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| author | Roger Frank <rfrank@pglaf.org> | 2025-10-15 01:38:17 -0700 |
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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: La vie et la mort du roi Richard II + +Author: William Shakespeare + +Translator: François Pierre Guillaume Guizot + +Release Date: May 2, 2007 [EBook #21277] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK RICHARD II *** + + + + +Produced by Paul Murray, Rénald Lévesque and the Online +Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr) + + + + + + + + Note du transcripteur. + + =========================================================== + Ce document est tiré de: + + + OEUVRES COMPLÈTES DE + SHAKSPEARE + + TRADUCTION DE + M. GUIZOT + + NOUVELLE ÉDITION ENTIÈREMENT REVUE + AVEC UNE ÉTUDE SUR SHAKSPEARE + DES NOTICES SUR CHAQUE PIÈCE ET DES NOTES + + Volume 6 + Le marchand de Venise + Les joyeuses Bourgeoises de Windsor + Le roi Jean + La vie et la mort du roi Richard II + Henri IV (1re partie) + + PARIS + A LA LIBRAIRIE ACADÉMIQUE + DIDIER ET Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS + 35, QUAI DES AUGUSTINS + 1862 + + + ========================================================== + + LA VIE ET LA MORT + DU + ROI RICHARD II + + TRAGÉDIE + + + + + NOTICE + SUR + LA VIE ET LA MORT DU ROI RICHARD II + + +A mesure que Shakspeare avance vers les temps modernes de l'histoire de +son pays, les chroniques sur lesquelles il s'appuie concourent plus +exactement avec l'histoire véritable; et déjà, dans _la Vie et la Mort +de Richard II_, les détails que lui fournit Hollinshed s'écartent peu +des données historiques parvenues jusqu'à nous avec une certaine +authenticité. A l'exception du personnage de la reine, pure invention du +poëte, et abstraction faite du désordre que met dans la chronologie la +négligence de Shakspeare à conserver aux événements leurs distances +respectives, les faits contenus dans cette tragédie ne diffèrent en rien +des récits historiques, si ce n'est sur le genre de mort qu'on fit subir +à Richard. Hollinshed, qui a copié d'autres chroniqueurs, à donné à +Shakspeare la relation qu'il a suivie; mais l'opinion la plus +vraisemblable, et qui s'accorde le mieux avec le soin qu'on eut +d'exposer publiquement Richard après sa mort, c'est qu'on le fit mourir +de faim. Cette attention à sauver du moins les apparences matérielles du +crime dont on s'inquiétait peu d'éviter le soupçon, commençait à +s'introduire dans la féroce politique du temps; et Richard lui-même +avait fait étouffer entre des matelas le duc de Glocester qu'il tenait +prisonnier à Calais, publiant ensuite qu'il était mort d'une attaque +d'apoplexie. Outre le penchant de Shakspeare à suivre fidèlement le +guide historique qu'il avait une fois adopté, cette version lui +permettait de conserver au caractère de Bolingbroke l'intérêt qu'il a +répandu sur lui dans les les deux parties de _Henri IV_. Le choix entre +différentes versions est d'ailleurs le droit le moins contesté et le +moins contestable des auteurs dramatiques. + +La tragédie de _Richard II_ est donc, généralement parlant, assez +conforme à l'histoire; et la manière dont le poëte a représenté la +déposition de Richard et l'avénement au trône de Henri de Lancastre +paraît singulièrement d'accord avec ce que dit Hume au sujet de cet +avénement: «Il (Henri IV) devint roi, sans que personne pût dire comment +ni pourquoi.» Mais il faut être, comme l'était Hume, tout à fait +étranger au spectacle des révolutions, pour être embarrassé à dire +comment et pourquoi le duc de Lancastre, après avoir agi quelque temps +au nom du roi qu'il tenait prisonnier, se mit sans aucune peine à sa +place. Shakspeare n'a pas cru nécessaire de l'expliquer: Richard est +parti de Flintcastle avec le nom de roi à la suite de Bolingbroke; nous +le revoyons signant sa propre déposition. Le poëte ne nous indique en +aucune manière ce qui s'est passé; mais pour ne pas deviner comment +s'est accomplie la chute de Richard, il faudrait que nous eussions bien +mal compris ce qui nous a été présenté du spectacle de ses premières +disgrâces: la conversation du jardinier avec ses garçons en complète le +tableau en nous révélant leur effet sur l'opinion. C'est un trait de +l'art de Shakspeare pour nous faire assister à toutes les parties de +l'événement; il nous transporte toujours là où il frappe ses coups les +plus décisifs, tandis que loin de nos yeux l'action poursuit son cours, +et se contente de nous retrouver toujours au but. + +Bien que cette tragédie ait été intitulée _la Vie et la Mort de Richard +II_, elle ne comprend que les deux dernières années de ce prince, et ne +contient qu'un seul événement, celui de sa chute, catastrophe à laquelle +tout marche dès le début de la pièce. Cet événement a été considéré sous +différentes faces, et une anecdote assez singulière nous a révélé +l'existence d'une autre tragédie sur le même sujet, antérieure, à ce +qu'il paraît, à celle de Shakspeare, et traitée dans un esprit tout +différent. Quelques-uns des partisans du comte d'Essex, le jour qui +précéda son extravagante tentative, voulurent faire jouer une tragédie +où, comme dans celle de Shakspeare, on voyait Richard II déposé et tué +sur le théâtre. Les acteurs leur ayant représenté que la pièce était +tout à fait hors de mode et ne leur attirerait pas assez de monde pour +couvrir leurs frais, sir Gilly Merrick, l'un d'entre eux, leur donna +quarante shillings en sus de la recette. Ce fait est rapporté au procès +de sir Gilly, et servit à sa condamnation. + +L'entreprise du comte d'Essex eut lieu en 1601, et la pièce de +Shakspeare avait paru, à ce qu'on croit, dès l'an 1597. Malgré cette +antériorité, personne ne sera tenté de soupçonner qu'une pièce de +Shakspeare ait pu figurer dans une entreprise factieuse contre +Élisabeth. D'ailleurs la pièce en question paraît avoir été connue sous +le titre de _Henri IV_, non sous celui de _Richard II_; et l'on est même +fondé à croire que l'histoire de Henri IV en était le véritable sujet, +et la mort de Richard seulement un incident. Mais, pour lever toute +espèce de doute, il suffit de lire la tragédie de Shakspeare; la +doctrine du droit divin y est sans cesse présentée accompagnée de cet +intérêt que font naître le malheur et le spectacle de la grandeur +déchue. Si le poëte n'a pas donné à l'usurpateur cette physionomie +odieuse qui produit la haine et les passions dramatiques, il suffit de +lire l'histoire pour en comprendre la cause. + +Ce n'est pas un fait particulier à Richard II et à sa destinée, dans +l'histoire de ces temps désastreux, que ce vague de l'aspect moral sous +lequel se présentent les hommes et les choses, et qui ne permet aux +sentiments de s'attacher à rien avec énergie, parce qu'ils ne peuvent se +reposer sur rien avec satisfaction. Des partis toujours aux prises pour +s'arracher le pouvoir, tour à tour vaincus et méritant leur défaite, +sans que jamais un seul ait mérité la victoire, n'offrent pas un +spectacle très-dramatique, ni très-propre à porter nos sentiments et nos +facultés à ce degré d'exaltation qui est un des plus nobles buts de +l'art. La pitié y manque souvent à l'indignation, et l'estime presque +toujours à la pitié. On n'est pas embarrassé à trouver les crimes du +plus fort, mais on cherche avec anxiété les vertus du plus faible: et le +même effet se reproduit dans le sens contraire: des folies, des +déprédations, des injustices, des violences ont amené la chute de +Richard, l'ont rendue inévitable, et elles nous détachent de lui sous ce +double rapport que nous le voyons se perdre lui-même et impossible à +sauver. Cependant il serait aisé de trouver au moins autant de crimes +dans le parti qui triomphe de son abaissement. Shakspeare pourrait, à +peu de frais, amasser contre les rebelles des trésors d'indignation qui +soulèveraient tous les coeurs en faveur du souverain légitime: mais un +des principaux caractères du génie de Shakspeare, c'est une vérité, on +peut dire une fidélité d'observation qui reproduit la nature comme elle +est, et le temps comme il se présente: celui-là ne lui offrait ni héros +supérieurs à leur fortune, ni victimes innocentes, ni dévouements +héroïques, ni passions imposantes; il n'y trouvait que la force même des +caractères employée au service des intérêts qui les rabaissent, la +perfidie considérée comme moyen de conduite, la trahison presque +justifiée par le principe dominant de l'intérêt personnel, la désertion +presque légitimée par la considération du péril que l'on courrait à +demeurer fidèle; c'est aussi là tout ce qu'il a peint. C'est, à la +vérité, le duc d'York, personnage dont l'histoire nous fait connaître +l'incapacité et la nullité, qu'il a choisi pour représenter ce +dévouement toujours si ardent pour l'homme qui gouverne, cette facilité +à transmettre son culte du pouvoir de droit au pouvoir de fait, et _vice +versa_, se réservant, seulement pour son honneur, des larmes solitaires +en faveur de celui qu'il abandonne. Pour quiconque n'a pas vu la fortune +se jouant avec les empires, ce personnage ne serait que comique; mais +pour qui a assisté à de pareils jeux, n'est-il pas d'une effrayante +vérité? + +Dans un pareil entourage, où Shakspeare pouvait-il puiser ce pathétique +qu'il aurait aimé à répandre sur le spectacle de la grandeur déchue? Lui +qui a donné au vieux Lear, dans sa misère, tant de nobles et fidèles +amis, il n'en a pu trouver un seul à Richard; le roi est tombé +dépouillé, nu, entre les mains du poëte comme de son trône, et c'est en +lui seul que le poëte a été obligé de chercher toutes les ressources: +aussi le rôle de Richard II est-il une des plus profondes conceptions de +Shakspeare. + +Les commentateurs sont en grande discussion pour savoir si c'est à la +cour de Jacques ou à celle d'Élisabeth que Shakspeare a pris les maximes +qu'il professe assez communément en faveur du droit divin et du pouvoir +absolu. Shakspeare les a prises ordinairement dans ses personnages +mêmes; et il lui suffisait ici d'avoir à peindre un roi élevé sur le +trône. Richard n'a jamais imaginé qu'il fût ou pût être autre chose +qu'un roi; sa royauté fait à ses yeux partie de sa nature; c'est un des +éléments constitutifs de son être qu'il a apporté avec lui en naissant, +sans autre condition que de vivre: comme il n'a rien à faire pour le +conserver, il n'est pas plus en son pouvoir de cesser d'en être digne +que de cesser d'en être revêtu: de là son ignorance de ses devoirs +envers ses sujets, envers sa propre sûreté, son indolente confiance au +milieu du danger. Si cette confiance l'abandonne un instant à chaque +nouveau revers, elle revient aussitôt, doublant de force à mesure qu'il +lui en faut davantage pour suppléer aux appuis qui s'écroulent +successivement. Arrivé enfin au point où il ne lui est plus possible +d'espérer, le roi s'étonne, se regarde, se demande si c'est bien lui. +Une autre espèce de courage s'élève alors en lui; c'est celui que donne +un malheur tel que l'homme qui le subit s'exalte par la surprise où le +plonge sa propre situation; elle devient pour lui l'objet d'une si vive +attention qu'il ose la considérer sous tous ses rapports, ne fût-ce que +pour la comprendre; et par cette contemplation il échappe au désespoir, +et s'élève quelquefois à la vérité, dont la découverte calme toujours à +un certain point: mais ce calme est stérile, et ce courage inactif; il +soutient l'esprit, mais il tue l'action: aussi toutes les actions de +Richard sont-elles de la dernière faiblesse; ses réflexions mêmes sur +son état actuel décèlent un sentiment de sa nullité qui descend, en de +certains moments, presque à la bassesse: et qui pourrait le relever, lui +qui, en cessant d'être roi, a perdu, dans sa propre opinion, la qualité +distinctive de son être, la dignité de sa nature? Il se croyait précieux +devant Dieu, soutenu par son bras, armé de sa puissance; déchu de ce +rang mystérieux où il s'était placé, il ne s'en connaît plus aucun sur +la terre; dépouillé de la force qu'il croyait son droit, il ne suppose +pas qu'il lui en puisse rester aucune: aussi ne résiste-t-il à rien; ce +serait essayer ce qu'il suppose impossible: pour réveiller son énergie, +il faut qu'un danger pressant, soudain, provoque, pour ainsi dire, à son +insu, des facultés qu'il désavoue: attaqué dans sa vie, il se défend et +meurt avec courage. Pour en avoir eu toujours, il lui a manqué de savoir +ce que vaut un homme. + +Il ne faut point chercher dans _Richard II_, non plus que dans la +plupart des pièces historiques de Shakspeare, un caractère de style +particulier: la diction en est peu travaillée; assez souvent énergique, +elle est souvent aussi d'un vague qui laisse la raison absolument +maîtresse de décider sur le sens des expressions, que ne détermine +aucune règle de syntaxe. + +Cette pièce est toute en vers, et en grande partie rimée. L'auteur +paraît y avoir fait des changements depuis la première édition, publiée +en 1597. La scène du procès de Richard, en particulier, manque tout +entière dans cette édition, et se trouve pour la première fois dans +celle de 1608. + + + LA VIE ET LA MORT + du + ROI RICHARD II + + TRAGÉDIE + +PERSONNAGES + +LE ROI RICHARD II. +EDMOND DE LANGLEY, } + duc d'York, } oncles du +JEAN DE GAUNT, duc de } roi. + Lancastre. } +HENRI, surnommé BOLINGBROKE, + duc d'Hereford, fils de Jean de Gaunt, + ensuite roi d'Angleterre sous le nom + de Henri IV. +LE DUC D'AUMERLE, fils du duc + d'York. +MOWBRAY, duc de Norfolk. +LE DUC DE SURREY. +LE COMTE DE SALISBURY. +LE COMTE DE BERKLEY[1]. +BUSHY, } +BAGOT, } créatures du roi Richard. +GREEN, } +LE COMTE DE NORTHUMBERLAND. +HENRI PERCY, fils de Northumberland. +LORD ROSS. +LORD WILLOUGHBY. +LORD FITZWATER. +L'ÉVÊQUE DE CARLISLE. +L'ABBÉ DE WESTMINSTER. +LE LORD MARÉCHAL. +SIR PIERCE D'EXTON. +SIR ÉTIENNE SCROOP. +LE CAPITAINE d'une bande de Gallois. +LA REINE, femme de Richard. +LA DUCHESSE DE GLOCESTER. +LA DUCHESSE D'YORK. +Dames de la suite de la reine. Lords, hérauts, officiers, soldats, +deux jardiniers, un gardien, un messager, un valet d'écurie, et +autres personnes de suite. + +[Note 1: On remarque que ce titre de comte de Berkley, donné à lord +Berkley, est un anachronisme, et que les lords Berkley ne furent faits +comtes que dans un temps très-postérieur à celui de Richard.] + + +La scène se passe successivement dans plusieurs parties de l'Angleterre +et du pays de Galles. + + + + + ACTE PREMIER + + + + +SCÈNE I. + +Londres.--Un appartement dans le palais. + +_Entrent_ LE ROI RICHARD _avec sa suite_, JEAN DE GAUNT _et d'autres +nobles avec lui_. + + +RICHARD.--Vieux Jean de Gaunt, vénérable Lancastre, as-tu, comme tu t'y +étais engagé par serment, amené ici ton fils, l'intrépide Henri +d'Hereford, pour soutenir devant nous l'injurieux défi qu'il adressa +dernièrement au duc de Norfolk, Thomas Mowbray, et dont nous n'eûmes pas +alors le loisir de nous occuper? + +GAUNT.--Oui, mon souverain, je l'ai amené. + +RICHARD.--Réponds-moi encore: l'as-tu sondé? sais-tu s'il l'a défié, +poussé par une vieille haine, ou s'il a cédé à la vertueuse colère d'un +bon sujet, fondée sur quelque trahison dont il sache Mowbray coupable? + +GAUNT.--Autant que j'ai pu le pénétrer sur cette question, c'est sur la +connaissance de quelque danger dont Mowbray menace Votre Altesse, et non +par aucune haine invétérée. + +RICHARD.--Fais-les comparaître tous deux en notre présence; nous voulons +entendre nous-même l'accusateur et l'accusé parler librement face à +face, et se menaçant l'un l'autre du regard. (_Sortent quelques-uns des +gens de la suite du roi._) Ils sont tous deux hautains, pleins de +colère, et, dans leur fureur, sourds comme la mer, impétueux comme la +flamme. + +(Rentrent les serviteurs avec Bolingbroke et Norfolk.) + +BOLINGBROKE.--Que de longues années d'heureux jours échouent en partage +à mon gracieux souverain, à mon bien-aimé seigneur! + +NORFOLK.--Puisse chaque jour ajouter au bonheur de la veille, jusqu'à ce +que le ciel, envieux des félicités de la terre, ajoute à votre couronne +un titre immortel! + +RICHARD.--Nous vous remercions tous deux: cependant il y en a un de vous +qui n'est qu'un flatteur, à en juger par le sujet qui vous amène, +c'est-à-dire l'accusation de haute trahison que vous portez l'un contre +l'autre.--Cousin Hereford, que reproches-tu au duc de Norfolk, Thomas +Mowbray? + +BOLINGBROKE.--D'abord (et que le ciel prenne acte de mes paroles!) c'est +excité par le zèle d'un sujet dévoué, et en vue de la précieuse sûreté +de mon prince, que, libre d'ailleurs de toute autre haine illégitime, je +viens ici le défier en votre royale présence.--Maintenant, Thomas +Mowbray, je me tourne vers toi, et remarque le salut que je t'adresse; +car ce que je vais dire, mon corps le soutiendra sur cette terre, où mon +âme, divine, en répondra dans le ciel. Tu es un traître et un mécréant, +de trop bon lieu pour ce que tu es, et trop méchant pour mériter de +vivre, car plus le ciel est pur et transparent, plus affreux paraissent +les nuages qui le parcourent; et pour te noter plus sévèrement encore, +je t'enfonce dans la gorge une seconde fois le nom de détestable +traître, désirant, sous le bon plaisir de mon souverain, ne point sortir +d'ici que mon épée, tirée à bon droit, n'ait prouvé ce que ma bouche +affirme. + +NORFOLK.--Que la modération de mes paroles ne fasse pas ici suspecter +mon courage. Ce n'est point par les procédés d'une guerre de femmes, ni +par les aigres clameurs de deux langues animées que peut se décider +cette querelle entre nous deux. Il est bien chaud le sang que ceci va +refroidir. Cependant je ne peux pas me vanter d'une patience assez +docile pour me réduire au silence et ne rien dire du tout: et d'abord je +dirai que c'est le respect de Votre Grandeur qui me tient court, +m'empêchant de lâcher bride et de donner de l'éperon à mes libres +paroles; autrement elles s'élanceraient jusqu'à ce qu'elles eussent fait +rentrer dans sa gorge ces accusations redoublées de trahison. Si je puis +mettre ici de côté la royauté de son sang illustre, et ne le tenir plus +pour parent de mon souverain, je le défie, et lui crache au visage comme +à un lâche calomniateur et un vilain, ce que je soutiendrais en lui +accordant tous les avantages, et je le rencontrerais quand je serais +obligé d'aller à pied jusqu'aux sommets glacés des Alpes, ou dans tout +autre pays inhabitable où jamais Anglais n'a encore osé mettre le pied. +En tout cas, je maintiens ma loyauté, et déclare, par tout ce que +j'espère; qu'il en a menti faussement. + +BOLINGBROKE.--Pâle et tremblant poltron, je jette mon gage, refusant de +me prévaloir de ma parenté avec le roi, et je mets à l'écart la noblesse +de ce sang royal que tu allègues par peur et non par respect. Si un +effroi coupable t'a laissé encore assez de force pour relever le gage de +mon honneur, alors baisse-toi. Par ce gage et par toutes les lois de la +chevalerie, je soutiendrai corps à corps ce que j'ai avancé, ou tout ce +que tu pourrais imaginer de pis encore. + +NORFOLK.--Je le relève, et je jure par cette épée, qui apposa doucement +sur mon épaule mon titre de chevalier, que je te ferai honorablement +raison de toutes les manières qui appartiennent aux épreuves +chevaleresques; et une fois monté à cheval, que je n'en descende pas +vivant si je suis un traître ou si je combats pour une cause injuste! + +RICHARD.--Quelle est l'accusation dont notre cousin charge Mowbray? Il +faut qu'elle soit grave pour parvenir à nous inspirer même la pensée +qu'il ait pu mal faire. + +BOLINGBROKE.--Écoutez-moi, j'engage ma vie à prouver la vérité de ce que +je dis: Mowbray a reçu huit mille nobles[2] à titre de prêts pour les +soldats de Votre Altesse, et il les a retenus pour des usages de +débauche, comme un faux traître et un insigne vilain. De plus, je dis et +je le prouverai dans le combat, ou ici ou en quelque lieu que ce soit, +jusqu'aux extrémités les plus reculées qu'ait jamais contemplées l'oeil +d'un Anglais, que toutes les trahisons qui depuis dix-huit ans ont été +complotées et machinées dans ce pays ont eu pour premier chef et pour +principal auteur le perfide Mowbray. Je dis encore, et je soutiendrai +tout cela contre sa détestable vie, qu'il a comploté la mort du duc de +Glocester; qu'il en a suggéré l'idée à ses ennemis faciles à persuader, +et par conséquent que c'est lui qui, comme un lâche traître, a fait +écouler son âme innocente dans des ruisseaux de sang; et ce sang, comme +celui d'Abel tiré à son sacrifice, crie vers moi du fond des cavernes +muettes de la terre; il me demande justice et un châtiment rigoureux: +et, j'en jure par la noblesse de ma glorieuse naissance, ce bras fera +justice, ou j'y perdrai la vie. + +[Note 2: Monnaie d'or.] + +RICHARD.--A quelle hauteur s'est élevé l'essor de son courage!--Thomas +de Norfolk, que réponds-tu à cela? + +NORFOLK.--Oh! que mon souverain veuille détourner son visage, et +commander à ses oreilles d'être sourdes un instant, jusqu'à ce que j'aie +appris à celui qui déshonore son sang à quel point Dieu et les gens de +bien détestent un si exécrable menteur. + +RICHARD.--Mowbray, nos yeux et nos oreilles sont impartiales: fût-il mon +frère, ou même l'héritier de mon royaume, comme il n'est que le fils du +frère de mon père, je le jure par le respect dû à mon sceptre, cette +parenté qui l'allie de si près à notre sang sacré ne lui donnerait aucun +privilége et ne rendrait point partiale l'inflexible fermeté de mon +caractère intègre. Il est mon sujet, Mowbray, toi aussi; je te permets +de parler librement et sans crainte. + +NORFOLK.--Eh bien! Bolingbroke, à partir de la basse région de ton +coeur, et à travers le traître canal de ta gorge, tu en as menti. De +cette recette que j'avais pour Calais, j'en ai fidèlement remis les +trois quarts aux soldats de son Altesse: j'ai gardé l'autre de l'aveu de +mon souverain, qui me devait cette somme pour le reste d'un compte +considérable dû depuis le dernier voyage que je fis en France pour aller +y chercher la reine. Avale donc ce démenti.--Quant à la mort de +Glocester... je ne l'ai point assassiné: seulement j'avoue à ma honte +qu'en cette occasion j'ai négligé le devoir que j'avais juré de +remplir.--Pour vous, noble lord de Lancastre, respectable père de mon +ennemi, j'ai dressé une fois des embûches contre vos jours, crime qui +tourmente mon âme affligée; mais avant de recevoir pour la dernière fois +le sacrement, je l'ai confessé, et j'ai eu soin d'en demander pardon à +Votre Grâce, qui, j'espère, me l'a accordé. Voilà ce que j'ai à me +reprocher. Pour tous les autres griefs qu'il m'impute, ces accusations +partent de la haine d'un vilain, d'un traître lâche et dégénéré, sur +quoi je me défendrai hardiment en propre corps: je jette donc à ce +traître outrecuidant mon gage en échange du sien; je lui prouverai ma +loyauté de gentilhomme aux dépens du meilleur sang qu'il renferme dans +son sein; et pour ce faire promptement, je conjure sincèrement Votre +Altesse de nous assigner le jour de l'épreuve. + +RICHARD.--Gentilshommes enflammés de colère, laissez-moi vous diriger: +purgeons cette bile sans tirer de sang. Sans être médecin, voici ce que +je prescris: un ressentiment profond fait de trop profondes incisions; +ainsi donc, oubliez, pardonnez, terminez ensemble et réconciliez-vous; +nos docteurs disent que ce n'est pas la saison de saigner.--Mon bon +oncle, que cette querelle finisse où elle a commencé: nous apaiserons le +duc de Norfolk; vous, calmez votre fils. + +GAUNT.--Il convient assez à mon âge d'être un médiateur de paix.--Jette +à terre, mon fils, le gage du duc de Norfolk. + +RICHARD.--Et toi, Norfolk, jette à terre le sien. + +GAUNT.--Eh bien, Henri, quoi? L'obéissance commande; je ne devrais pas +avoir à te commander deux fois. + +RICHARD.--Allons, Norfolk, jette-le, nous l'ordonnons: cela ne sert de +rien. + +NORFOLK.--C'est moi, redouté souverain, qui me jette à tes pieds: tu +pourras disposer de ma vie, mais non pas de ma honte; la première +appartient à mon devoir; mais je ne te livrerais pas, pour en faire un +usage déshonorant, ma bonne renommée, qui en dépit de la mort vivra sur +mon tombeau. Je suis ici insulté, accusé, conspué, percé jusqu'au coeur +du trait empoisonné de la calomnie, sans pouvoir être guéri par aucun +autre baume que par le sang du coeur d'où s'est exhalé le venin. + +RICHARD.--Il faudra bien que cette rage se contienne. Donne-moi son +gage: les lions apprivoisent les léopards. + +NORFOLK.--Oui, mais ils ne peuvent changer leurs taches. Effacez mon +déshonneur, et je cède mon gage. Mon cher maître, le trésor plus pur que +puisse donner cette vie mortelle, c'est une réputation sans tache: +dépouillés de ce bien, les hommes ne sont plus qu'une terre dorée, une +argile peinte. Le diamant précieux enfermé sous les dix verrous d'un +coffre-fort, c'est un esprit hardi dans un coeur loyal. Mon honneur est +ma vie, tous deux existent conjointement: si tu m'ôtes l'honneur, je +n'ai plus de vie. Ainsi mon cher souverain, laisse-moi défendre mon +honneur; c'est par lui que je vis, et je mourrai pour lui. + +RICHARD.--Cousin, jetez votre gage: commencez-le premier. + +BOLINGBROKE.--Que Dieu préserve mon âme d'un si horrible péché! Ne +montrerai-je le front humilié à la vue de mon père, et démentirai-je ma +fierté par la crainte d'un pâle mendiant, devant ce lâche que j'ai +bravé? Avant que ma langue outrage mon honneur par une indigne +faiblesse, et se prête à une si honteuse composition, mes dents +déchireront le servile instrument de la crainte renégate, et le +cracheront sanglant pour compléter sa honte, là où siége la honte, à la +face de Mowbray. + +RICHARD.--Nous ne sommes pas nés pour solliciter, mais pour condamner. +Puisque nous ne pouvons vous rendre amis, soyez prêts, le jour de +Saint-Lambert, à répondre sur vos vies: c'est là que vos épées et vos +lances décideront les débats toujours grossissant de votre haine +obstinée. Puisque nous ne pouvons vous adoucir, nous, verrons la justice +manifester par la victoire de quel côté se trouve l'honneur.--Maréchal, +ordonnez à nos officiers d'armes de se tenir prêts pour diriger ce +combat domestique. + +(Ils sortent.) + + + + +SCÈNE II + +La scène est toujours à Londres, dans le palais du duc de Lancastre. + +_Entrent_ GAUNT, LA DUCHESSE DE GLOCESTER. + + +GAUNT.--Hélas! cette part que j'avais dans le sang de Glocester me +sollicite plus fortement que vos cris à poursuivre les bouchers de sa +vie. Mais puisque le châtiment réside dans les mains qui ont fait le +crime que nous ne pouvons punir, remettons notre cause à la volonté du +ciel, qui, lorsqu'il en verra les temps mûrs sur la terre, fera pleuvoir +sa brûlante vengeance sur la tête des coupables. + +LA DUCHESSE DE GLOCESTER.--Quoi! la qualité de frère ne trouvera pas en +toi un aiguillon plus pénétrant? ton vieux sang n'a pas conservé vivante +une étincelle d'affection? Les sept fils d'Edouard, au nombre desquels +tu te comptes, étaient comme sept vases de son sang sacré, comme sept +belles branches sorties d'une seule racine: quelques-uns de ces vases +ont été desséchés par le cours de la nature; quelques-unes de ces +branches ont été tranchées par la destinée: mais Thomas, mon cher époux, +ma vie, mon Glocester, ce vase rempli du sang d'Edouard, a été brisé +sous la main de la haine et de la sanglante hache du meurtre, sa +précieuse liqueur s'est épanchée: cette branche florissante de la +très-royale souche a été coupée, et les feuilles de son été se sont +flétries. Ah! Gaunt, son sang était le tien: c'est de la couche, c'est +du flanc, de la matière, de la substance même qui t'ont formé qu'il +avait tiré son existence; et quoique vivant et respirant, tu as été +assassiné en lui. C'est à beaucoup d'égards consentir à la mort de ton +père que de voir ainsi mourir ton malheureux frère, qui était la +représentation de la vie de ton père. N'appelle point cela patience, +Gaunt, c'est du désespoir. En souffrant ainsi qu'on égorge ton frère, tu +montres à découvert le chemin qui conduit à ta vie, tu instruis le +meurtrier farouche à t'assassiner. Ce que dans les hommes du bas étage +nous appelons patience est dans un noble sein une froide et tranquille +lâcheté. Que te dirai-je enfin? Pour mettre ta vie en sûreté, le +meilleur moyen c'est de venger la mort de mon Glocester. + +GAUNT.--Cette cause est celle du ciel, car le délégué du ciel, son +lieutenant oint devant sa face, est l'auteur de la mort de Glocester: +lorsqu'il commet le crime, la vengeance en est au ciel; pour moi, je ne +puis lever un bras irrité contre son ministre. + +LA DUCHESSE DE GLOCESTER.--A qui donc, hélas! puis-je porter ma plainte? + +GAUNT.--Au ciel, qui est le champion et le défenseur de la veuve. + +LA DUCHESSE DE GLOCESTER.--Eh bien! je me plaindrai à lui. Adieu, vieux +Gaunt. Tu vas à Coventry pour voir le combat de notre cousin d'Hereford +et du perfide Mowbray. Oh! fais peser sur la lance d'Hereford les +injures de mon mari, afin qu'elle entre dans le coeur de l'assassin +Mowbray; ou si, par un malheur, elle manquait la première passe, que les +crimes de Mowbray surchargent tellement son sein que les reins de son +coursier écumant en soient rompus et que le cavalier tombe la tête la +première dans l'arène, lâche, tremblant, à la merci de mon cousin +d'Hereford! Adieu, vieux Gaunt: celle qui fut un jour la femme de ton +frère finira sa vie avec sa compagne, la douleur. + +GAUNT.--Adieu, ma soeur; il faut que je me rende à Coventry. Que tout le +bien que je te souhaite m'accompagne! + +LA DUCHESSE DE GLOCESTER.--Un mot encore. La douleur, en tombant, +rebondit non par le vide, mais par le poids. Je prends congé de toi +avant que je t'aie encore rien dit, car le chagrin ne finit pas là où il +semble fini: rappelle-moi au souvenir de mon frère York.... Oui, voilà +tout.... Mais non, ne pars pas encore ainsi; quoique ce soit tout, ne +t'en va pas si vite.... Je puis me rappeler autre chose. Prie-le.... oh! +de quoi?... de se hâter de venir me voir à Plashy. Hélas! que +viendra-t-il y voir, ce bon vieux York, que des appartements déserts, +des murailles dépouillées, des cuisines dépeuplées, un pavé qu'on ne +foule plus. Et pour sa bienvenue, quelle autre réception trouvera-t-il +que mes gémissements? Rappelle-moi donc seulement à son souvenir; qu'il +ne vienne pas chercher en ce lieu la tristesse qui habite partout: +désolée, désolée je m'en irai d'ici et je mourrai. Mes yeux, en pleurs +te disent le dernier adieu. + +(Ils sortent.) + + + + +SCÈNE III + +Gosford-Green, près de Coventry.--Lice préparée avec un trône; hérauts, +etc., suite. + +_Entrent_ LE LORD MARÉCHAL ET D'AUMERLE. + + +LE MARÉCHAL.--Milord Aumerle, Henri d'Hereford est-il armé? + +AUMERLE.--Oui, armé de toutes pièces, et il brûle d'entrer dans la lice. + +LE MARÉCHAL.--Le duc de Norfolk, plein d'ardeur et d'audace, n'attend +que le signal de la trompette de l'appelant. + +AUMERLE.--En ce cas, les champions sont tout prêts, et n'attendent que +l'arrivée de Sa Majesté. + +(Les trompettes sonnent une fanfare.--Entrent Richard qui va s'asseoir +sur le trône, Gaunt et plusieurs autres nobles qui prennent leurs +places.--Une trompette sonne, et une autre lui répond de +l'intérieur.--Entre alors Norfolk, couvert de son armure, et précédé par +un héraut.) + +RICHARD.--Maréchal, demandez à ce champion le sujet qui l'amène ici en +armes: demandez-lui son nom; ensuite, procédez avec ordre à lui faire +prêter serment de la justice de sa cause. + +LE MARÉCHAL.--Au nom de Dieu et du roi, dis qui tu es, et pourquoi tu +viens ainsi armé en chevalier. Contre qui viens-tu combattre, et quelle +est ta querelle? Réponds la vérité, sur ta foi de chevalier et sur ton +serment; et après, que le ciel et ta valeur te défendent! + +NORFOLK.--Mon nom est Thomas Mowbray, duc de Norfolk. Je viens ici +engagé par un serment que le ciel préserve un chevalier de violer +jamais! j'y viens pour défendre ma loyauté et mon honneur devant Dieu, +mon roi et ma postérité, contre le duc d'Hereford, qui est l'appelant; +et, par la grâce de Dieu et le secours de ce bras, je viens lui prouver +pour ma défense qu'il est traître à mon Dieu, à mon roi et à moi. Que le +ciel me défende, comme je combats pour la vérité. + +(Les trompettes sonnent.--Entre Bolingbroke, couvert de son armure, et +précédé d'un héraut.) + +RICHARD.--Maréchal, demandez à ce chevalier armé qui il est et pourquoi +il vient ici vêtu de ses habits de guerre, et, conformément à nos lois, +faites-lui déposer dans les formes de la justice de sa cause. + +LE MARÉCHAL.--Quel est ton nom, et pourquoi parais-tu ici devant le roi +Richard dans sa lice royale? Contre qui viens-tu, et quelle est ta +querelle? Réponds comme un loyal chevalier, et que le ciel te défende. + +BOLINGBROKE.--Je suis Henri d'Hereford, de Lancastre et de Derby, qui me +tiens ici en armes prêt à prouver, par la grâce de Dieu et les prouesses +de mon corps, à Thomas Mowbray, duc de Norfolk, qu'il est un abominable +et dangereux traître envers le Dieu des cieux, le roi Richard et moi. +Que le ciel me défende, comme je combats pour la vérité. + +LE MARÉCHAL.--Sous peine de mort, que personne n'ait la hardiesse et +l'audace de toucher les barrières de la lice, excepté le maréchal et les +officiers chargés de présider à ces loyaux faits d'armes. + +BOLINGBROKE.--Lord maréchal, permettez que je baise la main de mon +souverain et que je fléchisse le genou devant Sa Majesté; car Mowbray et +moi nous ressemblons à deux hommes qui font voeu d'accomplir un long et +fatigant pèlerinage. Prenons donc solennellement congé de nos divers +amis, et faisons-leur de tendres adieux. + +LE MARÉCHAL.--L'appelant salue respectueusement Votre Majesté, et +demande à vous baiser la main et à prendre congé de vous. + +RICHARD.--Nous descendrons et nous le serrerons dans nos bras.--Cousin +d'Hereford, que ta fortune réponde à la justice de ta cause, dans ce +combat royal! Adieu, mon sang: si tu le répands aujourd'hui, nous +pouvons pleurer ta mort, mais non te venger. + +BOLINGBROKE.--Oh! que de nobles yeux ne profanent point une larme pour +moi, si mon sang est versé par la lance de Mowbray. Avec la confiance +d'un faucon qui fond sur un oiseau, je vais combattre Mowbray. (_Au lord +maréchal._) Mon cher seigneur, je prends congé de vous; et de vous, lord +Aumerle, mon noble cousin; bien que j'aie affaire avec la mort, je ne +suis pas malade, mais vigoureux, jeune, respirant gaiement; maintenant, +comme aux festins de l'Angleterre, je reviens au mets le plus délicat +pour le dernier, afin de rendre la fin meilleure. (_A Gaunt._)--O toi, +auteur terrestre de mon sang, dont la jeune ardeur renaissant en moi me +soulève avec une double vigueur pour atteindre jusqu'à la victoire +placée au-dessus de ma tête, ajoute par tes prières à la force de mon +armure; arme de tes bénédictions la pointe de ma lance, afin qu'elle +pénètre la cuirasse de Mowbray comme la cire, et que le nom de Jean de +Gaunt soit fourbi à neuf par la conduite vigoureuse de son fils. + +GAUNT.--Que le ciel te fasse prospérer dans ta bonne cause! Sois prompt +comme l'éclair dans l'attaque, et que tes coups, doublement redoublés, +tombent comme un tonnerre étourdissant sur le casque du funeste ennemi +qui te combat; que ton jeune sang s'anime; sois vaillant et vis! + +BOLINGBROKE.--Que mon innocence et saint Georges me donnent la victoire! + +(Il se rassied à sa place.) + +NORFOLK.--Quelque chance qu'amènent pour moi le ciel ou la fortune, ici +vivra ou mourra, fidèle au trône du roi Richard, un juste, loyal et +intègre gentilhomme. Jamais captif n'a secoué d'un coeur plus libre les +chaînes de son esclavage, ni embrassé avec plus de joie le trésor d'une +liberté sans contrainte, que mon âme bondissante n'en ressent en +célébrant cette fête de bataille avec mon adversaire.--Puissant +souverain, et vous pairs, mes compagnons recevez de ma bouche un souhait +d'heureuses années. Aussi calme, aussi joyeux qu'à une mascarade, je +vais au combat: la loyauté a un coeur paisible. + +RICHARD.--Adieu, milord. Je vois avec la valeur la vertu tranquillement +assise dans tes yeux.--Maréchal, ordonnez le combat, et que l'on +commence. + +(Richard et les lords retournent à leurs siéges.) + +LE MARÉCHAL.--Henri d'Hereford, Lancastre et Derby, reçois ta lance; et +Dieu défende le droit! + +BOLINGBROKE.--Ferme dans mon espérance comme une tour, je dis: _Amen_. + +LE MARÉCHAL, _à un officier_.--Allez, portez cette lance à Thomas, duc +de Norfolk. + +PREMIER HÉRAUT.--Henri d'Hereford, Lancastre et Derby, est ici pour +Dieu, pour son souverain et pour lui-même, à cette fin de prouver, sous +peine d'être déclaré faux et lâche, que le duc de Norfolk, Thomas +Mowbray, est un traître à Dieu, à son roi et à lui-même; et il le défie +au combat. + +SECOND HÉRAUT.--Ici est Thomas Mowbray, duc de Norfolk, ensemble pour se +défendre et pour prouver, sous peine d'être déclaré faux et lâche, +qu'Henri d'Hereford, Lancastre et Derby, est déloyal envers Dieu, son +souverain et lui: plein de courage et d'un franc désir, il n'attend que +le signal pour commencer. + +LE MARÉCHAL.--Sonnez, trompettes; combattants, partez. (_On sonne une +charge_.)--Mais, arrêtez: le roi vient de baisser sa baguette. + +RICHARD.--Que tous deux déposent leurs casques et leurs lances et qu'ils +retournent reprendre leur place.--Éloignez-vous avec nous, et que les +trompettes sonnent jusqu'au moment où nous reviendrons déclarer nos +ordres à ces ducs (_Longue fanfare.--Ensuite Richard s'adresse aux deux +combattants._)--Approchez.... Écoutez ce que nous venons d'arrêter avec +notre conseil. Comme nous ne voulons pas que la terre de notre royaume +soit souillée du sang précieux qu'elle a nourri, et que nos yeux +haïssent l'affreux spectacle des plaies civiles creusées par des mains +concitoyennes; comme nous jugeons que ce sont les pensées ambitieuses +d'un orgueil aspirant à s'élever aux cieux sur les ailes de l'aigle, +qui, jointes à cette envie qui déteste un rival, vous ont portés à +troubler la paix qui dans le berceau de notre patrie respirait de la +douce haleine du sommeil d'un enfant, en sorte que, réveillée par le +bruit discordant des tambours, par le cri effrayant des trompettes aux +sons aigres, et le confus cliquetis du fer de vos armes furieuses, la +belle Paix, pourrait, épouvantée, fuir nos tranquilles contrées, et nous +forcer à marcher à travers le sang de nos parents: en conséquence, nous +vous bannissons de notre territoire.--Vous, cousin Hereford, sous peine +de mort, jusqu'à ce que deux fois cinq étés aient enrichi nos plaines, +vous ne reviendrez pas saluer nos belles possessions, mais vous suivrez +les routes étrangères de l'exil. + +BOLINGBROKE.--Que votre volonté soit faite!--La consolation qui me +reste, c'est que le soleil qui vous réchauffe ici brillera aussi pour +moi; et ces rayons d'or qu'il vous prête ici se darderont aussi sur moi, +et doreront mon exil. + +RICHARD.--Norfolk, un arrêt plus rigoureux t'est réservé; je sens +quelque répugnance à le prononcer. Le vol lent des heures ne déterminera +point pour toi la limite d'un exil sans terme. Cette parole sans espoir: +_Tu ne reviendras, jamais_, je la prononce contre toi sous peine de la +vie. + +NORFOLK.--Sentence rigoureuse en effet, mon souverain seigneur, et que +j'attendais bien peu de la bouche de Votre Majesté. J'ai mérité de la +main de Votre Altesse une récompense plus bienveillante, une moins +profonde mutilation, que celle d'être ainsi rejeté au loin dans l'espace +commun de l'univers. Maintenant il me faut oublier le langage que +j'appris durant ces quarante années, mon anglais natal. Ma langue me +sera désormais aussi inutile qu'une viole ou une harpe sans cordes, un +instrument fait avec art mais enfermé dans son étui, ou qu'on en retire +pour le placer dans les mains qui ne connaissent point l'art d'en faire +sortir l'harmonie. Vous avez emprisonné ma langue dans ma bouche, sous +les doubles guichets de mes dents et de mes lèvres, et la stupide, +l'insensible, la stérile ignorance est le geôlier qui m'est donné pour +me garder: je suis trop vieux pour caresser une nourrice, trop avancé en +âge pour devenir écolier. Votre arrêt n'est donc autre chose que celui +d'une mort silencieuse qui prive ma langue de la faculté de parler son +idiome naturel. + +RICHARD.--Il ne te sert de rien de te plaindre. Après notre sentence, +les lamentations viennent trop tard. + +NORFOLK, _se retirant_.--Je vais donc quitter la lumière de mon pays, +pour aller habiter les sombres ténèbres d'une nuit sans fin. + +RICHARD.--Reviens encore, et emporte avec toi un serment. Posez sur +notre épée royale vos mains exilées; jurez par l'obéissance que vous +devez au ciel (et dont la part qui nous appartient vous accompagnera +dans votre bannissement)[3], de garder le serment que nous vous faisons +prêter, que jamais dans votre exil (et qu'ainsi le ciel et l'honneur +vous soient en aide) vous ne vous rattacherez l'un à l'autre par +l'affection; que jamais vous ne consentirez l'un l'autre à vous +regarder; que jamais ni par écrit, ni par aucun rapprochement, vous +n'éclaircirez la sombre tempête de la haine née entre vous dans votre +patrie; que jamais vous ne vous réunirez à dessein pour tramer, +combiner, comploter aucun acte dommageable contre nous, nos sujets et +notre pays. + +[Note 3: _Our part therein we banish with yourselves_. + +Les commentateurs ont cru voir dans ce vers que Richard les déliait en +les bannissant de l'obéissance qu'ils lui devaient; il paraît clair, au +contraire, que s'il bannit avec eux l'obéissance qu'ils lui doivent; +c'est pour qu'elle les accompagne.] + +BOLINGBROKE.--Je le jure. + +NORFOLK.--Et moi aussi, je jure d'observer tout cela. + +BOLINGBROKE.--Norfolk, je puis t'adresser encore ceci comme à mon +ennemi: à cette heure, si le roi nous l'avait permis, une de nos âmes +serait errante dans les airs, bannie de ce frêle tombeau de notre chair +comme notre corps est maintenant banni de ce pays. Confesse tes +trahisons avant de fuir de ce royaume: Tu as bien loin à aller; +n'emporte pas avec toi le pesant fardeau d'une âme coupable. + +NORFOLK.--- Non, Bolingbroke; si jamais je fus un traître, que mon nom +soit effacé du livre de vie, et moi banni du ciel comme je le suis +d'ici. Mais ce que tu es, le ciel, toi et moi nous le savons, et je +crains que le roi n'ait trop tôt à déplorer ceci.--Adieu, mon souverain. +Maintenant je ne puis plus m'égarer: excepté la route qui ramène en +Angleterre, le monde entier est mon chemin. + +(Il sort.) + +RICHARD.--Oncle, je lis clairement dans le miroir de tes yeux le chagrin +de ton coeur: la tristesse de ton visage a retranché quatre années du +nombre des années de son exil. (_A Bolingbroke._)--Après que les glaces +de six hivers se seront écoulées, reviens de ton exil, le bienvenu dans +ta patrie. + +BOLINGBROKE.--Quel long espace de temps renfermé dans un petit mot! +Quatre traînants hivers et quatre folâtres printemps finis par un mot! +Telle est la parole des rois. + +GAUNT.--Je remercie mon souverain de ce que, par égard pour moi, il +abrège de quatre ans l'exil de mon fils; mais je n'en retirerai que peu +d'avantage, car avant que les six années qu'il lui faut passer aient +changé leurs lunes et fait leur révolution, ma lampe dépourvue d'huile +et ma lumière usée par le temps s'éteindront dans les années et dans une +nuit éternelle; ce bout de flambeau qui me reste sera brûlé et fini, et +l'aveugle Mort ne me laissera pas revoir mon fils. + +RICHARD.--Pourquoi, mon oncle? Tu as encore bien des années à vivre. + +GAUNT.--Mais pas une minute, roi, que tu puisses me donner. Tu peux +abréger mes jours par le noir chagrin, tu peux m'enlever des nuits, mais +non me prêter un lendemain. Tu peux aider le temps à me sillonner de +vieillesse, mais non pas arrêter dans ses progrès une seule de mes +rides. S'agit-il de ma mort, ta parole a cours aussi bien que lui: mais +mort, ton royaume ne saurait racheter ma vie. + +RICHARD..--Ton fils est banni d'après une sage délibération dans +laquelle ta voix même a donné son suffrage. Pourquoi donc maintenant +sembles-tu te plaindre de notre justice? + +GAUNT.--Il est des choses qui, douces au goût, sont dures à digérer. +Vous m'avez pressé comme juge, mais j'aurais bien mieux aimé que vous +m'eussiez ordonné de plaider comme un père. Ah! si au lieu de mon +enfant, c'eût été un étranger, pour adoucir sa faute j'aurais été plus +indulgent: j'ai cherché à éviter le reproche de partialité; et dans ma +sentence j'ai détruit ma propre vie.--Hélas! je regardais si quelqu'un +de vous ne dirait pas que j'étais trop sévère, de rejeter ainsi ce qui +m'appartient; mais vous avez laissé à ma langue, malgré sa répugnance, +la liberté de me faire ce tort contre ma volonté. + +RICHARD.--Adieu, cousin; et vous, oncle, dites-lui aussi adieu: nous le +bannissons pour six ans; il faut qu'il parte. + +(Fanfare.--Sortent Richard et la suite.) + +AUMERLE.--Cousin, adieu. Ce que nous ne pouvons savoir par votre +présence, que des lieux que vous habiterez vos lettres nous +l'apprennent. + +LE MARÉCHAL.--Milord, moi je ne prends point congé de vous; je +chevaucherai à vos côtés tant que la terre me le permettra. + +GAUNT.--Hélas! pourquoi es-tu si avare de tes paroles et ne réponds-tu +rien aux salutations de tes amis? + +BOLINGBROKE.--Je n'ai pas de quoi suffire à vous faire mes adieux; il me +faudrait prodiguer l'usage de ma langue pour exhaler toute l'abondance +de la douleur de mon coeur. + +GAUNT.--Ce qui cause ton chagrin n'est qu'une absence passagère. + +BOLINGBROKE.--La joie absente, le chagrin reste toujours présent. + +GAUNT.--Qu'est-ce que six hivers? Ils passent bien vite. + +BOLINGBROKE.--Pour les hommes qui sont heureux; mais d'une heure le +chagrin en fait dix. + +GAUNT.--Suppose que c'est un voyage que tu entreprends pour ton plaisir. + +BOLINGBROKE.--Mon coeur soupirera quand je voudrai le tromper par ce nom +en y reconnaissant un pèlerinage. + +GAUNT.--Regarde le sombre voyage de tes pas fatigués comme un entourage +dans lequel tu devras placer le joyau précieux du retour dans la patrie. + +BOLINGBROKE.--Dites plutôt que chacun des pas pénibles que je vais faire +me rappellera quel vaste espace du monde j'aurai parcouru loin des +joyaux que j'aime. Ne me faudra-t-il pas faire un long apprentissage de +ces routes étrangères? et lorsqu'à la fin j'aurai regagné ma liberté, de +quoi pourrai-je me vanter, si ce n'est d'avoir travaillé pour le compte +de la douleur? + +GAUNT.--Tous les lieux que visite l'oeil du ciel sont pour le sage des +ports et des asiles heureux. Instruis tes nécessités à raisonner ainsi, +car il n'est point de vertu comme la nécessité. Persuade-toi non pas que +c'est le roi qui t'a banni, mais que tu as banni le roi.--Le malheur +s'appesantit d'autant plus qu'il s'aperçoit qu'on le porte avec +faiblesse. Va, dis-toi que je t'ai envoyé acquérir de l'honneur, et non +que le roi t'a exilé; ou bien suppose encore que la peste dévorante est +suspendue dans notre atmosphère, et que tu fuis vers un climat plus pur. +Vois ce que ton coeur a de plus cher; imagine qu'il est dans les lieux +où tu vas, et non dans ceux d'où tu viens. Pense que les oiseaux qui +chantent sont des musiciens, le gazon que foulent tes pieds un salon +parsemé de joncs, les fleurs de belles femmes, et tes pas un menuet[4] +ou une danse agréable. Le chagrin grondeur a moins de prise pour mordre +l'homme qui s'en rit et le tient pour léger. + +[Note 4: _A delightful measure or a dance._ + +_A measure_ était en général une danse mesurée ou d'apparat.] + +BOLINGBROKE.--Eh! qui pourra tenir le feu dans sa main en pensant aux +glaces du Caucase, ou assouvir l'âpre avidité de la faim par la simple +idée d'un festin, ou marcher nu à l'aise dans les neiges de décembre en +se créant la chaleur d'un été fantastique? L'idée du bien ne peut +qu'accroître le sentiment du mal. La dent cruelle de la douleur n'est +jamais si venimeuse que lorsqu'elle mord sans ouvrir une large blessure. + +GAUNT.--Viens, viens, mon fils; je vais te mettre dans ton chemin. Si +j'avais ta cause et ta jeunesse, je ne demeurerais pas ici. + +BOLINGBROKE.--Adieu donc, sol de l'Angleterre; douce terre, adieu, ma +mère et ma nourrice qui me portes encore. Dans quelque lieu que je sois, +je pourrai du moins me vanter d'être, quoique banni, un véritable +Anglais. + + + + +SCÈNE IV + +La scène est toujours à Coventry.--Un appartement dans le château du +roi. + +_Entrent_ LE ROI RICHARD, BAGOT et GREEN, _ensuite_ AUMERLE. + + +RICHARD.--Oui, nous nous en sommes aperçus.--Cousin Aumerle, jusqu'où +avez-vous conduit le grand Hereford sur son chemin?[5] + +[Note 5: Johnson a voulu supposer ici quelque erreur de copiste dans la +distribution des actes, et, d'après une nouvelle disposition qu'a suivie +Letourneur, il fait commencer au retour d'Aumerle le second acte, que +les anciennes copies ne font commencer qu'à l'arrivée du roi à Ely. Il +se fonde sur ce qu'il faut bien donner au vieux Gaunt le temps +d'accompagner son fils, de revenir et de tomber malade. Mais d'abord, +Gaunt n'accompagne point son fils; il le met seulement _en chemin_ (_on +the way_); ensuite on peut supposer autant de temps que l'on voudra +entre la troisième et la quatrième scène du premier acte, autant du +moins qu'il en faut pour le retour d'Aumerle et la nouvelle de la +maladie du vieux Gaunt, qui, nous dit-on, a été pris subitement. La +distribution des actes telle qu'on la trouve dans les anciennes éditions +a du moins l'avantage de renfermer dans le premier acte un événement +fini, le départ d'Hereford; et comme la distribution imaginée par +Johnson ne donne d'ailleurs aucun moyen d'expliquer avec vraisemblance +les événements qui sont censés s'être passés dans l'intervalle du +premier au deuxième acte, on a conservé l'ancienne. Au reste, dans les +éditions faites avant la mort de Shakspeare, la pièce n'était point +coupée en actes, mais simplement composée d'une suite de scènes: les +éditions faites immédiatement après sa mort n'ont donc sur celles qui +l'ont précédée que l'avantage d'une tradition plus récente des +directions théâtrales qu'avait données l'auteur; elles semblent de plus, +dans ce cas-ci, avoir en leur faveur le bon sens dramatique.] + +AUMERLE.