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+The Project Gutenberg EBook of Lettres de Mmes de Villars, de Coulanges et
+de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de M, by Various and Ninon de L'Enclos and Charlotte-Elisabeth Aïssé and Marie-Madeleine Pioche de La Ver La Fayette
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Lettres de Mmes de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé
+ accompagnées de notices bibliographiques, de notes
+ explicatives par Louis-Simon Auger
+
+Author: Various
+ Ninon de L'Enclos
+ Charlotte-Elisabeth Aïssé
+ Marie-Madeleine Pioche de La Ver La Fayette
+
+Commentator: Louis-Simon Auger
+
+Release Date: July 21, 2009 [EBook #29476]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: UTF-8
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LETTRES DE MMES DE VILLARS ***
+
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+
+Produced by Chuck Greif and the Online Distributed
+Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was
+produced from images generously made available by the
+Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
+http://gallica.bnf.fr)
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+[Notes au lecteur de ce ficher digital: Les erreurs clairement
+introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe
+d'origine a été conservée.]
+
+
+
+
+LETTRES
+
+DE
+
+MMES. DE VILLARS,
+
+DE COULANGES,
+
+ET DE LA FAYETTE;
+
+DE NINON DE L'ENCLOS,
+
+ET DE
+
+MADEMOISELLE AÏSSÉ;
+
+Accompagnées de Notices biographiques,
+de Notes explicatives, et de LA COQUETTE
+VENGÉE, par NINON DE L'ENCLOS.
+
+SECONDE ÉDITION.
+
+TOME PREMIER. ET TOME SECOND.
+
+A PARIS,
+
+Chez LÉOPOLD COLLIN, Libraire,
+
+Rue Gît-le-cœur, Nº. 18.
+
+AN XIII.--1805.
+
+
+
+
+AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR.
+
+
+La rapidité avec laquelle a été enlevée la première édition du recueil
+des Lettres de _mesdames de Villars, de la Fayette et de Tencin et de
+mademoiselle Aïssé_, nous a déterminés à en donner une seconde. Nous
+avons fait à ce recueil plusieurs changemens dont il est à propos de
+rendre compte.
+
+On a remarqué dans un journal très-répandu[1] que les Lettres de
+madame _de Tencin_ déparoient la collection. Nous étions parfaitement de
+l'avis du journaliste sur le mérite de ces Lettres: nous avions dit
+nous-mêmes dans la notice qui les précède, qu'elles étoient de madame
+_de Tencin_, intrigante, et non point de madame _de Tencin_, auteur des
+jolis romans du _Comte de Comminges_, du _Siége de Calais_, etc.; mais
+nous avions considéré qu'elles étoient en petit nombre; qu'il étoit fort
+souvent question de celle qui les a écrites, dans une autre
+correspondance qui fait partie du recueil, c'est-à-dire, dans les
+Lettres de mademoiselle _Aïssé_; et qu'enfin, puisque notre dessein
+étoit de rassembler des Lettres de femmes, celles de madame _de Tencin_
+rendroient la réunion plus complète. Ces considérations nous ont bientôt
+paru d'un moindre poids que l'observation qui nous a été faite; et nous
+avons reconnu que le principal but de ceux qui travaillent pour le
+public, étant de lui procurer de l'agrément ou de l'instruction, les
+Lettres de madame _de Tencin_ devoient être exclues de notre recueil,
+puisqu'elles ne sont ni instructives, ni agréables.
+
+Nous les avons remplacées par les Lettres de _Ninon de l'Enclos_ et par
+celles de madame _de Coulanges_. Ce que nous avons ajouté étant beaucoup
+plus considérable que ce que nous avons retranché, nous nous sommes vus
+forcés de faire deux volumes, au lieu d'un.
+
+Le mérite des Lettres de mesdames _de Villars_ et _de la Fayette_, et
+de mademoiselle _Aïssé_, est aujourd'hui trop bien constaté par les
+éloges que leur ont donnés les journaux, et par l'empressement que le
+public a mis à se les procurer, pour que nous croyions nécessaire d'en
+rien dire ici. Il est également inutile de s'étendre sur celles de
+madame _de Coulanges_. On sait qu'il n'en est pas de plus enjouées et de
+plus spirituelles; elles sont remplies de ces traits vifs et brillans,
+que l'on appeloit _les épigrammes_ de madame _de Coulanges_; et, en les
+lisant, on conçoit très-bien comment la femme qui les a écrites, faisoit
+les délices de la société, dans un siècle où l'on étoit si sensible aux
+grâces de l'esprit et du bon ton[2].
+
+Quant aux Lettres de _Ninon_, elles exigent de nous une explication
+particulière. Beaucoup de personnes pourroient les confondre, d'après le
+simple énoncé du titre, avec les _Lettres de Ninon de l'Enclos au
+marquis de Sévigné_, ouvrage supposé, dont l'auteur est M. _Damours_,
+avocat au conseil, mort en 1788. Cette correspondance fictive ne jouit
+pas d'une grande estime auprès des gens de goût. Voici ce que _Voltaire_
+en écrivoit en 1771, à M. ******, ministre du Saint Évangile, qui lui
+avoit demandé des détails sur _Ninon_. «Quelqu'un a imprimé, il y a deux
+ans, des Lettres sous le nom de mademoiselle _de l'Enclos_, à peu près
+comme dans ce pays-ci on vend du vin d'Orléans pour du Bourgogne. Si
+elle avoit eu le malheur d'écrire ces Lettres, vous ne m'en auriez pas
+demandé une sur ce qui la regarde.» On a publié depuis un autre livre du
+même genre, intitulé _Correspondance secrète entre Ninon de l'Enclos, M.
+de Villarceaux et madame de Maintenon_. Nous ne porterons aucun jugement
+sur cette dernière production, que nous n'avons point lue, et avec
+laquelle d'ailleurs nous n'avons rien à démêler, non plus qu'avec celle
+de M. _Damours_, puisque l'une et l'autre sont des suppositions. Les
+Lettres que nous donnons, sont les véritables Lettres de _Ninon_,
+adressées à _Saint-Evremont_, dans les œuvres duquel elles sont comme
+ensevelies. On les en a déjà extraites une fois. Elles ont paru en 1751,
+précédées _de Mémoires_ sur _Ninon_, que quelques-uns ont attribués à M.
+l'abbé _Raynal_. Ce volume se trouve aujourd'hui très-difficilement. Les
+Lettres qui nous restent de _Ninon_, sont au nombre de dix seulement;
+celles de _Saint-Evremont_, qui y correspondent, sont au même nombre, et
+nous les y avons jointes. Un recueil de Lettres, quel qu'il soit, ne
+peut que perdre du côté de l'intérêt, lorsqu'il n'offre que l'une des
+deux parties de la correspondance.
+
+A la suite des Lettres de _Ninon_, nous avons mis _la Coquette
+vengée_, petit écrit attribué à cette fille célèbre par MM. _Mercier_,
+abbé de Saint-Léger et _Jamet_ le jeune, deux des hommes du siècle
+dernier, qui ont été le plus profondément versés dans la bibliographie.
+L'assertion de tels érudits nous a paru suffire. Nous n'y ajouterons pas
+que nous avons cru reconnoître dans _la Coquette vengée_, le style de
+_Ninon_: on n'en pourroit juger que d'après ses Lettres; et des Lettres,
+qui sont une conversation écrite, n'ont presque rien de commun avec un
+ouvrage exprès; mais nous dirons, sans craindre de trouver des
+contradicteurs, que cet opuscule, rempli de grâce et de finesse, ne peut
+guère être sorti que de la plume d'une femme, et qu'il est en tout digne
+de cette _Ninon_, dont l'esprit et la raison n'ont pas été moins
+célèbres que l'éclat et la durée de ses charmes. Nous allons dire à
+quelle occasion il fut fait. En 1659, il parut un petit livre intitulé:
+_le Portrait de la Coquette_ ou _la Lettre d'Aristandre à Timagène_.
+_Aristandre_ apprenant que _Timagène_, son neveu, se dispose à faire le
+voyage de Paris, veut le prémunir contre les dangers que son innocence
+courra dans cette ville; et de tous ces dangers, le plus grand, à son
+avis, ce sont les coquettes, dont il décrit à son neveu les différentes
+espèces. Il est certain que, parmi ces portraits, il en est plusieurs,
+et notamment celui de la Coquette, qui affecte l'instruction, où la
+malignité des lecteurs dut vouloir retrouver quelques-uns des traits de
+_Ninon_; et il n'est guère douteux qu'en effet le peintre ne l'ait prise
+pour modèle. Il appartenoit à une femme de venger la plus grande partie
+de son sexe outragée dans la Lettre d'_Aristandre_; et ce soin regardoit
+sur-tout celle qui y paroissoit le plus directement attaquée. Cette
+circonstance, suivant nous, donne un grand poids au témoignage de nos
+deux bibliographes; et, à défaut d'autres indices, elle auroit pu servir
+de base à leur opinion. _Ninon_ (car nous croyons fermement que c'est
+elle qui est l'auteur de l'écrit) _Ninon_ fit donc _la Coquette vengée_,
+dont le titre seul annonce suffisamment le dessein. Cette défense, ou
+plutôt cette récrimination est dirigée contre certains _philosophes_,
+nommés _pédans de robe courte, et docteurs de ruelles, qui dogmatisent
+dans des fauteuils, et raisonnent sans cesse sur l'amour, sans avoir
+rien de raisonnable pour se faire aimer._ Pour expliquer l'emploi
+injurieux que _Ninon_ fait ici du titre de _philosophe_, il faut dire
+que l'auteur du _Portrait de la Coquette_ affiche de grandes prétentions
+à ce titre, pour lequel il assure que les coquettes ont une aversion
+insurmontable. Nous avouerons sans peine que _la Lettre d'Aristandre_
+nous a paru elle-même un ouvrage agréablement écrit, et vraiment digne
+de la colère de _Ninon_. Ce qui confirmeroit notre jugement, c'est qu'il
+fut réimprimé en 1685, c'est-à-dire, plus de vingt-cinq ans après sa
+première publication. Nous ignorons si l'écrit de _Ninon_ a eu aussi les
+honneurs de la réimpression; en tout cas, nous pensons qu'il les
+méritoit pour le moins autant.
+
+Dans la première, édition de ce recueil, les notices biographiques
+avoient été placées toutes ensemble, au commencement du volume. Mais
+cette fois nous les avons disposées plus convenablement; chacune se
+trouve en tête de la correspondance à laquelle elle a rapport.
+
+Dans l'avertissement qui précédoit ces notices, nous disions à quel
+point la seule édition qu'on eût eue jusqu'alors des Lettres de
+mademoiselle _Aïssé_, étoit incorrecte, et quels efforts nous avions eu
+à faire pour restituer le sens altéré à chaque page par des omissions ou
+par des changemens de mots, et rétablir les noms propres, presque
+toujours défigurés à n'être pas reconnoissables. Nous avons fait, dans
+les écrits du temps, de nouvelles recherches au sujet de ces noms, et
+nous avons réintégré dans leur véritable orthographe tous ceux qui n'ont
+pas appartenu à des personnages totalement ignorés. Nous avons aussi
+ajouté quelques notes explicatives à celles que nous avions trouvées ou
+que nous avions faites nous-mêmes.
+
+Nous ne croyons pouvoir mieux terminer cet avertissement, qu'en
+rapportant un passage de _La Bruyère_, où ce moraliste ingénieux et
+profond reconnoît et explique la supériorité que les femmes ont sur les
+hommes dans le genre épistolaire. «Les Lettres de _Balzac_, de
+_Voiture_, dit-il, sont vides de sentimens qui n'ont régné que depuis
+leur temps, et qui doivent aux femmes leur naissance. Ce sexe va plus
+loin que le nôtre dans ce genre d'écrire: elles trouvent sous leur
+plume, des tours et des expressions qui, souvent en nous, ne sont
+l'effet que d'un long travail et d'une pénible recherche: elles sont
+heureuses dans le choix des termes qu'elles placent si juste, que, tout
+connus qu'ils sont, ils ont le charme de la nouveauté, et semblent être
+faits seulement pour l'usage où elles les mettent. Il n'appartient qu'à
+elles de faire lire dans un seul mot tout un sentiment, et de rendre
+délicatement une pensée délicate. Elles ont un enchaînement de discours
+inimitable, qui se suit naturellement et qui n'est lié que par le sens.
+Si les femmes étoient toujours correctes, j'oserois dire que les Lettres
+de quelques-unes d'entr'elles seroient peut-être ce que nous avons dans
+notre langue de mieux écrit[3].» Il n'est pas inutile de remarquer que
+_La Bruyère_ proclamoit ainsi la prééminence des femmes dans l'art
+d'écrire des Lettres, à une époque où celles de madame _de Sévigné_
+n'étoient point connues du public, et ne l'étoient probablement pas de
+_La Bruyère_ lui-même. Elles ont été imprimées pour la première fois
+plus de 30 ans après la publication des _Caractéres_.
+
+
+
+
+NOTICE
+
+SUR
+
+MADAME DE VILLARS.
+
+
+Marie de Bellefonds, fille de Bernardin _Gigault de Bellefonds_, aïeul
+du maréchal de ce nom, fut mariée au marquis _de Villars_. Le vainqueur
+de Dénain, le célèbre maréchal _de Villars_, fut le fruit de ce mariage.
+
+M. le marquis _de Villars_ fut envoyé ambassadeur auprès de _Charles
+II_, roi d'Espagne, au moment où ce prince épousa Marie-Louise
+_d'Orléans_, fille de _Monsieur_, frère de _Louis XIV_ et de
+Henriette-Anne _d'Angleterre_, sa première femme.
+
+Madame _de Villars_ suivit son mari dans cette ambassade, qui ne
+dura guère plus de dix-huit mois. Pendant son séjour à Madrid, elle
+écrivit à madame _de Coulanges_. Il ne nous est parvenu que trente-sept
+Lettres de cette correspondance; elles commencent au 2 novembre 1679, et
+finissent au 15 mai 1681. Elles contiennent des détails très-curieux sur
+le caractère du roi et de la reine, sur leur manière de vivre, sur les
+intrigues et l'étiquette de leur cour, enfin sur les mœurs et les usages
+de l'Espagne. Une preuve de la confiance qu'elles méritent, c'est que le
+président _Hénault_, écrivain sévère dans le choix de ses autorités, les
+cite, en parlant du pouvoir absolu que les ministres de l'Empereur
+exerçoient à la cour de _Charles II_[4]. Du reste, elles sont écrites
+d'un style simple, facile et agréable; c'est celui d'une femme, qui à
+beaucoup de sens et d'esprit naturel joignoit ce ton délicat et fin qui
+distingue la bonne compagnie. Ces Lettres étoient lues avec beaucoup de
+plaisir par les personnes les plus spirituelles de la plus aimable
+société qui ait peut-être jamais existé. Qui pourroit se piquer d'être
+plus difficile qu'elles? Voici ce que madame _de Sévigné_ écrivoit à sa
+fille, au sujet des Lettres de madame _de Villars_. «Madame _de Villars_
+mande mille choses agréables à madame _de Coulanges_, chez qui on vient
+apprendre les nouvelles. Ce sont des relations qui font la joie de
+beaucoup de personnes; M. _de la Rochefoucault_ en est curieux; madame
+_de Vins_ et moi, nous en attrapons ce que nous pouvons. Nous comprenons
+les raisons qui font que tout est réduit à ce bureau d'adresse; mais
+cela est mêlé de tant d'amitié et de tendresse, qu'il semble que son
+tempérament soit changé en Espagne. Cette reine d'Espagne est belle et
+grasse; le roi amoureux, et jaloux sans savoir de quoi, ni de qui; les
+combats de taureaux affreux; deux grands pensèrent y périr; leurs
+chevaux tués sous eux; très-souvent la scène est ensanglantée. Voilà les
+divertissemens d'un royaume chrétien; les nôtres sont bien opposés à
+cette destruction et bien plus aisés à comprendre[5]». Madame _de
+Sévigné_, dans une autre lettre à madame _de Grignan_, avoit déjà parlé
+ainsi de celles de madame _de Villars_. «Madame _de Villars_ n'a écrit
+uniquement, en arrivant à Madrid, qu'à madame _de Coulanges_; et, dans
+cette lettre, elle nous fait des complimens à toutes nous autre vieilles
+amies. Madame _de Schomberg_, mademoiselle _de Lestrange_, madame _de la
+Fayette_, tout est en un paquet. Madame _de Villars_ dit qu'_il n'y a
+qu'à être en Espagne pour n'avoir plus d'envie d'y bâtir des
+châteaux_[6]. Vous voyez bien qu'elle ne pouvoit mieux adresser sa
+lettre, puisqu'elle vouloit mander cette gentillesse[7]».
+
+Madame _de Villars_ mourut le 24 juin 1706, âgée de 82 ans.
+
+Ses Lettres étoient entre les mains de M. le chevalier _de Perrin_,
+éditeur de celles de madame _de Sévigné_, qui se disposoit à les faire
+imprimer, lorsqu'il mourut en 1754. Elles l'ont été depuis sur le
+manuscrit que l'on a trouvé dans ses papiers.
+
+
+
+
+LETTRES
+
+DE
+
+MADAME DE VILLARS,
+
+A MADAME DE COULANGES.
+
+
+
+
+LETTRE PREMIÈRE.
+
+_Madrid, 2 novembre 1679._
+
+Me voici enfin à Madrid, où je suis résolue d'attendre tranquillement
+le retour du roi, et l'arrivée de la reine, sa femme. Je n'ai pas eu le
+courage d'aller à Burgos. M. _de Villars_, qui m'attendoit ici, est
+parti pour rejoindre le roi, qui va chercher la reine d'une telle
+impétuosité, qu'on ne peut le suivre; et si elle n'est pas encore
+arrivée à Burgos, il est résolu d'emmener avec lui l'archevêque de cette
+ville-là, et d'aller jusqu'à Vittoria, ou sur la frontière, pour épouser
+cette princesse. Il n'a voulu écouter aucun conseil contraire à cette
+diligence. Il est transporté d'amour et d'impatience. Ainsi, avec de
+telles dispositions, il ne faut pas douter que cette jeune reine ne soit
+heureuse. La reine douairière, qui est très-bonne et très-raisonnable,
+souhaite passionnément qu'elle soit contente. Je trouvai, en venant,
+toutes les dames, et tous les officiers de sa maison, qui est
+très-nombreuse, auprès de Burgos. La duchesse _de Terranova_, sa
+_camarera mayor_, fit arrêter sa litière auprès de la mienne. Elle me
+parut spirituelle et très-honnête, point aussi vieille que je me l'étois
+figurée. Toutes les dames et filles d'honneur me montroient de loin
+leurs mouchoirs que l'on met en l'air en signe d'amitié. Je pensai
+oublier d'en faire autant; et, si ma fille ne m'en eût fait aviser,
+j'allois débuter par une grande sottise. Vous ne sauriez vous imaginer
+quelles honnêtetés je reçois ici. La reine mère m'a envoyé son majordome
+pour savoir comment je me trouvois des fatigues de mon voyage, et me
+donner beaucoup de marques de bonté. On dit qu'elle n'a pas accoutumé
+d'en user de la sorte avec les autres ambassadrices; ce n'est pas à mon
+médiocre mérite que j'attribue cet honneur.
+
+Je n'ai pas encore voulu recevoir de visites. J'attends le retour de M.
+_de Villars_. Il y a tant de manières et tant de cérémonies à observer,
+qu'il faut qu'il m'instruise de tout, depuis les moindres choses jusques
+aux plus importantes. Rien ne ressemble ici à ce qui se pratique en
+France.
+
+Don _Juan_ est mort de chagrin; le roi commençoit à lui en donner, en
+rappelant, sans lui en parler, plusieurs grands qu'il avoit exilés.
+
+Je ne sais si la princesse _d'Harcourt_ entrera dans le carrosse de la
+reine.
+
+La connétable _Colonne_ m'a envoyé visiter. Elle est toujours dans son
+couvent, dont elle s'ennuie fort; elle espère en sortir quand la reine
+sera ici, et loger chez sa belle-sœur, la marquise _de los Balbasès_.
+L'abbé _de Villars_, qui l'alla voir l'autre jour, l'a trouvée très-bien
+faite, et j'entends dire qu'elle n'est pas reconnoissable de ce qu'elle
+étoit en France: c'est une taille charmante, un teint clair et net, de
+beaux yeux, des dents blanches, de beaux cheveux. Elle a fait un livre
+de sa vie, qui est déjà traduit en trois langues, afin que personne
+n'ignore ses aventures: il est fort divertissant. Elle est habillée à
+l'espagnole d'un fort bon air, mais ayant retranché et augmenté, ce qui
+en effet est mieux.
+
+
+
+
+LETTRE II.
+
+_Madrid, 30 novembre 1679._
+
+On ne peut mener une plus plaisante vie, que celle que je mène ici
+depuis mon arrivée, ne faisant aucune visite, et n'en voulant recevoir
+qu'après le retour de M. _de Villars_. Je sors quelquefois, quand il
+fait beau, pour aller, ce qu'on appelle _tomar el sol_[8], hors des
+portes. Le soleil est très-agréable en cette saison. Il faut
+soigneusement tirer tous les rideaux du carrosse dans la ville;
+autrement on passeroit pour n'être pas honnête femme, et par tout pays
+il seroit fâcheux de se décrier pour un si petit sujet.
+
+Les ducs _d'Ossone_ et _d'Astorga_ se sont fort querellés devant la
+reine. L'on a jugé que le premier avoit tort, et on l'a envoyé ici
+attendre les ordres du roi. Je ne sais plus quelle charge il a[9]; mais
+les bruits de Madrid sont que le marquis _de los Balbasès_ la pourroit
+bien avoir. Je n'ai point encore vu de beautés Espagnoles.
+
+M. _de Villars_ vient d'arriver de Burgos. Il m'a conté beaucoup de
+détails de tout ce qu'il vient de voir. Il se flatte que le prince et la
+princesse _d'Harcourt_ auront été contens de lui. Il m'a parlé de la
+plus belle robe du monde qu'avoit la princesse. Madame _de Grancey_ a
+très-bien fait, et s'est fort bien servie de son temps de faveur auprès
+de la reine, pour ne lui donner que de très-bons conseils. On croit
+qu'elle aura du roi Catholique une pension de deux mille écus. On ne
+sait point encore si elle viendra jusques ici. Elle paroissoit fort
+tentée de s'en retourner avec la princesse _d'Harcourt_. Le roi et la
+reine viennent seuls dans un grand carrosse sans glaces, à la mode du
+pays. Il sera fort heureux pour eux qu'ils soient comme leur carrosse.
+On dit que la reine fait très-bien: pour le roi, comme il étoit fort
+amoureux avant que de l'avoir vue, sa présence ne peut qu'avoir augmenté
+sa passion. Elle reçut le roi avec un très-bel habit à la françoise, et
+une quantité surprenante de pierreries; mais elle le quitta le lendemain
+pour s'habiller à l'espagnole; et le roi la trouva beaucoup mieux.
+Madame _de Grancey_ en mit un aussi, que la reine lui donna, et se
+coiffa à l'espagnole; ce qui lui sied fort bien. Elle étoit avec les
+dames d'honneur, qui sont proprement les filles de la reine. Elles
+passent toutes deux à deux, après la comédie, devant le roi et la reine,
+faisant leurs révérences: madame _de Grancey_ figuroit avec une qui
+étoit de fort bonne grâce. Je n'ai point entendu dire que la maréchale
+_de Clérembault_ figurât avec personne, mais qu'elle parloit fort bien
+espagnol. Le roi et la reine seront ici dans trois jours, et viendront
+demeurer à Buen-Retiro, maison royale aux portes de Madrid, jusqu'à ce
+que tout soit prêt pour l'entrée de la reine. Que j'appréhende de
+m'habiller, et de commencer à sortir! Je ne suis point du tout née pour
+représenter.
+
+Je viens d'apprendre que madame _de Grancey_ est partie de Burgos pour
+Paris avec le prince et la princesse _d'Harcourt_. Elle a eu mille
+louis, deux mille écus de pension, et un présent de diamans de dix-huit
+cents ou deux mille pistoles, tout pareil à celui qu'on a donné à la
+maréchale _de Clérembault_. Il y en a eu deux autres de trois mille
+pistoles pour le prince et la princesse _d'Harcourt_. Toutes les femmes,
+hors les deux nourrices de la reine, et deux autres filles, ont été
+renvoyées. Une vieille sous-gouvernante, nommée mademoiselle _Fauvelet_,
+est morte en chemin; mais si bien en chemin, que son âme est partie de
+ce monde pour l'autre de dedans sa litière, ayant toujours voulu suivre,
+quelque malade qu'elle fût. Elle mourut peu d'heures avant que d'arriver
+au lieu où le roi vint trouver la reine, et où ils se sont mariés.
+
+La reine avoit perdu en chemin mille pistoles contre le prince et la
+princesse _d'Harcourt_, et autres personnes qui l'accompagnoient. Quand
+leurs majestés furent parties, les joueurs eurent grand'peur de n'être
+pas payés; mais ils furent agréablement surpris par l'arrivée d'une
+bourse où étoit cette somme.
+
+Ne trouvez-vous pas que madame _de Grancey_ a fait un agréable voyage?
+Tout le monde dans cette cour est fort content d'elle. Le prince et la
+princesse _d'Harcourt_ avoient un très-beau train, une grande table, et
+se sont fort bien acquittés de leur emploi. Leur entrée à Burgos fut
+trouvée fort belle. Le prince _d'Harcourt_ s'est très-bien gouverné, et
+l'on est ici très-satisfait de l'un et de l'autre. Vous pouvez en
+assurer M. _de Brancas_[10].
+
+
+
+
+LETTRE III.
+
+_Madrid, 14 décembre 1679._
+
+Peu après que la reine a été ici, elle a témoigné beaucoup d'envie de
+me voir, et me l'envoya dire. Je répondis que j'étois fort sensible à
+l'honneur qu'elle me faisoit. Elle me fit dire pour la seconde fois
+qu'elle avoit prié le roi que j'y allasse _incognito_, parce que,
+jusqu'à ce qu'elle ait fait son entrée, et qu'elle soit logée dans le
+palais, personne, homme ni femme, ne la verra. On envoya à la _camarera
+mayor_, pour lui dire ce que la reine avoit mandé, et la permission que
+le roi lui avoit donnée de me voir _incognito_. La _camarera_ répondit
+qu'elle ne savoit point cela. Le gentilhomme espagnol, que nous lui
+avions envoyé, la supplia de vouloir s'en informer; elle répondit
+qu'elle n'en feroit rien, et que la reine ne verroit personne, tant
+qu'elle seroit au Retiro. Nous fîmes savoir à la reine la diligence que
+nous avions faite: on ne pouvoit pas moins après l'envie qu'elle avoit
+témoignée que j'eusse l'honneur de la voir. Après cela, nous nous sommes
+tenus en repos. Je n'ai pas même voulu aller à l'église, où l'on peut la
+voir d'une tribune, de peur qu'on ne m'accusât de trop d'empressement.
+Le roi en a un très-grand pour elle. Il ne voudroit jamais la perdre de
+vue. Cela est très-obligeant. Mais, pour en revenir à cette envie de me
+voir, je fus dimanche, pour la première fois, rendre mes devoirs à la
+reine mère, qui est bonne, obligeante, disant tout ce qu'elle peut et
+tout ce qu'il faut pour plaire. Elle me demanda si je n'avois pas encore
+vu la reine, sa belle-fille. Je lui dis que non. Elle me répondit: Elle
+a fort envie de vous voir; vous la verrez dès que vous le voudrez, et
+dès demain. Ce demain est aujourd'hui. Je vous ai écrit tout ceci par
+avance. Ce sera sur les quatre heures que je me rendrai à cette audience
+de la reine. Je vous rendrai compte comme tout cela m'aura paru. On dit
+qu'elle se conduit fort bien: j'en suis persuadée. Aucun François ne l'a
+vue. Il y a deux jours que la marquise _de los Balbasès_ la voulut voir:
+elle alla dans l'appartement de la _camarera_, qui touche à celui de la
+reine. Dès que la jeune princesse le sut, elle y vint tout aussitôt;
+mais comme elle voulut parler à la marquise, la _camarera_ prit la reine
+par le bras, et la fit entrer dans sa chambre. Ce sont des usages qui ne
+sont pas si extraordinaires ici qu'ils le seroient ailleurs.
+
+
+
+
+LETTRE IV.
+
+_Madrid, 15 décembre 1679._
+
+Je fus hier au Retiro, cette maison où le roi et la reine sont
+présentement. J'entrai par l'appartement de la _camarera mayor_, qui me
+vint recevoir avec toutes sortes d'honnêtetés; elle me conduisit par de
+petits passages dans une galerie où je croyois ne trouver que la reine;
+mais je fus bien étonnée quand je me vis avec toute la famille royale;
+le roi étoit assis dans un grand fauteuil, et les reines sur des
+carreaux. La _camarera_ me tenoit toujours par la main, m'avertissant du
+nombre de révérences que j'avois à faire, et qu'il falloit commencer par
+le roi. Elle me fit approcher si près du fauteuil de sa majesté
+Catholique, que je ne comprenois point ce qu'elle vouloit que je fisse.
+Pour moi, je crus n'avoir rien à faire qu'une profonde révérence; sans
+vanité, il ne me la rendit pas, quoiqu'il ne me parût pas chagrin de me
+voir. Quand je contai cela à M. _de Villars_, il me dit que sans doute
+la _camarera_ vouloit que je baisasse la main à sa majesté. Je m'en
+doutai bien; mais je ne m'y sentis pas portée. Il m'ajouta qu'elle avoit
+proposé à la princesse _d'Harcourt_ de baiser cette main, et que, sur
+l'avis que cette princesse lui en avoit demandé, il lui avoit répondu de
+n'en rien faire.
+
+Me voilà donc au milieu de ces trois majestés; la reine mère me disant,
+comme la veille, beaucoup de choses obligeantes, et la jeune reine me
+paroissant fort aise de me voir. Je fis ce que je pus pour qu'elle ne le
+témoignât que de bonne sorte. Le roi a un petit nain flamand qui entend
+et qui parle très-bien françois. Il n'aidoit pas peu à la conversation.
+On fit venir une des filles d'honneur en _guarda-infante_[11], pour me
+faire voir cette machine. Le roi me fit demander comment je la trouvois,
+et je répondis au nain que je ne croyois pas qu'elle eût jamais été
+inventée pour un corps humain. Il me parut assez de mon avis. On m'avoit
+fait donner une _almoada_[12]. Je m'assis seulement un instant pour
+obéir, et je pris aussitôt une légère occasion de me tenir debout, parce
+que je vis beaucoup de _segnoras de honor_ qui n'étoient point assises,
+et que je crus leur faire plaisir de faire comme elles: je me tins donc
+toujours debout, quoique les reines me dissent souvent de m'asseoir. La
+jeune fit une légère collation servie à genoux par ses dames, qui ont
+des noms admirables, et qui ne prétendent pas moins être que des maisons
+d'Arragon, de Portugal, de Castille, et autres des plus grandes. La
+reine mère prit du chocolat: le roi ne prit rien.
+
+La jeune reine, comme vous pouvez penser, étoit habillée à l'espagnole,
+de ces belles étoffes qu'elle a apportées de France; très-bien coiffée,
+ses cheveux de travers sur le front, et le reste épars sur les épaules.
+Elle a le teint admirable, de beaux yeux, la bouche très-agréable quand
+elle rit. Que c'est une belle chose de rire en Espagne! Mais il est
+plaisant que je vous fasse le portrait de la reine.
+
+Cette galerie est assez longue, tapissée de damas ou de velours
+cramoisi, chamarré fort près à près de larges passemens d'or. Depuis un
+bout jusqu'à l'autre, est le plus beau tapis de pied que j'aie jamais
+vu; des tables, cabinets et brâsiers, des flambeaux sur les tables: et
+de temps en temps, on voit des menines très-parées, qui entrent avec
+deux flambeaux d'argent pour changer, quand il faut moucher les bougies.
+Elles font de grandes et longues révérences de bonne grâce. Assez loin
+des reines, il y avoit quelques filles d'honneur assises à bas, et
+plusieurs dames d'un âge avancé, avec leurs habits de veuves, debout,
+appuyées contre la muraille. Le roi et la reine s'en allèrent après
+trois quarts d'heure, le roi marchant le premier. La jeune reine prit sa
+belle-mère par la main, passant devant à la porte de la galerie, après
+quoi elle revint plus vîte que le pas me retrouver. La _camarera mayor_
+ne revint point, et il parut assez qu'on lui donnoit toutes sortes de
+libertés de m'entretenir. Il ne demeura qu'une vieille dame fort loin.
+Elle me dit que, si la dame n'y étoit pas, elle m'embrasseroit bien. Il
+n'étoit que quatre heures quand j'arrivai là; il en étoit sept et demie
+avant que j'en sortisse; et ce fut moi qui voulus sortir.
+
+Je vous assure, madame, que je voudrois que le roi, la reine mère et la
+_camarera mayor_ eussent pu entendre tout ce que je dis à la princesse.
+Je voudrois que vous le sussiez aussi, et que vous nous eussiez pu voir
+nous promener dans cette galerie que les flambeaux rendoient
+très-agréable. Cette jeune reine, dans la nouveauté et la beauté de ses
+habits avec une infinité de diamans, étoit ravissante.
+
+Imaginez-vous une fois pour toutes, que le noir et le blanc ne sont pas
+plus différens que la vie d'Espagne et celle de France. Il me semble que
+cette jeune princesse fait très-bien. Elle voudroit que j'eusse
+l'honneur de la voir tous les jours; je l'assurai que j'en serois
+charmée; mais je la suppliai de m'en dispenser, à moins qu'on ne me fît
+voir clair comme le jour que le roi et la reine mère le souhaitoient
+presqu'autant qu'elle. La _camarera mayor_ me vint prendre à la porte de
+la galerie pour me reconduire. Je trouvai là des femmes françoises de la
+reine, auxquelles je dis qu'il falloit apprendre l'espagnol, et
+s'empêcher, autant qu'il leur seroit possible, de dire un mot de
+françois à la reine. Je savois qu'on les grondoit un peu, quand elles
+lui parloient trop souvent. Je dis en espagnol à la _camarera mayor_, ce
+que je disois à ces Françoises: elle m'en sut un très-bon gré. Voilà, à
+peu près, madame, tout ce que je puis vous mander de cette première
+visite.
+
+Si vous aviez été aujourd'hui ici, vous auriez eu le plaisir de voir au
+travers d'une porte le plus beau nonce du monde et le mieux disant. Il
+parle un espagnol tout-à-fait aisé. Je l'ai reçu en cérémonie tout à mon
+aise sur des carreaux, et lui dans un fauteuil. Il m'a fort parlé de
+_Charles-Quint_. J'étois un peu honteuse d'en être si peu instruite; je
+n'en ai pas fait semblant; je disois quelques mots par-ci, par-là,
+rappelant dans ma mémoire beaucoup de beaux endroits, dont mon fils aîné
+m'a entretenue quelquefois. Mon fils l'abbé, qui m'assistoit en cette
+occasion, a beaucoup brillé dans cette conversation, et n'y a pas moins
+paru que sur les bancs de Sorbonne.
+
+M. _de Villars_, qui revient de la ville, se met à vos pieds, pour
+parler en termes espagnols. Il me vient d'avouer qu'il a passé son
+après-dinée chez cette femme dont vous lui avez vu le portrait. Il dit
+qu'elle n'a plus de beauté, mais bien de l'esprit. J'en jugerai
+incessamment; car il veut que ce soit une des premières dont je reçoive
+visite.
+
+Adieu, madame: si ma lettre ne vous prouve le plaisir que je prends à
+penser à vous, et à vous entretenir, je ne sais pas ce qu'il faut faire
+pour vous le persuader. Peut-être aimeriez-vous mieux en douter; car
+cette lettre est bien longue pour une personne comme vous, au milieu de
+la bonne compagnie et des plaisirs. Telle cependant que vous voyez cette
+lettre, il y a mille choses que je ne vous mande point, et que je vous
+dirois bien. Je ne pense point, quand tout le monde verroit ceci, que je
+pusse en recevoir ni reproche ni blâme. Cependant usez-en avec prudence.
+
+
+
+
+LETTRE V.
+
+_Madrid, 27 décembre 1679._
+
+J'ai reçu depuis peu mes visites. La manière dont se passe cette
+cérémonie, est une chose assez singulière. Premièrement, dès que j'ai
+été arrivée, toutes les dames, princesses, duchesses, Grandes, ont
+envoyé plusieurs fois me complimenter, et s'informer avec soin quand
+elles me pouroient voir, chacune voulant être avertie des premières.
+Enfin ce temps est venu; il y a quelques jours qu'on leur fit savoir que
+je recevrois le monde trois jours de suite. On envoie un page chez
+toutes celles qui ont envoyé, avec des billets qu'on nomme _nudillos_,
+parce qu'en effet ce sont des billets noués. Ce fut la marquise
+_d'Assera_, veuve du duc _de Lerme_, que j'ai vue en France, et qui
+croit que je lui ai rendu quelque petit service, qui fit les trois jours
+les honneurs de ma maison. La dame de ce portrait qu'a M. _de Villars_,
+les a faits aussi. Je crois qu'elle a été belle, et même qu'elle le
+seroit encore passablement, sans cette épouvantable coiffure de veuve
+qu'elle porte. Il n'est pas possible, à quelque belle personne que ce
+soit, de le paroître avec cet accoutrement; et je ne sais pas comment
+une veuve qui seroit un peu galante, et qui compte sur sa beauté, ne se
+remarie pas tout au plus tard au bout de l'an. Cette dame a bien de
+l'esprit, et est honnête et polie. Je ne vous dirai point les pas
+comptés que l'on fait pour aller recevoir les dames, les unes à la
+première estrade, les autres à la seconde ou à la troisième; car, par
+parenthèse, j'ai un très-grand appartement. Tirez de là, en soupirant
+pour moi, la conséquence de ce qu'il m'en coûte à le meubler. Il faut,
+en entrant et en sortant, passer devant toutes ces dames. Celle qui me
+conduisoit avoit assez d'affaire à me redresser; car j'oubliois souvent
+le cérémonial. Ces visites durent tout le jour. On les conduit dans une
+chambre couverte de tapis de pied, un grand brâsier d'argent au milieu.
+Je n'oublierai pas de vous dire que, dans ce brâsier; il n'y a point de
+charbon, mais de petits noyaux d'olives qui s'allument, et qui font le
+plus joli feu du monde, une petite vapeur douce. Ce feu dure plus que la
+journée. La manière de s'entretenir et de se faire des amitiés, seroit
+trop longue à vous dire. Toutes ces femmes causent comme des pies
+dénichées; très-parées en beaux habits et pierreries, hors celles qui
+ont leurs maris en voyage ou en ambassade. Une des plus jolies, sans
+comparaison[13], étoit vêtue de gris par cette raison. Pendant l'absence
+de leurs maris, elles se vouent à quelque saint, et portent, avec leur
+habit gris ou blanc, de petites ceintures de corde ou de cuir. Je ne
+puis vous dépeindre aucune beauté; car je n'en ai point vu. La
+connétable de Castille est des mieux faites; mais revenons à notre
+brâsier; toutes assises sur nos jambes, sur ces tapis; car, quoiqu'il y
+ait quantité _d'almohadas_, ou carreaux, elles n'en veulent point. Dès
+qu'il y a cinq ou six dames, on apporte la collation qui recommence une
+infinité de fois. On présente d'abord de grands bassins de confitures
+sèches; ce sont des filles qui servent, après cela quantité de toutes
+sortes d'eaux glacées, et puis du chocolat; ce qu'elles ont mangé ou
+emporté de marons glacés, qu'elles nomment _castagnas_, ne se peut
+comprendre, tant elles les trouvent bons. Il règne une grande honnêteté
+parmi elles; touchées de plaire et de faire plaisir; avec tout cela,
+madame, que je fus aise de me trouver à la fin de mes trois jours! La
+plupart me sont venu voir deux fois; trois ou quatre entendent et
+parlent un peu le françois, et moi très-peu l'espagnol. Si ce récit vous
+paroît trop long, gardez-le pour le mettre en la place de la lecture que
+vous faites quelquefois les soirs. Il n'a tenu qu'à moi de vous faire
+encore un détail des comédies et de leurs machines. La reine, avec qui
+je me suis trouvée deux fois, comme elle y alloit, m'y a voulu mener;
+mais jusqu'ici je m'en suis exemptée par m'y figurer un ennui mortel, et
+je lui ai dit que j'irois quand elle seroit au palais. Cette jeune reine
+est assurément plus belle et plus aimable que toutes les dames de sa
+cour. Elle n'a point encore fait son entrée; on dit que le deux du mois
+prochain on saura le jour destiné à cette cérémonie; il y a des soupçons
+sur une grossesse. A l'égard de ne la pas voir aussi souvent qu'elle me
+témoigne le souhaiter, ce que je fais jusqu'à la durété, ce n'est pas
+que je méprise cet honneur, et que je n'en sache faire tout le cas que
+je dois; mais je crains plus que je ne puis vous le dire, qu'on ne me
+puisse accuser de trop d'empressement. Ce que la princesse fera de bien
+ou moins bien, ne me doit point être attribué; elle se conduit fort
+prudemment; il n'auroit pas été plus mal qu'on lui eût donné en France
+quelque bonne tête en qui elle eût confiance; cette cour est remplie de
+plusieurs personnes, qui peuvent indirectement se mêler de lui donner
+des conseils; il y a bien peu qu'elle y est, pour savoir choisir les
+bons et rejeter les mauvais; ce ne sont nullement mes affaires; et, si
+la reine mère n'avoit souhaité que je visse plus souvent la reine que je
+ne me l'étois proposé, je n'y aurois été qu'une seule fois. Je vous
+assure, madame, que, quand il faut m'habiller, quoiqu'il me soit permis
+d'aller avec toutes sortes de manteaux, et qu'il me faut sortir de ma
+chambre, je suis triste et peinée par avance, d'aller représenter en
+public. On prépare, pour l'entrée de la reine, cinq ou six beaux arcs de
+triomphe. J'en ai vu un qui m'a paru tel. Si le deux du mois prochain on
+la croit encore grosse, elle fera son entrée dans une espèce de chaise
+découverte, que des hommes porteront sur leurs épaules; sinon elle la
+fera à cheval. J'étois, il y a peu de jours, avec elle; le roi vient
+faire de petites _comparanzas[14]_ et puis s'en reva. Elle me montroit
+un fort beau présent d'une parure de pierreries, que le roi lui avoit
+fait le matin. Ils se couchent tous les jours à huit heures et demie,
+c'est-à-dire, le moment d'après qu'ils sont sortis de table, ayant
+encore le morceau au bec.
+
+Le prince de _Ligne_ mourut, il y a trois jours; il étoit assez vieux;
+sa femme s'en retourne en Flandre. Il y en a huit qu'un fameux théatin,
+nommé le P. _Vintimille_, fut chassé; il étoit intrigant, à ce qu'on
+dit, des amis de feu don _Juan_, et ennemi déclaré de la reine mère; il
+eût fort souhaité d'être confesseur de la jeune reine; il ne lui auroit
+pas fait des scrupules de rien; il est ami de la connétable _Colonne_
+que je n'ai point encore vue, parce que je n'ai fait aucune visite: je
+les commencerai bientôt, et la verrai des premières. Elle ne sort point
+de son couvent: on croyoit qu'elle demeureroit chez la marquise _de los
+Balbasès_, sa belle-sœur; mais cela ne sera pas.
+
+Le duc _d'Ossone_ continue de ne pas aller à la cour.
+
+Il y a très-souvent, ce qu'on appelle des cérémonies de chapelle, dans
+l'église qui touche la maison où leurs majestés sont à présent; on voit
+la reine à travers les barreaux d'une tribune; elle est
+très-magnifiquement parée, aussi bien que toutes les dames: ce lieu
+d'oraison n'est pas moins chéri d'elles. La fête de Noël est solemnisée
+dans le palais par des parures extraordinaires, et la comédie sur les
+quatre heures. Sans beaucoup me divertir ici, je vous dirai, madame,
+qu'il n'y a lieu au monde où je voulusse être qu'en Espagne, tant que M.
+_de Villars_ y sera, cela s'entend; voilà la pure vérité.
+
+
+
+
+LETTRE VI.
+
+_Madrid, 12 janvier 1680._
+
+Je vous rendis compte par ma dernière lettre des visites que j'avais
+reçues; je n'entrerai point dans le détail de celles que je rends.
+J'oubliai de vous dire que toutes ces grandes dames ne se parlent que
+par _tu_ et _toi_; c'est une marque d'amitié. Nous commençons à nous
+tutoyer. Le roi et la reine usent de ces termes entr'eux. La reine n'est
+plus grosse. Dès le lendemain qu'elle ne le fut plus, le roi et la reine
+allèrent au Pardo, jolie maison à deux lieues d'ici; elle eut le plaisir
+de monter un peu à cheval, et de voir tuer un sanglier par le roi, son
+mari. Son entrée se fera samedi prochain; on dit qu'il s'y verra des
+magnificences extraordinaires. Leurs majestés quitteront le Retiro, et
+iront demeurer au palais; l'appartement de la reine est fort doré et
+très-bien meublé; nous l'allâmes voir l'autre jour. Quand elle y sera,
+et qu'elle recevra mille visites, je me propose, sans en rien dire, de
+lui en rendre moins. Toutes les dames, qui sans vanité m'aiment assez,
+croient et s'attendent que j'y serai tous les jours, et que je puis un
+peu contribuer à leur faire faire leur cour; mais, ma chère madame,
+entre vous et moi, non-seulement je ne veux entrer en rien, mais je
+voudrois me mettre entièrement hors de portée d'aucun soupçon. Je vous
+prie d'avoir quelque application pour entrevoir au lieu où vous êtes, si
+l'on ne trouvera pas que ce soit le meilleur parti. Il se peut fort bien
+qu'on ne prendra pas la peine de songer à ce que je fais ou ne fais pas,
+à moins que vous ne le mettiez sur le tapis. Il n'y a presque pas de
+milieu entre voir la reine très-souvent, ou ne la voir que
+très-rarement, en cherchant, pour le public et pour elle, des raisons
+qui ne seront guère vraisemblables, puisque le roi, la reine mère, et la
+_camarera mayor_ font paroître qu'ils sont très-aises que je sois
+souvent avec elle, et tout le monde disant que l'ambassadrice
+d'Allemagne étoit tous les jours avec la reine mère, ne parlant ensemble
+qu'allemand. Vous voyez donc que, du côté de cette cour, tout veut que
+je sois souvent avec la reine; mais si je ne sais que la cour de France
+l'approuve, rien ne me peut empêcher de retirer mes troupes, et de
+laisser penser ici tout ce qu'on voudra: c'est pourquoi je vous supplie
+encore une fois de tâcher de savoir ce que vous pourrez là-dessus. Cette
+jeune reine se conduit jusqu'ici avec beaucoup de douceur et de
+soumission pour le roi; on dit qu'il l'aime fort: chacun a sa manière
+d'aimer; je le vois assez souvent venir dans une galerie où est la
+reine. Vous avez apparemment vu de ses portraits.
+
+Le lendemain de l'entrée, il y aura une fête le soir, que l'on nomme
+mascarade, où tous les grands de la cour courent deux à deux dans une
+lice avec un flambeau à la main. Le roi court avec son grand écuyer. Ce
+sont des habits extraordinaires; je crois que cela sera plus beau à
+dépeindre qu'à voir. Un autre jour, ce sera _juego de cagnas_; je ne
+sais pas trop ce que c'est; on jette des cannes en l'air. Mais la grande
+fête, ce sera celle de la course des taureaux. Pour celle-là, je crois
+que ce sera une très-belle chose. Des Grands, des fils de Grands
+_tauricideront_. La magnificence du train et des livrées sera, à ce
+qu'on dit, surprenante. Pourvu qu'il ne s'y tue personne, j'y prendrai
+peut-être quelque plaisir. Si cela est, je vous souhaiterai souvent sur
+mon balcon. Hélas! madame, si j'osois, je vous y souhaiterois, même
+quand la fête seroit ennuyeuse.
+
+Je ne me suis point encore habillée à l'espagnole, quoique j'aie fait
+faire deux habits. La reine mère aime tout-à-fait l'habit à la
+françoise, et toutes les dames aussi; c'est-à-dire, les manteaux
+principalement, et c'est ce qui m'accommode fort. Le noir ou la couleur
+ne marquent pas plus de respect l'un que l'autre.
+
+Il fait aussi froid ici qu'à Paris; j'espère qu'il n'y fera pas plus
+chaud.
+
+Le marquis de _Flamarens_ est à Madrid avec l'habit espagnol et la
+_honille_. Je croirois sans peine qu'il s'y ennuiera bientôt. Le comte
+_de Charni_, prétendu fils naturel de feu _Monsieur_ (duc _d'Orléans_),
+y passe une vie bien triste. C'est un honnête homme; et s'il est vrai,
+comme on n'en doute pas, qu'il ait l'honneur d'être frère de tant de
+princesses, celles qui sont en état de lui faire du bien, devroient bien
+lui en faire un peu, et lui procurer quelque moyen de subsister. Nous ne
+le voyons pas souvent, ni _Flamarens_ non plus; il faut qu'ils aient des
+égards.
+
+Je n'ai été qu'une seule fois chez la reine mère depuis que je suis ici.
+
+La reine m'a expressément chargée de vous faire ses complimens. Je vous
+mène au palais toutes les fois que j'y vais; et votre nom, sans que je
+me le propose, est toujours dans toutes nos conversations. _La
+philosophie en-dehors, et les pieds en-dedans_, la pensèrent faire
+mourir de rire. Ce que les François et Françoises trouvent ici de
+triste, ne l'est nullement, et la reine m'a avoué de très-bonne foi
+qu'elle n'avoit jamais cru s'accoutumer aussitôt. Vous pouvez penser que
+je ne lui tiens guère de propos qui soient propres à faire soupirer
+incessamment après la France. Enfin jusqu'ici j'ai fait de mon mieux par
+le seul plaisir de bien faire.
+
+
+
+
+LETTRE VII.
+
+_Madrid, 26 janvier 1680._
+
+Je ne vous entretiendrai guère de l'entrée de la reine d'Espagne.
+Elle en étoit le plus grand et le plus agréable ornement; à cheval sous
+un grand dais, fort parée, un chapeau de plumes blanches, un habillement
+fait exprès pour ce jour de cérémonie; précédée de plusieurs Grands fort
+brodés, et quantité de livrées riches et mal entendues, aussi-bien que
+les habits des maîtres. La reine avoit très-bonne grâce. Elle quitta un
+peu sa gravité devant le balcon où nous étions, et je la lui vis
+reprendre. Il y a eu deux jours de suite des feux d'artifice devant le
+palais, où je me dispensai d'aller. Jusqu'ici il n'y a point eu d'autre
+fête. Le roi mène souvent la reine dans des couvens, et ce n'est point
+du tout une fête pour elle. Elle a voulu absolument que je l'y suivisse
+ces deux derniers jours. Comme je n'y connois personne, je m'y suis
+beaucoup ennuyée; et je crois qu'elle ne vouloit que j'y fusse, qu'afin
+de lui tenir compagnie. Le roi et et la reine sont assis, chacun dans un
+fauteuil; des religieuses à leurs pieds, et beaucoup de dames qui
+viennent leur baiser les mains. On apporte la collation; la reine fait
+toujours ce repas d'un chapon rôti. Le roi la regarde manger, et trouve
+qu'elle mange beaucoup. Il y a deux nains qui soutiennent toujours la
+conversation. Je croyois hier au soir, au sortir du couvent, m'en
+retourner chez moi; mais la connétable de Castille me pria que nous
+allassions ensemble au palais; car vous saurez que, sans l'avoir mérité,
+il ne tiendroit qu'à moi de me donner un grand air ici, les dames
+croyant que c'est assez qu'une ambassadrice soit de la même nation que
+leur reine, pour leur être de quelque agrément. Je fais aussi de mon
+mieux pour ne pas tromper leur attente. Voilà toutes les affaires que je
+veux avoir au palais. La reine mère est toujours une très-bonne
+princesse; je n'en puis dire autre chose. Je n'abuse point des bontés
+qu'elle m'a fait paroître; car, depuis que je suis à Madrid, je n'ai été
+que deux fois chez elle. Il y a, depuis deux jours, un ambassadeur
+d'Espagne nommé pour la France. L'on a révoqué celui que vous aviez.
+C'est le marquis _de la Fuente_, fils de celui que vous avez vu
+ambassadeur. Sa femme partira bientôt. Elle ne vous paroîtra ni jeune ni
+belle; elle est peut-être l'un et l'autre en ce pays. C'est une bonne
+femme.
+
+Je ne passe pas en Espagne une vie aussi oisive que je voudrois, et ce
+sera beaucoup si je puis jamais rendre toutes les visites que j'ai à y
+faire. Tout ce que j'y ai de plus agréable, c'est la commodité des
+habits. La reine mère et toutes les dames approuvent toujours si fort
+ceux que j'ai, et sur-tout les manteaux, que vous pouvez croire avec
+quel plaisir je les satisfais. Le noir, comme je crois vous l'avoir déjà
+mandé, n'est pas une couleur plus respectueuse qu'une autre.
+
+Je ne vois pas qu'on se presse trop ici d'expédier le brevet de cette
+pension de deux mille écus pour madame de _Grancey_; M. _de Villars_
+voudroit bien lui être utile; mais avec tout l'or qui vient des Indes,
+l'Espagne ne paroît pas opulente. Ce que j'ai vu de plus riche, de plus
+doré, de plus magnifique, est l'appartement de la reine. Il y a entre
+autres meubles dans sa chambre, une tapisserie, dont ce qu'on y voit de
+fond, est de perles. Ce ne sont point des personnages; on ne peut pas
+dire que l'or y soit massif, mais il est employé d'une manière et d'une
+abondance extraordinaires. Il y a quelques fleurs: ce sont des bandes de
+compartimens; mais il faudroit être plus habile que je ne suis à
+représenter les choses, pour vous faire comprendre la beauté que compose
+le corail employé dans cet ouvrage. Ce n'est point une matière assez
+précieuse pour en vanter la quantité; mais la couleur et l'or qui paroît
+dans cette broderie, sont assurément ce qu'on auroit peine à vous
+décrire; mais il ne vous importe guère. Cette tapisserie m'est demeurée
+dans la tête; c'est ce qui m'a fait écrire ceci, qui vise assez au
+galimatias. Adieu, madame: ce que je sens bien distinctement, c'est que
+je vous aime. Aimez-moi aussi, je vous en prie; et ne consentez jamais
+en vous-même que je sois en Espagne et vous en France.
+
+_Madrid, 27 janvier 1680._
+
+Comme le courrier ne partit point hier au soir, et qu'il me reste
+un peu de temps, je veux vous conter, si je puis, en peu de mots, une
+belle aventure. Nous arrivions hier, M. _de Villars_ et moi, sur les dix
+heures du matin, quand nous vîmes entrer dans ma chambre une _tapada_,
+suivie d'une autre qui paroissoit sa suivante. Je fis signe à M. _de
+Villars_ que c'étoit à lui à se mettre en devoir de faire les honneurs;
+la suivante se retira. L'autre fit signe qu'elle vouloit que quelques
+gens qui étoient dans l'antichambre, se retirassent aussi. Elle
+s'approcha d'une fenêtre avec M. _de Villars_, me faisant signe en même
+temps de m'approcher. Elle leva son manteau, je n'en étois guère plus
+savante. Je me souvenois un peu d'avoir vu quelque personne qui lui
+ressembloit; M. _de Villars_ s'écria: c'est madame la connétable
+_Colonne_! Sur cela je me mis à lui faire quelques complimens. Comme ce
+n'est pas son style, elle vint au fait. Elle pleura et demanda qu'on eût
+pitié d'elle. Pour dire deux mots de sa personne, sa taille est des plus
+belles. Un corps à l'espagnole qui ne lui couvre ni trop ni trop peu les
+épaules. Ce qu'elle en montre, est très-bien fait: deux grosses tresses
+de cheveux noirs, renouées par le haut d'un beau ruban couleur de feu:
+le reste de ses cheveux en désordre et mal peigné; de très-belles perles
+à son cou; un air agité qui ne siéroit pas bien à une autre, et qui pour
+lui être assez naturel, ne gâte rien; de belles dents. Je voudrois bien
+vous faire entendre tout ceci en peu de mots. La connétable est dans un
+couvent royal, nommé _San-Domingo_. Elle en est déjà sortie quatre ou
+cinq fois; et la dernière qu'elle y entra, le nonce fit semblant de
+vouloir parler à une religieuse à la porte; et quand elle fut ouverte,
+la connétable que l'on croyoit bien loin, rentra promptement; car en
+Espagne, dans ces sortes de couvens, il y a d'extraordinaires
+régularités sur les entrées et les sorties. Quand elle y fut, les parens
+du connétable exigèrent d'elle qu'elle signeroit entre les mains du roi
+un papier, par lequel elle s'engageroit de ne plus sortir sans la
+permission de son mari, promettant que, si elle en sortoit, on pourroit
+la renvoyer à Saragosse, ou en tel autre lieu que son mari souhaiteroit.
+La voilà donc avec de doubles liens. Quand le marquis _de los Balbasès_
+revint avec sa femme, elle crut qu'ils la recevroient dans leur maison;
+mais ils s'en excusèrent, disant qu'elle étoit trop petite. Le bruit de
+l'entrée de la reine a fait prendre la résolution à madame _Colonne_ de
+sortir encore de son couvent. Aussitôt pensé, aussitôt fait. Elle envoie
+emprunter un carrosse, et s'en va droit chez la marquise _de los
+Balbasès_. Elle fut bien reçue, malgré leur surprise. Au bout de
+quelques jours, quelqu'un vint lui dire que _los Balbasès_ l'alloit
+envoyer à Saragosse trouver son mari. Sur cela elle demande un carrosse
+pour aller prendre l'air; on lui en donne un. Elle fait quelques tours
+par la ville, et se fait descendre à notre porte; la voilà chez nous
+disant qu'elle n'en vouloit plus sortir, et que l'on ne voudroit pas la
+mettre dans la rue. Il parut qu'elle seroit bien aise de voir le nonce.
+Nous la fîmes dîner; je lui fis de mon mieux, parce qu'en effet elle
+fait très-grande pitié d'être de l'humeur qu'elle est. Le marquis _de
+los Balbasès_ envoie un de ses parens pour essayer de la résoudre à
+retourner, et à ne pas donner une nouvelle scène au public. Elle dit
+qu'elle n'en fera rien. Le nonce arrive; elle le prie qu'il la fasse
+rentrer dans son couvent. Il répond qu'il n'en a pas le pouvoir. Une
+dame de qualité de nos amies, qui est la comtesse _de Villombrosa_, dont
+le fils a épousé la fille de _los Balbasès_, vint ici. M. _de Villars_
+et le nonce firent plusieurs allées et venues chez _los Balbasès_, qui
+promit plusieurs fois, foi de cavalier, qu'il ne feroit nulle violence à
+madame _Colonne_ pour retourner avec son mari; qu'il la prioit de
+revenir chez lui, et que l'on tâcheroit de faire en sorte que le roi qui
+avoit l'écrit de madame _Colonne_, ne sauroit rien, de sa sortie, et
+que, si elle s'opiniâtroit à ne pas vouloir revenir, elle alloit mettre
+contre elle le roi, son mari, et toute sa famille. Enfin, madame, il
+étoit près de minuit que nous ne savions tous que faire par les
+conséquences que cette pauvre créature attiroit contre elle en demeurant
+chez nous. Mais enfin elle se résolut à s'en aller. La comtesse _de
+Villombrosa_, M. _de Villars_ et moi la remmenâmes chez le marquis _de
+los Balbasès_. Sa femme et lui la reçurent très-bien; mille embrassades.
+Vraiment, c'est une chose inconcevable que les mouvemens extraordinaires
+qui se passent dans cette tête. Elle l'avoue elle-même. Si elle ne fait
+pas plus de chemin, ce n'est pas manque de bonne volonté. Cependant,
+s'il lui prend envie une autre fois de revenir chez nous et de n'en
+vouloir pas sortir, par les frayeurs qu'on ne la remette au pouvoir de
+son mari, nous en serions bien embarrassés. Si cette histoire vous
+ennuie, madame, prenez-vous-en à l'envie et au plaisir que j'ai de vous
+conter tout ce que je sais qui peut vous être écrit.
+
+
+
+
+LETTRE VIII.
+
+_Madrid, 9 février 1680._
+
+La reine d'Espagne, bien loin d'être dans un état pitoyable, comme on
+le publie en France, est engraissée au point que, pour peu qu'elle
+augmente, son visage sera rond. Sa gorge, au pied de la lettre, est déjà
+trop grosse, quoiqu'elle soit une des plus belles que j'aie jamais vues.
+Elle dort à l'ordinaire dix à douze heures. Elle mange quatre fois le
+jour de la viande; il est vrai que son déjeûner et sa collation sont ses
+meilleurs repas. Il y a toujours à sa collation un chapon bouilli sur un
+potage, et un chapon rôti. Je la vois fort rire, quand j'ai l'honneur
+d'être avec elle. Je suis persuadée que je ne suis ni assez plaisante ni
+assez agréable pour la mettre en cette bonne humeur, et qu'il faut
+qu'elle ne soit pas chagrine d'ordinaire. L'on ne peut assurément se
+mieux gouverner, ni avec plus de douceur et de complaisance pour le roi.
+Elle avoit vu son portrait; on ne lui avoit pas fait celui de son humeur
+pour les manières et la vie solitaire. On n'a pas renversé toutes les
+coutumes du pays, pour y en mettre de plus agréables. Mais la reine mère
+fait tout ce qu'elle peut pour les adoucir. Il paroît à tous les gens de
+bon sens que la jeune reine ne peut mieux faire que de contribuer de son
+côté à s'attirer la continuation de l'amitié et de la tendresse que ce
+prince lui témoigne. Il y a cette duchesse de _Terranova_, _camarera
+mayor_, dont l'humeur passe pour être un peu hautaine. La jeune reine
+plaît infiniment à toutes les dames. Je fais tout ce que je puis, quand
+j'ai l'honneur d'être auprès d'elle, pour la faire souvenir de leur dire
+tout ce qui est le plus propre à les gagner. Quand je vous dis qu'elle
+est grasse, qu'elle dort, qu'elle rit, encore une fois, je vous dis
+vrai. Il n'est pas moins vrai aussi, avec tout cela, que la vie qu'elle
+mène, ne lui est guère agréable. Enfin, madame, je vous assure qu'elle
+fait à merveille; j'en suis tout étonnée.
+
+Il y eut hier la plus célèbre fête de taureaux qui se soit vue depuis
+plusieurs règnes des rois d'Espagne. Il y eut six Grands ou fils de
+Grands qui furent les _toreadors_. Je pensai mourir dans la première
+heure: mourir est un peu trop dire; mais j'eus une émotion et un si
+violent battement de cœur, que je crus n'y pouvoir résister, et je me
+levois pour m'ôter de dessus le balcon où j'étois, si M. _de Villars_ ne
+m'eût dit que pour rien du monde il ne falloit faire cette faute. C'est
+une terrible beauté que cette fête. La bravoure des _toreadors_ est
+grande. Aucuns taureaux épouvantables éprouvèrent bien celle des plus
+hardis et des meilleurs. Ils crevèrent de leurs cornes plusieurs beaux
+chevaux; quand les chevaux sont tués, il faut que les seigneurs
+combattent à pied, l'épée à la main, contre ces bêtes furieuses. Je
+n'aurois jamais fait, si je voulois vous conter tout ce qui s'observe
+dans ces combats, qui ont bien des rapports avec ceux des anciens Maures
+et Grenadins. Les dames, dont les amans combattent, et qui sont
+présentes, doivent bien mal passer leur temps, pour peu qu'elles les
+aiment véritablement. Les seigneurs, qui doivent combattre, ont chacun
+cent hommes vêtus de leurs livrées. C'est une chose qui mériteroit de
+vous être contée plus en détail. Si j'étois roi d'Espagne, jamais on
+n'en reverroit.
+
+Je crois vous avoir déjà parlé de la dévotion de ce pays. Nous avons été
+obligés, de peur d'y scandaliser séculiers et religieux, de manger de la
+viande le samedi. Nous ne mangeons point ce jour-là ce qu'on appelle
+_petits pieds_. C'est une médiocre mortification. Cela est partout, en
+Espagne.
+
+Toutes les dames, généralement parlant, sont honnêtes et civiles,
+sur-tout celles qui ont un peu voyagé avec leurs maris.
+
+Le roi d'Espagne hait parfaitement François et Françoises.
+
+Il y a ici un François dont je vous ai parlé: c'est le comte _de
+Charmy_, qui mériteroit de vivre dans son pays, et de ne pas finir ses
+jours dans celui-ci. Nous le voyons peu; mais ce que j'en connois est
+d'un homme sage et de bon sens. Nous voyons encore moins le marquis _de
+Flamarens_. J'ai assez bonne opinion de lui pour croire qu'il s'ennuie
+beaucoup. Adieu, madame.
+
+
+
+
+LETTRE IX.
+
+_Madrid, 6 mars 1680._
+
+Nous voici au mercredi des Cendres. Je n'ai rien à vous dire du
+carnaval. Comme le carême n'est point du tout ici un temps de pénitence,
+celui qui le précède ne se distingue par aucun plaisir; car jamais vous
+ne voudriez croire que c'en fût un que de jeter sur les passans beaucoup
+d'eau par la fenêtre. Pour ce qui se passe dans le palais, le roi, la
+reine et les dames se battent à coups d'œufs remplis d'eau de senteur,
+mais en si prodigieuse quantité, que l'on ne comprend pas où l'on peut
+en trouver tant. Ils sont tous argentés et peints. La reine m'en donna
+un panier dont je régalai ma fille. Voilà, madame, par où l'on marque à
+cette jeune princesse des jours qu'elle passoit autrement en France, et
+dont je tâche, autant que je le puis, de lui ôter le souvenir. En
+vérité, sa douceur, sa complaisance et toute sa conduite, sont des
+choses extraordinaires à dix-huit ans. Il entre de tout dans cette
+heureuse composition; et, pour ajouter encore à la gloire qu'elle peut
+tirer de tout ce qu'elle fait, c'est que d'abord qu'elle arriva, on lui
+donna les plus méchans conseils du monde. Elle le connoît bien
+présentement.
+
+J'ai été assez souvent à la comédie espagnole avec elle: rien n'est si
+détestable. Je m'y amusois à voir les amans regarder leurs maîtresses,
+et leur parler de loin avec des signes qu'ils font de leurs doigts; pour
+moi je suis persuadée que c'est plutôt une marque de leur souvenir qu'un
+langage; car leurs doigts vont si vîte, que, si ces amans s'entendent,
+il faut que l'amour d'Espagne soit un excellent maître dans cet art. Je
+pense que c'est qu'il y voit plus clair qu'ailleurs, et qu'il ne se
+soucie guère de faire plus de chemin.
+
+Il y a, depuis peu de jours, un premier ministre, qui est le grand duc
+_de Medina Celi_, le plus grand seigneur de cette cour; il n'a que
+quarante ou quarante-cinq ans. Voilà tout ce que vous saurez des
+affaires d'Etat. Je n'en sais guère davantage. On n'a point remédié à
+celle qui me tient assez au cœur, qui est ce rabais des monnoies. C'est
+une chose bien triste, madame, que le peu d'argent qui nous vient de
+France par cette diminution, et qu'il faille sur chaque pistole en
+perdre plus de la moitié. La pitié que j'ai de nous ne m'empêche pas
+d'en avoir pour ce pauvre peuple, qui paroît ne vivre que de ce qu'on
+appelle ici _tomar el sol_; tant il est maigre, abattu et misérable.
+
+Il y eut dimanche, au Retiro, une comédie de machines, où les deux
+reines et le roi étoient. Il y falloit être à midi. L'on y mouroit de
+froid. Comme je me promenois dans les galeries de cette maison, qui sont
+très-agréables, habillée à ma commodité comme devant voir cette comédie
+derrière des jalousies, et ne songeant ni à roi, ni à reine, j'entendis
+notre jeune princesse qui m'appeloit fort haut par mon nom. J'entrai
+dans le lieu d'où me paroissoit venir sa voix, avec un air un peu
+composé: je la trouvai assise au milieu du roi et de la reine mère. Elle
+n'avoit consulté, en m'appelant, que son envie de me voir, et avoit
+tout-à-fait oublié la gravité espagnole. Elle de rire en me voyant. La
+reine mère me rassura; elle est toujours aise que la reine sa
+belle-fille se divertisse. Elle lui donna même occasion de me venir
+parler auprès d'une fenêtre; mais je m'en retirai bientôt. Elle me
+demanda si je n'avois point reçu de vos lettres.
+
+Au reste, madame, toutes les ambassadrices meurent à Madrid; en voilà
+deux en six semaines, qui étoient plus jeunes que moi[15]. J'aimerois
+autant que la mort en eût pris de quelqu'autre état. On me dit qu'on ne
+peut résister aux chaleurs. Je me tranquillise un peu sur cela, quand je
+songe à mesdames _de Schornberg_ et _de la Fayette_, qui cherchent et
+qui trouvent des airs tempérés dans leurs maisons de la ville, et dans
+celles qu'elles choisissent à la campagne. Elles sont toujours malades,
+sans que d'ailleurs la fortune les accable de ses revers; et moi, je me
+porte bien, sans faire aucun remède et sans les croire nécessaires.
+Mais cela ne peut pas durer. J'observe mon régime de chocolat, auquel
+seul je crois devoir ma santé. Je n'en use pas comme une folle et sans
+précaution. Mon tempérament ne paroît nullement se pouvoir accommoder de
+cette nourriture. Elle est pourtant admirable et délicieuse. J'en ai
+fait faire chez moi, qui ne peut jamais faire mal. Je songe souvent que,
+si je puis vous revoir, je veux vous en faire prendre méthodiquement, et
+vous faire avouer que rien n'est meilleur pour la santé. Voilà bien
+parler de chocolat. Songez que je suis en Espagne, et que c'est presque
+mon seul plaisir que d'en prendre.
+
+La connétable _Colonne_, depuis la visite qu'elle nous fit, est toujours
+dans un couvent à cinq lieues d'ici. Son mari est à Madrid depuis deux
+jours. On dit qu'il lui permettra de revenir dans un autre couvent de
+cette ville, où elle aura beaucoup moins de liberté que dans celui d'où
+elle est sortie. Nous avons appris qu'elle fut toute prête le jour
+qu'on l'emmena de Madrid au lieu où elle est présentement, de s'en
+venir encore se fourrer chez nous dans ma chambre.
+
+J'ai reçu par cet ordinaire une lettre de madame _de Sévigné_. Je ne
+saurois lui faire réponse aujourd'hui, quelqu'envie que j'en aie. J'ai
+fait lire à la reine l'endroit où madame _de Sévigné_ parle d'elle et de
+ses jolis pieds, qui la faisoient si bien danser, et marcher de si bonne
+grâce. Cela lui a fait beaucoup de plaisir. Ensuite elle a pensé que ses
+jolis pieds, pour toute fonction, ne vont présentement qu'à faire
+quelques tours de chambre, et à huit heures et demie tous les soirs, à
+la conduire dans son lit. Elle m'a ordonné de vous faire à toutes deux
+bien des amitiés. Elle étoit hier belle comme un ange, accablée, sans se
+plaindre, d'une parure d'émeraudes et de diamans sur la tête,
+c'est-à-dire, mille poinçons; de furieux pendans d'oreilles; et devant
+elle et autour d'elle en écharpe, des bagues, des bracelets. Vous croyez
+que les émeraudes avec les cheveux bruns ne faisoient pas un bon effet;
+Détrompez-vous; son teint est un des plus beaux teints de brune qu'on
+puisse voir; sa gorge blanche et très-belle. Elle étoit un peu plus
+parée qu'à l'ordinaire. Elle me dit qu'elle avoit donné audience le
+matin au connétable _Colonne_, et qu'en le voyant et l'entendant parler,
+elle avoit été bien persuadée de la folie de sa femme. Il est fait à
+peindre: pour de bonne humeur, on n'en peut douter, si l'on en juge par
+l'air dont il laissoit vivre sa femme à Rome. La reine me demanda fort
+des nouvelles de madame _de Grignan_[16], et si elle ne reviendroit
+point cet hiver à Paris.
+
+Si trois semaines après que vous aurez reçu cette lettre, vous envoyez
+un laquais au quartier de Richelieu, faites-le passer au couvent des
+Petits-Pères, et dites-lui de s'informer si deux de leurs religieux ne
+sont pas arrivés d'Espagne. Ces pères ont pour vous une petite boîte où
+il y a le plus petit présent du monde. Faites pourtant cas des tasses de
+boucaro. J'ai, en vérité, quelque sorte de honte, non du petit présent,
+mais de cette longue lettre. Il n'appartient pas à quelqu'un qui est à
+Madrid de tenter la patience d'une personne comme vous, dont les
+journées sont remplies d'occupations agréables ou soi-disantes.
+
+
+
+
+LETTRE X.
+
+_Madrid, 21 mars 1680._
+
+Je veux vous parler d'une promenade où je fus hier, qui est la plus
+ordinaire, quand il fait chaud; et il en fait déjà beaucoup ici. C'est
+dans cette rivière si vantée du Mançanarès: au pied de la lettre, la
+poussière commence à y être si grande, qu'elle incommode déjà beaucoup.
+Il y a de petits filets d'eau par-ci, par-là, mais pas assez pour qu'on
+en puisse arroser des sables menus, qui s'élèvent sous les pieds des
+chevaux; en sorte que cette promenade n'est plus supportable. Ce n'est
+donc pas pour vous dire une mauvaise plaisanterie, mais une vérité assez
+extraordinaire. Je vous prie, madame, de conter cela, comme vous savez
+orner toutes les choses auxquelles vous voulez donner un air. Je vous
+expose seulement celle-ci, qu'on ne peut se promener dans une rivière,
+parce qu'il y a de la poudre. Mais ce n'est rien: il faut voir le grand
+et prodigieux pont qu'un roi d'Espagne a fait bâtir sur ce Mançanarès.
+Il est bien plus large et bien plus long que le Pont-Neuf de Paris: et
+l'on ne peut s'empêcher de savoir bon gré à celui qui conseilla à ce
+prince de vendre ce pont, ou d'acheter une rivière. Je pensois que je
+pourrois vous dire tout ceci en cinq ou six lignes; en voilà bien
+davantage.
+
+Les femmes de la reine partirent d'ici le 14 de ce mois. Elles vinrent
+ce jour-là chez nous; elles y firent toutes leurs affaires, et
+après-dîner, M. _de Villars_ et moi nous les menâmes dans mon carrosse
+hors la ville, prendre le leur. Elles avoient dit le soir à la reine
+qu'elles la reverroient le lendemain; mais elles firent prudemment de ne
+lui dire point adieu. Dès les sept heures, elle les demanda; elles n'y
+étoient plus. Elle pleura beaucoup: elle ordonna qu'on me vînt dire de
+l'aller trouver; mais je revins chez moi un peu tard. J'allai, sur les
+cinq heures du soir, au palais. Elle se levoit. Il est surprenant, en
+vérité, comme elle est embellie. Elle avoit ses cheveux sur le front,
+renoués en grosses boucles; des rubans couleur de rose à sa cornette et
+dessus sa tête, point barbouillée de rouge, comme il faut qu'elle le
+soit ordinairement; une gorge admirable. Elle mit une robe de chambre à
+la françoise, et passa le reste du jour avec cet habillement. Elle se
+considéra un peu de cette sorte dans un grand miroir. Cette vue la
+remit. Il paroissoit à ses yeux qu'elle avoit bien pleuré. Comme elle
+commençoit à me parler, le roi entra; et c'est ici une loi établie,
+que, quand sa majesté entre dans la chambre de la reine, toutes les
+dames qui s'y trouvent, en sortent aussitôt, si ce n'est la _camarera
+mayor_ et deux ou trois autres qui sont domestiques. J'entendis qu'on
+demandoit des cartes, et je conjecturai par là que la reine s'alloit
+fort ennuyer au petit jeu que le roi aime, et où l'on peut perdre une
+pistole avec un malheur extraordinaire. La reine fait toujours comme si
+elle étoit ravie de cette occupation. Il lui est resté deux des femmes
+qu'elle a amenées, une de ses nourrices, qui est assez adroite, et une
+Provençale qui joue du clavecin. Le roi a une grande joie de voir
+diminuer le nombre des François; car il ne peut celer qu'il hait au
+dernier point notre nation. Pour vous expliquer un peu mieux le renvoi
+de ces femmes, c'est une grosse nourrice de la reine, et une fille
+nommée _Martin_, jolie, belle et sage. On ne les a pas chassées; mais on
+leur a rendu la vie du palais, assez insupportable, pour les obliger
+d'en sortir. Joignez à cela les marques que le roi leur donnoit de son
+aversion.
+
+M. _de Villars_ me prie de ne pas oublier de vous parler d'une parure
+qu'une des dames de la reine avoit, il y a deux jours; c'est ce qu'on
+appelle en France _fille d'honneur_. Elle en a dix. L'on en prend tous
+les jours quelque nouvelle. Celle dont je vous parle est la fille du duc
+_d'Albe_. Leurs habits sont des plus magnifiques; beaucoup de
+pierreries. Celle-ci servant la collation à la reine, comme les autres,
+reportoit un plat. Je lui vis un pistolet pendu au côté avec un gros
+nœud de ruban. Ne croyez pas que ce fut un bijou. Il auroit fort bien
+tué un homme: il étoit de plus de demi-pied de long, d'un acier bien
+poli et bien monté. Je ne voulus pas faire semblant, devant la reine, de
+le remarquer; peut-être ne fis-je pas ma cour à la fille, qui ne portoit
+pas cette arme pour la cacher, et pour n'en prétendre pas quelque
+louange.
+
+Il y eut l'autre jour une procession dans ce qu'on appelle les cloîtres
+du palais. Je la vis par une petite fenêtre devant laquelle elle
+passoit. Le roi et la reine marchoient ensemble. Elle avoit une grande
+robe de cérémonie, des manches pendantes, une longue queue portée par la
+_camarera mayor_. Les filles ou dames d'honneur marchoient ensuite,
+parées avec des habits extraordinaires pour ces jours-là. La croix, le
+patriarche, les évêques, les prêtres et religieux marchent devant leurs
+majestés. Mais pour en revenir aux dames qui sont suivies de celle qui
+s'appelle _la guarda mayor_, leurs amans obtiennent ces jours-là ce qui
+s'appelle _dar lugar_[17], c'est-à-dire, qu'ils ont place et la liberté
+pendant cette procession d'entretenir leurs maîtresses. Les processions
+sont bien meilleures ici pour les amans que les comédies, où ils ne
+peuvent se parler que de loin avec les doigts. Voilà, madame, tout ce
+qu'on peut vous dire de cette cérémonie. Si la croix n'y étoit pas
+portée, je vous-dirois que c'est une des plus galantes fêtes que l'on
+voie en Espagne.
+
+Je m'en vais finir cette lettre par quelque chose, qui vous paroîtra
+aussi extraordinaire que ce que je vous ait dit au commencement: c'est
+un secret que M. _de Villars_ m'a confié. _Le roi, les deux reines et le
+premier ministre n'ont point du tout de crédit._ Ce secret est comme
+celui de la comédie. Je m'en suis un peu doutée par le peu de précaution
+que M. _de Villars_ a pris en me le confiant.
+
+
+
+
+LETTRE XI.
+
+_Madrid, 16 avril 1680._
+
+J'ai reçu deux de vos lettres par ce dernier ordinaire, comme je montois
+en carrosse pour aller à l'Escurial. Hélas! madame, quelle nouvelle
+m'avez-vous apprise que celle de la mort de M. _de la
+Rochefoucauld_[18]. Je n'ai pas le courage de vous parler de toutes les
+merveilles que je viens de voir. La tristesse de cette mort dont j'étois
+pénétrée, m'engagea à considérer plus long-temps que je ne l'aurois
+peut-être fait dans une autre situation d'esprit, ce magnifique
+Panthéon, et ces huit belles demeures, si l'on peut nommer de la sorte
+celles que les morts habitent, et où sont déjà quatre rois[19] et quatre
+reines. Tout de bon, madame, je ne saurois vous entretenir de rien
+aujourd'hui. Je vous embrasse de tout mon cœur; et c'est tout ce que je
+puis faire, affligée comme je le suis.
+
+
+
+
+LETTRE XII.
+
+_Madrid, 27 avril 1680._
+
+Si j'avois été dimanche à une belle procession qui se fit encore, je
+vous en rendrois un léger compte; mais je ne jugeai pas raisonnable de
+passer de propos délibéré toute la matinée du dimanche des Rameaux sans
+prier Dieu. Je me contentai la veille de voir l'habit de la reine
+qu'elle me fit apporter. Il y en a toujours un exprès pour cette
+cérémonie, où il s'agit de marquer le deuil et la mortification. Le fond
+de cet habit est de satin noir tout brodé de jais blanc et d'acier,
+mais, sans nulle comparaison, mieux qu'on ne les emploie en France.
+C'est la seule broderie que j'aie vue dans sa perfection. La reine avoit
+beaucoup de pierreries, mais avec de petits morceaux de gaze plissés,
+attachés en quelques endroits sur le corps de jupe; l'on prétend
+marquer une grande modestie. Les dix filles d'honneur avaient des
+pointes de gaze blanche sur leurs têtes, et leurs amans à leurs côtés.
+Je ne vous dirai rien, de tout ce qui se passe les trois jours saints,
+mercredi, jeudi et vendredi. Toutes les femmes sont parées, et courent
+d'église en église toute la nuit, hors celles qui ont trouvé dans la
+première où elles ont été, ce qu'elles y cherchoient; car il y en a
+plusieurs, qui, de toute l'année, ne parlent à leurs amans que ces trois
+jours-là.
+
+Je vous écris par un courrier que le roi a envoyé à M. _de Villars_.
+Vous aimeriez peut-être davantage cet ambassadeur, si vous saviez à quel
+point il sait bien se gouverner dans cette cour. Comme je suis toujours
+sur mes gardes pour ne rien écrire qui vise aux affaires d'état, je ne
+vous ai point informée de plusieurs choses qui se sont passées ici,
+quoique publiques; mais, en général, vous pouvez dire que M. _de
+Villars_ a fait rétablir toutes choses comme le roi le désiroit. On lui
+a tendu mille panneaux depuis deux ou trois mois, pour lui donner dans
+son quartier, à Madrid, des sujets de batterie, et pour faire piller et
+brûler notre maison, en animant le peuple. Tout est à craindre, quand il
+arrive de semblables esclandres: il faut avoir une attention continuelle
+à les empêcher, et même, s'il se peut, à les prévoir, quoique cela soit
+quelquefois bien difficile. Le cardinal _Bonzi_, étant ici ambassadeur,
+y a passé. Quand ces désordres-là arrivent, les plaintes ne manquent pas
+d'être portées en France, et un pauvre ambassadeur est condamné, sans
+avoir pu dire ses raisons. Ils ont eu ici un tel dépit que _Juvenozo_,
+leur ambassadeur en France, n'ait pas reçu les traitemens qu'il vouloit,
+qu'ils auroient acheté bien cher quelques sujets d'attaquer la conduite
+de M. _de Villars_, sur le fait ou le caractère de l'ambassade.
+Personnellement on ne peut être plus aimé, ni plus estimé qu'il l'est.
+Ce roi a une haine effroyable contre les François; je ne cesse pas de
+vous l'écrire. La conduite de la reine est toujours très-bonne. Vous la
+louez du bon goût qu'elle a pour moi; mais savez vous à quelle sauce je
+me mets pour être trouvée de si bon goût? Adieu, ma chère madame; M. _de
+Villars_ vous assure de mille véritables respects.
+
+
+
+
+LETTRE XIII.
+
+_Madrid, premier mai 1680._
+
+Tout ce que je puis vous dire de la reine, c'est qu'elle continue à bien
+faire. Le roi fut mercredi à l'Escurial, et en revint vendredi. Il faut
+des airs ici: la reine eut tous ceux qui étoient nécessaires pour
+marquer une grande mélancolie de cette absence. Je ne serois pas bonne
+comédienne; mais je sais bien comme il faut louer, et donner des avis à
+propos, quand je me trouve dans l'occasion de le faire. Ils se sont
+envoyé, pendant cette courte absence, des présens riches et galans.
+
+Je reviens du palais. C'est aujourd'hui la fête de _Monsieur_. La reine
+étoit belle comme le jour. Je ne sais pas comment elle peut être si
+belle à Madrid. Elle étoit extraordinairement parée de très-grosses
+perles, et de beaucoup de diamans. J'ai été quelque temps seule avec
+elle. Nous avons chanté quelques airs d'opéra: car il n'est pas
+question, dans nos conversations, de la gravité que comporteroit mon
+âge. En vérité, si je dressois bien mon intention, je ne crois pas que
+ce fût une œuvre très-bonne que de la divertir. La vie du palais de
+Madrid ne se peut guère comprendre. Le roi se trouva un peu mal hier: il
+se porte bien aujourd'hui. J'ai laissé toute la maison royale aller à la
+comédie; j'ai senti un grand plaisir de n'y point aller, et de revenir
+chez moi. Je ne vous dis point tout ce que M. _de Villars_ voudroit que
+je vous fisse entendre de sa part. On ne peut vous honorer ni vous
+respecter plus qu'il fait, et ma fille aussi, qui aime M. _de
+Coulanges_ de tout son cœur. Adieu, madame.
+
+
+
+
+LETTRE XIV.
+
+_Madrid, 26 mai 1680._
+
+Vous dites, madame, que j'attire des louanges à la reine par le goût
+qu'elle paroît avoir pour moi, et le désir qu'elle fait voir que je sois
+presque toujours auprès d'elle. Elle en mérite, en vérité, d'autres, par
+la manière dont elle supporte cette vie affreuse du palais. Elle joue
+trois ou quatre heures par jour aux jonchets, qui est le jeu favori du
+roi, sans lui marquer de chagrin. Il lui fait souvent des présens
+qu'elle aime fort, et voilà par où il la console.
+
+Le marquis _de Grana_ et sa femme sont arrivés. On dit que cette femme
+parle cinq ou six sortes de langues; je serai bien simple auprès d'elle.
+Je ne sais si elle verra souvent la jeune reine. Si cela est, nous
+serons souvent ensemble; car il n'y a que les ambassadrices de France et
+d'Allemagne, qui entrent dans la chambre des reines. Toutes les autres
+femmes de ministres étrangers ne les voient que dans un lieu destiné
+pour les cérémonies. Avec cette prérogative, peut-on ne se pas trouver
+heureuse à Madrid?
+
+M. _de Villars_ vous assure de mille très-humbles respects, et ma fille
+aussi. Elle aime un peu mieux M. _de Coulanges_ que vous. Elle porta
+hier à la reine la lettre et les chansons de M. _de Coulanges_. Elles
+les chantèrent long-temps. N'avez-vous pas reçu une petite boîte par des
+religieux?
+
+
+
+
+LETTRE XV.
+
+_Madrid, 28 mai 1680._
+
+J'ai vu M. et madame _de Grana_; le mari me vint voir il y a deux ou
+trois jours; il fut toute l'après-dînée avec moi. Il parle mieux
+françois qu'un François même; il est de bonne conversation. Il s'ennuie
+à la mort à Madrid, quoiqu'il y ait demeuré long-temps, et qu'il y ait
+beaucoup de parens. Il est épouvanté du gouvernement, quoiqu'il n'en
+parle que comme en doit parler un ambassadeur de l'Empereur, à une
+Françoise. Il dit qu'il ne sera pas long-temps ici. Il me soutient qu'il
+n'y avoit qu'un ambassadeur de France qui pût présentement trouver
+quelque plaisir dans cette cour, en entendant parler du méchant état où
+on la voit. Pour moi, madame, vous croyez bien que je n'entre dans aucun
+de ces détails.
+
+Je jouis du beau temps, qui est admirable présentement. Depuis un mois,
+il est tempéré. Nous ne voyons ni ne sentons de soleil que ce qu'il en
+faut pour réjouir. La reine m'ordonne, et, si je l'ose dire, me prie
+instamment de la voir souvent. L'ennui du palais est affreux, et je dis
+quelquefois à cette princesse, quand j'entre dans sa chambre, qu'il me
+semble qu'on le sent, qu'on le voit, qu'on le touche, tant il est
+répandu épais. Cependant je n'oublie rien pour faire en sorte de lui
+persuader qu'il faut s'y accoutumer, et tâcher de le moins sentir
+qu'elle pourra; car il n'est pas en mon pouvoir de la gâter, en la
+flattant de sottises et de chimères, dont beaucoup de gens ne sont que
+trop prodigues. On a cru deux mois qu'elle étoit grosse; c'est à elle à
+savoir s'il y en avoit sujet. On ne peut être moins propre à questionner
+que je le suis sur de pareils chapitres. De plus, vous savez que, quand
+elle est partie de Paris, je n'étois pas beaucoup dans sa confiance, ni
+connue et considérée au Palais-royal. Je ne m'entremets de rien ici: la
+reine a du plaisir à voir une Françoise, et à parler sa langue
+naturelle. Nous chantons ensemble des airs d'opéra. Je chante
+quelquefois un menuet qu'elle danse. Quand elle me parle de
+Fontainebleau, de St-Cloud, je change de discours; et il faut éviter de
+lui en écrire des relations. Quand elle sort, rien n'est si triste que
+ses promenades. Elle est avec le roi dans un carrosse fort rude, tous
+les rideaux tirés. Mais enfin ce sont des usages d'Espagne; et je lui
+dis souvent qu'elle n'a pas dû croire qu'on les changeroit pour elle, ni
+pour personne. Entre nous, ce que je ne comprends pas, c'est qu'on ne
+lui ait pas cherché par mer et par terre, et au poids de l'or, quelque
+femme d'esprit, de mérite et de prudence, pour servir à cette princesse
+de consolation et de conseil. Croyoit-on qu'elle n'en eût pas besoin en
+Espagne? Elle se conduit envers le roi avec douceur et complaisance.
+Pour des plaisirs, elle n'en voit aucun à espérer dans cette cour; mais
+comme je n'ai aucun personnage à faire auprès d'elle, et que je n'ai ni
+charge ni mission de m'en mêler, ni de pénétrer rien sur le présent, le
+passé et l'avenir, elle me fait beaucoup d'honneur de vouloir que je
+sois souvent auprès d'elle; mais, quand cela n'est pas, je ne meurs
+point d'ennui avec M. _de Villars_, avec qui j'aime bien autant m'aller
+promener. Si je vous disois la continuation, où, pour mieux dire,
+l'augmentation des misères de ce pays, cela vous feroit de la peine.
+Adieu, madame; je suis à vous de tout mon cœur.
+
+
+
+
+LETTRE XVI.
+
+_Madrid, 13 juin 1680._
+
+Depuis ma dernière lettre, nous avons fait un petit voyage en la seule
+maison qu'ait le roi d'Espagne, quand il veut, pour quelque temps,
+quitter la demeure de Madrid. Elle s'appelle Aranjuez. Elle passe ici
+pour la merveille du monde. La situation pour les eaux est des plus
+belles; et, si M. _le Nostre_ en trouvoit une pareille, ce qu'il y
+pourroit faire s'appelleroit en effet une merveille. Le jardin, qui est
+grand, est entouré de deux rivières dont l'une est le Tage, et l'autre
+le Guadaran. Voilà de grands noms; mais me voilà, pour toute ma vie,
+détrompée de ces noms fameux. N'avez-vous pas une haute idée de ce Tage?
+et le Mançanarès n'a-t-il pas quelquefois touché votre imagination,
+comme de quelque agréable rivière? Le Tage est plus grand; mais, en
+revanche, son eau n'est point claire. Il faut pourtant dire la vérité;
+ce jardin, pour l'Espagne, est agréable, par la quantité de fontaines et
+d'arbres qui y sont; car rien n'est si rare en ce pays que les bois, par
+la sécheresse du climat. Je n'ai rien trouvé à redire au peu de largeur
+des allées. C'est _Philippe II_ qui les a fait planter; et peut-être
+que, de son temps, il falloit qu'elles fussent ainsi pour être
+parfaites. La maison serait assez belle, si elle étoit achevée; mais il
+s'en faut plus de la moitié, quoique le dessin ne soit pas grand. Il y a
+sept ou huit lieues d'Aranjuez à Madrid. Nous y allâmes le vendredi, et
+nous en revînmes le lundi: j'allai le lendemain, voir la reine: je lui
+en dis des merveilles, et je la suppliai de le dire au roi qui entra.
+Elle fit fort bien son devoir: je lui avois conseillé de marquer quelque
+impatience que sa majesté la menât voir ce beau lieu. Elle n'eut pas de
+peine à lui persuader que j'en étois charmée; car il le croit au-dessus
+de tout ce qu'il y a au monde. Cette demeure, qui semble n'être propre
+que pour le temps des chaleurs, est mortelle en été; et le gouverneur a
+permission de n'y être jamais en cette saison. Pour toutes bêtes rares,
+il y a une infinité d'horribles chameaux: d'en voir un seul, comme on en
+voit quelquefois à Paris, ne fait pas un effet désagréable, comme
+lorsqu'on en voit beaucoup ensemble. Tout ce qu'on voit là ne fait point
+du tout souvenir de la ménagerie de Versailles. Il n'y a même point de
+ménagerie; car ces vilains animaux paissent dans les champs comme des
+troupeaux de bœufs et de vaches; et l'on s'en sert pour porter des
+pierres ou de la terre, quand on bâtit. Me voilà donc revenue de cette
+maison royale, dont je ne vous parlerai plus.
+
+Les Espagnols nous disent incessamment que nous aurons bientôt la
+guerre: les pauvres gens en ont grand'peur. Pour moi, j'aime bien mieux
+l'ennui de Madrid, que d'en partir pour une telle raison, et je leur
+réponds toujours que je n'en crois rien. Ce bruit est plus grand au
+palais qu'ailleurs; et la reine, comme vous pouvez penser, en est bien
+alarmée. Elle continue de se bien porter. C'est un heureux tempérament
+pour la santé; et je ne sais pas ce qui se passe dans son esprit et dans
+sa tête, pour la soutenir si bien; car pour son cœur, je crois qu'il ne
+s'y passe rien. Quand je suis un peu de temps sans la voir, elle ne le
+trouve point bon. Nous chantons comme des cigales. Elle lit des opéras;
+elle joue à merveille du clavecin, assez bien de la guitare; en moins de
+rien, elle a appris à jouer de la harpe. Elle ne prend pas beaucoup de
+consolation dans les livres de dévotion. Cela n'est point extraordinaire
+à son âge. Je dis souvent que je voudrois bien qu'elle fût grosse, et
+qu'elle eût un enfant.
+
+Je n'ai point vu le marquis _de Grana_ depuis que je vous ai écrit. Je
+serois fort aise que nous nous vissions, mais la politique qu'il croit
+devoir garder en cette cour, le retient peut-être et sa femme aussi,
+qui, par politique de son côté, s'habille à l'espagnole. On l'en devroit
+récompenser, car elle est bien mieux autrement.
+
+Il y aura lundi une fête de taureaux. On s'y attend à beaucoup de
+plaisir, parce qu'on n'a jamais vu de taureaux si furieux. L'abbé _de
+Villars_ vous entretiendra, si vous voulez, sur ce sujet. Il est charmé
+de celle qu'il a vue; mais, quoi qu'il vous en puisse dire, croyez-moi,
+c'est une épouvantable beauté. Il y aura une autre fête le 31 de ce
+mois, dont je vous ferai écrire une ample relation. Vous la trouverez
+bien extraordinaire. Elle ne se fait que de cinquante en cinquante ans.
+On y brûle beaucoup de Juifs; et il y a d'autres supplices pour des
+hérétiques et des athées. Ce sont des choses horribles.
+
+
+
+
+LETTRE XVII.
+
+_Madrid, 25 juillet 1680._
+
+Je n'ai pas eu le courage d'assister à cette horrible exécution des
+Juifs. Ce fut un affreux spectacle, selon ce que j'en ai entendu dire;
+mais, pour la semaine du jugement, il fallut bien y être, à moins de
+bonnes attestations de médecins d'être à l'extrémité; car autrement on
+eût passé pour hérétique. On trouve même très-mauvais que je ne parusse
+pas me divertir tout-à-fait de ce qui s'y passoit. Mais ce qu'on a vu
+exercer de cruautés à la mort de ces misérables, c'est ce qu'on ne vous
+peut décrire.
+
+Le marquis _de Grana_ fit lundi son entrée. Les Espagnols s'attendoient
+à voir plus de magnificence. Pour moi, je trouve qu'il a bien fait de
+n'en pas faire davantage. C'est un très-galant homme, et qui fait toute
+la dépense qu'il peut. Il est effrayé de tout l'argent qu'il faut ici.
+Il en touche cependant beaucoup. Il a quinze cents pistoles de pension,
+payées par le roi d'Espagne, double franchise, et sa maison payée, sans
+les appointemens que lui donne l'Empereur, son maître. Il a pour le
+nôtre une grande estime et un grand respect; mais il mêle parmi cela
+certaines choses dans ses conversations avec les gens de cette cour sur
+les conquêtes du roi, qui marquent assez de vivacité. Je vois souvent sa
+femme au palais; elle a bien de l'esprit. J'irois bien plus souvent chez
+elle, les voir l'un et l'autre, si je ne craignois de leur faire de la
+peine, par les airs qu'il faut qu'ils observent ici. Le marquis _de
+Grana_ est un des plus gros hommes que l'on voie, mais de très-bonne
+mine. Notre jeune reine, pour être heureuse, auroit grand besoin d'avoir
+du goût pour la solitude dans son triste palais, où elle veut que
+j'aille souvent griller de chaud avec elle. Il est violent le chaud
+qu'il fait ici. Il est vrai que, chez nous, nous n'en souffrons pas
+beaucoup. Nous sommes dans un appartement bas, délicieux pour cette
+saison. La reine a été ces jours passés deux fois _incognito_ avec le
+roi, se promener à dix heures du soir dans cette rivière poudreuse. Elle
+me le fit savoir, afin que nous nous y trouvassions, et me donna un
+signe pour reconnoître son carrosse, et moi un pour reconnoître le mien.
+Si vous saviez ce que c'est que ce plaisir! On croit pourtant que la
+reine en doit de reste. Adieu, ma chère madame, c'en est un bien
+sensible pour moi de croire, comme je fais, que vous m'aimez
+véritablement. Si M. _de Coulanges_, selon les souhaits de M. _de
+Schomberg_, et par les pas qu'il a faits à Fontainebleau, eût été envoyé
+ambassadeur en Portugal, nous l'aurions gardé à son passage par Madrid,
+tout autant qu'il nous auroit été possible.
+
+Si vous n'avez encore ni donné ni rompu ces petits boucaro, que je vous
+ai envoyés, dont le dedans étoit blanc, conservez-les; car ce blanc est
+une composition de bézoard.
+
+
+
+
+LETTRE XVIII.
+
+_Madrid, 28 août 1680._
+
+Je vous adresse cette lettre à Paris, quoique, par votre dernière, vous
+m'ayez mandé que, dans trois jours, vous partiez pour Lyon. Il me
+revient par vous et par tout le monde, à quel point vous faites valoir
+mes lettres; et, comme je ne suis pas persuadée de leur mérite, j'ai été
+jusqu'à présent tout étonnée du cas qu'on en faisoit. Mais je crois en
+avoir découvert la raison; c'est que vous ne les donnez pas à lire, et
+que vous les lisez vous-même; comme cela ne vous coûte guère, vous y
+mettez tout ce qui leur manque pour les rendre agréables, et pour leur
+attirer des louanges. Je vous prie, ma chère madame, de m'avouer la
+vérité là-dessus, sans consulter votre modestie. Je lirai avec plus
+d'attention et de sensibilité tout ce que vous m'écrirez de Lyon, que
+tout ce que vous m'écrivez de Paris, parce que vous me parlerez plus de
+vous et de tout ce qui vous touche; car je prétends que vous n'omettiez
+rien de tout ce que vous ferez; je voudrois bien aussi tout ce que vous
+penserez. Pour moi, madame, si je voulois ne vous parler que de ce qui
+m'occupe le plus ici présentement, ce seroit de la cruelle canicule
+qu'on y souffre. Car la peste et la famine, que nous avons déjà vues
+deux fois, et la guerre qu'on croit fort proche, ne me paroissent pas
+encore si insupportables que l'horrible chaleur qu'il fait. Encore le
+jour se sauve-t-on assez, en se tenant dans un appartement bas; mais la
+nuit on n'y peut coucher, à cause des moucherons qui dévorent les
+pauvres personnes.
+
+C'est vous, madame, qui pensez et qui écrivez mieux que personne du
+monde. Hélas! nous ne savons à qui en parler ici. Nous lisons vos
+lettres, M. _de Villars_, ma fille et moi, avec un grand goût et un
+grand plaisir. Elles m'en causent bien plus d'un, par ne me point
+laisser douter que vous ne m'aimiez; et, quoique ce plaisir réveille
+l'ennui que l'on souffre de ne point voir ce que l'on aime, et de qui
+l'on est aimé, cette peine est bien douce, comparée à la moindre
+diminution de votre amitié pour moi. Il y a quatre ou cinq endroits dans
+votre dernière lettre, d'une vivacité et d'une imagination bien ignorées
+jusqu'à vous, madame, et qu'on n'imitera jamais. Je ne pense pas même
+qu'on puisse faire aller son ambition jusqu'à espérer d'en devenir une
+méchante copie.
+
+Puisque nous sommes sur les copies; voulez-vous bien que je vous fasse
+souvenir que vous m'avez parlé de votre portrait? Je n'aurois osé vous
+le demander, quelqu'envie que j'en eusse, si vous ne m'en aviez parlé la
+première.
+
+J'aime notre jeune reine du plaisir qu'elle me paroît avoir, quand je
+lui nomme votre nom, et que je lui dis que vous vous souvenez d'elle.
+Elle m'a chargée de beaucoup d'amitiés pour vous. Je ne saurois vous
+rien dire qui puisse vous instruire sur tout ce qui la regarde. Nous en
+parlerons un jour, si nous nous revoyons. Elle est grasse, belle,
+buvant, mangeant, dormant, riant très-souvent, dansant de tout son cœur,
+quand nous sommes seules; moi chantant le menuet et le passe-pied.
+Contentez-vous de cela.
+
+Vous n'avez pas trouvé que le marquis _de la Fuente_ fît souvenir de M.
+_de Villars_. S'il n'y a point de guerre, sa femme partira au mois de
+septembre pour l'aller trouver. C'est une des plus raisonnables femmes
+d'ici: je vous prie de me mander tout ce que vous savez touchant la
+guerre.
+
+Vous me dites, et cela est vrai, que l'on seroit bien heureux, si les
+lieux d'ennui pouvoient inspirer de solides et sérieuses réflexions pour
+le salut, nous détacher des choses de ce monde, qui se détachent tous
+les jours de nous: la santé, la jeunesse, la beauté, les amis.
+
+Il passera dans peu un étranger[20] à Lyon, qui vous remettra un
+très-petit présent de ma part. J'aime à vous marquer le plus souvent que
+je puis que je songe à vous, par ces légères bagatelles. M. _de Villars_
+en a honte; car il vous croit digne qu'on ne vous présente que des
+couronnes. Quand vous en auriez, il ne pourroit pas vous honorer, ni
+vous respecter au-delà de ce qu'il fait. Adieu, madame.
+
+
+
+
+LETTRE XIX.
+
+_Madrid, 15 août 1680._
+
+J'ai une véritable impatience d'avoir de vos nouvelles; j'en ai beaucoup
+aussi d'en apprendre de Paris, puisqu'on y parle sans cesse de guerre,
+sans que je comprenne encore qui commencera à la déclarer. Les
+Espagnols ne sont pas en état de la soutenir. Leur misère passe tout ce
+qu'on en peut imaginer. Il est vrai qu'ils espèrent, ou, pour mieux
+dire, qu'ils croient sûrement que l'Empereur, l'Angleterre et la
+Hollande se joindront à eux. Le prince de Parme doit partir aujourd'hui
+pour aller commander en Flandre. On dit ici qu'ils n'ont pas voulu
+qu'elle s'achevât de perdre, sans un Espagnol naturel. Notre marquis _de
+Grana_ a le cœur bien envenimé contre la France; et, s'il étoit secondé
+par tout ce qu'il voudroit bien mettre contre nous, il tailleroit ce
+qu'il appelle de la besogne. Il est galant homme, il a de l'esprit;
+mais, dans ses manières de parler, on le prendroit pour être né sur les
+bords de la Garonne.
+
+Nous avons été ici en véritable péril de mourir des excessives chaleurs.
+La beauté et la fraîcheur de la reine n'en ont point souffert. Elle m'a
+promis de me donner un petit coffre pour vous. Dès que je l'aurai, je
+chercherai une voie pour vous le faire tenir. Elle me paroît fort
+souhaiter votre amitié; je l'assure aussi qu'elle a raison de la
+souhaiter.
+
+Je voudrois que l'on crût un peu moins aux horoscopes; je ne me
+reprocherai jamais d'avoir eu, sur ce sujet, de pernicieuse
+complaisance, et de n'avoir pas fait mon possible pour désabuser des
+faussetés qui s'y trouvent.
+
+Il y a, dans la boîte que vous recevrez par le marquis _de Ligneville_,
+deux paires de bas de soie, des pastilles d'ambre dans une bourse, et un
+œuf d'aventurine avec des pastilles dedans, dont je crois que le goût ne
+vous déplaira pas. Je vous fais ce détail de peu d'importance, afin que
+vous vous aperceviez si l'on en prenoit quelque chose.
+
+La connétable _Colonne_ est dans la maison de son mari, assez inquiète
+de ce qu'elle deviendra, car elle n'est nullement résolue de s'en
+retourner en Italie avec lui. Elle voudroit bien pouvoir rentrer en ce
+temps-là dans un couvent à Madrid; bien entendu d'en sortir peu après,
+et de s'en aller, tant que terre la pourra porter, en Flandre, en
+Angleterre, en Allemagne; car, pour en France, elle a peur qu'on ne l'y
+veuille pas souffrir. Vraiment c'est un original qu'on ne peut assez
+admirer, à le voir de près, comme je le vois. Elle a ici un amant; elle
+me veut faire avouer qu'il est agréable, qu'il a quelque chose de fin et
+de fripon dans les yeux. Il est horrible; mais ce n'est pas ce qui
+devroit diminuer son inclination et la rebuter, au prix d'une autre
+petite chose qui ne vaut pas la peine d'en parler; c'est que cet amant
+ne l'aime point du tout, à ce qu'elle m'a dit. Elle se trouve heureuse
+cependant qu'il soit comme cela; parce que, s'il répondoit un peu à ses
+sentimens, les choses feroient encore plus d'éclat. Elle ne déplaît
+point; elle s'habille à l'espagnole, d'un air beaucoup plus agréable que
+ne font toutes les autres femmes de cette cour. Elle a trois grands fils
+mal élevés; l'aîné va épouser une des filles du duc _de Medina Celi_,
+premier ministre; mais vous ne vous souciez guère de tout cela.
+
+Il est fort question ici que, dans peu, la duchesse _de Terranova_
+quittera sa place de _camarera mayor_ qui sera, à ce qu'on dit, donnée à
+la duchesse _d'Albuquerque_. C'est une joie dans cette cour; car cette
+première n'y est pas aimée. Pour moi, il ne m'importe, pourvu que la
+reine s'en trouve bien. Adieu, ma très-chère madame; dites-vous souvent
+que je vous aime de tout mon cœur.
+
+
+
+
+LETTRE XX.
+
+_Madrid, 29 août 1680._
+
+Je ne reçois point de lettres, madame; je n'ai point de vos nouvelles,
+et j'en voudrois savoir préférablement à toutes celles qu'on me peut
+mander de Paris. Comment vous portez-vous? Que faites-vous du matin
+jusqu'au soir? Combien serez-vous à Lyon? Après cela, je vais vous dire
+des miennes, qui ne sont pas des plus agréables. La misère augmente ici
+tous les jours, et les monnoies n'y sont point rehaussées. De douze
+mille écus que le roi donne à M. _de Villars_, ce n'est à Madrid
+qu'environ cinq mille cinq cents écus. Notre maison nous coûte neuf
+mille fr. de loyer. Voyez ce qui reste pour toutes sortes d'autres
+dépenses. M. _de Villars_ veut donc me renvoyer pour se loger moins
+chèrement, et ne garder que très-peu de gens après mon départ. C'est une
+chose fort triste pour moi que cette séparation, attachée comme je le
+suis à M. _de Villars_, et fort triste aussi par ne trouver d'autre
+moyen de soulager sa dépense. J'ai été quelque temps sans dire ce projet
+à la reine, et quand je le lui ai appris, elle n'a pu le croire, ni s'y
+résoudre. Il y a plus d'honneur que de vanité à se persuader que cette
+pauvre princesse me regretteroit en demeurant en Espagne dans son triste
+palais, et ses tristes petites occupations. On lui a changé de _camarera
+mayor_: c'est, depuis deux jours, que la duchesse _d'Albuquerque_
+remplit cette place. La reine s'en accommodera mieux que de celle
+qu'elle avoit. Quel pays, madame, que celui-ci! Il faut bien aimer M.
+_de Villars_, pour sentir de la peine à le quitter; mais, à force aussi
+qu'on s'y ennuie, je désire qu'il n'y soit pas sans moi, puisqu'il n'y
+peut trouver mieux. Je sens une grande consolation d'avoir passé cette
+horrible canicule, dont je vous ai parlé, sans y avoir succombé. Il est
+mort ici une infinité de gens, et j'avois beaucoup de peur pour notre
+maison. Mais, ma chère madame, quand aurai-je de vos nouvelles? Vous
+aurez, par un homme qui partira bientôt, ce petit coffre de la reine,
+plein de pastilles à manger.
+
+
+
+
+LETTRE XXI.
+
+_Madrid, 5 septembre 1680._
+
+Je vous ai mandé par ma dernière lettre la destitution de la duchesse
+_de Terranova_; qu'on avoit mis à sa place la duchesse _d'Albuquerque_;
+et que je ne pouvois être ni aise ni fâchée de ce changement, que selon
+que la reine s'en trouveroit bien ou mal. Quoique madame _de Terranova_
+ait une grande aversion pour la France et pour les François, elle m'a
+toujours traitée fort honnêtement. On croit que la reine n'aura pas
+sujet de se repentir de ce changement. L'air du palais est déjà tout
+autre, et le roi aussi. Sa majesté a permis à la reine de ne se coucher
+plus qu'à dix heures et demie, et de monter à cheval quand elle voudra,
+quoique cela soit entièrement contre l'usage. Il lui a accordé encore
+une chose qui lui a donné une grande joie. Il y a trois ou quatre jours
+que me voyant entrer dans sa chambre, elle vint au-devant de moi avec un
+air de gaîté extraordinaire, et me dit: _Ne direz-vous pas oui à ce que
+je vais vous demander?_ C'étoit que le roi vouloit bien que ma fille eût
+l'honneur d'être une de ses dames. Elle en étoit transportée. Vous jugez
+bien avec quel respect et quel plaisir je reçus ce qu'elle me disoit;
+mais elle fut un peu mortifiée quand je lui répondis que je croyois
+qu'il falloit, avant que d'accepter cet honneur, que M. _de Villars_ en
+eût la permission du roi, notre maître. Ma fille ne s'en sent pas de
+joie. A son âge, combien ne se figure-t-on point de plaisirs dont, selon
+les apparences, elle ne jouiroit pas long-temps? Elle auroit d'illustres
+compagnes; car ce ne sont que des filles des maisons de Portugal,
+Aragon, Mauriquès, Castille; enfin tout ce qu'il y a de plus grand dans
+le royaume. Elles ont beaucoup de petites fonctions. La plupart
+n'omettent rien de celles qui regardent la galanterie.
+
+L'on ne parle plus de guerre ici. Ce n'est pas ce qui me rassureroit.
+
+Adieu, madame; je vous quitte pour m'aller parer. La reine vient de me
+mander que c'est aujourd'hui le jour de la naissance de notre roi, et
+que je ne manque pas d'aller au palais avec tout ce que j'ai de diamans.
+Si j'avois pu ce matin être à sa toilette, je lui aurois conseillé de
+n'affecter pas trop de magnificence ce jour-ci; car elle ne fera plaisir
+à personne; et je suis assurée que le roi, son oncle, l'en dispenseroit
+volontiers.
+
+
+
+
+LETTRE XXII.
+
+_Madrid, 12 septembre 1680._
+
+J'ai enfin reçu deux de vos paquets de Lyon, madame, et j'ai fort peu de
+temps à y répondre, parce que le courrier part ce soir. J'étois affligée
+de ne point recevoir de vos nouvelles; mais je ne l'étois point de
+l'appréhension que vous m'eussiez oubliée. Vous me parlez de la peste,
+et de la peine où vous en êtes pour moi. Elle ne m'a point approchée,
+Dieu merci, et il faut espérer qu'elle laissera Madrid hors d'intrigue.
+Vous me parlez encore d'une autre peste, qui est la continuation de la
+misère où l'on est ici. Elle augmente toujours, et les monnoies ne
+haussent point. Je ne vous ai que trop entretenue de tout cela; je ne
+veux point que vous y fassiez de réflexion. Vous êtes vive, et vous
+m'aimez. Pensez une fois, et puis n'y pensez plus, que les douze mille
+écus qu'on a d'appointemens, ne font ici que cinq mille cinq cents écus,
+et que nous payons neuf mille francs de loyer de notre maison. Je vous
+ai déjà mandé que M. _de Villars_, ne pouvant plus subsister, prenoit la
+résolution de me faire partir d'ici le mois prochain. Le marquis _de
+Grana_, qui est riche par lui-même, par ce que son maître lui donne, et
+par les pensions qu'il tire de cette cour, dit bien aussi qu'il n'y peut
+pas subsister. Qu'il est gascon, cet Allemand! un peu hargneux sur les
+affaires de France, et sur tout ce que projette et exécute le roi, notre
+maître.
+
+Mais votre portrait, que vous me faites espérer, il faut le confier à
+mes enfans qui seront à Paris avant la fin de ce mois. En vérité, je ne
+puis vous dire le plaisir que vous me faites. Je ne croyois plus être
+aussi sensible que je trouve que je le suis sur cette sorte de joie. Mes
+enfans vous auront vue à Lyon. Qu'ils auront été aises, s'ils tiennent
+de leur mère!
+
+On se trouve toujours bien du changement de la _camarera mayor_. L'air
+du palais en est tout différent. Nous regardons présentement la reine et
+moi, tant que nous voulons, par une fenêtre qui n'a de vue que sur un
+grand jardin d'un couvent de religieuses qu'on appelle _l'Incarnation_,
+et qui est attaché au palais. Vous aurez peine à imaginer qu'une jeune
+princesse, née en France, et élevée au Palais-royal, puisse compter
+cela pour un plaisir; je fais ce que je puis pour le lui faire valoir
+plus que je ne le compte moi-même. Il y a neuf jours qu'on soupçonnoit
+encore qu'elle étoit grosse. Pour moi, je ne le soupçonne pas. Le roi
+l'aime passionnément à sa mode, et elle aime le roi à la sienne. Elle
+est belle comme le jour, grasse, fraîche; elle dort, elle mange, elle
+rit; il faut finir là; et, avec tout l'esprit que vous avez, je vous
+défie de deviner tout ce que j'aurois à vous dire ensuite de tout cela.
+
+Adieu, ma chère madame; je voudrois bien écrire encore, si j'en avois le
+temps; mandez-moi ce que vous saurez de la paix et de la guerre.
+
+Vous recevrez un petit paquet que je ne vous envoie, que parce qu'il ne
+vous coûtera rien de port; car, pour peu que vous en payassiez, ce
+seroit plus qu'il ne vaut: c'est pourtant la reine d'Espagne qui vous
+l'envoie.
+
+Je rends mille grâces à M. _de Coulanges_, de sa prose et de ses vers.
+La marquise _d'Uxelles_ m'avoit envoyé ceux qu'il avoit faits pour
+elle, en passant à Châlons-sur-Saône.
+
+
+
+
+LETTRE XXIII.
+
+_Madrid, 26 septembre 1680._
+
+Je reçois présentement vos lettres. Je dirai aujourd'hui à la reine tout
+ce que vous m'écrivez d'honnête et d'obligeant pour elle. Que dix-huit
+ans et une heureuse disposition à croire tout ce qu'on souhaite, sont
+choses agréables, et conservent bien la santé et la beauté! Pour moi, je
+lui dis tous les jours que, par malheur, j'ai toute ma vie été opposée à
+cette heureuse situation.
+
+Celle de la pauvre connétable _Colonne_ est à présent bien détestable.
+Il y a plus de deux mois que je lui ai prédit ce qui arriveroit. Mais,
+sans nulle réflexion, elle vivoit au jour la journée, comptant qu'on la
+laisseroit jouir de la liberté de sortir de sa maison, de faire des
+visites, et qu'on ne parleroit de rien qu'après les noces de son fils
+aîné. Il y a douze ou quinze jours qu'on lui vint signifier, de la part
+du roi, qu'il ne se mêloit plus de ses affaires, et qu'elle songeât à
+obéir à son mari, qui vouloit la mener ou l'envoyer en Italie. Le
+lendemain, elle eut une défense de ne plus sortir de chez elle; le jour
+d'après, de ne plus voir personne; et, à tout moment, elle est dans les
+horreurs qu'on ne l'entraîne avec violence, et qu'on ne la mette dans
+une litière pour la mener où il plaira à son mari. Je ne veux pas
+justifier sa conduite passée, mais il faut convenir, en s'en souvenant,
+qu'elle a bien sujet de ne vouloir pas se confier à un mari italien.
+Elle fait ce qu'elle peut pour obtenir qu'on l'enferme ici dans le plus
+austère couvent qu'il y ait. Je ne sais pas ce qu'on lui accordera: elle
+n'a contre elle que le roi, le premier ministre, son mari, toute la
+famille _Balbasès_. Elle me fait beaucoup de pitié.
+
+Si j'en juge par les amples relations de Madame[21] à la reine
+d'Espagne, jamais les plaisirs n'ont été pareils à ceux dont on jouit à
+Versailles.
+
+M. _de Villars_ dit toujours qu'il veut me renvoyer, à cause que la
+misère augmente à Madrid, et que, sans moi, il fera beaucoup moins de
+dépense. Je ferai tout ce qu'il voudra, quoiqu'avec peine, si je le
+laisse dans un lieu aussi triste, et dans un état aussi chagrinant que
+le sien. Jusqu'ici, on ne nous a point encore ôté le bien de la santé;
+mais ce bien est fragile et très-sujet à ne point durer, sur-tout quand
+on n'est plus jeune[22]. Adieu, madame; tels que nous sommes, c'est
+entièrement à vous.
+
+
+
+
+LETTRE XXIV.
+
+_Madrid, 10 octobre 1680._
+
+Permettez-moi, madame, de vous parler, avant toute chose, d'une petite
+bagatelle qui arriva hier à sept heures du matin. Ce n'est qu'un violent
+tremblement de terre qui dura la longueur d'un _miserere_. M. _de
+Villars_ dans son lit et moi dans le mien, le sentîmes remuer. Il se
+leva, s'imaginant qu'à cause des horribles pluies, les fondemens de la
+maison s'écrouloient. Pour moi, je m'écriai, assez effrayée, que c'étoit
+la terre qui trembloit. Il vint trois secousses qui donnèrent un
+mouvement à toute la maison, comme pourroit être celui d'un arbre agité
+du vent. Les prêtres dans les églises où ils disoient la messe, eurent
+de la peine à empêcher que le calice ne fût renversé. La plupart des
+hommes et des femmes couroient en chemise dans les places et dans les
+rues, sans savoir où se cacher, pour éviter l'accablement dont ils se
+croyoient menacés par la ruine des maisons. Je n'avois pas imaginé qu'à
+tous les désagrémens d'Espagne, il se fût joint celui de s'y voir
+englouti dans la terre, qui s'est ouverte en quelques endroits, ou
+écrasé sous les ruines des maisons; car jamais on n'a vu ici de ces
+tremblemens. Hier, à tout moment, je croyois que cela alloit
+recommencer. Comme les pluies recommencent, il se pourra bien faire
+qu'il reviendra encore quelque tremblement. Je souhaite avoir cette
+singularité par-dessus vous, et que vous n'éprouviez de votre vie ce
+qu'on pense en pareille occasion. Je ne sais point encore si le
+tremblement de terre aura été jusqu'à l'Escurial, où cette cour est
+depuis lundi dernier. Je fus, dimanche au soir assez tard, avec la
+reine, qui n'avoit pas beaucoup d'envie d'aller en ce lieu, dont les
+plus grandes beautés sont les magnifiques places qu'on a fabriquées pour
+mettre les corps des rois et des reines après leur mort. Elle n'a pas
+laissé de marquer de la joie d'y aller, pour faire voir sa complaisance
+pour les volontés du roi. Elle m'écrivit, le lendemain, qu'elle n'avoit
+pas trouvé tout ce que je lui avois dit de cette maison; car il est vrai
+que je lui en avois parlé à lui donner de l'envie d'y aller. Je ne vous
+dis point tout ce qu'elle m'a dit, ni tout ce qu'elle m'a écrit sur la
+peur qu'elle a que je ne m'en aille. Elle ne le peut croire par cette
+heureuse facilité qu'elle a à se persuader tout ce qui lui peut ôter du
+chagrin. Elle me fit savoir, avant que de partir pour l'Escurial, que,
+sans m'en parler, elle avoit écrit d'une sorte à _Monsieur_ sur mon
+sujet, qu'elle ne pouvoit pas croire qu'il n'eût assez de crédit pour
+obtenir qu'on m'accordât de ne point m'en aller, et qu'elle avoit
+représenté les raisons et les véritables besoins qu'elle croit avoir que
+je ne parte pas d'ici. Je l'ai suppliée de se préparer au peu d'effet
+qu'aura sa lettre; et j'ai ajouté que, si elle m'avoit fait l'honneur de
+m'en demander mon avis, je lui aurois dit de marquer simplement le
+bonheur que j'avois de lui plaire, et de n'insister point sur autre
+chose. Quoi qu'il arrive de cette lettre, je lui en aurai autant
+d'obligation que si le succès en étoit heureux; mais je ne m'y attends
+pas.
+
+Je ne puis finir celle-ci, sans vous parler de quelle manière cette cour
+se prépare pour les voyages, qui ne sont jamais qu'à l'Escurial ou
+Aranjuez. Il en coûte au roi des sommes immenses; il n'y a pourtant que
+sept lieues; mais les voleries, sur cela, vont toujours leur chemin. Il
+y a, pour le moins, ce jour-là, cent cinquante femmes du palais, soit
+_segnoras de honor_, ou dames qui sont comme les filles d'honneur en
+France, ou _camaristes_ ou leurs _criadas_, ou servantes. Pour les
+_segnoras_, ce sont de vieilles veuves, toujours habillées et coiffées
+de la même sorte; les dames sont en leur plus beaux habits, avec des
+chapeaux et des plumes, assez galamment mises, et sur leurs épaules ce
+qu'elles appellent _mantilles_: ce n'est ni manteau, ni écharpe; cela
+est de velours en broderie d'or et d'argent; les unes les ont vertes,
+les autres incarnates. Elles les portent d'un air particulier, un bout
+qui passe sous le bras, et l'autre sur l'épaule, en sorte qu'elles ont
+un bras dégagé. Voilà ce qu'elles ont de meilleure grâce. Tous les
+galans les voient monter en carrosse, et font leur chemin en galopant
+après elles. Plusieurs de ces messieurs, sur de beaux chevaux, suivent
+_incognito_, avec des bonnets qui s'abattent, et qui leur cachent le
+visage. Ils ne sont pas, pour cela, inconnus à leurs dames. La reine
+avoit, le jour qu'elle fut à l'Escurial, un chapeau avec des plumes
+jaunes et noires; mais, pour, ces _mantilles_, il est écrit qu'il faut
+que les reines n'en portent point, en dussent-elles mourir de froid. Je
+ne pourrai vous faire comprendre comme cette princesse est embellie,
+crue et engraissée; un teint admirable; elle s'aime aussi passionnément.
+L'ordre de ce voyage de l'Escurial est que la cour y séjourne jusqu'à
+la Toussaint. Le lendemain, leurs majestés font prier Dieu
+solemnellement pour tous les rois et reines, qui sont là devant leurs
+yeux; et, le jour d'après, ils reviennent à Madrid avec le même équipage
+qu'ils en sont partis. Mais, si j'étois à leur place, je n'y reviendrois
+pas, et j'établirois ma cour en un autre lieu, où la terre ne
+trembleroit point.
+
+Si le courrier n'alloit partir, je crois que je vous écrirois jusqu'à
+demain. Quel signe est-ce, madame? car je n'aime point du tout à écrire.
+
+
+
+
+LETTRE XXV.
+
+_Madrid, 31 octobre 1680._
+
+
+J'attends la reine à son retour de l'Escurial, pour lui faire voir tout
+ce que vous me dites d'elle dans votre lettre. Elle a été deux jours
+malade. J'y envoyai aussitôt, pour m'offrir de l'aller servir. Ce
+n'étoit rien, et j'en fus doublement aise; car nous avons souhaité, M.
+_de Villars_ et moi, qu'elle fût un peu sous sa propre conduite, et que
+l'on vît que je ne suis pas bien empressée de la cour. On dit qu'il
+s'est passé plusieurs petites affaires; si j'avois été là, nous
+n'aurions pas été d'accord; car je l'aurois suppliée de n'abuser pas de
+la permission qu'on lui donnoit de monter à cheval, et de ne s'en servir
+que rarement. Elle m'a souvent honorée de ses lettres. Elle est toujours
+persuadée qu'il est impossible que je m'en aille. Cependant, si M. _de
+Villars_ avoit eu de l'argent pour me faire partir, je crois que je
+serois déjà bien loin. Je pense vous avoir écrit que ma fille ne seroit
+point dame de la jeune reine. On dit que c'est une loi indispensable
+qu'il faut demeurer dans le palais; qu'il est de toute nécessité d'y
+faire de la dépense, et que dix mille francs ne suffiroient pas: au
+moins quatre ou cinq femmes pour servir; un ordinaire, des meubles, des
+habits, et, au bout de tout de cela, entre vous et moi, une vie fort
+ennuyeuse, et qui ne promet pas une fortune assurée. Je ne puis, ma
+chère dame, vous en dire davantage; il le faudroit pourtant, si je
+voulois vous faire comprendre mille choses que, malgré tout l'esprit que
+vous avez, vous ne pouvez pénétrer de si loin. Je vous prie encore que
+vous ne vous amusiez point, s'il se peut, à faire des réflexions sur
+notre malheureux état, état dont, par discrétion, je vous cache plus de
+la centième partie du désagrément. Pour m'en remettre, j'use du charmant
+remède de songer que je ne suis rien moins que jeune, que la mort
+approche, et qu'il est meilleur qu'elle nous trouve dénués de tout ce
+qui compose les plaisirs de la vie. Pour vous, madame[23], qui la pouvez
+envisager d'une plus longue durée, vous avez de quoi être plus vive et
+plus sensible aux injustices de la fortune. Je ne vous dis point tous
+les souhaits que je fais pour qu'elle puisse changer, et à quel point,
+si on le mérite, je vous crois digne d'être heureuse; mais, madame,
+quel trésor, si nous pouvions découvrir et mettre en usage le secret
+d'être véritablement dévotes, et de nous en servir pour l'autre vie! Je
+ne me saurois plaindre de ce que nous souffrons, tant que Dieu me
+conservera mes enfans[24], que j'aime tendrement.
+
+Je n'ai point encore de nouvelles de votre portrait; j'espère pourtant
+l'avoir bientôt par un gentilhomme que nous attendons. Que ce portrait
+me fera de plaisir!
+
+Nous fûmes hier à une maison du roi, à deux lieues d'ici, qu'on nomme le
+Pardo. Il n'y a autour ni bois, ni jardins, ni fontaines; et, dans la
+maison, ni sièges, ni bancs, ni tables, ni carreaux, ni lits; c'est
+pourtant la favorite, et celle où leurs majestés vont très-souvent. Je
+ne sais pas encore à quoi elles s'y peuvent divertir: je le demanderai
+à la reine. Toute mon attention fut de regarder très-long-temps les
+portraits de cette reine _Elisabeth_[25], et de ce misérable don
+_Carlos_[26], en songeant à leurs funestes aventures: ils étoient bien
+faits l'un et l'autre.
+
+
+
+
+LETTRE XXVI.
+
+_Madrid, 14 octobre 1680._
+
+
+Votre petit portrait a été très-bien reçu, et trop bien de M. _de
+Villars_, qui en fait son propre. Je n'ai pas laissé de le porter au
+palais, où il a passé par toutes les mains des dames; car, pour les
+hommes, ils ne peuvent ici rien admirer que de bas en haut; par les
+fenêtres. La reine le prit d'abord pour celui de madame _de Nevers_. Ce
+portrait fait souvenir de vous, c'est-à-dire, qu'il ne vous ressemble
+pas parfaitement; et il est impossible, quand on viendroit à bout de
+peindre tous vos traits, d'imiter que très-grossièrement ce qu'il y a de
+vif et de spirituel dans tout ce qui compose votre visage. Ce n'est pas
+la faute du peintre, et ce petit portrait est aussi bien et aussi
+agréable qu'on le pouvoit faire. Je vous en rends mille grâces, ma chère
+madame, et de tout ce que vous me dites pour me marquer votre amitié et
+votre tendresse. Je ne puis pas mieux sentir l'amitié que j'ai pour M.
+_de Villars_, que d'être avec lui dans le pays du monde le plus rempli
+d'ennuis. Car, comme dans les lieux de plaisir, on dit ordinairement que
+les semaines passent fort vîte, celles d'ici sont d'une longueur
+infinie. Je vais souvent au palais; peut-être ne trouverais-je pas tant
+d'ennuis, si je n'avois que dix-huit ans. Il y auroit bien des choses à
+vous dire là-dessus.
+
+Il y a deux ans qu'il mourut une dès dames de la maison de la reine[27],
+qui n'avoit que treize ou quatorze ans. On a plus de soin d'elles, quand
+elles sont mortes, que dans leurs maladies; car ce sont des chiens que
+tous ces médecins-ci, et leurs remèdes ridicules. Il y a une grande
+chapelle dans le palais. Elle y fut mise dans un coffre couvert de panne
+couleur de feu, avec un grand galon d'or, à la lueur de quantité de
+flambeaux. Elle étoit en habit de religieuse, composé de bleu et de
+blanc. On lui avoit mis bien du rouge sur les joues et sur les lèvres.
+Elle étoit très-belle dans cet état. Ce coffre ferme à clef: la _guarda
+mayor_ le ferma, et puis vint le majordome de la reine, auquel on ouvrit
+ce coffre, pour lui faire voir qu'elle étoit dedans, et il en prit la
+clef. Les gardes du roi portèrent le corps jusqu'au haut du degré, à
+une porte où les Grands d'Espagne attendoient pour le porter jusqu'au
+carrosse qui le devoit mener jusqu'au lieu de la sépulture. Le
+majordome, arrivé dans cette église, ouvrit encore ce coffre pour faire
+voir aux religieux le corps de cette pauvre dona _Juana_ de Portugal.
+Après quoi, il fut mis en terre avec les prières ordinaires. Je ne
+pensois nullement à vous faire ce récit, qui n'est pas divertissant.
+Mais il ne faut pas aussi être toujours tant sur ses gardes, pour ne
+parler jamais de la mort, qui va indifféremment dans tous les pays du
+monde.
+
+J'espère vous envoyer, par la première commodité, deux excellentes
+paires de gants d'ambre, et un éventail de la part de la reine, dont la
+santé et la beauté augmentent tous les jours.
+
+
+
+
+LETTRE XXVII.
+
+_Madrid, 28 novembre 1680._
+
+
+Je n'ai point eu de vos lettres par ce courrier. Je vous ai déjà mandé
+que je ne m'en allois plus. Quand jusqu'ici j'aurois douté de l'amitié,
+que vous croyez que j'ai pour M. _de Villars_, j'en serois plus que
+certaine à l'heure qu'il est, par la joie que j'ai sentie de ne m'en
+point aller de cette aimable ville de Madrid; entendez par ce mot
+_aimable_, tout l'opposé de ce qu'il dit en effet. Après tout cela,
+malgré la destinée, je commence à jouir aujourd'hui d'un plaisir. Nous
+quittons notre grande, incommode et chère maison pour aller loger dans
+une autre beaucoup moins chère, et très-commode. A peine ai-je trouvé de
+quoi vous écrire, n'ayant plus rien dans ma chambre. Notre jeune reine
+m'a fait paroître plus de joie de ce que je ne m'en allois point, que
+vraisemblablement cela ne lui en a dû causer.
+
+Je ne vous entretiendrai guère aujourd'hui. Il m'en déplaît fort, ma
+chère madame; car il me semble que j'aurois bien des choses à vous dire.
+
+
+
+
+LETTRE XXVIII.
+
+_Madrid, 27 décembre 1680._
+
+
+Vous m'écrivez que le marquis _de Ligneville_ a passé par Lyon, et qu'il
+ne vous a point vue. Ce n'est pas de quoi je me soucie; et je lui
+pardonne de n'avoir pas eu cet esprit, pourvu qu'il vous ait laissé le
+petit présent que je vous envoyois par lui.
+
+Je suis beaucoup plus tranquille que je n'étois le temps passé, quand je
+vous parlois de la peine que me causoit cette vue d'un départ prochain.
+Le petit secours, que le roi a eu la bonté de donner à M. _de Villars_,
+nous fait un peu respirer. Nous avons payé et quitté notre grande
+maison de huit cents pistoles de loyer, et nous sommes présentement dans
+une autre la moitié moins chère, et mille fois plus commode. Je ne
+voudrois pour rien du monde que la guerre recommençât; car je me
+souviens trop de la vivacité de mes peines dans ce cruel temps. Mais
+quel plaisir, sans qu'il en fût question, de sortir d'Espagne, et de
+pouvoir subsister en quelque lieu agréable, jouissant du plaisir de voir
+et d'entretenir ce qu'on aime! Si vous me revoyez jamais, vous prendrez,
+s'il vous plaît, la peine de me siffler comme un perroquet; car
+assurément je perds ici l'usage entier d'entendre et de parler, comme on
+fait au coin de votre feu. Il fait ici le même froid qu'à Paris; mais il
+n'y a point de cheminées. Nous en avons fait faire une dans notre
+nouvelle maison, qui est la plus grande consolation que nous ayons à
+Madrid. Elle n'en donne point aux dames qui me viennent voir; car elles
+ne savent point s'asseoir dans une chaise, ou sur quelque autre siège.
+C'est une chose plaisante que l'air qu'elles ont, quand elles sont
+assises: elles paroissent lasses, fatiguées, ne pouvant non plus se
+tenir que si on les faisoit danser sur la corde. Voilà de belles
+nouvelles; mais jamais Madrid n'en a moins produit. Tout y est dans une
+manière d'assoupissement misérable.
+
+Vous recevrez un paquet, qui en contient trois autres cachetés du cachet
+de la reine, et les dessus de sa propre main. Il y a deux paires de
+gants, et un éventail dans chacun; vous aurez soin de les envoyer à leur
+destination. La reine ne vouloit pas que je vous mandasse que c'étoit de
+sa part, trouvant que le présent étoit trop petit. Vous le direz à
+mesdames _de Sévigné_ et _de Vins_. On dit que les éventails seront
+meilleurs dans quelque temps. Cette jeune princesse continue d'embellir.
+Elle est grasse, le plus beau teint du monde, une gorge admirable, les
+yeux très-beaux, la bouche agréable. Quand je vois qu'elle croit avoir
+sujet de s'ennuyer, je change de discours. Adieu, madame.
+
+
+
+
+LETTRE XXIX.
+
+_Madrid, 12 décembre 1680._
+
+La connétable _Colonne_ est dans un pitoyable état. Je crois que je vous
+ai mandé que son mari la fit partir un peu brusquement d'ici, pendant
+que la reine étoit à l'Escurial. Elle ne tua ni ne blessa personne. Elle
+est actuellement dans ce qu'on appelle l'Alcaçal[28] de Ségovie,
+très-misérablement traitée. La reine auroit fort souhaité qu'on lui eût
+accordé avant cela ce qu'elle demandait pour toute grâce à son mari,
+qu'on la mît dans un couvent, le plus austère qu'on pût choisir à
+Madrid. Cette pauvre malheureuse écrit souvent au confesseur de la
+reine, qui, par l'ordre de cette princesse, va quelquefois exhorter le
+connétable à vouloir bien que sa femme vienne ici dans un couvent. Il y
+a douze ou quinze jours que ce mari dit au confesseur, qu'il ne pouvoit
+consentir que sa femme vînt à Madrid, si elle ne se faisoit religieuse
+dans le couvent où elle entreroit, et que lui, il prendroit les ordres.
+Le confesseur a écrit cette proposition à la connétable, qui l'a
+acceptée. Je crois qu'il n'y a pas une moindre vocation que la sienne à
+la religion. Cependant, comme elle a fait dire à son mari qu'elle fera
+tout ce qu'il voudra, cela pourra l'embarrasser; car je ne crois pas
+qu'il ait aucune intention de la faire entrer dans Madrid. On m'écrit de
+Paris que je me mêlois de ses affaires, et que j'étois fort dans ses
+intérêts. J'ai répondu sur cela à une de mes amies qui m'en écrivoit,
+que je croyois qu'on avoit jeté à croix ou pile, duquel il valoit mieux
+m'accuser, ou de trop de dureté pour cette infortunée, ou de trop de
+pitié. Car pour elle, elle se sentit tout-à-fait outragée, quand elle
+vint dans notre maison, pleurant et demandant qu'on l'y souffrît pour
+une nuit, et qu'on lui prêtât secours pour la faire entrer dans son
+couvent; on ne put lui accorder ce qu'elle vouloit, et je la résolus
+avec une peine extrême à retourner chez le marquis _de los Balbasès_, où
+je la remenai à dix heures du soir, M. _de Villars_ ne voulant pas se
+mêler de ses affaires. Si j'ai eu pitié d'elle depuis cette visite-là,
+cette pitié ne s'est signalée en rien; et la reine qui auroit bien voulu
+lui faire le plaisir d'obliger son mari de la mettre ici dans un
+couvent, dit que _Monsieur_ lui a recommandé de lui rendre tous les bons
+offices que raisonnablement elle pourroit désirer d'elle. Celui de la
+faire enfermer dans un couvent le plus austère, ne paroissoit pas
+indigne à cette princesse qu'elle s'y employât.
+
+M. le prince de Parme est donc amoureux de la comtesse _de Soissons_? Ce
+n'est pas un joli galant. Ce n'est pas aussi que s'il avoit cent mille
+écus dans son coffre, il ne les dépensât en un jour, mieux qu'aucun
+homme du monde, pour plaire à sa dame. Le roi, notre maître, ne peut pas
+souhaiter un autre gouverneur en Flandre pour sa majesté Catholique.
+
+La reine ne se divertit pas si bien qu'on pourroit le croire. Elle est
+jeune et saine, d'un heureux tempérament. Je ne pense pas qu'au reste du
+monde l'on voie ce que nous avons vu depuis que nous sommes dans ce
+royaume; la peste, la famine, des ravages d'eaux dont on n'avoit jamais
+entendu parler; un tremblement de terre, qui a presque entièrement
+détruit cinq ou six villes; sans compter les frayeurs où je fus après
+cela quinze jours durant. Le moindre mouvement me paroissoit un
+tremblement de terre; mais il nous manquoit encore quelque chose, une
+comète. Assurez-vous que depuis huit jours il en paroît une des plus
+grandes et des mieux marquées qu'on ait jamais vues. Elle commence à se
+montrer sur les quatre à cinq heures du soir, et dure jusqu'à huit ou
+neuf. Comme il ne nous appartient pas d'en avoir peur, c'est une des
+choses qui me sont le plus indifférentes; car je suis persuadée qu'elle
+ne signifie rien pour la France.
+
+
+
+
+LETTRE XXX.
+
+_Madrid, 26 janvier 1681._
+
+Il faut vous dire deux mots de la connétable _Colonne_. Je trouvai le
+confesseur de la reine, il y a deux jours, au palais, qui avoit apporté
+une lettre pour la montrer à cette princesse, avant qu'il la fermât. Il
+venoit de chez le connétable _Colonne_, qui l'avoit écrite à sa femme,
+en présence du confesseur. Elle contient que le mari consent qu'elle
+vienne à Madrid, dans un couvent nommé; qu'elle prenne l'habit de
+religieuse le même jour qu'elle y entrera; et, trois mois après, qu'elle
+fasse profession. Je ne doute pas qu'elle n'accepte ces conditions pour
+quitter le lieu qu'elle habite présentement. Je ne conseillerois pas à
+la reine de répondre qu'elle n'en sortira jamais.
+
+Cette princesse continue de se bien porter, et de passer à l'église sept
+ou huit heures les jours et veilles de grandes fêtes. Je ne voudrois
+pas vous répondre qu'elle en fût plus dévote. J'ai toujours l'honneur de
+la voir souvent. Le roi l'aime autant qu'il peut; elle le gouverneroit
+assez; mais d'autres machines, sans beaucoup de force ni de rapidité,
+donnent d'autres mouvemens, et tournent et changent les volontés du roi.
+La jeune princesse n'y est pas trop sensible. Elle parle présentement
+très-bien espagnol. Elle connoît toute la cour, et les différens
+intérêts de ceux qui la composent. La reine, sa belle-mère, qui est
+très-bonne princesse, l'aime toujours fort tendrement.
+
+
+
+
+LETTRE XXXI.
+
+_Madrid, 23 janvier 1681._
+
+Le comte _de Monterei_ a été exilé de cette cour, il y a quatre ou cinq
+jours. On ne dit point pourquoi. Je ne le puis comprendre, si ce n'est
+qu'il est le plus honnête homme du monde, et le plus propre à bien
+servir son roi. L'on refuse toujours le congé à son père, le marquis _de
+Liche_, qui est ambassadeur à Rome, malade, ruiné, par conséquent fort
+ennuyé. Je vis, l'autre jour, sa femme, qui est fort jolie, fondre en
+larmes aux pieds du roi, pour obtenir le congé. Je ne vous parlerai
+point de choses plus divertissantes et plus gaies, ma chère madame.
+Qu'il est difficile de l'être à Madrid! et que, si l'on avoit de bonnes
+dispositions pour la pénitence, ce seroit un lieu propre pour la faire!
+La reine est en parfaite santé, et dans une grande fraîcheur. De vous
+dire de quoi elle soutient tout cela, c'est ce que j'ignore absolument.
+
+
+
+
+LETTRE XXXII.
+
+_Madrid, 6 février 1681._
+
+Vous n'avez donc point reçu par le marquis _de Ligneville_, le petit
+présent que je croyois qui vous seroit fidèlement rendu? Les messagers
+ordinaires, à ce que je vois, ont plus d'honneur et de probité que les
+gens de qualité portant de beaux noms. Vraiment, madame, ce n'est pas
+pour le vanter; mais ce que je vous envoyois, quoique peu précieux et
+peu magnifique, étoit pourtant joli et bien choisi; et j'aimois à
+imaginer que tout cela vous plairoit. Ce _Ligneville_ est des amis du
+marquis _de Grana_, et ma confiance étoit parfaite. Ne vous fatiguez
+d'aucun compliment pour la reine Catholique, je les lui fis hier.
+
+L'on attend, tous les jours ici, la connétable _Colonne_, pour prendre
+l'habit de religieuse. Son mari, qui est fort avare, dispute sur le prix
+avec le couvent où elle doit entrer. Elle écrivoit, l'autre jour, que
+sa sœur _Mazarin_ feroit bien mieux de venir se faire religieuse avec
+elle.
+
+Je songe à ce que je puis vous dire de cette cour. Je ne manquerois pas
+de matière; mais, de si loin, il n'est pas possible de traiter beaucoup
+de sujets. La vie du palais ne convient point à des personnes qui n'y
+sont point nées, ou du moins qui n'y sont pas venues dès l'enfance; il
+faut pourtant dire la vérité en faveur des Espagnols, qu'ils ne sont ni
+si terribles, ni si soupçonneux qu'on nous les figure. Les reines sont
+toujours bien ensemble. Depuis le moment que la jeune est entrée en
+Espagne, M. _de Villars_ s'est appliqué à la bien persuader qu'il
+falloit pour son repos, qu'elle fût en bonne union avec la reine, sa
+belle-mère, et qu'elle se gardât bien d'écouter des avis contraires. Je
+ne fais autre chose aussi que de tâcher de lui mettre cela dans la tête.
+Elle ne se divertit pas trop à raisonner sur la politique. Jusqu'ici
+tout a assez bien été; et, entre vous et moi, tout auroit été encore
+mieux, si, dès la frontière, on lui eût ôté généralement toutes les
+Françoises. On ne peut avoir plus d'esprit qu'elle en a, joint à mille
+aimables qualités. J'y vais toujours souvent, quoique je la supplie
+quelquefois de trouver bon que mes visites ne soient pas si fréquentes.
+Ma fille y va peu, quoique la reine m'ordonne souvent de la lui mener.
+
+Je vous ai mandé que le comte _de Monterei_ avoit été exilé. Le duc _de
+Veragas_ le fut hier aussi. Il est dans l'alliance et ami de ce premier.
+
+Je ne vous parle point de la misère de ce royaume. La faim est jusque
+dans le palais. J'étois hier avec huit ou dix _Camaristes_ et _la
+Moline_ qui disoient qu'il y avoit fort long-temps qu'on ne leur donnoit
+plus ni pain ni viande. Aux écuries du roi et de la reine, de même. Je
+ne voudrois pas qu'on sût, au pays où vous êtes, que je me mêlasse
+seulement d'écrire cela. Mais je sais bien que vous ne me commettrez
+pas, et qu'il y a bien souvent des choses dans mes lettres, dont on
+pourroit se moquer.
+
+
+
+
+LETTRE XXXIII.
+
+_Madrid, 19 février 1681._
+
+Me voici à mon second mercredi des cendres; ce qui m'a assez plu, c'est
+que le carnaval, comme je vous l'ai déjà mandé, ne veut point, en ce
+pays, se donner un air de plaisir; et hors qu'il n'y a plus de comédie
+au palais ni à la ville, tout le reste va son même train; personne ne
+fait le carême. Le palais est toujours la même chose. On y parle d'aller
+à Aranjuez, incontinent après Pâques, que la reine fera quelques
+remèdes, et qu'elle en reviendra sûrement grosse. Je vais souvent voir
+la marquise _de Grana_, qui est malade, et qui ne sort point depuis
+trois mois. Ce sera un grand hasard, si elle n'est la troisième
+ambassadrice qui mourra ici. Elle prendroit la résolution de s'en
+retourner, sans qu'elle ne peut se déterminer à laisser son mari qu'elle
+aime fort.
+
+La connétable arriva samedi dernier de fort bonne heure. Elle entra dans
+le couvent; les religieuses la reçurent à la porte avec des cierges, et
+toutes les cérémonies ordinaires en pareille occasion. De là on la mena
+au chœur, où elle prit l'habit avec un air fort modeste. Un Espagnol,
+qui étoit dans l'église, m'a conté tout ce qu'il vit. L'habit est joli
+et assez galant, le couvent commode. Je ne puis avoir bonne opinion de
+l'esprit et de la pénétration de messieurs les Italiens et Espagnols, de
+s'être persuadés que cette femme ait pu accepter de bonne foi la
+proposition de se faire religieuse, et d'espérer par là qu'elle va leur
+assurer tout son bien. La première fois que j'entendis parler au
+confesseur de la reine de la commission qu'il avoit du connétable,
+d'écrire à sa femme, et de lui proposer ce parti, je crus que c'étoit
+une pure raillerie, dont je n'aurois jamais voulu me mêler. Le bon père
+écrivit, et la dame n'hésita pas un moment à lui répondre qu'elle y
+consentoit. Pour moi, sans en savoir autre chose, je ne crois point du
+tout à cette subite vocation. Je ne me suis pas pressée de lui aller
+rendre visite: je ne sais encore quand je la verrai.
+
+A propos de visites, vraiment j'en fis une, il y a trois ou quatre
+jours, qui m'effraya beaucoup. Une dame de qualité, femme du comte
+_Ernand-Nuguès_, depuis un mois ou six semaines étoit accouchée; et,
+comme elle avoit été assez mal, on ne l'avoit point vue. J'envoyai
+savoir de ses nouvelles, et son mari, qui est de nos amis et qui parle
+bien françois, me manda que je ferois honneur à sa femme de l'aller
+voir. J'y fus donc: je m'assis un moment auprès de son lit; car je ne
+l'eus pas plutôt envisagée, que je me levai. Je tirai son mari à part,
+et je lui dis que je ne demeurois pas plus long-temps, craignant
+d'incommoder madame sa femme. Il me répondit que point du tout; et moi,
+je l'assurai qu'elle étoit fort mal, n'osant lui dire qu'elle se
+mouroit. Il vint, sur ces entrefaites, deux Grandes d'Espagne, dont la
+duchesse _de Patrana_ étoit une. Je sortis, et, à trois heures après
+minuit, la dame étoit morte: elle n'avoit que vingt-deux ans. Voilà la
+quatrième, depuis trois mois, qui meurt en couche. Le comte
+_Ernand-Nuguès_ a été menin de notre reine, et a été assez long-temps en
+France. On est très-mal traité en ce pays-ci de toutes sortes de
+maladies.
+
+Adieu, madame; je vais me promener dans un carrosse _incognito_, à une
+promenade publique, au milieu de la campagne, où il y a un prédicateur
+qui prêche quatre ou cinq heures, et qui se donne des soufflets à tour
+de bras; on entend, dès qu'il a commencé à se les donner, un bruit
+terrible de tout le peuple qui fait la même chose. Comme il n'y a pas
+d'obligation de se châtier de la sorte, nous allons assister à ce
+spectacle qui se voit, en carême, trois fois la semaine. Le détail des
+dévotions de ce pays seroit une chose divertissante à vous faire savoir.
+
+
+
+
+LETTRE XXXIV.
+
+_Madrid, 3 avril 1681._
+
+Vous, madame, plusieurs de mes amies, et même mes enfans, vous paroissez
+étonnés et comme fâchés de n'être point informés par mes lettres de tout
+ce qui se passe ici touchant le rappel de M. _de Villars_, et ce qui me
+regarde en mon particulier, jugeant qu'il faut bien que ce ne soit pas
+un secret en cette cour. Vous m'en croirez bien, ma chère madame,
+puisqu'assurément, dans le nombre de mes défauts, je n'ai point celui de
+mentir. Rien au monde n'est donc venu à notre connoissance de ce qu'on a
+pu inventer sur la conduite que j'ai tenue ici. Vous et mes enfans me
+dites seulement que j'ai fait des intrigues dans le palais. Si l'on
+savoit ce que c'est que l'intérieur de ce palais, et qu'aucune dame ni
+moi, ne nous disons jamais que bonjour et bonsoir, parce que je n'ai pu
+apprendre la langue du pays, on ne diroit pas que ça été avec les
+femmes, non plus qu'avec les hommes, dont aucun ne met le pied dans tout
+l'appartement de la reine. A l'égard du jeune roi, et de sa haine pour
+les François, qui est grande, je puis dire qu'elle est moins violente
+pour moi que pour les femmes françoises de la reine, par la raison
+qu'elles sont plus souvent auprès d'elle que je n'ai cet honneur. Si le
+premier ministre a fait négocier notre retour en France par
+l'ambassadeur d'Espagne, qui est à Paris, le roi, leur maître, n'en a
+rien su; car, le jour qu'on en eut ici la nouvelle, il parut fort étonné
+quand on la lui apprit, et demanda aussitôt si ce n'étoit point une
+marque qu'on allât rentrer en guerre avec la France. Jugez, sur cela, de
+beaucoup d'autres circonstances que je ne vous dis pas. Le roi et la
+reine sont dans une grande union, et meilleure, depuis deux ou trois
+mois, qu'elle n'a jamais été. Je ne me vanterai pas de m'être mêlée de
+donner des conseils à la reine; elle a un assez bon esprit pour n'en
+avoir pas besoin. Je ne sais si le roi lui communique les secrets de
+l'état; c'est ce qui n'est jamais entré dans les conversations que j'ai
+eu l'honneur d'avoir avec elle. Je ne sais plus que vous dire; car, en
+vérité, je ne trouve pas la moindre chose digne de remarque en tout ce
+qui s'est passé depuis que je suis en ce pays. Avec toute la
+tranquillité que doit inspirer le repos d'une bonne conscience, je suis
+pourtant affligée du malheur que j'ai de ne pouvoir quasi douter que mon
+nom n'a jamais été proféré que bien sinistrement devant tout ce qu'il y
+a de plus grand et de plus respectable dans le monde; et ce que je
+souffre à cet égard, me fait porter une véritable envie aux gens dont on
+n'a jamais entendu parler ni en bien ni en mal. Le jour que M. _de
+Villars_ reçut son ordre pour son retour, je tremblois qu'il ne portât
+aussi de me faire partir incontinent. Mais, quand je sus qu'il n'y en
+avoit pas un mot, je pris patience. J'ai plus de reconnoissance de cette
+bonté du roi, malgré mon innocence, que n'en ont mille gens pour les
+solides bienfaits qu'ils reçoivent tous les jours de sa majesté. Je ne
+laisserai point de partir la première, parce que M. _de Villars_ s'en
+ira plus vîte, quand il sera tout seul, dès le moment qu'il aura reçu
+les derniers ordres du roi. Adieu, madame; laissez dire de moi tout ce
+qu'on voudra. Je vous verrai bientôt; ce me sera une véritable joie.
+Quel voyage ai-je à faire, et quelle fatigue à essuyer!
+
+
+
+
+LETTRE XXXV.
+
+_Madrid, 17 avril 1681._
+
+Je vous rends grâces de l'impatience que vous me marquez de savoir le
+temps de mon retour; je ne puis vous le dire. On a mille choses à faire
+avant que de partir. C'est M. _de Villars_ qui règle tout cela. J'ai
+pris congé de la reine ayant son départ pour Aranjuez. Elle m'a fort
+commandé de l'y aller voir; mais je ne sais si j'irai. Vous me demandez
+des raisons pour alléguer contre les torts qu'on me donne au pays où
+vous êtes; mais il me les faudroit apprendre auparavant. Tout ce que je
+sais de Paris, est qu'on publie que j'ai eu un grand démêlé avec un
+maître-d'hôtel de la jeune reine; mais, comme j'ai déjà répondu que je
+n'en connois pas un, et que jamais je n'ai eu le moindre mot avec homme
+ni femme, dedans ou dehors le palais, je ne saurois plus en rien dire.
+Toutes ces choses seront des nouveautés pour moi, quand j'arriverai à
+Paris. Il me semble qu'on dit encore que je vois trop souvent la reine.
+Si elle ne l'avoit pas voulu, cela n'eût pas été; et si, de France, on
+avoit ordonné à M. _de Villars_ que mes visites fussent moins
+fréquentes, on ne se le seroit pas laissé dire deux fois. Je vous
+conterai un jour plus au long comme je m'y divertissois. Je vous
+supplie instamment encore une fois, ma chère madame, de laisser dire,
+sur mon sujet, tout ce qu'on voudra, pourvu que ces mensonges ne fassent
+point d'impression sur votre esprit: c'est tout ce que je désire de
+vous.
+
+Ce que l'on vous mande de Rome de la connétable _Colonne_ seroit
+meilleur pour elle que ce qui se passe ici. La pauvre femme est
+peut-être bien près d'éprouver de pires aventures que toutes celles
+qu'elle a eues par le passé. Il ne faut rien imputer à toutes ces sortes
+de têtes-là; mais on ne peut s'empêcher de la plaindre. C'est la
+meilleure femme du monde, à cela près qu'il n'est pas au pouvoir humain
+de lui faire prendre les meilleurs partis, ni de résister à tout ce qui
+lui passe dans la fantaisie. Son mari part samedi ou lundi avec ses
+enfans. Il a marié l'aîné, comme vous savez, avec une fille de _Medina
+Celi_, premier ministre, qu'il emmène aussi à Rome. La connétable
+demeure dans son couvent, où apparemment elle va manquer de tout. Elle
+y est déjà misérablement. Si je n'avois pas autant compati à son
+malheur, je n'aurois pu m'empêcher de me divertir à l'entendre parler
+comme elle fait. Elle a de l'esprit. Elle écrit que cela est surprenant,
+avec ses _hauts_ et _bas_. Il étoit, en quelque sorte, facile à M. _de
+Nevers_, son frère, de la tirer du malheureux état où elle est, s'il
+étoit venu ici pour soutenir ses intérêts. Elle n'auroit pas été réduite
+à jouer la religieuse. Je pensai tomber de mon haut, quand le confesseur
+de la reine me dit qu'il lui alloit écrire la proposition de se faire
+religieuse pour sortir du château de Ségovie. Elle n'hésita pas un
+moment, comme je vous l'ai mandé, à trouver qu'elle en avoit la
+vocation. Je crus, au moins, qu'étant entrée dans le couvent, elle
+déclareroit qu'elle se moquoit, et que tout ce qu'elle avoit promis
+étoit pour sortir de prison; mais, au lieu de cela, elle prend l'habit
+dès l'instant qu'elle a mis le pied dans l'église. Il falloit que son
+frère vînt alors l'enlever de là, et tâcher de la faire aller demeurer
+avec la duchesse _de Modène_, comme on l'avoit proposé.
+
+J'ai fort bien commencé et fini le carême; je n'en suis pas malade, Dieu
+merci. Le chocolat est une chose merveilleuse. N'en voudrez-vous point
+prendre?
+
+On parle beaucoup de guerre avec le Portugal. Les deux princes veulent
+absolument qu'une certaine île soit à eux. Ils assurent qu'ils vont
+faire la guerre, si l'on ne la leur cède. On est pourtant tout-à-fait
+tranquille dans cette cour. Adieu, madame; je vous aime de tout mon
+cœur.
+
+
+
+
+LETTRE XXXVI.
+
+_Madrid, premier mai 1681._
+
+Jamais rien au monde ne m'a paru moins un compliment que tout ce que
+vous me dites, ma chère madame, sur l'obligeante envie que vous me
+marquez que j'aille loger chez vous en arrivant à Paris. Soyez bien
+persuadée que je pense et que je sens sur cela tout ce qu'il faut pour
+inspirer une tendresse vive et reconnoissante. Mes enfans vous feront
+mille excuses de ma part, de ce que je ne puis faire ce que vous
+souhaitez. Ce sont des excuses bien différentes de celles que l'on
+emploie pour refuser une grâce ou un service que l'on ne peut rendre.
+Mais votre cœur est fait de manière que je ne puis douter que ce ne soit
+vous faire une espèce d'offense de mettre quelque obstacle aux services
+que vous voulez rendre. Je vous demande donc une infinité de pardons; je
+m'en demande à moi-même de m'opposer à la joie que j'aurois de me
+trouver à portée de vous voir, de vous parler à tout moment. Je ne suis
+pas destinée à des plaisirs continuels, il s'en faut bien; et, pour
+changer de discours, je vous avouerai que, depuis quelque temps je suis
+moins empressée de mon retour à Paris; car vous saurez que M. _de
+Villars_ prit la résolution de me faire partir, quand il sut, par la
+lettre du roi, son maître, qu'il le rappeloit. Il crut, pour plus
+grande commodité, qu'il étoit plus à propos que je m'en allasse la
+première, pour être en état de faire plus de diligence, débarrassé de
+femmes, de hardes et d'équipages; ne doutant point qu'au plus tard,
+trois semaines ou un mois après, il n'eût ordre du roi pour partir, et
+qu'il n'y eût un autre ambassadeur nommé. Mais je vois présentement
+qu'on ne parle de rien, et que M. _de Villars_ peut demeurer encore ici
+long-temps. Cela étant, je ne voudrois plus m'en aller, pour ne pas
+laisser mon mari dans cet ennuyeux pays, où je puis être comptée pour
+quelque chose, par rapport au dénuement de toute sorte de plaisirs.
+Cependant M. _de Villars_ ne pouvant s'imaginer d'être ici pour
+long-temps, et les chaleurs approchant, veut que je parte. A propos de
+cela, si vous trouvez par hazard, sur votre chemin, quelqu'un qui dise
+que le roi ait ordonné que je m'en revinsse en France, dites hardiment,
+madame, qu'il n'en est rien; sa majesté n'en a jamais écrit un mot à M.
+_de Villars_. Si ce que je vous écris là n'étoit pas vrai, vous croyez
+bien que je ne vous manderois pas le contraire. Vous voyez à quoi se
+réduisent mes vanteries, qui sont de vouloir établir, parce que cela est
+vrai, que le roi n'ordonne point de me faire partir, par la raison de
+mes malversations. Je vous entretiendrai bien, madame, quand je vous
+verrai. Il ne me sera, je crois, guère difficile de vous faire avouer
+que je ne mérite pas beaucoup de blâme sur ma conduite en cette cour;
+et, sans me vanter, peut-être n'ai-je fait tort à la conduite de
+personne. Adieu, ma chère madame.
+
+
+
+
+LETTRE XXXVII.
+
+_Madrid, 15 mai 1681._
+
+Je ne suis point encore partie; les pluies ont été si excessives et si
+continuelles ici, que les carrosses ni les litières ne peuvent se mettre
+en chemin. Présentement que le temps se met au beau, et qu'on nous fait
+espérer que nous apprendrons par le premier courrier, que le roi a nommé
+le successeur de M. _de Villars_, je partirai plus volontiers avec la
+certitude qu'il ne demeurera pas long-temps ici après moi. Leurs
+majestés Catholiques revinrent samedi d'Aranjuez. La reine a eu la bonté
+de me dire qu'elle eût été au désespoir d'en revenir sitôt, sans la joie
+qu'elle avoit de me revoir. Elle n'a pas pourtant engraissé dans ce
+charmant séjour. Je l'ai trouvée changée. J'ai vu la reine mère ces
+jours passés, dont j'ai tous les sujets du monde de me louer, par toutes
+les choses obligeantes qu'elle dit de la conduite de M. _de Villars_ et
+de la mienne, quant à l'union de sa belle-fille avec elle; et je suis
+bien persuadée qu'elle en écrit conformément à la reine en France. Je
+suis à vous, ma chère madame, plus que je ne puis vous le dire.
+
+_Fin des Lettres de Madame de Villars._
+
+
+
+
+LETTRES
+
+DE
+
+MADAME DE COULANGES,
+
+A MADAME DE SÉVIGNÉ.
+
+
+
+
+NOTICE
+
+SUR
+
+MADAME DE COULANGES.
+
+
+Madame de Coulanges a laissé d'elle la réputation d'une femme
+très-aimable et de beaucoup d'esprit; mais on ne trouve dans les livres,
+pour ainsi dire, aucune particularité, aucun détail sur sa personne. Il
+seroit aujourd'hui fort difficile, et peut-être même impossible, de
+suppléer entièrement à leur silence. A la distance où nous sommes déjà
+du siècle de Louis XIV, comment puiser dans la tradition des
+renseignemens certains sur les personnages de ce siècle, lorsque les
+écrivains du temps ont négligé de nous en transmettre? Les Lettres de
+madame _de Sévigné_ sont presque le seul écrit où il soit question de
+madame _de Coulanges_. Nous allons en extraire le peu de notions
+biographiques qu'elles offrent sur cette femme spirituelle.
+
+Madame _de Coulanges_ naquit en 1631, de M. _du Gué-Bagnols_, intendant
+de Lyon.
+
+Elle épousa Philippe-Emmanuel _de Coulanges_, conseiller au parlement de
+Paris, puis maître des requêtes, mort en 1716, âgé de 85 ans. M. _de
+Coulanges_ était cousin-germain de madame _de Sévigné_, dont sa femme
+devint l'amie intime et presque inséparable. Plein d'esprit et sur-tout
+de gaîté, très-agréable en société, à cause de ses saillies et de ses
+chansons, il avoit peu d'aptitude ou du moins peu de goût pour les
+fonctions graves et laborieuses de la magistrature. On raconte qu'étant
+chargé de rapporter une affaire, où il s'agissoit d'une marre d'eau que
+se disputoient deux paysans dont l'un s'appeloit _Grapin_, il
+s'embarrassa tellement dans le détail des faits, qu'il fut obligé
+d'interrompre son récit: _Pardon, messieurs_, dit-il aux juges; _je me
+noie dans la marre à_ Grapin, _et je suis votre serviteur_. Depuis cette
+aventure, il ne voulut plus être rapporteur, et il finit par se démettre
+de sa charge pour faire des voyages, des chansons et de bons dîners.
+
+Madame _de Coulanges_, fille d'un simple intendant de province, et femme
+d'un homme de robe, qui avoit renoncé à son état, n'avoit aucun rang à
+la cour; et cependant elle y jouissoit de beaucoup de considération.
+Elle étoit nièce de la femme de _le Tellier_, ministre d'état, depuis
+chancelier, et cousine du fameux _Louvois_, ministre de la guerre. La
+parenté lui donnoit un certain crédit auprès de ces deux hommes
+puissans; et, comme on peut croire, ses amis lui fournissoient
+quelquefois l'occasion d'en faire usage. C'étoit sur-tout auprès de
+_Louvois_ qu'on réclamoit ses bons offices, dans ce temps de guerres
+continuelles, où les emplois de l'armée passoient si rapidement de main
+en main.
+
+C'étoit beaucoup, pour avoir des succès à la cour, que d'être nièce et
+cousine de ministre; mais ceux de madame _de Coulanges_ tenoient encore
+à une autre cause bien plus honorable pour elle. C'est ce que madame _de
+Sévigné_ a exprimé d'une manière si vive et si ingénieuse, en disant:
+_l'esprit de madame_ de Coulanges _est une dignité_. Cet esprit
+consistoit à dire avec grâce, avec aisance, des choses fines et
+imprévues, des mots vifs et piquans. On appeloit cela _les épigrammes
+de madame_ de Coulanges. Voici ce qu'en dit madame _de Caylus_ dans ses
+_Souvenirs_. «Madame _de Coulanges_, femme de celui qui a fait tant de
+chansons..... avoit une figure et un esprit agréables, une conversation
+remplie de traits vifs et brillans; et ce style lui étoit si naturel,
+que l'abbé _Gobelin_ dit, après une confession générale qu'elle lui
+avoit faite: _Chaque péché de cette dame est une épigramme._ Personne en
+effet, après madame _de Cornuel_, n'a dit plus de bons mots que madame
+_de Coulanges_.» Madame _de Sévigné_, qui, dans ses Lettres, nous a
+conservé plusieurs bons mots de madame _de Cornuel_, que l'on cite
+encore tous les jours, en a rapporté aussi quelques-uns de madame _de
+Coulanges_; mais ils n'ont pas fait la même fortune. Il semble qu'ils
+avoient quelque chose de plus délié, de plus fugitif, qui tenoit
+davantage aux circonstances des personnes, des lieux et du temps; aux
+manières et au ton de celle qui les disoit; en un mot, nous pensons
+qu'ils perdroient beaucoup à être déplacés; et ce motif nous détermine à
+n'en transporter aucun dans cette Notice.
+
+Madame _de Coulanges_, dont la malice s'égayoit souvent aux dépens des
+femmes que l'on soupçonnoit de quelque tendre foiblesse, fut à son tour
+l'objet des épigrammes; elle fut accusée d'avoir un peu plus que de
+l'amitié pour le marquis _de la Trousse_, cousin-germain de son mari. Le
+marquis étoit follement amoureux; elle, _dure, méprisante et amère_, à
+ce que dit madame _de Sévigné_, qui avouoit bonnement ne rien concevoir
+à leur conduite. «Il y auroit, dit-elle ailleurs, à parler un an sur
+l'état inconcevable et surprenant des cœurs de M. _de la Trousse_ et de
+madame _de Coulanges_». Tout le monde n'avoit point là-dessus la même
+incertitude qu'elle. Madame _de la Trousse_ étoit jalouse avec fureur de
+madame _de Coulanges_; et _Louvois_ ayant envoyé M. _de la Trousse_ sur
+la frontière, demanda publiquement pardon à sa cousine de ce qu'il lui
+ôtoit, pendant l'hiver, _cette douce société_. «Au milieu de toute la
+France, dit madame _de Sévigné_, elle soutint fort bien cette attaque;
+elle ne rougit point, et répondit précisément ce qu'il falloit».
+
+Cette intrigue, vraie ou fausse de madame _de Coulanges_ avec M. _de la
+Trousse_, n'empêcha, point la scrupuleuse et dévote madame _de
+Maintenon_ d'avoir toujours le plus vif attachement pour son ancienne
+amie de l'hôtel de Richelieu. Elle vouloit toujours l'avoir auprès
+d'elle à Versailles et à St.-Cyr, et alloit elle-même la voir quand elle
+étoit malade.
+
+Nous ignorons dans quelle année est morte madame _de Coulanges_.
+
+
+
+
+LETTRES
+
+DE
+
+MADAME DE COULANGES,
+
+A MADAME DE SÉVIGNÉ.
+
+
+
+
+LETTRE PREMIÈRE.
+
+_Lyon, premier août 1672._
+
+J'ai reçu vos deux lettres, ma belle; et je vous rends mille grâces
+d'avoir songé à moi dans le lieu où vous êtes. Il fait un chaud mortel;
+je n'ai d'espérance qu'en sa violence[29]. Je meurs d'envie d'aller à
+Grignan; ce mois-ci passé, il n'y faudra pas songer; ainsi je vous irai
+voir assurément, s'il est possible que je puisse arriver en vie; au
+retour, vous croyez bien que je ne serai pas dans cet embarras. Le
+marquis _de Villeroi_ passe sa vie à regretter le malheur qui l'a
+empêché de vous voir. Les violons sont tous les soirs en Bellecour[30];
+je m'y trouve peu, par la raison que je quitte peu ma mère; dans
+l'espérance d'aller à Grignan, je fais mon devoir à merveille; cela
+m'adoucit l'esprit. Mais quel changement! vous souvient-il de la figure
+que madame _Solus_ faisoit dans le temps que vous étiez ici? Elle a fait
+imprudemment ses délices de madame _Carle_; celle-ci avoit, dit-on, ses
+desseins; pour moi, je n'en crois rien; cependant c'est le bruit de
+Lyon; en un mot, c'est de madame _Carle_ que M. le marquis paroît
+amoureux. Madame _Solus_ se désespère, mais elle aime mieux voir M. le
+marquis infidèle que de ne le point voir; cela fait croire qu'elle ne
+prendra jamais le parti de se jeter dans un couvent. Cette histoire vous
+paroît-elle avoir la grâce de la nouveauté? Continuez à m'écrire, ma
+très-belle, vos lettres me touchent le cœur: Madame _de Rochebonne_ est
+toujours dans le dessein de vous aller voir. Je ne savois point que
+madame _de Grignan_ eût été malade; si c'est une maladie sans suite, sa
+beauté n'en souffrira pas long-temps. Vous savez l'intérêt que je prends
+à tout ce qui pourroit, cet hiver, vous empêcher l'une et l'autre de
+revenir de bonne heure.
+
+Adieu, ma très-chère amie; j'oubliois de vous dire que le marquis _de
+Villeroi_ se propose d'aller à Grignan avec votre ami le comte _de
+Rochebonne_: je vous suis très-obligée de vouloir bien de moi; il y a
+peu de choses que je souhaite davantage que de me rendre au plus vîte
+dans votre château; mon impatience, _quoique violente_, dure toujours:
+cela me fait craindre pour le chaud; il doit être insupportable, puisque
+je ne m'y expose pas. La rapidité du Rhône convient à l'envie que j'ai
+de vous embrasser; ainsi, madame, je ne désespère point du tout de vous
+aller conter les plaisirs de Bellecour. Vous me promettez de ne me
+point dire: _Allez, allez; vous êtes une laide_; cela me suffit. J'ai
+peur que vous ne traitiez mal notre gouverneur; vos manières m'ont
+toujours paru différentes de celles de madame _Solus_. Vous savez bien
+que l'on dit à Paris que _Vardes_ et lui se sont rencontrés: devinez où?
+
+
+
+
+LETTRE II.
+
+_Lyon, 11 septembre 1672._
+
+Je suis ravie de pouvoir croire que vous m'avez un peu regrettée; ce qui
+me persuade que je le mérite, c'est le chagrin que j'ai eu de ne vous
+plus voir; j'ai fait vos complimens au _charmant_[31]; il les a reçus,
+comme il le devoit, j'en suis contente; si je prenois autant d'intérêt
+en lui que M. _de Coulanges_, je serois plus aise de ce qu'il dit de
+vous, pour lui que pour vous. Madame _d'Assigni_ a gagné son procès tout
+d'une voix. Envoyez-moi M. _de Corbinelli_; son appartement est tout
+prêt; je l'attends avec une impatience, qui mérite qu'il fasse ce petit
+voyage; toutes nos beautés attendent, et ne veulent point partir pour la
+campagne qu'il ne soit arrivé; s'il abuse de ma simplicité, et que tout
+ceci se tourne en projets, je romps pour toujours avec lui. Adieu, ma
+vraie amie. C'est à madame la comtesse _de Grignan_ que j'en veux.
+
+
+_A madame_ DE GRIGNAN.
+
+Je n'ai plus de goût pour l'ouvrage, madame; on ne sait travailler qu'à
+Grignan; le _charmant_ et moi, nous en commençâmes un, il y a deux
+jours; vous y aviez beaucoup de part; vous me trouveriez une grande
+ouvrière à l'heure qu'il est. Il me paroît que le _charmant_ vous
+voudroit bien envoyer des patrons; mais le bruit court que vous ne
+travaillez point à patrons, et que ceux que vous donnez sont
+inimitables. Adieu, ma chère madame; je trouve une grande facilité à me
+défaire de ma sécheresse, quand je songe que c'est à vous que j'écris.
+
+
+
+
+LETTRE III.
+
+_Lyon, 30 octobre 1672._
+
+Je suis très-en peine de vous, ma belle; aurez-vous toujours la
+fantaisie de faire le bon corps? Falloit-il vous mettre sur ce pied-là
+après avoir été saignée? Je meurs d'impatience d'avoir de vos nouvelles,
+et il se passera des temps infinis avant que j'en puisse recevoir.
+Hélas! voici un adieu, ma délicieuse amie; je m'en vais faire cent
+lieues pour m'éloigner de vous! quelle extravagance! Depuis que le jour
+est pris pour m'en aller à Paris, je suis enragée de penser à tout ce
+que je quitte; je laisse ma famille, une pauvre famille désolée; et
+cependant je pars le jour même de la Toussaint pour Bagnols: de Bagnols
+à Rouanne; et puis, _vogue la galère_. N'êtes-vous pas ravie du présent
+que le roi a fait à M. _de Marsillac_[32]? n'êtes-vous pas charmée de la
+lettre que le roi lui a écrite? Je suis au vingtième livre de
+l'_Arioste_; j'en suis ravie. Je vous dirai, sans prétendre abuser de
+votre crédulité, que, si j'étois reçue dans votre troupe à Grignan, je
+me passerois bien mieux de Paris, que je ne me passerai de vous à Paris.
+Mais, adieu, ma vraie amie, je garde le _charmant_ pour la belle
+comtesse. Ecoutez, madame, le procédé du _charmant_; il y a un mois que
+je ne l'ai vu; il est à Neuville[33], outré de tristesse; et quand on
+prend la liberté de lui en parler, il dit que son exil est long; et
+voilà les seules paroles qu'il a proférées depuis l'infidélité de son
+_Alcine_; il hait mortellement la chasse, et il ne fait que chasser; il
+ne lit plus, ou du moins il ne sait ce qu'il lit; plus de _Solus_, plus
+d'amusement; il a un mépris pour les femmes, qui empêche de croire qu'il
+méprise celle qui outrage son amour et sa gloire; le bruit court qu'il
+viendra me dire adieu le jour que je partirai. Je vous manderai le
+changement qui est arrivé en sa personne. Je suis de votre avis, madame,
+je ne comprends point qu'un amant ait tort, parce qu'il est absent; mais
+qu'il ait tort étant présent, je le comprends mieux; il me paroît plus
+aisé de conserver son idée sans défauts pendant l'absence. _Alcine_
+n'est pas de ce goût; le _charmant_ l'aime de bien bonne foi; c'est la
+seule personne qui m'ait fait croire à l'inclination naturelle; j'ai été
+surprise de ce que je lui ai entendu dire là-dessus; mais que
+deviendra-t-elle, comme vous dites, cette inclination? Peut-être
+arrivera-t-il un jour que le _charmant_ croira s'être mépris, et qu'il
+contera les appas trompeurs d'_Alcine_. Le bruit de la reconnoissance
+que l'on a pour l'amour de mon gros cousin[34] se confirme; je ne crois
+que médiocrement aux méchantes langues; mais mon cousin, tout gros qu'il
+est, a été préféré à des tailles plus fines; et puis, après un petit, un
+grand; pourquoi ne voulez-vous pas qu'un gros trouve sa place? Adieu,
+madame; que je hais de m'éloigner de vous!
+
+Venez, mon cher confident[35], que je vous dise adieu; je ne puis me
+consoler de ne vous avoir point vu; j'ai beau songer au chagrin que
+j'aurois eu de vous quitter, il n'importe; je préférerois ce chagrin à
+celui de ne vous avoir point fait connoître les sentimens que j'ai pour
+vous. Je suis ravie du talent qu'a M. _de Grignan_ pour la friponnerie;
+ce talent est nécessaire pour représenter le vraisemblable. Adieu, mon
+cher monsieur: quand vous me promettez d'être mon confident, je me
+repens de n'être pas digne d'accepter une pareille offre; mais venez
+vous faire refuser à Paris. Adieu, mon amie; adieu, madame la comtesse;
+adieu, M. _de Corbinelli_; je sens le plaisir de ne vous point quitter
+en m'éloignant, mais je sens bien vivement le chagrin d'être assurée de
+ne trouver aucun de vous où je vais.
+
+Je ne veux point oublier de vous dire que je suis si aise de l'abbaye
+que le roi a donnée à M. le coadjuteur, qu'il me semble qu'il y a de
+l'incivilité à ne m'en point faire de compliment.
+
+
+
+
+LETTRE IV.
+
+_Paris, 26 décembre 1672._
+
+
+Le siége de Charleroi est enfin levé[36]; je ne vous demande aucun
+détail de ce qui s'y est passé, sachant que mademoiselle _de Méri_ en
+envoie une relation à madame _de Grignan_. On ignore jusqu'à présent
+quelle route le roi prendra; les uns disent qu'il retournera tout droit
+à Saint-Germain; les autres qu'il ira en Flandre; nous serons bientôt
+éclaircis de sa marche. Sans vanité, je sais des nouvelles à l'arrivée
+des courriers; c'est chez M. _le Tellier_[37] qu'ils descendent, et j'y
+passe mes journées; il est malade, et il paroît que je l'amuse; cela me
+suffit pour m'obliger à une grande assiduité. Je ne comprends point par
+quelle aventure vous n'avez pas reçu la lettre de M. _de Coulanges_,
+dans laquelle je vous écrivois; c'est une médiocre perte pour vous; j'ai
+cependant la confiance de croire que vous regrettez cette lettre, parce
+que je vous aime, ma très-belle, et que vous m'avez toujours paru
+reconnoissante. J'ai été à la messe de minuit; j'ai mangé du petit salé
+au retour; en un mot, j'ai un assez bon corps cette année pour être
+digne du vôtre. J'ai fait des visites avec madame _de la Fayette_, et je
+me trouve si bien d'elle, que je crois qu'elle s'accommode de moi. Nous
+avons encore ici madame _de Richelieu_; j'y soupe ce soir avec madame
+_du Fresnoi_; il y a grande presse de cette dernière à la cour, il ne se
+fait rien de considérable dans l'état, où elle n'ait part. Pour madame
+_Scarron_, c'est une chose étonnante que sa vie: aucun mortel, sans
+exception, n'a commerce avec elle; j'ai reçu une de ses lettres; mais je
+me garde bien de m'en vanter, de peur des questions infinies que cela
+attire. Le rendez-vous du beau monde est les soirs chez la maréchale
+_d'Estrées_; _Manicamp_ et ses deux sœurs sont assurément bonne
+compagnie; madame _de Senneterre_ s'y trouve quelquefois, mais toujours
+sous la figure d'Andromaque. On est ennuyé de sa douleur: pour elle, je
+comprends qu'elle s'en accommode mieux que de son mari; cette raison
+devroit pourtant lui faire oublier qu'elle est affligée. Je la crois de
+bonne foi; ainsi je la plains. Les gendarmes Dauphin sont dans l'armée
+de M. _le Prince_; il faut espérer qu'on les mettra bientôt en quartier
+d'hiver, et qu'ils auront un moment pour donner ordre à leurs affaires;
+je connois des gens qui en sont accablés. Adieu, ma très-aimable; je
+vais me préparer pour la grande occasion de ce soir: il faut être bien
+modeste pour se coiffer quand on soupe avec madame _du Fresnoi_.
+Permettez-moi de faire mille complimens à madame _de Grignan_; je
+voudrois bien que ce fussent des amitiés, mais vous ne voulez pas.
+
+La princesse _d'Harcourt_ a paru à la cour sans rouge par pure dévotion:
+voilà une nouvelle qui efface toutes les autres; on peut dire aussi que
+c'est un grand sacrifice; _Brancas_[38] en est ravi. Il vous adore, mon
+amie: ne le désapprouvez donc pas, lorsqu'il censure les plaisirs que
+vous avez sans lui; c'est la jalousie qui l'y oblige; mais vous ne
+voudriez de la jalousie que de ceux dont vous pourriez être jalouse; il
+faut plaindre _Brancas_.
+
+
+
+
+LETTRE V.
+
+_Paris, 24 février 1673._
+
+Si vous étiez en lieu où je vous pusse conter mes chagrins, ma
+très-belle, je suis persuadée que je n'en aurois plus. Quand je songe
+que le retour de madame _de Grignan_ dépend de la paix, et le vôtre du
+sien, en faut-il davantage pour me la faire souhaiter bien vivement? Le
+comte _Tot_ a passé l'après-dinée ici; nous avons fort parlé de vous; il
+se souvient de tout ce qu'il vous a entendu dire; jugez si sa mémoire ne
+le rend pas de très-bonne compagnie. Au reste, ma belle, je ne pars plus
+de Saint-Germain: j'y trouve une dame d'honneur[39] que j'aime, et qui a
+de la bonté pour moi; j'y vois peu la reine. Je couche chez madame _du
+Fresnoi_ dans une chambre charmante; tout cela me fait résoudre à y
+faire de fréquens voyages. Nos pauvres amis sont repartis, c'est-à-dire,
+M. _de la Trousse_[40], sur la nouvelle qu'a eue le roi d'une révolte en
+Franche-Comté. Comme il n'aimeroit point que les Espagnols envoyassent
+des troupes qui passeroient sur ses terres, il a nommé _Vaubrun_ et _la
+Trousse_ pour aller commander en ce pays-là. _La Trousse_ a beaucoup de
+peine à se réjouir de cette distinction, cependant c'en est une, qui
+pourroit ne pas déplaire à un homme moins fatigué de voyages; celui-ci
+joindra la campagne; cela est fort triste pour ses amis. Le guidon[41]
+nous demeure; mais ce n'étoit point trop _de tout_. Je menai ce guidon
+avant-hier à Saint-Germain; nous dînâmes chez madame _de Richelieu_; il
+est aimé de tout le monde presqu'autant que de moi. _Mithridate_[42] est
+une pièce charmante; on y pleure; on y est dans une continuelle
+admiration; on la voit trente fois; on la trouve plus belle la trentième
+que la première. _Pulchérie_ n'a point réussi. Notre ami _Brancas_ a la
+fièvre et une fluxion sur la poitrine; je l'irai voir demain. Je n'ai
+point vu votre cardinal[43], j'en ai toujours eu envie; mais il s'est
+toujours trouvé quelque chose qui m'en a empêchée. La belle _Ludre_ est
+la meilleure de mes amies; elle me veut toujours mener chez madame
+_Talpon_, quand les _pougies_[44] sont allumées. Le marquis _de
+Villeroi_ est si amoureux, qu'on lui fait voir ce que l'on veut; jamais
+aveuglement n'a été pareil au sien; tout le monde le trouve digne de
+pitié, et il me paroît digne d'envie; il est plus charmé qu'il n'est
+_charmant_, il ne compte pour rien sa fortune, mais la belle compte
+_Caderousse_ pour quelque chose; et puis un autre pour quelque chose
+encore; un, deux, trois, c'est la pure vérité: fi, je hais les
+médisances. J'embrasse madame la comtesse _de Grignan_; je voudrois bien
+qu'elle fût heureusement accouchée, qu'elle ne fût plus grosse, et
+qu'elle vînt ici désabuser de tout ce qu'on y admire. Adieu, ma
+véritable amie; _vos petites entrailles_[45] se portent bien; elles sont
+farouches, elles ont les cheveux coupés; elles sont très-bien vêtues.
+Madame _Scarron_ ne paroît point; j'en suis très-fâchée. Je n'ai rien
+cette année de tout ce que j'aime; l'abbé _Testu_ et moi, nous sommes
+contraints de nous aimer. _Mademoiselle_ a songé que vous étiez
+très-malade; elle s'éveilla en pleurant; elle m'a ordonné de vous le
+mander.
+
+
+
+
+LETTRE VI.
+
+_Paris, 20 mars 1673._
+
+Je souhaite trop vos reproches pour les mériter; non, ma belle, la
+période ne n'emporte point; je vous dis que je vous aime par la raison
+que je le sens véritablement, et même je suis plus vive pour vous que je
+ne vous le dis encore. Nous avons enfin retrouvé madame _Scarron_,
+c'est-à-dire que nous savons où elle est; car pour avoir commerce avec
+elle, cela n'est pas aisé. Il y a chez une de ses amies[46] un certain
+homme[47] qui la trouve si aimable et de si bonne compagnie, qu'il
+souffre impatiemment son absence; elle est cependant plus occupée de ses
+anciens amis, qu'elle ne l'a jamais été; elle leur donne le peu de temps
+qu'elle a avec un plaisir qui fait regretter qu'elle n'en ait pas
+davantage. Je suis assurée que vous trouverez que deux mille écus de
+pension sont médiocres; j'en conviens, mais cela s'est fait d'une
+manière qui peut laisser espérer d'autres grâces. Le roi vit l'état des
+pensions, il trouva deux mille francs pour madame _Scarron_, il les
+raya, et mit deux mille écus. Tout le monde croit la paix; mais tout le
+monde est triste d'une parole que le roi a dite, qui est que paix ou
+guerre il n'arriveroit à Paris qu'au mois d'octobre. Je viens de
+recevoir une lettre du jeune guidon[48]; il s'adresse à moi[49] pour
+demander son congé, et ses raisons sont si bonnes, que je ne doute pas
+que je ne l'obtienne. J'ai vu une lettre admirable que vous avez écrite
+à M. _de Coulanges_; elle est si pleine de bon sens et de raison, que je
+suis persuadée que ce seroit méchant signe pour quelqu'un qui trouveroit
+à y répondre. Je promis hier à madame _de la Fayette_ qu'elle la
+verroit; je la trouvai tête à tête avec _un appelé_ M. _le Duc_; on
+regretta le temps que vous étiez à Paris; on vous y souhaita, mais,
+hélas, qu'ils sont inutiles les souhaits! et cependant on ne sauroit se
+corriger d'en faire. M. _de Grignan_ ne s'est point du tout rouillé en
+province, il a un très-bon air à la cour; mais il trouve qu'il lui
+manque quelque chose. Nous sommes de son avis, nous trouvons qu'il lui
+manque quelque chose. J'ai mandé à M. _de la Trousse_ ce que vous
+m'écrivez de lui. Si ma lettre va jusqu'à lui, je ne doute pas qu'il ne
+vous en remercie; je crois que le secret miraculeux qu'il avoit de faire
+comme les gens les plus riches, lui manque dans cette occasion: il me
+paroît accablé sans ressource. Madame _du Fresnoi_ fait une figure si
+considérable, que vous en seriez surpris; elle a effacé mademoiselle de
+S.... sans miséricorde. On avoit tant vanté la beauté de cette dernière,
+qu'elle n'a plus paru belle; elle a les plus beaux traits du monde, elle
+a le teint admirable, mais elle est décontenancée, et elle ne le veut
+pas paroître; elle rit toujours, elle a méchante grâce. _Madame_ fera
+souvent voir de nouvelles beautés; l'ombre d'une galanterie l'oblige à
+se défaire de ses filles; ainsi je crois que celles qui lui demeureront,
+se trouveront plus à plaindre que les autres. Mademoiselle de L.... la
+quitte. Madame _de Richelieu_ m'a priée de vous faire mille complimens
+de sa part. Adieu, ma très-aimable belle; j'embrasse, avec votre
+permission et la sienne, madame la comtesse _de Grignan_; n'est-elle
+point encore accouchée? M. _de Coulanges_ m'a assurée qu'il vous
+enverroit _Mithridate_. On me peint aujourd'hui pour M. _de Grignan_; je
+croyois avoir renoncé à la peinture. L'histoire du _charmant_ est
+pitoyable; je la sais.... _Orondate_[50] étoit peu amoureux auprès de
+lui; il n'y a que lui au monde qui sache aimer. C'est le plus joli
+homme, et son _Alcine_ la plus indigne femme.
+
+
+
+
+LETTRE VII.
