summaryrefslogtreecommitdiff
diff options
context:
space:
mode:
-rw-r--r--.gitattributes3
-rw-r--r--28151-8.txt4700
-rw-r--r--28151-8.zipbin0 -> 75347 bytes
-rw-r--r--28151-h.zipbin0 -> 79750 bytes
-rw-r--r--28151-h/28151-h.htm5430
-rw-r--r--LICENSE.txt11
-rw-r--r--README.md2
7 files changed, 10146 insertions, 0 deletions
diff --git a/.gitattributes b/.gitattributes
new file mode 100644
index 0000000..6833f05
--- /dev/null
+++ b/.gitattributes
@@ -0,0 +1,3 @@
+* text=auto
+*.txt text
+*.md text
diff --git a/28151-8.txt b/28151-8.txt
new file mode 100644
index 0000000..d7dfe1e
--- /dev/null
+++ b/28151-8.txt
@@ -0,0 +1,4700 @@
+Project Gutenberg's Tout est bien qui finit bien, by William Shakespeare
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Tout est bien qui finit bien
+
+Author: William Shakespeare
+
+Translator: François Pierre Guillaume Guizot
+
+Release Date: February 21, 2009 [EBook #28151]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK TOUT EST BIEN QUI FINIT BIEN ***
+
+
+
+
+Produced by Paul Murray, Rénald Lévesque and the Online
+Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
+file was produced from images generously made available
+by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
+http://gallica.bnf.fr)
+
+
+
+
+
+
+
+
+Note du transcripteur.
+ ======================================================================
+ Ce document est tiré de:
+
+ OEUVRES COMPLÈTES DE
+ SHAKSPEARE
+
+ TRADUCTION DE
+ M. GUIZOT
+
+ NOUVELLE ÉDITION ENTIÈREMENT REVUE
+ AVEC UNE ÉTUDE SUR SHAKSPEARE
+ DES NOTICES SUR CHAQUE PIÈCE ET DES NOTES
+
+ Volume 3
+ Timon d'Athènes
+ Le Jour des Rois.--Les deux gentilshommes de Vérone.
+ Roméo et Juliette.--Le Songe d'une nuit d'été.
+ Tout est bien qui finit bien.
+
+ PARIS
+ A LA LIBRAIRIE ACADÉMIQUE
+ DIDIER ET Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS
+ 35, QUAI DES AUGUSTINS
+ 1864
+
+ ======================================================================
+
+
+ TOUT EST BIEN
+ QUI FINIT BIEN
+
+ COMEDIE
+
+
+
+
+NOTICE
+SUR
+TOUT EST BIEN QUI FINIT BIEN
+
+C'est à une des plus intéressantes nouvelles de Boccace que nous devons
+cette pièce. En voici les principaux événements que Shakspeare a
+transportés sur la scène en leur donnant une nouvelle vie, par ce charme
+de sensibilité et cette verve comique qui lui manquent si rarement.
+
+Un grand médecin, appelé Gérard de Narbonne, avait laissé une fille qui,
+élevée dans le palais du comte de Roussillon, avait conçu l'amour le
+plus tendre pour son fils unique, le jeune Bertrand. Celui-ci fut mandé
+à la cour après la mort de son père, et la pauvre Gillette, c'était le
+nom de la fille de Gérard, resta en Roussillon bien résolue de n'avoir
+jamais d'autre époux que Bertrand.
+
+Bientôt elle apprit que le roi souffrait beaucoup d'une fistule déclarée
+incurable; son père lui avait légué plusieurs secrets de son art, et
+Gillette conçut l'espoir de guérir le monarque. Elle se rendit à Paris.
+Le roi lui promit que, si son remède réussissait, il la marierait avec
+l'homme le plus noble et le plus riche du royaume, qu'elle choisirait
+elle-même. Il fut guéri et Gillette demanda le comte Bertrand.
+
+Celui-ci se crut déshonoré par une alliance au-dessous de son rang; mais
+le roi commanda en maître, il fallut obéir. Aussitôt après la
+célébration du mariage, le comte Bertrand partit pour la Toscane et prit
+du service parmi les Florentins alors en guerre avec les Siennois.
+Gillette s'en retourna en Roussillon d'où elle envoya dire au comte que,
+si sa présence était la cause de son exil volontaire, elle s'éloignerait
+pour toujours. Bertrand lui fit répondre qu'il était fermement résolu de
+ne point vivre avec elle jusqu'au jour où elle serait en possession de
+son anneau, et aurait un fils de lui. Il croyait exiger l'impossible;
+mais Gillette déguisée en pèlerine, partit pour Florence où elle logea
+chez une veuve, qui, sans la connaître, lui apprit que le comte de
+Roussillon était amoureux d'une de ses voisines, jeune, belle et
+vertueuse quoique pauvre. Gillette fut trouver la mère de sa rivale, se
+découvrit à elle et lui promit une forte récompense si elle voulait
+favoriser ses projets. On fit dire au comte que la jeune fille céderait
+à ses voeux, mais qu'elle demandait son anneau pour gage de sa foi.
+Bertrand envoya son anneau et s'empressa d'aller à une heure fixée au
+rendez-vous qui lui fut donné. Ce fut Gillette qui le reçut dans ses
+bras et qui répéta plusieurs fois cette innocente supercherie, jusqu'à
+ce que des signes évidents de grossesse vinssent accomplir tous ses
+souhaits. Enfin le comte, instruit de l'absence de sa femme et cédant
+aux instances de ses vassaux, revint dans sa patrie. Cependant Gillette
+mit au monde deux enfants jumeaux qui ressemblaient beaucoup à leur
+père; elle se rendit elle-même en Roussillon après ses couches, et y
+arriva le jour où son époux donnait un grand festin. La pèlerine se
+présenta au milieu de l'assemblée portant ses deux enfants sur ses bras.
+Elle se jeta aux genoux du comte, lui donna l'anneau et lui avoua tout.
+Bertrand touché reçut Gillette pour son épouse.
+
+Tout ce que Shakspeare a ajouté à ce fond, déjà si intéressant, n'est
+pas également heureux et probable. L'obstination et la pétulance de
+Bertrand sont bien peintes; mais son caractère nous semble odieux; c'est
+un gentilhomme sans générosité, lâche, ingrat et menteur éhonté. Le
+poëte devait aux vertus d'Hélène et à la morale de le punir; mais il
+avait peut-être malgré lui de l'indulgence pour le fils de cette
+comtesse si bonne et si aimable, et que sa sagesse et sa tendresse pour
+Hélène élèvent au-dessus de tous les préjugés ridicules de la naissance.
+Shakspeare n'a peut-être pas osé être trop sévère pour celui qu'aimait
+cette même Hélène, si douce et si modeste malgré la position critique où
+l'a placée le sot orgueil de Bertrand; on devine ce sentiment du poëte
+dans la conduite du roi, dont la reconnaissance ingénieuse eût craint
+d'humilier sa bienfaitrice dans son époux.
+
+Le personnage comique de la pièce est un peu usé sur le théâtre depuis
+que nous y avons tant de fanfarons de la même famille; mais Parolles et
+ses aventures ont passé en proverbe en Angleterre. La scène du tambour
+est digne de Molière, et nous apprécierions encore davantage Parolles,
+si nous ne connaissions pas Falstaff.
+
+Selon Malone, cette pièce aurait été composée en 1598.
+
+
+
+
+TOUT EST BIEN
+QUI FINIT BIEN
+
+COMÉDIE
+
+
+
+PERSONNAGES
+
+LE ROI DE FRANCE.
+LE DUC DE FLORENCE.
+BERTRAND, comte de Roussillon.
+LAFEU, vieux courtisan.
+PAROLLES[1], parasite à la suite de Bertrand.
+PLUSIEURS JEUNES SEIGNEURS FRANÇAIS, qui servent avec Bertrand dans la
+ guerre de Florence.
+UN INTENDANT, }
+UN PAYSAN BOUFFON, } au service de la comtesse de Roussillon.
+LA COMTESSE DE ROUSSILLON, mère de Bertrand.
+HÉLÈNE, protégée de la comtesse.
+UNE VIEILLE VEUVE de Florence.
+DIANE, fille de cette veuve.
+VIOLENTA, }
+MARIANA[2], } voisines et amies de la veuve.
+SEIGNEURS DE LA COUR DU ROI, UN PAGE, OFFICIERS, SOLDATS FRANÇAIS ET
+ FLORENTINS.
+
+La scène est tantôt en France, tantôt en Toscane.
+
+[Note 1: _Parolles_, mauvaise orthographe de notre mot _parole_.]
+
+[Note 2: Personnage muet qui ne paraît qu'une fois.]
+
+
+
+
+ACTE PREMIER
+
+
+
+SCÈNE I
+
+
+On est en Roussillon. Appartement dans le palais de la comtesse.
+
+_Entrent_ BERTRAND, LA COMTESSE DE ROUSSILLON HÉLÈNE ET LAFEU, _tous en
+deuil_.
+
+LA COMTESSE.--En laissant mon fils se séparer de moi, j'enterre un
+second époux.
+
+BERTRAND.--Et moi, en m'éloignant, madame, je pleure de nouveau la mort
+de mon père: mais il me faut obéir aux ordres de Sa Majesté. Devenu son
+pupille[3], je suis plus que jamais dans sa dépendance.
+
+[Note 3: Les enfants mineurs des grands seigneurs féodaux étaient les
+pupilles du monarque.]
+
+LAFEU.--Vous, madame, vous retrouverez un époux dans la bonté du roi.
+(_A Bertrand._) Et vous, seigneur, un père. Un roi, qui dans tous les
+temps est si universellement bon, doit nécessairement conserver sa
+bienveillance pour vous, dont le mérite la ferait naître là où elle
+manquerait bien loin de ne la pas trouver là où elle abonde.
+
+LA COMTESSE.--Que peut-on espérer de la guérison du roi?
+
+LAFEU.--Madame, il a congédié tous ses médecins. Sous leur direction, il
+a fatigué le temps de ses espérances, sans trouver d'autre avantage dans
+leurs remèdes que de perdre l'espérance avec le temps.
+
+LA COMTESSE.--Cette jeune personne avait un père (oh! _avait!_ que ce
+mot réveille un triste souvenir!) dont la science égalait presque la
+probité. Si elle eût été aussi loin, il aurait rendu la nature
+immortelle, et la mort aurait pu jouer faute d'ouvrage. Plût à Dieu que
+pour le bonheur du roi il fût encore vivant! je crois qu'il aurait été
+la mort de sa maladie.
+
+LAFEU.--Comment l'appeliez-vous, madame, cet homme dont vous parlez?
+
+LA COMTESSE.--Il était fameux, monsieur, dans son art, et il avait bien
+mérité de l'être;--Gérard de Narbonne.
+
+LAFEU.--C'était vraiment un habile homme, madame. Le roi parla de lui
+dernièrement avec beaucoup d'éloges et de regrets. Il avait assez de
+science pour vivre encore, si la science pouvait être un préservatif du
+trépas.
+
+BERTRAND.--Quel est le mal, mon bon seigneur, qui mine les jours du roi?
+
+LAFEU.--Une fistule, seigneur.
+
+BERTRAND.--Je n'avais jamais entendu parler de ce mal.
+
+LAFEU.--Je voudrais bien qu'il fût encore inconnu.--Cette jeune personne
+est donc la fille de Gérard de Narbonne?
+
+LA COMTESSE.--Sa seule enfant, seigneur, et léguée à mes soins. J'ai
+d'elle toutes les bonnes espérances que promet son éducation. Elle
+hérite de ces heureuses dispositions qui embellissent encore les beaux
+dons de la nature; car, lorsqu'un naturel pervers est doué d'aimables
+qualités, ces éloges sont mêlés de pitié, puisque ces qualités sont à la
+fois des vertus et des traîtres: chez Hélène, elles sont relevées encore
+par sa simplicité; elle a reçu la vertu de la nature, et elle a su se
+rendre parfaite.
+
+LAFEU.--Vos louanges, madame, font couler ses larmes.
+
+LA COMTESSE.--C'est la meilleure manière dont une jeune fille puisse
+assaisonner l'éloge qu'elle entend d'elle. Le souvenir de son père
+n'approche jamais de son coeur que la violence de son chagrin ne prive
+ses joues de tout signe de vie. N'y pensez plus, Hélène: allons, plus de
+larmes; on pourrait croire que vous affectez plus de tristesse que vous
+n'en ressentez.
+
+HÉLÈNE.--J'ai l'air triste, en effet; mais je le suis réellement.
+
+LAFEU.--Des regrets modérés sont un tribut que l'on doit aux morts: le
+chagrin excessif est l'ennemi des vivants.
+
+HÉLÈNE.--Si les vivants sont ennemis du chagrin, il se détruit bientôt
+par son excès même.
+
+BERTRAND.--Madame, je demande votre bénédiction.
+
+LAFEU.--Comment entendons-nous cela?
+
+LA COMTESSE.--Reçois ma bénédiction, Bertrand. Ressemble à ton père par
+tes actions comme par tes traits. Que la noblesse de ton sang et ta
+vertu rivalisent en toi, et que ton mérite partage avec ta naissance.
+Aime tous les hommes; fie-toi à quelques-uns; ne fais tort à aucun. Fais
+craindre plutôt que sentir ta puissance à ton ennemi. Garde ton ami sous
+la clef de ta propre vie. Qu'on te reproche ton silence, et jamais
+d'avoir parlé. Que toutes les grâces que le ciel voudra t'accorder
+encore et que mes prières importunes pourront lui arracher, pleuvent sur
+ta tête! Adieu, seigneur.--Ce jeune homme est un courtisan bien novice.
+Mon cher seigneur, conseillez-le.
+
+LAFEU.--Il ne peut manquer de recevoir les meilleurs conseils, si son
+amitié veut les écouter.
+
+LA COMTESSE.--Que le ciel te bénisse! Adieu, Bertrand.
+
+(Elle sort.)
+
+BERTRAND, _à Hélène._--Que tous les voeux qui peuvent se former dans
+votre coeur soient vos serviteurs! Soyez la consolation de ma mère,
+votre maîtresse, et qu'elle vous soit chère.
+
+LAFEU.--Adieu, ma belle enfant. Vous devez soutenir la réputation de
+votre père.
+
+(Bertrand et Lafeu sortent.)
+
+HÉLÈNE.--Oh! si c'était tout!--Je ne pense plus à mon père; et ces
+grosses larmes honorent plus sa mémoire que celles que j'ai répandues
+pour lui.--A qui ressemblait-il donc? Je l'ai oublié. Mon imagination ne
+conserve aucune image que celle de Bertrand. Je suis perdue; il n'y a
+plus de vie, plus de vie pour moi, si Bertrand s'éloigne de ces lieux.
+Autant vaudrait que je fusse éprise de quelque étoile brillante, et que
+je songeasse à l'épouser; tant il est au-dessus de moi! Il faut que je
+me contente de recevoir les obliques rayons de sa lumière éloignée. Je
+ne puis arriver jusqu'à sa sphère: ainsi l'ambition de mon amour est son
+propre tourment. La biche qui voudrait s'unir avec le lion doit mourir
+d'amour. Il m'était doux, quoique ce fût une souffrance, de le voir à
+toute heure, de m'asseoir devant lui, et de pouvoir graver le bel arc de
+ses sourcils, son oeil fier et ses cheveux bouclés, sur la table de mon
+coeur,... mon coeur trop prompt à retracer tous les traits et les
+particularités de son visage chéri. Mais à présent le voilà parti, et
+mon amour idolâtre va sanctifier ses reliques.--Qui vient ici?--(_Entre
+Parolles._) Un homme de sa suite, que j'aime à cause de Bertrand; et
+cependant je le connais pour un menteur avéré. Je le regarde comme aux
+trois quarts sot, et comme un lâche parfait. Cependant toutes ces
+mauvaises qualités lui vont si bien qu'elles trouvent un asile, tandis
+que la vertu, d'une trempe d'acier, se morfond exposée aux injures de
+l'air. Aussi voyons-nous très-souvent la Sagesse glacée au service de la
+Folie pompeusement parée.
+
+PAROLLES.--Dieu vous garde, belle reine!
+
+HÉLÈNE.--Et vous aussi, monarque!
+
+PAROLLES.--Monarque? non.
+
+HÉLÈNE.--Ni reine non plus.
+
+PAROLLES.--Étiez-vous là occupée à méditer sur la virginité?
+
+HÉLÈNE.--Oui. Vous avez quelque chose de l'air d'un guerrier. Il faut
+que je vous fasse une question: l'homme est l'ennemi de la virginité;
+par quel moyen pouvons-nous la défendre contre ses attaques?
+
+PAROLLES.--Tenez-le à distance.
+
+HÉLÈNE.--Mais il nous assiège; et notre virginité, quoique vaillante à
+la défense, est faible pourtant. Enseignez-nous donc quelque expédient
+guerrier pour la résistance.
+
+PAROLLES.--Il n'y en a pas. L'homme qui met le siége devant vous vous
+minera et vous fera sauter en l'air.
+
+HÉLÈNE.--Que le ciel préserve notre pauvre virginité des mineurs et des
+bombardiers! N'y a-t-il pas aussi un art militaire par lequel les
+vierges puissent contre-miner les hommes?
+
+PAROLLES.--La virginité une fois à terre, l'homme en sautera plus vite
+en l'air. Diantre! en mettant de nouveau l'homme à terre, vous perdez
+votre ville par la brèche que vous avez faite vous-même. Dans la
+république de la nature, la politique n'est pas de conserver la
+virginité; sa perte augmente le nombre des sujets. Jamais vierge ne
+serait née s'il n'y avait eu auparavant une virginité de perdue.
+L'étoffe dont vous avez été formée est celle dont on fait les vierges.
+Pour une virginité perdue on en peut trouver dix: la garder toujours,
+c'est la perdre pour jamais. Allons, c'est une compagne trop froide; il
+faut s'en défaire.
+
+HÉLÈNE.--Je la défendrai encore un peu de temps, quand je devrais
+m'exposer à mourir vierge.
+
+PAROLLES.--Il y a peu de chose à dire en sa faveur: c'est contre l'ordre
+de la nature. Parler pour défendre la virginité, c'est accuser sa mère:
+ce qui est une désobéissance notoire. Celui qui se pend fait comme la
+vierge; car la virginité se tue elle-même: et l'on devrait l'enterrer
+hors de la terre bénite, dans les grands chemins, comme une coupable
+signalée contre la nature. La virginité engendre des mites comme le
+fromage; elle se consume elle-même jusqu'à la croûte, et meurt en
+dévorant sa propre substance. De plus, la virginité est hargneuse,
+arrogante, vaine, gonflée d'amour-propre; ce qui est le péché le plus
+expressément défendu par les canons. Ne la gardez pas: vous ne pouvez
+que perdre avec elle. Défaites vous-en, et dans dix ans vous l'aurez
+doublée, ce qui fait un intérêt très-honnête; et encore le principal
+lui-même n'en vaudra guère moins. Allons, ne gardez pas cela.
+
+HÉLÈNE.--Mais que faut-il faire, monsieur, pour la perdre à son gré?
+
+PAROLLES.--Attendez: voyons.--Que faire, dites-vous? Ma foi, mal faire:
+aimer celui qui ne l'aime pas. La virginité est un meuble qui perd son
+lustre dans le repos[4]; plus on la garde, moins elle vaut:
+défaites-vous-en, tandis qu'elle est encore de vente: profitez du temps
+où on la recherche. La virginité ressemble à un vieux courtisan qui
+porte un habit à l'antique, riche, mais qui n'est plus de mode, comme
+ces parures et ces cure-dents qu'on ne porte plus aujourd'hui. Votre
+datte[5] vaut mieux dans un pâté ou un potage que sur vos joues; et
+votre virginité, votre antique virginité ressemble à une de nos poires
+passées de France, elle a mauvais air, elle est sèche, enfin c'est une
+poire passée: elle valait mieux jadis; oui, mais ce n'est plus qu'une
+poire passée; qu'en voulez-vous faire?
+
+[Note 4: _With lying_, le repos du lit, jeu de mot.]
+
+[Note 5: Jeu de mot sur _date_, époque et _datte_ fruit.]
+
+HÉLÈNE.--Ma virginité n'en est pas encore là.--Votre maître y
+retrouverait mille amours, une mère et une maîtresse, un ami, un phénix,
+un capitaine et un ennemi; un guide, une déesse et une souveraine, un
+conseiller, une traîtresse et une amie: son humble ambition, sa fière
+humilité, sa concorde discordante et sa douce discorde; sa foi, son doux
+malheur avec un monde de jolis petits chrétiens charmants, dont Cupidon
+jasera en souriant.--Alors il sera... Je ne sais pas ce qu'il sera.
+--Que la main de Dieu le conduise!--La cour est un endroit où l'on
+apprend--et Bertrand est un de ceux...
+
+PAROLLES.--Eh bien! quoi; un de ceux?...
+
+HÉLÈNE.--A qui je souhaite du bien.--Il est bien malheureux que...
+
+PAROLLES.--Qui est-ce qui est malheureux?
+
+HÉLÈNE.--Que nos voeux n'aient pas un corps qu'on puisse rendre
+sensible, afin que nous, qui sommes nés pauvres, et dont les étoiles
+inférieures nous bornent aux seuls désirs, nous puissions transmettre
+leurs effets jusqu'à nos amis absents, et montrer ce que nous devons
+nous contenter de penser sans en recueillir aucune reconnaissance!
+
+(Un page entre.)
+
+LE PAGE.--Monsieur Parolles, Monseigneur vous demande.
+
+(Le page sort.)
+
+PAROLLES.--Adieu, ma petite Hélène. Si je puis me ressouvenir de toi, je
+songerai à toi quand je serai à la cour.
+
+HÉLÈNE.--Monsieur Parolles, vous êtes né sous une étoile bien
+charitable.
+
+PAROLLES.--Je suis né sous Mars, moi.
+
+HÉLÈNE.--Oui, c'est sous Mars même que je vous crois né.
+
+PAROLLES.--Et pourquoi sous Mars?
+
+HÉLÈNE.--Vous avez soutenu tant de guerres, qu'il faut absolument que
+vous soyez né sous Mars.
+
+PAROLLES.--Et lorsqu'il était la planète prédominante.
+
+HÉLÈNE.--Plutôt, je crois lorsqu'il était rétrograde.
+
+PAROLLES.--Pourquoi jugez-vous ainsi?
+
+HÉLÈNE.--Vous savez si bien rétrograder, quand vous combattez.
+
+PAROLLES.--C'est pour en prendre plus d'avantage.
+
+HÉLÈNE.--C'est aussi pour cela que l'on fuit, quand la crainte conseille
+de chercher sa sûreté. Mais ce mélange de courage et de peur qui est en
+vous est une vertu dont l'aile est bien rapide, et dont le vol me plaît
+infiniment.
+
+PAROLLES.--J'ai la tête si occupée d'affaires, que je ne suis pas en
+état de vous faire une réponse piquante. Je serai à mon retour un
+parfait courtisan, mon instruction servira à vous naturaliser, et vous
+serez en état de recevoir les conseils d'un homme de cour, et de
+comprendre les avis qu'il vous consacrera. Autrement, vous mourrez dans
+votre ingratitude, et votre ignorance vous perdra. Adieu. Quand vous
+aurez du loisir, récitez vos prières; et quand vous n'en aurez point,
+souvenez-vous de vos amis: procurez-vous un bon mari, et traitez-le
+comme il vous traitera: et là-dessus, adieu.
+
+(Il sort.)
+
+HÉLÈNE.--Souvent ces ressources, que nous attribuons au ciel, résident
+en nous-mêmes. Le destin nous laisse une libre carrière; il ne tire en
+arrière nos projets languissants que lorsque nous sommes paresseux
+nous-mêmes. Quelle est cette puissance qui élève mon amour si haut, et
+qui me fait voir ce dont je ne puis rassasier mes regards? Souvent deux
+êtres entre lesquels la fortune a jeté un espace immense, la nature les
+réunit comme deux moitiés, et les amène à s'embrasser, comme s'ils
+étaient nés l'un pour l'autre. Les entreprises extraordinaires sont
+impossibles pour qui mesure leur difficulté par ses sens, et qui
+s'imagine que ce qui n'est pas arrivé ne peut arriver. Quelle femme
+vit-on jamais s'efforcer de faire connaître son mérite, qui ait échoué
+dans ses amours? La maladie du roi...--Mon projet peut tromper mon
+espoir; mais ma résolution est bien arrêtée, et elle ne m'abandonnera
+pas.
+
+
+
+SCÈNE II
+
+
+Paris. Appartement dans le palais du roi.
+
+Fanfares. LE ROI DE FRANCE _paraît avec sa suite; il tient des lettres à
+la main._
+
+LE ROI.--Les Florentins et les Siennois en sont venus aux mains. Ils ont
+combattu avec un avantage égal, ils continuent la guerre avec courage.
+
+PREMIER SEIGNEUR.--C'est ce qu'on dit, sire.
+
+LE ROI.--Mais c'est fort incroyable. Nous recevons la confirmation de
+cette nouvelle par mon cousin d'Autriche, qui me prévient que les
+Florentins vont nous demander un prompt secours. Là-dessus notre bon ami
+préjuge lui-même la proposition, et il semble désirer que nous les
+refusions.
+
+PREMIER SEIGNEUR.--Son amitié et sa prudence, dont il a donné de si
+grandes preuves à Votre Majesté, méritent bien qu'on lui accorde la plus
+grande confiance.
+
+LE ROI.--Il a décidé notre réponse, et Florence est refusée, avant
+d'avoir demandé. Mais pour nos gentilshommes qui désirent essayer du
+service toscan, je les laisse entièrement libres de se ranger de l'un ou
+de l'autre parti.
+
+SECOND SEIGNEUR.--Cela peut servir d'école militaire à notre jeune
+noblesse, qui est malade faute d'air et d'exploits.
+
+LE ROI.--Qui vient à nous?
+
+(Entrent Bertrand, Lafeu, Parolles.)
+
+PREMIER SEIGNEUR.--C'est le comte de Roussillon, mon bon seigneur, le
+jeune Bertrand.
+
+LE ROI.--Jeune homme, tu portes la physionomie de ton père. La nature
+libérale ne t'a point ébauché à la hâte: elle a pris soin à te former.
+Puisses-tu hériter aussi des vertus morales de ton père! Sois le
+bienvenu à Paris.
+
+BERTRAND.--Que Votre Majesté daigne recevoir mes remerciements et mes
+hommages!
+
+LE ROI.--Je voudrais avoir encore aujourd'hui cette rigueur de corps que
+je possédais lorsque jadis ton père et moi nous fîmes nos premières
+armes ensemble! Il était exercé à fond dans tout le service de ce
+temps-là, et il était l'élève des plus braves capitaines. Il résista
+longtemps; mais à la fin la hideuse vieillesse nous a atteints tous
+deux, et nous a dépouillés de la force d'agir. Je me sens plus jeune en
+parlant de votre bon père. Dans sa jeunesse, il avait cet esprit
+caustique que je suis à portée de remarquer aujourd'hui chez nos jeunes
+seigneurs. Mais ils peuvent railler tant que leurs propres railleries
+retombent sur leur personne obscure encore, avant qu'ils puissent
+couvrir leur légèreté sous l'éclat de leur gloire. Mais lui, il était un
+courtisan si parfait, qu'il n'y avait ni mépris ni amertume dans ses
+railleries ou sa fierté. S'il s'en glissait parfois, ce n'était jamais
+que pour repousser l'injure de son égal. Son honneur lui servait de
+cadran, et lui marquait la minute précise où il devait parler, et sa
+langue obéissait à sa direction. Ceux qui étaient au-dessous de lui, il
+les traitait comme des créatures d'une autre classe, et il abaissait son
+élévation jusqu'à leurs rangs inférieurs. Il les rendait fiers par son
+humilité, et il s'humiliait encore pour recevoir leurs louanges
+maladroites. Voilà l'homme qui devrait servir de modèle aux jeunes gens
+de nos jours; et s'il était bien suivi, il leur montrerait qu'ils ne
+font que rétrograder.
+
+BERTRAND.--La mémoire de ses vertus, sire, est plus glorieuse dans votre
+souvenir que sur sa tombe; et son épitaphe est moins honorable pour son
+nom que vos royaux éloges.
+
+LE ROI.--Plût à Dieu que je fusse avec lui!--Il avait toujours coutume
+de dire... (il me semble l'entendre en ce moment. Il ne jetait pas ses
+paroles sensées dans les oreilles, il les y greffait pour y croître et y
+porter du fruit.)--Il disait: «Que je ne vive plus...--Tel était le
+début de son aimable mélancolie quand il avait fini son badinage.--Que
+je ne vive plus, disait-il, dès que ma lampe manquera d'huile, afin que
+son reste de lueur ne soit pas un objet de risée pour ces jeunes
+étourdis, dont l'esprit superbe dédaigne tout ce qui n'est pas nouveau,
+dont le jugement se borne à être le créateur de leurs toilettes, et dont
+la constance expire même avant ces modes passagères!» C'était là ce
+qu'il souhaitait; et ce que je souhaite après lui; puisque je ne puis
+plus apporter à la ruche ni cire ni miel, je voudrais en être
+promptement congédié, pour céder la place à des travailleuses.
+
+SECOND SEIGNEUR.--Vous êtes aimé, sire, et ceux qui vous aiment le moins
+seront les premiers à regretter que vous n'y soyez plus.
+
+LE ROI.--Je remplis une place, je le sais...--Combien y a-t-il, comte,
+que le médecin de votre père est mort?--Il était très-renommé.
+
+BERTRAND.--Sire, il y a environ six mois.
+
+LE ROI.--S'il était vivant, j'essayerais encore de lui.--Prêtez-moi
+votre bras.--Tous les autres m'ont usé à force de remèdes. Que la nature
+et la maladie se disputent maintenant l'événement à leur loisir.--Soyez
+le bienvenu, comte; mon fils ne m'est pas plus cher que vous.
+
+BERTRAND.--Je remercie Votre Majesté.
+
+(Ils sortent.--Fanfares.)
+
+
+
+SCÈNE III
+
+
+La scène est en Roussillon. Appartement dans le palais de la comtesse.
+
+LA COMTESSE, _son_ INTENDANT ET UN BOUFFON[6].
+
+[Note 6: C'est toujours le _clown_, ou bouffon domestique.]
+
+LA COMTESSE.--Je suis prête à vous entendre à présent: qu'avez-vous à
+dire de cette jeune demoiselle?
+
+L'INTENDANT.--Madame, je désirerais que l'on pût trouver dans le journal
+de mes services passés tous les soins que j'ai pris pour tâcher de vous
+contenter; car nous blessons notre modestie, et nous ternissons la
+pureté de nos services en les publiant nous-mêmes.
+
+LA COMTESSE.--Que fait ici ce maraud? Retirez-vous, drôle; toutes les
+plaintes que j'ai entendues sur votre compte, je ne les crois pas
+toutes... non...; mais c'est la faute de ma lenteur à croire; car je
+sais que vous ne manquez pas de folie pour commettre ces méchancetés, et
+que vous avez assez d'adresse pour les commettre subtilement.
+
+LE BOUFFON.--Vous n'ignorez pas, madame, que je suis un pauvre diable.
+
+LA COMTESSE.--C'est bien, monsieur.
+
+LE BOUFFON.--Non, madame, il n'est pas bien que je sois pauvre, quoique
+la plupart des riches soient damnés. Mais si je puis obtenir le
+consentement de Votre Seigneurie pour entrer dans le monde, la jeune
+Isabeau et moi, nous ferons comme nous pourrons.
+
+LA COMTESSE.--Tu veux donc aller mendier?
+
+LE BOUFFON.--Je ne mendie rien, madame, que votre consentement dans
+cette affaire.
+
+LA COMTESSE.--Dans quelle affaire?
+
+LE BOUFFON.--Dans l'affaire d'Isabeau et la mienne. Service n'est pas
+héritage; et je crois bien que je n'obtiendrai jamais la bénédiction de
+Dieu, avant d'avoir une postérité de mon sang; car on dit que les
+enfants sont une bénédiction.
+
+LA COMTESSE.--Dis-moi ta raison: pourquoi veux-tu te marier?
+
+LE BOUFFON.--Mon pauvre corps, madame, le demande: je suis poussé par la
+chair; et il faut qu'il aille celui que le diable pousse.
+
+LA COMTESSE.--Sont-ce là toutes les raisons de monsieur?
+
+LE BOUFFON.--Vraiment, madame, j'en ai encore d'autres, et de saintes;
+qu'elles soient ce qu'elles voudront.
+
+LA COMTESSE.--Peut-on les savoir?
+
+LE BOUFFON.--J'ai été, madame, une créature corrompue, comme vous et
+tous ceux qui sont de chair et de sang; et, en vérité, je me marie, afin
+de pouvoir me repentir[7]...
+
+[Note 7: Marie-toi en hâte et repens-toi à loisir, c'est un vieux
+proverbe.]
+
+LA COMTESSE.--De ton mariage plutôt que de la méchanceté.
+
+LE BOUFFON.--Je suis absolument dépourvu d'amis, madame, et j'espère
+m'en procurer par ma femme.
+
+LA COMTESSE.--Maraud! de tels amis sont tes ennemis.
+
+LE BOUFFON.--Vous n'y êtes pas, madame, ce sont de grands amis; car les
+fripons viennent faire pour moi ce que je suis las de faire. Celui qui
+laboure ma terre épargne mon attelage et me laisse en recueillir la
+moisson: si je suis déshonoré, il est mon valet: celui qui réjouit ma
+femme est le bienfaiteur de ma chair et de mon sang; celui qui fait du
+bien à ma chair et à mon sang aime ma chair et mon sang; celui qui aime
+ma chair et mon sang est mon ami: _Ergo_, celui qui embrasse ma femme
+est mon ami. Si les hommes pouvaient être contents de ce qu'ils sont, il
+n'y aurait aucune crainte à avoir dans le mariage; car le jeune Charon
+le puritain, et le vieux Poysam le papiste, quoique leurs coeurs
+diffèrent en religion, leurs têtes à tous les deux n'en font qu'une. Ils
+peuvent jouer de la corne ensemble comme tous les daims du troupeau.
+
+LA COMTESSE.--Seras-tu donc toujours une mauvaise langue et un drôle
+calomniateur?
+
+LE BOUFFON.--Je suis un prophète[8], madame, et je dis la vérité par le
+plus court chemin.
+
+«Je répéterai la ballade
+Que les hommes trouveront vraie
+Le mariage vient par destinée;
+Le coucou chante par nature.»
+
+[Note 8: La superstition de l'instinct divin possédé par les fous existe
+dans beaucoup de pays. Les Turcs ont encore pour eux une vénération
+religieuse.]
+
+LA COMTESSE.--Retirez-vous; je vous parlerai plus tard.
+
+L'INTENDANT.--Voudriez-vous, madame, lui dire d'appeler Hélène: j'ai à
+vous parler d'elle?
+
+LA COMTESSE.--L'ami, dites à Mademoiselle que je voudrais lui parler;
+c'est Hélène que je demande.
+
+LE BOUFFON.
+
+Quoi, dit-elle, était-ce ce beau visage
+Qui fut cause que les Grecs saccagèrent Troie?
+Folle entreprise! folle entreprise!
+Était-ce là la joie du roi Priam?
+Elle soupira en s'arrêtant,
+En s'arrêtant elle soupira
+Et prononça cette sentence:
+«Sur neuf mauvaises s'il y en a une bonne,
+Il y en a donc une bonne sur dix.»
+
+LA COMTESSE.--Quoi, une bonne sur dix! Vous altérez la chanson, coquin.
+
+LE BOUFFON.--Une bonne femme sur dix, c'est purifier la chanson, madame.
+Si le bon Dieu voulait pourvoir ainsi le monde toute l'année, je ne me
+plaindrais pas de la dîme des femmes, si j'étais le curé. Une sur dix!
+vraiment s'il nous naissait seulement une bonne femme à chaque comète,
+ou à chaque tremblement de terre, la loterie serait bien améliorée; mais
+à présent un homme peut s'arracher le coeur avant de tirer une bonne
+femme.
+
+LA COMTESSE.--Voulez-vous vous en aller, monsieur le drôle, et faire ce
+que je vous commande?
+
+LE BOUFFON.--Qu'un homme puisse être aux ordres d'une femme sans qu'il
+en arrive malheur! Quoique l'honnêteté ne soit pas puritaine... elle ne
+veut cependant faire de mal à personne; et elle consentira à porter le
+surplis de l'humilité sur la robe noire d'un coeur gonflé d'orgueil.
+Sérieusement je pars: mon affaire est de dire à Hélène de venir ici.
+
+(Il sort,)
+
+LA COMTESSE.--Eh bien! maintenant! qu'y a-t-il?
+
+L'INTENDANT.--Je sais, madame, que vous aimez tendrement votre suivante.
+
+LA COMTESSE.--Oui, je l'aime: son père me l'a léguée; et elle-même, sans
+autre considération, a des droits légitimes à toute l'amitié qu'elle
+trouve en moi. Je lui dois bien plus qu'il ne lui a été payé, et je lui
+payerai plus qu'elle ne demandera.
+
+L'INTENDANT.--Madame, je me trouvai dernièrement beaucoup plus près
+d'elle qu'elle ne l'eût désiré, je pense. Elle était seule, et confiait
+ses secrets à ses propres oreilles: elle pensait, j'oserais le jurer
+pour elle, qu'ils n'arriveraient point à des oreilles étrangères. Elle
+disait qu'elle aimait votre fils. «La fortune, dit-elle, n'est point une
+déesse, puisqu'elle a mis une si grande différence entre son rang et le
+mien: l'amour n'est point un dieu, puisqu'il ne veut montrer son pouvoir
+que lorsque les avantages sont égaux. Diane n'est point la reine des
+vierges, puisqu'elle a pu permettre que sa pauvre chevalière fût
+surprise sans défense à la première attaque, et qu'elle la laisse sans
+espoir de rançon.» Elle disait cela avec l'accent du plus amer chagrin
+que j'aie jamais entendu exprimer à une vierge. J'ai cru, madame, qu'il
+était de mon devoir de vous en instruire sur-le-champ, puisqu'il vous
+importe un peu de le savoir, à cause du malheur qui pourrait en arriver.
+
+LA COMTESSE.--Vous avez rempli le devoir d'un honnête homme; mais gardez
+ce secret pour vous seul. Bien des probabilités m'avaient déjà instruite
+de ce fait; mais elles étaient toutes si incertaines que je ne pouvais
+ni les croire ni les rejeter. Laissez-moi, je vous prie: conservez ceci
+dans votre âme: je vous remercie de vos bons soins; je vous en dirai
+davantage une autre fois. (_L'intendant sort; Hélène entre._) Voilà
+comme j'étais quand j'étais jeune. Si nous écoutons la nature, c'est ce
+qui nous arrive; cette épine est inséparablement attachée à la rose de
+notre jeunesse. Notre sang est à nous, et ceci est né dans notre sang.
+Partout où la forte passion de l'amour s'imprime dans un jeune coeur,
+c'est le sceau et la preuve de la vérité de la nature. Le souvenir de
+ces jours, qui sont passés pour moi, me rappelle les mêmes fautes. Ah!
+je ne croyais pas alors que ce fussent des fautes. Je le vois bien
+maintenant; son oeil en est éteint.
+
+HÉLÈNE.--Quel est votre bon plaisir, madame?
+
+LA COMTESSE.--Tu sais, Hélène, que je suis une mère pour toi.
+
+HÉLÈNE.--Vous êtes mon honorable maîtresse.
+
+LA COMTESSE.--Non, mais une mère. Pourquoi pas ta mère? Lorsque j'ai
+prononcé le nom de mère, j'ai cru que tu venais de voir un serpent. Qu'y
+a-t-il donc dans ce nom de mère, pour qu'il te fasse tressaillir? Je dis
+que je suis votre mère, et je vous mets au nombre de ceux que j'ai
+portés dans mon sein. On a vu souvent l'adoption le disputer à la
+nature; et notre choix nous donne un rejeton naturel né de semences
+étrangères. Tu n'as jamais oppressé mon sein des douleurs de mère, et
+cependant je te montre toute la tendresse d'une mère. Par la grâce de
+Dieu, jeune fille, est-ce te tourner le sang que de te dire: «Je suis ta
+mère?» Pourquoi ce triste précurseur des larmes, cet arc-en-ciel[9] aux
+nombreuses couleurs entoure-t-il tes yeux? Pourquoi? Parce que tu es ma
+fille?
+
+[Note 9:
+
+_What is the matter,
+That this distemper'd messenger of wet,
+The many colour'd iris, rounds thine eye?_
+
+Observation vraie exprimée poétiquement.]
+
+HÉLÈNE.--Parce que je ne le suis pas.
+
+LA COMTESSE.--Je te dis que je suis ta mère.
+
+HÉLÈNE.--Pardonnez-moi, madame, le comte de Roussillon ne peut être mon
+frère; je suis d'une humble naissance, et lui d'une famille illustre:
+mes parents sont inconnus, les siens sont tous nobles: il est mon
+maître, mon cher seigneur, et je vis pour le servir, et je veux mourir
+sa vassale. Il ne faut pas qu'il soit mon frère.
+
+LA COMTESSE.--Ni moi, votre mère?
+
+HÉLÈNE.--Vous êtes ma mère, madame! (pourvu que monseigneur votre fils
+ne soit pas mon frère); plût à Dieu que vous fussiez en effet ma mère,
+ou que vous fussiez la mère de tous deux! je ne le désire pas plus que
+je ne désire le ciel, pourvu que je ne sois pas sa soeur. Ne serait-il
+donc pas possible que je fusse votre fille, sans qu'il fût mon frère?
+
+LA COMTESSE.--Oui, Hélène, tu pourrais être ma belle-fille. A Dieu ne
+plaise que ce soit là ta pensée! Les noms de fille et de mère agitent
+tellement ton pouls! Quoi! tu pâlis encore!... Mes craintes ont enfin
+surpris ton amour. Je pénètre maintenant le mystère de ta solitude, et
+je découvre enfin la source de tes larmes amères. Maintenant tout est
+clair comme le jour. Tu aimes mon fils. Il serait honteux de vouloir
+dissimuler ce que ta passion publie, et de vouloir me dire que tu ne
+l'aimes pas: ainsi, dis-le-moi; avoue-moi la vérité: car vois, tes joues
+se l'avouent l'une à l'autre, et tes yeux le voient éclater si
+manifestement dans ta conduite, qu'ils le disent aussi dans leur
+langage. Il n'y a que le péché et une obstination d'enfer qui enchaînent
+ta langue, pour rendre la vérité suspecte. Parle: cela est-il vrai?--Si
+cela est, tu as dévidé un joli peloton. Si cela n'est pas, jure que je
+me trompe: cependant, je te l'ordonne au nom de l'oeuvre que le ciel
+peut faire en moi à ton profit, dis-moi la vérité.
+
+HÉLÈNE.--Ma bonne maîtresse, daignez me pardonner.
+
+LA COMTESSE.--Aimez-vous mon fils?
+
+HÉLÈNE.--Votre pardon, ma noble maîtresse.
+
+LA COMTESSE.--Aimez-vous mon fils?
+
+HÉLÈNE.--Ne l'aimez-vous pas, vous, madame?
+
+LA COMTESSE.--Point de détours. Mon amour pour lui vient d'un lien que
+personne n'ignore. Allons, allons, découvre-moi l'état de ton coeur, car
+ta passion elle-même t'accuse hautement.
+
+HÉLÈNE.--Eh bien! je l'avoue ici, à genoux, devant le ciel et devant
+vous, madame, que j'aime votre fils plus que vous, et seulement moins
+que le ciel. Mes parents étaient pauvres, mais honnêtes; mon amour l'est
+aussi. N'en soyez pas offensée; car mon amour ne lui fait aucun mal. Je
+ne le poursuis point par des marques de prétentions présomptueuses, je
+ne voudrais pas l'obtenir avant de le mériter, et cependant je ne sais
+pas comment je pourrai le mériter jamais. Je sais que j'aime en vain; je
+lutte contre toute espérance, et cependant je verse toujours les flots
+de mon amour dans ce crible perfide et fuyant, sans m'apercevoir qu'il
+diminue.--Ainsi, semblable à l'Indien, religieuse dans mon erreur,
+j'adore le soleil, qui regarde son adorateur, mais qui ne sait rien de
+plus de lui. Ma chère maîtresse, que votre haine ne rencontre pas mon
+amour, parce que j'aime ce que vous aimez. Mais vous-même, madame, dont
+l'honorable vieillesse annonce une jeunesse vertueuse, si jamais vous
+avez brûlé d'une flamme si pure, de désirs si chastes, et d'un amour si
+tendre, que votre Diane fut en même temps la déesse de l'amour, oh! ayez
+pitié de celle dont l'état est si malheureux qu'elle ne peut que prêter
+et donner où elle est sûre de toujours perdre; qui ne cherche point à
+trouver ce que ses voeux recherchent, mais qui, semblable à l'énigme,
+chérit le secret qui est sa mort[10].
+
+[Note 10: _Elle cesse de vivre alors qu'on la devine_, dit une ancienne
+épigramme qui compare la femme à une énigme.]
+
+LA COMTESSE.--N'aviez-vous pas dernièrement le projet d'aller à Paris?
+Parlez-moi franchement.
+
+HÉLÈNE.--Oui, madame.
+
+LA COMTESSE.--Pourquoi? Dites la vérité.
+
+HÉLÈNE.--Je dirai la vérité, j'en jure par la grâce elle-même. Vous
+savez que mon père m'a laissé quelques recettes d'un effet merveilleux
+et éprouvé, que sa science et son expérience connue avaient recueillies
+pour des spécifiques souverains, et qu'il me recommanda de ne les donner
+qu'avec soin et réserve, comme des ordonnances qui renfermaient en elles
+de bien plus grandes vertus qu'on n'en pouvait juger sur l'étiquette.
+Dans le nombre, il y a un remède, dont l'utilité est reconnue pour
+guérir les maladies de langueur désespérées comme celle dont on croit le
+roi perdu.
+
+LA COMTESSE.--Était-ce là votre motif pour aller à Paris? Répondez.
+
+HÉLÈNE.--C'est votre noble fils, madame, qui m'a fait penser à cela:
+autrement, Paris et la médecine, et le roi, ne me seraient peut-être
+jamais venus dans la pensée.
+
+LA COMTESSE.--Mais, Hélène, si tu offrais au roi tes prétendus secours,
+penses-tu qu'il les acceptât? Le roi et ses médecins sont d'accord. Lui,
+il est persuadé qu'ils ne peuvent le guérir; eux le sont aussi qu'ils ne
+peuvent le guérir. Comment croiront-ils une pauvre jeune fille
+ignorante, lorsqu'eux-mêmes, après avoir épuisé toute la science des
+écoles, ils ont abandonné le mal à lui-même?
+
+HÉLÈNE.--Il y a quelque chose qui me dit, plus encore que la science de
+mon père, qui était pourtant le plus grand dans sa profession, que sa
+bienfaisante recette, qui fait mon héritage, sera bénie, pour mon
+bonheur, par les plus heureuses étoiles qui soient au ciel. Et si Votre
+Seigneurie veut me permettre de tenter son succès, je répondrai sur ma
+vie, que je perdrais dans une bonne cause, de la guérison du roi, pour
+tel jour et à telle heure.
+
+LA COMTESSE.--Le crois-tu?
+
+HÉLÈNE.--Oui, madame, et j'en suis convaincue.
+
+LA COMTESSE.--Eh bien, Hélène, tu auras mon consentement, ma tendresse,
+de l'argent, une suite, et mes pressantes recommandations à tous mes
+amis, qui sont à la cour. Je resterai au logis, et je prierai Dieu de
+bénir ton entreprise. Pars demain, et sois sûre que tous les secours que
+je puis te donner ne te manqueront pas.
+
+(Elles sortent.)
+
+FIN DU PREMIER ACTE.
+
+
+
+
+ACTE DEUXIÈME
+
+
+
+SCÈNE I
+
+
+A Paris.--Appartement dans le palais du roi.
+
+LE ROI _paraît avec de jeunes seigneurs, qui prennent congé de lui, et
+partent pour la guerre de Florence_. BERTRAND et PAROLLES. Fanfares.
+
+LE ROI.--Adieu, jeune seigneur. Ne perdez jamais de vue ces principes
+d'un guerrier.--Adieu, vous aussi, seigneur. Partagez mes conseils entre
+vous. Si chacun de vous se les approprie tout entiers, le présent est de
+nature à s'étendre à proportion qu'il est reçu, et il suffira pour tous
+deux.
+
+PREMIER SEIGNEUR.--C'est notre espérance, sire, qu'après nous être
+formés dans le métier de la guerre, nous reviendrons pour trouver Votre
+Majesté en bonne santé.
+
+LE ROI.--Non, non; cela est impossible: et cependant mon coeur ne veut
+pas avouer qu'il souffre de la maladie qui mine mes jours. Adieu, jeunes
+guerriers. Soit que je vive, ou que je meure, montrez-vous les fils des
+vaillants Français. Que la haute Italie (cette nation dégénérée qui n'a
+hérité que des défaites de la dernière monarchie[11]) reconnaisse que
+vous ne venez pas seulement pour courtiser l'honneur, mais pour
+l'épouser. Quand les plus braves de vos rivaux reculeront, sachez
+trouver ce que vous cherchez pour vous faire proclamer hautement par la
+renommée.--Je vous dis adieu.
+
+[Note 11: L'empire romain.]
+
+SECOND SEIGNEUR.--Que la santé soit aux ordres de Votre Majesté!
+
+LE ROI.--Et ces jeunes filles d'Italie... Prenez garde à elles. On dit
+que nos Français n'ont point de langue pour les refuser, lorsqu'elles
+demandent: prenez garde d'être captifs, avant d'être soldats.
+
+LES DEUX SEIGNEURS.--Nos coeurs conserveront vos avis.
+
+LE ROI.--Adieu. (_A quelqu'un de ses gens._) Venez à moi.
+
+(On le conduit sur un lit de repos.)
+
+PREMIER SEIGNEUR, _à Bertrand_.--O mon cher seigneur, faut-il que nous
+vous laissions derrière nous!
+
+PAROLLES.--Il n'y a pas de sa faute, le jeune galant.
+
+SECOND SEIGNEUR.--Oh! c'est une superbe campagne.
+
+PAROLLES.--Admirable. J'ai vu ces guerres.
+
+BERTRAND.--On m'ordonne de rester ici, et l'on m'écarte, en me criant:
+Trop jeune! l'année prochaine! il est trop tôt encore.
+
+PAROLLES.--Si cela vous tient si fort au coeur, mon garçon, dérobez-vous
+bravement.
+
+BERTRAND.--On me force à rester ici pour être le complaisant d'une jupe,
+et faire crier ma fine chaussure sur un parquet uni, jusqu'à ce que tout
+l'honneur soit acquis, et sans user d'épée que pour danser[12].--Par le
+ciel, je me déroberai d'ici!
+
+[Note 12: On dansait alors l'épée au côté.]
+
+PREMIER SEIGNEUR.--Il est honorable de se dérober ainsi.
+
+PAROLLES.--Commettez ce larcin, comte.
+
+SECOND SEIGNEUR.--Je suis votre second; adieu.
+
+BERTRAND.--Je tiens à vous; et notre séparation est une torture.
+
+PREMIER SEIGNEUR, _à Parolles_.--Adieu, capitaine.
+
+SECOND SEIGNEUR.--Salut, bon monsieur Parolles.
+
+PAROLLES.--Nobles héros, mon épée et les vôtres sont de la même famille.
+Mes braves et brillants seigneurs! Un mot, mes chères lames.--Vous
+trouverez, dans le régiment des Spiniens, un certain capitaine Spurio,
+avec sa cicatrice ici sur la joue gauche, une marque de guerre, que
+cette épée que voici lui a gravée sur le visage: dites-lui que je suis
+en vie, et retenez bien ce qu'il vous dira de moi.
+
+SECOND SEIGNEUR.--Nous n'y manquerons pas, noble capitaine.
+
+(Les deux seigneurs sortent.)
+
+PAROLLES.--Que Mars vous chérisse comme ses disciples. (_Voyant le roi
+se lever sur son séant_,) Quel parti prenez-vous?
+
+BERTRAND.--Arrête.--Le roi...
+
+PAROLLES.--Étendez donc plus loin vos politesses avec ces nobles
+seigneurs: vous vous êtes renfermé dans une formule d'adieu trop froide:
+soyez plus démonstratif avec eux; ce sont eux qui dirigent les modes;
+leur tournure, leur manière de manger, leur langage, leurs mouvements,
+tout est sous l'influence de l'astre le plus en vogue: et quand ce
+serait le diable qui conduirait la danse, ce serait eux qu'il faudrait
+suivre: courez les rejoindre, et mettez plus de chaleur dans vos adieux.
+
+BERTRAND.--C'est ce que je veux faire.
+
+PAROLLES.--De braves gens! et qui ont tout l'air de devenir de robustes
+guerriers.
+
+(Ils sortent.)
+
+(Entre Lafeu.)
+
+LAFEU, _se prosternant devant le roi_.--Pardon, mon souverain, pour moi
+et les nouvelles que j'apporte.
+
+LE ROI.--Je vous l'accorderai, si vous vous levez.
+
+LAFEU, _se relevant_.--Vous voyez donc debout devant vous un homme qui
+apporte son pardon. Je voudrais, sire, que vous vous fussiez mis à
+genoux pour demander mon pardon, et que vous puissiez, à mon
+commandement, vous relever comme moi.
+
+LE ROI.--Je le voudrais aussi: je t'aurais cassé la tête et je t'en
+aurais demandé pardon après.
+
+LAFEU.--En croix, ma foi[13].--Mon cher seigneur, voici ce dont il
+s'agit: voulez-vous être guéri de votre infirmité?
+
+[Note 13:
+
+_I had broke thy pate,
+And ask thee mercy for it._
+LAFEU. _Good faith across._
+
+Cas où la tête est cassée, plaisanterie qu'on retrouve dans la comédie
+des _Méprises_.]
+
+LE ROI.--Non.
+
+LAFEU.--Oh! ne voulez-vous pas de raisin, renard royal? Mais vous
+mangerez mon bon raisin, si mon royal renard peut y atteindre. J'ai vu
+un médecin qui est capable de faire entrer la vie dans une pierre,
+d'animer un rocher, de vous faire danser la canarie[14] avec feu et du
+pas le plus léger. Son simple toucher aurait la vertu de ressusciter le
+roi Pépin: oui, de faire prendre au grand Charlemagne une plume en main,
+pour lui écrire à elle un billet doux.
+
+[Note 14: Danse française alors en vogue.]
+
+LE ROI.--Que voulez-vous dire par _elle?_
+
+LAFEU.--Je veux dire un docteur femelle.--Sire, il y en a un d'arrivé,
+si vous voulez la voir.--Sur ma foi, sur mon honneur, si après ce début
+léger je puis revenir à vous parler sérieusement, j'ai causé avec une
+personne, qui par son sexe, par sa jeunesse, par sa déclaration, par sa
+sagesse et sa constance, m'a plus étonné que je n'ose en blâmer ma
+faiblesse.--Voulez-vous la voir, sire (car c'est ce qu'elle demande), et
+savoir ce qu'elle veut faire? Après, moquez-vous bien de moi.
+
+LE ROI.--Allons, bon Lafeu, introduis ta merveille, afin que nous
+puissions partager ton admiration, ou te guérir de la tienne, en
+admirant où tu l'as prise.
+
+LAFEU.--Oh! je vous convaincrai, et il ne me faudra pas tout le jour
+pour cela.
+
+(Lafeu sort.)
+
+LE ROI.--Voilà toujours ses grands prologues, pour aboutir à des riens.
+
+(Lafeu revient et introduit Hélène.)
+
+LAFEU, _à Hélène_.--Allons, entrez.
+
+LE ROI.--Tant de hâte donne des ailes.
+
+LAFEU, _à Hélène_.--Allons, avancez. Voilà Sa Majesté: déclarez-lui vos
+intentions. Vous avez un minois fripon; mais Sa Majesté ne craint guère
+ces sortes de traîtres. Je suis l'oncle de Cressida[15], en osant vous
+laisser tous deux ensemble. Adieu. (Il sort.)
+
+[Note 15: Voir Pandarus dans _Troïlus et Cressida_.]
+
+LE ROI.--Eh bien! ma belle, est-ce à moi que vous avez affaire?
+
+HÉLÈNE.--Oui, mon bon seigneur. Gérard de Narbonne était mon père, bien
+connu dans l'art qu'il professait.
+
+LE ROI.--Je l'ai connu.