--J'ai conduit le grand Hereford, puisqu'il vous plaît de +l'appeler ainsi, jusqu'au grand chemin le plus voisin, et je l'ai laissé +là. + +RICHARD.--Et dites-moi, quel flot de larmes a-t-il été versé au moment +de la séparation? + +AUMERLE.--Ma foi, de ma part aucune, à moins que le vent du nord-est, +qui nous soufflait alors cruellement au visage, n'ait mis en mouvement +un rhume endormi, et n'ait ainsi, par hasard, honoré d'une larme nos +adieux hypocrites. + +RICHARD.--Qu'a dit notre cousin lorsque vous vous êtes quittés? + +AUMERLE.--Il m'a dit: _portez-vous bien_[6]; et, comme mon coeur +dédaignait de voir ma langue profaner ce souhait, je me suis avisé de +contrefaire l'accablement d'un chagrin si profond, que mes paroles +semblaient ensevelies dans le tombeau de ma douleur. Vraiment, si ces +mots, _portez-vous bien_ avaient pu allonger les heures et ajouter aux +années de son court exil, il aurait eu un volume de _portez-vous bien;_ +mais comme cela n'était pas, il n'en a point eu de moi. + +[Note 6: ....._Farewell._ + +_Farewell_, l'adieu ordinaire des Anglais, signifie _portez-vous bien._ +Il a fallu le traduire ainsi, pour faire comprendre la répugnance +d'Aumerle à le prononcer.] + +RICHARD.--Il est notre cousin, cousin; mais il est douteux, lorsque +arrivera le temps qui doit le ramener de l'exil, que notre parent +revienne voir ses amis. Nous-même, et Bushy, et Bagot que voilà, et +Green aussi, nous avons remarqué comme il faisait la cour au commun +peuple; comme il cherchait à pénétrer dans leurs coeurs par une +politesse modeste et familière; quels respects il prodiguait à des +misérables, s'étudiant à gagner le dernier des artisans par l'art de ses +sourires et par une soumission patiente à sa fortune, comme s'il eût +voulu emporter avec lui leurs affections: il ôtait son bonnet à une +marchande d'huîtres; deux charretiers, pour lui avoir souhaité la faveur +de Dieu, ont reçu l'hommage de son flexible genou, avec ces mots: «Je +vous remercie, mes compatriotes, mes bons amis;» comme si notre +Angleterre lui devait revenir en héritage, et qu'il fût au premier degré +l'espérance de nos sujets. + +GREEN.--Eh bien, il est parti; bannissons avec lui toutes ces idées. +Maintenant songeons aux rebelles soulevés dans l'Irlande: il faut s'en +occuper promptement, mon souverain, avant que de plus longs délais +multiplient leurs moyens à leur avantage et au détriment de Votre +Majesté. + +RICHARD.--Nous irons en personne à cette guerre; et comme une cour trop +brillante et la libéralité de nos largesses ont rendu nos coffres un peu +légers, nous nous trouvons forcés d'affermer nos domaines royaux pour en +retirer un revenu qui puisse fournir aux affaires du moment. Si cela ne +suffisait pas, nos lieutenants auront ici des blancs seings, au moyen +desquels, quand ils sauront que les gens sont riches, ils leur +imposeront de grosses sommes d'or qu'ils nous enverront pour faire face +à nos besoins; car nous voulons partir sans délai pour l'Irlande. +(_Entre Bushy._)--Quelles nouvelles, Bushy? + +BUSHY.--Le vieux Jean de Gaunt, seigneur, est dangereusement malade: il +a été pris subitement, et il a envoyé un exprès en diligence pour +conjurer Votre Majesté d'aller le visiter. + +RICHARD.--Où est-il? + +BUSHY.--A Ely-House. + +RICHARD.--Ciel, inspire à son médecin la pensée de l'aider à descendre +promptement dans la tombe! La doublure de ses coffres nous ferait des +habits pour équiper nos soldats de l'armée d'Irlande.--Venez, messieurs; +allons tous le visiter, et prions le ciel qu'en faisant diligence nous +arrivions trop tard. + +(Ils sortent.) + +FIN DU PREMIER ACTE. + + + + + ACTE DEUXIÈME + + + + +SCÈNE I + +Un appartement à Ely-House. + +GAUNT _sur un lit de repos_, LE DUC D'YORK, _et d'autres personnes +autour de lui._ + + +GAUNT.--Le roi viendra-t-il? Pourrai-je rendre le dernier soupir en +donnant de salutaires conseils à sa jeunesse sans appui? + +YORK.--Cessez de vous tourmenter; ne forcez point votre poitrine, car +c'est bien en vain que les conseils arrivent à son oreille. + +GAUNT.--Oh! mais on dit que la voix des mourants captive l'attention +comme une solennelle harmonie; que lorsque les paroles sont rares, elles +ne sont guère jetées en vain, car ils exhalent la vérité ceux qui +exhalent leurs paroles dans la douleur, et celui qui ne parlera plus est +plus écouté que ceux auxquels la jeunesse et la santé ont appris à +causer. On remarque plus la fin des hommes que leurs vies précédentes; +de même que le coucher du soleil, la dernière phrase d'un air, la +dernière saveur d'un mets agréable sont plus douces à la fin et se +gravent mieux dans la mémoire que les choses passées depuis longtemps. +Quoique Richard ait refusé d'écouter les conseils de ma vie, les tristes +discours de ma mort peuvent encore vaincre la dureté de son oreille. + +YORK.--Non, elle est bouchée par d'autres sons plus flatteurs, par +exemple les éloges donnés à sa magnificence: on entend ensuite autour de +lui des vers impurs dont les sons empoisonnés trouvent l'oreille de la +jeunesse toujours ouverte pour les entendre; on l'entretient des modes +de la superbe Italie, dont notre peuple cherche gauchement à singer, en +les suivant de loin, les manières dans une honteuse imitation. Quelque +part qu'il vienne de naître une frivolité dans le monde, quelque +misérable qu'elle puisse être, pourvu qu'elle soit nouvelle, ne court-on +pas aussitôt en étourdir l'oreille du roi? Tous les conseils arrivent +trop tard là où la volonté se révolte contre les considérations de la +raison. N'entreprends point de guider celui qui veut choisir son chemin +lui-même. Il ne te reste qu'un souffle, et tu veux le perdre en vain! + +GAUNT.--Il me semble que je suis un prophète nouvellement inspiré, et +voici ce qu'en expirant je prédis de lui: La fougue insensée de cette +ardeur de désordre ne saurait durer, car les incendies violents sont +bientôt éteints, les petites ondées durent longtemps; mais les orages +soudains sont bientôt finis. Celui qui donne trop continuellement de +l'éperon fatigue bientôt sa monture; et la nourriture avidement +engloutie étouffe celui qui la dévore: l'imprévoyante vanité, cormoran +insatiable, consomme ses ressources et finit par se dévorer +elle-même.--Ce noble trône des rois; cette île souveraine, cette terre +de majesté, ce séjour de Mars, ce nouvel Éden, ce demi-paradis, cette +forteresse bâtie par la nature elle-même pour s'y retrancher contre la +contagion et contre le bras de la guerre; cette heureuse race d'hommes, +ce petit univers, cette pierre précieuse enchâssée dans la mer d'argent +qui, comme un rempart ou comme un fossé creusé autour d'une maison, la +défend contre la jalousie des contrées moins fortunées; ce sol béni du +ciel, cette terre, ce royaume, cette Angleterre, cette nourrice, ce sein +fécond en rois redoutés par la valeur de leur race, fameux par leur +naissance, renommés par leurs exploits, que, pour le service de la +chrétienté et l'honneur de la chevalerie ils ont portés loin de leur +patrie, jusqu'au sépulcre qui est dans la rebelle Judée, le tombeau du +fils de la bienheureuse Marie, la rançon de l'univers; cette chère, +chère patrie, chérie pour sa réputation dans le monde entier, est +maintenant (ah! je meurs de le prononcer) engagée à bail comme un fief +ou une misérable ferme! L'Angleterre, ceinte d'une mer triomphante, dont +le rivage rocailleux repousse les jaloux assauts de l'humide Neptune, +est maintenant honteusement enchaînée par quelques taches d'encre et des +liens de parchemin pourri.... cette Angleterre, qui était accoutumée à +conquérir les autres, a fait d'elle-même une ignominieuse conquête. Ah! +si ce scandale devait s'évanouir avec ma vie, combien me trouverais-je +heureux de voir arriver la mort! + +(Entrent le roi Richard, la reine[7], Aumerle, Bushy, Green, Bagot, Ross +et Willoughby.) + +[Note 7: Le personnage de la reine est de l'invention de Shakspeare. +Richard, veuf d'Anne, soeur de l'empereur Venceslas, était fiancé depuis +trois ans à Isabelle de France, qui n'en avait que dix.] + +YORK.--Voilà le roi arrivé. Ménagez sa jeunesse: un jeune cheval +bouillant, si l'on s'irrite contre lui, s'en irrite bien davantage. + +LA REINE--Comment se porte notre noble oncle Lancastre? + +RICHARD.--Eh bien, vieillard, comment cela va-t-il? comment se trouve le +vieux Gaunt? + +GAUNT.--Oh! comme ce nom[8] convient à ma figure! Je suis un vieux +desséché, en effet, et desséché parce que je suis vieux; le chagrin a +gardé en moi une longue abstinence; et qui peut s'abstenir de nourriture +et n'être pas desséché? J'ai veillé longtemps pour l'Angleterre +endormie: les veilles engendrent la maigreur, et la maigreur est toute +desséchée; ce plaisir qui sert quelquefois d'aliment à un père, la vue +de mes enfants, j'en ai sévèrement jeûné; c'est au moyen de ce jeûne que +tu m'as desséché. Je suis desséché comme il convient à la tombe, +desséché comme la tombe dont les creuses entrailles ne renferment rien +que des os. + +[Note 8: _Gaunt_ en anglais signifie _mince, maigre, desséché_. Voici +tout le passage, et cette suite de jeux de mots qui sont bien dans les +habitudes d'esprit du temps, mais auxquels il a été impossible de +trouver un équivalent en français: + + + _O, how that name befits my composition! + Old Gaunt, indeed; and gaunt in being old: + Within me grief hath kept a tedious fast, + And who abstains from meat and is not gaunt? + The pleasure, that some fathers feed upon, + Is my strict fast, I mean, my children's looks, + And therein fasting, hast thou made me Gaunt, + Gaunt I am for the grave, Gaunt as a grave + Whose hollow womb inherits nought but bones_.] + +RICHARD.--Un malade peut-il jouer si subtilement sur son nom? + +GAUNT.--Non, la misère se plaît à se jouer d'elle-même. Puisque tu as +cherché à tuer mon nom dans ma personne; j'insulte à mon nom, grand roi, +pour te flatter. + +RICHARD.--Les mourants devraient-ils flatter les vivants? + +GAUNT.--Non, non, mais les vivants flattent les mourants. + +RICHARD.--Mais toi qui te meurs maintenant, tu prétends que tu me +flattes? + +GAUNT.--Oh! non, c'est toi qui te meurs, bien que je sois le plus +malade. + +RICHARD.--Moi, je suis en santé, je respire, et je te vois bien malade. + +GAUNT.--Celui qui m'a fait sait combien je te vois malade, malade +moi-même à cause de ce que je vois, et en te voyant malade; ton lit de +mort est aussi vaste que ton pays où tu languis malade dans ta +réputation. Et toi, malade trop insouciant, tu confies la guérison de +ton corps oint du Seigneur aux médecins mêmes qui t'ont blessé. En +dedans de cette couronne, dont le cercle n'est pas plus grand que ta +tête, siége un millier de flatteurs qui, bien que renfermés dans cet +étroit espace, étendent leurs dégâts jusqu'aux confins de ton pays. Oh! +si ton grand-père eût pu voir d'un oeil prophétique, comment le fils de +son fils ruinerait sa postérité, il aurait pris soin de placer ta honte +hors de ta portée, en te déposant avant que tu entrasses en possession, +puisque tu ne possèdes aujourd'hui que pour te déposer toi-même. Oui, +mon neveu, quand tu serais le maître du monde entier, il serait encore +honteux de donner ce pays à bail: mais lorsque ton univers se borne, à +la possession de ce pays, n'est-il pas plus que honteux de le réduire à +cette honte? Tu n'es à présent que l'intendant de l'Angleterre, et non +pas son roi: tu as soumis ton esclave, ta puissance royale à la loi, et +tu es....[9] + +[Note 9: _The state of law is bondslave to the law._] + +RICHARD.--Un imbécile lunatique à la tête faible qui te prévaux des +priviléges de la maladie pour oser, chassant avec violence le sang royal +de sa résidence naturelle, faire pâlir nos joues par ta morale glacée. +Mais, j'en jure la majesté royale de mon trône, si tu n'étais pas le +frère du fils du grand Édouard, ta langue, qui roule si grand train dans +ta bouche, ferait rouler ta tête de dessus tes insolentes épaules. + +GAUNT.--Fils de mon frère Édouard, oh! ne m'épargne pas parce que je +suis le fils d'Édouard son père. Semblable au pélican, tu l'as déjà fait +couler ce sang, tu l'as bu dans tes orgies. Mon frère Glocester, cette +âme simple et de bonnes intentions (veuille le ciel l'admettre au nombre +des âmes heureuses!), peut servir d'exemple et de témoignage pour +démontrer que tu ne te fais pas scrupule de verser le sang d'Édouard. +Ligue-toi avec mon mal actuel, et que ta cruauté, comme la faux de la +vieillesse, moissonne d'un coup une fleur depuis trop longtemps flétrie. +Vis dans ta honte, mais que ta honte ne meure pas avec toi, et que ces +paroles fassent ton supplice dans l'avenir!--Reportez-moi dans mon lit, +et de mon lit à la tombe. Qu'ils aiment la vie ceux qui y trouvent de la +tendresse et de l'honneur! + +(Il sort emporté par les gens de sa suite.) + +RICHARD.--Et ceux-là font bien de mourir qui sont vieux et chagrins. Tu +es tous les deux, et par là le tombeau te convient doublement. + +YORK.--Je supplie Votre Majesté de n'imputer ses paroles qu'à l'humeur +de la maladie et de la vieillesse. Il vous aime, sur ma vie, et vous +tient pour aussi cher qu'Henri duc d'Hereford, s'il était ici. + +RICHARD.--C'est vrai, vous dites la vérité; son amour pour moi ressemble +à celui d'Hereford; et le mien est comme le leur.... Que les choses +soient ce qu'elles sont. + +(Entre Northumberland.) + +NORTHUMBERLAND.--Mon souverain, le vieux Gaunt se recommande au souvenir +de Votre Majesté. + +RICHARD.--Que dit-il maintenant? + +NORTHUMBERLAND.--Rien vraiment. Tout est dit; sa langue est maintenant +un instrument sans cordes: le vieux Lancastre a dépensé vie, paroles, et +tout le reste. + +YORK.--Qu'York soit après lui le premier qui fasse ainsi banqueroute! La +mort, tout indigente qu'elle est, met un terme à des douleurs mortelles. + +RICHARD.--Le fruit le plus mûr tombe le premier: ainsi fait-il: c'est +son tour, son temps est passé: c'est celui de notre voyage à nous +autres. C'en est assez là-dessus.--Maintenant songeons à nos guerres +d'Irlande. Il nous faut chasser ces sauvages Kernes à la chevelure +crépue, qui existent comme un venin là où n'a la permission de résider +aucun autre venin qu'eux-mêmes[10]. Et pour cette importante expédition, +nous avons besoin de subsides qui nous aident à la soutenir: nous +saisissons donc l'argenterie, l'argent monnayé, les revenus et le +mobilier que possédait notre oncle Gaunt. + +[Note 10: Il était de tradition que, grâce à la protection de saint +Patrick, aucun animal venimeux ne pouvait vivre en Irlande.] + +YORK.--Jusques à quand serai-je patient? Combien de temps encore mon +tendre attachement à mon devoir me fera-t-il supporter l'injustice? Ni +la mort de Glocester, ni le bannissement d'Hereford, ni les affronts de +Gaunt, ni les maux domestiques de l'Angleterre, ni les empêchements +apportés au mariage de ce pauvre Bolingbroke[11], ni ma propre disgrâce, +n'ont jamais apporté une nuance d'aigreur sur mon visage soumis, ne +m'ont jamais fait porter sur mon souverain un regard irrité.--Je suis le +dernier des fils du noble Édouard, dont ton père, le prince de Galles, +était le premier. Jamais lion ne fut plus terrible dans la guerre, +jamais paisible agneau ne fut plus doux dans la paix que ne l'était ce +noble jeune homme. Tu as ses traits; oui, c'était là son air à l'âge où +il comptait le même nombre d'heures que toi. Mais lorsqu'il prenait un +front menaçant, c'était contre le Français, et non contre ses amis; sa +main victorieuse conquérait ce qu'elle dépensait, et ne dépensait pas ce +qu'avait conquis le bras triomphant de son père; ses mains ne furent +jamais souillées du sang de ses parents; elles ne furent teintes que du +sang des ennemis de sa race.--O Richard! York est trop accablé par la +douleur: sans elle il ne vous eût jamais comparés. + +[Note 11: Il fut question, dit-on, pendant l'exil du duc d'Hereford en +France de lui donner en mariage la fille du duc de Berry, mais Richard +s'y opposa.] + +RICHARD.--Eh bien, quoi, mon oncle, qu'est-ce que c'est? + +YORK.--O mon souverain, pardonnez-moi si c'est votre bon plaisir; sinon, +content de n'être pas pardonné, je suis également satisfait. Quoi! vous +voulez saisir et retenir en vos mains les droits souverains et les biens +d'Hereford exilé? Gaunt n'est-il pas mort? Hereford n'est-il pas vivant? +Gaunt ne fut-il pas un homme d'honneur? Henri n'est-il pas fidèle? Le +père ne mérite-il pas un héritier? son héritier n'est-il pas un fils +bien méritant? Si tu enlèves à Hereford ses droits, et au temps ses +chartes et ses droits coutumiers, que demain ne succède donc plus à +aujourd'hui; ne sois plus ce que tu es: car comment es-tu roi, si ce +n'est par une descendance et une succession légitime? Maintenant devant +Dieu, et Dieu me prescrit de dire la vérité, si par une injustice vous +vous emparez de l'héritage d'Hereford, si vous mettez en question les +lettres patentes présentées par ses mandataires pour revendiquer sa +succession, et que vous refusiez l'hommage qu'il vous offre, vous +attirez mille dangers sur votre tête, vous perdez mille coeurs bien +disposés pour vous, et vous forcez la patience de mon attachement à des +pensées que ne peuvent se permettre l'honneur et la fidélité. + +RICHARD.--Pensez ce qu'il vous plaira: nous saisissons dans nos mains +son argenterie, son argent, ses biens et ses terres. + +YORK.--Je n'en serai pas témoin. Adieu, mon souverain.--Personne ne peut +dire quelles seront les suites de ceci: mais d'injustes actions donnent +lieu de présumer que leurs suites ne peuvent jamais être heureuses. + +(Il sort.) + +RICHARD.--Bushy, allez sans délai trouver le comte de Wiltshire[12]; +dites-lui de se rendre auprès de nous à Ely-House pour voir à cette +affaire. Demain nous partons pour l'Irlande, et je crois qu'il en est +bien temps. Nous créons notre oncle York lord gouverneur de l'Angleterre +en notre absence, car c'est un homme juste et qui nous a toujours +tendrement aimé.--Venez, ma reine; demain il faudra nous séparer: +réjouissons-nous, car nous n'avons que peu de temps à passer ensemble. + +[Note 12: Ce fut, selon le bruit qui en courut alors, au comte de +Wiltshire, à Bushy, à Green et à Bagot que le roi afferma son royaume.] + +(Fanfares.--Sortent le roi, la reine, Bushy, Aumerle, Green et Bagot.) + +NORTHUMBERLAND.--Eh bien, seigneur, le duc de Lancastre est donc mort? + +ROSS.--Et vivant, car maintenant son fils est duc. + +WILLOUGHBY.--De nom seulement, mais non quant au revenu. + +NORTHUMBERLAND.--Il serait riche en titre et en fortune si la justice +avait ses droits. + +ROSS.--Mon coeur est grand, mais il rompra sous le silence avant que je +donne à mes paroles la liberté de le décharger. + +NORTHUMBERLAND.--Allons, dis ce que tu penses, et que la parole soit +interdite pour jamais à celui qui répétera les tiennes pour te nuire! + +WILLOUGHBY.--Ce que tu veux dire intéresse-t-il le duc d'Hereford? S'il +en est ainsi, parle hardiment, ami: j'ai l'oreille fine pour entendre ce +qui lui est bon. + +ROSS.--Je ne puis lui être bon à rien du tout, à moins que vous +n'appeliez lui être bon à quelque chose de le plaindre en le voyant +ainsi dépouillé et mutilé[13] dans son patrimoine. + +[Note 13: _Gelded_.] + +NORTHUMBERLAND.--Par le ciel, c'est une honte de souffrir dans ce +royaume en décadence qu'on lui fasse de semblables injustices, à lui +prince du sang royal, et à tant d'autres de noble race. Le roi n'est +plus lui-même; il se laisse lâchement gouverner par des flatteurs; et +tout ce qu'ils voudront raconter par pure haine contre chacun de nous +tous, le roi le poursuivra avec rigueur contre nous, notre vie, nos +enfants et nos héritiers. + +ROSS.--Il a ruiné les communes par des taxes accablantes, et il a tout à +fait perdu leurs coeurs: il a, pour de vieilles querelles, condamné les +nobles à des amendes, et il a aussi perdu, leurs coeurs. + +WILLOUGHBY.--Et chaque jour on invente de nouvelles exactions, comme +_blancs seings_, _dons gratuits_, et je ne sais pas quoi. Mais, au nom +de Dieu, que devient tout cela? + +NORTHUMBERLAND.--Ce n'est pas la guerre qui l'a consumé, car il n'a +point fait la guerre: il a honteusement livré par contrat ce que ses +ancêtres avaient conquis à force de coups: il a plus dépensé dans la +paix qu'ils n'ont fait dans toutes leurs guerres. + +ROSS.--Le comte de Wiltshire tient le royaume à ferme. + +WILLOUGHBY.--Le roi s'est fait banqueroutier, comme un homme ruiné. + +NORTHUMBERLAND.--L'opprobre et la destruction sont suspendus sur sa +tête. + +ROSS.--Malgré ses lourdes taxes, il n'aura point d'argent pour ces +guerres d'Irlande, s'il ne le vole au duc banni. + +NORTHUMBERLAND.--Son noble parent!--O roi dégénéré!--Mais, milords, nous +entendons siffler cette horrible tempête, et nous ne cherchons aucun +abri contre l'orage. Nous voyons les vents serrer de près nos voiles, +et, sans songer à les carguer, nous nous laissons tranquillement périr. + +ROSS.--Nous voyons le naufrage qui nous attend, et le danger est +inévitable maintenant, parce que nous avons trop supporté les causes de +notre perte. + +NORTHUMBERLAND.--Non, il n'est point inévitable; à travers les yeux +creusés de la mort même, je vois poindre la vie: mais je n'ose dire +combien est proche la nouvelle de notre salut. + +WILLOUGHBY.--Allons, fais-nous part de tes pensées, comme nous te +faisons part des nôtres. + +ROSS.--Northumberland, parle avec confiance; tous trois nous ne faisons +qu'un avec toi; et en parlant, tes paroles demeurent comme des pensées. +Sois donc sans crainte. + +NORTHUMBERLAND.--Eh bien, alors, j'ai reçu avis de Port-le-Blanc (une +baie de la Bretagne) que Henri Hereford, Reynold, lord Cobham, le fils +de Richard comte d'Arundel[14], échappé dernièrement de chez le duc +d'Exeter son frère, ci-devant archevêque de Cantorbéry; sir Thomas +Erpingham, sir John Ramston, sir John Norbery, sir Robert Waterton, et +François Quoint, tous bien pourvus de munitions par le duc de Bretagne, +font force de voiles vers l'Angleterre, montés sur huit gros vaisseaux +avec trois mille hommes de guerre, et se proposent d'aborder sous peu +sur nos côtes septentrionales; et peut-être y seraient-ils déjà, si ce +n'est qu'ils attendent d'abord le départ du roi pour l'Irlande. Si donc +nous voulons secouer le joug de la servitude, regarnir de plumes les +ailes brisées de notre patrie languissante, racheter la couronne ternie +à l'usurier qui la tient en gage, essuyer la poussière qui couvre l'or +de notre sceptre, et rendre à la royauté sa majesté naturelle, venez +avec moi en toute hâte à Ravensburg. Si vous faiblissez, retenus par la +crainte, restez ici, gardez notre secret, et moi j'y cours. + +[Note 14: _The son of Richard, earl of Arundel._ + +Ce vers, qui n'est point dans les anciennes éditions de Shakspeare, a +été suppléé par ses commentateurs, attendu que ce comte d'Arundel, cité +par Hollinshed dans la liste de ceux qui s'embarquèrent avec +Bolingbroke, et que Shakspeare lui a d'ailleurs empruntée, est le seul à +qui puisse s'appliquer le vers suivant: + +_That late broke from the duke of Exeter._ + +Thomas, comte d'Arundel, dont le père, Richard, avait été décapité à la +Tour, avait été mis, à ce qu'il paraît, en quelque sorte sous la +surveillance du duc d'Exeter, de chez lequel il s'échappa pour joindre +Bolingbroke: seulement il était neveu, et non pas frère de Thomas +Arundel, archevêque de Cantorbéry, privé de son siége par le pape à la +demande du roi.] + +ROSS.--A cheval, à cheval! Propose tes doutes à ceux qui ont peur. + +WILLOUGHBY.--Si mon cheval résiste, j'y serai le premier. + +(Ils sortent.) + + + + +SCÈNE II + +La scène est toujours en Angleterre.--Un appartement dans le palais. + +_Entrent_ LA REINE, BUSHY, BAGOT. + + +BUSHY.--Madame, Votre Majesté est beaucoup trop triste. Vous avez +promis au roi, en le quittant, d'écarter cette mélancolie dangereuse et +d'entretenir la sérénité dans votre âme. + +LA REINE.--Je l'ai promis pour plaire au roi; mais si je veux me +plaire à moi-même, cela m'est impossible. Cependant je ne me connais +aucun sujet pour accueillir un hôte tel que le chagrin, si ce n'est +d'avoir dit adieu à un hôte aussi cher que me l'est mon cher Richard: et +pourtant il me semble que quelque malheur, encore à naître, mais prêt à +sortir du sein de la fortune, s'avance en ce moment vers moi: le fond de +mon âme tremble de rien, et elle s'afflige de quelque chose de plus que +de l'éloignement du roi mon époux. + +BUSHY.--Chaque cause réelle de douleur a vingt ombres qui ressemblent +au chagrin, sans l'être: l'oeil de l'affliction, terni par les larmes +qui l'aveuglent, décompose une seule chose en plusieurs objets: comme +ces peintures qui, vues de face, n'offrent que des traits confus, et +qui, regardées obliquement, présentent des formes distinctes; ainsi +Votre chère Majesté, considérant de côté le départ du roi, y voit à +déplorer des apparences de chagrins en dehors de lui, et qui, vues +telles qu'elles sont, ne sont que des ombres de ce qui n'est pas. Ainsi, +reine trois fois gracieuse, ne pleurez rien de plus que le départ de +votre seigneur: il n'y a rien de plus à voir, ou si vous voyez quelque +chose c'est de l'oeil trompeur du chagrin, qui dans les maux réels +pleure des maux imaginaires. + +LA REINE.--Cela peut être, mais mon coeur me persuade intérieurement +qu'il en est autrement: quoi qu'il en soit, je ne puis m'empêcher d'être +triste, et si mortellement triste que, quoique en pensant je ne m'arrête +à aucune pensée, mon âme frémit et succombe sous ce pesant néant. + +BUSHY.--Ce n'est rien, gracieuse dame, qu'un caprice de l'imagination. + +LA REINE.--C'est tout autre chose; car l'imagination prend naissance de +quelque chagrin qui lui sert d'ancêtre, et je ne suis pas dans ce cas. +Ou le chagrin que j'éprouve est né sans cause, ou d'une véritable cause +est né pour moi un chagrin sans réalité. Je possède déjà ce qui doit me +revenir, mais comme une chose encore inconnue, que je ne puis nommer; +c'est un malheur sans nom que je sens. + +(Entre Green.) + +GREEN.--Que le ciel conserve Votre Majesté!--Et vous, messieurs, je suis +bien aise de vous rencontrer.--J'espère que le roi n'est pas encore +embarqué pour l'Irlande. + +LA REINE.--Et pourquoi l'espères-tu? Il vaut mieux espérer qu'il l'est; +car ses desseins exigent de la célérité, et c'est sur cette célérité que +se fondent nos espérances. Pourquoi donc espères-tu qu'il n'est pas +embarqué? + +GREEN.--C'est qu'il aurait pu, lui en qui nous espérons, ramener ses +troupes sur leurs pas, et changer en désespoir les espérances d'un +ennemi débarqué en force dans ce royaume. Le banni Bolingbroke se +rappelle lui-même, et, les armes à la main, est arrivé en sûreté jusqu'à +Ravensburg. + +LA REINE.--Que le Dieu du ciel nous en préserve! + +GREEN.--Oh! madame, cela n'est que trop vrai! et ce qu'il y a de plus +fâcheux encore, c'est que lord Northumberland, son jeune fils Henry +Percy, les lords Ross, Beaumont, et Willoughby, ont couru le rejoindre +avec tous leurs puissants amis. + +BUSHY.--Pourquoi n'avez-vous pas déclaré traîtres Northumberland et tout +le reste de cette faction rebelle? + +GREEN.--Nous l'avons fait; et aussitôt le comte de Worcester a brisé son +bâton, a remis sa dignité de grand maître d'hôtel, et tous les officiers +de la maison du roi ont volé avec lui vers Bolingbroke. + +LA REINE.--Ainsi, Green, c'est vous qui êtes la sage-femme de mon +malheur; et Bolingbroke est le funeste héritier qu'avait conçu mon +chagrin. Enfin mon âme a enfanté son monstre; et, comme une mère encore +haletante après sa délivrance, j'accumule douleurs sur douleurs et +chagrins sur chagrins. + +BUSHY.--Ne désespérez pas, madame. + +LA REINE.--Et qui peut m'en empêcher? Oui, je désespère et me déclare +ennemie de la trompeuse espérance; c'est une flatteuse, une parasite qui +retient les pas de la mort, qui dissoudrait doucement les liens de la +vie, si la perfide espérance ne faisait traîner nos derniers moments. + +(Entre York.) + +GREEN.--Voici le duc d'York. + +LA REINE.--Avec l'armure de la guerre sur ses épaules vieillies. Oh! ses +regards sont remplis de soucis inquiets!--Mon oncle, au nom du ciel, +dites-nous des paroles consolantes. + +YORK.--Si je le faisais, je mentirais à mes pensées: les consolations +sont dans le ciel, et nous sommes sur la terre où l'on ne trouve que +croix, peines et chagrins. Votre mari est allé sauver au loin ce que +d'autres vont lui faire perdre ici. Il m'a laissé pour être l'appui de +son royaume, moi qui, affaibli par l'âge, ne puis me soutenir moi-même! +La voici arrivée l'heure de maladie amenée par ses excès! c'est +maintenant qu'il va faire l'épreuve des amis qui l'ont flatté. + +(Entre un serviteur.) + +LE SERVITEUR.--Milord, votre fils était parti avant que j'arrivasse. + +YORK.--Il était parti? A la bonne heure; que tout aille comme cela +voudra. La noblesse a déserté; les communes sont froides, et je crains +bien qu'elles ne se révoltent et ne se déclarent pour Hereford. Mon ami, +va à Plashy trouver ma soeur Glocester; dis-lui de m'envoyer +sur-le-champ mille livres.--Tiens, prends mon anneau. + +LE SERVITEUR.--Milord, j'avais oublié de le dire à Votre Seigneurie, j'y +suis entré aujourd'hui en passant par là--Mais je vais vous affliger si +je vous dis le reste. + +YORK.--Quoi, misérable? + +LE SERVITEUR.--Une heure avant mon arrivée, la duchesse était morte. + +YORK.--Que le ciel ait pitié de nous! Quel déluge de maux vient fondre à +la fois sur ce malheureux pays!--Je ne sais que faire.--Plût à Dieu, +pourvu qu'il n'y eût pas été poussé par mon infidélité, que le roi eût +fait tomber ma tête avec celle de mon frère.--A-t-on fait partir des +courriers pour l'Irlande?--Comment trouverons-nous de l'argent pour +fournir à cette guerre?--Venez ma soeur.... Je voulais dire ma nièce; +pardonnez-moi, je vous prie. (_Au serviteur._)--Va, mon garçon, va chez +moi, procure-toi quelques chariots, et apporte les armes que tu +trouveras.--Messieurs, voulez-vous aller rassembler des soldats?--Si je +sais comment et par quelle voie mettre fin à ces affaires qu'on a jetées +ainsi tout embrouillées dans mes mains, ne me croyez jamais.--Tous les +deux sont mes parents.--L'un est mon souverain, que mon serment et mon +devoir m'ordonnent de défendre; et l'autre est également mon parent, que +le roi a injustement dépouillé, à qui ma conscience et les liens du sang +m'ordonnent de faire justice.--Allons, il faut pourtant faire quelque +chose.--Venez, ma nièce, je vais disposer de vous.--Vous, allez, +rassemblez vos troupes, et venez me trouver sans délai au château de +Berkley. Il serait nécessaire aussi que j'allasse à Plashy, mais le +temps ne me le permet pas.--Tout est en désordre, tout est laissé sens +dessus dessous[15]. + +[Note 15: _..... Every thing is left at six and seven._] + +(York et la reine sortent.) + +BUSHY.--Les vents sont favorables pour porter des nouvelles en Irlande, +mais aucune n'en arrive.--Quant à nous, lever une armée proportionnée à +celle de l'ennemi, c'est ce qui nous est tout à fait impossible. + +GREEN.--D'ailleurs, de l'attachement qui nous unit étroitement au roi, +il n'y a pas loin à la haine de ceux qui n'aiment pas le roi. + +BAGOT.--Oui, la haine de ces communes indécises; car leur affection loge +dans leur bourse: quiconque la vide remplit d'autant leur coeur d'une +haine mortelle. + +BUSHY.--Et c'est pourquoi le roi est généralement condamné. + +BAGOT.--Si le jugement dépend d'eux, nous le sommes aussi, nous qui +avons toujours été près du roi. + +GREEN.--Eh bien, pour moi, je vais m'aller réfugier dans le château de +Bristol; le comte de Wiltshire y est déjà. + +BUSHY.--Je m'y rendrai avec vous; car ces détestables communes ne feront +pas grand'chose pour nous, si ce n'est de nous mettre tous en pièces +comme des chiens.--Venez-vous avec nous? + +BAGOT.--Non: je me rends, en Irlande, auprès de Sa Majesté.--Adieu; si +les pressentiments du coeur ne sont pas vains, nous voilà trois ici qui +nous séparons pour ne jamais nous revoir. + +BUSHY.--Cela dépend du succès qu'aura York pour chasser Bolingbroke. + +GREEN.--Hélas! ce pauvre duc! il entreprend là une tâche.... C'est comme +s'il voulait boire l'Océan jusqu'à la dernière goutte, ou compter ses +grains de sable.--Pour un qui va combattre avec lui, il en désertera +mille. + +BUSHY.--Adieu tout de suite pour cette fois, pour tous et pour toujours. + +GREEN.--Bon! nous pouvons nous retrouver encore. + +BAGOT.--Jamais, je le crains. + + + + +SCÈNE III + +Les landes du comté de Glocester. + +_Entrent_ BOLINGBROKE et NORTHUMBERLAND _avec des troupes_. + + +BOLINGBROKE.--Combien y a-t-il encore d'ici à Berkley, milord? + +NORTHUMBERLAND.--En vérité, noble seigneur, je suis absolument étranger +dans le comté de Glocester. La hauteur de ces montagnes sauvages, la +rudesse de ces chemins inégaux, allongent nos milles et augmentent la +fatigue; et cependant l'agrément de votre conversation a été comme du +sucre et a rendu ces mauvais chemins doux et délicieux. Mais je songe +quelle fatigue éprouveront Ross; et Willoughby dans leur route de +Ravensburg à Costwold, où ils n'auront pas votre compagnie qui, je vous +le proteste, a tout à fait trompé pour moi l'ennui et la longueur du +voyage. Mais le leur est adouci par l'espérance de jouir de l'avantage +que je possède actuellement; et l'espérance du plaisir est, à peu de +chose près, un plaisir égal à celui de la jouissance. Ce sentiment +abrégera le chemin pour les deux seigneurs fatigués, comme l'a abrégé +pour moi la jouissance présente de votre noble compagnie. + +BOLINGBROKE.--Ma compagnie vaut beaucoup moins que vos paroles +obligeantes.--Mais qui vient à nous?.... + +(Entre Henri Percy.) + +NORTHUMBERLAND.--C'est mon fils, le jeune Percy, envoyé par mon frère +Worcester, de quelque lieu qu'il arrive.--Henri, comment se porte votre +oncle? + +PERCY.--Je pensais, milord, que vous me donneriez de ses nouvelles. + +NORTHUMBERLAND.--Comment, n'est-il pas avec la reine? + +PERCY.--Non, mon bon seigneur, il a abandonné la cour, brisé les +insignes de sa dignité, et dispersé la maison du roi. + +NORTHUMBERLAND.--Quelle a été sa raison? Il n'avait pas cette intention +la dernière fois que nous nous sommes entretenus ensemble. + +PERCY.--C'est parce que Votre Seigneurie a été déclarée traître. Quant à +lui, milord, il est allé à Ravensburg offrir ses services au duc +d'Hereford; et il m'a envoyé par Berkley pour découvrir quelles étaient +les forces que le duc d'York y avait rassemblées, avec ordre de me +rendre ensuite à Ravensburg. + +NORTHUMBERLAND.--Eh bien, mon enfant, est-ce que vous avez oublié le duc +d'Hereford? + +PERCY.--Non, mon bon seigneur, car je n'ai pu oublier ce que je n'ai +jamais eu à me rappeler. Je ne sache pas l'avoir jamais vu de ma vie. + +NORTHUMBERLAND.--Eh bien, apprenez à le connaître aujourd'hui. Voilà le +duc. + +PERCY.--Mon gracieux seigneur, je vous offre mes services tels qu'ils +sont; je suis jeune, neuf et faible encore, mais les années, en me +mûrissant, pourront rendre mes services plus utiles et plus dignes de +votre approbation. + +BOLINGBROKE.--Je te remercie, aimable Percy; et sois certain que je +regarde comme mon plus grand bonheur de posséder un coeur qui se +souvient de ses bons amis. A mesure que ma fortune croîtra avec ton +affection, elle deviendra la récompense de cette affection fidèle. Mon +coeur fait ce traité, et ma main le scelle ainsi. + +NORTHUMBERLAND.--Quelle est la distance d'ici à Berkley, et quels sont +les mouvements qu'y faits le bon vieux York avec ses hommes de guerre? + +PERCY.--Là-bas, près de cette touffe d'arbres, est la forteresse, +défendue par trois cents hommes, à ce que j'ai ouï dire; et là sont +renfermés les lords d'York, Berkley et Seymour. On n'y compte aucun +autre homme de nom et distingué par sa noblesse. + +(Entrent Ross et Willoughby.) + +NORTHUMBERLAND.--Voici les lords de Ross et Willoughby: leurs éperons +sont tout sanglants, et leur visage est enflammé de la course. + +BOLINGBROKE.--Soyez les bienvenus, milords: je sens bien que votre +amitié s'attache aux pas d'un traître banni. Toute ma richesse se borne +encore à des remercîments sans effets, qui, devenus plus riches, sauront +récompenser votre amour et vos travaux. + +ROSS.--Très-noble seigneur, votre présence nous fait riches. + +WILLOUGHBY.--Et elle surpasse de beaucoup la fatigue que nous avons +subie pour en jouir. + +BOLINGBROKE.--Recevez encore des remercîments, seul trésor du pauvre, le +seul d'où je puisse tirer mes bienfaits, jusqu'à ce que ma fortune, au +berceau, ait acquis des années.--Mais qui vient à nous? + +(Entre Berkley.) + +NORTHUMBERLAND.--C'est, si je ne le trompe, lord Berkley. + +BERKLEY.--Milord d'Hereford, c'est à vous que s'adresse mon message. + +BOLINGBROKE.--Milord, je ne réponds qu'au nom de Lancastre, et je suis +venu chercher ce nom en Angleterre: il faut que je trouve ce titre dans +votre bouche avant que je réponde à rien de ce que vous pourrez me dire. + +BERKLEY.--Ne vous méprenez pas sur mes paroles, milord: ce n'est pas mon +intention d'effacer aucun de vos titres d'honneur.--Je viens vers vous, +milord.... (ce que vous voudrez), de la part du très-glorieux régent de +ce royaume, le duc d'York, pour savoir ce qui vous excite à profiter de +l'absence du roi pour troubler la paix de notre pays avec des armes +forgées dans son sein. + +(Entre York avec sa suite.) + +BOLINGBROKE, _à Berkley._--Je n'aurai pas besoin de transmettre par vous +ma réponse: voilà Sa Seigneurie en personne. (_Il fléchit le +genou._)--Mon noble oncle! + +YORK.--Que je voie s'abaisser devant moi ton coeur et non tes genoux, +dont le respect est faux et trompeur. + +BOLINGBROKE.--Mon gracieux oncle!.... + +YORK.--Cesse, cesse; ne me gratifie pas du titre de _grâce_, ni de celui +d'_oncle_: je ne suis point l'oncle d'un traître, et ce titre de _grâce_ +a mauvaise grâce dans ta bouche sacrilège[16]. Pourquoi les pieds d'un +banni, d'un proscrit, ont-ils osé toucher la poussière du sol +d'Angleterre? mais surtout, pourquoi ont-ils osé traverser tant de +milles sur son sein paisible, et effrayer ses pâles hameaux par +l'appareil de la guerre et une ostentation de forces que je méprise? +Viens-tu parce que le roi consacré n'est pas ici? Mais, jeune insensé, +le roi est demeuré dans ma personne, son autorité a été remise à mon +coeur loyal. Ah! si je possédais encore ma bouillante jeunesse, comme au +temps où le brave Gaunt ton père, et moi, nous délivrâmes le Prince +Noir, ce jeune Mars parmi les hommes, du milieu des rangs de tant de +milliers de Français, oh! comme ce bras, que la paralysie retient +captif, t'aurait bientôt puni et châtié de ta faute! + +[Note 16: _In an ungracious mouth, is but profane._ Il a fallu s'écarter +un peu du sens littéral pour conserver le jeu de mots.] + +BOLINGBROKE.--Mon gracieux oncle, faites-moi connaître ma faute, et +quelle en est la nature et la gravité. + +YORK.--Elle est de la nature la plus grave.--Une révolte ouverte et une +trahison détestable! Tu es un homme banni, et tu reviens ici avant +l'expiration du terme de ton exil, bravant ton souverain les armes à la +main! + +BOLINGBROKE.--Quand je fus banni, j'étais Hereford banni, mais +maintenant je reviens Lancastre: et mon digne oncle, j'en conjure Votre +Grâce, examinez d'un oeil impartial les injures que j'ai souffertes. +Vous êtes mon père, car il me semble qu'en vous je vois vivre encore le +vieux Gaunt; ô vous donc, mon père, souffrirez-vous que je reste +condamné au sort d'un vagabond errant, mes droits et mon royal héritage +arrachés de mes mains par la violence et abandonnés à des prodigues +parvenus? A quoi me sert donc ma naissance? Si le roi mon cousin est roi +d'Angleterre, il faut bien m'accorder que je suis duc de Lancastre. Vous +avez un fils, Aumerle, mon noble parent: si vous étiez mort le premier, +et qu'il eût été foulé aux pieds comme moi, il aurait retrouvé dans son +oncle Gaunt un père pour poursuivre l'injustice et la mettre aux abois. +On me refuse le droit de poursuivre la mise en possession de mes biens, +comme j'y suis autorisé par mes lettres patentes, tous les biens de mon +père ont été saisis et vendus, et, comme tout le reste, mal employés! +Que vouliez-vous que je fisse? Je suis un sujet, et je réclame la loi; +on me refuse des fondés de pouvoir; je viens donc réclamer en personne +l'héritage qui me revient par légitime descendance. + +NORTHUMBERLAND.--Le noble duc a été trop indignement traité. + +ROSS.--Il dépend de Votre Grâce de lui rendre justice. + +WILLOUGHBY.--Des hommes indignes se sont agrandis à ses dépens. + +YORK.--Messeigneurs d'Angleterre, laissez-moi vous parler.--J'ai +ressenti les outrages faits à mon cousin, et j'ai fait tout ce que j'ai +pu pour lui faire rendre justice: mais venir ainsi avec des armes +menaçantes, en s'ouvrant soi-même un chemin l'épée à la main, en +cherchant à reconquérir ses droits par l'injustice, cela ne se peut +pas.--Et vous qui le soutenez dans cette conduite, vous favorisez la +révolte et vous êtes tous des rebelles. + +NORTHUMBERLAND.--Le noble duc a fait serment qu'il ne revenait que pour +revendiquer ce qui lui appartient: sa cause est si juste que nous avons +tous solennellement juré de lui prêter notre secours, et que celui de +nous qui violera son serment ne voie jamais la joie. + +YORK.--Allons, allons, je vois quelle sera l'issue de cet armement. Je +n'y puis rien, il faut que je le confesse; mon pouvoir est faible, et +tout m'a été laissé en mauvais état. Si je le pouvais, j'en jure par +Celui qui m'a donné la vie, je vous ferais tous arrêter et vous +obligerais à implorer la souveraine miséricorde du roi; mais, puisque je +ne le puis, je vous déclare que je reste neutre; ainsi, adieu, à moins +qu'il ne vous plaise d'entrer dans le château, et d'y prendre du repos +cette nuit. + +BOLINGBROKE.--C'est une offre, mon oncle, que nous accepterons +volontiers; mais il faut que nous persuadions à Votre Grâce de venir +avec nous au château de Bristol, qu'on dit occupé par Bushy, Bagot et +leurs complices, ces chenilles de l'État, que j'ai fait serment +d'abattre et de détruire. + +YORK.--Il pourrait se faire que j'allasse avec vous. Mais non, +cependant, j'y réfléchirai, car j'ai de la répugnance à enfreindre les +lois de notre patrie. Vous n'êtes ni mes amis ni mes ennemis, mais vous +êtes les bienvenus chez moi: je ne veux plus prendre souci de choses +auxquelles on ne peut plus porter remède. + + + + +SCÈNE IV[17] + +Un camp dans le pays de Galles. + +_Entrent_ SALISBURY et UN CAPITAINE. + + +[Note 17: Johnson suppose que cette scène a été, par erreur de copiste, +déplacée de son lieu naturel, et qu'elle devait, dans l'intention de +Shakspeare, former la seconde scène du troisième acte, le second se +terminant ainsi à la sortie de Bolingbroke pour aller à Bristol. Il a dû +être déterminé dans son opinion par le lieu de cette scène, placée, +comme troisième scène du troisième acte, dans le pays de Galles; en +sorte qu'en conservant l'ancienne disposition, il faut passer deux fois +et rapidement d'Angleterre dans le pays de Galles, et du pays de Galles +en Angleterre. Mais c'est une considération à laquelle, en général, +Shakspeare paraît attacher peu d'importance, et qui en a peu en effet +dans le système qu'il a adopté; au lieu que, pour l'intérêt et la +progression de la marche dramatique, l'une des parties qu'il a le plus +soignées, cette scène de la désertion des Gallois doit nécessairement +faire suite à la soumission du duc d'York, et terminer le second acte +qui finit ainsi avec la puissance de Richard et l'anéantissement complet +des forces sur lesquelles il avait compté. L'exécution de Green et de +Bushy au commencement du troisième acte est le premier exercice de la +puissance de Bolingbroke, destinée à aller dès ce moment toujours en +croissant jusqu'à la fin de la pièce, mais qui s'annonce déjà tout +entière dans cet acte de souveraineté. Elle perdrait ce caractère si la +partie était encore incertaine, si l'on pouvait supposer qu'il reste +encore à Richard les moyens de venger ses amis.] + +LE CAPITAINE.--Lord Salisbury, nous avons attendu dix jours, et nous +avons eu bien de la peine à tenir nos compatriotes rassemblés; et +cependant nous ne recevons aucune nouvelle du roi: en conséquence, nous +allons nous disperser; adieu. + +SALISBURY.--Attends encore un jour, fidèle Gallois, le roi met toute sa +confiance en toi. + +LE CAPITAINE.--On croit le roi mort. Nous ne resterons pas davantage: +les lauriers dans nos campagnes se sont tous flétris; des météores +viennent effrayer les étoiles fixes du firmament; la pâle lune jette sur +la terre une lueur sanglante, et des prophètes au visage hâve annoncent +tout bas, d'effrayants changements: les riches ont l'air triste, et les +coquins dansent et sautent de joie, les uns dans la crainte de perdre ce +qu'ils possèdent, les autres dans les espérances que leur offre la +violence et la guerre. Ces signes présagent la mort ou la chute des +rois.--Adieu: nos compatriotes sont partis et déjà loin, bien persuadés +que leur roi Richard est mort. + +(Il sort.) + +SALISBURY.--Ah! Richard, c'est avec une douleur profonde que je vois ta +gloire, comme une étoile filante, s'abîmer du firmament sur la misérable +terre. Ton soleil descend en pleurant vers l'humble couchant, annonçant +les orages, les maux et les troubles à venir. Tes amis ont fui et se +sont joints à tes ennemis; et le cours de tous les événements te devient +contraire. + +(Il sort.) + +FIN DU SECOND ACTE. + + + + + ACTE TROISIÈME + + + + +SCÈNE I + +Le camp de Bolingbroke devant Bristol. + +_Entrent_ BOLINGBROKE, YORK, NORTHUMBERLAND, PERCY, ROSS.--_Derrière eux +viennent des officiers conduisant_ WILLOUGHBY, BUSHY et GREEN +_prisonniers_. + + +BOLINGBROKE.--Faites approcher ces hommes.--Bushy et Green, je ne veux +point tourmenter vos âmes (qui dans un instant vont être séparées de +leurs corps) en vous représentant trop fortement les crimes de votre +vie: cela serait manquer de charité. Cependant, pour laver mes mains de +votre sang, je vais ici, à la face des hommes, exposer quelques-unes des +causes de votre mort. Vous avez perverti un prince, un véritable roi, né +d'un sang vertueux, d'une physionomie heureuse; vous l'avez dénaturé, +vous l'avez entièrement défiguré. Vous avez en quelque sorte, par les +heures choisies pour vos débauches[18], établi le divorce entre la reine +et lui, et troublé la possession de la couche royale; vous avez flétri +la beauté des joues d'une belle reine par les larmes qu'ont arrachées de +ses yeux vos odieux outrages. Moi-même, que la fortune a fait naître +prince, uni au roi par le sang, uni par l'affection avant que vous +l'eussiez porté à mal interpréter mes actions, j'ai courbé la tête sous +vos injustices; j'ai envoyé vers des nuages étrangers les soupirs d'un +Anglais, mangeant le pain amer de l'exil; tandis que vous vous +engraissiez sur mes seigneuries, que vous renversiez les clôtures de mes +parcs, que vous abattiez les arbres de mes forêts, que vous enleviez de +mes fenêtres les armoiries de ma famille, que vous effaciez partout mes +devises, ne laissant plus, si ce n'est dans la mémoire des hommes et +dans ma race vivante, aucun indice qui pût prouver au monde que je suis +un gentilhomme. C'est là ce que vous avez fait, et bien plus encore, +bien plus que le double de tout ceci; et c'est ce qui vous condamne à +mort.--Voyez à ce qu'on les livre aux exécuteurs et à la main de la +mort. + +[Note 18: + + _You have in manner, with your sinful hours, + Made a divorce betwixt his queen and him, + Broke the possession of a royal bed._ + +Ces vers ne paraissent pas précisément impliquer que ces favoris de +Richard l'aient rendu infidèle à la reine, mais plutôt qu'ils l'ont +entraîné dans des orgies de nuit. Rien d'ailleurs dans la pièce +n'indique aucun tort de ce genre; Richard et sa femme sont au contraire +représentés comme des époux très-unis, et même très-tendres.] + +BUSHY.--Le coup de la mort est mieux venu pour moi que ne l'est +Bolingbroke pour l'Angleterre.--Milords, adieu. + +GREEN.--Ce qui me console, c'est que le ciel recevra nos âmes, et punira +l'injustice des peines de l'enfer. + +BOLINGBROKE.--Lord Northumberland, veillez à leur exécution. (_Sortent +Northumberland et plusieurs autres emmenant les prisonniers._)--Ne +dites-vous pas, mon oncle, que la reine est dans votre château? Au nom +du ciel, ayez soin qu'elle soit bien traitée: Dites-lui que je lui +envoie l'assurance de mes sentiments affectueux; ayez bien soin qu'on +lui transmette mes compliments. + +YORK.--J'ai dépêché un de mes gentilshommes, avec une lettre où je lui +parle au long de votre affection pour elle. + +BOLINGBROKE.--Merci, mon bon, mon cher oncle.--Allons, milords, partons +pour combattre Glendower et ses complices: encore quelque temps à +l'ouvrage; puis après, congé. + +(Ils sortent.) + + + + +SCÈNE II + +Les côtes du pays de Galles.--On aperçoit un château. + +_Fanfares, tambours et trompettes._--_Entrent_ LE ROI RICHARD, L'ÉVÊQUE +DE CARLISLE, AUMERLE, _des soldats_. + + +RICHARD.--N'est-ce pas Barkloughby que vous appelez ce château près +duquel nous sommes? + +AUMERLE.--Oui, mon prince.