+
+_Paris, 10 avril 1673._
+
+Il est minuit, c'est une raison pour ne vous point écrire: j'en suis
+enragée. J'avois résolu de répondre à votre aimable lettre; mais voici,
+ma chère amie, ce qui m'en a empêchée. M. _de la Rochefoucauld_ a passé
+le jour avec moi: je lui ai fait voir madame _du Fresnoi_; il en est
+tout éperdu. Je suis ravie que madame _de Grignan_ ne soit qu'accablée
+de lassitude; la surprise et l'inquiétude que j'ai eues de son mal, me
+devoient faire attendre à toute la joie que j'ai du retour de sa santé;
+c'est une barbarie que de souhaiter des enfans. Je ne veux pas oublier
+ce qui m'est arrivé ce matin; on m'a dit: madame, voilà un laquais de
+madame _de Thianges_; j'ai ordonné qu'on le fît entrer. Voici ce qu'il
+avoit à me dire: _Madame, c'est de la part de madame de Thianges, qui
+vous prie de lui envoyer la lettre du cheval de madame de Sévigné, et
+celle de la prairie_. J'ai dit au laquais que je les porterois à sa
+maîtresse, et je m'en suis défaite. Vos lettres font tout le bruit
+qu'elles méritent, comme vous voyez; il est certain qu'elle sont
+délicieuses, et vous êtes comme vos lettres. Adieu, ma très-aimable;
+j'embrasse bien doucement cette belle comtesse, de peur de lui faire
+mal: j'ai bien senti, je vous jure, sa fâcheuse aventure; je souhaite
+plus que je ne l'espère qu'elle ne soit jamais exposée à de pareils
+accidens. Le roi dit hier qu'il partiroit le 25 sans aucune remise.
+
+
+
+
+LETTRE VIII.
+
+_Paris, 29 octobre 1694._
+
+On me dit hier que votre mariage étoit refait, c'est-à-dire, qu'on avoit
+envoyé des conditions à madame _de Grignan_, qu'elle auroit tort de ne
+pas accepter; et comme je suppose qu'elle ne peut avoir tort, je conclus
+que vous vous mariez,[51] et je m'en réjouis avec vous, ma chère amie.
+
+Le roi est à Choisi pour jusqu'à samedi; tout le monde revient en
+foule; l'armée de Flandre est séparée. Nous n'aurons madame _de Louvois_
+et M. _de Coulanges_ que le 8 du mois qui vient; ils ont M. _de Souvré_
+et madame _de Courtenvaux_ pour augmentation de bonne compagnie. La
+maréchale _de Villeroi_ est partie pour passer tout son hiver à
+Versailles avec sa belle-fille; nous avons cru être fort fâchées de nous
+séparer. Au reste, madame, j'ai vu la plus belle chose qu'on puisse
+jamais imaginer; c'est un portrait de madame _de Maintenon_, fait par
+_Mignard_: elle est habillée en Sainte Françoise Romaine. _Mignard_ l'a
+embellie; mais, c'est sans fadeur, sans incarnat, sans blanc, sans l'air
+de la jeunesse; et sans toutes ces perfections, il nous fait voir un
+visage et une physionomie au dessus de tout ce que l'on peut dire; des
+yeux animés, une grâce parfaite, point d'atours; et avec tout cela aucun
+portrait ne tient devant celui-là. _Mignard_ en a fait aussi un fort
+beau du roi; je vous envoie un madrigal que mademoiselle _Bernard_ fit
+impromptu en voyant ces deux portraits; il a eu beaucoup de succès ici:
+vous jugerez si nous avons raison. Mademoiselle _de Villarceaux_ est
+morte de la petite vérole, sans confession, et sans avoir eu le temps de
+déshériter ses cousines. Madame _d'Épinoi_, la princesse, est accouchée
+d'un fils; et depuis ce grand jour, on ne cesse de tirer et de boire à
+la Place Royale. Adieu, ma chère amie.
+
+
+
+
+LETTRE IX.
+
+_Paris, 19 novembre 1694._
+
+Il y a quinze jours, mon amie, que je ne vous ai écrit; je vous en
+avertis, de peur que vous ne vous en aperceviez pas. Je n'avois point
+reçu de vos lettres, et cela me faisoit craindre que vous ne voulussiez
+plus des miennes. Êtes-vous à la noce? y serez-vous bientôt? Je veux
+savoir ce qui vous regarde tous, parce que j'y prends un véritable
+intérêt. Toute la troupe de Tonnerre est revenue dans une parfaite
+santé. M. _de Coulanges_ a trouvé une grande affliction à son retour; il
+paroît dans le monde un livre imprimé de ses chansons, et à la tête de
+ce livre un éloge admirable de sa personne; on dit qu'il est né pour les
+choses solides et pour les frivoles; on montre les preuves des
+dernières; il est très-touché de cette aventure, que j'ai encore
+aggravée par ne la pouvoir prendre sérieusement; à tout cela je réponds:
+_Chansons, Chansons_. Il est allé à Versailles, et de là à Saint-Martin;
+il faut espérer qu'il se consolera d'avoir fait ce livre par en faire un
+second, avant que sa jeunesse se passe. Vous voulez que je vous dise des
+nouvelles de ma santé; mon amie, elle n'est en vérité point bonne.
+_Carette_ me donne tout ce qu'il veut; et j'avale ses remèdes sans
+confiance et sans succès; mais je crois que ce seroit encore pis de
+changer tous les jours de médecin; il faut prendre patience, et être
+bien persuadée qu'on ne meurt que quand il plaît à Dieu. Voilà des vers
+que l'abbé _Têtu_ m'a priée de vous envoyer; ils sont de sa façon. Le
+bruit court que le marquis _de Moui_ aura la maison de Pipaut: on dit
+qu'il fait habiller un de ses laquais en cerf, et qu'il le court toutes
+les nuits avec un cor; que vous semble de cet équipage de chasse? M. _de
+Harlai_ n'est point encore de retour de ses négociations; tout le monde
+désire la paix, et l'espère peu. Voilà encore des vers de mademoiselle
+_Bernard_: malgré toute cette poésie, la pauvre fille n'a pas de jupe;
+mais il n'importe, elle a du rouge et des mouches. Adieu, ma belle amie,
+ne m'oubliez pas, je vous en conjure.
+
+
+
+
+LETTRE X.
+
+_Paris, 26 novembre 1694._
+
+J'ai envoyé à Versailles la lettre que vous m'avez adressée pour M. _de
+Coulanges_; il y est établi depuis son retour: j'ai été bien tentée
+d'ouvrir cette lettre; mais la discrétion l'a emporté sur l'envie que
+j'ai toujours de voir ce que vous écrivez; tout devient or entre vos
+mains. Je suis très-obligée à M. _de Grignan_ de se souvenir encore de
+moi; sa chute me met tout-à-fait en peine; et je vous prie, ma belle, de
+me bien mander de ses nouvelles, parce que j'y prends un très-sincère
+intérêt. Les vers que j'ai envoyés à la cour ont été fort bien reçus; la
+personne à qui ces vers s'adressoient m'écrit la plus aimable lettre du
+monde; vous en jugerez par son effet, puisque, sans ma mauvaise santé,
+qui me rend si difficile à changer de lieu, je serois partie
+sur-le-champ pour Versailles. J'avale sans fin des gouttes de _Carette_;
+et tout ce que je sais, c'est qu'elle ne font point de mal; il y a peu
+de remèdes dont on en puisse dire autant. Au reste, j'allai voir hier la
+maréchale _d'Humières_; elle demeure dans une vilaine maison, au
+faubourg Saint-Germain, où il n'y a place que dans la cour pour mettre
+son dais. La duchesse _d'Humières_, de son côté, occupe une autre
+maisonnette dans l'Isle. Si la maréchale avoit un peu de courage, en
+attendant mieux, elle auroit bien donné la préférence à un couvent. M.
+_du Maine_ vient coucher aujourd'hui à l'Arsenal; il y doit donner à
+souper à toutes les dames qui l'habitent; la jeune dame _de la Troche_ y
+brillera; car elle est la beauté de ce lieu. Madame _de Boisfranc_ a la
+petite vérole; le fils de M. le premier président l'a aussi; enfin, tout
+en est rempli. Je vous ai mandé l'affliction de M. _de Coulanges_ au
+sujet de ses chansons, qui ont été même assez mal choisies à
+l'impression; on a mis son éloge à la tête du livre. Comme il ne pouvoit
+plus lui arriver que ce malheur, il y a été aussi sensible que ce
+capitaine qui, après avoir vu mourir son fils, et perdu la bataille de
+sang froid, pleura seulement la mort de son esclave. Madame _de
+Montespan_ est de retour ici: elle a donné un lit de quarante mille écus
+à M. _du Maine_, et trois autres encore très-magnifiques. Elle donne ses
+perles à madame la duchesse. Adieu, ma chère amie; dites bien des
+choses pour moi à toute votre belle et bonne compagnie, et sur-tout
+ménagez-moi bien les bonnes grâces de la charmante _Pauline_[52].
+
+
+
+
+LETTRE XI.
+
+_Paris, 10 décembre 1694._
+
+Je viens de passer encore quinze jours sans vous écrire; mais je garde
+mes excuses pour quand je vous écris; car mes lettres ne peuvent être
+que tristes et ennuyeuses; je perds tous mes amis et amies. La mort du
+maréchal _de Bellefond_[53] m'a donné une véritable douleur; je suis la
+dernière visite qu'il ait faite; je le vis en parfaite santé, et six
+jours après il étoit mort: on dit que c'est d'un abcès dans le genou,
+et que si l'on le lui avoit percé, on lui auroit sauvé la vie; mais vous
+n'êtes pas la dupe de ces sortes de repentirs: il faut partir quand
+l'heure est venue; sa famille est dans une désolation digne de pitié;
+pour moi, je sens très-vivement cette perte: ajoutez à cette mort celle
+de mademoiselle _de Lestranges_, qui étoit mon amie depuis vingt-cinq
+ans, et vous ne serez pas surprise de la noirceur de mes pensées. Ma
+santé est assez mauvaise. _Carette_ exerce son art très-inutilement sur
+ma personne: il me donna, il y a quelques jours, une médecine, qui me
+fit de très-grands maux; mais il dit, comme don _Carlos_: _Tout est pour
+mon bien_. J'ai des journées assez bonnes, et puis des retours de
+colique plus violens que jamais; je suis résolue à ne plus faire de
+remèdes, et à vivre avec ce mal tant qu'il plaira à Dieu. Le pis qu'il
+en puisse arriver, arrive sitôt même avec une bonne santé, que
+l'événement ne vaut pas qu'on s'en tourmente; il n'y a que les douleurs
+qui sont redoutables. Vous voyez, mon amie, par le récit de tous mes
+ennuis, quelle est ma confiance en votre amitié. Je sens cependant le
+plaisir de vous savoir tous dans la joie. M. l'abbé _de Marsillac_ me
+dit hier des biens infinis de M. et de madame _de Saint-Amant_, et de
+madame la marquise _de Grignan_ leur fille; il les à vus à Vincennes; il
+dit que ce sont les plus honnêtes gens qu'il est possible, et qu'ils
+vous ont élevé un chef-d'œuvre; enfin, il passa bien du temps à me
+chanter leurs louanges, et je vous assure qu'il ne m'ennuya pas; car je
+prends un très-sincère intérêt à tout ce qui vous touche: je vous
+demande en grâce de faire bien des complimens de ma part à M. et à
+madame _de Grignan_: je suis trop triste et trop malade pour écrire à
+tout autre que vous; vous vous passeriez peut-être bien de cette
+préférence. M. _de Coulanges_ est toujours à la cour. M. _de Noyon_[54]
+y fait une figure principale; il est le seul présentement qui y soit,
+et la cour a toujours besoin d'un pareil amusement. Il sera reçu lundi à
+l'académie (_française_); le roi lui a dit qu'il s'attendoit à être seul
+ce jour-là. L'abbé _Testu_ se trouva ici lorsque je reçus votre dernière
+lettre; il fut fort touché du bon accueil que vous avez fait à ses
+stances[55]: il vous envoie une dissertation sur _Montaigne_. Je ne veux
+pas oublier, mon amie, que l'on m'obligea, il y a quelques jours, en
+très-bonne compagnie, à dire tout ce que je savois de la charmante
+_Pauline_; mon cœur avoit tant de part dans le portrait que j'en fis,
+qu'en vérité je crois qu'il lui ressembloit; au moins dit-on qu'une
+telle personne devoit être cherchée au bout du monde, par tout ce qu'il
+y avoit de meilleur. Je crois que nous aurons M. et madame _de Chaulnes_
+à la fin de ce mois.
+
+Le maréchal _de Choiseul_ a exécuté vos ordres; c'est une vérité, je ne
+le vois plus: il dit qu'on l'a averti qu'il se rendoit ridicule par
+aller souvent chez des femmes; je lui ai laissé croire qu'on ne le
+trompoit pas; et enfin, j'en suis quitte pour une visite la semaine. Il
+a fait des merveilles pour le pauvre maréchal _de Bellefond_; il n'y a
+que lui qui parle au roi pour toute cette famille. Adieu, ma très-chère,
+embrassez toujours la belle _Pauline_ pour l'amour de moi: voyez comme
+j'abuse de vous, de vous demander des choses si difficiles.
+
+
+
+
+LETTRE XII.
+
+_Madrid, 14 janvier 1695._
+
+Je vous remercie, mon amie, de m'avoir appris la conclusion de votre
+roman; car tout ce que vous me mandez, est romanesque. L'héroïne est
+charmante; le héros, nous le connoissons; ce qui me paroît, c'est que
+vous ne faites point de légers repas, comme faisoient tous ces princes
+et princesses. Je suis ravie que M. _de Grignan_ se porte bien; cette
+circonstance n'a pas été inutile pour l'agrément de la fête. J'appris
+hier votre mariage[56] à madame _de Chaulnes_, qui est arrivée en
+très-bonne santé, et qui n'en dit pas moins, _Jésus Dieu! ils sont donc
+mariés!_ que si elle n'en avoit jamais entendu parler. Elle avoit couché
+à Versailles; elle y avoit vu madame _de Chevreuse_ et toutes ses amies.
+On ne peut être plus remplie qu'elle l'est de tout ce qu'on lui a conté
+de la mort de M. _de Luxembourg_; si vous étiez ici, mon amie, elle vous
+diroit bien: _Gouvernante, il est mort bien chrétiennement_: Monsieur _a
+presque toujours été dans sa chambre_. Ce qui est de vrai, c'est que le
+P. _Bourdaloue_ a dit qu'il n'avoit pas vécu comme M. _de Luxembourg_,
+mais qu'il voudroit mourir comme lui. Madame _de Maintenon_ se porte
+bien; elle a été assez mal; elle sort maintenant tous les jours pour
+aller à Saint-Cyr. J'eus hier unes des Andromaques de ce temps. La
+maréchale _d'Humières_ donna ses rendez-vous dans ma chambre à M. _de
+Tréville_ et à l'abbé _Testu_; elle nous apprit qu'elle ne voyoit plus
+la duchesse _d'Humières_; qui l'eût cru que les intérêts pusseut faire
+une telle désunion? Le bruit court ici que la princesse _d'Orange_[57]
+est morte; mais cette nouvelle auroit besoin d'une plus grande
+confirmation. La capitation est enfin passée et réglée. J'ai toujours
+oublié de vous faire les complimens de l'abbé _Testu_, et à toute la
+maison de Grignan. Adieu, ma très-aimable; je vous embrasse, je vous
+aime et vous désire toujours. M. _de Coulanges_ n'habite plus que la
+cour; on ne dira pas qu'il est mené par l'intérêt; quelque pays qu'il
+habite, c'est toujours son plaisir qui le gouverne, et il est heureux;
+en faut-il davantage?
+
+
+
+
+LETTRE XIII.
+
+_Paris, 21 janvier 1695._
+
+Comptez, madame, qu'on ne songe point ici qu'il y ait eu un M. _de
+Luxembourg_[58] dans le monde. Vous ne me faites pitié où vous êtes, que
+par les réflexions que vous vous amusez à faire sur des morts, dont on
+ne se souvient plus du tout. Les meilleurs amis de M. _de Luxembourg_
+s'assemblent encore souvent; le prétexte est de le pleurer, et ils
+boivent, mangent, rient, se trouvent de bonne compagnie, _et de Caron,
+pas un mot_. C'est ainsi qu'est fait le monde, ce monde que nous voulons
+toujours aimer. On parle à peine encore de la princesse _d'Orange_[59],
+qui n'avoit que trente-trois ans, qui étoit belle, qui étoit reine, qui
+gouvernoit, et qui est morte en trois jours. Mais une grande nouvelle,
+c'est que le prince _d'Orange_ est malade très-assurément; la maladie de
+la reine, sa femme, étoit contagieuse; il ne l'a point quittée, et Dieu
+veuille qu'elle ne l'ait pas quittée pour long-temps. Il se passa hier
+une belle et magnifique scène à l'hôtel de Chaulnes. _Monsieur_ y passa
+presque toute la journée avec ses bontés et ses agrémens ordinaires pour
+la maîtresse de la maison. L'appartement de cette duchesse est dans le
+point de la perfection; depuis le salon jusques au dernier cabinet, tout
+est meublé de ces beaux damas galonnés d'or que vous connoissez; on a
+fait dans la chambre du lit une cheminée d'une beauté et d'une
+magnificence qui ne peut se dire; et il y avoit de gros feux partout, et
+des bougies en si grande quantité, qu'elles auroient obscurci le soleil,
+s'ils s'étoient trouvés ensemble. Madame _de Chaulnes_ est allée ce
+matin rendre la visite à _Monsieur_, et ensuite à Versailles pour
+quelques jours; c'est ce qui l'a empêchée de vous écrire. Il n'y a de
+plaisir qu'à Grignan, mon amie; mais ce qui est triste, c'est qu'il n'y
+en a point pour nous à Paris, quand vous êtes à Grignan. Je révère et
+estime tout ce qui habite ce beau château. M. le marquis _de Grignan_
+m'a écrit la plus jolie lettre qu'il est possible; elle a été trouvée
+telle par les connoisseurs. Rendez-moi de bons offices auprès de madame
+sa femme; mais, mon amie, rendez-m'en de bons auprès de vous, je vous en
+supplie. On parle ici tous les jours de l'aimable _Pauline_, et toutes
+ses amies s'en souviennent si tendrement, qu'elle est une ingrate si
+elle ne s'en soucie plus; mais pourvu qu'elle ne m'oublie pas; je lui
+pardonne tout le reste. La petite duchesse _de Sulli_, qui est à mon gré
+la vieille, vient de m'envoyer prier de vous faire à tous mille
+complimens de sa part. Aimez-moi toujours, je vous en conjure, ma chère
+amie.
+
+
+
+
+LETTRE XIV.
+
+_Paris, 4 février 1695._
+
+On voit bien que vous avez oublié le climat de Paris, mon amie, puisque
+vous croyez avoir plus froid que nous; jamais il n'y a eu un hiver comme
+celui-ci. Le soleil se fait voir depuis deux jours; mais il ne se laisse
+point sentir; c'est un privilége dont vous jouissez à Grignan, j'en suis
+assurée. Je comprends à merveille que madame _de Grignan_ se fasse un
+plaisir de ne point faire de visites; c'est un avantage que j'ai au
+milieu de Paris; mais aussi n'ai-je point de raison pour m'incommoder;
+point d'enfans, point de famille; grâces à Dieu, assez de dégoût pour
+ces fatigantes occupations; bien des années et une assez mauvaise santé;
+tout cela fait demeurer au coin de son feu avec un plaisir pour moi, que
+je préfère à d'autres, qui paroissent plus sensibles; mais une retraite
+que j'admire, c'est celle de mademoiselle _de la Trousse_; Dieu lui fait
+de grandes grâces, et son état est maintenant bien digne d'envie. Madame
+_de Chaulnes_ veut toujours se reposer, et court incessamment. Il y a
+chez elle des dîners magnifiques; le chevalier _de Lorraine_, M. _de
+Marsan_, M. le cardinal _de Bouillon_; cela se soutient de cette sorte
+tous les jours de la semaine. Madame _de Pontchartrain_ est assez
+malade. La comtesse _de Grammont_ est retournée à la cour en assez bonne
+santé. L'on ne se souvient plus ici de madame _de Meckelbourg_, si ce
+n'est pour parler de son avarice. On dit que M. _de Montmorenci_ va
+épouser madame _de Seignelai_; j'ai peine à croire ce mariage-là. M. _de
+Coulanges_ arriva hier de Saint-Martin et de Versailles; mais c'est
+chez madame _de Louvois_[60] qu'il est descendu: _A tout seigneur, tout
+honneur._ Je comprends fort bien que l'on s'accommode d'un mari qui a
+plusieurs femmes; j'en souhaiterois encore une ou deux, comme madame _de
+Louvois_, à M. _de Coulanges_. Le maréchal _de Villeroi_ prêta hier le
+serment[61], et prit le bâton ensuite; il fit attendre beaucoup le roi,
+parce qu'il s'ajustoit; il avoit un habit de velours bleu d'une
+magnificence extraordinaire, et sa bonne mine le paroît plus que son
+habit. Madame la duchesse _du Lude_ m'a fait promettre que je vous
+ferois mille coinplimens et mille amitiés bien tendres de sa part. Le
+roi a donné à madame _de Soubise_ l'appartement que le maréchal
+_d'Humières_ avoit à Versailles; et celui de madame _de Soubise_ aux
+princesses _d'Épinoi_; celui de ces princesses à M. _de Rasilli_; et de
+la duchesse _d'Humières_, pas un mot. Adieu, ma chère amie; je vous
+embrasse et vous aime beaucoup. J'ai peur que la charmante _Pauline_ ne
+m'oublie à la fin; l'absence laisse tout craindre, même quand on est
+heureux. Continuez, je vous prie, de faire mes complimens dans le
+château de Grignan. Je suis fort obligée à M. le chevalier (_de
+Grignan_) de l'honneur de son souvenir, et je vous conjure de l'en
+remercier pour moi; je suis véritablement occupée de ses maux; son ami,
+le P. _de la Tour_ prêche à St.-Nicolas; et si je suis en état de
+pouvoir sortir, ce sera mon prédicateur pour ce carême. On vous a sans
+doute envoyé tous les sonnets qui ont été faits à la louange de la
+princesse _de Conti_.
+
+
+
+
+LETTRE XV.
+
+_Paris, 22 février 1695._
+
+J'ai perdu mon petit secrétaire, mon amie, et je ne puis me résoudre à
+vous faire voir de ma mauvaise écriture. J'essaie un secrétaire
+nouveau[62]; mandez-moi si vous lisez bien son écriture. La nouvelle qui
+fait ici le plus de bruit, est le mariage de la belle _Pauline_. On dit
+que l'abbé _de Simiane_ est parti pour se trouver aux noces. Quand je
+dis que je n'en sais rien, personne ne me veut croire. La duchesse _du
+Lude_ dit qu'elle le sait par le chevalier _de Grignan_. Pour moi, je
+pardonne tout le secret que vous m'en faites, pourvu que cela soit vrai.
+Vous croirez par là que j'aime passionnément M. _de Simiane_. M. le duc
+_de Chaulnes_ donne des dîners magnifiques; il en a donné un à madame
+_de Louvois_, comme il l'auroit donné à M. _de Louvois_; un autre au
+chevalier _de Lorraine_, et à toute la maison de _Monsieur_. J'étois du
+premier; et pour le second, j'y envoyai mon fils, qui s'appelle M. _de
+Coulanges_. A mesure qu'il me vient des années, les siennes diminuent,
+de façon que je me trouve encore bien vieille pour être sa mère. Tous
+les courtisans sont devenus poètes. L'on ne voit que des bouts-rimés,
+les uns aussi remplis de louanges, que les autres de médisances. Dieu me
+garde de vous envoyer ces derniers. Il en court un à la louange du
+cardinal _de Bouillon_, qui passe pour une chanson. Qu'en dites-vous,
+mon amie? Que dites-vous aussi du _prince Dauphin_? Je laisse à mon
+secrétaire le soin de vous mander cette histoire; car il se mêle
+quelquefois d'écrire de son style. On dit que c'est une affaire résolue
+que le mariage de mademoiselle _de Croissi_ avec le comte _de
+Tillières_[63]. Madame _de Maintenon_ est encore languissante; mais elle
+se porte beaucoup mieux. Madame _de Grammont_ paroît à la cour sous la
+figure d'une beauté nouvelle; elle est parfaitement guérie. M. l'abbé
+_de Fénélon_ a paru surpris du présent que roi lui a fait[64]. En le
+remerciant, il lui a représenté qu'il ne pouvoit regarder, comme une
+récompense, une grâce qui l'éloignoit de M. le duc _de Bourgogne_. Le
+roi lui a dit qu'il ne prétendoit point qu'il fût obligé à une résidence
+entière; et, en même temps, ce digne archevêque a fait voir au roi que,
+par le concile de Trente, il n'étoit permis aux prélats que trois mois
+d'absence de leurs diocèses, encore pour les affaires qui les pouvoient
+regarder. Le roi lui a représenté l'importance de l'éducation des
+princes, et a consenti qu'il demeurât neuf mois à Cambrai, et trois à la
+cour. Il a rendu son unique abbaye. M. _de Reims_ a dit que M. _de
+Fénélon_, pensant comme il faisoit, prenoit le bon parti; et que lui,
+pensant comme il fait, il fait bien aussi de garder les siennes. Adieu,
+ma chère amie; votre absence m'est toujours insupportable. Ne me laissez
+point oublier dans ce château de Grignan; c'est votre affaire, je vous
+en avertis. J'embrasse bien tendrement la charmante _Pauline_. Les
+femmes courent après mademoiselle _de l'Enclos_, comme d'autres gens y
+couroient autrefois; le moyen de ne point haïr la vieillesse, après un
+tel exemple! L'abbé et le chevalier _de Sanzei_ partirent hier pour
+aller faire carême-prenant avec leur mère. Ce dernier fera son possible
+pour aller faire la révérence à sa marraine[65], en s'en retournant à
+son vaisseau.
+
+M. DE COULANGES _continue_.
+
+Premièrement, madame, comment vous accommodez-vous de ce petit
+papier[66]? Ne vous trouble-t-il point quelquefois dans votre lecture?
+Pour moi, j'aime mieux les bonnes feuilles de papier de nos pères, où
+les détails se trouvent à l'aise. Il y eut hier huit jours que je revins
+de Saint-Martin et de Versailles, pour passer le reste des jours gras à
+Paris. Il n'y a rien de pareil aux bons et somptueux dîners de l'hôtel
+de Chaulnes, à la beauté du grand appartement, qui augmente tous les
+jours, et au bon air des feux, qui sont dans toutes les cheminées; il
+n'y a plus en vérité que cette maison, qui représente la maison d'un
+seigneur. M. _de Marsan_ et le duc _de Villeroi_ furent du dîner du
+chevalier _de Lorraine_. Comme je n'ai point entendu le cardinal _de
+Bouillon_ sur le sujet du _prince Dauphin_, je ne puis bien vous dire la
+vérité de ce fait; mais on prétend que _Monsieur_, pressé par le
+cardinal, avoit consenti à démembrer la principauté dauphine d'Auvergne,
+du duché de Montpensier, pour les prétentions que la maison de Bouillon
+pouvoit avoir sur la succession de _Mademoiselle_; en sorte qu'ils
+étoient par-là les maîtres de toute l'Auvergne, car le cardinal en a le
+duché, et M. _de Bouillon_ le comté; et que dans la suite le duc
+_d'Albert_ se seroit appelé le _prince Dauphin_; comme on est persuadé
+qu'il n'y a rien de trop chaud pour ce cardinal, qui n'est occupé que de
+la grandeur de sa maison, que ne dit-on point de cette vision? Ce qui
+est vrai, c'est que _Monsieur_, ayant tout promis, fut parler au roi de
+ce démembrement, et que le roi s'y opposa. On assure que le cardinal,
+encore affligé de ce refus, a écrit au chevalier _de Lorraine_ pour lui
+dire qu'il étoit surpris que _Monsieur_ lui eût manqué de parole, et
+qu'il ne pouvoit plus désormais être du nombre de ses serviteurs. On
+ajoute que le chevalier _de Lorraine_ a montré sa lettre à _Monsieur_,
+qui l'a gardée, et qui a dit que du moins le cardinal devoit lui savoir
+gré de ce qu'il ne la montroit point au roi. Quoi qu'il en soit, madame,
+voilà qui est fort désagréable pour notre cardinal; car, comme il n'est
+pas universellement aimé et approuvé, tous ses ennemis ne perdent pas
+une si belle occasion de se déchaîner, et tous ses amis sont fâches
+qu'une bonne fois pour toutes il ne finisse point sur sa maison, et
+qu'il ne s'accommode point au temps présent. Jugez, après cela, du
+succès du bout-rimé, dont madame _de Coulanges_ vous a parlé. Il y a des
+temps infinis que je ne vous ai écrit; mais je sais toujours de vos
+nouvelles par madame _de Coulanges_, qui veut bien quelquefois me faire
+part de vos lettres. J'ai toujours oublié de vous faire, dans les
+miennes, les complimens de madame _de Louvois_, et à tout le château de
+Grignan: elle me gronda très-sérieusement l'autre jour d'y avoir manqué.
+
+
+
+
+LETTRE XVI.
+
+_Paris_, 25 _mars_ 1695.
+
+Mes secrétaires me manquent au besoin; mais, quand c'est à vous que
+j'écris, ma chère amie, mes deux doigts sont toujours disposés à écrire,
+_ils ne vont plus que pour Climène_. Que dites-vous de ne plus savoir M.
+le duc _de Chaulnes_ gouverneur de Bretagne? On ne parle que de ce grand
+événement; les gens modérés croient que ce duc et cette duchesse se
+doivent trouver heureux de ce changement[67]; les autres les croient
+désespérés. Pour moi, je dis tout ce que l'on veut, et suis
+très-persuadée qu'il ne faut point juger de la manière de penser de nos
+amis par la nôtre. C'est cependant un tort que le monde a toujours, et
+qu'il ne peut pas ne point avoir; il a plutôt fait de juger par ses
+dispositions, que d'examiner celles des autres. M. _de Chaulnes_ fait
+bonne mine. La duchesse se cache si bien, que je ne l'ai point vue: il
+est vrai qu'il est assez aisé de m'échapper; car je fais naturellement
+peu de diligence, et j'en fais moins que jamais, dans l'espérance
+d'avancer toujours dans cette parfaite indifférence, dont vous ne vous
+apercevrez jamais, ma très-aimable. Au reste, ma santé n'est pas du tout
+bonne. Il est plus question que jamais de me faire aller à Bourbon; il
+arrivera ce qu'il plaira à Dieu. Quand je songe que dix ou douze ans de
+plus ou de moins font la différence de cette affaire-là, je ne trouve
+pas que cela vaille la peine de la traiter si solidement. Peut-être
+penserai-je tout d'une autre façon, quand je me trouverai plus proche de
+la mort; il faut trancher le mot, ne fût-ce que pour s'y accoutumer.
+J'attends de vous un compliment qui sera bien sincère, sur l'aventure du
+feu. Cela a paru une occasion digne de m'attirer le monde entier; mais
+le monde est bien inutile; je l'ai évité avec assez de soin. Au reste,
+madame _de Villars_ m'a fait promettre que je vous dirois des choses
+infinies de sa part, et sur-tout que j'apprendrois qu'elle ne pardonnera
+point à M. _de Villars_ de n'avoir point parlé d'elle à madame _de
+Grignan_. Cela pourroit bien aller à une séparation, si madame votre
+fille ne s'y oppose. Comme j'achève ma lettre, voilà un secrétaire qui
+m'arrive. Il vous apprendra que je viens de voir M. _de Chaulnes_, qui
+m'a conté tout ce qui s'étoit passé entre le roi et lui; mais, comme en
+même temps, il m'a dit qu'il vous alloit écrire, je ne m'embarquerai
+point dans un récit que vous saurez encore mieux par lui-même: il me
+paroît tout plein de raison. Madame sa femme m'a envoyé prier qu'elle
+pût aujourd'hui passer la journée avec moi; je la plains, puisqu'elle
+est fâchée. Pour moi, qui ne connois point le goût de la représentation,
+ou, pour mieux dire, qui ne connois que celui du repos, quand on n'est
+plus jeune, je ne me trouverois pas à plaindre à la place de madame _de
+Chaulnes_. M. _de Mêmes_ épouse mademoiselle _de Broue_, à qui on donne
+trois cent cinquante mille francs en argent, et cinquante mille francs
+en habits et en pierreries. On dit aussi que M. _de Poissi_ épouse
+mademoiselle _de Beaumelet_[68], qui aura un jour soixante mille livres
+de rente; _et de ma pauvre nièce, pas un mot_. M. _de Coulanges_ arriva
+hier de Saint-Martin, et il est allé aujourd'hui je ne sais où. Le
+maréchal _de Choiseul_ part dimanche. Il a le commandement de la
+Bretagne joint aux autres. Comme il a le commandement beau, je suis
+assez aise qu'il commande loin d'ici. Ce n'est pas que je ne sois une
+ingrate cette année; car je ne l'ai presque pas vu. Adieu, ma vraie
+amie; ne me laissez pas oublier à Grignan, et sur-tout de l'adorable
+_Pauline_.
+
+
+
+
+LETTRE XVII.
+
+_Paris_, 13 _mai_ 1695.
+
+Je me porte beaucoup mieux; _Helvétius_ ne m'a donné que d'un extrait
+d'absinthe, qui m'a rétabli, ce me semble, mon estomac; je vous assure,
+ma très-belle, que je suis bien éloignée d'avoir de l'indifférence pour
+ma santé, et que je supporte mes maux fort impatiemment: ainsi, je ne
+veux point me parer auprès de vous d'un mérite que je n'ai point. Je
+crois que si j'eusse imaginé de passer à Grignan le temps d'entre les
+deux saisons des eaux, je les aurois crues nécessaires pour ma santé: et
+je pense que si j'y étois une fois arrivée, j'aurois donné la
+préférence aux vins de Grignan sur les eaux de Bourbon. Je plains bien
+M. le chevalier _de Grignan_, et je suis bien honteuse de me plaindre de
+mes petits maux, quand j'en vois souffrir de si grands, et avec tant de
+patience. La pauvre madame _de Carman_ est bien mal; nous verrons la fin
+de sa vie avant celle de sa patience. Mon Dieu! que je me presse de vous
+faire des complimens de M. _de Tréville_; il me gronde tous les jours de
+l'avoir oublié; il souhaite votre retour très-sincèrement. Il nous dit
+avant-hier les plus belles choses du monde sur le Quiétisme,
+c'est-à-dire, en nous l'expliquant; il n'y a jamais eu un esprit si
+lumineux que le sien. Monsieur _Duguet_[69], qui n'est pas trop sot,
+comme vous savez, sur de tels sujets, étoit transporté de l'entendre.
+Parlons d'autre chose. Les princesses sont ici, et se divertissent si
+parfaitement bien, qu'on assure qu'elles n'ont nulle impatience du
+retour de la cour; elles se couchent ordinairement vers onze heures ou
+midi. _Langlée_ donna hier un souper à M. et à madame _de Chartres_,
+madame _la Princesse_, madame _la Duchesse_, qui étoit la reine de la
+fête, madame _de Montespan_, une infinité d'autres dames, dont madame la
+maréchale et madame la duchesse _de Villeroi_ étoient; M. _le Duc_, et
+tous les princes qui sont ici, s'y trouvèrent; mais une autre fête, ce
+fut celle que M. _le Duc_ donna, il y a deux jours, dans sa petite
+maison de madame _de la Sablière_; tous les princes et princesses y
+étoient; cette maison est devenue un petit palais de cristal; ne
+trouvez-vous pas que ce sont les lieux saints aux infidèles[70]? Madame
+_de Montespan_ a acheté Petit-Bourg quarante mille écus; elle le donne
+après sa mort à M. _d'Antin_. M. _de Sévigné_ nous quitte après-demain;
+il m'assure qu'il vous retrouvera cet hiver à Paris; cela me fera
+paroître l'été bien long, malgré la belle saison. M. _de Chaulnes_
+reviendra le dix-sept de ce mois; et notre duchesse ne reviendra
+qu'après les fêtes. M. _de Coulanges_ me mande que plus il a de
+printemps, plus il sent le printemps; voilà un grand prodige; car sans
+l'offenser, il a plus de printemps que madame _de Brégi_. Je vous prie,
+ma très-aimable, de dire bien des choses de ma part à madame _de
+Grignan_, et d'embrasser pour moi bien tendrement la tranquille
+_Pauline_; on dit que vous nous l'amènerez toute mariée; je sens déjà
+que je ne l'en aimerai pas moins. L'oraison funèbre de M. _de
+Luxembourg_[71] sera achevée d'imprimer dans deux jours; l'on dît qu'on
+a retranché quelques traits du portrait du prince _d'Orange_[72].
+Madame _de Grignan_[73] va avoir le plaisir de recevoir des lettres
+tendres de son mari, et de lui en écrire; il est bien joli que tous ses
+sentimens se développent pour lui. Adieu, ma très-chère.
+
+
+
+
+LETTRE XVIII.
+
+_Paris, 3 juin 1695._
+
+Comment vous portez-vous, ma très-belle? je n'ai point reçu de vos
+nouvelles depuis la lettre que vous m'avez fait écrire par votre joli
+secrétaire. J'ai peur que vous n'ayez gâté votre belle santé par une
+médecine. Je vis hier monsieur _de Chaulnes_, qui est le parfait
+courtisan; il a demeuré dix jours à Marli, où il a 'passé ses journées à
+jouer aux échecs avec le cardinal _d'Estrées_; et sur ce qu'on lui a
+dit que cela faisoit ici une nouvelle: il a répondu qu'il en étoit
+surpris, par la raison qu'il y a long-temps qu'ils cherchoient à se
+donner échec et mat. Une autre nouvelle est que madame _de Louvois_ a
+cédé Meudon au roi, qui l'a pris pour _Monseigneur_, en donnant quatre
+cent mille francs à madame _de Louvois_, et la charmante maison de
+Choisi, qui étoit la chose du monde qu'elle désiroit le plus; ainsi je
+crains qu'elle ne puisse plus avoir de désirs. Elle est fort mal
+contente de monsieur _de Coulanges_, qui, en arrivant de Chaulnes,
+partit le lendemain pour Pontoise. Quant à moi, je ne me sens plus de
+goût que pour le repos; on m'a priée d'aller chez le cardinal _de
+Bouillon_ cette semaine; cela me paroît comme si l'on me proposoit
+d'aller faire un petit tour à Rome; je trouve qu'il faut de grandes
+raisons pour quitter son lit; c'est la mauvaise santé, qui fait penser
+ainsi, il faut bien le croire; la mienne est cependant meilleure qu'elle
+n'a été. Je ne suis point contente de celle de madame _de Chaulnes_;
+elle a un vilain rhume que je ne n'aime point. Je crois le marché du
+Ménil-Montant absolument rompu, d'autant que, selon toutes les
+apparences, le premier président ne le veut plus vendre. Adieu, ma
+très-aimable, ne me laissez point oublier à _Grignan_, je vous en prie;
+et dites à la belle _Pauline_ de songer quelquefois à ce que je suis
+pour elle.
+
+
+
+
+LETTRE XIX.
+
+_Paris, 20 juin 1695._
+
+Vous jouissez présentement des beautés de la campagne, ma très-belle; le
+printemps paroît dans tout son triomphe. Je m'en vais faire un grand
+excès; car je compte partir dimanche pour aller à Saint-Martin avec M.
+et madame _de Chaulnes_, et y passer trois jours; les plaisirs que j'y
+espère seront bien troublés par une mauvaise santé; je suis arrivée à un
+tel excès de délicatesse, que la vue d'un bon dîner me fait malade;
+ainsi je suis intimidée, et dans cet état les plus petites choses
+paroissent considérables. Madame _de Louvois_ alla hier remercier le
+roi; il lui donna une audience particulière chez madame _de Maintenon_;
+elle sent plus que jamais la joie d'être défaite de Meudon. Le roi est
+allé à Trianon, où il demeurera jusqu'au voyage de Fontainebleau. Je
+crois vous avoir mandé que M. _de Montchevreuil_ marie son fils à la
+cousine-germaine de la maréchale _de Lorges_, qui est une petite
+personne que vous avez souvent vue avec elle; on lui donne trois cent
+quatre vingt mille livres. C'est vous qui me manderez que M. _de
+Vendôme_ va commander en Catalogne, et que M. _de Noailles_ en revient
+malade. M. _de Coulanges_ a toujours plus d'affaires que jamais, et
+toutes de la même importance; mais elles sont agréables, quand elles le
+rendent heureux; c'est de cela qu'il est question. J'ai trouvé les
+couplets du comte _de Nicci_ fort jolis; c'est un aimable enfant; aussi
+rien ne laisse des idées plus agréables que de ne le point voir; ce
+petit comte-là parviendra à l'immortalité. J'ai remarqué, comme vous,
+mon amie, le temps de la mort de notre pauvre madame _de la Fayette_.
+Madame _de Caylus_ se divertit à merveille chez elle; la cour ne lui
+paroît pas un séjour de plaisir; elle ne quitte plus madame _de
+Leuville_, qui donne tous les jours les plus jolis soupers qu'il est
+possible. Je ne crois pas le marché de Ménil-Montant rompu sans
+ressource; et, n'en déplaise à madame _de Chaulnes_, c'est la plus jolie
+acquisition que puisse faire M. _de Chaulnes_. La maréchale _d'Humières_
+se retire aux Carmélites; elle a loué la maison de feue mademoiselle _de
+Porte_; elle gouverne entièrement le faubourg Saint-Jacques; et, ce qui
+est le plus étonnant, c'est que le P. _de la Tour_ la gouverne. Vous
+savez que M. _de Lauzun_ a l'appartement de Versailles du maréchal
+_d'Humières_: il fait faire pour sa femme un collier de diamans de deux
+cent mille francs. Adieu, ma chère amie; je souhaite bien plus votre
+retour que je ne l'espère. Je vous prie de dire des choses infinies de
+ma part à madame _de Grignan_. Priez la belle _Pauline_ de ne me point
+jeter dans la nécessité d'aimer une ingrate. Madame _de Mêmes_ paroît
+dans un carrosse de mille louis. Lisez un peu, dans le _Mercure Galant_,
+la généalogie de _F***_, et vous verrez qu'il n'y a que cette maison-là
+de noble et d'illustre dans le monde, et que le feu grand-maître[74]
+s'est trompé, quand il a cru ne pas tirer de là tout son éclat.
+
+
+
+
+LETTRE XX.
+
+_Paris, 24 juin 1695._
+
+Madame _de Louvois_ n'avoit point attendu l'approbation du monde pour
+désirer Choisi; ça été la seule maison qu'elle ait souhaitée. Le roi et
+elle ont fait un très-bon marché; ils en paroissent fort contens aussi.
+Cela se passe, de part et d'autre, avec des honnêtetés que l'on voit
+quelquefois entre les particuliers, mais que l'on éprouve rarement avec
+son maître. Le roi est à Marli pour neuf jours; la duchesse _du Lude_
+est de ce grand voyage; et, pour comble de bonheur, elle mène et ramène
+demain madame _de Maintenon_ de Pontoise, où cette dernière va voir une
+fille de Saint-Cyr. Le roi donna une fête, lundi dernier, à Trianon, au
+roi et à la reine d'Angleterre. Il y eut un opéra où le roi alla; madame
+_de Maintenon_ n'y parut point du tout. Il est grand bruit de la faveur
+de M. _de la Rochefoucauld_. On prétend qu'il s'est rendu maître de
+l'esprit _de Monseigneur_, et qu'il se sert de son crédit, tout comme le
+roi le peut désirer. Sa majesté mena, il y a quelques jours, madame _de
+Maintenon_ suivie de ses dames, souper dans une maison de campagne de ce
+nouveau favori, qui se nomme _la Selle_, et je vous le dis ainsi, pour
+ne vous point dire qu'il les mena à la selle. Il doit, aller (_le roi_)
+un de ces jours à l'Étang, chez M. _de Barbesieux_, afin d'avoir l'air
+de partager ses faveurs. Une autre grande nouvelle: les princesses ont
+mené dîner et souper, à Trianon, avec le roi, la comtesse _de la
+Chaise_, les marquises _de la Chaise_ et _de la Luzerne_. Je crois que
+cette distinction les a fort touchées; car jusqu'alors elles n'en
+avoient eu qu'au salut. M. _de Coulanges_ arriva avant-hier de
+Saint-Martin. Il fut tout de suite à Choisi, le lendemain à Versailles,
+et part enfin aujourd'hui pour Evreux, avec M. _de Bouillon_. Je lui
+propose de ne plus tant perdre de temps en chemin, et de se mettre tout
+d'un coup dans une escarpolette, qui le jetera tantôt d'un côté, tantôt
+de l'autre, afin de ne pas mettre au moins les pieds à terre. J'attends
+aujourd'hui une compagnie qui ne vous déplairoit pas, ma très-belle;
+c'est M. _de Tréville_, qui vient lire à deux ou trois personnes un
+ouvrage qu'il a composé. C'est un précis des Pères, qu'on dit être la
+plus belle chose qui ait jamais été. Cet ouvrage ne verra jamais le
+jour, et ne sera lu que cette fois seulement de tout ce qui sera chez
+moi; je suis la seule indigne de l'entendre, c'est un secret que je vous
+confie au moins:
+
+ ......N'abusez pas, prince, de mon secret;
+ Au milieu de ma lettre, il m'échappe à regret.
+
+mais enfin, il m'échappe. M. _de Bagnols_ est parti pour l'armée; et ma
+sœur sera, je crois, bientôt de retour. Cependant elle ne me parle point
+encore du jour de son départ. Avez-vous bien chaud à Grignan, ma
+très-belle? Je me souviens d'y avoir été par un temps pareil à celui-ci.
+L'affaire du Ménil-Montant paroît tout-à-fait rompue; cependant j'ai
+dans la tête qu'elle se raccommodera. Adieu, ma chère amie.
+
+
+
+
+LETTRE XXI.
+
+_Paris, 8 juillet 1695._
+
+Je puis répondre pour M. _de Tréville_ qu'il auroit été ravi que vous
+eussiez augmenté la bonne compagnie qui l'entendit; et je suis assurée,
+ma chère amie, que vous auriez été contente de votre journée; mais vous
+nous regardez du haut en bas de votre château de Grignan, et je m'amuse
+à vous désirer toujours sans m'en pouvoir empêcher. On est fort alerte
+ici sur le grand événement du siège de Namur; car c'est tout de bon, et
+apparemment ce siège sera meurtrier; vous savez que le maréchal _de
+Boufflers_ s'est jeté dedans avec six régimens de dragons à pied, et
+celui du roi à cheval; ainsi le pauvre _Sanzei_ est dans Namur tout
+comme un grand homme. M. le maréchal _de Boufflers_ a la fièvre
+double-tierce; mais il aura bien d'autres affaires qu'à l'écouter. Le
+maréchal _de Lorges_ est hors de danger. Tout retentit ici des louanges
+du maréchal _de Villeroi_; il n'y a guère de jours que le roi n'en parle
+avec éloge, et tous les guerriers qui composent son armée, n'écrivent
+ici que pour chanter ses louanges. Je crois qu'à la fin M. le duc _de
+Chaulnes_ va acheter Putaut, qui est une maison près du pont de Neuilli,
+située sur le bord de la rivière; il y a de quoi faire des merveilles,
+et il les fera; car il a une extrême envie d'une maison de campagne. Le
+roi va à Marli pour quinze jours. Si la duchesse _du Lude_ est de ce
+voyage, ce sera pour la troisième fois de suite; ces distinctions
+charment quand on est en ces pays-là: heureux qui peut voir cela du
+point de vue où il faut l'envisager! Je n'ai point vu la lettre du P.
+_Quesnel_; on dit qu'il la désavoue, et il ne sauroit mieux faire. Vous
+savez, ma très-belle, que M. _de la Trappe_[75] a remis son abbaye entre
+les mains de don _Zozime_, supérieur de sa maison, avec la permission du
+roi, et qu'il se va trouver simple religieux; cette fin est bien digne
+de lui, et couronne parfaitement une si belle vie. Pour l'oraison
+funèbre du P. _de la Rue_, on n'en parle non plus présentement, que de
+celle que l'on fit pour la reine mère. On ne sait pas qu'il y ait eu un
+M. _de Luxembourg_ dans le monde. Est bien fou qui compte sur la gloire
+qui suit la mort; ce n'est en vérité pas de cela qu'il faut être occupé
+dans cette vie; mais les hommes auront toujours leurs erreurs et les
+chériront. M. _de Coulanges_ arriva avant-hier au soir ici, plus charmé
+de M. _de Bouillon_, de mademoiselle _de Bouillon_ et de Navarre, que de
+tous ses anciens amis; il partit hier pour Choisi, où il sera jusqu'à ce
+que notre voyage de Saint-Martin s'accomplisse; je ne me sens pour ces
+sortes de parties que la force du projet; l'exécution est fort au-dessus
+de moi. Ma sœur monte dimanche sur l'hippogriffe, et arrive lundi à
+Paris. M. _de Bagnols_[76] ne perd pas de vue le maréchal _de Villeroi_;
+cela me fait craindre pour sa vie. M. _de Reims_ a acheté la maison
+d'Erval deux cent vingt-une mille livres. Adieu, ma très-aimable;
+n'oubliez pas de m'aimer, je vous en conjure, et ne me laissez point
+oublier dans le lieu que vous habitez; mandez-moi si la charmante
+_Pauline_ aura été bien contente du portrait mystérieux que vous lui
+avez donné. Madame _de Caylus_ me vint voir hier plus jolie qu'un ange;
+elle me demanda en grâce de venir voir l'arrangement de sa maison;
+j'aurois plus de peine à rendre cette visite, que je n'en montrerai; ce
+que je sens là-dessus ne peut être confié qu'à vous, ma chère amie.
+
+
+
+
+LETTRE XXII.
+
+_Paris, 29 juillet 1695._
+
+Il n'est plus question, ma chère amie, ni de M. _Arnauld_ ni du P.
+_Quesnel_; toutes les pensées sont détournées du côté de Namur. Ces
+derniers tués ont jeté une consternation qui ne laisse plus de joie ici.
+Madame _de Morstein_ est inconsolable. La bonne chancelière[77] pleure
+amèrement son petit-fils _de Vieuxbourg_; et madame _de Maulevrier_
+renvoie bien loin tous les gens qui lui veulent parler de consolation,
+jusqu'au P. _Bourdaloue_. On ne sait point de nouvelles du comte
+_d'Albert_, sinon qu'on le croit trépané; et, depuis cela, pas un mot.
+M. et madame _de Chaulnes_ en sont dans une extrême inquiétude. Vous
+savez que M. le prince _de Conti_ a la petite vérole; elle est sortie
+avec abondance, et commence à suppurer sans aucun accident; ainsi on
+espère qu'il s'en tirera heureusement. On fait des détachemens de tous
+côtés pour envoyer au secours de Namur. _Sanzei_ est dans la place, et
+il n'y a que sa mère qui soit plus à plaindre que lui. Madame la
+duchesse _du Lude_, qui est de retour de Versailles m'a conté qu'elle
+avoit mené ma petite nièce _de la Chaise_ dîner à Trianon avec le roi.
+S. M. et _Monsieur_ ne parlèrent que de l'agrément de cette petite
+personne, et de son peu d'embarras. Pour moi, je crois qu'elle
+confesseroit[78] fort bien le roi. M. le premier président[79] a eu une
+manière d'apoplexie; on l'a saigné quatre fois; sa bouche est demeurée
+un peu tournée. Il doit partir incessamment pour Bourbon. Voilà une
+épigramme que l'on a faite sur son mal.
+
+Ne le saignez pas tant; l'émétique est meilleur.
+Purgez, purgez, purgez; le mal est dans l'humeur.
+
+Je crois que je ferois bien de prendre le même chemin que ce magistrat;
+car mon estomac ne se rétablit point du tout. Au reste, ma très-belle,
+j'ai consulté si l'on pouvoit prendre du café deux heures après la
+germandrée. On en peut prendre en toute sûreté, et même ils s'accordent
+fort bien ensemble. Adieu, ma très-aimable; je ne vous en dirai pas
+davantage aujourd'hui; je vous supplie seulement de faire mes complimens
+à _tutti quanti_, et sur-tout de vous, faire la violence d'embrasser
+pour moi bien tendrement la charmante _Pauline_. Ma sœur[80] vous rend
+mille grâces de l'honneur de votre souvenir; elle en a été fort touchée;
+elle est à Versailles pour quelques jours.
+
+
+
+
+LETTRE XXIII.
+
+_Paris, 13 août 1695._
+
+La mort de M. _de Paris_[81], ma très-belle, vous aura infailliblement
+surprise; il n'y en eut jamais de si prompte. Madame _de Lesdiguières_ a
+été présente à ce spectacle; on assure qu'elle est médiocrement
+affligée. L'on ne parle point encore du successeur; mais bien des gens
+croient que ce sera M. _de Cambrai_[82], et ce sera certainement un bon
+choix; d'autres disent M. le cardinal _de Janson_. Nous saurons lundi ce
+grand événement; la chose mérite bien qu'on y pense. Il s'agit
+maintenant de trouver quelqu'un qui se charge de l'oraison funèbre du
+mort. On prétend qu'il n'y a que deux petites bagatelles qui rendent la
+chose difficile; c'est la vie et la mort. On vous aura sans doute envoyé
+les articles de la capitulation de Namur; vous aurez vu qu'on fait la
+guerre fort poliment, et qu'on se tue avec beaucoup d'honnêteté. Nous
+bombardons Bruxelles[83] à l'heure qu'il est; les chansons, les
+madrigaux, les bons mots pleuvent sur le maréchal _de Villeroi_, qui
+peut-être n'a aucun tort: c'est le malheur des places; heureux qui n'en
+a point; mais peu de gens sentent ce bonheur-là. La comtesse _de
+Grammont_ est de retour; je la vis hier si fatiguée des eaux de Bourbon,
+qu'elle me confirma plus que jamais dans ma paresse; elle est revenue
+dans une litière, et elle dit qu'elle aimeroit mieux être revenue à
+pied. Le roi doit aller samedi à Meudon pour deux jours; les
+distinctions vont rouler présentement sur Meudon, et point sur Marli.
+Tout y a été cette semaine, jusqu'à M. _de Busenval_ et M. _de
+Saint-Germain_. Comme je me sens incapable de prendre la résolution
+d'aller à Bourbon, je m'en vais essayer à Paris des eaux de Forges. Cela
+s'appelle aller du chaud au froid. Depuis que madame _de
+Fontevrault_[84] est ici; Saint-Joseph, où elle est presque toujours,
+est le rendez-vous du beau monde, mais non pas de la galanterie[85].
+Adieu, ma très-aimable. Tous les marchés de M. _de Chaulnes_ sont
+rompus. Madame _de Chaulnes_ se console de tout avec madame _de
+Saint-Germain_; elle ne se peut passer d'elle, et cela apprend à se
+passer de madame _de Chaulnes_.
+
+
+
+
+LETTRE XXIV.
+
+_Paris, 2 septembre 1695._
+
+Hélas! mon amie, il n'est non plus question de M. l'archevêque, que s'il
+n'avoit jamais été; on a dit bien du mal de lui après sa mort; on a
+parlé du successeur[86]; depuis qu'il est nommé, on ne parle plus ni de
+l'un ni de l'autre; ceci est un tourbillon qui ne permet pas les
+réflexions. Tout le monde étoit fou hier à Paris; on ne voyoit que des
+femmes désespérées; les unes couroient les rues, les autres se faisoient
+enfermer dans les églises; on entendoit: «je n'ai plus de mari, je n'ai
+plus de fils»; d'autres ne disoient pas ce qu'elles n'avoient plus, mais
+elles ne s'en désespéroient pas moins. La comtesse _de Fiesque_ disoit
+que la bataille étoit donnée, et par conséquent gagnée; elle ajoutoit
+que le prince _d'Orange_ étoit prisonnier; je me trouvai le soir chez
+madame _de Carman_, où étoit madame _de Sulli_, la duchesse _du Lude_,
+madame _de Chaulnes_, et une douzaine d'autres femmes, dont étoit la
+comtesse _de Fiesque_. Quand elles eurent bien discouru, j'entrepris de
+leur remettre l'esprit (chose bien difficile) par un petit raisonnement,
+qui concluoit qu'il n'y auroit point de bataille; elles se moquoient
+toutes de moi; aujourd'hui que l'événement justifie mes raisons, elles
+croient que d'ici je conduis l'armée: on ne parle que de ma pénétration;
+et sur cela je conclus qu'on ne sait presque jamais pourquoi on loue ni
+pourquoi on blâme. J'étois hier folle, et aujourd'hui je suis la plus
+habile personne du monde; et la vérité est que je ne suis ni folle ni
+habile; mais que par un courrier qui étoit arrivé, on avoit appris qu'il
+étoit impossible de donner une bataille sans hasarder toute l'armée. M.
+_de Conti_ l'a mandé au roi, aussi bien que monsieur le duc _du Maine_,
+et tout ce qu'il y a de principal dans l'armée.
+
+M. _de Coulanges_ est toujours à Navarre, il me prie par toutes ses
+lettres de vous dire des choses infinies de sa part. Le roi doit partir
+le 24 de ce mois pour aller à Fontainebleau. M. et madame _de Chaulnes_
+partent incessamment pour Chaulnes, et le bruit court que je vais avec
+eux. Je prends des eaux de Forges, dont je me trouve assez bien. Je suis
+ravie que la santé de madame _de Grignan_ soit bonne; je m'en réjouis
+avec vous et avec elle. Faites-vous la violence d'embrasser la charmante
+_Pauline_ pour l'amour de moi; je vous en conjure, ma très-aimable.
+
+
+
+
+LETTRE XXV.
+
+_Paris, 9 septembre 1695._
+
+Que d'événemens, madame! que de discours! que de chansons! que
+d'épigrammes! que de dignités! Le maréchal _de Boufflers_ est duc; vous
+le savez déjà. Le même courrier, qui a apporté la réduction de Namur,
+lui a été renvoyé pour lui apprendre que le roi le faisoit duc, et lui
+dire en même temps qu'il pouvoit prendre le chemin de la cour. Quand il
+s'est trouvé pressé par sa reconnoissance de venir remercier le roi, le
+prince _d'Orange_ lui a dit qu'il le faisoit son prisonnier. On prétend
+qu'il a pris cette conduite sur celle que nous avons eue à Dixmude. Il a
+bien voulu cependant le laisser revenir à la cour sur sa parole; mais le
+maréchal a cru devoir attendre les ordres du roi. La maréchale _de
+Boufflers_ est transportée de joie de sa nouvelle dignité, et ne sait
+point encore ce malheur, qui, selon les apparences, ne sera pas long.
+Revenons aux épigrammes. Le maréchal _de Villeroi_ en est chamarré; il a
+pourtant la consolation de savoir que le roi est persuadé qu'il n'a
+aucun tort; et je sais bien ce que je dis. Mais le monde veut juger de
+ce qu'il ignore; et, comme on juge par l'opinion des autres, on est
+assez fou pour se croire malheureux, malgré sa bonne conduite. Le roi va
+aujourd'hui à Marli pour dix jours. M. et madame _de Chaulnes_ partiront
+dans peu pour Chaulnes, et moi-avec eux. Que dites-vous de cette
+résolution? Ne me trouvez-vous pas grande femme tout-à-fait? M. _de
+Coulanges_ est toujours à Evreux; madame _de Louvois_ le boude;
+mademoiselle _de Bouillon_ l'aime de passion, et le retient malgré lui.
+Moi, je lui écris régulièrement, et lui mande toutes les nouvelles. A
+qui donneriez-vous la préférence? Les passions sont horribles; je ne les
+ai jamais tant haïes que depuis qu'elles ne sont plus à mon usage: cela
+est heureux. Notre dragon[87] est sorti tout couvert de gloire, et tout
+nourri de cheval. Il a écrit une très-plaisante lettre à sa sœur. Dans
+toutes les relations, il a été nommé au roi avec distinction; et, pour
+dire plus, c'est de madame _de Montchevreuil_ que je le sais. Vous jugez
+bien, ma très-aimable, de la joie de madame _de Sanzei_, qui sait a
+cette heure que son fils se porte bien. Songez que, de douze mille
+hommes qu'ils étoient dans Namur, il n'en est resté que trois mille
+trois cents. J'oubliois de vous dire que c'est M. _de Guiscard_ qui
+étoit venu apprendre à la cour que le maréchal _de Boufflers_ est
+prisonnier. Madame _de Sulli_ a la même maladie que madame _de Grignan_.
+Elle prend des eaux de Forges, dont elle se trouve à merveille. Mais
+Forges est un peu trop loin de Grignan: il faudroit s'en approcher, mon
+amie. Je pardonne à madame _de Sulli_ cette maladie; mais madame _de
+Grignan_ est trop avancée pour son âge. On prétend que, de toutes les
+façons d'être malade, c'est la moins fâcheuse. Je vous demande toujours
+des nouvelles de madame _de Grignan_, dont je suis très-sincèrement en
+peine. Ne me laissez point oublier dans le château que vous habitez, et
+baisez, pour l'amour de moi, la charmante _Pauline_. Vous m'avouerez que
+j'exige des choses bien difficiles de votre amitié.
+
+
+
+
+LETTRE XXVI.
+
+_Paris, 16 septembre 1695._
+
+Ce n'est que pour marquer la cadence que je vous écris aujourd'hui,
+madame; car je n'ai point reçu de vos lettres, cette semaine, et je suis
+toute honteuse de n'avoir pas de grands événemens à vous mander; depuis
+quelque temps, ils ne nous ont pas manqué; de vous dire que le roi est
+à Marli depuis huit jours, voilà une belle affaire; la duchesse _du
+Lude_ y est; le roi en revient demain, et doit partir jeudi 22 de ce
+mois pour aller à Fontainebleau. Une assez grande nouvelle; c'est que je
+crois que j'irai dimanche à Versailles pour deux ou trois jours: Il sera
+question incessamment du voyage de Chaulnes; j'espère encore que j'en
+serai; mais j'ai une santé qui me dérange si aisément, que je n'ose plus
+faire de projets. M. _de Coulanges_ doit revenir aujourd'hui d'Evreux
+pour rompre avec madame _de Louvois_, et aller à Chaulnes. Encore
+faut-il bien vous apprendre, mon amie, que c'est le P. _Gaillard_, qui
+ne doit point faire l'oraison funèbre de feu M. l'archevêque (_de
+Paris_). Voici ce que je veux dire. M. le président et le P. _de la
+Chaise_ se sont adressés au P. _Gaillard_ pour ce grand ouvrage; le P.
+_Gaillard_ a répondu qu'il y trouvoit de grandes difficultés; il a
+imaginé de faire un sermon sur la mort au milieu de la cérémonie, de
+tourner tout en morale, d'éviter les louanges et la satire, qui sont des
+écueils bien dangereux. Tout le prélude des oraisons funèbres n'y sera
+point. Il se jetera sur les auditeurs pour les exhorter; il parlera de
+la surprise de la mort, peu du mort; et puis, Dieu vous conduise à la
+vie éternelle. Adieu, ma belle amie; ne me laissez jamais oublier à
+Grignan, je vous en conjure; et sur-tout de la charmante _Pauline_. Je
+crois que M. _de Chaulnes_ va acheter Villeflit de M. _de Fiaubet_, dont
+madame _de Chaulnes_ paroît peu contente. Le confesseur extraordinaire
+de madame _de Grignan_ me doit demain lire l'oraison funèbre qu'il a
+faite de ce saint homme.
+
+
+
+
+LETTRE XXVII.
+
+_Paris, 30 septembre 1695._
+
+Je m'en vais vous parler bien habilement du mal de madame _de Grignan_,
+c'est-à-dire du mal d'estomac, qui n'est autre chose, mon amie, que le
+mien. J'ai éprouvé, par mon impatience, toute sorte de remèdes; trop
+heureuse si ces expériences lui peuvent être utiles. _Carette_ m'a
+donné, pendant neuf mois, de ses gouttes, qui ne m'ont point fait un mal
+sensible, mais qui m'avoient grésillée à un tel point sans me
+raccommoder l'estomac, que je vous avouerai confidemment qu'elles m'ont
+fait une seconde maladie. Venons à _Helvétius_: il m'a donné une
+préparation d'absinthe, qui m'a tout-à-fait rétabli l'estomac. Comme
+cela fait quelqu'impression de chaleur, très-légère pourtant, il m'a
+fait prendre des eaux de Forges, dont je me trouve à merveille. Je
+commence à engraisser; je mange du fruit, je dîne et je soupe; en un
+mot, mon amie, je ne suis plus la même personne que j'étois il y a deux
+mois. Vous voyez bien pourquoi je vous conte tous ces détails.
+Ramenez-nous donc madame _de Grignan_ à Paris; je vous promets qu'en
+trois semaines, _Helvétius_ et moi lui rétablirons l'estomac. C'est la
+cause de presque tous les maux. Je me suis même raccommodée avec le
+café; et, comme je ne sais point user d'une chose que je n'en abuse,
+j'en prends dans l'excès. Ma petite absinthe est le remède à tous maux.
+Vous me demanderez, mon amie, pourquoi me portant aussi-bien que je vous
+le dis là, je ne suis point allée à Chaulnes? Et je vous répondrai que
+je me trouve comme les personnes qui deviennent avares par être riches.
+Depuis que j'ai un peu de santé, je la ménage beaucoup. Le vilain temps
+m'avoit alarmée; si j'avois prévu qu'il pût faire aussi beau qu'il fait
+présentement, je crois que je me serois embarquée pour ce grand voyage;
+mais je me garde pour Dampierre, et je fais très-facilement de ma maison
+une maison de campagne. Je me promène les matins sur mon rempart, et je
+passe les après-dînées assez solitairement. La cour d'Angleterre est à
+Fontainebleau. Ils ont des comédies, des fêtes, et s'ennuient, à ce
+qu'ils disent; et tant pis pour eux. Madame la marquise _de Grignan_ ne
+veut voir personne; c'est ce qui m'a empêchée de me présenter à sa porte
+aussi souvent que j'aurois fait. M. _de Chaulnes_, qui sait forcer les
+portes, dit qu'elle est très-aimable. M. _de Coulanges_ est allé à
+Chaulnes; ils reviendront tous dans un mois, et c'est tout-à-l'heure.
+L'abbé et moi ne laisserons point ignorer à madame _de Sanzei_ tout ce
+que vous dites pour elle. Je vous demande mille complimens pour madame
+_de Grignan_, ma très-aimable: je vous demande aussi d'embrasser la
+belle _Pauline_ pour l'amour de moi, tout comme si vous n'aviez point
+de sujet de vous plaindre d'elle.
+
+
+
+
+LETTRE XXVIII.
+
+_Paris, 28 octobre 1695._
+
+Vous avez eu la colique, ma chère amie; et quoique je sache que vous
+vous en portez bien présentement, je ne saurois être rassurée que je ne
+le sois par vous-même. Je vous demande aussi des nouvelles de madame _de
+Grignan_; si vous saviez combien l'air subtil est contraire à ses maux,
+vous l'obligeriez de se mettre dans une litière bien faite et bien
+commode, et vous gagneriez Paris; l'air de Lyon lui feroit connoître
+qu'il n'y a point de meilleur remède pour elle que de changer de climat;
+c'est l'avis de mon oracle (_Helvétius_). La maréchale _de Boufflers_ a
+été fort malade d'une pareille maladie, elle se-porte très-bien
+aujourd'hui. Le roi est de retour dans une parfaite santé. Je vis hier
+la duchesse _du Lude_, qui est venue à Paris pour se faire saigner et
+purger, sans autre raison, je crois, que d'avoir trop de santé. Il s'est
+fait de grands changemens à Chaulnes. M. _de Chaulnes_ aime son château
+comme sa vie, et ne le peut quitter. Madame _de Chaulnes_ passe les
+jours, et peut-être une bonne partie des nuits à jouer. M. _de
+Coulanges_ est devenu délicat et précieux; les visites de province
+l'ennuient. Je vois souvent notre petite accouchée (_la duchesse de
+Villeroi_)[88]; elle a un fils un peu plus grand que son père, et un peu
+moins grand que le maréchal (_de Villeroi_); il n'y a point de jour
+qu'elle ne me demande des nouvelles de mademoiselle _de Grignan_, et
+qu'elle ne lui souhaite tous les biens et les maux qu'elle a. L'on dit
+que le maréchal _de Lorges_ se porte mieux, et on n'appelle plus sa
+maladie une apoplexie; la maréchale, qui l'est allé trouver, va avec lui
+aux eaux de Plombières. Tout le monde croit le mariage de M. _de
+Lesdiguières_ fait avec mademoiselle _de Clérembault_[89]; le charme que
+madame _de Lesdiguières_ trouve dans ce mariage, c'est qu'elle n'aura
+point son fils avec elle. Le monde dit aussi celui de mademoiselle
+_d'Aubigné_ avec le fils[90] de M. _de Noailles_; et je crois qu'en
+cette occasion le monde dit vrai. Au reste, ma très-belle, j'ai à vous
+apprendre que l'abbé _Testu_ est charmé de madame _de Carman_, et qu'il
+se plaint hautement de toutes ses amies de ne lui avoir pas fait
+connoître ce mérite-là plutôt. On parle fort ici de la solitude de
+madame la marquise _de Grignan_; on dit que sa vie n'est pas
+soutenable, parce qu'il ne faut voir personne, ou voir bonne compagnie.
+Vous voyez combien votre retour et celui de _sa belle-mère_[91] sont
+nécessaires; mes conseils sur cela vous paroîtront bien intéressés; je
+souhaite que cette raison ne vous empêche pas de les suivre, et que vous
+me croyez aussi tendrement à vous que j'y suis. Je vous demande en grâce
+de dire bien des choses de ma part à madame _de Grignan_, et de ne pas
+oublier la belle et charmante _Pauline_.
+
+
+
+
+LETTRE XXIX.
+
+_Paris, 7 novembre 1695._
+
+Après avoir réfléchi avec toute l'application possible sur tout ce que
+vous me mandiez, ma chère amie, _Helvétius_ a encore voulu emporter
+votre lettre afin d'y penser à loisir; il ne me rapporta qu'hier ce que
+je vous envoie; il est persuadé que l'air subtil est fort contraire à
+madame _de Grignan_, et que s'il étoit possible qu'elle se mît dans une
+litière bien commode, et quelle fit de petites journées, elle ne seroit
+pas plutôt arrivée à Lyon qu'elle se trouveroit fort soulagée; c'est un
+remède que nous approuvons fort ici. Notre oracle _Helvétius_ a sauvé la
+vie à la pauvre _Tourte_; il a un remède sûr pour arrêter le sang, de
+quelque côté qu'il vienne; c'est un très joli homme et très-sage. Sa
+physionomie ne promet pas tant de sagesse; car il ressemble à _Dupré_
+comme deux gouttes d'eau. Je vous demande des nouvelles de madame _de
+Grignan_, ma très-aimable, pour me récompenser de toutes mes
+consultations. M. le marquis _de Grignan_ m'est venu voir; il est
+assurément moins gras qu'il n'étoit; je lui en ai fait des complimens
+très-sincères: madame sa femme me fit l'honneur de venir ici hier; je la
+trouvai si considérablement embellie, qu'elle me parut une autre
+personne que celle que j'avois vue; c'est qu'elle est engraissée, et
+qu'elle a bien meilleur visage, de beaux yeux si brillans, que j'en fus
+éblouie; elle vint ici sur les deux heures avec madame sa mère et
+mademoiselle sa sœur. Malheureusement pour moi, madame _de Nevers_
+s'étoit levée aussi matin qu'elles; elle arriva un moment après ces
+dames, qui s'en allèrent quand elle entra; et madame _de Nevers_ qui me
+parla très-sincèrement, trouva madame la marquise _de Grignan_ toute des
+plus jolies. M. et madame _de Chaulnes_ et M. _de Coulanges_ arrivent
+mercredi pour dîner à Paris; je me dois trouver à l'hôtel de Chaulnes
+pour les y recevoir. Le roi est à Marli pour jusqu'à lundi; la comtesse
+_de Grammont_ y est aussi; mais quoiqu'elle ait rattrapé à la cour les
+grâces de la nouveauté, la pauvre femme ne s'en porte pas mieux. Tous
+ses maux sont revenus; elle les soutient avec un courage et une gaieté
+qui m'étonnent, ayant perdu, je crois, jusqu'à l'espérance de guérir. La
+duchesse _de Villeroi_ reçoit ses visites dans son lit, jolie tout ce
+qu'on peut l'être; je fis, il y a deux jours, les honneurs de sa chambre
+avec la maréchale _de Villeroi_; j'ai découvert à cette petite duchesse
+un mérite qui lui fait bien de l'honneur dans mon esprit, c'est qu'elle
+a un goût si naturel pour mademoiselle _de Grignan_[92], qu'elle en est
+sincèrement occupée; elle m'en demande continuellement des nouvelles.
+Elle lui souhaite tout le bonheur qu'elle mérite; mais elle ne veut
+consentir à aucun mariage, qu'elle ne soit assurée de la revoir ici.
+Enfin, elle a des sentimens, elle a des pensées; c'est un des miracles
+de _Pauline_. Je sais de ses nouvelles; on dit que vous vous allez
+encore marier[93]; j'en suis ravie, mon amie; revenez donc toutes; la
+vie est trop courte pour de si longues absences. Par rapport à la vie,
+les plus longues ne devroient être que de deux heures. Je vous envoie
+une lettre de M. _de Vannes_, qu'il y a en vérité trois mois qui est
+dans mon écritoire. Je lui en demande pardon; car pour vous, je suis
+assurée que vous l'aimez autant à l'heure qu'il est, que quand elle a
+été écrite. Adieu, ma très-aimable; mandez-moi vîtement que vous allez
+revenir, et que vous ne pouvez plus souffrir la solitude de cette jeune
+marquise, qui, comme moi, soupire après votre retour.
+
+
+
+
+LETTRE XXX.
+
+_Paris, 18 septembre 1695._
+
+Monsieur _de Lamoignon_ me montra hier une lettre de M. le chevalier _de
+Grignan_, qui m'apprit que madame votre fille se portoit bien mieux;
+j'en ai une joie très-sincère, et je souhaite de tout mon cœur, ma
+très-chère, d'apprendre la continuation de ce mieux; j'ai la confiance
+de croire que vous me le ferez savoir; cela me donne aussi des
+espérances que nous vous reverrons bientôt; il n'y a rien, en vérité,
+que je désire si vivement: votre retour est nécessaire à bien des
+choses, dont le changement d'air est une des principales pour madame _de
+Grignan_. Madame sa belle-fille est trop abandonnée ici; le retour de M.
+_de Sévigné_ qui approche; que de raisons, ma très-belle, pour nous
+revenir voir! Paris est fort rempli à l'heure qu'il est; mais il ne le
+sera point à ma fantaisie, tant que vous ne serez point avec nous. J'ai
+bien envie d'apprendre si madame _de Grignan_ a fait usage des bouillons
+d'écrevisse, et si elle s'en est bien trouvée. Il y a tous les jours de
+bon dîners à l'hôtel de Chaulnes, et une très-bonne compagnie, où vous
+êtes toujours désirée. M. le marquis _de Grignan_ me fit l'honneur de me
+venir voir il y a deux jours. Je le remerciai de n'être point grossi; il
+me paroît fort content du palais qu'il habite. On me mande de Lyon que
+la charmante _Pauline_ va changer de nom; ne nous l'amenez-vous pas? Il
+n'y a que madame _de Simiane_ que je puisse jamais autant aimer que
+mademoiselle _de Grignan_. Hélas! à propos _de Simiane_; le pauvre
+monsieur _de Langres_[94] est à l'extrémité; j'en suis tout-à-fait en
+peine. Je crois M. _Nicole_ mort; il tomba en apoplexie il y a deux
+jours. _Racine_ vint en diligence de Versailles lui apporter des gouttes
+d'Angleterre, qui le ressuscitèrent; mais on vient de me dire qu'il est
+retombé; c'est une grande perte. Il s'est trop épuisé à écrire: on
+prétend qu'il s'est cassé la tête à ce dernier livre contre les
+Quiétistes; ils n'en valoient, en vérité, pas la peine. Adieu, ma
+très-aimable; j'attends toujours de vos nouvelles avec impatience, mais
+encore plus à présent, à cause de l'état où est madame _de Grignan_.
+
+
+
+
+LETTRE XXXI.
+
+_Paris, 6 avril 1696._
+
+Je ferai voir votre lettre à la maréchale _de Créqui_[95], madame; le
+seul plaisir qui lui reste, c'est d'entendre louer on pauvre fils[96]:
+elle me paroît plus affligée que le premier jour; je n'en passe guère
+sans la voir. Je l'ai cependant envoyée à M. _de Coulanges_ cette
+aimable et tendre lettre; il est à Saint-Martin d'où il doit revenir
+mardi. Madame _de Saint-Géran_ a reçu deux visites de madame _de
+Maintenon_; vous jugez bien qu'il n'en falloit pas tant pour la
+consoler: madame _de Mornai_ ne quitte point madame _de Maintenon_; plus
+cette petite femme paroît insensible aux honneurs qu'elle reçoit, plus
+on est occupé d'elle. Je suis étonnée de ces sortes de conduites. Le
+mariage de ma nièce est absolument rompu avec M. _de Poissi_[97]; elle
+part dans huit jours pour aller en Flandre. M. et madame _de Bagnols_
+n'ont aucun tort: madame _de Maisons_[98] a fait aussi ce qu'elle a pu,
+et nous lui en serons toujours très-sensiblement obligées: je suis ravie
+de la connoître; elle a un très bon cœur, et une véritable générosité.
+Il faut espérer que notre grande fille sera bien mariée[99]; mais ce ne
+peut plus être qu'au retour de la campagne, car rien ne nous convient
+plus dans la robe. Je m'en vais vîte finir ce petit billet; car madame
+_de Montespan_ me vient prendre dès la pointe du jour, pour aller
+entendre le P. _de la Ferté_ (_jésuite_), qui prêche comme un
+_Bourdaloue_, et qui ressemble si fort au duc son frère, qu'on ne se
+peut empêcher de rire des discours qu'ils tiennent tous deux: madame _de
+Fontevrault_[100] vient aussi: voilà bien des sermons que j'entends avec
+cette bonne compagnie, qui part dans huit jours pour aller à Bourbon.
+Moins madame _de Grignan_ se rétablira où elle est, plus elle se devroit
+presser de changer d'air. Séparément de l'intérêt que j'ai à donner ce
+conseil, c'est l'avis de tous les gens habiles. Quand reverrons-nous
+aussi madame _de Simiane_? elle ne s'en soucie guère; elle a de quoi
+s'amuser, pendant que nous soupirons ici après elle. Je ferai vos
+complimens à la maréchale _de Créqui_, et ceux de M. et de madame _de
+Grignan_, je vous en assure, ma très-aimable. Le roi a donné deux mille
+louis au maréchal _de Choiseul_ pour l'aider à faire son équipage; je ne
+sais si le marquis _de Grignan_ ira avec lui. Adieu, ma vraie amie, et
+vîte adieu; on me presse de sortir.
+
+
+
+
+LETTRE XXXII.
+
+_A Madame_DE SIMIANE[101].
+
+_Paris, 2 mai 1696._
+
+Je vous suis sensiblement obligée, madame, de songer encore à moi; je
+connoissois toutes vos perfections; mais la tendresse de votre cœur, et
+l'amitié que vous avez su avoir pour une personne[102] aussi digne
+d'être aimée que celle que vous regrettez, c'est ce qui me paroît fort
+au dessus de tout ce qu'on en peut dire. Ah! madame, que vous avez
+raison, de me croire infiniment touchée! Je ne pense à autre chose; je
+ne parle d'autre chose; j'ignore tous les détails de cette funeste
+maladie, je les cherche avec un empressement qui fait voir que je ne
+songe point à me ménager. Je passai hier toute la journée avec le prieur
+de Sainte-Catherine; vous jugez bien sur quoi roula notre conversation;
+je lui fis voir la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire;
+elle lui fit un vrai plaisir; car ces sortes de gens-là sont si
+persuadés que cette vie-ci ne doit servir qu'à s'assurer l'autre, que
+les dispositions dans lesquelles on quitte le monde sont les seules
+dignes d'attention pour eux; mais on songe à ce que l'on perd, et on le
+pleure. Pour moi, il ne me reste plus d'amie; mon tour viendra bientôt,
+cela est raisonnable: ce qui ne l'est guère, c'est d'entretenir une
+personne de votre âge de si tristes et de si noires pensées; votre
+raison fait oublier votre jeunesse, madame; et cela, joint à
+l'inclination naturelle que j'ai pour vous, m'autorise, ce me semble, à
+vous parler comme je fais.
+
+
+
+
+LETTRE XXXIII.
+
+A LA MÊME.
+
+_Paris, 8 juin 1696._
+
+Il me paroît qu'il y a bien du temps que vous n'avez reçu de mes
+lettres; vous ne serez peut-être pas de cet avis: il n'y a pas moyen
+cependant de pousser ma discrétion plus loin; c'est un bien qui m'est
+devenu nécessaire, d'avoir de vos nouvelles; et, quelque inégalité qu'il
+y ait de votre âge au mien, j'éprouve que l'on vous aime
+très-solidement. Il y a des endroits dans votre cœur, qui font oublier
+votre jeunesse, sans qu'il y en ait aucun dans votre figure, qui ne
+présente toute la fleur de ce bel âge.
+
+Je ne m'accoutume point à la perte que nous avons faite[103]; et
+lorsque j'apprends le retour de la santé de madame votre mère, je ne
+puis m'empêcher d'être vivement touchée que cette joie n ait point été
+sentie par une personne qui en eût été si digne[104]. Je vous prie,
+madame, que je sois informée de la continuation de cette santé, à
+laquelle je prends plus d'intérêt que je ne puis vous le dire.
+
+Je vis avant-hier M. _de Coulanges_ dans la belle maison de Choisi:
+madame _de Louvois_ et lui y sont établis pour tout l'été; on est obligé
+tous les jours d'y avoir deux tables par la quantité de monde qui s'y
+trouve; un lansquenet ensuite, et puis des promenades délicieuses;
+joignez à tout cela les plaisirs qui suivent l'abondance, et vous
+trouverez que Choisi est un séjour enchanté: il y a trop de ces plaisirs
+pour moi, et je ne saurois me résoudre à y passer plusieurs jours: mon
+goût augmente pour la solitude, ou du moins pour une très-petite
+compagnie. Madame _de Mornai_ ne quitte plus madame _de Maintenon_: elle
+va à Marli; enfin, madame, je ne trouve rien de si extraordinaire que de
+la voir de tous les plaisirs, pendant que vous êtes éloignée du monde et
+du bruit; il est vrai que vous avez de grandes ressources dans
+vous-même. Adieu, madame, je vous demande en grâce de ne pas négliger
+l'occasion de dire à M. le comte _de Grignan_ combien je l'honore; mais
+sur-tout rendez-moi de bons offices auprès de vous, je vous en supplie.
+
+
+
+
+LETTRE XXXIV.
+
+A LA MÊME.
+
+_Paris, 20 juillet 1696._
+
+Il y a long-temps, madame, que je n'ai eu l'honneur de vous écrire; mais
+je ne suis point seule à m'en apercevoir? En vérité, c'est pure
+discrétion qui m'empêche de vous dire plus souvent ce que je sais
+penser de vous; il y a une telle disproportion de votre âge au mien,
+qu'il me paroît de la cruauté à moi de vous aimer comme je fais, et
+sur-tout de vous en entretenir. Je suis très-persuadée que vous n'enviez
+point les extrêmes distinctions dont jouit madame _de Mornai_; mais,
+madame, n'est-ce point être trop avancée pour votre âge, de vous savoir
+passer du monde et de la cour? Il me semble qu'il n'y a que l'expérience
+qui en puisse détromper, et voilà ce que vous n'avez pas jusqu'à
+présent. Madame _de Mornai_ est de tous les voyages de Marli, sans être
+nommée de toutes les promenades du roi; en un mot, madame _de Maintenon_
+la traite comme sa fille; et pensez-vous qu'on puisse être insensible à
+ces honneurs? ma nièce _de Bagnols_ voit tout cela d'un grand
+sang-froid. La trêve d'Italie donne ici de grandes espérances de la paix
+générale; je suis assurée, madame, que cette grande nouvelle ne vous
+sera pas indifférente. On se tourmente déjà pour être des dames de
+madame _de Bourgogne_; car on dit qu'elle n'aura point de filles, et
+qu'on lui donnera à peu près les dames qu'avoit la reine, excepté madame
+_de Beauvilliers_, qui, selon toutes les apparences, sera dame
+d'honneur. Nous craignîmes beaucoup ayant-hier pour madame _de
+Chaulnes_, qui, à la suite d'une mauvaise santé, eut une si grande
+foiblesse, qu'elle perdit connoissance. On envoya quérir des médecins,
+un confesseur, enfin un appareil très-propre à épouvanter; elle se porte
+beaucoup mieux; elle a pris aujourd'hui un peu d'émétique. J'aime cette
+duchesse de la vraie douleur qu'elle a eue de la perte de madame _de
+Sévigné_. Pour moi, madame, je vous avoue avec une sincérité que j'ai
+pour vous, malgré mon âge, que je ne m'en consolerai jamais; j'y pense
+sans fin et sans cesse; et quand je songe que tous les retours ne la
+ramèneront point, je ne puis soutenir une telle idée. Je vous demande
+des nouvelles de votre santé, madame; on m'a dit qu'elle n'étoit pas
+absolument bonne, et que vous preniez des eaux: je vous croyois une
+sorte de maladie, où les eaux n'étoient point propres. La maréchale _de
+Castelnau_ est morte d'un très-douloureux cancer: les petites-filles
+espèrent la pension de quatre mille livres, que le roi lui faisoit. Je
+vous demande pardon, madame, de vous écrire une si longue lettre; mais
+le goût que j'y trouve, me doit faire espérer que vous ne vous en
+plaindrez pas.
+
+
+
+
+LETTRE XXXV.
+
+A LA MÊME.
+
+_Paris, 14 septembre 1696._
+
+J'ai été fort aise, madame, d'apprendre par vous le rétablissement de la
+santé de madame votre mère; mais je ne puis m'ôter la pensée que la
+personne du monde, qui s'intéressoit le plus à cette santé, n'ait point
+partagé notre joie. Ah! madame, je ne m'accoutume point à ne plus
+espérer qu'aucun retour nous amène ce que nous regrettons avec tant de
+raison. Je comprends ce que ce sera pour madame _de Grignan_, de se
+trouver en ce pays-ci au milieu de ces tristes souvenirs. Je suis fort
+occupée de ce que vous nous privez de l'espérance de votre retour. Il me
+semble que vous seriez bien nécessaire à madame votre mère; et je vous
+avoue que j'aurois plus de joie de vous revoir qu'il ne convient à une
+personne de mon âge. Vous êtes faite pour charmer tout ce qui est
+aimable et jeune comme vous; et c'est vous offenser que de vous aimer
+aussi véritablement que je fais; mais qu'importe? Je ne sens point que
+je puisse m'empêcher de vous offenser, ni d'espérer que vous me
+pardonnerez. Que dites-vous, madame, de notre duchesse _du Lude_? Je
+l'embarquai mardi avec les dames du palais, dans une santé parfaite:
+jamais on n'a marqué tant de confiance en une personne, que le roi et
+madame _de Maintenon_ ont fait pour elle dans cette occasion; et je vous
+assure qu'elle n'y est pas insensible. On dit qu'il sera question encore
+de quatre dames du palais, et de deux autres, quand la jeune princesse
+se mariera. Je ne comprendrai jamais qu'on ne vous aille pas chercher au
+bout du monde pour cela. J'ai assez bonne opinion de votre
+_voisine_[105], pour croire que vous seriez sa favorite. Enfin, je fais
+de tout ceci un petit château qui vous regarde uniquement, et je ne
+m'accommoderai jamais que ce château soit en Espagne. A propos
+d'Espagne, savez-vous que toute l'histoire de cette reine est fausse?
+Elle n'est point grosse, elle se porte fort bien; le roi en a reçu des
+nouvelles. On est ici dans les _Te Deum_, dans les feux de joie de la
+paix de Savoie. Grâces à Dieu, le roi continue de se porter de mieux en
+mieux. On croit que la cour ira à Fontainebleau vers la fin de ce mois,
+pour y recevoir la princesse. Conservez-moi l'honneur de vos bonnes
+grâces, madame; j'espère que vous voudrez bien vous souvenir de moi
+auprès de madame la comtesse _de Grignan_ et de M. _le Chevalier_. Je
+vous demande pardon de la liberté que je prends; mais tout est permis à
+une personne qui a la confiance de vous écrire, et que vous honorez de
+vos aimables lettres. M. _de Coulanges_ est à Vichi avec sa femme _de
+Louvois_[106].
+
+
+
+
+LETTRE XXXVI.
+
+A LA MÊME.
+
+_Paris, 25 octobre 1696._
+
+Je suis fort aise, madame, que vous nous fassiez espérer le retour de
+madame votre mère; mais, en vérité, pour que la joie fût complète, le
+vôtre nous seroit bien nécessaire. J'admire que l'on ait pu faire des
+dames du palais pour madame la duchesse _de Bourgogne_, sans avoir songé
+à vous envoyer chercher au bout du monde. Je fis part, il y a quelques
+jours, de mon étonnement à madame _de Montchevreuil_. A propos de madame
+_de Montchevreuil_, madame _de Mornai_ est accouchée d'un fils. Cet
+événement donne beaucoup de joie à toute sa maison. Où avez-vous pris,
+madame, que madame la duchesse _de Bourgogne_ a eu la rougeole? Est-il
+possible qu'une de _ses voisines_ soit si peu instruite?[107] Je reçus
+hier une lettre de madame la duchesse _du Lude_[108], qui me paroît
+charmée de sa princesse. Elle me mande qu'elle est grâcieuse, qu'elle a
+un très-bon air, et que, sans beauté, on ne peut être plus agréable
+qu'elle est. Le roi et _Monsieur_ iront coucher à Montargis, pour la
+recevoir, et M. le duc _de Bourgogne_ ira jusqu'à Nemours. _Madame_,
+toutes les princesses et les femmes de la cour l'attendront toutes
+parées dans l'appartement qu'on lui destine à Fontainebleau, qui est le
+même qu'occupoit madame _la Dauphine_. On dit que l'on nommera encore
+six dames au mariage de la princesse. Le roi, madame _de Maintenon_,
+tout est charmé de madame _du Lude_. Elle s'est surpassée elle-même dans
+toute la bonne conduite qu'elle a eue: j'en suis aussi peu surprise que
+j'en suis aise. Le pauvre abbé _Pelletier_ est mort d'apoplexie. Il y a
+quatre ou cinq jours que je vois un spectacle bien triste, mais qui
+commence à le devenir moins. M. _d'Harrouis_ tomba dimanche dernier en
+apoplexie: je volai à son secours; et nous avons si bien fait par nos
+remèdes et par nos soins, que je le crois hors d'affaire; mais le pauvre
+homme demeurera paralytique. Tout ce qu'il nous a dit dans son agonie,
+ne se peut ni croire ni imaginer; je n'ai jamais vu envisager la mort
+avec tant de courage, ni revenir à la vie avec tant de docilité. Ce
+pauvre mourant parloit toujours de madame _de Sévigné_. Il disoit: «si
+elle étoit au monde, elle seroit de celles qui ne m'abandonneroient
+pas.» Nous fondions toutes en larmes, et puis il nous disoit des choses
+qui nous faisoient rire, malgré que nous en eussions. J'ai une vraie
+impatience de recevoir l'honneur que vous dites que doit me faire un
+homme, qui a été assez heureux pour vous plaire. J'avoue que cela me
+prévient en sa faveur; mais, madame, pourquoi le laissez-vous venir tout
+seul? En vérité, vous êtes trop raisonnable, et nous souffrons trop de
+votre raison. J'espère que mademoiselle _de Bagnols_ aura un beau palais
+sans l'aller chercher à Turin, ou, pour parler plus juste, un beau
+château; j'ai une grande envie qu'elle soit bien établie. Conservez-moi
+l'honneur de vos bonnes grâces, madame; et, si vous n'êtes point
+honteuse d'avoir un commerce avec une vieille comme moi, comptez qu'il
+ne finira point par ma faute. Je vous serai sensiblement obligée, si
+vous voulez bien me faire la grâce d'assurer madame la comtesse _de
+Grignan_ et M. _le Chevalier_ que j'attends leur retour avec toute
+l'impatience qu'ils méritent.
+
+
+
+
+LETTRE XXXVII.
+
+A LA MÊME.
+
+_Paris, 7 mars 1697._
+
+Je suis charmée de la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire,
+madame. Comme il y a long-temps qu'on n'a eu celui de vous voir, on est
+étonné de trouver tant de sagesse, de raison et de bon sens, avec tous
+les charmes de la jeunesse. Il n'y a que vous qui ayez pu accorder des
+choses si opposées. Je suis très-fâchée d'avoir ignoré si long-temps le
+séjour de M. _de Simiane_ en ce pays-ci. Le hasard me l'a fait trouver à
+dîner chez M. _de Saint-Amant_; il m'a ensuite fait l'honneur de me
+venir voir deux fois. Il m'a paru tout comme il vous paroît; je ne crois
+pas peu dire. Il a bien raison d'être pour vous, comme il est. J'avoue
+que cela m'a fait un sensible plaisir; je n'aime point qu'on ignore de
+tels bonheurs. Ah! madame, que ne feroit point notre pauvre madame _de
+Sévigné_ dans une pareille occasion? Le malheur de ne la plus voir m'est
+toujours nouveau; il manque trop de choses à l'hôtel de Carnavalet. Je
+ne saurois m'empêcher de vous désirer; et toute votre indifférence pour
+ce pays-ci ne m'en peut inspirer pour votre retour. Je le souhaite comme
+si j'étois d'âge à en profiter; mais il me semble que mon inclination si
+naturelle pour vous, vous fait souffrir mon âge avec quelque bonté. J'ai
+eu la conduite que vous m'avez prescrite au sujet de votre lettre;
+cependant je vous avouerai, madame, que je l'ai montrée à madame _de
+Chaulnes_, qui m'a fait promettre de vous dire de sa part qu'elle vous
+approuve autant qu'elle désapprouve, je ne dirai pas qui. Savez-vous
+que madame _de Chaulnes_ a un nouveau mérite à mon égard? C'est celui de
+ne se point du tout consoler de la perte de madame _de Sévigné_. Nous en
+parlons sans cesse; car, pour moi, c'est ma manière; j'aime à parler de
+ce que j'ai aimé, et à ne me point ménager sur les souvenirs qui me sont
+chers.
+
+Je fis une longue réponse à une lettre, que vous m'avez fait l'honneur
+de m'écrire avant la dernière; je la donnai à madame votre mère, et ma
+lettre s'est trouvée perdue. Je vous le dis, madame, afin que vous ne me
+soupçonniez pas d'une grossièreté pareille à celle d'y avoir, manqué. Au
+reste, le mariage de ma nièce avec M. _de Poissi_ est rompu. Si j'étois
+à sa place, j'en serois aussi aise qu'elle en est peut-être fâchée. Il
+ne la désiroit point autant qu'il convenait pour surmonter les plus
+petites difficultés: quand cela est ainsi, il me paroît qu'on se doit
+trouver heureuse de ne point entrer dans une maison où l'on est si peu
+souhaitée: je suis assurée que c'est là votre avis. Quel bon sens,
+madame, que le vôtre, de n'être point entêtée de la cour! Songez que
+madame _du Lude_, qui avoit une si bonne santé, est accablée de
+rhumatismes. Songez qu'il faut qu'elle couche dans la chambre de la
+princesse; qu'elle se fatigue jour et nuit, et pour qui[109]? Cependant
+je sais une personne du monde, qui admire les agrémens de la place, et
+la trouve préférable à tout le repos, dont madame _du Lude_ pouvoit
+jouir. J'ai eu quelque escarmouche avec cette personne sur une telle
+façon de penser, que je vous avoue que je ne comprends point.
+Continuez-moi toujours un peu de part dans votre amitié, madame. Il
+faudroit que vous pussiez bien savoir comme je suis pour vous, afin de
+vous persuader que je n'en suis pas indigne. Permettez-moi de prendre
+part à la joie de M. le marquis _de Simiane_ de se trouver auprès de
+vous. Sa joie est d'autant plus raisonnable, qu'il n'est pas aise tout
+seul. J'ai eu assez l'honneur de le voir, pour désirer beaucoup de le
+voir davantage.
+
+
+
+
+LETTRE XXXVIII.
+
+_A madame_ DE GRIGNAN.
+
+_Paris, 19 avril 1700._
+
+Il y a si long-temps, madame, que je ne fais rien de ce que je désire,
+que je n'ai pu trouver le moment de vous remercier de la dernière lettre
+que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire. Ma mère a depuis quinze
+jours la fièvre continue avec des redoublemens; et moins elle est en
+état de penser, plus je suis attachée auprès d'elle: c'est un terrible
+spectacle. Ce qui se passe en moi dans cette cruelle occasion, ne se
+peut concevoir; mais en voilà trop sur un si triste sujet. Il vaut mieux
+vous faire de très-sincères complimens sur le voyage que M. le marquis
+_de Grignan_ va faire en Lorraine. Toutes les distinctions sont
+agréables à son âge; et vous ne sauriez croire, madame, combien celle-là
+a été recherchée. Je me présentai hier à la porte de _son excellence_;
+elle étoit à Versailles. Je vis madame votre belle-fille chez madame _de
+Simiane_, qui est en vérité bien incommodée de sa grossesse. Je rendis
+mes devoirs en votre appartement; il est très-beau; la vue m'en paroît
+charmante. Je le regardai avec un air d'intérêt, qui me le fit bien
+examiner pour la première fois. Vous serez bien logée, madame; mais vous
+nous ferez trop languir après votre retour. C'est là votre unique
+défaut; nous aurions besoin que vous en eussiez d'autres pour nous
+consoler. On commence aujourd'hui à tirer la loterie de madame _de
+Bourgogne_. J'ai eu trente pistoles à la grande, qui s'est faite à
+l'Hôpital; se peut-il un plus grand malheur dans une pareille occasion?
+Cependant j'ai eu l'âme assez intéressée pour préférer ce vilain petit
+billet noir à un billet blanc; ma sœur a trouvé ce sentiment
+très-indigne d'elle. M. _de Bagnols_ est ici. Je ne désespère point
+qu'il n'aille à Grignan rendre à M. _de Grignan_ tout ce qu'il lui doit;
+car pour Paris, ce n'auroit été que la conduite des autres. Madame la
+duchesse _du Lude_ a eu un mal assez considérable au pied. Elle a
+quelquefois un rhumatisme; mais elle ne sent point ses maux dans la
+chaleur du combat. Je pense toujours de la même façon sur ce qui la
+regarde; et, Dieu merci pour elle, sa façon de penser n'est point
+changée aussi. La pauvre petite madame _d'Aunai_, fille de madame _de
+Morangis_, est morte à vingt-un ans; les _Villeroi_ sont très-affligés
+avec raison. On assure que M. _de Rochebonne_ et M. _de Saint-Germain_
+ont des raisons d'espérer; je souhaite de tout mon cœur pour la chose en
+elle-même, et par l'intérêt sensible que vous y avez tous, que leurs
+espérances soient fondées. J'ai appris à l'abbé _Testu_ que vous
+l'honoriez de votre souvenir; mais je vous avouerai que, quoiqu'il ait
+reçu cette marque de votre bonté avec beaucoup de reconnoissance, il a
+voulu voir si je ne le trompois point, car il lui faut des
+démonstrations; et après avoir été convaincu de la vérité de ce que je
+lui disois, il a tiré des conséquences qu'il falloit qu'il fût charmé,
+et il a conclu qu'il l'étoit.
+
+
+
+
+LETTRE XXXIX.
+
+A LA MÊME.
+
+_Paris, 30 juillet 1700._
+
+Tout ce que vous me faites la grâce de me dire est vrai, madame;
+cependant on ne sauroit s'imaginer ce que la nature soutenue du
+spectacle m'a fait souffrir. L'impression qui m'en est restée est si
+vive, que je n'en puis revenir, malgré tout ce que la raison peut
+fournir de consolation. J'espère en la diversion que je n'ai point
+encore éprouvée; car je n'ai vu personne dans cette triste conjoncture.
+Je ne vous fais point d'excuses de n'avoir pas fait réponse à votre
+lettre; vous jugez aisément, madame, de ce qui m'en a empêchée, et
+combien j'avois renoncé à mes plaisirs, puisque je m'étois retranché
+celui de vous entretenir. M. _de Coulanges_ est à Versailles; on vient
+de me dire qu'il vit hier madame _de Maintenon_ chez madame _de
+Saint-Géran_, et qu'il en avoit reçu des amitiés infinies. Il a mandé
+cette heureuse rencontre à madame _de Louvois_. C'est une chose
+raisonnable que les _secondes femmes_ soient mieux traitées que les
+premières; et je suis assez juste pour ne me point plaindre de la
+préférence que M. _de Coulanges_ donne à madame _de Louvois_. Que
+dites-vous de la mort de la duchesse _d'U***_? Pour moi, je voudrois
+qu'on fît un exemple de tels assassinats. On dit cependant que la presse
+est grande à qui épousera ce joli héros. O grand pouvoir du tabouret! Le
+roi est à Marli pour dix jours. Je donnai à dîner à madame _de Simiane_
+en plein réfectoire le jour de la Madeleine. Nous avions la comtesse _de
+Grammont_ à notre dîner, et ensuite il fut question d'un sermon tout
+neuf du père _Massillon_. La seule visite que je me suis permise, a été
+celle de la maréchale _d'Humières_. En vérité, il n'y a qu'à habiter le
+faubourg Saint-Jacques pour être une personne au dessus des autres. On
+ne peut assez admirer la parfaite patience de cette maréchale, sa
+résignation à la mort, sa piété, son courage; enfin, rien n'est tel que
+le faubourg Saint-Jacques. Madame _de Guitaut_ l'habite aussi; je vous
+assure que ce quartier fournit une très-bonne compagnie. Je voudrois
+bien, pour nous venger de la joie que vous avez eue de nous quitter, que
+votre séjour à Grignan vous ennuyât autant que nous. Si cela étoit,
+madame, il nous seroit permis d'espérer bientôt votre retour. Une des
+grandes nouvelles du monde, c'est que madame _de Bourgogne_ changera de
+confesseur aussi souvent qu'elle voudra, pourvu qu'il soit jésuite.
+
+
+
+
+LETTRE XL.
+
+A LA MÊME.
+
+_Paris, 18 décembre 1700._
+
+Vous n'avez pas eu de peine, madame, à imaginer la raison, je ne dis pas
+de mon oubli, mais de mon silence, puisque vous m'avez fait la grâce de
+le remarquer. Votre vie est plus remplie que la mienne; ainsi c'est à
+moi qu'il convient d'être discrète. Je suis plus solitaire que jamais,
+et ne le suis pas encore assez à mon gré. Il n'a pas été au pouvoir des
+grands et prodigieux événemens qui sont arrivés[110], de m'obliger à
+quitter ma chambre. Les années m'ont tellement mise à la raison, que si
+j'en avois encore beaucoup à passer, je crois que je me retirerois dans
+quelque petit désert; mais l'avenir est court pour moi. Vous jugez bien
+qu'avec de telles dispositions je ne suis pas assez informée des
+nouvelles du monde, pour avoir la confiance d'espérer vous divertir; et
+je ne dois pas avoir celle de croire que de ne vous apprendre que des
+miennes, cela vous suffise. Ce n'est pas que je n'aie véritablement
+souffert d'ignorer ce qui se passoit dans les lieux que vous habitez,
+et que je n'en aie été instruite, autant que je l'ai pu, par madame _de
+Simiane_. Il faut avouer cependant que les nouvelles considérables n'ont
+pas manqué depuis quelque temps; mais _quiconque ne voit guère, n'a
+guère à dire aussi_. Vous allez avoir bien des affaires, madame, pour
+recevoir les princes[111]; je suis assurée que vous n'en serez point du
+tout embarrassée. Madame _de Simiane_ trouva hier au soir ici madame la
+duchesse _du Lude_, qui est venu passer deux ou trois jours à Paris, et
+lui demanda de quelle manière il convenoit que vous fussiez habillée
+pour recevoir cette belle et grande compagnie. Elle lui répondit que ce
+n'étoit pas une question; qu'il falloit un grand habit, une coiffure
+noire, en un mot, comme vous seriez au souper du roi. Je ne vous parle
+point de plusieurs mariages dont il est question, et dont je suis sûre
+que vous ne vous souciez guère. Madame _de Simiane_ s'embarqua hier au
+soir pour aller souper chez ma nièce _de Tillières_, où est le
+rendez-vous du beau monde tous les jours. Vous voyez bien, madame, qu'on
+a du monde, quand on en veut avoir. M. _de Coulanges_ veut répondre
+lui-même aux aimables reproches que vous lui faites; il est cause que
+l'on a fait des chansons sur tous les grands directeurs: il a eu la
+goutte comme un grand homme. Je le plains, si jamais il est obligé de se
+croire vieux.
+
+
+
+
+LETTRE XLI.
+
+A LA MÊME.
+
+_Paris, 17 juin 1701._
+
+Je vous rends mille grâces, madame, de l'attention que vous avez eue à
+la subite et violente maladie, dont par les soins de _Chambon_ j'ai été
+délivrée en vingt-quatre heures. Je suis ravie de vous devoir ce
+médecin; car j'aime fort à être obligée aux personnes pour qui j'ai un
+sincère attachement; j'espère vivre et mourir de sa façon. Vous aurez
+été fâchée et surprise de la mort de _Monsieur_[112], j'en suis assurée.
+La dernière fois que j'eus l'honneur de le voir, il me demanda tant de
+vos nouvelles, que je lui fis très-bien ma cour par être en état de lui
+répondre sur ce qui vous regardoit. En vérité, la mort est un événement
+trop ordinaire pour pouvoir compter sur cette vie; pour moi, j'avoue que
+je ris quand je vois traiter solidement quelque chose d'aussi court et
+d'aussi fragile; c'est ma raison qui a cette conduite; car si c'étoit le
+sentiment, eh! mon Dieu, on ne feroit rien de tout ce que l'on fait, et
+on feroit tout ce que l'on ne fait point. On vous aura sans doute mandé,
+madame, que le roi conserve à M. le duc _d'Orléans_ tous les honneurs
+et privilèges _de Monsieur_; des gardes, tous les grands officiers, et
+même un chancelier. Le roi est très-véritablement affligé. Toutes les
+femmes ont paru en mante devant S. M., et les cours souveraines vont
+lundi la haranguer. Les personnes, dont la mort devroit faire le plus
+d'impression, sont celles qui paroissent le moins regrettées, par la
+raison que l'on se tourne tout d'un coup à ce qui remplit leurs places.
+J'avoue, madame, que mon goût ne diminue point pour le repos, et qu'à
+l'heure qu'il est, je n'y préférerois que ce qui se doit préférer à
+tout; mais je n'aime point le repos que vous avez; il est trop loin de
+moi. Ce n'est pas que le séjour de Grignan ne me plût infiniment, si j'y
+pouvois aller. Au reste, madame, à propos de beau château, je vais avoir
+celui d'Ormesson; et je suis assez modérée pour n'en point désirer
+d'autres, ne voyant rien au-dessus que le séjour de Grignan. Nous avons
+eu ici la duchesse _du Lude_ cinq ou six jours avant la funeste mort de
+_Monsieur_. J'ai vu l'abbé _de Polignac_ depuis son retour, dont il se
+croit redevable au P. _de la Chaise_; il est plus aimable que jamais, je
+dis l'abbé _de Polignac_. M. _de Coulanges_ est ravi de la fin de cette
+disgrâce; mais comme il court toujours les champs, je crois qu'il ne l'a
+point encore vu. M. le cardinal _de Bouillon_ est tranquille dans son
+abbaye, chose étonnante et difficile à croire? mais, madame, vous n'en
+serez point surprise, quand vous saurez qu'il est dans une extrême
+dévotion. Le roi lui a fait la grâce de lui accorder une main-levée pour
+la jouissance de tous ses revenus; cela fait espérer bien des
+adoucissemens dans ses malheurs. Il faut que je vous remercie beaucoup
+de vous être souvenue de mon amie la marquise, dont je ne sais seulement
+pas le nom, mais qui m'a été recommandée par une de mes véritables
+amies. On me l'amena hier. Elle dit qu'elle connoissoit fort toute ma
+famille à Lyon; je ne me souviens point de l'y avoir vue. Tout ce que je
+sais, c'est que c'est une femme de bonne maison, et que je vous suis
+très-obligée, madame, et à M. _de Grignan_, de la bonté que vous avez
+eue l'un et l'autre d'avoir égard à la très-humble prière que je vous ai
+faite. Madame _de Sulli_ est assez malade; elle est dans toutes les
+règles des mauvais médecins, _du lait_, _saignare_, _purgare_, etc. Il
+n'y a pas moyen de lui faire entendre raison sur cela, quoiqu'elle
+l'entende si bien sur toute chose. Continuez-moi l'honneur de vos bonnes
+grâces, madame, et croyez, s'il vous plaît, qu'on ne peut vous honorer
+plus que je fais. Ma sœur brille à Bruxelles; elle a tous les soirs
+madame la comtesse _de Soissons_ à souper chez elle. Il me prend
+quelquefois envie d'aller à Bruxelles représenter madame _de
+Béthune_[113] en Pologne. Vous ne sauriez comprendre à quel point je
+désire votre retour, madame. Plus je suis indifférente pour tout ce qui
+vient, plus je m'attache à ce qu'il y a quelque temps que je connois.
+M. _de Coulanges_ s'en va en Bourgogne avec madame _de Louvois_, et moi
+à Choisi toute seule prendre patience de ne pouvoir être à Ormesson que
+l'année qui vient; mais le moyen de faire encore des projets avec les
+exemples qu'on a chaque jour sous les yeux.
+
+
+
+
+LETTRE XLII.
+
+A LA MÊME.
+
+_Paris, 12 septembre 1701._
+
+Je suis dans le monde, madame, et si peu instruite de ce qui s'y passe,
+que je n'oserois vous agacer; mais quand vous m'honorez de votre
+souvenir, j'y réponds avec un empressement, qui vous doit faire
+connoître la sensible joie que j'en ai, et juger en même temps que mon
+silence doit s'appeler de la discrétion toute pure. Il est vrai, madame,
+que vous êtes bien exposée aux grandeurs de ce monde. Vous réussissez
+si bien, qu'il seroit malheureux que vos talens ne parussent point. Vous
+ne payez pas seulement d'invention; on n'a parlé ici que de la
+magnificence avec laquelle vous avez reçu les princes; ce n'étoit qu'en
+attendant la reine d'Espagne. Madame _de Bracciane_ sera ravie de vous
+présenter à sa jeune reine. Je la trouve, comme vous, bien digne de
+l'emploi qu'elle a; mais la façon de penser de quelqu'un qui n'est plus
+jeune, ne laisse rien imaginer d'agréable[114]. J'ai déjà tant vécu,
+qu'il me paroît peu possible d'envisager un long avenir; ainsi ce peu
+qui me reste, j'aimerois à le passer dans le repos. Je n'ai jamais eu de
+goût pour les personnages, qui n'étoient point les jeunes dans les
+comédies. Cela m'est demeuré pour le théâtre du monde. Ma paresse
+naturelle, une foible santé sans doute, me donnent de telles pensées,
+qui s'accommodent si bien avec ma médiocre fortune, que je n'en puis
+assez remercier Dieu. J'ai trop aimé le monde. Il me semble cependant
+que je n'ai pas perdu le temps que j'ai passé à m'en détromper; car il
+est certain que je préfère la vieillesse aux belles années, par la
+grande tranquillité dont elle me laisse jouir: mais je veux répondre à
+vos questions, madame. Le voyage que madame _de Louvois_ devoit faire en
+Bourgogne, est rompu; elle est à Choisi pour toute l'automne: monsieur
+_de Coulanges_ y est avec elle, et je compte y aller dans sept ou huit
+jours. Comme je n'ai point encore de maison de campagne, je prends
+patience à Paris. Si je vis jusqu'à l'année qui vient, j'aurai Ormesson,
+qui n'est plus reconnoissable que par le bois. La maison est aussi
+blanche qu'elle étoit noire. Les fenêtres sont coupées jusques en bas;
+enfin, il y aura pour se coucher, pour se promener; et, grâce à Dieu, je
+n'en désire pas davantage. Pardonnez-moi, je désire passionnément de
+vous y recevoir; les cabarets plaisent quelquefois, quand on est
+accoutumé aux délices des grands palais. Oui, madame, M. _de Coulanges_
+ira voir M. le cardinal _de Bouillon_, lequel, à ce que j'apprends, est
+bien plus heureux qu'il n'a jamais été. Je suis tout-à-fait sensible au
+malheur qui vient d'arriver à madame _de Chatelux_. Son fils, bien fait,
+bien riche, qu'elle alloit marier à une héritière de Bourgogne, a été
+tué à cette dernière occasion[115]. Je crois que le maréchal _de
+Villeroi_ justifiera tout-à-fait la conduite de M. le maréchal _de
+Catinat_. Il est si honnête, qu'il ne dira que des vérités. Votre amie
+madame _de Lesdiguières_ a été bien heureuse. Vous ne m'aviez jamais
+confié que ce qu'elle a pour vous, madame, est une passion très-vive.
+Madame _de Louvois_ et moi, passâmes avec elle, il y a quelques jours,
+une partie de l'après-dinée. Elle nous montra un assortiment pour
+prendre du café d'une magnificence et d'une perfection comme il n'y en a
+point. On proposa d'en faire usage; elle nous assura que personne ne
+s'en serviroit avant votre retour. Elle l'attend avec une impatience que
+je comprends mieux que personne; en un mot, madame, vous lui avez
+inspiré des sentimens qui lui seroient inconnus sans vous. Son palais
+est plus beau et plus tranquille que jamais. Je m'y trouve à merveille;
+il me paroît qu'on ne se peut ennuyer dans un lieu où vous êtes si
+chérie. L'abbé _Testu_ a été ravi de l'honneur de votre souvenir, aussi
+bien que madame _Frontenac_ et mademoiselle _d'Outrelaise_. Ce premier
+est plus jeune que jamais; il seroit tout prêt à conduire le roi
+d'Espagne[116]. Chaque année lui en ôte deux, de façon qu'il est
+assurément trop jeune. Il y a long-temps que je n'ai vu madame votre
+belle-sœur. Elle a des vapeurs; et quand cela est ainsi, elle est seule
+sur son lit. Je lui ferai vos reproches. Je crois que M. _de Sévigné_
+reviendra bientôt de Bretagne. A propos de Bretagne, personne ne doute
+que M. _de Beaumanoir_ n'épouse mademoiselle _de Noailles_. Madame _de
+Simiane_ accouchera bientôt. Je voudrais bien pouvoir lui être bonne à
+quelque chose; mais je suis très-peu habile sur les accouchemens; et
+comme vous savez que je ne joue point, vous voyez bien qu'il m'arrive
+encore de lui être inutile, quand elle se porte bien. J'aurai cependant
+l'honneur de la voir, et de vous mander de ses nouvelles, quand elle ne
+sera point en état de vous écrire. Madame _de Sanzei_ est à Autri. La
+cour est à Marli jusqu'à samedi. Elle partira mardi pour Fontainebleau;
+elle séjournera deux jours à Sceaux; Meudon, Chaville, Sceaux, Lestang,
+admirez; madame, comme tout cela a changé en peu de temps: il n'y a que
+madame _de Bracciane_ et l'abbé _Testu_ qui ne changent point. Je vous
+demande pardon de la longueur de ma lettre. Je me laisse aller au
+plaisir de vous entretenir; je crains qu'il ne m'en coûte d'être
+long-temps sans recevoir de vos nouvelles. Seroit-il possible, madame,
+que je vous pusse recevoir à Ormesson? Vous ne me parlez jamais de votre
+retour, et cela m'afflige. Madame _de Lesdiguières_ assure qu'il est
+décidé pour le printemps. Je la verrai aujourd'hui, et ce ne sera pas
+sans qu'il soit bien parlé de vous. J'aime fort à lui plaire; mais il
+n'est pas aisé de démêler qui est la complaisante de nous deux, quand il
+est question de vous, madame.
+
+
+
+
+LETTRE XLIII.
+
+A LA MÊME.
+
+_Paris, 4 avril 1702._
+
+Je suis bien récompensée du soin que j'ai pris pour le chocolat de M.
+_de Grignan_, madame, puisque cela m'a attiré une marque d'honneur de
+votre souvenir. Il me semble que je vous aurois importunée, si je vous
+avois écrit dans toutes les occasions où il a été question de vous en ce
+pays-ci. Vous avez fait les honneurs de la France avec une telle
+magnificence et une telle profusion que l'on en parle encore tous les
+jours. Vous allez avoir le roi d'Espagne. J'avoue que tous ces honneurs
+ne me laissent point oublier mes intérêts, et je crains toujours que
+cela ne retarde votre retour, que je ne puis m'empêcher de désirer
+très-vivement. Je ne doute point que vous n'ayez été fort sensible à la
+perte de notre pauvre duchesse _de Sulli_[117]. Elle vous aimoit
+véritablement, et c'étoit une très-aimable femme. Ah! madame, je la vis
+la veille de sa mort. Elle se croyoit bien malade; mais elle étoit bien
+éloignée de penser que le terme fût aussi court. Sa docilité pour les
+médecins l'a tuée; cependant s'il est vrai que nos jours sont comptés,
+pourquoi ne nous pas désaccoutumer de nos ridicules raisonnemens? Quant
+à moi, qui me trouve seule de toutes les personnes avec qui j'ai passé
+ma vie, je demeure dans ma solitude sans vouloir faire aucune nouvelle
+connoissance; cela n'en vaut pas en vérité la peine. Ma vie est
+très-éloignée de celle du monde. Je ne m'y trouve plus du tout propre.
+Ces nouveautés qu'il me présente ne sont plus à mon usage; et mon
+antiquité n'est plus au sien. Ainsi, grâce à Dieu, nous nous passons à
+merveille l'un de l'autre. Vous jugez bien, madame, que cela me rend
+peu digne du commerce que je pourrois avoir avec madame _de Simiane_.
+Son âge[118] et le mien sont trop disproportionnés. Je sais cependant
+qu'elle va habiter notre quartier, et je la plains beaucoup. Je suis
+assurée que quand elle auroit tort à votre égard, vous chercheriez
+toujours à la justifier. Ainsi, j'espère que vous l'aimerez toujours par
+la raison qu'elle vous est fort attachée, et que vous l'aimez
+naturellement. Elle est aussi très-aimable; cela est constant. Mais,
+madame, savez-vous bien que votre amie, madame _de Lesdiguières_, n'est
+point du tout en bonne santé? elle a une jambe qu'elle ne sent point, et
+qui est enflée. Elle n'imagine point d'autre remède que la saignée, qui
+est le seul, je crois, qui peut rendre son mal dangereux. Il faudroit
+fournir des esprits, et elle se veut épuiser, ce qui n'est assurément
+pas raisonnable. Je vous en avertis comme la seule personne qui peut lui
+faire entendre raison. La maréchale _de Villeroi_ a commencé à être
+affligée du jour que le maréchal partit pour l'Italie. L'événement n'a
+que trop justifié sa douleur; il étoit plus heureux, étant le marquis
+_de Villeroi_. Mais, madame, vous nous avez envoyé un prisonnier, qui
+l'est, je crois, présentement de mademoiselle _de Bellefond_. Il soupa
+avec elle le jour de son arrivée à Vincennes; il fut charmé avec raison
+de sa beauté. Il a gagné le donjon depuis, avec l'idée de cette jolie
+fille, qui est toute des plus aimables. Enfin, elle n'a des _Mancini_
+que la beauté. J'ai si peu de commerce avec M. _de Richelieu_[119], que
+je ne l'ai point vu depuis son mariage. Si on le voyoit toutes les fois
+qu'il se marie, on passeroit sa vie avec lui. Il est trop jeune pour
+moi; je ne sais pas si madame _de Richelieu_ lui trouvera ce défaut. On
+ne peut trop louer sa modération; elle n'a pas encore pris son tabouret.
+L'hôtel _de Richelieu_ est à vendre. Pour l'abbé _Testu_, je le crois
+très-fâché de ne pouvoir suivre l'exemple de M. _de Richelieu_. Sa
+jeunesse augmente tous les ans; et vous croyez bien, madame, qu'avec un
+tel privilège il est assurément trop jeune pour se marier. Il m'a priée
+de vous dire des choses très-passionnées de sa part. La princesse de _la
+Cisterne_[120], à qui j'ai appris que vous vous étiez souvenue d'elle,
+m'a fait promettre, madame, que je vous dirois combien elle est
+véritablement affligée de ne vous avoir point trouvée en ce pays-ci.
+Elle y a réussi à merveilles; la cour lui en a fait. Elle a tourné
+l'esprit de sa mère à tout ce qu'elle a désiré. Sa petite fille est
+morte; et c'est un bien pour faire réussir ses projets. Elle a un fils
+aîné, qui est fort grand seigneur dans son pays; et un petit, beau comme
+le jour, qu'elle prétend établir en France sous le nom de marquis _de la
+Trousse_ avec ses deux belles terres de la Trousse et de Lisi. Elle ne
+trouve nul obstacle du côté de sa mère, qui lui a, je crois, assuré tout
+son bien. C'est une très-habile femme que madame _de la Cisterne_. Je la
+regrette; elle nous quitte après un voyage de huit jours qu'elle va
+faire à la Trousse. Elle vous plairoit, madame; elle a un esprit bon et
+naturel: je pense qu'elle pourra bien se venir établir en France dans
+quelques années; mais je ne prends plus aucune part dans les projets
+éloignés. Nous sommes ici dans l'agitation du Jubilé. Cette dévotion
+n'est point dans les principes du Quiétisme; car il se faut donner bien
+du mouvement. Le roi viendra trois jours de suite à Notre-Dame, à
+commencer jeudi, et s'en retournera à Meudon; _Monseigneur_ y est venu
+ces jours-ci. Enfin, madame, tout le monde est dans la ferveur, jusqu'à
+M. _de Coulanges_, qui, avant que d'aller courir les rues, m'a fort
+priée de vous assurer de ses respects. Je ne puis vous dire, madame, à
+quel point je sais vous honorer et vous aimer; mais les absences sont
+trop longues. Je ne les trouve point proportionnées à la brièveté de la
+vie; et vous jugez bien, madame, par la tristesse de cette réflexion, de
+tout l'ennui que me cause votre éloignement.
+
+
+
+
+LETTRE XLIV.
+
+A LA MÊME.
+
+_Paris, 10 mai 1703._
+
+J'espérois n'avoir aujourd'hui qu'à vous rendre mille très-humbles
+grâces d'une très-aimable lettre que je reçus hier de vous, madame, et
+je me trouve obligée de vous faire un triste compliment sur la mort du
+petit marquis _de Simiane_. La jeunesse et la fertilité du père et de la
+mère doivent donner de grandes espérances de voir bientôt cette perte
+réparée; mais enfin il étoit tout venu, et je prends un véritable
+intérêt à tout ce qui vous regarde. Je suis ravie, madame, que vous
+approuviez les dernières connoissances que j'ai faites; car je n'ose
+encore traiter d'amis des personnes avec qui j'ai eu aussi peu de
+commerce. J'ai bien de quoi m'annoncer auprès d'eux par leur conter
+comme vous parlez de leur mérite; c'est par-là que je suis bien sûre de
+leur plaire. Ils m'ont déjà confié ce qu'ils pensoient de vous et de
+tout ce qui s'appelle Grignan. M. _de Marsin_ est malade; il attend le
+retour de sa santé pour aller où son devoir l'appelle. Le maréchal (_de
+Catinat_) est dans sa campagne plus philosophe qu'on ne peut vous le
+dire. Il a raison de se plaindre que je le fais trop attendre. Nous
+n'avons plus de temps à perdre tous deux; mais aussi nous sommes trop
+avancés, pour que le temps nous puisse faire tort ni à l'un ni à
+l'autre. Ma sœur doit partir pour Bruxelles le lendemain des fêtes; et
+voilà-ce qui m'a empêchée jusqu'à présent de m'aller établir à Ormesson,
+où je compte passer une partie de l'été; mais je serai bien honteuse, si
+j'y reçois jamais M. _de Grignan_, de ne lui présenter qu'un grand bois,
+lui qui est accoutumé, comme vous dites, madame, aux délices de Capoue.
+Il n'importe, je désire très-vivement d'avoir cette honte; car si je ne
+lui présente point les objets charmans, dont il jouit à Mazargues[121],
+et les belles eaux que je crois qui surpassent en beauté celles de
+Versailles, je lui présenterai une antique personne très-touchée des
+charmes de la solitude, et qui, sans avoir aucune aigreur contre le
+monde, en est fort dégoûtée. J'espère que, par ses conversations, il me
+tiendra moins de rigueur, et qu'il me pardonnera mes bois très-dénués
+de vue. Pour vous, madame, j'ose dire que vous serez surprise de
+l'arrangement de cette vieille maison, si vous pouvez faire un assez
+grand effort de mémoire pour vous en souvenir. Que dites-vous du parfait
+bonheur de M. le maréchal _de Villars_? Il est bien heureux de n'être
+pas désabusé du monde; car assurément le monde est tourné bien
+agréablement pour lui; et le moyen alors de penser qu'il n'y ait pas de
+plaisir dans cette vie? On dit qu'il a des inquiétudes qui le troublent,
+et que je crois cependant très-peu fondées. Si ma nièce avoit bien voulu
+me croire, le maréchal seroit heureux, et elle grande dame. Son
+insensibilité va jusqu'à n'être pas touchée de la conduite qu'elle a
+eue. J'avoue que je ne reconnois point mon sang à cette indolence. M.
+_de Coulanges_ arriva hier de Versailles avec un portrait qu'il tenoit
+de la libéralité de M. le duc _de Bourgogne_. Il est aussi content que
+le peut être le maréchal _de Villars_. Tout Paris dit qu'il va être
+duc, je ne dis pas M. _de Coulanges_. Je conterai à _Sanzei_ que vous
+savez de ses nouvelles; il est si discret, qu'il ne nous a point parlé
+de ses bonnes fortunes. Il est aide de camp de M. le duc _de Bourgogne_;
+et il me paroît encore plus attaché à son maître qu'à sa maîtresse. Je
+ne vous puis rien dire de _Chambon_; j'en suis désolée. Moins il est
+coupable, plus sa prison sera longue. Il n'oseroit dire ce qui pourroit
+le justifier: cela vous paroîtra un peu énigme; mais je n'ose en dire
+davantage, de peur d'être à la Bastille. Je vis, il y a deux jours,
+madame la duchesse _de Lesdiguières_. La manière dont je désire votre
+retour, me fait un mérite auprès d'elle; mais je ne suis point contente
+que vous me parliez de ce retour avec si peu de certitude. Nous
+attendons la Saint-Jean avec autant de crainte que d'impatience; car si
+vous ne donnez point congé à M. _de Rezé_, nous ne tenons rien. Ainsi
+cet événement-là ne nous est pas assurément indifférent. Si Vous saviez
+ce que c'est que la calèche de velours jaune que madame _de
+Lesdiguières_ vient de faire paroître, vous ne pourriez pas résister au
+plaisir de vous promener dedans; on ne parle d'autre chose. Elle est
+singulière, magnifique, mais très-éloignée d'être ridicule, comme on
+l'avoit dit. On me l'avoit faite semée de _mores_; et cela est faux. Les
+roues sont bleues, et paroissent de lapis. Cela fait un effet charmant
+avec ce jaune. Il y a trois mois que je n'ai vu madame votre
+belle-sœur[122]; elle n'a plus aucun commerce avec les profanes. J'ai
+été des dernières avec qui elle a rompu; mais elle ne veut plus de moi,
+il ne faut point s'en faire accroire: la maison qu'elle va habiter est
+laide; mais son jardin, qui est triste par la hauteur des murailles, ne
+laisse pas d'être grand. Vraiment, madame, une maison de campagne n'est
+pas une retraite digne d'une dévote. On ne trouve point le P.
+_Gaffarel_[123] à la campagne; et il est vis-à-vis de la porte où
+habitera M. _de Sévigné_. Je suis en peine de ce dernier. Sans sa
+docilité, ce seroit un homme perdu; mais aussi, sans sa docilité,
+n'iroit-il point habiter le faubourg Saint-Jacques. Pardonnez, madame,
+la longueur de cette lettre en faveur de la joie que j'ai de vous
+entretenir, et croyez, s'il vous plaît, qu'on ne peut être plus sensible
+que je le suis aux bontés dont vous m'honorez. Ne laissez plus aller M.
+le chevalier _de Grignan_ dans sa solitude, et entretenez M. le comte
+dans l'envie qu'il a de venir faire sa cour. Je ne crois personne plus
+propre que lui à convertir les Huguenots; il a bien de la douceur, bien
+de la raison, et n'est point du tout hérétique. Voilà, de grands talens
+pour _Orange_; mais il en a aussi pour le monde, qui le font bien
+désirer ici. Ne savez-vous pas, madame, que M. le maréchal _de Villeroi_
+a été voir madame la comtesse _de Soissons_ à Bruxelles? Il lui a mené
+son fils; et madame la comtesse _de Soissons_ avoue qu'il y a long-temps
+qu'elle n'a eu une si grande joie. J'ai lu le _Traité de l'Amitié_[124],
+qui m'a paru rempli d'esprit; mais je ne l'aime point. Je donne ce goût
+pour le mien, et point du tout pour bon. Je hais les règles dans
+l'amitié, et je ne laisserai jamais mourir mon ami. J'aime cent fois
+mieux manquer à mon serment.
+
+
+
+
+LETTRE XLV.
+
+A LA MÊME.
+
+_Paris, 17 juin 1703._
+
+J'ai eu la même conduite pour vous, madame, que j'ai eue pour moi; c'est
+celle aussi qu'ont observée toutes les personnes qui, par discrétion,
+n'ont pas cru devoir écrire à madame _de Maintenon_. Elles ont fait
+passer leurs complimens par madame la duchesse _du Lude_. J'ai écrit à
+cette dernière, et je me suis chargée de tout. Vous verrez par sa
+réponse que je dis vrai; et je suis même assurée que vous me croiriez,
+quand je ne vous l'enverrois point. Il est impossible d'être plus
+touchée que madame _de Maintenon_ l'a été de la mort de M.
+_d'Aubigné_[125]. Pour moi, je le suis fort de celle de _Gourville_,
+avec lequel j'avois renouvelé un commerce très-vif. J'y ajouterai que
+son esprit étoit si parfaitement revenu, que jamais lumière n'a tant
+brillé avant que de s'éteindre. Je n'ai point été à la campagne, comme
+je l'avois espéré; je me suis amusée à marier le frère de madame _de
+Mornai_ avec mademoiselle _de Menars_. Cette pensée-là me vint; je la
+proposai à M. l'abbé _Duguet_, qui voulut bien entrer dans cette
+affaire. Elle est enfin conclue, et les noces se sont passées avec toute
+la magnificence possible. Nous espérons de la bonté du roi l'agrément
+pour la charge de président à mortier. Mademoiselle _de Menars_ a tant
+de parens considérables, qu'il y a lieu de croire que cette espérance
+n'est pas chimérique. On présenta hier la nouvelle mariée au roi et à
+toute la cour. Madame _de Maintenon_ lui fit des prodiges. Ma
+complaisance n'a point été jusqu'à aller à Versailles, quoiqu'on l'eût
+désiré. J'ai renoncé au monde, et je n'ai pas l'humilité d'aller dans un
+pays où je n'ai que faire, et où je n'ai rien d'agréable, ni de nouveau
+à montrer. Je cours ce soir à Ormesson, où M. le maréchal _de Catinat_
+et M. _de Coulanges_ m'attendent. Je vous manderai des nouvelles de la
+vie que nous allons faire ce maréchal et moi. Je suis ravie d'apprendre
+que vous avez enfin donné congé à M. _de Rezé_; j'en tire la conséquence
+que vous revenez cet hiver. Je vous assure qu'il y a long-temps qu'aucun
+évènement ne m'a fait un plaisir si sensible. Je vous prie, madame, que
+je sois rassurée sur votre rhumatisme, dont je suis très en peine. Vous
+vous traitez si durement, que je ne vous trouve point bien entre vos
+mains. Je vis avant-hier madame _de Simiane_, que je trouvai consolée de
+la perte qu'elle a faite. Elle l'a réparée, car elle est grosse; mais il
+en coûte quelque chose à sa jolie figure. M. _de Sévigné_ nous a quittés
+pour sa Bretagne; et madame votre belle-sœur va jeudi habiter la maison
+de ma grand'mère. Je me suis trouvée attendrie en leur disant adieu; il
+me paroît qu'ils vont changer et de vie et d'amis. C'est, en vérité, une
+vraie sainte que madame votre belle-sœur, plus aisée à admirer qu'a
+imiter. Je me plains, madame, de n'avoir point appris par vous votre
+retour; mais j'en pardonnerons bien d'autres, si vous reveniez, comme je
+le veux espérer.
+
+
+
+
+LETTRE XLVI.
+
+A LA MÊME.
+
+_Paris, 7 juillet 1703._
+
+Je ne suis point contente, madame, de la manière dont vous me parlez de
+votre retour. Il me paroît que la saison de Noël vous fait peur; pour
+moi, je suis persuadée que le printemps et l'été n'arriveront qu'alors.
+Depuis trois semaines que j'habite ma solitude, je n'ai eu qu'un seul
+beau jour. Les vents sont déchaînés; les pluies continuelles; tous les
+biens de la terre perdus; voilà les événemens qui nous occupent le plus.
+Cependant celui de la petite victoire[126] de M. le maréchal _de
+Boufflers_ est venu jusques à nous. Il étoit temps qu'il fit parler de
+lui, et que l'on se souvînt que le maréchal _de Villars_ n'est pas le
+seul conquérant que nous ayons. Nul bonheur sans mélange dans ce monde.
+La passion de ce dernier pour sa femme est au dessus de celle qu'il a
+pour la gloire, et sa délicatesse lui persuade que la gloire le traite
+mieux. Sa mère est charmante par ses mines, et par les petits discours
+qu'elle commence, et qui ne sont entendus que des personnes qui la
+connoissent. Mais, madame, je m'amuse à vous parler des maréchaux de
+France employés, et je ne vous dis rien de celui[127] dont le loisir et
+la sagesse sont au dessus de tout ce que l'on en peut dire. Il me
+paroît avoir bien de l'esprit, une modestie charmante; il ne me parle
+jamais de lui, et c'est par là qu'il me fait souvenir du maréchal _de
+Choiseul_. Tout cela me fait trouver bien partagée à Ormesson[128];
+c'est un parfait philosophe, et philosophe chrétien; enfin, si j'avois
+eu un voisin à choisir, ne pouvant m'approcher de Grignan, j'aurois
+choisi celui-là. Il vous honore beaucoup, et nous parlons souvent de
+vous et de M. _de Grignan_. Il ne lui arrive point aussi d'oublier M. le
+chevalier.
+
+Madame votre belle-sœur est établie au faubourg Saint-Jacques; et M.
+votre frère ira y descendre en arrivant de Bretagne. Je suis persuadée
+qu'il va être compagnon du P. _Massillon_[129]; c'est son premier métier
+que celui d'être dévot. Les dévots sont en vérité plus heureux que les
+autres. Je les envie, et je voudrois bien les imiter. Une des premières
+visites que je ferai, sera celle d'aller dans la maison de ma
+grand'mère; car c'est la même qu'occupe madame votre belle-sœur.
+
+L'esprit de _Gourville_ étoit plus solide et plus aimable qu'il n'avoit
+jamais été. Il étoit revenu d'une manière, qui a fait sentir bien
+vivement le regret de le perdre. Ses mémoires sont charmans; ce sont
+deux assez gros manuscrits de toutes les affaires de notre temps, qui
+sont écrits, non pas avec la dernière politesse, mais avec un naturel
+admirable. Vous voyez _Gourville_ pendu en effigie, et gouverner le
+monde. Tout ce qui m'en a déplu (car je les ai entièrement lus), c'est
+un portrait, ou plutôt un caractère de madame _de la Fayette_,
+très-offensant par la tourner très-finement en ridicule. Je le trouvai
+quatre jours avant sa mort avec la comtesse _de Grammont_; et je
+l'assurai que je passois toujours cet endroit de ses mémoires. Les
+caractères de tous les ministres y sont merveilleux; l'histoire de
+madame _de Saint-Loup_ et _de la Croix_ y est narrée dans le point de la
+perfection. Vous m'allez demander si l'on ne peut point avoir un aussi
+aimable ouvrage[130]; non, madame, on ne le verra plus, et en voici la
+raison: _Gourville_ y parle de sa naissance avec une sincérité parfaite;
+et son neveu n'est pas un assez grand homme pour soutenir une chose
+aussi estimable à mon gré.
+
+Ma sœur est présentement à Bruxelles. Je lui manderai que vous lui
+faites l'honneur de vous souvenir d'elle. Notre nouvelle mariée me vint
+voir hier. C'est une femme très-vertueuse, et qui donne de
+très-agréables alliances à son mari, et une charge de président à
+mortier après la mort de M. _de Menars_. Je vous réponds sur toutes les
+questions que vous me faites, madame, à mesure qu'il m'en souvient, et
+je n'y cherche point de liaison. On ne vous a pas bien informée de la
+santé, ou plutôt de la maladie de madame _de Maintenon_. Depuis cette
+fièvre de l'hiver passé, elle en a toujours eu des accès précédés de
+grands frissons, sans marquer aucune règle; mais quand ses accès sont
+passés, elle se porte à merveille. Point de dégoût, point d'insomnie,
+très-peu de changement; voilà de bonnes marques, et qui font espérer
+qu'elle aura assez de force pour supporter cette bizarre fièvre. Madame
+la duchesse de Bourgogne s'est baignée à Marli; il faut espérer au
+retour de M. le duc de _Bourgogne_. Je suis persuadée que M. le comte
+_de Grignan_ est entièrement délivré de sa fièvre tierce. C'est une
+petite maladie faite pour le quinquina; et il me paroît qu'il n'a rien à
+hasarder à le continuer. Ma galerie est bien honorée d'être le modèle de
+la belle et magnifique galerie du château de Grignan; mais la mienne
+est auprès de vos palais; comme ces petits trous par où l'on fait voir
+Versailles. Telle qu'elle est, je voudrois bien vous y tenir, madame.
+Quant à M. le chevalier, j'espère que _Saint-Gratien_[131] l'attirera
+dans nos bois, et je le désire beaucoup. Je ne puis souffrir que madame
+de _Sal..._ ait des garçons tous les ans, toujours _Gar...._ et jamais
+_Grignan_; on n'y peut résister.
+
+
+
+
+LETTRE XLVII.
+
+A LA MÊME.
+
+_Paris, 5 août 1703._
+
+Je suis ravie, madame, que la bonne santé de monsieur le comte _de
+Grignan_ continue; le quinquina l'a bien mieux servi que madame _de
+Maintenon_, qui, malgré tout l'usage qu'elle en a fait, a toujours la
+fièvre. On l'en avoit crue guérie pendant quelques jours; mais la est
+revenue avec assez de violence, et peu de règle. Son état rend le voyage
+de Fontainebleau fort incertain. Elle est cependant à Marli; mais elle
+ne s'en porte pas mieux.
+
+L'affaire du pauvre _Chambon_ n'avance point. J'allai hier à la
+Bastille; je fis tout mon possible pour le voir. Jamais mon ami
+_Joncas_[132] n'y voulut consentir. Je le regarde comme un homme ruiné
+sans ressource, d'autant qu'on ne voit point la fin de ses malheurs: sa
+petite femme me fait une extrême pitié.
+
+Je crois que vous regrettez présentement l'hiver du mois de juillet; car
+voici un été bien chaud. Cependant il ne faut pas s'en plaindre; je
+crois ce temps-là bon pour M. le chevalier _de Grignan_ et pour les
+vignes. J'allai, il y a deux jours, à Choisi. J'y laissai M. _de
+Coulanges_, qui doit incessamment venir voir votre maison pour y
+exécuter vos ordres. Madame _de Lesdiguières_, que je vis hier, ne parle
+que de la joie que lui donne votre retour; et c'est moi qu'elle choisit
+pour en parler. Elle a, en vérité, raison; car je ne le désire pas moins
+vivement qu'elle. Nous allâmes hier, madame _de Simiane_ et moi,
+chercher le maréchal _de Catinat_. Il étoit déjà reparti. Il a passé
+quelques jours à Paris, où il m'avoit cherchée aussi; mais on ne se voit
+point à Paris. Je retourne incessamment dans la maison _de Polémon_, où
+je serai ravie de le trouver; un héros chrétien est bien plus à mon
+usage maintenant qu'un héros romanesque. La maison que je vais habiter
+m'a vue dans ces deux goûts; car, en vérité, je n'y étois soutenue dans
+ma jeunesse que par des idées très-romanesques. Ce temps-là est bien
+éloigné. Les pensées solides sont assurément plus raisonnables; et c'est
+par-là qu'elles sont assez tristes. Au reste, madame, le bel air de la
+cour est d'aller à la jolie maison que le roi a donnée à la comtesse _de
+Grammont_ dans le parc de Versailles. Le comte dit que cela jette dans
+une si grande dépense, qu'il est résolu de présenter au roi des parties
+de tous les dîners qu'il y donne. C'est tellement la mode, que c'est une
+honte de n'y avoir pas été. La comtesse va tous les jours dîner à Marli,
+et le soir revient dans sa jolie maison vaquer à sa famille.
+
+Madame votre belle-sœur[133] est fort joliment logée. J'allai chez elle
+en dernier lieu; je la trouvai dans une très-parfaite santé,
+mademoiselle _de Grignan_ et le P. _Gaffarel_ avec elle; charmée de la
+vie qu'elle mène; bien des prières, bien des lectures, et une société de
+personnes qui sont toutes occupées de l'éternité, indifférentes pour les
+nouvelles du monde, peu sensibles à tout ce qui passe. En vérité,
+madame, ce ne sont pas eux qui ont tort.
+
+La comtesse _de Grammont_ se porte très-bien. Il est certain que le roi
+la traite, à merveille; et c'en est assez pour que le monde se tourne
+fort de son côté. Mais, comme vous savez, madame, le monde est bien
+plaisant. Permettez-moi de vous supplier de me conserver l'honneur de
+vos bonnes grâces, et d'assurer M. le comte _de Grignan_ et M. le
+chevalier de mes très-humbles services. Je conterai à notre maréchal
+tout ce que vous pensez de son mérite, et c'est par-là que je prétends
+me faire valoir auprès de lui.
+
+
+
+
+LETTRE LXVIII.
+
+A LA MÊME.
+
+_Paris, 25 septembre 1703._
+
+J'entends fort bien parler, madame, de la sagesse _de Chambon_; ainsi,
+j'espère que son ressentiment ne l'obligera point à quitter Paris, où il
+rétablira mieux le tort que sa prison a fait à ses affaires qu'en lieu
+du monde. Vous ne connoissez plus la cour, de croire qu'on a pu lire sa
+justification. On ne liroit pas un billet de deux lignes, de quelque
+importance qu'il pût être. Vous avez été instruite du beau procédé de M.
+_de Chamillard_, à l'égard de M. _Desmarest_, et des raisonnemens du
+public. Ainsi, madame, je ne vous parlerai plus de cette vieille
+nouvelle; mais je ne veux pas perdre un moment à vous dire l'état où est
+Madame _de Lesdiguières_, dont je vous croyois bien informée. Son mal a
+été une dyssenterie très-violente; et son médecin, un suisse qui a tué,
+ou du moins avancé la mort de M. _de Chaulnes_, par un breuvage qu'il
+lui donna. Cependant madame _de Lesdiguières_ ne vouloit voir aucun
+autre médecin; enfin, il y a six jours que madame la maréchale _de
+Villeroi_ lui mena de son autorité _Helvétius_, qui ne la trouva point
+en état de prendre son remède. Il crut voir des indices certains qu'elle
+avoit un abcès. Il craignit la gangrène; il lui fait prendre des
+lavemens d'herbes vulnéraires avec de l'eau d'arquebusade. Elle en est
+à fendre du pus. Ainsi, on espère qu'elle reviendra de cette maladie;
+mais on ne la croit pas encore hors de péril. Son mal est trop grand
+pour s'en prendre au café. Notre maréchal ([134]) l'a abandonné pour le
+chocolat. Je lui ferai assurément voir ce que vous dites de lui; il me
+paroît fort touché de votre approbation, madame, et de celle de M. le
+chevalier _de Grignan_. C'est le plus aimable homme du monde; nous ne
+passons pas un jour sans le voir. Je le trouve seul au bout, d'une de
+nos allées; il y est sans épée, il ne croit pas en avoir jamais porté.
+Il voit le roi tous les quinze jours, et puis revient dans sa solitude
+avec un goût qui paroît naturel. Vous avez raison, madame, de me trouver
+à plaindre, quand je retournerai à Paris. J'ai promis à madame _de
+Louvois_ d'aller passer quinze jours à Choisi; mais je vous avoue que
+j'ai bien de la peine à m'y résoudre. M. et madame _de Simiane_ me
+firent hier l'honneur de venir dîner ici avec notre fille d'honneur de
+la reine _Marguerite_; et madame votre fille me promit qu'elle y
+reviendroit passer encore quelques jours. C'est en vérité une jolie
+femme. On ne peut avoir plus d'esprit, ni un esprit plus aimable que le
+sien; une charmante humeur: il n'est pas possible de se dépêtrer d'elle;
+mais c'est bien à moi d'aimer une personne de son âge. Cependant je
+tomberois infailliblement dans cet inconvénient, si je la voyois trop
+souvent. J'ai bien de l'impatience de vous voir exécuter le projet que
+vous avez fait de revenir à Paris. Si j'étois en commerce avec les fées,
+vous me verriez voler à _Grignan_. Tant que cela ne sera point, croyez
+que je ne vais que terre à terre.
+
+
+
+
+LETTRE XLIX.
+
+A LA MÊME.
+
+_Paris, 5 février 1704._
+
+La comtesse _de Grammont_, madame, ne se porte pas bien; aussi je la
+crois moins soutenue que le comte par les charmes de la cour,
+quoiqu'elle y soit traitée avec toutes les distinctions possibles. M.
+_de l'Hôpital_ est mort[135]; c'étoit une de vos conquêtes. Sa
+femme[136] demeure avec quarante mille écus de rente. Cela change fort
+son état; car on ne la faisoit vivre que des _infiniment petits_[137].
+L'abbé _Testu_ est dans un état très-digne de pitié. Ses vapeurs
+augmentent; au lieu de diminuer. Il y a trois mois qu'il n'a dormi. Il
+ne mange plus, et son imagination se sent des désordres de son corps.
+Ajoutez à tous ses maux soixante-dix-huit ans, et vous jugerez que nous
+aurons bien de la peine à le tirer de l'état où il est. Quelle
+tristesse, madame, de voir disparoître toutes les personnes avec qui
+l'on a vécu! j'apprends dans ce moment la mort de madame _de
+Boisdauphin_. Je vous quitte avec regret, madame, pour aller au secours
+de madame _de Louvois_. Ce ne sera pourtant, qu'après vous avoir
+suppliée de ne point oublier la manière dont je vous honore, j'ose dire
+plus, celle dont je vous aime. Je vois quelquefois madame _de
+Lesdiguières_; j'ai même été chez elle avec madame _de Simiane_, qui ne
+l'avoit point vue depuis la perte de son fils[138]. Cette dernière
+prétend que ce n'étoit point sa faute; mais il étoit un peu tard, je
+l'avoue. Elle vous adore (_madame de Lesdiguières_); mais elle soutient,
+et je suis de son avis, que ce n'est pas vous voir que de se souvenir de
+vous. Je crois le printemps revenu à Marseille; car il se laisse
+entrevoir dans ce pays ci. J'oubliois de vous dire que l'abbé _Testu_ a
+été très-sensible à l'honneur de votre souvenir, malgré la cruauté de
+tous ses maux.
+
+
+
+
+LETTRE L.
+
+A LA MÊME.
+
+_Paris, 3 mars 1704._
+
+Je me suis acquittée des ordres que vous m'avez donnés, madame, et j'ai
+mille et mille remercîmens à vous faire de madame _de Louvois_, qui m'a
+paru fort touchée de votre attention à son égard. La pauvre femme a
+hérité de cinquante-quatre mille livres de rente. Je ne l'en, crois pas
+plus heureuse, et je sais bien que je me sens très-éloignée de
+l'envier. Nous avons eu la duchesse _du Lude_ quatre jours ici. Cela
+devient ridicule d'être aussi belle qu'elle l'est; les années coulent
+sur elle, comme l'eau sur la toile cirée. Sa joie est très-grande de
+l'heureuse grossesse de sa jeune princesse. Le P. _Massillon_ réussit à
+la cour, comme il a réussi à Paris; mais on sème souvent dans une terre
+ingrate, quand on sème à la cour; c'est-à-dire que les personnes qui
+sont fort touchées de sermons, sont déjà converties, et les autres
+attendent la grâce, souvent sans impatience; l'impatience seroit déjà
+une grande grâce. En vérité, madame, M. le marquis _de Grignan_ est ce
+qui s'appelle un homme de bien, sans qu'il lui en coûte de déplaire au
+monde: au contraire, on, l'en aime davantage. Pour moi, j'avoue que je
+l'honore au dernier point. Madame _de Simiane_ se porte à merveille;
+elle se dispose à vous aller trouver ce printemps, puisque le duc de
+Savoie ajoute à tous les maux qu'il nous fait, celui de vous obliger à
+demeurer en Provence. Nous avons ici un voisin qui vous désire beaucoup
+à Paris, madame: c'est M. le cardinal _d'Estrées_. Il s'adonne fort à
+venir ici les soirs; et j'ai été assez peu polie pour le prier de ne les
+pas pousser aussi loin qu'il faisoit. Mon antiquité ne me permet plus
+d'entretenir la compagnie au-delà de neuf heures; et notre cardinal, qui
+est plus vif et plus jeune que jamais, ne s'amuse point à savoir l'heure
+qu'il est. Je compte m'aller établir dans ma solitude[139] vers les
+premiers jours de mai. J'y verrai le maréchal _de Catinat_, qui se
+trouve toujours à Saint-Gratien, pour y recevoir le premier rossignol.
+Le maréchal _de Villars_ nous quitte pour aller habiter le quartier de
+Richelieu: il est si amoureux de sa belle maréchale, qu'il est difficile
+qu'il soit heureux. Cette passion est ordinairement suivie d'une autre
+qui trouble le repos, lors même qu'on a tout lieu de ne se point
+inquiéter. Le maréchal est souvent plus aise que s'il avoit épousé ma
+nièce; mais il est bien moins tranquille qu'il ne l'auroit été. La
+belle-mère de ma nièce se meurt, et le pauvre _Termes_ mourut hier à six
+heures du matin. L'abbé _Testu_ a des maladies bien réelles; il est à
+craindre maintenant qu'on ne soit obligé de lui faire une opération.
+Ajoutez à ce mal un cruel rhumatisme, et vous jugerez, madame, que ses
+vapeurs ne sont pas le plus grand de tous ses maux. Il est comme _Job_
+sur son fumier, à la patience près; je suis très-fâchée de son état.
+C'est, pour ainsi dire, demeurer seule sur la terre, que de voir
+disparoître tout ce que l'on a connu; ce qui est de certain, c'est que
+l'on n'y sera pas long-temps. Votre amie, madame _de Lesdiguières_, fait
+des merveilles pour la duchesse _de Lesdiguières_, jadis madame _de
+Canaples_.
+
+Vous savez, madame, que notre _Sanzei_ a été fait brigadier.
+
+FIN.
+
+
+
+
+LETTRES
+
+DE
+
+MMES. DE VILLARS,
+
+DE COULANGES,
+
+ET DE LA FAYETTE;
+
+DE NINON DE L'ENCLOS,
+
+ET DE
+
+MADEMOISELLE AÏSSÉ;
+
+Accompagnées de Notices biographiques, de Notes explicatives, et de LA
+COQUETTE VENGÉE, par NINON DE L'ENCLOS.
+
+SECONDE ÉDITION.
+
+TOME SECOND.
+
+
+A PARIS, Chez LÉOPOLD COLLIN, Libraire, Rue Gît-le-cœur, Nº. 18.
+
+AN XIII.--1805.
+
+
+
+
+LETTRES
+
+DE
+
+MADAME DE LA FAYETTE.
+
+
+
+
+NOTICE
+
+SUR
+
+Mme. DE LA FAYETTE.
+
+
+Marie-Magdeleine Pioche de la Vergne, comtesse _de la Fayette_, naquit,
+en 1632, d'Aymar _de la Vergne_, maréchal de camp et gouverneur du
+Hâvre-de-Grâce, et de Marie _de Péna_, d'une ancienne famille de
+Provence.
+
+Mademoiselle _de la Vergne_ eut le bonheur d'avoir un père en qui le
+mérite égaloit la tendresse. Il prit soin lui-même de l'éducation de sa
+fille, et cette éducation fut à la fois solide et brillante. Les lettres
+et les arts concoururent à embellir un heureux naturel. _Ménage_ et le
+père _Rapin_ se chargèrent d'enseigner le latin à mademoiselle _de la
+Vergne_. Introduite de bonne heure dans la société de l'hôtel de
+Rambouillet, la justesse et la solidité naturelle de son esprit
+n'auroient peut-être pas résisté à la contagion du mauvais goût, dont
+cet hôtel étoit le centre, si la lecture des auteurs latins ne lui eût
+offert un préservatif, qu'à cette époque elle ne pouvoit encore trouver
+dans notre littérature. Du reste, elle mit autant de soin à cacher son
+savoir que d'autres en mettent à l'étaler.
+
+En 1655, âgée de 22 ans, elle épousa François, comte _de la Fayette_,
+frère de mademoiselle _de la Fayette_, fille d'honneur d'Anne
+_d'Autriche_, connue par ses chastes amours avec _Louis XIII_. Madame
+_de la Fayette_ eut de son mari deux fils, dont l'un suivit la carrière
+des armes, et l'autre embrassa l'état ecclésiastique.
+
+Douée d'un esprit cultivé et du talent d'écrire, madame _de la Fayette_
+ne pouvoit manquer d'avoir une estime particulière pour ceux en qui les
+mêmes avantages se faisoient remarquer. Plusieurs gens de lettres furent
+admis dans sa familiarité. De ce nombre étoit _la Fontaine_, dont la
+destinée sembloit être d'avoir les femmes les plus distinguées pour
+amies et pour bienfaitrices.
+
+_Segrais_ avoit déplu à _Mademoiselle_, au service de laquelle il étoit
+en qualité de gentilhomme ordinaire, pour avoir blâmé son projet de
+mariage avec _Lauzun_. Il fut obligé de quitter la maison de cette
+princesse. Madame _de la Fayette_ le reçut dans la sienne. Ce fut
+pendant le séjour qu'il y fit qu'elle composa _Zayde_ et _la princesse
+de Clèves_. Elle fit paroître le premier de ces romans sous le nom de
+_Segrais_. Le succès en fut si prodigieux, que madame _de la Fayette_,
+toute modeste qu'elle étoit, dut regretter de n'en pouvoir jouir qu'en
+secret, et que _Segrais_, sur-tout, dut désirer de ne pas rester plus
+long-temps chargé d'une gloire, qui, croissant chaque jour, devenoit un
+fardeau également incommode pour sa délicatesse et pour son
+amour-propre. Il en rendit la jouissance à celle qui en avoit la
+propriété, sans en rien retenir que l'honneur d'avoir donné quelques
+avis pour la disposition de l'ouvrage. Sa renonciation fut sincère, et
+l'on y crut.
+
+Le docte _Huet_, depuis évêque d'Avranches, fut lié d'une amitié
+très-tendre avec madame _de la Fayette_. Il composa pour elle son
+_Traité de l'origine des Romans_, qui fut imprimé en tête de _Zayde_.
+C'est à ce sujet que madame _de la Fayette_ disoit à _Huet: Nous avons
+marié nos enfans ensemble_.
+
+Rien n'est plus connu que l'amitié de madame _de la Fayette_ et du duc
+_de la Rochefoucauld_, l'auteur des _Maximes_. Elle dura plus de
+vingt-cinq ans, et la mort seule en rompit les nœuds. Ce ne seroit point
+assez de dire que M. _de la Rochefoucauld_ et madame _de la Fayette_ se
+voyoient tous les jours; ils étoient continuellement ensemble; ils ne se
+quittoient pas. Le duc _de la Rochefoucauld_, après l'éclat et les
+agitations de sa jeunesse, condamné à la retraite et au repos, éloigné
+des places et des honneurs, abandonné de ceux qui ne s'attachent qu'à la
+faveur, et de plus obsédé de maux très-douloureux, se livroit trop
+souvent aux accès d'une injuste misantropie. Dans cette position, quelle
+société pouvoit lui être plus nécessaire que celle d'une femme aimable
+et bonne, qui embellît sa solitude, remplît le vide de son âme, adoucît
+son humeur et ses chagrins, dont l'attachement désintéressé fût une
+continuelle réfutation de son triste système, dont l'entretien fît une
+agréable diversion aux maux qu'elle ne parviendroit pas à soulager par
+ses soins, qui attirât chez lui, auprès de qui il pût trouver ce choix
+d'hommes instruits et de femmes spirituelles, si préférable à la foule
+des courtisans frivoles et perfides? Telle étoit madame _de la Fayette_
+pour M. _de la Rochefoucauld_. Son ami mourut; elle fut inconsolable.
+Accablée par le chagrin et les infirmités, ayant perdu ce qui
+l'attachoit le plus au monde, elle se jeta toute entière dans le sein de
+Dieu. Les dernières années de sa vie furent consacrées aux pratiques de
+la piété la plus austère; elle mourut en 1693, dans sa soixantième
+année.
+
+Le trait le plus marqué de son caractère, étoit la franchise. M. _de la
+Rochefoucauld_ lui avoit dit qu'elle étoit _vraie_. Ce mot qui n'avoit
+point encore été employé dans cette acception, parut la peindre
+parfaitement, et dès lors chacun le lui appliqua.
+
+Son caractère et sa conduite ont été attaqués; mais la malignité connue
+de ses détracteurs suffit presque seule pour réfuter leurs accusations.
+Il suffit de nommer _la Beaumelle_, historien infidèle, qui presque
+toujours mettoit à la place de la vérité les caprices de son humeur ou
+les saillies de son imagination; et _Bussy-Rabutin_, ce satirique
+impitoyable qui n'épargna ni le roi ni madame _de Sévigné_, sa cousine,
+c'est-à-dire, ce qu'il y avoit de plus puissant et de plus aimable. Aux
+calomnies de pareils hommes, opposons un témoignage, qui, pour être
+favorable, n'en est pas moins digne de foi. C'est celui de madame _de
+Sévigné_. «Madame _de la Fayette_, écrivoit-elle à sa fille, est une
+femme aimable et estimable, que vous aimiez dès que vous aviez le temps
+d'être avec elle, et de faire usage de son esprit et de sa raison. Plus
+on la connoît, plus on s'y attache.»
+
+Madame _de la Fayette_ avoit l'esprit éminemment juste. _Segrais_ lui
+avoit dit: _Votre jugement est supérieur à votre esprit._ Cette opinion
+lui avoit paru très-flatteuse. On sent que pour bien goûter une pareille
+louange, il faut la mériter. Elle ne portoit dans la conversation ni les
+saillies étincelantes et caustiques de madame _Cornuel_, ni la vivacité
+spirituelle de madame _de Coulanges_, ni l'aimable abandon de madame _de
+Sévigné_; mais ses discours étoient d'une précision élégante et
+ingénieuse. On a retenu d'elle plusieurs mots, entr'autres celui-ci:
+_Les sots traducteurs ressemblent à des laquais ignorans qui changent en
+sottises les complimens dont on les charge._
+
+Il est inutile de s'étendre ici sur ses ouvrages que tout le monde
+connoît. _Zayde, la princesse de Clèves, la comtèsse de Tende_ et _la
+princesse de Montpensier_, seront lues avec plaisir aussi long-temps
+qu'on sera sensible à la délicatesse des sentimens, aux grâces et au
+naturel du style. Outre ses romans, elle avoit composé un assez grand
+nombre d'ouvrages historiques; mais les manuscrits se sont perdus par la
+négligence de l'abbé _de la Fayette_, son fils, qui les prêtoit à tout
+le monde, et ne les redemandoit pas. On n'a conservé que deux de ces
+écrits; l'un est intitulé: _Mémoires de la cour de France, pour les
+années 1688 et 1689_; l'autre est l'histoire de madame Henriette-Anne
+_d'Angleterre_, première femme de _Monsieur_.
+
+On a encore de madame _de la Fayette_ un portrait de madame _de
+Sévigné_, l'un des meilleurs qu'on ait faits dans ce siècle où l'on en
+fit tant. L'amitié retraça fidèlement les traits d'un modèle qu'elle
+n'avoit pas besoin d'embellir. Ce portrait a été placé dans le volume
+que nous publions à la suite des lettres de madame _de la Fayette_.
+
+Ces lettres, qui sont au nombre de quatorze, sont adressées à cette même
+madame _de Sévigné_, dont elles ne dépareroient pas le recueil. On peut
+croire que, si madame _de la Fayette_ se fût livrée davantage au
+commerce épistolaire, elle eût approché en ce genre du talent et de la
+réputation de son amie; «mais, lui écrivoit-elle un jour, le goût
+d'écrire m'est passé pour tout le monde; et, si j'avois un amant qui
+voulût de mes lettres tous les patins, je romprois avec lui.»
+
+
+
+
+LETTRES
+
+DE
+
+MADAME DE LA FAYETTE,
+
+A MADAME DE SÉVIGNÉ.
+
+
+
+
+LETTRE PREMIÈRE.
+
+Paris, 30 décembre 1672.
+
+
+J'ai vu votre grande lettre à _d'Hacqueville_: je comprends fort bien
+tout ce que vous lui mandez sur l'évêque de Marseille; il faut que le
+prélat ait tort, puisque vous vous en plaignez. Je montrerai votre
+lettre à _Langlade_, et j'ai bien envie encore de la faire voir à madame
+_du Plessis_; car elle est très-prévenue en faveur de l'évêque. Les
+Provençaux sont des gens d'un caractère tout particulier.
+
+Voilà un paquet que je vous envoie pour madame _de Northumberland_. Vous
+ne comprendrez pas aisément pourquoi je suis chargée de ce paquet; il
+vient du comte _de Sunderland_, qui est présentement ambassadeur ici. Il
+est fort de ses amis; il lui a écrit plusieurs fois; mais n'ayant point
+de réponse, il croit qu'on arrête ses lettres, et M. _de la
+Rochefoucauld_, qu'il voit très-souvent, s'est chargé de faire tenir le
+paquet dont il s'agit. Je vous supplie donc, comme vous n'êtes plus à
+Aix, de le renvoyer par quelqu'un de confiance, et d'écrire un mot à
+madame _de Northumberland_, afin qu'elle vous fasse réponse, et qu'elle
+vous mande qu'elle l'a reçu; vous m'enverrez sa réponse. On dit ici que
+si M. _de Montaigu_ n'a pas un heureux succès dans son voyage, il
+passera en Italie pour faire voir que ce n'est pas pour les beaux yeux
+de madame _de Northumberland_ qu'il court le pays: mandez-nous un peu ce
+que vous verrez de cette affaire, et comment il sera traité.
+
+La _Marans_ est dans une dévotion et dans un esprit de douceur et de
+pénitence qui ne se peuvent comprendre: sa sœur[140], qui ne l'aime pas,
+en est surprise et charmée; sa personne est changée à n'être pas
+reconnoissable: elle paroît soixante ans. Elle trouva mauvais que sa
+sœur m'eût conté ce qu'elle lui avoit dit sur cet enfant de M. _de
+Longueville_, et elle se plaignit aussi de moi de ce que je l'avois
+redonné au public; mais ses plaintes étoient si douces, que _Montalais_
+en étoit confondue pour elle et pour moi; en sorte que, pour m'excuser,
+elle lui dit que j'étois informée de la belle opinion qu'elle avoit que
+j'aimois M. _de Longueville_. La _Marans_, avec un esprit admirable,
+répondit que puisque je savois cela, elle s'étonnoit que je n'en eusse
+pas dit davantage, et que j'avois raison de me plaindre d'elle. On
+parla de madame _de Grignan_; elle en dit beaucoup de bien, mais sans
+aucune affectation. Elle ne voit plus qui que ce soit au monde, sans
+exception; si Dieu fixe cette bonne tête-là, ce sera un des grands
+miracles que j'aurai jamais vus.
+
+J'allai hier au Palais-Royal avec madame _de Monaco_; je m'y enrhumai à
+mourir: j'y pleurai _Madame_[141] de tout mon cœur. Je fus surprise de
+l'esprit de celle-ci[142]; non pas de son esprit agréable, mais de son
+esprit de bon sens: elle se mit sur le ridicule de M. _de Meckelbourg_
+d'être à Paris présentement; et je vous assure que l'on ne peut mieux
+dire. C'est une personne très-opiniâtre et très-résolue, et assurément
+de bon goût; car elle hait madame _de Gourdon_ à ne la pouvoir
+souffrir. _Monsieur_ me fit toutes les caresses du monde au nez de la
+maréchale _de Clérembault_[143]; j'étois soutenue _de la Fienne_, qui la
+hait mortellement, et à qui j'avois donné à dîner il n'y a que deux
+jours. Tout le monde croit que la comtesse _du Plessis_[144] va épouser
+_Clérembault_.
+
+M. _de la Rochefoucauld_ vous fait cent mille complimens; il y a quatre
+ou cinq jours qu'il ne sort point; il a la goutte en miniature. J'ai
+mandé à madame _du Plessis_ que vous m'aviez écrit des merveilles de son
+fils. Adieu, ma belle, vous savez combien je vous aime.
+
+
+
+
+LETTRE II.
+
+Paris, 27 février 1673.
+
+
+Madame _Bayard_ et M. _de la Fayette_ arrivent dans ce moment; cela
+fait, ma belle, que je ne vous puis dire que deux mots de votre fils: il
+sort d'ici, et m'est venu dire adieu, et me prier de vous écrire ses
+raisons sur l'argent: elles sont si bonnes que je n'ai pas besoin de
+vous les expliquer fort au long; car vous voyez, d'où vous êtes, la
+dépense d'une campagne qui ne finit point. Tout le monde est au
+désespoir et se ruine. Il est impossible que votre fils ne fasse pas un
+peu comme les autres, et, de plus, la grande amitié que vous avez pour
+madame _de Grignan_, fait qu'il en faut témoigner à son frère. Je laisse
+au grand _d'Hacqueville_ à vous en dire davantage. Adieu, ma
+très-chère.
+
+
+
+
+LETTRE III.
+
+Paris, 15 avril, 1673.
+
+
+Madame _de Northumberland_ me vint voir hier; j'avois été la chercher
+avec madame _de Coulanges_: elle me parut une femme qui a été fort
+belle, mais qui n'a plus un seul trait de visage qui se soutienne, ni où
+il soit resté le moindre air de jeunesse; j'en fus surprise: elle est,
+avec cela, mal habillée; point de grâce; enfin, je n'en fus point du
+tout éblouie; elle me parut entendre fort bien tout ce qu'on dit, ou,
+pour mieux dire, ce que je dis; car j'étois seule. M. _de la
+Rochefoucauld_ et madame _de Thianges_, qui avoient envie de la voir, ne
+vinrent que comme elle sortoit. _Montaigu_ m'avoit mandé qu'elle
+viendroit me voir; je lui ai fort parlé d'elle; il ne fait aucune façon
+d'être embarqué à son service, et paroît très-rempli d'espérance. M.
+_de Chaulnes_ partit hier, et le comte _Tot_ aussi; ce dernier est
+très-affligé de quitter la France: je l'ai vu quasi tous les jours,
+pendant qu'il a été ici; nous avons traité votre chapitre plusieurs
+fois. La maréchale _de Grammont_ s'est trouvée mal; _d'Hacqueville_ y a
+été, toujours courant, lui mener un médecin: il est, en vérité, un peu
+étendu dans ses soins. Adieu, mon amie: j'ai le sang si échauffé, et
+j'ai tant eu de tracas ces jours passés, que je n'en puis plus; je
+voudrois bien vous voir pour me rafraîchir le sang.
+
+
+
+
+LETTRE IV.
+
+Paris, 19 mai 1673.
+
+
+Je vais demain à Chantilli: c'est ce même voyage que j'avois commencé
+l'année passée jusque sur le Pont-neuf, où la fièvre me prit; je ne sais
+pas s'il arrivera quelque chose d'aussi bizarre, qui m'empêche encore de
+l'exécuter: nous y allons, la même compagnie, et rien de plus.
+
+Madame _du Plessis_ étoit si charmée de votre lettre, qu'elle me l'a
+envoyée; elle est enfin partie pour sa Bretagne. J'ai donné vos lettres
+à _Langlade_, qui m'en a paru très-content; il honore toujours beaucoup
+madame _de Grignan_. _Montaigu_ s'en va: on dit que ses espérances sont
+renversées; je crois qu'il y a quelque chose de travers dans l'esprit de
+la nymphe[145]. Votre fils est amoureux, comme un perdu, de
+mademoiselle _de Poussai_; il n'aspire qu'à être aussi transi que _la
+Fare_. M. _de la Rochefoucauld_ dit que l'ambition de _Sévigné_ est de
+mourir d'un amour qu'il n'a pas; car nous ne le tenons pas du bois dont
+on fait les fortes passions. Je suis dégoûtée de celle de _la Fare_:
+elle est trop grande et trop esclave; sa maîtresse ne répond pas au plus
+petit de ses sentimens: elle soupa chez _Longueil_ et assista à une
+musique le soir même qu'il partit. Souper en compagnie quand son amant
+part, et qu'il part pour l'armée, me paroît un crime capital; je ne sais
+pas si je m'y connois. Adieu, ma belle.
+
+
+
+
+LETTRE V.
+
+Paris, 26 mai 1673.
+
+
+Si je n'avois la migraine, je vous rendrois compte de mon voyage de
+Chantilli, et je vous dirois que de tous les lieux que le soleil éclair,
+il n'y en a point un pareil à celui-là. Nous n'y avons pas eu un trop
+beau temps; mais la beauté de la chasse dans les carosses vitrés a
+suppléé à ce qui nous manquoit. Nous y avons été cinq ou six jours; nous
+vous y avons extrêmement souhaitée, non-seulement par amitié, mais parce
+que vous êtes plus digne que personne du monde d'admirer ces beautés-là.
+J'ai trouvé ici, à mon retour, deux de vos lettres. Je ne pus faire
+achever celle-ci vendredi, et je ne puis l'achever moi-même aujourd'hui,
+dont je suis bien fâchée; car il me semble qu'il y a long-temps que je
+n'ai causé avec vous. Pour répondre à vos questions, je vous dirai que
+madame _de Brissac_[146] est toujours à l'hôtel de Conti, environnée de
+peu d'amans, et d'amans peu propres à faire du bruit; de sorte qu'elle
+n'a pas grand besoin du _manteau de sainte Ursule_. Le premier président
+de Bordeaux est amoureux d'elle comme un fou; il est vrai que ce n'est
+pas d'ailleurs une tête bien timbrée. _Monsieur_ le Premier et ses
+enfans sont aussi fort assidus auprès d'elle; M. _de Montaigu_ ne l'a,
+je crois, point vue de ce voyage-ci, de peur de déplaire à madame _de
+Northumberland_, qui part aujourd'hui; _Montaigu_ l'a devancée de deux
+jours; tout cela ne laisse pas douter qu'il ne l'épouse. Madame _de
+Brissac_ joue toujours la désolée, et affecte une très-grande
+négligence. La comtesse du _Plessis_ a servi de dame d'honneur deux
+jours avant que _Monsieur_ soit parti; sa belle-mère[147] n'y avoit pas
+voulu consentir auparavant. Elle n'égratigne point M. _de Monaco_; je
+crois qu'elle se fait justice, et qu'elle trouve que la seconde place de
+chez _Madame_ est assez bonne pour la femme de _Clérembault_; elle le
+sera assurément dans un mois, si elle ne l'est déjà.
+
+Nous allons dîner à Livri; M. _de la Rochefoucauld_, _Morangis_,
+_Coulanges_ et moi; c'est une chose qui me paroît bien étrange, d'aller
+dîner à Livri, et que ce ne soit pas avec vous. L'abbé _Testu_[148] est
+allé à Fontevrault; je suis trompée, s'il n'eût mieux fait de n'y pas
+aller, et si ce voyage-là ne déplaît à des gens à qui il est bon de ne
+pas déplaire.
+
+L'on dit que madame _de Montespan_ est demeurée à Courtrai. Je reçois
+une petite lettre de vous: si vous n'avez pas reçu des miennes, c'est
+que j'ai bien eu des tracas; je vous conterai mes raisons quand vous
+serez ici. M. _le Duc_ s'ennuie beaucoup à Utrecht; les femmes y sont
+horribles: voici un petit conte sur son sujet. Il se familiarisoit avec
+une jeune femme de ce pays-là, pour se désennuyer apparemment, et, comme
+les familiarités étoient sans doute un peu grandes, elle lui dit: _Pour
+Dieu! Monseigneur, votre altesse a la bonté d'être trop insolente._
+C'est _Briole_ qui m'a écrit cela; j'ai jugé que vous en seriez charmée,
+comme moi. Adieu, ma belle; je suis toute à vous assurément.
+
+
+
+
+LETTRE VI.
+
+Paris, 30 juin 1673.
+
+
+Hé bien! hé bien! ma belle, qu'avez-vous à crier comme un aigle? Je vous
+demande que vous attendiez à juger de moi quand vous serez ici; qu'y
+a-t-il de si terrible à ces paroles: _Mes journées sont remplies?_ Il
+est vrai que _Bayard_ est ici, et qu'il fait mes affaires; mais quand il
+a couru tout le jour pour mon service, écrirai-je? Encore faut-il lui
+parler. Quand j'ai couru, moi, et que je reviens, je trouve M. _de la
+Rochefoucauld_ que je n'ai point vu de tout le jour; écrirai-je? M. _de
+la Rochefoucauld_ et _Gourville_ sont ici; écrirai-je? Mais quand ils
+sont sortis? Ah! quand ils sont sortis! il est onze heures, et je sors,
+moi; je couche chez nos voisins, à cause qu'on bâtit devant mes
+fenêtres. Mais l'après-dînée? J'ai mal à la tête. Mais le matin? J'y ai
+mal encore, et je prends des bouillons d'herbes qui m'enivrent. Vous
+êtes en Provence, ma belle, vos heures sont libres, et votre tête encore
+plus; le goût d'écrire vous dure encore pour tout le monde; il m'est
+passé pour tout le monde, et si j'avois un amant qui voulût de mes
+lettres tous les matins, je romprois avec lui. Ne mesurez donc point
+notre amitié sur l'écriture; je vous aimerai autant, en ne vous écrivant
+qu'une page en un mois, que vous, en m'en écrivant dix en huit jours.
+Quand je suis à St.-Maur, je puis écrire, parce que j'ai plus de tête et
+plus de loisir; mais je n'ai pas celui d'y être: je n'y ai passé que
+huit jours de cette année. Paris me tue. Si vous saviez comme je ferois
+ma cour à des gens à qui il est très-bon de la faire, d'écrire souvent
+toutes sortes de folies, et combien je leur en écris peu, vous jugeriez
+aisément que je ne fais pas ce que je veux là-dessus. Il y a aujourd'hui
+trois ans que je vis mourir _Madame_: je relus hier plusieurs de ses
+lettres; je suis toute pleine d'elle. Adieu, ma très-chère: vos
+défiances seules composent votre unique défaut, et la seule chose qui
+peut me déplaire en vous. M. _de la Rochefoucauld_ vous écrira.
+
+
+
+
+LETTRE VII.
+
+Paris, 14 juillet 1673.
+
+
+Voici ce que j'ai fait depuis que je ne vous ai écrit: j'ai eu deux
+accès de fièvre: il y a six mois que je n'ai été purgée; on me purge une
+fois, on me purge deux; le lendemain de la deuxième, je me mets à table:
+ah! ah! j'ai mal au cœur, je ne veux point de potage: mangez donc un peu
+de viande; non, je n'en veux point; mais vous mangerez du fruit; je
+crois qu'oui: hé bien! mangez-en donc; je ne saurois, je mangerai
+tantôt: que l'on m'ait ce soir un potage et un poulet. Voici le soir,
+voilà un potage et un poulet; je n'en veux point, je suis dégoûtée, je
+m'en vais me coucher; j'aime mieux dormir que de manger. Je me couche,
+je me tourne, je me retourne, je n'ai point de mal, mais je n'ai point
+de sommeil aussi; j'appelle, je prends un livre, je le referme; le jour
+vient, je me lève, je vais à la fenêtre; quatre heures sonnent, cinq
+heures, six heures; je me recouche, je m'endors jusqu'à sept: je me lève
+à huit, je me mets à table à douze inutilement, comme la veille; je me
+remets dans mon lit le soir inutilement, comme l'autre nuit. Êtes-vous
+malade? nenni. Êtes-vous plus foible? nenni. Je suis dans cet état trois
+jours et trois nuits: je redors présentement; mais je ne mange encore
+que par machine, comme les chevaux, en me frottant la bouche de
+vinaigre: du reste, je me porte bien, et je n'ai pas même si mal à la
+tête. Je viens d'écrire des folies à _M. le Duc._ Si je puis, j'irai
+dimanche à Livri pour un jour ou deux. Je suis très-aise d'aimer madame
+_de Coulanges_ à cause de vous. Résolvez-vous, ma belle, de me voir
+soutenir toute ma vie, à la pointe de mon éloquence, que je vous aime
+plus encore que vous ne m'aimez: j'en ferois convenir _Corbinelli_ en un
+demi-quart d'heure: au reste, mandez-moi bien de ses nouvelles; tant de
+bonnes volontés seront-elles toujours inutiles à ce pauvre homme? Pour
+moi, je crois que c'est son mérite qui leur porte malheur. _Segrais_
+porte aussi guignon; madame _de Thianges_ est des amies de _Corbinelli_,
+madame _Scarron_, mille personnes, et je ne lui vois plus aucune
+espérance de quoi que ce puisse être. On donne des pensions aux beaux
+esprits; c'est un fonds abandonné à cela; il en mérite mieux que tous
+ceux qui en ont; point de nouvelles, on ne peut rien obtenir pour lui.
+Je dois voir demain madame _de Vill......_; c'est une certaine ridicule
+à qui M. _d'Ambre_ a fait un enfant. Elle l'a plaidé, et a perdu son
+procès. Elle conte toutes les circonstances de son aventure; il n'y a
+rien au monde de pareil. Elle prétend avoir été forcée: vous jugez bien
+que cela-conduit à de beaux détails. La _Marans_ est une sainte; il n'y
+a point de raillerie: cela me paroît un miracle. La _Bonnetot_ est
+dévote aussi; elle a ôté son œil de verre; elle ne met plus de rouge, ni
+de boucles. Madame _de Monaco_ ne fait pas de même; elle me vint voir
+l'autre jour, bien blanche: elle est favorite et engouée de cette
+_Madame_-ci tout comme de l'autre: cela est bizarre. _Langlade_ s'en va
+demain en Poitou pour deux ou trois mois. M. _de Marsillac_ est ici: il
+part lundi pour aller à Barège; il ne s'aide pas de son bras. Madame la
+comtesse _du Plessis_ va se marier: elle a pensé acheter _Frêne_. M. _de
+la Rochefoucauld_ se porte très-bien: il vous fait mille et mille
+complimens et à _Corbinelli_. Voici une question entre deux maximes:
+
+_On pardonne les infidélités; mais on ne les oublie point._
+
+_On oublie les infidélités; mais on ne les pardonne point._
+
+«Aimez-vous mieux avoir fait une infidélité à votre amant, que vous
+aimez pourtant toujours; ou qu'il vous en ait fait une, et qu'il vous
+aime aussi toujours?» On n'entend pas par infidélité, avoir quitté pour
+un autre; mais avoir fait une faute considérable. Adieu: je suis bien en
+train de jaser; voilà ce que c'est que de ne point manger et ne point
+dormir. J'embrasse madame _de Grignan_ et toutes ses perfections.
+
+
+
+
+LETTRE VIII.
+
+Paris, 4 septembre 1673.
+
+
+Je suis à St.-Maur; j'ai quitté toutes mes affaires et tous mes amis.
+J'ai mes enfans et le beau temps, cela me suffit. Je prends des eaux de
+Forges; je songe à ma santé: je ne vois personne, je ne m'en soucie
+point du tout. Tout le monde me paroît si attaché à ses plaisirs, et à
+des plaisirs qui dépendent entièrement des autres, que je me trouve
+avoir un don des fées, d'être de l'humeur dont je suis. Je ne sais si
+madame _de Coulanges_ ne vous aura point mandé une conversation d'une
+après-dînée de chez _Gourville_, où étoient madame _Scarron_ et l'abbé
+_Testu_, sur les personnes _qui ont le goût au-dessus ou au-dessous de
+leur esprit_; nous nous jetâmes dans des subtilités, où nous
+n'entendions plus rien. Si l'air de la Provence, qui subtilise encore
+toutes choses, vous augmente, nos visions là-dessus, vous serez dans les
+nues. _Vous avez le goût au-dessus de votre esprit, et M._ de la
+Rochefoucauld _aussi, et moi encore; mais pas tant que vous deux._ Voilà
+des exemples qui vous guideront. M. _de Coulanges_ m'a dit que votre
+voyage étoit encore retardé: pourvu que vous rameniez madame _de
+Grignan_, je n'en murmure pas: si vous ne la ramenez point, c'est une
+trop longue absence. Mon goût augmente à vue d'œil pour la supérieure
+du Calvaire; j'espère qu'elle me rendra bonne. Le cardinal _de Retz_ est
+brouillé pour jamais avec moi, de m'avoir refusé la permission d'entrer
+chez elle; je la vois quasi tous les jours; j'ai vu enfin son
+visage[149]: il est agréable, et l'on s'aperçoit bien qu'il a été beau.
+Elle n'a que quarante ans; mais l'austérité de la règle l'a fort
+changée. Madame _de Grignan_ a fait des merveilles d'avoir écrit à la
+_Marans_. Je n'ai pas été si sage; car je fus, l'autre jour, chercher
+madame de _Schomberg_[150], et je ne la demandai point. Adieu, ma belle;
+je souhaite votre retour avec une impatience digne de notre amitié.
+
+J'ai reçu les cinq cents livres, il y a long-temps. Il me semble que
+l'argent est si rare, qu'on n'en devroit point prendre de ses amis.
+Faites mes excuses à M. l'abbé (_de Coulanges_), de ce que je l'ai reçu.
+
+
+
+
+LETTRE IX.
+
+Paris, 8 octobre 1689.
+
+
+Mon style sera laconique, je n'ai point de tête: j'ai eu la fièvre, j'ai
+chargé M. _du Bois_ de vous le mander.
+
+Votre affaire est manquée et sans remède; l'on y a fait des merveilles
+de toutes parts: je doute que M. _de Chaulnes_ en personne l'eût pu
+faire. Le roi n'a témoigné nulle répugnance pour M. _de Sévigné_; mais
+il étoit engagé, il y a long-temps: il l'a dit à tous ceux qui pensoient
+à la députation; il faut laisser nos espérances jusqu'aux états
+prochains. Ce n'est pas de quoi il est question présentement: il est
+question, ma belle, qu'il ne faut point que vous passiez l'hiver en
+Bretagne à quelque prix que ce soit. Vous êtes vieille; les Rochers[151]
+sont pleins de bois; les catarrhes et les fluxions vous accableront.
+Vous vous ennuierez, votre esprit deviendra triste et baissera: tout
+cela est sûr, et les choses du monde ne sont rien en comparaison de tout
+ce que je vous dis. Ne me parlez point d'argent ni de dettes: je vous
+ferme la bouche sur tout. M. _de Sévigné_ vous donne son équipage. Vous
+venez à Malicorne: vous y trouvez les chevaux et la calèche de M. _de
+Chaulnes_. Vous voilà à Paris: vous allez descendre à l'hôtel de
+Chaulnes; votre maison n'est pas prête, vous n'avez point de chevaux,
+c'est en attendant: à votre loisir, vous vous remettrez chez vous.
+Venons au fait: vous payez une pension à M. _de Sévigné_; vous avez ici
+un ménage: mettez le tout ensemble, cela fait de l'argent; car votre
+louage de maison va toujours. Vous direz: Mais je dois, et je paierai
+avec le temps. Comptez que vous trouvez ici mille écus, dont vous payez
+ce qui vous presse; qu'on vous les prête sans intérêt, et que vous les
+rembourserez petit à petit, comme vous voudrez. Ne demandez point d'où
+ils viennent, ni de qui c'est: on ne vous le dira pas; mais ce sont gens
+qui sont bien assurés qu'ils ne les perdront pas. Point de raisonnemens
+là-dessus, point de paroles, ni de lettres perdues; il faut venir: tout
+ce que vous m'écrirez, je ne le lirai seulement pas; et en un mot, ma
+belle, il faut venir, ou renoncer à mon amitié, à celle de madame _de
+Chaulnes_ et à celle de madame _de Lavardin_. Nous ne voulons point
+d'une amie, qui veut vieillir et mourir par sa faute; il y a de la
+misère et de la pauvreté à votre conduite; il faut venir dès qu'il fera
+beau.
+
+
+
+
+LETTRE X.
+
+Paris, 20 septembre 1690.
+
+
+Vous avez reçu ma réponse avant que j'aie reçu votre lettre. Vous aurez
+vu, par celle de madame _de Lavardin_ et par la mienne, que nous
+voulions vous faire aller en Provence, puisque vous ne veniez point à
+Paris; c'est tout ce qu'il y a de meilleur à faire: le soleil est plus
+beau, vous aurez compagnie; je dis même, séparée de madame _de Grignan_,
+qui n'est pas peu; un gros château, bien des gens; enfin, c'est vivre
+que d'être là. Je loue extrêmement monsieur votre fils de consentir à
+vous perdre pour votre intérêt; si j'étois en train d'écrire, je lui en
+ferois des complimens: partez tout le plutôt qu'il vous sera possible.
+Mandez-nous par quelles villes vous passerez, et à peu près le temps:
+vous y trouverez de nos lettres. Je suis dans des vapeurs les plus
+tristes et les plus cruelles où l'on puisse être; il n'y a qu'à
+souffrir, quand c'est la volonté de Dieu.
+
+C'est du meilleur de mon cœur que j'approuve votre voyage de Provence:
+je vous le dis sans flatterie, et nous l'avions pensé, madame _de
+Lavardin_ et moi, sans savoir en aucune façon que ce fût votre
+dessein[152].
+
+
+
+
+LETTRE XI.
+
+Paris, 20 septembre 1691.
+
+
+Ma santé est un peu meilleure qu'elle n'a été, c'est-à-dire que j'ai un
+peu moins de vapeurs; je ne connois point d'autre mal; ne vous inquiétez
+pas de ma santé; mes maux ne sont pas dangereux; et quand ils le
+deviendroient, ce ne seroit que par une grande langueur et par un grand
+desséchement, ce qui n'est pas l'affaire d'un jour: ainsi, ma belle,
+soyez en repos sur la vie de votre pauvre amie; vous aurez le loisir
+d'être préparée à tout ce qui arrivera, si ce n'est à des accidens
+imprévus, à quoi sont sujettes toutes les mortelles, et moi plus qu'une
+autre, parce que je suis plus mortelle qu'une autre; une personne en
+santé me paroît un prodige. M. le chevalier _de Grignan_ a soin de moi;
+j'en ai une reconnoissance parfaite, et je l'aime de tout mon cœur.
+Madame la duchesse _de Chaulnes_ me vint voir hier; elle a mille bontés
+pour moi; mon état lui fait pitié. Ma belle-fille a eu une fausse couche
+huit jours après être accouchée; il y a assez de femmes à qui cela
+arrive; c'est avoir été bien près d'avoir deux enfans; sa fille se porte
+bien; ils n'en auront que trop. Notre pauvre ami _Croisilles_[153] est
+toujours à Saint-Gratien: il me mande qu'il se porte fort bien à la
+campagne; il faudroit que vous vissiez comme il est fait, pour admirer
+qu'il se vante de se porter fort bien; nous en sommes véritablement en
+peine, le chevalier _de Grignan_ et moi. L'abbé _Testu_ est allé faire
+un voyage à la campagne; nous le soupçonnons, M. _de Chaulnes_ et moi,
+d'être allé à la Trappe. La bonne femme, madame _Lavocat_, est bien
+malade; il y a aussi bien long-temps qu'elle est au monde. Je suis toute
+à vous, ma chère amie, et à toute votre aimable et bonne compagnie.
+
+L'on vient de me dire que M. _de la Feuillade_[154] étoit mort cette
+nuit; si cela est véritable, voilà un bel exemple pour se tourmenter des
+biens de ce monde.
+
+
+
+
+LETTRE XII.
+
+Paris, 26 septembre 1691.
+
+
+Venir à Paris pour l'amour de moi, ma chère amie! la seule pensée m'en
+fait peur. Dieu me garde de vous déranger ainsi! et, quoique je souhaite
+ardemment le plaisir de vous voir, je l'acheterois trop cher, si c'étoit
+à vos dépens. Je vous mandai, il y a huit jours, la vérité de mon état;
+j'étois parfaitement bien, et j'ai été comme par miracle, quinze jours
+sans vapeurs, c'est-à-dire, guérie de tous maux. Je ne suis plus si bien
+depuis trois ou quatre jours, et c'est la seule vue d'une lettre
+cachetée, que je n'ai point ouverte, qui a ému mes vapeurs. Je
+ressemble, comme deux gouttes d'eau, à une femme ensorcelée; mais,
+l'après-dînée, je suis assez comme une autre personne; je vous écrivis,
+il y a un mois ou deux, que c'étoit ma méchante heure, et c'est à
+présent la bonne. J'espère que mon mal, après avoir tourné et changé, me
+quittera peut-être; mais je demeurerai toujours une très-sotte femme; et
+vous ne sauriez croire comme je suis étonnée de l'être; je n'avois point
+été nourrie dans l'opinion que je le pusse devenir. Je reviens à votre
+voyage, ma belle, comptez que c'est un château en Espagne pour moi, que
+de m'imaginer le plaisir de vous voir, mais mon plaisir seroit troublé,
+si votre voyage ne s'accordoit pas avec les affaires de madame _de
+Grignan_ et avec les vôtres. Il me paroît cependant, tout intérêt à
+part, que vous feriez fort bien de venir l'une et l'autre; mais je ne
+puis assez vous dire à quel point je suis touchée de la pensée de
+revenir uniquement à cause de moi. Je vous écrirai plus au long au
+premier jour.
