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diff --git a/28151-h/28151-h.htm b/28151-h/28151-h.htm new file mode 100644 index 0000000..d392125 --- /dev/null +++ b/28151-h/28151-h.htm @@ -0,0 +1,5430 @@ +<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.01 Transitional//EN"> +<html> +<head> + <meta http-equiv="content-type" content="text/html; charset=ISO-8859-1"> + <title>The Project Gutenberg eBook of Tout est bien qui finit bien, par Shakespeare</title> + +<style type="text/css"> +<!-- + +body {margin-left: 10%; margin-right: 10%} + +h1,h2,h3,h4,h5,h6 {text-align: center;} +p {text-align: justify} +blockquote {text-align: justify} + +.stage1 {font-size: 0.9em; text-align: center} +.stage2 {font-size: 0.9em} + + +.footnote {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.mid {text-align: center} +.rig {float: right} +.sml {font-size: 10pt} + +.poem {margin-bottom: 1em; margin-left: 10%; margin-right: 10%; + text-align: left} +.poem .stanza {margin: 1em 0em} +.poem .stanza.i {margin: 1em 0em; font-style: italic;} +.poem p {padding-left: 3em; margin: 0px; text-indent: -3em} +.poem p.i2 {margin-left: 1em} +.poem p.i4 {margin-left: 2em} +.poem p.i6 {margin-left: 3em} +.poem p.i8 {margin-left: 4em} +.poem p.i10 {margin-left: 5em} +.poem p.i12 {margin-left: 6em} +.poem p.i14 {margin-left: 7em} +.poem p.i16 {margin-left: 8em} +.poem p.i18 {margin-left: 9em} +.poem p.i20 {margin-left: 10em} + +--> +</style> + +</head> +<body> + + +<pre> + +Project Gutenberg's Tout est bien qui finit bien, by William Shakespeare + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Tout est bien qui finit bien + +Author: William Shakespeare + +Translator: François Pierre Guillaume Guizot + +Release Date: February 21, 2009 [EBook #28151] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK TOUT EST BIEN QUI FINIT BIEN *** + + + + +Produced by Paul Murray, Rénald Lévesque and the Online +Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr) + + + + + + +</pre> + + + +<pre> +Note du transcripteur. + ====================================================================== + Ce document est tiré de: + + OEUVRES COMPLÈTES DE + SHAKSPEARE + + TRADUCTION DE + M. GUIZOT + + NOUVELLE ÉDITION ENTIÈREMENT REVUE + AVEC UNE ÉTUDE SUR SHAKSPEARE + DES NOTICES SUR CHAQUE PIÈCE ET DES NOTES + + Volume 3 + Timon d'Athènes + Le Jour des Rois.--Les deux gentilshommes de Vérone. + Roméo et Juliette.--Le Songe d'une nuit d'été. + Tout est bien qui finit bien. + + PARIS + A LA LIBRAIRIE ACADÉMIQUE + DIDIER ET Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS + 35, QUAI DES AUGUSTINS + 1864 + + ====================================================================== +</pre> + +<h1>TOUT EST BIEN<br> + +QUI FINIT BIEN</h1> + +<h3>COMEDIE</h3><br> + +<h3>NOTICE<br> + +SUR<br> + +TOUT EST BIEN QUI FINIT BIEN</h3> + +<p>C'est à une des plus intéressantes nouvelles de Boccace que nous +devons cette pièce. En voici les principaux événements que Shakspeare +a transportés sur la scène en leur donnant une nouvelle vie, +par ce charme de sensibilité et cette verve comique qui lui manquent +si rarement.</p> + +<p>Un grand médecin, appelé Gérard de Narbonne, avait laissé +une fille qui, élevée dans le palais du comte de Roussillon, avait +conçu l'amour le plus tendre pour son fils unique, le jeune Bertrand. +Celui-ci fut mandé à la cour après la mort de son père, +et la pauvre Gillette, c'était le nom de la fille de Gérard, resta en +Roussillon bien résolue de n'avoir jamais d'autre époux que +Bertrand.</p> + +<p>Bientôt elle apprit que le roi souffrait beaucoup d'une fistule déclarée +incurable; son père lui avait légué plusieurs secrets de son +art, et Gillette conçut l'espoir de guérir le monarque. Elle se rendit +à Paris. Le roi lui promit que, si son remède réussissait, il la marierait +avec l'homme le plus noble et le plus riche du royaume, qu'elle +choisirait elle-même. Il fut guéri et Gillette demanda le comte +Bertrand.</p> + +<p>Celui-ci se crut déshonoré par une alliance au-dessous de son +rang; mais le roi commanda en maître, il fallut obéir. Aussitôt après +la célébration du mariage, le comte Bertrand partit pour la Toscane +et prit du service parmi les Florentins alors en guerre avec les Siennois. +Gillette s'en retourna en Roussillon d'où elle envoya dire au +comte que, si sa présence était la cause de son exil volontaire, elle +s'éloignerait pour toujours. Bertrand lui fit répondre qu'il était fermement +résolu de ne point vivre avec elle jusqu'au jour où elle +serait en possession de son anneau, et aurait un fils de lui. Il +croyait exiger l'impossible; mais Gillette déguisée en pèlerine, partit +pour Florence où elle logea chez une veuve, qui, sans la connaître, +lui apprit que le comte de Roussillon était amoureux d'une de ses +voisines, jeune, belle et vertueuse quoique pauvre. Gillette fut trouver +la mère de sa rivale, se découvrit à elle et lui promit une forte récompense +si elle voulait favoriser ses projets. On fit dire au comte +que la jeune fille céderait à ses voeux, mais qu'elle demandait son +anneau pour gage de sa foi. Bertrand envoya son anneau et s'empressa +d'aller à une heure fixée au rendez-vous qui lui fut donné. +Ce fut Gillette qui le reçut dans ses bras et qui répéta plusieurs fois +cette innocente supercherie, jusqu'à ce que des signes évidents de +grossesse vinssent accomplir tous ses souhaits. Enfin le comte, instruit +de l'absence de sa femme et cédant aux instances de ses vassaux, +revint dans sa patrie. Cependant Gillette mit au monde deux enfants +jumeaux qui ressemblaient beaucoup à leur père; elle se rendit elle-même +en Roussillon après ses couches, et y arriva le jour où son +époux donnait un grand festin. La pèlerine se présenta au milieu de +l'assemblée portant ses deux enfants sur ses bras. Elle se jeta aux +genoux du comte, lui donna l'anneau et lui avoua tout. Bertrand +touché reçut Gillette pour son épouse.</p> + +<p>Tout ce que Shakspeare a ajouté à ce fond, déjà si intéressant, +n'est pas également heureux et probable. L'obstination et la pétulance +de Bertrand sont bien peintes; mais son caractère nous semble odieux; +c'est un gentilhomme sans générosité, lâche, ingrat et menteur éhonté. +Le poëte devait aux vertus d'Hélène et à la morale de le punir; mais +il avait peut-être malgré lui de l'indulgence pour le fils de cette +comtesse si bonne et si aimable, et que sa sagesse et sa tendresse +pour Hélène élèvent au-dessus de tous les préjugés ridicules de la +naissance. Shakspeare n'a peut-être pas osé être trop sévère pour +celui qu'aimait cette même Hélène, si douce et si modeste malgré la +position critique où l'a placée le sot orgueil de Bertrand; on devine +ce sentiment du poëte dans la conduite du roi, dont la reconnaissance +ingénieuse eût craint d'humilier sa bienfaitrice dans son époux.</p> + +<p>Le personnage comique de la pièce est un peu usé sur le théâtre +depuis que nous y avons tant de fanfarons de la même famille; mais +Parolles et ses aventures ont passé en proverbe en Angleterre. La +scène du tambour est digne de Molière, et nous apprécierions encore +davantage Parolles, si nous ne connaissions pas Falstaff.</p> + +<p>Selon Malone, cette pièce aurait été composée en 1598.</p> +<br><br> +<h1>TOUT EST BIEN<br> + +QUI FINIT BIEN</h1> + +<h3>COMÉDIE</h3> +<br> +<h3>PERSONNAGES</h3> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p>LE ROI DE FRANCE.</p> +<p>LE DUC DE FLORENCE.</p> +<p>BERTRAND, comte de Roussillon.</p> +<p>LAFEU, vieux courtisan.</p> +<p>PAROLLES<a id="footnotetag1" name="footnotetag1"></a> +<a href="#footnote1"><sup class="sml">1</sup></a>, parasite à la suite de Bertrand.</p> +<p>PLUSIEURS JEUNES SEIGNEURS FRANÇAIS, qui servent avec Bertrand dans la guerre de Florence.</p> +<p>UN INTENDANT, }</p> +<p>UN PAYSAN BOUFFON, } au service de la comtesse de Roussillon.</p> +<p>LA COMTESSE DE ROUSSILLON, mère de Bertrand.</p> +<p>HÉLÈNE, protégée de la comtesse.</p> +<p>UNE VIEILLE VEUVE de Florence.</p> +<p>DIANE, fille de cette veuve.</p> +<p>VIOLENTA, }</p> +<p>MARIANA<a id="footnotetag2" name="footnotetag2"></a> +<a href="#footnote2"><sup class="sml">2</sup></a>, } voisines et amies de la veuve.</p> +<p>SEIGNEURS DE LA COUR DU ROI, UN PAGE, OFFICIERS, SOLDATS FRANÇAIS ET FLORENTINS.</p> +</div></div> + +<p class="stage1">La scène est tantôt en France, tantôt en Toscane.</p> + + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote1" +name="footnote1"><b>Note 1: </b></a><a href="#footnotetag1"> +(retour) </a> <i>Parolles</i>, mauvaise orthographe de notre mot <i>parole</i>.</blockquote> + + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote2" +name="footnote2"><b>Note 2: </b></a><a href="#footnotetag2"> +(retour) </a> Personnage muet qui ne paraît qu'une fois.</blockquote> + +<br><br><br> +<h3>ACTE PREMIER</h3> +<br> +<h3>SCÈNE I</h3> + +<p class="stage1">On est en Roussillon. Appartement dans le palais de la comtesse.</p> + +<p class="stage1"><i>Entrent</i> BERTRAND, LA COMTESSE DE ROUSSILLON +HÉLÈNE ET LAFEU, <i>tous en deuil</i>.</p> + +<p>LA COMTESSE.--En laissant mon fils se séparer de moi, +j'enterre un second époux.</p> + +<p>BERTRAND.--Et moi, en m'éloignant, madame, je pleure +de nouveau la mort de mon père: mais il me faut obéir +aux ordres de Sa Majesté. Devenu son pupille<a id="footnotetag3" name="footnotetag3"></a> +<a href="#footnote3"><sup class="sml">3</sup></a>, je suis +plus que jamais dans sa dépendance.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote3" +name="footnote3"><b>Note 3: </b></a><a href="#footnotetag3"> +(retour) </a> + Les enfants mineurs des grands seigneurs féodaux étaient les +pupilles du monarque.</blockquote> + +<p>LAFEU.--Vous, madame, vous retrouverez un époux +dans la bonté du roi. (<span class="stage2"><i>A Bertrand.</i></span>) Et vous, seigneur, un +père. Un roi, qui dans tous les temps est si universellement +bon, doit nécessairement conserver sa bienveillance +pour vous, dont le mérite la ferait naître là où elle manquerait +bien loin de ne la pas trouver là où elle abonde.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Que peut-on espérer de la guérison du +roi?</p> + +<p>LAFEU.--Madame, il a congédié tous ses médecins. Sous +leur direction, il a fatigué le temps de ses espérances, +sans trouver d'autre avantage dans leurs remèdes que de +perdre l'espérance avec le temps.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Cette jeune personne avait un père (oh! +<i>avait!</i> que ce mot réveille un triste souvenir!) dont la +science égalait presque la probité. Si elle eût été aussi +loin, il aurait rendu la nature immortelle, et la mort +aurait pu jouer faute d'ouvrage. Plût à Dieu que pour le +bonheur du roi il fût encore vivant! je crois qu'il aurait +été la mort de sa maladie.</p> + +<p>LAFEU.--Comment l'appeliez-vous, madame, cet +homme dont vous parlez?</p> + +<p>LA COMTESSE.--Il était fameux, monsieur, dans son art, +et il avait bien mérité de l'être;--Gérard de Narbonne.</p> + +<p>LAFEU.--C'était vraiment un habile homme, madame. +Le roi parla de lui dernièrement avec beaucoup d'éloges +et de regrets. Il avait assez de science pour vivre encore, +si la science pouvait être un préservatif du trépas.</p> + +<p>BERTRAND.--Quel est le mal, mon bon seigneur, qui +mine les jours du roi?</p> + +<p>LAFEU.--Une fistule, seigneur.</p> + +<p>BERTRAND.--Je n'avais jamais entendu parler de ce +mal.</p> + +<p>LAFEU.--Je voudrais bien qu'il fût encore inconnu.--Cette +jeune personne est donc la fille de Gérard de Narbonne?</p> + +<p>LA COMTESSE.--Sa seule enfant, seigneur, et léguée à +mes soins. J'ai d'elle toutes les bonnes espérances que +promet son éducation. Elle hérite de ces heureuses dispositions +qui embellissent encore les beaux dons de la +nature; car, lorsqu'un naturel pervers est doué d'aimables +qualités, ces éloges sont mêlés de pitié, puisque ces +qualités sont à la fois des vertus et des traîtres: chez +Hélène, elles sont relevées encore par sa simplicité; elle +a reçu la vertu de la nature, et elle a su se rendre parfaite.</p> + +<p>LAFEU.--Vos louanges, madame, font couler ses +larmes.</p> + +<p>LA COMTESSE.--C'est la meilleure manière dont une +jeune fille puisse assaisonner l'éloge qu'elle entend d'elle. +Le souvenir de son père n'approche jamais de son coeur +que la violence de son chagrin ne prive ses joues de tout +signe de vie. N'y pensez plus, Hélène: allons, plus de +larmes; on pourrait croire que vous affectez plus de +tristesse que vous n'en ressentez.</p> + +<p>HÉLÈNE.--J'ai l'air triste, en effet; mais je le suis réellement.</p> + +<p>LAFEU.--Des regrets modérés sont un tribut que l'on +doit aux morts: le chagrin excessif est l'ennemi des +vivants.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Si les vivants sont ennemis du chagrin, il se +détruit bientôt par son excès même.</p> + +<p>BERTRAND.--Madame, je demande votre bénédiction.</p> + +<p>LAFEU.--Comment entendons-nous cela?</p> + +<p>LA COMTESSE.--Reçois ma bénédiction, Bertrand. Ressemble +à ton père par tes actions comme par tes traits. +Que la noblesse de ton sang et ta vertu rivalisent en toi, +et que ton mérite partage avec ta naissance. Aime tous +les hommes; fie-toi à quelques-uns; ne fais tort à aucun. +Fais craindre plutôt que sentir ta puissance à ton ennemi. +Garde ton ami sous la clef de ta propre vie. Qu'on +te reproche ton silence, et jamais d'avoir parlé. Que +toutes les grâces que le ciel voudra t'accorder encore +et que mes prières importunes pourront lui arracher, +pleuvent sur ta tête! Adieu, seigneur.--Ce jeune homme +est un courtisan bien novice. Mon cher seigneur, conseillez-le.</p> + +<p>LAFEU.--Il ne peut manquer de recevoir les meilleurs +conseils, si son amitié veut les écouter.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Que le ciel te bénisse! Adieu, Bertrand.</p> + +<p class="stage1">(Elle sort.)</p> + +<p>BERTRAND, <span class="stage2"><i>à Hélène.</i></span>--Que tous les voeux qui peuvent +se former dans votre coeur soient vos serviteurs! Soyez +la consolation de ma mère, votre maîtresse, et qu'elle +vous soit chère.</p> + +<p>LAFEU.--Adieu, ma belle enfant. Vous devez soutenir +la réputation de votre père.</p> + +<p class="stage1">(Bertrand et Lafeu sortent.)</p> + +<p>HÉLÈNE.--Oh! si c'était tout!--Je ne pense plus à +mon père; et ces grosses larmes honorent plus sa mémoire +que celles que j'ai répandues pour lui.--A qui +ressemblait-il donc? Je l'ai oublié. Mon imagination ne +conserve aucune image que celle de Bertrand. Je suis +perdue; il n'y a plus de vie, plus de vie pour moi, si Bertrand +s'éloigne de ces lieux. Autant vaudrait que je fusse +éprise de quelque étoile brillante, et que je songeasse +à l'épouser; tant il est au-dessus de moi! Il faut que je +me contente de recevoir les obliques rayons de sa lumière +éloignée. Je ne puis arriver jusqu'à sa sphère: +ainsi l'ambition de mon amour est son propre tourment. +La biche qui voudrait s'unir avec le lion doit mourir +d'amour. Il m'était doux, quoique ce fût une souffrance, +de le voir à toute heure, de m'asseoir devant lui, et de +pouvoir graver le bel arc de ses sourcils, son oeil fier et +ses cheveux bouclés, sur la table de mon coeur,... mon +coeur trop prompt à retracer tous les traits et les particularités +de son visage chéri. Mais à présent le voilà +parti, et mon amour idolâtre va sanctifier ses reliques.--Qui +vient ici?--(<span class="stage2"><i>Entre Parolles.</i></span>) Un homme de sa suite, +que j'aime à cause de Bertrand; et cependant je le connais +pour un menteur avéré. Je le regarde comme aux +trois quarts sot, et comme un lâche parfait. Cependant +toutes ces mauvaises qualités lui vont si bien qu'elles +trouvent un asile, tandis que la vertu, d'une trempe +d'acier, se morfond exposée aux injures de l'air. Aussi +voyons-nous très-souvent la Sagesse glacée au service de +la Folie pompeusement parée.</p> + +<p>PAROLLES.--Dieu vous garde, belle reine!</p> + +<p>HÉLÈNE.--Et vous aussi, monarque!</p> + +<p>PAROLLES.--Monarque? non.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Ni reine non plus.</p> + +<p>PAROLLES.--Étiez-vous là occupée à méditer sur la +virginité?</p> + +<p>HÉLÈNE.--Oui. Vous avez quelque chose de l'air d'un +guerrier. Il faut que je vous fasse une question: l'homme +est l'ennemi de la virginité; par quel moyen pouvons-nous +la défendre contre ses attaques?</p> + +<p>PAROLLES.--Tenez-le à distance.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Mais il nous assiège; et notre virginité, quoique +vaillante à la défense, est faible pourtant. Enseignez-nous +donc quelque expédient guerrier pour la résistance.</p> + +<p>PAROLLES.--Il n'y en a pas. L'homme qui met le siége +devant vous vous minera et vous fera sauter en l'air.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Que le ciel préserve notre pauvre virginité +des mineurs et des bombardiers! N'y a-t-il pas aussi un +art militaire par lequel les vierges puissent contre-miner +les hommes?</p> + +<p>PAROLLES.--La virginité une fois à terre, l'homme en +sautera plus vite en l'air. Diantre! en mettant de nouveau +l'homme à terre, vous perdez votre ville par la brèche +que vous avez faite vous-même. Dans la république de la +nature, la politique n'est pas de conserver la virginité; +sa perte augmente le nombre des sujets. Jamais vierge +ne serait née s'il n'y avait eu auparavant une virginité +de perdue. L'étoffe dont vous avez été formée est celle +dont on fait les vierges. Pour une virginité perdue on en +peut trouver dix: la garder toujours, c'est la perdre +pour jamais. Allons, c'est une compagne trop froide; il +faut s'en défaire.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Je la défendrai encore un peu de temps, +quand je devrais m'exposer à mourir vierge.</p> + +<p>PAROLLES.--Il y a peu de chose à dire en sa faveur: +c'est contre l'ordre de la nature. Parler pour défendre la +virginité, c'est accuser sa mère: ce qui est une désobéissance +notoire. Celui qui se pend fait comme la vierge; +car la virginité se tue elle-même: et l'on devrait l'enterrer +hors de la terre bénite, dans les grands chemins, +comme une coupable signalée contre la nature. La virginité +engendre des mites comme le fromage; elle se consume +elle-même jusqu'à la croûte, et meurt en dévorant +sa propre substance. De plus, la virginité est hargneuse, +arrogante, vaine, gonflée d'amour-propre; ce qui est le +péché le plus expressément défendu par les canons. Ne la +gardez pas: vous ne pouvez que perdre avec elle. Défaites +vous-en, et dans dix ans vous l'aurez doublée, ce qui fait +un intérêt très-honnête; et encore le principal lui-même +n'en vaudra guère moins. Allons, ne gardez pas cela.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Mais que faut-il faire, monsieur, pour la +perdre à son gré?</p> + +<p>PAROLLES.--Attendez: voyons.--Que faire, dites-vous? +Ma foi, mal faire: aimer celui qui ne l'aime pas. La virginité +est un meuble qui perd son lustre dans le repos<a id="footnotetag4" name="footnotetag4"></a> +<a href="#footnote4"><sup class="sml">4</sup></a>; +plus on la garde, moins elle vaut: défaites-vous-en, +tandis qu'elle est encore de vente: profitez du temps où +on la recherche. La virginité ressemble à un vieux +courtisan qui porte un habit à l'antique, riche, mais qui +n'est plus de mode, comme ces parures et ces cure-dents +qu'on ne porte plus aujourd'hui. Votre datte<a id="footnotetag5" name="footnotetag5"></a> +<a href="#footnote5"><sup class="sml">5</sup></a> vaut mieux +dans un pâté ou un potage que sur vos joues; et votre +virginité, votre antique virginité ressemble à une de nos +poires passées de France, elle a mauvais air, elle est +sèche, enfin c'est une poire passée: elle valait mieux +jadis; oui, mais ce n'est plus qu'une poire passée; qu'en +voulez-vous faire?</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote4" +name="footnote4"><b>Note 4: </b></a><a href="#footnotetag4"> +(retour) </a> <i>With lying</i>, le repos du lit, jeu de mot.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote5" +name="footnote5"><b>Note 5: </b></a><a href="#footnotetag5"> +(retour) </a> Jeu de mot sur <i>date</i>, époque et <i>datte</i> fruit.</blockquote> + +<p>HÉLÈNE.--Ma virginité n'en est pas encore là.--Votre +maître y retrouverait mille amours, une mère et une +maîtresse, un ami, un phénix, un capitaine et un ennemi; +un guide, une déesse et une souveraine, un conseiller, +une traîtresse et une amie: son humble ambition, +sa fière humilité, sa concorde discordante et sa +douce discorde; sa foi, son doux malheur avec un monde +de jolis petits chrétiens charmants, dont Cupidon jasera +en souriant.--Alors il sera... Je ne sais pas ce qu'il sera. +--Que la main de Dieu le conduise!--La cour est un +endroit où l'on apprend--et Bertrand est un de ceux...</p> + +<p>PAROLLES.--Eh bien! quoi; un de ceux?...</p> + +<p>HÉLÈNE.--A qui je souhaite du bien.--Il est bien malheureux +que...</p> + +<p>PAROLLES.--Qui est-ce qui est malheureux?</p> + +<p>HÉLÈNE.--Que nos voeux n'aient pas un corps qu'on +puisse rendre sensible, afin que nous, qui sommes nés +pauvres, et dont les étoiles inférieures nous bornent aux +seuls désirs, nous puissions transmettre leurs effets jusqu'à +nos amis absents, et montrer ce que nous devons +nous contenter de penser sans en recueillir aucune reconnaissance!</p> + +<p class="stage1">(Un page entre.)</p> + +<p>LE PAGE.--Monsieur Parolles, Monseigneur vous demande.</p> + +<p class="stage1">(Le page sort.)</p> + +<p>PAROLLES.--Adieu, ma petite Hélène. Si je puis me +ressouvenir de toi, je songerai à toi quand je serai à la +cour.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Monsieur Parolles, vous êtes né sous une +étoile bien charitable.</p> + +<p>PAROLLES.--Je suis né sous Mars, moi.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Oui, c'est sous Mars même que je vous +crois né.</p> + +<p>PAROLLES.--Et pourquoi sous Mars?</p> + +<p>HÉLÈNE.--Vous avez soutenu tant de guerres, qu'il +faut absolument que vous soyez né sous Mars.</p> + +<p>PAROLLES.--Et lorsqu'il était la planète prédominante.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Plutôt, je crois lorsqu'il était rétrograde.</p> + +<p>PAROLLES.--Pourquoi jugez-vous ainsi?</p> + +<p>HÉLÈNE.--Vous savez si bien rétrograder, quand vous +combattez.</p> + +<p>PAROLLES.--C'est pour en prendre plus d'avantage.</p> + +<p>HÉLÈNE.--C'est aussi pour cela que l'on fuit, quand la +crainte conseille de chercher sa sûreté. Mais ce mélange +de courage et de peur qui est en vous est une vertu dont +l'aile est bien rapide, et dont le vol me plaît infiniment.</p> + +<p>PAROLLES.--J'ai la tête si occupée d'affaires, que je ne +suis pas en état de vous faire une réponse piquante. Je +serai à mon retour un parfait courtisan, mon instruction +servira à vous naturaliser, et vous serez en état de +recevoir les conseils d'un homme de cour, et de comprendre +les avis qu'il vous consacrera. Autrement, vous +mourrez dans votre ingratitude, et votre ignorance vous +perdra. Adieu. Quand vous aurez du loisir, récitez vos +prières; et quand vous n'en aurez point, souvenez-vous +de vos amis: procurez-vous un bon mari, et traitez-le +comme il vous traitera: et là-dessus, adieu.</p> + +<p class="stage1">(Il sort.)</p> + +<p>HÉLÈNE.--Souvent ces ressources, que nous attribuons +au ciel, résident en nous-mêmes. Le destin nous laisse +une libre carrière; il ne tire en arrière nos projets languissants +que lorsque nous sommes paresseux nous-mêmes. +Quelle est cette puissance qui élève mon amour +si haut, et qui me fait voir ce dont je ne puis rassasier +mes regards? Souvent deux êtres entre lesquels la fortune +a jeté un espace immense, la nature les réunit +comme deux moitiés, et les amène à s'embrasser, comme +s'ils étaient nés l'un pour l'autre. Les entreprises extraordinaires +sont impossibles pour qui mesure leur difficulté +par ses sens, et qui s'imagine que ce qui n'est +pas arrivé ne peut arriver. Quelle femme vit-on jamais +s'efforcer de faire connaître son mérite, qui ait échoué +dans ses amours? La maladie du roi...--Mon projet peut +tromper mon espoir; mais ma résolution est bien arrêtée, +et elle ne m'abandonnera pas.</p> +<br> +<h3>SCÈNE II</h3> + +<p class="stage1">Paris. Appartement dans le palais du roi.</p> + +<p class="stage1">Fanfares. LE ROI DE FRANCE <i>paraît avec sa suite; +il tient des lettres à la main.</i></p> + +<p>LE ROI.--Les Florentins et les Siennois en sont venus +aux mains. Ils ont combattu avec un avantage égal, ils +continuent la guerre avec courage.</p> + +<p>PREMIER SEIGNEUR.--C'est ce qu'on dit, sire.</p> + +<p>LE ROI.--Mais c'est fort incroyable. Nous recevons la +confirmation de cette nouvelle par mon cousin d'Autriche, +qui me prévient que les Florentins vont nous +demander un prompt secours. Là-dessus notre bon ami +préjuge lui-même la proposition, et il semble désirer +que nous les refusions.</p> + +<p>PREMIER SEIGNEUR.--Son amitié et sa prudence, dont il +a donné de si grandes preuves à Votre Majesté, méritent +bien qu'on lui accorde la plus grande confiance.</p> + +<p>LE ROI.--Il a décidé notre réponse, et Florence est +refusée, avant d'avoir demandé. Mais pour nos gentilshommes +qui désirent essayer du service toscan, je les +laisse entièrement libres de se ranger de l'un ou de +l'autre parti.</p> + +<p>SECOND SEIGNEUR.--Cela peut servir d'école militaire à +notre jeune noblesse, qui est malade faute d'air et +d'exploits.</p> + +<p>LE ROI.--Qui vient à nous?</p> + +<p class="stage1">(Entrent Bertrand, Lafeu, Parolles.)</p> + +<p>PREMIER SEIGNEUR.--C'est le comte de Roussillon, mon +bon seigneur, le jeune Bertrand.</p> + +<p>LE ROI.--Jeune homme, tu portes la physionomie de +ton père. La nature libérale ne t'a point ébauché à la +hâte: elle a pris soin à te former. Puisses-tu hériter +aussi des vertus morales de ton père! Sois le bienvenu à +Paris.</p> + +<p>BERTRAND.--Que Votre Majesté daigne recevoir mes +remerciements et mes hommages!</p> + +<p>LE ROI.