+
+HÉLÈNE.--Je puis donc me dispenser de vous faire son éloge: il suffit de
+le connaître.--Sur son lit de mort, il me donna plusieurs recettes; une
+entre autres qui était le fruit le plus précieux de sa pratique, le
+trésor unique de sa longue expérience, et il m'ordonna de serrer ce
+trésor comme un troisième oeil, plus cher, plus infaillible que les deux
+miens. C'est ce que j'ai fait; et ayant ouï dire que Votre glorieuse
+Majesté était atteinte de la funeste maladie, dont la cure a fait le
+plus d'honneur à la vertu du remède que m'a laissé mon bon père, je suis
+venue vous l'offrir avec mes secours, avec toute l'humilité que je dois.
+
+LE ROI.--Nous vous rendons grâces, jeune fille; mais nous ne pouvons
+être si crédule en fait de guérison, lorsque nos plus savants docteurs
+nous abandonnent, et que le collège entier a décidé que tous les efforts
+de l'art ne pouvaient retirer la nature de sa situation désespérée.--Je
+dis que nous ne devons pas déshonorer notre jugement, ni nous laisser
+corrompre par une folle espérance, au point de prostituer à des
+empiriques notre maladie incurable: un roi ne doit pas détruire, par une
+faiblesse, sa réputation, en faisant cas d'un secours insensé, lorsqu'il
+est persuadé qu'il ne faut plus songer à aucun secours.
+
+HÉLÈNE.--Mon zèle m'indemnisera alors de mes peines. Je ne vous
+presserai pas davantage d'accepter mes services; et je demande
+humblement à Votre Majesté une petite part dans ses pensées, en prenant
+congé d'elle.
+
+LE ROI.--Je ne peux vous donner moins, si je veux passer pour
+reconnaissant. Vous avez voulu me secourir: je vous fais les
+remerciements qu'un homme, prêt de mourir, doit à ceux qui font des
+voeux pour sa vie. Mais vous n'avez aucune connaissance de ce que je
+sais, moi, parfaitement: je connais tout mon danger, et vous ne
+connaissez point de remède.
+
+HÉLÈNE.--Il ne peut y avoir aucun danger à essayer ce que je puis faire,
+puisque vous avez placé votre repos dans l'opinion que votre mal était
+incurable.--Celui qui opère les plus grands prodiges les accomplit
+souvent par le plus faible ministre: ainsi la Sainte-Écriture nous
+montre la sagesse chez les enfants, dans des cas où les juges n'étaient
+eux-mêmes que des enfants. Tandis que les plus sages niaient les
+miracles, on a vu de grands fleuves sortir de faibles sources, et de
+vastes mers se dessécher. Souvent l'attente échoue là même où elle
+promettait le plus; et souvent elle réussit dans les cas où l'espérance
+est la plus languissante, et où règne le désespoir.
+
+LE ROI.--Je ne dois point vous écouter. Adieu, ma bonne fille. Vos
+peines n'étant pas employées, c'est à vous de vous en payer. Des offres
+qu'on n'accepte point recueillent un remerciement pour leur salaire.
+
+HÉLÈNE.--Ainsi un secours inspiré par le ciel est repoussé par un seul
+mot! Il n'en est pas de Celui qui connaît toutes choses comme de nous,
+qui ne pouvons asseoir nos conjectures que sur les apparences. Mais
+c'est en nous un excès de présomption, lorsque nous regardons le secours
+du ciel comme l'ouvrage de l'homme. Sire, donnez votre consentement à ma
+tentative: faites une expérience du ciel, et non pas de moi. Je ne suis
+point un imposteur qui proclame une intention qu'il n'a pas. Mais sachez
+que je crois, et croyez aussi que je sais qu'il est certain que mon art
+n'est pas sans puissance, ni vous sans espoir de guérison.
+
+LE ROI.--Avez-vous donc tant de confiance? En combien de temps
+espérez-vous me guérir?
+
+HÉLÈNE.--Si la grâce toute-puissante m'accorde son secours avant que les
+chevaux du soleil aient fait parcourir deux fois à son char enflammé le
+cercle d'un jour; avant que l'humide Hespérus ait deux fois éteint sa
+lampe assoupie dans les sombres vapeurs de l'occident; avant que le
+sablier du pilote lui ait marqué vingt-quatre fois comment se dérobent
+les minutes, ce qu'il y a d'infirme dans les parties saines de votre
+corps s'enfuira: la santé reprendra son libre cours, et le mal sera
+détruit.
+
+LE ROI.--Quel gage oses-tu hasarder de ta certitude et de ta confiance?
+
+HÉLÈNE.--La peine de l'impudence, la hardiesse d'une prostituée; ma
+honte proclamée dans d'injurieuses ballades; l'infamie attachée à mon
+nom de vierge; qu'on me fasse souffrir tout ce qu'il y a de pis, et que
+ma vie finisse dans les plus affreuses tortures.
+
+LE ROI.--Il me semble que j'entends un esprit céleste parler par ta
+bouche, et que je reconnais dans ton faible organe sa voix puissante. Ce
+que l'impossibilité anéantirait d'après le sens commun, la raison le
+sauve d'une autre manière. Ta vie est d'un grand prix; car tout ce que
+la vie estime valoir le nom de vie, tu le possèdes: jeunesse, beauté,
+sagesse, courage, vertu, tout ce que le bonheur et le printemps de l'âge
+peuvent donner d'heureux; hasarder tous ces biens, c'est indiquer une
+science infinie ou un monstrueux désespoir. Aimable docteur, je veux
+essayer de ton remède qui, si je meurs, te donne la mort.
+
+HÉLÈNE.--Si j'excède le temps fixé, ou que j'échoue dans le succès que
+j'ai annoncé, faites-moi mourir sans pitié; je l'aurai bien mérité. Si
+je ne vous guéris pas, je le payerai de ma vie; mais si je vous guéris,
+que me promettez-vous?
+
+LE ROI.--Faites votre demande.
+
+HÉLÈNE.--Mais me l'accorderez-vous?
+
+LE ROI.--Oui, par mon sceptre et par mes espérances de salut!
+
+HÉLÈNE.--Eh bien! vous me ferez don, de votre main royale, de l'époux
+que je vous demanderai, et qu'il sera en votre pouvoir de me procurer.
+Loin de moi l'arrogante présomption de le choisir dans le sang royal de
+France, et de vouloir perpétuer la bassesse de mon nom obscur par un
+rejeton ou une image de votre auguste famille; mais j'aurai la liberté
+de demander, et vous celle de me donner un de vos vassaux que je connais
+bien.
+
+LE ROI.--Voilà ma main; les prémices observées, ta volonté sera exécutée
+par mes soins: ainsi choisis toi-même ton moment, car moi, décidé à être
+ton malade, je me repose entièrement sur toi. Je devrais te questionner
+davantage, et je le ferai... quoique, tout en en sachant davantage, je
+ne pourrais pas avoir plus de confiance en toi... Je pourrais te
+demander d'où tu viens, qui t'a amenée; mais sois la bienvenue, sans
+autres questions, et accueillie sans aucun doute.--Holà! aidez-moi un
+peu ici.--Si tes succès égalent tes promesses, ma récompense égalera ton
+bienfait.
+
+(Ils sortent.)
+
+
+
+SCÈNE II
+
+
+En Roussillon.--Appartement du palais de la comtesse.
+
+LA COMTESSE _entre avec_ LE BOUFFON.
+
+LA COMTESSE.--Viens çà, l'ami. Je veux voir jusqu'à quel degré va ton
+savoir-vivre.
+
+LE BOUFFON.--Je vais vous montrer que je suis fort bien nourri et fort
+mal élevé. Je sais que je n'ai affaire qu'avec la cour.
+
+LA COMTESSE.--Comment! qu'avec la cour? Et à quel autre lieu attaches-tu
+donc tant d'importance, pour nommer la cour avec tant de mépris: qu'avec
+la cour, dis-tu?
+
+LE BOUFFON.--En vérité, madame, si Dieu a prêté à un homme quelques
+bonnes moeurs, il peut bien les mettre de côté à la cour. Celui qui ne
+sait pas saluer, ôter son chapeau, baiser sa main et dire des riens, n'a
+ni jambes, ni mains, ni bouche, ni chapeau, et ma foi, cet homme, à dire
+vrai, n'était pas fait pour la cour; mais, pour moi, j'ai une réponse
+qui peut servir à tout le monde.
+
+LA COMTESSE.--Vraiment, c'est une bien bonne réponse que celle qui peut
+aller à toutes les questions.
+
+LE BOUFFON.--C'est comme une chaise de barbier qui va bien à tous les
+derrières, pointus, ronds, carrés, à tous les derrières possibles.
+
+LA COMTESSE.--Et ta réponse ira à toutes les questions?
+
+LE BOUFFON.--Comme dix sous à la main d'un procureur, comme une couronne
+française à une fille en taffetas[16]; comme l'anneau de jonc de
+Tibbie[17], à l'index de Tom, comme les crêpes au mardi gras, comme une
+danse moresque au 1er mai, comme le clou à son trou, l'homme déshonoré à
+ses cornes, une méchante diablesse à un coquin bourru, comme les lèvres
+de la nonne à la bouche d'un moine; enfin, comme le _pudding_ à sa peau.
+
+[Note 16: Couronne française, suite d'une maladie ou écu de France,
+équivoque, etc.]
+
+[Note 17: Allusion à une ancienne coutume de marier avec un anneau de
+jonc; mariage fictif dont se jouaient les séducteurs.]
+
+LA COMTESSE.--As-tu, te dis-je, une telle réponse qui s'ajuste à toutes
+les questions?
+
+LE BOUFFON.--Oui, depuis le duc jusqu'au dernier constable, elle ira à
+toutes les questions.
+
+LA COMTESSE.--Ce doit être une réponse d'une prodigieuse étendue pour
+faire ainsi face à toutes les demandes.
+
+LE BOUFFON.--Ce n'est pas une bagatelle, à vrai dire, si les savants
+voulaient l'apprécier à sa juste valeur. La voici, avec toutes ses
+dépendances. Demandez-moi si je suis un courtisan; cela ne vous fera pas
+de tort d'apprendre.
+
+LA COMTESSE.--Allons, redevenons jeune si nous pouvons[18].--Je vais
+faire la folle en te faisant la question, dans l'espérance que ta
+réponse me rendra plus sage. Allons, je vous prie, monsieur, êtes-vous
+un courtisan?
+
+LE BOUFFON.--_O mon Dieu, monsieur[19]!_--Voilà un moyen bien simple de
+se défaire des gens.--Allons, encore, encore, une centaine de questions.
+
+[Note 18: C'est-à-dire soyons légère, rions, si nous le pouvons.]
+
+[Note 19: _O Lord, sir!_ Exclamation du bon ton alors, et que Shakspeare
+tourne en ridicule.]
+
+LA COMTESSE.--Monsieur, je suis un pauvre ami à vous qui vous aime bien.
+
+LE BOUFFON.--_O mon Dieu, monsieur!_--Allons, serré, ne me ménagez pas.
+
+LA COMTESSE.--Je pense bien, monsieur, que vous ne pouvez pas manger de
+ce mets grossier.
+
+LE BOUFFON.--_O mon Dieu, monsieur!_--Allons, embarrassez-moi, je vous
+ferai face.
+
+LA COMTESSE.--Vous avez été fouetté ces jours derniers, monsieur, à ce
+que je crois.
+
+LE BOUFFON.--_O mon Dieu, monsieur!_--Ne m'épargnez pas.
+
+LA COMTESSE.--Criez-vous, _ô mon Dieu, monsieur!_ et _ne m'épargnez
+pas_, lorsqu'on vous fouette? Vraiment votre _ô mon Dieu, monsieur!_ va
+à merveille dans cette occasion; ce serait fort bien répondre au fouet
+si vous étiez seulement attaché pour le recevoir.
+
+LE BOUFFON.--Je n'ai jamais eu tant de malheur dans ma vie pour mon _ô
+mon Dieu, monsieur!_ je vois bien que les choses peuvent servir
+longtemps, mais pas toujours.
+
+LA COMTESSE.--Je fais vraiment la ménagère prodigue avec le temps, de le
+dépenser en vains propos avec un fou.
+
+LE BOUFFON.--_O mon Dieu, monsieur!_--Tenez, voilà que cela se retrouve
+à propos.
+
+LA COMTESSE.--Allons, monsieur, finissons; donnez cette lettre à Hélène,
+et pressez-la de me faire réponse sur-le-champ; recommandez-moi à mes
+parents, à mon fils: ce n'est pas beaucoup...
+
+LE BOUFFON.--Ne pas beaucoup vous recommander à eux?
+
+LA COMTESSE.--Ce n'est pas beaucoup de peine pour vous. Vous m'entendez?
+
+LE BOUFFON.--Avec le plus grand fruit: je suis là avant mes jambes.
+
+LA COMTESSE.--Allons, hâte-toi de revenir.
+
+(Ils sortent.)
+
+
+
+SCÈNE III
+
+
+Paris.--Appartement du palais du roi.
+
+_Entrent_ BERTRAND, LAFEU, PAROLLES.
+
+LAFEU.--On dit que les miracles sont passés; et nous avons nos
+philosophes pour faire de tous les phénomènes surnaturels et sans cause
+visible des événements communs et familiers. Il arrive de là que nous
+nous jouons des choses les plus effrayantes, nous retranchant dans une
+science illusoire, lorsque nous devrions nous soumettre à une terreur
+inconnue.
+
+PAROLLES.--Oui, c'est une des plus rares merveilles qui ait éclaté dans
+nos temps modernes.
+
+BERTRAND.--Oh! sans doute!
+
+LAFEU.--D'être abandonné des gens de l'art...
+
+PAROLLES.--C'est ce que je dis, de Galien et de Paracelse...
+
+LAFEU.--De tous les personnages savants et authentiques[20]...
+
+[Note 20: Épithète appliquée aux savants du temps de l'auteur.]
+
+PAROLLES.--Oui, c'est ce que je dis.
+
+LAFEU.--Qui l'ont déclaré incurable...
+
+PAROLLES.--Oui, vraiment, c'est ce que je dis aussi.
+
+LAFEU.--Sans remède...
+
+PAROLLES.--Oui, comme un homme qui serait assuré de...
+
+LAFEU.--Une vie incertaine, et une mort inévitable.
+
+PAROLLES.--C'est cela même: vous avez raison: c'est ce que j'allais
+dire.
+
+LAFEU.--Je puis dire que c'est quelque chose de nouveau dans ce monde.
+
+PAROLLES.--C'est bien vrai; si vous voulez le voir en représentation,
+vous le lirez dans... Comment appelez-vous cela?
+
+LAFEU.--_Représentation d'un effet céleste dans un acteur
+terrestre_[21].
+
+[Note 21: Titre de quelque ouvrage du temps.]
+
+PAROLLES.--C'est justement là ce que je voulais dire: c'est cela même.
+
+LAFEU.--En vérité, le dauphin n'est pas vigoureux.--En vérité, je parle
+relativement à...
+
+PAROLLES.--Oh! cela est étrange, très-étrange: voilà toute l'histoire et
+l'embarrassant de la chose, et il faut être d'un esprit bien pervers
+pour ne pas reconnaître que c'est...
+
+LAFEU.--La main du ciel même.
+
+PAROLLES.--Oui, c'est ce que je dis.
+
+LAFEU.--Par le plus faible...
+
+PAROLLES.--Et le plus débile ministre: un grand pouvoir, une puissance
+extraordinaire, qui devrait en vérité produire encore sur nous d'autres
+effets que la seule guérison du roi; comme par exemple...
+
+LAFEU.--Une reconnaissance universelle.
+
+PAROLLES.--J'allais le dire: vous avez bien raison.--Voici le roi qui
+vient.
+
+(Entrent le roi, Hélène, suite.)
+
+LAFEU.--_Lustick_, comme dit le Hollandais! J'en aimerai encore mieux
+les jeunes filles, tant qu'il me restera une dent dans la bouche. Eh!
+mais, il est en état de danser une _courante_ avec elle.
+
+PAROLLES.--Mort du vinaigre! n'est-ce pas là Hélène?
+
+LAFEU.--Devant Dieu, je le crois.
+
+LE ROI.--Allez, appelez devant tous les seigneurs de ma cour. (_A
+Hélène._) Asseyez-vous, mon sauveur, à côté de votre malade; et de cette
+main rajeunie, où vous avez rappelé la vie et le sentiment, recevez une
+seconde fois la confirmation de ma promesse, et je n'attends de vous
+qu'un mot pour désigner le don que vous désirez. (_Plusieurs seigneurs
+entrent._) Belle jeune fille, promenez vos regards autour de vous: cette
+troupe de jeunes et nobles seigneurs sont à ma disposition, et je puis
+exercer sur eux la puissance d'un souverain et l'autorité d'un père:
+faites librement votre choix; vous avez tout pouvoir de choisir, et eux
+n'en ont aucun pour vous refuser.
+
+HÉLÈNE.--Qu'il puisse échoir à chacun de vous une belle et vertueuse
+maîtresse quand il plaira à l'amour! Je n'en excepte qu'un.
+
+LAFEU.--Je donnerais mon cheval bai, Curtal, et tout son harnais, pour
+que ma bouche fût aussi bien garnie que celles de ces jeunes gens, et
+pour que ma barbe fût aussi peu fournie.
+
+LE ROI, _à Hélène_.--Considérez-les bien tous: il n'en est pas un parmi
+eux qui n'ait eu un noble père.
+
+HÉLÈNE.--Seigneurs, le ciel a par mes mains rendu la santé au roi.
+
+TOUS LES SEIGNEURS.--Nous le voyons, et nous en remercions le ciel pour
+vous.
+
+HÉLÈNE.--Je ne suis qu'une simple fille, et je déclare que c'est ma plus
+grande richesse d'être une simple fille.--Si c'est le bon plaisir de
+Votre Majesté, j'ai déjà fait mon choix.--La rougeur qui se peint sur
+mes joues me dit tout bas: «Je rougis de ce que tu vas faire un choix;
+mais une fois refusée, que la pâleur de la mort s'établisse pour
+toujours sur tes joues; car je n'y reviendrai plus.»
+
+LE ROI.--Faites votre choix, et je vous proteste que celui qui refusera
+votre amour perdra tout le mien.
+
+HÉLÈNE.--Eh bien! Diane, de ce moment je déserte tes autels, et mes
+soupirs s'élèvent vers le suprême Amour, vers ce dieu souverain. (_A un
+des seigneurs._) Seigneur, voulez-vous écouter ma requête?
+
+PREMIER SEIGNEUR.--Oui, et vous l'accorder.
+
+HÉLÈNE.--Je vous rends grâces; je n'ai rien à ajouter.
+
+LAFEU.--J'aimerais mieux être au nombre des objets de son choix, que de
+tirer ma vie au sort sur la chance d'un _beset_[22].
+
+[Note 22: Terme du jeu de dés.]
+
+HÉLÈNE, _à un autre seigneur_.--La fierté qui étincelle dans vos beaux
+yeux me fait une réponse menaçante, avant même que j'aie parlé. Puisse
+l'amour vous envoyer une bonne fortune vingt fois au-dessus du mérite et
+de l'humble amour de celle qui vous adresse ce voeu!
+
+SECOND SEIGNEUR.--Je n'aspire à rien de mieux, si vous voulez.
+
+HÉLÈNE.--Recevez mon voeu, et que le puissant Amour l'exauce! C'est
+ainsi que je prends congé de vous.
+
+LAFEU.--Est-ce qu'ils la refusent tous[23]? S'ils étaient mes enfants,
+je les ferais fouetter, ou je les enverrais au Grand-Turc pour les faire
+tous eunuques.
+
+[Note 23: Lafeu et Parolles sont à quelque distance, et ne peuvent
+encore deviner ce qui se passe.]
+
+HÉLÈNE, _à un autre seigneur_.--Ne craignez point que je prenne votre
+main: je ne vous ferai jamais de tort, par égard pour vous. Que le ciel
+bénisse vos désirs! et si jamais vous vous mariez, puissiez-vous trouver
+une plus belle compagne dans votre lit!
+
+LAFEU.--Ces jeunes gens sont des garçons de glace: aucun ne veut d'elle:
+ce sont des bâtards des Anglais; jamais des Français ne les ont
+engendrés.
+
+HÉLÈNE, _à un autre seigneur_.--Vous êtes trop jeune, trop heureux et
+trop noble, pour vous donner un fils formé de mon sang.
+
+QUATRIÈME SEIGNEUR.--Je ne crois pas cela, ma belle.
+
+LAFEU.--Il reste encore une grappe... Je suis sûr que ton père buvait du
+vin.--Mais si tu n'es pas une imbécile, je suis, moi, un jeune homme de
+quatorze ans: je te connais déjà bien.
+
+HÉLÈNE, _à Bertrand_.--Je n'ose vous dire que je vous prends: c'est moi
+qui me donne tout entière à vous, pour vous servir toute ma vie.--Voilà
+celui que je choisis.
+
+LE ROI, _à Bertrand_.--Eh bien! jeune Bertrand, prends-la; elle est ta
+femme.
+
+BERTRAND.--Ma femme, sire? J'oserai conjurer Votre Majesté de me
+permettre, en pareille affaire, de m'en rapporter à mes propres yeux.
+
+LE ROI.--Ignores-tu donc, Bertrand, ce qu'elle a fait pour moi?
+
+BERTRAND.--Je le sais, mon bon roi; mais j'espère ne jamais savoir
+pourquoi je dois l'épouser.
+
+LE ROI.--Tu sais qu'elle m'a relevé de mon lit de maladie.
+
+BERTRAND.--Mais faut-il, seigneur, que vous me fassiez descendre parce
+qu'elle vous a relevé? Je la connais très-bien; elle a été élevée aux
+frais de mon père. La fille d'un pauvre médecin être ma femme! Que
+plutôt l'opprobre efface mon nom pour toujours!
+
+LE ROI.--Tu ne dédaignes en elle que son nom; je puis lui en donner un
+autre. Il est bien étrange que notre sang à tous, qui pour la couleur,
+le poids et la chaleur, mêlé ensemble, n'offrirait aucune trace de
+distinction, prétende cependant se séparer par de si vastes différences.
+Si elle possède toutes les vertus, et que tu ne la dédaignes que parce
+qu'elle est la fille d'un pauvre médecin, tu dédaignes donc la vertu
+pour un nom? Ne fais pas cela: quand des actions vertueuses sortent
+d'une source obscure, cette source est illustrée par le fait de celui
+qui les accomplit. Être enflé de vains titres et sans vertus, c'est là
+un honneur hydropique. Ce qui est bon par lui-même est bon sans nom; et
+ce qui est vil est toujours vil. Le prix des choses dépend de leur
+mérite, et non de leur dénomination. Elle est jeune, sage, belle; elle a
+reçu cet héritage de la nature, et ces qualités forment l'honneur.
+Celui-là mérite le mépris et non l'honneur, qui se prétend fils de
+l'honneur et qui ne ressemble pas à son père. Nos honneurs prospèrent,
+lorsque nous les faisons dériver de nos actions plutôt que de nos
+ancêtres. Le mot seul est un esclave suborné à des tombeaux, un trophée
+menteur sur tous les sépulcres; et souvent aussi il reste muet sur des
+tombes où la poussière et un coupable oubli ensevelissent d'honorables
+cendres. Qu'ai-je besoin d'en dire plus? Si tu peux aimer cette jeune
+personne comme vierge, je puis créer tout le reste: elle et sa vertu,
+c'est sa dot personnelle; les honneurs et les richesses viendront de
+moi.
+
+BERTRAND.--Je ne puis l'aimer, et je ne ferai pas d'efforts pour y
+parvenir.
+
+LE ROI.--Tu te fais injure à toi-même, en hésitant si longtemps sur ce
+choix.
+
+HÉLÈNE.--Sire, je suis heureuse de vous voir bien rétabli: qu'il ne soit
+plus question du reste.
+
+LE ROI.--Mon honneur est engagé: il faut, pour le délivrer, que je
+déploie mon pouvoir. Allons, prends sa main, hautain et dédaigneux jeune
+homme, indigne de ce beau don; puisque tu repousses, par une indigne
+erreur, mon amitié et son mérite; toi qui ne t'avises pas de songer que
+moi, placé dans son plateau trop léger, je t'enlèverais jusqu'au fléau;
+toi qui ne veux pas savoir qu'il dépend de nous de transporter tes
+honneurs où il nous plaira de les faire croître: contiens tes mépris:
+obéis à notre volonté qui travaille pour ton bien: n'écoute point ton
+vain orgueil: rends sur-le-champ, pour l'avantage de ta propre fortune,
+l'hommage d'obéissance que ton devoir nous doit, et que notre autorité
+exige, ou je t'effacerai pour jamais de ma pensée, et t'abandonnerai aux
+vertiges et à la ruineuse témérité de la jeunesse et de l'ignorance,
+déployant sur toi ma haine et ma vengeance, au nom de la justice et sans
+pitié. Parle: ta réponse?
+
+BERTRAND.--Pardon, mon gracieux souverain: je soumets mon amour à vos
+yeux. Lorsque je considère quelle riche création et quelle part
+d'honneur vont s'attacher où vous l'ordonnez, je trouve que cette fille,
+qui tout à l'heure était si bas dans la fierté de mes pensées, est
+maintenant l'objet des louanges du roi, et par là anoblie, comme si elle
+était bien née.
+
+LE ROI.--Prends sa main, et dis-lui qu'elle est à toi: Je te promets de
+rendre la balance égale entre elle et ton rang, si je ne fais pas
+davantage.
+
+BERTRAND.--Je lui prends la main.
+
+LE ROI.--Que le bonheur et la faveur du roi sourient à ce contrat!
+Toutes les formalités nécessaires pour le rendre parfait seront
+accomplies dès ce soir: les fêtes solennelles peuvent souffrir un plus
+long délai, et attendre nos amis absents. Bertrand, si tu l'aimes, ton
+amour me reste fidèle, autrement il s'égare.
+
+(Tous sortent, excepté Parolles et Lafeu.)
+
+LAFEU.--Entendez-vous, monsieur? Un mot, s'il vous plaît.
+
+PAROLLES.--Quel est votre bon plaisir, seigneur?
+
+LAFEU.--Votre seigneur et maître a bien fait de se rétracter.
+
+PAROLLES.--Se rétracter? mon maître, mon seigneur?
+
+LAFEU.--Oui: est-ce que je ne parle pas une langue intelligible?
+
+PAROLLES.--Une langue fort dure, et qu'on ne peut entendre sans qu'il
+s'ensuive quelque effusion de sang.--Mon maître!
+
+LAFEU.--Êtes-vous le camarade du comte de Roussillon?
+
+PAROLLES.--De quelque comte que ce soit, de tous les comtes, de tout ce
+qui est homme.
+
+LAFEU.--De tout ce qui est l'_homme_ du comte; mais _le maître_ du
+comte, c'est autre chose.
+
+PAROLLES.--Vous êtes trop vieux, monsieur: que cela vous suffise, vous
+êtes trop vieux.
+
+LAFEU.--Il faut que je te dise, maraud, que j'ai le titre d'homme, moi;
+titre auquel jamais l'âge ne pourra vous faire parvenir.
+
+PAROLLES.--Ce que j'oserais bien, je n'ose pas le faire.
+
+LAFEU.--Je vous ai cru, pendant deux ordinaires, un homme de bon sens:
+vous avez fait tant de récits de vos voyages: cela pouvait passer; mais
+les écharpes et les rubans dont vous êtes couvert m'ont dissuadé de bien
+des manières de vous croire un vaisseau de bien gros calibre.--Je t'ai
+trouvé à présent; et si je te perds, je ne m'en embarrasse guère; et
+cependant tu n'es bon à rien qu'à reprendre, et tu n'en vaux guère la
+peine.
+
+PAROLLES.--Si vous n'étiez pas couvert du privilége de l'âge...
+
+LAFEU.--Ne vous plongez pas trop avant dans la colère, de peur de trop
+hâter l'épreuve; et si une fois... Que Dieu ait pitié de toi, poule
+mouillée!--Allons, mon beau treillis, fort bien: je n'ai pas besoin
+d'ouvrir la fenêtre, je vois tout au travers de toi.--Donne-moi ta main.
+
+PAROLLES.--Seigneur, vous me faites-là une affreuse injure.
+
+LAFEU.--Oui, et c'est de tout mon coeur; et tu en es bien digne.
+
+PAROLLES.--Je ne l'ai pas mérité, seigneur.
+
+LAFEU.--Oh! sur ma foi, jusqu'à la dernière drachme, et je n'en
+rabattrai pas un scrupule.
+
+PAROLLES.--Allons, je serai plus sage...
+
+LAFEU.--Oui, le plus tôt que tu pourras; car tu as à virer la voile du
+côté opposé.--Si jamais on te lie dans ton écharpe, et qu'on te châtie,
+tu éprouveras alors ce que c'est que d'être fier de sa servitude. J'ai
+envie d'entretenir ma connaissance avec toi, ou plutôt mon étude, afin
+que je puisse dire, au besoin: «C'est un homme que je connais.»
+
+PAROLLES.--Seigneur, vous me vexez d'une manière intolérable.
+
+LAFEU.--Je voudrais que ce fût pour toi un tourment d'enfer, et que ta
+vexation fût éternelle; mais je suis passé[24] par l'âge comme tu vas
+l'être par moi aussi vite que l'âge me le permettra.
+
+[Note 24: Équivoque sur le mot _past_. Lafeu, en parlant ainsi, passe
+devant Parolles.]
+
+(Il sort.)
+
+PAROLLES _seul_.--Allons, tu as un fils qui me lavera de cet affront,
+méchant, hideux et dégoûtant vieillard!--Allons, il faut que je me
+contienne: il n'y a pas moyen d'arrêter les grands. Je le battrai, sur
+ma vie, si je peux jamais le rencontrer à propos, fût-il deux fois plus
+grand seigneur. Je n'aurai pas plus de pitié de sa vieillesse, que je
+n'en aurais de... Je le battrai, pourvu que je le puisse joindre encore
+une fois.
+
+(Lafeu revient.)
+
+LAFEU.--Maraud, votre seigneur et maître est marié: voilà des nouvelles
+pour vous. Vous avez une nouvelle maîtresse.
+
+PAROLLES.--Je dois franchement conjurer Votre Seigneurie de vouloir bien
+m'épargner vos insultes. Il est mon bon seigneur: mais celui que je sers
+est là-haut, et c'est mon maître.
+
+LAFEU.--Qui? Dieu?
+
+PAROLLES.--Oui, monsieur.
+
+LAFEU.--C'est le diable qui est ton maître. Pourquoi croises-tu ainsi
+tes bras? Veux-tu faire de tes manches une paire de chausses? Les autres
+valets en font-ils autant? Tu ferais mieux de mettre ta partie
+inférieure où est ton nez. Sur mon honneur, si j'étais plus jeune
+seulement de deux heures, je te bâtonnerais. Il me semble que tu es une
+insulte générale, et que chacun devrait te battre. Je crois que tu as
+été créé pour que tout le monde pût se mettre en haleine sur ton dos.
+
+PAROLLES.--Voilà qui est bien dur et peu mérité, seigneur.
+
+LAFEU.--Allez, allez: vous avez été battu en Italie pour avoir arraché
+un fruit d'un grenadier: vous êtes un vagabond, et non pas un honnête
+voyageur: vous faites plus l'impertinent avec les grands seigneurs et
+les gens d'honneur, que les armoiries de votre naissance et de votre
+vertu ne vous donnent droit de le faire. Vous ne méritez pas un mot de
+plus, sans quoi je vous appellerais un fripon: je vous laisse.
+
+(Lafeu sort.)
+
+(Entre Bertrand.)
+
+PAROLLES.--C'est bon, c'est bon: oui, oui, bon, bon: gardons-en le
+secret quelque temps.
+
+BERTRAND.--Perdu et condamné aux soucis pour toujours!
+
+PAROLLES.--Qu'avez-vous, mon cher coeur?
+
+BERTRAND.--Quoique je l'aie solennellement juré devant le prêtre, je ne
+partagerai jamais son lit.
+
+PAROLLES.--Quoi? quoi donc, mon cher coeur?
+
+BERTRAND.--O mon Parolles, ils m'ont marié!--Je veux aller aux guerres
+de Toscane, et jamais je ne coucherai avec elle.
+
+PAROLLES.--La France est un vrai chenil: elle ne mérite pas d'être
+foulée aux pieds par un homme. A la guerre!
+
+BERTRAND.--Voilà des lettres de ma mère: ce qu'elles contiennent, je ne
+le sais pas encore.
+
+PAROLLES.--Il faudrait le savoir.--A la guerre, mon garçon, à la guerre!
+Il tient son honneur caché dans une boîte, celui qui reste chez lui à
+caresser sa créature et à dépenser dans ses bras sa vigueur virile, qui
+devrait soutenir les bonds et la fougue de l'ardent coursier de Mars.
+Aux pays étrangers! La France est une étable, et nous, qui y demeurons,
+des rosses. Allons, à la guerre!
+
+BERTRAND.--Oui, j'irai.--Je l'enverrai chez moi; j'informerai ma mère de
+mon aversion pour elle, et de la cause de mon évasion; j'écrirai au roi
+ce que je n'ai pas osé lui dire: le don qu'il vient de me faire me
+servira à m'équiper pour les guerres d'Italie, où les braves combattent.
+La guerre est un repos, comparée à une sombre maison et à une femme
+odieuse.
+
+PAROLLES.--Ce caprice tiendra-t-il? en êtes-vous bien sûr?
+
+BERTRAND.--Venez avec moi dans ma chambre, et aidez-moi de vos conseils.
+Je vais la congédier sur-le-champ. Demain je pars pour la guerre, et
+elle pour sa douleur solitaire.
+
+PAROLLES.--Oh! comme les balles rebondissent! quel vacarme elles
+font!--Cela est dur-.--Un jeune homme marié est un jeune homme perdu:
+ainsi, partez, et quittez-la bravement: allez. Le roi vous a fait
+outrage.--Mais, chut! c'est comme cela...
+
+(Ils sortent.)
+
+
+
+SCÈNE IV
+
+
+Même lieu.--Un autre appartement.
+
+_Entrent_ HÉLÈNE ET LE BOUFFON.
+
+HÉLÈNE.--Ma mère me salue avec bonté. Est-elle bien?
+
+LE BOUFFON.--Elle n'est pas bien, et pourtant elle jouit de sa santé:
+elle est gaie, mais pourtant elle n'est pas bien; mais Dieu soit loué!
+elle est bien et n'a besoin de rien dans ce monde, et pourtant elle
+n'est pas bien.
+
+HÉLÈNE.--Si elle est bien, quel mal a-t-elle donc, qu'elle ne soit pas
+bien?
+
+LE BOUFFON.--Vraiment, elle serait très bien s'il ne lui manquait pas
+deux choses.
+
+HÉLÈNE.--Quelles sont ces deux choses?
+
+LE BOUFFON.--La première, c'est qu'elle n'est pas dans le ciel, où Dieu
+veuille l'envoyer promptement; la seconde, c'est qu'elle est sur la
+terre, d'où Dieu veuille la renvoyer promptement.
+
+(Entre Parolles.)
+
+PAROLLES.--Salut, mon heureuse dame!
+
+HÉLÈNE.--Je me flatte d'avoir votre aveu pour ma bonne fortune.
+
+PAROLLES.--Vous avez mes voeux pour qu'elle augmente, et mes voeux
+encore pour qu'elle dure. (_Au bouffon._) Ah! mon vaurien! comment se
+porte ma vieille dame?
+
+LE BOUFFON.--Si vous aviez ses rides, et moi ses écus, je voudrais
+qu'elle fût comme vous dites.
+
+PAROLLES.--Eh! je ne dis rien.
+
+LE BOUFFON.--Vraiment, vous n'en êtes que plus sage; car souvent la
+langue d'un homme est la ruine de son maître: ne dire rien, ne faire
+rien, ne savoir rien, et n'avoir rien, font une grande partie de vos
+titres, qui ne diffèrent pas grandement de rien.
+
+PAROLLES.--Va-t'en; tu es un vaurien.
+
+LE BOUFFON.--Vous auriez dû dire, monsieur, devant un vaurien, tu es un
+vaurien; c'est-à-dire, devant moi tu es un vaurien; et cela aurait été
+la vérité, monsieur.
+
+PAROLLES.--Va, va, tu es un rusé fou: je t'ai découvert.
+
+LE BOUFFON.--Me découvrez-vous en vous-même, monsieur? ou bien, vous
+a-t-on appris à me découvrir? La recherche, monsieur, était des plus
+profitables; et vous pourriez trouver beaucoup du fou en vous, au grand
+déplaisir du monde, et pour augmenter les risées.
+
+PAROLLES.--Un bon drôle, ma foi, et bien nourri!--Madame, mon seigneur
+va partir ce soir. Une affaire très-sérieuse l'appelle: il sait les
+grandes prérogatives et les droits de l'amour, que la circonstance
+réclame comme vous étant dus; mais il est contraint, malgré lui, de les
+remettre à un autre temps. Cette privation et ce délai sont rachetés par
+les douceurs qui vont se préparer dans cet intervalle forcé, pour
+inonder de joie l'heure à venir, et faire déborder la coupe des
+plaisirs.
+
+HÉLÈNE.--Quelles sont ses autres intentions?
+
+PAROLLES.--Que vous preniez à l'instant congé du roi, et que vous
+donniez cette précipitation pour votre propre décision en l'appuyant de
+toutes les raisons que vous pourrez trouver pour rendre cette nécessité
+vraisemblable.
+
+HÉLÈNE.--Que commande-t-il encore?
+
+PAROLLES.--Qu'après avoir obtenu ce congé, vous vous conformiez
+sur-le-champ à ses autres intentions.
+
+HÉLÈNE.--En tout je suis soumise à sa volonté.
+
+PAROLLES.--Je vais l'en assurer de votre part.
+
+(Parolles sort.)
+
+HÉLÈNE.--Je vous en prie. (_Au bouffon._) Viens, drôle.
+
+(Ils sortent.)
+
+
+
+SCÈNE V
+
+
+Un autre appartement dans le même lieu.
+
+_Entrent_ LAFEU, BERTRAND.
+
+LAFEU.--Mais j'espère que Votre Seigneurie ne le regarde pas comme un
+guerrier?
+
+BERTRAND.--Comme un guerrier, seigneur, et qui a fait ses preuves de
+courage.
+
+LAFEU.--Vous le tenez de sa bouche?
+
+BERTRAND.--Et de bien d'autres témoignages valables.
+
+LAFEU.--Allons, mon cadran ne va donc pas bien? j'ai pris cette
+allouette pour un traquet[25].
+
+[Note 25: Espèce d'oiseau qui fait son nid à terre. _Penancola, avis
+alaudæ similis._]
+
+BERTRAND.--Je vous assure, seigneur, qu'il a de grandes connaissances et
+qu'il n'a pas moins de bravoure.
+
+LAFEU.--J'ai donc péché contre son expérience et prévariqué contre sa
+valeur; et je suis à cet égard dans un état dangereux, car je ne puis
+trouver dans mon coeur le moindre désir de m'en repentir.--Le voici qui
+vient, je vous en prie, réconciliez-nous: je veux rechercher son amitié.
+
+(Entre Parolles.)
+
+PAROLLES.--Tout cela se fera, monsieur.
+
+LAFEU, _à Bertrand_.--Je vous en prie, monsieur, dites-moi quel est son
+tailleur?
+
+PAROLLES.--Monsieur?
+
+LAFEU.--Oh! je le connais bien. Oui, monsieur; c'est vraiment, monsieur,
+un bon ouvrier, un fort bon tailleur.
+
+BERTRAND, _bas à Parolles_.--Est-elle allée trouver le roi?
+
+PAROLLES.--Elle y est allée.
+
+BERTRAND.--Partira-t-elle ce soir?
+
+PAROLLES.--Comme vous le lui avez ordonné.
+
+BERTRAND.--J'ai écrit mes lettres, enfermé mon trésor dans ma cassette,
+donné mes ordres pour nos chevaux; et ce soir, à l'heure où je devrais
+prendre possession de la mariée, je finirai avant d'avoir commencé.
+
+LAFEU.--Un honnête voyageur est quelque chose à la fin d'un dîner; mais
+un homme qui débite trois mensonges et se sert d'une vérité connue de
+tout le monde pour faire passer un millier de balivernes mérite d'être
+écouté une fois et fustigé trois. (_A Parolles._) Dieu vous assiste,
+capitaine!
+
+BERTRAND, _à Parolles_.--Y aurait-il quelque mésintelligence entre ce
+noble seigneur et vous, monsieur?
+
+PAROLLES.--Je ne sais pas comment j'ai mérité de tomber dans la disgrâce
+de mon noble seigneur.
+
+LAFEU.--Vous avez trouvé moyen d'y tomber et de vous y enfoncer tout
+entier, en bottes et éperons, comme celui qui saute dans la crème[26],
+et vous en ressortirez promptement plutôt que de souffrir qu'on vous
+demande raison de ce que vous restez dedans.
+
+[Note 26: Allusion à une pasquinade des baladins qui sautaient, dans les
+fêtes de Londres, tout bottés dans un plat de crème.]
+
+BERTRAND.--Il se pourrait que vous vous fussiez mépris sur son compte,
+seigneur.
+
+LAFEU.--Et je m'y méprendrai toujours, quand même je le surprendrais en
+prières.--Adieu, seigneur, et croyez ce que je vous dis, qu'il n'y a
+point d'amande dans cette noix légère: toute l'âme de cet homme est dans
+ses habits; ne vous fiez à lui dans aucune affaire de conséquence; j'ai
+apprivoisé de ces gens-là, et je connais leur naturel. (_A Parolles._)
+Adieu, monsieur; j'ai mieux parlé de vous que vous n'avez mérité et que
+vous ne mériterez de moi; mais il faut rendre le bien pour le mal.
+
+(Il sort.)
+
+PAROLLES.--Un frivole vieillard, je jure!
+
+BERTRAND.--Je le crois.
+
+PAROLLES.--Eh mais! ne le connaissez-vous pas?
+
+BERTRAND.--Oui, je le connais bien, et l'opinion commune lui donne du
+mérite.--Voici venir mon entrave.
+
+(Entre Hélène.)
+
+HÉLÈNE.--J'ai, monsieur, suivant l'ordre que vous m'en avez donné, parlé
+au roi, et j'ai obtenu son agrément pour partir sur-le-champ. Seulement,
+il désire vous parler en particulier.
+
+BERTRAND.--J'obéirai à sa volonté.--Il ne faut pas, Hélène, vous étonner
+de mon procédé, qui ne paraît pas s'accorder avec les circonstances et
+qui ne remplit pas l'office qu'elles exigent de moi. Je n'étais pas
+préparé à cet événement, voilà pourquoi je me trouve si fort en
+désordre; cela m'engage à vous prier de vous mettre en route
+sur-le-champ pour vous rendre chez moi, et de chercher à deviner plutôt
+que de me demander le motif de cette prière; car mes raisons sont
+meilleures qu'elles ne paraissent, et mes affaires sont d'une nécessité
+plus pressante qu'il ne le semble à première vue, à vous qui ne les
+connaissez pas.--Cette lettre est pour ma mère. (_Il lui remet une
+lettre._) Il se passera deux jours avant que je vous revoie. Adieu; je
+vous abandonne à votre sagesse.
+
+HÉLÈNE.--Monsieur, je ne puis vous répondre autre chose, sinon que je
+suis votre très-obéissante servante.
+
+BERTRAND.--Allons, allons, ne parlons plus de cela.
+
+HÉLÈNE.--Et que je chercherai toujours, par tous mes efforts, à réparer
+ce que mon étoile vulgaire a laissé en moi de défectueux pour être de
+niveau avec ma grande fortune.
+
+BERTRAND.--Laissons cela; je suis extrêmement pressé. Adieu;
+allez-vous-en chez moi.
+
+HÉLÈNE.--Je vous prie, monsieur, permettez...
+
+BERTRAND.--Eh bien! que voulez-vous dire?
+
+HÉLÈNE.--Je ne suis pas digne du trésor que je possède, et je n'ose pas
+dire qu'il soit à moi, et cependant il est à moi; mais, comme un voleur
+timide, je voudrais bien dérober ce que la loi m'accorde de droit.
+
+BERTRAND.--Que voulez-vous avoir?
+
+HÉLÈNE.--Quelque chose,--et à peine autant;--rien dans le fond.--Je ne
+voudrais pas vous dire ce que je voudrais, seigneur.--Mais pourtant,
+si.--Les étrangers et les ennemis se séparent et ne s'embrassent pas.
+
+BERTRAND.--Je vous en prie, ne perdez pas de temps; mais vite à cheval.
+
+HÉLÈNE.--Je n'enfreindrai pas vos ordres, mon bon seigneur.
+
+BERTRAND, _à Parolles, d'un air fort empressé_.--Où sont mes autres
+gens, monsieur? (_A Hélène._) Adieu. (_Hélène sort._) Va chez moi, où je
+ne rentrerai de ma vie tant que je pourrai manier mon épée ou entendre
+le son du tambour.--Allons, partons, et songeons à notre fuite.
+
+PAROLLES.--Bravo! coragio!
+
+(Ils sortent.)
+
+FIN DU DEUXIÈME ACTE.
+
+
+
+
+ACTE TROISIÈME
+
+
+
+SCÈNE I
+
+
+A Florence.--Appartement dans le palais du duc.
+
+_Entrent_ LE DUC DE FLORENCE, DEUX SEIGNEURS FRANÇAIS; Gardes.
+_Fanfares._
+
+LE DUC.--Ainsi, vous voilà instruits de point en point des raisons
+fondamentales de cette guerre, dont les grands intérêts ont déjà fait
+verser bien du sang, en restant toujours altérés d'en répandre.
+
+PREMIER SEIGNEUR.--La querelle paraît sacrée de la part de Votre
+Altesse; mais de la part des ennemis, elle semble inique et odieuse.
+
+LE DUC.--C'est pourquoi je m'étonne fort que notre cousin le roi de
+France puisse, dans une cause aussi juste, fermer son coeur à nos
+prières suppliantes.
+
+SECOND SEIGNEUR.--Mon bon seigneur, je ne puis vous éclairer sur les
+motifs de notre gouvernement, ni en parler que comme un homme ordinaire
+qui n'est pas dans les affaires, et qui s'imagine l'auguste machine du
+conseil d'après ses imparfaites notions: aussi je n'ose pas vous dire ce
+que j'en pense, d'autant moins que je me suis vu trompé dans mes
+incertaines conjectures toutes les fois que j'ai tenté d'en faire.
+
+LE DUC.--Qu'il fasse suivant son bon plaisir.
+
+SECOND SEIGNEUR.--Mais je suis sûr du moins que notre jeunesse,
+rassasiée de son repos, va accourir ici tous les jours pour se guérir.
+
+LE DUC.--Ils seront bien reçus, et tous les honneurs que nous pouvons
+répandre iront s'attacher sur eux. Vous connaissez vos postes. Quand les
+premiers de l'armée tombent, c'est pour votre avantage.--Demain au champ
+de bataille!
+
+(Ils sortent.)
+
+
+
+SCÈNE II
+
+
+En Roussillon.--Appartement dans le palais de la comtesse.
+
+LA COMTESSE, LE BOUFFON.
+
+LA COMTESSE.--Tout est arrivé comme je le désirais, excepté qu'il ne
+revient point avec elle.
+
+LE BOUFFON.--Sur ma foi, je pense que mon jeune seigneur est un homme
+fort mélancolique.
+
+LA COMTESSE.--Et sur quel fondement, je te prie?
+
+LE BOUFFON.--Eh! c'est qu'il regardait ses bottes, et puis chantait;
+qu'il rajustait sa fraise, et puis chantait; qu'il faisait des
+questions, puis chantait; qu'il se curait les dents, et chantait encore.
+J'ai connu un homme avec ce tic de mélancolie, qui a vendu un bon manoir
+pour une chanson.
+
+LA COMTESSE.--Voyons ce qu'il écrit et quand il se propose de revenir.
+
+LE BOUFFON.--Je n'ai plus de goût pour Isabeau depuis que je suis allé à
+la cour. Nos vieilles morues et nos Isabeau de campagne ne ressemblent
+en rien à vos vieilles morues et à vos Isabeau de cour. La cervelle de
+mon Cupidon est fêlée, et je commence à aimer comme un vieillard aime
+l'argent,--sans appétit.
+
+LA COMTESSE, _ouvrant la lettre_.--Qu'avons-nous ici?
+
+LE BOUFFON.--Précisément ce que vous avez là.
+
+(Il sort.)
+
+LA COMTESSE _lit la lettre.--Je vous envoie une belle-fille: elle a
+guéri le roi et m'a perdu. Je l'ai épousée; mais je n'ai pas couché avec
+elle, et j'ai juré que ce refus serait éternel. On ne manquera pas de
+vous informer que je me suis enfui. Apprenez-le donc de moi, avant de le
+savoir par le bruit public. Si le monde est assez vaste, je mettrai
+toujours une bonne distance entre elle et moi. Agréez mon respect._
+
+_Votre fils infortuné,_ BERTRAND.
+
+--Ce n'est pas bien, jeune homme téméraire et indiscipliné, de fuir
+ainsi les faveurs d'un si bon roi, d'attirer son indignation sur ta tête
+en méprisant une jeune fille trop vertueuse pour être dédaignée, même de
+l'empereur.
+
+(Le bouffon entre.)
+
+LE BOUFFON.--Oh! madame, il y a là-bas de tristes nouvelles entre deux
+officiers et ma jeune maîtresse.
+
+LA COMTESSE.--De quoi s'agit-il?
+
+LE BOUFFON.--Et cependant il y a aussi quelque chose de consolant dans
+les nouvelles; oui, de consolant: votre fils ne sera pas tué aussitôt
+que je le pensais.
+
+LA COMTESSE.--Et pourquoi serait-il tué?
+
+LE BOUFFON.--C'est ce que je dis, madame, s'il s'est sauvé, comme je
+l'entends dire. Le danger était de rester auprès de sa femme: c'est la
+perte des hommes, quoique ce soit le moyen d'avoir des enfants. Les
+voici qui viennent; ils vous en diront davantage. Pour moi, je sais
+seulement que votre fils s'est sauvé.
+
+(Hélène entre accompagnée de deux gentilshommes.)
+
+PREMIER GENTILHOMME.--Dieu vous garde! chère comtesse.
+
+HÉLÈNE.--Madame, mon seigneur est parti, parti pour toujours.
+
+SECOND GENTILHOMME.--Ne dites pas cela.
+
+LA COMTESSE.--Armez-vous de patience.--Eh! je vous prie, messieurs,
+parlez. J'ai senti tant de secousses de joie et de douleur, que le
+premier aspect et le choc imprévu de l'une ou de l'autre ne peuvent plus
+me faire éprouver l'émotion d'une femme.--Où est mon fils, je vous prie?
+
+SECOND GENTILHOMME.--Madame, il est allé servir le duc de Florence. Nous
+l'avons rencontré là, car nous en venons, et après avoir remis quelques
+dépêches dont nous sommes chargés pour la cour, nous y retournons.
+
+HÉLÈNE.--Jetez les yeux sur cette lettre, madame. Voici mon
+congé.--_(Lisant.) «Quand tu auras obtenu l'anneau que je porte à mon
+doigt, et qui ne le quittera jamais, et que tu me montreras un enfant né
+de toi, dont j'aurai été le père, alors appelle-moi ton mari. Mais cet_
+alors, _je le nomme_ jamais.»--C'est une terrible sentence!
+
+LA COMTESSE.--Avez vous apporté cette lettre, messieurs?
+
+SECOND GENTILHOMME.--Oui, madame; et d'après ce qu'elle contient, nous
+regrettons nos peines.
+
+LA COMTESSE.--Je t'en conjure, ma chère, prends courage. Si tu gardes
+pour toi seule toutes ces douleurs, tu m'en dérobes la moitié. Il était
+mon fils; mais j'efface son nom de mon coeur, et tu seras mon unique
+enfant.--Il est donc allé du côté de Florence?
+
+SECOND GENTILHOMME.--Oui, madame.
+
+LA COMTESSE.--Et pour être soldat?
+
+PREMIER GENTILHOMME.--Telles sont, en effet, ses nobles intentions, et
+je suis persuadé que le duc lui rendra tous les honneurs convenables.
+
+LA COMTESSE.--Y retournez-vous?
+
+PREMIER GENTILHOMME.--Oui, madame, et avec la plus grande diligence.
+
+HÉLÈNE, _lisant_.--_Jusqu'à ce que je n'y aie plus de femme, la France
+ne me sera rien._
+
+--C'est amer!
+
+LA COMTESSE.--Y a-t-il cela là-dedans?
+
+HÉLÈNE.--Oui, madame.
+
+PREMIER GENTILHOMME.--Ce n'est peut-être qu'un écart de sa main auquel
+son coeur n'a pas consenti.
+
+LA COMTESSE.--_La France ne lui sera rien tant qu'il y aura une femme?_
+Il n'y a qu'elle seule qui soit trop bonne pour lui, et elle méritait un
+prince que vingt jeunes étourdis comme lui suivissent avec respect pour
+l'appeler à toute heure leur maîtresse.--Qui avait-il avec lui?
+
+PREMIER GENTILHOMME.--Un seul domestique et un gentilhomme que j'ai
+connu jadis.
+
+LA COMTESSE.--Parolles, n'est-ce pas?
+
+PREMIER GENTILHOMME.--Oui, madame, c'est lui-même.
+
+LA COMTESSE.--C'est une âme corrompue et pleine de scélératesse. Mon
+fils, séduit par ses conseils, pervertit un coeur bien né.
+
+PREMIER GENTILHOMME.--En effet, madame, cet homme a bien de la
+scélératesse, trop, et cela l'oblige à en user.
+
+LA COMTESSE.--Soyez les bienvenus, messieurs. Je vous prie, quand vous
+reverrez mon fils, de lui dire que son épée ne peut jamais acquérir
+autant d'honneur qu'il en a perdu. Je vais lui en écrire davantage, et
+je vous prierai de lui remettre ma lettre.
+
+SECOND GENTILHOMME.--Nous sommes prêts à vous servir, madame, en ceci et
+dans toutes vos affaires les plus importantes.
+
+LA COMTESSE.--A condition que nous ferons échange de politesses.
+Voulez-vous m'accompagner?
+
+(La comtesse et les gentilshommes sortent.)
+
+HÉLÈNE.--_Jusqu'à ce que je n'y aie plus de femme, la France ne me sera
+rien!_--La France ne lui sera rien tant qu'il aura une femme en France.
+Tu n'en auras plus, Roussillon; tu n'en auras plus en France. Reprends-y
+donc tout le reste. Pauvre comte! est-ce moi qui te chasses de ton pays
+et qui expose tes membres délicats aux chances de la guerre, qui
+n'épargne personne? Est-ce moi qui t'exile d'une cour charmante, où tu
+étais le point de mire des plus beaux yeux, pour t'exposer aux coups des
+mousquets fumants? O vous, messagers de plomb, qui volez rapidement sur
+des ailes de feu, détournez-vous et manquez votre but! Percez l'air
+invulnérable qui siffle quand on le perce, et ne touchez pas mon
+seigneur. Quiconque tire sur lui, c'est moi qui le dirige; quiconque
+avance le fer levé contre son sein intrépide, c'est moi, malheureuse,
+qui l'y excite. Et quoique ce ne soit pas moi qui le tue, je suis
+cependant la cause de sa mort. Il aurait mieux valu pour moi que je
+rencontrasse le lion féroce quand il rugit, pressé par la faim. Il
+aurait mieux valu que toutes les calamités qui assiègent la nature
+fussent tombées sur ma tête. Non, reviens dans ta patrie, Roussillon;
+quitte ces lieux, où l'honneur ne recueille du danger que des cicatrices
+et où souvent il perd tout. Je vais m'en aller. C'est parce que je suis
+ici que tu t'éloignes. Y resterais-je pour t'empêcher d'y revenir? Non,
+non; quand on respirerait chez toi l'air du paradis, et qu'on y serait
+servi par des anges, je m'en irais. Puisse la renommée, touchée de
+pitié, t'annoncer ma fuite pour te consoler! O nuit! viens; et toi,
+jour, hâte-toi de finir; car, pendant l'obscurité, je veux me dérober de
+ces lieux comme un pauvre voleur.
+
+(Elle sort.)
+
+
+
+SCÈNE III
+
+
+La scène est à Florence, devant le palais du duc.
+
+Fanfares. LE DUC DE FLORENCE, BERTRAND, Seigneurs, _officiers et
+soldats_.
