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+ <meta http-equiv="content-type" content="text/html; charset=ISO-8859-1">
+ <title>The Project Gutenberg eBook of Tout est bien qui finit bien, par Shakespeare</title>
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+Project Gutenberg's Tout est bien qui finit bien, by William Shakespeare
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Tout est bien qui finit bien
+
+Author: William Shakespeare
+
+Translator: François Pierre Guillaume Guizot
+
+Release Date: February 21, 2009 [EBook #28151]
+
+Language: French
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+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK TOUT EST BIEN QUI FINIT BIEN ***
+
+
+
+
+Produced by Paul Murray, Rénald Lévesque and the Online
+Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
+file was produced from images generously made available
+by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
+http://gallica.bnf.fr)
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+
+
+<pre>
+Note du transcripteur.
+ ======================================================================
+ Ce document est tiré de:
+
+ OEUVRES COMPLÈTES DE
+ SHAKSPEARE
+
+ TRADUCTION DE
+ M. GUIZOT
+
+ NOUVELLE ÉDITION ENTIÈREMENT REVUE
+ AVEC UNE ÉTUDE SUR SHAKSPEARE
+ DES NOTICES SUR CHAQUE PIÈCE ET DES NOTES
+
+ Volume 3
+ Timon d'Athènes
+ Le Jour des Rois.--Les deux gentilshommes de Vérone.
+ Roméo et Juliette.--Le Songe d'une nuit d'été.
+ Tout est bien qui finit bien.
+
+ PARIS
+ A LA LIBRAIRIE ACADÉMIQUE
+ DIDIER ET Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS
+ 35, QUAI DES AUGUSTINS
+ 1864
+
+ ======================================================================
+</pre>
+
+<h1>TOUT EST BIEN<br>
+
+QUI FINIT BIEN</h1>
+
+<h3>COMEDIE</h3><br>
+
+<h3>NOTICE<br>
+
+SUR<br>
+
+TOUT EST BIEN QUI FINIT BIEN</h3>
+
+<p>C'est à une des plus intéressantes nouvelles de Boccace que nous
+devons cette pièce. En voici les principaux événements que Shakspeare
+a transportés sur la scène en leur donnant une nouvelle vie,
+par ce charme de sensibilité et cette verve comique qui lui manquent
+si rarement.</p>
+
+<p>Un grand médecin, appelé Gérard de Narbonne, avait laissé
+une fille qui, élevée dans le palais du comte de Roussillon, avait
+conçu l'amour le plus tendre pour son fils unique, le jeune Bertrand.
+Celui-ci fut mandé à la cour après la mort de son père,
+et la pauvre Gillette, c'était le nom de la fille de Gérard, resta en
+Roussillon bien résolue de n'avoir jamais d'autre époux que
+Bertrand.</p>
+
+<p>Bientôt elle apprit que le roi souffrait beaucoup d'une fistule déclarée
+incurable; son père lui avait légué plusieurs secrets de son
+art, et Gillette conçut l'espoir de guérir le monarque. Elle se rendit
+à Paris. Le roi lui promit que, si son remède réussissait, il la marierait
+avec l'homme le plus noble et le plus riche du royaume, qu'elle
+choisirait elle-même. Il fut guéri et Gillette demanda le comte
+Bertrand.</p>
+
+<p>Celui-ci se crut déshonoré par une alliance au-dessous de son
+rang; mais le roi commanda en maître, il fallut obéir. Aussitôt après
+la célébration du mariage, le comte Bertrand partit pour la Toscane
+et prit du service parmi les Florentins alors en guerre avec les Siennois.
+Gillette s'en retourna en Roussillon d'où elle envoya dire au
+comte que, si sa présence était la cause de son exil volontaire, elle
+s'éloignerait pour toujours. Bertrand lui fit répondre qu'il était fermement
+résolu de ne point vivre avec elle jusqu'au jour où elle
+serait en possession de son anneau, et aurait un fils de lui. Il
+croyait exiger l'impossible; mais Gillette déguisée en pèlerine, partit
+pour Florence où elle logea chez une veuve, qui, sans la connaître,
+lui apprit que le comte de Roussillon était amoureux d'une de ses
+voisines, jeune, belle et vertueuse quoique pauvre. Gillette fut trouver
+la mère de sa rivale, se découvrit à elle et lui promit une forte récompense
+si elle voulait favoriser ses projets. On fit dire au comte
+que la jeune fille céderait à ses voeux, mais qu'elle demandait son
+anneau pour gage de sa foi. Bertrand envoya son anneau et s'empressa
+d'aller à une heure fixée au rendez-vous qui lui fut donné.
+Ce fut Gillette qui le reçut dans ses bras et qui répéta plusieurs fois
+cette innocente supercherie, jusqu'à ce que des signes évidents de
+grossesse vinssent accomplir tous ses souhaits. Enfin le comte, instruit
+de l'absence de sa femme et cédant aux instances de ses vassaux,
+revint dans sa patrie. Cependant Gillette mit au monde deux enfants
+jumeaux qui ressemblaient beaucoup à leur père; elle se rendit elle-même
+en Roussillon après ses couches, et y arriva le jour où son
+époux donnait un grand festin. La pèlerine se présenta au milieu de
+l'assemblée portant ses deux enfants sur ses bras. Elle se jeta aux
+genoux du comte, lui donna l'anneau et lui avoua tout. Bertrand
+touché reçut Gillette pour son épouse.</p>
+
+<p>Tout ce que Shakspeare a ajouté à ce fond, déjà si intéressant,
+n'est pas également heureux et probable. L'obstination et la pétulance
+de Bertrand sont bien peintes; mais son caractère nous semble odieux;
+c'est un gentilhomme sans générosité, lâche, ingrat et menteur éhonté.
+Le poëte devait aux vertus d'Hélène et à la morale de le punir; mais
+il avait peut-être malgré lui de l'indulgence pour le fils de cette
+comtesse si bonne et si aimable, et que sa sagesse et sa tendresse
+pour Hélène élèvent au-dessus de tous les préjugés ridicules de la
+naissance. Shakspeare n'a peut-être pas osé être trop sévère pour
+celui qu'aimait cette même Hélène, si douce et si modeste malgré la
+position critique où l'a placée le sot orgueil de Bertrand; on devine
+ce sentiment du poëte dans la conduite du roi, dont la reconnaissance
+ingénieuse eût craint d'humilier sa bienfaitrice dans son époux.</p>
+
+<p>Le personnage comique de la pièce est un peu usé sur le théâtre
+depuis que nous y avons tant de fanfarons de la même famille; mais
+Parolles et ses aventures ont passé en proverbe en Angleterre. La
+scène du tambour est digne de Molière, et nous apprécierions encore
+davantage Parolles, si nous ne connaissions pas Falstaff.</p>
+
+<p>Selon Malone, cette pièce aurait été composée en 1598.</p>
+<br><br>
+<h1>TOUT EST BIEN<br>
+
+QUI FINIT BIEN</h1>
+
+<h3>COMÉDIE</h3>
+<br>
+<h3>PERSONNAGES</h3>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p>LE ROI DE FRANCE.</p>
+<p>LE DUC DE FLORENCE.</p>
+<p>BERTRAND, comte de Roussillon.</p>
+<p>LAFEU, vieux courtisan.</p>
+<p>PAROLLES<a id="footnotetag1" name="footnotetag1"></a>
+<a href="#footnote1"><sup class="sml">1</sup></a>, parasite à la suite de Bertrand.</p>
+<p>PLUSIEURS JEUNES SEIGNEURS FRANÇAIS, qui servent avec Bertrand dans la guerre de Florence.</p>
+<p>UN INTENDANT,&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;}</p>
+<p>UN PAYSAN BOUFFON, } au service de la comtesse de Roussillon.</p>
+<p>LA COMTESSE DE ROUSSILLON, mère de Bertrand.</p>
+<p>HÉLÈNE, protégée de la comtesse.</p>
+<p>UNE VIEILLE VEUVE de Florence.</p>
+<p>DIANE, fille de cette veuve.</p>
+<p>VIOLENTA,&nbsp; }</p>
+<p>MARIANA<a id="footnotetag2" name="footnotetag2"></a>
+<a href="#footnote2"><sup class="sml">2</sup></a>, } voisines et amies de la veuve.</p>
+<p>SEIGNEURS DE LA COUR DU ROI, UN PAGE, OFFICIERS, SOLDATS FRANÇAIS ET FLORENTINS.</p>
+</div></div>
+
+<p class="stage1">La scène est tantôt en France, tantôt en Toscane.</p>
+
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote1"
+name="footnote1"><b>Note 1: </b></a><a href="#footnotetag1">
+(retour) </a> <i>Parolles</i>, mauvaise orthographe de notre mot <i>parole</i>.</blockquote>
+
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote2"
+name="footnote2"><b>Note 2: </b></a><a href="#footnotetag2">
+(retour) </a> Personnage muet qui ne paraît qu'une fois.</blockquote>
+
+<br><br><br>
+<h3>ACTE PREMIER</h3>
+<br>
+<h3>SCÈNE I</h3>
+
+<p class="stage1">On est en Roussillon. Appartement dans le palais de la comtesse.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> BERTRAND, LA COMTESSE DE ROUSSILLON
+HÉLÈNE ET LAFEU, <i>tous en deuil</i>.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--En laissant mon fils se séparer de moi,
+j'enterre un second époux.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Et moi, en m'éloignant, madame, je pleure
+de nouveau la mort de mon père: mais il me faut obéir
+aux ordres de Sa Majesté. Devenu son pupille<a id="footnotetag3" name="footnotetag3"></a>
+<a href="#footnote3"><sup class="sml">3</sup></a>, je suis
+plus que jamais dans sa dépendance.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote3"
+name="footnote3"><b>Note 3: </b></a><a href="#footnotetag3">
+(retour) </a>
+ Les enfants mineurs des grands seigneurs féodaux étaient les
+pupilles du monarque.</blockquote>
+
+<p>LAFEU.--Vous, madame, vous retrouverez un époux
+dans la bonté du roi. (<span class="stage2"><i>A Bertrand.</i></span>) Et vous, seigneur, un
+père. Un roi, qui dans tous les temps est si universellement
+bon, doit nécessairement conserver sa bienveillance
+pour vous, dont le mérite la ferait naître là où elle manquerait
+bien loin de ne la pas trouver là où elle abonde.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Que peut-on espérer de la guérison du
+roi?</p>
+
+<p>LAFEU.--Madame, il a congédié tous ses médecins. Sous
+leur direction, il a fatigué le temps de ses espérances,
+sans trouver d'autre avantage dans leurs remèdes que de
+perdre l'espérance avec le temps.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Cette jeune personne avait un père (oh!
+<i>avait!</i> que ce mot réveille un triste souvenir!) dont la
+science égalait presque la probité. Si elle eût été aussi
+loin, il aurait rendu la nature immortelle, et la mort
+aurait pu jouer faute d'ouvrage. Plût à Dieu que pour le
+bonheur du roi il fût encore vivant! je crois qu'il aurait
+été la mort de sa maladie.</p>
+
+<p>LAFEU.--Comment l'appeliez-vous, madame, cet
+homme dont vous parlez?</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Il était fameux, monsieur, dans son art,
+et il avait bien mérité de l'être;--Gérard de Narbonne.</p>
+
+<p>LAFEU.--C'était vraiment un habile homme, madame.
+Le roi parla de lui dernièrement avec beaucoup d'éloges
+et de regrets. Il avait assez de science pour vivre encore,
+si la science pouvait être un préservatif du trépas.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Quel est le mal, mon bon seigneur, qui
+mine les jours du roi?</p>
+
+<p>LAFEU.--Une fistule, seigneur.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Je n'avais jamais entendu parler de ce
+mal.</p>
+
+<p>LAFEU.--Je voudrais bien qu'il fût encore inconnu.--Cette
+jeune personne est donc la fille de Gérard de Narbonne?</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Sa seule enfant, seigneur, et léguée à
+mes soins. J'ai d'elle toutes les bonnes espérances que
+promet son éducation. Elle hérite de ces heureuses dispositions
+qui embellissent encore les beaux dons de la
+nature; car, lorsqu'un naturel pervers est doué d'aimables
+qualités, ces éloges sont mêlés de pitié, puisque ces
+qualités sont à la fois des vertus et des traîtres: chez
+Hélène, elles sont relevées encore par sa simplicité; elle
+a reçu la vertu de la nature, et elle a su se rendre parfaite.</p>
+
+<p>LAFEU.--Vos louanges, madame, font couler ses
+larmes.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--C'est la meilleure manière dont une
+jeune fille puisse assaisonner l'éloge qu'elle entend d'elle.
+Le souvenir de son père n'approche jamais de son coeur
+que la violence de son chagrin ne prive ses joues de tout
+signe de vie. N'y pensez plus, Hélène: allons, plus de
+larmes; on pourrait croire que vous affectez plus de
+tristesse que vous n'en ressentez.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--J'ai l'air triste, en effet; mais je le suis réellement.</p>
+
+<p>LAFEU.--Des regrets modérés sont un tribut que l'on
+doit aux morts: le chagrin excessif est l'ennemi des
+vivants.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Si les vivants sont ennemis du chagrin, il se
+détruit bientôt par son excès même.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Madame, je demande votre bénédiction.</p>
+
+<p>LAFEU.--Comment entendons-nous cela?</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Reçois ma bénédiction, Bertrand. Ressemble
+à ton père par tes actions comme par tes traits.
+Que la noblesse de ton sang et ta vertu rivalisent en toi,
+et que ton mérite partage avec ta naissance. Aime tous
+les hommes; fie-toi à quelques-uns; ne fais tort à aucun.
+Fais craindre plutôt que sentir ta puissance à ton ennemi.
+Garde ton ami sous la clef de ta propre vie. Qu'on
+te reproche ton silence, et jamais d'avoir parlé. Que
+toutes les grâces que le ciel voudra t'accorder encore
+et que mes prières importunes pourront lui arracher,
+pleuvent sur ta tête! Adieu, seigneur.--Ce jeune homme
+est un courtisan bien novice. Mon cher seigneur, conseillez-le.</p>
+
+<p>LAFEU.--Il ne peut manquer de recevoir les meilleurs
+conseils, si son amitié veut les écouter.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Que le ciel te bénisse! Adieu, Bertrand.</p>
+
+<p class="stage1">(Elle sort.)</p>
+
+<p>BERTRAND, <span class="stage2"><i>à Hélène.</i></span>--Que tous les voeux qui peuvent
+se former dans votre coeur soient vos serviteurs! Soyez
+la consolation de ma mère, votre maîtresse, et qu'elle
+vous soit chère.</p>
+
+<p>LAFEU.--Adieu, ma belle enfant. Vous devez soutenir
+la réputation de votre père.</p>
+
+<p class="stage1">(Bertrand et Lafeu sortent.)</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Oh! si c'était tout!--Je ne pense plus à
+mon père; et ces grosses larmes honorent plus sa mémoire
+que celles que j'ai répandues pour lui.--A qui
+ressemblait-il donc? Je l'ai oublié. Mon imagination ne
+conserve aucune image que celle de Bertrand. Je suis
+perdue; il n'y a plus de vie, plus de vie pour moi, si Bertrand
+s'éloigne de ces lieux. Autant vaudrait que je fusse
+éprise de quelque étoile brillante, et que je songeasse
+à l'épouser; tant il est au-dessus de moi! Il faut que je
+me contente de recevoir les obliques rayons de sa lumière
+éloignée. Je ne puis arriver jusqu'à sa sphère:
+ainsi l'ambition de mon amour est son propre tourment.
+La biche qui voudrait s'unir avec le lion doit mourir
+d'amour. Il m'était doux, quoique ce fût une souffrance,
+de le voir à toute heure, de m'asseoir devant lui, et de
+pouvoir graver le bel arc de ses sourcils, son oeil fier et
+ses cheveux bouclés, sur la table de mon coeur,... mon
+coeur trop prompt à retracer tous les traits et les particularités
+de son visage chéri. Mais à présent le voilà
+parti, et mon amour idolâtre va sanctifier ses reliques.--Qui
+vient ici?--(<span class="stage2"><i>Entre Parolles.</i></span>) Un homme de sa suite,
+que j'aime à cause de Bertrand; et cependant je le connais
+pour un menteur avéré. Je le regarde comme aux
+trois quarts sot, et comme un lâche parfait. Cependant
+toutes ces mauvaises qualités lui vont si bien qu'elles
+trouvent un asile, tandis que la vertu, d'une trempe
+d'acier, se morfond exposée aux injures de l'air. Aussi
+voyons-nous très-souvent la Sagesse glacée au service de
+la Folie pompeusement parée.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Dieu vous garde, belle reine!</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Et vous aussi, monarque!</p>
+
+<p>PAROLLES.--Monarque? non.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Ni reine non plus.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Étiez-vous là occupée à méditer sur la
+virginité?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Oui. Vous avez quelque chose de l'air d'un
+guerrier. Il faut que je vous fasse une question: l'homme
+est l'ennemi de la virginité; par quel moyen pouvons-nous
+la défendre contre ses attaques?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Tenez-le à distance.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Mais il nous assiège; et notre virginité, quoique
+vaillante à la défense, est faible pourtant. Enseignez-nous
+donc quelque expédient guerrier pour la résistance.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Il n'y en a pas. L'homme qui met le siége
+devant vous vous minera et vous fera sauter en l'air.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Que le ciel préserve notre pauvre virginité
+des mineurs et des bombardiers! N'y a-t-il pas aussi un
+art militaire par lequel les vierges puissent contre-miner
+les hommes?</p>
+
+<p>PAROLLES.--La virginité une fois à terre, l'homme en
+sautera plus vite en l'air. Diantre! en mettant de nouveau
+l'homme à terre, vous perdez votre ville par la brèche
+que vous avez faite vous-même. Dans la république de la
+nature, la politique n'est pas de conserver la virginité;
+sa perte augmente le nombre des sujets. Jamais vierge
+ne serait née s'il n'y avait eu auparavant une virginité
+de perdue. L'étoffe dont vous avez été formée est celle
+dont on fait les vierges. Pour une virginité perdue on en
+peut trouver dix: la garder toujours, c'est la perdre
+pour jamais. Allons, c'est une compagne trop froide; il
+faut s'en défaire.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Je la défendrai encore un peu de temps,
+quand je devrais m'exposer à mourir vierge.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Il y a peu de chose à dire en sa faveur:
+c'est contre l'ordre de la nature. Parler pour défendre la
+virginité, c'est accuser sa mère: ce qui est une désobéissance
+notoire. Celui qui se pend fait comme la vierge;
+car la virginité se tue elle-même: et l'on devrait l'enterrer
+hors de la terre bénite, dans les grands chemins,
+comme une coupable signalée contre la nature. La virginité
+engendre des mites comme le fromage; elle se consume
+elle-même jusqu'à la croûte, et meurt en dévorant
+sa propre substance. De plus, la virginité est hargneuse,
+arrogante, vaine, gonflée d'amour-propre; ce qui est le
+péché le plus expressément défendu par les canons. Ne la
+gardez pas: vous ne pouvez que perdre avec elle. Défaites
+vous-en, et dans dix ans vous l'aurez doublée, ce qui fait
+un intérêt très-honnête; et encore le principal lui-même
+n'en vaudra guère moins. Allons, ne gardez pas cela.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Mais que faut-il faire, monsieur, pour la
+perdre à son gré?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Attendez: voyons.--Que faire, dites-vous?
+Ma foi, mal faire: aimer celui qui ne l'aime pas. La virginité
+est un meuble qui perd son lustre dans le repos<a id="footnotetag4" name="footnotetag4"></a>
+<a href="#footnote4"><sup class="sml">4</sup></a>;
+plus on la garde, moins elle vaut: défaites-vous-en,
+tandis qu'elle est encore de vente: profitez du temps où
+on la recherche. La virginité ressemble à un vieux
+courtisan qui porte un habit à l'antique, riche, mais qui
+n'est plus de mode, comme ces parures et ces cure-dents
+qu'on ne porte plus aujourd'hui. Votre datte<a id="footnotetag5" name="footnotetag5"></a>
+<a href="#footnote5"><sup class="sml">5</sup></a> vaut mieux
+dans un pâté ou un potage que sur vos joues; et votre
+virginité, votre antique virginité ressemble à une de nos
+poires passées de France, elle a mauvais air, elle est
+sèche, enfin c'est une poire passée: elle valait mieux
+jadis; oui, mais ce n'est plus qu'une poire passée; qu'en
+voulez-vous faire?</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote4"
+name="footnote4"><b>Note 4: </b></a><a href="#footnotetag4">
+(retour) </a> <i>With lying</i>, le repos du lit, jeu de mot.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote5"
+name="footnote5"><b>Note 5: </b></a><a href="#footnotetag5">
+(retour) </a> Jeu de mot sur <i>date</i>, époque et <i>datte</i> fruit.</blockquote>
+
+<p>HÉLÈNE.--Ma virginité n'en est pas encore là.--Votre
+maître y retrouverait mille amours, une mère et une
+maîtresse, un ami, un phénix, un capitaine et un ennemi;
+un guide, une déesse et une souveraine, un conseiller,
+une traîtresse et une amie: son humble ambition,
+sa fière humilité, sa concorde discordante et sa
+douce discorde; sa foi, son doux malheur avec un monde
+de jolis petits chrétiens charmants, dont Cupidon jasera
+en souriant.--Alors il sera... Je ne sais pas ce qu'il sera.
+--Que la main de Dieu le conduise!--La cour est un
+endroit où l'on apprend--et Bertrand est un de ceux...</p>
+
+<p>PAROLLES.--Eh bien! quoi; un de ceux?...</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--A qui je souhaite du bien.--Il est bien malheureux
+que...</p>
+
+<p>PAROLLES.--Qui est-ce qui est malheureux?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Que nos voeux n'aient pas un corps qu'on
+puisse rendre sensible, afin que nous, qui sommes nés
+pauvres, et dont les étoiles inférieures nous bornent aux
+seuls désirs, nous puissions transmettre leurs effets jusqu'à
+nos amis absents, et montrer ce que nous devons
+nous contenter de penser sans en recueillir aucune reconnaissance!</p>
+
+<p class="stage1">(Un page entre.)</p>
+
+<p>LE PAGE.--Monsieur Parolles, Monseigneur vous demande.</p>
+
+<p class="stage1">(Le page sort.)</p>
+
+<p>PAROLLES.--Adieu, ma petite Hélène. Si je puis me
+ressouvenir de toi, je songerai à toi quand je serai à la
+cour.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Monsieur Parolles, vous êtes né sous une
+étoile bien charitable.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je suis né sous Mars, moi.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Oui, c'est sous Mars même que je vous
+crois né.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Et pourquoi sous Mars?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Vous avez soutenu tant de guerres, qu'il
+faut absolument que vous soyez né sous Mars.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Et lorsqu'il était la planète prédominante.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Plutôt, je crois lorsqu'il était rétrograde.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Pourquoi jugez-vous ainsi?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Vous savez si bien rétrograder, quand vous
+combattez.</p>
+
+<p>PAROLLES.--C'est pour en prendre plus d'avantage.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--C'est aussi pour cela que l'on fuit, quand la
+crainte conseille de chercher sa sûreté. Mais ce mélange
+de courage et de peur qui est en vous est une vertu dont
+l'aile est bien rapide, et dont le vol me plaît infiniment.</p>
+
+<p>PAROLLES.--J'ai la tête si occupée d'affaires, que je ne
+suis pas en état de vous faire une réponse piquante. Je
+serai à mon retour un parfait courtisan, mon instruction
+servira à vous naturaliser, et vous serez en état de
+recevoir les conseils d'un homme de cour, et de comprendre
+les avis qu'il vous consacrera. Autrement, vous
+mourrez dans votre ingratitude, et votre ignorance vous
+perdra. Adieu. Quand vous aurez du loisir, récitez vos
+prières; et quand vous n'en aurez point, souvenez-vous
+de vos amis: procurez-vous un bon mari, et traitez-le
+comme il vous traitera: et là-dessus, adieu.</p>
+
+<p class="stage1">(Il sort.)</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Souvent ces ressources, que nous attribuons
+au ciel, résident en nous-mêmes. Le destin nous laisse
+une libre carrière; il ne tire en arrière nos projets languissants
+que lorsque nous sommes paresseux nous-mêmes.
+Quelle est cette puissance qui élève mon amour
+si haut, et qui me fait voir ce dont je ne puis rassasier
+mes regards? Souvent deux êtres entre lesquels la fortune
+a jeté un espace immense, la nature les réunit
+comme deux moitiés, et les amène à s'embrasser, comme
+s'ils étaient nés l'un pour l'autre. Les entreprises extraordinaires
+sont impossibles pour qui mesure leur difficulté
+par ses sens, et qui s'imagine que ce qui n'est
+pas arrivé ne peut arriver. Quelle femme vit-on jamais
+s'efforcer de faire connaître son mérite, qui ait échoué
+dans ses amours? La maladie du roi...--Mon projet peut
+tromper mon espoir; mais ma résolution est bien arrêtée,
+et elle ne m'abandonnera pas.</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE II</h3>
+
+<p class="stage1">Paris. Appartement dans le palais du roi.</p>
+
+<p class="stage1">Fanfares. LE ROI DE FRANCE <i>paraît avec sa suite;
+il tient des lettres à la main.</i></p>
+
+<p>LE ROI.--Les Florentins et les Siennois en sont venus
+aux mains. Ils ont combattu avec un avantage égal, ils
+continuent la guerre avec courage.</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR.--C'est ce qu'on dit, sire.</p>
+
+<p>LE ROI.--Mais c'est fort incroyable. Nous recevons la
+confirmation de cette nouvelle par mon cousin d'Autriche,
+qui me prévient que les Florentins vont nous
+demander un prompt secours. Là-dessus notre bon ami
+préjuge lui-même la proposition, et il semble désirer
+que nous les refusions.</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR.--Son amitié et sa prudence, dont il
+a donné de si grandes preuves à Votre Majesté, méritent
+bien qu'on lui accorde la plus grande confiance.</p>
+
+<p>LE ROI.--Il a décidé notre réponse, et Florence est
+refusée, avant d'avoir demandé. Mais pour nos gentilshommes
+qui désirent essayer du service toscan, je les
+laisse entièrement libres de se ranger de l'un ou de
+l'autre parti.</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Cela peut servir d'école militaire à
+notre jeune noblesse, qui est malade faute d'air et
+d'exploits.</p>
+
+<p>LE ROI.--Qui vient à nous?</p>
+
+<p class="stage1">(Entrent Bertrand, Lafeu, Parolles.)</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR.--C'est le comte de Roussillon, mon
+bon seigneur, le jeune Bertrand.</p>
+
+<p>LE ROI.--Jeune homme, tu portes la physionomie de
+ton père. La nature libérale ne t'a point ébauché à la
+hâte: elle a pris soin à te former. Puisses-tu hériter
+aussi des vertus morales de ton père! Sois le bienvenu à
+Paris.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Que Votre Majesté daigne recevoir mes
+remerciements et mes hommages!</p>
+
+<p>LE ROI.--Je voudrais avoir encore aujourd'hui cette
+rigueur de corps que je possédais lorsque jadis ton père
+et moi nous fîmes nos premières armes ensemble! Il
+était exercé à fond dans tout le service de ce temps-là, et
+il était l'élève des plus braves capitaines. Il résista longtemps;
+mais à la fin la hideuse vieillesse nous a atteints
+tous deux, et nous a dépouillés de la force d'agir. Je me
+sens plus jeune en parlant de votre bon père. Dans sa
+jeunesse, il avait cet esprit caustique que je suis à portée
+de remarquer aujourd'hui chez nos jeunes seigneurs.
+Mais ils peuvent railler tant que leurs propres railleries
+retombent sur leur personne obscure encore, avant qu'ils
+puissent couvrir leur légèreté sous l'éclat de leur gloire.
+Mais lui, il était un courtisan si parfait, qu'il n'y avait
+ni mépris ni amertume dans ses railleries ou sa fierté.