--Je voudrais avoir encore aujourd'hui cette +rigueur de corps que je possédais lorsque jadis ton père +et moi nous fîmes nos premières armes ensemble! Il +était exercé à fond dans tout le service de ce temps-là, et +il était l'élève des plus braves capitaines. Il résista longtemps; +mais à la fin la hideuse vieillesse nous a atteints +tous deux, et nous a dépouillés de la force d'agir. Je me +sens plus jeune en parlant de votre bon père. Dans sa +jeunesse, il avait cet esprit caustique que je suis à portée +de remarquer aujourd'hui chez nos jeunes seigneurs. +Mais ils peuvent railler tant que leurs propres railleries +retombent sur leur personne obscure encore, avant qu'ils +puissent couvrir leur légèreté sous l'éclat de leur gloire. +Mais lui, il était un courtisan si parfait, qu'il n'y avait +ni mépris ni amertume dans ses railleries ou sa fierté. +S'il s'en glissait parfois, ce n'était jamais que pour repousser +l'injure de son égal. Son honneur lui servait de +cadran, et lui marquait la minute précise où il devait +parler, et sa langue obéissait à sa direction. Ceux qui +étaient au-dessous de lui, il les traitait comme des créatures +d'une autre classe, et il abaissait son élévation jusqu'à +leurs rangs inférieurs. Il les rendait fiers par son +humilité, et il s'humiliait encore pour recevoir leurs +louanges maladroites. Voilà l'homme qui devrait servir +de modèle aux jeunes gens de nos jours; et s'il était bien +suivi, il leur montrerait qu'ils ne font que rétrograder.</p> + +<p>BERTRAND.--La mémoire de ses vertus, sire, est plus +glorieuse dans votre souvenir que sur sa tombe; et son +épitaphe est moins honorable pour son nom que vos +royaux éloges.</p> + +<p>LE ROI.--Plût à Dieu que je fusse avec lui!--Il avait +toujours coutume de dire... (il me semble l'entendre en +ce moment. Il ne jetait pas ses paroles sensées dans les +oreilles, il les y greffait pour y croître et y porter du +fruit.)--Il disait: «Que je ne vive plus...--Tel était le +début de son aimable mélancolie quand il avait fini son +badinage.--Que je ne vive plus, disait-il, dès que ma +lampe manquera d'huile, afin que son reste de lueur ne +soit pas un objet de risée pour ces jeunes étourdis, dont +l'esprit superbe dédaigne tout ce qui n'est pas nouveau, +dont le jugement se borne à être le créateur de leurs toilettes, +et dont la constance expire même avant ces modes +passagères!» C'était là ce qu'il souhaitait; et ce que je +souhaite après lui; puisque je ne puis plus apporter à +la ruche ni cire ni miel, je voudrais en être promptement +congédié, pour céder la place à des travailleuses.</p> + +<p>SECOND SEIGNEUR.--Vous êtes aimé, sire, et ceux qui +vous aiment le moins seront les premiers à regretter que +vous n'y soyez plus.</p> + +<p>LE ROI.--Je remplis une place, je le sais...--Combien +y a-t-il, comte, que le médecin de votre père est mort?--Il +était très-renommé.</p> + +<p>BERTRAND.--Sire, il y a environ six mois.</p> + +<p>LE ROI.--S'il était vivant, j'essayerais encore de lui.--Prêtez-moi +votre bras.--Tous les autres m'ont usé à force +de remèdes. Que la nature et la maladie se disputent +maintenant l'événement à leur loisir.--Soyez le bienvenu, +comte; mon fils ne m'est pas plus cher que vous.</p> + +<p>BERTRAND.--Je remercie Votre Majesté.</p> + +<p class="stage1">(Ils sortent.--Fanfares.)</p> +<br> +<h3>SCÈNE III</h3> + +<p class="stage1">La scène est en Roussillon. Appartement dans le palais +de la comtesse.</p> + +<p class="stage1">LA COMTESSE, <i>son</i> INTENDANT ET UN BOUFFON<a id="footnotetag6" name="footnotetag6"></a> +<a href="#footnote6"><sup class="sml">6</sup></a>.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote6" +name="footnote6"><b>Note 6: </b></a><a href="#footnotetag6"> +(retour) </a> C'est toujours le <i>clown</i>, ou bouffon domestique.</blockquote> + +<p>LA COMTESSE.--Je suis prête à vous entendre à présent: +qu'avez-vous à dire de cette jeune demoiselle?</p> + +<p>L'INTENDANT.--Madame, je désirerais que l'on pût trouver +dans le journal de mes services passés tous les +soins que j'ai pris pour tâcher de vous contenter; car +nous blessons notre modestie, et nous ternissons la +pureté de nos services en les publiant nous-mêmes.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Que fait ici ce maraud? Retirez-vous, +drôle; toutes les plaintes que j'ai entendues sur votre +compte, je ne les crois pas toutes... non...; mais c'est la +faute de ma lenteur à croire; car je sais que vous ne +manquez pas de folie pour commettre ces méchancetés, +et que vous avez assez d'adresse pour les commettre +subtilement.</p> + +<p>LE BOUFFON.--Vous n'ignorez pas, madame, que je +suis un pauvre diable.</p> + +<p>LA COMTESSE.--C'est bien, monsieur.</p> + +<p>LE BOUFFON.--Non, madame, il n'est pas bien que je +sois pauvre, quoique la plupart des riches soient damnés. +Mais si je puis obtenir le consentement de Votre +Seigneurie pour entrer dans le monde, la jeune Isabeau +et moi, nous ferons comme nous pourrons.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Tu veux donc aller mendier?</p> + +<p>LE BOUFFON.--Je ne mendie rien, madame, que votre +consentement dans cette affaire.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Dans quelle affaire?</p> + +<p>LE BOUFFON.--Dans l'affaire d'Isabeau et la mienne. +Service n'est pas héritage; et je crois bien que je n'obtiendrai +jamais la bénédiction de Dieu, avant d'avoir +une postérité de mon sang; car on dit que les enfants +sont une bénédiction.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Dis-moi ta raison: pourquoi veux-tu te +marier?</p> + +<p>LE BOUFFON.--Mon pauvre corps, madame, le demande: +je suis poussé par la chair; et il faut qu'il aille +celui que le diable pousse.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Sont-ce là toutes les raisons de monsieur?</p> + +<p>LE BOUFFON.--Vraiment, madame, j'en ai encore d'autres, +et de saintes; qu'elles soient ce qu'elles voudront.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Peut-on les savoir?</p> + +<p>LE BOUFFON.--J'ai été, madame, une créature corrompue, +comme vous et tous ceux qui sont de chair et de +sang; et, en vérité, je me marie, afin de pouvoir me +repentir<a id="footnotetag7" name="footnotetag7"></a> +<a href="#footnote7"><sup class="sml">7</sup></a>...</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote7" +name="footnote7"><b>Note 7: </b></a><a href="#footnotetag7"> +(retour) </a> Marie-toi en hâte et repens-toi à loisir, c'est un vieux proverbe.</blockquote> + +<p>LA COMTESSE.--De ton mariage plutôt que de la +méchanceté.</p> + +<p>LE BOUFFON.--Je suis absolument dépourvu d'amis, +madame, et j'espère m'en procurer par ma femme.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Maraud! de tels amis sont tes ennemis.</p> + +<p>LE BOUFFON.--Vous n'y êtes pas, madame, ce sont de +grands amis; car les fripons viennent faire pour moi ce +que je suis las de faire. Celui qui laboure ma terre +épargne mon attelage et me laisse en recueillir la moisson: +si je suis déshonoré, il est mon valet: celui qui réjouit +ma femme est le bienfaiteur de ma chair et de mon +sang; celui qui fait du bien à ma chair et à mon sang +aime ma chair et mon sang; celui qui aime ma chair et +mon sang est mon ami: <i>Ergo</i>, celui qui embrasse ma +femme est mon ami. Si les hommes pouvaient être contents +de ce qu'ils sont, il n'y aurait aucune crainte à +avoir dans le mariage; car le jeune Charon le puritain, +et le vieux Poysam le papiste, quoique leurs coeurs diffèrent +en religion, leurs têtes à tous les deux n'en font +qu'une. Ils peuvent jouer de la corne ensemble comme +tous les daims du troupeau.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Seras-tu donc toujours une mauvaise +langue et un drôle calomniateur?</p> + +<p>LE BOUFFON.--Je suis un prophète<a id="footnotetag8" name="footnotetag8"></a> +<a href="#footnote8"><sup class="sml">8</sup></a>, madame, et je dis +la vérité par le plus court chemin.</p> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p class="i16">«Je répéterai la ballade</p> +<p class="i16">Que les hommes trouveront vraie</p> +<p class="i16">Le mariage vient par destinée;</p> +<p class="i16">Le coucou chante par nature.»</p> +</div></div> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote8" +name="footnote8"><b>Note 8: </b></a><a href="#footnotetag8"> +(retour) </a> La superstition de l'instinct divin possédé par les fous existe +dans beaucoup de pays. Les Turcs ont encore pour eux une vénération +religieuse.</blockquote> + +<p>LA COMTESSE.--Retirez-vous; je vous parlerai plus tard.</p> + +<p>L'INTENDANT.--Voudriez-vous, madame, lui dire d'appeler +Hélène: j'ai à vous parler d'elle?</p> + +<p>LA COMTESSE.--L'ami, dites à Mademoiselle que je +voudrais lui parler; c'est Hélène que je demande.</p> + +<p>LE BOUFFON.</p> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p class="i16">Quoi, dit-elle, était-ce ce beau visage</p> +<p class="i16">Qui fut cause que les Grecs saccagèrent Troie?</p> +<p class="i16">Folle entreprise! folle entreprise!</p> +<p class="i16">Était-ce là la joie du roi Priam?</p> +<p class="i16">Elle soupira en s'arrêtant,</p> +<p class="i16">En s'arrêtant elle soupira</p> +<p class="i16">Et prononça cette sentence:</p> +<p class="i16">«Sur neuf mauvaises s'il y en a une bonne,</p> +<p class="i16">Il y en a donc une bonne sur dix.»</p> +</div></div> + +<p>LA COMTESSE.--Quoi, une bonne sur dix! Vous altérez +la chanson, coquin.</p> + +<p>LE BOUFFON.--Une bonne femme sur dix, c'est purifier +la chanson, madame. Si le bon Dieu voulait pourvoir +ainsi le monde toute l'année, je ne me plaindrais +pas de la dîme des femmes, si j'étais le curé. Une sur +dix! vraiment s'il nous naissait seulement une bonne +femme à chaque comète, ou à chaque tremblement de +terre, la loterie serait bien améliorée; mais à présent un +homme peut s'arracher le coeur avant de tirer une +bonne femme.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Voulez-vous vous en aller, monsieur +le drôle, et faire ce que je vous commande?</p> + +<p>LE BOUFFON.--Qu'un homme puisse être aux ordres +d'une femme sans qu'il en arrive malheur! Quoique +l'honnêteté ne soit pas puritaine... elle ne veut cependant +faire de mal à personne; et elle consentira à porter +le surplis de l'humilité sur la robe noire d'un coeur gonflé +d'orgueil. Sérieusement je pars: mon affaire est de +dire à Hélène de venir ici.</p> + +<p class="stage1">(Il sort,)</p> + +<p>LA COMTESSE.--Eh bien! maintenant! qu'y a-t-il?</p> + +<p>L'INTENDANT.--Je sais, madame, que vous aimez tendrement +votre suivante.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Oui, je l'aime: son père me l'a léguée; +et elle-même, sans autre considération, a des droits légitimes +à toute l'amitié qu'elle trouve en moi. Je lui dois +bien plus qu'il ne lui a été payé, et je lui payerai plus +qu'elle ne demandera.</p> + +<p>L'INTENDANT.--Madame, je me trouvai dernièrement +beaucoup plus près d'elle qu'elle ne l'eût désiré, je pense. +Elle était seule, et confiait ses secrets à ses propres +oreilles: elle pensait, j'oserais le jurer pour elle, qu'ils +n'arriveraient point à des oreilles étrangères. Elle disait +qu'elle aimait votre fils. «La fortune, dit-elle, n'est +point une déesse, puisqu'elle a mis une si grande différence +entre son rang et le mien: l'amour n'est point un +dieu, puisqu'il ne veut montrer son pouvoir que lorsque +les avantages sont égaux. Diane n'est point la reine des +vierges, puisqu'elle a pu permettre que sa pauvre chevalière +fût surprise sans défense à la première attaque, et +qu'elle la laisse sans espoir de rançon.» Elle disait cela +avec l'accent du plus amer chagrin que j'aie jamais +entendu exprimer à une vierge. J'ai cru, madame, qu'il +était de mon devoir de vous en instruire sur-le-champ, +puisqu'il vous importe un peu de le savoir, à cause du +malheur qui pourrait en arriver.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Vous avez rempli le devoir d'un honnête +homme; mais gardez ce secret pour vous seul. Bien +des probabilités m'avaient déjà instruite de ce fait; mais +elles étaient toutes si incertaines que je ne pouvais ni +les croire ni les rejeter. Laissez-moi, je vous prie: conservez +ceci dans votre âme: je vous remercie de vos +bons soins; je vous en dirai davantage une autre fois. +(<span class="stage2"><i>L'intendant sort; Hélène entre.</i></span>) Voilà comme j'étais quand +j'étais jeune. Si nous écoutons la nature, c'est ce qui +nous arrive; cette épine est inséparablement attachée à +la rose de notre jeunesse. Notre sang est à nous, et ceci +est né dans notre sang. Partout où la forte passion de +l'amour s'imprime dans un jeune coeur, c'est le sceau et +la preuve de la vérité de la nature. Le souvenir de ces +jours, qui sont passés pour moi, me rappelle les mêmes +fautes. Ah! je ne croyais pas alors que ce fussent des +fautes. Je le vois bien maintenant; son oeil en est éteint.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Quel est votre bon plaisir, madame?</p> + +<p>LA COMTESSE.--Tu sais, Hélène, que je suis une mère +pour toi.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Vous êtes mon honorable maîtresse.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Non, mais une mère. Pourquoi pas ta +mère? Lorsque j'ai prononcé le nom de mère, j'ai cru +que tu venais de voir un serpent. Qu'y a-t-il donc dans +ce nom de mère, pour qu'il te fasse tressaillir? Je dis +que je suis votre mère, et je vous mets au nombre de +ceux que j'ai portés dans mon sein. On a vu souvent +l'adoption le disputer à la nature; et notre choix nous +donne un rejeton naturel né de semences étrangères. Tu +n'as jamais oppressé mon sein des douleurs de mère, et +cependant je te montre toute la tendresse d'une mère. +Par la grâce de Dieu, jeune fille, est-ce te tourner le +sang que de te dire: «Je suis ta mère?» Pourquoi ce +triste précurseur des larmes, cet arc-en-ciel<a id="footnotetag9" name="footnotetag9"></a> +<a href="#footnote9"><sup class="sml">9</sup></a> aux nombreuses +couleurs entoure-t-il tes yeux? Pourquoi? Parce +que tu es ma fille?</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote9" +name="footnote9"><b>Note 9: </b></a><a href="#footnotetag9"> +(retour) </a> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p class="i16"><i>What is the matter,</i></p> +<p class="i16"><i>That this distemper'd messenger of wet,</i></p> +<p class="i16"><i>The many colour'd iris, rounds thine eye?</i></p> +</div></div> + +<p>Observation vraie exprimée poétiquement.</p></blockquote> + +<p>HÉLÈNE.--Parce que je ne le suis pas.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Je te dis que je suis ta mère.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Pardonnez-moi, madame, le comte de Roussillon +ne peut être mon frère; je suis d'une humble +naissance, et lui d'une famille illustre: mes parents sont +inconnus, les siens sont tous nobles: il est mon maître, +mon cher seigneur, et je vis pour le servir, et je veux +mourir sa vassale. Il ne faut pas qu'il soit mon frère.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Ni moi, votre mère?</p> + +<p>HÉLÈNE.--Vous êtes ma mère, madame! (pourvu que +monseigneur votre fils ne soit pas mon frère); plût à Dieu +que vous fussiez en effet ma mère, ou que vous fussiez +la mère de tous deux! je ne le désire pas plus que je ne +désire le ciel, pourvu que je ne sois pas sa soeur. Ne +serait-il donc pas possible que je fusse votre fille, sans +qu'il fût mon frère?</p> + +<p>LA COMTESSE.--Oui, Hélène, tu pourrais être ma belle-fille. +A Dieu ne plaise que ce soit là ta pensée! Les +noms de fille et de mère agitent tellement ton pouls! +Quoi! tu pâlis encore!... Mes craintes ont enfin surpris +ton amour. Je pénètre maintenant le mystère de ta solitude, +et je découvre enfin la source de tes larmes +amères. Maintenant tout est clair comme le jour. Tu +aimes mon fils. Il serait honteux de vouloir dissimuler +ce que ta passion publie, et de vouloir me dire que tu +ne l'aimes pas: ainsi, dis-le-moi; avoue-moi la vérité: +car vois, tes joues se l'avouent l'une à l'autre, et tes +yeux le voient éclater si manifestement dans ta conduite, +qu'ils le disent aussi dans leur langage. Il n'y a que le péché +et une obstination d'enfer qui enchaînent ta langue, +pour rendre la vérité suspecte. Parle: cela est-il vrai?--Si +cela est, tu as dévidé un joli peloton. Si cela n'est pas, +jure que je me trompe: cependant, je te l'ordonne au +nom de l'oeuvre que le ciel peut faire en moi à ton profit, +dis-moi la vérité.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Ma bonne maîtresse, daignez me pardonner.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Aimez-vous mon fils?</p> + +<p>HÉLÈNE.--Votre pardon, ma noble maîtresse.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Aimez-vous mon fils?</p> + +<p>HÉLÈNE.--Ne l'aimez-vous pas, vous, madame?</p> + +<p>LA COMTESSE.--Point de détours. Mon amour pour lui +vient d'un lien que personne n'ignore. Allons, allons, +découvre-moi l'état de ton coeur, car ta passion elle-même +t'accuse hautement.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Eh bien! je l'avoue ici, à genoux, devant le +ciel et devant vous, madame, que j'aime votre fils plus +que vous, et seulement moins que le ciel. Mes parents +étaient pauvres, mais honnêtes; mon amour l'est aussi. +N'en soyez pas offensée; car mon amour ne lui fait +aucun mal. Je ne le poursuis point par des marques de +prétentions présomptueuses, je ne voudrais pas l'obtenir +avant de le mériter, et cependant je ne sais pas comment +je pourrai le mériter jamais. Je sais que j'aime en +vain; je lutte contre toute espérance, et cependant je +verse toujours les flots de mon amour dans ce crible perfide +et fuyant, sans m'apercevoir qu'il diminue.--Ainsi, +semblable à l'Indien, religieuse dans mon erreur, j'adore +le soleil, qui regarde son adorateur, mais qui ne sait +rien de plus de lui. Ma chère maîtresse, que votre haine +ne rencontre pas mon amour, parce que j'aime ce que +vous aimez. Mais vous-même, madame, dont l'honorable +vieillesse annonce une jeunesse vertueuse, si jamais vous +avez brûlé d'une flamme si pure, de désirs si chastes, et +d'un amour si tendre, que votre Diane fut en même +temps la déesse de l'amour, oh! ayez pitié de celle dont +l'état est si malheureux qu'elle ne peut que prêter et +donner où elle est sûre de toujours perdre; qui ne +cherche point à trouver ce que ses voeux recherchent, +mais qui, semblable à l'énigme, chérit le secret qui est +sa mort<a id="footnotetag10" name="footnotetag10"></a> +<a href="#footnote10"><sup class="sml">10</sup></a>.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote10" +name="footnote10"><b>Note 10: </b></a><a href="#footnotetag10"> +(retour) </a> <i>Elle cesse de vivre alors qu'on la devine</i>, dit une ancienne épigramme +qui compare la femme à une énigme.</blockquote> + +<p>LA COMTESSE.--N'aviez-vous pas dernièrement le projet +d'aller à Paris? Parlez-moi franchement.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Oui, madame.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Pourquoi? Dites la vérité.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Je dirai la vérité, j'en jure par la grâce elle-même. +Vous savez que mon père m'a laissé quelques +recettes d'un effet merveilleux et éprouvé, que sa science +et son expérience connue avaient recueillies pour des +spécifiques souverains, et qu'il me recommanda de ne +les donner qu'avec soin et réserve, comme des ordonnances +qui renfermaient en elles de bien plus grandes +vertus qu'on n'en pouvait juger sur l'étiquette. Dans le +nombre, il y a un remède, dont l'utilité est reconnue +pour guérir les maladies de langueur désespérées comme +celle dont on croit le roi perdu.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Était-ce là votre motif pour aller à +Paris? Répondez.</p> + +<p>HÉLÈNE.--C'est votre noble fils, madame, qui m'a fait +penser à cela: autrement, Paris et la médecine, et le roi, +ne me seraient peut-être jamais venus dans la pensée.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Mais, Hélène, si tu offrais au roi tes +prétendus secours, penses-tu qu'il les acceptât? Le roi et +ses médecins sont d'accord. Lui, il est persuadé qu'ils +ne peuvent le guérir; eux le sont aussi qu'ils ne peuvent +le guérir. Comment croiront-ils une pauvre jeune +fille ignorante, lorsqu'eux-mêmes, après avoir épuisé +toute la science des écoles, ils ont abandonné le mal à +lui-même?</p> + +<p>HÉLÈNE.--Il y a quelque chose qui me dit, plus encore +que la science de mon père, qui était pourtant le plus +grand dans sa profession, que sa bienfaisante recette, +qui fait mon héritage, sera bénie, pour mon bonheur, +par les plus heureuses étoiles qui soient au ciel. Et si +Votre Seigneurie veut me permettre de tenter son succès, +je répondrai sur ma vie, que je perdrais dans une +bonne cause, de la guérison du roi, pour tel jour et à +telle heure.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Le crois-tu?</p> + +<p>HÉLÈNE.--Oui, madame, et j'en suis convaincue.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Eh bien, Hélène, tu auras mon consentement, +ma tendresse, de l'argent, une suite, et mes +pressantes recommandations à tous mes amis, qui sont +à la cour. Je resterai au logis, et je prierai Dieu de bénir +ton entreprise. Pars demain, et sois sûre que tous les +secours que je puis te donner ne te manqueront pas.</p> + +<p class="stage1">(Elles sortent.)</p> + +<p>FIN DU PREMIER ACTE.</p> +<br><br><br> +<h3>ACTE DEUXIÈME</h3> +<br> +<h3>SCÈNE I</h3> + +<p class="stage1">A Paris.--Appartement dans le palais du roi.</p> + +<p class="stage1">LE ROI <i>paraît avec de jeunes seigneurs, qui prennent congé +de lui, et partent pour la guerre de Florence</i>. BERTRAND +et PAROLLES. Fanfares.</p> + +<p>LE ROI.--Adieu, jeune seigneur. Ne perdez jamais de +vue ces principes d'un guerrier.--Adieu, vous aussi, seigneur. +Partagez mes conseils entre vous. Si chacun de +vous se les approprie tout entiers, le présent est de +nature à s'étendre à proportion qu'il est reçu, et il suffira +pour tous deux.</p> + +<p>PREMIER SEIGNEUR.--C'est notre espérance, sire, +qu'après nous être formés dans le métier de la guerre, +nous reviendrons pour trouver Votre Majesté en bonne +santé.</p> + +<p>LE ROI.--Non, non; cela est impossible: et cependant +mon coeur ne veut pas avouer qu'il souffre de la maladie +qui mine mes jours. Adieu, jeunes guerriers. Soit +que je vive, ou que je meure, montrez-vous les fils des +vaillants Français. Que la haute Italie (cette nation +dégénérée qui n'a hérité que des défaites de la dernière +monarchie<a id="footnotetag11" name="footnotetag11"></a> +<a href="#footnote11"><sup class="sml">11</sup></a>) reconnaisse que vous ne venez pas seulement +pour courtiser l'honneur, mais pour l'épouser. +Quand les plus braves de vos rivaux reculeront, sachez +trouver ce que vous cherchez pour vous faire proclamer +hautement par la renommée.--Je vous dis adieu.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote11" +name="footnote11"><b>Note 11: </b></a><a href="#footnotetag11"> +(retour) </a> L'empire romain.</blockquote> + +<p>SECOND SEIGNEUR.--Que la santé soit aux ordres de +Votre Majesté!</p> + +<p>LE ROI.--Et ces jeunes filles d'Italie... Prenez garde à +elles. On dit que nos Français n'ont point de langue pour +les refuser, lorsqu'elles demandent: prenez garde d'être +captifs, avant d'être soldats.</p> + +<p>LES DEUX SEIGNEURS.--Nos coeurs conserveront vos avis.</p> + +<p>LE ROI.--Adieu. (<span class="stage2"><i>A quelqu'un de ses gens.</i></span>) Venez à moi.</p> + +<p class="stage1">(On le conduit sur un lit de repos.)</p> + +<p>PREMIER SEIGNEUR, <span class="stage2"><i>à Bertrand</i></span>.--O mon cher seigneur, +faut-il que nous vous laissions derrière nous!</p> + +<p>PAROLLES.--Il n'y a pas de sa faute, le jeune galant.</p> + +<p>SECOND SEIGNEUR.--Oh! c'est une superbe campagne.</p> + +<p>PAROLLES.--Admirable. J'ai vu ces guerres.</p> + +<p>BERTRAND.--On m'ordonne de rester ici, et l'on m'écarte, +en me criant: Trop jeune! l'année prochaine! il +est trop tôt encore.</p> + +<p>PAROLLES.--Si cela vous tient si fort au coeur, mon +garçon, dérobez-vous bravement.</p> + +<p>BERTRAND.--On me force à rester ici pour être le complaisant +d'une jupe, et faire crier ma fine chaussure sur +un parquet uni, jusqu'à ce que tout l'honneur soit acquis, +et sans user d'épée que pour danser<a id="footnotetag12" name="footnotetag12"></a> +<a href="#footnote12"><sup class="sml">12</sup></a>.--Par le ciel, je +me déroberai d'ici!</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote12" +name="footnote12"><b>Note 12: </b></a><a href="#footnotetag12"> +(retour) </a> On dansait alors l'épée au côté.</blockquote> + +<p>PREMIER SEIGNEUR.--Il est honorable de se dérober +ainsi.</p> + +<p>PAROLLES.--Commettez ce larcin, comte.</p> + +<p>SECOND SEIGNEUR.--Je suis votre second; adieu.</p> + +<p>BERTRAND.--Je tiens à vous; et notre séparation est une +torture.</p> + +<p>PREMIER SEIGNEUR, <span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>.--Adieu, capitaine.</p> + +<p>SECOND SEIGNEUR.--Salut, bon monsieur Parolles.</p> + +<p>PAROLLES.--Nobles héros, mon épée et les vôtres sont +de la même famille. Mes braves et brillants seigneurs! +Un mot, mes chères lames.--Vous trouverez, dans le +régiment des Spiniens, un certain capitaine Spurio, avec +sa cicatrice ici sur la joue gauche, une marque de guerre, +que cette épée que voici lui a gravée sur le visage: dites-lui +que je suis en vie, et retenez bien ce qu'il vous dira +de moi.</p> + +<p>SECOND SEIGNEUR.--Nous n'y manquerons pas, noble +capitaine.</p> + +<p class="stage1">(Les deux seigneurs sortent.)</p> + +<p>PAROLLES.--Que Mars vous chérisse comme ses disciples. +(<span class="stage2"><i>Voyant le roi se lever sur son séant</i></span>,) Quel parti +prenez-vous?</p> + +<p>BERTRAND.--Arrête.--Le roi...</p> + +<p>PAROLLES.--Étendez donc plus loin vos politesses avec +ces nobles seigneurs: vous vous êtes renfermé dans une +formule d'adieu trop froide: soyez plus démonstratif +avec eux; ce sont eux qui dirigent les modes; leur tournure, +leur manière de manger, leur langage, leurs mouvements, +tout est sous l'influence de l'astre le plus en +vogue: et quand ce serait le diable qui conduirait la +danse, ce serait eux qu'il faudrait suivre: courez les +rejoindre, et mettez plus de chaleur dans vos adieux.