--Comment Votre Majesté se trouve-t-elle de +respirer l'air, après avoir été secouée dernièrement sur les flots +agités? + +RICHARD.--Il doit nécessairement me plaire. Je pleure de joie de me +retrouver encore une fois sur le sol de mon royaume.--Terre chérie, je +te salue de ma main, quoique les rebelles te déchirent des fers de leurs +chevaux. Comme une mère depuis longtemps séparée de son enfant se joue +tendrement de ses larmes et sourit en le retrouvant, c'est ainsi que +pleurant et souriant je te salue, ô mon pays, et te caresse de mes mains +royales. Ma bonne terre, ne nourris pas l'ennemi de ton souverain! Ne +répare pas, par tes douces productions, ses sens affamés! mais que tes +araignées nourries de ton venin, tes crapauds à la marche lourde, se +placent sur son chemin et blessent les pieds perfides qui te foulent de +leurs pas usurpateurs. Ne cède à mes ennemis que des orties piquantes, +et s'ils veulent cueillir une fleur sur ton sein, défends-la, je te +prie, par un serpent caché, dont le double dard, par sa mortelle piqûre, +lance le trépas sur les ennemis de ton souverain.--Ne riez point, +milords, de me voir conjurer des êtres insensibles: cette terre prendra +du sentiment, ces pierres se changeront en soldats armés, avant que +celui qui naquit leur roi succombe sous les armes d'une odieuse +rébellion. + +L'ÉVÊQUE DE CARLISLE.--Ne craignez rien, seigneur. Le pouvoir qui vous a +fait roi est assez fort pour vous maintenir roi en dépit de tous. Il +faut embrasser les moyens que le ciel présente, et ne pas les négliger: +autrement, si ce que le ciel veut, nous refusons de le vouloir, c'est +refuser les offres du ciel et les moyens qu'il nous présente pour nous +secourir et pour nous sauver. + +AUMERLE.--Il veut dire, mon seigneur, que nous demeurons trop inactifs, +tandis que Bolingbroke, par notre sécurité, s'agrandit et se fortifie en +puissance et en amis. + +RICHARD.--Sinistre cousin, ne sais-tu pas que lorsque l'oeil vigilant +des cieux se cache derrière le globe et descend éclairer le monde qui +est sous nos pieds, alors les voleurs et les brigands errent ici +invisibles et sanglants, semant le meurtre et l'outrage? Mais dès que, +ressortant de dessous le globe terrestre, il enflamme à l'orient la cime +orgueilleuse des pins et lance sa lumière jusque dans les plus +criminelles cavités, alors les meurtres, les trahisons, tous les +forfaits détestés, dépouillés du manteau de la nuit, restent nus et +découverts, et épouvantés d'eux-mêmes. Ainsi, dès que ce brigand, ce +traître Bolingbroke, qui, pendant tout ce temps, s'est donné carrière +dans la nuit, tandis que nous étions errants aux antipodes, nous verra +remonter à l'orient notre trône, ses trahisons feront rougir son visage; +et, hors d'état de soutenir la vue du jour, effrayé de lui-même, il +tremblera de son crime. Toutes les eaux de la mer orageuse ne peuvent +enlever du front d'un roi le baume dont il a reçu l'onction; le souffle +d'une voix mortelle ne saurait déposer le député élu par le Seigneur. +Contre chacun des hommes que Bolingbroke a rassemblés pour lever un fer +menaçant contre notre couronne d'or, le Dieu des armées paye au ciel +pour son Richard un ange resplendissant; et où combattent les anges, il +faut que les faibles mortels succombent, car le ciel défend toujours le +droit. (_Entre Salisbury._)--Soyez le bienvenu, comte. A quelle distance +sont vos troupes? + +SALISBURY.--Ni plus près ni plus loin, mon gracieux souverain, que n'est +ce faible bras. Le découragement maîtrise ma voix, et ne me permet que +des paroles désespérantes. Un jour de trop, mon noble seigneur, a, je le +crains bien, obscurci tous les jours heureux sur la terre. Oh! rappelle +le jour d'hier, ordonne au temps de revenir, et tu auras encore douze +mille combattants, mais ce jour, ce jour, ce malheureux jour, ce jour de +trop a fait disparaître ton bonheur, tes amis, ta fortune et ta +grandeur: tous les Gallois, sur le bruit de ta mort, sont allés joindre +Bolingbroke, ou se sont dispersés et enfuis. + +AUMERLE.--Prenez courage, mon souverain. Pourquoi Votre Seigneurie +pâlit-elle ainsi? + +RICHARD.--Il n'y a qu'un moment que le sang de vingt mille hommes +triomphait dans mon visage, et ils ont tous fui! jusqu'à ce qu'il me +soit revenu autant de sang, n'ai-je pas des raisons d'être pâle et +d'avoir l'air mort? Tous ceux qui cherchent leur sûreté abandonnent mon +parti: le temps a fait une tache à mon éclat. + +AUMERLE.--Prenez courage, mon souverain, rappelez-vous qui vous êtes. + +RICHARD.--Je m'oubliais moi-même. Ne suis-je pas roi? Réveille-toi, +indolente majesté. Tu dors! Le nom de roi ne vaut-il pas quarante mille +noms? Arme-toi, arme-toi, mon nom! un vil sujet s'attaque à ta grande +gloire!--Ne baissez point les yeux, vous, favoris d'un roi. Ne +sommes-nous pas grands? Que nos pensées soient grandes! Je sais que mon +oncle York a des forces suffisantes pour suffire à nos besoins--Mais qui +vois-je s'avancer vers nous? + +(Entre Scroop.) + +SCROOP.--Puisse-t-il advenir à mon souverain plus de santé et de bonheur +que ma voix, montée à la tristesse, ne saurait lui en annoncer! + +RICHARD.--Mon oreille est ouverte et mon coeur est préparé. Le pis que +tu puisses m'apprendre est une perte temporelle. Dis, mon royaume est-il +perdu? Eh bien! il faisait tout mon souci; et que perd-on à être délivré +de soucis? Bolingbroke aspire-t-il à être aussi grand que nous? il ne +sera jamais plus grand. S'il sert Dieu, nous le servirons aussi, et par +là nous serons son égal. Nos sujets se révoltent-ils! Nous ne pouvons y +remédier: ils violent leur foi envers Dieu comme envers nous. Crie-moi +malheur, destruction, ruine, perte, décadence: le pis est la mort, et la +mort aura son jour. + +SCROOP.--Je suis bien aise de voir Votre Majesté si bien armée pour +supporter les nouvelles de l'adversité. Telle qu'un jour de tempête hors +de saison qui amène les rivières argentées à submerger leurs rivages, +comme si l'univers se fondait en pleurs, telle s'enfle au delà de toute +limite la fureur de Bolingbroke, couvrant vos États consternés d'un +acier dur et brillant, et de coeurs plus durs que l'acier. Les barbes +blanches ont armé de casques leurs crânes minces et chauves contre ta +majesté; les enfants s'efforcent de grossir leur voix féminine, et +renferment, par haine de ta couronne, leurs membres de femme sous des +armes roides et pesantes; ceux même qui sont chargés de prier pour toi +apprennent à bander leurs arcs d'if doublement fatal[19] pour s'en +servir contre ta puissance. Même, les femmes, quittant leur quenouille, +brandissent contre ton trône des serpes rouillées. Les jeunes et les +vieux se révoltent; tout va plus mal que je ne puis vous le dire. + +[Note 19: _..... Double-fatal yew._ + +Doublement fatal par son bois propre à faire des arcs, et par les +propriétés nuisibles de son feuillage.] + +RICHARD.--Tu ne m'as que trop bien, trop bien fait un si triste +récit.--Où est le comte de Wiltshire? Où est Bagot? Qu'est devenu Bushy? +Où est Green? Pourquoi ont-ils laissé ce dangereux ennemi mesurer ainsi +nos frontières d'un pas tranquille?.... Si nous l'emportons, ils le +payeront de leurs têtes.--Je vous garantis qu'ils ont fait leur paix +avec Bolingbroke. + +SCROOP.--Il est vrai, seigneur, ils ont fait leur paix avec lui. + +RICHARD.--Traîtres! ah! vipères! damnés sans rédemption! chiens aisément +amenés à ramper devant le premier venu! serpents réchauffés dans le sang +de mon coeur, et qui me percent le coeur! trois Judas, chacun trois fois +pire que Judas! Devaient-ils faire leur paix? Que pour ce crime le +terrible enfer déclare la guerre à leurs âmes souillées! + +SCROOP.--La tendre amitié, je le vois, lorsqu'elle change de nature, +produit la plus amère et la plus mortelle haine.--Révoquez vos +malédictions sur leurs âmes: ils ont fait leur paix en donnant leurs +têtes, et non leurs mains; ceux que vous maudissez ont reçu le coup le +plus cruel que puisse frapper la mort, et gisent assez bas ensevelis +dans le sein de la terre. + +AUMERLE.--Quoi! Bushy, Green et le comte de Wiltshire sont morts? + +SCROOP.--Oui, ils ont tous perdu la tête à Bristol. + +AUMERLE.--Où est le duc mon père avec ses troupes? + +RICHARD.--N'importe où il est.... Que personne ne me parle de +consolation. Entretenons-nous de tombeaux, de vers, d'épitaphes; que la +poussière soit notre papier, et que la pluie qui coule de nos yeux +écrive notre douleur sur le sein de la terre; choisissons nos exécuteurs +testamentaires, et parlons de testaments. Et cependant non; car que +pourrions-nous léguer sinon nos corps dépouillés à la terre? Nos +possessions, notre vie, tout appartient à Bolingbroke, et il n'est plus +rien que nous puissions dire à nous que la mort, et ce petit moule, fait +d'une terre stérile, qui couvre nos os, comme une pâte. Au nom du ciel, +asseyons-nous par terre, et racontons les tristes histoires de la mort +des rois; comment quelques-uns ont été déposés, quelques-uns tués à la +guerre, d'autres hantés par les fantômes de ceux qu'ils avaient +dépossédés, d'autres empoisonnés par leurs femmes, d'autres égorgés en +dormant; tous assassinés! La Mort tient sa cour dans le creux de la +couronne qui ceint le front mortel d'un roi: c'est là que siége sa +grotesque figure se riant de la grandeur du souverain, insultant à sa +pompe: elle lui accorde un souffle de vie, une courte scène pour jouer +le monarque, être craint et tuer de ses regards, l'enivrant d'une vaine +opinion de lui-même, comme si cette chair qui sert de rempart à notre +vie était d'un bronze impénétrable! Et après s'être amusée un moment, +elle en vient au dernier acte, et d'une petite épingle elle perce le mur +du château.... et adieu le roi.--Couvrez vos têtes, et n'insultez pas +par ces profonds hommages la chair et le sang; rejetez loin de vous le +respect, les traditions, l'étiquette, les devoirs cérémonieux. Vous +m'avez méconnu jusqu'à présent: je vis de pain, comme vous, je sens +comme vous le besoin, je suis atteint par le chagrin; j'ai besoin +d'amis. Ainsi assujetti, comment pouvez-vous me dire que suis un roi? + +L'ÉVÊQUE DE CARLISLE.--Seigneur, les hommes sages ne déplorent jamais +les maux présents: ils emploient le présent à éviter d'en avoir d'autres +à déplorer. Craindre votre ennemi, puisque la crainte accable la force, +c'est donner par votre faiblesse des forces à votre ennemi; et par là +votre folie combat contre vous-même.--Craignez et soyez tué!.... Il ne +peut rien vous arriver de pis en combattant. Combattre et mourir, c'est +la mort détruisant la mort; mourir en tremblant, c'est rendre lâchement +à la mort le tribut de sa vie. + +AUMERLE.--Mon père a des troupes: informez-vous où il est; et d'un seul +membre apprenez à faire un corps. + +RICHARD.--Tes reproches sont justes.--Superbe Bolingbroke, je viens pour +échanger avec toi des coups dans ce jour qui doit nous juger. Cet accès +de fièvre de terreur est tout à fait dissipé.--C'est une tâche aisée que +de reprendre son bien.--Dis-moi, Scroop, où est notre oncle avec ses +troupes? Homme, réponds-moi avec douceur, quoique tes regards soient +sinistres. + +SCROOP.--On juge par la couleur du ciel de l'état et des dispositions de +la journée: ainsi pouvez-vous juger, par mon air sombre et abattu, que +ma langue n'a à vous faire qu'un rapport plus triste encore. Je joue ici +le rôle d'un bourreau, en allongeant ainsi peu à peu ce qu'il y a de pis +et qu'il faut bien dire.--Votre oncle York s'est joint à Bolingbroke; +tous vos châteaux du nord se sont rendus, et toute votre noblesse du +midi est en armes pour sa cause. + +RICHARD.--Tu en as dit assez. _(A Aumerle._)--Malédiction sur toi, +cousin, qui m'as éloigné de la bonne voie où j'étais pour trouver le +désespoir! Que dites-vous à présent? quelle ressource nous reste-t-il à +présent? Par le ciel, je haïrai éternellement quiconque m'exhortera +davantage à prendre courage. Allons au château de Flint; j'y veux mourir +de ma douleur. Un roi vaincu par le malheur doit obéir au malheur, son +roi. Congédiez les troupes qui me restent, et qu'elles aillent labourer +la terre qui leur offre encore quelques espérances: pour moi, je n'en ai +point.--Que personne ne me parle de changer mon dessein: tout conseil +serait vain. + +AUMERLE.--Mon souverain, un mot. + +RICHARD.--Celui dont la langue me blesse par ses flatteries me fait un +double mal.--Licenciez ma suite, qu'ils s'en aillent. Qu'ils fuient de +la nuit de Richard vers le jour brillant de Bolingbroke. + +(Ils sortent.) + + + + +SCÈNE III + +La scène est dans le pays de Galles, devant le château de Flint. + +_Entrent avec des tambours et des étendards_ BOLINGBROKE _et ses +troupes_, YORK, NORTHUMBERLAND _et plusieurs autres_. + + +BOLINGBROKE.--Ainsi nous apprenons par cet avis que les Gallois sont +dispersés, et que Salisbury est allé rejoindre le roi, qui vient de +débarquer sur cette côte avec quelques-uns de ses amis particuliers. + +NORTHUMBERLAND.--Voilà une bonne et agréable nouvelle, seigneur. Richard +est venu cacher sa tête assez près d'ici. + +YORK.--Il serait convenable que lord Northumberland voulût bien dire _le +roi Richard_.--Hélas! quel triste jour que celui où le souverain sacré +est obligé de cacher sa tête! + +NORTHUMBERLAND.--Votre Grâce se méprend sur mes intentions: c'était pour +abréger que j'avais omis le titre. + +YORK.--Il fut un temps où, si vous aviez abrégé ainsi à son égard, il +eût aussi abrégé avec vous en vous raccourcissant, pour tant de licence, +de toute la longueur de votre tête. + +BOLINGBROKE.--Mon oncle, ne prenez pas les choses plus mal que vous ne +le devez. + +YORK.--Et vous, mon cher neveu, ne prenez pas plus qu'il ne vous +appartient, de peur de vous méprendre: le ciel est au-dessus de votre +tête. + +BOLINGBROKE.--Je le sais, mon oncle, et ne m'oppose point à ses +volontés.--Mais qui s'avance vers nous? (_Entre Percy._)--C'est vous, +Henri! Eh bien, est-ce que ce château ne se rendra point? + +PERCY.--Une force royale, milord, t'en défend l'entrée. + +BOLINGBROKE.--Comment, royale? Il ne renferme point de roi? + +PERCY.--Oui, milord, il renferme un roi: Le roi Richard est enfermé dans +cette enceinte de ciment et de pierres; et avec lui sont lord Aumerle, +lord Salisbury, sir Étienne Scroop, et de plus un ecclésiastique de +sainte renommée: qui c'est, je n'ai pu le savoir. + +NORTHUMBERLAND.--Il y apparence que c'est l'évêque de Carlisle. + +BOLINGBROKE, _à Northumberland._--Noble seigneur, approchez-vous des +rudes flancs de cet antique château; que l'airain de la trompette +transmette à ses oreilles ruinées la demande d'une conférence, et portez +au roi ce message: «Henri de Bolingbroke, à deux genoux, baise la main +du roi Richard, et envoie à sa personne royale l'hommage de son +allégeance et de la fidélité loyale de son coeur. Je viens ici mettre à +ses pieds mes armes et mes forces, pourvu que mon bannissement soit +annulé, et que mes domaines me soient restitués libres de toutes +charges: sinon, j'userai de l'avantage de ma puissance, et j'abattrai la +poussière de l'été par une pluie de sang versée par les blessures des +Anglais égorgés. Mais il est bien loin du coeur de Bolingbroke de +vouloir que cette tempête pourpre vienne arroser le sein frais et +verdoyant du beau royaume du roi Richard, et c'est ce que lui prouvera +assez mon humble soumission.»--Allez, faites-lui entendre ceci, tandis +que nous, nous avancerons sur le tapis de gazon de cette plaine. +(_Northumberland s'avance vers le château avec un trompette_.)--Marchons +sans faire entendre le bruit menaçant des tambours, afin que du haut des +murs en ruine de ce château on puisse bien entendre nos honorables +offres.--Il me semble que le roi Richard et moi nous devons nous +rencontrer d'une manière aussi terrible que les éléments du feu et de +l'eau, lorsque leurs tonnerres se rencontrant déchirent de leur choc le +front nébuleux du firmament. Qu'il soit le feu, je serai l'eau docile; +que la rage soit de son côté, tandis que je répandrai la pluie de mes +eaux sur la terre, sur la terre, non sur lui. Marchons en avant, et +observons quelle sera la contenance du roi Richard. + +(La trompette sonne pour demander un pourparler, une autre trompette +répond de l'intérieur de la forteresse.--Fanfare.--Richard paraît sur +les remparts, suivi de l'évêque de Carlisle, d'Aumerle, de Scroop et de +Salisbury.) + +YORK.--Voyez, voyez: le roi Richard paraît lui-même, semblable au soleil +rougissant et mécontent, lorsque, sortant du portail enflammé de +l'orient, il voit les nuages jaloux s'avancer pour ternir sa gloire et +obscurcir le cours de son brillant passage vers l'occident. Il a +pourtant encore l'air d'un roi. Voyez: son oeil, aussi brillant que +celui de l'aigle, lance les éclairs de la majesté souveraine. Hélas! +hélas! malheur à nous si quelque mal venait à ternir un si noble aspect! + +RICHARD, _à Northumberland._--Nous sommes surpris, et nous nous sommes +si longtemps arrêté pour attendre que ton genou respectueux fléchît +devant nous parce que nous croyons être ton légitime souverain. Si nous +le sommes, comment tes articulations osent-elles oublier de nous rendre +l'hommage solennel que tu dois à notre présence? Si nous ne le sommes +pas, montre-nous comment la main de Dieu nous a dépossédé des fonctions +dont il nous avait revêtu; car nous savons que nulle main d'os et de +sang ne peut saisir la poignée sacrée de notre sceptre, sans le +profaner, le voler, ou l'usurper; et dussiez-vous penser que tous mes +sujets ont comme vous violemment séparé leurs coeurs de notre cause, et +que nous sommes abandonné et dénué d'amis, sachez que mon maître, le +Dieu tout-puissant, assemble dans ses nuages en notre faveur des armées +de pestes qui frapperont vos enfants encore à naître, encore non +engendrés, parce que vous avez levé vos mains vassales contre ma tête, +et menacé la gloire de ma précieuse couronne. Dis à Bolingbroke (car je +crois le voir là-bas) que chaque pas qu'il fait dans mes États est une +dangereuse trahison. Il vient ouvrir le rouge testament de la guerre +sanglante: mais avant que la couronne où visent ses regards repose en +paix sur sa tête, les couronnes ensanglantées des crânes de dix mille +fils de bonnes mères dépareront dans sa fleur la face de l'Angleterre, +changeront la blancheur du teint virginal de sa Paix en une rougeur +d'indignation, et humecteront l'herbe de ses pâturages du sang des +fidèles Anglais. + +NORTHUMBERLAND.--Le roi des cieux nous préserve de voir le roi notre +maître ainsi assailli par des armes à la fois concitoyennes et +ennemies[20]! Ton trois fois noble cousin Henri Bolingbroke te baise +humblement la main; et il jure par la tombe honorable qui recouvre les +os de ton royal aïeul, par la royale noblesse de votre sang à tous deux, +ruisseaux sortis d'une seule source très-précieuse, par le bras enseveli +du belliqueux Gaunt, par sa propre valeur et son honneur personnel, +serment qui comprend toutes les paroles et tous les serments, que son +retour dans ce royaume n'a d'autre but que de réclamer son illustre +héritage, et de te demander à genoux l'annulation immédiate de son arrêt +d'exil. Dès qu'une fois Votre Majesté aura souscrit à sa demande, il +abandonnera à la rouille ses armes brillantes, rendra ses chevaux armés +en guerre à leurs écuries, et son coeur au fidèle service de Votre +Majesté. Voilà ce qu'il jure, et, sur sa foi de prince, il promet de +l'observer: et moi, j'en réponds comme gentilhomme. + +[Note 20: _Should so with civil and uncivil arms Be rush'd upon._ + +Le jeu de mots entre _civil_ et _uncivil_ était impossible à reproduire +dans le français, qui n'a pas conservé à _incivil_ son sens propre.] + +RICHARD.--Northumberland, dis-lui: «Voici la réponse du roi: Son noble +cousin est le bienvenu ici, et toutes ses justes demandes seront +satisfaites sans contradiction;» et dans les termes les plus gracieux +que tu possèdes, parle à son affection de mes tendres sentiments. _(A +Aumerle._)--Nous nous abaissons, cousin, n'est-il pas vrai, en montrant +tant de faiblesse et en parlant avec tant de douceur? Rappellerons-nous +Northumberland, et enverrons-nous un défi au traître, pour mourir ainsi? + +AUMERLE.--Non, mon bon maître; combattons avec de bonnes paroles jusqu'à +ce que le temps nous prête des amis, et ces amis le secours de leurs +épées. + +RICHARD.--O Dieu, ô Dieu! que ma bouche, qui a prononcé le terrible +arrêt du bannissement contre cet homme hautain, le révoque aujourd'hui +par des paroles si douces! Oh! que ne suis-je aussi grand que ma +douleur, ou moins grand que mon nom! Que ne puis-je oublier ce que j'ai +été, ou cesser de me rappeler ce que je suis à présent! Tu te gonfles, +coeur superbe? Je te mettrai en liberté de battre, puisque mes ennemis +ont la liberté de battre toi et moi. + +AUMERLE.--Voilà Northumberland que Bolingbroke renvoie. + +RICHARD.--Que doit faire le roi maintenant? Faut-il qu'il se soumette? +le roi se soumettra. Faut-il qu'il soit déposé? le roi y consentira. Lui +faut-il perdre le titre de roi? Au nom de Dieu, qu'on me l'ôte! Je +changerai mes joyaux contre un chapelet, mes palais somptueux contre un +ermitage, mes brillants vêtements contre la robe du mendiant, mes coupes +ciselées pour un plat de bois, mon sceptre pour un bâton de pèlerin, +tous mes sujets pour une couple de saints sculptés, et mon vaste royaume +pour un petit tombeau, un petit, petit tombeau, un tombeau obscur! Ou +peut-être serai-je enseveli sur quelque route royale, sur quelque chemin +fréquenté où les pieds de mes sujets pourront à toute heure fouler la +tête de leur souverain; car c'est mon coeur qu'ils foulent aux pieds, +moi encore vivant; une fois enseveli, pourquoi ne fouleraient-ils pas ma +tête?--Aumerle, tu pleures, mon cousin au coeur tendre! De nos larmes +méprisées nous susciterons une tempête; elles et nos soupirs détruiront +la moisson de l'été, et amèneront la famine dans cette terre révoltée; +ou bien nous ferons-nous un jeu de nos maux, et prendrons-nous nos +larmes pour le sujet de quelque joli pari, comme de les faire tomber sur +un seul endroit jusqu'à ce qu'elles nous aient creusé deux tombeaux dans +la terre, et que là, couchés tous deux, on y puisse graver: _Là gisent +deux parents qui se sont creusé leur tombeau des larmes de leurs yeux?_ +Ce malheur n'aurait-il pas bonne grâce?--Allons, allons, je vois que je +parle follement, et que tu te moques de moi--Très-puissant prince, +milord Northumberland, que dit le roi Bolingbroke? Sa Majesté veut-elle +permettre à Richard de vivre jusqu'à ce que Richard meure?--Vous saluez; +c'est-à-dire que Bolingbroke dit _oui_. + +NORTHUMBERLAND.--Seigneur, il vous attend dans la cour basse pour +conférer avec vous. Vous plaît-il de descendre? + +RICHARD.--Je descends! je descends comme le brillant Phaéton hors d'état +de gouverner des coursiers indociles! (_Northumberland se retire vers +Bolingbroke._) Dans la cour basse? c'est une cour basse que celle où les +rois s'abaissent jusqu'à obéir à l'appel des traîtres, et à leur faire +grâce! Dans la cour basse? Descendons! A bas, cour! à bas, roi! car les +hiboux de la nuit font entendre leurs cris là où l'alouette devrait +s'élever en chantant. + +(Le roi et les lords se retirent des remparts.) + +BOLINGBROKE, _à Northumberland._--Que dit Sa Majesté? + +NORTHUMBERLAND.--La tristesse et le chagrin de son coeur lui font dire +des choses insensées comme un homme égaré. Cependant il vient. + +(Entrent Richard et sa suite.) + +BOLINGBROKE.--Tenez-vous tous à l'écart, et montrez un grand respect à +Sa Majesté. (_Fléchissant un genou en terre._)--Mon gracieux +souverain.... + +RICHARD.--Beau cousin, vous abaissez votre genou de prince, en +permettant à la vile terre l'orgueil de le baiser. J'aimerais mieux +éprouver dans mon coeur l'effet de votre amitié que de sentir mes yeux +blessés par vos respects. Levez-vous, cousin, levez-vous: votre coeur +s'élève, je le sais, au moins à cette hauteur (_portant la main à sa +tête_), bien que vos genoux s'abaissent. + +BOLINGBROKE.--Mon gracieux souverain, je ne viens que pour réclamer mes +biens. + +RICHARD.--Vos biens sont à vous, et je suis à vous, et tout est à vous! + +BOLINGBROKE.--Soyez à moi, mon très-redouté souverain, autant que mes +fidèles services mériteront votre affection. + +RICHARD.--Vous avez bien mérité.--Ils méritent de posséder ceux qui +connaissent le moyen le plus sûr et le plus énergique d'obtenir.--Mon +oncle, donnez-moi votre main: allons, séchez vos larmes. Les larmes +prouvent l'amitié qui les excite, mais elles manquent du remède. (_A +Bolingbroke._)--Cousin, je suis trop jeune pour être votre père, quoique +vous soyez assez vieux pour être mon héritier. Ce que vous voulez avoir, +je vous le donnerai, et même volontairement; car il faut faire de +soi-même ce que la force nous contraint de faire.--Marchons vers +Londres.--Le voulez-vous, cousin? + +BOLINGBROKE.--Oui, mon bon seigneur. + +RICHARD.--Alors je ne dois pas dire non. + +(Fanfares.--Ils sortent.) + + + + +SCÈNE IV + +La scène est à Langley dans le jardin du duc d'York. + +_Entrent_ LA REINE et DEUX DE SES DAMES. + + +LA REINE.--Quel jeu pourrions-nous imaginer dans ce jardin, pour écarter +les accablantes pensées de mes soucis? + +UNE DES DAMES.--Madame, nous pourrions jouer aux boules. + +LA REINE.--Cela ferait songer que le monde est plein d'inégalités, et +que ma fortune est détournée de sa route. + +LA DAME.--Madame, nous danserons. + +LA REINE.--Mes pieds ne peuvent danser en mesure avec plaisir lorsque +mon pauvre coeur ne garde aucune mesure dans son chagrin: ainsi, mon +enfant, point de danse; quelque autre jeu. + +LA DAME.--Eh bien, madame, nous conterons des histoires. + +LA REINE.--Tristes, ou joyeuses? + +LA DAME.--L'une ou l'autre, madame. + +LA REINE.--Ni l'une ni l'autre, ma fille: si elles me parlaient de joie, +comme la joie me manque absolument, elles ne feraient que me rappeler +davantage ma tristesse: si elles me parlaient de chagrin, comme le +chagrin me possède complétement, elles ne feraient qu'ajouter plus de +douleur encore à mon manque de joie. Je n'ai pas besoin de répéter ce +que j'ai déjà; et ce qui me manque, il est inutile de s'en plaindre.... + +LA DAME.--Madame, je chanterai. + +LA REINE.--Je suis bien aise que tu aies sujet de chanter; mais tu me +plairais davantage si tu voulais pleurer. + +LA DAME.--Je pleurerais, madame, si cela pouvait vous faire du bien. + +LA REINE.--Je pleurerais aussi, moi, si cela pouvait me faire du bien, +et je ne t'emprunterais pas une larme. Mais attends.--Voilà les +jardiniers. (_Entrent un jardinier et deux garçons._) Enfonçons-nous +sous l'ombrage de ces arbres: je gagerais ma misère contre une rangée +d'épingles qu'ils vont parler de l'État, car tout le monde en parle dans +le moment d'une révolution. Les malheurs ont toujours le malheur pour +avant-coureur. + +(La reine et ses deux dames se retirent.) + +LE JARDINIER.--Va, rattache ces branches pendantes d'abricotier qui, +comme des enfants indisciplinés, font ployer leur père sous l'oppression +de leur poids surabondant; quelque appui aux rameaux qui se courbent. Et +toi, va comme un exécuteur abattre la tête de ces jets trop prompts à +croître, et qui s'élèvent trop orgueilleusement au-dessus de notre +république. Tout doit être de niveau dans notre gouvernement. Tandis que +vous y travaillerez, moi je vais arracher ces herbes sauvages et +nuisibles qui dérobent sans profit aux fleurs utiles les sucs féconds de +la terre. + +UN DES GARÇONS.--Pourquoi prétendrions-nous entretenir dans l'étendue de +cette enceinte des lois, des formes, des proportions régulières, et +montrer, comme un échantillon, un état solide, lorsque notre jardin, +enclos par la mer, le pays entier est rempli de mauvaises herbes, que +ses plus belles fleurs sont étouffées, que ses arbres fruitiers ne sont +pas taillés; que ses clôtures sont ruinées, ses parterres en désordre, +et ses plantes utiles dévorées par les chenilles? + +LE JARDINIER.--Sois tranquille: celui qui a souffert tout ce désordre du +printemps est arrivé à la chute des feuilles; les mauvaises herbes qu'il +abritait au loin de son vaste feuillage, et qui le dévoraient en +paraissant l'appuyer, sont arrachées, racine et tout, par Bolingbroke; +je veux dire, le comte de Wiltshire, Green et Bushy. + +LE GARÇON.--Comment? Est-ce qu'ils sont morts? + +LE JARDINIER.--Ils sont morts, et Bolingbroke a saisi le roi +dissipateur. Oh! quelle pitié qu'il n'ait pas soigné et cultivé son +royaume comme nous ce jardin! Nous, dans la saison, nous blessons +l'écorce, la peau de nos arbres fruitiers, de crainte que, regorgeant de +sève et de sang, ils ne périssent de l'excès de leurs richesses. S'il en +eût usé de même avec les grands et les ambitieux, ils auraient pu vivre +pour porter, et lui pour recueillir leurs fruits d'obéissance. Nous +élaguons toutes les branches superflues pour conserver la vie aux +rameaux féconds: s'il en eût agi ainsi, il porterait encore la couronne +qu'en dissipant follement les heures il a fait complétement tomber de sa +tête. + +LE GARÇON.--Quoi! vous croyez donc que le roi sera déposé? + +LE JARDINIER.--Il est déjà vaincu, et il y a toute apparence qu'il sera +déposé. La nuit dernière il est venu des lettres à un ami intime du bon +duc d'York qui annoncent de tristes nouvelles. + +LA REINE, _sortant du lieu où elle était cachée._--Oh! je suis suffoquée +jusqu'à mourir de mon silence:--Toi, vieille figure d'Adam, établie pour +soigner ces jardins, comment ta langue brutale ose-t-elle redire ces +fâcheuses nouvelles? Quelle Ève, quel serpent t'a suggéré de renouveler +ainsi la chute de l'homme maudit? Pourquoi dis-tu que le roi Richard est +déposé? Oses-tu, toi qui ne vaux guère mieux que de la terre, présager +sa chute? Dis-moi, où, quand et comment as-tu appris ces mauvaises +nouvelles? Parle, misérable que tu es. + +LE JARDINIER.--Madame, pardonnez-moi; je n'ai guère de plaisir à répéter +ces nouvelles, mais ce que je dis est la vérité. Le roi Richard est +entre les mains puissantes de Bolingbroke; leurs fortunes à tous deux +ont été pesées: dans le bassin de votre seigneur il n'y a que lui seul, +et quelques frivolités qui le rendent léger; mais dans le bassin du +grand Bolingbroke sont avec lui tous les pairs d'Angleterre, et avec ce +surpoids il emporte le roi Richard. Rendez-vous à Londres, et vous +trouverez les choses ainsi: je ne dis que ce que tout le monde sait. + +LA REINE.--Agile adversité, toi qui marches d'un pied si léger, n'est-ce +pas à moi qu'appartenait ton message? Et je suis la dernière à en être +informée? Oh! tu as soin de me servir la dernière afin que je conserve +plus longtemps tes douleurs dans mon sein.--Venez, mes dames; allons +trouver à Londres le roi de Londres dans l'infortune.--O ciel! étais-je +née pour que ma tristesse embellît le triomphe du grand +Bolingbroke?--Jardinier, pour m'avoir annoncé ces nouvelles de malheur, +je voudrais que les plantes que tu greffes ne poussassent jamais. + +(Elle sort avec ses dames.) + +LE JARDINIER.--Pauvre reine? pour que ta situation n'empirât pas, je +consentirais à ce que mes travaux subissent l'effet de ta +malédiction.--Là, elle a laissé tomber une larme; je veux y planter une +rue, l'amère herbe de grâce; la rue, qui exprime la compassion[21], +croîtra bientôt ici en souvenir d'une reine qui pleurait. + +(Ils sortent.) + +[Note 21: _Rue, even for ruth._ + +«_Rue_, qui veut dire la même chose que _ruth_.» _Ruth_ (compassion), +vient en effet de _to rue_ (déplorer). On appelait la rue l'herbe de +grâce, parce qu'elle servait d'aspersoir pour l'eau bénite.] + +FIN DU TROISIÈME ACTE. + + + + + ACTE QUATRIÈME + + + + +SCÈNE I + +A Londres.--La salle de Westminster. + +_Les lords spirituels à la droite du trône, les lords temporels à la +gauche, les communes au bas._ + +_Entrent_ BOLINGBROKE, AUMERLE, NORTHUMBERLAND, PERCY, SURREY, +FITZWATER, UN AUTRE LORD, L'ÉVÊQUE DE CARLISLE, L'ABBÉ DE WESTMINSTER, +_suite;--viennent ensuite des officiers conduisant_ BAGOT. + + +BOLINGBROKE.--Qu'on fasse avancer Bagot.--Allons, Bagot, parle librement +et dis ce que tu sais de la mort du noble Glocester. Qui l'a tramée avec +le roi, et qui a exécuté le sanglant office de sa mort prématurée? + +BAGOT.--Alors faites paraître devant moi le lord Aumerle. + +BOLINGBROKE.--Cousin, avancez, et regardez cet homme. + +BAGOT.--Lord Aumerle, je sais que votre langue hardie dédaigne de +désavouer ce qu'elle a une fois prononcé. Dans ces temps d'oppression où +l'on complota la mort de Glocester, je vous ai entendu dire: «Mon bras +n'est-il pas assez long pour atteindre, du sein de la tranquille cour +d'Angleterre jusqu'à Calais, la tête de mon oncle?» Parmi plusieurs +autres propos que vous avez tenus dans ce temps-là même, je vous ai ouï +dire que vous refuseriez l'offre de cent mille couronnes[22] plutôt que +de consentir au retour en Angleterre de Bolingbroke; ajoutant encore que +la mort de votre cousin serait un grand bonheur pour le pays. + +[Note 22: Monnaie d'or.] + +AUMERLE.--Princes, et vous, nobles seigneurs, quelle réponse dois-je +faire à cet homme de rien? Faudra-t-il que je déshonore l'étoile +illustre de ma naissance jusqu'à le châtier comme un égal? Il le faut +cependant, ou consentir à voir mon honneur flétri par l'accusation de sa +bouche calomnieuse.--Voilà mon gage, le sceau par lequel ma main te +dévoue à la mort, et qui te marque pour l'enfer.--Je dis que tu en as +menti; et je soutiendrai que ce que tu dis est faux, aux dépens du sang +de ton coeur, bien qu'il soit trop vil pour que je dusse en ternir +l'éclat de mon épée de chevalier. + +BOLINGBROKE.--Arrête; Bagot, je te défends de le relever. + +AUMERLE.--Hors un seul homme, je voudrais que ce fût le plus illustre de +l'assemblée qui m'eût ainsi défié. + +FITZWATER.--Si ta valeur tient à la sympathie[23], voilà mon gage, +Aumerle, que j'oppose au tien. Par ce beau soleil qui me montre où tu +es, je t'ai entendu dire, et tu t'en faisais gloire, que tu étais la +cause de la mort du noble Glocester. Si tu le nies, tu en as vingt fois +menti; et avec la pointe de ma rapière je ferai rentrer ton mensonge +dans le coeur où il a été forgé. + +[Note 23: _...... Stand on sympathies._] + +AUMERLE.--Lâche, tu n'oserais vivre assez pour voir cette journée. + +FITZWATER.--Par mon âme, je voudrais que ce fût à l'heure même. + +AUMERLE.--Fitzwater, tu viens de dévouer ton âme à l'enfer. + +PERCY.--Tu mens, Aumerle: son honneur est aussi pur dans ce défi qu'il +est vrai que tu es déloyal; et pour preuve que tu l'es, je jette ici mon +gage, prêt à le soutenir contre toi jusqu'à la dernière limite de la +respiration. Relève-le si tu l'oses. + +AUMERLE.--Si je ne le relève pas, puissent mes mains se pourrir, et ne +plus jamais brandir un fer vengeur sur le casque étincelant de mon +ennemi. + +UN AUTRE LORD.--Je te défie de même sur le terrain, parjure Aumerle, et +je te provoque par autant de démentis que j'en pourrais crier à tes +oreilles perfides depuis un soleil jusqu'à l'autre. Voilà le gage de mon +honneur; mets-le à l'épreuve si tu l'oses. + +AUMERLE.--Qui en est encore? Par le ciel, je répondrai à tous: j'ai dans +un seul coeur mille courages pour faire tête à vingt mille comme vous. + +SURREY.--Lord Fitzwater, je me rappelle très-bien le jour où Aumerle et +vous vous entretîntes ensemble. + +FITZWATER.--Il est vrai; milord, vous étiez présent, et vous pouvez +témoigner comme moi que ce que je dis est vrai. + +SURREY.--Cela est aussi faux, par le ciel, que le ciel lui-même est +sincère. + +FITZWATER.--Surrey, tu en as menti. + +SURREY.--Enfant sans honneur, ce démenti pèsera si lourdement sur mon +épée, qu'il en sera tiré revanche et vengeance jusqu'à ce que toi qui +m'as donné le démenti et ton démenti[24] gisiez vous la terre, aussi, +tranquilles que le crâne de ton père; et pour preuve, voilà mon gage +d'honneur: mets-le à l'épreuve. + +[Note 24: _That lie shall lie so heavy on my sword Till thou the lie +giver and that lie do lie._ + +Jeux de mots impossibles à rendre en français, même par des +équivalents.] + +FITZWATER.--Comme tu te plais follement à exciter un cheval emporté! De +même que j'ose manger, boire, respirer et vivre, j'oserai affronter +Surrey dans un désert, et lui cracher au visage en lui disant qu'il en a +menti, et qu'il a menti, et qu'il en a menti. Voilà qui engage ma foi à +t'obliger de recevoir ma vigoureuse correction.--Comme j'espère +prospérer dans ce monde nouveau pour moi, Aumerle est coupable de ce que +lui reproche mon loyal défi; de plus, j'ai ouï dire au banni Norfolk, +que c'est toi, Aumerle, qui as envoyé deux de tes gens à Calais pour +assassiner le noble duc. + +AUMERLE.--Que quelque honnête chrétien me confie un gage pour prouver +que Norfolk ment. Je jette ceci, dans le cas où Norfolk serait rappelé +pour défendre son honneur. + +BOLINGBROKE.--Tous ces défis resteront en suspens jusqu'au retour de +Norfolk: il sera rappelé; et quoiqu'il soit mon ennemi, il sera rétabli +dans tous ses biens et seigneuries, et à son arrivée nous le forcerons +de justifier son honneur contre Aumerle. + +L'ÉVÊQUE DE CARLISLE.--Jamais on ne verra ce jour honorable.--Norfolk, +banni, a combattu bien des fois pour Jésus-Christ; il a porté dans les +champs glorieux des chrétiens l'étendard de la croix chrétienne contre +les noirs païens, les Turcs et les Sarrasins. Fatigué de travaux +guerriers, il s'est retiré en Italie; et là, à Venise, il a rendu son +corps à la terre de ces belles contrées, et son âme pure à Jésus-Christ +son chef, sous les drapeaux duquel il avait combattu si longtemps. + +BOLINGBROKE.--Quoi, prélat, Norfolk est mort? + +L'ÉVÊQUE DE CARLISLE.--Aussi sûrement que je vis, milord. + +BOLINGBROKE.--Qu'une heureuse paix conduise sa belle âme dans le sein du +bon vieil Abraham!--Seigneurs appelants, vos défis resteront tous en +suspens jusqu'à ce que nous vous assignions le jour du combat. + +(Entre York avec sa suite.) + +YORK.--Puissant duc de Lancastre, je viens vers toi de la part de +Richard, dépouillé de ses plumes, qui t'adopte d'un coeur satisfait pour +son héritier, et met tes mains royales en possession de son auguste +sceptre. Monte sur le trône que tu hérites aujourd'hui de lui, et vive +Henri, le quatrième du nom! + +BOLINGBROKE.--C'est au nom de Dieu que je monte sur le trône royal. + +L'ÉVÊQUE DE CARLISLE.--Que Dieu vous en préserve!--Je parlerai mal en +votre royale présence; mais c'est à moi qu'il convient le mieux de dire +la vérité. Plût à Dieu qu'il y eût dans cette noble assemblée un homme +assez noble pour être le juge impartial du noble Richard: alors la vraie +noblesse lui apprendrait à éviter une injustice aussi odieuse! Quel +sujet peut prononcer l'arrêt de son roi? et qui de ceux qui siégent ici +n'est pas sujet de Richard? Les voleurs ne sont jamais jugés sans être +entendus, quelque évidente que soit en eux l'apparence du crime; et +l'image de la majesté de Dieu, son lieutenant, son fondé de pouvoirs, +son député choisi, oint, couronné et maintenu sur le trône depuis tant +d'années, sera jugé par des bouches sujettes et inférieures, et cela +sans même être présent! O Dieu! ne permets pas que dans un pays +chrétien, des âmes civilisées donnent l'exemple d'un attentat si odieux, +si noir, si indécent! Je parle à des sujets, et c'est un sujet qui +parle, animé par le ciel pour prendre hardiment la défense de son roi. +Milord d'Hereford, qui est ici présent, et que vous appelez roi, est un +insigne traître au roi du superbe Hereford: si vous le couronnez, je +vous prédis que le sang anglais engraissera la terre, et que les +générations futures payeront de leurs gémissements cet horrible forfait. +La paix ira dormir chez les Turcs et les infidèles; et dans ce séjour de +la paix, des guerres tumultueuses confondront les familles contre les +familles, les parents contre les parents; le désordre, l'horreur, la +crainte et la révolte habiteront parmi vous; et cette terre sera nommée +le champ de Golgotha et la place des crânes des morts. Oh! si vous +élevez cette maison contre cette maison, il en résultera les plus +désastreuses divisions qui jamais aient désolé ce monde maudit. Empêchez +cela, résistez; qu'il n'en soit pas ainsi, de peur que vos enfants et +les enfants de vos enfants ne crient sur vous: Malédiction! + +NORTHUMBERLAND.--Vous avez parlé à merveille, monsieur; et pour votre +peine, nous vous arrêtons ici comme coupable de haute trahison.--Lord +Westminster, chargez-vous de veiller sur sa personne jusqu'au jour de +son procès.--Vous plaît-il, milords, d'accorder aux communes leur +requête? + +BOLINGBROKE.--Qu'on introduise ici Richard, afin qu'il abdique +publiquement: alors nous procéderons à l'abri de tout soupçon. + +YORK.--Je vais me charger de l'amener. + +(Il sort.) + +BOLINGBROKE.--Vous, seigneurs, qui êtes ici arrêtés par nos ordres, +donnez vos cautions de vous représenter au jour où vous serez sommés de +répondre. (_A l'évêque de Carlisle:_)--Nous devons peu à votre affection +pour nous, et nous comptions peu sur votre secours. + +(Rentre York avec le roi Richard et des officiers portant la couronne.) + +RICHARD.--Hélas! pourquoi m'oblige-t-on de me rendre aux ordres d'un roi +avant que j'aie pu secouer encore les pensées royales qui ont accompagné +mon règne! Je n'ai pu encore apprendre à insinuer, à flatter, à me +courber, à fléchir le genou. Donnez au chagrin quelque temps pour +m'instruire à la soumission.--Cependant, je n'ai point encore oublié la +figure de ces hommes... Ne furent-ils pas à moi? ne m'ont-ils pas crié +parfois: Salut? C'est ce que Judas fit à Jésus-Christ; mais lui, sur +douze, il trouva la fidélité chez tous, sauf un seul; et moi, sur douze +mille, je n'en trouve chez aucun.--Dieu sauve le roi!--Quoi! personne ne +dira: _Amen?_ serai-je à la fois le prêtre et le clerc? Eh bien, _amen_, +Dieu sauve le roi, quoique ce ne soit pas moi; et _amen_ encore si le +ciel pense que c'est moi.--Pour rendre quel service m'amène-t-on ici? + +YORK.--Pour accomplir ce que de ta libre volonté ta grandeur fatiguée +t'a porté à offrir, la cession de ta puissance et de la couronne à Henri +Bolingbroke. + +RICHARD.--Donne-moi la couronne.--Cousin, la voilà; prends la couronne: +ma main de ce côté-ci; la tienne de ce côté-là.--Maintenant cette +couronne d'or ressemble à un puits profond... renfermant deux seaux qui +se remplissent l'un l'autre, toujours le vide se balance dans l'air, +tandis que l'autre est au bas, caché et plein d'eau: le seau d'en bas +est rempli de larmes; c'est moi qui m'abreuve de ma douleur, tandis que +vous vous élevez en haut. + +BOLINGBROKE.--J'avais cru que vous abdiquiez de bon gré. + +RICHARD.--Ma couronne, oui; mais mes chagrins me restent toujours. Vous +pouvez me déposer de mes titres et de ma grandeur, mais non pas de mes +chagrins; j'en suis toujours le roi. + +BOLINGBROKE.--Vous me donnez une partie de vos soucis avec votre +couronne. + +RICHARD.--Vos soucis en croissant ne diminuent pas les miens: mes soucis +viennent de la perte des soucis qui ont fait longtemps mon souci. Votre +souci est le souci de gagner, causé par de nouveaux soucis. Les soucis +que je vous cède, je les ai toujours après les avoir cédés: ils suivent +la couronne; et cependant ils ne me quitteront point. + +BOLINGBROKE.--Êtes-vous satisfait de renoncer à la couronne? + +RICHARD.--Oui, non... non, oui[25]; car je ne dois être rien. Par +conséquent, non, car je te résigne ce que je suis.--Maintenant, voyez +comment je me dépouille moi-même. Je décharge ma tête de ce lourd +fardeau, et mon bras de ce sceptre pesant; j'arrache de mon coeur +l'orgueil du pouvoir royal; j'efface de mes larmes l'onction que j'ai +reçue, je donne ma couronne de mes propres mains; j'abjure de ma propre +bouche ma grandeur sacrée, et ma propre voix délie tous mes sujets de +leurs serments d'obéissance; je renonce solennellement à toute pompe et +à toute majesté; j'abandonne tous mes manoirs, domaines, revenus; je +rétracte tous mes actes, décrets et statuts. Que Dieu pardonne tous les +serments violés envers moi! Que Dieu conserve inviolables, tous les +serments qu'on te fait! qu'il m'ôte tout regret, à moi qui ne possède +plus rien; et qu'il te contente en tout, toi qui as tout acquis! +Puisses-tu vivre longtemps assis sur le trône de Richard! Puisse Richard +descendre bientôt dans le sein de la terre! Dieu conserve le roi Henri +et qu'il lui envoie de longues années de jours radieux! Ainsi dit +Richard, qui n'est plus roi. Que faut-il de plus? + +[Note 25: _Ay, no, no, ay, for I must nothing be._ Vous me demandez si +je suis satisfait, comme je ne dois être rien, je ne puis être +satisfait, c'est donc: oui et non, non et oui. _Ay, no. No, ay._] + +NORTHUMBERLAND _lui présente un écrit._--Rien que de lire vous-même ces +accusations, ces crimes terribles commis par votre personne et par vos +adhérents contre la gloire et les intérêts du pays, afin que, d'après +vos aveux, les âmes des hommes puissent croire que vous êtes justement +déposé. + +RICHARD.--Faut-il que je fasse cela, et faut-il que je démêle +péniblement le tissu de mes égarements? Cher Northumberland, si tes +fautes étaient écrites, ne serais-tu pas honteux d'en faire la lecture +devant une si brillante assemblée? Si tu la faisais, tu y trouverais un +article bien odieux... celui qui contiendrait la déposition d'un roi, et +la violente lacération du puissant contrat des serments, crime marqué de +noir et condamné dans le livre du ciel.--Et vous tous qui restez là à me +regarder pris au piége par ma propre misère (bien que quelques-uns de +vous, avec Pilate, en lavent leurs mains et affectent une pitié +extérieure), tout Pilate que vous êtes, vous m'avez abandonné aux +amertumes de ma croix, et l'eau ne saurait laver votre péché. + +NORTHUMBERLAND.--Seigneur, hâtez-vous: lisez ces articles. + +RICHARD.--Mes yeux sont pleins de larmes, je ne peux voir; et cependant +l'eau salée ne les aveugle pas tant que je ne voie bien encore une +troupe de traîtres ici. Eh quoi! si je tourne mes regards sur moi-même, +j'y vois un traître comme les autres, car j'ai donné ici le consentement +de ma volonté pour dépouiller la majestueuse personne d'un roi, avilir +sa gloire, changer le souverain en esclave, faire de la majesté un +sujet, et de la grandeur royale un paysan. + +NORTHUMBERLAND.--Seigneur! + +RICHARD.--Je ne suis pas ton seigneur, homme hautain et arrogant; je ne +suis le seigneur de personne; je n'ai point de nom, point de titre, pas +même le nom qui me fut donné sur les fonts baptismaux, qui ne soit +usurpé.--O jour malheureux! que j'aie vu tant d'hivers, et que je ne +sache de quel nom m'appeler aujourd'hui! Oh! que ne suis-je une figure +de roi en neige exposé au soleil de Bolingbroke, pour me fondre en +gouttes d'eau!--Bon roi... grand roi (et cependant non pas grandement +bon), si ma parole vaut encore quelque chose en Angleterre, qu'à mon +ordre on m'apporte sur-le-champ un miroir, afin qu'il me montre quel air +a mon visage depuis qu'il a fait faillite de sa majesté royale. + +BOLINGBROKE.--Allez, quelqu'un; qu'on apporte un miroir. + +(Sort un homme de suite.) + +NORTHUMBERLAND.--Lisez cet écrit pendant qu'on va chercher le miroir. + +RICHARD.--Démon, tu me tourmentes avant que je sois en enfer. + +BOLINGBROKE.--Lord Northumberland, n'insistez plus. + +NORTHUMBERLAND.--Alors les communes ne seront pas satisfaites. + +RICHARD.--Elles seront satisfaites: j'en lirai assez lorsque je verrai +le véritable livre où tous mes péchés sont inscrits; ce livre c'est +moi-même. (_On apporte un miroir._)--Donnez-moi ce miroir; c'est là que +je veux lire.--Quoi! ces rides ne sont pas plus profondes? Quoi! la +douleur a frappé tant de coups sur ce visage, et n'y a pas fait des +plaies plus profondes? O miroir flatteur, tu fais comme mes courtisans +au temps de ma prospérité, tu me trompes! Est-ce là le visage de celui +qui sous le toit de sa demeure entretenait chaque jour dix mille +personnes? Est-ce là ce visage qui, comme le soleil, faisait cligner les +yeux à ceux qui le contemplaient? Est-ce là le visage qui a soutenu tant +de folie, et qui a été à la fin éclipsé par Bolingbroke? C'est une +gloire fragile que celle qui brille sur ce visage, et ce visage est +aussi fragile que la gloire (_il jette contre terre le miroir qui se +brise_), car le voilà brisé en mille éclats.--Fais attention, roi +silencieux, à la moralité de ce jeu.--Comme mon chagrin a vite détruit +mon visage! + +BOLINGBROKE.--L'image de votre chagrin a détruit l'image de votre +figure. + +RICHARD.--Répétez-moi cela: «l'image de votre chagrin?» Ah! voyons: oui, +cela est vrai, mon chagrin est tout entier au dedans, et ces formes +extérieures de deuil ne sont que des ombres du chagrin caché qui se +gonfle en silence dans l'âme torturée. C'est là que vit le chagrin +lui-même; et je te remercie, roi, de ta grande bonté, qui non-seulement +me donne sujet de gémir, mais m'apprend de quelle manière je dois +gémir.--Je ne vous demanderai plus qu'une grâce, et après je me retire; +je ne vous importunerai plus: l'obtiendrai-je? + +BOLINGBROKE.--Nommez-la, beau cousin. + +RICHARD.--Beau cousin! Eh quoi! je suis plus grand qu'un roi; car, +lorsque j'étais roi, je n'étais flatté que par des sujets; et maintenant +que je ne suis plus qu'un sujet, j'ai ici un roi pour flatteur. Puisque +je suis si grand, je n'ai pas besoin de demander de grâce. + +BOLINGBROKE.--Demandez toujours. + +RICHARD.--Et l'obtiendrai-je? + +BOLINGBROKE.--Vous l'obtiendrez. + +RICHARD.--Eh bien, donnez-moi la permission de m'en aller. + +BOLINGBROKE.--Où? + +RICHARD.--Où vous voudrez, pourvu que je sois loin de votre vue. + +BOLINGBROKE.--Allez, quelques-uns de vous: qu'on le conduise à la Tour. + +RICHARD.