+
+LE DUC.--Tu seras commandant de notre cavalerie; fort de nos espérances,
+nous t'accordons notre amitié et plaçons notre confiance dans les
+promesses de ta fortune.
+
+BERTRAND.--Seigneur, c'est un fardeau trop pesant pour mes forces;
+cependant je m'efforcerai de le soutenir, pour l'amour de Votre Altesse,
+jusqu'à la dernière extrémité.
+
+LE DUC.--Pars donc, et que la fortune joue avec ton cimier comme une
+maîtresse propice!
+
+BERTRAND.--Ce jour même, ô puissant Mars! j'entre dans tes rangs.
+Rends-moi seulement égal à mes voeux, et je me montrerai amoureux de ton
+tambour et l'ennemi de l'amour!
+
+
+
+SCÈNE IV
+
+
+Roussillon.--Appartement du palais de la comtesse.
+
+LA COMTESSE, L'INTENDANT.
+
+LA COMTESSE.--Hélas! et pourquoi avez-vous accepté d'elle cette lettre?
+Ne deviez-vous pas vous douter qu'elle allait faire ce qu'elle a fait,
+dès qu'elle m'envoyait une lettre? Relisez-la-moi encore.
+
+L'INTENDANT _lit._--_Je vais en pèlerinage à Saint-Jacques. Un amour
+ambitieux m'a rendue criminelle. Pour expier mes fautes par un saint
+voeu, je veux marcher pieds nus sur la terre glacée. Écrivez, écrivez,
+afin que mon très-cher maître, votre fils, puisse se retirer de la
+sanglante carrière des combats. Bénissez son retour, et qu'il jouisse
+des douceurs de la paix, tandis que moi je bénirai de loin son nom par
+les plus ardentes prières. Dites-lui de me pardonner toutes les peines
+que je lui ai causées. C'est moi, sa fatale Junon, qui l'ai éloigné de
+ses amis de la cour pour l'envoyer vivre dans les camps ennemis, où le
+danger et la mort marchent sur les pas des braves. Il est trop bon et
+trop beau pour moi et pour la mort, que je vais chercher moi-même pour
+le laisser libre!_
+
+LA COMTESSE.--Ah! quels traits aigus percent dans ses plus douces
+paroles! Rinaldo, vous n'avez jamais tant manqué de réflexion qu'en la
+laissant partir ainsi. Si je lui avais parlé, je l'aurais bien détournée
+de ses projets, sur lesquels elle m'a prévenue.
+
+L'INTENDANT.--Pardonnez, madame; si je vous eusse donné la lettre hier
+au soir, on aurait pu rejoindre Hélène et cependant elle écrit que toute
+poursuite serait vaine.
+
+LA COMTESSE.--Quel ange s'intéressera à cet indigne époux? Il ne peut
+prospérer, à moins que les prières de celle que le ciel se plaît à
+entendre et à exaucer ne le sauvent des vengeances de la justice
+suprême. Écris, écris, Rinaldo, à cet époux si indigne de son épouse.
+Que chaque mot soit plein de son mérite, qu'il pèse, lui, trop
+légèrement. Fais-lui sentir vivement mon extrême douleur, quoiqu'il y
+soit peu sensible. Dépêche vers lui le courrier le plus prompt.
+Peut-être, quand il apprendra qu'elle s'en est allée voudra-t-il
+revenir; et j'espère qu'aussitôt qu'elle apprendra son retour, elle
+hâtera aussi le sien dans ces lieux, conduite par le plus pur amour. Je
+ne puis démêler lequel des deux m'est le plus cher. Cherche le messager.
+J'ai un poids sur le coeur, et ma vieillesse est faible. Ma tristesse
+voudrait des larmes, et ma douleur me force de parler.
+
+(Ils sortent.)
+
+
+
+SCÈNE V
+
+
+Hors des murs de Florence.
+
+UNE VEUVE DE FLORENCE, DIANE, VIOLENTA, MARIANA _et plusieurs citoyens.
+On entend au loin une musique guerrière._
+
+LA VEUVE.--Allons, venez, car s'ils s'approchent de la ville; nous
+perdrons tout le coup d'oeil.
+
+DIANE.--On dit que le comte français nous a rendu les plus honorables
+services.
+
+LA VEUVE.--On rapporte qu'il a pris leur plus grand capitaine, et que de
+sa propre main il a tué le frère du duc. Nous avons perdu nos peines;
+ils ont pris un chemin opposé. Écoutez, vous pouvez en juger par leurs
+trompettes.
+
+MARIANA.--Allons, retournons-nous-en, et contentons-nous du récit qu'on
+nous en fera. Et vous, Diane, gardez-vous bien de ce comte français:
+l'honneur d'une fille est sa gloire, et il n'y a point d'héritage aussi
+riche que l'honnêteté.
+
+LA VEUVE.--J'ai raconté à ma voisine combien vous aviez été sollicitée
+par un gentilhomme de sa compagnie.
+
+MARIANA.--Je connais ce coquin; qu'il aille se pendre! Un certain
+Parolles, un infâme agent que le jeune comte emploie dans ses intrigues.
+Défie-toi d'eux, Diane; leurs promesses, leurs séductions, leurs
+serments, leurs présents, et tous ces engins de la débauche, ne sont
+point ce qu'on veut les faire croire. Plus d'une jeune fille a été
+séduite par là, et le malheur veut que l'exemple de tant de naufrages de
+la vertu ne saurait persuader celles qui viennent après, jusqu'à ce
+qu'elles soient prises au piége qui les menaçait. J'espère que je n'ai
+pas besoin de vous avertir davantage, car je suis persuadée que votre
+vertu vous conservera où vous êtes, quand même il n'y aurait d'autre
+danger à craindre que la perte de la modestie.
+
+DIANE.--Vous n'avez rien à craindre pour moi.
+
+LA VEUVE.--Je l'espère. (_Hélène, en costume de pèlerine._)--Regarde,
+voici une pèlerine. Je suis sûre qu'elle vient loger dans ma maison. Ils
+ont coutume de s'envoyer ici les uns les autres. Je veux la
+questionner.--Dieu vous garde, belle pèlerine! Où allez-vous?
+
+HÉLÈNE.--A Saint-Jacques-le-Grand. Enseignez-moi, je vous prie, où
+logent les pèlerins[27]?
+
+[Note 27: _Palmer_, nom dérivé de la branche de palmier que portaient
+les pèlerins de profession.]
+
+LA VEUVE.--A l'image Saint-François, ici près du port.
+
+HÉLÈNE.--Est-ce là le chemin?
+
+(On entend au loin une musique guerrière.)
+
+LA VEUVE.--Oui, précisément. Entendez-vous? Ils viennent de ce côté. Si
+vous voulez attendre, sainte pèlerine, que les troupes soient passées,
+je vous conduirai à l'endroit où vous logerez, d'autant mieux que je
+crois connaître votre hôtesse aussi bien que moi-même.
+
+HÉLÈNE.--Est-ce vous?
+
+LA VEUVE.--Sous votre bon plaisir, pèlerine.
+
+HÉLÈNE.--Je vous remercie, et j'attendrai ici votre loisir.
+
+LA VEUVE.--Vous arrivez, je crois, de France?
+
+HÉLÈNE.--J'en arrive.
+
+LA VEUVE.--Vous allez voir ici un de vos compatriotes qui a fait de
+grands exploits.
+
+HÉLÈNE.--Quel est son nom, je vous prie?
+
+LA VEUVE.--Le comte de Roussillon. Le connaissez-vous?
+
+HÉLÈNE.--Seulement par ouï-dire. Je sais qu'il a une grande réputation;
+mais je ne connais pas sa figure.
+
+LA VEUVE.--Quel qu'il soit, il passe ici pour un brave guerrier. Il
+s'est évadé de France, à ce qu'on dit, parce que le roi l'a marié contre
+son inclination. Croyez-vous que cela soit vrai?
+
+HÉLÈNE.--Oui, sûrement; c'est la pure vérité; je connais sa femme.
+
+DIANE.--Il y a ici un gentilhomme au service du comte qui dit bien du
+mal d'elle.
+
+HÉLÈNE.--Comment s'appelle-t-il?
+
+DIANE.--M. Parolles.
+
+HÉLÈNE.--Oh! je crois comme lui qu'en fait de louange ou auprès du
+mérite du comte lui-même, son nom ne vaut pas la peine d'être cité. Tout
+son mérite est une vertu modeste, contre laquelle je n'ai entendu faire
+aucun reproche.
+
+DIANE.--Ah! la pauvre dame! C'est un rude esclavage que d'être la femme
+d'un époux qui nous déteste.
+
+LA VEUVE.--Oui, c'est vrai, pauvre créature! En quelque lieu qu'elle
+soit, elle a un cruel poids sur le coeur. Si cette jeune fille voulait,
+il ne tiendrait qu'à elle de lui jouer un mauvais tour.
+
+HÉLÈNE.--Que voulez-vous dire? Serait-ce que le comte, amoureux d'elle,
+la sollicite à une action illégitime?...
+
+LA VEUVE.--Oui, c'est ce qu'il fait: il emploie tous les agents qui
+peuvent corrompre dans un pareil but le tendre coeur d'une jeune fille;
+mais elle est bien armée, et elle oppose à ses attaques la résistance la
+plus vertueuse.
+
+(Bertrand, Parolles passent, suivis d'officiers et de soldats
+florentins, avec des drapeaux et des tambours.)
+
+MARIANA.--Que les dieux la préservent de ce malheur!
+
+LA VEUVE.--Les voilà; ils viennent. Celui-ci est Antonio, le fis aîné du
+duc: celui-là est Escalus.
+
+HÉLÈNE.--Quel est donc le Français?
+
+DIANE.--Là, celui qui porte ces plumes. C'est un très-bel homme. Je
+voudrais bien qu'il aimât sa femme. S'il était plus honnête, il serait
+bien plus aimable. N'est-ce pas un beau jeune homme?
+
+HÉLÈNE.--Il me plaît beaucoup.
+
+DIANE.--C'est bien dommage qu'il ne soit pas honnête. Voilà là-bas le
+vaurien qui l'entraîne à la débauche. Si j'étais la femme du comte,
+j'empoisonnerais ce vil scélérat.
+
+HÉLÈNE.--Lequel est-ce?
+
+DIANE.--Eh! ce fat avec ses écharpes. Pourquoi donc a-t-il l'air si
+triste?
+
+HÉLÈNE.--Il a peut-être été blessé au combat.
+
+PAROLLES.--Perdre notre tambour!
+
+MARIANA.--Il est à coup sûr bien contrarié de quelque chose. Voyez, il
+nous a aperçues.
+
+LA VEUVE.--Au diable! allez vous pendre!
+
+MARIANA.--Et pour la politesse, je lui souhaite le carcan autour du cou.
+
+(Sortent Bertrand, Parolles, les officiers; etc.)
+
+LA VEUVE.--Les troupes sont passées. Venez, pèlerine, je vous conduirai
+à l'endroit où vous logerez. Nous avons déjà à la maison quatre ou cinq
+pénitents qui ont fait voeu d'aller à Saint-Jacques.
+
+HÉLÈNE.--Je vous remercie humblement. Je désirerais beaucoup que vous,
+madame, et votre aimable fille, vous voulussiez bien souper avec moi ce
+soir. Je me chargerai des frais et des remerciements; et pour vous
+témoigner davantage ma reconnaissance, je donnerai à cette jeune
+personne quelques conseils dignes d'attention.
+
+TOUTES DEUX ENSEMBLE.--Nous acceptons vos offres bien volontiers. (Elles
+sortent.)
+
+
+
+SCÈNE VI
+
+
+Le camp devant Florence.
+
+_Entrent_ BERTRAND ET DEUX SEIGNEURS FRANÇAIS.
+
+PREMIER SEIGNEUR.--Je vous en conjure, mon cher comte, mettez-le à cette
+épreuve: laissez-lui faire sa volonté.
+
+SECOND SEIGNEUR.--Si Votre Seigneurie ne reconnaît pas qu'il est un
+lâche, ne m'honorez plus de votre estime.
+
+PREMIER SEIGNEUR.--Sur mon honneur, seigneur, c'est une bulle de savon.
+
+BERTRAND.--Pensez-vous donc que je me trompe à ce point sur son compte?
+
+PREMIER SEIGNEUR.--Croyez ce que je vous dis, seigneur, d'après ma
+propre connaissance, et sans aucune malice, et avec la même vérité que
+si je vous parlais de mon parent. C'est un insigne poltron, un déterminé
+et éternel menteur, qui manque autant de fois à sa parole qu'il y a
+d'heures dans le jour: en un mot, n'ayant pas une seule bonne qualité
+pour mériter les bontés de Votre Seigneurie.
+
+SECOND SEIGNEUR.--Il serait bon que vous le connussiez, de peur que,
+vous reposant trop sur une valeur qu'il n'a point, il ne puisse, dans
+une affaire importante et de confiance, vous manquer au milieu du
+danger.
+
+BERTRAND.--Je voudrais bien connaître quelque moyen de l'éprouver.
+
+SECOND SEIGNEUR.--Il n'y en a pas de meilleur que de le laisser aller
+chercher son tambour. Vous entendez avec quelle confiance il se vante
+d'en venir à bout.
+
+PREMIER SEIGNEUR.--Et moi, avec une troupe de Florentins, je veux le
+surprendre tout à coup. J'aurai des gens qu'il ne distinguera point des
+troupes ennemies. Nous le lierons, nous lui banderons les yeux, de sorte
+qu'il s'imaginera qu'on le conduit dans le camp ennemi, lorsque nous
+l'amènerons dans notre tente. Que Votre Seigneurie soit seulement
+présente à son interrogatoire; si, dans l'espoir de sauver sa vie, et
+par le sentiment de la plus lâche peur, il ne s'offre pas à vous trahir
+et à révéler tout ce qu'il peut savoir contre vous, et s'il ne l'affirme
+pas avec serment au péril éternel de son âme, n'ayez jamais, seigneur,
+la moindre confiance en mon jugement.
+
+SECOND SEIGNEUR.--Oh! seulement pour le plaisir de rire, laissez-le
+aller chercher son tambour. Il se vante d'avoir imaginé pour cela un
+stratagème. Lorsque Votre Seigneurie aura vu le fond de son coeur, et à
+quel vil métal se réduira ce lingot d'or prétendu, si vous ne lui
+infligez pas le traitement de Jean Tambour[28], votre inclination pour
+lui est inattaquable.--Le voici.
+
+[Note 28: Un vieil intermède imprimé en 1601, portait le nom du
+traitement fait à Jean Tambour, _Jack Drum_, et cette hospitalité
+consistait à ce qu'il paraît en coups et en injures.]
+
+(Parolles entre.)
+
+PREMIER SEIGNEUR.--Oh! pour nous donner le plaisir de rire, ne
+l'empêchez pas d'accomplir son dessein. Laissez-le chercher son tambour
+comme il voudra.
+
+BERTRAND, _à Parolles_.--Eh bien! comment vous trouvez-vous, monsieur?
+Le tambour vous tient donc bien fort au coeur?
+
+SECOND SEIGNEUR.--Et que diable! qu'il le laisse aller. Ce n'est qu'un
+tambour.
+
+PAROLLES.--Qu'un tambour! N'est-ce qu'un tambour? un tambour ainsi
+perdu! Le beau commandement! charger les ailes de notre armée avec notre
+propre cavalerie, et enfoncer nos propres bataillons!
+
+SECOND SEIGNEUR.--On ne doit point blâmer le général qui a commandé:
+c'est un de ces malheurs de la guerre que César lui-même n'aurait pu
+prévenir, s'il eût été là pour nous commander.
+
+BERTRAND.--Nous n'avons cependant pas tant à nous plaindre de notre
+succès. Il est vrai qu'il y a quelque déshonneur à avoir perdu ce
+tambour; mais enfin, il n'y a plus de moyen de le ravoir.
+
+PAROLLES.--On aurait pu le ravoir.
+
+BERTRAND.--On l'aurait pu, mais on ne le peut pas à présent.
+
+PAROLLES.--On pourrait encore le ravoir. Si le mérite d'un service
+n'était pas si rarement attribué à celui qui l'a rendu, je l'aurais, ce
+tambour, lui ou un autre, ou bien _hic jacet_.
+
+BERTRAND.--Mais si vous en avez envie, monsieur; si vous croyez avoir
+quelque bonne ruse qui puisse ramener dans son quartier naturel cet
+instrument d'honneur, eh bien! soyez assez généreux pour l'entreprendre.
+Allez en avant! je récompenserai cette tentative comme un exploit
+glorieux. Si vous réussissez, le duc en parlera, et vous payera ce
+service tout ce qu'il pourra valoir, et d'une manière convenable à sa
+grandeur.
+
+PAROLLES.--Par le bras d'un guerrier, je l'entreprendrai.
+
+BERTRAND.--Mais il faut à présent vous endormir là-dessus.
+
+PAROLLES.--Je veux m'en occuper dès ce soir; je vais écrire mes
+dilemmes, m'encourager dans ma certitude, faire mes apprêts homicides;
+et sur le minuit, attendez-vous à entendre parler de moi.
+
+BERTRAND.--Puis-je hardiment annoncer à Son Altesse que vous êtes parti
+pour vous en occuper?
+
+PAROLLES.--Je ne sais pas encore quel sera le succès, seigneur: mais
+pour le tenter, je vous le jure.
+
+BERTRAND.--Je sais que tu es brave; et je répondrais de la possibilité
+de ta valeur guerrière. Adieu.
+
+PAROLLES.--Je n'aime pas trop de paroles.
+
+(Il sort.)
+
+PREMIER SEIGNEUR.--Non, pas plus que le poisson n'aime l'eau. Cet homme
+n'est-il pas bien singulier, seigneur, de paraître entreprendre avec
+tant de confiance une chose qu'il sait bien qu'on ne peut faire? Il se
+damne à jurer qu'il le fera, et il aimerait mieux être damné que de le
+faire.
+
+SECOND SEIGNEUR.--Vous ne le connaissez pas encore, seigneur, comme nous
+le connaissons. Il est bien vrai qu'il a le talent de s'insinuer dans
+les bonnes grâces de quelqu'un, et que pendant une semaine il saura
+échapper à bien des occasions de se découvrir; mais quand vous l'aurez
+une fois connu, ce sera pour toujours.
+
+BERTRAND.--Quoi! vous pensez qu'il ne fera rien de tout ce qu'il s'est
+engagé si sérieusement à entreprendre?
+
+SECOND SEIGNEUR.--Rien au monde; mais il s'en reviendra avec une
+invention de sa tête, et il vous y flanquera deux ou trois mensonges
+plausibles. Mais nous avons déjà fatigué le cerf, et vous le verrez
+tomber cette nuit. En vérité, seigneur, il ne mérite pas vos bontés.
+
+PREMIER SEIGNEUR.--Nous vous amuserons un peu avec le renard, avant que
+de lui retourner la peau sur les oreilles. Il a déjà été enfumé par le
+vieux seigneur Lafeu. Quand on lui aura ôté son déguisement, vous me
+direz alors quel lâche coquin vous le trouverez, et cela pas plus tard
+que cette nuit.
+
+SECOND SEIGNEUR.--Il faut que j'aille tendre mes pièges: il y sera pris.
+
+BERTRAND.--Et votre frère va venir avec moi.
+
+SECOND SEIGNEUR.--Si vous le trouvez bon, seigneur, je vais vous
+quitter.
+
+(Il sort.)
+
+BERTRAND.--Je veux maintenant vous conduire dans la maison, et vous
+montrer la jeune fille dont je vous ai déjà parlé.
+
+PREMIER SEIGNEUR.--Mais vous me disiez qu'elle était honnête.
+
+BERTRAND.--C'est là son défaut; je ne lui ai encore parlé qu'une fois,
+et je l'ai trouvée extraordinairement froide: je lui ai envoyé, par ce
+même fat que nous avons sous le vent, des présents et des lettres
+qu'elle a renvoyés; et voilà tout ce que j'ai fait jusqu'ici. C'est une
+belle créature. Voulez-vous la venir voir?
+
+PREMIER SEIGNEUR.--De tout mon coeur, seigneur.
+
+(Ils sortent.)
+
+
+
+SCÈNE VII
+
+
+Florence,--Une chambre dans la maison de la veuve.
+
+_Entrent_ HÉLÈNE, LA VEUVE.
+
+HÉLÈNE.--Si vous doutez encore que je sois sa femme, je ne sais plus
+comment vous donner d'autres preuves, à moins de détruire les fondements
+de mon entreprise.
+
+LA VEUVE.--Quoique j'aie perdu ma fortune, je suis bien née, et je ne
+connais rien à ces sortes d'affaires, et je ne voudrais pas aujourd'hui
+ternir ma réputation par une action honteuse.
+
+HÉLÈNE.--Je ne voudrais pas non plus vous y exposer. Croyez d'abord que
+le comte est mon époux, et que tout ce que je vous ai confié sous la foi
+du secret est vrai de point en point. D'après cela, vous voyez que vous
+ne pouvez faire un crime en me prêtant le bon secours que je vous
+demande.
+
+LA VEUVE.--Il faut bien vous croire, car vous m'avez donné des preuves
+convaincantes que vous jouissez d'une grande fortune.
+
+HÉLÈNE.--Prenez cette bourse d'or, et laissez-moi acheter à ce prix les
+secours de votre amitié, que je récompenserai encore quand je l'aurai
+éprouvée. Le comte courtise votre fille; il fait le siège libertin de sa
+beauté, résolu de s'en rendre maître. Qu'elle consente maintenant à se
+laisser diriger par nous sur la manière dont elle doit se conduire. Son
+sang bouillonne, et il ne lui refusera rien de ce qu'elle lui demandera.
+Le comte porte un anneau qui a passé dans sa maison de père en fils,
+depuis quatre ou cinq générations: cet anneau est d'un grand prix à ses
+yeux; mais dans son ardeur insensée pour obtenir ce qu'il veut, le
+sacrifice ne lui paraîtra pas trop grand, bien qu'il puisse s'en
+repentir ensuite.
+
+LA VEUVE.--Je vois à présent le but que vous vous proposez.
+
+HÉLÈNE.--Vous voyez donc combien il est légitime. Je désire seulement
+que votre fille lui demande cet anneau, avant de faire semblant de se
+rendre à ses instances; qu'elle lui assigne un rendez-vous; enfin
+qu'elle me laisse à sa place employer le temps pendant qu'elle sera
+chastement absente: et après j'ajouterai pour sa dot trois mille
+couronnes d'or à ce qui s'est déjà passé entre nous.
+
+LA VEUVE.--J'y consens. Instruisez maintenant ma fille de la manière
+dont elle doit se conduire pour que l'heure et le lieu, tout s'accorde
+dans cette innocente supercherie. Toutes les nuits il vient avec des
+instruments de toute espèce, et des chansons qu'il a composées pour son
+peu de mérite; il ne nous sert de rien de l'écarter de nos fenêtres; il
+s'obstine à y rester, comme si sa vie en dépendait.
+
+HÉLÈNE.--Eh bien! dès ce soir il faut tenter notre stratagème. S'il
+réussit, ce sera une mauvaise intention attachée à une action légitime
+et une action vertueuse dans une action légitime; ni l'un ni l'autre ne
+pécheront: et cependant il y aura un péché de commis[29]. Mais allons
+nous en occuper.
+
+(Elles sortent.)
+
+[Note 29: Un crime d'intention de la part de Bertrand.]
+
+FIN DU TROISIÈME ACTE.
+
+
+
+
+ACTE QUATRIÈME
+
+
+
+SCÈNE I
+
+
+Aux alentours du camp florentin.
+
+_Un des_ SEIGNEURS FRANÇAIS _entre sur la scène, suivi de cinq ou six_
+SOLDATS _qui se mettent en embuscade_.
+
+LE CAPITAINE.--Il ne peut venir par d'autre chemin que par le coin de
+cette haie. Lorsque vous fondrez sur lui, servez-vous des termes les
+plus terribles que vous voudrez; quand vous ne vous entendriez pas
+vous-mêmes, peu importe; car il faut que nous fassions semblant de ne
+pas le comprendre, excepté un de nous, que nous produirons comme
+interprète.
+
+UN SOLDAT.--Mon bon capitaine, laissez-moi être l'interprète.
+
+LE CAPITAINE.--N'es-tu pas connu de lui? Ne connaît-il pas ta voix?
+
+LE SOLDAT.--Non, monsieur, je vous le garantis.
+
+LE CAPITAINE.--Mais quel jargon nous parleras-tu?
+
+LE SOLDAT.--Celui que vous me parlerez.
+
+LE CAPITAINE.--Il faut qu'il nous prenne pour quelque bande d'étrangers
+à la solde de l'ennemi. N'oublions pas qu'il a une teinture de tous les
+langages des pays voisins: ainsi, il faut que chacun de nous parle un
+jargon à sa fantaisie, sans savoir ce que nous nous dirons l'un à
+l'autre. Tout ce que nous devons bien savoir, c'est le projet que nous
+avons en tête. Croassement de corbeau, ou tout autre babil, sera bon de
+reste.--Quant à vous, monsieur l'interprète, il faut que vous sachiez
+bien dissimuler.--Mais, ventre à terre! le voici qui vient, pour passer
+deux heures à dormir, et retourner ensuite débiter et jurer les
+mensonges qu'il forge.
+
+(Entre Parolles.)
+
+PAROLLES.--Dix heures! dans trois heures d'ici, il sera assez temps de
+retourner au quartier. Qu'est-ce que je dirai que j'ai fait? Il faut que
+ce soit quelque invention plausible pour se faire croire: on commence à
+me dépister, et les disgrâces ont dernièrement frappé trop souvent à ma
+porte. Je trouve que ma langue est trop téméraire: mais mon coeur a
+toujours devant les yeux la crainte de Mars et de ses enfants, et il ne
+soutient pas ce que hasarde ma langue.
+
+LE CAPITAINE, _à part_.--Voilà la première vérité dont ta langue se soit
+jamais rendue coupable.
+
+PAROLLES.--Quel diable m'engageait à entreprendre la reprise de ce
+tambour, en connaissant l'impossibilité, et sachant que je n'en avais
+nulle envie?--Il faut que je me fasse moi-même quelques blessures, et
+que je dise que je les ai reçues dans l'action; mais de légères
+blessures ne suffiraient pas pour persuader. Ils diront: «Quoi! vous en
+êtes échappé à si bon marché?»--Et de grandes blessures, je n'ose pas me
+les faire. Pourquoi? quelle preuve aura-t-on?--Ma langue, il faut que je
+vous mette dans la bouche d'une marchande de beurre, et que j'en achète
+une autre à la mule de Bajazet[30], si votre babil me jette dans les
+dangers.
+
+[Note 30: Quelques-uns lisent _mute_ pour traduire par muet du sérail.]
+
+LE CAPITAINE, _à part_.--Est-il possible qu'il sache ce qu'il est, et
+qu'il soit ce qu'il est?
+
+PAROLLES.--Je voudrais qu'il me suffît de mettre mon habit en lambeaux,
+ou de briser mon épée espagnole.
+
+LE CAPITAINE, _à part_.--Ce moyen ne peut pas aller.
+
+PAROLLES.--Ou de griller ma barbe; et puis de dire que cela faisait
+partie du stratagème.
+
+LE CAPITAINE.--Cela ne vaut pas mieux.
+
+PAROLLES.--Ou de noyer mes habits, et puis de dire que j'ai été
+dépouillé.
+
+LE CAPITAINE.--Cela ne peut guère servir.
+
+PAROLLES.--Quand je jurerais que j'ai sauté par une fenêtre de la
+citadelle...
+
+LE CAPITAINE, _à part_.--De quelle hauteur?
+
+PAROLLES, _continuant_.--Trente brasses.
+
+LE CAPITAINE.--Trois gros serments auraient encore peine à persuader
+cela.
+
+PAROLLES.--Je voudrais avoir quelque tambour des ennemis, et alors je
+jurerais que c'est le même que j'ai repris.
+
+LE CAPITAINE, _à part_.--Tu vas en entendre retentir un tout à l'heure.
+
+(Un tambour bat.)
+
+PAROLLES, _étonné_.--Un tambour des ennemis!
+
+LE CAPITAINE _fondant sur lui avec sa troupe.--Thraca movousus, cargo,
+cargo, cargo!_
+
+TOUS ENSEMBLE.--_Cargo, cargo! villanda par corbo, cargo!_
+
+PAROLLES.--Oh! rançon, rançon!--Ne me bandez pas les yeux.
+
+(Ils le saisissent et lui bandent les yeux.)
+
+L'INTERPRÈTE.--_Boskos thromuldo boskos._
+
+PAROLLES.--Oui, je sais que vous êtes du régiment de Muskos, et je
+perdrai la vie faute de savoir cette langue. S'il est parmi vous quelque
+Allemand, quelque Danois, quelque Bas-Hollandais, Italien ou Français,
+qu'il me parle; je lui découvrirai des secrets qui perdront les
+Florentins.
+
+L'INTERPRÈTE.--_Boskos vauvado_... Je t'entends, et je puis parler ta
+langue. _Kerely bonto_: songe à ta religion; car dix-sept poignards sont
+pointés contre ton sein.
+
+PAROLLES.--Oh!
+
+L'INTERPRÈTE.--Oh! ta prière, ta prière!--_Mancha revania dulche._
+
+LE CAPITAINE.--_Oschorbi dulchos volivorca._
+
+L'INTERPRÈTE.--Le général veut bien t'épargner encore, et, les yeux
+ainsi bandés, il te fera conduire pour recueillir de toi tes secrets:
+peut-être pourras-tu apprendre quelque chose qui te sauvera la vie.
+
+PAROLLES.--Oh! laissez-moi vivre et je vous dévoilerai tous les secrets
+du camp, leurs forces, leurs desseins: oui, je vous dirai des choses qui
+vous étonneront.
+
+L'INTERPRÈTE.--Mais le feras-tu fidèlement?
+
+PAROLLES.--Si je ne le fais pas, que je sois damné!
+
+L'INTERPRÈTE.--_Acordo linta._ Avance; on te permet de marcher.
+
+(Il sort avec Parolles.)
+
+LE CAPITAINE, _à l'un d'eux_.--Va dire au comte de Roussillon et à mon
+frère que nous avons pris la bécasse, et que nous la tiendrons
+enveloppée jusqu'à ce que nous ayons de leurs nouvelles.
+
+LE SOLDAT.--Capitaine, j'y vais.
+
+LE CAPITAINE.--Il nous trahira tous, en nous parlant à
+nous-mêmes.--Dis-leur cela.
+
+LE SOLDAT.--Je n'y manquerai pas, capitaine.
+
+LE CAPITAINE.--Jusqu'alors je le tiendrai dans les ténèbres, et bien
+enfermé.
+
+(Ils sortent.)
+
+
+
+SCÈNE II
+
+
+Florence.--Appartement de la maison de la veuve.
+
+_Entrent_ BERTRAND, DIANE.
+
+BERTRAND.--On m'a dit que votre nom était _Fontibel_.
+
+DIANE.--Non, mon brave seigneur, c'est _Diane_.
+
+BERTRAND.--Vous portez le nom d'une déesse, et vous méritez mieux
+encore: mais, âme céleste, l'amour n'a-t-il aucune place dans votre
+belle personne? Si la vive flamme de la jeunesse n'échauffe pas votre
+coeur, vous n'êtes pas une jeune fille, mais une statue. Quand vous
+serez morte, vous serez ce que vous êtes à présent; car vous êtes froide
+et insensible, et à présent vous devriez être telle qu'était votre mère
+lorsque votre être charmant fut engendré.
+
+DIANE.--Elle ne cessa pas d'être honnête alors.
+
+BERTRAND.--Vous le seriez aussi.
+
+DIANE.--Non; ma mère ne fit que remplir un devoir, le devoir, seigneur,
+que vous devez à votre épouse.
+
+BERTRAND.--Ne parlons pas de cela.--Je vous en prie, ne luttez pas
+contre mes serments: j'ai été uni à elle par contrainte; mais vous, je
+vous aime par la douce contrainte de l'amour, et je vous rendrai
+toujours tous les services auxquels vous aurez droit.
+
+DIANE.--Oui, vous êtes à notre service jusqu'à ce que nous vous ayons
+servi; mais lorsqu'une fois vous avez nos roses, vous nous laissez
+seulement les épines pour nous déchirer, et vous insultez à notre
+stérilité.
+
+BERTRAND.--Combien ai-je fait de serments!...
+
+DIANE.--Ce n'est pas le nombre des serments qui fait la vérité, mais un
+voeu simple et sincère fait avec vérité. Nous n'attestons jamais ce qui
+n'est pas sacré, mais nous jurons par le Très-Haut. Dites-moi, je vous
+prie, si je jurais par les attributs suprêmes de Jupiter que je vous
+aime tendrement, en croiriez-vous mes serments, quand je vous aimerais
+mal? Jurer à quelqu'un qu'on l'aime est un serment sans foi et sans
+solidité, lorsqu'on ne jure que pour lui faire un outrage. Ainsi vos
+serments ne sont que des paroles et de frivoles protestations qui ne
+portent aucun sceau, du moins suivant mon opinion.
+
+BERTRAND.--Changez, changez d'opinion. Ne soyez pas si saintement
+cruelle: l'amour est saint, et jamais ma sincérité ne connut l'artifice
+dont vous accusez les hommes. Ne vous éloignez plus, mais rendez-vous au
+désir de mon coeur, qui se ranimera alors. Dites que vous êtes à moi, et
+ce qu'est mon amour au commencement, il le sera toujours.
+
+DIANE.--Je vois que les hommes, dans ces sortes de difficultés,
+fabriquent des cordes que nous laissons bientôt aller
+nous-mêmes.--Donnez-moi cet anneau.
+
+BERTRAND.--Je vous le prêterai, ma chère; mais il n'est pas en mon
+pouvoir de le donner sans retour.
+
+DIANE.--Vous ne voulez pas me le donner, seigneur?
+
+BERTRAND.--C'est un gage d'honneur qui appartient à notre maison, et qui
+m'a été légué par de nombreux ancêtres: ce serait une grande honte pour
+moi dans le monde que de le perdre.
+
+DIANE.--Mon honneur ressemble à votre anneau: ma chasteté est le joyau
+de notre maison, qui m'a été transmis par de nombreux ancêtres, et ce
+serait une grande honte pour moi dans le monde que de le perdre: ainsi,
+votre propre prudence amène l'honneur pour me servir de champion contre
+vos vaines attaques.
+
+BERTRAND.--Tenez, prenez mon anneau. Que ma maison, mon honneur, ma vie
+même soient à vous, et je vous serai soumis.
+
+DIANE.--Quand il sera minuit, frappez à la fenêtre de ma chambre. Je
+prendrai mes précautions pour que ma mère n'entende rien.--Maintenant je
+vous recommande, sous la foi sacrée de la vérité, lorsque vous aurez
+conquis mon lit encore vierge, de n'y rester qu'une heure et de ne pas
+me parler. J'en ai les plus fortes raisons; vous les saurez ensuite,
+lorsque cette bague vous sera rendue; et dans la nuit je mettrai à votre
+doigt un autre anneau qui, dans la suite des temps, pourra attester à
+l'avenir notre union passée. Adieu, jusqu'alors: n'y manquez pas. Vous
+avez conquis en moi une épouse, quoique toutes mes espérances de ce côté
+soient perdues.
+
+BERTRAND.--J'ai conquis le ciel sur la terre en vous recherchant.
+
+(Il sort.)
+
+DIANE.--Puisses-tu vivre longtemps pour remercier le ciel et moi! tu
+pourrais bien finir par là.--Ma mère m'avait instruite de la manière
+dont il me ferait sa cour, comme si elle eût été dans son coeur: elle
+dit que tous les hommes font les mêmes serments: il avait juré de
+m'épouser quand sa femme serait morte, et moi je coucherai avec lui
+quand je serai ensevelie. Puisque les Français sont si trompeurs, se
+marie qui voudra; je veux vivre et mourir vierge; et je ne crois pas que
+ce soit un péché de tromper, sous ce déguisement, un homme qui voulait
+me séduire.
+
+(Elle sort.)
+
+
+
+SCÈNE III
+
+
+Le camp florentin.
+
+_Entrent_ LES DEUX SEIGNEURS FRANÇAIS, _avec deux ou trois soldats_.
+
+PREMIER OFFICIER.--Vous ne lui avez pas donné la lettre de sa mère?
+
+SECOND OFFICIER.--Je la lui ai remise il y a une heure: il y a dedans
+quelque chose qui a fait une vive impression sur son âme, car en la
+lisant il est presque devenu tout d'un coup un autre homme.
+
+PREMIER OFFICIER.--Il s'est attiré un juste blâme en repoussant une si
+bonne femme, une si aimable dame.
+
+SECOND OFFICIER.--Il a surtout encouru la disgrâce éternelle du roi,
+dont la générosité eût fait si volontiers son bonheur[31]. Je vous dirai
+quelque chose, mais vous la tiendrez secrète.
+
+[Note 31: _Who had ever tuned his bounty to sing happiness to him._ Mot
+à mot: «Qui avait mis pour lui sa bonté sur l'air du bonheur.»]
+
+PREMIER OFFICIER.--Quand vous l'aurez dite, elle est morte, et j'en suis
+le tombeau.
+
+SECOND OFFICIER.--Il a séduit ici, dans Florence, une jeune demoiselle
+de très-chaste renommée, et cette nuit même il assouvit sa passion sur
+les ruines de son honneur: il lui a donné son anneau de famille, et il
+se croit heureux d'avoir réussi dans ce pacte coupable.
+
+PREMIER OFFICIER.--Que Dieu diffère notre révolte! Ce que nous sommes
+quand nous sommes abandonnés à nous-mêmes!
+
+SECOND OFFICIER.--De vrais traîtres à nous-mêmes. Et comme dans le cours
+ordinaire de toutes les trahisons, nous les voyons toujours se révéler
+elles-mêmes à mesure qu'elles avancent vers leur infâme but; c'est ainsi
+que celui qui, par cette action, conspire contre son propre honneur,
+laisse déborder lui-même le torrent.
+
+PREMIER OFFICIER.--N'est-ce pas un crime damnable d'être les hérauts de
+nos desseins criminels?--Nous n'aurons donc pas sa compagnie ce soir?
+
+SECOND OFFICIER.--Non, jusqu'après minuit, car sa ration est d'une
+heure.
+
+PREMIER OFFICIER.--Elle s'avance à grands pas.--Je voudrais bien qu'il
+entendît anatomiser son compagnon, afin qu'il pût avoir la mesure de son
+jugement, où il avait si précieusement établi cette fausse monnaie.
+
+SECOND OFFICIER.--Nous ne nous occuperons pas de lui jusqu'à ce qu'il
+vienne, car sa présence doit être le jouet de l'autre.
+
+PREMIER OFFICIER.--En attendant, qu'entendez-vous dire de cette guerre?
+
+SECOND OFFICIER.--J'entends dire qu'il y a une ouverture de paix.
+
+PREMIER OFFICIER.--Et même, je vous l'assure, une paix conclue.
+
+SECOND OFFICIER.--Que va donc faire le comte de Roussillon?
+Voyagera-t-il, ou retournera-t-il en France?
+
+PREMIER OFFICIER.--Je vois bien par cette question que vous n'êtes pas
+dans sa confidence.
+
+SECOND OFFICIER.--Dieu m'en préserve, monsieur! car alors j'aurais
+grande part à ses actions.
+
+PREMIER OFFICIER.--Sa femme, il y a environ deux mois, a fui sa maison:
+son prétexte était d'aller faire un pèlerinage à Saint-Jacques-le-Grand;
+elle a accompli cette religieuse entreprise avec la piété la plus
+austère; la sensibilité de sa nature est devenue la proie de son
+chagrin; enfin, elle y a rendu les derniers soupirs, et maintenant elle
+chante dans le ciel.
+
+SECOND OFFICIER.--Sur quoi cette nouvelle est-elle appuyée?
+
+PREMIER OFFICIER.--En grande partie sur ses propres lettres, qui
+garantissent la vérité du récit jusqu'à l'instant de sa mort; et sa
+mort, qu'elle ne pouvait pas annoncer elle-même, est fidèlement
+confirmée par le curé du lieu.
+
+SECOND OFFICIER.--Le comte est-il instruit de cet événement?
+
+PREMIER OFFICIER.--Oui; et dans toutes ses particularités, de point en
+point, jusqu'à la plus parfaite certitude de la vérité.
+
+SECOND OFFICIER.--Je suis bien fâché qu'il soit joyeux de cela.
+
+PREMIER OFFICIER.--Comme nous nous empressons quelquefois de nous
+réjouir de nos pertes!
+
+SECOND OFFICIER.--Et comme nous nous empressons d'autres fois de noyer
+nos gains dans les larmes! L'honneur distingué que sa valeur s'est
+acquis ici va être accueilli dans sa patrie par une honte aussi grande.
+
+PREMIER OFFICIER.--La trame de notre vie est un tissu de bien et de mal:
+nos vertus seraient trop fières si nos fautes ne les châtiaient, et nos
+crimes seraient au désespoir s'ils n'étaient consolés par nos
+vertus.--Eh bien! où est votre maître?
+
+LE DOMESTIQUE.--Dans la rue il a rencontré le duc, dont il a pris
+solennellement congé: Sa Seigneurie va partir demain matin pour la
+France. Le duc lui a offert des lettres de recommandation pour le roi.
+
+SECOND OFFICIER.--Elles ne sont rien moins que nécessaires, quand la
+recommandation serait encore plus forte qu'elle ne peut l'être.
+
+(Entre Bertrand.)
+
+LE PREMIER OFFICIER, _répondant à l'autre_.--En effet, elles ne peuvent
+être trop flatteuses pour adoucir l'aigreur du roi.--Voici le comte qui
+s'avance.--Eh bien! comte, ne sommes-nous pas après minuit?
+
+BERTRAND.--J'ai, cette nuit, expédié seize affaires d'un mois de travail
+chacune, dont j'ai abrégé le succès: j'ai pris congé du duc, fait mes
+adieux à ses parents, enterré une femme, pris le deuil pour elle, écrit
+à madame ma mère que je reviens, préparé mes équipages et ma suite; et,
+entre les intervalles de ces diverses expéditions, j'ai pourvu à
+d'autres affaires plus délicates: la dernière était la plus importante,
+mais elle n'est pas encore finie.
+
+SECOND OFFICIER.--Si l'affaire présente quelque difficulté et que vous
+partiez d'ici ce matin, il faudra que Votre Seigneurie use de diligence.
+
+BERTRAND.--Je dis que l'affaire n'est pas finie, parce que j'ai quelque
+peur d'en entendre parler dans la suite.--Mais aurons-nous ce dialogue
+entre ce faquin et le soldat?--Allons, faites paraître devant nous ce
+prétendu modèle: il m'a trompé, comme un oracle à double sens.
+
+SECOND OFFICIER.--Qu'on l'amène. (_Les soldats sortent._) Le pauvre
+malheureux a passé toute la nuit dans les ceps.
+
+BERTRAND.--Il n'y a pas de mal à cela: ses talons l'ont bien mérité,
+pour avoir usurpé si longtemps les éperons[32]. Comment se
+comporte-t-il?
+
+[Note 32: On sait que les éperons étaient un des signes distinctifs du
+chevalier.]
+
+PREMIER OFFICIER.--J'ai déjà eu l'honneur de dire à Votre Seigneurie que
+ce sont les ceps qui le portent: mais, pour vous répondre dans le sens
+que vous entendez, il pleure comme une fille qui a répandu son lait; il
+s'est confessé à Morgan, qu'il croit être un religieux, depuis la
+première lueur de sa mémoire jusqu'à l'instant fatal où il a été mis
+dans les ceps. Et que croyez-vous qu'il a confessé?
+
+BERTRAND.--Rien qui me concerne, n'est-ce pas?
+
+SECOND OFFICIER.--On a écrit sa confession, et on la lira devant lui. Si
+Votre Seigneurie s'y rencontre, comme je le crois, il faut que vous ayez
+la patience de l'entendre.
+
+(Les soldats entrent conduisant Parolles les yeux bandés.)
+
+BERTRAND.--Que la peste l'étouffé! Comme il est affublé!--Il ne peut
+rien dire de moi. Silence, silence!
+
+PREMIER OFFICIER.--Voilà le colin-maillard qui vient. (_Haut._) _Porto
+tartarossa._
+
+L'INTERPRÈTE, _à Parolles_.--Le général demande les instruments de
+torture. Que voulez-vous dire dans cela?
+
+PAROLLES.--J'avouerai tout ce que je sais, sans qu'il soit besoin de
+contrainte. Quand vous me hacheriez comme chair à pâté, je ne pourrais
+rien dire de plus.
+
+L'INTERPRÈTE.--_Bosko chicurmurco._
+
+SECOND OFFICIER.--_Boblibindo chicurmurco._
+
+L'INTERPRÈTE, _à l'officier_.--Vous êtes un général miséricordieux. (_A
+Parolles._) Notre général vous ordonne de répondre à ce que je vais vous
+demander, d'après cet écrit.
+
+PAROLLES.--Et j'y répondrai avec vérité, comme j'espère vivre.
+
+L'INTERPRÈTE, _lisant un interrogatoire par écrit_.--_D'abord lui
+demander quelle est la force du duc en fait de chevaux._ Que
+répondez-vous à cela?
+
+PAROLLES.--Cinq ou six mille chevaux environ, mais affaiblis et hors de
+service: les troupes sont toutes dispersées, et les chefs sont de
+pauvres hères: c'est ce que je certifie sur ma réputation, et sur mon
+espoir de vivre.
+
+L'INTERPRÈTE.--Coucherai-je par écrit votre réponse?
+
+PAROLLES.--Oui, et j'en ferai serment comme il vous plaira.
+
+BERTRAND.--Oh! cela lui est bien égal! (_A part._) Quel misérable
+poltron!
+
+PREMIER OFFICIER, _à Bertrand, avec ironie_.--Vous vous trompez,
+seigneur. C'est monsieur Parolles; ce brave militaire (c'était là sa
+phrase ordinaire) qui portait toute la théorie de la guerre dans le
+noeud de son écharpe, et toute la pratique dans le fourreau de son
+poignard.
+
+SECOND OFFICIER.--Je ne me fierai jamais à un homme, parce qu'il aura
+soin de tenir son épée luisante; ni ne croirai qu'il possède tous les
+mérites, parce qu'il porte bien son uniforme.
+
+L'INTERPRÈTE, _à Parolles_.--Allons, la réponse est écrite.
+
+PAROLLES.--Oui, cinq ou six mille chevaux environ, comme je l'ai
+dit.--Je veux dire le nombre juste, ou à peu de chose près.
+Écrivez-le;--car je veux dire la vérité.
+
+PREMIER OFFICIER.--Il approche de la vérité là-dessus.
+
+BERTRAND.--Mais, vu la manière dont il le dit, je ne choisirai pas mes
+mots pour l'en remercier, vu la manière dont il l'a dit.
+
+PAROLLES.--De pauvres hères: je vous prie, écrivez-le.
+
+L'INTERPRÈTE.--Bon; cela est écrit.
+
+PAROLLES.--Je vous en remercie bien. La vérité est la vérité. Ce sont de
+bien pauvres hères!
+
+L'INTERPRÈTE, _lisant_.--_Lui demander quelle est la force de son
+infanterie._ (_A Parolles._) Que dites-vous de cela?
+
+PAROLLES.--Sur ma foi, monsieur, quand je n'aurais plus que cette heure
+à vivre, je dirai la vérité.--Voyons. Spurio, cent cinquante; Sébastien,
+autant; Corambus autant; Guiltian, Cosmo, Lodovick, et Gratii, deux cent
+cinquante chacun; ma compagnie, Chitopher, Vaumont, Bentii, chacun deux
+cent cinquante; en sorte que toute la troupe, tant sains que malades, ne
+monte pas, sur ma vie, à quinze mille hommes: et il y en a la moitié qui
+n'oseraient pas secouer la neige de leur pourpoint, de crainte de tomber
+eux-mêmes en morceaux.
+
+BERTRAND.--Que lui fera-t-on?
+
+PREMIER OFFICIER, _à Bertrand_.--Rien autre chose que de le remercier.
+(_A l'interprète._) Interrogez-le sur mon état, et sur le crédit dont je
+jouis près du duc.
+
+L'INTERPRÈTE, _à Parolles_.--Allons; cela est écrit. (_Lisant._) _Vous
+lui demanderez encore s'il y a dans le camp un certain capitaine
+Dumaine, un Français: quelle est sa réputation auprès du duc; quelles
+sont sa valeur, sa probité, et son expérience dans la guerre; ou s'il ne
+croit pas qu'il fût possible avec de bonnes sommes d'or de le corrompre
+et de l'engager à la révolte._ (_A Parolles_.) Que dites-vous de
+ceci? Qu'en savez-vous?
+
+PAROLLES.--Je vous en conjure, laissez-moi répondre en détail à ces
+questions: faites-moi les demandes séparément.
+
+L'INTERPRÈTE.--Connaissez-vous ce capitaine Dumaine?
+
+PAROLLES.--Je le connais: il était apprenti boucher à Paris, d'où il a
+été chassé à coups de fouet pour avoir donné un enfant à la servante du
+shérif[33], une pauvre innocente, muette, qui ne pouvait lui dire _non_.
+
+[Note 33: Shakspeare place un shérif à Paris; mais shérif veut dire ici
+prévôt.]
+
+(Dumaine, en colère, lève la main.)
+
+BERTRAND.--Allons, avec votre permission, tenez vos mains;--quoique je
+sache bien que sa cervelle soit vouée à la première tuile qui tombera.
+
+L'INTERPRÈTE.--Ce capitaine est-il dans le camp du duc de Florence?
+
+PAROLLES.--A ma connaissance, il y est: c'est un pouilleux.
+
+PREMIER OFFICIER, _à Bertrand qui le regarde_.--Allons, ne me
+considérez pas tant; nous entendrons parler tout à l'heure de Votre
+Seigneurie.
+
+L'INTERPRÈTE.--Quel cas en fait le duc?
+
+PAROLLES.--Le duc ne le connaît que pour un de mes mauvais officiers, et
+il m'écrivit l'autre jour de le renvoyer de la troupe: je crois que j'ai
+sa lettre dans ma poche.
+
+L'INTERPRÈTE.--Ma foi, nous allons l'y chercher.
+
+PAROLLES.--En conscience je ne sais pas: mais ou elle y est, ou elle est
+enfilée avec les autres lettres du duc, dans ma tente.
+
+L'INTERPRÈTE _le fouillant_.--La voici: voici un papier: vous le
+lirai-je?
+
+PAROLLES.--Je ne sais pas si c'est cela, ou non.
+
+BERTRAND, _à demi-voix_.--Notre interprète fait bien son rôle.
+
+PREMIER OFFICIER.--A merveille.
+
+L'INTERPRÈTE _lisant_.--_Diane.--Le comte est un fou, et chargé d'or..._
+
+PAROLLES.--Ce n'est pas la lettre du duc, monsieur: c'est un
+avertissement à une honnête fille de Florence, nommée Diane, de se
+défier des séductions d'un certain comte de Roussillon, un jeune et
+frivole étourdi, mais avec tout cela fort débauché.--Je vous en prie,
+monsieur, remettez cela dans ma poche.
+
+L'INTERPRÈTE.--Non: il faut d'abord que je le lise, avec votre
+permission.
+
+PAROLLES.--Mes intentions là-dedans, je le proteste, étaient fort
+honnêtes en faveur de cette jeune fille; car je connais le comte pour un
+jeune suborneur très-dangereux: c'est une baleine pour les vierges, qui
+dévore tout le fretin qu'elle rencontre.
+
+BERTRAND.--Maudit scélérat! double scélérat!
+
+L'INTERPRÈTE _lit la note_.--«Quand il prodigue les serments, dites-lui
+de laisser tomber de l'or, et prenez-le. Dès qu'il porte en compte, il
+ne paye jamais le compte. Un marché bien fait est à demi-gagné; faites
+donc un marché, et faites-le bien. Jamais il ne paye ses arriérés;
+faites-vous payer d'avance, et dites, Diane, qu'un soldat vous a dit
+cela. Il faut épouser les hommes, il ne faut pas embrasser les garçons;
+car comptez bien que le comte est étourdi: je sais, moi, qu'il payera
+bien d'avance, mais non pas quand il devra. Tout à vous, comme il vous
+le jurait à l'oreille.
+
+«Parolles.»
+
+BERTRAND.--Je veux qu'il soit fustigé à travers les rangs de l'armée,
+avec cet écrit sur le front.
+
+SECOND OFFICIER, _avec ironie_.--C'est votre ami dévoué, monsieur, ce
+savant polyglotte[34], ce soldat si puissant par les armes.
+
+[Note 34: _Linguist._]
+
+BERTRAND.--Je pouvais tout endurer auparavant, hormis un chat; et
+maintenant il est un chat pour moi.
+
+L'INTERPRÈTE, _à Parolles_.--Je m'aperçois, monsieur, aux regards de
+notre général, que nous aurions envie de vous pendre.
+
+PAROLLES.--La vie, monsieur, à quelque prix que ce soit; non pas que
+j'aie peur de mourir, mais uniquement parce que mes péchés étant en
+grand nombre, je voudrais m'en repentir le reste de mes jours.
+Laissez-moi vivre, monsieur, dans une prison, dans les fers, ou partout
+ailleurs, pourvu que je vive.
+
+L'INTERPRÈTE.--Nous verrons ce qu'il y aura à faire, pourvu que vos
+aveux soient francs: ainsi, revenons à ce capitaine Dumaine: vous avez
+déjà répondu sur l'opinion qu'en avait le duc, sur sa valeur aussi: et
+sa probité, qu'en dites-vous?
+
+PAROLLES.--Monsieur, il volerait un oeuf dans une abbaye[35]: pour les
+rapts et les enlèvements, il égale Nessus. Il fait profession de manquer
+à ses serments; et pour les rompre, il est plus fort qu'Hercule. Il vous
+mentira, monsieur, avec une si prodigieuse volubilité, qu'il vous ferait
+prendre la vérité pour une folle. L'ivrognerie est sa plus grande vertu;
+car il boira jusqu'à s'enivrer comme un porc; et dans son sommeil il ne
+fait guère de mal, si ce n'est aux draps qui l'enveloppent: mais on
+connaît ses habitudes, et on le couche sur la paille. Il me reste bien
+peu de chose à ajouter, monsieur, sur l'honnêteté, il a tout ce qu'un
+honnête homme ne doit pas avoir, et rien de ce que doit avoir un honnête
+homme.
+
+[Note 35: C'est-à-dire, il se ferait pendre pour un liard.]
+
+PREMIER OFFICIER.--Je commence à l'aimer pour ce qu'il dit de moi.
+
+BERTRAND.--Pour cette description de votre honnêteté? Que la peste
+l'étouffe pour ce qui me concerne, moi! Il devient de plus en plus un
+chat!
+
+L'INTERPRÈTE, _à Parolles_.--Que dites-vous de son expérience dans la
+guerre?
+
+PAROLLES.--En conscience, monsieur, il a battu le tambour devant les
+tragédiens anglais. Le calomnier, je ne le veux pas. Et je n'en sais pas
+davantage sur sa science militaire, excepté que dans ce pays-là il a eu
+l'honneur d'être officier dans un endroit qu'on appelle _Mile-end_[36],
+avec l'emploi d'apprendre à doubler les files[37]. Je voudrais lui faire
+tout l'honneur que je puis, mais je ne suis pas certain de ce fait.
+
+[Note 36: Hôpital et manufacture de Londres.]
+
+[Note 37: Équivoque sur _file_, fil d'archal et file de soldats.]
+
+PREMIER OFFICIER.--Il dépasse tellement la scélératesse ordinaire, que
+son caractère se rachète par la rareté.
+
+BERTRAND.--Que la peste l'étrangle! c'est toujours un chat.
+
+L'INTERPRÈTE, _à Parolles_.--Puisque vous faites si peu de cas de ses
+qualités, je n'ai pas besoin de vous demander si l'or pourrait le
+débaucher?
+
+PAROLLES.--Monsieur, pour un quart d'écu il vendra sa part de salut et
+son droit d'héritage dans le ciel; il renoncera à la substitution pour
+tous ses descendants et l'aliénera à perpétuité sans retour.
+
+L'INTERPRÈTE.--Et son frère, l'autre capitaine Dumaine?
+
+SECOND OFFICIER.--Pourquoi le questionne-t-il sur mon compte?
+
+L'INTERPRÈTE.--Répondez: qu'est-il?