</p> + +<p>BERTRAND.--C'est ce que je veux faire.</p> + +<p>PAROLLES.--De braves gens! et qui ont tout l'air de +devenir de robustes guerriers.</p> + +<p class="stage1">(Ils sortent.)</p> + +<p class="stage1">(Entre Lafeu.)</p> + +<p>LAFEU, <span class="stage2"><i>se prosternant devant le roi</i></span>.--Pardon, mon souverain, +pour moi et les nouvelles que j'apporte.</p> + +<p>LE ROI.--Je vous l'accorderai, si vous vous levez.</p> + +<p>LAFEU, <span class="stage2"><i>se relevant</i></span>.--Vous voyez donc debout devant +vous un homme qui apporte son pardon. Je voudrais, +sire, que vous vous fussiez mis à genoux pour demander +mon pardon, et que vous puissiez, à mon commandement, +vous relever comme moi.</p> + +<p>LE ROI.--Je le voudrais aussi: je t'aurais cassé la tête +et je t'en aurais demandé pardon après.</p> + +<p>LAFEU.--En croix, ma foi<a id="footnotetag13" name="footnotetag13"></a> +<a href="#footnote13"><sup class="sml">13</sup></a>.--Mon cher seigneur, voici ce +dont il s'agit: voulez-vous être guéri de votre infirmité?</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote13" +name="footnote13"><b>Note 13: </b></a><a href="#footnotetag13"> +(retour) </a> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p class="i16"><i>I had broke thy pate,</i></p> +<p class="i16"><i>And ask thee mercy for it.</i></p> +<p class="i16">LAFEU. <i>Good faith across.</i></p> +</div></div> + +<p>Cas où la tête est cassée, plaisanterie qu'on retrouve dans la +comédie des <i>Méprises</i>.</p></blockquote> + +<p>LE ROI.--Non.</p> + +<p>LAFEU.--Oh! ne voulez-vous pas de raisin, renard +royal? Mais vous mangerez mon bon raisin, si mon royal +renard peut y atteindre. J'ai vu un médecin qui est capable +de faire entrer la vie dans une pierre, d'animer un +rocher, de vous faire danser la canarie<a id="footnotetag14" name="footnotetag14"></a> +<a href="#footnote14"><sup class="sml">14</sup></a> avec feu et du +pas le plus léger. Son simple toucher aurait la vertu de +ressusciter le roi Pépin: oui, de faire prendre au grand +Charlemagne une plume en main, pour lui écrire à elle +un billet doux.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote14" +name="footnote14"><b>Note 14: </b></a><a href="#footnotetag14"> +(retour) </a> Danse française alors en vogue.</blockquote> + +<p>LE ROI.--Que voulez-vous dire par <i>elle?</i></p> + +<p>LAFEU.--Je veux dire un docteur femelle.--Sire, il y +en a un d'arrivé, si vous voulez la voir.--Sur ma foi, sur +mon honneur, si après ce début léger je puis revenir à +vous parler sérieusement, j'ai causé avec une personne, +qui par son sexe, par sa jeunesse, par sa déclaration, +par sa sagesse et sa constance, m'a plus étonné que je +n'ose en blâmer ma faiblesse.--Voulez-vous la voir, +sire (car c'est ce qu'elle demande), et savoir ce qu'elle +veut faire? Après, moquez-vous bien de moi.</p> + +<p>LE ROI.--Allons, bon Lafeu, introduis ta merveille, +afin que nous puissions partager ton admiration, ou te +guérir de la tienne, en admirant où tu l'as prise.</p> + +<p>LAFEU.--Oh! je vous convaincrai, et il ne me faudra +pas tout le jour pour cela.</p> + +<p class="stage1">(Lafeu sort.)</p> + +<p>LE ROI.--Voilà toujours ses grands prologues, pour +aboutir à des riens.</p> + +<p class="stage1">(Lafeu revient et introduit Hélène.)</p> + +<p>LAFEU, <span class="stage2"><i>à Hélène</i></span>.--Allons, entrez.</p> + +<p>LE ROI.--Tant de hâte donne des ailes.</p> + +<p>LAFEU, <span class="stage2"><i>à Hélène</i></span>.--Allons, avancez. Voilà Sa Majesté: +déclarez-lui vos intentions. Vous avez un minois fripon; +mais Sa Majesté ne craint guère ces sortes de traîtres. +Je suis l'oncle de Cressida<a id="footnotetag15" name="footnotetag15"></a> +<a href="#footnote15"><sup class="sml">15</sup></a>, en osant vous laisser tous +deux ensemble. Adieu. <span class="stage2"><i>(Il sort.)</i></span></p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote15" +name="footnote15"><b>Note 15: </b></a><a href="#footnotetag15"> +(retour) </a> Voir Pandarus dans <i>Troïlus et Cressida</i>.</blockquote> + +<p>LE ROI.--Eh bien! ma belle, est-ce à moi que vous +avez affaire?</p> + +<p>HÉLÈNE.--Oui, mon bon seigneur. Gérard de Narbonne +était mon père, bien connu dans l'art qu'il professait.</p> + +<p>LE ROI.--Je l'ai connu.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Je puis donc me dispenser de vous faire son +éloge: il suffit de le connaître.--Sur son lit de mort, il +me donna plusieurs recettes; une entre autres qui était +le fruit le plus précieux de sa pratique, le trésor unique +de sa longue expérience, et il m'ordonna de serrer ce +trésor comme un troisième oeil, plus cher, plus infaillible +que les deux miens. C'est ce que j'ai fait; et ayant +ouï dire que Votre glorieuse Majesté était atteinte de la +funeste maladie, dont la cure a fait le plus d'honneur à +la vertu du remède que m'a laissé mon bon père, je suis +venue vous l'offrir avec mes secours, avec toute l'humilité +que je dois.</p> + +<p>LE ROI.--Nous vous rendons grâces, jeune fille; mais +nous ne pouvons être si crédule en fait de guérison, +lorsque nos plus savants docteurs nous abandonnent, et +que le collège entier a décidé que tous les efforts de l'art +ne pouvaient retirer la nature de sa situation désespérée.--Je +dis que nous ne devons pas déshonorer notre +jugement, ni nous laisser corrompre par une folle espérance, +au point de prostituer à des empiriques notre +maladie incurable: un roi ne doit pas détruire, par une +faiblesse, sa réputation, en faisant cas d'un secours +insensé, lorsqu'il est persuadé qu'il ne faut plus songer +à aucun secours.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Mon zèle m'indemnisera alors de mes peines. +Je ne vous presserai pas davantage d'accepter mes services; +et je demande humblement à Votre Majesté une +petite part dans ses pensées, en prenant congé d'elle.</p> + +<p>LE ROI.--Je ne peux vous donner moins, si je veux +passer pour reconnaissant. Vous avez voulu me secourir: +je vous fais les remerciements qu'un homme, prêt de +mourir, doit à ceux qui font des voeux pour sa vie. Mais +vous n'avez aucune connaissance de ce que je sais, moi, +parfaitement: je connais tout mon danger, et vous ne +connaissez point de remède.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Il ne peut y avoir aucun danger à essayer +ce que je puis faire, puisque vous avez placé votre repos +dans l'opinion que votre mal était incurable.--Celui qui +opère les plus grands prodiges les accomplit souvent par +le plus faible ministre: ainsi la Sainte-Écriture nous +montre la sagesse chez les enfants, dans des cas où les +juges n'étaient eux-mêmes que des enfants. Tandis que +les plus sages niaient les miracles, on a vu de grands +fleuves sortir de faibles sources, et de vastes mers se +dessécher. Souvent l'attente échoue là même où elle promettait +le plus; et souvent elle réussit dans les cas où +l'espérance est la plus languissante, et où règne le +désespoir.</p> + +<p>LE ROI.--Je ne dois point vous écouter. Adieu, ma +bonne fille. Vos peines n'étant pas employées, c'est à +vous de vous en payer. Des offres qu'on n'accepte point +recueillent un remerciement pour leur salaire.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Ainsi un secours inspiré par le ciel est +repoussé par un seul mot! Il n'en est pas de Celui qui +connaît toutes choses comme de nous, qui ne pouvons +asseoir nos conjectures que sur les apparences. Mais +c'est en nous un excès de présomption, lorsque nous +regardons le secours du ciel comme l'ouvrage de +l'homme. Sire, donnez votre consentement à ma tentative: +faites une expérience du ciel, et non pas de moi. +Je ne suis point un imposteur qui proclame une intention +qu'il n'a pas. Mais sachez que je crois, et croyez +aussi que je sais qu'il est certain que mon art n'est pas +sans puissance, ni vous sans espoir de guérison.</p> + +<p>LE ROI.--Avez-vous donc tant de confiance? En combien +de temps espérez-vous me guérir?</p> + +<p>HÉLÈNE.--Si la grâce toute-puissante m'accorde son secours +avant que les chevaux du soleil aient fait parcourir +deux fois à son char enflammé le cercle d'un jour; +avant que l'humide Hespérus ait deux fois éteint sa +lampe assoupie dans les sombres vapeurs de l'occident; +avant que le sablier du pilote lui ait marqué vingt-quatre +fois comment se dérobent les minutes, ce qu'il y +a d'infirme dans les parties saines de votre corps s'enfuira: +la santé reprendra son libre cours, et le mal sera +détruit.</p> + +<p>LE ROI.--Quel gage oses-tu hasarder de ta certitude et +de ta confiance?</p> + +<p>HÉLÈNE.--La peine de l'impudence, la hardiesse d'une +prostituée; ma honte proclamée dans d'injurieuses ballades; +l'infamie attachée à mon nom de vierge; qu'on +me fasse souffrir tout ce qu'il y a de pis, et que ma vie +finisse dans les plus affreuses tortures.</p> + +<p>LE ROI.--Il me semble que j'entends un esprit céleste +parler par ta bouche, et que je reconnais dans ton faible +organe sa voix puissante. Ce que l'impossibilité anéantirait +d'après le sens commun, la raison le sauve d'une +autre manière. Ta vie est d'un grand prix; car tout ce +que la vie estime valoir le nom de vie, tu le possèdes: +jeunesse, beauté, sagesse, courage, vertu, tout ce que le +bonheur et le printemps de l'âge peuvent donner d'heureux; +hasarder tous ces biens, c'est indiquer une science +infinie ou un monstrueux désespoir. Aimable docteur, +je veux essayer de ton remède qui, si je meurs, te donne +la mort.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Si j'excède le temps fixé, ou que j'échoue +dans le succès que j'ai annoncé, faites-moi mourir sans +pitié; je l'aurai bien mérité. Si je ne vous guéris pas, je +le payerai de ma vie; mais si je vous guéris, que me +promettez-vous?</p> + +<p>LE ROI.--Faites votre demande.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Mais me l'accorderez-vous?</p> + +<p>LE ROI.--Oui, par mon sceptre et par mes espérances +de salut!</p> + +<p>HÉLÈNE.--Eh bien! vous me ferez don, de votre main +royale, de l'époux que je vous demanderai, et qu'il sera +en votre pouvoir de me procurer. Loin de moi l'arrogante +présomption de le choisir dans le sang royal de +France, et de vouloir perpétuer la bassesse de mon nom +obscur par un rejeton ou une image de votre auguste +famille; mais j'aurai la liberté de demander, et vous +celle de me donner un de vos vassaux que je connais +bien.</p> + +<p>LE ROI.--Voilà ma main; les prémices observées, ta +volonté sera exécutée par mes soins: ainsi choisis toi-même +ton moment, car moi, décidé à être ton malade, +je me repose entièrement sur toi. Je devrais te questionner +davantage, et je le ferai... quoique, tout en en +sachant davantage, je ne pourrais pas avoir plus de confiance +en toi... Je pourrais te demander d'où tu viens, +qui t'a amenée; mais sois la bienvenue, sans autres +questions, et accueillie sans aucun doute.--Holà! aidez-moi +un peu ici.--Si tes succès égalent tes promesses, +ma récompense égalera ton bienfait.</p> + +<p class="stage1">(Ils sortent.)</p> +<br> +<h3>SCÈNE II</h3> + +<p class="stage1">En Roussillon.--Appartement du palais de la comtesse.</p> + +<p class="stage1">LA COMTESSE <i>entre avec</i> LE BOUFFON.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Viens çà, l'ami. Je veux voir jusqu'à +quel degré va ton savoir-vivre.</p> + +<p>LE BOUFFON.--Je vais vous montrer que je suis fort +bien nourri et fort mal élevé. Je sais que je n'ai affaire +qu'avec la cour.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Comment! qu'avec la cour? Et à quel +autre lieu attaches-tu donc tant d'importance, pour +nommer la cour avec tant de mépris: qu'avec la cour, +dis-tu?</p> + +<p>LE BOUFFON.--En vérité, madame, si Dieu a prêté à un +homme quelques bonnes moeurs, il peut bien les mettre +de côté à la cour. Celui qui ne sait pas saluer, ôter son +chapeau, baiser sa main et dire des riens, n'a ni jambes, +ni mains, ni bouche, ni chapeau, et ma foi, cet homme, +à dire vrai, n'était pas fait pour la cour; mais, pour moi, +j'ai une réponse qui peut servir à tout le monde.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Vraiment, c'est une bien bonne réponse +que celle qui peut aller à toutes les questions.</p> + +<p>LE BOUFFON.--C'est comme une chaise de barbier qui +va bien à tous les derrières, pointus, ronds, carrés, à +tous les derrières possibles.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Et ta réponse ira à toutes les questions?</p> + +<p>LE BOUFFON.--Comme dix sous à la main d'un procureur, +comme une couronne française à une fille en taffetas<a id="footnotetag16" name="footnotetag16"></a> +<a href="#footnote16"><sup class="sml">16</sup></a>; +comme l'anneau de jonc de Tibbie<a id="footnotetag17" name="footnotetag17"></a> +<a href="#footnote17"><sup class="sml">17</sup></a>, à l'index de +Tom, comme les crêpes au mardi gras, comme une +danse moresque au 1er mai, comme le clou à son trou, +l'homme déshonoré à ses cornes, une méchante diablesse +à un coquin bourru, comme les lèvres de la nonne à la +bouche d'un moine; enfin, comme le <i>pudding</i> à sa peau.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote16" +name="footnote16"><b>Note 16: </b></a><a href="#footnotetag16"> +(retour) </a> Couronne française, suite d'une maladie ou écu de France, +équivoque, etc.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote17" +name="footnote17"><b>Note 17: </b></a><a href="#footnotetag17"> +(retour) </a> Allusion à une ancienne coutume de marier avec un anneau +de jonc; mariage fictif dont se jouaient les séducteurs.</blockquote> + +<p>LA COMTESSE.--As-tu, te dis-je, une telle réponse qui +s'ajuste à toutes les questions?</p> + +<p>LE BOUFFON.--Oui, depuis le duc jusqu'au dernier +constable, elle ira à toutes les questions.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Ce doit être une réponse d'une prodigieuse +étendue pour faire ainsi face à toutes les +demandes.</p> + +<p>LE BOUFFON.--Ce n'est pas une bagatelle, à vrai dire, +si les savants voulaient l'apprécier à sa juste valeur. La +voici, avec toutes ses dépendances. Demandez-moi si +je suis un courtisan; cela ne vous fera pas de tort +d'apprendre.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Allons, redevenons jeune si nous pouvons<a id="footnotetag18" name="footnotetag18"></a> +<a href="#footnote18"><sup class="sml">18</sup></a>.--Je +vais faire la folle en te faisant la question, +dans l'espérance que ta réponse me rendra plus sage. +Allons, je vous prie, monsieur, êtes-vous un courtisan?</p> + +<p>LE BOUFFON.--<i>O mon Dieu, monsieur!</i><a id="footnotetag19" name="footnotetag19"></a> +<a href="#footnote19"><sup class="sml">19</sup></a>--Voilà un +moyen bien simple de se défaire des gens.--Allons, +encore, encore, une centaine de questions.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote18" +name="footnote18"><b>Note 18: </b></a><a href="#footnotetag18"> +(retour) </a> C'est-à-dire soyons légère, rions, si nous le pouvons.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote19" +name="footnote19"><b>Note 19: </b></a><a href="#footnotetag19"> +(retour) </a> <i>O Lord, sir!</i> Exclamation du bon ton alors, et que Shakspeare +tourne en ridicule.</blockquote> + +<p>LA COMTESSE.--Monsieur, je suis un pauvre ami à +vous qui vous aime bien.</p> + +<p>LE BOUFFON.--<i>O mon Dieu, monsieur!</i>--Allons, serré, +ne me ménagez pas.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Je pense bien, monsieur, que vous ne +pouvez pas manger de ce mets grossier.</p> + +<p>LE BOUFFON.--<i>O mon Dieu, monsieur!</i>--Allons, embarrassez-moi, +je vous ferai face.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Vous avez été fouetté ces jours derniers, +monsieur, à ce que je crois.</p> + +<p>LE BOUFFON.--<i>O mon Dieu, monsieur!</i>--Ne m'épargnez +pas.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Criez-vous, <i>ô mon Dieu, monsieur!</i> et <i>ne +m'épargnez pas</i>, lorsqu'on vous fouette? Vraiment votre +<i>ô mon Dieu, monsieur!</i> va à merveille dans cette occasion; +ce serait fort bien répondre au fouet si vous étiez +seulement attaché pour le recevoir.</p> + +<p>LE BOUFFON.--Je n'ai jamais eu tant de malheur dans +ma vie pour mon <i>ô mon Dieu, monsieur!</i> je vois bien que +les choses peuvent servir longtemps, mais pas toujours.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Je fais vraiment la ménagère prodigue +avec le temps, de le dépenser en vains propos avec un +fou.</p> + +<p>LE BOUFFON.--<i>O mon Dieu, monsieur!</i>--Tenez, voilà +que cela se retrouve à propos.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Allons, monsieur, finissons; donnez +cette lettre à Hélène, et pressez-la de me faire réponse +sur-le-champ; recommandez-moi à mes parents, à mon +fils: ce n'est pas beaucoup...</p> + +<p>LE BOUFFON.--Ne pas beaucoup vous recommander à +eux?</p> + +<p>LA COMTESSE.--Ce n'est pas beaucoup de peine pour +vous. Vous m'entendez?</p> + +<p>LE BOUFFON.--Avec le plus grand fruit: je suis là +avant mes jambes.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Allons, hâte-toi de revenir.</p> + +<p class="stage1">(Ils sortent.)</p> +<br> +<h3>SCÈNE III</h3> + +<p class="stage1">Paris.--Appartement du palais du roi.</p> + +<p class="stage1"><i>Entrent</i> BERTRAND, LAFEU, PAROLLES.</p> + +<p>LAFEU.--On dit que les miracles sont passés; et nous +avons nos philosophes pour faire de tous les phénomènes +surnaturels et sans cause visible des événements +communs et familiers. Il arrive de là que nous nous +jouons des choses les plus effrayantes, nous retranchant +dans une science illusoire, lorsque nous devrions nous +soumettre à une terreur inconnue.</p> + +<p>PAROLLES.--Oui, c'est une des plus rares merveilles +qui ait éclaté dans nos temps modernes.</p> + +<p>BERTRAND.--Oh! sans doute!</p> + +<p>LAFEU.--D'être abandonné des gens de l'art...</p> + +<p>PAROLLES.--C'est ce que je dis, de Galien et de Paracelse...</p> + +<p>LAFEU.--De tous les personnages savants et authentiques<a id="footnotetag20" name="footnotetag20"></a> +<a href="#footnote20"><sup class="sml">20</sup></a>...</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote20" +name="footnote20"><b>Note 20: </b></a><a href="#footnotetag20"> +(retour) </a> Épithète appliquée aux savants du temps de l'auteur.</blockquote> + +<p>PAROLLES.--Oui, c'est ce que je dis.</p> + +<p>LAFEU.--Qui l'ont déclaré incurable...</p> + +<p>PAROLLES.--Oui, vraiment, c'est ce que je dis aussi.</p> + +<p>LAFEU.--Sans remède...</p> + +<p>PAROLLES.--Oui, comme un homme qui serait assuré +de...</p> + +<p>LAFEU.--Une vie incertaine, et une mort inévitable.</p> + +<p>PAROLLES.--C'est cela même: vous avez raison: c'est +ce que j'allais dire.</p> + +<p>LAFEU.--Je puis dire que c'est quelque chose de nouveau +dans ce monde.</p> + +<p>PAROLLES.--C'est bien vrai; si vous voulez le voir en +représentation, vous le lirez dans... Comment appelez-vous +cela?</p> + +<p>LAFEU.--<i>Représentation d'un effet céleste dans un acteur +terrestre</i><a id="footnotetag21" name="footnotetag21"></a> +<a href="#footnote21"><sup class="sml">21</sup></a>.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote21" +name="footnote21"><b>Note 21: </b></a><a href="#footnotetag21"> +(retour) </a> Titre de quelque ouvrage du temps.</blockquote> + +<p>PAROLLES.--C'est justement là ce que je voulais dire: +c'est cela même.</p> + +<p>LAFEU.--En vérité, le dauphin n'est pas vigoureux.--En +vérité, je parle relativement à...</p> + +<p>PAROLLES.--Oh! cela est étrange, très-étrange: voilà +toute l'histoire et l'embarrassant de la chose, et il faut +être d'un esprit bien pervers pour ne pas reconnaître +que c'est...</p> + +<p>LAFEU.--La main du ciel même.</p> + +<p>PAROLLES.--Oui, c'est ce que je dis.</p> + +<p>LAFEU.--Par le plus faible...</p> + +<p>PAROLLES.--Et le plus débile ministre: un grand pouvoir, +une puissance extraordinaire, qui devrait en vérité +produire encore sur nous d'autres effets que la seule +guérison du roi; comme par exemple...</p> + +<p>LAFEU.--Une reconnaissance universelle.</p> + +<p>PAROLLES.--J'allais le dire: vous avez bien raison.--Voici +le roi qui vient.</p> + +<p class="stage1">(Entrent le roi, Hélène, suite.)</p> + +<p>LAFEU.--<span class="stage2"><i>Lustick</i></span>, comme dit le Hollandais! J'en aimerai +encore mieux les jeunes filles, tant qu'il me restera +une dent dans la bouche. Eh! mais, il est en état de danser +une <i>courante</i> avec elle.</p> + +<p>PAROLLES.--Mort du vinaigre! n'est-ce pas là Hélène?</p> + +<p>LAFEU.--Devant Dieu, je le crois.</p> + +<p>LE ROI.--Allez, appelez devant tous les seigneurs de +ma cour. (<span class="stage2"><i>A Hélène.</i></span>) Asseyez-vous, mon sauveur, à côté +de votre malade; et de cette main rajeunie, où vous avez +rappelé la vie et le sentiment, recevez une seconde fois +la confirmation de ma promesse, et je n'attends de vous +qu'un mot pour désigner le don que vous désirez. (<span class="stage2"><i>Plusieurs +seigneurs entrent.</i></span>) Belle jeune fille, promenez vos +regards autour de vous: cette troupe de jeunes et nobles +seigneurs sont à ma disposition, et je puis exercer sur +eux la puissance d'un souverain et l'autorité d'un père: +faites librement votre choix; vous avez tout pouvoir de +choisir, et eux n'en ont aucun pour vous refuser.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Qu'il puisse échoir à chacun de vous une +belle et vertueuse maîtresse quand il plaira à l'amour! +Je n'en excepte qu'un.</p> + +<p>LAFEU.--Je donnerais mon cheval bai, Curtal, et tout +son harnais, pour que ma bouche fût aussi bien garnie +que celles de ces jeunes gens, et pour que ma barbe fût +aussi peu fournie.</p> + +<p>LE ROI, <span class="stage2"><i>à Hélène</i></span>.--Considérez-les bien tous: il n'en +est pas un parmi eux qui n'ait eu un noble père.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Seigneurs, le ciel a par mes mains rendu la +santé au roi.</p> + +<p>TOUS LES SEIGNEURS.--Nous le voyons, et nous en +remercions le ciel pour vous.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Je ne suis qu'une simple fille, et je déclare +que c'est ma plus grande richesse d'être une simple +fille.--Si c'est le bon plaisir de Votre Majesté, j'ai déjà +fait mon choix.--La rougeur qui se peint sur mes joues +me dit tout bas: «Je rougis de ce que tu vas faire un +choix; mais une fois refusée, que la pâleur de la mort +s'établisse pour toujours sur tes joues; car je n'y reviendrai +plus.»</p> + +<p>LE ROI.--Faites votre choix, et je vous proteste que +celui qui refusera votre amour perdra tout le mien.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Eh bien! Diane, de ce moment je déserte tes +autels, et mes soupirs s'élèvent vers le suprême Amour, +vers ce dieu souverain. (<span class="stage2"><i>A un des seigneurs.</i></span>) Seigneur, +voulez-vous écouter ma requête?</p> + +<p>PREMIER SEIGNEUR.--Oui, et vous l'accorder.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Je vous rends grâces; je n'ai rien à ajouter.</p> + +<p>LAFEU.--J'aimerais mieux être au nombre des objets +de son choix, que de tirer ma vie au sort sur la chance +d'un <i>beset</i><a id="footnotetag22" name="footnotetag22"></a> +<a href="#footnote22"><sup class="sml">22</sup></a>.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote22" +name="footnote22"><b>Note 22: </b></a><a href="#footnotetag22"> +(retour) </a> Terme du jeu de dés.</blockquote> + +<p>HÉLÈNE, <span class="stage2"><i>à un autre seigneur</i>.</span>--La fierté qui étincelle +dans vos beaux yeux me fait une réponse menaçante, +avant même que j'aie parlé. Puisse l'amour vous envoyer +une bonne fortune vingt fois au-dessus du mérite et de +l'humble amour de celle qui vous adresse ce voeu!</p> + +<p>SECOND SEIGNEUR.--Je n'aspire à rien de mieux, si vous +voulez.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Recevez mon voeu, et que le puissant Amour +l'exauce! C'est ainsi que je prends congé de vous.</p> + +<p>LAFEU.--Est-ce qu'ils la refusent tous<a id="footnotetag23" name="footnotetag23"></a> +<a href="#footnote23"><sup class="sml">23</sup></a>? S'ils étaient +mes enfants, je les ferais fouetter, ou je les enverrais au +Grand-Turc pour les faire tous eunuques.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote23" +name="footnote23"><b>Note 23: </b></a><a href="#footnotetag23"> +(retour) </a> Lafeu et Parolles sont à quelque distance, et ne peuvent encore +deviner ce qui se passe.</blockquote> + +<p>HÉLÈNE, <span class="stage2"><i>à un autre seigneur</i></span>.--Ne craignez point que +je prenne votre main: je ne vous ferai jamais de tort, +par égard pour vous. Que le ciel bénisse vos désirs! et si +jamais vous vous mariez, puissiez-vous trouver une +plus belle compagne dans votre lit!</p> + +<p>LAFEU.--Ces jeunes gens sont des garçons de glace: +aucun ne veut d'elle: ce sont des bâtards des Anglais; +jamais des Français ne les ont engendrés.</p> + +<p>HÉLÈNE, <span class="stage2"><i>à un autre seigneur</i></span>.--Vous êtes trop jeune, +trop heureux et trop noble, pour vous donner un fils +formé de mon sang.</p> + +<p>QUATRIÈME SEIGNEUR.--Je ne crois pas cela, ma belle.</p> + +<p>LAFEU.--Il reste encore une grappe... Je suis sûr que +ton père buvait du vin.--Mais si tu n'es pas une imbécile, +je suis, moi, un jeune homme de quatorze ans: je +te connais déjà bien.</p> + +<p>HÉLÈNE, <span class="stage2"><i>à Bertrand</i></span>.--Je n'ose vous dire que je vous +prends: c'est moi qui me donne tout entière à vous, +pour vous servir toute ma vie.--Voilà celui que je +choisis.</p> + +<p>LE ROI, <span class="stage2"><i>à Bertrand</i></span>.--Eh bien! jeune Bertrand, prends-la; +elle est ta femme.</p> + +<p>BERTRAND.--Ma femme, sire? J'oserai conjurer Votre +Majesté de me permettre, en pareille affaire, de m'en +rapporter à mes propres yeux.</p> + +<p>LE ROI.--Ignores-tu donc, Bertrand, ce qu'elle a fait +pour moi?</p> + +<p>BERTRAND.