+Barbary, ce cheval que tu as monté si souvent, ce cheval que je pansais
+avec tant de soin!
+
+RICHARD.--Il montait Barbary! Dis-moi, mon ami, comment allait-il sous
+lui?
+
+LE VALET.--Avec tant de fierté qu'il semblait dédaigner la terre.
+
+RICHARD.--Si fier de porter Bolingbroke! Et cette rosse mangeait du pain
+dans ma main royale, et il était fier quand il sentait ma main le
+caresser! Ne devait-il pas broncher? ne devait-il pas tomber (puisqu'il
+faut que l'orgueil tombe tôt ou tard) et rompre le cou à l'orgueilleux
+qui usurpait ma place sur son dos?--Pardonne-moi, mon cheval; pourquoi
+te ferais-je des reproches, puisque tu as été créé pour être soumis à
+l'homme, et que tu es né pour porter? Moi, qui n'ai pas été créé cheval,
+je porte mon fardeau comme un âne blessé de l'éperon et harassé par les
+caprices de Bolingbroke.
+
+(Entre le geôlier avec un plat.)
+
+LE GEOLIER, _au valet._--Allons, videz les lieux; il n'y a pas à rester
+ici plus longtemps.
+
+RICHARD.--Si tu m'aimes, il est temps que tu te retires.
+
+LE VALET.--Ce que ma langue n'ose exprimer, mon coeur vous le dit.
+
+(Il sort.)
+
+LE GEOLIER.--Seigneur, vous plaît-il de commencer?
+
+RICHARD.--Goûte le premier, suivant ta coutume.
+
+LE GEOLIER.--Seigneur, je n'ose: sir Pierce d'Exton, qui vient d'arriver
+de la part du roi, me commande le contraire.
+
+RICHARD.--Le diable emporte Henri de Lancastre et toi! La patience est
+usée, et j'en suis las.
+
+(Il frappe le geôlier.)
+
+LE GEOLIER.--Au secours, au secours, au secours!
+
+(Entrent Exton et plusieurs serviteurs armés.)
+
+RICHARD.--Qu'est-ce que c'est? à qui en veut la mort dans cette brusque
+attaqué?--Scélérat! (_Il arrache à un soldat l'arme qu'il porte et le
+tue._) Ta propre main me cède l'instrument de ta mort.--Et toi, va
+remplir une autre place dans les enfers. (_Il en tue encore un
+autre._--_Alors Exton le frappe et le renverse._) La main sacrilège qui
+me poignarde brûlera dans des flammes qui ne s'éteindront
+jamais.--Exton, ta main féroce a souillé du sang de ton roi le royaume
+du roi.--Monte, monte, mon âme, ton trône est là-haut; tandis que ce
+corps charnel tombe sur la terre pour y mourir.
+
+(Il meurt.)
+
+EXTON.--Il était aussi plein de valeur que de sang royal: j'ai répandu
+l'un et l'autre.--Oh! plût au ciel que cette action fût innocente! Le
+démon, qui m'avait dit que je faisais bien, me dit à présent que cette
+action est inscrite dans l'enfer. Je veux aller porter ce roi mort au
+roi vivant.--Qu'on emporte les autres, et qu'on leur donne ici la
+sépulture.
+
+(Ils sortent.)
+
+
+
+
+SCÈNE VI
+
+Windsor.--Un appartement dans le château.
+
+_Fanfares._--_Entrent_ BOLINGBROKE et YORK, _avec d'autres lords;
+suite._
+
+
+_BOLINGBROKE._--Mon cher oncle York, les dernières nouvelles que nous
+avons reçues sont que les rebelles ont brûlé notre ville de Chichester,
+dans le comté de Glocester; mais on ne nous dit pas s'ils ont été pris
+ou tués. (_Entre Northumberland._)--Soyez-le bienvenu, milord. Quelles
+nouvelles?
+
+NORTHUMBERLAND.--D'abord, je souhaite toute sorte de bonheur à Votre
+Majesté sacrée; ensuite les autres nouvelles sont, que j'ai envoyé à
+Londres la tête de Salisbury, de Spencer, de Blunt et de Kent. Vous
+trouverez dans cet écrit tous les détails sur la manière dont ils ont
+été pris.
+
+(Il lui présente l'écrit.)
+
+BOLINGBROKE, _après avoir lu._--Nous te remercions, mon bon Percy, de
+tes services; et nous ajouterons à ton mérite des récompenses dignes de
+toi.
+
+(Entre Fitzwater.)
+
+FITZWATER.--Seigneur, je viens d'envoyer d'Oxford à Londres les têtes de
+Brocas et de sir Bennet Seely, deux de ces dangereux et perfides
+conspirateurs qui cherchaient à Oxford ta funeste perte.
+
+BOLINGBROKE.--Ces services, Fitzwater, ne seront pas oubliés. Ton mérite
+est grand, je le sais bien.
+
+(Entre Percy amenant l'évêque de Carlisle.)
+
+PERCY.--Le grand conspirateur, l'abbé de Westminster, accablé par sa
+conscience et par une noire mélancolie, a cédé son corps au tombeau.
+Mais voici l'évêque de Carlisle vivant, pour subir ton royal arrêt et la
+sentence due à son orgueil.
+
+BOLINGBROKE.--Carlisle, voici votre arrêt:--Choisis quelque asile
+solitaire, plus grave que celui que tu occupes, et conserves-y la vie:
+si tu y vis tranquille, tu y mourras libre de toute persécution. Tu fus
+toujours mon ennemi, mais j'ai vu en toi de nobles étincelles d'honneur.
+
+(Entre Exton suivi d'hommes portant un cercueil.)
+
+EXTON.--Grand roi! dans ce cercueil je t'offre tes craintes ensevelies.
+Ici gît sans vie le plus redoutable de tes plus grands ennemis, Richard
+de Bordeaux, apporté ici par moi.
+
+BOLINGBROKE.--Exton, je ne te remercie pas.--Ta main fatale a commis une
+action qui retombera sur ma tête et sur cet illustre pays.
+
+EXTON.--C'est d'après vos propres paroles, seigneur, que j'ai fait cette
+action.
+
+BOLINGBROKE.--Ceux qui ont besoin du poison n'aiment pas pour cela le
+poison; et je ne t'aime pas non plus. Bien que je l'aie souhaité mort,
+je hais l'assassin tout en l'aimant assassiné. Prends pour ta peine les
+remords de ta conscience; mais n'espère ni une bonne parole, ni la
+faveur de ton prince. Va, comme Caïn, errer dans les ombres de la nuit,
+et ne montre jamais ta tête au jour, ni à la lumière.--Seigneurs, je
+proteste que mon âme est pleine de tristesse, qu'il faille ainsi
+m'arroser de sang pour me faire prospérer. Venez gémir avec moi sur ce
+que je déplore, et qu'on prenne à l'instant un deuil profond.--Je ferai
+un voyage à la terre sainte pour laver de ce sang ma main coupable.
+Suivez-moi à pas lents, et honorez ma tristesse en accompagnant de vos
+pleurs cette bière remplie avant le temps.
+
+(Ils sortent.)
+
+FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE.
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of La vie et la mort du roi Richard II, by
+William Shakespeare
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK RICHARD II ***
+
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+works. See paragraph 1.E below.
+
+1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
+collection are in the public domain in the United States. If an
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+The Project Gutenberg EBook of La vie et la mort du roi Richard II, by
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+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
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+Title: La vie et la mort du roi Richard II
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+Author: William Shakespeare
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+Translator: François Pierre Guillaume Guizot
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+Release Date: May 2, 2007 [EBook #21277]
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+Language: French
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+Character set encoding: ISO-8859-1
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+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK RICHARD II ***
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+Produced by Paul Murray, Rénald Lévesque and the Online
+Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This
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+<pre>
+ Note du transcripteur.
+
+ ===========================================================
+ Ce document est tiré de:
+
+
+ OEUVRES COMPLÈTES DE
+ SHAKSPEARE
+
+ TRADUCTION DE
+ M. GUIZOT
+
+ NOUVELLE ÉDITION ENTIÈREMENT REVUE
+ AVEC UNE ÉTUDE SUR SHAKSPEARE
+ DES NOTICES SUR CHAQUE PIÈCE ET DES NOTES
+
+ Volume 6
+ Le marchand de Venise--Les joyeuses Bourgeoises de
+ Windsor--Le roi Jean--<b>La vie et la mort du roi Richard II</b>,
+ Henri IV (1re partie).
+
+ PARIS
+ A LA LIBRAIRIE ACADÉMIQUE
+ DIDIER ET Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS
+ 35, QUAI DES AUGUSTINS
+ 1863
+
+
+ ==========================================================
+</pre>
+
+
+
+<h1>LA VIE ET LA MORT<br>
+DU<br>
+ROI RICHARD II</h1>
+
+<h4>TRAGÉDIE</h4>
+
+<h3>NOTICE<br>
+SUR<br>
+LA VIE ET LA MORT DU ROI RICHARD II</h3>
+
+
+<p>A mesure que Shakspeare avance vers les temps modernes de l'histoire de
+son pays, les chroniques sur lesquelles il s'appuie concourent plus
+exactement avec l'histoire véritable; et déjà, dans <i>la Vie et la Mort
+de Richard II</i>, les détails que lui fournit Hollinshed s'écartent peu
+des données historiques parvenues jusqu'à nous avec une certaine
+authenticité. A l'exception du personnage de la reine, pure invention du
+poëte, et abstraction faite du désordre que met dans la chronologie la
+négligence de Shakspeare à conserver aux événements leurs distances
+respectives, les faits contenus dans cette tragédie ne diffèrent en rien
+des récits historiques, si ce n'est sur le genre de mort qu'on fit subir
+à Richard. Hollinshed, qui a copié d'autres chroniqueurs, à donné à
+Shakspeare la relation qu'il a suivie; mais l'opinion la plus
+vraisemblable, et qui s'accorde le mieux avec le soin qu'on eut
+d'exposer publiquement Richard après sa mort, c'est qu'on le fit mourir
+de faim. Cette attention à sauver du moins les apparences matérielles du
+crime dont on s'inquiétait peu d'éviter le soupçon, commençait à
+s'introduire dans la féroce politique du temps; et Richard lui-même
+avait fait étouffer entre des matelas le duc de Glocester qu'il tenait
+prisonnier à Calais, publiant ensuite qu'il était mort d'une attaque
+d'apoplexie. Outre le penchant de Shakspeare à suivre fidèlement le
+guide historique qu'il avait une fois adopté, cette version lui
+permettait de conserver au caractère de Bolingbroke l'intérêt qu'il a
+répandu sur lui dans les les deux parties de <i>Henri IV</i>. Le choix entre
+différentes versions est d'ailleurs le droit le moins contesté et le
+moins contestable des auteurs dramatiques.</p>
+
+<p>La tragédie de <i>Richard II</i> est donc, généralement parlant, assez
+conforme à l'histoire; et la manière dont le poëte a représenté la
+déposition de Richard et l'avénement au trône de Henri de Lancastre
+paraît singulièrement d'accord avec ce que dit Hume au sujet de cet
+avénement: «Il (Henri IV) devint roi, sans que personne pût dire comment
+ni pourquoi.» Mais il faut être, comme l'était Hume, tout à fait
+étranger au spectacle des révolutions, pour être embarrassé à dire
+comment et pourquoi le duc de Lancastre, après avoir agi quelque temps
+au nom du roi qu'il tenait prisonnier, se mit sans aucune peine à sa
+place. Shakspeare n'a pas cru nécessaire de l'expliquer: Richard est
+parti de Flintcastle avec le nom de roi à la suite de Bolingbroke; nous
+le revoyons signant sa propre déposition. Le poëte ne nous indique en
+aucune manière ce qui s'est passé; mais pour ne pas deviner comment
+s'est accomplie la chute de Richard, il faudrait que nous eussions bien
+mal compris ce qui nous a été présenté du spectacle de ses premières
+disgrâces: la conversation du jardinier avec ses garçons en complète le
+tableau en nous révélant leur effet sur l'opinion. C'est un trait de
+l'art de Shakspeare pour nous faire assister à toutes les parties de
+l'événement; il nous transporte toujours là où il frappe ses coups les
+plus décisifs, tandis que loin de nos yeux l'action poursuit son cours,
+et se contente de nous retrouver toujours au but.</p>
+
+<p>Bien que cette tragédie ait été intitulée <i>la Vie et la Mort de Richard
+II</i>, elle ne comprend que les deux dernières années de ce prince, et ne
+contient qu'un seul événement, celui de sa chute, catastrophe à laquelle
+tout marche dès le début de la pièce. Cet événement a été considéré sous
+différentes faces, et une anecdote assez singulière nous a révélé
+l'existence d'une autre tragédie sur le même sujet, antérieure, à ce
+qu'il paraît, à celle de Shakspeare, et traitée dans un esprit tout
+différent. Quelques-uns des partisans du comte d'Essex, le jour qui
+précéda son extravagante tentative, voulurent faire jouer une tragédie
+où, comme dans celle de Shakspeare, on voyait Richard II déposé et tué
+sur le théâtre. Les acteurs leur ayant représenté que la pièce était
+tout à fait hors de mode et ne leur attirerait pas assez de monde pour
+couvrir leurs frais, sir Gilly Merrick, l'un d'entre eux, leur donna
+quarante shillings en sus de la recette. Ce fait est rapporté au procès
+de sir Gilly, et servit à sa condamnation.</p>
+
+<p>L'entreprise du comte d'Essex eut lieu en 1601, et la pièce de
+Shakspeare avait paru, à ce qu'on croit, dès l'an 1597. Malgré cette
+antériorité, personne ne sera tenté de soupçonner qu'une pièce de
+Shakspeare ait pu figurer dans une entreprise factieuse contre
+Élisabeth. D'ailleurs la pièce en question paraît avoir été connue sous
+le titre de <i>Henri IV</i>, non sous celui de <i>Richard II</i>; et l'on est même
+fondé à croire que l'histoire de Henri IV en était le véritable sujet,
+et la mort de Richard seulement un incident. Mais, pour lever toute
+espèce de doute, il suffit de lire la tragédie de Shakspeare; la
+doctrine du droit divin y est sans cesse présentée accompagnée de cet
+intérêt que font naître le malheur et le spectacle de la grandeur
+déchue. Si le poëte n'a pas donné à l'usurpateur cette physionomie
+odieuse qui produit la haine et les passions dramatiques, il suffit de
+lire l'histoire pour en comprendre la cause.</p>
+
+<p>Ce n'est pas un fait particulier à Richard II et à sa destinée, dans
+l'histoire de ces temps désastreux, que ce vague de l'aspect moral sous
+lequel se présentent les hommes et les choses, et qui ne permet aux
+sentiments de s'attacher à rien avec énergie, parce qu'ils ne peuvent se
+reposer sur rien avec satisfaction. Des partis toujours aux prises pour
+s'arracher le pouvoir, tour à tour vaincus et méritant leur défaite,
+sans que jamais un seul ait mérité la victoire, n'offrent pas un
+spectacle très-dramatique, ni très-propre à porter nos sentiments et nos
+facultés à ce degré d'exaltation qui est un des plus nobles buts de
+l'art. La pitié y manque souvent à l'indignation, et l'estime presque
+toujours à la pitié. On n'est pas embarrassé à trouver les crimes du
+plus fort, mais on cherche avec anxiété les vertus du plus faible: et le
+même effet se reproduit dans le sens contraire: des folies, des
+déprédations, des injustices, des violences ont amené la chute de
+Richard, l'ont rendue inévitable, et elles nous détachent de lui sous ce
+double rapport que nous le voyons se perdre lui-même et impossible à
+sauver. Cependant il serait aisé de trouver au moins autant de crimes
+dans le parti qui triomphe de son abaissement. Shakspeare pourrait, à
+peu de frais, amasser contre les rebelles des trésors d'indignation qui
+soulèveraient tous les coeurs en faveur du souverain légitime: mais un
+des principaux caractères du génie de Shakspeare, c'est une vérité, on
+peut dire une fidélité d'observation qui reproduit la nature comme elle
+est, et le temps comme il se présente: celui-là ne lui offrait ni héros
+supérieurs à leur fortune, ni victimes innocentes, ni dévouements
+héroïques, ni passions imposantes; il n'y trouvait que la force même des
+caractères employée au service des intérêts qui les rabaissent, la
+perfidie considérée comme moyen de conduite, la trahison presque
+justifiée par le principe dominant de l'intérêt personnel, la désertion
+presque légitimée par la considération du péril que l'on courrait à
+demeurer fidèle; c'est aussi là tout ce qu'il a peint. C'est, à la
+vérité, le duc d'York, personnage dont l'histoire nous fait connaître
+l'incapacité et la nullité, qu'il a choisi pour représenter ce
+dévouement toujours si ardent pour l'homme qui gouverne, cette facilité
+à transmettre son culte du pouvoir de droit au pouvoir de fait, et <i>vice
+versa</i>, se réservant, seulement pour son honneur, des larmes solitaires
+en faveur de celui qu'il abandonne. Pour quiconque n'a pas vu la fortune
+se jouant avec les empires, ce personnage ne serait que comique; mais
+pour qui a assisté à de pareils jeux, n'est-il pas d'une effrayante
+Vérité?</p>
+
+<p>Dans un pareil entourage, où Shakspeare pouvait-il puiser ce pathétique
+qu'il aurait aimé à répandre sur le spectacle de la grandeur déchue? Lui
+qui a donné au vieux Lear, dans sa misère, tant de nobles et fidèles
+amis, il n'en a pu trouver un seul à Richard; le roi est tombé
+dépouillé, nu, entre les mains du poëte comme de son trône, et c'est en
+lui seul que le poëte a été obligé de chercher toutes les ressources:
+aussi le rôle de Richard II est-il une des plus profondes conceptions de
+Shakspeare.</p>
+
+<p>Les commentateurs sont en grande discussion pour savoir si c'est à la
+cour de Jacques ou à celle d'Élisabeth que Shakspeare a pris les maximes
+qu'il professe assez communément en faveur du droit divin et du pouvoir
+absolu. Shakspeare les a prises ordinairement dans ses personnages
+mêmes; et il lui suffisait ici d'avoir à peindre un roi élevé sur le
+trône. Richard n'a jamais imaginé qu'il fût ou pût être autre chose
+qu'un roi; sa royauté fait à ses yeux partie de sa nature; c'est un des
+éléments constitutifs de son être qu'il a apporté avec lui en naissant,
+sans autre condition que de vivre: comme il n'a rien à faire pour le
+conserver, il n'est pas plus en son pouvoir de cesser d'en être digne
+que de cesser d'en être revêtu: de là son ignorance de ses devoirs
+envers ses sujets, envers sa propre sûreté, son indolente confiance au
+milieu du danger. Si cette confiance l'abandonne un instant à chaque
+nouveau revers, elle revient aussitôt, doublant de force à mesure qu'il
+lui en faut davantage pour suppléer aux appuis qui s'écroulent
+successivement. Arrivé enfin au point où il ne lui est plus possible
+d'espérer, le roi s'étonne, se regarde, se demande si c'est bien lui.
+Une autre espèce de courage s'élève alors en lui; c'est celui que donne
+un malheur tel que l'homme qui le subit s'exalte par la surprise où le
+plonge sa propre situation; elle devient pour lui l'objet d'une si vive
+attention qu'il ose la considérer sous tous ses rapports, ne fût-ce que
+pour la comprendre; et par cette contemplation il échappe au désespoir,
+et s'élève quelquefois à la vérité, dont la découverte calme toujours à
+un certain point: mais ce calme est stérile, et ce courage inactif; il
+soutient l'esprit, mais il tue l'action: aussi toutes les actions de
+Richard sont-elles de la dernière faiblesse; ses réflexions mêmes sur
+son état actuel décèlent un sentiment de sa nullité qui descend, en de
+certains moments, presque à la bassesse: et qui pourrait le relever, lui
+qui, en cessant d'être roi, a perdu, dans sa propre opinion, la qualité
+distinctive de son être, la dignité de sa nature? Il se croyait précieux
+devant Dieu, soutenu par son bras, armé de sa puissance; déchu de ce
+rang mystérieux où il s'était placé, il ne s'en connaît plus aucun sur
+la terre; dépouillé de la force qu'il croyait son droit, il ne suppose
+pas qu'il lui en puisse rester aucune: aussi ne résiste-t-il à rien; ce
+serait essayer ce qu'il suppose impossible: pour réveiller son énergie,
+il faut qu'un danger pressant, soudain, provoque, pour ainsi dire, à son
+insu, des facultés qu'il désavoue: attaqué dans sa vie, il se défend et
+meurt avec courage. Pour en avoir eu toujours, il lui a manqué de savoir
+ce que vaut un homme.</p>
+
+<p>Il ne faut point chercher dans <i>Richard II</i>, non plus que dans la
+plupart des pièces historiques de Shakspeare, un caractère de style
+particulier: la diction en est peu travaillée; assez souvent énergique,
+elle est souvent aussi d'un vague qui laisse la raison absolument
+maîtresse de décider sur le sens des expressions, que ne détermine
+aucune règle de syntaxe.</p>
+
+<p>Cette pièce est toute en vers, et en grande partie rimée. L'auteur
+paraît y avoir fait des changements depuis la première édition, publiée
+en 1597. La scène du procès de Richard, en particulier, manque tout
+entière dans cette édition, et se trouve pour la première fois dans
+celle de 1608.</p>
+
+<h2>LA VIE ET LA MORT<br>
+
+du<br>
+
+ROI RICHARD II</h2>
+
+<h3>TRAGÉDIE</h3>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p>PERSONNAGES</p>
+<br>
+<p>LE ROI RICHARD II.</p>
+<p>EDMOND DE LANGLEY,&nbsp;&nbsp;&nbsp;}</p>
+<p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;duc d'York,&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;}&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;oncles du&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;</p>
+<p>JEAN DE GAUNT, duc de&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;}&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;roi.</p>
+<p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Lancastre.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;}</p>
+<p>HENRI, surnommé BOLINGBROKE,</p>
+<p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;duc d'Hereford, fils de Jean de Gaunt,</p>
+<p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;ensuite roi d'Angleterre sous le nom</p>
+<p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;de Henri IV.</p>
+<p>LE DUC D'AUMERLE, fils du duc</p>
+<p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;d'York.</p>
+<p>MOWBRAY, duc de Norfolk.</p>
+<p>LE DUC DE SURREY.</p>
+<p>LE COMTE DE SALISBURY.</p>
+<p>LE COMTE DE BERKLEY<a id="footnotetag1" name="footnotetag1"></a>
+<a href="#footnote1"><sup class="sml">1</sup></a>.</p>
+<p>BUSHY,&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;}</p>
+<p>BAGOT,&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;}&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;créatures du roi Richard.</p>
+<p>GREEN,&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;}</p>
+<p>LE COMTE DE NORTHUMBERLAND.</p>
+<p>HENRI PERCY, fils de Northumberland.</p>
+<p>LORD ROSS.</p>
+<p>LORD WILLOUGHBY.</p>
+<p>LORD FITZWATER.</p>
+<p>L'ÉVÊQUE DE CARLISLE.</p>
+<p>L'ABBÉ DE WESTMINSTER.</p>
+<p>LE LORD MARÉCHAL.</p>
+<p>SIR PIERCE D'EXTON.</p>
+<p>SIR ÉTIENNE SCROOP.</p>
+<p>LE CAPITAINE d'une bande de Gallois.</p>
+<p>LA REINE, femme de Richard.</p>
+<p>LA DUCHESSE DE GLOCESTER.</p>
+<p>LA DUCHESSE D'YORK.</p>
+<p>Dames de la suite de la reine.
+Lords, hérauts, officiers, soldats,
+deux jardiniers, un gardien, un
+messager, un valet d'écurie, et
+autres personnes de suite.</p>
+</div></div>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote1"
+name="footnote1"></a><b>Note 1:</b><a href="#footnotetag1">
+(retour) </a> On remarque que ce titre de comte de Berkley, donné à lord
+Berkley, est un anachronisme, et que les lords Berkley ne furent faits
+comtes que dans un temps très-postérieur à celui de Richard.</blockquote>
+
+<p class="stage1">La scène se passe successivement dans plusieurs parties de l'Angleterre
+et du pays de Galles.</p>
+
+<br>
+
+<h2>ACTE PREMIER</h2>
+<br>
+<h3>SCÈNE I.</h3>
+
+<p class="stage1">Londres.--Un appartement dans le palais.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> LE ROI RICHARD <i>avec sa suite</i>, JEAN DE GAUNT <i>et d'autres
+nobles avec lui</i>.</p>
+<br>
+<p>
+RICHARD.--Vieux Jean de Gaunt, vénérable Lancastre, as-tu, comme tu t'y
+étais engagé par serment, amené ici ton fils, l'intrépide Henri
+d'Hereford, pour soutenir devant nous l'injurieux défi qu'il adressa
+dernièrement au duc de Norfolk, Thomas Mowbray, et dont nous n'eûmes pas
+alors le loisir de nous occuper?</p>
+
+<p>GAUNT.--Oui, mon souverain, je l'ai amené.</p>
+
+<p>RICHARD.--Réponds-moi encore: l'as-tu sondé? sais-tu s'il l'a défié,
+poussé par une vieille haine, ou s'il a cédé à la vertueuse colère d'un
+bon sujet, fondée sur quelque trahison dont il sache Mowbray coupable?</p>
+
+<p>GAUNT.--Autant que j'ai pu le pénétrer sur cette question, c'est sur la
+connaissance de quelque danger dont Mowbray menace Votre Altesse, et non
+par aucune haine invétérée.</p>
+
+<p>RICHARD.--Fais-les comparaître tous deux en notre présence; nous voulons
+entendre nous-même l'accusateur et l'accusé parler librement face à
+face, et se menaçant l'un l'autre du regard. <span class="stage2">(<i>Sortent quelques-uns des
+gens de la suite du roi.</i>)</span> Ils sont tous deux hautains, pleins de
+colère, et, dans leur fureur, sourds comme la mer, impétueux comme la
+flamme.</p>
+
+<p class="stage1">(Rentrent les serviteurs avec Bolingbroke et Norfolk.)</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Que de longues années d'heureux jours échouent en partage
+à mon gracieux souverain, à mon bien-aimé seigneur!</p>
+
+<p>NORFOLK.--Puisse chaque jour ajouter au bonheur de la veille, jusqu'à ce
+que le ciel, envieux des félicités de la terre, ajoute à votre couronne
+un titre immortel!</p>
+
+<p>RICHARD.--Nous vous remercions tous deux: cependant il y en a un de vous
+qui n'est qu'un flatteur, à en juger par le sujet qui vous amène,
+c'est-à-dire l'accusation de haute trahison que vous portez l'un contre
+l'autre.--Cousin Hereford, que reproches-tu au duc de Norfolk, Thomas
+Mowbray?</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--D'abord (et que le ciel prenne acte de mes paroles!) c'est
+excité par le zèle d'un sujet dévoué, et en vue de la précieuse sûreté
+de mon prince, que, libre d'ailleurs de toute autre haine illégitime, je
+viens ici le défier en votre royale présence.--Maintenant, Thomas
+Mowbray, je me tourne vers toi, et remarque le salut que je t'adresse;
+car ce que je vais dire, mon corps le soutiendra sur cette terre, où mon
+âme, divine, en répondra dans le ciel. Tu es un traître et un mécréant,
+de trop bon lieu pour ce que tu es, et trop méchant pour mériter de
+vivre, car plus le ciel est pur et transparent, plus affreux paraissent
+les nuages qui le parcourent; et pour te noter plus sévèrement encore,
+je t'enfonce dans la gorge une seconde fois le nom de détestable
+traître, désirant, sous le bon plaisir de mon souverain, ne point sortir
+d'ici que mon épée, tirée à bon droit, n'ait prouvé ce que ma bouche
+affirme.</p>
+
+<p>NORFOLK.--Que la modération de mes paroles ne fasse pas ici suspecter
+mon courage. Ce n'est point par les procédés d'une guerre de femmes, ni
+par les aigres clameurs de deux langues animées que peut se décider
+cette querelle entre nous deux. Il est bien chaud le sang que ceci va
+refroidir. Cependant je ne peux pas me vanter d'une patience assez
+docile pour me réduire au silence et ne rien dire du tout: et d'abord je
+dirai que c'est le respect de Votre Grandeur qui me tient court,
+m'empêchant de lâcher bride et de donner de l'éperon à mes libres
+paroles; autrement elles s'élanceraient jusqu'à ce qu'elles eussent fait
+rentrer dans sa gorge ces accusations redoublées de trahison. Si je puis
+mettre ici de côté la royauté de son sang illustre, et ne le tenir plus
+pour parent de mon souverain, je le défie, et lui crache au visage comme
+à un lâche calomniateur et un vilain, ce que je soutiendrais en lui
+accordant tous les avantages, et je le rencontrerais quand je serais
+obligé d'aller à pied jusqu'aux sommets glacés des Alpes, ou dans tout
+autre pays inhabitable où jamais Anglais n'a encore osé mettre le pied.