+
+PAROLLES.--C'est un corbeau du même nid. Il n'est pas tout à fait aussi
+grand que l'autre en bonté, mais il l'est bien plus en méchanceté. Il
+surpasse son frère en lâcheté, et cependant son frère passe pour un des
+plus grands poltrons qu'il y ait; dans une retraite, il court mieux que
+le moindre valet; mais, ma foi, quand il faut charger, il est sujet aux
+crampes.
+
+L'INTERPRÈTE.--Si l'on vous fait grâce de la vie, entreprendrez-vous de
+trahir le Florentin?
+
+PAROLLES.--Oui, et le capitaine de sa cavalerie aussi, le comte de
+Roussillon.
+
+L'INTERPRÈTE.--Je vais le dire à l'oreille du général et savoir ses
+intentions.
+
+PAROLLES.--Je ne veux plus entendre de tambours: malédiction sur tous
+les tambours! C'était uniquement pour paraître rendre un service et pour
+en imposer à ce jeune débauché de comte que je me suis jeté dans le
+péril; et cependant qui aurait jamais soupçonné une embuscade là où j'ai
+été pris?
+
+L'INTERPRÈTE, _revenant à lui comme avec la réponse du général_.--Il n'y
+a point de remède, monsieur: il vous faut mourir. Le général dit que
+vous, qui avez si lâchement dévoilé les secrets de votre armée et fait
+de si indignes portraits d'officiers qui jouissent de la plus haute
+estime, vous n'êtes bon à rien dans le monde: ainsi il vous faut mourir.
+Allons, bourreau, abats-lui la tête.
+
+PAROLLES.--O mon Dieu! monsieur, laissez-moi la vie, ou laissez-moi du
+moins voir ma mort.
+
+L'INTERPRÈTE.--Vous allez la voir; et faites vos adieux à tous vos amis.
+(_Il lui ôte son bandeau._) Tenez, regardez autour de vous.
+Connaissez-vous quelqu'un ici?
+
+BERTRAND.--Bonjour, brave capitaine.
+
+SECOND OFFICIER.--Dieu vous bénisse, capitaine Parolles!
+
+PREMIER OFFICIER.--Dieu soit avec vous, noble capitaine!
+
+SECOND OFFICIER.--Capitaine, de quoi me chargez-vous pour le seigneur
+Lafeu? Je pars pour la France.
+
+PREMIER OFFICIER.--Digne capitaine, voulez-vous me donner une copie de
+ce sonnet que vous avez adressé à Diane en faveur du comte de
+Roussillon? Si je n'étais pas un poltron, je vous y forcerais: mais
+adieu, portez-vous bien.
+
+L'INTERPRÈTE.--Vous êtes perdu, capitaine: il n'y a plus rien en vous
+qui tienne encore que votre écharpe.
+
+PAROLLES.--Qui pourrait ne pas succomber sous un complot?
+
+L'INTERPRÈTE.--Si vous pouviez trouver un pays où il n'y eût que des
+femmes aussi déshonorées que vous, vous pourriez commencer une nation
+bien impudente. Adieu, je pars pour la France aussi; nous y parlerons de
+vous.
+
+(Ils sortent.)
+
+PAROLLES.--Eh bien! je suis encore reconnaissant. Si mon coeur était
+fier, il se briserait à cette aventure.--Je ne serai plus capitaine;
+mais je veux manger et boire et dormir aussi à mon aise qu'un capitaine.
+Ce que je suis encore me fera vivre. Que celui qui se connaît pour un
+fanfaron tremble à ce dénoûment, car il arrivera que tout fanfaron sera
+convaincu à la fin d'être un âne. Va te rouiller, mon épée; ne rougissez
+plus, mes joues; et toi, Parolles, vis en sûreté dans ta honte. Puisque
+tu es dupé, prospère par la duperie; il y a de la place et des
+ressources pour tout le monde, je vais les chercher.
+
+
+
+SCÈNE IV
+
+
+A Florence.--Une chambre dans la maison de la veuve.
+
+_Entrent_ HÉLÈNE, LA VEUVE, DIANE.
+
+HÉLÈNE.--Afin de vous convaincre que je ne vous ai pas fait d'injure, un
+des plus grands princes du monde chrétien sera ma caution; il faut
+nécessairement qu'avant d'accomplir mes desseins je me prosterne devant
+son trône. Il fut un temps où je lui rendis un service important,
+presque aussi cher que sa vie; un service, dont la reconnaissance
+pénétrerait le sein de pierre du Tartare même pour en faire sortir des
+remerciements. Je suis informée que Sa Majesté est à Marseille, et nous
+avons un cortége convenable pour nous conduire dans cette ville. Il faut
+que vous sachiez que l'on me croit morte. L'armée étant licenciée, mon
+mari retourne chez lui, et, avec le secours du ciel et l'agrément du roi
+mon bon maître, nous y serons rendues avant notre hôte.
+
+LA VEUVE.--Douce dame, jamais vous n'avez eu de serviteur qui se soit
+chargé avec plus de zèle de vos affaires.
+
+HÉLÈNE.--Ni vous, madame, n'avez eu d'ami dont les pensées travaillent
+avec plus d'ardeur à récompenser votre affection: ne doutez pas que le
+ciel ne m'ait conduite chez vous pour assurer la dot de votre fille,
+comme il l'a destinée à être mon appui et mon moyen pour gagner mon
+mari. Mais que les hommes sont étranges de pouvoir user avec tant de
+plaisir de ce qu'ils détestent, lorsque, se fiant imprudemment à leurs
+pensées déçues, ils souillent la nuit sombre! Ainsi, la débauche se
+repaît de l'objet de ses dégoûts à la place de ce qui est absent. Mais
+nous parlerons plus tard de cela.--Vous, Diane, il vous faudra souffrir
+encore pour moi quelque chose, sous là direction de mes faibles
+instructions.
+
+DIANE.--Que l'honneur et la mort s'accordent ensemble dans ce que vous
+m'imposerez, et je suis à vous pour souffrir ce que vous voudrez.
+
+HÉLÈNE.--Cependant je vous prie... Mais bientôt le temps amènera la
+saison de l'été, où les églantiers auront des feuilles aussi bien que
+des épines, et seront aussi charmants qu'ils sont piquants. Il faut que
+nous partions; notre voiture est prête, et le temps nous presse. _Tout
+va bien qui finit bien._ La fin est la couronne des entreprises; quelle
+que soit la carrière, c'est la fin qui en décide la gloire.
+
+(Elles sortent.)
+
+
+
+SCÈNE V
+
+
+En Roussillon.--Appartement dans le palais de la comtesse.
+
+_Entrent_ LA COMTESSE, LAFEU, LE BOUFFON.
+
+LAFEU.--Non, non; votre fils a été égaré par un faquin en taffetas, dont
+l'infâme safran vous teindrait de cette couleur toute la molle et
+flexible jeunesse d'une nation. Sans ceci, votre belle-fille vivrait
+encore, et votre fils, qui est ici en France, serait bien plus avancé
+par le roi sans ce bourdon à queue bigarrée.
+
+LA COMTESSE.--Je voudrais bien ne l'avoir jamais connu, il a tué la plus
+vertueuse femme dont la création ait fait l'honneur à la nature. Quand
+elle aurait été de mon sang et qu'elle m'eût coûté les tendres
+gémissements d'une mère, jamais ma tendresse pour elle n'eût pu être
+plus profonde.
+
+LAFEU.--C'était une bonne dame: nous pouvons bien cueillir mille salades
+avant d'y retrouver une herbe pareille.
+
+LE BOUFFON.--Oh! oui, monsieur; elle était ce qu'est la douce marjolaine
+dans une salade, ou plutôt l'_herbe de grâce_[38].
+
+[Note 38: _La rue._]
+
+LAFEU.--Ce ne sont pas là des herbes à salade, faquin, ce sont dès
+herbes pour le nez.
+
+LE BOUFFON.--Je ne suis pas un grand Nabuchodonosor, monsieur; je ne me
+connais pas beaucoup en herbes.
+
+LAFEU.--Qui fais-tu profession d'être? coquin ou fou?
+
+LE BOUFFON.--Fou, monsieur, au service d'une femme, et coquin au service
+d'un homme.
+
+LAFEU.--Que veut dire cette distinction?
+
+LE BOUFFON.--Je voudrais escamoter à un homme sa femme et faire son
+service.
+
+LAFEU.--Comme cela, vraiment, tu serais un coquin à son service.
+
+BOUFFON.--Et je donnerais à sa femme ma marotte[39] pour faire son
+service.
+
+[Note 39: Court bâton surmonté d'une tête; c'était le sceptre des fous.]
+
+LAFEU.--Allons, j'en conviens, tu es à la fois un coquin et un fou.
+
+LE BOUFFON.--A votre service.
+
+LAFEU.--Non, non, non.
+
+LE BOUFFON.--Eh bien! monsieur, si je ne vous sers pas, je puis servir
+un aussi grand prince que vous.
+
+LAFEU.--Qui est-ce? Est-ce un Français?
+
+LE BOUFFON.--Ma foi, monsieur, il a un nom anglais, mais sa physionomie
+est plus chaude[40] en France qu'en Angleterre.
+
+[Note 40: Allusion à la maladie française, _Morbus gallicus_.]
+
+LAFEU.--Quel est ce prince?
+
+LE BOUFFON.--Le prince noir, monsieur: _Alias_, le prince des ténèbres;
+_Alias_, le diable.
+
+LAFEU.--Arrête-là, voilà ma bourse. Je ne te la donne pas pour te
+débaucher du service du maître dont tu parles: continue de le servir.
+
+LE BOUFFON.--Je suis né dans un pays de bois, monsieur, et j'ai toujours
+aimé un grand feu, et le maître dont je parle entretient toujours bon
+feu. Mais puisqu'il est le prince du monde, que sa noblesse se tienne à
+sa cour. Je suis, moi, pour la maison à porte étroite, que je crois trop
+petite pour que la pompe puisse y passer; quelques personnes qui
+s'humilient le pourront; mais le grand nombre sera trop frileux et trop
+délicat, et ils préféreront le chemin fleuri qui conduit à la porte
+large et au grand brasier.
+
+LAFEU.--Va ton chemin: je commence à être las de toi, et je t'en
+préviens d'avance, parce que je ne voudrais pas me disputer avec toi.
+Va-t'en; veille à ce qu'on ait bien soin de mes chevaux sans tour de ta
+façon.
+
+LE BOUFFON.--Si je leur joue quelques tours, ce ne seront jamais que des
+tours de rosse; ce qui est leur droit par la loi de nature.
+
+(Il sort.)
+
+LAFEU.--Un rusé coquin, un mauvais drôle!
+
+LA COMTESSE.--C'est vrai. Feu mon seigneur s'en divertissait beaucoup.
+C'est par sa volonté qu'il reste ici, et il s'en autorise pour se
+permettre ses impertinences. Et en effet, il n'a aucune marche réglée:
+il court où il veut.
+
+LAFEU.--Il me plaît beaucoup; ses bouffonneries ne sont pas hors de
+saison.--J'allais vous dire que depuis que j'ai appris la mort de cette
+bonne dame, et que monseigneur votre fils était sur le point de revenir
+chez lui, j'ai prié le roi mon maître de parler en faveur de ma fille:
+c'est Sa Majesté qui, gracieusement, m'en fit elle-même la première
+proposition, lorsque tous les deux étaient encore mineurs. Le roi m'a
+promis de l'effectuer; et pour éteindre le ressentiment qu'il a conçu
+contre votre fils, il n'y a pas de meilleur moyen. Votre Seigneurie
+goûte-t-elle cela?
+
+LA COMTESSE.--J'en suis très-satisfaite, seigneur, et je désire que cela
+s'accomplisse heureusement.
+
+LAFEU.--Sa Majesté revient en poste de Marseille avec un corps aussi
+vigoureux que lorsqu'elle ne comptait que trente ans; elle sera ici
+demain, ou je suis trompé par un homme qui m'a rarement induit en erreur
+dans ces sortes d'avis.
+
+LA COMTESSE.--J'ai bien de la joie d'espérer le revoir encore avant de
+mourir. J'ai des lettres qui m'annoncent que mon fils sera ici ce soir.
+Je conjure Votre Seigneurie de rester avec moi jusqu'à ce qu'ils se
+soient rencontrés.
+
+LAFEU.--Madame, j'étais occupé à songer de quelle manière je pourrais
+être admis en sa présence.
+
+LA COMTESSE.--Vous n'avez besoin, monsieur, que de faire valoir vos
+droits honorables.
+
+LAFEU.--Madame, j'en ai fait un usage bien téméraire, mais je rends
+grâces à Dieu de ce qu'ils durent encore.
+
+(Le bouffon revient.)
+
+LE BOUFFON.--Oh! madame, voilà monseigneur votre fils avec un morceau de
+velours sur la figure; s'il y a ou non une cicatrice dessous, le velours
+le sait: mais c'est un fort beau morceau de velours: sa joue gauche est
+une joue de première qualité, mais il porte sa joue droite toute nue.
+
+LA COMTESSE.--Une noble blessure, une blessure noblement gagnée est une
+belle livrée d'honneur: il y a apparence qu'elle est de cette espèce.
+
+LE BOUFFON.--Mais c'est une figure qui a l'air d'être grillée.
+
+LAFEU.--Allons voir votre fils, je vous prie. J'ai hâte de causer avec
+ce jeune et noble soldat.
+
+LE BOUFFON.--Ma foi, ils sont une douzaine en élégants et fins chapeaux,
+avec de galantes plumes qui s'inclinent et font la révérence à tout le
+monde.
+
+(Tous sortent.)
+
+FIN DU QUATRIÈME ACTE.
+
+
+
+
+ACTE CINQUIÈME
+
+
+
+SCÈNE I
+
+
+Marseille.--Une rue.
+
+_Entrent_ HÉLÈNE, LA VEUVE, DIANE, _et deux domestiques_.
+
+HÉLÈNE.--Certainement vous devez être excédée de courir ainsi la poste
+jour et nuit: nous ne pouvons faire autrement; mais puisque vous avez
+déjà sacrifié tant de jours et de nuits, et fatigué vos membres délicats
+pour me rendre service, soyez-en sûre, vous êtes si profondément
+enracinée dans ma reconnaissance, que rien ne saurait vous en
+arracher.--Dans des temps plus heureux... (_Entre un officier de la
+fauconnerie_[41].) Ce gentilhomme pourrait peut-être m'obtenir une
+audience du roi, s'il voulait employer son crédit.--Dieu vous garde,
+monsieur.
+
+[Note 41: _stringer_, dérivé d'_ostercus_.]
+
+LE GENTILHOMME.--Et vous aussi, madame.
+
+HÉLÈNE.--Monsieur, je vous ai vu à la cour de France.
+
+LE GENTILHOMME.--J'y ai passé quelque temps.
+
+HÉLÈNE.--Je pense, monsieur, que vous n'êtes pas déchu de la réputation
+d'être obligeant; c'est pourquoi, poussée par une nécessité
+très-pressante qui met de côté les compliments, je vous mets à même de
+faire usage de vos vertus, et je vous en serai éternellement
+reconnaissante.
+
+LE GENTILHOMME.--Que désirez-vous?
+
+HÉLÈNE.--Que vous ayez la bonté de donner ce petit mémoire au roi et de
+vouloir bien m'aider de tout votre crédit pour obtenir la faveur de lui
+être présentée.
+
+LE GENTILHOMME.--Le roi n'est point ici.
+
+HÉLÈNE.--Il n'est point ici, monsieur?
+
+LE GENTILHOMME.--Non, en vérité. Il est parti d'ici hier au soir, et
+avec plus de précipitation qu'il n'a coutume.
+
+LA VEUVE.--Grand Dieu! toutes nos peines sont perdues!
+
+HÉLÈNE.--_Tout est bien qui finit bien_, quoique le sort nous paraisse
+si contraire et les moyens si défavorables. (_Au gentilhomme._) De
+grâce, où est-il allé?
+
+LE GENTILHOMME.--Vraiment, à ce que j'ai entendu dire, il est parti pour
+le Roussillon, où je vais aussi.
+
+HÉLÈNE.--Je vous en conjure, monsieur, comme probablement vous verrez le
+roi avant moi, de remettre ce petit mémoire entre les mains de Sa
+Majesté; j'espère que vous n'en recevrez aucun blâme et que vous serez,
+au contraire, bien aise de la peine que vous aurez prise. J'arriverai
+après vous avec toute la diligence qu'il nous sera possible de faire.
+
+LE GENTILHOMME.--Je ferai cela pour vous obliger.
+
+HÉLÈNE.--Et vous verrez qu'on vous en remerciera bien, sans ce qui
+pourra en arriver de plus.--Il nous faut remonter à cheval. (_A sa
+suite._) Allez, allez, faites vite tout préparer.
+
+(Elles sortent.)
+
+
+
+SCÈNE II
+
+
+La scène est en Roussillon.--Une cour intérieure dans le palais de la
+comtesse.
+
+_Entrent_ LE BOUFFON, PAROLLES.
+
+PAROLLES.--Mon cher monsieur Lavatch, donnez cette lettre à monseigneur
+Lafeu. J'ai autrefois, monsieur, été mieux connu de vous quand j'étais
+revêtu d'habits plus frais; mais aujourd'hui je suis tombé dans le fossé
+de la Fortune, et j'exhale une forte odeur de sa cruelle disgrâce.
+
+LE BOUFFON.--Ma foi, les disgrâces de la fortune sont bien mal tenues,
+si tu sens aussi fort que tu le dis. Je ne veux plus désormais manger de
+poisson au beurre de la Fortune. Je te prie, mets-toi au-dessous du
+vent.
+
+PAROLLES.--Oh! vous n'avez pas besoin, monsieur, de vous boucher le nez;
+je ne parlais que par métaphore.
+
+LE BOUFFON.--En vérité, monsieur, si vos métaphores[42] sentent mauvais,
+je me boucherai le nez, et je le ferais devant les métaphores de qui que
+ce soit.--Allons, je t'en prie, éloigne-toi.
+
+[Note 42: Shakspeare fait ici la faute en donnant le précepte.
+
+_Quoniam hæc_, dit Cicéron, _vel summa laus est in verbis transferendis
+ut sensim feriat id quod translatum sit, fugienda est omnis turpitudo
+earum rerum, ad quas eorum animos qui audiunt trahet similitudo. Nolo
+morte dici Africani castratam esse rempublicam. Nolo stercus curiæ dici
+Glauciam._ (De Orat.)]
+
+PAROLLES.--Monsieur, je vous en conjure, remettez pour moi ce papier.
+
+LE BOUFFON.--Pouah!--Éloigne-toi, je te prie; un papier de la chaise
+percée de la Fortune pour donner à un gentilhomme! Tiens, le voici
+lui-même. (_Entre Lafeu. A Lafeu._) Voici un minet de la Fortune,
+monsieur, ou du petit chat de la Fortune (mais un petit chat qui ne sent
+pas le musc), qui est tombé dans le sale réservoir de ses disgrâces,
+d'où, comme il le dit, il est sorti tout fangeux. Je vous prie,
+monsieur, de traiter la carpe du mieux que vous pourrez, car il a l'air
+d'un vaurien bien pauvre, bien déchu, ingénieux, fou et fripon. Je
+compatis à son malheur avec mes sourires de consolation, et je
+l'abandonne à Votre Seigneurie.
+
+PAROLLES.--Monseigneur, je suis un homme que la Fortune a cruellement
+égratigné.
+
+LAFEU.--Et que voulez-vous que j'y fasse? il est trop tard maintenant
+pour lui rogner les ongles. Quel est le mauvais tour que vous avez joué
+à la Fortune pour qu'elle vous ait si fort égratigné; car c'est par
+elle-même une fort bonne dame, qui ne souffre pas que les coquins
+prospèrent longtemps à son service? Tenez, voilà un quart d'écu pour
+vous; que les juges de paix vous réconcilient, vous et la Fortune; j'ai
+d'autres affaires.
+
+PAROLLES.--Je supplie Votre Seigneurie de vouloir bien entendre un seul
+mot.
+
+LAFEU.--Tu veux encore quelques sous de plus? les voilà: économise tes
+paroles.
+
+PAROLLES.--Mon nom, mon bon seigneur, est _Parolles_.
+
+LAFEU.--Vous demandez donc à dire plus d'un mot[43]?--Maudit soit mon
+emportement! Donnez-moi la main. Comment va votre tambour?
+
+[Note 43: Pointe sur le nom de Parolles.]
+
+PAROLLES.--O mon bon seigneur! vous êtes celui qui m'avez découvert le
+premier.
+
+LAFEU.--Comment, c'est moi, vraiment? Et je suis le premier qui t'ai
+_perdu_.
+
+PAROLLES.--Il ne tient qu'à vous, seigneur, de me faire rentrer un peu
+en grâce, car c'est vous qui m'en avez chassé.
+
+LAFEU.--Fi donc! coquin; veux-tu que je sois à la fois Dieu et diable,
+que l'un te fasse entrer en grâce et que l'autre t'en chasse? (_Bruit de
+trompettes._) Voici le roi qui vient: je le reconnais à ses trompettes.
+Faquin, informez-vous de moi; j'ai encore hier au soir parlé de vous.
+Quoique vous soyez un fou et un vaurien, vous aurez à manger. Venez,
+suivez-moi.
+
+PAROLLES.--Je bénis Dieu pour vos bontés.
+
+(Il sort.)
+
+
+
+SCÈNE III
+
+
+La scène est toujours en Roussillon.--Appartement dans le palais de la
+comtesse.
+
+FANFARES. LE ROI, LA COMTESSE, LAFEU, LES DEUX SEIGNEURS FRANÇAIS,
+_gentilshommes, gardes_.
+
+LE ROI.--Nous avons perdu en elle un joyau précieux, et notre réputation
+en a été fort appauvrie; mais votre fils, égaré par sa propre folie, n'a
+pas eu assez de sens pour sentir toute l'étendue de son mérite.
+
+LA COMTESSE.--C'est passé, sire; et je conjure Votre Majesté de regarder
+cette révolte comme un écart naturel dans l'ardeur de la jeunesse,
+lorsque l'huile et le feu, trop impétueux pour la force de la raison, la
+maîtrisent et brûlent toujours.
+
+LE ROI.--Honorable dame, j'ai tout pardonné et tout oublié, quoique ma
+vengeance fût armée contre lui et n'attendît que le moment de frapper.
+
+LAFEU.--Je dois le dire, si Votre Majesté veut bien me le permettre: le
+jeune comte a cruellement offensé Votre Majesté, sa mère et sa femme;
+mais c'est à lui-même qu'il a fait le plus grand tort; il a perdu une
+femme dont les charmes étonnaient les yeux les plus riches en souvenirs
+de beauté, dont la voix captivait toutes les oreilles, et qui possédait
+tant de perfections, que des coeurs qui dédaignaient de servir
+l'appelaient humblement leur maîtresse.
+
+LE ROI.--L'éloge de l'objet qu'on a perdu en rend le souvenir plus cher.
+Eh bien! faites-le venir; nous sommes réconciliés, et la première
+entrevue effacera tout le passé. Qu'il ne me demande point pardon, le
+sujet de sa grande offense n'existe plus, et nous ensevelissons les
+restes de nos ressentiments dans un abîme plus profond que l'oubli;
+qu'il vienne comme un étranger et non comme un criminel, et dites-lui
+bien que c'est là notre volonté.
+
+UN SEIGNEUR FRANÇAIS.--Je le lui dirai, sire.
+
+LE ROI, _à Lafeu_.--Que dit-il de votre fille? Lui avez-vous parlé?
+
+LAFEU.--Tout ce qu'il a est aux ordres de Votre Majesté.
+
+LE ROI.--Nous aurons donc une noce. J'ai reçu des lettres qui le
+couvrent de gloire.
+
+(Bertrand entre,)
+
+LAFEU.--Il a tout pour plaire.
+
+LE ROI.--Je ne suis point un jour de la saison, car tu peux voir au même
+instant sur mon front et le soleil et la grêle. Mais à présent ces
+nuages menaçants font place aux plus brillants rayons; ainsi approche,
+le temps est beau de nouveau.
+
+BERTRAND.--O mon cher souverain! pardonnez-moi des fautes expiées par un
+profond repentir.
+
+LE ROI.--Tout est oublié. Ne parlons plus du passé. Saisissons par les
+cheveux le présent, car nous sommes vieux, et le temps glisse sans bruit
+sur nos décisions les plus rapides, et les efface avant qu'elles soient
+accomplies. Vous vous rappelez la fille de ce seigneur?
+
+BERTRAND.--Avec admiration, mon prince. J'avais d'abord jeté mon choix
+sur elle avant que mon coeur osât le révéler par ma bouche: d'après la
+vive impression qu'elle avait faite sur mes yeux, le mépris me prêta sa
+dédaigneuse lunette, qui défigura tous les traits des autres beautés,
+ternit leurs plus belles couleurs, ou me les représenta comme
+empruntées, elle allongeait ou raccourcissait les proportions de leur
+visage pour en faire un objet hideux: de là vint que celle dont tous les
+hommes chantaient les louanges, et que moi-même j'ai aimée depuis que je
+l'ai perdue, semblait dans mon oeil un grain de poussière qui le
+blessait.
+
+LE ROI.--C'est bien s'excuser. Cet amour efface quelques articles de ton
+long compte; mais l'amour qui vient trop tard (semblable au pardon de la
+clémence attardé) devient un reproche amer pour celui qui l'envoie, et
+lui crie sans cesse: «C'est ce qui est bon qui est perdu.» Nos
+téméraires préventions ne font aucun cas des objets précieux que nous
+possédons: nous ne les connaissons qu'en voyant leur tombeau. Souvent
+nos ressentiments, injustes envers nous-mêmes, détruisent nos amis, et
+nous allons ensuite pleurer sur leurs cendres; l'amitié se réveille et
+pleure en voyant ce qui est arrivé, tandis que la haine honteuse dort
+toute la journée. Que ce soit là l'éloge funèbre de l'aimable Hélène, et
+maintenant oublions-la. Envoie tes gages d'amour à la belle Madeleine;
+tu as obtenu les consentements les plus importants, et je resterai ici
+pour voir les secondes noces de notre veuf.
+
+LA COMTESSE.--Que le ciel prospère la bénisse davantage que la première,
+ou que je meure avant qu'ils s'unissent!
+
+LAFEU.--Viens, mon fils, toi en qui doit se confondre le nom de ma
+maison. Donne-moi quelque gage de tendresse qui brille aux yeux de ma
+fille et qui l'engage à se rendre ici promptement. (_Bertrand lui donne
+un anneau._) Par ma vieille barbe et par chacun de ses poils, Hélène,
+qui est morte, était une charmante créature!--C'est un anneau semblable
+à celui-ci que j'ai vu à son doigt la dernière fois que j'ai pris congé
+d'elle à la cour.
+
+BERTRAND.--Il n'a jamais été à elle.
+
+LE ROI.--Donnez, je vous prie, que je le voie; car mon oeil, quand je
+parlais, était souvent attaché sur cet anneau: il était à moi jadis; je
+lui recommandai, si jamais elle se trouvait dans des circonstances où
+elle eût besoin de secours, de m'envoyer ce gage, en promettant que je
+l'aiderais sur l'heure. Auriez-vous eu la perfidie de la dépouiller de
+ce qui pouvait lui être si utile?
+
+BERTRAND.--Mon gracieux souverain, quoiqu'il vous plaise de le croire
+ainsi, cet anneau n'a jamais été à elle.
+
+LA COMTESSE.--Mon fils, sur ma vie, je le lui ai vu porter, et elle y
+attachait autant de prix qu'à sa vie.
+
+LAFEU.--Je suis sûr de le lui avoir vu porter.
+
+BERTRAND.--Vous vous trompez, seigneur; elle ne l'a jamais vu. Il m'a
+été jeté par une fenêtre à Florence, enveloppé dans un papier où était
+le nom de celle qui l'avait jeté: c'était une fille noble, et elle me
+crut dès lors engagé avec elle. Mais quand j'eus répondu à ma bonne
+fortune, et qu'elle fut pleinement informée que je ne pouvais répondre
+aux vues honorables dont elle m'avait fait l'ouverture, elle y renonça
+avec un grand chagrin; mais elle ne voulut jamais reprendre l'anneau.
+
+LE ROI.--Plutus même, qui connaît la teinture dont la vertu multiplie
+l'or[44], n'a pas des secrets de la nature une connaissance plus
+parfaite que je n'en ai, moi, de cet anneau. C'était le mien, c'était
+celui d'Hélène, qui que ce soit qui vous l'ait donné: ainsi, si vous
+vous connaissez bien vous-même, avouez que c'était le sien, et dites par
+quelle violence vous le lui avez ravi. Elle avait pris tous les saints à
+témoin qu'elle ne l'ôterait jamais de son doigt que pour vous le donner
+à vous-même dans le lit nuptial (où vous n'êtes jamais entré), ou
+qu'elle nous l'enverrait dans ses plus grands revers.
+
+[Note 44: Allusion aux alchimistes.]
+
+BERTRAND.--Elle ne l'a jamais vu.
+
+LE ROI.--Comme il est vrai que j'aime l'honneur, tu dis un mensonge, et
+tu fais naître en moi des inquiétudes, des soupçons que je voudrais
+étouffer...--Cela ne peut pas être;--cependant je ne sais.--Tu la
+haïssais mortellement, et elle est morte! et rien, à moins que d'avoir
+moi-même fermé ses yeux, ne peut mieux m'en convaincre que la vue de cet
+anneau.--Qu'on l'emmène. (_Les gardes s'emparent de Bertrand._) Quel que
+soit l'événement, j'ai fait mes preuves qui absoudront mes craintes du
+reproche de légèreté.--Peut-être ai-je trop légèrement renoncé à mes
+premières craintes. Qu'on l'emmène: nous voulons approfondir cette
+affaire.
+
+BERTRAND.--Si vous pouvez prouver que cet anneau était à elle, vous
+prouverez aussi aisément que je suis entré dans son lit à Florence, où
+jamais elle n'a mis le pied.
+
+(Les gardes emmènent Bertrand.)
+
+(Un gentilhomme entre.)
+
+LE ROI.--Je suis enveloppé de sombres pensées.
+
+LE GENTILHOMME.--Mon gracieux souverain, j'ignore si j'ai bien ou mal
+fait: voici le placet d'une Florentine, qui a manqué quatre ou cinq fois
+l'occasion de vous le remettre elle-même. Je m'en suis chargé, attendri
+par les grâces touchantes de cette pauvre suppliante que je sais être, à
+l'heure qu'il est, arrivée ici. On lit dans ses regards inquiets
+l'importance de sa requête; et elle m'a dit en quelques mots touchants
+que Votre Majesté y était elle-même intéressée.
+
+LE ROI _prend et lit la lettre_.--«Grâce à plusieurs protestations de
+m'épouser quand sa femme serait morte, je rougis de le dire, il m'a
+séduite. Aujourd'hui le comte de Roussillon est veuf, sa foi m'est
+engagée, et je lui ai livré mon honneur. Il est parti furtivement de
+Florence, sans prendre congé de personne, et je le suis dans sa patrie
+pour y demander justice. Rendez-la-moi, sire; vous le pouvez: autrement
+un séducteur triomphera, et une pauvre fille est perdue.
+
+Diane Capulet.»
+
+LAFEU.--Je m'achèterai un gendre à la foire, et je payerai les
+droits[45]: je ne veux point de celui-ci.
+
+[Note 45: Allusion au droit de péage qu'on paye à la foire pour les
+chevaux.]
+
+LE ROI.--Les cieux te protègent, Lafeu, puisqu'ils ont mis au jour cette
+découverte. Qu'on cherche cette infortunée: allez promptement, et qu'on
+ramène ici le comte. (_Le gentilhomme sort avec quelques autres
+personnes de la suite du roi; les gardes ramènent Bertrand._)--Je
+tremble, madame, qu'on n'ait traîtreusement arraché la vie à Hélène.
+
+LA COMTESSE.--Eh bien! justice sur les assassins!
+
+LE ROI, _à Bertrand_.--Je m'étonne, seigneur, puisque les femmes sont
+des monstres à vos yeux, puisque vous les fuyez après leur avoir juré
+mariage, que vous désiriez vous marier.--Quelle est cette femme?
+
+(Entrent la veuve et Diane.)
+
+DIANE.--Je suis, seigneur, une malheureuse Florentine, descendue des
+anciens Capulets. Ma prière, à ce que j'entends, vous est connue. Vous
+savez donc aussi combien je suis digne de pitié.
+
+LA VEUVE.--Et moi, sire, je suis sa mère, seigneur, dont l'âge et
+l'honneur souffrent également des affronts dont nous nous plaignons ici;
+tous deux succomberont si vous n'y portez remède.
+
+LE ROI.--Approchez, comte. Connaissez-vous ces femmes?
+
+BERTRAND.--Mon prince, je ne puis ni ne veux nier que je les connaisse.
+De quoi m'accusent-elles?
+
+DIANE.--Pourquoi affectez-vous de ne pas reconnaître votre femme?
+
+BERTRAND.--Elle ne m'est rien, seigneur.
+
+DIANE.--Si vous vous mariez, vous donnerez cette main, et cette main est
+à moi; vous donnerez les voeux prononcés devant le ciel, et ils sont à
+moi; en vous donnant à une autre, vous me donnerez moi-même (et
+cependant je suis à moi); car je suis tellement incorporée avec vous par
+le noeud de vos serments, qu'on ne saurait vous épouser sans m'épouser
+aussi; ou tous les deux, ou ni l'un ni l'autre.
+
+LAFEU, _à Bertrand_.--Votre réputation baisse trop pour prétendre à ma
+fille: vous n'êtes pas un mari pour elle.
+
+BERTRAND.--C'est, mon prince, une créature folle et effrontée, avec
+laquelle j'ai badiné quelquefois. Que Votre Majesté prenne une plus
+noble idée de mon honneur, que de croire que je voulusse m'abaisser si
+bas.
+
+LE ROI.--Monsieur, vous n'aurez point mon opinion en votre faveur,
+jusqu'à ce que vos actions l'aient méritée. Prouvez-moi que votre
+honneur est au-dessus de l'opinion que j'en ai.
+
+DIANE.--Bon roi, demandez-lui d'attester avec serment qu'il ne croit pas
+avoir eu ma virginité.
+
+LE ROI.--Que lui réponds-tu?
+
+BERTRAND.--C'est une impudente, mon prince; elle était prostituée à tout
+le camp.
+
+DIANE.--Il m'outrage, seigneur. S'il en était ainsi, il m'aurait achetée
+à vil prix. Ne le croyez pas. Oh! voyez cet anneau, dont l'éclat et la
+richesse n'ont point de pareil: eh bien! il l'a cependant donné à une
+femme prostituée à tout le camp, si j'en suis une.
+
+LA COMTESSE.--Il rougit, et c'est le sien. Ce joyau, depuis six
+générations, a été légué par testament et porté de père en fils. C'est
+sa femme; cet anneau vaut mille preuves.
+
+LE ROI.--Vous avez dit, ce me semble, que vous aviez vu ici quelqu'un à
+la cour, qui pourrait en rendre témoignage?
+
+DIANE.--Cela est vrai, mon seigneur; mais il me répugne de produire un
+témoin aussi vil: son nom est Parolles.
+
+LAFEU.--J'ai vu l'homme aujourd'hui, si c'est un homme.
+
+LE ROI.--Qu'on le cherche, et qu'on l'amène ici.
+
+BERTRAND.--Que voulez-vous de lui? Il est déjà noté pour le plus perfide
+scélérat, par toutes les actions basses et odieuses du monde, et la
+vérité répugne à sa nature même. Me tiendrez-vous pour ceci ou pour cela
+sur le témoignage d'un misérable, qui dira tout ce qu'on voudra?
+
+LE ROI.--Elle a cet anneau, qui est le vôtre.
+
+BERTRAND.--Je crois qu'elle l'a: il est certain que j'ai eu du goût pour
+elle, et que je l'ai recherchée avec l'étourderie de la jeunesse. Elle
+connaissait la distance qu'il y avait entre elle et moi; elle m'a
+amorcé, et elle piqua mes désirs par ses refus, comme il arrive que tous
+les obstacles que rencontre un caprice ne font qu'en accroître l'ardeur.
+Enfin, ses agaceries secondant ses attraits ordinaires, elle m'amena au
+prix qu'elle avait mis à ses faveurs: elle obtint l'anneau; et moi,
+j'eus ce que tout subalterne aurait pu acheter au prix du marché.
+
+DIANE.--Il faut que j'aie de la patience! Vous qui avez chassé votre
+première femme, une si noble dame, vous pouvez bien me priver aussi de
+mes droits sur vous. Je vous prie cependant (car, puisque vous êtes sans
+vertu, je perdrai mon mari), envoyez chercher votre anneau: je vous le
+rendrai, si vous me rendez le mien.
+
+BERTRAND.--Je ne l'ai pas.
+
+LE ROI.--Comment était votre anneau, je vous prie?
+
+DIANE.--Il ressemblait beaucoup à celui que vous portez au doigt.
+
+LE ROI.--Connaissez-vous cet anneau? Cet anneau était autrefois au
+comte.
+
+DIANE.--Et c'est celui que je lui avais donné quand il est entré dans
+mon lit.
+
+LE ROI.--Alors son histoire est fausse; il dit que vous le lui avez jeté
+d'une fenêtre.
+
+DIANE.--J'ai dit la vérité.
+
+(Parolles entre.)
+
+BERTRAND.--J'avoue, mon prince, que cet anneau était à elle.
+
+LE ROI.--Tu balbuties étrangement; une plume te fait
+tressaillir.--Est-ce là cet homme dont vous me parliez?
+
+DIANE.--C'est lui, mon prince.
+
+LE ROI, _à Parolles_.--Dites-moi, drôle, mais dites-moi la vérité: je
+vous l'ordonne, sans craindre le déplaisir de votre maître, dont je
+saurai bien vous défendre si vous êtes sincère. Que savez-vous de ce qui
+s'est passé entre lui et cette femme?
+
+PAROLLES.--Sous le bon plaisir de Votre Majesté, mon maître a toujours
+été un gentilhomme honorable. Il a joué quelquefois de ces tours que
+font tous les gentilshommes.
+
+LE ROI.--Allons, allons au fait. A-t-il aimé cette femme?
+
+PAROLLES.--Oui, sire, il l'a aimée: mais comment?
+
+LE ROI.--Comment, je vous prie?
+
+PAROLLES.--Il l'a aimée, mon prince, comme un gentilhomme aime une
+femme.
+
+LE ROI.--Que voulez-vous dire?
+
+PAROLLES.--Qu'il l'aimait, sire, et qu'il ne l'aimait pas.
+
+LE ROI.--Comme tu es un coquin et n'es pas un coquin, n'est-ce pas? Quel
+drôle est cet homme-ci avec ses équivoques!
+
+PAROLLES.--Je suis un pauvre homme, et aux ordres de Votre Majesté.
+
+LAFEU.--C'est un fort bon tambour, mon prince, mais un méchant orateur.
+
+DIANE.--Savez-vous qu'il m'a promis le mariage?
+
+PAROLLES.--Vraiment, j'en sais plus que je n'en dirai.
+
+LE ROI.--Tu ne veux donc pas dire tout ce que tu sais?
+
+PAROLLES.--Je le dirai, si c'est le bon plaisir de Votre Majesté.
+J'étais leur entremetteur à tous deux, comme je vous l'ai dit: mais plus
+que cela, il l'aimait; car, en vérité, il en était fou, et il parlait de
+Satan, des limbes, des furies et de je ne sais quoi; et j'étais si fort
+en crédit que je savais quand ils se couchaient et mille autres
+circonstances, comme, par exemple, des promesses de l'épouser, et des
+choses qui m'attireraient de la malveillance si je les révélais: c'est
+pourquoi je ne dirai pas ce que je sais.
+
+LE ROI.--Tu as déjà tout dit, à moins que tu ne puisses ajouter qu'ils
+sont mariés; mais tu es trop fin dans tes dépositions: ainsi,
+retire-toi. (_A Diane._) Cet anneau, dites-vous, était le vôtre?
+
+DIANE.--Oui, mon prince.
+
+LE ROI.--Où l'avez-vous acheté, ou qui vous l'a donné?
+
+DIANE.--Il ne m'a point été donné et je ne l'ai point acheté non plus.
+
+LE ROI.--Qui vous l'a prêté?
+
+DIANE.--Il ne m'a point non plus été prêté.
+
+LE ROI.--Où donc l'avez-vous trouvé?
+
+DIANE.--Je ne l'ai pas trouvé.
+
+LE ROI.--Si vous ne l'avez acquis par aucun de ces moyens, comment
+avez-vous pu le donner à Bertrand?
+
+DIANE.--Je ne le lui ai jamais donné.
+
+LAFEU.--Cette femme, mon prince, est comme un gant large: on la met et
+on l'ôte comme on veut.
+
+LE ROI.--L'anneau était à moi; je l'ai donné à sa première femme.
+
+DIANE.--Il a pu être à vous ou à elle, pour ce que j'en sais.
+
+LE ROI.--Qu'on l'emmène, elle commence à me déplaire. Qu'on la mène en
+prison et lui aussi. Si tu ne me dis point d'où tu as cet anneau, tu vas
+mourir dans une heure.
+
+DIANE.--Je ne vous le dirai jamais.
+
+LE ROI.--Qu'on l'emmène.
+
+DIANE.--Je vous donnerai une caution, mon prince.
+
+LE ROI.--Je te crois maintenant une prostituée.
+
+DIANE.--Grand Jupiter! si jamais j'ai connu un homme, c'est vous.
+
+LE ROI.--Pourquoi donc accuses-tu Bertrand depuis tout ce temps?
+
+DIANE.--Parce qu'il est coupable et qu'il n'est pas coupable. Il sait
+que je ne suis plus vierge, et il en ferait serment. Moi, je ferai
+serment que je suis vierge, et il ne le sait pas. Grand roi, je ne suis
+point une prostituée; sur ma vie, je suis vierge, ou (_montrant Lafeu_)
+la femme de ce vieillard.
+
+LE ROI.--Elle abuse de ma patience. Qu'on la mène en prison.
+
+DIANE.--Ma bonne mère, allez chercher ma caution. Attendez un moment,
+mon royal seigneur (_la veuve sort_): on est allé chercher le joaillier
+à qui appartient l'anneau, et il sera ma caution; mais pour ce jeune
+seigneur (_à Bertrand_) qui m'a abusée, comme il le sait lui-même,
+quoique cependant il ne m'ait jamais fait aucun tort, je le renonce ici.
+Il sait lui-même qu'il a souillé ma couche: et alors même il a fait un
+enfant à son épouse; quoiqu'elle soit morte, elle sent remuer son
+enfant. Ainsi, voilà mon énigme: une femme morte est vivante, et voici
+le mot de l'énigme.
+
+(Hélène et la veuve entrent.)
+
+LE ROI.--N'y a-t-il point quelque enchanteur qui me fascine la vue?
+Est-ce un objet réel que je vois?
+
+HÉLÈNE.--Non, mon bon seigneur, ce n'est que l'ombre d'une épouse que
+vous voyez; le nom, et non pas la chose.
+
+BERTRAND.--Tous les deux, tous les deux; ah! pardon!
+
+HÉLÈNE.--Oh! mon cher seigneur, lorsque j'étais comme cette jeune fille,
+je vous ai trouvé bien bon pour moi. Voilà votre anneau, et voyez, voici
+votre lettre. Elle dit: _Lorsque vous posséderez cet anneau que je porte
+à mon doigt, et que vous serez enceinte de mes oeuvres_, etc. Tout cela
+est arrivé. Voulez-vous être à moi, maintenant que je vous ai conquis
+deux fois?
+
+BERTRAND.--Si elle peut me prouver cela clairement, je veux, mon prince,
+l'aimer tendrement, à jamais, à jamais.
+
+HÉLÈNE.--Si je ne vous le démontre pas clairement ou que je sois
+convaincue de fausseté, que le mortel divorce nous sépare à jamais! (_A
+la comtesse._) O ma bonne mère! je vous revois encore!
+
+LAFEU.--Mes yeux sentent l'oignon, je vais pleurer. Allons (_à
+Parolles_), bon Thomas, prête-moi un mouchoir. Bien, je te remercie: va
+m'attendre à la maison; je m'amuserai de toi. Laisse-là tes politesses,
+elles ne valent rien.
+
+LE ROI.--Qu'on nous raconte cette histoire de point en point, afin que
+la certitude de sa vérité nous comble de joie. (_A Diane._) Et vous, si
+vous êtes une fleur encore fraîche et vierge, vous pouvez choisir un
+époux: je me charge de votre dot; car j'entrevois déjà que, par vos
+secours honnêtes, vous avez fait qu'une femme est devenue femme en
+restant vierge. Nous voulons être instruit plus à loisir de cette
+aventure et de toutes ses circonstances. Déjà tout s'annonce bien; et si
+la fin est aussi heureuse, l'amertume du passé doit la rendre encore
+plus douce.
+
+
+
+
+ÉPILOGUE
+
+LE ROI (_s'adressant aux spectateurs._)--_Le roi n'est plus qu'un
+suppliant, à présent que la pièce est jouée. Tout est bien fini, si nous
+obtenons l'expression de votre contentement, que nous reconnaîtrons en
+faisant chaque jour de nouveaux efforts pour vous plaire. Accordez-nous
+votre indulgence, et que nos rôles soient à vous. Prêtez-nous des mains
+favorables, et recevez nos coeurs._
+
+FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE.
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Tout est bien qui finit bien, by
+William Shakespeare
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK TOUT EST BIEN QUI FINIT BIEN ***
+
+***** This file should be named 28151-8.txt or 28151-8.zip *****
+This and all associated files of various formats will be found in:
+ http://www.gutenberg.org/2/8/1/5/28151/
+
+Produced by Paul Murray, Rénald Lévesque and the Online
+Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
+file was produced from images generously made available
+by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
+http://gallica.bnf.fr)
+
+
+Updated editions will replace the previous one--the old editions
+will be renamed.
+
+Creating the works from public domain print editions means that no
+one owns a United States copyright in these works, so the Foundation
+(and you!) can copy and distribute it in the United States without
+permission and without paying copyright royalties. Special rules,
+set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to
+copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to
+protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project
+Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you
+charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you
+do not charge anything for copies of this eBook, complying with the
+rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose
+such as creation of derivative works, reports, performances and
+research. They may be modified and printed and given away--you may do
+practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is
+subject to the trademark license, especially commercial
+redistribution.
+
+
+
+*** START: FULL LICENSE ***
+
+THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE
+PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK
+
+To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free
+distribution of electronic works, by using or distributing this work
+(or any other work associated in any way with the phrase "Project
+Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project
+Gutenberg-tm License (available with this file or online at
+http://gutenberg.org/license).
+
+
+Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm
+electronic works
+
+1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm
+electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to
+and accept all the terms of this license and intellectual property
+(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all
+the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy
+all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession.
+If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project
+Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the
+terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or
+entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8.
+
+1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be
+used on or associated in any way with an electronic work by people who
+agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few
+things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
+even without complying with the full terms of this agreement. See
+paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
+
+1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
+collection are in the public domain in the United States. If an
+individual work is in the public domain in the United States and you are
+located in the United States, we do not claim a right to prevent you from
+copying, distributing, performing, displaying or creating derivative
+works based on the work as long as all references to Project Gutenberg
+are removed. Of course, we hope that you will support the Project
+Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by
+freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of
+this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with
+the work. You can easily comply with the terms of this agreement by
+keeping this work in the same format with its attached full Project
+Gutenberg-tm License when you share it without charge with others.
+
+1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern
+what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in
+a constant state of change. If you are outside the United States, check
+the laws of your country in addition to the terms of this agreement
+before downloading, copying, displaying, performing, distributing or
+creating derivative works based on this work or any other Project
+Gutenberg-tm work. The Foundation makes no representations concerning
+the copyright status of any work in any country outside the United
+States.
+
+1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg:
+
+1.E.1. The following sentence, with active links to, or other immediate
+access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently
+whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the
+phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project
+Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed,
+copied or distributed:
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived
+from the public domain (does not contain a notice indicating that it is
+posted with permission of the copyright holder), the work can be copied
+and distributed to anyone in the United States without paying any fees
+or charges. If you are redistributing or providing access to a work
+with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the
+work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1
+through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the
+Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or
+1.E.9.
+
+1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted
+with the permission of the copyright holder, your use and distribution
+must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional
+terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked
+to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the
+permission of the copyright holder found at the beginning of this work.
+
+1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm
+License terms from this work, or any files containing a part of this
+work or any other work associated with Project Gutenberg-tm.
+
+1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this
+electronic work, or any part of this electronic work, without
+prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with
+active links or immediate access to the full terms of the Project
+Gutenberg-tm License.
+
+1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary,
+compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any
+word processing or hypertext form. However, if you provide access to or
+distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than
+"Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version
+posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org),
+you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a
+copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon
+request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other
+form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm
+License as specified in paragraph 1.E.1.
+
+1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
+performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works
+unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9.
+
+1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing
+access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided
+that
+
+- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
+ the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
+ you already use to calculate your applicable taxes. The fee is
+ owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he
+ has agreed to donate royalties under this paragraph to the
+ Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments
+ must be paid within 60 days following each date on which you
+ prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax
+ returns. Royalty payments should be clearly marked as such and
+ sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the
+ address specified in Section 4, "Information about donations to
+ the Project Gutenberg Literary Archive Foundation."
+
+- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
+ you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
+ does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
+ License. You must require such a user to return or
+ destroy all copies of the works possessed in a physical medium
+ and discontinue all use of and all access to other copies of
+ Project Gutenberg-tm works.
+
+- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any
+ money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
+ electronic work is discovered and reported to you within 90 days
+ of receipt of the work.
+
+- You comply with all other terms of this agreement for free
+ distribution of Project Gutenberg-tm works.
+
+1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm
+electronic work or group of works on different terms than are set
+forth in this agreement, you must obtain permission in writing from
+both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael
+Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the
+Foundation as set forth in Section 3 below.
+
+1.F.
+
+1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
+effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
+public domain works in creating the Project Gutenberg-tm
+collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic
+works, and the medium on which they may be stored, may contain
+"Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or
+corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual
+property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a
+computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by
+your equipment.
+
+1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right
+of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project
+Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project
+Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all
+liability to you for damages, costs and expenses, including legal
+fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT
+LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
+PROVIDED IN PARAGRAPH F3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
+TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
+LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
+INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
+DAMAGE.
+
+1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
+defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
+receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
+written explanation to the person you received the work from. If you
+received the work on a physical medium, you must return the medium with
+your written explanation. The person or entity that provided you with
+the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a
+refund. If you received the work electronically, the person or entity
+providing it to you may choose to give you a second opportunity to
+receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy
+is also defective, you may demand a refund in writing without further
+opportunities to fix the problem.
+
+1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
+WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
+WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
+
+1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
+warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
+If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
+law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
+interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
+the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any
+provision of this agreement shall not void the remaining provisions.
+
+1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
+trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
+providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance
+with this agreement, and any volunteers associated with the production,
+promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
+harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
+that arise directly or indirectly from any of the following which you do
+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ http://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
diff --git a/28151-8.zip b/28151-8.zip
new file mode 100644
index 0000000..a32995f
--- /dev/null
+++ b/28151-8.zip
Binary files differ
diff --git a/28151-h.zip b/28151-h.zip
new file mode 100644
index 0000000..944f187
--- /dev/null
+++ b/28151-h.zip
Binary files differ
diff --git a/28151-h/28151-h.htm b/28151-h/28151-h.htm
new file mode 100644
index 0000000..d392125
--- /dev/null
+++ b/28151-h/28151-h.htm
@@ -0,0 +1,5430 @@
+<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.01 Transitional//EN">
+<html>
+<head>
+ <meta http-equiv="content-type" content="text/html; charset=ISO-8859-1">
+ <title>The Project Gutenberg eBook of Tout est bien qui finit bien, par Shakespeare</title>
+
+<style type="text/css">
+<!--
+
+body {margin-left: 10%; margin-right: 10%}
+
+h1,h2,h3,h4,h5,h6 {text-align: center;}
+p {text-align: justify}
+blockquote {text-align: justify}
+
+.stage1 {font-size: 0.9em; text-align: center}
+.stage2 {font-size: 0.9em}
+
+
+.footnote {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%}
+.mid {text-align: center}
+.rig {float: right}
+.sml {font-size: 10pt}
+
+.poem {margin-bottom: 1em; margin-left: 10%; margin-right: 10%;
+ text-align: left}
+.poem .stanza {margin: 1em 0em}
+.poem .stanza.i {margin: 1em 0em; font-style: italic;}
+.poem p {padding-left: 3em; margin: 0px; text-indent: -3em}
+.poem p.i2 {margin-left: 1em}
+.poem p.i4 {margin-left: 2em}
+.poem p.i6 {margin-left: 3em}
+.poem p.i8 {margin-left: 4em}
+.poem p.i10 {margin-left: 5em}
+.poem p.i12 {margin-left: 6em}
+.poem p.i14 {margin-left: 7em}
+.poem p.i16 {margin-left: 8em}
+.poem p.i18 {margin-left: 9em}
+.poem p.i20 {margin-left: 10em}
+
+-->
+</style>
+
+</head>
+<body>
+
+
+<pre>
+
+Project Gutenberg's Tout est bien qui finit bien, by William Shakespeare
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Tout est bien qui finit bien
+
+Author: William Shakespeare
+
+Translator: François Pierre Guillaume Guizot
+
+Release Date: February 21, 2009 [EBook #28151]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK TOUT EST BIEN QUI FINIT BIEN ***
+
+
+
+
+Produced by Paul Murray, Rénald Lévesque and the Online
+Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
+file was produced from images generously made available
+by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
+http://gallica.bnf.fr)
+
+
+
+
+
+
+</pre>
+
+
+
+<pre>
+Note du transcripteur.
+ ======================================================================
+ Ce document est tiré de:
+
+ OEUVRES COMPLÈTES DE
+ SHAKSPEARE
+
+ TRADUCTION DE
+ M. GUIZOT
+
+ NOUVELLE ÉDITION ENTIÈREMENT REVUE
+ AVEC UNE ÉTUDE SUR SHAKSPEARE
+ DES NOTICES SUR CHAQUE PIÈCE ET DES NOTES
+
+ Volume 3
+ Timon d'Athènes
+ Le Jour des Rois.--Les deux gentilshommes de Vérone.
+ Roméo et Juliette.--Le Songe d'une nuit d'été.
+ Tout est bien qui finit bien.
+
+ PARIS
+ A LA LIBRAIRIE ACADÉMIQUE
+ DIDIER ET Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS
+ 35, QUAI DES AUGUSTINS
+ 1864
+
+ ======================================================================
+</pre>
+
+<h1>TOUT EST BIEN<br>
+
+QUI FINIT BIEN</h1>
+
+<h3>COMEDIE</h3><br>
+
+<h3>NOTICE<br>
+
+SUR<br>
+
+TOUT EST BIEN QUI FINIT BIEN</h3>
+
+<p>C'est à une des plus intéressantes nouvelles de Boccace que nous
+devons cette pièce. En voici les principaux événements que Shakspeare
+a transportés sur la scène en leur donnant une nouvelle vie,
+par ce charme de sensibilité et cette verve comique qui lui manquent
+si rarement.</p>
+
+<p>Un grand médecin, appelé Gérard de Narbonne, avait laissé
+une fille qui, élevée dans le palais du comte de Roussillon, avait
+conçu l'amour le plus tendre pour son fils unique, le jeune Bertrand.
+Celui-ci fut mandé à la cour après la mort de son père,
+et la pauvre Gillette, c'était le nom de la fille de Gérard, resta en
+Roussillon bien résolue de n'avoir jamais d'autre époux que
+Bertrand.</p>
+
+<p>Bientôt elle apprit que le roi souffrait beaucoup d'une fistule déclarée
+incurable; son père lui avait légué plusieurs secrets de son
+art, et Gillette conçut l'espoir de guérir le monarque. Elle se rendit
+à Paris. Le roi lui promit que, si son remède réussissait, il la marierait
+avec l'homme le plus noble et le plus riche du royaume, qu'elle
+choisirait elle-même. Il fut guéri et Gillette demanda le comte
+Bertrand.</p>
+
+<p>Celui-ci se crut déshonoré par une alliance au-dessous de son
+rang; mais le roi commanda en maître, il fallut obéir. Aussitôt après
+la célébration du mariage, le comte Bertrand partit pour la Toscane
+et prit du service parmi les Florentins alors en guerre avec les Siennois.