--Je le sais, mon bon roi; mais j'espère +ne jamais savoir pourquoi je dois l'épouser.</p> + +<p>LE ROI.--Tu sais qu'elle m'a relevé de mon lit de +maladie.</p> + +<p>BERTRAND.--Mais faut-il, seigneur, que vous me fassiez +descendre parce qu'elle vous a relevé? Je la connais +très-bien; elle a été élevée aux frais de mon père. La +fille d'un pauvre médecin être ma femme! Que plutôt +l'opprobre efface mon nom pour toujours!</p> + +<p>LE ROI.--Tu ne dédaignes en elle que son nom; je +puis lui en donner un autre. Il est bien étrange que +notre sang à tous, qui pour la couleur, le poids et la +chaleur, mêlé ensemble, n'offrirait aucune trace de +distinction, prétende cependant se séparer par de si +vastes différences. Si elle possède toutes les vertus, et +que tu ne la dédaignes que parce qu'elle est la fille d'un +pauvre médecin, tu dédaignes donc la vertu pour un nom? +Ne fais pas cela: quand des actions vertueuses sortent +d'une source obscure, cette source est illustrée par le +fait de celui qui les accomplit. Être enflé de vains titres +et sans vertus, c'est là un honneur hydropique. Ce qui +est bon par lui-même est bon sans nom; et ce qui est +vil est toujours vil. Le prix des choses dépend de leur +mérite, et non de leur dénomination. Elle est jeune, +sage, belle; elle a reçu cet héritage de la nature, et ces +qualités forment l'honneur. Celui-là mérite le mépris et +non l'honneur, qui se prétend fils de l'honneur et qui ne +ressemble pas à son père. Nos honneurs prospèrent, +lorsque nous les faisons dériver de nos actions plutôt +que de nos ancêtres. Le mot seul est un esclave suborné +à des tombeaux, un trophée menteur sur tous les sépulcres; +et souvent aussi il reste muet sur des tombes où la +poussière et un coupable oubli ensevelissent d'honorables +cendres. Qu'ai-je besoin d'en dire plus? Si tu peux +aimer cette jeune personne comme vierge, je puis créer +tout le reste: elle et sa vertu, c'est sa dot personnelle; +les honneurs et les richesses viendront de moi.</p> + +<p>BERTRAND.--Je ne puis l'aimer, et je ne ferai pas d'efforts +pour y parvenir.</p> + +<p>LE ROI.--Tu te fais injure à toi-même, en hésitant si +longtemps sur ce choix.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Sire, je suis heureuse de vous voir bien +rétabli: qu'il ne soit plus question du reste.</p> + +<p>LE ROI.--Mon honneur est engagé: il faut, pour le +délivrer, que je déploie mon pouvoir. Allons, prends sa +main, hautain et dédaigneux jeune homme, indigne de +ce beau don; puisque tu repousses, par une indigne +erreur, mon amitié et son mérite; toi qui ne t'avises +pas de songer que moi, placé dans son plateau trop +léger, je t'enlèverais jusqu'au fléau; toi qui ne veux pas +savoir qu'il dépend de nous de transporter tes honneurs +où il nous plaira de les faire croître: contiens tes +mépris: obéis à notre volonté qui travaille pour ton +bien: n'écoute point ton vain orgueil: rends sur-le-champ, +pour l'avantage de ta propre fortune, l'hommage +d'obéissance que ton devoir nous doit, et que notre +autorité exige, ou je t'effacerai pour jamais de ma pensée, +et t'abandonnerai aux vertiges et à la ruineuse +témérité de la jeunesse et de l'ignorance, déployant sur +toi ma haine et ma vengeance, au nom de la justice et +sans pitié. Parle: ta réponse?</p> + +<p>BERTRAND.--Pardon, mon gracieux souverain: je soumets +mon amour à vos yeux. Lorsque je considère quelle +riche création et quelle part d'honneur vont s'attacher +où vous l'ordonnez, je trouve que cette fille, qui tout à +l'heure était si bas dans la fierté de mes pensées, est +maintenant l'objet des louanges du roi, et par là anoblie, +comme si elle était bien née.</p> + +<p>LE ROI.--Prends sa main, et dis-lui qu'elle est à toi: +Je te promets de rendre la balance égale entre elle et ton +rang, si je ne fais pas davantage.</p> + +<p>BERTRAND.--Je lui prends la main.</p> + +<p>LE ROI.--Que le bonheur et la faveur du roi sourient à +ce contrat! Toutes les formalités nécessaires pour le +rendre parfait seront accomplies dès ce soir: les fêtes +solennelles peuvent souffrir un plus long délai, et +attendre nos amis absents. Bertrand, si tu l'aimes, ton +amour me reste fidèle, autrement il s'égare.</p> + +<p class="stage1">(Tous sortent, excepté Parolles et Lafeu.)</p> + +<p>LAFEU.--Entendez-vous, monsieur? Un mot, s'il vous +plaît.</p> + +<p>PAROLLES.--Quel est votre bon plaisir, seigneur?</p> + +<p>LAFEU.--Votre seigneur et maître a bien fait de se +rétracter.</p> + +<p>PAROLLES.--Se rétracter? mon maître, mon seigneur?</p> + +<p>LAFEU.--Oui: est-ce que je ne parle pas une langue +intelligible?</p> + +<p>PAROLLES.--Une langue fort dure, et qu'on ne peut +entendre sans qu'il s'ensuive quelque effusion de sang.--Mon +maître!</p> + +<p>LAFEU.--Êtes-vous le camarade du comte de Roussillon?</p> + +<p>PAROLLES.--De quelque comte que ce soit, de tous les +comtes, de tout ce qui est homme.</p> + +<p>LAFEU.--De tout ce qui est l'<i>homme</i> du comte; mais <i>le +maître</i> du comte, c'est autre chose.</p> + +<p>PAROLLES.--Vous êtes trop vieux, monsieur: que cela +vous suffise, vous êtes trop vieux.</p> + +<p>LAFEU.--Il faut que je te dise, maraud, que j'ai le titre +d'homme, moi; titre auquel jamais l'âge ne pourra vous +faire parvenir.</p> + +<p>PAROLLES.--Ce que j'oserais bien, je n'ose pas le faire.</p> + +<p>LAFEU.--Je vous ai cru, pendant deux ordinaires, un +homme de bon sens: vous avez fait tant de récits de vos +voyages: cela pouvait passer; mais les écharpes et les +rubans dont vous êtes couvert m'ont dissuadé de bien +des manières de vous croire un vaisseau de bien gros +calibre.--Je t'ai trouvé à présent; et si je te perds, je ne +m'en embarrasse guère; et cependant tu n'es bon à rien +qu'à reprendre, et tu n'en vaux guère la peine.</p> + +<p>PAROLLES.--Si vous n'étiez pas couvert du privilége de +l'âge...</p> + +<p>LAFEU.--Ne vous plongez pas trop avant dans la colère, +de peur de trop hâter l'épreuve; et si une fois... Que Dieu +ait pitié de toi, poule mouillée!--Allons, mon beau +treillis, fort bien: je n'ai pas besoin d'ouvrir la fenêtre, +je vois tout au travers de toi.--Donne-moi ta main.</p> + +<p>PAROLLES.--Seigneur, vous me faites-là une affreuse +injure.</p> + +<p>LAFEU.--Oui, et c'est de tout mon coeur; et tu en es +bien digne.</p> + +<p>PAROLLES.--Je ne l'ai pas mérité, seigneur.</p> + +<p>LAFEU.--Oh! sur ma foi, jusqu'à la dernière drachme, +et je n'en rabattrai pas un scrupule.</p> + +<p>PAROLLES.--Allons, je serai plus sage...</p> + +<p>LAFEU.--Oui, le plus tôt que tu pourras; car tu as à +virer la voile du côté opposé.--Si jamais on te lie dans +ton écharpe, et qu'on te châtie, tu éprouveras alors ce +que c'est que d'être fier de sa servitude. J'ai envie d'entretenir +ma connaissance avec toi, ou plutôt mon étude, +afin que je puisse dire, au besoin: «C'est un homme +que je connais.»</p> + +<p>PAROLLES.--Seigneur, vous me vexez d'une manière +intolérable.</p> + +<p>LAFEU.--Je voudrais que ce fût pour toi un tourment +d'enfer, et que ta vexation fût éternelle; mais je suis +passé<a id="footnotetag24" name="footnotetag24"></a> +<a href="#footnote24"><sup class="sml">24</sup></a> par l'âge comme tu vas l'être par moi aussi vite +que l'âge me le permettra.</p> + + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote24" +name="footnote24"><b>Note 24: </b></a><a href="#footnotetag24"> +(retour) </a> Équivoque sur le mot <i>past</i>. Lafeu, en parlant ainsi, passe devant +Parolles.</blockquote> + +<p class="stage1">(Il sort.)</p> + +<p>PAROLLES <span class="stage2"><i>seul</i></span>.--Allons, tu as un fils qui me lavera de +cet affront, méchant, hideux et dégoûtant vieillard!--Allons, +il faut que je me contienne: il n'y a pas moyen +d'arrêter les grands. Je le battrai, sur ma vie, si je peux +jamais le rencontrer à propos, fût-il deux fois plus grand +seigneur. Je n'aurai pas plus de pitié de sa vieillesse, +que je n'en aurais de... Je le battrai, pourvu que je le +puisse joindre encore une fois.</p> + +<p class="stage1">(Lafeu revient.)</p> + +<p>LAFEU.--Maraud, votre seigneur et maître est marié: +voilà des nouvelles pour vous. Vous avez une nouvelle +maîtresse.</p> + +<p>PAROLLES.--Je dois franchement conjurer Votre Seigneurie +de vouloir bien m'épargner vos insultes. Il est +mon bon seigneur: mais celui que je sers est là-haut, et +c'est mon maître.</p> + +<p>LAFEU.--Qui? Dieu?</p> + +<p>PAROLLES.--Oui, monsieur.</p> + +<p>LAFEU.--C'est le diable qui est ton maître. Pourquoi +croises-tu ainsi tes bras? Veux-tu faire de tes manches +une paire de chausses? Les autres valets en font-ils +autant? Tu ferais mieux de mettre ta partie inférieure +où est ton nez. Sur mon honneur, si j'étais plus jeune +seulement de deux heures, je te bâtonnerais. Il me +semble que tu es une insulte générale, et que chacun +devrait te battre. Je crois que tu as été créé pour que +tout le monde pût se mettre en haleine sur ton dos.</p> + +<p>PAROLLES.--Voilà qui est bien dur et peu mérité, +seigneur.</p> + +<p>LAFEU.--Allez, allez: vous avez été battu en Italie +pour avoir arraché un fruit d'un grenadier: vous êtes +un vagabond, et non pas un honnête voyageur: vous +faites plus l'impertinent avec les grands seigneurs et les +gens d'honneur, que les armoiries de votre naissance et +de votre vertu ne vous donnent droit de le faire. Vous ne +méritez pas un mot de plus, sans quoi je vous appellerais +un fripon: je vous laisse.</p> + +<p class="stage1">(Lafeu sort.)</p> + +<p class="stage1">(Entre Bertrand.)</p> + +<p>PAROLLES.--C'est bon, c'est bon: oui, oui, bon, bon: +gardons-en le secret quelque temps.</p> + +<p>BERTRAND.--Perdu et condamné aux soucis pour toujours!</p> + +<p>PAROLLES.--Qu'avez-vous, mon cher coeur?</p> + +<p>BERTRAND.--Quoique je l'aie solennellement juré +devant le prêtre, je ne partagerai jamais son lit.</p> + +<p>PAROLLES.--Quoi? quoi donc, mon cher coeur?</p> + +<p>BERTRAND.--O mon Parolles, ils m'ont marié!--Je +veux aller aux guerres de Toscane, et jamais je ne coucherai +avec elle.</p> + +<p>PAROLLES.--La France est un vrai chenil: elle ne +mérite pas d'être foulée aux pieds par un homme. A la +guerre!</p> + +<p>BERTRAND.--Voilà des lettres de ma mère: ce qu'elles +contiennent, je ne le sais pas encore.</p> + +<p>PAROLLES.--Il faudrait le savoir.--A la guerre, mon +garçon, à la guerre! Il tient son honneur caché dans une +boîte, celui qui reste chez lui à caresser sa créature et +à dépenser dans ses bras sa vigueur virile, qui devrait +soutenir les bonds et la fougue de l'ardent coursier de +Mars. Aux pays étrangers! La France est une étable, et +nous, qui y demeurons, des rosses. Allons, à la guerre!</p> + +<p>BERTRAND.--Oui, j'irai.--Je l'enverrai chez moi; j'informerai +ma mère de mon aversion pour elle, et de la +cause de mon évasion; j'écrirai au roi ce que je n'ai pas +osé lui dire: le don qu'il vient de me faire me servira à +m'équiper pour les guerres d'Italie, où les braves combattent. +La guerre est un repos, comparée à une sombre +maison et à une femme odieuse.</p> + +<p>PAROLLES.--Ce caprice tiendra-t-il? en êtes-vous bien +sûr?</p> + +<p>BERTRAND.--Venez avec moi dans ma chambre, et +aidez-moi de vos conseils. Je vais la congédier sur-le-champ. +Demain je pars pour la guerre, et elle pour sa +douleur solitaire.</p> + +<p>PAROLLES.--Oh! comme les balles rebondissent! quel +vacarme elles font!--Cela est dur-.--Un jeune homme +marié est un jeune homme perdu: ainsi, partez, et quittez-la +bravement: allez. Le roi vous a fait outrage.--Mais, +chut! c'est comme cela...</p> + +<p class="stage1">(Ils sortent.)</p> +<br> +<h3>SCÈNE IV</h3> + +<p class="stage1">Même lieu.--Un autre appartement.</p> + +<p class="stage1"><i>Entrent</i> HÉLÈNE ET LE BOUFFON.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Ma mère me salue avec bonté. Est-elle bien?</p> + +<p>LE BOUFFON.--Elle n'est pas bien, et pourtant elle jouit +de sa santé: elle est gaie, mais pourtant elle n'est pas +bien; mais Dieu soit loué! elle est bien et n'a besoin de +rien dans ce monde, et pourtant elle n'est pas bien.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Si elle est bien, quel mal a-t-elle donc, +qu'elle ne soit pas bien?</p> + +<p>LE BOUFFON.--Vraiment, elle serait très bien s'il ne +lui manquait pas deux choses.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Quelles sont ces deux choses?</p> + +<p>LE BOUFFON.--La première, c'est qu'elle n'est pas dans +le ciel, où Dieu veuille l'envoyer promptement; la +seconde, c'est qu'elle est sur la terre, d'où Dieu veuille la +renvoyer promptement.</p> + +<p class="stage1">(Entre Parolles.)</p> + +<p>PAROLLES.--Salut, mon heureuse dame!</p> + +<p>HÉLÈNE.--Je me flatte d'avoir votre aveu pour ma +bonne fortune.</p> + +<p>PAROLLES.--Vous avez mes voeux pour qu'elle augmente, +et mes voeux encore pour qu'elle dure. (<span class="stage2"><i>Au bouffon.</i></span>) +Ah! mon vaurien! comment se porte ma vieille +dame?</p> + +<p>LE BOUFFON.--Si vous aviez ses rides, et moi ses écus, +je voudrais qu'elle fût comme vous dites.</p> + +<p>PAROLLES.--Eh! je ne dis rien.</p> + +<p>LE BOUFFON.--Vraiment, vous n'en êtes que plus sage; +car souvent la langue d'un homme est la ruine de son +maître: ne dire rien, ne faire rien, ne savoir rien, et +n'avoir rien, font une grande partie de vos titres, qui ne +diffèrent pas grandement de rien.</p> + +<p>PAROLLES.--Va-t'en; tu es un vaurien.</p> + +<p>LE BOUFFON.--Vous auriez dû dire, monsieur, devant +un vaurien, tu es un vaurien; c'est-à-dire, devant moi tu +es un vaurien; et cela aurait été la vérité, monsieur.</p> + +<p>PAROLLES.--Va, va, tu es un rusé fou: je t'ai découvert.</p> + +<p>LE BOUFFON.--Me découvrez-vous en vous-même, +monsieur? ou bien, vous a-t-on appris à me découvrir? +La recherche, monsieur, était des plus profitables; et +vous pourriez trouver beaucoup du fou en vous, au grand +déplaisir du monde, et pour augmenter les risées.</p> + +<p>PAROLLES.--Un bon drôle, ma foi, et bien nourri!--Madame, +mon seigneur va partir ce soir. Une affaire +très-sérieuse l'appelle: il sait les grandes prérogatives +et les droits de l'amour, que la circonstance réclame +comme vous étant dus; mais il est contraint, malgré +lui, de les remettre à un autre temps. Cette privation et +ce délai sont rachetés par les douceurs qui vont se préparer +dans cet intervalle forcé, pour inonder de joie +l'heure à venir, et faire déborder la coupe des plaisirs.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Quelles sont ses autres intentions?</p> + +<p>PAROLLES.--Que vous preniez à l'instant congé du roi, +et que vous donniez cette précipitation pour votre propre +décision en l'appuyant de toutes les raisons que vous +pourrez trouver pour rendre cette nécessité vraisemblable.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Que commande-t-il encore?</p> + +<p>PAROLLES.--Qu'après avoir obtenu ce congé, vous vous +conformiez sur-le-champ à ses autres intentions.</p> + +<p>HÉLÈNE.--En tout je suis soumise à sa volonté.</p> + +<p>PAROLLES.--Je vais l'en assurer de votre part.</p> + +<p class="stage1">(Parolles sort.)</p> + +<p>HÉLÈNE.--Je vous en prie. (<span class="stage2"><i>Au bouffon.</i></span>) Viens, drôle.</p> + +<p class="stage1">(Ils sortent.)</p> +<br> +<h3>SCÈNE V</h3> + +<p class="stage1">Un autre appartement dans le même lieu.</p> + +<p class="stage1"><i>Entrent</i> LAFEU, BERTRAND.</p> + +<p>LAFEU.--Mais j'espère que Votre Seigneurie ne le regarde +pas comme un guerrier?</p> + +<p>BERTRAND.--Comme un guerrier, seigneur, et qui a +fait ses preuves de courage.</p> + +<p>LAFEU.--Vous le tenez de sa bouche?</p> + +<p>BERTRAND.--Et de bien d'autres témoignages valables.</p> + +<p>LAFEU.--Allons, mon cadran ne va donc pas bien? j'ai +pris cette allouette pour un traquet<a id="footnotetag25" name="footnotetag25"></a> +<a href="#footnote25"><sup class="sml">25</sup></a>.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote25" +name="footnote25"><b>Note 25: </b></a><a href="#footnotetag25"> +(retour) </a> Espèce d'oiseau qui fait son nid à terre. <i>Penancola, avis alaudæ +similis.</i></blockquote> + +<p>BERTRAND.--Je vous assure, seigneur, qu'il a de grandes +connaissances et qu'il n'a pas moins de bravoure.</p> + +<p>LAFEU.--J'ai donc péché contre son expérience et prévariqué +contre sa valeur; et je suis à cet égard dans un +état dangereux, car je ne puis trouver dans mon coeur +le moindre désir de m'en repentir.--Le voici qui vient, +je vous en prie, réconciliez-nous: je veux rechercher +son amitié.</p> + +<p class="stage1">(Entre Parolles.)</p> + +<p>PAROLLES.--Tout cela se fera, monsieur.</p> + +<p>LAFEU, <span class="stage2"><i>à Bertrand</i></span>.--Je vous en prie, monsieur, dites-moi +quel est son tailleur?</p> + +<p>PAROLLES.--Monsieur?</p> + +<p>LAFEU.--Oh! je le connais bien. Oui, monsieur; c'est +vraiment, monsieur, un bon ouvrier, un fort bon tailleur.</p> + +<p>BERTRAND, <span class="stage2"><i>bas à Parolles</i></span>.--Est-elle allée trouver le roi?</p> + +<p>PAROLLES.--Elle y est allée.</p> + +<p>BERTRAND.--Partira-t-elle ce soir?</p> + +<p>PAROLLES.--Comme vous le lui avez ordonné.</p> + +<p>BERTRAND.--J'ai écrit mes lettres, enfermé mon trésor +dans ma cassette, donné mes ordres pour nos chevaux; +et ce soir, à l'heure où je devrais prendre possession de +la mariée, je finirai avant d'avoir commencé.</p> + +<p>LAFEU.--Un honnête voyageur est quelque chose à la +fin d'un dîner; mais un homme qui débite trois mensonges +et se sert d'une vérité connue de tout le monde +pour faire passer un millier de balivernes mérite d'être +écouté une fois et fustigé trois. (<span class="stage2"><i>A Parolles.</i></span>) Dieu vous +assiste, capitaine!</p> + +<p>BERTRAND, <span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>.--Y aurait-il quelque mésintelligence +entre ce noble seigneur et vous, monsieur?</p> + +<p>PAROLLES.--Je ne sais pas comment j'ai mérité de tomber +dans la disgrâce de mon noble seigneur.</p> + +<p>LAFEU.--Vous avez trouvé moyen d'y tomber et de +vous y enfoncer tout entier, en bottes et éperons, comme +celui qui saute dans la crème<a id="footnotetag26" name="footnotetag26"></a> +<a href="#footnote26"><sup class="sml">26</sup></a>, et vous en ressortirez +promptement plutôt que de souffrir qu'on vous demande +raison de ce que vous restez dedans.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote26" +name="footnote26"><b>Note 26: </b></a><a href="#footnotetag26"> +(retour) </a> Allusion à une pasquinade des baladins qui sautaient, dans +les fêtes de Londres, tout bottés dans un plat de crème.</blockquote> + +<p>BERTRAND.--Il se pourrait que vous vous fussiez mépris +sur son compte, seigneur.</p> + +<p>LAFEU.--Et je m'y méprendrai toujours, quand même +je le surprendrais en prières.--Adieu, seigneur, et +croyez ce que je vous dis, qu'il n'y a point d'amande +dans cette noix légère: toute l'âme de cet homme +est dans ses habits; ne vous fiez à lui dans aucune +affaire de conséquence; j'ai apprivoisé de ces gens-là, +et je connais leur naturel. (<span class="stage2"><i>A Parolles.</i></span>) Adieu, monsieur; +j'ai mieux parlé de vous que vous n'avez mérité +et que vous ne mériterez de moi; mais il faut rendre le +bien pour le mal.</p> + +<p class="stage1">(Il sort.)</p> + +<p>PAROLLES.--Un frivole vieillard, je jure!</p> + +<p>BERTRAND.--Je le crois.</p> + +<p>PAROLLES.--Eh mais! ne le connaissez-vous pas?</p> + +<p>BERTRAND.--Oui, je le connais bien, et l'opinion commune +lui donne du mérite.--Voici venir mon entrave.</p> + +<p class="stage1">(Entre Hélène.)</p> + +<p>HÉLÈNE.--J'ai, monsieur, suivant l'ordre que vous +m'en avez donné, parlé au roi, et j'ai obtenu son agrément +pour partir sur-le-champ. Seulement, il désire +vous parler en particulier.</p> + +<p>BERTRAND.--J'obéirai à sa volonté.--Il ne faut pas, +Hélène, vous étonner de mon procédé, qui ne paraît pas +s'accorder avec les circonstances et qui ne remplit pas +l'office qu'elles exigent de moi. Je n'étais pas préparé à +cet événement, voilà pourquoi je me trouve si fort en +désordre; cela m'engage à vous prier de vous mettre en +route sur-le-champ pour vous rendre chez moi, et de +chercher à deviner plutôt que de me demander le motif +de cette prière; car mes raisons sont meilleures qu'elles +ne paraissent, et mes affaires sont d'une nécessité plus +pressante qu'il ne le semble à première vue, à vous qui +ne les connaissez pas.--Cette lettre est pour ma mère. +(<span class="stage2"><i>Il lui remet une lettre.</i></span>) Il se passera deux jours avant que +je vous revoie. Adieu; je vous abandonne à votre sagesse.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Monsieur, je ne puis vous répondre autre chose, sinon que je +suis votre très-obéissante servante.</p> + +<p>BERTRAND.--Allons, allons, ne parlons plus de cela.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Et que je chercherai toujours, par tous mes +efforts, à réparer ce que mon étoile vulgaire a laissé en +moi de défectueux pour être de niveau avec ma grande +fortune.</p> + +<p>BERTRAND.--Laissons cela; je suis extrêmement pressé. +Adieu; allez-vous-en chez moi.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Je vous prie, monsieur, permettez...</p> + +<p>BERTRAND.--Eh bien! que voulez-vous dire?</p> + +<p>HÉLÈNE.--Je ne suis pas digne du trésor que je possède, +et je n'ose pas dire qu'il soit à moi, et cependant il est à +moi; mais, comme un voleur timide, je voudrais bien +dérober ce que la loi m'accorde de droit.</p> + +<p>BERTRAND.--Que voulez-vous avoir?</p> + +<p>HÉLÈNE.--Quelque chose,--et à peine autant;--rien +dans le fond.--Je ne voudrais pas vous dire ce +que je voudrais, seigneur.--Mais pourtant, si.--Les +étrangers et les ennemis se séparent et ne s'embrassent +pas.</p> + +<p>BERTRAND.--Je vous en prie, ne perdez pas de temps; +mais vite à cheval.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Je n'enfreindrai pas vos ordres, mon bon +seigneur.</p> + +<p>BERTRAND, <span class="stage2"><i>à Parolles, d'un air fort empressé</i></span>.--Où sont +mes autres gens, monsieur? (<span class="stage2"><i>A Hélène.</i></span>) Adieu. (<span class="stage2"><i>Hélène +sort.</i></span>) Va chez moi, où je ne rentrerai de ma vie tant que +je pourrai manier mon épée ou entendre le son du tambour.--Allons, +partons, et songeons à notre fuite.</p> + +<p>PAROLLES.--Bravo! coragio!</p> + +<p class="stage1">(Ils sortent.)</p> + +<p>FIN DU DEUXIÈME ACTE.</p> +<br><br><br> +<h3>ACTE TROISIÈME</h3> +<br> +<h3>SCÈNE I</h3> + +<p class="stage1">A Florence.--Appartement dans le palais du duc.</p> + +<p class="stage1"><i>Entrent</i> LE DUC DE FLORENCE, DEUX SEIGNEURS +FRANÇAIS; Gardes. <i>Fanfares.</i></p> + +<p>LE DUC.--Ainsi, vous voilà instruits de point en point +des raisons fondamentales de cette guerre, dont les +grands intérêts ont déjà fait verser bien du sang, en restant +toujours altérés d'en répandre.</p> + +<p>PREMIER SEIGNEUR.--La querelle paraît sacrée de la +part de Votre Altesse; mais de la part des ennemis, elle +semble inique et odieuse.</p> + +<p>LE DUC.--C'est pourquoi je m'étonne fort que notre +cousin le roi de France puisse, dans une cause aussi +juste, fermer son coeur à nos prières suppliantes.</p> + +<p>SECOND SEIGNEUR.--Mon bon seigneur, je ne puis vous +éclairer sur les motifs de notre gouvernement, ni en +parler que comme un homme ordinaire qui n'est pas +dans les affaires, et qui s'imagine l'auguste machine du +conseil d'après ses imparfaites notions: aussi je n'ose +pas vous dire ce que j'en pense, d'autant moins que je +me suis vu trompé dans mes incertaines conjectures +toutes les fois que j'ai tenté d'en faire.</p> + +<p>LE DUC.--Qu'il fasse suivant son bon plaisir.</p> + +<p>SECOND SEIGNEUR.--Mais je suis sûr du moins que notre +jeunesse, rassasiée de son repos, va accourir ici tous les +jours pour se guérir.</p> + +<p>LE DUC.--Ils seront bien reçus, et tous les honneurs +que nous pouvons répandre iront s'attacher sur eux. +Vous connaissez vos postes. Quand les premiers de l'armée +tombent, c'est pour votre avantage.--Demain au +champ de bataille!</p> + +<p class="stage1">(Ils sortent.)</p> +<br> +<h3>SCÈNE II</h3> + +<p class="stage1">En Roussillon.--Appartement dans le palais de la comtesse.</p> + +<p class="stage1">LA COMTESSE, LE BOUFFON.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Tout est arrivé comme je le désirais, +excepté qu'il ne revient point avec elle.</p> + +<p>LE BOUFFON.--Sur ma foi, je pense que mon jeune +seigneur est un homme fort mélancolique.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Et sur quel fondement, je te prie?</p> + +<p>LE BOUFFON.--Eh! c'est qu'il regardait ses bottes, et +puis chantait; qu'il rajustait sa fraise, et puis chantait; +qu'il faisait des questions, puis chantait; qu'il se curait +les dents, et chantait encore. J'ai connu un homme avec +ce tic de mélancolie, qui a vendu un bon manoir pour +une chanson.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Voyons ce qu'il écrit et quand il se propose +de revenir.</p> + +<p>LE BOUFFON.--Je n'ai plus de goût pour Isabeau depuis +que je suis allé à la cour. Nos vieilles morues et nos Isabeau +de campagne ne ressemblent en rien à vos vieilles +morues et à vos Isabeau de cour. La cervelle de mon +Cupidon est fêlée, et je commence à aimer comme un +vieillard aime l'argent,--sans appétit.</p> + +<p>LA COMTESSE, <span class="stage2"><i>ouvrant la lettre</i></span>.--Qu'avons-nous ici?</p> + +<p>LE BOUFFON.--Précisément ce que vous avez là.</p> + +<p class="stage1">(Il sort.)</p> + +<p>LA COMTESSE <i>lit la lettre.--Je vous envoie une belle-fille: +elle a guéri le roi et m'a perdu. Je l'ai épousée; mais je n'ai +pas couché avec elle, et j'ai juré que ce refus serait éternel. +On ne manquera pas de vous informer que je me suis enfui. +Apprenez-le donc de moi, avant de le savoir par le bruit public. +Si le monde est assez vaste, je mettrai toujours une +bonne distance entre elle et moi. Agréez mon respect.</i></p> + +<p><i>Votre fils infortuné,</i> BERTRAND.</p> + +<p>--Ce n'est pas bien, jeune homme téméraire et indiscipliné, +de fuir ainsi les faveurs d'un si bon roi, d'attirer +son indignation sur ta tête en méprisant une jeune fille +trop vertueuse pour être dédaignée, même de l'empereur.