+En tout cas, je maintiens ma loyauté, et déclare, par tout ce que
+j'espère; qu'il en a menti faussement.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Pâle et tremblant poltron, je jette mon gage, refusant de
+me prévaloir de ma parenté avec le roi, et je mets à l'écart la noblesse
+de ce sang royal que tu allègues par peur et non par respect. Si un
+effroi coupable t'a laissé encore assez de force pour relever le gage de
+mon honneur, alors baisse-toi. Par ce gage et par toutes les lois de la
+chevalerie, je soutiendrai corps à corps ce que j'ai avancé, ou tout ce
+que tu pourrais imaginer de pis encore.</p>
+
+<p>NORFOLK.--Je le relève, et je jure par cette épée, qui apposa doucement
+sur mon épaule mon titre de chevalier, que je te ferai honorablement
+raison de toutes les manières qui appartiennent aux épreuves
+chevaleresques; et une fois monté à cheval, que je n'en descende pas
+vivant si je suis un traître ou si je combats pour une cause injuste!</p>
+
+<p>RICHARD.--Quelle est l'accusation dont notre cousin charge Mowbray? Il
+faut qu'elle soit grave pour parvenir à nous inspirer même la pensée
+qu'il ait pu mal faire.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Écoutez-moi, j'engage ma vie à prouver la vérité de ce que
+je dis: Mowbray a reçu huit mille nobles<a id="footnotetag2" name="footnotetag2"></a>
+<a href="#footnote2"><sup class="sml">2</sup></a> à titre de prêts pour les
+soldats de Votre Altesse, et il les a retenus pour des usages de
+débauche, comme un faux traître et un insigne vilain. De plus, je dis et
+je le prouverai dans le combat, ou ici ou en quelque lieu que ce soit,
+jusqu'aux extrémités les plus reculées qu'ait jamais contemplées l'oeil
+d'un Anglais, que toutes les trahisons qui depuis dix-huit ans ont été
+complotées et machinées dans ce pays ont eu pour premier chef et pour
+principal auteur le perfide Mowbray. Je dis encore, et je soutiendrai
+tout cela contre sa détestable vie, qu'il a comploté la mort du duc de
+Glocester; qu'il en a suggéré l'idée à ses ennemis faciles à persuader,
+et par conséquent que c'est lui qui, comme un lâche traître, a fait
+écouler son âme innocente dans des ruisseaux de sang; et ce sang, comme
+celui d'Abel tiré à son sacrifice, crie vers moi du fond des cavernes
+muettes de la terre; il me demande justice et un châtiment rigoureux:
+et, j'en jure par la noblesse de ma glorieuse naissance, ce bras fera
+justice, ou j'y perdrai la vie.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote2"
+name="footnote2"></a><b>Note 2:</b><a href="#footnotetag2">
+(retour) </a> Monnaie d'or.</blockquote>
+
+<p>RICHARD.--A quelle hauteur s'est élevé l'essor de son courage!--Thomas
+de Norfolk, que réponds-tu à cela?</p>
+
+<p>NORFOLK.--Oh! que mon souverain veuille détourner son visage, et
+commander à ses oreilles d'être sourdes un instant, jusqu'à ce que j'aie
+appris à celui qui déshonore son sang à quel point Dieu et les gens de
+bien détestent un si exécrable menteur.</p>
+
+<p>RICHARD.--Mowbray, nos yeux et nos oreilles sont impartiales: fût-il mon
+frère, ou même l'héritier de mon royaume, comme il n'est que le fils du
+frère de mon père, je le jure par le respect dû à mon sceptre, cette
+parenté qui l'allie de si près à notre sang sacré ne lui donnerait aucun
+privilége et ne rendrait point partiale l'inflexible fermeté de mon
+caractère intègre. Il est mon sujet, Mowbray, toi aussi; je te permets
+de parler librement et sans crainte.</p>
+
+<p>NORFOLK.--Eh bien! Bolingbroke, à partir de la basse région de ton
+coeur, et à travers le traître canal de ta gorge, tu en as menti. De
+cette recette que j'avais pour Calais, j'en ai fidèlement remis les
+trois quarts aux soldats de son Altesse: j'ai gardé l'autre de l'aveu de
+mon souverain, qui me devait cette somme pour le reste d'un compte
+considérable dû depuis le dernier voyage que je fis en France pour aller
+y chercher la reine. Avale donc ce démenti.--Quant à la mort de
+Glocester... je ne l'ai point assassiné: seulement j'avoue à ma honte
+qu'en cette occasion j'ai négligé le devoir que j'avais juré de
+remplir.--Pour vous, noble lord de Lancastre, respectable père de mon
+ennemi, j'ai dressé une fois des embûches contre vos jours, crime qui
+tourmente mon âme affligée; mais avant de recevoir pour la dernière fois
+le sacrement, je l'ai confessé, et j'ai eu soin d'en demander pardon à
+Votre Grâce, qui, j'espère, me l'a accordé. Voilà ce que j'ai à me
+reprocher. Pour tous les autres griefs qu'il m'impute, ces accusations
+partent de la haine d'un vilain, d'un traître lâche et dégénéré, sur
+quoi je me défendrai hardiment en propre corps: je jette donc à ce
+traître outrecuidant mon gage en échange du sien; je lui prouverai ma
+loyauté de gentilhomme aux dépens du meilleur sang qu'il renferme dans
+son sein; et pour ce faire promptement, je conjure sincèrement Votre
+Altesse de nous assigner le jour de l'épreuve.</p>
+
+<p>RICHARD.--Gentilshommes enflammés de colère, laissez-moi vous diriger:
+purgeons cette bile sans tirer de sang. Sans être médecin, voici ce que
+je prescris: un ressentiment profond fait de trop profondes incisions;
+ainsi donc, oubliez, pardonnez, terminez ensemble et réconciliez-vous;
+nos docteurs disent que ce n'est pas la saison de saigner.--Mon bon
+oncle, que cette querelle finisse où elle a commencé: nous apaiserons le
+duc de Norfolk; vous, calmez votre fils.</p>
+
+<p>GAUNT.--Il convient assez à mon âge d'être un médiateur de paix.--Jette
+à terre, mon fils, le gage du duc de Norfolk.</p>
+
+<p>RICHARD.--Et toi, Norfolk, jette à terre le sien.</p>
+
+<p>GAUNT.--Eh bien, Henri, quoi? L'obéissance commande; je ne devrais pas
+avoir à te commander deux fois.</p>
+
+<p>RICHARD.--Allons, Norfolk, jette-le, nous l'ordonnons: cela ne sert de
+rien.</p>
+
+<p>NORFOLK.--C'est moi, redouté souverain, qui me jette à tes pieds: tu
+pourras disposer de ma vie, mais non pas de ma honte; la première
+appartient à mon devoir; mais je ne te livrerais pas, pour en faire un
+usage déshonorant, ma bonne renommée, qui en dépit de la mort vivra sur
+mon tombeau. Je suis ici insulté, accusé, conspué, percé jusqu'au coeur
+du trait empoisonné de la calomnie, sans pouvoir être guéri par aucun
+autre baume que par le sang du coeur d'où s'est exhalé le venin.</p>
+
+<p>RICHARD.--Il faudra bien que cette rage se contienne. Donne-moi son
+gage: les lions apprivoisent les léopards.</p>
+
+<p>NORFOLK.--Oui, mais ils ne peuvent changer leurs taches. Effacez mon
+déshonneur, et je cède mon gage. Mon cher maître, le trésor plus pur que
+puisse donner cette vie mortelle, c'est une réputation sans tache:
+dépouillés de ce bien, les hommes ne sont plus qu'une terre dorée, une
+argile peinte. Le diamant précieux enfermé sous les dix verrous d'un
+coffre-fort, c'est un esprit hardi dans un coeur loyal. Mon honneur est
+ma vie, tous deux existent conjointement: si tu m'ôtes l'honneur, je
+n'ai plus de vie. Ainsi mon cher souverain, laisse-moi défendre mon
+honneur; c'est par lui que je vis, et je mourrai pour lui.</p>
+
+<p>RICHARD.--Cousin, jetez votre gage: commencez-le premier.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Que Dieu préserve mon âme d'un si horrible péché! Ne
+montrerai-je le front humilié à la vue de mon père, et démentirai-je ma
+fierté par la crainte d'un pâle mendiant, devant ce lâche que j'ai
+bravé? Avant que ma langue outrage mon honneur par une indigne
+faiblesse, et se prête à une si honteuse composition, mes dents
+déchireront le servile instrument de la crainte renégate, et le
+cracheront sanglant pour compléter sa honte, là où siége la honte, à la
+face de Mowbray.</p>
+
+<p>RICHARD.--Nous ne sommes pas nés pour solliciter, mais pour condamner.
+Puisque nous ne pouvons vous rendre amis, soyez prêts, le jour de
+Saint-Lambert, à répondre sur vos vies: c'est là que vos épées et vos
+lances décideront les débats toujours grossissant de votre haine
+obstinée. Puisque nous ne pouvons vous adoucir, nous, verrons la justice
+manifester par la victoire de quel côté se trouve l'honneur.--Maréchal,
+ordonnez à nos officiers d'armes de se tenir prêts pour diriger ce
+combat domestique.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+<br>
+
+<h3>SCÈNE II</h3>
+
+<p class="stage1">La scène est toujours à Londres, dans le palais du duc de Lancastre.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> GAUNT, LA DUCHESSE DE GLOCESTER.</p>
+<br>
+
+<p>GAUNT.--Hélas! cette part que j'avais dans le sang de Glocester me
+sollicite plus fortement que vos cris à poursuivre les bouchers de sa
+vie. Mais puisque le châtiment réside dans les mains qui ont fait le
+crime que nous ne pouvons punir, remettons notre cause à la volonté du
+ciel, qui, lorsqu'il en verra les temps mûrs sur la terre, fera pleuvoir
+sa brûlante vengeance sur la tête des coupables.</p>
+
+<p>LA DUCHESSE DE GLOCESTER.--Quoi! la qualité de frère ne trouvera pas en
+toi un aiguillon plus pénétrant? ton vieux sang n'a pas conservé vivante
+une étincelle d'affection? Les sept fils d'Edouard, au nombre desquels
+tu te comptes, étaient comme sept vases de son sang sacré, comme sept
+belles branches sorties d'une seule racine: quelques-uns de ces vases
+ont été desséchés par le cours de la nature; quelques-unes de ces
+branches ont été tranchées par la destinée: mais Thomas, mon cher époux,
+ma vie, mon Glocester, ce vase rempli du sang d'Edouard, a été brisé
+sous la main de la haine et de la sanglante hache du meurtre, sa
+précieuse liqueur s'est épanchée: cette branche florissante de la
+très-royale souche a été coupée, et les feuilles de son été se sont
+flétries. Ah! Gaunt, son sang était le tien: c'est de la couche, c'est
+du flanc, de la matière, de la substance même qui t'ont formé qu'il
+avait tiré son existence; et quoique vivant et respirant, tu as été
+assassiné en lui. C'est à beaucoup d'égards consentir à la mort de ton
+père que de voir ainsi mourir ton malheureux frère, qui était la
+représentation de la vie de ton père. N'appelle point cela patience,
+Gaunt, c'est du désespoir. En souffrant ainsi qu'on égorge ton frère, tu
+montres à découvert le chemin qui conduit à ta vie, tu instruis le
+meurtrier farouche à t'assassiner. Ce que dans les hommes du bas étage
+nous appelons patience est dans un noble sein une froide et tranquille
+lâcheté. Que te dirai-je enfin? Pour mettre ta vie en sûreté, le
+meilleur moyen c'est de venger la mort de mon Glocester.</p>
+
+<p>GAUNT.--Cette cause est celle du ciel, car le délégué du ciel, son
+lieutenant oint devant sa face, est l'auteur de la mort de Glocester:
+lorsqu'il commet le crime, la vengeance en est au ciel; pour moi, je ne
+puis lever un bras irrité contre son ministre.</p>
+
+<p>LA DUCHESSE DE GLOCESTER.--A qui donc, hélas! puis-je porter ma plainte?</p>
+
+<p>GAUNT.--Au ciel, qui est le champion et le défenseur de la veuve.</p>
+
+<p>LA DUCHESSE DE GLOCESTER.--Eh bien! je me plaindrai à lui. Adieu, vieux
+Gaunt. Tu vas à Coventry pour voir le combat de notre cousin d'Hereford
+et du perfide Mowbray. Oh! fais peser sur la lance d'Hereford les
+injures de mon mari, afin qu'elle entre dans le coeur de l'assassin
+Mowbray; ou si, par un malheur, elle manquait la première passe, que les
+crimes de Mowbray surchargent tellement son sein que les reins de son
+coursier écumant en soient rompus et que le cavalier tombe la tête la
+première dans l'arène, lâche, tremblant, à la merci de mon cousin
+d'Hereford! Adieu, vieux Gaunt: celle qui fut un jour la femme de ton
+frère finira sa vie avec sa compagne, la douleur.</p>
+
+<p>GAUNT.--Adieu, ma soeur; il faut que je me rende à Coventry. Que tout le
+bien que je te souhaite m'accompagne!</p>
+
+<p>LA DUCHESSE DE GLOCESTER.--Un mot encore. La douleur, en tombant,
+rebondit non par le vide, mais par le poids. Je prends congé de toi
+avant que je t'aie encore rien dit, car le chagrin ne finit pas là où il
+semble fini: rappelle-moi au souvenir de mon frère York.... Oui, voilà
+tout.... Mais non, ne pars pas encore ainsi; quoique ce soit tout, ne
+t'en va pas si vite.... Je puis me rappeler autre chose. Prie-le.... oh!
+de quoi?... de se hâter de venir me voir à Plashy. Hélas! que
+viendra-t-il y voir, ce bon vieux York, que des appartements déserts,
+des murailles dépouillées, des cuisines dépeuplées, un pavé qu'on ne
+foule plus. Et pour sa bienvenue, quelle autre réception trouvera-t-il
+que mes gémissements? Rappelle-moi donc seulement à son souvenir; qu'il
+ne vienne pas chercher en ce lieu la tristesse qui habite partout:
+désolée, désolée je m'en irai d'ici et je mourrai. Mes yeux, en pleurs
+te disent le dernier adieu.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+<br>
+
+<h3>SCÈNE III</h3>
+
+<p class="stage1">Gosford-Green, près de Coventry.--Lice préparée avec un trône; hérauts,
+etc., suite.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> LE LORD MARÉCHAL ET D'AUMERLE.</p>
+<br>
+
+<p>LE MARÉCHAL.--Milord Aumerle, Henri d'Hereford est-il armé?</p>
+
+<p>AUMERLE.--Oui, armé de toutes pièces, et il brûle d'entrer dans la lice.</p>
+
+<p>LE MARÉCHAL.--Le duc de Norfolk, plein d'ardeur et d'audace, n'attend
+que le signal de la trompette de l'appelant.</p>
+
+<p>AUMERLE.--En ce cas, les champions sont tout prêts, et n'attendent que
+l'arrivée de Sa Majesté.</p>
+
+<p class="stage1">(Les trompettes sonnent une fanfare.--Entrent Richard qui va s'asseoir
+sur le trône, Gaunt et plusieurs autres nobles qui prennent leurs
+places.--Une trompette sonne, et une autre lui répond de
+l'intérieur.--Entre alors Norfolk, couvert de son armure, et précédé par
+un héraut.)</p>
+
+<p>RICHARD.--Maréchal, demandez à ce champion le sujet qui l'amène ici en
+armes: demandez-lui son nom; ensuite, procédez avec ordre à lui faire
+prêter serment de la justice de sa cause.</p>
+
+<p>LE MARÉCHAL.--Au nom de Dieu et du roi, dis qui tu es, et pourquoi tu
+viens ainsi armé en chevalier. Contre qui viens-tu combattre, et quelle
+est ta querelle? Réponds la vérité, sur ta foi de chevalier et sur ton
+serment; et après, que le ciel et ta valeur te défendent!</p>
+
+<p>NORFOLK.--Mon nom est Thomas Mowbray, duc de Norfolk. Je viens ici
+engagé par un serment que le ciel préserve un chevalier de violer
+jamais! j'y viens pour défendre ma loyauté et mon honneur devant Dieu,
+mon roi et ma postérité, contre le duc d'Hereford, qui est l'appelant;
+et, par la grâce de Dieu et le secours de ce bras, je viens lui prouver
+pour ma défense qu'il est traître à mon Dieu, à mon roi et à moi. Que le
+ciel me défende, comme je combats pour la vérité.</p>
+
+<p class="stage1">(Les trompettes sonnent.--Entre Bolingbroke, couvert de son armure, et
+précédé d'un héraut.)</p>
+
+<p>RICHARD.--Maréchal, demandez à ce chevalier armé qui il est et pourquoi
+il vient ici vêtu de ses habits de guerre, et, conformément à nos lois,
+faites-lui déposer dans les formes de la justice de sa cause.</p>
+
+<p>LE MARÉCHAL.--Quel est ton nom, et pourquoi parais-tu ici devant le roi
+Richard dans sa lice royale? Contre qui viens-tu, et quelle est ta
+querelle? Réponds comme un loyal chevalier, et que le ciel te défende.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Je suis Henri d'Hereford, de Lancastre et de Derby, qui me
+tiens ici en armes prêt à prouver, par la grâce de Dieu et les prouesses
+de mon corps, à Thomas Mowbray, duc de Norfolk, qu'il est un abominable
+et dangereux traître envers le Dieu des cieux, le roi Richard et moi.
+Que le ciel me défende, comme je combats pour la vérité.</p>
+
+<p>LE MARÉCHAL.--Sous peine de mort, que personne n'ait la hardiesse et
+l'audace de toucher les barrières de la lice, excepté le maréchal et les
+officiers chargés de présider à ces loyaux faits d'armes.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Lord maréchal, permettez que je baise la main de mon
+souverain et que je fléchisse le genou devant Sa Majesté; car Mowbray et
+moi nous ressemblons à deux hommes qui font voeu d'accomplir un long et
+fatigant pèlerinage. Prenons donc solennellement congé de nos divers
+amis, et faisons-leur de tendres adieux.</p>
+
+<p>LE MARÉCHAL.--L'appelant salue respectueusement Votre Majesté, et
+demande à vous baiser la main et à prendre congé de vous.</p>
+
+<p>RICHARD.--Nous descendrons et nous le serrerons dans nos bras.--Cousin
+d'Hereford, que ta fortune réponde à la justice de ta cause, dans ce
+combat royal! Adieu, mon sang: si tu le répands aujourd'hui, nous
+pouvons pleurer ta mort, mais non te venger.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Oh! que de nobles yeux ne profanent point une larme pour
+moi, si mon sang est versé par la lance de Mowbray. Avec la confiance
+d'un faucon qui fond sur un oiseau, je vais combattre Mowbray. <span class="stage2">(<i>Au lord
+maréchal.</i>)</span> Mon cher seigneur, je prends congé de vous; et de vous, lord
+Aumerle, mon noble cousin; bien que j'aie affaire avec la mort, je ne
+suis pas malade, mais vigoureux, jeune, respirant gaiement; maintenant,
+comme aux festins de l'Angleterre, je reviens au mets le plus délicat
+pour le dernier, afin de rendre la fin meilleure. <span class="stage2">(<i>A Gaunt.</i>)</span>--O toi,
+auteur terrestre de mon sang, dont la jeune ardeur renaissant en moi me
+soulève avec une double vigueur pour atteindre jusqu'à la victoire
+placée au-dessus de ma tête, ajoute par tes prières à la force de mon
+armure; arme de tes bénédictions la pointe de ma lance, afin qu'elle
+pénètre la cuirasse de Mowbray comme la cire, et que le nom de Jean de
+Gaunt soit fourbi à neuf par la conduite vigoureuse de son fils.</p>
+
+<p>GAUNT.--Que le ciel te fasse prospérer dans ta bonne cause! Sois prompt
+comme l'éclair dans l'attaque, et que tes coups, doublement redoublés,
+tombent comme un tonnerre étourdissant sur le casque du funeste ennemi
+qui te combat; que ton jeune sang s'anime; sois vaillant et vis!</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Que mon innocence et saint Georges me donnent la victoire!</p>
+
+<p class="stage1">(Il se rassied à sa place.)</p>
+
+<p>NORFOLK.--Quelque chance qu'amènent pour moi le ciel ou la fortune, ici
+vivra ou mourra, fidèle au trône du roi Richard, un juste, loyal et
+intègre gentilhomme. Jamais captif n'a secoué d'un coeur plus libre les
+chaînes de son esclavage, ni embrassé avec plus de joie le trésor d'une
+liberté sans contrainte, que mon âme bondissante n'en ressent en
+célébrant cette fête de bataille avec mon adversaire.--Puissant
+souverain, et vous pairs, mes compagnons recevez de ma bouche un souhait
+d'heureuses années. Aussi calme, aussi joyeux qu'à une mascarade, je
+vais au combat: la loyauté a un coeur paisible.</p>
+
+<p>RICHARD.--Adieu, milord. Je vois avec la valeur la vertu tranquillement
+assise dans tes yeux.--Maréchal, ordonnez le combat, et que l'on
+commence.</p>
+
+<p class="stage1">(Richard et les lords retournent à leurs siéges.)</p>
+
+<p>LE MARÉCHAL.--Henri d'Hereford, Lancastre et Derby, reçois ta lance; et
+Dieu défende le droit!</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Ferme dans mon espérance comme une tour, je dis: <i>Amen</i>.</p>
+
+<p>LE MARÉCHAL, <span class="stage2"><i>à un officier</i>.</span>--Allez, portez cette lance à Thomas, duc
+de Norfolk.</p>
+
+<p>PREMIER HÉRAUT.--Henri d'Hereford, Lancastre et Derby, est ici pour
+Dieu, pour son souverain et pour lui-même, à cette fin de prouver, sous
+peine d'être déclaré faux et lâche, que le duc de Norfolk, Thomas
+Mowbray, est un traître à Dieu, à son roi et à lui-même; et il le défie
+au combat.</p>
+
+<p>SECOND HÉRAUT.--Ici est Thomas Mowbray, duc de Norfolk, ensemble pour se
+défendre et pour prouver, sous peine d'être déclaré faux et lâche,
+qu'Henri d'Hereford, Lancastre et Derby, est déloyal envers Dieu, son
+souverain et lui: plein de courage et d'un franc désir, il n'attend que
+le signal pour commencer.</p>
+
+<p>LE MARÉCHAL.--Sonnez, trompettes; combattants, partez. <span class="stage2">(<i>On sonne une
+charge</i>.)</span>--Mais, arrêtez: le roi vient de baisser sa baguette.</p>
+
+<p>RICHARD.--Que tous deux déposent leurs casques et leurs lances et qu'ils
+retournent reprendre leur place.--Éloignez-vous avec nous, et que les
+trompettes sonnent jusqu'au moment où nous reviendrons déclarer nos
+ordres à ces ducs <span class="stage2">(<i>Longue fanfare.--Ensuite Richard s'adresse aux deux
+combattants.</i>)</span>--Approchez.... Écoutez ce que nous venons d'arrêter avec
+notre conseil. Comme nous ne voulons pas que la terre de notre royaume
+soit souillée du sang précieux qu'elle a nourri, et que nos yeux
+haïssent l'affreux spectacle des plaies civiles creusées par des mains
+concitoyennes; comme nous jugeons que ce sont les pensées ambitieuses
+d'un orgueil aspirant à s'élever aux cieux sur les ailes de l'aigle,
+qui, jointes à cette envie qui déteste un rival, vous ont portés à
+troubler la paix qui dans le berceau de notre patrie respirait de la
+douce haleine du sommeil d'un enfant, en sorte que, réveillée par le
+bruit discordant des tambours, par le cri effrayant des trompettes aux
+sons aigres, et le confus cliquetis du fer de vos armes furieuses, la
+belle Paix, pourrait, épouvantée, fuir nos tranquilles contrées, et nous
+forcer à marcher à travers le sang de nos parents: en conséquence, nous
+vous bannissons de notre territoire.--Vous, cousin Hereford, sous peine
+de mort, jusqu'à ce que deux fois cinq étés aient enrichi nos plaines,
+vous ne reviendrez pas saluer nos belles possessions, mais vous suivrez
+les routes étrangères de l'exil.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Que votre volonté soit faite!--La consolation qui me
+reste, c'est que le soleil qui vous réchauffe ici brillera aussi pour
+moi; et ces rayons d'or qu'il vous prête ici se darderont aussi sur moi,
+et doreront mon exil.</p>
+
+<p>RICHARD.--Norfolk, un arrêt plus rigoureux t'est réservé; je sens
+quelque répugnance à le prononcer. Le vol lent des heures ne déterminera
+point pour toi la limite d'un exil sans terme. Cette parole sans espoir:
+<i>Tu ne reviendras, jamais</i>, je la prononce contre toi sous peine de la
+vie.</p>
+
+<p>NORFOLK.--Sentence rigoureuse en effet, mon souverain seigneur, et que
+j'attendais bien peu de la bouche de Votre Majesté. J'ai mérité de la
+main de Votre Altesse une récompense plus bienveillante, une moins
+profonde mutilation, que celle d'être ainsi rejeté au loin dans l'espace
+commun de l'univers. Maintenant il me faut oublier le langage que
+j'appris durant ces quarante années, mon anglais natal. Ma langue me
+sera désormais aussi inutile qu'une viole ou une harpe sans cordes, un
+instrument fait avec art mais enfermé dans son étui, ou qu'on en retire
+pour le placer dans les mains qui ne connaissent point l'art d'en faire
+sortir l'harmonie. Vous avez emprisonné ma langue dans ma bouche, sous
+les doubles guichets de mes dents et de mes lèvres, et la stupide,
+l'insensible, la stérile ignorance est le geôlier qui m'est donné pour
+me garder: je suis trop vieux pour caresser une nourrice, trop avancé en
+âge pour devenir écolier. Votre arrêt n'est donc autre chose que celui
+d'une mort silencieuse qui prive ma langue de la faculté de parler son
+idiome naturel.</p>
+
+<p>RICHARD.--Il ne te sert de rien de te plaindre. Après notre sentence,
+les lamentations viennent trop tard.</p>
+
+<p>NORFOLK, <span class="stage2"><i>se retirant</i>.</span>--Je vais donc quitter la lumière de mon pays,
+pour aller habiter les sombres ténèbres d'une nuit sans fin.</p>
+
+<p>RICHARD.--Reviens encore, et emporte avec toi un serment. Posez sur
+notre épée royale vos mains exilées; jurez par l'obéissance que vous
+devez au ciel (et dont la part qui nous appartient vous accompagnera
+dans votre bannissement)<a id="footnotetag3" name="footnotetag3"></a>
+<a href="#footnote3"><sup class="sml">3</sup></a>, de garder le serment que nous vous faisons
+prêter, que jamais dans votre exil (et qu'ainsi le ciel et l'honneur
+vous soient en aide) vous ne vous rattacherez l'un à l'autre par
+l'affection; que jamais vous ne consentirez l'un l'autre à vous
+regarder; que jamais ni par écrit, ni par aucun rapprochement, vous
+n'éclaircirez la sombre tempête de la haine née entre vous dans votre
+patrie; que jamais vous ne vous réunirez à dessein pour tramer,
+combiner, comploter aucun acte dommageable contre nous, nos sujets et
+notre pays.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote3"
+name="footnote3"></a><b>Note 3:</b><a href="#footnotetag3">
+(retour) </a> <i>Our part therein we banish with yourselves</i>.
+
+<p>Les commentateurs ont cru voir dans ce vers que Richard les déliait en
+les bannissant de l'obéissance qu'ils lui devaient; il paraît clair, au
+contraire, que s'il bannit avec eux l'obéissance qu'ils lui doivent;
+c'est pour qu'elle les accompagne.</p></blockquote>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Je le jure.</p>
+
+<p>NORFOLK.--Et moi aussi, je jure d'observer tout cela.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Norfolk, je puis t'adresser encore ceci comme à mon
+ennemi: à cette heure, si le roi nous l'avait permis, une de nos âmes
+serait errante dans les airs, bannie de ce frêle tombeau de notre chair
+comme notre corps est maintenant banni de ce pays. Confesse tes
+trahisons avant de fuir de ce royaume: Tu as bien loin à aller;
+n'emporte pas avec toi le pesant fardeau d'une âme coupable.</p>
+
+<p>NORFOLK.--- Non, Bolingbroke; si jamais je fus un traître, que mon nom
+soit effacé du livre de vie, et moi banni du ciel comme je le suis
+d'ici. Mais ce que tu es, le ciel, toi et moi nous le savons, et je
+crains que le roi n'ait trop tôt à déplorer ceci.--Adieu, mon souverain.
+Maintenant je ne puis plus m'égarer: excepté la route qui ramène en
+Angleterre, le monde entier est mon chemin.</p>
+
+<p class="stage1">(Il sort.)</p>
+
+<p>RICHARD.--Oncle, je lis clairement dans le miroir de tes yeux le chagrin
+de ton coeur: la tristesse de ton visage a retranché quatre années du
+nombre des années de son exil. <span class="stage2">(<i>A Bolingbroke.</i>)</span>--Après que les glaces
+de six hivers se seront écoulées, reviens de ton exil, le bienvenu dans
+ta patrie.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Quel long espace de temps renfermé dans un petit mot!
+Quatre traînants hivers et quatre folâtres printemps finis par un mot!
+Telle est la parole des rois.</p>
+
+<p>GAUNT.--Je remercie mon souverain de ce que, par égard pour moi, il
+abrège de quatre ans l'exil de mon fils; mais je n'en retirerai que peu
+d'avantage, car avant que les six années qu'il lui faut passer aient
+changé leurs lunes et fait leur révolution, ma lampe dépourvue d'huile
+et ma lumière usée par le temps s'éteindront dans les années et dans une
+nuit éternelle; ce bout de flambeau qui me reste sera brûlé et fini, et
+l'aveugle Mort ne me laissera pas revoir mon fils.</p>
+
+<p>RICHARD.--Pourquoi, mon oncle? Tu as encore bien des années à vivre.</p>
+
+<p>GAUNT.--Mais pas une minute, roi, que tu puisses me donner. Tu peux
+abréger mes jours par le noir chagrin, tu peux m'enlever des nuits, mais
+non me prêter un lendemain. Tu peux aider le temps à me sillonner de
+vieillesse, mais non pas arrêter dans ses progrès une seule de mes
+rides. S'agit-il de ma mort, ta parole a cours aussi bien que lui: mais
+mort, ton royaume ne saurait racheter ma vie.</p>
+
+<p>RICHARD..--Ton fils est banni d'après une sage délibération dans
+laquelle ta voix même a donné son suffrage. Pourquoi donc maintenant
+sembles-tu te plaindre de notre justice?</p>
+
+<p>GAUNT.--Il est des choses qui, douces au goût, sont dures à digérer.