+Gillette s'en retourna en Roussillon d'où elle envoya dire au
+comte que, si sa présence était la cause de son exil volontaire, elle
+s'éloignerait pour toujours. Bertrand lui fit répondre qu'il était fermement
+résolu de ne point vivre avec elle jusqu'au jour où elle
+serait en possession de son anneau, et aurait un fils de lui. Il
+croyait exiger l'impossible; mais Gillette déguisée en pèlerine, partit
+pour Florence où elle logea chez une veuve, qui, sans la connaître,
+lui apprit que le comte de Roussillon était amoureux d'une de ses
+voisines, jeune, belle et vertueuse quoique pauvre. Gillette fut trouver
+la mère de sa rivale, se découvrit à elle et lui promit une forte récompense
+si elle voulait favoriser ses projets. On fit dire au comte
+que la jeune fille céderait à ses voeux, mais qu'elle demandait son
+anneau pour gage de sa foi. Bertrand envoya son anneau et s'empressa
+d'aller à une heure fixée au rendez-vous qui lui fut donné.
+Ce fut Gillette qui le reçut dans ses bras et qui répéta plusieurs fois
+cette innocente supercherie, jusqu'à ce que des signes évidents de
+grossesse vinssent accomplir tous ses souhaits. Enfin le comte, instruit
+de l'absence de sa femme et cédant aux instances de ses vassaux,
+revint dans sa patrie. Cependant Gillette mit au monde deux enfants
+jumeaux qui ressemblaient beaucoup à leur père; elle se rendit elle-même
+en Roussillon après ses couches, et y arriva le jour où son
+époux donnait un grand festin. La pèlerine se présenta au milieu de
+l'assemblée portant ses deux enfants sur ses bras. Elle se jeta aux
+genoux du comte, lui donna l'anneau et lui avoua tout. Bertrand
+touché reçut Gillette pour son épouse.</p>
+
+<p>Tout ce que Shakspeare a ajouté à ce fond, déjà si intéressant,
+n'est pas également heureux et probable. L'obstination et la pétulance
+de Bertrand sont bien peintes; mais son caractère nous semble odieux;
+c'est un gentilhomme sans générosité, lâche, ingrat et menteur éhonté.
+Le poëte devait aux vertus d'Hélène et à la morale de le punir; mais
+il avait peut-être malgré lui de l'indulgence pour le fils de cette
+comtesse si bonne et si aimable, et que sa sagesse et sa tendresse
+pour Hélène élèvent au-dessus de tous les préjugés ridicules de la
+naissance. Shakspeare n'a peut-être pas osé être trop sévère pour
+celui qu'aimait cette même Hélène, si douce et si modeste malgré la
+position critique où l'a placée le sot orgueil de Bertrand; on devine
+ce sentiment du poëte dans la conduite du roi, dont la reconnaissance
+ingénieuse eût craint d'humilier sa bienfaitrice dans son époux.</p>
+
+<p>Le personnage comique de la pièce est un peu usé sur le théâtre
+depuis que nous y avons tant de fanfarons de la même famille; mais
+Parolles et ses aventures ont passé en proverbe en Angleterre. La
+scène du tambour est digne de Molière, et nous apprécierions encore
+davantage Parolles, si nous ne connaissions pas Falstaff.</p>
+
+<p>Selon Malone, cette pièce aurait été composée en 1598.</p>
+<br><br>
+<h1>TOUT EST BIEN<br>
+
+QUI FINIT BIEN</h1>
+
+<h3>COMÉDIE</h3>
+<br>
+<h3>PERSONNAGES</h3>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p>LE ROI DE FRANCE.</p>
+<p>LE DUC DE FLORENCE.</p>
+<p>BERTRAND, comte de Roussillon.</p>
+<p>LAFEU, vieux courtisan.</p>
+<p>PAROLLES<a id="footnotetag1" name="footnotetag1"></a>
+<a href="#footnote1"><sup class="sml">1</sup></a>, parasite à la suite de Bertrand.</p>
+<p>PLUSIEURS JEUNES SEIGNEURS FRANÇAIS, qui servent avec Bertrand dans la guerre de Florence.</p>
+<p>UN INTENDANT,&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;}</p>
+<p>UN PAYSAN BOUFFON, } au service de la comtesse de Roussillon.</p>
+<p>LA COMTESSE DE ROUSSILLON, mère de Bertrand.</p>
+<p>HÉLÈNE, protégée de la comtesse.</p>
+<p>UNE VIEILLE VEUVE de Florence.</p>
+<p>DIANE, fille de cette veuve.</p>
+<p>VIOLENTA,&nbsp; }</p>
+<p>MARIANA<a id="footnotetag2" name="footnotetag2"></a>
+<a href="#footnote2"><sup class="sml">2</sup></a>, } voisines et amies de la veuve.</p>
+<p>SEIGNEURS DE LA COUR DU ROI, UN PAGE, OFFICIERS, SOLDATS FRANÇAIS ET FLORENTINS.</p>
+</div></div>
+
+<p class="stage1">La scène est tantôt en France, tantôt en Toscane.</p>
+
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote1"
+name="footnote1"><b>Note 1: </b></a><a href="#footnotetag1">
+(retour) </a> <i>Parolles</i>, mauvaise orthographe de notre mot <i>parole</i>.</blockquote>
+
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote2"
+name="footnote2"><b>Note 2: </b></a><a href="#footnotetag2">
+(retour) </a> Personnage muet qui ne paraît qu'une fois.</blockquote>
+
+<br><br><br>
+<h3>ACTE PREMIER</h3>
+<br>
+<h3>SCÈNE I</h3>
+
+<p class="stage1">On est en Roussillon. Appartement dans le palais de la comtesse.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> BERTRAND, LA COMTESSE DE ROUSSILLON
+HÉLÈNE ET LAFEU, <i>tous en deuil</i>.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--En laissant mon fils se séparer de moi,
+j'enterre un second époux.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Et moi, en m'éloignant, madame, je pleure
+de nouveau la mort de mon père: mais il me faut obéir
+aux ordres de Sa Majesté. Devenu son pupille<a id="footnotetag3" name="footnotetag3"></a>
+<a href="#footnote3"><sup class="sml">3</sup></a>, je suis
+plus que jamais dans sa dépendance.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote3"
+name="footnote3"><b>Note 3: </b></a><a href="#footnotetag3">
+(retour) </a>
+ Les enfants mineurs des grands seigneurs féodaux étaient les
+pupilles du monarque.</blockquote>
+
+<p>LAFEU.--Vous, madame, vous retrouverez un époux
+dans la bonté du roi. (<span class="stage2"><i>A Bertrand.</i></span>) Et vous, seigneur, un
+père. Un roi, qui dans tous les temps est si universellement
+bon, doit nécessairement conserver sa bienveillance
+pour vous, dont le mérite la ferait naître là où elle manquerait
+bien loin de ne la pas trouver là où elle abonde.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Que peut-on espérer de la guérison du
+roi?</p>
+
+<p>LAFEU.--Madame, il a congédié tous ses médecins. Sous
+leur direction, il a fatigué le temps de ses espérances,
+sans trouver d'autre avantage dans leurs remèdes que de
+perdre l'espérance avec le temps.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Cette jeune personne avait un père (oh!
+<i>avait!</i> que ce mot réveille un triste souvenir!) dont la
+science égalait presque la probité. Si elle eût été aussi
+loin, il aurait rendu la nature immortelle, et la mort
+aurait pu jouer faute d'ouvrage. Plût à Dieu que pour le
+bonheur du roi il fût encore vivant! je crois qu'il aurait
+été la mort de sa maladie.</p>
+
+<p>LAFEU.--Comment l'appeliez-vous, madame, cet
+homme dont vous parlez?</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Il était fameux, monsieur, dans son art,
+et il avait bien mérité de l'être;--Gérard de Narbonne.</p>
+
+<p>LAFEU.--C'était vraiment un habile homme, madame.
+Le roi parla de lui dernièrement avec beaucoup d'éloges
+et de regrets. Il avait assez de science pour vivre encore,
+si la science pouvait être un préservatif du trépas.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Quel est le mal, mon bon seigneur, qui
+mine les jours du roi?</p>
+
+<p>LAFEU.--Une fistule, seigneur.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Je n'avais jamais entendu parler de ce
+mal.</p>
+
+<p>LAFEU.--Je voudrais bien qu'il fût encore inconnu.--Cette
+jeune personne est donc la fille de Gérard de Narbonne?</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Sa seule enfant, seigneur, et léguée à
+mes soins. J'ai d'elle toutes les bonnes espérances que
+promet son éducation. Elle hérite de ces heureuses dispositions
+qui embellissent encore les beaux dons de la
+nature; car, lorsqu'un naturel pervers est doué d'aimables
+qualités, ces éloges sont mêlés de pitié, puisque ces
+qualités sont à la fois des vertus et des traîtres: chez
+Hélène, elles sont relevées encore par sa simplicité; elle
+a reçu la vertu de la nature, et elle a su se rendre parfaite.</p>
+
+<p>LAFEU.--Vos louanges, madame, font couler ses
+larmes.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--C'est la meilleure manière dont une
+jeune fille puisse assaisonner l'éloge qu'elle entend d'elle.
+Le souvenir de son père n'approche jamais de son coeur
+que la violence de son chagrin ne prive ses joues de tout
+signe de vie. N'y pensez plus, Hélène: allons, plus de
+larmes; on pourrait croire que vous affectez plus de
+tristesse que vous n'en ressentez.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--J'ai l'air triste, en effet; mais je le suis réellement.</p>
+
+<p>LAFEU.--Des regrets modérés sont un tribut que l'on
+doit aux morts: le chagrin excessif est l'ennemi des
+vivants.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Si les vivants sont ennemis du chagrin, il se
+détruit bientôt par son excès même.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Madame, je demande votre bénédiction.</p>
+
+<p>LAFEU.--Comment entendons-nous cela?</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Reçois ma bénédiction, Bertrand. Ressemble
+à ton père par tes actions comme par tes traits.
+Que la noblesse de ton sang et ta vertu rivalisent en toi,
+et que ton mérite partage avec ta naissance. Aime tous
+les hommes; fie-toi à quelques-uns; ne fais tort à aucun.
+Fais craindre plutôt que sentir ta puissance à ton ennemi.
+Garde ton ami sous la clef de ta propre vie. Qu'on
+te reproche ton silence, et jamais d'avoir parlé. Que
+toutes les grâces que le ciel voudra t'accorder encore
+et que mes prières importunes pourront lui arracher,
+pleuvent sur ta tête! Adieu, seigneur.--Ce jeune homme
+est un courtisan bien novice. Mon cher seigneur, conseillez-le.</p>
+
+<p>LAFEU.--Il ne peut manquer de recevoir les meilleurs
+conseils, si son amitié veut les écouter.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Que le ciel te bénisse! Adieu, Bertrand.</p>
+
+<p class="stage1">(Elle sort.)</p>
+
+<p>BERTRAND, <span class="stage2"><i>à Hélène.</i></span>--Que tous les voeux qui peuvent
+se former dans votre coeur soient vos serviteurs! Soyez
+la consolation de ma mère, votre maîtresse, et qu'elle
+vous soit chère.</p>
+
+<p>LAFEU.--Adieu, ma belle enfant. Vous devez soutenir
+la réputation de votre père.</p>
+
+<p class="stage1">(Bertrand et Lafeu sortent.)</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Oh! si c'était tout!--Je ne pense plus à
+mon père; et ces grosses larmes honorent plus sa mémoire
+que celles que j'ai répandues pour lui.--A qui
+ressemblait-il donc? Je l'ai oublié. Mon imagination ne
+conserve aucune image que celle de Bertrand. Je suis
+perdue; il n'y a plus de vie, plus de vie pour moi, si Bertrand
+s'éloigne de ces lieux. Autant vaudrait que je fusse
+éprise de quelque étoile brillante, et que je songeasse
+à l'épouser; tant il est au-dessus de moi! Il faut que je
+me contente de recevoir les obliques rayons de sa lumière
+éloignée. Je ne puis arriver jusqu'à sa sphère:
+ainsi l'ambition de mon amour est son propre tourment.
+La biche qui voudrait s'unir avec le lion doit mourir
+d'amour. Il m'était doux, quoique ce fût une souffrance,
+de le voir à toute heure, de m'asseoir devant lui, et de
+pouvoir graver le bel arc de ses sourcils, son oeil fier et
+ses cheveux bouclés, sur la table de mon coeur,... mon
+coeur trop prompt à retracer tous les traits et les particularités
+de son visage chéri. Mais à présent le voilà
+parti, et mon amour idolâtre va sanctifier ses reliques.--Qui
+vient ici?--(<span class="stage2"><i>Entre Parolles.</i></span>) Un homme de sa suite,
+que j'aime à cause de Bertrand; et cependant je le connais
+pour un menteur avéré. Je le regarde comme aux
+trois quarts sot, et comme un lâche parfait. Cependant
+toutes ces mauvaises qualités lui vont si bien qu'elles
+trouvent un asile, tandis que la vertu, d'une trempe
+d'acier, se morfond exposée aux injures de l'air. Aussi
+voyons-nous très-souvent la Sagesse glacée au service de
+la Folie pompeusement parée.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Dieu vous garde, belle reine!</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Et vous aussi, monarque!</p>
+
+<p>PAROLLES.--Monarque? non.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Ni reine non plus.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Étiez-vous là occupée à méditer sur la
+virginité?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Oui. Vous avez quelque chose de l'air d'un
+guerrier. Il faut que je vous fasse une question: l'homme
+est l'ennemi de la virginité; par quel moyen pouvons-nous
+la défendre contre ses attaques?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Tenez-le à distance.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Mais il nous assiège; et notre virginité, quoique
+vaillante à la défense, est faible pourtant. Enseignez-nous
+donc quelque expédient guerrier pour la résistance.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Il n'y en a pas. L'homme qui met le siége
+devant vous vous minera et vous fera sauter en l'air.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Que le ciel préserve notre pauvre virginité
+des mineurs et des bombardiers! N'y a-t-il pas aussi un
+art militaire par lequel les vierges puissent contre-miner
+les hommes?</p>
+
+<p>PAROLLES.--La virginité une fois à terre, l'homme en
+sautera plus vite en l'air. Diantre! en mettant de nouveau
+l'homme à terre, vous perdez votre ville par la brèche
+que vous avez faite vous-même. Dans la république de la
+nature, la politique n'est pas de conserver la virginité;
+sa perte augmente le nombre des sujets. Jamais vierge
+ne serait née s'il n'y avait eu auparavant une virginité
+de perdue. L'étoffe dont vous avez été formée est celle
+dont on fait les vierges. Pour une virginité perdue on en
+peut trouver dix: la garder toujours, c'est la perdre
+pour jamais. Allons, c'est une compagne trop froide; il
+faut s'en défaire.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Je la défendrai encore un peu de temps,
+quand je devrais m'exposer à mourir vierge.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Il y a peu de chose à dire en sa faveur:
+c'est contre l'ordre de la nature. Parler pour défendre la
+virginité, c'est accuser sa mère: ce qui est une désobéissance
+notoire. Celui qui se pend fait comme la vierge;
+car la virginité se tue elle-même: et l'on devrait l'enterrer
+hors de la terre bénite, dans les grands chemins,
+comme une coupable signalée contre la nature. La virginité
+engendre des mites comme le fromage; elle se consume
+elle-même jusqu'à la croûte, et meurt en dévorant
+sa propre substance. De plus, la virginité est hargneuse,
+arrogante, vaine, gonflée d'amour-propre; ce qui est le
+péché le plus expressément défendu par les canons. Ne la
+gardez pas: vous ne pouvez que perdre avec elle. Défaites
+vous-en, et dans dix ans vous l'aurez doublée, ce qui fait
+un intérêt très-honnête; et encore le principal lui-même
+n'en vaudra guère moins. Allons, ne gardez pas cela.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Mais que faut-il faire, monsieur, pour la
+perdre à son gré?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Attendez: voyons.--Que faire, dites-vous?
+Ma foi, mal faire: aimer celui qui ne l'aime pas. La virginité
+est un meuble qui perd son lustre dans le repos<a id="footnotetag4" name="footnotetag4"></a>
+<a href="#footnote4"><sup class="sml">4</sup></a>;
+plus on la garde, moins elle vaut: défaites-vous-en,
+tandis qu'elle est encore de vente: profitez du temps où
+on la recherche. La virginité ressemble à un vieux
+courtisan qui porte un habit à l'antique, riche, mais qui
+n'est plus de mode, comme ces parures et ces cure-dents
+qu'on ne porte plus aujourd'hui. Votre datte<a id="footnotetag5" name="footnotetag5"></a>
+<a href="#footnote5"><sup class="sml">5</sup></a> vaut mieux
+dans un pâté ou un potage que sur vos joues; et votre
+virginité, votre antique virginité ressemble à une de nos
+poires passées de France, elle a mauvais air, elle est
+sèche, enfin c'est une poire passée: elle valait mieux
+jadis; oui, mais ce n'est plus qu'une poire passée; qu'en
+voulez-vous faire?</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote4"
+name="footnote4"><b>Note 4: </b></a><a href="#footnotetag4">
+(retour) </a> <i>With lying</i>, le repos du lit, jeu de mot.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote5"
+name="footnote5"><b>Note 5: </b></a><a href="#footnotetag5">
+(retour) </a> Jeu de mot sur <i>date</i>, époque et <i>datte</i> fruit.</blockquote>
+
+<p>HÉLÈNE.--Ma virginité n'en est pas encore là.--Votre
+maître y retrouverait mille amours, une mère et une
+maîtresse, un ami, un phénix, un capitaine et un ennemi;
+un guide, une déesse et une souveraine, un conseiller,
+une traîtresse et une amie: son humble ambition,
+sa fière humilité, sa concorde discordante et sa
+douce discorde; sa foi, son doux malheur avec un monde
+de jolis petits chrétiens charmants, dont Cupidon jasera
+en souriant.--Alors il sera... Je ne sais pas ce qu'il sera.
+--Que la main de Dieu le conduise!--La cour est un
+endroit où l'on apprend--et Bertrand est un de ceux...</p>
+
+<p>PAROLLES.--Eh bien! quoi; un de ceux?...</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--A qui je souhaite du bien.--Il est bien malheureux
+que...</p>
+
+<p>PAROLLES.--Qui est-ce qui est malheureux?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Que nos voeux n'aient pas un corps qu'on
+puisse rendre sensible, afin que nous, qui sommes nés
+pauvres, et dont les étoiles inférieures nous bornent aux
+seuls désirs, nous puissions transmettre leurs effets jusqu'à
+nos amis absents, et montrer ce que nous devons
+nous contenter de penser sans en recueillir aucune reconnaissance!</p>
+
+<p class="stage1">(Un page entre.)</p>
+
+<p>LE PAGE.--Monsieur Parolles, Monseigneur vous demande.</p>
+
+<p class="stage1">(Le page sort.)</p>
+
+<p>PAROLLES.--Adieu, ma petite Hélène. Si je puis me
+ressouvenir de toi, je songerai à toi quand je serai à la
+cour.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Monsieur Parolles, vous êtes né sous une
+étoile bien charitable.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je suis né sous Mars, moi.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Oui, c'est sous Mars même que je vous
+crois né.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Et pourquoi sous Mars?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Vous avez soutenu tant de guerres, qu'il
+faut absolument que vous soyez né sous Mars.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Et lorsqu'il était la planète prédominante.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Plutôt, je crois lorsqu'il était rétrograde.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Pourquoi jugez-vous ainsi?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Vous savez si bien rétrograder, quand vous
+combattez.</p>
+
+<p>PAROLLES.--C'est pour en prendre plus d'avantage.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--C'est aussi pour cela que l'on fuit, quand la
+crainte conseille de chercher sa sûreté. Mais ce mélange
+de courage et de peur qui est en vous est une vertu dont
+l'aile est bien rapide, et dont le vol me plaît infiniment.</p>
+
+<p>PAROLLES.--J'ai la tête si occupée d'affaires, que je ne
+suis pas en état de vous faire une réponse piquante. Je
+serai à mon retour un parfait courtisan, mon instruction
+servira à vous naturaliser, et vous serez en état de
+recevoir les conseils d'un homme de cour, et de comprendre
+les avis qu'il vous consacrera. Autrement, vous
+mourrez dans votre ingratitude, et votre ignorance vous
+perdra. Adieu. Quand vous aurez du loisir, récitez vos
+prières; et quand vous n'en aurez point, souvenez-vous
+de vos amis: procurez-vous un bon mari, et traitez-le
+comme il vous traitera: et là-dessus, adieu.</p>
+
+<p class="stage1">(Il sort.)</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Souvent ces ressources, que nous attribuons
+au ciel, résident en nous-mêmes. Le destin nous laisse
+une libre carrière; il ne tire en arrière nos projets languissants
+que lorsque nous sommes paresseux nous-mêmes.
+Quelle est cette puissance qui élève mon amour
+si haut, et qui me fait voir ce dont je ne puis rassasier
+mes regards? Souvent deux êtres entre lesquels la fortune
+a jeté un espace immense, la nature les réunit
+comme deux moitiés, et les amène à s'embrasser, comme
+s'ils étaient nés l'un pour l'autre. Les entreprises extraordinaires
+sont impossibles pour qui mesure leur difficulté
+par ses sens, et qui s'imagine que ce qui n'est
+pas arrivé ne peut arriver. Quelle femme vit-on jamais
+s'efforcer de faire connaître son mérite, qui ait échoué
+dans ses amours? La maladie du roi...--Mon projet peut
+tromper mon espoir; mais ma résolution est bien arrêtée,
+et elle ne m'abandonnera pas.</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE II</h3>
+
+<p class="stage1">Paris. Appartement dans le palais du roi.</p>
+
+<p class="stage1">Fanfares. LE ROI DE FRANCE <i>paraît avec sa suite;
+il tient des lettres à la main.</i></p>
+
+<p>LE ROI.--Les Florentins et les Siennois en sont venus
+aux mains. Ils ont combattu avec un avantage égal, ils
+continuent la guerre avec courage.</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR.--C'est ce qu'on dit, sire.</p>
+
+<p>LE ROI.--Mais c'est fort incroyable. Nous recevons la
+confirmation de cette nouvelle par mon cousin d'Autriche,
+qui me prévient que les Florentins vont nous
+demander un prompt secours. Là-dessus notre bon ami
+préjuge lui-même la proposition, et il semble désirer
+que nous les refusions.</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR.--Son amitié et sa prudence, dont il
+a donné de si grandes preuves à Votre Majesté, méritent
+bien qu'on lui accorde la plus grande confiance.</p>
+
+<p>LE ROI.--Il a décidé notre réponse, et Florence est
+refusée, avant d'avoir demandé. Mais pour nos gentilshommes
+qui désirent essayer du service toscan, je les
+laisse entièrement libres de se ranger de l'un ou de
+l'autre parti.</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Cela peut servir d'école militaire à
+notre jeune noblesse, qui est malade faute d'air et
+d'exploits.</p>
+
+<p>LE ROI.--Qui vient à nous?</p>
+
+<p class="stage1">(Entrent Bertrand, Lafeu, Parolles.)</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR.--C'est le comte de Roussillon, mon
+bon seigneur, le jeune Bertrand.</p>
+
+<p>LE ROI.--Jeune homme, tu portes la physionomie de
+ton père. La nature libérale ne t'a point ébauché à la
+hâte: elle a pris soin à te former. Puisses-tu hériter
+aussi des vertus morales de ton père! Sois le bienvenu à
+Paris.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Que Votre Majesté daigne recevoir mes
+remerciements et mes hommages!</p>
+
+<p>LE ROI.--Je voudrais avoir encore aujourd'hui cette
+rigueur de corps que je possédais lorsque jadis ton père
+et moi nous fîmes nos premières armes ensemble! Il
+était exercé à fond dans tout le service de ce temps-là, et
+il était l'élève des plus braves capitaines. Il résista longtemps;
+mais à la fin la hideuse vieillesse nous a atteints
+tous deux, et nous a dépouillés de la force d'agir. Je me
+sens plus jeune en parlant de votre bon père. Dans sa
+jeunesse, il avait cet esprit caustique que je suis à portée
+de remarquer aujourd'hui chez nos jeunes seigneurs.
+Mais ils peuvent railler tant que leurs propres railleries
+retombent sur leur personne obscure encore, avant qu'ils
+puissent couvrir leur légèreté sous l'éclat de leur gloire.
+Mais lui, il était un courtisan si parfait, qu'il n'y avait
+ni mépris ni amertume dans ses railleries ou sa fierté.
+S'il s'en glissait parfois, ce n'était jamais que pour repousser
+l'injure de son égal. Son honneur lui servait de
+cadran, et lui marquait la minute précise où il devait
+parler, et sa langue obéissait à sa direction. Ceux qui
+étaient au-dessous de lui, il les traitait comme des créatures
+d'une autre classe, et il abaissait son élévation jusqu'à
+leurs rangs inférieurs. Il les rendait fiers par son
+humilité, et il s'humiliait encore pour recevoir leurs
+louanges maladroites. Voilà l'homme qui devrait servir
+de modèle aux jeunes gens de nos jours; et s'il était bien
+suivi, il leur montrerait qu'ils ne font que rétrograder.</p>
+
+<p>BERTRAND.--La mémoire de ses vertus, sire, est plus
+glorieuse dans votre souvenir que sur sa tombe; et son
+épitaphe est moins honorable pour son nom que vos
+royaux éloges.</p>
+
+<p>LE ROI.--Plût à Dieu que je fusse avec lui!--Il avait
+toujours coutume de dire... (il me semble l'entendre en
+ce moment. Il ne jetait pas ses paroles sensées dans les
+oreilles, il les y greffait pour y croître et y porter du
+fruit.)--Il disait: «Que je ne vive plus...--Tel était le
+début de son aimable mélancolie quand il avait fini son
+badinage.--Que je ne vive plus, disait-il, dès que ma
+lampe manquera d'huile, afin que son reste de lueur ne
+soit pas un objet de risée pour ces jeunes étourdis, dont
+l'esprit superbe dédaigne tout ce qui n'est pas nouveau,
+dont le jugement se borne à être le créateur de leurs toilettes,
+et dont la constance expire même avant ces modes
+passagères!» C'était là ce qu'il souhaitait; et ce que je
+souhaite après lui; puisque je ne puis plus apporter à
+la ruche ni cire ni miel, je voudrais en être promptement
+congédié, pour céder la place à des travailleuses.</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Vous êtes aimé, sire, et ceux qui
+vous aiment le moins seront les premiers à regretter que
+vous n'y soyez plus.</p>
+
+<p>LE ROI.--Je remplis une place, je le sais...--Combien
+y a-t-il, comte, que le médecin de votre père est mort?--Il
+était très-renommé.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Sire, il y a environ six mois.</p>
+
+<p>LE ROI.--S'il était vivant, j'essayerais encore de lui.--Prêtez-moi
+votre bras.--Tous les autres m'ont usé à force
+de remèdes. Que la nature et la maladie se disputent
+maintenant l'événement à leur loisir.--Soyez le bienvenu,
+comte; mon fils ne m'est pas plus cher que vous.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Je remercie Votre Majesté.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.--Fanfares.)</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE III</h3>
+
+<p class="stage1">La scène est en Roussillon. Appartement dans le palais
+de la comtesse.</p>
+
+<p class="stage1">LA COMTESSE, <i>son</i> INTENDANT ET UN BOUFFON<a id="footnotetag6" name="footnotetag6"></a>
+<a href="#footnote6"><sup class="sml">6</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote6"
+name="footnote6"><b>Note 6: </b></a><a href="#footnotetag6">
+(retour) </a> C'est toujours le <i>clown</i>, ou bouffon domestique.</blockquote>
+
+<p>LA COMTESSE.--Je suis prête à vous entendre à présent:
+qu'avez-vous à dire de cette jeune demoiselle?</p>
+
+<p>L'INTENDANT.--Madame, je désirerais que l'on pût trouver
+dans le journal de mes services passés tous les
+soins que j'ai pris pour tâcher de vous contenter; car
+nous blessons notre modestie, et nous ternissons la
+pureté de nos services en les publiant nous-mêmes.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Que fait ici ce maraud? Retirez-vous,
+drôle; toutes les plaintes que j'ai entendues sur votre
+compte, je ne les crois pas toutes... non...; mais c'est la
+faute de ma lenteur à croire; car je sais que vous ne
+manquez pas de folie pour commettre ces méchancetés,
+et que vous avez assez d'adresse pour les commettre
+subtilement.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Vous n'ignorez pas, madame, que je
+suis un pauvre diable.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--C'est bien, monsieur.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Non, madame, il n'est pas bien que je
+sois pauvre, quoique la plupart des riches soient damnés.
+Mais si je puis obtenir le consentement de Votre
+Seigneurie pour entrer dans le monde, la jeune Isabeau
+et moi, nous ferons comme nous pourrons.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Tu veux donc aller mendier?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Je ne mendie rien, madame, que votre
+consentement dans cette affaire.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Dans quelle affaire?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Dans l'affaire d'Isabeau et la mienne.
+Service n'est pas héritage; et je crois bien que je n'obtiendrai
+jamais la bénédiction de Dieu, avant d'avoir
+une postérité de mon sang; car on dit que les enfants
+sont une bénédiction.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Dis-moi ta raison: pourquoi veux-tu te
+marier?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Mon pauvre corps, madame, le demande:
+je suis poussé par la chair; et il faut qu'il aille
+celui que le diable pousse.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Sont-ce là toutes les raisons de monsieur?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Vraiment, madame, j'en ai encore d'autres,
+et de saintes; qu'elles soient ce qu'elles voudront.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Peut-on les savoir?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--J'ai été, madame, une créature corrompue,
+comme vous et tous ceux qui sont de chair et de
+sang; et, en vérité, je me marie, afin de pouvoir me
+repentir<a id="footnotetag7" name="footnotetag7"></a>
+<a href="#footnote7"><sup class="sml">7</sup></a>...</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote7"
+name="footnote7"><b>Note 7: </b></a><a href="#footnotetag7">
+(retour) </a> Marie-toi en hâte et repens-toi à loisir, c'est un vieux proverbe.</blockquote>
+
+<p>LA COMTESSE.--De ton mariage plutôt que de la
+méchanceté.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Je suis absolument dépourvu d'amis,
+madame, et j'espère m'en procurer par ma femme.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Maraud! de tels amis sont tes ennemis.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Vous n'y êtes pas, madame, ce sont de
+grands amis; car les fripons viennent faire pour moi ce
+que je suis las de faire. Celui qui laboure ma terre
+épargne mon attelage et me laisse en recueillir la moisson:
+si je suis déshonoré, il est mon valet: celui qui réjouit
+ma femme est le bienfaiteur de ma chair et de mon
+sang; celui qui fait du bien à ma chair et à mon sang
+aime ma chair et mon sang; celui qui aime ma chair et
+mon sang est mon ami: <i>Ergo</i>, celui qui embrasse ma
+femme est mon ami. Si les hommes pouvaient être contents
+de ce qu'ils sont, il n'y aurait aucune crainte à
+avoir dans le mariage; car le jeune Charon le puritain,
+et le vieux Poysam le papiste, quoique leurs coeurs diffèrent
+en religion, leurs têtes à tous les deux n'en font
+qu'une. Ils peuvent jouer de la corne ensemble comme
+tous les daims du troupeau.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Seras-tu donc toujours une mauvaise
+langue et un drôle calomniateur?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Je suis un prophète<a id="footnotetag8" name="footnotetag8"></a>
+<a href="#footnote8"><sup class="sml">8</sup></a>, madame, et je dis
+la vérité par le plus court chemin.</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i16">«Je répéterai la ballade</p>
+<p class="i16">Que les hommes trouveront vraie</p>
+<p class="i16">Le mariage vient par destinée;</p>
+<p class="i16">Le coucou chante par nature.»</p>
+</div></div>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote8"
+name="footnote8"><b>Note 8: </b></a><a href="#footnotetag8">
+(retour) </a> La superstition de l'instinct divin possédé par les fous existe
+dans beaucoup de pays. Les Turcs ont encore pour eux une vénération
+religieuse.</blockquote>
+
+<p>LA COMTESSE.--Retirez-vous; je vous parlerai plus tard.</p>
+
+<p>L'INTENDANT.--Voudriez-vous, madame, lui dire d'appeler
+Hélène: j'ai à vous parler d'elle?</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--L'ami, dites à Mademoiselle que je
+voudrais lui parler; c'est Hélène que je demande.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i16">Quoi, dit-elle, était-ce ce beau visage</p>
+<p class="i16">Qui fut cause que les Grecs saccagèrent Troie?</p>
+<p class="i16">Folle entreprise! folle entreprise!</p>
+<p class="i16">Était-ce là la joie du roi Priam?</p>
+<p class="i16">Elle soupira en s'arrêtant,</p>
+<p class="i16">En s'arrêtant elle soupira</p>
+<p class="i16">Et prononça cette sentence:</p>
+<p class="i16">«Sur neuf mauvaises s'il y en a une bonne,</p>
+<p class="i16">Il y en a donc une bonne sur dix.»</p>
+</div></div>
+
+<p>LA COMTESSE.--Quoi, une bonne sur dix! Vous altérez
+la chanson, coquin.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Une bonne femme sur dix, c'est purifier
+la chanson, madame. Si le bon Dieu voulait pourvoir
+ainsi le monde toute l'année, je ne me plaindrais
+pas de la dîme des femmes, si j'étais le curé. Une sur
+dix! vraiment s'il nous naissait seulement une bonne
+femme à chaque comète, ou à chaque tremblement de
+terre, la loterie serait bien améliorée; mais à présent un
+homme peut s'arracher le coeur avant de tirer une
+bonne femme.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Voulez-vous vous en aller, monsieur
+le drôle, et faire ce que je vous commande?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Qu'un homme puisse être aux ordres
+d'une femme sans qu'il en arrive malheur! Quoique
+l'honnêteté ne soit pas puritaine... elle ne veut cependant
+faire de mal à personne; et elle consentira à porter
+le surplis de l'humilité sur la robe noire d'un coeur gonflé
+d'orgueil. Sérieusement je pars: mon affaire est de
+dire à Hélène de venir ici.</p>
+
+<p class="stage1">(Il sort,)</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Eh bien! maintenant! qu'y a-t-il?</p>
+
+<p>L'INTENDANT.--Je sais, madame, que vous aimez tendrement
+votre suivante.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Oui, je l'aime: son père me l'a léguée;
+et elle-même, sans autre considération, a des droits légitimes
+à toute l'amitié qu'elle trouve en moi. Je lui dois
+bien plus qu'il ne lui a été payé, et je lui payerai plus
+qu'elle ne demandera.</p>
+
+<p>L'INTENDANT.--Madame, je me trouvai dernièrement
+beaucoup plus près d'elle qu'elle ne l'eût désiré, je pense.
+Elle était seule, et confiait ses secrets à ses propres
+oreilles: elle pensait, j'oserais le jurer pour elle, qu'ils
+n'arriveraient point à des oreilles étrangères. Elle disait
+qu'elle aimait votre fils. «La fortune, dit-elle, n'est
+point une déesse, puisqu'elle a mis une si grande différence
+entre son rang et le mien: l'amour n'est point un
+dieu, puisqu'il ne veut montrer son pouvoir que lorsque
+les avantages sont égaux. Diane n'est point la reine des
+vierges, puisqu'elle a pu permettre que sa pauvre chevalière
+fût surprise sans défense à la première attaque, et
+qu'elle la laisse sans espoir de rançon.» Elle disait cela
+avec l'accent du plus amer chagrin que j'aie jamais
+entendu exprimer à une vierge. J'ai cru, madame, qu'il
+était de mon devoir de vous en instruire sur-le-champ,
+puisqu'il vous importe un peu de le savoir, à cause du
+malheur qui pourrait en arriver.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Vous avez rempli le devoir d'un honnête
+homme; mais gardez ce secret pour vous seul. Bien
+des probabilités m'avaient déjà instruite de ce fait; mais
+elles étaient toutes si incertaines que je ne pouvais ni
+les croire ni les rejeter. Laissez-moi, je vous prie: conservez
+ceci dans votre âme: je vous remercie de vos
+bons soins; je vous en dirai davantage une autre fois.
+(<span class="stage2"><i>L'intendant sort; Hélène entre.</i></span>) Voilà comme j'étais quand
+j'étais jeune. Si nous écoutons la nature, c'est ce qui
+nous arrive; cette épine est inséparablement attachée à
+la rose de notre jeunesse. Notre sang est à nous, et ceci
+est né dans notre sang. Partout où la forte passion de
+l'amour s'imprime dans un jeune coeur, c'est le sceau et
+la preuve de la vérité de la nature. Le souvenir de ces
+jours, qui sont passés pour moi, me rappelle les mêmes
+fautes. Ah! je ne croyais pas alors que ce fussent des
+fautes. Je le vois bien maintenant; son oeil en est éteint.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Quel est votre bon plaisir, madame?</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Tu sais, Hélène, que je suis une mère
+pour toi.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Vous êtes mon honorable maîtresse.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Non, mais une mère. Pourquoi pas ta
+mère? Lorsque j'ai prononcé le nom de mère, j'ai cru
+que tu venais de voir un serpent. Qu'y a-t-il donc dans
+ce nom de mère, pour qu'il te fasse tressaillir? Je dis
+que je suis votre mère, et je vous mets au nombre de
+ceux que j'ai portés dans mon sein. On a vu souvent
+l'adoption le disputer à la nature; et notre choix nous
+donne un rejeton naturel né de semences étrangères. Tu
+n'as jamais oppressé mon sein des douleurs de mère, et
+cependant je te montre toute la tendresse d'une mère.
+Par la grâce de Dieu, jeune fille, est-ce te tourner le
+sang que de te dire: «Je suis ta mère?» Pourquoi ce
+triste précurseur des larmes, cet arc-en-ciel<a id="footnotetag9" name="footnotetag9"></a>
+<a href="#footnote9"><sup class="sml">9</sup></a> aux nombreuses
+couleurs entoure-t-il tes yeux? Pourquoi? Parce
+que tu es ma fille?</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote9"
+name="footnote9"><b>Note 9: </b></a><a href="#footnotetag9">
+(retour) </a>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i16"><i>What is the matter,</i></p>
+<p class="i16"><i>That this distemper'd messenger of wet,</i></p>
+<p class="i16"><i>The many colour'd iris, rounds thine eye?</i></p>
+</div></div>
+
+<p>Observation vraie exprimée poétiquement.</p></blockquote>
+
+<p>HÉLÈNE.--Parce que je ne le suis pas.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Je te dis que je suis ta mère.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Pardonnez-moi, madame, le comte de Roussillon
+ne peut être mon frère; je suis d'une humble
+naissance, et lui d'une famille illustre: mes parents sont
+inconnus, les siens sont tous nobles: il est mon maître,
+mon cher seigneur, et je vis pour le servir, et je veux
+mourir sa vassale. Il ne faut pas qu'il soit mon frère.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Ni moi, votre mère?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Vous êtes ma mère, madame! (pourvu que
+monseigneur votre fils ne soit pas mon frère); plût à Dieu
+que vous fussiez en effet ma mère, ou que vous fussiez
+la mère de tous deux! je ne le désire pas plus que je ne
+désire le ciel, pourvu que je ne sois pas sa soeur. Ne
+serait-il donc pas possible que je fusse votre fille, sans
+qu'il fût mon frère?</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Oui, Hélène, tu pourrais être ma belle-fille.
+A Dieu ne plaise que ce soit là ta pensée! Les
+noms de fille et de mère agitent tellement ton pouls!
+Quoi! tu pâlis encore!... Mes craintes ont enfin surpris
+ton amour. Je pénètre maintenant le mystère de ta solitude,
+et je découvre enfin la source de tes larmes
+amères. Maintenant tout est clair comme le jour. Tu
+aimes mon fils. Il serait honteux de vouloir dissimuler
+ce que ta passion publie, et de vouloir me dire que tu
+ne l'aimes pas: ainsi, dis-le-moi; avoue-moi la vérité:
+car vois, tes joues se l'avouent l'une à l'autre, et tes
+yeux le voient éclater si manifestement dans ta conduite,
+qu'ils le disent aussi dans leur langage. Il n'y a que le péché
+et une obstination d'enfer qui enchaînent ta langue,
+pour rendre la vérité suspecte. Parle: cela est-il vrai?--Si
+cela est, tu as dévidé un joli peloton. Si cela n'est pas,
+jure que je me trompe: cependant, je te l'ordonne au
+nom de l'oeuvre que le ciel peut faire en moi à ton profit,
+dis-moi la vérité.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Ma bonne maîtresse, daignez me pardonner.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Aimez-vous mon fils?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Votre pardon, ma noble maîtresse.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Aimez-vous mon fils?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Ne l'aimez-vous pas, vous, madame?</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Point de détours. Mon amour pour lui
+vient d'un lien que personne n'ignore. Allons, allons,
+découvre-moi l'état de ton coeur, car ta passion elle-même
+t'accuse hautement.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Eh bien! je l'avoue ici, à genoux, devant le
+ciel et devant vous, madame, que j'aime votre fils plus
+que vous, et seulement moins que le ciel. Mes parents
+étaient pauvres, mais honnêtes; mon amour l'est aussi.
+N'en soyez pas offensée; car mon amour ne lui fait
+aucun mal. Je ne le poursuis point par des marques de
+prétentions présomptueuses, je ne voudrais pas l'obtenir
+avant de le mériter, et cependant je ne sais pas comment
+je pourrai le mériter jamais. Je sais que j'aime en
+vain; je lutte contre toute espérance, et cependant je
+verse toujours les flots de mon amour dans ce crible perfide
+et fuyant, sans m'apercevoir qu'il diminue.--Ainsi,
+semblable à l'Indien, religieuse dans mon erreur, j'adore
+le soleil, qui regarde son adorateur, mais qui ne sait
+rien de plus de lui. Ma chère maîtresse, que votre haine
+ne rencontre pas mon amour, parce que j'aime ce que
+vous aimez. Mais vous-même, madame, dont l'honorable
+vieillesse annonce une jeunesse vertueuse, si jamais vous
+avez brûlé d'une flamme si pure, de désirs si chastes, et
+d'un amour si tendre, que votre Diane fut en même
+temps la déesse de l'amour, oh! ayez pitié de celle dont
+l'état est si malheureux qu'elle ne peut que prêter et
+donner où elle est sûre de toujours perdre; qui ne
+cherche point à trouver ce que ses voeux recherchent,
+mais qui, semblable à l'énigme, chérit le secret qui est
+sa mort<a id="footnotetag10" name="footnotetag10"></a>
+<a href="#footnote10"><sup class="sml">10</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote10"
+name="footnote10"><b>Note 10: </b></a><a href="#footnotetag10">
+(retour) </a> <i>Elle cesse de vivre alors qu'on la devine</i>, dit une ancienne épigramme
+qui compare la femme à une énigme.</blockquote>
+
+<p>LA COMTESSE.--N'aviez-vous pas dernièrement le projet
+d'aller à Paris? Parlez-moi franchement.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Oui, madame.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Pourquoi? Dites la vérité.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Je dirai la vérité, j'en jure par la grâce elle-même.
+Vous savez que mon père m'a laissé quelques
+recettes d'un effet merveilleux et éprouvé, que sa science
+et son expérience connue avaient recueillies pour des
+spécifiques souverains, et qu'il me recommanda de ne
+les donner qu'avec soin et réserve, comme des ordonnances
+qui renfermaient en elles de bien plus grandes
+vertus qu'on n'en pouvait juger sur l'étiquette. Dans le
+nombre, il y a un remède, dont l'utilité est reconnue
+pour guérir les maladies de langueur désespérées comme
+celle dont on croit le roi perdu.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Était-ce là votre motif pour aller à
+Paris? Répondez.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--C'est votre noble fils, madame, qui m'a fait
+penser à cela: autrement, Paris et la médecine, et le roi,
+ne me seraient peut-être jamais venus dans la pensée.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Mais, Hélène, si tu offrais au roi tes
+prétendus secours, penses-tu qu'il les acceptât? Le roi et
+ses médecins sont d'accord. Lui, il est persuadé qu'ils
+ne peuvent le guérir; eux le sont aussi qu'ils ne peuvent
+le guérir. Comment croiront-ils une pauvre jeune
+fille ignorante, lorsqu'eux-mêmes, après avoir épuisé
+toute la science des écoles, ils ont abandonné le mal à
+lui-même?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Il y a quelque chose qui me dit, plus encore
+que la science de mon père, qui était pourtant le plus
+grand dans sa profession, que sa bienfaisante recette,
+qui fait mon héritage, sera bénie, pour mon bonheur,
+par les plus heureuses étoiles qui soient au ciel. Et si
+Votre Seigneurie veut me permettre de tenter son succès,
+je répondrai sur ma vie, que je perdrais dans une
+bonne cause, de la guérison du roi, pour tel jour et à
+telle heure.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Le crois-tu?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Oui, madame, et j'en suis convaincue.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Eh bien, Hélène, tu auras mon consentement,
+ma tendresse, de l'argent, une suite, et mes
+pressantes recommandations à tous mes amis, qui sont
+à la cour. Je resterai au logis, et je prierai Dieu de bénir
+ton entreprise. Pars demain, et sois sûre que tous les
+secours que je puis te donner ne te manqueront pas.</p>
+
+<p class="stage1">(Elles sortent.)</p>
+
+<p>FIN DU PREMIER ACTE.</p>
+<br><br><br>
+<h3>ACTE DEUXIÈME</h3>
+<br>
+<h3>SCÈNE I</h3>
+
+<p class="stage1">A Paris.--Appartement dans le palais du roi.</p>
+
+<p class="stage1">LE ROI <i>paraît avec de jeunes seigneurs, qui prennent congé
+de lui, et partent pour la guerre de Florence</i>. BERTRAND
+et PAROLLES. Fanfares.</p>
+
+<p>LE ROI.--Adieu, jeune seigneur. Ne perdez jamais de
+vue ces principes d'un guerrier.--Adieu, vous aussi, seigneur.
+Partagez mes conseils entre vous. Si chacun de
+vous se les approprie tout entiers, le présent est de
+nature à s'étendre à proportion qu'il est reçu, et il suffira
+pour tous deux.</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR.--C'est notre espérance, sire,
+qu'après nous être formés dans le métier de la guerre,
+nous reviendrons pour trouver Votre Majesté en bonne
+santé.</p>
+
+<p>LE ROI.--Non, non; cela est impossible: et cependant
+mon coeur ne veut pas avouer qu'il souffre de la maladie
+qui mine mes jours. Adieu, jeunes guerriers. Soit
+que je vive, ou que je meure, montrez-vous les fils des
+vaillants Français. Que la haute Italie (cette nation
+dégénérée qui n'a hérité que des défaites de la dernière
+monarchie<a id="footnotetag11" name="footnotetag11"></a>
+<a href="#footnote11"><sup class="sml">11</sup></a>) reconnaisse que vous ne venez pas seulement
+pour courtiser l'honneur, mais pour l'épouser.
+Quand les plus braves de vos rivaux reculeront, sachez
+trouver ce que vous cherchez pour vous faire proclamer
+hautement par la renommée.--Je vous dis adieu.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote11"
+name="footnote11"><b>Note 11: </b></a><a href="#footnotetag11">
+(retour) </a> L'empire romain.</blockquote>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Que la santé soit aux ordres de
+Votre Majesté!</p>
+
+<p>LE ROI.--Et ces jeunes filles d'Italie... Prenez garde à
+elles. On dit que nos Français n'ont point de langue pour
+les refuser, lorsqu'elles demandent: prenez garde d'être
+captifs, avant d'être soldats.</p>
+
+<p>LES DEUX SEIGNEURS.--Nos coeurs conserveront vos avis.</p>
+
+<p>LE ROI.--Adieu. (<span class="stage2"><i>A quelqu'un de ses gens.</i></span>) Venez à moi.</p>
+
+<p class="stage1">(On le conduit sur un lit de repos.)</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR, <span class="stage2"><i>à Bertrand</i></span>.--O mon cher seigneur,
+faut-il que nous vous laissions derrière nous!</p>
+
+<p>PAROLLES.--Il n'y a pas de sa faute, le jeune galant.</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Oh! c'est une superbe campagne.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Admirable. J'ai vu ces guerres.</p>
+
+<p>BERTRAND.--On m'ordonne de rester ici, et l'on m'écarte,
+en me criant: Trop jeune! l'année prochaine! il
+est trop tôt encore.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Si cela vous tient si fort au coeur, mon
+garçon, dérobez-vous bravement.</p>
+
+<p>BERTRAND.--On me force à rester ici pour être le complaisant
+d'une jupe, et faire crier ma fine chaussure sur
+un parquet uni, jusqu'à ce que tout l'honneur soit acquis,
+et sans user d'épée que pour danser<a id="footnotetag12" name="footnotetag12"></a>
+<a href="#footnote12"><sup class="sml">12</sup></a>.--Par le ciel, je
+me déroberai d'ici!</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote12"
+name="footnote12"><b>Note 12: </b></a><a href="#footnotetag12">
+(retour) </a> On dansait alors l'épée au côté.</blockquote>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR.--Il est honorable de se dérober
+ainsi.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Commettez ce larcin, comte.</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Je suis votre second; adieu.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Je tiens à vous; et notre séparation est une
+torture.</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR, <span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>.--Adieu, capitaine.</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Salut, bon monsieur Parolles.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Nobles héros, mon épée et les vôtres sont
+de la même famille. Mes braves et brillants seigneurs!
+Un mot, mes chères lames.--Vous trouverez, dans le
+régiment des Spiniens, un certain capitaine Spurio, avec
+sa cicatrice ici sur la joue gauche, une marque de guerre,
+que cette épée que voici lui a gravée sur le visage: dites-lui
+que je suis en vie, et retenez bien ce qu'il vous dira
+de moi.</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Nous n'y manquerons pas, noble
+capitaine.</p>
+
+<p class="stage1">(Les deux seigneurs sortent.)</p>
+
+<p>PAROLLES.--Que Mars vous chérisse comme ses disciples.
+(<span class="stage2"><i>Voyant le roi se lever sur son séant</i></span>,) Quel parti
+prenez-vous?</p>
+
+<p>BERTRAND.--Arrête.--Le roi...</p>
+
+<p>PAROLLES.--Étendez donc plus loin vos politesses avec
+ces nobles seigneurs: vous vous êtes renfermé dans une
+formule d'adieu trop froide: soyez plus démonstratif
+avec eux; ce sont eux qui dirigent les modes; leur tournure,
+leur manière de manger, leur langage, leurs mouvements,
+tout est sous l'influence de l'astre le plus en
+vogue: et quand ce serait le diable qui conduirait la
+danse, ce serait eux qu'il faudrait suivre: courez les
+rejoindre, et mettez plus de chaleur dans vos adieux.</p>
+
+<p>BERTRAND.--C'est ce que je veux faire.</p>
+
+<p>PAROLLES.--De braves gens! et qui ont tout l'air de
+devenir de robustes guerriers.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+
+<p class="stage1">(Entre Lafeu.)</p>
+
+<p>LAFEU, <span class="stage2"><i>se prosternant devant le roi</i></span>.--Pardon, mon souverain,
+pour moi et les nouvelles que j'apporte.</p>
+
+<p>LE ROI.--Je vous l'accorderai, si vous vous levez.</p>
+
+<p>LAFEU, <span class="stage2"><i>se relevant</i></span>.--Vous voyez donc debout devant
+vous un homme qui apporte son pardon. Je voudrais,
+sire, que vous vous fussiez mis à genoux pour demander
+mon pardon, et que vous puissiez, à mon commandement,
+vous relever comme moi.</p>
+
+<p>LE ROI.--Je le voudrais aussi: je t'aurais cassé la tête
+et je t'en aurais demandé pardon après.</p>
+
+<p>LAFEU.--En croix, ma foi<a id="footnotetag13" name="footnotetag13"></a>
+<a href="#footnote13"><sup class="sml">13</sup></a>.--Mon cher seigneur, voici ce
+dont il s'agit: voulez-vous être guéri de votre infirmité?</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote13"
+name="footnote13"><b>Note 13: </b></a><a href="#footnotetag13">
+(retour) </a>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i16"><i>I had broke thy pate,</i></p>
+<p class="i16"><i>And ask thee mercy for it.</i></p>
+<p class="i16">LAFEU. <i>Good faith across.</i></p>
+</div></div>
+
+<p>Cas où la tête est cassée, plaisanterie qu'on retrouve dans la
+comédie des <i>Méprises</i>.</p></blockquote>
+
+<p>LE ROI.--Non.</p>
+
+<p>LAFEU.--Oh! ne voulez-vous pas de raisin, renard
+royal? Mais vous mangerez mon bon raisin, si mon royal
+renard peut y atteindre. J'ai vu un médecin qui est capable
+de faire entrer la vie dans une pierre, d'animer un
+rocher, de vous faire danser la canarie<a id="footnotetag14" name="footnotetag14"></a>
+<a href="#footnote14"><sup class="sml">14</sup></a> avec feu et du
+pas le plus léger. Son simple toucher aurait la vertu de
+ressusciter le roi Pépin: oui, de faire prendre au grand
+Charlemagne une plume en main, pour lui écrire à elle
+un billet doux.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote14"
+name="footnote14"><b>Note 14: </b></a><a href="#footnotetag14">
+(retour) </a> Danse française alors en vogue.</blockquote>
+
+<p>LE ROI.--Que voulez-vous dire par <i>elle?</i></p>
+
+<p>LAFEU.--Je veux dire un docteur femelle.--Sire, il y
+en a un d'arrivé, si vous voulez la voir.--Sur ma foi, sur
+mon honneur, si après ce début léger je puis revenir à
+vous parler sérieusement, j'ai causé avec une personne,
+qui par son sexe, par sa jeunesse, par sa déclaration,
+par sa sagesse et sa constance, m'a plus étonné que je
+n'ose en blâmer ma faiblesse.--Voulez-vous la voir,
+sire (car c'est ce qu'elle demande), et savoir ce qu'elle
+veut faire? Après, moquez-vous bien de moi.</p>
+
+<p>LE ROI.--Allons, bon Lafeu, introduis ta merveille,
+afin que nous puissions partager ton admiration, ou te
+guérir de la tienne, en admirant où tu l'as prise.</p>
+
+<p>LAFEU.--Oh! je vous convaincrai, et il ne me faudra
+pas tout le jour pour cela.</p>
+
+<p class="stage1">(Lafeu sort.)</p>
+
+<p>LE ROI.--Voilà toujours ses grands prologues, pour
+aboutir à des riens.</p>
+
+<p class="stage1">(Lafeu revient et introduit Hélène.)</p>
+
+<p>LAFEU, <span class="stage2"><i>à Hélène</i></span>.--Allons, entrez.</p>
+
+<p>LE ROI.--Tant de hâte donne des ailes.</p>
+
+<p>LAFEU, <span class="stage2"><i>à Hélène</i></span>.--Allons, avancez. Voilà Sa Majesté:
+déclarez-lui vos intentions. Vous avez un minois fripon;
+mais Sa Majesté ne craint guère ces sortes de traîtres.
+Je suis l'oncle de Cressida<a id="footnotetag15" name="footnotetag15"></a>
+<a href="#footnote15"><sup class="sml">15</sup></a>, en osant vous laisser tous
+deux ensemble. Adieu. <span class="stage2"><i>(Il sort.)</i></span></p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote15"
+name="footnote15"><b>Note 15: </b></a><a href="#footnotetag15">
+(retour) </a> Voir Pandarus dans <i>Troïlus et Cressida</i>.</blockquote>
+
+<p>LE ROI.--Eh bien! ma belle, est-ce à moi que vous
+avez affaire?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Oui, mon bon seigneur. Gérard de Narbonne
+était mon père, bien connu dans l'art qu'il professait.</p>
+
+<p>LE ROI.--Je l'ai connu.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Je puis donc me dispenser de vous faire son
+éloge: il suffit de le connaître.--Sur son lit de mort, il
+me donna plusieurs recettes; une entre autres qui était
+le fruit le plus précieux de sa pratique, le trésor unique
+de sa longue expérience, et il m'ordonna de serrer ce
+trésor comme un troisième oeil, plus cher, plus infaillible
+que les deux miens. C'est ce que j'ai fait; et ayant
+ouï dire que Votre glorieuse Majesté était atteinte de la
+funeste maladie, dont la cure a fait le plus d'honneur à
+la vertu du remède que m'a laissé mon bon père, je suis
+venue vous l'offrir avec mes secours, avec toute l'humilité
+que je dois.</p>
+
+<p>LE ROI.--Nous vous rendons grâces, jeune fille; mais
+nous ne pouvons être si crédule en fait de guérison,
+lorsque nos plus savants docteurs nous abandonnent, et
+que le collège entier a décidé que tous les efforts de l'art
+ne pouvaient retirer la nature de sa situation désespérée.--Je
+dis que nous ne devons pas déshonorer notre
+jugement, ni nous laisser corrompre par une folle espérance,
+au point de prostituer à des empiriques notre
+maladie incurable: un roi ne doit pas détruire, par une
+faiblesse, sa réputation, en faisant cas d'un secours
+insensé, lorsqu'il est persuadé qu'il ne faut plus songer
+à aucun secours.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Mon zèle m'indemnisera alors de mes peines.