+S'il s'en glissait parfois, ce n'était jamais que pour repousser
+l'injure de son égal. Son honneur lui servait de
+cadran, et lui marquait la minute précise où il devait
+parler, et sa langue obéissait à sa direction. Ceux qui
+étaient au-dessous de lui, il les traitait comme des créatures
+d'une autre classe, et il abaissait son élévation jusqu'à
+leurs rangs inférieurs. Il les rendait fiers par son
+humilité, et il s'humiliait encore pour recevoir leurs
+louanges maladroites. Voilà l'homme qui devrait servir
+de modèle aux jeunes gens de nos jours; et s'il était bien
+suivi, il leur montrerait qu'ils ne font que rétrograder.</p>
+
+<p>BERTRAND.--La mémoire de ses vertus, sire, est plus
+glorieuse dans votre souvenir que sur sa tombe; et son
+épitaphe est moins honorable pour son nom que vos
+royaux éloges.</p>
+
+<p>LE ROI.--Plût à Dieu que je fusse avec lui!--Il avait
+toujours coutume de dire... (il me semble l'entendre en
+ce moment. Il ne jetait pas ses paroles sensées dans les
+oreilles, il les y greffait pour y croître et y porter du
+fruit.)--Il disait: «Que je ne vive plus...--Tel était le
+début de son aimable mélancolie quand il avait fini son
+badinage.--Que je ne vive plus, disait-il, dès que ma
+lampe manquera d'huile, afin que son reste de lueur ne
+soit pas un objet de risée pour ces jeunes étourdis, dont
+l'esprit superbe dédaigne tout ce qui n'est pas nouveau,
+dont le jugement se borne à être le créateur de leurs toilettes,
+et dont la constance expire même avant ces modes
+passagères!» C'était là ce qu'il souhaitait; et ce que je
+souhaite après lui; puisque je ne puis plus apporter à
+la ruche ni cire ni miel, je voudrais en être promptement
+congédié, pour céder la place à des travailleuses.</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Vous êtes aimé, sire, et ceux qui
+vous aiment le moins seront les premiers à regretter que
+vous n'y soyez plus.</p>
+
+<p>LE ROI.--Je remplis une place, je le sais...--Combien
+y a-t-il, comte, que le médecin de votre père est mort?--Il
+était très-renommé.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Sire, il y a environ six mois.</p>
+
+<p>LE ROI.--S'il était vivant, j'essayerais encore de lui.--Prêtez-moi
+votre bras.--Tous les autres m'ont usé à force
+de remèdes. Que la nature et la maladie se disputent
+maintenant l'événement à leur loisir.--Soyez le bienvenu,
+comte; mon fils ne m'est pas plus cher que vous.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Je remercie Votre Majesté.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.--Fanfares.)</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE III</h3>
+
+<p class="stage1">La scène est en Roussillon. Appartement dans le palais
+de la comtesse.</p>
+
+<p class="stage1">LA COMTESSE, <i>son</i> INTENDANT ET UN BOUFFON<a id="footnotetag6" name="footnotetag6"></a>
+<a href="#footnote6"><sup class="sml">6</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote6"
+name="footnote6"><b>Note 6: </b></a><a href="#footnotetag6">
+(retour) </a> C'est toujours le <i>clown</i>, ou bouffon domestique.</blockquote>
+
+<p>LA COMTESSE.--Je suis prête à vous entendre à présent:
+qu'avez-vous à dire de cette jeune demoiselle?</p>
+
+<p>L'INTENDANT.--Madame, je désirerais que l'on pût trouver
+dans le journal de mes services passés tous les
+soins que j'ai pris pour tâcher de vous contenter; car
+nous blessons notre modestie, et nous ternissons la
+pureté de nos services en les publiant nous-mêmes.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Que fait ici ce maraud? Retirez-vous,
+drôle; toutes les plaintes que j'ai entendues sur votre
+compte, je ne les crois pas toutes... non...; mais c'est la
+faute de ma lenteur à croire; car je sais que vous ne
+manquez pas de folie pour commettre ces méchancetés,
+et que vous avez assez d'adresse pour les commettre
+subtilement.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Vous n'ignorez pas, madame, que je
+suis un pauvre diable.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--C'est bien, monsieur.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Non, madame, il n'est pas bien que je
+sois pauvre, quoique la plupart des riches soient damnés.
+Mais si je puis obtenir le consentement de Votre
+Seigneurie pour entrer dans le monde, la jeune Isabeau
+et moi, nous ferons comme nous pourrons.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Tu veux donc aller mendier?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Je ne mendie rien, madame, que votre
+consentement dans cette affaire.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Dans quelle affaire?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Dans l'affaire d'Isabeau et la mienne.
+Service n'est pas héritage; et je crois bien que je n'obtiendrai
+jamais la bénédiction de Dieu, avant d'avoir
+une postérité de mon sang; car on dit que les enfants
+sont une bénédiction.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Dis-moi ta raison: pourquoi veux-tu te
+marier?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Mon pauvre corps, madame, le demande:
+je suis poussé par la chair; et il faut qu'il aille
+celui que le diable pousse.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Sont-ce là toutes les raisons de monsieur?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Vraiment, madame, j'en ai encore d'autres,
+et de saintes; qu'elles soient ce qu'elles voudront.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Peut-on les savoir?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--J'ai été, madame, une créature corrompue,
+comme vous et tous ceux qui sont de chair et de
+sang; et, en vérité, je me marie, afin de pouvoir me
+repentir<a id="footnotetag7" name="footnotetag7"></a>
+<a href="#footnote7"><sup class="sml">7</sup></a>...</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote7"
+name="footnote7"><b>Note 7: </b></a><a href="#footnotetag7">
+(retour) </a> Marie-toi en hâte et repens-toi à loisir, c'est un vieux proverbe.</blockquote>
+
+<p>LA COMTESSE.--De ton mariage plutôt que de la
+méchanceté.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Je suis absolument dépourvu d'amis,
+madame, et j'espère m'en procurer par ma femme.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Maraud! de tels amis sont tes ennemis.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Vous n'y êtes pas, madame, ce sont de
+grands amis; car les fripons viennent faire pour moi ce
+que je suis las de faire. Celui qui laboure ma terre
+épargne mon attelage et me laisse en recueillir la moisson:
+si je suis déshonoré, il est mon valet: celui qui réjouit
+ma femme est le bienfaiteur de ma chair et de mon
+sang; celui qui fait du bien à ma chair et à mon sang
+aime ma chair et mon sang; celui qui aime ma chair et
+mon sang est mon ami: <i>Ergo</i>, celui qui embrasse ma
+femme est mon ami. Si les hommes pouvaient être contents
+de ce qu'ils sont, il n'y aurait aucune crainte à
+avoir dans le mariage; car le jeune Charon le puritain,
+et le vieux Poysam le papiste, quoique leurs coeurs diffèrent
+en religion, leurs têtes à tous les deux n'en font
+qu'une. Ils peuvent jouer de la corne ensemble comme
+tous les daims du troupeau.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Seras-tu donc toujours une mauvaise
+langue et un drôle calomniateur?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Je suis un prophète<a id="footnotetag8" name="footnotetag8"></a>
+<a href="#footnote8"><sup class="sml">8</sup></a>, madame, et je dis
+la vérité par le plus court chemin.</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i16">«Je répéterai la ballade</p>
+<p class="i16">Que les hommes trouveront vraie</p>
+<p class="i16">Le mariage vient par destinée;</p>
+<p class="i16">Le coucou chante par nature.»</p>
+</div></div>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote8"
+name="footnote8"><b>Note 8: </b></a><a href="#footnotetag8">
+(retour) </a> La superstition de l'instinct divin possédé par les fous existe
+dans beaucoup de pays. Les Turcs ont encore pour eux une vénération
+religieuse.</blockquote>
+
+<p>LA COMTESSE.--Retirez-vous; je vous parlerai plus tard.</p>
+
+<p>L'INTENDANT.--Voudriez-vous, madame, lui dire d'appeler
+Hélène: j'ai à vous parler d'elle?</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--L'ami, dites à Mademoiselle que je
+voudrais lui parler; c'est Hélène que je demande.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i16">Quoi, dit-elle, était-ce ce beau visage</p>
+<p class="i16">Qui fut cause que les Grecs saccagèrent Troie?</p>
+<p class="i16">Folle entreprise! folle entreprise!</p>
+<p class="i16">Était-ce là la joie du roi Priam?</p>
+<p class="i16">Elle soupira en s'arrêtant,</p>
+<p class="i16">En s'arrêtant elle soupira</p>
+<p class="i16">Et prononça cette sentence:</p>
+<p class="i16">«Sur neuf mauvaises s'il y en a une bonne,</p>
+<p class="i16">Il y en a donc une bonne sur dix.»</p>
+</div></div>
+
+<p>LA COMTESSE.--Quoi, une bonne sur dix! Vous altérez
+la chanson, coquin.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Une bonne femme sur dix, c'est purifier
+la chanson, madame. Si le bon Dieu voulait pourvoir
+ainsi le monde toute l'année, je ne me plaindrais
+pas de la dîme des femmes, si j'étais le curé. Une sur
+dix! vraiment s'il nous naissait seulement une bonne
+femme à chaque comète, ou à chaque tremblement de
+terre, la loterie serait bien améliorée; mais à présent un
+homme peut s'arracher le coeur avant de tirer une
+bonne femme.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Voulez-vous vous en aller, monsieur
+le drôle, et faire ce que je vous commande?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Qu'un homme puisse être aux ordres
+d'une femme sans qu'il en arrive malheur! Quoique
+l'honnêteté ne soit pas puritaine... elle ne veut cependant
+faire de mal à personne; et elle consentira à porter
+le surplis de l'humilité sur la robe noire d'un coeur gonflé
+d'orgueil. Sérieusement je pars: mon affaire est de
+dire à Hélène de venir ici.</p>
+
+<p class="stage1">(Il sort,)</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Eh bien! maintenant! qu'y a-t-il?</p>
+
+<p>L'INTENDANT.--Je sais, madame, que vous aimez tendrement
+votre suivante.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Oui, je l'aime: son père me l'a léguée;
+et elle-même, sans autre considération, a des droits légitimes
+à toute l'amitié qu'elle trouve en moi. Je lui dois
+bien plus qu'il ne lui a été payé, et je lui payerai plus
+qu'elle ne demandera.</p>
+
+<p>L'INTENDANT.--Madame, je me trouvai dernièrement
+beaucoup plus près d'elle qu'elle ne l'eût désiré, je pense.
+Elle était seule, et confiait ses secrets à ses propres
+oreilles: elle pensait, j'oserais le jurer pour elle, qu'ils
+n'arriveraient point à des oreilles étrangères. Elle disait
+qu'elle aimait votre fils. «La fortune, dit-elle, n'est
+point une déesse, puisqu'elle a mis une si grande différence
+entre son rang et le mien: l'amour n'est point un
+dieu, puisqu'il ne veut montrer son pouvoir que lorsque
+les avantages sont égaux. Diane n'est point la reine des
+vierges, puisqu'elle a pu permettre que sa pauvre chevalière
+fût surprise sans défense à la première attaque, et
+qu'elle la laisse sans espoir de rançon.» Elle disait cela
+avec l'accent du plus amer chagrin que j'aie jamais
+entendu exprimer à une vierge. J'ai cru, madame, qu'il
+était de mon devoir de vous en instruire sur-le-champ,
+puisqu'il vous importe un peu de le savoir, à cause du
+malheur qui pourrait en arriver.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Vous avez rempli le devoir d'un honnête
+homme; mais gardez ce secret pour vous seul. Bien
+des probabilités m'avaient déjà instruite de ce fait; mais
+elles étaient toutes si incertaines que je ne pouvais ni
+les croire ni les rejeter. Laissez-moi, je vous prie: conservez
+ceci dans votre âme: je vous remercie de vos
+bons soins; je vous en dirai davantage une autre fois.
+(<span class="stage2"><i>L'intendant sort; Hélène entre.</i></span>) Voilà comme j'étais quand
+j'étais jeune. Si nous écoutons la nature, c'est ce qui
+nous arrive; cette épine est inséparablement attachée à
+la rose de notre jeunesse. Notre sang est à nous, et ceci
+est né dans notre sang. Partout où la forte passion de
+l'amour s'imprime dans un jeune coeur, c'est le sceau et
+la preuve de la vérité de la nature. Le souvenir de ces
+jours, qui sont passés pour moi, me rappelle les mêmes
+fautes. Ah! je ne croyais pas alors que ce fussent des
+fautes. Je le vois bien maintenant; son oeil en est éteint.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Quel est votre bon plaisir, madame?</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Tu sais, Hélène, que je suis une mère
+pour toi.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Vous êtes mon honorable maîtresse.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Non, mais une mère. Pourquoi pas ta
+mère? Lorsque j'ai prononcé le nom de mère, j'ai cru
+que tu venais de voir un serpent. Qu'y a-t-il donc dans
+ce nom de mère, pour qu'il te fasse tressaillir? Je dis
+que je suis votre mère, et je vous mets au nombre de
+ceux que j'ai portés dans mon sein. On a vu souvent
+l'adoption le disputer à la nature; et notre choix nous
+donne un rejeton naturel né de semences étrangères. Tu
+n'as jamais oppressé mon sein des douleurs de mère, et
+cependant je te montre toute la tendresse d'une mère.
+Par la grâce de Dieu, jeune fille, est-ce te tourner le
+sang que de te dire: «Je suis ta mère?» Pourquoi ce
+triste précurseur des larmes, cet arc-en-ciel<a id="footnotetag9" name="footnotetag9"></a>
+<a href="#footnote9"><sup class="sml">9</sup></a> aux nombreuses
+couleurs entoure-t-il tes yeux? Pourquoi? Parce
+que tu es ma fille?</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote9"
+name="footnote9"><b>Note 9: </b></a><a href="#footnotetag9">
+(retour) </a>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i16"><i>What is the matter,</i></p>
+<p class="i16"><i>That this distemper'd messenger of wet,</i></p>
+<p class="i16"><i>The many colour'd iris, rounds thine eye?</i></p>
+</div></div>
+
+<p>Observation vraie exprimée poétiquement.</p></blockquote>
+
+<p>HÉLÈNE.--Parce que je ne le suis pas.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Je te dis que je suis ta mère.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Pardonnez-moi, madame, le comte de Roussillon
+ne peut être mon frère; je suis d'une humble
+naissance, et lui d'une famille illustre: mes parents sont
+inconnus, les siens sont tous nobles: il est mon maître,
+mon cher seigneur, et je vis pour le servir, et je veux
+mourir sa vassale. Il ne faut pas qu'il soit mon frère.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Ni moi, votre mère?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Vous êtes ma mère, madame! (pourvu que
+monseigneur votre fils ne soit pas mon frère); plût à Dieu
+que vous fussiez en effet ma mère, ou que vous fussiez
+la mère de tous deux! je ne le désire pas plus que je ne
+désire le ciel, pourvu que je ne sois pas sa soeur. Ne
+serait-il donc pas possible que je fusse votre fille, sans
+qu'il fût mon frère?</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Oui, Hélène, tu pourrais être ma belle-fille.
+A Dieu ne plaise que ce soit là ta pensée! Les
+noms de fille et de mère agitent tellement ton pouls!
+Quoi! tu pâlis encore!... Mes craintes ont enfin surpris
+ton amour. Je pénètre maintenant le mystère de ta solitude,
+et je découvre enfin la source de tes larmes
+amères. Maintenant tout est clair comme le jour. Tu
+aimes mon fils. Il serait honteux de vouloir dissimuler
+ce que ta passion publie, et de vouloir me dire que tu
+ne l'aimes pas: ainsi, dis-le-moi; avoue-moi la vérité:
+car vois, tes joues se l'avouent l'une à l'autre, et tes
+yeux le voient éclater si manifestement dans ta conduite,
+qu'ils le disent aussi dans leur langage. Il n'y a que le péché
+et une obstination d'enfer qui enchaînent ta langue,
+pour rendre la vérité suspecte. Parle: cela est-il vrai?--Si
+cela est, tu as dévidé un joli peloton. Si cela n'est pas,
+jure que je me trompe: cependant, je te l'ordonne au
+nom de l'oeuvre que le ciel peut faire en moi à ton profit,
+dis-moi la vérité.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Ma bonne maîtresse, daignez me pardonner.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Aimez-vous mon fils?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Votre pardon, ma noble maîtresse.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Aimez-vous mon fils?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Ne l'aimez-vous pas, vous, madame?</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Point de détours. Mon amour pour lui
+vient d'un lien que personne n'ignore. Allons, allons,
+découvre-moi l'état de ton coeur, car ta passion elle-même
+t'accuse hautement.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Eh bien! je l'avoue ici, à genoux, devant le
+ciel et devant vous, madame, que j'aime votre fils plus
+que vous, et seulement moins que le ciel. Mes parents
+étaient pauvres, mais honnêtes; mon amour l'est aussi.
+N'en soyez pas offensée; car mon amour ne lui fait
+aucun mal. Je ne le poursuis point par des marques de
+prétentions présomptueuses, je ne voudrais pas l'obtenir
+avant de le mériter, et cependant je ne sais pas comment
+je pourrai le mériter jamais. Je sais que j'aime en
+vain; je lutte contre toute espérance, et cependant je
+verse toujours les flots de mon amour dans ce crible perfide
+et fuyant, sans m'apercevoir qu'il diminue.--Ainsi,
+semblable à l'Indien, religieuse dans mon erreur, j'adore
+le soleil, qui regarde son adorateur, mais qui ne sait
+rien de plus de lui. Ma chère maîtresse, que votre haine
+ne rencontre pas mon amour, parce que j'aime ce que
+vous aimez. Mais vous-même, madame, dont l'honorable
+vieillesse annonce une jeunesse vertueuse, si jamais vous
+avez brûlé d'une flamme si pure, de désirs si chastes, et
+d'un amour si tendre, que votre Diane fut en même
+temps la déesse de l'amour, oh! ayez pitié de celle dont
+l'état est si malheureux qu'elle ne peut que prêter et
+donner où elle est sûre de toujours perdre; qui ne
+cherche point à trouver ce que ses voeux recherchent,
+mais qui, semblable à l'énigme, chérit le secret qui est
+sa mort<a id="footnotetag10" name="footnotetag10"></a>
+<a href="#footnote10"><sup class="sml">10</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote10"
+name="footnote10"><b>Note 10: </b></a><a href="#footnotetag10">
+(retour) </a> <i>Elle cesse de vivre alors qu'on la devine</i>, dit une ancienne épigramme
+qui compare la femme à une énigme.</blockquote>
+
+<p>LA COMTESSE.--N'aviez-vous pas dernièrement le projet
+d'aller à Paris? Parlez-moi franchement.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Oui, madame.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Pourquoi? Dites la vérité.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Je dirai la vérité, j'en jure par la grâce elle-même.
+Vous savez que mon père m'a laissé quelques
+recettes d'un effet merveilleux et éprouvé, que sa science
+et son expérience connue avaient recueillies pour des
+spécifiques souverains, et qu'il me recommanda de ne
+les donner qu'avec soin et réserve, comme des ordonnances
+qui renfermaient en elles de bien plus grandes
+vertus qu'on n'en pouvait juger sur l'étiquette. Dans le
+nombre, il y a un remède, dont l'utilité est reconnue
+pour guérir les maladies de langueur désespérées comme
+celle dont on croit le roi perdu.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Était-ce là votre motif pour aller à
+Paris? Répondez.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--C'est votre noble fils, madame, qui m'a fait
+penser à cela: autrement, Paris et la médecine, et le roi,
+ne me seraient peut-être jamais venus dans la pensée.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Mais, Hélène, si tu offrais au roi tes
+prétendus secours, penses-tu qu'il les acceptât? Le roi et
+ses médecins sont d'accord. Lui, il est persuadé qu'ils
+ne peuvent le guérir; eux le sont aussi qu'ils ne peuvent
+le guérir. Comment croiront-ils une pauvre jeune
+fille ignorante, lorsqu'eux-mêmes, après avoir épuisé
+toute la science des écoles, ils ont abandonné le mal à
+lui-même?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Il y a quelque chose qui me dit, plus encore
+que la science de mon père, qui était pourtant le plus
+grand dans sa profession, que sa bienfaisante recette,
+qui fait mon héritage, sera bénie, pour mon bonheur,
+par les plus heureuses étoiles qui soient au ciel. Et si
+Votre Seigneurie veut me permettre de tenter son succès,
+je répondrai sur ma vie, que je perdrais dans une
+bonne cause, de la guérison du roi, pour tel jour et à
+telle heure.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Le crois-tu?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Oui, madame, et j'en suis convaincue.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Eh bien, Hélène, tu auras mon consentement,
+ma tendresse, de l'argent, une suite, et mes
+pressantes recommandations à tous mes amis, qui sont
+à la cour. Je resterai au logis, et je prierai Dieu de bénir
+ton entreprise. Pars demain, et sois sûre que tous les
+secours que je puis te donner ne te manqueront pas.</p>
+
+<p class="stage1">(Elles sortent.)</p>
+
+<p>FIN DU PREMIER ACTE.</p>
+<br><br><br>
+<h3>ACTE DEUXIÈME</h3>
+<br>
+<h3>SCÈNE I</h3>
+
+<p class="stage1">A Paris.--Appartement dans le palais du roi.</p>
+
+<p class="stage1">LE ROI <i>paraît avec de jeunes seigneurs, qui prennent congé
+de lui, et partent pour la guerre de Florence</i>. BERTRAND
+et PAROLLES. Fanfares.</p>
+
+<p>LE ROI.--Adieu, jeune seigneur. Ne perdez jamais de
+vue ces principes d'un guerrier.--Adieu, vous aussi, seigneur.
+Partagez mes conseils entre vous. Si chacun de
+vous se les approprie tout entiers, le présent est de
+nature à s'étendre à proportion qu'il est reçu, et il suffira
+pour tous deux.</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR.--C'est notre espérance, sire,
+qu'après nous être formés dans le métier de la guerre,
+nous reviendrons pour trouver Votre Majesté en bonne
+santé.</p>
+
+<p>LE ROI.--Non, non; cela est impossible: et cependant
+mon coeur ne veut pas avouer qu'il souffre de la maladie
+qui mine mes jours. Adieu, jeunes guerriers. Soit
+que je vive, ou que je meure, montrez-vous les fils des
+vaillants Français. Que la haute Italie (cette nation
+dégénérée qui n'a hérité que des défaites de la dernière
+monarchie<a id="footnotetag11" name="footnotetag11"></a>
+<a href="#footnote11"><sup class="sml">11</sup></a>) reconnaisse que vous ne venez pas seulement
+pour courtiser l'honneur, mais pour l'épouser.
+Quand les plus braves de vos rivaux reculeront, sachez
+trouver ce que vous cherchez pour vous faire proclamer
+hautement par la renommée.--Je vous dis adieu.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote11"
+name="footnote11"><b>Note 11: </b></a><a href="#footnotetag11">
+(retour) </a> L'empire romain.</blockquote>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Que la santé soit aux ordres de
+Votre Majesté!</p>
+
+<p>LE ROI.--Et ces jeunes filles d'Italie... Prenez garde à
+elles. On dit que nos Français n'ont point de langue pour
+les refuser, lorsqu'elles demandent: prenez garde d'être
+captifs, avant d'être soldats.</p>
+
+<p>LES DEUX SEIGNEURS.--Nos coeurs conserveront vos avis.</p>
+
+<p>LE ROI.--Adieu. (<span class="stage2"><i>A quelqu'un de ses gens.</i></span>) Venez à moi.</p>
+
+<p class="stage1">(On le conduit sur un lit de repos.)</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR, <span class="stage2"><i>à Bertrand</i></span>.--O mon cher seigneur,
+faut-il que nous vous laissions derrière nous!</p>
+
+<p>PAROLLES.--Il n'y a pas de sa faute, le jeune galant.</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Oh! c'est une superbe campagne.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Admirable. J'ai vu ces guerres.</p>
+
+<p>BERTRAND.--On m'ordonne de rester ici, et l'on m'écarte,
+en me criant: Trop jeune! l'année prochaine! il
+est trop tôt encore.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Si cela vous tient si fort au coeur, mon
+garçon, dérobez-vous bravement.</p>
+
+<p>BERTRAND.--On me force à rester ici pour être le complaisant
+d'une jupe, et faire crier ma fine chaussure sur
+un parquet uni, jusqu'à ce que tout l'honneur soit acquis,
+et sans user d'épée que pour danser<a id="footnotetag12" name="footnotetag12"></a>
+<a href="#footnote12"><sup class="sml">12</sup></a>.--Par le ciel, je
+me déroberai d'ici!</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote12"
+name="footnote12"><b>Note 12: </b></a><a href="#footnotetag12">
+(retour) </a> On dansait alors l'épée au côté.</blockquote>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR.--Il est honorable de se dérober
+ainsi.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Commettez ce larcin, comte.</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Je suis votre second; adieu.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Je tiens à vous; et notre séparation est une
+torture.</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR, <span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>.--Adieu, capitaine.</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Salut, bon monsieur Parolles.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Nobles héros, mon épée et les vôtres sont
+de la même famille. Mes braves et brillants seigneurs!
+Un mot, mes chères lames.--Vous trouverez, dans le
+régiment des Spiniens, un certain capitaine Spurio, avec
+sa cicatrice ici sur la joue gauche, une marque de guerre,
+que cette épée que voici lui a gravée sur le visage: dites-lui
+que je suis en vie, et retenez bien ce qu'il vous dira
+de moi.</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Nous n'y manquerons pas, noble
+capitaine.</p>
+
+<p class="stage1">(Les deux seigneurs sortent.)</p>
+
+<p>PAROLLES.--Que Mars vous chérisse comme ses disciples.
+(<span class="stage2"><i>Voyant le roi se lever sur son séant</i></span>,) Quel parti
+prenez-vous?</p>
+
+<p>BERTRAND.--Arrête.--Le roi...</p>
+
+<p>PAROLLES.--Étendez donc plus loin vos politesses avec
+ces nobles seigneurs: vous vous êtes renfermé dans une
+formule d'adieu trop froide: soyez plus démonstratif
+avec eux; ce sont eux qui dirigent les modes; leur tournure,
+leur manière de manger, leur langage, leurs mouvements,
+tout est sous l'influence de l'astre le plus en
+vogue: et quand ce serait le diable qui conduirait la
+danse, ce serait eux qu'il faudrait suivre: courez les
+rejoindre, et mettez plus de chaleur dans vos adieux.</p>
+
+<p>BERTRAND.--C'est ce que je veux faire.</p>
+
+<p>PAROLLES.--De braves gens! et qui ont tout l'air de
+devenir de robustes guerriers.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+
+<p class="stage1">(Entre Lafeu.)</p>
+
+<p>LAFEU, <span class="stage2"><i>se prosternant devant le roi</i></span>.--Pardon, mon souverain,
+pour moi et les nouvelles que j'apporte.</p>
+
+<p>LE ROI.--Je vous l'accorderai, si vous vous levez.</p>
+
+<p>LAFEU, <span class="stage2"><i>se relevant</i></span>.--Vous voyez donc debout devant
+vous un homme qui apporte son pardon. Je voudrais,
+sire, que vous vous fussiez mis à genoux pour demander
+mon pardon, et que vous puissiez, à mon commandement,
+vous relever comme moi.</p>
+
+<p>LE ROI.--Je le voudrais aussi: je t'aurais cassé la tête
+et je t'en aurais demandé pardon après.</p>
+
+<p>LAFEU.--En croix, ma foi<a id="footnotetag13" name="footnotetag13"></a>
+<a href="#footnote13"><sup class="sml">13</sup></a>.--Mon cher seigneur, voici ce
+dont il s'agit: voulez-vous être guéri de votre infirmité?</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote13"
+name="footnote13"><b>Note 13: </b></a><a href="#footnotetag13">
+(retour) </a>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i16"><i>I had broke thy pate,</i></p>
+<p class="i16"><i>And ask thee mercy for it.</i></p>
+<p class="i16">LAFEU. <i>Good faith across.</i></p>
+</div></div>
+
+<p>Cas où la tête est cassée, plaisanterie qu'on retrouve dans la
+comédie des <i>Méprises</i>.</p></blockquote>
+
+<p>LE ROI.--Non.</p>
+
+<p>LAFEU.--Oh! ne voulez-vous pas de raisin, renard
+royal? Mais vous mangerez mon bon raisin, si mon royal
+renard peut y atteindre. J'ai vu un médecin qui est capable
+de faire entrer la vie dans une pierre, d'animer un
+rocher, de vous faire danser la canarie<a id="footnotetag14" name="footnotetag14"></a>
+<a href="#footnote14"><sup class="sml">14</sup></a> avec feu et du
+pas le plus léger. Son simple toucher aurait la vertu de
+ressusciter le roi Pépin: oui, de faire prendre au grand
+Charlemagne une plume en main, pour lui écrire à elle
+un billet doux.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote14"
+name="footnote14"><b>Note 14: </b></a><a href="#footnotetag14">
+(retour) </a> Danse française alors en vogue.</blockquote>
+
+<p>LE ROI.--Que voulez-vous dire par <i>elle?</i></p>
+
+<p>LAFEU.--Je veux dire un docteur femelle.--Sire, il y
+en a un d'arrivé, si vous voulez la voir.--Sur ma foi, sur
+mon honneur, si après ce début léger je puis revenir à
+vous parler sérieusement, j'ai causé avec une personne,
+qui par son sexe, par sa jeunesse, par sa déclaration,
+par sa sagesse et sa constance, m'a plus étonné que je
+n'ose en blâmer ma faiblesse.--Voulez-vous la voir,
+sire (car c'est ce qu'elle demande), et savoir ce qu'elle
+veut faire? Après, moquez-vous bien de moi.</p>
+
+<p>LE ROI.--Allons, bon Lafeu, introduis ta merveille,
+afin que nous puissions partager ton admiration, ou te
+guérir de la tienne, en admirant où tu l'as prise.</p>
+
+<p>LAFEU.--Oh! je vous convaincrai, et il ne me faudra
+pas tout le jour pour cela.</p>
+
+<p class="stage1">(Lafeu sort.)</p>
+
+<p>LE ROI.--Voilà toujours ses grands prologues, pour
+aboutir à des riens.</p>
+
+<p class="stage1">(Lafeu revient et introduit Hélène.)</p>
+
+<p>LAFEU, <span class="stage2"><i>à Hélène</i></span>.--Allons, entrez.</p>
+
+<p>LE ROI.--Tant de hâte donne des ailes.</p>
+
+<p>LAFEU, <span class="stage2"><i>à Hélène</i></span>.--Allons, avancez. Voilà Sa Majesté:
+déclarez-lui vos intentions. Vous avez un minois fripon;
+mais Sa Majesté ne craint guère ces sortes de traîtres.