+Vous m'avez pressé comme juge, mais j'aurais bien mieux aimé que vous
+m'eussiez ordonné de plaider comme un père. Ah! si au lieu de mon
+enfant, c'eût été un étranger, pour adoucir sa faute j'aurais été plus
+indulgent: j'ai cherché à éviter le reproche de partialité; et dans ma
+sentence j'ai détruit ma propre vie.--Hélas! je regardais si quelqu'un
+de vous ne dirait pas que j'étais trop sévère, de rejeter ainsi ce qui
+m'appartient; mais vous avez laissé à ma langue, malgré sa répugnance,
+la liberté de me faire ce tort contre ma volonté.</p>
+
+<p>RICHARD.--Adieu, cousin; et vous, oncle, dites-lui aussi adieu: nous le
+bannissons pour six ans; il faut qu'il parte.</p>
+
+<p class="stage1">(Fanfare.--Sortent Richard et la suite.)</p>
+
+<p>AUMERLE.--Cousin, adieu. Ce que nous ne pouvons savoir par votre
+présence, que des lieux que vous habiterez vos lettres nous
+l'apprennent.</p>
+
+<p>LE MARÉCHAL.--Milord, moi je ne prends point congé de vous; je
+chevaucherai à vos côtés tant que la terre me le permettra.</p>
+
+<p>GAUNT.--Hélas! pourquoi es-tu si avare de tes paroles et ne réponds-tu
+rien aux salutations de tes amis?</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Je n'ai pas de quoi suffire à vous faire mes adieux; il me
+faudrait prodiguer l'usage de ma langue pour exhaler toute l'abondance
+de la douleur de mon coeur.</p>
+
+<p>GAUNT.--Ce qui cause ton chagrin n'est qu'une absence passagère.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--La joie absente, le chagrin reste toujours présent.</p>
+
+<p>GAUNT.--Qu'est-ce que six hivers? Ils passent bien vite.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Pour les hommes qui sont heureux; mais d'une heure le
+chagrin en fait dix.</p>
+
+<p>GAUNT.--Suppose que c'est un voyage que tu entreprends pour ton plaisir.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Mon coeur soupirera quand je voudrai le tromper par ce nom
+en y reconnaissant un pèlerinage.</p>
+
+<p>GAUNT.--Regarde le sombre voyage de tes pas fatigués comme un entourage
+dans lequel tu devras placer le joyau précieux du retour dans la patrie.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Dites plutôt que chacun des pas pénibles que je vais faire
+me rappellera quel vaste espace du monde j'aurai parcouru loin des
+joyaux que j'aime. Ne me faudra-t-il pas faire un long apprentissage de
+ces routes étrangères? et lorsqu'à la fin j'aurai regagné ma liberté, de
+quoi pourrai-je me vanter, si ce n'est d'avoir travaillé pour le compte
+de la douleur?</p>
+
+<p>GAUNT.--Tous les lieux que visite l'oeil du ciel sont pour le sage des
+ports et des asiles heureux. Instruis tes nécessités à raisonner ainsi,
+car il n'est point de vertu comme la nécessité. Persuade-toi non pas que
+c'est le roi qui t'a banni, mais que tu as banni le roi.--Le malheur
+s'appesantit d'autant plus qu'il s'aperçoit qu'on le porte avec
+faiblesse. Va, dis-toi que je t'ai envoyé acquérir de l'honneur, et non
+que le roi t'a exilé; ou bien suppose encore que la peste dévorante est
+suspendue dans notre atmosphère, et que tu fuis vers un climat plus pur.
+Vois ce que ton coeur a de plus cher; imagine qu'il est dans les lieux
+où tu vas, et non dans ceux d'où tu viens. Pense que les oiseaux qui
+chantent sont des musiciens, le gazon que foulent tes pieds un salon
+parsemé de joncs, les fleurs de belles femmes, et tes pas un menuet<a id="footnotetag4" name="footnotetag4"></a>
+<a href="#footnote4"><sup class="sml">4</sup></a>
+ou une danse agréable. Le chagrin grondeur a moins de prise pour mordre
+l'homme qui s'en rit et le tient pour léger.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote4"
+name="footnote4"></a><b>Note 4:</b><a href="#footnotetag4">
+(retour) </a> <i>A delightful measure or a dance.</i>
+
+<p><i>A measure</i> était en général une danse mesurée ou d'apparat.</p></blockquote>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Eh! qui pourra tenir le feu dans sa main en pensant aux
+glaces du Caucase, ou assouvir l'âpre avidité de la faim par la simple
+idée d'un festin, ou marcher nu à l'aise dans les neiges de décembre en
+se créant la chaleur d'un été fantastique? L'idée du bien ne peut
+qu'accroître le sentiment du mal. La dent cruelle de la douleur n'est
+jamais si venimeuse que lorsqu'elle mord sans ouvrir une large blessure.</p>
+
+<p>GAUNT.--Viens, viens, mon fils; je vais te mettre dans ton chemin. Si
+j'avais ta cause et ta jeunesse, je ne demeurerais pas ici.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Adieu donc, sol de l'Angleterre; douce terre, adieu, ma
+mère et ma nourrice qui me portes encore. Dans quelque lieu que je sois,
+je pourrai du moins me vanter d'être, quoique banni, un véritable
+Anglais.</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE IV</h3>
+
+<p class="stage1">La scène est toujours à Coventry.--Un appartement dans le château du
+roi.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> LE ROI RICHARD, BAGOT et GREEN, <i>ensuite</i> AUMERLE.</p>
+<br>
+<p>RICHARD.--Oui, nous nous en sommes aperçus.--Cousin Aumerle, jusqu'où
+avez-vous conduit le grand Hereford sur son chemin?<a id="footnotetag5" name="footnotetag5"></a>
+<a href="#footnote5"><sup class="sml">5</sup></a></p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote5"
+name="footnote5"></a><b>Note 5:</b><a href="#footnotetag5">
+(retour) </a> Johnson a voulu supposer ici quelque erreur de copiste dans la
+distribution des actes, et, d'après une nouvelle disposition qu'a suivie
+Letourneur, il fait commencer au retour d'Aumerle le second acte, que
+les anciennes copies ne font commencer qu'à l'arrivée du roi à Ely. Il
+se fonde sur ce qu'il faut bien donner au vieux Gaunt le temps
+d'accompagner son fils, de revenir et de tomber malade. Mais d'abord,
+Gaunt n'accompagne point son fils; il le met seulement <i>en chemin</i> (<i>on
+the way</i>); ensuite on peut supposer autant de temps que l'on voudra
+entre la troisième et la quatrième scène du premier acte, autant du
+moins qu'il en faut pour le retour d'Aumerle et la nouvelle de la
+maladie du vieux Gaunt, qui, nous dit-on, a été pris subitement. La
+distribution des actes telle qu'on la trouve dans les anciennes éditions
+a du moins l'avantage de renfermer dans le premier acte un événement
+fini, le départ d'Hereford; et comme la distribution imaginée par
+Johnson ne donne d'ailleurs aucun moyen d'expliquer avec vraisemblance
+les événements qui sont censés s'être passés dans l'intervalle du
+premier au deuxième acte, on a conservé l'ancienne. Au reste, dans les
+éditions faites avant la mort de Shakspeare, la pièce n'était point
+coupée en actes, mais simplement composée d'une suite de scènes: les
+éditions faites immédiatement après sa mort n'ont donc sur celles qui
+l'ont précédée que l'avantage d'une tradition plus récente des
+directions théâtrales qu'avait données l'auteur; elles semblent de plus,
+dans ce cas-ci, avoir en leur faveur le bon sens dramatique.</blockquote>
+
+<p>AUMERLE.--J'ai conduit le grand Hereford, puisqu'il vous plaît de
+l'appeler ainsi, jusqu'au grand chemin le plus voisin, et je l'ai laissé
+là.</p>
+
+<p>RICHARD.--Et dites-moi, quel flot de larmes a-t-il été versé au moment
+de la séparation?</p>
+
+<p>AUMERLE.--Ma foi, de ma part aucune, à moins que le vent du nord-est,
+qui nous soufflait alors cruellement au visage, n'ait mis en mouvement
+un rhume endormi, et n'ait ainsi, par hasard, honoré d'une larme nos
+adieux hypocrites.</p>
+
+<p>RICHARD.--Qu'a dit notre cousin lorsque vous vous êtes quittés?</p>
+
+<p>AUMERLE.--Il m'a dit: <i>portez-vous bien</i><a id="footnotetag6" name="footnotetag6"></a>
+<a href="#footnote6"><sup class="sml">6</sup></a>; et, comme mon coeur
+dédaignait de voir ma langue profaner ce souhait, je me suis avisé de
+contrefaire l'accablement d'un chagrin si profond, que mes paroles
+semblaient ensevelies dans le tombeau de ma douleur. Vraiment, si ces
+mots, <i>portez-vous bien</i> avaient pu allonger les heures et ajouter aux
+années de son court exil, il aurait eu un volume de <i>portez-vous bien;</i>
+mais comme cela n'était pas, il n'en a point eu de moi.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote6"
+name="footnote6"></a><b>Note 6:</b><a href="#footnotetag6">
+(retour) </a> .....<i>Farewell.</i>
+
+<p><i>Farewell</i>, l'adieu ordinaire des Anglais, signifie <i>portez-vous bien.</i>
+Il a fallu le traduire ainsi, pour faire comprendre la répugnance
+d'Aumerle à le prononcer.</blockquote>
+
+<p>RICHARD.--Il est notre cousin, cousin; mais il est douteux, lorsque
+arrivera le temps qui doit le ramener de l'exil, que notre parent
+revienne voir ses amis. Nous-même, et Bushy, et Bagot que voilà, et
+Green aussi, nous avons remarqué comme il faisait la cour au commun
+peuple; comme il cherchait à pénétrer dans leurs coeurs par une
+politesse modeste et familière; quels respects il prodiguait à des
+misérables, s'étudiant à gagner le dernier des artisans par l'art de ses
+sourires et par une soumission patiente à sa fortune, comme s'il eût
+voulu emporter avec lui leurs affections: il ôtait son bonnet à une
+marchande d'huîtres; deux charretiers, pour lui avoir souhaité la faveur
+de Dieu, ont reçu l'hommage de son flexible genou, avec ces mots: «Je
+vous remercie, mes compatriotes, mes bons amis;» comme si notre
+Angleterre lui devait revenir en héritage, et qu'il fût au premier degré
+l'espérance de nos sujets.</p>
+
+<p>GREEN.--Eh bien, il est parti; bannissons avec lui toutes ces idées.
+Maintenant songeons aux rebelles soulevés dans l'Irlande: il faut s'en
+occuper promptement, mon souverain, avant que de plus longs délais
+multiplient leurs moyens à leur avantage et au détriment de Votre
+Majesté.</p>
+
+<p>RICHARD.--Nous irons en personne à cette guerre; et comme une cour trop
+brillante et la libéralité de nos largesses ont rendu nos coffres un peu
+légers, nous nous trouvons forcés d'affermer nos domaines royaux pour en
+retirer un revenu qui puisse fournir aux affaires du moment. Si cela ne
+suffisait pas, nos lieutenants auront ici des blancs seings, au moyen
+desquels, quand ils sauront que les gens sont riches, ils leur
+imposeront de grosses sommes d'or qu'ils nous enverront pour faire face
+à nos besoins; car nous voulons partir sans délai pour l'Irlande.
+<span class="stage2">(<i>Entre Bushy.</i>)</span>--Quelles nouvelles, Bushy?</p>
+
+<p>BUSHY.--Le vieux Jean de Gaunt, seigneur, est dangereusement malade: il
+a été pris subitement, et il a envoyé un exprès en diligence pour
+conjurer Votre Majesté d'aller le visiter.</p>
+
+<p>RICHARD.--Où est-il?</p>
+
+<p>BUSHY.--A Ely-House.</p>
+
+<p>RICHARD.--Ciel, inspire à son médecin la pensée de l'aider à descendre
+promptement dans la tombe! La doublure de ses coffres nous ferait des
+habits pour équiper nos soldats de l'armée d'Irlande.--Venez, messieurs;
+allons tous le visiter, et prions le ciel qu'en faisant diligence nous
+arrivions trop tard.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+
+<p>FIN DU PREMIER ACTE.</p>
+<br>
+
+
+<h2>ACTE DEUXIÈME</h2>
+<br>
+<h3>SCÈNE I</h3>
+
+<p class="stage1">Un appartement à Ely-House.</p>
+
+<p class="stage1">GAUNT <i>sur un lit de repos</i>, LE DUC D'YORK, <i>et d'autres personnes
+autour de lui.</i></p>
+<br>
+<p>GAUNT.--Le roi viendra-t-il? Pourrai-je rendre le dernier soupir en
+donnant de salutaires conseils à sa jeunesse sans appui?</p>
+
+<p>YORK.--Cessez de vous tourmenter; ne forcez point votre poitrine, car
+c'est bien en vain que les conseils arrivent à son oreille.</p>
+
+<p>GAUNT.--Oh! mais on dit que la voix des mourants captive l'attention
+comme une solennelle harmonie; que lorsque les paroles sont rares, elles
+ne sont guère jetées en vain, car ils exhalent la vérité ceux qui
+exhalent leurs paroles dans la douleur, et celui qui ne parlera plus est
+plus écouté que ceux auxquels la jeunesse et la santé ont appris à
+causer. On remarque plus la fin des hommes que leurs vies précédentes;
+de même que le coucher du soleil, la dernière phrase d'un air, la
+dernière saveur d'un mets agréable sont plus douces à la fin et se
+gravent mieux dans la mémoire que les choses passées depuis longtemps.
+Quoique Richard ait refusé d'écouter les conseils de ma vie, les tristes
+discours de ma mort peuvent encore vaincre la dureté de son oreille.</p>
+
+<p>YORK.--Non, elle est bouchée par d'autres sons plus flatteurs, par
+exemple les éloges donnés à sa magnificence: on entend ensuite autour de
+lui des vers impurs dont les sons empoisonnés trouvent l'oreille de la
+jeunesse toujours ouverte pour les entendre; on l'entretient des modes
+de la superbe Italie, dont notre peuple cherche gauchement à singer, en
+les suivant de loin, les manières dans une honteuse imitation. Quelque
+part qu'il vienne de naître une frivolité dans le monde, quelque
+misérable qu'elle puisse être, pourvu qu'elle soit nouvelle, ne court-on
+pas aussitôt en étourdir l'oreille du roi? Tous les conseils arrivent
+trop tard là où la volonté se révolte contre les considérations de la
+raison. N'entreprends point de guider celui qui veut choisir son chemin
+lui-même. Il ne te reste qu'un souffle, et tu veux le perdre en vain!</p>
+
+<p>GAUNT.--Il me semble que je suis un prophète nouvellement inspiré, et
+voici ce qu'en expirant je prédis de lui: La fougue insensée de cette
+ardeur de désordre ne saurait durer, car les incendies violents sont
+bientôt éteints, les petites ondées durent longtemps; mais les orages
+soudains sont bientôt finis. Celui qui donne trop continuellement de
+l'éperon fatigue bientôt sa monture; et la nourriture avidement
+engloutie étouffe celui qui la dévore: l'imprévoyante vanité, cormoran
+insatiable, consomme ses ressources et finit par se dévorer
+elle-même.--Ce noble trône des rois; cette île souveraine, cette terre
+de majesté, ce séjour de Mars, ce nouvel Éden, ce demi-paradis, cette
+forteresse bâtie par la nature elle-même pour s'y retrancher contre la
+contagion et contre le bras de la guerre; cette heureuse race d'hommes,
+ce petit univers, cette pierre précieuse enchâssée dans la mer d'argent
+qui, comme un rempart ou comme un fossé creusé autour d'une maison, la
+défend contre la jalousie des contrées moins fortunées; ce sol béni du
+ciel, cette terre, ce royaume, cette Angleterre, cette nourrice, ce sein
+fécond en rois redoutés par la valeur de leur race, fameux par leur
+naissance, renommés par leurs exploits, que, pour le service de la
+chrétienté et l'honneur de la chevalerie ils ont portés loin de leur
+patrie, jusqu'au sépulcre qui est dans la rebelle Judée, le tombeau du
+fils de la bienheureuse Marie, la rançon de l'univers; cette chère,
+chère patrie, chérie pour sa réputation dans le monde entier, est
+maintenant (ah! je meurs de le prononcer) engagée à bail comme un fief
+ou une misérable ferme! L'Angleterre, ceinte d'une mer triomphante, dont
+le rivage rocailleux repousse les jaloux assauts de l'humide Neptune,
+est maintenant honteusement enchaînée par quelques taches d'encre et des
+liens de parchemin pourri.... cette Angleterre, qui était accoutumée à
+conquérir les autres, a fait d'elle-même une ignominieuse conquête. Ah!
+si ce scandale devait s'évanouir avec ma vie, combien me trouverais-je
+heureux de voir arriver la mort!</p>
+
+<p class="stage1">(Entrent le roi Richard, la reine<a id="footnotetag7" name="footnotetag7"></a>
+<a href="#footnote7"><sup class="sml">7</sup></a>, Aumerle, Bushy, Green, Bagot, Ross
+et Willoughby.)</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote7"
+name="footnote7"></a><b>Note 7:</b><a href="#footnotetag7">
+(retour) </a> Le personnage de la reine est de l'invention de Shakspeare.
+Richard, veuf d'Anne, soeur de l'empereur Venceslas, était fiancé depuis
+trois ans à Isabelle de France, qui n'en avait que dix.</blockquote>
+
+<p>YORK.--Voilà le roi arrivé. Ménagez sa jeunesse: un jeune cheval
+bouillant, si l'on s'irrite contre lui, s'en irrite bien davantage.</p>
+
+<p>LA REINE--Comment se porte notre noble oncle Lancastre?</p>
+
+<p>RICHARD.--Eh bien, vieillard, comment cela va-t-il? comment se trouve le
+vieux Gaunt?</p>
+
+<p>GAUNT.--Oh! comme ce nom<a id="footnotetag8" name="footnotetag8"></a>
+<a href="#footnote8"><sup class="sml">8</sup></a> convient à ma figure! Je suis un vieux
+desséché, en effet, et desséché parce que je suis vieux; le chagrin a
+gardé en moi une longue abstinence; et qui peut s'abstenir de nourriture
+et n'être pas desséché? J'ai veillé longtemps pour l'Angleterre
+endormie: les veilles engendrent la maigreur, et la maigreur est toute
+desséchée; ce plaisir qui sert quelquefois d'aliment à un père, la vue
+de mes enfants, j'en ai sévèrement jeûné; c'est au moyen de ce jeûne que
+tu m'as desséché. Je suis desséché comme il convient à la tombe,
+desséché comme la tombe dont les creuses entrailles ne renferment rien
+que des os.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote8"
+name="footnote8"></a><b>Note 8:</b><a href="#footnotetag8">
+(retour) </a> <i>Gaunt</i> en anglais signifie <i>mince, maigre, desséché</i>. Voici
+tout le passage, et cette suite de jeux de mots qui sont bien dans les
+habitudes d'esprit du temps, mais auxquels il a été impossible de
+trouver un équivalent en français:
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+ <p class="i10"><i>O, how that name befits my composition!</i></p>
+ <p class="i10"><i>Old Gaunt, indeed; and gaunt in being old:</i></p>
+ <p class="i10"><i>Within me grief hath kept a tedious fast,</i></p>
+ <p class="i10"><i>And who abstains from meat and is not gaunt?</i></p>
+ <p class="i10"><i>The pleasure, that some fathers feed upon,</i></p>
+ <p class="i10"><i>Is my strict fast, I mean, my children's looks,</i></p>
+ <p class="i10"><i>And therein fasting, hast thou made me Gaunt,</i></p>
+ <p class="i10"><i>Gaunt I am for the grave, Gaunt as a grave</i></p>
+ <p class="i10"><i>Whose hollow womb inherits nought but bones.</i></p>
+</div></div>
+</blockquote>
+
+<p>RICHARD.--Un malade peut-il jouer si subtilement sur son nom?</p>
+
+<p>GAUNT.--Non, la misère se plaît à se jouer d'elle-même. Puisque tu as
+cherché à tuer mon nom dans ma personne; j'insulte à mon nom, grand roi,
+pour te flatter.</p>
+
+<p>RICHARD.--Les mourants devraient-ils flatter les vivants?</p>
+
+<p>GAUNT.--Non, non, mais les vivants flattent les mourants.</p>
+
+<p>RICHARD.--Mais toi qui te meurs maintenant, tu prétends que tu me
+flattes?</p>
+
+<p>GAUNT.--Oh! non, c'est toi qui te meurs, bien que je sois le plus
+malade.</p>
+
+<p>RICHARD.--Moi, je suis en santé, je respire, et je te vois bien malade.</p>
+
+<p>GAUNT.--Celui qui m'a fait sait combien je te vois malade, malade
+moi-même à cause de ce que je vois, et en te voyant malade; ton lit de
+mort est aussi vaste que ton pays où tu languis malade dans ta
+réputation. Et toi, malade trop insouciant, tu confies la guérison de
+ton corps oint du Seigneur aux médecins mêmes qui t'ont blessé. En
+dedans de cette couronne, dont le cercle n'est pas plus grand que ta
+tête, siége un millier de flatteurs qui, bien que renfermés dans cet
+étroit espace, étendent leurs dégâts jusqu'aux confins de ton pays. Oh!
+si ton grand-père eût pu voir d'un oeil prophétique, comment le fils de
+son fils ruinerait sa postérité, il aurait pris soin de placer ta honte
+hors de ta portée, en te déposant avant que tu entrasses en possession,
+puisque tu ne possèdes aujourd'hui que pour te déposer toi-même. Oui,
+mon neveu, quand tu serais le maître du monde entier, il serait encore
+honteux de donner ce pays à bail: mais lorsque ton univers se borne, à
+la possession de ce pays, n'est-il pas plus que honteux de le réduire à
+cette honte? Tu n'es à présent que l'intendant de l'Angleterre, et non
+pas son roi: tu as soumis ton esclave, ta puissance royale à la loi, et
+tu es....<a id="footnotetag9" name="footnotetag9"></a>
+<a href="#footnote9"><sup class="sml">9</sup></a></p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote9"
+name="footnote9"></a><b>Note 9:</b><a href="#footnotetag9">
+(retour) </a> <i>The state of law is bondslave to the law.</i></blockquote>
+
+<p>RICHARD.--Un imbécile lunatique à la tête faible qui te prévaux des
+priviléges de la maladie pour oser, chassant avec violence le sang royal
+de sa résidence naturelle, faire pâlir nos joues par ta morale glacée.
+Mais, j'en jure la majesté royale de mon trône, si tu n'étais pas le
+frère du fils du grand Édouard, ta langue, qui roule si grand train dans
+ta bouche, ferait rouler ta tête de dessus tes insolentes épaules.</p>
+
+<p>GAUNT.--Fils de mon frère Édouard, oh! ne m'épargne pas parce que je
+suis le fils d'Édouard son père. Semblable au pélican, tu l'as déjà fait
+couler ce sang, tu l'as bu dans tes orgies. Mon frère Glocester, cette
+âme simple et de bonnes intentions (veuille le ciel l'admettre au nombre
+des âmes heureuses!), peut servir d'exemple et de témoignage pour
+démontrer que tu ne te fais pas scrupule de verser le sang d'Édouard.
+Ligue-toi avec mon mal actuel, et que ta cruauté, comme la faux de la
+vieillesse, moissonne d'un coup une fleur depuis trop longtemps flétrie.
+Vis dans ta honte, mais que ta honte ne meure pas avec toi, et que ces
+paroles fassent ton supplice dans l'avenir!--Reportez-moi dans mon lit,
+et de mon lit à la tombe. Qu'ils aiment la vie ceux qui y trouvent de la
+tendresse et de l'honneur!</p>
+
+<p class="stage1">(Il sort emporté par les gens de sa suite.)</p>
+
+<p>RICHARD.--Et ceux-là font bien de mourir qui sont vieux et chagrins. Tu
+es tous les deux, et par là le tombeau te convient doublement.</p>
+
+<p>YORK.--Je supplie Votre Majesté de n'imputer ses paroles qu'à l'humeur
+de la maladie et de la vieillesse. Il vous aime, sur ma vie, et vous
+tient pour aussi cher qu'Henri duc d'Hereford, s'il était ici.</p>
+
+<p>RICHARD.--C'est vrai, vous dites la vérité; son amour pour moi ressemble
+à celui d'Hereford; et le mien est comme le leur.... Que les choses
+soient ce qu'elles sont.</p>
+
+<p class="stage1">(Entre Northumberland.)</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--Mon souverain, le vieux Gaunt se recommande au souvenir
+de Votre Majesté.</p>
+
+<p>RICHARD.--Que dit-il maintenant?</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--Rien vraiment. Tout est dit; sa langue est maintenant
+un instrument sans cordes: le vieux Lancastre a dépensé vie, paroles, et
+tout le reste.</p>
+
+<p>YORK.--Qu'York soit après lui le premier qui fasse ainsi banqueroute! La
+mort, tout indigente qu'elle est, met un terme à des douleurs mortelles.</p>
+
+<p>RICHARD.--Le fruit le plus mûr tombe le premier: ainsi fait-il: c'est
+son tour, son temps est passé: c'est celui de notre voyage à nous
+autres. C'en est assez là-dessus.--Maintenant songeons à nos guerres
+d'Irlande. Il nous faut chasser ces sauvages Kernes à la chevelure
+crépue, qui existent comme un venin là où n'a la permission de résider
+aucun autre venin qu'eux-mêmes<a id="footnotetag10" name="footnotetag10"></a>
+<a href="#footnote10"><sup class="sml">10</sup></a>. Et pour cette importante expédition,
+nous avons besoin de subsides qui nous aident à la soutenir: nous
+saisissons donc l'argenterie, l'argent monnayé, les revenus et le
+mobilier que possédait notre oncle Gaunt.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote10"
+name="footnote10"></a><b>Note 10:</b><a href="#footnotetag10">
+(retour) </a> Il était de tradition que, grâce à la protection de saint
+Patrick, aucun animal venimeux ne pouvait vivre en Irlande.</blockquote>
+
+<p>YORK.--Jusques à quand serai-je patient? Combien de temps encore mon
+tendre attachement à mon devoir me fera-t-il supporter l'injustice? Ni
+la mort de Glocester, ni le bannissement d'Hereford, ni les affronts de
+Gaunt, ni les maux domestiques de l'Angleterre, ni les empêchements
+apportés au mariage de ce pauvre Bolingbroke<a id="footnotetag11" name="footnotetag11"></a>
+<a href="#footnote11"><sup class="sml">11</sup></a>, ni ma propre disgrâce,
+n'ont jamais apporté une nuance d'aigreur sur mon visage soumis, ne
+m'ont jamais fait porter sur mon souverain un regard irrité.--Je suis le
+dernier des fils du noble Édouard, dont ton père, le prince de Galles,
+était le premier. Jamais lion ne fut plus terrible dans la guerre,
+jamais paisible agneau ne fut plus doux dans la paix que ne l'était ce
+noble jeune homme. Tu as ses traits; oui, c'était là son air à l'âge où
+il comptait le même nombre d'heures que toi. Mais lorsqu'il prenait un
+front menaçant, c'était contre le Français, et non contre ses amis; sa
+main victorieuse conquérait ce qu'elle dépensait, et ne dépensait pas ce
+qu'avait conquis le bras triomphant de son père; ses mains ne furent
+jamais souillées du sang de ses parents; elles ne furent teintes que du
+sang des ennemis de sa race.--O Richard! York est trop accablé par la
+douleur: sans elle il ne vous eût jamais comparés.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote11"
+name="footnote11"></a><b>Note 11:</b><a href="#footnotetag11">
+(retour) </a> Il fut question, dit-on, pendant l'exil du duc d'Hereford en
+France de lui donner en mariage la fille du duc de Berry, mais Richard
+s'y opposa.</blockquote>
+
+<p>RICHARD.--Eh bien, quoi, mon oncle, qu'est-ce que c'est?</p>
+
+<p>YORK.--O mon souverain, pardonnez-moi si c'est votre bon plaisir; sinon,
+content de n'être pas pardonné, je suis également satisfait. Quoi! vous
+voulez saisir et retenir en vos mains les droits souverains et les biens
+d'Hereford exilé? Gaunt n'est-il pas mort? Hereford n'est-il pas vivant?