+
+
+
+
+LETTRE XIII.
+
+Paris, mercredi 10 octobre 1691.
+
+
+J'ai eu des vapeurs cruelles qui me durent encore, et qui me durent
+comme un point de fièvre qui m'afflige. En un mot, je suis folle,
+quoique je sois assurément une femme assez sage. Je veux remercier
+madame _de Grignan_ pour me calmer l'esprit; elle a écrit des merveilles
+pour moi à monsieur le chevalier _de Grignan_.
+
+
+_A madame_ DE GRIGNAN.
+
+Je vous en remercie, Madame, et je vous prie d'ordonner à M. le
+chevalier _de Grignan_ de m'aimer; je l'aime de tout mon cœur: c'est un
+homme que cet homme-là. Ramenez madame votre mère; vous avez mille
+affaires ici; prenez garde de voir vos affaires domestiques de trop
+près, et que les maisons ne vous empêchent de voir la ville. Il y a plus
+d'une sorte d'intérêt en ce monde. Venez, Madame, venez ici pour l'amour
+des personnes qui vous aiment, et songez qu'en travaillant pour vous,
+c'est me donner en même temps la joie de voir madame votre mère.
+
+
+_A Madame_ DE SÉVIGNÉ.
+
+Mon dieu! ma chère amie, que je serai aise de vous voir! vraiment je
+pleurerai bien; tout me fait fondre en larmes. J'ai reçu ce matin des
+lettres de mon fils l'abbé, qui étoit en Poitou, à deux lieues de madame
+_de la Troche_. Un gentilhomme d'importance; gendre de madame _de la
+Rochebardon_, chez qui madame _de la Troche_ est actuellement, vint dire
+adieu à mon fils, et c'est là qu'il apprit la mort de _la Troche_[155],
+par la gazette, s'il vous plaît; car je n'en avois point parlé à mon
+fils, qui me fait une peinture de la désolation de ce gentilhomme
+d'avoir à donner chez lui une telle nouvelle, ce qui m'a rejetée dans
+les larmes: j'y retombe bien toute seule. M. _de Pomponne_ croyoit
+madame _de la Troche_ riche, je lui ai écrit, et il m'a mandé que la
+duchesse _du Lude_ l'avoit détrompé, et qu'ils avoient présenté un
+placet pour elle. _Croisilles_ sort d'ici; il m'est venu voir de
+Saint-Gratien; je lui ai fait vos complimens; il est fort bien. Ma
+petite fille est louche comme un chien: il n'importe; madame _de
+Grignan_ l'a bien été; c'est tout dire. Me voilà à bout de mon écriture,
+et toute à vous plus que jamais, s'il est possible.
+
+
+
+
+LETTRE XIV.
+
+Paris, 24, janvier 1692.
+
+
+Hélas! ma belle, tout ce que j'ai à vous dire de ma santé est bien
+mauvais; en un mot, je n'ai repos ni nuit ni jour, ni dans le corps ni
+dans l'esprit; je ne suis une personne, ni par l'un ni par l'autre; je
+péris à vue d'œil; il faut finir quand il plaît à Dieu, et j'y suis
+soumise. L'horrible froid qu'il fait m'empêche de voir madame _de
+Lavardin_. Croyez, ma très-chère, que vous êtes la personne du monde que
+j'ai le plus véritablement aimée.
+
+
+
+
+EXTRAITS DE LETTRES DIVERSES.
+
+_Madame_ de la Fayette _se moque des ridicules manières de parler de
+quelques personnes de son temps. Elle fait parler un amant jaloux à sa
+maîtresse._
+
+PREMIER EXTRAIT.
+
+
+Ce sont de ces sortes de choses qu'on ne pardonne pas en mille ans, que
+le trait que vous me fîtes hier. Vous étiez belle comme un petit ange.
+Vous savez que je suis alerte sur le compte de _Dangeau_; je vous
+l'avois dit de bonne foi; et cependant vous me quittâtes franc et net
+pour le galoper; cela s'appelle rompre de couronne à couronne; c'est
+n'avoir aucun ménagement et manquer à toutes sortes d'égards. Vous
+sentez que cette manière de peindre m'a tiré de grands rideaux. Vous
+avez oublié qu'il y a des choses dont je ne tâte jamais, et que je suis
+une espèce d'homme que l'on ne trouve pas aisément sur un certain pied.
+Sûrement ce n'est point mon caractère que d'être dupe et de donner dans
+le panneau tête baissée. Je me le tiens pour dit; j'entends le françois.
+A la vérité, je ne ferai point de fracas; j'en userai fort honnêtement;
+je n'afficherai point; je ne donnerai rien au public; je retirerai mes
+troupes; mais comptez que vous n'avez point obligé un ingrat.
+
+
+SECOND EXTRAIT,
+
+_Composé de phrases où il n'y a point de sens_, _et que bien des gens de
+la cour mettent dans leurs discours._
+
+
+Je vous assure, Monseigneur, qu'on est bien chagrin de ne pouvoir faire
+son devoir, et il est fort honnête de le pardonner. Je vous écris cette
+missive pour vous donner des nouvelles de M. _Domdtel_; j'espère qu'il
+sera bientôt hors d'affaire, et que sa maladie ne sera pas longue. Je me
+suis trouvé depuis peu à un grand repas où l'on a mangé une bonne soupe,
+et où vous avez été bien célébré. Vous savez, Monseigneur, que vous
+inspirez la joie. L'on fit mille plaisanteries; vous me ferez bien la
+justice de croire que l'on a eu le dernier déplaisir de ne vous y avoir
+pas. J'ai bien envie d'avoir l'honneur de vous voit pour vous entretenir
+sur mon gazon. Mes fermiers sont cause que je ne puis m'aller rabattre
+chez _Fredole_; mais je vas souvent en un lieu où l'on aime à se
+réjouir, et où l'on met les plats en bataille. Il y a une personne qui
+désire fort le tête-à-tête avec vous. Vous connoîtrez dans son dialogue
+qu'elle a du savoir-faire, et que l'on vous trouve furieusement aimable;
+je vous dis tout ceci, parce que je suis engoué de vous; car votre
+caractère me réjouit; et, de bonne foi, il est vrai que je me suis coulé
+de mon pied en un lieu où j'ai vu de beaux esprits qui ne peuvent se
+passer de vous à cause de votre génie. Je m'étonne que vous ne veniez
+pas dialoguer avec les demoiselles; c'est à coup sûr que vous les
+réjouissez quand elles vous voient; car, assurément, vous êtes du bel
+air, et vous distinguez bien dans le beau monde, où l'on vous rend
+justice. Il est vrai que je m'en allai hier au bal dans un grand
+embarras, dont j'eus bien de la peine de me tirer; il est vrai que je
+n'y demeurai pas long-temps; j'ouïs la bonne femme qui me parla bien de
+vous, qui me dit que vous faisiez figure. Elle vous aime autant que les
+demoiselles; sûrement vous êtes aujourd'hui la coqueluche de tout le
+monde; il est vrai que votre mérite n'est pas postiche. Les demoiselles
+en rendent sûrement de bons témoignages.
+
+
+
+
+PORTRAIT
+
+DE
+
+LA MARQUISE DE SÉVIGNÉ,
+
+PAR MADAME
+
+LA COMTESSE DE LA FAYETTE,
+
+SOUS LE NOM D'UN INCONNU.
+
+
+Tous ceux qui se mêlent de peindre des belles, se tuent de les embellir
+pour leur plaire, et n'oseroient leur dire un seul de leurs défauts;
+mais pour moi, Madame, grâce au privilège d'inconnu que j'ai auprès de
+vous, je m'en vais vous peindre bien hardiment, et vous dire toutes vos
+vérités tout à mon aise, sans craindre de m'attirer votre colère; je
+suis au désespoir de n'en avoir que d'agréables à vous conter; car ce me
+seroit un grand déplaisir si, après vous avoir reproché mille défauts,
+je voyois cet inconnu aussi bien reçu de vous, que mille gens qui n'ont
+fait toute leur vie que de vous louer. Je ne veux point vous accabler de
+louanges, et m'amuser à vous dire que votre taille est admirable, que
+votre teint a une beauté et une fleur qui assurent que vous n'avez que
+vingt ans, que votre bouche, vos dents et vos cheveux sont
+incomparables; je ne veux point vous dire toutes ces choses; votre
+miroir vous les dit assez; mais comme vous ne vous amusez pas à lui
+parler, il ne peut vous dire combien vous êtes aimable et charmante
+quand vous parlez; et c'est ce que je veux vous apprendre.
+
+Sachez donc, Madame, si par hasard vous ne le savez pas, que votre
+esprit pare et embellit si fort votre personne, qu'il n'y en a point au
+monde de si agréable. Lorsque vous êtes animée dans une conversation
+dont la contrainte est bannie, tout ce que vous dites a un tel charme,
+et vous sied si bien, que vos paroles attirent les ris et les grâces
+autour de vous; et le brillant de votre esprit donne un si grand éclat
+à votre teint et à vos yeux, que, quoiqu'il semble que l'esprit ne dût
+toucher que les oreilles, il est pourtant certain que le vôtre éblouit
+les yeux, et que, lorsqu'on vous écoute, l'on ne voit plus qu'il manque
+quelque chose à la régularité de vos traits, et l'on vous croit la
+beauté du monde la plus achevée. Vous pouvez juger, par ce que je viens
+de vous dire, que, si je vous suis inconnu, vous ne m'êtes pas inconnue,
+et qu'il faut que j'aie eu plus d'une fois l'honneur de vous voir et de
+vous entretenir, pour avoir démêlé ce qui fait en vous cet agrément dont
+tout le monde est surpris; mais je veux encore vous faire voir, Madame,
+que je ne connois pas moins les qualités solides qui sont en vous, que
+je sais les agréables dont on est touché. Votre âme est grande, noble,
+propre à dispenser des trésors, et incapable de s'abaisser au soin d'en
+amasser. Vous êtes sensible à la gloire et à l'ambition, et vous ne
+l'êtes pas moins au plaisir. Vous paroissez née pour eux, et il semble
+qu'ils soient faits pour vous. Votre présence augmente les
+divertissemens, et les divertissemens augmentent votre beauté lorsqu'ils
+vous environnent; enfin la joie est l'éaât véritable de votre âme, et le
+chagrin vous est plus contraire qu'à personne du monde. Vous êtes
+naturellement tendre et passionnée; mais, à la honte de notre sexe,
+cette tendresse nous a été inutile, et vous l'avez renfermée dans le
+vôtre, en la donnant à madame _de la Fayette_. Ah! Madame, s'il y avoit
+quelqu'un au monde assez heureux pour que vous ne l'eussiez pas trouvé
+indigne de ce trésor dont elle jouit, et qu'il n'eût pas tout mis en
+usage pour le posséder, il mériteroit toutes les disgrâces dont l'amour
+peut accabler ceux qui vivent sous son empire. Quel bonheur d'être le
+maître d'un cœur comme le vôtre, dont les sentimens fussent expliqués
+par cet esprit galant et agréable que les dieux vous ont donné! et votre
+cœur, Madame, est sans doute un bien qui ne se peut mériter; jamais il
+n'y en eut un si généreux, si bien fait et si fidèle. Il y a des gens
+qui vous soupçonnent de ne le montrer pas toujours tel qu'il est; mais,
+au contraire, vous êtes si accoutumée à n'y rien sentir qu'il ne vous
+soit honorable de montrer, que même vous y laissez voir quelquefois ce
+que la prudence du siècle vous obligeroit de cacher. Vous êtes née la
+plus civile et la plus obligeante personne qui ait jamais été, et, par
+un air libre et doux qui est dans toutes vos actions, les plus simples
+complimens de bienséance paroissent, en votre bouche, des protestations
+d'amitié, et tous ceux qui sortent d'auprès de vous s'en vont persuadés
+de votre estime et de votre bienveillance, sans qu'ils se puissent dire
+à eux-mêmes quelle marque vous leur avez donnée de l'une et de l'autre.
+Enfin, vous avez reçu des grâces du ciel qui n'ont jamais été données
+qu'à vous; et le monde vous est obligé de lui être venu montrer mille
+agréables qualités qui, jusqu'ici, lui avoient été inconnues. Je ne
+veux point m'embarquer à vous les dépeindre toutes; car je romprois le
+dessein que j'ai de ne vous pas accabler de louanges, et, de plus,
+Madame, pour vous en donner qui fussent
+
+ Dignes de vous et de paroître,
+ Il faudroit être votre amant,
+ Et je n'ai pas l'honneur de l'être[156].
+
+
+_Fin des lettres de Madame de la Fayette._
+
+
+
+
+LETTRES
+
+DE
+
+NINON DE L'ENCLOS.
+
+
+
+
+NOTICE
+
+SUR
+
+NINON DE L'ENCLOS.
+
+
+Anne de l'Enclos naquit à Paris le 15 mai 1616 de M. _de l'Enclos_,
+gentilhomme de Touraine, et de mademoiselle _de Raconis_, son épouse,
+d'une famille noble de l'Orléanois.
+
+Madame _de l'Enclos_ vouloit faire de Ninon une dévote; mais M. _de
+l'Enclos_, homme d'esprit et de plaisir, se chargea lui-même de
+l'éducation de sa fille, et donna une direction toute différente à ses
+inclinations.
+
+_Ninon_ perdit ses parens de bonne heure: dès l'âge de quinze ans, elle
+se trouva maîtresse d'elle-même, et d'une fortune que les dissipations
+de son père avoient considérablement réduite. Elle mit son bien à fonds
+perdu, et se fit, par ce moyen, un revenu suffisant pour vivre dans
+l'aisance, et même obliger ses amis au besoin. Elle sut économiser sans
+avarice, et dépenser sans profusion.
+
+Plusieurs fois elle fut recherchée en mariage; mais elle chérissoit trop
+l'indépendance pour contracter un pareil engagement.
+
+Élevée dans les principes les moins sévères, et née avec des sens fort
+vifs, elle se livra toute entière aux plaisirs de l'amour. Nous
+n'entreprendrons point de faire l'apologie d'une conduite aussi peu
+retenue; en renonçant à la principale vertu de son sexe, Ninon a sans
+doute perdu une grande partie de ses droits à l'estime; mais s'il n'est
+pas permis de chercher à excuser ses torts, il doit l'être au moins de
+mettre sous les yeux du lecteur tout ce qui peut contribuer à les faire
+juger moins rigoureusement. M. _de l'Enclos_, professant ouvertement
+l'épicuréisme le plus relâché, avoit donné à sa fille des préceptes de
+volupté qu'il ne confirmoit que trop par sa manière de vivre; et l'on
+sait quelle influence exercent sur nos idées et nos actions de toute la
+vie, les discours et l'exemple des personnes qui ont présidé à notre
+éducation, sur-tout lorsque ces personnes nous ont été chères, et que
+leur doctrine a flatté nos goûts, au lieu de les contrarier. Abandonnée
+fort jeune à sa propre volonté, entourée de mille adorateurs que lui
+attiroient ses charmes, flattée d'inspirer de l'amour, ne pouvant
+s'empêcher d'en ressentir elle-même pour des hommes qui réunissoient
+presque tous aux grâces de l'esprit et du corps l'éclat d'une grande
+fortune ou d'un grand nom, comment _Ninon_ se seroit-elle défendue
+contre tant de séductions? Elle y céda sans résistance; mais si elle fut
+foible, elle ne fut point vile. Quoiqu'elle eut le tort très-grand de ne
+considérer l'amour que comme une sensation et non point comme un
+sentiment, on ne voit pas que ce travers d'opinion, qui auroit pu
+l'entraîner aux choix les plus honteux, lui en ait jamais fait faire un
+seul que la délicatesse la plus platonique eût pu désavouer. La liste de
+ses amans est nombreuse; mais il n'y figure aucun nom que, pour son
+honneur, on soit fâché d'y trouver inscrit; ce sont les _Condé_, les _la
+Rochefoucauld_, les _Longueville_, les _Coligni_, les _Villarceaux_,
+les _Sévigné_, les _d'Albret_, les _d'Estrées_, les _Gersey_, les
+_d'Effiat_, les _Clérembault_, les _la Châtre_, les _Bannier_, les
+_Gourville_, etc. Mais ce qui établit sur-tout une prodigieuse
+différence entre _Ninon_ et les autres femmes qui, comme elle, ont fait
+de l'amour une sorte de profession, c'est qu'elle ne trafiqua point de
+ses faveurs. Par inclination, par caprice ou même par vanité, elle les
+accordoit en pur don à l'amabilité, au mérite, à la célébrité; mais
+jamais elle ne les vendit à la richesse. Elle poussoit, dit-on, les
+scrupules du désintéressement jusque-là, que ceux dont elle avoit
+satisfait les désirs, en perdoient le droit de lui faire accepter les
+dons les plus légers.
+
+Celle qui rejetoit les présens de l'amour comme un salaire offensant,
+n'étoit pas faite pour retenir les dépôts de l'amitié. _Gourville_,
+obligé de fuir du royaume, avoit confié vingt mille écus en or à
+_Ninon_, dont il étoit alors l'amant, et remis pareille somme entre les
+mains d'un personnage fameux par l'austérité de ses mœurs. _Gourville_
+revint. L'ecclésiastique (c'en étoit un) nia le dépôt. _Gourville_, à
+qui _Ninon_ dans l'intervalle avoit donné un successeur, lui fit
+l'injure de la croire aussi peu fidèle en affaires qu'en amour, et il
+doutoit si peu de son malheur qu'il s'épargnoit jusqu'à la peine d'aller
+s'en assurer. _Ninon_ l'envoya chercher. «Mon cher _Gourville_, lui
+dit-elle, il m'est arrivé un grand malheur pendant votre absence. J'ai
+perdu le goût que j'avois pour vous; mais je n'ai pas perdu la mémoire.
+Voici les vingt mille écus que vous m'avez confiés à votre départ de
+Paris. Ils sont encore dans la cassette où vous les avez serrés
+vous-même.»
+
+_Ninon_ ne trahissoit point ses amans; elle cessoit de les aimer et le
+leur disoit. Ce ne fut que pour se soustraire aux fatigantes
+importunités de _la Châtre_, qu'elle lui signa ce fameux billet, où elle
+faisoit de tous les sermens celui qu'elle étoit le moins en état de
+tenir, le serment de n'en aimer jamais d'autre de sa vie; et elle ne se
+crut pas liée un seul instant par un engagement aussi téméraire. Au
+reste il est certain, d'après son caractère, que si le porteur de cette
+risible cédule eût été de retour auprès d'elle, quand il lui vint en
+fantaisie de manquer à la foi jurée, elle lui auroit ingénument confié à
+lui-même que son billet ne valoit plus rien.
+
+Volage en amour, mais non point perfide, _Ninon_ étoit en amitié d'une
+constance à toute épreuve. Ses amans, en cessant de l'être, devenoient
+ses amis, et c'étoit pour toujours. L'amitié étoit le seul sentiment
+respectable à ses yeux, et elle en remplissoit religieusement tous les
+devoirs. J. J. _Rousseau_ a dit: «Je n'aurois pas plus voulu d'elle pour
+mon ami que pour ma maîtresse.» On ne voit pas trop par quel motif il
+eût répugné si fort à être l'ami de _Ninon_; on expliqueroit plus
+facilement encore pourquoi il eût refusé d'être son amant, quoiqu'à dire
+vrai, _Rousseau_ lui-même eût peut-être eu bien de la peine à se
+défendre de ses charmes, si elle se fût mis en tête de venir à bout de
+sa philosophie.
+
+Tous ses contemporains s'accordent à la peindre comme la plus
+séduisante des femmes. Sa taille, disent-ils, étoit pleine de grâce et
+de noblesse; sa figure n'étoit pas parfaitement régulière, et n'avoit
+point ce grand éclat de beauté qui frappe d'abord; mais l'examen y
+faisoit découvrir une foule d'agrémens et de finesses qui la faisoient
+préférer aux figures les plus correctes et les plus éblouissantes. Elle
+dédaignoit le luxe des habits, ou plutôt, par une coquetterie mieux
+entendue, elle le rejetoit comme contraire aux intérêts de sa beauté.
+Une propreté recherchée, une simplicité élégante faisoient tous les
+frais de sa parure. Les charmes de sa personne se conservèrent si
+long-temps, ils diminuèrent d'une manière si lente et si peu sensible,
+qu'elle prolongea le don de plaire et d'exciter le désir, jusqu'à un âge
+où toutes les autres femmes sont trop heureuses de ne pas exciter le
+dégoût. On prétend qu'à quatre-vingts ans elle inspira une vive passion
+à l'abbé _Gedoyn_. _Voltaire_ ne rejette point entièrement cette
+anecdote, comme quelques autres ont fait; mais à l'abbé _Gedoyn_ il
+substitue l'abbé _de Château-Neuf_, et il rabat dix années de l'âge
+attribué à _Ninon_ quand elle fit sa dernière folie. Au compte même de
+_Voltaire_, c'est encore avoir poussé bien loin sa carrière amoureuse.
+L'abbé _Fraguier_, qui n'avoit connu _Ninon_ que dans un âge déjà
+très-avancé, disoit que _quiconque vouloit faire attention à ses yeux,
+pouvoit y lire encore toute son histoire_. _Chaulieu_ exprimoit
+autrement la même idée: _L'amour_, disoit-il, _s'étoit retiré jusque
+dans les rides de son front._
+
+L'esprit de _Ninon_ n'étoit pas moins célèbre que ses charmes. Elle
+l'avoit tout à la fois agréable et solide. Elle se l'étoit formé de
+bonne heure par la lecture de nos meilleurs écrivains. A l'âge de dix
+ans, _Montaigne_ et _Charron_ étoient ses livres favoris. Elle parloit
+avec facilité l'italien et l'espagnol. Elle évitoit avec un soin extrême
+le ridicule si commun parmi les femmes qui se croient ou sont en effet
+plus instruites que les autres, celui de faire parade de leur savoir.
+_Mignard_ se plaignoit de ce que sa fille, depuis madame la comtesse _de
+Feuquières_, manquoit de mémoire: _Vous êtes trop heureux, Monsieur_,
+lui dit _Ninon_, _elle ne citera point_. «Son entretien étoit doux et
+léger, dit l'abbé _Fraguier_: le contraire la blessoit, mais il n'y
+paroissoit point.» Elle n'avoit pas négligé les arts agréables; elle
+dansoit avec grâce, chantoit avec goût, et jouoit très-bien du
+clavecin, du luth, du tuorbe et de la guitare.
+
+Tant d'agrémens réunis ne pouvoient manquer d'attirer chez elle l'élite
+de la cour et de la ville. Les hommes les plus distingués par la
+naissance, l'esprit et les talens, lui faisoient une cour assidue. Les
+mères ambitionnoient pour leurs fils l'avantage d'être admis chez
+_Ninon_, auprès de qui ils se formoient aux manières et au ton de la
+bonne compagnie. Cette faveur n'étoit point accordée indistinctement à
+tous ceux qui la sollicitoient. Un mérite reconnu, ou d'heureuses
+dispositions pour en acquérir, étoient, avec la probité, les seuls
+titres qui pussent la faire obtenir. _Ninon_ n'y fut trompée qu'une
+fois. A la sollicitation d'un de ses meilleurs amis, elle avoit
+consenti à recevoir chez elle un M. _Rémond_, dont l'éducation ne lui
+fit point d'honneur. Il se signala bientôt dans le monde par toutes
+sortes de ridicules. On apprit à _Ninon_ qu'il alloit se vantant partout
+d'avoir été formé par elle. _Je suis comme Dieu, dit-elle, qui s'est
+repenti d'avoir formé l'homme._ _Chapelle_ fut exclus de sa maison, à
+cause de son ivrognerie, quoique ce défaut, qui est devenu le partage de
+la dernière classe du peuple, fût encore de mode alors parmi les plus
+honnêtes gens. _Chapelle_, offensé, jura que pendant un mois il ne se
+coucheroit pas sans être ivre, et sans avoir fait une chanson contre
+_Ninon_. Il tint parole, dit _Voltaire_.
+
+On conçoit sans peine que les hommes, moins scrupuleux dans leurs
+liaisons de tout genre, aient recherché avec empressement la société
+d'une femme, disons le mot, d'une courtisane charmante, et se soient, en
+quelque sorte, fait un honneur d'y être admis; mais que des femmes, à
+qui le soin de leur réputation commandoit à cet égard la plus grande
+réserve, n'aient point rougi d'être ouvertement les amies de _Ninon_,
+voilà ce qui étonne avec raison, voilà ce qu'on ne peut expliquer que
+par un mérite vraiment extraordinaire dans la personne qui les faisoit
+ainsi passer par-dessus les conseils du plus sage préjugé. Cela fait
+supposer aussi, que _Ninon_ mettoit dans sa conduite autant de décence
+extérieure qu'il en falloit, pour que des femmes honnêtes ne fussent
+point embarrassées chez elle de leur contenance. Mesdames _de la Suze_,
+_de Castelnau_, _de la Ferté_, _de Sulli_, _de Fiesque_, _de la
+Fayette_, _de Choisi_, _de Lambert_, _de Bouillon-Mancini_, _de
+Sandwich_, etc., furent liées avec elle d'une amitié très-étroite. Elle
+en avoit contracté une plus intime encore avec madame _de Maintenon_,
+lorsque celle-ci n'étoit que mademoiselle _d'Aubigné_ ou madame
+_Scarron_; elles couchèrent plusieurs mois ensemble dans le même lit, et
+l'on assure que mademoiselle _d'Aubigné_ enleva à _Ninon_,
+_Villarceaux_, son amant, sans que _Ninon_ en sût plus mauvais gré à
+l'un et à l'autre. Madame _de Maintenon_, parvenue au comble de la
+faveur, fit proposer à son ancienne amie de se faire dévote, et de venir
+auprès d'elle à la cour. _Ninon_ refusa. Ce ne fut pas la seule fois
+qu'elle sacrifia la fortune et la faveur à son amour pour le repos et la
+liberté. La reine _Christine_ fit en vain mille efforts pour l'emmener
+avec elle à Rome. _Christine_ dit en partant qu'elle n'avoit trouvé
+aucune femme en France qui lui plût autant que _l'illustre Ninon_. C'est
+dans une conversation avec cette reine que _Ninon_ qualifia les
+précieuses de _jansénistes de l'amour_. Madame _de Sévigné_ n'aimoit
+point _Ninon_. Dans plusieurs de ses lettres, elle parle d'elle avec
+très-peu de considération. Sa prévention est excusable; le marquis _de
+Sévigné_ s'occupoit peu de son avancement, mais en revanche il
+travailloit assez efficacement à déranger une fortune que sa mère
+mettoit tous ses soins à conserver. Madame _de Sévigné_ crut voir dans
+l'amour de son fils pour _Ninon_ la cause de son indolence et de ses
+dissipations. La _Champmêlé_, qui succéda à _Ninon_ dans le cœur du
+marquis _de Sévigné_, eut aussi sa part de la mauvaise humeur et des
+ressentimens de cette mère tendre et inquiète. En général, elle ne
+ménageoit aucun de ceux qu'elle croyoit pouvoir accuser du dérangement
+de son fils. Pour un ou deux soupers que celui-ci fit accepter à
+_Racine_ et à _Boileau_, elle parle quelque part d'eux, comme de poëtes
+faméliques, pour qui un repas pris en ville est une bonne fortune. Or,
+on sait que _Boileau_ recevoit chez lui les plus grands seigneurs, et
+que _Racine_ refusoit de dîner avec M. le duc _de Bourbon_, pour manger
+une carpe en famille.
+
+Revenons à _Ninon_. Plusieurs beaux esprits du temps, plusieurs
+écrivains assez distingués la célébrèrent en prose et en vers. De ce
+nombre furent _Scarron_, _Regnier-Desmarais_, l'abbé _de Châteauneuf_ et
+_Saint-Evremont_. Ce dernier partageoit ses adorations entre elle et la
+fameuse duchesse _de Mazarin_. Tout le monde connoît le joli quatrain
+qu'il fit pour _Ninon_:
+
+ L'indulgente et sage nature
+ A formé l'âme de _Ninon_,
+ De la volupté d'Épicure,
+ Et de la vertu de Caton.
+
+Un hommage plus flatteur encore pour elle, c'est le cas que _Molière_
+faisoit de son goût et de son esprit; il la consultoit, dit-on, sur tous
+ses ouvrages. Comme il lui avoit lu un jour son _Tartuffe_, elle lui fit
+le récit d'une aventure qui lui étoit arrivée avec un scélérat à peu
+près de la même espèce. _Molière_ rapporta qu'elle lui en avoit fait le
+portrait avec des couleurs si vives et si naturelles, que, si sa pièce
+n'eût pas été faite, il ne l'auroit jamais entreprise, tant il se
+seroit cru incapable de rien mettre sur le théâtre d'aussi parfait que
+le _Tartuffe_ de mademoiselle _de l'Enclos_. _Voltaire_ trouve
+l'anecdote peu vraisemblable, quoiqu'on en ait pour garant l'abbé _de
+Châteauneuf_, qui disoit la tenir de _Molière_ lui-même. On peut
+l'adopter, en admettant que _Molière_ a parlé avec un peu trop de
+modestie sur son propre compte, et d'exagération sur celui de _Ninon_,
+qui l'avoit frappé d'admiration par son talent pour saisir et peindre le
+ridicule.
+
+Ses contes et ses bons mots lui avoient fait de bonne heure une
+réputation. On cite d'elle une foule de réflexions profondes ou
+ingénieuses. Nous n'en rapporterons que quelques-unes. Elle eut, à l'âge
+de vingt-deux ans, une maladie qui la mit au bord du tombeau. Ses amis
+déploroient sa destinée qui l'enlevoit à la fleur de son âge. _Ah!_
+dit-elle, _je ne laisse au monde que des mourans._ Ce mot est bien
+philosophique. _La beauté sans les grâces_, disoit-elle souvent, _est un
+hameçon sans appât_. Elle disoit un jour à _Saint-Evremont_ qu'_elle
+rendoit grâces à Dieu tous les soirs de son esprit, et qu'elle le prioit
+tous les matins de la préserver des sottises de son cœur._ Elle
+prétendoit qu'_une femme sensée ne devroit jamais prendre d'amant sans
+l'aveu de son cœur, ni de mari sans le consentement de sa raison._
+_Ninon_ avoit le talent des vers; mais elle en faisoit rarement usage.
+Le Grand-Prieur _de Vendôme_ avoit essayé inutilement de se faire aimer
+d'elle; indigné de ses refus, il mit un jour sur sa toilette ce
+quatrain:
+
+ Indigne de mes feux, indigne de mes larmes,
+ Je renonce sans peine à tes foibles appas:
+ Mon amour te prêtoit des charmes,
+ Ingrate, que tu n'avois pas.
+
+Elle y répondit par cette plaisante parodie:
+
+ Insensible à tes feux, insensible à tes larmes,
+ Je te vois renoncer à mes foibles appas;
+ Mais si l'amour prête des charmes,
+ Pourquoi n'en empruntois-tu pas?
+
+Le bonheur dont jouissoit _Ninon_ ne fut troublé qu'une fois, mais ce
+fut par l'accident le plus affreux. L'un des deux fils qu'elle avoit eus
+de _Villarceaux_, ignorant qu'elle étoit sa mère, devint éperdument
+amoureux d'elle, et lorsque voulant mettre fin à cette fatale passion,
+elle lui eût révélé le secret de sa naissance, l'infortuné jeune homme
+alla se poignarder de désespoir. Son autre fils, nommé _la Boissière_,
+fit une espèce de fortune; il devint capitaine de vaisseau, et mourut à
+Toulon, en 1732, âgé de 75 ans.
+
+Tout le monde sait que _Voltaire_ fut présenté à _Ninon_ au sortir du
+collége par l'abbé de _Châteauneuf_, et qu'elle lui laissa par son
+testament deux mille francs pour acheter des livres.
+
+_Ninon_ mourut à Paris dans sa maison de la rue des Tournelles, au
+Marais, le 17 octobre 1706, sur les cinq heures du soir, à l'âge de
+quatre-vingt-dix ans et cinq mois.
+
+On a écrit plusieurs fois sa vie. _Voltaire_ impatienté de voir paroître
+tant de _mémoires_ sur elle, disoit: _Si cette mode continue, il y aura
+bientôt autant d'histoires de Ninon que de Louis XIV._
+
+
+
+
+LETTRES
+
+DE
+
+MLLE. DE L'ENCLOS;
+
+A M. DE ST.-EVREMONT,
+
+ET
+
+DE M. DE ST.-EVREMONT
+
+A MLLE. DE L'ENCLOS.
+
+
+
+
+LETTRE PREMIÈRE.
+
+_M._ DE SAINT-EVREMONT _à mademoiselle_ DE L'ENCLOS.
+
+
+Votre vie, ma très-chère, a été trop illustre pour n'être pas continuée
+de la même manière jusqu'à la fin. Que l'_enfer de_ M. _de la
+Rochefoucauld_[157] ne vous épouvante pas; c'étoit un _enfer_ médité,
+dont il vouloit faire une maxime. Prononcez donc le mot d'amour
+hardiment, et que celui de vieille ne sorte jamais de votre bouche. Il y
+a tant d'esprit dans votre lettre, que vous ne laissez pas même imaginer
+le commencement du retour. Quelle ingratitude d'avoir honte de nommer
+l'amour à qui vous devez votre mérite et vos plaisirs! Car enfin, ma
+belle gardeuse de cassette, la réputation de votre probité est
+particulièrement établie sur ce que vous avez résisté à des amans qui se
+fussent accommodés volontiers de l'argent de vos amis. Avouez toutes vos
+passions pour faire valoir toutes vos vertus. Cependant, vous n'avez
+exprimé que la moitié du caractère. Il n'y a rien de mieux que la part
+qui regarde vos amis; rien de plus sec que ce qui regarde vos amans. En
+peu de vers, je veux faire le caractère entier; et le voici formé de
+toutes les qualités que vous avez, ou que vous avez eues.
+
+ Dans vos amours on vous trouvoit légère,
+ En amitié toujours sûre et sincère;
+ Pour vos amans les humeurs de Vénus,
+ Pour vos amis les solides vertus.
+ Quand les premiers vous nommoient infidelle,
+ Et qu'asservis encore à votre loi,
+ Ils reprochoient une flamme nouvelle,
+ Les autres se louoient de votre bonne foi.
+ Tantôt c'étoit le naturel d'Hélène,
+ Ses appétits, comme tous ses appas;
+ Tantôt c'étoit la probité romaine,
+ C'étoit d'honneur la règle et le compas.
+ Dans un couvent, en sœur dépositaire,
+ Vous auriez bien ménagé quelqu'affaire;
+ Et dans le monde, à garder les dépôts,
+ On vous eût justement préférée aux dévots.
+
+Que cette diversité ne vous surprenne point.
+
+ L'indulgente et sage nature,
+ A formé l'âme de _Ninon_,
+ De la volupté d'Épicure,
+ Et de la vertu de Caton.
+
+
+
+
+LETTRE II.
+
+_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _à M._ DE SAINT-EVREMONT.
+
+
+J'étois dans ma chambre, toute seule, et très-lasse de lecture, lorsque
+l'on me dit: voilà un homme de la part de M. _de Saint-Evremont_. Jugez
+si tout mon ennui ne s'est pas dissipé dans le moment. J'ai eu le
+plaisir de parler de vous, et j'en ai appris des choses que les lettres
+ne disent point: votre santé parfaite et vos occupations. La joie de
+l'esprit en marque la force; et votre lettre, comme du temps que M.
+_d'Olonne_ vous faisoit suivre, m'assure que l'Angleterre vous promet
+encore quarante ans de vie; car il me semble que ce n'est qu'en
+Angleterre que l'on parle de ceux qui ont vécu au delà de l'âge de
+l'homme. J'aurois souhaité de passer ce qui me reste de vie avec vous:
+si vous aviez pensé comme moi, vous seriez ici. Il est pourtant assez
+beau de se souvenir toujours des personnes que l'on a aimées; et c'est
+peut-être pour embellir mon épitaphe que cette séparation du corps s'est
+faite. Je souhaiterois que le jeune[158] prédicateur m'eût trouvée dans
+la _gloire de Niquée_, où l'on ne change point; car il me paroît que
+vous m'y croyez des premières enchantées. Ne changez point vos idées sur
+cela; elles m'ont toujours été favorables, et que cette communication,
+que quelques philosophes croyoient au-dessus de la présence, dure
+toujours.
+
+J'ai témoigné à M. _Turretin_ la joie que j'aurois de lui être bonne à
+quelque chose. Il a trouvé ici de mes amis qui l'ont jugé digne des
+louanges que vous lui donnez. S'il veut profiter de ce qui nous reste
+d'honnêtes abbés en l'absence de la cour, il sera traité comme un homme
+que vous estimez. J'ai lu devant lui votre lettre avec des lunettes,
+mais elles ne me siéent pas mal; j'ai toujours eu la mine grave. S'il
+est amoureux du mérite que l'on appelle ici _distingué_, peut-être que
+votre souhait sera accompli; car tous les jours on me veut consoler de
+mes pertes par ce beau mot.
+
+J'ai su que vous souhaitiez _la Fontaine_ en Angleterre. On n'en jouit
+guère à Paris. Sa tête est bien affoiblie: c'est le destin des poëtes;
+le Tasse et Lucrèce l'ont éprouvé. Je doute qu'il y ait eu du philtre
+amoureux pour _la Fontaine_. Il n'a guère aimé de femmes qui en eussent
+pu faire la dépense.
+
+
+
+
+LETTRE III.
+
+_M._ DE SAINT-EVREMONT _à mademoiselle_ DE L'ENCLOS.
+
+
+M. _Turretin_ m'a une grande obligation de lui avoir donné votre
+connoissance. Je ne lui en ai pas une médiocre d'avoir servi de sujet à
+la belle lettre que je viens de recevoir. Je ne doute point qu'il ne
+vous ait trouvée avec les mêmes yeux que je vous ai vue: ces yeux, par
+qui je connoissois toujours la nouvelle conquête d'un amant, quand ils
+brilloient un peu plus que de coutume, et qui nous faisoient dire:
+
+ Telle n'est point la Cythérée[159],
+ Quand d'un nouveau feu s'allumant,
+ Elle soit pompeuse et parée
+ Pour la conquête d'un amant;
+ Telle ne luit en sa carrière
+ Des mois l'inégale courrière;
+ Et telle dessus l'horizon,
+ L'Aurore au matin ne s'étale,
+ Quand les yeux même de Céphalo
+ En feroient la comparaison.
+
+Vous êtes encore la même pour moi; et quand la nature, qui n'a jamais
+pardonné à personne, auroit épuisé son pouvoir à produire une petite
+altération aux traits de votre visage, mon imagination sera toujours
+pour vous cette _gloire de Niquée_, où vous savez qu'on ne changeoit
+point. Vous n'en avez pas affaire pour vos yeux et pour vos dents, j'en
+suis assuré. Le plus grand besoin que vous ayez, c'est de mon jugement,
+pour bien connoître les avantages de votre esprit, qui se perfectionne
+tous les jours. Vous êtes plus spirituelle que n'étoit la jeune et vive
+_Ninon_.
+
+ Telle n'étoit point _Ninon_,
+ Quand le gagneur[160] de batailles,
+ Après l'expédition
+ Opposée aux funérailles,
+Attendoit avec vous en conversation
+Le mérite nouveau d'une autre impulsion.
+
+ Votre esprit, à son courage
+ Qui paroissoit abattu,
+ Faisoit retrouver l'usage
+ De sa première vertu.
+
+ Le charme de vos paroles
+ Passoit ceux des Espagnoles,
+ A ranimer tous les sens
+ Des amoureux languissans.
+
+ Tant qu'on vit à votre service
+ Un jeune, un aimable garçon[161],
+ A qui Vénus fut rarement propice,
+ _Bussi_ n'en fit point de chanson.
+
+ Vous étiez même regardée
+ Comme une nouvelle Médée;
+Qui pourroit en amour rajeunir un Éson.
+Que votre art seroit beau, qu'il seroit admirable,
+ S'il me rendoit un Jason,
+ Un Argonaute capable
+ De conquérir la toison!
+
+
+
+
+LETTRE IV.
+
+_M._ DE SAINT-EVREMONT _à mademoiselle_ DE L'ENCLOS.
+
+1696.
+
+
+J'ai reçu la seconde lettre que vous m'avez écrite, obligeante,
+agréable, spirituelle, où je reconnois les enjouemens de _Ninon_ et le
+bon sens de mademoiselle _de Lenclos_. Je savois comment la première a
+vécu; vous m'apprenez de quelle manière vit l'autre. Tout contribue à me
+faire regretter le temps heureux que j'ai passé dans votre commerce, et
+à désirer inutilement de vous voir encore. Je n'ai pas la force de me
+transporter en France, et vous y avez des agrémens qui ne vous
+laisseront pas venir en Angleterre. Madame _de Bouillon_ vous peut dire
+que l'Angleterre a ses charmes; et je serois un ingrat, si je n'avouois
+moi-même que j'y ai trouvé des douceurs. J'ai appris avec beaucoup de
+plaisir que M. le comte _de Grammont_ a recouvré sa première santé, et
+acquis une nouvelle dévotion. Jusqu'ici je me suis contenté
+grossièrement d'être homme de bien. Il faut faire quelque chose de plus,
+et je n'attends que votre exemple pour être dévôt. Vous vivez dans un
+pays où l'on a de merveilleux avantages pour se sauver. Le vice n'y est
+guère moins opposé à la mode qu'à la vertu. Pécher, c'est ne savoir pas
+vivre, et choquer la bienséance autant que la religion. Il ne falloit
+autrefois qu'être méchant; il faut être de plus malhonnête homme pour se
+damner en France présentement. Ceux qui n'ont pas assez de considération
+pour l'autre vie, sont conduits au salut par les égards et les devoirs
+de celle-ci. C'en est assez sur une matière où la conversion de M. le
+comte _de Grammont_ m'a engagé. Je la crois sincère et honnête. Il sied
+bien à un homme qui n'est pas jeune, d'oublier qu'il l'a été. Je ne l'ai
+pu faire jusqu'ici. Au contraire, du souvenir de mes jeunes ans, de la
+mémoire de ma vivacité passée, je tâche d'animer la langueur de mes
+vieux jours. Ce que je trouve de plus fâcheux à mon âge, c'est que
+l'espérance est perdue: l'espérance, qui est la plus douce des passions,
+et celle qui contribue davantage à nous faire vivre agréablement.
+Désespérer de vous voir jamais, est ce qui me fait le plus de peine. Il
+faut se contenter de vous écrire quelquefois, pour entretenir une amitié
+qui résiste à la longueur du temps, à l'éloignement des lieux, et à la
+froideur ordinaire de la vieillesse[162]. Ce dernier mot me regarde. La
+nature commencera par vous, à faire voir qu'il est possible de ne
+vieillir pas. Je vous prie de faire assurer M. le duc _de Lauzun_, de
+mes très-humbles services, et de savoir si madame la maréchale _de
+Créqui_ lui a fait payer cinq cents écus qu'il m'avoit prêtés. On me l'a
+écrit, il y a long-temps; mais je n'en suis pas trop assuré.
+
+
+
+
+LETTRE V.
+
+_M._ DE SAINT-EVREMONT _à mademoiselle_ DE L'ENCLOS.
+
+
+Il y a plus d'un an que je demande de vos nouvelles à tout le monde, et
+personne ne m'en apprend.
+
+M. _de la Bastide_ m'a dit que vous vous portiez fort bien; mais il
+ajoute, que si vous n'avez plus tant d'amans, vous êtes contente d'avoir
+beaucoup d'amis. La fausseté de la dernière nouvelle me fait douter de
+la vérité de la première. Vous êtes née pour aimer toute votre vie. Les
+amans et les joueurs ont quelque chose de semblable. Qui a aimé,
+aimera. Si l'on m'avoit dit que vous étiez dévote, je l'aurois pu
+croire. C'est passer d'une passion humaine à l'amour de Dieu, et donner
+à son âme de l'occupation; mais ne pas aimer est une espèce de néant qui
+ne peut convenir à votre cœur.
+
+ Ce repos languissant ne fut jamais un bien,
+ C'est trouver, sans mourir, l'état où l'on n'est rien.
+
+Je vous demande des nouvelles de votre santé, de vos occupations, de
+votre humeur, et que ce soit dans une assez longue lettre, où il y ait
+peu de morale, et beaucoup d'affection pour votre ancien ami. L'on dit
+ici que le comte _de Grammont_ est mort, ce qui me donne un déplaisir
+fort sensible. Si vous connoissez _Barbin_, faites-lui demander pourquoi
+il imprime tant de choses sous mon nom, qui ne sont point de moi. J'ai
+assez de mes sottises, sans me charger de celles des autres. On me donne
+une pièce contre le père _Bouhours_, où je ne pensai jamais. Il n'y a
+pas d'écrivain que j'estime plus que lui. Notre langue lui doit plus
+qu'à aucun auteur, sans excepter _Vaugelas_. Dieu veuille que la
+nouvelle de la mort du comte _de Grammont_ soit fausse[163], et celle de
+votre santé véritable!
+
+La gazette de Hollande dit que _M. le comte de Lauzun se marie_; si cela
+étoit vrai, on l'auroit mandé de Paris: outre cela, M. _de Lauzun_ est
+_duc_, et le nom de _comte_ ne lui convient point. Si vous avez la bonté
+de m'en écrire quelque chose, vous m'obligerez, et de faire bien des
+complimens à M. _de Gourville_ de ma part, en cas que vous le voyiez
+toujours. Pour des nouvelles de paix et de guerre, je ne vous en demande
+pas. Je n'en écris point, et je n'en reçois pas davantage. Adieu. C'est
+le plus véritable de vos serviteurs qui gagneroit beaucoup si vous
+n'aviez point d'amans; car il seroit le premier de vos amis, malgré une
+absence qu'on peut nommer éternelle.
+
+
+
+
+LETTRE VI.
+
+_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _à M._ DE SAINT-EVREMONT.
+
+
+Je défie Dulcinée de sentir avec plus de joie le souvenir de son
+chevalier. Votre lettre a été reçue comme elle le mérite, et _la triste
+figure_ n'a point diminué le mérite des sentimens. Je suis touchée de
+leur force et de leur persévérance. Conservez-les à la honte de ceux qui
+se mêlent d'en juger. Je crois, comme vous, que les rides sont les
+marques de la sagesse. Je suis ravie que vos vertus extérieures ne vous
+attristent point. Je tâche d'en user de même. Vous avez un ami[164],
+gouverneur de province, qui doit sa fortune à ses agrémens. C'est le
+seul vieillard qui ne soit pas ridicule à la cour. M. _de Turenne_ ne
+vouloit vivre que pour le voir vieux. Il le verroit père de famille,
+riche et plaisant. Il a plus dit de plaisanteries sur sa nouvelle
+dignité, que les autres n'en ont pensé. M. _d'Elbene_, que vous appeliez
+_le Cunctator_, est mort à l'hôpital. Qu'est-ce que les jugemens des
+hommes! Si M. _d'Olonne_ vivoit, et qu'il eût lu la lettre que vous
+m'écrivez, il vous auroit continué votre qualité de _son philosophe_. M.
+_de Lauzun_ est mon voisin. Il recevra vos complimens. Je vous rends
+très-tendrement ceux de M. _de Charleval_. Je vous demande instamment de
+faire souvenir M. _de Ruvigny_ de son amie de la rue des Tournelles.
+
+
+
+
+LETTRE VII.
+
+_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _à M._ DE SAINT-EVREMONT.
+
+1693.
+
+
+M. _de Charleval_ vient de mourir, et j'en suis si affligée, que je
+cherche à me consoler par la part que je sais que vous y prendrez. Je le
+voyois tous les jours. Son esprit avoit tous les charmes de la jeunesse,
+et son cœur toute la bonté et la tendresse désirable dans les véritables
+amis. Nous parlions souvent de vous, et de tous les originaux de notre
+tems. Sa vie et celle que je mène présentement avoient beaucoup de
+rapport. Enfin, c'est plus que de mourir soi-même qu'une pareille perte.
+Mandez-moi de vos nouvelles. Je m'intéresse à votre vie à Londres, comme
+si vous étiez ici, et les anciens amis ont des charmes que l'on ne
+connoît jamais si bien que lorsqu'on en est privé.
+
+
+
+
+LETTRE VIII.
+
+_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _à M._ DE SAINT-EVREMONT.
+
+
+J'apprends avec plaisir que mon âme vous est plus chère que mon corps,
+et que votre bon sens vous conduit toujours au meilleur. Le corps, à la
+vérité, n'est plus digne d'attention, et l'âme a encore quelque lueur
+qui la soutient, et qui la rend sensible au souvenir d'un ami dont
+l'absence n'a point effacé les traits. Je fais souvent de vieux contes
+où M. _d'Elbene_, M. _de Charleval_ et le chevalier _de la Rivière_
+réjouissent les modernes. Vous avez part aux beaux endroits. Mais comme
+vous êtes moderne aussi, j'observe de ne vous pas louer devant les
+académiciens qui se sont déclarés pour les anciens. Il m'est revenu un
+prologue en musique que je voudrois bien voir sur le théâtre de Paris.
+La beauté, qui en fait le sujet, donneroit de l'envie à toutes celles
+qui l'entendroient. Toutes nos Hélènes n'ont pas le droit de trouver un
+Homère, et d'être toujours les Déesses de la beauté. Me voici bien haut;
+comment en descendre? Mon très-cher ami, ne falloit-il pas mettre le
+cœur à son langage? Je vous assure que je vous aime toujours plus
+tendrement que ne le permet la philosophie. Madame la duchesse _de
+Bouillon_ est comme à dix-huit ans. La source des charmes est dans le
+sang Mazarin. A cette heure que nos rois sont amis, ne devriez-vous pas
+venir faire un tour ici? ce seroit pour moi le plus grand succès de la
+paix.
+
+
+
+
+LETTRE IX.
+
+_M._ DE SAINT-EVREMONT _à mademoiselle_ DE L'ENCLOS.
+
+
+Je prends un plaisir sensible à voir de jeunes personnes, belles,
+fleuries, capables de plaire, propres à toucher sincèrement un vieux
+cœur comme le mien. Comme il y a toujours eu beaucoup de rapport entre
+votre goût, entre votre humeur, entre vos sentimens et les miens, je
+crois que vous ne serez pas fâchée de voir un jeune cavalier qui sait
+plaire à toutes nos dames. C'est M. le duc _de Saint-Albans_, que j'ai
+prié, autant pour son intérêt que pour le vôtre, de vous visiter. S'il y
+a quelqu'un de vos amis avec M. _de Tallard_, du mérite de notre temps,
+à qui je puisse rendre quelque service, ordonnez. Faites-moi savoir
+comment se porte notre ancien ami M. _de Gourville_. Je ne doute point
+qu'il ne soit bien dans ses affaires. S'il est mal dans sa santé, je le
+plains.
+
+Le docteur _Morelli_, mon ami particulier, accompagne madame la comtesse
+_de Sandwich_, qui va en France pour sa santé. Feu M. le comte _de
+Rochester_, père de madame _Sandwich_, avoit plus d'esprit qu'homme
+d'Angleterre. Madame _Sandwich_ en a plus que n'avoit M. son père. Aussi
+généreuse que spirituelle, aussi aimable que spirituelle et généreuse:
+voilà une partie de ses qualités. Je m'étendrai plus sur le médecin que
+sur la malade.
+
+Sept villes, comme vous savez, se disputèrent la naissance d'Homère.
+Sept grandes nations se disputent celle du _Morelli_. L'Inde, l'Égypte,
+l'Arabie, la Perse, la Turquie, l'Italie, l'Espagne; les pays froids,
+les pays tempérés même, la France, l'Angleterre, l'Allemagne, n'y ont
+aucune prétention. Il sait toutes les langues, il en parle la plupart.
+Son style haut, grand, figuré, me fait croire qu'il est né chez les
+Orientaux, et qu'il a pris ce qu'il y a de bon chez les Européens. Il
+aime la musique passionnément. Il est fou de la poésie. Curieux en
+peinture, pour le moins; connoisseur, je ne le sais pas. Sur
+l'architecture, il a des amis qui la savent. Célèbre, sérieusement, dans
+sa profession; capable d'exercer celle des autres. Je vous prie de lui
+faciliter la connoissance de tous vos illustres. S'il a bien la vôtre,
+je le tiens assez heureux. Vous ne lui sauriez faire connoître personne
+qui ait un mérite si singulier que vous. Il me semble qu'Épicure faisoit
+une partie de son souverain bien, du souvenir des choses passées. Il n'y
+a plus de souverain bien pour un homme de cent ans comme moi; mais il
+est encore des consolations. Celle de me souvenir de vous, et de tout ce
+que je vous ai ouï dire, est une des plus grandes. Je vous écris bien
+des choses dont vous ne vous souciez guère; je ne songe pas qu'elle vous
+ennuieront: il me suffit qu'elles me plaisent. Il ne faut pas, à mon
+âge, croire qu'on puisse plaire aux autres. Mon mérite est de me
+contenter. Trop heureux de le pouvoir faire en vous écrivant! Songez à
+me ménager du vin avec M. _de Gourville_. Je suis logé avec M. _de
+l'Hermitage_, un de ses parens, fort honnête homme, réfugié en
+Angleterre pour sa religion. Je suis fâché que la conscience des
+catholiques françois ne l'ait pu souffrir à Paris, ou que la délicatesse
+de la sienne l'en ait fait sortir. Il mérite l'approbation de son
+cousin, assurément.
+
+
+
+
+LETTRE X.
+
+_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _à M._ DE SAINT-EVREMONT.
+
+A quoi songez-vous de croire que la vue d'un jeune homme soit un plaisir
+pour moi? Vos sens vous trompent sur ceux des autres. J'ai tout oublié
+hors mes amis. Si le nom de _docteur_ ne m'avoit rassurée, je vous
+aurois fait réponse par l'abbé _de Hautefeuille_, et vos Anglois
+n'auroient pas entendu parler de moi. On leur a dit à ma porte que je
+n'y étois pas, et on y reçut votre lettre qui m'a autant réjouie
+qu'aucune que j'aie jamais reçue de vous. Quelle envie d'avoir de bon
+vin! et que je suis malheureuse de ne pouvoir vous répondre du succès!
+M. _de l'Hermitage_ vous diroit aussi bien que moi que M. _de Gourville_
+ne sort plus de sa chambre. Assez indifférent pour toutes sortes de
+goûts, bon ami toujours, mais que ses amis ne songent pas d'employer, de
+peur de lui donner des soins. Après cela, si par quelque insinuation que
+je ne prévois pas encore, je puis employer mon savoir-faire pour le vin,
+ne doutez pas que je ne le fasse. M. _de Tallard_ a été de mes amis
+autrefois, mais les grandes affaires détournent les grands hommes des
+inutilités. On m'a dit que M. l'abbé _Dubois_[165] iroit avec lui.
+C'est un petit homme délié, qui vous plaira, je crois. Il y a vingt de
+vos lettres entre mes mains: on les lit ici avec admiration; vous voyez
+que le bon goût n'est pas fini en France. J'ai été charmée de l'endroit
+où vous ne craignez pas d'ennuyer; et que vous êtes sage, si vous ne
+vous souciez plus que de vous! non pas que le principe ne soit faux pour
+vous, de ne pouvoir plus plaire aux autres. J'ai écrit à M. _Morelli_;
+si je trouve en lui toutes les sciences dont vous me parlez, je le
+regarderai comme un vrai _docteur_.
+
+
+
+
+LETTRE XI.
+
+_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _à M._ DE SAINT-EVREMONT.
+
+
+J'ai envoyé une réponse à votre dernière lettre, Monsieur, au
+correspondant de M. l'abbé _Dubois_; et je crains, comme il étoit à
+Versailles, qu'elle ne lui ait pas été rendue. Je serois fort en peine
+de votre santé, sans la visite du bon petit bibliothécaire de madame _de
+Bouillon_[166], qui me combla de joie, en me montrant une lettre d'une
+personne qui songe à moi à cause de vous. Quelque sujet que j'aie eu
+dans ma maladie de me louer du monde et de mes amis, je n'ai rien
+ressenti de plus vif que cette marque de bonté. Faites sur cela tout ce
+que vous êtes obligé de faire, puisque c'est vous qui me l'avez attirée.
+Je vous prie que je sache, par vous-même, si vous avez rattrapé ce
+bonheur dont on jouit si peu en de certains temps. La source ne sauroit
+tarir tant que vous aurez l'amitié de l'aimable personne qui soutient
+votre vie[167]. Que j'envie ceux qui passent en Angleterre! et que
+j'aurois de plaisir de dîner encore une fois avec vous! n'est-ce point
+une grossièreté que le souhait d'un dîner? L'esprit a de grands
+avantages sur le corps: cependant ce corps fournit souvent de petits
+goûts qui se réitèrent, et qui soulagent l'âme de ses tristes
+réflexions. Vous vous êtes souvent moqué de celles que je faisois: je
+les ai toutes bannies. Il n'est plus temps quand on est arrivé au
+dernier période de la vie: il faut se contenter du jour où l'on vit. Les
+espérances prochaines, quoique vous en disiez, valent bien autant que
+celles qu'on étend plus loin: elles sont plus sûres. Voici une belle
+morale. Portez-vous bien, voilà à quoi tout doit aboutir.
+
+
+
+
+LETTRE XII.
+
+_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _à M._ DE SAINT-EVREMONT.
+
+Avril 1698.
+
+
+M. l'abbé _Dubois_ m'a rendu votre lettre, Monsieur, et m'a dit autant
+de bien de votre estomac que de votre esprit. Il vient des temps où l'on
+fait bien plus de cas de l'estomac que de l'esprit; et j'avoue à ma
+honte que je vous trouve plus heureux de jouir de l'un que de l'autre.
+J'ai toujours cru que votre esprit dureroit autant que vous. On n'est
+pas si sûr de la santé du corps, sans quoi il ne reste que de tristes
+réflexions. Insensiblement je m'embarquerois à en faire: voici un autre
+chapitre; il regarde un joli garçon qu'un désir de voir les honnêtes
+gens de toute sorte de pays a fait quitter une maison opulente, sans
+congé. Peut-être blâmerez-vous sa curiosité; mais l'affaire est faite.
+Il sait beaucoup de choses; il en ignore d'autres qu'il faut ignorer à
+son âge. Je l'ai cru digne de vous voir, pour lui faire commencer à
+sentir qu'il n'a pas perdu son temps d'aller en Angleterre. Traitez-le
+bien pour l'amour de moi. Je l'ai fait prier par son frère aîné, qui est
+particulièrement mon ami, d'aller savoir des nouvelles de madame la
+duchesse _Mazarin_ et de madame _Hervey_, puisqu'elles ont bien voulu se
+souvenir de moi.
+
+
+
+
+LETTRE XIII.
+
+_M._ DE SAINT-EVREMONT _à mademoiselle_ DE L'ENCLOS.
+
+Mai 1698.
+
+
+Je n'ai jamais vu de lettre où il y eût tant de bon sens que dans la
+vôtre. Vous faites l'éloge de l'estomac si avantageusement qu'il y aura
+de la honte à avoir bon esprit, à moins que d'avoir bon estomac. Je
+suis obligé à M. l'abbé _Dubois_ de m'avoir fait valoir auprès de vous
+par ce bel endroit. A quatre-vingt-huit ans, je mange des huîtres tous
+les matins, je dîne bien, je ne soupe pas mal; on fait des héros pour un
+moindre mérite que le mien.
+
+ Qu'on ait plus de bien, de crédit,
+ Plus de vertu, plus de conduite,
+ Je n'en aurai point de dépit;
+ Qu'un autre me passe en mérite
+ Sur le goût et sur l'appétit,
+ C'est l'avantage qui m'irrite.
+ L'estomac est le plus grand bien,
+ Sans lui les autres ne sont rien.
+ Un grand cœur veut tout entreprendre,
+ Un grand esprit veut tout comprendre:
+Les droits de l'estomac sont de bien digérer:
+Et dans les sentimens que me donne mon âge,
+La beauté de l'esprit, la grandeur du courage,
+N'ont rien qu'à sa vertu l'on puisse comparer.
+
+Étant jeune, je n'admirois que l'esprit, moins attaché aux intérêts du
+corps que je ne devois l'être. Aujourd'hui je répare autant qu'il m'est
+possible le tort que j'ai eu, ou par l'usage que j'en fais, ou par
+l'estime et l'amitié que j'ai pour lui. Vous en avez usé autrement. Le
+corps vous a été quelque chose dans votre jeunesse; présentement vous
+n'êtes occupée que de ce qui regarde l'esprit. Je ne sais pas si vous
+avez raison de l'estimer tant. On ne lit presque rien qui vaille la
+peine d'être retenu. On ne dit presque rien qui mérite d'être écouté.
+Quelque misérables que soient les sens à l'âge où je suis, les
+impressions que font sur eux les objets qui plaisent, me trouvent bien
+plus sensible, et nous avons grand tort de les vouloir mortifier. C'est
+peut-être une jalousie de l'esprit, qui trouve leur partage meilleur que
+le sien. M. _Bernier_, le plus joli philosophe que j'aie connu. (Joli
+philosophe ne se dit guère; mais sa figure, sa taille, sa manière, sa
+conversation, l'ont rendu digne de cette épithète-là.) M. _Bernier_, en
+parlant de la mortification des sens, me dit un jour: «Je vais vous
+faire une confidence que je ne ferois pas à madame _de la Sablière_, à
+mademoiselle _de l'Enclos_ même, que je tiens d'un ordre supérieur; je
+vous dirai en confidence que l'abstinence des plaisirs me paroît un
+grand péché». Je fus surpris de la nouveauté du système. Il ne laissa
+pas de faire quelqu'impression sur moi. S'il eût continué son discours,
+peut-être m'auroit-il fait goûter sa doctrine. Continuez-moi votre
+amitié, qui n'a jamais été altérée; ce qui est rare dans un aussi long
+commerce que le nôtre.
+
+
+
+
+LETTRE XIV.
+
+_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _à M._ DE SAINT-EVREMONT.
+
+Août 1698.
+
+
+M. _de Clérembault_ m'a fait un sensible plaisir en me disant que vous
+songiez à moi: j'en suis digne par l'attachement que je conserve pour
+vous. Nous allons mériter des louanges de la postérité par la durée de
+notre vie, et par celle de notre amitié. Je crois que je vivrai autant
+que vous. Je suis lasse quelquefois de faire toujours la même chose; et
+je loue le Suisse qui se jeta dans la rivière par cette raison. Mes amis
+me reprennent souvent sur cela, et m'assurent que la vie est bonne, tant
+que l'on est tranquille et que l'esprit est sain. La force du corps
+donne d'autres pensées. L'on préféreroit sa force à celle de l'esprit;
+mais tout est inutile quand on ne sauroit rien changer. Il vaut autant
+s'éloigner des réflexions, que d'en faire qui ne servent à rien. Madame
+_Sandwich_ m'a donné mille plaisirs, par le bonheur que j'ai eu de lui
+plaire. Je ne croyois pas sur mon déclin pouvoir être propre à une femme
+de son âge. Elle a plus d'esprit que toutes les femmes de France, et
+plus de véritable mérite. Elle nous quitte; c'est un regret pour tout ce
+qui la connoît, et pour moi particulièrement. Si vous aviez été ici,
+nous aurions fait des repas dignes du temps passé. Aimez-moi toujours.
+Madame _de Coulanges_ a pris la commission de faire vos complimens à M.
+le comte _de Grammont_ par madame la comtesse _de Grammont_. Il est si
+jeune, que je le crois aussi léger, que du temps qu'il haïssoit les
+malades, et qu'il les aimoit dès qu'ils étoient revenus en santé. Tout
+ce qui revient d'Angleterre parle de la beauté de madame la duchesse
+_Mazarin_, comme on parle ici de celle de mademoiselle _de Bellefond_
+qui commence. Vous m'avez attachée à madame _Mazarin_, et je n'en
+entends point dire de bien sans plaisir. Adieu, Monsieur; pourquoi
+n'est-ce pas un bon jour? Il ne faudroit pas mourir sans se voir.
+
+
+
+
+LETTRE XV.
+
+_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _à M._ DE SAINT-EVREMONT[168].
+
+Le 3 juillet 1699.
+
+
+Quelle perte pour vous, Monsieur! Si on n'avoit pas à se perdre
+soi-même, on ne se consoleroit jamais. Je vous plains sensiblement; vous
+venez de perdre un commerce aimable, qui vous a soutenu dans un pays
+étranger. Que peut-on faire pour remplacer un tel malheur? Ceux qui
+vivent long-temps, sont sujets à voir mourir leurs amis. Après cela
+votre esprit, votre philosophie vous servira à vous soutenir. J'ai senti
+cette mort comme si j'avois eu l'honneur de connoître madame _Mazarin_.
+Elle a songé à moi dans mes maux: j'ai été touchée de cette bonté; et
+ce qu'elle étoit pour vous m'avoit attachée à elle. Il n'y a plus de
+remède, et il n'y en a nul à ce qui arrive à nos pauvres corps.
+Conservez le vôtre. Vos amis aiment à vous voir si sain et si sage; car
+je tiens pour sages ceux qui savent se rendre heureux. Je vous rends
+mille grâces du thé que vous m'avez envoyé. La gaîté de votre lettre m'a
+autant plu que votre présent. Vous allez ravoir madame _Sandwich_, que
+nous voyons partir avec beaucoup de regret. Je voudrois que la situation
+de sa vie vous pût servir de quelque consolation. J'ignore les manières
+angloises: cette dame a été très-françoise ici. Adieu mille fois,
+Monsieur. Si l'on pouvoit penser comme madame _de Chevreuse_, qui
+croyoit en mourant qu'elle alloit causer avec tous ses amis en l'autre
+monde, il seroit doux de le penser.
+
+
+
+
+LETTRE XVI.
+
+_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _à M._ DE SAINT-EVREMONT.
+
+1699.
+
+
+Votre lettre m'a remplie de désirs inutiles dont je ne me croyois plus
+capable. Les jours se passent, comme disoit le bon homme _des Yveteaux_,
+dans l'ignorance et la paresse; et ces jours nous détruisent, et nous
+font perdre les choses à quoi nous sommes attachés. Vous l'éprouverez
+cruellement. Vous disiez autrefois que je ne mourrois que de réflexion:
+je tâche à n'en plus faire et à oublier le lendemain le jour que je vis
+aujourd'hui. Tout le monde me dit que j'ai moins à me plaindre du temps
+qu'un autre. De quelque sorte que cela soit, qui m'auroit proposé une
+telle vie, je me serois pendue. Cependant on tient à un vilain corps
+comme à un corps agréable. On aime à sentir l'aise et le repos.
+L'appétit est quelque chose dont je jouis encore. Plût à Dieu de pouvoir
+éprouver mon estomac avec le vôtre, et parler de tous les originaux que
+nous avons connus, dont le souvenir me réjouit plus que la présence de
+beaucoup de gens que je vois, quoiqu'il y ait du bon dans tout cela,
+mais, à dire le vrai, nul rapport! M. _de Clérembault_ me demande
+souvent, s'il ressemble par l'esprit à son père: non, lui dis-je; mais
+j'espère de sa présomption qu'il croit ce _non_ avantageux, et peut-être
+qu'il y a des gens qui le trouveroient. Quelle comparaison du siècle
+présent avec celui que nous avons vu! Vous allez voir madame _Sandwich_;
+mais je crains qu'elle n'aille à la campagne. Elle sait tout ce que vous
+pensez d'elle. Madame _Sandwich_ vous dira plus de nouvelles de ce
+pays-ci que moi. Elle a tout approfondi et tout pénétré. Elle connoît
+parfaitement tout ce que je hante, et a trouvé le moyen de n'être point
+étrangère ici.
+
+
+
+
+LETTRE XVII.
+
+_M._ DE SAINT-EVREMONT _à mademoiselle_ DE L'ENCLOS.
+
+1699.
+
+
+La dernière lettre que je reçois de mademoiselle _de l'Enclos_ me semble
+toujours la meilleure; et ce n'est point que le sentiment du plaisir
+présent l'emporte sur le souvenir du passé: la véritable raison est que
+votre esprit se fortifie tous les jours. S'il en est du corps comme de
+l'esprit, je soutiendrois mal ce combat d'estomac dont vous me parlez.
+J'ai voulu faire un essai du mien contre celui de madame _Sandwich_, à
+un grand repas, chez milord _Jersey_; je ne fus pas vaincu. Tout le
+monde connoît l'esprit de madame _Sandwich_: je vois son bon goût par
+l'estime extraordinaire qu'elle a pour vous. Je ne fus pas vaincu sur
+les louanges qu'elle vous donna, non plus que sur l'appétit. Vous êtes
+de tous les pays; aussi estimée à Londres qu'à Paris. Vous êtes de tous
+les temps; et quand je vous allègue pour faire honneur au mien, les
+jeunes gens vous nomment aussitôt pour donner l'avantage au leur. Vous
+voilà maîtresse du présent et du passé; puissiez-vous avoir des droits
+considérables sur l'avenir! je n'ai pas en vue la réputation; elle vous
+est assurée dans tous les temps. Je regarde une chose plus essentielle;
+c'est la vie, dont huit jours valent mieux que huit siècles de gloire
+après la mort. _Qui vous auroit proposé autrefois de vivre comme vous
+vivez, vous vous seriez pendue_; l'expression me charme; cependant vous
+vous contentez de l'aise, et du repos, après avoir senti ce qu'il y a de
+plus vif.
+
+ L'esprit vous satisfait, ou du moins vous console;
+ Mais on préféreroit de vivre jeune et folle,
+ Et laisser aux vieillards, exempts de passions,
+ La triste gravité de leurs réflexions.
+
+Il n'y a personne qui fasse plus de cas de la jeunesse que moi. Comme
+je n'y tiens que par le souvenir, je suis votre exemple, et m'accommode
+du présent le mieux qu'il m'est possible. Plût à Dieu que madame
+_Mazarin_ eût été de notre sentiment! elle vivroit encore; mais elle a
+voulu mourir la plus belle du monde. Madame _Sandwich_ va à la campagne.
+Elle part d'ici admirée à Londres comme elle l'a été à Paris. Vivez; la
+vie est bonne quand elle est sans douleur. Je vous prie de faire tenir
+ce billet à M. l'abbé _de Hautefeuille_, chez madame la duchesse _de
+Bouillon_. Je vois quelquefois les amis de M. l'abbé _Dubois_, qui se
+plaignent d'être oubliés. Assurez-le de mes très-humbles respects.
+
+
+
+
+LETTRE XVIII.
+
+_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _à M._ DE SAINT-EVREMONT.
+
+14 octobre, 1700.
+
+
+Le bel esprit est bien dangereux dans l'amitié! Votre lettre en auroit
+gâté une autre que moi. Je connois votre imagination vive et étonnante,
+et j'ai même eu besoin de me souvenir que _Lucien_ a écrit à la louange
+de la Mouche, pour m'accoutumer à votre style. Plût à Dieu que vous
+pussiez penser de moi ce que vous en dites! je me passerois de toutes
+les nations. Aussi est-ce à vous que la gloire en demeure. C'est un
+chef-d'œuvre que votre dernière lettre. Elle a fait le sujet de toutes
+les conversations que l'on a eues dans ma chambre depuis un mois. Vous
+retournez à la jeunesse: vous faites bien de l'aimer. La philosophie
+sied bien avec les agrémens de l'esprit. Ce n'est pas assez d'être
+sage, il faut plaire; et je vois bien que vous plairez toujours tant que
+vous penserez comme vous pensez. Peu de gens résistent aux années. Je
+crois ne m'en être pas encore laissé accabler. Je souhaiterois, comme
+vous, que madame _Mazarin_ eût regardé la vie en elle-même sans songer à
+son visage, qui eût toujours été aimable, quand le bon sens auroit tenu
+la place de quelque éclat de moins. Madame _Sandwich_ conservera la
+force de l'esprit en perdant la jeunesse, au moins le pense-je ainsi.
+Adieu, Monsieur, quand vous verrez madame la comtesse de _Sandwich_,
+faites-la souvenir de moi; je serois très-fâchée d'en être oubliée.
+
+
+
+
+LETTRE XIX.
+
+_M._ DE SAINT-EVREMONT _à mademoiselle_ DE L'ENCLOS.
+
+Le premier janvier 1701.
+
+
+On m'a rendu dans le mois de décembre la lettre que vous m'avez écrite
+le 14 octobre 1700. Elle est un peu vieille; mais les bonnes choses sont
+agréablement reçues, quelque tard qu'elles arrivent. Vous êtes sérieuse,
+et vous plaisez. Vous donnez de l'agrément à _Sénèque_, qui n'est pas
+accoutumé d'en avoir. Vous vous dites vieille avec toutes les grâces de
+l'humeur et de l'esprit des jeunes gens. J'ai une curiosité que vous
+pouvez satisfaire: quand il vous souvient de votre jeunesse, le souvenir
+du passé ne vous donne-t-il point de certaines idées aussi éloignées de
+la langueur de l'indolence que du trouble de la passion? Ne sentez-vous
+point dans votre cœur une opposition secrète à la tranquillité que vous
+pensez avoir donnée à votre esprit?
+
+ Mais aimer et vous voir aimée,
+ Est une douce illusion,
+ Qui dans votre cœur s'est formée
+ De concert avec la raison.
+
+ D'une amoureuse sympathie
+ Il faut pour arrêter le cours,
+ Arrêter celui de nos jours;
+ Sa fin est celle de la vie.
+
+ Puissent les destins complaisans
+ Vous donner encore trente ans
+ D'amour et de philosophie!
+
+C'est ce que je vous souhaite le premier jour de l'année 1701, jour où
+ceux qui n'ont rien à donner, donnent pour étrennes des souhaits.
+
+
+_Fin des lettres de mademoiselle de l'Enclos et de M. de
+Saint-Evremont._
+
+
+
+
+LA COQUETTE VENGÉE;
+
+PAR MLLE. DE L'ENCLOS.
+
+
+Ma nièce, disoit _Éléonore_ à _Philimène_, quand vous serez à Paris, ne
+faites point amitié ni conversation avec toute sorte d'hommes; il y a
+bien du choix à faire parmi eux; mais sur-tout évitez les philosophes.
+Voilà un mot que vous n'entendez pas, je le vois bien; un peu de
+patience, vous allez bientôt savoir ce que c'est. Quand _Dorilas_, votre
+frère, alloit au collége, vous avez vu souvent dîner chez vous un
+certain homme qui faisoit tant de révérences et tant de gestes en
+entrant, qui rioit au nez à tout le monde, qui parloit toute sorte de
+langues hormis la nôtre, qui avoit toujours les cheveux mal peignés, la
+barbe sale, et le collet entr'ouvert, toujours crotté, toujours la
+soutane grasse et le long manteau déchiré. Ne vous souvient-il pas d'un
+éclat de rire qui vous prit à table un jour, quand il disoit au laquais
+qui lui donnoit à boire qu'il se couvrit, autrement qu'il n'accepteroit
+jamais le verre de sa main, avec des complimens si longs et si
+opiniâtres, qu'il fût mort de soif, si votre père n'eût eu pitié de lui?
+Vous le connoissez; c'étoit le maître qui enseignoit la philosophie à
+_Dorilas_, c'étoit un philosophe; mais il n'étoit pas de ceux dont je
+vous veux parler.
+
+Vous avez encore ouï parler cent fois d'un certain abbé qui est dans
+notre voisinage, dont la vie est toute retirée, qui ne songe qu'à lui,
+qui ne veut point faire d'amis de peur de s'engager à être le leur, qui
+se cache au grand monde pour en éviter l'embarras, qui fuit les
+compagnies comme autant d'occasions d'intrigues et de soucis, qui n'aime
+que ses livres et ses chiens, et encore plus ses chiens que ses livres;
+et autant de fois que nous en avons parlé, vous nous avez toujours ouï
+dire que c'étoit un philosophe; ce n'est point encore là ce que
+j'entends.
+
+Il y a d'autres philosophes qui aiment la compagnie, mais celle de leurs
+semblables, où ils ont leurs coudées franches et la liberté entière de
+tout dire et de tout faire, des philosophes goinfres qui courent le
+cabaret, qui ivrognent sans cesse, parce qu'ils disent qu'ils n'ont
+jamais tant de plaisir que quand ils ont noyé ou endormi leur raison,
+qui leur joue cent mauvais tours quand elle veille, qui les contraint de
+faire cent réflexions fâcheuses, et qu'ils appellent l'ennemie capitale
+de leur repos. Ces philosophes-là portent leur reproche avec eux.
+
+Quand je dis donc que vous devez éviter les philosophes, je n'entends
+point parler, ni d'un docteur, ni d'un solitaire, ni d'un libertin dont
+la profession est ouverte et déclarée. J'entends certains pédans
+déguisés, pédans de robe courte, des philosophes de chambre qui ont le
+teint un peu plus frais que les autres, parce qu'ils se nourrissent à
+l'ombre, et qu'ils ne s'exposent jamais à la poussière et au soleil; des
+philosophes de ruelles qui dogmatisent dans des fauteuils; des
+philosophes galans qui raisonnent sans cesse sur l'amour, et qui n'ont
+rien de raisonnable pour se faire aimer. Vous ne sauriez croire combien
+ces gens-là sont incommodes.
+
+Au commencement que j'étois à Paris, encore toute pleine de l'air de nos
+provinces, lorsque le premier venu m'étoit bon, pourvu qu'il me dît
+quelque chose, je fis connoissance avec un de ces gens-là. Il vint par
+hasard dans une maison où j'étois en visite avec une de mes cousines; il
+étoit habillé fort uniment, il n'avoit ni ruban, ni dentelle, il ne me
+souvient pas même s'il avoit des glands; son chapeau étoit un peu lustré
+avec un petit crêpe, son bas de soie ne faisoit pas le moindre pli, le
+manteau sur ses deux épaules, le pourpoint fermé, la petite manchette au
+bout, le gand de Grenoble à la main, il n'y avoit rien de superflu; un
+clin-d'œil, un souris, un petit mouvement de tête suppléeoient à toutes
+ces révérences étudiées qui ne sont bonnes à rien. Le fils de la maison
+lui fit grand accueil. Voilà mon fils qui est ravi de vous voir, lui dit
+sa mère; c'est Monsieur tel, dit-elle à toute la compagnie; et dans la
+compagnie il y avoit force dames. Je ne vis pas qu'elles s'en émurent
+beaucoup. Je crus que le sujet de l'entretien qu'il avoit interrompu par
+son arrivée, les attachoit si fort qu'elles ne pensèrent point à lui
+faire compliment. Son nom ne m'étoit pas inconnu; des jeunes gens qui
+revenoient de Paris m'en avoient parlé dans la province. Il prit un
+siége auprès de moi. On continua l'entretien d'un certain mariage qui
+s'étoit fait à la cour. Ni lui, ni moi ne disions pas un mot; moi, parce
+que je ne savois rien; lui, parce que le sujet ne lui plaisoit pas. Il
+s'imagina que la même raison nous faisoit taire tous deux. Après avoir
+attendu quelque temps: nous ne sommes, ni vous, ni moi, me dit-il tout
+bas, du grand entretien; nous en pouvons faire un second entre nous sans
+troubler le leur: aussi bien elles parlent si haut qu'elles
+s'étourdissent elles-mêmes, et par conséquent, il est impossible, dans
+le bruit qu'elles font, qu'elles nous entendent. Je lui répondis; il me
+dit encore quelqu'autre chose; je lui fis aussi quelque autre réponse,
+mais j'affectois toujours de mettre dans ce que je disois quelque pointe
+et quelque mot extraordinaire. Il me reconnut provinciale; il me fit
+alors cent questions sur mon pays, sur ma naissance, sur mon nom, sur ma
+demeure, sur les livres que je lisois. Que ne dit-il point contre
+_Balzac_, _Voiture_ et tous les faiseurs de lettres, de comédies et de
+romans! On abandonne lâchement la connoissance des choses solides pour
+s'attacher aux mots. Il me tint un grand discours là-dessus avec tant de
+chaleur, que souvent il en roidissoit le bras et fermoit le poing.
+Trouvez bon, me dit-il à la fin, que j'aie l'honneur de vous aller voir,
+et vous en saurez plus en un mois que tous ces conteurs de bagatelles ne
+pourroient vous en apprendre en toute votre vie. Il n'y aura point de
+grand sujet, dont vous ne puissiez parler sur-le-champ; d'une ligne que
+je vous dirai, vous pourrez tirer mille conclusions et former mille
+discours.
+
+Il me vint voir quelque temps après, comme il m'avoit promis. J'achetai
+certains livres qu'on appelle des tables. Il me les expliquoit toutes
+les fois qu'il venoit au logis. C'étoit toute mon occupation; je
+négligeois toute autre chose. Ses visites et mon étude durèrent un an et
+quelques mois: j'avois du loisir, je ne connoissois pas encore le grand
+monde; mais enfin je fus obligée de recevoir tant de visites tous les
+jours et à tous momens, que je ne pouvois plus le voir qu'en compagnie.
+
+Il entra dans ma chambre, un jour que _Polixène_ y étoit avec
+_Philidor_, son frère, qui est un gentilhomme aussi adroit et aussi
+spirituel que j'en connoisse. Monsieur, lui dit _Philidor_, vous êtes
+venu bien à propos; vous avez appris tant de philosophie à _Éléonore_
+qu'elle nous fait enrager; je lui disois qu'un amour constant étoit la
+plus belle de toutes les vertus. Elle m'a répondu fièrement que je
+confondois les vertus avec les passions, que l'amour étoit une passion
+et non pas une vertu, et qu'une passion ne devient pas vertu par sa
+durée, mais seulement une plus longue passion. Elle m'a dit cent choses
+de la même force; je suis à bout, je vous demande secours. Comment vous
+pourrois-je secourir répondit-il à _Philidor_, _Éléonore_ a toutes mes
+forces de son côté. Elle vous a découvert la source d'une erreur, qui
+est commune parmi les hommes, de prendre pour une passion ce qui est
+souvent ou une vertu, ou un vice, faute de savoir la nature et le nombre
+des passions. Tout cela, ajouta-t-il, est expliqué en deux tables. Il
+prit le livre qui étoit sur un guéridon, et ayant cherché la table des
+passions, il la donna à lire à _Philidor_. Comment! dit _Philidor_,
+est-ce là tout ce qu'on peut dire des passions, de tous ces mouvemens
+impétueux qui nous agitent dans la vie? Certainement voilà une grande
+mer renfermée dans un espace bien étroit. Vous travaillez admirablement
+en petit. Quoi! il n'y a qu'une ligne pour l'amour! voilà une divinité
+bien serrée. Si c'est assez d'une ligne pour fournir à tous les amans,
+il faut qu'elle soit bien longue. Qui veut devenir savant avec cela a
+besoin d'un grand naturel. _L'amour est une inclination de l'appétit au
+bien sensible considéré absolument._ J'en serai bien plus galant quand
+je saurai cela! j'aurai bien plus de quoi me faire aimer! j'en aurai de
+bien plus belles idées pour remplir la conversation! Il n'y a rien de si
+beau, ni de si plein que l'amour, et cependant ce livre nous en fait un
+squelette tout sec, sans embonpoint et sans couleur. Si toute la
+philosophie de cet homme-là est de même, savez-vous ce que j'en pense?
+c'est une reine bien pauvre et bien maigre, dont les tables sont bien
+mal servies.
+
+Mon philosophe vouloit s'échauffer contre _Philidor_; mais pour finir le
+sujet d'un entretien qui alloit s'aigrir, je pris mon luth, je touchai
+quelques sarabandes. _Philidor_, avec son dégagement ordinaire, les
+dansa toutes. Nous parlâmes ensuite de la danse. Je croyois avoir ôté
+par ce moyen toute occasion de dispute, quand _Polixène_, par une belle
+malice, s'avisa de me demander si dans mon livre il n'y avoit pas une
+table de la danse, Monsieur, dit _Polixène_ au philosophe, il faut que
+vous en fassiez une pour l'amour de moi. Cela est fort aisé, dit
+_Philidor_, je lui en sauverai la peine. Je mettrai premièrement
+quelques propositions générales pour montrer la nécessité ou utilité de
+la danse. J'en ferai après la définition. _La danse est un mouvement
+mesuré du corps au son de la voix ou de l'instrument. Elle est ou
+simple, ou figurée, ou par bas, ou par haut._ Ensuite, j'en remarquerai
+la différence; les sarabandes, les branles, les courantes, les ballets;
+j'en distinguerai les pas; le pas coulé, le gravé, le coupé,
+l'entrechat. Adieu, les maîtres à danser; quand ma table sera faite,
+quiconque la lira sera un habile sauteur.
+
+_Polixène_ se mit à rire de tout son cœur. Mon philosophe sortit de
+dépit. Je courus après lui; je lui fis des excuses dans mon antichambre
+le mieux que je pus. Il me dit que tout cela ne le choquoit point; que
+_Philidor_ étoit un jeune homme sorti fraîchement de l'académie, qui
+vouloit s'égayer; qu'il étoit bien trompé si sa sœur n'étoit une franche
+coquette; qu'il voyoit bien qu'il ne pourroit plus me gouverner à
+l'avenir; qu'il me supplioit de l'en dispenser; qu'il m'enverroit à sa
+place un de ses anciens écoliers, qui savoit sa méthode aussi bien que
+lui. Je lui fis mille remercîmens des bontés qu'il avoit pour moi. Nous
+nous séparâmes. Voici le commencement d'une histoire bien plus
+plaisante.
+
+Mon philosophe, encore qu'il ne parlât que par tables, par définitions
+et divisions, étoit pourtant commode en ce point, qu'il étoit content
+pourvu qu'on l'écoutât, et n'exigeoit rien autre chose ni de moi, ni des
+femmes qu'il voyoit, qu'un peu d'attention qui étoit bien dû à ses
+discours.
+
+Ce n'étoit point là l'humeur de son ami, que _Philidor_ appeloit son
+prévôt de salle. Il faisoit le galant; il vouloit persuader l'amour dont
+il parloit; il soupiroit quelquefois; il chantoit même des airs dont il
+se disoit l'auteur, aussi bien que des paroles. Il étoit jaloux
+généralement de tous les hommes; il censuroit tout ce qu'ils disoient;
+il n'en trouvoit pas un qui raisonnât à son gré; ils étoient tous ou des
+ignorans on des étourdis. Notre sexe même, qui est sacré et inviolable
+parmi les honnêtes gens, n'étoit point pour lui plus privilégié que tout
+le reste; il s'érigeoit en censeur de toutes les beautés; il se mêloit
+de juger du caractère et du tour d'esprit que chacune avoit, avec une
+présomption si grande, qu'il sembloit, à l'entendre, que nous n'eussions
+de grâce que ce qu'il lui plaisoit de nous en distribuer.
+
+Cela attira sur lui une conjuration universelle de toutes les femmes et
+de tous les hommes qui venoient chez moi. On ne m'en dit rien, parce
+qu'on savoit bien que j'eusse eu pitié de lui, et que j'eusse rendu le
+complot inutile en le découvrant.
+
+Comme ils épioient sans cesse quand il me viendroit voir, il leur fut
+aisé de le surprendre dans ma chambre. Ils y arrivèrent tous en un
+moment. Jamais assemblée ne fut plus grande. Tout le monde lui fit
+d'abord cent civilités. J'en étois étonnée. L'incomparable,
+l'inimitable, le plus galant, le plus spirituel, le plus propre à tout,
+le plus poli de tous les hommes, lui disoit-on. Il ne se reconnoissoit
+pas. On le pria de faire un petit discours; il expliqua les huit
+béatitudes. On s'écrioit de temps en temps: sans mentir cela est
+admirable! On le pria de chanter, et bien qu'il le fît avec des efforts
+effroyables, des convulsions et des contorsions de possédé; bien que sa
+voix fût aussi pitoyable et lugubre, que son visage est basané et
+mélancolique, on disoit tout haut qu'on n'avoit plus besoin de _Lambert_
+ni de sa sœur. C'étoient des applaudissemens perpétuels. _Polixène_ lui
+montra un billet doux qu'elle avoit reçu; il ne voulut pas seulement le
+lire. C'étoient des bagatelles qui ne pouvoient amuser que des esprits
+mal faits; chacun lui dit qu'il avoit bien raison, et que l'homme étoit
+né pour des choses plus grandes. Jamais homme ne fut plus satisfait, ni
+plus content de lui-même; et parce que c'étoit _Polixène_ qui le
+caressoit le plus, cela lui donna la hardiesse de venir auprès d'elle,
+et de lui dire quelques douceurs. Elle les recevoit avec un tel
+tempérament, qu'elle l'embarquoit toujours de plus en plus; il lui
+prenoit même la main, lui touchoit le bras, et feignant de lui vouloir
+dire un mot à l'oreille, il la baisa. Alors Polixène lui appuya un grand
+soufflet.
+
+C'étoit le signal des conjurés. Chacun se rua sur lui; l'un lui donnoit
+une nasarde: voilà pour le philosophe amoureux. L'autre, de grands coups
+d'épingle: voilà pour le musicien amoureux. L'autre, de grands coups de
+busc sur les oreilles: voilà pour le poëte amoureux. Je fis ce que je
+pus pour secourir sa philosophie, sa musique et sa poésie attaquées de
+toutes parts; et tout ce que je pus, fut de le tirer de la presse, et de
+lui ouvrir la porte pour s'enfuir.
+
+Il crioit de toute sa force, en s'en allant: _coquettes_, _coquettes_,
+je saurai bien me venger; et on m'a dit qu'étant mort, ou de ses
+blessures, ou de désespoir, on a trouvé parmi ses papiers, une grande
+invective contre les femmes, sous le nom d'_Aristandre_, que ses
+héritiers ont fait imprimer à leurs dépens.
+
+J'étois assez fâchée que ce malheur lui fût arrivé chez moi; mais je
+m'en dois accuser moi-même pour avoir été si facile que de donner accès
+chez moi à des philosophes, c'est-à-dire, à des gens qui portent la
+censure, la médisance et le désordre dans les plus belles, les plus
+douces et les plus agréables compagnies. Ma nièce, soyez sage par mon
+exemple, et donnez-vous-en de garde.
+
+Ainsi parloit _Éléonore_ à _Philimène_, qui en entendoit une partie et
+devinoit le reste.
+
+
+
+
+LETTRES
+
+DE
+
+MADEMOISELLE AÏSSÉ.
+
+
+
+
+NOTICE
+
+SUR
+
+MADEMOISELLE AÏSSÉ.
+
+
+M. _de Ferriol_, ambassadeur de France à Constantinople, acheta d'un
+marchand d'esclaves, en 1698, une petite fille âgée d'environ quatre
+ans. Elle avoit été enlevée avec beaucoup d'autres enfans dans une ville
+de Circassie que les Turcs avoient pillée. Ses grâces enfantines lui
+attirèrent la préférence de l'ambassadeur, et la lui firent choisir
+parmi ses compagnes d'infortune. Le marchand, peut-être pour accroître
+l'intérêt qu'elle inspiroit et obtenir de M. _de Ferriol_ un prix plus
+considérable, assura qu'elle avoit été trouvée dans un palais, et
+qu'elle étoit fille d'un prince circassien. L'ambassadeur, touché de
+commisération, acheta 1,500 livres la petite _Aïssé_. Il étoit garçon et
+ne pouvoit donner à sa jeune orpheline une éducation proportionnée à
+l'intérêt qu'elle lui avoit inspiré, intérêt que la pitié sans doute
+avoit d'abord excité, et auquel se mêlèrent bientôt des vues et des
+espérances moins pures. Il confia mademoiselle _Aïssé_ à sa belle-sœur,
+madame _de Ferriol_, sœur de madame _de Tencin_: l'éducation de la jeune
+fille fut très-soignée; elle acquit des talens agréables et de
+l'instruction. M. _d'Argental_ et M. _de Pont-de-Vesle_, fils de madame
+_de Ferriol_, qui tous deux eurent dès leur jeune âge le goût des
+plaisirs de l'esprit, se lièrent d'une tendre amitié avec la pupille de
+leur mère; et cette liaison eut sans doute les plus heureux effets sur
+son esprit. Elle eut le bonheur plus grand encore, au milieu de cette
+immoralité qui accompagna les dernières années de Louis XIV et la
+régence de Louis XV, d'acquérir et de conserver un cœur honnête, et une
+âme délicate et sensible, qui devoient la rendre plus estimable et plus
+malheureuse dans la situation dépendante et presque subalterne où le
+sort l'avoit placée.
+
+Son dégoût pour les vices qui l'entouroient fut bientôt mis à de rudes
+épreuves. Au sortir de l'enfance, elle entra dans la maison de M. _de
+Ferriol_. C'étoit un vieux libertin qui, après s'être livré dans sa
+jeunesse à tous ses goûts, avoit fortifié ses habitudes de dépravation
+par un long séjour en Turquie, où il avoit vécu tout à fait à la
+manière du pays. Ses désirs se portèrent bientôt sur sa jeune protégée,
+et l'attachement qu'il avoit pour elle, ne fut pas assez fort pour les
+vaincre. Les personnes qui ont vécu avec l'un et avec l'autre, ont douté
+long-temps qu'il eût triomphé de la vertu, et sans doute de la
+répugnance de mademoiselle _Aïssé_. En effet, l'esprit repousse cette
+image d'une vertueuse, belle et intéressante personne, flétrie par un
+vieux débauché, qui détruisoit en elle le sentiment de la
+reconnoissance, en en exigeant un autre. Des lettres trouvées dans les
+papiers de M. _d'Argental_ constatent malheureusement cette circonstance
+pénible et humiliante de la vie de mademoiselle _Aïssé_.
+
+«Quand je vous achetai, lui écrit M. _de Ferriol_, je vous destinai à
+être ou ma fille ou ma maîtresse: vous avez été l'une et l'autre.» Si
+quelque chose peut inspirer plus de dégoût pour la conduite de M. _de
+Ferriol_, c'est sans doute une semblable manière de s'exprimer: en
+associant ainsi la tendresse paternelle avec les désirs d'un libertin,
+il semble vouloir rappeler que rien ne ressemble plus à l'inceste qu'une
+affection de cette nature. Mais tel est le cœur humain, que l'on conçoit
+comment ces deux sentimens étoient également vrais dans la même
+personne. Quant à mademoiselle _Aïssé_, il est douteux que sa
+reconnoissance pour M. _de Ferriol_ ait survécu à la crainte et au
+dégoût que dut inspirer à son âme délicate un prétendu bienfaiteur qui
+ne l'avoit achetée d'un marchand d'esclaves que pour la rendre à sa
+première destination, après lui avoir donné une éducation qui devoit lui
+faire regarder cet abaissement comme le plus grand des malheurs.
+Cependant M. _de Ferriol_ étant tombé dangereusement malade, elle le
+soigna avec tout le dévouement d'une fille. Il mourut en lui laissant
+une rente de 4,000 liv., et un capital assez considérable qu'il
+chargeoit ses héritiers de lui payer.
+
+Après sa mort, mademoiselle _Aïssé_ rentra chez madame _de Ferriol_, à
+qui l'ambassadeur l'avoit recommandée spécialement. Madame _de Ferriol_,
+quoiqu'au fond du cœur elle aimât assez son ancienne pupille, manqua
+toujours pour elle de cette délicatesse de sentiment, si nécessaire pour
+le bonheur de ceux qui passent leur vie ensemble, et que les supérieurs
+ont si peu avec leurs inférieurs, quoique jamais de semblables
+ménagemens ne soient plus nécessaires, que lorsqu'ils doivent déguiser
+des rapports de dépendance. C'est cette absence d'attentions, de soin à
+ne jamais blesser une âme fière et délicate, que mademoiselle _Aïssé_
+reproche souvent à madame _de Ferriol_, dans les lettres que nous
+publions. Elle ne méconnoît point les grandes obligations qu'elle a à
+madame _de Ferriol_, et elle montre pourtant comment, dans le détail de
+la vie, sa bienfaitrice la rendoit fort malheureuse.
+
+Elle commença par lui faire sentir que les dons de son beau-frère lui
+paroissoient trop considérables. Mademoiselle _Aïssé_, trop fière pour
+se laisser reprocher des bienfaits, jeta au feu, devant madame _de
+Ferriol_, le billet que lui avoit laissé M. _de Ferriol_. Un pareil
+désintéressement n'inspira point à madame _de Ferriol_ plus de
+délicatesse, et elle ne laissa pas de profiter du sacrifice.
+
+Cependant mademoiselle _Aïssé_ jeune, aimable et répandue, avoit d'assez
+grands succès dans le monde; et au milieu de la galanterie et de la
+corruption qui signalèrent la régence et le système, elle ne céda jamais
+ni à la vanité, ni à l'intérêt qui faisoient alors oublier à tant de
+femmes des devoirs que mademoiselle _Aïssé_ n'avoit point à remplir.
+Elle eut l'honneur bien extraordinaire de donner quelqu'idée de la vertu
+et de la pudeur au régent, qui fit gloire toute sa vie de douter de leur
+existence; opinion qui, chez un prince, est presque toujours fondée,
+puisqu'il fait disparoître les vertus d'autour de lui, dès qu'il ne les
+respecte pas. Ce fut chez madame _de Parabère_ que le duc _d'Orléans_
+vit mademoiselle _Aïssé_ et lui fit des propositions qu'il ne
+s'attendoit pas à voir refuser, sur-tout en pareil lieu. Il ne perdit
+point l'espoir de réussir, et chargea madame _de Ferriol_ de ses
+intérêts. Madame _de Ferriol_ accepta sans répugnance des fonctions
+moins honorables encore que celles que le Régent destinoit à
+mademoiselle _Aïssé_. Ses efforts furent vains. Comme elle revenoit sans
+cesse à la charge et développoit à mademoiselle _Aïssé_ tous les
+avantages d'une semblable conquête, mademoiselle _Aïssé_ se jeta à ses
+pieds pour la conjurer de ne plus lui en parler, assurant qu'elle se
+jeteroit dans un couvent si l'on continuoit à la persécuter. Madame _de
+Ferriol_, qui ne cherchoit qu'à obtenir du crédit et de la faveur,
+craignit de perdre tout moyen d'y parvenir en se séparant de
+mademoiselle _Aïssé_, et cessa ses exhortations.
+
+Mademoiselle _Aïssé_, qui avoit résisté à l'appât de la faveur et de la
+fortune, ne trouva pas les mêmes forces quand il lui fallut défendre sa
+vertu contre l'amour et l'estime. Elle vit chez madame _du Deffant_ le
+chevalier _d'Aydie_; il conçut pour elle la plus vive passion; il se fit
+présenter chez madame _de Ferriol_, et bientôt abandonnant
+presqu'entièrement le monde, il ne quitta plus cette maison. Le
+chevalier _d'Aydie_ joignoit à la plus noble figure et au caractère le
+plus aimable, une âme fort tendre. Jusqu'alors son cœur n'avoit point
+éprouvé de sentimens profonds; il avoit eu plusieurs intrigues, mais
+aucun attachement durable. _Rioms_, son oncle, l'avoit présenté chez la
+duchesse _de Berri_, qui prit du goût pour lui, et cette princesse ne
+différoit guère d'ordinaire à satisfaire ses goûts et même ses
+fantaisies.
+
+Voir à ses pieds un homme brillant et spirituel, que les femmes de la
+cour s'étoient disputé, que les princesses avoient honoré de leurs
+faveurs, et le voir animé par un amour tendre, délicat et timide, quelle
+séduction pour l'amour-propre et pour le cœur de mademoiselle _Aïssé_!
+Ce qui rendoit le chevalier plus dangereux pour elle, c'est qu'il
+n'avoit que des vues honorables. Il vouloit épouser celle qu'il aimoit,
+et cherchoit à se faire relever des vœux qui l'engageoient dans l'ordre
+de Malte. Mademoiselle _Aïssé_ se sentoit bien assez de vertu pour ne
+point se prêter à un projet dont l'exécution eût dégradé son amant aux
+yeux du monde; mais elle ne se croyoit pas assez de force pour résister
+à des désirs dont la satisfaction ne pouvoit nuire qu'à sa propre
+gloire. Dans la défiance qu'elle avoit d'elle-même, elle eut recours à
+madame _de Ferriol_, qui comprit encore moins ses scrupules que la
+première fois, et qui travailla à les détruire. Ne pouvant trouver aucun
+secours extérieur, voyant tous les jours le chevalier qu'on ne lui
+permettoit pas de fuir comme elle l'auroit voulu, elle finit par lui
+avouer qu'elle partageoit ses sentimens, et, en s'abandonnant à lui,
+elle eut la satisfaction de voir qu'elle en étoit aimée encore
+davantage. Il redoubla ses instances pour l'épouser; elle n'y voulut
+jamais consentir; et même, lorsqu'elle s'aperçut qu'elle alloit devenir
+mère, l'intérêt de son enfant et la perte de sa réputation ne la
+rendirent pas moins inflexible.
+
+Ce ne fut point à madame _de Ferriol_ qu'elle confia sa situation; elle
+lui connoissoit trop peu de discrétion et de délicatesse. Elle avoua
+tout à lady _Bolingbrocke_, avec qui elle étoit très-liée. C'étoit une
+femme sensible et estimable. On sait qu'elle étoit nièce de madame _de
+Maintenon_, et que son premier mari avoit été M. _de Villette_. Elle
+pria madame _de Ferriol_ de lui confier pour quelque temps mademoiselle
+_Aïssé_ pour la mener en Angleterre. Madame _de Ferriol_ consentit à ce
+voyage. Lady _Bolingbrocke_ et le chevalier _d'Aydie_ logèrent
+mademoiselle _Aïssé_ dans un quartier retiré de Paris. Elle y accoucha
+d'une fille, et y reçut tous les soins d'une amie tendre et d'un amant
+passionné. L'enfant fut conduit en Angleterre par lady _Bolingbrocke_,
+et, après sa première éducation, elle fut ramenée en France, et placée
+dans un couvent à Sens, sous le nom de miss _Black_, nièce de lord
+_Bolingbrocke_.
+
+C'est d'une époque un peu postérieure que sont datées les lettres que
+nous publions, et qui se continuant presque jusqu'aux derniers jours de
+la vie de mademoiselle _Aïssé_, nous dispensent de prolonger cette
+notice[169]. Elles sont adressées à madame _Saladin_ qui pendant qu'elle
+habitoit Paris où son mari étoit résident de la république de Genève,
+s'étoit liée d'une tendre amitié avec mademoiselle _Aïssé_. Il paroît
+que cette dame dont les principes étoient plus sévères que ceux des
+femmes qui entouroient sa jeune amie, sans que son cœur fût moins
+sensible, contribua par ses conseils et son exemple à lui donner assez
+de force pour ne plus s'écarter de ses devoirs. Du moins voyons-nous
+qu'à l'époque où commença cette correspondance, mademoiselle _Aïssé_,
+quoique le chevalier _d'Aydie_ qui fût plus cher que jamais, quoique
+lui-même l'aimât toujours davantage, avoit rendu cette passion plus
+pure. Ce combat continuel contre un amour qui acquéroit tous les jours
+plus de force, le manque absolu d'espérance, le repentir de sa
+foiblesse, le chagrin de ne pouvoir se livrer sans rougir à la tendresse
+maternelle, donnent à ses lettres un caractère de mélancolie tout-à-fait
+touchant. Ce triste sentiment, auquel venoit peut-être se mêler le
+souvenir de fautes plus anciennes et plus humiliantes, prend plus de
+force à mesure que la santé de mademoiselle _Aïssé_ s'affoiblit: les
+consolations de la religion, refuge des âmes tendres et malheureuses,
+donnent sur la fin un caractère plus résigné et moins amer à sa douleur,
+mais la rendent plus intéressante encore. Mademoiselle _Aïssé_ mourut en
+1733. Sa mort qui termina une vie malheureuse, le désespoir où fut
+d'abord plongé le chevalier _d'Aydie_, la tristesse profonde où il vécut
+encore pendant quinze ans, donnent à ceux qui lisent leur histoire, la
+tentation de reprocher à mademoiselle _Aïssé_ une délicatesse
+scrupuleuse qui priva son amant et elle d'un bonheur dont ils étoient
+dignes de jouir.
+
+Les scrupules peut-être exagérés qui s'opposèrent à ce bonheur, peuvent
+bien avoir rendu mademoiselle _Aïssé_ plus malheureuse; mais ils
+donnent une sorte d'admiration pour une vertu si désintéressée. Le
+chevalier _d'Aydie_ eut toujours pour sa fille une tendresse et des
+soins auxquels ses regrets donnoient plus de force encore.
+
+Il la maria à un gentilhomme de sa province, et lui laissa sa fortune.
+Il existe des lettres qu'il écrivit à M. _de Pont-de-Vesle_,
+relativement à ce mariage. Elles sont pleines de la douleur la plus
+vive, quoique l'époque de la mort de mademoiselle _Aïssé_ fût déjà assez
+éloignée. Elles paroîtront bientôt dans un recueil de lettres trouvées
+chez M. _d'Argental_, qui est maintenant sous presse. L'éditeur a bien
+voulu nous les communiquer, ainsi que celle de M. _de Ferriol_ à
+mademoiselle _Aïssé_, dont nous avons cité un passage.
+
+Les lettres de mademoiselle _Aïssé_ à madame _Saladin_, ont été
+recueillies et publiées par mademoiselle _Rieu_, petite-fille de madame
+_Saladin_. Elle les avoit, long-temps avant, communiquées à _Voltaire_,
+qui y avoit mis de sa main quelques notes que nous avons conservées. Il
+paroît que la notice que mademoiselle _Rieu_ a mise à la tête de son
+édition, existoit déjà quand le manuscrit des lettres fut montré à
+_Voltaire_; car il atteste dans une note placée au bas de cette notice,
+que le chevalier _d'Aydie_ avoit offert plusieurs fois à mademoiselle
+_Aïssé_ de l'épouser. Les détails que nous avons ajoutés à ceux que
+contient la notice de mademoiselle _Rieu_, nous ont été fournis par des
+personnes qui ont beaucoup vu d'anciens amis de mademoiselle _Aïssé_ et
+du chevalier _d'Aydie_.
+
+
+
+
+LETTRES
+
+DE
+
+MADEMOISELLE AÏSSÉ,
+
+A MADAME SALADIN.
+
+
+
+
+LETTRE PREMIÈRE.
+
+1726.
+
+
+Je n'ai pu me résoudre à vous écrire plutôt: j'ai envisagé avec chagrin
+que l'on ne vous laisseroit pas lire mes lettres; ainsi j'ai mieux aimé
+laisser passer les premiers empressemens. Mandez-moi, Madame, de vos
+nouvelles. Êtes-vous remise de la fatigue du voyage? J'ai plus fait de
+vœux pour que vous eussiez le beau temps, qu'un amant n'en auroit fait;
+il ne seroit assurément pas plus occupé et affligé que moi, de votre
+départ. Le soleil, la pluie, les vents, me paroissent des embrâsemens,
+des inondations, des ouragans: enfin, j'ai respiré, quand j'ai vu
+arriver le jour bienheureux pour vos parens et vos amis, où ils vous ont
+enfin revue. Vous me manderez, s'il vous plaît, quelques détails de
+votre réception. Je partage toutes les amitiés que vous recevez. Hélas!
+je ne puis passer dans la rue où vous avez demeuré, sans avoir le cœur
+serré et les larmes aux yeux. Je reviens d'Ablons[170], où j'ai passé
+quelques jours tête à tête avec madame _de Ferriol_; j'y ai toujours
+pensé à vous, et je dis à ma compagne le regret que j'avois que vous
+n'eussiez pas vu cette guinguette. Dans l'instant, je vois entrer dans
+le salon madame votre fille; jugez de ma joie: elle passa ici pour aller
+à la Jaquinière; elle venoit de je ne sais où, aux environs. Notre dame
+prenoit du café; elle vouloit se lever; madame votre fille se précipita
+pour l'en empêcher. Le chien noir, qui est mal morigéné, saute sur la
+tasse de café pour japper, la renverse sur sa maîtresse: le désespoir
+s'empare de ladite dame; fichu sali, robe unie tachée. Vous jugez de
+l'embarras de madame _Rieu_, qui auroit voulu être à cent lieues de là.
+Pour moi je vous l'avoue, j'eus tant envie de rire, que madame votre
+fille se remit. Cependant, passé ces premiers momens, on lui fit toutes
+sortes de politesses. Elle la trouva très-belle; en effet, elle l'étoit
+aussi, quoique dans un grand négligé.
+
+Je parle toujours du voyage de Pont-de-Vesle[171], qui me procurera le
+bonheur d'aller vous voir. J'espère qu'à force d'en parler, je forcerai
+d'y aller. Je suis occupée de ce projet: les hommes ne peuvent être sans
+quelques désirs; je me flattois d'être une petite philosophe; mais je ne
+le serai, jamais sur ce qui touche le sentiment.
+
+Pont-de-Vesle[172] se porte un peu mieux, il vous assure de ses
+respects. _D'Argental_[173] est dans l'île enchantée, chez son amie, qui
+a hérité considérablement; il revient à la St.-Martin. _Le Grand_ donna,
+l'autre jour, une comédie qui tomba de la plus belle chute que j'aie
+jamais vue; il n'en a pas été de même d'un opéra que deux violons ont
+donné: le sujet est Pyrame et Thisbé; il y eut une très-jolie
+décoration; ils reçurent bien des applaudissemens.
+
+Je passe mes jours à chasser aux petits oiseaux; cela me fait grand
+bien. L'exercice et la dissipation sont de très-bons remèdes pour les
+vapeurs et les chagrins; je reviens de mes courses avec appétit et
+sommeil. L'ardeur de la chasse me fait marcher, quoique j'aie les pieds
+moulus: la transpiration que cet exercice m'occasionne, me convient. Je
+suis hâlée comme un corbeau; je vous ferois peur, si vous me voyiez. Je
+voudrois bien en être à la peine. Que je serois heureuse si j'étois
+encore avec vous, Madame! Avouez que vous ne seriez point fâchée d'être
+encore à Paris. Pour moi, je donnerois bien une pinte de mon sang pour
+que nous fussions ensemble actuellement; je vous rendrois compte de
+mille choses, je goûterois le plaisir de vous revoir; au lieu de ce
+bien, j'ai des regrets; que cela est différent! Le chevalier est en
+Périgord, où je crois qu'il s'ennuie: sa santé est toujours délicate,
+son cœur toujours plus tendre. Je vous enverrois avec plaisir des copies
+de ses lettres; mais non: il y a des choses qui vous déplairoient, et
+j'aurois honte que vous les vissiez. L'abbé, frère du chevalier, vit
+l'autre jour madame _Rieu_ chez moi; ce fut un coup de foudre. Il revint
+le lendemain à Ablons, il me dit qu'il n'avoit jamais rien vu de si beau
+à son gré: les lis et les roses ne sont pas si fraîches qu'elle étoit ce
+jour-là; son air de modestie et de douceur plut si fort à ce pauvre
+abbé, qu'il m'en parle toutes les fois qu'il me voit: cependant il avoit
+été prévenu; on l'avoit annoncée, et je lui dis: vous allez voir une des
+belles femmes de Paris: malgré cela, il fut surpris. M. _Bertie_ vous
+aime toujours de même, quoiqu'il ait changé son goût pour moi en amitié.
+On vous aime pour vous, et non pas pour les autres. Vous le savez bien;
+et quand vous dites le contraire, vous parlez contre votre pensée. En
+bonne foi, peut-on vous connoître sans vous aimer? J'en laisse juge
+votre cœur. Adieu, Madame, aimez-moi, et soyez assurée que personne dans
+le monde ne vous aime, ne vous estime, et ne vous respecte autant
+qu'_Aïssé_.
+
+
+
+
+LETTRE II.
+
+Paris, 1726.
+
+
+J'ai reçu la lettre que vous avez eu la bonté de m'écrire de votre
+campagne: je ne doute point que vous n'ayez eu un plaisir bien vif de
+vous être vu recevoir avec tant d'amitié: les démonstrations de joie que
+l'on a eues de votre retour ne peuvent être feintes. Ainsi, Madame, vous
+avez joui d'un bonheur que les rois mêmes ne goûtent pas. Vous me direz
+qu'il n'étoit point nécessaire que vous fussiez malheureuse pour être
+aimée; que vous le seriez tout autant, et même davantage, si vous étiez
+dans une fortune riante. L'expérience, il est vrai, fait voir que
+l'adversité et la mauvaise fortune déplaisent aux hommes; et que le
+plus-souvent les bonnes qualités, le mérite, sont les zéro, et le bien,
+le chiffre qui les fait valoir; mais cependant on se rend toujours à la
+vertu; je conviens qu'il faut en avoir beaucoup pour qu'elle supplée au
+manque de richesses: ainsi, Madame, rien n'est plus flatteur que
+l'accueil obligeant que vous avez reçu. Vous êtes amplement dédommagée
+des injustices du sort. Je suis charmée que vous vous portiez mieux;
+rien ne contribue à la santé, comme d'avoir sujet d'être content de soi.
+Je fais tous mes efforts pour déterminer M. et madame _de Ferriol_ à
+aller à Pont-de-Vesle; ils disent que c'est bien leur dessein, mais je
+ne le croirai que lorsque nous partirons: il n'y a pas de jour que je ne
+leur fasse sentir le besoin de leur présence dans leurs terres, et celui
+de quitter quelque temps Paris. M. _de Bonac_ va à Soleure; je lui ai
+parlé de madame votre sœur; madame _de Bonac_ espère la voir souvent
+pendant son séjour dans ce pays-là. Comme il n'y a pas loin de Genève,
+nous irons, vous et moi, les voir; me dédirez-vous? M. et madame _de
+Ferriol_ et _Pont-de-Vesle_ vous font mille tendres complimens et
+respects. Pour _d'Argental_, il est dans l'île enchantée; on ne sait
+plus quand il en sortira. J'occupe sa chambre, parce que je fais
+raccommoder la mienne, qui sera charmante; je suis bien fâchée que vous
+ne la voyiez pas; mes réparations me reviendront à cent pistoles. J'ai
+vu M. _Saladin_ le cadet; je me suis senti une tendresse pour lui, dont
+je ne me serois pas doutée, il y a six mois; et je crois que je l'aurois
+eue pour M. _Buisson_, s'il avoit vécu. Les gens que j'ai connus chez
+vous, me sont chers. Il y a long-temps que je n'ai vu madame votre
+fille; elle a été à la campagne, et moi, de mon côté; nous sommes allés
+passer les fêtes à Ablons, mademoiselle _de Villefranche_, madame _de
+Servigni_, M. et madame _de Ferriol_, MM. _de Fontenai_, _La
+Mésangères_, le chevalier et _Clémence_: nous avons fait grand feu et
+bonne chère: vous en êtes étonnée; mais c'est pour long-temps; la
+maîtresse de la maison craignoit _La Mésangères_. Elle n'a jamais osé
+appeler _Clément_, son chien noir, ni _Champagne_; elle a été de
+très-bonne humeur, malgré sa contrainte, et la partie s'est très-bien
+passée. _La Mésangères_ fut charmant. M. _de Fontenai_ m'a chargée de
+vous assurer de ses respects.
+
+Il faut un peu vous parler des spectacles. Les deux petits violons
+_Francœur_ et _Rebel_ ont fait un opéra; le sujet est Pyrame et Thisbé;
+il est fort joli, quant à la musique; car pour le poëme, il est mauvais:
+il y a une décoration nouvelle. Le premier acte représente une place
+publique, avec des arcades et des colonnes, ce qui est admirable: la
+perspective est parfaitement bien suivie et les proportions bien
+gardées. Le pauvre _Thevenard_ tombe si fort, que je ne doute pas qu'il
+ne soit sifflé dans six mois. Pour _Chassé_, c'est son triomphe; il est
+acteur dans cet opéra; son rôle est très-beau, il fait deux octaves
+pleins. La _Entie_ en est folle. Mademoiselle _Le Maure_ est rentrée; et
+_Murer_, qui a été très-mal, se porte bien; le bruit avoit couru qu'il
+se faisoit moine, mais le métier est trop bon, et il ne quitte point
+l'opéra. Il y a une nouvelle actrice nommée _Pellissier_, qui partage
+l'approbation du public avec la _Le Maure_: pour moi, je suis pour la
+_Le Maure_; sa voix, son jeu me plaisent plus que celui de mademoiselle
+_Pellissier_. Cette dernière a la voix très-petite, et elle l'a toujours
+forcée sur le théâtre; elle est très-bonne pantomime; tous ses gestes
+sont justes et nobles; mais elle en a tant, que mademoiselle _Entie_
+paroît tout d'une pièce auprès d'elle. Il me semble que dans le rôle
+d'amoureuse, quelque violente que soit la situation, la modestie et la
+retenue sont choses nécessaires; toute passion doit être dans les
+inflexions de la voix et dans les accens. Il faut laisser aux hommes et
+aux magiciens les gestes violens et hors de mesure; une jeune princesse
+doit être plus modeste. Voilà mes réflexions. En êtes-vous contente? Le
+public rend justice à mademoiselle _Le Maure_; et quand on l'a revue sur
+le théâtre, elle parut premièrement à l'amphithéâtre, tout le parterre
+se retourna, et battit des mains pendant un quart-d'heure; elle reçut
+ses applaudissemens avec une grande joie, et fit des révérences pour
+remercier le parterre. Madame la duchesse _de Duras_, qui protège la
+_Pellissier_, étoit furieuse, et me fit signe que c'étoit moi et madame
+_de Parabère_ qui avions payé des gens pour battre des mains. Le
+lendemain, la même chose arriva, et mademoiselle _Pellissier_ en pensa
+crever de dépit. La comédie est de retour de Fontainebleau où il y a
+jubilé: nous ne l'avons pas ici, à cause de M. le cardinal _de
+Noailles_. On est affamé de tragédies, parce que depuis Fontainebleau on
+ne joue que des farces. Pour la comédie italienne, on y joue la critique
+de l'opéra qui, à ce qu'on dit, est fort jolie. La pauvre _Silvia_[174]
+a pensé mourir: on prétend qu'elle a un petit amant qu'elle aime
+beaucoup; que son mari, de jalousie, l'a battue outrément, et qu'elle a
+fait une fausse couche de deux enfans, à trois mois; elle a été
+très-mal, elle est mieux à présent. Mademoiselle _Flaminia_ avoit eu la
+méchanceté d'instruire le mari des galanteries de sa femme. Vous jugez
+bien, à l'amour que le parterre avoit pour _Flaminia_, combien il l'a
+maltraitée. Les bals vont commencer; mais ils seront sûrement aussi
+déserts que l'année passée.
+
+Permettez que je fasse ici quelques petites coquetteries à M. votre
+mari. Je suis extrêmement touchée du petit mot qu'il a mis dans votre
+lettre; et dussiez-vous le battre de jalousie, je lui dirai que je
+l'aime beaucoup.
+
+_A mademoiselle votre fille._
+
+Je suis persuadée, Mademoiselle, que vous avez un peu d'amitié pour moi:
+votre extrême vérité m'en assure; le retour est naturel à tous les cœurs
+bien faits, d'aimer qui nous aime. Continuez, je vous prie, de parler
+un peu de moi à madame votre mère: choisissez, s'il vous plaît, le
+moment où vous vous mettez à table, pour que je puisse avoir part à
+votre conversation; plût à Dieu que j'en fusse témoin! Adieu, Mesdames,
+recevez mes tendres embrassades. Voici une lettre d'un officier des
+Invalides à M. _du Voisin_, pour obtenir la permission de se marier.
+
+
+MONSEIGNEUR,
+
+«J'aurois cru que le précepte de Saint Paul étoit bon à suivre, sur-tout
+quand il dit, qu'_il vaut mieux se marier que brûler_. C'est ce qui m'a
+fait prendre la liberté de demander à votre Grandeur la permission
+d'épouser mademoiselle _d'Auval_, fille d'un mérite et d'une sagesse
+consommée. C'est ce que tous ceux qui la connoissent certifieront à
+votre Grandeur. Cependant M. notre gouverneur m'a défendu de voir cette
+demoiselle, si je ne voulois être démis de mon emploi. J'ai obéi à cette
+défense; et si votre Grandeur ne trouve pas à propos ce mariage, je la
+supplie très-instamment, pour le salut de mon âme, de m'en présenter une
+autre, ou bien d'envoyer ordre au père _Pascal_, mon confesseur, de
+m'absoudre quand je vais à confesse, ce qu'il m'a refusé: je fais tous
+mes efforts pour contenter ce bon père, mais en vain, Dieu ne m'ayant
+point donné à trente-huit ans le don de continence. Enfin, Monseigneur,
+si vous me procurez le paradis sans femmes, et que je vienne à mourir
+plutôt que votre Grandeur, je ne laisserai point Dieu en repos, qu'il ne
+vous ait marqué une place digne de votre mérite, dans son paradis».
+
+»Je suis, etc.»
+
+
+
+
+LETTRE III.
+
+Paris, 1726.
+
+
+Je n'ai pas de plus grand plaisir que de causer avec vous; et, comme je
+voudrois rendre mes lettres un peu moins sèches et plus intéressantes,
+j'écris les nouvelles que je sais bien: je n'aimerois pas à vous mander
+tout ce qui se dit à Paris. Vous savez, Madame, que je hais les
+faussetés et les exagérations: ainsi tout ce que j'écrirai, sera
+sûrement vrai. J'ai reçu hier des lettres d'Angleterre où on m'apprend
+le mariage de mademoiselle _de St.-Jean_ avec M. _Knight_, fils du
+trésorier[175] de la compagnie des Indes: on prétend qu'il a des biens
+immenses. Argent, argent, que de vanités vous étouffez! que d'orgueils
+vous soumettez! que de pensées honnêtes vous faites évanouir!
+Auriez-vous jamais cru que milord, entêté de sa noblesse, comme il
+l'est, fort riche, et ayant une seule fille, la mariât à un gentillâtre,
+elle qui devoit être mariée à un pair[176]? Elle va venir à Paris voir
+la famille de son mari, qui sont de bonnes gens, mais sur un ton bien
+différent du sien: elle verra tous les petits Anglichons qui sont en
+France. Je crois qu'elle s'ennuiera et s'impatientera souvent.
+
+Le chevalier est beaucoup mieux, il revient ici. Voici une petite
+histoire assez plaisante[177]. Un chanoine de Notre-Dame, fameux
+janséniste, homme de beaucoup d'esprit, et de réputation pour ses mœurs,
+qui a professé dans plusieurs universités, fort craint des molinistes,
+et très-aimé de M. l'archevêque de Paris, âgé de soixante-dix ans, a
+succombé à l'envie de voir la comédie. Il avoit souvent dit à ses amis,
+qu'il ne mourroit pas avant d'y aller, ayant une très-grande passion de
+voir une chose dont il entendoit parler sans cesse. On prenoit ce
+discours pour une plaisanterie. Son laquais lui avoit demandé plusieurs
+fois ce qu'il vouloit faire des vieilles nippes de sa grand'mère qu'il
+gardoit depuis long-temps. Il lui avoit répondu qu'elles pouvoient lui
+être nécessaires. Enfin, ne pouvant résister davantage, il communiqua
+son dessein à son laquais, qui étoit un vieux domestique dans lequel il
+avoit beaucoup de confiance, et lui dit, qu'il vouloit s'habiller en
+femme avec les hardes de sa grand'mère. Le laquais fut très-surpris; il
+chercha à dissuader son maître d'exécuter cet insensé déguisement, en
+l'assurant que les nippes étoient si antiques, qu'il seroit sûrement
+remarqué, au lieu que restant avec son habit, on pourroit très-bien n'y
+pas faire attention, le spectacle étant rempli d'abbés. Le chanoine ne
+se rendit point à ses raisons; il craignoit d'être reconnu par ses
+écoliers: il lui dit que comme il étoit vieux, on ne seroit point
+surpris de le voir avec des hardes à la vieille mode. Il s'ajuste avec
+la cornette haute, l'habit troussé, et tous les falbalas imaginés en ce
+temps-là, pour suppléer aux paniers. Il arrive à la comédie et se place
+à l'amphithéâtre. Cette figure étonna, comme vous pouvez bien le penser.
+Les voisins commencèrent à en parler; le murmure augmenta. _Armand_,
+acteur qui faisoit le rôle d'arlequin, aperçut le chanoine, alla dans
+l'amphithéâtre, et examina le personnage; il s'en approcha, et lui dit:
+Monsieur, je vous conseille de décamper: vous êtes reconnu, et votre
+habit grotesque fait rire le parterre, au point que je crains quelque
+scandale. Le pauvre homme bien troublé, remercie le comédien, et le prie
+de l'aider à sortir. _Armand_ lui dit de le suivre, et pressé par la
+scène qu'il falloit jouer, il va très-vîte, le chanoine le perd de vue
+au sortir de l'amphithéâtre. Il entend les huées du parterre; il trouve
+l'escalier qui se partage en deux, dont l'un conduit à la rue, et
+l'autre dans la salle des comptes. Comme il ne connoissoit point les
+lieux, son malheur voulut qu'il se méprît; il descend dans cette salle
+où l'exempt se tient ordinairement. Il y étoit alors. Il fut frappé de
+cette figure de femme singulière, qui avoit l'air troublée et interdite;
+il l'arrêta, ne doutant point que ce ne fût quelqu'aventurier déguisé,
+et conduisit à M. _Hérault_, lieutenant de police, notre pauvre docteur
+qui fondoit en larmes, et qui offrit cent louis à l'exempt pour le
+laisser aller. Il lui conta son histoire, lui dit son nom; mais ce
+coquin fut inexorable; c'est la première fois qu'il a refusé de l'argent
+pour faire un scandale affreux. Le lieutenant de police vit avec plaisir
+notre chanoine; et, comme il étoit courtisan moliniste, il lui fit une
+très-grande réprimande, et le nomma devant beaucoup de monde. Le
+janséniste pleura: on lui a envoyé une lettre de cachet pour aller à 60
+lieues d'ici, je ne sais pas bien où.
+
+M. _de Prie_[178] étoit l'autre jour dans la chambre du roi, appuyé sur
+une table; la bougie alluma sa perruque; il fit ce que bien d'autres
+auroient fait en pareil cas, il l'éteignit avec les pieds: l'incendie
+fini, il la remit sur sa tête. Cela répandit une odeur très-forte. Le
+roi entra dans ce moment; il fut frappé du parfum, et, ignorant ce que
+c'étoit, il dit sans aucune malice: il sent bien mauvais ici; je crois
+qu'il sent la corne brûlée. A ce discours, vous comprenez bien que l'on
+rit; le roi et la noble assemblée firent des éclats de rire désordonnés.
+Le pauvre cocu n'eut point d'autre ressource que ses jambes, et il
+s'enfuit bien vite.
+
+Voici une épigramme de _Rousseau_ contre _Fontenelle_.
+
+ Depuis trente ans, un vieux berger normand
+ Aux beaux esprits s'est donné pour modèle;
+ Il leur apprend à traiter galamment
+ Les grands sujets en style de ruelle.
+ Ce n'est le tout; chez l'espèce femelle,
+ Il brille encor, malgré son poil grison;
+ Et n'est caillette, en honnête maison,
+ Qui ne se pâme à sa douce faconde.
+ En vérité, caillettes ont raison,
+ C'est le pédant le plus joli du monde.
+
+Madame _de Parabère_ a quitté M. le premier, et M. _d'Alincourt_ ne la
+quitte pas, quoique je sois persuadée qu'il ne sera jamais son amant.
+Elle a des façons charmantes avec moi; elle sait bien que je crains
+d'avoir l'air d'être sa complaisante, et comme elle n'ignore point que
+tous les yeux sont sur elle, elle ne me propose plus de parties; elle
+m'a dit cent fois qu'elle ne pouvoit avoir de plus grand plaisir que de
+me voir; que toutes les fois que je voudrois, elle en seroit charmée.
+Son carrosse est toujours à mon service. Ne croyez-vous pas qu'il seroit
+ridicule de ne la point voir du tout? d'ailleurs, je n'ai aucune raison
+de m'en plaindre, bien au contraire; n'ai-je pas reçu de sa part mille
+amitiés dans toutes les occasions. On ne me peut soupçonner d'être sa
+confidente, ne la voyant que de temps en temps: enfin, je me conduirai
+de mon mieux. Mais, en vérité, Madame, je n'ai rien vu qui me confirme
+les bruits qui courent sur son nouvel engagement; elle est avec lui
+très-polie, très-modeste, a l'air indifférente: la seule chose qui
+donneroit des soupçons, c'est que sachant les discours du public, elle
+auroit dû peut-être ne pas le recevoir chez elle; mais elle dit qu'elle
+n'a pas le dessein de s'enterrer; que si elle refuse sa porte à M.
+_d'Alincourt_, le lendemain il faudra qu'elle la refuse à un autre, et
+que tour à tour elle chasseroit tout le monde, et qu'elle n'en seroit
+pas quitte encore pour être dans la solitude; que l'on diroit qu'elle ne
+les congédie que pour que le public en soit instruit: elle aime mieux,
+ajoute-t-elle, attendre du temps pour être justifiée. Adieu, ma chère
+dame, c'est toujours avec un regret infini que je vous quitte; mais la
+poste va partir.
+
+
+
+
+LETTRE IV.
+
+Paris, 1726.
+
+
+Vous êtes surprise que j'aie resté si long-temps sans vous écrire; mais,
+Madame, je vous suis trop attachée, pour ne pas me flatter que vous ne
+doutez point que, malgré mon silence, j'aie pensé très-souvent à vous,
+et qu'il a fallu que je n'eusse pas un moment pour vous le dire, puisque
+je ne l'ai pas fait: mon cœur est sans cesse occupé de vous, et mes
+regrets sont aussi vifs que le jour où vous quittâtes Paris; tous les
+instans, je sens tout ce que j'ai perdu; rien n'est plus douloureux que
+d'avoir une amie de votre caractère, et d'en être séparée. Ces idées
+sont trop cruelles, parlons d'autre chose.
+
+Le prince _de Bournonville_ est mort hier, il ne pouvoit vivre: il est
+mort bien jeune, et bien vieux; on le regrette, sans être affligé; car
+il étoit dans une si triste situation, qu'il valoit mieux pour lui de
+finir, que de continuer à vivre pour souffrir; il ne pouvoit presque ni
+parler, ni respirer. Je crois que son âme a bien eu de la peine à
+quitter son corps; elle y étoit toute entière. Il avoit fait un
+testament, il y a quatre ans, où il me donnoit deux mille écus; je suis
+enchantée qu'il n'ait pas subsisté. Le public qui ignoroit l'amitié
+qu'il avoit eue pour moi, dans le temps qu'il venoit souvent chez M. _de
+Ferriol_, auroit soupçonné mille choses. Il a nommé pour héritière
+madame la duchesse _de Duras_; il a donné très-amplement à tous ses
+domestiques, sans en oublier un. Ce qui vous surprendra, Madame, c'est
+qu'un quart-d'heure après sa mort, le mariage de sa femme avec le duc de
+_Rouvroi_ a été arrêté et publié; et, ce qui vous étonnera le plus,
+c'est que ce manque de bienséance part du cardinal _de Noailles_ et de
+la maréchale _de Grammont_ qui est Noailles, et mère de madame _de
+Bournonville_. M. le duc _de Rouvroi_ est fils de M. _de St.-Simon_, âgé
+de 25 ans. Il n'a actuellement que 25,000 livres de rente, et vous voyez
+bien que sa naissance n'est pas bien merveilleuse; et madame de
+_Bournonville_ jouit de 33,000 livres de rente. Elle est jeune et belle,
+d'une grande maison par elle et son mari. Madame _de St.-Simon_ est amie
+du cardinal _de Noailles_. Elle parloit souvent du prince _de
+Bournonville_, comme d'un homme confisqué, et qu'elle se trouveroit bien
+heureuse, si sa veuve vouloit épouser son fils. Au moment que ce prince
+expiroit, elle va chez le cardinal, ne le laisse pas achever de dîner,
+pour qu'il allât demander madame _de Bournonville_. La maréchale _de
+Grammont_ accepta la proposition, et dit au cardinal qu'elle en étoit
+charmée, mais qu'il falloit cacher pour quelque temps ce mariage. Le
+cardinal dit qu'il ne pouvoit se taire, et qu'il le diroit à tout ce
+qui se rencontreroit, de manière qu'avant que M. _de Bournonville_ fût
+enterré, tout Paris a su ce mariage. Il est mort le 5; et le 9, on a été
+faire part du mariage à tous les parens et amis. Tout le monde est
+révolté. Au bout de quarante jours, la cérémonie se fera. Madame la
+duchesse _de Duras_ et madame _de Maillé_, sœurs du défunt, sont allées
+rendre visite le surlendemain à la veuve; elle avoit un pied de rouge
+dans l'habillement de veuve, et son prétendu étoit à côté d'elle, qui
+venoit de se présenter comme futur époux. Ce n'est point un mariage
+d'inclination; il n'y a aucun amour: cela fait tenir bien des discours.
+
+Les partis sur mademoiselle _Le Maure_ et mademoiselle _Pellissier_
+deviennent tous les jours plus vifs. L'émulation entre ces deux actrices
+est extrême, et a rendu la _Le Maure_ très-bonne actrice. Il y a des
+disputes dans le parterre, si vives, que l'on a vu le moment où l'on en
+viendroit à tirer l'épée. Elles se haïssent toutes deux comme des
+crapauds, et les propos de l'une et de l'autre sont charmans.
+Mademoiselle _Pellissier_ est très-impertinente et très-étourdie.
+L'autre jour, à l'hôtel de Bouillon, à table, devant des personnes
+très-suspectes, elle dit que M. _Pellissier_, son cher mari, pouvoit
+compter d'être le seul à Paris, qui ne fût pas cocu. Pour la _Le Maure_,
+elle est bête comme un pot; mais elle a la plus belle et la plus
+surprenante voix qu'il y ait dans le monde; elle a beaucoup
+d'entrailles, et la _Pellissier_, beaucoup d'art. On fit l'anagramme du
+nom de cette dernière, qui étoit _Pilleresse_. _Murer_ a quitté tout de
+bon la fièvre depuis trois mois, et la dévotion s'est emparée de lui. On
+joue _Proserpine_ le 14 de ce mois. La _Entie_ fait _Cérès_; la _Le
+Maure_, _Proserpine_; la _Pellissier_, _Aréthuse_; _Thevenard_,
+_Pluton_; _Chassé_, _Ascalaphe_. Voilà la distribution qu'on dit être à
+merveille. Je doute pourtant que cet opéra réussisse: toute l'intrigue
+est une vieille maîtresse qui raconte ses vieilles amours, une petite
+fille qui cueille des fleurs et qui fait des guirlandes, un vieux
+cocher amoureux et brutal. Il n'y a donc qu'un épisode, _Alphée et
+Aréthuse_, qui fasse une scène assez touchante: tout le reste est froid,
+languissant et insipide. M. _de Nocé_ me soutint, l'autre jour, que
+c'étoit le plus bel opéra du monde, et qu'il y avoit une allégorie qui
+le rendoit charmant. Je l'assurai qu'il pouvoit être agréable pour le
+personnage pour lequel il avoit été fait: mais que pour moi, qui
+méprisois souverainement madame _de Montespan_, et qui ne l'avois jamais
+connue, sa rupture avec le roi, ses regrets, tout cela ne pouvoit
+m'émouvoir. La comédie tombe, tous les bons acteurs vont quitter; les
+mauvais sont détestables, et ne donnent aucune espérance.
+
+Le roi est à Marli, où il tient table le soir, la reine le matin. C'est
+une chose nouvelle; cela n'étoit pas encore arrivé, que la reine eût
+mangé en public avec les dames. On parle de guerre; nos cavaliers la
+souhaitent beaucoup, et nos dames s'en affligent médiocrement: il y a
+long-temps qu'elles n'ont goûté l'assaisonnement des craintes et des
+plaisirs des campagnes; elles désirent de voir comme elles seront
+affligées de l'absence de leurs amans. M. _de Nesle_ a fait des
+plaisanteries très-fortes à M. le prince _de Carignan_, sur ce qu'il
+parloit mal françois. Le prince, impatienté, lui dit qu'il seroit forcé
+de lui donner des coups de bâton, parce qu'on ne savoit pas en Suède
+qu'il étoit un grand poltron. M. _de Nesle_ a fait mille excuses et
+mille bassesses: choses qui lui arrivent trop souvent pour sa
+réputation.
+
+J'apprends, dans l'instant, qu'on va retrancher les rentes perpétuelles.
+Comme nous n'en avons ni l'une ni l'autre, je m'en console. Ma santé est
+mauvaise depuis quelque temps. Je me fis saigner hier; je prends de la
+limaille, je suis maigre; je me flatte que cela n'aura pas de suite.
+Adieu, Madame; honorez-moi toujours un peu de vos bontés: c'est une
+consolation à tous mes maux, tant du corps que de l'esprit. A propos,
+il y a une vilaine affaire qui fait dresser les cheveux à la tête: elle
+est trop infâme pour l'écrire; mais tout ce qui arrive dans cette
+monarchie, annonce bien sa destruction. Que vous êtes sages, vous
+autres, de maintenir les lois et d'être sévères! Il s'ensuit de là
+l'innocence. Je suis tous les jours surprise de mille méchancetés qui se
+font, et dont je n'ai pu croire le cœur humain capable. Je m'imagine
+quelquefois que la dernière surprise m'empêchera d'en avoir à l'avenir;
+mais j'y suis toujours trompée.
+
+
+
+
+LETTRE V.
+
+D'Ablons, 1726.
+
+
+Comment vous portez-vous, Madame? ne me donnerez-vous point de vos
+nouvelles? voulez-vous me punir de mon silence? La punition est trop
+forte, et, pour une personne aussi juste que vous, elle n'est pas
+proportionnée à l'offense. Jamais vous ne pouvez soupçonner mon cœur;
+vous le connoissez trop. Votre silence ressemble à l'oubli et à
+l'ingratitude. Au nom de Dieu! souvenez-vous que vous êtes la personne
+du monde que j'aime et que j'estime davantage. Vous êtes obligée de
+m'aimer, à cause de mon discernement, si ce n'est pas par goût. Madame
+votre fille m'a fait l'honneur de me venir voir plusieurs fois: si je
+n'étois pas extrêmement occupée, j'aurois le plaisir de la voir souvent;
+je l'ai toujours beaucoup aimée; mais j'avoue que je l'aime encore
+davantage. Des esprits mal faits pourroient vous soupçonner sur cette
+phrase d'être tracassière, et d'avoir voulu me donner de l'éloignement
+pour elle; mais les bons esprits, et qui connoissent les entrailles,
+imagineront aisément que tout ce qui appartient à ce qu'on aime, devient
+plus cher, lorsque l'on en est éloigné.
+
+Je me suis flattée, jusqu'à présent, que je ferois le voyage de
+Pont-de-Vesle, qui me procureroit le plaisir de vous aller voir; mais je
+vois avec douleur que le temps en est bien éloigné. On me flatte, et je
+crois deviner qu'il y a une résolution marquée de ne point faire ce
+voyage; j'en suis très-piquée; on se plaît à me donner des espérances,
+et ensuite à les détruire, je prends souvent la résolution de paroître
+indifférente sur l'événement; mais, malgré moi, le chagrin et la joie se
+manifestent tour à tour.
+
+On parle plus de guerre que jamais: nos guerriers craignent fort de
+camper. Ils voudroient se battre, prendre à la hâte quelques villes, et
+revenir, au bout de huit jours, à Paris. M. le prince _de Conti_ est
+mort, hier matin, d'une fluxion de poitrine; il a dit les choses du
+monde les plus tendres et les plus obligeantes à sa femme; il lui a
+demandé pardon des soupçons mal fondés qu'il avoit eus sur sa conduite,
+lui a nommé son valet de chambre qui étoit son espion et son
+calomniateur, et l'a assurée qu'il étoit bien éloigné d'ajouter aucune
+foi à tout ce qu'il avoit rapporté. Il a fait ordonner à madame _La
+Roche_, sa maîtresse, qui, en partie, étoit la cause du peu d'union
+qu'il avoit avec sa femme, de sortir au moment même de sa maison, où
+elle demeuroit. Il a donné 2,000 livres de pension à quatre personnes:
+je ne m'en ressouviens que de deux, MM. _de Montmorenci_ et _du Bellai_;
+à M. _Maton_, qu'il a toujours aimé, un diamant de 10,000 livres; au
+président _de Lubère_, son portrait en grand; à ses deux filles, chacune
+une tabatière d'or avec son portrait. A l'égard de ses domestiques, il
+laisse madame la princesse _de Conti_ maîtresse de les récompenser comme
+elle le jugera à propos. La princesse a beaucoup pleuré, quand il est
+tombé malade, quoiqu'ils fussent brouillés, et même sur le point de se
+séparer. Il a donné tant de marques de tendresse et de repentir, qu'elle
+a oublié, pour le présent, tous les chagrins qu'il lui a causés. Je
+crois cependant que, passé les premiers jours, elle s'en consolera bien
+aisément. M. le duc a eu une attaque d'apoplexie dont il réchappe. A la
+halle, les harangères disent que le borgne n'avoit garde de mourir,
+parce qu'il est trop méchant, et que le prince est mort, parce qu'il
+étoit bon. Ces pauvres gens décident de sa bonté, sans savoir pourquoi,
+si ce n'est qu'il n'avoit jamais été à portée de leur faire ni mal ni
+bien.
+
+Je vous enverrai, par la première occasion, un livre fort à la mode ici,
+le _Voyage de Gulliver_; il est traduit de l'anglois; l'auteur est le
+docteur _Swift_; il est fort amusant; il y a beaucoup d'esprit,
+d'imagination et une fine plaisanterie. _Destouches_ a donné le
+_Philosophe marié_; c'est une très-jolie comédie: il y a du sentiment,
+de là délicatesse; mais ce n'est pas le génie de _Molière_: il y a la
+_Critique_ qui est du même auteur, c'est le panégyrique du _Philosophe
+marié_; on la trouve assez mauvaise. Votre commission sera faite au
+plutôt. Vous me faites tort, quand vous croyez que je peux m'impatienter
+en la faisant. Non, Madame, soyez persuadée, à moins que vous ne vouliez
+m'affliger mortellement, que si vous m'ordonniez de marcher sur la tête
+pour l'amour de vous, j'irois avec joie. L'article de votre lettre où
+vous me dites que vous ne me verrez plus, m'a serré le cœur à en
+pleurer. Pourquoi voulez-vous m'affliger? Oui, je vous verrai, quelque
+chose qu'il arrive, à moins que je ne meure bientôt: ma santé est assez
+bonne; ainsi laissez-moi l'espérance de vous embrasser encore souvent,
+avant que je meure. Vous me demandez des nouvelles du chevalier; il est
+en Périgord, où sa santé est toujours assez mauvaise. Cependant il
+m'assure qu'il n'y a nul danger; il est plus tendre que jamais: ses
+lettres sont toutes comme celles que je vous montrois dans le carrosse,
+quelque temps avant votre départ: si j'osois, je vous en enverrois des
+copies; elles sont trop pleines de louanges; mais elles sont si bien
+écrites, que, si l'on ne connoissoit pas l'objet, on les trouveroit
+charmantes. Je ne sais aucune nouvelle de Paris; je suis ici comme au
+bout du monde; je vendange, je file beaucoup pour me faire des
+chemises, et je tire aux oiseaux. J'ai reçu des lettres de madame
+_Knight_; elle me dit qu'elle est mariée et heureuse; elle est à
+Bettersea depuis son mariage; M. _de Bolingbrocke_ ne paroît pas trop
+content. La tête a tourné apparemment à milord, de marier sa fille de
+cette façon. Vous auriez mieux fait; il falloit vous laisser faire, sans
+vous contraindre. Adieu, Madame, continuez-moi vos bontés.
+
+
+
+
+LETTRE VI.
+
+Paris, 1726.
+
+
+Vous avez tort, Madame, de m'accuser d'oubli à votre égard; ayez
+meilleure opinion de vos amis, et sur-tout de moi qui sens bien tout le
+prix de votre amitié: je puis jurer qu'il n'y a pas de jour que je ne
+pense à vous, que je ne vous regrette, et que je ne fasse des projets
+pour aller vous voir; je mettrai tout en usage pour exécuter ce que je
+souhaite si vivement: je quitte tout sans regret pour vous; je suis
+accablée de chagrin, mon corps s'en ressent; je suis maigrie à en être
+alarmée. J'ai eu tout à la fois la mort de mon bienfaiteur M. _de
+Ferriol_, l'asthme du chevalier qui dure depuis trois mois, et la
+réduction des rentes viagères. Voici une lettre qu'il m'a faite pour le
+cardinal _de Fleuri_; je ne doute point que vous ne la trouviez bien.
+
+
+MONSEIGNEUR,
+
+«Je n'oserois me flatter que votre Éminence se ressouvînt que j'ai eu
+l'honneur de la voir; mais je crois pouvoir espérer que la singularité
+de mon état excitera sa compassion, et qu'elle me pardonnera la liberté
+que je prends de lui en exposer les circonstances. M. _de Ferriol_ m'a
+amenée de Turquie en ce pays-ci, à 4 ans; et après m'avoir élevée comme
+sa fille, il a voulu, pour comble de générosité, me laisser une fortune
+qui soutînt l'éducation qu'il m'avoit donnée. Toute la famille _de
+Ferriol_ concourant à ses desseins, il m'avoit donné 4,000 liv. de
+rentes viagères. Aujourd'hui, Monseigneur, on m'en ôte plus de la
+moitié; et par là je perds ce qui faisoit ma tranquillité,
+l'indépendance que l'on a voulu m'assurer. J'ose supplier votre
+Éminence, que l'on ne me traite point à la rigueur; ne souffrez pas que
+l'on détruise une fortune qui est un témoignage de la générosité des
+François. Si vous vous informez de moi, on vous dira que je n'ai ni
+goût, ni talent pour acquérir. Ordonnez donc qu'on me laisse ce que je
+possédois par des voies si légitimes. Vous aurez part à la
+reconnoissance que j'ai pour ceux à qui je dois tout ce que je possède,
+et je ne cesserai jamais d'être avec le plus profond respect, etc.»
+
+
+_Lettre de madame_ DE FERRIOL.
+
+_Aïssé_ ne cesseroit de vous écrire, si je la laissois faire; je n'en ai
+pas la patience, et je l'interromps pour vous parler aussi à mon tour.
+Gardez-vous bien de m'oublier; je ne cesse point de me ressouvenir de
+vous, et de vous regretter. Les courses que j'ai faites, et les maladies
+que j'ai essuyées, ne m'ont pas distraite un moment de ce souvenir;
+j'espère que tous mes voyages ne sont pas faits, et que j'en ferai un à
+Pont-de-Vesle, qui me procurera le bonheur de vous voir. J'ai besoin de
+cette espérance pour adoucir la peine que me cause votre absence.
+J'espère qu'en attendant, vous voudrez bien me donner de vos nouvelles,
+et que vous ne doutez pas de la très-tendre amitié que je conserverai
+toute ma vie pour vous.
+
+
+_Suite de la Lettre de mademoiselle_ AÏSSÉ.
+
+On me rend la plume, je vais en profiter pour conter quelques
+ravauderies. Madame _de Tencin_ est toujours malade: les savans et les
+prêtres sont, presque les seules personnes qui lui fassent leur cour.
+_D'Argental_ n'est plus amoureux; ses assiduités sont réfléchies
+actuellement. Il y a eu des tracasseries à la cour; les dames du palais
+ont voulu jouer des comédies pour amuser la reine. MM. _de Nesle_, _de
+la Trimouille_, _Graisi_, _Gontault_, _Tallard_, _Villars_, _Matignon_
+étoient les acteurs. Il manquoit une actrice pour de certains rôles, et
+il étoit nécessaire d'avoir quelqu'un qui pût former les autres: on
+proposa la _Desmarest_, qui ne monte plus sur le théâtre; madame _de
+Tallard_ s'y opposa, et assura qu'elle ne joueroit pas avec une
+comédienne, à moins que la reine ne fût une des actrices. La petite
+marquise _de Villars_ dit que madame _de Tallard_ avoit raison, et
+qu'elle ne vouloit point jouer aussi, à moins que l'Empereur ne fît
+Crispin. Cette grande affaire finit par des éclats de rire. Madame _de
+Tallard_ a été si piquée, qu'elle a quitté la troupe, La _Desmarest_ a
+joué, et les comédies ont très-bien réussi.
+
+Milord _Bolingbrocke_ nie hautement les lettres que l'on prétend qu'il a
+écrites à M. _Walpole_. Je ne doute pas que vous n'en ayez ouï parler:
+il dit qu'on peut l'attaquer, mais qu'il ne répondra jamais; que ce sont
+des lettres supposées; qu'il est résolu de demeurer en repos, malgré
+toute la malice du public. Madame sa femme est toujours malade. L'air de
+Londres l'incommode: on avoit fait courir le bruit que le mari et la
+femme étoient mal ensemble; rien n'est plus faux: je reçois des lettres,
+presque tous les ordinaires, de l'un et de l'autre; ils me paroissent
+dans une grande union: les inquiétudes qu'il a de la santé de sa femme,
+et celles qu'elle a de la sienne, ne ressemblent point à des gens
+mécontens. Adieu, Madame. La certitude que j'ai de vos bontés, me fait
+trop de plaisir pour vouloir en douter.
+
+
+
+
+LETTRE VII.
+
+Paris, 1727.
+
+
+J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire; je ne
+puis vous dire assez tout le plaisir qu'elle m'a fait. Je les montre à
+une seule personne, qui est très-curieuse de les voir, et qui partage le
+plaisir que j'ai de les lire: les bontés d'une personne comme vous la
+flattent comme moi-même, et elle partage mes inquiétudes sur ce qui vous
+regarde. Vous êtes la première qu'elle a plainte dans ce maudit
+arrangement du retranchement des rentes viagères. Je n'ai point été
+consolée de n'être pas la seule misérable dans cette occasion; il est
+toujours fort douloureux de voir ses amis malheureux. J'aurois, je vous
+jure, pris mon parti plus aisément, si vous aviez été privilégiée. Mon
+voyage de Pont-de-Vesle se confirme, et sera beaucoup plus long; mais
+dans quelque pauvreté que je sois, je vous promets d'aller vous voir; ce
+sera un des bonheurs les plus vifs de ma vie; et si jamais je me marie,
+je mettrai dans le contrat, que je veux être libre d'aller à Genève,
+quand il me plaira, et le temps que je voudrai. Madame _de Tencin_ est
+toujours malade; mais j'ai grand'peur que madame sa sœur ne parte avant
+elle; sa cupidité augmente tous les jours. Ma santé est médiocre, et je
+maigris beaucoup; c'est pourtant le premier bien; elle nous fait
+supporter toutes nos peines; les chagrins l'altérent, comme vous le
+prouvez, et ne font pas changer la fortune. D'ailleurs, il n'y a point
+de honte d'être pauvre, quand c'est la faute du destin et de la vertu.
+Je vois tous les jours qu'il n'y a que la vertu qui soit bonne en ce
+monde et en l'autre. Pour moi qui n'ai pas le bonheur de m'être bien
+conduite, mais qui respecte et admire les gens vertueux, la simple envie
+d'être du nombre m'attire toutes sortes de choses flatteuses: la pitié
+que tout le monde a de moi, fait que je ne me trouve presque pas
+malheureuse; il me reste deux mille francs de rente, tout au plus;
+j'envisage sans peine de me retrancher les choses qui me faisoient le
+plus de plaisir. Mes bijoux et mes diamans sont vendus; pour vous,
+Madame, il y a long-temps que vous vous êtes détachée de tout cela. Si
+vous avez plus de chagrins, et que vous soyez plus à plaindre que bien
+d'autres, vous en êtes bien dédommagée par la satisfaction de n'avoir
+rien à vous reprocher: vous avez de la vertu, vous êtes aimée et
+estimée, et, par conséquent, vous avez plus d'amis. Conservez-les,
+Madame, et votre santé; ce sont là les véritables trésors.
+
+Madame _de Parabère_ ayant quitté son amant, a donné cette charge à
+_d'Alincourt_. M. _de Nesle_ a plaisanté M. le prince _de Conti_ assez
+mal à propos; et, quoique le prince l'eût fait prier de se taire, il a
+continué; ce qui a mis en colère son altesse, qui a voulu lui jeter une
+assiette à la tête. M. _de Nesle_ a fait des excuses, qui ont été assez
+mal reçues, puisqu'on lui a répondu que l'on avoit eu tort de se mettre
+en colère contre un poltron; que l'on devoit en agir avec lui comme avec
+un chien qui importunoit, et à qui l'on donnoit des coups de pied; que
+s'il n'étoit pas content, il étoit partout, et le trouveroit. Madame _de
+Nesle_ avoit pour amant M. _de Montmorenci_: c'étoit _Riom_ qui avoit
+fait cette liaison; il a jugé à propos de la rompre, et a donné à son
+ami madame _de Boufflers_; madame _de Nesle_, pour se venger, a donné le
+ridicule à _Riom_, de lorgner la reine; ce dernier a été si piqué, qu'il
+est allé au cardinal pour se justifier. Vous voyez à quoi nos belles
+dames et nos agréables s'amusent. M. le duc se divertit comme un ange, à
+son tour, à Chantilli. Madame _de Prie_ est reléguée dans ses terres, où
+elle perd les yeux; elle se console en lisant le bel édit des rentes.
+Notre roi est toujours constant pour la chasse. La reine est grosse.
+Voilà les nouvelles de ce monde. Quelle différence de votre ville à
+Paris! L'innocence des mœurs, le bon esprit y règnent: ici on ne les
+connoît pas. Il est arrivé, depuis quelque tems, une petite aventure qui
+a fait beaucoup de bruit; je veux vous la mander. Il y a six semaines,
+qu'_Isessé_, le chirurgien, reçut un billet, par lequel on le prioit de
+se rendre l'après-midi, à six heures, dans la rue _Pot-de-fer_, près du
+Luxembourg. Il n'y manqua pas; il trouva un homme qui l'attendoit, et le
+conduisit à quelques pas de là, le fit entrer dans une maison, ferma la
+porte sur le chirurgien, et resta dans la rue. _Isessé_ fut surpris que
+cet homme ne l'emmenât pas tout de suite où on le souhaitoit. Mais le
+portier de la maison parût, qui lui dit qu'on l'attendoit au premier
+étage et qu'il montât; ce qu'il fit: il ouvrit une antichambre toute
+tendue de blanc; un laquais fait à peindre, vêtu de blanc, bien frisé,
+bien poudré, et avec une bourse de cheveux blanche, et deux torchons à
+la main, vint au-devant de lui, et lui dit qu'il falloit qu'il lui
+essuyât ses souliers. _Isessé_ lui dit que cela n'étoit pas nécessaire,
+qu'il sortoit de sa chaise, et n'étoit point crotté. Malgré cela, le
+laquais lui répondit que l'on étoit trop propre dans cette maison, pour
+ne pas user de précaution. Après cette cérémonie, on le conduisit dans
+une chambre tendue aussi de blanc. Un autre laquais, vêtu de même que le
+premier, refit la même cérémonie des souliers: on le mena ensuite dans
+une chambre toute blanche, lit, tapisseries, fauteuils, chaises, tables
+et plancher. Une grande figure en bonnet de nuit et en robe de chambre
+toute blanche, et un masque blanc, étoit assise auprès du feu. Quand
+cette espèce de fantôme aperçut _Isessé_, il lui dit: _j'ai le diable
+dans le corps_, et ne parla plus; il ne fit pendant trois quarts d'heure
+que mettre et ôter six paires de gants blancs, qu'il avoit sur une
+table, à côté de lui. _Isessé_ fut effrayé; mais il le fut encore
+davantage, quand parcourant des yeux la chambre, il aperçut plusieurs
+armes à feu; il lui prit un si grand tremblement, qu'il fut obligé de
+s'asseoir, de peur de tomber. Enfin craignant ce silence, il dit à la
+figure blanche, ce que l'on vouloit faire de lui, qu'il le prioit de lui
+donner ses ordres, parce qu'il étoit attendu, et que son temps étoit au
+public: la figure blanche répondit sèchement: _que vous importe, si vous
+êtes bien payé?_ et ne dit plus mot. Un quart d'heure s'écoula encore
+dans le silence: le fantôme enfin tire un cordon blanc de sonnettes. Les
+deux laquais blancs arrivent; il leur demande des bandes, et dit à
+_Isessé_ de le saigner et de lui tirer cinq livres de sang. Le
+chirurgien, étonné de la quantité, lui demanda quel médecin lui avoit
+ordonné une pareille saignée? _Moi_, répondit la figure blanche,
+_Isessé_ se sentant trop ému pour ne pas craindre d'estropier, préféra
+de saigner au pied, où il y a moins de risque qu'au bras. On apporta de
+l'eau chaude; le fantôme blanc ôte une paire de bas de fil blanc d'une
+grande beauté, puis une autre, encore une autre; enfin jusqu'à six
+paires, et un chausson de castor doublé de blanc; alors _Isessé_ vit la
+plus jolie jambe et le plus joli pied du monde; il n'est point éloigné
+de croire que ce soit celui d'une femme: il saigne; à la seconde palette
+le saigné se trouve mal. _Isessé_ voulut lui ôter son masque pour lui
+donner de l'air, les laquais s'y opposèrent: on l'étendit à terre; le
+chirurgien banda le pied pendant l'évanouissement. La figure blanche, en
+reprenant ses esprits, ordonna que l'on chauffât son lit; ce que l'on
+fit, et ensuite il s'y mit. _Isessé_ lui tâta le pouls, et les
+domestiques sortirent; il alla près de la cheminée pour nettoyer sa
+lancette, faisant bien des réflexions sur la singularité de cette
+aventure: tout à coup il entend quelque chose derrière lui, il tourne la
+tête, et voit dans le miroir de la cheminée, la figure blanche qui vient
+à cloche-pied, et qui ne fait presque qu'un saut pour venir à lui; il
+fut saisi de frayeur; elle prit sur la cheminée cinq écus, les lui
+donna, et lui demanda s'il étoit content. _Isessé_, tout tremblant,
+répondit que oui.--_Eh bien! allez-vous-en._ Le chirurgien ne se le fit
+pas dire deux fois; il prit ses jambes à son cou, et s'en alla bien
+vite; il trouva les laquais qui l'éclairèrent, et qui de fois à autre se
+tournoient et rioient. _Isessé_, impatienté, leur demanda ce que c'étoit
+que cette plaisanterie. _Monsieur_, lui répondirent-ils, _avez-vous à
+vous plaindre? Ne vous a-t-on pas bien payé? Vous a-t-on fait quelque
+mal?_ Ils le reconduisirent à sa chaise, et il fut transporté de joie
+d'être sorti de là. Il prit la résolution de ne point raconter ce qui
+lui venoit d'arriver; mais, le lendemain, on vint s'informer comment il
+se portoit de la saignée qu'il avoit faite à un homme blanc; alors il
+raconta son aventure, et n'en fit plus mystère: elle a fait beaucoup de
+bruit; le roi l'a sue, et le cardinal se l'est fait raconter par
+_Isessé_. On a fait mille conjectures qui ne signifient rien: je crois
+que c'est quelque badinage de jeunes gens qui se sont amusés à faire
+peur au chirurgien. Je suis bien sincèrement, ma chère madame, toute à
+vous.
+
+
+
+
+LETTRE VIII.
+
+Paris, 1727.
+
+
+J'ai reçu avant-hier la lettre que vous m'avez fait l'amitié de
+m'écrire; vous trouverez dans celle-ci tout ce que vous me demandez. Je
+vais commencer par les nouvelles de Paris. La reine est accouchée de
+deux princesses: il est bien fâcheux, Madame, que dans le nombre il n'y
+ait pas un garçon. Tout Paris étoit dans une grande joie, quand on sut
+qu'elle étoit en travail; la joie fut bien modérée, quand on apprit la
+naissance de deux filles: on s'étoit trompé de six semaines. Le
+chancelier arrive de son exil; il n'a pas encore les sceaux. M. le
+prince _de Carignan_ est toujours amoureux de la _Entie_, danseuse à
+l'opéra; cette créature s'est engouée de M. _de la Poplinière_, fermier
+général, homme d'esprit, faiseur de chansons, et d'ailleurs assez laid.
+M. _de Carignan_ s'étoit lié d'amitié avec lui, comme les maris font
+avec les amans de leurs femmes; mais le prince est italien, par
+conséquent clairvoyant, et jaloux outre mesure. Il y a quelques jours
+qu'il alla prier la _Entie_ de venir à une petite maison qu'il a au bois
+de Boulogne; elle y consentit, mais elle voulut que M. _de la
+Poplinière_ fût de la partie; ce dernier ne vouloit point; il se fit
+long-temps prier par le prince, qui le persuada enfin d'y venir; il y
+eut pendant le souper plusieurs lorgneries qui furent aperçues du
+prince, et qui le mirent de très-mauvaise humeur. On alla bientôt après
+se coucher; et comme la maison est très-petite, et qu'il n'y avoit que
+deux lits, la _Entie_ coucha avec le prince, et _la Poplinière_ dans une
+chambre à côté. La demoiselle voulut bien faire les honneurs de chez
+elle, et alla trouver son voisin, quand le prince fut endormi. M. _de
+Carignan_ s'étant réveillé, et voyant que sa tourterelle s'étoit
+envolée, ne fit pas grand chemin pour la retrouver; il eut la constance
+de s'entendre dire les choses du monde les plus outrageantes; on le
+traita de sot. Bien des gens prétendent que le greluchon _la Poplinière_
+étoit muni de deux pistolets dont il se servoit pour tenir en respect le
+pauvre abandonné, qui, furieux, désespéré, retourna à Paris, et débarqua
+chez sa femme; et comme il avoit le cœur très-ulcéré, il lui raconta ce
+qui venoit de lui arriver. Elle lui dit qu'il y avoit long-temps que
+cette créature le rendoit malheureux, et qu'il falloit faire un exemple
+pour châtier de pareilles gens, qu'elle lui demandoit la permission d'en
+faire des plaintes, et d'avoir une lettre de cachet pour la faire
+enfermer dans une maison de force. Le prince étoit trop en colère pour
+n'y pas consentir. La princesse ne perdit point de temps; elle partit
+pour Versailles, et obtint du cardinal la lettre de cachet, envoya
+là-dessus arrêter la donzelle, qui fut dans un désespoir inconcevable.
+Elle avoit 40,000 livres en or chez elle, qu'elle vouloit emporter;
+mais on ne lui laissa prendre que 300 livres, et on la mena à
+Sainte-Pélagie, maison de force, où elle est actuellement. Le prince est
+désespéré de ne la plus voir; il a fait tout au monde pour la faire
+sortir de là, et pour se venger de _la Poplinière_ et le faire mettre à
+la Bastille; mais il n'en a pas eu le crédit: on l'a seulement engagé à
+aller faire un petit tour dans son département, qui est la Provence.
+
+Voici encore une aventure, mais qui est plus tragique. Un gentilhomme,
+du côté de Villers-Coterets, allant d'un endroit à un autre à cheval
+avec son valet, fut attaqué dans un bois, par un jeune homme qui lui
+demanda sa bourse où il y avoit cinquante louis, sa montre, avec un
+cachet d'or, lui prit ses deux chevaux, et le laissa aller à pied, assez
+embarrassé de ce qu'il feroit. En marchant, il aperçut une maison qui
+avoit une belle apparence; il envoya son laquais pour s'informer qui
+l'habitoit; il apprit avec joie que c'étoit un officier avec lequel il
+avoit long-temps servi, et qui étoit son bon ami; il se trouva heureux
+dans sa disgrâce, de rencontrer justement son camarade qu'il connoissoit
+pour un parfait honnête homme; il en fut très-bien reçu: ils parlèrent
+de la malheureuse aventure qui leur avoit procuré le plaisir de se
+revoir; le maître de la maison offrit sa bourse et sa personne à son
+ami. Quelques momens avant le souper, un jeune homme entra, que le
+gentilhomme reconnut pour être celui qui l'avoit dévalisé, et il fut
+bien surpris, quand l'officier le lui présenta comme son fils; il ne dit
+mot, et se retira d'abord après souper dans sa chambre. Son laquais
+très-effrayé, lui dit: _Monsieur, nous sommes dans un coupe-gorge; le
+fils de la maison est notre voleur, et nos chevaux sont dans l'écurie._
+Le gentilhomme lui défendit de parler, et avant que personne fût levé
+dans la maison, il alla à la chambre de son ami, et le réveilla, en lui
+disant que c'étoit avec une grande douleur qu'il se trouvoit obligé de
+lui apprendre que son fils étoit le même homme qui l'avoit dévalisé la
+veille; qu'il avoit cru, après s'être consulté, qu'il valoit mieux lui
+apprendre le détestable métier de son fils, que s'il venoit à en être
+informé par la justice: ce qui ne pouvoit manquer tôt ou tard d'arriver.
+Le désespoir du père fut inconcevable; la surprise, la douleur, lui
+donnèrent un si violent saisissement, qu'il s'évanouit; ensuite
+l'emportement, la fureur succédant, il monte à la chambre de son fils,
+qui dormoit, ou feignoit de dormir; il trouve sur sa table la montre et
+le cachet où étoient les armes de son ami: le fils entend le bruit;
+effrayé, il se lève, veut s'enfuir. Des pistolets se trouvent sur la
+table; le père, troublé par la colère, en prend un, tire, et tue son
+malheureux fils. Il est venu tout de suite demander sa grâce: tout le
+monde a été d'avis qu'on la lui donnât. Le cas est excusable dans le
+premier mouvement d'une colère aussi légitime. Un honnête homme trouvant
+dans son fils un voleur de grand chemin, éprouve un chagrin si vif, que
+la tête lui en peut bien tourner.
+
+Madame _de Ferriol_ compte toujours aller à Pont-de-Vesle; mais, comme
+elle ne veut y rester que six semaines, je ne l'accompagnerai pas; cela
+n'en vaut pas la peine. Il y a cinq ou six mariages pour notre ami[179];
+mais l'on voudroit fort avoir la dot, et point avoir de femme. Je ne
+vois plus _Bertie_; l'ambition le poignarde; il poursuit l'ambassade de
+Constantinople; les Turcs sont trop simples, pour goûter l'air empesé de
+notre ami.
+
+Le chevalier est parti pour le Périgord, où il compte être cinq mois.
+Vous serez bien étonnée, Madame, quand je vous dirai, qu'il m'a offert
+de m'épouser. Il s'expliqua hier très-clairement devant une dame de mes
+amies; c'est la passion la plus singulière du monde; cet homme ne me
+voit qu'une fois tous les trois mois; je ne fais rien pour lui plaire;
+j'ai trop de délicatesse pour me prévaloir de l'ascendant que j'ai sur
+son cœur; et, quelque bonheur que ce fût pour moi de l'épouser, je dois
+aimer le chevalier pour lui-même. Jugez, Madame, comme sa démarche
+seroit regardée dans le monde, s'il épousait une inconnue, et qui n'a de
+ressource que la famille de M. _de Ferriol_. Non, j'aime trop sa gloire,
+et j'ai en même temps trop de hauteur pour lui laisser faire cette
+sottise. Quelle confusion pour moi d'apercevoir tous les discours que
+l'on tiendroit! Pourrois-je me flatter que le chevalier pensât toujours
+de même à mon égard? Il se repentiroit assurément d'avoir suivi sa folle
+passion; et moi je ne pourrois survivre à la douleur d'avoir fait son
+malheur, et de n'en être plus aimée. Il me tint les propos du monde les
+plus tendres, les plus passionnés et les plus extravagans; il finit par
+me dire qu'il avoit dans la tête, que d'une façon ou d'une autre, nous
+vécussions ensemble. Je parus étonnée de ce propos, et lui en dis mon
+sentiment; il se fâcha, et m'assura que, quand il disoit cela, il ne
+prétendoit pas m'offenser, ni avoir des desseins malhonnêtes sur moi;
+qu'il vouloit dire, que si je voulois l'épouser, j'en étois la
+maîtresse; mais qu'autrement, il croyoit que nous pouvions bien, quand
+nous serions sans conséquence l'un et l'autre, passer le reste de nos
+jours ensemble; qu'il m'assureroit une grande partie de son bien; qu'il
+étoit mécontent de ses parens, à l'exception de son frère, à qui il
+donneroit honnêtement, pour qu'il fût content; et pour me faciliter
+d'accepter sa proposition, il me dit que nous ferions cession au dernier
+vivant de nos biens. Je badinai beaucoup sur mes vieux cotillons qui
+sont tout l'héritage que je pouvois assurer. Notre conversation finit
+par des plaisanteries. Adieu, Madame, je suis lasse d'écrire; je vous
+suis dévouée bien tendrement.
+
+
+
+
+LETTRE IX.
+
+1727.
+
+
+Je ne vous ai point justifié le silence de M. _d'Argental_, à cause de
+vos craintes; à présent qu'il est guéri, je vous dirai qu'il vient
+d'avoir la petite vérole le plus heureusement du monde: c'est un grand
+plaisir pour lui et ses amis, qu'il se soit débarrassé de cette vilaine
+maladie. Je vis hier madame votre fille qui est, comme vous l'avez
+laissée, belle comme un ange, mais d'une vertu à battre; elle est bien
+votre digne fille. Madame _Knight_ est grosse, elle retourne à Londres
+pour accoucher. Miladi _Bolingbrocke_ a été très-mal; elle s'est mise au
+lit tout-à-fait; elle se trouve mieux de ce régime. Le public, qui veut
+toujours parler, assure que son mari en agit mal avec elle; je vous
+assure que rien n'est plus faux. M. le duc _de Bouillon_ a été à
+l'extrémité. Il a envoyé au roi la démission de sa charge de grand
+chambellan; il l'a fait supplier de la donner à son fils, ce qui lui a
+été accordé: il est mieux; mais il n'y a aucune espérance que ce mieux
+continue. Pour parler de la vie que je mène, et dont vous avez la bonté
+de me demander les détails, je vous dirai que la maîtresse de cette
+maison est bien plus difficile à vivre, que le pauvre ambassadeur. Je ne
+sais jamais sur quel pied danser. Si je reste, on me fait la mine de ce
+que l'on croit que l'on me contraint: si je sors, on me fait des sorties
+affreuses: on me contrarie sans fin, on me caresse après, jusqu'à
+impatienter un ange. Une certaine demoiselle qui vient dans la maison,
+m'a fait l'honneur d'être jalouse de moi; elle travaille à me détruire
+dans l'esprit de madame _de Ferriol_ qui avale le poison, sans qu'elle
+s'en aperçoive: je m'en suis doutée, et j'y ai mis bon ordre. J'ai parlé
+à madame avec beaucoup de force, de franchise et de respect. La
+tracassière ignore que je la connoisse, et je ne veux aucun
+éclaircissement avec des gens faux et méchans; je les laisse dans leur
+crasse. Je m'appuie sur la netteté de ma conduite, qui est de faire mon
+devoir de bon cœur, et ne point faire de tort aux autres: elle a déjà le
+fruit que recueillent les mauvais esprits, madame ne la peut plus
+souffrir. Pour la _Tencin_, je continue à ne la point voir: elle a plus
+de manége que jamais. L'archevêque _de Tencin_ a été très-mal: nous
+avons été bien en peine. Il étoit cruel de mourir à la veille d'avoir le
+chapeau; il est mieux, et nous le verrons, j'espère, cardinal.
+
+Nous avons une nouvelle princesse, la femme de M. le Duc, qui est
+très-jolie, mais fort petite: elle n'a que quatorze ans. Sa taille est
+charmante; elle a bonne grâce; elle a dit des ingénuités plaisantes sur
+son mariage. On lui présenta ses deux beaux-frères, et on lui demanda
+lequel des trois frères elle préféroit. Elle répondit que ses deux
+beaux-frères avoient de très-beaux visages, mais que M. le Duc avoit
+l'air d'un prince. On la mena à Versailles, où elle réussit très-bien.
+Le roi ne causa point avec elle; mais, quand elle fut partie, il dit
+qu'il la trouvoit bien. Tous les gens de la cour lui firent la
+révérence; elle reçut leurs complimens sans aucun embarras. M. le duc
+_d'Orléans_ est d'une dévotion aussi outrée que son père étoit pervers.
+Madame _de Parabère_ a été, comme je vous l'ai déjà dit, quittée par
+monsieur le premier, qui est amoureux de madame _d'Épernon_, qui n'a
+point encore fait parler d'elle. Cela cause bien du chagrin à madame _de
+Parabère_. Elle me fait toujours beaucoup d'amitiés. Voilà ce que c'est
+que de ne point se mêler des intrigues. Notre reine vint, le dix
+septembre, à Sainte-Geneviève, pour demander à Dieu un dauphin. Le roi a
+reçu les petites princesses galamment et avec courage. _Ne vous
+chagrinez point, ma femme_, dit-il à la reine, _dans dix mois, nous
+aurons un garçon._
+
+Nous avons à l'Opéra-comique une pièce qui dure depuis six semaines, qui
+est assez jolie. Je reviens de la comédie; on jouoit _Régulus_, où j'ai
+fondu en larmes. _Baron_ a joué dans une perfection admirable. Je ne
+l'ai jamais vu mieux jouer; j'envisage avec douleur sa vieillesse. Il
+fit, l'autre jour, le rôle de _Burrhus_ dans _La mort de Britannicus_,
+où il excella. Il est impossible que l'on ne le croie pas le personnage
+qu'il représente. M. le comte _de Grancey_, et M. le marquis son frère,
+sont morts à quinze jours l'un de l'autre. Ils sont si ruinés, que leurs
+veuves ne trouveront pas leur douaire: ils jouissoient de beaucoup de
+bienfaits du roi, et mangeoient plus que leur revenu. M. _de la
+Chesnelaye_ vient d'épouser mademoiselle _des Mares_, sœur du grand
+fauconnier; elle est belle et bien faite, et voilà tout. Il a marié sa
+fille, qui a seulement quatorze ans, à M. _de Pont-St.-Pierre_, homme de
+condition, riche, mais assez débauché. M. _de Maisons_ a épousé
+mademoiselle _d'Angerviller_. M. _de Charolois_ vit toujours avec la
+_de l'Isle_, dont il n'est plus amoureux, ni jaloux. Il a une autre
+maîtresse, qui a été très-secrète, et qui n'a paru que par un éclat
+violent. Elle s'est jetée dans un couvent, prétendant que son mari avoit
+voulu l'empoisonner; elle se nomme madame _de Courchamp_; elle est sœur
+de cette madame _Dupuis_, qui a été si belle. M. _de Clermont_ est
+amoureux fou de madame la duchesse _de Bouillon_. La marquise _de
+Villars_ et madame _d'Alincourt_ sont dans la plus grande dévotion:
+elles ne mettent plus de rouge: ce qui leur sied assez mal. M.
+_l'Avalle_ et sa femme donnent des fêtes à madame _Benard_, qui loge où
+vous logiez. Je ne puis endurer que cette guenon et cette bête habite
+votre chambre. Elle est encore belle, et si belle, que, si elle se
+dépaysoit, on ne lui donneroit que trente ans. Les filles de l'opéra, et
+les filles de joie inondent Paris: on ne sauroit faire un pas qu'on n'en
+soit entouré. On rejoue à l'opéra _Bellérophon_. L'autre jour, quand le
+dragon parut sur le théâtre, il y eut quelque chose qui se dérangea à la
+machine; l'estomac de l'animal s'ouvrit, et le petit polisson parut aux
+yeux de l'assemblée, tout nu, ce qui fit rire le parterre. La
+_Pellissier_ diminue de vogue imperceptiblement; on commence à regretter
+la _Le Maure_, qui attend qu'on la prie de revenir. _Destouches_ et elle
+se tiennent sur la réserve; mais ils meurent d'envie tous deux d'être
+bien ensemble. Vous savez que _Destouches_ a eu la place de _Francine_.
+Nous regrettons toujours _Murer_ et le pauvre _Thevenard_; il baisse
+beaucoup. _Chassé_ ne le remplacera pas, il ne devient pas meilleur.
+
+Je me suis fait peindre en pastel, ou, pour mieux dire, M. _de Ferriol_,
+qui a un appartement charmant, a fait peindre six belles dames, dont je
+suis, non comme belle assurément, mais comme amie: madame _de Noailles_,
+_de Parabère_, madame la duchesse _de Lesdiguières_, madame _de
+Montbrun_, et une copie d'un portrait de mademoiselle _de
+Villefranche_, à l'âge de quinze ans. Ils sont tous de la même grandeur;
+le mien est parfaitement ressemblant: j'ai résolu d'en demander la
+copie; et, si le peintre croit qu'il vaut mieux le faire d'après moi, je
+le ferai venir; c'est l'affaire de trois heures. Si vous étiez ici,
+Madame, je vous aurois demandé à genoux la complaisance de vous laisser
+peindre pour moi. On s'appuie sur une table où le peintre travaille;
+cela fait qu'on s'amuse à voir dessiner, et que l'on n'a point
+d'attitude gênante. Aussitôt que j'aurai cette copie, ou l'original, je
+vous l'enverrai. En le voyant, je vous prie de croire qu'il fait des
+vœux au ciel pour vous; car on a voulu que les yeux fussent en l'air
+avec un voile bleu, comme une vestale, ou une novice.
+
+Il y a ici un nouveau livre, intitulé, _Mémoires d'un Homme de qualité,
+retiré du monde._ Il ne vaut pas grand'chose; cependant on en lit 190
+pages, en fondant en larmes. A peine le chevalier a été arrivé à
+Périgueux, où il comptoit passer quelques mois, qu'il a été obligé de
+repartir, et de revenir ici. J'avoue que je fus surprise bien
+agréablement, quand je le vis hier entrer dans ma chambre; j'ignorois
+son retour. Quel bonheur, si je pouvois l'aimer, sans me le reprocher!
+Mais, hélas! je ne serai jamais assez heureuse pour cela. Je finis cette
+longue épître, qui pourroit à la fin vous fatiguer. Adieu, Madame;
+excusez et plaignez votre pauvre _Aïssé_.
+
+
+
+
+LETTRE X.
+
+Paris, 1727.
+
+
+Monsieur _d'Argental_ est arrivé, il y a deux jours; il est extrêmement
+marqué de la petite vérole, sur-tout le nez qui, à force d'être couturé,
+est devenu petit, échancré et façonné. Ses yeux, ses sourcils, ses
+paupières n'ont point été gâtés; par conséquent, sa physionomie est
+toujours la même; il est fort engraissé et fort rouge. Nous avons été
+si aises de le voir, que nous l'avons reçu comme si c'étoit l'amour. On
+peut dire de lui que ce n'est pas un beau garçon, mais c'est assurément
+un aimable caractère: il est généralement aimé et estimé; tous ceux qui
+le connoissent en font des éloges bien flatteurs pour lui, et pour ceux
+qui s'y intéressent. Vous savez, Madame, que cette réussite n'est pas
+capable de le gâter. Je voudrois que M. _de Caze_ le connût; sûrement il
+l'aimeroit: on nous a bien alarmés sur la santé de ce dernier. M. _de
+Saint-Pierre_ nous avoit mandé qu'il étoit très-mal; Dieu merci, ce
+n'est qu'une fausse alarme, il se porte bien. Le pathétique M.
+Jean-Louis _Favre_ m'avoit fait pleurer, en faisant l'énumération des
+qualités de M. _de Caze_, la perte que faisoient ses parens et ses amis;
+en un mot, s'il avoit été romain, il l'auroit mis parmi les dieux.
+Dites-lui, je vous prie, quand il voudra prendre place parmi eux, que ce
+soit le plus tard qu'il pourra, et même qu'il fasse quelques mauvaises
+actions, pour qu'on ne le regrette pas.
+
+Notre voyage de Pont-de-Vesle est toujours très-incertain; cela est
+insupportable. Madame _de Ferriol_ continue à être d'une pesanteur à
+alarmer; il faudroit qu'elle prît les eaux de Bourbon. Son fils et moi,
+nous le lui avons représenté avec un ton d'attachement et d'amitié qui
+méritoit, de sa part, un peu de complaisance; elle est d'une opiniâtreté
+et d'une dureté à mettre en fureur. N'en parlons plus. Je suis
+actuellement, que je vous écris, sur votre fauteuil; il n'y a que mes
+favoris à qui je permette de s'y asseoir. M. _Bertie_ quelquefois usurpe
+cette place; mais je ne le trouve pas bon.
+
+Madame la duchesse _de Fitz-james_ épouse M. le duc _d'Aumont_; il a
+dix-huit ans, elle vingt; ce mariage est très-convenable et fort
+approuvé. Elle a eu toutes les peines du monde à renoncer à la liberté
+dont elle jouissoit; mais il a 50,000 écus de rente, elle 25,000 livres;
+la médiocrité de son revenu et sa jeunesse l'ont déterminée; elle m'a
+fait l'honneur de me demander mon avis, ne voulant pas se décider, avant
+que je lui disse ce que je pensois: la noce se fera incessamment. Quand
+on le dit à sa sœur, qui a quatorze ans, elle répondit qu'elle auroit
+mieux aimé que ce fût elle qui se mariât, mais que, dès que les choses
+étoient arrangées, elle n'étoit point fâchée que ce fût sa sœur. La
+reine est grosse. On ne parle que de guerre; les officiers partent, dont
+ils sont bien fâchés. Monsieur et mademoiselle _d'Uxelles_ ont fait
+avoir un guidon de gendarmerie à M. _Clémence_, frère de M. _de La
+Marche_. Je veux parler politique. On dit ici que les Espagnols
+prendront Gibraltar, que l'Empereur offre de suspendre, pour deux ans,
+la compagnie d'Ostende, et que les Anglois veulent que ce soit trois
+ans. On est en négociation pour cela; je juge que nous sommes les
+médiateurs. Les Anglois ont une grande animosité contre l'Empereur et
+les Espagnols. On prétend que la maréchale _d'Uxelles_ est cause que
+nous ne faisons pas la guerre. L'indécision où l'on est, ruine; les avis
+étant si partagés dans les conseils, qu'on a été obligé de tenir tout
+prêt, pour n'être pas pris au dépourvu; les officiers en sont ruinés, et
+nos rentes retranchées: nous pouvons dire comme à l'opéra:
+_l'incertitude est un rigoureux tourment_. _D'Argental_ vous assure de
+ses respects, et vous envoie cette lettre du marquis _de Saint-Aulaire_,
+au cardinal. Elle nous a paru belle.
+
+
+_Lettre du marquis_ DE SAINT-AULAIRE, _au cardinal_ DE FLEURY.
+
+«Voici la conjoncture la plus digne d'occuper une intelligence du
+premier ordre; il n'est point de puissance en Europe, qui ne désire le
+secours de votre Éminence, pour la conservation de ses droits, ou
+l'établissement de ses prétentions Le beau rôle que vous allez faire
+jouer à notre aimable monarque! Qu'il est heureux d'avoir un aussi bon
+guide dans le chemin de la vraie gloire! Celle de conquérir le monde ne
+vaut pas celle de le pacifier. Celle-là peut se faire craindre de
+quelques-uns, celle-ci est sûre de se faire aimer de tous: son ambition
+ne sera pas bornée à subjuguer quelques nouveaux sujets aux dépens des
+anciens; ses plus ardens désirs seront de contribuer au repos de ses
+amis; c'est dans le repos général qu'il cherche le bien. On va voir si
+l'amour de la justice, la candeur, la modération, la fidélité à sa
+parole, n'ont pas un succès aussi heureux, que les ruses et les
+artifices de l'ancienne politique. Mais en instruisant le roi de ses
+intérêts, n'oubliez pas le plus important, c'est de vous conserver. Je
+tremble, quand je songe au chaos que vous avez à débrouiller, à la
+quantité d'intérêts que vous avez à concilier. Il est d'autres craintes
+que les plus heureux succès ne feroient qu'augmenter. Puis-je espérer de
+retrouver en vous cette douce urbanité qui nous enchante? Quelle
+modestie pourroit tenir contre la gloire qui vous menace?»
+
+On a fait une promotion d'officiers de marine, qui a été peu nombreuse;
+elle a fait une quantité de mécontens. M. le chevalier _de Caylus_, qui
+étoit colonel réformé, a été fait, de plein saut, capitaine de vaisseau;
+il passe sur le ventre de mille officiers, qui ont cinquante années de
+service, qui ont la plupart une grande naissance, et de fort belles
+actions; et les officiers réformés, pour lesquels on a beaucoup de
+dureté, demandent ce qu'a fait le chevalier _de Caylus_ pour être si
+favorisé. Tous les marins se plaignent, et le public trouve fort étrange
+que le fils de madame la comtesse _de Toulouse_ soit garde-marine,
+pendant que M. _de Caylus_ est capitaine de vaisseau. Madame _de
+Montmartel_ est accouchée à Brisach, d'un garçon: son père et son mari
+sont toujours en exil, et _du Verney_ à la Bastille; on ne trouve rien
+pour le retenir, ainsi il sortira bientôt.
+
+Le beau _de la Mothe-Houdancourt_, recherché des plus belles et des
+plus riches dames de la cour, a donné congé à madame la duchesse _de
+Duras_, pour la _Entie_, actrice de l'opéra, dont il est fou; il ne la
+quitte point, et on les prie à souper comme mari et femme. On dit que
+c'est charmant de voir l'étonnement de la _Entie_, l'enthousiasme de _la
+Mothe_; il n'y a jamais eu une passion aussi violente et aussi
+réciproque: le rôle de _Cérès_ a fait naître cette passion. Les
+spectacles sont cessés, et les concerts spirituels sont fort courus. La
+_Entie_ et la _Le Maure_, y chantent à enlever.
+
+Il n'y a plus moyen d'excuser madame _de Parabère_; M. _d'Alincourt_ est
+établi chez elle. Elle a toujours beaucoup d'empressement pour moi. J'ai
+du goût, je l'avoue, pour elle: elle est aimable; mais je la vois
+beaucoup moins, et sur-tout en public. Soyez persuadée de ce que je vous
+dis, Madame; elle n'est assurément pas excusable d'avoir repris un autre
+amant, mais bien d'avoir quitté celui qu'elle avoit. Il lui a mangé plus
+d'un million, et, dans sa rupture, tous les vilains procédés; et de sa
+part tous les plus nobles et les plus généreux. M. et madame _de
+Ferriol_ entrent, dans ce moment, dans ma chambre, et me chargent de
+mille complimens pour vous. Le premier a pris un très-grand intérêt au
+retranchement de vos rentes viagères. C'est beaucoup pour lui; car il
+n'a pas le cœur bien tendre. Pour M. _de Pont-de-Vesle_, vous savez
+l'estime et l'attachement qu'il a pour vous. Nous parlons cent fois de
+vous ensemble.
+
+Je pars pour la chasse dans ce moment. Vous me demandez des nouvelles de
+mon cœur: il est parfaitement content, Madame, à une chose près que des
+difficultés qui me paroissent insurmontables, empêchent. Mais Dieu est
+le maître de tout: j'espère en lui; l'attachement, la considération et
+la tendresse sont plus forts que jamais; et l'estime et la
+reconnoissance de ma part; quelque chose de plus, si j'ose le dire.
+Hélas! je suis telle que vous m'ayez laissée, bourrelée de cette idée
+que vous savez, que vous avez développée chez moi. Je n'ai pas le
+courage d'en avoir: ma raison, vos conseils, la grâce, sont bien moins
+agissans que ma passion. Le bruit a couru que je sortois de cette
+maison, et que je cherchois un appartement. Le chevalier en fut chagrin,
+mais sans humiliation. Ce qui donna lieu à ce bruit, c'est que j'étois
+allée voir plusieurs maisons pour madame _du Deffant_. La petite
+personne[180] seroit bien heureuse, si elle savoit les bontés que vous
+avez pour elle. On dit qu'elle continue à être aimable pour le caractère
+et la figure. Je ne sais si j'oserai y aller cette année; ma bourse me
+prive de tout. Si j'avois seulement cent pistoles, j'irois l'embrasser,
+et vous baiser les mains à Genève. Que ma joie seroit grande! Mais, mon
+Dieu, je ne serai pas assez heureuse! Adieu, Madame: que n'êtes-vous à
+Paris!
+
+
+
+
+LETTRE XI.
+
+Paris, 1727.
+
+
+J'ai vu, ce matin, M. _Tronchin_[181], Madame, qui m'a appris le
+testament de ce pauvre _de Martine_[182]. Vous jugez avec quelle joie
+j'ai su qu'il vous laissoit une marque de souvenir, aussi bien qu'à
+mademoiselle votre fille; il est mort comme il a vécu, avec amitié et
+générosité pour ses amis. Son ami en a usé en honnête homme avec les
+parens du défunt. Je ne sais pas s'ils seront contens; mais ce qu'il y a
+de très-sûr, c'est que c'est à lui qu'ils doivent ce que M. _de Martine_
+leur donne. Il n'étoit point content d'eux; il ne leur devoit rien,
+puisqu'il n'avoit rien eu de patrimoine, et que c'étoit à sa bonne
+conduite et à ses talens qu'il devoit sa fortune. M. _Tencin_ lui avoit
+rendu des services; il étoit son ami. Est-il rien de plus juste que de
+faire du bien à ce que l'on aime, quand on est en état de le pouvoir
+faire? J'ai vu beaucoup de gens qui disent que M. _Tronchin_ étoit un
+sot, de ne pas profiter entièrement de la bonne volonté de son ami. Mais
+il pensoit avec plus de délicatesse; il a engagé M. _de Martine_ à
+donner à sa famille: ce qu'il n'auroit sûrement pas fait, je le répète,
+sans lui. Il est mort âgé de 78 ans; je le croyois plus vieux. Il a
+traité très-bien ses cousines; il a donné une année de gages à ses
+domestiques: il me semble que ce n'est pas assez.