+Je suis l'oncle de Cressida<a id="footnotetag15" name="footnotetag15"></a>
+<a href="#footnote15"><sup class="sml">15</sup></a>, en osant vous laisser tous
+deux ensemble. Adieu. <span class="stage2"><i>(Il sort.)</i></span></p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote15"
+name="footnote15"><b>Note 15: </b></a><a href="#footnotetag15">
+(retour) </a> Voir Pandarus dans <i>Troïlus et Cressida</i>.</blockquote>
+
+<p>LE ROI.--Eh bien! ma belle, est-ce à moi que vous
+avez affaire?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Oui, mon bon seigneur. Gérard de Narbonne
+était mon père, bien connu dans l'art qu'il professait.</p>
+
+<p>LE ROI.--Je l'ai connu.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Je puis donc me dispenser de vous faire son
+éloge: il suffit de le connaître.--Sur son lit de mort, il
+me donna plusieurs recettes; une entre autres qui était
+le fruit le plus précieux de sa pratique, le trésor unique
+de sa longue expérience, et il m'ordonna de serrer ce
+trésor comme un troisième oeil, plus cher, plus infaillible
+que les deux miens. C'est ce que j'ai fait; et ayant
+ouï dire que Votre glorieuse Majesté était atteinte de la
+funeste maladie, dont la cure a fait le plus d'honneur à
+la vertu du remède que m'a laissé mon bon père, je suis
+venue vous l'offrir avec mes secours, avec toute l'humilité
+que je dois.</p>
+
+<p>LE ROI.--Nous vous rendons grâces, jeune fille; mais
+nous ne pouvons être si crédule en fait de guérison,
+lorsque nos plus savants docteurs nous abandonnent, et
+que le collège entier a décidé que tous les efforts de l'art
+ne pouvaient retirer la nature de sa situation désespérée.--Je
+dis que nous ne devons pas déshonorer notre
+jugement, ni nous laisser corrompre par une folle espérance,
+au point de prostituer à des empiriques notre
+maladie incurable: un roi ne doit pas détruire, par une
+faiblesse, sa réputation, en faisant cas d'un secours
+insensé, lorsqu'il est persuadé qu'il ne faut plus songer
+à aucun secours.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Mon zèle m'indemnisera alors de mes peines.
+Je ne vous presserai pas davantage d'accepter mes services;
+et je demande humblement à Votre Majesté une
+petite part dans ses pensées, en prenant congé d'elle.</p>
+
+<p>LE ROI.--Je ne peux vous donner moins, si je veux
+passer pour reconnaissant. Vous avez voulu me secourir:
+je vous fais les remerciements qu'un homme, prêt de
+mourir, doit à ceux qui font des voeux pour sa vie. Mais
+vous n'avez aucune connaissance de ce que je sais, moi,
+parfaitement: je connais tout mon danger, et vous ne
+connaissez point de remède.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Il ne peut y avoir aucun danger à essayer
+ce que je puis faire, puisque vous avez placé votre repos
+dans l'opinion que votre mal était incurable.--Celui qui
+opère les plus grands prodiges les accomplit souvent par
+le plus faible ministre: ainsi la Sainte-Écriture nous
+montre la sagesse chez les enfants, dans des cas où les
+juges n'étaient eux-mêmes que des enfants. Tandis que
+les plus sages niaient les miracles, on a vu de grands
+fleuves sortir de faibles sources, et de vastes mers se
+dessécher. Souvent l'attente échoue là même où elle promettait
+le plus; et souvent elle réussit dans les cas où
+l'espérance est la plus languissante, et où règne le
+désespoir.</p>
+
+<p>LE ROI.--Je ne dois point vous écouter. Adieu, ma
+bonne fille. Vos peines n'étant pas employées, c'est à
+vous de vous en payer. Des offres qu'on n'accepte point
+recueillent un remerciement pour leur salaire.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Ainsi un secours inspiré par le ciel est
+repoussé par un seul mot! Il n'en est pas de Celui qui
+connaît toutes choses comme de nous, qui ne pouvons
+asseoir nos conjectures que sur les apparences. Mais
+c'est en nous un excès de présomption, lorsque nous
+regardons le secours du ciel comme l'ouvrage de
+l'homme. Sire, donnez votre consentement à ma tentative:
+faites une expérience du ciel, et non pas de moi.
+Je ne suis point un imposteur qui proclame une intention
+qu'il n'a pas. Mais sachez que je crois, et croyez
+aussi que je sais qu'il est certain que mon art n'est pas
+sans puissance, ni vous sans espoir de guérison.</p>
+
+<p>LE ROI.--Avez-vous donc tant de confiance? En combien
+de temps espérez-vous me guérir?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Si la grâce toute-puissante m'accorde son secours
+avant que les chevaux du soleil aient fait parcourir
+deux fois à son char enflammé le cercle d'un jour;
+avant que l'humide Hespérus ait deux fois éteint sa
+lampe assoupie dans les sombres vapeurs de l'occident;
+avant que le sablier du pilote lui ait marqué vingt-quatre
+fois comment se dérobent les minutes, ce qu'il y
+a d'infirme dans les parties saines de votre corps s'enfuira:
+la santé reprendra son libre cours, et le mal sera
+détruit.</p>
+
+<p>LE ROI.--Quel gage oses-tu hasarder de ta certitude et
+de ta confiance?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--La peine de l'impudence, la hardiesse d'une
+prostituée; ma honte proclamée dans d'injurieuses ballades;
+l'infamie attachée à mon nom de vierge; qu'on
+me fasse souffrir tout ce qu'il y a de pis, et que ma vie
+finisse dans les plus affreuses tortures.</p>
+
+<p>LE ROI.--Il me semble que j'entends un esprit céleste
+parler par ta bouche, et que je reconnais dans ton faible
+organe sa voix puissante. Ce que l'impossibilité anéantirait
+d'après le sens commun, la raison le sauve d'une
+autre manière. Ta vie est d'un grand prix; car tout ce
+que la vie estime valoir le nom de vie, tu le possèdes:
+jeunesse, beauté, sagesse, courage, vertu, tout ce que le
+bonheur et le printemps de l'âge peuvent donner d'heureux;
+hasarder tous ces biens, c'est indiquer une science
+infinie ou un monstrueux désespoir. Aimable docteur,
+je veux essayer de ton remède qui, si je meurs, te donne
+la mort.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Si j'excède le temps fixé, ou que j'échoue
+dans le succès que j'ai annoncé, faites-moi mourir sans
+pitié; je l'aurai bien mérité. Si je ne vous guéris pas, je
+le payerai de ma vie; mais si je vous guéris, que me
+promettez-vous?</p>
+
+<p>LE ROI.--Faites votre demande.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Mais me l'accorderez-vous?</p>
+
+<p>LE ROI.--Oui, par mon sceptre et par mes espérances
+de salut!</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Eh bien! vous me ferez don, de votre main
+royale, de l'époux que je vous demanderai, et qu'il sera
+en votre pouvoir de me procurer. Loin de moi l'arrogante
+présomption de le choisir dans le sang royal de
+France, et de vouloir perpétuer la bassesse de mon nom
+obscur par un rejeton ou une image de votre auguste
+famille; mais j'aurai la liberté de demander, et vous
+celle de me donner un de vos vassaux que je connais
+bien.</p>
+
+<p>LE ROI.--Voilà ma main; les prémices observées, ta
+volonté sera exécutée par mes soins: ainsi choisis toi-même
+ton moment, car moi, décidé à être ton malade,
+je me repose entièrement sur toi. Je devrais te questionner
+davantage, et je le ferai... quoique, tout en en
+sachant davantage, je ne pourrais pas avoir plus de confiance
+en toi... Je pourrais te demander d'où tu viens,
+qui t'a amenée; mais sois la bienvenue, sans autres
+questions, et accueillie sans aucun doute.--Holà! aidez-moi
+un peu ici.--Si tes succès égalent tes promesses,
+ma récompense égalera ton bienfait.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE II</h3>
+
+<p class="stage1">En Roussillon.--Appartement du palais de la comtesse.</p>
+
+<p class="stage1">LA COMTESSE <i>entre avec</i> LE BOUFFON.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Viens çà, l'ami. Je veux voir jusqu'à
+quel degré va ton savoir-vivre.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Je vais vous montrer que je suis fort
+bien nourri et fort mal élevé. Je sais que je n'ai affaire
+qu'avec la cour.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Comment! qu'avec la cour? Et à quel
+autre lieu attaches-tu donc tant d'importance, pour
+nommer la cour avec tant de mépris: qu'avec la cour,
+dis-tu?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--En vérité, madame, si Dieu a prêté à un
+homme quelques bonnes moeurs, il peut bien les mettre
+de côté à la cour. Celui qui ne sait pas saluer, ôter son
+chapeau, baiser sa main et dire des riens, n'a ni jambes,
+ni mains, ni bouche, ni chapeau, et ma foi, cet homme,
+à dire vrai, n'était pas fait pour la cour; mais, pour moi,
+j'ai une réponse qui peut servir à tout le monde.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Vraiment, c'est une bien bonne réponse
+que celle qui peut aller à toutes les questions.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--C'est comme une chaise de barbier qui
+va bien à tous les derrières, pointus, ronds, carrés, à
+tous les derrières possibles.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Et ta réponse ira à toutes les questions?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Comme dix sous à la main d'un procureur,
+comme une couronne française à une fille en taffetas<a id="footnotetag16" name="footnotetag16"></a>
+<a href="#footnote16"><sup class="sml">16</sup></a>;
+comme l'anneau de jonc de Tibbie<a id="footnotetag17" name="footnotetag17"></a>
+<a href="#footnote17"><sup class="sml">17</sup></a>, à l'index de
+Tom, comme les crêpes au mardi gras, comme une
+danse moresque au 1er mai, comme le clou à son trou,
+l'homme déshonoré à ses cornes, une méchante diablesse
+à un coquin bourru, comme les lèvres de la nonne à la
+bouche d'un moine; enfin, comme le <i>pudding</i> à sa peau.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote16"
+name="footnote16"><b>Note 16: </b></a><a href="#footnotetag16">
+(retour) </a> Couronne française, suite d'une maladie ou écu de France,
+équivoque, etc.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote17"
+name="footnote17"><b>Note 17: </b></a><a href="#footnotetag17">
+(retour) </a> Allusion à une ancienne coutume de marier avec un anneau
+de jonc; mariage fictif dont se jouaient les séducteurs.</blockquote>
+
+<p>LA COMTESSE.--As-tu, te dis-je, une telle réponse qui
+s'ajuste à toutes les questions?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Oui, depuis le duc jusqu'au dernier
+constable, elle ira à toutes les questions.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Ce doit être une réponse d'une prodigieuse
+étendue pour faire ainsi face à toutes les
+demandes.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Ce n'est pas une bagatelle, à vrai dire,
+si les savants voulaient l'apprécier à sa juste valeur. La
+voici, avec toutes ses dépendances. Demandez-moi si
+je suis un courtisan; cela ne vous fera pas de tort
+d'apprendre.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Allons, redevenons jeune si nous pouvons<a id="footnotetag18" name="footnotetag18"></a>
+<a href="#footnote18"><sup class="sml">18</sup></a>.--Je
+vais faire la folle en te faisant la question,
+dans l'espérance que ta réponse me rendra plus sage.
+Allons, je vous prie, monsieur, êtes-vous un courtisan?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--<i>O mon Dieu, monsieur!</i><a id="footnotetag19" name="footnotetag19"></a>
+<a href="#footnote19"><sup class="sml">19</sup></a>--Voilà un
+moyen bien simple de se défaire des gens.--Allons,
+encore, encore, une centaine de questions.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote18"
+name="footnote18"><b>Note 18: </b></a><a href="#footnotetag18">
+(retour) </a> C'est-à-dire soyons légère, rions, si nous le pouvons.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote19"
+name="footnote19"><b>Note 19: </b></a><a href="#footnotetag19">
+(retour) </a> <i>O Lord, sir!</i> Exclamation du bon ton alors, et que Shakspeare
+tourne en ridicule.</blockquote>
+
+<p>LA COMTESSE.--Monsieur, je suis un pauvre ami à
+vous qui vous aime bien.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--<i>O mon Dieu, monsieur!</i>--Allons, serré,
+ne me ménagez pas.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Je pense bien, monsieur, que vous ne
+pouvez pas manger de ce mets grossier.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--<i>O mon Dieu, monsieur!</i>--Allons, embarrassez-moi,
+je vous ferai face.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Vous avez été fouetté ces jours derniers,
+monsieur, à ce que je crois.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--<i>O mon Dieu, monsieur!</i>--Ne m'épargnez
+pas.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Criez-vous, <i>ô mon Dieu, monsieur!</i> et <i>ne
+m'épargnez pas</i>, lorsqu'on vous fouette? Vraiment votre
+<i>ô mon Dieu, monsieur!</i> va à merveille dans cette occasion;
+ce serait fort bien répondre au fouet si vous étiez
+seulement attaché pour le recevoir.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Je n'ai jamais eu tant de malheur dans
+ma vie pour mon <i>ô mon Dieu, monsieur!</i> je vois bien que
+les choses peuvent servir longtemps, mais pas toujours.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Je fais vraiment la ménagère prodigue
+avec le temps, de le dépenser en vains propos avec un
+fou.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--<i>O mon Dieu, monsieur!</i>--Tenez, voilà
+que cela se retrouve à propos.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Allons, monsieur, finissons; donnez
+cette lettre à Hélène, et pressez-la de me faire réponse
+sur-le-champ; recommandez-moi à mes parents, à mon
+fils: ce n'est pas beaucoup...</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Ne pas beaucoup vous recommander à
+eux?</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Ce n'est pas beaucoup de peine pour
+vous. Vous m'entendez?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Avec le plus grand fruit: je suis là
+avant mes jambes.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Allons, hâte-toi de revenir.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE III</h3>
+
+<p class="stage1">Paris.--Appartement du palais du roi.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> BERTRAND, LAFEU, PAROLLES.</p>
+
+<p>LAFEU.--On dit que les miracles sont passés; et nous
+avons nos philosophes pour faire de tous les phénomènes
+surnaturels et sans cause visible des événements
+communs et familiers. Il arrive de là que nous nous
+jouons des choses les plus effrayantes, nous retranchant
+dans une science illusoire, lorsque nous devrions nous
+soumettre à une terreur inconnue.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Oui, c'est une des plus rares merveilles
+qui ait éclaté dans nos temps modernes.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Oh! sans doute!</p>
+
+<p>LAFEU.--D'être abandonné des gens de l'art...</p>
+
+<p>PAROLLES.--C'est ce que je dis, de Galien et de Paracelse...</p>
+
+<p>LAFEU.--De tous les personnages savants et authentiques<a id="footnotetag20" name="footnotetag20"></a>
+<a href="#footnote20"><sup class="sml">20</sup></a>...</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote20"
+name="footnote20"><b>Note 20: </b></a><a href="#footnotetag20">
+(retour) </a> Épithète appliquée aux savants du temps de l'auteur.</blockquote>
+
+<p>PAROLLES.--Oui, c'est ce que je dis.</p>
+
+<p>LAFEU.--Qui l'ont déclaré incurable...</p>
+
+<p>PAROLLES.--Oui, vraiment, c'est ce que je dis aussi.</p>
+
+<p>LAFEU.--Sans remède...</p>
+
+<p>PAROLLES.--Oui, comme un homme qui serait assuré
+de...</p>
+
+<p>LAFEU.--Une vie incertaine, et une mort inévitable.</p>
+
+<p>PAROLLES.--C'est cela même: vous avez raison: c'est
+ce que j'allais dire.</p>
+
+<p>LAFEU.--Je puis dire que c'est quelque chose de nouveau
+dans ce monde.</p>
+
+<p>PAROLLES.--C'est bien vrai; si vous voulez le voir en
+représentation, vous le lirez dans... Comment appelez-vous
+cela?</p>
+
+<p>LAFEU.--<i>Représentation d'un effet céleste dans un acteur
+terrestre</i><a id="footnotetag21" name="footnotetag21"></a>
+<a href="#footnote21"><sup class="sml">21</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote21"
+name="footnote21"><b>Note 21: </b></a><a href="#footnotetag21">
+(retour) </a> Titre de quelque ouvrage du temps.</blockquote>
+
+<p>PAROLLES.--C'est justement là ce que je voulais dire:
+c'est cela même.</p>
+
+<p>LAFEU.--En vérité, le dauphin n'est pas vigoureux.--En
+vérité, je parle relativement à...</p>
+
+<p>PAROLLES.--Oh! cela est étrange, très-étrange: voilà
+toute l'histoire et l'embarrassant de la chose, et il faut
+être d'un esprit bien pervers pour ne pas reconnaître
+que c'est...</p>
+
+<p>LAFEU.--La main du ciel même.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Oui, c'est ce que je dis.</p>
+
+<p>LAFEU.--Par le plus faible...</p>
+
+<p>PAROLLES.--Et le plus débile ministre: un grand pouvoir,
+une puissance extraordinaire, qui devrait en vérité
+produire encore sur nous d'autres effets que la seule
+guérison du roi; comme par exemple...</p>
+
+<p>LAFEU.--Une reconnaissance universelle.</p>
+
+<p>PAROLLES.--J'allais le dire: vous avez bien raison.--Voici
+le roi qui vient.</p>
+
+<p class="stage1">(Entrent le roi, Hélène, suite.)</p>
+
+<p>LAFEU.--<span class="stage2"><i>Lustick</i></span>, comme dit le Hollandais! J'en aimerai
+encore mieux les jeunes filles, tant qu'il me restera
+une dent dans la bouche. Eh! mais, il est en état de danser
+une <i>courante</i> avec elle.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Mort du vinaigre! n'est-ce pas là Hélène?</p>
+
+<p>LAFEU.--Devant Dieu, je le crois.</p>
+
+<p>LE ROI.--Allez, appelez devant tous les seigneurs de
+ma cour. (<span class="stage2"><i>A Hélène.</i></span>) Asseyez-vous, mon sauveur, à côté
+de votre malade; et de cette main rajeunie, où vous avez
+rappelé la vie et le sentiment, recevez une seconde fois
+la confirmation de ma promesse, et je n'attends de vous
+qu'un mot pour désigner le don que vous désirez. (<span class="stage2"><i>Plusieurs
+seigneurs entrent.</i></span>) Belle jeune fille, promenez vos
+regards autour de vous: cette troupe de jeunes et nobles
+seigneurs sont à ma disposition, et je puis exercer sur
+eux la puissance d'un souverain et l'autorité d'un père:
+faites librement votre choix; vous avez tout pouvoir de
+choisir, et eux n'en ont aucun pour vous refuser.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Qu'il puisse échoir à chacun de vous une
+belle et vertueuse maîtresse quand il plaira à l'amour!
+Je n'en excepte qu'un.</p>
+
+<p>LAFEU.--Je donnerais mon cheval bai, Curtal, et tout
+son harnais, pour que ma bouche fût aussi bien garnie
+que celles de ces jeunes gens, et pour que ma barbe fût
+aussi peu fournie.</p>
+
+<p>LE ROI, <span class="stage2"><i>à Hélène</i></span>.--Considérez-les bien tous: il n'en
+est pas un parmi eux qui n'ait eu un noble père.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Seigneurs, le ciel a par mes mains rendu la
+santé au roi.</p>
+
+<p>TOUS LES SEIGNEURS.--Nous le voyons, et nous en
+remercions le ciel pour vous.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Je ne suis qu'une simple fille, et je déclare
+que c'est ma plus grande richesse d'être une simple
+fille.--Si c'est le bon plaisir de Votre Majesté, j'ai déjà
+fait mon choix.--La rougeur qui se peint sur mes joues
+me dit tout bas: «Je rougis de ce que tu vas faire un
+choix; mais une fois refusée, que la pâleur de la mort
+s'établisse pour toujours sur tes joues; car je n'y reviendrai
+plus.»</p>
+
+<p>LE ROI.--Faites votre choix, et je vous proteste que
+celui qui refusera votre amour perdra tout le mien.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Eh bien! Diane, de ce moment je déserte tes
+autels, et mes soupirs s'élèvent vers le suprême Amour,
+vers ce dieu souverain. (<span class="stage2"><i>A un des seigneurs.</i></span>) Seigneur,
+voulez-vous écouter ma requête?</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR.--Oui, et vous l'accorder.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Je vous rends grâces; je n'ai rien à ajouter.</p>
+
+<p>LAFEU.--J'aimerais mieux être au nombre des objets
+de son choix, que de tirer ma vie au sort sur la chance
+d'un <i>beset</i><a id="footnotetag22" name="footnotetag22"></a>
+<a href="#footnote22"><sup class="sml">22</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote22"
+name="footnote22"><b>Note 22: </b></a><a href="#footnotetag22">
+(retour) </a> Terme du jeu de dés.</blockquote>
+
+<p>HÉLÈNE, <span class="stage2"><i>à un autre seigneur</i>.</span>--La fierté qui étincelle
+dans vos beaux yeux me fait une réponse menaçante,
+avant même que j'aie parlé. Puisse l'amour vous envoyer
+une bonne fortune vingt fois au-dessus du mérite et de
+l'humble amour de celle qui vous adresse ce voeu!</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Je n'aspire à rien de mieux, si vous
+voulez.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Recevez mon voeu, et que le puissant Amour
+l'exauce! C'est ainsi que je prends congé de vous.</p>
+
+<p>LAFEU.--Est-ce qu'ils la refusent tous<a id="footnotetag23" name="footnotetag23"></a>
+<a href="#footnote23"><sup class="sml">23</sup></a>? S'ils étaient
+mes enfants, je les ferais fouetter, ou je les enverrais au
+Grand-Turc pour les faire tous eunuques.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote23"
+name="footnote23"><b>Note 23: </b></a><a href="#footnotetag23">
+(retour) </a> Lafeu et Parolles sont à quelque distance, et ne peuvent encore
+deviner ce qui se passe.</blockquote>
+
+<p>HÉLÈNE, <span class="stage2"><i>à un autre seigneur</i></span>.--Ne craignez point que
+je prenne votre main: je ne vous ferai jamais de tort,
+par égard pour vous. Que le ciel bénisse vos désirs! et si
+jamais vous vous mariez, puissiez-vous trouver une
+plus belle compagne dans votre lit!</p>
+
+<p>LAFEU.--Ces jeunes gens sont des garçons de glace:
+aucun ne veut d'elle: ce sont des bâtards des Anglais;
+jamais des Français ne les ont engendrés.</p>
+
+<p>HÉLÈNE, <span class="stage2"><i>à un autre seigneur</i></span>.--Vous êtes trop jeune,
+trop heureux et trop noble, pour vous donner un fils
+formé de mon sang.</p>
+
+<p>QUATRIÈME SEIGNEUR.--Je ne crois pas cela, ma belle.</p>
+
+<p>LAFEU.--Il reste encore une grappe... Je suis sûr que
+ton père buvait du vin.--Mais si tu n'es pas une imbécile,
+je suis, moi, un jeune homme de quatorze ans: je
+te connais déjà bien.</p>
+
+<p>HÉLÈNE, <span class="stage2"><i>à Bertrand</i></span>.--Je n'ose vous dire que je vous
+prends: c'est moi qui me donne tout entière à vous,
+pour vous servir toute ma vie.--Voilà celui que je
+choisis.</p>
+
+<p>LE ROI, <span class="stage2"><i>à Bertrand</i></span>.--Eh bien! jeune Bertrand, prends-la;
+elle est ta femme.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Ma femme, sire? J'oserai conjurer Votre
+Majesté de me permettre, en pareille affaire, de m'en
+rapporter à mes propres yeux.</p>
+
+<p>LE ROI.--Ignores-tu donc, Bertrand, ce qu'elle a fait
+pour moi?</p>
+
+<p>BERTRAND.--Je le sais, mon bon roi; mais j'espère
+ne jamais savoir pourquoi je dois l'épouser.</p>
+
+<p>LE ROI.--Tu sais qu'elle m'a relevé de mon lit de
+maladie.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Mais faut-il, seigneur, que vous me fassiez
+descendre parce qu'elle vous a relevé? Je la connais
+très-bien; elle a été élevée aux frais de mon père. La
+fille d'un pauvre médecin être ma femme! Que plutôt
+l'opprobre efface mon nom pour toujours!</p>
+
+<p>LE ROI.--Tu ne dédaignes en elle que son nom; je
+puis lui en donner un autre. Il est bien étrange que
+notre sang à tous, qui pour la couleur, le poids et la
+chaleur, mêlé ensemble, n'offrirait aucune trace de
+distinction, prétende cependant se séparer par de si
+vastes différences. Si elle possède toutes les vertus, et
+que tu ne la dédaignes que parce qu'elle est la fille d'un
+pauvre médecin, tu dédaignes donc la vertu pour un nom?