+Je ne vous presserai pas davantage d'accepter mes services;
+et je demande humblement à Votre Majesté une
+petite part dans ses pensées, en prenant congé d'elle.</p>
+
+<p>LE ROI.--Je ne peux vous donner moins, si je veux
+passer pour reconnaissant. Vous avez voulu me secourir:
+je vous fais les remerciements qu'un homme, prêt de
+mourir, doit à ceux qui font des voeux pour sa vie. Mais
+vous n'avez aucune connaissance de ce que je sais, moi,
+parfaitement: je connais tout mon danger, et vous ne
+connaissez point de remède.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Il ne peut y avoir aucun danger à essayer
+ce que je puis faire, puisque vous avez placé votre repos
+dans l'opinion que votre mal était incurable.--Celui qui
+opère les plus grands prodiges les accomplit souvent par
+le plus faible ministre: ainsi la Sainte-Écriture nous
+montre la sagesse chez les enfants, dans des cas où les
+juges n'étaient eux-mêmes que des enfants. Tandis que
+les plus sages niaient les miracles, on a vu de grands
+fleuves sortir de faibles sources, et de vastes mers se
+dessécher. Souvent l'attente échoue là même où elle promettait
+le plus; et souvent elle réussit dans les cas où
+l'espérance est la plus languissante, et où règne le
+désespoir.</p>
+
+<p>LE ROI.--Je ne dois point vous écouter. Adieu, ma
+bonne fille. Vos peines n'étant pas employées, c'est à
+vous de vous en payer. Des offres qu'on n'accepte point
+recueillent un remerciement pour leur salaire.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Ainsi un secours inspiré par le ciel est
+repoussé par un seul mot! Il n'en est pas de Celui qui
+connaît toutes choses comme de nous, qui ne pouvons
+asseoir nos conjectures que sur les apparences. Mais
+c'est en nous un excès de présomption, lorsque nous
+regardons le secours du ciel comme l'ouvrage de
+l'homme. Sire, donnez votre consentement à ma tentative:
+faites une expérience du ciel, et non pas de moi.
+Je ne suis point un imposteur qui proclame une intention
+qu'il n'a pas. Mais sachez que je crois, et croyez
+aussi que je sais qu'il est certain que mon art n'est pas
+sans puissance, ni vous sans espoir de guérison.</p>
+
+<p>LE ROI.--Avez-vous donc tant de confiance? En combien
+de temps espérez-vous me guérir?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Si la grâce toute-puissante m'accorde son secours
+avant que les chevaux du soleil aient fait parcourir
+deux fois à son char enflammé le cercle d'un jour;
+avant que l'humide Hespérus ait deux fois éteint sa
+lampe assoupie dans les sombres vapeurs de l'occident;
+avant que le sablier du pilote lui ait marqué vingt-quatre
+fois comment se dérobent les minutes, ce qu'il y
+a d'infirme dans les parties saines de votre corps s'enfuira:
+la santé reprendra son libre cours, et le mal sera
+détruit.</p>
+
+<p>LE ROI.--Quel gage oses-tu hasarder de ta certitude et
+de ta confiance?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--La peine de l'impudence, la hardiesse d'une
+prostituée; ma honte proclamée dans d'injurieuses ballades;
+l'infamie attachée à mon nom de vierge; qu'on
+me fasse souffrir tout ce qu'il y a de pis, et que ma vie
+finisse dans les plus affreuses tortures.</p>
+
+<p>LE ROI.--Il me semble que j'entends un esprit céleste
+parler par ta bouche, et que je reconnais dans ton faible
+organe sa voix puissante. Ce que l'impossibilité anéantirait
+d'après le sens commun, la raison le sauve d'une
+autre manière. Ta vie est d'un grand prix; car tout ce
+que la vie estime valoir le nom de vie, tu le possèdes:
+jeunesse, beauté, sagesse, courage, vertu, tout ce que le
+bonheur et le printemps de l'âge peuvent donner d'heureux;
+hasarder tous ces biens, c'est indiquer une science
+infinie ou un monstrueux désespoir. Aimable docteur,
+je veux essayer de ton remède qui, si je meurs, te donne
+la mort.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Si j'excède le temps fixé, ou que j'échoue
+dans le succès que j'ai annoncé, faites-moi mourir sans
+pitié; je l'aurai bien mérité. Si je ne vous guéris pas, je
+le payerai de ma vie; mais si je vous guéris, que me
+promettez-vous?</p>
+
+<p>LE ROI.--Faites votre demande.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Mais me l'accorderez-vous?</p>
+
+<p>LE ROI.--Oui, par mon sceptre et par mes espérances
+de salut!</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Eh bien! vous me ferez don, de votre main
+royale, de l'époux que je vous demanderai, et qu'il sera
+en votre pouvoir de me procurer. Loin de moi l'arrogante
+présomption de le choisir dans le sang royal de
+France, et de vouloir perpétuer la bassesse de mon nom
+obscur par un rejeton ou une image de votre auguste
+famille; mais j'aurai la liberté de demander, et vous
+celle de me donner un de vos vassaux que je connais
+bien.</p>
+
+<p>LE ROI.--Voilà ma main; les prémices observées, ta
+volonté sera exécutée par mes soins: ainsi choisis toi-même
+ton moment, car moi, décidé à être ton malade,
+je me repose entièrement sur toi. Je devrais te questionner
+davantage, et je le ferai... quoique, tout en en
+sachant davantage, je ne pourrais pas avoir plus de confiance
+en toi... Je pourrais te demander d'où tu viens,
+qui t'a amenée; mais sois la bienvenue, sans autres
+questions, et accueillie sans aucun doute.--Holà! aidez-moi
+un peu ici.--Si tes succès égalent tes promesses,
+ma récompense égalera ton bienfait.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE II</h3>
+
+<p class="stage1">En Roussillon.--Appartement du palais de la comtesse.</p>
+
+<p class="stage1">LA COMTESSE <i>entre avec</i> LE BOUFFON.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Viens çà, l'ami. Je veux voir jusqu'à
+quel degré va ton savoir-vivre.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Je vais vous montrer que je suis fort
+bien nourri et fort mal élevé. Je sais que je n'ai affaire
+qu'avec la cour.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Comment! qu'avec la cour? Et à quel
+autre lieu attaches-tu donc tant d'importance, pour
+nommer la cour avec tant de mépris: qu'avec la cour,
+dis-tu?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--En vérité, madame, si Dieu a prêté à un
+homme quelques bonnes moeurs, il peut bien les mettre
+de côté à la cour. Celui qui ne sait pas saluer, ôter son
+chapeau, baiser sa main et dire des riens, n'a ni jambes,
+ni mains, ni bouche, ni chapeau, et ma foi, cet homme,
+à dire vrai, n'était pas fait pour la cour; mais, pour moi,
+j'ai une réponse qui peut servir à tout le monde.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Vraiment, c'est une bien bonne réponse
+que celle qui peut aller à toutes les questions.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--C'est comme une chaise de barbier qui
+va bien à tous les derrières, pointus, ronds, carrés, à
+tous les derrières possibles.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Et ta réponse ira à toutes les questions?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Comme dix sous à la main d'un procureur,
+comme une couronne française à une fille en taffetas<a id="footnotetag16" name="footnotetag16"></a>
+<a href="#footnote16"><sup class="sml">16</sup></a>;
+comme l'anneau de jonc de Tibbie<a id="footnotetag17" name="footnotetag17"></a>
+<a href="#footnote17"><sup class="sml">17</sup></a>, à l'index de
+Tom, comme les crêpes au mardi gras, comme une
+danse moresque au 1er mai, comme le clou à son trou,
+l'homme déshonoré à ses cornes, une méchante diablesse
+à un coquin bourru, comme les lèvres de la nonne à la
+bouche d'un moine; enfin, comme le <i>pudding</i> à sa peau.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote16"
+name="footnote16"><b>Note 16: </b></a><a href="#footnotetag16">
+(retour) </a> Couronne française, suite d'une maladie ou écu de France,
+équivoque, etc.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote17"
+name="footnote17"><b>Note 17: </b></a><a href="#footnotetag17">
+(retour) </a> Allusion à une ancienne coutume de marier avec un anneau
+de jonc; mariage fictif dont se jouaient les séducteurs.</blockquote>
+
+<p>LA COMTESSE.--As-tu, te dis-je, une telle réponse qui
+s'ajuste à toutes les questions?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Oui, depuis le duc jusqu'au dernier
+constable, elle ira à toutes les questions.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Ce doit être une réponse d'une prodigieuse
+étendue pour faire ainsi face à toutes les
+demandes.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Ce n'est pas une bagatelle, à vrai dire,
+si les savants voulaient l'apprécier à sa juste valeur. La
+voici, avec toutes ses dépendances. Demandez-moi si
+je suis un courtisan; cela ne vous fera pas de tort
+d'apprendre.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Allons, redevenons jeune si nous pouvons<a id="footnotetag18" name="footnotetag18"></a>
+<a href="#footnote18"><sup class="sml">18</sup></a>.--Je
+vais faire la folle en te faisant la question,
+dans l'espérance que ta réponse me rendra plus sage.
+Allons, je vous prie, monsieur, êtes-vous un courtisan?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--<i>O mon Dieu, monsieur!</i><a id="footnotetag19" name="footnotetag19"></a>
+<a href="#footnote19"><sup class="sml">19</sup></a>--Voilà un
+moyen bien simple de se défaire des gens.--Allons,
+encore, encore, une centaine de questions.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote18"
+name="footnote18"><b>Note 18: </b></a><a href="#footnotetag18">
+(retour) </a> C'est-à-dire soyons légère, rions, si nous le pouvons.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote19"
+name="footnote19"><b>Note 19: </b></a><a href="#footnotetag19">
+(retour) </a> <i>O Lord, sir!</i> Exclamation du bon ton alors, et que Shakspeare
+tourne en ridicule.</blockquote>
+
+<p>LA COMTESSE.--Monsieur, je suis un pauvre ami à
+vous qui vous aime bien.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--<i>O mon Dieu, monsieur!</i>--Allons, serré,
+ne me ménagez pas.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Je pense bien, monsieur, que vous ne
+pouvez pas manger de ce mets grossier.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--<i>O mon Dieu, monsieur!</i>--Allons, embarrassez-moi,
+je vous ferai face.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Vous avez été fouetté ces jours derniers,
+monsieur, à ce que je crois.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--<i>O mon Dieu, monsieur!</i>--Ne m'épargnez
+pas.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Criez-vous, <i>ô mon Dieu, monsieur!</i> et <i>ne
+m'épargnez pas</i>, lorsqu'on vous fouette? Vraiment votre
+<i>ô mon Dieu, monsieur!</i> va à merveille dans cette occasion;
+ce serait fort bien répondre au fouet si vous étiez
+seulement attaché pour le recevoir.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Je n'ai jamais eu tant de malheur dans
+ma vie pour mon <i>ô mon Dieu, monsieur!</i> je vois bien que
+les choses peuvent servir longtemps, mais pas toujours.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Je fais vraiment la ménagère prodigue
+avec le temps, de le dépenser en vains propos avec un
+fou.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--<i>O mon Dieu, monsieur!</i>--Tenez, voilà
+que cela se retrouve à propos.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Allons, monsieur, finissons; donnez
+cette lettre à Hélène, et pressez-la de me faire réponse
+sur-le-champ; recommandez-moi à mes parents, à mon
+fils: ce n'est pas beaucoup...</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Ne pas beaucoup vous recommander à
+eux?</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Ce n'est pas beaucoup de peine pour
+vous. Vous m'entendez?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Avec le plus grand fruit: je suis là
+avant mes jambes.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Allons, hâte-toi de revenir.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE III</h3>
+
+<p class="stage1">Paris.--Appartement du palais du roi.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> BERTRAND, LAFEU, PAROLLES.</p>
+
+<p>LAFEU.--On dit que les miracles sont passés; et nous
+avons nos philosophes pour faire de tous les phénomènes
+surnaturels et sans cause visible des événements
+communs et familiers. Il arrive de là que nous nous
+jouons des choses les plus effrayantes, nous retranchant
+dans une science illusoire, lorsque nous devrions nous
+soumettre à une terreur inconnue.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Oui, c'est une des plus rares merveilles
+qui ait éclaté dans nos temps modernes.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Oh! sans doute!</p>
+
+<p>LAFEU.--D'être abandonné des gens de l'art...</p>
+
+<p>PAROLLES.--C'est ce que je dis, de Galien et de Paracelse...</p>
+
+<p>LAFEU.--De tous les personnages savants et authentiques<a id="footnotetag20" name="footnotetag20"></a>
+<a href="#footnote20"><sup class="sml">20</sup></a>...</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote20"
+name="footnote20"><b>Note 20: </b></a><a href="#footnotetag20">
+(retour) </a> Épithète appliquée aux savants du temps de l'auteur.</blockquote>
+
+<p>PAROLLES.--Oui, c'est ce que je dis.</p>
+
+<p>LAFEU.--Qui l'ont déclaré incurable...</p>
+
+<p>PAROLLES.--Oui, vraiment, c'est ce que je dis aussi.</p>
+
+<p>LAFEU.--Sans remède...</p>
+
+<p>PAROLLES.--Oui, comme un homme qui serait assuré
+de...</p>
+
+<p>LAFEU.--Une vie incertaine, et une mort inévitable.</p>
+
+<p>PAROLLES.--C'est cela même: vous avez raison: c'est
+ce que j'allais dire.</p>
+
+<p>LAFEU.--Je puis dire que c'est quelque chose de nouveau
+dans ce monde.</p>
+
+<p>PAROLLES.--C'est bien vrai; si vous voulez le voir en
+représentation, vous le lirez dans... Comment appelez-vous
+cela?</p>
+
+<p>LAFEU.--<i>Représentation d'un effet céleste dans un acteur
+terrestre</i><a id="footnotetag21" name="footnotetag21"></a>
+<a href="#footnote21"><sup class="sml">21</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote21"
+name="footnote21"><b>Note 21: </b></a><a href="#footnotetag21">
+(retour) </a> Titre de quelque ouvrage du temps.</blockquote>
+
+<p>PAROLLES.--C'est justement là ce que je voulais dire:
+c'est cela même.</p>
+
+<p>LAFEU.--En vérité, le dauphin n'est pas vigoureux.--En
+vérité, je parle relativement à...</p>
+
+<p>PAROLLES.--Oh! cela est étrange, très-étrange: voilà
+toute l'histoire et l'embarrassant de la chose, et il faut
+être d'un esprit bien pervers pour ne pas reconnaître
+que c'est...</p>
+
+<p>LAFEU.--La main du ciel même.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Oui, c'est ce que je dis.</p>
+
+<p>LAFEU.--Par le plus faible...</p>
+
+<p>PAROLLES.--Et le plus débile ministre: un grand pouvoir,
+une puissance extraordinaire, qui devrait en vérité
+produire encore sur nous d'autres effets que la seule
+guérison du roi; comme par exemple...</p>
+
+<p>LAFEU.--Une reconnaissance universelle.</p>
+
+<p>PAROLLES.--J'allais le dire: vous avez bien raison.--Voici
+le roi qui vient.</p>
+
+<p class="stage1">(Entrent le roi, Hélène, suite.)</p>
+
+<p>LAFEU.--<span class="stage2"><i>Lustick</i></span>, comme dit le Hollandais! J'en aimerai
+encore mieux les jeunes filles, tant qu'il me restera
+une dent dans la bouche. Eh! mais, il est en état de danser
+une <i>courante</i> avec elle.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Mort du vinaigre! n'est-ce pas là Hélène?</p>
+
+<p>LAFEU.--Devant Dieu, je le crois.</p>
+
+<p>LE ROI.--Allez, appelez devant tous les seigneurs de
+ma cour. (<span class="stage2"><i>A Hélène.</i></span>) Asseyez-vous, mon sauveur, à côté
+de votre malade; et de cette main rajeunie, où vous avez
+rappelé la vie et le sentiment, recevez une seconde fois
+la confirmation de ma promesse, et je n'attends de vous
+qu'un mot pour désigner le don que vous désirez. (<span class="stage2"><i>Plusieurs
+seigneurs entrent.</i></span>) Belle jeune fille, promenez vos
+regards autour de vous: cette troupe de jeunes et nobles
+seigneurs sont à ma disposition, et je puis exercer sur
+eux la puissance d'un souverain et l'autorité d'un père:
+faites librement votre choix; vous avez tout pouvoir de
+choisir, et eux n'en ont aucun pour vous refuser.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Qu'il puisse échoir à chacun de vous une
+belle et vertueuse maîtresse quand il plaira à l'amour!
+Je n'en excepte qu'un.</p>
+
+<p>LAFEU.--Je donnerais mon cheval bai, Curtal, et tout
+son harnais, pour que ma bouche fût aussi bien garnie
+que celles de ces jeunes gens, et pour que ma barbe fût
+aussi peu fournie.</p>
+
+<p>LE ROI, <span class="stage2"><i>à Hélène</i></span>.--Considérez-les bien tous: il n'en
+est pas un parmi eux qui n'ait eu un noble père.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Seigneurs, le ciel a par mes mains rendu la
+santé au roi.</p>
+
+<p>TOUS LES SEIGNEURS.--Nous le voyons, et nous en
+remercions le ciel pour vous.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Je ne suis qu'une simple fille, et je déclare
+que c'est ma plus grande richesse d'être une simple
+fille.--Si c'est le bon plaisir de Votre Majesté, j'ai déjà
+fait mon choix.--La rougeur qui se peint sur mes joues
+me dit tout bas: «Je rougis de ce que tu vas faire un
+choix; mais une fois refusée, que la pâleur de la mort
+s'établisse pour toujours sur tes joues; car je n'y reviendrai
+plus.»</p>
+
+<p>LE ROI.--Faites votre choix, et je vous proteste que
+celui qui refusera votre amour perdra tout le mien.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Eh bien! Diane, de ce moment je déserte tes
+autels, et mes soupirs s'élèvent vers le suprême Amour,
+vers ce dieu souverain. (<span class="stage2"><i>A un des seigneurs.</i></span>) Seigneur,
+voulez-vous écouter ma requête?</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR.--Oui, et vous l'accorder.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Je vous rends grâces; je n'ai rien à ajouter.</p>
+
+<p>LAFEU.--J'aimerais mieux être au nombre des objets
+de son choix, que de tirer ma vie au sort sur la chance
+d'un <i>beset</i><a id="footnotetag22" name="footnotetag22"></a>
+<a href="#footnote22"><sup class="sml">22</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote22"
+name="footnote22"><b>Note 22: </b></a><a href="#footnotetag22">
+(retour) </a> Terme du jeu de dés.</blockquote>
+
+<p>HÉLÈNE, <span class="stage2"><i>à un autre seigneur</i>.</span>--La fierté qui étincelle
+dans vos beaux yeux me fait une réponse menaçante,
+avant même que j'aie parlé. Puisse l'amour vous envoyer
+une bonne fortune vingt fois au-dessus du mérite et de
+l'humble amour de celle qui vous adresse ce voeu!</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Je n'aspire à rien de mieux, si vous
+voulez.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Recevez mon voeu, et que le puissant Amour
+l'exauce! C'est ainsi que je prends congé de vous.</p>
+
+<p>LAFEU.--Est-ce qu'ils la refusent tous<a id="footnotetag23" name="footnotetag23"></a>
+<a href="#footnote23"><sup class="sml">23</sup></a>? S'ils étaient
+mes enfants, je les ferais fouetter, ou je les enverrais au
+Grand-Turc pour les faire tous eunuques.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote23"
+name="footnote23"><b>Note 23: </b></a><a href="#footnotetag23">
+(retour) </a> Lafeu et Parolles sont à quelque distance, et ne peuvent encore
+deviner ce qui se passe.</blockquote>
+
+<p>HÉLÈNE, <span class="stage2"><i>à un autre seigneur</i></span>.--Ne craignez point que
+je prenne votre main: je ne vous ferai jamais de tort,
+par égard pour vous. Que le ciel bénisse vos désirs! et si
+jamais vous vous mariez, puissiez-vous trouver une
+plus belle compagne dans votre lit!</p>
+
+<p>LAFEU.--Ces jeunes gens sont des garçons de glace:
+aucun ne veut d'elle: ce sont des bâtards des Anglais;
+jamais des Français ne les ont engendrés.</p>
+
+<p>HÉLÈNE, <span class="stage2"><i>à un autre seigneur</i></span>.--Vous êtes trop jeune,
+trop heureux et trop noble, pour vous donner un fils
+formé de mon sang.</p>
+
+<p>QUATRIÈME SEIGNEUR.--Je ne crois pas cela, ma belle.</p>
+
+<p>LAFEU.--Il reste encore une grappe... Je suis sûr que
+ton père buvait du vin.--Mais si tu n'es pas une imbécile,
+je suis, moi, un jeune homme de quatorze ans: je
+te connais déjà bien.</p>
+
+<p>HÉLÈNE, <span class="stage2"><i>à Bertrand</i></span>.--Je n'ose vous dire que je vous
+prends: c'est moi qui me donne tout entière à vous,
+pour vous servir toute ma vie.--Voilà celui que je
+choisis.</p>
+
+<p>LE ROI, <span class="stage2"><i>à Bertrand</i></span>.--Eh bien! jeune Bertrand, prends-la;
+elle est ta femme.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Ma femme, sire? J'oserai conjurer Votre
+Majesté de me permettre, en pareille affaire, de m'en
+rapporter à mes propres yeux.</p>
+
+<p>LE ROI.--Ignores-tu donc, Bertrand, ce qu'elle a fait
+pour moi?</p>
+
+<p>BERTRAND.--Je le sais, mon bon roi; mais j'espère
+ne jamais savoir pourquoi je dois l'épouser.</p>
+
+<p>LE ROI.--Tu sais qu'elle m'a relevé de mon lit de
+maladie.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Mais faut-il, seigneur, que vous me fassiez
+descendre parce qu'elle vous a relevé? Je la connais
+très-bien; elle a été élevée aux frais de mon père. La
+fille d'un pauvre médecin être ma femme! Que plutôt
+l'opprobre efface mon nom pour toujours!</p>
+
+<p>LE ROI.--Tu ne dédaignes en elle que son nom; je
+puis lui en donner un autre. Il est bien étrange que
+notre sang à tous, qui pour la couleur, le poids et la
+chaleur, mêlé ensemble, n'offrirait aucune trace de
+distinction, prétende cependant se séparer par de si
+vastes différences. Si elle possède toutes les vertus, et
+que tu ne la dédaignes que parce qu'elle est la fille d'un
+pauvre médecin, tu dédaignes donc la vertu pour un nom?
+Ne fais pas cela: quand des actions vertueuses sortent
+d'une source obscure, cette source est illustrée par le
+fait de celui qui les accomplit. Être enflé de vains titres
+et sans vertus, c'est là un honneur hydropique. Ce qui
+est bon par lui-même est bon sans nom; et ce qui est
+vil est toujours vil. Le prix des choses dépend de leur
+mérite, et non de leur dénomination. Elle est jeune,
+sage, belle; elle a reçu cet héritage de la nature, et ces
+qualités forment l'honneur. Celui-là mérite le mépris et
+non l'honneur, qui se prétend fils de l'honneur et qui ne
+ressemble pas à son père. Nos honneurs prospèrent,
+lorsque nous les faisons dériver de nos actions plutôt
+que de nos ancêtres. Le mot seul est un esclave suborné
+à des tombeaux, un trophée menteur sur tous les sépulcres;
+et souvent aussi il reste muet sur des tombes où la
+poussière et un coupable oubli ensevelissent d'honorables
+cendres. Qu'ai-je besoin d'en dire plus? Si tu peux
+aimer cette jeune personne comme vierge, je puis créer
+tout le reste: elle et sa vertu, c'est sa dot personnelle;
+les honneurs et les richesses viendront de moi.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Je ne puis l'aimer, et je ne ferai pas d'efforts
+pour y parvenir.</p>
+
+<p>LE ROI.--Tu te fais injure à toi-même, en hésitant si
+longtemps sur ce choix.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Sire, je suis heureuse de vous voir bien
+rétabli: qu'il ne soit plus question du reste.</p>
+
+<p>LE ROI.--Mon honneur est engagé: il faut, pour le
+délivrer, que je déploie mon pouvoir. Allons, prends sa
+main, hautain et dédaigneux jeune homme, indigne de
+ce beau don; puisque tu repousses, par une indigne
+erreur, mon amitié et son mérite; toi qui ne t'avises
+pas de songer que moi, placé dans son plateau trop
+léger, je t'enlèverais jusqu'au fléau; toi qui ne veux pas
+savoir qu'il dépend de nous de transporter tes honneurs
+où il nous plaira de les faire croître: contiens tes
+mépris: obéis à notre volonté qui travaille pour ton
+bien: n'écoute point ton vain orgueil: rends sur-le-champ,
+pour l'avantage de ta propre fortune, l'hommage
+d'obéissance que ton devoir nous doit, et que notre
+autorité exige, ou je t'effacerai pour jamais de ma pensée,
+et t'abandonnerai aux vertiges et à la ruineuse
+témérité de la jeunesse et de l'ignorance, déployant sur
+toi ma haine et ma vengeance, au nom de la justice et
+sans pitié. Parle: ta réponse?</p>
+
+<p>BERTRAND.--Pardon, mon gracieux souverain: je soumets
+mon amour à vos yeux. Lorsque je considère quelle
+riche création et quelle part d'honneur vont s'attacher
+où vous l'ordonnez, je trouve que cette fille, qui tout à
+l'heure était si bas dans la fierté de mes pensées, est
+maintenant l'objet des louanges du roi, et par là anoblie,
+comme si elle était bien née.</p>
+
+<p>LE ROI.--Prends sa main, et dis-lui qu'elle est à toi:
+Je te promets de rendre la balance égale entre elle et ton
+rang, si je ne fais pas davantage.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Je lui prends la main.</p>
+
+<p>LE ROI.--Que le bonheur et la faveur du roi sourient à
+ce contrat! Toutes les formalités nécessaires pour le
+rendre parfait seront accomplies dès ce soir: les fêtes
+solennelles peuvent souffrir un plus long délai, et
+attendre nos amis absents. Bertrand, si tu l'aimes, ton
+amour me reste fidèle, autrement il s'égare.</p>
+
+<p class="stage1">(Tous sortent, excepté Parolles et Lafeu.)</p>
+
+<p>LAFEU.--Entendez-vous, monsieur? Un mot, s'il vous
+plaît.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Quel est votre bon plaisir, seigneur?</p>
+
+<p>LAFEU.--Votre seigneur et maître a bien fait de se
+rétracter.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Se rétracter? mon maître, mon seigneur?</p>
+
+<p>LAFEU.--Oui: est-ce que je ne parle pas une langue
+intelligible?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Une langue fort dure, et qu'on ne peut
+entendre sans qu'il s'ensuive quelque effusion de sang.--Mon
+maître!</p>
+
+<p>LAFEU.--Êtes-vous le camarade du comte de Roussillon?</p>
+
+<p>PAROLLES.--De quelque comte que ce soit, de tous les
+comtes, de tout ce qui est homme.</p>
+
+<p>LAFEU.--De tout ce qui est l'<i>homme</i> du comte; mais <i>le
+maître</i> du comte, c'est autre chose.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Vous êtes trop vieux, monsieur: que cela
+vous suffise, vous êtes trop vieux.</p>
+
+<p>LAFEU.--Il faut que je te dise, maraud, que j'ai le titre
+d'homme, moi; titre auquel jamais l'âge ne pourra vous
+faire parvenir.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Ce que j'oserais bien, je n'ose pas le faire.</p>
+
+<p>LAFEU.--Je vous ai cru, pendant deux ordinaires, un
+homme de bon sens: vous avez fait tant de récits de vos
+voyages: cela pouvait passer; mais les écharpes et les
+rubans dont vous êtes couvert m'ont dissuadé de bien
+des manières de vous croire un vaisseau de bien gros
+calibre.--Je t'ai trouvé à présent; et si je te perds, je ne
+m'en embarrasse guère; et cependant tu n'es bon à rien
+qu'à reprendre, et tu n'en vaux guère la peine.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Si vous n'étiez pas couvert du privilége de
+l'âge...</p>
+
+<p>LAFEU.--Ne vous plongez pas trop avant dans la colère,
+de peur de trop hâter l'épreuve; et si une fois... Que Dieu
+ait pitié de toi, poule mouillée!--Allons, mon beau
+treillis, fort bien: je n'ai pas besoin d'ouvrir la fenêtre,
+je vois tout au travers de toi.--Donne-moi ta main.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Seigneur, vous me faites-là une affreuse
+injure.</p>
+
+<p>LAFEU.--Oui, et c'est de tout mon coeur; et tu en es
+bien digne.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je ne l'ai pas mérité, seigneur.</p>
+
+<p>LAFEU.--Oh! sur ma foi, jusqu'à la dernière drachme,
+et je n'en rabattrai pas un scrupule.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Allons, je serai plus sage...</p>
+
+<p>LAFEU.--Oui, le plus tôt que tu pourras; car tu as à
+virer la voile du côté opposé.--Si jamais on te lie dans
+ton écharpe, et qu'on te châtie, tu éprouveras alors ce
+que c'est que d'être fier de sa servitude. J'ai envie d'entretenir
+ma connaissance avec toi, ou plutôt mon étude,
+afin que je puisse dire, au besoin: «C'est un homme
+que je connais.»</p>
+
+<p>PAROLLES.--Seigneur, vous me vexez d'une manière
+intolérable.</p>
+
+<p>LAFEU.--Je voudrais que ce fût pour toi un tourment
+d'enfer, et que ta vexation fût éternelle; mais je suis
+passé<a id="footnotetag24" name="footnotetag24"></a>
+<a href="#footnote24"><sup class="sml">24</sup></a> par l'âge comme tu vas l'être par moi aussi vite
+que l'âge me le permettra.</p>
+
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote24"
+name="footnote24"><b>Note 24: </b></a><a href="#footnotetag24">
+(retour) </a> Équivoque sur le mot <i>past</i>. Lafeu, en parlant ainsi, passe devant
+Parolles.</blockquote>
+
+<p class="stage1">(Il sort.)</p>
+
+<p>PAROLLES <span class="stage2"><i>seul</i></span>.--Allons, tu as un fils qui me lavera de
+cet affront, méchant, hideux et dégoûtant vieillard!--Allons,
+il faut que je me contienne: il n'y a pas moyen
+d'arrêter les grands. Je le battrai, sur ma vie, si je peux
+jamais le rencontrer à propos, fût-il deux fois plus grand
+seigneur. Je n'aurai pas plus de pitié de sa vieillesse,
+que je n'en aurais de... Je le battrai, pourvu que je le
+puisse joindre encore une fois.</p>
+
+<p class="stage1">(Lafeu revient.)</p>
+
+<p>LAFEU.--Maraud, votre seigneur et maître est marié:
+voilà des nouvelles pour vous. Vous avez une nouvelle
+maîtresse.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je dois franchement conjurer Votre Seigneurie
+de vouloir bien m'épargner vos insultes. Il est
+mon bon seigneur: mais celui que je sers est là-haut, et
+c'est mon maître.</p>
+
+<p>LAFEU.--Qui? Dieu?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Oui, monsieur.</p>
+
+<p>LAFEU.--C'est le diable qui est ton maître. Pourquoi
+croises-tu ainsi tes bras? Veux-tu faire de tes manches
+une paire de chausses? Les autres valets en font-ils
+autant? Tu ferais mieux de mettre ta partie inférieure
+où est ton nez. Sur mon honneur, si j'étais plus jeune
+seulement de deux heures, je te bâtonnerais. Il me
+semble que tu es une insulte générale, et que chacun
+devrait te battre. Je crois que tu as été créé pour que
+tout le monde pût se mettre en haleine sur ton dos.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Voilà qui est bien dur et peu mérité,
+seigneur.</p>
+
+<p>LAFEU.--Allez, allez: vous avez été battu en Italie
+pour avoir arraché un fruit d'un grenadier: vous êtes
+un vagabond, et non pas un honnête voyageur: vous
+faites plus l'impertinent avec les grands seigneurs et les
+gens d'honneur, que les armoiries de votre naissance et
+de votre vertu ne vous donnent droit de le faire. Vous ne
+méritez pas un mot de plus, sans quoi je vous appellerais
+un fripon: je vous laisse.</p>
+
+<p class="stage1">(Lafeu sort.)</p>
+
+<p class="stage1">(Entre Bertrand.)</p>
+
+<p>PAROLLES.--C'est bon, c'est bon: oui, oui, bon, bon:
+gardons-en le secret quelque temps.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Perdu et condamné aux soucis pour toujours!</p>
+
+<p>PAROLLES.--Qu'avez-vous, mon cher coeur?</p>
+
+<p>BERTRAND.--Quoique je l'aie solennellement juré
+devant le prêtre, je ne partagerai jamais son lit.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Quoi? quoi donc, mon cher coeur?</p>
+
+<p>BERTRAND.--O mon Parolles, ils m'ont marié!--Je
+veux aller aux guerres de Toscane, et jamais je ne coucherai
+avec elle.</p>
+
+<p>PAROLLES.--La France est un vrai chenil: elle ne
+mérite pas d'être foulée aux pieds par un homme. A la
+guerre!</p>
+
+<p>BERTRAND.--Voilà des lettres de ma mère: ce qu'elles
+contiennent, je ne le sais pas encore.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Il faudrait le savoir.--A la guerre, mon
+garçon, à la guerre! Il tient son honneur caché dans une
+boîte, celui qui reste chez lui à caresser sa créature et
+à dépenser dans ses bras sa vigueur virile, qui devrait
+soutenir les bonds et la fougue de l'ardent coursier de
+Mars. Aux pays étrangers! La France est une étable, et
+nous, qui y demeurons, des rosses. Allons, à la guerre!</p>
+
+<p>BERTRAND.--Oui, j'irai.--Je l'enverrai chez moi; j'informerai
+ma mère de mon aversion pour elle, et de la
+cause de mon évasion; j'écrirai au roi ce que je n'ai pas
+osé lui dire: le don qu'il vient de me faire me servira à
+m'équiper pour les guerres d'Italie, où les braves combattent.
+La guerre est un repos, comparée à une sombre
+maison et à une femme odieuse.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Ce caprice tiendra-t-il? en êtes-vous bien
+sûr?</p>
+
+<p>BERTRAND.--Venez avec moi dans ma chambre, et
+aidez-moi de vos conseils. Je vais la congédier sur-le-champ.
+Demain je pars pour la guerre, et elle pour sa
+douleur solitaire.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Oh! comme les balles rebondissent! quel
+vacarme elles font!--Cela est dur-.--Un jeune homme
+marié est un jeune homme perdu: ainsi, partez, et quittez-la
+bravement: allez. Le roi vous a fait outrage.--Mais,
+chut! c'est comme cela...</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE IV</h3>
+
+<p class="stage1">Même lieu.--Un autre appartement.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> HÉLÈNE ET LE BOUFFON.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Ma mère me salue avec bonté. Est-elle bien?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Elle n'est pas bien, et pourtant elle jouit
+de sa santé: elle est gaie, mais pourtant elle n'est pas
+bien; mais Dieu soit loué! elle est bien et n'a besoin de
+rien dans ce monde, et pourtant elle n'est pas bien.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Si elle est bien, quel mal a-t-elle donc,
+qu'elle ne soit pas bien?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Vraiment, elle serait très bien s'il ne
+lui manquait pas deux choses.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Quelles sont ces deux choses?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--La première, c'est qu'elle n'est pas dans
+le ciel, où Dieu veuille l'envoyer promptement; la
+seconde, c'est qu'elle est sur la terre, d'où Dieu veuille la
+renvoyer promptement.</p>
+
+<p class="stage1">(Entre Parolles.)</p>
+
+<p>PAROLLES.--Salut, mon heureuse dame!</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Je me flatte d'avoir votre aveu pour ma
+bonne fortune.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Vous avez mes voeux pour qu'elle augmente,
+et mes voeux encore pour qu'elle dure. (<span class="stage2"><i>Au bouffon.</i></span>)
+Ah! mon vaurien! comment se porte ma vieille
+dame?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Si vous aviez ses rides, et moi ses écus,
+je voudrais qu'elle fût comme vous dites.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Eh! je ne dis rien.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Vraiment, vous n'en êtes que plus sage;
+car souvent la langue d'un homme est la ruine de son
+maître: ne dire rien, ne faire rien, ne savoir rien, et
+n'avoir rien, font une grande partie de vos titres, qui ne
+diffèrent pas grandement de rien.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Va-t'en; tu es un vaurien.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Vous auriez dû dire, monsieur, devant
+un vaurien, tu es un vaurien; c'est-à-dire, devant moi tu
+es un vaurien; et cela aurait été la vérité, monsieur.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Va, va, tu es un rusé fou: je t'ai découvert.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Me découvrez-vous en vous-même,
+monsieur? ou bien, vous a-t-on appris à me découvrir?
+La recherche, monsieur, était des plus profitables; et
+vous pourriez trouver beaucoup du fou en vous, au grand
+déplaisir du monde, et pour augmenter les risées.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Un bon drôle, ma foi, et bien nourri!--Madame,
+mon seigneur va partir ce soir. Une affaire
+très-sérieuse l'appelle: il sait les grandes prérogatives
+et les droits de l'amour, que la circonstance réclame
+comme vous étant dus; mais il est contraint, malgré
+lui, de les remettre à un autre temps. Cette privation et
+ce délai sont rachetés par les douceurs qui vont se préparer
+dans cet intervalle forcé, pour inonder de joie
+l'heure à venir, et faire déborder la coupe des plaisirs.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Quelles sont ses autres intentions?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Que vous preniez à l'instant congé du roi,
+et que vous donniez cette précipitation pour votre propre
+décision en l'appuyant de toutes les raisons que vous
+pourrez trouver pour rendre cette nécessité vraisemblable.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Que commande-t-il encore?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Qu'après avoir obtenu ce congé, vous vous
+conformiez sur-le-champ à ses autres intentions.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--En tout je suis soumise à sa volonté.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je vais l'en assurer de votre part.</p>
+
+<p class="stage1">(Parolles sort.)</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Je vous en prie. (<span class="stage2"><i>Au bouffon.</i></span>) Viens, drôle.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE V</h3>
+
+<p class="stage1">Un autre appartement dans le même lieu.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> LAFEU, BERTRAND.</p>
+
+<p>LAFEU.--Mais j'espère que Votre Seigneurie ne le regarde
+pas comme un guerrier?</p>
+
+<p>BERTRAND.--Comme un guerrier, seigneur, et qui a
+fait ses preuves de courage.</p>
+
+<p>LAFEU.--Vous le tenez de sa bouche?</p>
+
+<p>BERTRAND.--Et de bien d'autres témoignages valables.</p>
+
+<p>LAFEU.--Allons, mon cadran ne va donc pas bien? j'ai
+pris cette allouette pour un traquet<a id="footnotetag25" name="footnotetag25"></a>
+<a href="#footnote25"><sup class="sml">25</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote25"
+name="footnote25"><b>Note 25: </b></a><a href="#footnotetag25">
+(retour) </a> Espèce d'oiseau qui fait son nid à terre. <i>Penancola, avis alaudæ
+similis.</i></blockquote>
+
+<p>BERTRAND.--Je vous assure, seigneur, qu'il a de grandes
+connaissances et qu'il n'a pas moins de bravoure.</p>
+
+<p>LAFEU.--J'ai donc péché contre son expérience et prévariqué
+contre sa valeur; et je suis à cet égard dans un
+état dangereux, car je ne puis trouver dans mon coeur
+le moindre désir de m'en repentir.--Le voici qui vient,
+je vous en prie, réconciliez-nous: je veux rechercher
+son amitié.</p>
+
+<p class="stage1">(Entre Parolles.)</p>
+
+<p>PAROLLES.--Tout cela se fera, monsieur.</p>
+
+<p>LAFEU, <span class="stage2"><i>à Bertrand</i></span>.--Je vous en prie, monsieur, dites-moi
+quel est son tailleur?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Monsieur?</p>
+
+<p>LAFEU.--Oh! je le connais bien. Oui, monsieur; c'est
+vraiment, monsieur, un bon ouvrier, un fort bon tailleur.</p>
+
+<p>BERTRAND, <span class="stage2"><i>bas à Parolles</i></span>.--Est-elle allée trouver le roi?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Elle y est allée.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Partira-t-elle ce soir?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Comme vous le lui avez ordonné.</p>
+
+<p>BERTRAND.--J'ai écrit mes lettres, enfermé mon trésor
+dans ma cassette, donné mes ordres pour nos chevaux;
+et ce soir, à l'heure où je devrais prendre possession de
+la mariée, je finirai avant d'avoir commencé.</p>
+
+<p>LAFEU.--Un honnête voyageur est quelque chose à la
+fin d'un dîner; mais un homme qui débite trois mensonges
+et se sert d'une vérité connue de tout le monde
+pour faire passer un millier de balivernes mérite d'être
+écouté une fois et fustigé trois. (<span class="stage2"><i>A Parolles.</i></span>) Dieu vous
+assiste, capitaine!</p>
+
+<p>BERTRAND, <span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>.--Y aurait-il quelque mésintelligence
+entre ce noble seigneur et vous, monsieur?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je ne sais pas comment j'ai mérité de tomber
+dans la disgrâce de mon noble seigneur.</p>
+
+<p>LAFEU.--Vous avez trouvé moyen d'y tomber et de
+vous y enfoncer tout entier, en bottes et éperons, comme
+celui qui saute dans la crème<a id="footnotetag26" name="footnotetag26"></a>
+<a href="#footnote26"><sup class="sml">26</sup></a>, et vous en ressortirez
+promptement plutôt que de souffrir qu'on vous demande
+raison de ce que vous restez dedans.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote26"
+name="footnote26"><b>Note 26: </b></a><a href="#footnotetag26">
+(retour) </a> Allusion à une pasquinade des baladins qui sautaient, dans
+les fêtes de Londres, tout bottés dans un plat de crème.</blockquote>
+
+<p>BERTRAND.--Il se pourrait que vous vous fussiez mépris
+sur son compte, seigneur.</p>
+
+<p>LAFEU.--Et je m'y méprendrai toujours, quand même
+je le surprendrais en prières.--Adieu, seigneur, et
+croyez ce que je vous dis, qu'il n'y a point d'amande
+dans cette noix légère: toute l'âme de cet homme
+est dans ses habits; ne vous fiez à lui dans aucune
+affaire de conséquence; j'ai apprivoisé de ces gens-là,
+et je connais leur naturel. (<span class="stage2"><i>A Parolles.</i></span>) Adieu, monsieur;
+j'ai mieux parlé de vous que vous n'avez mérité
+et que vous ne mériterez de moi; mais il faut rendre le
+bien pour le mal.</p>
+
+<p class="stage1">(Il sort.)</p>
+
+<p>PAROLLES.--Un frivole vieillard, je jure!</p>
+
+<p>BERTRAND.--Je le crois.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Eh mais! ne le connaissez-vous pas?</p>
+
+<p>BERTRAND.--Oui, je le connais bien, et l'opinion commune
+lui donne du mérite.--Voici venir mon entrave.</p>
+
+<p class="stage1">(Entre Hélène.)</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--J'ai, monsieur, suivant l'ordre que vous
+m'en avez donné, parlé au roi, et j'ai obtenu son agrément
+pour partir sur-le-champ. Seulement, il désire
+vous parler en particulier.</p>
+
+<p>BERTRAND.--J'obéirai à sa volonté.--Il ne faut pas,
+Hélène, vous étonner de mon procédé, qui ne paraît pas
+s'accorder avec les circonstances et qui ne remplit pas
+l'office qu'elles exigent de moi. Je n'étais pas préparé à
+cet événement, voilà pourquoi je me trouve si fort en
+désordre; cela m'engage à vous prier de vous mettre en
+route sur-le-champ pour vous rendre chez moi, et de
+chercher à deviner plutôt que de me demander le motif
+de cette prière; car mes raisons sont meilleures qu'elles
+ne paraissent, et mes affaires sont d'une nécessité plus
+pressante qu'il ne le semble à première vue, à vous qui
+ne les connaissez pas.--Cette lettre est pour ma mère.
+(<span class="stage2"><i>Il lui remet une lettre.</i></span>) Il se passera deux jours avant que
+je vous revoie. Adieu; je vous abandonne à votre sagesse.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Monsieur, je ne puis vous répondre autre chose, sinon que je
+suis votre très-obéissante servante.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Allons, allons, ne parlons plus de cela.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Et que je chercherai toujours, par tous mes
+efforts, à réparer ce que mon étoile vulgaire a laissé en
+moi de défectueux pour être de niveau avec ma grande
+fortune.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Laissons cela; je suis extrêmement pressé.
+Adieu; allez-vous-en chez moi.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Je vous prie, monsieur, permettez...</p>
+
+<p>BERTRAND.--Eh bien! que voulez-vous dire?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Je ne suis pas digne du trésor que je possède,
+et je n'ose pas dire qu'il soit à moi, et cependant il est à
+moi; mais, comme un voleur timide, je voudrais bien
+dérober ce que la loi m'accorde de droit.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Que voulez-vous avoir?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Quelque chose,--et à peine autant;--rien
+dans le fond.--Je ne voudrais pas vous dire ce
+que je voudrais, seigneur.--Mais pourtant, si.--Les
+étrangers et les ennemis se séparent et ne s'embrassent
+pas.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Je vous en prie, ne perdez pas de temps;
+mais vite à cheval.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Je n'enfreindrai pas vos ordres, mon bon
+seigneur.</p>
+
+<p>BERTRAND, <span class="stage2"><i>à Parolles, d'un air fort empressé</i></span>.--Où sont
+mes autres gens, monsieur? (<span class="stage2"><i>A Hélène.</i></span>) Adieu. (<span class="stage2"><i>Hélène
+sort.</i></span>) Va chez moi, où je ne rentrerai de ma vie tant que
+je pourrai manier mon épée ou entendre le son du tambour.--Allons,
+partons, et songeons à notre fuite.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Bravo! coragio!</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+
+<p>FIN DU DEUXIÈME ACTE.</p>
+<br><br><br>
+<h3>ACTE TROISIÈME</h3>
+<br>
+<h3>SCÈNE I</h3>
+
+<p class="stage1">A Florence.--Appartement dans le palais du duc.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> LE DUC DE FLORENCE, DEUX SEIGNEURS
+FRANÇAIS; Gardes. <i>Fanfares.</i></p>
+
+<p>LE DUC.--Ainsi, vous voilà instruits de point en point
+des raisons fondamentales de cette guerre, dont les
+grands intérêts ont déjà fait verser bien du sang, en restant
+toujours altérés d'en répandre.</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR.--La querelle paraît sacrée de la
+part de Votre Altesse; mais de la part des ennemis, elle
+semble inique et odieuse.</p>
+
+<p>LE DUC.--C'est pourquoi je m'étonne fort que notre
+cousin le roi de France puisse, dans une cause aussi
+juste, fermer son coeur à nos prières suppliantes.</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Mon bon seigneur, je ne puis vous
+éclairer sur les motifs de notre gouvernement, ni en
+parler que comme un homme ordinaire qui n'est pas
+dans les affaires, et qui s'imagine l'auguste machine du
+conseil d'après ses imparfaites notions: aussi je n'ose
+pas vous dire ce que j'en pense, d'autant moins que je
+me suis vu trompé dans mes incertaines conjectures
+toutes les fois que j'ai tenté d'en faire.</p>
+
+<p>LE DUC.--Qu'il fasse suivant son bon plaisir.</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Mais je suis sûr du moins que notre
+jeunesse, rassasiée de son repos, va accourir ici tous les
+jours pour se guérir.</p>
+
+<p>LE DUC.--Ils seront bien reçus, et tous les honneurs
+que nous pouvons répandre iront s'attacher sur eux.
+Vous connaissez vos postes. Quand les premiers de l'armée
+tombent, c'est pour votre avantage.--Demain au
+champ de bataille!</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE II</h3>
+
+<p class="stage1">En Roussillon.--Appartement dans le palais de la comtesse.</p>
+
+<p class="stage1">LA COMTESSE, LE BOUFFON.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Tout est arrivé comme je le désirais,
+excepté qu'il ne revient point avec elle.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Sur ma foi, je pense que mon jeune
+seigneur est un homme fort mélancolique.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Et sur quel fondement, je te prie?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Eh! c'est qu'il regardait ses bottes, et
+puis chantait; qu'il rajustait sa fraise, et puis chantait;
+qu'il faisait des questions, puis chantait; qu'il se curait
+les dents, et chantait encore. J'ai connu un homme avec
+ce tic de mélancolie, qui a vendu un bon manoir pour
+une chanson.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Voyons ce qu'il écrit et quand il se propose
+de revenir.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Je n'ai plus de goût pour Isabeau depuis
+que je suis allé à la cour. Nos vieilles morues et nos Isabeau
+de campagne ne ressemblent en rien à vos vieilles
+morues et à vos Isabeau de cour. La cervelle de mon
+Cupidon est fêlée, et je commence à aimer comme un
+vieillard aime l'argent,--sans appétit.</p>
+
+<p>LA COMTESSE, <span class="stage2"><i>ouvrant la lettre</i></span>.--Qu'avons-nous ici?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Précisément ce que vous avez là.</p>
+
+<p class="stage1">(Il sort.)</p>
+
+<p>LA COMTESSE <i>lit la lettre.--Je vous envoie une belle-fille:
+elle a guéri le roi et m'a perdu. Je l'ai épousée; mais je n'ai
+pas couché avec elle, et j'ai juré que ce refus serait éternel.
+On ne manquera pas de vous informer que je me suis enfui.
+Apprenez-le donc de moi, avant de le savoir par le bruit public.
+Si le monde est assez vaste, je mettrai toujours une
+bonne distance entre elle et moi. Agréez mon respect.</i></p>
+
+<p><i>Votre fils infortuné,</i> BERTRAND.</p>
+
+<p>--Ce n'est pas bien, jeune homme téméraire et indiscipliné,
+de fuir ainsi les faveurs d'un si bon roi, d'attirer
+son indignation sur ta tête en méprisant une jeune fille
+trop vertueuse pour être dédaignée, même de l'empereur.</p>
+
+<p class="stage1">(Le bouffon entre.)</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Oh! madame, il y a là-bas de tristes
+nouvelles entre deux officiers et ma jeune maîtresse.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--De quoi s'agit-il?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Et cependant il y a aussi quelque chose
+de consolant dans les nouvelles; oui, de consolant: votre
+fils ne sera pas tué aussitôt que je le pensais.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Et pourquoi serait-il tué?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--C'est ce que je dis, madame, s'il s'est
+sauvé, comme je l'entends dire. Le danger était de rester
+auprès de sa femme: c'est la perte des hommes,
+quoique ce soit le moyen d'avoir des enfants. Les voici
+qui viennent; ils vous en diront davantage. Pour moi,
+je sais seulement que votre fils s'est sauvé.</p>
+
+<p class="stage1">(Hélène entre accompagnée de deux gentilshommes.)</p>
+
+<p>PREMIER GENTILHOMME.--Dieu vous garde! chère comtesse.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Madame, mon seigneur est parti, parti pour
+toujours.</p>
+
+<p>SECOND GENTILHOMME.--Ne dites pas cela.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Armez-vous de patience.--Eh! je vous
+prie, messieurs, parlez. J'ai senti tant de secousses de
+joie et de douleur, que le premier aspect et le choc imprévu
+de l'une ou de l'autre ne peuvent plus me faire
+éprouver l'émotion d'une femme.--Où est mon fils, je
+vous prie?</p>
+
+<p>SECOND GENTILHOMME.--Madame, il est allé servir le
+duc de Florence. Nous l'avons rencontré là, car nous
+en venons, et après avoir remis quelques dépêches
+dont nous sommes chargés pour la cour, nous y retournons.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Jetez les yeux sur cette lettre, madame.
+Voici mon congé.--<i>(Lisant.) «Quand tu auras obtenu
+l'anneau que je porte à mon doigt, et qui ne le quittera
+jamais, et que tu me montreras un enfant né de toi, dont
+j'aurai été le père, alors appelle-moi ton mari. Mais cet</i>
+alors, <i>je le nomme</i> jamais.»--C'est une terrible sentence!</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Avez vous apporté cette lettre, messieurs?</p>
+
+<p>SECOND GENTILHOMME.--Oui, madame; et d'après ce
+qu'elle contient, nous regrettons nos peines.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Je t'en conjure, ma chère, prends courage.
+Si tu gardes pour toi seule toutes ces douleurs, tu
+m'en dérobes la moitié. Il était mon fils; mais j'efface
+son nom de mon coeur, et tu seras mon unique enfant.--Il
+est donc allé du côté de Florence?</p>
+
+<p>SECOND GENTILHOMME.--Oui, madame.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Et pour être soldat?</p>
+
+<p>PREMIER GENTILHOMME.--Telles sont, en effet, ses nobles
+intentions, et je suis persuadé que le duc lui rendra tous
+les honneurs convenables.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Y retournez-vous?</p>
+
+<p>PREMIER GENTILHOMME.--Oui, madame, et avec la plus
+grande diligence.</p>
+
+<p>HÉLÈNE, <i>lisant</i>.--<i>Jusqu'à ce que je n'y aie plus de femme,
+la France ne me sera rien.</i></p>
+
+<p>--C'est amer!</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Y a-t-il cela là-dedans?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Oui, madame.</p>
+
+<p>PREMIER GENTILHOMME.--Ce n'est peut-être qu'un écart
+de sa main auquel son coeur n'a pas consenti.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--<i>La France ne lui sera rien tant qu'il y
+aura une femme?</i> Il n'y a qu'elle seule qui soit trop
+bonne pour lui, et elle méritait un prince que vingt
+jeunes étourdis comme lui suivissent avec respect pour
+l'appeler à toute heure leur maîtresse.--Qui avait-il
+avec lui?</p>
+
+<p>PREMIER GENTILHOMME.--Un seul domestique et un gentilhomme
+que j'ai connu jadis.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Parolles, n'est-ce pas?</p>
+
+<p>PREMIER GENTILHOMME.--Oui, madame, c'est lui-même.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--C'est une âme corrompue et pleine de
+scélératesse. Mon fils, séduit par ses conseils, pervertit
+un coeur bien né.</p>
+
+<p>PREMIER GENTILHOMME.--En effet, madame, cet homme
+a bien de la scélératesse, trop, et cela l'oblige à en user.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Soyez les bienvenus, messieurs. Je vous
+prie, quand vous reverrez mon fils, de lui dire que son
+épée ne peut jamais acquérir autant d'honneur qu'il en
+a perdu. Je vais lui en écrire davantage, et je vous prierai
+de lui remettre ma lettre.</p>
+
+<p>SECOND GENTILHOMME.--Nous sommes prêts à vous servir,
+madame, en ceci et dans toutes vos affaires les plus
+importantes.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--A condition que nous ferons échange
+de politesses. Voulez-vous m'accompagner?</p>
+
+<p class="stage1">(La comtesse et les gentilshommes sortent.)</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--<i>Jusqu'à ce que je n'y aie plus de femme, la France
+ne me sera rien!</i>--La France ne lui sera rien tant qu'il aura
+une femme en France. Tu n'en auras plus, Roussillon;
+tu n'en auras plus en France. Reprends-y donc tout le
+reste. Pauvre comte! est-ce moi qui te chasses de ton
+pays et qui expose tes membres délicats aux chances de
+la guerre, qui n'épargne personne? Est-ce moi qui t'exile
+d'une cour charmante, où tu étais le point de mire des
+plus beaux yeux, pour t'exposer aux coups des mousquets
+fumants? O vous, messagers de plomb, qui volez
+rapidement sur des ailes de feu, détournez-vous et manquez
+votre but! Percez l'air invulnérable qui siffle quand
+on le perce, et ne touchez pas mon seigneur. Quiconque
+tire sur lui, c'est moi qui le dirige; quiconque avance le
+fer levé contre son sein intrépide, c'est moi, malheureuse,
+qui l'y excite. Et quoique ce ne soit pas moi qui
+le tue, je suis cependant la cause de sa mort. Il aurait
+mieux valu pour moi que je rencontrasse le lion féroce
+quand il rugit, pressé par la faim. Il aurait mieux valu
+que toutes les calamités qui assiègent la nature fussent
+tombées sur ma tête. Non, reviens dans ta patrie, Roussillon;
+quitte ces lieux, où l'honneur ne recueille du
+danger que des cicatrices et où souvent il perd tout. Je
+vais m'en aller. C'est parce que je suis ici que tu t'éloignes.