--Oh! vous êtes très-bons pour me conduire[26]; vous êtes tous +des gens de conduite, vous qui savez si lestement vous élever sur la +chute d'un roi légitime. + +(Sortent Richard, quelques-uns des lords et une garde.) + +[Note 26: _O good! convey, conveyors are you all._ + +_Convey_, _conveyor_, signifie aussi escamoter, escamoteur. Il était +impossible de donner un sens en français à cette plaisanterie en +traduisant littéralement.] + +BOLINGBROKE.--C'est à mercredi prochain que nous fixons le jour de notre +couronnement. Seigneurs, préparez-vous. + +(Tous sortent, excepté l'abbé de Westminster, l'évêque de Carlisle, +Aumerle.) + +L'ABBÉ DE WESTMINSTER.--Nous avons vu là une triste cérémonie. + +L'ÉVÊQUE DE CARLISLE.--La tristesse est à venir: les enfants qui ne sont +pas encore nés sentiront ce jour les déchirer comme une épine. + +AUMERLE.--Vous, saints ecclésiastiques, dites-nous, n'est-il point de +moyen pour délivrer le royaume de cette pernicieuse souillure? + +L'ABBÉ DE WESTMINSTER.--Avant que je vous explique librement ma pensée, +il faudra que vous vous engagiez par serment, non-seulement à tenir mes +projets ensevelis, mais à exécuter tout ce que je pourrai imaginer.--Je +vois que vos regards sont remplis de mécontentement, vos coeurs de +chagrin, et vos yeux de larmes. Venez souper chez moi, et je préparerai +un plan qui nous ramènera à tous des jours de bonheur. + +(Ils sortent.) + +FIN DU QUATRIÈME ACTE. + + + + + ACTE CINQUIÈME + + + + +SCÈNE I + +Une des rues conduisant à la Tour. + +_Entrent_ LA REINE _et ses dames_. + + +_LA REINE._--C'est par cette rue que le roi va passer: voilà le chemin +de cette Tour qu'à la maleheure a bâtie Jules César[27], et dont le sein +de pierre devient, par arrêt de l'orgueilleux Bolingbroke, la prison de +mon seigneur condamné.--Reposons-nous ici, si cette terre rebelle a +encore un lieu de repos pour la reine de son légitime souverain! (_Entre +le roi Richard conduit par des gardes._) Mais paix; ah! que je voie... +ou plutôt ne voyons pas se flétrir ma belle rose. Et cependant, levons +les yeux, regardons-le, afin que la pitié nous dissolve en rosée pour +lui rendre sa fraîcheur en l'arrosant des larmes du fidèle amour.--O +toi, l'image des lieux où fut la vieille Troie, carte d'honneur, tombeau +du roi Richard et non plus le roi Richard, toi la plus belle des +demeures, pourquoi faut-il que le chagrin au sombre visage habite chez +toi, tandis que le succès triomphant s'est logé dans un cabaret? + +[Note 27: La tradition en Angleterre attribue à César l'érection de la +Tour de Londres.] + +RICHARD.--Femme charmante, ne te ligue pas avec ma douleur, je t'en +prie, pour me faire mourir trop promptement. Apprends, bonne âme, à +tenir notre ancienne fortune comme un songe heureux dont nous nous +réveillons pour voir dans l'état où nous sommes réduits la vérité de ce +que nous sommes. Me voilà, ma douce amie, devenu l'inséparable frère de +la hideuse nécessité; elle et moi nous sommes liés jusqu'à la +mort.--Retire-toi en France, et va te cloîtrer dans quelque maison +religieuse: il faut qu'une sainte vie nous gagne dans un monde nouveau +la couronne que nos heures profanes ont abattue ici. + +LA REINE.--Quoi! l'âme de mon Richard est-elle donc changée et affaiblie +comme sa personne? Bolingbroke a-t-il aussi déposé ta raison? est-il +entré dans ton coeur? Le lion mourant avance encore la griffe, et, dans +la rage de se voir dompté, déchire la terre s'il ne peut atteindre autre +chose; et toi, subiras-tu patiemment la correction comme un écolier? +Baiseras-tu la verge? flatteras-tu avec une basse humilité la fureur de +tes ennemis, toi qui es un lion et le roi des animaux? + +RICHARD.--Oui, roi des animaux: si j'avais gouverné autre chose que des +animaux, je régnerais encore heureux sur les hommes.--Ma bien-aimée, +autrefois reine, prépare-toi à partir pour la France; suppose que je +suis mort, et qu'ici, dans cet instant; tu reçois de moi, comme de mon +lit de mort, mon dernier adieu de vivant. Dans les ennuyeuses soirées de +l'hiver, assise auprès d'un foyer avec quelques bons vieillards, +fais-toi raconter les histoires des siècles malheureux passés depuis +longtemps; et avant de leur souhaiter le bonsoir, pour acquitter ta part +de douleurs, dis-leur ma lamentable chute, et renvoie tes auditeurs +pleurants à leurs lits.--Eh quoi! aux tristes accents de ta voix +touchante, les insensibles tisons eux-mêmes, émus de sympathie, +éteindront le feu sous les larmes de leur compassion; et les uns sous +leurs cendres, les autres, noirs comme le charbon, pleureront la +déposition d'un roi légitime. + +(Entrent Northumberland et une suite.) + +NORTHUMBERLAND.--Seigneur, les intentions de Bolingbroke sont changées: +c'est à Pomfret, et non à la Tour, qu'il faut vous rendre.--Et vous, +madame, je suis aussi chargé d'ordres pour vous: il vous faut partir +sans délai pour la France. + +RICHARD.--Northumberland, toi l'échelle au moyen de laquelle l'ambitieux +Bolingbroke monte sur mon trône, le temps n'aura pas vieilli d'un grand +nombre d'heures avant que ton odieux péché, se grossissant de sa propre +matière, n'éclate en pourriture. Quand Bolingbroke partagerait son +royaume et t'en donnerait la moitié, tu penseras que c'est trop peu pour +l'avoir aidé à s'emparer du tout; et lui, il pensera que toi qui sais le +moyen d'établir les rois illégitimes, tu sauras aussi, sous le moindre +prétexte, trouver un autre moyen de le renverser la tête la première de +son trône usurpé. L'attachement des amis pervers se convertit en +défiance, la défiance en haine; et la haine conduit l'un, ou tous deux +ensemble, à de justes périls et à une mort méritée. + +NORTHUMBERLAND.--Que mon crime retombe sur ma tête, et que tout finisse +là. Faites-vous vos adieux et séparez-vous, car il faut vous quitter sur +l'heure. + +RICHARD.--Accablé d'un double divorce! Méchants hommes, vous violez une +double union; d'abord entre ma couronne et moi, et puis entre moi et la +femme que j'ai épousée.--Délions par un baiser le serment qui subsiste +entre toi et moi: et cependant cela ne se peut, car il fut consacré par +un baiser[28].--Sépare-nous, Northumberland: moi pour aller vers le +nord, où le froid transi et la maladie font languir le pays; ma femme +pour aller en France, d'où elle est venue avec pompe et parée comme le +doux mois de mai, et où elle est renvoyée comme la Toussaint, ou comme +le jour le plus court. + +[Note 28: C'était alors l'usage de consacrer, à l'église même, l'union +nuptiale par un baiser.] + +LA REINE.--Eh quoi! faut-il qu'on nous sépare? faut-il nous quitter? + +RICHARD.--Oui, ma bien-aimée, ta main de ma main, et ton coeur de mon +coeur. + +LA REINE.--Bannissez-nous tous deux, et renvoyez le roi avec moi. + +NORTHUMBERLAND.--Il y aurait à cela quelque bonté, mais peu de +politique. + +LA REINE.--Eh bien, là où il va, laissez-moi y aller aussi. + +RICHARD.--Pleurant ainsi tous deux ensemble, nous ne ferions qu'une +seule douleur. Pleure pour moi en France, je pleurerai ici pour toi: il +vaut mieux être loin l'un de l'autre, que réunis pour n'être jamais plus +heureux[29]. Va, compte tes pas par tes soupirs, et moi les miens par +mes gémissements. + +[Note 29: _Be never the near,_ n'avoir rien gagné, n'être jamais plus +près de ce qu'on désire.] + +LA REINE.--Ainsi le chemin plus long fournira les plus longues plaintes. + +RICHARD.--Je pousserai deux gémissements à chaque pas puisque mon chemin +est court, et je l'allongerai par le poids que j'ai sur le coeur. +Allons, allons, ne faisons pas plus longtemps la cour à la douleur, +puisqu'une fois qu'on l'a épousée la douleur dure si longtemps. Qu'un +baiser nous ferme la bouche, et séparons-nous en silence. (_Ils +s'embrassent._) Dans ce baiser je te donne mon coeur, et je prends le +tien. + +LA REINE.--Rends-moi le mien: c'est un triste rôle que de prendre ton +coeur pour le tuer. (_Ils s'embrassent encore une fois._) Maintenant que +j'ai repris le mien, va-t'en; que je puisse m'efforcer de le tuer d'un +seul gémissement. + +RICHARD.--Nous jouons avec le malheur dans ces tendres délais. Encore +une fois, adieu: que la douleur dise le reste. + +(Ils sortent.) + + + + +SCÈNE II + +La scène est toujours à Londres.--Un appartement dans le palais du duc +d'York. + +_Entrent_ YORK et LA DUCHESSE D'YORK. + + +LA DUCHESSE D'YORK.--Milord, vous m'aviez promis de m'achever le récit +de l'entrée de nos deux cousins dans Londres, lorsque vos larmes vous +ont forcé de l'interrompre. + +YORK.--Où en suis-je resté? + +LA DUCHESSE D'YORK.--A ce triste moment où des mains brutales et +insolentes jetaient, du haut des fenêtres, de la poussière et des +ordures sur la tête du roi Richard. + +YORK.--Alors, comme je vous l'ai dit, le duc, le grand Bolingbroke, +monté sur un bouillant et fougueux coursier qui semblait connaître son +ambitieux maître, poursuivait sa marche à pas lents et majestueux, +tandis que toutes les voix criaient: «Dieu te garde, Bolingbroke!» Vous +auriez cru que les fenêtres parlaient, tant s'y pressaient les figures +de tout âge, jeunes et vieilles, pour lancer à travers les ouvertures +d'avides regards sur le visage de Bolingbroke: on eût dit que toutes les +murailles, chargées d'images peintes, répétaient à la fois: «Jésus te +conserve! sois le bienvenu, Bolingbroke!» tandis que lui, se tournant de +côté et d'autre, la tête découverte et courbée plus bas que le cou de +son fier coursier, leur disait: «Je vous remercie, mes compatriotes.» Et +faisant toujours ainsi, il continuait sa marche. + +LA DUCHESSE D'YORK.--Hélas! et le pauvre Richard, que faisait-il alors? + +YORK.--Comme dans un théâtre, lorsqu'un acteur favori vient de quitter +la scène, les yeux des spectateurs se portent négligemment sur celui qui +lui succède, tenant son bavardage pour ennuyeux; ainsi, et avec plus de +mépris encore, les yeux du peuple s'arrêtaient d'un air d'aversion sur +Richard. Pas un seul n'a crié: Dieu le sauve! Pas une voix joyeuse ne +lui a souhaité la bienvenue; mais on répandait la poussière sur sa tête +sacrée; et lui la secouait avec une tristesse si douce, une expression +si combattue entre les pleurs et le sourire, gages de sa douleur et de +sa patience; que si Dieu, pour quelque grand dessein, n'avait pas +endurci les coeurs des hommes, ils auraient été forcés de s'attendrir, +et la barbarie elle-même eût eu compassion de lui. Mais le ciel a mis la +main à ces événements; tranquilles et satisfaits, nous nous soumettrons +à sa haute volonté, Notre foi de sujet est maintenant jurée à +Bolingbroke dont je reconnais pour toujours la puissance et les droits. + +(Entre Aumerle.) + +LA DUCHESSE D'YORK.--Voici mon fils Aumerle. + +YORK.--Il fut Aumerle jadis, mais il a perdu ce titre pour avoir été +l'ami de Richard; et il faut désormais, madame, que vous l'appeliez +Rutland. Je suis caution, devant le parlement, de sa fidélité et de sa +ferme loyauté envers le nouveau roi. + +LA DUCHESSE D'YORK.--Sois le bienvenu, mon fils. Quelles sont les +violettes parsemées maintenant sur le sein verdoyant du nouveau +printemps? + +AUMERLE.--Madame, je l'ignore et ne m'en embarrasse guère. Dieu sait +qu'il m'est indifférent d'en être ou de n'en pas être. + +YORK.--A la bonne heure; mais comportez-vous bien dans cette saison +nouvelle, de peur d'être moissonné avant le temps de la maturité. Que +dit-on d'Oxford? Les joutes et les fêtes continuent-elles? + +AUMERLE.--Oui, milord, à ce que j'ai ouï dire. + +YORK.--Vous y serez, je le sais. + +AUMERLE.--Si Dieu ne s'y oppose, c'est mon dessein. + +YORK.--Quel est ce sceau qui pend de ton sein[30]?--Eh quoi! tu pâlis? +Laisse-moi voir cet écrit. + +[Note 30: L'usage était alors, comme on sait, d'apposer aux actes le +sceau suspendu par une bande de parchemin.] + +AUMERLE.--Milord, ce n'est rien. + +YORK.--En ce cas, peu importe qu'on le voie. Je veux être satisfait: +voyons cet écrit. + +AUMERLE.--Je conjure Votre Grâce de m'excuser: c'est un écrit de peu +d'importance, que j'ai quelque raison de tenir caché. + +YORK.--Et moi, monsieur, que j'ai quelque raison de vouloir connaître. +Je crains.... je crains.... + +LA DUCHESSE D'YORK.--Eh! que pouvez-vous craindre? Ce ne peut être que +quelque engagement qu'il aura contracté pour ses parures le jour du +triomphe. + +YORK.--Quoi! un engagement avec lui-même? Comment aurait-il entre ses +mains l'engagement qui le lie? Tu es folle, ma femme.--Jeune homme, +fais-moi voir cet écrit. + +AUMERLE.--Je vous en conjure, excusez-moi: je ne puis le montrer. + +YORK.--Je veux être obéi; je veux le voir, te dis-je. (_Il lui arrache +l'écrit et le lit._)--Trahison! noire trahison!--Déloyal! traître! +misérable! + +LA DUCHESSE D'YORK.--Qu'est-ce que c'est, milord? + +YORK.--Holà! quelqu'un ici. _(Entre un serviteur._)--Qu'on selle mon +cheval.--Le ciel lui fasse miséricorde!--Quelle trahison je découvre +ici! + +LA DUCHESSE D'YORK.--Comment? qu'est-ce, milord? + +YORK.--Donnez-moi mes bottes, vous dis-je. Sellez mon cheval.--Oui, sur +mon honneur, sur ma vie, sur ma foi, je vais dénoncer le scélérat! + +LA DUCHESSE D'YORK.--Qu'il y a-t-il donc? + +YORK.--Taisez-vous, folle que vous êtes. + +LA DUCHESSE D'YORK.--Je ne me tairai point.--De quoi s'agit-il, mon +fils? + +AUMERLE.--Calmez-vous, ma bonne mère: de rien dont ne puisse répondre ma +pauvre vie. + +LA DUCHESSE D'YORK.--Ta vie en répondre! + +(Entre un valet apportant des bottes.) + +YORK.--Donne-moi mes bottes. Je veux allez trouver le roi. + +LA DUCHESSE D'YORK.--Aumerle, frappe-le.--Pauvre enfant, tu es tout +consterné. _(Au valet._)--Loin d'ici, malheureux! ne reparais jamais en +ma présence. + +YORK.--Donne-moi mes bottes, te dis-je. + +LA DUCHESSE D'YORK.--Quoi donc, York, que veux-tu faire? Quoi! tu ne +cacheras pas la faute de ton propre sang? Avons-nous d'autres fils? +pouvons-nous en espérer d'autres? le temps n'a-t-il pas épuisé la +fécondité de mon sein? Et tu veux enlever à ma vieillesse mon aimable +fils, et me dépouiller de l'heureux titre de mère! Ne te ressemble-t-il +pas? n'est-il pas à toi? + +YORK.--Femme faible et insensée, veux-tu donc celer cette noire +conspiration? Ils sont là douze traîtres qui ont ici pris par serment et +réciproquement signé l'engagement d'assassiner le roi à Oxford. + +LA DUCHESSE D'YORK.--Il n'en sera pas: nous le garderons ici; et alors +comment pourra-t-il s'en mêler? + +YORK.--Laisse-moi, femme inconsidérée: fût-il vingt fois mon fils, je le +dénoncerais. + +LA DUCHESSE D'YORK.--Ah! si tu avais poussé pour lui autant de +gémissements que moi, tu serais plus pitoyable. Mais je sais maintenant +ce que tu penses: tu soupçonnes que j'ai été infidèle à ta couche; et +qu'il est un bâtard au lieu d'être ton fils. Ah! cher York, cher époux, +n'aie pas cette pensée; il te ressemble autant qu'homme puisse +ressembler à un autre; il ne me ressemble pas, ni à personne de ma +famille, et pourtant je l'aime. + +YORK.--Laisse-moi passer, femme indisciplinée. + +(Il sort.) + +LA DUCHESSE D'YORK.--Va après lui, Aumerle: monte son cheval; pique, +presse, arrive avant lui auprès du roi, et implore ta grâce avant qu'il +t'accuse. Je ne tarderai pas à te suivre: quoique vieille, je ne doute +pas que je ne puisse galoper aussi vite qu'York. Je ne me relèverai +point de terre que Bolingbroke ne t'ait pardonné. Partons. Va-t'en. + +(Ils sortent.) + + + + +SCÈNE III + +La scène est à Windsor.--Un appartement dans le château. + +_Entrent_ BOLINGBROKE _en roi_, PERCY _et autres seigneurs_. + + +BOLINGBROKE.--Personne ne peut-il me donner des nouvelles de mon +débauché de fils? Il y a trois mois entiers que je ne l'ai vu. S'il est +quelque fléau dont le ciel nous menace, c'est lui. Plût à Dieu, milords, +qu'on pût le découvrir! Faites chercher à Londres, dans toutes les +tavernes; car on dit qu'il les hante journellement avec des compagnons +sans moeurs et sans frein, de ceux-là mêmes, dit-on, qui se tiennent +dans des ruelles étroites, où ils battent notre garde et volent les +passants! Et lui, jeune étourdi, jeune efféminé, il se fait un point +d'honneur de soutenir cette bande dissolue! + +PERCY.--Seigneur, il n'y a guère que deux jours que j'ai vu le prince, +et je lui ai parle des tournois qui se tiennent à Oxford. + +BOLINGBROKE.--Et qu'a répondit ce galant? + +PERCY.--Sa réponse fut qu'il irait dans un mauvais lieu[31], qu'il +arracherait à la plus vile des créatures qui s'y trouveraient un de ses +gants, qu'il le porterait comme une faveur, et qu'avec ce gage il +désarçonnerait le plus robuste agresseur. + +[Note 31: _..... Unto the stews._] + +BOLINGBROKE.--Aussi dissolu que téméraire: et cependant, au travers de +tout cela, j'entrevois quelques étincelles d'espérance qu'un âge plus +mûr pourra peut-être développer heureusement.--Mais qui vient à nous? + +(Entre Aumerle.) + +AUMERLE.--Où est le roi? + +BOLINGBROKE.--Que veut dire notre cousin avec cet air de trouble et +d'effroi? + +AUMERLE.--Que Dieu garde Votre Grâce! Je conjure Votre Majesté de +m'accorder un moment d'entretien, seul avec Votre Grâce. + +BOLINGBROKE, _aux lords._--Retirez-vous, et laissez-nous seuls ici. +(_Percy et les lords se retirent._)--Que nous veut maintenant notre +cousin? + +AUMERLE, _s'agenouillant._--Que mes genoux restent pour toujours +attachés à la terre, et ma langue fixée dans ma bouche à mon palais, si +vous ne me pardonnez avant que je me relève ou que je parle. + +BOLINGBROKE.--La faute n'est-elle que dans l'intention, ou déjà commise? +Dans le premier cas, quelque odieuse qu'elle puisse être, pour gagner +ton amitié à l'avenir, je te pardonne. + +AUMERLE.--Permettez-moi donc de tourner la clef, afin que personne +n'entre jusqu'à ce que je vous aie tout dit. + +BOLINGBROKE.--Fais ce que tu voudras. + +(Aumerle ferme la porte.) + +YORK, _en dehors._--Prends garde, mon souverain; veille à ta sûreté; tu +as un traître en ta présence. + +BOLINGBROKE, _tirant son épée._--Scélérat! je vais m'assurer de toi. + +AUMERLE.--Retiens ta main vengeresse; tu n'as aucun sujet de craindre. + +YORK, _en dehors._--Ouvre la porte; prends garde, roi follement +téméraire. Ne pourrai-je, au nom de mon attachement, accuser devant toi +la trahison? Ouvre la porte, ou je vais la briser. + +(Bolingbroke ouvre la porte.) + +(Entre York.) + +BOLINGBROKE.--Qu'y a-t-il, mon oncle? parlez. Reprenez haleine; +dites-nous si le danger presse, afin que nous nous armions pour le +repousser. + +YORK.--Parcours cet écrit, et tu connaîtras la trahison que ma course +rapide m'empêche de te développer. + +AUMERLE.--Souviens-toi, en lisant, de ta parole donnée. Je suis +repentant: ne lis plus mon nom dans cette liste; mon coeur n'est point +complice de ma main. + +YORK.--Traître, il l'était avant que ta main eût signé.--Roi, je l'ai +arraché du sein de ce traître: c'est la crainte et non l'amour qui +engendre son repentir. Oublie ta pitié pour lui, de peur que ta pitié ne +devienne un serpent qui te percera le coeur. + +BOLINGBROKE.--O conspiration odieuse, menaçante et audacieuse! O père +loyal d'un fils perfide! O toi, source argentée, pure et immaculée, d'où +ce ruisseau a pris son cours à travers des passages fangeux qui l'ont +sali; comme le surcroît de ta bonté s'est en lui changé en méchanceté, +de même cette bonté surabondante excusera la faute mortelle de ton +coupable fils. + +YORK.--Ainsi ma vertu servira d'entremetteur à ses vices[32]; il +dépensera mon honneur à réparer sa honte, comme ces fils prodigues qui +dépensent l'or amassé par leurs pères. Pour que mon honneur vive, il +faut que son déshonneur périsse; ou bien son déshonneur va couvrir ma +vie d'infamie. Tu me tues en lui permettant de vivre: si tu lui laisses +le jour, le traître vit et tu mets à mort le sujet fidèle. + +[Note 32: _So shall my virtue be his vice's bawd._] + +LA DUCHESSE D'YORK, _en dehors_.--De grâce, mon souverain, pour l'amour +de Dieu, laisse-moi entrer. + +BOLINGBROKE.--Quelle suppliante à la voix grêle pousse ces cris +empressés? + +LA DUCHESSE D'YORK.--Une femme, ta tante, grand roi. C'est moi, +écoute-moi, aie pitié de moi; ouvre la porte: c'est une mendiante qui +mendie sans avoir jamais mendié[33], moi qui ne demandai jamais. + +[Note 33: _A beggar begs, that never begg'd before._ + +C'est sur ce mot _beggar_ que porte la plaisanterie de Bolingbroke. + + _Our scene is alter'd from a serious thing, + And now chang'd to the Beggar and the king._ + +_The beggar_ était, comme on l'a déjà fait voir dans les notes de _Roméo +et Juliette_, une ballade alors très-connue.] + +BOLINGBROKE.--Voilà notre scène changée: nous passons d'une chose +sérieuse à _la mendiante avec le roi_.--Mon dangereux cousin, faites +entrer votre mère: je vois bien qu'elle vient intercéder pour votre +odieux forfait. + +YORK.--Si tu lui pardonnes, qui que ce soit qui te prie, ce pardon +pourra faire germer d'autres crimes. Retranche ce membre corrompu, et +tous les autres restent sains. Si tu l'épargnes, il corrompra tout le +reste. + +(Entre la duchesse d'York.) + +LA DUCHESSE D'YORK.--O roi! ne crois pas cet homme au coeur dur: celui +qui ne s'aime pas lui-même ne peut aimer personne. + +YORK.--Femme extravagante, que fais-tu ici? Ton sein flétri veut-il une +seconde fois nourrir un traître? + +LA DUCHESSE D'YORK.--Cher York, calmez-vous.--Mon gracieux souverain, +écoutez-moi. + +(Elle se met à genoux.) + +BOLINGBROKE.--Levez-vous, ma bonne tante. + +LA DUCHESSE D'YORK.--Non, pas encore, je t'en conjure: je resterai +prosternée sur mes genoux, et jamais je ne reverrai le jour que voient +les heureux, que tu ne m'aies rendue à la joie, que tu ne m'aies dit de +me réjouir en pardonnant à Rutland, à mon coupable enfant. + +AUMERLE, _se mettant à genoux._--Et moi je courbe les genoux pour m'unir +aux prières de ma mère. + +YORK, _se mettant à genoux._--Et moi je courbe mes genoux fidèles pour +prier contre tous les deux. Si tu accordes la moindre grâce, puisse-t-il +t'en mal arriver! + +LA DUCHESSE D'YORK.--Ah! croyez-vous qu'il parle sérieusement? Voyez son +visage: ses yeux ne versent point de larmes, sa prière n'est qu'un jeu, +ses paroles ne viennent que de sa bouche, les nôtres viennent du coeur: +il ne vous prie que faiblement, et désire qu'on le refuse; mais nous, +nous vous prions du coeur, de l'âme, de tout le reste: ses genoux +fatigués se lèveraient avec joie, je le sais; et les nôtres resteront +agenouillés jusqu'à ce qu'ils s'unissent à terre. Ses prières sont +remplies d'une menteuse hypocrisie; les nôtres sont pleines d'un vrai +zèle et d'une intégrité profonde. Nos prières surpassent les siennes: +qu'elles obtiennent donc cette miséricorde due aux prières véritables. + +BOLINGBROKE.--Ma bonne tante, levez-vous. + +LA DUCHESSE D'YORK.--Ne me dis point _levez-vous_, mais d'abord _je +pardonne_; et tu diras ensuite _levez-vous_. Ah! si j'avais été ta +nourrice et chargée de t'apprendre à parler, _je pardonne_ eut été pour +toi le premier mot de la langue. Jamais je n'ai tant désiré entendre un +mot. Roi, dis: _Je pardonne_; que la pitié t'enseigne à le prononcer. Le +mot est court, mais moins court qu'il n'est doux: il n'en est point qui +convienne mieux à la bouche des rois que: _je pardonne_. + +YORK.--Parle-leur français, roi; dis-leur: _Pardonnez-moi_[34]. + +[Note 34: _Speak in French, king; say_--pardonnez-moi. + +Shakspeare en veut beaucoup au _pardonnez-moi_. Il paraît que de son +temps l'usage continuel et abusif de cette expression était le signe +caractéristique de l'affectation des manières françaises. Mais la +plaisanterie est ici d'autant plus mal placée, que cette manière de +s'excuser n'a rien de particulier au français: _pardon me_ est +continuellement employé dans ce même sens par Shakspeare, pas plus loin +que dans la scène précédente, où Aumerle refuse de donner à son père le +papier qu'il lui demande.] + +LA DUCHESSE D'YORK.--Dois-tu enseigner au pardon à détruire le pardon? +Ah! mon cruel mari, mon seigneur au coeur dur qui emploie ce mot contre +lui-même, prononce le pardon commun qui est d'usage dans notre pays; +nous ne comprenons pas ce jargon français. Tes yeux commencent à parler; +que ta langue s'y joigne, ou bien place ton oreille dans ton coeur +compatissant, afin qu'il entende le son pénétrant de nos plaintes et de +nos prières, et que la pitié t'excite à proférer le pardon. + +BOLINGBROKE.--Ma bonne tante, levez-vous. + +LA DUCHESSE D'YORK.--Je ne demande point à me relever: la grâce que je +sollicite, c'est que tu pardonnes. + +BOLINGBROKE.--Je lui pardonne, comme je désire que Dieu me pardonne. + +LA DUCHESSE D'YORK.--O heureuse victoire d'un genou suppliant! Et +pourtant je suis malade de crainte; répète-le: prononcer deux fois le +pardon, ce n'est pas pardonner deux fois, mais c'est fortifier un +pardon. + +BOLINGBROKE.--Je lui pardonne de tout mon coeur. + +LA DUCHESSE D'YORK.--Tu es un dieu sur la terre. + +BOLINGBROKE.--Mais pour notre loyal beau-frère et l'abbé, et tout le +reste de cette bande de conspirateurs, la destruction va leur courir sur +les talons.--Mon bon oncle, chargez-vous d'envoyer plusieurs +détachements à Oxford, ou en quelque autre lieu que se trouvent ces +traîtres: ils ne demeureront pas en ce monde, je le jure; mais je les +aurai si je sais une fois où ils sont. Mon oncle, adieu.--Et vous aussi, +cousin, adieu. Votre mère a su prier pour vous; devenez fidèle. + +LA DUCHESSE D'YORK.--Viens, mon vieux fils, je prie Dieu de faire de toi +un nouvel homme. + +(Ils sortent.) + + + + +SCÈNE IV + +_Entrent_ EXTON et UN SERVITEUR. + + +EXTON.--N'as-tu pas remarqué ce que le roi a dit? «N'ai-je point un ami +qui me délivre de cette crainte toujours vivante?» N'est-ce pas cela? + +LE SERVITEUR.--Ce sont ses propres paroles. + +EXTON.--«N'ai-je point un ami?» a-t-il dit. Il l'a répété deux fois, et +les deux fois il a répété les deux choses ensemble, n'est-il pas vrai? + +LE SERVITEUR.--Il est vrai. + +EXTON.--Et en disant ces mots, il me regardait fixement, comme s'il +voulait dire: «Je voudrais bien que tu fusses l'homme capable de +délivrer mon âme de cette terreur,» voulant dire le roi qui est à +Pomfret.--Viens, allons-y: je suis l'ami du roi, et je le débarrasserai +de son ennemi. + +(Ils sortent.) + + + + +SCÈNE V + +Pomfret.--La prison du château. + + +RICHARD _seul._ + +Je me suis occupé à étudier comment je pourrais comparer cette prison, +où je vis, avec le monde; mais comme le monde est peuplé d'hommes, et +qu'ici il n'y a pas une créature excepté moi, je ne puis y +réussir.--Cependant il faut que j'en vienne à bout. Ma cervelle +deviendra la femelle de mon âme; mon âme sera le père: à eux deux ils +engendreront une génération d'idées sans cesse productives, et toutes +ces idées peupleront ce petit monde, et le peupleront d'inconséquences, +comme en est peuplé l'univers; car il n'est point de pensée qui se +satisfasse. Dans la meilleure espèce de toutes, les pensées des choses +divines, il se rencontre des embarras, et elles mettent la parole en +opposition avec la parole; comme: _venez à moi, petits; et ailleurs: il +est aussi difficile de venir qu'il l'est à un chameau d'enfiler l'entrée +du trou d'une aiguille_[35]. Les pensées ambitieuses cherchent à +combiner des prodiges invraisemblables, comme de parvenir, avec ces +mauvais petits clous, à ouvrir un passage à travers les flancs pierreux +de ce monde si dur, des murs rocailleux de ma prison; et comme elles ne +peuvent réussir, elles meurent de leur propre orgueil. Les pensées qui +s'attachent au contentement flattent l'homme de cette considération +qu'il n'est pas le premier esclave de la fortune, et qu'il ne sera pas +le dernier; comme ces misérables mendiants qui, assis dans les ceps, +cherchent pour refuge contre la honte la pensée que d'autres s'y sont +assis, et que bien d'autres encore s'y assiéront, et trouvent dans cette +pensée une espèce d'aisance, portant ainsi leur opprobre sur le dos de +ceux qui avant eux en ont subi un semblable. De cette manière je +représente à moi seul bien des personnages dont aucun n'est content. +Quelquefois je suis le roi; et alors la trahison me fait souhaiter +d'être un mendiant, et je me fais mendiant. Mais alors l'accablante +indigence me persuade que j'étais mieux quand j'étais roi, et je +redeviens roi. Mais peu à peu je viens à songer que je suis détrôné par +Bolingbroke, et aussitôt je ne suis plus rien. Mais, quoi que je sois, +ni moi, ni aucun homme, n'étant qu'un homme, ne sera jamais satisfait de +rien, jusqu'à ce qu'il soit soulagé en n'étant plus rien. (_On entend de +la musique._)--Est-ce de la musique que j'entends?--La, la.... en +mesure.--Que la musique la plus mélodieuse est désagréable dès que la +mesure est rompue et que les temps ne sont pas observés! C'est la même +chose dans la musique de la vie humaine. Moi dont l'oreille est assez +délicate pour reprendre une fausse mesure dans un instrument mal +conduit, je n'ai pas eu assez d'oreille pour m'apercevoir que la mesure +qui devait entretenir l'accord entre ma puissance et mon temps était +rompue: j'abusais du temps, et à présent le temps abuse de moi, car il a +fait de moi l'horloge qui marque les heures: mes pensées sont les +minutes, et avec des soupirs elles frappent l'heure devant mes yeux, +montre extérieure à laquelle mon doigt, comme l'aiguille d'un cadran, +pointe toujours en essuyant leurs larmes: et maintenant, monsieur, le +son qui m'apprend quelle heure il est n'est autre que celui de mes +bruyants gémissements lorsqu'ils frappent sur mon coeur, qui est la +cloche. Ainsi, les soupirs, les larmes et les gémissements marquent les +minutes, les temps et les heures: mais mon temps s'enfuit rapidement +dans la joie orgueilleuse de Bolingbroke; tandis que je suis debout ici +comme un insensé, son jacquemard d'horloge[36].--Cette musique me rend +furieux; qu'elle cesse. Si quelquefois elle rappela des fous à la +raison, il me semble qu'en moi elle la ferait perdre à l'homme sage; et +cependant béni soit le coeur qui m'en fait don! car c'est une marque +d'amitié; et de l'amitié pour Richard est un étrange joyau dans ce +monde, où tous me haïssent. + +[Note 35: C'est ainsi qu'est rendu ce passage dans les anciennes +versions des livres saints. Les versions modernes lisant [Greek: +chamilos] au lieu de [Greek: chamêlos] disent un _câble_ au lieu d'_un +chameau_, ce qui paraît beaucoup plus vraisemblable.] + +[Note 36: _Jack of the clock._ Jacquemard, espèce de figure en bois +placée encore sur certaines anciennes horloges pour indiquer les +heures.] + +(Entre un valet d'écurie.) + +LE VALET.--Salut, royal prince. + +RICHARD.--Je te remercie, mon noble pair; le meilleur marché de nous +deux est de dix sous[37] trop cher.--Qui es-tu? et comment es-tu entré +ici, où n'entre jamais personne que ce mauvais chien qui m'apporte ma +nourriture pour prolonger la vie du malheur? + +[Note 37: _Ten groats._ Le _groat_ vaut quatre _pence_, c'est-à-dire +huit sous; ainsi, _ten groats_ donneraient une valeur de _quatre +francs_. Mais comme _groat_ est aussi le mot dont on se sert pour +exprimer une chose de peu de valeur, une extrêmement petite somme; à peu +près comme nous employons le mot _liard_, on a cru conserver mieux +l'esprit de cette phrase en traduisant _ten groats_ par _dix sous_, +qu'en exprimant leur valeur réelle.] + +LE VALET.--J'étais un pauvre valet de tes écuries, roi, lorsque tu étais +roi; et voyageant vers York, j'ai, avec beaucoup de peine, obtenu à la +fin la permission de revoir le visage de celui qui fut autrefois mon +maître. Oh! comme mon coeur a été navré lorsque j'ai vu dans les rues de +Londres, le jour du couronnement, Bolingbroke monté sur ton cheval rouan +Barbary, ce cheval que tu as monté si souvent, ce cheval que je pansais +avec tant de soin! + +RICHARD.--Il montait Barbary! Dis-moi, mon ami, comment allait-il sous +lui? + +LE VALET.--Avec tant de fierté qu'il semblait dédaigner la terre. + +RICHARD.--Si fier de porter Bolingbroke! Et cette rosse mangeait du pain +dans ma main royale, et il était fier quand il sentait ma main le +caresser! Ne devait-il pas broncher? ne devait-il pas tomber (puisqu'il +faut que l'orgueil tombe tôt ou tard) et rompre le cou à l'orgueilleux +qui usurpait ma place sur son dos?--Pardonne-moi, mon cheval; pourquoi +te ferais-je des reproches, puisque tu as été créé pour être soumis à +l'homme, et que tu es né pour porter? Moi, qui n'ai pas été créé cheval, +je porte mon fardeau comme un âne blessé de l'éperon et harassé par les +caprices de Bolingbroke. + +(Entre le geôlier avec un plat.) + +LE GEOLIER, _au valet._--Allons, videz les lieux; il n'y a pas à rester +ici plus longtemps. + +RICHARD.--Si tu m'aimes, il est temps que tu te retires. + +LE VALET.--Ce que ma langue n'ose exprimer, mon coeur vous le dit. + +(Il sort.) + +LE GEOLIER.--Seigneur, vous plaît-il de commencer? + +RICHARD.--Goûte le premier, suivant ta coutume. + +LE GEOLIER.--Seigneur, je n'ose: sir Pierce d'Exton, qui vient d'arriver +de la part du roi, me commande le contraire. + +RICHARD.--Le diable emporte Henri de Lancastre et toi! La patience est +usée, et j'en suis las. + +(Il frappe le geôlier.) + +LE GEOLIER.--Au secours, au secours, au secours! + +(Entrent Exton et plusieurs serviteurs armés.) + +RICHARD.--Qu'est-ce que c'est? à qui en veut la mort dans cette brusque +attaqué?--Scélérat! (_Il arrache à un soldat l'arme qu'il porte et le +tue._) Ta propre main me cède l'instrument de ta mort.--Et toi, va +remplir une autre place dans les enfers. (_Il en tue encore un +autre._--_Alors Exton le frappe et le renverse._) La main sacrilège qui +me poignarde brûlera dans des flammes qui ne s'éteindront +jamais.--Exton, ta main féroce a souillé du sang de ton roi le royaume +du roi.--Monte, monte, mon âme, ton trône est là-haut; tandis que ce +corps charnel tombe sur la terre pour y mourir. + +(Il meurt.) + +EXTON.--Il était aussi plein de valeur que de sang royal: j'ai répandu +l'un et l'autre.--Oh! plût au ciel que cette action fût innocente! Le +démon, qui m'avait dit que je faisais bien, me dit à présent que cette +action est inscrite dans l'enfer. Je veux aller porter ce roi mort au +roi vivant.--Qu'on emporte les autres, et qu'on leur donne ici la +sépulture. + +(Ils sortent.) + + + + +SCÈNE VI + +Windsor.--Un appartement dans le château. + +_Fanfares._--_Entrent_ BOLINGBROKE et YORK, _avec d'autres lords; +suite._ + + +_BOLINGBROKE._--Mon cher oncle York, les dernières nouvelles que nous +avons reçues sont que les rebelles ont brûlé notre ville de Chichester, +dans le comté de Glocester; mais on ne nous dit pas s'ils ont été pris +ou tués. (_Entre Northumberland._)--Soyez-le bienvenu, milord. Quelles +nouvelles? + +NORTHUMBERLAND.--D'abord, je souhaite toute sorte de bonheur à Votre +Majesté sacrée; ensuite les autres nouvelles sont, que j'ai envoyé à +Londres la tête de Salisbury, de Spencer, de Blunt et de Kent. Vous +trouverez dans cet écrit tous les détails sur la manière dont ils ont +été pris. + +(Il lui présente l'écrit.) + +BOLINGBROKE, _après avoir lu._--Nous te remercions, mon bon Percy, de +tes services; et nous ajouterons à ton mérite des récompenses dignes de +toi. + +(Entre Fitzwater.) + +FITZWATER.--Seigneur, je viens d'envoyer d'Oxford à Londres les têtes de +Brocas et de sir Bennet Seely, deux de ces dangereux et perfides +conspirateurs qui cherchaient à Oxford ta funeste perte. + +BOLINGBROKE.--Ces services, Fitzwater, ne seront pas oubliés. Ton mérite +est grand, je le sais bien. + +(Entre Percy amenant l'évêque de Carlisle.) + +PERCY.--Le grand conspirateur, l'abbé de Westminster, accablé par sa +conscience et par une noire mélancolie, a cédé son corps au tombeau. +Mais voici l'évêque de Carlisle vivant, pour subir ton royal arrêt et la +sentence due à son orgueil. + +BOLINGBROKE.--Carlisle, voici votre arrêt:--Choisis quelque asile +solitaire, plus grave que celui que tu occupes, et conserves-y la vie: +si tu y vis tranquille, tu y mourras libre de toute persécution. Tu fus +toujours mon ennemi, mais j'ai vu en toi de nobles étincelles d'honneur. + +(Entre Exton suivi d'hommes portant un cercueil.) + +EXTON.--Grand roi! dans ce cercueil je t'offre tes craintes ensevelies. +Ici gît sans vie le plus redoutable de tes plus grands ennemis, Richard +de Bordeaux, apporté ici par moi. + +BOLINGBROKE.--Exton, je ne te remercie pas.--Ta main fatale a commis une +action qui retombera sur ma tête et sur cet illustre pays. + +EXTON.--C'est d'après vos propres paroles, seigneur, que j'ai fait cette +action. + +BOLINGBROKE.--Ceux qui ont besoin du poison n'aiment pas pour cela le +poison; et je ne t'aime pas non plus. Bien que je l'aie souhaité mort, +je hais l'assassin tout en l'aimant assassiné. Prends pour ta peine les +remords de ta conscience; mais n'espère ni une bonne parole, ni la +faveur de ton prince. Va, comme Caïn, errer dans les ombres de la nuit, +et ne montre jamais ta tête au jour, ni à la lumière.--Seigneurs, je +proteste que mon âme est pleine de tristesse, qu'il faille ainsi +m'arroser de sang pour me faire prospérer. Venez gémir avec moi sur ce +que je déplore, et qu'on prenne à l'instant un deuil profond.--Je ferai +un voyage à la terre sainte pour laver de ce sang ma main coupable. +Suivez-moi à pas lents, et honorez ma tristesse en accompagnant de vos +pleurs cette bière remplie avant le temps. + +(Ils sortent.) + +FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE. + + + + + + + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of La vie et la mort du roi Richard II, by +William Shakespeare + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK RICHARD II *** + +***** This file should be named 21277-8.txt or 21277-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/2/1/2/7/21277/ + +Produced by Paul Murray, Rénald Lévesque and the Online +Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + https://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. diff --git a/21277-8.zip b/21277-8.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..38a9c57 --- /dev/null +++ b/21277-8.zip diff --git a/21277-h.zip b/21277-h.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..5056708 --- /dev/null +++ b/21277-h.zip diff --git a/21277-h/21277-h.htm b/21277-h/21277-h.htm new file mode 100644 index 0000000..af3f763 --- /dev/null +++ b/21277-h/21277-h.htm @@ -0,0 +1,4429 @@ +<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.01 Transitional//EN"> +<html> +<head> + <meta http-equiv="content-type" content="text/html; charset=ISO-8859-1"> + <title>The Project Gutenberg eBook of La vie et la mort du roi Richard II, by William Shakespeare</title> + + +<style type="text/css"> +<!-- + +body {margin-left: 10%; margin-right: 10%} + +h1,h2,h3,h4,h5,h6 {text-align: center;} +p {text-align: justify} +blockquote {text-align: justify} + +.note {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.footnote {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} + +.stage1 {font-size: 0.9em; text-align: center} +.stage2 {font-size: 0.9em} +.sc {font-variant: small-caps} +.lef {float: left} +.mid {text-align: center} +.rig {float: right} +.sml {font-size: 10pt} + + +.poem {margin-bottom: 1em; margin-left: 10%; margin-right: 10%; + text-align: left} +.poem .stanza {margin: 1em 0em} +.poem .stanza.i {margin: 1em 0em; font-style: italic;} +.poem p {padding-left: 3em; margin: 0px; text-indent: -3em} +.poem p.i2 {margin-left: 1em} +.poem p.i4 {margin-left: 2em} +.poem p.i6 {margin-left: 3em} +.poem p.i8 {margin-left: 4em} +.poem p.i10 {margin-left: 5em} +.poem p.i12 {margin-left: 6em} +.poem p.i14 {margin-left: 7em} +.poem p.i16 {margin-left: 8em} +.poem p.i18 {margin-left: 9em} +.poem p.i20 {margin-left: 10em} +.poem p.i30 {margin-left: 15em} + + +--> +</style> + +</head> + +<body> + + +<pre> + +The Project Gutenberg EBook of La vie et la mort du roi Richard II, by +William Shakespeare + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: La vie et la mort du roi Richard II + +Author: William Shakespeare + +Translator: François Pierre Guillaume Guizot + +Release Date: May 2, 2007 [EBook #21277] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK RICHARD II *** + + + + +Produced by Paul Murray, Rénald Lévesque and the Online +Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr) + + + + + + +</pre> + + + +<pre> + Note du transcripteur. + + =========================================================== + Ce document est tiré de: + + + OEUVRES COMPLÈTES DE + SHAKSPEARE + + TRADUCTION DE + M. GUIZOT + + NOUVELLE ÉDITION ENTIÈREMENT REVUE + AVEC UNE ÉTUDE SUR SHAKSPEARE + DES NOTICES SUR CHAQUE PIÈCE ET DES NOTES + + Volume 6 + Le marchand de Venise--Les joyeuses Bourgeoises de + Windsor--Le roi Jean--<b>La vie et la mort du roi Richard II</b>, + Henri IV (1re partie). + + PARIS + A LA LIBRAIRIE ACADÉMIQUE + DIDIER ET Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS + 35, QUAI DES AUGUSTINS + 1863 + + + ========================================================== +</pre> + + + +<h1>LA VIE ET LA MORT<br> +DU<br> +ROI RICHARD II</h1> + +<h4>TRAGÉDIE</h4> + +<h3>NOTICE<br> +SUR<br> +LA VIE ET LA MORT DU ROI RICHARD II</h3> + + +<p>A mesure que Shakspeare avance vers les temps modernes de l'histoire de +son pays, les chroniques sur lesquelles il s'appuie concourent plus +exactement avec l'histoire véritable; et déjà, dans <i>la Vie et la Mort +de Richard II</i>, les détails que lui fournit Hollinshed s'écartent peu +des données historiques parvenues jusqu'à nous avec une certaine +authenticité. A l'exception du personnage de la reine, pure invention du +poëte, et abstraction faite du désordre que met dans la chronologie la +négligence de Shakspeare à conserver aux événements leurs distances +respectives, les faits contenus dans cette tragédie ne diffèrent en rien +des récits historiques, si ce n'est sur le genre de mort qu'on fit subir +à Richard. Hollinshed, qui a copié d'autres chroniqueurs, à donné à +Shakspeare la relation qu'il a suivie; mais l'opinion la plus +vraisemblable, et qui s'accorde le mieux avec le soin qu'on eut +d'exposer publiquement Richard après sa mort, c'est qu'on le fit mourir +de faim. Cette attention à sauver du moins les apparences matérielles du +crime dont on s'inquiétait peu d'éviter le soupçon, commençait à +s'introduire dans la féroce politique du temps; et Richard lui-même +avait fait étouffer entre des matelas le duc de Glocester qu'il tenait +prisonnier à Calais, publiant ensuite qu'il était mort d'une attaque +d'apoplexie. Outre le penchant de Shakspeare à suivre fidèlement le +guide historique qu'il avait une fois adopté, cette version lui +permettait de conserver au caractère de Bolingbroke l'intérêt qu'il a +répandu sur lui dans les les deux parties de <i>Henri IV</i>. Le choix entre +différentes versions est d'ailleurs le droit le moins contesté et le +moins contestable des auteurs dramatiques.</p> + +<p>La tragédie de <i>Richard II</i> est donc, généralement parlant, assez +conforme à l'histoire; et la manière dont le poëte a représenté la +déposition de Richard et l'avénement au trône de Henri de Lancastre +paraît singulièrement d'accord avec ce que dit Hume au sujet de cet +avénement: «Il (Henri IV) devint roi, sans que personne pût dire comment +ni pourquoi.» Mais il faut être, comme l'était Hume, tout à fait +étranger au spectacle des révolutions, pour être embarrassé à dire +comment et pourquoi le duc de Lancastre, après avoir agi quelque temps +au nom du roi qu'il tenait prisonnier, se mit sans aucune peine à sa +place. Shakspeare n'a pas cru nécessaire de l'expliquer: Richard est +parti de Flintcastle avec le nom de roi à la suite de Bolingbroke; nous +le revoyons signant sa propre déposition. Le poëte ne nous indique en +aucune manière ce qui s'est passé; mais pour ne pas deviner comment +s'est accomplie la chute de Richard, il faudrait que nous eussions bien +mal compris ce qui nous a été présenté du spectacle de ses premières +disgrâces: la conversation du jardinier avec ses garçons en complète le +tableau en nous révélant leur effet sur l'opinion. C'est un trait de +l'art de Shakspeare pour nous faire assister à toutes les parties de +l'événement; il nous transporte toujours là où il frappe ses coups les +plus décisifs, tandis que loin de nos yeux l'action poursuit son cours, +et se contente de nous retrouver toujours au but.</p> + +<p>Bien que cette tragédie ait été intitulée <i>la Vie et la Mort de Richard +II</i>, elle ne comprend que les deux dernières années de ce prince, et ne +contient qu'un seul événement, celui de sa chute, catastrophe à laquelle +tout marche dès le début de la pièce. Cet événement a été considéré sous +différentes faces, et une anecdote assez singulière nous a révélé +l'existence d'une autre tragédie sur le même sujet, antérieure, à ce +qu'il paraît, à celle de Shakspeare, et traitée dans un esprit tout +différent. Quelques-uns des partisans du comte d'Essex, le jour qui +précéda son extravagante tentative, voulurent faire jouer une tragédie +où, comme dans celle de Shakspeare, on voyait Richard II déposé et tué +sur le théâtre. Les acteurs leur ayant représenté que la pièce était +tout à fait hors de mode et ne leur attirerait pas assez de monde pour +couvrir leurs frais, sir Gilly Merrick, l'un d'entre eux, leur donna +quarante shillings en sus de la recette. Ce fait est rapporté au procès +de sir Gilly, et servit à sa condamnation.</p> + +<p>L'entreprise du comte d'Essex eut lieu en 1601, et la pièce de +Shakspeare avait paru, à ce qu'on croit, dès l'an 1597. Malgré cette +antériorité, personne ne sera tenté de soupçonner qu'une pièce de +Shakspeare ait pu figurer dans une entreprise factieuse contre +Élisabeth. D'ailleurs la pièce en question paraît avoir été connue sous +le titre de <i>Henri IV</i>, non sous celui de <i>Richard II</i>; et l'on est même +fondé à croire que l'histoire de Henri IV en était le véritable sujet, +et la mort de Richard seulement un incident. Mais, pour lever toute +espèce de doute, il suffit de lire la tragédie de Shakspeare; la +doctrine du droit divin y est sans cesse présentée accompagnée de cet +intérêt que font naître le malheur et le spectacle de la grandeur +déchue. Si le poëte n'a pas donné à l'usurpateur cette physionomie +odieuse qui produit la haine et les passions dramatiques, il suffit de +lire l'histoire pour en comprendre la cause.</p> + +<p>Ce n'est pas un fait particulier à Richard II et à sa destinée, dans +l'histoire de ces temps désastreux, que ce vague de l'aspect moral sous +lequel se présentent les hommes et les choses, et qui ne permet aux +sentiments de s'attacher à rien avec énergie, parce qu'ils ne peuvent se +reposer sur rien avec satisfaction. Des partis toujours aux prises pour +s'arracher le pouvoir, tour à tour vaincus et méritant leur défaite, +sans que jamais un seul ait mérité la victoire, n'offrent pas un +spectacle très-dramatique, ni très-propre à porter nos sentiments et nos +facultés à ce degré d'exaltation qui est un des plus nobles buts de +l'art. La pitié y manque souvent à l'indignation, et l'estime presque +toujours à la pitié. On n'est pas embarrassé à trouver les crimes du +plus fort, mais on cherche avec anxiété les vertus du plus faible: et le +même effet se reproduit dans le sens contraire: des folies, des +déprédations, des injustices, des violences ont amené la chute de +Richard, l'ont rendue inévitable, et elles nous détachent de lui sous ce +double rapport que nous le voyons se perdre lui-même et impossible à +sauver. Cependant il serait aisé de trouver au moins autant de crimes +dans le parti qui triomphe de son abaissement. Shakspeare pourrait, à +peu de frais, amasser contre les rebelles des trésors d'indignation qui +soulèveraient tous les coeurs en faveur du souverain légitime: mais un +des principaux caractères du génie de Shakspeare, c'est une vérité, on +peut dire une fidélité d'observation qui reproduit la nature comme elle +est, et le temps comme il se présente: celui-là ne lui offrait ni héros +supérieurs à leur fortune, ni victimes innocentes, ni dévouements +héroïques, ni passions imposantes; il n'y trouvait que la force même des +caractères employée au service des intérêts qui les rabaissent, la +perfidie considérée comme moyen de conduite, la trahison presque +justifiée par le principe dominant de l'intérêt personnel, la désertion +presque légitimée par la considération du péril que l'on courrait à +demeurer fidèle; c'est aussi là tout ce qu'il a peint. C'est, à la +vérité, le duc d'York, personnage dont l'histoire nous fait connaître +l'incapacité et la nullité, qu'il a choisi pour représenter ce +dévouement toujours si ardent pour l'homme qui gouverne, cette facilité +à transmettre son culte du pouvoir de droit au pouvoir de fait, et <i>vice +versa</i>, se réservant, seulement pour son honneur, des larmes solitaires +en faveur de celui qu'il abandonne. Pour quiconque n'a pas vu la fortune +se jouant avec les empires, ce personnage ne serait que comique; mais +pour qui a assisté à de pareils jeux, n'est-il pas d'une effrayante +Vérité?</p> + +<p>Dans un pareil entourage, où Shakspeare pouvait-il puiser ce pathétique +qu'il aurait aimé à répandre sur le spectacle de la grandeur déchue? Lui +qui a donné au vieux Lear, dans sa misère, tant de nobles et fidèles +amis, il n'en a pu trouver un seul à Richard; le roi est tombé +dépouillé, nu, entre les mains du poëte comme de son trône, et c'est en +lui seul que le poëte a été obligé de chercher toutes les ressources: +aussi le rôle de Richard II est-il une des plus profondes conceptions de +Shakspeare.