+Gaunt ne fut-il pas un homme d'honneur? Henri n'est-il pas fidèle? Le
+père ne mérite-il pas un héritier? son héritier n'est-il pas un fils
+bien méritant? Si tu enlèves à Hereford ses droits, et au temps ses
+chartes et ses droits coutumiers, que demain ne succède donc plus à
+aujourd'hui; ne sois plus ce que tu es: car comment es-tu roi, si ce
+n'est par une descendance et une succession légitime? Maintenant devant
+Dieu, et Dieu me prescrit de dire la vérité, si par une injustice vous
+vous emparez de l'héritage d'Hereford, si vous mettez en question les
+lettres patentes présentées par ses mandataires pour revendiquer sa
+succession, et que vous refusiez l'hommage qu'il vous offre, vous
+attirez mille dangers sur votre tête, vous perdez mille coeurs bien
+disposés pour vous, et vous forcez la patience de mon attachement à des
+pensées que ne peuvent se permettre l'honneur et la fidélité.</p>
+
+<p>RICHARD.--Pensez ce qu'il vous plaira: nous saisissons dans nos mains
+son argenterie, son argent, ses biens et ses terres.</p>
+
+<p>YORK.--Je n'en serai pas témoin. Adieu, mon souverain.--Personne ne peut
+dire quelles seront les suites de ceci: mais d'injustes actions donnent
+lieu de présumer que leurs suites ne peuvent jamais être heureuses.</p>
+
+<p class="stage1">(Il sort.)</p>
+
+<p>RICHARD.--Bushy, allez sans délai trouver le comte de Wiltshire<a id="footnotetag12" name="footnotetag12"></a>
+<a href="#footnote12"><sup class="sml">12</sup></a>;
+dites-lui de se rendre auprès de nous à Ely-House pour voir à cette
+affaire. Demain nous partons pour l'Irlande, et je crois qu'il en est
+bien temps. Nous créons notre oncle York lord gouverneur de l'Angleterre
+en notre absence, car c'est un homme juste et qui nous a toujours
+tendrement aimé.--Venez, ma reine; demain il faudra nous séparer:
+réjouissons-nous, car nous n'avons que peu de temps à passer ensemble.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote12"
+name="footnote12"></a><b>Note 12:</b><a href="#footnotetag12">
+(retour) </a> Ce fut, selon le bruit qui en courut alors, au comte de
+Wiltshire, à Bushy, à Green et à Bagot que le roi afferma son royaume.</blockquote>
+
+<p class="stage1">(Fanfares.--Sortent le roi, la reine, Bushy, Aumerle, Green et Bagot.)</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--Eh bien, seigneur, le duc de Lancastre est donc mort?</p>
+
+<p>ROSS.--Et vivant, car maintenant son fils est duc.</p>
+
+<p>WILLOUGHBY.--De nom seulement, mais non quant au revenu.</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--Il serait riche en titre et en fortune si la justice
+avait ses droits.</p>
+
+<p>ROSS.--Mon coeur est grand, mais il rompra sous le silence avant que je
+donne à mes paroles la liberté de le décharger.</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--Allons, dis ce que tu penses, et que la parole soit
+interdite pour jamais à celui qui répétera les tiennes pour te nuire!</p>
+
+<p>WILLOUGHBY.--Ce que tu veux dire intéresse-t-il le duc d'Hereford? S'il
+en est ainsi, parle hardiment, ami: j'ai l'oreille fine pour entendre ce
+qui lui est bon.</p>
+
+<p>ROSS.--Je ne puis lui être bon à rien du tout, à moins que vous
+n'appeliez lui être bon à quelque chose de le plaindre en le voyant
+ainsi dépouillé et mutilé<a id="footnotetag13" name="footnotetag13"></a>
+<a href="#footnote13"><sup class="sml">13</sup></a> dans son patrimoine.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote13"
+name="footnote13"></a><b>Note 13:</b><a href="#footnotetag13">
+(retour) </a> <i>Gelded</i>.</blockquote>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--Par le ciel, c'est une honte de souffrir dans ce
+royaume en décadence qu'on lui fasse de semblables injustices, à lui
+prince du sang royal, et à tant d'autres de noble race. Le roi n'est
+plus lui-même; il se laisse lâchement gouverner par des flatteurs; et
+tout ce qu'ils voudront raconter par pure haine contre chacun de nous
+tous, le roi le poursuivra avec rigueur contre nous, notre vie, nos
+enfants et nos héritiers.</p>
+
+<p>ROSS.--Il a ruiné les communes par des taxes accablantes, et il a tout à
+fait perdu leurs coeurs: il a, pour de vieilles querelles, condamné les
+nobles à des amendes, et il a aussi perdu, leurs coeurs.</p>
+
+<p>WILLOUGHBY.--Et chaque jour on invente de nouvelles exactions, comme
+<i>blancs seings</i>, <i>dons gratuits</i>, et je ne sais pas quoi. Mais, au nom
+de Dieu, que devient tout cela?</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--Ce n'est pas la guerre qui l'a consumé, car il n'a
+point fait la guerre: il a honteusement livré par contrat ce que ses
+ancêtres avaient conquis à force de coups: il a plus dépensé dans la
+paix qu'ils n'ont fait dans toutes leurs guerres.</p>
+
+<p>ROSS.--Le comte de Wiltshire tient le royaume à ferme.</p>
+
+<p>WILLOUGHBY.--Le roi s'est fait banqueroutier, comme un homme ruiné.</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--L'opprobre et la destruction sont suspendus sur sa
+tête.</p>
+
+<p>ROSS.--Malgré ses lourdes taxes, il n'aura point d'argent pour ces
+guerres d'Irlande, s'il ne le vole au duc banni.</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--Son noble parent!--O roi dégénéré!--Mais, milords, nous
+entendons siffler cette horrible tempête, et nous ne cherchons aucun
+abri contre l'orage. Nous voyons les vents serrer de près nos voiles,
+et, sans songer à les carguer, nous nous laissons tranquillement périr.</p>
+
+<p>ROSS.--Nous voyons le naufrage qui nous attend, et le danger est
+inévitable maintenant, parce que nous avons trop supporté les causes de
+notre perte.</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--Non, il n'est point inévitable; à travers les yeux
+creusés de la mort même, je vois poindre la vie: mais je n'ose dire
+combien est proche la nouvelle de notre salut.</p>
+
+<p>WILLOUGHBY.--Allons, fais-nous part de tes pensées, comme nous te
+faisons part des nôtres.</p>
+
+<p>ROSS.--Northumberland, parle avec confiance; tous trois nous ne faisons
+qu'un avec toi; et en parlant, tes paroles demeurent comme des pensées.
+Sois donc sans crainte.</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--Eh bien, alors, j'ai reçu avis de Port-le-Blanc (une
+baie de la Bretagne) que Henri Hereford, Reynold, lord Cobham, le fils
+de Richard comte d'Arundel<a id="footnotetag14" name="footnotetag14"></a>
+<a href="#footnote14"><sup class="sml">14</sup></a>, échappé dernièrement de chez le duc
+d'Exeter son frère, ci-devant archevêque de Cantorbéry; sir Thomas
+Erpingham, sir John Ramston, sir John Norbery, sir Robert Waterton, et
+François Quoint, tous bien pourvus de munitions par le duc de Bretagne,
+font force de voiles vers l'Angleterre, montés sur huit gros vaisseaux
+avec trois mille hommes de guerre, et se proposent d'aborder sous peu
+sur nos côtes septentrionales; et peut-être y seraient-ils déjà, si ce
+n'est qu'ils attendent d'abord le départ du roi pour l'Irlande. Si donc
+nous voulons secouer le joug de la servitude, regarnir de plumes les
+ailes brisées de notre patrie languissante, racheter la couronne ternie
+à l'usurier qui la tient en gage, essuyer la poussière qui couvre l'or
+de notre sceptre, et rendre à la royauté sa majesté naturelle, venez
+avec moi en toute hâte à Ravensburg. Si vous faiblissez, retenus par la
+crainte, restez ici, gardez notre secret, et moi j'y cours.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote14"
+name="footnote14"></a><b>Note 14:</b><a href="#footnotetag14">
+(retour) </a> <i>The son of Richard, earl of Arundel.</i>
+
+<p>Ce vers, qui n'est point dans les anciennes éditions de Shakspeare, a
+été suppléé par ses commentateurs, attendu que ce comte d'Arundel, cité
+par Hollinshed dans la liste de ceux qui s'embarquèrent avec
+Bolingbroke, et que Shakspeare lui a d'ailleurs empruntée, est le seul à
+qui puisse s'appliquer le vers suivant:</p>
+
+<p class="mid"><i>That late broke from the duke of Exeter.</i></p>
+
+<p>Thomas, comte d'Arundel, dont le père, Richard, avait été décapité à la
+Tour, avait été mis, à ce qu'il paraît, en quelque sorte sous la
+surveillance du duc d'Exeter, de chez lequel il s'échappa pour joindre
+Bolingbroke: seulement il était neveu, et non pas frère de Thomas
+Arundel, archevêque de Cantorbéry, privé de son siége par le pape à la
+demande du roi.</p></blockquote>
+
+<p>ROSS.--A cheval, à cheval! Propose tes doutes à ceux qui ont peur.</p>
+
+<p>WILLOUGHBY.--Si mon cheval résiste, j'y serai le premier.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+<br>
+
+<h3>SCÈNE II</h3>
+
+<p class="stage1">La scène est toujours en Angleterre.--Un appartement dans le palais.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> LA REINE, BUSHY, BAGOT.</p>
+
+<br>
+<p>BUSHY.--Madame, Votre Majesté est beaucoup trop triste. Vous avez
+promis au roi, en le quittant, d'écarter cette mélancolie dangereuse et
+d'entretenir la sérénité dans votre âme.</p>
+
+<p>LA REINE.--Je l'ai promis pour plaire au roi; mais si je veux me
+plaire à moi-même, cela m'est impossible. Cependant je ne me connais
+aucun sujet pour accueillir un hôte tel que le chagrin, si ce n'est
+d'avoir dit adieu à un hôte aussi cher que me l'est mon cher Richard: et
+pourtant il me semble que quelque malheur, encore à naître, mais prêt à
+sortir du sein de la fortune, s'avance en ce moment vers moi: le fond de
+mon âme tremble de rien, et elle s'afflige de quelque chose de plus que
+de l'éloignement du roi mon époux.</p>
+
+<p>BUSHY.--Chaque cause réelle de douleur a vingt ombres qui ressemblent
+au chagrin, sans l'être: l'oeil de l'affliction, terni par les larmes
+qui l'aveuglent, décompose une seule chose en plusieurs objets: comme
+ces peintures qui, vues de face, n'offrent que des traits confus, et
+qui, regardées obliquement, présentent des formes distinctes; ainsi
+Votre chère Majesté, considérant de côté le départ du roi, y voit à
+déplorer des apparences de chagrins en dehors de lui, et qui, vues
+telles qu'elles sont, ne sont que des ombres de ce qui n'est pas. Ainsi,
+reine trois fois gracieuse, ne pleurez rien de plus que le départ de
+votre seigneur: il n'y a rien de plus à voir, ou si vous voyez quelque
+chose c'est de l'oeil trompeur du chagrin, qui dans les maux réels
+pleure des maux imaginaires.</p>
+
+<p>LA REINE.--Cela peut être, mais mon coeur me persuade intérieurement
+qu'il en est autrement: quoi qu'il en soit, je ne puis m'empêcher d'être
+triste, et si mortellement triste que, quoique en pensant je ne m'arrête
+à aucune pensée, mon âme frémit et succombe sous ce pesant néant.</p>
+
+<p>BUSHY.--Ce n'est rien, gracieuse dame, qu'un caprice de l'imagination.</p>
+
+<p>LA REINE.--C'est tout autre chose; car l'imagination prend naissance de
+quelque chagrin qui lui sert d'ancêtre, et je ne suis pas dans ce cas.
+Ou le chagrin que j'éprouve est né sans cause, ou d'une véritable cause
+est né pour moi un chagrin sans réalité. Je possède déjà ce qui doit me
+revenir, mais comme une chose encore inconnue, que je ne puis nommer;
+c'est un malheur sans nom que je sens.</p>
+
+<p class="stage1">(Entre Green.)</p>
+
+<p>GREEN.--Que le ciel conserve Votre Majesté!--Et vous, messieurs, je suis
+bien aise de vous rencontrer.--J'espère que le roi n'est pas encore
+embarqué pour l'Irlande.</p>
+
+<p>LA REINE.--Et pourquoi l'espères-tu? Il vaut mieux espérer qu'il l'est;
+car ses desseins exigent de la célérité, et c'est sur cette célérité que
+se fondent nos espérances. Pourquoi donc espères-tu qu'il n'est pas
+embarqué?</p>
+
+<p>GREEN.--C'est qu'il aurait pu, lui en qui nous espérons, ramener ses
+troupes sur leurs pas, et changer en désespoir les espérances d'un
+ennemi débarqué en force dans ce royaume. Le banni Bolingbroke se
+rappelle lui-même, et, les armes à la main, est arrivé en sûreté jusqu'à
+Ravensburg.</p>
+
+<p>LA REINE.--Que le Dieu du ciel nous en préserve!</p>
+
+<p>GREEN.--Oh! madame, cela n'est que trop vrai! et ce qu'il y a de plus
+fâcheux encore, c'est que lord Northumberland, son jeune fils Henry
+Percy, les lords Ross, Beaumont, et Willoughby, ont couru le rejoindre
+avec tous leurs puissants amis.</p>
+
+<p>BUSHY.--Pourquoi n'avez-vous pas déclaré traîtres Northumberland et tout
+le reste de cette faction rebelle?</p>
+
+<p>GREEN.--Nous l'avons fait; et aussitôt le comte de Worcester a brisé son
+bâton, a remis sa dignité de grand maître d'hôtel, et tous les officiers
+de la maison du roi ont volé avec lui vers Bolingbroke.</p>
+
+<p>LA REINE.--Ainsi, Green, c'est vous qui êtes la sage-femme de mon
+malheur; et Bolingbroke est le funeste héritier qu'avait conçu mon
+chagrin. Enfin mon âme a enfanté son monstre; et, comme une mère encore
+haletante après sa délivrance, j'accumule douleurs sur douleurs et
+chagrins sur chagrins.</p>
+
+<p>BUSHY.--Ne désespérez pas, madame.</p>
+
+<p>LA REINE.--Et qui peut m'en empêcher? Oui, je désespère et me déclare
+ennemie de la trompeuse espérance; c'est une flatteuse, une parasite qui
+retient les pas de la mort, qui dissoudrait doucement les liens de la
+vie, si la perfide espérance ne faisait traîner nos derniers moments.</p>
+
+<p class="stage1">(Entre York.)</p>
+
+<p>GREEN.--Voici le duc d'York.</p>
+
+<p>LA REINE.--Avec l'armure de la guerre sur ses épaules vieillies. Oh! ses
+regards sont remplis de soucis inquiets!--Mon oncle, au nom du ciel,
+dites-nous des paroles consolantes.</p>
+
+<p>YORK.--Si je le faisais, je mentirais à mes pensées: les consolations
+sont dans le ciel, et nous sommes sur la terre où l'on ne trouve que
+croix, peines et chagrins. Votre mari est allé sauver au loin ce que
+d'autres vont lui faire perdre ici. Il m'a laissé pour être l'appui de
+son royaume, moi qui, affaibli par l'âge, ne puis me soutenir moi-même!
+La voici arrivée l'heure de maladie amenée par ses excès! c'est
+maintenant qu'il va faire l'épreuve des amis qui l'ont flatté.</p>
+
+<p class="stage1">(Entre un serviteur.)</p>
+
+<p>LE SERVITEUR.--Milord, votre fils était parti avant que j'arrivasse.</p>
+
+<p>YORK.--Il était parti? A la bonne heure; que tout aille comme cela
+voudra. La noblesse a déserté; les communes sont froides, et je crains
+bien qu'elles ne se révoltent et ne se déclarent pour Hereford. Mon ami,
+va à Plashy trouver ma soeur Glocester; dis-lui de m'envoyer
+sur-le-champ mille livres.--Tiens, prends mon anneau.</p>
+
+<p>LE SERVITEUR.--Milord, j'avais oublié de le dire à Votre Seigneurie, j'y
+suis entré aujourd'hui en passant par là--Mais je vais vous affliger si
+je vous dis le reste.</p>
+
+<p>YORK.--Quoi, misérable?</p>
+
+<p>LE SERVITEUR.--Une heure avant mon arrivée, la duchesse était morte.</p>
+
+<p>YORK.--Que le ciel ait pitié de nous! Quel déluge de maux vient fondre à
+la fois sur ce malheureux pays!--Je ne sais que faire.--Plût à Dieu,
+pourvu qu'il n'y eût pas été poussé par mon infidélité, que le roi eût
+fait tomber ma tête avec celle de mon frère.--A-t-on fait partir des
+courriers pour l'Irlande?--Comment trouverons-nous de l'argent pour
+fournir à cette guerre?--Venez ma soeur.... Je voulais dire ma nièce;
+pardonnez-moi, je vous prie. <span class="stage2">(<i>Au serviteur.</i>)</span>--Va, mon garçon, va chez
+moi, procure-toi quelques chariots, et apporte les armes que tu
+trouveras.--Messieurs, voulez-vous aller rassembler des soldats?--Si je
+sais comment et par quelle voie mettre fin à ces affaires qu'on a jetées
+ainsi tout embrouillées dans mes mains, ne me croyez jamais.--Tous les
+deux sont mes parents.--L'un est mon souverain, que mon serment et mon
+devoir m'ordonnent de défendre; et l'autre est également mon parent, que
+le roi a injustement dépouillé, à qui ma conscience et les liens du sang
+m'ordonnent de faire justice.--Allons, il faut pourtant faire quelque
+chose.--Venez, ma nièce, je vais disposer de vous.--Vous, allez,
+rassemblez vos troupes, et venez me trouver sans délai au château de
+Berkley. Il serait nécessaire aussi que j'allasse à Plashy, mais le
+temps ne me le permet pas.--Tout est en désordre, tout est laissé sens
+dessus dessous<a id="footnotetag15" name="footnotetag15"></a>
+<a href="#footnote15"><sup class="sml">15</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote15"
+name="footnote15"></a><b>Note 15:</b><a href="#footnotetag15">
+(retour) </a> <i>..... Every thing is left at six and seven.</i></blockquote>
+
+<p class="stage1">(York et la reine sortent.)</p>
+
+<p>BUSHY.--Les vents sont favorables pour porter des nouvelles en Irlande,
+mais aucune n'en arrive.--Quant à nous, lever une armée proportionnée à
+celle de l'ennemi, c'est ce qui nous est tout à fait impossible.</p>
+
+<p>GREEN.--D'ailleurs, de l'attachement qui nous unit étroitement au roi,
+il n'y a pas loin à la haine de ceux qui n'aiment pas le roi.</p>
+
+<p>BAGOT.--Oui, la haine de ces communes indécises; car leur affection loge
+dans leur bourse: quiconque la vide remplit d'autant leur coeur d'une
+haine mortelle.</p>
+
+<p>BUSHY.--Et c'est pourquoi le roi est généralement condamné.</p>
+
+<p>BAGOT.--Si le jugement dépend d'eux, nous le sommes aussi, nous qui
+avons toujours été près du roi.</p>
+
+<p>GREEN.--Eh bien, pour moi, je vais m'aller réfugier dans le château de
+Bristol; le comte de Wiltshire y est déjà.</p>
+
+<p>BUSHY.--Je m'y rendrai avec vous; car ces détestables communes ne feront
+pas grand'chose pour nous, si ce n'est de nous mettre tous en pièces
+comme des chiens.--Venez-vous avec nous?</p>
+
+<p>BAGOT.--Non: je me rends, en Irlande, auprès de Sa Majesté.--Adieu; si
+les pressentiments du coeur ne sont pas vains, nous voilà trois ici qui
+nous séparons pour ne jamais nous revoir.</p>
+
+<p>BUSHY.--Cela dépend du succès qu'aura York pour chasser Bolingbroke.</p>
+
+<p>GREEN.--Hélas! ce pauvre duc! il entreprend là une tâche.... C'est comme
+s'il voulait boire l'Océan jusqu'à la dernière goutte, ou compter ses
+grains de sable.--Pour un qui va combattre avec lui, il en désertera
+mille.</p>
+
+<p>BUSHY.--Adieu tout de suite pour cette fois, pour tous et pour toujours.</p>
+
+<p>GREEN.--Bon! nous pouvons nous retrouver encore.</p>
+
+<p>BAGOT.--Jamais, je le crains.</p>
+<br>
+
+
+<h3>SCÈNE III</h3>
+
+<p class="stage1">Les landes du comté de Glocester.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> BOLINGBROKE et NORTHUMBERLAND <i>avec des troupes</i>.</p>
+<br>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Combien y a-t-il encore d'ici à Berkley, milord?</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--En vérité, noble seigneur, je suis absolument étranger
+dans le comté de Glocester. La hauteur de ces montagnes sauvages, la
+rudesse de ces chemins inégaux, allongent nos milles et augmentent la
+fatigue; et cependant l'agrément de votre conversation a été comme du
+sucre et a rendu ces mauvais chemins doux et délicieux. Mais je songe
+quelle fatigue éprouveront Ross; et Willoughby dans leur route de
+Ravensburg à Costwold, où ils n'auront pas votre compagnie qui, je vous
+le proteste, a tout à fait trompé pour moi l'ennui et la longueur du
+voyage. Mais le leur est adouci par l'espérance de jouir de l'avantage
+que je possède actuellement; et l'espérance du plaisir est, à peu de
+chose près, un plaisir égal à celui de la jouissance. Ce sentiment
+abrégera le chemin pour les deux seigneurs fatigués, comme l'a abrégé
+pour moi la jouissance présente de votre noble compagnie.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Ma compagnie vaut beaucoup moins que vos paroles
+obligeantes.--Mais qui vient à nous?....</p>
+
+<p class="stage1">(Entre Henri Percy.)</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--C'est mon fils, le jeune Percy, envoyé par mon frère
+Worcester, de quelque lieu qu'il arrive.--Henri, comment se porte votre
+oncle?</p>
+
+<p>PERCY.--Je pensais, milord, que vous me donneriez de ses nouvelles.</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--Comment, n'est-il pas avec la reine?</p>
+
+<p>PERCY.--Non, mon bon seigneur, il a abandonné la cour, brisé les
+insignes de sa dignité, et dispersé la maison du roi.</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--Quelle a été sa raison? Il n'avait pas cette intention
+la dernière fois que nous nous sommes entretenus ensemble.</p>
+
+<p>PERCY.--C'est parce que Votre Seigneurie a été déclarée traître. Quant à
+lui, milord, il est allé à Ravensburg offrir ses services au duc
+d'Hereford; et il m'a envoyé par Berkley pour découvrir quelles étaient
+les forces que le duc d'York y avait rassemblées, avec ordre de me
+rendre ensuite à Ravensburg.</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--Eh bien, mon enfant, est-ce que vous avez oublié le duc
+d'Hereford?</p>
+
+<p>PERCY.--Non, mon bon seigneur, car je n'ai pu oublier ce que je n'ai
+jamais eu à me rappeler. Je ne sache pas l'avoir jamais vu de ma vie.</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--Eh bien, apprenez à le connaître aujourd'hui. Voilà le
+duc.</p>
+
+<p>PERCY.--Mon gracieux seigneur, je vous offre mes services tels qu'ils
+sont; je suis jeune, neuf et faible encore, mais les années, en me
+mûrissant, pourront rendre mes services plus utiles et plus dignes de
+votre approbation.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Je te remercie, aimable Percy; et sois certain que je
+regarde comme mon plus grand bonheur de posséder un coeur qui se
+souvient de ses bons amis. A mesure que ma fortune croîtra avec ton
+affection, elle deviendra la récompense de cette affection fidèle. Mon
+coeur fait ce traité, et ma main le scelle ainsi.</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--Quelle est la distance d'ici à Berkley, et quels sont
+les mouvements qu'y faits le bon vieux York avec ses hommes de guerre?</p>
+
+<p>PERCY.--Là-bas, près de cette touffe d'arbres, est la forteresse,
+défendue par trois cents hommes, à ce que j'ai ouï dire; et là sont
+renfermés les lords d'York, Berkley et Seymour. On n'y compte aucun
+autre homme de nom et distingué par sa noblesse.</p>
+
+<p class="stage1">(Entrent Ross et Willoughby.)</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--Voici les lords de Ross et Willoughby: leurs éperons
+sont tout sanglants, et leur visage est enflammé de la course.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Soyez les bienvenus, milords: je sens bien que votre
+amitié s'attache aux pas d'un traître banni. Toute ma richesse se borne
+encore à des remercîments sans effets, qui, devenus plus riches, sauront
+récompenser votre amour et vos travaux.</p>
+
+<p>ROSS.--Très-noble seigneur, votre présence nous fait riches.</p>
+
+<p>WILLOUGHBY.--Et elle surpasse de beaucoup la fatigue que nous avons
+subie pour en jouir.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Recevez encore des remercîments, seul trésor du pauvre, le
+seul d'où je puisse tirer mes bienfaits, jusqu'à ce que ma fortune, au
+berceau, ait acquis des années.--Mais qui vient à nous?</p>
+
+<p class="stage1">(Entre Berkley.)</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--C'est, si je ne le trompe, lord Berkley.</p>
+
+<p>BERKLEY.--Milord d'Hereford, c'est à vous que s'adresse mon message.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Milord, je ne réponds qu'au nom de Lancastre, et je suis
+venu chercher ce nom en Angleterre: il faut que je trouve ce titre dans
+votre bouche avant que je réponde à rien de ce que vous pourrez me dire.</p>
+
+<p>BERKLEY.--Ne vous méprenez pas sur mes paroles, milord: ce n'est pas mon
+intention d'effacer aucun de vos titres d'honneur.--Je viens vers vous,
+milord.... (ce que vous voudrez), de la part du très-glorieux régent de
+ce royaume, le duc d'York, pour savoir ce qui vous excite à profiter de
+l'absence du roi pour troubler la paix de notre pays avec des armes
+forgées dans son sein.</p>
+
+<p class="stage1">(Entre York avec sa suite.)</p>
+
+<p>BOLINGBROKE, <span class="stage2"><i>à Berkley.</i></span>--Je n'aurai pas besoin de transmettre par vous
+ma réponse: voilà Sa Seigneurie en personne. <span class="stage2">(<i>Il fléchit le
+genou.</i>)</span>--Mon noble oncle!</p>
+
+<p>YORK.--Que je voie s'abaisser devant moi ton coeur et non tes genoux,
+dont le respect est faux et trompeur.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Mon gracieux oncle!....</p>
+
+<p>YORK.--Cesse, cesse; ne me gratifie pas du titre de <i>grâce</i>, ni de celui
+d'<i>oncle</i>: je ne suis point l'oncle d'un traître, et ce titre de <i>grâce</i>
+a mauvaise grâce dans ta bouche sacrilège<a id="footnotetag16" name="footnotetag16"></a>
+<a href="#footnote16"><sup class="sml">16</sup></a>. Pourquoi les pieds d'un
+banni, d'un proscrit, ont-ils osé toucher la poussière du sol
+d'Angleterre? mais surtout, pourquoi ont-ils osé traverser tant de
+milles sur son sein paisible, et effrayer ses pâles hameaux par
+l'appareil de la guerre et une ostentation de forces que je méprise?
+Viens-tu parce que le roi consacré n'est pas ici? Mais, jeune insensé,
+le roi est demeuré dans ma personne, son autorité a été remise à mon
+coeur loyal. Ah! si je possédais encore ma bouillante jeunesse, comme au
+temps où le brave Gaunt ton père, et moi, nous délivrâmes le Prince
+Noir, ce jeune Mars parmi les hommes, du milieu des rangs de tant de
+milliers de Français, oh! comme ce bras, que la paralysie retient
+captif, t'aurait bientôt puni et châtié de ta faute!</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote16"
+name="footnote16"></a><b>Note 16:</b><a href="#footnotetag16">
+(retour) </a> <i>In an ungracious mouth, is but profane.</i> Il a fallu s'écarter
+un peu du sens littéral pour conserver le jeu de mots.</blockquote>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Mon gracieux oncle, faites-moi connaître ma faute, et
+quelle en est la nature et la gravité.</p>
+
+<p>YORK.--Elle est de la nature la plus grave.--Une révolte ouverte et une
+trahison détestable! Tu es un homme banni, et tu reviens ici avant
+l'expiration du terme de ton exil, bravant ton souverain les armes à la
+main!</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Quand je fus banni, j'étais Hereford banni, mais
+maintenant je reviens Lancastre: et mon digne oncle, j'en conjure Votre
+Grâce, examinez d'un oeil impartial les injures que j'ai souffertes.
+Vous êtes mon père, car il me semble qu'en vous je vois vivre encore le
+vieux Gaunt; ô vous donc, mon père, souffrirez-vous que je reste
+condamné au sort d'un vagabond errant, mes droits et mon royal héritage
+arrachés de mes mains par la violence et abandonnés à des prodigues
+parvenus? A quoi me sert donc ma naissance? Si le roi mon cousin est roi
+d'Angleterre, il faut bien m'accorder que je suis duc de Lancastre. Vous
+avez un fils, Aumerle, mon noble parent: si vous étiez mort le premier,
+et qu'il eût été foulé aux pieds comme moi, il aurait retrouvé dans son
+oncle Gaunt un père pour poursuivre l'injustice et la mettre aux abois.
+On me refuse le droit de poursuivre la mise en possession de mes biens,
+comme j'y suis autorisé par mes lettres patentes, tous les biens de mon
+père ont été saisis et vendus, et, comme tout le reste, mal employés!