</p> + +<p class="stage1">(Le bouffon entre.)</p> + +<p>LE BOUFFON.--Oh! madame, il y a là-bas de tristes +nouvelles entre deux officiers et ma jeune maîtresse.</p> + +<p>LA COMTESSE.--De quoi s'agit-il?</p> + +<p>LE BOUFFON.--Et cependant il y a aussi quelque chose +de consolant dans les nouvelles; oui, de consolant: votre +fils ne sera pas tué aussitôt que je le pensais.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Et pourquoi serait-il tué?</p> + +<p>LE BOUFFON.--C'est ce que je dis, madame, s'il s'est +sauvé, comme je l'entends dire. Le danger était de rester +auprès de sa femme: c'est la perte des hommes, +quoique ce soit le moyen d'avoir des enfants. Les voici +qui viennent; ils vous en diront davantage. Pour moi, +je sais seulement que votre fils s'est sauvé.</p> + +<p class="stage1">(Hélène entre accompagnée de deux gentilshommes.)</p> + +<p>PREMIER GENTILHOMME.--Dieu vous garde! chère comtesse.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Madame, mon seigneur est parti, parti pour +toujours.</p> + +<p>SECOND GENTILHOMME.--Ne dites pas cela.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Armez-vous de patience.--Eh! je vous +prie, messieurs, parlez. J'ai senti tant de secousses de +joie et de douleur, que le premier aspect et le choc imprévu +de l'une ou de l'autre ne peuvent plus me faire +éprouver l'émotion d'une femme.--Où est mon fils, je +vous prie?</p> + +<p>SECOND GENTILHOMME.--Madame, il est allé servir le +duc de Florence. Nous l'avons rencontré là, car nous +en venons, et après avoir remis quelques dépêches +dont nous sommes chargés pour la cour, nous y retournons.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Jetez les yeux sur cette lettre, madame. +Voici mon congé.--<i>(Lisant.) «Quand tu auras obtenu +l'anneau que je porte à mon doigt, et qui ne le quittera +jamais, et que tu me montreras un enfant né de toi, dont +j'aurai été le père, alors appelle-moi ton mari. Mais cet</i> +alors, <i>je le nomme</i> jamais.»--C'est une terrible sentence!</p> + +<p>LA COMTESSE.--Avez vous apporté cette lettre, messieurs?</p> + +<p>SECOND GENTILHOMME.--Oui, madame; et d'après ce +qu'elle contient, nous regrettons nos peines.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Je t'en conjure, ma chère, prends courage. +Si tu gardes pour toi seule toutes ces douleurs, tu +m'en dérobes la moitié. Il était mon fils; mais j'efface +son nom de mon coeur, et tu seras mon unique enfant.--Il +est donc allé du côté de Florence?</p> + +<p>SECOND GENTILHOMME.--Oui, madame.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Et pour être soldat?</p> + +<p>PREMIER GENTILHOMME.--Telles sont, en effet, ses nobles +intentions, et je suis persuadé que le duc lui rendra tous +les honneurs convenables.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Y retournez-vous?</p> + +<p>PREMIER GENTILHOMME.--Oui, madame, et avec la plus +grande diligence.</p> + +<p>HÉLÈNE, <i>lisant</i>.--<i>Jusqu'à ce que je n'y aie plus de femme, +la France ne me sera rien.</i></p> + +<p>--C'est amer!</p> + +<p>LA COMTESSE.--Y a-t-il cela là-dedans?</p> + +<p>HÉLÈNE.--Oui, madame.</p> + +<p>PREMIER GENTILHOMME.--Ce n'est peut-être qu'un écart +de sa main auquel son coeur n'a pas consenti.</p> + +<p>LA COMTESSE.--<i>La France ne lui sera rien tant qu'il y +aura une femme?</i> Il n'y a qu'elle seule qui soit trop +bonne pour lui, et elle méritait un prince que vingt +jeunes étourdis comme lui suivissent avec respect pour +l'appeler à toute heure leur maîtresse.--Qui avait-il +avec lui?</p> + +<p>PREMIER GENTILHOMME.--Un seul domestique et un gentilhomme +que j'ai connu jadis.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Parolles, n'est-ce pas?</p> + +<p>PREMIER GENTILHOMME.--Oui, madame, c'est lui-même.</p> + +<p>LA COMTESSE.--C'est une âme corrompue et pleine de +scélératesse. Mon fils, séduit par ses conseils, pervertit +un coeur bien né.</p> + +<p>PREMIER GENTILHOMME.--En effet, madame, cet homme +a bien de la scélératesse, trop, et cela l'oblige à en user.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Soyez les bienvenus, messieurs. Je vous +prie, quand vous reverrez mon fils, de lui dire que son +épée ne peut jamais acquérir autant d'honneur qu'il en +a perdu. Je vais lui en écrire davantage, et je vous prierai +de lui remettre ma lettre.</p> + +<p>SECOND GENTILHOMME.--Nous sommes prêts à vous servir, +madame, en ceci et dans toutes vos affaires les plus +importantes.</p> + +<p>LA COMTESSE.--A condition que nous ferons échange +de politesses. Voulez-vous m'accompagner?</p> + +<p class="stage1">(La comtesse et les gentilshommes sortent.)</p> + +<p>HÉLÈNE.--<i>Jusqu'à ce que je n'y aie plus de femme, la France +ne me sera rien!</i>--La France ne lui sera rien tant qu'il aura +une femme en France. Tu n'en auras plus, Roussillon; +tu n'en auras plus en France. Reprends-y donc tout le +reste. Pauvre comte! est-ce moi qui te chasses de ton +pays et qui expose tes membres délicats aux chances de +la guerre, qui n'épargne personne? Est-ce moi qui t'exile +d'une cour charmante, où tu étais le point de mire des +plus beaux yeux, pour t'exposer aux coups des mousquets +fumants? O vous, messagers de plomb, qui volez +rapidement sur des ailes de feu, détournez-vous et manquez +votre but! Percez l'air invulnérable qui siffle quand +on le perce, et ne touchez pas mon seigneur. Quiconque +tire sur lui, c'est moi qui le dirige; quiconque avance le +fer levé contre son sein intrépide, c'est moi, malheureuse, +qui l'y excite. Et quoique ce ne soit pas moi qui +le tue, je suis cependant la cause de sa mort. Il aurait +mieux valu pour moi que je rencontrasse le lion féroce +quand il rugit, pressé par la faim. Il aurait mieux valu +que toutes les calamités qui assiègent la nature fussent +tombées sur ma tête. Non, reviens dans ta patrie, Roussillon; +quitte ces lieux, où l'honneur ne recueille du +danger que des cicatrices et où souvent il perd tout. Je +vais m'en aller. C'est parce que je suis ici que tu t'éloignes. +Y resterais-je pour t'empêcher d'y revenir? Non, +non; quand on respirerait chez toi l'air du paradis, et +qu'on y serait servi par des anges, je m'en irais. Puisse +la renommée, touchée de pitié, t'annoncer ma fuite pour +te consoler! O nuit! viens; et toi, jour, hâte-toi de finir; +car, pendant l'obscurité, je veux me dérober de ces lieux +comme un pauvre voleur.</p> + +<p class="stage1">(Elle sort.)</p> +<br> +<h3>SCÈNE III</h3> + +<p class="stage1">La scène est à Florence, devant le palais du duc.</p> + +<p class="stage1">Fanfares. LE DUC DE FLORENCE, BERTRAND,<br> +Seigneurs, <i>officiers et soldats</i>.</p> + +<p>LE DUC.--Tu seras commandant de notre cavalerie; +fort de nos espérances, nous t'accordons notre amitié +et plaçons notre confiance dans les promesses de ta +fortune.</p> + +<p>BERTRAND.--Seigneur, c'est un fardeau trop pesant +pour mes forces; cependant je m'efforcerai de le soutenir, +pour l'amour de Votre Altesse, jusqu'à la dernière +extrémité.</p> + +<p>LE DUC.--Pars donc, et que la fortune joue avec ton +cimier comme une maîtresse propice!</p> + +<p>BERTRAND.--Ce jour même, ô puissant Mars! j'entre +dans tes rangs. Rends-moi seulement égal à mes voeux, +et je me montrerai amoureux de ton tambour et l'ennemi +de l'amour!</p> +<br> +<h3>SCÈNE IV</h3> + +<p class="stage1">Roussillon.--Appartement du palais de la comtesse.</p> + +<p class="stage1">LA COMTESSE, L'INTENDANT.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Hélas! et pourquoi avez-vous accepté +d'elle cette lettre? Ne deviez-vous pas vous douter qu'elle +allait faire ce qu'elle a fait, dès qu'elle m'envoyait une +lettre? Relisez-la-moi encore.</p> + +<p>L'INTENDANT <i>lit.</i>--<i>Je vais en pèlerinage à Saint-Jacques. +Un amour ambitieux m'a rendue criminelle. Pour expier +mes fautes par un saint voeu, je veux marcher pieds nus sur +la terre glacée. Écrivez, écrivez, afin que mon très-cher +maître, votre fils, puisse se retirer de la sanglante carrière +des combats. Bénissez son retour, et qu'il jouisse des douceurs +de la paix, tandis que moi je bénirai de loin son nom +par les plus ardentes prières. Dites-lui de me pardonner +toutes les peines que je lui ai causées. C'est moi, sa fatale +Junon, qui l'ai éloigné de ses amis de la cour pour l'envoyer +vivre dans les camps ennemis, où le danger et la mort +marchent sur les pas des braves. Il est trop bon et trop beau +pour moi et pour la mort, que je vais chercher moi-même +pour le laisser libre!</i></p> + +<p>LA COMTESSE.--Ah! quels traits aigus percent dans ses +plus douces paroles! Rinaldo, vous n'avez jamais tant +manqué de réflexion qu'en la laissant partir ainsi. Si je +lui avais parlé, je l'aurais bien détournée de ses projets, +sur lesquels elle m'a prévenue.</p> + +<p>L'INTENDANT.--Pardonnez, madame; si je vous eusse +donné la lettre hier au soir, on aurait pu rejoindre Hélène +et cependant elle écrit que toute poursuite serait vaine.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Quel ange s'intéressera à cet indigne +époux? Il ne peut prospérer, à moins que les prières de +celle que le ciel se plaît à entendre et à exaucer ne le +sauvent des vengeances de la justice suprême. Écris, +écris, Rinaldo, à cet époux si indigne de son épouse. Que +chaque mot soit plein de son mérite, qu'il pèse, lui, +trop légèrement. Fais-lui sentir vivement mon extrême +douleur, quoiqu'il y soit peu sensible. Dépêche vers lui +le courrier le plus prompt. Peut-être, quand il apprendra +qu'elle s'en est allée voudra-t-il revenir; et j'espère +qu'aussitôt qu'elle apprendra son retour, elle hâtera +aussi le sien dans ces lieux, conduite par le plus pur +amour. Je ne puis démêler lequel des deux m'est le plus +cher. Cherche le messager. J'ai un poids sur le coeur, et +ma vieillesse est faible. Ma tristesse voudrait des larmes, +et ma douleur me force de parler.</p> + +<p class="stage1">(Ils sortent.)</p> +<br> +<h3>SCÈNE V</h3> + +<p class="stage1">Hors des murs de Florence.</p> + +<p class="stage1">UNE VEUVE DE FLORENCE, DIANE, VIOLENTA,<br> +MARIANA <i>et plusieurs citoyens. On entend au loin une musique<br> +guerrière.</i></p> + +<p>LA VEUVE.--Allons, venez, car s'ils s'approchent de la +ville; nous perdrons tout le coup d'oeil.</p> + +<p>DIANE.--On dit que le comte français nous a rendu les +plus honorables services.</p> + +<p>LA VEUVE.--On rapporte qu'il a pris leur plus grand +capitaine, et que de sa propre main il a tué le frère du +duc. Nous avons perdu nos peines; ils ont pris un chemin +opposé. Écoutez, vous pouvez en juger par leurs +trompettes.</p> + +<p>MARIANA.--Allons, retournons-nous-en, et contentons-nous +du récit qu'on nous en fera. Et vous, Diane, gardez-vous +bien de ce comte français: l'honneur d'une +fille est sa gloire, et il n'y a point d'héritage aussi riche +que l'honnêteté.</p> + +<p>LA VEUVE.--J'ai raconté à ma voisine combien vous +aviez été sollicitée par un gentilhomme de sa compagnie.</p> + +<p>MARIANA.--Je connais ce coquin; qu'il aille se pendre! +Un certain Parolles, un infâme agent que le jeune comte +emploie dans ses intrigues. Défie-toi d'eux, Diane; leurs +promesses, leurs séductions, leurs serments, leurs présents, +et tous ces engins de la débauche, ne sont point +ce qu'on veut les faire croire. Plus d'une jeune fille a +été séduite par là, et le malheur veut que l'exemple de +tant de naufrages de la vertu ne saurait persuader celles +qui viennent après, jusqu'à ce qu'elles soient prises au +piége qui les menaçait. J'espère que je n'ai pas besoin +de vous avertir davantage, car je suis persuadée que +votre vertu vous conservera où vous êtes, quand même +il n'y aurait d'autre danger à craindre que la perte de la +modestie.</p> + +<p>DIANE.--Vous n'avez rien à craindre pour moi.</p> + +<p>LA VEUVE.--Je l'espère. (<span class="stage2"><i>Hélène, en costume de pèlerine.</i></span>) +--Regarde, voici une pèlerine. Je suis sûre qu'elle vient +loger dans ma maison. Ils ont coutume de s'envoyer ici +les uns les autres. Je veux la questionner.--Dieu vous +garde, belle pèlerine! Où allez-vous?</p> + +<p>HÉLÈNE.--A Saint-Jacques-le-Grand. Enseignez-moi, +je vous prie, où logent les pèlerins<a id="footnotetag27" name="footnotetag27"></a> +<a href="#footnote27"><sup class="sml">27</sup></a>?</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote27" +name="footnote27"><b>Note 27: </b></a><a href="#footnotetag27"> +(retour) </a> <i>Palmer</i>, nom dérivé de la branche de palmier que portaient +les pèlerins de profession.</blockquote> + +<p>LA VEUVE.--A l'image Saint-François, ici près du port.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Est-ce là le chemin?</p> + +<p class="stage1">(On entend au loin une musique guerrière.)</p> + +<p>LA VEUVE.--Oui, précisément. Entendez-vous? Ils +viennent de ce côté. Si vous voulez attendre, sainte pèlerine, +que les troupes soient passées, je vous conduirai +à l'endroit où vous logerez, d'autant mieux que je crois +connaître votre hôtesse aussi bien que moi-même.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Est-ce vous?</p> + +<p>LA VEUVE.--Sous votre bon plaisir, pèlerine.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Je vous remercie, et j'attendrai ici votre loisir.</p> + +<p>LA VEUVE.--Vous arrivez, je crois, de France?</p> + +<p>HÉLÈNE.--J'en arrive.</p> + +<p>LA VEUVE.--Vous allez voir ici un de vos compatriotes +qui a fait de grands exploits.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Quel est son nom, je vous prie?</p> + +<p>LA VEUVE.--Le comte de Roussillon. Le connaissez-vous?</p> + +<p>HÉLÈNE.--Seulement par ouï-dire. Je sais qu'il a une +grande réputation; mais je ne connais pas sa figure.</p> + +<p>LA VEUVE.--Quel qu'il soit, il passe ici pour un brave +guerrier. Il s'est évadé de France, à ce qu'on dit, parce +que le roi l'a marié contre son inclination. Croyez-vous +que cela soit vrai?</p> + +<p>HÉLÈNE.--Oui, sûrement; c'est la pure vérité; je connais +sa femme.</p> + +<p>DIANE.--Il y a ici un gentilhomme au service du comte +qui dit bien du mal d'elle.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Comment s'appelle-t-il?</p> + +<p>DIANE.--M. Parolles.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Oh! je crois comme lui qu'en fait de louange +ou auprès du mérite du comte lui-même, son nom ne +vaut pas la peine d'être cité. Tout son mérite est une +vertu modeste, contre laquelle je n'ai entendu faire +aucun reproche.</p> + +<p>DIANE.--Ah! la pauvre dame! C'est un rude esclavage +que d'être la femme d'un époux qui nous déteste.</p> + +<p>LA VEUVE.--Oui, c'est vrai, pauvre créature! En quelque +lieu qu'elle soit, elle a un cruel poids sur le coeur. +Si cette jeune fille voulait, il ne tiendrait qu'à elle de +lui jouer un mauvais tour.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Que voulez-vous dire? Serait-ce que le +comte, amoureux d'elle, la sollicite à une action illégitime?...</p> + +<p>LA VEUVE.--Oui, c'est ce qu'il fait: il emploie tous les +agents qui peuvent corrompre dans un pareil but le +tendre coeur d'une jeune fille; mais elle est bien armée, et +elle oppose à ses attaques la résistance la plus vertueuse.</p> + +<p class="stage1">(Bertrand, Parolles passent, suivis d'officiers et de soldats<br> +florentins, avec des drapeaux et des tambours.)</p> + +<p>MARIANA.--Que les dieux la préservent de ce malheur!</p> + +<p>LA VEUVE.--Les voilà; ils viennent. Celui-ci est Antonio, +le fis aîné du duc: celui-là est Escalus.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Quel est donc le Français?</p> + +<p>DIANE.--Là, celui qui porte ces plumes. C'est un très-bel +homme. Je voudrais bien qu'il aimât sa femme. S'il +était plus honnête, il serait bien plus aimable. N'est-ce +pas un beau jeune homme?</p> + +<p>HÉLÈNE.--Il me plaît beaucoup.</p> + +<p>DIANE.--C'est bien dommage qu'il ne soit pas honnête. +Voilà là-bas le vaurien qui l'entraîne à la débauche. Si +j'étais la femme du comte, j'empoisonnerais ce vil +scélérat.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Lequel est-ce?</p> + +<p>DIANE.--Eh! ce fat avec ses écharpes. Pourquoi donc +a-t-il l'air si triste?</p> + +<p>HÉLÈNE.--Il a peut-être été blessé au combat.</p> + +<p>PAROLLES.--Perdre notre tambour!</p> + +<p>MARIANA.--Il est à coup sûr bien contrarié de quelque +chose. Voyez, il nous a aperçues.</p> + +<p>LA VEUVE.--Au diable! allez vous pendre!</p> + +<p>MARIANA.--Et pour la politesse, je lui souhaite le carcan +autour du cou.</p> + +<p class="stage1">(Sortent Bertrand, Parolles, les officiers; etc.)</p> + +<p>LA VEUVE.--Les troupes sont passées. Venez, pèlerine, +je vous conduirai à l'endroit où vous logerez. Nous avons +déjà à la maison quatre ou cinq pénitents qui ont fait +voeu d'aller à Saint-Jacques.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Je vous remercie humblement. Je désirerais +beaucoup que vous, madame, et votre aimable fille, vous +voulussiez bien souper avec moi ce soir. Je me chargerai +des frais et des remerciements; et pour vous témoigner +davantage ma reconnaissance, je donnerai à cette +jeune personne quelques conseils dignes d'attention.</p> + +<p>TOUTES DEUX ENSEMBLE.--Nous acceptons vos offres +bien volontiers. <span class="stage2">(Elles sortent.)</span></p> +<br> +<h3>SCÈNE VI</h3> + +<p class="stage1">Le camp devant Florence.</p> + +<p class="stage1"><i>Entrent</i> BERTRAND ET DEUX SEIGNEURS FRANÇAIS.</p> + +<p>PREMIER SEIGNEUR.--Je vous en conjure, mon cher +comte, mettez-le à cette épreuve: laissez-lui faire sa +volonté.</p> + +<p>SECOND SEIGNEUR.--Si Votre Seigneurie ne reconnaît +pas qu'il est un lâche, ne m'honorez plus de votre +estime.</p> + +<p>PREMIER SEIGNEUR.--Sur mon honneur, seigneur, c'est +une bulle de savon.</p> + +<p>BERTRAND.--Pensez-vous donc que je me trompe à ce +point sur son compte?</p> + +<p>PREMIER SEIGNEUR.--Croyez ce que je vous dis, seigneur, +d'après ma propre connaissance, et sans aucune +malice, et avec la même vérité que si je vous parlais de +mon parent. C'est un insigne poltron, un déterminé et +éternel menteur, qui manque autant de fois à sa parole +qu'il y a d'heures dans le jour: en un mot, n'ayant pas +une seule bonne qualité pour mériter les bontés de Votre +Seigneurie.</p> + +<p>SECOND SEIGNEUR.--Il serait bon que vous le connussiez, +de peur que, vous reposant trop sur une valeur +qu'il n'a point, il ne puisse, dans une affaire importante +et de confiance, vous manquer au milieu du danger.</p> + +<p>BERTRAND.--Je voudrais bien connaître quelque moyen +de l'éprouver.</p> + +<p>SECOND SEIGNEUR.--Il n'y en a pas de meilleur que de +le laisser aller chercher son tambour. Vous entendez +avec quelle confiance il se vante d'en venir à bout.</p> + +<p>PREMIER SEIGNEUR.--Et moi, avec une troupe de Florentins, +je veux le surprendre tout à coup. J'aurai des +gens qu'il ne distinguera point des troupes ennemies. +Nous le lierons, nous lui banderons les yeux, de sorte +qu'il s'imaginera qu'on le conduit dans le camp ennemi, +lorsque nous l'amènerons dans notre tente. Que Votre +Seigneurie soit seulement présente à son interrogatoire; +si, dans l'espoir de sauver sa vie, et par le sentiment de +la plus lâche peur, il ne s'offre pas à vous trahir et à +révéler tout ce qu'il peut savoir contre vous, et s'il ne +l'affirme pas avec serment au péril éternel de son âme, +n'ayez jamais, seigneur, la moindre confiance en mon +jugement.</p> + +<p>SECOND SEIGNEUR.--Oh! seulement pour le plaisir de +rire, laissez-le aller chercher son tambour. Il se vante +d'avoir imaginé pour cela un stratagème. Lorsque Votre +Seigneurie aura vu le fond de son coeur, et à quel vil +métal se réduira ce lingot d'or prétendu, si vous ne lui +infligez pas le traitement de Jean Tambour<a id="footnotetag28" name="footnotetag28"></a> +<a href="#footnote28"><sup class="sml">28</sup></a>, votre inclination +pour lui est inattaquable.--Le voici.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote28" +name="footnote28"><b>Note 28: </b></a><a href="#footnotetag28"> +(retour) </a> Un vieil intermède imprimé en 1601, portait le nom du +traitement fait à Jean Tambour, <i>Jack Drum</i>, et cette hospitalité +consistait à ce qu'il paraît en coups et en injures.</blockquote> + +<p class="stage1">(Parolles entre.)</p> + +<p>PREMIER SEIGNEUR.--Oh! pour nous donner le plaisir +de rire, ne l'empêchez pas d'accomplir son dessein. +Laissez-le chercher son tambour comme il voudra.</p> + +<p>BERTRAND, <span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>.--Eh bien! comment vous trouvez-vous, +monsieur? Le tambour vous tient donc bien +fort au coeur?</p> + +<p>SECOND SEIGNEUR.--Et que diable! qu'il le laisse aller. +Ce n'est qu'un tambour.</p> + +<p>PAROLLES.--Qu'un tambour! N'est-ce qu'un tambour? +un tambour ainsi perdu! Le beau commandement! +charger les ailes de notre armée avec notre propre cavalerie, +et enfoncer nos propres bataillons!</p> + +<p>SECOND SEIGNEUR.--On ne doit point blâmer le général +qui a commandé: c'est un de ces malheurs de la guerre +que César lui-même n'aurait pu prévenir, s'il eût été là +pour nous commander.</p> + +<p>BERTRAND.--Nous n'avons cependant pas tant à nous +plaindre de notre succès. Il est vrai qu'il y a quelque +déshonneur à avoir perdu ce tambour; mais enfin, il n'y +a plus de moyen de le ravoir.</p> + +<p>PAROLLES.--On aurait pu le ravoir.</p> + +<p>BERTRAND.--On l'aurait pu, mais on ne le peut pas +à présent.</p> + +<p>PAROLLES.--On pourrait encore le ravoir. Si le mérite +d'un service n'était pas si rarement attribué à celui qui +l'a rendu, je l'aurais, ce tambour, lui ou un autre, ou +bien <i>hic jacet</i>.</p> + +<p>BERTRAND.--Mais si vous en avez envie, monsieur; si +vous croyez avoir quelque bonne ruse qui puisse ramener +dans son quartier naturel cet instrument d'honneur, +eh bien! soyez assez généreux pour l'entreprendre. Allez +en avant! je récompenserai cette tentative comme un +exploit glorieux. Si vous réussissez, le duc en parlera, et +vous payera ce service tout ce qu'il pourra valoir, et +d'une manière convenable à sa grandeur.</p> + +<p>PAROLLES.--Par le bras d'un guerrier, je l'entreprendrai.</p> + +<p>BERTRAND.--Mais il faut à présent vous endormir là-dessus.</p> + +<p>PAROLLES.--Je veux m'en occuper dès ce soir; je vais +écrire mes dilemmes, m'encourager dans ma certitude, +faire mes apprêts homicides; et sur le minuit, attendez-vous +à entendre parler de moi.</p> + +<p>BERTRAND.--Puis-je hardiment annoncer à Son Altesse +que vous êtes parti pour vous en occuper?</p> + +<p>PAROLLES.--Je ne sais pas encore quel sera le succès, +seigneur: mais pour le tenter, je vous le jure.</p> + +<p>BERTRAND.--Je sais que tu es brave; et je répondrais +de la possibilité de ta valeur guerrière. Adieu.</p> + +<p>PAROLLES.--Je n'aime pas trop de paroles.</p> + +<p class="stage1">(Il sort.)</p> + +<p>PREMIER SEIGNEUR.--Non, pas plus que le poisson +n'aime l'eau. Cet homme n'est-il pas bien singulier, seigneur, +de paraître entreprendre avec tant de confiance +une chose qu'il sait bien qu'on ne peut faire? Il se +damne à jurer qu'il le fera, et il aimerait mieux être +damné que de le faire.</p> + +<p>SECOND SEIGNEUR.--Vous ne le connaissez pas encore, +seigneur, comme nous le connaissons. Il est bien vrai +qu'il a le talent de s'insinuer dans les bonnes grâces +de quelqu'un, et que pendant une semaine il saura +échapper à bien des occasions de se découvrir; mais +quand vous l'aurez une fois connu, ce sera pour toujours.</p> + +<p>BERTRAND.--Quoi! vous pensez qu'il ne fera rien de +tout ce qu'il s'est engagé si sérieusement à entreprendre?</p> + +<p>SECOND SEIGNEUR.--Rien au monde; mais il s'en +reviendra avec une invention de sa tête, et il vous y +flanquera deux ou trois mensonges plausibles. Mais +nous avons déjà fatigué le cerf, et vous le verrez tomber +cette nuit. En vérité, seigneur, il ne mérite pas vos +bontés.</p> + +<p>PREMIER SEIGNEUR.--Nous vous amuserons un peu +avec le renard, avant que de lui retourner la peau sur +les oreilles. Il a déjà été enfumé par le vieux seigneur +Lafeu. Quand on lui aura ôté son déguisement, vous me +direz alors quel lâche coquin vous le trouverez, et cela +pas plus tard que cette nuit.</p> + +<p>SECOND SEIGNEUR.--Il faut que j'aille tendre mes +pièges: il y sera pris.</p> + +<p>BERTRAND.--Et votre frère va venir avec moi.</p> + +<p>SECOND SEIGNEUR.--Si vous le trouvez bon, seigneur, +je vais vous quitter.</p> + +<p class="stage1">(Il sort.)</p> + +<p>BERTRAND.--Je veux maintenant vous conduire dans +la maison, et vous montrer la jeune fille dont je vous ai +déjà parlé.</p> + +<p>PREMIER SEIGNEUR.--Mais vous me disiez qu'elle était +honnête.</p> + +<p>BERTRAND.--C'est là son défaut; je ne lui ai encore +parlé qu'une fois, et je l'ai trouvée extraordinairement +froide: je lui ai envoyé, par ce même fat que nous +avons sous le vent, des présents et des lettres qu'elle +a renvoyés; et voilà tout ce que j'ai fait jusqu'ici. C'est +une belle créature. Voulez-vous la venir voir?</p> + +<p>PREMIER SEIGNEUR.--De tout mon coeur, seigneur.</p> + +<p class="stage1">(Ils sortent.)</p> +<br> +<h3>SCÈNE VII</h3> + +<p class="stage1">Florence,--Une chambre dans la maison de la veuve.</p> + +<p class="stage1"><i>Entrent</i> HÉLÈNE, LA VEUVE.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Si vous doutez encore que je sois sa femme, +je ne sais plus comment vous donner d'autres preuves, +à moins de détruire les fondements de mon entreprise.</p> + +<p>LA VEUVE.--Quoique j'aie perdu ma fortune, je suis +bien née, et je ne connais rien à ces sortes d'affaires, et +je ne voudrais pas aujourd'hui ternir ma réputation par +une action honteuse.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Je ne voudrais pas non plus vous y exposer. +Croyez d'abord que le comte est mon époux, et que tout +ce que je vous ai confié sous la foi du secret est vrai de +point en point. D'après cela, vous voyez que vous ne +pouvez faire un crime en me prêtant le bon secours que +je vous demande.</p> + +<p>LA VEUVE.--Il faut bien vous croire, car vous m'avez +donné des preuves convaincantes que vous jouissez d'une +grande fortune.