</p> + +<p>Les commentateurs sont en grande discussion pour savoir si c'est à la +cour de Jacques ou à celle d'Élisabeth que Shakspeare a pris les maximes +qu'il professe assez communément en faveur du droit divin et du pouvoir +absolu. Shakspeare les a prises ordinairement dans ses personnages +mêmes; et il lui suffisait ici d'avoir à peindre un roi élevé sur le +trône. Richard n'a jamais imaginé qu'il fût ou pût être autre chose +qu'un roi; sa royauté fait à ses yeux partie de sa nature; c'est un des +éléments constitutifs de son être qu'il a apporté avec lui en naissant, +sans autre condition que de vivre: comme il n'a rien à faire pour le +conserver, il n'est pas plus en son pouvoir de cesser d'en être digne +que de cesser d'en être revêtu: de là son ignorance de ses devoirs +envers ses sujets, envers sa propre sûreté, son indolente confiance au +milieu du danger. Si cette confiance l'abandonne un instant à chaque +nouveau revers, elle revient aussitôt, doublant de force à mesure qu'il +lui en faut davantage pour suppléer aux appuis qui s'écroulent +successivement. Arrivé enfin au point où il ne lui est plus possible +d'espérer, le roi s'étonne, se regarde, se demande si c'est bien lui. +Une autre espèce de courage s'élève alors en lui; c'est celui que donne +un malheur tel que l'homme qui le subit s'exalte par la surprise où le +plonge sa propre situation; elle devient pour lui l'objet d'une si vive +attention qu'il ose la considérer sous tous ses rapports, ne fût-ce que +pour la comprendre; et par cette contemplation il échappe au désespoir, +et s'élève quelquefois à la vérité, dont la découverte calme toujours à +un certain point: mais ce calme est stérile, et ce courage inactif; il +soutient l'esprit, mais il tue l'action: aussi toutes les actions de +Richard sont-elles de la dernière faiblesse; ses réflexions mêmes sur +son état actuel décèlent un sentiment de sa nullité qui descend, en de +certains moments, presque à la bassesse: et qui pourrait le relever, lui +qui, en cessant d'être roi, a perdu, dans sa propre opinion, la qualité +distinctive de son être, la dignité de sa nature? Il se croyait précieux +devant Dieu, soutenu par son bras, armé de sa puissance; déchu de ce +rang mystérieux où il s'était placé, il ne s'en connaît plus aucun sur +la terre; dépouillé de la force qu'il croyait son droit, il ne suppose +pas qu'il lui en puisse rester aucune: aussi ne résiste-t-il à rien; ce +serait essayer ce qu'il suppose impossible: pour réveiller son énergie, +il faut qu'un danger pressant, soudain, provoque, pour ainsi dire, à son +insu, des facultés qu'il désavoue: attaqué dans sa vie, il se défend et +meurt avec courage. Pour en avoir eu toujours, il lui a manqué de savoir +ce que vaut un homme.</p> + +<p>Il ne faut point chercher dans <i>Richard II</i>, non plus que dans la +plupart des pièces historiques de Shakspeare, un caractère de style +particulier: la diction en est peu travaillée; assez souvent énergique, +elle est souvent aussi d'un vague qui laisse la raison absolument +maîtresse de décider sur le sens des expressions, que ne détermine +aucune règle de syntaxe.</p> + +<p>Cette pièce est toute en vers, et en grande partie rimée. L'auteur +paraît y avoir fait des changements depuis la première édition, publiée +en 1597. La scène du procès de Richard, en particulier, manque tout +entière dans cette édition, et se trouve pour la première fois dans +celle de 1608.</p> + +<h2>LA VIE ET LA MORT<br> + +du<br> + +ROI RICHARD II</h2> + +<h3>TRAGÉDIE</h3> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p>PERSONNAGES</p> +<br> +<p>LE ROI RICHARD II.</p> +<p>EDMOND DE LANGLEY, }</p> +<p> duc d'York, } oncles du </p> +<p>JEAN DE GAUNT, duc de } roi.</p> +<p> Lancastre. + }</p> +<p>HENRI, surnommé BOLINGBROKE,</p> +<p> duc d'Hereford, fils de Jean de Gaunt,</p> +<p> ensuite roi d'Angleterre sous le nom</p> +<p> de Henri IV.</p> +<p>LE DUC D'AUMERLE, fils du duc</p> +<p> d'York.</p> +<p>MOWBRAY, duc de Norfolk.</p> +<p>LE DUC DE SURREY.</p> +<p>LE COMTE DE SALISBURY.</p> +<p>LE COMTE DE BERKLEY<a id="footnotetag1" name="footnotetag1"></a> +<a href="#footnote1"><sup class="sml">1</sup></a>.</p> +<p>BUSHY, }</p> +<p>BAGOT, } créatures du roi Richard.</p> +<p>GREEN, }</p> +<p>LE COMTE DE NORTHUMBERLAND.</p> +<p>HENRI PERCY, fils de Northumberland.</p> +<p>LORD ROSS.</p> +<p>LORD WILLOUGHBY.</p> +<p>LORD FITZWATER.</p> +<p>L'ÉVÊQUE DE CARLISLE.</p> +<p>L'ABBÉ DE WESTMINSTER.</p> +<p>LE LORD MARÉCHAL.</p> +<p>SIR PIERCE D'EXTON.</p> +<p>SIR ÉTIENNE SCROOP.</p> +<p>LE CAPITAINE d'une bande de Gallois.</p> +<p>LA REINE, femme de Richard.</p> +<p>LA DUCHESSE DE GLOCESTER.</p> +<p>LA DUCHESSE D'YORK.</p> +<p>Dames de la suite de la reine. +Lords, hérauts, officiers, soldats, +deux jardiniers, un gardien, un +messager, un valet d'écurie, et +autres personnes de suite.</p> +</div></div> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote1" +name="footnote1"></a><b>Note 1:</b><a href="#footnotetag1"> +(retour) </a> On remarque que ce titre de comte de Berkley, donné à lord +Berkley, est un anachronisme, et que les lords Berkley ne furent faits +comtes que dans un temps très-postérieur à celui de Richard.</blockquote> + +<p class="stage1">La scène se passe successivement dans plusieurs parties de l'Angleterre +et du pays de Galles.</p> + +<br> + +<h2>ACTE PREMIER</h2> +<br> +<h3>SCÈNE I.</h3> + +<p class="stage1">Londres.--Un appartement dans le palais.</p> + +<p class="stage1"><i>Entrent</i> LE ROI RICHARD <i>avec sa suite</i>, JEAN DE GAUNT <i>et d'autres +nobles avec lui</i>.</p> +<br> +<p> +RICHARD.--Vieux Jean de Gaunt, vénérable Lancastre, as-tu, comme tu t'y +étais engagé par serment, amené ici ton fils, l'intrépide Henri +d'Hereford, pour soutenir devant nous l'injurieux défi qu'il adressa +dernièrement au duc de Norfolk, Thomas Mowbray, et dont nous n'eûmes pas +alors le loisir de nous occuper?</p> + +<p>GAUNT.--Oui, mon souverain, je l'ai amené.</p> + +<p>RICHARD.--Réponds-moi encore: l'as-tu sondé? sais-tu s'il l'a défié, +poussé par une vieille haine, ou s'il a cédé à la vertueuse colère d'un +bon sujet, fondée sur quelque trahison dont il sache Mowbray coupable?</p> + +<p>GAUNT.--Autant que j'ai pu le pénétrer sur cette question, c'est sur la +connaissance de quelque danger dont Mowbray menace Votre Altesse, et non +par aucune haine invétérée.</p> + +<p>RICHARD.--Fais-les comparaître tous deux en notre présence; nous voulons +entendre nous-même l'accusateur et l'accusé parler librement face à +face, et se menaçant l'un l'autre du regard. <span class="stage2">(<i>Sortent quelques-uns des +gens de la suite du roi.</i>)</span> Ils sont tous deux hautains, pleins de +colère, et, dans leur fureur, sourds comme la mer, impétueux comme la +flamme.</p> + +<p class="stage1">(Rentrent les serviteurs avec Bolingbroke et Norfolk.)</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Que de longues années d'heureux jours échouent en partage +à mon gracieux souverain, à mon bien-aimé seigneur!</p> + +<p>NORFOLK.--Puisse chaque jour ajouter au bonheur de la veille, jusqu'à ce +que le ciel, envieux des félicités de la terre, ajoute à votre couronne +un titre immortel!</p> + +<p>RICHARD.--Nous vous remercions tous deux: cependant il y en a un de vous +qui n'est qu'un flatteur, à en juger par le sujet qui vous amène, +c'est-à-dire l'accusation de haute trahison que vous portez l'un contre +l'autre.--Cousin Hereford, que reproches-tu au duc de Norfolk, Thomas +Mowbray?</p> + +<p>BOLINGBROKE.--D'abord (et que le ciel prenne acte de mes paroles!) c'est +excité par le zèle d'un sujet dévoué, et en vue de la précieuse sûreté +de mon prince, que, libre d'ailleurs de toute autre haine illégitime, je +viens ici le défier en votre royale présence.--Maintenant, Thomas +Mowbray, je me tourne vers toi, et remarque le salut que je t'adresse; +car ce que je vais dire, mon corps le soutiendra sur cette terre, où mon +âme, divine, en répondra dans le ciel. Tu es un traître et un mécréant, +de trop bon lieu pour ce que tu es, et trop méchant pour mériter de +vivre, car plus le ciel est pur et transparent, plus affreux paraissent +les nuages qui le parcourent; et pour te noter plus sévèrement encore, +je t'enfonce dans la gorge une seconde fois le nom de détestable +traître, désirant, sous le bon plaisir de mon souverain, ne point sortir +d'ici que mon épée, tirée à bon droit, n'ait prouvé ce que ma bouche +affirme.</p> + +<p>NORFOLK.--Que la modération de mes paroles ne fasse pas ici suspecter +mon courage. Ce n'est point par les procédés d'une guerre de femmes, ni +par les aigres clameurs de deux langues animées que peut se décider +cette querelle entre nous deux. Il est bien chaud le sang que ceci va +refroidir. Cependant je ne peux pas me vanter d'une patience assez +docile pour me réduire au silence et ne rien dire du tout: et d'abord je +dirai que c'est le respect de Votre Grandeur qui me tient court, +m'empêchant de lâcher bride et de donner de l'éperon à mes libres +paroles; autrement elles s'élanceraient jusqu'à ce qu'elles eussent fait +rentrer dans sa gorge ces accusations redoublées de trahison. Si je puis +mettre ici de côté la royauté de son sang illustre, et ne le tenir plus +pour parent de mon souverain, je le défie, et lui crache au visage comme +à un lâche calomniateur et un vilain, ce que je soutiendrais en lui +accordant tous les avantages, et je le rencontrerais quand je serais +obligé d'aller à pied jusqu'aux sommets glacés des Alpes, ou dans tout +autre pays inhabitable où jamais Anglais n'a encore osé mettre le pied. +En tout cas, je maintiens ma loyauté, et déclare, par tout ce que +j'espère; qu'il en a menti faussement.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Pâle et tremblant poltron, je jette mon gage, refusant de +me prévaloir de ma parenté avec le roi, et je mets à l'écart la noblesse +de ce sang royal que tu allègues par peur et non par respect. Si un +effroi coupable t'a laissé encore assez de force pour relever le gage de +mon honneur, alors baisse-toi. Par ce gage et par toutes les lois de la +chevalerie, je soutiendrai corps à corps ce que j'ai avancé, ou tout ce +que tu pourrais imaginer de pis encore.</p> + +<p>NORFOLK.--Je le relève, et je jure par cette épée, qui apposa doucement +sur mon épaule mon titre de chevalier, que je te ferai honorablement +raison de toutes les manières qui appartiennent aux épreuves +chevaleresques; et une fois monté à cheval, que je n'en descende pas +vivant si je suis un traître ou si je combats pour une cause injuste!</p> + +<p>RICHARD.--Quelle est l'accusation dont notre cousin charge Mowbray? Il +faut qu'elle soit grave pour parvenir à nous inspirer même la pensée +qu'il ait pu mal faire.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Écoutez-moi, j'engage ma vie à prouver la vérité de ce que +je dis: Mowbray a reçu huit mille nobles<a id="footnotetag2" name="footnotetag2"></a> +<a href="#footnote2"><sup class="sml">2</sup></a> à titre de prêts pour les +soldats de Votre Altesse, et il les a retenus pour des usages de +débauche, comme un faux traître et un insigne vilain. De plus, je dis et +je le prouverai dans le combat, ou ici ou en quelque lieu que ce soit, +jusqu'aux extrémités les plus reculées qu'ait jamais contemplées l'oeil +d'un Anglais, que toutes les trahisons qui depuis dix-huit ans ont été +complotées et machinées dans ce pays ont eu pour premier chef et pour +principal auteur le perfide Mowbray. Je dis encore, et je soutiendrai +tout cela contre sa détestable vie, qu'il a comploté la mort du duc de +Glocester; qu'il en a suggéré l'idée à ses ennemis faciles à persuader, +et par conséquent que c'est lui qui, comme un lâche traître, a fait +écouler son âme innocente dans des ruisseaux de sang; et ce sang, comme +celui d'Abel tiré à son sacrifice, crie vers moi du fond des cavernes +muettes de la terre; il me demande justice et un châtiment rigoureux: +et, j'en jure par la noblesse de ma glorieuse naissance, ce bras fera +justice, ou j'y perdrai la vie.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote2" +name="footnote2"></a><b>Note 2:</b><a href="#footnotetag2"> +(retour) </a> Monnaie d'or.</blockquote> + +<p>RICHARD.--A quelle hauteur s'est élevé l'essor de son courage!--Thomas +de Norfolk, que réponds-tu à cela?</p> + +<p>NORFOLK.--Oh! que mon souverain veuille détourner son visage, et +commander à ses oreilles d'être sourdes un instant, jusqu'à ce que j'aie +appris à celui qui déshonore son sang à quel point Dieu et les gens de +bien détestent un si exécrable menteur.</p> + +<p>RICHARD.--Mowbray, nos yeux et nos oreilles sont impartiales: fût-il mon +frère, ou même l'héritier de mon royaume, comme il n'est que le fils du +frère de mon père, je le jure par le respect dû à mon sceptre, cette +parenté qui l'allie de si près à notre sang sacré ne lui donnerait aucun +privilége et ne rendrait point partiale l'inflexible fermeté de mon +caractère intègre. Il est mon sujet, Mowbray, toi aussi; je te permets +de parler librement et sans crainte.</p> + +<p>NORFOLK.--Eh bien! Bolingbroke, à partir de la basse région de ton +coeur, et à travers le traître canal de ta gorge, tu en as menti. De +cette recette que j'avais pour Calais, j'en ai fidèlement remis les +trois quarts aux soldats de son Altesse: j'ai gardé l'autre de l'aveu de +mon souverain, qui me devait cette somme pour le reste d'un compte +considérable dû depuis le dernier voyage que je fis en France pour aller +y chercher la reine. Avale donc ce démenti.--Quant à la mort de +Glocester... je ne l'ai point assassiné: seulement j'avoue à ma honte +qu'en cette occasion j'ai négligé le devoir que j'avais juré de +remplir.--Pour vous, noble lord de Lancastre, respectable père de mon +ennemi, j'ai dressé une fois des embûches contre vos jours, crime qui +tourmente mon âme affligée; mais avant de recevoir pour la dernière fois +le sacrement, je l'ai confessé, et j'ai eu soin d'en demander pardon à +Votre Grâce, qui, j'espère, me l'a accordé. Voilà ce que j'ai à me +reprocher. Pour tous les autres griefs qu'il m'impute, ces accusations +partent de la haine d'un vilain, d'un traître lâche et dégénéré, sur +quoi je me défendrai hardiment en propre corps: je jette donc à ce +traître outrecuidant mon gage en échange du sien; je lui prouverai ma +loyauté de gentilhomme aux dépens du meilleur sang qu'il renferme dans +son sein; et pour ce faire promptement, je conjure sincèrement Votre +Altesse de nous assigner le jour de l'épreuve.</p> + +<p>RICHARD.--Gentilshommes enflammés de colère, laissez-moi vous diriger: +purgeons cette bile sans tirer de sang. Sans être médecin, voici ce que +je prescris: un ressentiment profond fait de trop profondes incisions; +ainsi donc, oubliez, pardonnez, terminez ensemble et réconciliez-vous; +nos docteurs disent que ce n'est pas la saison de saigner.--Mon bon +oncle, que cette querelle finisse où elle a commencé: nous apaiserons le +duc de Norfolk; vous, calmez votre fils.</p> + +<p>GAUNT.--Il convient assez à mon âge d'être un médiateur de paix.--Jette +à terre, mon fils, le gage du duc de Norfolk.</p> + +<p>RICHARD.--Et toi, Norfolk, jette à terre le sien.</p> + +<p>GAUNT.--Eh bien, Henri, quoi? L'obéissance commande; je ne devrais pas +avoir à te commander deux fois.</p> + +<p>RICHARD.--Allons, Norfolk, jette-le, nous l'ordonnons: cela ne sert de +rien.</p> + +<p>NORFOLK.--C'est moi, redouté souverain, qui me jette à tes pieds: tu +pourras disposer de ma vie, mais non pas de ma honte; la première +appartient à mon devoir; mais je ne te livrerais pas, pour en faire un +usage déshonorant, ma bonne renommée, qui en dépit de la mort vivra sur +mon tombeau. Je suis ici insulté, accusé, conspué, percé jusqu'au coeur +du trait empoisonné de la calomnie, sans pouvoir être guéri par aucun +autre baume que par le sang du coeur d'où s'est exhalé le venin.</p> + +<p>RICHARD.--Il faudra bien que cette rage se contienne. Donne-moi son +gage: les lions apprivoisent les léopards.</p> + +<p>NORFOLK.--Oui, mais ils ne peuvent changer leurs taches. Effacez mon +déshonneur, et je cède mon gage. Mon cher maître, le trésor plus pur que +puisse donner cette vie mortelle, c'est une réputation sans tache: +dépouillés de ce bien, les hommes ne sont plus qu'une terre dorée, une +argile peinte. Le diamant précieux enfermé sous les dix verrous d'un +coffre-fort, c'est un esprit hardi dans un coeur loyal. Mon honneur est +ma vie, tous deux existent conjointement: si tu m'ôtes l'honneur, je +n'ai plus de vie. Ainsi mon cher souverain, laisse-moi défendre mon +honneur; c'est par lui que je vis, et je mourrai pour lui.</p> + +<p>RICHARD.--Cousin, jetez votre gage: commencez-le premier.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Que Dieu préserve mon âme d'un si horrible péché! Ne +montrerai-je le front humilié à la vue de mon père, et démentirai-je ma +fierté par la crainte d'un pâle mendiant, devant ce lâche que j'ai +bravé? Avant que ma langue outrage mon honneur par une indigne +faiblesse, et se prête à une si honteuse composition, mes dents +déchireront le servile instrument de la crainte renégate, et le +cracheront sanglant pour compléter sa honte, là où siége la honte, à la +face de Mowbray.</p> + +<p>RICHARD.--Nous ne sommes pas nés pour solliciter, mais pour condamner. +Puisque nous ne pouvons vous rendre amis, soyez prêts, le jour de +Saint-Lambert, à répondre sur vos vies: c'est là que vos épées et vos +lances décideront les débats toujours grossissant de votre haine +obstinée. Puisque nous ne pouvons vous adoucir, nous, verrons la justice +manifester par la victoire de quel côté se trouve l'honneur.--Maréchal, +ordonnez à nos officiers d'armes de se tenir prêts pour diriger ce +combat domestique.</p> + +<p class="stage1">(Ils sortent.)</p> +<br> + +<h3>SCÈNE II</h3> + +<p class="stage1">La scène est toujours à Londres, dans le palais du duc de Lancastre.</p> + +<p class="stage1"><i>Entrent</i> GAUNT, LA DUCHESSE DE GLOCESTER.</p> +<br> + +<p>GAUNT.--Hélas! cette part que j'avais dans le sang de Glocester me +sollicite plus fortement que vos cris à poursuivre les bouchers de sa +vie. Mais puisque le châtiment réside dans les mains qui ont fait le +crime que nous ne pouvons punir, remettons notre cause à la volonté du +ciel, qui, lorsqu'il en verra les temps mûrs sur la terre, fera pleuvoir +sa brûlante vengeance sur la tête des coupables.</p> + +<p>LA DUCHESSE DE GLOCESTER.--Quoi! la qualité de frère ne trouvera pas en +toi un aiguillon plus pénétrant? ton vieux sang n'a pas conservé vivante +une étincelle d'affection? Les sept fils d'Edouard, au nombre desquels +tu te comptes, étaient comme sept vases de son sang sacré, comme sept +belles branches sorties d'une seule racine: quelques-uns de ces vases +ont été desséchés par le cours de la nature; quelques-unes de ces +branches ont été tranchées par la destinée: mais Thomas, mon cher époux, +ma vie, mon Glocester, ce vase rempli du sang d'Edouard, a été brisé +sous la main de la haine et de la sanglante hache du meurtre, sa +précieuse liqueur s'est épanchée: cette branche florissante de la +très-royale souche a été coupée, et les feuilles de son été se sont +flétries. Ah! Gaunt, son sang était le tien: c'est de la couche, c'est +du flanc, de la matière, de la substance même qui t'ont formé qu'il +avait tiré son existence; et quoique vivant et respirant, tu as été +assassiné en lui. C'est à beaucoup d'égards consentir à la mort de ton +père que de voir ainsi mourir ton malheureux frère, qui était la +représentation de la vie de ton père. N'appelle point cela patience, +Gaunt, c'est du désespoir. En souffrant ainsi qu'on égorge ton frère, tu +montres à découvert le chemin qui conduit à ta vie, tu instruis le +meurtrier farouche à t'assassiner. Ce que dans les hommes du bas étage +nous appelons patience est dans un noble sein une froide et tranquille +lâcheté. Que te dirai-je enfin? Pour mettre ta vie en sûreté, le +meilleur moyen c'est de venger la mort de mon Glocester.</p> + +<p>GAUNT.--Cette cause est celle du ciel, car le délégué du ciel, son +lieutenant oint devant sa face, est l'auteur de la mort de Glocester: +lorsqu'il commet le crime, la vengeance en est au ciel; pour moi, je ne +puis lever un bras irrité contre son ministre.</p> + +<p>LA DUCHESSE DE GLOCESTER.--A qui donc, hélas! puis-je porter ma plainte?</p> + +<p>GAUNT.--Au ciel, qui est le champion et le défenseur de la veuve.</p> + +<p>LA DUCHESSE DE GLOCESTER.--Eh bien! je me plaindrai à lui. Adieu, vieux +Gaunt. Tu vas à Coventry pour voir le combat de notre cousin d'Hereford +et du perfide Mowbray. Oh! fais peser sur la lance d'Hereford les +injures de mon mari, afin qu'elle entre dans le coeur de l'assassin +Mowbray; ou si, par un malheur, elle manquait la première passe, que les +crimes de Mowbray surchargent tellement son sein que les reins de son +coursier écumant en soient rompus et que le cavalier tombe la tête la +première dans l'arène, lâche, tremblant, à la merci de mon cousin +d'Hereford! Adieu, vieux Gaunt: celle qui fut un jour la femme de ton +frère finira sa vie avec sa compagne, la douleur.</p> + +<p>GAUNT.--Adieu, ma soeur; il faut que je me rende à Coventry. Que tout le +bien que je te souhaite m'accompagne!</p> + +<p>LA DUCHESSE DE GLOCESTER.--Un mot encore. La douleur, en tombant, +rebondit non par le vide, mais par le poids. Je prends congé de toi +avant que je t'aie encore rien dit, car le chagrin ne finit pas là où il +semble fini: rappelle-moi au souvenir de mon frère York.... Oui, voilà +tout.... Mais non, ne pars pas encore ainsi; quoique ce soit tout, ne +t'en va pas si vite.... Je puis me rappeler autre chose. Prie-le.... oh! +de quoi?... de se hâter de venir me voir à Plashy. Hélas! que +viendra-t-il y voir, ce bon vieux York, que des appartements déserts, +des murailles dépouillées, des cuisines dépeuplées, un pavé qu'on ne +foule plus. Et pour sa bienvenue, quelle autre réception trouvera-t-il +que mes gémissements? Rappelle-moi donc seulement à son souvenir; qu'il +ne vienne pas chercher en ce lieu la tristesse qui habite partout: +désolée, désolée je m'en irai d'ici et je mourrai. Mes yeux, en pleurs +te disent le dernier adieu.</p> + +<p class="stage1">(Ils sortent.)</p> +<br> + +<h3>SCÈNE III</h3> + +<p class="stage1">Gosford-Green, près de Coventry.--Lice préparée avec un trône; hérauts, +etc., suite.</p> + +<p class="stage1"><i>Entrent</i> LE LORD MARÉCHAL ET D'AUMERLE.</p> +<br> + +<p>LE MARÉCHAL.--Milord Aumerle, Henri d'Hereford est-il armé?</p> + +<p>AUMERLE.--Oui, armé de toutes pièces, et il brûle d'entrer dans la lice.</p> + +<p>LE MARÉCHAL.--Le duc de Norfolk, plein d'ardeur et d'audace, n'attend +que le signal de la trompette de l'appelant.</p> + +<p>AUMERLE.--En ce cas, les champions sont tout prêts, et n'attendent que +l'arrivée de Sa Majesté.</p> + +<p class="stage1">(Les trompettes sonnent une fanfare.--Entrent Richard qui va s'asseoir +sur le trône, Gaunt et plusieurs autres nobles qui prennent leurs +places.--Une trompette sonne, et une autre lui répond de +l'intérieur.--Entre alors Norfolk, couvert de son armure, et précédé par +un héraut.)</p> + +<p>RICHARD.--Maréchal, demandez à ce champion le sujet qui l'amène ici en +armes: demandez-lui son nom; ensuite, procédez avec ordre à lui faire +prêter serment de la justice de sa cause.</p> + +<p>LE MARÉCHAL.--Au nom de Dieu et du roi, dis qui tu es, et pourquoi tu +viens ainsi armé en chevalier. Contre qui viens-tu combattre, et quelle +est ta querelle? Réponds la vérité, sur ta foi de chevalier et sur ton +serment; et après, que le ciel et ta valeur te défendent!</p> + +<p>NORFOLK.--Mon nom est Thomas Mowbray, duc de Norfolk. Je viens ici +engagé par un serment que le ciel préserve un chevalier de violer +jamais! j'y viens pour défendre ma loyauté et mon honneur devant Dieu, +mon roi et ma postérité, contre le duc d'Hereford, qui est l'appelant; +et, par la grâce de Dieu et le secours de ce bras, je viens lui prouver +pour ma défense qu'il est traître à mon Dieu, à mon roi et à moi. Que le +ciel me défende, comme je combats pour la vérité.</p> + +<p class="stage1">(Les trompettes sonnent.--Entre Bolingbroke, couvert de son armure, et +précédé d'un héraut.)</p> + +<p>RICHARD.--Maréchal, demandez à ce chevalier armé qui il est et pourquoi +il vient ici vêtu de ses habits de guerre, et, conformément à nos lois, +faites-lui déposer dans les formes de la justice de sa cause.</p> + +<p>LE MARÉCHAL.--Quel est ton nom, et pourquoi parais-tu ici devant le roi +Richard dans sa lice royale? Contre qui viens-tu, et quelle est ta +querelle? Réponds comme un loyal chevalier, et que le ciel te défende.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Je suis Henri d'Hereford, de Lancastre et de Derby, qui me +tiens ici en armes prêt à prouver, par la grâce de Dieu et les prouesses +de mon corps, à Thomas Mowbray, duc de Norfolk, qu'il est un abominable +et dangereux traître envers le Dieu des cieux, le roi Richard et moi. +Que le ciel me défende, comme je combats pour la vérité.</p> + +<p>LE MARÉCHAL.--Sous peine de mort, que personne n'ait la hardiesse et +l'audace de toucher les barrières de la lice, excepté le maréchal et les +officiers chargés de présider à ces loyaux faits d'armes.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Lord maréchal, permettez que je baise la main de mon +souverain et que je fléchisse le genou devant Sa Majesté; car Mowbray et +moi nous ressemblons à deux hommes qui font voeu d'accomplir un long et +fatigant pèlerinage. Prenons donc solennellement congé de nos divers +amis, et faisons-leur de tendres adieux.</p> + +<p>LE MARÉCHAL.--L'appelant salue respectueusement Votre Majesté, et +demande à vous baiser la main et à prendre congé de vous.</p> + +<p>RICHARD.--Nous descendrons et nous le serrerons dans nos bras.--Cousin +d'Hereford, que ta fortune réponde à la justice de ta cause, dans ce +combat royal! Adieu, mon sang: si tu le répands aujourd'hui, nous +pouvons pleurer ta mort, mais non te venger.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Oh! que de nobles yeux ne profanent point une larme pour +moi, si mon sang est versé par la lance de Mowbray. Avec la confiance +d'un faucon qui fond sur un oiseau, je vais combattre Mowbray. <span class="stage2">(<i>Au lord +maréchal.</i>)</span> Mon cher seigneur, je prends congé de vous; et de vous, lord +Aumerle, mon noble cousin; bien que j'aie affaire avec la mort, je ne +suis pas malade, mais vigoureux, jeune, respirant gaiement; maintenant, +comme aux festins de l'Angleterre, je reviens au mets le plus délicat +pour le dernier, afin de rendre la fin meilleure. <span class="stage2">(<i>A Gaunt.</i>)</span>--O toi, +auteur terrestre de mon sang, dont la jeune ardeur renaissant en moi me +soulève avec une double vigueur pour atteindre jusqu'à la victoire +placée au-dessus de ma tête, ajoute par tes prières à la force de mon +armure; arme de tes bénédictions la pointe de ma lance, afin qu'elle +pénètre la cuirasse de Mowbray comme la cire, et que le nom de Jean de +Gaunt soit fourbi à neuf par la conduite vigoureuse de son fils.</p> + +<p>GAUNT.--Que le ciel te fasse prospérer dans ta bonne cause! Sois prompt +comme l'éclair dans l'attaque, et que tes coups, doublement redoublés, +tombent comme un tonnerre étourdissant sur le casque du funeste ennemi +qui te combat; que ton jeune sang s'anime; sois vaillant et vis!</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Que mon innocence et saint Georges me donnent la victoire!</p> + +<p class="stage1">(Il se rassied à sa place.)</p> + +<p>NORFOLK.--Quelque chance qu'amènent pour moi le ciel ou la fortune, ici +vivra ou mourra, fidèle au trône du roi Richard, un juste, loyal et +intègre gentilhomme. Jamais captif n'a secoué d'un coeur plus libre les +chaînes de son esclavage, ni embrassé avec plus de joie le trésor d'une +liberté sans contrainte, que mon âme bondissante n'en ressent en +célébrant cette fête de bataille avec mon adversaire.--Puissant +souverain, et vous pairs, mes compagnons recevez de ma bouche un souhait +d'heureuses années. Aussi calme, aussi joyeux qu'à une mascarade, je +vais au combat: la loyauté a un coeur paisible.</p> + +<p>RICHARD.--Adieu, milord. Je vois avec la valeur la vertu tranquillement +assise dans tes yeux.--Maréchal, ordonnez le combat, et que l'on +commence.</p> + +<p class="stage1">(Richard et les lords retournent à leurs siéges.)</p> + +<p>LE MARÉCHAL.--Henri d'Hereford, Lancastre et Derby, reçois ta lance; et +Dieu défende le droit!</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Ferme dans mon espérance comme une tour, je dis: <i>Amen</i>.</p> + +<p>LE MARÉCHAL, <span class="stage2"><i>à un officier</i>.</span>--Allez, portez cette lance à Thomas, duc +de Norfolk.</p> + +<p>PREMIER HÉRAUT.--Henri d'Hereford, Lancastre et Derby, est ici pour +Dieu, pour son souverain et pour lui-même, à cette fin de prouver, sous +peine d'être déclaré faux et lâche, que le duc de Norfolk, Thomas +Mowbray, est un traître à Dieu, à son roi et à lui-même; et il le défie +au combat.</p> + +<p>SECOND HÉRAUT.--Ici est Thomas Mowbray, duc de Norfolk, ensemble pour se +défendre et pour prouver, sous peine d'être déclaré faux et lâche, +qu'Henri d'Hereford, Lancastre et Derby, est déloyal envers Dieu, son +souverain et lui: plein de courage et d'un franc désir, il n'attend que +le signal pour commencer.</p> + +<p>LE MARÉCHAL.--Sonnez, trompettes; combattants, partez. <span class="stage2">(<i>On sonne une +charge</i>.)</span>--Mais, arrêtez: le roi vient de baisser sa baguette.</p> + +<p>RICHARD.--Que tous deux déposent leurs casques et leurs lances et qu'ils +retournent reprendre leur place.--Éloignez-vous avec nous, et que les +trompettes sonnent jusqu'au moment où nous reviendrons déclarer nos +ordres à ces ducs <span class="stage2">(<i>Longue fanfare.--Ensuite Richard s'adresse aux deux +combattants.</i>)</span>--Approchez.... Écoutez ce que nous venons d'arrêter avec +notre conseil. Comme nous ne voulons pas que la terre de notre royaume +soit souillée du sang précieux qu'elle a nourri, et que nos yeux +haïssent l'affreux spectacle des plaies civiles creusées par des mains +concitoyennes; comme nous jugeons que ce sont les pensées ambitieuses +d'un orgueil aspirant à s'élever aux cieux sur les ailes de l'aigle, +qui, jointes à cette envie qui déteste un rival, vous ont portés à +troubler la paix qui dans le berceau de notre patrie respirait de la +douce haleine du sommeil d'un enfant, en sorte que, réveillée par le +bruit discordant des tambours, par le cri effrayant des trompettes aux +sons aigres, et le confus cliquetis du fer de vos armes furieuses, la +belle Paix, pourrait, épouvantée, fuir nos tranquilles contrées, et nous +forcer à marcher à travers le sang de nos parents: en conséquence, nous +vous bannissons de notre territoire.--Vous, cousin Hereford, sous peine +de mort, jusqu'à ce que deux fois cinq étés aient enrichi nos plaines, +vous ne reviendrez pas saluer nos belles possessions, mais vous suivrez +les routes étrangères de l'exil.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Que votre volonté soit faite!--La consolation qui me +reste, c'est que le soleil qui vous réchauffe ici brillera aussi pour +moi; et ces rayons d'or qu'il vous prête ici se darderont aussi sur moi, +et doreront mon exil.</p> + +<p>RICHARD.--Norfolk, un arrêt plus rigoureux t'est réservé; je sens +quelque répugnance à le prononcer. Le vol lent des heures ne déterminera +point pour toi la limite d'un exil sans terme. Cette parole sans espoir: +<i>Tu ne reviendras, jamais</i>, je la prononce contre toi sous peine de la +vie.</p> + +<p>NORFOLK.--Sentence rigoureuse en effet, mon souverain seigneur, et que +j'attendais bien peu de la bouche de Votre Majesté. J'ai mérité de la +main de Votre Altesse une récompense plus bienveillante, une moins +profonde mutilation, que celle d'être ainsi rejeté au loin dans l'espace +commun de l'univers. Maintenant il me faut oublier le langage que +j'appris durant ces quarante années, mon anglais natal. Ma langue me +sera désormais aussi inutile qu'une viole ou une harpe sans cordes, un +instrument fait avec art mais enfermé dans son étui, ou qu'on en retire +pour le placer dans les mains qui ne connaissent point l'art d'en faire +sortir l'harmonie. Vous avez emprisonné ma langue dans ma bouche, sous +les doubles guichets de mes dents et de mes lèvres, et la stupide, +l'insensible, la stérile ignorance est le geôlier qui m'est donné pour +me garder: je suis trop vieux pour caresser une nourrice, trop avancé en +âge pour devenir écolier. Votre arrêt n'est donc autre chose que celui +d'une mort silencieuse qui prive ma langue de la faculté de parler son +idiome naturel.</p> + +<p>RICHARD.--Il ne te sert de rien de te plaindre. Après notre sentence, +les lamentations viennent trop tard.</p> + +<p>NORFOLK, <span class="stage2"><i>se retirant</i>.</span>--Je vais donc quitter la lumière de mon pays, +pour aller habiter les sombres ténèbres d'une nuit sans fin.</p> + +<p>RICHARD.--Reviens encore, et emporte avec toi un serment. Posez sur +notre épée royale vos mains exilées; jurez par l'obéissance que vous +devez au ciel (et dont la part qui nous appartient vous accompagnera +dans votre bannissement)<a id="footnotetag3" name="footnotetag3"></a> +<a href="#footnote3"><sup class="sml">3</sup></a>, de garder le serment que nous vous faisons +prêter, que jamais dans votre exil (et qu'ainsi le ciel et l'honneur +vous soient en aide) vous ne vous rattacherez l'un à l'autre par +l'affection; que jamais vous ne consentirez l'un l'autre à vous +regarder; que jamais ni par écrit, ni par aucun rapprochement, vous +n'éclaircirez la sombre tempête de la haine née entre vous dans votre +patrie; que jamais vous ne vous réunirez à dessein pour tramer, +combiner, comploter aucun acte dommageable contre nous, nos sujets et +notre pays.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote3" +name="footnote3"></a><b>Note 3:</b><a href="#footnotetag3"> +(retour) </a> <i>Our part therein we banish with yourselves</i>. + +<p>Les commentateurs ont cru voir dans ce vers que Richard les déliait en +les bannissant de l'obéissance qu'ils lui devaient; il paraît clair, au +contraire, que s'il bannit avec eux l'obéissance qu'ils lui doivent; +c'est pour qu'elle les accompagne.</p></blockquote> + +<p>BOLINGBROKE.--Je le jure.</p> + +<p>NORFOLK.--Et moi aussi, je jure d'observer tout cela.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Norfolk, je puis t'adresser encore ceci comme à mon +ennemi: à cette heure, si le roi nous l'avait permis, une de nos âmes +serait errante dans les airs, bannie de ce frêle tombeau de notre chair +comme notre corps est maintenant banni de ce pays. Confesse tes +trahisons avant de fuir de ce royaume: Tu as bien loin à aller; +n'emporte pas avec toi le pesant fardeau d'une âme coupable.</p> + +<p>NORFOLK.--- Non, Bolingbroke; si jamais je fus un traître, que mon nom +soit effacé du livre de vie, et moi banni du ciel comme je le suis +d'ici. Mais ce que tu es, le ciel, toi et moi nous le savons, et je +crains que le roi n'ait trop tôt à déplorer ceci.--Adieu, mon souverain. +Maintenant je ne puis plus m'égarer: excepté la route qui ramène en +Angleterre, le monde entier est mon chemin.</p> + +<p class="stage1">(Il sort.)</p> + +<p>RICHARD.--Oncle, je lis clairement dans le miroir de tes yeux le chagrin +de ton coeur: la tristesse de ton visage a retranché quatre années du +nombre des années de son exil. <span class="stage2">(<i>A Bolingbroke.</i>)</span>--Après que les glaces +de six hivers se seront écoulées, reviens de ton exil, le bienvenu dans +ta patrie.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Quel long espace de temps renfermé dans un petit mot! +Quatre traînants hivers et quatre folâtres printemps finis par un mot! +Telle est la parole des rois.</p> + +<p>GAUNT.--Je remercie mon souverain de ce que, par égard pour moi, il +abrège de quatre ans l'exil de mon fils; mais je n'en retirerai que peu +d'avantage, car avant que les six années qu'il lui faut passer aient +changé leurs lunes et fait leur révolution, ma lampe dépourvue d'huile +et ma lumière usée par le temps s'éteindront dans les années et dans une +nuit éternelle; ce bout de flambeau qui me reste sera brûlé et fini, et +l'aveugle Mort ne me laissera pas revoir mon fils.</p> + +<p>RICHARD.--Pourquoi, mon oncle? Tu as encore bien des années à vivre.</p> + +<p>GAUNT.--Mais pas une minute, roi, que tu puisses me donner. Tu peux +abréger mes jours par le noir chagrin, tu peux m'enlever des nuits, mais +non me prêter un lendemain. Tu peux aider le temps à me sillonner de +vieillesse, mais non pas arrêter dans ses progrès une seule de mes +rides. S'agit-il de ma mort, ta parole a cours aussi bien que lui: mais +mort, ton royaume ne saurait racheter ma vie.</p> + +<p>RICHARD..--Ton fils est banni d'après une sage délibération dans +laquelle ta voix même a donné son suffrage. Pourquoi donc maintenant +sembles-tu te plaindre de notre justice?</p> + +<p>GAUNT.--Il est des choses qui, douces au goût, sont dures à digérer. +Vous m'avez pressé comme juge, mais j'aurais bien mieux aimé que vous +m'eussiez ordonné de plaider comme un père. Ah! si au lieu de mon +enfant, c'eût été un étranger, pour adoucir sa faute j'aurais été plus +indulgent: j'ai cherché à éviter le reproche de partialité; et dans ma +sentence j'ai détruit ma propre vie.--Hélas! je regardais si quelqu'un +de vous ne dirait pas que j'étais trop sévère, de rejeter ainsi ce qui +m'appartient; mais vous avez laissé à ma langue, malgré sa répugnance, +la liberté de me faire ce tort contre ma volonté.</p> + +<p>RICHARD.--Adieu, cousin; et vous, oncle, dites-lui aussi adieu: nous le +bannissons pour six ans; il faut qu'il parte.</p> + +<p class="stage1">(Fanfare.--Sortent Richard et la suite.)</p> + +<p>AUMERLE.--Cousin, adieu. Ce que nous ne pouvons savoir par votre +présence, que des lieux que vous habiterez vos lettres nous +l'apprennent.</p> + +<p>LE MARÉCHAL.--Milord, moi je ne prends point congé de vous; je +chevaucherai à vos côtés tant que la terre me le permettra.</p> + +<p>GAUNT.--Hélas! pourquoi es-tu si avare de tes paroles et ne réponds-tu +rien aux salutations de tes amis?</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Je n'ai pas de quoi suffire à vous faire mes adieux; il me +faudrait prodiguer l'usage de ma langue pour exhaler toute l'abondance +de la douleur de mon coeur.</p> + +<p>GAUNT.--Ce qui cause ton chagrin n'est qu'une absence passagère.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--La joie absente, le chagrin reste toujours présent.</p> + +<p>GAUNT.--Qu'est-ce que six hivers? Ils passent bien vite.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Pour les hommes qui sont heureux; mais d'une heure le +chagrin en fait dix.</p> + +<p>GAUNT.--Suppose que c'est un voyage que tu entreprends pour ton plaisir.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Mon coeur soupirera quand je voudrai le tromper par ce nom +en y reconnaissant un pèlerinage.</p> + +<p>GAUNT.--Regarde le sombre voyage de tes pas fatigués comme un entourage +dans lequel tu devras placer le joyau précieux du retour dans la patrie.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Dites plutôt que chacun des pas pénibles que je vais faire +me rappellera quel vaste espace du monde j'aurai parcouru loin des +joyaux que j'aime. Ne me faudra-t-il pas faire un long apprentissage de +ces routes étrangères? et lorsqu'à la fin j'aurai regagné ma liberté, de +quoi pourrai-je me vanter, si ce n'est d'avoir travaillé pour le compte +de la douleur?</p> + +<p>GAUNT.--Tous les lieux que visite l'oeil du ciel sont pour le sage des +ports et des asiles heureux. Instruis tes nécessités à raisonner ainsi, +car il n'est point de vertu comme la nécessité. Persuade-toi non pas que +c'est le roi qui t'a banni, mais que tu as banni le roi.--Le malheur +s'appesantit d'autant plus qu'il s'aperçoit qu'on le porte avec +faiblesse. Va, dis-toi que je t'ai envoyé acquérir de l'honneur, et non +que le roi t'a exilé; ou bien suppose encore que la peste dévorante est +suspendue dans notre atmosphère, et que tu fuis vers un climat plus pur. +Vois ce que ton coeur a de plus cher; imagine qu'il est dans les lieux +où tu vas, et non dans ceux d'où tu viens. Pense que les oiseaux qui +chantent sont des musiciens, le gazon que foulent tes pieds un salon +parsemé de joncs, les fleurs de belles femmes, et tes pas un menuet<a id="footnotetag4" name="footnotetag4"></a> +<a href="#footnote4"><sup class="sml">4</sup></a> +ou une danse agréable. Le chagrin grondeur a moins de prise pour mordre +l'homme qui s'en rit et le tient pour léger.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote4" +name="footnote4"></a><b>Note 4:</b><a href="#footnotetag4"> +(retour) </a> <i>A delightful measure or a dance.</i> + +<p><i>A measure</i> était en général une danse mesurée ou d'apparat.</p></blockquote> + +<p>BOLINGBROKE.--Eh! qui pourra tenir le feu dans sa main en pensant aux +glaces du Caucase, ou assouvir l'âpre avidité de la faim par la simple +idée d'un festin, ou marcher nu à l'aise dans les neiges de décembre en +se créant la chaleur d'un été fantastique? L'idée du bien ne peut +qu'accroître le sentiment du mal. La dent cruelle de la douleur n'est +jamais si venimeuse que lorsqu'elle mord sans ouvrir une large blessure.</p> + +<p>GAUNT.--Viens, viens, mon fils; je vais te mettre dans ton chemin. Si +j'avais ta cause et ta jeunesse, je ne demeurerais pas ici.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Adieu donc, sol de l'Angleterre; douce terre, adieu, ma +mère et ma nourrice qui me portes encore. Dans quelque lieu que je sois, +je pourrai du moins me vanter d'être, quoique banni, un véritable +Anglais.</p> +<br> +<h3>SCÈNE IV</h3> + +<p class="stage1">La scène est toujours à Coventry.--Un appartement dans le château du +roi.</p> + +<p class="stage1"><i>Entrent</i> LE ROI RICHARD, BAGOT et GREEN, <i>ensuite</i> AUMERLE.</p> +<br> +<p>RICHARD.--Oui, nous nous en sommes aperçus.--Cousin Aumerle, jusqu'où +avez-vous conduit le grand Hereford sur son chemin?<a id="footnotetag5" name="footnotetag5"></a> +<a href="#footnote5"><sup class="sml">5</sup></a></p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote5" +name="footnote5"></a><b>Note 5:</b><a href="#footnotetag5"> +(retour) </a> Johnson a voulu supposer ici quelque erreur de copiste dans la +distribution des actes, et, d'après une nouvelle disposition qu'a suivie +Letourneur, il fait commencer au retour d'Aumerle le second acte, que +les anciennes copies ne font commencer qu'à l'arrivée du roi à Ely. Il +se fonde sur ce qu'il faut bien donner au vieux Gaunt le temps +d'accompagner son fils, de revenir et de tomber malade. Mais d'abord, +Gaunt n'accompagne point son fils; il le met seulement <i>en chemin</i> (<i>on +the way</i>); ensuite on peut supposer autant de temps que l'on voudra +entre la troisième et la quatrième scène du premier acte, autant du +moins qu'il en faut pour le retour d'Aumerle et la nouvelle de la +maladie du vieux Gaunt, qui, nous dit-on, a été pris subitement. La +distribution des actes telle qu'on la trouve dans les anciennes éditions +a du moins l'avantage de renfermer dans le premier acte un événement +fini, le départ d'Hereford; et comme la distribution imaginée par +Johnson ne donne d'ailleurs aucun moyen d'expliquer avec vraisemblance +les événements qui sont censés s'être passés dans l'intervalle du +premier au deuxième acte, on a conservé l'ancienne. Au reste, dans les +éditions faites avant la mort de Shakspeare, la pièce n'était point +coupée en actes, mais simplement composée d'une suite de scènes: les +éditions faites immédiatement après sa mort n'ont donc sur celles qui +l'ont précédée que l'avantage d'une tradition plus récente des +directions théâtrales qu'avait données l'auteur; elles semblent de plus, +dans ce cas-ci, avoir en leur faveur le bon sens dramatique.</blockquote> + +<p>AUMERLE.--J'ai conduit le grand Hereford, puisqu'il vous plaît de +l'appeler ainsi, jusqu'au grand chemin le plus voisin, et je l'ai laissé +là.</p> + +<p>RICHARD.--Et dites-moi, quel flot de larmes a-t-il été versé au moment +de la séparation?</p> + +<p>AUMERLE.--Ma foi, de ma part aucune, à moins que le vent du nord-est, +qui nous soufflait alors cruellement au visage, n'ait mis en mouvement +un rhume endormi, et n'ait ainsi, par hasard, honoré d'une larme nos +adieux hypocrites.</p> + +<p>RICHARD.--Qu'a dit notre cousin lorsque vous vous êtes quittés?</p> + +<p>AUMERLE.--Il m'a dit: <i>portez-vous bien</i><a id="footnotetag6" name="footnotetag6"></a> +<a href="#footnote6"><sup class="sml">6</sup></a>; et, comme mon coeur +dédaignait de voir ma langue profaner ce souhait, je me suis avisé de +contrefaire l'accablement d'un chagrin si profond, que mes paroles +semblaient ensevelies dans le tombeau de ma douleur. Vraiment, si ces +mots, <i>portez-vous bien</i> avaient pu allonger les heures et ajouter aux +années de son court exil, il aurait eu un volume de <i>portez-vous bien;</i> +mais comme cela n'était pas, il n'en a point eu de moi.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote6" +name="footnote6"></a><b>Note 6:</b><a href="#footnotetag6"> +(retour) </a> .....<i>Farewell.</i> + +<p><i>Farewell</i>, l'adieu ordinaire des Anglais, signifie <i>portez-vous bien.</i> +Il a fallu le traduire ainsi, pour faire comprendre la répugnance +d'Aumerle à le prononcer.</blockquote> + +<p>RICHARD.--Il est notre cousin, cousin; mais il est douteux, lorsque +arrivera le temps qui doit le ramener de l'exil, que notre parent +revienne voir ses amis. Nous-même, et Bushy, et Bagot que voilà, et +Green aussi, nous avons remarqué comme il faisait la cour au commun +peuple; comme il cherchait à pénétrer dans leurs coeurs par une +politesse modeste et familière; quels respects il prodiguait à des +misérables, s'étudiant à gagner le dernier des artisans par l'art de ses +sourires et par une soumission patiente à sa fortune, comme s'il eût +voulu emporter avec lui leurs affections: il ôtait son bonnet à une +marchande d'huîtres; deux charretiers, pour lui avoir souhaité la faveur +de Dieu, ont reçu l'hommage de son flexible genou, avec ces mots: «Je +vous remercie, mes compatriotes, mes bons amis;» comme si notre +Angleterre lui devait revenir en héritage, et qu'il fût au premier degré +l'espérance de nos sujets.</p> + +<p>GREEN.--Eh bien, il est parti; bannissons avec lui toutes ces idées. +Maintenant songeons aux rebelles soulevés dans l'Irlande: il faut s'en +occuper promptement, mon souverain, avant que de plus longs délais +multiplient leurs moyens à leur avantage et au détriment de Votre +Majesté.</p> + +<p>RICHARD.--Nous irons en personne à cette guerre; et comme une cour trop +brillante et la libéralité de nos largesses ont rendu nos coffres un peu +légers, nous nous trouvons forcés d'affermer nos domaines royaux pour en +retirer un revenu qui puisse fournir aux affaires du moment. Si cela ne +suffisait pas, nos lieutenants auront ici des blancs seings, au moyen +desquels, quand ils sauront que les gens sont riches, ils leur +imposeront de grosses sommes d'or qu'ils nous enverront pour faire face +à nos besoins; car nous voulons partir sans délai pour l'Irlande. +<span class="stage2">(<i>Entre Bushy.</i>)</span>--Quelles nouvelles, Bushy?</p> + +<p>BUSHY.--Le vieux Jean de Gaunt, seigneur, est dangereusement malade: il +a été pris subitement, et il a envoyé un exprès en diligence pour +conjurer Votre Majesté d'aller le visiter.</p> + +<p>RICHARD.--Où est-il?</p> + +<p>BUSHY.--A Ely-House.</p> + +<p>RICHARD.--Ciel, inspire à son médecin la pensée de l'aider à descendre +promptement dans la tombe! La doublure de ses coffres nous ferait des +habits pour équiper nos soldats de l'armée d'Irlande.--Venez, messieurs; +allons tous le visiter, et prions le ciel qu'en faisant diligence nous +arrivions trop tard.</p> + +<p class="stage1">(Ils sortent.)</p> + +<p>FIN DU PREMIER ACTE.</p> +<br> + + +<h2>ACTE DEUXIÈME</h2> +<br> +<h3>SCÈNE I</h3> + +<p class="stage1">Un appartement à Ely-House.</p> + +<p class="stage1">GAUNT <i>sur un lit de repos</i>, LE DUC D'YORK, <i>et d'autres personnes +autour de lui.</i></p> +<br> +<p>GAUNT.--Le roi viendra-t-il? Pourrai-je rendre le dernier soupir en +donnant de salutaires conseils à sa jeunesse sans appui?</p> + +<p>YORK.--Cessez de vous tourmenter; ne forcez point votre poitrine, car +c'est bien en vain que les conseils arrivent à son oreille.</p> + +<p>GAUNT.--Oh! mais on dit que la voix des mourants captive l'attention +comme une solennelle harmonie; que lorsque les paroles sont rares, elles +ne sont guère jetées en vain, car ils exhalent la vérité ceux qui +exhalent leurs paroles dans la douleur, et celui qui ne parlera plus est +plus écouté que ceux auxquels la jeunesse et la santé ont appris à +causer. On remarque plus la fin des hommes que leurs vies précédentes; +de même que le coucher du soleil, la dernière phrase d'un air, la +dernière saveur d'un mets agréable sont plus douces à la fin et se +gravent mieux dans la mémoire que les choses passées depuis longtemps. +Quoique Richard ait refusé d'écouter les conseils de ma vie, les tristes +discours de ma mort peuvent encore vaincre la dureté de son oreille.</p> + +<p>YORK.--Non, elle est bouchée par d'autres sons plus flatteurs, par +exemple les éloges donnés à sa magnificence: on entend ensuite autour de +lui des vers impurs dont les sons empoisonnés trouvent l'oreille de la +jeunesse toujours ouverte pour les entendre; on l'entretient des modes +de la superbe Italie, dont notre peuple cherche gauchement à singer, en +les suivant de loin, les manières dans une honteuse imitation. Quelque +part qu'il vienne de naître une frivolité dans le monde, quelque +misérable qu'elle puisse être, pourvu qu'elle soit nouvelle, ne court-on +pas aussitôt en étourdir l'oreille du roi? Tous les conseils arrivent +trop tard là où la volonté se révolte contre les considérations de la +raison. N'entreprends point de guider celui qui veut choisir son chemin +lui-même. Il ne te reste qu'un souffle, et tu veux le perdre en vain!