+
+Nous reparlons de Pont-de-Vesle plus que jamais, et même l'on assure que
+l'on y passera l'hiver. Si cela étoit, quelqu'ennui que j'aurois d'être
+si long-temps absente, si je vous voyois, je serois contente, et
+prendrois mes peines avec joie. Je n'assure rien; car la volonté de
+madame _de Ferriol_ est comme une mer agitée. Je voudrois bien être à
+cette campagne où vous vivez avec tant d'innocence, de pureté et de
+contentement: je n'ai cru y être que pour me désespérer de n'y être pas.
+Je voudrois que vous eussiez une petite ménagerie. Quand j'y serai,
+sûrement je vous en ferai faire une; rien n'est plus amusant. Ne
+jouez-vous plus au quadrille? Pour moi, je l'ai absolument abandonné.
+J'ai passé quatre jours à la campagne; je m'y suis baignée; c'étoit
+justement les jours les plus chauds. Avez-vous une rivière près de votre
+campagne?
+
+Nous n'avons point de nouvelles, sinon la grossesse de madame _de
+Toulouse_, et le bon mot du roi sur l'histoire d'Henri IV, qu'il vient
+de lire. On lui a demandé son sentiment là-dessus; il a répondu que ce
+qui lui avoit plu davantage dans la vie d'Henri, c'étoit son amour pour
+son peuple. Dieu veuille qu'il le pense et qu'il le suive! L'argent est
+encore bien rare; mais une chose qui l'est furieusement, et que vous
+n'avez jamais vue, c'est que le premier ministre est fort approuvé.
+C'est le plus honnête homme du monde, qui est certainement occupé du
+bien de l'état. Enfin, nous avons un premier ministre estimable,
+désintéressé, et dont l'ambition n'est que de remettre les affaires en
+ordre. Les premiers moyens ont été durs; mais la suite fait bien voir
+qu'il n'a pas pu faire autrement. Il a vaqué un gouvernement: la ville
+payoit 6,000 livres d'augmentation, qu'il a retranchées; et, à l'avenir,
+il n'y en aura plus de nouvelles, il remettra les choses sur l'ancien
+pied. Il a ôté le cinquantième, et a remis deux millions cent mille
+livres sur les tailles. Tout cela prouve un ministre qui veut rendre les
+peuples heureux. Dieu veuille qu'il vive assez long-temps pour mettre à
+exécution ses bonnes intentions! Je ne lui trouve qu'un défaut, c'est de
+vous avoir retranché vos rentes viagères. Vous n'avez partagé que le mal
+qu'il a fait, et vous ne pouvez jouir du bien; mais c'est votre
+malheureuse destinée: ne cessera-t-elle jamais de vous persécuter?
+
+_Proserpine_ ne réussit pas: on trouve cet opéra beau, mais trop triste;
+on ne le jouera pas long-temps. On joue deux fois la semaine les
+_Élémens_, et deux fois _Proserpine_. La _Pellissier_ est guérie; elle
+étoit devenue folle, les uns disent de sa prodigieuse réussite, les
+autres de ce qu'on l'avoit soupçonnée de galanterie, faisant profession
+d'être sage. Nous avons une pièce à la Comédie françoise, intitulée le
+_Philosophe marié_, qui est très-jolie, et qui a eu une réussite
+prodigieuse: toutes les loges sont louées pour la onzième
+représentation. L'auteur est _Destouches_. On dit que c'est sa propre
+histoire: aussitôt qu'on l'imprimera, je vous l'enverrai. On trouve que
+_Quinault_ joue bien: pour moi je ne suis pas de cet avis. Imaginez voir
+M. _Bertie_, conseiller au parlement; même attitude, mêmes gestes; en un
+mot, il n'y a de différence que la voix qui est plus forte. Mademoiselle
+votre fille se seroit prise d'aversion pour le _Philosophe marié_. On
+est ici dans la fureur de la mode pour découper des estampes enluminées,
+tout comme vous avez vu que l'on a été pour le bilboquet. Tous
+découpent, depuis le plus grand jusqu'au plus petit. On applique ces
+découpures sur des cartons, et puis on met un vernis là-dessus. On fait
+des tapisseries, des paravents, des écrans. Il y a des livres d'estampes
+qui coûtent jusqu'à 200 livres, et des femmes qui ont la folie de
+découper des estampes de 100 livres pièce. Si cela continue, ils
+découperont des _Raphaël_. Je suis déjà vieille: les modes ne prennent
+plus subitement sur moi. Adieu, Madame, permettez que j'embrasse M.
+votre mari et mademoiselle votre fille. Je suis lasse d'écrire tant de
+nouvelles qui sont indifférentes à toutes deux.
+
+Je vous envoie une lettre du marquis _de la Rivière_ à mademoiselle _des
+Houlières_, et la réponse. On a trouvé l'une et l'autre très-jolies.
+
+
+_Lettre du marquis_ DE LA RIVIÈRE, _à mademoiselle_ DES HOULIÈRES.
+
+ Fille d'une aigle, aigle vous-même,
+ Qui n'avez point dégénéré,
+ Dont partout le mérite extrême
+ Est si justement révéré,
+ Qu'on s'honore, quand on vous aime!
+ Aimable interprete des Dieux,
+ Qui parlez si bien leur langage,
+ Et qui portez dans vos beaux yeux
+ Et leur douceur et leur image,
+ Recevez ce petit hommage
+ Que je vous offre tous les ans;
+ C'est un tribut de sentimens
+ Qui ne convient pas à mon âge;
+ Les bienséances me l'ont dit,
+ Les amours et les vers sont faits pour la jeunesse;
+ Mais le feu de mon cœur qui soutient mon esprit,
+ Amuse et trompe ma vieillesse.
+ Faites-moi seulement crédit
+ D'agrémens et de gentillesse;
+ Contentez-vous du fonds de ma tendresse;
+ Il en est de ce que je sens,
+ Comme des tableaux d'un grand maître,
+ Dont la beauté ne fait que croître,
+ Et redoubler de force à la longueur du temps.
+ Votre vertu n'est pas commune,
+ Vous aimez à faire du bien;
+ Donnez mes yeux à la fortune,
+ Il ne vous manquera plus rien.
+
+
+_Réponse de mademoiselle_ DES HOULIÈRES.
+
+ Demeurez dans votre hermitage;
+ Je crains ce dangereux hommage;
+ Qu'avec soin vous m'offrez ici:
+ Pour la tendresse, il n'est point d'âge,
+ Vous le sentez, et je le sens,
+ Ceci n'est point un badinage:
+ Vous de retour, nos cœurs sympathisans,
+ L'homme prudent, la fille sage,
+ Tous peut-être feroient naufrage.
+ Demeurez dans votre hermitage.
+
+ Le traître amour qui vous engage,
+ Ne doit pas être méprisé;
+ Avec lui naturalisé,
+ Les belles de son apanage
+ Vous ont, dans tous les temps, si bien favorisé,
+ Que tout de vous me fait ombrage.
+ Demeurez dans votre hermitage.
+
+ Vous parlez un certain langage
+ Qui porte au cœur, qui fait penser,
+ Et qui semble être un sûr présage,
+ Que de ses traits, le dieu volage
+ Est prêt encore à me blesser.
+ Demeurez dans votre hermitage.
+
+ Ah! s'il avoit eu l'avantage,
+ Du séjour de l'heureuse paix,
+ Que penseroit dame dont les attraits
+ Auroient soumis le cœur le plus sauvage:
+ Dame dont les beaux vers ne périront jamais,
+ Et dont le nom est tout mon héritage?
+ Car vous savez que pas un de ses traits,
+ Ne gît en mes écrits, non plus qu'en mon visage,
+ Et que je n'ai, pour tout partage,
+ Que les yeux doux qu'elle m'a faits,
+ Pour ne les point mettre en usage.
+ Demeurez dans votre hermitage.
+
+
+
+
+
+LETTRE XII.
+
+Paris, 1726.
+
+
+La fortune est aveugle, et n'aime que les vilains. Si elle m'avoit donné
+les cent mille écus qu'elle prodigue à madame votre cousine, j'aurois
+fait un meilleur usage qu'elle de ce bien. Que de plaisirs je me
+procurerois! Vous seriez ici, Madame, avec M. votre mari et mademoiselle
+votre fille; je vous verrois heureux, et ce seroit par mon moyen; et
+comme je sais les liens[183] qui vous retiennent à Genève, je ferois
+faire une litière bien fermée, bien étoffée, bien commode; j'y mettrois
+qui vous savez. Je l'amenerois ici, je lui procurerois des plaisirs qui
+lui feroient oublier le pays natal. Nous rassemblerions les gens
+célèbres de toute espèce, de tous talens pour le divertir: s'il falloit
+même quelques jolis visages, je ferois l'effort de lui en chercher.
+Voilà un vilain métier; _mais quand on obtient ce qu'on aime, qu'importe
+à quel prix?_ Voilà ce que je ferois du bien de madame votre cousine.
+Pour parler d'autre chose, M. le duc _de Gesvres_ est malade, il fait de
+très-grands remèdes. Il est à St.-Ouen, où toute la France va le voir;
+il est dans son lit, garni de rubans et de dentelles, les rideaux sont
+relevés, des fleurs répandues sur son lit, des découpures d'un côté, des
+nœuds de l'autre; et dans cet équipage il reçoit tout le monde. Vingt
+courtisans entourent son lit; et son père et son frère font les honneurs
+à la grande compagnie. Il y a toujours deux tables de vingt couverts
+chacune, et quelquefois trois: M. _d'Épernon_ y est à demeure. On a
+établi des habits verts pour les complaisans, c'est-à-dire, qu'avec
+habit, bas, souliers, chapeaux verts, on peut avoir toujours les plus
+familières entrées chez M. le duc: il y a une trentaine d'habits verts
+de distribués. Le roi a dit sur cela, qu'il n'y avoit qu'à changer les
+justaucorps en robes de chambre, que l'habillement d'ailleurs seroit
+plus commode, ne se portant pas trop bien tous, et qu'ils seroient
+précisément comme à la Charité, où ils sont habillés de vert. Il y a
+quelques jours qu'une personne de ma connoissance y alla, et trouva le
+maître de la maison sur une duchesse d'étoffe verte, la robe de chambre
+verte, un couvre-pied d'une broderie admirable en vert, un chapeau gris
+bordé de vert, avec le plumet vert, et un gros bouquet de rue sur lui,
+faisant des nœuds. Le duc _d'Épernon_ s'est pris de fantaisie pour la
+chirurgie, il saigne et trépane tout ce qu'il rencontre. Un cocher
+l'autre jour se cassa la tête, il le trépana. Je ne sais s'il auroit pu
+réchapper; mais ce qu'il y a de sûr, c'est que le pauvre homme fut
+bientôt expédié avec un pareil chirurgien. Ce n'est pas tout: ils ont
+voulu se procurer des fêtes champêtres; et M. le duc _de Gesvres_ a doté
+une fille. M. _d'Épernon_ souhaita de saigner le mari la nuit de ses
+noces: ce pauvre misérable ne le vouloit point; et pour obtenir de lui
+de se laisser saigner, M. le duc _de Gesvres_ lui donna cent écus.
+Voilà, Madame, ce qui se passe sous nos yeux, à la face de tout
+l'univers, et sous un gouvernement très-sévère. Cependant on ne peut pas
+dire que les deux chefs ne soient très-sages, et même pieux. Il n'est
+pas possible que l'on ignore toujours ces vilenies; et tout ce qu'il y a
+de plus grand, de plus raisonnable, fait la cour assidument à ce
+monstre; et, pour excuser leurs bassesses, ils disent que cet homme est
+officieux et pense noblement. Ceux qui sont bien instruits, savent qu'il
+dessert bien mieux qu'il ne sert, et qu'il est généreux du bien de ses
+créanciers, et de l'argent d'un jeu qui est une chose ridicule dans un
+royaume. Ma bile s'échauffe; je vous en demande pardon. Pour la cour,
+elle est très-édifiante: on ne donne point de scène au public.
+
+Voulez-vous cependant que je vous parle des gens de votre connoissance?
+M. _de Ferriol_ est toujours le meilleur homme du monde; sa santé est de
+même, ses affaires aussi: dans une indifférence parfaite; mais il n'est
+point indifférent sur les Molinistes; il est d'un zèle outré pour eux.
+C'est avec fureur qu'il est passionné sur ce sujet. Il se met dans de
+grands emportemens, quand il trouve quelqu'un qui ne pense pas comme
+lui. Il est occupé de cela, au point de n'en pas dormir. Il sort à huit
+heures du matin, pour faire part de ses réflexions, ou de quelques riens
+qu'il aura ramassés; c'est à faire mourir de rire. Pour madame _de
+Ferriol_, sur cet article, elle est très-raisonnable, elle n'en parle
+que très-convenablement; mais, d'ailleurs, toujours les mêmes
+agitations. Elle est comme vous l'avez laissée, à la pesanteur près, qui
+a beaucoup augmenté: les mêmes incertitudes, et ne pouvant souffrir que
+les autres sachent se déterminer: le petit chien par-dessus tout, qui
+s'enfuit, quand elle l'appelle, et son vieux laquais, qui est toujours
+insolent et de mauvaise humeur, et qui la traite comme une misérable,
+jusqu'à lui dire qu'elle ne sait ce qu'elle dit ni ce qu'elle fait. Je
+suis prête à lui jeter un chenet à la tête, et elle souffre ses
+impertinences avec une patience à impatienter. Je crois, je vous jure,
+qu'il me battroit, s'il ne me craignoit pas. Pour les autres
+domestiques, ils sont très-mécontens d'être toujours grondés; mais ils
+ont pour elle le respect qu'ils lui doivent, et c'est la raison pourquoi
+elle est toujours après eux. Ils pleurent souvent, et je les console de
+mon mieux. Pour ses enfans, c'est toujours de même. On ne se plaint
+jamais de l'un[184]; il fait tout ce qu'il veut. Sa santé est délicate.
+C'est un très-bon garçon, qui a de l'esprit et de la finesse dans
+l'esprit, qui est aimé et qui mérite de l'être. _D'Argental_ est fort
+occupé; il fait son métier avec application. Il est, tout le matin, au
+palais; il travaille après dîner, jusqu'à cinq heures. Les spectacles
+sont ses plus grands amusemens. Il n'est pas, je crois, amoureux, et
+pense plus en homme qui connoît le monde, qu'il ne le faisoit. Il est
+toujours poli avec les femmes, et point du tout gâté dans les propos. M.
+et madame _Knight_ ont la fièvre tour à tour. La femme, à ce que je
+crois, aime mieux le mariage que son mari[185]. Elle est très-enfant
+gâté; elle n'aime pas à être contrariée. Tout ce mariage-là n'a pas
+l'air de durer long-temps. Elle pleure souvent; et, comme son mari est
+encore amoureux, elle a toujours raison. J'ai bien peur qu'elle ne lui
+donne du fil à retordre. N'allez pas dire ce que je vous dis-là; mais
+madame votre sœur a eu grand tort de gâter sa fille. Elle en auroit fait
+quelque chose de bon, si elle lui avoit donné une bonne éducation; mais
+elle l'a rendue insupportable; elle ne connoît que sa volonté et ses
+goûts; et, quand quelque chose s'y oppose, le mépris et la déraison
+s'emparent absolument d'elle. En vérité, c'est dommage; car elle étoit
+faite pour être aimable.
+
+Madame _de Tencin_ a de temps en temps la fièvre. On dit pourtant
+qu'elle est fort engraissée. Je continue à ne la point voir, et je crois
+que ce sera pour la vie, à moins que l'archevêque[186], à son retour, ne
+le veuille. Je suis pourtant bien résolue à tenir bon. C'est une grande
+satisfaction pour moi de n'avoir point ce devoir pénible à remplir, et
+d'ailleurs plus de tracasseries; car il y en a toujours, quand on se
+voit et qu'on se déteste. Je ne vois plus M. _Bertie_[187]. A la vérité,
+je suis rarement au logis: il s'est rebuté d'y venir inutilement. Nous
+allons passer une partie de ce mois à Ablons. Je suis accablée de
+rhumatismes et de fluxions, et suis désespérée que vous ne voyiez point
+ma chambre. Vous ne la reconnoîtriez pas; elle est si jolie, et de plus
+ornée, pour ce que c'est, car il n'y a rien de magnifique que la jatte
+que vous m'avez donnée. _La Mésangères_, qui vint l'autre jour, me dit:
+Vous avez de bien belles porcelaines, et entr'autres cette jatte. Mes
+meubles sont tous des plus simples, mais faits par les meilleurs
+ouvriers. On la vient voir par curiosité. J'ai bien envie, à votre
+exemple, de gronder ceux qui y crachent. Voilà une grande et ennuyeuse
+lettre. Recevez mes plus tendres embrassemens.
+
+
+
+
+LETTRE XIII.
+
+Paris, 13 août 1743.
+
+
+Madame votre fille, Madame, m'a dit le risque que vous aviez couru, qui
+m'a effrayée, comme si j'en avois été témoin. L'effroi ne vous a-t-il
+point fait de mal? Comment vous portez-vous? Faites-moi la grâce de
+m'écrire. Madame votre fille, madame _Knight_, et moi, nous parlons
+souvent de vous; vous savez qu'elles me sont chères. J'avois pensé avec
+_Cabanne_[188] à trouver quelques moyens de rendre la situation de votre
+fille plus aisée; mais je n'ai jamais vu plus de délicatesse, plus de
+désintéressement, plus de douceur, plus d'opiniâtreté et plus de
+sentimens: elle est d'une vertu si outrée, qu'elle est à impatienter: je
+la trouvai si déraisonnable, en même temps si estimable, que
+l'admiration et la colère s'emparèrent de moi, et que je ne pus ni
+gronder, ni louer.
+
+J'aurois été bien surprise, si vous aviez été quelques mois sans
+nouveaux chagrins. J'ai aussi été très-affligée de la mort de M. _de
+Villars_[189]. M. son fils fait une très-grande perte, d'autant plus
+qu'il la sent: il est parti sans que je l'aie vu; je n'en suis point
+trop fâchée; car je me serois sûrement beaucoup attendrie avec lui.
+Pouvez-vous dire, Madame, que le détail de vos peines m'ennuie?
+Oubliez-vous le tendre intérêt que je prends à tout ce qui vous regarde?
+vos malheurs me désespèrent, et ne m'ennuient point: je suis persuadée
+que le récit que vous m'en faites, vous fait du bien. Maintenant, il est
+temps que je vous parle du changement arrivé à ma fortune. Je tremble
+de réveiller une chose qui renouvellera quelques-uns de vos malheurs.
+Mes rentes viagères avoient été cruellement retranchées. Je vous ai
+envoyé la lettre que j'écrivis au cardinal[190]; je ne me flattois pas
+que l'on y eût égard, mais je ne voulois avoir rien à me reprocher. Je
+promis à ma pauvre Sophie, à qui j'avois mis une rente viagère de 300
+liv. sur la tête, et qui avoit été réduite à 100 liv., que si on lui
+rendoit quelque chose, je lui remettrois son contrat, dont je devois,
+comme vous savez, avoir la jouissance. On lui a rendu 150 liv.: elle ne
+vouloit absolument point profiter de ce que je lui ai dit, et par son
+accommodement, je ne lui donnerai son contrat que dans deux ans; elle
+aime mieux que je paye mes dettes. Ce procédé n'est-il pas généreux de
+sa part? Je ne joue pas un beau rôle dans cette pièce. On m'a rendu 840
+liv.: je jouis actuellement de 2,740 liv. Ma satisfaction sur cet
+événement a été bien troublée, en voyant la famille de M. _de Ferriol_
+oubliée. On a rendu à madame _de Tencin_ 300 liv.; c'est très-peu de
+chose à proportion de ses rentes. Elle est furieuse; cependant elle
+avoit pris toutes les précautions imaginables; elle voyoit souvent M.
+_de Machault_; elle a écrit plusieurs fois au cardinal, et a fait agir
+ses amis, qui sont puissans; elle comptoit sur le rétablissement de
+tout, comme si elle le tenoit: elle est de bien mauvaise humeur; à ce
+qu'on dit, car je ne la vois point. Sa favorite, madame _Doigny_,
+commence à être dans la disgrâce.
+
+Je ne vous parle point des conciles, car quoique née sous les yeux du
+chef[191], je n'en ai jamais voulu entendre parler; cependant, si vous
+êtes bien curieuse, je vous enverrai toutes les écritures: en vérité, je
+ne vous conseille pas d'avoir cette curiosité, il vous en coûteroit bien
+de l'ennui. A l'exception d'une lettre de deux évêques qui est belle,
+tout le reste est pitoyable. Je vous renvoie à ce que disoit Madame
+_Cornuel_, qu'_il n'y avoit point de héros pour les valets de chambre,
+et point de pères de l'église pour les contemporains._ Ce que je vois,
+me donne de furieux doutes du passé. Ne parlons plus sur cette matière;
+j'ai déjà assez dit de sottises.
+
+Les tracasseries de notre cour ne sont pas plus divertissantes. Les
+disputes sur l'alignement du roi et des princes, et les ricochets des
+ducs, n'ont produit que des mémoires détestables; et pour nous autres,
+parterre, nous voulons, pour notre argent, qu'on nous divertisse. Les
+belles dames sont, ou se vantent d'être dans la dévotion. Mesdames _de
+Gontey_, _d'Alincourt_, _de Villars_, mère et belle-fille, la maréchale
+_d'Estrées_, tout cela grimace la prude. Le roi est toujours sans
+maîtresse, M. le duc _du Maine_, fort ami du cardinal; ce dernier se
+porte très-bien; il vivra assez long-temps pour instruire notre jeune
+monarque: la reine est grosse de trois mois. Les spectacles vont
+très-mal. _Thevenard_ et la _Entie_ ont quitté l'opéra, parce qu'ils ont
+eu ordre de laisser jouer _Chassé_ et la _Pellissier_. Madame la
+duchesse de _Duras_ à qui on a attribué cet ordre, a été vilipendée sur
+l'escalier de l'opéra. _Chassé_ avoit très-mal débuté; mais il fait
+mieux. Pour la _Pellissier_, elle fait horriblement mal dans ces opéras.
+_Francine_ a quitté, et _Destouches_, comme je vous l'ai mandé, aura la
+direction de l'opéra. Nous reverrons alors la _Le Maure_. _Francine_ a
+15,000 liv. de pension, et, après sa mort, son fils en aura 8,000, et sa
+fille 6,000. Vous me demanderez pourquoi tant de libéralités? Je vous
+répondrai d'abord que ces pensions sont prises sur l'opéra, et en second
+lieu, que _Francine_ a fait faire, à ses dépens, une partie des belles
+décorations, et qu'il les laisse. On a établi un concert spirituel deux
+fois la semaine.
+
+Le frère de l'envoyé _d'Alster_ s'est donné un coup de pistolet dans la
+tête, après avoir mis le feu dans trois endroits de la maison. Cette
+précaution étoit pour éviter que l'on sût que sa mort étoit volontaire.
+
+L'envieuse miladi _Gersay_ est très-souvent chez madame _Knight_: elle
+mange comme quatre louves, joue avec attention et avidité, ne dit pas
+quatre paroles, sans défaçonner sa bouche qui est toujours petite et
+plate. L'air et les paroles ne vont point ensemble; il semble que le
+miel sort de sa bouche, quand elle parle; mais c'est bien le fiel le
+plus croupi qu'il y ait au monde. Vous direz que je suis aussi médisante
+qu'elle aujourd'hui.
+
+_Bertie_ me boude de ce que je ne suis pas ici quand il y vient:
+quelqu'aimable qu'il soit, il y a apparence que j'aurai souvent ce tort
+là avec lui. C'est un reste de ses chimères, prétentions d'amant; il
+voudroit que je fusse comme _Bérénice_, à passer les jours à l'attendre,
+et les nuits à pleurer. Je suis parvenue à lui faire faire connoissance
+avec madame _du Deffant_; elle est belle, elle a beaucoup de grâces; il
+la trouve aimable. J'espère qu'il commencera un roman avec elle, qui
+durera toute la vie. On a député vers moi, croyant que j'avois encore
+quelque reste de crédit, pour obtenir de M. _Bertie_ de couper un pied
+de chaque côté de sa perruque. Je veux bien tenter cette grande affaire,
+mais j'y échouerai; car, Madame, c'est dans ces magnifiques nœuds que
+gît toute l'importance, la capacité et la grâce de notre cher homme. Je
+ne me rebuterai pas, et lui en parlerai toutes les fois que je le
+verrai. A propos, (ou sans à propos, car cela ne va point du tout à la
+perruque de M. _Bertie_), madame votre cousine, à ce qu'on dit, ne peut
+épouser ce Hollandois, sans perdre une partie du bien dont son mari lui
+donne la jouissance. C'est une vilaine clause, et bien scandaleuse en
+vérité; le défunt avoit si bien fait les choses de son vivant, qu'il
+devoit bien continuer. Pour moi, si j'avois été de lui, pour me venger,
+je leur aurois donné mon bien aux conditions qu'ils se mariassent, et
+les aurois déshérités, en cas qu'ils ne le fissent pas. Le beau-frère
+tient des propos fort singuliers du défunt son très-cher frère.
+_D'Argental_ me prie de ne pas l'oublier auprès de vous. Nous sommes
+très-amis; il est charmant, il est aimé de tout le monde, et le mérite
+bien; il a tous les principes de droiture: l'âge confirme ses vertus.
+Adieu, Madame, je vais partir pour Ablons; ma santé se rétablit tout
+doucement; j'ai vieilli de dix ans; si vous me voyiez, vous me
+trouveriez bien changée; mais d'honneur, cela ne me chagrine point du
+tout. Si toutes les femmes n'étoient pas plus affligées de voir partir
+leurs charmes, que moi d'avoir perdu le peu que j'en avois, elles
+seroient bien heureuses.
+
+
+
+
+LETTRE XIV.
+
+Paris, juin 1727.
+
+
+Je viens, Madame, de recevoir votre lettre du 22 de ce mois. C'est un
+jour heureux pour moi, quand j'apprends par vous de vos nouvelles. Les
+assurances que vous me donnez de votre bonté, me sont toujours et bien
+nouvelles et bien chères; et je dis de vos lettres ce que M. _de
+Fontenelle_ disoit d'une dame qui lui plaisoit, que le moment où il la
+voyoit, étoit le moment présent pour lui. Cette façon de s'exprimer a
+été fort critiquée; mais les gens grossiers ne connaissent qu'une
+jouissance dans ce monde; je les plains. Est-il un moment plus doux que
+celui où l'on reçoit les assurances d'amitié d'une personne que l'on
+aime et qu'on estime parfaitement? Il y a bien des gens qui ignorent la
+satisfaction d'aimer avec assez de délicatesse, pour préférer le
+bonheur de ce que nous aimons au nôtre propre. Remercions la providence
+de nous avoir donné un bon cœur, et à vous, de la vertu dans les
+malheurs que vous avez essuyés. Que seriez-vous devenue? Votre douceur,
+votre humanité, votre justice auroient été changées en désespoir, en
+cruauté et en injustice. Quelque grands que soient les malheurs du
+hasard, ceux qu'on s'attire sont cent fois plus cruels. Trouvez-vous
+qu'une religieuse défroquée, qu'un cadet cardinal, soient heureux,
+comblés de richesses[192]? Ils changeroient bien leur prétendu bonheur
+contre vos infortunes.
+
+Vous me demandez si M. _de Pont-de-Vesle_ est introducteur des
+ambassadeurs? Vous le sauriez avant ceux qui font la gazette. Il a été
+question de quelque chose; mais il falloit trouver à se défaire de sa
+charge avantageusement, et d'ailleurs sa santé est toujours fort
+délicate; je crains qu'à la fin nous ne le perdions. Je dis cela, le
+cœur serré; car c'est la plus grande perte que je puisse faire. C'est un
+homme qui a toutes les qualités les plus essentielles, beaucoup de
+mérite et d'esprit; ses procédés à mon égard sont d'un ange. Vous allez
+être bien surprise. Depuis que M. _d'Argental_ est au monde, voici la
+première fois que nous nous sommes querellés, mais d'une façon si
+étrange, qu'il y a quatre jours que nous ne nous parlons. Le sujet de la
+querelle vient de ce qu'il ne vouloit pas souper avec madame sa mère,
+qui revenoit de la campagne, où elle avoit été huit jours. Elle lui
+avoit fait dire par tout le monde qu'elle seroit à Paris ce soir-là; et
+elle se plaignoit de ce qu'il n'avoit pas assez d'attentions pour elle.
+Je le lui dis; et nous nous échauffâmes là-dessus. Je lui soutins que le
+devoir devoit l'emporter sur le plaisir. En un mot, je m'emportai, sans
+jamais oublier la tendresse et l'amitié que j'avois pour lui; et c'est
+cette amitié qui m'engagea à lui parler avec cette sincérité. Il me
+répondit avec une sécheresse et une dureté qui m'assommèrent, comme si
+la foudre étoit tombée sur moi. La femme de chambre de madame en fut
+témoin. Il sortit de ma chambre: je restai un quart d'heure sans pouvoir
+parler, et je me mis à fondre en larmes.
+
+M. _de Pont-de-Vesle_[193] entra, et me demanda de quoi je pleurois: je
+ne pus me résoudre à le lui conter. La femme de chambre le fit: il fut
+bien surpris. Madame ignore notre bouderie. Elle en seroit charmée,
+parce qu'il y a quelques jours que j'eus une scène affreuse, parce que
+je le soutins contre les plaintes qu'elle m'en fit. Quand elle est
+arrivée, mon premier soin a été de lui faire des excuses de la part de
+son fils, de ce qu'il ne se trouvoit pas à la maison; que j'en étois
+cause, lui ayant dit qu'elle n'arriveroit que fort tard; et qu'il ne
+pouvoit se dispenser d'aller à un souper où il s'étoit engagé depuis
+huit jours, sur-tout connaissant très-peu les gens qui composoient cette
+partie. La femme de chambre se trouva derrière moi: je l'ignorois. Les
+larmes lui vinrent aux yeux d'étonnement et de joie. Elle me dit que je
+justifiois M. _d'Argental_, lorsque j'avois sujet de m'en plaindre.
+J'avois dit à _Pont-de-Vesle_ que dorénavant je n'aimerois plus que pour
+moi M. _d'Argental_, et qu'assurément je ne l'aimerois plus pour
+lui-même. Concevez-vous, Madame, ma douleur? Au bout de vingt-sept ans,
+perdre un ami! Je le crois honteux de ce qui s'est passé. Il continue de
+me manquer, sûrement par cette raison. J'ai le cœur si gros, qu'il m'est
+impossible d'achever ma lettre: je la reprendrai quand je serai plus
+tranquille.
+
+
+Du 28 août 1728.
+
+La bouderie a duré huit jours, et selon la règle, celui qui a raison a
+fait les avances. Je bus à sa santé, à table, et je l'embrassai le
+lendemain, sans explication. Depuis ce temps-là, nous sommes fort bien
+ensemble. Vous direz qu'il y a une furieuse distance d'une date à
+l'autre; mais j'ai eu des occupations qui m'ont empêchée de vous écrire,
+mais non pas d'être fort occupée de vous. Mademoiselle _Bideau_ n'a pas
+fait tout ce qu'elle m'avoit promis. Je n'en suis pas trop fâchée: je
+crains les trop grandes obligations. _Cabanne_ compte vous aller voir.
+Plût à Dieu que je fusse aussi libre que lui! je serois actuellement
+auprès de vous. Mais quelque chose qui arrive, j'irai, quand même je
+serois réduite à demander l'aumône, pour aller voir tout ce que j'aime
+le mieux en vérité, sans exception.
+
+
+
+
+LETTRE XV.
+
+Paris, 10 juin 1723.
+
+
+On dit enfin que nous irons à Pont-de-Vesle. Madame _de Ferriol_ a
+toutes les peines du monde à s'y déterminer: tous les projets qu'elle
+avoit faits sont rompus. Premièrement son mari avoit un procès qui
+devoit se juger incessamment, et il a été remis à l'année prochaine;
+ensuite elle a dit que jamais son mari ne voudroit venir avec elle, et
+que pendant son absence, il dépenseroit beaucoup. Il l'a assurée qu'il
+l'accompagneroit, soit dans la diligence, soit dans une chaise de poste,
+tout comme elle le souhaiteroit. Ensuite elle a dit qu'elle ne vouloit
+point partir, qu'elle ne sût si miladi _Bolingbrocke_ ne viendroit point
+cet été. Madame _Bolingbrocke_ lui a mandé qu'elle ne comptoit venir
+qu'au commencement de l'hiver, et que si elle n'étoit pas à Paris, elle
+remettroit son voyage à l'été prochain. Enfin, il a fallu chercher
+quelqu'autre raison. Elle a dit qu'elle n'avoit point d'argent. M. son
+frère lui en a offert. La voilà, comme vous voyez, à _quia_. Elle a paru
+se rendre; mais elle veut, avant que de partir, prendre les eaux de
+Balaruc: elles ne sont pas arrivées: ainsi cela renvoie. Je crois qu'il
+faudra qu'à la fin elle se décide. Tout le monde est excédé de ses
+incertitudes. Le vrai de ses difficultés, c'est qu'elle ne voudroit
+point quitter le maréchal, qui ne s'en soucie point, et ne feroit pas un
+pas pour elle. Mais elle croit que cela lui donne de la considération
+dans le monde. Personne ne s'adresse à elle pour demander des grâces au
+vieux maréchal. Elle est très-souvent seule; ses affaires sont toujours
+très-délabrées, elle ne paie point, elle ne fait aucune dépense, elle
+est d'une avarice et d'un dérangement inconcevables. Je suis obligée de
+me rappeler cent fois le jour le respect que je lui dois. Rien n'est
+plus triste que de n'avoir pour faire son devoir, que la raison du
+devoir.
+
+Le chevalier est toujours malade; il m'a paru un peu moins oppressé: je
+tremble de le quitter. Mais je dois accompagner madame _de Ferriol_ dans
+l'état où elle est. Il faut absolument la déterminer à prendre les eaux
+de Bourbon; et elle ne les prendra jamais, si elle ne va pas à
+Pont-de-Vesle. Le devoir, l'amour, l'inquiétude et l'amitié combattent
+sans cesse mon esprit et mon cœur: je suis dans une cruelle agitation;
+mon corps succombe; car je suis accablée de vapeurs et de tristesse; et
+s'il arrive malheur à cet homme-là; je sens que je ne pourrai supporter
+cet horrible chagrin. Il est plus attaché à moi que jamais; il
+m'encourage à remplir mon devoir. Quelquefois je ne puis m'empêcher de
+lui dire, que s'il étoit plus mal, il me seroit impossible de le
+quitter; il me gronde, et il ne veut absolument point que j'imagine rien
+qui s'éloigne de ce devoir: il m'assure qu'il n'y a rien dans le monde
+qui m'excusât; si je restois ici, quand madame _de Ferriol_ va à cent
+lieues: il ne l'aime point; mais il a ma réputation à cœur. Pardonnez
+toutes ces foiblesses à votre pauvre amie.
+
+J'avois laissé ma lettre; j'ai eu mille ennuis. Le chevalier est
+toujours très-incommodé. Je vous avoue que je suis dans de furieuses
+transes pour lui. Je crains qu'à la fin la suppuration des poumons ne se
+fasse; je n'ose faire des réflexions sur cela, et je n'ose même en
+parler; mais mille idées funestes me suivent sans cesse malgré moi: rien
+ne me console. Je n'ai personne à qui je puisse ouvrir mon cœur. Quel
+malheur pour moi que votre absence! Si je vous avois, vous me
+soutiendriez; vous me donneriez des forces; et peut-être vos conseils,
+mes remords, et l'amitié que j'ai pour vous, Madame, me donneroient
+assez de courage pour surmonter une passion que ma raison n'a pu
+vaincre, mais qu'elle condamne.
+
+Madame _de Tencin_ a toujours la fièvre; elle a été 15 jours sans en
+avoir; elle se croyoit guérie, et avoit pris le ton de se plaindre de
+tout le monde, et sur-tout du chevalier, mais d'une façon si violente
+que madame _de Lambert_, à qui elle en parla, le dit au chevalier, qui
+la pria de dire à madame _de Tencin_ que jamais il n'avoit parlé d'elle,
+que rien n'étoit plus faux, qu'il n'étoit point de ceux qui accablent
+les malheureux, et que, comme il ne la connoissoit point, il auroit été
+dans le droit du public, pour causer sur l'aventure _de La
+Fresnaye_[194], mais qu'il ne l'avoit pas fait, en partie par égard pour
+madame sa sœur et pour moi. Madame _de Tencin_ dit à madame _de Ferriol_
+qu'il étoit fort singulier qu'étant chez elle, je ne vinsse pas savoir
+de ses nouvelles, et qu'elle ne m'avoit vue qu'une fois depuis six mois;
+qu'elle me dispensoit très-fort d'y venir; qu'elle ne me laisseroit
+entrer que quand je serois avec elle; mais que si je venois seule, elle
+avoit donné ses ordres, pour que l'on me refusât sa porte. Je me le suis
+tenu pour dit, et je ne m'exposerai pas à m'entendre dire mille injures.
+Je m'en soucie si peu, que je bénis ce noble courroux contre moi. Je
+n'irai point à Pont-de-Vesle: madame dit qu'elle veut y aller pour trois
+semaines seulement, pour régler quelques affaires. J'en suis fâchée à
+cause de vous. J'aurois eu le plaisir de vous embrasser, et j'aurois
+vendu jusqu'à ma dernière chemise pour cela; sûrement je vous verrai tôt
+ou tard. Madame radote plus que jamais; elle vient de prendre les eaux
+de Balaruc: on lui a fait une ample saignée. Je crains infiniment pour
+elle. Ses radotages m'impatientent, car ils sont extrêmes; mais quand je
+fais un moment de réflexion, ma reconnoissance se réveille bien
+vivement. Je suis entourée de chagrins, et je ne vous ai plus pour me
+consoler. Le chevalier est toujours très-incommodé, et il est d'un
+changement horrible. Vous jugez de mon inquiétude: son attachement est
+toujours plus fort. A propos, j'ai fait deux grandes pertes: une bague
+que je vous avois destinée, en cas de mort: c'étoit un petit cachet avec
+un jonc de diamant que j'aime beaucoup; et l'autre perte, c'est mon
+chien, ce pauvre _Patie_, à qui vous aviez donné une loge. On me l'a
+volé; il étoit toujours à la porte pour attendre les gens du chevalier
+qu'il aime passionnément. Je ne puis vous dire le chagrin que j'ai eu de
+la perte de ce joli animal. Je souhaite bien me mettre dans la suite
+hors de l'inquiétude de devoir qui me bourrelle sans cesse. J'ai essuyé
+un petit malheur; j'avois vendu mes boucles de diamans 1,800 livres pour
+acheter trois actions que je voulois garder pour qui vous savez. Je ne
+doute point que le dividende ne fût fort; elles étoient à 650 livres.
+Comme j'étois prête à les acheter, madame _de Ferriol_ eut besoin de
+mille francs. Je les lui prêtai, comptant, comme elle me le disoit,
+qu'elle me les rendroit deux jours après. Il y a six mois, et les
+actions ont monté à 1,150 livres; elles sont actuellement à 1,000.
+Jugez, j'aurois gagné, en les vendant, mille écus, et aurois payé
+quelques-unes de mes dettes. Ainsi ma destination est à vau-l'eau. Je
+paie quelques bagatelles avec les 600 livres qui me restent. Il faut se
+consoler des pertes de la fortune. Il y a des gens qui valent mieux que
+moi, qui sont bien plus à plaindre. Cette consolation est cruelle, quand
+ces gens-là sont nos amis.
+
+M. _Bertie_ vous aime beaucoup; mais il a été si occupé de la perte de
+madame _de M...._, qui étoit sa bonne amie, et la plus impertinente de
+toutes les femmes, qu'il n'a pu se donner au reste de ses amis. Il est
+rempli de très-bons procédés à l'égard de madame _de Ferriol_; il
+songeoit à l'ambassade de Constantinople depuis long-temps, il n'étoit
+point éloigné de l'avoir: quand il a su que M. _de Pont-de-Vesle_ y
+songeoit, sans le dire à aucun de nous, il est allé chez MM. _de
+Maurepas_ et _de Morville_, à qui il a dit qu'il ne pensoit à
+l'ambassade, qu'au cas que M. _de Pont-de-Vesle_ n'y pensât pas, et que
+comme il venoit d'apprendre que son ami en avoit envie, il y renonçoit,
+le croyant plus capable que lui; qu'il avoit beaucoup d'esprit, et de
+plus l'expérience de son oncle, dont la mémoire étoit chère dans ce
+pays-là. Il est venu dîner chez nous, et il nous a laissé ignorer son
+bon procédé. M. _de Pont-de-Vesle_ l'a su de M. _de Maurepas_. Je
+partage bien la reconnoissance qu'on lui doit; mais cela ne passera
+jamais l'estime. Dites-le bien à mademoiselle votre fille qui me
+soutenoit une fois que je l'aimerois un jour. Parlons un peu de M.
+_d'Argental_; c'est le plus joli garçon du monde; ses yeux sont bien
+ouverts; il remplit tous les devoirs du sentiment; il n'est plus
+amoureux; il est tout à ses amis; il est toujours constant pour les
+petits pâtés, et nous mourons de faim: la cuisine est si froide, que
+cela va de mal en pire: il n'y a plus rien à retrancher de la première
+table: car nous n'avons rien, non, rien du tout, on commence à
+retrancher de celle des domestiques, et je ne doute pas que l'on ne
+vienne à faire comme cet homme qui prétendoit que son cheval pouvoit
+vivre sans manger, et qui commença par diminuer la moitié de ce qu'il
+lui donnoit; quelques jours après, la moitié de l'autre moitié; et ainsi
+du reste: le pauvre animal creva; ainsi ferons-nous. Voilà une bien
+grande lettre; vous aurez de la peine à la déchiffrer: la tête me
+tourne; car je crois que sans cela, je remplirais encore bien des
+feuilles. Vous ne dites rien, Madame, _de Gulliver_. Mes respects à
+vous, et à tout ce qui vous appartient.
+
+
+
+
+LETTRE XVI.
+
+Paris, 1728.
+
+
+Il y a un siècle que vous ne m'avez fait l'honneur de m'écrire.
+Êtes-vous si exacte avec vos amis, que de ne point leur écrire qu'ils ne
+vous aient fait réponse? Je devois, Madame, vous remercier de la lettre
+que j'ai reçue il y a un mois: j'avois commencé ma réponse, j'y voulois
+mettre plusieurs petites nouvelles; j'ai attendu des dénouemens, ils ont
+été si chargés d'evénemens que je n'ai plus su où j'en étois.
+D'ailleurs, madame _Bolingbrocke_ a été très-mal: ce qui m'a occupée
+bien tristement; et puis la santé de madame _de Ferriol_, toujours
+mauvaise, et son humeur encore plus. _Pont-de-Vesle_ me charge de ses
+respects pour vous: il est toujours malingre; une mauvaise digestion.
+_D'Argental_ n'est plus amoureux de mademoiselle _de Tencin_; elle ne
+l'occupe plus que par devoir; il n'est point aussi amoureux de la
+_Couvreur_, mais aussi prévenu de son mérite que s'il l'étoit encore;
+elle est très-incommodée depuis quelque temps: on craint qu'elle ne
+tombe en langueur.
+
+Madame _de Parabère_ a été quittée, il y a environ quatre ou cinq mois,
+par M. _d'Alincourt_: ce dont elle a été au désespoir; et pour s'en
+consoler, elle a pris, au bout de huit jours, M. _de la
+Mothe-Houdancourt_, qui est, à mon sens, le plus vilain homme que je
+connoisse. Cette précipitation a paru étrange à tout le monde, et
+sur-tout à moi, qui ne m'en serois pas doutée. Ledit M. _de la Mothe_ ne
+la quitte pas d'un pas; il est jaloux comme un tigre. Pour vous faire le
+portrait tant de sa figure que de son esprit (je commencerai par la
+figure), il est grand, dégingandé, le visage long; il ressemble beaucoup
+à un vilain cheval de l'âge de quarante-cinq ans; babillard, ne sachant
+ce qu'il dit; se contredisant sans cesse, ne parlant jamais que de lui;
+fat, comme s'il étoit un Adonis, et glorieux par fatuité; assez bon
+homme dans le fond, mais ayant été gâté par les caillettes de la cour.
+Il me craint prodigieusement, et ne peut pas s'empêcher de m'estimer: il
+a vu peu de femmes qui se souciassent moins de se mêler d'intrigues: il
+m'a dit bien des fois qu'il aimeroit mieux que je fusse amie de sa
+femme, que de sa maîtresse. J'y vais très-rarement; je crois qu'il ne
+seroit pas bien de n'y point aller du tout; elle a pour moi des façons
+touchantes: d'abord que j'ai le moindre mal, elle me vient voir; elle
+m'accable de galanteries; elle dit à tous ceux qu'elle voit qu'elle
+m'aime infiniment. Je dois être reconnoissante, Madame, de tant de
+marques d'amitié. Il y avoit, pendant les huit jours de vacance, plus de
+vingt prétendans à qui je faisois une peur horrible, étant persuadés que
+je mettrois tout en usage pour la retirer du désordre. Un des prétendans
+m'a conté tous leurs manéges; ils s'étoient tous ligués de concert pour
+la retirer de Paris, et qu'elle fût à la campagne, pour que je ne la
+visse pas. Celui qui m'a raconté tout cela, est parent du chevalier; il
+espéroit, par son canal, obtenir de moi que je ne m'opposasse point au
+voyage de madame _de Parabère_. Le chevalier lui répondit qu'il avoit
+tort de me soupçonner, que je ne me parois ni de conseiller les prudes,
+ni de condamner les autres; que jamais je n'avois su ce que c'étoit que
+de me mêler de tracasseries; en quoi il me loua beaucoup, connoissant
+assez bien la dame, pour être persuadé qu'elle ne seroit pas
+susceptible de conseils.
+
+Je veux vous parler de madame _du Deffant_: elle avoit un violent désir
+pendant long-temps de se racommoder avec son mari; comme elle a de
+l'esprit, elle appuie de très-bonnes raisons cette envie; elle agissoit
+dans plusieurs occasions, de façon à rendre ce raccomodement durable et
+honnête; sa grand'mère meurt, et lui laisse 4,000 liv. de rentes; sa
+fortune devenant meilleure, c'étoit un moyen d'offrir à son mari un état
+plus heureux, que si elle avoit été pauvre; comme il n'étoit point
+riche, elle prétendoit rendre moins ridicule son mari de se raccommoder
+avec elle, devant désirer des héritiers. Cela réussit, comme nous
+l'avions prévu; elle en reçut des complimens de tout le monde. J'aurois
+voulu qu'elle ne se pressât pas autant; il falloit encore un noviciat de
+six mois, son mari devant les passer naturellement chez son père.
+J'avois mes raisons pour lui conseiller cela; mais, comme cette bonne
+dame mettoit de l'esprit, ou pour mieux dire, de l'imagination, au lieu
+de raison et de stabilité, elle emballa la chose, de manière que le mari
+amoureux rompit son voyage, et se vint établir chez elle, c'est-à-dire,
+y dîner et souper; car pour habiter ensemble, elle ne voulut pas en
+entendre parler de trois mois, pour éviter tout soupçon injurieux pour
+elle et son mari. C'étoit la plus belle amitié du monde pendant six
+semaines; au bout de ce temps-là, elle s'est ennuyée de cette vie, et a
+repris pour son mari une aversion outrée; et sans lui faire de
+brusqueries, elle avoit un air si désespéré et si triste, qu'il a pris
+le parti d'aller chez son père; elle prend toutes les mesures
+imaginables pour qu'il ne revienne point. Je lui ai représenté durement
+toute l'infamie de ses procédés. Elle a voulu par distances et par
+pitié, me toucher et me faire revenir à ses raisons; j'ai tenu bon, j'ai
+resté trois semaines sans la voir; elle est venue me chercher. Il n'y a
+sorte de bassesses qu'elle n'ait mises en usage pour que je ne
+l'abandonnasse pas; je lui ai dit que le public s'éloignoit d'elle,
+comme je m'en éloignois; que je souhaiterois qu'elle prît autant de
+peine à plaire à ce public qu'à moi; qu'à mon égard, je le respectois
+trop, pour ne lui pas sacrifier mon goût pour elle. Elle pleura
+beaucoup; je n'en fus point touchée. La fin de cette misérable conduite,
+c'est qu'elle ne peut vivre avec personne. Un amant qu'elle avoit avant
+son raccommodement avec son mari, excédé d'elle, l'avoit quittée; et
+quand il a appris qu'elle étoit bien avec M. _du Deffant_, il lui a
+écrit des lettres pleines de reproches, et il est revenu. L'amour-propre
+ayant réveillé des feux mal éteints, la bonne dame n'a suivi que son
+penchant; et sans réflexion, elle a cru un amant meilleur qu'un mari;
+elle a obligé ce dernier à abandonner la place; il n'a pas été parti,
+que l'amant l'a quittée. Elle reste la fable du public, blâmée de tout
+le monde, méprisée de son amant, délaissée de ses amies; elle ne sait
+plus comment débrouiller tout cela. Elle se jette à la tête des gens,
+pour faire croire qu'elle n'est pas abandonnée. Cela ne réussit pas;
+l'air délibéré et embarrassé règnent tour à tour dans sa personne. Voilà
+où elle en est, et où j'en suis avec elle.
+
+Madame _de Tencin_ est toujours si outrée contre moi, parce que je n'ai
+fait aucune démarche pour remettre les pieds chez elle, qu'elle m'a
+déclaré une guerre ouverte. Elle envoie savoir si je dîne ici pour ne
+pas y venir, si j'y suis. Je ne suis pas plus alarmée de cette nouvelle
+disgrâce que des autres. On me persécuta l'autre jour pour faire ma paix
+avec elle: je répondis à cela, que je ne demandois pas mieux; que tout
+ce qui étoit de la famille _Ferriol_, m'étoit respectable; qu'il n'y
+avoit que cette raison qui me fît désirer que madame _de Tencin_ ne fût
+pas fâchée contre moi; mais que je ne me sentois pas assez de religion
+pour présenter ma seconde joue, et que je n'irois jamais demander pardon
+à madame _de Tencin_ de ce qu'elle m'avoit fait refuser sa porte; que
+je ne connoissois que madame _de Ferriol_ dans le monde, pour qui je
+pusse faire cette démarche; que madame _de Tencin_ n'avoit aucun droit
+sur moi, pour en agir aussi mal; que si elle prétendoit que j'avois tenu
+de mauvais discours sur elle, je répondrois comme madame _de
+Saint-Aulaire_, qui répondit sur la même accusation, que s'il étoit vrai
+qu'il fût revenu à madame _de Tencin_ qu'elle avoit mal parlé d'elle,
+elle en étoit bien affligée, parce que cela lui faisoit voir qu'elle
+avoit des amis perfides. Je suis dans ce cas: j'ai pu dire à mes amis ce
+que je pensois; mais pour l'amour de moi et de mes devoirs, je n'en ai
+point parlé ailleurs; et même dans l'accident de la _Fresnaye_, qui est
+ce qui l'aigrit contre tous les gens dont elle n'a pas besoin, j'ai dit
+que c'étoit l'affaire du monde la plus malheureuse, qu'il n'y avoit
+personne qui fût à l'abri d'un fou qui venoit se tuer chez vous.
+
+Ma vie est assez douce. Si je vous avois à Paris, le roi ne seroit pas
+plus heureux que moi. Les étrennes m'affligent un peu: tout le monde
+m'en donne, et je ne puis en donner à personne. Je prends mon parti sur
+les gouttières de cette maison; il y a des temps où les choses ne font
+pas autant d'impression. C'est, suivant l'état du cœur; quand il est
+satisfait, on glisse facilement sur les épines qui se rencontrent
+toujours dans la vie; il n'y en a point d'exempte. On radote toujours
+ici; on se plaint sans cesse: il y a quelques jours qu'elle s'adressa à
+_Fontenay_, qui lui répondit très-fortement, et l'assura qu'elle ne
+persuaderoit jamais le public, et qu'elle le révolteroit contre
+elle-même; qu'il étoit témoin que la veille j'avois été pressée
+extrêmement de rester à souper chez madame _de Parabère_ avec le
+chevalier; que j'avois refusé, et étois revenue à neuf heures à pied et
+par la pluie. Cette justification m'a affligée les raisons ne font que
+l'aigrir. J'ai lieu d'être très-contente du chevalier; il a la même
+tendresse et les mêmes craintes de me perdre. Je ne mésuse point de son
+attachement. C'est un mouvement naturel chez les hommes de se prévaloir
+de la foiblesse des autres: je ne saurois me servir de cette sorte
+d'art; je ne connois que celui de rendre la vie si douce à ce que
+j'aime, qu'il ne trouve rien de préférable: je veux le retenir à moi,
+par la seule douceur de vivre avec moi. Ce projet le rend aimable; je le
+vois si content, que toute son ambition est de passer sa vie de même.
+Peut-être cela nous conduira à ce que nous désirons tant: la nature de
+son bien est un furieux obstacle. Dieu nous regardera peut-être en
+pitié: j'ai des mouvemens quelquefois bien durs à combattre. Ce qu'il y
+a de surprenant, c'est que je les ai eus toute ma vie: je me reproche...
+Hélas! que n'étiez-vous madame _de Ferriol_? vous m'auriez appris à
+connoître la vertu. Mais passons sur cela; cependant je suis, en fait
+d'amour, la plus heureuse personne du monde. Matière à réflexions pour
+de jeunes cœurs! Pardonnez toutes mes foiblesses à l'aveu sincère que je
+vous en fais; et permettez que je vous parle de la petite. Elle est
+charmante: tout ce qui m'en revient, m'empêche de me repentir de sa
+naissance; et je crains que la pauvre petite n'en pleure plus que moi:
+sa figure embellit tous les jours; j'ai envoyé Sophie sous prétexte
+d'aller voir sa tante; elle y a été quinze jours; elle en a été
+enchantée; elle est adorée de tout le couvent; elle a de la raison, de
+la bonté et de la fermeté: on lui fit arracher quatre dents, elle ne
+jeta aucun cri; on la loua; elle répondit: à quoi m'auroit-il servi de
+crier? ne falloit-il pas les arracher? Elle dit à Sophie qu'elle étoit
+bien fâchée que je n'allasse pas cette année la voir; qu'elle me prioit
+bien d'y venir l'autre; qu'elle me remercioit de toutes mes bontés,
+qu'elle savoit que l'on m'importunoit souvent pour elle, et qu'elle
+feroit tout ce qu'elle pourroit, pour bien apprendre, et être sage;
+qu'elle ne vouloit pas que je me rebutasse. Elle est très-caressante; la
+pauvre petite sent déjà, je crois, le besoin qu'elle a de l'être. Son
+bon ami est au désespoir de ne pouvoir pas la voir; il l'aime à la
+folie; il lui prend des envies d'aller la voir, que j'ai bien de la
+peine à combattre. Nous travaillons à lui faire une dot, en cas qu'elle
+ne voulût pas se faire religieuse: si Dieu nous prête vie, elle pourra
+avoir 40,000 livres et 400 livres de rente. Elle seroit très-bien mariée
+en province avec cela; mais gare au pot au lait! si elle avoit le
+malheur de nous perdre, elle seroit bien à plaindre: je la recommanderai
+à _d'Argental_. Le chevalier a déjà placé 2,000 écus pour elle seule.
+Adieu, Madame, voilà une lettre assez longue pour être écrite de suite;
+mais je suis seule, et j'ai voulu en profiter pour causer long-temps
+avec vous. Je vous envoie une petite boîte d'écaille, couleur de feu; je
+n'ai pu me refuser la satisfaction d'y prendre du tabac un jour, pour
+que vous disiez, quand vous en prendrez dedans, qu'elle a servi à la
+personne du monde qui vous aime le plus.
+
+
+
+
+LETTRE XVII.
+
+Paris, 1726.
+
+
+Je boude de votre dernière lettre. Vous m'accusez, avec la dernière
+injustice, de ne pas vous aimer, et vous ajoutez, que lorsque l'on aime,
+l'on adopte les sentimens et la façon de penser de nos amis. Hélas!
+Madame, je vous ai vue malheureusement beaucoup trop tard. Ce que je
+vous ai dit cent fois, je vous le répéterai: dès le moment que je vous
+ai connue, j'ai senti pour vous la confiance et l'amitié la plus forte.
+J'ai un sincère plaisir à vous ouvrir mon cœur; je n'ai point rougi de
+vous confier toutes mes foiblesses; vous seule avez développé mon âme;
+elle étoit née pour être vertueuse: sans pédanterie, connoissant le
+monde, ne le haïssant point, et sachant pardonner suivant les
+circonstances, vous sûtes mes fautes, sans me mésestimer. Je vous parus
+un objet qui méritoit de la compassion, et qui étoit coupable, sans
+trop le savoir. Heureusement c'étoit aux délicatesses, même d'une
+passion, que je devois l'envie de connoître la vertu. Je suis remplie de
+défauts; mais je respecte et j'aime la vertu. Ne m'ôtez pas, par un
+soupçon, ce mérite-là. Que je vous suis obligée d'aimer quelqu'un qui
+pratique si mal les conseils que vous lui avez donnés, et qui suit
+encore moins de si bons exemples! mais ma passion est forte, tout me la
+justifie. Il me semble que je serois ingrate, et que je dois conserver
+l'amitié du chevalier pour cette chère petite. Elle est un nœud qui
+entretient notre passion; souvent ce nœud me la fait envisager comme mon
+devoir. Si vous êtes équitable, croyez qu'il ne m'est pas possible de
+vous aimer plus que je vous aime. Non, vous n'en doutez point; j'ai pour
+vous l'amitié la plus tendre. Je vous aime comme ma mère, ma sœur, ma
+fille, enfin, comme tout ce qu'on doit aimer: mon attachement pour vous
+renferme tous les sentimens, l'estime, l'admiration et la
+reconnoissance; et rien ne peut jamais effacer de mon cœur une amie
+aussi estimable que vous. Ne me dites donc plus des choses qui
+m'affligent.
+
+J'ai retardé de vous écrire, vous l'avouerai-je? dans le dessein de vous
+punir; mais je me suis assurément punie de ce sentiment de vengeance, en
+me privant de mon unique plaisir qui est de m'entretenir avec vous.
+_D'Argental_ vous assure de ses respects. La mort de la _Le Couvreur_
+l'a beaucoup occupé. Je vais vous conter toute cette histoire un peu au
+long. Madame _de Bouillon_ est capricieuse, violente, emportée,
+excessivement galante: ses goûts s'étendent depuis le prince jusqu'au
+comédien. Dans le mois dernier, elle se prit de fantaisie pour le comte
+_de Saxe_, qui n'en eut aucune pour elle. Ce n'est point qu'il se piquât
+de fidélité pour la _Le Couvreur_, qui est depuis long-temps sa
+véritable inclination; car il avoit, avec cette passion, mille goûts
+passagers; mais il n'étoit ni flatté, ni curieux de répondre aux
+emportemens de madame _de Bouillon_ qui fut outrée de voir ses charmes
+méprisés, et qui ne mit pas en doute que la _Le Couvreur_ ne fût
+l'obstacle qui s'opposoit à la passion que le comte devoit avoir
+naturellement pour elle. Pour détruire cet obstacle, elle résolut de se
+défaire de la comédienne. Elle fit faire des pastilles pour servir à cet
+horrible dessein, et elle choisit un jeune abbé qu'elle ne connoissoit
+point, pour être l'instrument de sa vengeance. Cet abbé a le talent de
+peindre. Il fut abordé par deux hommes, aux Tuileries, qui lui
+proposèrent, après une conversation assez longue, et qui rouloit sur sa
+pauvreté, de se tirer de sa misère, et de s'insinuer, à la faveur de son
+habileté à peindre, chez la _Le Couvreur_, et de lui faire manger des
+pastilles que l'on lui donneroit. Le pauvre abbé se défendit beaucoup
+sur la noirceur du crime. Les deux hommes lui répondirent qu'il ne
+dépendoit plus de lui de refuser; qu'il lui en coûteroit la vie, s'il
+n'exécutoit pas ce qu'on lui demandoit. L'abbé, effrayé, promit tout.
+On le conduisit chez madame _de Bouillon_, qui lui confirma les
+promesses et les menaces, et lui remit les pastilles. L'abbé demanda
+quelques jours pour l'exécution de ses projets. Mademoiselle _Le
+Couvreur_ reçoit un jour, en rentrant chez elle avec un de nos amis, et
+une comédienne nommée _La Mothe_, une lettre anonyme, par où on la prie
+instamment de venir seule, ou avec quelqu'un de sûr, au jardin du
+Luxembourg, et qu'au cinquième arbre d'une des grandes allées, elle
+trouvera un homme qui a des choses de la dernière conséquence à lui
+apprendre. Comme c'étoit précisément l'heure du rendez-vous, elle
+remonte en carrosse, et y va avec les deux personnes qui étoient avec
+elle. Elle trouve l'abbé qui l'aborde, et lui raconte l'odieuse
+commission dont il est chargé, et qu'il est incapable d'un crime comme
+celui-là; mais qu'il est dans une grande perplexité, parce qu'il étoit
+sûr d'être assassiné. La _Le Couvreur_ lui dit qu'il falloit, pour la
+sûreté de l'un et de l'autre, dénoncer toute cette affaire au lieutenant
+de police. L'abbé répondit qu'il craignoit en le faisant, de se faire
+des ennemis qui étaient trop puissans, pour qu'il y pût résister; mais
+que du moment qu'elle croyoit cette précaution nécessaire pour sa vie,
+il ne balançoit point à soutenir ce qu'il lui avoit dit. La _Le
+Couvreur_ le mena dans son carrosse chez _M. Hérault_, lieutenant de
+police, qui, sur l'exposition du fait, demanda à l'abbé les pastilles,
+et les jeta à un chien qui creva un quart d'heure après. Il lui demanda
+ensuite laquelle des deux _Bouillon_ lui avoit donné cette commission;
+et, quand l'abbé lui répondit que c'étoit la duchesse, il n'en fut point
+surpris. M. _Hérault_ continua à le questionner, et lui demanda s'il
+oseroit s'exposer à soutenir cette affaire. L'abbé lui répondit qu'il
+pouvoit le faire mettre en prison, et le confronter avec madame _de
+Bouillon_. Le lieutenant de police les renvoya, et fut instruire le
+cardinal de cette aventure: celui-ci fut très-irrité; il vouloit, dans
+les premiers momens, qu'on instruisît cette affaire avec beaucoup de
+sévérité; mais les parens et les amis de la maison _de Bouillon_
+persuadèrent au cardinal de ne point mettre au jour une chose aussi
+scandaleuse que celle-là; et l'on parvint à l'assoupir. Au bout de
+quelques mois, on ne sait ni par où, ni comment cette aventure fut
+publique. Elle fit un bruit horrible. Le beau-frère de madame _de
+Bouillon_ en parla à son frère, et lui dit qu'il falloit absolument que
+sa femme se lavât d'un pareil soupçon, et qu'il devoit demander une
+lettre de cachet pour faire enfermer l'abbé; il ne fut point difficile
+d'obtenir cette lettre de cachet: on arrêta le pauvre malheureux, et on
+le mena à la Bastille. On le questionna; il soutint avec fermeté ce
+qu'il avoit dit. On lui fit beaucoup de menaces et bien des promesses,
+s'il vouloit se dédire. On lui proposa toutes sortes d'expédiens, comme
+de folie, ou de passion pour la _Le Couvreur_, qui l'auroit engagé à
+faire cette fable pour s'en faire aimer. Rien ne l'ébranla, et il ne
+varia jamais dans ses réponses. On le garda en prison. La _Le Couvreur_
+écrivit au père de l'abbé, qui demeuroit en province, et qui ignoroit le
+malheur de son fils. Le pauvre homme vint tout de suite à Paris,
+sollicita et demanda que l'on fît le procès dans les formes à son fils,
+ou qu'on lui rendît la liberté. Il s'adressa au cardinal, qui demanda à
+madame _de Bouillon_ si elle vouloit que l'on instruisît cette affaire,
+parce que l'on ne pouvoit le retenir en prison sans cela. Madame _de
+Bouillon_ redoutoit les éclaircissemens; et, comme elle ne pouvoit le
+faire assassiner à la Bastille, elle consentit à son élargissement.
+Pendant deux mois que le père est resté à Paris, on n'a rien dit au
+fils. Le père étant retourné chez lui, l'abbé a eu l'imprudence de
+rester à Paris. Il a disparu tout à coup: on ne sait s'il est mort; on
+n'en entend plus parler. Depuis cela, la _Le Couvreur_ a été sur ses
+gardes. Un jour, à la comédie, après la grande pièce, madame _de
+Bouillon_ lui envoya dire de venir dans sa loge. La _Le Couvreur_ fut
+extrêmement surprise, et répondit qu'elle étoit dans un déshabillé qui
+ne lui permettoit pas de paroître devant elle. La duchesse envoya une
+seconde fois. A cette seconde semonce, elle répondit que si elle lui
+pardonnoit de paroître, le public ne le lui pardonneroit pas; mais
+qu'elle se tiendroit sur son passage, quand elle sortiroit, pour lui
+obéir. Madame _de Bouillon_ lui fit dire de n'y pas manquer, et en
+sortant, elle la trouva, lui fit toutes sortes de caresses, lui donna
+beaucoup de louanges sur son jeu, et l'assura qu'elle avoit eu un
+plaisir infini à lui voir exécuter aussi bien le rôle qu'elle avoit
+joué. Quelque temps après, la _Le Couvreur_ se trouva mal, au milieu
+d'une pièce que l'on ne put achever. Quand le comédien vint en faire
+compliment, tout le parterre demanda de ses nouvelles avec empressement.
+Depuis ce jour, elle a dépéri et maigri horriblement. Enfin, le dernier
+jour qu'elle a joué, elle faisoit _Jocaste_ dans _l'OEdipe_ de
+_Voltaire._ Le rôle est assez fort. Avant de commencer, il lui prit une
+dyssenterie si forte, que pendant la pièce, elle fut vingt fois à la
+garde-robe, et rendoit le sang pur. Elle faisoit pitié, de l'abattement
+et de la foiblesse dont elle étoit; et quoique j'ignorasse son
+incommodité, je dis deux ou trois fois à madame _de Parabère_, qu'elle
+me faisoit grand'pitié. Entre les deux pièces, on nous dit son mal. Ce
+qui nous surprit, c'est qu'elle reparut à la petite pièce, et joua, dans
+_le Florentin_, un rôle très-long et très-difficile, et dont elle
+s'acquitta à merveille, et où elle paroissoit se divertir elle-même. On
+lui sut un gré infini d'avoir continué, pour que l'on ne dît pas, comme
+on l'avoit fait autrefois, qu'elle avoit été empoisonnée. La pauvre
+créature s'en alla chez elle, et quatre jours après, à une heure
+après-midi, elle mourut, lorsqu'on la croyoit hors d'affaire: elle eut
+des convulsions: chose qui n'arrive jamais dans les dyssenteries: elle
+finit comme une chandelle. On l'a ouverte. On lui a trouvé les
+entrailles gangrenées. On prétend qu'elle a été empoisonnée dans un
+lavement. Son testament a été fait quatre mois avant sa mort. On ne
+doute point qu'elle n'eût quitté la comédie à la clôture. Tout le public
+a une grande compassion de sa misérable fin. Si la dame soupçonnée fût
+venue à la comédie, dans ces entrefaites, elle auroit été chassée du
+spectacle. Elle a eu le front d'envoyer à la porte de la _Le Couvreur_
+tous les jours, savoir de ses nouvelles. Elle a fait _d'Argental_
+exécuteur de son testament; il a eu assez d'esprit pour se mettre
+au-dessus du ridicule, et il a été approuvé des gens sages. M. _Bertie_
+dit qu'il a très-bien fait; qu'un honnête homme ne doit jamais refuser
+les occasions de faire du bien. Vous pouvez être assurée de tout ce que
+je viens de vous conter, je le tiens d'un ami de la _Le Couvreur_[195].
+Adieu, Madame, ne doutez plus, s'il vous plaît, de tout mon
+attachement.
+
+
+
+
+LETTRE XVIII.
+
+
+J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, en
+réponse à un gros paquet que je craignois bien qui ne fût perdu. Le
+nouveau témoignage de votre amitié me comble de joie, et je recevrai
+votre écran avec transport, puisque c'est de l'ouvrage de ce que j'aime;
+cependant je me plains des souvenirs trop fréquens qu'il me donnera de
+vous. Je vous le dis avec vérité; j'ai autant de douleur de vous avoir
+perdue, que de joie de vous avoir pour amie: ces deux sentimens me
+combattent furieusement, et si je n'avois pas l'espérance de vous
+revoir un jour, je ne sais en vérité si je voudrois vous avoir connue.
+Vous m'avez rendue si difficile, que je suis toujours en colère.
+Pourquoi tous les cœurs ne sont-ils pas faits comme le vôtre, ou du
+moins pourquoi n'ont-ils pas une de vos bonnes qualités? Tout leur
+manque, probité inébranlable, sagesse, douceur, justice; tout n'est
+qu'apparence chez les hommes: le masque tombe à la plus petite occasion.
+La probité n'est qu'un nom dont ils se parent; ils paroissent justes, et
+ce n'est que pour condamner la conduite des autres; de la douceur qui
+n'est qu'aigreur, de la générosité qui n'est que prodigalité, de la
+tendresse qui n'est que foiblesse: et toutes ces choses-là me font
+répéter à tous les instans, que votre âme est capable de vertu dans sa
+perfection. Je m'aperçois que je blesse votre modestie: mes mouvemens du
+cœur vous sont connus; vous savez que je dis toutes ces choses, parce
+que je les pense, et que je n'ai jamais su flatter aux dépens de la
+vérité: pardonnez en faveur de mon attachement, la petite honte que vous
+avez eue, en lisant vos louanges. Vous m'avez rendue comme M. le duc
+_d'Orléans_, à la différence près que je ne suis pas si perverse que
+lui, et que je crois qu'il y a une personne dans le monde véritablement
+raisonnable. Il croyoit tout le monde malhonnêtes gens; je suis bien
+prête à penser comme lui; cela me met très-souvent de mauvaise humeur,
+et je finis par vouloir devenir philosophe, trouver tout indifférent, ne
+m'affliger de rien, et tâcher d'être raisonnable pour ma propre
+satisfaction et pour la vôtre. Je travaille très-sérieusement à me
+rendre heureuse, à ne plus me chagriner; je sens que j'ai plus de besoin
+que jamais d'avoir du courage. La mauvaise humeur règne ici à un point
+insoutenable; je me suis gendarmée: je vois que cela tourne contre moi.
+Le public est très-sévère, parce qu'il ne juge que sur l'étiquette du
+sac, et mes peines lui paroissent petites: il lui semble que ce n'est
+que des bagatelles; mais hélas! rien n'est bagatelle, quand cela revient
+tous les jours. Je suis honteuse de me plaindre, quand je vois tant de
+personnes qui valent bien mieux que moi, et qui sont bien autrement
+malheureuses. Il est temps de vous amuser un peu: il est arrivé ici deux
+petites aventures que j'aurai du plaisir à vous conter, parce que vous
+en aurez à les lire.
+
+Un gentilhomme de Périgord, fort riche, se maria, il y a plusieurs
+années, avec une demoiselle qui mourut, sans lui laisser d'enfans. Les
+parens de sa femme le pensèrent ruiner pour la dot, et eurent des
+procédés si infâmes avec lui, qu'il en eut beaucoup de chagrin, et en
+fut malade. Cet homme avoit du goût pour le sacrement; mais ce qu'il
+avoit essuyé le fit résoudre de prendre une femme sans parens. Il
+écrivit à l'Hôtel-Dieu, et pria l'un des directeurs de lui chercher une
+fille trouvée, de 17 à 22 ans, grande, bien faite, brune, les yeux
+noirs, les dents belles, et qu'il l'épouseroit. Le directeur montra
+cette lettre à M. _d'Argenson_, lieutenant de police, qui lui dit de
+faire sa commission. Il la fait: on dresse le contrat de mariage; le
+gentilhomme l'épouse; il en a eu trois enfans. Au bout de quelques
+années, elle meurt. Son deuil fini, il récrit à un autre des directeurs
+de l'Hôtel-Dieu, le précédent étant mort. Il le prie de lui chercher une
+fille de 38 à 40 ans, blonde, grasse, fraîche et d'un bon tempérament;
+qu'il avoit passé les jours du monde les plus heureux avec celle qu'on
+lui avoit déjà choisie, et qu'il ne doutoit pas qu'il ne choisît aussi
+bien que l'ancien directeur, auquel il s'étoit adressé la première fois.
+Celui-ci va chez M. _Hérault_, lieutenant de police, et montre la lettre
+qu'il vient de recevoir. M. _Hérault_ lui dit comme M. _d'Argenson_, de
+faire sa commission, qui étoit difficile, parce que toutes les filles
+sont établies à cet âge-là. Il trouva enfin une sœur grise qui étoit
+telle qu'on la lui demandoit. Une des princesses _de Conti_ a signé au
+contrat de mariage, il y a un mois. Voici l'autre histoire.
+
+Il y a un homme qui demeure aux environs des quais, qui, depuis sept à
+huit ans, se promène dès une heure jusqu'à six, sur un des quais, sans
+jamais y avoir manqué d'un jour, quelque temps qu'il fît. M. _Hérault_
+en ayant été averti, lui envoya dire qu'il vînt lui parler. Cet homme
+lui fit répondre qu'il n'iroit point, n'ayant rien à faire avec la
+police. M. _Hérault_ s'y transporta, monta dans une chambre au
+quatrième, y trouva cet homme assis contre une table, qui lisoit, sa
+chambre garnie de livres. Il lui demanda pourquoi il n'étoit pas venu
+chez lui, quand il le lui avoit fait dire. «Monsieur, lui répondit cet
+homme, je n'ai point l'honneur d'être de vos amis; et, Dieu merci! je
+n'ai rien à démêler avec la justice.--Il est vrai, lui répondit M.
+_Hérault_, qu'il ne m'est point revenu que vous fissiez du mal; mais
+pourquoi vous promener régulièrement, à la même heure, tous les jours,
+sur le quai?--Parce que cela me fait du bien, lui repartit le
+promeneur. Pour vous éclaircir ma conduite, ajouta-t-il, je vous dirai,
+Monsieur, que je suis très-bon gentilhomme (il lui dit son nom); je
+jouissois de 25,000 livres de rente; le système est venu, et il ne m'est
+resté que 500 livres de rente. J'ai pris un genre de vie proportionné à
+mon revenu; j'ai gardé mes livres, l'air de la rivière me convient, et
+je suis venu m'établir dans cette chambre. Un peu de vanité m'a engagé à
+changer de nom; je dîne tous les jours à midi avec du bœuf à la mode,
+qui est excellent dans ce quartier; je me lève de bonne heure; j'emploie
+ma matinée à lire; et, quand j'ai dîné, je vais prendre l'air sur le
+quai. Je suis très-heureux, je ne dépends de personne, et je ne dérange
+point ma santé par cet exact régime.» M. _Hérault_ trouva cet homme de
+très-bon sens. Il conta un jour cela au cardinal, qui lui dit: «Mais si
+cet homme tomboit malade, il n'auroit pas de quoi se faire soigner;
+dites-lui que le roi lui donne 300 livres de pension.» M. _Hérault_ lui
+envoya dire de venir chez lui, se faisant beaucoup de plaisir de lui
+apprendre cette bonne nouvelle; mais l'homme lui fit répondre qu'il ne
+pouvoit y aller, demeurant trop loin de chez lui. M. _Hérault_ y
+retourna pour la seconde fois, et lui dit que le roi lui donnoit 300
+livres. Il les refusa, disant qu'il s'étoit arrangé avec 500 livres, et
+qu'il n'en vouloit pas davantage. Malgré ce genre de vie qui paroît
+triste, cet homme est fort gai. Il a deux amis, gens d'esprit, qui vont
+sur le quai pour causer avec lui. Il a beaucoup de connoissance du
+monde, du savoir, l'esprit simple et un talent singulier pour connoître,
+à la physionomie, le métier des gens qui passent. Il dira, par exemple:
+«Voilà le maître d'hôtel d'un évêque, en voilà un d'un financier; voici
+un chevalier d'industrie; celui-là est Gascon, celui-ci est Breton,»
+ainsi des autres. Adieu, ma chère madame; en voilà assez pour
+aujourd'hui. Je vous baise les mains mille fois.
+
+
+
+
+LETTRE XIX.
+
+Paris, 1729.
+
+
+Je viens d'apprendre, Madame, la perte que vous avez faite de M. _de
+Cambiac_. Sans savoir ses dispositions, je prends part à votre
+affliction. Je connois la bonté de votre cœur; vous serez toujours
+affligée, de quelque façon qu'il en agisse avec vous. J'espère que je
+n'aurai rien à reprocher à sa mémoire, et qu'il vous aura rendu justice;
+j'en attends la nouvelle avec impatience. J'ai couru risque de me
+trouver à sa mort. Si le projet que l'on avoit fait d'aller à
+Pont-de-Vesle n'avoit pas été renvoyé, je l'aurois vu mourir.
+J'attendois d'être sûre de mon voyage; c'est la raison qui m'a empêchée
+de vous écrire. Je voulois vous le mander positivement; mais il y a
+trois mois que l'on en parle, et il n'y a pas de jour depuis ce temps-là
+que le projet ne change quatre ou cinq fois. Voilà où nous en sommes.
+Il est vrai que le temps de notre départ a été fixé au dix du mois
+prochain; il seroit temps de se préparer pour les paquets. Vous devez
+juger de l'empressement que j'ai que ce projet s'exécute, puisque
+j'aurois le bonheur de vous voir, et de vous assurer de mon respectueux
+attachement. Il n'y a rien de si joli que mon écran; je ne permets pas à
+tout le monde de s'en servir. Je vis avec madame votre fille qui est
+infiniment aimable; sa vertu, sa douceur, sa gaîté la rendent charmante;
+sa figure est toujours très-belle, et, en vérité, vous la trouverez
+encore mieux. Son teint est plus démêlé, et elle a des couleurs à croire
+qu'elle met du rouge; et toute connoisseuse que je suis pour cet
+ornement, j'y ai été trompée au point que je n'ai pu m'empêcher de lui
+frotter les joues, pour voir si elle n'en mettoit point. Elle a fait
+raccommoder son portrait qui est à merveille à présent: elle est tentée
+d'en faire faire une copie pour vous la porter. Si je ne vais pas à
+Genève cette année, je la prierai de se charger du mien que je fais
+faire pour vous. Il sera en petit, c'est-à-dire, d'un pied-de-haut, sur
+neuf pouces environ de large. Nous sommes en guerre ouverte, madame _de
+Tencin_ et moi, c'est-à-dire, elle me l'a déclarée; pour moi, je me
+tiens coite; et quand je suis forcée d'en parler, mes discours sont
+tranquilles et humbles; mais je tiens bon pour ne pas demander pardon,
+parce que je suis offensée, et que j'ai assez de maîtres, sans m'en
+donner de gaîté de cœur. Je la fais plus enrager par cette conduite, que
+si je me déchaînois contre elle. M. son frère a tenu bon à toutes les
+attaques qu'elle a faites contre moi. Je ne lui en ai pas ouvert la
+bouche, excepté une fois qu'il m'en parla devant madame _de Ferriol_. Je
+lui répondis avec toute la modération imaginable, et je finis par lui
+dire que j'avois espéré que toutes ces tracasseries n'iroient point
+jusqu'à ses oreilles; que j'étois étonnée qu'on lui en eût parlé; qu'il
+pouvoit bien me rendre la justice, que jamais je ne m'étois plainte à
+lui de tout ce qu'on me faisoit. Cette conversation produisit une scène
+très-vive entre le frère et la sœur. Cette dernière eut beau se
+plaindre, et tourner mes discours malignement, il la fit taire. Madame
+votre fille vous contera tout cela qui seroit trop long à écrire. Je
+suis enfin contente de l'archevêque. Je connois bien son cœur; je
+l'aimerai et l'estimerai toute ma vie. A propos, il y a long-temps que
+vous me demandez des vers que vous m'aviez prêtés, relatifs à la mort de
+madame votre mère. Je les trouvai l'autre jour dans ma cassette; je les
+joins à cette lettre. La poste part; il ne me reste que le temps de vous
+assurer de mon très-humble respect.
+
+
+
+
+LETTRE XX.
+
+Pont-de-Vesle, 1729.
+
+
+Nous voilà enfin arrivés à Pont-de-Vesle. Jugez, Madame, de ma joie.
+J'aurai donc le plaisir de vous voir et de vous embrasser bientôt:
+j'ignore encore le moment où je jouirai de ce bonheur. J'attends que M.
+_de Pont-de-Vesle_ soit ici, et les lettres de l'archevêque, pour
+m'arranger. D'ailleurs madame votre fille est actuellement avec vous:
+cela vous partageroit trop; je veux la laisser établir. Nous avons tous
+eu bien du regret de ne l'avoir pas eue ici quelques jours. Monsieur son
+mari me vint voir le lendemain de son départ. Il m'attendrit beaucoup;
+je le trouvai si touché, et en même temps si raisonnable, si rempli de
+considération et d'estime pour madame votre fille, que me connoissant,
+vous devez juger si je fondis en larmes. Il faut dédommager cette
+aimable femme de tous ses malheurs. Elle trouvera des parens, des amies
+qui l'aiment bien tendrement. Mais, hélas! il en feroit plus de cas, si
+elle revenoit avec une fortune brillante. On pense de cette façon à
+Paris; et je crois que les hommes sont partout les mêmes. Pour vous,
+Madame, votre tendresse et votre bonté vous la feront recevoir avec bien
+de la joie. C'est une grande douceur pour une mère de vivre avec une
+fille telle que la vôtre. Je vous la recommande comme ma sœur bien
+aimée. Plaisante recommandation, penserez-vous! en a-t-elle besoin?
+n'est-elle pas ma fille, et une fille que j'aime tendrement?
+
+J'avois laissé ma lettre pour recevoir M. _de Pont-de-Vesle_ qui vient
+d'arriver dans ce moment; il vous assure de ses respects. Je suis libre,
+et je serai bientôt auprès de vous. Préparez-vous à me trouver changée;
+je ne m'en soucie que pour vous que j'aime, et respecte de tout mon
+cœur.
+
+
+
+
+LETTRE XXI.
+
+Pont-de-Vesle, 1729.
+
+
+Je ne puis vous dire, Madame, la douleur où je suis de vous avoir
+quittée. J'ai le cœur si gros et si serré, que j'ai cru étouffer; la
+crainte de vous trop attendrir, m'a fait me contraindre, en me séparant
+de vous; j'ai fait ce que j'ai pu, pour que vous ne vissiez pas couler
+mes larmes; mais j'en ai gagné un mal de tête affreux. Si je n'avois pas
+la certitude de vous revoir, je ne sais pas, en vérité, de quoi je
+serois capable: les réflexions morales m'accablent. La vie me paroît si
+courte, pour essuyer de si grandes peines, que je ne veux plus faire de
+connoissances, dans la crainte de m'exposer à la peine où je suis; mais
+tout cela se détruit à mesure que je le pense. Je me dis que je ne
+trouverai jamais d'amie qui mérite d'être aimée sur tous les points,
+comme vous; je ne pense plus à la retraite: mes idées là-dessus sont
+évanouies. Je me priverois par là absolument de l'espérance de vous
+aller voir souvent: et d'ailleurs, Madame, je sens trop les conséquences
+de ce parti-là. Depuis que nous en avons parlé ensemble, je puis me
+conduire aussi bien dans le monde, et même mieux. Plus ma tâche est
+difficile, plus il y a de mérite à la remplir, et je dois, par
+reconnoissance, rester auprès de madame _de Ferriol_, qui a besoin de
+moi. Hélas! Madame, je me rappelle sans cesse notre conversation dans
+votre cabinet: je fais des efforts qui me tuent. Tout ce que je puis
+vous promettre, c'est de ne rien épargner pour que l'une des choses
+arrive; mais, Madame, il m'en coûtera peut-être la vie; car pour les
+espérances, elles sont si éloignées, que je mourrai peut-être de
+vieillesse avant qu'elles arrivent. On m'a chargée de cent mille jolies
+choses pour vous; il est juste que je vous en fasse part. Voici deux
+articles de ses lettres.
+
+«Mille respects à votre amie: assurez-la qu'il y a tant de sympathie
+entre votre façon de penser et la mienne qu'il ne me seroit pas possible
+de ne pas partager avec vous les sentimens que vous avez pour elle.»
+
+Dans une précédente, que je reçus à Lyon.
+
+«Je vous félicite du plaisir que vous avez eu de voir et d'embrasser
+madame _Saladin_. Je connois votre cœur, et je ne suis pas surpris des
+larmes que la joie vous a fait répandre. J'en ai répandu aussi, ma chère
+_Aïssé_, en lisant votre lettre, et je n'ai pas été plus touché de la
+peinture que vous faites de vos transports, que de l'empressement avec
+lequel madame _Saladin_ vous a reçue. Dites-lui bien, je vous prie, que
+j'ai une extrême reconnoissance des marques de son souvenir: le goût que
+l'on a pour la vertu, doit être la mesure du respect que l'on a pour
+elle. Je la crois trop juste, et je lui crois trop de sentimens, pour
+condamner l'amitié que vous avez pour moi. Si vous pouviez lui peindre
+l'attachement que j'ai pour vous, ma chère _Silvie_! dites-lui bien
+qu'il n'y a jamais eu, et qu'il n'y aura jamais un moment dans ma vie où
+je cesse de de vous aimer. Demeurez à Genève tout le temps que vous
+pourrez; je regrette moins votre absence; j'imagine que votre santé y
+est en sûreté. Je suis en peine des fatigues du retour Conservez-vous,
+ma chère _Aïssé_. Aimez-moi; c'est là le véritable fondement du bonheur
+de ma vie.»
+
+Voilà, Madame, bien des choses qui blessent ma modestie; mais aussi je
+serai plus excusable à combattre si lentement. Hélas! que l'on est
+heureuse, quand on a assez de vertu pour surmonter de pareilles
+foiblesses; car, enfin, il en faut infiniment pour résister à quelqu'un
+que l'on trouve aimable, et quand on a eu le malheur de n'y pouvoir
+résister. Couper au vif une passion violente, une amitié la plus tendre
+et la mieux fondée! Joignez à tout cela de la reconnoissance, c'est
+effroyable! La mort n'est pas pire. Cependant vous voulez que je fasse
+des efforts: je les ferai; mais je doute de m'en tirer avec honneur, ou
+la vie sauve. Je crains de retourner à Paris. Je crains tout ce qui
+m'approche du chevalier, et je me trouve malheureuse d'en être éloignée.
+Je ne sais ce que je veux. Pourquoi ma passion n'est-elle pas permise?
+pourquoi n'est-elle pas innocente?
+
+Mandez-moi au plutôt de vos nouvelles. Permettez que je vous embrasse
+mille fois, et de tout mon cœur. Beaucoup d'amitiés à mesdames vos
+filles. Je les embrasse toutes; souvenez-vous de votre _Aïssé_, et soyez
+persuadée de tout son attachement, et de tout son respect pour vous; il
+est extrême.
+
+
+
+
+LETTRE XXII.
+
+Pont-de-Vesle, 1729.
+
+
+J'ai retardé de vous écrire, parce que j'ai été assez incommodée; j'ai
+eu une colique très-violente. Je n'ai pas manqué de dire que c'étoit
+vous qui m'aviez préservée; car je n'ai eu aucun mal à Genève, mes maux
+ont respecté ma joie; ils feroient bien mieux de ne pas se mêler à ma
+douleur. Je vous ai quittée, Madame, avec un chagrin extrême. Vos
+lettres m'ont serré le cœur et ont renouvelé mes larmes. A chaque
+instant, je me rappelle la douceur, la tranquillité, la candeur avec
+laquelle j'ai passé ce peu de temps auprès de vous. J'ai trouvé les
+personnes avec qui je vivois à Genève, selon les premières idées que
+j'avois des hommes, et non pas selon mon expérience. Je me retrouve
+presque moi-même, comme dans le moment que j'entrois dans le monde,
+sans humeur, sans peines, sans chagrins. Combien tout a changé! que les
+habitans de ces lieux sont différens de ceux des vôtres! je n'ai pas eu
+un moment de bonne humeur depuis notre séparation. J'ai retrouvé ici des
+coliques, le serein, les concerts, les puces, les rats, et qui pis est,
+des hommes, non pas de l'ancienne roche, mais de la nouvelle.
+Tenons-nous-en aux réflexions générales. Vous me pardonnerez bien de ne
+pas entrer sur cette matière dans des détails.
+
+Vous m'affligez beaucoup de m'apprendre que madame votre belle-sœur
+_P...._ est malade: je sais combien vous l'aimez, et je l'estime et
+l'aime de tout mon cœur. J'ai fait vos complimens à l'archevêque[196],
+et aux autres qui vous en remercient. Ce premier m'a fait beaucoup de
+questions sur mon séjour auprès de vous, sur la douleur de nous séparer,
+et sur votre ville; il se flatte qu'on l'aime un peu dans ce pays. Je
+n'ai pas manqué de lui dire que l'on m'avoit demandé de ses nouvelles.
+J'ai nommé les gens qu'il dit ses amis. Il m'a grondée de ne lui avoir
+pas emprunté sa litière pour vous aller voir, qu'il y seroit allé
+lui-même très-volontiers, vous aimant beaucoup. Il me fit faire la
+description de votre maison de campagne, de la façon dont vous viviez en
+ville, en un mot, il s'informa de tout, soit par amitié pour vous, soit
+pour me dire de choses obligeantes. Il y réussit très-bien; car je lui
+sus le meilleur gré du monde de toutes ses questions. Pour sa sœur, elle
+ne m'en fit que très-peu: elle cherchoit des discours pour elle, et rien
+autre chose. M. _de Pont-de-Vesle_ partage de tout son cœur mon
+enthousiasme.
+
+Nous passons d'ailleurs notre temps ici assez tristement. Le matin,
+après la messe, l'archevêque s'enferme avec un jésuite jusqu'à dîner.
+Après le dîner, une partie de quadrille, pleine de rapine et d'aigreur:
+le tout pour cinq sous que l'on ne paie point; toujours une compagnie
+de la ville peu divertissante, et à qui il faut faire autant de
+cérémonies qu'à des intendans. Sur le soir, on va se promener. La
+maîtresse du logis et moi, nous restons, l'une à lire, l'autre à
+tricoter, ou à découper. Après la promenade, un concert qui arrache les
+oreilles. On soupe très-mal; on n'a ni bons poissons, ni des amies.
+Songez-vous bien à la différence de ce séjour à Genève pour moi, et
+combien j'ai de raisons de vous regretter?
+
+Vous pouvez m'écrire en toute sûreté: on me rend directement mes
+lettres. La personne qui les retire a ordre de les remettre à moi seule,
+pas même à ma fidèle _Sophie_. La peur que l'on a de payer les ports de
+lettres, fait que l'on n'ose pas demander si j'en ai eu. L'archevêque
+paie mes places, et celles de _Sophie_ dans la diligence: c'est bien
+honnête à lui assurément. Malgré toutes les avarices de madame _de
+Ferriol_, sa mauvaise humeur et ses discours, souvent désobligeans; elle
+étoit dans une grande inquiétude de ma santé pendant mon séjour auprès
+de vous. Elle disoit: «elle est partie malade; elle a la fièvre ou la
+petite vérole.» Elle paroissoit aussi en peine de moi que de son fils.
+Sa femme de chambre disoit à _Sophie_ que sa maîtresse ne pouvoit passer
+l'hiver auprès de son frère à Embrun, sans moi, et que la crainte que je
+ne voulusse pas y aller, l'empêcheroit d'y penser. Concevez-vous,
+Madame, à la façon dont elle agit avec moi, qu'elle puisse regarder
+comme un malheur de ce que je serois séparée d'elle? _D'Argental_ m'a
+écrit: je reçus sa lettre, en revenant de chez vous. Il y avoit cent
+mille choses pour vous; je vous les laisse imaginer. Ma lettre seroit
+trop longue, si je vous les répétois. Nous partons d'ici dans quinze
+jours, pour aller à Ablons. Madame _de Ferriol_ y sera dix ou douze
+jours. Pour moi, j'irai à Sens, voir qui vous savez[197]. J'y resterai
+le plus que je pourrai. Madame _de Ferriol_ m'y viendra joindre. Vous
+aurez des détails de mon entrevue: j'aurai vu cette année tout ce qui
+m'est cher. Adieu, Madame, mes sentimens et mon âme vous sont dévoués.
+
+
+
+
+LETTRE XXIII.
+
+PONT-DE-VESLE, 1729.
+
+
+Voilà enfin le bienheureux jour arrivé! Je pars d'ici demain matin, et
+je n'ai que la nuit à passer. Madame _de Ferriol_ avoit bien raison de
+dire que je ne pouvois tenir ici. En revenant de chez vous, je suis
+morte d'ennui; et ma santé, d'accord avec l'ennui, m'a très-mal traitée.
+Je me suis fait saigner: cela ne m'a pas réussi; mes maux de tête et mes
+coliques sont toujours aussi fréquens; peut-être est-ce l'air du pays et
+les eaux.
+
+J'attendois une réponse de vous, avant de partir, mais j'espère que vous
+aurez la bonté de m'écrire à Sens. J'y serai le 15 de ce mois. Mon
+adresse est chez madame de _V....._, abbesse de Notre-Dame. Madame _de
+Bolingbrocke_ a pensé mourir à Reims d'une colique à quoi elle est
+sujette. Elle a été à l'extrémité; elle est mieux, et je la trouverai à
+Sens. Mandez-moi de vos nouvelles et de celles de madame _P....._ Sa
+sciatique m'inquiète. Vous êtes, je crois, de retour en ville, assise
+sur ce bon canapé, avec vos aimables filles autour de vous, et toute
+votre famille empressée à vous voir. Vous jouissez de l'estime et de
+l'amitié de tout ce qui est auprès de vous, et vous n'avez aucun
+sentiment pénible à combattre. Que je souhaiterois passer mes jours
+ainsi! Vous savez à qui je dois des complimens. Voulez-vous bien les
+faire à votre choix? Pour M. votre mari, je ne vous en charge pas; j'ai
+remarqué que vous aviez toujours un peu de jalousie. Madame votre fille
+voudra bien lui faire quelques agaceries de ma part, et me rendre ce
+petit service; en reconnoissance, je l'embrasse de tout mon cœur.
+
+Madame _de Nesle_ est morte, dit-on, de la rougeole; mais les amies
+particulières, et qui sont par conséquent au fait, disent qu'il y avoit
+complication de maux, et que de plus robustes qu'elle y auroient
+succombé. M. _de Richelieu_ est dans le même cas, excepté qu'il n'est
+pas mort; mais on me mande qu'il se meurt. Madame _d'Aumont_ et son
+mari, qui n'ont que la rougeole, s'en tirent très-bien. Je ne sais si je
+vous ai mandé que M. _de la Ferrière_ marie sa fille à un homme qui a
+vingt mille livres de rente, et qui demeure à Lyon. C'est une grande
+joie pour la mère d'avoir sa fille auprès d'elle. Ils méritent bien tous
+deux de trouver ce beau parti; car ils avoient refusé pour leur fille un
+homme fort riche, mais vieux, et qu'elle n'auroit pu aimer. Ils lui
+donnent dix mille écus, et vingt mille francs après leur mort. C'est une
+très-aimable fille. Adieu, Madame; j'ai bien de la peine à vous quitter.
+Plût à Dieu que je fusse avec vous réellement! je ne pourrois plus m'en
+séparer. Il m'en a trop coûté, et il m'en coûte trop tous les jours, en
+m'en souvenant. Adieu, Madame, je vous aime de tout mon cœur. Je vais
+encore m'éloigner de vous, et ce n'est pas sans regrets. Vous aurez de
+mes lettres, quand je serai à Paris. Je serai trop occupée à Sens, pour
+avoir le temps de vous écrire.
+
+
+
+
+LETTRE XXIV.
+
+Paris, 1729.
+
+
+Vous m'avez demandé un compte exact de mon retour à Paris et de mon
+séjour à Sens. J'ai trouvé la petite très-grande, mais fort pâle. Sa
+figure est noble. Elle est bien faite; elle a les plus beaux yeux que
+vous ayez vus, l'air délicat. Elle a de l'esprit, de la douceur, de la
+raison, mais d'une distraction inouie, le caractère et le cœur à
+souhait. Je crois sans prévention que ce sera un bon sujet. La pauvre
+petite m'aime à la folie: elle fut si saisie de joie de me voir, qu'elle
+fut prête à se trouver mal. Vous devez juger de tout ce que je sentis
+en la voyant. Mon émotion étoit bien vive, d'autant plus qu'il falloit
+la cacher. Elle me dit cent fois que c'étoit un bien heureux jour pour
+elle que celui de mon arrivée. Elle ne pouvoit me quitter; et cependant,
+dès que je la renvoyois, elle s'en alloit avec une douceur extrême; elle
+écoutoit mes avis, et paroissoit appliquée à en profiter. Elle ne
+cherchoit point à s'excuser de ses fautes, comme les enfans. Hélas! la
+pauvre petite, quand je suis partie, étoit si pénétrée de douleur, que
+je n'osai la regarder, tant elle m'attendrissoit; elle ne pouvoit
+parler. J'emmenai l'abbesse avec moi, pour voir madame _de
+Bolingbrocke_, qui étoit à Reims, où elle avoit été très-mal, et qui
+comptoit de là aller à Paris. Tout le couvent étoit en pleurs du départ
+de l'abbesse, et la pauvre petite disoit: «Pour moi, Mesdames, je suis
+aussi fâchée que les autres de vous voir partir; mais je crois que cela
+est nécessaire, et que madame _de Bolingbrocke_ sera bien aise de vous
+voir, et que votre vue lui fera du bien; c'est ce qui me console un peu
+de votre départ;» et puis la pauvre petite étouffoit. Elle s'assit sur
+une chaise, n'ayant pas la force de se soutenir, et elle m'embrassoit et
+me disoit: «Voilà un furieux contre-temps, ma bonne amie; car vous
+seriez restée ici davantage. Je n'ai ni père ni mère: soyez, je vous
+prie, ma mère; je vous aime autant que si vous l'étiez». Vous jugez, ma
+chère madame, dans quel embarras ce discours me mettoit; mais je me suis
+très-bien conduite. J'y ai resté quinze jours, et mon rhumatisme m'a
+prise là. Je fus perclue de tout mon corps. Pendant deux jours, elle ne
+me quitta pas. Elle resta cinq heures d'horloge au chevet de mon lit,
+sans qu'elle voulût me quitter; elle me lisoit pour m'amuser et puis
+elle m'entretenoit, et je m'assoupissois un moment. Elle craignoit de me
+réveiller, et n'osoit respirer. Une personne de trente ans n'auroit pas
+été plus capable d'attentions. Mademoiselle _de Noailles_ vouloit
+qu'elle vînt jouer avec elle. Elle la pria de l'en dispenser, ne voulant
+point me quitter. Enfin, Madame, je suis persuadée que, si elle avoit le
+bonheur d'être connue de vous, vous l'aimeriez beaucoup. Madame _de
+Bolingbrocke_ la veut emmener avec elle; et avoir soin de sa fortune: ce
+qui afflige terriblement qui vous savez; il en est fou. Je ne puis
+exprimer toute la joie qu'il a eue de mon retour; tout ce que la
+vivacité d'une passion violente peut faire faire et dire, il l'a fait et
+dit. Si c'est jeu, il est bien joué. Il est revenu plusieurs fois, après
+de longues et pénibles chasses: enfin, le roi lui dit la dernière fois,
+quand, il demanda congé (car il faut le demander toujours au roi
+directement), ce qu'il avoit tant à faire à Paris; il fut déconcerté de
+la demande, et rougit; il ne put dire autre chose, sinon qu'il avoit des
+affaires.
+
+
+Ce 2 décembre.
+
+Depuis seize jours que cette lettre est écrite, le chevalier est revenu
+de Marly avec la fièvre, une attaque d'asthme et un rhumatisme sur les
+reins; il souffre beaucoup. Je suis dans un état violent, il faut que je
+vous écrive pour me distraire; je n'ai de consolation que celle de
+penser à vous. Si j'étois plus raisonnable, j'oserois vous faire part de
+toutes mes réflexions. J'ai beaucoup de chagrins; il n'y auroit que vous
+qui pourriez entrer dans mes peines: le résultat de tous mes regrets,
+c'est que je vous aime tendrement, que vous méritez de l'être, et qu'il
+n'y a que vous dans le monde qui en êtes digne. Vous me répondrez à cela
+qu'il y a bien, de l'orgueil et de l'amour-propre dans ce que je dis. Il
+peut y en avoir un peu; mais ce n'est point dans le sens que vous
+l'entendez. Je suis très-imparfaite; mais j'exige des autres ce que je
+n'ai pas moi-même. Toutes vos qualités me sont agréables, quoique je
+n'ait pas le bonheur de les posséder. La vertu, l'esprit, la douceur, la
+délicatesse, l'honnête sensibilité, la pitié pour les malheureux et pour
+ceux qui ne sont pas dans le bon chemin, sont des qualités utiles pour
+les autres, quoiqu'on ne les possède pas soi-même. Encore une chose qui
+satisfait mon cœur, c'est que je sens que je puis dire tout ce que je
+pense de vous, sans pouvoir être accusée de prévention, ni de flatterie.
+Vous êtes enfin, selon mon cœur et mon âme. L'amour partage mon cœur
+avec vous, Madame; mais si je ne trouvois pas dans l'objet ces vertus
+que j'aime en vous, il ne subsisteroit pas. Vous m'avez rendue délicate
+sur cet article. Je l'avoue à la honte de l'amour; il cesseroit, s'il
+n'étoit pas fondé sur l'estime. Adieu, Madame.
+
+
+
+
+LETTRE XXV.
+
+Paris, 1728.
+
+
+Vous êtes surprise, Madame, que j'aie été si long-temps sans avoir eu
+l'honneur de vous écrire: ce n'est pas assurément que je n'en eusse une
+grande envie; mais j'ai été assez incommodée d'un très-gros rhume qui
+m'a fait garder le lit. J'ai voulu plusieurs fois me lever de bonne
+heure, pour me mettre à mon écritoire, pour causer avec vous, et toutes
+les fois, j'ai été interrompue soit par des visites, ou par des
+invitations. J'ai été premièrement nichée dans un galetas, pendant
+quinze jours, que madame _de V...._ et sa compagnie se sont emparées de
+ma chambre et de tous mes ustensiles. Après cela, madame _de
+Bolingbrocke_ est arrivée de Reims, malade, et dans un grand besoin de
+nous tous, pour l'aider à se ranger dans sa maison, et à recevoir ses
+visites; elle est un peu mieux. Toutes les personnes qui ont des bontés
+pour moi, se relayent pour ne pas me laisser un instant tranquille; je
+ne suis pas rentrée pour me coucher, avant trois heures du matin. Je vis
+hier M. votre neveu, que j'ai trouvé beau et bien fait. Je viens
+d'apprendre quelque chose qui m'a surprise. M. _de Bellegarde_ a dit à
+M. _de Marcieux_ que madame votre cousine n'avoit jamais voulu l'écouter
+comme amant; qu'elle lui avoit dit que ses discours ne lui convenoient
+pas, et que, s'il continuoit, elle ne le verroit plus; qu'un, homme de
+sa naissance et de son âge devoit mieux faire que l'amour; qu'il devoit
+aller dans les pays étrangers chercher du service; qu'elle lui prêteroit
+10,000 écus, et que s'il avoit besoin de davantage, elle le lui feroit
+tenir; qu'elle ne disconvenoit pas qu'elle n'eût beaucoup d'estime et
+d'amitié pour lui, mais qu'elle ne vouloit point d'amour. Il a assuré M.
+_de Marcieux_, à qui il a raconté cette conversation telle qu'elle
+étoit, qu'il partoit tout de suite pour la Pologne, et que n'ayant aucun
+secours de sa famille, il se trouvoit dans le cas d'accepter les offres
+de madame _V...._, et qu'il devoit aux procédés généreux et
+désintéressés de cette dame, la plus grande reconnoissance. Je ne puis
+m'empêcher, je vous l'avoue, de trouver cela très-bien, si cela
+est[198].
+
+Je suis si lasse des humeurs de mademoiselle _Bideau_, que je suis
+résolue de me tirer de ses pattes, à quelque prix que ce soit. Je
+vendrai ce qui me reste de pierreries, me défaisant, sans regret, de ces
+joyaux qui me divertissent, mais qui me seroient insupportables, si je
+continuois d'avoir un fardeau si pesant. Elle exige beaucoup de moi;
+elle trouve trop que je lui ai des obligations, pour que ma
+reconnoissance soit bien grande. Elle traite de manie et de sottise ce
+qu'elle a pratiqué toute sa vie. La dévotion, qui est à présent sa seule
+ressource, sert encore à me tyranniser. Rien n'est si difficile que de
+faire son devoir auprès de gens que l'on n'aime point, et que l'on
+n'estime point. Madame _de Ferriol_ est d'une avarice sordide; elle ne
+fait plus que végéter, mais d'une façon si triste, elle est si aigre,
+que personne n'y peut tenir. Tout le monde l'abandonne. _D'Argental_ m'a
+tant parlé de vous et des vôtres et avec tant d'attachement, que je lui
+en sais un gré infini, et l'en aime davantage.
+
+Le maréchal _d'Uxelles_ a quitté la cour avec courage; mais il est comme
+_Charles-Quint_; il s'en repent. Il se flatte, dit-on, que le roi lui
+ordonnera de revenir; mais il ne lui a rien dit: on assure que c'est à
+l'occasion du traité, qu'il l'a quitté. Cela lui fait honneur; car le
+public n'en a pas été content.
+
+Le chevalier est mieux. Je voudrois bien qu'il n'y eût plus de combat
+entre ma raison et mon cœur, et que je pusse goûter parfaitement le
+plaisir que j'ai de le voir. Mais hélas! jamais. Mon corps succombe à
+l'agitation de mon esprit: j'ai de grandes coliques d'estomac; ma santé
+est furieusement dérangée. Adieu, Madame, je finis cette lettre qui
+n'est qu'une rapsodie; je ne sais comment vous vous en tirerez.
+
+
+
+
+LETTRE XXVI.
+
+Paris, 1730.
+
+
+Je vis hier M. _de Villars_[199], qui me dit qu'il vous enverroit son
+portrait incessamment. Il a été assez incommodé; je lui sus bien bon gré
+de ce qu'il passa deux heures dans ma chambre; nous fûmes seuls, et nous
+parlâmes de Genève tout à notre aise. Depuis trois mois, je suis
+garde-malade. Madame _de Bolingbrocke_ a été très-mal. Je l'ai vue
+beaucoup souffrir; j'ai cru plusieurs fois qu'elle resteroit dans mes
+bras; elle est actuellement dans un état très-languissant. Elle ne mange
+presque point, et son dégoût seul seroit capable de mettre aux abois une
+personne en santé: elle a toujours une fièvre lente. Il y a des momens
+où l'on craint qu'elle ne s'éteigne comme une chandelle. Elle a bien du
+courage, et c'est ce qui la soutient. Vous ne croiriez pas, en
+l'entendant causer quelquefois, qu'elle fût malade, à la maigreur près,
+qui est extrême. La machine s'affoiblit tous les jours; elle a un peu
+mieux mangé ces deux jours. _Silva_ et _Chirac_, ses médecins, ne
+connoissent point son mal, et ne travaillent pas avec connoissance de
+cause. Madame _de Ferriol_ refuse opiniâtrement de remédier à une
+bouffissure qui est répandue sur son visage. Elle est d'un changement si
+grand, que, si vous la rencontriez, vous ne la reconnoîtriez pas: elle
+est menacée d'appoplexie et d'hydropisie. Elle est engourdie au point
+que, quand elle reste une demi-heure assise, elle ne peut se relever;
+elle dort partout. La maladie de son maréchal la tient un peu alerte;
+elle en est très-affligée.
+
+Il faut vous parler de nouvelles. Vous savez apparemment la mort du
+pape. Le cardinal _Albéroni_ se flatte de l'être. Les Sauvages de la
+Louisiane ont égorgé une colonie françoise. Une sauvagesse aimoit un
+françoise, et l'avertit de ce qu'on tramoit contre sa nation. Celui-ci
+le dit au commandant qui fit comme le maréchal _de Villars_, et crut que
+l'on n'oseroit point l'attaquer. Il a été puni comme son modèle; car il
+a été le premier égorgé. La question est de savoir lequel a été le plus
+puni. L'exil pour un homme ambitieux est pire que la mort. Le commandant
+auroit peut-être préféré la vie. On prétend que les Anglois ont animé
+les Sauvages. On est très-embarrassé sur le parti à prendre avec eux.
+Cela a fait baisser les actions et a causé bien des alarmes. Pour moi,
+j'en ai une très-petite, parce que j'y suis bien peu intéressée, n'ayant
+que la moitié d'une action; mais mes amis en ayant, cela suffiroit pour
+que j'en fusse inquiète. J'en ai parlé à une personne assez au fait, qui
+m'a assurée que l'on feroit mal de les vendre. La vie est si mêlée de
+chagrins, qu'il faut, Madame, n'être pas si sensible. Moi qui vous
+parle, je me tue de sensibilité. M. _Orry_, intendant de
+_Quimper-Corentin_, vient d'être fait contrôleur général. On a remercié
+M. _des Forts_. On dit que le nouveau ministre a de l'esprit et de la
+capacité. Cela a pourtant surpris tout le monde. Mes chères sœurs,
+permettez-moi ce nom avec mesdames vos filles; j'ai pour elles les
+sentimens que l'on a pour d'aimables sœurs. Embrassez-les, je vous prie,
+pour moi, aussi bien que votre mari, pour qui j'aurai toute ma vie de la
+coquetterie et de la reconnoissance.
+
+Je suis très-incommodée depuis six semaines. J'ai de la diarrhée qui m'a
+débarrassée de mon rhumatisme et de mes coliques; mais le remède
+pourroit être plus dangereux que le mal. Je suis maigrie, et
+très-foible: je vais prendre de l'émétique. Adieu, Madame; aimez-moi
+toujours un peu. Soyez persuadée que personne ne vous aime plus
+tendrement, ne vous estime et ne vous honore plus parfaitement. Vous
+feriez le bonheur de ma vie, si je pouvois vivre avec vous. Notre
+séparation me paroît tous les jours plus cruelle et m'afflige
+sensiblement. Quelque malheur qu'il y ait à sentir, mes sentimens pour
+vous seront toujours de la dernière vivacité.
+
+
+
+
+LETTRE XXVII
+
+Décembre, 1730.
+
+
+Il y a mille ans, Madame, que je ne vous ai fait ma cour; ce n'est pas
+assurément que je ne pense bien à vous, et que je ne me rappelle tous
+les plaisirs que j'ai goûtés à Genève. La mémoire, soutenue par le
+sentiment, me représente tout jusqu'aux moindres choses bien vivement:
+mes idées font bien du chemin. Arrivée chez vous, je vous vois, je vous
+embrasse, je pleure de joie; et mon cœur se serre, lorsque je vois que
+ce n'est qu'en idée. Permettez que j'embrasse mes chères sœurs, mes
+chères bonnes amies; j'ai bien du plaisir à vous aimer, et vous manquez
+ici à mon bonheur. Madame _de Ferriol_ me flatte encore, d'un voyage à
+Pont-de-Vesle; elle se porte mieux. Pour ma santé, elle n'est pas bien
+merveilleuse. J'ai l'estomac fort dérangé, de grands maux de tête,
+souvent des rhumes, et beaucoup de foiblesse.
+
+Je veux vous rendre compte de l'état de mes finances. Vous savez qu'il y
+a long-temps que je dois, et dépensois, sans trop savoir ce que je
+pouvois dépenser. Enfin, lassée de ce désordre, j'ai emprunté 2,000 écus
+pour payer mes dettes criardes, que je rendrai dans quatre ans, en
+donnant par année 1,800 livres de mes rentes; je me réduis alors à 1,200
+livres: je serai bien à l'étroit, mais bien soulagée de ne devoir plus
+que 4,400 livres à M. _Pâris de Montmartel_, à qui je donnerai 1,000
+livres par année. J'aurai le bonheur de ne plus voir de créanciers; ils
+ne seront pas si aises d'être débarrassés de moi, que je le serai de
+l'être d'eux; car ils sont bonnes gens, et ne m'ont point tourmentée.
+J'ai eu le plaisir d'arranger les affaires de _Sophie_, de façon qu'elle
+est à proportion plus riche que moi. J'espère que nous mangerons notre
+revenu ensemble. Je ne puis assez vous exprimer la joie que j'ai d'avoir
+pris mon parti de payer, pour n'avoir obligation à personne. Madame
+_P....._ se ressouvient-elle de moi? Elle seroit bien ingrate, si elle
+ne m'aimoit pas un peu; car je la respecte et l'honore infiniment. Ne
+m'oubliez point, s'il vous plaît, auprès de M. _de Caze_. Madame la
+duchesse _de Saint-Pierre_ m'a beaucoup demandé de ses nouvelles, et m'a
+chargée de lui faire ses complimens. Elle l'aime bien, à ce qu'elle m'a
+dit. Dites-lui que cette dame est toujours plus belle: elle a conservé
+un beau teint, une belle gorge. Elle est comme à vingt ans; elle est
+très-aimable: elle a vu bonne compagnie; et un mari sévère, et qui
+connoissoit le monde, l'a rendue d'une politesse charmante. Elle sait
+conserver l'air d'une grande dame, sans humilier les autres. Elle n'a
+point du tout cette politesse haute qui protège; elle a bien de
+l'esprit, elle sait dire des choses flatteuses, et sait mettre les gens
+à leur aise.
+
+Je fis, il y a quelques jours, vos complimens à madame _de Tencin_
+moi-même. Vous êtes surprise; mais écoutez, et vous le serez davantage.
+J'étois dans la chambre de madame sa sœur. Elle entra, je voulus m'en
+aller. C'est ce que je faisois ordinairement, parce qu'elle me refusoit
+le salut. Elle étoit d'un embarras horrible; elle m'attaqua de
+conversation, loua d'abord la robe que je portois, me parla de la santé
+de madame sa sœur, et enfin elle resta deux heures à toujours causer et
+de très-bonne humeur. Nous vînmes à parler de notre voyage en Bourgogne,
+à Pont-de-Vesle, à Genève. Je pris cette occasion, et lui dis que
+j'avois reçu dernièrement votre lettre où vous me chargiez de lui faire
+des complimens. Elle me dit que cela la surprenoit, qu'il y avoit des
+temps infinis qu'elle n'avoit entendu parler de vous. Je l'assurai que
+ce n'étoit pas votre faute; que, presque dans toutes vos lettres, vous
+faisiez des complimens pour elle, et que, comme je n'avois pas l'honneur
+de la voir, j'en avois chargé plusieurs personnes, entr'autres
+_d'Argental_; que, sur-tout à mon départ de Genève, vous m'aviez
+recommandé de lui faire bien des amitiés de votre part. Elle me dit que
+ce ressouvenir lui faisoit bien du plaisir, parce qu'elle vous aimoit
+beaucoup. Elle me fit bien des questions sur votre santé et sur vos
+affaires. Je lui rendis compte de l'arrangement que vous aviez fait;
+elle dit à cela qu'elle vous reconnoissoit bien, et que personne n'étoit
+plus capable que vous, de bons et nobles procédés. Depuis ce temps-là,
+nous nous sommes revues. Nous avons fait la conversation comme si nous
+n'avions pas été mal ensemble et sans éclaircissement. J'en veux rester
+à ce point. Je ne vais point chez elle. Il me sera difficile de
+l'éviter; mais si j'y vais, fiez-vous-en à moi, ce sera sobrement.
+
+On ne parle ici que de l'abbé _Pâris_, des miracles et des convulsions
+qui s'opèrent sur son tombeau. Les uns disent qu'il fait des miracles;
+les autres, que ce sont des friponneries. Les partis s'exercent à
+outrance. Les neutres et les bons catholiques, c'est-à-dire, les vrais,
+sont peu édifiés. On n'entend que calomnie, fureur, emportement et
+friponnerie. Les mieux sont ceux qui ne sont que fanatiques, et ceux-là
+se croient tout permis. Voilà ce qui fait le sujet de toutes les
+conversations, et messieurs _de B....._ les chansonnent. Il y a des
+couplets sur la duchesse douairière; ils sont trop grossiers pour que je
+vous les envoie. On joue à l'opéra _Callirhoë_, qui ne réussit pas,
+quoique cet opéra soit intéressant et joli; mais le grand air à présent
+est de n'aller que le vendredi à l'opéra; et d'ailleurs, comme tout est
+esprit de parti, les partisans de la _Le Maure_ sont en plus grand
+nombre à présent que ceux de la _Pellissier_. M. _d'Argental_ est
+amoureux de cette dernière; il est aimé, et il s'en cache beaucoup. Il
+croit que je l'ignore, et je n'ai garde de lui en parler. Elle en est
+folle; elle est tout aussi impertinente que la _Le Couvreur_; mais elle
+est sotte, et ne lui fera point faire de folie. C'est un furieux
+ridicule à un homme sage et en charge, que d'être toujours attaché à une
+comédienne. Tous les partisans de la _Le Maure_ trouvent la _Pellissier_
+outrée et peu naturelle. Ils disent que c'est M. _d'Argental_ et ses
+amis qui la gâtent. Cela m'afflige; mais, connoissant son abandon pour
+ce qu'il aime, je me console de cela, parce qu'il s'en cache, et que par
+conséquent, il vit plus avec le monde pour dépayser. Pour M. _de
+Pont-de-Vesle_, il se porte à merveille; il est galant au possible; il
+me demande souvent de vos nouvelles. M. _de Ferriol_ est assez bien,
+mais horriblement sourd et gourmand. Voilà un compte exact de toutes les
+nouvelles, mais je ne vous ai pas encore rendu compte de mon cœur. Pour
+vous, je vous aime parfaitement. Cette amitié fait le bonheur de ma vie,
+et souvent la peine; car j'ai le cœur serré, quand je pense qu'une
+personne que j'aime si tendrement, je ne la vois point. Aimez-moi,
+Madame, comme je vous aime.
+
+
+
+
+LETTRE XXVIII.
+
+Paris, 1731.
+
+
+Ma santé, Madame, se rétablit tout doucement. Ma convalescence est
+longue; mais ma maladie l'a été. Il n'est point surprenant que j'aie de
+la peine à réparer mes forces. Vos bontés et vos vœux pour moi me font
+un bien infini: je vous en remercie de tout mon cœur. Vos lettres m'ont
+fait un grand plaisir; mais le chagrin de vous causer des inquiétudes
+diminue ma satisfaction d'être autant aimée. En vérité, rattachement
+tendre que je vous ai voué, mérite les bontés que vous avez pour moi.
+Je vous aime et vous estime comme vous le méritez; c'est sans bornes.
+Continuez, Madame, à me rendre heureuse; car je mourrois de douleur, si
+vous cessiez d'avoir de l'amitié pour moi.
+
+Madame _de Tencin_ est, comme vous le savez, exilée à Ablons depuis
+quatre mois. Elle a été très-malade. _Astruc_ est comme _Roland_. Je ne
+sais si c'est badinage, ou si c'est tout de bon; mais, ce qu'il y a de
+certain, c'est que personne ne la plaint, et bien des gens disent
+qu'elle n'a rien de mieux à faire qu'à mourir. Voilà de bons propos. M.
+_de Saint-Florentin_ est à l'extrémité: s'il en revient, il deviendra
+sage, ou il sera incorrigible. M. _de Gesvres_ et le duc _d'Épernon_
+sont toujours exilés. On appelle leur conjuration, _la conspiration des
+marmousets_. Tout le monde se moque d'eux. M. _de Bedevolle_ étoit un
+des conjurés; il laisse une réputation qui ne flaire pas comme baume. On
+dit que c'est un esprit très-dangereux, d'autant plus qu'il est fripon.
+Adieu, Madame, je ne puis écrire plus long-temps, je suis trop foible.
+
+
+
+
+LETTRE XXIX.
+
+_Histoire de mes Amours avec le duc_ DE GESVRES.
+
+1731.
+
+
+Je conviens, Madame, malgré votre colère et le respect que je vous dois,
+que j'ai eu un goût violent pour M. le duc _de Gesvres_, et que j'ai
+même porté à confesse ce grand péché. Il est vrai que mon confesseur ne
+jugea pas à propos de me donner de pénitence. J'avois huit ans, quand
+cette passion commença, et à douze ans, je tournois en plaisanterie mon
+goût; non que je ne trouvasse M. _de Gesvres_ aimable, mais je trouvois
+plaisans tous les empressemens que j'avois eus d'aller causer et jouer
+dans les jardins avec lui et ses frères: il a deux ou trois ans plus que
+moi, et nous étions, à ce qui nous paroissoit, beaucoup plus vieux que
+les autres. Cela faisoit que nous causions, lorsque les autres jouoient
+à la cligne-musette. Nous faisions les personnes raisonnables; nous nous
+voyions régulièrement tous les jours; nous n'avons jamais parlé d'amour,
+car en vérité, nous ne savions ce que c'étoit ni l'un ni l'autre. La
+fenêtre du petit appartement donnoit sur un balcon où il venoit souvent;
+nous nous faisions des mines; il nous menoit à tous les feux de la
+Saint-Jean, et souvent à Saint-Ouen. Comme on nous voyoit toujours
+ensemble, les gouverneurs et les gouvernantes en firent des
+plaisanteries entr'eux, et cela vint aux oreilles de mon Aga[200] qui,
+comme vous le jugez, fit un beau roman de tout cela. Je le sus: cela
+m'affligea; je crus, comme une personne raisonnable, qu'il falloit
+m'observer, et cette observation me fit croire que je pourrois bien
+aimer M. _de Gesvres_; j'étois dévote, et j'allois à confesse; je dis
+d'abord tous mes petits péchés: enfin il fallut dire le gros péché;
+j'eus de la peine à m'y résoudre; mais en fille bien élevée, je ne
+voulus rien cacher. Je dis que j'aimois un jeune homme. Mon directeur
+parut étonné, il me demanda quel âge il avoit. Je dis qu'il avoit onze
+ans: il me demanda s'il m'aimoit, et s'il me l'avoit dit; je dis que
+non; il continua ses questions. «Comment l'aimez-vous, me dit-il? Comme
+moi-même, lui répondis-je. Mais me répliqua-t-il, l'aimez-vous autant
+que Dieu?» Je me fâchai, et je trouvai fort mauvais qu'il m'en
+soupçonnât. Il se mit à rire, et me dit qu'il n'y avoit point de
+pénitence pour un pareil péché; que je n'avois qu'à continuer d'être
+toujours bien sage, et de n'être jamais seule avec un homme; que c'étoit
+tout ce qu'il avoit à me dire pour l'heure. Je conviendrai encore qu'un
+jour, j'avois alors douze ans, lui de quatorze à quinze, il parloit avec
+transport qu'il feroit la campagne prochaine; je me sentis choquée
+qu'il n'eût pas de regret de me quitter, et je lui dis avec aigreur: «ce
+discours est bien désobligeant pour nous». Il m'en fit des excuses, et
+nous disputâmes long-temps là-dessus. Voilà ce qu'il y a jamais eu de
+plus fort entre nous. Je crois qu'il avoit autant de goût pour moi, que
+j'en avois pour lui. Nous étions tous deux très-innocens, moi dévote,
+lui autre chose. Voilà la fin du roman. Depuis ce temps-là, nous nous
+sommes rappelé nos jeunes ans, sans cependant nous trop étendre; la
+matière étoit délicate, soit plaisanterie, soit sérieusement; le sujet
+et nos âges me justifieront-ils, Madame? voilà la vérité pure. Pour
+celui qui l'a dit, c'est assurément _Bedevolle_; il porte son esprit
+tracassier dans tous les pays qu'il habite. Vous devriez toujours
+prendre ma défense, et me conserver l'estime du public. Savez-vous bien
+que je suis réellement piquée et en colère des soupçons que vous avez de
+moi? Il faut que vous ne m'aimiez pas autant que je m'en étois flattée.
+Quoi! Madame, vous me croiriez capable de vous tromper! Je vous ai fait
+l'aveu de toutes mes foiblesses; elles sont bien grandes; mais jamais je
+n'ai pu aimer qui je ne pouvois estimer. Si ma raison n'a pu vaincre ma
+passion, mon cœur ne pouvoit être séduit que par la vertu, ou par tout
+ce qui en avoit l'apparence. Je conviens, avec douleur, que vous ne
+pouvez arracher de mon cœur l'amour le plus violent; mais soyez assurée
+que je sens toutes les obligations que je vous ai, et que je ne varierai
+jamais sur les sentimens tendres que je vous ai voués. Ma reconnoissance
+égale mon amitié et mon estime pour vous. Vous êtes la personne la plus
+respectable et la plus aimable que je connoisse. Je vous proteste que
+l'on est bien éloigné de chercher à rompre cette confiance que j'ai pour
+vous. Le chevalier vous aime et vous respecte infiniment; il s'attendrit
+quand je parle du malheur que j'ai d'être séparée de vous, et quelque
+crainte que l'on ait de me perdre, l'estime est plus forte. Quand je
+lui ai raconté les conversations que j'avois eues avec vous, je l'ai
+fait pleurer, et tout ce qu'il disoit étoit: «hélas! j'ai couru de
+furieux risques.» Il paroissoit très-inquiet que cela n'eût diminué mon
+goût pour lui, sentant que cela en étoit bien capable; il me remercia
+après cela, de la façon du monde la plus touchante, de l'aimer encore.
+Vous n'ignorez pas le fruit des soins que l'on avoit pris pour nous
+désunir et pour me perdre. Le chevalier a trop de délicatesse, pour que
+l'aversion et le mépris ne fussent pas la récompense de ces âmes basses.
+Jugez ce que le contraire a dû faire. On a été bien éloigné de vous
+attribuer le refroidissement de mes lettres, pendant mon séjour en
+Bourgogne: il tomboit sur la _gentille Bourguignonne_, et croyoit que la
+maréchale me disoit du mal de lui. Son attachement devient tous les
+jours plus fort: ma maladie l'a mis dans des inquiétudes si terribles,
+qu'il faisoit pitié à tout le monde, et on venoit me rendre ses
+discours. En vérité, vous en auriez pleuré, Madame, aussi bien que moi.
+Il étoit dans des frayeurs énormes que je ne mourusse. Il n'étoit pas
+possible, disoit-il, qu'il pût résister à ce malheur. Sa douleur et sa
+tristesse étoient si grandes, que je le consolois, et je cachois mes
+maux, tant que je le pouvois; il avoit toujours les larmes aux yeux; je
+n'osois le regarder, il m'attendrissoit trop. Madame _de Ferriol_ me
+demanda un jour si je l'avois ensorcelé; je lui répondis: «le charme
+dont je me suis servie, est d'aimer malgré moi, et de lui rendre la vie
+du monde la plus douce». L'envie lui fit faire la question, et la malice
+me fit répondre. Voilà, Madame, ce que vous m'avez demandé; mon cœur est
+à découvert. Je passe sous silence mes remords; ma raison m'en fait
+naître; lui et ma passion les étouffent. Quelques rayons d'espérance
+d'une fin, d'une conclusion, aident bien à m'égarer; mais il n'est pas à
+mon pouvoir de les abandonner. Adieu, Madame, je n'en puis plus. Voilà
+une longue lettre, pour une personne aussi foible que moi.
+
+
+
+
+LETTRE XXX.
+
+Paris, 1727.
+
+
+J'ai consulté M. _Silva_ et M. _Gervais_ pour vous, Madame; ils veulent
+que vous vous fassiez saigner souvent, et que vous alliez absolument à
+des bains chauds. Comme votre santé m'est plus chère que ma propre vie,
+je n'ai pas oublié un mot de ce qu'ils m'ont dit. Au nom de Dieu, faites
+ce qu'il faut pour vous procurer une bonne santé! Dieu l'ordonne, vos
+parens le désirent ardemment, et vos amis, à la tête desquels je veux
+être, se mettent à vos genoux. Ne me donnez point pour raison celle de
+la dépense. Je connois la noblesse de votre cœur, et je sais les motifs
+vertueux qui vous rendent si ménagère; mais les hommes, qui ne sont pas
+capables de sentimens si délicats, qui rapportent tout à eux, vous
+accuseront d'un goût pour l'épargne. Cela seroit injuste, je l'avoue;
+mais il faut vivre avec ces hommes. Laissez moins de bien à vos
+héritiers, et donnez-leur un bien plus précieux, qui est votre santé,
+votre vie: l'argent que vous économiserez, pour remédier à votre santé,
+n'est fait que pour s'en servir. Je connois votre famille: ils
+donneroient tous une partie de leurs jours pour prolonger les vôtres. Je
+vous dis tout cela avec une vivacité qui ne peut vous déplaire, puisque
+c'est l'intérêt le plus vif et le plus tendre qui le dicte à ma plume;
+et il est difficile de se modérer, quand on est occupé, comme je le
+suis, d'une amie telle que vous, et dont la santé me tient au cœur.
+Promettez-moi donc que vous ferez les remèdes nécessaires. Songez, et
+soyez bien convaincue que si vous êtes mieux, je serai indubitablement
+soulagée. Je me chagrine et m'attendris pour vous; je ne puis penser à
+vous que je n'aie le cœur gros. La crainte et la douleur étouffent des
+souvenirs qui me plairoient. Laissez-moi penser à vous doucement. Enfin,
+si vous m'aimez, faites votre possible pour guérir.
+
+Il faut que je vous parle de mon foible corps; il est bien foible, je ne
+puis me remettre de ma furieuse maladie, je ne reprends point le
+sommeil, j'ai été trente-sept heures sans fermer les paupières, et
+très-souvent je ne m'endors qu'à sept heures du matin. Vous jugez bien
+si je peux reprendre mes forces; j'ai de la diarrhée depuis quelques
+jours. Les médecins ne comprennent pas trop mon mal, ils disent que
+jamais on n'a eu une fluxion de poitrine sans cracher. Il est vrai que
+j'ai eu de l'oppression, et que j'en ai encore beaucoup. Je suis
+extrêmement maigrie; mon changement ne paroît pas autant quand je suis
+habillée. Je ne suis pas jaune, mais fort pâle; je n'ai pas les yeux
+mauvais: avec une coiffure avancée, je suis encore assez bien; mais le
+déshabillé n'est pas tentant, et mes pauvres bras, qui, même dans leur
+embonpoint, ont toujours été vilains et plais, sont comme deux
+cotterets. Vous auriez été flattée de l'amitié que tout le monde a
+témoignée pour une personne que vous honorez de votre tendresse, si vous
+aviez été témoin de tout ce qui s'est passé pendant que je fus en
+danger: tous mes amis et les domestiques fondoient en larmes; et quand
+j'ai été hors de danger (j'ignorois y avoir été), ils vinrent tous à la
+fois, avec des larmes de joie, me féliciter. Je fus attendrie au point
+qu'ils craignoient d'avoir commis une indiscrétion. Que seriez-vous
+devenue, vous, Madame, qui avez, tant de bonté pour moi, si vous aviez
+été là? Il y a deux de mes amies qui étoient dans la chambre, qui n'y
+purent tenir. Tout cela m'a été conté depuis. La pauvre _Sophie_ a
+souffert tout ce qu'il est possible de souffrir; elle craignoit de
+m'alarmer, elle vouloit avoir l'air assurée; elle faisoit tout ce
+qu'elle pouvoit pour ne pas pleurer. Vous savez combien elle est pieuse;
+elle étoit inquiète pour mon âme, d'autant que _Silva_ étoit furieux
+que l'on ne m'eût pas confessée. Il est vrai que sans avoir la certitude
+que j'étois en danger, je l'avois demandé à madame _de Ferriol_, qui fit
+une autre scène. Elle radote; elle ne fut occupée que du jansénisme.
+Dans ce moment, au lieu de chercher un peu à me rassurer, elle saisit
+avec vivacité la première parole que je lui dis, pour me donner son
+confesseur, et que je n'en prisse point d'autre; je lui répondis d'une
+façon qui auroit fait rentrer une autre personne en elle-même. J'avoue
+que dans ce moment je fus plus indignée qu'effrayée; mais je m'aperçus
+que tout ce que je lui disois étoit inutile; c'étoit semer des
+marguerites devant des pourceaux; elle ne sentoit rien que le plaisir
+d'avoir escamoté ma confession à un janséniste; elle trouva le triomphe
+si beau, qu'elle en devint insolente, et dit à sa femme de chambre des
+choses si piquantes sur _Sophie_, parce qu'elle ne m'avoit pas parlé de
+son confesseur, que cette fille fondit en larmes, en lui disant qu'elle
+et _Sophie_ étoient assez affligées, pour qu'elles méritassent plus de
+consolations que de gronderies; que ma femme de chambre, il est vrai,
+avoit eu plus d'amour pour ma vie que pour mon âme; qu'elle se
+reprochoit ces sentimens, et qu'elle étoit très-soulagée de voir que
+j'aurois les secours de l'âme, sans qu'elle eût eu la douleur de me
+l'apprendre. Que dites-vous de cette scène et de la tendresse de cette
+bonne dame? Mais l'on conserve toujours son caractère: s'il avoit fallu
+aller quatre heures à pied, pour me chercher un remède, elle y auroit
+été avec joie; mais les réflexions tendres et délicates, les sentimens
+du cœur nuls; elle étoit fâchée, comme nous le sommes d'un indifférent
+qui ne nous fait point oublier le reste; elle n'étoit occupée que de la
+colère qu'elle prétendoit que son frère auroit que je fusse morte entre
+les mains d'un janséniste: chose dont je crois qu'il se seroit peu
+soucié; mais elle s'étoit figuré qu'il lui en auroit su mauvais gré, et
+l'en auroit déshéritée. Vous direz peut-être que je m'imagine tout cela.
+Non, en vérité, j'ai trop vécu avec elle, pour ne la pas connoître, et
+d'ailleurs, elle a trop peu de soin de me cacher son âme. J'attribue
+tout ceci à une âme peu tendre et à un corps apoplectique et qui radote.
+Cela ne me fera jamais oublier toutes les obligations que je lui ai, et
+mon devoir; je lui rendrai tous les soins que je lui dois, aux dépens
+même de mon sang. Mais, Madame, qu'il est différent d'agir par devoir ou
+par tendresse. Cela a son bien: je serois trop malheureuse, si j'avois
+pour elle la tendresse que j'ai pour vous. Dans l'état où elle est, il
+faudroit m'enterrer avec elle.
+
+Adieu, Madame, je finis cette longue épître, que je crois très-difficile
+à déchiffrer. Madame _de Tencin_ m'aime à la folie. Qu'en croyez-vous?
+Je voudrais bien qu'elle ne s'aperçut pas de l'éloignement que j'ai pour
+elle: je me crois fausse, et quand je suis avec elle, je suis dans une
+continuelle contrainte. J'embrasse le mari, les femmes, les enfans.
+Permettez cette familiarité à votre _Aïssé_.
+
+_P.S._ J'apprends dans ce moment que le roi vient d'ordonner que le
+cimetière de Saint-Médard seroit fermé, avec défense de l'ouvrir que
+pour enterrer. Comprenez-vous, Madame, qu'on ait permis, depuis près de
+cinq ans, toutes les extravagances qui se sont faites et débitées sur le
+tombeau de l'abbé _Pâris? Fontenelle_ nous assuroit l'autre jour, que
+plus une opinion étoit ridicule, inconcevable, plus elle trouvoit de
+sectateurs. Les hommes aiment le merveilleux; notre ami, M. _Carré de
+Montgeron_[201], jure sur son salut, qu'il a vu des choses
+surnaturelles. Le gros livre qu'il a présenté au roi, cite des guérisons
+miraculeuses; aveugles-nés, boiteux, sourds, muets; appuyé de
+certificats authentiques, signés par des gens de probité reconnue. La
+postérité aura de la peine à croire, que plus de vingt mille âmes aient
+donné dans toutes ces extravagances. Le lendemain de la clôture du
+cimetière, on trouva ces vers:
+
+ De par le roi, défense à Dieu
+ D'opérer miracle en ce lieu.
+
+
+
+
+LETTRE XXXI.
+
+Paris, 1732.
+
+
+J'ai été encore très-incommodée; j'ai eu six jours la fièvre, des
+douleurs effroyables dans tout le corps; je suis toujours fort oppressée
+et foible; les genoux et les mains me font mal. Je me trouve mieux
+aujourd'hui seulement, et je n'épargne pas les ports de lettres, étant
+persuadée comme je le suis, Madame, de votre amitié et de votre bonté
+pour moi. J'envoyai, étant encore bien malade, chez M. _S...._ le prier
+de venir me voir, voulant lui demander de vos nouvelles, et qu'il vous
+donnât des miennes. On ne me permit pas de lui parler, dont j'étois
+outrée. Il est venu aujourd'hui; il m'a appris le mariage de
+mademoiselle _Ducrest_ avec M. _Pictet_. Ah! le bon pays que vous
+habitez, où l'on se marie, quand on s'est aimé, et quand on s'aime
+encore. Plût à Dieu qu'on en fît autant ici! Faites-leur, s'il vous
+plaît, mes complimens de félicitation. M. _S...._ m'a dit que vous vous
+portiez assez bien, et que vous étiez à votre campagne, où vous vous
+amusiez. Je me ressouviendrai toujours de tous les plaisirs que j'y ai
+goûtés. Madame _de Ferriol_ revient de Sens, où elle a été très-malade,
+d'une indigestion des plus dangereuses; elle est heureusement mieux;
+mais si j'avois le malheur de la perdre, et que je lui survécusse,
+sûrement vous me verriez établie à Pont-de-Vesle. Si je suis un peu
+mieux, j'irai à Ablons: le changement d'air pourroit contribuer au
+rétablissement de ma santé.
+
+J'ai une tabatière admirable, que madame _de Parabère_ m'a donnée, et
+que je voudrois bien vous faire voir; car quand j'ai quelque chose de
+joli, je souhaiterois bien qu'il eût votre approbation; c'est une boîte
+de jaspe sanguin, d'une beauté parfaite, montée en or par tout ce qu'il
+y a de plus habile; la forme en est charmante. Elle l'avoit depuis cinq
+à six ans, et l'autre jour, elle en parloit comme d'une boîte favorite.
+Je dis malheureusement qu'elle étoit la mienne, que je n'avois jamais vu
+un bijou de meilleur goût. Sur cela il n'y a ni prières, ni persécutions
+qu'elle ne m'ait faites pour me la faire prendre; elle me menaça de la
+donner au premier venu, si je la refusois: cette boîte vaut plus de cent
+pistoles. Elle m'entretient, il n'y a point de semaines qu'elle ne me
+fasse quelque présent, quelque soin que je prenne de l'éviter: je file
+un meuble, elle m'envoie de la soie, afin que je n'en achète pas; elle
+ne m'a vu cet été que de vieilles robes de taffetas de l'année
+précédente, j'en ai trouvé une sur ma toilette, de taffetas broché,
+charmant; une autre fois, c'est une toile peinte. En un mot, si cela est
+agréable d'un côté, cela est à charge de l'autre. Elle a une amitié et
+une complaisance pour moi, telle qu'on l'auroit pour une sœur chérie.
+Pendant ma maladie, elle quittoit tout, pour venir passer des journées
+auprès de moi; enfin, elle ne veut pas que j'en puisse aimer d'autres
+plus qu'elle, hors le chevalier et vous: elle dit qu'il est juste, de
+toute façon, que vous ayez la préférence, et nous parlons souvent de
+vous. Je lui ai donné une grande idée de mon amie, et telle qu'elle la
+mérite. Plût à Dieu qu'elle vous ressemblât, et qu'elle eût
+quelques-unes de vos vertus! Elle est de ces personnes que le monde et
+l'exemple ont gâtées, et qui n'ont point été assez heureuses pour
+s'arracher au désordre. Elle est bonne, généreuse, a un très-bon cœur;
+mais elle a été abandonnée à l'amour, et elle a eu de bien mauvais
+maîtres. Adieu, Madame; aimez-moi toujours un peu, et croyez que
+personne ne vous est plus tendrement, ni plus respectueusement attaché.
+
+
+
+
+LETTRE XXXII.
+
+Paris, novembre 1732.
+
+
+Je ne vous écris que deux mots, Madame, parce que mes forces sont bien
+diminuées. J'ai été obligée d'écrire une assez longue lettre d'affaires;
+mais je n'ai pas voulu tarder à vous donner de mes nouvelles. Je ne
+doute point de vos bontés pour moi, et que vous seriez en peine, si vous
+étiez plus long-temps sans en recevoir; j'ai moins de fièvre depuis
+trois jours, et suis un peu moins foible. Je suis presque toujours sur
+un lit, et quand je me lève, je me mets sur un canapé. Je prends du lait
+qui passe assez bien. Si cela pouvoit ne pas aller plus mal pendant une
+quinzaine de jours, _Silva_ auroit de l'espérance; ma maladie me ruine,
+et l'avarice est devenue sordide. Si cela continue, nous verrons le
+second volume de madame _Tardieu_, qui se faisoit des jupons des thèses
+que l'on donnoit à son mari. Je vous parlerai dans quelque temps plus
+amplement sur l'état de mon âme. J'espère que vous serez contente: il
+faut pourtant que je vous dise que rien n'approche de l'état de douleur
+et de crainte où l'on est: cela vous feroit pitié; tout le monde en est
+si touché, que l'on n'est occupé qu'à le rassurer. Il croit qu'à force
+de libéralités, il rachètera ma vie; il en donne à toute la maison,
+jusqu'à ma vache, à qui il a acheté du foin; il donne à l'un de quoi
+faire apprendre un métier à son enfant; à l'autre, pour avoir des
+palatines et des rubans; à tout ce qui se rencontre et se présente
+devant lui: cela vise quasi à la folie. Quand je lui ai demandé à quoi
+tout cela étoit bon, il m'a répondu «à obliger tout ce qui vous
+environne à avoir soin de vous.» Pour moi, il n'y a sorte de tourment,
+de persécution qu'il ne me fasse éprouver pour me faire accepter cent
+pistoles; il a eu recours à mes amis, pour me le persuader; enfin, il me
+les a fallu prendre; mais je les ai remises à une personne qui les lui
+rendra après ma mort. Assurément, je n'y toucherai point; je demanderai
+plutôt l'aumône que de ne pas les rendre. Je vous ferois rire, si je
+vous contois les frayeurs qu'il a que je ne parle; _Silva_ me l'a
+défendu sous peine de mort. Ma pauvre _Sophie_, comme vous le jugez
+bien, ne me quitte ni jour, ni nuit. Cet homme-là la mettroit dans son
+cœur, s'il pouvoit; il est outré de n'oser lui donner de l'argent; il
+tourne autour du pot; il trouve cependant quelques expédiens. Si vous le
+connoissiez, vous en seriez étonnée; car il est naturellement distrait,
+et ne connoît point les petits soins: pour la générosité, elle est au
+souverain degré; il se donne la torture pour trouver des moyens de
+donner, et il finit toujours par vouloir donner de l'argent; il frappe
+du pied, et se lamente de n'avoir point d'invention; il envie
+l'imagination du tiers et du quart, qui savent imaginer des
+galanteries; enfin, il retourne à son quartier, et j'aurai la liberté de
+parler; les femmes ne peuvent s'en passer, et je l'éprouve. Adieu,
+Madame, votre _Aïssé_ vous aime au-delà de l'expression. Vous la trouvez
+trop sensible et trop peu détachée; mais qu'il est difficile d'éteindre
+une passion aussi violente, et qui est entretenue par le retour le plus
+tendre, le plus vif et le plus flatteur! Mais, Madame, les efforts que
+je fais, aidés de la grâce, me feront surmonter toutes mes foiblesses.
+
+
+
+
+LETTRE XXXIII.
+
+Paris, 1732.
+
+
+On dit que je suis mieux: non que je trouve du soulagement; je crache
+des horreurs, et je ne dors que par art; je suis tous les jours plus
+maigre et plus foible. Le lait commence, non pas à me dégoûter, car je
+le prends toujours avec plaisir, mais il me surcharge. Je ne puis dire
+que l'état de mon corps soit bien douloureux; car je ne souffre presque
+pas: un peu d'oppression et des malaises. D'ailleurs, je n'ai point de
+ces maladies aiguës. Je me trouve anéantie. Pour les douleurs de l'âme,
+elles sont cruelles. Je ne puis vous dire combien me coûte le sacrifice
+que je fais: il me tue; mais j'espère en la miséricorde de Dieu; il me
+donnera des forces. On ne peut le tromper; ainsi, comme il sait ma bonne
+volonté et tout ce que je sens, il me tirera d'embarras. Enfin, mon
+parti est pris: aussitôt que je pourrai sortir, j'irai rendre compte de
+mes fautes. Je ne veux aucune ostentation, et je ne changerai que
+très-peu de chose à ma conduite extérieure. J'ai des raisons pour en
+agir avec tout le secret du monde: premièrement pour madame _de
+Ferriol_, qui me feroit tourner la tête pour un directeur moliniste; et
+madame _de Tencin_, qui intrigueroit pour cela. D'ailleurs, madame iroit
+de maison en maison ramasser toutes les dévotes de profession qui
+m'accableroient; et, outre tout cela, j'ai des ménagemens à garder avec
+qui vous savez. Il m'a parlé là-dessus avec toute la raison et l'amitié
+possibles. Tous ses bons procédés, sa façon délicate de penser, m'aimant
+pour moi-même, l'intérêt de la pauvre petite, à qui on ne pourroit
+donner un état: tout cela m'engage à beaucoup de ménagement avec lui.
+Mes remords, depuis long-temps, me tourmentent; l'exécution me
+soutiendra. Si le chevalier ne me tient pas ce qu'il m'a promis, je ne
+le verrai plus. Voilà, Madame, mes résolutions, que je tiendrai. Je ne
+doute pas qu'elles n'abrègent ma vie, s'il en faut venir aux extrémités.
+Jamais passion n'a été si violente, et je puis dire qu'elle est aussi
+forte de son côté. Ce sont des inquiétudes et des agitations si vraies,
+si touchantes, que cela fait venir les larmes aux yeux à tous ceux qui
+en sont témoins. Adieu, Madame, je me flatte, comme vous voyez, en vous
+contant tout cela, de vos bontés et de votre indulgence. Mais soyez
+persuadée que, si votre _Aïssé_ vit, elle se rendra digne d'une amitié
+dont elle sent bien tout le prix.
+
+
+
+
+LETTRE XXXIV.
+
+Paris, 1733.
+
+
+Vous m'avez ordonné de vous donner souvent de mes nouvelles. J'obéis de
+bon cœur; car il n'y a rien dans le monde que je révère, que j'estime et
+que j'honore autant que vous. Rien ne m'empêche de me livrer à ce
+goût-là: il est innocent, il est juste. Comment n'aimerois je pas
+quelqu'un qui m'a appris à connoître la vertu, et qui a fait ses efforts
+pour me la faire pratiquer; qui a balancé en moi la passion la plus
+forte? Enfin, Madame, soyez récompensée de vos bonnes œuvres. Je me
+rends à mon créateur; je travaille de très-bonne foi à me défaire de ma
+passion, et je suis très-résolue à abandonner mes erreurs. Si vous
+perdez la personne du monde qui vous est le plus attachée, songez que
+vous avez travaillé à la rendre heureuse dans l'autre vie. Après vous
+avoir parlé des dispositions de mon âme, je vous rendrai compte de
+l'état de mon corps. Je continue de cracher, de tousser et de maigrir.
+Le lait passe assez bien; mais il ne fait pas les progrès que, depuis
+près de deux mois, il devoit faire. Je viens de me ressouvenir qu'une
+religieuse des Nouvelles-Catholiques de mon âge, et pour laquelle
+j'avois beaucoup d'amitié, est morte de la même maladie. Cette idée de
+la mort m'afflige moins que vous ne pensez. Je me trouve trop heureuse
+que Dieu m'ait fait la grâce de me reconnoître, et je vais travailler à
+mettre à profit le temps qui me reste. Après tout, ma chère amie, un peu
+plutôt, un peu plus tard, qu'est-ce que la vie? Personne ne devoit être
+plus heureuse que moi, et je ne l'étois point. Ma mauvaise conduite
+m'avoit rendue misérable: j'ai été le jouet des passions, emportée et
+gouvernée par elles. Mes remords, les chagrins de mes amies, leur
+éloignement, une santé presque toujours mauvaise; enfin personne ne sait
+mieux que vous, Madame, combien une vie douloureuse est pénible. Adieu,
+chère amie, aimez-moi, et priez pour le repos de mon âme, soit en ce
+monde ou en l'autre. J'embrasse mesdames vos filles.
+
+
+
+
+LETTRE XXXV.
+
+Paris, 1733.
+
+
+J'ai reçu cet après-midi votre lettre, Madame, qui m'a donné un vrai
+plaisir. Ma santé est toujours de même; et la saison est très-peu propre
+pour attendre des succès des remèdes. Vous me demandez si je suis
+changée; je le suis très-fort: mes yeux sont d'un gris brun jaune, le
+tour de ma bouche maigri et marqué, pâle et abattue. Pour le corps, je
+n'ai plus que la peau et les os; si je mettois du rouge, cela me
+ranimeroit: la physionomie est moins changée qu'elle ne devroit être;
+mes lèvres ne sont pas pâles: en un mot, c'est une vilaine chose qu'un
+corps maigre. A l'égard de mon âme, j'espère que dimanche prochain, elle
+sera délivrée de toutes ses impuretés; je m'accuserai de toutes mes
+fautes. J'ai eu une scène bien touchante hier. Je vous envoie une copie
+d'une lettre que l'on m'a rendue en réponse d'une que j'avois écrite,
+remplie de sentimens d'amitié, de détachement et de ma résolution. Comme
+on me la rendit soi-même, je ne la lus pas sur-le-champ. Nous parlâmes
+sur cette matière; vous auriez fondu en larmes aussi bien que nous; mais
+cette scène ne dérange point mes projets, et on ne cherche pas à les
+déranger. Vous serez étonnée, quand je vous dirai que mes confidentes et
+les instrumens de ma conversion sont mon amant, mesdames _de Parabère_
+et _du Deffant_, et que celle dont je me cache le plus, c'est celle que
+je devrois regarder comme ma mère. Enfin, madame _de Parabère_ l'emmène
+dimanche, et madame _du Deffant_ est celle qui m'a indiqué le P.
+_Bourceaux_, dont je ne doute pas que vous n'ayez entendu parler; il a
+beaucoup d'esprit, bien de la connoissance du monde et du cœur humain;
+il est sage, et ne se pique point d'être un directeur à la mode. Vous
+êtes surprise, je le vois, du choix de mes confidentes; elles sont mes
+gardes, et sur-tout madame _de Parabère_ qui ne me quitte presque point,
+et a pour moi une amitié étonnante; elle m'accable de soins, de bontés
+et de présens. Elle, ses gens, tout ce qu'elle possède, j'en dispose
+comme elle, et plus qu'elle; elle se renferme chez moi toute seule et se
+prive de voir ses amis; elle me sert sans m'approuver, ni me
+désapprouver, c'est-à-dire, elle m'a écoutée avec amitié, m'a offert son
+carrosse pour envoyer chercher le P. _Bourceaux_, et comme je vous l'ai
+dit, elle emmène madame _de Ferriol_, pour que je puisse être
+tranquille; madame _du Deffant_, sans avoir ma façon de penser, m'a
+proposé elle-même son confesseur; je ne doute point que ce qui se passe
+sous leurs yeux ne jette quelqu'étincelle de conversion dans leur âme.
+Dieu le veuille! Adieu, madame: j'ai tant de joie à causer avec vous,
+que je ne puis vous quitter. Hélas! il faudra bien.
+
+_Lettre du Chevalier à mademoiselle_ AÏSSÉ.
+
+«Votre lettre, ma chère _Aïssé_, me touche bien plus qu'elle ne me
+fâche; elle a un air de vérité, et une odeur de vertu à laquelle je ne
+puis résister; je ne me plains de rien, puisque vous me promettez de
+m'aimer toujours. J'avoue que je ne suis pas dans les principes où vous
+êtes; mais, Dieu merci, je suis encore plus éloigné de l'esprit de
+prosélytisme, et je trouve très-juste que chacun se conduise suivant les
+lumières de sa conscience. Soyez tranquille, soyez heureuse, ma chère
+_Aïssé_, il ne m'importe des moyens: ils me paroîtront tous
+supportables, pourvu qu'ils ne me chassent pas de votre cœur. Vous
+verrez par ma conduite que je mérite vos bontés. Eh! pourquoi ne
+m'aimeriez-vous plus, puisque c'est votre sincérité, c'est la pureté de
+votre âme qui m'attache à vous? Je vous l'ai dit mille fois, et vous
+verrez que je ne vous trompe pas; mais est-il juste que vous attendiez
+que les effets vous aient prouvé ce que je dis, pour le croire? Ne me
+connoissez-vous pas assez pour avoir en moi cette confiance qu'inspire
+toujours la vérité aux gens qui sont capables de la sentir. Soyez, dès
+ce moment, persuadée que je vous aime, ma chère _Aïssé_, aussi
+tendrement qu'il est possible, aussi purement que vous pouvez le
+désirer; croyez sur-tout que je suis plus éloigné que vous-même, de
+prendre jamais d'autre engagement. Je trouve qu'il ne doit rien manquer
+à mon bonheur, tant que vous me permettrez de vous voir, et de me
+flatter que vous me regarderez comme l'homme du monde qui vous est le
+plus attaché. Je vous verrai demain, et ce sera moi-même qui vous
+rendrai cette lettre. J'ai mieux aimé vous écrire que de vous parler,
+parce que je sens que je ne pourrois traiter avec vous la matière, sans
+perdre contenance. Je suis encore trop sensible; mais je ne veux être
+que ce que vous voulez que je sois; et dans le parti que vous avez pris,
+il suffit de vous assurer de ma soumission et de la constance de mon
+attachement, dans tous les termes où il vous plaira de le réduire, sans
+vous laisser voir des larmes que je ne pourrois empêcher de couler, mais
+que je désavoue, puisque vous m'assurez que vous aurez toujours pour moi
+de l'amitié. J'ose le croire, ma chère _Aïssé_, non-seulement parce que
+je sais que vous êtes sincère, mais encore parce que je suis persuadé
+qu'il est impossible qu'un attachement aussi tendre, aussi fidèle, aussi
+délicat que le mien, ne fasse pas l'impression qu'il doit faire sur un
+cœur comme le vôtre.»
+
+
+
+
+LETTRE XXXVI.
+
+Paris, 1733.
+
+
+Je ne puis causer long-temps avec vous aujourd'hui; mais je vous dirai
+ce qui mettra le comble à vos souhaits; j'ai, Dieu merci, exécuté ce que
+je vous avois mandé, je suis comblée; ma tranquillité n'est plus que
+trop grande; car je ne me sens pas assez repentante de mes fautes; mais
+je suis dans la ferme résolution de ne plus succomber, si Dieu ne me
+retire pas sitôt à lui. Je ne souhaite plus la vie que pour remplir mes
+devoirs, et me conduire d'une façon qui puisse mériter la miséricorde de
+ce bon père. Il y aura demain huit jours que le Père _Bourceaux_ a reçu
+ma confession. La démarche que j'ai faite a donné à mon âme un calme que
+je n'aurois point, si j'étois restée dans mes égaremens; j'aurois avec
+l'objet d'une mort présente, les remords, qui m'auroient rendue bien
+malheureuse dans ces derniers instans: je suis dans un tel état de
+foiblesse, que je ne puis sortir de mon lit; je m'enrhume à tous les
+momens. Mon médecin a pour moi des attentions étonnantes, il est mon
+ami, je suis bienheureuse en tout: tout ce qui est autour de moi, me
+sert avec affection: la pauvre _Sophie_ a des soins étonnans de mon
+corps et de mon âme; elle m'a donné de si bons exemples, qu'elle m'a
+presque forcée à devenir plus sage; elle ne m'a point prêchée; son
+exemple et son silence ont eu plus d'éloquence que tous les sermons du
+monde; elle est affligée jusqu'au fond du cœur; elle ne manquera jamais
+de rien, quand elle m'aura perdue[202]. Tous mes amis l'aiment beaucoup,
+et en auront soin. J'espère qu'elle n'en aura pas besoin. J'ai la
+consolation de lui laisser du pain. Je ne vous parle point du
+chevalier; il est au désespoir de me voir aussi mal; jamais on n'a vu
+une passion aussi violente, plus de délicatesse, plus de sentiment, plus
+de noblesse et de générosité. Je ne suis point inquiète de la pauvre
+petite: elle a un ami et un protecteur, qui l'aime tendrement. Adieu, ma
+chère Madame, je n'ai plus la force d'écrire. C'est encore pour moi une
+douceur infinie de penser à vous; mais je ne puis m'occuper de cette
+joie, sans m'attendrir, ma chère amie. La vie que j'ai menée, a été bien
+misérable: ai-je jamais joui d'un instant de joie? je ne pouvois être
+avec moi-même, je craignois de penser; mes remords ne m'ont jamais
+abandonnée depuis le moment où j'ai commencé à ouvrir les yeux sur mes
+égaremens. Pourquoi serois-je effrayée de la séparation de mon âme,
+puisque je suis persuadée que Dieu est tout bon, et que le moment où je
+jouirai du bonheur, sera celui où je quitterai ce misérable corps?
+
+FIN.
+
+
+ERRATUM IMPORTANT.
+
+
+C'est d'après de faux renseignemens que dans cette édition et dans la
+précédente, nous avons avancé que les lettres de mademoiselle _Aïssé_
+étoient adressées à madame _Saladin_, femme du résident de Genève à
+Paris. Au moment où l'on achevoit l'impression de ce recueil, nous avons
+appris que la personne à qui mademoiselle _Aïssé_ écrivoit, étoit madame
+_Calendrini_, de Genève, dont le mari avoit habité Paris pour ses
+affaires, et non pas pour celles de la république. Ce fait est confirmé
+par le passage d'une lettre de _Voltaire_ à M. _d'Argental_, (v. la
+_Correspondance générale_ de _Voltaire_, tome 6, page 96 de l'édition de
+Kelh, in-12.) Le lecteur voudra donc bien substituer le nom de
+_Calendrini_ ou _Calendrin_, comme l'écrit _Voltaire_, au nom de
+_Saladin_, partout où ce dernier se trouve écrit, soit dans la notice
+qui précède les lettres de mademoiselle _Aïssé_, soit dans les lettres
+mêmes.
+
+
+FOOTNOTES:
+
+[1] _Voyez_ le numéro du journal _des Débats_ du 3 messidor an XIII.
+
+[2] Depuis plusieurs années, on a réuni aux Lettres de madame _de
+Sévigné_ celles de mesdames _de Coulanges_ et _de la Fayette_. Cette
+partie de notre collection fera un double emploi peu considérable pour
+ceux qui ont des éditions récentes de madame _de Sévigné_; et ceux qui
+n'ont que des éditions antérieures, seront sans doute bien aises de
+pouvoir les compléter au moyen de notre recueil.
+
+[3] Caractères de _La Bruyère_, chap. Ier. _des Ouvrages de
+l'Esprit_.
+
+[4] _Abrégé Chronologique de l'Histoire de France_, tom. 3, p. 846.
+
+[5] Lettre de madame _de Sévigné_ à madame _de Grignan_, du 8 octobre
+1679.
+
+[6] Cette phrase est une preuve que toutes les Lettres de madame _de
+Villars_ à madame _de Coulanges_ n'ont pas été conservées; elle ne se
+trouve dans aucune de celles qui nous restent.
+
+[7] Lettre de madame _de Sévigné_ à madame _de Grignan_, du 28 février
+1680.
+
+[8] Littéralement, _prendre le soleil_.
+
+[9] Gouverneur du Milanais, conseiller d'état, président du conseil des
+ordres et grand écuyer de la reine.
+
+[10] Père de la princesse _d'Harcourt_.
+
+[11] C'est une espèce de panier.
+
+[12] Coussin.
+
+[13] La marquise _del Carpio_, femme du marquis _de Liche_, alors
+ambassadeur à Rome.
+
+[14] Apparitions.
+
+[15] Les ambassadrices d'Allemagne et de Danemarck.
+
+[16] Fille de madame _de Sévigné_.
+
+[17] Donner ou faire place.
+
+[18] François, duc _de la Rochefoucauld_, prince _de Marsillac_, etc.
+auteur des _Maximes_ et des _Mémoires_, etc. mort le 17 mars 1680. Il a
+eu cinq garçons et trois filles.
+
+[19] Les quatre Rois sont:
+
+_Charles-Quint_, Empereur.
+
+_Philippe II._
+
+_Philippe III._
+
+_Philippe IV._
+
+
+[20] Le marquis _de Ligneville_.
+
+[21] _Charlotte-Elisabeth_ de Bavière, princesse palatine, seconde femme
+de _Monsieur_.
+
+[22] M. et madame _de Villars_ avoient tous deux 55 ans. Il mourut en
+1698; elle en 1706.
+
+[23] Madame _de Coulanges_ avoit pourtant 49 ans.
+
+[24] Le maréchal son fils étoit âgé de 28 à 29 ans.
+
+[25] Fille aînée de _Henri II_ et de _Catherine de Médicis_, femme de
+_Philippe II_, roi d'Espagne. Elle mourut le 3 octobre 1568, en couche,
+non sans soupçon de poison.
+
+[26] Fils de _Philippe II_, exécuté le 24 juillet 1568. Il avoit demandé
+et obtenu la princesse _Elisabeth_; mais le roi, étant devenu veuf, la
+prit pour lui.
+
+[27] De la maison de Portugal.
+
+[28] Château royal de Ségovie.
+
+[29] Selon le proverbe, _que ce qui est violent ne dure pas_.
+
+[30] Place publique de la ville de Lyon.
+
+[31] François _de Neuville_, marquis, puis duc _de Villeroi_, pair et
+maréchal de France.
+
+[32] De la charge de grand-maître de la Garde-robe.
+
+[33] Château de la maison de _Villeroi_, à quatre lieues de Lyon.
+
+[34] M. _de Louvois_, ministre.
+
+[35] A M. _de Corbinelli_.
+
+[36] Le prince _d'Orange_ fut obligé de lever le siége de Charleroi le
+22 décembre 1672.
+
+[37] Madame _de Coulanges_ étoit nièce de la femme de M. _le Tellier_,
+depuis chancelier de France.
+
+[38] Charles _de Brancas_, père de la princesse _d'Harcourt_, et
+chevalier d'honneur de la reine Anne _d'Autriche_.
+
+[39] Madame _de Richelieu_.
+
+[40] Capitaine des Gendarmes Dauphin.
+
+[41] M. _de Sévigné_ étoit guidon des Gendarmes Dauphin.
+
+[42] Tragédie de _Racine_, représentée, pour la première fois, en
+janvier 1673.
+
+[43] _De Retz_.
+
+[44] Selon la manière de prononcer de madame _de Ludre_.
+
+[45] Madame _de Sévigné_ nommoit ainsi la fille de madame _de Grignan_,
+qui étoit née le 15 novembre 1670.
+
+[46] Madame _de Montespan_.
+
+[47] Le roi.
+
+[48] M. _de Sévigné_.
+
+[49] Madame _de Coulanges_ étoit cousine-germaine de M. _de Louvois_.
+
+[50] Héros de roman.
+
+[51] Il étoit question du mariage du marquis _de Grignan_, petit-fils de
+madame _de Sévigné_, avec mademoiselle _de Saint-Amant_, qu'il épousa
+peu de temps après.
+
+[52] Fille de madame _de Grignan_, depuis marquise _de Simiane_.
+
+[53] Mort le 5 décembre 1694, âgé de 64 ans.
+
+[54] François _de Clermont-Tonnerre_, évêque et comte de Noyon.
+
+[55] L'abbé _Testu_ avoit fait des stances chrétiennes sur divers
+passages de l'Écriture et des Pères.
+
+[56] C'est-à-dire, le mariage du marquis _de Grignan_ avec mademoiselle
+_de Saint-Amant_.
+
+[57] Marie _Stuard_, fille de Jacques II, roi d'Angleterre, et femme de
+Guillaume III, roi d'Angleterre, lequel n'étoit connu alors en France
+que sous le nom de prince _d'Orange_.
+
+[58] Mort le 4 janvier 1695, âgé de 67 ans.
+
+[59] Morte le 7 janvier 1695.
+
+[60] M. _de Coulanges_ appeloit madame _de Louvois_ sa seconde femme.
+
+[61] Pour sa charge de capitaine des gardes du corps de S. M.
+
+[62] C'étoit _M. de Coulanges_.
+
+[63] Ce mariage ne se fit point. Mademoiselle _de Croissi_ fut mariée,
+en 1696, au marquis _de Bouzoles_; et le comte _de Tillières_ épousa, en
+1699, mademoiselle _du Gué de Bagnols_, nièce de madame _de Coulanges_.
+
+[64] De l'archevêché de Cambrai.
+
+[65] Madame _de Sévigné_ étoit la marraine du chevalier _de Sanzei_.
+
+[66] Cette lettre et la précédente étoient écrites sur des feuilles
+volantes d'un très-petit papier.
+
+[67] Le gouvernement de Bretagne fut donné à feu M. le comte _de
+Toulouse_, et celui de Guyenne à M. le duc _de Chaulnes_.
+
+[68] M. _de Poissi_ n'épousa point mademoiselle _de Beaumelet_, et ne se
+maria qu'en 1698 avee mademoiselle _de Varangeville_.
+
+[69] L'abbé _Duguet_, auteur de l'_Institution d'un Prince_.
+
+[70] A cause de l'extrême dévotion de madame _de la Sablière_, à qui
+cette maison appartenoit auparavant.
+
+[71] Par le P. _de la Rue_, jésuite.
+
+[72] _Guillaume III_, roi d'Angleterre.
+
+[73] La marquise _de Grignan_.
+
+[74] Le duc _du Lude_.
+
+[75] L'abbé _de Rancé_.
+
+[76] Intendant de l'armée de Flandre.
+
+[77] Anne-Françoise _de Loménie_, femme de Louis _Boucherat_, chancelier
+de France.
+
+[78] Allusion au père _de la Chaise_, confesseur du roi.
+
+[79] Achilles _de Harlai_, premier président du parlement de Paris.
+
+[80] Madame _du Gué-Bagnols_.
+
+[81] François _de Harlai de Chanvalon_, archevêque de Paris, mort à
+Conflans près de Paris, le 6 d'août 1698, âgé de 70 ans.
+
+[82] M. _de Fénélon_.
+
+[83] C'étoit le maréchal _de Villeroi_ qui commandoit l'armée en ce
+temps-là.
+
+[84] Sœur de madame _de Montespan_.
+
+[85] Allusion à ces vers du _Menteur_: Mais, puisque nous voici dedans
+les Tuileries, Le séjour du beau monde et des galanteries.
+
+[86] Louis-Antoine _de Noailles_, évêque de Châlons, depuis cardinal.
+
+[87] M. _de Sanzei_, neveu de M. _de Coulanges_.
+
+[88] Marguerite _le Tellier_, fille du marquis _de Louvois_, ministre de
+la guerre.
+
+[89] Ce mariage ne se fit point avec mademoiselle _de Clérembault_, mais
+avec mademoiselle _de Duras_, fille du maréchal de ce nom, en 1696.
+
+[90] Ce mariage ne se fit que le premier avril 1698.
+
+[91] Madame la comtesse _de Grignan_.
+
+[92] Depuis marquise _de Simiane_.
+
+[93] C'est à l'occasion du mariage de mademoiselle _de Grignan_, qui
+devoit bientôt épouser le marquis _de Simiane_.
+
+[94] Louis-Marie-Armand _de Simiane de Gordes_, évêque de Langres, mort
+le 21 novembre 1695.
+
+[95] Catherine _de Rougé du Plessis-Bellière_.
+
+[96] Nicolas-Charles _de Créqui_, marquis _de Blanchefort_, mort à
+Tournai le 16 mars 1696, âgé de 27 ans.
+
+[97] Claude _de Longueil_, marquis _de Poissi_ et _de Maisons_,
+président à mortier au parlement de Paris.
+
+[98] Louise _de Fieubet_, mère de M. _de Poissi_.
+
+[99] Elle fut mariée, en 1699, au comte _de Tillières_.
+
+[100] Sœur de madame _de Montespan_.
+
+[101] Pauline Adhémar _de Monteil_, marquise _de Simiane_, et
+petite-fille de madame _de Sévigné_.
+
+[102] Madame _de Sévigné_, morte à Grignan peu de jours auparavant.
+
+[103] De madame _de Sévigné_, grand'mère de madame _de Simiane_, et
+bonne amie de madame _de Coulanges_, morte depuis environ six semaines.
+
+[104] A cause de l'extrême tendresse de madame _de Sévigné_ pour madame
+_de Grignan_, sa fille.
+
+[105] La princesse _de Savoie_, qui devoit être dans peu duchesse _de
+Bourgogne_, est appelée ici _la voisine_ de madame _de Simiane_, parce
+qu'alors madame _de Simiane_ demeuroit en Provence.
+
+[106] Il a déjà été remarqué que M. _de Coulanges_ appeloit madame _de
+Louvois_ sa seconde femme.
+
+[107] A cause de la proximité du Piémont et de la Provence.
+
+[108] Dame d'honneur de madame la duchesse _de Bourgogne_.
+
+[109] Madame _du Lude_ n'avoit point d'enfans.
+
+[110] La mort de Charles II, roi d'Espagne, appela, par son testament,
+M. le duc _d'Anjou_ à la succession entière de la monarchie d'Espagne.
+
+[111] M. le duc _de Bourgogne_ et M. le duc _de Berri_, après avoir
+accompagné le roi d'Espagne, leur frère, sur la frontière d'Espagne,
+firent le voyage de Provence.
+
+[112] _Philippe_, fils de France, frère unique de Louis XIV, mort à
+Saint-Cloud le 9 de juin 1701, âgé de soixante ans et huit mois.
+
+[113] Louise-Marie _de la Grange d'Acquien_, femme du marquis _de
+Béthune_, et sœur de Marie-Casimire _de la Grange_, reine de Pologne.
+
+[114] Madame _de Bracciane_ étoit fort vieille.
+
+[115] Au combat de Chiari.
+
+[116] Allusion à madame _de Bracciane_, qui, malgré son âge avancé,
+conduisoit la reine d'Espagne.
+
+[117] Marie-Antoinette _Servien_, morte le 26 janvier 1702.
+
+[118] Madame _de Simiane_ n'avoit alors que 26 à 27 ans.
+
+[119] Armand-Jean _du Plessis_, duc _de Richelieu_, épousa en troisièmes
+noces, le 20 mars 1702, Marguerite-Thérèse _Rouillé_, veuve du marquis
+_de Noailles_.
+
+[120] Marie-Henriette _le Hardi_, fille unique du marquis _de la
+Trousse_, lieutenant-général des armées du roi, chevalier des ordres de
+sa majesté, et de Marguerite _de la Fond_, étoit veuve d'Amédée-Alphonse
+_del Pozzo_, prince _de la Cisterne_.
+
+[121] Terre située en Provence, sur le bord de la mer, et qui
+appartenoit alors à la maison _de Grignan_.
+
+[122] Jeanne _de Brehan_, marquise _de Sévigné_.
+
+[123] Prêtre de l'Oratoire, d'un très grand mérite, qui demeuroit au
+séminaire de Saint-Magloire.
+
+[124] De M. _de Saci_, de l'académie françoise.
+
+[125] Charles _d'Aubigné_, gouverneur de Berri, chevalier des ordres du
+roi, frère de madame _de Maintenon_.
+
+[126] Le combat d'Ekeren, donné le 30 juin 1704.
+
+[127] M. _de Catinat_.
+
+[128] M. _de Catinat_ s'étoit retiré à Saint-Gratien dans le voisinage
+d'Ormesson.
+
+[129] Célèbre prédicateur de l'Oratoire, depuis évêque de Clermont.
+
+[130] Les mémoires dont il s'agit furent enfin imprimés à Paris en 1724,
+avec privilège; 2 vol. in-12, et sans doute après la mort du neveu de
+_Gourville_.
+
+[131] A cause du maréchal _de Catinat_.
+
+[132] Lieutenant de roi de la Bastille.
+
+[133] La marquise _de Sévigné_.
+
+[134] Maréchal _de Catinat_.
+
+[135] Le a février.
+
+[136] Marie-Charlotte _de Romillei de la Chesnelaye_.
+
+[137] Allusion au livre du marquis _de l'Hôpital_, sur _les infiniment
+petits_.
+
+[138] Jean-François-Paul _de Créqui_, duc _de Lesdiguières_, mort à
+Modène le 6 octobre 1703, âgé de 25 ans.
+
+[139] A Ormesson.
+
+[140] Mademoiselle _de Montalais_, fille d'honneur de madame
+_Henriette-Anne d'Angleterre_.
+
+[141] _Henriette-Anne d'Angleterre_, morte le 29 juin 1670.
+
+[142] _Elisabeth-Charlotte_, palatine du Rhin, que _Monsieur_, frère
+unique de _Louis XIV_, épousa en secondes noces le 21 novembre 1671.
+
+[143] Gouvernante des enfans de _Monsieur_.
+
+[144] _Marie-Louise le Loup de Bellenave_, veuve d'_Alexandre de
+Choiseul_, comte _du Plessis_; et remariée depuis à _René Gillier de
+Puygarreau_, marquis _de Clérembault_, premier écuyer de _Madame_,
+duchesse d'_Orléans_.
+
+[145] Madame _de Northumberland_.
+
+[146] Gabrielle-Louise _de Saint-Simon_, duchesse _de Brissac_.
+
+[147] Colombe _le Charron_, femme de César, duc _de Choiseul_, pair et
+maréchal de France, et première dame d'honneur de _Madame_.
+
+[148] Il ne faut pas confondre l'abbé _Testu_, dont il est parlé dans
+ces lettres, avec un autre abbé _Testu_ qui avoit été aumônier ordinaire
+de _Madame_, et qui étoit comme le premier de l'académie françoise:
+celui dont il s'agit étoit un homme de beaucoup d'esprit et de
+très-bonne compagnie.
+
+[149] Les religieuses du Calvaire ont leur voile baissé au parloir,
+excepté pour leurs proches parens, ou dans des cas particuliers.
+
+[150] Madame _de Schomberg_ et madame _de Marans_ étoient logées dans la
+même maison.
+
+[151] Terre de madame _de Sévigné_, en Bretagne.
+
+[152] C'est ce que madame _de Sévigné_ appeloit _l'approbation de ses
+docteurs._
+
+[153] Frère du maréchal _de Catinat_.
+
+[154] François d'_Aubusson_, duc _de la Feuillade_; pair et maréchal de
+France, gouverneur du Dauphiné, et père du dernier maréchal de ce nom.
+
+[155] Tué au combat de Leuze, le 20 septembre 1691.
+
+[156] Derniers vers de la pompe funèbre de _Voiture_, par _Sarrasin_.
+
+[157] _L'enfer des femmes c'est la vieillesse_, disoit un jour le duc
+_de la Rochefoucauld_ à mademoiselle _de l'Enclos_.
+
+[158] M. _Turretin_, professeur en histoire ecclésiastique à Genève.
+
+[159] _Malherbe,_ dans l'ode _à la reine-mère, sur sa bien-venue en
+France._
+
+[160] Le grand _Condé_ qui avoit été son amant.
+
+[161] Le comte _de Guiche_.
+
+[162] _Saint-Evremont_ étoit né le premier avril 1613, et mademoiselle
+_de l'Enclos_ en mai 1616; il avoit trois ans plus qu'elle.
+
+[163] Elle l'étoit en effet. Le comte _de Grammont_ ne mourut que le 10
+janvier 1707, âgé de quatre-vingt-six ans.
+
+[164] M. le comte _de Grammont_.
+
+[165] Guillaume, cardinal _Dubois_, archevêque, duc de Cambrai, prince
+du Saint-Empire, premier ministre sous la régence du duc _d'Orléans_, né
+le 6 septembre 1656, et mort à Paris le 10 août 1723, âgé de
+soixante-six ans, onze mois et quatre jours.
+
+N'étant encore que l'abbé _Dubois_, il fut envoyé, en 1698, en
+Angleterre, pour quelque négociation secrète de la cour de France avec
+celle de Londres.
+
+[166] M. l'abbé _de Hautefeuille_.
+
+[167] La duchesse _de Mazarin_.
+
+[168] Sur la mort de madame la duchesse _de Mazarin_, morte à Chelsey,
+près de Londres, le 21 Juillet 1699, âgée de 76 ans.
+
+[169] Ces lettres vont de l'année 1725 à l'anné 1733.
+
+[170] Ablons, campagne près Paris.
+
+[171] Pont-de-Vesle, terre en Bourgogne.
+
+[172] Fils de madame de Ferriol.
+
+[173] Autre fils de cette dame.
+
+[174] Excellente actrice pour les pièces de _Marivaux_. (_Note de M._ de
+Voltaire).
+
+[175] Mademoiselle _Aïssé_ se trompe. Il étoit caissier de la compagnie
+de la mer du Sud, et il se retira en France avec la caisse; il y a vécu
+long-temps, avec plus de magnificence que de bonne réputation. (_G..._)
+
+[176] La demoiselle en étoit folle. Ce mariage s'est fait contre l'aveu
+des parens. (_Note de M._ de Voltaire).
+
+[177] L'histoire est très-vraie. (_Note de M._ de Voltaire).
+
+[178] Madame _de Prie_ étoit très-galante.
+
+[179] M. _d'Argental_.
+
+[180] La fille de mademoiselle _Aïssé_.
+
+[181] M. _Tronchin_, conseiller d'état à Genève.
+
+[182] _Martine_, Génevois, envoyé du Landgrave de Hesse, à Paris.
+
+[183] Un parent vieux et riche dont madame _Saladin_ devoit hériter.
+
+[184] M. _de Pont-de-Vesle_, lecteur du roi.
+
+[185] Prédiction qui s'est confirmée. C'étoit une femme de beaucoup de
+génie, d'esprit, et très-instruite. Elle parloit plusieurs langues; elle
+étoit sœur du fameux milord _Bolingbrocke_. (_Note de M._ de Voltaire).
+
+[186] L'archevêque _de Tencin_, frère de madame _de Tencin_.
+
+[187] M. _Bertie_, conseiller au parlement.
+
+[188] Gentilhomme provençal.
+
+[189] _Villars-Chandieu_, officier général en France, ayant un régiment
+Suisse.
+
+[190] Le cardinal _de Fleury_ imagina, sous de certains prétextes, de
+retrancher les rentes viagères. Cette opération ne fut pas faite
+impartialement; plusieurs trouvèrent le moyen, avec de l'argent, d'en
+être exempts.
+
+(_Note de_ M. de Voltaire).
+
+[191] Le cardinal _de Tencin_, qui présida le concile d'Embrun.
+
+[192] Le cardinal _de Tencin_ et sa sœur.
+
+[193] Frère de M. _d'Argental_.
+
+[194] _La Fresnaye_, amant de madame _de Tencin_, qui, dit-on, l'avoit
+ruiné; il se tua dans son cabinet. Il disoit dans son testament, que
+s'il mouroit de mort violente, c'étoit elle qu'on devoit en accuser:
+elle fut mise au châtelet, d'où elle sortit justifiée.(_Note de M. de
+Voltaire_).
+
+[195] Elle mourut entre mes bras, d'une inflammation d'entrailles; et ce
+fut moi qui la fis ouvrir. Tout ce que dit mademoiselle _Aïssé_, sont
+des bruits populaires qui n'ont aucun fondement. (_Note de l'écriture
+même de M. de Voltaire et signée de lui_).
+
+[196] Le cardinal _de Tencin_, archevêque de Lyon.
+
+[197] Sa petite fille, au couvent.
+
+[198] M. _de Bellegarde_, cadet sans fortune, fut ensuite en Pologne, où
+il épousa la sœur du maréchal _de Saxe_, fille d'Aurore _de Konigsmark_.
+Rien de plus vrai. (_Note de M._ de Voltaire).
+
+_Voltaire_ a commis ici une petite erreur que nous allons rectifier. La
+femme qu'épousa M. _de Bellegarde_, étoit bien sœur du maréchal _de
+Saxe_, puisqu'ils avoient tous deux pour père _Auguste II_, roi de
+Pologne; mais elle n'étoit point fille d'Aurore _de Konigsmark_, la mère
+du maréchal: la sienne étoit une turque, dont _Auguste II_ eut aussi un
+fils nommé le comte _de Rutowski_.
+
+[199] Capitaine aux Gardes Suisses.
+
+[200] M. _de Ferriol_, ambassadeur. _Aga_, mot turc qui signifie
+gardien.
+
+[201] M. _Carré de Montgeron_, conseiller au parlement.
+
+[202] _Sophie_, à la mort de demoiselle _Aïssé_, s'est mise dans un
+couvent.
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Lettres de Mmes de Villars, de
+Coulanges et de La Fayette, de, by Various and Ninon de L'Enclos and Charlotte-Elisabeth Aïssé and Marie-Madeleine Pioche de La Ver La Fayette
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LETTRES DE MMES DE VILLARS ***
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+Project Gutenberg's Lettres de Mmes de Villars, by Ninon de L'Enclos et al.
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Lettres de Mmes de Villars
+ accompagnes de notices bibliographiques, de notes
+ explicatives par Louis-Simon Auger
+
+Author: Ninon de L'Enclos et al.
+
+Commentator: Louis-Simon Auger
+
+Release Date: July 21, 2009 [EBook #29476]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LETTRES DE MMES DE VILLARS ***
+
+
+
+
+Produced by Chuck Greif and the Online Distributed
+Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was
+produced from images generously made available by the
+Bibliothque nationale de France (BnF/Gallica) at
+http://gallica.bnf.fr)
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+
+
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+[Notes au lecteur de ce ficher digital: Les erreurs clairement
+introduites par le typographe ont t corriges. L'orthographe
+d'origine a t conserve.]
+
+
+
+
+LETTRES
+
+DE
+
+MMES. DE VILLARS,
+
+DE COULANGES,
+
+ET DE LA FAYETTE;
+
+DE NINON DE L'ENCLOS,
+
+ET DE
+
+MADEMOISELLE ASS;
+
+Accompagnes de Notices biographiques,
+de Notes explicatives, et de LA COQUETTE
+VENGE, par NINON DE L'ENCLOS.
+
+SECONDE DITION.
+
+TOME PREMIER. ET TOME SECOND.
+
+A PARIS,
+
+Chez LOPOLD COLLIN, Libraire,
+
+Rue Gt-le-coeur, N. 18.
+
+AN XIII.--1805.
+
+
+
+
+AVERTISSEMENT DE L'DITEUR.
+
+
+La rapidit avec laquelle a t enleve la premire dition du recueil
+des Lettres de _mesdames de Villars, de la Fayette et de Tencin et de
+mademoiselle Ass_, nous a dtermins en donner une seconde. Nous
+avons fait ce recueil plusieurs changemens dont il est propos de
+rendre compte.
+
+On a remarqu dans un journal trs-rpandu[1] que les Lettres de
+madame _de Tencin_ dparoient la collection. Nous tions parfaitement de
+l'avis du journaliste sur le mrite de ces Lettres: nous avions dit
+nous-mmes dans la notice qui les prcde, qu'elles toient de madame
+_de Tencin_, intrigante, et non point de madame _de Tencin_, auteur des
+jolis romans du _Comte de Comminges_, du _Sige de Calais_, etc.; mais
+nous avions considr qu'elles toient en petit nombre; qu'il toit fort
+souvent question de celle qui les a crites, dans une autre
+correspondance qui fait partie du recueil, c'est--dire, dans les
+Lettres de mademoiselle _Ass_; et qu'enfin, puisque notre dessein
+toit de rassembler des Lettres de femmes, celles de madame _de Tencin_
+rendroient la runion plus complte. Ces considrations nous ont bientt
+paru d'un moindre poids que l'observation qui nous a t faite; et nous
+avons reconnu que le principal but de ceux qui travaillent pour le
+public, tant de lui procurer de l'agrment ou de l'instruction, les
+Lettres de madame _de Tencin_ devoient tre exclues de notre recueil,
+puisqu'elles ne sont ni instructives, ni agrables.
+
+Nous les avons remplaces par les Lettres de _Ninon de l'Enclos_ et par
+celles de madame _de Coulanges_. Ce que nous avons ajout tant beaucoup
+plus considrable que ce que nous avons retranch, nous nous sommes vus
+forcs de faire deux volumes, au lieu d'un.
+
+Le mrite des Lettres de mesdames _de Villars_ et _de la Fayette_, et
+de mademoiselle _Ass_, est aujourd'hui trop bien constat par les
+loges que leur ont donns les journaux, et par l'empressement que le
+public a mis se les procurer, pour que nous croyions ncessaire d'en
+rien dire ici. Il est galement inutile de s'tendre sur celles de
+madame _de Coulanges_. On sait qu'il n'en est pas de plus enjoues et de
+plus spirituelles; elles sont remplies de ces traits vifs et brillans,
+que l'on appeloit _les pigrammes_ de madame _de Coulanges_; et, en les
+lisant, on conoit trs-bien comment la femme qui les a crites, faisoit
+les dlices de la socit, dans un sicle o l'on toit si sensible aux
+grces de l'esprit et du bon ton[2].
+
+Quant aux Lettres de _Ninon_, elles exigent de nous une explication
+particulire. Beaucoup de personnes pourroient les confondre, d'aprs le
+simple nonc du titre, avec les _Lettres de Ninon de l'Enclos au
+marquis de Svign_, ouvrage suppos, dont l'auteur est M. _Damours_,
+avocat au conseil, mort en 1788. Cette correspondance fictive ne jouit
+pas d'une grande estime auprs des gens de got. Voici ce que _Voltaire_
+en crivoit en 1771, M. ******, ministre du Saint vangile, qui lui
+avoit demand des dtails sur _Ninon_. Quelqu'un a imprim, il y a deux
+ans, des Lettres sous le nom de mademoiselle _de l'Enclos_, peu prs
+comme dans ce pays-ci on vend du vin d'Orlans pour du Bourgogne. Si
+elle avoit eu le malheur d'crire ces Lettres, vous ne m'en auriez pas
+demand une sur ce qui la regarde. On a publi depuis un autre livre du
+mme genre, intitul _Correspondance secrte entre Ninon de l'Enclos, M.
+de Villarceaux et madame de Maintenon_. Nous ne porterons aucun jugement
+sur cette dernire production, que nous n'avons point lue, et avec
+laquelle d'ailleurs nous n'avons rien dmler, non plus qu'avec celle
+de M. _Damours_, puisque l'une et l'autre sont des suppositions. Les
+Lettres que nous donnons, sont les vritables Lettres de _Ninon_,
+adresses _Saint-Evremont_, dans les oeuvres duquel elles sont comme
+ensevelies. On les en a dj extraites une fois. Elles ont paru en 1751,
+prcdes _de Mmoires_ sur _Ninon_, que quelques-uns ont attribus M.
+l'abb _Raynal_. Ce volume se trouve aujourd'hui trs-difficilement. Les
+Lettres qui nous restent de _Ninon_, sont au nombre de dix seulement;
+celles de _Saint-Evremont_, qui y correspondent, sont au mme nombre, et
+nous les y avons jointes. Un recueil de Lettres, quel qu'il soit, ne
+peut que perdre du ct de l'intrt, lorsqu'il n'offre que l'une des
+deux parties de la correspondance.
+
+A la suite des Lettres de _Ninon_, nous avons mis _la Coquette
+venge_, petit crit attribu cette fille clbre par MM. _Mercier_,
+abb de Saint-Lger et _Jamet_ le jeune, deux des hommes du sicle
+dernier, qui ont t le plus profondment verss dans la bibliographie.
+L'assertion de tels rudits nous a paru suffire. Nous n'y ajouterons pas
+que nous avons cru reconnotre dans _la Coquette venge_, le style de
+_Ninon_: on n'en pourroit juger que d'aprs ses Lettres; et des Lettres,
+qui sont une conversation crite, n'ont presque rien de commun avec un
+ouvrage exprs; mais nous dirons, sans craindre de trouver des
+contradicteurs, que cet opuscule, rempli de grce et de finesse, ne peut
+gure tre sorti que de la plume d'une femme, et qu'il est en tout digne
+de cette _Ninon_, dont l'esprit et la raison n'ont pas t moins
+clbres que l'clat et la dure de ses charmes. Nous allons dire
+quelle occasion il fut fait. En 1659, il parut un petit livre intitul:
+_le Portrait de la Coquette_ ou _la Lettre d'Aristandre Timagne_.
+_Aristandre_ apprenant que _Timagne_, son neveu, se dispose faire le
+voyage de Paris, veut le prmunir contre les dangers que son innocence
+courra dans cette ville; et de tous ces dangers, le plus grand, son
+avis, ce sont les coquettes, dont il dcrit son neveu les diffrentes
+espces. Il est certain que, parmi ces portraits, il en est plusieurs,
+et notamment celui de la Coquette, qui affecte l'instruction, o la
+malignit des lecteurs dut vouloir retrouver quelques-uns des traits de
+_Ninon_; et il n'est gure douteux qu'en effet le peintre ne l'ait prise
+pour modle. Il appartenoit une femme de venger la plus grande partie
+de son sexe outrage dans la Lettre d'_Aristandre_; et ce soin regardoit
+sur-tout celle qui y paroissoit le plus directement attaque. Cette
+circonstance, suivant nous, donne un grand poids au tmoignage de nos
+deux bibliographes; et, dfaut d'autres indices, elle auroit pu servir
+de base leur opinion. _Ninon_ (car nous croyons fermement que c'est
+elle qui est l'auteur de l'crit) _Ninon_ fit donc _la Coquette venge_,
+dont le titre seul annonce suffisamment le dessein. Cette dfense, ou
+plutt cette rcrimination est dirige contre certains _philosophes_,
+nomms _pdans de robe courte, et docteurs de ruelles, qui dogmatisent
+dans des fauteuils, et raisonnent sans cesse sur l'amour, sans avoir
+rien de raisonnable pour se faire aimer._ Pour expliquer l'emploi
+injurieux que _Ninon_ fait ici du titre de _philosophe_, il faut dire
+que l'auteur du _Portrait de la Coquette_ affiche de grandes prtentions
+ ce titre, pour lequel il assure que les coquettes ont une aversion
+insurmontable. Nous avouerons sans peine que _la Lettre d'Aristandre_
+nous a paru elle-mme un ouvrage agrablement crit, et vraiment digne
+de la colre de _Ninon_. Ce qui confirmeroit notre jugement, c'est qu'il
+fut rimprim en 1685, c'est--dire, plus de vingt-cinq ans aprs sa
+premire publication. Nous ignorons si l'crit de _Ninon_ a eu aussi les
+honneurs de la rimpression; en tout cas, nous pensons qu'il les
+mritoit pour le moins autant.