+Ne fais pas cela: quand des actions vertueuses sortent
+d'une source obscure, cette source est illustrée par le
+fait de celui qui les accomplit. Être enflé de vains titres
+et sans vertus, c'est là un honneur hydropique. Ce qui
+est bon par lui-même est bon sans nom; et ce qui est
+vil est toujours vil. Le prix des choses dépend de leur
+mérite, et non de leur dénomination. Elle est jeune,
+sage, belle; elle a reçu cet héritage de la nature, et ces
+qualités forment l'honneur. Celui-là mérite le mépris et
+non l'honneur, qui se prétend fils de l'honneur et qui ne
+ressemble pas à son père. Nos honneurs prospèrent,
+lorsque nous les faisons dériver de nos actions plutôt
+que de nos ancêtres. Le mot seul est un esclave suborné
+à des tombeaux, un trophée menteur sur tous les sépulcres;
+et souvent aussi il reste muet sur des tombes où la
+poussière et un coupable oubli ensevelissent d'honorables
+cendres. Qu'ai-je besoin d'en dire plus? Si tu peux
+aimer cette jeune personne comme vierge, je puis créer
+tout le reste: elle et sa vertu, c'est sa dot personnelle;
+les honneurs et les richesses viendront de moi.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Je ne puis l'aimer, et je ne ferai pas d'efforts
+pour y parvenir.</p>
+
+<p>LE ROI.--Tu te fais injure à toi-même, en hésitant si
+longtemps sur ce choix.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Sire, je suis heureuse de vous voir bien
+rétabli: qu'il ne soit plus question du reste.</p>
+
+<p>LE ROI.--Mon honneur est engagé: il faut, pour le
+délivrer, que je déploie mon pouvoir. Allons, prends sa
+main, hautain et dédaigneux jeune homme, indigne de
+ce beau don; puisque tu repousses, par une indigne
+erreur, mon amitié et son mérite; toi qui ne t'avises
+pas de songer que moi, placé dans son plateau trop
+léger, je t'enlèverais jusqu'au fléau; toi qui ne veux pas
+savoir qu'il dépend de nous de transporter tes honneurs
+où il nous plaira de les faire croître: contiens tes
+mépris: obéis à notre volonté qui travaille pour ton
+bien: n'écoute point ton vain orgueil: rends sur-le-champ,
+pour l'avantage de ta propre fortune, l'hommage
+d'obéissance que ton devoir nous doit, et que notre
+autorité exige, ou je t'effacerai pour jamais de ma pensée,
+et t'abandonnerai aux vertiges et à la ruineuse
+témérité de la jeunesse et de l'ignorance, déployant sur
+toi ma haine et ma vengeance, au nom de la justice et
+sans pitié. Parle: ta réponse?</p>
+
+<p>BERTRAND.--Pardon, mon gracieux souverain: je soumets
+mon amour à vos yeux. Lorsque je considère quelle
+riche création et quelle part d'honneur vont s'attacher
+où vous l'ordonnez, je trouve que cette fille, qui tout à
+l'heure était si bas dans la fierté de mes pensées, est
+maintenant l'objet des louanges du roi, et par là anoblie,
+comme si elle était bien née.</p>
+
+<p>LE ROI.--Prends sa main, et dis-lui qu'elle est à toi:
+Je te promets de rendre la balance égale entre elle et ton
+rang, si je ne fais pas davantage.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Je lui prends la main.</p>
+
+<p>LE ROI.--Que le bonheur et la faveur du roi sourient à
+ce contrat! Toutes les formalités nécessaires pour le
+rendre parfait seront accomplies dès ce soir: les fêtes
+solennelles peuvent souffrir un plus long délai, et
+attendre nos amis absents. Bertrand, si tu l'aimes, ton
+amour me reste fidèle, autrement il s'égare.</p>
+
+<p class="stage1">(Tous sortent, excepté Parolles et Lafeu.)</p>
+
+<p>LAFEU.--Entendez-vous, monsieur? Un mot, s'il vous
+plaît.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Quel est votre bon plaisir, seigneur?</p>
+
+<p>LAFEU.--Votre seigneur et maître a bien fait de se
+rétracter.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Se rétracter? mon maître, mon seigneur?</p>
+
+<p>LAFEU.--Oui: est-ce que je ne parle pas une langue
+intelligible?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Une langue fort dure, et qu'on ne peut
+entendre sans qu'il s'ensuive quelque effusion de sang.--Mon
+maître!</p>
+
+<p>LAFEU.--Êtes-vous le camarade du comte de Roussillon?</p>
+
+<p>PAROLLES.--De quelque comte que ce soit, de tous les
+comtes, de tout ce qui est homme.</p>
+
+<p>LAFEU.--De tout ce qui est l'<i>homme</i> du comte; mais <i>le
+maître</i> du comte, c'est autre chose.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Vous êtes trop vieux, monsieur: que cela
+vous suffise, vous êtes trop vieux.</p>
+
+<p>LAFEU.--Il faut que je te dise, maraud, que j'ai le titre
+d'homme, moi; titre auquel jamais l'âge ne pourra vous
+faire parvenir.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Ce que j'oserais bien, je n'ose pas le faire.</p>
+
+<p>LAFEU.--Je vous ai cru, pendant deux ordinaires, un
+homme de bon sens: vous avez fait tant de récits de vos
+voyages: cela pouvait passer; mais les écharpes et les
+rubans dont vous êtes couvert m'ont dissuadé de bien
+des manières de vous croire un vaisseau de bien gros
+calibre.--Je t'ai trouvé à présent; et si je te perds, je ne
+m'en embarrasse guère; et cependant tu n'es bon à rien
+qu'à reprendre, et tu n'en vaux guère la peine.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Si vous n'étiez pas couvert du privilége de
+l'âge...</p>
+
+<p>LAFEU.--Ne vous plongez pas trop avant dans la colère,
+de peur de trop hâter l'épreuve; et si une fois... Que Dieu
+ait pitié de toi, poule mouillée!--Allons, mon beau
+treillis, fort bien: je n'ai pas besoin d'ouvrir la fenêtre,
+je vois tout au travers de toi.--Donne-moi ta main.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Seigneur, vous me faites-là une affreuse
+injure.</p>
+
+<p>LAFEU.--Oui, et c'est de tout mon coeur; et tu en es
+bien digne.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je ne l'ai pas mérité, seigneur.</p>
+
+<p>LAFEU.--Oh! sur ma foi, jusqu'à la dernière drachme,
+et je n'en rabattrai pas un scrupule.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Allons, je serai plus sage...</p>
+
+<p>LAFEU.--Oui, le plus tôt que tu pourras; car tu as à
+virer la voile du côté opposé.--Si jamais on te lie dans
+ton écharpe, et qu'on te châtie, tu éprouveras alors ce
+que c'est que d'être fier de sa servitude. J'ai envie d'entretenir
+ma connaissance avec toi, ou plutôt mon étude,
+afin que je puisse dire, au besoin: «C'est un homme
+que je connais.»</p>
+
+<p>PAROLLES.--Seigneur, vous me vexez d'une manière
+intolérable.</p>
+
+<p>LAFEU.--Je voudrais que ce fût pour toi un tourment
+d'enfer, et que ta vexation fût éternelle; mais je suis
+passé<a id="footnotetag24" name="footnotetag24"></a>
+<a href="#footnote24"><sup class="sml">24</sup></a> par l'âge comme tu vas l'être par moi aussi vite
+que l'âge me le permettra.</p>
+
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote24"
+name="footnote24"><b>Note 24: </b></a><a href="#footnotetag24">
+(retour) </a> Équivoque sur le mot <i>past</i>. Lafeu, en parlant ainsi, passe devant
+Parolles.</blockquote>
+
+<p class="stage1">(Il sort.)</p>
+
+<p>PAROLLES <span class="stage2"><i>seul</i></span>.--Allons, tu as un fils qui me lavera de
+cet affront, méchant, hideux et dégoûtant vieillard!--Allons,
+il faut que je me contienne: il n'y a pas moyen
+d'arrêter les grands. Je le battrai, sur ma vie, si je peux
+jamais le rencontrer à propos, fût-il deux fois plus grand
+seigneur. Je n'aurai pas plus de pitié de sa vieillesse,
+que je n'en aurais de... Je le battrai, pourvu que je le
+puisse joindre encore une fois.</p>
+
+<p class="stage1">(Lafeu revient.)</p>
+
+<p>LAFEU.--Maraud, votre seigneur et maître est marié:
+voilà des nouvelles pour vous. Vous avez une nouvelle
+maîtresse.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je dois franchement conjurer Votre Seigneurie
+de vouloir bien m'épargner vos insultes. Il est
+mon bon seigneur: mais celui que je sers est là-haut, et
+c'est mon maître.</p>
+
+<p>LAFEU.--Qui? Dieu?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Oui, monsieur.</p>
+
+<p>LAFEU.--C'est le diable qui est ton maître. Pourquoi
+croises-tu ainsi tes bras? Veux-tu faire de tes manches
+une paire de chausses? Les autres valets en font-ils
+autant? Tu ferais mieux de mettre ta partie inférieure
+où est ton nez. Sur mon honneur, si j'étais plus jeune
+seulement de deux heures, je te bâtonnerais. Il me
+semble que tu es une insulte générale, et que chacun
+devrait te battre. Je crois que tu as été créé pour que
+tout le monde pût se mettre en haleine sur ton dos.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Voilà qui est bien dur et peu mérité,
+seigneur.</p>
+
+<p>LAFEU.--Allez, allez: vous avez été battu en Italie
+pour avoir arraché un fruit d'un grenadier: vous êtes
+un vagabond, et non pas un honnête voyageur: vous
+faites plus l'impertinent avec les grands seigneurs et les
+gens d'honneur, que les armoiries de votre naissance et
+de votre vertu ne vous donnent droit de le faire. Vous ne
+méritez pas un mot de plus, sans quoi je vous appellerais
+un fripon: je vous laisse.</p>
+
+<p class="stage1">(Lafeu sort.)</p>
+
+<p class="stage1">(Entre Bertrand.)</p>
+
+<p>PAROLLES.--C'est bon, c'est bon: oui, oui, bon, bon:
+gardons-en le secret quelque temps.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Perdu et condamné aux soucis pour toujours!</p>
+
+<p>PAROLLES.--Qu'avez-vous, mon cher coeur?</p>
+
+<p>BERTRAND.--Quoique je l'aie solennellement juré
+devant le prêtre, je ne partagerai jamais son lit.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Quoi? quoi donc, mon cher coeur?</p>
+
+<p>BERTRAND.--O mon Parolles, ils m'ont marié!--Je
+veux aller aux guerres de Toscane, et jamais je ne coucherai
+avec elle.</p>
+
+<p>PAROLLES.--La France est un vrai chenil: elle ne
+mérite pas d'être foulée aux pieds par un homme. A la
+guerre!</p>
+
+<p>BERTRAND.--Voilà des lettres de ma mère: ce qu'elles
+contiennent, je ne le sais pas encore.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Il faudrait le savoir.--A la guerre, mon
+garçon, à la guerre! Il tient son honneur caché dans une
+boîte, celui qui reste chez lui à caresser sa créature et
+à dépenser dans ses bras sa vigueur virile, qui devrait
+soutenir les bonds et la fougue de l'ardent coursier de
+Mars. Aux pays étrangers! La France est une étable, et
+nous, qui y demeurons, des rosses. Allons, à la guerre!</p>
+
+<p>BERTRAND.--Oui, j'irai.--Je l'enverrai chez moi; j'informerai
+ma mère de mon aversion pour elle, et de la
+cause de mon évasion; j'écrirai au roi ce que je n'ai pas
+osé lui dire: le don qu'il vient de me faire me servira à
+m'équiper pour les guerres d'Italie, où les braves combattent.
+La guerre est un repos, comparée à une sombre
+maison et à une femme odieuse.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Ce caprice tiendra-t-il? en êtes-vous bien
+sûr?</p>
+
+<p>BERTRAND.--Venez avec moi dans ma chambre, et
+aidez-moi de vos conseils. Je vais la congédier sur-le-champ.
+Demain je pars pour la guerre, et elle pour sa
+douleur solitaire.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Oh! comme les balles rebondissent! quel
+vacarme elles font!--Cela est dur-.--Un jeune homme
+marié est un jeune homme perdu: ainsi, partez, et quittez-la
+bravement: allez. Le roi vous a fait outrage.--Mais,
+chut! c'est comme cela...</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE IV</h3>
+
+<p class="stage1">Même lieu.--Un autre appartement.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> HÉLÈNE ET LE BOUFFON.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Ma mère me salue avec bonté. Est-elle bien?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Elle n'est pas bien, et pourtant elle jouit
+de sa santé: elle est gaie, mais pourtant elle n'est pas
+bien; mais Dieu soit loué! elle est bien et n'a besoin de
+rien dans ce monde, et pourtant elle n'est pas bien.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Si elle est bien, quel mal a-t-elle donc,
+qu'elle ne soit pas bien?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Vraiment, elle serait très bien s'il ne
+lui manquait pas deux choses.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Quelles sont ces deux choses?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--La première, c'est qu'elle n'est pas dans
+le ciel, où Dieu veuille l'envoyer promptement; la
+seconde, c'est qu'elle est sur la terre, d'où Dieu veuille la
+renvoyer promptement.</p>
+
+<p class="stage1">(Entre Parolles.)</p>
+
+<p>PAROLLES.--Salut, mon heureuse dame!</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Je me flatte d'avoir votre aveu pour ma
+bonne fortune.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Vous avez mes voeux pour qu'elle augmente,
+et mes voeux encore pour qu'elle dure. (<span class="stage2"><i>Au bouffon.</i></span>)
+Ah! mon vaurien! comment se porte ma vieille
+dame?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Si vous aviez ses rides, et moi ses écus,
+je voudrais qu'elle fût comme vous dites.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Eh! je ne dis rien.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Vraiment, vous n'en êtes que plus sage;
+car souvent la langue d'un homme est la ruine de son
+maître: ne dire rien, ne faire rien, ne savoir rien, et
+n'avoir rien, font une grande partie de vos titres, qui ne
+diffèrent pas grandement de rien.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Va-t'en; tu es un vaurien.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Vous auriez dû dire, monsieur, devant
+un vaurien, tu es un vaurien; c'est-à-dire, devant moi tu
+es un vaurien; et cela aurait été la vérité, monsieur.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Va, va, tu es un rusé fou: je t'ai découvert.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Me découvrez-vous en vous-même,
+monsieur? ou bien, vous a-t-on appris à me découvrir?
+La recherche, monsieur, était des plus profitables; et
+vous pourriez trouver beaucoup du fou en vous, au grand
+déplaisir du monde, et pour augmenter les risées.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Un bon drôle, ma foi, et bien nourri!--Madame,
+mon seigneur va partir ce soir. Une affaire
+très-sérieuse l'appelle: il sait les grandes prérogatives
+et les droits de l'amour, que la circonstance réclame
+comme vous étant dus; mais il est contraint, malgré
+lui, de les remettre à un autre temps. Cette privation et
+ce délai sont rachetés par les douceurs qui vont se préparer
+dans cet intervalle forcé, pour inonder de joie
+l'heure à venir, et faire déborder la coupe des plaisirs.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Quelles sont ses autres intentions?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Que vous preniez à l'instant congé du roi,
+et que vous donniez cette précipitation pour votre propre
+décision en l'appuyant de toutes les raisons que vous
+pourrez trouver pour rendre cette nécessité vraisemblable.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Que commande-t-il encore?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Qu'après avoir obtenu ce congé, vous vous
+conformiez sur-le-champ à ses autres intentions.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--En tout je suis soumise à sa volonté.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je vais l'en assurer de votre part.</p>
+
+<p class="stage1">(Parolles sort.)</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Je vous en prie. (<span class="stage2"><i>Au bouffon.</i></span>) Viens, drôle.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE V</h3>
+
+<p class="stage1">Un autre appartement dans le même lieu.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> LAFEU, BERTRAND.</p>
+
+<p>LAFEU.--Mais j'espère que Votre Seigneurie ne le regarde
+pas comme un guerrier?</p>
+
+<p>BERTRAND.--Comme un guerrier, seigneur, et qui a
+fait ses preuves de courage.</p>
+
+<p>LAFEU.--Vous le tenez de sa bouche?</p>
+
+<p>BERTRAND.--Et de bien d'autres témoignages valables.</p>
+
+<p>LAFEU.--Allons, mon cadran ne va donc pas bien? j'ai
+pris cette allouette pour un traquet<a id="footnotetag25" name="footnotetag25"></a>
+<a href="#footnote25"><sup class="sml">25</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote25"
+name="footnote25"><b>Note 25: </b></a><a href="#footnotetag25">
+(retour) </a> Espèce d'oiseau qui fait son nid à terre. <i>Penancola, avis alaudæ
+similis.</i></blockquote>
+
+<p>BERTRAND.--Je vous assure, seigneur, qu'il a de grandes
+connaissances et qu'il n'a pas moins de bravoure.</p>
+
+<p>LAFEU.--J'ai donc péché contre son expérience et prévariqué
+contre sa valeur; et je suis à cet égard dans un
+état dangereux, car je ne puis trouver dans mon coeur
+le moindre désir de m'en repentir.--Le voici qui vient,
+je vous en prie, réconciliez-nous: je veux rechercher
+son amitié.</p>
+
+<p class="stage1">(Entre Parolles.)</p>
+
+<p>PAROLLES.--Tout cela se fera, monsieur.</p>
+
+<p>LAFEU, <span class="stage2"><i>à Bertrand</i></span>.--Je vous en prie, monsieur, dites-moi
+quel est son tailleur?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Monsieur?</p>
+
+<p>LAFEU.--Oh! je le connais bien. Oui, monsieur; c'est
+vraiment, monsieur, un bon ouvrier, un fort bon tailleur.</p>
+
+<p>BERTRAND, <span class="stage2"><i>bas à Parolles</i></span>.--Est-elle allée trouver le roi?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Elle y est allée.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Partira-t-elle ce soir?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Comme vous le lui avez ordonné.</p>
+
+<p>BERTRAND.--J'ai écrit mes lettres, enfermé mon trésor
+dans ma cassette, donné mes ordres pour nos chevaux;
+et ce soir, à l'heure où je devrais prendre possession de
+la mariée, je finirai avant d'avoir commencé.</p>
+
+<p>LAFEU.--Un honnête voyageur est quelque chose à la
+fin d'un dîner; mais un homme qui débite trois mensonges
+et se sert d'une vérité connue de tout le monde
+pour faire passer un millier de balivernes mérite d'être
+écouté une fois et fustigé trois. (<span class="stage2"><i>A Parolles.</i></span>) Dieu vous
+assiste, capitaine!</p>
+
+<p>BERTRAND, <span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>.--Y aurait-il quelque mésintelligence
+entre ce noble seigneur et vous, monsieur?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je ne sais pas comment j'ai mérité de tomber
+dans la disgrâce de mon noble seigneur.</p>
+
+<p>LAFEU.--Vous avez trouvé moyen d'y tomber et de
+vous y enfoncer tout entier, en bottes et éperons, comme
+celui qui saute dans la crème<a id="footnotetag26" name="footnotetag26"></a>
+<a href="#footnote26"><sup class="sml">26</sup></a>, et vous en ressortirez
+promptement plutôt que de souffrir qu'on vous demande
+raison de ce que vous restez dedans.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote26"
+name="footnote26"><b>Note 26: </b></a><a href="#footnotetag26">
+(retour) </a> Allusion à une pasquinade des baladins qui sautaient, dans
+les fêtes de Londres, tout bottés dans un plat de crème.</blockquote>
+
+<p>BERTRAND.--Il se pourrait que vous vous fussiez mépris
+sur son compte, seigneur.</p>
+
+<p>LAFEU.--Et je m'y méprendrai toujours, quand même
+je le surprendrais en prières.--Adieu, seigneur, et
+croyez ce que je vous dis, qu'il n'y a point d'amande
+dans cette noix légère: toute l'âme de cet homme
+est dans ses habits; ne vous fiez à lui dans aucune
+affaire de conséquence; j'ai apprivoisé de ces gens-là,
+et je connais leur naturel. (<span class="stage2"><i>A Parolles.</i></span>) Adieu, monsieur;
+j'ai mieux parlé de vous que vous n'avez mérité
+et que vous ne mériterez de moi; mais il faut rendre le
+bien pour le mal.</p>
+
+<p class="stage1">(Il sort.)</p>
+
+<p>PAROLLES.--Un frivole vieillard, je jure!</p>
+
+<p>BERTRAND.--Je le crois.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Eh mais! ne le connaissez-vous pas?</p>
+
+<p>BERTRAND.--Oui, je le connais bien, et l'opinion commune
+lui donne du mérite.--Voici venir mon entrave.</p>
+
+<p class="stage1">(Entre Hélène.)</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--J'ai, monsieur, suivant l'ordre que vous
+m'en avez donné, parlé au roi, et j'ai obtenu son agrément
+pour partir sur-le-champ. Seulement, il désire
+vous parler en particulier.</p>
+
+<p>BERTRAND.--J'obéirai à sa volonté.--Il ne faut pas,
+Hélène, vous étonner de mon procédé, qui ne paraît pas
+s'accorder avec les circonstances et qui ne remplit pas
+l'office qu'elles exigent de moi. Je n'étais pas préparé à
+cet événement, voilà pourquoi je me trouve si fort en
+désordre; cela m'engage à vous prier de vous mettre en
+route sur-le-champ pour vous rendre chez moi, et de
+chercher à deviner plutôt que de me demander le motif
+de cette prière; car mes raisons sont meilleures qu'elles
+ne paraissent, et mes affaires sont d'une nécessité plus
+pressante qu'il ne le semble à première vue, à vous qui
+ne les connaissez pas.--Cette lettre est pour ma mère.
+(<span class="stage2"><i>Il lui remet une lettre.</i></span>) Il se passera deux jours avant que
+je vous revoie. Adieu; je vous abandonne à votre sagesse.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Monsieur, je ne puis vous répondre autre chose, sinon que je
+suis votre très-obéissante servante.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Allons, allons, ne parlons plus de cela.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Et que je chercherai toujours, par tous mes
+efforts, à réparer ce que mon étoile vulgaire a laissé en
+moi de défectueux pour être de niveau avec ma grande
+fortune.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Laissons cela; je suis extrêmement pressé.
+Adieu; allez-vous-en chez moi.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Je vous prie, monsieur, permettez...</p>
+
+<p>BERTRAND.--Eh bien! que voulez-vous dire?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Je ne suis pas digne du trésor que je possède,
+et je n'ose pas dire qu'il soit à moi, et cependant il est à
+moi; mais, comme un voleur timide, je voudrais bien
+dérober ce que la loi m'accorde de droit.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Que voulez-vous avoir?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Quelque chose,--et à peine autant;--rien
+dans le fond.--Je ne voudrais pas vous dire ce
+que je voudrais, seigneur.--Mais pourtant, si.--Les
+étrangers et les ennemis se séparent et ne s'embrassent
+pas.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Je vous en prie, ne perdez pas de temps;
+mais vite à cheval.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Je n'enfreindrai pas vos ordres, mon bon
+seigneur.</p>
+
+<p>BERTRAND, <span class="stage2"><i>à Parolles, d'un air fort empressé</i></span>.--Où sont
+mes autres gens, monsieur? (<span class="stage2"><i>A Hélène.</i></span>) Adieu. (<span class="stage2"><i>Hélène
+sort.</i></span>) Va chez moi, où je ne rentrerai de ma vie tant que
+je pourrai manier mon épée ou entendre le son du tambour.--Allons,
+partons, et songeons à notre fuite.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Bravo! coragio!</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+
+<p>FIN DU DEUXIÈME ACTE.</p>
+<br><br><br>
+<h3>ACTE TROISIÈME</h3>
+<br>
+<h3>SCÈNE I</h3>
+
+<p class="stage1">A Florence.--Appartement dans le palais du duc.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> LE DUC DE FLORENCE, DEUX SEIGNEURS
+FRANÇAIS; Gardes. <i>Fanfares.</i></p>
+
+<p>LE DUC.--Ainsi, vous voilà instruits de point en point
+des raisons fondamentales de cette guerre, dont les
+grands intérêts ont déjà fait verser bien du sang, en restant
+toujours altérés d'en répandre.</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR.--La querelle paraît sacrée de la
+part de Votre Altesse; mais de la part des ennemis, elle
+semble inique et odieuse.</p>
+
+<p>LE DUC.--C'est pourquoi je m'étonne fort que notre
+cousin le roi de France puisse, dans une cause aussi
+juste, fermer son coeur à nos prières suppliantes.</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Mon bon seigneur, je ne puis vous
+éclairer sur les motifs de notre gouvernement, ni en
+parler que comme un homme ordinaire qui n'est pas
+dans les affaires, et qui s'imagine l'auguste machine du
+conseil d'après ses imparfaites notions: aussi je n'ose
+pas vous dire ce que j'en pense, d'autant moins que je
+me suis vu trompé dans mes incertaines conjectures
+toutes les fois que j'ai tenté d'en faire.</p>
+
+<p>LE DUC.--Qu'il fasse suivant son bon plaisir.</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Mais je suis sûr du moins que notre
+jeunesse, rassasiée de son repos, va accourir ici tous les
+jours pour se guérir.</p>
+
+<p>LE DUC.--Ils seront bien reçus, et tous les honneurs
+que nous pouvons répandre iront s'attacher sur eux.
+Vous connaissez vos postes. Quand les premiers de l'armée
+tombent, c'est pour votre avantage.--Demain au
+champ de bataille!</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE II</h3>
+
+<p class="stage1">En Roussillon.--Appartement dans le palais de la comtesse.</p>
+
+<p class="stage1">LA COMTESSE, LE BOUFFON.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Tout est arrivé comme je le désirais,
+excepté qu'il ne revient point avec elle.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Sur ma foi, je pense que mon jeune
+seigneur est un homme fort mélancolique.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Et sur quel fondement, je te prie?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Eh! c'est qu'il regardait ses bottes, et
+puis chantait; qu'il rajustait sa fraise, et puis chantait;
+qu'il faisait des questions, puis chantait; qu'il se curait
+les dents, et chantait encore. J'ai connu un homme avec
+ce tic de mélancolie, qui a vendu un bon manoir pour
+une chanson.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Voyons ce qu'il écrit et quand il se propose
+de revenir.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Je n'ai plus de goût pour Isabeau depuis
+que je suis allé à la cour. Nos vieilles morues et nos Isabeau
+de campagne ne ressemblent en rien à vos vieilles
+morues et à vos Isabeau de cour. La cervelle de mon
+Cupidon est fêlée, et je commence à aimer comme un
+vieillard aime l'argent,--sans appétit.</p>
+
+<p>LA COMTESSE, <span class="stage2"><i>ouvrant la lettre</i></span>.--Qu'avons-nous ici?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Précisément ce que vous avez là.</p>
+
+<p class="stage1">(Il sort.)</p>
+
+<p>LA COMTESSE <i>lit la lettre.--Je vous envoie une belle-fille:
+elle a guéri le roi et m'a perdu. Je l'ai épousée; mais je n'ai
+pas couché avec elle, et j'ai juré que ce refus serait éternel.
+On ne manquera pas de vous informer que je me suis enfui.
+Apprenez-le donc de moi, avant de le savoir par le bruit public.
+Si le monde est assez vaste, je mettrai toujours une
+bonne distance entre elle et moi. Agréez mon respect.</i></p>
+
+<p><i>Votre fils infortuné,</i> BERTRAND.</p>
+
+<p>--Ce n'est pas bien, jeune homme téméraire et indiscipliné,
+de fuir ainsi les faveurs d'un si bon roi, d'attirer
+son indignation sur ta tête en méprisant une jeune fille
+trop vertueuse pour être dédaignée, même de l'empereur.</p>
+
+<p class="stage1">(Le bouffon entre.)</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Oh! madame, il y a là-bas de tristes
+nouvelles entre deux officiers et ma jeune maîtresse.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--De quoi s'agit-il?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Et cependant il y a aussi quelque chose
+de consolant dans les nouvelles; oui, de consolant: votre
+fils ne sera pas tué aussitôt que je le pensais.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Et pourquoi serait-il tué?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--C'est ce que je dis, madame, s'il s'est
+sauvé, comme je l'entends dire. Le danger était de rester
+auprès de sa femme: c'est la perte des hommes,
+quoique ce soit le moyen d'avoir des enfants. Les voici
+qui viennent; ils vous en diront davantage. Pour moi,
+je sais seulement que votre fils s'est sauvé.</p>
+
+<p class="stage1">(Hélène entre accompagnée de deux gentilshommes.)</p>
+
+<p>PREMIER GENTILHOMME.--Dieu vous garde! chère comtesse.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Madame, mon seigneur est parti, parti pour
+toujours.</p>
+
+<p>SECOND GENTILHOMME.--Ne dites pas cela.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Armez-vous de patience.--Eh! je vous
+prie, messieurs, parlez. J'ai senti tant de secousses de
+joie et de douleur, que le premier aspect et le choc imprévu
+de l'une ou de l'autre ne peuvent plus me faire
+éprouver l'émotion d'une femme.--Où est mon fils, je
+vous prie?</p>
+
+<p>SECOND GENTILHOMME.--Madame, il est allé servir le
+duc de Florence. Nous l'avons rencontré là, car nous
+en venons, et après avoir remis quelques dépêches
+dont nous sommes chargés pour la cour, nous y retournons.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Jetez les yeux sur cette lettre, madame.