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Prenez cette bourse d'or, et laissez-moi +acheter à ce prix les secours de votre amitié, que je +récompenserai encore quand je l'aurai éprouvée. Le +comte courtise votre fille; il fait le siège libertin de sa +beauté, résolu de s'en rendre maître. Qu'elle consente +maintenant à se laisser diriger par nous sur la manière +dont elle doit se conduire. Son sang bouillonne, et il ne +lui refusera rien de ce qu'elle lui demandera. Le comte +porte un anneau qui a passé dans sa maison de père en +fils, depuis quatre ou cinq générations: cet anneau est +d'un grand prix à ses yeux; mais dans son ardeur insensée +pour obtenir ce qu'il veut, le sacrifice ne lui paraîtra +pas trop grand, bien qu'il puisse s'en repentir ensuite.</p> + +<p>LA VEUVE.--Je vois à présent le but que vous vous +proposez.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Vous voyez donc combien il est légitime. Je +désire seulement que votre fille lui demande cet anneau, +avant de faire semblant de se rendre à ses instances; +qu'elle lui assigne un rendez-vous; enfin qu'elle me +laisse à sa place employer le temps pendant qu'elle sera +chastement absente: et après j'ajouterai pour sa dot +trois mille couronnes d'or à ce qui s'est déjà passé entre +nous.</p> + +<p>LA VEUVE.--J'y consens. Instruisez maintenant ma +fille de la manière dont elle doit se conduire pour que +l'heure et le lieu, tout s'accorde dans cette innocente +supercherie. Toutes les nuits il vient avec des instruments +de toute espèce, et des chansons qu'il a composées +pour son peu de mérite; il ne nous sert de rien de +l'écarter de nos fenêtres; il s'obstine à y rester, comme +si sa vie en dépendait.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Eh bien! dès ce soir il faut tenter notre stratagème. +S'il réussit, ce sera une mauvaise intention +attachée à une action légitime et une action vertueuse +dans une action légitime; ni l'un ni l'autre ne pécheront: +et cependant il y aura un péché de commis<a id="footnotetag29" name="footnotetag29"></a> +<a href="#footnote29"><sup class="sml">29</sup></a>. Mais +allons nous en occuper.</p> + +<p class="stage1">(Elles sortent.)</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote29" +name="footnote29"><b>Note 29: </b></a><a href="#footnotetag29"> +(retour) </a> Un crime d'intention de la part de Bertrand.</blockquote> + +<p>FIN DU TROISIÈME ACTE.</p> +<br><br><br> +<h3>ACTE QUATRIÈME</h3> +<br> +<h3>SCÈNE I</h3> + +<p class="stage1">Aux alentours du camp florentin.</p> + +<p class="stage1"><i>Un des</i> SEIGNEURS FRANÇAIS <i>entre sur la scène, suivi de<br> +cinq ou six</i> SOLDATS <i>qui se mettent en embuscade</i>.</p> + +<p>LE CAPITAINE.--Il ne peut venir par d'autre chemin +que par le coin de cette haie. Lorsque vous fondrez sur +lui, servez-vous des termes les plus terribles que vous +voudrez; quand vous ne vous entendriez pas vous-mêmes, +peu importe; car il faut que nous fassions semblant +de ne pas le comprendre, excepté un de nous, que +nous produirons comme interprète.</p> + +<p>UN SOLDAT.--Mon bon capitaine, laissez-moi être l'interprète.</p> + +<p>LE CAPITAINE.--N'es-tu pas connu de lui? Ne connaît-il +pas ta voix?</p> + +<p>LE SOLDAT.--Non, monsieur, je vous le garantis.</p> + +<p>LE CAPITAINE.--Mais quel jargon nous parleras-tu?</p> + +<p>LE SOLDAT.--Celui que vous me parlerez.</p> + +<p>LE CAPITAINE.--Il faut qu'il nous prenne pour quelque +bande d'étrangers à la solde de l'ennemi. N'oublions pas +qu'il a une teinture de tous les langages des pays voisins: +ainsi, il faut que chacun de nous parle un jargon +à sa fantaisie, sans savoir ce que nous nous dirons l'un à +l'autre. Tout ce que nous devons bien savoir, c'est le +projet que nous avons en tête. Croassement de corbeau, +ou tout autre babil, sera bon de reste.--Quant à vous, +monsieur l'interprète, il faut que vous sachiez bien dissimuler.--Mais, +ventre à terre! le voici qui vient, pour +passer deux heures à dormir, et retourner ensuite débiter +et jurer les mensonges qu'il forge.</p> + +<p class="stage1">(Entre Parolles.)</p> + +<p>PAROLLES.--Dix heures! dans trois heures d'ici, il sera +assez temps de retourner au quartier. Qu'est-ce que je +dirai que j'ai fait? Il faut que ce soit quelque invention +plausible pour se faire croire: on commence à me dépister, +et les disgrâces ont dernièrement frappé trop souvent +à ma porte. Je trouve que ma langue est trop téméraire: +mais mon coeur a toujours devant les yeux la +crainte de Mars et de ses enfants, et il ne soutient pas ce +que hasarde ma langue.</p> + +<p>LE CAPITAINE, <span class="stage2"><i>à part</i></span>.--Voilà la première vérité dont +ta langue se soit jamais rendue coupable.</p> + +<p>PAROLLES.--Quel diable m'engageait à entreprendre la +reprise de ce tambour, en connaissant l'impossibilité, +et sachant que je n'en avais nulle envie?--Il faut que je +me fasse moi-même quelques blessures, et que je dise +que je les ai reçues dans l'action; mais de légères blessures +ne suffiraient pas pour persuader. Ils diront: «Quoi! +vous en êtes échappé à si bon marché?»--Et de grandes +blessures, je n'ose pas me les faire. Pourquoi? quelle +preuve aura-t-on?--Ma langue, il faut que je vous mette +dans la bouche d'une marchande de beurre, et que j'en +achète une autre à la mule de Bajazet<a id="footnotetag30" name="footnotetag30"></a> +<a href="#footnote30"><sup class="sml">30</sup></a>, si votre babil me +jette dans les dangers.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote30" +name="footnote30"><b>Note 30: </b></a><a href="#footnotetag30"> +(retour) </a> Quelques-uns lisent <i>mute</i> pour traduire par muet du sérail.</blockquote> + +<p>LE CAPITAINE, <span class="stage2"><i>à part</i></span>.--Est-il possible qu'il sache ce +qu'il est, et qu'il soit ce qu'il est?</p> + +<p>PAROLLES.--Je voudrais qu'il me suffît de mettre mon +habit en lambeaux, ou de briser mon épée espagnole.</p> + +<p>LE CAPITAINE, <span class="stage2"><i>à part</i></span>.--Ce moyen ne peut pas aller.</p> + +<p>PAROLLES.--Ou de griller ma barbe; et puis de dire +que cela faisait partie du stratagème.</p> + +<p>LE CAPITAINE.--Cela ne vaut pas mieux.</p> + +<p>PAROLLES.--Ou de noyer mes habits, et puis de dire +que j'ai été dépouillé.</p> + +<p>LE CAPITAINE.--Cela ne peut guère servir.</p> + +<p>PAROLLES.--Quand je jurerais que j'ai sauté par une +fenêtre de la citadelle...</p> + +<p>LE CAPITAINE, <span class="stage2"><i>à part</i></span>.--De quelle hauteur?</p> + +<p>PAROLLES, <span class="stage2"><i>continuant</i></span>.--Trente brasses.</p> + +<p>LE CAPITAINE.--Trois gros serments auraient encore +peine à persuader cela.</p> + +<p>PAROLLES.--Je voudrais avoir quelque tambour des +ennemis, et alors je jurerais que c'est le même que j'ai +repris.</p> + +<p>LE CAPITAINE, <span class="stage2"><i>à part</i></span>.--Tu vas en entendre retentir un +tout à l'heure.</p> + +<p class="stage1">(Un tambour bat.)</p> + +<p>PAROLLES, <span class="stage2"><i>étonné</i></span>.--Un tambour des ennemis!</p> + +<p>LE CAPITAINE <span class="stage2"><i>fondant sur lui avec sa troupe</i></span>.--<i>Thraca +movousus, cargo, cargo, cargo!</i></p> + +<p>TOUS ENSEMBLE.--<i>Cargo, cargo! villanda par corbo, +cargo!</i></p> + +<p>PAROLLES.--Oh! rançon, rançon!--Ne me bandez pas +les yeux.</p> + +<p class="stage1">(Ils le saisissent et lui bandent les yeux.)</p> + +<p>L'INTERPRÈTE.--<i>Boskos thromuldo boskos.</i></p> + +<p>PAROLLES.--Oui, je sais que vous êtes du régiment de +Muskos, et je perdrai la vie faute de savoir cette langue. +S'il est parmi vous quelque Allemand, quelque Danois, +quelque Bas-Hollandais, Italien ou Français, qu'il me +parle; je lui découvrirai des secrets qui perdront les +Florentins.</p> + +<p>L'INTERPRÈTE.--<i>Boskos vauvado</i>... Je t'entends, et je +puis parler ta langue. <i>Kerely bonto</i>: songe à ta religion; +car dix-sept poignards sont pointés contre ton sein.</p> + +<p>PAROLLES.--Oh!</p> + +<p>L'INTERPRÈTE.--Oh! ta prière, ta prière!--<i>Mancha +revania dulche.</i></p> + +<p>LE CAPITAINE.--<i>Oschorbi dulchos volivorca.</i></p> + +<p>L'INTERPRÈTE.--Le général veut bien t'épargner +encore, et, les yeux ainsi bandés, il te fera conduire +pour recueillir de toi tes secrets: peut-être pourras-tu +apprendre quelque chose qui te sauvera la vie.</p> + +<p>PAROLLES.--Oh! laissez-moi vivre et je vous dévoilerai +tous les secrets du camp, leurs forces, leurs desseins: +oui, je vous dirai des choses qui vous étonneront.</p> + +<p>L'INTERPRÈTE.--Mais le feras-tu fidèlement?</p> + +<p>PAROLLES.--Si je ne le fais pas, que je sois damné!</p> + +<p>L'INTERPRÈTE.--<i>Acordo linta.</i> Avance; on te permet de +marcher.</p> + +<p class="stage1">(Il sort avec Parolles.)</p> + +<p>LE CAPITAINE, <span class="stage2"><i>à l'un d'eux</i></span>.--Va dire au comte de Roussillon +et à mon frère que nous avons pris la bécasse, et +que nous la tiendrons enveloppée jusqu'à ce que nous +ayons de leurs nouvelles.</p> + +<p>LE SOLDAT.--Capitaine, j'y vais.</p> + +<p>LE CAPITAINE.--Il nous trahira tous, en nous parlant +à nous-mêmes.--Dis-leur cela.</p> + +<p>LE SOLDAT.--Je n'y manquerai pas, capitaine.</p> + +<p>LE CAPITAINE.--Jusqu'alors je le tiendrai dans les ténèbres, +et bien enfermé.</p> + +<p class="stage1">(Ils sortent.)</p> +<br> +<h3>SCÈNE II</h3> + +<p class="stage1">Florence.--Appartement de la maison de la veuve.</p> + +<p class="stage1"><i>Entrent</i> BERTRAND, DIANE.</p> + +<p>BERTRAND.--On m'a dit que votre nom était <i>Fontibel</i>.</p> + +<p>DIANE.--Non, mon brave seigneur, c'est <i>Diane</i>.</p> + +<p>BERTRAND.--Vous portez le nom d'une déesse, et vous +méritez mieux encore: mais, âme céleste, l'amour n'a-t-il +aucune place dans votre belle personne? Si la vive +flamme de la jeunesse n'échauffe pas votre coeur, vous +n'êtes pas une jeune fille, mais une statue. Quand vous +serez morte, vous serez ce que vous êtes à présent; car +vous êtes froide et insensible, et à présent vous devriez +être telle qu'était votre mère lorsque votre être charmant +fut engendré.</p> + +<p>DIANE.--Elle ne cessa pas d'être honnête alors.</p> + +<p>BERTRAND.--Vous le seriez aussi.</p> + +<p>DIANE.--Non; ma mère ne fit que remplir un devoir, +le devoir, seigneur, que vous devez à votre épouse.</p> + +<p>BERTRAND.--Ne parlons pas de cela.--Je vous en prie, +ne luttez pas contre mes serments: j'ai été uni à elle par +contrainte; mais vous, je vous aime par la douce contrainte +de l'amour, et je vous rendrai toujours tous les +services auxquels vous aurez droit.</p> + +<p>DIANE.--Oui, vous êtes à notre service jusqu'à ce que +nous vous ayons servi; mais lorsqu'une fois vous avez +nos roses, vous nous laissez seulement les épines pour +nous déchirer, et vous insultez à notre stérilité.</p> + +<p>BERTRAND.--Combien ai-je fait de serments!...</p> + +<p>DIANE.--Ce n'est pas le nombre des serments qui fait +la vérité, mais un voeu simple et sincère fait avec vérité. +Nous n'attestons jamais ce qui n'est pas sacré, mais +nous jurons par le Très-Haut. Dites-moi, je vous prie, si +je jurais par les attributs suprêmes de Jupiter que je +vous aime tendrement, en croiriez-vous mes serments, +quand je vous aimerais mal? Jurer à quelqu'un qu'on +l'aime est un serment sans foi et sans solidité, lorsqu'on +ne jure que pour lui faire un outrage. Ainsi vos serments +ne sont que des paroles et de frivoles protestations +qui ne portent aucun sceau, du moins suivant mon +opinion.</p> + +<p>BERTRAND.--Changez, changez d'opinion. Ne soyez pas +si saintement cruelle: l'amour est saint, et jamais ma +sincérité ne connut l'artifice dont vous accusez les +hommes. Ne vous éloignez plus, mais rendez-vous au +désir de mon coeur, qui se ranimera alors. Dites que +vous êtes à moi, et ce qu'est mon amour au commencement, +il le sera toujours.</p> + +<p>DIANE.--Je vois que les hommes, dans ces sortes de +difficultés, fabriquent des cordes que nous laissons bientôt +aller nous-mêmes.--Donnez-moi cet anneau.</p> + +<p>BERTRAND.--Je vous le prêterai, ma chère; mais il +n'est pas en mon pouvoir de le donner sans retour.</p> + +<p>DIANE.--Vous ne voulez pas me le donner, seigneur?</p> + +<p>BERTRAND.--C'est un gage d'honneur qui appartient à +notre maison, et qui m'a été légué par de nombreux ancêtres: +ce serait une grande honte pour moi dans le +monde que de le perdre.</p> + +<p>DIANE.--Mon honneur ressemble à votre anneau: ma +chasteté est le joyau de notre maison, qui m'a été transmis +par de nombreux ancêtres, et ce serait une grande +honte pour moi dans le monde que de le perdre: ainsi, +votre propre prudence amène l'honneur pour me servir +de champion contre vos vaines attaques.</p> + +<p>BERTRAND.--Tenez, prenez mon anneau. Que ma maison, +mon honneur, ma vie même soient à vous, et je +vous serai soumis.</p> + +<p>DIANE.--Quand il sera minuit, frappez à la fenêtre de ma +chambre. Je prendrai mes précautions pour que ma mère +n'entende rien.--Maintenant je vous recommande, sous +la foi sacrée de la vérité, lorsque vous aurez conquis +mon lit encore vierge, de n'y rester qu'une heure et de +ne pas me parler. J'en ai les plus fortes raisons; vous +les saurez ensuite, lorsque cette bague vous sera rendue; +et dans la nuit je mettrai à votre doigt un autre anneau +qui, dans la suite des temps, pourra attester à l'avenir +notre union passée. Adieu, jusqu'alors: n'y manquez +pas. Vous avez conquis en moi une épouse, quoique +toutes mes espérances de ce côté soient perdues.</p> + +<p>BERTRAND.--J'ai conquis le ciel sur la terre en vous +recherchant.</p> + +<p class="stage1">(Il sort.)</p> + +<p>DIANE.--Puisses-tu vivre longtemps pour remercier le +ciel et moi! tu pourrais bien finir par là.--Ma mère +m'avait instruite de la manière dont il me ferait sa cour, +comme si elle eût été dans son coeur: elle dit que tous +les hommes font les mêmes serments: il avait juré de +m'épouser quand sa femme serait morte, et moi je coucherai +avec lui quand je serai ensevelie. Puisque les +Français sont si trompeurs, se marie qui voudra; je +veux vivre et mourir vierge; et je ne crois pas que ce +soit un péché de tromper, sous ce déguisement, un +homme qui voulait me séduire.</p> + +<p class="stage1">(Elle sort.)</p> +<br> +<h3>SCÈNE III</h3> + +<p class="stage1">Le camp florentin.</p> + +<p class="stage1"><i>Entrent</i> LES DEUX SEIGNEURS FRANÇAIS, <i>avec<br> +deux ou trois soldats</i>.</p> + +<p>PREMIER OFFICIER.--Vous ne lui avez pas donné la +lettre de sa mère?</p> + +<p>SECOND OFFICIER.--Je la lui ai remise il y a une heure: +il y a dedans quelque chose qui a fait une vive impression +sur son âme, car en la lisant il est presque devenu +tout d'un coup un autre homme.</p> + +<p>PREMIER OFFICIER.--Il s'est attiré un juste blâme en +repoussant une si bonne femme, une si aimable dame.</p> + +<p>SECOND OFFICIER.--Il a surtout encouru la disgrâce +éternelle du roi, dont la générosité eût fait si volontiers +son bonheur<a id="footnotetag31" name="footnotetag31"></a> +<a href="#footnote31"><sup class="sml">31</sup></a>. Je vous dirai quelque chose, mais vous +la tiendrez secrète.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote31" +name="footnote31"><b>Note 31: </b></a><a href="#footnotetag31"> +(retour) </a> <i>Who had ever tuned his bounty to sing happiness to him.</i> Mot +à mot: «Qui avait mis pour lui sa bonté sur l'air du bonheur.»</blockquote> + +<p>PREMIER OFFICIER.--Quand vous l'aurez dite, elle est +morte, et j'en suis le tombeau.</p> + +<p>SECOND OFFICIER.--Il a séduit ici, dans Florence, une +jeune demoiselle de très-chaste renommée, et cette nuit +même il assouvit sa passion sur les ruines de son honneur: +il lui a donné son anneau de famille, et il se croit +heureux d'avoir réussi dans ce pacte coupable.</p> + +<p>PREMIER OFFICIER.--Que Dieu diffère notre révolte! Ce +que nous sommes quand nous sommes abandonnés à +nous-mêmes!</p> + +<p>SECOND OFFICIER.--De vrais traîtres à nous-mêmes. Et +comme dans le cours ordinaire de toutes les trahisons, +nous les voyons toujours se révéler elles-mêmes à mesure +qu'elles avancent vers leur infâme but; c'est ainsi +que celui qui, par cette action, conspire contre son +propre honneur, laisse déborder lui-même le torrent.</p> + +<p>PREMIER OFFICIER.--N'est-ce pas un crime damnable +d'être les hérauts de nos desseins criminels?--Nous +n'aurons donc pas sa compagnie ce soir?</p> + +<p>SECOND OFFICIER.--Non, jusqu'après minuit, car sa ration +est d'une heure.</p> + +<p>PREMIER OFFICIER.--Elle s'avance à grands pas.--Je +voudrais bien qu'il entendît anatomiser son compagnon, +afin qu'il pût avoir la mesure de son jugement, où il +avait si précieusement établi cette fausse monnaie.</p> + +<p>SECOND OFFICIER.--Nous ne nous occuperons pas de lui +jusqu'à ce qu'il vienne, car sa présence doit être le jouet +de l'autre.</p> + +<p>PREMIER OFFICIER.--En attendant, qu'entendez-vous +dire de cette guerre?</p> + +<p>SECOND OFFICIER.--J'entends dire qu'il y a une ouverture +de paix.</p> + +<p>PREMIER OFFICIER.--Et même, je vous l'assure, une paix +conclue.</p> + +<p>SECOND OFFICIER.--Que va donc faire le comte de Roussillon? +Voyagera-t-il, ou retournera-t-il en France?</p> + +<p>PREMIER OFFICIER.--Je vois bien par cette question que +vous n'êtes pas dans sa confidence.</p> + +<p>SECOND OFFICIER.--Dieu m'en préserve, monsieur! car +alors j'aurais grande part à ses actions.</p> + +<p>PREMIER OFFICIER.--Sa femme, il y a environ deux +mois, a fui sa maison: son prétexte était d'aller faire un +pèlerinage à Saint-Jacques-le-Grand; elle a accompli +cette religieuse entreprise avec la piété la plus austère; +la sensibilité de sa nature est devenue la proie de son +chagrin; enfin, elle y a rendu les derniers soupirs, et +maintenant elle chante dans le ciel.</p> + +<p>SECOND OFFICIER.--Sur quoi cette nouvelle est-elle appuyée?</p> + +<p>PREMIER OFFICIER.--En grande partie sur ses propres +lettres, qui garantissent la vérité du récit jusqu'à l'instant +de sa mort; et sa mort, qu'elle ne pouvait pas annoncer +elle-même, est fidèlement confirmée par le curé du lieu.</p> + +<p>SECOND OFFICIER.--Le comte est-il instruit de cet événement?</p> + +<p>PREMIER OFFICIER.--Oui; et dans toutes ses particularités, +de point en point, jusqu'à la plus parfaite certitude +de la vérité.</p> + +<p>SECOND OFFICIER.--Je suis bien fâché qu'il soit joyeux +de cela.</p> + +<p>PREMIER OFFICIER.--Comme nous nous empressons +quelquefois de nous réjouir de nos pertes!</p> + +<p>SECOND OFFICIER.--Et comme nous nous empressons +d'autres fois de noyer nos gains dans les larmes! L'honneur +distingué que sa valeur s'est acquis ici va être accueilli +dans sa patrie par une honte aussi grande.</p> + +<p>PREMIER OFFICIER.--La trame de notre vie est un tissu +de bien et de mal: nos vertus seraient trop fières si nos +fautes ne les châtiaient, et nos crimes seraient au désespoir +s'ils n'étaient consolés par nos vertus.--Eh bien! +où est votre maître?</p> + +<p>LE DOMESTIQUE.--Dans la rue il a rencontré le duc, +dont il a pris solennellement congé: Sa Seigneurie va +partir demain matin pour la France. Le duc lui a offert +des lettres de recommandation pour le roi.</p> + +<p>SECOND OFFICIER.--Elles ne sont rien moins que nécessaires, +quand la recommandation serait encore plus +forte qu'elle ne peut l'être.</p> + +<p class="stage1">(Entre Bertrand.)</p> + +<p>LE PREMIER OFFICIER, <i>répondant à l'autre</i>.--En effet, +elles ne peuvent être trop flatteuses pour adoucir l'aigreur +du roi.--Voici le comte qui s'avance.--Eh bien! +comte, ne sommes-nous pas après minuit?</p> + +<p>BERTRAND.--J'ai, cette nuit, expédié seize affaires d'un +mois de travail chacune, dont j'ai abrégé le succès: j'ai +pris congé du duc, fait mes adieux à ses parents, enterré +une femme, pris le deuil pour elle, écrit à madame ma +mère que je reviens, préparé mes équipages et ma suite; +et, entre les intervalles de ces diverses expéditions, j'ai +pourvu à d'autres affaires plus délicates: la dernière +était la plus importante, mais elle n'est pas encore finie.</p> + +<p>SECOND OFFICIER.--Si l'affaire présente quelque difficulté +et que vous partiez d'ici ce matin, il faudra que +Votre Seigneurie use de diligence.</p> + +<p>BERTRAND.--Je dis que l'affaire n'est pas finie, parce +que j'ai quelque peur d'en entendre parler dans la suite. +--Mais aurons-nous ce dialogue entre ce faquin et le +soldat?--Allons, faites paraître devant nous ce prétendu +modèle: il m'a trompé, comme un oracle à double sens.</p> + +<p>SECOND OFFICIER.--Qu'on l'amène. (<span class="stage2"><i>Les soldats sortent.</i></span>) +Le pauvre malheureux a passé toute la nuit dans les +ceps.</p> + +<p>BERTRAND.--Il n'y a pas de mal à cela: ses talons +l'ont bien mérité, pour avoir usurpé si longtemps les +éperons<a id="footnotetag32" name="footnotetag32"></a> +<a href="#footnote32"><sup class="sml">32</sup></a>. Comment se comporte-t-il?</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote32" +name="footnote32"><b>Note 32: </b></a><a href="#footnotetag32"> +(retour) </a> On sait que les éperons étaient un des signes distinctifs du +chevalier.</blockquote> + +<p>PREMIER OFFICIER.--J'ai déjà eu l'honneur de dire à +Votre Seigneurie que ce sont les ceps qui le portent: +mais, pour vous répondre dans le sens que vous entendez, +il pleure comme une fille qui a répandu son lait; il +s'est confessé à Morgan, qu'il croit être un religieux, depuis +la première lueur de sa mémoire jusqu'à l'instant +fatal où il a été mis dans les ceps. Et que croyez-vous +qu'il a confessé?</p> + +<p>BERTRAND.--Rien qui me concerne, n'est-ce pas?</p> + +<p>SECOND OFFICIER.--On a écrit sa confession, et on la +lira devant lui. Si Votre Seigneurie s'y rencontre, +comme je le crois, il faut que vous ayez la patience de +l'entendre.</p> + +<p class="stage1">(Les soldats entrent conduisant Parolles les yeux bandés.)</p> + +<p>BERTRAND.--Que la peste l'étouffé! Comme il est affublé!--Il +ne peut rien dire de moi. Silence, silence!</p> + +<p>PREMIER OFFICIER.--Voilà le colin-maillard qui vient. +(<span class="stage2"><i>Haut.</i></span>) <i>Porto tartarossa.</i></p> + +<p>L'INTERPRÈTE, <span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>.--Le général demande les +instruments de torture. Que voulez-vous dire dans cela?</p> + +<p>PAROLLES.--J'avouerai tout ce que je sais, sans qu'il +soit besoin de contrainte. Quand vous me hacheriez +comme chair à pâté, je ne pourrais rien dire de plus.</p> + +<p>L'INTERPRÈTE.--<i>Bosko chicurmurco.</i></p> + +<p>SECOND OFFICIER.--<i>Boblibindo chicurmurco.</i></p> + +<p>L'INTERPRÈTE, <span class="stage2"><i>à l'officier</i></span>.--Vous êtes un général miséricordieux. +(<span class="stage2"><i>A Parolles.</i></span>) Notre général vous ordonne de +répondre à ce que je vais vous demander, d'après cet +écrit.</p> + +<p>PAROLLES.--Et j'y répondrai avec vérité, comme j'espère +vivre.</p> + +<p>L'INTERPRÈTE, <span class="stage2"><i>lisant un interrogatoire par écrit</i></span>.--<i>D'abord +lui demander quelle est la force du duc en fait de chevaux.</i> +Que répondez-vous à cela?</p> + +<p>PAROLLES.--Cinq ou six mille chevaux environ, mais +affaiblis et hors de service: les troupes sont toutes dispersées, +et les chefs sont de pauvres hères: c'est ce que +je certifie sur ma réputation, et sur mon espoir de vivre.</p> + +<p>L'INTERPRÈTE.--Coucherai-je par écrit votre réponse?</p> + +<p>PAROLLES.--Oui, et j'en ferai serment comme il vous +plaira.</p> + +<p>BERTRAND.--Oh! cela lui est bien égal! (<i>A part.</i>) Quel +misérable poltron!</p> + +<p>PREMIER OFFICIER, <span class="stage2"><i>à Bertrand, avec ironie</i></span>.--Vous vous +trompez, seigneur. C'est monsieur Parolles; ce brave +militaire (c'était là sa phrase ordinaire) qui portait toute +la théorie de la guerre dans le noeud de son écharpe, et +toute la pratique dans le fourreau de son poignard.</p> + +<p>SECOND OFFICIER.--Je ne me fierai jamais à un homme, +parce qu'il aura soin de tenir son épée luisante; ni ne +croirai qu'il possède tous les mérites, parce qu'il porte +bien son uniforme.</p> + +<p>L'INTERPRÈTE, <span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>.--Allons, la réponse est écrite.</p> + +<p>PAROLLES.--Oui, cinq ou six mille chevaux environ, +comme je l'ai dit.--Je veux dire le nombre juste, ou à +peu de chose près. Écrivez-le;--car je veux dire la vérité.</p> + +<p>PREMIER OFFICIER.--Il approche de la vérité là-dessus.</p> + +<p>BERTRAND.--Mais, vu la manière dont il le dit, je ne +choisirai pas mes mots pour l'en remercier, vu la +manière dont il l'a dit.</p> + +<p>PAROLLES.--De pauvres hères: je vous prie, écrivez-le.</p> + +<p>L'INTERPRÈTE.--Bon; cela est écrit.</p> + +<p>PAROLLES.--Je vous en remercie bien. La vérité est la +vérité. Ce sont de bien pauvres hères!</p> + +<p>L'INTERPRÈTE, <span class="stage2"><i>lisant</i></span>.--<i>Lui demander quelle est la force +de son infanterie.</i> (<span class="stage2"><i>A Parolles.</i></span>) Que dites-vous de cela?</p> + +<p>PAROLLES.--Sur ma foi, monsieur, quand je n'aurais +plus que cette heure à vivre, je dirai la vérité.--Voyons. +Spurio, cent cinquante; Sébastien, autant; Corambus +autant; Guiltian, Cosmo, Lodovick, et Gratii, deux cent +cinquante chacun; ma compagnie, Chitopher, Vaumont, +Bentii, chacun deux cent cinquante; en sorte que toute +la troupe, tant sains que malades, ne monte pas, sur ma +vie, à quinze mille hommes: et il y en a la moitié qui +n'oseraient pas secouer la neige de leur pourpoint, de +crainte de tomber eux-mêmes en morceaux.</p> + +<p>BERTRAND.--Que lui fera-t-on?</p> + +<p>PREMIER OFFICIER, <span class="stage2"><i>à Bertrand</i></span>.--Rien autre chose que +de le remercier. (<span class="stage2"><i>A l'interprète.</i></span>) Interrogez-le sur mon +état, et sur le crédit dont je jouis près du duc.</p> + +<p>L'INTERPRÈTE, <span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>.--Allons; cela est écrit. +(<span class="stage2"><i>Lisant.</i>)</span> <i>Vous lui demanderez encore s'il y a dans le camp +un certain capitaine Dumaine, un Français: quelle est sa +réputation auprès du duc; quelles sont sa valeur, sa probité, +et son expérience dans la guerre; ou s'il ne croit pas +qu'il fût possible avec de bonnes sommes d'or de le corrompre +et de l'engager à la révolte.