+
+Dans la premire, dition de ce recueil, les notices biographiques
+avoient t places toutes ensemble, au commencement du volume. Mais
+cette fois nous les avons disposes plus convenablement; chacune se
+trouve en tte de la correspondance laquelle elle a rapport.
+
+Dans l'avertissement qui prcdoit ces notices, nous disions quel
+point la seule dition qu'on et eue jusqu'alors des Lettres de
+mademoiselle _Ass_, toit incorrecte, et quels efforts nous avions eu
+ faire pour restituer le sens altr chaque page par des omissions ou
+par des changemens de mots, et rtablir les noms propres, presque
+toujours dfigurs n'tre pas reconnoissables. Nous avons fait, dans
+les crits du temps, de nouvelles recherches au sujet de ces noms, et
+nous avons rintgr dans leur vritable orthographe tous ceux qui n'ont
+pas appartenu des personnages totalement ignors. Nous avons aussi
+ajout quelques notes explicatives celles que nous avions trouves ou
+que nous avions faites nous-mmes.
+
+Nous ne croyons pouvoir mieux terminer cet avertissement, qu'en
+rapportant un passage de _La Bruyre_, o ce moraliste ingnieux et
+profond reconnot et explique la supriorit que les femmes ont sur les
+hommes dans le genre pistolaire. Les Lettres de _Balzac_, de
+_Voiture_, dit-il, sont vides de sentimens qui n'ont rgn que depuis
+leur temps, et qui doivent aux femmes leur naissance. Ce sexe va plus
+loin que le ntre dans ce genre d'crire: elles trouvent sous leur
+plume, des tours et des expressions qui, souvent en nous, ne sont
+l'effet que d'un long travail et d'une pnible recherche: elles sont
+heureuses dans le choix des termes qu'elles placent si juste, que, tout
+connus qu'ils sont, ils ont le charme de la nouveaut, et semblent tre
+faits seulement pour l'usage o elles les mettent. Il n'appartient qu'
+elles de faire lire dans un seul mot tout un sentiment, et de rendre
+dlicatement une pense dlicate. Elles ont un enchanement de discours
+inimitable, qui se suit naturellement et qui n'est li que par le sens.
+Si les femmes toient toujours correctes, j'oserois dire que les Lettres
+de quelques-unes d'entr'elles seroient peut-tre ce que nous avons dans
+notre langue de mieux crit[3]. Il n'est pas inutile de remarquer que
+_La Bruyre_ proclamoit ainsi la prminence des femmes dans l'art
+d'crire des Lettres, une poque o celles de madame _de Svign_
+n'toient point connues du public, et ne l'toient probablement pas de
+_La Bruyre_ lui-mme. Elles ont t imprimes pour la premire fois
+plus de 30 ans aprs la publication des _Caractres_.
+
+
+
+
+NOTICE
+
+SUR
+
+MADAME DE VILLARS.
+
+
+Marie de Bellefonds, fille de Bernardin _Gigault de Bellefonds_, aeul
+du marchal de ce nom, fut marie au marquis _de Villars_. Le vainqueur
+de Dnain, le clbre marchal _de Villars_, fut le fruit de ce mariage.
+
+M. le marquis _de Villars_ fut envoy ambassadeur auprs de _Charles
+II_, roi d'Espagne, au moment o ce prince pousa Marie-Louise
+_d'Orlans_, fille de _Monsieur_, frre de _Louis XIV_ et de
+Henriette-Anne _d'Angleterre_, sa premire femme.
+
+Madame _de Villars_ suivit son mari dans cette ambassade, qui ne
+dura gure plus de dix-huit mois. Pendant son sjour Madrid, elle
+crivit madame _de Coulanges_. Il ne nous est parvenu que trente-sept
+Lettres de cette correspondance; elles commencent au 2 novembre 1679, et
+finissent au 15 mai 1681. Elles contiennent des dtails trs-curieux sur
+le caractre du roi et de la reine, sur leur manire de vivre, sur les
+intrigues et l'tiquette de leur cour, enfin sur les moeurs et les usages
+de l'Espagne. Une preuve de la confiance qu'elles mritent, c'est que le
+prsident _Hnault_, crivain svre dans le choix de ses autorits, les
+cite, en parlant du pouvoir absolu que les ministres de l'Empereur
+exeroient la cour de _Charles II_[4]. Du reste, elles sont crites
+d'un style simple, facile et agrable; c'est celui d'une femme, qui
+beaucoup de sens et d'esprit naturel joignoit ce ton dlicat et fin qui
+distingue la bonne compagnie. Ces Lettres toient lues avec beaucoup de
+plaisir par les personnes les plus spirituelles de la plus aimable
+socit qui ait peut-tre jamais exist. Qui pourroit se piquer d'tre
+plus difficile qu'elles? Voici ce que madame _de Svign_ crivoit sa
+fille, au sujet des Lettres de madame _de Villars_. Madame _de Villars_
+mande mille choses agrables madame _de Coulanges_, chez qui on vient
+apprendre les nouvelles. Ce sont des relations qui font la joie de
+beaucoup de personnes; M. _de la Rochefoucault_ en est curieux; madame
+_de Vins_ et moi, nous en attrapons ce que nous pouvons. Nous comprenons
+les raisons qui font que tout est rduit ce bureau d'adresse; mais
+cela est ml de tant d'amiti et de tendresse, qu'il semble que son
+temprament soit chang en Espagne. Cette reine d'Espagne est belle et
+grasse; le roi amoureux, et jaloux sans savoir de quoi, ni de qui; les
+combats de taureaux affreux; deux grands pensrent y prir; leurs
+chevaux tus sous eux; trs-souvent la scne est ensanglante. Voil les
+divertissemens d'un royaume chrtien; les ntres sont bien opposs
+cette destruction et bien plus aiss comprendre[5]. Madame _de
+Svign_, dans une autre lettre madame _de Grignan_, avoit dj parl
+ainsi de celles de madame _de Villars_. Madame _de Villars_ n'a crit
+uniquement, en arrivant Madrid, qu' madame _de Coulanges_; et, dans
+cette lettre, elle nous fait des complimens toutes nous autre vieilles
+amies. Madame _de Schomberg_, mademoiselle _de Lestrange_, madame _de la
+Fayette_, tout est en un paquet. Madame _de Villars_ dit qu'_il n'y a
+qu' tre en Espagne pour n'avoir plus d'envie d'y btir des
+chteaux_[6]. Vous voyez bien qu'elle ne pouvoit mieux adresser sa
+lettre, puisqu'elle vouloit mander cette gentillesse[7].
+
+Madame _de Villars_ mourut le 24 juin 1706, ge de 82 ans.
+
+Ses Lettres toient entre les mains de M. le chevalier _de Perrin_,
+diteur de celles de madame _de Svign_, qui se disposoit les faire
+imprimer, lorsqu'il mourut en 1754. Elles l'ont t depuis sur le
+manuscrit que l'on a trouv dans ses papiers.
+
+
+
+
+LETTRES
+
+DE
+
+MADAME DE VILLARS,
+
+A MADAME DE COULANGES.
+
+
+
+
+LETTRE PREMIRE.
+
+_Madrid, 2 novembre 1679._
+
+Me voici enfin Madrid, o je suis rsolue d'attendre tranquillement
+le retour du roi, et l'arrive de la reine, sa femme. Je n'ai pas eu le
+courage d'aller Burgos. M. _de Villars_, qui m'attendoit ici, est
+parti pour rejoindre le roi, qui va chercher la reine d'une telle
+imptuosit, qu'on ne peut le suivre; et si elle n'est pas encore
+arrive Burgos, il est rsolu d'emmener avec lui l'archevque de cette
+ville-l, et d'aller jusqu' Vittoria, ou sur la frontire, pour pouser
+cette princesse. Il n'a voulu couter aucun conseil contraire cette
+diligence. Il est transport d'amour et d'impatience. Ainsi, avec de
+telles dispositions, il ne faut pas douter que cette jeune reine ne soit
+heureuse. La reine douairire, qui est trs-bonne et trs-raisonnable,
+souhaite passionnment qu'elle soit contente. Je trouvai, en venant,
+toutes les dames, et tous les officiers de sa maison, qui est
+trs-nombreuse, auprs de Burgos. La duchesse _de Terranova_, sa
+_camarera mayor_, fit arrter sa litire auprs de la mienne. Elle me
+parut spirituelle et trs-honnte, point aussi vieille que je me l'tois
+figure. Toutes les dames et filles d'honneur me montroient de loin
+leurs mouchoirs que l'on met en l'air en signe d'amiti. Je pensai
+oublier d'en faire autant; et, si ma fille ne m'en et fait aviser,
+j'allois dbuter par une grande sottise. Vous ne sauriez vous imaginer
+quelles honntets je reois ici. La reine mre m'a envoy son majordome
+pour savoir comment je me trouvois des fatigues de mon voyage, et me
+donner beaucoup de marques de bont. On dit qu'elle n'a pas accoutum
+d'en user de la sorte avec les autres ambassadrices; ce n'est pas mon
+mdiocre mrite que j'attribue cet honneur.
+
+Je n'ai pas encore voulu recevoir de visites. J'attends le retour de M.
+_de Villars_. Il y a tant de manires et tant de crmonies observer,
+qu'il faut qu'il m'instruise de tout, depuis les moindres choses jusques
+aux plus importantes. Rien ne ressemble ici ce qui se pratique en
+France.
+
+Don _Juan_ est mort de chagrin; le roi commenoit lui en donner, en
+rappelant, sans lui en parler, plusieurs grands qu'il avoit exils.
+
+Je ne sais si la princesse _d'Harcourt_ entrera dans le carrosse de la
+reine.
+
+La conntable _Colonne_ m'a envoy visiter. Elle est toujours dans son
+couvent, dont elle s'ennuie fort; elle espre en sortir quand la reine
+sera ici, et loger chez sa belle-soeur, la marquise _de los Balbass_.
+L'abb _de Villars_, qui l'alla voir l'autre jour, l'a trouve trs-bien
+faite, et j'entends dire qu'elle n'est pas reconnoissable de ce qu'elle
+toit en France: c'est une taille charmante, un teint clair et net, de
+beaux yeux, des dents blanches, de beaux cheveux. Elle a fait un livre
+de sa vie, qui est dj traduit en trois langues, afin que personne
+n'ignore ses aventures: il est fort divertissant. Elle est habille
+l'espagnole d'un fort bon air, mais ayant retranch et augment, ce qui
+en effet est mieux.
+
+
+
+
+LETTRE II.
+
+_Madrid, 30 novembre 1679._
+
+On ne peut mener une plus plaisante vie, que celle que je mne ici
+depuis mon arrive, ne faisant aucune visite, et n'en voulant recevoir
+qu'aprs le retour de M. _de Villars_. Je sors quelquefois, quand il
+fait beau, pour aller, ce qu'on appelle _tomar el sol_[8], hors des
+portes. Le soleil est trs-agrable en cette saison. Il faut
+soigneusement tirer tous les rideaux du carrosse dans la ville;
+autrement on passeroit pour n'tre pas honnte femme, et par tout pays
+il seroit fcheux de se dcrier pour un si petit sujet.
+
+Les ducs _d'Ossone_ et _d'Astorga_ se sont fort querells devant la
+reine. L'on a jug que le premier avoit tort, et on l'a envoy ici
+attendre les ordres du roi. Je ne sais plus quelle charge il a[9]; mais
+les bruits de Madrid sont que le marquis _de los Balbass_ la pourroit
+bien avoir. Je n'ai point encore vu de beauts Espagnoles.
+
+M. _de Villars_ vient d'arriver de Burgos. Il m'a cont beaucoup de
+dtails de tout ce qu'il vient de voir. Il se flatte que le prince et la
+princesse _d'Harcourt_ auront t contens de lui. Il m'a parl de la
+plus belle robe du monde qu'avoit la princesse. Madame _de Grancey_ a
+trs-bien fait, et s'est fort bien servie de son temps de faveur auprs
+de la reine, pour ne lui donner que de trs-bons conseils. On croit
+qu'elle aura du roi Catholique une pension de deux mille cus. On ne
+sait point encore si elle viendra jusques ici. Elle paroissoit fort
+tente de s'en retourner avec la princesse _d'Harcourt_. Le roi et la
+reine viennent seuls dans un grand carrosse sans glaces, la mode du
+pays. Il sera fort heureux pour eux qu'ils soient comme leur carrosse.
+On dit que la reine fait trs-bien: pour le roi, comme il toit fort
+amoureux avant que de l'avoir vue, sa prsence ne peut qu'avoir augment
+sa passion. Elle reut le roi avec un trs-bel habit la franoise, et
+une quantit surprenante de pierreries; mais elle le quitta le lendemain
+pour s'habiller l'espagnole; et le roi la trouva beaucoup mieux.
+Madame _de Grancey_ en mit un aussi, que la reine lui donna, et se
+coiffa l'espagnole; ce qui lui sied fort bien. Elle toit avec les
+dames d'honneur, qui sont proprement les filles de la reine. Elles
+passent toutes deux deux, aprs la comdie, devant le roi et la reine,
+faisant leurs rvrences: madame _de Grancey_ figuroit avec une qui
+toit de fort bonne grce. Je n'ai point entendu dire que la marchale
+_de Clrembault_ figurt avec personne, mais qu'elle parloit fort bien
+espagnol. Le roi et la reine seront ici dans trois jours, et viendront
+demeurer Buen-Retiro, maison royale aux portes de Madrid, jusqu' ce
+que tout soit prt pour l'entre de la reine. Que j'apprhende de
+m'habiller, et de commencer sortir! Je ne suis point du tout ne pour
+reprsenter.
+
+Je viens d'apprendre que madame _de Grancey_ est partie de Burgos pour
+Paris avec le prince et la princesse _d'Harcourt_. Elle a eu mille
+louis, deux mille cus de pension, et un prsent de diamans de dix-huit
+cents ou deux mille pistoles, tout pareil celui qu'on a donn la
+marchale _de Clrembault_. Il y en a eu deux autres de trois mille
+pistoles pour le prince et la princesse _d'Harcourt_. Toutes les femmes,
+hors les deux nourrices de la reine, et deux autres filles, ont t
+renvoyes. Une vieille sous-gouvernante, nomme mademoiselle _Fauvelet_,
+est morte en chemin; mais si bien en chemin, que son me est partie de
+ce monde pour l'autre de dedans sa litire, ayant toujours voulu suivre,
+quelque malade qu'elle ft. Elle mourut peu d'heures avant que d'arriver
+au lieu o le roi vint trouver la reine, et o ils se sont maris.
+
+La reine avoit perdu en chemin mille pistoles contre le prince et la
+princesse _d'Harcourt_, et autres personnes qui l'accompagnoient. Quand
+leurs majests furent parties, les joueurs eurent grand'peur de n'tre
+pas pays; mais ils furent agrablement surpris par l'arrive d'une
+bourse o toit cette somme.
+
+Ne trouvez-vous pas que madame _de Grancey_ a fait un agrable voyage?
+Tout le monde dans cette cour est fort content d'elle. Le prince et la
+princesse _d'Harcourt_ avoient un trs-beau train, une grande table, et
+se sont fort bien acquitts de leur emploi. Leur entre Burgos fut
+trouve fort belle. Le prince _d'Harcourt_ s'est trs-bien gouvern, et
+l'on est ici trs-satisfait de l'un et de l'autre. Vous pouvez en
+assurer M. _de Brancas_[10].
+
+
+
+
+LETTRE III.
+
+_Madrid, 14 dcembre 1679._
+
+Peu aprs que la reine a t ici, elle a tmoign beaucoup d'envie de
+me voir, et me l'envoya dire. Je rpondis que j'tois fort sensible
+l'honneur qu'elle me faisoit. Elle me fit dire pour la seconde fois
+qu'elle avoit pri le roi que j'y allasse _incognito_, parce que,
+jusqu' ce qu'elle ait fait son entre, et qu'elle soit loge dans le
+palais, personne, homme ni femme, ne la verra. On envoya la _camarera
+mayor_, pour lui dire ce que la reine avoit mand, et la permission que
+le roi lui avoit donne de me voir _incognito_. La _camarera_ rpondit
+qu'elle ne savoit point cela. Le gentilhomme espagnol, que nous lui
+avions envoy, la supplia de vouloir s'en informer; elle rpondit
+qu'elle n'en feroit rien, et que la reine ne verroit personne, tant
+qu'elle seroit au Retiro. Nous fmes savoir la reine la diligence que
+nous avions faite: on ne pouvoit pas moins aprs l'envie qu'elle avoit
+tmoigne que j'eusse l'honneur de la voir. Aprs cela, nous nous sommes
+tenus en repos. Je n'ai pas mme voulu aller l'glise, o l'on peut la
+voir d'une tribune, de peur qu'on ne m'accust de trop d'empressement.
+Le roi en a un trs-grand pour elle. Il ne voudroit jamais la perdre de
+vue. Cela est trs-obligeant. Mais, pour en revenir cette envie de me
+voir, je fus dimanche, pour la premire fois, rendre mes devoirs la
+reine mre, qui est bonne, obligeante, disant tout ce qu'elle peut et
+tout ce qu'il faut pour plaire. Elle me demanda si je n'avois pas encore
+vu la reine, sa belle-fille. Je lui dis que non. Elle me rpondit: Elle
+a fort envie de vous voir; vous la verrez ds que vous le voudrez, et
+ds demain. Ce demain est aujourd'hui. Je vous ai crit tout ceci par
+avance. Ce sera sur les quatre heures que je me rendrai cette audience
+de la reine. Je vous rendrai compte comme tout cela m'aura paru. On dit
+qu'elle se conduit fort bien: j'en suis persuade. Aucun Franois ne l'a
+vue. Il y a deux jours que la marquise _de los Balbass_ la voulut voir:
+elle alla dans l'appartement de la _camarera_, qui touche celui de la
+reine. Ds que la jeune princesse le sut, elle y vint tout aussitt;
+mais comme elle voulut parler la marquise, la _camarera_ prit la reine
+par le bras, et la fit entrer dans sa chambre. Ce sont des usages qui ne
+sont pas si extraordinaires ici qu'ils le seroient ailleurs.
+
+
+
+
+LETTRE IV.
+
+_Madrid, 15 dcembre 1679._
+
+Je fus hier au Retiro, cette maison o le roi et la reine sont
+prsentement. J'entrai par l'appartement de la _camarera mayor_, qui me
+vint recevoir avec toutes sortes d'honntets; elle me conduisit par de
+petits passages dans une galerie o je croyois ne trouver que la reine;
+mais je fus bien tonne quand je me vis avec toute la famille royale;
+le roi toit assis dans un grand fauteuil, et les reines sur des
+carreaux. La _camarera_ me tenoit toujours par la main, m'avertissant du
+nombre de rvrences que j'avois faire, et qu'il falloit commencer par
+le roi. Elle me fit approcher si prs du fauteuil de sa majest
+Catholique, que je ne comprenois point ce qu'elle vouloit que je fisse.
+Pour moi, je crus n'avoir rien faire qu'une profonde rvrence; sans
+vanit, il ne me la rendit pas, quoiqu'il ne me part pas chagrin de me
+voir. Quand je contai cela M. _de Villars_, il me dit que sans doute
+la _camarera_ vouloit que je baisasse la main sa majest. Je m'en
+doutai bien; mais je ne m'y sentis pas porte. Il m'ajouta qu'elle avoit
+propos la princesse _d'Harcourt_ de baiser cette main, et que, sur
+l'avis que cette princesse lui en avoit demand, il lui avoit rpondu de
+n'en rien faire.
+
+Me voil donc au milieu de ces trois majests; la reine mre me disant,
+comme la veille, beaucoup de choses obligeantes, et la jeune reine me
+paroissant fort aise de me voir. Je fis ce que je pus pour qu'elle ne le
+tmoignt que de bonne sorte. Le roi a un petit nain flamand qui entend
+et qui parle trs-bien franois. Il n'aidoit pas peu la conversation.
+On fit venir une des filles d'honneur en _guarda-infante_[11], pour me
+faire voir cette machine. Le roi me fit demander comment je la trouvois,
+et je rpondis au nain que je ne croyois pas qu'elle et jamais t
+invente pour un corps humain. Il me parut assez de mon avis. On m'avoit
+fait donner une _almoada_[12]. Je m'assis seulement un instant pour
+obir, et je pris aussitt une lgre occasion de me tenir debout, parce
+que je vis beaucoup de _segnoras de honor_ qui n'toient point assises,
+et que je crus leur faire plaisir de faire comme elles: je me tins donc
+toujours debout, quoique les reines me dissent souvent de m'asseoir. La
+jeune fit une lgre collation servie genoux par ses dames, qui ont
+des noms admirables, et qui ne prtendent pas moins tre que des maisons
+d'Arragon, de Portugal, de Castille, et autres des plus grandes. La
+reine mre prit du chocolat: le roi ne prit rien.
+
+La jeune reine, comme vous pouvez penser, toit habille l'espagnole,
+de ces belles toffes qu'elle a apportes de France; trs-bien coiffe,
+ses cheveux de travers sur le front, et le reste pars sur les paules.
+Elle a le teint admirable, de beaux yeux, la bouche trs-agrable quand
+elle rit. Que c'est une belle chose de rire en Espagne! Mais il est
+plaisant que je vous fasse le portrait de la reine.
+
+Cette galerie est assez longue, tapisse de damas ou de velours
+cramoisi, chamarr fort prs prs de larges passemens d'or. Depuis un
+bout jusqu' l'autre, est le plus beau tapis de pied que j'aie jamais
+vu; des tables, cabinets et brsiers, des flambeaux sur les tables: et
+de temps en temps, on voit des menines trs-pares, qui entrent avec
+deux flambeaux d'argent pour changer, quand il faut moucher les bougies.
+Elles font de grandes et longues rvrences de bonne grce. Assez loin
+des reines, il y avoit quelques filles d'honneur assises bas, et
+plusieurs dames d'un ge avanc, avec leurs habits de veuves, debout,
+appuyes contre la muraille. Le roi et la reine s'en allrent aprs
+trois quarts d'heure, le roi marchant le premier. La jeune reine prit sa
+belle-mre par la main, passant devant la porte de la galerie, aprs
+quoi elle revint plus vte que le pas me retrouver. La _camarera mayor_
+ne revint point, et il parut assez qu'on lui donnoit toutes sortes de
+liberts de m'entretenir. Il ne demeura qu'une vieille dame fort loin.
+Elle me dit que, si la dame n'y toit pas, elle m'embrasseroit bien. Il
+n'toit que quatre heures quand j'arrivai l; il en toit sept et demie
+avant que j'en sortisse; et ce fut moi qui voulus sortir.
+
+Je vous assure, madame, que je voudrois que le roi, la reine mre et la
+_camarera mayor_ eussent pu entendre tout ce que je dis la princesse.
+Je voudrois que vous le sussiez aussi, et que vous nous eussiez pu voir
+nous promener dans cette galerie que les flambeaux rendoient
+trs-agrable. Cette jeune reine, dans la nouveaut et la beaut de ses
+habits avec une infinit de diamans, toit ravissante.
+
+Imaginez-vous une fois pour toutes, que le noir et le blanc ne sont pas
+plus diffrens que la vie d'Espagne et celle de France. Il me semble que
+cette jeune princesse fait trs-bien. Elle voudroit que j'eusse
+l'honneur de la voir tous les jours; je l'assurai que j'en serois
+charme; mais je la suppliai de m'en dispenser, moins qu'on ne me ft
+voir clair comme le jour que le roi et la reine mre le souhaitoient
+presqu'autant qu'elle. La _camarera mayor_ me vint prendre la porte de
+la galerie pour me reconduire. Je trouvai l des femmes franoises de la
+reine, auxquelles je dis qu'il falloit apprendre l'espagnol, et
+s'empcher, autant qu'il leur seroit possible, de dire un mot de
+franois la reine. Je savois qu'on les grondoit un peu, quand elles
+lui parloient trop souvent. Je dis en espagnol la _camarera mayor_, ce
+que je disois ces Franoises: elle m'en sut un trs-bon gr. Voil,
+peu prs, madame, tout ce que je puis vous mander de cette premire
+visite.
+
+Si vous aviez t aujourd'hui ici, vous auriez eu le plaisir de voir au
+travers d'une porte le plus beau nonce du monde et le mieux disant. Il
+parle un espagnol tout--fait ais. Je l'ai reu en crmonie tout mon
+aise sur des carreaux, et lui dans un fauteuil. Il m'a fort parl de
+_Charles-Quint_. J'tois un peu honteuse d'en tre si peu instruite; je
+n'en ai pas fait semblant; je disois quelques mots par-ci, par-l,
+rappelant dans ma mmoire beaucoup de beaux endroits, dont mon fils an
+m'a entretenue quelquefois. Mon fils l'abb, qui m'assistoit en cette
+occasion, a beaucoup brill dans cette conversation, et n'y a pas moins
+paru que sur les bancs de Sorbonne.
+
+M. _de Villars_, qui revient de la ville, se met vos pieds, pour
+parler en termes espagnols. Il me vient d'avouer qu'il a pass son
+aprs-dine chez cette femme dont vous lui avez vu le portrait. Il dit
+qu'elle n'a plus de beaut, mais bien de l'esprit. J'en jugerai
+incessamment; car il veut que ce soit une des premires dont je reoive
+visite.
+
+Adieu, madame: si ma lettre ne vous prouve le plaisir que je prends
+penser vous, et vous entretenir, je ne sais pas ce qu'il faut faire
+pour vous le persuader. Peut-tre aimeriez-vous mieux en douter; car
+cette lettre est bien longue pour une personne comme vous, au milieu de
+la bonne compagnie et des plaisirs. Telle cependant que vous voyez cette
+lettre, il y a mille choses que je ne vous mande point, et que je vous
+dirois bien. Je ne pense point, quand tout le monde verroit ceci, que je
+pusse en recevoir ni reproche ni blme. Cependant usez-en avec prudence.
+
+
+
+
+LETTRE V.
+
+_Madrid, 27 dcembre 1679._
+
+J'ai reu depuis peu mes visites. La manire dont se passe cette
+crmonie, est une chose assez singulire. Premirement, ds que j'ai
+t arrive, toutes les dames, princesses, duchesses, Grandes, ont
+envoy plusieurs fois me complimenter, et s'informer avec soin quand
+elles me pouroient voir, chacune voulant tre avertie des premires.
+Enfin ce temps est venu; il y a quelques jours qu'on leur fit savoir que
+je recevrois le monde trois jours de suite. On envoie un page chez
+toutes celles qui ont envoy, avec des billets qu'on nomme _nudillos_,
+parce qu'en effet ce sont des billets nous. Ce fut la marquise
+_d'Assera_, veuve du duc _de Lerme_, que j'ai vue en France, et qui
+croit que je lui ai rendu quelque petit service, qui fit les trois jours
+les honneurs de ma maison. La dame de ce portrait qu'a M. _de Villars_,
+les a faits aussi. Je crois qu'elle a t belle, et mme qu'elle le
+seroit encore passablement, sans cette pouvantable coiffure de veuve
+qu'elle porte. Il n'est pas possible, quelque belle personne que ce
+soit, de le parotre avec cet accoutrement; et je ne sais pas comment
+une veuve qui seroit un peu galante, et qui compte sur sa beaut, ne se
+remarie pas tout au plus tard au bout de l'an. Cette dame a bien de
+l'esprit, et est honnte et polie. Je ne vous dirai point les pas
+compts que l'on fait pour aller recevoir les dames, les unes la
+premire estrade, les autres la seconde ou la troisime; car, par
+parenthse, j'ai un trs-grand appartement. Tirez de l, en soupirant
+pour moi, la consquence de ce qu'il m'en cote le meubler. Il faut,
+en entrant et en sortant, passer devant toutes ces dames. Celle qui me
+conduisoit avoit assez d'affaire me redresser; car j'oubliois souvent
+le crmonial. Ces visites durent tout le jour. On les conduit dans une
+chambre couverte de tapis de pied, un grand brsier d'argent au milieu.
+Je n'oublierai pas de vous dire que, dans ce brsier; il n'y a point de
+charbon, mais de petits noyaux d'olives qui s'allument, et qui font le
+plus joli feu du monde, une petite vapeur douce. Ce feu dure plus que la
+journe. La manire de s'entretenir et de se faire des amitis, seroit
+trop longue vous dire. Toutes ces femmes causent comme des pies
+dniches; trs-pares en beaux habits et pierreries, hors celles qui
+ont leurs maris en voyage ou en ambassade. Une des plus jolies, sans
+comparaison[13], toit vtue de gris par cette raison. Pendant l'absence
+de leurs maris, elles se vouent quelque saint, et portent, avec leur
+habit gris ou blanc, de petites ceintures de corde ou de cuir. Je ne
+puis vous dpeindre aucune beaut; car je n'en ai point vu. La
+conntable de Castille est des mieux faites; mais revenons notre
+brsier; toutes assises sur nos jambes, sur ces tapis; car, quoiqu'il y
+ait quantit _d'almohadas_, ou carreaux, elles n'en veulent point. Ds
+qu'il y a cinq ou six dames, on apporte la collation qui recommence une
+infinit de fois. On prsente d'abord de grands bassins de confitures
+sches; ce sont des filles qui servent, aprs cela quantit de toutes
+sortes d'eaux glaces, et puis du chocolat; ce qu'elles ont mang ou
+emport de marons glacs, qu'elles nomment _castagnas_, ne se peut
+comprendre, tant elles les trouvent bons. Il rgne une grande honntet
+parmi elles; touches de plaire et de faire plaisir; avec tout cela,
+madame, que je fus aise de me trouver la fin de mes trois jours! La
+plupart me sont venu voir deux fois; trois ou quatre entendent et
+parlent un peu le franois, et moi trs-peu l'espagnol. Si ce rcit vous
+parot trop long, gardez-le pour le mettre en la place de la lecture que
+vous faites quelquefois les soirs. Il n'a tenu qu' moi de vous faire
+encore un dtail des comdies et de leurs machines. La reine, avec qui
+je me suis trouve deux fois, comme elle y alloit, m'y a voulu mener;
+mais jusqu'ici je m'en suis exempte par m'y figurer un ennui mortel, et
+je lui ai dit que j'irois quand elle seroit au palais. Cette jeune reine
+est assurment plus belle et plus aimable que toutes les dames de sa
+cour. Elle n'a point encore fait son entre; on dit que le deux du mois
+prochain on saura le jour destin cette crmonie; il y a des soupons
+sur une grossesse. A l'gard de ne la pas voir aussi souvent qu'elle me
+tmoigne le souhaiter, ce que je fais jusqu' la durt, ce n'est pas
+que je mprise cet honneur, et que je n'en sache faire tout le cas que
+je dois; mais je crains plus que je ne puis vous le dire, qu'on ne me
+puisse accuser de trop d'empressement. Ce que la princesse fera de bien
+ou moins bien, ne me doit point tre attribu; elle se conduit fort
+prudemment; il n'auroit pas t plus mal qu'on lui et donn en France
+quelque bonne tte en qui elle et confiance; cette cour est remplie de
+plusieurs personnes, qui peuvent indirectement se mler de lui donner
+des conseils; il y a bien peu qu'elle y est, pour savoir choisir les
+bons et rejeter les mauvais; ce ne sont nullement mes affaires; et, si
+la reine mre n'avoit souhait que je visse plus souvent la reine que je
+ne me l'tois propos, je n'y aurois t qu'une seule fois. Je vous
+assure, madame, que, quand il faut m'habiller, quoiqu'il me soit permis
+d'aller avec toutes sortes de manteaux, et qu'il me faut sortir de ma
+chambre, je suis triste et peine par avance, d'aller reprsenter en
+public. On prpare, pour l'entre de la reine, cinq ou six beaux arcs de
+triomphe. J'en ai vu un qui m'a paru tel. Si le deux du mois prochain on
+la croit encore grosse, elle fera son entre dans une espce de chaise
+dcouverte, que des hommes porteront sur leurs paules; sinon elle la
+fera cheval. J'tois, il y a peu de jours, avec elle; le roi vient
+faire de petites _comparanzas[14]_ et puis s'en reva. Elle me montroit
+un fort beau prsent d'une parure de pierreries, que le roi lui avoit
+fait le matin. Ils se couchent tous les jours huit heures et demie,
+c'est--dire, le moment d'aprs qu'ils sont sortis de table, ayant
+encore le morceau au bec.
+
+Le prince de _Ligne_ mourut, il y a trois jours; il toit assez vieux;
+sa femme s'en retourne en Flandre. Il y en a huit qu'un fameux thatin,
+nomm le P. _Vintimille_, fut chass; il toit intrigant, ce qu'on
+dit, des amis de feu don _Juan_, et ennemi dclar de la reine mre; il
+et fort souhait d'tre confesseur de la jeune reine; il ne lui auroit
+pas fait des scrupules de rien; il est ami de la conntable _Colonne_
+que je n'ai point encore vue, parce que je n'ai fait aucune visite: je
+les commencerai bientt, et la verrai des premires. Elle ne sort point
+de son couvent: on croyoit qu'elle demeureroit chez la marquise _de los
+Balbass_, sa belle-soeur; mais cela ne sera pas.
+
+Le duc _d'Ossone_ continue de ne pas aller la cour.
+
+Il y a trs-souvent, ce qu'on appelle des crmonies de chapelle, dans
+l'glise qui touche la maison o leurs majests sont prsent; on voit
+la reine travers les barreaux d'une tribune; elle est
+trs-magnifiquement pare, aussi bien que toutes les dames: ce lieu
+d'oraison n'est pas moins chri d'elles. La fte de Nol est solemnise
+dans le palais par des parures extraordinaires, et la comdie sur les
+quatre heures. Sans beaucoup me divertir ici, je vous dirai, madame,
+qu'il n'y a lieu au monde o je voulusse tre qu'en Espagne, tant que M.
+_de Villars_ y sera, cela s'entend; voil la pure vrit.
+
+
+
+
+LETTRE VI.
+
+_Madrid, 12 janvier 1680._
+
+Je vous rendis compte par ma dernire lettre des visites que j'avais
+reues; je n'entrerai point dans le dtail de celles que je rends.
+J'oubliai de vous dire que toutes ces grandes dames ne se parlent que
+par _tu_ et _toi_; c'est une marque d'amiti. Nous commenons nous
+tutoyer. Le roi et la reine usent de ces termes entr'eux. La reine n'est
+plus grosse. Ds le lendemain qu'elle ne le fut plus, le roi et la reine
+allrent au Pardo, jolie maison deux lieues d'ici; elle eut le plaisir
+de monter un peu cheval, et de voir tuer un sanglier par le roi, son
+mari. Son entre se fera samedi prochain; on dit qu'il s'y verra des
+magnificences extraordinaires. Leurs majests quitteront le Retiro, et
+iront demeurer au palais; l'appartement de la reine est fort dor et
+trs-bien meubl; nous l'allmes voir l'autre jour. Quand elle y sera,
+et qu'elle recevra mille visites, je me propose, sans en rien dire, de
+lui en rendre moins. Toutes les dames, qui sans vanit m'aiment assez,
+croient et s'attendent que j'y serai tous les jours, et que je puis un
+peu contribuer leur faire faire leur cour; mais, ma chre madame,
+entre vous et moi, non-seulement je ne veux entrer en rien, mais je
+voudrois me mettre entirement hors de porte d'aucun soupon. Je vous
+prie d'avoir quelque application pour entrevoir au lieu o vous tes, si
+l'on ne trouvera pas que ce soit le meilleur parti. Il se peut fort bien
+qu'on ne prendra pas la peine de songer ce que je fais ou ne fais pas,
+ moins que vous ne le mettiez sur le tapis. Il n'y a presque pas de
+milieu entre voir la reine trs-souvent, ou ne la voir que
+trs-rarement, en cherchant, pour le public et pour elle, des raisons
+qui ne seront gure vraisemblables, puisque le roi, la reine mre, et la
+_camarera mayor_ font parotre qu'ils sont trs-aises que je sois
+souvent avec elle, et tout le monde disant que l'ambassadrice
+d'Allemagne toit tous les jours avec la reine mre, ne parlant ensemble
+qu'allemand. Vous voyez donc que, du ct de cette cour, tout veut que
+je sois souvent avec la reine; mais si je ne sais que la cour de France
+l'approuve, rien ne me peut empcher de retirer mes troupes, et de
+laisser penser ici tout ce qu'on voudra: c'est pourquoi je vous supplie
+encore une fois de tcher de savoir ce que vous pourrez l-dessus. Cette
+jeune reine se conduit jusqu'ici avec beaucoup de douceur et de
+soumission pour le roi; on dit qu'il l'aime fort: chacun a sa manire
+d'aimer; je le vois assez souvent venir dans une galerie o est la
+reine. Vous avez apparemment vu de ses portraits.
+
+Le lendemain de l'entre, il y aura une fte le soir, que l'on nomme
+mascarade, o tous les grands de la cour courent deux deux dans une
+lice avec un flambeau la main. Le roi court avec son grand cuyer. Ce
+sont des habits extraordinaires; je crois que cela sera plus beau
+dpeindre qu' voir. Un autre jour, ce sera _juego de cagnas_; je ne
+sais pas trop ce que c'est; on jette des cannes en l'air. Mais la grande
+fte, ce sera celle de la course des taureaux. Pour celle-l, je crois
+que ce sera une trs-belle chose. Des Grands, des fils de Grands
+_tauricideront_. La magnificence du train et des livres sera, ce
+qu'on dit, surprenante. Pourvu qu'il ne s'y tue personne, j'y prendrai
+peut-tre quelque plaisir. Si cela est, je vous souhaiterai souvent sur
+mon balcon. Hlas! madame, si j'osois, je vous y souhaiterois, mme
+quand la fte seroit ennuyeuse.
+
+Je ne me suis point encore habille l'espagnole, quoique j'aie fait
+faire deux habits. La reine mre aime tout--fait l'habit la
+franoise, et toutes les dames aussi; c'est--dire, les manteaux
+principalement, et c'est ce qui m'accommode fort. Le noir ou la couleur
+ne marquent pas plus de respect l'un que l'autre.
+
+Il fait aussi froid ici qu' Paris; j'espre qu'il n'y fera pas plus
+chaud.
+
+Le marquis de _Flamarens_ est Madrid avec l'habit espagnol et la
+_honille_. Je croirois sans peine qu'il s'y ennuiera bientt. Le comte
+_de Charni_, prtendu fils naturel de feu _Monsieur_ (duc _d'Orlans_),
+y passe une vie bien triste. C'est un honnte homme; et s'il est vrai,
+comme on n'en doute pas, qu'il ait l'honneur d'tre frre de tant de
+princesses, celles qui sont en tat de lui faire du bien, devroient bien
+lui en faire un peu, et lui procurer quelque moyen de subsister. Nous ne
+le voyons pas souvent, ni _Flamarens_ non plus; il faut qu'ils aient des
+gards.
+
+Je n'ai t qu'une seule fois chez la reine mre depuis que je suis ici.
+
+La reine m'a expressment charge de vous faire ses complimens. Je vous
+mne au palais toutes les fois que j'y vais; et votre nom, sans que je
+me le propose, est toujours dans toutes nos conversations. _La
+philosophie en-dehors, et les pieds en-dedans_, la pensrent faire
+mourir de rire. Ce que les Franois et Franoises trouvent ici de
+triste, ne l'est nullement, et la reine m'a avou de trs-bonne foi
+qu'elle n'avoit jamais cru s'accoutumer aussitt. Vous pouvez penser que
+je ne lui tiens gure de propos qui soient propres faire soupirer
+incessamment aprs la France. Enfin jusqu'ici j'ai fait de mon mieux par
+le seul plaisir de bien faire.
+
+
+
+
+LETTRE VII.
+
+_Madrid, 26 janvier 1680._
+
+Je ne vous entretiendrai gure de l'entre de la reine d'Espagne.
+Elle en toit le plus grand et le plus agrable ornement; cheval sous
+un grand dais, fort pare, un chapeau de plumes blanches, un habillement
+fait exprs pour ce jour de crmonie; prcde de plusieurs Grands fort
+brods, et quantit de livres riches et mal entendues, aussi-bien que
+les habits des matres. La reine avoit trs-bonne grce. Elle quitta un
+peu sa gravit devant le balcon o nous tions, et je la lui vis
+reprendre. Il y a eu deux jours de suite des feux d'artifice devant le
+palais, o je me dispensai d'aller. Jusqu'ici il n'y a point eu d'autre
+fte. Le roi mne souvent la reine dans des couvens, et ce n'est point
+du tout une fte pour elle. Elle a voulu absolument que je l'y suivisse
+ces deux derniers jours. Comme je n'y connois personne, je m'y suis
+beaucoup ennuye; et je crois qu'elle ne vouloit que j'y fusse, qu'afin
+de lui tenir compagnie. Le roi et et la reine sont assis, chacun dans un
+fauteuil; des religieuses leurs pieds, et beaucoup de dames qui
+viennent leur baiser les mains. On apporte la collation; la reine fait
+toujours ce repas d'un chapon rti. Le roi la regarde manger, et trouve
+qu'elle mange beaucoup. Il y a deux nains qui soutiennent toujours la
+conversation. Je croyois hier au soir, au sortir du couvent, m'en
+retourner chez moi; mais la conntable de Castille me pria que nous
+allassions ensemble au palais; car vous saurez que, sans l'avoir mrit,
+il ne tiendroit qu' moi de me donner un grand air ici, les dames
+croyant que c'est assez qu'une ambassadrice soit de la mme nation que
+leur reine, pour leur tre de quelque agrment. Je fais aussi de mon
+mieux pour ne pas tromper leur attente. Voil toutes les affaires que je
+veux avoir au palais. La reine mre est toujours une trs-bonne
+princesse; je n'en puis dire autre chose. Je n'abuse point des bonts
+qu'elle m'a fait parotre; car, depuis que je suis Madrid, je n'ai t
+que deux fois chez elle. Il y a, depuis deux jours, un ambassadeur
+d'Espagne nomm pour la France. L'on a rvoqu celui que vous aviez.
+C'est le marquis _de la Fuente_, fils de celui que vous avez vu
+ambassadeur. Sa femme partira bientt. Elle ne vous parotra ni jeune ni
+belle; elle est peut-tre l'un et l'autre en ce pays. C'est une bonne
+femme.
+
+Je ne passe pas en Espagne une vie aussi oisive que je voudrois, et ce
+sera beaucoup si je puis jamais rendre toutes les visites que j'ai y
+faire. Tout ce que j'y ai de plus agrable, c'est la commodit des
+habits. La reine mre et toutes les dames approuvent toujours si fort
+ceux que j'ai, et sur-tout les manteaux, que vous pouvez croire avec
+quel plaisir je les satisfais. Le noir, comme je crois vous l'avoir dj
+mand, n'est pas une couleur plus respectueuse qu'une autre.
+
+Je ne vois pas qu'on se presse trop ici d'expdier le brevet de cette
+pension de deux mille cus pour madame de _Grancey_; M. _de Villars_
+voudroit bien lui tre utile; mais avec tout l'or qui vient des Indes,
+l'Espagne ne parot pas opulente. Ce que j'ai vu de plus riche, de plus
+dor, de plus magnifique, est l'appartement de la reine. Il y a entre
+autres meubles dans sa chambre, une tapisserie, dont ce qu'on y voit de
+fond, est de perles. Ce ne sont point des personnages; on ne peut pas
+dire que l'or y soit massif, mais il est employ d'une manire et d'une
+abondance extraordinaires. Il y a quelques fleurs: ce sont des bandes de
+compartimens; mais il faudroit tre plus habile que je ne suis
+reprsenter les choses, pour vous faire comprendre la beaut que compose
+le corail employ dans cet ouvrage. Ce n'est point une matire assez
+prcieuse pour en vanter la quantit; mais la couleur et l'or qui parot
+dans cette broderie, sont assurment ce qu'on auroit peine vous
+dcrire; mais il ne vous importe gure. Cette tapisserie m'est demeure
+dans la tte; c'est ce qui m'a fait crire ceci, qui vise assez au
+galimatias. Adieu, madame: ce que je sens bien distinctement, c'est que
+je vous aime. Aimez-moi aussi, je vous en prie; et ne consentez jamais
+en vous-mme que je sois en Espagne et vous en France.
+
+_Madrid, 27 janvier 1680._
+
+Comme le courrier ne partit point hier au soir, et qu'il me reste
+un peu de temps, je veux vous conter, si je puis, en peu de mots, une
+belle aventure. Nous arrivions hier, M. _de Villars_ et moi, sur les dix
+heures du matin, quand nous vmes entrer dans ma chambre une _tapada_,
+suivie d'une autre qui paroissoit sa suivante. Je fis signe M. _de
+Villars_ que c'toit lui se mettre en devoir de faire les honneurs;
+la suivante se retira. L'autre fit signe qu'elle vouloit que quelques
+gens qui toient dans l'antichambre, se retirassent aussi. Elle
+s'approcha d'une fentre avec M. _de Villars_, me faisant signe en mme
+temps de m'approcher. Elle leva son manteau, je n'en tois gure plus
+savante. Je me souvenois un peu d'avoir vu quelque personne qui lui
+ressembloit; M. _de Villars_ s'cria: c'est madame la conntable
+_Colonne_! Sur cela je me mis lui faire quelques complimens. Comme ce
+n'est pas son style, elle vint au fait. Elle pleura et demanda qu'on et
+piti d'elle. Pour dire deux mots de sa personne, sa taille est des plus
+belles. Un corps l'espagnole qui ne lui couvre ni trop ni trop peu les
+paules. Ce qu'elle en montre, est trs-bien fait: deux grosses tresses
+de cheveux noirs, renoues par le haut d'un beau ruban couleur de feu:
+le reste de ses cheveux en dsordre et mal peign; de trs-belles perles
+ son cou; un air agit qui ne siroit pas bien une autre, et qui pour
+lui tre assez naturel, ne gte rien; de belles dents. Je voudrois bien
+vous faire entendre tout ceci en peu de mots. La conntable est dans un
+couvent royal, nomm _San-Domingo_. Elle en est dj sortie quatre ou
+cinq fois; et la dernire qu'elle y entra, le nonce fit semblant de
+vouloir parler une religieuse la porte; et quand elle fut ouverte,
+la conntable que l'on croyoit bien loin, rentra promptement; car en
+Espagne, dans ces sortes de couvens, il y a d'extraordinaires
+rgularits sur les entres et les sorties. Quand elle y fut, les parens
+du conntable exigrent d'elle qu'elle signeroit entre les mains du roi
+un papier, par lequel elle s'engageroit de ne plus sortir sans la
+permission de son mari, promettant que, si elle en sortoit, on pourroit
+la renvoyer Saragosse, ou en tel autre lieu que son mari souhaiteroit.
+La voil donc avec de doubles liens. Quand le marquis _de los Balbass_
+revint avec sa femme, elle crut qu'ils la recevroient dans leur maison;
+mais ils s'en excusrent, disant qu'elle toit trop petite. Le bruit de
+l'entre de la reine a fait prendre la rsolution madame _Colonne_ de
+sortir encore de son couvent. Aussitt pens, aussitt fait. Elle envoie
+emprunter un carrosse, et s'en va droit chez la marquise _de los
+Balbass_. Elle fut bien reue, malgr leur surprise. Au bout de
+quelques jours, quelqu'un vint lui dire que _los Balbass_ l'alloit
+envoyer Saragosse trouver son mari. Sur cela elle demande un carrosse
+pour aller prendre l'air; on lui en donne un. Elle fait quelques tours
+par la ville, et se fait descendre notre porte; la voil chez nous
+disant qu'elle n'en vouloit plus sortir, et que l'on ne voudroit pas la
+mettre dans la rue. Il parut qu'elle seroit bien aise de voir le nonce.
+Nous la fmes dner; je lui fis de mon mieux, parce qu'en effet elle
+fait trs-grande piti d'tre de l'humeur qu'elle est. Le marquis _de
+los Balbass_ envoie un de ses parens pour essayer de la rsoudre
+retourner, et ne pas donner une nouvelle scne au public. Elle dit
+qu'elle n'en fera rien. Le nonce arrive; elle le prie qu'il la fasse
+rentrer dans son couvent. Il rpond qu'il n'en a pas le pouvoir. Une
+dame de qualit de nos amies, qui est la comtesse _de Villombrosa_, dont
+le fils a pous la fille de _los Balbass_, vint ici. M. _de Villars_
+et le nonce firent plusieurs alles et venues chez _los Balbass_, qui
+promit plusieurs fois, foi de cavalier, qu'il ne feroit nulle violence
+madame _Colonne_ pour retourner avec son mari; qu'il la prioit de
+revenir chez lui, et que l'on tcheroit de faire en sorte que le roi qui
+avoit l'crit de madame _Colonne_, ne sauroit rien, de sa sortie, et
+que, si elle s'opinitroit ne pas vouloir revenir, elle alloit mettre
+contre elle le roi, son mari, et toute sa famille. Enfin, madame, il
+toit prs de minuit que nous ne savions tous que faire par les
+consquences que cette pauvre crature attiroit contre elle en demeurant
+chez nous. Mais enfin elle se rsolut s'en aller. La comtesse _de
+Villombrosa_, M. _de Villars_ et moi la remmenmes chez le marquis _de
+los Balbass_. Sa femme et lui la reurent trs-bien; mille embrassades.
+Vraiment, c'est une chose inconcevable que les mouvemens extraordinaires
+qui se passent dans cette tte. Elle l'avoue elle-mme. Si elle ne fait
+pas plus de chemin, ce n'est pas manque de bonne volont. Cependant,
+s'il lui prend envie une autre fois de revenir chez nous et de n'en
+vouloir pas sortir, par les frayeurs qu'on ne la remette au pouvoir de
+son mari, nous en serions bien embarrasss. Si cette histoire vous
+ennuie, madame, prenez-vous-en l'envie et au plaisir que j'ai de vous
+conter tout ce que je sais qui peut vous tre crit.
+
+
+
+
+LETTRE VIII.
+
+_Madrid, 9 fvrier 1680._
+
+La reine d'Espagne, bien loin d'tre dans un tat pitoyable, comme on
+le publie en France, est engraisse au point que, pour peu qu'elle
+augmente, son visage sera rond. Sa gorge, au pied de la lettre, est dj
+trop grosse, quoiqu'elle soit une des plus belles que j'aie jamais vues.
+Elle dort l'ordinaire dix douze heures. Elle mange quatre fois le
+jour de la viande; il est vrai que son djener et sa collation sont ses
+meilleurs repas. Il y a toujours sa collation un chapon bouilli sur un
+potage, et un chapon rti. Je la vois fort rire, quand j'ai l'honneur
+d'tre avec elle. Je suis persuade que je ne suis ni assez plaisante ni
+assez agrable pour la mettre en cette bonne humeur, et qu'il faut
+qu'elle ne soit pas chagrine d'ordinaire. L'on ne peut assurment se
+mieux gouverner, ni avec plus de douceur et de complaisance pour le roi.
+Elle avoit vu son portrait; on ne lui avoit pas fait celui de son humeur
+pour les manires et la vie solitaire. On n'a pas renvers toutes les
+coutumes du pays, pour y en mettre de plus agrables. Mais la reine mre
+fait tout ce qu'elle peut pour les adoucir. Il parot tous les gens de
+bon sens que la jeune reine ne peut mieux faire que de contribuer de son
+ct s'attirer la continuation de l'amiti et de la tendresse que ce
+prince lui tmoigne. Il y a cette duchesse de _Terranova_, _camarera
+mayor_, dont l'humeur passe pour tre un peu hautaine. La jeune reine
+plat infiniment toutes les dames. Je fais tout ce que je puis, quand
+j'ai l'honneur d'tre auprs d'elle, pour la faire souvenir de leur dire
+tout ce qui est le plus propre les gagner. Quand je vous dis qu'elle
+est grasse, qu'elle dort, qu'elle rit, encore une fois, je vous dis
+vrai. Il n'est pas moins vrai aussi, avec tout cela, que la vie qu'elle
+mne, ne lui est gure agrable. Enfin, madame, je vous assure qu'elle
+fait merveille; j'en suis tout tonne.
+
+Il y eut hier la plus clbre fte de taureaux qui se soit vue depuis
+plusieurs rgnes des rois d'Espagne. Il y eut six Grands ou fils de
+Grands qui furent les _toreadors_. Je pensai mourir dans la premire
+heure: mourir est un peu trop dire; mais j'eus une motion et un si
+violent battement de coeur, que je crus n'y pouvoir rsister, et je me
+levois pour m'ter de dessus le balcon o j'tois, si M. _de Villars_ ne
+m'et dit que pour rien du monde il ne falloit faire cette faute. C'est
+une terrible beaut que cette fte. La bravoure des _toreadors_ est
+grande. Aucuns taureaux pouvantables prouvrent bien celle des plus
+hardis et des meilleurs. Ils crevrent de leurs cornes plusieurs beaux
+chevaux; quand les chevaux sont tus, il faut que les seigneurs
+combattent pied, l'pe la main, contre ces btes furieuses. Je
+n'aurois jamais fait, si je voulois vous conter tout ce qui s'observe
+dans ces combats, qui ont bien des rapports avec ceux des anciens Maures
+et Grenadins. Les dames, dont les amans combattent, et qui sont
+prsentes, doivent bien mal passer leur temps, pour peu qu'elles les
+aiment vritablement. Les seigneurs, qui doivent combattre, ont chacun
+cent hommes vtus de leurs livres. C'est une chose qui mriteroit de
+vous tre conte plus en dtail. Si j'tois roi d'Espagne, jamais on
+n'en reverroit.
+
+Je crois vous avoir dj parl de la dvotion de ce pays. Nous avons t
+obligs, de peur d'y scandaliser sculiers et religieux, de manger de la
+viande le samedi. Nous ne mangeons point ce jour-l ce qu'on appelle
+_petits pieds_. C'est une mdiocre mortification. Cela est partout, en
+Espagne.
+
+Toutes les dames, gnralement parlant, sont honntes et civiles,
+sur-tout celles qui ont un peu voyag avec leurs maris.
+
+Le roi d'Espagne hait parfaitement Franois et Franoises.
+
+Il y a ici un Franois dont je vous ai parl: c'est le comte _de
+Charmy_, qui mriteroit de vivre dans son pays, et de ne pas finir ses
+jours dans celui-ci. Nous le voyons peu; mais ce que j'en connois est
+d'un homme sage et de bon sens. Nous voyons encore moins le marquis _de
+Flamarens_. J'ai assez bonne opinion de lui pour croire qu'il s'ennuie
+beaucoup. Adieu, madame.
+
+
+
+
+LETTRE IX.
+
+_Madrid, 6 mars 1680._
+
+Nous voici au mercredi des Cendres. Je n'ai rien vous dire du
+carnaval. Comme le carme n'est point du tout ici un temps de pnitence,
+celui qui le prcde ne se distingue par aucun plaisir; car jamais vous
+ne voudriez croire que c'en ft un que de jeter sur les passans beaucoup
+d'eau par la fentre. Pour ce qui se passe dans le palais, le roi, la
+reine et les dames se battent coups d'oeufs remplis d'eau de senteur,
+mais en si prodigieuse quantit, que l'on ne comprend pas o l'on peut
+en trouver tant. Ils sont tous argents et peints. La reine m'en donna
+un panier dont je rgalai ma fille. Voil, madame, par o l'on marque
+cette jeune princesse des jours qu'elle passoit autrement en France, et
+dont je tche, autant que je le puis, de lui ter le souvenir. En
+vrit, sa douceur, sa complaisance et toute sa conduite, sont des
+choses extraordinaires dix-huit ans. Il entre de tout dans cette
+heureuse composition; et, pour ajouter encore la gloire qu'elle peut
+tirer de tout ce qu'elle fait, c'est que d'abord qu'elle arriva, on lui
+donna les plus mchans conseils du monde. Elle le connot bien
+prsentement.
+
+J'ai t assez souvent la comdie espagnole avec elle: rien n'est si
+dtestable. Je m'y amusois voir les amans regarder leurs matresses,
+et leur parler de loin avec des signes qu'ils font de leurs doigts; pour
+moi je suis persuade que c'est plutt une marque de leur souvenir qu'un
+langage; car leurs doigts vont si vte, que, si ces amans s'entendent,
+il faut que l'amour d'Espagne soit un excellent matre dans cet art. Je
+pense que c'est qu'il y voit plus clair qu'ailleurs, et qu'il ne se
+soucie gure de faire plus de chemin.
+
+Il y a, depuis peu de jours, un premier ministre, qui est le grand duc
+_de Medina Celi_, le plus grand seigneur de cette cour; il n'a que
+quarante ou quarante-cinq ans. Voil tout ce que vous saurez des
+affaires d'Etat. Je n'en sais gure davantage. On n'a point remdi
+celle qui me tient assez au coeur, qui est ce rabais des monnoies. C'est
+une chose bien triste, madame, que le peu d'argent qui nous vient de
+France par cette diminution, et qu'il faille sur chaque pistole en
+perdre plus de la moiti. La piti que j'ai de nous ne m'empche pas
+d'en avoir pour ce pauvre peuple, qui parot ne vivre que de ce qu'on
+appelle ici _tomar el sol_; tant il est maigre, abattu et misrable.
+
+Il y eut dimanche, au Retiro, une comdie de machines, o les deux
+reines et le roi toient. Il y falloit tre midi. L'on y mouroit de
+froid. Comme je me promenois dans les galeries de cette maison, qui sont
+trs-agrables, habille ma commodit comme devant voir cette comdie
+derrire des jalousies, et ne songeant ni roi, ni reine, j'entendis
+notre jeune princesse qui m'appeloit fort haut par mon nom. J'entrai
+dans le lieu d'o me paroissoit venir sa voix, avec un air un peu
+compos: je la trouvai assise au milieu du roi et de la reine mre. Elle
+n'avoit consult, en m'appelant, que son envie de me voir, et avoit
+tout--fait oubli la gravit espagnole. Elle de rire en me voyant. La
+reine mre me rassura; elle est toujours aise que la reine sa
+belle-fille se divertisse. Elle lui donna mme occasion de me venir
+parler auprs d'une fentre; mais je m'en retirai bientt. Elle me
+demanda si je n'avois point reu de vos lettres.
+
+Au reste, madame, toutes les ambassadrices meurent Madrid; en voil
+deux en six semaines, qui toient plus jeunes que moi[15]. J'aimerois
+autant que la mort en et pris de quelqu'autre tat. On me dit qu'on ne
+peut rsister aux chaleurs. Je me tranquillise un peu sur cela, quand je
+songe mesdames _de Schornberg_ et _de la Fayette_, qui cherchent et
+qui trouvent des airs temprs dans leurs maisons de la ville, et dans
+celles qu'elles choisissent la campagne. Elles sont toujours malades,
+sans que d'ailleurs la fortune les accable de ses revers; et moi, je me
+porte bien, sans faire aucun remde et sans les croire ncessaires.
+Mais cela ne peut pas durer. J'observe mon rgime de chocolat, auquel
+seul je crois devoir ma sant. Je n'en use pas comme une folle et sans
+prcaution. Mon temprament ne parot nullement se pouvoir accommoder de
+cette nourriture. Elle est pourtant admirable et dlicieuse. J'en ai
+fait faire chez moi, qui ne peut jamais faire mal. Je songe souvent que,
+si je puis vous revoir, je veux vous en faire prendre mthodiquement, et
+vous faire avouer que rien n'est meilleur pour la sant. Voil bien
+parler de chocolat. Songez que je suis en Espagne, et que c'est presque
+mon seul plaisir que d'en prendre.
+
+La conntable _Colonne_, depuis la visite qu'elle nous fit, est toujours
+dans un couvent cinq lieues d'ici. Son mari est Madrid depuis deux
+jours. On dit qu'il lui permettra de revenir dans un autre couvent de
+cette ville, o elle aura beaucoup moins de libert que dans celui d'o
+elle est sortie. Nous avons appris qu'elle fut toute prte le jour
+qu'on l'emmena de Madrid au lieu o elle est prsentement, de s'en
+venir encore se fourrer chez nous dans ma chambre.
+
+J'ai reu par cet ordinaire une lettre de madame _de Svign_. Je ne
+saurois lui faire rponse aujourd'hui, quelqu'envie que j'en aie. J'ai
+fait lire la reine l'endroit o madame _de Svign_ parle d'elle et de
+ses jolis pieds, qui la faisoient si bien danser, et marcher de si bonne
+grce. Cela lui a fait beaucoup de plaisir. Ensuite elle a pens que ses
+jolis pieds, pour toute fonction, ne vont prsentement qu' faire
+quelques tours de chambre, et huit heures et demie tous les soirs,
+la conduire dans son lit. Elle m'a ordonn de vous faire toutes deux
+bien des amitis. Elle toit hier belle comme un ange, accable, sans se
+plaindre, d'une parure d'meraudes et de diamans sur la tte,
+c'est--dire, mille poinons; de furieux pendans d'oreilles; et devant
+elle et autour d'elle en charpe, des bagues, des bracelets. Vous croyez
+que les meraudes avec les cheveux bruns ne faisoient pas un bon effet;
+Dtrompez-vous; son teint est un des plus beaux teints de brune qu'on
+puisse voir; sa gorge blanche et trs-belle. Elle toit un peu plus
+pare qu' l'ordinaire. Elle me dit qu'elle avoit donn audience le
+matin au conntable _Colonne_, et qu'en le voyant et l'entendant parler,
+elle avoit t bien persuade de la folie de sa femme. Il est fait
+peindre: pour de bonne humeur, on n'en peut douter, si l'on en juge par
+l'air dont il laissoit vivre sa femme Rome. La reine me demanda fort
+des nouvelles de madame _de Grignan_[16], et si elle ne reviendroit
+point cet hiver Paris.
+
+Si trois semaines aprs que vous aurez reu cette lettre, vous envoyez
+un laquais au quartier de Richelieu, faites-le passer au couvent des
+Petits-Pres, et dites-lui de s'informer si deux de leurs religieux ne
+sont pas arrivs d'Espagne. Ces pres ont pour vous une petite bote o
+il y a le plus petit prsent du monde. Faites pourtant cas des tasses de
+boucaro. J'ai, en vrit, quelque sorte de honte, non du petit prsent,
+mais de cette longue lettre. Il n'appartient pas quelqu'un qui est
+Madrid de tenter la patience d'une personne comme vous, dont les
+journes sont remplies d'occupations agrables ou soi-disantes.
+
+
+
+
+LETTRE X.
+
+_Madrid, 21 mars 1680._
+
+Je veux vous parler d'une promenade o je fus hier, qui est la plus
+ordinaire, quand il fait chaud; et il en fait dj beaucoup ici. C'est
+dans cette rivire si vante du Mananars: au pied de la lettre, la
+poussire commence y tre si grande, qu'elle incommode dj beaucoup.
+Il y a de petits filets d'eau par-ci, par-l, mais pas assez pour qu'on
+en puisse arroser des sables menus, qui s'lvent sous les pieds des
+chevaux; en sorte que cette promenade n'est plus supportable. Ce n'est
+donc pas pour vous dire une mauvaise plaisanterie, mais une vrit assez
+extraordinaire. Je vous prie, madame, de conter cela, comme vous savez
+orner toutes les choses auxquelles vous voulez donner un air. Je vous
+expose seulement celle-ci, qu'on ne peut se promener dans une rivire,
+parce qu'il y a de la poudre. Mais ce n'est rien: il faut voir le grand
+et prodigieux pont qu'un roi d'Espagne a fait btir sur ce Mananars.
+Il est bien plus large et bien plus long que le Pont-Neuf de Paris: et
+l'on ne peut s'empcher de savoir bon gr celui qui conseilla ce
+prince de vendre ce pont, ou d'acheter une rivire. Je pensois que je
+pourrois vous dire tout ceci en cinq ou six lignes; en voil bien
+davantage.
+
+Les femmes de la reine partirent d'ici le 14 de ce mois. Elles vinrent
+ce jour-l chez nous; elles y firent toutes leurs affaires, et
+aprs-dner, M. _de Villars_ et moi nous les menmes dans mon carrosse
+hors la ville, prendre le leur. Elles avoient dit le soir la reine
+qu'elles la reverroient le lendemain; mais elles firent prudemment de ne
+lui dire point adieu. Ds les sept heures, elle les demanda; elles n'y
+toient plus. Elle pleura beaucoup: elle ordonna qu'on me vnt dire de
+l'aller trouver; mais je revins chez moi un peu tard. J'allai, sur les
+cinq heures du soir, au palais. Elle se levoit. Il est surprenant, en
+vrit, comme elle est embellie. Elle avoit ses cheveux sur le front,
+renous en grosses boucles; des rubans couleur de rose sa cornette et
+dessus sa tte, point barbouille de rouge, comme il faut qu'elle le
+soit ordinairement; une gorge admirable. Elle mit une robe de chambre
+la franoise, et passa le reste du jour avec cet habillement. Elle se
+considra un peu de cette sorte dans un grand miroir. Cette vue la
+remit. Il paroissoit ses yeux qu'elle avoit bien pleur. Comme elle
+commenoit me parler, le roi entra; et c'est ici une loi tablie,
+que, quand sa majest entre dans la chambre de la reine, toutes les
+dames qui s'y trouvent, en sortent aussitt, si ce n'est la _camarera
+mayor_ et deux ou trois autres qui sont domestiques. J'entendis qu'on
+demandoit des cartes, et je conjecturai par l que la reine s'alloit
+fort ennuyer au petit jeu que le roi aime, et o l'on peut perdre une
+pistole avec un malheur extraordinaire. La reine fait toujours comme si
+elle toit ravie de cette occupation. Il lui est rest deux des femmes
+qu'elle a amenes, une de ses nourrices, qui est assez adroite, et une
+Provenale qui joue du clavecin. Le roi a une grande joie de voir
+diminuer le nombre des Franois; car il ne peut celer qu'il hait au
+dernier point notre nation. Pour vous expliquer un peu mieux le renvoi
+de ces femmes, c'est une grosse nourrice de la reine, et une fille
+nomme _Martin_, jolie, belle et sage. On ne les a pas chasses; mais on
+leur a rendu la vie du palais, assez insupportable, pour les obliger
+d'en sortir. Joignez cela les marques que le roi leur donnoit de son
+aversion.
+
+M. _de Villars_ me prie de ne pas oublier de vous parler d'une parure
+qu'une des dames de la reine avoit, il y a deux jours; c'est ce qu'on
+appelle en France _fille d'honneur_. Elle en a dix. L'on en prend tous
+les jours quelque nouvelle. Celle dont je vous parle est la fille du duc
+_d'Albe_. Leurs habits sont des plus magnifiques; beaucoup de
+pierreries. Celle-ci servant la collation la reine, comme les autres,
+reportoit un plat. Je lui vis un pistolet pendu au ct avec un gros
+noeud de ruban. Ne croyez pas que ce fut un bijou. Il auroit fort bien
+tu un homme: il toit de plus de demi-pied de long, d'un acier bien
+poli et bien mont. Je ne voulus pas faire semblant, devant la reine, de
+le remarquer; peut-tre ne fis-je pas ma cour la fille, qui ne portoit
+pas cette arme pour la cacher, et pour n'en prtendre pas quelque
+louange.
+
+Il y eut l'autre jour une procession dans ce qu'on appelle les clotres
+du palais. Je la vis par une petite fentre devant laquelle elle
+passoit. Le roi et la reine marchoient ensemble. Elle avoit une grande
+robe de crmonie, des manches pendantes, une longue queue porte par la
+_camarera mayor_. Les filles ou dames d'honneur marchoient ensuite,
+pares avec des habits extraordinaires pour ces jours-l. La croix, le
+patriarche, les vques, les prtres et religieux marchent devant leurs
+majests. Mais pour en revenir aux dames qui sont suivies de celle qui
+s'appelle _la guarda mayor_, leurs amans obtiennent ces jours-l ce qui
+s'appelle _dar lugar_[17], c'est--dire, qu'ils ont place et la libert
+pendant cette procession d'entretenir leurs matresses. Les processions
+sont bien meilleures ici pour les amans que les comdies, o ils ne
+peuvent se parler que de loin avec les doigts. Voil, madame, tout ce
+qu'on peut vous dire de cette crmonie. Si la croix n'y toit pas
+porte, je vous-dirois que c'est une des plus galantes ftes que l'on
+voie en Espagne.
+
+Je m'en vais finir cette lettre par quelque chose, qui vous parotra
+aussi extraordinaire que ce que je vous ait dit au commencement: c'est
+un secret que M. _de Villars_ m'a confi. _Le roi, les deux reines et le
+premier ministre n'ont point du tout de crdit._ Ce secret est comme
+celui de la comdie. Je m'en suis un peu doute par le peu de prcaution
+que M. _de Villars_ a pris en me le confiant.
+
+
+
+
+LETTRE XI.
+
+_Madrid, 16 avril 1680._
+
+J'ai reu deux de vos lettres par ce dernier ordinaire, comme je montois
+en carrosse pour aller l'Escurial. Hlas! madame, quelle nouvelle
+m'avez-vous apprise que celle de la mort de M. _de la
+Rochefoucauld_[18]. Je n'ai pas le courage de vous parler de toutes les
+merveilles que je viens de voir. La tristesse de cette mort dont j'tois
+pntre, m'engagea considrer plus long-temps que je ne l'aurois
+peut-tre fait dans une autre situation d'esprit, ce magnifique
+Panthon, et ces huit belles demeures, si l'on peut nommer de la sorte
+celles que les morts habitent, et o sont dj quatre rois[19] et quatre
+reines. Tout de bon, madame, je ne saurois vous entretenir de rien
+aujourd'hui. Je vous embrasse de tout mon coeur; et c'est tout ce que je
+puis faire, afflige comme je le suis.
+
+
+
+
+LETTRE XII.
+
+_Madrid, 27 avril 1680._
+
+Si j'avois t dimanche une belle procession qui se fit encore, je
+vous en rendrois un lger compte; mais je ne jugeai pas raisonnable de
+passer de propos dlibr toute la matine du dimanche des Rameaux sans
+prier Dieu. Je me contentai la veille de voir l'habit de la reine
+qu'elle me fit apporter. Il y en a toujours un exprs pour cette
+crmonie, o il s'agit de marquer le deuil et la mortification. Le fond
+de cet habit est de satin noir tout brod de jais blanc et d'acier,
+mais, sans nulle comparaison, mieux qu'on ne les emploie en France.
+C'est la seule broderie que j'aie vue dans sa perfection. La reine avoit
+beaucoup de pierreries, mais avec de petits morceaux de gaze plisss,
+attachs en quelques endroits sur le corps de jupe; l'on prtend
+marquer une grande modestie. Les dix filles d'honneur avaient des
+pointes de gaze blanche sur leurs ttes, et leurs amans leurs cts.
+Je ne vous dirai rien, de tout ce qui se passe les trois jours saints,
+mercredi, jeudi et vendredi. Toutes les femmes sont pares, et courent
+d'glise en glise toute la nuit, hors celles qui ont trouv dans la
+premire o elles ont t, ce qu'elles y cherchoient; car il y en a
+plusieurs, qui, de toute l'anne, ne parlent leurs amans que ces trois
+jours-l.
+
+Je vous cris par un courrier que le roi a envoy M. _de Villars_.
+Vous aimeriez peut-tre davantage cet ambassadeur, si vous saviez quel
+point il sait bien se gouverner dans cette cour. Comme je suis toujours
+sur mes gardes pour ne rien crire qui vise aux affaires d'tat, je ne
+vous ai point informe de plusieurs choses qui se sont passes ici,
+quoique publiques; mais, en gnral, vous pouvez dire que M. _de
+Villars_ a fait rtablir toutes choses comme le roi le dsiroit. On lui
+a tendu mille panneaux depuis deux ou trois mois, pour lui donner dans
+son quartier, Madrid, des sujets de batterie, et pour faire piller et
+brler notre maison, en animant le peuple. Tout est craindre, quand il
+arrive de semblables esclandres: il faut avoir une attention continuelle
+ les empcher, et mme, s'il se peut, les prvoir, quoique cela soit
+quelquefois bien difficile. Le cardinal _Bonzi_, tant ici ambassadeur,
+y a pass. Quand ces dsordres-l arrivent, les plaintes ne manquent pas
+d'tre portes en France, et un pauvre ambassadeur est condamn, sans
+avoir pu dire ses raisons. Ils ont eu ici un tel dpit que _Juvenozo_,
+leur ambassadeur en France, n'ait pas reu les traitemens qu'il vouloit,
+qu'ils auroient achet bien cher quelques sujets d'attaquer la conduite
+de M. _de Villars_, sur le fait ou le caractre de l'ambassade.
+Personnellement on ne peut tre plus aim, ni plus estim qu'il l'est.
+Ce roi a une haine effroyable contre les Franois; je ne cesse pas de
+vous l'crire. La conduite de la reine est toujours trs-bonne. Vous la
+louez du bon got qu'elle a pour moi; mais savez vous quelle sauce je
+me mets pour tre trouve de si bon got? Adieu, ma chre madame; M. _de
+Villars_ vous assure de mille vritables respects.
+
+
+
+
+LETTRE XIII.
+
+_Madrid, premier mai 1680._
+
+Tout ce que je puis vous dire de la reine, c'est qu'elle continue bien
+faire. Le roi fut mercredi l'Escurial, et en revint vendredi. Il faut
+des airs ici: la reine eut tous ceux qui toient ncessaires pour
+marquer une grande mlancolie de cette absence. Je ne serois pas bonne
+comdienne; mais je sais bien comme il faut louer, et donner des avis
+propos, quand je me trouve dans l'occasion de le faire. Ils se sont
+envoy, pendant cette courte absence, des prsens riches et galans.
+
+Je reviens du palais. C'est aujourd'hui la fte de _Monsieur_. La reine
+toit belle comme le jour. Je ne sais pas comment elle peut tre si
+belle Madrid. Elle toit extraordinairement pare de trs-grosses
+perles, et de beaucoup de diamans. J'ai t quelque temps seule avec
+elle. Nous avons chant quelques airs d'opra: car il n'est pas
+question, dans nos conversations, de la gravit que comporteroit mon
+ge. En vrit, si je dressois bien mon intention, je ne crois pas que
+ce ft une oeuvre trs-bonne que de la divertir. La vie du palais de
+Madrid ne se peut gure comprendre. Le roi se trouva un peu mal hier: il
+se porte bien aujourd'hui. J'ai laiss toute la maison royale aller la
+comdie; j'ai senti un grand plaisir de n'y point aller, et de revenir
+chez moi. Je ne vous dis point tout ce que M. _de Villars_ voudroit que
+je vous fisse entendre de sa part. On ne peut vous honorer ni vous
+respecter plus qu'il fait, et ma fille aussi, qui aime M. _de
+Coulanges_ de tout son coeur. Adieu, madame.
+
+
+
+
+LETTRE XIV.
+
+_Madrid, 26 mai 1680._
+
+Vous dites, madame, que j'attire des louanges la reine par le got
+qu'elle parot avoir pour moi, et le dsir qu'elle fait voir que je sois
+presque toujours auprs d'elle. Elle en mrite, en vrit, d'autres, par
+la manire dont elle supporte cette vie affreuse du palais. Elle joue
+trois ou quatre heures par jour aux jonchets, qui est le jeu favori du
+roi, sans lui marquer de chagrin. Il lui fait souvent des prsens
+qu'elle aime fort, et voil par o il la console.
+
+Le marquis _de Grana_ et sa femme sont arrivs. On dit que cette femme
+parle cinq ou six sortes de langues; je serai bien simple auprs d'elle.
+Je ne sais si elle verra souvent la jeune reine. Si cela est, nous
+serons souvent ensemble; car il n'y a que les ambassadrices de France et
+d'Allemagne, qui entrent dans la chambre des reines. Toutes les autres
+femmes de ministres trangers ne les voient que dans un lieu destin
+pour les crmonies. Avec cette prrogative, peut-on ne se pas trouver
+heureuse Madrid?
+
+M. _de Villars_ vous assure de mille trs-humbles respects, et ma fille
+aussi. Elle aime un peu mieux M. _de Coulanges_ que vous. Elle porta
+hier la reine la lettre et les chansons de M. _de Coulanges_. Elles
+les chantrent long-temps. N'avez-vous pas reu une petite bote par des
+religieux?
+
+
+
+
+LETTRE XV.
+
+_Madrid, 28 mai 1680._
+
+J'ai vu M. et madame _de Grana_; le mari me vint voir il y a deux ou
+trois jours; il fut toute l'aprs-dne avec moi. Il parle mieux
+franois qu'un Franois mme; il est de bonne conversation. Il s'ennuie
+ la mort Madrid, quoiqu'il y ait demeur long-temps, et qu'il y ait
+beaucoup de parens. Il est pouvant du gouvernement, quoiqu'il n'en
+parle que comme en doit parler un ambassadeur de l'Empereur, une
+Franoise. Il dit qu'il ne sera pas long-temps ici. Il me soutient qu'il
+n'y avoit qu'un ambassadeur de France qui pt prsentement trouver
+quelque plaisir dans cette cour, en entendant parler du mchant tat o
+on la voit. Pour moi, madame, vous croyez bien que je n'entre dans aucun
+de ces dtails.
+
+Je jouis du beau temps, qui est admirable prsentement. Depuis un mois,
+il est tempr. Nous ne voyons ni ne sentons de soleil que ce qu'il en
+faut pour rjouir. La reine m'ordonne, et, si je l'ose dire, me prie
+instamment de la voir souvent. L'ennui du palais est affreux, et je dis
+quelquefois cette princesse, quand j'entre dans sa chambre, qu'il me
+semble qu'on le sent, qu'on le voit, qu'on le touche, tant il est
+rpandu pais. Cependant je n'oublie rien pour faire en sorte de lui
+persuader qu'il faut s'y accoutumer, et tcher de le moins sentir
+qu'elle pourra; car il n'est pas en mon pouvoir de la gter, en la
+flattant de sottises et de chimres, dont beaucoup de gens ne sont que
+trop prodigues. On a cru deux mois qu'elle toit grosse; c'est elle
+savoir s'il y en avoit sujet. On ne peut tre moins propre questionner
+que je le suis sur de pareils chapitres. De plus, vous savez que, quand
+elle est partie de Paris, je n'tois pas beaucoup dans sa confiance, ni
+connue et considre au Palais-royal. Je ne m'entremets de rien ici: la
+reine a du plaisir voir une Franoise, et parler sa langue
+naturelle. Nous chantons ensemble des airs d'opra. Je chante
+quelquefois un menuet qu'elle danse. Quand elle me parle de
+Fontainebleau, de St-Cloud, je change de discours; et il faut viter de
+lui en crire des relations. Quand elle sort, rien n'est si triste que
+ses promenades. Elle est avec le roi dans un carrosse fort rude, tous
+les rideaux tirs. Mais enfin ce sont des usages d'Espagne; et je lui
+dis souvent qu'elle n'a pas d croire qu'on les changeroit pour elle, ni
+pour personne. Entre nous, ce que je ne comprends pas, c'est qu'on ne
+lui ait pas cherch par mer et par terre, et au poids de l'or, quelque
+femme d'esprit, de mrite et de prudence, pour servir cette princesse
+de consolation et de conseil. Croyoit-on qu'elle n'en et pas besoin en
+Espagne? Elle se conduit envers le roi avec douceur et complaisance.
+Pour des plaisirs, elle n'en voit aucun esprer dans cette cour; mais
+comme je n'ai aucun personnage faire auprs d'elle, et que je n'ai ni
+charge ni mission de m'en mler, ni de pntrer rien sur le prsent, le
+pass et l'avenir, elle me fait beaucoup d'honneur de vouloir que je
+sois souvent auprs d'elle; mais, quand cela n'est pas, je ne meurs
+point d'ennui avec M. _de Villars_, avec qui j'aime bien autant m'aller
+promener. Si je vous disois la continuation, o, pour mieux dire,
+l'augmentation des misres de ce pays, cela vous feroit de la peine.
+Adieu, madame; je suis vous de tout mon coeur.
+
+
+
+
+LETTRE XVI.
+
+_Madrid, 13 juin 1680._
+
+Depuis ma dernire lettre, nous avons fait un petit voyage en la seule
+maison qu'ait le roi d'Espagne, quand il veut, pour quelque temps,
+quitter la demeure de Madrid. Elle s'appelle Aranjuez. Elle passe ici
+pour la merveille du monde. La situation pour les eaux est des plus
+belles; et, si M. _le Nostre_ en trouvoit une pareille, ce qu'il y
+pourroit faire s'appelleroit en effet une merveille. Le jardin, qui est
+grand, est entour de deux rivires dont l'une est le Tage, et l'autre
+le Guadaran. Voil de grands noms; mais me voil, pour toute ma vie,
+dtrompe de ces noms fameux. N'avez-vous pas une haute ide de ce Tage?
+et le Mananars n'a-t-il pas quelquefois touch votre imagination,
+comme de quelque agrable rivire? Le Tage est plus grand; mais, en
+revanche, son eau n'est point claire. Il faut pourtant dire la vrit;
+ce jardin, pour l'Espagne, est agrable, par la quantit de fontaines et
+d'arbres qui y sont; car rien n'est si rare en ce pays que les bois, par
+la scheresse du climat. Je n'ai rien trouv redire au peu de largeur
+des alles. C'est _Philippe II_ qui les a fait planter; et peut-tre
+que, de son temps, il falloit qu'elles fussent ainsi pour tre
+parfaites. La maison serait assez belle, si elle toit acheve; mais il
+s'en faut plus de la moiti, quoique le dessin ne soit pas grand. Il y a
+sept ou huit lieues d'Aranjuez Madrid. Nous y allmes le vendredi, et
+nous en revnmes le lundi: j'allai le lendemain, voir la reine: je lui
+en dis des merveilles, et je la suppliai de le dire au roi qui entra.
+Elle fit fort bien son devoir: je lui avois conseill de marquer quelque
+impatience que sa majest la ment voir ce beau lieu. Elle n'eut pas de
+peine lui persuader que j'en tois charme; car il le croit au-dessus
+de tout ce qu'il y a au monde. Cette demeure, qui semble n'tre propre
+que pour le temps des chaleurs, est mortelle en t; et le gouverneur a
+permission de n'y tre jamais en cette saison. Pour toutes btes rares,
+il y a une infinit d'horribles chameaux: d'en voir un seul, comme on en
+voit quelquefois Paris, ne fait pas un effet dsagrable, comme
+lorsqu'on en voit beaucoup ensemble. Tout ce qu'on voit l ne fait point
+du tout souvenir de la mnagerie de Versailles. Il n'y a mme point de
+mnagerie; car ces vilains animaux paissent dans les champs comme des
+troupeaux de boeufs et de vaches; et l'on s'en sert pour porter des
+pierres ou de la terre, quand on btit. Me voil donc revenue de cette
+maison royale, dont je ne vous parlerai plus.
+
+Les Espagnols nous disent incessamment que nous aurons bientt la
+guerre: les pauvres gens en ont grand'peur. Pour moi, j'aime bien mieux
+l'ennui de Madrid, que d'en partir pour une telle raison, et je leur
+rponds toujours que je n'en crois rien. Ce bruit est plus grand au
+palais qu'ailleurs; et la reine, comme vous pouvez penser, en est bien
+alarme. Elle continue de se bien porter. C'est un heureux temprament
+pour la sant; et je ne sais pas ce qui se passe dans son esprit et dans
+sa tte, pour la soutenir si bien; car pour son coeur, je crois qu'il ne
+s'y passe rien. Quand je suis un peu de temps sans la voir, elle ne le
+trouve point bon. Nous chantons comme des cigales. Elle lit des opras;
+elle joue merveille du clavecin, assez bien de la guitare; en moins de
+rien, elle a appris jouer de la harpe. Elle ne prend pas beaucoup de
+consolation dans les livres de dvotion. Cela n'est point extraordinaire
+ son ge. Je dis souvent que je voudrois bien qu'elle ft grosse, et
+qu'elle et un enfant.
+
+Je n'ai point vu le marquis _de Grana_ depuis que je vous ai crit. Je
+serois fort aise que nous nous vissions, mais la politique qu'il croit
+devoir garder en cette cour, le retient peut-tre et sa femme aussi,
+qui, par politique de son ct, s'habille l'espagnole. On l'en devroit
+rcompenser, car elle est bien mieux autrement.
+
+Il y aura lundi une fte de taureaux. On s'y attend beaucoup de
+plaisir, parce qu'on n'a jamais vu de taureaux si furieux. L'abb _de
+Villars_ vous entretiendra, si vous voulez, sur ce sujet. Il est charm
+de celle qu'il a vue; mais, quoi qu'il vous en puisse dire, croyez-moi,
+c'est une pouvantable beaut. Il y aura une autre fte le 31 de ce
+mois, dont je vous ferai crire une ample relation. Vous la trouverez
+bien extraordinaire. Elle ne se fait que de cinquante en cinquante ans.
+On y brle beaucoup de Juifs; et il y a d'autres supplices pour des
+hrtiques et des athes. Ce sont des choses horribles.
+
+
+
+
+LETTRE XVII.
+
+_Madrid, 25 juillet 1680._
+
+Je n'ai pas eu le courage d'assister cette horrible excution des
+Juifs. Ce fut un affreux spectacle, selon ce que j'en ai entendu dire;
+mais, pour la semaine du jugement, il fallut bien y tre, moins de
+bonnes attestations de mdecins d'tre l'extrmit; car autrement on
+et pass pour hrtique. On trouve mme trs-mauvais que je ne parusse
+pas me divertir tout--fait de ce qui s'y passoit. Mais ce qu'on a vu
+exercer de cruauts la mort de ces misrables, c'est ce qu'on ne vous
+peut dcrire.
+
+Le marquis _de Grana_ fit lundi son entre. Les Espagnols s'attendoient
+ voir plus de magnificence. Pour moi, je trouve qu'il a bien fait de
+n'en pas faire davantage. C'est un trs-galant homme, et qui fait toute
+la dpense qu'il peut. Il est effray de tout l'argent qu'il faut ici.
+Il en touche cependant beaucoup. Il a quinze cents pistoles de pension,
+payes par le roi d'Espagne, double franchise, et sa maison paye, sans
+les appointemens que lui donne l'Empereur, son matre. Il a pour le
+ntre une grande estime et un grand respect; mais il mle parmi cela
+certaines choses dans ses conversations avec les gens de cette cour sur
+les conqutes du roi, qui marquent assez de vivacit. Je vois souvent sa
+femme au palais; elle a bien de l'esprit. J'irois bien plus souvent chez
+elle, les voir l'un et l'autre, si je ne craignois de leur faire de la
+peine, par les airs qu'il faut qu'ils observent ici. Le marquis _de
+Grana_ est un des plus gros hommes que l'on voie, mais de trs-bonne
+mine. Notre jeune reine, pour tre heureuse, auroit grand besoin d'avoir
+du got pour la solitude dans son triste palais, o elle veut que
+j'aille souvent griller de chaud avec elle. Il est violent le chaud
+qu'il fait ici. Il est vrai que, chez nous, nous n'en souffrons pas
+beaucoup. Nous sommes dans un appartement bas, dlicieux pour cette
+saison. La reine a t ces jours passs deux fois _incognito_ avec le
+roi, se promener dix heures du soir dans cette rivire poudreuse. Elle
+me le fit savoir, afin que nous nous y trouvassions, et me donna un
+signe pour reconnotre son carrosse, et moi un pour reconnotre le mien.
+Si vous saviez ce que c'est que ce plaisir! On croit pourtant que la
+reine en doit de reste. Adieu, ma chre madame, c'en est un bien
+sensible pour moi de croire, comme je fais, que vous m'aimez
+vritablement. Si M. _de Coulanges_, selon les souhaits de M. _de
+Schomberg_, et par les pas qu'il a faits Fontainebleau, et t envoy
+ambassadeur en Portugal, nous l'aurions gard son passage par Madrid,
+tout autant qu'il nous auroit t possible.
+
+Si vous n'avez encore ni donn ni rompu ces petits boucaro, que je vous
+ai envoys, dont le dedans toit blanc, conservez-les; car ce blanc est
+une composition de bzoard.
+
+
+
+
+LETTRE XVIII.
+
+_Madrid, 28 aot 1680._
+
+Je vous adresse cette lettre Paris, quoique, par votre dernire, vous
+m'ayez mand que, dans trois jours, vous partiez pour Lyon. Il me
+revient par vous et par tout le monde, quel point vous faites valoir
+mes lettres; et, comme je ne suis pas persuade de leur mrite, j'ai t
+jusqu' prsent tout tonne du cas qu'on en faisoit. Mais je crois en
+avoir dcouvert la raison; c'est que vous ne les donnez pas lire, et
+que vous les lisez vous-mme; comme cela ne vous cote gure, vous y
+mettez tout ce qui leur manque pour les rendre agrables, et pour leur
+attirer des louanges. Je vous prie, ma chre madame, de m'avouer la
+vrit l-dessus, sans consulter votre modestie. Je lirai avec plus
+d'attention et de sensibilit tout ce que vous m'crirez de Lyon, que
+tout ce que vous m'crivez de Paris, parce que vous me parlerez plus de
+vous et de tout ce qui vous touche; car je prtends que vous n'omettiez
+rien de tout ce que vous ferez; je voudrois bien aussi tout ce que vous
+penserez. Pour moi, madame, si je voulois ne vous parler que de ce qui
+m'occupe le plus ici prsentement, ce seroit de la cruelle canicule
+qu'on y souffre. Car la peste et la famine, que nous avons dj vues
+deux fois, et la guerre qu'on croit fort proche, ne me paroissent pas
+encore si insupportables que l'horrible chaleur qu'il fait. Encore le
+jour se sauve-t-on assez, en se tenant dans un appartement bas; mais la
+nuit on n'y peut coucher, cause des moucherons qui dvorent les
+pauvres personnes.
+
+C'est vous, madame, qui pensez et qui crivez mieux que personne du
+monde. Hlas! nous ne savons qui en parler ici. Nous lisons vos
+lettres, M. _de Villars_, ma fille et moi, avec un grand got et un
+grand plaisir. Elles m'en causent bien plus d'un, par ne me point
+laisser douter que vous ne m'aimiez; et, quoique ce plaisir rveille
+l'ennui que l'on souffre de ne point voir ce que l'on aime, et de qui
+l'on est aim, cette peine est bien douce, compare la moindre
+diminution de votre amiti pour moi. Il y a quatre ou cinq endroits dans
+votre dernire lettre, d'une vivacit et d'une imagination bien ignores
+jusqu' vous, madame, et qu'on n'imitera jamais. Je ne pense pas mme
+qu'on puisse faire aller son ambition jusqu' esprer d'en devenir une
+mchante copie.
+
+Puisque nous sommes sur les copies; voulez-vous bien que je vous fasse
+souvenir que vous m'avez parl de votre portrait? Je n'aurois os vous
+le demander, quelqu'envie que j'en eusse, si vous ne m'en aviez parl la
+premire.
+
+J'aime notre jeune reine du plaisir qu'elle me parot avoir, quand je
+lui nomme votre nom, et que je lui dis que vous vous souvenez d'elle.
+Elle m'a charge de beaucoup d'amitis pour vous. Je ne saurois vous
+rien dire qui puisse vous instruire sur tout ce qui la regarde. Nous en
+parlerons un jour, si nous nous revoyons. Elle est grasse, belle,
+buvant, mangeant, dormant, riant trs-souvent, dansant de tout son coeur,
+quand nous sommes seules; moi chantant le menuet et le passe-pied.
+Contentez-vous de cela.
+
+Vous n'avez pas trouv que le marquis _de la Fuente_ ft souvenir de M.
+_de Villars_. S'il n'y a point de guerre, sa femme partira au mois de
+septembre pour l'aller trouver. C'est une des plus raisonnables femmes
+d'ici: je vous prie de me mander tout ce que vous savez touchant la
+guerre.
+
+Vous me dites, et cela est vrai, que l'on seroit bien heureux, si les
+lieux d'ennui pouvoient inspirer de solides et srieuses rflexions pour
+le salut, nous dtacher des choses de ce monde, qui se dtachent tous
+les jours de nous: la sant, la jeunesse, la beaut, les amis.
+
+Il passera dans peu un tranger[20] Lyon, qui vous remettra un
+trs-petit prsent de ma part. J'aime vous marquer le plus souvent que
+je puis que je songe vous, par ces lgres bagatelles. M. _de Villars_
+en a honte; car il vous croit digne qu'on ne vous prsente que des
+couronnes. Quand vous en auriez, il ne pourroit pas vous honorer, ni
+vous respecter au-del de ce qu'il fait. Adieu, madame.
+
+
+
+
+LETTRE XIX.
+
+_Madrid, 15 aot 1680._
+
+J'ai une vritable impatience d'avoir de vos nouvelles; j'en ai beaucoup
+aussi d'en apprendre de Paris, puisqu'on y parle sans cesse de guerre,
+sans que je comprenne encore qui commencera la dclarer. Les
+Espagnols ne sont pas en tat de la soutenir. Leur misre passe tout ce
+qu'on en peut imaginer. Il est vrai qu'ils esprent, ou, pour mieux
+dire, qu'ils croient srement que l'Empereur, l'Angleterre et la
+Hollande se joindront eux. Le prince de Parme doit partir aujourd'hui
+pour aller commander en Flandre. On dit ici qu'ils n'ont pas voulu
+qu'elle s'achevt de perdre, sans un Espagnol naturel. Notre marquis _de
+Grana_ a le coeur bien envenim contre la France; et, s'il toit second
+par tout ce qu'il voudroit bien mettre contre nous, il tailleroit ce
+qu'il appelle de la besogne. Il est galant homme, il a de l'esprit;
+mais, dans ses manires de parler, on le prendroit pour tre n sur les
+bords de la Garonne.
+
+Nous avons t ici en vritable pril de mourir des excessives chaleurs.
+La beaut et la fracheur de la reine n'en ont point souffert. Elle m'a
+promis de me donner un petit coffre pour vous. Ds que je l'aurai, je
+chercherai une voie pour vous le faire tenir. Elle me parot fort
+souhaiter votre amiti; je l'assure aussi qu'elle a raison de la
+souhaiter.
+
+Je voudrois que l'on crt un peu moins aux horoscopes; je ne me
+reprocherai jamais d'avoir eu, sur ce sujet, de pernicieuse
+complaisance, et de n'avoir pas fait mon possible pour dsabuser des
+faussets qui s'y trouvent.
+
+Il y a, dans la bote que vous recevrez par le marquis _de Ligneville_,
+deux paires de bas de soie, des pastilles d'ambre dans une bourse, et un
+oeuf d'aventurine avec des pastilles dedans, dont je crois que le got ne
+vous dplaira pas. Je vous fais ce dtail de peu d'importance, afin que
+vous vous aperceviez si l'on en prenoit quelque chose.
+
+La conntable _Colonne_ est dans la maison de son mari, assez inquite
+de ce qu'elle deviendra, car elle n'est nullement rsolue de s'en
+retourner en Italie avec lui. Elle voudroit bien pouvoir rentrer en ce
+temps-l dans un couvent Madrid; bien entendu d'en sortir peu aprs,
+et de s'en aller, tant que terre la pourra porter, en Flandre, en
+Angleterre, en Allemagne; car, pour en France, elle a peur qu'on ne l'y
+veuille pas souffrir. Vraiment c'est un original qu'on ne peut assez
+admirer, le voir de prs, comme je le vois. Elle a ici un amant; elle
+me veut faire avouer qu'il est agrable, qu'il a quelque chose de fin et
+de fripon dans les yeux. Il est horrible; mais ce n'est pas ce qui
+devroit diminuer son inclination et la rebuter, au prix d'une autre
+petite chose qui ne vaut pas la peine d'en parler; c'est que cet amant
+ne l'aime point du tout, ce qu'elle m'a dit. Elle se trouve heureuse
+cependant qu'il soit comme cela; parce que, s'il rpondoit un peu ses
+sentimens, les choses feroient encore plus d'clat. Elle ne dplat
+point; elle s'habille l'espagnole, d'un air beaucoup plus agrable que
+ne font toutes les autres femmes de cette cour. Elle a trois grands fils
+mal levs; l'an va pouser une des filles du duc _de Medina Celi_,
+premier ministre; mais vous ne vous souciez gure de tout cela.
+
+Il est fort question ici que, dans peu, la duchesse _de Terranova_
+quittera sa place de _camarera mayor_ qui sera, ce qu'on dit, donne
+la duchesse _d'Albuquerque_. C'est une joie dans cette cour; car cette
+premire n'y est pas aime. Pour moi, il ne m'importe, pourvu que la
+reine s'en trouve bien. Adieu, ma trs-chre madame; dites-vous souvent
+que je vous aime de tout mon coeur.
+
+
+
+
+LETTRE XX.
+
+_Madrid, 29 aot 1680._
+
+Je ne reois point de lettres, madame; je n'ai point de vos nouvelles,
+et j'en voudrois savoir prfrablement toutes celles qu'on me peut
+mander de Paris. Comment vous portez-vous? Que faites-vous du matin
+jusqu'au soir? Combien serez-vous Lyon? Aprs cela, je vais vous dire
+des miennes, qui ne sont pas des plus agrables. La misre augmente ici
+tous les jours, et les monnoies n'y sont point rehausses. De douze
+mille cus que le roi donne M. _de Villars_, ce n'est Madrid
+qu'environ cinq mille cinq cents cus. Notre maison nous cote neuf
+mille fr. de loyer. Voyez ce qui reste pour toutes sortes d'autres
+dpenses. M. _de Villars_ veut donc me renvoyer pour se loger moins
+chrement, et ne garder que trs-peu de gens aprs mon dpart. C'est une
+chose fort triste pour moi que cette sparation, attache comme je le
+suis M. _de Villars_, et fort triste aussi par ne trouver d'autre
+moyen de soulager sa dpense. J'ai t quelque temps sans dire ce projet
+ la reine, et quand je le lui ai appris, elle n'a pu le croire, ni s'y
+rsoudre. Il y a plus d'honneur que de vanit se persuader que cette
+pauvre princesse me regretteroit en demeurant en Espagne dans son triste
+palais, et ses tristes petites occupations. On lui a chang de _camarera
+mayor_: c'est, depuis deux jours, que la duchesse _d'Albuquerque_
+remplit cette place. La reine s'en accommodera mieux que de celle
+qu'elle avoit. Quel pays, madame, que celui-ci! Il faut bien aimer M.
+_de Villars_, pour sentir de la peine le quitter; mais, force aussi
+qu'on s'y ennuie, je dsire qu'il n'y soit pas sans moi, puisqu'il n'y
+peut trouver mieux. Je sens une grande consolation d'avoir pass cette
+horrible canicule, dont je vous ai parl, sans y avoir succomb. Il est
+mort ici une infinit de gens, et j'avois beaucoup de peur pour notre
+maison. Mais, ma chre madame, quand aurai-je de vos nouvelles? Vous
+aurez, par un homme qui partira bientt, ce petit coffre de la reine,
+plein de pastilles manger.
+
+
+
+
+LETTRE XXI.
+
+_Madrid, 5 septembre 1680._
+
+Je vous ai mand par ma dernire lettre la destitution de la duchesse
+_de Terranova_; qu'on avoit mis sa place la duchesse _d'Albuquerque_;
+et que je ne pouvois tre ni aise ni fche de ce changement, que selon
+que la reine s'en trouveroit bien ou mal. Quoique madame _de Terranova_
+ait une grande aversion pour la France et pour les Franois, elle m'a
+toujours traite fort honntement. On croit que la reine n'aura pas
+sujet de se repentir de ce changement. L'air du palais est dj tout
+autre, et le roi aussi. Sa majest a permis la reine de ne se coucher
+plus qu' dix heures et demie, et de monter cheval quand elle voudra,
+quoique cela soit entirement contre l'usage. Il lui a accord encore
+une chose qui lui a donn une grande joie. Il y a trois ou quatre jours
+que me voyant entrer dans sa chambre, elle vint au-devant de moi avec un
+air de gat extraordinaire, et me dit: _Ne direz-vous pas oui ce que
+je vais vous demander?_ C'toit que le roi vouloit bien que ma fille et
+l'honneur d'tre une de ses dames. Elle en toit transporte. Vous jugez
+bien avec quel respect et quel plaisir je reus ce qu'elle me disoit;
+mais elle fut un peu mortifie quand je lui rpondis que je croyois
+qu'il falloit, avant que d'accepter cet honneur, que M. _de Villars_ en
+et la permission du roi, notre matre. Ma fille ne s'en sent pas de
+joie. A son ge, combien ne se figure-t-on point de plaisirs dont, selon
+les apparences, elle ne jouiroit pas long-temps? Elle auroit d'illustres
+compagnes; car ce ne sont que des filles des maisons de Portugal,
+Aragon, Mauriqus, Castille; enfin tout ce qu'il y a de plus grand dans
+le royaume. Elles ont beaucoup de petites fonctions. La plupart
+n'omettent rien de celles qui regardent la galanterie.
+
+L'on ne parle plus de guerre ici. Ce n'est pas ce qui me rassureroit.
+
+Adieu, madame; je vous quitte pour m'aller parer. La reine vient de me
+mander que c'est aujourd'hui le jour de la naissance de notre roi, et
+que je ne manque pas d'aller au palais avec tout ce que j'ai de diamans.
+Si j'avois pu ce matin tre sa toilette, je lui aurois conseill de
+n'affecter pas trop de magnificence ce jour-ci; car elle ne fera plaisir
+ personne; et je suis assure que le roi, son oncle, l'en dispenseroit
+volontiers.
+
+
+
+
+LETTRE XXII.
+
+_Madrid, 12 septembre 1680._
+
+J'ai enfin reu deux de vos paquets de Lyon, madame, et j'ai fort peu de
+temps y rpondre, parce que le courrier part ce soir. J'tois afflige
+de ne point recevoir de vos nouvelles; mais je ne l'tois point de
+l'apprhension que vous m'eussiez oublie. Vous me parlez de la peste,
+et de la peine o vous en tes pour moi. Elle ne m'a point approche,
+Dieu merci, et il faut esprer qu'elle laissera Madrid hors d'intrigue.
+Vous me parlez encore d'une autre peste, qui est la continuation de la
+misre o l'on est ici. Elle augmente toujours, et les monnoies ne
+haussent point. Je ne vous ai que trop entretenue de tout cela; je ne
+veux point que vous y fassiez de rflexion. Vous tes vive, et vous
+m'aimez. Pensez une fois, et puis n'y pensez plus, que les douze mille
+cus qu'on a d'appointemens, ne font ici que cinq mille cinq cents cus,
+et que nous payons neuf mille francs de loyer de notre maison. Je vous
+ai dj mand que M. _de Villars_, ne pouvant plus subsister, prenoit la
+rsolution de me faire partir d'ici le mois prochain. Le marquis _de
+Grana_, qui est riche par lui-mme, par ce que son matre lui donne, et
+par les pensions qu'il tire de cette cour, dit bien aussi qu'il n'y peut
+pas subsister. Qu'il est gascon, cet Allemand! un peu hargneux sur les
+affaires de France, et sur tout ce que projette et excute le roi, notre
+matre.
+
+Mais votre portrait, que vous me faites esprer, il faut le confier
+mes enfans qui seront Paris avant la fin de ce mois. En vrit, je ne
+puis vous dire le plaisir que vous me faites. Je ne croyois plus tre
+aussi sensible que je trouve que je le suis sur cette sorte de joie. Mes
+enfans vous auront vue Lyon. Qu'ils auront t aises, s'ils tiennent
+de leur mre!
+
+On se trouve toujours bien du changement de la _camarera mayor_. L'air
+du palais en est tout diffrent. Nous regardons prsentement la reine et
+moi, tant que nous voulons, par une fentre qui n'a de vue que sur un
+grand jardin d'un couvent de religieuses qu'on appelle _l'Incarnation_,
+et qui est attach au palais. Vous aurez peine imaginer qu'une jeune
+princesse, ne en France, et leve au Palais-royal, puisse compter
+cela pour un plaisir; je fais ce que je puis pour le lui faire valoir
+plus que je ne le compte moi-mme. Il y a neuf jours qu'on souponnoit
+encore qu'elle toit grosse. Pour moi, je ne le souponne pas. Le roi
+l'aime passionnment sa mode, et elle aime le roi la sienne. Elle
+est belle comme le jour, grasse, frache; elle dort, elle mange, elle
+rit; il faut finir l; et, avec tout l'esprit que vous avez, je vous
+dfie de deviner tout ce que j'aurois vous dire ensuite de tout cela.
+
+Adieu, ma chre madame; je voudrois bien crire encore, si j'en avois le
+temps; mandez-moi ce que vous saurez de la paix et de la guerre.
+
+Vous recevrez un petit paquet que je ne vous envoie, que parce qu'il ne
+vous cotera rien de port; car, pour peu que vous en payassiez, ce
+seroit plus qu'il ne vaut: c'est pourtant la reine d'Espagne qui vous
+l'envoie.
+
+Je rends mille grces M. _de Coulanges_, de sa prose et de ses vers.
+La marquise _d'Uxelles_ m'avoit envoy ceux qu'il avoit faits pour
+elle, en passant Chlons-sur-Sane.
+
+
+
+
+LETTRE XXIII.
+
+_Madrid, 26 septembre 1680._
+
+Je reois prsentement vos lettres. Je dirai aujourd'hui la reine tout
+ce que vous m'crivez d'honnte et d'obligeant pour elle. Que dix-huit
+ans et une heureuse disposition croire tout ce qu'on souhaite, sont
+choses agrables, et conservent bien la sant et la beaut! Pour moi, je
+lui dis tous les jours que, par malheur, j'ai toute ma vie t oppose
+cette heureuse situation.
+
+Celle de la pauvre conntable _Colonne_ est prsent bien dtestable.
+Il y a plus de deux mois que je lui ai prdit ce qui arriveroit. Mais,
+sans nulle rflexion, elle vivoit au jour la journe, comptant qu'on la
+laisseroit jouir de la libert de sortir de sa maison, de faire des
+visites, et qu'on ne parleroit de rien qu'aprs les noces de son fils
+an. Il y a douze ou quinze jours qu'on lui vint signifier, de la part
+du roi, qu'il ne se mloit plus de ses affaires, et qu'elle songet
+obir son mari, qui vouloit la mener ou l'envoyer en Italie. Le
+lendemain, elle eut une dfense de ne plus sortir de chez elle; le jour
+d'aprs, de ne plus voir personne; et, tout moment, elle est dans les
+horreurs qu'on ne l'entrane avec violence, et qu'on ne la mette dans
+une litire pour la mener o il plaira son mari. Je ne veux pas
+justifier sa conduite passe, mais il faut convenir, en s'en souvenant,
+qu'elle a bien sujet de ne vouloir pas se confier un mari italien.
+Elle fait ce qu'elle peut pour obtenir qu'on l'enferme ici dans le plus
+austre couvent qu'il y ait. Je ne sais pas ce qu'on lui accordera: elle
+n'a contre elle que le roi, le premier ministre, son mari, toute la
+famille _Balbass_. Elle me fait beaucoup de piti.
+
+Si j'en juge par les amples relations de Madame[21] la reine
+d'Espagne, jamais les plaisirs n'ont t pareils ceux dont on jouit
+Versailles.
+
+M. _de Villars_ dit toujours qu'il veut me renvoyer, cause que la
+misre augmente Madrid, et que, sans moi, il fera beaucoup moins de
+dpense. Je ferai tout ce qu'il voudra, quoiqu'avec peine, si je le
+laisse dans un lieu aussi triste, et dans un tat aussi chagrinant que
+le sien. Jusqu'ici, on ne nous a point encore t le bien de la sant;
+mais ce bien est fragile et trs-sujet ne point durer, sur-tout quand
+on n'est plus jeune[22]. Adieu, madame; tels que nous sommes, c'est
+entirement vous.
+
+
+
+
+LETTRE XXIV.
+
+_Madrid, 10 octobre 1680._
+
+Permettez-moi, madame, de vous parler, avant toute chose, d'une petite
+bagatelle qui arriva hier sept heures du matin. Ce n'est qu'un violent
+tremblement de terre qui dura la longueur d'un _miserere_. M. _de
+Villars_ dans son lit et moi dans le mien, le sentmes remuer. Il se
+leva, s'imaginant qu' cause des horribles pluies, les fondemens de la
+maison s'crouloient. Pour moi, je m'criai, assez effraye, que c'toit
+la terre qui trembloit. Il vint trois secousses qui donnrent un
+mouvement toute la maison, comme pourroit tre celui d'un arbre agit
+du vent. Les prtres dans les glises o ils disoient la messe, eurent
+de la peine empcher que le calice ne ft renvers. La plupart des
+hommes et des femmes couroient en chemise dans les places et dans les
+rues, sans savoir o se cacher, pour viter l'accablement dont ils se
+croyoient menacs par la ruine des maisons. Je n'avois pas imagin qu'
+tous les dsagrmens d'Espagne, il se ft joint celui de s'y voir
+englouti dans la terre, qui s'est ouverte en quelques endroits, ou
+cras sous les ruines des maisons; car jamais on n'a vu ici de ces
+tremblemens. Hier, tout moment, je croyois que cela alloit
+recommencer. Comme les pluies recommencent, il se pourra bien faire
+qu'il reviendra encore quelque tremblement. Je souhaite avoir cette
+singularit par-dessus vous, et que vous n'prouviez de votre vie ce
+qu'on pense en pareille occasion. Je ne sais point encore si le
+tremblement de terre aura t jusqu' l'Escurial, o cette cour est
+depuis lundi dernier. Je fus, dimanche au soir assez tard, avec la
+reine, qui n'avoit pas beaucoup d'envie d'aller en ce lieu, dont les
+plus grandes beauts sont les magnifiques places qu'on a fabriques pour
+mettre les corps des rois et des reines aprs leur mort. Elle n'a pas
+laiss de marquer de la joie d'y aller, pour faire voir sa complaisance
+pour les volonts du roi. Elle m'crivit, le lendemain, qu'elle n'avoit
+pas trouv tout ce que je lui avois dit de cette maison; car il est vrai
+que je lui en avois parl lui donner de l'envie d'y aller. Je ne vous
+dis point tout ce qu'elle m'a dit, ni tout ce qu'elle m'a crit sur la
+peur qu'elle a que je ne m'en aille. Elle ne le peut croire par cette
+heureuse facilit qu'elle a se persuader tout ce qui lui peut ter du
+chagrin. Elle me fit savoir, avant que de partir pour l'Escurial, que,
+sans m'en parler, elle avoit crit d'une sorte _Monsieur_ sur mon
+sujet, qu'elle ne pouvoit pas croire qu'il n'et assez de crdit pour
+obtenir qu'on m'accordt de ne point m'en aller, et qu'elle avoit
+reprsent les raisons et les vritables besoins qu'elle croit avoir que
+je ne parte pas d'ici. Je l'ai supplie de se prparer au peu d'effet
+qu'aura sa lettre; et j'ai ajout que, si elle m'avoit fait l'honneur de
+m'en demander mon avis, je lui aurois dit de marquer simplement le
+bonheur que j'avois de lui plaire, et de n'insister point sur autre
+chose. Quoi qu'il arrive de cette lettre, je lui en aurai autant
+d'obligation que si le succs en toit heureux; mais je ne m'y attends
+pas.
+
+Je ne puis finir celle-ci, sans vous parler de quelle manire cette cour
+se prpare pour les voyages, qui ne sont jamais qu' l'Escurial ou
+Aranjuez. Il en cote au roi des sommes immenses; il n'y a pourtant que
+sept lieues; mais les voleries, sur cela, vont toujours leur chemin. Il
+y a, pour le moins, ce jour-l, cent cinquante femmes du palais, soit
+_segnoras de honor_, ou dames qui sont comme les filles d'honneur en
+France, ou _camaristes_ ou leurs _criadas_, ou servantes. Pour les
+_segnoras_, ce sont de vieilles veuves, toujours habilles et coiffes
+de la mme sorte; les dames sont en leur plus beaux habits, avec des
+chapeaux et des plumes, assez galamment mises, et sur leurs paules ce
+qu'elles appellent _mantilles_: ce n'est ni manteau, ni charpe; cela
+est de velours en broderie d'or et d'argent; les unes les ont vertes,
+les autres incarnates. Elles les portent d'un air particulier, un bout
+qui passe sous le bras, et l'autre sur l'paule, en sorte qu'elles ont
+un bras dgag. Voil ce qu'elles ont de meilleure grce. Tous les
+galans les voient monter en carrosse, et font leur chemin en galopant
+aprs elles. Plusieurs de ces messieurs, sur de beaux chevaux, suivent
+_incognito_, avec des bonnets qui s'abattent, et qui leur cachent le
+visage. Ils ne sont pas, pour cela, inconnus leurs dames. La reine
+avoit, le jour qu'elle fut l'Escurial, un chapeau avec des plumes
+jaunes et noires; mais, pour, ces _mantilles_, il est crit qu'il faut
+que les reines n'en portent point, en dussent-elles mourir de froid. Je
+ne pourrai vous faire comprendre comme cette princesse est embellie,
+crue et engraisse; un teint admirable; elle s'aime aussi passionnment.
+L'ordre de ce voyage de l'Escurial est que la cour y sjourne jusqu'
+la Toussaint. Le lendemain, leurs majests font prier Dieu
+solemnellement pour tous les rois et reines, qui sont l devant leurs
+yeux; et, le jour d'aprs, ils reviennent Madrid avec le mme quipage
+qu'ils en sont partis. Mais, si j'tois leur place, je n'y reviendrois
+pas, et j'tablirois ma cour en un autre lieu, o la terre ne
+trembleroit point.
+
+Si le courrier n'alloit partir, je crois que je vous crirois jusqu'
+demain. Quel signe est-ce, madame? car je n'aime point du tout crire.
+
+
+
+
+LETTRE XXV.
+
+_Madrid, 31 octobre 1680._
+
+
+J'attends la reine son retour de l'Escurial, pour lui faire voir tout
+ce que vous me dites d'elle dans votre lettre. Elle a t deux jours
+malade. J'y envoyai aussitt, pour m'offrir de l'aller servir. Ce
+n'toit rien, et j'en fus doublement aise; car nous avons souhait, M.
+_de Villars_ et moi, qu'elle ft un peu sous sa propre conduite, et que
+l'on vt que je ne suis pas bien empresse de la cour. On dit qu'il
+s'est pass plusieurs petites affaires; si j'avois t l, nous
+n'aurions pas t d'accord; car je l'aurois supplie de n'abuser pas de
+la permission qu'on lui donnoit de monter cheval, et de ne s'en servir
+que rarement. Elle m'a souvent honore de ses lettres. Elle est toujours
+persuade qu'il est impossible que je m'en aille. Cependant, si M. _de
+Villars_ avoit eu de l'argent pour me faire partir, je crois que je
+serois dj bien loin. Je pense vous avoir crit que ma fille ne seroit
+point dame de la jeune reine. On dit que c'est une loi indispensable
+qu'il faut demeurer dans le palais; qu'il est de toute ncessit d'y
+faire de la dpense, et que dix mille francs ne suffiroient pas: au
+moins quatre ou cinq femmes pour servir; un ordinaire, des meubles, des
+habits, et, au bout de tout de cela, entre vous et moi, une vie fort
+ennuyeuse, et qui ne promet pas une fortune assure. Je ne puis, ma
+chre dame, vous en dire davantage; il le faudroit pourtant, si je
+voulois vous faire comprendre mille choses que, malgr tout l'esprit que
+vous avez, vous ne pouvez pntrer de si loin. Je vous prie encore que
+vous ne vous amusiez point, s'il se peut, faire des rflexions sur
+notre malheureux tat, tat dont, par discrtion, je vous cache plus de
+la centime partie du dsagrment. Pour m'en remettre, j'use du charmant
+remde de songer que je ne suis rien moins que jeune, que la mort
+approche, et qu'il est meilleur qu'elle nous trouve dnus de tout ce
+qui compose les plaisirs de la vie. Pour vous, madame[23], qui la pouvez
+envisager d'une plus longue dure, vous avez de quoi tre plus vive et
+plus sensible aux injustices de la fortune. Je ne vous dis point tous
+les souhaits que je fais pour qu'elle puisse changer, et quel point,
+si on le mrite, je vous crois digne d'tre heureuse; mais, madame,
+quel trsor, si nous pouvions dcouvrir et mettre en usage le secret
+d'tre vritablement dvotes, et de nous en servir pour l'autre vie! Je
+ne me saurois plaindre de ce que nous souffrons, tant que Dieu me
+conservera mes enfans[24], que j'aime tendrement.
+
+Je n'ai point encore de nouvelles de votre portrait; j'espre pourtant
+l'avoir bientt par un gentilhomme que nous attendons. Que ce portrait
+me fera de plaisir!
+
+Nous fmes hier une maison du roi, deux lieues d'ici, qu'on nomme le
+Pardo. Il n'y a autour ni bois, ni jardins, ni fontaines; et, dans la
+maison, ni siges, ni bancs, ni tables, ni carreaux, ni lits; c'est
+pourtant la favorite, et celle o leurs majests vont trs-souvent. Je
+ne sais pas encore quoi elles s'y peuvent divertir: je le demanderai
+ la reine. Toute mon attention fut de regarder trs-long-temps les
+portraits de cette reine _Elisabeth_[25], et de ce misrable don
+_Carlos_[26], en songeant leurs funestes aventures: ils toient bien
+faits l'un et l'autre.
+
+
+
+
+LETTRE XXVI.
+
+_Madrid, 14 octobre 1680._
+
+
+Votre petit portrait a t trs-bien reu, et trop bien de M. _de
+Villars_, qui en fait son propre. Je n'ai pas laiss de le porter au
+palais, o il a pass par toutes les mains des dames; car, pour les
+hommes, ils ne peuvent ici rien admirer que de bas en haut; par les
+fentres. La reine le prit d'abord pour celui de madame _de Nevers_. Ce
+portrait fait souvenir de vous, c'est--dire, qu'il ne vous ressemble
+pas parfaitement; et il est impossible, quand on viendroit bout de
+peindre tous vos traits, d'imiter que trs-grossirement ce qu'il y a de
+vif et de spirituel dans tout ce qui compose votre visage. Ce n'est pas
+la faute du peintre, et ce petit portrait est aussi bien et aussi
+agrable qu'on le pouvoit faire. Je vous en rends mille grces, ma chre
+madame, et de tout ce que vous me dites pour me marquer votre amiti et
+votre tendresse. Je ne puis pas mieux sentir l'amiti que j'ai pour M.
+_de Villars_, que d'tre avec lui dans le pays du monde le plus rempli
+d'ennuis. Car, comme dans les lieux de plaisir, on dit ordinairement que
+les semaines passent fort vte, celles d'ici sont d'une longueur
+infinie. Je vais souvent au palais; peut-tre ne trouverais-je pas tant
+d'ennuis, si je n'avois que dix-huit ans. Il y auroit bien des choses
+vous dire l-dessus.
+
+Il y a deux ans qu'il mourut une ds dames de la maison de la reine[27],
+qui n'avoit que treize ou quatorze ans. On a plus de soin d'elles, quand
+elles sont mortes, que dans leurs maladies; car ce sont des chiens que
+tous ces mdecins-ci, et leurs remdes ridicules. Il y a une grande
+chapelle dans le palais. Elle y fut mise dans un coffre couvert de panne
+couleur de feu, avec un grand galon d'or, la lueur de quantit de
+flambeaux. Elle toit en habit de religieuse, compos de bleu et de
+blanc. On lui avoit mis bien du rouge sur les joues et sur les lvres.
+Elle toit trs-belle dans cet tat. Ce coffre ferme clef: la _guarda
+mayor_ le ferma, et puis vint le majordome de la reine, auquel on ouvrit
+ce coffre, pour lui faire voir qu'elle toit dedans, et il en prit la
+clef. Les gardes du roi portrent le corps jusqu'au haut du degr,
+une porte o les Grands d'Espagne attendoient pour le porter jusqu'au
+carrosse qui le devoit mener jusqu'au lieu de la spulture. Le
+majordome, arriv dans cette glise, ouvrit encore ce coffre pour faire
+voir aux religieux le corps de cette pauvre dona _Juana_ de Portugal.
+Aprs quoi, il fut mis en terre avec les prires ordinaires. Je ne
+pensois nullement vous faire ce rcit, qui n'est pas divertissant.
+Mais il ne faut pas aussi tre toujours tant sur ses gardes, pour ne
+parler jamais de la mort, qui va indiffremment dans tous les pays du
+monde.
+
+J'espre vous envoyer, par la premire commodit, deux excellentes
+paires de gants d'ambre, et un ventail de la part de la reine, dont la
+sant et la beaut augmentent tous les jours.
+
+
+
+
+LETTRE XXVII.
+
+_Madrid, 28 novembre 1680._
+
+
+Je n'ai point eu de vos lettres par ce courrier. Je vous ai dj mand
+que je ne m'en allois plus. Quand jusqu'ici j'aurois dout de l'amiti,
+que vous croyez que j'ai pour M. _de Villars_, j'en serois plus que
+certaine l'heure qu'il est, par la joie que j'ai sentie de ne m'en
+point aller de cette aimable ville de Madrid; entendez par ce mot
+_aimable_, tout l'oppos de ce qu'il dit en effet. Aprs tout cela,
+malgr la destine, je commence jouir aujourd'hui d'un plaisir. Nous
+quittons notre grande, incommode et chre maison pour aller loger dans
+une autre beaucoup moins chre, et trs-commode. A peine ai-je trouv de
+quoi vous crire, n'ayant plus rien dans ma chambre. Notre jeune reine
+m'a fait parotre plus de joie de ce que je ne m'en allois point, que
+vraisemblablement cela ne lui en a d causer.
+
+Je ne vous entretiendrai gure aujourd'hui. Il m'en dplat fort, ma
+chre madame; car il me semble que j'aurois bien des choses vous dire.
+
+
+
+
+LETTRE XXVIII.
+
+_Madrid, 27 dcembre 1680._
+
+
+Vous m'crivez que le marquis _de Ligneville_ a pass par Lyon, et qu'il
+ne vous a point vue. Ce n'est pas de quoi je me soucie; et je lui
+pardonne de n'avoir pas eu cet esprit, pourvu qu'il vous ait laiss le
+petit prsent que je vous envoyois par lui.
+
+Je suis beaucoup plus tranquille que je n'tois le temps pass, quand je
+vous parlois de la peine que me causoit cette vue d'un dpart prochain.
+Le petit secours, que le roi a eu la bont de donner M. _de Villars_,
+nous fait un peu respirer. Nous avons pay et quitt notre grande
+maison de huit cents pistoles de loyer, et nous sommes prsentement dans
+une autre la moiti moins chre, et mille fois plus commode. Je ne
+voudrois pour rien du monde que la guerre recomment; car je me
+souviens trop de la vivacit de mes peines dans ce cruel temps. Mais
+quel plaisir, sans qu'il en ft question, de sortir d'Espagne, et de
+pouvoir subsister en quelque lieu agrable, jouissant du plaisir de voir
+et d'entretenir ce qu'on aime! Si vous me revoyez jamais, vous prendrez,
+s'il vous plat, la peine de me siffler comme un perroquet; car
+assurment je perds ici l'usage entier d'entendre et de parler, comme on
+fait au coin de votre feu. Il fait ici le mme froid qu' Paris; mais il
+n'y a point de chemines. Nous en avons fait faire une dans notre
+nouvelle maison, qui est la plus grande consolation que nous ayons
+Madrid. Elle n'en donne point aux dames qui me viennent voir; car elles
+ne savent point s'asseoir dans une chaise, ou sur quelque autre sige.
+C'est une chose plaisante que l'air qu'elles ont, quand elles sont
+assises: elles paroissent lasses, fatigues, ne pouvant non plus se
+tenir que si on les faisoit danser sur la corde. Voil de belles
+nouvelles; mais jamais Madrid n'en a moins produit. Tout y est dans une
+manire d'assoupissement misrable.
+
+Vous recevrez un paquet, qui en contient trois autres cachets du cachet
+de la reine, et les dessus de sa propre main. Il y a deux paires de
+gants, et un ventail dans chacun; vous aurez soin de les envoyer leur
+destination. La reine ne vouloit pas que je vous mandasse que c'toit de
+sa part, trouvant que le prsent toit trop petit. Vous le direz
+mesdames _de Svign_ et _de Vins_. On dit que les ventails seront
+meilleurs dans quelque temps. Cette jeune princesse continue d'embellir.
+Elle est grasse, le plus beau teint du monde, une gorge admirable, les
+yeux trs-beaux, la bouche agrable. Quand je vois qu'elle croit avoir
+sujet de s'ennuyer, je change de discours. Adieu, madame.
+
+
+
+
+LETTRE XXIX.
+
+_Madrid, 12 dcembre 1680._
+
+La conntable _Colonne_ est dans un pitoyable tat. Je crois que je vous
+ai mand que son mari la fit partir un peu brusquement d'ici, pendant
+que la reine toit l'Escurial. Elle ne tua ni ne blessa personne. Elle
+est actuellement dans ce qu'on appelle l'Alcaal[28] de Sgovie,
+trs-misrablement traite. La reine auroit fort souhait qu'on lui et
+accord avant cela ce qu'elle demandait pour toute grce son mari,
+qu'on la mt dans un couvent, le plus austre qu'on pt choisir
+Madrid. Cette pauvre malheureuse crit souvent au confesseur de la
+reine, qui, par l'ordre de cette princesse, va quelquefois exhorter le
+conntable vouloir bien que sa femme vienne ici dans un couvent. Il y
+a douze ou quinze jours que ce mari dit au confesseur, qu'il ne pouvoit
+consentir que sa femme vnt Madrid, si elle ne se faisoit religieuse
+dans le couvent o elle entreroit, et que lui, il prendroit les ordres.
+Le confesseur a crit cette proposition la conntable, qui l'a
+accepte. Je crois qu'il n'y a pas une moindre vocation que la sienne
+la religion. Cependant, comme elle a fait dire son mari qu'elle fera
+tout ce qu'il voudra, cela pourra l'embarrasser; car je ne crois pas
+qu'il ait aucune intention de la faire entrer dans Madrid. On m'crit de
+Paris que je me mlois de ses affaires, et que j'tois fort dans ses
+intrts. J'ai rpondu sur cela une de mes amies qui m'en crivoit,
+que je croyois qu'on avoit jet croix ou pile, duquel il valoit mieux
+m'accuser, ou de trop de duret pour cette infortune, ou de trop de
+piti. Car pour elle, elle se sentit tout--fait outrage, quand elle
+vint dans notre maison, pleurant et demandant qu'on l'y souffrt pour
+une nuit, et qu'on lui prtt secours pour la faire entrer dans son
+couvent; on ne put lui accorder ce qu'elle vouloit, et je la rsolus
+avec une peine extrme retourner chez le marquis _de los Balbass_, o
+je la remenai dix heures du soir, M. _de Villars_ ne voulant pas se
+mler de ses affaires. Si j'ai eu piti d'elle depuis cette visite-l,
+cette piti ne s'est signale en rien; et la reine qui auroit bien voulu
+lui faire le plaisir d'obliger son mari de la mettre ici dans un
+couvent, dit que _Monsieur_ lui a recommand de lui rendre tous les bons
+offices que raisonnablement elle pourroit dsirer d'elle. Celui de la
+faire enfermer dans un couvent le plus austre, ne paroissoit pas
+indigne cette princesse qu'elle s'y employt.
+
+M. le prince de Parme est donc amoureux de la comtesse _de Soissons_? Ce
+n'est pas un joli galant. Ce n'est pas aussi que s'il avoit cent mille
+cus dans son coffre, il ne les dpenst en un jour, mieux qu'aucun
+homme du monde, pour plaire sa dame. Le roi, notre matre, ne peut pas
+souhaiter un autre gouverneur en Flandre pour sa majest Catholique.
+
+La reine ne se divertit pas si bien qu'on pourroit le croire. Elle est
+jeune et saine, d'un heureux temprament. Je ne pense pas qu'au reste du
+monde l'on voie ce que nous avons vu depuis que nous sommes dans ce
+royaume; la peste, la famine, des ravages d'eaux dont on n'avoit jamais
+entendu parler; un tremblement de terre, qui a presque entirement
+dtruit cinq ou six villes; sans compter les frayeurs o je fus aprs
+cela quinze jours durant. Le moindre mouvement me paroissoit un
+tremblement de terre; mais il nous manquoit encore quelque chose, une
+comte. Assurez-vous que depuis huit jours il en parot une des plus
+grandes et des mieux marques qu'on ait jamais vues. Elle commence se
+montrer sur les quatre cinq heures du soir, et dure jusqu' huit ou
+neuf. Comme il ne nous appartient pas d'en avoir peur, c'est une des
+choses qui me sont le plus indiffrentes; car je suis persuade qu'elle
+ne signifie rien pour la France.
+
+
+
+
+LETTRE XXX.
+
+_Madrid, 26 janvier 1681._
+
+Il faut vous dire deux mots de la conntable _Colonne_. Je trouvai le
+confesseur de la reine, il y a deux jours, au palais, qui avoit apport
+une lettre pour la montrer cette princesse, avant qu'il la fermt. Il
+venoit de chez le conntable _Colonne_, qui l'avoit crite sa femme,
+en prsence du confesseur. Elle contient que le mari consent qu'elle
+vienne Madrid, dans un couvent nomm; qu'elle prenne l'habit de
+religieuse le mme jour qu'elle y entrera; et, trois mois aprs, qu'elle
+fasse profession. Je ne doute pas qu'elle n'accepte ces conditions pour
+quitter le lieu qu'elle habite prsentement. Je ne conseillerois pas
+la reine de rpondre qu'elle n'en sortira jamais.
+
+Cette princesse continue de se bien porter, et de passer l'glise sept
+ou huit heures les jours et veilles de grandes ftes. Je ne voudrois
+pas vous rpondre qu'elle en ft plus dvote. J'ai toujours l'honneur de
+la voir souvent. Le roi l'aime autant qu'il peut; elle le gouverneroit
+assez; mais d'autres machines, sans beaucoup de force ni de rapidit,
+donnent d'autres mouvemens, et tournent et changent les volonts du roi.
+La jeune princesse n'y est pas trop sensible. Elle parle prsentement
+trs-bien espagnol. Elle connot toute la cour, et les diffrens
+intrts de ceux qui la composent. La reine, sa belle-mre, qui est
+trs-bonne princesse, l'aime toujours fort tendrement.
+
+
+
+
+LETTRE XXXI.
+
+_Madrid, 23 janvier 1681._
+
+Le comte _de Monterei_ a t exil de cette cour, il y a quatre ou cinq
+jours. On ne dit point pourquoi. Je ne le puis comprendre, si ce n'est
+qu'il est le plus honnte homme du monde, et le plus propre bien
+servir son roi. L'on refuse toujours le cong son pre, le marquis _de
+Liche_, qui est ambassadeur Rome, malade, ruin, par consquent fort
+ennuy. Je vis, l'autre jour, sa femme, qui est fort jolie, fondre en
+larmes aux pieds du roi, pour obtenir le cong. Je ne vous parlerai
+point de choses plus divertissantes et plus gaies, ma chre madame.
+Qu'il est difficile de l'tre Madrid! et que, si l'on avoit de bonnes
+dispositions pour la pnitence, ce seroit un lieu propre pour la faire!
+La reine est en parfaite sant, et dans une grande fracheur. De vous
+dire de quoi elle soutient tout cela, c'est ce que j'ignore absolument.
+
+
+
+
+LETTRE XXXII.
+
+_Madrid, 6 fvrier 1681._
+
+Vous n'avez donc point reu par le marquis _de Ligneville_, le petit
+prsent que je croyois qui vous seroit fidlement rendu? Les messagers
+ordinaires, ce que je vois, ont plus d'honneur et de probit que les
+gens de qualit portant de beaux noms. Vraiment, madame, ce n'est pas
+pour le vanter; mais ce que je vous envoyois, quoique peu prcieux et
+peu magnifique, toit pourtant joli et bien choisi; et j'aimois
+imaginer que tout cela vous plairoit. Ce _Ligneville_ est des amis du
+marquis _de Grana_, et ma confiance toit parfaite. Ne vous fatiguez
+d'aucun compliment pour la reine Catholique, je les lui fis hier.
+
+L'on attend, tous les jours ici, la conntable _Colonne_, pour prendre
+l'habit de religieuse. Son mari, qui est fort avare, dispute sur le prix
+avec le couvent o elle doit entrer. Elle crivoit, l'autre jour, que
+sa soeur _Mazarin_ feroit bien mieux de venir se faire religieuse avec
+elle.
+
+Je songe ce que je puis vous dire de cette cour. Je ne manquerois pas
+de matire; mais, de si loin, il n'est pas possible de traiter beaucoup
+de sujets. La vie du palais ne convient point des personnes qui n'y
+sont point nes, ou du moins qui n'y sont pas venues ds l'enfance; il
+faut pourtant dire la vrit en faveur des Espagnols, qu'ils ne sont ni
+si terribles, ni si souponneux qu'on nous les figure. Les reines sont
+toujours bien ensemble. Depuis le moment que la jeune est entre en
+Espagne, M. _de Villars_ s'est appliqu la bien persuader qu'il
+falloit pour son repos, qu'elle ft en bonne union avec la reine, sa
+belle-mre, et qu'elle se gardt bien d'couter des avis contraires. Je
+ne fais autre chose aussi que de tcher de lui mettre cela dans la tte.
+Elle ne se divertit pas trop raisonner sur la politique. Jusqu'ici
+tout a assez bien t; et, entre vous et moi, tout auroit t encore
+mieux, si, ds la frontire, on lui et t gnralement toutes les
+Franoises. On ne peut avoir plus d'esprit qu'elle en a, joint mille
+aimables qualits. J'y vais toujours souvent, quoique je la supplie
+quelquefois de trouver bon que mes visites ne soient pas si frquentes.
+Ma fille y va peu, quoique la reine m'ordonne souvent de la lui mener.
+
+Je vous ai mand que le comte _de Monterei_ avoit t exil. Le duc _de
+Veragas_ le fut hier aussi. Il est dans l'alliance et ami de ce premier.
+
+Je ne vous parle point de la misre de ce royaume. La faim est jusque
+dans le palais. J'tois hier avec huit ou dix _Camaristes_ et _la
+Moline_ qui disoient qu'il y avoit fort long-temps qu'on ne leur donnoit
+plus ni pain ni viande. Aux curies du roi et de la reine, de mme. Je
+ne voudrois pas qu'on st, au pays o vous tes, que je me mlasse
+seulement d'crire cela. Mais je sais bien que vous ne me commettrez
+pas, et qu'il y a bien souvent des choses dans mes lettres, dont on
+pourroit se moquer.
+
+
+
+
+LETTRE XXXIII.
+
+_Madrid, 19 fvrier 1681._
+
+Me voici mon second mercredi des cendres; ce qui m'a assez plu, c'est
+que le carnaval, comme je vous l'ai dj mand, ne veut point, en ce
+pays, se donner un air de plaisir; et hors qu'il n'y a plus de comdie
+au palais ni la ville, tout le reste va son mme train; personne ne
+fait le carme. Le palais est toujours la mme chose. On y parle d'aller
+ Aranjuez, incontinent aprs Pques, que la reine fera quelques
+remdes, et qu'elle en reviendra srement grosse. Je vais souvent voir
+la marquise _de Grana_, qui est malade, et qui ne sort point depuis
+trois mois. Ce sera un grand hasard, si elle n'est la troisime
+ambassadrice qui mourra ici. Elle prendroit la rsolution de s'en
+retourner, sans qu'elle ne peut se dterminer laisser son mari qu'elle
+aime fort.
+
+La conntable arriva samedi dernier de fort bonne heure. Elle entra dans
+le couvent; les religieuses la reurent la porte avec des cierges, et
+toutes les crmonies ordinaires en pareille occasion. De l on la mena
+au choeur, o elle prit l'habit avec un air fort modeste. Un Espagnol,
+qui toit dans l'glise, m'a cont tout ce qu'il vit. L'habit est joli
+et assez galant, le couvent commode. Je ne puis avoir bonne opinion de
+l'esprit et de la pntration de messieurs les Italiens et Espagnols, de
+s'tre persuads que cette femme ait pu accepter de bonne foi la
+proposition de se faire religieuse, et d'esprer par l qu'elle va leur
+assurer tout son bien. La premire fois que j'entendis parler au
+confesseur de la reine de la commission qu'il avoit du conntable,
+d'crire sa femme, et de lui proposer ce parti, je crus que c'toit
+une pure raillerie, dont je n'aurois jamais voulu me mler. Le bon pre
+crivit, et la dame n'hsita pas un moment lui rpondre qu'elle y
+consentoit. Pour moi, sans en savoir autre chose, je ne crois point du
+tout cette subite vocation. Je ne me suis pas presse de lui aller
+rendre visite: je ne sais encore quand je la verrai.
+
+A propos de visites, vraiment j'en fis une, il y a trois ou quatre
+jours, qui m'effraya beaucoup. Une dame de qualit, femme du comte
+_Ernand-Nugus_, depuis un mois ou six semaines toit accouche; et,
+comme elle avoit t assez mal, on ne l'avoit point vue. J'envoyai
+savoir de ses nouvelles, et son mari, qui est de nos amis et qui parle
+bien franois, me manda que je ferois honneur sa femme de l'aller
+voir. J'y fus donc: je m'assis un moment auprs de son lit; car je ne
+l'eus pas plutt envisage, que je me levai. Je tirai son mari part,
+et je lui dis que je ne demeurois pas plus long-temps, craignant
+d'incommoder madame sa femme. Il me rpondit que point du tout; et moi,
+je l'assurai qu'elle toit fort mal, n'osant lui dire qu'elle se
+mouroit. Il vint, sur ces entrefaites, deux Grandes d'Espagne, dont la
+duchesse _de Patrana_ toit une. Je sortis, et, trois heures aprs
+minuit, la dame toit morte: elle n'avoit que vingt-deux ans. Voil la
+quatrime, depuis trois mois, qui meurt en couche. Le comte
+_Ernand-Nugus_ a t menin de notre reine, et a t assez long-temps en
+France. On est trs-mal trait en ce pays-ci de toutes sortes de
+maladies.
+
+Adieu, madame; je vais me promener dans un carrosse _incognito_, une
+promenade publique, au milieu de la campagne, o il y a un prdicateur
+qui prche quatre ou cinq heures, et qui se donne des soufflets tour
+de bras; on entend, ds qu'il a commenc se les donner, un bruit
+terrible de tout le peuple qui fait la mme chose. Comme il n'y a pas
+d'obligation de se chtier de la sorte, nous allons assister ce
+spectacle qui se voit, en carme, trois fois la semaine. Le dtail des
+dvotions de ce pays seroit une chose divertissante vous faire savoir.
+
+
+
+
+LETTRE XXXIV.
+
+_Madrid, 3 avril 1681._
+
+Vous, madame, plusieurs de mes amies, et mme mes enfans, vous paroissez
+tonns et comme fchs de n'tre point informs par mes lettres de tout
+ce qui se passe ici touchant le rappel de M. _de Villars_, et ce qui me
+regarde en mon particulier, jugeant qu'il faut bien que ce ne soit pas
+un secret en cette cour. Vous m'en croirez bien, ma chre madame,
+puisqu'assurment, dans le nombre de mes dfauts, je n'ai point celui de
+mentir. Rien au monde n'est donc venu notre connoissance de ce qu'on a
+pu inventer sur la conduite que j'ai tenue ici. Vous et mes enfans me
+dites seulement que j'ai fait des intrigues dans le palais. Si l'on
+savoit ce que c'est que l'intrieur de ce palais, et qu'aucune dame ni
+moi, ne nous disons jamais que bonjour et bonsoir, parce que je n'ai pu
+apprendre la langue du pays, on ne diroit pas que a t avec les
+femmes, non plus qu'avec les hommes, dont aucun ne met le pied dans tout
+l'appartement de la reine. A l'gard du jeune roi, et de sa haine pour
+les Franois, qui est grande, je puis dire qu'elle est moins violente
+pour moi que pour les femmes franoises de la reine, par la raison
+qu'elles sont plus souvent auprs d'elle que je n'ai cet honneur. Si le
+premier ministre a fait ngocier notre retour en France par
+l'ambassadeur d'Espagne, qui est Paris, le roi, leur matre, n'en a
+rien su; car, le jour qu'on en eut ici la nouvelle, il parut fort tonn
+quand on la lui apprit, et demanda aussitt si ce n'toit point une
+marque qu'on allt rentrer en guerre avec la France. Jugez, sur cela, de
+beaucoup d'autres circonstances que je ne vous dis pas. Le roi et la
+reine sont dans une grande union, et meilleure, depuis deux ou trois
+mois, qu'elle n'a jamais t. Je ne me vanterai pas de m'tre mle de
+donner des conseils la reine; elle a un assez bon esprit pour n'en
+avoir pas besoin. Je ne sais si le roi lui communique les secrets de
+l'tat; c'est ce qui n'est jamais entr dans les conversations que j'ai
+eu l'honneur d'avoir avec elle. Je ne sais plus que vous dire; car, en
+vrit, je ne trouve pas la moindre chose digne de remarque en tout ce
+qui s'est pass depuis que je suis en ce pays. Avec toute la
+tranquillit que doit inspirer le repos d'une bonne conscience, je suis
+pourtant afflige du malheur que j'ai de ne pouvoir quasi douter que mon
+nom n'a jamais t profr que bien sinistrement devant tout ce qu'il y
+a de plus grand et de plus respectable dans le monde; et ce que je
+souffre cet gard, me fait porter une vritable envie aux gens dont on
+n'a jamais entendu parler ni en bien ni en mal. Le jour que M. _de
+Villars_ reut son ordre pour son retour, je tremblois qu'il ne portt
+aussi de me faire partir incontinent. Mais, quand je sus qu'il n'y en
+avoit pas un mot, je pris patience. J'ai plus de reconnoissance de cette
+bont du roi, malgr mon innocence, que n'en ont mille gens pour les
+solides bienfaits qu'ils reoivent tous les jours de sa majest. Je ne
+laisserai point de partir la premire, parce que M. _de Villars_ s'en
+ira plus vte, quand il sera tout seul, ds le moment qu'il aura reu
+les derniers ordres du roi. Adieu, madame; laissez dire de moi tout ce
+qu'on voudra. Je vous verrai bientt; ce me sera une vritable joie.
+Quel voyage ai-je faire, et quelle fatigue essuyer!
+
+
+
+
+LETTRE XXXV.
+
+_Madrid, 17 avril 1681._
+
+Je vous rends grces de l'impatience que vous me marquez de savoir le
+temps de mon retour; je ne puis vous le dire. On a mille choses faire
+avant que de partir. C'est M. _de Villars_ qui rgle tout cela. J'ai
+pris cong de la reine ayant son dpart pour Aranjuez. Elle m'a fort
+command de l'y aller voir; mais je ne sais si j'irai. Vous me demandez
+des raisons pour allguer contre les torts qu'on me donne au pays o
+vous tes; mais il me les faudroit apprendre auparavant. Tout ce que je
+sais de Paris, est qu'on publie que j'ai eu un grand dml avec un
+matre-d'htel de la jeune reine; mais, comme j'ai dj rpondu que je
+n'en connois pas un, et que jamais je n'ai eu le moindre mot avec homme
+ni femme, dedans ou dehors le palais, je ne saurois plus en rien dire.
+Toutes ces choses seront des nouveauts pour moi, quand j'arriverai
+Paris. Il me semble qu'on dit encore que je vois trop souvent la reine.
+Si elle ne l'avoit pas voulu, cela n'et pas t; et si, de France, on
+avoit ordonn M. _de Villars_ que mes visites fussent moins
+frquentes, on ne se le seroit pas laiss dire deux fois. Je vous
+conterai un jour plus au long comme je m'y divertissois. Je vous
+supplie instamment encore une fois, ma chre madame, de laisser dire,
+sur mon sujet, tout ce qu'on voudra, pourvu que ces mensonges ne fassent
+point d'impression sur votre esprit: c'est tout ce que je dsire de
+vous.
+
+Ce que l'on vous mande de Rome de la conntable _Colonne_ seroit
+meilleur pour elle que ce qui se passe ici. La pauvre femme est
+peut-tre bien prs d'prouver de pires aventures que toutes celles
+qu'elle a eues par le pass. Il ne faut rien imputer toutes ces sortes
+de ttes-l; mais on ne peut s'empcher de la plaindre. C'est la
+meilleure femme du monde, cela prs qu'il n'est pas au pouvoir humain
+de lui faire prendre les meilleurs partis, ni de rsister tout ce qui
+lui passe dans la fantaisie. Son mari part samedi ou lundi avec ses
+enfans. Il a mari l'an, comme vous savez, avec une fille de _Medina
+Celi_, premier ministre, qu'il emmne aussi Rome. La conntable
+demeure dans son couvent, o apparemment elle va manquer de tout. Elle
+y est dj misrablement. Si je n'avois pas autant compati son
+malheur, je n'aurois pu m'empcher de me divertir l'entendre parler
+comme elle fait. Elle a de l'esprit. Elle crit que cela est surprenant,
+avec ses _hauts_ et _bas_. Il toit, en quelque sorte, facile M. _de
+Nevers_, son frre, de la tirer du malheureux tat o elle est, s'il
+toit venu ici pour soutenir ses intrts. Elle n'auroit pas t rduite
+ jouer la religieuse. Je pensai tomber de mon haut, quand le confesseur
+de la reine me dit qu'il lui alloit crire la proposition de se faire
+religieuse pour sortir du chteau de Sgovie. Elle n'hsita pas un
+moment, comme je vous l'ai mand, trouver qu'elle en avoit la
+vocation. Je crus, au moins, qu'tant entre dans le couvent, elle
+dclareroit qu'elle se moquoit, et que tout ce qu'elle avoit promis
+toit pour sortir de prison; mais, au lieu de cela, elle prend l'habit
+ds l'instant qu'elle a mis le pied dans l'glise. Il falloit que son
+frre vnt alors l'enlever de l, et tcher de la faire aller demeurer
+avec la duchesse _de Modne_, comme on l'avoit propos.
+
+J'ai fort bien commenc et fini le carme; je n'en suis pas malade, Dieu
+merci. Le chocolat est une chose merveilleuse. N'en voudrez-vous point
+prendre?
+
+On parle beaucoup de guerre avec le Portugal. Les deux princes veulent
+absolument qu'une certaine le soit eux. Ils assurent qu'ils vont
+faire la guerre, si l'on ne la leur cde. On est pourtant tout--fait
+tranquille dans cette cour. Adieu, madame; je vous aime de tout mon
+coeur.
+
+
+
+
+LETTRE XXXVI.
+
+_Madrid, premier mai 1681._
+
+Jamais rien au monde ne m'a paru moins un compliment que tout ce que
+vous me dites, ma chre madame, sur l'obligeante envie que vous me
+marquez que j'aille loger chez vous en arrivant Paris. Soyez bien
+persuade que je pense et que je sens sur cela tout ce qu'il faut pour
+inspirer une tendresse vive et reconnoissante. Mes enfans vous feront
+mille excuses de ma part, de ce que je ne puis faire ce que vous
+souhaitez. Ce sont des excuses bien diffrentes de celles que l'on
+emploie pour refuser une grce ou un service que l'on ne peut rendre.
+Mais votre coeur est fait de manire que je ne puis douter que ce ne soit
+vous faire une espce d'offense de mettre quelque obstacle aux services
+que vous voulez rendre. Je vous demande donc une infinit de pardons; je
+m'en demande moi-mme de m'opposer la joie que j'aurois de me
+trouver porte de vous voir, de vous parler tout moment. Je ne suis
+pas destine des plaisirs continuels, il s'en faut bien; et, pour
+changer de discours, je vous avouerai que, depuis quelque temps je suis
+moins empresse de mon retour Paris; car vous saurez que M. _de
+Villars_ prit la rsolution de me faire partir, quand il sut, par la
+lettre du roi, son matre, qu'il le rappeloit. Il crut, pour plus
+grande commodit, qu'il toit plus propos que je m'en allasse la
+premire, pour tre en tat de faire plus de diligence, dbarrass de
+femmes, de hardes et d'quipages; ne doutant point qu'au plus tard,
+trois semaines ou un mois aprs, il n'et ordre du roi pour partir, et
+qu'il n'y et un autre ambassadeur nomm. Mais je vois prsentement
+qu'on ne parle de rien, et que M. _de Villars_ peut demeurer encore ici
+long-temps. Cela tant, je ne voudrois plus m'en aller, pour ne pas
+laisser mon mari dans cet ennuyeux pays, o je puis tre compte pour
+quelque chose, par rapport au dnuement de toute sorte de plaisirs.
+Cependant M. _de Villars_ ne pouvant s'imaginer d'tre ici pour
+long-temps, et les chaleurs approchant, veut que je parte. A propos de
+cela, si vous trouvez par hazard, sur votre chemin, quelqu'un qui dise
+que le roi ait ordonn que je m'en revinsse en France, dites hardiment,
+madame, qu'il n'en est rien; sa majest n'en a jamais crit un mot M.
+_de Villars_. Si ce que je vous cris l n'toit pas vrai, vous croyez
+bien que je ne vous manderois pas le contraire. Vous voyez quoi se
+rduisent mes vanteries, qui sont de vouloir tablir, parce que cela est
+vrai, que le roi n'ordonne point de me faire partir, par la raison de
+mes malversations. Je vous entretiendrai bien, madame, quand je vous
+verrai. Il ne me sera, je crois, gure difficile de vous faire avouer
+que je ne mrite pas beaucoup de blme sur ma conduite en cette cour;
+et, sans me vanter, peut-tre n'ai-je fait tort la conduite de
+personne. Adieu, ma chre madame.
+
+
+
+
+LETTRE XXXVII.
+
+_Madrid, 15 mai 1681._
+
+Je ne suis point encore partie; les pluies ont t si excessives et si
+continuelles ici, que les carrosses ni les litires ne peuvent se mettre
+en chemin. Prsentement que le temps se met au beau, et qu'on nous fait
+esprer que nous apprendrons par le premier courrier, que le roi a nomm
+le successeur de M. _de Villars_, je partirai plus volontiers avec la
+certitude qu'il ne demeurera pas long-temps ici aprs moi. Leurs
+majests Catholiques revinrent samedi d'Aranjuez. La reine a eu la bont
+de me dire qu'elle et t au dsespoir d'en revenir sitt, sans la joie
+qu'elle avoit de me revoir. Elle n'a pas pourtant engraiss dans ce
+charmant sjour. Je l'ai trouve change. J'ai vu la reine mre ces
+jours passs, dont j'ai tous les sujets du monde de me louer, par toutes
+les choses obligeantes qu'elle dit de la conduite de M. _de Villars_ et
+de la mienne, quant l'union de sa belle-fille avec elle; et je suis
+bien persuade qu'elle en crit conformment la reine en France. Je
+suis vous, ma chre madame, plus que je ne puis vous le dire.
+
+_Fin des Lettres de Madame de Villars._
+
+
+
+
+LETTRES
+
+DE
+
+MADAME DE COULANGES,
+
+A MADAME DE SVIGN.
+
+
+
+
+NOTICE
+
+SUR
+
+MADAME DE COULANGES.
+
+
+Madame de Coulanges a laiss d'elle la rputation d'une femme
+trs-aimable et de beaucoup d'esprit; mais on ne trouve dans les livres,
+pour ainsi dire, aucune particularit, aucun dtail sur sa personne. Il
+seroit aujourd'hui fort difficile, et peut-tre mme impossible, de
+suppler entirement leur silence. A la distance o nous sommes dj
+du sicle de Louis XIV, comment puiser dans la tradition des
+renseignemens certains sur les personnages de ce sicle, lorsque les
+crivains du temps ont nglig de nous en transmettre? Les Lettres de
+madame _de Svign_ sont presque le seul crit o il soit question de
+madame _de Coulanges_. Nous allons en extraire le peu de notions
+biographiques qu'elles offrent sur cette femme spirituelle.
+
+Madame _de Coulanges_ naquit en 1631, de M. _du Gu-Bagnols_, intendant
+de Lyon.
+
+Elle pousa Philippe-Emmanuel _de Coulanges_, conseiller au parlement de
+Paris, puis matre des requtes, mort en 1716, g de 85 ans. M. _de
+Coulanges_ tait cousin-germain de madame _de Svign_, dont sa femme
+devint l'amie intime et presque insparable. Plein d'esprit et sur-tout
+de gat, trs-agrable en socit, cause de ses saillies et de ses
+chansons, il avoit peu d'aptitude ou du moins peu de got pour les
+fonctions graves et laborieuses de la magistrature. On raconte qu'tant
+charg de rapporter une affaire, o il s'agissoit d'une marre d'eau que
+se disputoient deux paysans dont l'un s'appeloit _Grapin_, il
+s'embarrassa tellement dans le dtail des faits, qu'il fut oblig
+d'interrompre son rcit: _Pardon, messieurs_, dit-il aux juges; _je me
+noie dans la marre _ Grapin, _et je suis votre serviteur_. Depuis cette
+aventure, il ne voulut plus tre rapporteur, et il finit par se dmettre
+de sa charge pour faire des voyages, des chansons et de bons dners.
+
+Madame _de Coulanges_, fille d'un simple intendant de province, et femme
+d'un homme de robe, qui avoit renonc son tat, n'avoit aucun rang
+la cour; et cependant elle y jouissoit de beaucoup de considration.
+Elle toit nice de la femme de _le Tellier_, ministre d'tat, depuis
+chancelier, et cousine du fameux _Louvois_, ministre de la guerre. La
+parent lui donnoit un certain crdit auprs de ces deux hommes
+puissans; et, comme on peut croire, ses amis lui fournissoient
+quelquefois l'occasion d'en faire usage. C'toit sur-tout auprs de
+_Louvois_ qu'on rclamoit ses bons offices, dans ce temps de guerres
+continuelles, o les emplois de l'arme passoient si rapidement de main
+en main.
+
+C'toit beaucoup, pour avoir des succs la cour, que d'tre nice et
+cousine de ministre; mais ceux de madame _de Coulanges_ tenoient encore
+ une autre cause bien plus honorable pour elle. C'est ce que madame _de
+Svign_ a exprim d'une manire si vive et si ingnieuse, en disant:
+_l'esprit de madame_ de Coulanges _est une dignit_. Cet esprit
+consistoit dire avec grce, avec aisance, des choses fines et
+imprvues, des mots vifs et piquans. On appeloit cela _les pigrammes
+de madame_ de Coulanges. Voici ce qu'en dit madame _de Caylus_ dans ses
+_Souvenirs_. Madame _de Coulanges_, femme de celui qui a fait tant de
+chansons..... avoit une figure et un esprit agrables, une conversation
+remplie de traits vifs et brillans; et ce style lui toit si naturel,
+que l'abb _Gobelin_ dit, aprs une confession gnrale qu'elle lui
+avoit faite: _Chaque pch de cette dame est une pigramme._ Personne en
+effet, aprs madame _de Cornuel_, n'a dit plus de bons mots que madame
+_de Coulanges_. Madame _de Svign_, qui, dans ses Lettres, nous a
+conserv plusieurs bons mots de madame _de Cornuel_, que l'on cite
+encore tous les jours, en a rapport aussi quelques-uns de madame _de
+Coulanges_; mais ils n'ont pas fait la mme fortune. Il semble qu'ils
+avoient quelque chose de plus dli, de plus fugitif, qui tenoit
+davantage aux circonstances des personnes, des lieux et du temps; aux
+manires et au ton de celle qui les disoit; en un mot, nous pensons
+qu'ils perdroient beaucoup tre dplacs; et ce motif nous dtermine
+n'en transporter aucun dans cette Notice.
+
+Madame _de Coulanges_, dont la malice s'gayoit souvent aux dpens des
+femmes que l'on souponnoit de quelque tendre foiblesse, fut son tour
+l'objet des pigrammes; elle fut accuse d'avoir un peu plus que de
+l'amiti pour le marquis _de la Trousse_, cousin-germain de son mari. Le
+marquis toit follement amoureux; elle, _dure, mprisante et amre_,
+ce que dit madame _de Svign_, qui avouoit bonnement ne rien concevoir
+ leur conduite. Il y auroit, dit-elle ailleurs, parler un an sur
+l'tat inconcevable et surprenant des coeurs de M. _de la Trousse_ et de
+madame _de Coulanges_. Tout le monde n'avoit point l-dessus la mme
+incertitude qu'elle. Madame _de la Trousse_ toit jalouse avec fureur de
+madame _de Coulanges_; et _Louvois_ ayant envoy M. _de la Trousse_ sur
+la frontire, demanda publiquement pardon sa cousine de ce qu'il lui
+toit, pendant l'hiver, _cette douce socit_. Au milieu de toute la
+France, dit madame _de Svign_, elle soutint fort bien cette attaque;
+elle ne rougit point, et rpondit prcisment ce qu'il falloit.
+
+Cette intrigue, vraie ou fausse de madame _de Coulanges_ avec M. _de la
+Trousse_, n'empcha, point la scrupuleuse et dvote madame _de
+Maintenon_ d'avoir toujours le plus vif attachement pour son ancienne
+amie de l'htel de Richelieu. Elle vouloit toujours l'avoir auprs
+d'elle Versailles et St.-Cyr, et alloit elle-mme la voir quand elle
+toit malade.
+
+Nous ignorons dans quelle anne est morte madame _de Coulanges_.
+
+
+
+
+LETTRES
+
+DE
+
+MADAME DE COULANGES,
+
+A MADAME DE SVIGN.
+
+
+
+
+LETTRE PREMIRE.
+
+_Lyon, premier aot 1672._
+
+J'ai reu vos deux lettres, ma belle; et je vous rends mille grces
+d'avoir song moi dans le lieu o vous tes. Il fait un chaud mortel;
+je n'ai d'esprance qu'en sa violence[29]. Je meurs d'envie d'aller
+Grignan; ce mois-ci pass, il n'y faudra pas songer; ainsi je vous irai
+voir assurment, s'il est possible que je puisse arriver en vie; au
+retour, vous croyez bien que je ne serai pas dans cet embarras. Le
+marquis _de Villeroi_ passe sa vie regretter le malheur qui l'a
+empch de vous voir. Les violons sont tous les soirs en Bellecour[30];
+je m'y trouve peu, par la raison que je quitte peu ma mre; dans
+l'esprance d'aller Grignan, je fais mon devoir merveille; cela
+m'adoucit l'esprit. Mais quel changement! vous souvient-il de la figure
+que madame _Solus_ faisoit dans le temps que vous tiez ici? Elle a fait
+imprudemment ses dlices de madame _Carle_; celle-ci avoit, dit-on, ses
+desseins; pour moi, je n'en crois rien; cependant c'est le bruit de
+Lyon; en un mot, c'est de madame _Carle_ que M. le marquis parot
+amoureux. Madame _Solus_ se dsespre, mais elle aime mieux voir M. le
+marquis infidle que de ne le point voir; cela fait croire qu'elle ne
+prendra jamais le parti de se jeter dans un couvent. Cette histoire vous
+parot-elle avoir la grce de la nouveaut? Continuez m'crire, ma
+trs-belle, vos lettres me touchent le coeur: Madame _de Rochebonne_ est
+toujours dans le dessein de vous aller voir. Je ne savois point que
+madame _de Grignan_ et t malade; si c'est une maladie sans suite, sa
+beaut n'en souffrira pas long-temps. Vous savez l'intrt que je prends
+ tout ce qui pourroit, cet hiver, vous empcher l'une et l'autre de
+revenir de bonne heure.
+
+Adieu, ma trs-chre amie; j'oubliois de vous dire que le marquis _de
+Villeroi_ se propose d'aller Grignan avec votre ami le comte _de
+Rochebonne_: je vous suis trs-oblige de vouloir bien de moi; il y a
+peu de choses que je souhaite davantage que de me rendre au plus vte
+dans votre chteau; mon impatience, _quoique violente_, dure toujours:
+cela me fait craindre pour le chaud; il doit tre insupportable, puisque
+je ne m'y expose pas. La rapidit du Rhne convient l'envie que j'ai
+de vous embrasser; ainsi, madame, je ne dsespre point du tout de vous
+aller conter les plaisirs de Bellecour. Vous me promettez de ne me
+point dire: _Allez, allez; vous tes une laide_; cela me suffit. J'ai
+peur que vous ne traitiez mal notre gouverneur; vos manires m'ont
+toujours paru diffrentes de celles de madame _Solus_. Vous savez bien
+que l'on dit Paris que _Vardes_ et lui se sont rencontrs: devinez o?
+
+
+
+
+LETTRE II.
+
+_Lyon, 11 septembre 1672._
+
+Je suis ravie de pouvoir croire que vous m'avez un peu regrette; ce qui
+me persuade que je le mrite, c'est le chagrin que j'ai eu de ne vous
+plus voir; j'ai fait vos complimens au _charmant_[31]; il les a reus,
+comme il le devoit, j'en suis contente; si je prenois autant d'intrt
+en lui que M. _de Coulanges_, je serois plus aise de ce qu'il dit de
+vous, pour lui que pour vous. Madame _d'Assigni_ a gagn son procs tout
+d'une voix. Envoyez-moi M. _de Corbinelli_; son appartement est tout
+prt; je l'attends avec une impatience, qui mrite qu'il fasse ce petit
+voyage; toutes nos beauts attendent, et ne veulent point partir pour la
+campagne qu'il ne soit arriv; s'il abuse de ma simplicit, et que tout
+ceci se tourne en projets, je romps pour toujours avec lui. Adieu, ma
+vraie amie. C'est madame la comtesse _de Grignan_ que j'en veux.
+
+
+_A madame_ DE GRIGNAN.
+
+Je n'ai plus de got pour l'ouvrage, madame; on ne sait travailler qu'
+Grignan; le _charmant_ et moi, nous en commenmes un, il y a deux
+jours; vous y aviez beaucoup de part; vous me trouveriez une grande
+ouvrire l'heure qu'il est. Il me parot que le _charmant_ vous
+voudroit bien envoyer des patrons; mais le bruit court que vous ne
+travaillez point patrons, et que ceux que vous donnez sont
+inimitables. Adieu, ma chre madame; je trouve une grande facilit me
+dfaire de ma scheresse, quand je songe que c'est vous que j'cris.
+
+
+
+
+LETTRE III.
+
+_Lyon, 30 octobre 1672._
+
+Je suis trs-en peine de vous, ma belle; aurez-vous toujours la
+fantaisie de faire le bon corps? Falloit-il vous mettre sur ce pied-l
+aprs avoir t saigne? Je meurs d'impatience d'avoir de vos nouvelles,
+et il se passera des temps infinis avant que j'en puisse recevoir.
+Hlas! voici un adieu, ma dlicieuse amie; je m'en vais faire cent
+lieues pour m'loigner de vous! quelle extravagance! Depuis que le jour
+est pris pour m'en aller Paris, je suis enrage de penser tout ce
+que je quitte; je laisse ma famille, une pauvre famille dsole; et
+cependant je pars le jour mme de la Toussaint pour Bagnols: de Bagnols
+ Rouanne; et puis, _vogue la galre_. N'tes-vous pas ravie du prsent
+que le roi a fait M. _de Marsillac_[32]? n'tes-vous pas charme de la
+lettre que le roi lui a crite? Je suis au vingtime livre de
+l'_Arioste_; j'en suis ravie. Je vous dirai, sans prtendre abuser de
+votre crdulit, que, si j'tois reue dans votre troupe Grignan, je
+me passerois bien mieux de Paris, que je ne me passerai de vous Paris.
+Mais, adieu, ma vraie amie, je garde le _charmant_ pour la belle
+comtesse. Ecoutez, madame, le procd du _charmant_; il y a un mois que
+je ne l'ai vu; il est Neuville[33], outr de tristesse; et quand on
+prend la libert de lui en parler, il dit que son exil est long; et
+voil les seules paroles qu'il a profres depuis l'infidlit de son
+_Alcine_; il hait mortellement la chasse, et il ne fait que chasser; il
+ne lit plus, ou du moins il ne sait ce qu'il lit; plus de _Solus_, plus
+d'amusement; il a un mpris pour les femmes, qui empche de croire qu'il
+mprise celle qui outrage son amour et sa gloire; le bruit court qu'il
+viendra me dire adieu le jour que je partirai. Je vous manderai le
+changement qui est arriv en sa personne. Je suis de votre avis, madame,
+je ne comprends point qu'un amant ait tort, parce qu'il est absent; mais
+qu'il ait tort tant prsent, je le comprends mieux; il me parot plus
+ais de conserver son ide sans dfauts pendant l'absence. _Alcine_
+n'est pas de ce got; le _charmant_ l'aime de bien bonne foi; c'est la
+seule personne qui m'ait fait croire l'inclination naturelle; j'ai t
+surprise de ce que je lui ai entendu dire l-dessus; mais que
+deviendra-t-elle, comme vous dites, cette inclination? Peut-tre
+arrivera-t-il un jour que le _charmant_ croira s'tre mpris, et qu'il
+contera les appas trompeurs d'_Alcine_. Le bruit de la reconnoissance
+que l'on a pour l'amour de mon gros cousin[34] se confirme; je ne crois
+que mdiocrement aux mchantes langues; mais mon cousin, tout gros qu'il
+est, a t prfr des tailles plus fines; et puis, aprs un petit, un
+grand; pourquoi ne voulez-vous pas qu'un gros trouve sa place? Adieu,
+madame; que je hais de m'loigner de vous!
+
+Venez, mon cher confident[35], que je vous dise adieu; je ne puis me
+consoler de ne vous avoir point vu; j'ai beau songer au chagrin que
+j'aurois eu de vous quitter, il n'importe; je prfrerois ce chagrin
+celui de ne vous avoir point fait connotre les sentimens que j'ai pour
+vous. Je suis ravie du talent qu'a M. _de Grignan_ pour la friponnerie;
+ce talent est ncessaire pour reprsenter le vraisemblable. Adieu, mon
+cher monsieur: quand vous me promettez d'tre mon confident, je me
+repens de n'tre pas digne d'accepter une pareille offre; mais venez
+vous faire refuser Paris. Adieu, mon amie; adieu, madame la comtesse;
+adieu, M. _de Corbinelli_; je sens le plaisir de ne vous point quitter
+en m'loignant, mais je sens bien vivement le chagrin d'tre assure de
+ne trouver aucun de vous o je vais.
+
+Je ne veux point oublier de vous dire que je suis si aise de l'abbaye
+que le roi a donne M. le coadjuteur, qu'il me semble qu'il y a de
+l'incivilit ne m'en point faire de compliment.
+
+
+
+
+LETTRE IV.
+
+_Paris, 26 dcembre 1672._
+
+
+Le sige de Charleroi est enfin lev[36]; je ne vous demande aucun
+dtail de ce qui s'y est pass, sachant que mademoiselle _de Mri_ en
+envoie une relation madame _de Grignan_. On ignore jusqu' prsent
+quelle route le roi prendra; les uns disent qu'il retournera tout droit
+ Saint-Germain; les autres qu'il ira en Flandre; nous serons bientt
+claircis de sa marche. Sans vanit, je sais des nouvelles l'arrive
+des courriers; c'est chez M. _le Tellier_[37] qu'ils descendent, et j'y
+passe mes journes; il est malade, et il parot que je l'amuse; cela me
+suffit pour m'obliger une grande assiduit. Je ne comprends point par
+quelle aventure vous n'avez pas reu la lettre de M. _de Coulanges_,
+dans laquelle je vous crivois; c'est une mdiocre perte pour vous; j'ai
+cependant la confiance de croire que vous regrettez cette lettre, parce
+que je vous aime, ma trs-belle, et que vous m'avez toujours paru
+reconnoissante. J'ai t la messe de minuit; j'ai mang du petit sal
+au retour; en un mot, j'ai un assez bon corps cette anne pour tre
+digne du vtre. J'ai fait des visites avec madame _de la Fayette_, et je
+me trouve si bien d'elle, que je crois qu'elle s'accommode de moi. Nous
+avons encore ici madame _de Richelieu_; j'y soupe ce soir avec madame
+_du Fresnoi_; il y a grande presse de cette dernire la cour, il ne se
+fait rien de considrable dans l'tat, o elle n'ait part. Pour madame
+_Scarron_, c'est une chose tonnante que sa vie: aucun mortel, sans
+exception, n'a commerce avec elle; j'ai reu une de ses lettres; mais je
+me garde bien de m'en vanter, de peur des questions infinies que cela
+attire. Le rendez-vous du beau monde est les soirs chez la marchale
+_d'Estres_; _Manicamp_ et ses deux soeurs sont assurment bonne
+compagnie; madame _de Senneterre_ s'y trouve quelquefois, mais toujours
+sous la figure d'Andromaque. On est ennuy de sa douleur: pour elle, je
+comprends qu'elle s'en accommode mieux que de son mari; cette raison
+devroit pourtant lui faire oublier qu'elle est afflige. Je la crois de
+bonne foi; ainsi je la plains. Les gendarmes Dauphin sont dans l'arme
+de M. _le Prince_; il faut esprer qu'on les mettra bientt en quartier
+d'hiver, et qu'ils auront un moment pour donner ordre leurs affaires;
+je connois des gens qui en sont accabls. Adieu, ma trs-aimable; je
+vais me prparer pour la grande occasion de ce soir: il faut tre bien
+modeste pour se coiffer quand on soupe avec madame _du Fresnoi_.
+Permettez-moi de faire mille complimens madame _de Grignan_; je
+voudrois bien que ce fussent des amitis, mais vous ne voulez pas.
+
+La princesse _d'Harcourt_ a paru la cour sans rouge par pure dvotion:
+voil une nouvelle qui efface toutes les autres; on peut dire aussi que
+c'est un grand sacrifice; _Brancas_[38] en est ravi. Il vous adore, mon
+amie: ne le dsapprouvez donc pas, lorsqu'il censure les plaisirs que
+vous avez sans lui; c'est la jalousie qui l'y oblige; mais vous ne
+voudriez de la jalousie que de ceux dont vous pourriez tre jalouse; il
+faut plaindre _Brancas_.
+
+
+
+
+LETTRE V.
+
+_Paris, 24 fvrier 1673._
+
+Si vous tiez en lieu o je vous pusse conter mes chagrins, ma
+trs-belle, je suis persuade que je n'en aurois plus. Quand je songe
+que le retour de madame _de Grignan_ dpend de la paix, et le vtre du
+sien, en faut-il davantage pour me la faire souhaiter bien vivement? Le
+comte _Tot_ a pass l'aprs-dine ici; nous avons fort parl de vous; il
+se souvient de tout ce qu'il vous a entendu dire; jugez si sa mmoire ne
+le rend pas de trs-bonne compagnie. Au reste, ma belle, je ne pars plus
+de Saint-Germain: j'y trouve une dame d'honneur[39] que j'aime, et qui a
+de la bont pour moi; j'y vois peu la reine. Je couche chez madame _du
+Fresnoi_ dans une chambre charmante; tout cela me fait rsoudre y
+faire de frquens voyages. Nos pauvres amis sont repartis, c'est--dire,
+M. _de la Trousse_[40], sur la nouvelle qu'a eue le roi d'une rvolte en
+Franche-Comt. Comme il n'aimeroit point que les Espagnols envoyassent
+des troupes qui passeroient sur ses terres, il a nomm _Vaubrun_ et _la
+Trousse_ pour aller commander en ce pays-l. _La Trousse_ a beaucoup de
+peine se rjouir de cette distinction, cependant c'en est une, qui
+pourroit ne pas dplaire un homme moins fatigu de voyages; celui-ci
+joindra la campagne; cela est fort triste pour ses amis. Le guidon[41]
+nous demeure; mais ce n'toit point trop _de tout_. Je menai ce guidon
+avant-hier Saint-Germain; nous dnmes chez madame _de Richelieu_; il
+est aim de tout le monde presqu'autant que de moi. _Mithridate_[42] est
+une pice charmante; on y pleure; on y est dans une continuelle
+admiration; on la voit trente fois; on la trouve plus belle la trentime
+que la premire. _Pulchrie_ n'a point russi. Notre ami _Brancas_ a la
+fivre et une fluxion sur la poitrine; je l'irai voir demain. Je n'ai
+point vu votre cardinal[43], j'en ai toujours eu envie; mais il s'est
+toujours trouv quelque chose qui m'en a empche. La belle _Ludre_ est
+la meilleure de mes amies; elle me veut toujours mener chez madame
+_Talpon_, quand les _pougies_[44] sont allumes. Le marquis _de
+Villeroi_ est si amoureux, qu'on lui fait voir ce que l'on veut; jamais
+aveuglement n'a t pareil au sien; tout le monde le trouve digne de
+piti, et il me parot digne d'envie; il est plus charm qu'il n'est
+_charmant_, il ne compte pour rien sa fortune, mais la belle compte
+_Caderousse_ pour quelque chose; et puis un autre pour quelque chose
+encore; un, deux, trois, c'est la pure vrit: fi, je hais les
+mdisances. J'embrasse madame la comtesse _de Grignan_; je voudrois bien
+qu'elle ft heureusement accouche, qu'elle ne ft plus grosse, et
+qu'elle vnt ici dsabuser de tout ce qu'on y admire. Adieu, ma
+vritable amie; _vos petites entrailles_[45] se portent bien; elles sont
+farouches, elles ont les cheveux coups; elles sont trs-bien vtues.
+Madame _Scarron_ ne parot point; j'en suis trs-fche. Je n'ai rien
+cette anne de tout ce que j'aime; l'abb _Testu_ et moi, nous sommes
+contraints de nous aimer. _Mademoiselle_ a song que vous tiez
+trs-malade; elle s'veilla en pleurant; elle m'a ordonn de vous le
+mander.
+
+
+
+
+LETTRE VI.
+
+_Paris, 20 mars 1673._
+
+Je souhaite trop vos reproches pour les mriter; non, ma belle, la
+priode ne n'emporte point; je vous dis que je vous aime par la raison
+que je le sens vritablement, et mme je suis plus vive pour vous que je
+ne vous le dis encore. Nous avons enfin retrouv madame _Scarron_,
+c'est--dire que nous savons o elle est; car pour avoir commerce avec
+elle, cela n'est pas ais. Il y a chez une de ses amies[46] un certain
+homme[47] qui la trouve si aimable et de si bonne compagnie, qu'il
+souffre impatiemment son absence; elle est cependant plus occupe de ses
+anciens amis, qu'elle ne l'a jamais t; elle leur donne le peu de temps
+qu'elle a avec un plaisir qui fait regretter qu'elle n'en ait pas
+davantage. Je suis assure que vous trouverez que deux mille cus de
+pension sont mdiocres; j'en conviens, mais cela s'est fait d'une
+manire qui peut laisser esprer d'autres grces. Le roi vit l'tat des
+pensions, il trouva deux mille francs pour madame _Scarron_, il les
+raya, et mit deux mille cus. Tout le monde croit la paix; mais tout le
+monde est triste d'une parole que le roi a dite, qui est que paix ou
+guerre il n'arriveroit Paris qu'au mois d'octobre. Je viens de
+recevoir une lettre du jeune guidon[48]; il s'adresse moi[49] pour
+demander son cong, et ses raisons sont si bonnes, que je ne doute pas
+que je ne l'obtienne. J'ai vu une lettre admirable que vous avez crite
+ M. _de Coulanges_; elle est si pleine de bon sens et de raison, que je
+suis persuade que ce seroit mchant signe pour quelqu'un qui trouveroit
+ y rpondre. Je promis hier madame _de la Fayette_ qu'elle la
+verroit; je la trouvai tte tte avec _un appel_ M. _le Duc_; on
+regretta le temps que vous tiez Paris; on vous y souhaita, mais,
+hlas, qu'ils sont inutiles les souhaits! et cependant on ne sauroit se
+corriger d'en faire. M. _de Grignan_ ne s'est point du tout rouill en
+province, il a un trs-bon air la cour; mais il trouve qu'il lui
+manque quelque chose. Nous sommes de son avis, nous trouvons qu'il lui
+manque quelque chose. J'ai mand M. _de la Trousse_ ce que vous
+m'crivez de lui. Si ma lettre va jusqu' lui, je ne doute pas qu'il ne
+vous en remercie; je crois que le secret miraculeux qu'il avoit de faire
+comme les gens les plus riches, lui manque dans cette occasion: il me
+parot accabl sans ressource. Madame _du Fresnoi_ fait une figure si
+considrable, que vous en seriez surpris; elle a effac mademoiselle de
+S.... sans misricorde. On avoit tant vant la beaut de cette dernire,
+qu'elle n'a plus paru belle; elle a les plus beaux traits du monde, elle
+a le teint admirable, mais elle est dcontenance, et elle ne le veut
+pas parotre; elle rit toujours, elle a mchante grce. _Madame_ fera
+souvent voir de nouvelles beauts; l'ombre d'une galanterie l'oblige
+se dfaire de ses filles; ainsi je crois que celles qui lui demeureront,
+se trouveront plus plaindre que les autres. Mademoiselle de L.... la
+quitte. Madame _de Richelieu_ m'a prie de vous faire mille complimens
+de sa part. Adieu, ma trs-aimable belle; j'embrasse, avec votre
+permission et la sienne, madame la comtesse _de Grignan_; n'est-elle
+point encore accouche? M. _de Coulanges_ m'a assure qu'il vous
+enverroit _Mithridate_. On me peint aujourd'hui pour M. _de Grignan_; je
+croyois avoir renonc la peinture. L'histoire du _charmant_ est
+pitoyable; je la sais.... _Orondate_[50] toit peu amoureux auprs de
+lui; il n'y a que lui au monde qui sache aimer. C'est le plus joli
+homme, et son _Alcine_ la plus indigne femme.
+
+
+
+
+LETTRE VII.
+
+_Paris, 10 avril 1673._
+
+Il est minuit, c'est une raison pour ne vous point crire: j'en suis
+enrage. J'avois rsolu de rpondre votre aimable lettre; mais voici,
+ma chre amie, ce qui m'en a empche. M. _de la Rochefoucauld_ a pass
+le jour avec moi: je lui ai fait voir madame _du Fresnoi_; il en est
+tout perdu. Je suis ravie que madame _de Grignan_ ne soit qu'accable
+de lassitude; la surprise et l'inquitude que j'ai eues de son mal, me
+devoient faire attendre toute la joie que j'ai du retour de sa sant;
+c'est une barbarie que de souhaiter des enfans. Je ne veux pas oublier
+ce qui m'est arriv ce matin; on m'a dit: madame, voil un laquais de
+madame _de Thianges_; j'ai ordonn qu'on le ft entrer. Voici ce qu'il
+avoit me dire: _Madame, c'est de la part de madame de Thianges, qui
+vous prie de lui envoyer la lettre du cheval de madame de Svign, et
+celle de la prairie_. J'ai dit au laquais que je les porterois sa
+matresse, et je m'en suis dfaite. Vos lettres font tout le bruit
+qu'elles mritent, comme vous voyez; il est certain qu'elle sont
+dlicieuses, et vous tes comme vos lettres. Adieu, ma trs-aimable;
+j'embrasse bien doucement cette belle comtesse, de peur de lui faire
+mal: j'ai bien senti, je vous jure, sa fcheuse aventure; je souhaite
+plus que je ne l'espre qu'elle ne soit jamais expose de pareils
+accidens. Le roi dit hier qu'il partiroit le 25 sans aucune remise.
+
+
+
+
+LETTRE VIII.
+
+_Paris, 29 octobre 1694._
+
+On me dit hier que votre mariage toit refait, c'est--dire, qu'on avoit
+envoy des conditions madame _de Grignan_, qu'elle auroit tort de ne
+pas accepter; et comme je suppose qu'elle ne peut avoir tort, je conclus
+que vous vous mariez,[51] et je m'en rjouis avec vous, ma chre amie.
+
+Le roi est Choisi pour jusqu' samedi; tout le monde revient en
+foule; l'arme de Flandre est spare. Nous n'aurons madame _de Louvois_
+et M. _de Coulanges_ que le 8 du mois qui vient; ils ont M. _de Souvr_
+et madame _de Courtenvaux_ pour augmentation de bonne compagnie. La
+marchale _de Villeroi_ est partie pour passer tout son hiver
+Versailles avec sa belle-fille; nous avons cru tre fort fches de nous
+sparer. Au reste, madame, j'ai vu la plus belle chose qu'on puisse
+jamais imaginer; c'est un portrait de madame _de Maintenon_, fait par
+_Mignard_: elle est habille en Sainte Franoise Romaine. _Mignard_ l'a
+embellie; mais, c'est sans fadeur, sans incarnat, sans blanc, sans l'air
+de la jeunesse; et sans toutes ces perfections, il nous fait voir un
+visage et une physionomie au dessus de tout ce que l'on peut dire; des
+yeux anims, une grce parfaite, point d'atours; et avec tout cela aucun
+portrait ne tient devant celui-l. _Mignard_ en a fait aussi un fort
+beau du roi; je vous envoie un madrigal que mademoiselle _Bernard_ fit
+impromptu en voyant ces deux portraits; il a eu beaucoup de succs ici:
+vous jugerez si nous avons raison. Mademoiselle _de Villarceaux_ est
+morte de la petite vrole, sans confession, et sans avoir eu le temps de
+dshriter ses cousines. Madame _d'pinoi_, la princesse, est accouche
+d'un fils; et depuis ce grand jour, on ne cesse de tirer et de boire
+la Place Royale. Adieu, ma chre amie.
+
+
+
+
+LETTRE IX.
+
+_Paris, 19 novembre 1694._
+
+Il y a quinze jours, mon amie, que je ne vous ai crit; je vous en
+avertis, de peur que vous ne vous en aperceviez pas. Je n'avois point
+reu de vos lettres, et cela me faisoit craindre que vous ne voulussiez
+plus des miennes. tes-vous la noce? y serez-vous bientt? Je veux
+savoir ce qui vous regarde tous, parce que j'y prends un vritable
+intrt. Toute la troupe de Tonnerre est revenue dans une parfaite
+sant. M. _de Coulanges_ a trouv une grande affliction son retour; il
+parot dans le monde un livre imprim de ses chansons, et la tte de
+ce livre un loge admirable de sa personne; on dit qu'il est n pour les
+choses solides et pour les frivoles; on montre les preuves des
+dernires; il est trs-touch de cette aventure, que j'ai encore
+aggrave par ne la pouvoir prendre srieusement; tout cela je rponds:
+_Chansons, Chansons_. Il est all Versailles, et de l Saint-Martin;
+il faut esprer qu'il se consolera d'avoir fait ce livre par en faire un
+second, avant que sa jeunesse se passe. Vous voulez que je vous dise des
+nouvelles de ma sant; mon amie, elle n'est en vrit point bonne.
+_Carette_ me donne tout ce qu'il veut; et j'avale ses remdes sans
+confiance et sans succs; mais je crois que ce seroit encore pis de
+changer tous les jours de mdecin; il faut prendre patience, et tre
+bien persuade qu'on ne meurt que quand il plat Dieu. Voil des vers
+que l'abb _Ttu_ m'a prie de vous envoyer; ils sont de sa faon. Le
+bruit court que le marquis _de Moui_ aura la maison de Pipaut: on dit
+qu'il fait habiller un de ses laquais en cerf, et qu'il le court toutes
+les nuits avec un cor; que vous semble de cet quipage de chasse? M. _de
+Harlai_ n'est point encore de retour de ses ngociations; tout le monde
+dsire la paix, et l'espre peu. Voil encore des vers de mademoiselle
+_Bernard_: malgr toute cette posie, la pauvre fille n'a pas de jupe;
+mais il n'importe, elle a du rouge et des mouches. Adieu, ma belle amie,
+ne m'oubliez pas, je vous en conjure.
+
+
+
+
+LETTRE X.
+
+_Paris, 26 novembre 1694._
+
+J'ai envoy Versailles la lettre que vous m'avez adresse pour M. _de
+Coulanges_; il y est tabli depuis son retour: j'ai t bien tente
+d'ouvrir cette lettre; mais la discrtion l'a emport sur l'envie que
+j'ai toujours de voir ce que vous crivez; tout devient or entre vos
+mains. Je suis trs-oblige M. _de Grignan_ de se souvenir encore de
+moi; sa chute me met tout--fait en peine; et je vous prie, ma belle, de
+me bien mander de ses nouvelles, parce que j'y prends un trs-sincre
+intrt. Les vers que j'ai envoys la cour ont t fort bien reus; la
+personne qui ces vers s'adressoient m'crit la plus aimable lettre du
+monde; vous en jugerez par son effet, puisque, sans ma mauvaise sant,
+qui me rend si difficile changer de lieu, je serois partie
+sur-le-champ pour Versailles. J'avale sans fin des gouttes de _Carette_;
+et tout ce que je sais, c'est qu'elle ne font point de mal; il y a peu
+de remdes dont on en puisse dire autant. Au reste, j'allai voir hier la
+marchale _d'Humires_; elle demeure dans une vilaine maison, au
+faubourg Saint-Germain, o il n'y a place que dans la cour pour mettre
+son dais. La duchesse _d'Humires_, de son ct, occupe une autre
+maisonnette dans l'Isle. Si la marchale avoit un peu de courage, en
+attendant mieux, elle auroit bien donn la prfrence un couvent. M.
+_du Maine_ vient coucher aujourd'hui l'Arsenal; il y doit donner
+souper toutes les dames qui l'habitent; la jeune dame _de la Troche_ y
+brillera; car elle est la beaut de ce lieu. Madame _de Boisfranc_ a la
+petite vrole; le fils de M. le premier prsident l'a aussi; enfin, tout
+en est rempli. Je vous ai mand l'affliction de M. _de Coulanges_ au
+sujet de ses chansons, qui ont t mme assez mal choisies
+l'impression; on a mis son loge la tte du livre. Comme il ne pouvoit
+plus lui arriver que ce malheur, il y a t aussi sensible que ce
+capitaine qui, aprs avoir vu mourir son fils, et perdu la bataille de
+sang froid, pleura seulement la mort de son esclave. Madame _de
+Montespan_ est de retour ici: elle a donn un lit de quarante mille cus
+ M. _du Maine_, et trois autres encore trs-magnifiques. Elle donne ses
+perles madame la duchesse. Adieu, ma chre amie; dites bien des
+choses pour moi toute votre belle et bonne compagnie, et sur-tout
+mnagez-moi bien les bonnes grces de la charmante _Pauline_[52].
+
+
+
+
+LETTRE XI.
+
+_Paris, 10 dcembre 1694._
+
+Je viens de passer encore quinze jours sans vous crire; mais je garde
+mes excuses pour quand je vous cris; car mes lettres ne peuvent tre
+que tristes et ennuyeuses; je perds tous mes amis et amies. La mort du
+marchal _de Bellefond_[53] m'a donn une vritable douleur; je suis la
+dernire visite qu'il ait faite; je le vis en parfaite sant, et six
+jours aprs il toit mort: on dit que c'est d'un abcs dans le genou,
+et que si l'on le lui avoit perc, on lui auroit sauv la vie; mais vous
+n'tes pas la dupe de ces sortes de repentirs: il faut partir quand
+l'heure est venue; sa famille est dans une dsolation digne de piti;
+pour moi, je sens trs-vivement cette perte: ajoutez cette mort celle
+de mademoiselle _de Lestranges_, qui toit mon amie depuis vingt-cinq
+ans, et vous ne serez pas surprise de la noirceur de mes penses. Ma
+sant est assez mauvaise. _Carette_ exerce son art trs-inutilement sur
+ma personne: il me donna, il y a quelques jours, une mdecine, qui me
+fit de trs-grands maux; mais il dit, comme don _Carlos_: _Tout est pour
+mon bien_. J'ai des journes assez bonnes, et puis des retours de
+colique plus violens que jamais; je suis rsolue ne plus faire de
+remdes, et vivre avec ce mal tant qu'il plaira Dieu. Le pis qu'il
+en puisse arriver, arrive sitt mme avec une bonne sant, que
+l'vnement ne vaut pas qu'on s'en tourmente; il n'y a que les douleurs
+qui sont redoutables. Vous voyez, mon amie, par le rcit de tous mes
+ennuis, quelle est ma confiance en votre amiti. Je sens cependant le
+plaisir de vous savoir tous dans la joie. M. l'abb _de Marsillac_ me
+dit hier des biens infinis de M. et de madame _de Saint-Amant_, et de
+madame la marquise _de Grignan_ leur fille; il les vus Vincennes; il
+dit que ce sont les plus honntes gens qu'il est possible, et qu'ils
+vous ont lev un chef-d'oeuvre; enfin, il passa bien du temps me
+chanter leurs louanges, et je vous assure qu'il ne m'ennuya pas; car je
+prends un trs-sincre intrt tout ce qui vous touche: je vous
+demande en grce de faire bien des complimens de ma part M. et
+madame _de Grignan_: je suis trop triste et trop malade pour crire
+tout autre que vous; vous vous passeriez peut-tre bien de cette
+prfrence. M. _de Coulanges_ est toujours la cour. M. _de Noyon_[54]
+y fait une figure principale; il est le seul prsentement qui y soit,
+et la cour a toujours besoin d'un pareil amusement. Il sera reu lundi
+l'acadmie (_franaise_); le roi lui a dit qu'il s'attendoit tre seul
+ce jour-l. L'abb _Testu_ se trouva ici lorsque je reus votre dernire
+lettre; il fut fort touch du bon accueil que vous avez fait ses
+stances[55]: il vous envoie une dissertation sur _Montaigne_. Je ne veux
+pas oublier, mon amie, que l'on m'obligea, il y a quelques jours, en
+trs-bonne compagnie, dire tout ce que je savois de la charmante
+_Pauline_; mon coeur avoit tant de part dans le portrait que j'en fis,
+qu'en vrit je crois qu'il lui ressembloit; au moins dit-on qu'une
+telle personne devoit tre cherche au bout du monde, par tout ce qu'il
+y avoit de meilleur. Je crois que nous aurons M. et madame _de Chaulnes_
+ la fin de ce mois.