+Que vouliez-vous que je fisse? Je suis un sujet, et je réclame la loi;
+on me refuse des fondés de pouvoir; je viens donc réclamer en personne
+l'héritage qui me revient par légitime descendance.</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--Le noble duc a été trop indignement traité.</p>
+
+<p>ROSS.--Il dépend de Votre Grâce de lui rendre justice.</p>
+
+<p>WILLOUGHBY.--Des hommes indignes se sont agrandis à ses dépens.</p>
+
+<p>YORK.--Messeigneurs d'Angleterre, laissez-moi vous parler.--J'ai
+ressenti les outrages faits à mon cousin, et j'ai fait tout ce que j'ai
+pu pour lui faire rendre justice: mais venir ainsi avec des armes
+menaçantes, en s'ouvrant soi-même un chemin l'épée à la main, en
+cherchant à reconquérir ses droits par l'injustice, cela ne se peut
+pas.--Et vous qui le soutenez dans cette conduite, vous favorisez la
+révolte et vous êtes tous des rebelles.</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--Le noble duc a fait serment qu'il ne revenait que pour
+revendiquer ce qui lui appartient: sa cause est si juste que nous avons
+tous solennellement juré de lui prêter notre secours, et que celui de
+nous qui violera son serment ne voie jamais la joie.</p>
+
+<p>YORK.--Allons, allons, je vois quelle sera l'issue de cet armement. Je
+n'y puis rien, il faut que je le confesse; mon pouvoir est faible, et
+tout m'a été laissé en mauvais état. Si je le pouvais, j'en jure par
+Celui qui m'a donné la vie, je vous ferais tous arrêter et vous
+obligerais à implorer la souveraine miséricorde du roi; mais, puisque je
+ne le puis, je vous déclare que je reste neutre; ainsi, adieu, à moins
+qu'il ne vous plaise d'entrer dans le château, et d'y prendre du repos
+cette nuit.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--C'est une offre, mon oncle, que nous accepterons
+volontiers; mais il faut que nous persuadions à Votre Grâce de venir
+avec nous au château de Bristol, qu'on dit occupé par Bushy, Bagot et
+leurs complices, ces chenilles de l'État, que j'ai fait serment
+d'abattre et de détruire.</p>
+
+<p>YORK.--Il pourrait se faire que j'allasse avec vous. Mais non,
+cependant, j'y réfléchirai, car j'ai de la répugnance à enfreindre les
+lois de notre patrie. Vous n'êtes ni mes amis ni mes ennemis, mais vous
+êtes les bienvenus chez moi: je ne veux plus prendre souci de choses
+auxquelles on ne peut plus porter remède.</p>
+<br>
+
+<h3>SCÈNE IV<a id="footnotetag17" name="footnotetag17"></a>
+<a href="#footnote17"><sup class="sml">17</sup></a></h3>
+
+<p class="stage1">Un camp dans le pays de Galles.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> SALISBURY et UN CAPITAINE.</p>
+<br>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote17"
+name="footnote17"></a><b>Note 17:</b><a href="#footnotetag17">
+(retour) </a> Johnson suppose que cette scène a été, par erreur de copiste,
+déplacée de son lieu naturel, et qu'elle devait, dans l'intention de
+Shakspeare, former la seconde scène du troisième acte, le second se
+terminant ainsi à la sortie de Bolingbroke pour aller à Bristol. Il a dû
+être déterminé dans son opinion par le lieu de cette scène, placée,
+comme troisième scène du troisième acte, dans le pays de Galles; en
+sorte qu'en conservant l'ancienne disposition, il faut passer deux fois
+et rapidement d'Angleterre dans le pays de Galles, et du pays de Galles
+en Angleterre. Mais c'est une considération à laquelle, en général,
+Shakspeare paraît attacher peu d'importance, et qui en a peu en effet
+dans le système qu'il a adopté; au lieu que, pour l'intérêt et la
+progression de la marche dramatique, l'une des parties qu'il a le plus
+soignées, cette scène de la désertion des Gallois doit nécessairement
+faire suite à la soumission du duc d'York, et terminer le second acte
+qui finit ainsi avec la puissance de Richard et l'anéantissement complet
+des forces sur lesquelles il avait compté. L'exécution de Green et de
+Bushy au commencement du troisième acte est le premier exercice de la
+puissance de Bolingbroke, destinée à aller dès ce moment toujours en
+croissant jusqu'à la fin de la pièce, mais qui s'annonce déjà tout
+entière dans cet acte de souveraineté. Elle perdrait ce caractère si la
+partie était encore incertaine, si l'on pouvait supposer qu'il reste
+encore à Richard les moyens de venger ses amis.</blockquote>
+
+<p>LE CAPITAINE.--Lord Salisbury, nous avons attendu dix jours, et nous
+avons eu bien de la peine à tenir nos compatriotes rassemblés; et
+cependant nous ne recevons aucune nouvelle du roi: en conséquence, nous
+allons nous disperser; adieu.</p>
+
+<p>SALISBURY.--Attends encore un jour, fidèle Gallois, le roi met toute sa
+confiance en toi.</p>
+
+<p>LE CAPITAINE.--On croit le roi mort. Nous ne resterons pas davantage:
+les lauriers dans nos campagnes se sont tous flétris; des météores
+viennent effrayer les étoiles fixes du firmament; la pâle lune jette sur
+la terre une lueur sanglante, et des prophètes au visage hâve annoncent
+tout bas, d'effrayants changements: les riches ont l'air triste, et les
+coquins dansent et sautent de joie, les uns dans la crainte de perdre ce
+qu'ils possèdent, les autres dans les espérances que leur offre la
+violence et la guerre. Ces signes présagent la mort ou la chute des
+rois.--Adieu: nos compatriotes sont partis et déjà loin, bien persuadés
+que leur roi Richard est mort.</p>
+
+<p class="stage1">(Il sort.)</p>
+
+<p>SALISBURY.--Ah! Richard, c'est avec une douleur profonde que je vois ta
+gloire, comme une étoile filante, s'abîmer du firmament sur la misérable
+terre. Ton soleil descend en pleurant vers l'humble couchant, annonçant
+les orages, les maux et les troubles à venir. Tes amis ont fui et se
+sont joints à tes ennemis; et le cours de tous les événements te devient
+contraire.</p>
+
+<p class="stage1">(Il sort.)</p>
+
+
+
+<p>FIN DU SECOND ACTE.</p>
+<br>
+
+<h2>ACTE TROISIÈME</h2>
+<br>
+
+<h3>SCÈNE I</h3>
+
+<p class="stage1">Le camp de Bolingbroke devant Bristol.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> BOLINGBROKE, YORK, NORTHUMBERLAND, PERCY, ROSS.--<i>Derrière eux
+viennent des officiers conduisant</i> WILLOUGHBY, BUSHY et GREEN
+<i>prisonniers</i>.</p>
+<br>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Faites approcher ces hommes.--Bushy et Green, je ne veux
+point tourmenter vos âmes (qui dans un instant vont être séparées de
+leurs corps) en vous représentant trop fortement les crimes de votre
+vie: cela serait manquer de charité. Cependant, pour laver mes mains de
+votre sang, je vais ici, à la face des hommes, exposer quelques-unes des
+causes de votre mort. Vous avez perverti un prince, un véritable roi, né
+d'un sang vertueux, d'une physionomie heureuse; vous l'avez dénaturé,
+vous l'avez entièrement défiguré. Vous avez en quelque sorte, par les
+heures choisies pour vos débauches<a id="footnotetag18" name="footnotetag18"></a>
+<a href="#footnote18"><sup class="sml">18</sup></a>, établi le divorce entre la reine
+et lui, et troublé la possession de la couche royale; vous avez flétri
+la beauté des joues d'une belle reine par les larmes qu'ont arrachées de
+ses yeux vos odieux outrages. Moi-même, que la fortune a fait naître
+prince, uni au roi par le sang, uni par l'affection avant que vous
+l'eussiez porté à mal interpréter mes actions, j'ai courbé la tête sous
+vos injustices; j'ai envoyé vers des nuages étrangers les soupirs d'un
+Anglais, mangeant le pain amer de l'exil; tandis que vous vous
+engraissiez sur mes seigneuries, que vous renversiez les clôtures de mes
+parcs, que vous abattiez les arbres de mes forêts, que vous enleviez de
+mes fenêtres les armoiries de ma famille, que vous effaciez partout mes
+devises, ne laissant plus, si ce n'est dans la mémoire des hommes et
+dans ma race vivante, aucun indice qui pût prouver au monde que je suis
+un gentilhomme. C'est là ce que vous avez fait, et bien plus encore,
+bien plus que le double de tout ceci; et c'est ce qui vous condamne à
+mort.--Voyez à ce qu'on les livre aux exécuteurs et à la main de la
+mort.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote18"
+name="footnote18"></a><b>Note 18:</b><a href="#footnotetag18">
+(retour) </a>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+ <p class="i10"><i>You have in manner, with your sinful hours,</i></p>
+ <p class="i10"><i>Made a divorce betwixt his queen and him,</i></p>
+ <p class="i10"><i>Broke the possession of a royal bed.</i></p>
+</div></div>
+
+<p>Ces vers ne paraissent pas précisément impliquer que ces favoris de
+Richard l'aient rendu infidèle à la reine, mais plutôt qu'ils l'ont
+entraîné dans des orgies de nuit. Rien d'ailleurs dans la pièce
+n'indique aucun tort de ce genre; Richard et sa femme sont au contraire
+représentés comme des époux très-unis, et même très-tendres.</blockquote>
+
+<p>BUSHY.--Le coup de la mort est mieux venu pour moi que ne l'est
+Bolingbroke pour l'Angleterre.--Milords, adieu.</p>
+
+<p>GREEN.--Ce qui me console, c'est que le ciel recevra nos âmes, et punira
+l'injustice des peines de l'enfer.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Lord Northumberland, veillez à leur exécution. (<i>Sortent
+Northumberland et plusieurs autres emmenant les prisonniers.</i>)--Ne
+dites-vous pas, mon oncle, que la reine est dans votre château? Au nom
+du ciel, ayez soin qu'elle soit bien traitée: Dites-lui que je lui
+envoie l'assurance de mes sentiments affectueux; ayez bien soin qu'on
+lui transmette mes compliments.</p>
+
+<p>YORK.--J'ai dépêché un de mes gentilshommes, avec une lettre où je lui
+parle au long de votre affection pour elle.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Merci, mon bon, mon cher oncle.--Allons, milords, partons
+pour combattre Glendower et ses complices: encore quelque temps à
+l'ouvrage; puis après, congé.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+<br>
+
+<h3>SCÈNE II</h3>
+
+<p class="stage1">Les côtes du pays de Galles.--On aperçoit un château.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Fanfares, tambours et trompettes.</i>--<i>Entrent</i> LE ROI RICHARD, L'ÉVÊQUE
+DE CARLISLE, AUMERLE, <i>des soldats</i>.</p>
+<br>
+
+<p>RICHARD.--N'est-ce pas Barkloughby que vous appelez ce château près
+duquel nous sommes?</p>
+
+<p>AUMERLE.--Oui, mon prince.--Comment Votre Majesté se trouve-t-elle de
+respirer l'air, après avoir été secouée dernièrement sur les flots
+agités?</p>
+
+<p>RICHARD.--Il doit nécessairement me plaire. Je pleure de joie de me
+retrouver encore une fois sur le sol de mon royaume.--Terre chérie, je
+te salue de ma main, quoique les rebelles te déchirent des fers de leurs
+chevaux. Comme une mère depuis longtemps séparée de son enfant se joue
+tendrement de ses larmes et sourit en le retrouvant, c'est ainsi que
+pleurant et souriant je te salue, ô mon pays, et te caresse de mes mains
+royales. Ma bonne terre, ne nourris pas l'ennemi de ton souverain! Ne
+répare pas, par tes douces productions, ses sens affamés! mais que tes
+araignées nourries de ton venin, tes crapauds à la marche lourde, se
+placent sur son chemin et blessent les pieds perfides qui te foulent de
+leurs pas usurpateurs. Ne cède à mes ennemis que des orties piquantes,
+et s'ils veulent cueillir une fleur sur ton sein, défends-la, je te
+prie, par un serpent caché, dont le double dard, par sa mortelle piqûre,
+lance le trépas sur les ennemis de ton souverain.--Ne riez point,
+milords, de me voir conjurer des êtres insensibles: cette terre prendra
+du sentiment, ces pierres se changeront en soldats armés, avant que
+celui qui naquit leur roi succombe sous les armes d'une odieuse
+rébellion.</p>
+
+<p>L'ÉVÊQUE DE CARLISLE.--Ne craignez rien, seigneur. Le pouvoir qui vous a
+fait roi est assez fort pour vous maintenir roi en dépit de tous. Il
+faut embrasser les moyens que le ciel présente, et ne pas les négliger:
+autrement, si ce que le ciel veut, nous refusons de le vouloir, c'est
+refuser les offres du ciel et les moyens qu'il nous présente pour nous
+secourir et pour nous sauver.</p>
+
+<p>AUMERLE.--Il veut dire, mon seigneur, que nous demeurons trop inactifs,
+tandis que Bolingbroke, par notre sécurité, s'agrandit et se fortifie en
+puissance et en amis.</p>
+
+<p>RICHARD.--Sinistre cousin, ne sais-tu pas que lorsque l'oeil vigilant
+des cieux se cache derrière le globe et descend éclairer le monde qui
+est sous nos pieds, alors les voleurs et les brigands errent ici
+invisibles et sanglants, semant le meurtre et l'outrage? Mais dès que,
+ressortant de dessous le globe terrestre, il enflamme à l'orient la cime
+orgueilleuse des pins et lance sa lumière jusque dans les plus
+criminelles cavités, alors les meurtres, les trahisons, tous les
+forfaits détestés, dépouillés du manteau de la nuit, restent nus et
+découverts, et épouvantés d'eux-mêmes. Ainsi, dès que ce brigand, ce
+traître Bolingbroke, qui, pendant tout ce temps, s'est donné carrière
+dans la nuit, tandis que nous étions errants aux antipodes, nous verra
+remonter à l'orient notre trône, ses trahisons feront rougir son visage;
+et, hors d'état de soutenir la vue du jour, effrayé de lui-même, il
+tremblera de son crime. Toutes les eaux de la mer orageuse ne peuvent
+enlever du front d'un roi le baume dont il a reçu l'onction; le souffle
+d'une voix mortelle ne saurait déposer le député élu par le Seigneur.
+Contre chacun des hommes que Bolingbroke a rassemblés pour lever un fer
+menaçant contre notre couronne d'or, le Dieu des armées paye au ciel
+pour son Richard un ange resplendissant; et où combattent les anges, il
+faut que les faibles mortels succombent, car le ciel défend toujours le
+droit. <span class="stage2">(<i>Entre Salisbury.</i>)</span>--Soyez le bienvenu, comte. A quelle distance
+sont vos troupes?</p>
+
+<p>SALISBURY.--Ni plus près ni plus loin, mon gracieux souverain, que n'est
+ce faible bras. Le découragement maîtrise ma voix, et ne me permet que
+des paroles désespérantes. Un jour de trop, mon noble seigneur, a, je le
+crains bien, obscurci tous les jours heureux sur la terre. Oh! rappelle
+le jour d'hier, ordonne au temps de revenir, et tu auras encore douze
+mille combattants, mais ce jour, ce jour, ce malheureux jour, ce jour de
+trop a fait disparaître ton bonheur, tes amis, ta fortune et ta
+grandeur: tous les Gallois, sur le bruit de ta mort, sont allés joindre
+Bolingbroke, ou se sont dispersés et enfuis.</p>
+
+<p>AUMERLE.--Prenez courage, mon souverain. Pourquoi Votre Seigneurie
+pâlit-elle ainsi?</p>
+
+<p>RICHARD.--Il n'y a qu'un moment que le sang de vingt mille hommes
+triomphait dans mon visage, et ils ont tous fui! jusqu'à ce qu'il me
+soit revenu autant de sang, n'ai-je pas des raisons d'être pâle et
+d'avoir l'air mort? Tous ceux qui cherchent leur sûreté abandonnent mon
+parti: le temps a fait une tache à mon éclat.</p>
+
+<p>AUMERLE.--Prenez courage, mon souverain, rappelez-vous qui vous êtes.</p>
+
+<p>RICHARD.--Je m'oubliais moi-même. Ne suis-je pas roi? Réveille-toi,
+indolente majesté. Tu dors! Le nom de roi ne vaut-il pas quarante mille
+noms? Arme-toi, arme-toi, mon nom! un vil sujet s'attaque à ta grande
+gloire!--Ne baissez point les yeux, vous, favoris d'un roi. Ne
+sommes-nous pas grands? Que nos pensées soient grandes! Je sais que mon
+oncle York a des forces suffisantes pour suffire à nos besoins--Mais qui
+vois-je s'avancer vers nous?</p>
+
+<p class="stage1">(Entre Scroop.)</p>
+
+<p>SCROOP.--Puisse-t-il advenir à mon souverain plus de santé et de bonheur
+que ma voix, montée à la tristesse, ne saurait lui en annoncer!</p>
+
+<p>RICHARD.--Mon oreille est ouverte et mon coeur est préparé. Le pis que
+tu puisses m'apprendre est une perte temporelle. Dis, mon royaume est-il
+perdu? Eh bien! il faisait tout mon souci; et que perd-on à être délivré
+de soucis? Bolingbroke aspire-t-il à être aussi grand que nous? il ne
+sera jamais plus grand. S'il sert Dieu, nous le servirons aussi, et par
+là nous serons son égal. Nos sujets se révoltent-ils! Nous ne pouvons y
+remédier: ils violent leur foi envers Dieu comme envers nous. Crie-moi
+malheur, destruction, ruine, perte, décadence: le pis est la mort, et la
+mort aura son jour.</p>
+
+<p>SCROOP.--Je suis bien aise de voir Votre Majesté si bien armée pour
+supporter les nouvelles de l'adversité. Telle qu'un jour de tempête hors
+de saison qui amène les rivières argentées à submerger leurs rivages,
+comme si l'univers se fondait en pleurs, telle s'enfle au delà de toute
+limite la fureur de Bolingbroke, couvrant vos États consternés d'un
+acier dur et brillant, et de coeurs plus durs que l'acier. Les barbes
+blanches ont armé de casques leurs crânes minces et chauves contre ta
+majesté; les enfants s'efforcent de grossir leur voix féminine, et
+renferment, par haine de ta couronne, leurs membres de femme sous des
+armes roides et pesantes; ceux même qui sont chargés de prier pour toi
+apprennent à bander leurs arcs d'if doublement fatal<a id="footnotetag19" name="footnotetag19"></a>
+<a href="#footnote19"><sup class="sml">19</sup></a> pour s'en
+servir contre ta puissance. Même, les femmes, quittant leur quenouille,
+brandissent contre ton trône des serpes rouillées. Les jeunes et les
+vieux se révoltent; tout va plus mal que je ne puis vous le dire.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote19"
+name="footnote19"></a><b>Note 19:</b><a href="#footnotetag19">
+(retour) </a> <i>..... Double-fatal yew.</i>
+
+<p>Doublement fatal par son bois propre à faire des arcs, et par les
+propriétés nuisibles de son feuillage.</p></blockquote>
+
+<p>RICHARD.--Tu ne m'as que trop bien, trop bien fait un si triste
+récit.--Où est le comte de Wiltshire? Où est Bagot? Qu'est devenu Bushy?
+Où est Green? Pourquoi ont-ils laissé ce dangereux ennemi mesurer ainsi
+nos frontières d'un pas tranquille?.... Si nous l'emportons, ils le
+payeront de leurs têtes.--Je vous garantis qu'ils ont fait leur paix
+avec Bolingbroke.</p>
+
+<p>SCROOP.--Il est vrai, seigneur, ils ont fait leur paix avec lui.</p>
+
+<p>RICHARD.--Traîtres! ah! vipères! damnés sans rédemption! chiens aisément
+amenés à ramper devant le premier venu! serpents réchauffés dans le sang
+de mon coeur, et qui me percent le coeur! trois Judas, chacun trois fois
+pire que Judas! Devaient-ils faire leur paix? Que pour ce crime le
+terrible enfer déclare la guerre à leurs âmes souillées!</p>
+
+<p>SCROOP.--La tendre amitié, je le vois, lorsqu'elle change de nature,
+produit la plus amère et la plus mortelle haine.--Révoquez vos
+malédictions sur leurs âmes: ils ont fait leur paix en donnant leurs
+têtes, et non leurs mains; ceux que vous maudissez ont reçu le coup le
+plus cruel que puisse frapper la mort, et gisent assez bas ensevelis
+dans le sein de la terre.</p>
+
+<p>AUMERLE.--Quoi! Bushy, Green et le comte de Wiltshire sont morts?</p>
+
+<p>SCROOP.--Oui, ils ont tous perdu la tête à Bristol.</p>
+
+<p>AUMERLE.--Où est le duc mon père avec ses troupes?</p>
+
+<p>RICHARD.--N'importe où il est.... Que personne ne me parle de
+consolation. Entretenons-nous de tombeaux, de vers, d'épitaphes; que la
+poussière soit notre papier, et que la pluie qui coule de nos yeux
+écrive notre douleur sur le sein de la terre; choisissons nos exécuteurs
+testamentaires, et parlons de testaments. Et cependant non; car que
+pourrions-nous léguer sinon nos corps dépouillés à la terre? Nos
+possessions, notre vie, tout appartient à Bolingbroke, et il n'est plus
+rien que nous puissions dire à nous que la mort, et ce petit moule, fait
+d'une terre stérile, qui couvre nos os, comme une pâte. Au nom du ciel,
+asseyons-nous par terre, et racontons les tristes histoires de la mort
+des rois; comment quelques-uns ont été déposés, quelques-uns tués à la
+guerre, d'autres hantés par les fantômes de ceux qu'ils avaient
+dépossédés, d'autres empoisonnés par leurs femmes, d'autres égorgés en
+dormant; tous assassinés! La Mort tient sa cour dans le creux de la
+couronne qui ceint le front mortel d'un roi: c'est là que siége sa
+grotesque figure se riant de la grandeur du souverain, insultant à sa
+pompe: elle lui accorde un souffle de vie, une courte scène pour jouer
+le monarque, être craint et tuer de ses regards, l'enivrant d'une vaine
+opinion de lui-même, comme si cette chair qui sert de rempart à notre
+vie était d'un bronze impénétrable! Et après s'être amusée un moment,
+elle en vient au dernier acte, et d'une petite épingle elle perce le mur
+du château.... et adieu le roi.--Couvrez vos têtes, et n'insultez pas
+par ces profonds hommages la chair et le sang; rejetez loin de vous le
+respect, les traditions, l'étiquette, les devoirs cérémonieux. Vous
+m'avez méconnu jusqu'à présent: je vis de pain, comme vous, je sens
+comme vous le besoin, je suis atteint par le chagrin; j'ai besoin
+d'amis. Ainsi assujetti, comment pouvez-vous me dire que suis un roi?</p>
+
+<p>L'ÉVÊQUE DE CARLISLE.--Seigneur, les hommes sages ne déplorent jamais
+les maux présents: ils emploient le présent à éviter d'en avoir d'autres
+à déplorer. Craindre votre ennemi, puisque la crainte accable la force,
+c'est donner par votre faiblesse des forces à votre ennemi; et par là
+votre folie combat contre vous-même.--Craignez et soyez tué!.... Il ne
+peut rien vous arriver de pis en combattant. Combattre et mourir, c'est
+la mort détruisant la mort; mourir en tremblant, c'est rendre lâchement
+à la mort le tribut de sa vie.</p>
+
+<p>AUMERLE.--Mon père a des troupes: informez-vous où il est; et d'un seul
+membre apprenez à faire un corps.</p>
+
+<p>RICHARD.--Tes reproches sont justes.--Superbe Bolingbroke, je viens pour
+échanger avec toi des coups dans ce jour qui doit nous juger. Cet accès
+de fièvre de terreur est tout à fait dissipé.--C'est une tâche aisée que
+de reprendre son bien.--Dis-moi, Scroop, où est notre oncle avec ses
+troupes? Homme, réponds-moi avec douceur, quoique tes regards soient
+sinistres.</p>
+
+<p>SCROOP.--On juge par la couleur du ciel de l'état et des dispositions de
+la journée: ainsi pouvez-vous juger, par mon air sombre et abattu, que
+ma langue n'a à vous faire qu'un rapport plus triste encore. Je joue ici
+le rôle d'un bourreau, en allongeant ainsi peu à peu ce qu'il y a de pis
+et qu'il faut bien dire.--Votre oncle York s'est joint à Bolingbroke;
+tous vos châteaux du nord se sont rendus, et toute votre noblesse du
+midi est en armes pour sa cause.</p>
+
+<p>RICHARD.--Tu en as dit assez. <i>(A Aumerle.</i>)--Malédiction sur toi,
+cousin, qui m'as éloigné de la bonne voie où j'étais pour trouver le
+désespoir! Que dites-vous à présent? quelle ressource nous reste-t-il à
+présent? Par le ciel, je haïrai éternellement quiconque m'exhortera
+davantage à prendre courage. Allons au château de Flint; j'y veux mourir
+de ma douleur. Un roi vaincu par le malheur doit obéir au malheur, son
+roi. Congédiez les troupes qui me restent, et qu'elles aillent labourer
+la terre qui leur offre encore quelques espérances: pour moi, je n'en ai
+point.--Que personne ne me parle de changer mon dessein: tout conseil
+serait vain.</p>
+
+<p>AUMERLE.--Mon souverain, un mot.</p>
+
+<p>RICHARD.--Celui dont la langue me blesse par ses flatteries me fait un
+double mal.--Licenciez ma suite, qu'ils s'en aillent. Qu'ils fuient de
+la nuit de Richard vers le jour brillant de Bolingbroke.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+<br>
+
+<h3>SCÈNE III</h3>
+
+<p class="stage1">La scène est dans le pays de Galles, devant le château de Flint.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent avec des tambours et des étendards</i> BOLINGBROKE <i>et ses
+troupes</i>, YORK, NORTHUMBERLAND <i>et plusieurs autres</i>.</p>
+<br>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Ainsi nous apprenons par cet avis que les Gallois sont
+dispersés, et que Salisbury est allé rejoindre le roi, qui vient de
+débarquer sur cette côte avec quelques-uns de ses amis particuliers.</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--Voilà une bonne et agréable nouvelle, seigneur. Richard
+est venu cacher sa tête assez près d'ici.</p>
+
+<p>YORK.--Il serait convenable que lord Northumberland voulût bien dire <i>le
+roi Richard</i>.--Hélas! quel triste jour que celui où le souverain sacré
+est obligé de cacher sa tête!</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--Votre Grâce se méprend sur mes intentions: c'était pour
+abréger que j'avais omis le titre.</p>
+
+<p>YORK.--Il fut un temps où, si vous aviez abrégé ainsi à son égard, il
+eût aussi abrégé avec vous en vous raccourcissant, pour tant de licence,
+de toute la longueur de votre tête.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Mon oncle, ne prenez pas les choses plus mal que vous ne
+le devez.</p>
+
+<p>YORK.--Et vous, mon cher neveu, ne prenez pas plus qu'il ne vous
+appartient, de peur de vous méprendre: le ciel est au-dessus de votre
+tête.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Je le sais, mon oncle, et ne m'oppose point à ses
+volontés.--Mais qui s'avance vers nous? <span class="stage2">(<i>Entre Percy.</i>)</span>--C'est vous,
+Henri! Eh bien, est-ce que ce château ne se rendra point?</p>
+
+<p>PERCY.--Une force royale, milord, t'en défend l'entrée.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Comment, royale? Il ne renferme point de roi?</p>
+
+<p>PERCY.--Oui, milord, il renferme un roi: Le roi Richard est enfermé dans
+cette enceinte de ciment et de pierres; et avec lui sont lord Aumerle,
+lord Salisbury, sir Étienne Scroop, et de plus un ecclésiastique de
+sainte renommée: qui c'est, je n'ai pu le savoir.</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--Il y apparence que c'est l'évêque de Carlisle.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE, <span class="stage2"><i>à Northumberland.</i></span>--Noble seigneur, approchez-vous des
+rudes flancs de cet antique château; que l'airain de la trompette
+transmette à ses oreilles ruinées la demande d'une conférence, et portez
+au roi ce message: «Henri de Bolingbroke, à deux genoux, baise la main
+du roi Richard, et envoie à sa personne royale l'hommage de son
+allégeance et de la fidélité loyale de son coeur. Je viens ici mettre à
+ses pieds mes armes et mes forces, pourvu que mon bannissement soit
+annulé, et que mes domaines me soient restitués libres de toutes
+charges: sinon, j'userai de l'avantage de ma puissance, et j'abattrai la
+poussière de l'été par une pluie de sang versée par les blessures des
+Anglais égorgés. Mais il est bien loin du coeur de Bolingbroke de
+vouloir que cette tempête pourpre vienne arroser le sein frais et
+verdoyant du beau royaume du roi Richard, et c'est ce que lui prouvera
+assez mon humble soumission.»--Allez, faites-lui entendre ceci, tandis
+que nous, nous avancerons sur le tapis de gazon de cette plaine.
+<span class="stage2">(<i>Northumberland s'avance vers le château avec un trompette</i>.)</span>--Marchons
+sans faire entendre le bruit menaçant des tambours, afin que du haut des
+murs en ruine de ce château on puisse bien entendre nos honorables
+offres.--Il me semble que le roi Richard et moi nous devons nous
+rencontrer d'une manière aussi terrible que les éléments du feu et de
+l'eau, lorsque leurs tonnerres se rencontrant déchirent de leur choc le
+front nébuleux du firmament. Qu'il soit le feu, je serai l'eau docile;
+que la rage soit de son côté, tandis que je répandrai la pluie de mes
+eaux sur la terre, sur la terre, non sur lui. Marchons en avant, et
+observons quelle sera la contenance du roi Richard.</p>
+
+<p class="stage1">(La trompette sonne pour demander un pourparler, une autre trompette
+répond de l'intérieur de la forteresse.--Fanfare.--Richard paraît sur
+les remparts, suivi de l'évêque de Carlisle, d'Aumerle, de Scroop et de
+Salisbury.)</p>
+
+<p>YORK.--Voyez, voyez: le roi Richard paraît lui-même, semblable au soleil
+rougissant et mécontent, lorsque, sortant du portail enflammé de
+l'orient, il voit les nuages jaloux s'avancer pour ternir sa gloire et
+obscurcir le cours de son brillant passage vers l'occident. Il a
+pourtant encore l'air d'un roi. Voyez: son oeil, aussi brillant que
+celui de l'aigle, lance les éclairs de la majesté souveraine. Hélas!