</i> (<span class="stage2"><i>A Parolles.</i></span>) Que dites-vous +de ceci? Qu'en savez-vous?</p> + +<p>PAROLLES.--Je vous en conjure, laissez-moi répondre +en détail à ces questions: faites-moi les demandes séparément.</p> + +<p>L'INTERPRÈTE.--Connaissez-vous ce capitaine Dumaine?</p> + +<p>PAROLLES.--Je le connais: il était apprenti boucher à +Paris, d'où il a été chassé à coups de fouet pour avoir +donné un enfant à la servante du shérif<a id="footnotetag33" name="footnotetag33"></a> +<a href="#footnote33"><sup class="sml">33</sup></a>, une pauvre +innocente, muette, qui ne pouvait lui dire <i>non</i>.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote33" +name="footnote33"><b>Note 33: </b></a><a href="#footnotetag33"> +(retour) </a> Shakspeare place un shérif à Paris; mais shérif veut dire ici +prévôt.</blockquote> + +<p class="stage1">(Dumaine, en colère, lève la main.)</p> + +<p>BERTRAND.--Allons, avec votre permission, tenez vos +mains;--quoique je sache bien que sa cervelle soit +vouée à la première tuile qui tombera.</p> + +<p>L'INTERPRÈTE.--Ce capitaine est-il dans le camp du duc +de Florence?</p> + +<p>PAROLLES.--A ma connaissance, il y est: c'est un +pouilleux.</p> + +<p>PREMIER OFFICIER, <span class="stage2"><i>à Bertrand qui le regarde</i></span>.--Allons, +ne me considérez pas tant; nous entendrons parler tout +à l'heure de Votre Seigneurie.</p> + +<p>L'INTERPRÈTE.--Quel cas en fait le duc?</p> + +<p>PAROLLES.--Le duc ne le connaît que pour un de mes +mauvais officiers, et il m'écrivit l'autre jour de le renvoyer +de la troupe: je crois que j'ai sa lettre dans ma +poche.</p> + +<p>L'INTERPRÈTE.--Ma foi, nous allons l'y chercher.</p> + +<p>PAROLLES.--En conscience je ne sais pas: mais ou elle +y est, ou elle est enfilée avec les autres lettres du duc, +dans ma tente.</p> + +<p>L'INTERPRÈTE <span class="stage2"><i>le fouillant</i></span>.--La voici: voici un papier: +vous le lirai-je?</p> + +<p>PAROLLES.--Je ne sais pas si c'est cela, ou non.</p> + +<p>BERTRAND, <span class="stage2"><i>à demi-voix</i></span>.--Notre interprète fait bien son +rôle.</p> + +<p>PREMIER OFFICIER.--A merveille.</p> + +<p>L'INTERPRÈTE <i>lisant</i>.--<i>Diane.--Le comte est un fou, et +chargé d'or...</i></p> + +<p>PAROLLES.--Ce n'est pas la lettre du duc, monsieur: +c'est un avertissement à une honnête fille de Florence, +nommée Diane, de se défier des séductions d'un certain +comte de Roussillon, un jeune et frivole étourdi, mais +avec tout cela fort débauché.--Je vous en prie, monsieur, +remettez cela dans ma poche.</p> + +<p>L'INTERPRÈTE.--Non: il faut d'abord que je le lise, +avec votre permission.</p> + +<p>PAROLLES.--Mes intentions là-dedans, je le proteste, +étaient fort honnêtes en faveur de cette jeune fille; car +je connais le comte pour un jeune suborneur très-dangereux: +c'est une baleine pour les vierges, qui dévore +tout le fretin qu'elle rencontre.</p> + +<p>BERTRAND.--Maudit scélérat! double scélérat!</p> + +<p>L'INTERPRÈTE <span class="stage2"><i>lit la note</i></span>.--«Quand il prodigue les serments, +dites-lui de laisser tomber de l'or, et prenez-le. +Dès qu'il porte en compte, il ne paye jamais le compte. +Un marché bien fait est à demi-gagné; faites donc un +marché, et faites-le bien. Jamais il ne paye ses arriérés; +faites-vous payer d'avance, et dites, Diane, qu'un +soldat vous a dit cela. Il faut épouser les hommes, +il ne faut pas embrasser les garçons; car comptez +bien que le comte est étourdi: je sais, moi, qu'il +payera bien d'avance, mais non pas quand il devra. +Tout à vous, comme il vous le jurait à l'oreille.</p> + +<p class="mid">«Parolles.»</p> + +<p>BERTRAND.--Je veux qu'il soit fustigé à travers les +rangs de l'armée, avec cet écrit sur le front.</p> + +<p>SECOND OFFICIER, <span class="stage2"><i>avec ironie</i></span>.--C'est votre ami dévoué, +monsieur, ce savant polyglotte<a id="footnotetag34" name="footnotetag34"></a> +<a href="#footnote34"><sup class="sml">34</sup></a>, ce soldat si puissant +par les armes.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote34" +name="footnote34"><b>Note 34: </b></a><a href="#footnotetag34"> +(retour) </a> <i>Linguist.</i></blockquote> + +<p>BERTRAND.--Je pouvais tout endurer auparavant, hormis +un chat; et maintenant il est un chat pour moi.</p> + +<p>L'INTERPRÈTE, <span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>.--Je m'aperçois, monsieur, +aux regards de notre général, que nous aurions envie de +vous pendre.</p> + +<p>PAROLLES.--La vie, monsieur, à quelque prix que ce +soit; non pas que j'aie peur de mourir, mais uniquement +parce que mes péchés étant en grand nombre, je +voudrais m'en repentir le reste de mes jours. Laissez-moi +vivre, monsieur, dans une prison, dans les fers, ou +partout ailleurs, pourvu que je vive.</p> + +<p>L'INTERPRÈTE.--Nous verrons ce qu'il y aura à faire, +pourvu que vos aveux soient francs: ainsi, revenons à ce +capitaine Dumaine: vous avez déjà répondu sur l'opinion +qu'en avait le duc, sur sa valeur aussi: et sa probité, +qu'en dites-vous?</p> + +<p>PAROLLES.--Monsieur, il volerait un oeuf dans une +abbaye<a id="footnotetag35" name="footnotetag35"></a> +<a href="#footnote35"><sup class="sml">35</sup></a>: pour les rapts et les enlèvements, il égale Nessus. +Il fait profession de manquer à ses serments; et +pour les rompre, il est plus fort qu'Hercule. Il vous mentira, +monsieur, avec une si prodigieuse volubilité, qu'il +vous ferait prendre la vérité pour une folle. L'ivrognerie +est sa plus grande vertu; car il boira jusqu'à s'enivrer +comme un porc; et dans son sommeil il ne fait +guère de mal, si ce n'est aux draps qui l'enveloppent: +mais on connaît ses habitudes, et on le couche sur la +paille. Il me reste bien peu de chose à ajouter, monsieur, +sur l'honnêteté, il a tout ce qu'un honnête +homme ne doit pas avoir, et rien de ce que doit avoir un +honnête homme.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote35" +name="footnote35"><b>Note 35: </b></a><a href="#footnotetag35"> +(retour) </a> C'est-à-dire, il se ferait pendre pour un liard.</blockquote> + +<p>PREMIER OFFICIER.--Je commence à l'aimer pour ce +qu'il dit de moi.</p> + +<p>BERTRAND.--Pour cette description de votre honnêteté? +Que la peste l'étouffe pour ce qui me concerne, moi! +Il devient de plus en plus un chat!</p> + +<p>L'INTERPRÈTE, <span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>.--Que dites-vous de son expérience +dans la guerre?</p> + +<p>PAROLLES.--En conscience, monsieur, il a battu le +tambour devant les tragédiens anglais. Le calomnier, je +ne le veux pas. Et je n'en sais pas davantage sur sa +science militaire, excepté que dans ce pays-là il a eu +l'honneur d'être officier dans un endroit qu'on appelle +<i>Mile-end</i><a id="footnotetag36" name="footnotetag36"></a> +<a href="#footnote36"><sup class="sml">36</sup></a>, avec l'emploi d'apprendre à doubler les files<a id="footnotetag37" name="footnotetag37"></a> +<a href="#footnote37"><sup class="sml">37</sup></a>. +Je voudrais lui faire tout l'honneur que je puis, mais je +ne suis pas certain de ce fait.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote36" +name="footnote36"><b>Note 36: </b></a><a href="#footnotetag36"> +(retour) </a> Hôpital et manufacture de Londres.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote37" +name="footnote37"><b>Note 37: </b></a><a href="#footnotetag37"> +(retour) </a> Équivoque sur <i>file</i>, fil d'archal et file de soldats.</blockquote> + +<p>PREMIER OFFICIER.--Il dépasse tellement la scélératesse +ordinaire, que son caractère se rachète par la rareté.</p> + +<p>BERTRAND.--Que la peste l'étrangle! c'est toujours un +chat.</p> + +<p>L'INTERPRÈTE, <span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>.--Puisque vous faites si peu +de cas de ses qualités, je n'ai pas besoin de vous demander +si l'or pourrait le débaucher?</p> + +<p>PAROLLES.--Monsieur, pour un quart d'écu il vendra +sa part de salut et son droit d'héritage dans le ciel; il +renoncera à la substitution pour tous ses descendants et +l'aliénera à perpétuité sans retour.</p> + +<p>L'INTERPRÈTE.--Et son frère, l'autre capitaine Dumaine?</p> + +<p>SECOND OFFICIER.--Pourquoi le questionne-t-il sur mon +compte?</p> + +<p>L'INTERPRÈTE.--Répondez: qu'est-il?</p> + +<p>PAROLLES.--C'est un corbeau du même nid. Il n'est +pas tout à fait aussi grand que l'autre en bonté, mais il +l'est bien plus en méchanceté. Il surpasse son frère en +lâcheté, et cependant son frère passe pour un des plus +grands poltrons qu'il y ait; dans une retraite, il court +mieux que le moindre valet; mais, ma foi, quand il faut +charger, il est sujet aux crampes.</p> + +<p>L'INTERPRÈTE.--Si l'on vous fait grâce de la vie, entreprendrez-vous +de trahir le Florentin?</p> + +<p>PAROLLES.--Oui, et le capitaine de sa cavalerie aussi, +le comte de Roussillon.</p> + +<p>L'INTERPRÈTE.--Je vais le dire à l'oreille du général et +savoir ses intentions.</p> + +<p>PAROLLES.--Je ne veux plus entendre de tambours: +malédiction sur tous les tambours! C'était uniquement +pour paraître rendre un service et pour en imposer à ce +jeune débauché de comte que je me suis jeté dans le péril; +et cependant qui aurait jamais soupçonné une embuscade +là où j'ai été pris?</p> + +<p>L'INTERPRÈTE, <span class="stage2"><i>revenant à lui comme avec la réponse du +général</i></span>.--Il n'y a point de remède, monsieur: il vous +faut mourir. Le général dit que vous, qui avez si lâchement +dévoilé les secrets de votre armée et fait de si +indignes portraits d'officiers qui jouissent de la plus +haute estime, vous n'êtes bon à rien dans le monde: +ainsi il vous faut mourir. Allons, bourreau, abats-lui la +tête.</p> + +<p>PAROLLES.--O mon Dieu! monsieur, laissez-moi la vie, +ou laissez-moi du moins voir ma mort.</p> + +<p>L'INTERPRÈTE.--Vous allez la voir; et faites vos adieux +à tous vos amis. (<span class="stage2"><i>Il lui ôte son bandeau.</i></span>) Tenez, regardez +autour de vous. Connaissez-vous quelqu'un ici?</p> + +<p>BERTRAND.--Bonjour, brave capitaine.</p> + +<p>SECOND OFFICIER.--Dieu vous bénisse, capitaine Parolles!</p> + +<p>PREMIER OFFICIER.--Dieu soit avec vous, noble capitaine!</p> + +<p>SECOND OFFICIER.--Capitaine, de quoi me chargez-vous +pour le seigneur Lafeu? Je pars pour la France.</p> + +<p>PREMIER OFFICIER.--Digne capitaine, voulez-vous me +donner une copie de ce sonnet que vous avez adressé à +Diane en faveur du comte de Roussillon? Si je n'étais +pas un poltron, je vous y forcerais: mais adieu, portez-vous +bien.</p> + +<p>L'INTERPRÈTE.--Vous êtes perdu, capitaine: il n'y a +plus rien en vous qui tienne encore que votre écharpe.</p> + +<p>PAROLLES.--Qui pourrait ne pas succomber sous un +complot?</p> + +<p>L'INTERPRÈTE.--Si vous pouviez trouver un pays où il +n'y eût que des femmes aussi déshonorées que vous, +vous pourriez commencer une nation bien impudente. +Adieu, je pars pour la France aussi; nous y parlerons +de vous.</p> + +<p class="stage1">(Ils sortent.)</p> + +<p>PAROLLES.--Eh bien! je suis encore reconnaissant. Si +mon coeur était fier, il se briserait à cette aventure.--Je +ne serai plus capitaine; mais je veux manger et boire +et dormir aussi à mon aise qu'un capitaine. Ce que je +suis encore me fera vivre. Que celui qui se connaît pour +un fanfaron tremble à ce dénoûment, car il arrivera que +tout fanfaron sera convaincu à la fin d'être un âne. Va +te rouiller, mon épée; ne rougissez plus, mes joues; et +toi, Parolles, vis en sûreté dans ta honte. Puisque tu es +dupé, prospère par la duperie; il y a de la place et des +ressources pour tout le monde, je vais les chercher.</p> +<br> +<h3>SCÈNE IV</h3> + +<p class="stage1">A Florence.--Une chambre dans la maison de la veuve.</p> + +<p class="stage1"><i>Entrent</i> HÉLÈNE, LA VEUVE, DIANE.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Afin de vous convaincre que je ne vous ai +pas fait d'injure, un des plus grands princes du monde +chrétien sera ma caution; il faut nécessairement qu'avant +d'accomplir mes desseins je me prosterne devant +son trône. Il fut un temps où je lui rendis un service +important, presque aussi cher que sa vie; un service, +dont la reconnaissance pénétrerait le sein de pierre du +Tartare même pour en faire sortir des remerciements. +Je suis informée que Sa Majesté est à Marseille, et +nous avons un cortége convenable pour nous conduire +dans cette ville. Il faut que vous sachiez que l'on me +croit morte. L'armée étant licenciée, mon mari retourne +chez lui, et, avec le secours du ciel et l'agrément du +roi mon bon maître, nous y serons rendues avant notre +hôte.</p> + +<p>LA VEUVE.--Douce dame, jamais vous n'avez eu de serviteur +qui se soit chargé avec plus de zèle de vos affaires.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Ni vous, madame, n'avez eu d'ami dont les +pensées travaillent avec plus d'ardeur à récompenser +votre affection: ne doutez pas que le ciel ne m'ait conduite +chez vous pour assurer la dot de votre fille, comme +il l'a destinée à être mon appui et mon moyen pour gagner +mon mari. Mais que les hommes sont étranges de +pouvoir user avec tant de plaisir de ce qu'ils détestent, +lorsque, se fiant imprudemment à leurs pensées déçues, +ils souillent la nuit sombre! Ainsi, la débauche se repaît +de l'objet de ses dégoûts à la place de ce qui est absent. +Mais nous parlerons plus tard de cela.--Vous, Diane, il +vous faudra souffrir encore pour moi quelque chose, +sous là direction de mes faibles instructions.</p> + +<p>DIANE.--Que l'honneur et la mort s'accordent ensemble +dans ce que vous m'imposerez, et je suis à vous pour +souffrir ce que vous voudrez.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Cependant je vous prie... Mais bientôt le +temps amènera la saison de l'été, où les églantiers auront +des feuilles aussi bien que des épines, et seront +aussi charmants qu'ils sont piquants. Il faut que nous +partions; notre voiture est prête, et le temps nous +presse. <i>Tout va bien qui finit bien.</i> La fin est la couronne +des entreprises; quelle que soit la carrière, c'est la fin qui +en décide la gloire.</p> + +<p class="stage1">(Elles sortent.)</p> +<br> +<h3>SCÈNE V</h3> + +<p class="stage1">En Roussillon.--Appartement dans le palais de la comtesse.</p> + +<p class="stage1"><i>Entrent</i> LA COMTESSE, LAFEU, LE BOUFFON.</p> + +<p>LAFEU.--Non, non; votre fils a été égaré par un faquin +en taffetas, dont l'infâme safran vous teindrait de cette +couleur toute la molle et flexible jeunesse d'une nation. +Sans ceci, votre belle-fille vivrait encore, et votre fils, +qui est ici en France, serait bien plus avancé par le roi +sans ce bourdon à queue bigarrée.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Je voudrais bien ne l'avoir jamais connu, +il a tué la plus vertueuse femme dont la création ait fait +l'honneur à la nature. Quand elle aurait été de mon sang +et qu'elle m'eût coûté les tendres gémissements d'une +mère, jamais ma tendresse pour elle n'eût pu être plus +profonde.</p> + +<p>LAFEU.--C'était une bonne dame: nous pouvons bien +cueillir mille salades avant d'y retrouver une herbe +pareille.</p> + +<p>LE BOUFFON.--Oh! oui, monsieur; elle était ce qu'est +la douce marjolaine dans une salade, ou plutôt l'<i>herbe +de grâce</i><a id="footnotetag38" name="footnotetag38"></a> +<a href="#footnote38"><sup class="sml">38</sup></a>.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote38" +name="footnote38"><b>Note 38: </b></a><a href="#footnotetag38"> +(retour) </a> <i>La rue.</i></blockquote> + +<p>LAFEU.--Ce ne sont pas là des herbes à salade, faquin, +ce sont dès herbes pour le nez.</p> + +<p>LE BOUFFON.--Je ne suis pas un grand Nabuchodonosor, +monsieur; je ne me connais pas beaucoup en +herbes.</p> + +<p>LAFEU.--Qui fais-tu profession d'être? coquin ou fou?</p> + +<p>LE BOUFFON.--Fou, monsieur, au service d'une femme, +et coquin au service d'un homme.</p> + +<p>LAFEU.--Que veut dire cette distinction?</p> + +<p>LE BOUFFON.--Je voudrais escamoter à un homme sa +femme et faire son service.</p> + +<p>LAFEU.--Comme cela, vraiment, tu serais un coquin à +son service.</p> + +<p>BOUFFON.--Et je donnerais à sa femme ma marotte<a id="footnotetag39" name="footnotetag39"></a> +<a href="#footnote39"><sup class="sml">39</sup></a> +pour faire son service.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote39" +name="footnote39"><b>Note 39: </b></a><a href="#footnotetag39"> +(retour) </a> Court bâton surmonté d'une tête; c'était le sceptre des fous.</blockquote> + +<p>LAFEU.--Allons, j'en conviens, tu es à la fois un coquin +et un fou.</p> + +<p>LE BOUFFON.--A votre service.</p> + +<p>LAFEU.--Non, non, non.</p> + +<p>LE BOUFFON.--Eh bien! monsieur, si je ne vous sers +pas, je puis servir un aussi grand prince que vous.</p> + +<p>LAFEU.--Qui est-ce? Est-ce un Français?</p> + +<p>LE BOUFFON.--Ma foi, monsieur, il a un nom anglais, +mais sa physionomie est plus chaude<a id="footnotetag40" name="footnotetag40"></a> +<a href="#footnote40"><sup class="sml">40</sup></a> en France qu'en +Angleterre.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote40" +name="footnote40"><b>Note 40: </b></a><a href="#footnotetag40"> +(retour) </a> Allusion à la maladie française, <i>Morbus gallicus</i>.</blockquote> + +<p>LAFEU.--Quel est ce prince?</p> + +<p>LE BOUFFON.--Le prince noir, monsieur: <i>Alias</i>, le +prince des ténèbres; <i>Alias</i>, le diable.</p> + +<p>LAFEU.--Arrête-là, voilà ma bourse. Je ne te la donne +pas pour te débaucher du service du maître dont tu +parles: continue de le servir.</p> + +<p>LE BOUFFON.--Je suis né dans un pays de bois, monsieur, +et j'ai toujours aimé un grand feu, et le maître +dont je parle entretient toujours bon feu. Mais puisqu'il +est le prince du monde, que sa noblesse se tienne à sa +cour. Je suis, moi, pour la maison à porte étroite, que je +crois trop petite pour que la pompe puisse y passer; +quelques personnes qui s'humilient le pourront; mais +le grand nombre sera trop frileux et trop délicat, et ils +préféreront le chemin fleuri qui conduit à la porte large +et au grand brasier.</p> + +<p>LAFEU.--Va ton chemin: je commence à être las de +toi, et je t'en préviens d'avance, parce que je ne voudrais +pas me disputer avec toi. Va-t'en; veille à ce qu'on ait +bien soin de mes chevaux sans tour de ta façon.</p> + +<p>LE BOUFFON.--Si je leur joue quelques tours, ce ne +seront jamais que des tours de rosse; ce qui est leur +droit par la loi de nature.</p> + +<p class="stage1">(Il sort.)</p> + +<p>LAFEU.--Un rusé coquin, un mauvais drôle!</p> + +<p>LA COMTESSE.--C'est vrai. Feu mon seigneur s'en divertissait +beaucoup. C'est par sa volonté qu'il reste ici, et +il s'en autorise pour se permettre ses impertinences. Et +en effet, il n'a aucune marche réglée: il court où il veut.</p> + +<p>LAFEU.--Il me plaît beaucoup; ses bouffonneries ne +sont pas hors de saison.--J'allais vous dire que depuis +que j'ai appris la mort de cette bonne dame, et que monseigneur +votre fils était sur le point de revenir chez lui, +j'ai prié le roi mon maître de parler en faveur de ma +fille: c'est Sa Majesté qui, gracieusement, m'en fit elle-même +la première proposition, lorsque tous les deux +étaient encore mineurs. Le roi m'a promis de l'effectuer; +et pour éteindre le ressentiment qu'il a conçu contre +votre fils, il n'y a pas de meilleur moyen. Votre Seigneurie +goûte-t-elle cela?</p> + +<p>LA COMTESSE.--J'en suis très-satisfaite, seigneur, et je +désire que cela s'accomplisse heureusement.</p> + +<p>LAFEU.--Sa Majesté revient en poste de Marseille avec +un corps aussi vigoureux que lorsqu'elle ne comptait +que trente ans; elle sera ici demain, ou je suis trompé +par un homme qui m'a rarement induit en erreur dans +ces sortes d'avis.</p> + +<p>LA COMTESSE.--J'ai bien de la joie d'espérer le revoir +encore avant de mourir. J'ai des lettres qui m'annoncent +que mon fils sera ici ce soir. Je conjure Votre Seigneurie +de rester avec moi jusqu'à ce qu'ils se soient rencontrés.</p> + +<p>LAFEU.--Madame, j'étais occupé à songer de quelle +manière je pourrais être admis en sa présence.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Vous n'avez besoin, monsieur, que de +faire valoir vos droits honorables.</p> + +<p>LAFEU.--Madame, j'en ai fait un usage bien téméraire, +mais je rends grâces à Dieu de ce qu'ils durent encore.</p> + +<p class="stage1">(Le bouffon revient.)</p> + +<p>LE BOUFFON.--Oh! madame, voilà monseigneur votre +fils avec un morceau de velours sur la figure; s'il y a +ou non une cicatrice dessous, le velours le sait: mais +c'est un fort beau morceau de velours: sa joue gauche +est une joue de première qualité, mais il porte sa joue +droite toute nue.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Une noble blessure, une blessure noblement +gagnée est une belle livrée d'honneur: il y a apparence +qu'elle est de cette espèce.</p> + +<p>LE BOUFFON.--Mais c'est une figure qui a l'air d'être +grillée.</p> + +<p>LAFEU.--Allons voir votre fils, je vous prie. J'ai hâte +de causer avec ce jeune et noble soldat.</p> + +<p>LE BOUFFON.--Ma foi, ils sont une douzaine en élégants +et fins chapeaux, avec de galantes plumes qui s'inclinent +et font la révérence à tout le monde.</p> + +<p class="stage1">(Tous sortent.)</p> + +<p>FIN DU QUATRIÈME ACTE.</p> +<br><br><br> +<h3>ACTE CINQUIÈME</h3> +<br> +<h3>SCÈNE I</h3> + +<p class="stage1">Marseille.--Une rue.</p> + +<p class="stage1"><i>Entrent</i> HÉLÈNE, LA VEUVE, DIANE, <i>et deux domestiques</i>.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Certainement vous devez être excédée de +courir ainsi la poste jour et nuit: nous ne pouvons faire +autrement; mais puisque vous avez déjà sacrifié tant de +jours et de nuits, et fatigué vos membres délicats pour +me rendre service, soyez-en sûre, vous êtes si profondément +enracinée dans ma reconnaissance, que rien ne +saurait vous en arracher.--Dans des temps plus heureux... +(<span class="stage2"><i>Entre un officier de la fauconnerie</i></span><a id="footnotetag41" name="footnotetag41"></a> +<a href="#footnote41"><sup class="sml">41</sup></a>.) Ce gentilhomme +pourrait peut-être m'obtenir une audience du +roi, s'il voulait employer son crédit.--Dieu vous garde, +monsieur.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote41" +name="footnote41"><b>Note 41: </b></a><a href="#footnotetag41"> +(retour) </a> <i>stringer</i>, dérivé d'<i>ostercus</i>.</blockquote> + +<p>LE GENTILHOMME.--Et vous aussi, madame.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Monsieur, je vous ai vu à la cour de France.</p> + +<p>LE GENTILHOMME.--J'y ai passé quelque temps.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Je pense, monsieur, que vous n'êtes pas déchu +de la réputation d'être obligeant; c'est pourquoi, +poussée par une nécessité très-pressante qui met de côté +les compliments, je vous mets à même de faire usage de +vos vertus, et je vous en serai éternellement reconnaissante.</p> + +<p>LE GENTILHOMME.--Que désirez-vous?</p> + +<p>HÉLÈNE.--Que vous ayez la bonté de donner ce petit +mémoire au roi et de vouloir bien m'aider de tout votre +crédit pour obtenir la faveur de lui être présentée.</p> + +<p>LE GENTILHOMME.--Le roi n'est point ici.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Il n'est point ici, monsieur?</p> + +<p>LE GENTILHOMME.--Non, en vérité. Il est parti d'ici hier +au soir, et avec plus de précipitation qu'il n'a coutume.</p> + +<p>LA VEUVE.--Grand Dieu! toutes nos peines sont +perdues!</p> + +<p>HÉLÈNE.--<i>Tout est bien qui finit bien</i>, quoique le sort +nous paraisse si contraire et les moyens si défavorables. +(<span class="stage2"><i>Au gentilhomme.</i></span>) De grâce, où est-il allé?</p> + +<p>LE GENTILHOMME.--Vraiment, à ce que j'ai entendu +dire, il est parti pour le Roussillon, où je vais aussi.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Je vous en conjure, monsieur, comme probablement +vous verrez le roi avant moi, de remettre +ce petit mémoire entre les mains de Sa Majesté; j'espère +que vous n'en recevrez aucun blâme et que vous serez, +au contraire, bien aise de la peine que vous aurez prise. +J'arriverai après vous avec toute la diligence qu'il nous +sera possible de faire.</p> + +<p>LE GENTILHOMME.--Je ferai cela pour vous obliger.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Et vous verrez qu'on vous en remerciera +bien, sans ce qui pourra en arriver de plus.--Il nous +faut remonter à cheval. (<span class="stage2"><i>A sa suite.</i></span>) Allez, allez, faites +vite tout préparer.</p> + +<p class="stage1">(Elles sortent.)</p> +<br> +<h3>SCÈNE II</h3> + +<p class="stage1">La scène est en Roussillon.--Une cour intérieure dans le palais<br> +de la comtesse.</p> + +<p class="stage1"><i>Entrent</i> LE BOUFFON, PAROLLES.</p> + +<p>PAROLLES.--Mon cher monsieur Lavatch, donnez cette +lettre à monseigneur Lafeu. J'ai autrefois, monsieur, été +mieux connu de vous quand j'étais revêtu d'habits plus +frais; mais aujourd'hui je suis tombé dans le fossé de la +Fortune, et j'exhale une forte odeur de sa cruelle disgrâce.</p> + +<p>LE BOUFFON.--Ma foi, les disgrâces de la fortune sont +bien mal tenues, si tu sens aussi fort que tu le dis. Je +ne veux plus désormais manger de poisson au beurre de +la Fortune. Je te prie, mets-toi au-dessous du vent.</p> + +<p>PAROLLES.--Oh! vous n'avez pas besoin, monsieur, de +vous boucher le nez; je ne parlais que par métaphore.</p> + +<p>LE BOUFFON.--En vérité, monsieur, si vos métaphores<a id="footnotetag42" name="footnotetag42"></a> +<a href="#footnote42"><sup class="sml">42</sup></a> +sentent mauvais, je me boucherai le nez, et je le ferais +devant les métaphores de qui que ce soit.--Allons, je +t'en prie, éloigne-toi.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote42" +name="footnote42"><b>Note 42: </b></a><a href="#footnotetag42"> +(retour) </a> Shakspeare fait ici la faute en donnant le précepte. + +<p><i>Quoniam hæc</i>, dit Cicéron, <i>vel summa laus est in verbis transferendis +ut sensim feriat id quod translatum sit, fugienda est omnis turpitudo +earum rerum, ad quas eorum animos qui audiunt trahet similitudo. +Nolo morte dici Africani castratam esse rempublicam. Nolo stercus +curiæ dici Glauciam.