+
+Le marchal _de Choiseul_ a excut vos ordres; c'est une vrit, je ne
+le vois plus: il dit qu'on l'a averti qu'il se rendoit ridicule par
+aller souvent chez des femmes; je lui ai laiss croire qu'on ne le
+trompoit pas; et enfin, j'en suis quitte pour une visite la semaine. Il
+a fait des merveilles pour le pauvre marchal _de Bellefond_; il n'y a
+que lui qui parle au roi pour toute cette famille. Adieu, ma trs-chre,
+embrassez toujours la belle _Pauline_ pour l'amour de moi: voyez comme
+j'abuse de vous, de vous demander des choses si difficiles.
+
+
+
+
+LETTRE XII.
+
+_Madrid, 14 janvier 1695._
+
+Je vous remercie, mon amie, de m'avoir appris la conclusion de votre
+roman; car tout ce que vous me mandez, est romanesque. L'hrone est
+charmante; le hros, nous le connoissons; ce qui me parot, c'est que
+vous ne faites point de lgers repas, comme faisoient tous ces princes
+et princesses. Je suis ravie que M. _de Grignan_ se porte bien; cette
+circonstance n'a pas t inutile pour l'agrment de la fte. J'appris
+hier votre mariage[56] madame _de Chaulnes_, qui est arrive en
+trs-bonne sant, et qui n'en dit pas moins, _Jsus Dieu! ils sont donc
+maris!_ que si elle n'en avoit jamais entendu parler. Elle avoit couch
+ Versailles; elle y avoit vu madame _de Chevreuse_ et toutes ses amies.
+On ne peut tre plus remplie qu'elle l'est de tout ce qu'on lui a cont
+de la mort de M. _de Luxembourg_; si vous tiez ici, mon amie, elle vous
+diroit bien: _Gouvernante, il est mort bien chrtiennement_: Monsieur _a
+presque toujours t dans sa chambre_. Ce qui est de vrai, c'est que le
+P. _Bourdaloue_ a dit qu'il n'avoit pas vcu comme M. _de Luxembourg_,
+mais qu'il voudroit mourir comme lui. Madame _de Maintenon_ se porte
+bien; elle a t assez mal; elle sort maintenant tous les jours pour
+aller Saint-Cyr. J'eus hier unes des Andromaques de ce temps. La
+marchale _d'Humires_ donna ses rendez-vous dans ma chambre M. _de
+Trville_ et l'abb _Testu_; elle nous apprit qu'elle ne voyoit plus
+la duchesse _d'Humires_; qui l'et cru que les intrts pusseut faire
+une telle dsunion? Le bruit court ici que la princesse _d'Orange_[57]
+est morte; mais cette nouvelle auroit besoin d'une plus grande
+confirmation. La capitation est enfin passe et rgle. J'ai toujours
+oubli de vous faire les complimens de l'abb _Testu_, et toute la
+maison de Grignan. Adieu, ma trs-aimable; je vous embrasse, je vous
+aime et vous dsire toujours. M. _de Coulanges_ n'habite plus que la
+cour; on ne dira pas qu'il est men par l'intrt; quelque pays qu'il
+habite, c'est toujours son plaisir qui le gouverne, et il est heureux;
+en faut-il davantage?
+
+
+
+
+LETTRE XIII.
+
+_Paris, 21 janvier 1695._
+
+Comptez, madame, qu'on ne songe point ici qu'il y ait eu un M. _de
+Luxembourg_[58] dans le monde. Vous ne me faites piti o vous tes, que
+par les rflexions que vous vous amusez faire sur des morts, dont on
+ne se souvient plus du tout. Les meilleurs amis de M. _de Luxembourg_
+s'assemblent encore souvent; le prtexte est de le pleurer, et ils
+boivent, mangent, rient, se trouvent de bonne compagnie, _et de Caron,
+pas un mot_. C'est ainsi qu'est fait le monde, ce monde que nous voulons
+toujours aimer. On parle peine encore de la princesse _d'Orange_[59],
+qui n'avoit que trente-trois ans, qui toit belle, qui toit reine, qui
+gouvernoit, et qui est morte en trois jours. Mais une grande nouvelle,
+c'est que le prince _d'Orange_ est malade trs-assurment; la maladie de
+la reine, sa femme, toit contagieuse; il ne l'a point quitte, et Dieu
+veuille qu'elle ne l'ait pas quitte pour long-temps. Il se passa hier
+une belle et magnifique scne l'htel de Chaulnes. _Monsieur_ y passa
+presque toute la journe avec ses bonts et ses agrmens ordinaires pour
+la matresse de la maison. L'appartement de cette duchesse est dans le
+point de la perfection; depuis le salon jusques au dernier cabinet, tout
+est meubl de ces beaux damas galonns d'or que vous connoissez; on a
+fait dans la chambre du lit une chemine d'une beaut et d'une
+magnificence qui ne peut se dire; et il y avoit de gros feux partout, et
+des bougies en si grande quantit, qu'elles auroient obscurci le soleil,
+s'ils s'toient trouvs ensemble. Madame _de Chaulnes_ est alle ce
+matin rendre la visite _Monsieur_, et ensuite Versailles pour
+quelques jours; c'est ce qui l'a empche de vous crire. Il n'y a de
+plaisir qu' Grignan, mon amie; mais ce qui est triste, c'est qu'il n'y
+en a point pour nous Paris, quand vous tes Grignan. Je rvre et
+estime tout ce qui habite ce beau chteau. M. le marquis _de Grignan_
+m'a crit la plus jolie lettre qu'il est possible; elle a t trouve
+telle par les connoisseurs. Rendez-moi de bons offices auprs de madame
+sa femme; mais, mon amie, rendez-m'en de bons auprs de vous, je vous en
+supplie. On parle ici tous les jours de l'aimable _Pauline_, et toutes
+ses amies s'en souviennent si tendrement, qu'elle est une ingrate si
+elle ne s'en soucie plus; mais pourvu qu'elle ne m'oublie pas; je lui
+pardonne tout le reste. La petite duchesse _de Sulli_, qui est mon gr
+la vieille, vient de m'envoyer prier de vous faire tous mille
+complimens de sa part. Aimez-moi toujours, je vous en conjure, ma chre
+amie.
+
+
+
+
+LETTRE XIV.
+
+_Paris, 4 fvrier 1695._
+
+On voit bien que vous avez oubli le climat de Paris, mon amie, puisque
+vous croyez avoir plus froid que nous; jamais il n'y a eu un hiver comme
+celui-ci. Le soleil se fait voir depuis deux jours; mais il ne se laisse
+point sentir; c'est un privilge dont vous jouissez Grignan, j'en suis
+assure. Je comprends merveille que madame _de Grignan_ se fasse un
+plaisir de ne point faire de visites; c'est un avantage que j'ai au
+milieu de Paris; mais aussi n'ai-je point de raison pour m'incommoder;
+point d'enfans, point de famille; grces Dieu, assez de dgot pour
+ces fatigantes occupations; bien des annes et une assez mauvaise sant;
+tout cela fait demeurer au coin de son feu avec un plaisir pour moi, que
+je prfre d'autres, qui paroissent plus sensibles; mais une retraite
+que j'admire, c'est celle de mademoiselle _de la Trousse_; Dieu lui fait
+de grandes grces, et son tat est maintenant bien digne d'envie. Madame
+_de Chaulnes_ veut toujours se reposer, et court incessamment. Il y a
+chez elle des dners magnifiques; le chevalier _de Lorraine_, M. _de
+Marsan_, M. le cardinal _de Bouillon_; cela se soutient de cette sorte
+tous les jours de la semaine. Madame _de Pontchartrain_ est assez
+malade. La comtesse _de Grammont_ est retourne la cour en assez bonne
+sant. L'on ne se souvient plus ici de madame _de Meckelbourg_, si ce
+n'est pour parler de son avarice. On dit que M. _de Montmorenci_ va
+pouser madame _de Seignelai_; j'ai peine croire ce mariage-l. M. _de
+Coulanges_ arriva hier de Saint-Martin et de Versailles; mais c'est
+chez madame _de Louvois_[60] qu'il est descendu: _A tout seigneur, tout
+honneur._ Je comprends fort bien que l'on s'accommode d'un mari qui a
+plusieurs femmes; j'en souhaiterois encore une ou deux, comme madame _de
+Louvois_, M. _de Coulanges_. Le marchal _de Villeroi_ prta hier le
+serment[61], et prit le bton ensuite; il fit attendre beaucoup le roi,
+parce qu'il s'ajustoit; il avoit un habit de velours bleu d'une
+magnificence extraordinaire, et sa bonne mine le parot plus que son
+habit. Madame la duchesse _du Lude_ m'a fait promettre que je vous
+ferois mille coinplimens et mille amitis bien tendres de sa part. Le
+roi a donn madame _de Soubise_ l'appartement que le marchal
+_d'Humires_ avoit Versailles; et celui de madame _de Soubise_ aux
+princesses _d'pinoi_; celui de ces princesses M. _de Rasilli_; et de
+la duchesse _d'Humires_, pas un mot. Adieu, ma chre amie; je vous
+embrasse et vous aime beaucoup. J'ai peur que la charmante _Pauline_ ne
+m'oublie la fin; l'absence laisse tout craindre, mme quand on est
+heureux. Continuez, je vous prie, de faire mes complimens dans le
+chteau de Grignan. Je suis fort oblige M. le chevalier (_de
+Grignan_) de l'honneur de son souvenir, et je vous conjure de l'en
+remercier pour moi; je suis vritablement occupe de ses maux; son ami,
+le P. _de la Tour_ prche St.-Nicolas; et si je suis en tat de
+pouvoir sortir, ce sera mon prdicateur pour ce carme. On vous a sans
+doute envoy tous les sonnets qui ont t faits la louange de la
+princesse _de Conti_.
+
+
+
+
+LETTRE XV.
+
+_Paris, 22 fvrier 1695._
+
+J'ai perdu mon petit secrtaire, mon amie, et je ne puis me rsoudre
+vous faire voir de ma mauvaise criture. J'essaie un secrtaire
+nouveau[62]; mandez-moi si vous lisez bien son criture. La nouvelle qui
+fait ici le plus de bruit, est le mariage de la belle _Pauline_. On dit
+que l'abb _de Simiane_ est parti pour se trouver aux noces. Quand je
+dis que je n'en sais rien, personne ne me veut croire. La duchesse _du
+Lude_ dit qu'elle le sait par le chevalier _de Grignan_. Pour moi, je
+pardonne tout le secret que vous m'en faites, pourvu que cela soit vrai.
+Vous croirez par l que j'aime passionnment M. _de Simiane_. M. le duc
+_de Chaulnes_ donne des dners magnifiques; il en a donn un madame
+_de Louvois_, comme il l'auroit donn M. _de Louvois_; un autre au
+chevalier _de Lorraine_, et toute la maison de _Monsieur_. J'tois du
+premier; et pour le second, j'y envoyai mon fils, qui s'appelle M. _de
+Coulanges_. A mesure qu'il me vient des annes, les siennes diminuent,
+de faon que je me trouve encore bien vieille pour tre sa mre. Tous
+les courtisans sont devenus potes. L'on ne voit que des bouts-rims,
+les uns aussi remplis de louanges, que les autres de mdisances. Dieu me
+garde de vous envoyer ces derniers. Il en court un la louange du
+cardinal _de Bouillon_, qui passe pour une chanson. Qu'en dites-vous,
+mon amie? Que dites-vous aussi du _prince Dauphin_? Je laisse mon
+secrtaire le soin de vous mander cette histoire; car il se mle
+quelquefois d'crire de son style. On dit que c'est une affaire rsolue
+que le mariage de mademoiselle _de Croissi_ avec le comte _de
+Tillires_[63]. Madame _de Maintenon_ est encore languissante; mais elle
+se porte beaucoup mieux. Madame _de Grammont_ parot la cour sous la
+figure d'une beaut nouvelle; elle est parfaitement gurie. M. l'abb
+_de Fnlon_ a paru surpris du prsent que roi lui a fait[64]. En le
+remerciant, il lui a reprsent qu'il ne pouvoit regarder, comme une
+rcompense, une grce qui l'loignoit de M. le duc _de Bourgogne_. Le
+roi lui a dit qu'il ne prtendoit point qu'il ft oblig une rsidence
+entire; et, en mme temps, ce digne archevque a fait voir au roi que,
+par le concile de Trente, il n'toit permis aux prlats que trois mois
+d'absence de leurs diocses, encore pour les affaires qui les pouvoient
+regarder. Le roi lui a reprsent l'importance de l'ducation des
+princes, et a consenti qu'il demeurt neuf mois Cambrai, et trois la
+cour. Il a rendu son unique abbaye. M. _de Reims_ a dit que M. _de
+Fnlon_, pensant comme il faisoit, prenoit le bon parti; et que lui,
+pensant comme il fait, il fait bien aussi de garder les siennes. Adieu,
+ma chre amie; votre absence m'est toujours insupportable. Ne me laissez
+point oublier dans ce chteau de Grignan; c'est votre affaire, je vous
+en avertis. J'embrasse bien tendrement la charmante _Pauline_. Les
+femmes courent aprs mademoiselle _de l'Enclos_, comme d'autres gens y
+couroient autrefois; le moyen de ne point har la vieillesse, aprs un
+tel exemple! L'abb et le chevalier _de Sanzei_ partirent hier pour
+aller faire carme-prenant avec leur mre. Ce dernier fera son possible
+pour aller faire la rvrence sa marraine[65], en s'en retournant
+son vaisseau.
+
+M. DE COULANGES _continue_.
+
+Premirement, madame, comment vous accommodez-vous de ce petit
+papier[66]? Ne vous trouble-t-il point quelquefois dans votre lecture?
+Pour moi, j'aime mieux les bonnes feuilles de papier de nos pres, o
+les dtails se trouvent l'aise. Il y eut hier huit jours que je revins
+de Saint-Martin et de Versailles, pour passer le reste des jours gras
+Paris. Il n'y a rien de pareil aux bons et somptueux dners de l'htel
+de Chaulnes, la beaut du grand appartement, qui augmente tous les
+jours, et au bon air des feux, qui sont dans toutes les chemines; il
+n'y a plus en vrit que cette maison, qui reprsente la maison d'un
+seigneur. M. _de Marsan_ et le duc _de Villeroi_ furent du dner du
+chevalier _de Lorraine_. Comme je n'ai point entendu le cardinal _de
+Bouillon_ sur le sujet du _prince Dauphin_, je ne puis bien vous dire la
+vrit de ce fait; mais on prtend que _Monsieur_, press par le
+cardinal, avoit consenti dmembrer la principaut dauphine d'Auvergne,
+du duch de Montpensier, pour les prtentions que la maison de Bouillon
+pouvoit avoir sur la succession de _Mademoiselle_; en sorte qu'ils
+toient par-l les matres de toute l'Auvergne, car le cardinal en a le
+duch, et M. _de Bouillon_ le comt; et que dans la suite le duc
+_d'Albert_ se seroit appel le _prince Dauphin_; comme on est persuad
+qu'il n'y a rien de trop chaud pour ce cardinal, qui n'est occup que de
+la grandeur de sa maison, que ne dit-on point de cette vision? Ce qui
+est vrai, c'est que _Monsieur_, ayant tout promis, fut parler au roi de
+ce dmembrement, et que le roi s'y opposa. On assure que le cardinal,
+encore afflig de ce refus, a crit au chevalier _de Lorraine_ pour lui
+dire qu'il toit surpris que _Monsieur_ lui et manqu de parole, et
+qu'il ne pouvoit plus dsormais tre du nombre de ses serviteurs. On
+ajoute que le chevalier _de Lorraine_ a montr sa lettre _Monsieur_,
+qui l'a garde, et qui a dit que du moins le cardinal devoit lui savoir
+gr de ce qu'il ne la montroit point au roi. Quoi qu'il en soit, madame,
+voil qui est fort dsagrable pour notre cardinal; car, comme il n'est
+pas universellement aim et approuv, tous ses ennemis ne perdent pas
+une si belle occasion de se dchaner, et tous ses amis sont fches
+qu'une bonne fois pour toutes il ne finisse point sur sa maison, et
+qu'il ne s'accommode point au temps prsent. Jugez, aprs cela, du
+succs du bout-rim, dont madame _de Coulanges_ vous a parl. Il y a des
+temps infinis que je ne vous ai crit; mais je sais toujours de vos
+nouvelles par madame _de Coulanges_, qui veut bien quelquefois me faire
+part de vos lettres. J'ai toujours oubli de vous faire, dans les
+miennes, les complimens de madame _de Louvois_, et tout le chteau de
+Grignan: elle me gronda trs-srieusement l'autre jour d'y avoir manqu.
+
+
+
+
+LETTRE XVI.
+
+_Paris_, 25 _mars_ 1695.
+
+Mes secrtaires me manquent au besoin; mais, quand c'est vous que
+j'cris, ma chre amie, mes deux doigts sont toujours disposs crire,
+_ils ne vont plus que pour Climne_. Que dites-vous de ne plus savoir M.
+le duc _de Chaulnes_ gouverneur de Bretagne? On ne parle que de ce grand
+vnement; les gens modrs croient que ce duc et cette duchesse se
+doivent trouver heureux de ce changement[67]; les autres les croient
+dsesprs. Pour moi, je dis tout ce que l'on veut, et suis
+trs-persuade qu'il ne faut point juger de la manire de penser de nos
+amis par la ntre. C'est cependant un tort que le monde a toujours, et
+qu'il ne peut pas ne point avoir; il a plutt fait de juger par ses
+dispositions, que d'examiner celles des autres. M. _de Chaulnes_ fait
+bonne mine. La duchesse se cache si bien, que je ne l'ai point vue: il
+est vrai qu'il est assez ais de m'chapper; car je fais naturellement
+peu de diligence, et j'en fais moins que jamais, dans l'esprance
+d'avancer toujours dans cette parfaite indiffrence, dont vous ne vous
+apercevrez jamais, ma trs-aimable. Au reste, ma sant n'est pas du tout
+bonne. Il est plus question que jamais de me faire aller Bourbon; il
+arrivera ce qu'il plaira Dieu. Quand je songe que dix ou douze ans de
+plus ou de moins font la diffrence de cette affaire-l, je ne trouve
+pas que cela vaille la peine de la traiter si solidement. Peut-tre
+penserai-je tout d'une autre faon, quand je me trouverai plus proche de
+la mort; il faut trancher le mot, ne ft-ce que pour s'y accoutumer.
+J'attends de vous un compliment qui sera bien sincre, sur l'aventure du
+feu. Cela a paru une occasion digne de m'attirer le monde entier; mais
+le monde est bien inutile; je l'ai vit avec assez de soin. Au reste,
+madame _de Villars_ m'a fait promettre que je vous dirois des choses
+infinies de sa part, et sur-tout que j'apprendrois qu'elle ne pardonnera
+point M. _de Villars_ de n'avoir point parl d'elle madame _de
+Grignan_. Cela pourroit bien aller une sparation, si madame votre
+fille ne s'y oppose. Comme j'achve ma lettre, voil un secrtaire qui
+m'arrive. Il vous apprendra que je viens de voir M. _de Chaulnes_, qui
+m'a cont tout ce qui s'toit pass entre le roi et lui; mais, comme en
+mme temps, il m'a dit qu'il vous alloit crire, je ne m'embarquerai
+point dans un rcit que vous saurez encore mieux par lui-mme: il me
+parot tout plein de raison. Madame sa femme m'a envoy prier qu'elle
+pt aujourd'hui passer la journe avec moi; je la plains, puisqu'elle
+est fche. Pour moi, qui ne connois point le got de la reprsentation,
+ou, pour mieux dire, qui ne connois que celui du repos, quand on n'est
+plus jeune, je ne me trouverois pas plaindre la place de madame _de
+Chaulnes_. M. _de Mmes_ pouse mademoiselle _de Broue_, qui on donne
+trois cent cinquante mille francs en argent, et cinquante mille francs
+en habits et en pierreries. On dit aussi que M. _de Poissi_ pouse
+mademoiselle _de Beaumelet_[68], qui aura un jour soixante mille livres
+de rente; _et de ma pauvre nice, pas un mot_. M. _de Coulanges_ arriva
+hier de Saint-Martin, et il est all aujourd'hui je ne sais o. Le
+marchal _de Choiseul_ part dimanche. Il a le commandement de la
+Bretagne joint aux autres. Comme il a le commandement beau, je suis
+assez aise qu'il commande loin d'ici. Ce n'est pas que je ne sois une
+ingrate cette anne; car je ne l'ai presque pas vu. Adieu, ma vraie
+amie; ne me laissez pas oublier Grignan, et sur-tout de l'adorable
+_Pauline_.
+
+
+
+
+LETTRE XVII.
+
+_Paris_, 13 _mai_ 1695.
+
+Je me porte beaucoup mieux; _Helvtius_ ne m'a donn que d'un extrait
+d'absinthe, qui m'a rtabli, ce me semble, mon estomac; je vous assure,
+ma trs-belle, que je suis bien loigne d'avoir de l'indiffrence pour
+ma sant, et que je supporte mes maux fort impatiemment: ainsi, je ne
+veux point me parer auprs de vous d'un mrite que je n'ai point. Je
+crois que si j'eusse imagin de passer Grignan le temps d'entre les
+deux saisons des eaux, je les aurois crues ncessaires pour ma sant: et
+je pense que si j'y tois une fois arrive, j'aurois donn la
+prfrence aux vins de Grignan sur les eaux de Bourbon. Je plains bien
+M. le chevalier _de Grignan_, et je suis bien honteuse de me plaindre de
+mes petits maux, quand j'en vois souffrir de si grands, et avec tant de
+patience. La pauvre madame _de Carman_ est bien mal; nous verrons la fin
+de sa vie avant celle de sa patience. Mon Dieu! que je me presse de vous
+faire des complimens de M. _de Trville_; il me gronde tous les jours de
+l'avoir oubli; il souhaite votre retour trs-sincrement. Il nous dit
+avant-hier les plus belles choses du monde sur le Quitisme,
+c'est--dire, en nous l'expliquant; il n'y a jamais eu un esprit si
+lumineux que le sien. Monsieur _Duguet_[69], qui n'est pas trop sot,
+comme vous savez, sur de tels sujets, toit transport de l'entendre.
+Parlons d'autre chose. Les princesses sont ici, et se divertissent si
+parfaitement bien, qu'on assure qu'elles n'ont nulle impatience du
+retour de la cour; elles se couchent ordinairement vers onze heures ou
+midi. _Langle_ donna hier un souper M. et madame _de Chartres_,
+madame _la Princesse_, madame _la Duchesse_, qui toit la reine de la
+fte, madame _de Montespan_, une infinit d'autres dames, dont madame la
+marchale et madame la duchesse _de Villeroi_ toient; M. _le Duc_, et
+tous les princes qui sont ici, s'y trouvrent; mais une autre fte, ce
+fut celle que M. _le Duc_ donna, il y a deux jours, dans sa petite
+maison de madame _de la Sablire_; tous les princes et princesses y
+toient; cette maison est devenue un petit palais de cristal; ne
+trouvez-vous pas que ce sont les lieux saints aux infidles[70]? Madame
+_de Montespan_ a achet Petit-Bourg quarante mille cus; elle le donne
+aprs sa mort M. _d'Antin_. M. _de Svign_ nous quitte aprs-demain;
+il m'assure qu'il vous retrouvera cet hiver Paris; cela me fera
+parotre l't bien long, malgr la belle saison. M. _de Chaulnes_
+reviendra le dix-sept de ce mois; et notre duchesse ne reviendra
+qu'aprs les ftes. M. _de Coulanges_ me mande que plus il a de
+printemps, plus il sent le printemps; voil un grand prodige; car sans
+l'offenser, il a plus de printemps que madame _de Brgi_. Je vous prie,
+ma trs-aimable, de dire bien des choses de ma part madame _de
+Grignan_, et d'embrasser pour moi bien tendrement la tranquille
+_Pauline_; on dit que vous nous l'amnerez toute marie; je sens dj
+que je ne l'en aimerai pas moins. L'oraison funbre de M. _de
+Luxembourg_[71] sera acheve d'imprimer dans deux jours; l'on dt qu'on
+a retranch quelques traits du portrait du prince _d'Orange_[72].
+Madame _de Grignan_[73] va avoir le plaisir de recevoir des lettres
+tendres de son mari, et de lui en crire; il est bien joli que tous ses
+sentimens se dveloppent pour lui. Adieu, ma trs-chre.
+
+
+
+
+LETTRE XVIII.
+
+_Paris, 3 juin 1695._
+
+Comment vous portez-vous, ma trs-belle? je n'ai point reu de vos
+nouvelles depuis la lettre que vous m'avez fait crire par votre joli
+secrtaire. J'ai peur que vous n'ayez gt votre belle sant par une
+mdecine. Je vis hier monsieur _de Chaulnes_, qui est le parfait
+courtisan; il a demeur dix jours Marli, o il a 'pass ses journes
+jouer aux checs avec le cardinal _d'Estres_; et sur ce qu'on lui a
+dit que cela faisoit ici une nouvelle: il a rpondu qu'il en toit
+surpris, par la raison qu'il y a long-temps qu'ils cherchoient se
+donner chec et mat. Une autre nouvelle est que madame _de Louvois_ a
+cd Meudon au roi, qui l'a pris pour _Monseigneur_, en donnant quatre
+cent mille francs madame _de Louvois_, et la charmante maison de
+Choisi, qui toit la chose du monde qu'elle dsiroit le plus; ainsi je
+crains qu'elle ne puisse plus avoir de dsirs. Elle est fort mal
+contente de monsieur _de Coulanges_, qui, en arrivant de Chaulnes,
+partit le lendemain pour Pontoise. Quant moi, je ne me sens plus de
+got que pour le repos; on m'a prie d'aller chez le cardinal _de
+Bouillon_ cette semaine; cela me parot comme si l'on me proposoit
+d'aller faire un petit tour Rome; je trouve qu'il faut de grandes
+raisons pour quitter son lit; c'est la mauvaise sant, qui fait penser
+ainsi, il faut bien le croire; la mienne est cependant meilleure qu'elle
+n'a t. Je ne suis point contente de celle de madame _de Chaulnes_;
+elle a un vilain rhume que je ne n'aime point. Je crois le march du
+Mnil-Montant absolument rompu, d'autant que, selon toutes les
+apparences, le premier prsident ne le veut plus vendre. Adieu, ma
+trs-aimable, ne me laissez point oublier _Grignan_, je vous en prie;
+et dites la belle _Pauline_ de songer quelquefois ce que je suis
+pour elle.
+
+
+
+
+LETTRE XIX.
+
+_Paris, 20 juin 1695._
+
+Vous jouissez prsentement des beauts de la campagne, ma trs-belle; le
+printemps parot dans tout son triomphe. Je m'en vais faire un grand
+excs; car je compte partir dimanche pour aller Saint-Martin avec M.
+et madame _de Chaulnes_, et y passer trois jours; les plaisirs que j'y
+espre seront bien troubls par une mauvaise sant; je suis arrive un
+tel excs de dlicatesse, que la vue d'un bon dner me fait malade;
+ainsi je suis intimide, et dans cet tat les plus petites choses
+paroissent considrables. Madame _de Louvois_ alla hier remercier le
+roi; il lui donna une audience particulire chez madame _de Maintenon_;
+elle sent plus que jamais la joie d'tre dfaite de Meudon. Le roi est
+all Trianon, o il demeurera jusqu'au voyage de Fontainebleau. Je
+crois vous avoir mand que M. _de Montchevreuil_ marie son fils la
+cousine-germaine de la marchale _de Lorges_, qui est une petite
+personne que vous avez souvent vue avec elle; on lui donne trois cent
+quatre vingt mille livres. C'est vous qui me manderez que M. _de
+Vendme_ va commander en Catalogne, et que M. _de Noailles_ en revient
+malade. M. _de Coulanges_ a toujours plus d'affaires que jamais, et
+toutes de la mme importance; mais elles sont agrables, quand elles le
+rendent heureux; c'est de cela qu'il est question. J'ai trouv les
+couplets du comte _de Nicci_ fort jolis; c'est un aimable enfant; aussi
+rien ne laisse des ides plus agrables que de ne le point voir; ce
+petit comte-l parviendra l'immortalit. J'ai remarqu, comme vous,
+mon amie, le temps de la mort de notre pauvre madame _de la Fayette_.
+Madame _de Caylus_ se divertit merveille chez elle; la cour ne lui
+parot pas un sjour de plaisir; elle ne quitte plus madame _de
+Leuville_, qui donne tous les jours les plus jolis soupers qu'il est
+possible. Je ne crois pas le march de Mnil-Montant rompu sans
+ressource; et, n'en dplaise madame _de Chaulnes_, c'est la plus jolie
+acquisition que puisse faire M. _de Chaulnes_. La marchale _d'Humires_
+se retire aux Carmlites; elle a lou la maison de feue mademoiselle _de
+Porte_; elle gouverne entirement le faubourg Saint-Jacques; et, ce qui
+est le plus tonnant, c'est que le P. _de la Tour_ la gouverne. Vous
+savez que M. _de Lauzun_ a l'appartement de Versailles du marchal
+_d'Humires_: il fait faire pour sa femme un collier de diamans de deux
+cent mille francs. Adieu, ma chre amie; je souhaite bien plus votre
+retour que je ne l'espre. Je vous prie de dire des choses infinies de
+ma part madame _de Grignan_. Priez la belle _Pauline_ de ne me point
+jeter dans la ncessit d'aimer une ingrate. Madame _de Mmes_ parot
+dans un carrosse de mille louis. Lisez un peu, dans le _Mercure Galant_,
+la gnalogie de _F***_, et vous verrez qu'il n'y a que cette maison-l
+de noble et d'illustre dans le monde, et que le feu grand-matre[74]
+s'est tromp, quand il a cru ne pas tirer de l tout son clat.
+
+
+
+
+LETTRE XX.
+
+_Paris, 24 juin 1695._
+
+Madame _de Louvois_ n'avoit point attendu l'approbation du monde pour
+dsirer Choisi; a t la seule maison qu'elle ait souhaite. Le roi et
+elle ont fait un trs-bon march; ils en paroissent fort contens aussi.
+Cela se passe, de part et d'autre, avec des honntets que l'on voit
+quelquefois entre les particuliers, mais que l'on prouve rarement avec
+son matre. Le roi est Marli pour neuf jours; la duchesse _du Lude_
+est de ce grand voyage; et, pour comble de bonheur, elle mne et ramne
+demain madame _de Maintenon_ de Pontoise, o cette dernire va voir une
+fille de Saint-Cyr. Le roi donna une fte, lundi dernier, Trianon, au
+roi et la reine d'Angleterre. Il y eut un opra o le roi alla; madame
+_de Maintenon_ n'y parut point du tout. Il est grand bruit de la faveur
+de M. _de la Rochefoucauld_. On prtend qu'il s'est rendu matre de
+l'esprit _de Monseigneur_, et qu'il se sert de son crdit, tout comme le
+roi le peut dsirer. Sa majest mena, il y a quelques jours, madame _de
+Maintenon_ suivie de ses dames, souper dans une maison de campagne de ce
+nouveau favori, qui se nomme _la Selle_, et je vous le dis ainsi, pour
+ne vous point dire qu'il les mena la selle. Il doit, aller (_le roi_)
+un de ces jours l'tang, chez M. _de Barbesieux_, afin d'avoir l'air
+de partager ses faveurs. Une autre grande nouvelle: les princesses ont
+men dner et souper, Trianon, avec le roi, la comtesse _de la
+Chaise_, les marquises _de la Chaise_ et _de la Luzerne_. Je crois que
+cette distinction les a fort touches; car jusqu'alors elles n'en
+avoient eu qu'au salut. M. _de Coulanges_ arriva avant-hier de
+Saint-Martin. Il fut tout de suite Choisi, le lendemain Versailles,
+et part enfin aujourd'hui pour Evreux, avec M. _de Bouillon_. Je lui
+propose de ne plus tant perdre de temps en chemin, et de se mettre tout
+d'un coup dans une escarpolette, qui le jetera tantt d'un ct, tantt
+de l'autre, afin de ne pas mettre au moins les pieds terre. J'attends
+aujourd'hui une compagnie qui ne vous dplairoit pas, ma trs-belle;
+c'est M. _de Trville_, qui vient lire deux ou trois personnes un
+ouvrage qu'il a compos. C'est un prcis des Pres, qu'on dit tre la
+plus belle chose qui ait jamais t. Cet ouvrage ne verra jamais le
+jour, et ne sera lu que cette fois seulement de tout ce qui sera chez
+moi; je suis la seule indigne de l'entendre, c'est un secret que je vous
+confie au moins:
+
+ ......N'abusez pas, prince, de mon secret;
+ Au milieu de ma lettre, il m'chappe regret.
+
+mais enfin, il m'chappe. M. _de Bagnols_ est parti pour l'arme; et ma
+soeur sera, je crois, bientt de retour. Cependant elle ne me parle point
+encore du jour de son dpart. Avez-vous bien chaud Grignan, ma
+trs-belle? Je me souviens d'y avoir t par un temps pareil celui-ci.
+L'affaire du Mnil-Montant parot tout--fait rompue; cependant j'ai
+dans la tte qu'elle se raccommodera. Adieu, ma chre amie.
+
+
+
+
+LETTRE XXI.
+
+_Paris, 8 juillet 1695._
+
+Je puis rpondre pour M. _de Trville_ qu'il auroit t ravi que vous
+eussiez augment la bonne compagnie qui l'entendit; et je suis assure,
+ma chre amie, que vous auriez t contente de votre journe; mais vous
+nous regardez du haut en bas de votre chteau de Grignan, et je m'amuse
+ vous dsirer toujours sans m'en pouvoir empcher. On est fort alerte
+ici sur le grand vnement du sige de Namur; car c'est tout de bon, et
+apparemment ce sige sera meurtrier; vous savez que le marchal _de
+Boufflers_ s'est jet dedans avec six rgimens de dragons pied, et
+celui du roi cheval; ainsi le pauvre _Sanzei_ est dans Namur tout
+comme un grand homme. M. le marchal _de Boufflers_ a la fivre
+double-tierce; mais il aura bien d'autres affaires qu' l'couter. Le
+marchal _de Lorges_ est hors de danger. Tout retentit ici des louanges
+du marchal _de Villeroi_; il n'y a gure de jours que le roi n'en parle
+avec loge, et tous les guerriers qui composent son arme, n'crivent
+ici que pour chanter ses louanges. Je crois qu' la fin M. le duc _de
+Chaulnes_ va acheter Putaut, qui est une maison prs du pont de Neuilli,
+situe sur le bord de la rivire; il y a de quoi faire des merveilles,
+et il les fera; car il a une extrme envie d'une maison de campagne. Le
+roi va Marli pour quinze jours. Si la duchesse _du Lude_ est de ce
+voyage, ce sera pour la troisime fois de suite; ces distinctions
+charment quand on est en ces pays-l: heureux qui peut voir cela du
+point de vue o il faut l'envisager! Je n'ai point vu la lettre du P.
+_Quesnel_; on dit qu'il la dsavoue, et il ne sauroit mieux faire. Vous
+savez, ma trs-belle, que M. _de la Trappe_[75] a remis son abbaye entre
+les mains de don _Zozime_, suprieur de sa maison, avec la permission du
+roi, et qu'il se va trouver simple religieux; cette fin est bien digne
+de lui, et couronne parfaitement une si belle vie. Pour l'oraison
+funbre du P. _de la Rue_, on n'en parle non plus prsentement, que de
+celle que l'on fit pour la reine mre. On ne sait pas qu'il y ait eu un
+M. _de Luxembourg_ dans le monde. Est bien fou qui compte sur la gloire
+qui suit la mort; ce n'est en vrit pas de cela qu'il faut tre occup
+dans cette vie; mais les hommes auront toujours leurs erreurs et les
+chriront. M. _de Coulanges_ arriva avant-hier au soir ici, plus charm
+de M. _de Bouillon_, de mademoiselle _de Bouillon_ et de Navarre, que de
+tous ses anciens amis; il partit hier pour Choisi, o il sera jusqu' ce
+que notre voyage de Saint-Martin s'accomplisse; je ne me sens pour ces
+sortes de parties que la force du projet; l'excution est fort au-dessus
+de moi. Ma soeur monte dimanche sur l'hippogriffe, et arrive lundi
+Paris. M. _de Bagnols_[76] ne perd pas de vue le marchal _de Villeroi_;
+cela me fait craindre pour sa vie. M. _de Reims_ a achet la maison
+d'Erval deux cent vingt-une mille livres. Adieu, ma trs-aimable;
+n'oubliez pas de m'aimer, je vous en conjure, et ne me laissez point
+oublier dans le lieu que vous habitez; mandez-moi si la charmante
+_Pauline_ aura t bien contente du portrait mystrieux que vous lui
+avez donn. Madame _de Caylus_ me vint voir hier plus jolie qu'un ange;
+elle me demanda en grce de venir voir l'arrangement de sa maison;
+j'aurois plus de peine rendre cette visite, que je n'en montrerai; ce
+que je sens l-dessus ne peut tre confi qu' vous, ma chre amie.
+
+
+
+
+LETTRE XXII.
+
+_Paris, 29 juillet 1695._
+
+Il n'est plus question, ma chre amie, ni de M. _Arnauld_ ni du P.
+_Quesnel_; toutes les penses sont dtournes du ct de Namur. Ces
+derniers tus ont jet une consternation qui ne laisse plus de joie ici.
+Madame _de Morstein_ est inconsolable. La bonne chancelire[77] pleure
+amrement son petit-fils _de Vieuxbourg_; et madame _de Maulevrier_
+renvoie bien loin tous les gens qui lui veulent parler de consolation,
+jusqu'au P. _Bourdaloue_. On ne sait point de nouvelles du comte
+_d'Albert_, sinon qu'on le croit trpan; et, depuis cela, pas un mot.
+M. et madame _de Chaulnes_ en sont dans une extrme inquitude. Vous
+savez que M. le prince _de Conti_ a la petite vrole; elle est sortie
+avec abondance, et commence suppurer sans aucun accident; ainsi on
+espre qu'il s'en tirera heureusement. On fait des dtachemens de tous
+cts pour envoyer au secours de Namur. _Sanzei_ est dans la place, et
+il n'y a que sa mre qui soit plus plaindre que lui. Madame la
+duchesse _du Lude_, qui est de retour de Versailles m'a cont qu'elle
+avoit men ma petite nice _de la Chaise_ dner Trianon avec le roi.
+S. M. et _Monsieur_ ne parlrent que de l'agrment de cette petite
+personne, et de son peu d'embarras. Pour moi, je crois qu'elle
+confesseroit[78] fort bien le roi. M. le premier prsident[79] a eu une
+manire d'apoplexie; on l'a saign quatre fois; sa bouche est demeure
+un peu tourne. Il doit partir incessamment pour Bourbon. Voil une
+pigramme que l'on a faite sur son mal.
+
+Ne le saignez pas tant; l'mtique est meilleur.
+Purgez, purgez, purgez; le mal est dans l'humeur.
+
+Je crois que je ferois bien de prendre le mme chemin que ce magistrat;
+car mon estomac ne se rtablit point du tout. Au reste, ma trs-belle,
+j'ai consult si l'on pouvoit prendre du caf deux heures aprs la
+germandre. On en peut prendre en toute sret, et mme ils s'accordent
+fort bien ensemble. Adieu, ma trs-aimable; je ne vous en dirai pas
+davantage aujourd'hui; je vous supplie seulement de faire mes complimens
+ _tutti quanti_, et sur-tout de vous, faire la violence d'embrasser
+pour moi bien tendrement la charmante _Pauline_. Ma soeur[80] vous rend
+mille grces de l'honneur de votre souvenir; elle en a t fort touche;
+elle est Versailles pour quelques jours.
+
+
+
+
+LETTRE XXIII.
+
+_Paris, 13 aot 1695._
+
+La mort de M. _de Paris_[81], ma trs-belle, vous aura infailliblement
+surprise; il n'y en eut jamais de si prompte. Madame _de Lesdiguires_ a
+t prsente ce spectacle; on assure qu'elle est mdiocrement
+afflige. L'on ne parle point encore du successeur; mais bien des gens
+croient que ce sera M. _de Cambrai_[82], et ce sera certainement un bon
+choix; d'autres disent M. le cardinal _de Janson_. Nous saurons lundi ce
+grand vnement; la chose mrite bien qu'on y pense. Il s'agit
+maintenant de trouver quelqu'un qui se charge de l'oraison funbre du
+mort. On prtend qu'il n'y a que deux petites bagatelles qui rendent la
+chose difficile; c'est la vie et la mort. On vous aura sans doute envoy
+les articles de la capitulation de Namur; vous aurez vu qu'on fait la
+guerre fort poliment, et qu'on se tue avec beaucoup d'honntet. Nous
+bombardons Bruxelles[83] l'heure qu'il est; les chansons, les
+madrigaux, les bons mots pleuvent sur le marchal _de Villeroi_, qui
+peut-tre n'a aucun tort: c'est le malheur des places; heureux qui n'en
+a point; mais peu de gens sentent ce bonheur-l. La comtesse _de
+Grammont_ est de retour; je la vis hier si fatigue des eaux de Bourbon,
+qu'elle me confirma plus que jamais dans ma paresse; elle est revenue
+dans une litire, et elle dit qu'elle aimeroit mieux tre revenue
+pied. Le roi doit aller samedi Meudon pour deux jours; les
+distinctions vont rouler prsentement sur Meudon, et point sur Marli.
+Tout y a t cette semaine, jusqu' M. _de Busenval_ et M. _de
+Saint-Germain_. Comme je me sens incapable de prendre la rsolution
+d'aller Bourbon, je m'en vais essayer Paris des eaux de Forges. Cela
+s'appelle aller du chaud au froid. Depuis que madame _de
+Fontevrault_[84] est ici; Saint-Joseph, o elle est presque toujours,
+est le rendez-vous du beau monde, mais non pas de la galanterie[85].
+Adieu, ma trs-aimable. Tous les marchs de M. _de Chaulnes_ sont
+rompus. Madame _de Chaulnes_ se console de tout avec madame _de
+Saint-Germain_; elle ne se peut passer d'elle, et cela apprend se
+passer de madame _de Chaulnes_.
+
+
+
+
+LETTRE XXIV.
+
+_Paris, 2 septembre 1695._
+
+Hlas! mon amie, il n'est non plus question de M. l'archevque, que s'il
+n'avoit jamais t; on a dit bien du mal de lui aprs sa mort; on a
+parl du successeur[86]; depuis qu'il est nomm, on ne parle plus ni de
+l'un ni de l'autre; ceci est un tourbillon qui ne permet pas les
+rflexions. Tout le monde toit fou hier Paris; on ne voyoit que des
+femmes dsespres; les unes couroient les rues, les autres se faisoient
+enfermer dans les glises; on entendoit: je n'ai plus de mari, je n'ai
+plus de fils; d'autres ne disoient pas ce qu'elles n'avoient plus, mais
+elles ne s'en dsesproient pas moins. La comtesse _de Fiesque_ disoit
+que la bataille toit donne, et par consquent gagne; elle ajoutoit
+que le prince _d'Orange_ toit prisonnier; je me trouvai le soir chez
+madame _de Carman_, o toit madame _de Sulli_, la duchesse _du Lude_,
+madame _de Chaulnes_, et une douzaine d'autres femmes, dont toit la
+comtesse _de Fiesque_. Quand elles eurent bien discouru, j'entrepris de
+leur remettre l'esprit (chose bien difficile) par un petit raisonnement,
+qui concluoit qu'il n'y auroit point de bataille; elles se moquoient
+toutes de moi; aujourd'hui que l'vnement justifie mes raisons, elles
+croient que d'ici je conduis l'arme: on ne parle que de ma pntration;
+et sur cela je conclus qu'on ne sait presque jamais pourquoi on loue ni
+pourquoi on blme. J'tois hier folle, et aujourd'hui je suis la plus
+habile personne du monde; et la vrit est que je ne suis ni folle ni
+habile; mais que par un courrier qui toit arriv, on avoit appris qu'il
+toit impossible de donner une bataille sans hasarder toute l'arme. M.
+_de Conti_ l'a mand au roi, aussi bien que monsieur le duc _du Maine_,
+et tout ce qu'il y a de principal dans l'arme.
+
+M. _de Coulanges_ est toujours Navarre, il me prie par toutes ses
+lettres de vous dire des choses infinies de sa part. Le roi doit partir
+le 24 de ce mois pour aller Fontainebleau. M. et madame _de Chaulnes_
+partent incessamment pour Chaulnes, et le bruit court que je vais avec
+eux. Je prends des eaux de Forges, dont je me trouve assez bien. Je suis
+ravie que la sant de madame _de Grignan_ soit bonne; je m'en rjouis
+avec vous et avec elle. Faites-vous la violence d'embrasser la charmante
+_Pauline_ pour l'amour de moi; je vous en conjure, ma trs-aimable.
+
+
+
+
+LETTRE XXV.
+
+_Paris, 9 septembre 1695._
+
+Que d'vnemens, madame! que de discours! que de chansons! que
+d'pigrammes! que de dignits! Le marchal _de Boufflers_ est duc; vous
+le savez dj. Le mme courrier, qui a apport la rduction de Namur,
+lui a t renvoy pour lui apprendre que le roi le faisoit duc, et lui
+dire en mme temps qu'il pouvoit prendre le chemin de la cour. Quand il
+s'est trouv press par sa reconnoissance de venir remercier le roi, le
+prince _d'Orange_ lui a dit qu'il le faisoit son prisonnier. On prtend
+qu'il a pris cette conduite sur celle que nous avons eue Dixmude. Il a
+bien voulu cependant le laisser revenir la cour sur sa parole; mais le
+marchal a cru devoir attendre les ordres du roi. La marchale _de
+Boufflers_ est transporte de joie de sa nouvelle dignit, et ne sait
+point encore ce malheur, qui, selon les apparences, ne sera pas long.
+Revenons aux pigrammes. Le marchal _de Villeroi_ en est chamarr; il a
+pourtant la consolation de savoir que le roi est persuad qu'il n'a
+aucun tort; et je sais bien ce que je dis. Mais le monde veut juger de
+ce qu'il ignore; et, comme on juge par l'opinion des autres, on est
+assez fou pour se croire malheureux, malgr sa bonne conduite. Le roi va
+aujourd'hui Marli pour dix jours. M. et madame _de Chaulnes_ partiront
+dans peu pour Chaulnes, et moi-avec eux. Que dites-vous de cette
+rsolution? Ne me trouvez-vous pas grande femme tout--fait? M. _de
+Coulanges_ est toujours Evreux; madame _de Louvois_ le boude;
+mademoiselle _de Bouillon_ l'aime de passion, et le retient malgr lui.
+Moi, je lui cris rgulirement, et lui mande toutes les nouvelles. A
+qui donneriez-vous la prfrence? Les passions sont horribles; je ne les
+ai jamais tant haes que depuis qu'elles ne sont plus mon usage: cela
+est heureux. Notre dragon[87] est sorti tout couvert de gloire, et tout
+nourri de cheval. Il a crit une trs-plaisante lettre sa soeur. Dans
+toutes les relations, il a t nomm au roi avec distinction; et, pour
+dire plus, c'est de madame _de Montchevreuil_ que je le sais. Vous jugez
+bien, ma trs-aimable, de la joie de madame _de Sanzei_, qui sait a
+cette heure que son fils se porte bien. Songez que, de douze mille
+hommes qu'ils toient dans Namur, il n'en est rest que trois mille
+trois cents. J'oubliois de vous dire que c'est M. _de Guiscard_ qui
+toit venu apprendre la cour que le marchal _de Boufflers_ est
+prisonnier. Madame _de Sulli_ a la mme maladie que madame _de Grignan_.
+Elle prend des eaux de Forges, dont elle se trouve merveille. Mais
+Forges est un peu trop loin de Grignan: il faudroit s'en approcher, mon
+amie. Je pardonne madame _de Sulli_ cette maladie; mais madame _de
+Grignan_ est trop avance pour son ge. On prtend que, de toutes les
+faons d'tre malade, c'est la moins fcheuse. Je vous demande toujours
+des nouvelles de madame _de Grignan_, dont je suis trs-sincrement en
+peine. Ne me laissez point oublier dans le chteau que vous habitez, et
+baisez, pour l'amour de moi, la charmante _Pauline_. Vous m'avouerez que
+j'exige des choses bien difficiles de votre amiti.
+
+
+
+
+LETTRE XXVI.
+
+_Paris, 16 septembre 1695._
+
+Ce n'est que pour marquer la cadence que je vous cris aujourd'hui,
+madame; car je n'ai point reu de vos lettres, cette semaine, et je suis
+toute honteuse de n'avoir pas de grands vnemens vous mander; depuis
+quelque temps, ils ne nous ont pas manqu; de vous dire que le roi est
+ Marli depuis huit jours, voil une belle affaire; la duchesse _du
+Lude_ y est; le roi en revient demain, et doit partir jeudi 22 de ce
+mois pour aller Fontainebleau. Une assez grande nouvelle; c'est que je
+crois que j'irai dimanche Versailles pour deux ou trois jours: Il sera
+question incessamment du voyage de Chaulnes; j'espre encore que j'en
+serai; mais j'ai une sant qui me drange si aisment, que je n'ose plus
+faire de projets. M. _de Coulanges_ doit revenir aujourd'hui d'Evreux
+pour rompre avec madame _de Louvois_, et aller Chaulnes. Encore
+faut-il bien vous apprendre, mon amie, que c'est le P. _Gaillard_, qui
+ne doit point faire l'oraison funbre de feu M. l'archevque (_de
+Paris_). Voici ce que je veux dire. M. le prsident et le P. _de la
+Chaise_ se sont adresss au P. _Gaillard_ pour ce grand ouvrage; le P.
+_Gaillard_ a rpondu qu'il y trouvoit de grandes difficults; il a
+imagin de faire un sermon sur la mort au milieu de la crmonie, de
+tourner tout en morale, d'viter les louanges et la satire, qui sont des
+cueils bien dangereux. Tout le prlude des oraisons funbres n'y sera
+point. Il se jetera sur les auditeurs pour les exhorter; il parlera de
+la surprise de la mort, peu du mort; et puis, Dieu vous conduise la
+vie ternelle. Adieu, ma belle amie; ne me laissez jamais oublier
+Grignan, je vous en conjure; et sur-tout de la charmante _Pauline_. Je
+crois que M. _de Chaulnes_ va acheter Villeflit de M. _de Fiaubet_, dont
+madame _de Chaulnes_ parot peu contente. Le confesseur extraordinaire
+de madame _de Grignan_ me doit demain lire l'oraison funbre qu'il a
+faite de ce saint homme.
+
+
+
+
+LETTRE XXVII.
+
+_Paris, 30 septembre 1695._
+
+Je m'en vais vous parler bien habilement du mal de madame _de Grignan_,
+c'est--dire du mal d'estomac, qui n'est autre chose, mon amie, que le
+mien. J'ai prouv, par mon impatience, toute sorte de remdes; trop
+heureuse si ces expriences lui peuvent tre utiles. _Carette_ m'a
+donn, pendant neuf mois, de ses gouttes, qui ne m'ont point fait un mal
+sensible, mais qui m'avoient grsille un tel point sans me
+raccommoder l'estomac, que je vous avouerai confidemment qu'elles m'ont
+fait une seconde maladie. Venons _Helvtius_: il m'a donn une
+prparation d'absinthe, qui m'a tout--fait rtabli l'estomac. Comme
+cela fait quelqu'impression de chaleur, trs-lgre pourtant, il m'a
+fait prendre des eaux de Forges, dont je me trouve merveille. Je
+commence engraisser; je mange du fruit, je dne et je soupe; en un
+mot, mon amie, je ne suis plus la mme personne que j'tois il y a deux
+mois. Vous voyez bien pourquoi je vous conte tous ces dtails.
+Ramenez-nous donc madame _de Grignan_ Paris; je vous promets qu'en
+trois semaines, _Helvtius_ et moi lui rtablirons l'estomac. C'est la
+cause de presque tous les maux. Je me suis mme raccommode avec le
+caf; et, comme je ne sais point user d'une chose que je n'en abuse,
+j'en prends dans l'excs. Ma petite absinthe est le remde tous maux.
+Vous me demanderez, mon amie, pourquoi me portant aussi-bien que je vous
+le dis l, je ne suis point alle Chaulnes? Et je vous rpondrai que
+je me trouve comme les personnes qui deviennent avares par tre riches.
+Depuis que j'ai un peu de sant, je la mnage beaucoup. Le vilain temps
+m'avoit alarme; si j'avois prvu qu'il pt faire aussi beau qu'il fait
+prsentement, je crois que je me serois embarque pour ce grand voyage;
+mais je me garde pour Dampierre, et je fais trs-facilement de ma maison
+une maison de campagne. Je me promne les matins sur mon rempart, et je
+passe les aprs-dnes assez solitairement. La cour d'Angleterre est
+Fontainebleau. Ils ont des comdies, des ftes, et s'ennuient, ce
+qu'ils disent; et tant pis pour eux. Madame la marquise _de Grignan_ ne
+veut voir personne; c'est ce qui m'a empche de me prsenter sa porte
+aussi souvent que j'aurois fait. M. _de Chaulnes_, qui sait forcer les
+portes, dit qu'elle est trs-aimable. M. _de Coulanges_ est all
+Chaulnes; ils reviendront tous dans un mois, et c'est tout--l'heure.
+L'abb et moi ne laisserons point ignorer madame _de Sanzei_ tout ce
+que vous dites pour elle. Je vous demande mille complimens pour madame
+_de Grignan_, ma trs-aimable: je vous demande aussi d'embrasser la
+belle _Pauline_ pour l'amour de moi, tout comme si vous n'aviez point
+de sujet de vous plaindre d'elle.
+
+
+
+
+LETTRE XXVIII.
+
+_Paris, 28 octobre 1695._
+
+Vous avez eu la colique, ma chre amie; et quoique je sache que vous
+vous en portez bien prsentement, je ne saurois tre rassure que je ne
+le sois par vous-mme. Je vous demande aussi des nouvelles de madame _de
+Grignan_; si vous saviez combien l'air subtil est contraire ses maux,
+vous l'obligeriez de se mettre dans une litire bien faite et bien
+commode, et vous gagneriez Paris; l'air de Lyon lui feroit connotre
+qu'il n'y a point de meilleur remde pour elle que de changer de climat;
+c'est l'avis de mon oracle (_Helvtius_). La marchale _de Boufflers_ a
+t fort malade d'une pareille maladie, elle se-porte trs-bien
+aujourd'hui. Le roi est de retour dans une parfaite sant. Je vis hier
+la duchesse _du Lude_, qui est venue Paris pour se faire saigner et
+purger, sans autre raison, je crois, que d'avoir trop de sant. Il s'est
+fait de grands changemens Chaulnes. M. _de Chaulnes_ aime son chteau
+comme sa vie, et ne le peut quitter. Madame _de Chaulnes_ passe les
+jours, et peut-tre une bonne partie des nuits jouer. M. _de
+Coulanges_ est devenu dlicat et prcieux; les visites de province
+l'ennuient. Je vois souvent notre petite accouche (_la duchesse de
+Villeroi_)[88]; elle a un fils un peu plus grand que son pre, et un peu
+moins grand que le marchal (_de Villeroi_); il n'y a point de jour
+qu'elle ne me demande des nouvelles de mademoiselle _de Grignan_, et
+qu'elle ne lui souhaite tous les biens et les maux qu'elle a. L'on dit
+que le marchal _de Lorges_ se porte mieux, et on n'appelle plus sa
+maladie une apoplexie; la marchale, qui l'est all trouver, va avec lui
+aux eaux de Plombires. Tout le monde croit le mariage de M. _de
+Lesdiguires_ fait avec mademoiselle _de Clrembault_[89]; le charme que
+madame _de Lesdiguires_ trouve dans ce mariage, c'est qu'elle n'aura
+point son fils avec elle. Le monde dit aussi celui de mademoiselle
+_d'Aubign_ avec le fils[90] de M. _de Noailles_; et je crois qu'en
+cette occasion le monde dit vrai. Au reste, ma trs-belle, j'ai vous
+apprendre que l'abb _Testu_ est charm de madame _de Carman_, et qu'il
+se plaint hautement de toutes ses amies de ne lui avoir pas fait
+connotre ce mrite-l plutt. On parle fort ici de la solitude de
+madame la marquise _de Grignan_; on dit que sa vie n'est pas
+soutenable, parce qu'il ne faut voir personne, ou voir bonne compagnie.
+Vous voyez combien votre retour et celui de _sa belle-mre_[91] sont
+ncessaires; mes conseils sur cela vous parotront bien intresss; je
+souhaite que cette raison ne vous empche pas de les suivre, et que vous
+me croyez aussi tendrement vous que j'y suis. Je vous demande en grce
+de dire bien des choses de ma part madame _de Grignan_, et de ne pas
+oublier la belle et charmante _Pauline_.
+
+
+
+
+LETTRE XXIX.
+
+_Paris, 7 novembre 1695._
+
+Aprs avoir rflchi avec toute l'application possible sur tout ce que
+vous me mandiez, ma chre amie, _Helvtius_ a encore voulu emporter
+votre lettre afin d'y penser loisir; il ne me rapporta qu'hier ce que
+je vous envoie; il est persuad que l'air subtil est fort contraire
+madame _de Grignan_, et que s'il toit possible qu'elle se mt dans une
+litire bien commode, et quelle fit de petites journes, elle ne seroit
+pas plutt arrive Lyon qu'elle se trouveroit fort soulage; c'est un
+remde que nous approuvons fort ici. Notre oracle _Helvtius_ a sauv la
+vie la pauvre _Tourte_; il a un remde sr pour arrter le sang, de
+quelque ct qu'il vienne; c'est un trs joli homme et trs-sage. Sa
+physionomie ne promet pas tant de sagesse; car il ressemble _Dupr_
+comme deux gouttes d'eau. Je vous demande des nouvelles de madame _de
+Grignan_, ma trs-aimable, pour me rcompenser de toutes mes
+consultations. M. le marquis _de Grignan_ m'est venu voir; il est
+assurment moins gras qu'il n'toit; je lui en ai fait des complimens
+trs-sincres: madame sa femme me fit l'honneur de venir ici hier; je la
+trouvai si considrablement embellie, qu'elle me parut une autre
+personne que celle que j'avois vue; c'est qu'elle est engraisse, et
+qu'elle a bien meilleur visage, de beaux yeux si brillans, que j'en fus
+blouie; elle vint ici sur les deux heures avec madame sa mre et
+mademoiselle sa soeur. Malheureusement pour moi, madame _de Nevers_
+s'toit leve aussi matin qu'elles; elle arriva un moment aprs ces
+dames, qui s'en allrent quand elle entra; et madame _de Nevers_ qui me
+parla trs-sincrement, trouva madame la marquise _de Grignan_ toute des
+plus jolies. M. et madame _de Chaulnes_ et M. _de Coulanges_ arrivent
+mercredi pour dner Paris; je me dois trouver l'htel de Chaulnes
+pour les y recevoir. Le roi est Marli pour jusqu' lundi; la comtesse
+_de Grammont_ y est aussi; mais quoiqu'elle ait rattrap la cour les
+grces de la nouveaut, la pauvre femme ne s'en porte pas mieux. Tous
+ses maux sont revenus; elle les soutient avec un courage et une gaiet
+qui m'tonnent, ayant perdu, je crois, jusqu' l'esprance de gurir. La
+duchesse _de Villeroi_ reoit ses visites dans son lit, jolie tout ce
+qu'on peut l'tre; je fis, il y a deux jours, les honneurs de sa chambre
+avec la marchale _de Villeroi_; j'ai dcouvert cette petite duchesse
+un mrite qui lui fait bien de l'honneur dans mon esprit, c'est qu'elle
+a un got si naturel pour mademoiselle _de Grignan_[92], qu'elle en est
+sincrement occupe; elle m'en demande continuellement des nouvelles.
+Elle lui souhaite tout le bonheur qu'elle mrite; mais elle ne veut
+consentir aucun mariage, qu'elle ne soit assure de la revoir ici.
+Enfin, elle a des sentimens, elle a des penses; c'est un des miracles
+de _Pauline_. Je sais de ses nouvelles; on dit que vous vous allez
+encore marier[93]; j'en suis ravie, mon amie; revenez donc toutes; la
+vie est trop courte pour de si longues absences. Par rapport la vie,
+les plus longues ne devroient tre que de deux heures. Je vous envoie
+une lettre de M. _de Vannes_, qu'il y a en vrit trois mois qui est
+dans mon critoire. Je lui en demande pardon; car pour vous, je suis
+assure que vous l'aimez autant l'heure qu'il est, que quand elle a
+t crite. Adieu, ma trs-aimable; mandez-moi vtement que vous allez
+revenir, et que vous ne pouvez plus souffrir la solitude de cette jeune
+marquise, qui, comme moi, soupire aprs votre retour.
+
+
+
+
+LETTRE XXX.
+
+_Paris, 18 septembre 1695._
+
+Monsieur _de Lamoignon_ me montra hier une lettre de M. le chevalier _de
+Grignan_, qui m'apprit que madame votre fille se portoit bien mieux;
+j'en ai une joie trs-sincre, et je souhaite de tout mon coeur, ma
+trs-chre, d'apprendre la continuation de ce mieux; j'ai la confiance
+de croire que vous me le ferez savoir; cela me donne aussi des
+esprances que nous vous reverrons bientt; il n'y a rien, en vrit,
+que je dsire si vivement: votre retour est ncessaire bien des
+choses, dont le changement d'air est une des principales pour madame _de
+Grignan_. Madame sa belle-fille est trop abandonne ici; le retour de M.
+_de Svign_ qui approche; que de raisons, ma trs-belle, pour nous
+revenir voir! Paris est fort rempli l'heure qu'il est; mais il ne le
+sera point ma fantaisie, tant que vous ne serez point avec nous. J'ai
+bien envie d'apprendre si madame _de Grignan_ a fait usage des bouillons
+d'crevisse, et si elle s'en est bien trouve. Il y a tous les jours de
+bon dners l'htel de Chaulnes, et une trs-bonne compagnie, o vous
+tes toujours dsire. M. le marquis _de Grignan_ me fit l'honneur de me
+venir voir il y a deux jours. Je le remerciai de n'tre point grossi; il
+me parot fort content du palais qu'il habite. On me mande de Lyon que
+la charmante _Pauline_ va changer de nom; ne nous l'amenez-vous pas? Il
+n'y a que madame _de Simiane_ que je puisse jamais autant aimer que
+mademoiselle _de Grignan_. Hlas! propos _de Simiane_; le pauvre
+monsieur _de Langres_[94] est l'extrmit; j'en suis tout--fait en
+peine. Je crois M. _Nicole_ mort; il tomba en apoplexie il y a deux
+jours. _Racine_ vint en diligence de Versailles lui apporter des gouttes
+d'Angleterre, qui le ressuscitrent; mais on vient de me dire qu'il est
+retomb; c'est une grande perte. Il s'est trop puis crire: on
+prtend qu'il s'est cass la tte ce dernier livre contre les
+Quitistes; ils n'en valoient, en vrit, pas la peine. Adieu, ma
+trs-aimable; j'attends toujours de vos nouvelles avec impatience, mais
+encore plus prsent, cause de l'tat o est madame _de Grignan_.
+
+
+
+
+LETTRE XXXI.
+
+_Paris, 6 avril 1696._
+
+Je ferai voir votre lettre la marchale _de Crqui_[95], madame; le
+seul plaisir qui lui reste, c'est d'entendre louer on pauvre fils[96]:
+elle me parot plus afflige que le premier jour; je n'en passe gure
+sans la voir. Je l'ai cependant envoye M. _de Coulanges_ cette
+aimable et tendre lettre; il est Saint-Martin d'o il doit revenir
+mardi. Madame _de Saint-Gran_ a reu deux visites de madame _de
+Maintenon_; vous jugez bien qu'il n'en falloit pas tant pour la
+consoler: madame _de Mornai_ ne quitte point madame _de Maintenon_; plus
+cette petite femme parot insensible aux honneurs qu'elle reoit, plus
+on est occup d'elle. Je suis tonne de ces sortes de conduites. Le
+mariage de ma nice est absolument rompu avec M. _de Poissi_[97]; elle
+part dans huit jours pour aller en Flandre. M. et madame _de Bagnols_
+n'ont aucun tort: madame _de Maisons_[98] a fait aussi ce qu'elle a pu,
+et nous lui en serons toujours trs-sensiblement obliges: je suis ravie
+de la connotre; elle a un trs bon coeur, et une vritable gnrosit.
+Il faut esprer que notre grande fille sera bien marie[99]; mais ce ne
+peut plus tre qu'au retour de la campagne, car rien ne nous convient
+plus dans la robe. Je m'en vais vte finir ce petit billet; car madame
+_de Montespan_ me vient prendre ds la pointe du jour, pour aller
+entendre le P. _de la Fert_ (_jsuite_), qui prche comme un
+_Bourdaloue_, et qui ressemble si fort au duc son frre, qu'on ne se
+peut empcher de rire des discours qu'ils tiennent tous deux: madame _de
+Fontevrault_[100] vient aussi: voil bien des sermons que j'entends avec
+cette bonne compagnie, qui part dans huit jours pour aller Bourbon.
+Moins madame _de Grignan_ se rtablira o elle est, plus elle se devroit
+presser de changer d'air. Sparment de l'intrt que j'ai donner ce
+conseil, c'est l'avis de tous les gens habiles. Quand reverrons-nous
+aussi madame _de Simiane_? elle ne s'en soucie gure; elle a de quoi
+s'amuser, pendant que nous soupirons ici aprs elle. Je ferai vos
+complimens la marchale _de Crqui_, et ceux de M. et de madame _de
+Grignan_, je vous en assure, ma trs-aimable. Le roi a donn deux mille
+louis au marchal _de Choiseul_ pour l'aider faire son quipage; je ne
+sais si le marquis _de Grignan_ ira avec lui. Adieu, ma vraie amie, et
+vte adieu; on me presse de sortir.
+
+
+
+
+LETTRE XXXII.
+
+_A Madame_DE SIMIANE[101].
+
+_Paris, 2 mai 1696._
+
+Je vous suis sensiblement oblige, madame, de songer encore moi; je
+connoissois toutes vos perfections; mais la tendresse de votre coeur, et
+l'amiti que vous avez su avoir pour une personne[102] aussi digne
+d'tre aime que celle que vous regrettez, c'est ce qui me parot fort
+au dessus de tout ce qu'on en peut dire. Ah! madame, que vous avez
+raison, de me croire infiniment touche! Je ne pense autre chose; je
+ne parle d'autre chose; j'ignore tous les dtails de cette funeste
+maladie, je les cherche avec un empressement qui fait voir que je ne
+songe point me mnager. Je passai hier toute la journe avec le prieur
+de Sainte-Catherine; vous jugez bien sur quoi roula notre conversation;
+je lui fis voir la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'crire;
+elle lui fit un vrai plaisir; car ces sortes de gens-l sont si
+persuads que cette vie-ci ne doit servir qu' s'assurer l'autre, que
+les dispositions dans lesquelles on quitte le monde sont les seules
+dignes d'attention pour eux; mais on songe ce que l'on perd, et on le
+pleure. Pour moi, il ne me reste plus d'amie; mon tour viendra bientt,
+cela est raisonnable: ce qui ne l'est gure, c'est d'entretenir une
+personne de votre ge de si tristes et de si noires penses; votre
+raison fait oublier votre jeunesse, madame; et cela, joint
+l'inclination naturelle que j'ai pour vous, m'autorise, ce me semble,
+vous parler comme je fais.
+
+
+
+
+LETTRE XXXIII.
+
+A LA MME.
+
+_Paris, 8 juin 1696._
+
+Il me parot qu'il y a bien du temps que vous n'avez reu de mes
+lettres; vous ne serez peut-tre pas de cet avis: il n'y a pas moyen
+cependant de pousser ma discrtion plus loin; c'est un bien qui m'est
+devenu ncessaire, d'avoir de vos nouvelles; et, quelque ingalit qu'il
+y ait de votre ge au mien, j'prouve que l'on vous aime
+trs-solidement. Il y a des endroits dans votre coeur, qui font oublier
+votre jeunesse, sans qu'il y en ait aucun dans votre figure, qui ne
+prsente toute la fleur de ce bel ge.
+
+Je ne m'accoutume point la perte que nous avons faite[103]; et
+lorsque j'apprends le retour de la sant de madame votre mre, je ne
+puis m'empcher d'tre vivement touche que cette joie n ait point t
+sentie par une personne qui en et t si digne[104]. Je vous prie,
+madame, que je sois informe de la continuation de cette sant,
+laquelle je prends plus d'intrt que je ne puis vous le dire.
+
+Je vis avant-hier M. _de Coulanges_ dans la belle maison de Choisi:
+madame _de Louvois_ et lui y sont tablis pour tout l't; on est oblig
+tous les jours d'y avoir deux tables par la quantit de monde qui s'y
+trouve; un lansquenet ensuite, et puis des promenades dlicieuses;
+joignez tout cela les plaisirs qui suivent l'abondance, et vous
+trouverez que Choisi est un sjour enchant: il y a trop de ces plaisirs
+pour moi, et je ne saurois me rsoudre y passer plusieurs jours: mon
+got augmente pour la solitude, ou du moins pour une trs-petite
+compagnie. Madame _de Mornai_ ne quitte plus madame _de Maintenon_: elle
+va Marli; enfin, madame, je ne trouve rien de si extraordinaire que de
+la voir de tous les plaisirs, pendant que vous tes loigne du monde et
+du bruit; il est vrai que vous avez de grandes ressources dans
+vous-mme. Adieu, madame, je vous demande en grce de ne pas ngliger
+l'occasion de dire M. le comte _de Grignan_ combien je l'honore; mais
+sur-tout rendez-moi de bons offices auprs de vous, je vous en supplie.
+
+
+
+
+LETTRE XXXIV.
+
+A LA MME.
+
+_Paris, 20 juillet 1696._
+
+Il y a long-temps, madame, que je n'ai eu l'honneur de vous crire; mais
+je ne suis point seule m'en apercevoir? En vrit, c'est pure
+discrtion qui m'empche de vous dire plus souvent ce que je sais
+penser de vous; il y a une telle disproportion de votre ge au mien,
+qu'il me parot de la cruaut moi de vous aimer comme je fais, et
+sur-tout de vous en entretenir. Je suis trs-persuade que vous n'enviez
+point les extrmes distinctions dont jouit madame _de Mornai_; mais,
+madame, n'est-ce point tre trop avance pour votre ge, de vous savoir
+passer du monde et de la cour? Il me semble qu'il n'y a que l'exprience
+qui en puisse dtromper, et voil ce que vous n'avez pas jusqu'
+prsent. Madame _de Mornai_ est de tous les voyages de Marli, sans tre
+nomme de toutes les promenades du roi; en un mot, madame _de Maintenon_
+la traite comme sa fille; et pensez-vous qu'on puisse tre insensible
+ces honneurs? ma nice _de Bagnols_ voit tout cela d'un grand
+sang-froid. La trve d'Italie donne ici de grandes esprances de la paix
+gnrale; je suis assure, madame, que cette grande nouvelle ne vous
+sera pas indiffrente. On se tourmente dj pour tre des dames de
+madame _de Bourgogne_; car on dit qu'elle n'aura point de filles, et
+qu'on lui donnera peu prs les dames qu'avoit la reine, except madame
+_de Beauvilliers_, qui, selon toutes les apparences, sera dame
+d'honneur. Nous craignmes beaucoup ayant-hier pour madame _de
+Chaulnes_, qui, la suite d'une mauvaise sant, eut une si grande
+foiblesse, qu'elle perdit connoissance. On envoya qurir des mdecins,
+un confesseur, enfin un appareil trs-propre pouvanter; elle se porte
+beaucoup mieux; elle a pris aujourd'hui un peu d'mtique. J'aime cette
+duchesse de la vraie douleur qu'elle a eue de la perte de madame _de
+Svign_. Pour moi, madame, je vous avoue avec une sincrit que j'ai
+pour vous, malgr mon ge, que je ne m'en consolerai jamais; j'y pense
+sans fin et sans cesse; et quand je songe que tous les retours ne la
+ramneront point, je ne puis soutenir une telle ide. Je vous demande
+des nouvelles de votre sant, madame; on m'a dit qu'elle n'toit pas
+absolument bonne, et que vous preniez des eaux: je vous croyois une
+sorte de maladie, o les eaux n'toient point propres. La marchale _de
+Castelnau_ est morte d'un trs-douloureux cancer: les petites-filles
+esprent la pension de quatre mille livres, que le roi lui faisoit. Je
+vous demande pardon, madame, de vous crire une si longue lettre; mais
+le got que j'y trouve, me doit faire esprer que vous ne vous en
+plaindrez pas.
+
+
+
+
+LETTRE XXXV.
+
+A LA MME.
+
+_Paris, 14 septembre 1696._
+
+J'ai t fort aise, madame, d'apprendre par vous le rtablissement de la
+sant de madame votre mre; mais je ne puis m'ter la pense que la
+personne du monde, qui s'intressoit le plus cette sant, n'ait point
+partag notre joie. Ah! madame, je ne m'accoutume point ne plus
+esprer qu'aucun retour nous amne ce que nous regrettons avec tant de
+raison. Je comprends ce que ce sera pour madame _de Grignan_, de se
+trouver en ce pays-ci au milieu de ces tristes souvenirs. Je suis fort
+occupe de ce que vous nous privez de l'esprance de votre retour. Il me
+semble que vous seriez bien ncessaire madame votre mre; et je vous
+avoue que j'aurois plus de joie de vous revoir qu'il ne convient une
+personne de mon ge. Vous tes faite pour charmer tout ce qui est
+aimable et jeune comme vous; et c'est vous offenser que de vous aimer
+aussi vritablement que je fais; mais qu'importe? Je ne sens point que
+je puisse m'empcher de vous offenser, ni d'esprer que vous me
+pardonnerez. Que dites-vous, madame, de notre duchesse _du Lude_? Je
+l'embarquai mardi avec les dames du palais, dans une sant parfaite:
+jamais on n'a marqu tant de confiance en une personne, que le roi et
+madame _de Maintenon_ ont fait pour elle dans cette occasion; et je vous
+assure qu'elle n'y est pas insensible. On dit qu'il sera question encore
+de quatre dames du palais, et de deux autres, quand la jeune princesse
+se mariera. Je ne comprendrai jamais qu'on ne vous aille pas chercher au
+bout du monde pour cela. J'ai assez bonne opinion de votre
+_voisine_[105], pour croire que vous seriez sa favorite. Enfin, je fais
+de tout ceci un petit chteau qui vous regarde uniquement, et je ne
+m'accommoderai jamais que ce chteau soit en Espagne. A propos
+d'Espagne, savez-vous que toute l'histoire de cette reine est fausse?
+Elle n'est point grosse, elle se porte fort bien; le roi en a reu des
+nouvelles. On est ici dans les _Te Deum_, dans les feux de joie de la
+paix de Savoie. Grces Dieu, le roi continue de se porter de mieux en
+mieux. On croit que la cour ira Fontainebleau vers la fin de ce mois,
+pour y recevoir la princesse. Conservez-moi l'honneur de vos bonnes
+grces, madame; j'espre que vous voudrez bien vous souvenir de moi
+auprs de madame la comtesse _de Grignan_ et de M. _le Chevalier_. Je
+vous demande pardon de la libert que je prends; mais tout est permis
+une personne qui a la confiance de vous crire, et que vous honorez de
+vos aimables lettres. M. _de Coulanges_ est Vichi avec sa femme _de
+Louvois_[106].
+
+
+
+
+LETTRE XXXVI.
+
+A LA MME.
+
+_Paris, 25 octobre 1696._
+
+Je suis fort aise, madame, que vous nous fassiez esprer le retour de
+madame votre mre; mais, en vrit, pour que la joie ft complte, le
+vtre nous seroit bien ncessaire. J'admire que l'on ait pu faire des
+dames du palais pour madame la duchesse _de Bourgogne_, sans avoir song
+ vous envoyer chercher au bout du monde. Je fis part, il y a quelques
+jours, de mon tonnement madame _de Montchevreuil_. A propos de madame
+_de Montchevreuil_, madame _de Mornai_ est accouche d'un fils. Cet
+vnement donne beaucoup de joie toute sa maison. O avez-vous pris,
+madame, que madame la duchesse _de Bourgogne_ a eu la rougeole? Est-il
+possible qu'une de _ses voisines_ soit si peu instruite?[107] Je reus
+hier une lettre de madame la duchesse _du Lude_[108], qui me parot
+charme de sa princesse. Elle me mande qu'elle est grcieuse, qu'elle a
+un trs-bon air, et que, sans beaut, on ne peut tre plus agrable
+qu'elle est. Le roi et _Monsieur_ iront coucher Montargis, pour la
+recevoir, et M. le duc _de Bourgogne_ ira jusqu' Nemours. _Madame_,
+toutes les princesses et les femmes de la cour l'attendront toutes
+pares dans l'appartement qu'on lui destine Fontainebleau, qui est le
+mme qu'occupoit madame _la Dauphine_. On dit que l'on nommera encore
+six dames au mariage de la princesse. Le roi, madame _de Maintenon_,
+tout est charm de madame _du Lude_. Elle s'est surpasse elle-mme dans
+toute la bonne conduite qu'elle a eue: j'en suis aussi peu surprise que
+j'en suis aise. Le pauvre abb _Pelletier_ est mort d'apoplexie. Il y a
+quatre ou cinq jours que je vois un spectacle bien triste, mais qui
+commence le devenir moins. M. _d'Harrouis_ tomba dimanche dernier en
+apoplexie: je volai son secours; et nous avons si bien fait par nos
+remdes et par nos soins, que je le crois hors d'affaire; mais le pauvre
+homme demeurera paralytique. Tout ce qu'il nous a dit dans son agonie,
+ne se peut ni croire ni imaginer; je n'ai jamais vu envisager la mort
+avec tant de courage, ni revenir la vie avec tant de docilit. Ce
+pauvre mourant parloit toujours de madame _de Svign_. Il disoit: si
+elle toit au monde, elle seroit de celles qui ne m'abandonneroient
+pas. Nous fondions toutes en larmes, et puis il nous disoit des choses
+qui nous faisoient rire, malgr que nous en eussions. J'ai une vraie
+impatience de recevoir l'honneur que vous dites que doit me faire un
+homme, qui a t assez heureux pour vous plaire. J'avoue que cela me
+prvient en sa faveur; mais, madame, pourquoi le laissez-vous venir tout
+seul? En vrit, vous tes trop raisonnable, et nous souffrons trop de
+votre raison. J'espre que mademoiselle _de Bagnols_ aura un beau palais
+sans l'aller chercher Turin, ou, pour parler plus juste, un beau
+chteau; j'ai une grande envie qu'elle soit bien tablie. Conservez-moi
+l'honneur de vos bonnes grces, madame; et, si vous n'tes point
+honteuse d'avoir un commerce avec une vieille comme moi, comptez qu'il
+ne finira point par ma faute. Je vous serai sensiblement oblige, si
+vous voulez bien me faire la grce d'assurer madame la comtesse _de
+Grignan_ et M. _le Chevalier_ que j'attends leur retour avec toute
+l'impatience qu'ils mritent.
+
+
+
+
+LETTRE XXXVII.
+
+A LA MME.
+
+_Paris, 7 mars 1697._
+
+Je suis charme de la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'crire,
+madame. Comme il y a long-temps qu'on n'a eu celui de vous voir, on est
+tonn de trouver tant de sagesse, de raison et de bon sens, avec tous
+les charmes de la jeunesse. Il n'y a que vous qui ayez pu accorder des
+choses si opposes. Je suis trs-fche d'avoir ignor si long-temps le
+sjour de M. _de Simiane_ en ce pays-ci. Le hasard me l'a fait trouver
+dner chez M. _de Saint-Amant_; il m'a ensuite fait l'honneur de me
+venir voir deux fois. Il m'a paru tout comme il vous parot; je ne crois
+pas peu dire. Il a bien raison d'tre pour vous, comme il est. J'avoue
+que cela m'a fait un sensible plaisir; je n'aime point qu'on ignore de
+tels bonheurs. Ah! madame, que ne feroit point notre pauvre madame _de
+Svign_ dans une pareille occasion? Le malheur de ne la plus voir m'est
+toujours nouveau; il manque trop de choses l'htel de Carnavalet. Je
+ne saurois m'empcher de vous dsirer; et toute votre indiffrence pour
+ce pays-ci ne m'en peut inspirer pour votre retour. Je le souhaite comme
+si j'tois d'ge en profiter; mais il me semble que mon inclination si
+naturelle pour vous, vous fait souffrir mon ge avec quelque bont. J'ai
+eu la conduite que vous m'avez prescrite au sujet de votre lettre;
+cependant je vous avouerai, madame, que je l'ai montre madame _de
+Chaulnes_, qui m'a fait promettre de vous dire de sa part qu'elle vous
+approuve autant qu'elle dsapprouve, je ne dirai pas qui. Savez-vous
+que madame _de Chaulnes_ a un nouveau mrite mon gard? C'est celui de
+ne se point du tout consoler de la perte de madame _de Svign_. Nous en
+parlons sans cesse; car, pour moi, c'est ma manire; j'aime parler de
+ce que j'ai aim, et ne me point mnager sur les souvenirs qui me sont
+chers.
+
+Je fis une longue rponse une lettre, que vous m'avez fait l'honneur
+de m'crire avant la dernire; je la donnai madame votre mre, et ma
+lettre s'est trouve perdue. Je vous le dis, madame, afin que vous ne me
+souponniez pas d'une grossiret pareille celle d'y avoir, manqu. Au
+reste, le mariage de ma nice avec M. _de Poissi_ est rompu. Si j'tois
+ sa place, j'en serois aussi aise qu'elle en est peut-tre fche. Il
+ne la dsiroit point autant qu'il convenait pour surmonter les plus
+petites difficults: quand cela est ainsi, il me parot qu'on se doit
+trouver heureuse de ne point entrer dans une maison o l'on est si peu
+souhaite: je suis assure que c'est l votre avis. Quel bon sens,
+madame, que le vtre, de n'tre point entte de la cour! Songez que
+madame _du Lude_, qui avoit une si bonne sant, est accable de
+rhumatismes. Songez qu'il faut qu'elle couche dans la chambre de la
+princesse; qu'elle se fatigue jour et nuit, et pour qui[109]? Cependant
+je sais une personne du monde, qui admire les agrmens de la place, et
+la trouve prfrable tout le repos, dont madame _du Lude_ pouvoit
+jouir. J'ai eu quelque escarmouche avec cette personne sur une telle
+faon de penser, que je vous avoue que je ne comprends point.
+Continuez-moi toujours un peu de part dans votre amiti, madame. Il
+faudroit que vous pussiez bien savoir comme je suis pour vous, afin de
+vous persuader que je n'en suis pas indigne. Permettez-moi de prendre
+part la joie de M. le marquis _de Simiane_ de se trouver auprs de
+vous. Sa joie est d'autant plus raisonnable, qu'il n'est pas aise tout
+seul. J'ai eu assez l'honneur de le voir, pour dsirer beaucoup de le
+voir davantage.
+
+
+
+
+LETTRE XXXVIII.
+
+_A madame_ DE GRIGNAN.
+
+_Paris, 19 avril 1700._
+
+Il y a si long-temps, madame, que je ne fais rien de ce que je dsire,
+que je n'ai pu trouver le moment de vous remercier de la dernire lettre
+que vous m'avez fait l'honneur de m'crire. Ma mre a depuis quinze
+jours la fivre continue avec des redoublemens; et moins elle est en
+tat de penser, plus je suis attache auprs d'elle: c'est un terrible
+spectacle. Ce qui se passe en moi dans cette cruelle occasion, ne se
+peut concevoir; mais en voil trop sur un si triste sujet. Il vaut mieux
+vous faire de trs-sincres complimens sur le voyage que M. le marquis
+_de Grignan_ va faire en Lorraine. Toutes les distinctions sont
+agrables son ge; et vous ne sauriez croire, madame, combien celle-l
+a t recherche. Je me prsentai hier la porte de _son excellence_;
+elle toit Versailles. Je vis madame votre belle-fille chez madame _de
+Simiane_, qui est en vrit bien incommode de sa grossesse. Je rendis
+mes devoirs en votre appartement; il est trs-beau; la vue m'en parot
+charmante. Je le regardai avec un air d'intrt, qui me le fit bien
+examiner pour la premire fois. Vous serez bien loge, madame; mais vous
+nous ferez trop languir aprs votre retour. C'est l votre unique
+dfaut; nous aurions besoin que vous en eussiez d'autres pour nous
+consoler. On commence aujourd'hui tirer la loterie de madame _de
+Bourgogne_. J'ai eu trente pistoles la grande, qui s'est faite
+l'Hpital; se peut-il un plus grand malheur dans une pareille occasion?
+Cependant j'ai eu l'me assez intresse pour prfrer ce vilain petit
+billet noir un billet blanc; ma soeur a trouv ce sentiment
+trs-indigne d'elle. M. _de Bagnols_ est ici. Je ne dsespre point
+qu'il n'aille Grignan rendre M. _de Grignan_ tout ce qu'il lui doit;
+car pour Paris, ce n'auroit t que la conduite des autres. Madame la
+duchesse _du Lude_ a eu un mal assez considrable au pied. Elle a
+quelquefois un rhumatisme; mais elle ne sent point ses maux dans la
+chaleur du combat. Je pense toujours de la mme faon sur ce qui la
+regarde; et, Dieu merci pour elle, sa faon de penser n'est point
+change aussi. La pauvre petite madame _d'Aunai_, fille de madame _de
+Morangis_, est morte vingt-un ans; les _Villeroi_ sont trs-affligs
+avec raison. On assure que M. _de Rochebonne_ et M. _de Saint-Germain_
+ont des raisons d'esprer; je souhaite de tout mon coeur pour la chose en
+elle-mme, et par l'intrt sensible que vous y avez tous, que leurs
+esprances soient fondes. J'ai appris l'abb _Testu_ que vous
+l'honoriez de votre souvenir; mais je vous avouerai que, quoiqu'il ait
+reu cette marque de votre bont avec beaucoup de reconnoissance, il a
+voulu voir si je ne le trompois point, car il lui faut des
+dmonstrations; et aprs avoir t convaincu de la vrit de ce que je
+lui disois, il a tir des consquences qu'il falloit qu'il ft charm,
+et il a conclu qu'il l'toit.
+
+
+
+
+LETTRE XXXIX.
+
+A LA MME.
+
+_Paris, 30 juillet 1700._
+
+Tout ce que vous me faites la grce de me dire est vrai, madame;
+cependant on ne sauroit s'imaginer ce que la nature soutenue du
+spectacle m'a fait souffrir. L'impression qui m'en est reste est si
+vive, que je n'en puis revenir, malgr tout ce que la raison peut
+fournir de consolation. J'espre en la diversion que je n'ai point
+encore prouve; car je n'ai vu personne dans cette triste conjoncture.
+Je ne vous fais point d'excuses de n'avoir pas fait rponse votre
+lettre; vous jugez aisment, madame, de ce qui m'en a empche, et
+combien j'avois renonc mes plaisirs, puisque je m'tois retranch
+celui de vous entretenir. M. _de Coulanges_ est Versailles; on vient
+de me dire qu'il vit hier madame _de Maintenon_ chez madame _de
+Saint-Gran_, et qu'il en avoit reu des amitis infinies. Il a mand
+cette heureuse rencontre madame _de Louvois_. C'est une chose
+raisonnable que les _secondes femmes_ soient mieux traites que les
+premires; et je suis assez juste pour ne me point plaindre de la
+prfrence que M. _de Coulanges_ donne madame _de Louvois_. Que
+dites-vous de la mort de la duchesse _d'U***_? Pour moi, je voudrois
+qu'on ft un exemple de tels assassinats. On dit cependant que la presse
+est grande qui pousera ce joli hros. O grand pouvoir du tabouret! Le
+roi est Marli pour dix jours. Je donnai dner madame _de Simiane_
+en plein rfectoire le jour de la Madeleine. Nous avions la comtesse _de
+Grammont_ notre dner, et ensuite il fut question d'un sermon tout
+neuf du pre _Massillon_. La seule visite que je me suis permise, a t
+celle de la marchale _d'Humires_. En vrit, il n'y a qu' habiter le
+faubourg Saint-Jacques pour tre une personne au dessus des autres. On
+ne peut assez admirer la parfaite patience de cette marchale, sa
+rsignation la mort, sa pit, son courage; enfin, rien n'est tel que
+le faubourg Saint-Jacques. Madame _de Guitaut_ l'habite aussi; je vous
+assure que ce quartier fournit une trs-bonne compagnie. Je voudrois
+bien, pour nous venger de la joie que vous avez eue de nous quitter, que
+votre sjour Grignan vous ennuyt autant que nous. Si cela toit,
+madame, il nous seroit permis d'esprer bientt votre retour. Une des
+grandes nouvelles du monde, c'est que madame _de Bourgogne_ changera de
+confesseur aussi souvent qu'elle voudra, pourvu qu'il soit jsuite.
+
+
+
+
+LETTRE XL.
+
+A LA MME.
+
+_Paris, 18 dcembre 1700._
+
+Vous n'avez pas eu de peine, madame, imaginer la raison, je ne dis pas
+de mon oubli, mais de mon silence, puisque vous m'avez fait la grce de
+le remarquer. Votre vie est plus remplie que la mienne; ainsi c'est
+moi qu'il convient d'tre discrte. Je suis plus solitaire que jamais,
+et ne le suis pas encore assez mon gr. Il n'a pas t au pouvoir des
+grands et prodigieux vnemens qui sont arrivs[110], de m'obliger
+quitter ma chambre. Les annes m'ont tellement mise la raison, que si
+j'en avois encore beaucoup passer, je crois que je me retirerois dans
+quelque petit dsert; mais l'avenir est court pour moi. Vous jugez bien
+qu'avec de telles dispositions je ne suis pas assez informe des
+nouvelles du monde, pour avoir la confiance d'esprer vous divertir; et
+je ne dois pas avoir celle de croire que de ne vous apprendre que des
+miennes, cela vous suffise. Ce n'est pas que je n'aie vritablement
+souffert d'ignorer ce qui se passoit dans les lieux que vous habitez,
+et que je n'en aie t instruite, autant que je l'ai pu, par madame _de
+Simiane_. Il faut avouer cependant que les nouvelles considrables n'ont
+pas manqu depuis quelque temps; mais _quiconque ne voit gure, n'a
+gure dire aussi_. Vous allez avoir bien des affaires, madame, pour
+recevoir les princes[111]; je suis assure que vous n'en serez point du
+tout embarrasse. Madame _de Simiane_ trouva hier au soir ici madame la
+duchesse _du Lude_, qui est venu passer deux ou trois jours Paris, et
+lui demanda de quelle manire il convenoit que vous fussiez habille
+pour recevoir cette belle et grande compagnie. Elle lui rpondit que ce
+n'toit pas une question; qu'il falloit un grand habit, une coiffure
+noire, en un mot, comme vous seriez au souper du roi. Je ne vous parle
+point de plusieurs mariages dont il est question, et dont je suis sre
+que vous ne vous souciez gure. Madame _de Simiane_ s'embarqua hier au
+soir pour aller souper chez ma nice _de Tillires_, o est le
+rendez-vous du beau monde tous les jours. Vous voyez bien, madame, qu'on
+a du monde, quand on en veut avoir. M. _de Coulanges_ veut rpondre
+lui-mme aux aimables reproches que vous lui faites; il est cause que
+l'on a fait des chansons sur tous les grands directeurs: il a eu la
+goutte comme un grand homme. Je le plains, si jamais il est oblig de se
+croire vieux.
+
+
+
+
+LETTRE XLI.
+
+A LA MME.
+
+_Paris, 17 juin 1701._
+
+Je vous rends mille grces, madame, de l'attention que vous avez eue
+la subite et violente maladie, dont par les soins de _Chambon_ j'ai t
+dlivre en vingt-quatre heures. Je suis ravie de vous devoir ce
+mdecin; car j'aime fort tre oblige aux personnes pour qui j'ai un
+sincre attachement; j'espre vivre et mourir de sa faon. Vous aurez
+t fche et surprise de la mort de _Monsieur_[112], j'en suis assure.
+La dernire fois que j'eus l'honneur de le voir, il me demanda tant de
+vos nouvelles, que je lui fis trs-bien ma cour par tre en tat de lui
+rpondre sur ce qui vous regardoit. En vrit, la mort est un vnement
+trop ordinaire pour pouvoir compter sur cette vie; pour moi, j'avoue que
+je ris quand je vois traiter solidement quelque chose d'aussi court et
+d'aussi fragile; c'est ma raison qui a cette conduite; car si c'toit le
+sentiment, eh! mon Dieu, on ne feroit rien de tout ce que l'on fait, et
+on feroit tout ce que l'on ne fait point. On vous aura sans doute mand,
+madame, que le roi conserve M. le duc _d'Orlans_ tous les honneurs
+et privilges _de Monsieur_; des gardes, tous les grands officiers, et
+mme un chancelier. Le roi est trs-vritablement afflig. Toutes les
+femmes ont paru en mante devant S. M., et les cours souveraines vont
+lundi la haranguer. Les personnes, dont la mort devroit faire le plus
+d'impression, sont celles qui paroissent le moins regrettes, par la
+raison que l'on se tourne tout d'un coup ce qui remplit leurs places.
+J'avoue, madame, que mon got ne diminue point pour le repos, et qu'
+l'heure qu'il est, je n'y prfrerois que ce qui se doit prfrer
+tout; mais je n'aime point le repos que vous avez; il est trop loin de
+moi. Ce n'est pas que le sjour de Grignan ne me plt infiniment, si j'y
+pouvois aller. Au reste, madame, propos de beau chteau, je vais avoir
+celui d'Ormesson; et je suis assez modre pour n'en point dsirer
+d'autres, ne voyant rien au-dessus que le sjour de Grignan. Nous avons
+eu ici la duchesse _du Lude_ cinq ou six jours avant la funeste mort de
+_Monsieur_. J'ai vu l'abb _de Polignac_ depuis son retour, dont il se
+croit redevable au P. _de la Chaise_; il est plus aimable que jamais, je
+dis l'abb _de Polignac_. M. _de Coulanges_ est ravi de la fin de cette
+disgrce; mais comme il court toujours les champs, je crois qu'il ne l'a
+point encore vu. M. le cardinal _de Bouillon_ est tranquille dans son
+abbaye, chose tonnante et difficile croire? mais, madame, vous n'en
+serez point surprise, quand vous saurez qu'il est dans une extrme
+dvotion. Le roi lui a fait la grce de lui accorder une main-leve pour
+la jouissance de tous ses revenus; cela fait esprer bien des
+adoucissemens dans ses malheurs. Il faut que je vous remercie beaucoup
+de vous tre souvenue de mon amie la marquise, dont je ne sais seulement
+pas le nom, mais qui m'a t recommande par une de mes vritables
+amies. On me l'amena hier. Elle dit qu'elle connoissoit fort toute ma
+famille Lyon; je ne me souviens point de l'y avoir vue. Tout ce que je
+sais, c'est que c'est une femme de bonne maison, et que je vous suis
+trs-oblige, madame, et M. _de Grignan_, de la bont que vous avez
+eue l'un et l'autre d'avoir gard la trs-humble prire que je vous ai
+faite. Madame _de Sulli_ est assez malade; elle est dans toutes les
+rgles des mauvais mdecins, _du lait_, _saignare_, _purgare_, etc. Il
+n'y a pas moyen de lui faire entendre raison sur cela, quoiqu'elle
+l'entende si bien sur toute chose. Continuez-moi l'honneur de vos bonnes
+grces, madame, et croyez, s'il vous plat, qu'on ne peut vous honorer
+plus que je fais. Ma soeur brille Bruxelles; elle a tous les soirs
+madame la comtesse _de Soissons_ souper chez elle. Il me prend
+quelquefois envie d'aller Bruxelles reprsenter madame _de
+Bthune_[113] en Pologne. Vous ne sauriez comprendre quel point je
+dsire votre retour, madame. Plus je suis indiffrente pour tout ce qui
+vient, plus je m'attache ce qu'il y a quelque temps que je connois.
+M. _de Coulanges_ s'en va en Bourgogne avec madame _de Louvois_, et moi
+ Choisi toute seule prendre patience de ne pouvoir tre Ormesson que
+l'anne qui vient; mais le moyen de faire encore des projets avec les
+exemples qu'on a chaque jour sous les yeux.
+
+
+
+
+LETTRE XLII.
+
+A LA MME.
+
+_Paris, 12 septembre 1701._
+
+Je suis dans le monde, madame, et si peu instruite de ce qui s'y passe,
+que je n'oserois vous agacer; mais quand vous m'honorez de votre
+souvenir, j'y rponds avec un empressement, qui vous doit faire
+connotre la sensible joie que j'en ai, et juger en mme temps que mon
+silence doit s'appeler de la discrtion toute pure. Il est vrai, madame,
+que vous tes bien expose aux grandeurs de ce monde. Vous russissez
+si bien, qu'il seroit malheureux que vos talens ne parussent point. Vous
+ne payez pas seulement d'invention; on n'a parl ici que de la
+magnificence avec laquelle vous avez reu les princes; ce n'toit qu'en
+attendant la reine d'Espagne. Madame _de Bracciane_ sera ravie de vous
+prsenter sa jeune reine. Je la trouve, comme vous, bien digne de
+l'emploi qu'elle a; mais la faon de penser de quelqu'un qui n'est plus
+jeune, ne laisse rien imaginer d'agrable[114]. J'ai dj tant vcu,
+qu'il me parot peu possible d'envisager un long avenir; ainsi ce peu
+qui me reste, j'aimerois le passer dans le repos. Je n'ai jamais eu de
+got pour les personnages, qui n'toient point les jeunes dans les
+comdies. Cela m'est demeur pour le thtre du monde. Ma paresse
+naturelle, une foible sant sans doute, me donnent de telles penses,
+qui s'accommodent si bien avec ma mdiocre fortune, que je n'en puis
+assez remercier Dieu. J'ai trop aim le monde. Il me semble cependant
+que je n'ai pas perdu le temps que j'ai pass m'en dtromper; car il
+est certain que je prfre la vieillesse aux belles annes, par la
+grande tranquillit dont elle me laisse jouir: mais je veux rpondre
+vos questions, madame. Le voyage que madame _de Louvois_ devoit faire en
+Bourgogne, est rompu; elle est Choisi pour toute l'automne: monsieur
+_de Coulanges_ y est avec elle, et je compte y aller dans sept ou huit
+jours. Comme je n'ai point encore de maison de campagne, je prends
+patience Paris. Si je vis jusqu' l'anne qui vient, j'aurai Ormesson,
+qui n'est plus reconnoissable que par le bois. La maison est aussi
+blanche qu'elle toit noire. Les fentres sont coupes jusques en bas;
+enfin, il y aura pour se coucher, pour se promener; et, grce Dieu, je
+n'en dsire pas davantage. Pardonnez-moi, je dsire passionnment de
+vous y recevoir; les cabarets plaisent quelquefois, quand on est
+accoutum aux dlices des grands palais. Oui, madame, M. _de Coulanges_
+ira voir M. le cardinal _de Bouillon_, lequel, ce que j'apprends, est
+bien plus heureux qu'il n'a jamais t. Je suis tout--fait sensible au
+malheur qui vient d'arriver madame _de Chatelux_. Son fils, bien fait,
+bien riche, qu'elle alloit marier une hritire de Bourgogne, a t
+tu cette dernire occasion[115]. Je crois que le marchal _de
+Villeroi_ justifiera tout--fait la conduite de M. le marchal _de
+Catinat_. Il est si honnte, qu'il ne dira que des vrits. Votre amie
+madame _de Lesdiguires_ a t bien heureuse. Vous ne m'aviez jamais
+confi que ce qu'elle a pour vous, madame, est une passion trs-vive.
+Madame _de Louvois_ et moi, passmes avec elle, il y a quelques jours,
+une partie de l'aprs-dine. Elle nous montra un assortiment pour
+prendre du caf d'une magnificence et d'une perfection comme il n'y en a
+point. On proposa d'en faire usage; elle nous assura que personne ne
+s'en serviroit avant votre retour. Elle l'attend avec une impatience que
+je comprends mieux que personne; en un mot, madame, vous lui avez
+inspir des sentimens qui lui seroient inconnus sans vous. Son palais
+est plus beau et plus tranquille que jamais. Je m'y trouve merveille;
+il me parot qu'on ne se peut ennuyer dans un lieu o vous tes si
+chrie. L'abb _Testu_ a t ravi de l'honneur de votre souvenir, aussi
+bien que madame _Frontenac_ et mademoiselle _d'Outrelaise_. Ce premier
+est plus jeune que jamais; il seroit tout prt conduire le roi
+d'Espagne[116]. Chaque anne lui en te deux, de faon qu'il est
+assurment trop jeune. Il y a long-temps que je n'ai vu madame votre
+belle-soeur. Elle a des vapeurs; et quand cela est ainsi, elle est seule
+sur son lit. Je lui ferai vos reproches. Je crois que M. _de Svign_
+reviendra bientt de Bretagne. A propos de Bretagne, personne ne doute
+que M. _de Beaumanoir_ n'pouse mademoiselle _de Noailles_. Madame _de
+Simiane_ accouchera bientt. Je voudrais bien pouvoir lui tre bonne
+quelque chose; mais je suis trs-peu habile sur les accouchemens; et
+comme vous savez que je ne joue point, vous voyez bien qu'il m'arrive
+encore de lui tre inutile, quand elle se porte bien. J'aurai cependant
+l'honneur de la voir, et de vous mander de ses nouvelles, quand elle ne
+sera point en tat de vous crire. Madame _de Sanzei_ est Autri. La
+cour est Marli jusqu' samedi. Elle partira mardi pour Fontainebleau;
+elle sjournera deux jours Sceaux; Meudon, Chaville, Sceaux, Lestang,
+admirez; madame, comme tout cela a chang en peu de temps: il n'y a que
+madame _de Bracciane_ et l'abb _Testu_ qui ne changent point. Je vous
+demande pardon de la longueur de ma lettre. Je me laisse aller au
+plaisir de vous entretenir; je crains qu'il ne m'en cote d'tre
+long-temps sans recevoir de vos nouvelles. Seroit-il possible, madame,
+que je vous pusse recevoir Ormesson? Vous ne me parlez jamais de votre
+retour, et cela m'afflige. Madame _de Lesdiguires_ assure qu'il est
+dcid pour le printemps. Je la verrai aujourd'hui, et ce ne sera pas
+sans qu'il soit bien parl de vous. J'aime fort lui plaire; mais il
+n'est pas ais de dmler qui est la complaisante de nous deux, quand il
+est question de vous, madame.
+
+
+
+
+LETTRE XLIII.
+
+A LA MME.
+
+_Paris, 4 avril 1702._
+
+Je suis bien rcompense du soin que j'ai pris pour le chocolat de M.
+_de Grignan_, madame, puisque cela m'a attir une marque d'honneur de
+votre souvenir. Il me semble que je vous aurois importune, si je vous
+avois crit dans toutes les occasions o il a t question de vous en ce
+pays-ci. Vous avez fait les honneurs de la France avec une telle
+magnificence et une telle profusion que l'on en parle encore tous les
+jours. Vous allez avoir le roi d'Espagne. J'avoue que tous ces honneurs
+ne me laissent point oublier mes intrts, et je crains toujours que
+cela ne retarde votre retour, que je ne puis m'empcher de dsirer
+trs-vivement. Je ne doute point que vous n'ayez t fort sensible la
+perte de notre pauvre duchesse _de Sulli_[117]. Elle vous aimoit
+vritablement, et c'toit une trs-aimable femme. Ah! madame, je la vis
+la veille de sa mort. Elle se croyoit bien malade; mais elle toit bien
+loigne de penser que le terme ft aussi court. Sa docilit pour les
+mdecins l'a tue; cependant s'il est vrai que nos jours sont compts,
+pourquoi ne nous pas dsaccoutumer de nos ridicules raisonnemens? Quant
+ moi, qui me trouve seule de toutes les personnes avec qui j'ai pass
+ma vie, je demeure dans ma solitude sans vouloir faire aucune nouvelle
+connoissance; cela n'en vaut pas en vrit la peine. Ma vie est
+trs-loigne de celle du monde. Je ne m'y trouve plus du tout propre.
+Ces nouveauts qu'il me prsente ne sont plus mon usage; et mon
+antiquit n'est plus au sien. Ainsi, grce Dieu, nous nous passons
+merveille l'un de l'autre. Vous jugez bien, madame, que cela me rend
+peu digne du commerce que je pourrois avoir avec madame _de Simiane_.
+Son ge[118] et le mien sont trop disproportionns. Je sais cependant
+qu'elle va habiter notre quartier, et je la plains beaucoup. Je suis
+assure que quand elle auroit tort votre gard, vous chercheriez
+toujours la justifier. Ainsi, j'espre que vous l'aimerez toujours par
+la raison qu'elle vous est fort attache, et que vous l'aimez
+naturellement. Elle est aussi trs-aimable; cela est constant. Mais,
+madame, savez-vous bien que votre amie, madame _de Lesdiguires_, n'est
+point du tout en bonne sant? elle a une jambe qu'elle ne sent point, et
+qui est enfle. Elle n'imagine point d'autre remde que la saigne, qui
+est le seul, je crois, qui peut rendre son mal dangereux. Il faudroit
+fournir des esprits, et elle se veut puiser, ce qui n'est assurment
+pas raisonnable. Je vous en avertis comme la seule personne qui peut lui
+faire entendre raison. La marchale _de Villeroi_ a commenc tre
+afflige du jour que le marchal partit pour l'Italie. L'vnement n'a
+que trop justifi sa douleur; il toit plus heureux, tant le marquis
+_de Villeroi_. Mais, madame, vous nous avez envoy un prisonnier, qui
+l'est, je crois, prsentement de mademoiselle _de Bellefond_. Il soupa
+avec elle le jour de son arrive Vincennes; il fut charm avec raison
+de sa beaut. Il a gagn le donjon depuis, avec l'ide de cette jolie
+fille, qui est toute des plus aimables. Enfin, elle n'a des _Mancini_
+que la beaut. J'ai si peu de commerce avec M. _de Richelieu_[119], que
+je ne l'ai point vu depuis son mariage. Si on le voyoit toutes les fois
+qu'il se marie, on passeroit sa vie avec lui. Il est trop jeune pour
+moi; je ne sais pas si madame _de Richelieu_ lui trouvera ce dfaut. On
+ne peut trop louer sa modration; elle n'a pas encore pris son tabouret.
+L'htel _de Richelieu_ est vendre. Pour l'abb _Testu_, je le crois
+trs-fch de ne pouvoir suivre l'exemple de M. _de Richelieu_. Sa
+jeunesse augmente tous les ans; et vous croyez bien, madame, qu'avec un
+tel privilge il est assurment trop jeune pour se marier. Il m'a prie
+de vous dire des choses trs-passionnes de sa part. La princesse de _la
+Cisterne_[120], qui j'ai appris que vous vous tiez souvenue d'elle,
+m'a fait promettre, madame, que je vous dirois combien elle est
+vritablement afflige de ne vous avoir point trouve en ce pays-ci.
+Elle y a russi merveilles; la cour lui en a fait. Elle a tourn
+l'esprit de sa mre tout ce qu'elle a dsir. Sa petite fille est
+morte; et c'est un bien pour faire russir ses projets. Elle a un fils
+an, qui est fort grand seigneur dans son pays; et un petit, beau comme
+le jour, qu'elle prtend tablir en France sous le nom de marquis _de la
+Trousse_ avec ses deux belles terres de la Trousse et de Lisi. Elle ne
+trouve nul obstacle du ct de sa mre, qui lui a, je crois, assur tout
+son bien. C'est une trs-habile femme que madame _de la Cisterne_. Je la
+regrette; elle nous quitte aprs un voyage de huit jours qu'elle va
+faire la Trousse. Elle vous plairoit, madame; elle a un esprit bon et
+naturel: je pense qu'elle pourra bien se venir tablir en France dans
+quelques annes; mais je ne prends plus aucune part dans les projets
+loigns. Nous sommes ici dans l'agitation du Jubil. Cette dvotion
+n'est point dans les principes du Quitisme; car il se faut donner bien
+du mouvement. Le roi viendra trois jours de suite Notre-Dame,
+commencer jeudi, et s'en retournera Meudon; _Monseigneur_ y est venu
+ces jours-ci. Enfin, madame, tout le monde est dans la ferveur, jusqu'
+M. _de Coulanges_, qui, avant que d'aller courir les rues, m'a fort
+prie de vous assurer de ses respects. Je ne puis vous dire, madame,
+quel point je sais vous honorer et vous aimer; mais les absences sont
+trop longues. Je ne les trouve point proportionnes la brivet de la
+vie; et vous jugez bien, madame, par la tristesse de cette rflexion, de
+tout l'ennui que me cause votre loignement.
+
+
+
+
+LETTRE XLIV.
+
+A LA MME.
+
+_Paris, 10 mai 1703._
+
+J'esprois n'avoir aujourd'hui qu' vous rendre mille trs-humbles
+grces d'une trs-aimable lettre que je reus hier de vous, madame, et
+je me trouve oblige de vous faire un triste compliment sur la mort du
+petit marquis _de Simiane_. La jeunesse et la fertilit du pre et de la
+mre doivent donner de grandes esprances de voir bientt cette perte
+rpare; mais enfin il toit tout venu, et je prends un vritable
+intrt tout ce qui vous regarde. Je suis ravie, madame, que vous
+approuviez les dernires connoissances que j'ai faites; car je n'ose
+encore traiter d'amis des personnes avec qui j'ai eu aussi peu de
+commerce. J'ai bien de quoi m'annoncer auprs d'eux par leur conter
+comme vous parlez de leur mrite; c'est par-l que je suis bien sre de
+leur plaire. Ils m'ont dj confi ce qu'ils pensoient de vous et de
+tout ce qui s'appelle Grignan. M. _de Marsin_ est malade; il attend le
+retour de sa sant pour aller o son devoir l'appelle. Le marchal (_de
+Catinat_) est dans sa campagne plus philosophe qu'on ne peut vous le
+dire. Il a raison de se plaindre que je le fais trop attendre. Nous
+n'avons plus de temps perdre tous deux; mais aussi nous sommes trop
+avancs, pour que le temps nous puisse faire tort ni l'un ni
+l'autre. Ma soeur doit partir pour Bruxelles le lendemain des ftes; et
+voil-ce qui m'a empche jusqu' prsent de m'aller tablir Ormesson,
+o je compte passer une partie de l't; mais je serai bien honteuse, si
+j'y reois jamais M. _de Grignan_, de ne lui prsenter qu'un grand bois,
+lui qui est accoutum, comme vous dites, madame, aux dlices de Capoue.
+Il n'importe, je dsire trs-vivement d'avoir cette honte; car si je ne
+lui prsente point les objets charmans, dont il jouit Mazargues[121],
+et les belles eaux que je crois qui surpassent en beaut celles de
+Versailles, je lui prsenterai une antique personne trs-touche des
+charmes de la solitude, et qui, sans avoir aucune aigreur contre le
+monde, en est fort dgote. J'espre que, par ses conversations, il me
+tiendra moins de rigueur, et qu'il me pardonnera mes bois trs-dnus
+de vue. Pour vous, madame, j'ose dire que vous serez surprise de
+l'arrangement de cette vieille maison, si vous pouvez faire un assez
+grand effort de mmoire pour vous en souvenir. Que dites-vous du parfait
+bonheur de M. le marchal _de Villars_? Il est bien heureux de n'tre
+pas dsabus du monde; car assurment le monde est tourn bien
+agrablement pour lui; et le moyen alors de penser qu'il n'y ait pas de
+plaisir dans cette vie? On dit qu'il a des inquitudes qui le troublent,
+et que je crois cependant trs-peu fondes. Si ma nice avoit bien voulu
+me croire, le marchal seroit heureux, et elle grande dame. Son
+insensibilit va jusqu' n'tre pas touche de la conduite qu'elle a
+eue. J'avoue que je ne reconnois point mon sang cette indolence. M.
+_de Coulanges_ arriva hier de Versailles avec un portrait qu'il tenoit
+de la libralit de M. le duc _de Bourgogne_. Il est aussi content que
+le peut tre le marchal _de Villars_. Tout Paris dit qu'il va tre
+duc, je ne dis pas M. _de Coulanges_. Je conterai _Sanzei_ que vous
+savez de ses nouvelles; il est si discret, qu'il ne nous a point parl
+de ses bonnes fortunes. Il est aide de camp de M. le duc _de Bourgogne_;
+et il me parot encore plus attach son matre qu' sa matresse. Je
+ne vous puis rien dire de _Chambon_; j'en suis dsole. Moins il est
+coupable, plus sa prison sera longue. Il n'oseroit dire ce qui pourroit
+le justifier: cela vous parotra un peu nigme; mais je n'ose en dire
+davantage, de peur d'tre la Bastille. Je vis, il y a deux jours,
+madame la duchesse _de Lesdiguires_. La manire dont je dsire votre
+retour, me fait un mrite auprs d'elle; mais je ne suis point contente
+que vous me parliez de ce retour avec si peu de certitude. Nous
+attendons la Saint-Jean avec autant de crainte que d'impatience; car si
+vous ne donnez point cong M. _de Rez_, nous ne tenons rien. Ainsi
+cet vnement-l ne nous est pas assurment indiffrent. Si Vous saviez
+ce que c'est que la calche de velours jaune que madame _de
+Lesdiguires_ vient de faire parotre, vous ne pourriez pas rsister au
+plaisir de vous promener dedans; on ne parle d'autre chose. Elle est
+singulire, magnifique, mais trs-loigne d'tre ridicule, comme on
+l'avoit dit. On me l'avoit faite seme de _mores_; et cela est faux. Les
+roues sont bleues, et paroissent de lapis. Cela fait un effet charmant
+avec ce jaune. Il y a trois mois que je n'ai vu madame votre
+belle-soeur[122]; elle n'a plus aucun commerce avec les profanes. J'ai
+t des dernires avec qui elle a rompu; mais elle ne veut plus de moi,
+il ne faut point s'en faire accroire: la maison qu'elle va habiter est
+laide; mais son jardin, qui est triste par la hauteur des murailles, ne
+laisse pas d'tre grand. Vraiment, madame, une maison de campagne n'est
+pas une retraite digne d'une dvote. On ne trouve point le P.
+_Gaffarel_[123] la campagne; et il est vis--vis de la porte o
+habitera M. _de Svign_. Je suis en peine de ce dernier. Sans sa
+docilit, ce seroit un homme perdu; mais aussi, sans sa docilit,
+n'iroit-il point habiter le faubourg Saint-Jacques. Pardonnez, madame,
+la longueur de cette lettre en faveur de la joie que j'ai de vous
+entretenir, et croyez, s'il vous plat, qu'on ne peut tre plus sensible
+que je le suis aux bonts dont vous m'honorez. Ne laissez plus aller M.
+le chevalier _de Grignan_ dans sa solitude, et entretenez M. le comte
+dans l'envie qu'il a de venir faire sa cour. Je ne crois personne plus
+propre que lui convertir les Huguenots; il a bien de la douceur, bien
+de la raison, et n'est point du tout hrtique. Voil, de grands talens
+pour _Orange_; mais il en a aussi pour le monde, qui le font bien
+dsirer ici. Ne savez-vous pas, madame, que M. le marchal _de Villeroi_
+a t voir madame la comtesse _de Soissons_ Bruxelles? Il lui a men
+son fils; et madame la comtesse _de Soissons_ avoue qu'il y a long-temps
+qu'elle n'a eu une si grande joie. J'ai lu le _Trait de l'Amiti_[124],
+qui m'a paru rempli d'esprit; mais je ne l'aime point. Je donne ce got
+pour le mien, et point du tout pour bon. Je hais les rgles dans
+l'amiti, et je ne laisserai jamais mourir mon ami. J'aime cent fois
+mieux manquer mon serment.
+
+
+
+
+LETTRE XLV.
+
+A LA MME.
+
+_Paris, 17 juin 1703._
+
+J'ai eu la mme conduite pour vous, madame, que j'ai eue pour moi; c'est
+celle aussi qu'ont observe toutes les personnes qui, par discrtion,
+n'ont pas cru devoir crire madame _de Maintenon_. Elles ont fait
+passer leurs complimens par madame la duchesse _du Lude_. J'ai crit
+cette dernire, et je me suis charge de tout. Vous verrez par sa
+rponse que je dis vrai; et je suis mme assure que vous me croiriez,
+quand je ne vous l'enverrois point. Il est impossible d'tre plus
+touche que madame _de Maintenon_ l'a t de la mort de M.
+_d'Aubign_[125]. Pour moi, je le suis fort de celle de _Gourville_,
+avec lequel j'avois renouvel un commerce trs-vif. J'y ajouterai que
+son esprit toit si parfaitement revenu, que jamais lumire n'a tant
+brill avant que de s'teindre. Je n'ai point t la campagne, comme
+je l'avois espr; je me suis amuse marier le frre de madame _de
+Mornai_ avec mademoiselle _de Menars_. Cette pense-l me vint; je la
+proposai M. l'abb _Duguet_, qui voulut bien entrer dans cette
+affaire. Elle est enfin conclue, et les noces se sont passes avec toute
+la magnificence possible. Nous esprons de la bont du roi l'agrment
+pour la charge de prsident mortier. Mademoiselle _de Menars_ a tant
+de parens considrables, qu'il y a lieu de croire que cette esprance
+n'est pas chimrique. On prsenta hier la nouvelle marie au roi et
+toute la cour. Madame _de Maintenon_ lui fit des prodiges. Ma
+complaisance n'a point t jusqu' aller Versailles, quoiqu'on l'et
+dsir. J'ai renonc au monde, et je n'ai pas l'humilit d'aller dans un
+pays o je n'ai que faire, et o je n'ai rien d'agrable, ni de nouveau
+ montrer. Je cours ce soir Ormesson, o M. le marchal _de Catinat_
+et M. _de Coulanges_ m'attendent. Je vous manderai des nouvelles de la
+vie que nous allons faire ce marchal et moi. Je suis ravie d'apprendre
+que vous avez enfin donn cong M. _de Rez_; j'en tire la consquence
+que vous revenez cet hiver. Je vous assure qu'il y a long-temps qu'aucun
+vnement ne m'a fait un plaisir si sensible. Je vous prie, madame, que
+je sois rassure sur votre rhumatisme, dont je suis trs en peine. Vous
+vous traitez si durement, que je ne vous trouve point bien entre vos
+mains. Je vis avant-hier madame _de Simiane_, que je trouvai console de
+la perte qu'elle a faite. Elle l'a rpare, car elle est grosse; mais il
+en cote quelque chose sa jolie figure. M. _de Svign_ nous a quitts
+pour sa Bretagne; et madame votre belle-soeur va jeudi habiter la maison
+de ma grand'mre. Je me suis trouve attendrie en leur disant adieu; il
+me parot qu'ils vont changer et de vie et d'amis. C'est, en vrit, une
+vraie sainte que madame votre belle-soeur, plus aise admirer qu'a
+imiter. Je me plains, madame, de n'avoir point appris par vous votre
+retour; mais j'en pardonnerons bien d'autres, si vous reveniez, comme je
+le veux esprer.
+
+
+
+
+LETTRE XLVI.
+
+A LA MME.
+
+_Paris, 7 juillet 1703._
+
+Je ne suis point contente, madame, de la manire dont vous me parlez de
+votre retour. Il me parot que la saison de Nol vous fait peur; pour
+moi, je suis persuade que le printemps et l't n'arriveront qu'alors.
+Depuis trois semaines que j'habite ma solitude, je n'ai eu qu'un seul
+beau jour. Les vents sont dchans; les pluies continuelles; tous les
+biens de la terre perdus; voil les vnemens qui nous occupent le plus.
+Cependant celui de la petite victoire[126] de M. le marchal _de
+Boufflers_ est venu jusques nous. Il toit temps qu'il fit parler de
+lui, et que l'on se souvnt que le marchal _de Villars_ n'est pas le
+seul conqurant que nous ayons. Nul bonheur sans mlange dans ce monde.
+La passion de ce dernier pour sa femme est au dessus de celle qu'il a
+pour la gloire, et sa dlicatesse lui persuade que la gloire le traite
+mieux. Sa mre est charmante par ses mines, et par les petits discours
+qu'elle commence, et qui ne sont entendus que des personnes qui la
+connoissent. Mais, madame, je m'amuse vous parler des marchaux de
+France employs, et je ne vous dis rien de celui[127] dont le loisir et
+la sagesse sont au dessus de tout ce que l'on en peut dire. Il me
+parot avoir bien de l'esprit, une modestie charmante; il ne me parle
+jamais de lui, et c'est par l qu'il me fait souvenir du marchal _de
+Choiseul_. Tout cela me fait trouver bien partage Ormesson[128];
+c'est un parfait philosophe, et philosophe chrtien; enfin, si j'avois
+eu un voisin choisir, ne pouvant m'approcher de Grignan, j'aurois
+choisi celui-l. Il vous honore beaucoup, et nous parlons souvent de
+vous et de M. _de Grignan_. Il ne lui arrive point aussi d'oublier M. le
+chevalier.
+
+Madame votre belle-soeur est tablie au faubourg Saint-Jacques; et M.
+votre frre ira y descendre en arrivant de Bretagne. Je suis persuade
+qu'il va tre compagnon du P. _Massillon_[129]; c'est son premier mtier
+que celui d'tre dvot. Les dvots sont en vrit plus heureux que les
+autres. Je les envie, et je voudrois bien les imiter. Une des premires
+visites que je ferai, sera celle d'aller dans la maison de ma
+grand'mre; car c'est la mme qu'occupe madame votre belle-soeur.
+
+L'esprit de _Gourville_ toit plus solide et plus aimable qu'il n'avoit
+jamais t. Il toit revenu d'une manire, qui a fait sentir bien
+vivement le regret de le perdre. Ses mmoires sont charmans; ce sont
+deux assez gros manuscrits de toutes les affaires de notre temps, qui
+sont crits, non pas avec la dernire politesse, mais avec un naturel
+admirable. Vous voyez _Gourville_ pendu en effigie, et gouverner le
+monde. Tout ce qui m'en a dplu (car je les ai entirement lus), c'est
+un portrait, ou plutt un caractre de madame _de la Fayette_,
+trs-offensant par la tourner trs-finement en ridicule. Je le trouvai
+quatre jours avant sa mort avec la comtesse _de Grammont_; et je
+l'assurai que je passois toujours cet endroit de ses mmoires. Les
+caractres de tous les ministres y sont merveilleux; l'histoire de
+madame _de Saint-Loup_ et _de la Croix_ y est narre dans le point de la
+perfection. Vous m'allez demander si l'on ne peut point avoir un aussi
+aimable ouvrage[130]; non, madame, on ne le verra plus, et en voici la
+raison: _Gourville_ y parle de sa naissance avec une sincrit parfaite;
+et son neveu n'est pas un assez grand homme pour soutenir une chose
+aussi estimable mon gr.
+
+Ma soeur est prsentement Bruxelles. Je lui manderai que vous lui
+faites l'honneur de vous souvenir d'elle. Notre nouvelle marie me vint
+voir hier. C'est une femme trs-vertueuse, et qui donne de
+trs-agrables alliances son mari, et une charge de prsident
+mortier aprs la mort de M. _de Menars_. Je vous rponds sur toutes les
+questions que vous me faites, madame, mesure qu'il m'en souvient, et
+je n'y cherche point de liaison. On ne vous a pas bien informe de la
+sant, ou plutt de la maladie de madame _de Maintenon_. Depuis cette
+fivre de l'hiver pass, elle en a toujours eu des accs prcds de
+grands frissons, sans marquer aucune rgle; mais quand ses accs sont
+passs, elle se porte merveille. Point de dgot, point d'insomnie,
+trs-peu de changement; voil de bonnes marques, et qui font esprer
+qu'elle aura assez de force pour supporter cette bizarre fivre. Madame
+la duchesse de Bourgogne s'est baigne Marli; il faut esprer au
+retour de M. le duc de _Bourgogne_. Je suis persuade que M. le comte
+_de Grignan_ est entirement dlivr de sa fivre tierce. C'est une
+petite maladie faite pour le quinquina; et il me parot qu'il n'a rien
+hasarder le continuer. Ma galerie est bien honore d'tre le modle de
+la belle et magnifique galerie du chteau de Grignan; mais la mienne
+est auprs de vos palais; comme ces petits trous par o l'on fait voir
+Versailles. Telle qu'elle est, je voudrois bien vous y tenir, madame.
+Quant M. le chevalier, j'espre que _Saint-Gratien_[131] l'attirera
+dans nos bois, et je le dsire beaucoup. Je ne puis souffrir que madame
+de _Sal..._ ait des garons tous les ans, toujours _Gar...._ et jamais
+_Grignan_; on n'y peut rsister.
+
+
+
+
+LETTRE XLVII.
+
+A LA MME.
+
+_Paris, 5 aot 1703._
+
+Je suis ravie, madame, que la bonne sant de monsieur le comte _de
+Grignan_ continue; le quinquina l'a bien mieux servi que madame _de
+Maintenon_, qui, malgr tout l'usage qu'elle en a fait, a toujours la
+fivre. On l'en avoit crue gurie pendant quelques jours; mais la est
+revenue avec assez de violence, et peu de rgle. Son tat rend le voyage
+de Fontainebleau fort incertain. Elle est cependant Marli; mais elle
+ne s'en porte pas mieux.
+
+L'affaire du pauvre _Chambon_ n'avance point. J'allai hier la
+Bastille; je fis tout mon possible pour le voir. Jamais mon ami
+_Joncas_[132] n'y voulut consentir. Je le regarde comme un homme ruin
+sans ressource, d'autant qu'on ne voit point la fin de ses malheurs: sa
+petite femme me fait une extrme piti.
+
+Je crois que vous regrettez prsentement l'hiver du mois de juillet; car
+voici un t bien chaud. Cependant il ne faut pas s'en plaindre; je
+crois ce temps-l bon pour M. le chevalier _de Grignan_ et pour les
+vignes. J'allai, il y a deux jours, Choisi. J'y laissai M. _de
+Coulanges_, qui doit incessamment venir voir votre maison pour y
+excuter vos ordres. Madame _de Lesdiguires_, que je vis hier, ne parle
+que de la joie que lui donne votre retour; et c'est moi qu'elle choisit
+pour en parler. Elle a, en vrit, raison; car je ne le dsire pas moins
+vivement qu'elle. Nous allmes hier, madame _de Simiane_ et moi,
+chercher le marchal _de Catinat_. Il toit dj reparti. Il a pass
+quelques jours Paris, o il m'avoit cherche aussi; mais on ne se voit
+point Paris. Je retourne incessamment dans la maison _de Polmon_, o
+je serai ravie de le trouver; un hros chrtien est bien plus mon
+usage maintenant qu'un hros romanesque. La maison que je vais habiter
+m'a vue dans ces deux gots; car, en vrit, je n'y tois soutenue dans
+ma jeunesse que par des ides trs-romanesques. Ce temps-l est bien
+loign. Les penses solides sont assurment plus raisonnables; et c'est
+par-l qu'elles sont assez tristes. Au reste, madame, le bel air de la
+cour est d'aller la jolie maison que le roi a donne la comtesse _de
+Grammont_ dans le parc de Versailles. Le comte dit que cela jette dans
+une si grande dpense, qu'il est rsolu de prsenter au roi des parties
+de tous les dners qu'il y donne. C'est tellement la mode, que c'est une
+honte de n'y avoir pas t. La comtesse va tous les jours dner Marli,
+et le soir revient dans sa jolie maison vaquer sa famille.
+
+Madame votre belle-soeur[133] est fort joliment loge. J'allai chez elle
+en dernier lieu; je la trouvai dans une trs-parfaite sant,
+mademoiselle _de Grignan_ et le P. _Gaffarel_ avec elle; charme de la
+vie qu'elle mne; bien des prires, bien des lectures, et une socit de
+personnes qui sont toutes occupes de l'ternit, indiffrentes pour les
+nouvelles du monde, peu sensibles tout ce qui passe. En vrit,
+madame, ce ne sont pas eux qui ont tort.
+
+La comtesse _de Grammont_ se porte trs-bien. Il est certain que le roi
+la traite, merveille; et c'en est assez pour que le monde se tourne
+fort de son ct. Mais, comme vous savez, madame, le monde est bien
+plaisant. Permettez-moi de vous supplier de me conserver l'honneur de
+vos bonnes grces, et d'assurer M. le comte _de Grignan_ et M. le
+chevalier de mes trs-humbles services. Je conterai notre marchal
+tout ce que vous pensez de son mrite, et c'est par-l que je prtends
+me faire valoir auprs de lui.
+
+
+
+
+LETTRE LXVIII.
+
+A LA MME.
+
+_Paris, 25 septembre 1703._
+
+J'entends fort bien parler, madame, de la sagesse _de Chambon_; ainsi,
+j'espre que son ressentiment ne l'obligera point quitter Paris, o il
+rtablira mieux le tort que sa prison a fait ses affaires qu'en lieu
+du monde. Vous ne connoissez plus la cour, de croire qu'on a pu lire sa
+justification. On ne liroit pas un billet de deux lignes, de quelque
+importance qu'il pt tre. Vous avez t instruite du beau procd de M.
+_de Chamillard_, l'gard de M. _Desmarest_, et des raisonnemens du
+public. Ainsi, madame, je ne vous parlerai plus de cette vieille
+nouvelle; mais je ne veux pas perdre un moment vous dire l'tat o est
+Madame _de Lesdiguires_, dont je vous croyois bien informe. Son mal a
+t une dyssenterie trs-violente; et son mdecin, un suisse qui a tu,
+ou du moins avanc la mort de M. _de Chaulnes_, par un breuvage qu'il
+lui donna. Cependant madame _de Lesdiguires_ ne vouloit voir aucun
+autre mdecin; enfin, il y a six jours que madame la marchale _de
+Villeroi_ lui mena de son autorit _Helvtius_, qui ne la trouva point
+en tat de prendre son remde. Il crut voir des indices certains qu'elle
+avoit un abcs. Il craignit la gangrne; il lui fait prendre des
+lavemens d'herbes vulnraires avec de l'eau d'arquebusade. Elle en est
+ fendre du pus. Ainsi, on espre qu'elle reviendra de cette maladie;
+mais on ne la croit pas encore hors de pril. Son mal est trop grand
+pour s'en prendre au caf. Notre marchal ([134]) l'a abandonn pour le
+chocolat. Je lui ferai assurment voir ce que vous dites de lui; il me
+parot fort touch de votre approbation, madame, et de celle de M. le
+chevalier _de Grignan_. C'est le plus aimable homme du monde; nous ne
+passons pas un jour sans le voir. Je le trouve seul au bout, d'une de
+nos alles; il y est sans pe, il ne croit pas en avoir jamais port.
+Il voit le roi tous les quinze jours, et puis revient dans sa solitude
+avec un got qui parot naturel. Vous avez raison, madame, de me trouver
+ plaindre, quand je retournerai Paris. J'ai promis madame _de
+Louvois_ d'aller passer quinze jours Choisi; mais je vous avoue que
+j'ai bien de la peine m'y rsoudre. M. et madame _de Simiane_ me
+firent hier l'honneur de venir dner ici avec notre fille d'honneur de
+la reine _Marguerite_; et madame votre fille me promit qu'elle y
+reviendroit passer encore quelques jours. C'est en vrit une jolie
+femme. On ne peut avoir plus d'esprit, ni un esprit plus aimable que le
+sien; une charmante humeur: il n'est pas possible de se dptrer d'elle;
+mais c'est bien moi d'aimer une personne de son ge. Cependant je
+tomberois infailliblement dans cet inconvnient, si je la voyois trop
+souvent. J'ai bien de l'impatience de vous voir excuter le projet que
+vous avez fait de revenir Paris. Si j'tois en commerce avec les fes,
+vous me verriez voler _Grignan_. Tant que cela ne sera point, croyez
+que je ne vais que terre terre.
+
+
+
+
+LETTRE XLIX.
+
+A LA MME.
+
+_Paris, 5 fvrier 1704._
+
+La comtesse _de Grammont_, madame, ne se porte pas bien; aussi je la
+crois moins soutenue que le comte par les charmes de la cour,
+quoiqu'elle y soit traite avec toutes les distinctions possibles. M.
+_de l'Hpital_ est mort[135]; c'toit une de vos conqutes. Sa
+femme[136] demeure avec quarante mille cus de rente. Cela change fort
+son tat; car on ne la faisoit vivre que des _infiniment petits_[137].
+L'abb _Testu_ est dans un tat trs-digne de piti. Ses vapeurs
+augmentent; au lieu de diminuer. Il y a trois mois qu'il n'a dormi. Il
+ne mange plus, et son imagination se sent des dsordres de son corps.
+Ajoutez tous ses maux soixante-dix-huit ans, et vous jugerez que nous
+aurons bien de la peine le tirer de l'tat o il est. Quelle
+tristesse, madame, de voir disparotre toutes les personnes avec qui
+l'on a vcu! j'apprends dans ce moment la mort de madame _de
+Boisdauphin_. Je vous quitte avec regret, madame, pour aller au secours
+de madame _de Louvois_. Ce ne sera pourtant, qu'aprs vous avoir
+supplie de ne point oublier la manire dont je vous honore, j'ose dire
+plus, celle dont je vous aime. Je vois quelquefois madame _de
+Lesdiguires_; j'ai mme t chez elle avec madame _de Simiane_, qui ne
+l'avoit point vue depuis la perte de son fils[138]. Cette dernire
+prtend que ce n'toit point sa faute; mais il toit un peu tard, je
+l'avoue. Elle vous adore (_madame de Lesdiguires_); mais elle soutient,
+et je suis de son avis, que ce n'est pas vous voir que de se souvenir de
+vous. Je crois le printemps revenu Marseille; car il se laisse
+entrevoir dans ce pays ci. J'oubliois de vous dire que l'abb _Testu_ a
+t trs-sensible l'honneur de votre souvenir, malgr la cruaut de
+tous ses maux.
+
+
+
+
+LETTRE L.
+
+A LA MME.
+
+_Paris, 3 mars 1704._
+
+Je me suis acquitte des ordres que vous m'avez donns, madame, et j'ai
+mille et mille remercmens vous faire de madame _de Louvois_, qui m'a
+paru fort touche de votre attention son gard. La pauvre femme a
+hrit de cinquante-quatre mille livres de rente. Je ne l'en, crois pas
+plus heureuse, et je sais bien que je me sens trs-loigne de
+l'envier. Nous avons eu la duchesse _du Lude_ quatre jours ici. Cela
+devient ridicule d'tre aussi belle qu'elle l'est; les annes coulent
+sur elle, comme l'eau sur la toile cire. Sa joie est trs-grande de
+l'heureuse grossesse de sa jeune princesse. Le P. _Massillon_ russit
+la cour, comme il a russi Paris; mais on sme souvent dans une terre
+ingrate, quand on sme la cour; c'est--dire que les personnes qui
+sont fort touches de sermons, sont dj converties, et les autres
+attendent la grce, souvent sans impatience; l'impatience seroit dj
+une grande grce. En vrit, madame, M. le marquis _de Grignan_ est ce
+qui s'appelle un homme de bien, sans qu'il lui en cote de dplaire au
+monde: au contraire, on, l'en aime davantage. Pour moi, j'avoue que je
+l'honore au dernier point. Madame _de Simiane_ se porte merveille;
+elle se dispose vous aller trouver ce printemps, puisque le duc de
+Savoie ajoute tous les maux qu'il nous fait, celui de vous obliger
+demeurer en Provence. Nous avons ici un voisin qui vous dsire beaucoup
+ Paris, madame: c'est M. le cardinal _d'Estres_. Il s'adonne fort
+venir ici les soirs; et j'ai t assez peu polie pour le prier de ne les
+pas pousser aussi loin qu'il faisoit. Mon antiquit ne me permet plus
+d'entretenir la compagnie au-del de neuf heures; et notre cardinal, qui
+est plus vif et plus jeune que jamais, ne s'amuse point savoir l'heure
+qu'il est. Je compte m'aller tablir dans ma solitude[139] vers les
+premiers jours de mai. J'y verrai le marchal _de Catinat_, qui se
+trouve toujours Saint-Gratien, pour y recevoir le premier rossignol.
+Le marchal _de Villars_ nous quitte pour aller habiter le quartier de
+Richelieu: il est si amoureux de sa belle marchale, qu'il est difficile
+qu'il soit heureux. Cette passion est ordinairement suivie d'une autre
+qui trouble le repos, lors mme qu'on a tout lieu de ne se point
+inquiter. Le marchal est souvent plus aise que s'il avoit pous ma
+nice; mais il est bien moins tranquille qu'il ne l'auroit t. La
+belle-mre de ma nice se meurt, et le pauvre _Termes_ mourut hier six
+heures du matin. L'abb _Testu_ a des maladies bien relles; il est
+craindre maintenant qu'on ne soit oblig de lui faire une opration.
+Ajoutez ce mal un cruel rhumatisme, et vous jugerez, madame, que ses
+vapeurs ne sont pas le plus grand de tous ses maux. Il est comme _Job_
+sur son fumier, la patience prs; je suis trs-fche de son tat.
+C'est, pour ainsi dire, demeurer seule sur la terre, que de voir
+disparotre tout ce que l'on a connu; ce qui est de certain, c'est que
+l'on n'y sera pas long-temps. Votre amie, madame _de Lesdiguires_, fait
+des merveilles pour la duchesse _de Lesdiguires_, jadis madame _de
+Canaples_.
+
+Vous savez, madame, que notre _Sanzei_ a t fait brigadier.
+
+FIN.
+
+
+
+
+LETTRES
+
+DE
+
+MMES. DE VILLARS,
+
+DE COULANGES,
+
+ET DE LA FAYETTE;
+
+DE NINON DE L'ENCLOS,
+
+ET DE
+
+MADEMOISELLE ASS;
+
+Accompagnes de Notices biographiques, de Notes explicatives, et de LA
+COQUETTE VENGE, par NINON DE L'ENCLOS.
+
+SECONDE DITION.
+
+TOME SECOND.
+
+
+A PARIS, Chez LOPOLD COLLIN, Libraire, Rue Gt-le-coeur, N. 18.
+
+AN XIII.--1805.
+
+
+
+
+LETTRES
+
+DE
+
+MADAME DE LA FAYETTE.
+
+
+
+
+NOTICE
+
+SUR
+
+Mme. DE LA FAYETTE.
+
+
+Marie-Magdeleine Pioche de la Vergne, comtesse _de la Fayette_, naquit,
+en 1632, d'Aymar _de la Vergne_, marchal de camp et gouverneur du
+Hvre-de-Grce, et de Marie _de Pna_, d'une ancienne famille de
+Provence.
+
+Mademoiselle _de la Vergne_ eut le bonheur d'avoir un pre en qui le
+mrite galoit la tendresse. Il prit soin lui-mme de l'ducation de sa
+fille, et cette ducation fut la fois solide et brillante. Les lettres
+et les arts concoururent embellir un heureux naturel. _Mnage_ et le
+pre _Rapin_ se chargrent d'enseigner le latin mademoiselle _de la
+Vergne_. Introduite de bonne heure dans la socit de l'htel de
+Rambouillet, la justesse et la solidit naturelle de son esprit
+n'auroient peut-tre pas rsist la contagion du mauvais got, dont
+cet htel toit le centre, si la lecture des auteurs latins ne lui et
+offert un prservatif, qu' cette poque elle ne pouvoit encore trouver
+dans notre littrature. Du reste, elle mit autant de soin cacher son
+savoir que d'autres en mettent l'taler.
+
+En 1655, ge de 22 ans, elle pousa Franois, comte _de la Fayette_,
+frre de mademoiselle _de la Fayette_, fille d'honneur d'Anne
+_d'Autriche_, connue par ses chastes amours avec _Louis XIII_. Madame
+_de la Fayette_ eut de son mari deux fils, dont l'un suivit la carrire
+des armes, et l'autre embrassa l'tat ecclsiastique.
+
+Doue d'un esprit cultiv et du talent d'crire, madame _de la Fayette_
+ne pouvoit manquer d'avoir une estime particulire pour ceux en qui les
+mmes avantages se faisoient remarquer. Plusieurs gens de lettres furent
+admis dans sa familiarit. De ce nombre toit _la Fontaine_, dont la
+destine sembloit tre d'avoir les femmes les plus distingues pour
+amies et pour bienfaitrices.
+
+_Segrais_ avoit dplu _Mademoiselle_, au service de laquelle il toit
+en qualit de gentilhomme ordinaire, pour avoir blm son projet de
+mariage avec _Lauzun_. Il fut oblig de quitter la maison de cette
+princesse. Madame _de la Fayette_ le reut dans la sienne. Ce fut
+pendant le sjour qu'il y fit qu'elle composa _Zayde_ et _la princesse
+de Clves_. Elle fit parotre le premier de ces romans sous le nom de
+_Segrais_. Le succs en fut si prodigieux, que madame _de la Fayette_,
+toute modeste qu'elle toit, dut regretter de n'en pouvoir jouir qu'en
+secret, et que _Segrais_, sur-tout, dut dsirer de ne pas rester plus
+long-temps charg d'une gloire, qui, croissant chaque jour, devenoit un
+fardeau galement incommode pour sa dlicatesse et pour son
+amour-propre. Il en rendit la jouissance celle qui en avoit la
+proprit, sans en rien retenir que l'honneur d'avoir donn quelques
+avis pour la disposition de l'ouvrage. Sa renonciation fut sincre, et
+l'on y crut.
+
+Le docte _Huet_, depuis vque d'Avranches, fut li d'une amiti
+trs-tendre avec madame _de la Fayette_. Il composa pour elle son
+_Trait de l'origine des Romans_, qui fut imprim en tte de _Zayde_.
+C'est ce sujet que madame _de la Fayette_ disoit _Huet: Nous avons
+mari nos enfans ensemble_.
+
+Rien n'est plus connu que l'amiti de madame _de la Fayette_ et du duc
+_de la Rochefoucauld_, l'auteur des _Maximes_. Elle dura plus de
+vingt-cinq ans, et la mort seule en rompit les noeuds. Ce ne seroit point
+assez de dire que M. _de la Rochefoucauld_ et madame _de la Fayette_ se
+voyoient tous les jours; ils toient continuellement ensemble; ils ne se
+quittoient pas. Le duc _de la Rochefoucauld_, aprs l'clat et les
+agitations de sa jeunesse, condamn la retraite et au repos, loign
+des places et des honneurs, abandonn de ceux qui ne s'attachent qu' la
+faveur, et de plus obsd de maux trs-douloureux, se livroit trop
+souvent aux accs d'une injuste misantropie. Dans cette position, quelle
+socit pouvoit lui tre plus ncessaire que celle d'une femme aimable
+et bonne, qui embellt sa solitude, remplt le vide de son me, adouct
+son humeur et ses chagrins, dont l'attachement dsintress ft une
+continuelle rfutation de son triste systme, dont l'entretien ft une
+agrable diversion aux maux qu'elle ne parviendroit pas soulager par
+ses soins, qui attirt chez lui, auprs de qui il pt trouver ce choix
+d'hommes instruits et de femmes spirituelles, si prfrable la foule
+des courtisans frivoles et perfides? Telle toit madame _de la Fayette_
+pour M. _de la Rochefoucauld_. Son ami mourut; elle fut inconsolable.
+Accable par le chagrin et les infirmits, ayant perdu ce qui
+l'attachoit le plus au monde, elle se jeta toute entire dans le sein de
+Dieu. Les dernires annes de sa vie furent consacres aux pratiques de
+la pit la plus austre; elle mourut en 1693, dans sa soixantime
+anne.
+
+Le trait le plus marqu de son caractre, toit la franchise. M. _de la
+Rochefoucauld_ lui avoit dit qu'elle toit _vraie_. Ce mot qui n'avoit
+point encore t employ dans cette acception, parut la peindre
+parfaitement, et ds lors chacun le lui appliqua.
+
+Son caractre et sa conduite ont t attaqus; mais la malignit connue
+de ses dtracteurs suffit presque seule pour rfuter leurs accusations.
+Il suffit de nommer _la Beaumelle_, historien infidle, qui presque
+toujours mettoit la place de la vrit les caprices de son humeur ou
+les saillies de son imagination; et _Bussy-Rabutin_, ce satirique
+impitoyable qui n'pargna ni le roi ni madame _de Svign_, sa cousine,
+c'est--dire, ce qu'il y avoit de plus puissant et de plus aimable. Aux
+calomnies de pareils hommes, opposons un tmoignage, qui, pour tre
+favorable, n'en est pas moins digne de foi. C'est celui de madame _de
+Svign_. Madame _de la Fayette_, crivoit-elle sa fille, est une
+femme aimable et estimable, que vous aimiez ds que vous aviez le temps
+d'tre avec elle, et de faire usage de son esprit et de sa raison. Plus
+on la connot, plus on s'y attache.
+
+Madame _de la Fayette_ avoit l'esprit minemment juste. _Segrais_ lui
+avoit dit: _Votre jugement est suprieur votre esprit._ Cette opinion
+lui avoit paru trs-flatteuse. On sent que pour bien goter une pareille
+louange, il faut la mriter. Elle ne portoit dans la conversation ni les
+saillies tincelantes et caustiques de madame _Cornuel_, ni la vivacit
+spirituelle de madame _de Coulanges_, ni l'aimable abandon de madame _de
+Svign_; mais ses discours toient d'une prcision lgante et
+ingnieuse. On a retenu d'elle plusieurs mots, entr'autres celui-ci:
+_Les sots traducteurs ressemblent des laquais ignorans qui changent en
+sottises les complimens dont on les charge._
+
+Il est inutile de s'tendre ici sur ses ouvrages que tout le monde
+connot. _Zayde, la princesse de Clves, la comtsse de Tende_ et _la
+princesse de Montpensier_, seront lues avec plaisir aussi long-temps
+qu'on sera sensible la dlicatesse des sentimens, aux grces et au
+naturel du style. Outre ses romans, elle avoit compos un assez grand
+nombre d'ouvrages historiques; mais les manuscrits se sont perdus par la
+ngligence de l'abb _de la Fayette_, son fils, qui les prtoit tout
+le monde, et ne les redemandoit pas. On n'a conserv que deux de ces
+crits; l'un est intitul: _Mmoires de la cour de France, pour les
+annes 1688 et 1689_; l'autre est l'histoire de madame Henriette-Anne
+_d'Angleterre_, premire femme de _Monsieur_.
+
+On a encore de madame _de la Fayette_ un portrait de madame _de
+Svign_, l'un des meilleurs qu'on ait faits dans ce sicle o l'on en
+fit tant. L'amiti retraa fidlement les traits d'un modle qu'elle
+n'avoit pas besoin d'embellir. Ce portrait a t plac dans le volume
+que nous publions la suite des lettres de madame _de la Fayette_.
+
+Ces lettres, qui sont au nombre de quatorze, sont adresses cette mme
+madame _de Svign_, dont elles ne dpareroient pas le recueil. On peut
+croire que, si madame _de la Fayette_ se ft livre davantage au
+commerce pistolaire, elle et approch en ce genre du talent et de la
+rputation de son amie; mais, lui crivoit-elle un jour, le got
+d'crire m'est pass pour tout le monde; et, si j'avois un amant qui
+voult de mes lettres tous les patins, je romprois avec lui.
+
+
+
+
+LETTRES
+
+DE
+
+MADAME DE LA FAYETTE,
+
+A MADAME DE SVIGN.
+
+
+
+
+LETTRE PREMIRE.
+
+Paris, 30 dcembre 1672.
+
+
+J'ai vu votre grande lettre _d'Hacqueville_: je comprends fort bien
+tout ce que vous lui mandez sur l'vque de Marseille; il faut que le
+prlat ait tort, puisque vous vous en plaignez. Je montrerai votre
+lettre _Langlade_, et j'ai bien envie encore de la faire voir madame
+_du Plessis_; car elle est trs-prvenue en faveur de l'vque. Les
+Provenaux sont des gens d'un caractre tout particulier.
+
+Voil un paquet que je vous envoie pour madame _de Northumberland_. Vous
+ne comprendrez pas aisment pourquoi je suis charge de ce paquet; il
+vient du comte _de Sunderland_, qui est prsentement ambassadeur ici. Il
+est fort de ses amis; il lui a crit plusieurs fois; mais n'ayant point
+de rponse, il croit qu'on arrte ses lettres, et M. _de la
+Rochefoucauld_, qu'il voit trs-souvent, s'est charg de faire tenir le
+paquet dont il s'agit. Je vous supplie donc, comme vous n'tes plus
+Aix, de le renvoyer par quelqu'un de confiance, et d'crire un mot
+madame _de Northumberland_, afin qu'elle vous fasse rponse, et qu'elle
+vous mande qu'elle l'a reu; vous m'enverrez sa rponse. On dit ici que
+si M. _de Montaigu_ n'a pas un heureux succs dans son voyage, il
+passera en Italie pour faire voir que ce n'est pas pour les beaux yeux
+de madame _de Northumberland_ qu'il court le pays: mandez-nous un peu ce
+que vous verrez de cette affaire, et comment il sera trait.
+
+La _Marans_ est dans une dvotion et dans un esprit de douceur et de
+pnitence qui ne se peuvent comprendre: sa soeur[140], qui ne l'aime pas,
+en est surprise et charme; sa personne est change n'tre pas
+reconnoissable: elle parot soixante ans. Elle trouva mauvais que sa
+soeur m'et cont ce qu'elle lui avoit dit sur cet enfant de M. _de
+Longueville_, et elle se plaignit aussi de moi de ce que je l'avois
+redonn au public; mais ses plaintes toient si douces, que _Montalais_
+en toit confondue pour elle et pour moi; en sorte que, pour m'excuser,
+elle lui dit que j'tois informe de la belle opinion qu'elle avoit que
+j'aimois M. _de Longueville_. La _Marans_, avec un esprit admirable,
+rpondit que puisque je savois cela, elle s'tonnoit que je n'en eusse
+pas dit davantage, et que j'avois raison de me plaindre d'elle. On
+parla de madame _de Grignan_; elle en dit beaucoup de bien, mais sans
+aucune affectation. Elle ne voit plus qui que ce soit au monde, sans
+exception; si Dieu fixe cette bonne tte-l, ce sera un des grands
+miracles que j'aurai jamais vus.
+
+J'allai hier au Palais-Royal avec madame _de Monaco_; je m'y enrhumai
+mourir: j'y pleurai _Madame_[141] de tout mon coeur. Je fus surprise de
+l'esprit de celle-ci[142]; non pas de son esprit agrable, mais de son
+esprit de bon sens: elle se mit sur le ridicule de M. _de Meckelbourg_
+d'tre Paris prsentement; et je vous assure que l'on ne peut mieux
+dire. C'est une personne trs-opinitre et trs-rsolue, et assurment
+de bon got; car elle hait madame _de Gourdon_ ne la pouvoir
+souffrir. _Monsieur_ me fit toutes les caresses du monde au nez de la
+marchale _de Clrembault_[143]; j'tois soutenue _de la Fienne_, qui la
+hait mortellement, et qui j'avois donn dner il n'y a que deux
+jours. Tout le monde croit que la comtesse _du Plessis_[144] va pouser
+_Clrembault_.
+
+M. _de la Rochefoucauld_ vous fait cent mille complimens; il y a quatre
+ou cinq jours qu'il ne sort point; il a la goutte en miniature. J'ai
+mand madame _du Plessis_ que vous m'aviez crit des merveilles de son
+fils. Adieu, ma belle, vous savez combien je vous aime.
+
+
+
+
+LETTRE II.
+
+Paris, 27 fvrier 1673.
+
+
+Madame _Bayard_ et M. _de la Fayette_ arrivent dans ce moment; cela
+fait, ma belle, que je ne vous puis dire que deux mots de votre fils: il
+sort d'ici, et m'est venu dire adieu, et me prier de vous crire ses
+raisons sur l'argent: elles sont si bonnes que je n'ai pas besoin de
+vous les expliquer fort au long; car vous voyez, d'o vous tes, la
+dpense d'une campagne qui ne finit point. Tout le monde est au
+dsespoir et se ruine. Il est impossible que votre fils ne fasse pas un
+peu comme les autres, et, de plus, la grande amiti que vous avez pour
+madame _de Grignan_, fait qu'il en faut tmoigner son frre. Je laisse
+au grand _d'Hacqueville_ vous en dire davantage. Adieu, ma
+trs-chre.
+
+
+
+
+LETTRE III.
+
+Paris, 15 avril, 1673.
+
+
+Madame _de Northumberland_ me vint voir hier; j'avois t la chercher
+avec madame _de Coulanges_: elle me parut une femme qui a t fort
+belle, mais qui n'a plus un seul trait de visage qui se soutienne, ni o
+il soit rest le moindre air de jeunesse; j'en fus surprise: elle est,
+avec cela, mal habille; point de grce; enfin, je n'en fus point du
+tout blouie; elle me parut entendre fort bien tout ce qu'on dit, ou,
+pour mieux dire, ce que je dis; car j'tois seule. M. _de la
+Rochefoucauld_ et madame _de Thianges_, qui avoient envie de la voir, ne
+vinrent que comme elle sortoit. _Montaigu_ m'avoit mand qu'elle
+viendroit me voir; je lui ai fort parl d'elle; il ne fait aucune faon
+d'tre embarqu son service, et parot trs-rempli d'esprance. M.
+_de Chaulnes_ partit hier, et le comte _Tot_ aussi; ce dernier est
+trs-afflig de quitter la France: je l'ai vu quasi tous les jours,
+pendant qu'il a t ici; nous avons trait votre chapitre plusieurs
+fois. La marchale _de Grammont_ s'est trouve mal; _d'Hacqueville_ y a
+t, toujours courant, lui mener un mdecin: il est, en vrit, un peu
+tendu dans ses soins. Adieu, mon amie: j'ai le sang si chauff, et
+j'ai tant eu de tracas ces jours passs, que je n'en puis plus; je
+voudrois bien vous voir pour me rafrachir le sang.
+
+
+
+
+LETTRE IV.
+
+Paris, 19 mai 1673.
+
+
+Je vais demain Chantilli: c'est ce mme voyage que j'avois commenc
+l'anne passe jusque sur le Pont-neuf, o la fivre me prit; je ne sais
+pas s'il arrivera quelque chose d'aussi bizarre, qui m'empche encore de
+l'excuter: nous y allons, la mme compagnie, et rien de plus.
+
+Madame _du Plessis_ toit si charme de votre lettre, qu'elle me l'a
+envoye; elle est enfin partie pour sa Bretagne. J'ai donn vos lettres
+ _Langlade_, qui m'en a paru trs-content; il honore toujours beaucoup
+madame _de Grignan_. _Montaigu_ s'en va: on dit que ses esprances sont
+renverses; je crois qu'il y a quelque chose de travers dans l'esprit de
+la nymphe[145]. Votre fils est amoureux, comme un perdu, de
+mademoiselle _de Poussai_; il n'aspire qu' tre aussi transi que _la
+Fare_. M. _de la Rochefoucauld_ dit que l'ambition de _Svign_ est de
+mourir d'un amour qu'il n'a pas; car nous ne le tenons pas du bois dont
+on fait les fortes passions. Je suis dgote de celle de _la Fare_:
+elle est trop grande et trop esclave; sa matresse ne rpond pas au plus
+petit de ses sentimens: elle soupa chez _Longueil_ et assista une
+musique le soir mme qu'il partit. Souper en compagnie quand son amant
+part, et qu'il part pour l'arme, me parot un crime capital; je ne sais
+pas si je m'y connois. Adieu, ma belle.
+
+
+
+
+LETTRE V.
+
+Paris, 26 mai 1673.
+
+
+Si je n'avois la migraine, je vous rendrois compte de mon voyage de
+Chantilli, et je vous dirois que de tous les lieux que le soleil clair,
+il n'y en a point un pareil celui-l. Nous n'y avons pas eu un trop
+beau temps; mais la beaut de la chasse dans les carosses vitrs a
+suppl ce qui nous manquoit. Nous y avons t cinq ou six jours; nous
+vous y avons extrmement souhaite, non-seulement par amiti, mais parce
+que vous tes plus digne que personne du monde d'admirer ces beauts-l.
+J'ai trouv ici, mon retour, deux de vos lettres. Je ne pus faire
+achever celle-ci vendredi, et je ne puis l'achever moi-mme aujourd'hui,
+dont je suis bien fche; car il me semble qu'il y a long-temps que je
+n'ai caus avec vous. Pour rpondre vos questions, je vous dirai que
+madame _de Brissac_[146] est toujours l'htel de Conti, environne de
+peu d'amans, et d'amans peu propres faire du bruit; de sorte qu'elle
+n'a pas grand besoin du _manteau de sainte Ursule_. Le premier prsident
+de Bordeaux est amoureux d'elle comme un fou; il est vrai que ce n'est
+pas d'ailleurs une tte bien timbre. _Monsieur_ le Premier et ses
+enfans sont aussi fort assidus auprs d'elle; M. _de Montaigu_ ne l'a,
+je crois, point vue de ce voyage-ci, de peur de dplaire madame _de
+Northumberland_, qui part aujourd'hui; _Montaigu_ l'a devance de deux
+jours; tout cela ne laisse pas douter qu'il ne l'pouse. Madame _de
+Brissac_ joue toujours la dsole, et affecte une trs-grande
+ngligence. La comtesse du _Plessis_ a servi de dame d'honneur deux
+jours avant que _Monsieur_ soit parti; sa belle-mre[147] n'y avoit pas
+voulu consentir auparavant. Elle n'gratigne point M. _de Monaco_; je
+crois qu'elle se fait justice, et qu'elle trouve que la seconde place de
+chez _Madame_ est assez bonne pour la femme de _Clrembault_; elle le
+sera assurment dans un mois, si elle ne l'est dj.
+
+Nous allons dner Livri; M. _de la Rochefoucauld_, _Morangis_,
+_Coulanges_ et moi; c'est une chose qui me parot bien trange, d'aller
+dner Livri, et que ce ne soit pas avec vous. L'abb _Testu_[148] est
+all Fontevrault; je suis trompe, s'il n'et mieux fait de n'y pas
+aller, et si ce voyage-l ne dplat des gens qui il est bon de ne
+pas dplaire.
+
+L'on dit que madame _de Montespan_ est demeure Courtrai. Je reois
+une petite lettre de vous: si vous n'avez pas reu des miennes, c'est
+que j'ai bien eu des tracas; je vous conterai mes raisons quand vous
+serez ici. M. _le Duc_ s'ennuie beaucoup Utrecht; les femmes y sont
+horribles: voici un petit conte sur son sujet. Il se familiarisoit avec
+une jeune femme de ce pays-l, pour se dsennuyer apparemment, et, comme
+les familiarits toient sans doute un peu grandes, elle lui dit: _Pour
+Dieu! Monseigneur, votre altesse a la bont d'tre trop insolente._
+C'est _Briole_ qui m'a crit cela; j'ai jug que vous en seriez charme,
+comme moi. Adieu, ma belle; je suis toute vous assurment.
+
+
+
+
+LETTRE VI.
+
+Paris, 30 juin 1673.
+
+
+H bien! h bien! ma belle, qu'avez-vous crier comme un aigle? Je vous
+demande que vous attendiez juger de moi quand vous serez ici; qu'y
+a-t-il de si terrible ces paroles: _Mes journes sont remplies?_ Il
+est vrai que _Bayard_ est ici, et qu'il fait mes affaires; mais quand il
+a couru tout le jour pour mon service, crirai-je? Encore faut-il lui
+parler. Quand j'ai couru, moi, et que je reviens, je trouve M. _de la
+Rochefoucauld_ que je n'ai point vu de tout le jour; crirai-je? M. _de
+la Rochefoucauld_ et _Gourville_ sont ici; crirai-je? Mais quand ils
+sont sortis? Ah! quand ils sont sortis! il est onze heures, et je sors,
+moi; je couche chez nos voisins, cause qu'on btit devant mes
+fentres. Mais l'aprs-dne? J'ai mal la tte. Mais le matin? J'y ai
+mal encore, et je prends des bouillons d'herbes qui m'enivrent. Vous
+tes en Provence, ma belle, vos heures sont libres, et votre tte encore
+plus; le got d'crire vous dure encore pour tout le monde; il m'est
+pass pour tout le monde, et si j'avois un amant qui voult de mes
+lettres tous les matins, je romprois avec lui. Ne mesurez donc point
+notre amiti sur l'criture; je vous aimerai autant, en ne vous crivant
+qu'une page en un mois, que vous, en m'en crivant dix en huit jours.
+Quand je suis St.-Maur, je puis crire, parce que j'ai plus de tte et
+plus de loisir; mais je n'ai pas celui d'y tre: je n'y ai pass que
+huit jours de cette anne. Paris me tue. Si vous saviez comme je ferois
+ma cour des gens qui il est trs-bon de la faire, d'crire souvent
+toutes sortes de folies, et combien je leur en cris peu, vous jugeriez
+aisment que je ne fais pas ce que je veux l-dessus. Il y a aujourd'hui
+trois ans que je vis mourir _Madame_: je relus hier plusieurs de ses
+lettres; je suis toute pleine d'elle. Adieu, ma trs-chre: vos
+dfiances seules composent votre unique dfaut, et la seule chose qui
+peut me dplaire en vous. M. _de la Rochefoucauld_ vous crira.
+
+
+
+
+LETTRE VII.
+
+Paris, 14 juillet 1673.
+
+
+Voici ce que j'ai fait depuis que je ne vous ai crit: j'ai eu deux
+accs de fivre: il y a six mois que je n'ai t purge; on me purge une
+fois, on me purge deux; le lendemain de la deuxime, je me mets table:
+ah! ah! j'ai mal au coeur, je ne veux point de potage: mangez donc un peu
+de viande; non, je n'en veux point; mais vous mangerez du fruit; je
+crois qu'oui: h bien! mangez-en donc; je ne saurois, je mangerai
+tantt: que l'on m'ait ce soir un potage et un poulet. Voici le soir,
+voil un potage et un poulet; je n'en veux point, je suis dgote, je
+m'en vais me coucher; j'aime mieux dormir que de manger. Je me couche,
+je me tourne, je me retourne, je n'ai point de mal, mais je n'ai point
+de sommeil aussi; j'appelle, je prends un livre, je le referme; le jour
+vient, je me lve, je vais la fentre; quatre heures sonnent, cinq
+heures, six heures; je me recouche, je m'endors jusqu' sept: je me lve
+ huit, je me mets table douze inutilement, comme la veille; je me
+remets dans mon lit le soir inutilement, comme l'autre nuit. tes-vous
+malade? nenni. tes-vous plus foible? nenni. Je suis dans cet tat trois
+jours et trois nuits: je redors prsentement; mais je ne mange encore
+que par machine, comme les chevaux, en me frottant la bouche de
+vinaigre: du reste, je me porte bien, et je n'ai pas mme si mal la
+tte. Je viens d'crire des folies _M. le Duc._ Si je puis, j'irai
+dimanche Livri pour un jour ou deux. Je suis trs-aise d'aimer madame
+_de Coulanges_ cause de vous. Rsolvez-vous, ma belle, de me voir
+soutenir toute ma vie, la pointe de mon loquence, que je vous aime
+plus encore que vous ne m'aimez: j'en ferois convenir _Corbinelli_ en un
+demi-quart d'heure: au reste, mandez-moi bien de ses nouvelles; tant de
+bonnes volonts seront-elles toujours inutiles ce pauvre homme? Pour
+moi, je crois que c'est son mrite qui leur porte malheur. _Segrais_
+porte aussi guignon; madame _de Thianges_ est des amies de _Corbinelli_,
+madame _Scarron_, mille personnes, et je ne lui vois plus aucune
+esprance de quoi que ce puisse tre. On donne des pensions aux beaux
+esprits; c'est un fonds abandonn cela; il en mrite mieux que tous
+ceux qui en ont; point de nouvelles, on ne peut rien obtenir pour lui.
+Je dois voir demain madame _de Vill......_; c'est une certaine ridicule
+ qui M. _d'Ambre_ a fait un enfant. Elle l'a plaid, et a perdu son
+procs. Elle conte toutes les circonstances de son aventure; il n'y a
+rien au monde de pareil. Elle prtend avoir t force: vous jugez bien
+que cela-conduit de beaux dtails. La _Marans_ est une sainte; il n'y
+a point de raillerie: cela me parot un miracle. La _Bonnetot_ est
+dvote aussi; elle a t son oeil de verre; elle ne met plus de rouge, ni
+de boucles. Madame _de Monaco_ ne fait pas de mme; elle me vint voir
+l'autre jour, bien blanche: elle est favorite et engoue de cette
+_Madame_-ci tout comme de l'autre: cela est bizarre. _Langlade_ s'en va
+demain en Poitou pour deux ou trois mois. M. _de Marsillac_ est ici: il
+part lundi pour aller Barge; il ne s'aide pas de son bras. Madame la
+comtesse _du Plessis_ va se marier: elle a pens acheter _Frne_. M. _de
+la Rochefoucauld_ se porte trs-bien: il vous fait mille et mille
+complimens et _Corbinelli_. Voici une question entre deux maximes:
+
+_On pardonne les infidlits; mais on ne les oublie point._
+
+_On oublie les infidlits; mais on ne les pardonne point._
+
+Aimez-vous mieux avoir fait une infidlit votre amant, que vous
+aimez pourtant toujours; ou qu'il vous en ait fait une, et qu'il vous
+aime aussi toujours? On n'entend pas par infidlit, avoir quitt pour
+un autre; mais avoir fait une faute considrable. Adieu: je suis bien en
+train de jaser; voil ce que c'est que de ne point manger et ne point
+dormir. J'embrasse madame _de Grignan_ et toutes ses perfections.
+
+
+
+
+LETTRE VIII.
+
+Paris, 4 septembre 1673.
+
+
+Je suis St.-Maur; j'ai quitt toutes mes affaires et tous mes amis.
+J'ai mes enfans et le beau temps, cela me suffit. Je prends des eaux de
+Forges; je songe ma sant: je ne vois personne, je ne m'en soucie
+point du tout. Tout le monde me parot si attach ses plaisirs, et
+des plaisirs qui dpendent entirement des autres, que je me trouve
+avoir un don des fes, d'tre de l'humeur dont je suis. Je ne sais si
+madame _de Coulanges_ ne vous aura point mand une conversation d'une
+aprs-dne de chez _Gourville_, o toient madame _Scarron_ et l'abb
+_Testu_, sur les personnes _qui ont le got au-dessus ou au-dessous de
+leur esprit_; nous nous jetmes dans des subtilits, o nous
+n'entendions plus rien. Si l'air de la Provence, qui subtilise encore
+toutes choses, vous augmente, nos visions l-dessus, vous serez dans les
+nues. _Vous avez le got au-dessus de votre esprit, et M._ de la
+Rochefoucauld _aussi, et moi encore; mais pas tant que vous deux._ Voil
+des exemples qui vous guideront. M. _de Coulanges_ m'a dit que votre
+voyage toit encore retard: pourvu que vous rameniez madame _de
+Grignan_, je n'en murmure pas: si vous ne la ramenez point, c'est une
+trop longue absence. Mon got augmente vue d'oeil pour la suprieure
+du Calvaire; j'espre qu'elle me rendra bonne. Le cardinal _de Retz_ est
+brouill pour jamais avec moi, de m'avoir refus la permission d'entrer
+chez elle; je la vois quasi tous les jours; j'ai vu enfin son
+visage[149]: il est agrable, et l'on s'aperoit bien qu'il a t beau.
+Elle n'a que quarante ans; mais l'austrit de la rgle l'a fort
+change. Madame _de Grignan_ a fait des merveilles d'avoir crit la
+_Marans_. Je n'ai pas t si sage; car je fus, l'autre jour, chercher
+madame de _Schomberg_[150], et je ne la demandai point. Adieu, ma belle;
+je souhaite votre retour avec une impatience digne de notre amiti.
+
+J'ai reu les cinq cents livres, il y a long-temps. Il me semble que
+l'argent est si rare, qu'on n'en devroit point prendre de ses amis.
+Faites mes excuses M. l'abb (_de Coulanges_), de ce que je l'ai reu.
+
+
+
+
+LETTRE IX.
+
+Paris, 8 octobre 1689.
+
+
+Mon style sera laconique, je n'ai point de tte: j'ai eu la fivre, j'ai
+charg M. _du Bois_ de vous le mander.
+
+Votre affaire est manque et sans remde; l'on y a fait des merveilles
+de toutes parts: je doute que M. _de Chaulnes_ en personne l'et pu
+faire. Le roi n'a tmoign nulle rpugnance pour M. _de Svign_; mais
+il toit engag, il y a long-temps: il l'a dit tous ceux qui pensoient
+ la dputation; il faut laisser nos esprances jusqu'aux tats
+prochains. Ce n'est pas de quoi il est question prsentement: il est
+question, ma belle, qu'il ne faut point que vous passiez l'hiver en
+Bretagne quelque prix que ce soit. Vous tes vieille; les Rochers[151]
+sont pleins de bois; les catarrhes et les fluxions vous accableront.
+Vous vous ennuierez, votre esprit deviendra triste et baissera: tout
+cela est sr, et les choses du monde ne sont rien en comparaison de tout
+ce que je vous dis. Ne me parlez point d'argent ni de dettes: je vous
+ferme la bouche sur tout. M. _de Svign_ vous donne son quipage. Vous
+venez Malicorne: vous y trouvez les chevaux et la calche de M. _de
+Chaulnes_. Vous voil Paris: vous allez descendre l'htel de
+Chaulnes; votre maison n'est pas prte, vous n'avez point de chevaux,
+c'est en attendant: votre loisir, vous vous remettrez chez vous.
+Venons au fait: vous payez une pension M. _de Svign_; vous avez ici
+un mnage: mettez le tout ensemble, cela fait de l'argent; car votre
+louage de maison va toujours. Vous direz: Mais je dois, et je paierai
+avec le temps. Comptez que vous trouvez ici mille cus, dont vous payez
+ce qui vous presse; qu'on vous les prte sans intrt, et que vous les
+rembourserez petit petit, comme vous voudrez. Ne demandez point d'o
+ils viennent, ni de qui c'est: on ne vous le dira pas; mais ce sont gens
+qui sont bien assurs qu'ils ne les perdront pas. Point de raisonnemens
+l-dessus, point de paroles, ni de lettres perdues; il faut venir: tout
+ce que vous m'crirez, je ne le lirai seulement pas; et en un mot, ma
+belle, il faut venir, ou renoncer mon amiti, celle de madame _de
+Chaulnes_ et celle de madame _de Lavardin_. Nous ne voulons point
+d'une amie, qui veut vieillir et mourir par sa faute; il y a de la
+misre et de la pauvret votre conduite; il faut venir ds qu'il fera
+beau.
+
+
+
+
+LETTRE X.
+
+Paris, 20 septembre 1690.
+
+
+Vous avez reu ma rponse avant que j'aie reu votre lettre. Vous aurez
+vu, par celle de madame _de Lavardin_ et par la mienne, que nous
+voulions vous faire aller en Provence, puisque vous ne veniez point
+Paris; c'est tout ce qu'il y a de meilleur faire: le soleil est plus
+beau, vous aurez compagnie; je dis mme, spare de madame _de Grignan_,
+qui n'est pas peu; un gros chteau, bien des gens; enfin, c'est vivre
+que d'tre l. Je loue extrmement monsieur votre fils de consentir
+vous perdre pour votre intrt; si j'tois en train d'crire, je lui en
+ferois des complimens: partez tout le plutt qu'il vous sera possible.
+Mandez-nous par quelles villes vous passerez, et peu prs le temps:
+vous y trouverez de nos lettres. Je suis dans des vapeurs les plus
+tristes et les plus cruelles o l'on puisse tre; il n'y a qu'
+souffrir, quand c'est la volont de Dieu.
+
+C'est du meilleur de mon coeur que j'approuve votre voyage de Provence:
+je vous le dis sans flatterie, et nous l'avions pens, madame _de
+Lavardin_ et moi, sans savoir en aucune faon que ce ft votre
+dessein[152].
+
+
+
+
+LETTRE XI.
+
+Paris, 20 septembre 1691.
+
+
+Ma sant est un peu meilleure qu'elle n'a t, c'est--dire que j'ai un
+peu moins de vapeurs; je ne connois point d'autre mal; ne vous inquitez
+pas de ma sant; mes maux ne sont pas dangereux; et quand ils le
+deviendroient, ce ne seroit que par une grande langueur et par un grand
+desschement, ce qui n'est pas l'affaire d'un jour: ainsi, ma belle,
+soyez en repos sur la vie de votre pauvre amie; vous aurez le loisir
+d'tre prpare tout ce qui arrivera, si ce n'est des accidens
+imprvus, quoi sont sujettes toutes les mortelles, et moi plus qu'une
+autre, parce que je suis plus mortelle qu'une autre; une personne en
+sant me parot un prodige. M. le chevalier _de Grignan_ a soin de moi;
+j'en ai une reconnoissance parfaite, et je l'aime de tout mon coeur.
+Madame la duchesse _de Chaulnes_ me vint voir hier; elle a mille bonts
+pour moi; mon tat lui fait piti. Ma belle-fille a eu une fausse couche
+huit jours aprs tre accouche; il y a assez de femmes qui cela
+arrive; c'est avoir t bien prs d'avoir deux enfans; sa fille se porte
+bien; ils n'en auront que trop. Notre pauvre ami _Croisilles_[153] est
+toujours Saint-Gratien: il me mande qu'il se porte fort bien la
+campagne; il faudroit que vous vissiez comme il est fait, pour admirer
+qu'il se vante de se porter fort bien; nous en sommes vritablement en
+peine, le chevalier _de Grignan_ et moi. L'abb _Testu_ est all faire
+un voyage la campagne; nous le souponnons, M. _de Chaulnes_ et moi,
+d'tre all la Trappe. La bonne femme, madame _Lavocat_, est bien
+malade; il y a aussi bien long-temps qu'elle est au monde. Je suis toute
+ vous, ma chre amie, et toute votre aimable et bonne compagnie.
+
+L'on vient de me dire que M. _de la Feuillade_[154] toit mort cette
+nuit; si cela est vritable, voil un bel exemple pour se tourmenter des
+biens de ce monde.
+
+
+
+
+LETTRE XII.
+
+Paris, 26 septembre 1691.
+
+
+Venir Paris pour l'amour de moi, ma chre amie! la seule pense m'en
+fait peur. Dieu me garde de vous dranger ainsi! et, quoique je souhaite
+ardemment le plaisir de vous voir, je l'acheterois trop cher, si c'toit
+ vos dpens. Je vous mandai, il y a huit jours, la vrit de mon tat;
+j'tois parfaitement bien, et j'ai t comme par miracle, quinze jours
+sans vapeurs, c'est--dire, gurie de tous maux. Je ne suis plus si bien
+depuis trois ou quatre jours, et c'est la seule vue d'une lettre
+cachete, que je n'ai point ouverte, qui a mu mes vapeurs. Je
+ressemble, comme deux gouttes d'eau, une femme ensorcele; mais,
+l'aprs-dne, je suis assez comme une autre personne; je vous crivis,
+il y a un mois ou deux, que c'toit ma mchante heure, et c'est
+prsent la bonne. J'espre que mon mal, aprs avoir tourn et chang, me
+quittera peut-tre; mais je demeurerai toujours une trs-sotte femme; et
+vous ne sauriez croire comme je suis tonne de l'tre; je n'avois point
+t nourrie dans l'opinion que je le pusse devenir. Je reviens votre
+voyage, ma belle, comptez que c'est un chteau en Espagne pour moi, que
+de m'imaginer le plaisir de vous voir, mais mon plaisir seroit troubl,
+si votre voyage ne s'accordoit pas avec les affaires de madame _de
+Grignan_ et avec les vtres. Il me parot cependant, tout intrt
+part, que vous feriez fort bien de venir l'une et l'autre; mais je ne
+puis assez vous dire quel point je suis touche de la pense de
+revenir uniquement cause de moi. Je vous crirai plus au long au
+premier jour.
+
+
+
+
+LETTRE XIII.
+
+Paris, mercredi 10 octobre 1691.
+
+
+J'ai eu des vapeurs cruelles qui me durent encore, et qui me durent
+comme un point de fivre qui m'afflige. En un mot, je suis folle,
+quoique je sois assurment une femme assez sage. Je veux remercier
+madame _de Grignan_ pour me calmer l'esprit; elle a crit des merveilles
+pour moi monsieur le chevalier _de Grignan_.
+
+
+_A madame_ DE GRIGNAN.
+
+Je vous en remercie, Madame, et je vous prie d'ordonner M. le
+chevalier _de Grignan_ de m'aimer; je l'aime de tout mon coeur: c'est un
+homme que cet homme-l. Ramenez madame votre mre; vous avez mille
+affaires ici; prenez garde de voir vos affaires domestiques de trop
+prs, et que les maisons ne vous empchent de voir la ville. Il y a plus
+d'une sorte d'intrt en ce monde. Venez, Madame, venez ici pour l'amour
+des personnes qui vous aiment, et songez qu'en travaillant pour vous,
+c'est me donner en mme temps la joie de voir madame votre mre.
+
+
+_A Madame_ DE SVIGN.
+
+Mon dieu! ma chre amie, que je serai aise de vous voir! vraiment je
+pleurerai bien; tout me fait fondre en larmes. J'ai reu ce matin des
+lettres de mon fils l'abb, qui toit en Poitou, deux lieues de madame
+_de la Troche_. Un gentilhomme d'importance; gendre de madame _de la
+Rochebardon_, chez qui madame _de la Troche_ est actuellement, vint dire
+adieu mon fils, et c'est l qu'il apprit la mort de _la Troche_[155],
+par la gazette, s'il vous plat; car je n'en avois point parl mon
+fils, qui me fait une peinture de la dsolation de ce gentilhomme
+d'avoir donner chez lui une telle nouvelle, ce qui m'a rejete dans
+les larmes: j'y retombe bien toute seule. M. _de Pomponne_ croyoit
+madame _de la Troche_ riche, je lui ai crit, et il m'a mand que la
+duchesse _du Lude_ l'avoit dtromp, et qu'ils avoient prsent un
+placet pour elle. _Croisilles_ sort d'ici; il m'est venu voir de
+Saint-Gratien; je lui ai fait vos complimens; il est fort bien. Ma
+petite fille est louche comme un chien: il n'importe; madame _de
+Grignan_ l'a bien t; c'est tout dire. Me voil bout de mon criture,
+et toute vous plus que jamais, s'il est possible.
+
+
+
+
+LETTRE XIV.
+
+Paris, 24, janvier 1692.
+
+
+Hlas! ma belle, tout ce que j'ai vous dire de ma sant est bien
+mauvais; en un mot, je n'ai repos ni nuit ni jour, ni dans le corps ni
+dans l'esprit; je ne suis une personne, ni par l'un ni par l'autre; je
+pris vue d'oeil; il faut finir quand il plat Dieu, et j'y suis
+soumise. L'horrible froid qu'il fait m'empche de voir madame _de
+Lavardin_. Croyez, ma trs-chre, que vous tes la personne du monde que
+j'ai le plus vritablement aime.
+
+
+
+
+EXTRAITS DE LETTRES DIVERSES.
+
+_Madame_ de la Fayette _se moque des ridicules manires de parler de
+quelques personnes de son temps. Elle fait parler un amant jaloux sa
+matresse._
+
+PREMIER EXTRAIT.
+
+
+Ce sont de ces sortes de choses qu'on ne pardonne pas en mille ans, que
+le trait que vous me ftes hier. Vous tiez belle comme un petit ange.
+Vous savez que je suis alerte sur le compte de _Dangeau_; je vous
+l'avois dit de bonne foi; et cependant vous me quitttes franc et net
+pour le galoper; cela s'appelle rompre de couronne couronne; c'est
+n'avoir aucun mnagement et manquer toutes sortes d'gards. Vous
+sentez que cette manire de peindre m'a tir de grands rideaux. Vous
+avez oubli qu'il y a des choses dont je ne tte jamais, et que je suis
+une espce d'homme que l'on ne trouve pas aisment sur un certain pied.
+Srement ce n'est point mon caractre que d'tre dupe et de donner dans
+le panneau tte baisse. Je me le tiens pour dit; j'entends le franois.
+A la vrit, je ne ferai point de fracas; j'en userai fort honntement;
+je n'afficherai point; je ne donnerai rien au public; je retirerai mes
+troupes; mais comptez que vous n'avez point oblig un ingrat.
+
+
+SECOND EXTRAIT,
+
+_Compos de phrases o il n'y a point de sens_, _et que bien des gens de
+la cour mettent dans leurs discours._
+
+
+Je vous assure, Monseigneur, qu'on est bien chagrin de ne pouvoir faire
+son devoir, et il est fort honnte de le pardonner. Je vous cris cette
+missive pour vous donner des nouvelles de M. _Domdtel_; j'espre qu'il
+sera bientt hors d'affaire, et que sa maladie ne sera pas longue. Je me
+suis trouv depuis peu un grand repas o l'on a mang une bonne soupe,
+et o vous avez t bien clbr. Vous savez, Monseigneur, que vous
+inspirez la joie. L'on fit mille plaisanteries; vous me ferez bien la
+justice de croire que l'on a eu le dernier dplaisir de ne vous y avoir
+pas. J'ai bien envie d'avoir l'honneur de vous voit pour vous entretenir
+sur mon gazon. Mes fermiers sont cause que je ne puis m'aller rabattre
+chez _Fredole_; mais je vas souvent en un lieu o l'on aime se
+rjouir, et o l'on met les plats en bataille. Il y a une personne qui
+dsire fort le tte--tte avec vous. Vous connotrez dans son dialogue
+qu'elle a du savoir-faire, et que l'on vous trouve furieusement aimable;
+je vous dis tout ceci, parce que je suis engou de vous; car votre
+caractre me rjouit; et, de bonne foi, il est vrai que je me suis coul
+de mon pied en un lieu o j'ai vu de beaux esprits qui ne peuvent se
+passer de vous cause de votre gnie. Je m'tonne que vous ne veniez
+pas dialoguer avec les demoiselles; c'est coup sr que vous les
+rjouissez quand elles vous voient; car, assurment, vous tes du bel
+air, et vous distinguez bien dans le beau monde, o l'on vous rend
+justice. Il est vrai que je m'en allai hier au bal dans un grand
+embarras, dont j'eus bien de la peine de me tirer; il est vrai que je
+n'y demeurai pas long-temps; j'ous la bonne femme qui me parla bien de
+vous, qui me dit que vous faisiez figure. Elle vous aime autant que les
+demoiselles; srement vous tes aujourd'hui la coqueluche de tout le
+monde; il est vrai que votre mrite n'est pas postiche. Les demoiselles
+en rendent srement de bons tmoignages.
+
+
+
+
+PORTRAIT
+
+DE
+
+LA MARQUISE DE SVIGN,
+
+PAR MADAME
+
+LA COMTESSE DE LA FAYETTE,
+
+SOUS LE NOM D'UN INCONNU.
+
+
+Tous ceux qui se mlent de peindre des belles, se tuent de les embellir
+pour leur plaire, et n'oseroient leur dire un seul de leurs dfauts;
+mais pour moi, Madame, grce au privilge d'inconnu que j'ai auprs de
+vous, je m'en vais vous peindre bien hardiment, et vous dire toutes vos
+vrits tout mon aise, sans craindre de m'attirer votre colre; je
+suis au dsespoir de n'en avoir que d'agrables vous conter; car ce me
+seroit un grand dplaisir si, aprs vous avoir reproch mille dfauts,
+je voyois cet inconnu aussi bien reu de vous, que mille gens qui n'ont
+fait toute leur vie que de vous louer. Je ne veux point vous accabler de
+louanges, et m'amuser vous dire que votre taille est admirable, que
+votre teint a une beaut et une fleur qui assurent que vous n'avez que
+vingt ans, que votre bouche, vos dents et vos cheveux sont
+incomparables; je ne veux point vous dire toutes ces choses; votre
+miroir vous les dit assez; mais comme vous ne vous amusez pas lui
+parler, il ne peut vous dire combien vous tes aimable et charmante
+quand vous parlez; et c'est ce que je veux vous apprendre.
+
+Sachez donc, Madame, si par hasard vous ne le savez pas, que votre
+esprit pare et embellit si fort votre personne, qu'il n'y en a point au
+monde de si agrable. Lorsque vous tes anime dans une conversation
+dont la contrainte est bannie, tout ce que vous dites a un tel charme,
+et vous sied si bien, que vos paroles attirent les ris et les grces
+autour de vous; et le brillant de votre esprit donne un si grand clat
+ votre teint et vos yeux, que, quoiqu'il semble que l'esprit ne dt
+toucher que les oreilles, il est pourtant certain que le vtre blouit
+les yeux, et que, lorsqu'on vous coute, l'on ne voit plus qu'il manque
+quelque chose la rgularit de vos traits, et l'on vous croit la
+beaut du monde la plus acheve. Vous pouvez juger, par ce que je viens
+de vous dire, que, si je vous suis inconnu, vous ne m'tes pas inconnue,
+et qu'il faut que j'aie eu plus d'une fois l'honneur de vous voir et de
+vous entretenir, pour avoir dml ce qui fait en vous cet agrment dont
+tout le monde est surpris; mais je veux encore vous faire voir, Madame,
+que je ne connois pas moins les qualits solides qui sont en vous, que
+je sais les agrables dont on est touch. Votre me est grande, noble,
+propre dispenser des trsors, et incapable de s'abaisser au soin d'en
+amasser. Vous tes sensible la gloire et l'ambition, et vous ne
+l'tes pas moins au plaisir. Vous paroissez ne pour eux, et il semble
+qu'ils soient faits pour vous. Votre prsence augmente les
+divertissemens, et les divertissemens augmentent votre beaut lorsqu'ils
+vous environnent; enfin la joie est l'at vritable de votre me, et le
+chagrin vous est plus contraire qu' personne du monde. Vous tes
+naturellement tendre et passionne; mais, la honte de notre sexe,
+cette tendresse nous a t inutile, et vous l'avez renferme dans le
+vtre, en la donnant madame _de la Fayette_. Ah! Madame, s'il y avoit
+quelqu'un au monde assez heureux pour que vous ne l'eussiez pas trouv
+indigne de ce trsor dont elle jouit, et qu'il n'et pas tout mis en
+usage pour le possder, il mriteroit toutes les disgrces dont l'amour
+peut accabler ceux qui vivent sous son empire. Quel bonheur d'tre le
+matre d'un coeur comme le vtre, dont les sentimens fussent expliqus
+par cet esprit galant et agrable que les dieux vous ont donn! et votre
+coeur, Madame, est sans doute un bien qui ne se peut mriter; jamais il
+n'y en eut un si gnreux, si bien fait et si fidle. Il y a des gens
+qui vous souponnent de ne le montrer pas toujours tel qu'il est; mais,
+au contraire, vous tes si accoutume n'y rien sentir qu'il ne vous
+soit honorable de montrer, que mme vous y laissez voir quelquefois ce
+que la prudence du sicle vous obligeroit de cacher. Vous tes ne la
+plus civile et la plus obligeante personne qui ait jamais t, et, par
+un air libre et doux qui est dans toutes vos actions, les plus simples
+complimens de biensance paroissent, en votre bouche, des protestations
+d'amiti, et tous ceux qui sortent d'auprs de vous s'en vont persuads
+de votre estime et de votre bienveillance, sans qu'ils se puissent dire
+ eux-mmes quelle marque vous leur avez donne de l'une et de l'autre.
+Enfin, vous avez reu des grces du ciel qui n'ont jamais t donnes
+qu' vous; et le monde vous est oblig de lui tre venu montrer mille
+agrables qualits qui, jusqu'ici, lui avoient t inconnues. Je ne
+veux point m'embarquer vous les dpeindre toutes; car je romprois le
+dessein que j'ai de ne vous pas accabler de louanges, et, de plus,
+Madame, pour vous en donner qui fussent
+
+ Dignes de vous et de parotre,
+ Il faudroit tre votre amant,
+ Et je n'ai pas l'honneur de l'tre[156].
+
+
+_Fin des lettres de Madame de la Fayette._
+
+
+
+
+LETTRES
+
+DE
+
+NINON DE L'ENCLOS.
+
+
+
+
+NOTICE
+
+SUR
+
+NINON DE L'ENCLOS.
+
+
+Anne de l'Enclos naquit Paris le 15 mai 1616 de M. _de l'Enclos_,
+gentilhomme de Touraine, et de mademoiselle _de Raconis_, son pouse,
+d'une famille noble de l'Orlanois.
+
+Madame _de l'Enclos_ vouloit faire de Ninon une dvote; mais M. _de
+l'Enclos_, homme d'esprit et de plaisir, se chargea lui-mme de
+l'ducation de sa fille, et donna une direction toute diffrente ses
+inclinations.
+
+_Ninon_ perdit ses parens de bonne heure: ds l'ge de quinze ans, elle
+se trouva matresse d'elle-mme, et d'une fortune que les dissipations
+de son pre avoient considrablement rduite. Elle mit son bien fonds
+perdu, et se fit, par ce moyen, un revenu suffisant pour vivre dans
+l'aisance, et mme obliger ses amis au besoin. Elle sut conomiser sans
+avarice, et dpenser sans profusion.
+
+Plusieurs fois elle fut recherche en mariage; mais elle chrissoit trop
+l'indpendance pour contracter un pareil engagement.