+Voici mon congé.--<i>(Lisant.) «Quand tu auras obtenu
+l'anneau que je porte à mon doigt, et qui ne le quittera
+jamais, et que tu me montreras un enfant né de toi, dont
+j'aurai été le père, alors appelle-moi ton mari. Mais cet</i>
+alors, <i>je le nomme</i> jamais.»--C'est une terrible sentence!</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Avez vous apporté cette lettre, messieurs?</p>
+
+<p>SECOND GENTILHOMME.--Oui, madame; et d'après ce
+qu'elle contient, nous regrettons nos peines.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Je t'en conjure, ma chère, prends courage.
+Si tu gardes pour toi seule toutes ces douleurs, tu
+m'en dérobes la moitié. Il était mon fils; mais j'efface
+son nom de mon coeur, et tu seras mon unique enfant.--Il
+est donc allé du côté de Florence?</p>
+
+<p>SECOND GENTILHOMME.--Oui, madame.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Et pour être soldat?</p>
+
+<p>PREMIER GENTILHOMME.--Telles sont, en effet, ses nobles
+intentions, et je suis persuadé que le duc lui rendra tous
+les honneurs convenables.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Y retournez-vous?</p>
+
+<p>PREMIER GENTILHOMME.--Oui, madame, et avec la plus
+grande diligence.</p>
+
+<p>HÉLÈNE, <i>lisant</i>.--<i>Jusqu'à ce que je n'y aie plus de femme,
+la France ne me sera rien.</i></p>
+
+<p>--C'est amer!</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Y a-t-il cela là-dedans?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Oui, madame.</p>
+
+<p>PREMIER GENTILHOMME.--Ce n'est peut-être qu'un écart
+de sa main auquel son coeur n'a pas consenti.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--<i>La France ne lui sera rien tant qu'il y
+aura une femme?</i> Il n'y a qu'elle seule qui soit trop
+bonne pour lui, et elle méritait un prince que vingt
+jeunes étourdis comme lui suivissent avec respect pour
+l'appeler à toute heure leur maîtresse.--Qui avait-il
+avec lui?</p>
+
+<p>PREMIER GENTILHOMME.--Un seul domestique et un gentilhomme
+que j'ai connu jadis.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Parolles, n'est-ce pas?</p>
+
+<p>PREMIER GENTILHOMME.--Oui, madame, c'est lui-même.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--C'est une âme corrompue et pleine de
+scélératesse. Mon fils, séduit par ses conseils, pervertit
+un coeur bien né.</p>
+
+<p>PREMIER GENTILHOMME.--En effet, madame, cet homme
+a bien de la scélératesse, trop, et cela l'oblige à en user.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Soyez les bienvenus, messieurs. Je vous
+prie, quand vous reverrez mon fils, de lui dire que son
+épée ne peut jamais acquérir autant d'honneur qu'il en
+a perdu. Je vais lui en écrire davantage, et je vous prierai
+de lui remettre ma lettre.</p>
+
+<p>SECOND GENTILHOMME.--Nous sommes prêts à vous servir,
+madame, en ceci et dans toutes vos affaires les plus
+importantes.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--A condition que nous ferons échange
+de politesses. Voulez-vous m'accompagner?</p>
+
+<p class="stage1">(La comtesse et les gentilshommes sortent.)</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--<i>Jusqu'à ce que je n'y aie plus de femme, la France
+ne me sera rien!</i>--La France ne lui sera rien tant qu'il aura
+une femme en France. Tu n'en auras plus, Roussillon;
+tu n'en auras plus en France. Reprends-y donc tout le
+reste. Pauvre comte! est-ce moi qui te chasses de ton
+pays et qui expose tes membres délicats aux chances de
+la guerre, qui n'épargne personne? Est-ce moi qui t'exile
+d'une cour charmante, où tu étais le point de mire des
+plus beaux yeux, pour t'exposer aux coups des mousquets
+fumants? O vous, messagers de plomb, qui volez
+rapidement sur des ailes de feu, détournez-vous et manquez
+votre but! Percez l'air invulnérable qui siffle quand
+on le perce, et ne touchez pas mon seigneur. Quiconque
+tire sur lui, c'est moi qui le dirige; quiconque avance le
+fer levé contre son sein intrépide, c'est moi, malheureuse,
+qui l'y excite. Et quoique ce ne soit pas moi qui
+le tue, je suis cependant la cause de sa mort. Il aurait
+mieux valu pour moi que je rencontrasse le lion féroce
+quand il rugit, pressé par la faim. Il aurait mieux valu
+que toutes les calamités qui assiègent la nature fussent
+tombées sur ma tête. Non, reviens dans ta patrie, Roussillon;
+quitte ces lieux, où l'honneur ne recueille du
+danger que des cicatrices et où souvent il perd tout. Je
+vais m'en aller. C'est parce que je suis ici que tu t'éloignes.
+Y resterais-je pour t'empêcher d'y revenir? Non,
+non; quand on respirerait chez toi l'air du paradis, et
+qu'on y serait servi par des anges, je m'en irais. Puisse
+la renommée, touchée de pitié, t'annoncer ma fuite pour
+te consoler! O nuit! viens; et toi, jour, hâte-toi de finir;
+car, pendant l'obscurité, je veux me dérober de ces lieux
+comme un pauvre voleur.</p>
+
+<p class="stage1">(Elle sort.)</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE III</h3>
+
+<p class="stage1">La scène est à Florence, devant le palais du duc.</p>
+
+<p class="stage1">Fanfares. LE DUC DE FLORENCE, BERTRAND,<br>
+Seigneurs, <i>officiers et soldats</i>.</p>
+
+<p>LE DUC.--Tu seras commandant de notre cavalerie;
+fort de nos espérances, nous t'accordons notre amitié
+et plaçons notre confiance dans les promesses de ta
+fortune.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Seigneur, c'est un fardeau trop pesant
+pour mes forces; cependant je m'efforcerai de le soutenir,
+pour l'amour de Votre Altesse, jusqu'à la dernière
+extrémité.</p>
+
+<p>LE DUC.--Pars donc, et que la fortune joue avec ton
+cimier comme une maîtresse propice!</p>
+
+<p>BERTRAND.--Ce jour même, ô puissant Mars! j'entre
+dans tes rangs. Rends-moi seulement égal à mes voeux,
+et je me montrerai amoureux de ton tambour et l'ennemi
+de l'amour!</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE IV</h3>
+
+<p class="stage1">Roussillon.--Appartement du palais de la comtesse.</p>
+
+<p class="stage1">LA COMTESSE, L'INTENDANT.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Hélas! et pourquoi avez-vous accepté
+d'elle cette lettre? Ne deviez-vous pas vous douter qu'elle
+allait faire ce qu'elle a fait, dès qu'elle m'envoyait une
+lettre? Relisez-la-moi encore.</p>
+
+<p>L'INTENDANT <i>lit.</i>--<i>Je vais en pèlerinage à Saint-Jacques.
+Un amour ambitieux m'a rendue criminelle. Pour expier
+mes fautes par un saint voeu, je veux marcher pieds nus sur
+la terre glacée. Écrivez, écrivez, afin que mon très-cher
+maître, votre fils, puisse se retirer de la sanglante carrière
+des combats. Bénissez son retour, et qu'il jouisse des douceurs
+de la paix, tandis que moi je bénirai de loin son nom
+par les plus ardentes prières. Dites-lui de me pardonner
+toutes les peines que je lui ai causées. C'est moi, sa fatale
+Junon, qui l'ai éloigné de ses amis de la cour pour l'envoyer
+vivre dans les camps ennemis, où le danger et la mort
+marchent sur les pas des braves. Il est trop bon et trop beau
+pour moi et pour la mort, que je vais chercher moi-même
+pour le laisser libre!</i></p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Ah! quels traits aigus percent dans ses
+plus douces paroles! Rinaldo, vous n'avez jamais tant
+manqué de réflexion qu'en la laissant partir ainsi. Si je
+lui avais parlé, je l'aurais bien détournée de ses projets,
+sur lesquels elle m'a prévenue.</p>
+
+<p>L'INTENDANT.--Pardonnez, madame; si je vous eusse
+donné la lettre hier au soir, on aurait pu rejoindre Hélène
+et cependant elle écrit que toute poursuite serait vaine.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Quel ange s'intéressera à cet indigne
+époux? Il ne peut prospérer, à moins que les prières de
+celle que le ciel se plaît à entendre et à exaucer ne le
+sauvent des vengeances de la justice suprême. Écris,
+écris, Rinaldo, à cet époux si indigne de son épouse. Que
+chaque mot soit plein de son mérite, qu'il pèse, lui,
+trop légèrement. Fais-lui sentir vivement mon extrême
+douleur, quoiqu'il y soit peu sensible. Dépêche vers lui
+le courrier le plus prompt. Peut-être, quand il apprendra
+qu'elle s'en est allée voudra-t-il revenir; et j'espère
+qu'aussitôt qu'elle apprendra son retour, elle hâtera
+aussi le sien dans ces lieux, conduite par le plus pur
+amour. Je ne puis démêler lequel des deux m'est le plus
+cher. Cherche le messager. J'ai un poids sur le coeur, et
+ma vieillesse est faible. Ma tristesse voudrait des larmes,
+et ma douleur me force de parler.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE V</h3>
+
+<p class="stage1">Hors des murs de Florence.</p>
+
+<p class="stage1">UNE VEUVE DE FLORENCE, DIANE, VIOLENTA,<br>
+MARIANA <i>et plusieurs citoyens. On entend au loin une musique<br>
+guerrière.</i></p>
+
+<p>LA VEUVE.--Allons, venez, car s'ils s'approchent de la
+ville; nous perdrons tout le coup d'oeil.</p>
+
+<p>DIANE.--On dit que le comte français nous a rendu les
+plus honorables services.</p>
+
+<p>LA VEUVE.--On rapporte qu'il a pris leur plus grand
+capitaine, et que de sa propre main il a tué le frère du
+duc. Nous avons perdu nos peines; ils ont pris un chemin
+opposé. Écoutez, vous pouvez en juger par leurs
+trompettes.</p>
+
+<p>MARIANA.--Allons, retournons-nous-en, et contentons-nous
+du récit qu'on nous en fera. Et vous, Diane, gardez-vous
+bien de ce comte français: l'honneur d'une
+fille est sa gloire, et il n'y a point d'héritage aussi riche
+que l'honnêteté.</p>
+
+<p>LA VEUVE.--J'ai raconté à ma voisine combien vous
+aviez été sollicitée par un gentilhomme de sa compagnie.</p>
+
+<p>MARIANA.--Je connais ce coquin; qu'il aille se pendre!
+Un certain Parolles, un infâme agent que le jeune comte
+emploie dans ses intrigues. Défie-toi d'eux, Diane; leurs
+promesses, leurs séductions, leurs serments, leurs présents,
+et tous ces engins de la débauche, ne sont point
+ce qu'on veut les faire croire. Plus d'une jeune fille a
+été séduite par là, et le malheur veut que l'exemple de
+tant de naufrages de la vertu ne saurait persuader celles
+qui viennent après, jusqu'à ce qu'elles soient prises au
+piége qui les menaçait. J'espère que je n'ai pas besoin
+de vous avertir davantage, car je suis persuadée que
+votre vertu vous conservera où vous êtes, quand même
+il n'y aurait d'autre danger à craindre que la perte de la
+modestie.</p>
+
+<p>DIANE.--Vous n'avez rien à craindre pour moi.</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Je l'espère. (<span class="stage2"><i>Hélène, en costume de pèlerine.</i></span>)
+--Regarde, voici une pèlerine. Je suis sûre qu'elle vient
+loger dans ma maison. Ils ont coutume de s'envoyer ici
+les uns les autres. Je veux la questionner.--Dieu vous
+garde, belle pèlerine! Où allez-vous?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--A Saint-Jacques-le-Grand. Enseignez-moi,
+je vous prie, où logent les pèlerins<a id="footnotetag27" name="footnotetag27"></a>
+<a href="#footnote27"><sup class="sml">27</sup></a>?</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote27"
+name="footnote27"><b>Note 27: </b></a><a href="#footnotetag27">
+(retour) </a> <i>Palmer</i>, nom dérivé de la branche de palmier que portaient
+les pèlerins de profession.</blockquote>
+
+<p>LA VEUVE.--A l'image Saint-François, ici près du port.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Est-ce là le chemin?</p>
+
+<p class="stage1">(On entend au loin une musique guerrière.)</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Oui, précisément. Entendez-vous? Ils
+viennent de ce côté. Si vous voulez attendre, sainte pèlerine,
+que les troupes soient passées, je vous conduirai
+à l'endroit où vous logerez, d'autant mieux que je crois
+connaître votre hôtesse aussi bien que moi-même.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Est-ce vous?</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Sous votre bon plaisir, pèlerine.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Je vous remercie, et j'attendrai ici votre loisir.</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Vous arrivez, je crois, de France?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--J'en arrive.</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Vous allez voir ici un de vos compatriotes
+qui a fait de grands exploits.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Quel est son nom, je vous prie?</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Le comte de Roussillon. Le connaissez-vous?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Seulement par ouï-dire. Je sais qu'il a une
+grande réputation; mais je ne connais pas sa figure.</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Quel qu'il soit, il passe ici pour un brave
+guerrier. Il s'est évadé de France, à ce qu'on dit, parce
+que le roi l'a marié contre son inclination. Croyez-vous
+que cela soit vrai?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Oui, sûrement; c'est la pure vérité; je connais
+sa femme.</p>
+
+<p>DIANE.--Il y a ici un gentilhomme au service du comte
+qui dit bien du mal d'elle.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Comment s'appelle-t-il?</p>
+
+<p>DIANE.--M. Parolles.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Oh! je crois comme lui qu'en fait de louange
+ou auprès du mérite du comte lui-même, son nom ne
+vaut pas la peine d'être cité. Tout son mérite est une
+vertu modeste, contre laquelle je n'ai entendu faire
+aucun reproche.</p>
+
+<p>DIANE.--Ah! la pauvre dame! C'est un rude esclavage
+que d'être la femme d'un époux qui nous déteste.</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Oui, c'est vrai, pauvre créature! En quelque
+lieu qu'elle soit, elle a un cruel poids sur le coeur.
+Si cette jeune fille voulait, il ne tiendrait qu'à elle de
+lui jouer un mauvais tour.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Que voulez-vous dire? Serait-ce que le
+comte, amoureux d'elle, la sollicite à une action illégitime?...</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Oui, c'est ce qu'il fait: il emploie tous les
+agents qui peuvent corrompre dans un pareil but le
+tendre coeur d'une jeune fille; mais elle est bien armée, et
+elle oppose à ses attaques la résistance la plus vertueuse.</p>
+
+<p class="stage1">(Bertrand, Parolles passent, suivis d'officiers et de soldats<br>
+florentins, avec des drapeaux et des tambours.)</p>
+
+<p>MARIANA.--Que les dieux la préservent de ce malheur!</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Les voilà; ils viennent. Celui-ci est Antonio,
+le fis aîné du duc: celui-là est Escalus.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Quel est donc le Français?</p>
+
+<p>DIANE.--Là, celui qui porte ces plumes. C'est un très-bel
+homme. Je voudrais bien qu'il aimât sa femme. S'il
+était plus honnête, il serait bien plus aimable. N'est-ce
+pas un beau jeune homme?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Il me plaît beaucoup.</p>
+
+<p>DIANE.--C'est bien dommage qu'il ne soit pas honnête.
+Voilà là-bas le vaurien qui l'entraîne à la débauche. Si
+j'étais la femme du comte, j'empoisonnerais ce vil
+scélérat.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Lequel est-ce?</p>
+
+<p>DIANE.--Eh! ce fat avec ses écharpes. Pourquoi donc
+a-t-il l'air si triste?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Il a peut-être été blessé au combat.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Perdre notre tambour!</p>
+
+<p>MARIANA.--Il est à coup sûr bien contrarié de quelque
+chose. Voyez, il nous a aperçues.</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Au diable! allez vous pendre!</p>
+
+<p>MARIANA.--Et pour la politesse, je lui souhaite le carcan
+autour du cou.</p>
+
+<p class="stage1">(Sortent Bertrand, Parolles, les officiers; etc.)</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Les troupes sont passées. Venez, pèlerine,
+je vous conduirai à l'endroit où vous logerez. Nous avons
+déjà à la maison quatre ou cinq pénitents qui ont fait
+voeu d'aller à Saint-Jacques.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Je vous remercie humblement. Je désirerais
+beaucoup que vous, madame, et votre aimable fille, vous
+voulussiez bien souper avec moi ce soir. Je me chargerai
+des frais et des remerciements; et pour vous témoigner
+davantage ma reconnaissance, je donnerai à cette
+jeune personne quelques conseils dignes d'attention.</p>
+
+<p>TOUTES DEUX ENSEMBLE.--Nous acceptons vos offres
+bien volontiers. <span class="stage2">(Elles sortent.)</span></p>
+<br>
+<h3>SCÈNE VI</h3>
+
+<p class="stage1">Le camp devant Florence.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> BERTRAND ET DEUX SEIGNEURS FRANÇAIS.</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR.--Je vous en conjure, mon cher
+comte, mettez-le à cette épreuve: laissez-lui faire sa
+volonté.</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Si Votre Seigneurie ne reconnaît
+pas qu'il est un lâche, ne m'honorez plus de votre
+estime.</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR.--Sur mon honneur, seigneur, c'est
+une bulle de savon.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Pensez-vous donc que je me trompe à ce
+point sur son compte?</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR.--Croyez ce que je vous dis, seigneur,
+d'après ma propre connaissance, et sans aucune
+malice, et avec la même vérité que si je vous parlais de
+mon parent. C'est un insigne poltron, un déterminé et
+éternel menteur, qui manque autant de fois à sa parole
+qu'il y a d'heures dans le jour: en un mot, n'ayant pas
+une seule bonne qualité pour mériter les bontés de Votre
+Seigneurie.</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Il serait bon que vous le connussiez,
+de peur que, vous reposant trop sur une valeur
+qu'il n'a point, il ne puisse, dans une affaire importante
+et de confiance, vous manquer au milieu du danger.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Je voudrais bien connaître quelque moyen
+de l'éprouver.</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Il n'y en a pas de meilleur que de
+le laisser aller chercher son tambour. Vous entendez
+avec quelle confiance il se vante d'en venir à bout.</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR.--Et moi, avec une troupe de Florentins,
+je veux le surprendre tout à coup. J'aurai des
+gens qu'il ne distinguera point des troupes ennemies.
+Nous le lierons, nous lui banderons les yeux, de sorte
+qu'il s'imaginera qu'on le conduit dans le camp ennemi,
+lorsque nous l'amènerons dans notre tente. Que Votre
+Seigneurie soit seulement présente à son interrogatoire;
+si, dans l'espoir de sauver sa vie, et par le sentiment de
+la plus lâche peur, il ne s'offre pas à vous trahir et à
+révéler tout ce qu'il peut savoir contre vous, et s'il ne
+l'affirme pas avec serment au péril éternel de son âme,
+n'ayez jamais, seigneur, la moindre confiance en mon
+jugement.</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Oh! seulement pour le plaisir de
+rire, laissez-le aller chercher son tambour. Il se vante
+d'avoir imaginé pour cela un stratagème. Lorsque Votre
+Seigneurie aura vu le fond de son coeur, et à quel vil
+métal se réduira ce lingot d'or prétendu, si vous ne lui
+infligez pas le traitement de Jean Tambour<a id="footnotetag28" name="footnotetag28"></a>
+<a href="#footnote28"><sup class="sml">28</sup></a>, votre inclination
+pour lui est inattaquable.--Le voici.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote28"
+name="footnote28"><b>Note 28: </b></a><a href="#footnotetag28">
+(retour) </a> Un vieil intermède imprimé en 1601, portait le nom du
+traitement fait à Jean Tambour, <i>Jack Drum</i>, et cette hospitalité
+consistait à ce qu'il paraît en coups et en injures.</blockquote>
+
+<p class="stage1">(Parolles entre.)</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR.--Oh! pour nous donner le plaisir
+de rire, ne l'empêchez pas d'accomplir son dessein.
+Laissez-le chercher son tambour comme il voudra.</p>
+
+<p>BERTRAND, <span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>.--Eh bien! comment vous trouvez-vous,
+monsieur? Le tambour vous tient donc bien
+fort au coeur?</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Et que diable! qu'il le laisse aller.
+Ce n'est qu'un tambour.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Qu'un tambour! N'est-ce qu'un tambour?
+un tambour ainsi perdu! Le beau commandement!
+charger les ailes de notre armée avec notre propre cavalerie,
+et enfoncer nos propres bataillons!</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--On ne doit point blâmer le général
+qui a commandé: c'est un de ces malheurs de la guerre
+que César lui-même n'aurait pu prévenir, s'il eût été là
+pour nous commander.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Nous n'avons cependant pas tant à nous
+plaindre de notre succès. Il est vrai qu'il y a quelque
+déshonneur à avoir perdu ce tambour; mais enfin, il n'y
+a plus de moyen de le ravoir.</p>
+
+<p>PAROLLES.--On aurait pu le ravoir.</p>
+
+<p>BERTRAND.--On l'aurait pu, mais on ne le peut pas
+à présent.</p>
+
+<p>PAROLLES.--On pourrait encore le ravoir. Si le mérite
+d'un service n'était pas si rarement attribué à celui qui
+l'a rendu, je l'aurais, ce tambour, lui ou un autre, ou
+bien <i>hic jacet</i>.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Mais si vous en avez envie, monsieur; si
+vous croyez avoir quelque bonne ruse qui puisse ramener
+dans son quartier naturel cet instrument d'honneur,
+eh bien! soyez assez généreux pour l'entreprendre. Allez
+en avant! je récompenserai cette tentative comme un
+exploit glorieux. Si vous réussissez, le duc en parlera, et
+vous payera ce service tout ce qu'il pourra valoir, et
+d'une manière convenable à sa grandeur.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Par le bras d'un guerrier, je l'entreprendrai.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Mais il faut à présent vous endormir là-dessus.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je veux m'en occuper dès ce soir; je vais
+écrire mes dilemmes, m'encourager dans ma certitude,
+faire mes apprêts homicides; et sur le minuit, attendez-vous
+à entendre parler de moi.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Puis-je hardiment annoncer à Son Altesse
+que vous êtes parti pour vous en occuper?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je ne sais pas encore quel sera le succès,
+seigneur: mais pour le tenter, je vous le jure.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Je sais que tu es brave; et je répondrais
+de la possibilité de ta valeur guerrière. Adieu.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je n'aime pas trop de paroles.</p>
+
+<p class="stage1">(Il sort.)</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR.--Non, pas plus que le poisson
+n'aime l'eau. Cet homme n'est-il pas bien singulier, seigneur,
+de paraître entreprendre avec tant de confiance
+une chose qu'il sait bien qu'on ne peut faire? Il se
+damne à jurer qu'il le fera, et il aimerait mieux être
+damné que de le faire.</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Vous ne le connaissez pas encore,
+seigneur, comme nous le connaissons. Il est bien vrai
+qu'il a le talent de s'insinuer dans les bonnes grâces
+de quelqu'un, et que pendant une semaine il saura
+échapper à bien des occasions de se découvrir; mais
+quand vous l'aurez une fois connu, ce sera pour toujours.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Quoi! vous pensez qu'il ne fera rien de
+tout ce qu'il s'est engagé si sérieusement à entreprendre?</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Rien au monde; mais il s'en
+reviendra avec une invention de sa tête, et il vous y
+flanquera deux ou trois mensonges plausibles. Mais
+nous avons déjà fatigué le cerf, et vous le verrez tomber
+cette nuit. En vérité, seigneur, il ne mérite pas vos
+bontés.</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR.--Nous vous amuserons un peu
+avec le renard, avant que de lui retourner la peau sur
+les oreilles. Il a déjà été enfumé par le vieux seigneur
+Lafeu. Quand on lui aura ôté son déguisement, vous me
+direz alors quel lâche coquin vous le trouverez, et cela
+pas plus tard que cette nuit.</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Il faut que j'aille tendre mes
+pièges: il y sera pris.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Et votre frère va venir avec moi.</p>
+
+<p>SECOND SEIGNEUR.--Si vous le trouvez bon, seigneur,
+je vais vous quitter.</p>
+
+<p class="stage1">(Il sort.)</p>
+
+<p>BERTRAND.--Je veux maintenant vous conduire dans
+la maison, et vous montrer la jeune fille dont je vous ai
+déjà parlé.</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR.--Mais vous me disiez qu'elle était
+honnête.</p>
+
+<p>BERTRAND.--C'est là son défaut; je ne lui ai encore
+parlé qu'une fois, et je l'ai trouvée extraordinairement
+froide: je lui ai envoyé, par ce même fat que nous
+avons sous le vent, des présents et des lettres qu'elle
+a renvoyés; et voilà tout ce que j'ai fait jusqu'ici. C'est
+une belle créature. Voulez-vous la venir voir?</p>
+
+<p>PREMIER SEIGNEUR.--De tout mon coeur, seigneur.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE VII</h3>
+
+<p class="stage1">Florence,--Une chambre dans la maison de la veuve.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> HÉLÈNE, LA VEUVE.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Si vous doutez encore que je sois sa femme,
+je ne sais plus comment vous donner d'autres preuves,
+à moins de détruire les fondements de mon entreprise.</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Quoique j'aie perdu ma fortune, je suis
+bien née, et je ne connais rien à ces sortes d'affaires, et
+je ne voudrais pas aujourd'hui ternir ma réputation par
+une action honteuse.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Je ne voudrais pas non plus vous y exposer.
+Croyez d'abord que le comte est mon époux, et que tout
+ce que je vous ai confié sous la foi du secret est vrai de
+point en point. D'après cela, vous voyez que vous ne
+pouvez faire un crime en me prêtant le bon secours que
+je vous demande.</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Il faut bien vous croire, car vous m'avez
+donné des preuves convaincantes que vous jouissez d'une
+grande fortune.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Prenez cette bourse d'or, et laissez-moi
+acheter à ce prix les secours de votre amitié, que je
+récompenserai encore quand je l'aurai éprouvée. Le
+comte courtise votre fille; il fait le siège libertin de sa
+beauté, résolu de s'en rendre maître. Qu'elle consente
+maintenant à se laisser diriger par nous sur la manière
+dont elle doit se conduire. Son sang bouillonne, et il ne
+lui refusera rien de ce qu'elle lui demandera. Le comte
+porte un anneau qui a passé dans sa maison de père en
+fils, depuis quatre ou cinq générations: cet anneau est
+d'un grand prix à ses yeux; mais dans son ardeur insensée
+pour obtenir ce qu'il veut, le sacrifice ne lui paraîtra
+pas trop grand, bien qu'il puisse s'en repentir ensuite.</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Je vois à présent le but que vous vous
+proposez.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Vous voyez donc combien il est légitime. Je
+désire seulement que votre fille lui demande cet anneau,
+avant de faire semblant de se rendre à ses instances;
+qu'elle lui assigne un rendez-vous; enfin qu'elle me
+laisse à sa place employer le temps pendant qu'elle sera
+chastement absente: et après j'ajouterai pour sa dot
+trois mille couronnes d'or à ce qui s'est déjà passé entre
+nous.</p>
+
+<p>LA VEUVE.--J'y consens. Instruisez maintenant ma
+fille de la manière dont elle doit se conduire pour que
+l'heure et le lieu, tout s'accorde dans cette innocente
+supercherie. Toutes les nuits il vient avec des instruments
+de toute espèce, et des chansons qu'il a composées
+pour son peu de mérite; il ne nous sert de rien de
+l'écarter de nos fenêtres; il s'obstine à y rester, comme
+si sa vie en dépendait.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Eh bien! dès ce soir il faut tenter notre stratagème.