</i> (De Orat.)</p></blockquote> + +<p>PAROLLES.--Monsieur, je vous en conjure, remettez +pour moi ce papier.</p> + +<p>LE BOUFFON.--Pouah!--Éloigne-toi, je te prie; un +papier de la chaise percée de la Fortune pour donner à +un gentilhomme! Tiens, le voici lui-même. (<span class="stage2"><i>Entre Lafeu. +A Lafeu.</i></span>) Voici un minet de la Fortune, monsieur, ou +du petit chat de la Fortune (mais un petit chat qui ne +sent pas le musc), qui est tombé dans le sale réservoir +de ses disgrâces, d'où, comme il le dit, il est sorti tout +fangeux. Je vous prie, monsieur, de traiter la carpe du +mieux que vous pourrez, car il a l'air d'un vaurien bien +pauvre, bien déchu, ingénieux, fou et fripon. Je compatis +à son malheur avec mes sourires de consolation, et je +l'abandonne à Votre Seigneurie.</p> + +<p>PAROLLES.--Monseigneur, je suis un homme que la +Fortune a cruellement égratigné.</p> + +<p>LAFEU.--Et que voulez-vous que j'y fasse? il est trop +tard maintenant pour lui rogner les ongles. Quel est +le mauvais tour que vous avez joué à la Fortune pour +qu'elle vous ait si fort égratigné; car c'est par elle-même +une fort bonne dame, qui ne souffre pas que les coquins +prospèrent longtemps à son service? Tenez, voilà un +quart d'écu pour vous; que les juges de paix vous réconcilient, +vous et la Fortune; j'ai d'autres affaires.</p> + +<p>PAROLLES.--Je supplie Votre Seigneurie de vouloir bien +entendre un seul mot.</p> + +<p>LAFEU.--Tu veux encore quelques sous de plus? les +voilà: économise tes paroles.</p> + +<p>PAROLLES.--Mon nom, mon bon seigneur, est <i>Parolles</i>.</p> + +<p>LAFEU.--Vous demandez donc à dire plus d'un mot<a id="footnotetag43" name="footnotetag43"></a> +<a href="#footnote43"><sup class="sml">43</sup></a>?--Maudit +soit mon emportement! Donnez-moi la main. +Comment va votre tambour?</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote43" +name="footnote43"><b>Note 43: </b></a><a href="#footnotetag43"> +(retour) </a> Pointe sur le nom de Parolles.</blockquote> + +<p>PAROLLES.--O mon bon seigneur! vous êtes celui qui +m'avez découvert le premier.</p> + +<p>LAFEU.--Comment, c'est moi, vraiment? Et je suis le +premier qui t'ai <i>perdu</i>.</p> + +<p>PAROLLES.--Il ne tient qu'à vous, seigneur, de me faire +rentrer un peu en grâce, car c'est vous qui m'en avez +chassé.</p> + +<p>LAFEU.--Fi donc! coquin; veux-tu que je sois à la fois +Dieu et diable, que l'un te fasse entrer en grâce et que +l'autre t'en chasse? (<span class="stage2"><i>Bruit de trompettes.</i></span>) Voici le roi qui +vient: je le reconnais à ses trompettes. Faquin, informez-vous +de moi; j'ai encore hier au soir parlé de vous. +Quoique vous soyez un fou et un vaurien, vous aurez à +manger. Venez, suivez-moi.</p> + +<p>PAROLLES.--Je bénis Dieu pour vos bontés.</p> + +<p class="stage1">(Il sort.)</p> +<br> +<h3>SCÈNE III</h3> + +<p class="stage1">La scène est toujours en Roussillon.--Appartement dans le palais<br> +de la comtesse.</p> + +<p class="stage1">FANFARES. LE ROI, LA COMTESSE, LAFEU, LES DEUX<br> +SEIGNEURS FRANÇAIS, <i>gentilshommes, gardes</i>.</p> + +<p>LE ROI.--Nous avons perdu en elle un joyau précieux, +et notre réputation en a été fort appauvrie; mais votre +fils, égaré par sa propre folie, n'a pas eu assez de sens +pour sentir toute l'étendue de son mérite.</p> + +<p>LA COMTESSE.--C'est passé, sire; et je conjure Votre +Majesté de regarder cette révolte comme un écart naturel +dans l'ardeur de la jeunesse, lorsque l'huile et le feu, +trop impétueux pour la force de la raison, la maîtrisent +et brûlent toujours.</p> + +<p>LE ROI.--Honorable dame, j'ai tout pardonné et tout +oublié, quoique ma vengeance fût armée contre lui et +n'attendît que le moment de frapper.</p> + +<p>LAFEU.--Je dois le dire, si Votre Majesté veut bien me +le permettre: le jeune comte a cruellement offensé Votre +Majesté, sa mère et sa femme; mais c'est à lui-même +qu'il a fait le plus grand tort; il a perdu une femme dont +les charmes étonnaient les yeux les plus riches en souvenirs +de beauté, dont la voix captivait toutes les +oreilles, et qui possédait tant de perfections, que des +coeurs qui dédaignaient de servir l'appelaient humblement +leur maîtresse.</p> + +<p>LE ROI.--L'éloge de l'objet qu'on a perdu en rend le +souvenir plus cher. Eh bien! faites-le venir; nous +sommes réconciliés, et la première entrevue effacera +tout le passé. Qu'il ne me demande point pardon, le sujet +de sa grande offense n'existe plus, et nous ensevelissons +les restes de nos ressentiments dans un abîme plus +profond que l'oubli; qu'il vienne comme un étranger et +non comme un criminel, et dites-lui bien que c'est là +notre volonté.</p> + +<p>UN SEIGNEUR FRANÇAIS.--Je le lui dirai, sire.</p> + +<p>LE ROI, <span class="stage2"><i>à Lafeu</i></span>.--Que dit-il de votre fille? Lui avez-vous +parlé?</p> + +<p>LAFEU.--Tout ce qu'il a est aux ordres de Votre Majesté.</p> + +<p>LE ROI.--Nous aurons donc une noce. J'ai reçu des +lettres qui le couvrent de gloire.</p> + +<p class="stage1">(Bertrand entre,)</p> + +<p>LAFEU.--Il a tout pour plaire.</p> + +<p>LE ROI.--Je ne suis point un jour de la saison, car tu +peux voir au même instant sur mon front et le soleil et +la grêle. Mais à présent ces nuages menaçants font place +aux plus brillants rayons; ainsi approche, le temps est +beau de nouveau.</p> + +<p>BERTRAND.--O mon cher souverain! pardonnez-moi +des fautes expiées par un profond repentir.</p> + +<p>LE ROI.--Tout est oublié. Ne parlons plus du passé. +Saisissons par les cheveux le présent, car nous sommes +vieux, et le temps glisse sans bruit sur nos décisions les +plus rapides, et les efface avant qu'elles soient accomplies. +Vous vous rappelez la fille de ce seigneur?</p> + +<p>BERTRAND.--Avec admiration, mon prince. J'avais d'abord +jeté mon choix sur elle avant que mon coeur osât +le révéler par ma bouche: d'après la vive impression +qu'elle avait faite sur mes yeux, le mépris me prêta sa +dédaigneuse lunette, qui défigura tous les traits des +autres beautés, ternit leurs plus belles couleurs, ou me +les représenta comme empruntées, elle allongeait ou +raccourcissait les proportions de leur visage pour en +faire un objet hideux: de là vint que celle dont tous les +hommes chantaient les louanges, et que moi-même j'ai +aimée depuis que je l'ai perdue, semblait dans mon oeil +un grain de poussière qui le blessait.</p> + +<p>LE ROI.--C'est bien s'excuser. Cet amour efface quelques +articles de ton long compte; mais l'amour qui +vient trop tard (semblable au pardon de la clémence +attardé) devient un reproche amer pour celui qui l'envoie, +et lui crie sans cesse: «C'est ce qui est bon +qui est perdu.» Nos téméraires préventions ne font aucun +cas des objets précieux que nous possédons: nous +ne les connaissons qu'en voyant leur tombeau. Souvent +nos ressentiments, injustes envers nous-mêmes, détruisent +nos amis, et nous allons ensuite pleurer sur +leurs cendres; l'amitié se réveille et pleure en voyant +ce qui est arrivé, tandis que la haine honteuse dort +toute la journée. Que ce soit là l'éloge funèbre de l'aimable +Hélène, et maintenant oublions-la. Envoie tes +gages d'amour à la belle Madeleine; tu as obtenu les +consentements les plus importants, et je resterai ici pour +voir les secondes noces de notre veuf.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Que le ciel prospère la bénisse davantage +que la première, ou que je meure avant qu'ils s'unissent!</p> + +<p>LAFEU.--Viens, mon fils, toi en qui doit se confondre +le nom de ma maison. Donne-moi quelque gage de tendresse +qui brille aux yeux de ma fille et qui l'engage à +se rendre ici promptement. (<span class="stage2"><i>Bertrand lui donne un anneau.</i></span>) +Par ma vieille barbe et par chacun de ses poils, +Hélène, qui est morte, était une charmante créature!--C'est +un anneau semblable à celui-ci que j'ai vu à son +doigt la dernière fois que j'ai pris congé d'elle à la cour.</p> + +<p>BERTRAND.--Il n'a jamais été à elle.</p> + +<p>LE ROI.--Donnez, je vous prie, que je le voie; car +mon oeil, quand je parlais, était souvent attaché sur cet +anneau: il était à moi jadis; je lui recommandai, si +jamais elle se trouvait dans des circonstances où elle eût +besoin de secours, de m'envoyer ce gage, en promettant +que je l'aiderais sur l'heure. Auriez-vous eu la perfidie +de la dépouiller de ce qui pouvait lui être si utile?</p> + +<p>BERTRAND.--Mon gracieux souverain, quoiqu'il vous +plaise de le croire ainsi, cet anneau n'a jamais été à elle.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Mon fils, sur ma vie, je le lui ai vu porter, +et elle y attachait autant de prix qu'à sa vie.</p> + +<p>LAFEU.--Je suis sûr de le lui avoir vu porter.</p> + +<p>BERTRAND.--Vous vous trompez, seigneur; elle ne l'a +jamais vu. Il m'a été jeté par une fenêtre à Florence, +enveloppé dans un papier où était le nom de celle qui +l'avait jeté: c'était une fille noble, et elle me crut dès +lors engagé avec elle. Mais quand j'eus répondu à ma +bonne fortune, et qu'elle fut pleinement informée que +je ne pouvais répondre aux vues honorables dont elle +m'avait fait l'ouverture, elle y renonça avec un grand +chagrin; mais elle ne voulut jamais reprendre l'anneau.</p> + +<p>LE ROI.--Plutus même, qui connaît la teinture dont +la vertu multiplie l'or<a id="footnotetag44" name="footnotetag44"></a> +<a href="#footnote44"><sup class="sml">44</sup></a>, n'a pas des secrets de la nature +une connaissance plus parfaite que je n'en ai, moi, de +cet anneau. C'était le mien, c'était celui d'Hélène, qui +que ce soit qui vous l'ait donné: ainsi, si vous vous +connaissez bien vous-même, avouez que c'était le sien, +et dites par quelle violence vous le lui avez ravi. Elle +avait pris tous les saints à témoin qu'elle ne l'ôterait +jamais de son doigt que pour vous le donner à vous-même +dans le lit nuptial (où vous n'êtes jamais entré), +ou qu'elle nous l'enverrait dans ses plus grands revers.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote44" +name="footnote44"><b>Note 44: </b></a><a href="#footnotetag44"> +(retour) </a> Allusion aux alchimistes.</blockquote> + +<p>BERTRAND.--Elle ne l'a jamais vu.</p> + +<p>LE ROI.--Comme il est vrai que j'aime l'honneur, tu +dis un mensonge, et tu fais naître en moi des inquiétudes, +des soupçons que je voudrais étouffer...--Cela ne +peut pas être;--cependant je ne sais.--Tu la haïssais +mortellement, et elle est morte! et rien, à moins que +d'avoir moi-même fermé ses yeux, ne peut mieux m'en +convaincre que la vue de cet anneau.--Qu'on l'emmène. +(<span class="stage2"><i>Les gardes s'emparent de Bertrand.</i></span>) Quel que soit l'événement, +j'ai fait mes preuves qui absoudront mes craintes +du reproche de légèreté.--Peut-être ai-je trop légèrement +renoncé à mes premières craintes. Qu'on l'emmène: +nous voulons approfondir cette affaire.</p> + +<p>BERTRAND.--Si vous pouvez prouver que cet anneau +était à elle, vous prouverez aussi aisément que je suis +entré dans son lit à Florence, où jamais elle n'a mis le +pied.</p> + +<p class="stage1">(Les gardes emmènent Bertrand.)</p> + +<p class="stage1">(Un gentilhomme entre.)</p> + +<p>LE ROI.--Je suis enveloppé de sombres pensées.</p> + +<p>LE GENTILHOMME.--Mon gracieux souverain, j'ignore +si j'ai bien ou mal fait: voici le placet d'une Florentine, +qui a manqué quatre ou cinq fois l'occasion de vous le +remettre elle-même. Je m'en suis chargé, attendri par +les grâces touchantes de cette pauvre suppliante que je +sais être, à l'heure qu'il est, arrivée ici. On lit dans ses +regards inquiets l'importance de sa requête; et elle m'a +dit en quelques mots touchants que Votre Majesté y était +elle-même intéressée.</p> + +<p>LE ROI <span class="stage2"><i>prend et lit la lettre</i></span>.--«Grâce à plusieurs protestations +de m'épouser quand sa femme serait morte, +je rougis de le dire, il m'a séduite. Aujourd'hui le +comte de Roussillon est veuf, sa foi m'est engagée, et +je lui ai livré mon honneur. Il est parti furtivement +de Florence, sans prendre congé de personne, et je le +suis dans sa patrie pour y demander justice. Rendez-la-moi, +sire; vous le pouvez: autrement un séducteur +triomphera, et une pauvre fille est perdue.</p> + +<p>Diane Capulet.»</p> + +<p>LAFEU.--Je m'achèterai un gendre à la foire, et je +payerai les droits<a id="footnotetag45" name="footnotetag45"></a> +<a href="#footnote45"><sup class="sml">45</sup></a>: je ne veux point de celui-ci.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote45" +name="footnote45"><b>Note 45: </b></a><a href="#footnotetag45"> +(retour) </a> Allusion au droit de péage qu'on paye à la foire pour les chevaux.</blockquote> + +<p>LE ROI.--Les cieux te protègent, Lafeu, puisqu'ils ont +mis au jour cette découverte. Qu'on cherche cette infortunée: +allez promptement, et qu'on ramène ici le comte. +(<span class="stage2"><i>Le gentilhomme sort avec quelques autres personnes de la +suite du roi; les gardes ramènent Bertrand.</i></span>)--Je tremble, +madame, qu'on n'ait traîtreusement arraché la vie à +Hélène.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Eh bien! justice sur les assassins!</p> + +<p>LE ROI, <span class="stage2"><i>à Bertrand</i></span>.--Je m'étonne, seigneur, puisque +les femmes sont des monstres à vos yeux, puisque vous +les fuyez après leur avoir juré mariage, que vous désiriez +vous marier.--Quelle est cette femme?</p> + +<p class="stage1">(Entrent la veuve et Diane.)</p> + +<p>DIANE.--Je suis, seigneur, une malheureuse Florentine, +descendue des anciens Capulets. Ma prière, à ce que +j'entends, vous est connue. Vous savez donc aussi combien +je suis digne de pitié.</p> + +<p>LA VEUVE.--Et moi, sire, je suis sa mère, seigneur, +dont l'âge et l'honneur souffrent également des affronts +dont nous nous plaignons ici; tous deux succomberont +si vous n'y portez remède.</p> + +<p>LE ROI.--Approchez, comte. Connaissez-vous ces +femmes?</p> + +<p>BERTRAND.--Mon prince, je ne puis ni ne veux nier +que je les connaisse. De quoi m'accusent-elles?</p> + +<p>DIANE.--Pourquoi affectez-vous de ne pas reconnaître +votre femme?</p> + +<p>BERTRAND.--Elle ne m'est rien, seigneur.</p> + +<p>DIANE.--Si vous vous mariez, vous donnerez cette +main, et cette main est à moi; vous donnerez les voeux +prononcés devant le ciel, et ils sont à moi; en vous donnant +à une autre, vous me donnerez moi-même (et +cependant je suis à moi); car je suis tellement incorporée +avec vous par le noeud de vos serments, qu'on ne +saurait vous épouser sans m'épouser aussi; ou tous les +deux, ou ni l'un ni l'autre.</p> + +<p>LAFEU, <span class="stage2"><i>à Bertrand</i></span>.--Votre réputation baisse trop pour +prétendre à ma fille: vous n'êtes pas un mari pour elle.</p> + +<p>BERTRAND.--C'est, mon prince, une créature folle et +effrontée, avec laquelle j'ai badiné quelquefois. Que Votre +Majesté prenne une plus noble idée de mon honneur, +que de croire que je voulusse m'abaisser si bas.</p> + +<p>LE ROI.--Monsieur, vous n'aurez point mon opinion +en votre faveur, jusqu'à ce que vos actions l'aient méritée. +Prouvez-moi que votre honneur est au-dessus de +l'opinion que j'en ai.</p> + +<p>DIANE.--Bon roi, demandez-lui d'attester avec serment +qu'il ne croit pas avoir eu ma virginité.</p> + +<p>LE ROI.--Que lui réponds-tu?</p> + +<p>BERTRAND.--C'est une impudente, mon prince; elle +était prostituée à tout le camp.</p> + +<p>DIANE.--Il m'outrage, seigneur. S'il en était ainsi, il +m'aurait achetée à vil prix. Ne le croyez pas. Oh! voyez +cet anneau, dont l'éclat et la richesse n'ont point de +pareil: eh bien! il l'a cependant donné à une femme +prostituée à tout le camp, si j'en suis une.</p> + +<p>LA COMTESSE.--Il rougit, et c'est le sien. Ce joyau, +depuis six générations, a été légué par testament et porté +de père en fils. C'est sa femme; cet anneau vaut mille +preuves.</p> + +<p>LE ROI.--Vous avez dit, ce me semble, que vous aviez +vu ici quelqu'un à la cour, qui pourrait en rendre +témoignage?</p> + +<p>DIANE.--Cela est vrai, mon seigneur; mais il me +répugne de produire un témoin aussi vil: son nom est +Parolles.</p> + +<p>LAFEU.--J'ai vu l'homme aujourd'hui, si c'est un +homme.</p> + +<p>LE ROI.--Qu'on le cherche, et qu'on l'amène ici.</p> + +<p>BERTRAND.--Que voulez-vous de lui? Il est déjà noté +pour le plus perfide scélérat, par toutes les actions basses +et odieuses du monde, et la vérité répugne à sa nature +même. Me tiendrez-vous pour ceci ou pour cela sur le +témoignage d'un misérable, qui dira tout ce qu'on +voudra?</p> + +<p>LE ROI.--Elle a cet anneau, qui est le vôtre.</p> + +<p>BERTRAND.--Je crois qu'elle l'a: il est certain que j'ai +eu du goût pour elle, et que je l'ai recherchée avec +l'étourderie de la jeunesse. Elle connaissait la distance +qu'il y avait entre elle et moi; elle m'a amorcé, et elle +piqua mes désirs par ses refus, comme il arrive que tous +les obstacles que rencontre un caprice ne font qu'en +accroître l'ardeur. Enfin, ses agaceries secondant ses +attraits ordinaires, elle m'amena au prix qu'elle avait +mis à ses faveurs: elle obtint l'anneau; et moi, j'eus ce +que tout subalterne aurait pu acheter au prix du marché.</p> + +<p>DIANE.--Il faut que j'aie de la patience! Vous qui avez +chassé votre première femme, une si noble dame, vous +pouvez bien me priver aussi de mes droits sur vous. Je +vous prie cependant (car, puisque vous êtes sans vertu, +je perdrai mon mari), envoyez chercher votre anneau: +je vous le rendrai, si vous me rendez le mien.</p> + +<p>BERTRAND.--Je ne l'ai pas.</p> + +<p>LE ROI.--Comment était votre anneau, je vous prie?</p> + +<p>DIANE.--Il ressemblait beaucoup à celui que vous portez +au doigt.</p> + +<p>LE ROI.--Connaissez-vous cet anneau? Cet anneau +était autrefois au comte.</p> + +<p>DIANE.--Et c'est celui que je lui avais donné quand il +est entré dans mon lit.</p> + +<p>LE ROI.--Alors son histoire est fausse; il dit que vous +le lui avez jeté d'une fenêtre.</p> + +<p>DIANE.--J'ai dit la vérité.</p> + +<p class="stage1">(Parolles entre.)</p> + +<p>BERTRAND.--J'avoue, mon prince, que cet anneau était +à elle.</p> + +<p>LE ROI.--Tu balbuties étrangement; une plume te fait +tressaillir.--Est-ce là cet homme dont vous me parliez?</p> + +<p>DIANE.--C'est lui, mon prince.</p> + +<p>LE ROI, <span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>.--Dites-moi, drôle, mais dites-moi +la vérité: je vous l'ordonne, sans craindre le déplaisir +de votre maître, dont je saurai bien vous défendre si +vous êtes sincère. Que savez-vous de ce qui s'est passé +entre lui et cette femme?</p> + +<p>PAROLLES.--Sous le bon plaisir de Votre Majesté, mon +maître a toujours été un gentilhomme honorable. Il a +joué quelquefois de ces tours que font tous les gentilshommes.</p> + +<p>LE ROI.--Allons, allons au fait. A-t-il aimé cette femme?</p> + +<p>PAROLLES.--Oui, sire, il l'a aimée: mais comment?</p> + +<p>LE ROI.--Comment, je vous prie?</p> + +<p>PAROLLES.--Il l'a aimée, mon prince, comme un gentilhomme +aime une femme.</p> + +<p>LE ROI.--Que voulez-vous dire?</p> + +<p>PAROLLES.--Qu'il l'aimait, sire, et qu'il ne l'aimait +pas.</p> + +<p>LE ROI.--Comme tu es un coquin et n'es pas un coquin, +n'est-ce pas? Quel drôle est cet homme-ci avec ses +équivoques!</p> + +<p>PAROLLES.--Je suis un pauvre homme, et aux ordres +de Votre Majesté.</p> + +<p>LAFEU.--C'est un fort bon tambour, mon prince, mais +un méchant orateur.</p> + +<p>DIANE.--Savez-vous qu'il m'a promis le mariage?</p> + +<p>PAROLLES.--Vraiment, j'en sais plus que je n'en dirai.</p> + +<p>LE ROI.--Tu ne veux donc pas dire tout ce que tu sais?</p> + +<p>PAROLLES.--Je le dirai, si c'est le bon plaisir de Votre +Majesté. J'étais leur entremetteur à tous deux, comme +je vous l'ai dit: mais plus que cela, il l'aimait; car, en +vérité, il en était fou, et il parlait de Satan, des limbes, +des furies et de je ne sais quoi; et j'étais si fort en crédit +que je savais quand ils se couchaient et mille autres circonstances, +comme, par exemple, des promesses de l'épouser, +et des choses qui m'attireraient de la malveillance +si je les révélais: c'est pourquoi je ne dirai pas ce que je +sais.</p> + +<p>LE ROI.--Tu as déjà tout dit, à moins que tu ne puisses +ajouter qu'ils sont mariés; mais tu es trop fin dans tes +dépositions: ainsi, retire-toi. (<i>A Diane.</i>) Cet anneau, +dites-vous, était le vôtre?</p> + +<p>DIANE.--Oui, mon prince.</p> + +<p>LE ROI.--Où l'avez-vous acheté, ou qui vous l'a donné?</p> + +<p>DIANE.--Il ne m'a point été donné et je ne l'ai point +acheté non plus.</p> + +<p>LE ROI.--Qui vous l'a prêté?</p> + +<p>DIANE.--Il ne m'a point non plus été prêté.</p> + +<p>LE ROI.--Où donc l'avez-vous trouvé?</p> + +<p>DIANE.--Je ne l'ai pas trouvé.</p> + +<p>LE ROI.--Si vous ne l'avez acquis par aucun de ces +moyens, comment avez-vous pu le donner à Bertrand?</p> + +<p>DIANE.--Je ne le lui ai jamais donné.</p> + +<p>LAFEU.--Cette femme, mon prince, est comme un gant +large: on la met et on l'ôte comme on veut.</p> + +<p>LE ROI.--L'anneau était à moi; je l'ai donné à sa première +femme.</p> + +<p>DIANE.--Il a pu être à vous ou à elle, pour ce que j'en sais.</p> + +<p>LE ROI.--Qu'on l'emmène, elle commence à me déplaire. +Qu'on la mène en prison et lui aussi. Si tu ne +me dis point d'où tu as cet anneau, tu vas mourir dans +une heure.</p> + +<p>DIANE.--Je ne vous le dirai jamais.</p> + +<p>LE ROI.--Qu'on l'emmène.</p> + +<p>DIANE.--Je vous donnerai une caution, mon prince.</p> + +<p>LE ROI.--Je te crois maintenant une prostituée.</p> + +<p>DIANE.--Grand Jupiter! si jamais j'ai connu un +homme, c'est vous.</p> + +<p>LE ROI.--Pourquoi donc accuses-tu Bertrand depuis +tout ce temps?</p> + +<p>DIANE.--Parce qu'il est coupable et qu'il n'est pas coupable. +Il sait que je ne suis plus vierge, et il en ferait +serment. Moi, je ferai serment que je suis vierge, et il ne +le sait pas. Grand roi, je ne suis point une prostituée; +sur ma vie, je suis vierge, ou (<span class="stage2"><i>montrant Lafeu</i></span>) la femme +de ce vieillard.</p> + +<p>LE ROI.--Elle abuse de ma patience. Qu'on la mène en +prison.</p> + +<p>DIANE.--Ma bonne mère, allez chercher ma caution. +Attendez un moment, mon royal seigneur (<span class="stage2"><i>la veuve sort</i></span>): +on est allé chercher le joaillier à qui appartient l'anneau, +et il sera ma caution; mais pour ce jeune seigneur +(<span class="stage2"><i>à Bertrand</i></span>) qui m'a abusée, comme il le sait lui-même, +quoique cependant il ne m'ait jamais fait aucun +tort, je le renonce ici. Il sait lui-même qu'il a souillé ma +couche: et alors même il a fait un enfant à son épouse; +quoiqu'elle soit morte, elle sent remuer son enfant. +Ainsi, voilà mon énigme: une femme morte est vivante, +et voici le mot de l'énigme.</p> + +<p class="stage1">(Hélène et la veuve entrent.)</p> + +<p>LE ROI.--N'y a-t-il point quelque enchanteur qui me +fascine la vue? Est-ce un objet réel que je vois?</p> + +<p>HÉLÈNE.--Non, mon bon seigneur, ce n'est que l'ombre +d'une épouse que vous voyez; le nom, et non pas la +chose.</p> + +<p>BERTRAND.--Tous les deux, tous les deux; ah! pardon!</p> + +<p>HÉLÈNE.--Oh! mon cher seigneur, lorsque j'étais +comme cette jeune fille, je vous ai trouvé bien bon pour +moi. Voilà votre anneau, et voyez, voici votre lettre. +Elle dit: <i>Lorsque vous posséderez cet anneau que je porte à +mon doigt, et que vous serez enceinte de mes oeuvres</i>, etc. +Tout cela est arrivé. Voulez-vous être à moi, maintenant +que je vous ai conquis deux fois?</p> + +<p>BERTRAND.--Si elle peut me prouver cela clairement, +je veux, mon prince, l'aimer tendrement, à jamais, à +jamais.</p> + +<p>HÉLÈNE.--Si je ne vous le démontre pas clairement +ou que je sois convaincue de fausseté, que le mortel +divorce nous sépare à jamais! (<span class="stage2"><i>A la comtesse.</i></span>) O ma +bonne mère! je vous revois encore!</p> + +<p>LAFEU.--Mes yeux sentent l'oignon, je vais pleurer. +Allons (<span class="stage2"><i>à Parolles</i></span>), bon Thomas, prête-moi un mouchoir. +Bien, je te remercie: va m'attendre à la maison; je m'amuserai +de toi. Laisse-là tes politesses, elles ne valent +rien.</p> + +<p>LE ROI.--Qu'on nous raconte cette histoire de point +en point, afin que la certitude de sa vérité nous comble +de joie. (<span class="stage2"><i>A Diane.</i></span>) Et vous, si vous êtes une fleur encore +fraîche et vierge, vous pouvez choisir un époux: je me +charge de votre dot; car j'entrevois déjà que, par vos +secours honnêtes, vous avez fait qu'une femme est devenue +femme en restant vierge. Nous voulons être +instruit plus à loisir de cette aventure et de toutes ses +circonstances. Déjà tout s'annonce bien; et si la fin est +aussi heureuse, l'amertume du passé doit la rendre encore +plus douce.</p> + +<h4>ÉPILOGUE</h4> + +<p>LE ROI (<span class="stage2"><i>s'adressant aux spectateurs.</i></span>)--<i>Le roi n'est plus +qu'un suppliant, à présent que la pièce est jouée. Tout est +bien fini, si nous obtenons l'expression de votre contentement, +que nous reconnaîtrons en faisant chaque jour de +nouveaux efforts pour vous plaire. Accordez-nous votre +indulgence, et que nos rôles soient à vous. Prêtez-nous des +mains favorables, et recevez nos coeurs.</i></p> + +<p>FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE.</p> + +<br><br> + + + + + + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Tout est bien qui finit bien, by +William Shakespeare + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK TOUT EST BIEN QUI FINIT BIEN *** + +***** This file should be named 28151-h.htm or 28151-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/2/8/1/5/28151/ + +Produced by Paul Murray, Rénald Lévesque and the Online +Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact +information can be found at the Foundation's web site and official +page at http://pglaf.org + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. 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