+hélas! malheur à nous si quelque mal venait à ternir un si noble aspect!</p>
+
+<p>RICHARD, <span class="stage2"><i>à Northumberland.</i></span>--Nous sommes surpris, et nous nous sommes
+si longtemps arrêté pour attendre que ton genou respectueux fléchît
+devant nous parce que nous croyons être ton légitime souverain. Si nous
+le sommes, comment tes articulations osent-elles oublier de nous rendre
+l'hommage solennel que tu dois à notre présence? Si nous ne le sommes
+pas, montre-nous comment la main de Dieu nous a dépossédé des fonctions
+dont il nous avait revêtu; car nous savons que nulle main d'os et de
+sang ne peut saisir la poignée sacrée de notre sceptre, sans le
+profaner, le voler, ou l'usurper; et dussiez-vous penser que tous mes
+sujets ont comme vous violemment séparé leurs coeurs de notre cause, et
+que nous sommes abandonné et dénué d'amis, sachez que mon maître, le
+Dieu tout-puissant, assemble dans ses nuages en notre faveur des armées
+de pestes qui frapperont vos enfants encore à naître, encore non
+engendrés, parce que vous avez levé vos mains vassales contre ma tête,
+et menacé la gloire de ma précieuse couronne. Dis à Bolingbroke (car je
+crois le voir là-bas) que chaque pas qu'il fait dans mes États est une
+dangereuse trahison. Il vient ouvrir le rouge testament de la guerre
+sanglante: mais avant que la couronne où visent ses regards repose en
+paix sur sa tête, les couronnes ensanglantées des crânes de dix mille
+fils de bonnes mères dépareront dans sa fleur la face de l'Angleterre,
+changeront la blancheur du teint virginal de sa Paix en une rougeur
+d'indignation, et humecteront l'herbe de ses pâturages du sang des
+fidèles Anglais.</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--Le roi des cieux nous préserve de voir le roi notre
+maître ainsi assailli par des armes à la fois concitoyennes et
+ennemies<a id="footnotetag20" name="footnotetag20"></a>
+<a href="#footnote20"><sup class="sml">20</sup></a>! Ton trois fois noble cousin Henri Bolingbroke te baise
+humblement la main; et il jure par la tombe honorable qui recouvre les
+os de ton royal aïeul, par la royale noblesse de votre sang à tous deux,
+ruisseaux sortis d'une seule source très-précieuse, par le bras enseveli
+du belliqueux Gaunt, par sa propre valeur et son honneur personnel,
+serment qui comprend toutes les paroles et tous les serments, que son
+retour dans ce royaume n'a d'autre but que de réclamer son illustre
+héritage, et de te demander à genoux l'annulation immédiate de son arrêt
+d'exil. Dès qu'une fois Votre Majesté aura souscrit à sa demande, il
+abandonnera à la rouille ses armes brillantes, rendra ses chevaux armés
+en guerre à leurs écuries, et son coeur au fidèle service de Votre
+Majesté. Voilà ce qu'il jure, et, sur sa foi de prince, il promet de
+l'observer: et moi, j'en réponds comme gentilhomme.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote20"
+name="footnote20"></a><b>Note 20:</b><a href="#footnotetag20">
+(retour) </a>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i10"><i>Should so with civil and uncivil arms</i></p>
+<p class="i10"><i>Be rush'd upon.</i></p></div></div>
+
+<p>Le jeu de mots entre <i>civil</i> et <i>uncivil</i> était impossible à reproduire
+dans le français, qui n'a pas conservé à <i>incivil</i> son sens propre.</p></blockquote>
+
+<p>RICHARD.--Northumberland, dis-lui: «Voici la réponse du roi: Son noble
+cousin est le bienvenu ici, et toutes ses justes demandes seront
+satisfaites sans contradiction;» et dans les termes les plus gracieux
+que tu possèdes, parle à son affection de mes tendres sentiments. <i>(A
+Aumerle.</i>)--Nous nous abaissons, cousin, n'est-il pas vrai, en montrant
+tant de faiblesse et en parlant avec tant de douceur? Rappellerons-nous
+Northumberland, et enverrons-nous un défi au traître, pour mourir ainsi?</p>
+
+<p>AUMERLE.--Non, mon bon maître; combattons avec de bonnes paroles jusqu'à
+ce que le temps nous prête des amis, et ces amis le secours de leurs
+épées.</p>
+
+<p>RICHARD.--O Dieu, ô Dieu! que ma bouche, qui a prononcé le terrible
+arrêt du bannissement contre cet homme hautain, le révoque aujourd'hui
+par des paroles si douces! Oh! que ne suis-je aussi grand que ma
+douleur, ou moins grand que mon nom! Que ne puis-je oublier ce que j'ai
+été, ou cesser de me rappeler ce que je suis à présent! Tu te gonfles,
+coeur superbe? Je te mettrai en liberté de battre, puisque mes ennemis
+ont la liberté de battre toi et moi.</p>
+
+<p>AUMERLE.--Voilà Northumberland que Bolingbroke renvoie.</p>
+
+<p>RICHARD.--Que doit faire le roi maintenant? Faut-il qu'il se soumette?
+le roi se soumettra. Faut-il qu'il soit déposé? le roi y consentira. Lui
+faut-il perdre le titre de roi? Au nom de Dieu, qu'on me l'ôte! Je
+changerai mes joyaux contre un chapelet, mes palais somptueux contre un
+ermitage, mes brillants vêtements contre la robe du mendiant, mes coupes
+ciselées pour un plat de bois, mon sceptre pour un bâton de pèlerin,
+tous mes sujets pour une couple de saints sculptés, et mon vaste royaume
+pour un petit tombeau, un petit, petit tombeau, un tombeau obscur! Ou
+peut-être serai-je enseveli sur quelque route royale, sur quelque chemin
+fréquenté où les pieds de mes sujets pourront à toute heure fouler la
+tête de leur souverain; car c'est mon coeur qu'ils foulent aux pieds,
+moi encore vivant; une fois enseveli, pourquoi ne fouleraient-ils pas ma
+tête?--Aumerle, tu pleures, mon cousin au coeur tendre! De nos larmes
+méprisées nous susciterons une tempête; elles et nos soupirs détruiront
+la moisson de l'été, et amèneront la famine dans cette terre révoltée;
+ou bien nous ferons-nous un jeu de nos maux, et prendrons-nous nos
+larmes pour le sujet de quelque joli pari, comme de les faire tomber sur
+un seul endroit jusqu'à ce qu'elles nous aient creusé deux tombeaux dans
+la terre, et que là, couchés tous deux, on y puisse graver: <i>Là gisent
+deux parents qui se sont creusé leur tombeau des larmes de leurs yeux?</i>
+Ce malheur n'aurait-il pas bonne grâce?--Allons, allons, je vois que je
+parle follement, et que tu te moques de moi--Très-puissant prince,
+milord Northumberland, que dit le roi Bolingbroke? Sa Majesté veut-elle
+permettre à Richard de vivre jusqu'à ce que Richard meure?--Vous saluez;
+c'est-à-dire que Bolingbroke dit <i>oui</i>.</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--Seigneur, il vous attend dans la cour basse pour
+conférer avec vous. Vous plaît-il de descendre?</p>
+
+<p>RICHARD.--Je descends! je descends comme le brillant Phaéton hors d'état
+de gouverner des coursiers indociles! <span class="stage2">(<i>Northumberland se retire vers
+Bolingbroke.</i>)</span> Dans la cour basse? c'est une cour basse que celle où les
+rois s'abaissent jusqu'à obéir à l'appel des traîtres, et à leur faire
+grâce! Dans la cour basse? Descendons! A bas, cour! à bas, roi! car les
+hiboux de la nuit font entendre leurs cris là où l'alouette devrait
+s'élever en chantant.</p>
+
+<p class="stage1">(Le roi et les lords se retirent des remparts.)</p>
+
+<p>BOLINGBROKE, <span class="stage2"><i>à Northumberland.</i></span>--Que dit Sa Majesté?</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--La tristesse et le chagrin de son coeur lui font dire
+des choses insensées comme un homme égaré. Cependant il vient.</p>
+
+<p class="stage1">(Entrent Richard et sa suite.)</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Tenez-vous tous à l'écart, et montrez un grand respect à
+Sa Majesté. <span class="stage2">(<i>Fléchissant un genou en terre.</i>)</span>--Mon gracieux
+souverain....</p>
+
+<p>RICHARD.--Beau cousin, vous abaissez votre genou de prince, en
+permettant à la vile terre l'orgueil de le baiser. J'aimerais mieux
+éprouver dans mon coeur l'effet de votre amitié que de sentir mes yeux
+blessés par vos respects. Levez-vous, cousin, levez-vous: votre coeur
+s'élève, je le sais, au moins à cette hauteur <span class="stage2">(<i>portant la main à sa
+tête</i>)</span>, bien que vos genoux s'abaissent.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Mon gracieux souverain, je ne viens que pour réclamer mes
+biens.</p>
+
+<p>RICHARD.--Vos biens sont à vous, et je suis à vous, et tout est à vous!</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Soyez à moi, mon très-redouté souverain, autant que mes
+fidèles services mériteront votre affection.</p>
+
+<p>RICHARD.--Vous avez bien mérité.--Ils méritent de posséder ceux qui
+connaissent le moyen le plus sûr et le plus énergique d'obtenir.--Mon
+oncle, donnez-moi votre main: allons, séchez vos larmes. Les larmes
+prouvent l'amitié qui les excite, mais elles manquent du remède. <span class="stage2">(<i>A
+Bolingbroke.</i>)</span>--Cousin, je suis trop jeune pour être votre père, quoique
+vous soyez assez vieux pour être mon héritier. Ce que vous voulez avoir,
+je vous le donnerai, et même volontairement; car il faut faire de
+soi-même ce que la force nous contraint de faire.--Marchons vers
+Londres.--Le voulez-vous, cousin?</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Oui, mon bon seigneur.</p>
+
+<p>RICHARD.--Alors je ne dois pas dire non.</p>
+
+<p class="stage1">(Fanfares.--Ils sortent.)</p>
+<br>
+
+<h3>SCÈNE IV</h3>
+
+<p class="stage1">La scène est à Langley dans le jardin du duc d'York.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> LA REINE et DEUX DE SES DAMES.</p>
+<br>
+
+<p>LA REINE.--Quel jeu pourrions-nous imaginer dans ce jardin, pour écarter
+les accablantes pensées de mes soucis?</p>
+
+<p>UNE DES DAMES.--Madame, nous pourrions jouer aux boules.</p>
+
+<p>LA REINE.--Cela ferait songer que le monde est plein d'inégalités, et
+que ma fortune est détournée de sa route.</p>
+
+<p>LA DAME.--Madame, nous danserons.</p>
+
+<p>LA REINE.--Mes pieds ne peuvent danser en mesure avec plaisir lorsque
+mon pauvre coeur ne garde aucune mesure dans son chagrin: ainsi, mon
+enfant, point de danse; quelque autre jeu.</p>
+
+<p>LA DAME.--Eh bien, madame, nous conterons des histoires.</p>
+
+<p>LA REINE.--Tristes, ou joyeuses?</p>
+
+<p>LA DAME.--L'une ou l'autre, madame.</p>
+
+<p>LA REINE.--Ni l'une ni l'autre, ma fille: si elles me parlaient de joie,
+comme la joie me manque absolument, elles ne feraient que me rappeler
+davantage ma tristesse: si elles me parlaient de chagrin, comme le
+chagrin me possède complétement, elles ne feraient qu'ajouter plus de
+douleur encore à mon manque de joie. Je n'ai pas besoin de répéter ce
+que j'ai déjà; et ce qui me manque, il est inutile de s'en plaindre....</p>
+
+<p>LA DAME.--Madame, je chanterai.</p>
+
+<p>LA REINE.--Je suis bien aise que tu aies sujet de chanter; mais tu me
+plairais davantage si tu voulais pleurer.</p>
+
+<p>LA DAME.--Je pleurerais, madame, si cela pouvait vous faire du bien.</p>
+
+<p>LA REINE.--Je pleurerais aussi, moi, si cela pouvait me faire du bien,
+et je ne t'emprunterais pas une larme. Mais attends.--Voilà les
+jardiniers. <span class="stage2">(<i>Entrent un jardinier et deux garçons.</i>)</span> Enfonçons-nous
+sous l'ombrage de ces arbres: je gagerais ma misère contre une rangée
+d'épingles qu'ils vont parler de l'État, car tout le monde en parle dans
+le moment d'une révolution. Les malheurs ont toujours le malheur pour
+avant-coureur.</p>
+
+<p class="stage1">(La reine et ses deux dames se retirent.)</p>
+
+<p>LE JARDINIER.--Va, rattache ces branches pendantes d'abricotier qui,
+comme des enfants indisciplinés, font ployer leur père sous l'oppression
+de leur poids surabondant; quelque appui aux rameaux qui se courbent. Et
+toi, va comme un exécuteur abattre la tête de ces jets trop prompts à
+croître, et qui s'élèvent trop orgueilleusement au-dessus de notre
+république. Tout doit être de niveau dans notre gouvernement. Tandis que
+vous y travaillerez, moi je vais arracher ces herbes sauvages et
+nuisibles qui dérobent sans profit aux fleurs utiles les sucs féconds de
+la terre.</p>
+
+<p>UN DES GARÇONS.--Pourquoi prétendrions-nous entretenir dans l'étendue de
+cette enceinte des lois, des formes, des proportions régulières, et
+montrer, comme un échantillon, un état solide, lorsque notre jardin,
+enclos par la mer, le pays entier est rempli de mauvaises herbes, que
+ses plus belles fleurs sont étouffées, que ses arbres fruitiers ne sont
+pas taillés; que ses clôtures sont ruinées, ses parterres en désordre,
+et ses plantes utiles dévorées par les chenilles?</p>
+
+<p>LE JARDINIER.--Sois tranquille: celui qui a souffert tout ce désordre du
+printemps est arrivé à la chute des feuilles; les mauvaises herbes qu'il
+abritait au loin de son vaste feuillage, et qui le dévoraient en
+paraissant l'appuyer, sont arrachées, racine et tout, par Bolingbroke;
+je veux dire, le comte de Wiltshire, Green et Bushy.</p>
+
+<p>LE GARÇON.--Comment? Est-ce qu'ils sont morts?</p>
+
+<p>LE JARDINIER.--Ils sont morts, et Bolingbroke a saisi le roi
+dissipateur. Oh! quelle pitié qu'il n'ait pas soigné et cultivé son
+royaume comme nous ce jardin! Nous, dans la saison, nous blessons
+l'écorce, la peau de nos arbres fruitiers, de crainte que, regorgeant de
+sève et de sang, ils ne périssent de l'excès de leurs richesses. S'il en
+eût usé de même avec les grands et les ambitieux, ils auraient pu vivre
+pour porter, et lui pour recueillir leurs fruits d'obéissance. Nous
+élaguons toutes les branches superflues pour conserver la vie aux
+rameaux féconds: s'il en eût agi ainsi, il porterait encore la couronne
+qu'en dissipant follement les heures il a fait complétement tomber de sa
+tête.</p>
+
+<p>LE GARÇON.--Quoi! vous croyez donc que le roi sera déposé?</p>
+
+<p>LE JARDINIER.--Il est déjà vaincu, et il y a toute apparence qu'il sera
+déposé. La nuit dernière il est venu des lettres à un ami intime du bon
+duc d'York qui annoncent de tristes nouvelles.</p>
+
+<p>LA REINE, <i>sortant du lieu où elle était cachée.</i>--Oh! je suis suffoquée
+jusqu'à mourir de mon silence:--Toi, vieille figure d'Adam, établie pour
+soigner ces jardins, comment ta langue brutale ose-t-elle redire ces
+fâcheuses nouvelles? Quelle Ève, quel serpent t'a suggéré de renouveler
+ainsi la chute de l'homme maudit? Pourquoi dis-tu que le roi Richard est
+déposé? Oses-tu, toi qui ne vaux guère mieux que de la terre, présager
+sa chute? Dis-moi, où, quand et comment as-tu appris ces mauvaises
+nouvelles? Parle, misérable que tu es.</p>
+
+<p>LE JARDINIER.--Madame, pardonnez-moi; je n'ai guère de plaisir à répéter
+ces nouvelles, mais ce que je dis est la vérité. Le roi Richard est
+entre les mains puissantes de Bolingbroke; leurs fortunes à tous deux
+ont été pesées: dans le bassin de votre seigneur il n'y a que lui seul,
+et quelques frivolités qui le rendent léger; mais dans le bassin du
+grand Bolingbroke sont avec lui tous les pairs d'Angleterre, et avec ce
+surpoids il emporte le roi Richard. Rendez-vous à Londres, et vous
+trouverez les choses ainsi: je ne dis que ce que tout le monde sait.</p>
+
+<p>LA REINE.--Agile adversité, toi qui marches d'un pied si léger, n'est-ce
+pas à moi qu'appartenait ton message? Et je suis la dernière à en être
+informée? Oh! tu as soin de me servir la dernière afin que je conserve
+plus longtemps tes douleurs dans mon sein.--Venez, mes dames; allons
+trouver à Londres le roi de Londres dans l'infortune.--O ciel! étais-je
+née pour que ma tristesse embellît le triomphe du grand
+Bolingbroke?--Jardinier, pour m'avoir annoncé ces nouvelles de malheur,
+je voudrais que les plantes que tu greffes ne poussassent jamais.</p>
+
+<p class="stage1">(Elle sort avec ses dames.)</p>
+
+<p>LE JARDINIER.--Pauvre reine? pour que ta situation n'empirât pas, je
+consentirais à ce que mes travaux subissent l'effet de ta
+malédiction.--Là, elle a laissé tomber une larme; je veux y planter une
+rue, l'amère herbe de grâce; la rue, qui exprime la compassion<a id="footnotetag21" name="footnotetag21"></a>
+<a href="#footnote21"><sup class="sml">21</sup></a>,
+croîtra bientôt ici en souvenir d'une reine qui pleurait.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote21"
+name="footnote21"></a><b>Note 21:</b><a href="#footnotetag21">
+(retour) </a> <i>Rue, even for ruth.</i>
+
+<p>«<i>Rue</i>, qui veut dire la même chose que <i>ruth</i>.» <i>Ruth</i> (compassion),
+vient en effet de <i>to rue</i> (déplorer). On appelait la rue l'herbe de
+grâce, parce qu'elle servait d'aspersoir pour l'eau bénite.</p></blockquote>
+
+
+<p>FIN DU TROISIÈME ACTE.</p>
+
+<br>
+<h2>ACTE QUATRIÈME</h2>
+<br>
+
+<h3>SCÈNE I</h3>
+
+<p class="stage1">A Londres.--La salle de Westminster.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Les lords spirituels à la droite du trône, les lords temporels à la
+gauche, les communes au bas.</i></p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> BOLINGBROKE, AUMERLE, NORTHUMBERLAND, PERCY, SURREY,
+FITZWATER, UN AUTRE LORD, L'ÉVÊQUE DE CARLISLE, L'ABBÉ DE WESTMINSTER,
+<i>suite;--viennent ensuite des officiers conduisant</i> BAGOT.</p>
+<br>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Qu'on fasse avancer Bagot.--Allons, Bagot, parle librement
+et dis ce que tu sais de la mort du noble Glocester. Qui l'a tramée avec
+le roi, et qui a exécuté le sanglant office de sa mort prématurée?</p>
+
+<p>BAGOT.--Alors faites paraître devant moi le lord Aumerle.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Cousin, avancez, et regardez cet homme.</p>
+
+<p>BAGOT.--Lord Aumerle, je sais que votre langue hardie dédaigne de
+désavouer ce qu'elle a une fois prononcé. Dans ces temps d'oppression où
+l'on complota la mort de Glocester, je vous ai entendu dire: «Mon bras
+n'est-il pas assez long pour atteindre, du sein de la tranquille cour
+d'Angleterre jusqu'à Calais, la tête de mon oncle?» Parmi plusieurs
+autres propos que vous avez tenus dans ce temps-là même, je vous ai ouï
+dire que vous refuseriez l'offre de cent mille couronnes<a id="footnotetag22" name="footnotetag22"></a>
+<a href="#footnote22"><sup class="sml">22</sup></a> plutôt que
+de consentir au retour en Angleterre de Bolingbroke; ajoutant encore que
+la mort de votre cousin serait un grand bonheur pour le pays.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote22"
+name="footnote22"></a><b>Note 22:</b><a href="#footnotetag22">
+(retour) </a> Monnaie d'or.</blockquote>
+
+<p>AUMERLE.--Princes, et vous, nobles seigneurs, quelle réponse dois-je
+faire à cet homme de rien? Faudra-t-il que je déshonore l'étoile
+illustre de ma naissance jusqu'à le châtier comme un égal? Il le faut
+cependant, ou consentir à voir mon honneur flétri par l'accusation de sa
+bouche calomnieuse.--Voilà mon gage, le sceau par lequel ma main te
+dévoue à la mort, et qui te marque pour l'enfer.--Je dis que tu en as
+menti; et je soutiendrai que ce que tu dis est faux, aux dépens du sang
+de ton coeur, bien qu'il soit trop vil pour que je dusse en ternir
+l'éclat de mon épée de chevalier.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Arrête; Bagot, je te défends de le relever.</p>
+
+<p>AUMERLE.--Hors un seul homme, je voudrais que ce fût le plus illustre de
+l'assemblée qui m'eût ainsi défié.</p>
+
+<p>FITZWATER.--Si ta valeur tient à la sympathie<a id="footnotetag23" name="footnotetag23"></a>
+<a href="#footnote23"><sup class="sml">23</sup></a>, voilà mon gage,
+Aumerle, que j'oppose au tien. Par ce beau soleil qui me montre où tu
+es, je t'ai entendu dire, et tu t'en faisais gloire, que tu étais la
+cause de la mort du noble Glocester. Si tu le nies, tu en as vingt fois
+menti; et avec la pointe de ma rapière je ferai rentrer ton mensonge
+dans le coeur où il a été forgé.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote23"
+name="footnote23"></a><b>Note 23:</b><a href="#footnotetag23">
+(retour) </a> <i>...... Stand on sympathies.</i></blockquote>
+
+<p>AUMERLE.--Lâche, tu n'oserais vivre assez pour voir cette journée.</p>
+
+<p>FITZWATER.--Par mon âme, je voudrais que ce fût à l'heure même.</p>
+
+<p>AUMERLE.--Fitzwater, tu viens de dévouer ton âme à l'enfer.</p>
+
+<p>PERCY.--Tu mens, Aumerle: son honneur est aussi pur dans ce défi qu'il
+est vrai que tu es déloyal; et pour preuve que tu l'es, je jette ici mon
+gage, prêt à le soutenir contre toi jusqu'à la dernière limite de la
+respiration. Relève-le si tu l'oses.</p>
+
+<p>AUMERLE.--Si je ne le relève pas, puissent mes mains se pourrir, et ne
+plus jamais brandir un fer vengeur sur le casque étincelant de mon
+ennemi.</p>
+
+<p>UN AUTRE LORD.--Je te défie de même sur le terrain, parjure Aumerle, et
+je te provoque par autant de démentis que j'en pourrais crier à tes
+oreilles perfides depuis un soleil jusqu'à l'autre. Voilà le gage de mon
+honneur; mets-le à l'épreuve si tu l'oses.</p>
+
+<p>AUMERLE.--Qui en est encore? Par le ciel, je répondrai à tous: j'ai dans
+un seul coeur mille courages pour faire tête à vingt mille comme vous.</p>
+
+<p>SURREY.--Lord Fitzwater, je me rappelle très-bien le jour où Aumerle et
+vous vous entretîntes ensemble.</p>
+
+<p>FITZWATER.--Il est vrai; milord, vous étiez présent, et vous pouvez
+témoigner comme moi que ce que je dis est vrai.</p>
+
+<p>SURREY.--Cela est aussi faux, par le ciel, que le ciel lui-même est
+sincère.</p>
+
+<p>FITZWATER.--Surrey, tu en as menti.</p>
+
+<p>SURREY.--Enfant sans honneur, ce démenti pèsera si lourdement sur mon
+épée, qu'il en sera tiré revanche et vengeance jusqu'à ce que toi qui
+m'as donné le démenti et ton démenti<a id="footnotetag24" name="footnotetag24"></a>
+<a href="#footnote24"><sup class="sml">24</sup></a> gisiez vous la terre, aussi,
+tranquilles que le crâne de ton père; et pour preuve, voilà mon gage
+d'honneur: mets-le à l'épreuve.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote24"
+name="footnote24"></a><b>Note 24:</b><a href="#footnotetag24">
+(retour) </a>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+ <p class="i10"><i>That lie shall lie so heavy on my sword</i></p>
+ <p class="i10"><i>Till thou the lie giver and that lie do lie.</i></p>
+</div></div>
+
+<p>Jeux de mots impossibles à rendre en français, même par des
+équivalents.</p></blockquote>
+
+<p>FITZWATER.--Comme tu te plais follement à exciter un cheval emporté! De
+même que j'ose manger, boire, respirer et vivre, j'oserai affronter
+Surrey dans un désert, et lui cracher au visage en lui disant qu'il en a
+menti, et qu'il a menti, et qu'il en a menti. Voilà qui engage ma foi à
+t'obliger de recevoir ma vigoureuse correction.--Comme j'espère
+prospérer dans ce monde nouveau pour moi, Aumerle est coupable de ce que
+lui reproche mon loyal défi; de plus, j'ai ouï dire au banni Norfolk,
+que c'est toi, Aumerle, qui as envoyé deux de tes gens à Calais pour
+assassiner le noble duc.</p>
+
+<p>AUMERLE.--Que quelque honnête chrétien me confie un gage pour prouver
+que Norfolk ment. Je jette ceci, dans le cas où Norfolk serait rappelé
+pour défendre son honneur.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Tous ces défis resteront en suspens jusqu'au retour de
+Norfolk: il sera rappelé; et quoiqu'il soit mon ennemi, il sera rétabli
+dans tous ses biens et seigneuries, et à son arrivée nous le forcerons
+de justifier son honneur contre Aumerle.</p>
+
+<p>L'ÉVÊQUE DE CARLISLE.--Jamais on ne verra ce jour honorable.--Norfolk,
+banni, a combattu bien des fois pour Jésus-Christ; il a porté dans les
+champs glorieux des chrétiens l'étendard de la croix chrétienne contre
+les noirs païens, les Turcs et les Sarrasins. Fatigué de travaux
+guerriers, il s'est retiré en Italie; et là, à Venise, il a rendu son
+corps à la terre de ces belles contrées, et son âme pure à Jésus-Christ
+son chef, sous les drapeaux duquel il avait combattu si longtemps.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Quoi, prélat, Norfolk est mort?</p>
+
+<p>L'ÉVÊQUE DE CARLISLE.--Aussi sûrement que je vis, milord.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Qu'une heureuse paix conduise sa belle âme dans le sein du
+bon vieil Abraham!--Seigneurs appelants, vos défis resteront tous en
+suspens jusqu'à ce que nous vous assignions le jour du combat.</p>
+
+<p class="stage1">(Entre York avec sa suite.)</p>
+
+<p>YORK.--Puissant duc de Lancastre, je viens vers toi de la part de
+Richard, dépouillé de ses plumes, qui t'adopte d'un coeur satisfait pour
+son héritier, et met tes mains royales en possession de son auguste
+sceptre. Monte sur le trône que tu hérites aujourd'hui de lui, et vive
+Henri, le quatrième du nom!</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--C'est au nom de Dieu que je monte sur le trône royal.</p>
+
+<p>L'ÉVÊQUE DE CARLISLE.--Que Dieu vous en préserve!--Je parlerai mal en
+votre royale présence; mais c'est à moi qu'il convient le mieux de dire
+la vérité. Plût à Dieu qu'il y eût dans cette noble assemblée un homme
+assez noble pour être le juge impartial du noble Richard: alors la vraie
+noblesse lui apprendrait à éviter une injustice aussi odieuse! Quel
+sujet peut prononcer l'arrêt de son roi? et qui de ceux qui siégent ici
+n'est pas sujet de Richard? Les voleurs ne sont jamais jugés sans être
+entendus, quelque évidente que soit en eux l'apparence du crime; et
+l'image de la majesté de Dieu, son lieutenant, son fondé de pouvoirs,
+son député choisi, oint, couronné et maintenu sur le trône depuis tant
+d'années, sera jugé par des bouches sujettes et inférieures, et cela
+sans même être présent! O Dieu! ne permets pas que dans un pays
+chrétien, des âmes civilisées donnent l'exemple d'un attentat si odieux,
+si noir, si indécent! Je parle à des sujets, et c'est un sujet qui
+parle, animé par le ciel pour prendre hardiment la défense de son roi.
+Milord d'Hereford, qui est ici présent, et que vous appelez roi, est un
+insigne traître au roi du superbe Hereford: si vous le couronnez, je
+vous prédis que le sang anglais engraissera la terre, et que les
+générations futures payeront de leurs gémissements cet horrible forfait.