+S'il réussit, ce sera une mauvaise intention
+attachée à une action légitime et une action vertueuse
+dans une action légitime; ni l'un ni l'autre ne pécheront:
+et cependant il y aura un péché de commis<a id="footnotetag29" name="footnotetag29"></a>
+<a href="#footnote29"><sup class="sml">29</sup></a>. Mais
+allons nous en occuper.</p>
+
+<p class="stage1">(Elles sortent.)</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote29"
+name="footnote29"><b>Note 29: </b></a><a href="#footnotetag29">
+(retour) </a> Un crime d'intention de la part de Bertrand.</blockquote>
+
+<p>FIN DU TROISIÈME ACTE.</p>
+<br><br><br>
+<h3>ACTE QUATRIÈME</h3>
+<br>
+<h3>SCÈNE I</h3>
+
+<p class="stage1">Aux alentours du camp florentin.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Un des</i> SEIGNEURS FRANÇAIS <i>entre sur la scène, suivi de<br>
+cinq ou six</i> SOLDATS <i>qui se mettent en embuscade</i>.</p>
+
+<p>LE CAPITAINE.--Il ne peut venir par d'autre chemin
+que par le coin de cette haie. Lorsque vous fondrez sur
+lui, servez-vous des termes les plus terribles que vous
+voudrez; quand vous ne vous entendriez pas vous-mêmes,
+peu importe; car il faut que nous fassions semblant
+de ne pas le comprendre, excepté un de nous, que
+nous produirons comme interprète.</p>
+
+<p>UN SOLDAT.--Mon bon capitaine, laissez-moi être l'interprète.</p>
+
+<p>LE CAPITAINE.--N'es-tu pas connu de lui? Ne connaît-il
+pas ta voix?</p>
+
+<p>LE SOLDAT.--Non, monsieur, je vous le garantis.</p>
+
+<p>LE CAPITAINE.--Mais quel jargon nous parleras-tu?</p>
+
+<p>LE SOLDAT.--Celui que vous me parlerez.</p>
+
+<p>LE CAPITAINE.--Il faut qu'il nous prenne pour quelque
+bande d'étrangers à la solde de l'ennemi. N'oublions pas
+qu'il a une teinture de tous les langages des pays voisins:
+ainsi, il faut que chacun de nous parle un jargon
+à sa fantaisie, sans savoir ce que nous nous dirons l'un à
+l'autre. Tout ce que nous devons bien savoir, c'est le
+projet que nous avons en tête. Croassement de corbeau,
+ou tout autre babil, sera bon de reste.--Quant à vous,
+monsieur l'interprète, il faut que vous sachiez bien dissimuler.--Mais,
+ventre à terre! le voici qui vient, pour
+passer deux heures à dormir, et retourner ensuite débiter
+et jurer les mensonges qu'il forge.</p>
+
+<p class="stage1">(Entre Parolles.)</p>
+
+<p>PAROLLES.--Dix heures! dans trois heures d'ici, il sera
+assez temps de retourner au quartier. Qu'est-ce que je
+dirai que j'ai fait? Il faut que ce soit quelque invention
+plausible pour se faire croire: on commence à me dépister,
+et les disgrâces ont dernièrement frappé trop souvent
+à ma porte. Je trouve que ma langue est trop téméraire:
+mais mon coeur a toujours devant les yeux la
+crainte de Mars et de ses enfants, et il ne soutient pas ce
+que hasarde ma langue.</p>
+
+<p>LE CAPITAINE, <span class="stage2"><i>à part</i></span>.--Voilà la première vérité dont
+ta langue se soit jamais rendue coupable.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Quel diable m'engageait à entreprendre la
+reprise de ce tambour, en connaissant l'impossibilité,
+et sachant que je n'en avais nulle envie?--Il faut que je
+me fasse moi-même quelques blessures, et que je dise
+que je les ai reçues dans l'action; mais de légères blessures
+ne suffiraient pas pour persuader. Ils diront: «Quoi!
+vous en êtes échappé à si bon marché?»--Et de grandes
+blessures, je n'ose pas me les faire. Pourquoi? quelle
+preuve aura-t-on?--Ma langue, il faut que je vous mette
+dans la bouche d'une marchande de beurre, et que j'en
+achète une autre à la mule de Bajazet<a id="footnotetag30" name="footnotetag30"></a>
+<a href="#footnote30"><sup class="sml">30</sup></a>, si votre babil me
+jette dans les dangers.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote30"
+name="footnote30"><b>Note 30: </b></a><a href="#footnotetag30">
+(retour) </a> Quelques-uns lisent <i>mute</i> pour traduire par muet du sérail.</blockquote>
+
+<p>LE CAPITAINE, <span class="stage2"><i>à part</i></span>.--Est-il possible qu'il sache ce
+qu'il est, et qu'il soit ce qu'il est?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je voudrais qu'il me suffît de mettre mon
+habit en lambeaux, ou de briser mon épée espagnole.</p>
+
+<p>LE CAPITAINE, <span class="stage2"><i>à part</i></span>.--Ce moyen ne peut pas aller.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Ou de griller ma barbe; et puis de dire
+que cela faisait partie du stratagème.</p>
+
+<p>LE CAPITAINE.--Cela ne vaut pas mieux.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Ou de noyer mes habits, et puis de dire
+que j'ai été dépouillé.</p>
+
+<p>LE CAPITAINE.--Cela ne peut guère servir.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Quand je jurerais que j'ai sauté par une
+fenêtre de la citadelle...</p>
+
+<p>LE CAPITAINE, <span class="stage2"><i>à part</i></span>.--De quelle hauteur?</p>
+
+<p>PAROLLES, <span class="stage2"><i>continuant</i></span>.--Trente brasses.</p>
+
+<p>LE CAPITAINE.--Trois gros serments auraient encore
+peine à persuader cela.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je voudrais avoir quelque tambour des
+ennemis, et alors je jurerais que c'est le même que j'ai
+repris.</p>
+
+<p>LE CAPITAINE, <span class="stage2"><i>à part</i></span>.--Tu vas en entendre retentir un
+tout à l'heure.</p>
+
+<p class="stage1">(Un tambour bat.)</p>
+
+<p>PAROLLES, <span class="stage2"><i>étonné</i></span>.--Un tambour des ennemis!</p>
+
+<p>LE CAPITAINE <span class="stage2"><i>fondant sur lui avec sa troupe</i></span>.--<i>Thraca
+movousus, cargo, cargo, cargo!</i></p>
+
+<p>TOUS ENSEMBLE.--<i>Cargo, cargo! villanda par corbo,
+cargo!</i></p>
+
+<p>PAROLLES.--Oh! rançon, rançon!--Ne me bandez pas
+les yeux.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils le saisissent et lui bandent les yeux.)</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--<i>Boskos thromuldo boskos.</i></p>
+
+<p>PAROLLES.--Oui, je sais que vous êtes du régiment de
+Muskos, et je perdrai la vie faute de savoir cette langue.
+S'il est parmi vous quelque Allemand, quelque Danois,
+quelque Bas-Hollandais, Italien ou Français, qu'il me
+parle; je lui découvrirai des secrets qui perdront les
+Florentins.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--<i>Boskos vauvado</i>... Je t'entends, et je
+puis parler ta langue. <i>Kerely bonto</i>: songe à ta religion;
+car dix-sept poignards sont pointés contre ton sein.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Oh!</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Oh! ta prière, ta prière!--<i>Mancha
+revania dulche.</i></p>
+
+<p>LE CAPITAINE.--<i>Oschorbi dulchos volivorca.</i></p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Le général veut bien t'épargner
+encore, et, les yeux ainsi bandés, il te fera conduire
+pour recueillir de toi tes secrets: peut-être pourras-tu
+apprendre quelque chose qui te sauvera la vie.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Oh! laissez-moi vivre et je vous dévoilerai
+tous les secrets du camp, leurs forces, leurs desseins:
+oui, je vous dirai des choses qui vous étonneront.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Mais le feras-tu fidèlement?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Si je ne le fais pas, que je sois damné!</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--<i>Acordo linta.</i> Avance; on te permet de
+marcher.</p>
+
+<p class="stage1">(Il sort avec Parolles.)</p>
+
+<p>LE CAPITAINE, <span class="stage2"><i>à l'un d'eux</i></span>.--Va dire au comte de Roussillon
+et à mon frère que nous avons pris la bécasse, et
+que nous la tiendrons enveloppée jusqu'à ce que nous
+ayons de leurs nouvelles.</p>
+
+<p>LE SOLDAT.--Capitaine, j'y vais.</p>
+
+<p>LE CAPITAINE.--Il nous trahira tous, en nous parlant
+à nous-mêmes.--Dis-leur cela.</p>
+
+<p>LE SOLDAT.--Je n'y manquerai pas, capitaine.</p>
+
+<p>LE CAPITAINE.--Jusqu'alors je le tiendrai dans les ténèbres,
+et bien enfermé.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE II</h3>
+
+<p class="stage1">Florence.--Appartement de la maison de la veuve.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> BERTRAND, DIANE.</p>
+
+<p>BERTRAND.--On m'a dit que votre nom était <i>Fontibel</i>.</p>
+
+<p>DIANE.--Non, mon brave seigneur, c'est <i>Diane</i>.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Vous portez le nom d'une déesse, et vous
+méritez mieux encore: mais, âme céleste, l'amour n'a-t-il
+aucune place dans votre belle personne? Si la vive
+flamme de la jeunesse n'échauffe pas votre coeur, vous
+n'êtes pas une jeune fille, mais une statue. Quand vous
+serez morte, vous serez ce que vous êtes à présent; car
+vous êtes froide et insensible, et à présent vous devriez
+être telle qu'était votre mère lorsque votre être charmant
+fut engendré.</p>
+
+<p>DIANE.--Elle ne cessa pas d'être honnête alors.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Vous le seriez aussi.</p>
+
+<p>DIANE.--Non; ma mère ne fit que remplir un devoir,
+le devoir, seigneur, que vous devez à votre épouse.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Ne parlons pas de cela.--Je vous en prie,
+ne luttez pas contre mes serments: j'ai été uni à elle par
+contrainte; mais vous, je vous aime par la douce contrainte
+de l'amour, et je vous rendrai toujours tous les
+services auxquels vous aurez droit.</p>
+
+<p>DIANE.--Oui, vous êtes à notre service jusqu'à ce que
+nous vous ayons servi; mais lorsqu'une fois vous avez
+nos roses, vous nous laissez seulement les épines pour
+nous déchirer, et vous insultez à notre stérilité.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Combien ai-je fait de serments!...</p>
+
+<p>DIANE.--Ce n'est pas le nombre des serments qui fait
+la vérité, mais un voeu simple et sincère fait avec vérité.
+Nous n'attestons jamais ce qui n'est pas sacré, mais
+nous jurons par le Très-Haut. Dites-moi, je vous prie, si
+je jurais par les attributs suprêmes de Jupiter que je
+vous aime tendrement, en croiriez-vous mes serments,
+quand je vous aimerais mal? Jurer à quelqu'un qu'on
+l'aime est un serment sans foi et sans solidité, lorsqu'on
+ne jure que pour lui faire un outrage. Ainsi vos serments
+ne sont que des paroles et de frivoles protestations
+qui ne portent aucun sceau, du moins suivant mon
+opinion.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Changez, changez d'opinion. Ne soyez pas
+si saintement cruelle: l'amour est saint, et jamais ma
+sincérité ne connut l'artifice dont vous accusez les
+hommes. Ne vous éloignez plus, mais rendez-vous au
+désir de mon coeur, qui se ranimera alors. Dites que
+vous êtes à moi, et ce qu'est mon amour au commencement,
+il le sera toujours.</p>
+
+<p>DIANE.--Je vois que les hommes, dans ces sortes de
+difficultés, fabriquent des cordes que nous laissons bientôt
+aller nous-mêmes.--Donnez-moi cet anneau.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Je vous le prêterai, ma chère; mais il
+n'est pas en mon pouvoir de le donner sans retour.</p>
+
+<p>DIANE.--Vous ne voulez pas me le donner, seigneur?</p>
+
+<p>BERTRAND.--C'est un gage d'honneur qui appartient à
+notre maison, et qui m'a été légué par de nombreux ancêtres:
+ce serait une grande honte pour moi dans le
+monde que de le perdre.</p>
+
+<p>DIANE.--Mon honneur ressemble à votre anneau: ma
+chasteté est le joyau de notre maison, qui m'a été transmis
+par de nombreux ancêtres, et ce serait une grande
+honte pour moi dans le monde que de le perdre: ainsi,
+votre propre prudence amène l'honneur pour me servir
+de champion contre vos vaines attaques.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Tenez, prenez mon anneau. Que ma maison,
+mon honneur, ma vie même soient à vous, et je
+vous serai soumis.</p>
+
+<p>DIANE.--Quand il sera minuit, frappez à la fenêtre de ma
+chambre. Je prendrai mes précautions pour que ma mère
+n'entende rien.--Maintenant je vous recommande, sous
+la foi sacrée de la vérité, lorsque vous aurez conquis
+mon lit encore vierge, de n'y rester qu'une heure et de
+ne pas me parler. J'en ai les plus fortes raisons; vous
+les saurez ensuite, lorsque cette bague vous sera rendue;
+et dans la nuit je mettrai à votre doigt un autre anneau
+qui, dans la suite des temps, pourra attester à l'avenir
+notre union passée. Adieu, jusqu'alors: n'y manquez
+pas. Vous avez conquis en moi une épouse, quoique
+toutes mes espérances de ce côté soient perdues.</p>
+
+<p>BERTRAND.--J'ai conquis le ciel sur la terre en vous
+recherchant.</p>
+
+<p class="stage1">(Il sort.)</p>
+
+<p>DIANE.--Puisses-tu vivre longtemps pour remercier le
+ciel et moi! tu pourrais bien finir par là.--Ma mère
+m'avait instruite de la manière dont il me ferait sa cour,
+comme si elle eût été dans son coeur: elle dit que tous
+les hommes font les mêmes serments: il avait juré de
+m'épouser quand sa femme serait morte, et moi je coucherai
+avec lui quand je serai ensevelie. Puisque les
+Français sont si trompeurs, se marie qui voudra; je
+veux vivre et mourir vierge; et je ne crois pas que ce
+soit un péché de tromper, sous ce déguisement, un
+homme qui voulait me séduire.</p>
+
+<p class="stage1">(Elle sort.)</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE III</h3>
+
+<p class="stage1">Le camp florentin.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> LES DEUX SEIGNEURS FRANÇAIS, <i>avec<br>
+deux ou trois soldats</i>.</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--Vous ne lui avez pas donné la
+lettre de sa mère?</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Je la lui ai remise il y a une heure:
+il y a dedans quelque chose qui a fait une vive impression
+sur son âme, car en la lisant il est presque devenu
+tout d'un coup un autre homme.</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--Il s'est attiré un juste blâme en
+repoussant une si bonne femme, une si aimable dame.</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Il a surtout encouru la disgrâce
+éternelle du roi, dont la générosité eût fait si volontiers
+son bonheur<a id="footnotetag31" name="footnotetag31"></a>
+<a href="#footnote31"><sup class="sml">31</sup></a>. Je vous dirai quelque chose, mais vous
+la tiendrez secrète.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote31"
+name="footnote31"><b>Note 31: </b></a><a href="#footnotetag31">
+(retour) </a> <i>Who had ever tuned his bounty to sing happiness to him.</i> Mot
+à mot: «Qui avait mis pour lui sa bonté sur l'air du bonheur.»</blockquote>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--Quand vous l'aurez dite, elle est
+morte, et j'en suis le tombeau.</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Il a séduit ici, dans Florence, une
+jeune demoiselle de très-chaste renommée, et cette nuit
+même il assouvit sa passion sur les ruines de son honneur:
+il lui a donné son anneau de famille, et il se croit
+heureux d'avoir réussi dans ce pacte coupable.</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--Que Dieu diffère notre révolte! Ce
+que nous sommes quand nous sommes abandonnés à
+nous-mêmes!</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--De vrais traîtres à nous-mêmes. Et
+comme dans le cours ordinaire de toutes les trahisons,
+nous les voyons toujours se révéler elles-mêmes à mesure
+qu'elles avancent vers leur infâme but; c'est ainsi
+que celui qui, par cette action, conspire contre son
+propre honneur, laisse déborder lui-même le torrent.</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--N'est-ce pas un crime damnable
+d'être les hérauts de nos desseins criminels?--Nous
+n'aurons donc pas sa compagnie ce soir?</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Non, jusqu'après minuit, car sa ration
+est d'une heure.</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--Elle s'avance à grands pas.--Je
+voudrais bien qu'il entendît anatomiser son compagnon,
+afin qu'il pût avoir la mesure de son jugement, où il
+avait si précieusement établi cette fausse monnaie.</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Nous ne nous occuperons pas de lui
+jusqu'à ce qu'il vienne, car sa présence doit être le jouet
+de l'autre.</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--En attendant, qu'entendez-vous
+dire de cette guerre?</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--J'entends dire qu'il y a une ouverture
+de paix.</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--Et même, je vous l'assure, une paix
+conclue.</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Que va donc faire le comte de Roussillon?
+Voyagera-t-il, ou retournera-t-il en France?</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--Je vois bien par cette question que
+vous n'êtes pas dans sa confidence.</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Dieu m'en préserve, monsieur! car
+alors j'aurais grande part à ses actions.</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--Sa femme, il y a environ deux
+mois, a fui sa maison: son prétexte était d'aller faire un
+pèlerinage à Saint-Jacques-le-Grand; elle a accompli
+cette religieuse entreprise avec la piété la plus austère;
+la sensibilité de sa nature est devenue la proie de son
+chagrin; enfin, elle y a rendu les derniers soupirs, et
+maintenant elle chante dans le ciel.</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Sur quoi cette nouvelle est-elle appuyée?</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--En grande partie sur ses propres
+lettres, qui garantissent la vérité du récit jusqu'à l'instant
+de sa mort; et sa mort, qu'elle ne pouvait pas annoncer
+elle-même, est fidèlement confirmée par le curé du lieu.</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Le comte est-il instruit de cet événement?</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--Oui; et dans toutes ses particularités,
+de point en point, jusqu'à la plus parfaite certitude
+de la vérité.</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Je suis bien fâché qu'il soit joyeux
+de cela.</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--Comme nous nous empressons
+quelquefois de nous réjouir de nos pertes!</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Et comme nous nous empressons
+d'autres fois de noyer nos gains dans les larmes! L'honneur
+distingué que sa valeur s'est acquis ici va être accueilli
+dans sa patrie par une honte aussi grande.</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--La trame de notre vie est un tissu
+de bien et de mal: nos vertus seraient trop fières si nos
+fautes ne les châtiaient, et nos crimes seraient au désespoir
+s'ils n'étaient consolés par nos vertus.--Eh bien!
+où est votre maître?</p>
+
+<p>LE DOMESTIQUE.--Dans la rue il a rencontré le duc,
+dont il a pris solennellement congé: Sa Seigneurie va
+partir demain matin pour la France. Le duc lui a offert
+des lettres de recommandation pour le roi.</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Elles ne sont rien moins que nécessaires,
+quand la recommandation serait encore plus
+forte qu'elle ne peut l'être.</p>
+
+<p class="stage1">(Entre Bertrand.)</p>
+
+<p>LE PREMIER OFFICIER, <i>répondant à l'autre</i>.--En effet,
+elles ne peuvent être trop flatteuses pour adoucir l'aigreur
+du roi.--Voici le comte qui s'avance.--Eh bien!
+comte, ne sommes-nous pas après minuit?</p>
+
+<p>BERTRAND.--J'ai, cette nuit, expédié seize affaires d'un
+mois de travail chacune, dont j'ai abrégé le succès: j'ai
+pris congé du duc, fait mes adieux à ses parents, enterré
+une femme, pris le deuil pour elle, écrit à madame ma
+mère que je reviens, préparé mes équipages et ma suite;
+et, entre les intervalles de ces diverses expéditions, j'ai
+pourvu à d'autres affaires plus délicates: la dernière
+était la plus importante, mais elle n'est pas encore finie.</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Si l'affaire présente quelque difficulté
+et que vous partiez d'ici ce matin, il faudra que
+Votre Seigneurie use de diligence.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Je dis que l'affaire n'est pas finie, parce
+que j'ai quelque peur d'en entendre parler dans la suite.
+--Mais aurons-nous ce dialogue entre ce faquin et le
+soldat?--Allons, faites paraître devant nous ce prétendu
+modèle: il m'a trompé, comme un oracle à double sens.</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Qu'on l'amène. (<span class="stage2"><i>Les soldats sortent.</i></span>)
+Le pauvre malheureux a passé toute la nuit dans les
+ceps.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Il n'y a pas de mal à cela: ses talons
+l'ont bien mérité, pour avoir usurpé si longtemps les
+éperons<a id="footnotetag32" name="footnotetag32"></a>
+<a href="#footnote32"><sup class="sml">32</sup></a>. Comment se comporte-t-il?</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote32"
+name="footnote32"><b>Note 32: </b></a><a href="#footnotetag32">
+(retour) </a> On sait que les éperons étaient un des signes distinctifs du
+chevalier.</blockquote>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--J'ai déjà eu l'honneur de dire à
+Votre Seigneurie que ce sont les ceps qui le portent:
+mais, pour vous répondre dans le sens que vous entendez,
+il pleure comme une fille qui a répandu son lait; il
+s'est confessé à Morgan, qu'il croit être un religieux, depuis
+la première lueur de sa mémoire jusqu'à l'instant
+fatal où il a été mis dans les ceps. Et que croyez-vous
+qu'il a confessé?</p>
+
+<p>BERTRAND.--Rien qui me concerne, n'est-ce pas?</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--On a écrit sa confession, et on la
+lira devant lui. Si Votre Seigneurie s'y rencontre,
+comme je le crois, il faut que vous ayez la patience de
+l'entendre.</p>
+
+<p class="stage1">(Les soldats entrent conduisant Parolles les yeux bandés.)</p>
+
+<p>BERTRAND.--Que la peste l'étouffé! Comme il est affublé!--Il
+ne peut rien dire de moi. Silence, silence!</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--Voilà le colin-maillard qui vient.
+(<span class="stage2"><i>Haut.</i></span>) <i>Porto tartarossa.</i></p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE, <span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>.--Le général demande les
+instruments de torture. Que voulez-vous dire dans cela?</p>
+
+<p>PAROLLES.--J'avouerai tout ce que je sais, sans qu'il
+soit besoin de contrainte. Quand vous me hacheriez
+comme chair à pâté, je ne pourrais rien dire de plus.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--<i>Bosko chicurmurco.</i></p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--<i>Boblibindo chicurmurco.</i></p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE, <span class="stage2"><i>à l'officier</i></span>.--Vous êtes un général miséricordieux.
+(<span class="stage2"><i>A Parolles.</i></span>) Notre général vous ordonne de
+répondre à ce que je vais vous demander, d'après cet
+écrit.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Et j'y répondrai avec vérité, comme j'espère
+vivre.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE, <span class="stage2"><i>lisant un interrogatoire par écrit</i></span>.--<i>D'abord
+lui demander quelle est la force du duc en fait de chevaux.</i>
+Que répondez-vous à cela?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Cinq ou six mille chevaux environ, mais
+affaiblis et hors de service: les troupes sont toutes dispersées,
+et les chefs sont de pauvres hères: c'est ce que
+je certifie sur ma réputation, et sur mon espoir de vivre.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Coucherai-je par écrit votre réponse?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Oui, et j'en ferai serment comme il vous
+plaira.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Oh! cela lui est bien égal! (<i>A part.</i>) Quel
+misérable poltron!</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER, <span class="stage2"><i>à Bertrand, avec ironie</i></span>.--Vous vous
+trompez, seigneur. C'est monsieur Parolles; ce brave
+militaire (c'était là sa phrase ordinaire) qui portait toute
+la théorie de la guerre dans le noeud de son écharpe, et
+toute la pratique dans le fourreau de son poignard.</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Je ne me fierai jamais à un homme,
+parce qu'il aura soin de tenir son épée luisante; ni ne
+croirai qu'il possède tous les mérites, parce qu'il porte
+bien son uniforme.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE, <span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>.--Allons, la réponse est écrite.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Oui, cinq ou six mille chevaux environ,
+comme je l'ai dit.--Je veux dire le nombre juste, ou à
+peu de chose près. Écrivez-le;--car je veux dire la vérité.</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--Il approche de la vérité là-dessus.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Mais, vu la manière dont il le dit, je ne
+choisirai pas mes mots pour l'en remercier, vu la
+manière dont il l'a dit.</p>
+
+<p>PAROLLES.--De pauvres hères: je vous prie, écrivez-le.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Bon; cela est écrit.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je vous en remercie bien. La vérité est la
+vérité. Ce sont de bien pauvres hères!</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE, <span class="stage2"><i>lisant</i></span>.--<i>Lui demander quelle est la force
+de son infanterie.</i> (<span class="stage2"><i>A Parolles.</i></span>) Que dites-vous de cela?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Sur ma foi, monsieur, quand je n'aurais
+plus que cette heure à vivre, je dirai la vérité.--Voyons.
+Spurio, cent cinquante; Sébastien, autant; Corambus
+autant; Guiltian, Cosmo, Lodovick, et Gratii, deux cent
+cinquante chacun; ma compagnie, Chitopher, Vaumont,
+Bentii, chacun deux cent cinquante; en sorte que toute
+la troupe, tant sains que malades, ne monte pas, sur ma
+vie, à quinze mille hommes: et il y en a la moitié qui
+n'oseraient pas secouer la neige de leur pourpoint, de
+crainte de tomber eux-mêmes en morceaux.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Que lui fera-t-on?</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER, <span class="stage2"><i>à Bertrand</i></span>.--Rien autre chose que
+de le remercier. (<span class="stage2"><i>A l'interprète.</i></span>) Interrogez-le sur mon
+état, et sur le crédit dont je jouis près du duc.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE, <span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>.--Allons; cela est écrit.
+(<span class="stage2"><i>Lisant.</i>)</span> <i>Vous lui demanderez encore s'il y a dans le camp
+un certain capitaine Dumaine, un Français: quelle est sa
+réputation auprès du duc; quelles sont sa valeur, sa probité,
+et son expérience dans la guerre; ou s'il ne croit pas
+qu'il fût possible avec de bonnes sommes d'or de le corrompre
+et de l'engager à la révolte.</i> (<span class="stage2"><i>A Parolles.</i></span>) Que dites-vous
+de ceci? Qu'en savez-vous?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je vous en conjure, laissez-moi répondre
+en détail à ces questions: faites-moi les demandes séparément.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Connaissez-vous ce capitaine Dumaine?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je le connais: il était apprenti boucher à
+Paris, d'où il a été chassé à coups de fouet pour avoir
+donné un enfant à la servante du shérif<a id="footnotetag33" name="footnotetag33"></a>
+<a href="#footnote33"><sup class="sml">33</sup></a>, une pauvre
+innocente, muette, qui ne pouvait lui dire <i>non</i>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote33"
+name="footnote33"><b>Note 33: </b></a><a href="#footnotetag33">
+(retour) </a> Shakspeare place un shérif à Paris; mais shérif veut dire ici
+prévôt.</blockquote>
+
+<p class="stage1">(Dumaine, en colère, lève la main.)</p>
+
+<p>BERTRAND.--Allons, avec votre permission, tenez vos
+mains;--quoique je sache bien que sa cervelle soit
+vouée à la première tuile qui tombera.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Ce capitaine est-il dans le camp du duc
+de Florence?</p>
+
+<p>PAROLLES.--A ma connaissance, il y est: c'est un
+pouilleux.</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER, <span class="stage2"><i>à Bertrand qui le regarde</i></span>.--Allons,
+ne me considérez pas tant; nous entendrons parler tout
+à l'heure de Votre Seigneurie.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Quel cas en fait le duc?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Le duc ne le connaît que pour un de mes
+mauvais officiers, et il m'écrivit l'autre jour de le renvoyer
+de la troupe: je crois que j'ai sa lettre dans ma
+poche.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Ma foi, nous allons l'y chercher.</p>
+
+<p>PAROLLES.--En conscience je ne sais pas: mais ou elle
+y est, ou elle est enfilée avec les autres lettres du duc,
+dans ma tente.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE <span class="stage2"><i>le fouillant</i></span>.--La voici: voici un papier:
+vous le lirai-je?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je ne sais pas si c'est cela, ou non.</p>
+
+<p>BERTRAND, <span class="stage2"><i>à demi-voix</i></span>.--Notre interprète fait bien son
+rôle.</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--A merveille.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE <i>lisant</i>.--<i>Diane.--Le comte est un fou, et
+chargé d'or...</i></p>
+
+<p>PAROLLES.--Ce n'est pas la lettre du duc, monsieur:
+c'est un avertissement à une honnête fille de Florence,
+nommée Diane, de se défier des séductions d'un certain
+comte de Roussillon, un jeune et frivole étourdi, mais
+avec tout cela fort débauché.--Je vous en prie, monsieur,
+remettez cela dans ma poche.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Non: il faut d'abord que je le lise,
+avec votre permission.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Mes intentions là-dedans, je le proteste,
+étaient fort honnêtes en faveur de cette jeune fille; car
+je connais le comte pour un jeune suborneur très-dangereux:
+c'est une baleine pour les vierges, qui dévore
+tout le fretin qu'elle rencontre.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Maudit scélérat! double scélérat!</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE <span class="stage2"><i>lit la note</i></span>.--«Quand il prodigue les serments,
+dites-lui de laisser tomber de l'or, et prenez-le.