</p> + +<p>GAUNT.--Il me semble que je suis un prophète nouvellement inspiré, et +voici ce qu'en expirant je prédis de lui: La fougue insensée de cette +ardeur de désordre ne saurait durer, car les incendies violents sont +bientôt éteints, les petites ondées durent longtemps; mais les orages +soudains sont bientôt finis. Celui qui donne trop continuellement de +l'éperon fatigue bientôt sa monture; et la nourriture avidement +engloutie étouffe celui qui la dévore: l'imprévoyante vanité, cormoran +insatiable, consomme ses ressources et finit par se dévorer +elle-même.--Ce noble trône des rois; cette île souveraine, cette terre +de majesté, ce séjour de Mars, ce nouvel Éden, ce demi-paradis, cette +forteresse bâtie par la nature elle-même pour s'y retrancher contre la +contagion et contre le bras de la guerre; cette heureuse race d'hommes, +ce petit univers, cette pierre précieuse enchâssée dans la mer d'argent +qui, comme un rempart ou comme un fossé creusé autour d'une maison, la +défend contre la jalousie des contrées moins fortunées; ce sol béni du +ciel, cette terre, ce royaume, cette Angleterre, cette nourrice, ce sein +fécond en rois redoutés par la valeur de leur race, fameux par leur +naissance, renommés par leurs exploits, que, pour le service de la +chrétienté et l'honneur de la chevalerie ils ont portés loin de leur +patrie, jusqu'au sépulcre qui est dans la rebelle Judée, le tombeau du +fils de la bienheureuse Marie, la rançon de l'univers; cette chère, +chère patrie, chérie pour sa réputation dans le monde entier, est +maintenant (ah! je meurs de le prononcer) engagée à bail comme un fief +ou une misérable ferme! L'Angleterre, ceinte d'une mer triomphante, dont +le rivage rocailleux repousse les jaloux assauts de l'humide Neptune, +est maintenant honteusement enchaînée par quelques taches d'encre et des +liens de parchemin pourri.... cette Angleterre, qui était accoutumée à +conquérir les autres, a fait d'elle-même une ignominieuse conquête. Ah! +si ce scandale devait s'évanouir avec ma vie, combien me trouverais-je +heureux de voir arriver la mort!</p> + +<p class="stage1">(Entrent le roi Richard, la reine<a id="footnotetag7" name="footnotetag7"></a> +<a href="#footnote7"><sup class="sml">7</sup></a>, Aumerle, Bushy, Green, Bagot, Ross +et Willoughby.)</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote7" +name="footnote7"></a><b>Note 7:</b><a href="#footnotetag7"> +(retour) </a> Le personnage de la reine est de l'invention de Shakspeare. +Richard, veuf d'Anne, soeur de l'empereur Venceslas, était fiancé depuis +trois ans à Isabelle de France, qui n'en avait que dix.</blockquote> + +<p>YORK.--Voilà le roi arrivé. Ménagez sa jeunesse: un jeune cheval +bouillant, si l'on s'irrite contre lui, s'en irrite bien davantage.</p> + +<p>LA REINE--Comment se porte notre noble oncle Lancastre?</p> + +<p>RICHARD.--Eh bien, vieillard, comment cela va-t-il? comment se trouve le +vieux Gaunt?</p> + +<p>GAUNT.--Oh! comme ce nom<a id="footnotetag8" name="footnotetag8"></a> +<a href="#footnote8"><sup class="sml">8</sup></a> convient à ma figure! Je suis un vieux +desséché, en effet, et desséché parce que je suis vieux; le chagrin a +gardé en moi une longue abstinence; et qui peut s'abstenir de nourriture +et n'être pas desséché? J'ai veillé longtemps pour l'Angleterre +endormie: les veilles engendrent la maigreur, et la maigreur est toute +desséchée; ce plaisir qui sert quelquefois d'aliment à un père, la vue +de mes enfants, j'en ai sévèrement jeûné; c'est au moyen de ce jeûne que +tu m'as desséché. Je suis desséché comme il convient à la tombe, +desséché comme la tombe dont les creuses entrailles ne renferment rien +que des os.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote8" +name="footnote8"></a><b>Note 8:</b><a href="#footnotetag8"> +(retour) </a> <i>Gaunt</i> en anglais signifie <i>mince, maigre, desséché</i>. Voici +tout le passage, et cette suite de jeux de mots qui sont bien dans les +habitudes d'esprit du temps, mais auxquels il a été impossible de +trouver un équivalent en français: + +<div class="poem"><div class="stanza"> + <p class="i10"><i>O, how that name befits my composition!</i></p> + <p class="i10"><i>Old Gaunt, indeed; and gaunt in being old:</i></p> + <p class="i10"><i>Within me grief hath kept a tedious fast,</i></p> + <p class="i10"><i>And who abstains from meat and is not gaunt?</i></p> + <p class="i10"><i>The pleasure, that some fathers feed upon,</i></p> + <p class="i10"><i>Is my strict fast, I mean, my children's looks,</i></p> + <p class="i10"><i>And therein fasting, hast thou made me Gaunt,</i></p> + <p class="i10"><i>Gaunt I am for the grave, Gaunt as a grave</i></p> + <p class="i10"><i>Whose hollow womb inherits nought but bones.</i></p> +</div></div> +</blockquote> + +<p>RICHARD.--Un malade peut-il jouer si subtilement sur son nom?</p> + +<p>GAUNT.--Non, la misère se plaît à se jouer d'elle-même. Puisque tu as +cherché à tuer mon nom dans ma personne; j'insulte à mon nom, grand roi, +pour te flatter.</p> + +<p>RICHARD.--Les mourants devraient-ils flatter les vivants?</p> + +<p>GAUNT.--Non, non, mais les vivants flattent les mourants.</p> + +<p>RICHARD.--Mais toi qui te meurs maintenant, tu prétends que tu me +flattes?</p> + +<p>GAUNT.--Oh! non, c'est toi qui te meurs, bien que je sois le plus +malade.</p> + +<p>RICHARD.--Moi, je suis en santé, je respire, et je te vois bien malade.</p> + +<p>GAUNT.--Celui qui m'a fait sait combien je te vois malade, malade +moi-même à cause de ce que je vois, et en te voyant malade; ton lit de +mort est aussi vaste que ton pays où tu languis malade dans ta +réputation. Et toi, malade trop insouciant, tu confies la guérison de +ton corps oint du Seigneur aux médecins mêmes qui t'ont blessé. En +dedans de cette couronne, dont le cercle n'est pas plus grand que ta +tête, siége un millier de flatteurs qui, bien que renfermés dans cet +étroit espace, étendent leurs dégâts jusqu'aux confins de ton pays. Oh! +si ton grand-père eût pu voir d'un oeil prophétique, comment le fils de +son fils ruinerait sa postérité, il aurait pris soin de placer ta honte +hors de ta portée, en te déposant avant que tu entrasses en possession, +puisque tu ne possèdes aujourd'hui que pour te déposer toi-même. Oui, +mon neveu, quand tu serais le maître du monde entier, il serait encore +honteux de donner ce pays à bail: mais lorsque ton univers se borne, à +la possession de ce pays, n'est-il pas plus que honteux de le réduire à +cette honte? Tu n'es à présent que l'intendant de l'Angleterre, et non +pas son roi: tu as soumis ton esclave, ta puissance royale à la loi, et +tu es....<a id="footnotetag9" name="footnotetag9"></a> +<a href="#footnote9"><sup class="sml">9</sup></a></p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote9" +name="footnote9"></a><b>Note 9:</b><a href="#footnotetag9"> +(retour) </a> <i>The state of law is bondslave to the law.</i></blockquote> + +<p>RICHARD.--Un imbécile lunatique à la tête faible qui te prévaux des +priviléges de la maladie pour oser, chassant avec violence le sang royal +de sa résidence naturelle, faire pâlir nos joues par ta morale glacée. +Mais, j'en jure la majesté royale de mon trône, si tu n'étais pas le +frère du fils du grand Édouard, ta langue, qui roule si grand train dans +ta bouche, ferait rouler ta tête de dessus tes insolentes épaules.</p> + +<p>GAUNT.--Fils de mon frère Édouard, oh! ne m'épargne pas parce que je +suis le fils d'Édouard son père. Semblable au pélican, tu l'as déjà fait +couler ce sang, tu l'as bu dans tes orgies. Mon frère Glocester, cette +âme simple et de bonnes intentions (veuille le ciel l'admettre au nombre +des âmes heureuses!), peut servir d'exemple et de témoignage pour +démontrer que tu ne te fais pas scrupule de verser le sang d'Édouard. +Ligue-toi avec mon mal actuel, et que ta cruauté, comme la faux de la +vieillesse, moissonne d'un coup une fleur depuis trop longtemps flétrie. +Vis dans ta honte, mais que ta honte ne meure pas avec toi, et que ces +paroles fassent ton supplice dans l'avenir!--Reportez-moi dans mon lit, +et de mon lit à la tombe. Qu'ils aiment la vie ceux qui y trouvent de la +tendresse et de l'honneur!</p> + +<p class="stage1">(Il sort emporté par les gens de sa suite.)</p> + +<p>RICHARD.--Et ceux-là font bien de mourir qui sont vieux et chagrins. Tu +es tous les deux, et par là le tombeau te convient doublement.</p> + +<p>YORK.--Je supplie Votre Majesté de n'imputer ses paroles qu'à l'humeur +de la maladie et de la vieillesse. Il vous aime, sur ma vie, et vous +tient pour aussi cher qu'Henri duc d'Hereford, s'il était ici.</p> + +<p>RICHARD.--C'est vrai, vous dites la vérité; son amour pour moi ressemble +à celui d'Hereford; et le mien est comme le leur.... Que les choses +soient ce qu'elles sont.</p> + +<p class="stage1">(Entre Northumberland.)</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--Mon souverain, le vieux Gaunt se recommande au souvenir +de Votre Majesté.</p> + +<p>RICHARD.--Que dit-il maintenant?</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--Rien vraiment. Tout est dit; sa langue est maintenant +un instrument sans cordes: le vieux Lancastre a dépensé vie, paroles, et +tout le reste.</p> + +<p>YORK.--Qu'York soit après lui le premier qui fasse ainsi banqueroute! La +mort, tout indigente qu'elle est, met un terme à des douleurs mortelles.</p> + +<p>RICHARD.--Le fruit le plus mûr tombe le premier: ainsi fait-il: c'est +son tour, son temps est passé: c'est celui de notre voyage à nous +autres. C'en est assez là-dessus.--Maintenant songeons à nos guerres +d'Irlande. Il nous faut chasser ces sauvages Kernes à la chevelure +crépue, qui existent comme un venin là où n'a la permission de résider +aucun autre venin qu'eux-mêmes<a id="footnotetag10" name="footnotetag10"></a> +<a href="#footnote10"><sup class="sml">10</sup></a>. Et pour cette importante expédition, +nous avons besoin de subsides qui nous aident à la soutenir: nous +saisissons donc l'argenterie, l'argent monnayé, les revenus et le +mobilier que possédait notre oncle Gaunt.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote10" +name="footnote10"></a><b>Note 10:</b><a href="#footnotetag10"> +(retour) </a> Il était de tradition que, grâce à la protection de saint +Patrick, aucun animal venimeux ne pouvait vivre en Irlande.</blockquote> + +<p>YORK.--Jusques à quand serai-je patient? Combien de temps encore mon +tendre attachement à mon devoir me fera-t-il supporter l'injustice? Ni +la mort de Glocester, ni le bannissement d'Hereford, ni les affronts de +Gaunt, ni les maux domestiques de l'Angleterre, ni les empêchements +apportés au mariage de ce pauvre Bolingbroke<a id="footnotetag11" name="footnotetag11"></a> +<a href="#footnote11"><sup class="sml">11</sup></a>, ni ma propre disgrâce, +n'ont jamais apporté une nuance d'aigreur sur mon visage soumis, ne +m'ont jamais fait porter sur mon souverain un regard irrité.--Je suis le +dernier des fils du noble Édouard, dont ton père, le prince de Galles, +était le premier. Jamais lion ne fut plus terrible dans la guerre, +jamais paisible agneau ne fut plus doux dans la paix que ne l'était ce +noble jeune homme. Tu as ses traits; oui, c'était là son air à l'âge où +il comptait le même nombre d'heures que toi. Mais lorsqu'il prenait un +front menaçant, c'était contre le Français, et non contre ses amis; sa +main victorieuse conquérait ce qu'elle dépensait, et ne dépensait pas ce +qu'avait conquis le bras triomphant de son père; ses mains ne furent +jamais souillées du sang de ses parents; elles ne furent teintes que du +sang des ennemis de sa race.--O Richard! York est trop accablé par la +douleur: sans elle il ne vous eût jamais comparés.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote11" +name="footnote11"></a><b>Note 11:</b><a href="#footnotetag11"> +(retour) </a> Il fut question, dit-on, pendant l'exil du duc d'Hereford en +France de lui donner en mariage la fille du duc de Berry, mais Richard +s'y opposa.</blockquote> + +<p>RICHARD.--Eh bien, quoi, mon oncle, qu'est-ce que c'est?</p> + +<p>YORK.--O mon souverain, pardonnez-moi si c'est votre bon plaisir; sinon, +content de n'être pas pardonné, je suis également satisfait. Quoi! vous +voulez saisir et retenir en vos mains les droits souverains et les biens +d'Hereford exilé? Gaunt n'est-il pas mort? Hereford n'est-il pas vivant? +Gaunt ne fut-il pas un homme d'honneur? Henri n'est-il pas fidèle? Le +père ne mérite-il pas un héritier? son héritier n'est-il pas un fils +bien méritant? Si tu enlèves à Hereford ses droits, et au temps ses +chartes et ses droits coutumiers, que demain ne succède donc plus à +aujourd'hui; ne sois plus ce que tu es: car comment es-tu roi, si ce +n'est par une descendance et une succession légitime? Maintenant devant +Dieu, et Dieu me prescrit de dire la vérité, si par une injustice vous +vous emparez de l'héritage d'Hereford, si vous mettez en question les +lettres patentes présentées par ses mandataires pour revendiquer sa +succession, et que vous refusiez l'hommage qu'il vous offre, vous +attirez mille dangers sur votre tête, vous perdez mille coeurs bien +disposés pour vous, et vous forcez la patience de mon attachement à des +pensées que ne peuvent se permettre l'honneur et la fidélité.</p> + +<p>RICHARD.--Pensez ce qu'il vous plaira: nous saisissons dans nos mains +son argenterie, son argent, ses biens et ses terres.</p> + +<p>YORK.--Je n'en serai pas témoin. Adieu, mon souverain.--Personne ne peut +dire quelles seront les suites de ceci: mais d'injustes actions donnent +lieu de présumer que leurs suites ne peuvent jamais être heureuses.</p> + +<p class="stage1">(Il sort.)</p> + +<p>RICHARD.--Bushy, allez sans délai trouver le comte de Wiltshire<a id="footnotetag12" name="footnotetag12"></a> +<a href="#footnote12"><sup class="sml">12</sup></a>; +dites-lui de se rendre auprès de nous à Ely-House pour voir à cette +affaire. Demain nous partons pour l'Irlande, et je crois qu'il en est +bien temps. Nous créons notre oncle York lord gouverneur de l'Angleterre +en notre absence, car c'est un homme juste et qui nous a toujours +tendrement aimé.--Venez, ma reine; demain il faudra nous séparer: +réjouissons-nous, car nous n'avons que peu de temps à passer ensemble.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote12" +name="footnote12"></a><b>Note 12:</b><a href="#footnotetag12"> +(retour) </a> Ce fut, selon le bruit qui en courut alors, au comte de +Wiltshire, à Bushy, à Green et à Bagot que le roi afferma son royaume.</blockquote> + +<p class="stage1">(Fanfares.--Sortent le roi, la reine, Bushy, Aumerle, Green et Bagot.)</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--Eh bien, seigneur, le duc de Lancastre est donc mort?</p> + +<p>ROSS.--Et vivant, car maintenant son fils est duc.</p> + +<p>WILLOUGHBY.--De nom seulement, mais non quant au revenu.</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--Il serait riche en titre et en fortune si la justice +avait ses droits.</p> + +<p>ROSS.--Mon coeur est grand, mais il rompra sous le silence avant que je +donne à mes paroles la liberté de le décharger.</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--Allons, dis ce que tu penses, et que la parole soit +interdite pour jamais à celui qui répétera les tiennes pour te nuire!</p> + +<p>WILLOUGHBY.--Ce que tu veux dire intéresse-t-il le duc d'Hereford? S'il +en est ainsi, parle hardiment, ami: j'ai l'oreille fine pour entendre ce +qui lui est bon.</p> + +<p>ROSS.--Je ne puis lui être bon à rien du tout, à moins que vous +n'appeliez lui être bon à quelque chose de le plaindre en le voyant +ainsi dépouillé et mutilé<a id="footnotetag13" name="footnotetag13"></a> +<a href="#footnote13"><sup class="sml">13</sup></a> dans son patrimoine.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote13" +name="footnote13"></a><b>Note 13:</b><a href="#footnotetag13"> +(retour) </a> <i>Gelded</i>.</blockquote> + +<p>NORTHUMBERLAND.--Par le ciel, c'est une honte de souffrir dans ce +royaume en décadence qu'on lui fasse de semblables injustices, à lui +prince du sang royal, et à tant d'autres de noble race. Le roi n'est +plus lui-même; il se laisse lâchement gouverner par des flatteurs; et +tout ce qu'ils voudront raconter par pure haine contre chacun de nous +tous, le roi le poursuivra avec rigueur contre nous, notre vie, nos +enfants et nos héritiers.</p> + +<p>ROSS.--Il a ruiné les communes par des taxes accablantes, et il a tout à +fait perdu leurs coeurs: il a, pour de vieilles querelles, condamné les +nobles à des amendes, et il a aussi perdu, leurs coeurs.</p> + +<p>WILLOUGHBY.--Et chaque jour on invente de nouvelles exactions, comme +<i>blancs seings</i>, <i>dons gratuits</i>, et je ne sais pas quoi. Mais, au nom +de Dieu, que devient tout cela?</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--Ce n'est pas la guerre qui l'a consumé, car il n'a +point fait la guerre: il a honteusement livré par contrat ce que ses +ancêtres avaient conquis à force de coups: il a plus dépensé dans la +paix qu'ils n'ont fait dans toutes leurs guerres.</p> + +<p>ROSS.--Le comte de Wiltshire tient le royaume à ferme.</p> + +<p>WILLOUGHBY.--Le roi s'est fait banqueroutier, comme un homme ruiné.</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--L'opprobre et la destruction sont suspendus sur sa +tête.</p> + +<p>ROSS.--Malgré ses lourdes taxes, il n'aura point d'argent pour ces +guerres d'Irlande, s'il ne le vole au duc banni.</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--Son noble parent!--O roi dégénéré!--Mais, milords, nous +entendons siffler cette horrible tempête, et nous ne cherchons aucun +abri contre l'orage. Nous voyons les vents serrer de près nos voiles, +et, sans songer à les carguer, nous nous laissons tranquillement périr.</p> + +<p>ROSS.--Nous voyons le naufrage qui nous attend, et le danger est +inévitable maintenant, parce que nous avons trop supporté les causes de +notre perte.</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--Non, il n'est point inévitable; à travers les yeux +creusés de la mort même, je vois poindre la vie: mais je n'ose dire +combien est proche la nouvelle de notre salut.</p> + +<p>WILLOUGHBY.--Allons, fais-nous part de tes pensées, comme nous te +faisons part des nôtres.</p> + +<p>ROSS.--Northumberland, parle avec confiance; tous trois nous ne faisons +qu'un avec toi; et en parlant, tes paroles demeurent comme des pensées. +Sois donc sans crainte.</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--Eh bien, alors, j'ai reçu avis de Port-le-Blanc (une +baie de la Bretagne) que Henri Hereford, Reynold, lord Cobham, le fils +de Richard comte d'Arundel<a id="footnotetag14" name="footnotetag14"></a> +<a href="#footnote14"><sup class="sml">14</sup></a>, échappé dernièrement de chez le duc +d'Exeter son frère, ci-devant archevêque de Cantorbéry; sir Thomas +Erpingham, sir John Ramston, sir John Norbery, sir Robert Waterton, et +François Quoint, tous bien pourvus de munitions par le duc de Bretagne, +font force de voiles vers l'Angleterre, montés sur huit gros vaisseaux +avec trois mille hommes de guerre, et se proposent d'aborder sous peu +sur nos côtes septentrionales; et peut-être y seraient-ils déjà, si ce +n'est qu'ils attendent d'abord le départ du roi pour l'Irlande. Si donc +nous voulons secouer le joug de la servitude, regarnir de plumes les +ailes brisées de notre patrie languissante, racheter la couronne ternie +à l'usurier qui la tient en gage, essuyer la poussière qui couvre l'or +de notre sceptre, et rendre à la royauté sa majesté naturelle, venez +avec moi en toute hâte à Ravensburg. Si vous faiblissez, retenus par la +crainte, restez ici, gardez notre secret, et moi j'y cours.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote14" +name="footnote14"></a><b>Note 14:</b><a href="#footnotetag14"> +(retour) </a> <i>The son of Richard, earl of Arundel.</i> + +<p>Ce vers, qui n'est point dans les anciennes éditions de Shakspeare, a +été suppléé par ses commentateurs, attendu que ce comte d'Arundel, cité +par Hollinshed dans la liste de ceux qui s'embarquèrent avec +Bolingbroke, et que Shakspeare lui a d'ailleurs empruntée, est le seul à +qui puisse s'appliquer le vers suivant:</p> + +<p class="mid"><i>That late broke from the duke of Exeter.</i></p> + +<p>Thomas, comte d'Arundel, dont le père, Richard, avait été décapité à la +Tour, avait été mis, à ce qu'il paraît, en quelque sorte sous la +surveillance du duc d'Exeter, de chez lequel il s'échappa pour joindre +Bolingbroke: seulement il était neveu, et non pas frère de Thomas +Arundel, archevêque de Cantorbéry, privé de son siége par le pape à la +demande du roi.</p></blockquote> + +<p>ROSS.--A cheval, à cheval! Propose tes doutes à ceux qui ont peur.</p> + +<p>WILLOUGHBY.--Si mon cheval résiste, j'y serai le premier.</p> + +<p class="stage1">(Ils sortent.)</p> +<br> + +<h3>SCÈNE II</h3> + +<p class="stage1">La scène est toujours en Angleterre.--Un appartement dans le palais.</p> + +<p class="stage1"><i>Entrent</i> LA REINE, BUSHY, BAGOT.</p> + +<br> +<p>BUSHY.--Madame, Votre Majesté est beaucoup trop triste. Vous avez +promis au roi, en le quittant, d'écarter cette mélancolie dangereuse et +d'entretenir la sérénité dans votre âme.</p> + +<p>LA REINE.--Je l'ai promis pour plaire au roi; mais si je veux me +plaire à moi-même, cela m'est impossible. Cependant je ne me connais +aucun sujet pour accueillir un hôte tel que le chagrin, si ce n'est +d'avoir dit adieu à un hôte aussi cher que me l'est mon cher Richard: et +pourtant il me semble que quelque malheur, encore à naître, mais prêt à +sortir du sein de la fortune, s'avance en ce moment vers moi: le fond de +mon âme tremble de rien, et elle s'afflige de quelque chose de plus que +de l'éloignement du roi mon époux.</p> + +<p>BUSHY.--Chaque cause réelle de douleur a vingt ombres qui ressemblent +au chagrin, sans l'être: l'oeil de l'affliction, terni par les larmes +qui l'aveuglent, décompose une seule chose en plusieurs objets: comme +ces peintures qui, vues de face, n'offrent que des traits confus, et +qui, regardées obliquement, présentent des formes distinctes; ainsi +Votre chère Majesté, considérant de côté le départ du roi, y voit à +déplorer des apparences de chagrins en dehors de lui, et qui, vues +telles qu'elles sont, ne sont que des ombres de ce qui n'est pas. Ainsi, +reine trois fois gracieuse, ne pleurez rien de plus que le départ de +votre seigneur: il n'y a rien de plus à voir, ou si vous voyez quelque +chose c'est de l'oeil trompeur du chagrin, qui dans les maux réels +pleure des maux imaginaires.</p> + +<p>LA REINE.--Cela peut être, mais mon coeur me persuade intérieurement +qu'il en est autrement: quoi qu'il en soit, je ne puis m'empêcher d'être +triste, et si mortellement triste que, quoique en pensant je ne m'arrête +à aucune pensée, mon âme frémit et succombe sous ce pesant néant.</p> + +<p>BUSHY.--Ce n'est rien, gracieuse dame, qu'un caprice de l'imagination.</p> + +<p>LA REINE.--C'est tout autre chose; car l'imagination prend naissance de +quelque chagrin qui lui sert d'ancêtre, et je ne suis pas dans ce cas. +Ou le chagrin que j'éprouve est né sans cause, ou d'une véritable cause +est né pour moi un chagrin sans réalité. Je possède déjà ce qui doit me +revenir, mais comme une chose encore inconnue, que je ne puis nommer; +c'est un malheur sans nom que je sens.</p> + +<p class="stage1">(Entre Green.)</p> + +<p>GREEN.--Que le ciel conserve Votre Majesté!--Et vous, messieurs, je suis +bien aise de vous rencontrer.--J'espère que le roi n'est pas encore +embarqué pour l'Irlande.</p> + +<p>LA REINE.--Et pourquoi l'espères-tu? Il vaut mieux espérer qu'il l'est; +car ses desseins exigent de la célérité, et c'est sur cette célérité que +se fondent nos espérances. Pourquoi donc espères-tu qu'il n'est pas +embarqué?</p> + +<p>GREEN.--C'est qu'il aurait pu, lui en qui nous espérons, ramener ses +troupes sur leurs pas, et changer en désespoir les espérances d'un +ennemi débarqué en force dans ce royaume. Le banni Bolingbroke se +rappelle lui-même, et, les armes à la main, est arrivé en sûreté jusqu'à +Ravensburg.</p> + +<p>LA REINE.--Que le Dieu du ciel nous en préserve!</p> + +<p>GREEN.--Oh! madame, cela n'est que trop vrai! et ce qu'il y a de plus +fâcheux encore, c'est que lord Northumberland, son jeune fils Henry +Percy, les lords Ross, Beaumont, et Willoughby, ont couru le rejoindre +avec tous leurs puissants amis.</p> + +<p>BUSHY.--Pourquoi n'avez-vous pas déclaré traîtres Northumberland et tout +le reste de cette faction rebelle?</p> + +<p>GREEN.--Nous l'avons fait; et aussitôt le comte de Worcester a brisé son +bâton, a remis sa dignité de grand maître d'hôtel, et tous les officiers +de la maison du roi ont volé avec lui vers Bolingbroke.</p> + +<p>LA REINE.--Ainsi, Green, c'est vous qui êtes la sage-femme de mon +malheur; et Bolingbroke est le funeste héritier qu'avait conçu mon +chagrin. Enfin mon âme a enfanté son monstre; et, comme une mère encore +haletante après sa délivrance, j'accumule douleurs sur douleurs et +chagrins sur chagrins.</p> + +<p>BUSHY.--Ne désespérez pas, madame.</p> + +<p>LA REINE.--Et qui peut m'en empêcher? Oui, je désespère et me déclare +ennemie de la trompeuse espérance; c'est une flatteuse, une parasite qui +retient les pas de la mort, qui dissoudrait doucement les liens de la +vie, si la perfide espérance ne faisait traîner nos derniers moments.</p> + +<p class="stage1">(Entre York.)</p> + +<p>GREEN.--Voici le duc d'York.</p> + +<p>LA REINE.--Avec l'armure de la guerre sur ses épaules vieillies. Oh! ses +regards sont remplis de soucis inquiets!--Mon oncle, au nom du ciel, +dites-nous des paroles consolantes.</p> + +<p>YORK.--Si je le faisais, je mentirais à mes pensées: les consolations +sont dans le ciel, et nous sommes sur la terre où l'on ne trouve que +croix, peines et chagrins. Votre mari est allé sauver au loin ce que +d'autres vont lui faire perdre ici. Il m'a laissé pour être l'appui de +son royaume, moi qui, affaibli par l'âge, ne puis me soutenir moi-même! +La voici arrivée l'heure de maladie amenée par ses excès! c'est +maintenant qu'il va faire l'épreuve des amis qui l'ont flatté.</p> + +<p class="stage1">(Entre un serviteur.)</p> + +<p>LE SERVITEUR.--Milord, votre fils était parti avant que j'arrivasse.</p> + +<p>YORK.--Il était parti? A la bonne heure; que tout aille comme cela +voudra. La noblesse a déserté; les communes sont froides, et je crains +bien qu'elles ne se révoltent et ne se déclarent pour Hereford. Mon ami, +va à Plashy trouver ma soeur Glocester; dis-lui de m'envoyer +sur-le-champ mille livres.--Tiens, prends mon anneau.</p> + +<p>LE SERVITEUR.--Milord, j'avais oublié de le dire à Votre Seigneurie, j'y +suis entré aujourd'hui en passant par là--Mais je vais vous affliger si +je vous dis le reste.</p> + +<p>YORK.--Quoi, misérable?</p> + +<p>LE SERVITEUR.--Une heure avant mon arrivée, la duchesse était morte.</p> + +<p>YORK.--Que le ciel ait pitié de nous! Quel déluge de maux vient fondre à +la fois sur ce malheureux pays!--Je ne sais que faire.--Plût à Dieu, +pourvu qu'il n'y eût pas été poussé par mon infidélité, que le roi eût +fait tomber ma tête avec celle de mon frère.--A-t-on fait partir des +courriers pour l'Irlande?--Comment trouverons-nous de l'argent pour +fournir à cette guerre?--Venez ma soeur.... Je voulais dire ma nièce; +pardonnez-moi, je vous prie. <span class="stage2">(<i>Au serviteur.</i>)</span>--Va, mon garçon, va chez +moi, procure-toi quelques chariots, et apporte les armes que tu +trouveras.--Messieurs, voulez-vous aller rassembler des soldats?--Si je +sais comment et par quelle voie mettre fin à ces affaires qu'on a jetées +ainsi tout embrouillées dans mes mains, ne me croyez jamais.--Tous les +deux sont mes parents.--L'un est mon souverain, que mon serment et mon +devoir m'ordonnent de défendre; et l'autre est également mon parent, que +le roi a injustement dépouillé, à qui ma conscience et les liens du sang +m'ordonnent de faire justice.--Allons, il faut pourtant faire quelque +chose.--Venez, ma nièce, je vais disposer de vous.--Vous, allez, +rassemblez vos troupes, et venez me trouver sans délai au château de +Berkley. Il serait nécessaire aussi que j'allasse à Plashy, mais le +temps ne me le permet pas.--Tout est en désordre, tout est laissé sens +dessus dessous<a id="footnotetag15" name="footnotetag15"></a> +<a href="#footnote15"><sup class="sml">15</sup></a>.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote15" +name="footnote15"></a><b>Note 15:</b><a href="#footnotetag15"> +(retour) </a> <i>..... Every thing is left at six and seven.</i></blockquote> + +<p class="stage1">(York et la reine sortent.)</p> + +<p>BUSHY.--Les vents sont favorables pour porter des nouvelles en Irlande, +mais aucune n'en arrive.--Quant à nous, lever une armée proportionnée à +celle de l'ennemi, c'est ce qui nous est tout à fait impossible.</p> + +<p>GREEN.--D'ailleurs, de l'attachement qui nous unit étroitement au roi, +il n'y a pas loin à la haine de ceux qui n'aiment pas le roi.</p> + +<p>BAGOT.--Oui, la haine de ces communes indécises; car leur affection loge +dans leur bourse: quiconque la vide remplit d'autant leur coeur d'une +haine mortelle.</p> + +<p>BUSHY.--Et c'est pourquoi le roi est généralement condamné.</p> + +<p>BAGOT.--Si le jugement dépend d'eux, nous le sommes aussi, nous qui +avons toujours été près du roi.</p> + +<p>GREEN.--Eh bien, pour moi, je vais m'aller réfugier dans le château de +Bristol; le comte de Wiltshire y est déjà.</p> + +<p>BUSHY.--Je m'y rendrai avec vous; car ces détestables communes ne feront +pas grand'chose pour nous, si ce n'est de nous mettre tous en pièces +comme des chiens.--Venez-vous avec nous?</p> + +<p>BAGOT.--Non: je me rends, en Irlande, auprès de Sa Majesté.--Adieu; si +les pressentiments du coeur ne sont pas vains, nous voilà trois ici qui +nous séparons pour ne jamais nous revoir.</p> + +<p>BUSHY.--Cela dépend du succès qu'aura York pour chasser Bolingbroke.</p> + +<p>GREEN.--Hélas! ce pauvre duc! il entreprend là une tâche.... C'est comme +s'il voulait boire l'Océan jusqu'à la dernière goutte, ou compter ses +grains de sable.--Pour un qui va combattre avec lui, il en désertera +mille.</p> + +<p>BUSHY.--Adieu tout de suite pour cette fois, pour tous et pour toujours.</p> + +<p>GREEN.--Bon! nous pouvons nous retrouver encore.</p> + +<p>BAGOT.--Jamais, je le crains.</p> +<br> + + +<h3>SCÈNE III</h3> + +<p class="stage1">Les landes du comté de Glocester.</p> + +<p class="stage1"><i>Entrent</i> BOLINGBROKE et NORTHUMBERLAND <i>avec des troupes</i>.</p> +<br> + +<p>BOLINGBROKE.--Combien y a-t-il encore d'ici à Berkley, milord?</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--En vérité, noble seigneur, je suis absolument étranger +dans le comté de Glocester. La hauteur de ces montagnes sauvages, la +rudesse de ces chemins inégaux, allongent nos milles et augmentent la +fatigue; et cependant l'agrément de votre conversation a été comme du +sucre et a rendu ces mauvais chemins doux et délicieux. Mais je songe +quelle fatigue éprouveront Ross; et Willoughby dans leur route de +Ravensburg à Costwold, où ils n'auront pas votre compagnie qui, je vous +le proteste, a tout à fait trompé pour moi l'ennui et la longueur du +voyage. Mais le leur est adouci par l'espérance de jouir de l'avantage +que je possède actuellement; et l'espérance du plaisir est, à peu de +chose près, un plaisir égal à celui de la jouissance. Ce sentiment +abrégera le chemin pour les deux seigneurs fatigués, comme l'a abrégé +pour moi la jouissance présente de votre noble compagnie.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Ma compagnie vaut beaucoup moins que vos paroles +obligeantes.--Mais qui vient à nous?....</p> + +<p class="stage1">(Entre Henri Percy.)</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--C'est mon fils, le jeune Percy, envoyé par mon frère +Worcester, de quelque lieu qu'il arrive.--Henri, comment se porte votre +oncle?</p> + +<p>PERCY.--Je pensais, milord, que vous me donneriez de ses nouvelles.</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--Comment, n'est-il pas avec la reine?</p> + +<p>PERCY.--Non, mon bon seigneur, il a abandonné la cour, brisé les +insignes de sa dignité, et dispersé la maison du roi.</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--Quelle a été sa raison? Il n'avait pas cette intention +la dernière fois que nous nous sommes entretenus ensemble.</p> + +<p>PERCY.--C'est parce que Votre Seigneurie a été déclarée traître. Quant à +lui, milord, il est allé à Ravensburg offrir ses services au duc +d'Hereford; et il m'a envoyé par Berkley pour découvrir quelles étaient +les forces que le duc d'York y avait rassemblées, avec ordre de me +rendre ensuite à Ravensburg.</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--Eh bien, mon enfant, est-ce que vous avez oublié le duc +d'Hereford?</p> + +<p>PERCY.--Non, mon bon seigneur, car je n'ai pu oublier ce que je n'ai +jamais eu à me rappeler. Je ne sache pas l'avoir jamais vu de ma vie.</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--Eh bien, apprenez à le connaître aujourd'hui. Voilà le +duc.</p> + +<p>PERCY.--Mon gracieux seigneur, je vous offre mes services tels qu'ils +sont; je suis jeune, neuf et faible encore, mais les années, en me +mûrissant, pourront rendre mes services plus utiles et plus dignes de +votre approbation.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Je te remercie, aimable Percy; et sois certain que je +regarde comme mon plus grand bonheur de posséder un coeur qui se +souvient de ses bons amis. A mesure que ma fortune croîtra avec ton +affection, elle deviendra la récompense de cette affection fidèle. Mon +coeur fait ce traité, et ma main le scelle ainsi.</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--Quelle est la distance d'ici à Berkley, et quels sont +les mouvements qu'y faits le bon vieux York avec ses hommes de guerre?</p> + +<p>PERCY.--Là-bas, près de cette touffe d'arbres, est la forteresse, +défendue par trois cents hommes, à ce que j'ai ouï dire; et là sont +renfermés les lords d'York, Berkley et Seymour. On n'y compte aucun +autre homme de nom et distingué par sa noblesse.</p> + +<p class="stage1">(Entrent Ross et Willoughby.)</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--Voici les lords de Ross et Willoughby: leurs éperons +sont tout sanglants, et leur visage est enflammé de la course.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Soyez les bienvenus, milords: je sens bien que votre +amitié s'attache aux pas d'un traître banni. Toute ma richesse se borne +encore à des remercîments sans effets, qui, devenus plus riches, sauront +récompenser votre amour et vos travaux.</p> + +<p>ROSS.--Très-noble seigneur, votre présence nous fait riches.</p> + +<p>WILLOUGHBY.--Et elle surpasse de beaucoup la fatigue que nous avons +subie pour en jouir.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Recevez encore des remercîments, seul trésor du pauvre, le +seul d'où je puisse tirer mes bienfaits, jusqu'à ce que ma fortune, au +berceau, ait acquis des années.--Mais qui vient à nous?</p> + +<p class="stage1">(Entre Berkley.)</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--C'est, si je ne le trompe, lord Berkley.</p> + +<p>BERKLEY.--Milord d'Hereford, c'est à vous que s'adresse mon message.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Milord, je ne réponds qu'au nom de Lancastre, et je suis +venu chercher ce nom en Angleterre: il faut que je trouve ce titre dans +votre bouche avant que je réponde à rien de ce que vous pourrez me dire.</p> + +<p>BERKLEY.--Ne vous méprenez pas sur mes paroles, milord: ce n'est pas mon +intention d'effacer aucun de vos titres d'honneur.--Je viens vers vous, +milord.... (ce que vous voudrez), de la part du très-glorieux régent de +ce royaume, le duc d'York, pour savoir ce qui vous excite à profiter de +l'absence du roi pour troubler la paix de notre pays avec des armes +forgées dans son sein.</p> + +<p class="stage1">(Entre York avec sa suite.)</p> + +<p>BOLINGBROKE, <span class="stage2"><i>à Berkley.</i></span>--Je n'aurai pas besoin de transmettre par vous +ma réponse: voilà Sa Seigneurie en personne. <span class="stage2">(<i>Il fléchit le +genou.</i>)</span>--Mon noble oncle!</p> + +<p>YORK.--Que je voie s'abaisser devant moi ton coeur et non tes genoux, +dont le respect est faux et trompeur.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Mon gracieux oncle!....</p> + +<p>YORK.--Cesse, cesse; ne me gratifie pas du titre de <i>grâce</i>, ni de celui +d'<i>oncle</i>: je ne suis point l'oncle d'un traître, et ce titre de <i>grâce</i> +a mauvaise grâce dans ta bouche sacrilège<a id="footnotetag16" name="footnotetag16"></a> +<a href="#footnote16"><sup class="sml">16</sup></a>. Pourquoi les pieds d'un +banni, d'un proscrit, ont-ils osé toucher la poussière du sol +d'Angleterre? mais surtout, pourquoi ont-ils osé traverser tant de +milles sur son sein paisible, et effrayer ses pâles hameaux par +l'appareil de la guerre et une ostentation de forces que je méprise? +Viens-tu parce que le roi consacré n'est pas ici? Mais, jeune insensé, +le roi est demeuré dans ma personne, son autorité a été remise à mon +coeur loyal. Ah! si je possédais encore ma bouillante jeunesse, comme au +temps où le brave Gaunt ton père, et moi, nous délivrâmes le Prince +Noir, ce jeune Mars parmi les hommes, du milieu des rangs de tant de +milliers de Français, oh! comme ce bras, que la paralysie retient +captif, t'aurait bientôt puni et châtié de ta faute!</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote16" +name="footnote16"></a><b>Note 16:</b><a href="#footnotetag16"> +(retour) </a> <i>In an ungracious mouth, is but profane.</i> Il a fallu s'écarter +un peu du sens littéral pour conserver le jeu de mots.</blockquote> + +<p>BOLINGBROKE.--Mon gracieux oncle, faites-moi connaître ma faute, et +quelle en est la nature et la gravité.</p> + +<p>YORK.--Elle est de la nature la plus grave.--Une révolte ouverte et une +trahison détestable! Tu es un homme banni, et tu reviens ici avant +l'expiration du terme de ton exil, bravant ton souverain les armes à la +main!</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Quand je fus banni, j'étais Hereford banni, mais +maintenant je reviens Lancastre: et mon digne oncle, j'en conjure Votre +Grâce, examinez d'un oeil impartial les injures que j'ai souffertes. +Vous êtes mon père, car il me semble qu'en vous je vois vivre encore le +vieux Gaunt; ô vous donc, mon père, souffrirez-vous que je reste +condamné au sort d'un vagabond errant, mes droits et mon royal héritage +arrachés de mes mains par la violence et abandonnés à des prodigues +parvenus? A quoi me sert donc ma naissance? Si le roi mon cousin est roi +d'Angleterre, il faut bien m'accorder que je suis duc de Lancastre. Vous +avez un fils, Aumerle, mon noble parent: si vous étiez mort le premier, +et qu'il eût été foulé aux pieds comme moi, il aurait retrouvé dans son +oncle Gaunt un père pour poursuivre l'injustice et la mettre aux abois. +On me refuse le droit de poursuivre la mise en possession de mes biens, +comme j'y suis autorisé par mes lettres patentes, tous les biens de mon +père ont été saisis et vendus, et, comme tout le reste, mal employés! +Que vouliez-vous que je fisse? Je suis un sujet, et je réclame la loi; +on me refuse des fondés de pouvoir; je viens donc réclamer en personne +l'héritage qui me revient par légitime descendance.</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--Le noble duc a été trop indignement traité.</p> + +<p>ROSS.--Il dépend de Votre Grâce de lui rendre justice.</p> + +<p>WILLOUGHBY.--Des hommes indignes se sont agrandis à ses dépens.</p> + +<p>YORK.--Messeigneurs d'Angleterre, laissez-moi vous parler.--J'ai +ressenti les outrages faits à mon cousin, et j'ai fait tout ce que j'ai +pu pour lui faire rendre justice: mais venir ainsi avec des armes +menaçantes, en s'ouvrant soi-même un chemin l'épée à la main, en +cherchant à reconquérir ses droits par l'injustice, cela ne se peut +pas.--Et vous qui le soutenez dans cette conduite, vous favorisez la +révolte et vous êtes tous des rebelles.</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--Le noble duc a fait serment qu'il ne revenait que pour +revendiquer ce qui lui appartient: sa cause est si juste que nous avons +tous solennellement juré de lui prêter notre secours, et que celui de +nous qui violera son serment ne voie jamais la joie.</p> + +<p>YORK.--Allons, allons, je vois quelle sera l'issue de cet armement. Je +n'y puis rien, il faut que je le confesse; mon pouvoir est faible, et +tout m'a été laissé en mauvais état. Si je le pouvais, j'en jure par +Celui qui m'a donné la vie, je vous ferais tous arrêter et vous +obligerais à implorer la souveraine miséricorde du roi; mais, puisque je +ne le puis, je vous déclare que je reste neutre; ainsi, adieu, à moins +qu'il ne vous plaise d'entrer dans le château, et d'y prendre du repos +cette nuit.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--C'est une offre, mon oncle, que nous accepterons +volontiers; mais il faut que nous persuadions à Votre Grâce de venir +avec nous au château de Bristol, qu'on dit occupé par Bushy, Bagot et +leurs complices, ces chenilles de l'État, que j'ai fait serment +d'abattre et de détruire.</p> + +<p>YORK.--Il pourrait se faire que j'allasse avec vous. Mais non, +cependant, j'y réfléchirai, car j'ai de la répugnance à enfreindre les +lois de notre patrie. Vous n'êtes ni mes amis ni mes ennemis, mais vous +êtes les bienvenus chez moi: je ne veux plus prendre souci de choses +auxquelles on ne peut plus porter remède.</p> +<br> + +<h3>SCÈNE IV<a id="footnotetag17" name="footnotetag17"></a> +<a href="#footnote17"><sup class="sml">17</sup></a></h3> + +<p class="stage1">Un camp dans le pays de Galles.</p> + +<p class="stage1"><i>Entrent</i> SALISBURY et UN CAPITAINE.</p> +<br> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote17" +name="footnote17"></a><b>Note 17:</b><a href="#footnotetag17"> +(retour) </a> Johnson suppose que cette scène a été, par erreur de copiste, +déplacée de son lieu naturel, et qu'elle devait, dans l'intention de +Shakspeare, former la seconde scène du troisième acte, le second se +terminant ainsi à la sortie de Bolingbroke pour aller à Bristol. Il a dû +être déterminé dans son opinion par le lieu de cette scène, placée, +comme troisième scène du troisième acte, dans le pays de Galles; en +sorte qu'en conservant l'ancienne disposition, il faut passer deux fois +et rapidement d'Angleterre dans le pays de Galles, et du pays de Galles +en Angleterre. Mais c'est une considération à laquelle, en général, +Shakspeare paraît attacher peu d'importance, et qui en a peu en effet +dans le système qu'il a adopté; au lieu que, pour l'intérêt et la +progression de la marche dramatique, l'une des parties qu'il a le plus +soignées, cette scène de la désertion des Gallois doit nécessairement +faire suite à la soumission du duc d'York, et terminer le second acte +qui finit ainsi avec la puissance de Richard et l'anéantissement complet +des forces sur lesquelles il avait compté. L'exécution de Green et de +Bushy au commencement du troisième acte est le premier exercice de la +puissance de Bolingbroke, destinée à aller dès ce moment toujours en +croissant jusqu'à la fin de la pièce, mais qui s'annonce déjà tout +entière dans cet acte de souveraineté. Elle perdrait ce caractère si la +partie était encore incertaine, si l'on pouvait supposer qu'il reste +encore à Richard les moyens de venger ses amis.</blockquote> + +<p>LE CAPITAINE.--Lord Salisbury, nous avons attendu dix jours, et nous +avons eu bien de la peine à tenir nos compatriotes rassemblés; et +cependant nous ne recevons aucune nouvelle du roi: en conséquence, nous +allons nous disperser; adieu.</p> + +<p>SALISBURY.--Attends encore un jour, fidèle Gallois, le roi met toute sa +confiance en toi.</p> + +<p>LE CAPITAINE.--On croit le roi mort. Nous ne resterons pas davantage: +les lauriers dans nos campagnes se sont tous flétris; des météores +viennent effrayer les étoiles fixes du firmament; la pâle lune jette sur +la terre une lueur sanglante, et des prophètes au visage hâve annoncent +tout bas, d'effrayants changements: les riches ont l'air triste, et les +coquins dansent et sautent de joie, les uns dans la crainte de perdre ce +qu'ils possèdent, les autres dans les espérances que leur offre la +violence et la guerre. Ces signes présagent la mort ou la chute des +rois.--Adieu: nos compatriotes sont partis et déjà loin, bien persuadés +que leur roi Richard est mort.</p> + +<p class="stage1">(Il sort.)</p> + +<p>SALISBURY.--Ah! Richard, c'est avec une douleur profonde que je vois ta +gloire, comme une étoile filante, s'abîmer du firmament sur la misérable +terre. Ton soleil descend en pleurant vers l'humble couchant, annonçant +les orages, les maux et les troubles à venir. Tes amis ont fui et se +sont joints à tes ennemis; et le cours de tous les événements te devient +contraire.</p> + +<p class="stage1">(Il sort.)</p> + + + +<p>FIN DU SECOND ACTE.</p> +<br> + +<h2>ACTE TROISIÈME</h2> +<br> + +<h3>SCÈNE I</h3> + +<p class="stage1">Le camp de Bolingbroke devant Bristol.</p> + +<p class="stage1"><i>Entrent</i> BOLINGBROKE, YORK, NORTHUMBERLAND, PERCY, ROSS.--<i>Derrière eux +viennent des officiers conduisant</i> WILLOUGHBY, BUSHY et GREEN +<i>prisonniers</i>.</p> +<br> + +<p>BOLINGBROKE.--Faites approcher ces hommes.--Bushy et Green, je ne veux +point tourmenter vos âmes (qui dans un instant vont être séparées de +leurs corps) en vous représentant trop fortement les crimes de votre +vie: cela serait manquer de charité. Cependant, pour laver mes mains de +votre sang, je vais ici, à la face des hommes, exposer quelques-unes des +causes de votre mort. Vous avez perverti un prince, un véritable roi, né +d'un sang vertueux, d'une physionomie heureuse; vous l'avez dénaturé, +vous l'avez entièrement défiguré. Vous avez en quelque sorte, par les +heures choisies pour vos débauches<a id="footnotetag18" name="footnotetag18"></a> +<a href="#footnote18"><sup class="sml">18</sup></a>, établi le divorce entre la reine +et lui, et troublé la possession de la couche royale; vous avez flétri +la beauté des joues d'une belle reine par les larmes qu'ont arrachées de +ses yeux vos odieux outrages. Moi-même, que la fortune a fait naître +prince, uni au roi par le sang, uni par l'affection avant que vous +l'eussiez porté à mal interpréter mes actions, j'ai courbé la tête sous +vos injustices; j'ai envoyé vers des nuages étrangers les soupirs d'un +Anglais, mangeant le pain amer de l'exil; tandis que vous vous +engraissiez sur mes seigneuries, que vous renversiez les clôtures de mes +parcs, que vous abattiez les arbres de mes forêts, que vous enleviez de +mes fenêtres les armoiries de ma famille, que vous effaciez partout mes +devises, ne laissant plus, si ce n'est dans la mémoire des hommes et +dans ma race vivante, aucun indice qui pût prouver au monde que je suis +un gentilhomme. C'est là ce que vous avez fait, et bien plus encore, +bien plus que le double de tout ceci; et c'est ce qui vous condamne à +mort.--Voyez à ce qu'on les livre aux exécuteurs et à la main de la +mort.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote18" +name="footnote18"></a><b>Note 18:</b><a href="#footnotetag18"> +(retour) </a> + +<div class="poem"><div class="stanza"> + <p class="i10"><i>You have in manner, with your sinful hours,</i></p> + <p class="i10"><i>Made a divorce betwixt his queen and him,</i></p> + <p class="i10"><i>Broke the possession of a royal bed.</i></p> +</div></div> + +<p>Ces vers ne paraissent pas précisément impliquer que ces favoris de +Richard l'aient rendu infidèle à la reine, mais plutôt qu'ils l'ont +entraîné dans des orgies de nuit. Rien d'ailleurs dans la pièce +n'indique aucun tort de ce genre; Richard et sa femme sont au contraire +représentés comme des époux très-unis, et même très-tendres.</blockquote> + +<p>BUSHY.--Le coup de la mort est mieux venu pour moi que ne l'est +Bolingbroke pour l'Angleterre.--Milords, adieu.</p> + +<p>GREEN.--Ce qui me console, c'est que le ciel recevra nos âmes, et punira +l'injustice des peines de l'enfer.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Lord Northumberland, veillez à leur exécution. (<i>Sortent +Northumberland et plusieurs autres emmenant les prisonniers.</i>)--Ne +dites-vous pas, mon oncle, que la reine est dans votre château? Au nom +du ciel, ayez soin qu'elle soit bien traitée: Dites-lui que je lui +envoie l'assurance de mes sentiments affectueux; ayez bien soin qu'on +lui transmette mes compliments.</p> + +<p>YORK.--J'ai dépêché un de mes gentilshommes, avec une lettre où je lui +parle au long de votre affection pour elle.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Merci, mon bon, mon cher oncle.--Allons, milords, partons +pour combattre Glendower et ses complices: encore quelque temps à +l'ouvrage; puis après, congé.</p> + +<p class="stage1">(Ils sortent.)</p> +<br> + +<h3>SCÈNE II</h3> + +<p class="stage1">Les côtes du pays de Galles.--On aperçoit un château.</p> + +<p class="stage1"><i>Fanfares, tambours et trompettes.</i>--<i>Entrent</i> LE ROI RICHARD, L'ÉVÊQUE +DE CARLISLE, AUMERLE, <i>des soldats</i>.</p> +<br> + +<p>RICHARD.--N'est-ce pas Barkloughby que vous appelez ce château près +duquel nous sommes?</p> + +<p>AUMERLE.--Oui, mon prince.--Comment Votre Majesté se trouve-t-elle de +respirer l'air, après avoir été secouée dernièrement sur les flots +agités?</p> + +<p>RICHARD.