+La paix ira dormir chez les Turcs et les infidèles; et dans ce séjour de
+la paix, des guerres tumultueuses confondront les familles contre les
+familles, les parents contre les parents; le désordre, l'horreur, la
+crainte et la révolte habiteront parmi vous; et cette terre sera nommée
+le champ de Golgotha et la place des crânes des morts. Oh! si vous
+élevez cette maison contre cette maison, il en résultera les plus
+désastreuses divisions qui jamais aient désolé ce monde maudit. Empêchez
+cela, résistez; qu'il n'en soit pas ainsi, de peur que vos enfants et
+les enfants de vos enfants ne crient sur vous: Malédiction!</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--Vous avez parlé à merveille, monsieur; et pour votre
+peine, nous vous arrêtons ici comme coupable de haute trahison.--Lord
+Westminster, chargez-vous de veiller sur sa personne jusqu'au jour de
+son procès.--Vous plaît-il, milords, d'accorder aux communes leur
+requête?</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Qu'on introduise ici Richard, afin qu'il abdique
+publiquement: alors nous procéderons à l'abri de tout soupçon.</p>
+
+<p>YORK.--Je vais me charger de l'amener.</p>
+
+<p class="stage1">(Il sort.)</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Vous, seigneurs, qui êtes ici arrêtés par nos ordres,
+donnez vos cautions de vous représenter au jour où vous serez sommés de
+répondre. <span class="stage2">(<i>A l'évêque de Carlisle:</i>)</span>--Nous devons peu à votre affection
+pour nous, et nous comptions peu sur votre secours.</p>
+
+<p class="stage1">(Rentre York avec le roi Richard et des officiers portant la couronne.)</p>
+
+<p>RICHARD.--Hélas! pourquoi m'oblige-t-on de me rendre aux ordres d'un roi
+avant que j'aie pu secouer encore les pensées royales qui ont accompagné
+mon règne! Je n'ai pu encore apprendre à insinuer, à flatter, à me
+courber, à fléchir le genou. Donnez au chagrin quelque temps pour
+m'instruire à la soumission.--Cependant, je n'ai point encore oublié la
+figure de ces hommes... Ne furent-ils pas à moi? ne m'ont-ils pas crié
+parfois: Salut? C'est ce que Judas fit à Jésus-Christ; mais lui, sur
+douze, il trouva la fidélité chez tous, sauf un seul; et moi, sur douze
+mille, je n'en trouve chez aucun.--Dieu sauve le roi!--Quoi! personne ne
+dira: <i>Amen?</i> serai-je à la fois le prêtre et le clerc? Eh bien, <i>amen</i>,
+Dieu sauve le roi, quoique ce ne soit pas moi; et <i>amen</i> encore si le
+ciel pense que c'est moi.--Pour rendre quel service m'amène-t-on ici?</p>
+
+<p>YORK.--Pour accomplir ce que de ta libre volonté ta grandeur fatiguée
+t'a porté à offrir, la cession de ta puissance et de la couronne à Henri
+Bolingbroke.</p>
+
+<p>RICHARD.--Donne-moi la couronne.--Cousin, la voilà; prends la couronne:
+ma main de ce côté-ci; la tienne de ce côté-là.--Maintenant cette
+couronne d'or ressemble à un puits profond... renfermant deux seaux qui
+se remplissent l'un l'autre, toujours le vide se balance dans l'air,
+tandis que l'autre est au bas, caché et plein d'eau: le seau d'en bas
+est rempli de larmes; c'est moi qui m'abreuve de ma douleur, tandis que
+vous vous élevez en haut.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--J'avais cru que vous abdiquiez de bon gré.</p>
+
+<p>RICHARD.--Ma couronne, oui; mais mes chagrins me restent toujours. Vous
+pouvez me déposer de mes titres et de ma grandeur, mais non pas de mes
+chagrins; j'en suis toujours le roi.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Vous me donnez une partie de vos soucis avec votre
+couronne.</p>
+
+<p>RICHARD.--Vos soucis en croissant ne diminuent pas les miens: mes soucis
+viennent de la perte des soucis qui ont fait longtemps mon souci. Votre
+souci est le souci de gagner, causé par de nouveaux soucis. Les soucis
+que je vous cède, je les ai toujours après les avoir cédés: ils suivent
+la couronne; et cependant ils ne me quitteront point.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Êtes-vous satisfait de renoncer à la couronne?</p>
+
+<p>RICHARD.--Oui, non... non, oui<a id="footnotetag25" name="footnotetag25"></a>
+<a href="#footnote25"><sup class="sml">25</sup></a>; car je ne dois être rien. Par
+conséquent, non, car je te résigne ce que je suis.--Maintenant, voyez
+comment je me dépouille moi-même. Je décharge ma tête de ce lourd
+fardeau, et mon bras de ce sceptre pesant; j'arrache de mon coeur
+l'orgueil du pouvoir royal; j'efface de mes larmes l'onction que j'ai
+reçue, je donne ma couronne de mes propres mains; j'abjure de ma propre
+bouche ma grandeur sacrée, et ma propre voix délie tous mes sujets de
+leurs serments d'obéissance; je renonce solennellement à toute pompe et
+à toute majesté; j'abandonne tous mes manoirs, domaines, revenus; je
+rétracte tous mes actes, décrets et statuts. Que Dieu pardonne tous les
+serments violés envers moi! Que Dieu conserve inviolables, tous les
+serments qu'on te fait! qu'il m'ôte tout regret, à moi qui ne possède
+plus rien; et qu'il te contente en tout, toi qui as tout acquis!
+Puisses-tu vivre longtemps assis sur le trône de Richard! Puisse Richard
+descendre bientôt dans le sein de la terre! Dieu conserve le roi Henri
+et qu'il lui envoie de longues années de jours radieux! Ainsi dit
+Richard, qui n'est plus roi. Que faut-il de plus?</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote25"
+name="footnote25"></a><b>Note 25:</b><a href="#footnotetag25">
+(retour) </a> <i>Ay, no, no, ay, for I must nothing be.</i> Vous me demandez si
+je suis satisfait, comme je ne dois être rien, je ne puis être
+satisfait, c'est donc: oui et non, non et oui. <i>Ay, no. No, ay.</i></blockquote>
+
+<p>NORTHUMBERLAND <span class="stage2"><i>lui présente un écrit.</i></span>--Rien que de lire vous-même ces
+accusations, ces crimes terribles commis par votre personne et par vos
+adhérents contre la gloire et les intérêts du pays, afin que, d'après
+vos aveux, les âmes des hommes puissent croire que vous êtes justement
+déposé.</p>
+
+<p>RICHARD.--Faut-il que je fasse cela, et faut-il que je démêle
+péniblement le tissu de mes égarements? Cher Northumberland, si tes
+fautes étaient écrites, ne serais-tu pas honteux d'en faire la lecture
+devant une si brillante assemblée? Si tu la faisais, tu y trouverais un
+article bien odieux... celui qui contiendrait la déposition d'un roi, et
+la violente lacération du puissant contrat des serments, crime marqué de
+noir et condamné dans le livre du ciel.--Et vous tous qui restez là à me
+regarder pris au piége par ma propre misère (bien que quelques-uns de
+vous, avec Pilate, en lavent leurs mains et affectent une pitié
+extérieure), tout Pilate que vous êtes, vous m'avez abandonné aux
+amertumes de ma croix, et l'eau ne saurait laver votre péché.</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--Seigneur, hâtez-vous: lisez ces articles.</p>
+
+<p>RICHARD.--Mes yeux sont pleins de larmes, je ne peux voir; et cependant
+l'eau salée ne les aveugle pas tant que je ne voie bien encore une
+troupe de traîtres ici. Eh quoi! si je tourne mes regards sur moi-même,
+j'y vois un traître comme les autres, car j'ai donné ici le consentement
+de ma volonté pour dépouiller la majestueuse personne d'un roi, avilir
+sa gloire, changer le souverain en esclave, faire de la majesté un
+sujet, et de la grandeur royale un paysan.</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--Seigneur!</p>
+
+<p>RICHARD.--Je ne suis pas ton seigneur, homme hautain et arrogant; je ne
+suis le seigneur de personne; je n'ai point de nom, point de titre, pas
+même le nom qui me fut donné sur les fonts baptismaux, qui ne soit
+usurpé.--O jour malheureux! que j'aie vu tant d'hivers, et que je ne
+sache de quel nom m'appeler aujourd'hui! Oh! que ne suis-je une figure
+de roi en neige exposé au soleil de Bolingbroke, pour me fondre en
+gouttes d'eau!--Bon roi... grand roi (et cependant non pas grandement
+bon), si ma parole vaut encore quelque chose en Angleterre, qu'à mon
+ordre on m'apporte sur-le-champ un miroir, afin qu'il me montre quel air
+a mon visage depuis qu'il a fait faillite de sa majesté royale.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Allez, quelqu'un; qu'on apporte un miroir.</p>
+
+<p class="stage1">(Sort un homme de suite.)</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--Lisez cet écrit pendant qu'on va chercher le miroir.</p>
+
+<p>RICHARD.--Démon, tu me tourmentes avant que je sois en enfer.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Lord Northumberland, n'insistez plus.</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--Alors les communes ne seront pas satisfaites.</p>
+
+<p>RICHARD.--Elles seront satisfaites: j'en lirai assez lorsque je verrai
+le véritable livre où tous mes péchés sont inscrits; ce livre c'est
+moi-même. <span class="stage2">(<i>On apporte un miroir.</i>)</span>--Donnez-moi ce miroir; c'est là que
+je veux lire.--Quoi! ces rides ne sont pas plus profondes? Quoi! la
+douleur a frappé tant de coups sur ce visage, et n'y a pas fait des
+plaies plus profondes? O miroir flatteur, tu fais comme mes courtisans
+au temps de ma prospérité, tu me trompes! Est-ce là le visage de celui
+qui sous le toit de sa demeure entretenait chaque jour dix mille
+personnes? Est-ce là ce visage qui, comme le soleil, faisait cligner les
+yeux à ceux qui le contemplaient? Est-ce là le visage qui a soutenu tant
+de folie, et qui a été à la fin éclipsé par Bolingbroke? C'est une
+gloire fragile que celle qui brille sur ce visage, et ce visage est
+aussi fragile que la gloire <span class="stage2">(<i>il jette contre terre le miroir qui se
+brise</i>)</span>, car le voilà brisé en mille éclats.--Fais attention, roi
+silencieux, à la moralité de ce jeu.--Comme mon chagrin a vite détruit
+mon visage!</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--L'image de votre chagrin a détruit l'image de votre
+figure.</p>
+
+<p>RICHARD.--Répétez-moi cela: «l'image de votre chagrin?» Ah! voyons: oui,
+cela est vrai, mon chagrin est tout entier au dedans, et ces formes
+extérieures de deuil ne sont que des ombres du chagrin caché qui se
+gonfle en silence dans l'âme torturée. C'est là que vit le chagrin
+lui-même; et je te remercie, roi, de ta grande bonté, qui non-seulement
+me donne sujet de gémir, mais m'apprend de quelle manière je dois
+gémir.--Je ne vous demanderai plus qu'une grâce, et après je me retire;
+je ne vous importunerai plus: l'obtiendrai-je?</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Nommez-la, beau cousin.</p>
+
+<p>RICHARD.--Beau cousin! Eh quoi! je suis plus grand qu'un roi; car,
+lorsque j'étais roi, je n'étais flatté que par des sujets; et maintenant
+que je ne suis plus qu'un sujet, j'ai ici un roi pour flatteur. Puisque
+je suis si grand, je n'ai pas besoin de demander de grâce.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Demandez toujours.</p>
+
+<p>RICHARD.--Et l'obtiendrai-je?</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Vous l'obtiendrez.</p>
+
+<p>RICHARD.--Eh bien, donnez-moi la permission de m'en aller.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Où?</p>
+
+<p>RICHARD.--Où vous voudrez, pourvu que je sois loin de votre vue.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Allez, quelques-uns de vous: qu'on le conduise à la Tour.</p>
+
+<p>RICHARD.--Oh! vous êtes très-bons pour me conduire<a id="footnotetag26" name="footnotetag26"></a>
+<a href="#footnote26"><sup class="sml">26</sup></a>; vous êtes tous
+des gens de conduite, vous qui savez si lestement vous élever sur la
+chute d'un roi légitime.</p>
+
+<p class="stage1">(Sortent Richard, quelques-uns des lords et une garde.)</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote26"
+name="footnote26"></a><b>Note 26:</b><a href="#footnotetag26">
+(retour) </a> <i>O good! convey, conveyors are you all.</i>
+
+<p><i>Convey</i>, <i>conveyor</i>, signifie aussi escamoter, escamoteur. Il était
+impossible de donner un sens en français à cette plaisanterie en
+traduisant littéralement.</p>
+</blockquote>
+
+<p>BOLINGBROKE.--C'est à mercredi prochain que nous fixons le jour de notre
+couronnement. Seigneurs, préparez-vous.</p>
+
+<p class="stage1">(Tous sortent, excepté l'abbé de Westminster, l'évêque de Carlisle,
+Aumerle.)</p>
+
+<p>L'ABBÉ DE WESTMINSTER.--Nous avons vu là une triste cérémonie.</p>
+
+<p>L'ÉVÊQUE DE CARLISLE.--La tristesse est à venir: les enfants qui ne sont
+pas encore nés sentiront ce jour les déchirer comme une épine.</p>
+
+<p>AUMERLE.--Vous, saints ecclésiastiques, dites-nous, n'est-il point de
+moyen pour délivrer le royaume de cette pernicieuse souillure?</p>
+
+<p>L'ABBÉ DE WESTMINSTER.--Avant que je vous explique librement ma pensée,
+il faudra que vous vous engagiez par serment, non-seulement à tenir mes
+projets ensevelis, mais à exécuter tout ce que je pourrai imaginer.--Je
+vois que vos regards sont remplis de mécontentement, vos coeurs de
+chagrin, et vos yeux de larmes. Venez souper chez moi, et je préparerai
+un plan qui nous ramènera à tous des jours de bonheur.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+
+<p>FIN DU QUATRIÈME ACTE.</p>
+
+<br>
+<h2>ACTE CINQUIÈME</h2>
+
+<br>
+<h3>SCÈNE I</h3>
+
+<p class="stage1">Une des rues conduisant à la Tour.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> LA REINE <i>et ses dames</i>.</p>
+<br>
+
+<p>LA REINE.--C'est par cette rue que le roi va passer: voilà le chemin
+de cette Tour qu'à la maleheure a bâtie Jules César<a id="footnotetag27" name="footnotetag27"></a>
+<a href="#footnote27"><sup class="sml">27</sup></a>, et dont le sein
+de pierre devient, par arrêt de l'orgueilleux Bolingbroke, la prison de
+mon seigneur condamné.--Reposons-nous ici, si cette terre rebelle a
+encore un lieu de repos pour la reine de son légitime souverain! <span class="stage2">(<i>Entre
+le roi Richard conduit par des gardes.</i>)</span> Mais paix; ah! que je voie...
+ou plutôt ne voyons pas se flétrir ma belle rose. Et cependant, levons
+les yeux, regardons-le, afin que la pitié nous dissolve en rosée pour
+lui rendre sa fraîcheur en l'arrosant des larmes du fidèle amour.--O
+toi, l'image des lieux où fut la vieille Troie, carte d'honneur, tombeau
+du roi Richard et non plus le roi Richard, toi la plus belle des
+demeures, pourquoi faut-il que le chagrin au sombre visage habite chez
+toi, tandis que le succès triomphant s'est logé dans un cabaret?</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote27"
+name="footnote27"></a><b>Note 27:</b><a href="#footnotetag27">
+(retour) </a> La tradition en Angleterre attribue à César l'érection de la
+Tour de Londres.</blockquote>
+
+<p>RICHARD.--Femme charmante, ne te ligue pas avec ma douleur, je t'en
+prie, pour me faire mourir trop promptement. Apprends, bonne âme, à
+tenir notre ancienne fortune comme un songe heureux dont nous nous
+réveillons pour voir dans l'état où nous sommes réduits la vérité de ce
+que nous sommes. Me voilà, ma douce amie, devenu l'inséparable frère de
+la hideuse nécessité; elle et moi nous sommes liés jusqu'à la
+mort.--Retire-toi en France, et va te cloîtrer dans quelque maison
+religieuse: il faut qu'une sainte vie nous gagne dans un monde nouveau
+la couronne que nos heures profanes ont abattue ici.</p>
+
+<p>LA REINE.--Quoi! l'âme de mon Richard est-elle donc changée et affaiblie
+comme sa personne? Bolingbroke a-t-il aussi déposé ta raison? est-il
+entré dans ton coeur? Le lion mourant avance encore la griffe, et, dans
+la rage de se voir dompté, déchire la terre s'il ne peut atteindre autre
+chose; et toi, subiras-tu patiemment la correction comme un écolier?
+Baiseras-tu la verge? flatteras-tu avec une basse humilité la fureur de
+tes ennemis, toi qui es un lion et le roi des animaux?</p>
+
+<p>RICHARD.--Oui, roi des animaux: si j'avais gouverné autre chose que des
+animaux, je régnerais encore heureux sur les hommes.--Ma bien-aimée,
+autrefois reine, prépare-toi à partir pour la France; suppose que je
+suis mort, et qu'ici, dans cet instant; tu reçois de moi, comme de mon
+lit de mort, mon dernier adieu de vivant. Dans les ennuyeuses soirées de
+l'hiver, assise auprès d'un foyer avec quelques bons vieillards,
+fais-toi raconter les histoires des siècles malheureux passés depuis
+longtemps; et avant de leur souhaiter le bonsoir, pour acquitter ta part
+de douleurs, dis-leur ma lamentable chute, et renvoie tes auditeurs
+pleurants à leurs lits.--Eh quoi! aux tristes accents de ta voix
+touchante, les insensibles tisons eux-mêmes, émus de sympathie,
+éteindront le feu sous les larmes de leur compassion; et les uns sous
+leurs cendres, les autres, noirs comme le charbon, pleureront la
+déposition d'un roi légitime.</p>
+
+<p class="stage1">(Entrent Northumberland et une suite.)</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--Seigneur, les intentions de Bolingbroke sont changées:
+c'est à Pomfret, et non à la Tour, qu'il faut vous rendre.--Et vous,
+madame, je suis aussi chargé d'ordres pour vous: il vous faut partir
+sans délai pour la France.</p>
+
+<p>RICHARD.--Northumberland, toi l'échelle au moyen de laquelle l'ambitieux
+Bolingbroke monte sur mon trône, le temps n'aura pas vieilli d'un grand
+nombre d'heures avant que ton odieux péché, se grossissant de sa propre
+matière, n'éclate en pourriture. Quand Bolingbroke partagerait son
+royaume et t'en donnerait la moitié, tu penseras que c'est trop peu pour
+l'avoir aidé à s'emparer du tout; et lui, il pensera que toi qui sais le
+moyen d'établir les rois illégitimes, tu sauras aussi, sous le moindre
+prétexte, trouver un autre moyen de le renverser la tête la première de
+son trône usurpé. L'attachement des amis pervers se convertit en
+défiance, la défiance en haine; et la haine conduit l'un, ou tous deux
+ensemble, à de justes périls et à une mort méritée.</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--Que mon crime retombe sur ma tête, et que tout finisse
+là. Faites-vous vos adieux et séparez-vous, car il faut vous quitter sur
+l'heure.</p>
+
+<p>RICHARD.--Accablé d'un double divorce! Méchants hommes, vous violez une
+double union; d'abord entre ma couronne et moi, et puis entre moi et la
+femme que j'ai épousée.--Délions par un baiser le serment qui subsiste
+entre toi et moi: et cependant cela ne se peut, car il fut consacré par
+un baiser<a id="footnotetag28" name="footnotetag28"></a>
+<a href="#footnote28"><sup class="sml">28</sup></a>.--Sépare-nous, Northumberland: moi pour aller vers le
+nord, où le froid transi et la maladie font languir le pays; ma femme
+pour aller en France, d'où elle est venue avec pompe et parée comme le
+doux mois de mai, et où elle est renvoyée comme la Toussaint, ou comme
+le jour le plus court.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote28"
+name="footnote28"></a><b>Note 28:</b><a href="#footnotetag28">
+(retour) </a> C'était alors l'usage de consacrer, à l'église même, l'union
+nuptiale par un baiser.</blockquote>
+
+<p>LA REINE.--Eh quoi! faut-il qu'on nous sépare? faut-il nous quitter?</p>
+
+<p>RICHARD.--Oui, ma bien-aimée, ta main de ma main, et ton coeur de mon
+coeur.</p>
+
+<p>LA REINE.--Bannissez-nous tous deux, et renvoyez le roi avec moi.</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--Il y aurait à cela quelque bonté, mais peu de
+politique.</p>
+
+<p>LA REINE.--Eh bien, là où il va, laissez-moi y aller aussi.</p>
+
+<p>RICHARD.--Pleurant ainsi tous deux ensemble, nous ne ferions qu'une
+seule douleur. Pleure pour moi en France, je pleurerai ici pour toi: il
+vaut mieux être loin l'un de l'autre, que réunis pour n'être jamais plus
+heureux<a id="footnotetag29" name="footnotetag29"></a>
+<a href="#footnote29"><sup class="sml">29</sup></a>. Va, compte tes pas par tes soupirs, et moi les miens par
+mes gémissements.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote29"
+name="footnote29"></a><b>Note 29:</b><a href="#footnotetag29">
+(retour) </a> <i>Be never the near,</i> n'avoir rien gagné, n'être jamais plus
+près de ce qu'on désire.</blockquote>
+
+<p>LA REINE.--Ainsi le chemin plus long fournira les plus longues plaintes.</p>
+
+<p>RICHARD.--Je pousserai deux gémissements à chaque pas puisque mon chemin
+est court, et je l'allongerai par le poids que j'ai sur le coeur.
+Allons, allons, ne faisons pas plus longtemps la cour à la douleur,
+puisqu'une fois qu'on l'a épousée la douleur dure si longtemps. Qu'un
+baiser nous ferme la bouche, et séparons-nous en silence. <span class="stage2">(<i>Ils
+s'embrassent.</i>)</span> Dans ce baiser je te donne mon coeur, et je prends le
+tien.</p>
+
+<p>LA REINE.--Rends-moi le mien: c'est un triste rôle que de prendre ton
+coeur pour le tuer. <span class="stage2">(<i>Ils s'embrassent encore une fois.</i>)</span> Maintenant que
+j'ai repris le mien, va-t'en; que je puisse m'efforcer de le tuer d'un
+seul gémissement.</p>
+
+<p>RICHARD.--Nous jouons avec le malheur dans ces tendres délais. Encore
+une fois, adieu: que la douleur dise le reste.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+<br>
+
+<h3>SCÈNE II</h3>
+
+<p class="stage1">La scène est toujours à Londres.--Un appartement dans le palais du duc
+d'York.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> YORK et LA DUCHESSE D'YORK.</p>
+<br>
+
+<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Milord, vous m'aviez promis de m'achever le récit
+de l'entrée de nos deux cousins dans Londres, lorsque vos larmes vous
+ont forcé de l'interrompre.</p>
+
+<p>YORK.--Où en suis-je resté?</p>
+
+<p>LA DUCHESSE D'YORK.--A ce triste moment où des mains brutales et
+insolentes jetaient, du haut des fenêtres, de la poussière et des
+ordures sur la tête du roi Richard.</p>
+
+<p>YORK.--Alors, comme je vous l'ai dit, le duc, le grand Bolingbroke,
+monté sur un bouillant et fougueux coursier qui semblait connaître son
+ambitieux maître, poursuivait sa marche à pas lents et majestueux,
+tandis que toutes les voix criaient: «Dieu te garde, Bolingbroke!» Vous
+auriez cru que les fenêtres parlaient, tant s'y pressaient les figures
+de tout âge, jeunes et vieilles, pour lancer à travers les ouvertures
+d'avides regards sur le visage de Bolingbroke: on eût dit que toutes les
+murailles, chargées d'images peintes, répétaient à la fois: «Jésus te
+conserve! sois le bienvenu, Bolingbroke!» tandis que lui, se tournant de
+côté et d'autre, la tête découverte et courbée plus bas que le cou de
+son fier coursier, leur disait: «Je vous remercie, mes compatriotes.» Et
+faisant toujours ainsi, il continuait sa marche.</p>
+
+<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Hélas! et le pauvre Richard, que faisait-il alors?</p>
+
+<p>YORK.--Comme dans un théâtre, lorsqu'un acteur favori vient de quitter
+la scène, les yeux des spectateurs se portent négligemment sur celui qui
+lui succède, tenant son bavardage pour ennuyeux; ainsi, et avec plus de
+mépris encore, les yeux du peuple s'arrêtaient d'un air d'aversion sur
+Richard. Pas un seul n'a crié: Dieu le sauve! Pas une voix joyeuse ne
+lui a souhaité la bienvenue; mais on répandait la poussière sur sa tête
+sacrée; et lui la secouait avec une tristesse si douce, une expression
+si combattue entre les pleurs et le sourire, gages de sa douleur et de
+sa patience; que si Dieu, pour quelque grand dessein, n'avait pas
+endurci les coeurs des hommes, ils auraient été forcés de s'attendrir,
+et la barbarie elle-même eût eu compassion de lui. Mais le ciel a mis la
+main à ces événements; tranquilles et satisfaits, nous nous soumettrons
+à sa haute volonté, Notre foi de sujet est maintenant jurée à
+Bolingbroke dont je reconnais pour toujours la puissance et les droits.</p>
+
+<p class="stage1">(Entre Aumerle.)</p>
+
+<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Voici mon fils Aumerle.</p>
+
+<p>YORK.--Il fut Aumerle jadis, mais il a perdu ce titre pour avoir été
+l'ami de Richard; et il faut désormais, madame, que vous l'appeliez
+Rutland. Je suis caution, devant le parlement, de sa fidélité et de sa
+ferme loyauté envers le nouveau roi.</p>
+
+<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Sois le bienvenu, mon fils. Quelles sont les
+violettes parsemées maintenant sur le sein verdoyant du nouveau
+printemps?</p>
+
+<p>AUMERLE.--Madame, je l'ignore et ne m'en embarrasse guère. Dieu sait
+qu'il m'est indifférent d'en être ou de n'en pas être.</p>
+
+<p>YORK.--A la bonne heure; mais comportez-vous bien dans cette saison
+nouvelle, de peur d'être moissonné avant le temps de la maturité. Que
+dit-on d'Oxford? Les joutes et les fêtes continuent-elles?</p>
+
+<p>AUMERLE.--Oui, milord, à ce que j'ai ouï dire.</p>
+
+<p>YORK.--Vous y serez, je le sais.</p>
+
+<p>AUMERLE.--Si Dieu ne s'y oppose, c'est mon dessein.</p>
+
+<p>YORK.--Quel est ce sceau qui pend de ton sein<a id="footnotetag30" name="footnotetag30"></a>
+<a href="#footnote30"><sup class="sml">30</sup></a>?--Eh quoi! tu pâlis?
+Laisse-moi voir cet écrit.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote30"
+name="footnote30"></a><b>Note 30:</b><a href="#footnotetag30">
+(retour) </a> L'usage était alors, comme on sait, d'apposer aux actes le
+sceau suspendu par une bande de parchemin.</blockquote>
+
+<p>AUMERLE.--Milord, ce n'est rien.</p>
+
+<p>YORK.--En ce cas, peu importe qu'on le voie. Je veux être satisfait:
+voyons cet écrit.</p>
+
+<p>AUMERLE.--Je conjure Votre Grâce de m'excuser: c'est un écrit de peu
+d'importance, que j'ai quelque raison de tenir caché.</p>
+
+<p>YORK.--Et moi, monsieur, que j'ai quelque raison de vouloir connaître.
+Je crains.... je crains....</p>
+
+<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Eh! que pouvez-vous craindre? Ce ne peut être que
+quelque engagement qu'il aura contracté pour ses parures le jour du
+triomphe.</p>
+
+<p>YORK.--Quoi! un engagement avec lui-même? Comment aurait-il entre ses
+mains l'engagement qui le lie? Tu es folle, ma femme.--Jeune homme,
+fais-moi voir cet écrit.</p>
+
+<p>AUMERLE.--Je vous en conjure, excusez-moi: je ne puis le montrer.</p>
+
+<p>YORK.--Je veux être obéi; je veux le voir, te dis-je. <span class="stage2">(<i>Il lui arrache
+l'écrit et le lit.</i>)</span>--Trahison! noire trahison!--Déloyal! traître!
+misérable!</p>
+
+<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Qu'est-ce que c'est, milord?</p>
+
+<p>YORK.--Holà! quelqu'un ici. <span class="stage2">(<i>Entre un serviteur.</i>)</span>--Qu'on selle mon
+cheval.--Le ciel lui fasse miséricorde!--Quelle trahison je découvre
+ici!</p>
+
+<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Comment? qu'est-ce, milord?</p>
+
+<p>YORK.--Donnez-moi mes bottes, vous dis-je. Sellez mon cheval.--Oui, sur
+mon honneur, sur ma vie, sur ma foi, je vais dénoncer le scélérat!</p>
+
+<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Qu'il y a-t-il donc?</p>
+
+<p>YORK.--Taisez-vous, folle que vous êtes.</p>
+
+<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Je ne me tairai point.--De quoi s'agit-il, mon
+fils?</p>
+
+<p>AUMERLE.--Calmez-vous, ma bonne mère: de rien dont ne puisse répondre ma
+pauvre vie.</p>
+
+<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Ta vie en répondre!</p>
+
+<p class="stage1">(Entre un valet apportant des bottes.)</p>
+
+<p>YORK.--Donne-moi mes bottes. Je veux allez trouver le roi.</p>
+
+<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Aumerle, frappe-le.--Pauvre enfant, tu es tout
+consterné. <span class="stage2">(<i>Au valet.</i>)</span>--Loin d'ici, malheureux! ne reparais jamais en
+ma présence.</p>
+
+<p>YORK.--Donne-moi mes bottes, te dis-je.</p>
+
+<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Quoi donc, York, que veux-tu faire? Quoi! tu ne
+cacheras pas la faute de ton propre sang? Avons-nous d'autres fils?