+Y resterais-je pour t'empêcher d'y revenir? Non,
+non; quand on respirerait chez toi l'air du paradis, et
+qu'on y serait servi par des anges, je m'en irais. Puisse
+la renommée, touchée de pitié, t'annoncer ma fuite pour
+te consoler! O nuit! viens; et toi, jour, hâte-toi de finir;
+car, pendant l'obscurité, je veux me dérober de ces lieux
+comme un pauvre voleur.</p>
+
+<p class="stage1">(Elle sort.)</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE III</h3>
+
+<p class="stage1">La scène est à Florence, devant le palais du duc.</p>
+
+<p class="stage1">Fanfares. LE DUC DE FLORENCE, BERTRAND,<br>
+Seigneurs, <i>officiers et soldats</i>.</p>
+
+<p>LE DUC.--Tu seras commandant de notre cavalerie;
+fort de nos espérances, nous t'accordons notre amitié
+et plaçons notre confiance dans les promesses de ta
+fortune.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Seigneur, c'est un fardeau trop pesant
+pour mes forces; cependant je m'efforcerai de le soutenir,
+pour l'amour de Votre Altesse, jusqu'à la dernière
+extrémité.</p>
+
+<p>LE DUC.--Pars donc, et que la fortune joue avec ton
+cimier comme une maîtresse propice!</p>
+
+<p>BERTRAND.--Ce jour même, ô puissant Mars! j'entre
+dans tes rangs. Rends-moi seulement égal à mes voeux,
+et je me montrerai amoureux de ton tambour et l'ennemi
+de l'amour!</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE IV</h3>
+
+<p class="stage1">Roussillon.--Appartement du palais de la comtesse.</p>
+
+<p class="stage1">LA COMTESSE, L'INTENDANT.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Hélas! et pourquoi avez-vous accepté
+d'elle cette lettre? Ne deviez-vous pas vous douter qu'elle
+allait faire ce qu'elle a fait, dès qu'elle m'envoyait une
+lettre? Relisez-la-moi encore.</p>
+
+<p>L'INTENDANT <i>lit.</i>--<i>Je vais en pèlerinage à Saint-Jacques.
+Un amour ambitieux m'a rendue criminelle. Pour expier
+mes fautes par un saint voeu, je veux marcher pieds nus sur
+la terre glacée. Écrivez, écrivez, afin que mon très-cher
+maître, votre fils, puisse se retirer de la sanglante carrière
+des combats. Bénissez son retour, et qu'il jouisse des douceurs
+de la paix, tandis que moi je bénirai de loin son nom
+par les plus ardentes prières. Dites-lui de me pardonner
+toutes les peines que je lui ai causées. C'est moi, sa fatale
+Junon, qui l'ai éloigné de ses amis de la cour pour l'envoyer
+vivre dans les camps ennemis, où le danger et la mort
+marchent sur les pas des braves. Il est trop bon et trop beau
+pour moi et pour la mort, que je vais chercher moi-même
+pour le laisser libre!</i></p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Ah! quels traits aigus percent dans ses
+plus douces paroles! Rinaldo, vous n'avez jamais tant
+manqué de réflexion qu'en la laissant partir ainsi. Si je
+lui avais parlé, je l'aurais bien détournée de ses projets,
+sur lesquels elle m'a prévenue.</p>
+
+<p>L'INTENDANT.--Pardonnez, madame; si je vous eusse
+donné la lettre hier au soir, on aurait pu rejoindre Hélène
+et cependant elle écrit que toute poursuite serait vaine.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Quel ange s'intéressera à cet indigne
+époux? Il ne peut prospérer, à moins que les prières de
+celle que le ciel se plaît à entendre et à exaucer ne le
+sauvent des vengeances de la justice suprême. Écris,
+écris, Rinaldo, à cet époux si indigne de son épouse. Que
+chaque mot soit plein de son mérite, qu'il pèse, lui,
+trop légèrement. Fais-lui sentir vivement mon extrême
+douleur, quoiqu'il y soit peu sensible. Dépêche vers lui
+le courrier le plus prompt. Peut-être, quand il apprendra
+qu'elle s'en est allée voudra-t-il revenir; et j'espère
+qu'aussitôt qu'elle apprendra son retour, elle hâtera
+aussi le sien dans ces lieux, conduite par le plus pur
+amour. Je ne puis démêler lequel des deux m'est le plus
+cher. Cherche le messager. J'ai un poids sur le coeur, et
+ma vieillesse est faible. Ma tristesse voudrait des larmes,
+et ma douleur me force de parler.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE V</h3>
+
+<p class="stage1">Hors des murs de Florence.</p>
+
+<p class="stage1">UNE VEUVE DE FLORENCE, DIANE, VIOLENTA,<br>
+MARIANA <i>et plusieurs citoyens. On entend au loin une musique<br>
+guerrière.</i></p>
+
+<p>LA VEUVE.--Allons, venez, car s'ils s'approchent de la
+ville; nous perdrons tout le coup d'oeil.</p>
+
+<p>DIANE.--On dit que le comte français nous a rendu les
+plus honorables services.</p>
+
+<p>LA VEUVE.--On rapporte qu'il a pris leur plus grand
+capitaine, et que de sa propre main il a tué le frère du
+duc. Nous avons perdu nos peines; ils ont pris un chemin
+opposé. Écoutez, vous pouvez en juger par leurs
+trompettes.</p>
+
+<p>MARIANA.--Allons, retournons-nous-en, et contentons-nous
+du récit qu'on nous en fera. Et vous, Diane, gardez-vous
+bien de ce comte français: l'honneur d'une
+fille est sa gloire, et il n'y a point d'héritage aussi riche
+que l'honnêteté.</p>
+
+<p>LA VEUVE.--J'ai raconté à ma voisine combien vous
+aviez été sollicitée par un gentilhomme de sa compagnie.</p>
+
+<p>MARIANA.--Je connais ce coquin; qu'il aille se pendre!
+Un certain Parolles, un infâme agent que le jeune comte
+emploie dans ses intrigues. Défie-toi d'eux, Diane; leurs
+promesses, leurs séductions, leurs serments, leurs présents,
+et tous ces engins de la débauche, ne sont point
+ce qu'on veut les faire croire. Plus d'une jeune fille a
+été séduite par là, et le malheur veut que l'exemple de
+tant de naufrages de la vertu ne saurait persuader celles
+qui viennent après, jusqu'à ce qu'elles soient prises au
+piége qui les menaçait. J'espère que je n'ai pas besoin
+de vous avertir davantage, car je suis persuadée que
+votre vertu vous conservera où vous êtes, quand même
+il n'y aurait d'autre danger à craindre que la perte de la
+modestie.</p>
+
+<p>DIANE.--Vous n'avez rien à craindre pour moi.</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Je l'espère. (<span class="stage2"><i>Hélène, en costume de pèlerine.</i></span>)
+--Regarde, voici une pèlerine. Je suis sûre qu'elle vient
+loger dans ma maison. Ils ont coutume de s'envoyer ici
+les uns les autres. Je veux la questionner.--Dieu vous
+garde, belle pèlerine! Où allez-vous?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--A Saint-Jacques-le-Grand. Enseignez-moi,
+je vous prie, où logent les pèlerins<a id="footnotetag27" name="footnotetag27"></a>
+<a href="#footnote27"><sup class="sml">27</sup></a>?</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote27"
+name="footnote27"><b>Note 27: </b></a><a href="#footnotetag27">
+(retour) </a> <i>Palmer</i>, nom dérivé de la branche de palmier que portaient
+les pèlerins de profession.</blockquote>
+
+<p>LA VEUVE.--A l'image Saint-François, ici près du port.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Est-ce là le chemin?</p>
+
+<p class="stage1">(On entend au loin une musique guerrière.)</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Oui, précisément. Entendez-vous? Ils
+viennent de ce côté. Si vous voulez attendre, sainte pèlerine,
+que les troupes soient passées, je vous conduirai
+à l'endroit où vous logerez, d'autant mieux que je crois
+connaître votre hôtesse aussi bien que moi-même.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Est-ce vous?</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Sous votre bon plaisir, pèlerine.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Je vous remercie, et j'attendrai ici votre loisir.</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Vous arrivez, je crois, de France?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--J'en arrive.</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Vous allez voir ici un de vos compatriotes
+qui a fait de grands exploits.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Quel est son nom, je vous prie?</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Le comte de Roussillon. Le connaissez-vous?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Seulement par ouï-dire. Je sais qu'il a une
+grande réputation; mais je ne connais pas sa figure.</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Quel qu'il soit, il passe ici pour un brave
+guerrier. Il s'est évadé de France, à ce qu'on dit, parce
+que le roi l'a marié contre son inclination. Croyez-vous
+que cela soit vrai?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Oui, sûrement; c'est la pure vérité; je connais
+sa femme.</p>
+
+<p>DIANE.--Il y a ici un gentilhomme au service du comte
+qui dit bien du mal d'elle.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Comment s'appelle-t-il?</p>
+
+<p>DIANE.--M. Parolles.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Oh! je crois comme lui qu'en fait de louange
+ou auprès du mérite du comte lui-même, son nom ne
+vaut pas la peine d'être cité. Tout son mérite est une
+vertu modeste, contre laquelle je n'ai entendu faire
+aucun reproche.</p>
+
+<p>DIANE.--Ah! la pauvre dame! C'est un rude esclavage
+que d'être la femme d'un époux qui nous déteste.</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Oui, c'est vrai, pauvre créature! En quelque
+lieu qu'elle soit, elle a un cruel poids sur le coeur.
+Si cette jeune fille voulait, il ne tiendrait qu'à elle de
+lui jouer un mauvais tour.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Que voulez-vous dire? Serait-ce que le
+comte, amoureux d'elle, la sollicite à une action illégitime?...</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Oui, c'est ce qu'il fait: il emploie tous les
+agents qui peuvent corrompre dans un pareil but le
+tendre coeur d'une jeune fille; mais elle est bien armée, et
+elle oppose à ses attaques la résistance la plus vertueuse.</p>
+
+<p class="stage1">(Bertrand, Parolles passent, suivis d'officiers et de soldats<br>
+florentins, avec des drapeaux et des tambours.)</p>
+
+<p>MARIANA.--Que les dieux la préservent de ce malheur!</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Les voilà; ils viennent. Celui-ci est Antonio,
+le fis aîné du duc: celui-là est Escalus.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Quel est donc le Français?</p>
+
+<p>DIANE.--Là, celui qui porte ces plumes. C'est un très-bel
+homme. Je voudrais bien qu'il aimât sa femme. S'il
+était plus honnête, il serait bien plus aimable. N'est-ce
+pas un beau jeune homme?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Il me plaît beaucoup.</p>
+
+<p>DIANE.--C'est bien dommage qu'il ne soit pas honnête.
+Voilà là-bas le vaurien qui l'entraîne à la débauche. Si
+j'étais la femme du comte, j'empoisonnerais ce vil
+scélérat.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Lequel est-ce?</p>
+
+<p>DIANE.--Eh! ce fat avec ses écharpes. Pourquoi donc
+a-t-il l'air si triste?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Il a peut-être été blessé au combat.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Perdre notre tambour!</p>
+
+<p>MARIANA.--Il est à coup sûr bien contrarié de quelque
+chose. Voyez, il nous a aperçues.</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Au diable! allez vous pendre!</p>
+
+<p>MARIANA.--Et pour la politesse, je lui souhaite le carcan
+autour du cou.</p>
+
+<p class="stage1">(Sortent Bertrand, Parolles, les officiers; etc.)</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Les troupes sont passées. Venez, pèlerine,
+je vous conduirai à l'endroit où vous logerez. Nous avons
+déjà à la maison quatre ou cinq pénitents qui ont fait
+voeu d'aller à Saint-Jacques.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Je vous remercie humblement. Je désirerais
+beaucoup que vous, madame, et votre aimable fille, vous
+voulussiez bien souper avec moi ce soir. Je me chargerai
+des frais et des remerciements; et pour vous témoigner
+davantage ma reconnaissance, je donnerai à cette
+jeune personne quelques conseils dignes d'attention.</p>
+
+<p>TOUTES DEUX ENSEMBLE.--Nous acceptons vos offres
+bien volontiers. <span class="stage2">(Elles sortent.)</span></p>
+<br>
+<h3>SCÈNE VI</h3>
+
+<p class="stage1">Le camp devant Florence.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> BERTRAND ET DEUX SEIGNEURS FRANÇAIS.</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR.--Je vous en conjure, mon cher
+comte, mettez-le à cette épreuve: laissez-lui faire sa
+volonté.</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Si Votre Seigneurie ne reconnaît
+pas qu'il est un lâche, ne m'honorez plus de votre
+estime.</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR.--Sur mon honneur, seigneur, c'est
+une bulle de savon.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Pensez-vous donc que je me trompe à ce
+point sur son compte?</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR.--Croyez ce que je vous dis, seigneur,
+d'après ma propre connaissance, et sans aucune
+malice, et avec la même vérité que si je vous parlais de
+mon parent. C'est un insigne poltron, un déterminé et
+éternel menteur, qui manque autant de fois à sa parole
+qu'il y a d'heures dans le jour: en un mot, n'ayant pas
+une seule bonne qualité pour mériter les bontés de Votre
+Seigneurie.</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Il serait bon que vous le connussiez,
+de peur que, vous reposant trop sur une valeur
+qu'il n'a point, il ne puisse, dans une affaire importante
+et de confiance, vous manquer au milieu du danger.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Je voudrais bien connaître quelque moyen
+de l'éprouver.</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Il n'y en a pas de meilleur que de
+le laisser aller chercher son tambour. Vous entendez
+avec quelle confiance il se vante d'en venir à bout.</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR.--Et moi, avec une troupe de Florentins,
+je veux le surprendre tout à coup. J'aurai des
+gens qu'il ne distinguera point des troupes ennemies.
+Nous le lierons, nous lui banderons les yeux, de sorte
+qu'il s'imaginera qu'on le conduit dans le camp ennemi,
+lorsque nous l'amènerons dans notre tente. Que Votre
+Seigneurie soit seulement présente à son interrogatoire;
+si, dans l'espoir de sauver sa vie, et par le sentiment de
+la plus lâche peur, il ne s'offre pas à vous trahir et à
+révéler tout ce qu'il peut savoir contre vous, et s'il ne
+l'affirme pas avec serment au péril éternel de son âme,
+n'ayez jamais, seigneur, la moindre confiance en mon
+jugement.</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Oh! seulement pour le plaisir de
+rire, laissez-le aller chercher son tambour. Il se vante
+d'avoir imaginé pour cela un stratagème. Lorsque Votre
+Seigneurie aura vu le fond de son coeur, et à quel vil
+métal se réduira ce lingot d'or prétendu, si vous ne lui
+infligez pas le traitement de Jean Tambour<a id="footnotetag28" name="footnotetag28"></a>
+<a href="#footnote28"><sup class="sml">28</sup></a>, votre inclination
+pour lui est inattaquable.--Le voici.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote28"
+name="footnote28"><b>Note 28: </b></a><a href="#footnotetag28">
+(retour) </a> Un vieil intermède imprimé en 1601, portait le nom du
+traitement fait à Jean Tambour, <i>Jack Drum</i>, et cette hospitalité
+consistait à ce qu'il paraît en coups et en injures.</blockquote>
+
+<p class="stage1">(Parolles entre.)</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR.--Oh! pour nous donner le plaisir
+de rire, ne l'empêchez pas d'accomplir son dessein.
+Laissez-le chercher son tambour comme il voudra.</p>
+
+<p>BERTRAND, <span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>.--Eh bien! comment vous trouvez-vous,
+monsieur? Le tambour vous tient donc bien
+fort au coeur?</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Et que diable! qu'il le laisse aller.
+Ce n'est qu'un tambour.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Qu'un tambour! N'est-ce qu'un tambour?
+un tambour ainsi perdu! Le beau commandement!
+charger les ailes de notre armée avec notre propre cavalerie,
+et enfoncer nos propres bataillons!</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--On ne doit point blâmer le général
+qui a commandé: c'est un de ces malheurs de la guerre
+que César lui-même n'aurait pu prévenir, s'il eût été là
+pour nous commander.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Nous n'avons cependant pas tant à nous
+plaindre de notre succès. Il est vrai qu'il y a quelque
+déshonneur à avoir perdu ce tambour; mais enfin, il n'y
+a plus de moyen de le ravoir.</p>
+
+<p>PAROLLES.--On aurait pu le ravoir.</p>
+
+<p>BERTRAND.--On l'aurait pu, mais on ne le peut pas
+à présent.</p>
+
+<p>PAROLLES.--On pourrait encore le ravoir. Si le mérite
+d'un service n'était pas si rarement attribué à celui qui
+l'a rendu, je l'aurais, ce tambour, lui ou un autre, ou
+bien <i>hic jacet</i>.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Mais si vous en avez envie, monsieur; si
+vous croyez avoir quelque bonne ruse qui puisse ramener
+dans son quartier naturel cet instrument d'honneur,
+eh bien! soyez assez généreux pour l'entreprendre. Allez
+en avant! je récompenserai cette tentative comme un
+exploit glorieux. Si vous réussissez, le duc en parlera, et
+vous payera ce service tout ce qu'il pourra valoir, et
+d'une manière convenable à sa grandeur.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Par le bras d'un guerrier, je l'entreprendrai.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Mais il faut à présent vous endormir là-dessus.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je veux m'en occuper dès ce soir; je vais
+écrire mes dilemmes, m'encourager dans ma certitude,
+faire mes apprêts homicides; et sur le minuit, attendez-vous
+à entendre parler de moi.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Puis-je hardiment annoncer à Son Altesse
+que vous êtes parti pour vous en occuper?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je ne sais pas encore quel sera le succès,
+seigneur: mais pour le tenter, je vous le jure.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Je sais que tu es brave; et je répondrais
+de la possibilité de ta valeur guerrière. Adieu.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je n'aime pas trop de paroles.</p>
+
+<p class="stage1">(Il sort.)</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR.--Non, pas plus que le poisson
+n'aime l'eau. Cet homme n'est-il pas bien singulier, seigneur,
+de paraître entreprendre avec tant de confiance
+une chose qu'il sait bien qu'on ne peut faire? Il se
+damne à jurer qu'il le fera, et il aimerait mieux être
+damné que de le faire.</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Vous ne le connaissez pas encore,
+seigneur, comme nous le connaissons. Il est bien vrai
+qu'il a le talent de s'insinuer dans les bonnes grâces
+de quelqu'un, et que pendant une semaine il saura
+échapper à bien des occasions de se découvrir; mais
+quand vous l'aurez une fois connu, ce sera pour toujours.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Quoi! vous pensez qu'il ne fera rien de
+tout ce qu'il s'est engagé si sérieusement à entreprendre?</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Rien au monde; mais il s'en
+reviendra avec une invention de sa tête, et il vous y
+flanquera deux ou trois mensonges plausibles. Mais
+nous avons déjà fatigué le cerf, et vous le verrez tomber
+cette nuit. En vérité, seigneur, il ne mérite pas vos
+bontés.</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR.--Nous vous amuserons un peu
+avec le renard, avant que de lui retourner la peau sur
+les oreilles. Il a déjà été enfumé par le vieux seigneur
+Lafeu. Quand on lui aura ôté son déguisement, vous me
+direz alors quel lâche coquin vous le trouverez, et cela
+pas plus tard que cette nuit.</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Il faut que j'aille tendre mes
+pièges: il y sera pris.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Et votre frère va venir avec moi.</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Si vous le trouvez bon, seigneur,
+je vais vous quitter.</p>
+
+<p class="stage1">(Il sort.)</p>
+
+<p>BERTRAND.--Je veux maintenant vous conduire dans
+la maison, et vous montrer la jeune fille dont je vous ai
+déjà parlé.</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR.--Mais vous me disiez qu'elle était
+honnête.</p>
+
+<p>BERTRAND.--C'est là son défaut; je ne lui ai encore
+parlé qu'une fois, et je l'ai trouvée extraordinairement
+froide: je lui ai envoyé, par ce même fat que nous
+avons sous le vent, des présents et des lettres qu'elle
+a renvoyés; et voilà tout ce que j'ai fait jusqu'ici. C'est
+une belle créature. Voulez-vous la venir voir?</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR.--De tout mon coeur, seigneur.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE VII</h3>
+
+<p class="stage1">Florence,--Une chambre dans la maison de la veuve.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> HÉLÈNE, LA VEUVE.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Si vous doutez encore que je sois sa femme,
+je ne sais plus comment vous donner d'autres preuves,
+à moins de détruire les fondements de mon entreprise.</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Quoique j'aie perdu ma fortune, je suis
+bien née, et je ne connais rien à ces sortes d'affaires, et
+je ne voudrais pas aujourd'hui ternir ma réputation par
+une action honteuse.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Je ne voudrais pas non plus vous y exposer.
+Croyez d'abord que le comte est mon époux, et que tout
+ce que je vous ai confié sous la foi du secret est vrai de
+point en point. D'après cela, vous voyez que vous ne
+pouvez faire un crime en me prêtant le bon secours que
+je vous demande.</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Il faut bien vous croire, car vous m'avez
+donné des preuves convaincantes que vous jouissez d'une
+grande fortune.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Prenez cette bourse d'or, et laissez-moi
+acheter à ce prix les secours de votre amitié, que je
+récompenserai encore quand je l'aurai éprouvée. Le
+comte courtise votre fille; il fait le siège libertin de sa
+beauté, résolu de s'en rendre maître. Qu'elle consente
+maintenant à se laisser diriger par nous sur la manière
+dont elle doit se conduire. Son sang bouillonne, et il ne
+lui refusera rien de ce qu'elle lui demandera. Le comte
+porte un anneau qui a passé dans sa maison de père en
+fils, depuis quatre ou cinq générations: cet anneau est
+d'un grand prix à ses yeux; mais dans son ardeur insensée
+pour obtenir ce qu'il veut, le sacrifice ne lui paraîtra
+pas trop grand, bien qu'il puisse s'en repentir ensuite.</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Je vois à présent le but que vous vous
+proposez.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Vous voyez donc combien il est légitime. Je
+désire seulement que votre fille lui demande cet anneau,
+avant de faire semblant de se rendre à ses instances;
+qu'elle lui assigne un rendez-vous; enfin qu'elle me
+laisse à sa place employer le temps pendant qu'elle sera
+chastement absente: et après j'ajouterai pour sa dot
+trois mille couronnes d'or à ce qui s'est déjà passé entre
+nous.</p>
+
+<p>LA VEUVE.--J'y consens. Instruisez maintenant ma
+fille de la manière dont elle doit se conduire pour que
+l'heure et le lieu, tout s'accorde dans cette innocente
+supercherie. Toutes les nuits il vient avec des instruments
+de toute espèce, et des chansons qu'il a composées
+pour son peu de mérite; il ne nous sert de rien de
+l'écarter de nos fenêtres; il s'obstine à y rester, comme
+si sa vie en dépendait.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Eh bien! dès ce soir il faut tenter notre stratagème.
+S'il réussit, ce sera une mauvaise intention
+attachée à une action légitime et une action vertueuse
+dans une action légitime; ni l'un ni l'autre ne pécheront:
+et cependant il y aura un péché de commis<a id="footnotetag29" name="footnotetag29"></a>
+<a href="#footnote29"><sup class="sml">29</sup></a>. Mais
+allons nous en occuper.</p>
+
+<p class="stage1">(Elles sortent.)</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote29"
+name="footnote29"><b>Note 29: </b></a><a href="#footnotetag29">
+(retour) </a> Un crime d'intention de la part de Bertrand.</blockquote>
+
+<p>FIN DU TROISIÈME ACTE.</p>
+<br><br><br>
+<h3>ACTE QUATRIÈME</h3>
+<br>
+<h3>SCÈNE I</h3>
+
+<p class="stage1">Aux alentours du camp florentin.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Un des</i> SEIGNEURS FRANÇAIS <i>entre sur la scène, suivi de<br>
+cinq ou six</i> SOLDATS <i>qui se mettent en embuscade</i>.</p>
+
+<p>LE CAPITAINE.--Il ne peut venir par d'autre chemin
+que par le coin de cette haie. Lorsque vous fondrez sur
+lui, servez-vous des termes les plus terribles que vous
+voudrez; quand vous ne vous entendriez pas vous-mêmes,
+peu importe; car il faut que nous fassions semblant
+de ne pas le comprendre, excepté un de nous, que
+nous produirons comme interprète.</p>
+
+<p>UN SOLDAT.--Mon bon capitaine, laissez-moi être l'interprète.</p>
+
+<p>LE CAPITAINE.--N'es-tu pas connu de lui? Ne connaît-il
+pas ta voix?</p>
+
+<p>LE SOLDAT.--Non, monsieur, je vous le garantis.</p>
+
+<p>LE CAPITAINE.--Mais quel jargon nous parleras-tu?</p>
+
+<p>LE SOLDAT.--Celui que vous me parlerez.</p>
+
+<p>LE CAPITAINE.--Il faut qu'il nous prenne pour quelque
+bande d'étrangers à la solde de l'ennemi. N'oublions pas
+qu'il a une teinture de tous les langages des pays voisins:
+ainsi, il faut que chacun de nous parle un jargon
+à sa fantaisie, sans savoir ce que nous nous dirons l'un à
+l'autre. Tout ce que nous devons bien savoir, c'est le
+projet que nous avons en tête. Croassement de corbeau,
+ou tout autre babil, sera bon de reste.--Quant à vous,
+monsieur l'interprète, il faut que vous sachiez bien dissimuler.--Mais,
+ventre à terre! le voici qui vient, pour
+passer deux heures à dormir, et retourner ensuite débiter
+et jurer les mensonges qu'il forge.</p>
+
+<p class="stage1">(Entre Parolles.)</p>
+
+<p>PAROLLES.--Dix heures! dans trois heures d'ici, il sera
+assez temps de retourner au quartier. Qu'est-ce que je
+dirai que j'ai fait? Il faut que ce soit quelque invention
+plausible pour se faire croire: on commence à me dépister,
+et les disgrâces ont dernièrement frappé trop souvent
+à ma porte. Je trouve que ma langue est trop téméraire:
+mais mon coeur a toujours devant les yeux la
+crainte de Mars et de ses enfants, et il ne soutient pas ce
+que hasarde ma langue.</p>
+
+<p>LE CAPITAINE, <span class="stage2"><i>à part</i></span>.--Voilà la première vérité dont
+ta langue se soit jamais rendue coupable.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Quel diable m'engageait à entreprendre la
+reprise de ce tambour, en connaissant l'impossibilité,
+et sachant que je n'en avais nulle envie?--Il faut que je
+me fasse moi-même quelques blessures, et que je dise
+que je les ai reçues dans l'action; mais de légères blessures
+ne suffiraient pas pour persuader. Ils diront: «Quoi!
+vous en êtes échappé à si bon marché?»--Et de grandes
+blessures, je n'ose pas me les faire. Pourquoi? quelle
+preuve aura-t-on?--Ma langue, il faut que je vous mette
+dans la bouche d'une marchande de beurre, et que j'en
+achète une autre à la mule de Bajazet<a id="footnotetag30" name="footnotetag30"></a>
+<a href="#footnote30"><sup class="sml">30</sup></a>, si votre babil me
+jette dans les dangers.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote30"
+name="footnote30"><b>Note 30: </b></a><a href="#footnotetag30">
+(retour) </a> Quelques-uns lisent <i>mute</i> pour traduire par muet du sérail.</blockquote>
+
+<p>LE CAPITAINE, <span class="stage2"><i>à part</i></span>.--Est-il possible qu'il sache ce
+qu'il est, et qu'il soit ce qu'il est?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je voudrais qu'il me suffît de mettre mon
+habit en lambeaux, ou de briser mon épée espagnole.</p>
+
+<p>LE CAPITAINE, <span class="stage2"><i>à part</i></span>.--Ce moyen ne peut pas aller.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Ou de griller ma barbe; et puis de dire
+que cela faisait partie du stratagème.</p>
+
+<p>LE CAPITAINE.--Cela ne vaut pas mieux.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Ou de noyer mes habits, et puis de dire
+que j'ai été dépouillé.</p>
+
+<p>LE CAPITAINE.--Cela ne peut guère servir.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Quand je jurerais que j'ai sauté par une
+fenêtre de la citadelle...</p>
+
+<p>LE CAPITAINE, <span class="stage2"><i>à part</i></span>.--De quelle hauteur?</p>
+
+<p>PAROLLES, <span class="stage2"><i>continuant</i></span>.--Trente brasses.</p>
+
+<p>LE CAPITAINE.--Trois gros serments auraient encore
+peine à persuader cela.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je voudrais avoir quelque tambour des
+ennemis, et alors je jurerais que c'est le même que j'ai
+repris.</p>
+
+<p>LE CAPITAINE, <span class="stage2"><i>à part</i></span>.--Tu vas en entendre retentir un
+tout à l'heure.</p>
+
+<p class="stage1">(Un tambour bat.)</p>
+
+<p>PAROLLES, <span class="stage2"><i>étonné</i></span>.--Un tambour des ennemis!</p>
+
+<p>LE CAPITAINE <span class="stage2"><i>fondant sur lui avec sa troupe</i></span>.--<i>Thraca
+movousus, cargo, cargo, cargo!</i></p>
+
+<p>TOUS ENSEMBLE.--<i>Cargo, cargo! villanda par corbo,
+cargo!</i></p>
+
+<p>PAROLLES.--Oh! rançon, rançon!--Ne me bandez pas
+les yeux.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils le saisissent et lui bandent les yeux.)</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--<i>Boskos thromuldo boskos.</i></p>
+
+<p>PAROLLES.--Oui, je sais que vous êtes du régiment de
+Muskos, et je perdrai la vie faute de savoir cette langue.
+S'il est parmi vous quelque Allemand, quelque Danois,
+quelque Bas-Hollandais, Italien ou Français, qu'il me
+parle; je lui découvrirai des secrets qui perdront les
+Florentins.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--<i>Boskos vauvado</i>... Je t'entends, et je
+puis parler ta langue. <i>Kerely bonto</i>: songe à ta religion;
+car dix-sept poignards sont pointés contre ton sein.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Oh!</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Oh! ta prière, ta prière!--<i>Mancha
+revania dulche.</i></p>
+
+<p>LE CAPITAINE.--<i>Oschorbi dulchos volivorca.</i></p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Le général veut bien t'épargner
+encore, et, les yeux ainsi bandés, il te fera conduire
+pour recueillir de toi tes secrets: peut-être pourras-tu
+apprendre quelque chose qui te sauvera la vie.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Oh! laissez-moi vivre et je vous dévoilerai
+tous les secrets du camp, leurs forces, leurs desseins:
+oui, je vous dirai des choses qui vous étonneront.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Mais le feras-tu fidèlement?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Si je ne le fais pas, que je sois damné!</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--<i>Acordo linta.</i> Avance; on te permet de
+marcher.</p>
+
+<p class="stage1">(Il sort avec Parolles.)</p>
+
+<p>LE CAPITAINE, <span class="stage2"><i>à l'un d'eux</i></span>.--Va dire au comte de Roussillon
+et à mon frère que nous avons pris la bécasse, et
+que nous la tiendrons enveloppée jusqu'à ce que nous
+ayons de leurs nouvelles.</p>
+
+<p>LE SOLDAT.--Capitaine, j'y vais.</p>
+
+<p>LE CAPITAINE.--Il nous trahira tous, en nous parlant
+à nous-mêmes.--Dis-leur cela.</p>
+
+<p>LE SOLDAT.--Je n'y manquerai pas, capitaine.</p>
+
+<p>LE CAPITAINE.--Jusqu'alors je le tiendrai dans les ténèbres,
+et bien enfermé.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE II</h3>
+
+<p class="stage1">Florence.--Appartement de la maison de la veuve.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> BERTRAND, DIANE.</p>
+
+<p>BERTRAND.--On m'a dit que votre nom était <i>Fontibel</i>.</p>
+
+<p>DIANE.--Non, mon brave seigneur, c'est <i>Diane</i>.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Vous portez le nom d'une déesse, et vous
+méritez mieux encore: mais, âme céleste, l'amour n'a-t-il
+aucune place dans votre belle personne? Si la vive
+flamme de la jeunesse n'échauffe pas votre coeur, vous
+n'êtes pas une jeune fille, mais une statue. Quand vous
+serez morte, vous serez ce que vous êtes à présent; car
+vous êtes froide et insensible, et à présent vous devriez
+être telle qu'était votre mère lorsque votre être charmant
+fut engendré.</p>
+
+<p>DIANE.--Elle ne cessa pas d'être honnête alors.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Vous le seriez aussi.</p>
+
+<p>DIANE.--Non; ma mère ne fit que remplir un devoir,
+le devoir, seigneur, que vous devez à votre épouse.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Ne parlons pas de cela.--Je vous en prie,
+ne luttez pas contre mes serments: j'ai été uni à elle par
+contrainte; mais vous, je vous aime par la douce contrainte
+de l'amour, et je vous rendrai toujours tous les
+services auxquels vous aurez droit.</p>
+
+<p>DIANE.--Oui, vous êtes à notre service jusqu'à ce que
+nous vous ayons servi; mais lorsqu'une fois vous avez
+nos roses, vous nous laissez seulement les épines pour
+nous déchirer, et vous insultez à notre stérilité.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Combien ai-je fait de serments!...</p>
+
+<p>DIANE.--Ce n'est pas le nombre des serments qui fait
+la vérité, mais un voeu simple et sincère fait avec vérité.
+Nous n'attestons jamais ce qui n'est pas sacré, mais
+nous jurons par le Très-Haut. Dites-moi, je vous prie, si
+je jurais par les attributs suprêmes de Jupiter que je
+vous aime tendrement, en croiriez-vous mes serments,
+quand je vous aimerais mal? Jurer à quelqu'un qu'on
+l'aime est un serment sans foi et sans solidité, lorsqu'on
+ne jure que pour lui faire un outrage. Ainsi vos serments
+ne sont que des paroles et de frivoles protestations
+qui ne portent aucun sceau, du moins suivant mon
+opinion.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Changez, changez d'opinion. Ne soyez pas
+si saintement cruelle: l'amour est saint, et jamais ma
+sincérité ne connut l'artifice dont vous accusez les
+hommes. Ne vous éloignez plus, mais rendez-vous au
+désir de mon coeur, qui se ranimera alors. Dites que
+vous êtes à moi, et ce qu'est mon amour au commencement,
+il le sera toujours.</p>
+
+<p>DIANE.--Je vois que les hommes, dans ces sortes de
+difficultés, fabriquent des cordes que nous laissons bientôt
+aller nous-mêmes.--Donnez-moi cet anneau.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Je vous le prêterai, ma chère; mais il
+n'est pas en mon pouvoir de le donner sans retour.</p>
+
+<p>DIANE.--Vous ne voulez pas me le donner, seigneur?</p>
+
+<p>BERTRAND.--C'est un gage d'honneur qui appartient à
+notre maison, et qui m'a été légué par de nombreux ancêtres:
+ce serait une grande honte pour moi dans le
+monde que de le perdre.</p>
+
+<p>DIANE.--Mon honneur ressemble à votre anneau: ma
+chasteté est le joyau de notre maison, qui m'a été transmis
+par de nombreux ancêtres, et ce serait une grande
+honte pour moi dans le monde que de le perdre: ainsi,
+votre propre prudence amène l'honneur pour me servir
+de champion contre vos vaines attaques.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Tenez, prenez mon anneau. Que ma maison,
+mon honneur, ma vie même soient à vous, et je
+vous serai soumis.</p>
+
+<p>DIANE.--Quand il sera minuit, frappez à la fenêtre de ma
+chambre. Je prendrai mes précautions pour que ma mère
+n'entende rien.--Maintenant je vous recommande, sous
+la foi sacrée de la vérité, lorsque vous aurez conquis
+mon lit encore vierge, de n'y rester qu'une heure et de
+ne pas me parler. J'en ai les plus fortes raisons; vous
+les saurez ensuite, lorsque cette bague vous sera rendue;
+et dans la nuit je mettrai à votre doigt un autre anneau
+qui, dans la suite des temps, pourra attester à l'avenir
+notre union passée. Adieu, jusqu'alors: n'y manquez
+pas. Vous avez conquis en moi une épouse, quoique
+toutes mes espérances de ce côté soient perdues.</p>
+
+<p>BERTRAND.--J'ai conquis le ciel sur la terre en vous
+recherchant.</p>
+
+<p class="stage1">(Il sort.)</p>
+
+<p>DIANE.--Puisses-tu vivre longtemps pour remercier le
+ciel et moi! tu pourrais bien finir par là.--Ma mère
+m'avait instruite de la manière dont il me ferait sa cour,
+comme si elle eût été dans son coeur: elle dit que tous
+les hommes font les mêmes serments: il avait juré de
+m'épouser quand sa femme serait morte, et moi je coucherai
+avec lui quand je serai ensevelie. Puisque les
+Français sont si trompeurs, se marie qui voudra; je
+veux vivre et mourir vierge; et je ne crois pas que ce
+soit un péché de tromper, sous ce déguisement, un
+homme qui voulait me séduire.</p>
+
+<p class="stage1">(Elle sort.)</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE III</h3>
+
+<p class="stage1">Le camp florentin.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> LES DEUX SEIGNEURS FRANÇAIS, <i>avec<br>
+deux ou trois soldats</i>.</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--Vous ne lui avez pas donné la
+lettre de sa mère?</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Je la lui ai remise il y a une heure:
+il y a dedans quelque chose qui a fait une vive impression
+sur son âme, car en la lisant il est presque devenu
+tout d'un coup un autre homme.</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--Il s'est attiré un juste blâme en
+repoussant une si bonne femme, une si aimable dame.</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Il a surtout encouru la disgrâce
+éternelle du roi, dont la générosité eût fait si volontiers
+son bonheur<a id="footnotetag31" name="footnotetag31"></a>
+<a href="#footnote31"><sup class="sml">31</sup></a>. Je vous dirai quelque chose, mais vous
+la tiendrez secrète.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote31"
+name="footnote31"><b>Note 31: </b></a><a href="#footnotetag31">
+(retour) </a> <i>Who had ever tuned his bounty to sing happiness to him.</i> Mot
+à mot: «Qui avait mis pour lui sa bonté sur l'air du bonheur.»</blockquote>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--Quand vous l'aurez dite, elle est
+morte, et j'en suis le tombeau.</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Il a séduit ici, dans Florence, une
+jeune demoiselle de très-chaste renommée, et cette nuit
+même il assouvit sa passion sur les ruines de son honneur:
+il lui a donné son anneau de famille, et il se croit
+heureux d'avoir réussi dans ce pacte coupable.</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--Que Dieu diffère notre révolte! Ce
+que nous sommes quand nous sommes abandonnés à
+nous-mêmes!</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--De vrais traîtres à nous-mêmes. Et
+comme dans le cours ordinaire de toutes les trahisons,
+nous les voyons toujours se révéler elles-mêmes à mesure
+qu'elles avancent vers leur infâme but; c'est ainsi
+que celui qui, par cette action, conspire contre son
+propre honneur, laisse déborder lui-même le torrent.</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--N'est-ce pas un crime damnable
+d'être les hérauts de nos desseins criminels?--Nous
+n'aurons donc pas sa compagnie ce soir?</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Non, jusqu'après minuit, car sa ration
+est d'une heure.</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--Elle s'avance à grands pas.--Je
+voudrais bien qu'il entendît anatomiser son compagnon,
+afin qu'il pût avoir la mesure de son jugement, où il
+avait si précieusement établi cette fausse monnaie.</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Nous ne nous occuperons pas de lui
+jusqu'à ce qu'il vienne, car sa présence doit être le jouet
+de l'autre.</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--En attendant, qu'entendez-vous
+dire de cette guerre?</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--J'entends dire qu'il y a une ouverture
+de paix.</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--Et même, je vous l'assure, une paix
+conclue.</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Que va donc faire le comte de Roussillon?
+Voyagera-t-il, ou retournera-t-il en France?</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--Je vois bien par cette question que
+vous n'êtes pas dans sa confidence.</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Dieu m'en préserve, monsieur! car
+alors j'aurais grande part à ses actions.</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--Sa femme, il y a environ deux
+mois, a fui sa maison: son prétexte était d'aller faire un
+pèlerinage à Saint-Jacques-le-Grand; elle a accompli
+cette religieuse entreprise avec la piété la plus austère;
+la sensibilité de sa nature est devenue la proie de son
+chagrin; enfin, elle y a rendu les derniers soupirs, et
+maintenant elle chante dans le ciel.</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Sur quoi cette nouvelle est-elle appuyée?</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--En grande partie sur ses propres
+lettres, qui garantissent la vérité du récit jusqu'à l'instant
+de sa mort; et sa mort, qu'elle ne pouvait pas annoncer
+elle-même, est fidèlement confirmée par le curé du lieu.</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Le comte est-il instruit de cet événement?</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--Oui; et dans toutes ses particularités,
+de point en point, jusqu'à la plus parfaite certitude
+de la vérité.</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Je suis bien fâché qu'il soit joyeux
+de cela.</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--Comme nous nous empressons
+quelquefois de nous réjouir de nos pertes!</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Et comme nous nous empressons
+d'autres fois de noyer nos gains dans les larmes! L'honneur
+distingué que sa valeur s'est acquis ici va être accueilli
+dans sa patrie par une honte aussi grande.</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--La trame de notre vie est un tissu
+de bien et de mal: nos vertus seraient trop fières si nos
+fautes ne les châtiaient, et nos crimes seraient au désespoir
+s'ils n'étaient consolés par nos vertus.--Eh bien!
+où est votre maître?</p>
+
+<p>LE DOMESTIQUE.--Dans la rue il a rencontré le duc,
+dont il a pris solennellement congé: Sa Seigneurie va
+partir demain matin pour la France. Le duc lui a offert
+des lettres de recommandation pour le roi.</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Elles ne sont rien moins que nécessaires,
+quand la recommandation serait encore plus
+forte qu'elle ne peut l'être.</p>
+
+<p class="stage1">(Entre Bertrand.)</p>
+
+<p>LE PREMIER OFFICIER, <i>répondant à l'autre</i>.--En effet,
+elles ne peuvent être trop flatteuses pour adoucir l'aigreur
+du roi.--Voici le comte qui s'avance.--Eh bien!
+comte, ne sommes-nous pas après minuit?</p>
+
+<p>BERTRAND.--J'ai, cette nuit, expédié seize affaires d'un
+mois de travail chacune, dont j'ai abrégé le succès: j'ai
+pris congé du duc, fait mes adieux à ses parents, enterré
+une femme, pris le deuil pour elle, écrit à madame ma
+mère que je reviens, préparé mes équipages et ma suite;
+et, entre les intervalles de ces diverses expéditions, j'ai
+pourvu à d'autres affaires plus délicates: la dernière
+était la plus importante, mais elle n'est pas encore finie.</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Si l'affaire présente quelque difficulté
+et que vous partiez d'ici ce matin, il faudra que
+Votre Seigneurie use de diligence.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Je dis que l'affaire n'est pas finie, parce
+que j'ai quelque peur d'en entendre parler dans la suite.
+--Mais aurons-nous ce dialogue entre ce faquin et le
+soldat?--Allons, faites paraître devant nous ce prétendu
+modèle: il m'a trompé, comme un oracle à double sens.</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Qu'on l'amène. (<span class="stage2"><i>Les soldats sortent.</i></span>)
+Le pauvre malheureux a passé toute la nuit dans les
+ceps.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Il n'y a pas de mal à cela: ses talons
+l'ont bien mérité, pour avoir usurpé si longtemps les
+éperons<a id="footnotetag32" name="footnotetag32"></a>
+<a href="#footnote32"><sup class="sml">32</sup></a>. Comment se comporte-t-il?</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote32"
+name="footnote32"><b>Note 32: </b></a><a href="#footnotetag32">
+(retour) </a> On sait que les éperons étaient un des signes distinctifs du
+chevalier.</blockquote>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--J'ai déjà eu l'honneur de dire à
+Votre Seigneurie que ce sont les ceps qui le portent:
+mais, pour vous répondre dans le sens que vous entendez,
+il pleure comme une fille qui a répandu son lait; il
+s'est confessé à Morgan, qu'il croit être un religieux, depuis
+la première lueur de sa mémoire jusqu'à l'instant
+fatal où il a été mis dans les ceps. Et que croyez-vous
+qu'il a confessé?</p>
+
+<p>BERTRAND.--Rien qui me concerne, n'est-ce pas?</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--On a écrit sa confession, et on la
+lira devant lui. Si Votre Seigneurie s'y rencontre,
+comme je le crois, il faut que vous ayez la patience de
+l'entendre.</p>
+
+<p class="stage1">(Les soldats entrent conduisant Parolles les yeux bandés.)</p>
+
+<p>BERTRAND.--Que la peste l'étouffé! Comme il est affublé!--Il
+ne peut rien dire de moi. Silence, silence!</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--Voilà le colin-maillard qui vient.
+(<span class="stage2"><i>Haut.</i></span>) <i>Porto tartarossa.</i></p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE, <span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>.--Le général demande les
+instruments de torture. Que voulez-vous dire dans cela?</p>
+
+<p>PAROLLES.--J'avouerai tout ce que je sais, sans qu'il
+soit besoin de contrainte. Quand vous me hacheriez
+comme chair à pâté, je ne pourrais rien dire de plus.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--<i>Bosko chicurmurco.</i></p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--<i>Boblibindo chicurmurco.</i></p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE, <span class="stage2"><i>à l'officier</i></span>.--Vous êtes un général miséricordieux.
+(<span class="stage2"><i>A Parolles.</i></span>) Notre général vous ordonne de
+répondre à ce que je vais vous demander, d'après cet
+écrit.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Et j'y répondrai avec vérité, comme j'espère
+vivre.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE, <span class="stage2"><i>lisant un interrogatoire par écrit</i></span>.--<i>D'abord
+lui demander quelle est la force du duc en fait de chevaux.</i>
+Que répondez-vous à cela?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Cinq ou six mille chevaux environ, mais
+affaiblis et hors de service: les troupes sont toutes dispersées,
+et les chefs sont de pauvres hères: c'est ce que
+je certifie sur ma réputation, et sur mon espoir de vivre.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Coucherai-je par écrit votre réponse?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Oui, et j'en ferai serment comme il vous
+plaira.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Oh! cela lui est bien égal! (<i>A part.</i>) Quel
+misérable poltron!</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER, <span class="stage2"><i>à Bertrand, avec ironie</i></span>.--Vous vous
+trompez, seigneur. C'est monsieur Parolles; ce brave
+militaire (c'était là sa phrase ordinaire) qui portait toute
+la théorie de la guerre dans le noeud de son écharpe, et
+toute la pratique dans le fourreau de son poignard.</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Je ne me fierai jamais à un homme,
+parce qu'il aura soin de tenir son épée luisante; ni ne
+croirai qu'il possède tous les mérites, parce qu'il porte
+bien son uniforme.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE, <span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>.--Allons, la réponse est écrite.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Oui, cinq ou six mille chevaux environ,
+comme je l'ai dit.--Je veux dire le nombre juste, ou à
+peu de chose près. Écrivez-le;--car je veux dire la vérité.</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--Il approche de la vérité là-dessus.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Mais, vu la manière dont il le dit, je ne
+choisirai pas mes mots pour l'en remercier, vu la
+manière dont il l'a dit.</p>
+
+<p>PAROLLES.--De pauvres hères: je vous prie, écrivez-le.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Bon; cela est écrit.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je vous en remercie bien. La vérité est la
+vérité. Ce sont de bien pauvres hères!</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE, <span class="stage2"><i>lisant</i></span>.--<i>Lui demander quelle est la force
+de son infanterie.</i> (<span class="stage2"><i>A Parolles.</i></span>) Que dites-vous de cela?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Sur ma foi, monsieur, quand je n'aurais
+plus que cette heure à vivre, je dirai la vérité.--Voyons.
+Spurio, cent cinquante; Sébastien, autant; Corambus
+autant; Guiltian, Cosmo, Lodovick, et Gratii, deux cent
+cinquante chacun; ma compagnie, Chitopher, Vaumont,
+Bentii, chacun deux cent cinquante; en sorte que toute
+la troupe, tant sains que malades, ne monte pas, sur ma
+vie, à quinze mille hommes: et il y en a la moitié qui
+n'oseraient pas secouer la neige de leur pourpoint, de
+crainte de tomber eux-mêmes en morceaux.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Que lui fera-t-on?</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER, <span class="stage2"><i>à Bertrand</i></span>.--Rien autre chose que
+de le remercier. (<span class="stage2"><i>A l'interprète.</i></span>) Interrogez-le sur mon
+état, et sur le crédit dont je jouis près du duc.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE, <span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>.--Allons; cela est écrit.
+(<span class="stage2"><i>Lisant.</i>)</span> <i>Vous lui demanderez encore s'il y a dans le camp
+un certain capitaine Dumaine, un Français: quelle est sa
+réputation auprès du duc; quelles sont sa valeur, sa probité,
+et son expérience dans la guerre; ou s'il ne croit pas
+qu'il fût possible avec de bonnes sommes d'or de le corrompre
+et de l'engager à la révolte.</i> (<span class="stage2"><i>A Parolles.</i></span>) Que dites-vous
+de ceci? Qu'en savez-vous?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je vous en conjure, laissez-moi répondre
+en détail à ces questions: faites-moi les demandes séparément.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Connaissez-vous ce capitaine Dumaine?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je le connais: il était apprenti boucher à
+Paris, d'où il a été chassé à coups de fouet pour avoir
+donné un enfant à la servante du shérif<a id="footnotetag33" name="footnotetag33"></a>
+<a href="#footnote33"><sup class="sml">33</sup></a>, une pauvre
+innocente, muette, qui ne pouvait lui dire <i>non</i>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote33"
+name="footnote33"><b>Note 33: </b></a><a href="#footnotetag33">
+(retour) </a> Shakspeare place un shérif à Paris; mais shérif veut dire ici
+prévôt.</blockquote>
+
+<p class="stage1">(Dumaine, en colère, lève la main.)</p>
+
+<p>BERTRAND.--Allons, avec votre permission, tenez vos
+mains;--quoique je sache bien que sa cervelle soit
+vouée à la première tuile qui tombera.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Ce capitaine est-il dans le camp du duc
+de Florence?</p>
+
+<p>PAROLLES.--A ma connaissance, il y est: c'est un
+pouilleux.</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER, <span class="stage2"><i>à Bertrand qui le regarde</i></span>.--Allons,
+ne me considérez pas tant; nous entendrons parler tout
+à l'heure de Votre Seigneurie.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Quel cas en fait le duc?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Le duc ne le connaît que pour un de mes
+mauvais officiers, et il m'écrivit l'autre jour de le renvoyer
+de la troupe: je crois que j'ai sa lettre dans ma
+poche.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Ma foi, nous allons l'y chercher.</p>
+
+<p>PAROLLES.--En conscience je ne sais pas: mais ou elle
+y est, ou elle est enfilée avec les autres lettres du duc,
+dans ma tente.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE <span class="stage2"><i>le fouillant</i></span>.--La voici: voici un papier:
+vous le lirai-je?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je ne sais pas si c'est cela, ou non.</p>
+
+<p>BERTRAND, <span class="stage2"><i>à demi-voix</i></span>.--Notre interprète fait bien son
+rôle.</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--A merveille.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE <i>lisant</i>.--<i>Diane.--Le comte est un fou, et
+chargé d'or...</i></p>
+
+<p>PAROLLES.--Ce n'est pas la lettre du duc, monsieur:
+c'est un avertissement à une honnête fille de Florence,
+nommée Diane, de se défier des séductions d'un certain
+comte de Roussillon, un jeune et frivole étourdi, mais
+avec tout cela fort débauché.--Je vous en prie, monsieur,
+remettez cela dans ma poche.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Non: il faut d'abord que je le lise,
+avec votre permission.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Mes intentions là-dedans, je le proteste,
+étaient fort honnêtes en faveur de cette jeune fille; car
+je connais le comte pour un jeune suborneur très-dangereux:
+c'est une baleine pour les vierges, qui dévore
+tout le fretin qu'elle rencontre.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Maudit scélérat! double scélérat!</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE <span class="stage2"><i>lit la note</i></span>.--«Quand il prodigue les serments,
+dites-lui de laisser tomber de l'or, et prenez-le.
+Dès qu'il porte en compte, il ne paye jamais le compte.
+Un marché bien fait est à demi-gagné; faites donc un
+marché, et faites-le bien. Jamais il ne paye ses arriérés;
+faites-vous payer d'avance, et dites, Diane, qu'un
+soldat vous a dit cela. Il faut épouser les hommes,
+il ne faut pas embrasser les garçons; car comptez
+bien que le comte est étourdi: je sais, moi, qu'il
+payera bien d'avance, mais non pas quand il devra.
+Tout à vous, comme il vous le jurait à l'oreille.</p>
+
+<p class="mid">«Parolles.»</p>
+
+<p>BERTRAND.--Je veux qu'il soit fustigé à travers les
+rangs de l'armée, avec cet écrit sur le front.</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER, <span class="stage2"><i>avec ironie</i></span>.--C'est votre ami dévoué,
+monsieur, ce savant polyglotte<a id="footnotetag34" name="footnotetag34"></a>
+<a href="#footnote34"><sup class="sml">34</sup></a>, ce soldat si puissant
+par les armes.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote34"
+name="footnote34"><b>Note 34: </b></a><a href="#footnotetag34">
+(retour) </a> <i>Linguist.</i></blockquote>
+
+<p>BERTRAND.--Je pouvais tout endurer auparavant, hormis
+un chat; et maintenant il est un chat pour moi.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE, <span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>.--Je m'aperçois, monsieur,
+aux regards de notre général, que nous aurions envie de
+vous pendre.</p>
+
+<p>PAROLLES.--La vie, monsieur, à quelque prix que ce
+soit; non pas que j'aie peur de mourir, mais uniquement
+parce que mes péchés étant en grand nombre, je
+voudrais m'en repentir le reste de mes jours. Laissez-moi
+vivre, monsieur, dans une prison, dans les fers, ou
+partout ailleurs, pourvu que je vive.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Nous verrons ce qu'il y aura à faire,
+pourvu que vos aveux soient francs: ainsi, revenons à ce
+capitaine Dumaine: vous avez déjà répondu sur l'opinion
+qu'en avait le duc, sur sa valeur aussi: et sa probité,
+qu'en dites-vous?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Monsieur, il volerait un oeuf dans une
+abbaye<a id="footnotetag35" name="footnotetag35"></a>
+<a href="#footnote35"><sup class="sml">35</sup></a>: pour les rapts et les enlèvements, il égale Nessus.
+Il fait profession de manquer à ses serments; et
+pour les rompre, il est plus fort qu'Hercule. Il vous mentira,
+monsieur, avec une si prodigieuse volubilité, qu'il
+vous ferait prendre la vérité pour une folle. L'ivrognerie
+est sa plus grande vertu; car il boira jusqu'à s'enivrer
+comme un porc; et dans son sommeil il ne fait
+guère de mal, si ce n'est aux draps qui l'enveloppent:
+mais on connaît ses habitudes, et on le couche sur la
+paille. Il me reste bien peu de chose à ajouter, monsieur,
+sur l'honnêteté, il a tout ce qu'un honnête
+homme ne doit pas avoir, et rien de ce que doit avoir un
+honnête homme.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote35"
+name="footnote35"><b>Note 35: </b></a><a href="#footnotetag35">
+(retour) </a> C'est-à-dire, il se ferait pendre pour un liard.</blockquote>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--Je commence à l'aimer pour ce
+qu'il dit de moi.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Pour cette description de votre honnêteté?
+Que la peste l'étouffe pour ce qui me concerne, moi!