--Il doit nécessairement me plaire. Je pleure de joie de me +retrouver encore une fois sur le sol de mon royaume.--Terre chérie, je +te salue de ma main, quoique les rebelles te déchirent des fers de leurs +chevaux. Comme une mère depuis longtemps séparée de son enfant se joue +tendrement de ses larmes et sourit en le retrouvant, c'est ainsi que +pleurant et souriant je te salue, ô mon pays, et te caresse de mes mains +royales. Ma bonne terre, ne nourris pas l'ennemi de ton souverain! Ne +répare pas, par tes douces productions, ses sens affamés! mais que tes +araignées nourries de ton venin, tes crapauds à la marche lourde, se +placent sur son chemin et blessent les pieds perfides qui te foulent de +leurs pas usurpateurs. Ne cède à mes ennemis que des orties piquantes, +et s'ils veulent cueillir une fleur sur ton sein, défends-la, je te +prie, par un serpent caché, dont le double dard, par sa mortelle piqûre, +lance le trépas sur les ennemis de ton souverain.--Ne riez point, +milords, de me voir conjurer des êtres insensibles: cette terre prendra +du sentiment, ces pierres se changeront en soldats armés, avant que +celui qui naquit leur roi succombe sous les armes d'une odieuse +rébellion.</p> + +<p>L'ÉVÊQUE DE CARLISLE.--Ne craignez rien, seigneur. Le pouvoir qui vous a +fait roi est assez fort pour vous maintenir roi en dépit de tous. Il +faut embrasser les moyens que le ciel présente, et ne pas les négliger: +autrement, si ce que le ciel veut, nous refusons de le vouloir, c'est +refuser les offres du ciel et les moyens qu'il nous présente pour nous +secourir et pour nous sauver.</p> + +<p>AUMERLE.--Il veut dire, mon seigneur, que nous demeurons trop inactifs, +tandis que Bolingbroke, par notre sécurité, s'agrandit et se fortifie en +puissance et en amis.</p> + +<p>RICHARD.--Sinistre cousin, ne sais-tu pas que lorsque l'oeil vigilant +des cieux se cache derrière le globe et descend éclairer le monde qui +est sous nos pieds, alors les voleurs et les brigands errent ici +invisibles et sanglants, semant le meurtre et l'outrage? Mais dès que, +ressortant de dessous le globe terrestre, il enflamme à l'orient la cime +orgueilleuse des pins et lance sa lumière jusque dans les plus +criminelles cavités, alors les meurtres, les trahisons, tous les +forfaits détestés, dépouillés du manteau de la nuit, restent nus et +découverts, et épouvantés d'eux-mêmes. Ainsi, dès que ce brigand, ce +traître Bolingbroke, qui, pendant tout ce temps, s'est donné carrière +dans la nuit, tandis que nous étions errants aux antipodes, nous verra +remonter à l'orient notre trône, ses trahisons feront rougir son visage; +et, hors d'état de soutenir la vue du jour, effrayé de lui-même, il +tremblera de son crime. Toutes les eaux de la mer orageuse ne peuvent +enlever du front d'un roi le baume dont il a reçu l'onction; le souffle +d'une voix mortelle ne saurait déposer le député élu par le Seigneur. +Contre chacun des hommes que Bolingbroke a rassemblés pour lever un fer +menaçant contre notre couronne d'or, le Dieu des armées paye au ciel +pour son Richard un ange resplendissant; et où combattent les anges, il +faut que les faibles mortels succombent, car le ciel défend toujours le +droit. <span class="stage2">(<i>Entre Salisbury.</i>)</span>--Soyez le bienvenu, comte. A quelle distance +sont vos troupes?</p> + +<p>SALISBURY.--Ni plus près ni plus loin, mon gracieux souverain, que n'est +ce faible bras. Le découragement maîtrise ma voix, et ne me permet que +des paroles désespérantes. Un jour de trop, mon noble seigneur, a, je le +crains bien, obscurci tous les jours heureux sur la terre. Oh! rappelle +le jour d'hier, ordonne au temps de revenir, et tu auras encore douze +mille combattants, mais ce jour, ce jour, ce malheureux jour, ce jour de +trop a fait disparaître ton bonheur, tes amis, ta fortune et ta +grandeur: tous les Gallois, sur le bruit de ta mort, sont allés joindre +Bolingbroke, ou se sont dispersés et enfuis.</p> + +<p>AUMERLE.--Prenez courage, mon souverain. Pourquoi Votre Seigneurie +pâlit-elle ainsi?</p> + +<p>RICHARD.--Il n'y a qu'un moment que le sang de vingt mille hommes +triomphait dans mon visage, et ils ont tous fui! jusqu'à ce qu'il me +soit revenu autant de sang, n'ai-je pas des raisons d'être pâle et +d'avoir l'air mort? Tous ceux qui cherchent leur sûreté abandonnent mon +parti: le temps a fait une tache à mon éclat.</p> + +<p>AUMERLE.--Prenez courage, mon souverain, rappelez-vous qui vous êtes.</p> + +<p>RICHARD.--Je m'oubliais moi-même. Ne suis-je pas roi? Réveille-toi, +indolente majesté. Tu dors! Le nom de roi ne vaut-il pas quarante mille +noms? Arme-toi, arme-toi, mon nom! un vil sujet s'attaque à ta grande +gloire!--Ne baissez point les yeux, vous, favoris d'un roi. Ne +sommes-nous pas grands? Que nos pensées soient grandes! Je sais que mon +oncle York a des forces suffisantes pour suffire à nos besoins--Mais qui +vois-je s'avancer vers nous?</p> + +<p class="stage1">(Entre Scroop.)</p> + +<p>SCROOP.--Puisse-t-il advenir à mon souverain plus de santé et de bonheur +que ma voix, montée à la tristesse, ne saurait lui en annoncer!</p> + +<p>RICHARD.--Mon oreille est ouverte et mon coeur est préparé. Le pis que +tu puisses m'apprendre est une perte temporelle. Dis, mon royaume est-il +perdu? Eh bien! il faisait tout mon souci; et que perd-on à être délivré +de soucis? Bolingbroke aspire-t-il à être aussi grand que nous? il ne +sera jamais plus grand. S'il sert Dieu, nous le servirons aussi, et par +là nous serons son égal. Nos sujets se révoltent-ils! Nous ne pouvons y +remédier: ils violent leur foi envers Dieu comme envers nous. Crie-moi +malheur, destruction, ruine, perte, décadence: le pis est la mort, et la +mort aura son jour.</p> + +<p>SCROOP.--Je suis bien aise de voir Votre Majesté si bien armée pour +supporter les nouvelles de l'adversité. Telle qu'un jour de tempête hors +de saison qui amène les rivières argentées à submerger leurs rivages, +comme si l'univers se fondait en pleurs, telle s'enfle au delà de toute +limite la fureur de Bolingbroke, couvrant vos États consternés d'un +acier dur et brillant, et de coeurs plus durs que l'acier. Les barbes +blanches ont armé de casques leurs crânes minces et chauves contre ta +majesté; les enfants s'efforcent de grossir leur voix féminine, et +renferment, par haine de ta couronne, leurs membres de femme sous des +armes roides et pesantes; ceux même qui sont chargés de prier pour toi +apprennent à bander leurs arcs d'if doublement fatal<a id="footnotetag19" name="footnotetag19"></a> +<a href="#footnote19"><sup class="sml">19</sup></a> pour s'en +servir contre ta puissance. Même, les femmes, quittant leur quenouille, +brandissent contre ton trône des serpes rouillées. Les jeunes et les +vieux se révoltent; tout va plus mal que je ne puis vous le dire.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote19" +name="footnote19"></a><b>Note 19:</b><a href="#footnotetag19"> +(retour) </a> <i>..... Double-fatal yew.</i> + +<p>Doublement fatal par son bois propre à faire des arcs, et par les +propriétés nuisibles de son feuillage.</p></blockquote> + +<p>RICHARD.--Tu ne m'as que trop bien, trop bien fait un si triste +récit.--Où est le comte de Wiltshire? Où est Bagot? Qu'est devenu Bushy? +Où est Green? Pourquoi ont-ils laissé ce dangereux ennemi mesurer ainsi +nos frontières d'un pas tranquille?.... Si nous l'emportons, ils le +payeront de leurs têtes.--Je vous garantis qu'ils ont fait leur paix +avec Bolingbroke.</p> + +<p>SCROOP.--Il est vrai, seigneur, ils ont fait leur paix avec lui.</p> + +<p>RICHARD.--Traîtres! ah! vipères! damnés sans rédemption! chiens aisément +amenés à ramper devant le premier venu! serpents réchauffés dans le sang +de mon coeur, et qui me percent le coeur! trois Judas, chacun trois fois +pire que Judas! Devaient-ils faire leur paix? Que pour ce crime le +terrible enfer déclare la guerre à leurs âmes souillées!</p> + +<p>SCROOP.--La tendre amitié, je le vois, lorsqu'elle change de nature, +produit la plus amère et la plus mortelle haine.--Révoquez vos +malédictions sur leurs âmes: ils ont fait leur paix en donnant leurs +têtes, et non leurs mains; ceux que vous maudissez ont reçu le coup le +plus cruel que puisse frapper la mort, et gisent assez bas ensevelis +dans le sein de la terre.</p> + +<p>AUMERLE.--Quoi! Bushy, Green et le comte de Wiltshire sont morts?</p> + +<p>SCROOP.--Oui, ils ont tous perdu la tête à Bristol.</p> + +<p>AUMERLE.--Où est le duc mon père avec ses troupes?</p> + +<p>RICHARD.--N'importe où il est.... Que personne ne me parle de +consolation. Entretenons-nous de tombeaux, de vers, d'épitaphes; que la +poussière soit notre papier, et que la pluie qui coule de nos yeux +écrive notre douleur sur le sein de la terre; choisissons nos exécuteurs +testamentaires, et parlons de testaments. Et cependant non; car que +pourrions-nous léguer sinon nos corps dépouillés à la terre? Nos +possessions, notre vie, tout appartient à Bolingbroke, et il n'est plus +rien que nous puissions dire à nous que la mort, et ce petit moule, fait +d'une terre stérile, qui couvre nos os, comme une pâte. Au nom du ciel, +asseyons-nous par terre, et racontons les tristes histoires de la mort +des rois; comment quelques-uns ont été déposés, quelques-uns tués à la +guerre, d'autres hantés par les fantômes de ceux qu'ils avaient +dépossédés, d'autres empoisonnés par leurs femmes, d'autres égorgés en +dormant; tous assassinés! La Mort tient sa cour dans le creux de la +couronne qui ceint le front mortel d'un roi: c'est là que siége sa +grotesque figure se riant de la grandeur du souverain, insultant à sa +pompe: elle lui accorde un souffle de vie, une courte scène pour jouer +le monarque, être craint et tuer de ses regards, l'enivrant d'une vaine +opinion de lui-même, comme si cette chair qui sert de rempart à notre +vie était d'un bronze impénétrable! Et après s'être amusée un moment, +elle en vient au dernier acte, et d'une petite épingle elle perce le mur +du château.... et adieu le roi.--Couvrez vos têtes, et n'insultez pas +par ces profonds hommages la chair et le sang; rejetez loin de vous le +respect, les traditions, l'étiquette, les devoirs cérémonieux. Vous +m'avez méconnu jusqu'à présent: je vis de pain, comme vous, je sens +comme vous le besoin, je suis atteint par le chagrin; j'ai besoin +d'amis. Ainsi assujetti, comment pouvez-vous me dire que suis un roi?</p> + +<p>L'ÉVÊQUE DE CARLISLE.--Seigneur, les hommes sages ne déplorent jamais +les maux présents: ils emploient le présent à éviter d'en avoir d'autres +à déplorer. Craindre votre ennemi, puisque la crainte accable la force, +c'est donner par votre faiblesse des forces à votre ennemi; et par là +votre folie combat contre vous-même.--Craignez et soyez tué!.... Il ne +peut rien vous arriver de pis en combattant. Combattre et mourir, c'est +la mort détruisant la mort; mourir en tremblant, c'est rendre lâchement +à la mort le tribut de sa vie.</p> + +<p>AUMERLE.--Mon père a des troupes: informez-vous où il est; et d'un seul +membre apprenez à faire un corps.</p> + +<p>RICHARD.--Tes reproches sont justes.--Superbe Bolingbroke, je viens pour +échanger avec toi des coups dans ce jour qui doit nous juger. Cet accès +de fièvre de terreur est tout à fait dissipé.--C'est une tâche aisée que +de reprendre son bien.--Dis-moi, Scroop, où est notre oncle avec ses +troupes? Homme, réponds-moi avec douceur, quoique tes regards soient +sinistres.</p> + +<p>SCROOP.--On juge par la couleur du ciel de l'état et des dispositions de +la journée: ainsi pouvez-vous juger, par mon air sombre et abattu, que +ma langue n'a à vous faire qu'un rapport plus triste encore. Je joue ici +le rôle d'un bourreau, en allongeant ainsi peu à peu ce qu'il y a de pis +et qu'il faut bien dire.--Votre oncle York s'est joint à Bolingbroke; +tous vos châteaux du nord se sont rendus, et toute votre noblesse du +midi est en armes pour sa cause.</p> + +<p>RICHARD.--Tu en as dit assez. <i>(A Aumerle.</i>)--Malédiction sur toi, +cousin, qui m'as éloigné de la bonne voie où j'étais pour trouver le +désespoir! Que dites-vous à présent? quelle ressource nous reste-t-il à +présent? Par le ciel, je haïrai éternellement quiconque m'exhortera +davantage à prendre courage. Allons au château de Flint; j'y veux mourir +de ma douleur. Un roi vaincu par le malheur doit obéir au malheur, son +roi. Congédiez les troupes qui me restent, et qu'elles aillent labourer +la terre qui leur offre encore quelques espérances: pour moi, je n'en ai +point.--Que personne ne me parle de changer mon dessein: tout conseil +serait vain.</p> + +<p>AUMERLE.--Mon souverain, un mot.</p> + +<p>RICHARD.--Celui dont la langue me blesse par ses flatteries me fait un +double mal.--Licenciez ma suite, qu'ils s'en aillent. Qu'ils fuient de +la nuit de Richard vers le jour brillant de Bolingbroke.</p> + +<p class="stage1">(Ils sortent.)</p> +<br> + +<h3>SCÈNE III</h3> + +<p class="stage1">La scène est dans le pays de Galles, devant le château de Flint.</p> + +<p class="stage1"><i>Entrent avec des tambours et des étendards</i> BOLINGBROKE <i>et ses +troupes</i>, YORK, NORTHUMBERLAND <i>et plusieurs autres</i>.</p> +<br> + +<p>BOLINGBROKE.--Ainsi nous apprenons par cet avis que les Gallois sont +dispersés, et que Salisbury est allé rejoindre le roi, qui vient de +débarquer sur cette côte avec quelques-uns de ses amis particuliers.</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--Voilà une bonne et agréable nouvelle, seigneur. Richard +est venu cacher sa tête assez près d'ici.</p> + +<p>YORK.--Il serait convenable que lord Northumberland voulût bien dire <i>le +roi Richard</i>.--Hélas! quel triste jour que celui où le souverain sacré +est obligé de cacher sa tête!</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--Votre Grâce se méprend sur mes intentions: c'était pour +abréger que j'avais omis le titre.</p> + +<p>YORK.--Il fut un temps où, si vous aviez abrégé ainsi à son égard, il +eût aussi abrégé avec vous en vous raccourcissant, pour tant de licence, +de toute la longueur de votre tête.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Mon oncle, ne prenez pas les choses plus mal que vous ne +le devez.</p> + +<p>YORK.--Et vous, mon cher neveu, ne prenez pas plus qu'il ne vous +appartient, de peur de vous méprendre: le ciel est au-dessus de votre +tête.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Je le sais, mon oncle, et ne m'oppose point à ses +volontés.--Mais qui s'avance vers nous? <span class="stage2">(<i>Entre Percy.</i>)</span>--C'est vous, +Henri! Eh bien, est-ce que ce château ne se rendra point?</p> + +<p>PERCY.--Une force royale, milord, t'en défend l'entrée.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Comment, royale? Il ne renferme point de roi?</p> + +<p>PERCY.--Oui, milord, il renferme un roi: Le roi Richard est enfermé dans +cette enceinte de ciment et de pierres; et avec lui sont lord Aumerle, +lord Salisbury, sir Étienne Scroop, et de plus un ecclésiastique de +sainte renommée: qui c'est, je n'ai pu le savoir.</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--Il y apparence que c'est l'évêque de Carlisle.</p> + +<p>BOLINGBROKE, <span class="stage2"><i>à Northumberland.</i></span>--Noble seigneur, approchez-vous des +rudes flancs de cet antique château; que l'airain de la trompette +transmette à ses oreilles ruinées la demande d'une conférence, et portez +au roi ce message: «Henri de Bolingbroke, à deux genoux, baise la main +du roi Richard, et envoie à sa personne royale l'hommage de son +allégeance et de la fidélité loyale de son coeur. Je viens ici mettre à +ses pieds mes armes et mes forces, pourvu que mon bannissement soit +annulé, et que mes domaines me soient restitués libres de toutes +charges: sinon, j'userai de l'avantage de ma puissance, et j'abattrai la +poussière de l'été par une pluie de sang versée par les blessures des +Anglais égorgés. Mais il est bien loin du coeur de Bolingbroke de +vouloir que cette tempête pourpre vienne arroser le sein frais et +verdoyant du beau royaume du roi Richard, et c'est ce que lui prouvera +assez mon humble soumission.»--Allez, faites-lui entendre ceci, tandis +que nous, nous avancerons sur le tapis de gazon de cette plaine. +<span class="stage2">(<i>Northumberland s'avance vers le château avec un trompette</i>.)</span>--Marchons +sans faire entendre le bruit menaçant des tambours, afin que du haut des +murs en ruine de ce château on puisse bien entendre nos honorables +offres.--Il me semble que le roi Richard et moi nous devons nous +rencontrer d'une manière aussi terrible que les éléments du feu et de +l'eau, lorsque leurs tonnerres se rencontrant déchirent de leur choc le +front nébuleux du firmament. Qu'il soit le feu, je serai l'eau docile; +que la rage soit de son côté, tandis que je répandrai la pluie de mes +eaux sur la terre, sur la terre, non sur lui. Marchons en avant, et +observons quelle sera la contenance du roi Richard.</p> + +<p class="stage1">(La trompette sonne pour demander un pourparler, une autre trompette +répond de l'intérieur de la forteresse.--Fanfare.--Richard paraît sur +les remparts, suivi de l'évêque de Carlisle, d'Aumerle, de Scroop et de +Salisbury.)</p> + +<p>YORK.--Voyez, voyez: le roi Richard paraît lui-même, semblable au soleil +rougissant et mécontent, lorsque, sortant du portail enflammé de +l'orient, il voit les nuages jaloux s'avancer pour ternir sa gloire et +obscurcir le cours de son brillant passage vers l'occident. Il a +pourtant encore l'air d'un roi. Voyez: son oeil, aussi brillant que +celui de l'aigle, lance les éclairs de la majesté souveraine. Hélas! +hélas! malheur à nous si quelque mal venait à ternir un si noble aspect!</p> + +<p>RICHARD, <span class="stage2"><i>à Northumberland.</i></span>--Nous sommes surpris, et nous nous sommes +si longtemps arrêté pour attendre que ton genou respectueux fléchît +devant nous parce que nous croyons être ton légitime souverain. Si nous +le sommes, comment tes articulations osent-elles oublier de nous rendre +l'hommage solennel que tu dois à notre présence? Si nous ne le sommes +pas, montre-nous comment la main de Dieu nous a dépossédé des fonctions +dont il nous avait revêtu; car nous savons que nulle main d'os et de +sang ne peut saisir la poignée sacrée de notre sceptre, sans le +profaner, le voler, ou l'usurper; et dussiez-vous penser que tous mes +sujets ont comme vous violemment séparé leurs coeurs de notre cause, et +que nous sommes abandonné et dénué d'amis, sachez que mon maître, le +Dieu tout-puissant, assemble dans ses nuages en notre faveur des armées +de pestes qui frapperont vos enfants encore à naître, encore non +engendrés, parce que vous avez levé vos mains vassales contre ma tête, +et menacé la gloire de ma précieuse couronne. Dis à Bolingbroke (car je +crois le voir là-bas) que chaque pas qu'il fait dans mes États est une +dangereuse trahison. Il vient ouvrir le rouge testament de la guerre +sanglante: mais avant que la couronne où visent ses regards repose en +paix sur sa tête, les couronnes ensanglantées des crânes de dix mille +fils de bonnes mères dépareront dans sa fleur la face de l'Angleterre, +changeront la blancheur du teint virginal de sa Paix en une rougeur +d'indignation, et humecteront l'herbe de ses pâturages du sang des +fidèles Anglais.</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--Le roi des cieux nous préserve de voir le roi notre +maître ainsi assailli par des armes à la fois concitoyennes et +ennemies<a id="footnotetag20" name="footnotetag20"></a> +<a href="#footnote20"><sup class="sml">20</sup></a>! Ton trois fois noble cousin Henri Bolingbroke te baise +humblement la main; et il jure par la tombe honorable qui recouvre les +os de ton royal aïeul, par la royale noblesse de votre sang à tous deux, +ruisseaux sortis d'une seule source très-précieuse, par le bras enseveli +du belliqueux Gaunt, par sa propre valeur et son honneur personnel, +serment qui comprend toutes les paroles et tous les serments, que son +retour dans ce royaume n'a d'autre but que de réclamer son illustre +héritage, et de te demander à genoux l'annulation immédiate de son arrêt +d'exil. Dès qu'une fois Votre Majesté aura souscrit à sa demande, il +abandonnera à la rouille ses armes brillantes, rendra ses chevaux armés +en guerre à leurs écuries, et son coeur au fidèle service de Votre +Majesté. Voilà ce qu'il jure, et, sur sa foi de prince, il promet de +l'observer: et moi, j'en réponds comme gentilhomme.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote20" +name="footnote20"></a><b>Note 20:</b><a href="#footnotetag20"> +(retour) </a> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p class="i10"><i>Should so with civil and uncivil arms</i></p> +<p class="i10"><i>Be rush'd upon.</i></p></div></div> + +<p>Le jeu de mots entre <i>civil</i> et <i>uncivil</i> était impossible à reproduire +dans le français, qui n'a pas conservé à <i>incivil</i> son sens propre.</p></blockquote> + +<p>RICHARD.--Northumberland, dis-lui: «Voici la réponse du roi: Son noble +cousin est le bienvenu ici, et toutes ses justes demandes seront +satisfaites sans contradiction;» et dans les termes les plus gracieux +que tu possèdes, parle à son affection de mes tendres sentiments. <i>(A +Aumerle.</i>)--Nous nous abaissons, cousin, n'est-il pas vrai, en montrant +tant de faiblesse et en parlant avec tant de douceur? Rappellerons-nous +Northumberland, et enverrons-nous un défi au traître, pour mourir ainsi?</p> + +<p>AUMERLE.--Non, mon bon maître; combattons avec de bonnes paroles jusqu'à +ce que le temps nous prête des amis, et ces amis le secours de leurs +épées.</p> + +<p>RICHARD.--O Dieu, ô Dieu! que ma bouche, qui a prononcé le terrible +arrêt du bannissement contre cet homme hautain, le révoque aujourd'hui +par des paroles si douces! Oh! que ne suis-je aussi grand que ma +douleur, ou moins grand que mon nom! Que ne puis-je oublier ce que j'ai +été, ou cesser de me rappeler ce que je suis à présent! Tu te gonfles, +coeur superbe? Je te mettrai en liberté de battre, puisque mes ennemis +ont la liberté de battre toi et moi.</p> + +<p>AUMERLE.--Voilà Northumberland que Bolingbroke renvoie.</p> + +<p>RICHARD.--Que doit faire le roi maintenant? Faut-il qu'il se soumette? +le roi se soumettra. Faut-il qu'il soit déposé? le roi y consentira. Lui +faut-il perdre le titre de roi? Au nom de Dieu, qu'on me l'ôte! Je +changerai mes joyaux contre un chapelet, mes palais somptueux contre un +ermitage, mes brillants vêtements contre la robe du mendiant, mes coupes +ciselées pour un plat de bois, mon sceptre pour un bâton de pèlerin, +tous mes sujets pour une couple de saints sculptés, et mon vaste royaume +pour un petit tombeau, un petit, petit tombeau, un tombeau obscur! Ou +peut-être serai-je enseveli sur quelque route royale, sur quelque chemin +fréquenté où les pieds de mes sujets pourront à toute heure fouler la +tête de leur souverain; car c'est mon coeur qu'ils foulent aux pieds, +moi encore vivant; une fois enseveli, pourquoi ne fouleraient-ils pas ma +tête?--Aumerle, tu pleures, mon cousin au coeur tendre! De nos larmes +méprisées nous susciterons une tempête; elles et nos soupirs détruiront +la moisson de l'été, et amèneront la famine dans cette terre révoltée; +ou bien nous ferons-nous un jeu de nos maux, et prendrons-nous nos +larmes pour le sujet de quelque joli pari, comme de les faire tomber sur +un seul endroit jusqu'à ce qu'elles nous aient creusé deux tombeaux dans +la terre, et que là, couchés tous deux, on y puisse graver: <i>Là gisent +deux parents qui se sont creusé leur tombeau des larmes de leurs yeux?</i> +Ce malheur n'aurait-il pas bonne grâce?--Allons, allons, je vois que je +parle follement, et que tu te moques de moi--Très-puissant prince, +milord Northumberland, que dit le roi Bolingbroke? Sa Majesté veut-elle +permettre à Richard de vivre jusqu'à ce que Richard meure?--Vous saluez; +c'est-à-dire que Bolingbroke dit <i>oui</i>.</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--Seigneur, il vous attend dans la cour basse pour +conférer avec vous. Vous plaît-il de descendre?</p> + +<p>RICHARD.--Je descends! je descends comme le brillant Phaéton hors d'état +de gouverner des coursiers indociles! <span class="stage2">(<i>Northumberland se retire vers +Bolingbroke.</i>)</span> Dans la cour basse? c'est une cour basse que celle où les +rois s'abaissent jusqu'à obéir à l'appel des traîtres, et à leur faire +grâce! Dans la cour basse? Descendons! A bas, cour! à bas, roi! car les +hiboux de la nuit font entendre leurs cris là où l'alouette devrait +s'élever en chantant.</p> + +<p class="stage1">(Le roi et les lords se retirent des remparts.)</p> + +<p>BOLINGBROKE, <span class="stage2"><i>à Northumberland.</i></span>--Que dit Sa Majesté?</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--La tristesse et le chagrin de son coeur lui font dire +des choses insensées comme un homme égaré. Cependant il vient.</p> + +<p class="stage1">(Entrent Richard et sa suite.)</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Tenez-vous tous à l'écart, et montrez un grand respect à +Sa Majesté. <span class="stage2">(<i>Fléchissant un genou en terre.</i>)</span>--Mon gracieux +souverain....</p> + +<p>RICHARD.--Beau cousin, vous abaissez votre genou de prince, en +permettant à la vile terre l'orgueil de le baiser. J'aimerais mieux +éprouver dans mon coeur l'effet de votre amitié que de sentir mes yeux +blessés par vos respects. Levez-vous, cousin, levez-vous: votre coeur +s'élève, je le sais, au moins à cette hauteur <span class="stage2">(<i>portant la main à sa +tête</i>)</span>, bien que vos genoux s'abaissent.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Mon gracieux souverain, je ne viens que pour réclamer mes +biens.</p> + +<p>RICHARD.--Vos biens sont à vous, et je suis à vous, et tout est à vous!</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Soyez à moi, mon très-redouté souverain, autant que mes +fidèles services mériteront votre affection.</p> + +<p>RICHARD.--Vous avez bien mérité.--Ils méritent de posséder ceux qui +connaissent le moyen le plus sûr et le plus énergique d'obtenir.--Mon +oncle, donnez-moi votre main: allons, séchez vos larmes. Les larmes +prouvent l'amitié qui les excite, mais elles manquent du remède. <span class="stage2">(<i>A +Bolingbroke.</i>)</span>--Cousin, je suis trop jeune pour être votre père, quoique +vous soyez assez vieux pour être mon héritier. Ce que vous voulez avoir, +je vous le donnerai, et même volontairement; car il faut faire de +soi-même ce que la force nous contraint de faire.--Marchons vers +Londres.--Le voulez-vous, cousin?</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Oui, mon bon seigneur.</p> + +<p>RICHARD.--Alors je ne dois pas dire non.</p> + +<p class="stage1">(Fanfares.--Ils sortent.)</p> +<br> + +<h3>SCÈNE IV</h3> + +<p class="stage1">La scène est à Langley dans le jardin du duc d'York.</p> + +<p class="stage1"><i>Entrent</i> LA REINE et DEUX DE SES DAMES.</p> +<br> + +<p>LA REINE.--Quel jeu pourrions-nous imaginer dans ce jardin, pour écarter +les accablantes pensées de mes soucis?</p> + +<p>UNE DES DAMES.--Madame, nous pourrions jouer aux boules.</p> + +<p>LA REINE.--Cela ferait songer que le monde est plein d'inégalités, et +que ma fortune est détournée de sa route.</p> + +<p>LA DAME.--Madame, nous danserons.</p> + +<p>LA REINE.--Mes pieds ne peuvent danser en mesure avec plaisir lorsque +mon pauvre coeur ne garde aucune mesure dans son chagrin: ainsi, mon +enfant, point de danse; quelque autre jeu.</p> + +<p>LA DAME.--Eh bien, madame, nous conterons des histoires.</p> + +<p>LA REINE.--Tristes, ou joyeuses?</p> + +<p>LA DAME.--L'une ou l'autre, madame.</p> + +<p>LA REINE.--Ni l'une ni l'autre, ma fille: si elles me parlaient de joie, +comme la joie me manque absolument, elles ne feraient que me rappeler +davantage ma tristesse: si elles me parlaient de chagrin, comme le +chagrin me possède complétement, elles ne feraient qu'ajouter plus de +douleur encore à mon manque de joie. Je n'ai pas besoin de répéter ce +que j'ai déjà; et ce qui me manque, il est inutile de s'en plaindre....</p> + +<p>LA DAME.--Madame, je chanterai.</p> + +<p>LA REINE.--Je suis bien aise que tu aies sujet de chanter; mais tu me +plairais davantage si tu voulais pleurer.</p> + +<p>LA DAME.--Je pleurerais, madame, si cela pouvait vous faire du bien.</p> + +<p>LA REINE.--Je pleurerais aussi, moi, si cela pouvait me faire du bien, +et je ne t'emprunterais pas une larme. Mais attends.--Voilà les +jardiniers. <span class="stage2">(<i>Entrent un jardinier et deux garçons.</i>)</span> Enfonçons-nous +sous l'ombrage de ces arbres: je gagerais ma misère contre une rangée +d'épingles qu'ils vont parler de l'État, car tout le monde en parle dans +le moment d'une révolution. Les malheurs ont toujours le malheur pour +avant-coureur.</p> + +<p class="stage1">(La reine et ses deux dames se retirent.)</p> + +<p>LE JARDINIER.--Va, rattache ces branches pendantes d'abricotier qui, +comme des enfants indisciplinés, font ployer leur père sous l'oppression +de leur poids surabondant; quelque appui aux rameaux qui se courbent. Et +toi, va comme un exécuteur abattre la tête de ces jets trop prompts à +croître, et qui s'élèvent trop orgueilleusement au-dessus de notre +république. Tout doit être de niveau dans notre gouvernement. Tandis que +vous y travaillerez, moi je vais arracher ces herbes sauvages et +nuisibles qui dérobent sans profit aux fleurs utiles les sucs féconds de +la terre.</p> + +<p>UN DES GARÇONS.--Pourquoi prétendrions-nous entretenir dans l'étendue de +cette enceinte des lois, des formes, des proportions régulières, et +montrer, comme un échantillon, un état solide, lorsque notre jardin, +enclos par la mer, le pays entier est rempli de mauvaises herbes, que +ses plus belles fleurs sont étouffées, que ses arbres fruitiers ne sont +pas taillés; que ses clôtures sont ruinées, ses parterres en désordre, +et ses plantes utiles dévorées par les chenilles?</p> + +<p>LE JARDINIER.--Sois tranquille: celui qui a souffert tout ce désordre du +printemps est arrivé à la chute des feuilles; les mauvaises herbes qu'il +abritait au loin de son vaste feuillage, et qui le dévoraient en +paraissant l'appuyer, sont arrachées, racine et tout, par Bolingbroke; +je veux dire, le comte de Wiltshire, Green et Bushy.</p> + +<p>LE GARÇON.--Comment? Est-ce qu'ils sont morts?</p> + +<p>LE JARDINIER.--Ils sont morts, et Bolingbroke a saisi le roi +dissipateur. Oh! quelle pitié qu'il n'ait pas soigné et cultivé son +royaume comme nous ce jardin! Nous, dans la saison, nous blessons +l'écorce, la peau de nos arbres fruitiers, de crainte que, regorgeant de +sève et de sang, ils ne périssent de l'excès de leurs richesses. S'il en +eût usé de même avec les grands et les ambitieux, ils auraient pu vivre +pour porter, et lui pour recueillir leurs fruits d'obéissance. Nous +élaguons toutes les branches superflues pour conserver la vie aux +rameaux féconds: s'il en eût agi ainsi, il porterait encore la couronne +qu'en dissipant follement les heures il a fait complétement tomber de sa +tête.</p> + +<p>LE GARÇON.--Quoi! vous croyez donc que le roi sera déposé?</p> + +<p>LE JARDINIER.--Il est déjà vaincu, et il y a toute apparence qu'il sera +déposé. La nuit dernière il est venu des lettres à un ami intime du bon +duc d'York qui annoncent de tristes nouvelles.</p> + +<p>LA REINE, <i>sortant du lieu où elle était cachée.</i>--Oh! je suis suffoquée +jusqu'à mourir de mon silence:--Toi, vieille figure d'Adam, établie pour +soigner ces jardins, comment ta langue brutale ose-t-elle redire ces +fâcheuses nouvelles? Quelle Ève, quel serpent t'a suggéré de renouveler +ainsi la chute de l'homme maudit? Pourquoi dis-tu que le roi Richard est +déposé? Oses-tu, toi qui ne vaux guère mieux que de la terre, présager +sa chute? Dis-moi, où, quand et comment as-tu appris ces mauvaises +nouvelles? Parle, misérable que tu es.</p> + +<p>LE JARDINIER.--Madame, pardonnez-moi; je n'ai guère de plaisir à répéter +ces nouvelles, mais ce que je dis est la vérité. Le roi Richard est +entre les mains puissantes de Bolingbroke; leurs fortunes à tous deux +ont été pesées: dans le bassin de votre seigneur il n'y a que lui seul, +et quelques frivolités qui le rendent léger; mais dans le bassin du +grand Bolingbroke sont avec lui tous les pairs d'Angleterre, et avec ce +surpoids il emporte le roi Richard. Rendez-vous à Londres, et vous +trouverez les choses ainsi: je ne dis que ce que tout le monde sait.</p> + +<p>LA REINE.--Agile adversité, toi qui marches d'un pied si léger, n'est-ce +pas à moi qu'appartenait ton message? Et je suis la dernière à en être +informée? Oh! tu as soin de me servir la dernière afin que je conserve +plus longtemps tes douleurs dans mon sein.--Venez, mes dames; allons +trouver à Londres le roi de Londres dans l'infortune.--O ciel! étais-je +née pour que ma tristesse embellît le triomphe du grand +Bolingbroke?--Jardinier, pour m'avoir annoncé ces nouvelles de malheur, +je voudrais que les plantes que tu greffes ne poussassent jamais.</p> + +<p class="stage1">(Elle sort avec ses dames.)</p> + +<p>LE JARDINIER.--Pauvre reine? pour que ta situation n'empirât pas, je +consentirais à ce que mes travaux subissent l'effet de ta +malédiction.--Là, elle a laissé tomber une larme; je veux y planter une +rue, l'amère herbe de grâce; la rue, qui exprime la compassion<a id="footnotetag21" name="footnotetag21"></a> +<a href="#footnote21"><sup class="sml">21</sup></a>, +croîtra bientôt ici en souvenir d'une reine qui pleurait.</p> + +<p class="stage1">(Ils sortent.)</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote21" +name="footnote21"></a><b>Note 21:</b><a href="#footnotetag21"> +(retour) </a> <i>Rue, even for ruth.</i> + +<p>«<i>Rue</i>, qui veut dire la même chose que <i>ruth</i>.» <i>Ruth</i> (compassion), +vient en effet de <i>to rue</i> (déplorer). On appelait la rue l'herbe de +grâce, parce qu'elle servait d'aspersoir pour l'eau bénite.</p></blockquote> + + +<p>FIN DU TROISIÈME ACTE.</p> + +<br> +<h2>ACTE QUATRIÈME</h2> +<br> + +<h3>SCÈNE I</h3> + +<p class="stage1">A Londres.--La salle de Westminster.</p> + +<p class="stage1"><i>Les lords spirituels à la droite du trône, les lords temporels à la +gauche, les communes au bas.</i></p> + +<p class="stage1"><i>Entrent</i> BOLINGBROKE, AUMERLE, NORTHUMBERLAND, PERCY, SURREY, +FITZWATER, UN AUTRE LORD, L'ÉVÊQUE DE CARLISLE, L'ABBÉ DE WESTMINSTER, +<i>suite;--viennent ensuite des officiers conduisant</i> BAGOT.</p> +<br> + +<p>BOLINGBROKE.--Qu'on fasse avancer Bagot.--Allons, Bagot, parle librement +et dis ce que tu sais de la mort du noble Glocester. Qui l'a tramée avec +le roi, et qui a exécuté le sanglant office de sa mort prématurée?</p> + +<p>BAGOT.--Alors faites paraître devant moi le lord Aumerle.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Cousin, avancez, et regardez cet homme.</p> + +<p>BAGOT.--Lord Aumerle, je sais que votre langue hardie dédaigne de +désavouer ce qu'elle a une fois prononcé. Dans ces temps d'oppression où +l'on complota la mort de Glocester, je vous ai entendu dire: «Mon bras +n'est-il pas assez long pour atteindre, du sein de la tranquille cour +d'Angleterre jusqu'à Calais, la tête de mon oncle?» Parmi plusieurs +autres propos que vous avez tenus dans ce temps-là même, je vous ai ouï +dire que vous refuseriez l'offre de cent mille couronnes<a id="footnotetag22" name="footnotetag22"></a> +<a href="#footnote22"><sup class="sml">22</sup></a> plutôt que +de consentir au retour en Angleterre de Bolingbroke; ajoutant encore que +la mort de votre cousin serait un grand bonheur pour le pays.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote22" +name="footnote22"></a><b>Note 22:</b><a href="#footnotetag22"> +(retour) </a> Monnaie d'or.</blockquote> + +<p>AUMERLE.--Princes, et vous, nobles seigneurs, quelle réponse dois-je +faire à cet homme de rien? Faudra-t-il que je déshonore l'étoile +illustre de ma naissance jusqu'à le châtier comme un égal? Il le faut +cependant, ou consentir à voir mon honneur flétri par l'accusation de sa +bouche calomnieuse.--Voilà mon gage, le sceau par lequel ma main te +dévoue à la mort, et qui te marque pour l'enfer.--Je dis que tu en as +menti; et je soutiendrai que ce que tu dis est faux, aux dépens du sang +de ton coeur, bien qu'il soit trop vil pour que je dusse en ternir +l'éclat de mon épée de chevalier.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Arrête; Bagot, je te défends de le relever.</p> + +<p>AUMERLE.--Hors un seul homme, je voudrais que ce fût le plus illustre de +l'assemblée qui m'eût ainsi défié.</p> + +<p>FITZWATER.--Si ta valeur tient à la sympathie<a id="footnotetag23" name="footnotetag23"></a> +<a href="#footnote23"><sup class="sml">23</sup></a>, voilà mon gage, +Aumerle, que j'oppose au tien. Par ce beau soleil qui me montre où tu +es, je t'ai entendu dire, et tu t'en faisais gloire, que tu étais la +cause de la mort du noble Glocester. Si tu le nies, tu en as vingt fois +menti; et avec la pointe de ma rapière je ferai rentrer ton mensonge +dans le coeur où il a été forgé.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote23" +name="footnote23"></a><b>Note 23:</b><a href="#footnotetag23"> +(retour) </a> <i>...... Stand on sympathies.</i></blockquote> + +<p>AUMERLE.--Lâche, tu n'oserais vivre assez pour voir cette journée.</p> + +<p>FITZWATER.--Par mon âme, je voudrais que ce fût à l'heure même.</p> + +<p>AUMERLE.--Fitzwater, tu viens de dévouer ton âme à l'enfer.</p> + +<p>PERCY.--Tu mens, Aumerle: son honneur est aussi pur dans ce défi qu'il +est vrai que tu es déloyal; et pour preuve que tu l'es, je jette ici mon +gage, prêt à le soutenir contre toi jusqu'à la dernière limite de la +respiration. Relève-le si tu l'oses.</p> + +<p>AUMERLE.--Si je ne le relève pas, puissent mes mains se pourrir, et ne +plus jamais brandir un fer vengeur sur le casque étincelant de mon +ennemi.</p> + +<p>UN AUTRE LORD.--Je te défie de même sur le terrain, parjure Aumerle, et +je te provoque par autant de démentis que j'en pourrais crier à tes +oreilles perfides depuis un soleil jusqu'à l'autre. Voilà le gage de mon +honneur; mets-le à l'épreuve si tu l'oses.</p> + +<p>AUMERLE.--Qui en est encore? Par le ciel, je répondrai à tous: j'ai dans +un seul coeur mille courages pour faire tête à vingt mille comme vous.</p> + +<p>SURREY.--Lord Fitzwater, je me rappelle très-bien le jour où Aumerle et +vous vous entretîntes ensemble.</p> + +<p>FITZWATER.--Il est vrai; milord, vous étiez présent, et vous pouvez +témoigner comme moi que ce que je dis est vrai.</p> + +<p>SURREY.--Cela est aussi faux, par le ciel, que le ciel lui-même est +sincère.</p> + +<p>FITZWATER.--Surrey, tu en as menti.</p> + +<p>SURREY.--Enfant sans honneur, ce démenti pèsera si lourdement sur mon +épée, qu'il en sera tiré revanche et vengeance jusqu'à ce que toi qui +m'as donné le démenti et ton démenti<a id="footnotetag24" name="footnotetag24"></a> +<a href="#footnote24"><sup class="sml">24</sup></a> gisiez vous la terre, aussi, +tranquilles que le crâne de ton père; et pour preuve, voilà mon gage +d'honneur: mets-le à l'épreuve.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote24" +name="footnote24"></a><b>Note 24:</b><a href="#footnotetag24"> +(retour) </a> + +<div class="poem"><div class="stanza"> + <p class="i10"><i>That lie shall lie so heavy on my sword</i></p> + <p class="i10"><i>Till thou the lie giver and that lie do lie.</i></p> +</div></div> + +<p>Jeux de mots impossibles à rendre en français, même par des +équivalents.</p></blockquote> + +<p>FITZWATER.--Comme tu te plais follement à exciter un cheval emporté! De +même que j'ose manger, boire, respirer et vivre, j'oserai affronter +Surrey dans un désert, et lui cracher au visage en lui disant qu'il en a +menti, et qu'il a menti, et qu'il en a menti. Voilà qui engage ma foi à +t'obliger de recevoir ma vigoureuse correction.--Comme j'espère +prospérer dans ce monde nouveau pour moi, Aumerle est coupable de ce que +lui reproche mon loyal défi; de plus, j'ai ouï dire au banni Norfolk, +que c'est toi, Aumerle, qui as envoyé deux de tes gens à Calais pour +assassiner le noble duc.</p> + +<p>AUMERLE.--Que quelque honnête chrétien me confie un gage pour prouver +que Norfolk ment. Je jette ceci, dans le cas où Norfolk serait rappelé +pour défendre son honneur.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Tous ces défis resteront en suspens jusqu'au retour de +Norfolk: il sera rappelé; et quoiqu'il soit mon ennemi, il sera rétabli +dans tous ses biens et seigneuries, et à son arrivée nous le forcerons +de justifier son honneur contre Aumerle.</p> + +<p>L'ÉVÊQUE DE CARLISLE.--Jamais on ne verra ce jour honorable.--Norfolk, +banni, a combattu bien des fois pour Jésus-Christ; il a porté dans les +champs glorieux des chrétiens l'étendard de la croix chrétienne contre +les noirs païens, les Turcs et les Sarrasins. Fatigué de travaux +guerriers, il s'est retiré en Italie; et là, à Venise, il a rendu son +corps à la terre de ces belles contrées, et son âme pure à Jésus-Christ +son chef, sous les drapeaux duquel il avait combattu si longtemps.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Quoi, prélat, Norfolk est mort?</p> + +<p>L'ÉVÊQUE DE CARLISLE.--Aussi sûrement que je vis, milord.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Qu'une heureuse paix conduise sa belle âme dans le sein du +bon vieil Abraham!--Seigneurs appelants, vos défis resteront tous en +suspens jusqu'à ce que nous vous assignions le jour du combat.</p> + +<p class="stage1">(Entre York avec sa suite.)</p> + +<p>YORK.--Puissant duc de Lancastre, je viens vers toi de la part de +Richard, dépouillé de ses plumes, qui t'adopte d'un coeur satisfait pour +son héritier, et met tes mains royales en possession de son auguste +sceptre. Monte sur le trône que tu hérites aujourd'hui de lui, et vive +Henri, le quatrième du nom!</p> + +<p>BOLINGBROKE.--C'est au nom de Dieu que je monte sur le trône royal.</p> + +<p>L'ÉVÊQUE DE CARLISLE.--Que Dieu vous en préserve!--Je parlerai mal en +votre royale présence; mais c'est à moi qu'il convient le mieux de dire +la vérité. Plût à Dieu qu'il y eût dans cette noble assemblée un homme +assez noble pour être le juge impartial du noble Richard: alors la vraie +noblesse lui apprendrait à éviter une injustice aussi odieuse! Quel +sujet peut prononcer l'arrêt de son roi? et qui de ceux qui siégent ici +n'est pas sujet de Richard? Les voleurs ne sont jamais jugés sans être +entendus, quelque évidente que soit en eux l'apparence du crime; et +l'image de la majesté de Dieu, son lieutenant, son fondé de pouvoirs, +son député choisi, oint, couronné et maintenu sur le trône depuis tant +d'années, sera jugé par des bouches sujettes et inférieures, et cela +sans même être présent! O Dieu! ne permets pas que dans un pays +chrétien, des âmes civilisées donnent l'exemple d'un attentat si odieux, +si noir, si indécent! Je parle à des sujets, et c'est un sujet qui +parle, animé par le ciel pour prendre hardiment la défense de son roi. +Milord d'Hereford, qui est ici présent, et que vous appelez roi, est un +insigne traître au roi du superbe Hereford: si vous le couronnez, je +vous prédis que le sang anglais engraissera la terre, et que les +générations futures payeront de leurs gémissements cet horrible forfait. +La paix ira dormir chez les Turcs et les infidèles; et dans ce séjour de +la paix, des guerres tumultueuses confondront les familles contre les +familles, les parents contre les parents; le désordre, l'horreur, la +crainte et la révolte habiteront parmi vous; et cette terre sera nommée +le champ de Golgotha et la place des crânes des morts. Oh! si vous +élevez cette maison contre cette maison, il en résultera les plus +désastreuses divisions qui jamais aient désolé ce monde maudit. Empêchez +cela, résistez; qu'il n'en soit pas ainsi, de peur que vos enfants et +les enfants de vos enfants ne crient sur vous: Malédiction!</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--Vous avez parlé à merveille, monsieur; et pour votre +peine, nous vous arrêtons ici comme coupable de haute trahison.--Lord +Westminster, chargez-vous de veiller sur sa personne jusqu'au jour de +son procès.--Vous plaît-il, milords, d'accorder aux communes leur +requête?</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Qu'on introduise ici Richard, afin qu'il abdique +publiquement: alors nous procéderons à l'abri de tout soupçon.</p> + +<p>YORK.--Je vais me charger de l'amener.</p> + +<p class="stage1">(Il sort.)</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Vous, seigneurs, qui êtes ici arrêtés par nos ordres, +donnez vos cautions de vous représenter au jour où vous serez sommés de +répondre. <span class="stage2">(<i>A l'évêque de Carlisle:</i>)</span>--Nous devons peu à votre affection +pour nous, et nous comptions peu sur votre secours.</p> + +<p class="stage1">(Rentre York avec le roi Richard et des officiers portant la couronne.)</p> + +<p>RICHARD.--Hélas! pourquoi m'oblige-t-on de me rendre aux ordres d'un roi +avant que j'aie pu secouer encore les pensées royales qui ont accompagné +mon règne! Je n'ai pu encore apprendre à insinuer, à flatter, à me +courber, à fléchir le genou. Donnez au chagrin quelque temps pour +m'instruire à la soumission.--Cependant, je n'ai point encore oublié la +figure de ces hommes... Ne furent-ils pas à moi? ne m'ont-ils pas crié +parfois: Salut? C'est ce que Judas fit à Jésus-Christ; mais lui, sur +douze, il trouva la fidélité chez tous, sauf un seul; et moi, sur douze +mille, je n'en trouve chez aucun.--Dieu sauve le roi!--Quoi! personne ne +dira: <i>Amen?</i> serai-je à la fois le prêtre et le clerc? Eh bien, <i>amen</i>, +Dieu sauve le roi, quoique ce ne soit pas moi; et <i>amen</i> encore si le +ciel pense que c'est moi.--Pour rendre quel service m'amène-t-on ici?</p> + +<p>YORK.--Pour accomplir ce que de ta libre volonté ta grandeur fatiguée +t'a porté à offrir, la cession de ta puissance et de la couronne à Henri +Bolingbroke.</p> + +<p>RICHARD.--Donne-moi la couronne.--Cousin, la voilà; prends la couronne: +ma main de ce côté-ci; la tienne de ce côté-là.--Maintenant cette +couronne d'or ressemble à un puits profond... renfermant deux seaux qui +se remplissent l'un l'autre, toujours le vide se balance dans l'air, +tandis que l'autre est au bas, caché et plein d'eau: le seau d'en bas +est rempli de larmes; c'est moi qui m'abreuve de ma douleur, tandis que +vous vous élevez en haut.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--J'avais cru que vous abdiquiez de bon gré.</p> + +<p>RICHARD.--Ma couronne, oui; mais mes chagrins me restent toujours. Vous +pouvez me déposer de mes titres et de ma grandeur, mais non pas de mes +chagrins; j'en suis toujours le roi.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Vous me donnez une partie de vos soucis avec votre +couronne.</p> + +<p>RICHARD.--Vos soucis en croissant ne diminuent pas les miens: mes soucis +viennent de la perte des soucis qui ont fait longtemps mon souci. Votre +souci est le souci de gagner, causé par de nouveaux soucis. Les soucis +que je vous cède, je les ai toujours après les avoir cédés: ils suivent +la couronne; et cependant ils ne me quitteront point.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Êtes-vous satisfait de renoncer à la couronne?</p> + +<p>RICHARD.--Oui, non... non, oui<a id="footnotetag25" name="footnotetag25"></a> +<a href="#footnote25"><sup class="sml">25</sup></a>; car je ne dois être rien. Par +conséquent, non, car je te résigne ce que je suis.--Maintenant, voyez +comment je me dépouille moi-même. Je décharge ma tête de ce lourd +fardeau, et mon bras de ce sceptre pesant; j'arrache de mon coeur +l'orgueil du pouvoir royal; j'efface de mes larmes l'onction que j'ai +reçue, je donne ma couronne de mes propres mains; j'abjure de ma propre +bouche ma grandeur sacrée, et ma propre voix délie tous mes sujets de +leurs serments d'obéissance; je renonce solennellement à toute pompe et +à toute majesté; j'abandonne tous mes manoirs, domaines, revenus; je +rétracte tous mes actes, décrets et statuts. Que Dieu pardonne tous les +serments violés envers moi! Que Dieu conserve inviolables, tous les +serments qu'on te fait! qu'il m'ôte tout regret, à moi qui ne possède +plus rien; et qu'il te contente en tout, toi qui as tout acquis! +Puisses-tu vivre longtemps assis sur le trône de Richard! Puisse Richard +descendre bientôt dans le sein de la terre! Dieu conserve le roi Henri +et qu'il lui envoie de longues années de jours radieux! Ainsi dit +Richard, qui n'est plus roi. Que faut-il de plus?</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote25" +name="footnote25"></a><b>Note 25:</b><a href="#footnotetag25"> +(retour) </a> <i>Ay, no, no, ay, for I must nothing be.</i> Vous me demandez si +je suis satisfait, comme je ne dois être rien, je ne puis être +satisfait, c'est donc: oui et non, non et oui. <i>Ay, no. No, ay.</i></blockquote> + +<p>NORTHUMBERLAND <span class="stage2"><i>lui présente un écrit.</i></span>--Rien que de lire vous-même ces +accusations, ces crimes terribles commis par votre personne et par vos +adhérents contre la gloire et les intérêts du pays, afin que, d'après +vos aveux, les âmes des hommes puissent croire que vous êtes justement +déposé.</p> + +<p>RICHARD.--Faut-il que je fasse cela, et faut-il que je démêle +péniblement le tissu de mes égarements? Cher Northumberland, si tes +fautes étaient écrites, ne serais-tu pas honteux d'en faire la lecture +devant une si brillante assemblée? Si tu la faisais, tu y trouverais un +article bien odieux... celui qui contiendrait la déposition d'un roi, et +la violente lacération du puissant contrat des serments, crime marqué de +noir et condamné dans le livre du ciel.