+Dès qu'il porte en compte, il ne paye jamais le compte.
+Un marché bien fait est à demi-gagné; faites donc un
+marché, et faites-le bien. Jamais il ne paye ses arriérés;
+faites-vous payer d'avance, et dites, Diane, qu'un
+soldat vous a dit cela. Il faut épouser les hommes,
+il ne faut pas embrasser les garçons; car comptez
+bien que le comte est étourdi: je sais, moi, qu'il
+payera bien d'avance, mais non pas quand il devra.
+Tout à vous, comme il vous le jurait à l'oreille.</p>
+
+<p class="mid">«Parolles.»</p>
+
+<p>BERTRAND.--Je veux qu'il soit fustigé à travers les
+rangs de l'armée, avec cet écrit sur le front.</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER, <span class="stage2"><i>avec ironie</i></span>.--C'est votre ami dévoué,
+monsieur, ce savant polyglotte<a id="footnotetag34" name="footnotetag34"></a>
+<a href="#footnote34"><sup class="sml">34</sup></a>, ce soldat si puissant
+par les armes.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote34"
+name="footnote34"><b>Note 34: </b></a><a href="#footnotetag34">
+(retour) </a> <i>Linguist.</i></blockquote>
+
+<p>BERTRAND.--Je pouvais tout endurer auparavant, hormis
+un chat; et maintenant il est un chat pour moi.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE, <span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>.--Je m'aperçois, monsieur,
+aux regards de notre général, que nous aurions envie de
+vous pendre.</p>
+
+<p>PAROLLES.--La vie, monsieur, à quelque prix que ce
+soit; non pas que j'aie peur de mourir, mais uniquement
+parce que mes péchés étant en grand nombre, je
+voudrais m'en repentir le reste de mes jours. Laissez-moi
+vivre, monsieur, dans une prison, dans les fers, ou
+partout ailleurs, pourvu que je vive.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Nous verrons ce qu'il y aura à faire,
+pourvu que vos aveux soient francs: ainsi, revenons à ce
+capitaine Dumaine: vous avez déjà répondu sur l'opinion
+qu'en avait le duc, sur sa valeur aussi: et sa probité,
+qu'en dites-vous?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Monsieur, il volerait un oeuf dans une
+abbaye<a id="footnotetag35" name="footnotetag35"></a>
+<a href="#footnote35"><sup class="sml">35</sup></a>: pour les rapts et les enlèvements, il égale Nessus.
+Il fait profession de manquer à ses serments; et
+pour les rompre, il est plus fort qu'Hercule. Il vous mentira,
+monsieur, avec une si prodigieuse volubilité, qu'il
+vous ferait prendre la vérité pour une folle. L'ivrognerie
+est sa plus grande vertu; car il boira jusqu'à s'enivrer
+comme un porc; et dans son sommeil il ne fait
+guère de mal, si ce n'est aux draps qui l'enveloppent:
+mais on connaît ses habitudes, et on le couche sur la
+paille. Il me reste bien peu de chose à ajouter, monsieur,
+sur l'honnêteté, il a tout ce qu'un honnête
+homme ne doit pas avoir, et rien de ce que doit avoir un
+honnête homme.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote35"
+name="footnote35"><b>Note 35: </b></a><a href="#footnotetag35">
+(retour) </a> C'est-à-dire, il se ferait pendre pour un liard.</blockquote>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--Je commence à l'aimer pour ce
+qu'il dit de moi.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Pour cette description de votre honnêteté?
+Que la peste l'étouffe pour ce qui me concerne, moi!
+Il devient de plus en plus un chat!</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE, <span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>.--Que dites-vous de son expérience
+dans la guerre?</p>
+
+<p>PAROLLES.--En conscience, monsieur, il a battu le
+tambour devant les tragédiens anglais. Le calomnier, je
+ne le veux pas. Et je n'en sais pas davantage sur sa
+science militaire, excepté que dans ce pays-là il a eu
+l'honneur d'être officier dans un endroit qu'on appelle
+<i>Mile-end</i><a id="footnotetag36" name="footnotetag36"></a>
+<a href="#footnote36"><sup class="sml">36</sup></a>, avec l'emploi d'apprendre à doubler les files<a id="footnotetag37" name="footnotetag37"></a>
+<a href="#footnote37"><sup class="sml">37</sup></a>.
+Je voudrais lui faire tout l'honneur que je puis, mais je
+ne suis pas certain de ce fait.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote36"
+name="footnote36"><b>Note 36: </b></a><a href="#footnotetag36">
+(retour) </a> Hôpital et manufacture de Londres.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote37"
+name="footnote37"><b>Note 37: </b></a><a href="#footnotetag37">
+(retour) </a> Équivoque sur <i>file</i>, fil d'archal et file de soldats.</blockquote>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--Il dépasse tellement la scélératesse
+ordinaire, que son caractère se rachète par la rareté.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Que la peste l'étrangle! c'est toujours un
+chat.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE, <span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>.--Puisque vous faites si peu
+de cas de ses qualités, je n'ai pas besoin de vous demander
+si l'or pourrait le débaucher?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Monsieur, pour un quart d'écu il vendra
+sa part de salut et son droit d'héritage dans le ciel; il
+renoncera à la substitution pour tous ses descendants et
+l'aliénera à perpétuité sans retour.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Et son frère, l'autre capitaine Dumaine?</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Pourquoi le questionne-t-il sur mon
+compte?</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Répondez: qu'est-il?</p>
+
+<p>PAROLLES.--C'est un corbeau du même nid. Il n'est
+pas tout à fait aussi grand que l'autre en bonté, mais il
+l'est bien plus en méchanceté. Il surpasse son frère en
+lâcheté, et cependant son frère passe pour un des plus
+grands poltrons qu'il y ait; dans une retraite, il court
+mieux que le moindre valet; mais, ma foi, quand il faut
+charger, il est sujet aux crampes.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Si l'on vous fait grâce de la vie, entreprendrez-vous
+de trahir le Florentin?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Oui, et le capitaine de sa cavalerie aussi,
+le comte de Roussillon.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Je vais le dire à l'oreille du général et
+savoir ses intentions.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je ne veux plus entendre de tambours:
+malédiction sur tous les tambours! C'était uniquement
+pour paraître rendre un service et pour en imposer à ce
+jeune débauché de comte que je me suis jeté dans le péril;
+et cependant qui aurait jamais soupçonné une embuscade
+là où j'ai été pris?</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE, <span class="stage2"><i>revenant à lui comme avec la réponse du
+général</i></span>.--Il n'y a point de remède, monsieur: il vous
+faut mourir. Le général dit que vous, qui avez si lâchement
+dévoilé les secrets de votre armée et fait de si
+indignes portraits d'officiers qui jouissent de la plus
+haute estime, vous n'êtes bon à rien dans le monde:
+ainsi il vous faut mourir. Allons, bourreau, abats-lui la
+tête.</p>
+
+<p>PAROLLES.--O mon Dieu! monsieur, laissez-moi la vie,
+ou laissez-moi du moins voir ma mort.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Vous allez la voir; et faites vos adieux
+à tous vos amis. (<span class="stage2"><i>Il lui ôte son bandeau.</i></span>) Tenez, regardez
+autour de vous. Connaissez-vous quelqu'un ici?</p>
+
+<p>BERTRAND.--Bonjour, brave capitaine.</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Dieu vous bénisse, capitaine Parolles!</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--Dieu soit avec vous, noble capitaine!</p>
+
+<p>SECOND OFFICIER.--Capitaine, de quoi me chargez-vous
+pour le seigneur Lafeu? Je pars pour la France.</p>
+
+<p>PREMIER OFFICIER.--Digne capitaine, voulez-vous me
+donner une copie de ce sonnet que vous avez adressé à
+Diane en faveur du comte de Roussillon? Si je n'étais
+pas un poltron, je vous y forcerais: mais adieu, portez-vous
+bien.</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Vous êtes perdu, capitaine: il n'y a
+plus rien en vous qui tienne encore que votre écharpe.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Qui pourrait ne pas succomber sous un
+complot?</p>
+
+<p>L'INTERPRÈTE.--Si vous pouviez trouver un pays où il
+n'y eût que des femmes aussi déshonorées que vous,
+vous pourriez commencer une nation bien impudente.
+Adieu, je pars pour la France aussi; nous y parlerons
+de vous.</p>
+
+<p class="stage1">(Ils sortent.)</p>
+
+<p>PAROLLES.--Eh bien! je suis encore reconnaissant. Si
+mon coeur était fier, il se briserait à cette aventure.--Je
+ne serai plus capitaine; mais je veux manger et boire
+et dormir aussi à mon aise qu'un capitaine. Ce que je
+suis encore me fera vivre. Que celui qui se connaît pour
+un fanfaron tremble à ce dénoûment, car il arrivera que
+tout fanfaron sera convaincu à la fin d'être un âne. Va
+te rouiller, mon épée; ne rougissez plus, mes joues; et
+toi, Parolles, vis en sûreté dans ta honte. Puisque tu es
+dupé, prospère par la duperie; il y a de la place et des
+ressources pour tout le monde, je vais les chercher.</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE IV</h3>
+
+<p class="stage1">A Florence.--Une chambre dans la maison de la veuve.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> HÉLÈNE, LA VEUVE, DIANE.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Afin de vous convaincre que je ne vous ai
+pas fait d'injure, un des plus grands princes du monde
+chrétien sera ma caution; il faut nécessairement qu'avant
+d'accomplir mes desseins je me prosterne devant
+son trône. Il fut un temps où je lui rendis un service
+important, presque aussi cher que sa vie; un service,
+dont la reconnaissance pénétrerait le sein de pierre du
+Tartare même pour en faire sortir des remerciements.
+Je suis informée que Sa Majesté est à Marseille, et
+nous avons un cortége convenable pour nous conduire
+dans cette ville. Il faut que vous sachiez que l'on me
+croit morte. L'armée étant licenciée, mon mari retourne
+chez lui, et, avec le secours du ciel et l'agrément du
+roi mon bon maître, nous y serons rendues avant notre
+hôte.</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Douce dame, jamais vous n'avez eu de serviteur
+qui se soit chargé avec plus de zèle de vos affaires.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Ni vous, madame, n'avez eu d'ami dont les
+pensées travaillent avec plus d'ardeur à récompenser
+votre affection: ne doutez pas que le ciel ne m'ait conduite
+chez vous pour assurer la dot de votre fille, comme
+il l'a destinée à être mon appui et mon moyen pour gagner
+mon mari. Mais que les hommes sont étranges de
+pouvoir user avec tant de plaisir de ce qu'ils détestent,
+lorsque, se fiant imprudemment à leurs pensées déçues,
+ils souillent la nuit sombre! Ainsi, la débauche se repaît
+de l'objet de ses dégoûts à la place de ce qui est absent.
+Mais nous parlerons plus tard de cela.--Vous, Diane, il
+vous faudra souffrir encore pour moi quelque chose,
+sous là direction de mes faibles instructions.</p>
+
+<p>DIANE.--Que l'honneur et la mort s'accordent ensemble
+dans ce que vous m'imposerez, et je suis à vous pour
+souffrir ce que vous voudrez.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Cependant je vous prie... Mais bientôt le
+temps amènera la saison de l'été, où les églantiers auront
+des feuilles aussi bien que des épines, et seront
+aussi charmants qu'ils sont piquants. Il faut que nous
+partions; notre voiture est prête, et le temps nous
+presse. <i>Tout va bien qui finit bien.</i> La fin est la couronne
+des entreprises; quelle que soit la carrière, c'est la fin qui
+en décide la gloire.</p>
+
+<p class="stage1">(Elles sortent.)</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE V</h3>
+
+<p class="stage1">En Roussillon.--Appartement dans le palais de la comtesse.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> LA COMTESSE, LAFEU, LE BOUFFON.</p>
+
+<p>LAFEU.--Non, non; votre fils a été égaré par un faquin
+en taffetas, dont l'infâme safran vous teindrait de cette
+couleur toute la molle et flexible jeunesse d'une nation.
+Sans ceci, votre belle-fille vivrait encore, et votre fils,
+qui est ici en France, serait bien plus avancé par le roi
+sans ce bourdon à queue bigarrée.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Je voudrais bien ne l'avoir jamais connu,
+il a tué la plus vertueuse femme dont la création ait fait
+l'honneur à la nature. Quand elle aurait été de mon sang
+et qu'elle m'eût coûté les tendres gémissements d'une
+mère, jamais ma tendresse pour elle n'eût pu être plus
+profonde.</p>
+
+<p>LAFEU.--C'était une bonne dame: nous pouvons bien
+cueillir mille salades avant d'y retrouver une herbe
+pareille.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Oh! oui, monsieur; elle était ce qu'est
+la douce marjolaine dans une salade, ou plutôt l'<i>herbe
+de grâce</i><a id="footnotetag38" name="footnotetag38"></a>
+<a href="#footnote38"><sup class="sml">38</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote38"
+name="footnote38"><b>Note 38: </b></a><a href="#footnotetag38">
+(retour) </a> <i>La rue.</i></blockquote>
+
+<p>LAFEU.--Ce ne sont pas là des herbes à salade, faquin,
+ce sont dès herbes pour le nez.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Je ne suis pas un grand Nabuchodonosor,
+monsieur; je ne me connais pas beaucoup en
+herbes.</p>
+
+<p>LAFEU.--Qui fais-tu profession d'être? coquin ou fou?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Fou, monsieur, au service d'une femme,
+et coquin au service d'un homme.</p>
+
+<p>LAFEU.--Que veut dire cette distinction?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Je voudrais escamoter à un homme sa
+femme et faire son service.</p>
+
+<p>LAFEU.--Comme cela, vraiment, tu serais un coquin à
+son service.</p>
+
+<p>BOUFFON.--Et je donnerais à sa femme ma marotte<a id="footnotetag39" name="footnotetag39"></a>
+<a href="#footnote39"><sup class="sml">39</sup></a>
+pour faire son service.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote39"
+name="footnote39"><b>Note 39: </b></a><a href="#footnotetag39">
+(retour) </a> Court bâton surmonté d'une tête; c'était le sceptre des fous.</blockquote>
+
+<p>LAFEU.--Allons, j'en conviens, tu es à la fois un coquin
+et un fou.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--A votre service.</p>
+
+<p>LAFEU.--Non, non, non.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Eh bien! monsieur, si je ne vous sers
+pas, je puis servir un aussi grand prince que vous.</p>
+
+<p>LAFEU.--Qui est-ce? Est-ce un Français?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Ma foi, monsieur, il a un nom anglais,
+mais sa physionomie est plus chaude<a id="footnotetag40" name="footnotetag40"></a>
+<a href="#footnote40"><sup class="sml">40</sup></a> en France qu'en
+Angleterre.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote40"
+name="footnote40"><b>Note 40: </b></a><a href="#footnotetag40">
+(retour) </a> Allusion à la maladie française, <i>Morbus gallicus</i>.</blockquote>
+
+<p>LAFEU.--Quel est ce prince?</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Le prince noir, monsieur: <i>Alias</i>, le
+prince des ténèbres; <i>Alias</i>, le diable.</p>
+
+<p>LAFEU.--Arrête-là, voilà ma bourse. Je ne te la donne
+pas pour te débaucher du service du maître dont tu
+parles: continue de le servir.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Je suis né dans un pays de bois, monsieur,
+et j'ai toujours aimé un grand feu, et le maître
+dont je parle entretient toujours bon feu. Mais puisqu'il
+est le prince du monde, que sa noblesse se tienne à sa
+cour. Je suis, moi, pour la maison à porte étroite, que je
+crois trop petite pour que la pompe puisse y passer;
+quelques personnes qui s'humilient le pourront; mais
+le grand nombre sera trop frileux et trop délicat, et ils
+préféreront le chemin fleuri qui conduit à la porte large
+et au grand brasier.</p>
+
+<p>LAFEU.--Va ton chemin: je commence à être las de
+toi, et je t'en préviens d'avance, parce que je ne voudrais
+pas me disputer avec toi. Va-t'en; veille à ce qu'on ait
+bien soin de mes chevaux sans tour de ta façon.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Si je leur joue quelques tours, ce ne
+seront jamais que des tours de rosse; ce qui est leur
+droit par la loi de nature.</p>
+
+<p class="stage1">(Il sort.)</p>
+
+<p>LAFEU.--Un rusé coquin, un mauvais drôle!</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--C'est vrai. Feu mon seigneur s'en divertissait
+beaucoup. C'est par sa volonté qu'il reste ici, et
+il s'en autorise pour se permettre ses impertinences. Et
+en effet, il n'a aucune marche réglée: il court où il veut.</p>
+
+<p>LAFEU.--Il me plaît beaucoup; ses bouffonneries ne
+sont pas hors de saison.--J'allais vous dire que depuis
+que j'ai appris la mort de cette bonne dame, et que monseigneur
+votre fils était sur le point de revenir chez lui,
+j'ai prié le roi mon maître de parler en faveur de ma
+fille: c'est Sa Majesté qui, gracieusement, m'en fit elle-même
+la première proposition, lorsque tous les deux
+étaient encore mineurs. Le roi m'a promis de l'effectuer;
+et pour éteindre le ressentiment qu'il a conçu contre
+votre fils, il n'y a pas de meilleur moyen. Votre Seigneurie
+goûte-t-elle cela?</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--J'en suis très-satisfaite, seigneur, et je
+désire que cela s'accomplisse heureusement.</p>
+
+<p>LAFEU.--Sa Majesté revient en poste de Marseille avec
+un corps aussi vigoureux que lorsqu'elle ne comptait
+que trente ans; elle sera ici demain, ou je suis trompé
+par un homme qui m'a rarement induit en erreur dans
+ces sortes d'avis.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--J'ai bien de la joie d'espérer le revoir
+encore avant de mourir. J'ai des lettres qui m'annoncent
+que mon fils sera ici ce soir. Je conjure Votre Seigneurie
+de rester avec moi jusqu'à ce qu'ils se soient rencontrés.</p>
+
+<p>LAFEU.--Madame, j'étais occupé à songer de quelle
+manière je pourrais être admis en sa présence.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Vous n'avez besoin, monsieur, que de
+faire valoir vos droits honorables.</p>
+
+<p>LAFEU.--Madame, j'en ai fait un usage bien téméraire,
+mais je rends grâces à Dieu de ce qu'ils durent encore.</p>
+
+<p class="stage1">(Le bouffon revient.)</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Oh! madame, voilà monseigneur votre
+fils avec un morceau de velours sur la figure; s'il y a
+ou non une cicatrice dessous, le velours le sait: mais
+c'est un fort beau morceau de velours: sa joue gauche
+est une joue de première qualité, mais il porte sa joue
+droite toute nue.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Une noble blessure, une blessure noblement
+gagnée est une belle livrée d'honneur: il y a apparence
+qu'elle est de cette espèce.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Mais c'est une figure qui a l'air d'être
+grillée.</p>
+
+<p>LAFEU.--Allons voir votre fils, je vous prie. J'ai hâte
+de causer avec ce jeune et noble soldat.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Ma foi, ils sont une douzaine en élégants
+et fins chapeaux, avec de galantes plumes qui s'inclinent
+et font la révérence à tout le monde.</p>
+
+<p class="stage1">(Tous sortent.)</p>
+
+<p>FIN DU QUATRIÈME ACTE.</p>
+<br><br><br>
+<h3>ACTE CINQUIÈME</h3>
+<br>
+<h3>SCÈNE I</h3>
+
+<p class="stage1">Marseille.--Une rue.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> HÉLÈNE, LA VEUVE, DIANE, <i>et deux domestiques</i>.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Certainement vous devez être excédée de
+courir ainsi la poste jour et nuit: nous ne pouvons faire
+autrement; mais puisque vous avez déjà sacrifié tant de
+jours et de nuits, et fatigué vos membres délicats pour
+me rendre service, soyez-en sûre, vous êtes si profondément
+enracinée dans ma reconnaissance, que rien ne
+saurait vous en arracher.--Dans des temps plus heureux...
+(<span class="stage2"><i>Entre un officier de la fauconnerie</i></span><a id="footnotetag41" name="footnotetag41"></a>
+<a href="#footnote41"><sup class="sml">41</sup></a>.) Ce gentilhomme
+pourrait peut-être m'obtenir une audience du
+roi, s'il voulait employer son crédit.--Dieu vous garde,
+monsieur.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote41"
+name="footnote41"><b>Note 41: </b></a><a href="#footnotetag41">
+(retour) </a> <i>stringer</i>, dérivé d'<i>ostercus</i>.</blockquote>
+
+<p>LE GENTILHOMME.--Et vous aussi, madame.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Monsieur, je vous ai vu à la cour de France.</p>
+
+<p>LE GENTILHOMME.--J'y ai passé quelque temps.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Je pense, monsieur, que vous n'êtes pas déchu
+de la réputation d'être obligeant; c'est pourquoi,
+poussée par une nécessité très-pressante qui met de côté
+les compliments, je vous mets à même de faire usage de
+vos vertus, et je vous en serai éternellement reconnaissante.</p>
+
+<p>LE GENTILHOMME.--Que désirez-vous?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Que vous ayez la bonté de donner ce petit
+mémoire au roi et de vouloir bien m'aider de tout votre
+crédit pour obtenir la faveur de lui être présentée.</p>
+
+<p>LE GENTILHOMME.--Le roi n'est point ici.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Il n'est point ici, monsieur?</p>
+
+<p>LE GENTILHOMME.--Non, en vérité. Il est parti d'ici hier
+au soir, et avec plus de précipitation qu'il n'a coutume.</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Grand Dieu! toutes nos peines sont
+perdues!</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--<i>Tout est bien qui finit bien</i>, quoique le sort
+nous paraisse si contraire et les moyens si défavorables.
+(<span class="stage2"><i>Au gentilhomme.</i></span>) De grâce, où est-il allé?</p>
+
+<p>LE GENTILHOMME.--Vraiment, à ce que j'ai entendu
+dire, il est parti pour le Roussillon, où je vais aussi.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Je vous en conjure, monsieur, comme probablement
+vous verrez le roi avant moi, de remettre
+ce petit mémoire entre les mains de Sa Majesté; j'espère
+que vous n'en recevrez aucun blâme et que vous serez,
+au contraire, bien aise de la peine que vous aurez prise.
+J'arriverai après vous avec toute la diligence qu'il nous
+sera possible de faire.</p>
+
+<p>LE GENTILHOMME.--Je ferai cela pour vous obliger.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Et vous verrez qu'on vous en remerciera
+bien, sans ce qui pourra en arriver de plus.--Il nous
+faut remonter à cheval. (<span class="stage2"><i>A sa suite.</i></span>) Allez, allez, faites
+vite tout préparer.</p>
+
+<p class="stage1">(Elles sortent.)</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE II</h3>
+
+<p class="stage1">La scène est en Roussillon.--Une cour intérieure dans le palais<br>
+de la comtesse.</p>
+
+<p class="stage1"><i>Entrent</i> LE BOUFFON, PAROLLES.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Mon cher monsieur Lavatch, donnez cette
+lettre à monseigneur Lafeu. J'ai autrefois, monsieur, été
+mieux connu de vous quand j'étais revêtu d'habits plus
+frais; mais aujourd'hui je suis tombé dans le fossé de la
+Fortune, et j'exhale une forte odeur de sa cruelle disgrâce.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Ma foi, les disgrâces de la fortune sont
+bien mal tenues, si tu sens aussi fort que tu le dis. Je
+ne veux plus désormais manger de poisson au beurre de
+la Fortune. Je te prie, mets-toi au-dessous du vent.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Oh! vous n'avez pas besoin, monsieur, de
+vous boucher le nez; je ne parlais que par métaphore.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--En vérité, monsieur, si vos métaphores<a id="footnotetag42" name="footnotetag42"></a>
+<a href="#footnote42"><sup class="sml">42</sup></a>
+sentent mauvais, je me boucherai le nez, et je le ferais
+devant les métaphores de qui que ce soit.--Allons, je
+t'en prie, éloigne-toi.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote42"
+name="footnote42"><b>Note 42: </b></a><a href="#footnotetag42">
+(retour) </a> Shakspeare fait ici la faute en donnant le précepte.
+
+<p><i>Quoniam hæc</i>, dit Cicéron, <i>vel summa laus est in verbis transferendis
+ut sensim feriat id quod translatum sit, fugienda est omnis turpitudo
+earum rerum, ad quas eorum animos qui audiunt trahet similitudo.
+Nolo morte dici Africani castratam esse rempublicam. Nolo stercus
+curiæ dici Glauciam.</i> (De Orat.)</p></blockquote>
+
+<p>PAROLLES.--Monsieur, je vous en conjure, remettez
+pour moi ce papier.</p>
+
+<p>LE BOUFFON.--Pouah!--Éloigne-toi, je te prie; un
+papier de la chaise percée de la Fortune pour donner à
+un gentilhomme! Tiens, le voici lui-même. (<span class="stage2"><i>Entre Lafeu.
+A Lafeu.</i></span>) Voici un minet de la Fortune, monsieur, ou
+du petit chat de la Fortune (mais un petit chat qui ne
+sent pas le musc), qui est tombé dans le sale réservoir
+de ses disgrâces, d'où, comme il le dit, il est sorti tout
+fangeux. Je vous prie, monsieur, de traiter la carpe du
+mieux que vous pourrez, car il a l'air d'un vaurien bien
+pauvre, bien déchu, ingénieux, fou et fripon. Je compatis
+à son malheur avec mes sourires de consolation, et je
+l'abandonne à Votre Seigneurie.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Monseigneur, je suis un homme que la
+Fortune a cruellement égratigné.</p>
+
+<p>LAFEU.--Et que voulez-vous que j'y fasse? il est trop
+tard maintenant pour lui rogner les ongles. Quel est
+le mauvais tour que vous avez joué à la Fortune pour
+qu'elle vous ait si fort égratigné; car c'est par elle-même
+une fort bonne dame, qui ne souffre pas que les coquins
+prospèrent longtemps à son service? Tenez, voilà un
+quart d'écu pour vous; que les juges de paix vous réconcilient,
+vous et la Fortune; j'ai d'autres affaires.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je supplie Votre Seigneurie de vouloir bien
+entendre un seul mot.</p>
+
+<p>LAFEU.--Tu veux encore quelques sous de plus? les
+voilà: économise tes paroles.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Mon nom, mon bon seigneur, est <i>Parolles</i>.</p>
+
+<p>LAFEU.--Vous demandez donc à dire plus d'un mot<a id="footnotetag43" name="footnotetag43"></a>
+<a href="#footnote43"><sup class="sml">43</sup></a>?--Maudit
+soit mon emportement! Donnez-moi la main.
+Comment va votre tambour?</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote43"
+name="footnote43"><b>Note 43: </b></a><a href="#footnotetag43">
+(retour) </a> Pointe sur le nom de Parolles.</blockquote>
+
+<p>PAROLLES.--O mon bon seigneur! vous êtes celui qui
+m'avez découvert le premier.</p>
+
+<p>LAFEU.--Comment, c'est moi, vraiment? Et je suis le
+premier qui t'ai <i>perdu</i>.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Il ne tient qu'à vous, seigneur, de me faire
+rentrer un peu en grâce, car c'est vous qui m'en avez
+chassé.</p>
+
+<p>LAFEU.--Fi donc! coquin; veux-tu que je sois à la fois
+Dieu et diable, que l'un te fasse entrer en grâce et que
+l'autre t'en chasse? (<span class="stage2"><i>Bruit de trompettes.</i></span>) Voici le roi qui
+vient: je le reconnais à ses trompettes. Faquin, informez-vous
+de moi; j'ai encore hier au soir parlé de vous.