+
+leve dans les principes les moins svres, et ne avec des sens fort
+vifs, elle se livra toute entire aux plaisirs de l'amour. Nous
+n'entreprendrons point de faire l'apologie d'une conduite aussi peu
+retenue; en renonant la principale vertu de son sexe, Ninon a sans
+doute perdu une grande partie de ses droits l'estime; mais s'il n'est
+pas permis de chercher excuser ses torts, il doit l'tre au moins de
+mettre sous les yeux du lecteur tout ce qui peut contribuer les faire
+juger moins rigoureusement. M. _de l'Enclos_, professant ouvertement
+l'picurisme le plus relch, avoit donn sa fille des prceptes de
+volupt qu'il ne confirmoit que trop par sa manire de vivre; et l'on
+sait quelle influence exercent sur nos ides et nos actions de toute la
+vie, les discours et l'exemple des personnes qui ont prsid notre
+ducation, sur-tout lorsque ces personnes nous ont t chres, et que
+leur doctrine a flatt nos gots, au lieu de les contrarier. Abandonne
+fort jeune sa propre volont, entoure de mille adorateurs que lui
+attiroient ses charmes, flatte d'inspirer de l'amour, ne pouvant
+s'empcher d'en ressentir elle-mme pour des hommes qui runissoient
+presque tous aux grces de l'esprit et du corps l'clat d'une grande
+fortune ou d'un grand nom, comment _Ninon_ se seroit-elle dfendue
+contre tant de sductions? Elle y cda sans rsistance; mais si elle fut
+foible, elle ne fut point vile. Quoiqu'elle eut le tort trs-grand de ne
+considrer l'amour que comme une sensation et non point comme un
+sentiment, on ne voit pas que ce travers d'opinion, qui auroit pu
+l'entraner aux choix les plus honteux, lui en ait jamais fait faire un
+seul que la dlicatesse la plus platonique et pu dsavouer. La liste de
+ses amans est nombreuse; mais il n'y figure aucun nom que, pour son
+honneur, on soit fch d'y trouver inscrit; ce sont les _Cond_, les _la
+Rochefoucauld_, les _Longueville_, les _Coligni_, les _Villarceaux_,
+les _Svign_, les _d'Albret_, les _d'Estres_, les _Gersey_, les
+_d'Effiat_, les _Clrembault_, les _la Chtre_, les _Bannier_, les
+_Gourville_, etc. Mais ce qui tablit sur-tout une prodigieuse
+diffrence entre _Ninon_ et les autres femmes qui, comme elle, ont fait
+de l'amour une sorte de profession, c'est qu'elle ne trafiqua point de
+ses faveurs. Par inclination, par caprice ou mme par vanit, elle les
+accordoit en pur don l'amabilit, au mrite, la clbrit; mais
+jamais elle ne les vendit la richesse. Elle poussoit, dit-on, les
+scrupules du dsintressement jusque-l, que ceux dont elle avoit
+satisfait les dsirs, en perdoient le droit de lui faire accepter les
+dons les plus lgers.
+
+Celle qui rejetoit les prsens de l'amour comme un salaire offensant,
+n'toit pas faite pour retenir les dpts de l'amiti. _Gourville_,
+oblig de fuir du royaume, avoit confi vingt mille cus en or
+_Ninon_, dont il toit alors l'amant, et remis pareille somme entre les
+mains d'un personnage fameux par l'austrit de ses moeurs. _Gourville_
+revint. L'ecclsiastique (c'en toit un) nia le dpt. _Gourville_,
+qui _Ninon_ dans l'intervalle avoit donn un successeur, lui fit
+l'injure de la croire aussi peu fidle en affaires qu'en amour, et il
+doutoit si peu de son malheur qu'il s'pargnoit jusqu' la peine d'aller
+s'en assurer. _Ninon_ l'envoya chercher. Mon cher _Gourville_, lui
+dit-elle, il m'est arriv un grand malheur pendant votre absence. J'ai
+perdu le got que j'avois pour vous; mais je n'ai pas perdu la mmoire.
+Voici les vingt mille cus que vous m'avez confis votre dpart de
+Paris. Ils sont encore dans la cassette o vous les avez serrs
+vous-mme.
+
+_Ninon_ ne trahissoit point ses amans; elle cessoit de les aimer et le
+leur disoit. Ce ne fut que pour se soustraire aux fatigantes
+importunits de _la Chtre_, qu'elle lui signa ce fameux billet, o elle
+faisoit de tous les sermens celui qu'elle toit le moins en tat de
+tenir, le serment de n'en aimer jamais d'autre de sa vie; et elle ne se
+crut pas lie un seul instant par un engagement aussi tmraire. Au
+reste il est certain, d'aprs son caractre, que si le porteur de cette
+risible cdule et t de retour auprs d'elle, quand il lui vint en
+fantaisie de manquer la foi jure, elle lui auroit ingnument confi
+lui-mme que son billet ne valoit plus rien.
+
+Volage en amour, mais non point perfide, _Ninon_ toit en amiti d'une
+constance toute preuve. Ses amans, en cessant de l'tre, devenoient
+ses amis, et c'toit pour toujours. L'amiti toit le seul sentiment
+respectable ses yeux, et elle en remplissoit religieusement tous les
+devoirs. J. J. _Rousseau_ a dit: Je n'aurois pas plus voulu d'elle pour
+mon ami que pour ma matresse. On ne voit pas trop par quel motif il
+et rpugn si fort tre l'ami de _Ninon_; on expliqueroit plus
+facilement encore pourquoi il et refus d'tre son amant, quoiqu' dire
+vrai, _Rousseau_ lui-mme et peut-tre eu bien de la peine se
+dfendre de ses charmes, si elle se ft mis en tte de venir bout de
+sa philosophie.
+
+Tous ses contemporains s'accordent la peindre comme la plus
+sduisante des femmes. Sa taille, disent-ils, toit pleine de grce et
+de noblesse; sa figure n'toit pas parfaitement rgulire, et n'avoit
+point ce grand clat de beaut qui frappe d'abord; mais l'examen y
+faisoit dcouvrir une foule d'agrmens et de finesses qui la faisoient
+prfrer aux figures les plus correctes et les plus blouissantes. Elle
+ddaignoit le luxe des habits, ou plutt, par une coquetterie mieux
+entendue, elle le rejetoit comme contraire aux intrts de sa beaut.
+Une propret recherche, une simplicit lgante faisoient tous les
+frais de sa parure. Les charmes de sa personne se conservrent si
+long-temps, ils diminurent d'une manire si lente et si peu sensible,
+qu'elle prolongea le don de plaire et d'exciter le dsir, jusqu' un ge
+o toutes les autres femmes sont trop heureuses de ne pas exciter le
+dgot. On prtend qu' quatre-vingts ans elle inspira une vive passion
+ l'abb _Gedoyn_. _Voltaire_ ne rejette point entirement cette
+anecdote, comme quelques autres ont fait; mais l'abb _Gedoyn_ il
+substitue l'abb _de Chteau-Neuf_, et il rabat dix annes de l'ge
+attribu _Ninon_ quand elle fit sa dernire folie. Au compte mme de
+_Voltaire_, c'est encore avoir pouss bien loin sa carrire amoureuse.
+L'abb _Fraguier_, qui n'avoit connu _Ninon_ que dans un ge dj
+trs-avanc, disoit que _quiconque vouloit faire attention ses yeux,
+pouvoit y lire encore toute son histoire_. _Chaulieu_ exprimoit
+autrement la mme ide: _L'amour_, disoit-il, _s'toit retir jusque
+dans les rides de son front._
+
+L'esprit de _Ninon_ n'toit pas moins clbre que ses charmes. Elle
+l'avoit tout la fois agrable et solide. Elle se l'toit form de
+bonne heure par la lecture de nos meilleurs crivains. A l'ge de dix
+ans, _Montaigne_ et _Charron_ toient ses livres favoris. Elle parloit
+avec facilit l'italien et l'espagnol. Elle vitoit avec un soin extrme
+le ridicule si commun parmi les femmes qui se croient ou sont en effet
+plus instruites que les autres, celui de faire parade de leur savoir.
+_Mignard_ se plaignoit de ce que sa fille, depuis madame la comtesse _de
+Feuquires_, manquoit de mmoire: _Vous tes trop heureux, Monsieur_,
+lui dit _Ninon_, _elle ne citera point_. Son entretien toit doux et
+lger, dit l'abb _Fraguier_: le contraire la blessoit, mais il n'y
+paroissoit point. Elle n'avoit pas nglig les arts agrables; elle
+dansoit avec grce, chantoit avec got, et jouoit trs-bien du
+clavecin, du luth, du tuorbe et de la guitare.
+
+Tant d'agrmens runis ne pouvoient manquer d'attirer chez elle l'lite
+de la cour et de la ville. Les hommes les plus distingus par la
+naissance, l'esprit et les talens, lui faisoient une cour assidue. Les
+mres ambitionnoient pour leurs fils l'avantage d'tre admis chez
+_Ninon_, auprs de qui ils se formoient aux manires et au ton de la
+bonne compagnie. Cette faveur n'toit point accorde indistinctement
+tous ceux qui la sollicitoient. Un mrite reconnu, ou d'heureuses
+dispositions pour en acqurir, toient, avec la probit, les seuls
+titres qui pussent la faire obtenir. _Ninon_ n'y fut trompe qu'une
+fois. A la sollicitation d'un de ses meilleurs amis, elle avoit
+consenti recevoir chez elle un M. _Rmond_, dont l'ducation ne lui
+fit point d'honneur. Il se signala bientt dans le monde par toutes
+sortes de ridicules. On apprit _Ninon_ qu'il alloit se vantant partout
+d'avoir t form par elle. _Je suis comme Dieu, dit-elle, qui s'est
+repenti d'avoir form l'homme._ _Chapelle_ fut exclus de sa maison,
+cause de son ivrognerie, quoique ce dfaut, qui est devenu le partage de
+la dernire classe du peuple, ft encore de mode alors parmi les plus
+honntes gens. _Chapelle_, offens, jura que pendant un mois il ne se
+coucheroit pas sans tre ivre, et sans avoir fait une chanson contre
+_Ninon_. Il tint parole, dit _Voltaire_.
+
+On conoit sans peine que les hommes, moins scrupuleux dans leurs
+liaisons de tout genre, aient recherch avec empressement la socit
+d'une femme, disons le mot, d'une courtisane charmante, et se soient, en
+quelque sorte, fait un honneur d'y tre admis; mais que des femmes,
+qui le soin de leur rputation commandoit cet gard la plus grande
+rserve, n'aient point rougi d'tre ouvertement les amies de _Ninon_,
+voil ce qui tonne avec raison, voil ce qu'on ne peut expliquer que
+par un mrite vraiment extraordinaire dans la personne qui les faisoit
+ainsi passer par-dessus les conseils du plus sage prjug. Cela fait
+supposer aussi, que _Ninon_ mettoit dans sa conduite autant de dcence
+extrieure qu'il en falloit, pour que des femmes honntes ne fussent
+point embarrasses chez elle de leur contenance. Mesdames _de la Suze_,
+_de Castelnau_, _de la Fert_, _de Sulli_, _de Fiesque_, _de la
+Fayette_, _de Choisi_, _de Lambert_, _de Bouillon-Mancini_, _de
+Sandwich_, etc., furent lies avec elle d'une amiti trs-troite. Elle
+en avoit contract une plus intime encore avec madame _de Maintenon_,
+lorsque celle-ci n'toit que mademoiselle _d'Aubign_ ou madame
+_Scarron_; elles couchrent plusieurs mois ensemble dans le mme lit, et
+l'on assure que mademoiselle _d'Aubign_ enleva _Ninon_,
+_Villarceaux_, son amant, sans que _Ninon_ en st plus mauvais gr
+l'un et l'autre. Madame _de Maintenon_, parvenue au comble de la
+faveur, fit proposer son ancienne amie de se faire dvote, et de venir
+auprs d'elle la cour. _Ninon_ refusa. Ce ne fut pas la seule fois
+qu'elle sacrifia la fortune et la faveur son amour pour le repos et la
+libert. La reine _Christine_ fit en vain mille efforts pour l'emmener
+avec elle Rome. _Christine_ dit en partant qu'elle n'avoit trouv
+aucune femme en France qui lui plt autant que _l'illustre Ninon_. C'est
+dans une conversation avec cette reine que _Ninon_ qualifia les
+prcieuses de _jansnistes de l'amour_. Madame _de Svign_ n'aimoit
+point _Ninon_. Dans plusieurs de ses lettres, elle parle d'elle avec
+trs-peu de considration. Sa prvention est excusable; le marquis _de
+Svign_ s'occupoit peu de son avancement, mais en revanche il
+travailloit assez efficacement dranger une fortune que sa mre
+mettoit tous ses soins conserver. Madame _de Svign_ crut voir dans
+l'amour de son fils pour _Ninon_ la cause de son indolence et de ses
+dissipations. La _Champml_, qui succda _Ninon_ dans le coeur du
+marquis _de Svign_, eut aussi sa part de la mauvaise humeur et des
+ressentimens de cette mre tendre et inquite. En gnral, elle ne
+mnageoit aucun de ceux qu'elle croyoit pouvoir accuser du drangement
+de son fils. Pour un ou deux soupers que celui-ci fit accepter
+_Racine_ et _Boileau_, elle parle quelque part d'eux, comme de potes
+famliques, pour qui un repas pris en ville est une bonne fortune. Or,
+on sait que _Boileau_ recevoit chez lui les plus grands seigneurs, et
+que _Racine_ refusoit de dner avec M. le duc _de Bourbon_, pour manger
+une carpe en famille.
+
+Revenons _Ninon_. Plusieurs beaux esprits du temps, plusieurs
+crivains assez distingus la clbrrent en prose et en vers. De ce
+nombre furent _Scarron_, _Regnier-Desmarais_, l'abb _de Chteauneuf_ et
+_Saint-Evremont_. Ce dernier partageoit ses adorations entre elle et la
+fameuse duchesse _de Mazarin_. Tout le monde connot le joli quatrain
+qu'il fit pour _Ninon_:
+
+ L'indulgente et sage nature
+ A form l'me de _Ninon_,
+ De la volupt d'picure,
+ Et de la vertu de Caton.
+
+Un hommage plus flatteur encore pour elle, c'est le cas que _Molire_
+faisoit de son got et de son esprit; il la consultoit, dit-on, sur tous
+ses ouvrages. Comme il lui avoit lu un jour son _Tartuffe_, elle lui fit
+le rcit d'une aventure qui lui toit arrive avec un sclrat peu
+prs de la mme espce. _Molire_ rapporta qu'elle lui en avoit fait le
+portrait avec des couleurs si vives et si naturelles, que, si sa pice
+n'et pas t faite, il ne l'auroit jamais entreprise, tant il se
+seroit cru incapable de rien mettre sur le thtre d'aussi parfait que
+le _Tartuffe_ de mademoiselle _de l'Enclos_. _Voltaire_ trouve
+l'anecdote peu vraisemblable, quoiqu'on en ait pour garant l'abb _de
+Chteauneuf_, qui disoit la tenir de _Molire_ lui-mme. On peut
+l'adopter, en admettant que _Molire_ a parl avec un peu trop de
+modestie sur son propre compte, et d'exagration sur celui de _Ninon_,
+qui l'avoit frapp d'admiration par son talent pour saisir et peindre le
+ridicule.
+
+Ses contes et ses bons mots lui avoient fait de bonne heure une
+rputation. On cite d'elle une foule de rflexions profondes ou
+ingnieuses. Nous n'en rapporterons que quelques-unes. Elle eut, l'ge
+de vingt-deux ans, une maladie qui la mit au bord du tombeau. Ses amis
+dploroient sa destine qui l'enlevoit la fleur de son ge. _Ah!_
+dit-elle, _je ne laisse au monde que des mourans._ Ce mot est bien
+philosophique. _La beaut sans les grces_, disoit-elle souvent, _est un
+hameon sans appt_. Elle disoit un jour _Saint-Evremont_ qu'_elle
+rendoit grces Dieu tous les soirs de son esprit, et qu'elle le prioit
+tous les matins de la prserver des sottises de son coeur._ Elle
+prtendoit qu'_une femme sense ne devroit jamais prendre d'amant sans
+l'aveu de son coeur, ni de mari sans le consentement de sa raison._
+_Ninon_ avoit le talent des vers; mais elle en faisoit rarement usage.
+Le Grand-Prieur _de Vendme_ avoit essay inutilement de se faire aimer
+d'elle; indign de ses refus, il mit un jour sur sa toilette ce
+quatrain:
+
+ Indigne de mes feux, indigne de mes larmes,
+ Je renonce sans peine tes foibles appas:
+ Mon amour te prtoit des charmes,
+ Ingrate, que tu n'avois pas.
+
+Elle y rpondit par cette plaisante parodie:
+
+ Insensible tes feux, insensible tes larmes,
+ Je te vois renoncer mes foibles appas;
+ Mais si l'amour prte des charmes,
+ Pourquoi n'en empruntois-tu pas?
+
+Le bonheur dont jouissoit _Ninon_ ne fut troubl qu'une fois, mais ce
+fut par l'accident le plus affreux. L'un des deux fils qu'elle avoit eus
+de _Villarceaux_, ignorant qu'elle toit sa mre, devint perdument
+amoureux d'elle, et lorsque voulant mettre fin cette fatale passion,
+elle lui et rvl le secret de sa naissance, l'infortun jeune homme
+alla se poignarder de dsespoir. Son autre fils, nomm _la Boissire_,
+fit une espce de fortune; il devint capitaine de vaisseau, et mourut
+Toulon, en 1732, g de 75 ans.
+
+Tout le monde sait que _Voltaire_ fut prsent _Ninon_ au sortir du
+collge par l'abb de _Chteauneuf_, et qu'elle lui laissa par son
+testament deux mille francs pour acheter des livres.
+
+_Ninon_ mourut Paris dans sa maison de la rue des Tournelles, au
+Marais, le 17 octobre 1706, sur les cinq heures du soir, l'ge de
+quatre-vingt-dix ans et cinq mois.
+
+On a crit plusieurs fois sa vie. _Voltaire_ impatient de voir parotre
+tant de _mmoires_ sur elle, disoit: _Si cette mode continue, il y aura
+bientt autant d'histoires de Ninon que de Louis XIV._
+
+
+
+
+LETTRES
+
+DE
+
+MLLE. DE L'ENCLOS;
+
+A M. DE ST.-EVREMONT,
+
+ET
+
+DE M. DE ST.-EVREMONT
+
+A MLLE. DE L'ENCLOS.
+
+
+
+
+LETTRE PREMIRE.
+
+_M._ DE SAINT-EVREMONT _ mademoiselle_ DE L'ENCLOS.
+
+
+Votre vie, ma trs-chre, a t trop illustre pour n'tre pas continue
+de la mme manire jusqu' la fin. Que l'_enfer de_ M. _de la
+Rochefoucauld_[157] ne vous pouvante pas; c'toit un _enfer_ mdit,
+dont il vouloit faire une maxime. Prononcez donc le mot d'amour
+hardiment, et que celui de vieille ne sorte jamais de votre bouche. Il y
+a tant d'esprit dans votre lettre, que vous ne laissez pas mme imaginer
+le commencement du retour. Quelle ingratitude d'avoir honte de nommer
+l'amour qui vous devez votre mrite et vos plaisirs! Car enfin, ma
+belle gardeuse de cassette, la rputation de votre probit est
+particulirement tablie sur ce que vous avez rsist des amans qui se
+fussent accommods volontiers de l'argent de vos amis. Avouez toutes vos
+passions pour faire valoir toutes vos vertus. Cependant, vous n'avez
+exprim que la moiti du caractre. Il n'y a rien de mieux que la part
+qui regarde vos amis; rien de plus sec que ce qui regarde vos amans. En
+peu de vers, je veux faire le caractre entier; et le voici form de
+toutes les qualits que vous avez, ou que vous avez eues.
+
+ Dans vos amours on vous trouvoit lgre,
+ En amiti toujours sre et sincre;
+ Pour vos amans les humeurs de Vnus,
+ Pour vos amis les solides vertus.
+ Quand les premiers vous nommoient infidelle,
+ Et qu'asservis encore votre loi,
+ Ils reprochoient une flamme nouvelle,
+ Les autres se louoient de votre bonne foi.
+ Tantt c'toit le naturel d'Hlne,
+ Ses apptits, comme tous ses appas;
+ Tantt c'toit la probit romaine,
+ C'toit d'honneur la rgle et le compas.
+ Dans un couvent, en soeur dpositaire,
+ Vous auriez bien mnag quelqu'affaire;
+ Et dans le monde, garder les dpts,
+ On vous et justement prfre aux dvots.
+
+Que cette diversit ne vous surprenne point.
+
+ L'indulgente et sage nature,
+ A form l'me de _Ninon_,
+ De la volupt d'picure,
+ Et de la vertu de Caton.
+
+
+
+
+LETTRE II.
+
+_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _ M._ DE SAINT-EVREMONT.
+
+
+J'tois dans ma chambre, toute seule, et trs-lasse de lecture, lorsque
+l'on me dit: voil un homme de la part de M. _de Saint-Evremont_. Jugez
+si tout mon ennui ne s'est pas dissip dans le moment. J'ai eu le
+plaisir de parler de vous, et j'en ai appris des choses que les lettres
+ne disent point: votre sant parfaite et vos occupations. La joie de
+l'esprit en marque la force; et votre lettre, comme du temps que M.
+_d'Olonne_ vous faisoit suivre, m'assure que l'Angleterre vous promet
+encore quarante ans de vie; car il me semble que ce n'est qu'en
+Angleterre que l'on parle de ceux qui ont vcu au del de l'ge de
+l'homme. J'aurois souhait de passer ce qui me reste de vie avec vous:
+si vous aviez pens comme moi, vous seriez ici. Il est pourtant assez
+beau de se souvenir toujours des personnes que l'on a aimes; et c'est
+peut-tre pour embellir mon pitaphe que cette sparation du corps s'est
+faite. Je souhaiterois que le jeune[158] prdicateur m'et trouve dans
+la _gloire de Nique_, o l'on ne change point; car il me parot que
+vous m'y croyez des premires enchantes. Ne changez point vos ides sur
+cela; elles m'ont toujours t favorables, et que cette communication,
+que quelques philosophes croyoient au-dessus de la prsence, dure
+toujours.
+
+J'ai tmoign M. _Turretin_ la joie que j'aurois de lui tre bonne
+quelque chose. Il a trouv ici de mes amis qui l'ont jug digne des
+louanges que vous lui donnez. S'il veut profiter de ce qui nous reste
+d'honntes abbs en l'absence de la cour, il sera trait comme un homme
+que vous estimez. J'ai lu devant lui votre lettre avec des lunettes,
+mais elles ne me sient pas mal; j'ai toujours eu la mine grave. S'il
+est amoureux du mrite que l'on appelle ici _distingu_, peut-tre que
+votre souhait sera accompli; car tous les jours on me veut consoler de
+mes pertes par ce beau mot.
+
+J'ai su que vous souhaitiez _la Fontaine_ en Angleterre. On n'en jouit
+gure Paris. Sa tte est bien affoiblie: c'est le destin des potes;
+le Tasse et Lucrce l'ont prouv. Je doute qu'il y ait eu du philtre
+amoureux pour _la Fontaine_. Il n'a gure aim de femmes qui en eussent
+pu faire la dpense.
+
+
+
+
+LETTRE III.
+
+_M._ DE SAINT-EVREMONT _ mademoiselle_ DE L'ENCLOS.
+
+
+M. _Turretin_ m'a une grande obligation de lui avoir donn votre
+connoissance. Je ne lui en ai pas une mdiocre d'avoir servi de sujet
+la belle lettre que je viens de recevoir. Je ne doute point qu'il ne
+vous ait trouve avec les mmes yeux que je vous ai vue: ces yeux, par
+qui je connoissois toujours la nouvelle conqute d'un amant, quand ils
+brilloient un peu plus que de coutume, et qui nous faisoient dire:
+
+ Telle n'est point la Cythre[159],
+ Quand d'un nouveau feu s'allumant,
+ Elle soit pompeuse et pare
+ Pour la conqute d'un amant;
+ Telle ne luit en sa carrire
+ Des mois l'ingale courrire;
+ Et telle dessus l'horizon,
+ L'Aurore au matin ne s'tale,
+ Quand les yeux mme de Cphalo
+ En feroient la comparaison.
+
+Vous tes encore la mme pour moi; et quand la nature, qui n'a jamais
+pardonn personne, auroit puis son pouvoir produire une petite
+altration aux traits de votre visage, mon imagination sera toujours
+pour vous cette _gloire de Nique_, o vous savez qu'on ne changeoit
+point. Vous n'en avez pas affaire pour vos yeux et pour vos dents, j'en
+suis assur. Le plus grand besoin que vous ayez, c'est de mon jugement,
+pour bien connotre les avantages de votre esprit, qui se perfectionne
+tous les jours. Vous tes plus spirituelle que n'toit la jeune et vive
+_Ninon_.
+
+ Telle n'toit point _Ninon_,
+ Quand le gagneur[160] de batailles,
+ Aprs l'expdition
+ Oppose aux funrailles,
+Attendoit avec vous en conversation
+Le mrite nouveau d'une autre impulsion.
+
+ Votre esprit, son courage
+ Qui paroissoit abattu,
+ Faisoit retrouver l'usage
+ De sa premire vertu.
+
+ Le charme de vos paroles
+ Passoit ceux des Espagnoles,
+ A ranimer tous les sens
+ Des amoureux languissans.
+
+ Tant qu'on vit votre service
+ Un jeune, un aimable garon[161],
+ A qui Vnus fut rarement propice,
+ _Bussi_ n'en fit point de chanson.
+
+ Vous tiez mme regarde
+ Comme une nouvelle Mde;
+Qui pourroit en amour rajeunir un son.
+Que votre art seroit beau, qu'il seroit admirable,
+ S'il me rendoit un Jason,
+ Un Argonaute capable
+ De conqurir la toison!
+
+
+
+
+LETTRE IV.
+
+_M._ DE SAINT-EVREMONT _ mademoiselle_ DE L'ENCLOS.
+
+1696.
+
+
+J'ai reu la seconde lettre que vous m'avez crite, obligeante,
+agrable, spirituelle, o je reconnois les enjouemens de _Ninon_ et le
+bon sens de mademoiselle _de Lenclos_. Je savois comment la premire a
+vcu; vous m'apprenez de quelle manire vit l'autre. Tout contribue me
+faire regretter le temps heureux que j'ai pass dans votre commerce, et
+ dsirer inutilement de vous voir encore. Je n'ai pas la force de me
+transporter en France, et vous y avez des agrmens qui ne vous
+laisseront pas venir en Angleterre. Madame _de Bouillon_ vous peut dire
+que l'Angleterre a ses charmes; et je serois un ingrat, si je n'avouois
+moi-mme que j'y ai trouv des douceurs. J'ai appris avec beaucoup de
+plaisir que M. le comte _de Grammont_ a recouvr sa premire sant, et
+acquis une nouvelle dvotion. Jusqu'ici je me suis content
+grossirement d'tre homme de bien. Il faut faire quelque chose de plus,
+et je n'attends que votre exemple pour tre dvt. Vous vivez dans un
+pays o l'on a de merveilleux avantages pour se sauver. Le vice n'y est
+gure moins oppos la mode qu' la vertu. Pcher, c'est ne savoir pas
+vivre, et choquer la biensance autant que la religion. Il ne falloit
+autrefois qu'tre mchant; il faut tre de plus malhonnte homme pour se
+damner en France prsentement. Ceux qui n'ont pas assez de considration
+pour l'autre vie, sont conduits au salut par les gards et les devoirs
+de celle-ci. C'en est assez sur une matire o la conversion de M. le
+comte _de Grammont_ m'a engag. Je la crois sincre et honnte. Il sied
+bien un homme qui n'est pas jeune, d'oublier qu'il l'a t. Je ne l'ai
+pu faire jusqu'ici. Au contraire, du souvenir de mes jeunes ans, de la
+mmoire de ma vivacit passe, je tche d'animer la langueur de mes
+vieux jours. Ce que je trouve de plus fcheux mon ge, c'est que
+l'esprance est perdue: l'esprance, qui est la plus douce des passions,
+et celle qui contribue davantage nous faire vivre agrablement.
+Dsesprer de vous voir jamais, est ce qui me fait le plus de peine. Il
+faut se contenter de vous crire quelquefois, pour entretenir une amiti
+qui rsiste la longueur du temps, l'loignement des lieux, et la
+froideur ordinaire de la vieillesse[162]. Ce dernier mot me regarde. La
+nature commencera par vous, faire voir qu'il est possible de ne
+vieillir pas. Je vous prie de faire assurer M. le duc _de Lauzun_, de
+mes trs-humbles services, et de savoir si madame la marchale _de
+Crqui_ lui a fait payer cinq cents cus qu'il m'avoit prts. On me l'a
+crit, il y a long-temps; mais je n'en suis pas trop assur.
+
+
+
+
+LETTRE V.
+
+_M._ DE SAINT-EVREMONT _ mademoiselle_ DE L'ENCLOS.
+
+
+Il y a plus d'un an que je demande de vos nouvelles tout le monde, et
+personne ne m'en apprend.
+
+M. _de la Bastide_ m'a dit que vous vous portiez fort bien; mais il
+ajoute, que si vous n'avez plus tant d'amans, vous tes contente d'avoir
+beaucoup d'amis. La fausset de la dernire nouvelle me fait douter de
+la vrit de la premire. Vous tes ne pour aimer toute votre vie. Les
+amans et les joueurs ont quelque chose de semblable. Qui a aim,
+aimera. Si l'on m'avoit dit que vous tiez dvote, je l'aurois pu
+croire. C'est passer d'une passion humaine l'amour de Dieu, et donner
+ son me de l'occupation; mais ne pas aimer est une espce de nant qui
+ne peut convenir votre coeur.
+
+ Ce repos languissant ne fut jamais un bien,
+ C'est trouver, sans mourir, l'tat o l'on n'est rien.
+
+Je vous demande des nouvelles de votre sant, de vos occupations, de
+votre humeur, et que ce soit dans une assez longue lettre, o il y ait
+peu de morale, et beaucoup d'affection pour votre ancien ami. L'on dit
+ici que le comte _de Grammont_ est mort, ce qui me donne un dplaisir
+fort sensible. Si vous connoissez _Barbin_, faites-lui demander pourquoi
+il imprime tant de choses sous mon nom, qui ne sont point de moi. J'ai
+assez de mes sottises, sans me charger de celles des autres. On me donne
+une pice contre le pre _Bouhours_, o je ne pensai jamais. Il n'y a
+pas d'crivain que j'estime plus que lui. Notre langue lui doit plus
+qu' aucun auteur, sans excepter _Vaugelas_. Dieu veuille que la
+nouvelle de la mort du comte _de Grammont_ soit fausse[163], et celle de
+votre sant vritable!
+
+La gazette de Hollande dit que _M. le comte de Lauzun se marie_; si cela
+toit vrai, on l'auroit mand de Paris: outre cela, M. _de Lauzun_ est
+_duc_, et le nom de _comte_ ne lui convient point. Si vous avez la bont
+de m'en crire quelque chose, vous m'obligerez, et de faire bien des
+complimens M. _de Gourville_ de ma part, en cas que vous le voyiez
+toujours. Pour des nouvelles de paix et de guerre, je ne vous en demande
+pas. Je n'en cris point, et je n'en reois pas davantage. Adieu. C'est
+le plus vritable de vos serviteurs qui gagneroit beaucoup si vous
+n'aviez point d'amans; car il seroit le premier de vos amis, malgr une
+absence qu'on peut nommer ternelle.
+
+
+
+
+LETTRE VI.
+
+_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _ M._ DE SAINT-EVREMONT.
+
+
+Je dfie Dulcine de sentir avec plus de joie le souvenir de son
+chevalier. Votre lettre a t reue comme elle le mrite, et _la triste
+figure_ n'a point diminu le mrite des sentimens. Je suis touche de
+leur force et de leur persvrance. Conservez-les la honte de ceux qui
+se mlent d'en juger. Je crois, comme vous, que les rides sont les
+marques de la sagesse. Je suis ravie que vos vertus extrieures ne vous
+attristent point. Je tche d'en user de mme. Vous avez un ami[164],
+gouverneur de province, qui doit sa fortune ses agrmens. C'est le
+seul vieillard qui ne soit pas ridicule la cour. M. _de Turenne_ ne
+vouloit vivre que pour le voir vieux. Il le verroit pre de famille,
+riche et plaisant. Il a plus dit de plaisanteries sur sa nouvelle
+dignit, que les autres n'en ont pens. M. _d'Elbene_, que vous appeliez
+_le Cunctator_, est mort l'hpital. Qu'est-ce que les jugemens des
+hommes! Si M. _d'Olonne_ vivoit, et qu'il et lu la lettre que vous
+m'crivez, il vous auroit continu votre qualit de _son philosophe_. M.
+_de Lauzun_ est mon voisin. Il recevra vos complimens. Je vous rends
+trs-tendrement ceux de M. _de Charleval_. Je vous demande instamment de
+faire souvenir M. _de Ruvigny_ de son amie de la rue des Tournelles.
+
+
+
+
+LETTRE VII.
+
+_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _ M._ DE SAINT-EVREMONT.
+
+1693.
+
+
+M. _de Charleval_ vient de mourir, et j'en suis si afflige, que je
+cherche me consoler par la part que je sais que vous y prendrez. Je le
+voyois tous les jours. Son esprit avoit tous les charmes de la jeunesse,
+et son coeur toute la bont et la tendresse dsirable dans les vritables
+amis. Nous parlions souvent de vous, et de tous les originaux de notre
+tems. Sa vie et celle que je mne prsentement avoient beaucoup de
+rapport. Enfin, c'est plus que de mourir soi-mme qu'une pareille perte.
+Mandez-moi de vos nouvelles. Je m'intresse votre vie Londres, comme
+si vous tiez ici, et les anciens amis ont des charmes que l'on ne
+connot jamais si bien que lorsqu'on en est priv.
+
+
+
+
+LETTRE VIII.
+
+_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _ M._ DE SAINT-EVREMONT.
+
+
+J'apprends avec plaisir que mon me vous est plus chre que mon corps,
+et que votre bon sens vous conduit toujours au meilleur. Le corps, la
+vrit, n'est plus digne d'attention, et l'me a encore quelque lueur
+qui la soutient, et qui la rend sensible au souvenir d'un ami dont
+l'absence n'a point effac les traits. Je fais souvent de vieux contes
+o M. _d'Elbene_, M. _de Charleval_ et le chevalier _de la Rivire_
+rjouissent les modernes. Vous avez part aux beaux endroits. Mais comme
+vous tes moderne aussi, j'observe de ne vous pas louer devant les
+acadmiciens qui se sont dclars pour les anciens. Il m'est revenu un
+prologue en musique que je voudrois bien voir sur le thtre de Paris.
+La beaut, qui en fait le sujet, donneroit de l'envie toutes celles
+qui l'entendroient. Toutes nos Hlnes n'ont pas le droit de trouver un
+Homre, et d'tre toujours les Desses de la beaut. Me voici bien haut;
+comment en descendre? Mon trs-cher ami, ne falloit-il pas mettre le
+coeur son langage? Je vous assure que je vous aime toujours plus
+tendrement que ne le permet la philosophie. Madame la duchesse _de
+Bouillon_ est comme dix-huit ans. La source des charmes est dans le
+sang Mazarin. A cette heure que nos rois sont amis, ne devriez-vous pas
+venir faire un tour ici? ce seroit pour moi le plus grand succs de la
+paix.
+
+
+
+
+LETTRE IX.
+
+_M._ DE SAINT-EVREMONT _ mademoiselle_ DE L'ENCLOS.
+
+
+Je prends un plaisir sensible voir de jeunes personnes, belles,
+fleuries, capables de plaire, propres toucher sincrement un vieux
+coeur comme le mien. Comme il y a toujours eu beaucoup de rapport entre
+votre got, entre votre humeur, entre vos sentimens et les miens, je
+crois que vous ne serez pas fche de voir un jeune cavalier qui sait
+plaire toutes nos dames. C'est M. le duc _de Saint-Albans_, que j'ai
+pri, autant pour son intrt que pour le vtre, de vous visiter. S'il y
+a quelqu'un de vos amis avec M. _de Tallard_, du mrite de notre temps,
+ qui je puisse rendre quelque service, ordonnez. Faites-moi savoir
+comment se porte notre ancien ami M. _de Gourville_. Je ne doute point
+qu'il ne soit bien dans ses affaires. S'il est mal dans sa sant, je le
+plains.
+
+Le docteur _Morelli_, mon ami particulier, accompagne madame la comtesse
+_de Sandwich_, qui va en France pour sa sant. Feu M. le comte _de
+Rochester_, pre de madame _Sandwich_, avoit plus d'esprit qu'homme
+d'Angleterre. Madame _Sandwich_ en a plus que n'avoit M. son pre. Aussi
+gnreuse que spirituelle, aussi aimable que spirituelle et gnreuse:
+voil une partie de ses qualits. Je m'tendrai plus sur le mdecin que
+sur la malade.
+
+Sept villes, comme vous savez, se disputrent la naissance d'Homre.
+Sept grandes nations se disputent celle du _Morelli_. L'Inde, l'gypte,
+l'Arabie, la Perse, la Turquie, l'Italie, l'Espagne; les pays froids,
+les pays temprs mme, la France, l'Angleterre, l'Allemagne, n'y ont
+aucune prtention. Il sait toutes les langues, il en parle la plupart.
+Son style haut, grand, figur, me fait croire qu'il est n chez les
+Orientaux, et qu'il a pris ce qu'il y a de bon chez les Europens. Il
+aime la musique passionnment. Il est fou de la posie. Curieux en
+peinture, pour le moins; connoisseur, je ne le sais pas. Sur
+l'architecture, il a des amis qui la savent. Clbre, srieusement, dans
+sa profession; capable d'exercer celle des autres. Je vous prie de lui
+faciliter la connoissance de tous vos illustres. S'il a bien la vtre,
+je le tiens assez heureux. Vous ne lui sauriez faire connotre personne
+qui ait un mrite si singulier que vous. Il me semble qu'picure faisoit
+une partie de son souverain bien, du souvenir des choses passes. Il n'y
+a plus de souverain bien pour un homme de cent ans comme moi; mais il
+est encore des consolations. Celle de me souvenir de vous, et de tout ce
+que je vous ai ou dire, est une des plus grandes. Je vous cris bien
+des choses dont vous ne vous souciez gure; je ne songe pas qu'elle vous
+ennuieront: il me suffit qu'elles me plaisent. Il ne faut pas, mon
+ge, croire qu'on puisse plaire aux autres. Mon mrite est de me
+contenter. Trop heureux de le pouvoir faire en vous crivant! Songez
+me mnager du vin avec M. _de Gourville_. Je suis log avec M. _de
+l'Hermitage_, un de ses parens, fort honnte homme, rfugi en
+Angleterre pour sa religion. Je suis fch que la conscience des
+catholiques franois ne l'ait pu souffrir Paris, ou que la dlicatesse
+de la sienne l'en ait fait sortir. Il mrite l'approbation de son
+cousin, assurment.
+
+
+
+
+LETTRE X.
+
+_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _ M._ DE SAINT-EVREMONT.
+
+A quoi songez-vous de croire que la vue d'un jeune homme soit un plaisir
+pour moi? Vos sens vous trompent sur ceux des autres. J'ai tout oubli
+hors mes amis. Si le nom de _docteur_ ne m'avoit rassure, je vous
+aurois fait rponse par l'abb _de Hautefeuille_, et vos Anglois
+n'auroient pas entendu parler de moi. On leur a dit ma porte que je
+n'y tois pas, et on y reut votre lettre qui m'a autant rjouie
+qu'aucune que j'aie jamais reue de vous. Quelle envie d'avoir de bon
+vin! et que je suis malheureuse de ne pouvoir vous rpondre du succs!
+M. _de l'Hermitage_ vous diroit aussi bien que moi que M. _de Gourville_
+ne sort plus de sa chambre. Assez indiffrent pour toutes sortes de
+gots, bon ami toujours, mais que ses amis ne songent pas d'employer, de
+peur de lui donner des soins. Aprs cela, si par quelque insinuation que
+je ne prvois pas encore, je puis employer mon savoir-faire pour le vin,
+ne doutez pas que je ne le fasse. M. _de Tallard_ a t de mes amis
+autrefois, mais les grandes affaires dtournent les grands hommes des
+inutilits. On m'a dit que M. l'abb _Dubois_[165] iroit avec lui.
+C'est un petit homme dli, qui vous plaira, je crois. Il y a vingt de
+vos lettres entre mes mains: on les lit ici avec admiration; vous voyez
+que le bon got n'est pas fini en France. J'ai t charme de l'endroit
+o vous ne craignez pas d'ennuyer; et que vous tes sage, si vous ne
+vous souciez plus que de vous! non pas que le principe ne soit faux pour
+vous, de ne pouvoir plus plaire aux autres. J'ai crit M. _Morelli_;
+si je trouve en lui toutes les sciences dont vous me parlez, je le
+regarderai comme un vrai _docteur_.
+
+
+
+
+LETTRE XI.
+
+_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _ M._ DE SAINT-EVREMONT.
+
+
+J'ai envoy une rponse votre dernire lettre, Monsieur, au
+correspondant de M. l'abb _Dubois_; et je crains, comme il toit
+Versailles, qu'elle ne lui ait pas t rendue. Je serois fort en peine
+de votre sant, sans la visite du bon petit bibliothcaire de madame _de
+Bouillon_[166], qui me combla de joie, en me montrant une lettre d'une
+personne qui songe moi cause de vous. Quelque sujet que j'aie eu
+dans ma maladie de me louer du monde et de mes amis, je n'ai rien
+ressenti de plus vif que cette marque de bont. Faites sur cela tout ce
+que vous tes oblig de faire, puisque c'est vous qui me l'avez attire.
+Je vous prie que je sache, par vous-mme, si vous avez rattrap ce
+bonheur dont on jouit si peu en de certains temps. La source ne sauroit
+tarir tant que vous aurez l'amiti de l'aimable personne qui soutient
+votre vie[167]. Que j'envie ceux qui passent en Angleterre! et que
+j'aurois de plaisir de dner encore une fois avec vous! n'est-ce point
+une grossiret que le souhait d'un dner? L'esprit a de grands
+avantages sur le corps: cependant ce corps fournit souvent de petits
+gots qui se ritrent, et qui soulagent l'me de ses tristes
+rflexions. Vous vous tes souvent moqu de celles que je faisois: je
+les ai toutes bannies. Il n'est plus temps quand on est arriv au
+dernier priode de la vie: il faut se contenter du jour o l'on vit. Les
+esprances prochaines, quoique vous en disiez, valent bien autant que
+celles qu'on tend plus loin: elles sont plus sres. Voici une belle
+morale. Portez-vous bien, voil quoi tout doit aboutir.
+
+
+
+
+LETTRE XII.
+
+_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _ M._ DE SAINT-EVREMONT.
+
+Avril 1698.
+
+
+M. l'abb _Dubois_ m'a rendu votre lettre, Monsieur, et m'a dit autant
+de bien de votre estomac que de votre esprit. Il vient des temps o l'on
+fait bien plus de cas de l'estomac que de l'esprit; et j'avoue ma
+honte que je vous trouve plus heureux de jouir de l'un que de l'autre.
+J'ai toujours cru que votre esprit dureroit autant que vous. On n'est
+pas si sr de la sant du corps, sans quoi il ne reste que de tristes
+rflexions. Insensiblement je m'embarquerois en faire: voici un autre
+chapitre; il regarde un joli garon qu'un dsir de voir les honntes
+gens de toute sorte de pays a fait quitter une maison opulente, sans
+cong. Peut-tre blmerez-vous sa curiosit; mais l'affaire est faite.
+Il sait beaucoup de choses; il en ignore d'autres qu'il faut ignorer
+son ge. Je l'ai cru digne de vous voir, pour lui faire commencer
+sentir qu'il n'a pas perdu son temps d'aller en Angleterre. Traitez-le
+bien pour l'amour de moi. Je l'ai fait prier par son frre an, qui est
+particulirement mon ami, d'aller savoir des nouvelles de madame la
+duchesse _Mazarin_ et de madame _Hervey_, puisqu'elles ont bien voulu se
+souvenir de moi.
+
+
+
+
+LETTRE XIII.
+
+_M._ DE SAINT-EVREMONT _ mademoiselle_ DE L'ENCLOS.
+
+Mai 1698.
+
+
+Je n'ai jamais vu de lettre o il y et tant de bon sens que dans la
+vtre. Vous faites l'loge de l'estomac si avantageusement qu'il y aura
+de la honte avoir bon esprit, moins que d'avoir bon estomac. Je
+suis oblig M. l'abb _Dubois_ de m'avoir fait valoir auprs de vous
+par ce bel endroit. A quatre-vingt-huit ans, je mange des hutres tous
+les matins, je dne bien, je ne soupe pas mal; on fait des hros pour un
+moindre mrite que le mien.
+
+ Qu'on ait plus de bien, de crdit,
+ Plus de vertu, plus de conduite,
+ Je n'en aurai point de dpit;
+ Qu'un autre me passe en mrite
+ Sur le got et sur l'apptit,
+ C'est l'avantage qui m'irrite.
+ L'estomac est le plus grand bien,
+ Sans lui les autres ne sont rien.
+ Un grand coeur veut tout entreprendre,
+ Un grand esprit veut tout comprendre:
+Les droits de l'estomac sont de bien digrer:
+Et dans les sentimens que me donne mon ge,
+La beaut de l'esprit, la grandeur du courage,
+N'ont rien qu' sa vertu l'on puisse comparer.
+
+tant jeune, je n'admirois que l'esprit, moins attach aux intrts du
+corps que je ne devois l'tre. Aujourd'hui je rpare autant qu'il m'est
+possible le tort que j'ai eu, ou par l'usage que j'en fais, ou par
+l'estime et l'amiti que j'ai pour lui. Vous en avez us autrement. Le
+corps vous a t quelque chose dans votre jeunesse; prsentement vous
+n'tes occupe que de ce qui regarde l'esprit. Je ne sais pas si vous
+avez raison de l'estimer tant. On ne lit presque rien qui vaille la
+peine d'tre retenu. On ne dit presque rien qui mrite d'tre cout.
+Quelque misrables que soient les sens l'ge o je suis, les
+impressions que font sur eux les objets qui plaisent, me trouvent bien
+plus sensible, et nous avons grand tort de les vouloir mortifier. C'est
+peut-tre une jalousie de l'esprit, qui trouve leur partage meilleur que
+le sien. M. _Bernier_, le plus joli philosophe que j'aie connu. (Joli
+philosophe ne se dit gure; mais sa figure, sa taille, sa manire, sa
+conversation, l'ont rendu digne de cette pithte-l.) M. _Bernier_, en
+parlant de la mortification des sens, me dit un jour: Je vais vous
+faire une confidence que je ne ferois pas madame _de la Sablire_,
+mademoiselle _de l'Enclos_ mme, que je tiens d'un ordre suprieur; je
+vous dirai en confidence que l'abstinence des plaisirs me parot un
+grand pch. Je fus surpris de la nouveaut du systme. Il ne laissa
+pas de faire quelqu'impression sur moi. S'il et continu son discours,
+peut-tre m'auroit-il fait goter sa doctrine. Continuez-moi votre
+amiti, qui n'a jamais t altre; ce qui est rare dans un aussi long
+commerce que le ntre.
+
+
+
+
+LETTRE XIV.
+
+_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _ M._ DE SAINT-EVREMONT.
+
+Aot 1698.
+
+
+M. _de Clrembault_ m'a fait un sensible plaisir en me disant que vous
+songiez moi: j'en suis digne par l'attachement que je conserve pour
+vous. Nous allons mriter des louanges de la postrit par la dure de
+notre vie, et par celle de notre amiti. Je crois que je vivrai autant
+que vous. Je suis lasse quelquefois de faire toujours la mme chose; et
+je loue le Suisse qui se jeta dans la rivire par cette raison. Mes amis
+me reprennent souvent sur cela, et m'assurent que la vie est bonne, tant
+que l'on est tranquille et que l'esprit est sain. La force du corps
+donne d'autres penses. L'on prfreroit sa force celle de l'esprit;
+mais tout est inutile quand on ne sauroit rien changer. Il vaut autant
+s'loigner des rflexions, que d'en faire qui ne servent rien. Madame
+_Sandwich_ m'a donn mille plaisirs, par le bonheur que j'ai eu de lui
+plaire. Je ne croyois pas sur mon dclin pouvoir tre propre une femme
+de son ge. Elle a plus d'esprit que toutes les femmes de France, et
+plus de vritable mrite. Elle nous quitte; c'est un regret pour tout ce
+qui la connot, et pour moi particulirement. Si vous aviez t ici,
+nous aurions fait des repas dignes du temps pass. Aimez-moi toujours.
+Madame _de Coulanges_ a pris la commission de faire vos complimens M.
+le comte _de Grammont_ par madame la comtesse _de Grammont_. Il est si
+jeune, que je le crois aussi lger, que du temps qu'il hassoit les
+malades, et qu'il les aimoit ds qu'ils toient revenus en sant. Tout
+ce qui revient d'Angleterre parle de la beaut de madame la duchesse
+_Mazarin_, comme on parle ici de celle de mademoiselle _de Bellefond_
+qui commence. Vous m'avez attache madame _Mazarin_, et je n'en
+entends point dire de bien sans plaisir. Adieu, Monsieur; pourquoi
+n'est-ce pas un bon jour? Il ne faudroit pas mourir sans se voir.
+
+
+
+
+LETTRE XV.
+
+_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _ M._ DE SAINT-EVREMONT[168].
+
+Le 3 juillet 1699.
+
+
+Quelle perte pour vous, Monsieur! Si on n'avoit pas se perdre
+soi-mme, on ne se consoleroit jamais. Je vous plains sensiblement; vous
+venez de perdre un commerce aimable, qui vous a soutenu dans un pays
+tranger. Que peut-on faire pour remplacer un tel malheur? Ceux qui
+vivent long-temps, sont sujets voir mourir leurs amis. Aprs cela
+votre esprit, votre philosophie vous servira vous soutenir. J'ai senti
+cette mort comme si j'avois eu l'honneur de connotre madame _Mazarin_.
+Elle a song moi dans mes maux: j'ai t touche de cette bont; et
+ce qu'elle toit pour vous m'avoit attache elle. Il n'y a plus de
+remde, et il n'y en a nul ce qui arrive nos pauvres corps.
+Conservez le vtre. Vos amis aiment vous voir si sain et si sage; car
+je tiens pour sages ceux qui savent se rendre heureux. Je vous rends
+mille grces du th que vous m'avez envoy. La gat de votre lettre m'a
+autant plu que votre prsent. Vous allez ravoir madame _Sandwich_, que
+nous voyons partir avec beaucoup de regret. Je voudrois que la situation
+de sa vie vous pt servir de quelque consolation. J'ignore les manires
+angloises: cette dame a t trs-franoise ici. Adieu mille fois,
+Monsieur. Si l'on pouvoit penser comme madame _de Chevreuse_, qui
+croyoit en mourant qu'elle alloit causer avec tous ses amis en l'autre
+monde, il seroit doux de le penser.
+
+
+
+
+LETTRE XVI.
+
+_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _ M._ DE SAINT-EVREMONT.
+
+1699.
+
+
+Votre lettre m'a remplie de dsirs inutiles dont je ne me croyois plus
+capable. Les jours se passent, comme disoit le bon homme _des Yveteaux_,
+dans l'ignorance et la paresse; et ces jours nous dtruisent, et nous
+font perdre les choses quoi nous sommes attachs. Vous l'prouverez
+cruellement. Vous disiez autrefois que je ne mourrois que de rflexion:
+je tche n'en plus faire et oublier le lendemain le jour que je vis
+aujourd'hui. Tout le monde me dit que j'ai moins me plaindre du temps
+qu'un autre. De quelque sorte que cela soit, qui m'auroit propos une
+telle vie, je me serois pendue. Cependant on tient un vilain corps
+comme un corps agrable. On aime sentir l'aise et le repos.
+L'apptit est quelque chose dont je jouis encore. Plt Dieu de pouvoir
+prouver mon estomac avec le vtre, et parler de tous les originaux que
+nous avons connus, dont le souvenir me rjouit plus que la prsence de
+beaucoup de gens que je vois, quoiqu'il y ait du bon dans tout cela,
+mais, dire le vrai, nul rapport! M. _de Clrembault_ me demande
+souvent, s'il ressemble par l'esprit son pre: non, lui dis-je; mais
+j'espre de sa prsomption qu'il croit ce _non_ avantageux, et peut-tre
+qu'il y a des gens qui le trouveroient. Quelle comparaison du sicle
+prsent avec celui que nous avons vu! Vous allez voir madame _Sandwich_;
+mais je crains qu'elle n'aille la campagne. Elle sait tout ce que vous
+pensez d'elle. Madame _Sandwich_ vous dira plus de nouvelles de ce
+pays-ci que moi. Elle a tout approfondi et tout pntr. Elle connot
+parfaitement tout ce que je hante, et a trouv le moyen de n'tre point
+trangre ici.
+
+
+
+
+LETTRE XVII.
+
+_M._ DE SAINT-EVREMONT _ mademoiselle_ DE L'ENCLOS.
+
+1699.
+
+
+La dernire lettre que je reois de mademoiselle _de l'Enclos_ me semble
+toujours la meilleure; et ce n'est point que le sentiment du plaisir
+prsent l'emporte sur le souvenir du pass: la vritable raison est que
+votre esprit se fortifie tous les jours. S'il en est du corps comme de
+l'esprit, je soutiendrois mal ce combat d'estomac dont vous me parlez.
+J'ai voulu faire un essai du mien contre celui de madame _Sandwich_,
+un grand repas, chez milord _Jersey_; je ne fus pas vaincu. Tout le
+monde connot l'esprit de madame _Sandwich_: je vois son bon got par
+l'estime extraordinaire qu'elle a pour vous. Je ne fus pas vaincu sur
+les louanges qu'elle vous donna, non plus que sur l'apptit. Vous tes
+de tous les pays; aussi estime Londres qu' Paris. Vous tes de tous
+les temps; et quand je vous allgue pour faire honneur au mien, les
+jeunes gens vous nomment aussitt pour donner l'avantage au leur. Vous
+voil matresse du prsent et du pass; puissiez-vous avoir des droits
+considrables sur l'avenir! je n'ai pas en vue la rputation; elle vous
+est assure dans tous les temps. Je regarde une chose plus essentielle;
+c'est la vie, dont huit jours valent mieux que huit sicles de gloire
+aprs la mort. _Qui vous auroit propos autrefois de vivre comme vous
+vivez, vous vous seriez pendue_; l'expression me charme; cependant vous
+vous contentez de l'aise, et du repos, aprs avoir senti ce qu'il y a de
+plus vif.
+
+ L'esprit vous satisfait, ou du moins vous console;
+ Mais on prfreroit de vivre jeune et folle,
+ Et laisser aux vieillards, exempts de passions,
+ La triste gravit de leurs rflexions.
+
+Il n'y a personne qui fasse plus de cas de la jeunesse que moi. Comme
+je n'y tiens que par le souvenir, je suis votre exemple, et m'accommode
+du prsent le mieux qu'il m'est possible. Plt Dieu que madame
+_Mazarin_ et t de notre sentiment! elle vivroit encore; mais elle a
+voulu mourir la plus belle du monde. Madame _Sandwich_ va la campagne.
+Elle part d'ici admire Londres comme elle l'a t Paris. Vivez; la
+vie est bonne quand elle est sans douleur. Je vous prie de faire tenir
+ce billet M. l'abb _de Hautefeuille_, chez madame la duchesse _de
+Bouillon_. Je vois quelquefois les amis de M. l'abb _Dubois_, qui se
+plaignent d'tre oublis. Assurez-le de mes trs-humbles respects.
+
+
+
+
+LETTRE XVIII.
+
+_Mademoiselle_ DE L'ENCLOS _ M._ DE SAINT-EVREMONT.
+
+14 octobre, 1700.
+
+
+Le bel esprit est bien dangereux dans l'amiti! Votre lettre en auroit
+gt une autre que moi. Je connois votre imagination vive et tonnante,
+et j'ai mme eu besoin de me souvenir que _Lucien_ a crit la louange
+de la Mouche, pour m'accoutumer votre style. Plt Dieu que vous
+pussiez penser de moi ce que vous en dites! je me passerois de toutes
+les nations. Aussi est-ce vous que la gloire en demeure. C'est un
+chef-d'oeuvre que votre dernire lettre. Elle a fait le sujet de toutes
+les conversations que l'on a eues dans ma chambre depuis un mois. Vous
+retournez la jeunesse: vous faites bien de l'aimer. La philosophie
+sied bien avec les agrmens de l'esprit. Ce n'est pas assez d'tre
+sage, il faut plaire; et je vois bien que vous plairez toujours tant que
+vous penserez comme vous pensez. Peu de gens rsistent aux annes. Je
+crois ne m'en tre pas encore laiss accabler. Je souhaiterois, comme
+vous, que madame _Mazarin_ et regard la vie en elle-mme sans songer
+son visage, qui et toujours t aimable, quand le bon sens auroit tenu
+la place de quelque clat de moins. Madame _Sandwich_ conservera la
+force de l'esprit en perdant la jeunesse, au moins le pense-je ainsi.
+Adieu, Monsieur, quand vous verrez madame la comtesse de _Sandwich_,
+faites-la souvenir de moi; je serois trs-fche d'en tre oublie.
+
+
+
+
+LETTRE XIX.
+
+_M._ DE SAINT-EVREMONT _ mademoiselle_ DE L'ENCLOS.
+
+Le premier janvier 1701.
+
+
+On m'a rendu dans le mois de dcembre la lettre que vous m'avez crite
+le 14 octobre 1700. Elle est un peu vieille; mais les bonnes choses sont
+agrablement reues, quelque tard qu'elles arrivent. Vous tes srieuse,
+et vous plaisez. Vous donnez de l'agrment _Snque_, qui n'est pas
+accoutum d'en avoir. Vous vous dites vieille avec toutes les grces de
+l'humeur et de l'esprit des jeunes gens. J'ai une curiosit que vous
+pouvez satisfaire: quand il vous souvient de votre jeunesse, le souvenir
+du pass ne vous donne-t-il point de certaines ides aussi loignes de
+la langueur de l'indolence que du trouble de la passion? Ne sentez-vous
+point dans votre coeur une opposition secrte la tranquillit que vous
+pensez avoir donne votre esprit?
+
+ Mais aimer et vous voir aime,
+ Est une douce illusion,
+ Qui dans votre coeur s'est forme
+ De concert avec la raison.
+
+ D'une amoureuse sympathie
+ Il faut pour arrter le cours,
+ Arrter celui de nos jours;
+ Sa fin est celle de la vie.
+
+ Puissent les destins complaisans
+ Vous donner encore trente ans
+ D'amour et de philosophie!
+
+C'est ce que je vous souhaite le premier jour de l'anne 1701, jour o
+ceux qui n'ont rien donner, donnent pour trennes des souhaits.
+
+
+_Fin des lettres de mademoiselle de l'Enclos et de M. de
+Saint-Evremont._
+
+
+
+
+LA COQUETTE VENGE;
+
+PAR MLLE. DE L'ENCLOS.
+
+
+Ma nice, disoit _lonore_ _Philimne_, quand vous serez Paris, ne
+faites point amiti ni conversation avec toute sorte d'hommes; il y a
+bien du choix faire parmi eux; mais sur-tout vitez les philosophes.
+Voil un mot que vous n'entendez pas, je le vois bien; un peu de
+patience, vous allez bientt savoir ce que c'est. Quand _Dorilas_, votre
+frre, alloit au collge, vous avez vu souvent dner chez vous un
+certain homme qui faisoit tant de rvrences et tant de gestes en
+entrant, qui rioit au nez tout le monde, qui parloit toute sorte de
+langues hormis la ntre, qui avoit toujours les cheveux mal peigns, la
+barbe sale, et le collet entr'ouvert, toujours crott, toujours la
+soutane grasse et le long manteau dchir. Ne vous souvient-il pas d'un
+clat de rire qui vous prit table un jour, quand il disoit au laquais
+qui lui donnoit boire qu'il se couvrit, autrement qu'il n'accepteroit
+jamais le verre de sa main, avec des complimens si longs et si
+opinitres, qu'il ft mort de soif, si votre pre n'et eu piti de lui?
+Vous le connoissez; c'toit le matre qui enseignoit la philosophie
+_Dorilas_, c'toit un philosophe; mais il n'toit pas de ceux dont je
+vous veux parler.
+
+Vous avez encore ou parler cent fois d'un certain abb qui est dans
+notre voisinage, dont la vie est toute retire, qui ne songe qu' lui,
+qui ne veut point faire d'amis de peur de s'engager tre le leur, qui
+se cache au grand monde pour en viter l'embarras, qui fuit les
+compagnies comme autant d'occasions d'intrigues et de soucis, qui n'aime
+que ses livres et ses chiens, et encore plus ses chiens que ses livres;
+et autant de fois que nous en avons parl, vous nous avez toujours ou
+dire que c'toit un philosophe; ce n'est point encore l ce que
+j'entends.
+
+Il y a d'autres philosophes qui aiment la compagnie, mais celle de leurs
+semblables, o ils ont leurs coudes franches et la libert entire de
+tout dire et de tout faire, des philosophes goinfres qui courent le
+cabaret, qui ivrognent sans cesse, parce qu'ils disent qu'ils n'ont
+jamais tant de plaisir que quand ils ont noy ou endormi leur raison,
+qui leur joue cent mauvais tours quand elle veille, qui les contraint de
+faire cent rflexions fcheuses, et qu'ils appellent l'ennemie capitale
+de leur repos. Ces philosophes-l portent leur reproche avec eux.
+
+Quand je dis donc que vous devez viter les philosophes, je n'entends
+point parler, ni d'un docteur, ni d'un solitaire, ni d'un libertin dont
+la profession est ouverte et dclare. J'entends certains pdans
+dguiss, pdans de robe courte, des philosophes de chambre qui ont le
+teint un peu plus frais que les autres, parce qu'ils se nourrissent
+l'ombre, et qu'ils ne s'exposent jamais la poussire et au soleil; des
+philosophes de ruelles qui dogmatisent dans des fauteuils; des
+philosophes galans qui raisonnent sans cesse sur l'amour, et qui n'ont
+rien de raisonnable pour se faire aimer. Vous ne sauriez croire combien
+ces gens-l sont incommodes.
+
+Au commencement que j'tois Paris, encore toute pleine de l'air de nos
+provinces, lorsque le premier venu m'toit bon, pourvu qu'il me dt
+quelque chose, je fis connoissance avec un de ces gens-l. Il vint par
+hasard dans une maison o j'tois en visite avec une de mes cousines; il
+toit habill fort uniment, il n'avoit ni ruban, ni dentelle, il ne me
+souvient pas mme s'il avoit des glands; son chapeau toit un peu lustr
+avec un petit crpe, son bas de soie ne faisoit pas le moindre pli, le
+manteau sur ses deux paules, le pourpoint ferm, la petite manchette au
+bout, le gand de Grenoble la main, il n'y avoit rien de superflu; un
+clin-d'oeil, un souris, un petit mouvement de tte suppleoient toutes
+ces rvrences tudies qui ne sont bonnes rien. Le fils de la maison
+lui fit grand accueil. Voil mon fils qui est ravi de vous voir, lui dit
+sa mre; c'est Monsieur tel, dit-elle toute la compagnie; et dans la
+compagnie il y avoit force dames. Je ne vis pas qu'elles s'en murent
+beaucoup. Je crus que le sujet de l'entretien qu'il avoit interrompu par
+son arrive, les attachoit si fort qu'elles ne pensrent point lui
+faire compliment. Son nom ne m'toit pas inconnu; des jeunes gens qui
+revenoient de Paris m'en avoient parl dans la province. Il prit un
+sige auprs de moi. On continua l'entretien d'un certain mariage qui
+s'toit fait la cour. Ni lui, ni moi ne disions pas un mot; moi, parce
+que je ne savois rien; lui, parce que le sujet ne lui plaisoit pas. Il
+s'imagina que la mme raison nous faisoit taire tous deux. Aprs avoir
+attendu quelque temps: nous ne sommes, ni vous, ni moi, me dit-il tout
+bas, du grand entretien; nous en pouvons faire un second entre nous sans
+troubler le leur: aussi bien elles parlent si haut qu'elles
+s'tourdissent elles-mmes, et par consquent, il est impossible, dans
+le bruit qu'elles font, qu'elles nous entendent. Je lui rpondis; il me
+dit encore quelqu'autre chose; je lui fis aussi quelque autre rponse,
+mais j'affectois toujours de mettre dans ce que je disois quelque pointe
+et quelque mot extraordinaire. Il me reconnut provinciale; il me fit
+alors cent questions sur mon pays, sur ma naissance, sur mon nom, sur ma
+demeure, sur les livres que je lisois. Que ne dit-il point contre
+_Balzac_, _Voiture_ et tous les faiseurs de lettres, de comdies et de
+romans! On abandonne lchement la connoissance des choses solides pour
+s'attacher aux mots. Il me tint un grand discours l-dessus avec tant de
+chaleur, que souvent il en roidissoit le bras et fermoit le poing.
+Trouvez bon, me dit-il la fin, que j'aie l'honneur de vous aller voir,
+et vous en saurez plus en un mois que tous ces conteurs de bagatelles ne
+pourroient vous en apprendre en toute votre vie. Il n'y aura point de
+grand sujet, dont vous ne puissiez parler sur-le-champ; d'une ligne que
+je vous dirai, vous pourrez tirer mille conclusions et former mille
+discours.
+
+Il me vint voir quelque temps aprs, comme il m'avoit promis. J'achetai
+certains livres qu'on appelle des tables. Il me les expliquoit toutes
+les fois qu'il venoit au logis. C'toit toute mon occupation; je
+ngligeois toute autre chose. Ses visites et mon tude durrent un an et
+quelques mois: j'avois du loisir, je ne connoissois pas encore le grand
+monde; mais enfin je fus oblige de recevoir tant de visites tous les
+jours et tous momens, que je ne pouvois plus le voir qu'en compagnie.
+
+Il entra dans ma chambre, un jour que _Polixne_ y toit avec
+_Philidor_, son frre, qui est un gentilhomme aussi adroit et aussi
+spirituel que j'en connoisse. Monsieur, lui dit _Philidor_, vous tes
+venu bien propos; vous avez appris tant de philosophie _lonore_
+qu'elle nous fait enrager; je lui disois qu'un amour constant toit la
+plus belle de toutes les vertus. Elle m'a rpondu firement que je
+confondois les vertus avec les passions, que l'amour toit une passion
+et non pas une vertu, et qu'une passion ne devient pas vertu par sa
+dure, mais seulement une plus longue passion. Elle m'a dit cent choses
+de la mme force; je suis bout, je vous demande secours. Comment vous
+pourrois-je secourir rpondit-il _Philidor_, _lonore_ a toutes mes
+forces de son ct. Elle vous a dcouvert la source d'une erreur, qui
+est commune parmi les hommes, de prendre pour une passion ce qui est
+souvent ou une vertu, ou un vice, faute de savoir la nature et le nombre
+des passions. Tout cela, ajouta-t-il, est expliqu en deux tables. Il
+prit le livre qui toit sur un guridon, et ayant cherch la table des
+passions, il la donna lire _Philidor_. Comment! dit _Philidor_,
+est-ce l tout ce qu'on peut dire des passions, de tous ces mouvemens
+imptueux qui nous agitent dans la vie? Certainement voil une grande
+mer renferme dans un espace bien troit. Vous travaillez admirablement
+en petit. Quoi! il n'y a qu'une ligne pour l'amour! voil une divinit
+bien serre. Si c'est assez d'une ligne pour fournir tous les amans,
+il faut qu'elle soit bien longue. Qui veut devenir savant avec cela a
+besoin d'un grand naturel. _L'amour est une inclination de l'apptit au
+bien sensible considr absolument._ J'en serai bien plus galant quand
+je saurai cela! j'aurai bien plus de quoi me faire aimer! j'en aurai de
+bien plus belles ides pour remplir la conversation! Il n'y a rien de si
+beau, ni de si plein que l'amour, et cependant ce livre nous en fait un
+squelette tout sec, sans embonpoint et sans couleur. Si toute la
+philosophie de cet homme-l est de mme, savez-vous ce que j'en pense?
+c'est une reine bien pauvre et bien maigre, dont les tables sont bien
+mal servies.
+
+Mon philosophe vouloit s'chauffer contre _Philidor_; mais pour finir le
+sujet d'un entretien qui alloit s'aigrir, je pris mon luth, je touchai
+quelques sarabandes. _Philidor_, avec son dgagement ordinaire, les
+dansa toutes. Nous parlmes ensuite de la danse. Je croyois avoir t
+par ce moyen toute occasion de dispute, quand _Polixne_, par une belle
+malice, s'avisa de me demander si dans mon livre il n'y avoit pas une
+table de la danse, Monsieur, dit _Polixne_ au philosophe, il faut que
+vous en fassiez une pour l'amour de moi. Cela est fort ais, dit
+_Philidor_, je lui en sauverai la peine. Je mettrai premirement
+quelques propositions gnrales pour montrer la ncessit ou utilit de
+la danse. J'en ferai aprs la dfinition. _La danse est un mouvement
+mesur du corps au son de la voix ou de l'instrument. Elle est ou
+simple, ou figure, ou par bas, ou par haut._ Ensuite, j'en remarquerai
+la diffrence; les sarabandes, les branles, les courantes, les ballets;
+j'en distinguerai les pas; le pas coul, le grav, le coup,
+l'entrechat. Adieu, les matres danser; quand ma table sera faite,
+quiconque la lira sera un habile sauteur.
+
+_Polixne_ se mit rire de tout son coeur. Mon philosophe sortit de
+dpit. Je courus aprs lui; je lui fis des excuses dans mon antichambre
+le mieux que je pus. Il me dit que tout cela ne le choquoit point; que
+_Philidor_ toit un jeune homme sorti frachement de l'acadmie, qui
+vouloit s'gayer; qu'il toit bien tromp si sa soeur n'toit une franche
+coquette; qu'il voyoit bien qu'il ne pourroit plus me gouverner
+l'avenir; qu'il me supplioit de l'en dispenser; qu'il m'enverroit sa
+place un de ses anciens coliers, qui savoit sa mthode aussi bien que
+lui. Je lui fis mille remercmens des bonts qu'il avoit pour moi. Nous
+nous sparmes. Voici le commencement d'une histoire bien plus
+plaisante.
+
+Mon philosophe, encore qu'il ne parlt que par tables, par dfinitions
+et divisions, toit pourtant commode en ce point, qu'il toit content
+pourvu qu'on l'coutt, et n'exigeoit rien autre chose ni de moi, ni des
+femmes qu'il voyoit, qu'un peu d'attention qui toit bien d ses
+discours.
+
+Ce n'toit point l l'humeur de son ami, que _Philidor_ appeloit son
+prvt de salle. Il faisoit le galant; il vouloit persuader l'amour dont
+il parloit; il soupiroit quelquefois; il chantoit mme des airs dont il
+se disoit l'auteur, aussi bien que des paroles. Il toit jaloux
+gnralement de tous les hommes; il censuroit tout ce qu'ils disoient;
+il n'en trouvoit pas un qui raisonnt son gr; ils toient tous ou des
+ignorans on des tourdis. Notre sexe mme, qui est sacr et inviolable
+parmi les honntes gens, n'toit point pour lui plus privilgi que tout
+le reste; il s'rigeoit en censeur de toutes les beauts; il se mloit
+de juger du caractre et du tour d'esprit que chacune avoit, avec une
+prsomption si grande, qu'il sembloit, l'entendre, que nous n'eussions
+de grce que ce qu'il lui plaisoit de nous en distribuer.
+
+Cela attira sur lui une conjuration universelle de toutes les femmes et
+de tous les hommes qui venoient chez moi. On ne m'en dit rien, parce
+qu'on savoit bien que j'eusse eu piti de lui, et que j'eusse rendu le
+complot inutile en le dcouvrant.
+
+Comme ils pioient sans cesse quand il me viendroit voir, il leur fut
+ais de le surprendre dans ma chambre. Ils y arrivrent tous en un
+moment. Jamais assemble ne fut plus grande. Tout le monde lui fit
+d'abord cent civilits. J'en tois tonne. L'incomparable,
+l'inimitable, le plus galant, le plus spirituel, le plus propre tout,
+le plus poli de tous les hommes, lui disoit-on. Il ne se reconnoissoit
+pas. On le pria de faire un petit discours; il expliqua les huit
+batitudes. On s'crioit de temps en temps: sans mentir cela est
+admirable! On le pria de chanter, et bien qu'il le ft avec des efforts
+effroyables, des convulsions et des contorsions de possd; bien que sa
+voix ft aussi pitoyable et lugubre, que son visage est basan et
+mlancolique, on disoit tout haut qu'on n'avoit plus besoin de _Lambert_
+ni de sa soeur. C'toient des applaudissemens perptuels. _Polixne_ lui
+montra un billet doux qu'elle avoit reu; il ne voulut pas seulement le
+lire. C'toient des bagatelles qui ne pouvoient amuser que des esprits
+mal faits; chacun lui dit qu'il avoit bien raison, et que l'homme toit
+n pour des choses plus grandes. Jamais homme ne fut plus satisfait, ni
+plus content de lui-mme; et parce que c'toit _Polixne_ qui le
+caressoit le plus, cela lui donna la hardiesse de venir auprs d'elle,
+et de lui dire quelques douceurs. Elle les recevoit avec un tel
+temprament, qu'elle l'embarquoit toujours de plus en plus; il lui
+prenoit mme la main, lui touchoit le bras, et feignant de lui vouloir
+dire un mot l'oreille, il la baisa. Alors Polixne lui appuya un grand
+soufflet.
+
+C'toit le signal des conjurs. Chacun se rua sur lui; l'un lui donnoit
+une nasarde: voil pour le philosophe amoureux. L'autre, de grands coups
+d'pingle: voil pour le musicien amoureux. L'autre, de grands coups de
+busc sur les oreilles: voil pour le pote amoureux. Je fis ce que je
+pus pour secourir sa philosophie, sa musique et sa posie attaques de
+toutes parts; et tout ce que je pus, fut de le tirer de la presse, et de
+lui ouvrir la porte pour s'enfuir.
+
+Il crioit de toute sa force, en s'en allant: _coquettes_, _coquettes_,
+je saurai bien me venger; et on m'a dit qu'tant mort, ou de ses
+blessures, ou de dsespoir, on a trouv parmi ses papiers, une grande
+invective contre les femmes, sous le nom d'_Aristandre_, que ses
+hritiers ont fait imprimer leurs dpens.
+
+J'tois assez fche que ce malheur lui ft arriv chez moi; mais je
+m'en dois accuser moi-mme pour avoir t si facile que de donner accs
+chez moi des philosophes, c'est--dire, des gens qui portent la
+censure, la mdisance et le dsordre dans les plus belles, les plus
+douces et les plus agrables compagnies. Ma nice, soyez sage par mon
+exemple, et donnez-vous-en de garde.
+
+Ainsi parloit _lonore_ _Philimne_, qui en entendoit une partie et
+devinoit le reste.
+
+
+
+
+LETTRES
+
+DE
+
+MADEMOISELLE ASS.
+
+
+
+
+NOTICE
+
+SUR
+
+MADEMOISELLE ASS.
+
+
+M. _de Ferriol_, ambassadeur de France Constantinople, acheta d'un
+marchand d'esclaves, en 1698, une petite fille ge d'environ quatre
+ans. Elle avoit t enleve avec beaucoup d'autres enfans dans une ville
+de Circassie que les Turcs avoient pille. Ses grces enfantines lui
+attirrent la prfrence de l'ambassadeur, et la lui firent choisir
+parmi ses compagnes d'infortune. Le marchand, peut-tre pour accrotre
+l'intrt qu'elle inspiroit et obtenir de M. _de Ferriol_ un prix plus
+considrable, assura qu'elle avoit t trouve dans un palais, et
+qu'elle toit fille d'un prince circassien. L'ambassadeur, touch de
+commisration, acheta 1,500 livres la petite _Ass_. Il toit garon et
+ne pouvoit donner sa jeune orpheline une ducation proportionne
+l'intrt qu'elle lui avoit inspir, intrt que la piti sans doute
+avoit d'abord excit, et auquel se mlrent bientt des vues et des
+esprances moins pures. Il confia mademoiselle _Ass_ sa belle-soeur,
+madame _de Ferriol_, soeur de madame _de Tencin_: l'ducation de la jeune
+fille fut trs-soigne; elle acquit des talens agrables et de
+l'instruction. M. _d'Argental_ et M. _de Pont-de-Vesle_, fils de madame
+_de Ferriol_, qui tous deux eurent ds leur jeune ge le got des
+plaisirs de l'esprit, se lirent d'une tendre amiti avec la pupille de
+leur mre; et cette liaison eut sans doute les plus heureux effets sur
+son esprit. Elle eut le bonheur plus grand encore, au milieu de cette
+immoralit qui accompagna les dernires annes de Louis XIV et la
+rgence de Louis XV, d'acqurir et de conserver un coeur honnte, et une
+me dlicate et sensible, qui devoient la rendre plus estimable et plus
+malheureuse dans la situation dpendante et presque subalterne o le
+sort l'avoit place.
+
+Son dgot pour les vices qui l'entouroient fut bientt mis de rudes
+preuves. Au sortir de l'enfance, elle entra dans la maison de M. _de
+Ferriol_. C'toit un vieux libertin qui, aprs s'tre livr dans sa
+jeunesse tous ses gots, avoit fortifi ses habitudes de dpravation
+par un long sjour en Turquie, o il avoit vcu tout fait la
+manire du pays. Ses dsirs se portrent bientt sur sa jeune protge,
+et l'attachement qu'il avoit pour elle, ne fut pas assez fort pour les
+vaincre. Les personnes qui ont vcu avec l'un et avec l'autre, ont dout
+long-temps qu'il et triomph de la vertu, et sans doute de la
+rpugnance de mademoiselle _Ass_. En effet, l'esprit repousse cette
+image d'une vertueuse, belle et intressante personne, fltrie par un
+vieux dbauch, qui dtruisoit en elle le sentiment de la
+reconnoissance, en en exigeant un autre. Des lettres trouves dans les
+papiers de M. _d'Argental_ constatent malheureusement cette circonstance
+pnible et humiliante de la vie de mademoiselle _Ass_.
+
+Quand je vous achetai, lui crit M. _de Ferriol_, je vous destinai
+tre ou ma fille ou ma matresse: vous avez t l'une et l'autre. Si
+quelque chose peut inspirer plus de dgot pour la conduite de M. _de
+Ferriol_, c'est sans doute une semblable manire de s'exprimer: en
+associant ainsi la tendresse paternelle avec les dsirs d'un libertin,
+il semble vouloir rappeler que rien ne ressemble plus l'inceste qu'une
+affection de cette nature. Mais tel est le coeur humain, que l'on conoit
+comment ces deux sentimens toient galement vrais dans la mme
+personne. Quant mademoiselle _Ass_, il est douteux que sa
+reconnoissance pour M. _de Ferriol_ ait survcu la crainte et au
+dgot que dut inspirer son me dlicate un prtendu bienfaiteur qui
+ne l'avoit achete d'un marchand d'esclaves que pour la rendre sa
+premire destination, aprs lui avoir donn une ducation qui devoit lui
+faire regarder cet abaissement comme le plus grand des malheurs.
+Cependant M. _de Ferriol_ tant tomb dangereusement malade, elle le
+soigna avec tout le dvouement d'une fille. Il mourut en lui laissant
+une rente de 4,000 liv., et un capital assez considrable qu'il
+chargeoit ses hritiers de lui payer.
+
+Aprs sa mort, mademoiselle _Ass_ rentra chez madame _de Ferriol_,
+qui l'ambassadeur l'avoit recommande spcialement. Madame _de Ferriol_,
+quoiqu'au fond du coeur elle aimt assez son ancienne pupille, manqua
+toujours pour elle de cette dlicatesse de sentiment, si ncessaire pour
+le bonheur de ceux qui passent leur vie ensemble, et que les suprieurs
+ont si peu avec leurs infrieurs, quoique jamais de semblables
+mnagemens ne soient plus ncessaires, que lorsqu'ils doivent dguiser
+des rapports de dpendance. C'est cette absence d'attentions, de soin
+ne jamais blesser une me fire et dlicate, que mademoiselle _Ass_
+reproche souvent madame _de Ferriol_, dans les lettres que nous
+publions. Elle ne mconnot point les grandes obligations qu'elle a
+madame _de Ferriol_, et elle montre pourtant comment, dans le dtail de
+la vie, sa bienfaitrice la rendoit fort malheureuse.
+
+Elle commena par lui faire sentir que les dons de son beau-frre lui
+paroissoient trop considrables. Mademoiselle _Ass_, trop fire pour
+se laisser reprocher des bienfaits, jeta au feu, devant madame _de
+Ferriol_, le billet que lui avoit laiss M. _de Ferriol_. Un pareil
+dsintressement n'inspira point madame _de Ferriol_ plus de
+dlicatesse, et elle ne laissa pas de profiter du sacrifice.
+
+Cependant mademoiselle _Ass_ jeune, aimable et rpandue, avoit d'assez
+grands succs dans le monde; et au milieu de la galanterie et de la
+corruption qui signalrent la rgence et le systme, elle ne cda jamais
+ni la vanit, ni l'intrt qui faisoient alors oublier tant de
+femmes des devoirs que mademoiselle _Ass_ n'avoit point remplir.
+Elle eut l'honneur bien extraordinaire de donner quelqu'ide de la vertu
+et de la pudeur au rgent, qui fit gloire toute sa vie de douter de leur
+existence; opinion qui, chez un prince, est presque toujours fonde,
+puisqu'il fait disparotre les vertus d'autour de lui, ds qu'il ne les
+respecte pas. Ce fut chez madame _de Parabre_ que le duc _d'Orlans_
+vit mademoiselle _Ass_ et lui fit des propositions qu'il ne
+s'attendoit pas voir refuser, sur-tout en pareil lieu. Il ne perdit
+point l'espoir de russir, et chargea madame _de Ferriol_ de ses
+intrts. Madame _de Ferriol_ accepta sans rpugnance des fonctions
+moins honorables encore que celles que le Rgent destinoit
+mademoiselle _Ass_. Ses efforts furent vains. Comme elle revenoit sans
+cesse la charge et dveloppoit mademoiselle _Ass_ tous les
+avantages d'une semblable conqute, mademoiselle _Ass_ se jeta ses
+pieds pour la conjurer de ne plus lui en parler, assurant qu'elle se
+jeteroit dans un couvent si l'on continuoit la perscuter. Madame _de
+Ferriol_, qui ne cherchoit qu' obtenir du crdit et de la faveur,
+craignit de perdre tout moyen d'y parvenir en se sparant de
+mademoiselle _Ass_, et cessa ses exhortations.
+
+Mademoiselle _Ass_, qui avoit rsist l'appt de la faveur et de la
+fortune, ne trouva pas les mmes forces quand il lui fallut dfendre sa
+vertu contre l'amour et l'estime. Elle vit chez madame _du Deffant_ le
+chevalier _d'Aydie_; il conut pour elle la plus vive passion; il se fit
+prsenter chez madame _de Ferriol_, et bientt abandonnant
+presqu'entirement le monde, il ne quitta plus cette maison. Le
+chevalier _d'Aydie_ joignoit la plus noble figure et au caractre le
+plus aimable, une me fort tendre. Jusqu'alors son coeur n'avoit point
+prouv de sentimens profonds; il avoit eu plusieurs intrigues, mais
+aucun attachement durable. _Rioms_, son oncle, l'avoit prsent chez la
+duchesse _de Berri_, qui prit du got pour lui, et cette princesse ne
+diffroit gure d'ordinaire satisfaire ses gots et mme ses
+fantaisies.
+
+Voir ses pieds un homme brillant et spirituel, que les femmes de la
+cour s'toient disput, que les princesses avoient honor de leurs
+faveurs, et le voir anim par un amour tendre, dlicat et timide, quelle
+sduction pour l'amour-propre et pour le coeur de mademoiselle _Ass_!
+Ce qui rendoit le chevalier plus dangereux pour elle, c'est qu'il
+n'avoit que des vues honorables. Il vouloit pouser celle qu'il aimoit,
+et cherchoit se faire relever des voeux qui l'engageoient dans l'ordre
+de Malte. Mademoiselle _Ass_ se sentoit bien assez de vertu pour ne
+point se prter un projet dont l'excution et dgrad son amant aux
+yeux du monde; mais elle ne se croyoit pas assez de force pour rsister
+ des dsirs dont la satisfaction ne pouvoit nuire qu' sa propre
+gloire. Dans la dfiance qu'elle avoit d'elle-mme, elle eut recours
+madame _de Ferriol_, qui comprit encore moins ses scrupules que la
+premire fois, et qui travailla les dtruire. Ne pouvant trouver aucun
+secours extrieur, voyant tous les jours le chevalier qu'on ne lui
+permettoit pas de fuir comme elle l'auroit voulu, elle finit par lui
+avouer qu'elle partageoit ses sentimens, et, en s'abandonnant lui,
+elle eut la satisfaction de voir qu'elle en toit aime encore
+davantage. Il redoubla ses instances pour l'pouser; elle n'y voulut
+jamais consentir; et mme, lorsqu'elle s'aperut qu'elle alloit devenir
+mre, l'intrt de son enfant et la perte de sa rputation ne la
+rendirent pas moins inflexible.
+
+Ce ne fut point madame _de Ferriol_ qu'elle confia sa situation; elle
+lui connoissoit trop peu de discrtion et de dlicatesse. Elle avoua
+tout lady _Bolingbrocke_, avec qui elle toit trs-lie. C'toit une
+femme sensible et estimable. On sait qu'elle toit nice de madame _de
+Maintenon_, et que son premier mari avoit t M. _de Villette_. Elle
+pria madame _de Ferriol_ de lui confier pour quelque temps mademoiselle
+_Ass_ pour la mener en Angleterre. Madame _de Ferriol_ consentit ce
+voyage. Lady _Bolingbrocke_ et le chevalier _d'Aydie_ logrent
+mademoiselle _Ass_ dans un quartier retir de Paris. Elle y accoucha
+d'une fille, et y reut tous les soins d'une amie tendre et d'un amant
+passionn. L'enfant fut conduit en Angleterre par lady _Bolingbrocke_,
+et, aprs sa premire ducation, elle fut ramene en France, et place
+dans un couvent Sens, sous le nom de miss _Black_, nice de lord
+_Bolingbrocke_.
+
+C'est d'une poque un peu postrieure que sont dates les lettres que
+nous publions, et qui se continuant presque jusqu'aux derniers jours de
+la vie de mademoiselle _Ass_, nous dispensent de prolonger cette
+notice[169]. Elles sont adresses madame _Saladin_ qui pendant qu'elle
+habitoit Paris o son mari toit rsident de la rpublique de Genve,
+s'toit lie d'une tendre amiti avec mademoiselle _Ass_. Il parot
+que cette dame dont les principes toient plus svres que ceux des
+femmes qui entouroient sa jeune amie, sans que son coeur ft moins
+sensible, contribua par ses conseils et son exemple lui donner assez
+de force pour ne plus s'carter de ses devoirs. Du moins voyons-nous
+qu' l'poque o commena cette correspondance, mademoiselle _Ass_,
+quoique le chevalier _d'Aydie_ qui ft plus cher que jamais, quoique
+lui-mme l'aimt toujours davantage, avoit rendu cette passion plus
+pure. Ce combat continuel contre un amour qui acquroit tous les jours
+plus de force, le manque absolu d'esprance, le repentir de sa
+foiblesse, le chagrin de ne pouvoir se livrer sans rougir la tendresse
+maternelle, donnent ses lettres un caractre de mlancolie tout--fait
+touchant. Ce triste sentiment, auquel venoit peut-tre se mler le
+souvenir de fautes plus anciennes et plus humiliantes, prend plus de
+force mesure que la sant de mademoiselle _Ass_ s'affoiblit: les
+consolations de la religion, refuge des mes tendres et malheureuses,
+donnent sur la fin un caractre plus rsign et moins amer sa douleur,
+mais la rendent plus intressante encore. Mademoiselle _Ass_ mourut en
+1733. Sa mort qui termina une vie malheureuse, le dsespoir o fut
+d'abord plong le chevalier _d'Aydie_, la tristesse profonde o il vcut
+encore pendant quinze ans, donnent ceux qui lisent leur histoire, la
+tentation de reprocher mademoiselle _Ass_ une dlicatesse
+scrupuleuse qui priva son amant et elle d'un bonheur dont ils toient
+dignes de jouir.
+
+Les scrupules peut-tre exagrs qui s'opposrent ce bonheur, peuvent
+bien avoir rendu mademoiselle _Ass_ plus malheureuse; mais ils
+donnent une sorte d'admiration pour une vertu si dsintresse. Le
+chevalier _d'Aydie_ eut toujours pour sa fille une tendresse et des
+soins auxquels ses regrets donnoient plus de force encore.
+
+Il la maria un gentilhomme de sa province, et lui laissa sa fortune.
+Il existe des lettres qu'il crivit M. _de Pont-de-Vesle_,
+relativement ce mariage. Elles sont pleines de la douleur la plus
+vive, quoique l'poque de la mort de mademoiselle _Ass_ ft dj assez
+loigne. Elles parotront bientt dans un recueil de lettres trouves
+chez M. _d'Argental_, qui est maintenant sous presse. L'diteur a bien
+voulu nous les communiquer, ainsi que celle de M. _de Ferriol_
+mademoiselle _Ass_, dont nous avons cit un passage.
+
+Les lettres de mademoiselle _Ass_ madame _Saladin_, ont t
+recueillies et publies par mademoiselle _Rieu_, petite-fille de madame
+_Saladin_. Elle les avoit, long-temps avant, communiques _Voltaire_,
+qui y avoit mis de sa main quelques notes que nous avons conserves. Il
+parot que la notice que mademoiselle _Rieu_ a mise la tte de son
+dition, existoit dj quand le manuscrit des lettres fut montr
+_Voltaire_; car il atteste dans une note place au bas de cette notice,
+que le chevalier _d'Aydie_ avoit offert plusieurs fois mademoiselle
+_Ass_ de l'pouser. Les dtails que nous avons ajouts ceux que
+contient la notice de mademoiselle _Rieu_, nous ont t fournis par des
+personnes qui ont beaucoup vu d'anciens amis de mademoiselle _Ass_ et
+du chevalier _d'Aydie_.
+
+
+
+
+LETTRES
+
+DE
+
+MADEMOISELLE ASS,
+
+A MADAME SALADIN.
+
+
+
+
+LETTRE PREMIRE.
+
+1726.
+
+
+Je n'ai pu me rsoudre vous crire plutt: j'ai envisag avec chagrin
+que l'on ne vous laisseroit pas lire mes lettres; ainsi j'ai mieux aim
+laisser passer les premiers empressemens. Mandez-moi, Madame, de vos
+nouvelles. tes-vous remise de la fatigue du voyage? J'ai plus fait de
+voeux pour que vous eussiez le beau temps, qu'un amant n'en auroit fait;
+il ne seroit assurment pas plus occup et afflig que moi, de votre
+dpart. Le soleil, la pluie, les vents, me paroissent des embrsemens,
+des inondations, des ouragans: enfin, j'ai respir, quand j'ai vu
+arriver le jour bienheureux pour vos parens et vos amis, o ils vous ont
+enfin revue. Vous me manderez, s'il vous plat, quelques dtails de
+votre rception. Je partage toutes les amitis que vous recevez. Hlas!
+je ne puis passer dans la rue o vous avez demeur, sans avoir le coeur
+serr et les larmes aux yeux. Je reviens d'Ablons[170], o j'ai pass
+quelques jours tte tte avec madame _de Ferriol_; j'y ai toujours
+pens vous, et je dis ma compagne le regret que j'avois que vous
+n'eussiez pas vu cette guinguette. Dans l'instant, je vois entrer dans
+le salon madame votre fille; jugez de ma joie: elle passa ici pour aller
+ la Jaquinire; elle venoit de je ne sais o, aux environs. Notre dame
+prenoit du caf; elle vouloit se lever; madame votre fille se prcipita
+pour l'en empcher. Le chien noir, qui est mal morign, saute sur la
+tasse de caf pour japper, la renverse sur sa matresse: le dsespoir
+s'empare de ladite dame; fichu sali, robe unie tache. Vous jugez de
+l'embarras de madame _Rieu_, qui auroit voulu tre cent lieues de l.
+Pour moi je vous l'avoue, j'eus tant envie de rire, que madame votre
+fille se remit. Cependant, pass ces premiers momens, on lui fit toutes
+sortes de politesses. Elle la trouva trs-belle; en effet, elle l'toit
+aussi, quoique dans un grand nglig.
+
+Je parle toujours du voyage de Pont-de-Vesle[171], qui me procurera le
+bonheur d'aller vous voir. J'espre qu' force d'en parler, je forcerai
+d'y aller. Je suis occupe de ce projet: les hommes ne peuvent tre sans
+quelques dsirs; je me flattois d'tre une petite philosophe; mais je ne
+le serai, jamais sur ce qui touche le sentiment.
+
+Pont-de-Vesle[172] se porte un peu mieux, il vous assure de ses
+respects. _D'Argental_[173] est dans l'le enchante, chez son amie, qui
+a hrit considrablement; il revient la St.-Martin. _Le Grand_ donna,
+l'autre jour, une comdie qui tomba de la plus belle chute que j'aie
+jamais vue; il n'en a pas t de mme d'un opra que deux violons ont
+donn: le sujet est Pyrame et Thisb; il y eut une trs-jolie
+dcoration; ils reurent bien des applaudissemens.
+
+Je passe mes jours chasser aux petits oiseaux; cela me fait grand
+bien. L'exercice et la dissipation sont de trs-bons remdes pour les
+vapeurs et les chagrins; je reviens de mes courses avec apptit et
+sommeil. L'ardeur de la chasse me fait marcher, quoique j'aie les pieds
+moulus: la transpiration que cet exercice m'occasionne, me convient. Je
+suis hle comme un corbeau; je vous ferois peur, si vous me voyiez. Je
+voudrois bien en tre la peine. Que je serois heureuse si j'tois
+encore avec vous, Madame! Avouez que vous ne seriez point fche d'tre
+encore Paris. Pour moi, je donnerois bien une pinte de mon sang pour
+que nous fussions ensemble actuellement; je vous rendrois compte de
+mille choses, je goterois le plaisir de vous revoir; au lieu de ce
+bien, j'ai des regrets; que cela est diffrent! Le chevalier est en
+Prigord, o je crois qu'il s'ennuie: sa sant est toujours dlicate,
+son coeur toujours plus tendre. Je vous enverrois avec plaisir des copies
+de ses lettres; mais non: il y a des choses qui vous dplairoient, et
+j'aurois honte que vous les vissiez. L'abb, frre du chevalier, vit
+l'autre jour madame _Rieu_ chez moi; ce fut un coup de foudre. Il revint
+le lendemain Ablons, il me dit qu'il n'avoit jamais rien vu de si beau
+ son gr: les lis et les roses ne sont pas si fraches qu'elle toit ce
+jour-l; son air de modestie et de douceur plut si fort ce pauvre
+abb, qu'il m'en parle toutes les fois qu'il me voit: cependant il avoit
+t prvenu; on l'avoit annonce, et je lui dis: vous allez voir une des
+belles femmes de Paris: malgr cela, il fut surpris. M. _Bertie_ vous
+aime toujours de mme, quoiqu'il ait chang son got pour moi en amiti.
+On vous aime pour vous, et non pas pour les autres. Vous le savez bien;
+et quand vous dites le contraire, vous parlez contre votre pense. En
+bonne foi, peut-on vous connotre sans vous aimer? J'en laisse juge
+votre coeur. Adieu, Madame, aimez-moi, et soyez assure que personne dans
+le monde ne vous aime, ne vous estime, et ne vous respecte autant
+qu'_Ass_.
+
+
+
+
+LETTRE II.
+
+Paris, 1726.
+
+
+J'ai reu la lettre que vous avez eu la bont de m'crire de votre
+campagne: je ne doute point que vous n'ayez eu un plaisir bien vif de
+vous tre vu recevoir avec tant d'amiti: les dmonstrations de joie que
+l'on a eues de votre retour ne peuvent tre feintes. Ainsi, Madame, vous
+avez joui d'un bonheur que les rois mmes ne gotent pas. Vous me direz
+qu'il n'toit point ncessaire que vous fussiez malheureuse pour tre
+aime; que vous le seriez tout autant, et mme davantage, si vous tiez
+dans une fortune riante. L'exprience, il est vrai, fait voir que
+l'adversit et la mauvaise fortune dplaisent aux hommes; et que le
+plus-souvent les bonnes qualits, le mrite, sont les zro, et le bien,
+le chiffre qui les fait valoir; mais cependant on se rend toujours la
+vertu; je conviens qu'il faut en avoir beaucoup pour qu'elle supple au
+manque de richesses: ainsi, Madame, rien n'est plus flatteur que
+l'accueil obligeant que vous avez reu. Vous tes amplement ddommage
+des injustices du sort. Je suis charme que vous vous portiez mieux;
+rien ne contribue la sant, comme d'avoir sujet d'tre content de soi.
+Je fais tous mes efforts pour dterminer M. et madame _de Ferriol_
+aller Pont-de-Vesle; ils disent que c'est bien leur dessein, mais je
+ne le croirai que lorsque nous partirons: il n'y a pas de jour que je ne
+leur fasse sentir le besoin de leur prsence dans leurs terres, et celui
+de quitter quelque temps Paris. M. _de Bonac_ va Soleure; je lui ai
+parl de madame votre soeur; madame _de Bonac_ espre la voir souvent
+pendant son sjour dans ce pays-l. Comme il n'y a pas loin de Genve,
+nous irons, vous et moi, les voir; me ddirez-vous? M. et madame _de
+Ferriol_ et _Pont-de-Vesle_ vous font mille tendres complimens et
+respects. Pour _d'Argental_, il est dans l'le enchante; on ne sait
+plus quand il en sortira. J'occupe sa chambre, parce que je fais
+raccommoder la mienne, qui sera charmante; je suis bien fche que vous
+ne la voyiez pas; mes rparations me reviendront cent pistoles. J'ai
+vu M. _Saladin_ le cadet; je me suis senti une tendresse pour lui, dont
+je ne me serois pas doute, il y a six mois; et je crois que je l'aurois
+eue pour M. _Buisson_, s'il avoit vcu. Les gens que j'ai connus chez
+vous, me sont chers. Il y a long-temps que je n'ai vu madame votre
+fille; elle a t la campagne, et moi, de mon ct; nous sommes alls
+passer les ftes Ablons, mademoiselle _de Villefranche_, madame _de
+Servigni_, M. et madame _de Ferriol_, MM. _de Fontenai_, _La
+Msangres_, le chevalier et _Clmence_: nous avons fait grand feu et
+bonne chre: vous en tes tonne; mais c'est pour long-temps; la
+matresse de la maison craignoit _La Msangres_. Elle n'a jamais os
+appeler _Clment_, son chien noir, ni _Champagne_; elle a t de
+trs-bonne humeur, malgr sa contrainte, et la partie s'est trs-bien
+passe. _La Msangres_ fut charmant. M. _de Fontenai_ m'a charge de
+vous assurer de ses respects.
+
+Il faut un peu vous parler des spectacles. Les deux petits violons
+_Francoeur_ et _Rebel_ ont fait un opra; le sujet est Pyrame et Thisb;
+il est fort joli, quant la musique; car pour le pome, il est mauvais:
+il y a une dcoration nouvelle. Le premier acte reprsente une place
+publique, avec des arcades et des colonnes, ce qui est admirable: la
+perspective est parfaitement bien suivie et les proportions bien
+gardes. Le pauvre _Thevenard_ tombe si fort, que je ne doute pas qu'il
+ne soit siffl dans six mois. Pour _Chass_, c'est son triomphe; il est
+acteur dans cet opra; son rle est trs-beau, il fait deux octaves
+pleins. La _Entie_ en est folle. Mademoiselle _Le Maure_ est rentre; et
+_Murer_, qui a t trs-mal, se porte bien; le bruit avoit couru qu'il
+se faisoit moine, mais le mtier est trop bon, et il ne quitte point
+l'opra. Il y a une nouvelle actrice nomme _Pellissier_, qui partage
+l'approbation du public avec la _Le Maure_: pour moi, je suis pour la
+_Le Maure_; sa voix, son jeu me plaisent plus que celui de mademoiselle
+_Pellissier_. Cette dernire a la voix trs-petite, et elle l'a toujours
+force sur le thtre; elle est trs-bonne pantomime; tous ses gestes
+sont justes et nobles; mais elle en a tant, que mademoiselle _Entie_
+parot tout d'une pice auprs d'elle. Il me semble que dans le rle
+d'amoureuse, quelque violente que soit la situation, la modestie et la
+retenue sont choses ncessaires; toute passion doit tre dans les
+inflexions de la voix et dans les accens. Il faut laisser aux hommes et
+aux magiciens les gestes violens et hors de mesure; une jeune princesse
+doit tre plus modeste. Voil mes rflexions. En tes-vous contente? Le
+public rend justice mademoiselle _Le Maure_; et quand on l'a revue sur
+le thtre, elle parut premirement l'amphithtre, tout le parterre
+se retourna, et battit des mains pendant un quart-d'heure; elle reut
+ses applaudissemens avec une grande joie, et fit des rvrences pour
+remercier le parterre. Madame la duchesse _de Duras_, qui protge la
+_Pellissier_, toit furieuse, et me fit signe que c'toit moi et madame
+_de Parabre_ qui avions pay des gens pour battre des mains. Le
+lendemain, la mme chose arriva, et mademoiselle _Pellissier_ en pensa
+crever de dpit. La comdie est de retour de Fontainebleau o il y a
+jubil: nous ne l'avons pas ici, cause de M. le cardinal _de
+Noailles_. On est affam de tragdies, parce que depuis Fontainebleau on
+ne joue que des farces. Pour la comdie italienne, on y joue la critique
+de l'opra qui, ce qu'on dit, est fort jolie. La pauvre _Silvia_[174]
+a pens mourir: on prtend qu'elle a un petit amant qu'elle aime
+beaucoup; que son mari, de jalousie, l'a battue outrment, et qu'elle a
+fait une fausse couche de deux enfans, trois mois; elle a t
+trs-mal, elle est mieux prsent. Mademoiselle _Flaminia_ avoit eu la
+mchancet d'instruire le mari des galanteries de sa femme. Vous jugez
+bien, l'amour que le parterre avoit pour _Flaminia_, combien il l'a
+maltraite. Les bals vont commencer; mais ils seront srement aussi
+dserts que l'anne passe.
+
+Permettez que je fasse ici quelques petites coquetteries M. votre
+mari. Je suis extrmement touche du petit mot qu'il a mis dans votre
+lettre; et dussiez-vous le battre de jalousie, je lui dirai que je
+l'aime beaucoup.
+
+_A mademoiselle votre fille._
+
+Je suis persuade, Mademoiselle, que vous avez un peu d'amiti pour moi:
+votre extrme vrit m'en assure; le retour est naturel tous les coeurs
+bien faits, d'aimer qui nous aime. Continuez, je vous prie, de parler
+un peu de moi madame votre mre: choisissez, s'il vous plat, le
+moment o vous vous mettez table, pour que je puisse avoir part
+votre conversation; plt Dieu que j'en fusse tmoin! Adieu, Mesdames,
+recevez mes tendres embrassades. Voici une lettre d'un officier des
+Invalides M. _du Voisin_, pour obtenir la permission de se marier.
+
+
+MONSEIGNEUR,
+
+J'aurois cru que le prcepte de Saint Paul toit bon suivre, sur-tout
+quand il dit, qu'_il vaut mieux se marier que brler_. C'est ce qui m'a
+fait prendre la libert de demander votre Grandeur la permission
+d'pouser mademoiselle _d'Auval_, fille d'un mrite et d'une sagesse
+consomme. C'est ce que tous ceux qui la connoissent certifieront
+votre Grandeur. Cependant M. notre gouverneur m'a dfendu de voir cette
+demoiselle, si je ne voulois tre dmis de mon emploi. J'ai obi cette
+dfense; et si votre Grandeur ne trouve pas propos ce mariage, je la
+supplie trs-instamment, pour le salut de mon me, de m'en prsenter une
+autre, ou bien d'envoyer ordre au pre _Pascal_, mon confesseur, de
+m'absoudre quand je vais confesse, ce qu'il m'a refus: je fais tous
+mes efforts pour contenter ce bon pre, mais en vain, Dieu ne m'ayant
+point donn trente-huit ans le don de continence. Enfin, Monseigneur,
+si vous me procurez le paradis sans femmes, et que je vienne mourir
+plutt que votre Grandeur, je ne laisserai point Dieu en repos, qu'il ne
+vous ait marqu une place digne de votre mrite, dans son paradis.
+
+Je suis, etc.
+
+
+
+
+LETTRE III.
+
+Paris, 1726.
+
+
+Je n'ai pas de plus grand plaisir que de causer avec vous; et, comme je
+voudrois rendre mes lettres un peu moins sches et plus intressantes,
+j'cris les nouvelles que je sais bien: je n'aimerois pas vous mander
+tout ce qui se dit Paris. Vous savez, Madame, que je hais les
+faussets et les exagrations: ainsi tout ce que j'crirai, sera
+srement vrai. J'ai reu hier des lettres d'Angleterre o on m'apprend
+le mariage de mademoiselle _de St.-Jean_ avec M. _Knight_, fils du
+trsorier[175] de la compagnie des Indes: on prtend qu'il a des biens
+immenses. Argent, argent, que de vanits vous touffez! que d'orgueils
+vous soumettez! que de penses honntes vous faites vanouir!
+Auriez-vous jamais cru que milord, entt de sa noblesse, comme il
+l'est, fort riche, et ayant une seule fille, la marit un gentilltre,
+elle qui devoit tre marie un pair[176]? Elle va venir Paris voir
+la famille de son mari, qui sont de bonnes gens, mais sur un ton bien
+diffrent du sien: elle verra tous les petits Anglichons qui sont en
+France. Je crois qu'elle s'ennuiera et s'impatientera souvent.
+
+Le chevalier est beaucoup mieux, il revient ici. Voici une petite
+histoire assez plaisante[177]. Un chanoine de Notre-Dame, fameux
+jansniste, homme de beaucoup d'esprit, et de rputation pour ses moeurs,
+qui a profess dans plusieurs universits, fort craint des molinistes,
+et trs-aim de M. l'archevque de Paris, g de soixante-dix ans, a
+succomb l'envie de voir la comdie. Il avoit souvent dit ses amis,
+qu'il ne mourroit pas avant d'y aller, ayant une trs-grande passion de
+voir une chose dont il entendoit parler sans cesse. On prenoit ce
+discours pour une plaisanterie. Son laquais lui avoit demand plusieurs
+fois ce qu'il vouloit faire des vieilles nippes de sa grand'mre qu'il
+gardoit depuis long-temps. Il lui avoit rpondu qu'elles pouvoient lui
+tre ncessaires. Enfin, ne pouvant rsister davantage, il communiqua
+son dessein son laquais, qui toit un vieux domestique dans lequel il
+avoit beaucoup de confiance, et lui dit, qu'il vouloit s'habiller en
+femme avec les hardes de sa grand'mre. Le laquais fut trs-surpris; il
+chercha dissuader son matre d'excuter cet insens dguisement, en
+l'assurant que les nippes toient si antiques, qu'il seroit srement
+remarqu, au lieu que restant avec son habit, on pourroit trs-bien n'y
+pas faire attention, le spectacle tant rempli d'abbs. Le chanoine ne
+se rendit point ses raisons; il craignoit d'tre reconnu par ses
+coliers: il lui dit que comme il toit vieux, on ne seroit point
+surpris de le voir avec des hardes la vieille mode. Il s'ajuste avec
+la cornette haute, l'habit trouss, et tous les falbalas imagins en ce
+temps-l, pour suppler aux paniers. Il arrive la comdie et se place
+ l'amphithtre. Cette figure tonna, comme vous pouvez bien le penser.
+Les voisins commencrent en parler; le murmure augmenta. _Armand_,
+acteur qui faisoit le rle d'arlequin, aperut le chanoine, alla dans
+l'amphithtre, et examina le personnage; il s'en approcha, et lui dit:
+Monsieur, je vous conseille de dcamper: vous tes reconnu, et votre
+habit grotesque fait rire le parterre, au point que je crains quelque
+scandale. Le pauvre homme bien troubl, remercie le comdien, et le prie
+de l'aider sortir. _Armand_ lui dit de le suivre, et press par la
+scne qu'il falloit jouer, il va trs-vte, le chanoine le perd de vue
+au sortir de l'amphithtre. Il entend les hues du parterre; il trouve
+l'escalier qui se partage en deux, dont l'un conduit la rue, et
+l'autre dans la salle des comptes. Comme il ne connoissoit point les
+lieux, son malheur voulut qu'il se mprt; il descend dans cette salle
+o l'exempt se tient ordinairement. Il y toit alors. Il fut frapp de
+cette figure de femme singulire, qui avoit l'air trouble et interdite;
+il l'arrta, ne doutant point que ce ne ft quelqu'aventurier dguis,
+et conduisit M. _Hrault_, lieutenant de police, notre pauvre docteur
+qui fondoit en larmes, et qui offrit cent louis l'exempt pour le
+laisser aller. Il lui conta son histoire, lui dit son nom; mais ce
+coquin fut inexorable; c'est la premire fois qu'il a refus de l'argent
+pour faire un scandale affreux. Le lieutenant de police vit avec plaisir
+notre chanoine; et, comme il toit courtisan moliniste, il lui fit une
+trs-grande rprimande, et le nomma devant beaucoup de monde. Le
+jansniste pleura: on lui a envoy une lettre de cachet pour aller 60
+lieues d'ici, je ne sais pas bien o.
+
+M. _de Prie_[178] toit l'autre jour dans la chambre du roi, appuy sur
+une table; la bougie alluma sa perruque; il fit ce que bien d'autres
+auroient fait en pareil cas, il l'teignit avec les pieds: l'incendie
+fini, il la remit sur sa tte. Cela rpandit une odeur trs-forte. Le
+roi entra dans ce moment; il fut frapp du parfum, et, ignorant ce que
+c'toit, il dit sans aucune malice: il sent bien mauvais ici; je crois
+qu'il sent la corne brle. A ce discours, vous comprenez bien que l'on
+rit; le roi et la noble assemble firent des clats de rire dsordonns.
+Le pauvre cocu n'eut point d'autre ressource que ses jambes, et il
+s'enfuit bien vite.
+
+Voici une pigramme de _Rousseau_ contre _Fontenelle_.
+
+ Depuis trente ans, un vieux berger normand
+ Aux beaux esprits s'est donn pour modle;
+ Il leur apprend traiter galamment
+ Les grands sujets en style de ruelle.
+ Ce n'est le tout; chez l'espce femelle,
+ Il brille encor, malgr son poil grison;
+ Et n'est caillette, en honnte maison,
+ Qui ne se pme sa douce faconde.
+ En vrit, caillettes ont raison,
+ C'est le pdant le plus joli du monde.
+
+Madame _de Parabre_ a quitt M. le premier, et M. _d'Alincourt_ ne la
+quitte pas, quoique je sois persuade qu'il ne sera jamais son amant.
+Elle a des faons charmantes avec moi; elle sait bien que je crains
+d'avoir l'air d'tre sa complaisante, et comme elle n'ignore point que
+tous les yeux sont sur elle, elle ne me propose plus de parties; elle
+m'a dit cent fois qu'elle ne pouvoit avoir de plus grand plaisir que de
+me voir; que toutes les fois que je voudrois, elle en seroit charme.
+Son carrosse est toujours mon service. Ne croyez-vous pas qu'il seroit
+ridicule de ne la point voir du tout? d'ailleurs, je n'ai aucune raison
+de m'en plaindre, bien au contraire; n'ai-je pas reu de sa part mille
+amitis dans toutes les occasions. On ne me peut souponner d'tre sa
+confidente, ne la voyant que de temps en temps: enfin, je me conduirai
+de mon mieux. Mais, en vrit, Madame, je n'ai rien vu qui me confirme
+les bruits qui courent sur son nouvel engagement; elle est avec lui
+trs-polie, trs-modeste, a l'air indiffrente: la seule chose qui
+donneroit des soupons, c'est que sachant les discours du public, elle
+auroit d peut-tre ne pas le recevoir chez elle; mais elle dit qu'elle
+n'a pas le dessein de s'enterrer; que si elle refuse sa porte M.
+_d'Alincourt_, le lendemain il faudra qu'elle la refuse un autre, et
+que tour tour elle chasseroit tout le monde, et qu'elle n'en seroit
+pas quitte encore pour tre dans la solitude; que l'on diroit qu'elle ne
+les congdie que pour que le public en soit instruit: elle aime mieux,
+ajoute-t-elle, attendre du temps pour tre justifie. Adieu, ma chre
+dame, c'est toujours avec un regret infini que je vous quitte; mais la
+poste va partir.
+
+
+
+
+LETTRE IV.
+
+Paris, 1726.
+
+
+Vous tes surprise que j'aie rest si long-temps sans vous crire; mais,
+Madame, je vous suis trop attache, pour ne pas me flatter que vous ne
+doutez point que, malgr mon silence, j'aie pens trs-souvent vous,
+et qu'il a fallu que je n'eusse pas un moment pour vous le dire, puisque
+je ne l'ai pas fait: mon coeur est sans cesse occup de vous, et mes
+regrets sont aussi vifs que le jour o vous quitttes Paris; tous les
+instans, je sens tout ce que j'ai perdu; rien n'est plus douloureux que
+d'avoir une amie de votre caractre, et d'en tre spare. Ces ides
+sont trop cruelles, parlons d'autre chose.
+
+Le prince _de Bournonville_ est mort hier, il ne pouvoit vivre: il est
+mort bien jeune, et bien vieux; on le regrette, sans tre afflig; car
+il toit dans une si triste situation, qu'il valoit mieux pour lui de
+finir, que de continuer vivre pour souffrir; il ne pouvoit presque ni
+parler, ni respirer. Je crois que son me a bien eu de la peine
+quitter son corps; elle y toit toute entire. Il avoit fait un
+testament, il y a quatre ans, o il me donnoit deux mille cus; je suis
+enchante qu'il n'ait pas subsist. Le public qui ignoroit l'amiti
+qu'il avoit eue pour moi, dans le temps qu'il venoit souvent chez M. _de
+Ferriol_, auroit souponn mille choses. Il a nomm pour hritire
+madame la duchesse _de Duras_; il a donn trs-amplement tous ses
+domestiques, sans en oublier un. Ce qui vous surprendra, Madame, c'est
+qu'un quart-d'heure aprs sa mort, le mariage de sa femme avec le duc de
+_Rouvroi_ a t arrt et publi; et, ce qui vous tonnera le plus,
+c'est que ce manque de biensance part du cardinal _de Noailles_ et de
+la marchale _de Grammont_ qui est Noailles, et mre de madame _de
+Bournonville_. M. le duc _de Rouvroi_ est fils de M. _de St.-Simon_, g
+de 25 ans. Il n'a actuellement que 25,000 livres de rente, et vous voyez
+bien que sa naissance n'est pas bien merveilleuse; et madame de
+_Bournonville_ jouit de 33,000 livres de rente. Elle est jeune et belle,
+d'une grande maison par elle et son mari. Madame _de St.-Simon_ est amie
+du cardinal _de Noailles_. Elle parloit souvent du prince _de
+Bournonville_, comme d'un homme confisqu, et qu'elle se trouveroit bien
+heureuse, si sa veuve vouloit pouser son fils. Au moment que ce prince
+expiroit, elle va chez le cardinal, ne le laisse pas achever de dner,
+pour qu'il allt demander madame _de Bournonville_. La marchale _de
+Grammont_ accepta la proposition, et dit au cardinal qu'elle en toit
+charme, mais qu'il falloit cacher pour quelque temps ce mariage. Le
+cardinal dit qu'il ne pouvoit se taire, et qu'il le diroit tout ce
+qui se rencontreroit, de manire qu'avant que M. _de Bournonville_ ft
+enterr, tout Paris a su ce mariage. Il est mort le 5; et le 9, on a t
+faire part du mariage tous les parens et amis. Tout le monde est
+rvolt. Au bout de quarante jours, la crmonie se fera. Madame la
+duchesse _de Duras_ et madame _de Maill_, soeurs du dfunt, sont alles
+rendre visite le surlendemain la veuve; elle avoit un pied de rouge
+dans l'habillement de veuve, et son prtendu toit ct d'elle, qui
+venoit de se prsenter comme futur poux. Ce n'est point un mariage
+d'inclination; il n'y a aucun amour: cela fait tenir bien des discours.
+
+Les partis sur mademoiselle _Le Maure_ et mademoiselle _Pellissier_
+deviennent tous les jours plus vifs. L'mulation entre ces deux actrices
+est extrme, et a rendu la _Le Maure_ trs-bonne actrice. Il y a des
+disputes dans le parterre, si vives, que l'on a vu le moment o l'on en
+viendroit tirer l'pe. Elles se hassent toutes deux comme des
+crapauds, et les propos de l'une et de l'autre sont charmans.
+Mademoiselle _Pellissier_ est trs-impertinente et trs-tourdie.
+L'autre jour, l'htel de Bouillon, table, devant des personnes
+trs-suspectes, elle dit que M. _Pellissier_, son cher mari, pouvoit
+compter d'tre le seul Paris, qui ne ft pas cocu. Pour la _Le Maure_,
+elle est bte comme un pot; mais elle a la plus belle et la plus
+surprenante voix qu'il y ait dans le monde; elle a beaucoup
+d'entrailles, et la _Pellissier_, beaucoup d'art. On fit l'anagramme du
+nom de cette dernire, qui toit _Pilleresse_. _Murer_ a quitt tout de
+bon la fivre depuis trois mois, et la dvotion s'est empare de lui. On
+joue _Proserpine_ le 14 de ce mois. La _Entie_ fait _Crs_; la _Le
+Maure_, _Proserpine_; la _Pellissier_, _Arthuse_; _Thevenard_,
+_Pluton_; _Chass_, _Ascalaphe_. Voil la distribution qu'on dit tre
+merveille. Je doute pourtant que cet opra russisse: toute l'intrigue
+est une vieille matresse qui raconte ses vieilles amours, une petite
+fille qui cueille des fleurs et qui fait des guirlandes, un vieux
+cocher amoureux et brutal. Il n'y a donc qu'un pisode, _Alphe et
+Arthuse_, qui fasse une scne assez touchante: tout le reste est froid,
+languissant et insipide. M. _de Noc_ me soutint, l'autre jour, que
+c'toit le plus bel opra du monde, et qu'il y avoit une allgorie qui
+le rendoit charmant. Je l'assurai qu'il pouvoit tre agrable pour le
+personnage pour lequel il avoit t fait: mais que pour moi, qui
+mprisois souverainement madame _de Montespan_, et qui ne l'avois jamais
+connue, sa rupture avec le roi, ses regrets, tout cela ne pouvoit
+m'mouvoir. La comdie tombe, tous les bons acteurs vont quitter; les
+mauvais sont dtestables, et ne donnent aucune esprance.
+
+Le roi est Marli, o il tient table le soir, la reine le matin. C'est
+une chose nouvelle; cela n'toit pas encore arriv, que la reine et
+mang en public avec les dames. On parle de guerre; nos cavaliers la
+souhaitent beaucoup, et nos dames s'en affligent mdiocrement: il y a
+long-temps qu'elles n'ont got l'assaisonnement des craintes et des
+plaisirs des campagnes; elles dsirent de voir comme elles seront
+affliges de l'absence de leurs amans. M. _de Nesle_ a fait des
+plaisanteries trs-fortes M. le prince _de Carignan_, sur ce qu'il
+parloit mal franois. Le prince, impatient, lui dit qu'il seroit forc
+de lui donner des coups de bton, parce qu'on ne savoit pas en Sude
+qu'il toit un grand poltron. M. _de Nesle_ a fait mille excuses et
+mille bassesses: choses qui lui arrivent trop souvent pour sa
+rputation.
+
+J'apprends, dans l'instant, qu'on va retrancher les rentes perptuelles.
+Comme nous n'en avons ni l'une ni l'autre, je m'en console. Ma sant est
+mauvaise depuis quelque temps. Je me fis saigner hier; je prends de la
+limaille, je suis maigre; je me flatte que cela n'aura pas de suite.
+Adieu, Madame; honorez-moi toujours un peu de vos bonts: c'est une
+consolation tous mes maux, tant du corps que de l'esprit. A propos,
+il y a une vilaine affaire qui fait dresser les cheveux la tte: elle
+est trop infme pour l'crire; mais tout ce qui arrive dans cette
+monarchie, annonce bien sa destruction. Que vous tes sages, vous
+autres, de maintenir les lois et d'tre svres! Il s'ensuit de l
+l'innocence. Je suis tous les jours surprise de mille mchancets qui se
+font, et dont je n'ai pu croire le coeur humain capable. Je m'imagine
+quelquefois que la dernire surprise m'empchera d'en avoir l'avenir;
+mais j'y suis toujours trompe.
+
+
+
+
+LETTRE V.
+
+D'Ablons, 1726.
+
+
+Comment vous portez-vous, Madame? ne me donnerez-vous point de vos
+nouvelles? voulez-vous me punir de mon silence? La punition est trop
+forte, et, pour une personne aussi juste que vous, elle n'est pas
+proportionne l'offense. Jamais vous ne pouvez souponner mon coeur;
+vous le connoissez trop. Votre silence ressemble l'oubli et
+l'ingratitude. Au nom de Dieu! souvenez-vous que vous tes la personne
+du monde que j'aime et que j'estime davantage. Vous tes oblige de
+m'aimer, cause de mon discernement, si ce n'est pas par got. Madame
+votre fille m'a fait l'honneur de me venir voir plusieurs fois: si je
+n'tois pas extrmement occupe, j'aurois le plaisir de la voir souvent;
+je l'ai toujours beaucoup aime; mais j'avoue que je l'aime encore
+davantage. Des esprits mal faits pourroient vous souponner sur cette
+phrase d'tre tracassire, et d'avoir voulu me donner de l'loignement
+pour elle; mais les bons esprits, et qui connoissent les entrailles,
+imagineront aisment que tout ce qui appartient ce qu'on aime, devient
+plus cher, lorsque l'on en est loign.
+
+Je me suis flatte, jusqu' prsent, que je ferois le voyage de
+Pont-de-Vesle, qui me procureroit le plaisir de vous aller voir; mais je
+vois avec douleur que le temps en est bien loign. On me flatte, et je
+crois deviner qu'il y a une rsolution marque de ne point faire ce
+voyage; j'en suis trs-pique; on se plat me donner des esprances,
+et ensuite les dtruire, je prends souvent la rsolution de parotre
+indiffrente sur l'vnement; mais, malgr moi, le chagrin et la joie se
+manifestent tour tour.
+
+On parle plus de guerre que jamais: nos guerriers craignent fort de
+camper. Ils voudroient se battre, prendre la hte quelques villes, et
+revenir, au bout de huit jours, Paris. M. le prince _de Conti_ est
+mort, hier matin, d'une fluxion de poitrine; il a dit les choses du
+monde les plus tendres et les plus obligeantes sa femme; il lui a
+demand pardon des soupons mal fonds qu'il avoit eus sur sa conduite,
+lui a nomm son valet de chambre qui toit son espion et son
+calomniateur, et l'a assure qu'il toit bien loign d'ajouter aucune
+foi tout ce qu'il avoit rapport. Il a fait ordonner madame _La
+Roche_, sa matresse, qui, en partie, toit la cause du peu d'union
+qu'il avoit avec sa femme, de sortir au moment mme de sa maison, o
+elle demeuroit. Il a donn 2,000 livres de pension quatre personnes:
+je ne m'en ressouviens que de deux, MM. _de Montmorenci_ et _du Bellai_;
+ M. _Maton_, qu'il a toujours aim, un diamant de 10,000 livres; au
+prsident _de Lubre_, son portrait en grand; ses deux filles, chacune
+une tabatire d'or avec son portrait. A l'gard de ses domestiques, il
+laisse madame la princesse _de Conti_ matresse de les rcompenser comme
+elle le jugera propos. La princesse a beaucoup pleur, quand il est
+tomb malade, quoiqu'ils fussent brouills, et mme sur le point de se
+sparer. Il a donn tant de marques de tendresse et de repentir, qu'elle
+a oubli, pour le prsent, tous les chagrins qu'il lui a causs. Je
+crois cependant que, pass les premiers jours, elle s'en consolera bien
+aisment. M. le duc a eu une attaque d'apoplexie dont il rchappe. A la
+halle, les harangres disent que le borgne n'avoit garde de mourir,
+parce qu'il est trop mchant, et que le prince est mort, parce qu'il
+toit bon. Ces pauvres gens dcident de sa bont, sans savoir pourquoi,
+si ce n'est qu'il n'avoit jamais t porte de leur faire ni mal ni
+bien.
+
+Je vous enverrai, par la premire occasion, un livre fort la mode ici,
+le _Voyage de Gulliver_; il est traduit de l'anglois; l'auteur est le
+docteur _Swift_; il est fort amusant; il y a beaucoup d'esprit,
+d'imagination et une fine plaisanterie. _Destouches_ a donn le
+_Philosophe mari_; c'est une trs-jolie comdie: il y a du sentiment,
+de l dlicatesse; mais ce n'est pas le gnie de _Molire_: il y a la
+_Critique_ qui est du mme auteur, c'est le pangyrique du _Philosophe
+mari_; on la trouve assez mauvaise. Votre commission sera faite au
+plutt. Vous me faites tort, quand vous croyez que je peux m'impatienter
+en la faisant. Non, Madame, soyez persuade, moins que vous ne vouliez
+m'affliger mortellement, que si vous m'ordonniez de marcher sur la tte
+pour l'amour de vous, j'irois avec joie. L'article de votre lettre o
+vous me dites que vous ne me verrez plus, m'a serr le coeur en
+pleurer. Pourquoi voulez-vous m'affliger? Oui, je vous verrai, quelque
+chose qu'il arrive, moins que je ne meure bientt: ma sant est assez
+bonne; ainsi laissez-moi l'esprance de vous embrasser encore souvent,
+avant que je meure. Vous me demandez des nouvelles du chevalier; il est
+en Prigord, o sa sant est toujours assez mauvaise. Cependant il
+m'assure qu'il n'y a nul danger; il est plus tendre que jamais: ses
+lettres sont toutes comme celles que je vous montrois dans le carrosse,
+quelque temps avant votre dpart: si j'osois, je vous en enverrois des
+copies; elles sont trop pleines de louanges; mais elles sont si bien
+crites, que, si l'on ne connoissoit pas l'objet, on les trouveroit
+charmantes. Je ne sais aucune nouvelle de Paris; je suis ici comme au
+bout du monde; je vendange, je file beaucoup pour me faire des
+chemises, et je tire aux oiseaux. J'ai reu des lettres de madame
+_Knight_; elle me dit qu'elle est marie et heureuse; elle est
+Bettersea depuis son mariage; M. _de Bolingbrocke_ ne parot pas trop
+content. La tte a tourn apparemment milord, de marier sa fille de
+cette faon. Vous auriez mieux fait; il falloit vous laisser faire, sans
+vous contraindre. Adieu, Madame, continuez-moi vos bonts.
+
+
+
+
+LETTRE VI.
+
+Paris, 1726.
+
+
+Vous avez tort, Madame, de m'accuser d'oubli votre gard; ayez
+meilleure opinion de vos amis, et sur-tout de moi qui sens bien tout le
+prix de votre amiti: je puis jurer qu'il n'y a pas de jour que je ne
+pense vous, que je ne vous regrette, et que je ne fasse des projets
+pour aller vous voir; je mettrai tout en usage pour excuter ce que je
+souhaite si vivement: je quitte tout sans regret pour vous; je suis
+accable de chagrin, mon corps s'en ressent; je suis maigrie en tre
+alarme. J'ai eu tout la fois la mort de mon bienfaiteur M. _de
+Ferriol_, l'asthme du chevalier qui dure depuis trois mois, et la
+rduction des rentes viagres. Voici une lettre qu'il m'a faite pour le
+cardinal _de Fleuri_; je ne doute point que vous ne la trouviez bien.
+
+
+MONSEIGNEUR,
+
+Je n'oserois me flatter que votre minence se ressouvnt que j'ai eu
+l'honneur de la voir; mais je crois pouvoir esprer que la singularit
+de mon tat excitera sa compassion, et qu'elle me pardonnera la libert
+que je prends de lui en exposer les circonstances. M. _de Ferriol_ m'a
+amene de Turquie en ce pays-ci, 4 ans; et aprs m'avoir leve comme
+sa fille, il a voulu, pour comble de gnrosit, me laisser une fortune
+qui soutnt l'ducation qu'il m'avoit donne. Toute la famille _de
+Ferriol_ concourant ses desseins, il m'avoit donn 4,000 liv. de
+rentes viagres. Aujourd'hui, Monseigneur, on m'en te plus de la
+moiti; et par l je perds ce qui faisoit ma tranquillit,
+l'indpendance que l'on a voulu m'assurer. J'ose supplier votre
+minence, que l'on ne me traite point la rigueur; ne souffrez pas que
+l'on dtruise une fortune qui est un tmoignage de la gnrosit des
+Franois. Si vous vous informez de moi, on vous dira que je n'ai ni
+got, ni talent pour acqurir. Ordonnez donc qu'on me laisse ce que je
+possdois par des voies si lgitimes. Vous aurez part la
+reconnoissance que j'ai pour ceux qui je dois tout ce que je possde,
+et je ne cesserai jamais d'tre avec le plus profond respect, etc.
+
+
+_Lettre de madame_ DE FERRIOL.
+
+_Ass_ ne cesseroit de vous crire, si je la laissois faire; je n'en ai
+pas la patience, et je l'interromps pour vous parler aussi mon tour.
+Gardez-vous bien de m'oublier; je ne cesse point de me ressouvenir de
+vous, et de vous regretter. Les courses que j'ai faites, et les maladies
+que j'ai essuyes, ne m'ont pas distraite un moment de ce souvenir;
+j'espre que tous mes voyages ne sont pas faits, et que j'en ferai un
+Pont-de-Vesle, qui me procurera le bonheur de vous voir. J'ai besoin de
+cette esprance pour adoucir la peine que me cause votre absence.
+J'espre qu'en attendant, vous voudrez bien me donner de vos nouvelles,
+et que vous ne doutez pas de la trs-tendre amiti que je conserverai
+toute ma vie pour vous.
+
+
+_Suite de la Lettre de mademoiselle_ ASS.
+
+On me rend la plume, je vais en profiter pour conter quelques
+ravauderies. Madame _de Tencin_ est toujours malade: les savans et les
+prtres sont, presque les seules personnes qui lui fassent leur cour.
+_D'Argental_ n'est plus amoureux; ses assiduits sont rflchies
+actuellement. Il y a eu des tracasseries la cour; les dames du palais
+ont voulu jouer des comdies pour amuser la reine. MM. _de Nesle_, _de
+la Trimouille_, _Graisi_, _Gontault_, _Tallard_, _Villars_, _Matignon_
+toient les acteurs. Il manquoit une actrice pour de certains rles, et
+il toit ncessaire d'avoir quelqu'un qui pt former les autres: on
+proposa la _Desmarest_, qui ne monte plus sur le thtre; madame _de
+Tallard_ s'y opposa, et assura qu'elle ne joueroit pas avec une
+comdienne, moins que la reine ne ft une des actrices. La petite
+marquise _de Villars_ dit que madame _de Tallard_ avoit raison, et
+qu'elle ne vouloit point jouer aussi, moins que l'Empereur ne ft
+Crispin. Cette grande affaire finit par des clats de rire. Madame _de
+Tallard_ a t si pique, qu'elle a quitt la troupe, La _Desmarest_ a
+jou, et les comdies ont trs-bien russi.
+
+Milord _Bolingbrocke_ nie hautement les lettres que l'on prtend qu'il a
+crites M. _Walpole_. Je ne doute pas que vous n'en ayez ou parler:
+il dit qu'on peut l'attaquer, mais qu'il ne rpondra jamais; que ce sont
+des lettres supposes; qu'il est rsolu de demeurer en repos, malgr
+toute la malice du public. Madame sa femme est toujours malade. L'air de
+Londres l'incommode: on avoit fait courir le bruit que le mari et la
+femme toient mal ensemble; rien n'est plus faux: je reois des lettres,
+presque tous les ordinaires, de l'un et de l'autre; ils me paroissent
+dans une grande union: les inquitudes qu'il a de la sant de sa femme,
+et celles qu'elle a de la sienne, ne ressemblent point des gens
+mcontens. Adieu, Madame. La certitude que j'ai de vos bonts, me fait
+trop de plaisir pour vouloir en douter.
+
+
+
+
+LETTRE VII.
+
+Paris, 1727.
+
+
+J'ai reu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'crire; je ne
+puis vous dire assez tout le plaisir qu'elle m'a fait. Je les montre
+une seule personne, qui est trs-curieuse de les voir, et qui partage le
+plaisir que j'ai de les lire: les bonts d'une personne comme vous la
+flattent comme moi-mme, et elle partage mes inquitudes sur ce qui vous
+regarde. Vous tes la premire qu'elle a plainte dans ce maudit
+arrangement du retranchement des rentes viagres. Je n'ai point t
+console de n'tre pas la seule misrable dans cette occasion; il est
+toujours fort douloureux de voir ses amis malheureux. J'aurois, je vous
+jure, pris mon parti plus aisment, si vous aviez t privilgie. Mon
+voyage de Pont-de-Vesle se confirme, et sera beaucoup plus long; mais
+dans quelque pauvret que je sois, je vous promets d'aller vous voir; ce
+sera un des bonheurs les plus vifs de ma vie; et si jamais je me marie,
+je mettrai dans le contrat, que je veux tre libre d'aller Genve,
+quand il me plaira, et le temps que je voudrai. Madame _de Tencin_ est
+toujours malade; mais j'ai grand'peur que madame sa soeur ne parte avant
+elle; sa cupidit augmente tous les jours. Ma sant est mdiocre, et je
+maigris beaucoup; c'est pourtant le premier bien; elle nous fait
+supporter toutes nos peines; les chagrins l'altrent, comme vous le
+prouvez, et ne font pas changer la fortune. D'ailleurs, il n'y a point
+de honte d'tre pauvre, quand c'est la faute du destin et de la vertu.
+Je vois tous les jours qu'il n'y a que la vertu qui soit bonne en ce
+monde et en l'autre. Pour moi qui n'ai pas le bonheur de m'tre bien
+conduite, mais qui respecte et admire les gens vertueux, la simple envie
+d'tre du nombre m'attire toutes sortes de choses flatteuses: la piti
+que tout le monde a de moi, fait que je ne me trouve presque pas
+malheureuse; il me reste deux mille francs de rente, tout au plus;
+j'envisage sans peine de me retrancher les choses qui me faisoient le
+plus de plaisir. Mes bijoux et mes diamans sont vendus; pour vous,
+Madame, il y a long-temps que vous vous tes dtache de tout cela. Si
+vous avez plus de chagrins, et que vous soyez plus plaindre que bien
+d'autres, vous en tes bien ddommage par la satisfaction de n'avoir
+rien vous reprocher: vous avez de la vertu, vous tes aime et
+estime, et, par consquent, vous avez plus d'amis. Conservez-les,
+Madame, et votre sant; ce sont l les vritables trsors.
+
+Madame _de Parabre_ ayant quitt son amant, a donn cette charge
+_d'Alincourt_. M. _de Nesle_ a plaisant M. le prince _de Conti_ assez
+mal propos; et, quoique le prince l'et fait prier de se taire, il a
+continu; ce qui a mis en colre son altesse, qui a voulu lui jeter une
+assiette la tte. M. _de Nesle_ a fait des excuses, qui ont t assez
+mal reues, puisqu'on lui a rpondu que l'on avoit eu tort de se mettre
+en colre contre un poltron; que l'on devoit en agir avec lui comme avec
+un chien qui importunoit, et qui l'on donnoit des coups de pied; que
+s'il n'toit pas content, il toit partout, et le trouveroit. Madame _de
+Nesle_ avoit pour amant M. _de Montmorenci_: c'toit _Riom_ qui avoit
+fait cette liaison; il a jug propos de la rompre, et a donn son
+ami madame _de Boufflers_; madame _de Nesle_, pour se venger, a donn le
+ridicule _Riom_, de lorgner la reine; ce dernier a t si piqu, qu'il
+est all au cardinal pour se justifier. Vous voyez quoi nos belles
+dames et nos agrables s'amusent. M. le duc se divertit comme un ange,
+son tour, Chantilli. Madame _de Prie_ est relgue dans ses terres, o
+elle perd les yeux; elle se console en lisant le bel dit des rentes.
+Notre roi est toujours constant pour la chasse. La reine est grosse.
+Voil les nouvelles de ce monde. Quelle diffrence de votre ville
+Paris! L'innocence des moeurs, le bon esprit y rgnent: ici on ne les
+connot pas. Il est arriv, depuis quelque tems, une petite aventure qui
+a fait beaucoup de bruit; je veux vous la mander. Il y a six semaines,
+qu'_Isess_, le chirurgien, reut un billet, par lequel on le prioit de
+se rendre l'aprs-midi, six heures, dans la rue _Pot-de-fer_, prs du
+Luxembourg. Il n'y manqua pas; il trouva un homme qui l'attendoit, et le
+conduisit quelques pas de l, le fit entrer dans une maison, ferma la
+porte sur le chirurgien, et resta dans la rue. _Isess_ fut surpris que
+cet homme ne l'emment pas tout de suite o on le souhaitoit. Mais le
+portier de la maison part, qui lui dit qu'on l'attendoit au premier
+tage et qu'il montt; ce qu'il fit: il ouvrit une antichambre toute
+tendue de blanc; un laquais fait peindre, vtu de blanc, bien fris,
+bien poudr, et avec une bourse de cheveux blanche, et deux torchons
+la main, vint au-devant de lui, et lui dit qu'il falloit qu'il lui
+essuyt ses souliers. _Isess_ lui dit que cela n'toit pas ncessaire,
+qu'il sortoit de sa chaise, et n'toit point crott. Malgr cela, le
+laquais lui rpondit que l'on toit trop propre dans cette maison, pour
+ne pas user de prcaution. Aprs cette crmonie, on le conduisit dans
+une chambre tendue aussi de blanc. Un autre laquais, vtu de mme que le
+premier, refit la mme crmonie des souliers: on le mena ensuite dans
+une chambre toute blanche, lit, tapisseries, fauteuils, chaises, tables
+et plancher. Une grande figure en bonnet de nuit et en robe de chambre
+toute blanche, et un masque blanc, toit assise auprs du feu. Quand
+cette espce de fantme aperut _Isess_, il lui dit: _j'ai le diable
+dans le corps_, et ne parla plus; il ne fit pendant trois quarts d'heure
+que mettre et ter six paires de gants blancs, qu'il avoit sur une
+table, ct de lui. _Isess_ fut effray; mais il le fut encore
+davantage, quand parcourant des yeux la chambre, il aperut plusieurs
+armes feu; il lui prit un si grand tremblement, qu'il fut oblig de
+s'asseoir, de peur de tomber. Enfin craignant ce silence, il dit la
+figure blanche, ce que l'on vouloit faire de lui, qu'il le prioit de lui
+donner ses ordres, parce qu'il toit attendu, et que son temps toit au
+public: la figure blanche rpondit schement: _que vous importe, si vous
+tes bien pay?_ et ne dit plus mot. Un quart d'heure s'coula encore
+dans le silence: le fantme enfin tire un cordon blanc de sonnettes. Les
+deux laquais blancs arrivent; il leur demande des bandes, et dit
+_Isess_ de le saigner et de lui tirer cinq livres de sang. Le
+chirurgien, tonn de la quantit, lui demanda quel mdecin lui avoit
+ordonn une pareille saigne? _Moi_, rpondit la figure blanche,
+_Isess_ se sentant trop mu pour ne pas craindre d'estropier, prfra
+de saigner au pied, o il y a moins de risque qu'au bras. On apporta de
+l'eau chaude; le fantme blanc te une paire de bas de fil blanc d'une
+grande beaut, puis une autre, encore une autre; enfin jusqu' six
+paires, et un chausson de castor doubl de blanc; alors _Isess_ vit la
+plus jolie jambe et le plus joli pied du monde; il n'est point loign
+de croire que ce soit celui d'une femme: il saigne; la seconde palette
+le saign se trouve mal. _Isess_ voulut lui ter son masque pour lui
+donner de l'air, les laquais s'y opposrent: on l'tendit terre; le
+chirurgien banda le pied pendant l'vanouissement. La figure blanche, en
+reprenant ses esprits, ordonna que l'on chaufft son lit; ce que l'on
+fit, et ensuite il s'y mit. _Isess_ lui tta le pouls, et les
+domestiques sortirent; il alla prs de la chemine pour nettoyer sa
+lancette, faisant bien des rflexions sur la singularit de cette
+aventure: tout coup il entend quelque chose derrire lui, il tourne la
+tte, et voit dans le miroir de la chemine, la figure blanche qui vient
+ cloche-pied, et qui ne fait presque qu'un saut pour venir lui; il
+fut saisi de frayeur; elle prit sur la chemine cinq cus, les lui
+donna, et lui demanda s'il toit content. _Isess_, tout tremblant,
+rpondit que oui.--_Eh bien! allez-vous-en._ Le chirurgien ne se le fit
+pas dire deux fois; il prit ses jambes son cou, et s'en alla bien
+vite; il trouva les laquais qui l'clairrent, et qui de fois autre se
+tournoient et rioient. _Isess_, impatient, leur demanda ce que c'toit
+que cette plaisanterie. _Monsieur_, lui rpondirent-ils, _avez-vous
+vous plaindre? Ne vous a-t-on pas bien pay? Vous a-t-on fait quelque
+mal?_ Ils le reconduisirent sa chaise, et il fut transport de joie
+d'tre sorti de l. Il prit la rsolution de ne point raconter ce qui
+lui venoit d'arriver; mais, le lendemain, on vint s'informer comment il
+se portoit de la saigne qu'il avoit faite un homme blanc; alors il
+raconta son aventure, et n'en fit plus mystre: elle a fait beaucoup de
+bruit; le roi l'a sue, et le cardinal se l'est fait raconter par
+_Isess_. On a fait mille conjectures qui ne signifient rien: je crois
+que c'est quelque badinage de jeunes gens qui se sont amuss faire
+peur au chirurgien. Je suis bien sincrement, ma chre madame, toute
+vous.
+
+
+
+
+LETTRE VIII.
+
+Paris, 1727.
+
+
+J'ai reu avant-hier la lettre que vous m'avez fait l'amiti de
+m'crire; vous trouverez dans celle-ci tout ce que vous me demandez. Je
+vais commencer par les nouvelles de Paris. La reine est accouche de
+deux princesses: il est bien fcheux, Madame, que dans le nombre il n'y
+ait pas un garon. Tout Paris toit dans une grande joie, quand on sut
+qu'elle toit en travail; la joie fut bien modre, quand on apprit la
+naissance de deux filles: on s'toit tromp de six semaines. Le
+chancelier arrive de son exil; il n'a pas encore les sceaux. M. le
+prince _de Carignan_ est toujours amoureux de la _Entie_, danseuse
+l'opra; cette crature s'est engoue de M. _de la Poplinire_, fermier
+gnral, homme d'esprit, faiseur de chansons, et d'ailleurs assez laid.
+M. _de Carignan_ s'toit li d'amiti avec lui, comme les maris font
+avec les amans de leurs femmes; mais le prince est italien, par
+consquent clairvoyant, et jaloux outre mesure. Il y a quelques jours
+qu'il alla prier la _Entie_ de venir une petite maison qu'il a au bois
+de Boulogne; elle y consentit, mais elle voulut que M. _de la
+Poplinire_ ft de la partie; ce dernier ne vouloit point; il se fit
+long-temps prier par le prince, qui le persuada enfin d'y venir; il y
+eut pendant le souper plusieurs lorgneries qui furent aperues du
+prince, et qui le mirent de trs-mauvaise humeur. On alla bientt aprs
+se coucher; et comme la maison est trs-petite, et qu'il n'y avoit que
+deux lits, la _Entie_ coucha avec le prince, et _la Poplinire_ dans une
+chambre ct. La demoiselle voulut bien faire les honneurs de chez
+elle, et alla trouver son voisin, quand le prince fut endormi. M. _de
+Carignan_ s'tant rveill, et voyant que sa tourterelle s'toit
+envole, ne fit pas grand chemin pour la retrouver; il eut la constance
+de s'entendre dire les choses du monde les plus outrageantes; on le
+traita de sot. Bien des gens prtendent que le greluchon _la Poplinire_
+toit muni de deux pistolets dont il se servoit pour tenir en respect le
+pauvre abandonn, qui, furieux, dsespr, retourna Paris, et dbarqua
+chez sa femme; et comme il avoit le coeur trs-ulcr, il lui raconta ce
+qui venoit de lui arriver. Elle lui dit qu'il y avoit long-temps que
+cette crature le rendoit malheureux, et qu'il falloit faire un exemple
+pour chtier de pareilles gens, qu'elle lui demandoit la permission d'en
+faire des plaintes, et d'avoir une lettre de cachet pour la faire
+enfermer dans une maison de force. Le prince toit trop en colre pour
+n'y pas consentir. La princesse ne perdit point de temps; elle partit
+pour Versailles, et obtint du cardinal la lettre de cachet, envoya
+l-dessus arrter la donzelle, qui fut dans un dsespoir inconcevable.
+Elle avoit 40,000 livres en or chez elle, qu'elle vouloit emporter;
+mais on ne lui laissa prendre que 300 livres, et on la mena
+Sainte-Plagie, maison de force, o elle est actuellement. Le prince est
+dsespr de ne la plus voir; il a fait tout au monde pour la faire
+sortir de l, et pour se venger de _la Poplinire_ et le faire mettre
+la Bastille; mais il n'en a pas eu le crdit: on l'a seulement engag
+aller faire un petit tour dans son dpartement, qui est la Provence.
+
+Voici encore une aventure, mais qui est plus tragique. Un gentilhomme,
+du ct de Villers-Coterets, allant d'un endroit un autre cheval
+avec son valet, fut attaqu dans un bois, par un jeune homme qui lui
+demanda sa bourse o il y avoit cinquante louis, sa montre, avec un
+cachet d'or, lui prit ses deux chevaux, et le laissa aller pied, assez
+embarrass de ce qu'il feroit. En marchant, il aperut une maison qui
+avoit une belle apparence; il envoya son laquais pour s'informer qui
+l'habitoit; il apprit avec joie que c'toit un officier avec lequel il
+avoit long-temps servi, et qui toit son bon ami; il se trouva heureux
+dans sa disgrce, de rencontrer justement son camarade qu'il connoissoit
+pour un parfait honnte homme; il en fut trs-bien reu: ils parlrent
+de la malheureuse aventure qui leur avoit procur le plaisir de se
+revoir; le matre de la maison offrit sa bourse et sa personne son
+ami. Quelques momens avant le souper, un jeune homme entra, que le
+gentilhomme reconnut pour tre celui qui l'avoit dvalis, et il fut
+bien surpris, quand l'officier le lui prsenta comme son fils; il ne dit
+mot, et se retira d'abord aprs souper dans sa chambre. Son laquais
+trs-effray, lui dit: _Monsieur, nous sommes dans un coupe-gorge; le
+fils de la maison est notre voleur, et nos chevaux sont dans l'curie._
+Le gentilhomme lui dfendit de parler, et avant que personne ft lev
+dans la maison, il alla la chambre de son ami, et le rveilla, en lui
+disant que c'toit avec une grande douleur qu'il se trouvoit oblig de
+lui apprendre que son fils toit le mme homme qui l'avoit dvalis la
+veille; qu'il avoit cru, aprs s'tre consult, qu'il valoit mieux lui
+apprendre le dtestable mtier de son fils, que s'il venoit en tre
+inform par la justice: ce qui ne pouvoit manquer tt ou tard d'arriver.
+Le dsespoir du pre fut inconcevable; la surprise, la douleur, lui
+donnrent un si violent saisissement, qu'il s'vanouit; ensuite
+l'emportement, la fureur succdant, il monte la chambre de son fils,
+qui dormoit, ou feignoit de dormir; il trouve sur sa table la montre et
+le cachet o toient les armes de son ami: le fils entend le bruit;
+effray, il se lve, veut s'enfuir. Des pistolets se trouvent sur la
+table; le pre, troubl par la colre, en prend un, tire, et tue son
+malheureux fils. Il est venu tout de suite demander sa grce: tout le
+monde a t d'avis qu'on la lui donnt. Le cas est excusable dans le
+premier mouvement d'une colre aussi lgitime. Un honnte homme trouvant
+dans son fils un voleur de grand chemin, prouve un chagrin si vif, que
+la tte lui en peut bien tourner.
+
+Madame _de Ferriol_ compte toujours aller Pont-de-Vesle; mais, comme
+elle ne veut y rester que six semaines, je ne l'accompagnerai pas; cela
+n'en vaut pas la peine. Il y a cinq ou six mariages pour notre ami[179];
+mais l'on voudroit fort avoir la dot, et point avoir de femme. Je ne
+vois plus _Bertie_; l'ambition le poignarde; il poursuit l'ambassade de
+Constantinople; les Turcs sont trop simples, pour goter l'air empes de
+notre ami.
+
+Le chevalier est parti pour le Prigord, o il compte tre cinq mois.
+Vous serez bien tonne, Madame, quand je vous dirai, qu'il m'a offert
+de m'pouser. Il s'expliqua hier trs-clairement devant une dame de mes
+amies; c'est la passion la plus singulire du monde; cet homme ne me
+voit qu'une fois tous les trois mois; je ne fais rien pour lui plaire;
+j'ai trop de dlicatesse pour me prvaloir de l'ascendant que j'ai sur
+son coeur; et, quelque bonheur que ce ft pour moi de l'pouser, je dois
+aimer le chevalier pour lui-mme. Jugez, Madame, comme sa dmarche
+seroit regarde dans le monde, s'il pousait une inconnue, et qui n'a de
+ressource que la famille de M. _de Ferriol_. Non, j'aime trop sa gloire,
+et j'ai en mme temps trop de hauteur pour lui laisser faire cette
+sottise. Quelle confusion pour moi d'apercevoir tous les discours que
+l'on tiendroit! Pourrois-je me flatter que le chevalier penst toujours
+de mme mon gard? Il se repentiroit assurment d'avoir suivi sa folle
+passion; et moi je ne pourrois survivre la douleur d'avoir fait son
+malheur, et de n'en tre plus aime. Il me tint les propos du monde les
+plus tendres, les plus passionns et les plus extravagans; il finit par
+me dire qu'il avoit dans la tte, que d'une faon ou d'une autre, nous
+vcussions ensemble. Je parus tonne de ce propos, et lui en dis mon
+sentiment; il se fcha, et m'assura que, quand il disoit cela, il ne
+prtendoit pas m'offenser, ni avoir des desseins malhonntes sur moi;
+qu'il vouloit dire, que si je voulois l'pouser, j'en tois la
+matresse; mais qu'autrement, il croyoit que nous pouvions bien, quand
+nous serions sans consquence l'un et l'autre, passer le reste de nos
+jours ensemble; qu'il m'assureroit une grande partie de son bien; qu'il
+toit mcontent de ses parens, l'exception de son frre, qui il
+donneroit honntement, pour qu'il ft content; et pour me faciliter
+d'accepter sa proposition, il me dit que nous ferions cession au dernier
+vivant de nos biens. Je badinai beaucoup sur mes vieux cotillons qui
+sont tout l'hritage que je pouvois assurer. Notre conversation finit
+par des plaisanteries. Adieu, Madame, je suis lasse d'crire; je vous
+suis dvoue bien tendrement.
+
+
+
+
+LETTRE IX.
+
+1727.
+
+
+Je ne vous ai point justifi le silence de M. _d'Argental_, cause de
+vos craintes; prsent qu'il est guri, je vous dirai qu'il vient
+d'avoir la petite vrole le plus heureusement du monde: c'est un grand
+plaisir pour lui et ses amis, qu'il se soit dbarrass de cette vilaine
+maladie. Je vis hier madame votre fille qui est, comme vous l'avez
+laisse, belle comme un ange, mais d'une vertu battre; elle est bien
+votre digne fille. Madame _Knight_ est grosse, elle retourne Londres
+pour accoucher. Miladi _Bolingbrocke_ a t trs-mal; elle s'est mise au
+lit tout--fait; elle se trouve mieux de ce rgime. Le public, qui veut
+toujours parler, assure que son mari en agit mal avec elle; je vous
+assure que rien n'est plus faux. M. le duc _de Bouillon_ a t
+l'extrmit. Il a envoy au roi la dmission de sa charge de grand
+chambellan; il l'a fait supplier de la donner son fils, ce qui lui a
+t accord: il est mieux; mais il n'y a aucune esprance que ce mieux
+continue. Pour parler de la vie que je mne, et dont vous avez la bont
+de me demander les dtails, je vous dirai que la matresse de cette
+maison est bien plus difficile vivre, que le pauvre ambassadeur. Je ne
+sais jamais sur quel pied danser. Si je reste, on me fait la mine de ce
+que l'on croit que l'on me contraint: si je sors, on me fait des sorties
+affreuses: on me contrarie sans fin, on me caresse aprs, jusqu'
+impatienter un ange. Une certaine demoiselle qui vient dans la maison,
+m'a fait l'honneur d'tre jalouse de moi; elle travaille me dtruire
+dans l'esprit de madame _de Ferriol_ qui avale le poison, sans qu'elle
+s'en aperoive: je m'en suis doute, et j'y ai mis bon ordre. J'ai parl
+ madame avec beaucoup de force, de franchise et de respect. La
+tracassire ignore que je la connoisse, et je ne veux aucun
+claircissement avec des gens faux et mchans; je les laisse dans leur
+crasse. Je m'appuie sur la nettet de ma conduite, qui est de faire mon
+devoir de bon coeur, et ne point faire de tort aux autres: elle a dj le
+fruit que recueillent les mauvais esprits, madame ne la peut plus
+souffrir. Pour la _Tencin_, je continue ne la point voir: elle a plus
+de mange que jamais. L'archevque _de Tencin_ a t trs-mal: nous
+avons t bien en peine. Il toit cruel de mourir la veille d'avoir le
+chapeau; il est mieux, et nous le verrons, j'espre, cardinal.
+
+Nous avons une nouvelle princesse, la femme de M. le Duc, qui est
+trs-jolie, mais fort petite: elle n'a que quatorze ans. Sa taille est
+charmante; elle a bonne grce; elle a dit des ingnuits plaisantes sur
+son mariage. On lui prsenta ses deux beaux-frres, et on lui demanda
+lequel des trois frres elle prfroit. Elle rpondit que ses deux
+beaux-frres avoient de trs-beaux visages, mais que M. le Duc avoit
+l'air d'un prince. On la mena Versailles, o elle russit trs-bien.
+Le roi ne causa point avec elle; mais, quand elle fut partie, il dit
+qu'il la trouvoit bien. Tous les gens de la cour lui firent la
+rvrence; elle reut leurs complimens sans aucun embarras. M. le duc
+_d'Orlans_ est d'une dvotion aussi outre que son pre toit pervers.
+Madame _de Parabre_ a t, comme je vous l'ai dj dit, quitte par
+monsieur le premier, qui est amoureux de madame _d'pernon_, qui n'a
+point encore fait parler d'elle. Cela cause bien du chagrin madame _de
+Parabre_. Elle me fait toujours beaucoup d'amitis. Voil ce que c'est
+que de ne point se mler des intrigues. Notre reine vint, le dix
+septembre, Sainte-Genevive, pour demander Dieu un dauphin. Le roi a
+reu les petites princesses galamment et avec courage. _Ne vous
+chagrinez point, ma femme_, dit-il la reine, _dans dix mois, nous
+aurons un garon._
+
+Nous avons l'Opra-comique une pice qui dure depuis six semaines, qui
+est assez jolie. Je reviens de la comdie; on jouoit _Rgulus_, o j'ai
+fondu en larmes. _Baron_ a jou dans une perfection admirable. Je ne
+l'ai jamais vu mieux jouer; j'envisage avec douleur sa vieillesse. Il
+fit, l'autre jour, le rle de _Burrhus_ dans _La mort de Britannicus_,
+o il excella. Il est impossible que l'on ne le croie pas le personnage
+qu'il reprsente. M. le comte _de Grancey_, et M. le marquis son frre,
+sont morts quinze jours l'un de l'autre. Ils sont si ruins, que leurs
+veuves ne trouveront pas leur douaire: ils jouissoient de beaucoup de
+bienfaits du roi, et mangeoient plus que leur revenu. M. _de la
+Chesnelaye_ vient d'pouser mademoiselle _des Mares_, soeur du grand
+fauconnier; elle est belle et bien faite, et voil tout. Il a mari sa
+fille, qui a seulement quatorze ans, M. _de Pont-St.-Pierre_, homme de
+condition, riche, mais assez dbauch. M. _de Maisons_ a pous
+mademoiselle _d'Angerviller_. M. _de Charolois_ vit toujours avec la
+_de l'Isle_, dont il n'est plus amoureux, ni jaloux. Il a une autre
+matresse, qui a t trs-secrte, et qui n'a paru que par un clat
+violent. Elle s'est jete dans un couvent, prtendant que son mari avoit
+voulu l'empoisonner; elle se nomme madame _de Courchamp_; elle est soeur
+de cette madame _Dupuis_, qui a t si belle. M. _de Clermont_ est
+amoureux fou de madame la duchesse _de Bouillon_. La marquise _de
+Villars_ et madame _d'Alincourt_ sont dans la plus grande dvotion:
+elles ne mettent plus de rouge: ce qui leur sied assez mal. M.
+_l'Avalle_ et sa femme donnent des ftes madame _Benard_, qui loge o
+vous logiez. Je ne puis endurer que cette guenon et cette bte habite
+votre chambre. Elle est encore belle, et si belle, que, si elle se
+dpaysoit, on ne lui donneroit que trente ans. Les filles de l'opra, et
+les filles de joie inondent Paris: on ne sauroit faire un pas qu'on n'en
+soit entour. On rejoue l'opra _Bellrophon_. L'autre jour, quand le
+dragon parut sur le thtre, il y eut quelque chose qui se drangea la
+machine; l'estomac de l'animal s'ouvrit, et le petit polisson parut aux
+yeux de l'assemble, tout nu, ce qui fit rire le parterre. La
+_Pellissier_ diminue de vogue imperceptiblement; on commence regretter
+la _Le Maure_, qui attend qu'on la prie de revenir. _Destouches_ et elle
+se tiennent sur la rserve; mais ils meurent d'envie tous deux d'tre
+bien ensemble. Vous savez que _Destouches_ a eu la place de _Francine_.
+Nous regrettons toujours _Murer_ et le pauvre _Thevenard_; il baisse
+beaucoup. _Chass_ ne le remplacera pas, il ne devient pas meilleur.
+
+Je me suis fait peindre en pastel, ou, pour mieux dire, M. _de Ferriol_,
+qui a un appartement charmant, a fait peindre six belles dames, dont je
+suis, non comme belle assurment, mais comme amie: madame _de Noailles_,
+_de Parabre_, madame la duchesse _de Lesdiguires_, madame _de
+Montbrun_, et une copie d'un portrait de mademoiselle _de
+Villefranche_, l'ge de quinze ans. Ils sont tous de la mme grandeur;
+le mien est parfaitement ressemblant: j'ai rsolu d'en demander la
+copie; et, si le peintre croit qu'il vaut mieux le faire d'aprs moi, je
+le ferai venir; c'est l'affaire de trois heures. Si vous tiez ici,
+Madame, je vous aurois demand genoux la complaisance de vous laisser
+peindre pour moi. On s'appuie sur une table o le peintre travaille;
+cela fait qu'on s'amuse voir dessiner, et que l'on n'a point
+d'attitude gnante. Aussitt que j'aurai cette copie, ou l'original, je
+vous l'enverrai. En le voyant, je vous prie de croire qu'il fait des
+voeux au ciel pour vous; car on a voulu que les yeux fussent en l'air
+avec un voile bleu, comme une vestale, ou une novice.
+
+Il y a ici un nouveau livre, intitul, _Mmoires d'un Homme de qualit,
+retir du monde._ Il ne vaut pas grand'chose; cependant on en lit 190
+pages, en fondant en larmes. A peine le chevalier a t arriv
+Prigueux, o il comptoit passer quelques mois, qu'il a t oblig de
+repartir, et de revenir ici. J'avoue que je fus surprise bien
+agrablement, quand je le vis hier entrer dans ma chambre; j'ignorois
+son retour. Quel bonheur, si je pouvois l'aimer, sans me le reprocher!
+Mais, hlas! je ne serai jamais assez heureuse pour cela. Je finis cette
+longue ptre, qui pourroit la fin vous fatiguer. Adieu, Madame;
+excusez et plaignez votre pauvre _Ass_.
+
+
+
+
+LETTRE X.
+
+Paris, 1727.
+
+
+Monsieur _d'Argental_ est arriv, il y a deux jours; il est extrmement
+marqu de la petite vrole, sur-tout le nez qui, force d'tre coutur,
+est devenu petit, chancr et faonn. Ses yeux, ses sourcils, ses
+paupires n'ont point t gts; par consquent, sa physionomie est
+toujours la mme; il est fort engraiss et fort rouge. Nous avons t
+si aises de le voir, que nous l'avons reu comme si c'toit l'amour. On
+peut dire de lui que ce n'est pas un beau garon, mais c'est assurment
+un aimable caractre: il est gnralement aim et estim; tous ceux qui
+le connoissent en font des loges bien flatteurs pour lui, et pour ceux
+qui s'y intressent. Vous savez, Madame, que cette russite n'est pas
+capable de le gter. Je voudrois que M. _de Caze_ le connt; srement il
+l'aimeroit: on nous a bien alarms sur la sant de ce dernier. M. _de
+Saint-Pierre_ nous avoit mand qu'il toit trs-mal; Dieu merci, ce
+n'est qu'une fausse alarme, il se porte bien. Le pathtique M.
+Jean-Louis _Favre_ m'avoit fait pleurer, en faisant l'numration des
+qualits de M. _de Caze_, la perte que faisoient ses parens et ses amis;
+en un mot, s'il avoit t romain, il l'auroit mis parmi les dieux.
+Dites-lui, je vous prie, quand il voudra prendre place parmi eux, que ce
+soit le plus tard qu'il pourra, et mme qu'il fasse quelques mauvaises
+actions, pour qu'on ne le regrette pas.
+
+Notre voyage de Pont-de-Vesle est toujours trs-incertain; cela est
+insupportable. Madame _de Ferriol_ continue tre d'une pesanteur
+alarmer; il faudroit qu'elle prt les eaux de Bourbon. Son fils et moi,
+nous le lui avons reprsent avec un ton d'attachement et d'amiti qui
+mritoit, de sa part, un peu de complaisance; elle est d'une opinitret
+et d'une duret mettre en fureur. N'en parlons plus. Je suis
+actuellement, que je vous cris, sur votre fauteuil; il n'y a que mes
+favoris qui je permette de s'y asseoir. M. _Bertie_ quelquefois usurpe
+cette place; mais je ne le trouve pas bon.
+
+Madame la duchesse _de Fitz-james_ pouse M. le duc _d'Aumont_; il a
+dix-huit ans, elle vingt; ce mariage est trs-convenable et fort
+approuv. Elle a eu toutes les peines du monde renoncer la libert
+dont elle jouissoit; mais il a 50,000 cus de rente, elle 25,000 livres;
+la mdiocrit de son revenu et sa jeunesse l'ont dtermine; elle m'a
+fait l'honneur de me demander mon avis, ne voulant pas se dcider, avant
+que je lui disse ce que je pensois: la noce se fera incessamment. Quand
+on le dit sa soeur, qui a quatorze ans, elle rpondit qu'elle auroit
+mieux aim que ce ft elle qui se marit, mais que, ds que les choses
+toient arranges, elle n'toit point fche que ce ft sa soeur. La
+reine est grosse. On ne parle que de guerre; les officiers partent, dont
+ils sont bien fchs. Monsieur et mademoiselle _d'Uxelles_ ont fait
+avoir un guidon de gendarmerie M. _Clmence_, frre de M. _de La
+Marche_. Je veux parler politique. On dit ici que les Espagnols
+prendront Gibraltar, que l'Empereur offre de suspendre, pour deux ans,
+la compagnie d'Ostende, et que les Anglois veulent que ce soit trois
+ans. On est en ngociation pour cela; je juge que nous sommes les
+mdiateurs. Les Anglois ont une grande animosit contre l'Empereur et
+les Espagnols. On prtend que la marchale _d'Uxelles_ est cause que
+nous ne faisons pas la guerre. L'indcision o l'on est, ruine; les avis
+tant si partags dans les conseils, qu'on a t oblig de tenir tout
+prt, pour n'tre pas pris au dpourvu; les officiers en sont ruins, et
+nos rentes retranches: nous pouvons dire comme l'opra:
+_l'incertitude est un rigoureux tourment_. _D'Argental_ vous assure de
+ses respects, et vous envoie cette lettre du marquis _de Saint-Aulaire_,
+au cardinal. Elle nous a paru belle.
+
+
+_Lettre du marquis_ DE SAINT-AULAIRE, _au cardinal_ DE FLEURY.
+
+Voici la conjoncture la plus digne d'occuper une intelligence du
+premier ordre; il n'est point de puissance en Europe, qui ne dsire le
+secours de votre minence, pour la conservation de ses droits, ou
+l'tablissement de ses prtentions Le beau rle que vous allez faire
+jouer notre aimable monarque! Qu'il est heureux d'avoir un aussi bon
+guide dans le chemin de la vraie gloire! Celle de conqurir le monde ne
+vaut pas celle de le pacifier. Celle-l peut se faire craindre de
+quelques-uns, celle-ci est sre de se faire aimer de tous: son ambition
+ne sera pas borne subjuguer quelques nouveaux sujets aux dpens des
+anciens; ses plus ardens dsirs seront de contribuer au repos de ses
+amis; c'est dans le repos gnral qu'il cherche le bien. On va voir si
+l'amour de la justice, la candeur, la modration, la fidlit sa
+parole, n'ont pas un succs aussi heureux, que les ruses et les
+artifices de l'ancienne politique. Mais en instruisant le roi de ses
+intrts, n'oubliez pas le plus important, c'est de vous conserver. Je
+tremble, quand je songe au chaos que vous avez dbrouiller, la
+quantit d'intrts que vous avez concilier. Il est d'autres craintes
+que les plus heureux succs ne feroient qu'augmenter. Puis-je esprer de
+retrouver en vous cette douce urbanit qui nous enchante? Quelle
+modestie pourroit tenir contre la gloire qui vous menace?
+
+On a fait une promotion d'officiers de marine, qui a t peu nombreuse;
+elle a fait une quantit de mcontens. M. le chevalier _de Caylus_, qui
+toit colonel rform, a t fait, de plein saut, capitaine de vaisseau;
+il passe sur le ventre de mille officiers, qui ont cinquante annes de
+service, qui ont la plupart une grande naissance, et de fort belles
+actions; et les officiers rforms, pour lesquels on a beaucoup de
+duret, demandent ce qu'a fait le chevalier _de Caylus_ pour tre si
+favoris. Tous les marins se plaignent, et le public trouve fort trange
+que le fils de madame la comtesse _de Toulouse_ soit garde-marine,
+pendant que M. _de Caylus_ est capitaine de vaisseau. Madame _de
+Montmartel_ est accouche Brisach, d'un garon: son pre et son mari
+sont toujours en exil, et _du Verney_ la Bastille; on ne trouve rien
+pour le retenir, ainsi il sortira bientt.
+
+Le beau _de la Mothe-Houdancourt_, recherch des plus belles et des
+plus riches dames de la cour, a donn cong madame la duchesse _de
+Duras_, pour la _Entie_, actrice de l'opra, dont il est fou; il ne la
+quitte point, et on les prie souper comme mari et femme. On dit que
+c'est charmant de voir l'tonnement de la _Entie_, l'enthousiasme de _la
+Mothe_; il n'y a jamais eu une passion aussi violente et aussi
+rciproque: le rle de _Crs_ a fait natre cette passion. Les
+spectacles sont cesss, et les concerts spirituels sont fort courus. La
+_Entie_ et la _Le Maure_, y chantent enlever.
+
+Il n'y a plus moyen d'excuser madame _de Parabre_; M. _d'Alincourt_ est
+tabli chez elle. Elle a toujours beaucoup d'empressement pour moi. J'ai
+du got, je l'avoue, pour elle: elle est aimable; mais je la vois
+beaucoup moins, et sur-tout en public. Soyez persuade de ce que je vous
+dis, Madame; elle n'est assurment pas excusable d'avoir repris un autre
+amant, mais bien d'avoir quitt celui qu'elle avoit. Il lui a mang plus
+d'un million, et, dans sa rupture, tous les vilains procds; et de sa
+part tous les plus nobles et les plus gnreux. M. et madame _de
+Ferriol_ entrent, dans ce moment, dans ma chambre, et me chargent de
+mille complimens pour vous. Le premier a pris un trs-grand intrt au
+retranchement de vos rentes viagres. C'est beaucoup pour lui; car il
+n'a pas le coeur bien tendre. Pour M. _de Pont-de-Vesle_, vous savez
+l'estime et l'attachement qu'il a pour vous. Nous parlons cent fois de
+vous ensemble.
+
+Je pars pour la chasse dans ce moment. Vous me demandez des nouvelles de
+mon coeur: il est parfaitement content, Madame, une chose prs que des
+difficults qui me paroissent insurmontables, empchent. Mais Dieu est
+le matre de tout: j'espre en lui; l'attachement, la considration et
+la tendresse sont plus forts que jamais; et l'estime et la
+reconnoissance de ma part; quelque chose de plus, si j'ose le dire.
+Hlas! je suis telle que vous m'ayez laisse, bourrele de cette ide
+que vous savez, que vous avez dveloppe chez moi. Je n'ai pas le
+courage d'en avoir: ma raison, vos conseils, la grce, sont bien moins
+agissans que ma passion. Le bruit a couru que je sortois de cette
+maison, et que je cherchois un appartement. Le chevalier en fut chagrin,
+mais sans humiliation. Ce qui donna lieu ce bruit, c'est que j'tois
+alle voir plusieurs maisons pour madame _du Deffant_. La petite
+personne[180] seroit bien heureuse, si elle savoit les bonts que vous
+avez pour elle. On dit qu'elle continue tre aimable pour le caractre
+et la figure. Je ne sais si j'oserai y aller cette anne; ma bourse me
+prive de tout. Si j'avois seulement cent pistoles, j'irois l'embrasser,
+et vous baiser les mains Genve. Que ma joie seroit grande! Mais, mon
+Dieu, je ne serai pas assez heureuse! Adieu, Madame: que n'tes-vous
+Paris!
+
+
+
+
+LETTRE XI.
+
+Paris, 1727.
+
+
+J'ai vu, ce matin, M. _Tronchin_[181], Madame, qui m'a appris le
+testament de ce pauvre _de Martine_[182]. Vous jugez avec quelle joie
+j'ai su qu'il vous laissoit une marque de souvenir, aussi bien qu'
+mademoiselle votre fille; il est mort comme il a vcu, avec amiti et
+gnrosit pour ses amis. Son ami en a us en honnte homme avec les
+parens du dfunt. Je ne sais pas s'ils seront contens; mais ce qu'il y a
+de trs-sr, c'est que c'est lui qu'ils doivent ce que M. _de Martine_
+leur donne. Il n'toit point content d'eux; il ne leur devoit rien,
+puisqu'il n'avoit rien eu de patrimoine, et que c'toit sa bonne
+conduite et ses talens qu'il devoit sa fortune. M. _Tencin_ lui avoit
+rendu des services; il toit son ami. Est-il rien de plus juste que de
+faire du bien ce que l'on aime, quand on est en tat de le pouvoir
+faire? J'ai vu beaucoup de gens qui disent que M. _Tronchin_ toit un
+sot, de ne pas profiter entirement de la bonne volont de son ami. Mais
+il pensoit avec plus de dlicatesse; il a engag M. _de Martine_
+donner sa famille: ce qu'il n'auroit srement pas fait, je le rpte,
+sans lui. Il est mort g de 78 ans; je le croyois plus vieux. Il a
+trait trs-bien ses cousines; il a donn une anne de gages ses
+domestiques: il me semble que ce n'est pas assez.
+
+Nous reparlons de Pont-de-Vesle plus que jamais, et mme l'on assure que
+l'on y passera l'hiver. Si cela toit, quelqu'ennui que j'aurois d'tre
+si long-temps absente, si je vous voyois, je serois contente, et
+prendrois mes peines avec joie. Je n'assure rien; car la volont de
+madame _de Ferriol_ est comme une mer agite. Je voudrois bien tre
+cette campagne o vous vivez avec tant d'innocence, de puret et de
+contentement: je n'ai cru y tre que pour me dsesprer de n'y tre pas.
+Je voudrois que vous eussiez une petite mnagerie. Quand j'y serai,
+srement je vous en ferai faire une; rien n'est plus amusant. Ne
+jouez-vous plus au quadrille? Pour moi, je l'ai absolument abandonn.
+J'ai pass quatre jours la campagne; je m'y suis baigne; c'toit
+justement les jours les plus chauds. Avez-vous une rivire prs de votre
+campagne?
+
+Nous n'avons point de nouvelles, sinon la grossesse de madame _de
+Toulouse_, et le bon mot du roi sur l'histoire d'Henri IV, qu'il vient
+de lire. On lui a demand son sentiment l-dessus; il a rpondu que ce
+qui lui avoit plu davantage dans la vie d'Henri, c'toit son amour pour
+son peuple. Dieu veuille qu'il le pense et qu'il le suive! L'argent est
+encore bien rare; mais une chose qui l'est furieusement, et que vous
+n'avez jamais vue, c'est que le premier ministre est fort approuv.
+C'est le plus honnte homme du monde, qui est certainement occup du
+bien de l'tat. Enfin, nous avons un premier ministre estimable,
+dsintress, et dont l'ambition n'est que de remettre les affaires en
+ordre. Les premiers moyens ont t durs; mais la suite fait bien voir
+qu'il n'a pas pu faire autrement. Il a vaqu un gouvernement: la ville
+payoit 6,000 livres d'augmentation, qu'il a retranches; et, l'avenir,
+il n'y en aura plus de nouvelles, il remettra les choses sur l'ancien
+pied. Il a t le cinquantime, et a remis deux millions cent mille
+livres sur les tailles. Tout cela prouve un ministre qui veut rendre les
+peuples heureux. Dieu veuille qu'il vive assez long-temps pour mettre
+excution ses bonnes intentions! Je ne lui trouve qu'un dfaut, c'est de
+vous avoir retranch vos rentes viagres. Vous n'avez partag que le mal
+qu'il a fait, et vous ne pouvez jouir du bien; mais c'est votre
+malheureuse destine: ne cessera-t-elle jamais de vous perscuter?
+
+_Proserpine_ ne russit pas: on trouve cet opra beau, mais trop triste;
+on ne le jouera pas long-temps. On joue deux fois la semaine les
+_lmens_, et deux fois _Proserpine_. La _Pellissier_ est gurie; elle
+toit devenue folle, les uns disent de sa prodigieuse russite, les
+autres de ce qu'on l'avoit souponne de galanterie, faisant profession
+d'tre sage. Nous avons une pice la Comdie franoise, intitule le
+_Philosophe mari_, qui est trs-jolie, et qui a eu une russite
+prodigieuse: toutes les loges sont loues pour la onzime
+reprsentation. L'auteur est _Destouches_. On dit que c'est sa propre
+histoire: aussitt qu'on l'imprimera, je vous l'enverrai. On trouve que
+_Quinault_ joue bien: pour moi je ne suis pas de cet avis. Imaginez voir
+M. _Bertie_, conseiller au parlement; mme attitude, mmes gestes; en un
+mot, il n'y a de diffrence que la voix qui est plus forte. Mademoiselle
+votre fille se seroit prise d'aversion pour le _Philosophe mari_. On
+est ici dans la fureur de la mode pour dcouper des estampes enlumines,
+tout comme vous avez vu que l'on a t pour le bilboquet. Tous
+dcoupent, depuis le plus grand jusqu'au plus petit. On applique ces
+dcoupures sur des cartons, et puis on met un vernis l-dessus. On fait
+des tapisseries, des paravents, des crans. Il y a des livres d'estampes
+qui cotent jusqu' 200 livres, et des femmes qui ont la folie de
+dcouper des estampes de 100 livres pice. Si cela continue, ils
+dcouperont des _Raphal_. Je suis dj vieille: les modes ne prennent
+plus subitement sur moi. Adieu, Madame, permettez que j'embrasse M.
+votre mari et mademoiselle votre fille. Je suis lasse d'crire tant de
+nouvelles qui sont indiffrentes toutes deux.
+
+Je vous envoie une lettre du marquis _de la Rivire_ mademoiselle _des
+Houlires_, et la rponse. On a trouv l'une et l'autre trs-jolies.
+
+
+_Lettre du marquis_ DE LA RIVIRE, _ mademoiselle_ DES HOULIRES.
+
+ Fille d'une aigle, aigle vous-mme,
+ Qui n'avez point dgnr,
+ Dont partout le mrite extrme
+ Est si justement rvr,
+ Qu'on s'honore, quand on vous aime!
+ Aimable interprete des Dieux,
+ Qui parlez si bien leur langage,
+ Et qui portez dans vos beaux yeux
+ Et leur douceur et leur image,
+ Recevez ce petit hommage
+ Que je vous offre tous les ans;
+ C'est un tribut de sentimens
+ Qui ne convient pas mon ge;
+ Les biensances me l'ont dit,
+ Les amours et les vers sont faits pour la jeunesse;
+ Mais le feu de mon coeur qui soutient mon esprit,
+ Amuse et trompe ma vieillesse.
+ Faites-moi seulement crdit
+ D'agrmens et de gentillesse;
+ Contentez-vous du fonds de ma tendresse;
+ Il en est de ce que je sens,
+ Comme des tableaux d'un grand matre,
+ Dont la beaut ne fait que crotre,
+ Et redoubler de force la longueur du temps.
+ Votre vertu n'est pas commune,
+ Vous aimez faire du bien;
+ Donnez mes yeux la fortune,
+ Il ne vous manquera plus rien.
+
+
+_Rponse de mademoiselle_ DES HOULIRES.
+
+ Demeurez dans votre hermitage;
+ Je crains ce dangereux hommage;
+ Qu'avec soin vous m'offrez ici:
+ Pour la tendresse, il n'est point d'ge,
+ Vous le sentez, et je le sens,
+ Ceci n'est point un badinage:
+ Vous de retour, nos coeurs sympathisans,
+ L'homme prudent, la fille sage,
+ Tous peut-tre feroient naufrage.
+ Demeurez dans votre hermitage.
+
+ Le tratre amour qui vous engage,
+ Ne doit pas tre mpris;
+ Avec lui naturalis,
+ Les belles de son apanage
+ Vous ont, dans tous les temps, si bien favoris,
+ Que tout de vous me fait ombrage.
+ Demeurez dans votre hermitage.
+
+ Vous parlez un certain langage
+ Qui porte au coeur, qui fait penser,
+ Et qui semble tre un sr prsage,
+ Que de ses traits, le dieu volage
+ Est prt encore me blesser.
+ Demeurez dans votre hermitage.
+
+ Ah! s'il avoit eu l'avantage,
+ Du sjour de l'heureuse paix,
+ Que penseroit dame dont les attraits
+ Auroient soumis le coeur le plus sauvage:
+ Dame dont les beaux vers ne priront jamais,
+ Et dont le nom est tout mon hritage?
+ Car vous savez que pas un de ses traits,
+ Ne gt en mes crits, non plus qu'en mon visage,
+ Et que je n'ai, pour tout partage,
+ Que les yeux doux qu'elle m'a faits,
+ Pour ne les point mettre en usage.
+ Demeurez dans votre hermitage.
+
+
+
+
+
+LETTRE XII.
+
+Paris, 1726.
+
+
+La fortune est aveugle, et n'aime que les vilains. Si elle m'avoit donn
+les cent mille cus qu'elle prodigue madame votre cousine, j'aurois
+fait un meilleur usage qu'elle de ce bien. Que de plaisirs je me
+procurerois! Vous seriez ici, Madame, avec M. votre mari et mademoiselle
+votre fille; je vous verrois heureux, et ce seroit par mon moyen; et
+comme je sais les liens[183] qui vous retiennent Genve, je ferois
+faire une litire bien ferme, bien toffe, bien commode; j'y mettrois
+qui vous savez. Je l'amenerois ici, je lui procurerois des plaisirs qui
+lui feroient oublier le pays natal. Nous rassemblerions les gens
+clbres de toute espce, de tous talens pour le divertir: s'il falloit
+mme quelques jolis visages, je ferois l'effort de lui en chercher.
+Voil un vilain mtier; _mais quand on obtient ce qu'on aime, qu'importe
+ quel prix?_ Voil ce que je ferois du bien de madame votre cousine.
+Pour parler d'autre chose, M. le duc _de Gesvres_ est malade, il fait de
+trs-grands remdes. Il est St.-Ouen, o toute la France va le voir;
+il est dans son lit, garni de rubans et de dentelles, les rideaux sont
+relevs, des fleurs rpandues sur son lit, des dcoupures d'un ct, des
+noeuds de l'autre; et dans cet quipage il reoit tout le monde. Vingt
+courtisans entourent son lit; et son pre et son frre font les honneurs
+ la grande compagnie. Il y a toujours deux tables de vingt couverts
+chacune, et quelquefois trois: M. _d'pernon_ y est demeure. On a
+tabli des habits verts pour les complaisans, c'est--dire, qu'avec
+habit, bas, souliers, chapeaux verts, on peut avoir toujours les plus
+familires entres chez M. le duc: il y a une trentaine d'habits verts
+de distribus. Le roi a dit sur cela, qu'il n'y avoit qu' changer les
+justaucorps en robes de chambre, que l'habillement d'ailleurs seroit
+plus commode, ne se portant pas trop bien tous, et qu'ils seroient
+prcisment comme la Charit, o ils sont habills de vert. Il y a
+quelques jours qu'une personne de ma connoissance y alla, et trouva le
+matre de la maison sur une duchesse d'toffe verte, la robe de chambre
+verte, un couvre-pied d'une broderie admirable en vert, un chapeau gris
+bord de vert, avec le plumet vert, et un gros bouquet de rue sur lui,
+faisant des noeuds. Le duc _d'pernon_ s'est pris de fantaisie pour la
+chirurgie, il saigne et trpane tout ce qu'il rencontre. Un cocher
+l'autre jour se cassa la tte, il le trpana. Je ne sais s'il auroit pu
+rchapper; mais ce qu'il y a de sr, c'est que le pauvre homme fut
+bientt expdi avec un pareil chirurgien. Ce n'est pas tout: ils ont
+voulu se procurer des ftes champtres; et M. le duc _de Gesvres_ a dot
+une fille. M. _d'pernon_ souhaita de saigner le mari la nuit de ses
+noces: ce pauvre misrable ne le vouloit point; et pour obtenir de lui
+de se laisser saigner, M. le duc _de Gesvres_ lui donna cent cus.
+Voil, Madame, ce qui se passe sous nos yeux, la face de tout
+l'univers, et sous un gouvernement trs-svre. Cependant on ne peut pas
+dire que les deux chefs ne soient trs-sages, et mme pieux. Il n'est
+pas possible que l'on ignore toujours ces vilenies; et tout ce qu'il y a
+de plus grand, de plus raisonnable, fait la cour assidument ce
+monstre; et, pour excuser leurs bassesses, ils disent que cet homme est
+officieux et pense noblement. Ceux qui sont bien instruits, savent qu'il
+dessert bien mieux qu'il ne sert, et qu'il est gnreux du bien de ses
+cranciers, et de l'argent d'un jeu qui est une chose ridicule dans un
+royaume. Ma bile s'chauffe; je vous en demande pardon. Pour la cour,
+elle est trs-difiante: on ne donne point de scne au public.
+
+Voulez-vous cependant que je vous parle des gens de votre connoissance?
+M. _de Ferriol_ est toujours le meilleur homme du monde; sa sant est de
+mme, ses affaires aussi: dans une indiffrence parfaite; mais il n'est
+point indiffrent sur les Molinistes; il est d'un zle outr pour eux.
+C'est avec fureur qu'il est passionn sur ce sujet. Il se met dans de
+grands emportemens, quand il trouve quelqu'un qui ne pense pas comme
+lui. Il est occup de cela, au point de n'en pas dormir. Il sort huit
+heures du matin, pour faire part de ses rflexions, ou de quelques riens
+qu'il aura ramasss; c'est faire mourir de rire. Pour madame _de
+Ferriol_, sur cet article, elle est trs-raisonnable, elle n'en parle
+que trs-convenablement; mais, d'ailleurs, toujours les mmes
+agitations. Elle est comme vous l'avez laisse, la pesanteur prs, qui
+a beaucoup augment: les mmes incertitudes, et ne pouvant souffrir que
+les autres sachent se dterminer: le petit chien par-dessus tout, qui
+s'enfuit, quand elle l'appelle, et son vieux laquais, qui est toujours
+insolent et de mauvaise humeur, et qui la traite comme une misrable,
+jusqu' lui dire qu'elle ne sait ce qu'elle dit ni ce qu'elle fait. Je
+suis prte lui jeter un chenet la tte, et elle souffre ses
+impertinences avec une patience impatienter. Je crois, je vous jure,
+qu'il me battroit, s'il ne me craignoit pas. Pour les autres
+domestiques, ils sont trs-mcontens d'tre toujours gronds; mais ils
+ont pour elle le respect qu'ils lui doivent, et c'est la raison pourquoi
+elle est toujours aprs eux. Ils pleurent souvent, et je les console de
+mon mieux. Pour ses enfans, c'est toujours de mme. On ne se plaint
+jamais de l'un[184]; il fait tout ce qu'il veut. Sa sant est dlicate.
+C'est un trs-bon garon, qui a de l'esprit et de la finesse dans
+l'esprit, qui est aim et qui mrite de l'tre. _D'Argental_ est fort
+occup; il fait son mtier avec application. Il est, tout le matin, au
+palais; il travaille aprs dner, jusqu' cinq heures. Les spectacles
+sont ses plus grands amusemens. Il n'est pas, je crois, amoureux, et
+pense plus en homme qui connot le monde, qu'il ne le faisoit. Il est
+toujours poli avec les femmes, et point du tout gt dans les propos. M.
+et madame _Knight_ ont la fivre tour tour. La femme, ce que je
+crois, aime mieux le mariage que son mari[185]. Elle est trs-enfant
+gt; elle n'aime pas tre contrarie. Tout ce mariage-l n'a pas
+l'air de durer long-temps. Elle pleure souvent; et, comme son mari est
+encore amoureux, elle a toujours raison. J'ai bien peur qu'elle ne lui
+donne du fil retordre. N'allez pas dire ce que je vous dis-l; mais
+madame votre soeur a eu grand tort de gter sa fille. Elle en auroit fait
+quelque chose de bon, si elle lui avoit donn une bonne ducation; mais
+elle l'a rendue insupportable; elle ne connot que sa volont et ses
+gots; et, quand quelque chose s'y oppose, le mpris et la draison
+s'emparent absolument d'elle. En vrit, c'est dommage; car elle toit
+faite pour tre aimable.
+
+Madame _de Tencin_ a de temps en temps la fivre. On dit pourtant
+qu'elle est fort engraisse. Je continue ne la point voir, et je crois
+que ce sera pour la vie, moins que l'archevque[186], son retour, ne
+le veuille. Je suis pourtant bien rsolue tenir bon. C'est une grande
+satisfaction pour moi de n'avoir point ce devoir pnible remplir, et
+d'ailleurs plus de tracasseries; car il y en a toujours, quand on se
+voit et qu'on se dteste. Je ne vois plus M. _Bertie_[187]. A la vrit,
+je suis rarement au logis: il s'est rebut d'y venir inutilement. Nous
+allons passer une partie de ce mois Ablons. Je suis accable de
+rhumatismes et de fluxions, et suis dsespre que vous ne voyiez point
+ma chambre. Vous ne la reconnotriez pas; elle est si jolie, et de plus
+orne, pour ce que c'est, car il n'y a rien de magnifique que la jatte
+que vous m'avez donne. _La Msangres_, qui vint l'autre jour, me dit:
+Vous avez de bien belles porcelaines, et entr'autres cette jatte. Mes
+meubles sont tous des plus simples, mais faits par les meilleurs
+ouvriers. On la vient voir par curiosit. J'ai bien envie, votre
+exemple, de gronder ceux qui y crachent. Voil une grande et ennuyeuse
+lettre. Recevez mes plus tendres embrassemens.
+
+
+
+
+LETTRE XIII.
+
+Paris, 13 aot 1743.
+
+
+Madame votre fille, Madame, m'a dit le risque que vous aviez couru, qui
+m'a effraye, comme si j'en avois t tmoin. L'effroi ne vous a-t-il
+point fait de mal? Comment vous portez-vous? Faites-moi la grce de
+m'crire. Madame votre fille, madame _Knight_, et moi, nous parlons
+souvent de vous; vous savez qu'elles me sont chres. J'avois pens avec
+_Cabanne_[188] trouver quelques moyens de rendre la situation de votre
+fille plus aise; mais je n'ai jamais vu plus de dlicatesse, plus de
+dsintressement, plus de douceur, plus d'opinitret et plus de
+sentimens: elle est d'une vertu si outre, qu'elle est impatienter: je
+la trouvai si draisonnable, en mme temps si estimable, que
+l'admiration et la colre s'emparrent de moi, et que je ne pus ni
+gronder, ni louer.
+
+J'aurois t bien surprise, si vous aviez t quelques mois sans
+nouveaux chagrins. J'ai aussi t trs-afflige de la mort de M. _de
+Villars_[189]. M. son fils fait une trs-grande perte, d'autant plus
+qu'il la sent: il est parti sans que je l'aie vu; je n'en suis point
+trop fche; car je me serois srement beaucoup attendrie avec lui.
+Pouvez-vous dire, Madame, que le dtail de vos peines m'ennuie?
+Oubliez-vous le tendre intrt que je prends tout ce qui vous regarde?