--Et vous tous qui restez là à me +regarder pris au piége par ma propre misère (bien que quelques-uns de +vous, avec Pilate, en lavent leurs mains et affectent une pitié +extérieure), tout Pilate que vous êtes, vous m'avez abandonné aux +amertumes de ma croix, et l'eau ne saurait laver votre péché.</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--Seigneur, hâtez-vous: lisez ces articles.</p> + +<p>RICHARD.--Mes yeux sont pleins de larmes, je ne peux voir; et cependant +l'eau salée ne les aveugle pas tant que je ne voie bien encore une +troupe de traîtres ici. Eh quoi! si je tourne mes regards sur moi-même, +j'y vois un traître comme les autres, car j'ai donné ici le consentement +de ma volonté pour dépouiller la majestueuse personne d'un roi, avilir +sa gloire, changer le souverain en esclave, faire de la majesté un +sujet, et de la grandeur royale un paysan.</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--Seigneur!</p> + +<p>RICHARD.--Je ne suis pas ton seigneur, homme hautain et arrogant; je ne +suis le seigneur de personne; je n'ai point de nom, point de titre, pas +même le nom qui me fut donné sur les fonts baptismaux, qui ne soit +usurpé.--O jour malheureux! que j'aie vu tant d'hivers, et que je ne +sache de quel nom m'appeler aujourd'hui! Oh! que ne suis-je une figure +de roi en neige exposé au soleil de Bolingbroke, pour me fondre en +gouttes d'eau!--Bon roi... grand roi (et cependant non pas grandement +bon), si ma parole vaut encore quelque chose en Angleterre, qu'à mon +ordre on m'apporte sur-le-champ un miroir, afin qu'il me montre quel air +a mon visage depuis qu'il a fait faillite de sa majesté royale.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Allez, quelqu'un; qu'on apporte un miroir.</p> + +<p class="stage1">(Sort un homme de suite.)</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--Lisez cet écrit pendant qu'on va chercher le miroir.</p> + +<p>RICHARD.--Démon, tu me tourmentes avant que je sois en enfer.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Lord Northumberland, n'insistez plus.</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--Alors les communes ne seront pas satisfaites.</p> + +<p>RICHARD.--Elles seront satisfaites: j'en lirai assez lorsque je verrai +le véritable livre où tous mes péchés sont inscrits; ce livre c'est +moi-même. <span class="stage2">(<i>On apporte un miroir.</i>)</span>--Donnez-moi ce miroir; c'est là que +je veux lire.--Quoi! ces rides ne sont pas plus profondes? Quoi! la +douleur a frappé tant de coups sur ce visage, et n'y a pas fait des +plaies plus profondes? O miroir flatteur, tu fais comme mes courtisans +au temps de ma prospérité, tu me trompes! Est-ce là le visage de celui +qui sous le toit de sa demeure entretenait chaque jour dix mille +personnes? Est-ce là ce visage qui, comme le soleil, faisait cligner les +yeux à ceux qui le contemplaient? Est-ce là le visage qui a soutenu tant +de folie, et qui a été à la fin éclipsé par Bolingbroke? C'est une +gloire fragile que celle qui brille sur ce visage, et ce visage est +aussi fragile que la gloire <span class="stage2">(<i>il jette contre terre le miroir qui se +brise</i>)</span>, car le voilà brisé en mille éclats.--Fais attention, roi +silencieux, à la moralité de ce jeu.--Comme mon chagrin a vite détruit +mon visage!</p> + +<p>BOLINGBROKE.--L'image de votre chagrin a détruit l'image de votre +figure.</p> + +<p>RICHARD.--Répétez-moi cela: «l'image de votre chagrin?» Ah! voyons: oui, +cela est vrai, mon chagrin est tout entier au dedans, et ces formes +extérieures de deuil ne sont que des ombres du chagrin caché qui se +gonfle en silence dans l'âme torturée. C'est là que vit le chagrin +lui-même; et je te remercie, roi, de ta grande bonté, qui non-seulement +me donne sujet de gémir, mais m'apprend de quelle manière je dois +gémir.--Je ne vous demanderai plus qu'une grâce, et après je me retire; +je ne vous importunerai plus: l'obtiendrai-je?</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Nommez-la, beau cousin.</p> + +<p>RICHARD.--Beau cousin! Eh quoi! je suis plus grand qu'un roi; car, +lorsque j'étais roi, je n'étais flatté que par des sujets; et maintenant +que je ne suis plus qu'un sujet, j'ai ici un roi pour flatteur. Puisque +je suis si grand, je n'ai pas besoin de demander de grâce.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Demandez toujours.</p> + +<p>RICHARD.--Et l'obtiendrai-je?</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Vous l'obtiendrez.</p> + +<p>RICHARD.--Eh bien, donnez-moi la permission de m'en aller.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Où?</p> + +<p>RICHARD.--Où vous voudrez, pourvu que je sois loin de votre vue.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Allez, quelques-uns de vous: qu'on le conduise à la Tour.</p> + +<p>RICHARD.--Oh! vous êtes très-bons pour me conduire<a id="footnotetag26" name="footnotetag26"></a> +<a href="#footnote26"><sup class="sml">26</sup></a>; vous êtes tous +des gens de conduite, vous qui savez si lestement vous élever sur la +chute d'un roi légitime.</p> + +<p class="stage1">(Sortent Richard, quelques-uns des lords et une garde.)</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote26" +name="footnote26"></a><b>Note 26:</b><a href="#footnotetag26"> +(retour) </a> <i>O good! convey, conveyors are you all.</i> + +<p><i>Convey</i>, <i>conveyor</i>, signifie aussi escamoter, escamoteur. Il était +impossible de donner un sens en français à cette plaisanterie en +traduisant littéralement.</p> +</blockquote> + +<p>BOLINGBROKE.--C'est à mercredi prochain que nous fixons le jour de notre +couronnement. Seigneurs, préparez-vous.</p> + +<p class="stage1">(Tous sortent, excepté l'abbé de Westminster, l'évêque de Carlisle, +Aumerle.)</p> + +<p>L'ABBÉ DE WESTMINSTER.--Nous avons vu là une triste cérémonie.</p> + +<p>L'ÉVÊQUE DE CARLISLE.--La tristesse est à venir: les enfants qui ne sont +pas encore nés sentiront ce jour les déchirer comme une épine.</p> + +<p>AUMERLE.--Vous, saints ecclésiastiques, dites-nous, n'est-il point de +moyen pour délivrer le royaume de cette pernicieuse souillure?</p> + +<p>L'ABBÉ DE WESTMINSTER.--Avant que je vous explique librement ma pensée, +il faudra que vous vous engagiez par serment, non-seulement à tenir mes +projets ensevelis, mais à exécuter tout ce que je pourrai imaginer.--Je +vois que vos regards sont remplis de mécontentement, vos coeurs de +chagrin, et vos yeux de larmes. Venez souper chez moi, et je préparerai +un plan qui nous ramènera à tous des jours de bonheur.</p> + +<p class="stage1">(Ils sortent.)</p> + +<p>FIN DU QUATRIÈME ACTE.</p> + +<br> +<h2>ACTE CINQUIÈME</h2> + +<br> +<h3>SCÈNE I</h3> + +<p class="stage1">Une des rues conduisant à la Tour.</p> + +<p class="stage1"><i>Entrent</i> LA REINE <i>et ses dames</i>.</p> +<br> + +<p>LA REINE.--C'est par cette rue que le roi va passer: voilà le chemin +de cette Tour qu'à la maleheure a bâtie Jules César<a id="footnotetag27" name="footnotetag27"></a> +<a href="#footnote27"><sup class="sml">27</sup></a>, et dont le sein +de pierre devient, par arrêt de l'orgueilleux Bolingbroke, la prison de +mon seigneur condamné.--Reposons-nous ici, si cette terre rebelle a +encore un lieu de repos pour la reine de son légitime souverain! <span class="stage2">(<i>Entre +le roi Richard conduit par des gardes.</i>)</span> Mais paix; ah! que je voie... +ou plutôt ne voyons pas se flétrir ma belle rose. Et cependant, levons +les yeux, regardons-le, afin que la pitié nous dissolve en rosée pour +lui rendre sa fraîcheur en l'arrosant des larmes du fidèle amour.--O +toi, l'image des lieux où fut la vieille Troie, carte d'honneur, tombeau +du roi Richard et non plus le roi Richard, toi la plus belle des +demeures, pourquoi faut-il que le chagrin au sombre visage habite chez +toi, tandis que le succès triomphant s'est logé dans un cabaret?</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote27" +name="footnote27"></a><b>Note 27:</b><a href="#footnotetag27"> +(retour) </a> La tradition en Angleterre attribue à César l'érection de la +Tour de Londres.</blockquote> + +<p>RICHARD.--Femme charmante, ne te ligue pas avec ma douleur, je t'en +prie, pour me faire mourir trop promptement. Apprends, bonne âme, à +tenir notre ancienne fortune comme un songe heureux dont nous nous +réveillons pour voir dans l'état où nous sommes réduits la vérité de ce +que nous sommes. Me voilà, ma douce amie, devenu l'inséparable frère de +la hideuse nécessité; elle et moi nous sommes liés jusqu'à la +mort.--Retire-toi en France, et va te cloîtrer dans quelque maison +religieuse: il faut qu'une sainte vie nous gagne dans un monde nouveau +la couronne que nos heures profanes ont abattue ici.</p> + +<p>LA REINE.--Quoi! l'âme de mon Richard est-elle donc changée et affaiblie +comme sa personne? Bolingbroke a-t-il aussi déposé ta raison? est-il +entré dans ton coeur? Le lion mourant avance encore la griffe, et, dans +la rage de se voir dompté, déchire la terre s'il ne peut atteindre autre +chose; et toi, subiras-tu patiemment la correction comme un écolier? +Baiseras-tu la verge? flatteras-tu avec une basse humilité la fureur de +tes ennemis, toi qui es un lion et le roi des animaux?</p> + +<p>RICHARD.--Oui, roi des animaux: si j'avais gouverné autre chose que des +animaux, je régnerais encore heureux sur les hommes.--Ma bien-aimée, +autrefois reine, prépare-toi à partir pour la France; suppose que je +suis mort, et qu'ici, dans cet instant; tu reçois de moi, comme de mon +lit de mort, mon dernier adieu de vivant. Dans les ennuyeuses soirées de +l'hiver, assise auprès d'un foyer avec quelques bons vieillards, +fais-toi raconter les histoires des siècles malheureux passés depuis +longtemps; et avant de leur souhaiter le bonsoir, pour acquitter ta part +de douleurs, dis-leur ma lamentable chute, et renvoie tes auditeurs +pleurants à leurs lits.--Eh quoi! aux tristes accents de ta voix +touchante, les insensibles tisons eux-mêmes, émus de sympathie, +éteindront le feu sous les larmes de leur compassion; et les uns sous +leurs cendres, les autres, noirs comme le charbon, pleureront la +déposition d'un roi légitime.</p> + +<p class="stage1">(Entrent Northumberland et une suite.)</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--Seigneur, les intentions de Bolingbroke sont changées: +c'est à Pomfret, et non à la Tour, qu'il faut vous rendre.--Et vous, +madame, je suis aussi chargé d'ordres pour vous: il vous faut partir +sans délai pour la France.</p> + +<p>RICHARD.--Northumberland, toi l'échelle au moyen de laquelle l'ambitieux +Bolingbroke monte sur mon trône, le temps n'aura pas vieilli d'un grand +nombre d'heures avant que ton odieux péché, se grossissant de sa propre +matière, n'éclate en pourriture. Quand Bolingbroke partagerait son +royaume et t'en donnerait la moitié, tu penseras que c'est trop peu pour +l'avoir aidé à s'emparer du tout; et lui, il pensera que toi qui sais le +moyen d'établir les rois illégitimes, tu sauras aussi, sous le moindre +prétexte, trouver un autre moyen de le renverser la tête la première de +son trône usurpé. L'attachement des amis pervers se convertit en +défiance, la défiance en haine; et la haine conduit l'un, ou tous deux +ensemble, à de justes périls et à une mort méritée.</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--Que mon crime retombe sur ma tête, et que tout finisse +là. Faites-vous vos adieux et séparez-vous, car il faut vous quitter sur +l'heure.</p> + +<p>RICHARD.--Accablé d'un double divorce! Méchants hommes, vous violez une +double union; d'abord entre ma couronne et moi, et puis entre moi et la +femme que j'ai épousée.--Délions par un baiser le serment qui subsiste +entre toi et moi: et cependant cela ne se peut, car il fut consacré par +un baiser<a id="footnotetag28" name="footnotetag28"></a> +<a href="#footnote28"><sup class="sml">28</sup></a>.--Sépare-nous, Northumberland: moi pour aller vers le +nord, où le froid transi et la maladie font languir le pays; ma femme +pour aller en France, d'où elle est venue avec pompe et parée comme le +doux mois de mai, et où elle est renvoyée comme la Toussaint, ou comme +le jour le plus court.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote28" +name="footnote28"></a><b>Note 28:</b><a href="#footnotetag28"> +(retour) </a> C'était alors l'usage de consacrer, à l'église même, l'union +nuptiale par un baiser.</blockquote> + +<p>LA REINE.--Eh quoi! faut-il qu'on nous sépare? faut-il nous quitter?</p> + +<p>RICHARD.--Oui, ma bien-aimée, ta main de ma main, et ton coeur de mon +coeur.</p> + +<p>LA REINE.--Bannissez-nous tous deux, et renvoyez le roi avec moi.</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--Il y aurait à cela quelque bonté, mais peu de +politique.</p> + +<p>LA REINE.--Eh bien, là où il va, laissez-moi y aller aussi.</p> + +<p>RICHARD.--Pleurant ainsi tous deux ensemble, nous ne ferions qu'une +seule douleur. Pleure pour moi en France, je pleurerai ici pour toi: il +vaut mieux être loin l'un de l'autre, que réunis pour n'être jamais plus +heureux<a id="footnotetag29" name="footnotetag29"></a> +<a href="#footnote29"><sup class="sml">29</sup></a>. Va, compte tes pas par tes soupirs, et moi les miens par +mes gémissements.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote29" +name="footnote29"></a><b>Note 29:</b><a href="#footnotetag29"> +(retour) </a> <i>Be never the near,</i> n'avoir rien gagné, n'être jamais plus +près de ce qu'on désire.</blockquote> + +<p>LA REINE.--Ainsi le chemin plus long fournira les plus longues plaintes.</p> + +<p>RICHARD.--Je pousserai deux gémissements à chaque pas puisque mon chemin +est court, et je l'allongerai par le poids que j'ai sur le coeur. +Allons, allons, ne faisons pas plus longtemps la cour à la douleur, +puisqu'une fois qu'on l'a épousée la douleur dure si longtemps. Qu'un +baiser nous ferme la bouche, et séparons-nous en silence. <span class="stage2">(<i>Ils +s'embrassent.</i>)</span> Dans ce baiser je te donne mon coeur, et je prends le +tien.</p> + +<p>LA REINE.--Rends-moi le mien: c'est un triste rôle que de prendre ton +coeur pour le tuer. <span class="stage2">(<i>Ils s'embrassent encore une fois.</i>)</span> Maintenant que +j'ai repris le mien, va-t'en; que je puisse m'efforcer de le tuer d'un +seul gémissement.</p> + +<p>RICHARD.--Nous jouons avec le malheur dans ces tendres délais. Encore +une fois, adieu: que la douleur dise le reste.</p> + +<p class="stage1">(Ils sortent.)</p> +<br> + +<h3>SCÈNE II</h3> + +<p class="stage1">La scène est toujours à Londres.--Un appartement dans le palais du duc +d'York.</p> + +<p class="stage1"><i>Entrent</i> YORK et LA DUCHESSE D'YORK.</p> +<br> + +<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Milord, vous m'aviez promis de m'achever le récit +de l'entrée de nos deux cousins dans Londres, lorsque vos larmes vous +ont forcé de l'interrompre.</p> + +<p>YORK.--Où en suis-je resté?</p> + +<p>LA DUCHESSE D'YORK.--A ce triste moment où des mains brutales et +insolentes jetaient, du haut des fenêtres, de la poussière et des +ordures sur la tête du roi Richard.</p> + +<p>YORK.--Alors, comme je vous l'ai dit, le duc, le grand Bolingbroke, +monté sur un bouillant et fougueux coursier qui semblait connaître son +ambitieux maître, poursuivait sa marche à pas lents et majestueux, +tandis que toutes les voix criaient: «Dieu te garde, Bolingbroke!» Vous +auriez cru que les fenêtres parlaient, tant s'y pressaient les figures +de tout âge, jeunes et vieilles, pour lancer à travers les ouvertures +d'avides regards sur le visage de Bolingbroke: on eût dit que toutes les +murailles, chargées d'images peintes, répétaient à la fois: «Jésus te +conserve! sois le bienvenu, Bolingbroke!» tandis que lui, se tournant de +côté et d'autre, la tête découverte et courbée plus bas que le cou de +son fier coursier, leur disait: «Je vous remercie, mes compatriotes.» Et +faisant toujours ainsi, il continuait sa marche.</p> + +<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Hélas! et le pauvre Richard, que faisait-il alors?</p> + +<p>YORK.--Comme dans un théâtre, lorsqu'un acteur favori vient de quitter +la scène, les yeux des spectateurs se portent négligemment sur celui qui +lui succède, tenant son bavardage pour ennuyeux; ainsi, et avec plus de +mépris encore, les yeux du peuple s'arrêtaient d'un air d'aversion sur +Richard. Pas un seul n'a crié: Dieu le sauve! Pas une voix joyeuse ne +lui a souhaité la bienvenue; mais on répandait la poussière sur sa tête +sacrée; et lui la secouait avec une tristesse si douce, une expression +si combattue entre les pleurs et le sourire, gages de sa douleur et de +sa patience; que si Dieu, pour quelque grand dessein, n'avait pas +endurci les coeurs des hommes, ils auraient été forcés de s'attendrir, +et la barbarie elle-même eût eu compassion de lui. Mais le ciel a mis la +main à ces événements; tranquilles et satisfaits, nous nous soumettrons +à sa haute volonté, Notre foi de sujet est maintenant jurée à +Bolingbroke dont je reconnais pour toujours la puissance et les droits.</p> + +<p class="stage1">(Entre Aumerle.)</p> + +<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Voici mon fils Aumerle.</p> + +<p>YORK.--Il fut Aumerle jadis, mais il a perdu ce titre pour avoir été +l'ami de Richard; et il faut désormais, madame, que vous l'appeliez +Rutland. Je suis caution, devant le parlement, de sa fidélité et de sa +ferme loyauté envers le nouveau roi.</p> + +<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Sois le bienvenu, mon fils. Quelles sont les +violettes parsemées maintenant sur le sein verdoyant du nouveau +printemps?</p> + +<p>AUMERLE.--Madame, je l'ignore et ne m'en embarrasse guère. Dieu sait +qu'il m'est indifférent d'en être ou de n'en pas être.</p> + +<p>YORK.--A la bonne heure; mais comportez-vous bien dans cette saison +nouvelle, de peur d'être moissonné avant le temps de la maturité. Que +dit-on d'Oxford? Les joutes et les fêtes continuent-elles?</p> + +<p>AUMERLE.--Oui, milord, à ce que j'ai ouï dire.</p> + +<p>YORK.--Vous y serez, je le sais.</p> + +<p>AUMERLE.--Si Dieu ne s'y oppose, c'est mon dessein.</p> + +<p>YORK.--Quel est ce sceau qui pend de ton sein<a id="footnotetag30" name="footnotetag30"></a> +<a href="#footnote30"><sup class="sml">30</sup></a>?--Eh quoi! tu pâlis? +Laisse-moi voir cet écrit.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote30" +name="footnote30"></a><b>Note 30:</b><a href="#footnotetag30"> +(retour) </a> L'usage était alors, comme on sait, d'apposer aux actes le +sceau suspendu par une bande de parchemin.</blockquote> + +<p>AUMERLE.--Milord, ce n'est rien.</p> + +<p>YORK.--En ce cas, peu importe qu'on le voie. Je veux être satisfait: +voyons cet écrit.</p> + +<p>AUMERLE.--Je conjure Votre Grâce de m'excuser: c'est un écrit de peu +d'importance, que j'ai quelque raison de tenir caché.</p> + +<p>YORK.--Et moi, monsieur, que j'ai quelque raison de vouloir connaître. +Je crains.... je crains....</p> + +<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Eh! que pouvez-vous craindre? Ce ne peut être que +quelque engagement qu'il aura contracté pour ses parures le jour du +triomphe.</p> + +<p>YORK.--Quoi! un engagement avec lui-même? Comment aurait-il entre ses +mains l'engagement qui le lie? Tu es folle, ma femme.--Jeune homme, +fais-moi voir cet écrit.</p> + +<p>AUMERLE.--Je vous en conjure, excusez-moi: je ne puis le montrer.</p> + +<p>YORK.--Je veux être obéi; je veux le voir, te dis-je. <span class="stage2">(<i>Il lui arrache +l'écrit et le lit.</i>)</span>--Trahison! noire trahison!--Déloyal! traître! +misérable!</p> + +<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Qu'est-ce que c'est, milord?</p> + +<p>YORK.--Holà! quelqu'un ici. <span class="stage2">(<i>Entre un serviteur.</i>)</span>--Qu'on selle mon +cheval.--Le ciel lui fasse miséricorde!--Quelle trahison je découvre +ici!</p> + +<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Comment? qu'est-ce, milord?</p> + +<p>YORK.--Donnez-moi mes bottes, vous dis-je. Sellez mon cheval.--Oui, sur +mon honneur, sur ma vie, sur ma foi, je vais dénoncer le scélérat!</p> + +<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Qu'il y a-t-il donc?</p> + +<p>YORK.--Taisez-vous, folle que vous êtes.</p> + +<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Je ne me tairai point.--De quoi s'agit-il, mon +fils?</p> + +<p>AUMERLE.--Calmez-vous, ma bonne mère: de rien dont ne puisse répondre ma +pauvre vie.</p> + +<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Ta vie en répondre!</p> + +<p class="stage1">(Entre un valet apportant des bottes.)</p> + +<p>YORK.--Donne-moi mes bottes. Je veux allez trouver le roi.</p> + +<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Aumerle, frappe-le.--Pauvre enfant, tu es tout +consterné. <span class="stage2">(<i>Au valet.</i>)</span>--Loin d'ici, malheureux! ne reparais jamais en +ma présence.</p> + +<p>YORK.--Donne-moi mes bottes, te dis-je.</p> + +<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Quoi donc, York, que veux-tu faire? Quoi! tu ne +cacheras pas la faute de ton propre sang? Avons-nous d'autres fils? +pouvons-nous en espérer d'autres? le temps n'a-t-il pas épuisé la +fécondité de mon sein? Et tu veux enlever à ma vieillesse mon aimable +fils, et me dépouiller de l'heureux titre de mère! Ne te ressemble-t-il +pas? n'est-il pas à toi?</p> + +<p>YORK.--Femme faible et insensée, veux-tu donc celer cette noire +conspiration? Ils sont là douze traîtres qui ont ici pris par serment et +réciproquement signé l'engagement d'assassiner le roi à Oxford.</p> + +<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Il n'en sera pas: nous le garderons ici; et alors +comment pourra-t-il s'en mêler?</p> + +<p>YORK.--Laisse-moi, femme inconsidérée: fût-il vingt fois mon fils, je le +dénoncerais.</p> + +<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Ah! si tu avais poussé pour lui autant de +gémissements que moi, tu serais plus pitoyable. Mais je sais maintenant +ce que tu penses: tu soupçonnes que j'ai été infidèle à ta couche; et +qu'il est un bâtard au lieu d'être ton fils. Ah! cher York, cher époux, +n'aie pas cette pensée; il te ressemble autant qu'homme puisse +ressembler à un autre; il ne me ressemble pas, ni à personne de ma +famille, et pourtant je l'aime.</p> + +<p>YORK.--Laisse-moi passer, femme indisciplinée.</p> + +<p class="stage1">(Il sort.)</p> + +<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Va après lui, Aumerle: monte son cheval; pique, +presse, arrive avant lui auprès du roi, et implore ta grâce avant qu'il +t'accuse. Je ne tarderai pas à te suivre: quoique vieille, je ne doute +pas que je ne puisse galoper aussi vite qu'York. Je ne me relèverai +point de terre que Bolingbroke ne t'ait pardonné. Partons. Va-t'en.</p> + +<p class="stage1">(Ils sortent.)</p> +<br> + +<h3>SCÈNE III</h3> + +<p class="stage1">La scène est à Windsor.--Un appartement dans le château.</p> + +<p class="stage1"><i>Entrent</i> BOLINGBROKE <i>en roi</i>, PERCY <i>et autres seigneurs</i>.</p> +<br> + +<p>BOLINGBROKE.--Personne ne peut-il me donner des nouvelles de mon +débauché de fils? Il y a trois mois entiers que je ne l'ai vu. S'il est +quelque fléau dont le ciel nous menace, c'est lui. Plût à Dieu, milords, +qu'on pût le découvrir! Faites chercher à Londres, dans toutes les +tavernes; car on dit qu'il les hante journellement avec des compagnons +sans moeurs et sans frein, de ceux-là mêmes, dit-on, qui se tiennent +dans des ruelles étroites, où ils battent notre garde et volent les +passants! Et lui, jeune étourdi, jeune efféminé, il se fait un point +d'honneur de soutenir cette bande dissolue!</p> + +<p>PERCY.--Seigneur, il n'y a guère que deux jours que j'ai vu le prince, +et je lui ai parle des tournois qui se tiennent à Oxford.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Et qu'a répondit ce galant?</p> + +<p>PERCY.--Sa réponse fut qu'il irait dans un mauvais lieu<a id="footnotetag31" name="footnotetag31"></a> +<a href="#footnote31"><sup class="sml">31</sup></a>, qu'il +arracherait à la plus vile des créatures qui s'y trouveraient un de ses +gants, qu'il le porterait comme une faveur, et qu'avec ce gage il +désarçonnerait le plus robuste agresseur.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote31" +name="footnote31"></a><b>Note 31:</b><a href="#footnotetag31"> +(retour) </a> <i>..... Unto the stews.</i></blockquote> + +<p>BOLINGBROKE.--Aussi dissolu que téméraire: et cependant, au travers de +tout cela, j'entrevois quelques étincelles d'espérance qu'un âge plus +mûr pourra peut-être développer heureusement.--Mais qui vient à nous?</p> + +<p class="stage1">(Entre Aumerle.)</p> + +<p>AUMERLE.--Où est le roi?</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Que veut dire notre cousin avec cet air de trouble et +d'effroi?</p> + +<p>AUMERLE.--Que Dieu garde Votre Grâce! Je conjure Votre Majesté de +m'accorder un moment d'entretien, seul avec Votre Grâce.</p> + +<p>BOLINGBROKE, <span class="stage2"><i>aux lords.</i></span>--Retirez-vous, et laissez-nous seuls ici. +<span class="stage2">(<i>Percy et les lords se retirent.</i>)</span>--Que nous veut maintenant notre +cousin?</p> + +<p>AUMERLE, <span class="stage2"><i>s'agenouillant.</i></span>--Que mes genoux restent pour toujours +attachés à la terre, et ma langue fixée dans ma bouche à mon palais, si +vous ne me pardonnez avant que je me relève ou que je parle.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--La faute n'est-elle que dans l'intention, ou déjà commise? +Dans le premier cas, quelque odieuse qu'elle puisse être, pour gagner +ton amitié à l'avenir, je te pardonne.</p> + +<p>AUMERLE.--Permettez-moi donc de tourner la clef, afin que personne +n'entre jusqu'à ce que je vous aie tout dit.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Fais ce que tu voudras.</p> + +<p class="stage1">(Aumerle ferme la porte.)</p> + +<p>YORK, <span class="stage2"><i>en dehors.</i></span>--Prends garde, mon souverain; veille à ta sûreté; tu +as un traître en ta présence.</p> + +<p>BOLINGBROKE, <span class="stage2"><i>tirant son épée.</i></span>--Scélérat! je vais m'assurer de toi.</p> + +<p>AUMERLE.--Retiens ta main vengeresse; tu n'as aucun sujet de craindre.</p> + +<p>YORK, <span class="stage2"><i>en dehors.</i></span>--Ouvre la porte; prends garde, roi follement +téméraire. Ne pourrai-je, au nom de mon attachement, accuser devant toi +la trahison? Ouvre la porte, ou je vais la briser.</p> + +<p class="stage1">(Bolingbroke ouvre la porte.)</p> + +<p class="stage1">(Entre York.)</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Qu'y a-t-il, mon oncle? parlez. Reprenez haleine; +dites-nous si le danger presse, afin que nous nous armions pour le +repousser.</p> + +<p>YORK.--Parcours cet écrit, et tu connaîtras la trahison que ma course +rapide m'empêche de te développer.</p> + +<p>AUMERLE.--Souviens-toi, en lisant, de ta parole donnée. Je suis +repentant: ne lis plus mon nom dans cette liste; mon coeur n'est point +complice de ma main.</p> + +<p>YORK.--Traître, il l'était avant que ta main eût signé.--Roi, je l'ai +arraché du sein de ce traître: c'est la crainte et non l'amour qui +engendre son repentir. Oublie ta pitié pour lui, de peur que ta pitié ne +devienne un serpent qui te percera le coeur.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--O conspiration odieuse, menaçante et audacieuse! O père +loyal d'un fils perfide! O toi, source argentée, pure et immaculée, d'où +ce ruisseau a pris son cours à travers des passages fangeux qui l'ont +sali; comme le surcroît de ta bonté s'est en lui changé en méchanceté, +de même cette bonté surabondante excusera la faute mortelle de ton +coupable fils.</p> + +<p>YORK.--Ainsi ma vertu servira d'entremetteur à ses vices<a id="footnotetag32" name="footnotetag32"></a> +<a href="#footnote32"><sup class="sml">32</sup></a>; il +dépensera mon honneur à réparer sa honte, comme ces fils prodigues qui +dépensent l'or amassé par leurs pères. Pour que mon honneur vive, il +faut que son déshonneur périsse; ou bien son déshonneur va couvrir ma +vie d'infamie. Tu me tues en lui permettant de vivre: si tu lui laisses +le jour, le traître vit et tu mets à mort le sujet fidèle.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote32" +name="footnote32"></a><b>Note 32:</b><a href="#footnotetag32"> +(retour) </a> <i>So shall my virtue be his vice's bawd.</i></blockquote> + +<p>LA DUCHESSE D'YORK, <span class="stage2"><i>en dehors</i>.</span>--De grâce, mon souverain, pour l'amour +de Dieu, laisse-moi entrer.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Quelle suppliante à la voix grêle pousse ces cris +empressés?</p> + +<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Une femme, ta tante, grand roi. C'est moi, +écoute-moi, aie pitié de moi; ouvre la porte: c'est une mendiante qui +mendie sans avoir jamais mendié<a id="footnotetag33" name="footnotetag33"></a> +<a href="#footnote33"><sup class="sml">33</sup></a>, moi qui ne demandai jamais.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote33" +name="footnote33"></a><b>Note 33:</b><a href="#footnotetag33"> +(retour) </a> <i>A beggar begs, that never begg'd before.</i> + +<p>C'est sur ce mot <i>beggar</i> que porte la plaisanterie de Bolingbroke.</p> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p class="i10"><i>Our scene is alter'd from a serious thing,</i></p> +<p class="i10"><i>And now chang'd to the Beggar and the king.</i></p> +</div></div> + +<p><i>The beggar</i> était, comme on l'a déjà fait voir dans les notes de <i>Roméo +et Juliette</i>, une ballade alors très-connue.</p></blockquote> + +<p>BOLINGBROKE.--Voilà notre scène changée: nous passons d'une chose +sérieuse à <i>la mendiante avec le roi</i>.--Mon dangereux cousin, faites +entrer votre mère: je vois bien qu'elle vient intercéder pour votre +odieux forfait.</p> + +<p>YORK.--Si tu lui pardonnes, qui que ce soit qui te prie, ce pardon +pourra faire germer d'autres crimes. Retranche ce membre corrompu, et +tous les autres restent sains. Si tu l'épargnes, il corrompra tout le +reste.</p> + +<p class="stage1">(Entre la duchesse d'York.)</p> + +<p>LA DUCHESSE D'YORK.--O roi! ne crois pas cet homme au coeur dur: celui +qui ne s'aime pas lui-même ne peut aimer personne.</p> + +<p>YORK.--Femme extravagante, que fais-tu ici? Ton sein flétri veut-il une +seconde fois nourrir un traître?</p> + +<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Cher York, calmez-vous.--Mon gracieux souverain, +écoutez-moi.</p> + +<p class="stage1">(Elle se met à genoux.)</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Levez-vous, ma bonne tante.</p> + +<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Non, pas encore, je t'en conjure: je resterai +prosternée sur mes genoux, et jamais je ne reverrai le jour que voient +les heureux, que tu ne m'aies rendue à la joie, que tu ne m'aies dit de +me réjouir en pardonnant à Rutland, à mon coupable enfant.</p> + +<p>AUMERLE, <span class="stage2"><i>se mettant à genoux.</i></span>--Et moi je courbe les genoux pour m'unir +aux prières de ma mère.</p> + +<p>YORK, <span class="stage2"><i>se mettant à genoux.</i></span>--Et moi je courbe mes genoux fidèles pour +prier contre tous les deux. Si tu accordes la moindre grâce, puisse-t-il +t'en mal arriver!</p> + +<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Ah! croyez-vous qu'il parle sérieusement? Voyez son +visage: ses yeux ne versent point de larmes, sa prière n'est qu'un jeu, +ses paroles ne viennent que de sa bouche, les nôtres viennent du coeur: +il ne vous prie que faiblement, et désire qu'on le refuse; mais nous, +nous vous prions du coeur, de l'âme, de tout le reste: ses genoux +fatigués se lèveraient avec joie, je le sais; et les nôtres resteront +agenouillés jusqu'à ce qu'ils s'unissent à terre. Ses prières sont +remplies d'une menteuse hypocrisie; les nôtres sont pleines d'un vrai +zèle et d'une intégrité profonde. Nos prières surpassent les siennes: +qu'elles obtiennent donc cette miséricorde due aux prières véritables.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Ma bonne tante, levez-vous.</p> + +<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Ne me dis point <i>levez-vous</i>, mais d'abord <i>je +pardonne</i>; et tu diras ensuite <i>levez-vous</i>. Ah! si j'avais été ta +nourrice et chargée de t'apprendre à parler, <i>je pardonne</i> eut été pour +toi le premier mot de la langue. Jamais je n'ai tant désiré entendre un +mot. Roi, dis: <i>Je pardonne</i>; que la pitié t'enseigne à le prononcer. Le +mot est court, mais moins court qu'il n'est doux: il n'en est point qui +convienne mieux à la bouche des rois que: <i>je pardonne</i>.</p> + +<p>YORK.--Parle-leur français, roi; dis-leur: <i>Pardonnez-moi</i><a id="footnotetag34" name="footnotetag34"></a> +<a href="#footnote34"><sup class="sml">34</sup></a>.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote34" +name="footnote34"></a><b>Note 34:</b><a href="#footnotetag34"> +(retour) </a> <i>Speak in French, king; say</i>--pardonnez-moi. + +<p>Shakspeare en veut beaucoup au <i>pardonnez-moi</i>. Il paraît que de son +temps l'usage continuel et abusif de cette expression était le signe +caractéristique de l'affectation des manières françaises. Mais la +plaisanterie est ici d'autant plus mal placée, que cette manière de +s'excuser n'a rien de particulier au français: <i>pardon me</i> est +continuellement employé dans ce même sens par Shakspeare, pas plus loin +que dans la scène précédente, où Aumerle refuse de donner à son père le +papier qu'il lui demande.</blockquote> + +<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Dois-tu enseigner au pardon à détruire le pardon? +Ah! mon cruel mari, mon seigneur au coeur dur qui emploie ce mot contre +lui-même, prononce le pardon commun qui est d'usage dans notre pays; +nous ne comprenons pas ce jargon français. Tes yeux commencent à parler; +que ta langue s'y joigne, ou bien place ton oreille dans ton coeur +compatissant, afin qu'il entende le son pénétrant de nos plaintes et de +nos prières, et que la pitié t'excite à proférer le pardon.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Ma bonne tante, levez-vous.</p> + +<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Je ne demande point à me relever: la grâce que je +sollicite, c'est que tu pardonnes.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Je lui pardonne, comme je désire que Dieu me pardonne.</p> + +<p>LA DUCHESSE D'YORK.--O heureuse victoire d'un genou suppliant! Et +pourtant je suis malade de crainte; répète-le: prononcer deux fois le +pardon, ce n'est pas pardonner deux fois, mais c'est fortifier un +pardon.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Je lui pardonne de tout mon coeur.</p> + +<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Tu es un dieu sur la terre.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Mais pour notre loyal beau-frère et l'abbé, et tout le +reste de cette bande de conspirateurs, la destruction va leur courir sur +les talons.--Mon bon oncle, chargez-vous d'envoyer plusieurs +détachements à Oxford, ou en quelque autre lieu que se trouvent ces +traîtres: ils ne demeureront pas en ce monde, je le jure; mais je les +aurai si je sais une fois où ils sont. Mon oncle, adieu.--Et vous aussi, +cousin, adieu. Votre mère a su prier pour vous; devenez fidèle.</p> + +<p>LA DUCHESSE D'YORK.--Viens, mon vieux fils, je prie Dieu de faire de toi +un nouvel homme.</p> + +<p class="stage1"><p>(Ils sortent.)</p> +<br> + +<h3>SCÈNE IV</h3> + +<p class="stage1"><i>Entrent</i> EXTON et UN SERVITEUR.</p> +<br> + +<p>EXTON.--N'as-tu pas remarqué ce que le roi a dit? «N'ai-je point un ami +qui me délivre de cette crainte toujours vivante?» N'est-ce pas cela?</p> + +<p>LE SERVITEUR.--Ce sont ses propres paroles.</p> + +<p>EXTON.--«N'ai-je point un ami?» a-t-il dit. Il l'a répété deux fois, et +les deux fois il a répété les deux choses ensemble, n'est-il pas vrai?</p> + +<p>LE SERVITEUR.--Il est vrai.</p> + +<p>EXTON.--Et en disant ces mots, il me regardait fixement, comme s'il +voulait dire: «Je voudrais bien que tu fusses l'homme capable de +délivrer mon âme de cette terreur,» voulant dire le roi qui est à +Pomfret.--Viens, allons-y: je suis l'ami du roi, et je le débarrasserai +de son ennemi.</p> + +<p class="stage1">(Ils sortent.)</p> +<br> + +<h3>SCÈNE V</h3> + +<p class="stage1">Pomfret.--La prison du château.</p> + +<p class="stage1">RICHARD <i>seul.</i></p> +<br> + +<p>Je me suis occupé à étudier comment je pourrais comparer cette prison, +où je vis, avec le monde; mais comme le monde est peuplé d'hommes, et +qu'ici il n'y a pas une créature excepté moi, je ne puis y +réussir.--Cependant il faut que j'en vienne à bout. Ma cervelle +deviendra la femelle de mon âme; mon âme sera le père: à eux deux ils +engendreront une génération d'idées sans cesse productives, et toutes +ces idées peupleront ce petit monde, et le peupleront d'inconséquences, +comme en est peuplé l'univers; car il n'est point de pensée qui se +satisfasse. Dans la meilleure espèce de toutes, les pensées des choses +divines, il se rencontre des embarras, et elles mettent la parole en +opposition avec la parole; comme: <i>venez à moi, petits; et ailleurs: il +est aussi difficile de venir qu'il l'est à un chameau d'enfiler l'entrée +du trou d'une aiguille</i><a id="footnotetag35" name="footnotetag35"></a> +<a href="#footnote35"><sup class="sml">35</sup></a>. Les pensées ambitieuses cherchent à +combiner des prodiges invraisemblables, comme de parvenir, avec ces +mauvais petits clous, à ouvrir un passage à travers les flancs pierreux +de ce monde si dur, des murs rocailleux de ma prison; et comme elles ne +peuvent réussir, elles meurent de leur propre orgueil. Les pensées qui +s'attachent au contentement flattent l'homme de cette considération +qu'il n'est pas le premier esclave de la fortune, et qu'il ne sera pas +le dernier; comme ces misérables mendiants qui, assis dans les ceps, +cherchent pour refuge contre la honte la pensée que d'autres s'y sont +assis, et que bien d'autres encore s'y assiéront, et trouvent dans cette +pensée une espèce d'aisance, portant ainsi leur opprobre sur le dos de +ceux qui avant eux en ont subi un semblable. De cette manière je +représente à moi seul bien des personnages dont aucun n'est content. +Quelquefois je suis le roi; et alors la trahison me fait souhaiter +d'être un mendiant, et je me fais mendiant. Mais alors l'accablante +indigence me persuade que j'étais mieux quand j'étais roi, et je +redeviens roi. Mais peu à peu je viens à songer que je suis détrôné par +Bolingbroke, et aussitôt je ne suis plus rien. Mais, quoi que je sois, +ni moi, ni aucun homme, n'étant qu'un homme, ne sera jamais satisfait de +rien, jusqu'à ce qu'il soit soulagé en n'étant plus rien. <span class="stage2">(<i>On entend de +la musique.</i>)</span>--Est-ce de la musique que j'entends?--La, la.... en +mesure.--Que la musique la plus mélodieuse est désagréable dès que la +mesure est rompue et que les temps ne sont pas observés! C'est la même +chose dans la musique de la vie humaine. Moi dont l'oreille est assez +délicate pour reprendre une fausse mesure dans un instrument mal +conduit, je n'ai pas eu assez d'oreille pour m'apercevoir que la mesure +qui devait entretenir l'accord entre ma puissance et mon temps était +rompue: j'abusais du temps, et à présent le temps abuse de moi, car il a +fait de moi l'horloge qui marque les heures: mes pensées sont les +minutes, et avec des soupirs elles frappent l'heure devant mes yeux, +montre extérieure à laquelle mon doigt, comme l'aiguille d'un cadran, +pointe toujours en essuyant leurs larmes: et maintenant, monsieur, le +son qui m'apprend quelle heure il est n'est autre que celui de mes +bruyants gémissements lorsqu'ils frappent sur mon coeur, qui est la +cloche. Ainsi, les soupirs, les larmes et les gémissements marquent les +minutes, les temps et les heures: mais mon temps s'enfuit rapidement +dans la joie orgueilleuse de Bolingbroke; tandis que je suis debout ici +comme un insensé, son jacquemard d'horloge<a id="footnotetag36" name="footnotetag36"></a> +<a href="#footnote36"><sup class="sml">36</sup></a>.--Cette musique me rend +furieux; qu'elle cesse. Si quelquefois elle rappela des fous à la +raison, il me semble qu'en moi elle la ferait perdre à l'homme sage; et +cependant béni soit le coeur qui m'en fait don! car c'est une marque +d'amitié; et de l'amitié pour Richard est un étrange joyau dans ce +monde, où tous me haïssent.</p> + + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote35" +name="footnote35"></a><b>Note 35:</b><a href="#footnotetag35"> +(retour) </a> C'est ainsi qu'est rendu ce passage dans les anciennes +versions des livres saints. Les versions modernes lisant [Greek: +chamilos] au lieu de [Greek: chamêlos] disent un <i>câble</i> au lieu d'<i>un +chameau</i>, ce qui paraît beaucoup plus vraisemblable.</blockquote> + + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote36" +name="footnote36"></a><b>Note 36:</b><a href="#footnotetag36"> +(retour) </a> <i>Jack of the clock.</i> Jacquemard, espèce de figure en bois +placée encore sur certaines anciennes horloges pour indiquer les +heures.</blockquote> + +<p class="stage1">(Entre un valet d'écurie.)</p> + +<p>LE VALET.--Salut, royal prince.</p> + +<p>RICHARD.--Je te remercie, mon noble pair; le meilleur marché de nous +deux est de dix sous<a id="footnotetag37" name="footnotetag37"></a> +<a href="#footnote37"><sup class="sml">37</sup></a> trop cher.--Qui es-tu? et comment es-tu entré +ici, où n'entre jamais personne que ce mauvais chien qui m'apporte ma +nourriture pour prolonger la vie du malheur?</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote37" +name="footnote37"></a><b>Note 37:</b><a href="#footnotetag37"> +(retour) </a> <i>Ten groats.</i> Le <i>groat</i> vaut quatre <i>pence</i>, c'est-à-dire +huit sous; ainsi, <i>ten groats</i> donneraient une valeur de <i>quatre +francs</i>. Mais comme <i>groat</i> est aussi le mot dont on se sert pour +exprimer une chose de peu de valeur, une extrêmement petite somme; à peu +près comme nous employons le mot <i>liard</i>, on a cru conserver mieux +l'esprit de cette phrase en traduisant <i>ten groats</i> par <i>dix sous</i>, +qu'en exprimant leur valeur réelle.</blockquote> + +<p>LE VALET.--J'étais un pauvre valet de tes écuries, roi, lorsque tu étais +roi; et voyageant vers York, j'ai, avec beaucoup de peine, obtenu à la +fin la permission de revoir le visage de celui qui fut autrefois mon +maître. Oh! comme mon coeur a été navré lorsque j'ai vu dans les rues de +Londres, le jour du couronnement, Bolingbroke monté sur ton cheval rouan +Barbary, ce cheval que tu as monté si souvent, ce cheval que je pansais +avec tant de soin!</p> + +<p>RICHARD.--Il montait Barbary! Dis-moi, mon ami, comment allait-il sous +lui?</p> + +<p>LE VALET.--Avec tant de fierté qu'il semblait dédaigner la terre.</p> + +<p>RICHARD.--Si fier de porter Bolingbroke! Et cette rosse mangeait du pain +dans ma main royale, et il était fier quand il sentait ma main le +caresser! Ne devait-il pas broncher? ne devait-il pas tomber (puisqu'il +faut que l'orgueil tombe tôt ou tard) et rompre le cou à l'orgueilleux +qui usurpait ma place sur son dos?--Pardonne-moi, mon cheval; pourquoi +te ferais-je des reproches, puisque tu as été créé pour être soumis à +l'homme, et que tu es né pour porter? Moi, qui n'ai pas été créé cheval, +je porte mon fardeau comme un âne blessé de l'éperon et harassé par les +caprices de Bolingbroke.</p> + +<p class="stage1">(Entre le geôlier avec un plat.)</p> + +<p>LE GEOLIER, <span class="stage2"><i>au valet.</i></span>--Allons, videz les lieux; il n'y a pas à rester +ici plus longtemps.</p> + +<p>RICHARD.--Si tu m'aimes, il est temps que tu te retires.</p> + +<p>LE VALET.--Ce que ma langue n'ose exprimer, mon coeur vous le dit.</p> + +<p class="stage1">(Il sort.)</p> + +<p>LE GEOLIER.--Seigneur, vous plaît-il de commencer?</p> + +<p>RICHARD.--Goûte le premier, suivant ta coutume.</p> + +<p>LE GEOLIER.--Seigneur, je n'ose: sir Pierce d'Exton, qui vient d'arriver +de la part du roi, me commande le contraire.</p> + +<p>RICHARD.--Le diable emporte Henri de Lancastre et toi! La patience est +usée, et j'en suis las.</p> + +<p class="stage1">(Il frappe le geôlier.)</p> + +<p>LE GEOLIER.--Au secours, au secours, au secours!</p> + +<p class="stage1">(Entrent Exton et plusieurs serviteurs armés.)</p> + +<p>RICHARD.--Qu'est-ce que c'est? à qui en veut la mort dans cette brusque +attaqué?--Scélérat! <span class="stage2">(<i>Il arrache à un soldat l'arme qu'il porte et le +tue.</i>)</span> Ta propre main me cède l'instrument de ta mort.--Et toi, va +remplir une autre place dans les enfers. <span class="stage2">(<i>Il en tue encore un +autre.</i>--<i>Alors Exton le frappe et le renverse.</i>)</span> La main sacrilège qui +me poignarde brûlera dans des flammes qui ne s'éteindront +jamais.--Exton, ta main féroce a souillé du sang de ton roi le royaume +du roi.--Monte, monte, mon âme, ton trône est là-haut; tandis que ce +corps charnel tombe sur la terre pour y mourir.</p> + +<p class="stage1">(Il meurt.)</p> + +<p>EXTON.--Il était aussi plein de valeur que de sang royal: j'ai répandu +l'un et l'autre.--Oh! plût au ciel que cette action fût innocente! Le +démon, qui m'avait dit que je faisais bien, me dit à présent que cette +action est inscrite dans l'enfer. Je veux aller porter ce roi mort au +roi vivant.--Qu'on emporte les autres, et qu'on leur donne ici la +sépulture.</p> + +<p class="stage1">(Ils sortent.)</p> +<br> + +<h3>SCÈNE VI</h3> + +<p class="stage1">Windsor.--Un appartement dans le château.</p> + +<p class="stage1"><i>Fanfares.</i>--<i>Entrent</i> BOLINGBROKE et YORK, <i>avec d'autres lords; +suite.</i></p> +<br> + +<p>BOLINGBROKE.--Mon cher oncle York, les dernières nouvelles que nous +avons reçues sont que les rebelles ont brûlé notre ville de Chichester, +dans le comté de Glocester; mais on ne nous dit pas s'ils ont été pris +ou tués. <span class="stage2">(<i>Entre Northumberland.</i></span>)--Soyez-le bienvenu, milord. Quelles +nouvelles?</p> + +<p>NORTHUMBERLAND.--D'abord, je souhaite toute sorte de bonheur à Votre +Majesté sacrée; ensuite les autres nouvelles sont, que j'ai envoyé à +Londres la tête de Salisbury, de Spencer, de Blunt et de Kent. Vous +trouverez dans cet écrit tous les détails sur la manière dont ils ont +été pris.</p> + +<p class="stage1">(Il lui présente l'écrit.)</p> + +<p>BOLINGBROKE, <span class="stage2"><i>après avoir lu.</i></span>--Nous te remercions, mon bon Percy, de +tes services; et nous ajouterons à ton mérite des récompenses dignes de +toi.</p> + +<p class="stage1">(Entre Fitzwater.)</p> + +<p>FITZWATER.--Seigneur, je viens d'envoyer d'Oxford à Londres les têtes de +Brocas et de sir Bennet Seely, deux de ces dangereux et perfides +conspirateurs qui cherchaient à Oxford ta funeste perte.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Ces services, Fitzwater, ne seront pas oubliés. Ton mérite +est grand, je le sais bien.</p> + +<p class="stage1">(Entre Percy amenant l'évêque de Carlisle.)</p> + +<p>PERCY.--Le grand conspirateur, l'abbé de Westminster, accablé par sa +conscience et par une noire mélancolie, a cédé son corps au tombeau. +Mais voici l'évêque de Carlisle vivant, pour subir ton royal arrêt et la +sentence due à son orgueil.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Carlisle, voici votre arrêt:--Choisis quelque asile +solitaire, plus grave que celui que tu occupes, et conserves-y la vie: +si tu y vis tranquille, tu y mourras libre de toute persécution. Tu fus +toujours mon ennemi, mais j'ai vu en toi de nobles étincelles d'honneur.</p> + +<p class="stage1">(Entre Exton suivi d'hommes portant un cercueil.)</p> + +<p>EXTON.--Grand roi! dans ce cercueil je t'offre tes craintes ensevelies. +Ici gît sans vie le plus redoutable de tes plus grands ennemis, Richard +de Bordeaux, apporté ici par moi.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Exton, je ne te remercie pas.--Ta main fatale a commis une +action qui retombera sur ma tête et sur cet illustre pays.</p> + +<p>EXTON.--C'est d'après vos propres paroles, seigneur, que j'ai fait cette +action.</p> + +<p>BOLINGBROKE.--Ceux qui ont besoin du poison n'aiment pas pour cela le +poison; et je ne t'aime pas non plus. Bien que je l'aie souhaité mort, +je hais l'assassin tout en l'aimant assassiné. Prends pour ta peine les +remords de ta conscience; mais n'espère ni une bonne parole, ni la +faveur de ton prince. Va, comme Caïn, errer dans les ombres de la nuit, +et ne montre jamais ta tête au jour, ni à la lumière.--Seigneurs, je +proteste que mon âme est pleine de tristesse, qu'il faille ainsi +m'arroser de sang pour me faire prospérer. Venez gémir avec moi sur ce +que je déplore, et qu'on prenne à l'instant un deuil profond.--Je ferai +un voyage à la terre sainte pour laver de ce sang ma main coupable. +Suivez-moi à pas lents, et honorez ma tristesse en accompagnant de vos +pleurs cette bière remplie avant le temps.</p> + +<p class="stage1">(Ils sortent.)</p> + +<p>FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE.</p> +<br><br> + + + + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of La vie et la mort du roi Richard II, by +William Shakespeare + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK RICHARD II *** + +***** This file should be named 21277-h.htm or 21277-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/2/1/2/7/21277/ + +Produced by Paul Murray, Rénald Lévesque and the Online +Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. 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