+Quoique vous soyez un fou et un vaurien, vous aurez à
+manger. Venez, suivez-moi.</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je bénis Dieu pour vos bontés.</p>
+
+<p class="stage1">(Il sort.)</p>
+<br>
+<h3>SCÈNE III</h3>
+
+<p class="stage1">La scène est toujours en Roussillon.--Appartement dans le palais<br>
+de la comtesse.</p>
+
+<p class="stage1">FANFARES. LE ROI, LA COMTESSE, LAFEU, LES DEUX<br>
+SEIGNEURS FRANÇAIS, <i>gentilshommes, gardes</i>.</p>
+
+<p>LE ROI.--Nous avons perdu en elle un joyau précieux,
+et notre réputation en a été fort appauvrie; mais votre
+fils, égaré par sa propre folie, n'a pas eu assez de sens
+pour sentir toute l'étendue de son mérite.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--C'est passé, sire; et je conjure Votre
+Majesté de regarder cette révolte comme un écart naturel
+dans l'ardeur de la jeunesse, lorsque l'huile et le feu,
+trop impétueux pour la force de la raison, la maîtrisent
+et brûlent toujours.</p>
+
+<p>LE ROI.--Honorable dame, j'ai tout pardonné et tout
+oublié, quoique ma vengeance fût armée contre lui et
+n'attendît que le moment de frapper.</p>
+
+<p>LAFEU.--Je dois le dire, si Votre Majesté veut bien me
+le permettre: le jeune comte a cruellement offensé Votre
+Majesté, sa mère et sa femme; mais c'est à lui-même
+qu'il a fait le plus grand tort; il a perdu une femme dont
+les charmes étonnaient les yeux les plus riches en souvenirs
+de beauté, dont la voix captivait toutes les
+oreilles, et qui possédait tant de perfections, que des
+coeurs qui dédaignaient de servir l'appelaient humblement
+leur maîtresse.</p>
+
+<p>LE ROI.--L'éloge de l'objet qu'on a perdu en rend le
+souvenir plus cher. Eh bien! faites-le venir; nous
+sommes réconciliés, et la première entrevue effacera
+tout le passé. Qu'il ne me demande point pardon, le sujet
+de sa grande offense n'existe plus, et nous ensevelissons
+les restes de nos ressentiments dans un abîme plus
+profond que l'oubli; qu'il vienne comme un étranger et
+non comme un criminel, et dites-lui bien que c'est là
+notre volonté.</p>
+
+<p>UN SEIGNEUR FRANÇAIS.--Je le lui dirai, sire.</p>
+
+<p>LE ROI, <span class="stage2"><i>à Lafeu</i></span>.--Que dit-il de votre fille? Lui avez-vous
+parlé?</p>
+
+<p>LAFEU.--Tout ce qu'il a est aux ordres de Votre Majesté.</p>
+
+<p>LE ROI.--Nous aurons donc une noce. J'ai reçu des
+lettres qui le couvrent de gloire.</p>
+
+<p class="stage1">(Bertrand entre,)</p>
+
+<p>LAFEU.--Il a tout pour plaire.</p>
+
+<p>LE ROI.--Je ne suis point un jour de la saison, car tu
+peux voir au même instant sur mon front et le soleil et
+la grêle. Mais à présent ces nuages menaçants font place
+aux plus brillants rayons; ainsi approche, le temps est
+beau de nouveau.</p>
+
+<p>BERTRAND.--O mon cher souverain! pardonnez-moi
+des fautes expiées par un profond repentir.</p>
+
+<p>LE ROI.--Tout est oublié. Ne parlons plus du passé.
+Saisissons par les cheveux le présent, car nous sommes
+vieux, et le temps glisse sans bruit sur nos décisions les
+plus rapides, et les efface avant qu'elles soient accomplies.
+Vous vous rappelez la fille de ce seigneur?</p>
+
+<p>BERTRAND.--Avec admiration, mon prince. J'avais d'abord
+jeté mon choix sur elle avant que mon coeur osât
+le révéler par ma bouche: d'après la vive impression
+qu'elle avait faite sur mes yeux, le mépris me prêta sa
+dédaigneuse lunette, qui défigura tous les traits des
+autres beautés, ternit leurs plus belles couleurs, ou me
+les représenta comme empruntées, elle allongeait ou
+raccourcissait les proportions de leur visage pour en
+faire un objet hideux: de là vint que celle dont tous les
+hommes chantaient les louanges, et que moi-même j'ai
+aimée depuis que je l'ai perdue, semblait dans mon oeil
+un grain de poussière qui le blessait.</p>
+
+<p>LE ROI.--C'est bien s'excuser. Cet amour efface quelques
+articles de ton long compte; mais l'amour qui
+vient trop tard (semblable au pardon de la clémence
+attardé) devient un reproche amer pour celui qui l'envoie,
+et lui crie sans cesse: «C'est ce qui est bon
+qui est perdu.» Nos téméraires préventions ne font aucun
+cas des objets précieux que nous possédons: nous
+ne les connaissons qu'en voyant leur tombeau. Souvent
+nos ressentiments, injustes envers nous-mêmes, détruisent
+nos amis, et nous allons ensuite pleurer sur
+leurs cendres; l'amitié se réveille et pleure en voyant
+ce qui est arrivé, tandis que la haine honteuse dort
+toute la journée. Que ce soit là l'éloge funèbre de l'aimable
+Hélène, et maintenant oublions-la. Envoie tes
+gages d'amour à la belle Madeleine; tu as obtenu les
+consentements les plus importants, et je resterai ici pour
+voir les secondes noces de notre veuf.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Que le ciel prospère la bénisse davantage
+que la première, ou que je meure avant qu'ils s'unissent!</p>
+
+<p>LAFEU.--Viens, mon fils, toi en qui doit se confondre
+le nom de ma maison. Donne-moi quelque gage de tendresse
+qui brille aux yeux de ma fille et qui l'engage à
+se rendre ici promptement. (<span class="stage2"><i>Bertrand lui donne un anneau.</i></span>)
+Par ma vieille barbe et par chacun de ses poils,
+Hélène, qui est morte, était une charmante créature!--C'est
+un anneau semblable à celui-ci que j'ai vu à son
+doigt la dernière fois que j'ai pris congé d'elle à la cour.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Il n'a jamais été à elle.</p>
+
+<p>LE ROI.--Donnez, je vous prie, que je le voie; car
+mon oeil, quand je parlais, était souvent attaché sur cet
+anneau: il était à moi jadis; je lui recommandai, si
+jamais elle se trouvait dans des circonstances où elle eût
+besoin de secours, de m'envoyer ce gage, en promettant
+que je l'aiderais sur l'heure. Auriez-vous eu la perfidie
+de la dépouiller de ce qui pouvait lui être si utile?</p>
+
+<p>BERTRAND.--Mon gracieux souverain, quoiqu'il vous
+plaise de le croire ainsi, cet anneau n'a jamais été à elle.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Mon fils, sur ma vie, je le lui ai vu porter,
+et elle y attachait autant de prix qu'à sa vie.</p>
+
+<p>LAFEU.--Je suis sûr de le lui avoir vu porter.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Vous vous trompez, seigneur; elle ne l'a
+jamais vu. Il m'a été jeté par une fenêtre à Florence,
+enveloppé dans un papier où était le nom de celle qui
+l'avait jeté: c'était une fille noble, et elle me crut dès
+lors engagé avec elle. Mais quand j'eus répondu à ma
+bonne fortune, et qu'elle fut pleinement informée que
+je ne pouvais répondre aux vues honorables dont elle
+m'avait fait l'ouverture, elle y renonça avec un grand
+chagrin; mais elle ne voulut jamais reprendre l'anneau.</p>
+
+<p>LE ROI.--Plutus même, qui connaît la teinture dont
+la vertu multiplie l'or<a id="footnotetag44" name="footnotetag44"></a>
+<a href="#footnote44"><sup class="sml">44</sup></a>, n'a pas des secrets de la nature
+une connaissance plus parfaite que je n'en ai, moi, de
+cet anneau. C'était le mien, c'était celui d'Hélène, qui
+que ce soit qui vous l'ait donné: ainsi, si vous vous
+connaissez bien vous-même, avouez que c'était le sien,
+et dites par quelle violence vous le lui avez ravi. Elle
+avait pris tous les saints à témoin qu'elle ne l'ôterait
+jamais de son doigt que pour vous le donner à vous-même
+dans le lit nuptial (où vous n'êtes jamais entré),
+ou qu'elle nous l'enverrait dans ses plus grands revers.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote44"
+name="footnote44"><b>Note 44: </b></a><a href="#footnotetag44">
+(retour) </a> Allusion aux alchimistes.</blockquote>
+
+<p>BERTRAND.--Elle ne l'a jamais vu.</p>
+
+<p>LE ROI.--Comme il est vrai que j'aime l'honneur, tu
+dis un mensonge, et tu fais naître en moi des inquiétudes,
+des soupçons que je voudrais étouffer...--Cela ne
+peut pas être;--cependant je ne sais.--Tu la haïssais
+mortellement, et elle est morte! et rien, à moins que
+d'avoir moi-même fermé ses yeux, ne peut mieux m'en
+convaincre que la vue de cet anneau.--Qu'on l'emmène.
+(<span class="stage2"><i>Les gardes s'emparent de Bertrand.</i></span>) Quel que soit l'événement,
+j'ai fait mes preuves qui absoudront mes craintes
+du reproche de légèreté.--Peut-être ai-je trop légèrement
+renoncé à mes premières craintes. Qu'on l'emmène:
+nous voulons approfondir cette affaire.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Si vous pouvez prouver que cet anneau
+était à elle, vous prouverez aussi aisément que je suis
+entré dans son lit à Florence, où jamais elle n'a mis le
+pied.</p>
+
+<p class="stage1">(Les gardes emmènent Bertrand.)</p>
+
+<p class="stage1">(Un gentilhomme entre.)</p>
+
+<p>LE ROI.--Je suis enveloppé de sombres pensées.</p>
+
+<p>LE GENTILHOMME.--Mon gracieux souverain, j'ignore
+si j'ai bien ou mal fait: voici le placet d'une Florentine,
+qui a manqué quatre ou cinq fois l'occasion de vous le
+remettre elle-même. Je m'en suis chargé, attendri par
+les grâces touchantes de cette pauvre suppliante que je
+sais être, à l'heure qu'il est, arrivée ici. On lit dans ses
+regards inquiets l'importance de sa requête; et elle m'a
+dit en quelques mots touchants que Votre Majesté y était
+elle-même intéressée.</p>
+
+<p>LE ROI <span class="stage2"><i>prend et lit la lettre</i></span>.--«Grâce à plusieurs protestations
+de m'épouser quand sa femme serait morte,
+je rougis de le dire, il m'a séduite. Aujourd'hui le
+comte de Roussillon est veuf, sa foi m'est engagée, et
+je lui ai livré mon honneur. Il est parti furtivement
+de Florence, sans prendre congé de personne, et je le
+suis dans sa patrie pour y demander justice. Rendez-la-moi,
+sire; vous le pouvez: autrement un séducteur
+triomphera, et une pauvre fille est perdue.</p>
+
+<p>Diane Capulet.»</p>
+
+<p>LAFEU.--Je m'achèterai un gendre à la foire, et je
+payerai les droits<a id="footnotetag45" name="footnotetag45"></a>
+<a href="#footnote45"><sup class="sml">45</sup></a>: je ne veux point de celui-ci.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote45"
+name="footnote45"><b>Note 45: </b></a><a href="#footnotetag45">
+(retour) </a> Allusion au droit de péage qu'on paye à la foire pour les chevaux.</blockquote>
+
+<p>LE ROI.--Les cieux te protègent, Lafeu, puisqu'ils ont
+mis au jour cette découverte. Qu'on cherche cette infortunée:
+allez promptement, et qu'on ramène ici le comte.
+(<span class="stage2"><i>Le gentilhomme sort avec quelques autres personnes de la
+suite du roi; les gardes ramènent Bertrand.</i></span>)--Je tremble,
+madame, qu'on n'ait traîtreusement arraché la vie à
+Hélène.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Eh bien! justice sur les assassins!</p>
+
+<p>LE ROI, <span class="stage2"><i>à Bertrand</i></span>.--Je m'étonne, seigneur, puisque
+les femmes sont des monstres à vos yeux, puisque vous
+les fuyez après leur avoir juré mariage, que vous désiriez
+vous marier.--Quelle est cette femme?</p>
+
+<p class="stage1">(Entrent la veuve et Diane.)</p>
+
+<p>DIANE.--Je suis, seigneur, une malheureuse Florentine,
+descendue des anciens Capulets. Ma prière, à ce que
+j'entends, vous est connue. Vous savez donc aussi combien
+je suis digne de pitié.</p>
+
+<p>LA VEUVE.--Et moi, sire, je suis sa mère, seigneur,
+dont l'âge et l'honneur souffrent également des affronts
+dont nous nous plaignons ici; tous deux succomberont
+si vous n'y portez remède.</p>
+
+<p>LE ROI.--Approchez, comte. Connaissez-vous ces
+femmes?</p>
+
+<p>BERTRAND.--Mon prince, je ne puis ni ne veux nier
+que je les connaisse. De quoi m'accusent-elles?</p>
+
+<p>DIANE.--Pourquoi affectez-vous de ne pas reconnaître
+votre femme?</p>
+
+<p>BERTRAND.--Elle ne m'est rien, seigneur.</p>
+
+<p>DIANE.--Si vous vous mariez, vous donnerez cette
+main, et cette main est à moi; vous donnerez les voeux
+prononcés devant le ciel, et ils sont à moi; en vous donnant
+à une autre, vous me donnerez moi-même (et
+cependant je suis à moi); car je suis tellement incorporée
+avec vous par le noeud de vos serments, qu'on ne
+saurait vous épouser sans m'épouser aussi; ou tous les
+deux, ou ni l'un ni l'autre.</p>
+
+<p>LAFEU, <span class="stage2"><i>à Bertrand</i></span>.--Votre réputation baisse trop pour
+prétendre à ma fille: vous n'êtes pas un mari pour elle.</p>
+
+<p>BERTRAND.--C'est, mon prince, une créature folle et
+effrontée, avec laquelle j'ai badiné quelquefois. Que Votre
+Majesté prenne une plus noble idée de mon honneur,
+que de croire que je voulusse m'abaisser si bas.</p>
+
+<p>LE ROI.--Monsieur, vous n'aurez point mon opinion
+en votre faveur, jusqu'à ce que vos actions l'aient méritée.
+Prouvez-moi que votre honneur est au-dessus de
+l'opinion que j'en ai.</p>
+
+<p>DIANE.--Bon roi, demandez-lui d'attester avec serment
+qu'il ne croit pas avoir eu ma virginité.</p>
+
+<p>LE ROI.--Que lui réponds-tu?</p>
+
+<p>BERTRAND.--C'est une impudente, mon prince; elle
+était prostituée à tout le camp.</p>
+
+<p>DIANE.--Il m'outrage, seigneur. S'il en était ainsi, il
+m'aurait achetée à vil prix. Ne le croyez pas. Oh! voyez
+cet anneau, dont l'éclat et la richesse n'ont point de
+pareil: eh bien! il l'a cependant donné à une femme
+prostituée à tout le camp, si j'en suis une.</p>
+
+<p>LA COMTESSE.--Il rougit, et c'est le sien. Ce joyau,
+depuis six générations, a été légué par testament et porté
+de père en fils. C'est sa femme; cet anneau vaut mille
+preuves.</p>
+
+<p>LE ROI.--Vous avez dit, ce me semble, que vous aviez
+vu ici quelqu'un à la cour, qui pourrait en rendre
+témoignage?</p>
+
+<p>DIANE.--Cela est vrai, mon seigneur; mais il me
+répugne de produire un témoin aussi vil: son nom est
+Parolles.</p>
+
+<p>LAFEU.--J'ai vu l'homme aujourd'hui, si c'est un
+homme.</p>
+
+<p>LE ROI.--Qu'on le cherche, et qu'on l'amène ici.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Que voulez-vous de lui? Il est déjà noté
+pour le plus perfide scélérat, par toutes les actions basses
+et odieuses du monde, et la vérité répugne à sa nature
+même. Me tiendrez-vous pour ceci ou pour cela sur le
+témoignage d'un misérable, qui dira tout ce qu'on
+voudra?</p>
+
+<p>LE ROI.--Elle a cet anneau, qui est le vôtre.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Je crois qu'elle l'a: il est certain que j'ai
+eu du goût pour elle, et que je l'ai recherchée avec
+l'étourderie de la jeunesse. Elle connaissait la distance
+qu'il y avait entre elle et moi; elle m'a amorcé, et elle
+piqua mes désirs par ses refus, comme il arrive que tous
+les obstacles que rencontre un caprice ne font qu'en
+accroître l'ardeur. Enfin, ses agaceries secondant ses
+attraits ordinaires, elle m'amena au prix qu'elle avait
+mis à ses faveurs: elle obtint l'anneau; et moi, j'eus ce
+que tout subalterne aurait pu acheter au prix du marché.</p>
+
+<p>DIANE.--Il faut que j'aie de la patience! Vous qui avez
+chassé votre première femme, une si noble dame, vous
+pouvez bien me priver aussi de mes droits sur vous. Je
+vous prie cependant (car, puisque vous êtes sans vertu,
+je perdrai mon mari), envoyez chercher votre anneau:
+je vous le rendrai, si vous me rendez le mien.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Je ne l'ai pas.</p>
+
+<p>LE ROI.--Comment était votre anneau, je vous prie?</p>
+
+<p>DIANE.--Il ressemblait beaucoup à celui que vous portez
+au doigt.</p>
+
+<p>LE ROI.--Connaissez-vous cet anneau? Cet anneau
+était autrefois au comte.</p>
+
+<p>DIANE.--Et c'est celui que je lui avais donné quand il
+est entré dans mon lit.</p>
+
+<p>LE ROI.--Alors son histoire est fausse; il dit que vous
+le lui avez jeté d'une fenêtre.</p>
+
+<p>DIANE.--J'ai dit la vérité.</p>
+
+<p class="stage1">(Parolles entre.)</p>
+
+<p>BERTRAND.--J'avoue, mon prince, que cet anneau était
+à elle.</p>
+
+<p>LE ROI.--Tu balbuties étrangement; une plume te fait
+tressaillir.--Est-ce là cet homme dont vous me parliez?</p>
+
+<p>DIANE.--C'est lui, mon prince.</p>
+
+<p>LE ROI, <span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>.--Dites-moi, drôle, mais dites-moi
+la vérité: je vous l'ordonne, sans craindre le déplaisir
+de votre maître, dont je saurai bien vous défendre si
+vous êtes sincère. Que savez-vous de ce qui s'est passé
+entre lui et cette femme?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Sous le bon plaisir de Votre Majesté, mon
+maître a toujours été un gentilhomme honorable. Il a
+joué quelquefois de ces tours que font tous les gentilshommes.</p>
+
+<p>LE ROI.--Allons, allons au fait. A-t-il aimé cette femme?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Oui, sire, il l'a aimée: mais comment?</p>
+
+<p>LE ROI.--Comment, je vous prie?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Il l'a aimée, mon prince, comme un gentilhomme
+aime une femme.</p>
+
+<p>LE ROI.--Que voulez-vous dire?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Qu'il l'aimait, sire, et qu'il ne l'aimait
+pas.</p>
+
+<p>LE ROI.--Comme tu es un coquin et n'es pas un coquin,
+n'est-ce pas? Quel drôle est cet homme-ci avec ses
+équivoques!</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je suis un pauvre homme, et aux ordres
+de Votre Majesté.</p>
+
+<p>LAFEU.--C'est un fort bon tambour, mon prince, mais
+un méchant orateur.</p>
+
+<p>DIANE.--Savez-vous qu'il m'a promis le mariage?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Vraiment, j'en sais plus que je n'en dirai.</p>
+
+<p>LE ROI.--Tu ne veux donc pas dire tout ce que tu sais?</p>
+
+<p>PAROLLES.--Je le dirai, si c'est le bon plaisir de Votre
+Majesté. J'étais leur entremetteur à tous deux, comme
+je vous l'ai dit: mais plus que cela, il l'aimait; car, en
+vérité, il en était fou, et il parlait de Satan, des limbes,
+des furies et de je ne sais quoi; et j'étais si fort en crédit
+que je savais quand ils se couchaient et mille autres circonstances,
+comme, par exemple, des promesses de l'épouser,
+et des choses qui m'attireraient de la malveillance
+si je les révélais: c'est pourquoi je ne dirai pas ce que je
+sais.</p>
+
+<p>LE ROI.--Tu as déjà tout dit, à moins que tu ne puisses
+ajouter qu'ils sont mariés; mais tu es trop fin dans tes
+dépositions: ainsi, retire-toi. (<i>A Diane.</i>) Cet anneau,
+dites-vous, était le vôtre?</p>
+
+<p>DIANE.--Oui, mon prince.</p>
+
+<p>LE ROI.--Où l'avez-vous acheté, ou qui vous l'a donné?</p>
+
+<p>DIANE.--Il ne m'a point été donné et je ne l'ai point
+acheté non plus.</p>
+
+<p>LE ROI.--Qui vous l'a prêté?</p>
+
+<p>DIANE.--Il ne m'a point non plus été prêté.</p>
+
+<p>LE ROI.--Où donc l'avez-vous trouvé?</p>
+
+<p>DIANE.--Je ne l'ai pas trouvé.</p>
+
+<p>LE ROI.--Si vous ne l'avez acquis par aucun de ces
+moyens, comment avez-vous pu le donner à Bertrand?</p>
+
+<p>DIANE.--Je ne le lui ai jamais donné.</p>
+
+<p>LAFEU.--Cette femme, mon prince, est comme un gant
+large: on la met et on l'ôte comme on veut.</p>
+
+<p>LE ROI.--L'anneau était à moi; je l'ai donné à sa première
+femme.</p>
+
+<p>DIANE.--Il a pu être à vous ou à elle, pour ce que j'en sais.</p>
+
+<p>LE ROI.--Qu'on l'emmène, elle commence à me déplaire.
+Qu'on la mène en prison et lui aussi. Si tu ne
+me dis point d'où tu as cet anneau, tu vas mourir dans
+une heure.</p>
+
+<p>DIANE.--Je ne vous le dirai jamais.</p>
+
+<p>LE ROI.--Qu'on l'emmène.</p>
+
+<p>DIANE.--Je vous donnerai une caution, mon prince.</p>
+
+<p>LE ROI.--Je te crois maintenant une prostituée.</p>
+
+<p>DIANE.--Grand Jupiter! si jamais j'ai connu un
+homme, c'est vous.</p>
+
+<p>LE ROI.--Pourquoi donc accuses-tu Bertrand depuis
+tout ce temps?</p>
+
+<p>DIANE.--Parce qu'il est coupable et qu'il n'est pas coupable.
+Il sait que je ne suis plus vierge, et il en ferait
+serment. Moi, je ferai serment que je suis vierge, et il ne
+le sait pas. Grand roi, je ne suis point une prostituée;
+sur ma vie, je suis vierge, ou (<span class="stage2"><i>montrant Lafeu</i></span>) la femme
+de ce vieillard.</p>
+
+<p>LE ROI.--Elle abuse de ma patience. Qu'on la mène en
+prison.</p>
+
+<p>DIANE.--Ma bonne mère, allez chercher ma caution.
+Attendez un moment, mon royal seigneur (<span class="stage2"><i>la veuve sort</i></span>):
+on est allé chercher le joaillier à qui appartient l'anneau,
+et il sera ma caution; mais pour ce jeune seigneur
+(<span class="stage2"><i>à Bertrand</i></span>) qui m'a abusée, comme il le sait lui-même,
+quoique cependant il ne m'ait jamais fait aucun
+tort, je le renonce ici. Il sait lui-même qu'il a souillé ma
+couche: et alors même il a fait un enfant à son épouse;
+quoiqu'elle soit morte, elle sent remuer son enfant.
+Ainsi, voilà mon énigme: une femme morte est vivante,
+et voici le mot de l'énigme.</p>
+
+<p class="stage1">(Hélène et la veuve entrent.)</p>
+
+<p>LE ROI.--N'y a-t-il point quelque enchanteur qui me
+fascine la vue? Est-ce un objet réel que je vois?</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Non, mon bon seigneur, ce n'est que l'ombre
+d'une épouse que vous voyez; le nom, et non pas la
+chose.</p>
+
+<p>BERTRAND.--Tous les deux, tous les deux; ah! pardon!</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Oh! mon cher seigneur, lorsque j'étais
+comme cette jeune fille, je vous ai trouvé bien bon pour
+moi. Voilà votre anneau, et voyez, voici votre lettre.
+Elle dit: <i>Lorsque vous posséderez cet anneau que je porte à
+mon doigt, et que vous serez enceinte de mes oeuvres</i>, etc.
+Tout cela est arrivé. Voulez-vous être à moi, maintenant
+que je vous ai conquis deux fois?</p>
+
+<p>BERTRAND.--Si elle peut me prouver cela clairement,
+je veux, mon prince, l'aimer tendrement, à jamais, à
+jamais.</p>
+
+<p>HÉLÈNE.--Si je ne vous le démontre pas clairement
+ou que je sois convaincue de fausseté, que le mortel
+divorce nous sépare à jamais! (<span class="stage2"><i>A la comtesse.</i></span>) O ma
+bonne mère! je vous revois encore!</p>
+
+<p>LAFEU.--Mes yeux sentent l'oignon, je vais pleurer.
+Allons (<span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>), bon Thomas, prête-moi un mouchoir.
+Bien, je te remercie: va m'attendre à la maison; je m'amuserai
+de toi. Laisse-là tes politesses, elles ne valent
+rien.</p>
+
+<p>LE ROI.--Qu'on nous raconte cette histoire de point
+en point, afin que la certitude de sa vérité nous comble
+de joie. (<span class="stage2"><i>A Diane.</i></span>) Et vous, si vous êtes une fleur encore
+fraîche et vierge, vous pouvez choisir un époux: je me
+charge de votre dot; car j'entrevois déjà que, par vos
+secours honnêtes, vous avez fait qu'une femme est devenue
+femme en restant vierge. Nous voulons être
+instruit plus à loisir de cette aventure et de toutes ses
+circonstances. Déjà tout s'annonce bien; et si la fin est
+aussi heureuse, l'amertume du passé doit la rendre encore
+plus douce.</p>
+
+<h4>ÉPILOGUE</h4>
+
+<p>LE ROI (<span class="stage2"><i>s'adressant aux spectateurs.</i></span>)--<i>Le roi n'est plus
+qu'un suppliant, à présent que la pièce est jouée. Tout est
+bien fini, si nous obtenons l'expression de votre contentement,
+que nous reconnaîtrons en faisant chaque jour de
+nouveaux efforts pour vous plaire. Accordez-nous votre
+indulgence, et que nos rôles soient à vous. Prêtez-nous des
+mains favorables, et recevez nos coeurs.</i></p>
+
+<p>FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE.</p>
+
+<br><br>
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Tout est bien qui finit bien, by
+William Shakespeare
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK TOUT EST BIEN QUI FINIT BIEN ***
+
+***** This file should be named 28151-h.htm or 28151-h.zip *****
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+
+Produced by Paul Murray, Rénald Lévesque and the Online
+Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
+file was produced from images generously made available
+by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
+http://gallica.bnf.fr)
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+Updated editions will replace the previous one--the old editions
+will be renamed.
+
+Creating the works from public domain print editions means that no
+one owns a United States copyright in these works, so the Foundation
+(and you!) can copy and distribute it in the United States without
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+set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to
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+such as creation of derivative works, reports, performances and
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+practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is
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+
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+things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
+even without complying with the full terms of this agreement. See
+paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
+
+1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
+collection are in the public domain in the United States. If an
+individual work is in the public domain in the United States and you are
+located in the United States, we do not claim a right to prevent you from
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+ money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
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+ of receipt of the work.
+
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+ distribution of Project Gutenberg-tm works.
+
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+1.F.
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+opportunities to fix the problem.
+
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+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
+WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
+WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
+
+1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
+warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
+If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
+law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
+interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
+the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any
+provision of this agreement shall not void the remaining provisions.
+
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+that arise directly or indirectly from any of the following which you do
+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ http://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
+
+
+</pre>
+
+</body>
+</html>
+
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