+Il devient de plus en plus un chat!</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE, <span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>.--Que dites-vous de son expérience
+dans la guerre?</p>
+
+<p>PAROLLES.--En conscience, monsieur, il a battu le
+tambour devant les tragédiens anglais. Le calomnier, je
+ne le veux pas. Et je n'en sais pas davantage sur sa
+science militaire, excepté que dans ce pays-là il a eu
+l'honneur d'être officier dans un endroit qu'on appelle
+<i>Mile-end</i><a id="footnotetag36" name="footnotetag36"></a>
+<a href="#footnote36"><sup class="sml">36</sup></a>, avec l'emploi d'apprendre à doubler les files<a id="footnotetag37" name="footnotetag37"></a>
+<a href="#footnote37"><sup class="sml">37</sup></a>.
+Je voudrais lui faire tout l'honneur que je puis, mais je
+ne suis pas certain de ce fait.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote36"
+name="footnote36"><b>Note 36: </b></a><a href="#footnotetag36">
+(retour) </a> Hôpital et manufacture de Londres.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote37"
+name="footnote37"><b>Note 37: </b></a><a href="#footnotetag37">
+(retour) </a> Équivoque sur <i>file</i>, fil d'archal et file de soldats.</blockquote>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--Il dépasse tellement la scélératesse
+ordinaire, que son caractère se rachète par la rareté.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Que la peste l'étrangle! c'est toujours un
+chat.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE, <span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>.--Puisque vous faites si peu
+de cas de ses qualités, je n'ai pas besoin de vous demander
+si l'or pourrait le débaucher?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Monsieur, pour un quart d'écu il vendra
+sa part de salut et son droit d'héritage dans le ciel; il
+renoncera à la substitution pour tous ses descendants et
+l'aliénera à perpétuité sans retour.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Et son frère, l'autre capitaine Dumaine?</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Pourquoi le questionne-t-il sur mon
+compte?</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Répondez: qu'est-il?</p>
+
+<p>PAROLLES.--C'est un corbeau du même nid. Il n'est
+pas tout à fait aussi grand que l'autre en bonté, mais il
+l'est bien plus en méchanceté. Il surpasse son frère en
+lâcheté, et cependant son frère passe pour un des plus
+grands poltrons qu'il y ait; dans une retraite, il court
+mieux que le moindre valet; mais, ma foi, quand il faut
+charger, il est sujet aux crampes.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Si l'on vous fait grâce de la vie, entreprendrez-vous
+de trahir le Florentin?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Oui, et le capitaine de sa cavalerie aussi,
+le comte de Roussillon.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Je vais le dire à l'oreille du général et
+savoir ses intentions.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je ne veux plus entendre de tambours:
+malédiction sur tous les tambours! C'était uniquement
+pour paraître rendre un service et pour en imposer à ce
+jeune débauché de comte que je me suis jeté dans le péril;
+et cependant qui aurait jamais soupçonné une embuscade
+là où j'ai été pris?</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE, <span class="stage2"><i>revenant à lui comme avec la réponse du
+général</i></span>.--Il n'y a point de remède, monsieur: il vous
+faut mourir. Le général dit que vous, qui avez si lâchement
+dévoilé les secrets de votre armée et fait de si
+indignes portraits d'officiers qui jouissent de la plus
+haute estime, vous n'êtes bon à rien dans le monde:
+ainsi il vous faut mourir. Allons, bourreau, abats-lui la
+tête.</p>
+
+<p>PAROLLES.--O mon Dieu! monsieur, laissez-moi la vie,
+ou laissez-moi du moins voir ma mort.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Vous allez la voir; et faites vos adieux
+à tous vos amis. (<span class="stage2"><i>Il lui ôte son bandeau.</i></span>) Tenez, regardez
+autour de vous. Connaissez-vous quelqu'un ici?</p>
+
+<p>BERTRAND.--Bonjour, brave capitaine.</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Dieu vous bénisse, capitaine Parolles!</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--Dieu soit avec vous, noble capitaine!</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Capitaine, de quoi me chargez-vous
+pour le seigneur Lafeu? Je pars pour la France.</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--Digne capitaine, voulez-vous me
+donner une copie de ce sonnet que vous avez adressé à
+Diane en faveur du comte de Roussillon? Si je n'étais
+pas un poltron, je vous y forcerais: mais adieu, portez-vous
+bien.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Vous êtes perdu, capitaine: il n'y a
+plus rien en vous qui tienne encore que votre écharpe.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Qui pourrait ne pas succomber sous un
+complot?</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Si vous pouviez trouver un pays où il
+n'y eût que des femmes aussi déshonorées que vous,
+vous pourriez commencer une nation bien impudente.
+Adieu, je pars pour la France aussi; nous y parlerons
+de vous.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+
+<p>PAROLLES.--Eh bien! je suis encore reconnaissant. Si
+mon coeur était fier, il se briserait à cette aventure.--Je
+ne serai plus capitaine; mais je veux manger et boire
+et dormir aussi à mon aise qu'un capitaine. Ce que je
+suis encore me fera vivre. Que celui qui se connaît pour
+un fanfaron tremble à ce dénoûment, car il arrivera que
+tout fanfaron sera convaincu à la fin d'être un âne. Va
+te rouiller, mon épée; ne rougissez plus, mes joues; et
+toi, Parolles, vis en sûreté dans ta honte. Puisque tu es
+dupé, prospère par la duperie; il y a de la place et des
+ressources pour tout le monde, je vais les chercher.</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE IV</h3>
+
+<p class="stage1">A Florence.--Une chambre dans la maison de la veuve.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> HÉLÈNE, LA VEUVE, DIANE.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Afin de vous convaincre que je ne vous ai
+pas fait d'injure, un des plus grands princes du monde
+chrétien sera ma caution; il faut nécessairement qu'avant
+d'accomplir mes desseins je me prosterne devant
+son trône. Il fut un temps où je lui rendis un service
+important, presque aussi cher que sa vie; un service,
+dont la reconnaissance pénétrerait le sein de pierre du
+Tartare même pour en faire sortir des remerciements.
+Je suis informée que Sa Majesté est à Marseille, et
+nous avons un cortége convenable pour nous conduire
+dans cette ville. Il faut que vous sachiez que l'on me
+croit morte. L'armée étant licenciée, mon mari retourne
+chez lui, et, avec le secours du ciel et l'agrément du
+roi mon bon maître, nous y serons rendues avant notre
+hôte.</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Douce dame, jamais vous n'avez eu de serviteur
+qui se soit chargé avec plus de zèle de vos affaires.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Ni vous, madame, n'avez eu d'ami dont les
+pensées travaillent avec plus d'ardeur à récompenser
+votre affection: ne doutez pas que le ciel ne m'ait conduite
+chez vous pour assurer la dot de votre fille, comme
+il l'a destinée à être mon appui et mon moyen pour gagner
+mon mari. Mais que les hommes sont étranges de
+pouvoir user avec tant de plaisir de ce qu'ils détestent,
+lorsque, se fiant imprudemment à leurs pensées déçues,
+ils souillent la nuit sombre! Ainsi, la débauche se repaît
+de l'objet de ses dégoûts à la place de ce qui est absent.
+Mais nous parlerons plus tard de cela.--Vous, Diane, il
+vous faudra souffrir encore pour moi quelque chose,
+sous là direction de mes faibles instructions.</p>
+
+<p>DIANE.--Que l'honneur et la mort s'accordent ensemble
+dans ce que vous m'imposerez, et je suis à vous pour
+souffrir ce que vous voudrez.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Cependant je vous prie... Mais bientôt le
+temps amènera la saison de l'été, où les églantiers auront
+des feuilles aussi bien que des épines, et seront
+aussi charmants qu'ils sont piquants. Il faut que nous
+partions; notre voiture est prête, et le temps nous
+presse. <i>Tout va bien qui finit bien.</i> La fin est la couronne
+des entreprises; quelle que soit la carrière, c'est la fin qui
+en décide la gloire.</p>
+
+<p class="stage1">(Elles sortent.)</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE V</h3>
+
+<p class="stage1">En Roussillon.--Appartement dans le palais de la comtesse.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> LA COMTESSE, LAFEU, LE BOUFFON.</p>
+
+<p>LAFEU.--Non, non; votre fils a été égaré par un faquin
+en taffetas, dont l'infâme safran vous teindrait de cette
+couleur toute la molle et flexible jeunesse d'une nation.
+Sans ceci, votre belle-fille vivrait encore, et votre fils,
+qui est ici en France, serait bien plus avancé par le roi
+sans ce bourdon à queue bigarrée.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Je voudrais bien ne l'avoir jamais connu,
+il a tué la plus vertueuse femme dont la création ait fait
+l'honneur à la nature. Quand elle aurait été de mon sang
+et qu'elle m'eût coûté les tendres gémissements d'une
+mère, jamais ma tendresse pour elle n'eût pu être plus
+profonde.</p>
+
+<p>LAFEU.--C'était une bonne dame: nous pouvons bien
+cueillir mille salades avant d'y retrouver une herbe
+pareille.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Oh! oui, monsieur; elle était ce qu'est
+la douce marjolaine dans une salade, ou plutôt l'<i>herbe
+de grâce</i><a id="footnotetag38" name="footnotetag38"></a>
+<a href="#footnote38"><sup class="sml">38</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote38"
+name="footnote38"><b>Note 38: </b></a><a href="#footnotetag38">
+(retour) </a> <i>La rue.</i></blockquote>
+
+<p>LAFEU.--Ce ne sont pas là des herbes à salade, faquin,
+ce sont dès herbes pour le nez.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Je ne suis pas un grand Nabuchodonosor,
+monsieur; je ne me connais pas beaucoup en
+herbes.</p>
+
+<p>LAFEU.--Qui fais-tu profession d'être? coquin ou fou?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Fou, monsieur, au service d'une femme,
+et coquin au service d'un homme.</p>
+
+<p>LAFEU.--Que veut dire cette distinction?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Je voudrais escamoter à un homme sa
+femme et faire son service.</p>
+
+<p>LAFEU.--Comme cela, vraiment, tu serais un coquin à
+son service.</p>
+
+<p>BOUFFON.--Et je donnerais à sa femme ma marotte<a id="footnotetag39" name="footnotetag39"></a>
+<a href="#footnote39"><sup class="sml">39</sup></a>
+pour faire son service.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote39"
+name="footnote39"><b>Note 39: </b></a><a href="#footnotetag39">
+(retour) </a> Court bâton surmonté d'une tête; c'était le sceptre des fous.</blockquote>
+
+<p>LAFEU.--Allons, j'en conviens, tu es à la fois un coquin
+et un fou.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--A votre service.</p>
+
+<p>LAFEU.--Non, non, non.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Eh bien! monsieur, si je ne vous sers
+pas, je puis servir un aussi grand prince que vous.</p>
+
+<p>LAFEU.--Qui est-ce? Est-ce un Français?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Ma foi, monsieur, il a un nom anglais,
+mais sa physionomie est plus chaude<a id="footnotetag40" name="footnotetag40"></a>
+<a href="#footnote40"><sup class="sml">40</sup></a> en France qu'en
+Angleterre.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote40"
+name="footnote40"><b>Note 40: </b></a><a href="#footnotetag40">
+(retour) </a> Allusion à la maladie française, <i>Morbus gallicus</i>.</blockquote>
+
+<p>LAFEU.--Quel est ce prince?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Le prince noir, monsieur: <i>Alias</i>, le
+prince des ténèbres; <i>Alias</i>, le diable.</p>
+
+<p>LAFEU.--Arrête-là, voilà ma bourse. Je ne te la donne
+pas pour te débaucher du service du maître dont tu
+parles: continue de le servir.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Je suis né dans un pays de bois, monsieur,
+et j'ai toujours aimé un grand feu, et le maître
+dont je parle entretient toujours bon feu. Mais puisqu'il
+est le prince du monde, que sa noblesse se tienne à sa
+cour. Je suis, moi, pour la maison à porte étroite, que je
+crois trop petite pour que la pompe puisse y passer;
+quelques personnes qui s'humilient le pourront; mais
+le grand nombre sera trop frileux et trop délicat, et ils
+préféreront le chemin fleuri qui conduit à la porte large
+et au grand brasier.</p>
+
+<p>LAFEU.--Va ton chemin: je commence à être las de
+toi, et je t'en préviens d'avance, parce que je ne voudrais
+pas me disputer avec toi. Va-t'en; veille à ce qu'on ait
+bien soin de mes chevaux sans tour de ta façon.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Si je leur joue quelques tours, ce ne
+seront jamais que des tours de rosse; ce qui est leur
+droit par la loi de nature.</p>
+
+<p class="stage1">(Il sort.)</p>
+
+<p>LAFEU.--Un rusé coquin, un mauvais drôle!</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--C'est vrai. Feu mon seigneur s'en divertissait
+beaucoup. C'est par sa volonté qu'il reste ici, et
+il s'en autorise pour se permettre ses impertinences. Et
+en effet, il n'a aucune marche réglée: il court où il veut.</p>
+
+<p>LAFEU.--Il me plaît beaucoup; ses bouffonneries ne
+sont pas hors de saison.--J'allais vous dire que depuis
+que j'ai appris la mort de cette bonne dame, et que monseigneur
+votre fils était sur le point de revenir chez lui,
+j'ai prié le roi mon maître de parler en faveur de ma
+fille: c'est Sa Majesté qui, gracieusement, m'en fit elle-même
+la première proposition, lorsque tous les deux
+étaient encore mineurs. Le roi m'a promis de l'effectuer;
+et pour éteindre le ressentiment qu'il a conçu contre
+votre fils, il n'y a pas de meilleur moyen. Votre Seigneurie
+goûte-t-elle cela?</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--J'en suis très-satisfaite, seigneur, et je
+désire que cela s'accomplisse heureusement.</p>
+
+<p>LAFEU.--Sa Majesté revient en poste de Marseille avec
+un corps aussi vigoureux que lorsqu'elle ne comptait
+que trente ans; elle sera ici demain, ou je suis trompé
+par un homme qui m'a rarement induit en erreur dans
+ces sortes d'avis.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--J'ai bien de la joie d'espérer le revoir
+encore avant de mourir. J'ai des lettres qui m'annoncent
+que mon fils sera ici ce soir. Je conjure Votre Seigneurie
+de rester avec moi jusqu'à ce qu'ils se soient rencontrés.</p>
+
+<p>LAFEU.--Madame, j'étais occupé à songer de quelle
+manière je pourrais être admis en sa présence.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Vous n'avez besoin, monsieur, que de
+faire valoir vos droits honorables.</p>
+
+<p>LAFEU.--Madame, j'en ai fait un usage bien téméraire,
+mais je rends grâces à Dieu de ce qu'ils durent encore.</p>
+
+<p class="stage1">(Le bouffon revient.)</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Oh! madame, voilà monseigneur votre
+fils avec un morceau de velours sur la figure; s'il y a
+ou non une cicatrice dessous, le velours le sait: mais
+c'est un fort beau morceau de velours: sa joue gauche
+est une joue de première qualité, mais il porte sa joue
+droite toute nue.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Une noble blessure, une blessure noblement
+gagnée est une belle livrée d'honneur: il y a apparence
+qu'elle est de cette espèce.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Mais c'est une figure qui a l'air d'être
+grillée.</p>
+
+<p>LAFEU.--Allons voir votre fils, je vous prie. J'ai hâte
+de causer avec ce jeune et noble soldat.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Ma foi, ils sont une douzaine en élégants
+et fins chapeaux, avec de galantes plumes qui s'inclinent
+et font la révérence à tout le monde.</p>
+
+<p class="stage1">(Tous sortent.)</p>
+
+<p>FIN DU QUATRIÈME ACTE.</p>
+<br><br><br>
+<h3>ACTE CINQUIÈME</h3>
+<br>
+<h3>SCÈNE I</h3>
+
+<p class="stage1">Marseille.--Une rue.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> HÉLÈNE, LA VEUVE, DIANE, <i>et deux domestiques</i>.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Certainement vous devez être excédée de
+courir ainsi la poste jour et nuit: nous ne pouvons faire
+autrement; mais puisque vous avez déjà sacrifié tant de
+jours et de nuits, et fatigué vos membres délicats pour
+me rendre service, soyez-en sûre, vous êtes si profondément
+enracinée dans ma reconnaissance, que rien ne
+saurait vous en arracher.--Dans des temps plus heureux...
+(<span class="stage2"><i>Entre un officier de la fauconnerie</i></span><a id="footnotetag41" name="footnotetag41"></a>
+<a href="#footnote41"><sup class="sml">41</sup></a>.) Ce gentilhomme
+pourrait peut-être m'obtenir une audience du
+roi, s'il voulait employer son crédit.--Dieu vous garde,
+monsieur.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote41"
+name="footnote41"><b>Note 41: </b></a><a href="#footnotetag41">
+(retour) </a> <i>stringer</i>, dérivé d'<i>ostercus</i>.</blockquote>
+
+<p>LE GENTILHOMME.--Et vous aussi, madame.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Monsieur, je vous ai vu à la cour de France.</p>
+
+<p>LE GENTILHOMME.--J'y ai passé quelque temps.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Je pense, monsieur, que vous n'êtes pas déchu
+de la réputation d'être obligeant; c'est pourquoi,
+poussée par une nécessité très-pressante qui met de côté
+les compliments, je vous mets à même de faire usage de
+vos vertus, et je vous en serai éternellement reconnaissante.</p>
+
+<p>LE GENTILHOMME.--Que désirez-vous?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Que vous ayez la bonté de donner ce petit
+mémoire au roi et de vouloir bien m'aider de tout votre
+crédit pour obtenir la faveur de lui être présentée.</p>
+
+<p>LE GENTILHOMME.--Le roi n'est point ici.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Il n'est point ici, monsieur?</p>
+
+<p>LE GENTILHOMME.--Non, en vérité. Il est parti d'ici hier
+au soir, et avec plus de précipitation qu'il n'a coutume.</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Grand Dieu! toutes nos peines sont
+perdues!</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--<i>Tout est bien qui finit bien</i>, quoique le sort
+nous paraisse si contraire et les moyens si défavorables.
+(<span class="stage2"><i>Au gentilhomme.</i></span>) De grâce, où est-il allé?</p>
+
+<p>LE GENTILHOMME.--Vraiment, à ce que j'ai entendu
+dire, il est parti pour le Roussillon, où je vais aussi.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Je vous en conjure, monsieur, comme probablement
+vous verrez le roi avant moi, de remettre
+ce petit mémoire entre les mains de Sa Majesté; j'espère
+que vous n'en recevrez aucun blâme et que vous serez,
+au contraire, bien aise de la peine que vous aurez prise.
+J'arriverai après vous avec toute la diligence qu'il nous
+sera possible de faire.</p>
+
+<p>LE GENTILHOMME.--Je ferai cela pour vous obliger.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Et vous verrez qu'on vous en remerciera
+bien, sans ce qui pourra en arriver de plus.--Il nous
+faut remonter à cheval. (<span class="stage2"><i>A sa suite.</i></span>) Allez, allez, faites
+vite tout préparer.</p>
+
+<p class="stage1">(Elles sortent.)</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE II</h3>
+
+<p class="stage1">La scène est en Roussillon.--Une cour intérieure dans le palais<br>
+de la comtesse.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> LE BOUFFON, PAROLLES.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Mon cher monsieur Lavatch, donnez cette
+lettre à monseigneur Lafeu. J'ai autrefois, monsieur, été
+mieux connu de vous quand j'étais revêtu d'habits plus
+frais; mais aujourd'hui je suis tombé dans le fossé de la
+Fortune, et j'exhale une forte odeur de sa cruelle disgrâce.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Ma foi, les disgrâces de la fortune sont
+bien mal tenues, si tu sens aussi fort que tu le dis. Je
+ne veux plus désormais manger de poisson au beurre de
+la Fortune. Je te prie, mets-toi au-dessous du vent.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Oh! vous n'avez pas besoin, monsieur, de
+vous boucher le nez; je ne parlais que par métaphore.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--En vérité, monsieur, si vos métaphores<a id="footnotetag42" name="footnotetag42"></a>
+<a href="#footnote42"><sup class="sml">42</sup></a>
+sentent mauvais, je me boucherai le nez, et je le ferais
+devant les métaphores de qui que ce soit.--Allons, je
+t'en prie, éloigne-toi.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote42"
+name="footnote42"><b>Note 42: </b></a><a href="#footnotetag42">
+(retour) </a> Shakspeare fait ici la faute en donnant le précepte.
+
+<p><i>Quoniam hæc</i>, dit Cicéron, <i>vel summa laus est in verbis transferendis
+ut sensim feriat id quod translatum sit, fugienda est omnis turpitudo
+earum rerum, ad quas eorum animos qui audiunt trahet similitudo.
+Nolo morte dici Africani castratam esse rempublicam. Nolo stercus
+curiæ dici Glauciam.</i> (De Orat.)</p></blockquote>
+
+<p>PAROLLES.--Monsieur, je vous en conjure, remettez
+pour moi ce papier.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Pouah!--Éloigne-toi, je te prie; un
+papier de la chaise percée de la Fortune pour donner à
+un gentilhomme! Tiens, le voici lui-même. (<span class="stage2"><i>Entre Lafeu.
+A Lafeu.</i></span>) Voici un minet de la Fortune, monsieur, ou
+du petit chat de la Fortune (mais un petit chat qui ne
+sent pas le musc), qui est tombé dans le sale réservoir
+de ses disgrâces, d'où, comme il le dit, il est sorti tout
+fangeux. Je vous prie, monsieur, de traiter la carpe du
+mieux que vous pourrez, car il a l'air d'un vaurien bien
+pauvre, bien déchu, ingénieux, fou et fripon. Je compatis
+à son malheur avec mes sourires de consolation, et je
+l'abandonne à Votre Seigneurie.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Monseigneur, je suis un homme que la
+Fortune a cruellement égratigné.</p>
+
+<p>LAFEU.--Et que voulez-vous que j'y fasse? il est trop
+tard maintenant pour lui rogner les ongles. Quel est
+le mauvais tour que vous avez joué à la Fortune pour
+qu'elle vous ait si fort égratigné; car c'est par elle-même
+une fort bonne dame, qui ne souffre pas que les coquins
+prospèrent longtemps à son service? Tenez, voilà un
+quart d'écu pour vous; que les juges de paix vous réconcilient,
+vous et la Fortune; j'ai d'autres affaires.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je supplie Votre Seigneurie de vouloir bien
+entendre un seul mot.</p>
+
+<p>LAFEU.--Tu veux encore quelques sous de plus? les
+voilà: économise tes paroles.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Mon nom, mon bon seigneur, est <i>Parolles</i>.</p>
+
+<p>LAFEU.--Vous demandez donc à dire plus d'un mot<a id="footnotetag43" name="footnotetag43"></a>
+<a href="#footnote43"><sup class="sml">43</sup></a>?--Maudit
+soit mon emportement! Donnez-moi la main.
+Comment va votre tambour?</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote43"
+name="footnote43"><b>Note 43: </b></a><a href="#footnotetag43">
+(retour) </a> Pointe sur le nom de Parolles.</blockquote>
+
+<p>PAROLLES.--O mon bon seigneur! vous êtes celui qui
+m'avez découvert le premier.</p>
+
+<p>LAFEU.--Comment, c'est moi, vraiment? Et je suis le
+premier qui t'ai <i>perdu</i>.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Il ne tient qu'à vous, seigneur, de me faire
+rentrer un peu en grâce, car c'est vous qui m'en avez
+chassé.</p>
+
+<p>LAFEU.--Fi donc! coquin; veux-tu que je sois à la fois
+Dieu et diable, que l'un te fasse entrer en grâce et que
+l'autre t'en chasse? (<span class="stage2"><i>Bruit de trompettes.</i></span>) Voici le roi qui
+vient: je le reconnais à ses trompettes. Faquin, informez-vous
+de moi; j'ai encore hier au soir parlé de vous.
+Quoique vous soyez un fou et un vaurien, vous aurez à
+manger. Venez, suivez-moi.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je bénis Dieu pour vos bontés.</p>
+
+<p class="stage1">(Il sort.)</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE III</h3>
+
+<p class="stage1">La scène est toujours en Roussillon.--Appartement dans le palais<br>
+de la comtesse.</p>
+
+<p class="stage1">FANFARES. LE ROI, LA COMTESSE, LAFEU, LES DEUX<br>
+SEIGNEURS FRANÇAIS, <i>gentilshommes, gardes</i>.</p>
+
+<p>LE ROI.--Nous avons perdu en elle un joyau précieux,
+et notre réputation en a été fort appauvrie; mais votre
+fils, égaré par sa propre folie, n'a pas eu assez de sens
+pour sentir toute l'étendue de son mérite.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--C'est passé, sire; et je conjure Votre
+Majesté de regarder cette révolte comme un écart naturel
+dans l'ardeur de la jeunesse, lorsque l'huile et le feu,
+trop impétueux pour la force de la raison, la maîtrisent
+et brûlent toujours.</p>
+
+<p>LE ROI.--Honorable dame, j'ai tout pardonné et tout
+oublié, quoique ma vengeance fût armée contre lui et
+n'attendît que le moment de frapper.</p>
+
+<p>LAFEU.--Je dois le dire, si Votre Majesté veut bien me
+le permettre: le jeune comte a cruellement offensé Votre
+Majesté, sa mère et sa femme; mais c'est à lui-même
+qu'il a fait le plus grand tort; il a perdu une femme dont
+les charmes étonnaient les yeux les plus riches en souvenirs
+de beauté, dont la voix captivait toutes les
+oreilles, et qui possédait tant de perfections, que des
+coeurs qui dédaignaient de servir l'appelaient humblement
+leur maîtresse.</p>
+
+<p>LE ROI.--L'éloge de l'objet qu'on a perdu en rend le
+souvenir plus cher. Eh bien! faites-le venir; nous
+sommes réconciliés, et la première entrevue effacera
+tout le passé. Qu'il ne me demande point pardon, le sujet
+de sa grande offense n'existe plus, et nous ensevelissons
+les restes de nos ressentiments dans un abîme plus
+profond que l'oubli; qu'il vienne comme un étranger et
+non comme un criminel, et dites-lui bien que c'est là
+notre volonté.</p>
+
+<p>UN SEIGNEUR FRANÇAIS.--Je le lui dirai, sire.</p>
+
+<p>LE ROI, <span class="stage2"><i>à Lafeu</i></span>.--Que dit-il de votre fille? Lui avez-vous
+parlé?</p>
+
+<p>LAFEU.--Tout ce qu'il a est aux ordres de Votre Majesté.</p>
+
+<p>LE ROI.--Nous aurons donc une noce. J'ai reçu des
+lettres qui le couvrent de gloire.</p>
+
+<p class="stage1">(Bertrand entre,)</p>
+
+<p>LAFEU.--Il a tout pour plaire.</p>
+
+<p>LE ROI.--Je ne suis point un jour de la saison, car tu
+peux voir au même instant sur mon front et le soleil et
+la grêle. Mais à présent ces nuages menaçants font place
+aux plus brillants rayons; ainsi approche, le temps est
+beau de nouveau.</p>
+
+<p>BERTRAND.--O mon cher souverain! pardonnez-moi
+des fautes expiées par un profond repentir.</p>
+
+<p>LE ROI.--Tout est oublié. Ne parlons plus du passé.
+Saisissons par les cheveux le présent, car nous sommes
+vieux, et le temps glisse sans bruit sur nos décisions les
+plus rapides, et les efface avant qu'elles soient accomplies.
+Vous vous rappelez la fille de ce seigneur?</p>
+
+<p>BERTRAND.--Avec admiration, mon prince. J'avais d'abord
+jeté mon choix sur elle avant que mon coeur osât
+le révéler par ma bouche: d'après la vive impression
+qu'elle avait faite sur mes yeux, le mépris me prêta sa
+dédaigneuse lunette, qui défigura tous les traits des
+autres beautés, ternit leurs plus belles couleurs, ou me
+les représenta comme empruntées, elle allongeait ou
+raccourcissait les proportions de leur visage pour en
+faire un objet hideux: de là vint que celle dont tous les
+hommes chantaient les louanges, et que moi-même j'ai
+aimée depuis que je l'ai perdue, semblait dans mon oeil
+un grain de poussière qui le blessait.</p>
+
+<p>LE ROI.--C'est bien s'excuser. Cet amour efface quelques
+articles de ton long compte; mais l'amour qui
+vient trop tard (semblable au pardon de la clémence
+attardé) devient un reproche amer pour celui qui l'envoie,
+et lui crie sans cesse: «C'est ce qui est bon
+qui est perdu.» Nos téméraires préventions ne font aucun
+cas des objets précieux que nous possédons: nous
+ne les connaissons qu'en voyant leur tombeau. Souvent
+nos ressentiments, injustes envers nous-mêmes, détruisent
+nos amis, et nous allons ensuite pleurer sur
+leurs cendres; l'amitié se réveille et pleure en voyant
+ce qui est arrivé, tandis que la haine honteuse dort
+toute la journée. Que ce soit là l'éloge funèbre de l'aimable
+Hélène, et maintenant oublions-la. Envoie tes
+gages d'amour à la belle Madeleine; tu as obtenu les
+consentements les plus importants, et je resterai ici pour
+voir les secondes noces de notre veuf.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Que le ciel prospère la bénisse davantage
+que la première, ou que je meure avant qu'ils s'unissent!</p>
+
+<p>LAFEU.--Viens, mon fils, toi en qui doit se confondre
+le nom de ma maison. Donne-moi quelque gage de tendresse
+qui brille aux yeux de ma fille et qui l'engage à
+se rendre ici promptement. (<span class="stage2"><i>Bertrand lui donne un anneau.</i></span>)
+Par ma vieille barbe et par chacun de ses poils,
+Hélène, qui est morte, était une charmante créature!--C'est
+un anneau semblable à celui-ci que j'ai vu à son
+doigt la dernière fois que j'ai pris congé d'elle à la cour.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Il n'a jamais été à elle.</p>
+
+<p>LE ROI.--Donnez, je vous prie, que je le voie; car
+mon oeil, quand je parlais, était souvent attaché sur cet
+anneau: il était à moi jadis; je lui recommandai, si
+jamais elle se trouvait dans des circonstances où elle eût
+besoin de secours, de m'envoyer ce gage, en promettant
+que je l'aiderais sur l'heure. Auriez-vous eu la perfidie
+de la dépouiller de ce qui pouvait lui être si utile?</p>
+
+<p>BERTRAND.--Mon gracieux souverain, quoiqu'il vous
+plaise de le croire ainsi, cet anneau n'a jamais été à elle.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Mon fils, sur ma vie, je le lui ai vu porter,
+et elle y attachait autant de prix qu'à sa vie.</p>
+
+<p>LAFEU.--Je suis sûr de le lui avoir vu porter.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Vous vous trompez, seigneur; elle ne l'a
+jamais vu. Il m'a été jeté par une fenêtre à Florence,
+enveloppé dans un papier où était le nom de celle qui
+l'avait jeté: c'était une fille noble, et elle me crut dès
+lors engagé avec elle. Mais quand j'eus répondu à ma
+bonne fortune, et qu'elle fut pleinement informée que
+je ne pouvais répondre aux vues honorables dont elle
+m'avait fait l'ouverture, elle y renonça avec un grand
+chagrin; mais elle ne voulut jamais reprendre l'anneau.</p>
+
+<p>LE ROI.--Plutus même, qui connaît la teinture dont
+la vertu multiplie l'or<a id="footnotetag44" name="footnotetag44"></a>
+<a href="#footnote44"><sup class="sml">44</sup></a>, n'a pas des secrets de la nature
+une connaissance plus parfaite que je n'en ai, moi, de
+cet anneau. C'était le mien, c'était celui d'Hélène, qui
+que ce soit qui vous l'ait donné: ainsi, si vous vous
+connaissez bien vous-même, avouez que c'était le sien,
+et dites par quelle violence vous le lui avez ravi. Elle
+avait pris tous les saints à témoin qu'elle ne l'ôterait
+jamais de son doigt que pour vous le donner à vous-même
+dans le lit nuptial (où vous n'êtes jamais entré),
+ou qu'elle nous l'enverrait dans ses plus grands revers.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote44"
+name="footnote44"><b>Note 44: </b></a><a href="#footnotetag44">
+(retour) </a> Allusion aux alchimistes.</blockquote>
+
+<p>BERTRAND.--Elle ne l'a jamais vu.</p>
+
+<p>LE ROI.--Comme il est vrai que j'aime l'honneur, tu
+dis un mensonge, et tu fais naître en moi des inquiétudes,
+des soupçons que je voudrais étouffer...--Cela ne
+peut pas être;--cependant je ne sais.--Tu la haïssais
+mortellement, et elle est morte! et rien, à moins que
+d'avoir moi-même fermé ses yeux, ne peut mieux m'en
+convaincre que la vue de cet anneau.--Qu'on l'emmène.
+(<span class="stage2"><i>Les gardes s'emparent de Bertrand.</i></span>) Quel que soit l'événement,
+j'ai fait mes preuves qui absoudront mes craintes
+du reproche de légèreté.--Peut-être ai-je trop légèrement
+renoncé à mes premières craintes. Qu'on l'emmène:
+nous voulons approfondir cette affaire.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Si vous pouvez prouver que cet anneau
+était à elle, vous prouverez aussi aisément que je suis
+entré dans son lit à Florence, où jamais elle n'a mis le
+pied.</p>
+
+<p class="stage1">(Les gardes emmènent Bertrand.)</p>
+
+<p class="stage1">(Un gentilhomme entre.)</p>
+
+<p>LE ROI.--Je suis enveloppé de sombres pensées.</p>
+
+<p>LE GENTILHOMME.--Mon gracieux souverain, j'ignore
+si j'ai bien ou mal fait: voici le placet d'une Florentine,
+qui a manqué quatre ou cinq fois l'occasion de vous le
+remettre elle-même. Je m'en suis chargé, attendri par
+les grâces touchantes de cette pauvre suppliante que je
+sais être, à l'heure qu'il est, arrivée ici. On lit dans ses
+regards inquiets l'importance de sa requête; et elle m'a
+dit en quelques mots touchants que Votre Majesté y était
+elle-même intéressée.</p>
+
+<p>LE ROI <span class="stage2"><i>prend et lit la lettre</i></span>.--«Grâce à plusieurs protestations
+de m'épouser quand sa femme serait morte,
+je rougis de le dire, il m'a séduite. Aujourd'hui le
+comte de Roussillon est veuf, sa foi m'est engagée, et
+je lui ai livré mon honneur. Il est parti furtivement
+de Florence, sans prendre congé de personne, et je le
+suis dans sa patrie pour y demander justice. Rendez-la-moi,
+sire; vous le pouvez: autrement un séducteur
+triomphera, et une pauvre fille est perdue.</p>
+
+<p>Diane Capulet.»</p>
+
+<p>LAFEU.--Je m'achèterai un gendre à la foire, et je
+payerai les droits<a id="footnotetag45" name="footnotetag45"></a>
+<a href="#footnote45"><sup class="sml">45</sup></a>: je ne veux point de celui-ci.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote45"
+name="footnote45"><b>Note 45: </b></a><a href="#footnotetag45">
+(retour) </a> Allusion au droit de péage qu'on paye à la foire pour les chevaux.</blockquote>
+
+<p>LE ROI.--Les cieux te protègent, Lafeu, puisqu'ils ont
+mis au jour cette découverte. Qu'on cherche cette infortunée:
+allez promptement, et qu'on ramène ici le comte.
+(<span class="stage2"><i>Le gentilhomme sort avec quelques autres personnes de la
+suite du roi; les gardes ramènent Bertrand.</i></span>)--Je tremble,
+madame, qu'on n'ait traîtreusement arraché la vie à
+Hélène.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Eh bien! justice sur les assassins!</p>
+
+<p>LE ROI, <span class="stage2"><i>à Bertrand</i></span>.--Je m'étonne, seigneur, puisque
+les femmes sont des monstres à vos yeux, puisque vous
+les fuyez après leur avoir juré mariage, que vous désiriez
+vous marier.--Quelle est cette femme?</p>
+
+<p class="stage1">(Entrent la veuve et Diane.)</p>
+
+<p>DIANE.--Je suis, seigneur, une malheureuse Florentine,
+descendue des anciens Capulets. Ma prière, à ce que
+j'entends, vous est connue. Vous savez donc aussi combien
+je suis digne de pitié.</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Et moi, sire, je suis sa mère, seigneur,
+dont l'âge et l'honneur souffrent également des affronts
+dont nous nous plaignons ici; tous deux succomberont
+si vous n'y portez remède.</p>
+
+<p>LE ROI.--Approchez, comte. Connaissez-vous ces
+femmes?</p>
+
+<p>BERTRAND.--Mon prince, je ne puis ni ne veux nier
+que je les connaisse. De quoi m'accusent-elles?</p>
+
+<p>DIANE.--Pourquoi affectez-vous de ne pas reconnaître
+votre femme?</p>
+
+<p>BERTRAND.--Elle ne m'est rien, seigneur.</p>
+
+<p>DIANE.--Si vous vous mariez, vous donnerez cette
+main, et cette main est à moi; vous donnerez les voeux
+prononcés devant le ciel, et ils sont à moi; en vous donnant
+à une autre, vous me donnerez moi-même (et
+cependant je suis à moi); car je suis tellement incorporée
+avec vous par le noeud de vos serments, qu'on ne
+saurait vous épouser sans m'épouser aussi; ou tous les
+deux, ou ni l'un ni l'autre.</p>
+
+<p>LAFEU, <span class="stage2"><i>à Bertrand</i></span>.--Votre réputation baisse trop pour
+prétendre à ma fille: vous n'êtes pas un mari pour elle.</p>
+
+<p>BERTRAND.--C'est, mon prince, une créature folle et
+effrontée, avec laquelle j'ai badiné quelquefois. Que Votre
+Majesté prenne une plus noble idée de mon honneur,
+que de croire que je voulusse m'abaisser si bas.</p>
+
+<p>LE ROI.--Monsieur, vous n'aurez point mon opinion
+en votre faveur, jusqu'à ce que vos actions l'aient méritée.
+Prouvez-moi que votre honneur est au-dessus de
+l'opinion que j'en ai.</p>
+
+<p>DIANE.--Bon roi, demandez-lui d'attester avec serment
+qu'il ne croit pas avoir eu ma virginité.</p>
+
+<p>LE ROI.--Que lui réponds-tu?</p>
+
+<p>BERTRAND.--C'est une impudente, mon prince; elle
+était prostituée à tout le camp.</p>
+
+<p>DIANE.--Il m'outrage, seigneur. S'il en était ainsi, il
+m'aurait achetée à vil prix. Ne le croyez pas. Oh! voyez
+cet anneau, dont l'éclat et la richesse n'ont point de
+pareil: eh bien! il l'a cependant donné à une femme
+prostituée à tout le camp, si j'en suis une.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Il rougit, et c'est le sien. Ce joyau,
+depuis six générations, a été légué par testament et porté
+de père en fils. C'est sa femme; cet anneau vaut mille
+preuves.</p>
+
+<p>LE ROI.--Vous avez dit, ce me semble, que vous aviez
+vu ici quelqu'un à la cour, qui pourrait en rendre
+témoignage?</p>
+
+<p>DIANE.--Cela est vrai, mon seigneur; mais il me
+répugne de produire un témoin aussi vil: son nom est
+Parolles.</p>
+
+<p>LAFEU.--J'ai vu l'homme aujourd'hui, si c'est un
+homme.</p>
+
+<p>LE ROI.--Qu'on le cherche, et qu'on l'amène ici.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Que voulez-vous de lui? Il est déjà noté
+pour le plus perfide scélérat, par toutes les actions basses
+et odieuses du monde, et la vérité répugne à sa nature
+même. Me tiendrez-vous pour ceci ou pour cela sur le
+témoignage d'un misérable, qui dira tout ce qu'on
+voudra?</p>
+
+<p>LE ROI.--Elle a cet anneau, qui est le vôtre.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Je crois qu'elle l'a: il est certain que j'ai
+eu du goût pour elle, et que je l'ai recherchée avec
+l'étourderie de la jeunesse. Elle connaissait la distance
+qu'il y avait entre elle et moi; elle m'a amorcé, et elle
+piqua mes désirs par ses refus, comme il arrive que tous
+les obstacles que rencontre un caprice ne font qu'en
+accroître l'ardeur. Enfin, ses agaceries secondant ses
+attraits ordinaires, elle m'amena au prix qu'elle avait
+mis à ses faveurs: elle obtint l'anneau; et moi, j'eus ce
+que tout subalterne aurait pu acheter au prix du marché.</p>
+
+<p>DIANE.--Il faut que j'aie de la patience! Vous qui avez
+chassé votre première femme, une si noble dame, vous
+pouvez bien me priver aussi de mes droits sur vous. Je
+vous prie cependant (car, puisque vous êtes sans vertu,
+je perdrai mon mari), envoyez chercher votre anneau:
+je vous le rendrai, si vous me rendez le mien.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Je ne l'ai pas.</p>
+
+<p>LE ROI.--Comment était votre anneau, je vous prie?</p>
+
+<p>DIANE.--Il ressemblait beaucoup à celui que vous portez
+au doigt.</p>
+
+<p>LE ROI.--Connaissez-vous cet anneau? Cet anneau
+était autrefois au comte.</p>
+
+<p>DIANE.--Et c'est celui que je lui avais donné quand il
+est entré dans mon lit.</p>
+
+<p>LE ROI.--Alors son histoire est fausse; il dit que vous
+le lui avez jeté d'une fenêtre.</p>
+
+<p>DIANE.--J'ai dit la vérité.</p>
+
+<p class="stage1">(Parolles entre.)</p>
+
+<p>BERTRAND.--J'avoue, mon prince, que cet anneau était
+à elle.</p>
+
+<p>LE ROI.--Tu balbuties étrangement; une plume te fait
+tressaillir.--Est-ce là cet homme dont vous me parliez?</p>
+
+<p>DIANE.--C'est lui, mon prince.</p>
+
+<p>LE ROI, <span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>.--Dites-moi, drôle, mais dites-moi
+la vérité: je vous l'ordonne, sans craindre le déplaisir
+de votre maître, dont je saurai bien vous défendre si
+vous êtes sincère. Que savez-vous de ce qui s'est passé
+entre lui et cette femme?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Sous le bon plaisir de Votre Majesté, mon
+maître a toujours été un gentilhomme honorable. Il a
+joué quelquefois de ces tours que font tous les gentilshommes.</p>
+
+<p>LE ROI.--Allons, allons au fait. A-t-il aimé cette femme?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Oui, sire, il l'a aimée: mais comment?</p>
+
+<p>LE ROI.--Comment, je vous prie?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Il l'a aimée, mon prince, comme un gentilhomme
+aime une femme.</p>
+
+<p>LE ROI.--Que voulez-vous dire?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Qu'il l'aimait, sire, et qu'il ne l'aimait
+pas.</p>
+
+<p>LE ROI.--Comme tu es un coquin et n'es pas un coquin,
+n'est-ce pas? Quel drôle est cet homme-ci avec ses
+équivoques!</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je suis un pauvre homme, et aux ordres
+de Votre Majesté.</p>
+
+<p>LAFEU.--C'est un fort bon tambour, mon prince, mais
+un méchant orateur.</p>
+
+<p>DIANE.--Savez-vous qu'il m'a promis le mariage?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Vraiment, j'en sais plus que je n'en dirai.</p>
+
+<p>LE ROI.--Tu ne veux donc pas dire tout ce que tu sais?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je le dirai, si c'est le bon plaisir de Votre
+Majesté. J'étais leur entremetteur à tous deux, comme
+je vous l'ai dit: mais plus que cela, il l'aimait; car, en
+vérité, il en était fou, et il parlait de Satan, des limbes,
+des furies et de je ne sais quoi; et j'étais si fort en crédit
+que je savais quand ils se couchaient et mille autres circonstances,
+comme, par exemple, des promesses de l'épouser,
+et des choses qui m'attireraient de la malveillance
+si je les révélais: c'est pourquoi je ne dirai pas ce que je
+sais.</p>
+
+<p>LE ROI.--Tu as déjà tout dit, à moins que tu ne puisses
+ajouter qu'ils sont mariés; mais tu es trop fin dans tes
+dépositions: ainsi, retire-toi. (<i>A Diane.</i>) Cet anneau,
+dites-vous, était le vôtre?</p>
+
+<p>DIANE.--Oui, mon prince.</p>
+
+<p>LE ROI.--Où l'avez-vous acheté, ou qui vous l'a donné?</p>
+
+<p>DIANE.--Il ne m'a point été donné et je ne l'ai point
+acheté non plus.</p>
+
+<p>LE ROI.--Qui vous l'a prêté?</p>
+
+<p>DIANE.--Il ne m'a point non plus été prêté.</p>
+
+<p>LE ROI.--Où donc l'avez-vous trouvé?</p>
+
+<p>DIANE.--Je ne l'ai pas trouvé.</p>
+
+<p>LE ROI.--Si vous ne l'avez acquis par aucun de ces
+moyens, comment avez-vous pu le donner à Bertrand?</p>
+
+<p>DIANE.--Je ne le lui ai jamais donné.</p>
+
+<p>LAFEU.--Cette femme, mon prince, est comme un gant
+large: on la met et on l'ôte comme on veut.</p>
+
+<p>LE ROI.--L'anneau était à moi; je l'ai donné à sa première
+femme.</p>
+
+<p>DIANE.--Il a pu être à vous ou à elle, pour ce que j'en sais.</p>
+
+<p>LE ROI.--Qu'on l'emmène, elle commence à me déplaire.
+Qu'on la mène en prison et lui aussi. Si tu ne
+me dis point d'où tu as cet anneau, tu vas mourir dans
+une heure.</p>
+
+<p>DIANE.--Je ne vous le dirai jamais.</p>
+
+<p>LE ROI.--Qu'on l'emmène.</p>
+
+<p>DIANE.--Je vous donnerai une caution, mon prince.</p>
+
+<p>LE ROI.--Je te crois maintenant une prostituée.</p>
+
+<p>DIANE.--Grand Jupiter! si jamais j'ai connu un
+homme, c'est vous.</p>
+
+<p>LE ROI.--Pourquoi donc accuses-tu Bertrand depuis
+tout ce temps?</p>
+
+<p>DIANE.--Parce qu'il est coupable et qu'il n'est pas coupable.
+Il sait que je ne suis plus vierge, et il en ferait
+serment. Moi, je ferai serment que je suis vierge, et il ne
+le sait pas. Grand roi, je ne suis point une prostituée;
+sur ma vie, je suis vierge, ou (<span class="stage2"><i>montrant Lafeu</i></span>) la femme
+de ce vieillard.</p>
+
+<p>LE ROI.--Elle abuse de ma patience. Qu'on la mène en
+prison.</p>
+
+<p>DIANE.--Ma bonne mère, allez chercher ma caution.
+Attendez un moment, mon royal seigneur (<span class="stage2"><i>la veuve sort</i></span>):
+on est allé chercher le joaillier à qui appartient l'anneau,
+et il sera ma caution; mais pour ce jeune seigneur
+(<span class="stage2"><i>à Bertrand</i></span>) qui m'a abusée, comme il le sait lui-même,
+quoique cependant il ne m'ait jamais fait aucun
+tort, je le renonce ici. Il sait lui-même qu'il a souillé ma
+couche: et alors même il a fait un enfant à son épouse;
+quoiqu'elle soit morte, elle sent remuer son enfant.
+Ainsi, voilà mon énigme: une femme morte est vivante,
+et voici le mot de l'énigme.</p>
+
+<p class="stage1">(Hélène et la veuve entrent.)</p>
+
+<p>LE ROI.--N'y a-t-il point quelque enchanteur qui me
+fascine la vue? Est-ce un objet réel que je vois?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Non, mon bon seigneur, ce n'est que l'ombre
+d'une épouse que vous voyez; le nom, et non pas la
+chose.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Tous les deux, tous les deux; ah! pardon!</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Oh! mon cher seigneur, lorsque j'étais
+comme cette jeune fille, je vous ai trouvé bien bon pour
+moi. Voilà votre anneau, et voyez, voici votre lettre.
+Elle dit: <i>Lorsque vous posséderez cet anneau que je porte à
+mon doigt, et que vous serez enceinte de mes oeuvres</i>, etc.
+Tout cela est arrivé. Voulez-vous être à moi, maintenant
+que je vous ai conquis deux fois?</p>
+
+<p>BERTRAND.--Si elle peut me prouver cela clairement,
+je veux, mon prince, l'aimer tendrement, à jamais, à
+jamais.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Si je ne vous le démontre pas clairement
+ou que je sois convaincue de fausseté, que le mortel
+divorce nous sépare à jamais! (<span class="stage2"><i>A la comtesse.</i></span>) O ma
+bonne mère! je vous revois encore!</p>
+
+<p>LAFEU.--Mes yeux sentent l'oignon, je vais pleurer.
+Allons (<span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>), bon Thomas, prête-moi un mouchoir.
+Bien, je te remercie: va m'attendre à la maison; je m'amuserai
+de toi. Laisse-là tes politesses, elles ne valent
+rien.</p>
+
+<p>LE ROI.--Qu'on nous raconte cette histoire de point
+en point, afin que la certitude de sa vérité nous comble
+de joie. (<span class="stage2"><i>A Diane.</i></span>) Et vous, si vous êtes une fleur encore
+fraîche et vierge, vous pouvez choisir un époux: je me
+charge de votre dot; car j'entrevois déjà que, par vos
+secours honnêtes, vous avez fait qu'une femme est devenue
+femme en restant vierge. Nous voulons être
+instruit plus à loisir de cette aventure et de toutes ses
+circonstances. Déjà tout s'annonce bien; et si la fin est
+aussi heureuse, l'amertume du passé doit la rendre encore
+plus douce.</p>
+
+<h4>ÉPILOGUE</h4>
+
+<p>LE ROI (<span class="stage2"><i>s'adressant aux spectateurs.</i></span>)--<i>Le roi n'est plus
+qu'un suppliant, à présent que la pièce est jouée. Tout est
+bien fini, si nous obtenons l'expression de votre contentement,
+que nous reconnaîtrons en faisant chaque jour de
+nouveaux efforts pour vous plaire. Accordez-nous votre
+indulgence, et que nos rôles soient à vous. Prêtez-nous des
+mains favorables, et recevez nos coeurs.</i></p>
+
+<p>FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE.</p>
+
+<br><br>
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Tout est bien qui finit bien, by
+William Shakespeare
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK TOUT EST BIEN QUI FINIT BIEN ***
+
+***** This file should be named 28151-h.htm or 28151-h.zip *****
+This and all associated files of various formats will be found in:
+ http://www.gutenberg.org/2/8/1/5/28151/
+
+Produced by Paul Murray, Rénald Lévesque and the Online
+Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
+file was produced from images generously made available
+by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
+http://gallica.bnf.fr)
+
+
+Updated editions will replace the previous one--the old editions
+will be renamed.
+
+Creating the works from public domain print editions means that no
+one owns a United States copyright in these works, so the Foundation
+(and you!) can copy and distribute it in the United States without
+permission and without paying copyright royalties. Special rules,
+set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to
+copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to
+protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project
+Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you
+charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you
+do not charge anything for copies of this eBook, complying with the
+rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose
+such as creation of derivative works, reports, performances and
+research. They may be modified and printed and given away--you may do
+practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is
+subject to the trademark license, especially commercial
+redistribution.
+
+
+
+*** START: FULL LICENSE ***
+
+THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE
+PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK
+
+To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free
+distribution of electronic works, by using or distributing this work
+(or any other work associated in any way with the phrase "Project
+Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project
+Gutenberg-tm License (available with this file or online at
+http://gutenberg.org/license).
+
+
+Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm
+electronic works
+
+1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm
+electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to
+and accept all the terms of this license and intellectual property
+(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all
+the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy
+all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession.
+If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project
+Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the
+terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or
+entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8.
+
+1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be
+used on or associated in any way with an electronic work by people who
+agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few
+things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
+even without complying with the full terms of this agreement. See
+paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
+
+1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
+collection are in the public domain in the United States. If an
+individual work is in the public domain in the United States and you are
+located in the United States, we do not claim a right to prevent you from
+copying, distributing, performing, displaying or creating derivative
+works based on the work as long as all references to Project Gutenberg
+are removed. Of course, we hope that you will support the Project
+Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by
+freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of
+this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with
+the work. You can easily comply with the terms of this agreement by
+keeping this work in the same format with its attached full Project
+Gutenberg-tm License when you share it without charge with others.
+
+1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern
+what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in
+a constant state of change. If you are outside the United States, check
+the laws of your country in addition to the terms of this agreement
+before downloading, copying, displaying, performing, distributing or
+creating derivative works based on this work or any other Project
+Gutenberg-tm work. The Foundation makes no representations concerning
+the copyright status of any work in any country outside the United
+States.
+
+1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg:
+
+1.E.1. The following sentence, with active links to, or other immediate
+access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently
+whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the
+phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project
+Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed,
+copied or distributed:
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived
+from the public domain (does not contain a notice indicating that it is
+posted with permission of the copyright holder), the work can be copied
+and distributed to anyone in the United States without paying any fees
+or charges. If you are redistributing or providing access to a work
+with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the
+work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1
+through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the
+Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or
+1.E.9.
+
+1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted
+with the permission of the copyright holder, your use and distribution
+must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional
+terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked
+to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the
+permission of the copyright holder found at the beginning of this work.
+
+1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm
+License terms from this work, or any files containing a part of this
+work or any other work associated with Project Gutenberg-tm.
+
+1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this
+electronic work, or any part of this electronic work, without
+prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with
+active links or immediate access to the full terms of the Project
+Gutenberg-tm License.
+
+1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary,
+compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any
+word processing or hypertext form. However, if you provide access to or
+distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than
+"Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version
+posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org),
+you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a
+copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon
+request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other
+form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm
+License as specified in paragraph 1.E.1.
+
+1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
+performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works
+unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9.
+
+1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing
+access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided
+that
+
+- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
+ the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
+ you already use to calculate your applicable taxes. The fee is
+ owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he
+ has agreed to donate royalties under this paragraph to the
+ Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments
+ must be paid within 60 days following each date on which you
+ prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax
+ returns. Royalty payments should be clearly marked as such and
+ sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the
+ address specified in Section 4, "Information about donations to
+ the Project Gutenberg Literary Archive Foundation."
+
+- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
+ you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
+ does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
+ License. You must require such a user to return or
+ destroy all copies of the works possessed in a physical medium
+ and discontinue all use of and all access to other copies of
+ Project Gutenberg-tm works.
+
+- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any
+ money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
+ electronic work is discovered and reported to you within 90 days
+ of receipt of the work.
+
+- You comply with all other terms of this agreement for free
+ distribution of Project Gutenberg-tm works.
+
+1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm
+electronic work or group of works on different terms than are set
+forth in this agreement, you must obtain permission in writing from
+both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael
+Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the
+Foundation as set forth in Section 3 below.
+
+1.F.
+
+1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
+effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
+public domain works in creating the Project Gutenberg-tm
+collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic
+works, and the medium on which they may be stored, may contain
+"Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or
+corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual
+property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a
+computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by
+your equipment.
+
+1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right
+of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project
+Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project
+Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all
+liability to you for damages, costs and expenses, including legal
+fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT
+LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
+PROVIDED IN PARAGRAPH F3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
+TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
+LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
+INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
+DAMAGE.
+
+1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
+defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
+receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
+written explanation to the person you received the work from. If you
+received the work on a physical medium, you must return the medium with
+your written explanation. The person or entity that provided you with
+the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a
+refund. If you received the work electronically, the person or entity
+providing it to you may choose to give you a second opportunity to
+receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy
+is also defective, you may demand a refund in writing without further
+opportunities to fix the problem.
+
+1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
+WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
+WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
+
+1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
+warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
+If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
+law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
+interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
+the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any
+provision of this agreement shall not void the remaining provisions.
+
+1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
+trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
+providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance
+with this agreement, and any volunteers associated with the production,
+promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
+harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
+that arise directly or indirectly from any of the following which you do
+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ http://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
+
+
+</pre>
+
+</body>
+</html>
+
+
+
+
diff --git a/LICENSE.txt b/LICENSE.txt
new file mode 100644
index 0000000..6312041
--- /dev/null
+++ b/LICENSE.txt
@@ -0,0 +1,11 @@
+This eBook, including all associated images, markup, improvements,
+metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be
+in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES.
+
+Procedures for determining public domain status are described in
+the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org.
+
+No investigation has been made concerning possible copyrights in
+jurisdictions other than the United States. Anyone seeking to utilize
+this eBook outside of the United States should confirm copyright
+status under the laws that apply to them.
diff --git a/README.md b/README.md
new file mode 100644
index 0000000..ac16787
--- /dev/null
+++ b/README.md
@@ -0,0 +1,2 @@
+Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for
+eBook #28151 (https://www.gutenberg.org/ebooks/28151)