+pouvons-nous en espérer d'autres? le temps n'a-t-il pas épuisé la
+fécondité de mon sein? Et tu veux enlever à ma vieillesse mon aimable
+fils, et me dépouiller de l'heureux titre de mère! Ne te ressemble-t-il
+pas? n'est-il pas à toi?</p>
+
+<p>YORK.--Femme faible et insensée, veux-tu donc celer cette noire
+conspiration? Ils sont là douze traîtres qui ont ici pris par serment et
+réciproquement signé l'engagement d'assassiner le roi à Oxford.</p>
+
+<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Il n'en sera pas: nous le garderons ici; et alors
+comment pourra-t-il s'en mêler?</p>
+
+<p>YORK.--Laisse-moi, femme inconsidérée: fût-il vingt fois mon fils, je le
+dénoncerais.</p>
+
+<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Ah! si tu avais poussé pour lui autant de
+gémissements que moi, tu serais plus pitoyable. Mais je sais maintenant
+ce que tu penses: tu soupçonnes que j'ai été infidèle à ta couche; et
+qu'il est un bâtard au lieu d'être ton fils. Ah! cher York, cher époux,
+n'aie pas cette pensée; il te ressemble autant qu'homme puisse
+ressembler à un autre; il ne me ressemble pas, ni à personne de ma
+famille, et pourtant je l'aime.</p>
+
+<p>YORK.--Laisse-moi passer, femme indisciplinée.</p>
+
+<p class="stage1">(Il sort.)</p>
+
+<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Va après lui, Aumerle: monte son cheval; pique,
+presse, arrive avant lui auprès du roi, et implore ta grâce avant qu'il
+t'accuse. Je ne tarderai pas à te suivre: quoique vieille, je ne doute
+pas que je ne puisse galoper aussi vite qu'York. Je ne me relèverai
+point de terre que Bolingbroke ne t'ait pardonné. Partons. Va-t'en.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+<br>
+
+<h3>SCÈNE III</h3>
+
+<p class="stage1">La scène est à Windsor.--Un appartement dans le château.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> BOLINGBROKE <i>en roi</i>, PERCY <i>et autres seigneurs</i>.</p>
+<br>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Personne ne peut-il me donner des nouvelles de mon
+débauché de fils? Il y a trois mois entiers que je ne l'ai vu. S'il est
+quelque fléau dont le ciel nous menace, c'est lui. Plût à Dieu, milords,
+qu'on pût le découvrir! Faites chercher à Londres, dans toutes les
+tavernes; car on dit qu'il les hante journellement avec des compagnons
+sans moeurs et sans frein, de ceux-là mêmes, dit-on, qui se tiennent
+dans des ruelles étroites, où ils battent notre garde et volent les
+passants! Et lui, jeune étourdi, jeune efféminé, il se fait un point
+d'honneur de soutenir cette bande dissolue!</p>
+
+<p>PERCY.--Seigneur, il n'y a guère que deux jours que j'ai vu le prince,
+et je lui ai parle des tournois qui se tiennent à Oxford.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Et qu'a répondit ce galant?</p>
+
+<p>PERCY.--Sa réponse fut qu'il irait dans un mauvais lieu<a id="footnotetag31" name="footnotetag31"></a>
+<a href="#footnote31"><sup class="sml">31</sup></a>, qu'il
+arracherait à la plus vile des créatures qui s'y trouveraient un de ses
+gants, qu'il le porterait comme une faveur, et qu'avec ce gage il
+désarçonnerait le plus robuste agresseur.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote31"
+name="footnote31"></a><b>Note 31:</b><a href="#footnotetag31">
+(retour) </a> <i>..... Unto the stews.</i></blockquote>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Aussi dissolu que téméraire: et cependant, au travers de
+tout cela, j'entrevois quelques étincelles d'espérance qu'un âge plus
+mûr pourra peut-être développer heureusement.--Mais qui vient à nous?</p>
+
+<p class="stage1">(Entre Aumerle.)</p>
+
+<p>AUMERLE.--Où est le roi?</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Que veut dire notre cousin avec cet air de trouble et
+d'effroi?</p>
+
+<p>AUMERLE.--Que Dieu garde Votre Grâce! Je conjure Votre Majesté de
+m'accorder un moment d'entretien, seul avec Votre Grâce.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE, <span class="stage2"><i>aux lords.</i></span>--Retirez-vous, et laissez-nous seuls ici.
+<span class="stage2">(<i>Percy et les lords se retirent.</i>)</span>--Que nous veut maintenant notre
+cousin?</p>
+
+<p>AUMERLE, <span class="stage2"><i>s'agenouillant.</i></span>--Que mes genoux restent pour toujours
+attachés à la terre, et ma langue fixée dans ma bouche à mon palais, si
+vous ne me pardonnez avant que je me relève ou que je parle.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--La faute n'est-elle que dans l'intention, ou déjà commise?
+Dans le premier cas, quelque odieuse qu'elle puisse être, pour gagner
+ton amitié à l'avenir, je te pardonne.</p>
+
+<p>AUMERLE.--Permettez-moi donc de tourner la clef, afin que personne
+n'entre jusqu'à ce que je vous aie tout dit.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Fais ce que tu voudras.</p>
+
+<p class="stage1">(Aumerle ferme la porte.)</p>
+
+<p>YORK, <span class="stage2"><i>en dehors.</i></span>--Prends garde, mon souverain; veille à ta sûreté; tu
+as un traître en ta présence.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE, <span class="stage2"><i>tirant son épée.</i></span>--Scélérat! je vais m'assurer de toi.</p>
+
+<p>AUMERLE.--Retiens ta main vengeresse; tu n'as aucun sujet de craindre.</p>
+
+<p>YORK, <span class="stage2"><i>en dehors.</i></span>--Ouvre la porte; prends garde, roi follement
+téméraire. Ne pourrai-je, au nom de mon attachement, accuser devant toi
+la trahison? Ouvre la porte, ou je vais la briser.</p>
+
+<p class="stage1">(Bolingbroke ouvre la porte.)</p>
+
+<p class="stage1">(Entre York.)</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Qu'y a-t-il, mon oncle? parlez. Reprenez haleine;
+dites-nous si le danger presse, afin que nous nous armions pour le
+repousser.</p>
+
+<p>YORK.--Parcours cet écrit, et tu connaîtras la trahison que ma course
+rapide m'empêche de te développer.</p>
+
+<p>AUMERLE.--Souviens-toi, en lisant, de ta parole donnée. Je suis
+repentant: ne lis plus mon nom dans cette liste; mon coeur n'est point
+complice de ma main.</p>
+
+<p>YORK.--Traître, il l'était avant que ta main eût signé.--Roi, je l'ai
+arraché du sein de ce traître: c'est la crainte et non l'amour qui
+engendre son repentir. Oublie ta pitié pour lui, de peur que ta pitié ne
+devienne un serpent qui te percera le coeur.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--O conspiration odieuse, menaçante et audacieuse! O père
+loyal d'un fils perfide! O toi, source argentée, pure et immaculée, d'où
+ce ruisseau a pris son cours à travers des passages fangeux qui l'ont
+sali; comme le surcroît de ta bonté s'est en lui changé en méchanceté,
+de même cette bonté surabondante excusera la faute mortelle de ton
+coupable fils.</p>
+
+<p>YORK.--Ainsi ma vertu servira d'entremetteur à ses vices<a id="footnotetag32" name="footnotetag32"></a>
+<a href="#footnote32"><sup class="sml">32</sup></a>; il
+dépensera mon honneur à réparer sa honte, comme ces fils prodigues qui
+dépensent l'or amassé par leurs pères. Pour que mon honneur vive, il
+faut que son déshonneur périsse; ou bien son déshonneur va couvrir ma
+vie d'infamie. Tu me tues en lui permettant de vivre: si tu lui laisses
+le jour, le traître vit et tu mets à mort le sujet fidèle.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote32"
+name="footnote32"></a><b>Note 32:</b><a href="#footnotetag32">
+(retour) </a> <i>So shall my virtue be his vice's bawd.</i></blockquote>
+
+<p>LA DUCHESSE D'YORK, <span class="stage2"><i>en dehors</i>.</span>--De grâce, mon souverain, pour l'amour
+de Dieu, laisse-moi entrer.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Quelle suppliante à la voix grêle pousse ces cris
+empressés?</p>
+
+<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Une femme, ta tante, grand roi. C'est moi,
+écoute-moi, aie pitié de moi; ouvre la porte: c'est une mendiante qui
+mendie sans avoir jamais mendié<a id="footnotetag33" name="footnotetag33"></a>
+<a href="#footnote33"><sup class="sml">33</sup></a>, moi qui ne demandai jamais.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote33"
+name="footnote33"></a><b>Note 33:</b><a href="#footnotetag33">
+(retour) </a> <i>A beggar begs, that never begg'd before.</i>
+
+<p>C'est sur ce mot <i>beggar</i> que porte la plaisanterie de Bolingbroke.</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i10"><i>Our scene is alter'd from a serious thing,</i></p>
+<p class="i10"><i>And now chang'd to the Beggar and the king.</i></p>
+</div></div>
+
+<p><i>The beggar</i> était, comme on l'a déjà fait voir dans les notes de <i>Roméo
+et Juliette</i>, une ballade alors très-connue.</p></blockquote>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Voilà notre scène changée: nous passons d'une chose
+sérieuse à <i>la mendiante avec le roi</i>.--Mon dangereux cousin, faites
+entrer votre mère: je vois bien qu'elle vient intercéder pour votre
+odieux forfait.</p>
+
+<p>YORK.--Si tu lui pardonnes, qui que ce soit qui te prie, ce pardon
+pourra faire germer d'autres crimes. Retranche ce membre corrompu, et
+tous les autres restent sains. Si tu l'épargnes, il corrompra tout le
+reste.</p>
+
+<p class="stage1">(Entre la duchesse d'York.)</p>
+
+<p>LA DUCHESSE D'YORK.--O roi! ne crois pas cet homme au coeur dur: celui
+qui ne s'aime pas lui-même ne peut aimer personne.</p>
+
+<p>YORK.--Femme extravagante, que fais-tu ici? Ton sein flétri veut-il une
+seconde fois nourrir un traître?</p>
+
+<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Cher York, calmez-vous.--Mon gracieux souverain,
+écoutez-moi.</p>
+
+<p class="stage1">(Elle se met à genoux.)</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Levez-vous, ma bonne tante.</p>
+
+<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Non, pas encore, je t'en conjure: je resterai
+prosternée sur mes genoux, et jamais je ne reverrai le jour que voient
+les heureux, que tu ne m'aies rendue à la joie, que tu ne m'aies dit de
+me réjouir en pardonnant à Rutland, à mon coupable enfant.</p>
+
+<p>AUMERLE, <span class="stage2"><i>se mettant à genoux.</i></span>--Et moi je courbe les genoux pour m'unir
+aux prières de ma mère.</p>
+
+<p>YORK, <span class="stage2"><i>se mettant à genoux.</i></span>--Et moi je courbe mes genoux fidèles pour
+prier contre tous les deux. Si tu accordes la moindre grâce, puisse-t-il
+t'en mal arriver!</p>
+
+<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Ah! croyez-vous qu'il parle sérieusement? Voyez son
+visage: ses yeux ne versent point de larmes, sa prière n'est qu'un jeu,
+ses paroles ne viennent que de sa bouche, les nôtres viennent du coeur:
+il ne vous prie que faiblement, et désire qu'on le refuse; mais nous,
+nous vous prions du coeur, de l'âme, de tout le reste: ses genoux
+fatigués se lèveraient avec joie, je le sais; et les nôtres resteront
+agenouillés jusqu'à ce qu'ils s'unissent à terre. Ses prières sont
+remplies d'une menteuse hypocrisie; les nôtres sont pleines d'un vrai
+zèle et d'une intégrité profonde. Nos prières surpassent les siennes:
+qu'elles obtiennent donc cette miséricorde due aux prières véritables.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Ma bonne tante, levez-vous.</p>
+
+<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Ne me dis point <i>levez-vous</i>, mais d'abord <i>je
+pardonne</i>; et tu diras ensuite <i>levez-vous</i>. Ah! si j'avais été ta
+nourrice et chargée de t'apprendre à parler, <i>je pardonne</i> eut été pour
+toi le premier mot de la langue. Jamais je n'ai tant désiré entendre un
+mot. Roi, dis: <i>Je pardonne</i>; que la pitié t'enseigne à le prononcer. Le
+mot est court, mais moins court qu'il n'est doux: il n'en est point qui
+convienne mieux à la bouche des rois que: <i>je pardonne</i>.</p>
+
+<p>YORK.--Parle-leur français, roi; dis-leur: <i>Pardonnez-moi</i><a id="footnotetag34" name="footnotetag34"></a>
+<a href="#footnote34"><sup class="sml">34</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote34"
+name="footnote34"></a><b>Note 34:</b><a href="#footnotetag34">
+(retour) </a> <i>Speak in French, king; say</i>--pardonnez-moi.
+
+<p>Shakspeare en veut beaucoup au <i>pardonnez-moi</i>. Il paraît que de son
+temps l'usage continuel et abusif de cette expression était le signe
+caractéristique de l'affectation des manières françaises. Mais la
+plaisanterie est ici d'autant plus mal placée, que cette manière de
+s'excuser n'a rien de particulier au français: <i>pardon me</i> est
+continuellement employé dans ce même sens par Shakspeare, pas plus loin
+que dans la scène précédente, où Aumerle refuse de donner à son père le
+papier qu'il lui demande.</blockquote>
+
+<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Dois-tu enseigner au pardon à détruire le pardon?
+Ah! mon cruel mari, mon seigneur au coeur dur qui emploie ce mot contre
+lui-même, prononce le pardon commun qui est d'usage dans notre pays;
+nous ne comprenons pas ce jargon français. Tes yeux commencent à parler;
+que ta langue s'y joigne, ou bien place ton oreille dans ton coeur
+compatissant, afin qu'il entende le son pénétrant de nos plaintes et de
+nos prières, et que la pitié t'excite à proférer le pardon.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Ma bonne tante, levez-vous.</p>
+
+<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Je ne demande point à me relever: la grâce que je
+sollicite, c'est que tu pardonnes.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Je lui pardonne, comme je désire que Dieu me pardonne.</p>
+
+<p>LA DUCHESSE D'YORK.--O heureuse victoire d'un genou suppliant! Et
+pourtant je suis malade de crainte; répète-le: prononcer deux fois le
+pardon, ce n'est pas pardonner deux fois, mais c'est fortifier un
+pardon.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Je lui pardonne de tout mon coeur.</p>
+
+<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Tu es un dieu sur la terre.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Mais pour notre loyal beau-frère et l'abbé, et tout le
+reste de cette bande de conspirateurs, la destruction va leur courir sur
+les talons.--Mon bon oncle, chargez-vous d'envoyer plusieurs
+détachements à Oxford, ou en quelque autre lieu que se trouvent ces
+traîtres: ils ne demeureront pas en ce monde, je le jure; mais je les
+aurai si je sais une fois où ils sont. Mon oncle, adieu.--Et vous aussi,
+cousin, adieu. Votre mère a su prier pour vous; devenez fidèle.</p>
+
+<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Viens, mon vieux fils, je prie Dieu de faire de toi
+un nouvel homme.</p>
+
+<p class="stage1"><p>(Ils sortent.)</p>
+<br>
+
+<h3>SCÈNE IV</h3>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> EXTON et UN SERVITEUR.</p>
+<br>
+
+<p>EXTON.--N'as-tu pas remarqué ce que le roi a dit? «N'ai-je point un ami
+qui me délivre de cette crainte toujours vivante?» N'est-ce pas cela?</p>
+
+<p>LE SERVITEUR.--Ce sont ses propres paroles.</p>
+
+<p>EXTON.--«N'ai-je point un ami?» a-t-il dit. Il l'a répété deux fois, et
+les deux fois il a répété les deux choses ensemble, n'est-il pas vrai?</p>
+
+<p>LE SERVITEUR.--Il est vrai.</p>
+
+<p>EXTON.--Et en disant ces mots, il me regardait fixement, comme s'il
+voulait dire: «Je voudrais bien que tu fusses l'homme capable de
+délivrer mon âme de cette terreur,» voulant dire le roi qui est à
+Pomfret.--Viens, allons-y: je suis l'ami du roi, et je le débarrasserai
+de son ennemi.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+<br>
+
+<h3>SCÈNE V</h3>
+
+<p class="stage1">Pomfret.--La prison du château.</p>
+
+<p class="stage1">RICHARD <i>seul.</i></p>
+<br>
+
+<p>Je me suis occupé à étudier comment je pourrais comparer cette prison,
+où je vis, avec le monde; mais comme le monde est peuplé d'hommes, et
+qu'ici il n'y a pas une créature excepté moi, je ne puis y
+réussir.--Cependant il faut que j'en vienne à bout. Ma cervelle
+deviendra la femelle de mon âme; mon âme sera le père: à eux deux ils
+engendreront une génération d'idées sans cesse productives, et toutes
+ces idées peupleront ce petit monde, et le peupleront d'inconséquences,
+comme en est peuplé l'univers; car il n'est point de pensée qui se
+satisfasse. Dans la meilleure espèce de toutes, les pensées des choses
+divines, il se rencontre des embarras, et elles mettent la parole en
+opposition avec la parole; comme: <i>venez à moi, petits; et ailleurs: il
+est aussi difficile de venir qu'il l'est à un chameau d'enfiler l'entrée
+du trou d'une aiguille</i><a id="footnotetag35" name="footnotetag35"></a>
+<a href="#footnote35"><sup class="sml">35</sup></a>. Les pensées ambitieuses cherchent à
+combiner des prodiges invraisemblables, comme de parvenir, avec ces
+mauvais petits clous, à ouvrir un passage à travers les flancs pierreux
+de ce monde si dur, des murs rocailleux de ma prison; et comme elles ne
+peuvent réussir, elles meurent de leur propre orgueil. Les pensées qui
+s'attachent au contentement flattent l'homme de cette considération
+qu'il n'est pas le premier esclave de la fortune, et qu'il ne sera pas
+le dernier; comme ces misérables mendiants qui, assis dans les ceps,
+cherchent pour refuge contre la honte la pensée que d'autres s'y sont
+assis, et que bien d'autres encore s'y assiéront, et trouvent dans cette
+pensée une espèce d'aisance, portant ainsi leur opprobre sur le dos de
+ceux qui avant eux en ont subi un semblable. De cette manière je
+représente à moi seul bien des personnages dont aucun n'est content.
+Quelquefois je suis le roi; et alors la trahison me fait souhaiter
+d'être un mendiant, et je me fais mendiant. Mais alors l'accablante
+indigence me persuade que j'étais mieux quand j'étais roi, et je
+redeviens roi. Mais peu à peu je viens à songer que je suis détrôné par
+Bolingbroke, et aussitôt je ne suis plus rien. Mais, quoi que je sois,
+ni moi, ni aucun homme, n'étant qu'un homme, ne sera jamais satisfait de
+rien, jusqu'à ce qu'il soit soulagé en n'étant plus rien. <span class="stage2">(<i>On entend de
+la musique.</i>)</span>--Est-ce de la musique que j'entends?--La, la.... en
+mesure.--Que la musique la plus mélodieuse est désagréable dès que la
+mesure est rompue et que les temps ne sont pas observés! C'est la même
+chose dans la musique de la vie humaine. Moi dont l'oreille est assez
+délicate pour reprendre une fausse mesure dans un instrument mal
+conduit, je n'ai pas eu assez d'oreille pour m'apercevoir que la mesure
+qui devait entretenir l'accord entre ma puissance et mon temps était
+rompue: j'abusais du temps, et à présent le temps abuse de moi, car il a
+fait de moi l'horloge qui marque les heures: mes pensées sont les
+minutes, et avec des soupirs elles frappent l'heure devant mes yeux,
+montre extérieure à laquelle mon doigt, comme l'aiguille d'un cadran,
+pointe toujours en essuyant leurs larmes: et maintenant, monsieur, le
+son qui m'apprend quelle heure il est n'est autre que celui de mes
+bruyants gémissements lorsqu'ils frappent sur mon coeur, qui est la
+cloche. Ainsi, les soupirs, les larmes et les gémissements marquent les
+minutes, les temps et les heures: mais mon temps s'enfuit rapidement
+dans la joie orgueilleuse de Bolingbroke; tandis que je suis debout ici
+comme un insensé, son jacquemard d'horloge<a id="footnotetag36" name="footnotetag36"></a>
+<a href="#footnote36"><sup class="sml">36</sup></a>.--Cette musique me rend
+furieux; qu'elle cesse. Si quelquefois elle rappela des fous à la
+raison, il me semble qu'en moi elle la ferait perdre à l'homme sage; et
+cependant béni soit le coeur qui m'en fait don! car c'est une marque
+d'amitié; et de l'amitié pour Richard est un étrange joyau dans ce
+monde, où tous me haïssent.</p>
+
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote35"
+name="footnote35"></a><b>Note 35:</b><a href="#footnotetag35">
+(retour) </a> C'est ainsi qu'est rendu ce passage dans les anciennes
+versions des livres saints. Les versions modernes lisant [Greek:
+chamilos] au lieu de [Greek: chamêlos] disent un <i>câble</i> au lieu d'<i>un
+chameau</i>, ce qui paraît beaucoup plus vraisemblable.</blockquote>
+
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote36"
+name="footnote36"></a><b>Note 36:</b><a href="#footnotetag36">
+(retour) </a> <i>Jack of the clock.</i> Jacquemard, espèce de figure en bois
+placée encore sur certaines anciennes horloges pour indiquer les
+heures.</blockquote>
+
+<p class="stage1">(Entre un valet d'écurie.)</p>
+
+<p>LE VALET.--Salut, royal prince.</p>
+
+<p>RICHARD.--Je te remercie, mon noble pair; le meilleur marché de nous
+deux est de dix sous<a id="footnotetag37" name="footnotetag37"></a>
+<a href="#footnote37"><sup class="sml">37</sup></a> trop cher.--Qui es-tu? et comment es-tu entré
+ici, où n'entre jamais personne que ce mauvais chien qui m'apporte ma
+nourriture pour prolonger la vie du malheur?</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote37"
+name="footnote37"></a><b>Note 37:</b><a href="#footnotetag37">
+(retour) </a> <i>Ten groats.</i> Le <i>groat</i> vaut quatre <i>pence</i>, c'est-à-dire
+huit sous; ainsi, <i>ten groats</i> donneraient une valeur de <i>quatre
+francs</i>. Mais comme <i>groat</i> est aussi le mot dont on se sert pour
+exprimer une chose de peu de valeur, une extrêmement petite somme; à peu
+près comme nous employons le mot <i>liard</i>, on a cru conserver mieux
+l'esprit de cette phrase en traduisant <i>ten groats</i> par <i>dix sous</i>,
+qu'en exprimant leur valeur réelle.</blockquote>
+
+<p>LE VALET.--J'étais un pauvre valet de tes écuries, roi, lorsque tu étais
+roi; et voyageant vers York, j'ai, avec beaucoup de peine, obtenu à la
+fin la permission de revoir le visage de celui qui fut autrefois mon
+maître. Oh! comme mon coeur a été navré lorsque j'ai vu dans les rues de
+Londres, le jour du couronnement, Bolingbroke monté sur ton cheval rouan
+Barbary, ce cheval que tu as monté si souvent, ce cheval que je pansais
+avec tant de soin!</p>
+
+<p>RICHARD.--Il montait Barbary! Dis-moi, mon ami, comment allait-il sous
+lui?</p>
+
+<p>LE VALET.--Avec tant de fierté qu'il semblait dédaigner la terre.</p>
+
+<p>RICHARD.--Si fier de porter Bolingbroke! Et cette rosse mangeait du pain
+dans ma main royale, et il était fier quand il sentait ma main le
+caresser! Ne devait-il pas broncher? ne devait-il pas tomber (puisqu'il
+faut que l'orgueil tombe tôt ou tard) et rompre le cou à l'orgueilleux
+qui usurpait ma place sur son dos?--Pardonne-moi, mon cheval; pourquoi
+te ferais-je des reproches, puisque tu as été créé pour être soumis à
+l'homme, et que tu es né pour porter? Moi, qui n'ai pas été créé cheval,
+je porte mon fardeau comme un âne blessé de l'éperon et harassé par les
+caprices de Bolingbroke.</p>
+
+<p class="stage1">(Entre le geôlier avec un plat.)</p>
+
+<p>LE GEOLIER, <span class="stage2"><i>au valet.</i></span>--Allons, videz les lieux; il n'y a pas à rester
+ici plus longtemps.</p>
+
+<p>RICHARD.--Si tu m'aimes, il est temps que tu te retires.</p>
+
+<p>LE VALET.--Ce que ma langue n'ose exprimer, mon coeur vous le dit.</p>
+
+<p class="stage1">(Il sort.)</p>
+
+<p>LE GEOLIER.--Seigneur, vous plaît-il de commencer?</p>
+
+<p>RICHARD.--Goûte le premier, suivant ta coutume.</p>
+
+<p>LE GEOLIER.--Seigneur, je n'ose: sir Pierce d'Exton, qui vient d'arriver
+de la part du roi, me commande le contraire.</p>
+
+<p>RICHARD.--Le diable emporte Henri de Lancastre et toi! La patience est
+usée, et j'en suis las.</p>
+
+<p class="stage1">(Il frappe le geôlier.)</p>
+
+<p>LE GEOLIER.--Au secours, au secours, au secours!</p>
+
+<p class="stage1">(Entrent Exton et plusieurs serviteurs armés.)</p>
+
+<p>RICHARD.--Qu'est-ce que c'est? à qui en veut la mort dans cette brusque
+attaqué?--Scélérat! <span class="stage2">(<i>Il arrache à un soldat l'arme qu'il porte et le
+tue.</i>)</span> Ta propre main me cède l'instrument de ta mort.--Et toi, va
+remplir une autre place dans les enfers. <span class="stage2">(<i>Il en tue encore un
+autre.</i>--<i>Alors Exton le frappe et le renverse.</i>)</span> La main sacrilège qui
+me poignarde brûlera dans des flammes qui ne s'éteindront
+jamais.--Exton, ta main féroce a souillé du sang de ton roi le royaume
+du roi.--Monte, monte, mon âme, ton trône est là-haut; tandis que ce
+corps charnel tombe sur la terre pour y mourir.</p>
+
+<p class="stage1">(Il meurt.)</p>
+
+<p>EXTON.--Il était aussi plein de valeur que de sang royal: j'ai répandu
+l'un et l'autre.--Oh! plût au ciel que cette action fût innocente! Le
+démon, qui m'avait dit que je faisais bien, me dit à présent que cette
+action est inscrite dans l'enfer. Je veux aller porter ce roi mort au
+roi vivant.--Qu'on emporte les autres, et qu'on leur donne ici la
+sépulture.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+<br>
+
+<h3>SCÈNE VI</h3>
+
+<p class="stage1">Windsor.--Un appartement dans le château.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Fanfares.</i>--<i>Entrent</i> BOLINGBROKE et YORK, <i>avec d'autres lords;
+suite.</i></p>
+<br>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Mon cher oncle York, les dernières nouvelles que nous
+avons reçues sont que les rebelles ont brûlé notre ville de Chichester,
+dans le comté de Glocester; mais on ne nous dit pas s'ils ont été pris
+ou tués. <span class="stage2">(<i>Entre Northumberland.</i></span>)--Soyez-le bienvenu, milord. Quelles
+nouvelles?</p>
+
+<p>NORTHUMBERLAND.--D'abord, je souhaite toute sorte de bonheur à Votre
+Majesté sacrée; ensuite les autres nouvelles sont, que j'ai envoyé à
+Londres la tête de Salisbury, de Spencer, de Blunt et de Kent. Vous
+trouverez dans cet écrit tous les détails sur la manière dont ils ont
+été pris.</p>
+
+<p class="stage1">(Il lui présente l'écrit.)</p>
+
+<p>BOLINGBROKE, <span class="stage2"><i>après avoir lu.</i></span>--Nous te remercions, mon bon Percy, de
+tes services; et nous ajouterons à ton mérite des récompenses dignes de
+toi.</p>
+
+<p class="stage1">(Entre Fitzwater.)</p>
+
+<p>FITZWATER.--Seigneur, je viens d'envoyer d'Oxford à Londres les têtes de
+Brocas et de sir Bennet Seely, deux de ces dangereux et perfides
+conspirateurs qui cherchaient à Oxford ta funeste perte.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Ces services, Fitzwater, ne seront pas oubliés. Ton mérite
+est grand, je le sais bien.</p>
+
+<p class="stage1">(Entre Percy amenant l'évêque de Carlisle.)</p>
+
+<p>PERCY.--Le grand conspirateur, l'abbé de Westminster, accablé par sa
+conscience et par une noire mélancolie, a cédé son corps au tombeau.
+Mais voici l'évêque de Carlisle vivant, pour subir ton royal arrêt et la
+sentence due à son orgueil.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Carlisle, voici votre arrêt:--Choisis quelque asile
+solitaire, plus grave que celui que tu occupes, et conserves-y la vie:
+si tu y vis tranquille, tu y mourras libre de toute persécution. Tu fus
+toujours mon ennemi, mais j'ai vu en toi de nobles étincelles d'honneur.</p>
+
+<p class="stage1">(Entre Exton suivi d'hommes portant un cercueil.)</p>
+
+<p>EXTON.--Grand roi! dans ce cercueil je t'offre tes craintes ensevelies.
+Ici gît sans vie le plus redoutable de tes plus grands ennemis, Richard
+de Bordeaux, apporté ici par moi.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Exton, je ne te remercie pas.--Ta main fatale a commis une
+action qui retombera sur ma tête et sur cet illustre pays.</p>
+
+<p>EXTON.--C'est d'après vos propres paroles, seigneur, que j'ai fait cette
+action.</p>
+
+<p>BOLINGBROKE.--Ceux qui ont besoin du poison n'aiment pas pour cela le
+poison; et je ne t'aime pas non plus. Bien que je l'aie souhaité mort,
+je hais l'assassin tout en l'aimant assassiné. Prends pour ta peine les
+remords de ta conscience; mais n'espère ni une bonne parole, ni la
+faveur de ton prince. Va, comme Caïn, errer dans les ombres de la nuit,
+et ne montre jamais ta tête au jour, ni à la lumière.--Seigneurs, je
+proteste que mon âme est pleine de tristesse, qu'il faille ainsi
+m'arroser de sang pour me faire prospérer. Venez gémir avec moi sur ce
+que je déplore, et qu'on prenne à l'instant un deuil profond.--Je ferai
+un voyage à la terre sainte pour laver de ce sang ma main coupable.
+Suivez-moi à pas lents, et honorez ma tristesse en accompagnant de vos
+pleurs cette bière remplie avant le temps.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+
+<p>FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE.</p>
+<br><br>
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of La vie et la mort du roi Richard II, by
+William Shakespeare
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK RICHARD II ***
+
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+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
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+
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+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
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+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
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+
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+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
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+approach us with offers to donate.
+
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+
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+works.
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