+vos malheurs me dsesprent, et ne m'ennuient point: je suis persuade
+que le rcit que vous m'en faites, vous fait du bien. Maintenant, il est
+temps que je vous parle du changement arriv ma fortune. Je tremble
+de rveiller une chose qui renouvellera quelques-uns de vos malheurs.
+Mes rentes viagres avoient t cruellement retranches. Je vous ai
+envoy la lettre que j'crivis au cardinal[190]; je ne me flattois pas
+que l'on y et gard, mais je ne voulois avoir rien me reprocher. Je
+promis ma pauvre Sophie, qui j'avois mis une rente viagre de 300
+liv. sur la tte, et qui avoit t rduite 100 liv., que si on lui
+rendoit quelque chose, je lui remettrois son contrat, dont je devois,
+comme vous savez, avoir la jouissance. On lui a rendu 150 liv.: elle ne
+vouloit absolument point profiter de ce que je lui ai dit, et par son
+accommodement, je ne lui donnerai son contrat que dans deux ans; elle
+aime mieux que je paye mes dettes. Ce procd n'est-il pas gnreux de
+sa part? Je ne joue pas un beau rle dans cette pice. On m'a rendu 840
+liv.: je jouis actuellement de 2,740 liv. Ma satisfaction sur cet
+vnement a t bien trouble, en voyant la famille de M. _de Ferriol_
+oublie. On a rendu madame _de Tencin_ 300 liv.; c'est trs-peu de
+chose proportion de ses rentes. Elle est furieuse; cependant elle
+avoit pris toutes les prcautions imaginables; elle voyoit souvent M.
+_de Machault_; elle a crit plusieurs fois au cardinal, et a fait agir
+ses amis, qui sont puissans; elle comptoit sur le rtablissement de
+tout, comme si elle le tenoit: elle est de bien mauvaise humeur; ce
+qu'on dit, car je ne la vois point. Sa favorite, madame _Doigny_,
+commence tre dans la disgrce.
+
+Je ne vous parle point des conciles, car quoique ne sous les yeux du
+chef[191], je n'en ai jamais voulu entendre parler; cependant, si vous
+tes bien curieuse, je vous enverrai toutes les critures: en vrit, je
+ne vous conseille pas d'avoir cette curiosit, il vous en coteroit bien
+de l'ennui. A l'exception d'une lettre de deux vques qui est belle,
+tout le reste est pitoyable. Je vous renvoie ce que disoit Madame
+_Cornuel_, qu'_il n'y avoit point de hros pour les valets de chambre,
+et point de pres de l'glise pour les contemporains._ Ce que je vois,
+me donne de furieux doutes du pass. Ne parlons plus sur cette matire;
+j'ai dj assez dit de sottises.
+
+Les tracasseries de notre cour ne sont pas plus divertissantes. Les
+disputes sur l'alignement du roi et des princes, et les ricochets des
+ducs, n'ont produit que des mmoires dtestables; et pour nous autres,
+parterre, nous voulons, pour notre argent, qu'on nous divertisse. Les
+belles dames sont, ou se vantent d'tre dans la dvotion. Mesdames _de
+Gontey_, _d'Alincourt_, _de Villars_, mre et belle-fille, la marchale
+_d'Estres_, tout cela grimace la prude. Le roi est toujours sans
+matresse, M. le duc _du Maine_, fort ami du cardinal; ce dernier se
+porte trs-bien; il vivra assez long-temps pour instruire notre jeune
+monarque: la reine est grosse de trois mois. Les spectacles vont
+trs-mal. _Thevenard_ et la _Entie_ ont quitt l'opra, parce qu'ils ont
+eu ordre de laisser jouer _Chass_ et la _Pellissier_. Madame la
+duchesse de _Duras_ qui on a attribu cet ordre, a t vilipende sur
+l'escalier de l'opra. _Chass_ avoit trs-mal dbut; mais il fait
+mieux. Pour la _Pellissier_, elle fait horriblement mal dans ces opras.
+_Francine_ a quitt, et _Destouches_, comme je vous l'ai mand, aura la
+direction de l'opra. Nous reverrons alors la _Le Maure_. _Francine_ a
+15,000 liv. de pension, et, aprs sa mort, son fils en aura 8,000, et sa
+fille 6,000. Vous me demanderez pourquoi tant de libralits? Je vous
+rpondrai d'abord que ces pensions sont prises sur l'opra, et en second
+lieu, que _Francine_ a fait faire, ses dpens, une partie des belles
+dcorations, et qu'il les laisse. On a tabli un concert spirituel deux
+fois la semaine.
+
+Le frre de l'envoy _d'Alster_ s'est donn un coup de pistolet dans la
+tte, aprs avoir mis le feu dans trois endroits de la maison. Cette
+prcaution toit pour viter que l'on st que sa mort toit volontaire.
+
+L'envieuse miladi _Gersay_ est trs-souvent chez madame _Knight_: elle
+mange comme quatre louves, joue avec attention et avidit, ne dit pas
+quatre paroles, sans dfaonner sa bouche qui est toujours petite et
+plate. L'air et les paroles ne vont point ensemble; il semble que le
+miel sort de sa bouche, quand elle parle; mais c'est bien le fiel le
+plus croupi qu'il y ait au monde. Vous direz que je suis aussi mdisante
+qu'elle aujourd'hui.
+
+_Bertie_ me boude de ce que je ne suis pas ici quand il y vient:
+quelqu'aimable qu'il soit, il y a apparence que j'aurai souvent ce tort
+l avec lui. C'est un reste de ses chimres, prtentions d'amant; il
+voudroit que je fusse comme _Brnice_, passer les jours l'attendre,
+et les nuits pleurer. Je suis parvenue lui faire faire connoissance
+avec madame _du Deffant_; elle est belle, elle a beaucoup de grces; il
+la trouve aimable. J'espre qu'il commencera un roman avec elle, qui
+durera toute la vie. On a dput vers moi, croyant que j'avois encore
+quelque reste de crdit, pour obtenir de M. _Bertie_ de couper un pied
+de chaque ct de sa perruque. Je veux bien tenter cette grande affaire,
+mais j'y chouerai; car, Madame, c'est dans ces magnifiques noeuds que
+gt toute l'importance, la capacit et la grce de notre cher homme. Je
+ne me rebuterai pas, et lui en parlerai toutes les fois que je le
+verrai. A propos, (ou sans propos, car cela ne va point du tout la
+perruque de M. _Bertie_), madame votre cousine, ce qu'on dit, ne peut
+pouser ce Hollandois, sans perdre une partie du bien dont son mari lui
+donne la jouissance. C'est une vilaine clause, et bien scandaleuse en
+vrit; le dfunt avoit si bien fait les choses de son vivant, qu'il
+devoit bien continuer. Pour moi, si j'avois t de lui, pour me venger,
+je leur aurois donn mon bien aux conditions qu'ils se mariassent, et
+les aurois dshrits, en cas qu'ils ne le fissent pas. Le beau-frre
+tient des propos fort singuliers du dfunt son trs-cher frre.
+_D'Argental_ me prie de ne pas l'oublier auprs de vous. Nous sommes
+trs-amis; il est charmant, il est aim de tout le monde, et le mrite
+bien; il a tous les principes de droiture: l'ge confirme ses vertus.
+Adieu, Madame, je vais partir pour Ablons; ma sant se rtablit tout
+doucement; j'ai vieilli de dix ans; si vous me voyiez, vous me
+trouveriez bien change; mais d'honneur, cela ne me chagrine point du
+tout. Si toutes les femmes n'toient pas plus affliges de voir partir
+leurs charmes, que moi d'avoir perdu le peu que j'en avois, elles
+seroient bien heureuses.
+
+
+
+
+LETTRE XIV.
+
+Paris, juin 1727.
+
+
+Je viens, Madame, de recevoir votre lettre du 22 de ce mois. C'est un
+jour heureux pour moi, quand j'apprends par vous de vos nouvelles. Les
+assurances que vous me donnez de votre bont, me sont toujours et bien
+nouvelles et bien chres; et je dis de vos lettres ce que M. _de
+Fontenelle_ disoit d'une dame qui lui plaisoit, que le moment o il la
+voyoit, toit le moment prsent pour lui. Cette faon de s'exprimer a
+t fort critique; mais les gens grossiers ne connaissent qu'une
+jouissance dans ce monde; je les plains. Est-il un moment plus doux que
+celui o l'on reoit les assurances d'amiti d'une personne que l'on
+aime et qu'on estime parfaitement? Il y a bien des gens qui ignorent la
+satisfaction d'aimer avec assez de dlicatesse, pour prfrer le
+bonheur de ce que nous aimons au ntre propre. Remercions la providence
+de nous avoir donn un bon coeur, et vous, de la vertu dans les
+malheurs que vous avez essuys. Que seriez-vous devenue? Votre douceur,
+votre humanit, votre justice auroient t changes en dsespoir, en
+cruaut et en injustice. Quelque grands que soient les malheurs du
+hasard, ceux qu'on s'attire sont cent fois plus cruels. Trouvez-vous
+qu'une religieuse dfroque, qu'un cadet cardinal, soient heureux,
+combls de richesses[192]? Ils changeroient bien leur prtendu bonheur
+contre vos infortunes.
+
+Vous me demandez si M. _de Pont-de-Vesle_ est introducteur des
+ambassadeurs? Vous le sauriez avant ceux qui font la gazette. Il a t
+question de quelque chose; mais il falloit trouver se dfaire de sa
+charge avantageusement, et d'ailleurs sa sant est toujours fort
+dlicate; je crains qu' la fin nous ne le perdions. Je dis cela, le
+coeur serr; car c'est la plus grande perte que je puisse faire. C'est un
+homme qui a toutes les qualits les plus essentielles, beaucoup de
+mrite et d'esprit; ses procds mon gard sont d'un ange. Vous allez
+tre bien surprise. Depuis que M. _d'Argental_ est au monde, voici la
+premire fois que nous nous sommes querells, mais d'une faon si
+trange, qu'il y a quatre jours que nous ne nous parlons. Le sujet de la
+querelle vient de ce qu'il ne vouloit pas souper avec madame sa mre,
+qui revenoit de la campagne, o elle avoit t huit jours. Elle lui
+avoit fait dire par tout le monde qu'elle seroit Paris ce soir-l; et
+elle se plaignoit de ce qu'il n'avoit pas assez d'attentions pour elle.
+Je le lui dis; et nous nous chauffmes l-dessus. Je lui soutins que le
+devoir devoit l'emporter sur le plaisir. En un mot, je m'emportai, sans
+jamais oublier la tendresse et l'amiti que j'avois pour lui; et c'est
+cette amiti qui m'engagea lui parler avec cette sincrit. Il me
+rpondit avec une scheresse et une duret qui m'assommrent, comme si
+la foudre toit tombe sur moi. La femme de chambre de madame en fut
+tmoin. Il sortit de ma chambre: je restai un quart d'heure sans pouvoir
+parler, et je me mis fondre en larmes.
+
+M. _de Pont-de-Vesle_[193] entra, et me demanda de quoi je pleurois: je
+ne pus me rsoudre le lui conter. La femme de chambre le fit: il fut
+bien surpris. Madame ignore notre bouderie. Elle en seroit charme,
+parce qu'il y a quelques jours que j'eus une scne affreuse, parce que
+je le soutins contre les plaintes qu'elle m'en fit. Quand elle est
+arrive, mon premier soin a t de lui faire des excuses de la part de
+son fils, de ce qu'il ne se trouvoit pas la maison; que j'en tois
+cause, lui ayant dit qu'elle n'arriveroit que fort tard; et qu'il ne
+pouvoit se dispenser d'aller un souper o il s'toit engag depuis
+huit jours, sur-tout connaissant trs-peu les gens qui composoient cette
+partie. La femme de chambre se trouva derrire moi: je l'ignorois. Les
+larmes lui vinrent aux yeux d'tonnement et de joie. Elle me dit que je
+justifiois M. _d'Argental_, lorsque j'avois sujet de m'en plaindre.
+J'avois dit _Pont-de-Vesle_ que dornavant je n'aimerois plus que pour
+moi M. _d'Argental_, et qu'assurment je ne l'aimerois plus pour
+lui-mme. Concevez-vous, Madame, ma douleur? Au bout de vingt-sept ans,
+perdre un ami! Je le crois honteux de ce qui s'est pass. Il continue de
+me manquer, srement par cette raison. J'ai le coeur si gros, qu'il m'est
+impossible d'achever ma lettre: je la reprendrai quand je serai plus
+tranquille.
+
+
+Du 28 aot 1728.
+
+La bouderie a dur huit jours, et selon la rgle, celui qui a raison a
+fait les avances. Je bus sa sant, table, et je l'embrassai le
+lendemain, sans explication. Depuis ce temps-l, nous sommes fort bien
+ensemble. Vous direz qu'il y a une furieuse distance d'une date
+l'autre; mais j'ai eu des occupations qui m'ont empche de vous crire,
+mais non pas d'tre fort occupe de vous. Mademoiselle _Bideau_ n'a pas
+fait tout ce qu'elle m'avoit promis. Je n'en suis pas trop fche: je
+crains les trop grandes obligations. _Cabanne_ compte vous aller voir.
+Plt Dieu que je fusse aussi libre que lui! je serois actuellement
+auprs de vous. Mais quelque chose qui arrive, j'irai, quand mme je
+serois rduite demander l'aumne, pour aller voir tout ce que j'aime
+le mieux en vrit, sans exception.
+
+
+
+
+LETTRE XV.
+
+Paris, 10 juin 1723.
+
+
+On dit enfin que nous irons Pont-de-Vesle. Madame _de Ferriol_ a
+toutes les peines du monde s'y dterminer: tous les projets qu'elle
+avoit faits sont rompus. Premirement son mari avoit un procs qui
+devoit se juger incessamment, et il a t remis l'anne prochaine;
+ensuite elle a dit que jamais son mari ne voudroit venir avec elle, et
+que pendant son absence, il dpenseroit beaucoup. Il l'a assure qu'il
+l'accompagneroit, soit dans la diligence, soit dans une chaise de poste,
+tout comme elle le souhaiteroit. Ensuite elle a dit qu'elle ne vouloit
+point partir, qu'elle ne st si miladi _Bolingbrocke_ ne viendroit point
+cet t. Madame _Bolingbrocke_ lui a mand qu'elle ne comptoit venir
+qu'au commencement de l'hiver, et que si elle n'toit pas Paris, elle
+remettroit son voyage l't prochain. Enfin, il a fallu chercher
+quelqu'autre raison. Elle a dit qu'elle n'avoit point d'argent. M. son
+frre lui en a offert. La voil, comme vous voyez, _quia_. Elle a paru
+se rendre; mais elle veut, avant que de partir, prendre les eaux de
+Balaruc: elles ne sont pas arrives: ainsi cela renvoie. Je crois qu'il
+faudra qu' la fin elle se dcide. Tout le monde est excd de ses
+incertitudes. Le vrai de ses difficults, c'est qu'elle ne voudroit
+point quitter le marchal, qui ne s'en soucie point, et ne feroit pas un
+pas pour elle. Mais elle croit que cela lui donne de la considration
+dans le monde. Personne ne s'adresse elle pour demander des grces au
+vieux marchal. Elle est trs-souvent seule; ses affaires sont toujours
+trs-dlabres, elle ne paie point, elle ne fait aucune dpense, elle
+est d'une avarice et d'un drangement inconcevables. Je suis oblige de
+me rappeler cent fois le jour le respect que je lui dois. Rien n'est
+plus triste que de n'avoir pour faire son devoir, que la raison du
+devoir.
+
+Le chevalier est toujours malade; il m'a paru un peu moins oppress: je
+tremble de le quitter. Mais je dois accompagner madame _de Ferriol_ dans
+l'tat o elle est. Il faut absolument la dterminer prendre les eaux
+de Bourbon; et elle ne les prendra jamais, si elle ne va pas
+Pont-de-Vesle. Le devoir, l'amour, l'inquitude et l'amiti combattent
+sans cesse mon esprit et mon coeur: je suis dans une cruelle agitation;
+mon corps succombe; car je suis accable de vapeurs et de tristesse; et
+s'il arrive malheur cet homme-l; je sens que je ne pourrai supporter
+cet horrible chagrin. Il est plus attach moi que jamais; il
+m'encourage remplir mon devoir. Quelquefois je ne puis m'empcher de
+lui dire, que s'il toit plus mal, il me seroit impossible de le
+quitter; il me gronde, et il ne veut absolument point que j'imagine rien
+qui s'loigne de ce devoir: il m'assure qu'il n'y a rien dans le monde
+qui m'excust; si je restois ici, quand madame _de Ferriol_ va cent
+lieues: il ne l'aime point; mais il a ma rputation coeur. Pardonnez
+toutes ces foiblesses votre pauvre amie.
+
+J'avois laiss ma lettre; j'ai eu mille ennuis. Le chevalier est
+toujours trs-incommod. Je vous avoue que je suis dans de furieuses
+transes pour lui. Je crains qu' la fin la suppuration des poumons ne se
+fasse; je n'ose faire des rflexions sur cela, et je n'ose mme en
+parler; mais mille ides funestes me suivent sans cesse malgr moi: rien
+ne me console. Je n'ai personne qui je puisse ouvrir mon coeur. Quel
+malheur pour moi que votre absence! Si je vous avois, vous me
+soutiendriez; vous me donneriez des forces; et peut-tre vos conseils,
+mes remords, et l'amiti que j'ai pour vous, Madame, me donneroient
+assez de courage pour surmonter une passion que ma raison n'a pu
+vaincre, mais qu'elle condamne.
+
+Madame _de Tencin_ a toujours la fivre; elle a t 15 jours sans en
+avoir; elle se croyoit gurie, et avoit pris le ton de se plaindre de
+tout le monde, et sur-tout du chevalier, mais d'une faon si violente
+que madame _de Lambert_, qui elle en parla, le dit au chevalier, qui
+la pria de dire madame _de Tencin_ que jamais il n'avoit parl d'elle,
+que rien n'toit plus faux, qu'il n'toit point de ceux qui accablent
+les malheureux, et que, comme il ne la connoissoit point, il auroit t
+dans le droit du public, pour causer sur l'aventure _de La
+Fresnaye_[194], mais qu'il ne l'avoit pas fait, en partie par gard pour
+madame sa soeur et pour moi. Madame _de Tencin_ dit madame _de Ferriol_
+qu'il toit fort singulier qu'tant chez elle, je ne vinsse pas savoir
+de ses nouvelles, et qu'elle ne m'avoit vue qu'une fois depuis six mois;
+qu'elle me dispensoit trs-fort d'y venir; qu'elle ne me laisseroit
+entrer que quand je serois avec elle; mais que si je venois seule, elle
+avoit donn ses ordres, pour que l'on me refust sa porte. Je me le suis
+tenu pour dit, et je ne m'exposerai pas m'entendre dire mille injures.
+Je m'en soucie si peu, que je bnis ce noble courroux contre moi. Je
+n'irai point Pont-de-Vesle: madame dit qu'elle veut y aller pour trois
+semaines seulement, pour rgler quelques affaires. J'en suis fche
+cause de vous. J'aurois eu le plaisir de vous embrasser, et j'aurois
+vendu jusqu' ma dernire chemise pour cela; srement je vous verrai tt
+ou tard. Madame radote plus que jamais; elle vient de prendre les eaux
+de Balaruc: on lui a fait une ample saigne. Je crains infiniment pour
+elle. Ses radotages m'impatientent, car ils sont extrmes; mais quand je
+fais un moment de rflexion, ma reconnoissance se rveille bien
+vivement. Je suis entoure de chagrins, et je ne vous ai plus pour me
+consoler. Le chevalier est toujours trs-incommod, et il est d'un
+changement horrible. Vous jugez de mon inquitude: son attachement est
+toujours plus fort. A propos, j'ai fait deux grandes pertes: une bague
+que je vous avois destine, en cas de mort: c'toit un petit cachet avec
+un jonc de diamant que j'aime beaucoup; et l'autre perte, c'est mon
+chien, ce pauvre _Patie_, qui vous aviez donn une loge. On me l'a
+vol; il toit toujours la porte pour attendre les gens du chevalier
+qu'il aime passionnment. Je ne puis vous dire le chagrin que j'ai eu de
+la perte de ce joli animal. Je souhaite bien me mettre dans la suite
+hors de l'inquitude de devoir qui me bourrelle sans cesse. J'ai essuy
+un petit malheur; j'avois vendu mes boucles de diamans 1,800 livres pour
+acheter trois actions que je voulois garder pour qui vous savez. Je ne
+doute point que le dividende ne ft fort; elles toient 650 livres.
+Comme j'tois prte les acheter, madame _de Ferriol_ eut besoin de
+mille francs. Je les lui prtai, comptant, comme elle me le disoit,
+qu'elle me les rendroit deux jours aprs. Il y a six mois, et les
+actions ont mont 1,150 livres; elles sont actuellement 1,000.
+Jugez, j'aurois gagn, en les vendant, mille cus, et aurois pay
+quelques-unes de mes dettes. Ainsi ma destination est vau-l'eau. Je
+paie quelques bagatelles avec les 600 livres qui me restent. Il faut se
+consoler des pertes de la fortune. Il y a des gens qui valent mieux que
+moi, qui sont bien plus plaindre. Cette consolation est cruelle, quand
+ces gens-l sont nos amis.
+
+M. _Bertie_ vous aime beaucoup; mais il a t si occup de la perte de
+madame _de M...._, qui toit sa bonne amie, et la plus impertinente de
+toutes les femmes, qu'il n'a pu se donner au reste de ses amis. Il est
+rempli de trs-bons procds l'gard de madame _de Ferriol_; il
+songeoit l'ambassade de Constantinople depuis long-temps, il n'toit
+point loign de l'avoir: quand il a su que M. _de Pont-de-Vesle_ y
+songeoit, sans le dire aucun de nous, il est all chez MM. _de
+Maurepas_ et _de Morville_, qui il a dit qu'il ne pensoit
+l'ambassade, qu'au cas que M. _de Pont-de-Vesle_ n'y penst pas, et que
+comme il venoit d'apprendre que son ami en avoit envie, il y renonoit,
+le croyant plus capable que lui; qu'il avoit beaucoup d'esprit, et de
+plus l'exprience de son oncle, dont la mmoire toit chre dans ce
+pays-l. Il est venu dner chez nous, et il nous a laiss ignorer son
+bon procd. M. _de Pont-de-Vesle_ l'a su de M. _de Maurepas_. Je
+partage bien la reconnoissance qu'on lui doit; mais cela ne passera
+jamais l'estime. Dites-le bien mademoiselle votre fille qui me
+soutenoit une fois que je l'aimerois un jour. Parlons un peu de M.
+_d'Argental_; c'est le plus joli garon du monde; ses yeux sont bien
+ouverts; il remplit tous les devoirs du sentiment; il n'est plus
+amoureux; il est tout ses amis; il est toujours constant pour les
+petits pts, et nous mourons de faim: la cuisine est si froide, que
+cela va de mal en pire: il n'y a plus rien retrancher de la premire
+table: car nous n'avons rien, non, rien du tout, on commence
+retrancher de celle des domestiques, et je ne doute pas que l'on ne
+vienne faire comme cet homme qui prtendoit que son cheval pouvoit
+vivre sans manger, et qui commena par diminuer la moiti de ce qu'il
+lui donnoit; quelques jours aprs, la moiti de l'autre moiti; et ainsi
+du reste: le pauvre animal creva; ainsi ferons-nous. Voil une bien
+grande lettre; vous aurez de la peine la dchiffrer: la tte me
+tourne; car je crois que sans cela, je remplirais encore bien des
+feuilles. Vous ne dites rien, Madame, _de Gulliver_. Mes respects
+vous, et tout ce qui vous appartient.
+
+
+
+
+LETTRE XVI.
+
+Paris, 1728.
+
+
+Il y a un sicle que vous ne m'avez fait l'honneur de m'crire.
+tes-vous si exacte avec vos amis, que de ne point leur crire qu'ils ne
+vous aient fait rponse? Je devois, Madame, vous remercier de la lettre
+que j'ai reue il y a un mois: j'avois commenc ma rponse, j'y voulois
+mettre plusieurs petites nouvelles; j'ai attendu des dnouemens, ils ont
+t si chargs d'evnemens que je n'ai plus su o j'en tois.
+D'ailleurs, madame _Bolingbrocke_ a t trs-mal: ce qui m'a occupe
+bien tristement; et puis la sant de madame _de Ferriol_, toujours
+mauvaise, et son humeur encore plus. _Pont-de-Vesle_ me charge de ses
+respects pour vous: il est toujours malingre; une mauvaise digestion.
+_D'Argental_ n'est plus amoureux de mademoiselle _de Tencin_; elle ne
+l'occupe plus que par devoir; il n'est point aussi amoureux de la
+_Couvreur_, mais aussi prvenu de son mrite que s'il l'toit encore;
+elle est trs-incommode depuis quelque temps: on craint qu'elle ne
+tombe en langueur.
+
+Madame _de Parabre_ a t quitte, il y a environ quatre ou cinq mois,
+par M. _d'Alincourt_: ce dont elle a t au dsespoir; et pour s'en
+consoler, elle a pris, au bout de huit jours, M. _de la
+Mothe-Houdancourt_, qui est, mon sens, le plus vilain homme que je
+connoisse. Cette prcipitation a paru trange tout le monde, et
+sur-tout moi, qui ne m'en serois pas doute. Ledit M. _de la Mothe_ ne
+la quitte pas d'un pas; il est jaloux comme un tigre. Pour vous faire le
+portrait tant de sa figure que de son esprit (je commencerai par la
+figure), il est grand, dgingand, le visage long; il ressemble beaucoup
+ un vilain cheval de l'ge de quarante-cinq ans; babillard, ne sachant
+ce qu'il dit; se contredisant sans cesse, ne parlant jamais que de lui;
+fat, comme s'il toit un Adonis, et glorieux par fatuit; assez bon
+homme dans le fond, mais ayant t gt par les caillettes de la cour.
+Il me craint prodigieusement, et ne peut pas s'empcher de m'estimer: il
+a vu peu de femmes qui se souciassent moins de se mler d'intrigues: il
+m'a dit bien des fois qu'il aimeroit mieux que je fusse amie de sa
+femme, que de sa matresse. J'y vais trs-rarement; je crois qu'il ne
+seroit pas bien de n'y point aller du tout; elle a pour moi des faons
+touchantes: d'abord que j'ai le moindre mal, elle me vient voir; elle
+m'accable de galanteries; elle dit tous ceux qu'elle voit qu'elle
+m'aime infiniment. Je dois tre reconnoissante, Madame, de tant de
+marques d'amiti. Il y avoit, pendant les huit jours de vacance, plus de
+vingt prtendans qui je faisois une peur horrible, tant persuads que
+je mettrois tout en usage pour la retirer du dsordre. Un des prtendans
+m'a cont tous leurs manges; ils s'toient tous ligus de concert pour
+la retirer de Paris, et qu'elle ft la campagne, pour que je ne la
+visse pas. Celui qui m'a racont tout cela, est parent du chevalier; il
+esproit, par son canal, obtenir de moi que je ne m'opposasse point au
+voyage de madame _de Parabre_. Le chevalier lui rpondit qu'il avoit
+tort de me souponner, que je ne me parois ni de conseiller les prudes,
+ni de condamner les autres; que jamais je n'avois su ce que c'toit que
+de me mler de tracasseries; en quoi il me loua beaucoup, connoissant
+assez bien la dame, pour tre persuad qu'elle ne seroit pas
+susceptible de conseils.
+
+Je veux vous parler de madame _du Deffant_: elle avoit un violent dsir
+pendant long-temps de se racommoder avec son mari; comme elle a de
+l'esprit, elle appuie de trs-bonnes raisons cette envie; elle agissoit
+dans plusieurs occasions, de faon rendre ce raccomodement durable et
+honnte; sa grand'mre meurt, et lui laisse 4,000 liv. de rentes; sa
+fortune devenant meilleure, c'toit un moyen d'offrir son mari un tat
+plus heureux, que si elle avoit t pauvre; comme il n'toit point
+riche, elle prtendoit rendre moins ridicule son mari de se raccommoder
+avec elle, devant dsirer des hritiers. Cela russit, comme nous
+l'avions prvu; elle en reut des complimens de tout le monde. J'aurois
+voulu qu'elle ne se presst pas autant; il falloit encore un noviciat de
+six mois, son mari devant les passer naturellement chez son pre.
+J'avois mes raisons pour lui conseiller cela; mais, comme cette bonne
+dame mettoit de l'esprit, ou pour mieux dire, de l'imagination, au lieu
+de raison et de stabilit, elle emballa la chose, de manire que le mari
+amoureux rompit son voyage, et se vint tablir chez elle, c'est--dire,
+y dner et souper; car pour habiter ensemble, elle ne voulut pas en
+entendre parler de trois mois, pour viter tout soupon injurieux pour
+elle et son mari. C'toit la plus belle amiti du monde pendant six
+semaines; au bout de ce temps-l, elle s'est ennuye de cette vie, et a
+repris pour son mari une aversion outre; et sans lui faire de
+brusqueries, elle avoit un air si dsespr et si triste, qu'il a pris
+le parti d'aller chez son pre; elle prend toutes les mesures
+imaginables pour qu'il ne revienne point. Je lui ai reprsent durement
+toute l'infamie de ses procds. Elle a voulu par distances et par
+piti, me toucher et me faire revenir ses raisons; j'ai tenu bon, j'ai
+rest trois semaines sans la voir; elle est venue me chercher. Il n'y a
+sorte de bassesses qu'elle n'ait mises en usage pour que je ne
+l'abandonnasse pas; je lui ai dit que le public s'loignoit d'elle,
+comme je m'en loignois; que je souhaiterois qu'elle prt autant de
+peine plaire ce public qu' moi; qu' mon gard, je le respectois
+trop, pour ne lui pas sacrifier mon got pour elle. Elle pleura
+beaucoup; je n'en fus point touche. La fin de cette misrable conduite,
+c'est qu'elle ne peut vivre avec personne. Un amant qu'elle avoit avant
+son raccommodement avec son mari, excd d'elle, l'avoit quitte; et
+quand il a appris qu'elle toit bien avec M. _du Deffant_, il lui a
+crit des lettres pleines de reproches, et il est revenu. L'amour-propre
+ayant rveill des feux mal teints, la bonne dame n'a suivi que son
+penchant; et sans rflexion, elle a cru un amant meilleur qu'un mari;
+elle a oblig ce dernier abandonner la place; il n'a pas t parti,
+que l'amant l'a quitte. Elle reste la fable du public, blme de tout
+le monde, mprise de son amant, dlaisse de ses amies; elle ne sait
+plus comment dbrouiller tout cela. Elle se jette la tte des gens,
+pour faire croire qu'elle n'est pas abandonne. Cela ne russit pas;
+l'air dlibr et embarrass rgnent tour tour dans sa personne. Voil
+o elle en est, et o j'en suis avec elle.
+
+Madame _de Tencin_ est toujours si outre contre moi, parce que je n'ai
+fait aucune dmarche pour remettre les pieds chez elle, qu'elle m'a
+dclar une guerre ouverte. Elle envoie savoir si je dne ici pour ne
+pas y venir, si j'y suis. Je ne suis pas plus alarme de cette nouvelle
+disgrce que des autres. On me perscuta l'autre jour pour faire ma paix
+avec elle: je rpondis cela, que je ne demandois pas mieux; que tout
+ce qui toit de la famille _Ferriol_, m'toit respectable; qu'il n'y
+avoit que cette raison qui me ft dsirer que madame _de Tencin_ ne ft
+pas fche contre moi; mais que je ne me sentois pas assez de religion
+pour prsenter ma seconde joue, et que je n'irois jamais demander pardon
+ madame _de Tencin_ de ce qu'elle m'avoit fait refuser sa porte; que
+je ne connoissois que madame _de Ferriol_ dans le monde, pour qui je
+pusse faire cette dmarche; que madame _de Tencin_ n'avoit aucun droit
+sur moi, pour en agir aussi mal; que si elle prtendoit que j'avois tenu
+de mauvais discours sur elle, je rpondrois comme madame _de
+Saint-Aulaire_, qui rpondit sur la mme accusation, que s'il toit vrai
+qu'il ft revenu madame _de Tencin_ qu'elle avoit mal parl d'elle,
+elle en toit bien afflige, parce que cela lui faisoit voir qu'elle
+avoit des amis perfides. Je suis dans ce cas: j'ai pu dire mes amis ce
+que je pensois; mais pour l'amour de moi et de mes devoirs, je n'en ai
+point parl ailleurs; et mme dans l'accident de la _Fresnaye_, qui est
+ce qui l'aigrit contre tous les gens dont elle n'a pas besoin, j'ai dit
+que c'toit l'affaire du monde la plus malheureuse, qu'il n'y avoit
+personne qui ft l'abri d'un fou qui venoit se tuer chez vous.
+
+Ma vie est assez douce. Si je vous avois Paris, le roi ne seroit pas
+plus heureux que moi. Les trennes m'affligent un peu: tout le monde
+m'en donne, et je ne puis en donner personne. Je prends mon parti sur
+les gouttires de cette maison; il y a des temps o les choses ne font
+pas autant d'impression. C'est, suivant l'tat du coeur; quand il est
+satisfait, on glisse facilement sur les pines qui se rencontrent
+toujours dans la vie; il n'y en a point d'exempte. On radote toujours
+ici; on se plaint sans cesse: il y a quelques jours qu'elle s'adressa
+_Fontenay_, qui lui rpondit trs-fortement, et l'assura qu'elle ne
+persuaderoit jamais le public, et qu'elle le rvolteroit contre
+elle-mme; qu'il toit tmoin que la veille j'avois t presse
+extrmement de rester souper chez madame _de Parabre_ avec le
+chevalier; que j'avois refus, et tois revenue neuf heures pied et
+par la pluie. Cette justification m'a afflige les raisons ne font que
+l'aigrir. J'ai lieu d'tre trs-contente du chevalier; il a la mme
+tendresse et les mmes craintes de me perdre. Je ne msuse point de son
+attachement. C'est un mouvement naturel chez les hommes de se prvaloir
+de la foiblesse des autres: je ne saurois me servir de cette sorte
+d'art; je ne connois que celui de rendre la vie si douce ce que
+j'aime, qu'il ne trouve rien de prfrable: je veux le retenir moi,
+par la seule douceur de vivre avec moi. Ce projet le rend aimable; je le
+vois si content, que toute son ambition est de passer sa vie de mme.
+Peut-tre cela nous conduira ce que nous dsirons tant: la nature de
+son bien est un furieux obstacle. Dieu nous regardera peut-tre en
+piti: j'ai des mouvemens quelquefois bien durs combattre. Ce qu'il y
+a de surprenant, c'est que je les ai eus toute ma vie: je me reproche...
+Hlas! que n'tiez-vous madame _de Ferriol_? vous m'auriez appris
+connotre la vertu. Mais passons sur cela; cependant je suis, en fait
+d'amour, la plus heureuse personne du monde. Matire rflexions pour
+de jeunes coeurs! Pardonnez toutes mes foiblesses l'aveu sincre que je
+vous en fais; et permettez que je vous parle de la petite. Elle est
+charmante: tout ce qui m'en revient, m'empche de me repentir de sa
+naissance; et je crains que la pauvre petite n'en pleure plus que moi:
+sa figure embellit tous les jours; j'ai envoy Sophie sous prtexte
+d'aller voir sa tante; elle y a t quinze jours; elle en a t
+enchante; elle est adore de tout le couvent; elle a de la raison, de
+la bont et de la fermet: on lui fit arracher quatre dents, elle ne
+jeta aucun cri; on la loua; elle rpondit: quoi m'auroit-il servi de
+crier? ne falloit-il pas les arracher? Elle dit Sophie qu'elle toit
+bien fche que je n'allasse pas cette anne la voir; qu'elle me prioit
+bien d'y venir l'autre; qu'elle me remercioit de toutes mes bonts,
+qu'elle savoit que l'on m'importunoit souvent pour elle, et qu'elle
+feroit tout ce qu'elle pourroit, pour bien apprendre, et tre sage;
+qu'elle ne vouloit pas que je me rebutasse. Elle est trs-caressante; la
+pauvre petite sent dj, je crois, le besoin qu'elle a de l'tre. Son
+bon ami est au dsespoir de ne pouvoir pas la voir; il l'aime la
+folie; il lui prend des envies d'aller la voir, que j'ai bien de la
+peine combattre. Nous travaillons lui faire une dot, en cas qu'elle
+ne voult pas se faire religieuse: si Dieu nous prte vie, elle pourra
+avoir 40,000 livres et 400 livres de rente. Elle seroit trs-bien marie
+en province avec cela; mais gare au pot au lait! si elle avoit le
+malheur de nous perdre, elle seroit bien plaindre: je la recommanderai
+ _d'Argental_. Le chevalier a dj plac 2,000 cus pour elle seule.
+Adieu, Madame, voil une lettre assez longue pour tre crite de suite;
+mais je suis seule, et j'ai voulu en profiter pour causer long-temps
+avec vous. Je vous envoie une petite bote d'caille, couleur de feu; je
+n'ai pu me refuser la satisfaction d'y prendre du tabac un jour, pour
+que vous disiez, quand vous en prendrez dedans, qu'elle a servi la
+personne du monde qui vous aime le plus.
+
+
+
+
+LETTRE XVII.
+
+Paris, 1726.
+
+
+Je boude de votre dernire lettre. Vous m'accusez, avec la dernire
+injustice, de ne pas vous aimer, et vous ajoutez, que lorsque l'on aime,
+l'on adopte les sentimens et la faon de penser de nos amis. Hlas!
+Madame, je vous ai vue malheureusement beaucoup trop tard. Ce que je
+vous ai dit cent fois, je vous le rpterai: ds le moment que je vous
+ai connue, j'ai senti pour vous la confiance et l'amiti la plus forte.
+J'ai un sincre plaisir vous ouvrir mon coeur; je n'ai point rougi de
+vous confier toutes mes foiblesses; vous seule avez dvelopp mon me;
+elle toit ne pour tre vertueuse: sans pdanterie, connoissant le
+monde, ne le hassant point, et sachant pardonner suivant les
+circonstances, vous stes mes fautes, sans me msestimer. Je vous parus
+un objet qui mritoit de la compassion, et qui toit coupable, sans
+trop le savoir. Heureusement c'toit aux dlicatesses, mme d'une
+passion, que je devois l'envie de connotre la vertu. Je suis remplie de
+dfauts; mais je respecte et j'aime la vertu. Ne m'tez pas, par un
+soupon, ce mrite-l. Que je vous suis oblige d'aimer quelqu'un qui
+pratique si mal les conseils que vous lui avez donns, et qui suit
+encore moins de si bons exemples! mais ma passion est forte, tout me la
+justifie. Il me semble que je serois ingrate, et que je dois conserver
+l'amiti du chevalier pour cette chre petite. Elle est un noeud qui
+entretient notre passion; souvent ce noeud me la fait envisager comme mon
+devoir. Si vous tes quitable, croyez qu'il ne m'est pas possible de
+vous aimer plus que je vous aime. Non, vous n'en doutez point; j'ai pour
+vous l'amiti la plus tendre. Je vous aime comme ma mre, ma soeur, ma
+fille, enfin, comme tout ce qu'on doit aimer: mon attachement pour vous
+renferme tous les sentimens, l'estime, l'admiration et la
+reconnoissance; et rien ne peut jamais effacer de mon coeur une amie
+aussi estimable que vous. Ne me dites donc plus des choses qui
+m'affligent.
+
+J'ai retard de vous crire, vous l'avouerai-je? dans le dessein de vous
+punir; mais je me suis assurment punie de ce sentiment de vengeance, en
+me privant de mon unique plaisir qui est de m'entretenir avec vous.
+_D'Argental_ vous assure de ses respects. La mort de la _Le Couvreur_
+l'a beaucoup occup. Je vais vous conter toute cette histoire un peu au
+long. Madame _de Bouillon_ est capricieuse, violente, emporte,
+excessivement galante: ses gots s'tendent depuis le prince jusqu'au
+comdien. Dans le mois dernier, elle se prit de fantaisie pour le comte
+_de Saxe_, qui n'en eut aucune pour elle. Ce n'est point qu'il se piqut
+de fidlit pour la _Le Couvreur_, qui est depuis long-temps sa
+vritable inclination; car il avoit, avec cette passion, mille gots
+passagers; mais il n'toit ni flatt, ni curieux de rpondre aux
+emportemens de madame _de Bouillon_ qui fut outre de voir ses charmes
+mpriss, et qui ne mit pas en doute que la _Le Couvreur_ ne ft
+l'obstacle qui s'opposoit la passion que le comte devoit avoir
+naturellement pour elle. Pour dtruire cet obstacle, elle rsolut de se
+dfaire de la comdienne. Elle fit faire des pastilles pour servir cet
+horrible dessein, et elle choisit un jeune abb qu'elle ne connoissoit
+point, pour tre l'instrument de sa vengeance. Cet abb a le talent de
+peindre. Il fut abord par deux hommes, aux Tuileries, qui lui
+proposrent, aprs une conversation assez longue, et qui rouloit sur sa
+pauvret, de se tirer de sa misre, et de s'insinuer, la faveur de son
+habilet peindre, chez la _Le Couvreur_, et de lui faire manger des
+pastilles que l'on lui donneroit. Le pauvre abb se dfendit beaucoup
+sur la noirceur du crime. Les deux hommes lui rpondirent qu'il ne
+dpendoit plus de lui de refuser; qu'il lui en coteroit la vie, s'il
+n'excutoit pas ce qu'on lui demandoit. L'abb, effray, promit tout.
+On le conduisit chez madame _de Bouillon_, qui lui confirma les
+promesses et les menaces, et lui remit les pastilles. L'abb demanda
+quelques jours pour l'excution de ses projets. Mademoiselle _Le
+Couvreur_ reoit un jour, en rentrant chez elle avec un de nos amis, et
+une comdienne nomme _La Mothe_, une lettre anonyme, par o on la prie
+instamment de venir seule, ou avec quelqu'un de sr, au jardin du
+Luxembourg, et qu'au cinquime arbre d'une des grandes alles, elle
+trouvera un homme qui a des choses de la dernire consquence lui
+apprendre. Comme c'toit prcisment l'heure du rendez-vous, elle
+remonte en carrosse, et y va avec les deux personnes qui toient avec
+elle. Elle trouve l'abb qui l'aborde, et lui raconte l'odieuse
+commission dont il est charg, et qu'il est incapable d'un crime comme
+celui-l; mais qu'il est dans une grande perplexit, parce qu'il toit
+sr d'tre assassin. La _Le Couvreur_ lui dit qu'il falloit, pour la
+sret de l'un et de l'autre, dnoncer toute cette affaire au lieutenant
+de police. L'abb rpondit qu'il craignoit en le faisant, de se faire
+des ennemis qui taient trop puissans, pour qu'il y pt rsister; mais
+que du moment qu'elle croyoit cette prcaution ncessaire pour sa vie,
+il ne balanoit point soutenir ce qu'il lui avoit dit. La _Le
+Couvreur_ le mena dans son carrosse chez _M. Hrault_, lieutenant de
+police, qui, sur l'exposition du fait, demanda l'abb les pastilles,
+et les jeta un chien qui creva un quart d'heure aprs. Il lui demanda
+ensuite laquelle des deux _Bouillon_ lui avoit donn cette commission;
+et, quand l'abb lui rpondit que c'toit la duchesse, il n'en fut point
+surpris. M. _Hrault_ continua le questionner, et lui demanda s'il
+oseroit s'exposer soutenir cette affaire. L'abb lui rpondit qu'il
+pouvoit le faire mettre en prison, et le confronter avec madame _de
+Bouillon_. Le lieutenant de police les renvoya, et fut instruire le
+cardinal de cette aventure: celui-ci fut trs-irrit; il vouloit, dans
+les premiers momens, qu'on instruist cette affaire avec beaucoup de
+svrit; mais les parens et les amis de la maison _de Bouillon_
+persuadrent au cardinal de ne point mettre au jour une chose aussi
+scandaleuse que celle-l; et l'on parvint l'assoupir. Au bout de
+quelques mois, on ne sait ni par o, ni comment cette aventure fut
+publique. Elle fit un bruit horrible. Le beau-frre de madame _de
+Bouillon_ en parla son frre, et lui dit qu'il falloit absolument que
+sa femme se lavt d'un pareil soupon, et qu'il devoit demander une
+lettre de cachet pour faire enfermer l'abb; il ne fut point difficile
+d'obtenir cette lettre de cachet: on arrta le pauvre malheureux, et on
+le mena la Bastille. On le questionna; il soutint avec fermet ce
+qu'il avoit dit. On lui fit beaucoup de menaces et bien des promesses,
+s'il vouloit se ddire. On lui proposa toutes sortes d'expdiens, comme
+de folie, ou de passion pour la _Le Couvreur_, qui l'auroit engag
+faire cette fable pour s'en faire aimer. Rien ne l'branla, et il ne
+varia jamais dans ses rponses. On le garda en prison. La _Le Couvreur_
+crivit au pre de l'abb, qui demeuroit en province, et qui ignoroit le
+malheur de son fils. Le pauvre homme vint tout de suite Paris,
+sollicita et demanda que l'on ft le procs dans les formes son fils,
+ou qu'on lui rendt la libert. Il s'adressa au cardinal, qui demanda
+madame _de Bouillon_ si elle vouloit que l'on instruist cette affaire,
+parce que l'on ne pouvoit le retenir en prison sans cela. Madame _de
+Bouillon_ redoutoit les claircissemens; et, comme elle ne pouvoit le
+faire assassiner la Bastille, elle consentit son largissement.
+Pendant deux mois que le pre est rest Paris, on n'a rien dit au
+fils. Le pre tant retourn chez lui, l'abb a eu l'imprudence de
+rester Paris. Il a disparu tout coup: on ne sait s'il est mort; on
+n'en entend plus parler. Depuis cela, la _Le Couvreur_ a t sur ses
+gardes. Un jour, la comdie, aprs la grande pice, madame _de
+Bouillon_ lui envoya dire de venir dans sa loge. La _Le Couvreur_ fut
+extrmement surprise, et rpondit qu'elle toit dans un dshabill qui
+ne lui permettoit pas de parotre devant elle. La duchesse envoya une
+seconde fois. A cette seconde semonce, elle rpondit que si elle lui
+pardonnoit de parotre, le public ne le lui pardonneroit pas; mais
+qu'elle se tiendroit sur son passage, quand elle sortiroit, pour lui
+obir. Madame _de Bouillon_ lui fit dire de n'y pas manquer, et en
+sortant, elle la trouva, lui fit toutes sortes de caresses, lui donna
+beaucoup de louanges sur son jeu, et l'assura qu'elle avoit eu un
+plaisir infini lui voir excuter aussi bien le rle qu'elle avoit
+jou. Quelque temps aprs, la _Le Couvreur_ se trouva mal, au milieu
+d'une pice que l'on ne put achever. Quand le comdien vint en faire
+compliment, tout le parterre demanda de ses nouvelles avec empressement.
+Depuis ce jour, elle a dpri et maigri horriblement. Enfin, le dernier
+jour qu'elle a jou, elle faisoit _Jocaste_ dans _l'OEdipe_ de
+_Voltaire._ Le rle est assez fort. Avant de commencer, il lui prit une
+dyssenterie si forte, que pendant la pice, elle fut vingt fois la
+garde-robe, et rendoit le sang pur. Elle faisoit piti, de l'abattement
+et de la foiblesse dont elle toit; et quoique j'ignorasse son
+incommodit, je dis deux ou trois fois madame _de Parabre_, qu'elle
+me faisoit grand'piti. Entre les deux pices, on nous dit son mal. Ce
+qui nous surprit, c'est qu'elle reparut la petite pice, et joua, dans
+_le Florentin_, un rle trs-long et trs-difficile, et dont elle
+s'acquitta merveille, et o elle paroissoit se divertir elle-mme. On
+lui sut un gr infini d'avoir continu, pour que l'on ne dt pas, comme
+on l'avoit fait autrefois, qu'elle avoit t empoisonne. La pauvre
+crature s'en alla chez elle, et quatre jours aprs, une heure
+aprs-midi, elle mourut, lorsqu'on la croyoit hors d'affaire: elle eut
+des convulsions: chose qui n'arrive jamais dans les dyssenteries: elle
+finit comme une chandelle. On l'a ouverte. On lui a trouv les
+entrailles gangrenes. On prtend qu'elle a t empoisonne dans un
+lavement. Son testament a t fait quatre mois avant sa mort. On ne
+doute point qu'elle n'et quitt la comdie la clture. Tout le public
+a une grande compassion de sa misrable fin. Si la dame souponne ft
+venue la comdie, dans ces entrefaites, elle auroit t chasse du
+spectacle. Elle a eu le front d'envoyer la porte de la _Le Couvreur_
+tous les jours, savoir de ses nouvelles. Elle a fait _d'Argental_
+excuteur de son testament; il a eu assez d'esprit pour se mettre
+au-dessus du ridicule, et il a t approuv des gens sages. M. _Bertie_
+dit qu'il a trs-bien fait; qu'un honnte homme ne doit jamais refuser
+les occasions de faire du bien. Vous pouvez tre assure de tout ce que
+je viens de vous conter, je le tiens d'un ami de la _Le Couvreur_[195].
+Adieu, Madame, ne doutez plus, s'il vous plat, de tout mon
+attachement.
+
+
+
+
+LETTRE XVIII.
+
+
+J'ai reu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'crire, en
+rponse un gros paquet que je craignois bien qui ne ft perdu. Le
+nouveau tmoignage de votre amiti me comble de joie, et je recevrai
+votre cran avec transport, puisque c'est de l'ouvrage de ce que j'aime;
+cependant je me plains des souvenirs trop frquens qu'il me donnera de
+vous. Je vous le dis avec vrit; j'ai autant de douleur de vous avoir
+perdue, que de joie de vous avoir pour amie: ces deux sentimens me
+combattent furieusement, et si je n'avois pas l'esprance de vous
+revoir un jour, je ne sais en vrit si je voudrois vous avoir connue.
+Vous m'avez rendue si difficile, que je suis toujours en colre.
+Pourquoi tous les coeurs ne sont-ils pas faits comme le vtre, ou du
+moins pourquoi n'ont-ils pas une de vos bonnes qualits? Tout leur
+manque, probit inbranlable, sagesse, douceur, justice; tout n'est
+qu'apparence chez les hommes: le masque tombe la plus petite occasion.
+La probit n'est qu'un nom dont ils se parent; ils paroissent justes, et
+ce n'est que pour condamner la conduite des autres; de la douceur qui
+n'est qu'aigreur, de la gnrosit qui n'est que prodigalit, de la
+tendresse qui n'est que foiblesse: et toutes ces choses-l me font
+rpter tous les instans, que votre me est capable de vertu dans sa
+perfection. Je m'aperois que je blesse votre modestie: mes mouvemens du
+coeur vous sont connus; vous savez que je dis toutes ces choses, parce
+que je les pense, et que je n'ai jamais su flatter aux dpens de la
+vrit: pardonnez en faveur de mon attachement, la petite honte que vous
+avez eue, en lisant vos louanges. Vous m'avez rendue comme M. le duc
+_d'Orlans_, la diffrence prs que je ne suis pas si perverse que
+lui, et que je crois qu'il y a une personne dans le monde vritablement
+raisonnable. Il croyoit tout le monde malhonntes gens; je suis bien
+prte penser comme lui; cela me met trs-souvent de mauvaise humeur,
+et je finis par vouloir devenir philosophe, trouver tout indiffrent, ne
+m'affliger de rien, et tcher d'tre raisonnable pour ma propre
+satisfaction et pour la vtre. Je travaille trs-srieusement me
+rendre heureuse, ne plus me chagriner; je sens que j'ai plus de besoin
+que jamais d'avoir du courage. La mauvaise humeur rgne ici un point
+insoutenable; je me suis gendarme: je vois que cela tourne contre moi.
+Le public est trs-svre, parce qu'il ne juge que sur l'tiquette du
+sac, et mes peines lui paroissent petites: il lui semble que ce n'est
+que des bagatelles; mais hlas! rien n'est bagatelle, quand cela revient
+tous les jours. Je suis honteuse de me plaindre, quand je vois tant de
+personnes qui valent bien mieux que moi, et qui sont bien autrement
+malheureuses. Il est temps de vous amuser un peu: il est arriv ici deux
+petites aventures que j'aurai du plaisir vous conter, parce que vous
+en aurez les lire.
+
+Un gentilhomme de Prigord, fort riche, se maria, il y a plusieurs
+annes, avec une demoiselle qui mourut, sans lui laisser d'enfans. Les
+parens de sa femme le pensrent ruiner pour la dot, et eurent des
+procds si infmes avec lui, qu'il en eut beaucoup de chagrin, et en
+fut malade. Cet homme avoit du got pour le sacrement; mais ce qu'il
+avoit essuy le fit rsoudre de prendre une femme sans parens. Il
+crivit l'Htel-Dieu, et pria l'un des directeurs de lui chercher une
+fille trouve, de 17 22 ans, grande, bien faite, brune, les yeux
+noirs, les dents belles, et qu'il l'pouseroit. Le directeur montra
+cette lettre M. _d'Argenson_, lieutenant de police, qui lui dit de
+faire sa commission. Il la fait: on dresse le contrat de mariage; le
+gentilhomme l'pouse; il en a eu trois enfans. Au bout de quelques
+annes, elle meurt. Son deuil fini, il rcrit un autre des directeurs
+de l'Htel-Dieu, le prcdent tant mort. Il le prie de lui chercher une
+fille de 38 40 ans, blonde, grasse, frache et d'un bon temprament;
+qu'il avoit pass les jours du monde les plus heureux avec celle qu'on
+lui avoit dj choisie, et qu'il ne doutoit pas qu'il ne choist aussi
+bien que l'ancien directeur, auquel il s'toit adress la premire fois.
+Celui-ci va chez M. _Hrault_, lieutenant de police, et montre la lettre
+qu'il vient de recevoir. M. _Hrault_ lui dit comme M. _d'Argenson_, de
+faire sa commission, qui toit difficile, parce que toutes les filles
+sont tablies cet ge-l. Il trouva enfin une soeur grise qui toit
+telle qu'on la lui demandoit. Une des princesses _de Conti_ a sign au
+contrat de mariage, il y a un mois. Voici l'autre histoire.
+
+Il y a un homme qui demeure aux environs des quais, qui, depuis sept
+huit ans, se promne ds une heure jusqu' six, sur un des quais, sans
+jamais y avoir manqu d'un jour, quelque temps qu'il ft. M. _Hrault_
+en ayant t averti, lui envoya dire qu'il vnt lui parler. Cet homme
+lui fit rpondre qu'il n'iroit point, n'ayant rien faire avec la
+police. M. _Hrault_ s'y transporta, monta dans une chambre au
+quatrime, y trouva cet homme assis contre une table, qui lisoit, sa
+chambre garnie de livres. Il lui demanda pourquoi il n'toit pas venu
+chez lui, quand il le lui avoit fait dire. Monsieur, lui rpondit cet
+homme, je n'ai point l'honneur d'tre de vos amis; et, Dieu merci! je
+n'ai rien dmler avec la justice.--Il est vrai, lui rpondit M.
+_Hrault_, qu'il ne m'est point revenu que vous fissiez du mal; mais
+pourquoi vous promener rgulirement, la mme heure, tous les jours,
+sur le quai?--Parce que cela me fait du bien, lui repartit le
+promeneur. Pour vous claircir ma conduite, ajouta-t-il, je vous dirai,
+Monsieur, que je suis trs-bon gentilhomme (il lui dit son nom); je
+jouissois de 25,000 livres de rente; le systme est venu, et il ne m'est
+rest que 500 livres de rente. J'ai pris un genre de vie proportionn
+mon revenu; j'ai gard mes livres, l'air de la rivire me convient, et
+je suis venu m'tablir dans cette chambre. Un peu de vanit m'a engag
+changer de nom; je dne tous les jours midi avec du boeuf la mode,
+qui est excellent dans ce quartier; je me lve de bonne heure; j'emploie
+ma matine lire; et, quand j'ai dn, je vais prendre l'air sur le
+quai. Je suis trs-heureux, je ne dpends de personne, et je ne drange
+point ma sant par cet exact rgime. M. _Hrault_ trouva cet homme de
+trs-bon sens. Il conta un jour cela au cardinal, qui lui dit: Mais si
+cet homme tomboit malade, il n'auroit pas de quoi se faire soigner;
+dites-lui que le roi lui donne 300 livres de pension. M. _Hrault_ lui
+envoya dire de venir chez lui, se faisant beaucoup de plaisir de lui
+apprendre cette bonne nouvelle; mais l'homme lui fit rpondre qu'il ne
+pouvoit y aller, demeurant trop loin de chez lui. M. _Hrault_ y
+retourna pour la seconde fois, et lui dit que le roi lui donnoit 300
+livres. Il les refusa, disant qu'il s'toit arrang avec 500 livres, et
+qu'il n'en vouloit pas davantage. Malgr ce genre de vie qui parot
+triste, cet homme est fort gai. Il a deux amis, gens d'esprit, qui vont
+sur le quai pour causer avec lui. Il a beaucoup de connoissance du
+monde, du savoir, l'esprit simple et un talent singulier pour connotre,
+ la physionomie, le mtier des gens qui passent. Il dira, par exemple:
+Voil le matre d'htel d'un vque, en voil un d'un financier; voici
+un chevalier d'industrie; celui-l est Gascon, celui-ci est Breton,
+ainsi des autres. Adieu, ma chre madame; en voil assez pour
+aujourd'hui. Je vous baise les mains mille fois.
+
+
+
+
+LETTRE XIX.
+
+Paris, 1729.
+
+
+Je viens d'apprendre, Madame, la perte que vous avez faite de M. _de
+Cambiac_. Sans savoir ses dispositions, je prends part votre
+affliction. Je connois la bont de votre coeur; vous serez toujours
+afflige, de quelque faon qu'il en agisse avec vous. J'espre que je
+n'aurai rien reprocher sa mmoire, et qu'il vous aura rendu justice;
+j'en attends la nouvelle avec impatience. J'ai couru risque de me
+trouver sa mort. Si le projet que l'on avoit fait d'aller
+Pont-de-Vesle n'avoit pas t renvoy, je l'aurois vu mourir.
+J'attendois d'tre sre de mon voyage; c'est la raison qui m'a empche
+de vous crire. Je voulois vous le mander positivement; mais il y a
+trois mois que l'on en parle, et il n'y a pas de jour depuis ce temps-l
+que le projet ne change quatre ou cinq fois. Voil o nous en sommes.
+Il est vrai que le temps de notre dpart a t fix au dix du mois
+prochain; il seroit temps de se prparer pour les paquets. Vous devez
+juger de l'empressement que j'ai que ce projet s'excute, puisque
+j'aurois le bonheur de vous voir, et de vous assurer de mon respectueux
+attachement. Il n'y a rien de si joli que mon cran; je ne permets pas
+tout le monde de s'en servir. Je vis avec madame votre fille qui est
+infiniment aimable; sa vertu, sa douceur, sa gat la rendent charmante;
+sa figure est toujours trs-belle, et, en vrit, vous la trouverez
+encore mieux. Son teint est plus dml, et elle a des couleurs croire
+qu'elle met du rouge; et toute connoisseuse que je suis pour cet
+ornement, j'y ai t trompe au point que je n'ai pu m'empcher de lui
+frotter les joues, pour voir si elle n'en mettoit point. Elle a fait
+raccommoder son portrait qui est merveille prsent: elle est tente
+d'en faire faire une copie pour vous la porter. Si je ne vais pas
+Genve cette anne, je la prierai de se charger du mien que je fais
+faire pour vous. Il sera en petit, c'est--dire, d'un pied-de-haut, sur
+neuf pouces environ de large. Nous sommes en guerre ouverte, madame _de
+Tencin_ et moi, c'est--dire, elle me l'a dclare; pour moi, je me
+tiens coite; et quand je suis force d'en parler, mes discours sont
+tranquilles et humbles; mais je tiens bon pour ne pas demander pardon,
+parce que je suis offense, et que j'ai assez de matres, sans m'en
+donner de gat de coeur. Je la fais plus enrager par cette conduite, que
+si je me dchanois contre elle. M. son frre a tenu bon toutes les
+attaques qu'elle a faites contre moi. Je ne lui en ai pas ouvert la
+bouche, except une fois qu'il m'en parla devant madame _de Ferriol_. Je
+lui rpondis avec toute la modration imaginable, et je finis par lui
+dire que j'avois espr que toutes ces tracasseries n'iroient point
+jusqu' ses oreilles; que j'tois tonne qu'on lui en et parl; qu'il
+pouvoit bien me rendre la justice, que jamais je ne m'tois plainte
+lui de tout ce qu'on me faisoit. Cette conversation produisit une scne
+trs-vive entre le frre et la soeur. Cette dernire eut beau se
+plaindre, et tourner mes discours malignement, il la fit taire. Madame
+votre fille vous contera tout cela qui seroit trop long crire. Je
+suis enfin contente de l'archevque. Je connois bien son coeur; je
+l'aimerai et l'estimerai toute ma vie. A propos, il y a long-temps que
+vous me demandez des vers que vous m'aviez prts, relatifs la mort de
+madame votre mre. Je les trouvai l'autre jour dans ma cassette; je les
+joins cette lettre. La poste part; il ne me reste que le temps de vous
+assurer de mon trs-humble respect.
+
+
+
+
+LETTRE XX.
+
+Pont-de-Vesle, 1729.
+
+
+Nous voil enfin arrivs Pont-de-Vesle. Jugez, Madame, de ma joie.
+J'aurai donc le plaisir de vous voir et de vous embrasser bientt:
+j'ignore encore le moment o je jouirai de ce bonheur. J'attends que M.
+_de Pont-de-Vesle_ soit ici, et les lettres de l'archevque, pour
+m'arranger. D'ailleurs madame votre fille est actuellement avec vous:
+cela vous partageroit trop; je veux la laisser tablir. Nous avons tous
+eu bien du regret de ne l'avoir pas eue ici quelques jours. Monsieur son
+mari me vint voir le lendemain de son dpart. Il m'attendrit beaucoup;
+je le trouvai si touch, et en mme temps si raisonnable, si rempli de
+considration et d'estime pour madame votre fille, que me connoissant,
+vous devez juger si je fondis en larmes. Il faut ddommager cette
+aimable femme de tous ses malheurs. Elle trouvera des parens, des amies
+qui l'aiment bien tendrement. Mais, hlas! il en feroit plus de cas, si
+elle revenoit avec une fortune brillante. On pense de cette faon
+Paris; et je crois que les hommes sont partout les mmes. Pour vous,
+Madame, votre tendresse et votre bont vous la feront recevoir avec bien
+de la joie. C'est une grande douceur pour une mre de vivre avec une
+fille telle que la vtre. Je vous la recommande comme ma soeur bien
+aime. Plaisante recommandation, penserez-vous! en a-t-elle besoin?
+n'est-elle pas ma fille, et une fille que j'aime tendrement?
+
+J'avois laiss ma lettre pour recevoir M. _de Pont-de-Vesle_ qui vient
+d'arriver dans ce moment; il vous assure de ses respects. Je suis libre,
+et je serai bientt auprs de vous. Prparez-vous me trouver change;
+je ne m'en soucie que pour vous que j'aime, et respecte de tout mon
+coeur.
+
+
+
+
+LETTRE XXI.
+
+Pont-de-Vesle, 1729.
+
+
+Je ne puis vous dire, Madame, la douleur o je suis de vous avoir
+quitte. J'ai le coeur si gros et si serr, que j'ai cru touffer; la
+crainte de vous trop attendrir, m'a fait me contraindre, en me sparant
+de vous; j'ai fait ce que j'ai pu, pour que vous ne vissiez pas couler
+mes larmes; mais j'en ai gagn un mal de tte affreux. Si je n'avois pas
+la certitude de vous revoir, je ne sais pas, en vrit, de quoi je
+serois capable: les rflexions morales m'accablent. La vie me parot si
+courte, pour essuyer de si grandes peines, que je ne veux plus faire de
+connoissances, dans la crainte de m'exposer la peine o je suis; mais
+tout cela se dtruit mesure que je le pense. Je me dis que je ne
+trouverai jamais d'amie qui mrite d'tre aime sur tous les points,
+comme vous; je ne pense plus la retraite: mes ides l-dessus sont
+vanouies. Je me priverois par l absolument de l'esprance de vous
+aller voir souvent: et d'ailleurs, Madame, je sens trop les consquences
+de ce parti-l. Depuis que nous en avons parl ensemble, je puis me
+conduire aussi bien dans le monde, et mme mieux. Plus ma tche est
+difficile, plus il y a de mrite la remplir, et je dois, par
+reconnoissance, rester auprs de madame _de Ferriol_, qui a besoin de
+moi. Hlas! Madame, je me rappelle sans cesse notre conversation dans
+votre cabinet: je fais des efforts qui me tuent. Tout ce que je puis
+vous promettre, c'est de ne rien pargner pour que l'une des choses
+arrive; mais, Madame, il m'en cotera peut-tre la vie; car pour les
+esprances, elles sont si loignes, que je mourrai peut-tre de
+vieillesse avant qu'elles arrivent. On m'a charge de cent mille jolies
+choses pour vous; il est juste que je vous en fasse part. Voici deux
+articles de ses lettres.
+
+Mille respects votre amie: assurez-la qu'il y a tant de sympathie
+entre votre faon de penser et la mienne qu'il ne me seroit pas possible
+de ne pas partager avec vous les sentimens que vous avez pour elle.
+
+Dans une prcdente, que je reus Lyon.
+
+Je vous flicite du plaisir que vous avez eu de voir et d'embrasser
+madame _Saladin_. Je connois votre coeur, et je ne suis pas surpris des
+larmes que la joie vous a fait rpandre. J'en ai rpandu aussi, ma chre
+_Ass_, en lisant votre lettre, et je n'ai pas t plus touch de la
+peinture que vous faites de vos transports, que de l'empressement avec
+lequel madame _Saladin_ vous a reue. Dites-lui bien, je vous prie, que
+j'ai une extrme reconnoissance des marques de son souvenir: le got que
+l'on a pour la vertu, doit tre la mesure du respect que l'on a pour
+elle. Je la crois trop juste, et je lui crois trop de sentimens, pour
+condamner l'amiti que vous avez pour moi. Si vous pouviez lui peindre
+l'attachement que j'ai pour vous, ma chre _Silvie_! dites-lui bien
+qu'il n'y a jamais eu, et qu'il n'y aura jamais un moment dans ma vie o
+je cesse de de vous aimer. Demeurez Genve tout le temps que vous
+pourrez; je regrette moins votre absence; j'imagine que votre sant y
+est en sret. Je suis en peine des fatigues du retour Conservez-vous,
+ma chre _Ass_. Aimez-moi; c'est l le vritable fondement du bonheur
+de ma vie.
+
+Voil, Madame, bien des choses qui blessent ma modestie; mais aussi je
+serai plus excusable combattre si lentement. Hlas! que l'on est
+heureuse, quand on a assez de vertu pour surmonter de pareilles
+foiblesses; car, enfin, il en faut infiniment pour rsister quelqu'un
+que l'on trouve aimable, et quand on a eu le malheur de n'y pouvoir
+rsister. Couper au vif une passion violente, une amiti la plus tendre
+et la mieux fonde! Joignez tout cela de la reconnoissance, c'est
+effroyable! La mort n'est pas pire. Cependant vous voulez que je fasse
+des efforts: je les ferai; mais je doute de m'en tirer avec honneur, ou
+la vie sauve. Je crains de retourner Paris. Je crains tout ce qui
+m'approche du chevalier, et je me trouve malheureuse d'en tre loigne.
+Je ne sais ce que je veux. Pourquoi ma passion n'est-elle pas permise?
+pourquoi n'est-elle pas innocente?
+
+Mandez-moi au plutt de vos nouvelles. Permettez que je vous embrasse
+mille fois, et de tout mon coeur. Beaucoup d'amitis mesdames vos
+filles. Je les embrasse toutes; souvenez-vous de votre _Ass_, et soyez
+persuade de tout son attachement, et de tout son respect pour vous; il
+est extrme.
+
+
+
+
+LETTRE XXII.
+
+Pont-de-Vesle, 1729.
+
+
+J'ai retard de vous crire, parce que j'ai t assez incommode; j'ai
+eu une colique trs-violente. Je n'ai pas manqu de dire que c'toit
+vous qui m'aviez prserve; car je n'ai eu aucun mal Genve, mes maux
+ont respect ma joie; ils feroient bien mieux de ne pas se mler ma
+douleur. Je vous ai quitte, Madame, avec un chagrin extrme. Vos
+lettres m'ont serr le coeur et ont renouvel mes larmes. A chaque
+instant, je me rappelle la douceur, la tranquillit, la candeur avec
+laquelle j'ai pass ce peu de temps auprs de vous. J'ai trouv les
+personnes avec qui je vivois Genve, selon les premires ides que
+j'avois des hommes, et non pas selon mon exprience. Je me retrouve
+presque moi-mme, comme dans le moment que j'entrois dans le monde,
+sans humeur, sans peines, sans chagrins. Combien tout a chang! que les
+habitans de ces lieux sont diffrens de ceux des vtres! je n'ai pas eu
+un moment de bonne humeur depuis notre sparation. J'ai retrouv ici des
+coliques, le serein, les concerts, les puces, les rats, et qui pis est,
+des hommes, non pas de l'ancienne roche, mais de la nouvelle.
+Tenons-nous-en aux rflexions gnrales. Vous me pardonnerez bien de ne
+pas entrer sur cette matire dans des dtails.
+
+Vous m'affligez beaucoup de m'apprendre que madame votre belle-soeur
+_P...._ est malade: je sais combien vous l'aimez, et je l'estime et
+l'aime de tout mon coeur. J'ai fait vos complimens l'archevque[196],
+et aux autres qui vous en remercient. Ce premier m'a fait beaucoup de
+questions sur mon sjour auprs de vous, sur la douleur de nous sparer,
+et sur votre ville; il se flatte qu'on l'aime un peu dans ce pays. Je
+n'ai pas manqu de lui dire que l'on m'avoit demand de ses nouvelles.
+J'ai nomm les gens qu'il dit ses amis. Il m'a gronde de ne lui avoir
+pas emprunt sa litire pour vous aller voir, qu'il y seroit all
+lui-mme trs-volontiers, vous aimant beaucoup. Il me fit faire la
+description de votre maison de campagne, de la faon dont vous viviez en
+ville, en un mot, il s'informa de tout, soit par amiti pour vous, soit
+pour me dire de choses obligeantes. Il y russit trs-bien; car je lui
+sus le meilleur gr du monde de toutes ses questions. Pour sa soeur, elle
+ne m'en fit que trs-peu: elle cherchoit des discours pour elle, et rien
+autre chose. M. _de Pont-de-Vesle_ partage de tout son coeur mon
+enthousiasme.
+
+Nous passons d'ailleurs notre temps ici assez tristement. Le matin,
+aprs la messe, l'archevque s'enferme avec un jsuite jusqu' dner.
+Aprs le dner, une partie de quadrille, pleine de rapine et d'aigreur:
+le tout pour cinq sous que l'on ne paie point; toujours une compagnie
+de la ville peu divertissante, et qui il faut faire autant de
+crmonies qu' des intendans. Sur le soir, on va se promener. La
+matresse du logis et moi, nous restons, l'une lire, l'autre
+tricoter, ou dcouper. Aprs la promenade, un concert qui arrache les
+oreilles. On soupe trs-mal; on n'a ni bons poissons, ni des amies.
+Songez-vous bien la diffrence de ce sjour Genve pour moi, et
+combien j'ai de raisons de vous regretter?
+
+Vous pouvez m'crire en toute sret: on me rend directement mes
+lettres. La personne qui les retire a ordre de les remettre moi seule,
+pas mme ma fidle _Sophie_. La peur que l'on a de payer les ports de
+lettres, fait que l'on n'ose pas demander si j'en ai eu. L'archevque
+paie mes places, et celles de _Sophie_ dans la diligence: c'est bien
+honnte lui assurment. Malgr toutes les avarices de madame _de
+Ferriol_, sa mauvaise humeur et ses discours, souvent dsobligeans; elle
+toit dans une grande inquitude de ma sant pendant mon sjour auprs
+de vous. Elle disoit: elle est partie malade; elle a la fivre ou la
+petite vrole. Elle paroissoit aussi en peine de moi que de son fils.
+Sa femme de chambre disoit _Sophie_ que sa matresse ne pouvoit passer
+l'hiver auprs de son frre Embrun, sans moi, et que la crainte que je
+ne voulusse pas y aller, l'empcheroit d'y penser. Concevez-vous,
+Madame, la faon dont elle agit avec moi, qu'elle puisse regarder
+comme un malheur de ce que je serois spare d'elle? _D'Argental_ m'a
+crit: je reus sa lettre, en revenant de chez vous. Il y avoit cent
+mille choses pour vous; je vous les laisse imaginer. Ma lettre seroit
+trop longue, si je vous les rptois. Nous partons d'ici dans quinze
+jours, pour aller Ablons. Madame _de Ferriol_ y sera dix ou douze
+jours. Pour moi, j'irai Sens, voir qui vous savez[197]. J'y resterai
+le plus que je pourrai. Madame _de Ferriol_ m'y viendra joindre. Vous
+aurez des dtails de mon entrevue: j'aurai vu cette anne tout ce qui
+m'est cher. Adieu, Madame, mes sentimens et mon me vous sont dvous.
+
+
+
+
+LETTRE XXIII.
+
+PONT-DE-VESLE, 1729.
+
+
+Voil enfin le bienheureux jour arriv! Je pars d'ici demain matin, et
+je n'ai que la nuit passer. Madame _de Ferriol_ avoit bien raison de
+dire que je ne pouvois tenir ici. En revenant de chez vous, je suis
+morte d'ennui; et ma sant, d'accord avec l'ennui, m'a trs-mal traite.
+Je me suis fait saigner: cela ne m'a pas russi; mes maux de tte et mes
+coliques sont toujours aussi frquens; peut-tre est-ce l'air du pays et
+les eaux.
+
+J'attendois une rponse de vous, avant de partir, mais j'espre que vous
+aurez la bont de m'crire Sens. J'y serai le 15 de ce mois. Mon
+adresse est chez madame de _V....._, abbesse de Notre-Dame. Madame _de
+Bolingbrocke_ a pens mourir Reims d'une colique quoi elle est
+sujette. Elle a t l'extrmit; elle est mieux, et je la trouverai
+Sens. Mandez-moi de vos nouvelles et de celles de madame _P....._ Sa
+sciatique m'inquite. Vous tes, je crois, de retour en ville, assise
+sur ce bon canap, avec vos aimables filles autour de vous, et toute
+votre famille empresse vous voir. Vous jouissez de l'estime et de
+l'amiti de tout ce qui est auprs de vous, et vous n'avez aucun
+sentiment pnible combattre. Que je souhaiterois passer mes jours
+ainsi! Vous savez qui je dois des complimens. Voulez-vous bien les
+faire votre choix? Pour M. votre mari, je ne vous en charge pas; j'ai
+remarqu que vous aviez toujours un peu de jalousie. Madame votre fille
+voudra bien lui faire quelques agaceries de ma part, et me rendre ce
+petit service; en reconnoissance, je l'embrasse de tout mon coeur.
+
+Madame _de Nesle_ est morte, dit-on, de la rougeole; mais les amies
+particulires, et qui sont par consquent au fait, disent qu'il y avoit
+complication de maux, et que de plus robustes qu'elle y auroient
+succomb. M. _de Richelieu_ est dans le mme cas, except qu'il n'est
+pas mort; mais on me mande qu'il se meurt. Madame _d'Aumont_ et son
+mari, qui n'ont que la rougeole, s'en tirent trs-bien. Je ne sais si je
+vous ai mand que M. _de la Ferrire_ marie sa fille un homme qui a
+vingt mille livres de rente, et qui demeure Lyon. C'est une grande
+joie pour la mre d'avoir sa fille auprs d'elle. Ils mritent bien tous
+deux de trouver ce beau parti; car ils avoient refus pour leur fille un
+homme fort riche, mais vieux, et qu'elle n'auroit pu aimer. Ils lui
+donnent dix mille cus, et vingt mille francs aprs leur mort. C'est une
+trs-aimable fille. Adieu, Madame; j'ai bien de la peine vous quitter.
+Plt Dieu que je fusse avec vous rellement! je ne pourrois plus m'en
+sparer. Il m'en a trop cot, et il m'en cote trop tous les jours, en
+m'en souvenant. Adieu, Madame, je vous aime de tout mon coeur. Je vais
+encore m'loigner de vous, et ce n'est pas sans regrets. Vous aurez de
+mes lettres, quand je serai Paris. Je serai trop occupe Sens, pour
+avoir le temps de vous crire.
+
+
+
+
+LETTRE XXIV.
+
+Paris, 1729.
+
+
+Vous m'avez demand un compte exact de mon retour Paris et de mon
+sjour Sens. J'ai trouv la petite trs-grande, mais fort ple. Sa
+figure est noble. Elle est bien faite; elle a les plus beaux yeux que
+vous ayez vus, l'air dlicat. Elle a de l'esprit, de la douceur, de la
+raison, mais d'une distraction inouie, le caractre et le coeur
+souhait. Je crois sans prvention que ce sera un bon sujet. La pauvre
+petite m'aime la folie: elle fut si saisie de joie de me voir, qu'elle
+fut prte se trouver mal. Vous devez juger de tout ce que je sentis
+en la voyant. Mon motion toit bien vive, d'autant plus qu'il falloit
+la cacher. Elle me dit cent fois que c'toit un bien heureux jour pour
+elle que celui de mon arrive. Elle ne pouvoit me quitter; et cependant,
+ds que je la renvoyois, elle s'en alloit avec une douceur extrme; elle
+coutoit mes avis, et paroissoit applique en profiter. Elle ne
+cherchoit point s'excuser de ses fautes, comme les enfans. Hlas! la
+pauvre petite, quand je suis partie, toit si pntre de douleur, que
+je n'osai la regarder, tant elle m'attendrissoit; elle ne pouvoit
+parler. J'emmenai l'abbesse avec moi, pour voir madame _de
+Bolingbrocke_, qui toit Reims, o elle avoit t trs-mal, et qui
+comptoit de l aller Paris. Tout le couvent toit en pleurs du dpart
+de l'abbesse, et la pauvre petite disoit: Pour moi, Mesdames, je suis
+aussi fche que les autres de vous voir partir; mais je crois que cela
+est ncessaire, et que madame _de Bolingbrocke_ sera bien aise de vous
+voir, et que votre vue lui fera du bien; c'est ce qui me console un peu
+de votre dpart; et puis la pauvre petite touffoit. Elle s'assit sur
+une chaise, n'ayant pas la force de se soutenir, et elle m'embrassoit et
+me disoit: Voil un furieux contre-temps, ma bonne amie; car vous
+seriez reste ici davantage. Je n'ai ni pre ni mre: soyez, je vous
+prie, ma mre; je vous aime autant que si vous l'tiez. Vous jugez, ma
+chre madame, dans quel embarras ce discours me mettoit; mais je me suis
+trs-bien conduite. J'y ai rest quinze jours, et mon rhumatisme m'a
+prise l. Je fus perclue de tout mon corps. Pendant deux jours, elle ne
+me quitta pas. Elle resta cinq heures d'horloge au chevet de mon lit,
+sans qu'elle voult me quitter; elle me lisoit pour m'amuser et puis
+elle m'entretenoit, et je m'assoupissois un moment. Elle craignoit de me
+rveiller, et n'osoit respirer. Une personne de trente ans n'auroit pas
+t plus capable d'attentions. Mademoiselle _de Noailles_ vouloit
+qu'elle vnt jouer avec elle. Elle la pria de l'en dispenser, ne voulant
+point me quitter. Enfin, Madame, je suis persuade que, si elle avoit le
+bonheur d'tre connue de vous, vous l'aimeriez beaucoup. Madame _de
+Bolingbrocke_ la veut emmener avec elle; et avoir soin de sa fortune: ce
+qui afflige terriblement qui vous savez; il en est fou. Je ne puis
+exprimer toute la joie qu'il a eue de mon retour; tout ce que la
+vivacit d'une passion violente peut faire faire et dire, il l'a fait et
+dit. Si c'est jeu, il est bien jou. Il est revenu plusieurs fois, aprs
+de longues et pnibles chasses: enfin, le roi lui dit la dernire fois,
+quand, il demanda cong (car il faut le demander toujours au roi
+directement), ce qu'il avoit tant faire Paris; il fut dconcert de
+la demande, et rougit; il ne put dire autre chose, sinon qu'il avoit des
+affaires.
+
+
+Ce 2 dcembre.
+
+Depuis seize jours que cette lettre est crite, le chevalier est revenu
+de Marly avec la fivre, une attaque d'asthme et un rhumatisme sur les
+reins; il souffre beaucoup. Je suis dans un tat violent, il faut que je
+vous crive pour me distraire; je n'ai de consolation que celle de
+penser vous. Si j'tois plus raisonnable, j'oserois vous faire part de
+toutes mes rflexions. J'ai beaucoup de chagrins; il n'y auroit que vous
+qui pourriez entrer dans mes peines: le rsultat de tous mes regrets,
+c'est que je vous aime tendrement, que vous mritez de l'tre, et qu'il
+n'y a que vous dans le monde qui en tes digne. Vous me rpondrez cela
+qu'il y a bien, de l'orgueil et de l'amour-propre dans ce que je dis. Il
+peut y en avoir un peu; mais ce n'est point dans le sens que vous
+l'entendez. Je suis trs-imparfaite; mais j'exige des autres ce que je
+n'ai pas moi-mme. Toutes vos qualits me sont agrables, quoique je
+n'ait pas le bonheur de les possder. La vertu, l'esprit, la douceur, la
+dlicatesse, l'honnte sensibilit, la piti pour les malheureux et pour
+ceux qui ne sont pas dans le bon chemin, sont des qualits utiles pour
+les autres, quoiqu'on ne les possde pas soi-mme. Encore une chose qui
+satisfait mon coeur, c'est que je sens que je puis dire tout ce que je
+pense de vous, sans pouvoir tre accuse de prvention, ni de flatterie.
+Vous tes enfin, selon mon coeur et mon me. L'amour partage mon coeur
+avec vous, Madame; mais si je ne trouvois pas dans l'objet ces vertus
+que j'aime en vous, il ne subsisteroit pas. Vous m'avez rendue dlicate
+sur cet article. Je l'avoue la honte de l'amour; il cesseroit, s'il
+n'toit pas fond sur l'estime. Adieu, Madame.
+
+
+
+
+LETTRE XXV.
+
+Paris, 1728.
+
+
+Vous tes surprise, Madame, que j'aie t si long-temps sans avoir eu
+l'honneur de vous crire: ce n'est pas assurment que je n'en eusse une
+grande envie; mais j'ai t assez incommode d'un trs-gros rhume qui
+m'a fait garder le lit. J'ai voulu plusieurs fois me lever de bonne
+heure, pour me mettre mon critoire, pour causer avec vous, et toutes
+les fois, j'ai t interrompue soit par des visites, ou par des
+invitations. J'ai t premirement niche dans un galetas, pendant
+quinze jours, que madame _de V...._ et sa compagnie se sont empares de
+ma chambre et de tous mes ustensiles. Aprs cela, madame _de
+Bolingbrocke_ est arrive de Reims, malade, et dans un grand besoin de
+nous tous, pour l'aider se ranger dans sa maison, et recevoir ses
+visites; elle est un peu mieux. Toutes les personnes qui ont des bonts
+pour moi, se relayent pour ne pas me laisser un instant tranquille; je
+ne suis pas rentre pour me coucher, avant trois heures du matin. Je vis
+hier M. votre neveu, que j'ai trouv beau et bien fait. Je viens
+d'apprendre quelque chose qui m'a surprise. M. _de Bellegarde_ a dit
+M. _de Marcieux_ que madame votre cousine n'avoit jamais voulu l'couter
+comme amant; qu'elle lui avoit dit que ses discours ne lui convenoient
+pas, et que, s'il continuoit, elle ne le verroit plus; qu'un, homme de
+sa naissance et de son ge devoit mieux faire que l'amour; qu'il devoit
+aller dans les pays trangers chercher du service; qu'elle lui prteroit
+10,000 cus, et que s'il avoit besoin de davantage, elle le lui feroit
+tenir; qu'elle ne disconvenoit pas qu'elle n'et beaucoup d'estime et
+d'amiti pour lui, mais qu'elle ne vouloit point d'amour. Il a assur M.
+_de Marcieux_, qui il a racont cette conversation telle qu'elle
+toit, qu'il partoit tout de suite pour la Pologne, et que n'ayant aucun
+secours de sa famille, il se trouvoit dans le cas d'accepter les offres
+de madame _V...._, et qu'il devoit aux procds gnreux et
+dsintresss de cette dame, la plus grande reconnoissance. Je ne puis
+m'empcher, je vous l'avoue, de trouver cela trs-bien, si cela
+est[198].
+
+Je suis si lasse des humeurs de mademoiselle _Bideau_, que je suis
+rsolue de me tirer de ses pattes, quelque prix que ce soit. Je
+vendrai ce qui me reste de pierreries, me dfaisant, sans regret, de ces
+joyaux qui me divertissent, mais qui me seroient insupportables, si je
+continuois d'avoir un fardeau si pesant. Elle exige beaucoup de moi;
+elle trouve trop que je lui ai des obligations, pour que ma
+reconnoissance soit bien grande. Elle traite de manie et de sottise ce
+qu'elle a pratiqu toute sa vie. La dvotion, qui est prsent sa seule
+ressource, sert encore me tyranniser. Rien n'est si difficile que de
+faire son devoir auprs de gens que l'on n'aime point, et que l'on
+n'estime point. Madame _de Ferriol_ est d'une avarice sordide; elle ne
+fait plus que vgter, mais d'une faon si triste, elle est si aigre,
+que personne n'y peut tenir. Tout le monde l'abandonne. _D'Argental_ m'a
+tant parl de vous et des vtres et avec tant d'attachement, que je lui
+en sais un gr infini, et l'en aime davantage.
+
+Le marchal _d'Uxelles_ a quitt la cour avec courage; mais il est comme
+_Charles-Quint_; il s'en repent. Il se flatte, dit-on, que le roi lui
+ordonnera de revenir; mais il ne lui a rien dit: on assure que c'est
+l'occasion du trait, qu'il l'a quitt. Cela lui fait honneur; car le
+public n'en a pas t content.
+
+Le chevalier est mieux. Je voudrois bien qu'il n'y et plus de combat
+entre ma raison et mon coeur, et que je pusse goter parfaitement le
+plaisir que j'ai de le voir. Mais hlas! jamais. Mon corps succombe
+l'agitation de mon esprit: j'ai de grandes coliques d'estomac; ma sant
+est furieusement drange. Adieu, Madame, je finis cette lettre qui
+n'est qu'une rapsodie; je ne sais comment vous vous en tirerez.
+
+
+
+
+LETTRE XXVI.
+
+Paris, 1730.
+
+
+Je vis hier M. _de Villars_[199], qui me dit qu'il vous enverroit son
+portrait incessamment. Il a t assez incommod; je lui sus bien bon gr
+de ce qu'il passa deux heures dans ma chambre; nous fmes seuls, et nous
+parlmes de Genve tout notre aise. Depuis trois mois, je suis
+garde-malade. Madame _de Bolingbrocke_ a t trs-mal. Je l'ai vue
+beaucoup souffrir; j'ai cru plusieurs fois qu'elle resteroit dans mes
+bras; elle est actuellement dans un tat trs-languissant. Elle ne mange
+presque point, et son dgot seul seroit capable de mettre aux abois une
+personne en sant: elle a toujours une fivre lente. Il y a des momens
+o l'on craint qu'elle ne s'teigne comme une chandelle. Elle a bien du
+courage, et c'est ce qui la soutient. Vous ne croiriez pas, en
+l'entendant causer quelquefois, qu'elle ft malade, la maigreur prs,
+qui est extrme. La machine s'affoiblit tous les jours; elle a un peu
+mieux mang ces deux jours. _Silva_ et _Chirac_, ses mdecins, ne
+connoissent point son mal, et ne travaillent pas avec connoissance de
+cause. Madame _de Ferriol_ refuse opinitrement de remdier une
+bouffissure qui est rpandue sur son visage. Elle est d'un changement si
+grand, que, si vous la rencontriez, vous ne la reconnotriez pas: elle
+est menace d'appoplexie et d'hydropisie. Elle est engourdie au point
+que, quand elle reste une demi-heure assise, elle ne peut se relever;
+elle dort partout. La maladie de son marchal la tient un peu alerte;
+elle en est trs-afflige.
+
+Il faut vous parler de nouvelles. Vous savez apparemment la mort du
+pape. Le cardinal _Albroni_ se flatte de l'tre. Les Sauvages de la
+Louisiane ont gorg une colonie franoise. Une sauvagesse aimoit un
+franoise, et l'avertit de ce qu'on tramoit contre sa nation. Celui-ci
+le dit au commandant qui fit comme le marchal _de Villars_, et crut que
+l'on n'oseroit point l'attaquer. Il a t puni comme son modle; car il
+a t le premier gorg. La question est de savoir lequel a t le plus
+puni. L'exil pour un homme ambitieux est pire que la mort. Le commandant
+auroit peut-tre prfr la vie. On prtend que les Anglois ont anim
+les Sauvages. On est trs-embarrass sur le parti prendre avec eux.
+Cela a fait baisser les actions et a caus bien des alarmes. Pour moi,
+j'en ai une trs-petite, parce que j'y suis bien peu intresse, n'ayant
+que la moiti d'une action; mais mes amis en ayant, cela suffiroit pour
+que j'en fusse inquite. J'en ai parl une personne assez au fait, qui
+m'a assure que l'on feroit mal de les vendre. La vie est si mle de
+chagrins, qu'il faut, Madame, n'tre pas si sensible. Moi qui vous
+parle, je me tue de sensibilit. M. _Orry_, intendant de
+_Quimper-Corentin_, vient d'tre fait contrleur gnral. On a remerci
+M. _des Forts_. On dit que le nouveau ministre a de l'esprit et de la
+capacit. Cela a pourtant surpris tout le monde. Mes chres soeurs,
+permettez-moi ce nom avec mesdames vos filles; j'ai pour elles les
+sentimens que l'on a pour d'aimables soeurs. Embrassez-les, je vous prie,
+pour moi, aussi bien que votre mari, pour qui j'aurai toute ma vie de la
+coquetterie et de la reconnoissance.
+
+Je suis trs-incommode depuis six semaines. J'ai de la diarrhe qui m'a
+dbarrasse de mon rhumatisme et de mes coliques; mais le remde
+pourroit tre plus dangereux que le mal. Je suis maigrie, et
+trs-foible: je vais prendre de l'mtique. Adieu, Madame; aimez-moi
+toujours un peu. Soyez persuade que personne ne vous aime plus
+tendrement, ne vous estime et ne vous honore plus parfaitement. Vous
+feriez le bonheur de ma vie, si je pouvois vivre avec vous. Notre
+sparation me parot tous les jours plus cruelle et m'afflige
+sensiblement. Quelque malheur qu'il y ait sentir, mes sentimens pour
+vous seront toujours de la dernire vivacit.
+
+
+
+
+LETTRE XXVII
+
+Dcembre, 1730.
+
+
+Il y a mille ans, Madame, que je ne vous ai fait ma cour; ce n'est pas
+assurment que je ne pense bien vous, et que je ne me rappelle tous
+les plaisirs que j'ai gots Genve. La mmoire, soutenue par le
+sentiment, me reprsente tout jusqu'aux moindres choses bien vivement:
+mes ides font bien du chemin. Arrive chez vous, je vous vois, je vous
+embrasse, je pleure de joie; et mon coeur se serre, lorsque je vois que
+ce n'est qu'en ide. Permettez que j'embrasse mes chres soeurs, mes
+chres bonnes amies; j'ai bien du plaisir vous aimer, et vous manquez
+ici mon bonheur. Madame _de Ferriol_ me flatte encore, d'un voyage
+Pont-de-Vesle; elle se porte mieux. Pour ma sant, elle n'est pas bien
+merveilleuse. J'ai l'estomac fort drang, de grands maux de tte,
+souvent des rhumes, et beaucoup de foiblesse.
+
+Je veux vous rendre compte de l'tat de mes finances. Vous savez qu'il y
+a long-temps que je dois, et dpensois, sans trop savoir ce que je
+pouvois dpenser. Enfin, lasse de ce dsordre, j'ai emprunt 2,000 cus
+pour payer mes dettes criardes, que je rendrai dans quatre ans, en
+donnant par anne 1,800 livres de mes rentes; je me rduis alors 1,200
+livres: je serai bien l'troit, mais bien soulage de ne devoir plus
+que 4,400 livres M. _Pris de Montmartel_, qui je donnerai 1,000
+livres par anne. J'aurai le bonheur de ne plus voir de cranciers; ils
+ne seront pas si aises d'tre dbarrasss de moi, que je le serai de
+l'tre d'eux; car ils sont bonnes gens, et ne m'ont point tourmente.
+J'ai eu le plaisir d'arranger les affaires de _Sophie_, de faon qu'elle
+est proportion plus riche que moi. J'espre que nous mangerons notre
+revenu ensemble. Je ne puis assez vous exprimer la joie que j'ai d'avoir
+pris mon parti de payer, pour n'avoir obligation personne. Madame
+_P....._ se ressouvient-elle de moi? Elle seroit bien ingrate, si elle
+ne m'aimoit pas un peu; car je la respecte et l'honore infiniment. Ne
+m'oubliez point, s'il vous plat, auprs de M. _de Caze_. Madame la
+duchesse _de Saint-Pierre_ m'a beaucoup demand de ses nouvelles, et m'a
+charge de lui faire ses complimens. Elle l'aime bien, ce qu'elle m'a
+dit. Dites-lui que cette dame est toujours plus belle: elle a conserv
+un beau teint, une belle gorge. Elle est comme vingt ans; elle est
+trs-aimable: elle a vu bonne compagnie; et un mari svre, et qui
+connoissoit le monde, l'a rendue d'une politesse charmante. Elle sait
+conserver l'air d'une grande dame, sans humilier les autres. Elle n'a
+point du tout cette politesse haute qui protge; elle a bien de
+l'esprit, elle sait dire des choses flatteuses, et sait mettre les gens
+ leur aise.
+
+Je fis, il y a quelques jours, vos complimens madame _de Tencin_
+moi-mme. Vous tes surprise; mais coutez, et vous le serez davantage.
+J'tois dans la chambre de madame sa soeur. Elle entra, je voulus m'en
+aller. C'est ce que je faisois ordinairement, parce qu'elle me refusoit
+le salut. Elle toit d'un embarras horrible; elle m'attaqua de
+conversation, loua d'abord la robe que je portois, me parla de la sant
+de madame sa soeur, et enfin elle resta deux heures toujours causer et
+de trs-bonne humeur. Nous vnmes parler de notre voyage en Bourgogne,
+ Pont-de-Vesle, Genve. Je pris cette occasion, et lui dis que
+j'avois reu dernirement votre lettre o vous me chargiez de lui faire
+des complimens. Elle me dit que cela la surprenoit, qu'il y avoit des
+temps infinis qu'elle n'avoit entendu parler de vous. Je l'assurai que
+ce n'toit pas votre faute; que, presque dans toutes vos lettres, vous
+faisiez des complimens pour elle, et que, comme je n'avois pas l'honneur
+de la voir, j'en avois charg plusieurs personnes, entr'autres
+_d'Argental_; que, sur-tout mon dpart de Genve, vous m'aviez
+recommand de lui faire bien des amitis de votre part. Elle me dit que
+ce ressouvenir lui faisoit bien du plaisir, parce qu'elle vous aimoit
+beaucoup. Elle me fit bien des questions sur votre sant et sur vos
+affaires. Je lui rendis compte de l'arrangement que vous aviez fait;
+elle dit cela qu'elle vous reconnoissoit bien, et que personne n'toit
+plus capable que vous, de bons et nobles procds. Depuis ce temps-l,
+nous nous sommes revues. Nous avons fait la conversation comme si nous
+n'avions pas t mal ensemble et sans claircissement. J'en veux rester
+ ce point. Je ne vais point chez elle. Il me sera difficile de
+l'viter; mais si j'y vais, fiez-vous-en moi, ce sera sobrement.
+
+On ne parle ici que de l'abb _Pris_, des miracles et des convulsions
+qui s'oprent sur son tombeau. Les uns disent qu'il fait des miracles;
+les autres, que ce sont des friponneries. Les partis s'exercent
+outrance. Les neutres et les bons catholiques, c'est--dire, les vrais,
+sont peu difis. On n'entend que calomnie, fureur, emportement et
+friponnerie. Les mieux sont ceux qui ne sont que fanatiques, et ceux-l
+se croient tout permis. Voil ce qui fait le sujet de toutes les
+conversations, et messieurs _de B....._ les chansonnent. Il y a des
+couplets sur la duchesse douairire; ils sont trop grossiers pour que je
+vous les envoie. On joue l'opra _Callirho_, qui ne russit pas,
+quoique cet opra soit intressant et joli; mais le grand air prsent
+est de n'aller que le vendredi l'opra; et d'ailleurs, comme tout est
+esprit de parti, les partisans de la _Le Maure_ sont en plus grand
+nombre prsent que ceux de la _Pellissier_. M. _d'Argental_ est
+amoureux de cette dernire; il est aim, et il s'en cache beaucoup. Il
+croit que je l'ignore, et je n'ai garde de lui en parler. Elle en est
+folle; elle est tout aussi impertinente que la _Le Couvreur_; mais elle
+est sotte, et ne lui fera point faire de folie. C'est un furieux
+ridicule un homme sage et en charge, que d'tre toujours attach une
+comdienne. Tous les partisans de la _Le Maure_ trouvent la _Pellissier_
+outre et peu naturelle. Ils disent que c'est M. _d'Argental_ et ses
+amis qui la gtent. Cela m'afflige; mais, connoissant son abandon pour
+ce qu'il aime, je me console de cela, parce qu'il s'en cache, et que par
+consquent, il vit plus avec le monde pour dpayser. Pour M. _de
+Pont-de-Vesle_, il se porte merveille; il est galant au possible; il
+me demande souvent de vos nouvelles. M. _de Ferriol_ est assez bien,
+mais horriblement sourd et gourmand. Voil un compte exact de toutes les
+nouvelles, mais je ne vous ai pas encore rendu compte de mon coeur. Pour
+vous, je vous aime parfaitement. Cette amiti fait le bonheur de ma vie,
+et souvent la peine; car j'ai le coeur serr, quand je pense qu'une
+personne que j'aime si tendrement, je ne la vois point. Aimez-moi,
+Madame, comme je vous aime.
+
+
+
+
+LETTRE XXVIII.
+
+Paris, 1731.
+
+
+Ma sant, Madame, se rtablit tout doucement. Ma convalescence est
+longue; mais ma maladie l'a t. Il n'est point surprenant que j'aie de
+la peine rparer mes forces. Vos bonts et vos voeux pour moi me font
+un bien infini: je vous en remercie de tout mon coeur. Vos lettres m'ont
+fait un grand plaisir; mais le chagrin de vous causer des inquitudes
+diminue ma satisfaction d'tre autant aime. En vrit, rattachement
+tendre que je vous ai vou, mrite les bonts que vous avez pour moi.
+Je vous aime et vous estime comme vous le mritez; c'est sans bornes.
+Continuez, Madame, me rendre heureuse; car je mourrois de douleur, si
+vous cessiez d'avoir de l'amiti pour moi.
+
+Madame _de Tencin_ est, comme vous le savez, exile Ablons depuis
+quatre mois. Elle a t trs-malade. _Astruc_ est comme _Roland_. Je ne
+sais si c'est badinage, ou si c'est tout de bon; mais, ce qu'il y a de
+certain, c'est que personne ne la plaint, et bien des gens disent
+qu'elle n'a rien de mieux faire qu' mourir. Voil de bons propos. M.
+_de Saint-Florentin_ est l'extrmit: s'il en revient, il deviendra
+sage, ou il sera incorrigible. M. _de Gesvres_ et le duc _d'pernon_
+sont toujours exils. On appelle leur conjuration, _la conspiration des
+marmousets_. Tout le monde se moque d'eux. M. _de Bedevolle_ toit un
+des conjurs; il laisse une rputation qui ne flaire pas comme baume. On
+dit que c'est un esprit trs-dangereux, d'autant plus qu'il est fripon.
+Adieu, Madame, je ne puis crire plus long-temps, je suis trop foible.
+
+
+
+
+LETTRE XXIX.
+
+_Histoire de mes Amours avec le duc_ DE GESVRES.
+
+1731.
+
+
+Je conviens, Madame, malgr votre colre et le respect que je vous dois,
+que j'ai eu un got violent pour M. le duc _de Gesvres_, et que j'ai
+mme port confesse ce grand pch. Il est vrai que mon confesseur ne
+jugea pas propos de me donner de pnitence. J'avois huit ans, quand
+cette passion commena, et douze ans, je tournois en plaisanterie mon
+got; non que je ne trouvasse M. _de Gesvres_ aimable, mais je trouvois
+plaisans tous les empressemens que j'avois eus d'aller causer et jouer
+dans les jardins avec lui et ses frres: il a deux ou trois ans plus que
+moi, et nous tions, ce qui nous paroissoit, beaucoup plus vieux que
+les autres. Cela faisoit que nous causions, lorsque les autres jouoient
+ la cligne-musette. Nous faisions les personnes raisonnables; nous nous
+voyions rgulirement tous les jours; nous n'avons jamais parl d'amour,
+car en vrit, nous ne savions ce que c'toit ni l'un ni l'autre. La
+fentre du petit appartement donnoit sur un balcon o il venoit souvent;
+nous nous faisions des mines; il nous menoit tous les feux de la
+Saint-Jean, et souvent Saint-Ouen. Comme on nous voyoit toujours
+ensemble, les gouverneurs et les gouvernantes en firent des
+plaisanteries entr'eux, et cela vint aux oreilles de mon Aga[200] qui,
+comme vous le jugez, fit un beau roman de tout cela. Je le sus: cela
+m'affligea; je crus, comme une personne raisonnable, qu'il falloit
+m'observer, et cette observation me fit croire que je pourrois bien
+aimer M. _de Gesvres_; j'tois dvote, et j'allois confesse; je dis
+d'abord tous mes petits pchs: enfin il fallut dire le gros pch;
+j'eus de la peine m'y rsoudre; mais en fille bien leve, je ne
+voulus rien cacher. Je dis que j'aimois un jeune homme. Mon directeur
+parut tonn, il me demanda quel ge il avoit. Je dis qu'il avoit onze
+ans: il me demanda s'il m'aimoit, et s'il me l'avoit dit; je dis que
+non; il continua ses questions. Comment l'aimez-vous, me dit-il? Comme
+moi-mme, lui rpondis-je. Mais me rpliqua-t-il, l'aimez-vous autant
+que Dieu? Je me fchai, et je trouvai fort mauvais qu'il m'en
+souponnt. Il se mit rire, et me dit qu'il n'y avoit point de
+pnitence pour un pareil pch; que je n'avois qu' continuer d'tre
+toujours bien sage, et de n'tre jamais seule avec un homme; que c'toit
+tout ce qu'il avoit me dire pour l'heure. Je conviendrai encore qu'un
+jour, j'avois alors douze ans, lui de quatorze quinze, il parloit avec
+transport qu'il feroit la campagne prochaine; je me sentis choque
+qu'il n'et pas de regret de me quitter, et je lui dis avec aigreur: ce
+discours est bien dsobligeant pour nous. Il m'en fit des excuses, et
+nous disputmes long-temps l-dessus. Voil ce qu'il y a jamais eu de
+plus fort entre nous. Je crois qu'il avoit autant de got pour moi, que
+j'en avois pour lui. Nous tions tous deux trs-innocens, moi dvote,
+lui autre chose. Voil la fin du roman. Depuis ce temps-l, nous nous
+sommes rappel nos jeunes ans, sans cependant nous trop tendre; la
+matire toit dlicate, soit plaisanterie, soit srieusement; le sujet
+et nos ges me justifieront-ils, Madame? voil la vrit pure. Pour
+celui qui l'a dit, c'est assurment _Bedevolle_; il porte son esprit
+tracassier dans tous les pays qu'il habite. Vous devriez toujours
+prendre ma dfense, et me conserver l'estime du public. Savez-vous bien
+que je suis rellement pique et en colre des soupons que vous avez de
+moi? Il faut que vous ne m'aimiez pas autant que je m'en tois flatte.
+Quoi! Madame, vous me croiriez capable de vous tromper! Je vous ai fait
+l'aveu de toutes mes foiblesses; elles sont bien grandes; mais jamais je
+n'ai pu aimer qui je ne pouvois estimer. Si ma raison n'a pu vaincre ma
+passion, mon coeur ne pouvoit tre sduit que par la vertu, ou par tout
+ce qui en avoit l'apparence. Je conviens, avec douleur, que vous ne
+pouvez arracher de mon coeur l'amour le plus violent; mais soyez assure
+que je sens toutes les obligations que je vous ai, et que je ne varierai
+jamais sur les sentimens tendres que je vous ai vous. Ma reconnoissance
+gale mon amiti et mon estime pour vous. Vous tes la personne la plus
+respectable et la plus aimable que je connoisse. Je vous proteste que
+l'on est bien loign de chercher rompre cette confiance que j'ai pour
+vous. Le chevalier vous aime et vous respecte infiniment; il s'attendrit
+quand je parle du malheur que j'ai d'tre spare de vous, et quelque
+crainte que l'on ait de me perdre, l'estime est plus forte. Quand je
+lui ai racont les conversations que j'avois eues avec vous, je l'ai
+fait pleurer, et tout ce qu'il disoit toit: hlas! j'ai couru de
+furieux risques. Il paroissoit trs-inquiet que cela n'et diminu mon
+got pour lui, sentant que cela en toit bien capable; il me remercia
+aprs cela, de la faon du monde la plus touchante, de l'aimer encore.
+Vous n'ignorez pas le fruit des soins que l'on avoit pris pour nous
+dsunir et pour me perdre. Le chevalier a trop de dlicatesse, pour que
+l'aversion et le mpris ne fussent pas la rcompense de ces mes basses.
+Jugez ce que le contraire a d faire. On a t bien loign de vous
+attribuer le refroidissement de mes lettres, pendant mon sjour en
+Bourgogne: il tomboit sur la _gentille Bourguignonne_, et croyoit que la
+marchale me disoit du mal de lui. Son attachement devient tous les
+jours plus fort: ma maladie l'a mis dans des inquitudes si terribles,
+qu'il faisoit piti tout le monde, et on venoit me rendre ses
+discours. En vrit, vous en auriez pleur, Madame, aussi bien que moi.
+Il toit dans des frayeurs normes que je ne mourusse. Il n'toit pas
+possible, disoit-il, qu'il pt rsister ce malheur. Sa douleur et sa
+tristesse toient si grandes, que je le consolois, et je cachois mes
+maux, tant que je le pouvois; il avoit toujours les larmes aux yeux; je
+n'osois le regarder, il m'attendrissoit trop. Madame _de Ferriol_ me
+demanda un jour si je l'avois ensorcel; je lui rpondis: le charme
+dont je me suis servie, est d'aimer malgr moi, et de lui rendre la vie
+du monde la plus douce. L'envie lui fit faire la question, et la malice
+me fit rpondre. Voil, Madame, ce que vous m'avez demand; mon coeur est
+ dcouvert. Je passe sous silence mes remords; ma raison m'en fait
+natre; lui et ma passion les touffent. Quelques rayons d'esprance
+d'une fin, d'une conclusion, aident bien m'garer; mais il n'est pas
+mon pouvoir de les abandonner. Adieu, Madame, je n'en puis plus. Voil
+une longue lettre, pour une personne aussi foible que moi.
+
+
+
+
+LETTRE XXX.
+
+Paris, 1727.
+
+
+J'ai consult M. _Silva_ et M. _Gervais_ pour vous, Madame; ils veulent
+que vous vous fassiez saigner souvent, et que vous alliez absolument
+des bains chauds. Comme votre sant m'est plus chre que ma propre vie,
+je n'ai pas oubli un mot de ce qu'ils m'ont dit. Au nom de Dieu, faites
+ce qu'il faut pour vous procurer une bonne sant! Dieu l'ordonne, vos
+parens le dsirent ardemment, et vos amis, la tte desquels je veux
+tre, se mettent vos genoux. Ne me donnez point pour raison celle de
+la dpense. Je connois la noblesse de votre coeur, et je sais les motifs
+vertueux qui vous rendent si mnagre; mais les hommes, qui ne sont pas
+capables de sentimens si dlicats, qui rapportent tout eux, vous
+accuseront d'un got pour l'pargne. Cela seroit injuste, je l'avoue;
+mais il faut vivre avec ces hommes. Laissez moins de bien vos
+hritiers, et donnez-leur un bien plus prcieux, qui est votre sant,
+votre vie: l'argent que vous conomiserez, pour remdier votre sant,
+n'est fait que pour s'en servir. Je connois votre famille: ils
+donneroient tous une partie de leurs jours pour prolonger les vtres. Je
+vous dis tout cela avec une vivacit qui ne peut vous dplaire, puisque
+c'est l'intrt le plus vif et le plus tendre qui le dicte ma plume;
+et il est difficile de se modrer, quand on est occup, comme je le
+suis, d'une amie telle que vous, et dont la sant me tient au coeur.
+Promettez-moi donc que vous ferez les remdes ncessaires. Songez, et
+soyez bien convaincue que si vous tes mieux, je serai indubitablement
+soulage. Je me chagrine et m'attendris pour vous; je ne puis penser
+vous que je n'aie le coeur gros. La crainte et la douleur touffent des
+souvenirs qui me plairoient. Laissez-moi penser vous doucement. Enfin,
+si vous m'aimez, faites votre possible pour gurir.
+
+Il faut que je vous parle de mon foible corps; il est bien foible, je ne
+puis me remettre de ma furieuse maladie, je ne reprends point le
+sommeil, j'ai t trente-sept heures sans fermer les paupires, et
+trs-souvent je ne m'endors qu' sept heures du matin. Vous jugez bien
+si je peux reprendre mes forces; j'ai de la diarrhe depuis quelques
+jours. Les mdecins ne comprennent pas trop mon mal, ils disent que
+jamais on n'a eu une fluxion de poitrine sans cracher. Il est vrai que
+j'ai eu de l'oppression, et que j'en ai encore beaucoup. Je suis
+extrmement maigrie; mon changement ne parot pas autant quand je suis
+habille. Je ne suis pas jaune, mais fort ple; je n'ai pas les yeux
+mauvais: avec une coiffure avance, je suis encore assez bien; mais le
+dshabill n'est pas tentant, et mes pauvres bras, qui, mme dans leur
+embonpoint, ont toujours t vilains et plais, sont comme deux
+cotterets. Vous auriez t flatte de l'amiti que tout le monde a
+tmoigne pour une personne que vous honorez de votre tendresse, si vous
+aviez t tmoin de tout ce qui s'est pass pendant que je fus en
+danger: tous mes amis et les domestiques fondoient en larmes; et quand
+j'ai t hors de danger (j'ignorois y avoir t), ils vinrent tous la
+fois, avec des larmes de joie, me fliciter. Je fus attendrie au point
+qu'ils craignoient d'avoir commis une indiscrtion. Que seriez-vous
+devenue, vous, Madame, qui avez, tant de bont pour moi, si vous aviez
+t l? Il y a deux de mes amies qui toient dans la chambre, qui n'y
+purent tenir. Tout cela m'a t cont depuis. La pauvre _Sophie_ a
+souffert tout ce qu'il est possible de souffrir; elle craignoit de
+m'alarmer, elle vouloit avoir l'air assure; elle faisoit tout ce
+qu'elle pouvoit pour ne pas pleurer. Vous savez combien elle est pieuse;
+elle toit inquite pour mon me, d'autant que _Silva_ toit furieux
+que l'on ne m'et pas confesse. Il est vrai que sans avoir la certitude
+que j'tois en danger, je l'avois demand madame _de Ferriol_, qui fit
+une autre scne. Elle radote; elle ne fut occupe que du jansnisme.
+Dans ce moment, au lieu de chercher un peu me rassurer, elle saisit
+avec vivacit la premire parole que je lui dis, pour me donner son
+confesseur, et que je n'en prisse point d'autre; je lui rpondis d'une
+faon qui auroit fait rentrer une autre personne en elle-mme. J'avoue
+que dans ce moment je fus plus indigne qu'effraye; mais je m'aperus
+que tout ce que je lui disois toit inutile; c'toit semer des
+marguerites devant des pourceaux; elle ne sentoit rien que le plaisir
+d'avoir escamot ma confession un jansniste; elle trouva le triomphe
+si beau, qu'elle en devint insolente, et dit sa femme de chambre des
+choses si piquantes sur _Sophie_, parce qu'elle ne m'avoit pas parl de
+son confesseur, que cette fille fondit en larmes, en lui disant qu'elle
+et _Sophie_ toient assez affliges, pour qu'elles mritassent plus de
+consolations que de gronderies; que ma femme de chambre, il est vrai,
+avoit eu plus d'amour pour ma vie que pour mon me; qu'elle se
+reprochoit ces sentimens, et qu'elle toit trs-soulage de voir que
+j'aurois les secours de l'me, sans qu'elle et eu la douleur de me
+l'apprendre. Que dites-vous de cette scne et de la tendresse de cette
+bonne dame? Mais l'on conserve toujours son caractre: s'il avoit fallu
+aller quatre heures pied, pour me chercher un remde, elle y auroit
+t avec joie; mais les rflexions tendres et dlicates, les sentimens
+du coeur nuls; elle toit fche, comme nous le sommes d'un indiffrent
+qui ne nous fait point oublier le reste; elle n'toit occupe que de la
+colre qu'elle prtendoit que son frre auroit que je fusse morte entre
+les mains d'un jansniste: chose dont je crois qu'il se seroit peu
+souci; mais elle s'toit figur qu'il lui en auroit su mauvais gr, et
+l'en auroit dshrite. Vous direz peut-tre que je m'imagine tout cela.
+Non, en vrit, j'ai trop vcu avec elle, pour ne la pas connotre, et
+d'ailleurs, elle a trop peu de soin de me cacher son me. J'attribue
+tout ceci une me peu tendre et un corps apoplectique et qui radote.
+Cela ne me fera jamais oublier toutes les obligations que je lui ai, et
+mon devoir; je lui rendrai tous les soins que je lui dois, aux dpens
+mme de mon sang. Mais, Madame, qu'il est diffrent d'agir par devoir ou
+par tendresse. Cela a son bien: je serois trop malheureuse, si j'avois
+pour elle la tendresse que j'ai pour vous. Dans l'tat o elle est, il
+faudroit m'enterrer avec elle.
+
+Adieu, Madame, je finis cette longue ptre, que je crois trs-difficile
+ dchiffrer. Madame _de Tencin_ m'aime la folie. Qu'en croyez-vous?
+Je voudrais bien qu'elle ne s'aperut pas de l'loignement que j'ai pour
+elle: je me crois fausse, et quand je suis avec elle, je suis dans une
+continuelle contrainte. J'embrasse le mari, les femmes, les enfans.
+Permettez cette familiarit votre _Ass_.
+
+_P.S._ J'apprends dans ce moment que le roi vient d'ordonner que le
+cimetire de Saint-Mdard seroit ferm, avec dfense de l'ouvrir que
+pour enterrer. Comprenez-vous, Madame, qu'on ait permis, depuis prs de
+cinq ans, toutes les extravagances qui se sont faites et dbites sur le
+tombeau de l'abb _Pris? Fontenelle_ nous assuroit l'autre jour, que
+plus une opinion toit ridicule, inconcevable, plus elle trouvoit de
+sectateurs. Les hommes aiment le merveilleux; notre ami, M. _Carr de
+Montgeron_[201], jure sur son salut, qu'il a vu des choses
+surnaturelles. Le gros livre qu'il a prsent au roi, cite des gurisons
+miraculeuses; aveugles-ns, boiteux, sourds, muets; appuy de
+certificats authentiques, signs par des gens de probit reconnue. La
+postrit aura de la peine croire, que plus de vingt mille mes aient
+donn dans toutes ces extravagances. Le lendemain de la clture du
+cimetire, on trouva ces vers:
+
+ De par le roi, dfense Dieu
+ D'oprer miracle en ce lieu.
+
+
+
+
+LETTRE XXXI.
+
+Paris, 1732.
+
+
+J'ai t encore trs-incommode; j'ai eu six jours la fivre, des
+douleurs effroyables dans tout le corps; je suis toujours fort oppresse
+et foible; les genoux et les mains me font mal. Je me trouve mieux
+aujourd'hui seulement, et je n'pargne pas les ports de lettres, tant
+persuade comme je le suis, Madame, de votre amiti et de votre bont
+pour moi. J'envoyai, tant encore bien malade, chez M. _S...._ le prier
+de venir me voir, voulant lui demander de vos nouvelles, et qu'il vous
+donnt des miennes. On ne me permit pas de lui parler, dont j'tois
+outre. Il est venu aujourd'hui; il m'a appris le mariage de
+mademoiselle _Ducrest_ avec M. _Pictet_. Ah! le bon pays que vous
+habitez, o l'on se marie, quand on s'est aim, et quand on s'aime
+encore. Plt Dieu qu'on en ft autant ici! Faites-leur, s'il vous
+plat, mes complimens de flicitation. M. _S...._ m'a dit que vous vous
+portiez assez bien, et que vous tiez votre campagne, o vous vous
+amusiez. Je me ressouviendrai toujours de tous les plaisirs que j'y ai
+gots. Madame _de Ferriol_ revient de Sens, o elle a t trs-malade,
+d'une indigestion des plus dangereuses; elle est heureusement mieux;
+mais si j'avois le malheur de la perdre, et que je lui survcusse,
+srement vous me verriez tablie Pont-de-Vesle. Si je suis un peu
+mieux, j'irai Ablons: le changement d'air pourroit contribuer au
+rtablissement de ma sant.
+
+J'ai une tabatire admirable, que madame _de Parabre_ m'a donne, et
+que je voudrois bien vous faire voir; car quand j'ai quelque chose de
+joli, je souhaiterois bien qu'il et votre approbation; c'est une bote
+de jaspe sanguin, d'une beaut parfaite, monte en or par tout ce qu'il
+y a de plus habile; la forme en est charmante. Elle l'avoit depuis cinq
+ six ans, et l'autre jour, elle en parloit comme d'une bote favorite.
+Je dis malheureusement qu'elle toit la mienne, que je n'avois jamais vu
+un bijou de meilleur got. Sur cela il n'y a ni prires, ni perscutions
+qu'elle ne m'ait faites pour me la faire prendre; elle me menaa de la
+donner au premier venu, si je la refusois: cette bote vaut plus de cent
+pistoles. Elle m'entretient, il n'y a point de semaines qu'elle ne me
+fasse quelque prsent, quelque soin que je prenne de l'viter: je file
+un meuble, elle m'envoie de la soie, afin que je n'en achte pas; elle
+ne m'a vu cet t que de vieilles robes de taffetas de l'anne
+prcdente, j'en ai trouv une sur ma toilette, de taffetas broch,
+charmant; une autre fois, c'est une toile peinte. En un mot, si cela est
+agrable d'un ct, cela est charge de l'autre. Elle a une amiti et
+une complaisance pour moi, telle qu'on l'auroit pour une soeur chrie.
+Pendant ma maladie, elle quittoit tout, pour venir passer des journes
+auprs de moi; enfin, elle ne veut pas que j'en puisse aimer d'autres
+plus qu'elle, hors le chevalier et vous: elle dit qu'il est juste, de
+toute faon, que vous ayez la prfrence, et nous parlons souvent de
+vous. Je lui ai donn une grande ide de mon amie, et telle qu'elle la
+mrite. Plt Dieu qu'elle vous ressemblt, et qu'elle et
+quelques-unes de vos vertus! Elle est de ces personnes que le monde et
+l'exemple ont gtes, et qui n'ont point t assez heureuses pour
+s'arracher au dsordre. Elle est bonne, gnreuse, a un trs-bon coeur;
+mais elle a t abandonne l'amour, et elle a eu de bien mauvais
+matres. Adieu, Madame; aimez-moi toujours un peu, et croyez que
+personne ne vous est plus tendrement, ni plus respectueusement attach.
+
+
+
+
+LETTRE XXXII.
+
+Paris, novembre 1732.
+
+
+Je ne vous cris que deux mots, Madame, parce que mes forces sont bien
+diminues. J'ai t oblige d'crire une assez longue lettre d'affaires;
+mais je n'ai pas voulu tarder vous donner de mes nouvelles. Je ne
+doute point de vos bonts pour moi, et que vous seriez en peine, si vous
+tiez plus long-temps sans en recevoir; j'ai moins de fivre depuis
+trois jours, et suis un peu moins foible. Je suis presque toujours sur
+un lit, et quand je me lve, je me mets sur un canap. Je prends du lait
+qui passe assez bien. Si cela pouvoit ne pas aller plus mal pendant une
+quinzaine de jours, _Silva_ auroit de l'esprance; ma maladie me ruine,
+et l'avarice est devenue sordide. Si cela continue, nous verrons le
+second volume de madame _Tardieu_, qui se faisoit des jupons des thses
+que l'on donnoit son mari. Je vous parlerai dans quelque temps plus
+amplement sur l'tat de mon me. J'espre que vous serez contente: il
+faut pourtant que je vous dise que rien n'approche de l'tat de douleur
+et de crainte o l'on est: cela vous feroit piti; tout le monde en est
+si touch, que l'on n'est occup qu' le rassurer. Il croit qu' force
+de libralits, il rachtera ma vie; il en donne toute la maison,
+jusqu' ma vache, qui il a achet du foin; il donne l'un de quoi
+faire apprendre un mtier son enfant; l'autre, pour avoir des
+palatines et des rubans; tout ce qui se rencontre et se prsente
+devant lui: cela vise quasi la folie. Quand je lui ai demand quoi
+tout cela toit bon, il m'a rpondu obliger tout ce qui vous
+environne avoir soin de vous. Pour moi, il n'y a sorte de tourment,
+de perscution qu'il ne me fasse prouver pour me faire accepter cent
+pistoles; il a eu recours mes amis, pour me le persuader; enfin, il me
+les a fallu prendre; mais je les ai remises une personne qui les lui
+rendra aprs ma mort. Assurment, je n'y toucherai point; je demanderai
+plutt l'aumne que de ne pas les rendre. Je vous ferois rire, si je
+vous contois les frayeurs qu'il a que je ne parle; _Silva_ me l'a
+dfendu sous peine de mort. Ma pauvre _Sophie_, comme vous le jugez
+bien, ne me quitte ni jour, ni nuit. Cet homme-l la mettroit dans son
+coeur, s'il pouvoit; il est outr de n'oser lui donner de l'argent; il
+tourne autour du pot; il trouve cependant quelques expdiens. Si vous le
+connoissiez, vous en seriez tonne; car il est naturellement distrait,
+et ne connot point les petits soins: pour la gnrosit, elle est au
+souverain degr; il se donne la torture pour trouver des moyens de
+donner, et il finit toujours par vouloir donner de l'argent; il frappe
+du pied, et se lamente de n'avoir point d'invention; il envie
+l'imagination du tiers et du quart, qui savent imaginer des
+galanteries; enfin, il retourne son quartier, et j'aurai la libert de
+parler; les femmes ne peuvent s'en passer, et je l'prouve. Adieu,
+Madame, votre _Ass_ vous aime au-del de l'expression. Vous la trouvez
+trop sensible et trop peu dtache; mais qu'il est difficile d'teindre
+une passion aussi violente, et qui est entretenue par le retour le plus
+tendre, le plus vif et le plus flatteur! Mais, Madame, les efforts que
+je fais, aids de la grce, me feront surmonter toutes mes foiblesses.
+
+
+
+
+LETTRE XXXIII.
+
+Paris, 1732.
+
+
+On dit que je suis mieux: non que je trouve du soulagement; je crache
+des horreurs, et je ne dors que par art; je suis tous les jours plus
+maigre et plus foible. Le lait commence, non pas me dgoter, car je
+le prends toujours avec plaisir, mais il me surcharge. Je ne puis dire
+que l'tat de mon corps soit bien douloureux; car je ne souffre presque
+pas: un peu d'oppression et des malaises. D'ailleurs, je n'ai point de
+ces maladies aigus. Je me trouve anantie. Pour les douleurs de l'me,
+elles sont cruelles. Je ne puis vous dire combien me cote le sacrifice
+que je fais: il me tue; mais j'espre en la misricorde de Dieu; il me
+donnera des forces. On ne peut le tromper; ainsi, comme il sait ma bonne
+volont et tout ce que je sens, il me tirera d'embarras. Enfin, mon
+parti est pris: aussitt que je pourrai sortir, j'irai rendre compte de
+mes fautes. Je ne veux aucune ostentation, et je ne changerai que
+trs-peu de chose ma conduite extrieure. J'ai des raisons pour en
+agir avec tout le secret du monde: premirement pour madame _de
+Ferriol_, qui me feroit tourner la tte pour un directeur moliniste; et
+madame _de Tencin_, qui intrigueroit pour cela. D'ailleurs, madame iroit
+de maison en maison ramasser toutes les dvotes de profession qui
+m'accableroient; et, outre tout cela, j'ai des mnagemens garder avec
+qui vous savez. Il m'a parl l-dessus avec toute la raison et l'amiti
+possibles. Tous ses bons procds, sa faon dlicate de penser, m'aimant
+pour moi-mme, l'intrt de la pauvre petite, qui on ne pourroit
+donner un tat: tout cela m'engage beaucoup de mnagement avec lui.
+Mes remords, depuis long-temps, me tourmentent; l'excution me
+soutiendra. Si le chevalier ne me tient pas ce qu'il m'a promis, je ne
+le verrai plus. Voil, Madame, mes rsolutions, que je tiendrai. Je ne
+doute pas qu'elles n'abrgent ma vie, s'il en faut venir aux extrmits.
+Jamais passion n'a t si violente, et je puis dire qu'elle est aussi
+forte de son ct. Ce sont des inquitudes et des agitations si vraies,
+si touchantes, que cela fait venir les larmes aux yeux tous ceux qui
+en sont tmoins. Adieu, Madame, je me flatte, comme vous voyez, en vous
+contant tout cela, de vos bonts et de votre indulgence. Mais soyez
+persuade que, si votre _Ass_ vit, elle se rendra digne d'une amiti
+dont elle sent bien tout le prix.
+
+
+
+
+LETTRE XXXIV.
+
+Paris, 1733.
+
+
+Vous m'avez ordonn de vous donner souvent de mes nouvelles. J'obis de
+bon coeur; car il n'y a rien dans le monde que je rvre, que j'estime et
+que j'honore autant que vous. Rien ne m'empche de me livrer ce
+got-l: il est innocent, il est juste. Comment n'aimerois je pas
+quelqu'un qui m'a appris connotre la vertu, et qui a fait ses efforts
+pour me la faire pratiquer; qui a balanc en moi la passion la plus
+forte? Enfin, Madame, soyez rcompense de vos bonnes oeuvres. Je me
+rends mon crateur; je travaille de trs-bonne foi me dfaire de ma
+passion, et je suis trs-rsolue abandonner mes erreurs. Si vous
+perdez la personne du monde qui vous est le plus attache, songez que
+vous avez travaill la rendre heureuse dans l'autre vie. Aprs vous
+avoir parl des dispositions de mon me, je vous rendrai compte de
+l'tat de mon corps. Je continue de cracher, de tousser et de maigrir.
+Le lait passe assez bien; mais il ne fait pas les progrs que, depuis
+prs de deux mois, il devoit faire. Je viens de me ressouvenir qu'une
+religieuse des Nouvelles-Catholiques de mon ge, et pour laquelle
+j'avois beaucoup d'amiti, est morte de la mme maladie. Cette ide de
+la mort m'afflige moins que vous ne pensez. Je me trouve trop heureuse
+que Dieu m'ait fait la grce de me reconnotre, et je vais travailler
+mettre profit le temps qui me reste. Aprs tout, ma chre amie, un peu
+plutt, un peu plus tard, qu'est-ce que la vie? Personne ne devoit tre
+plus heureuse que moi, et je ne l'tois point. Ma mauvaise conduite
+m'avoit rendue misrable: j'ai t le jouet des passions, emporte et
+gouverne par elles. Mes remords, les chagrins de mes amies, leur
+loignement, une sant presque toujours mauvaise; enfin personne ne sait
+mieux que vous, Madame, combien une vie douloureuse est pnible. Adieu,
+chre amie, aimez-moi, et priez pour le repos de mon me, soit en ce
+monde ou en l'autre. J'embrasse mesdames vos filles.
+
+
+
+
+LETTRE XXXV.
+
+Paris, 1733.
+
+
+J'ai reu cet aprs-midi votre lettre, Madame, qui m'a donn un vrai
+plaisir. Ma sant est toujours de mme; et la saison est trs-peu propre
+pour attendre des succs des remdes. Vous me demandez si je suis
+change; je le suis trs-fort: mes yeux sont d'un gris brun jaune, le
+tour de ma bouche maigri et marqu, ple et abattue. Pour le corps, je
+n'ai plus que la peau et les os; si je mettois du rouge, cela me
+ranimeroit: la physionomie est moins change qu'elle ne devroit tre;
+mes lvres ne sont pas ples: en un mot, c'est une vilaine chose qu'un
+corps maigre. A l'gard de mon me, j'espre que dimanche prochain, elle
+sera dlivre de toutes ses impurets; je m'accuserai de toutes mes
+fautes. J'ai eu une scne bien touchante hier. Je vous envoie une copie
+d'une lettre que l'on m'a rendue en rponse d'une que j'avois crite,
+remplie de sentimens d'amiti, de dtachement et de ma rsolution. Comme
+on me la rendit soi-mme, je ne la lus pas sur-le-champ. Nous parlmes
+sur cette matire; vous auriez fondu en larmes aussi bien que nous; mais
+cette scne ne drange point mes projets, et on ne cherche pas les
+dranger. Vous serez tonne, quand je vous dirai que mes confidentes et
+les instrumens de ma conversion sont mon amant, mesdames _de Parabre_
+et _du Deffant_, et que celle dont je me cache le plus, c'est celle que
+je devrois regarder comme ma mre. Enfin, madame _de Parabre_ l'emmne
+dimanche, et madame _du Deffant_ est celle qui m'a indiqu le P.
+_Bourceaux_, dont je ne doute pas que vous n'ayez entendu parler; il a
+beaucoup d'esprit, bien de la connoissance du monde et du coeur humain;
+il est sage, et ne se pique point d'tre un directeur la mode. Vous
+tes surprise, je le vois, du choix de mes confidentes; elles sont mes
+gardes, et sur-tout madame _de Parabre_ qui ne me quitte presque point,
+et a pour moi une amiti tonnante; elle m'accable de soins, de bonts
+et de prsens. Elle, ses gens, tout ce qu'elle possde, j'en dispose
+comme elle, et plus qu'elle; elle se renferme chez moi toute seule et se
+prive de voir ses amis; elle me sert sans m'approuver, ni me
+dsapprouver, c'est--dire, elle m'a coute avec amiti, m'a offert son
+carrosse pour envoyer chercher le P. _Bourceaux_, et comme je vous l'ai
+dit, elle emmne madame _de Ferriol_, pour que je puisse tre
+tranquille; madame _du Deffant_, sans avoir ma faon de penser, m'a
+propos elle-mme son confesseur; je ne doute point que ce qui se passe
+sous leurs yeux ne jette quelqu'tincelle de conversion dans leur me.
+Dieu le veuille! Adieu, madame: j'ai tant de joie causer avec vous,
+que je ne puis vous quitter. Hlas! il faudra bien.
+
+_Lettre du Chevalier mademoiselle_ ASS.
+
+Votre lettre, ma chre _Ass_, me touche bien plus qu'elle ne me
+fche; elle a un air de vrit, et une odeur de vertu laquelle je ne
+puis rsister; je ne me plains de rien, puisque vous me promettez de
+m'aimer toujours. J'avoue que je ne suis pas dans les principes o vous
+tes; mais, Dieu merci, je suis encore plus loign de l'esprit de
+proslytisme, et je trouve trs-juste que chacun se conduise suivant les
+lumires de sa conscience. Soyez tranquille, soyez heureuse, ma chre
+_Ass_, il ne m'importe des moyens: ils me parotront tous
+supportables, pourvu qu'ils ne me chassent pas de votre coeur. Vous
+verrez par ma conduite que je mrite vos bonts. Eh! pourquoi ne
+m'aimeriez-vous plus, puisque c'est votre sincrit, c'est la puret de
+votre me qui m'attache vous? Je vous l'ai dit mille fois, et vous
+verrez que je ne vous trompe pas; mais est-il juste que vous attendiez
+que les effets vous aient prouv ce que je dis, pour le croire? Ne me
+connoissez-vous pas assez pour avoir en moi cette confiance qu'inspire
+toujours la vrit aux gens qui sont capables de la sentir. Soyez, ds
+ce moment, persuade que je vous aime, ma chre _Ass_, aussi
+tendrement qu'il est possible, aussi purement que vous pouvez le
+dsirer; croyez sur-tout que je suis plus loign que vous-mme, de
+prendre jamais d'autre engagement. Je trouve qu'il ne doit rien manquer
+ mon bonheur, tant que vous me permettrez de vous voir, et de me
+flatter que vous me regarderez comme l'homme du monde qui vous est le
+plus attach. Je vous verrai demain, et ce sera moi-mme qui vous
+rendrai cette lettre. J'ai mieux aim vous crire que de vous parler,
+parce que je sens que je ne pourrois traiter avec vous la matire, sans
+perdre contenance. Je suis encore trop sensible; mais je ne veux tre
+que ce que vous voulez que je sois; et dans le parti que vous avez pris,
+il suffit de vous assurer de ma soumission et de la constance de mon
+attachement, dans tous les termes o il vous plaira de le rduire, sans
+vous laisser voir des larmes que je ne pourrois empcher de couler, mais
+que je dsavoue, puisque vous m'assurez que vous aurez toujours pour moi
+de l'amiti. J'ose le croire, ma chre _Ass_, non-seulement parce que
+je sais que vous tes sincre, mais encore parce que je suis persuad
+qu'il est impossible qu'un attachement aussi tendre, aussi fidle, aussi
+dlicat que le mien, ne fasse pas l'impression qu'il doit faire sur un
+coeur comme le vtre.
+
+
+
+
+LETTRE XXXVI.
+
+Paris, 1733.
+
+
+Je ne puis causer long-temps avec vous aujourd'hui; mais je vous dirai
+ce qui mettra le comble vos souhaits; j'ai, Dieu merci, excut ce que
+je vous avois mand, je suis comble; ma tranquillit n'est plus que
+trop grande; car je ne me sens pas assez repentante de mes fautes; mais
+je suis dans la ferme rsolution de ne plus succomber, si Dieu ne me
+retire pas sitt lui. Je ne souhaite plus la vie que pour remplir mes
+devoirs, et me conduire d'une faon qui puisse mriter la misricorde de
+ce bon pre. Il y aura demain huit jours que le Pre _Bourceaux_ a reu
+ma confession. La dmarche que j'ai faite a donn mon me un calme que
+je n'aurois point, si j'tois reste dans mes garemens; j'aurois avec
+l'objet d'une mort prsente, les remords, qui m'auroient rendue bien
+malheureuse dans ces derniers instans: je suis dans un tel tat de
+foiblesse, que je ne puis sortir de mon lit; je m'enrhume tous les
+momens. Mon mdecin a pour moi des attentions tonnantes, il est mon
+ami, je suis bienheureuse en tout: tout ce qui est autour de moi, me
+sert avec affection: la pauvre _Sophie_ a des soins tonnans de mon
+corps et de mon me; elle m'a donn de si bons exemples, qu'elle m'a
+presque force devenir plus sage; elle ne m'a point prche; son
+exemple et son silence ont eu plus d'loquence que tous les sermons du
+monde; elle est afflige jusqu'au fond du coeur; elle ne manquera jamais
+de rien, quand elle m'aura perdue[202]. Tous mes amis l'aiment beaucoup,
+et en auront soin. J'espre qu'elle n'en aura pas besoin. J'ai la
+consolation de lui laisser du pain. Je ne vous parle point du
+chevalier; il est au dsespoir de me voir aussi mal; jamais on n'a vu
+une passion aussi violente, plus de dlicatesse, plus de sentiment, plus
+de noblesse et de gnrosit. Je ne suis point inquite de la pauvre
+petite: elle a un ami et un protecteur, qui l'aime tendrement. Adieu, ma
+chre Madame, je n'ai plus la force d'crire. C'est encore pour moi une
+douceur infinie de penser vous; mais je ne puis m'occuper de cette
+joie, sans m'attendrir, ma chre amie. La vie que j'ai mene, a t bien
+misrable: ai-je jamais joui d'un instant de joie? je ne pouvois tre
+avec moi-mme, je craignois de penser; mes remords ne m'ont jamais
+abandonne depuis le moment o j'ai commenc ouvrir les yeux sur mes
+garemens. Pourquoi serois-je effraye de la sparation de mon me,
+puisque je suis persuade que Dieu est tout bon, et que le moment o je
+jouirai du bonheur, sera celui o je quitterai ce misrable corps?
+
+FIN.
+
+
+ERRATUM IMPORTANT.
+
+
+C'est d'aprs de faux renseignemens que dans cette dition et dans la
+prcdente, nous avons avanc que les lettres de mademoiselle _Ass_
+toient adresses madame _Saladin_, femme du rsident de Genve
+Paris. Au moment o l'on achevoit l'impression de ce recueil, nous avons
+appris que la personne qui mademoiselle _Ass_ crivoit, toit madame
+_Calendrini_, de Genve, dont le mari avoit habit Paris pour ses
+affaires, et non pas pour celles de la rpublique. Ce fait est confirm
+par le passage d'une lettre de _Voltaire_ M. _d'Argental_, (v. la
+_Correspondance gnrale_ de _Voltaire_, tome 6, page 96 de l'dition de
+Kelh, in-12.) Le lecteur voudra donc bien substituer le nom de
+_Calendrini_ ou _Calendrin_, comme l'crit _Voltaire_, au nom de
+_Saladin_, partout o ce dernier se trouve crit, soit dans la notice
+qui prcde les lettres de mademoiselle _Ass_, soit dans les lettres
+mmes.
+
+
+FOOTNOTES:
+
+[1] _Voyez_ le numro du journal _des Dbats_ du 3 messidor an XIII.
+
+[2] Depuis plusieurs annes, on a runi aux Lettres de madame _de
+Svign_ celles de mesdames _de Coulanges_ et _de la Fayette_. Cette
+partie de notre collection fera un double emploi peu considrable pour
+ceux qui ont des ditions rcentes de madame _de Svign_; et ceux qui
+n'ont que des ditions antrieures, seront sans doute bien aises de
+pouvoir les complter au moyen de notre recueil.
+
+[3] Caractres de _La Bruyre_, chap. Ier. _des Ouvrages de
+l'Esprit_.
+
+[4] _Abrg Chronologique de l'Histoire de France_, tom. 3, p. 846.
+
+[5] Lettre de madame _de Svign_ madame _de Grignan_, du 8 octobre
+1679.
+
+[6] Cette phrase est une preuve que toutes les Lettres de madame _de
+Villars_ madame _de Coulanges_ n'ont pas t conserves; elle ne se
+trouve dans aucune de celles qui nous restent.
+
+[7] Lettre de madame _de Svign_ madame _de Grignan_, du 28 fvrier
+1680.
+
+[8] Littralement, _prendre le soleil_.
+
+[9] Gouverneur du Milanais, conseiller d'tat, prsident du conseil des
+ordres et grand cuyer de la reine.
+
+[10] Pre de la princesse _d'Harcourt_.
+
+[11] C'est une espce de panier.
+
+[12] Coussin.
+
+[13] La marquise _del Carpio_, femme du marquis _de Liche_, alors
+ambassadeur Rome.
+
+[14] Apparitions.
+
+[15] Les ambassadrices d'Allemagne et de Danemarck.
+
+[16] Fille de madame _de Svign_.
+
+[17] Donner ou faire place.
+
+[18] Franois, duc _de la Rochefoucauld_, prince _de Marsillac_, etc.
+auteur des _Maximes_ et des _Mmoires_, etc. mort le 17 mars 1680. Il a
+eu cinq garons et trois filles.
+
+[19] Les quatre Rois sont:
+
+_Charles-Quint_, Empereur.
+
+_Philippe II._
+
+_Philippe III._
+
+_Philippe IV._
+
+
+[20] Le marquis _de Ligneville_.
+
+[21] _Charlotte-Elisabeth_ de Bavire, princesse palatine, seconde femme
+de _Monsieur_.
+
+[22] M. et madame _de Villars_ avoient tous deux 55 ans. Il mourut en
+1698; elle en 1706.
+
+[23] Madame _de Coulanges_ avoit pourtant 49 ans.
+
+[24] Le marchal son fils toit g de 28 29 ans.
+
+[25] Fille ane de _Henri II_ et de _Catherine de Mdicis_, femme de
+_Philippe II_, roi d'Espagne. Elle mourut le 3 octobre 1568, en couche,
+non sans soupon de poison.
+
+[26] Fils de _Philippe II_, excut le 24 juillet 1568. Il avoit demand
+et obtenu la princesse _Elisabeth_; mais le roi, tant devenu veuf, la
+prit pour lui.
+
+[27] De la maison de Portugal.
+
+[28] Chteau royal de Sgovie.
+
+[29] Selon le proverbe, _que ce qui est violent ne dure pas_.
+
+[30] Place publique de la ville de Lyon.
+
+[31] Franois _de Neuville_, marquis, puis duc _de Villeroi_, pair et
+marchal de France.
+
+[32] De la charge de grand-matre de la Garde-robe.
+
+[33] Chteau de la maison de _Villeroi_, quatre lieues de Lyon.
+
+[34] M. _de Louvois_, ministre.
+
+[35] A M. _de Corbinelli_.
+
+[36] Le prince _d'Orange_ fut oblig de lever le sige de Charleroi le
+22 dcembre 1672.
+
+[37] Madame _de Coulanges_ toit nice de la femme de M. _le Tellier_,
+depuis chancelier de France.
+
+[38] Charles _de Brancas_, pre de la princesse _d'Harcourt_, et
+chevalier d'honneur de la reine Anne _d'Autriche_.
+
+[39] Madame _de Richelieu_.
+
+[40] Capitaine des Gendarmes Dauphin.
+
+[41] M. _de Svign_ toit guidon des Gendarmes Dauphin.
+
+[42] Tragdie de _Racine_, reprsente, pour la premire fois, en
+janvier 1673.
+
+[43] _De Retz_.
+
+[44] Selon la manire de prononcer de madame _de Ludre_.
+
+[45] Madame _de Svign_ nommoit ainsi la fille de madame _de Grignan_,
+qui toit ne le 15 novembre 1670.
+
+[46] Madame _de Montespan_.
+
+[47] Le roi.
+
+[48] M. _de Svign_.
+
+[49] Madame _de Coulanges_ toit cousine-germaine de M. _de Louvois_.
+
+[50] Hros de roman.
+
+[51] Il toit question du mariage du marquis _de Grignan_, petit-fils de
+madame _de Svign_, avec mademoiselle _de Saint-Amant_, qu'il pousa
+peu de temps aprs.
+
+[52] Fille de madame _de Grignan_, depuis marquise _de Simiane_.
+
+[53] Mort le 5 dcembre 1694, g de 64 ans.
+
+[54] Franois _de Clermont-Tonnerre_, vque et comte de Noyon.
+
+[55] L'abb _Testu_ avoit fait des stances chrtiennes sur divers
+passages de l'criture et des Pres.
+
+[56] C'est--dire, le mariage du marquis _de Grignan_ avec mademoiselle
+_de Saint-Amant_.
+
+[57] Marie _Stuard_, fille de Jacques II, roi d'Angleterre, et femme de
+Guillaume III, roi d'Angleterre, lequel n'toit connu alors en France
+que sous le nom de prince _d'Orange_.
+
+[58] Mort le 4 janvier 1695, g de 67 ans.
+
+[59] Morte le 7 janvier 1695.
+
+[60] M. _de Coulanges_ appeloit madame _de Louvois_ sa seconde femme.
+
+[61] Pour sa charge de capitaine des gardes du corps de S. M.
+
+[62] C'toit _M. de Coulanges_.
+
+[63] Ce mariage ne se fit point. Mademoiselle _de Croissi_ fut marie,
+en 1696, au marquis _de Bouzoles_; et le comte _de Tillires_ pousa, en
+1699, mademoiselle _du Gu de Bagnols_, nice de madame _de Coulanges_.
+
+[64] De l'archevch de Cambrai.
+
+[65] Madame _de Svign_ toit la marraine du chevalier _de Sanzei_.
+
+[66] Cette lettre et la prcdente toient crites sur des feuilles
+volantes d'un trs-petit papier.
+
+[67] Le gouvernement de Bretagne fut donn feu M. le comte _de
+Toulouse_, et celui de Guyenne M. le duc _de Chaulnes_.
+
+[68] M. _de Poissi_ n'pousa point mademoiselle _de Beaumelet_, et ne se
+maria qu'en 1698 avee mademoiselle _de Varangeville_.
+
+[69] L'abb _Duguet_, auteur de l'_Institution d'un Prince_.
+
+[70] A cause de l'extrme dvotion de madame _de la Sablire_, qui
+cette maison appartenoit auparavant.
+
+[71] Par le P. _de la Rue_, jsuite.
+
+[72] _Guillaume III_, roi d'Angleterre.
+
+[73] La marquise _de Grignan_.
+
+[74] Le duc _du Lude_.
+
+[75] L'abb _de Ranc_.
+
+[76] Intendant de l'arme de Flandre.
+
+[77] Anne-Franoise _de Lomnie_, femme de Louis _Boucherat_, chancelier
+de France.
+
+[78] Allusion au pre _de la Chaise_, confesseur du roi.
+
+[79] Achilles _de Harlai_, premier prsident du parlement de Paris.
+
+[80] Madame _du Gu-Bagnols_.
+
+[81] Franois _de Harlai de Chanvalon_, archevque de Paris, mort
+Conflans prs de Paris, le 6 d'aot 1698, g de 70 ans.
+
+[82] M. _de Fnlon_.
+
+[83] C'toit le marchal _de Villeroi_ qui commandoit l'arme en ce
+temps-l.
+
+[84] Soeur de madame _de Montespan_.
+
+[85] Allusion ces vers du _Menteur_: Mais, puisque nous voici dedans
+les Tuileries, Le sjour du beau monde et des galanteries.
+
+[86] Louis-Antoine _de Noailles_, vque de Chlons, depuis cardinal.
+
+[87] M. _de Sanzei_, neveu de M. _de Coulanges_.
+
+[88] Marguerite _le Tellier_, fille du marquis _de Louvois_, ministre de
+la guerre.
+
+[89] Ce mariage ne se fit point avec mademoiselle _de Clrembault_, mais
+avec mademoiselle _de Duras_, fille du marchal de ce nom, en 1696.
+
+[90] Ce mariage ne se fit que le premier avril 1698.
+
+[91] Madame la comtesse _de Grignan_.
+
+[92] Depuis marquise _de Simiane_.
+
+[93] C'est l'occasion du mariage de mademoiselle _de Grignan_, qui
+devoit bientt pouser le marquis _de Simiane_.
+
+[94] Louis-Marie-Armand _de Simiane de Gordes_, vque de Langres, mort
+le 21 novembre 1695.
+
+[95] Catherine _de Roug du Plessis-Bellire_.
+
+[96] Nicolas-Charles _de Crqui_, marquis _de Blanchefort_, mort
+Tournai le 16 mars 1696, g de 27 ans.
+
+[97] Claude _de Longueil_, marquis _de Poissi_ et _de Maisons_,
+prsident mortier au parlement de Paris.
+
+[98] Louise _de Fieubet_, mre de M. _de Poissi_.
+
+[99] Elle fut marie, en 1699, au comte _de Tillires_.
+
+[100] Soeur de madame _de Montespan_.
+
+[101] Pauline Adhmar _de Monteil_, marquise _de Simiane_, et
+petite-fille de madame _de Svign_.
+
+[102] Madame _de Svign_, morte Grignan peu de jours auparavant.
+
+[103] De madame _de Svign_, grand'mre de madame _de Simiane_, et
+bonne amie de madame _de Coulanges_, morte depuis environ six semaines.
+
+[104] A cause de l'extrme tendresse de madame _de Svign_ pour madame
+_de Grignan_, sa fille.
+
+[105] La princesse _de Savoie_, qui devoit tre dans peu duchesse _de
+Bourgogne_, est appele ici _la voisine_ de madame _de Simiane_, parce
+qu'alors madame _de Simiane_ demeuroit en Provence.
+
+[106] Il a dj t remarqu que M. _de Coulanges_ appeloit madame _de
+Louvois_ sa seconde femme.
+
+[107] A cause de la proximit du Pimont et de la Provence.
+
+[108] Dame d'honneur de madame la duchesse _de Bourgogne_.
+
+[109] Madame _du Lude_ n'avoit point d'enfans.
+
+[110] La mort de Charles II, roi d'Espagne, appela, par son testament,
+M. le duc _d'Anjou_ la succession entire de la monarchie d'Espagne.
+
+[111] M. le duc _de Bourgogne_ et M. le duc _de Berri_, aprs avoir
+accompagn le roi d'Espagne, leur frre, sur la frontire d'Espagne,
+firent le voyage de Provence.
+
+[112] _Philippe_, fils de France, frre unique de Louis XIV, mort
+Saint-Cloud le 9 de juin 1701, g de soixante ans et huit mois.
+
+[113] Louise-Marie _de la Grange d'Acquien_, femme du marquis _de
+Bthune_, et soeur de Marie-Casimire _de la Grange_, reine de Pologne.
+
+[114] Madame _de Bracciane_ toit fort vieille.
+
+[115] Au combat de Chiari.
+
+[116] Allusion madame _de Bracciane_, qui, malgr son ge avanc,
+conduisoit la reine d'Espagne.
+
+[117] Marie-Antoinette _Servien_, morte le 26 janvier 1702.
+
+[118] Madame _de Simiane_ n'avoit alors que 26 27 ans.
+
+[119] Armand-Jean _du Plessis_, duc _de Richelieu_, pousa en troisimes
+noces, le 20 mars 1702, Marguerite-Thrse _Rouill_, veuve du marquis
+_de Noailles_.
+
+[120] Marie-Henriette _le Hardi_, fille unique du marquis _de la
+Trousse_, lieutenant-gnral des armes du roi, chevalier des ordres de
+sa majest, et de Marguerite _de la Fond_, toit veuve d'Amde-Alphonse
+_del Pozzo_, prince _de la Cisterne_.
+
+[121] Terre situe en Provence, sur le bord de la mer, et qui
+appartenoit alors la maison _de Grignan_.
+
+[122] Jeanne _de Brehan_, marquise _de Svign_.
+
+[123] Prtre de l'Oratoire, d'un trs grand mrite, qui demeuroit au
+sminaire de Saint-Magloire.
+
+[124] De M. _de Saci_, de l'acadmie franoise.
+
+[125] Charles _d'Aubign_, gouverneur de Berri, chevalier des ordres du
+roi, frre de madame _de Maintenon_.
+
+[126] Le combat d'Ekeren, donn le 30 juin 1704.
+
+[127] M. _de Catinat_.
+
+[128] M. _de Catinat_ s'toit retir Saint-Gratien dans le voisinage
+d'Ormesson.
+
+[129] Clbre prdicateur de l'Oratoire, depuis vque de Clermont.
+
+[130] Les mmoires dont il s'agit furent enfin imprims Paris en 1724,
+avec privilge; 2 vol. in-12, et sans doute aprs la mort du neveu de
+_Gourville_.
+
+[131] A cause du marchal _de Catinat_.
+
+[132] Lieutenant de roi de la Bastille.
+
+[133] La marquise _de Svign_.
+
+[134] Marchal _de Catinat_.
+
+[135] Le a fvrier.
+
+[136] Marie-Charlotte _de Romillei de la Chesnelaye_.
+
+[137] Allusion au livre du marquis _de l'Hpital_, sur _les infiniment
+petits_.
+
+[138] Jean-Franois-Paul _de Crqui_, duc _de Lesdiguires_, mort
+Modne le 6 octobre 1703, g de 25 ans.
+
+[139] A Ormesson.
+
+[140] Mademoiselle _de Montalais_, fille d'honneur de madame
+_Henriette-Anne d'Angleterre_.
+
+[141] _Henriette-Anne d'Angleterre_, morte le 29 juin 1670.
+
+[142] _Elisabeth-Charlotte_, palatine du Rhin, que _Monsieur_, frre
+unique de _Louis XIV_, pousa en secondes noces le 21 novembre 1671.
+
+[143] Gouvernante des enfans de _Monsieur_.
+
+[144] _Marie-Louise le Loup de Bellenave_, veuve d'_Alexandre de
+Choiseul_, comte _du Plessis_; et remarie depuis _Ren Gillier de
+Puygarreau_, marquis _de Clrembault_, premier cuyer de _Madame_,
+duchesse d'_Orlans_.
+
+[145] Madame _de Northumberland_.
+
+[146] Gabrielle-Louise _de Saint-Simon_, duchesse _de Brissac_.
+
+[147] Colombe _le Charron_, femme de Csar, duc _de Choiseul_, pair et
+marchal de France, et premire dame d'honneur de _Madame_.
+
+[148] Il ne faut pas confondre l'abb _Testu_, dont il est parl dans
+ces lettres, avec un autre abb _Testu_ qui avoit t aumnier ordinaire
+de _Madame_, et qui toit comme le premier de l'acadmie franoise:
+celui dont il s'agit toit un homme de beaucoup d'esprit et de
+trs-bonne compagnie.
+
+[149] Les religieuses du Calvaire ont leur voile baiss au parloir,
+except pour leurs proches parens, ou dans des cas particuliers.
+
+[150] Madame _de Schomberg_ et madame _de Marans_ toient loges dans la
+mme maison.
+
+[151] Terre de madame _de Svign_, en Bretagne.
+
+[152] C'est ce que madame _de Svign_ appeloit _l'approbation de ses
+docteurs._
+
+[153] Frre du marchal _de Catinat_.
+
+[154] Franois d'_Aubusson_, duc _de la Feuillade_; pair et marchal de
+France, gouverneur du Dauphin, et pre du dernier marchal de ce nom.
+
+[155] Tu au combat de Leuze, le 20 septembre 1691.
+
+[156] Derniers vers de la pompe funbre de _Voiture_, par _Sarrasin_.
+
+[157] _L'enfer des femmes c'est la vieillesse_, disoit un jour le duc
+_de la Rochefoucauld_ mademoiselle _de l'Enclos_.
+
+[158] M. _Turretin_, professeur en histoire ecclsiastique Genve.
+
+[159] _Malherbe,_ dans l'ode _ la reine-mre, sur sa bien-venue en
+France._
+
+[160] Le grand _Cond_ qui avoit t son amant.
+
+[161] Le comte _de Guiche_.
+
+[162] _Saint-Evremont_ toit n le premier avril 1613, et mademoiselle
+_de l'Enclos_ en mai 1616; il avoit trois ans plus qu'elle.
+
+[163] Elle l'toit en effet. Le comte _de Grammont_ ne mourut que le 10
+janvier 1707, g de quatre-vingt-six ans.
+
+[164] M. le comte _de Grammont_.
+
+[165] Guillaume, cardinal _Dubois_, archevque, duc de Cambrai, prince
+du Saint-Empire, premier ministre sous la rgence du duc _d'Orlans_, n
+le 6 septembre 1656, et mort Paris le 10 aot 1723, g de
+soixante-six ans, onze mois et quatre jours.
+
+N'tant encore que l'abb _Dubois_, il fut envoy, en 1698, en
+Angleterre, pour quelque ngociation secrte de la cour de France avec
+celle de Londres.
+
+[166] M. l'abb _de Hautefeuille_.
+
+[167] La duchesse _de Mazarin_.
+
+[168] Sur la mort de madame la duchesse _de Mazarin_, morte Chelsey,
+prs de Londres, le 21 Juillet 1699, ge de 76 ans.
+
+[169] Ces lettres vont de l'anne 1725 l'ann 1733.
+
+[170] Ablons, campagne prs Paris.
+
+[171] Pont-de-Vesle, terre en Bourgogne.
+
+[172] Fils de madame de Ferriol.
+
+[173] Autre fils de cette dame.
+
+[174] Excellente actrice pour les pices de _Marivaux_. (_Note de M._ de
+Voltaire).
+
+[175] Mademoiselle _Ass_ se trompe. Il toit caissier de la compagnie
+de la mer du Sud, et il se retira en France avec la caisse; il y a vcu
+long-temps, avec plus de magnificence que de bonne rputation. (_G..._)
+
+[176] La demoiselle en toit folle. Ce mariage s'est fait contre l'aveu
+des parens. (_Note de M._ de Voltaire).
+
+[177] L'histoire est trs-vraie. (_Note de M._ de Voltaire).
+
+[178] Madame _de Prie_ toit trs-galante.
+
+[179] M. _d'Argental_.
+
+[180] La fille de mademoiselle _Ass_.
+
+[181] M. _Tronchin_, conseiller d'tat Genve.
+
+[182] _Martine_, Gnevois, envoy du Landgrave de Hesse, Paris.
+
+[183] Un parent vieux et riche dont madame _Saladin_ devoit hriter.
+
+[184] M. _de Pont-de-Vesle_, lecteur du roi.
+
+[185] Prdiction qui s'est confirme. C'toit une femme de beaucoup de
+gnie, d'esprit, et trs-instruite. Elle parloit plusieurs langues; elle
+toit soeur du fameux milord _Bolingbrocke_. (_Note de M._ de Voltaire).
+
+[186] L'archevque _de Tencin_, frre de madame _de Tencin_.
+
+[187] M. _Bertie_, conseiller au parlement.
+
+[188] Gentilhomme provenal.
+
+[189] _Villars-Chandieu_, officier gnral en France, ayant un rgiment
+Suisse.
+
+[190] Le cardinal _de Fleury_ imagina, sous de certains prtextes, de
+retrancher les rentes viagres. Cette opration ne fut pas faite
+impartialement; plusieurs trouvrent le moyen, avec de l'argent, d'en
+tre exempts.
+
+(_Note de_ M. de Voltaire).
+
+[191] Le cardinal _de Tencin_, qui prsida le concile d'Embrun.
+
+[192] Le cardinal _de Tencin_ et sa soeur.
+
+[193] Frre de M. _d'Argental_.
+
+[194] _La Fresnaye_, amant de madame _de Tencin_, qui, dit-on, l'avoit
+ruin; il se tua dans son cabinet. Il disoit dans son testament, que
+s'il mouroit de mort violente, c'toit elle qu'on devoit en accuser:
+elle fut mise au chtelet, d'o elle sortit justifie.(_Note de M. de
+Voltaire_).
+
+[195] Elle mourut entre mes bras, d'une inflammation d'entrailles; et ce
+fut moi qui la fis ouvrir. Tout ce que dit mademoiselle _Ass_, sont
+des bruits populaires qui n'ont aucun fondement. (_Note de l'criture
+mme de M. de Voltaire et signe de lui_).
+
+[196] Le cardinal _de Tencin_, archevque de Lyon.
+
+[197] Sa petite fille, au couvent.
+
+[198] M. _de Bellegarde_, cadet sans fortune, fut ensuite en Pologne, o
+il pousa la soeur du marchal _de Saxe_, fille d'Aurore _de Konigsmark_.
+Rien de plus vrai. (_Note de M._ de Voltaire).
+
+_Voltaire_ a commis ici une petite erreur que nous allons rectifier. La
+femme qu'pousa M. _de Bellegarde_, toit bien soeur du marchal _de
+Saxe_, puisqu'ils avoient tous deux pour pre _Auguste II_, roi de
+Pologne; mais elle n'toit point fille d'Aurore _de Konigsmark_, la mre
+du marchal: la sienne toit une turque, dont _Auguste II_ eut aussi un
+fils nomm le comte _de Rutowski_.
+
+[199] Capitaine aux Gardes Suisses.
+
+[200] M. _de Ferriol_, ambassadeur. _Aga_, mot turc qui signifie
+gardien.
+
+[201] M. _Carr de Montgeron_, conseiller au parlement.
+
+[202] _Sophie_, la mort de demoiselle _Ass_, s'est mise dans un
+couvent.
+
+
+
+
+
+
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+Ninon de L'Enclos et al.
+
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+people in all walks of life.
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+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
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+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
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+throughout numerous locations. Its business office is located at
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+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
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+page at http://pglaf.org
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+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
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+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
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+particular state visit http://pglaf.org
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+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
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+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
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+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
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+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
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+
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+
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+
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+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
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+<pre>
+
+The Project Gutenberg EBook of Lettres de Mmes de Villars, de Coulanges et
+de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Ass, by Various and Ninon de L'Enclos and Charlotte-Elisabeth Ass and Marie-Madeleine Pioche de La Ver La Fayette
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
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+with this eBook or online at www.gutenberg.org
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+
+Title: Lettres de Mmes de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Ass
+ accompagnes de notices bibliographiques, de notes
+ explicatives par Louis-Simon Auger
+
+Author: Various
+ Ninon de L'Enclos
+ Charlotte-Elisabeth Ass
+ Marie-Madeleine Pioche de La Ver La Fayette
+
+Commentator: Louis-Simon Auger
+
+Release Date: July 21, 2009 [EBook #29476]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LETTRES DE MMES DE VILLARS ***
+
+
+
+
+Produced by Chuck Greif and the Online Distributed
+Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was
+produced from images generously made available by the
+Bibliothque nationale de France (BnF/Gallica) at
+http://gallica.bnf.fr)
+
+
+
+
+
+
+</pre>
+
+
+<table summary="note" cellpadding="10" style="background-color: #FFCCCC;
+border:8px double gray;">
+ <tr>
+ <td valign="top">
+ Notes au lecteur de ce ficher digital:<br />Les erreurs clairement
+introduites par le typographe ont t corriges.<br />L'orthographe d'origine
+a t conserve.</td>
+ </tr>
+</table>
+
+<hr class="full" />
+
+<h1 class="top15"><a name="TOME_PREMIER" id="TOME_PREMIER"></a>LETTRES</h1>
+
+<p class="title">DE</p>
+
+<h2>M<sup>MES</sup>. DE VILLARS,</h2>
+
+<p class="title">DE COULANGES,</p>
+
+<p class="title">ET DE LA FAYETTE;</p>
+
+<p class="title">DE NINON DE L'ENCLOS,</p>
+
+<p class="title">ET DE</p>
+
+<p class="title">MADEMOISELLE ASS;</p>
+
+<p class="title2">Accompagnes de Notices biographiques,
+de Notes explicatives, et de <span class="smcap">la</span> C<span class="smcap">oquette</span>
+V<span class="smcap">enge</span>, par N<span class="smcap">inon de l'</span>E<span class="smcap">nclos.</span></p>
+
+<p class="title smcap">SECONDE DITION.</p>
+
+<h3 class="top3">TOME PREMIER.</h3>
+
+<p class="title top5">A PARIS,</p>
+
+<p class="title">Chez LOPOLD COLLIN, Libraire,</p>
+
+<p class="title">Rue Gt-le-c&#339;ur, N. 18.</p>
+<p class="title">&mdash;&mdash;&mdash;</p>
+<p class="title smcap">AN XIII.&mdash;1805.</p>
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+
+<table summary="toc"
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+cellpadding="4"
+style="text-align:center;">
+
+<tr class="lrg2"><td><a href="#TOME_PREMIER">TOME PREMIER.</a></td></tr>
+
+<tr class="lrg"><td><a href="#LETTRES_VILLARS">&nbsp;<br />LETTRES DE MADAME DE VILLARS A MADAME DE COULANGES.</a></td></tr>
+
+<tr><td><a href="#NOTICE_VILLARS">NOTICE SUR MADAME DE VILLARS.</a></td></tr>
+
+
+<tr><td><a href="#LETTRE_PREMIERE_VILLARS">Lettre premire.,</a>
+<a href="#LETTRE_II_VILLARS"> II.,</a>
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+<a href="#LETTRE_V_VILLARS"> V.,</a>
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+
+<tr class="lrg"><td><a href="#LETTRES_COULANGES">&nbsp;<br />LETTRES DE MADAME DE COULANGES, A MADAME DE SVIGN.</a></td></tr>
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+<tr><td><a href="#NOTICE_COULANGES">NOTICE SUR MADAME DE COULANGES</a></td></tr>
+
+<tr><td><a href="#LETTRE_PREMIERE_COULANGES">Lettre premire.,</a>
+<a href="#LETTRE_II_COULANGES"> II.,</a>
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+
+<tr class="lrg2"><td><a href="#TOME_SECOND">TOME SECOND.</a></td></tr>
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+<tr class="lrg"><td><a href="#LETTRES_LAFAYETTE">&nbsp;<br />LETTRES DE MADAME DE LA FAYETTE</a></td></tr>
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+
+<tr><td><a href="#LETTRE_PREMIERE_LAFAYETTE">Lettre premire.,</a>
+<a href="#LETTRE_II_LAFAYETTE"> II.,</a>
+<a href="#LETTRE_III_LAFAYETTE"> III.,</a>
+<a href="#LETTRE_IV_LAFAYETTE"> IV.,</a>
+<a href="#LETTRE_V_LAFAYETTE"> V.,</a>
+<a href="#LETTRE_VI_LAFAYETTE"> VI.,</a>
+<a href="#LETTRE_VII_LAFAYETTE"> VII.,</a>
+<a href="#LETTRE_VIII_LAFAYETTE"> VIII.,</a>
+<a href="#LETTRE_IX_LAFAYETTE"> IX.,</a>
+<a href="#LETTRE_X_LAFAYETTE"> X.,</a>
+<a href="#LETTRE_XI_LAFAYETTE"> XI.,</a>
+<a href="#LETTRE_XII_LAFAYETTE"> XII.,</a>
+<a href="#LETTRE_XIII_LAFAYETTE"> XIII.,</a>
+<a href="#LETTRE_XIV_LAFAYETTE"> XIV.</a></td></tr>
+<tr><td><a href="#EXTRAITS_DE_LETTRES_DIVERSES">EXTRAITS DE LETTRES DIVERSES.</a></td></tr>
+<tr><td><a href="#PORTRAIT">PORTRAIT DE LA MARQUISE DE SVIGN</a>
+</td></tr>
+
+
+<tr class="lrg"><td><a href="#LETTRES_LENCLOS">&nbsp;<br />LETTRES DE NINON DE L'ENCLOS</a></td></tr>
+<tr><td><a href="#NOTICE_LENCLOS">NOTICE SUR NINON DE L'ENCLOS</a></td></tr>
+
+<tr><td><a href="#LETTRE_PREMIERE_LENCLOS">Lettre premire.,</a>
+<a href="#LETTRE_II_LENCLOS"> II.,</a>
+<a href="#LETTRE_III_LENCLOS"> III.,</a>
+<a href="#LETTRE_IV_LENCLOS"> IV.,</a>
+<a href="#LETTRE_V_LENCLOS"> V.,</a>
+<a href="#LETTRE_VI_LENCLOS"> VI.,</a>
+<a href="#LETTRE_VII_LENCLOS"> VII.,</a>
+<a href="#LETTRE_VIII_LENCLOS"> VIII.,</a>
+<a href="#LETTRE_IX_LENCLOS"> IX.,</a>
+<a href="#LETTRE_X_LENCLOS"> X.,</a>
+<a href="#LETTRE_XI_LENCLOS"> XI.,</a>
+<a href="#LETTRE_XII_LENCLOS"> XII.,</a>
+<a href="#LETTRE_XIII_LENCLOS"> XIII.,</a>
+<a href="#LETTRE_XIV_LENCLOS"> XIV.,</a>
+<a href="#LETTRE_XV_LENCLOS"> XV.,</a>
+<a href="#LETTRE_XVI_LENCLOS"> XVI.,</a>
+<a href="#LETTRE_XVII_LENCLOS"> XVII.,</a>
+<a href="#LETTRE_XVIII_LENCLOS"> XVIII.,</a>
+<a href="#LETTRE_XIX_LENCLOS"> XIX., </a></td></tr>
+<tr><td><a href="#LA_COQUETTE_VENGEE">LA COQUETTE VENGE.</a>
+</td></tr>
+
+
+<tr class="lrg"><td><a href="#LETTRES_AISEE">&nbsp;<br />LETTRES DE MADEMOISELLE ASS</a></td></tr>
+<tr><td><a href="#NOTICE_AISEE">NOTICE SUR MADEMOISELLE ASS.</a></td></tr>
+
+<tr><td><a href="#LETTRE_PREMIERE_AISEE">Lettre premire.,</a>
+<a href="#LETTRE_II_AISEE"> II.,</a>
+<a href="#LETTRE_III_AISEE"> III.,</a>
+<a href="#LETTRE_IV_AISEE"> IV.,</a>
+<a href="#LETTRE_V_AISEE"> V.,</a>
+<a href="#LETTRE_VI_AISEE"> VI.,</a>
+<a href="#LETTRE_VII_AISEE"> VII.,</a>
+<a href="#LETTRE_VIII_AISEE"> VIII.,</a>
+<a href="#LETTRE_IX_AISEE"> IX.,</a>
+<a href="#LETTRE_X_AISEE"> X.,</a>
+<a href="#LETTRE_XI_AISEE"> XI.,</a>
+<a href="#LETTRE_XII_AISEE"> XII.,</a>
+<a href="#LETTRE_XIII_AISEE"> XIII.,</a>
+<a href="#LETTRE_XIV_AISEE"> XIV.,</a>
+<a href="#LETTRE_XV_AISEE"> XV.,</a>
+<a href="#LETTRE_XVI_AISEE"> XVI.,</a>
+<a href="#LETTRE_XVII_AISEE"> XVII.,</a>
+<a href="#LETTRE_XVIII_AISEE"> XVIII.,</a>
+<a href="#LETTRE_XIX_AISEE"> XIX.,</a>
+<a href="#LETTRE_XX_AISEE"> XX.,</a>
+<a href="#LETTRE_XXI_AISEE"> XXI.,</a>
+<a href="#LETTRE_XXII_AISEE"> XXII.,</a>
+<a href="#LETTRE_XXIII_AISEE"> XXIII.,</a>
+<a href="#LETTRE_XXIV_AISEE"> XXIV.,</a>
+<a href="#LETTRE_XXV_AISEE"> XXV.,</a>
+<a href="#LETTRE_XXVI_AISEE"> XXVI.,</a>
+<a href="#LETTRE_XXVII_AISEE"> XXVII</a>
+<a href="#LETTRE_XXVIII_AISEE"> XXVIII.,</a>
+<a href="#LETTRE_XXIX_AISEE"> XXIX.,</a>
+<a href="#LETTRE_XXX_AISEE"> XXX.,</a>
+<a href="#LETTRE_XXXI_AISEE"> XXXI.,</a>
+<a href="#LETTRE_XXXII_AISEE"> XXXII.,</a>
+<a href="#LETTRE_XXXIII_AISEE"> XXXIII.,</a>
+<a href="#LETTRE_XXXIV_AISEE"> XXXIV.,</a>
+<a href="#LETTRE_XXXV_AISEE"> XXXV.,</a>
+<a href="#LETTRE_XXXVI_AISEE"> XXXVI.</a>
+</td></tr>
+
+
+<tr><td><a href="#ERRATUM">Erratum</a></td></tr>
+<tr><td><a href="#NOTES">Notes</a></td></tr>
+</table>
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3>AVERTISSEMENT DE L'DITEUR.</h3>
+
+
+<p>La rapidit avec laquelle a t enleve la premire dition du recueil
+des Lettres de <i>mesdames de Villars, de la Fayette et de Tencin et de
+mademoiselle Ass</i>, nous a dtermins en donner une seconde. Nous
+avons fait ce recueil plusieurs changemens dont il est propos de
+rendre compte.</p>
+
+<p>On a remarqu dans un journal trs-rpandu<a name="FNanchor_1_1" id="FNanchor_1_1"></a><a href="#Footnote_1_1" class="fnanchor" title="Go to footnote 1.">[1]</a> que les Lettres de
+madame <i>de Tencin</i> dparoient la collection. Nous tions parfaitement de
+l'avis du journaliste sur le mrite de ces Lettres: nous avions dit
+nous-mmes dans la notice qui les prcde, qu'elles toient de madame
+<i>de Tencin</i>, intrigante, et non point de madame <i>de Tencin</i>, auteur des
+jolis romans du <i>Comte de Comminges</i>, du <i>Sige de Calais</i>, etc.; mais
+nous avions considr qu'elles toient en petit nombre; qu'il toit fort
+souvent question de celle qui les a crites, dans une autre
+correspondance qui fait partie du recueil, c'est--dire, dans les
+Lettres de mademoiselle <i>Ass</i>; et qu'enfin, puisque notre dessein
+toit de rassembler des Lettres de femmes, celles de madame <i>de Tencin</i>
+rendroient la runion plus complte. Ces considrations nous ont bientt
+paru d'un moindre poids que l'observation qui nous a t faite; et nous
+avons reconnu que le principal but de ceux qui travaillent pour le
+public, tant de lui procurer de l'agrment ou de l'instruction, les
+Lettres de madame <i>de Tencin</i> devoient tre exclues de notre recueil,
+puisqu'elles ne sont ni instructives, ni agrables.</p>
+
+<p>Nous les avons remplaces par les Lettres de <i>Ninon de l'Enclos</i> et par
+celles de madame <i>de Coulanges</i>. Ce que nous avons ajout tant beaucoup
+plus considrable que ce que nous avons retranch, nous nous sommes vus
+forcs de faire deux volumes, au lieu d'un.</p>
+
+<p>Le mrite des Lettres de mesdames <i>de Villars</i> et <i>de la Fayette</i>, et
+de mademoiselle <i>Ass</i>, est aujourd'hui trop bien constat par les
+loges que leur ont donns les journaux, et par l'empressement que le
+public a mis se les procurer, pour que nous croyions ncessaire d'en
+rien dire ici. Il est galement inutile de s'tendre sur celles de
+madame <i>de Coulanges</i>. On sait qu'il n'en est pas de plus enjoues et de
+plus spirituelles; elles sont remplies de ces traits vifs et brillans,
+que l'on appeloit <i>les pigrammes</i> de madame <i>de Coulanges</i>; et, en les
+lisant, on conoit trs-bien comment la femme qui les a crites, faisoit
+les dlices de la socit, dans un sicle o l'on toit si sensible aux
+grces de l'esprit et du bon ton<a name="FNanchor_2_2" id="FNanchor_2_2"></a><a href="#Footnote_2_2" class="fnanchor" title="Go to footnote 2.">[2]</a>.</p>
+
+<p>Quant aux Lettres de <i>Ninon</i>, elles exigent de nous une explication
+particulire. Beaucoup de personnes pourroient les confondre, d'aprs le
+simple nonc du titre, avec les <i>Lettres de Ninon de l'Enclos au
+marquis de Svign</i>, ouvrage suppos, dont l'auteur est M. <i>Damours</i>,
+avocat au conseil, mort en 1788. Cette correspondance fictive ne jouit
+pas d'une grande estime auprs des gens de got. Voici ce que <i>Voltaire</i>
+en crivoit en 1771, M. ******, ministre du Saint vangile, qui lui
+avoit demand des dtails sur <i>Ninon</i>. Quelqu'un a imprim, il y a deux
+ans, des Lettres sous le nom de mademoiselle <i>de l'Enclos</i>, peu prs
+comme dans ce pays-ci on vend du vin d'Orlans pour du Bourgogne. Si
+elle avoit eu le malheur d'crire ces Lettres, vous ne m'en auriez pas
+demand une sur ce qui la regarde. On a publi depuis un autre livre du
+mme genre, intitul <i>Correspondance secrte entre Ninon de l'Enclos, M.
+de Villarceaux et madame de Maintenon</i>. Nous ne porterons aucun jugement
+sur cette dernire production, que nous n'avons point lue, et avec
+laquelle d'ailleurs nous n'avons rien dmler, non plus qu'avec celle
+de M. <i>Damours</i>, puisque l'une et l'autre sont des suppositions. Les
+Lettres que nous donnons, sont les vritables Lettres de <i>Ninon</i>,
+adresses <i>Saint-Evremont</i>, dans les &#339;uvres duquel elles sont comme
+ensevelies. On les en a dj extraites une fois. Elles ont paru en 1751,
+prcdes <i>de Mmoires</i> sur <i>Ninon</i>, que quelques-uns ont attribus M.
+l'abb <i>Raynal</i>. Ce volume se trouve aujourd'hui trs-difficilement. Les
+Lettres qui nous restent de <i>Ninon</i>, sont au nombre de dix seulement;
+celles de <i>Saint-Evremont</i>, qui y correspondent, sont au mme nombre, et
+nous les y avons jointes. Un recueil de Lettres, quel qu'il soit, ne
+peut que perdre du ct de l'intrt, lorsqu'il n'offre que l'une des
+deux parties de la correspondance.</p>
+
+<p>A la suite des Lettres de <i>Ninon</i>, nous avons mis <i>la Coquette
+venge</i>, petit crit attribu cette fille clbre par MM. <i>Mercier</i>,
+abb de Saint-Lger et <i>Jamet</i> le jeune, deux des hommes du sicle
+dernier, qui ont t le plus profondment verss dans la bibliographie.
+L'assertion de tels rudits nous a paru suffire. Nous n'y ajouterons pas
+que nous avons cru reconnotre dans <i>la Coquette venge</i>, le style de
+<i>Ninon</i>: on n'en pourroit juger que d'aprs ses Lettres; et des Lettres,
+qui sont une conversation crite, n'ont presque rien de commun avec un
+ouvrage exprs; mais nous dirons, sans craindre de trouver des
+contradicteurs, que cet opuscule, rempli de grce et de finesse, ne peut
+gure tre sorti que de la plume d'une femme, et qu'il est en tout digne
+de cette <i>Ninon</i>, dont l'esprit et la raison n'ont pas t moins
+clbres que l'clat et la dure de ses charmes. Nous allons dire
+quelle occasion il fut fait. En 1659, il parut un petit livre intitul:
+<i>le Portrait de la Coquette</i> ou <i>la Lettre d'Aristandre Timagne</i>.
+<i>Aristandre</i> apprenant que <i>Timagne</i>, son neveu, se dispose faire le
+voyage de Paris, veut le prmunir contre les dangers que son innocence
+courra dans cette ville; et de tous ces dangers, le plus grand, son
+avis, ce sont les coquettes, dont il dcrit son neveu les diffrentes
+espces. Il est certain que, parmi ces portraits, il en est plusieurs,
+et notamment celui de la Coquette, qui affecte l'instruction, o la
+malignit des lecteurs dut vouloir retrouver quelques-uns des traits de
+<i>Ninon</i>; et il n'est gure douteux qu'en effet le peintre ne l'ait prise
+pour modle. Il appartenoit une femme de venger la plus grande partie
+de son sexe outrage dans la Lettre d'<i>Aristandre</i>; et ce soin regardoit
+sur-tout celle qui y paroissoit le plus directement attaque. Cette
+circonstance, suivant nous, donne un grand poids au tmoignage de nos
+deux bibliographes; et, dfaut d'autres indices, elle auroit pu servir
+de base leur opinion. <i>Ninon</i> (car nous croyons fermement que c'est
+elle qui est l'auteur de l'crit) <i>Ninon</i> fit donc <i>la Coquette venge</i>,
+dont le titre seul annonce suffisamment le dessein. Cette dfense, ou
+plutt cette rcrimination est dirige contre certains <i>philosophes</i>,
+nomms <i>pdans de robe courte, et docteurs de ruelles, qui dogmatisent
+dans des fauteuils, et raisonnent sans cesse sur l'amour, sans avoir
+rien de raisonnable pour se faire aimer.</i> Pour expliquer l'emploi
+injurieux que <i>Ninon</i> fait ici du titre de <i>philosophe</i>, il faut dire
+que l'auteur du <i>Portrait de la Coquette</i> affiche de grandes prtentions
+ ce titre, pour lequel il assure que les coquettes ont une aversion
+insurmontable. Nous avouerons sans peine que <i>la Lettre d'Aristandre</i>
+nous a paru elle-mme un ouvrage agrablement crit, et vraiment digne
+de la colre de <i>Ninon</i>. Ce qui confirmeroit notre jugement, c'est qu'il
+fut rimprim en 1685, c'est--dire, plus de vingt-cinq ans aprs sa
+premire publication. Nous ignorons si l'crit de <i>Ninon</i> a eu aussi les
+honneurs de la rimpression; en tout cas, nous pensons qu'il les
+mritoit pour le moins autant.</p>
+
+<p>Dans la premire, dition de ce recueil, les notices biographiques
+avoient t places toutes ensemble, au commencement du volume. Mais
+cette fois nous les avons disposes plus convenablement; chacune se
+trouve en tte de la correspondance laquelle elle a rapport.</p>
+
+<p>Dans l'avertissement qui prcdoit ces notices, nous disions quel
+point la seule dition qu'on et eue jusqu'alors des Lettres de
+mademoiselle <i>Ass</i>, toit incorrecte, et quels efforts nous avions eu
+ faire pour restituer le sens altr chaque page par des omissions ou
+par des changemens de mots, et rtablir les noms propres, presque
+toujours dfigurs n'tre pas reconnoissables. Nous avons fait, dans
+les crits du temps, de nouvelles recherches au sujet de ces noms, et
+nous avons rintgr dans leur vritable orthographe tous ceux qui n'ont
+pas appartenu des personnages totalement ignors. Nous avons aussi
+ajout quelques notes explicatives celles que nous avions trouves ou
+que nous avions faites nous-mmes.</p>
+
+<p>Nous ne croyons pouvoir mieux terminer cet avertissement, qu'en
+rapportant un passage de <i>La Bruyre</i>, o ce moraliste ingnieux et
+profond reconnot et explique la supriorit que les femmes ont sur les
+hommes dans le genre pistolaire. Les Lettres de <i>Balzac</i>, de
+<i>Voiture</i>, dit-il, sont vides de sentimens qui n'ont rgn que depuis
+leur temps, et qui doivent aux femmes leur naissance. Ce sexe va plus
+loin que le ntre dans ce genre d'crire: elles trouvent sous leur
+plume, des tours et des expressions qui, souvent en nous, ne sont
+l'effet que d'un long travail et d'une pnible recherche: elles sont
+heureuses dans le choix des termes qu'elles placent si juste, que, tout
+connus qu'ils sont, ils ont le charme de la nouveaut, et semblent tre
+faits seulement pour l'usage o elles les mettent. Il n'appartient qu'
+elles de faire lire dans un seul mot tout un sentiment, et de rendre
+dlicatement une pense dlicate. Elles ont un enchanement de discours
+inimitable, qui se suit naturellement et qui n'est li que par le sens.
+Si les femmes toient toujours correctes, j'oserois dire que les Lettres
+de quelques-unes d'entr'elles seroient peut-tre ce que nous avons dans
+notre langue de mieux crit<a name="FNanchor_3_3" id="FNanchor_3_3"></a><a href="#Footnote_3_3" class="fnanchor" title="Go to footnote 3.">[3]</a>. Il n'est pas inutile de remarquer que
+<i>La Bruyre</i> proclamoit ainsi la prminence des femmes dans l'art
+d'crire des Lettres, une poque o celles de madame <i>de Svign</i>
+n'toient point connues du public, et ne l'toient probablement pas de
+<i>La Bruyre</i> lui-mme. Elles ont t imprimes pour la premire fois
+plus de 30 ans aprs la publication des <i>Caractres</i>.</p>
+
+
+<h3><a name="NOTICE_VILLARS" id="NOTICE_VILLARS"></a>NOTICE</h3>
+
+<p class="title">SUR</p>
+
+<p class="title">MADAME DE VILLARS.</p>
+
+
+<p class="top5">Marie de Bellefonds, fille de Bernardin <i>Gigault de Bellefonds</i>, aeul
+du marchal de ce nom, fut marie au marquis <i>de Villars</i>. Le vainqueur
+de Dnain, le clbre marchal <i>de Villars</i>, fut le fruit de ce mariage.</p>
+
+<p>M. le marquis <i>de Villars</i> fut envoy ambassadeur auprs de <i>Charles
+II</i>, roi d'Espagne, au moment o ce prince pousa Marie-Louise
+<i>d'Orlans</i>, fille de <i>Monsieur</i>, frre de <i>Louis XIV</i> et de
+Henriette-Anne <i>d'Angleterre</i>, sa premire femme.</p>
+
+<p>Madame <i>de Villars</i> suivit son mari dans cette ambassade, qui ne
+dura gure plus de dix-huit mois. Pendant son sjour Madrid, elle
+crivit madame <i>de Coulanges</i>. Il ne nous est parvenu que trente-sept
+Lettres de cette correspondance; elles commencent au 2 novembre 1679, et
+finissent au 15 mai 1681. Elles contiennent des dtails trs-curieux sur
+le caractre du roi et de la reine, sur leur manire de vivre, sur les
+intrigues et l'tiquette de leur cour, enfin sur les m&#339;urs et les usages
+de l'Espagne. Une preuve de la confiance qu'elles mritent, c'est que le
+prsident <i>Hnault</i>, crivain svre dans le choix de ses autorits, les
+cite, en parlant du pouvoir absolu que les ministres de l'Empereur
+exeroient la cour de <i>Charles II</i><a name="FNanchor_4_4" id="FNanchor_4_4"></a><a href="#Footnote_4_4" class="fnanchor" title="Go to footnote 4.">[4]</a>. Du reste, elles sont crites
+d'un style simple, facile et agrable; c'est celui d'une femme, qui
+beaucoup de sens et d'esprit naturel joignoit ce ton dlicat et fin qui
+distingue la bonne compagnie. Ces Lettres toient lues avec beaucoup de
+plaisir par les personnes les plus spirituelles de la plus aimable
+socit qui ait peut-tre jamais exist. Qui pourroit se piquer d'tre
+plus difficile qu'elles? Voici ce que madame <i>de Svign</i> crivoit sa
+fille, au sujet des Lettres de madame <i>de Villars</i>. Madame <i>de Villars</i>
+mande mille choses agrables madame <i>de Coulanges</i>, chez qui on vient
+apprendre les nouvelles. Ce sont des relations qui font la joie de
+beaucoup de personnes; M. <i>de la Rochefoucault</i> en est curieux; madame
+<i>de Vins</i> et moi, nous en attrapons ce que nous pouvons. Nous comprenons
+les raisons qui font que tout est rduit ce bureau d'adresse; mais
+cela est ml de tant d'amiti et de tendresse, qu'il semble que son
+temprament soit chang en Espagne. Cette reine d'Espagne est belle et
+grasse; le roi amoureux, et jaloux sans savoir de quoi, ni de qui; les
+combats de taureaux affreux; deux grands pensrent y prir; leurs
+chevaux tus sous eux; trs-souvent la scne est ensanglante. Voil les
+divertissemens d'un royaume chrtien; les ntres sont bien opposs
+cette destruction et bien plus aiss comprendre<a name="FNanchor_5_5" id="FNanchor_5_5"></a><a href="#Footnote_5_5" class="fnanchor" title="Go to footnote 5.">[5]</a>. Madame <i>de
+Svign</i>, dans une autre lettre madame <i>de Grignan</i>, avoit dj parl
+ainsi de celles de madame <i>de Villars</i>. Madame <i>de Villars</i> n'a crit
+uniquement, en arrivant Madrid, qu' madame <i>de Coulanges</i>; et, dans
+cette lettre, elle nous fait des complimens toutes nous autre vieilles
+amies. Madame <i>de Schomberg</i>, mademoiselle <i>de Lestrange</i>, madame <i>de la
+Fayette</i>, tout est en un paquet. Madame <i>de Villars</i> dit qu'<i>il n'y a
+qu' tre en Espagne pour n'avoir plus d'envie d'y btir des
+chteaux</i><a name="FNanchor_6_6" id="FNanchor_6_6"></a><a href="#Footnote_6_6" class="fnanchor" title="Go to footnote 6.">[6]</a>. Vous voyez bien qu'elle ne pouvoit mieux adresser sa
+lettre, puisqu'elle vouloit mander cette gentillesse<a name="FNanchor_7_7" id="FNanchor_7_7"></a><a href="#Footnote_7_7" class="fnanchor" title="Go to footnote 7.">[7]</a>.</p>
+
+<p>Madame <i>de Villars</i> mourut le 24 juin 1706, ge de 82 ans.</p>
+
+<p>Ses Lettres toient entre les mains de M. le chevalier <i>de Perrin</i>,
+diteur de celles de madame <i>de Svign</i>, qui se disposoit les faire
+imprimer, lorsqu'il mourut en 1754. Elles l'ont t depuis sur le
+manuscrit que l'on a trouv dans ses papiers.</p>
+
+
+
+<h2 class="top15"><a name="LETTRES_VILLARS" id="LETTRES_VILLARS"></a>LETTRES</h2>
+
+<p class="title">DE</p>
+
+<p class="title">MADAME DE VILLARS,</p>
+
+<p class="title">A MADAME DE COULANGES.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_PREMIERE_VILLARS" id="LETTRE_PREMIERE_VILLARS"></a>LETTRE PREMIRE.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, 2 novembre 1679.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">M</span><span class="smcap">e</span> voici enfin Madrid, o je suis rsolue d'attendre tranquillement
+le retour du roi, et l'arrive de la reine, sa femme. Je n'ai pas eu le
+courage d'aller Burgos. M. <i>de Villars</i>, qui m'attendoit ici, est
+parti pour rejoindre le roi, qui va chercher la reine d'une telle
+imptuosit, qu'on ne peut le suivre; et si elle n'est pas encore
+arrive Burgos, il est rsolu d'emmener avec lui l'archevque de cette
+ville-l, et d'aller jusqu' Vittoria, ou sur la frontire, pour pouser
+cette princesse. Il n'a voulu couter aucun conseil contraire cette
+diligence. Il est transport d'amour et d'impatience. Ainsi, avec de
+telles dispositions, il ne faut pas douter que cette jeune reine ne soit
+heureuse. La reine douairire, qui est trs-bonne et trs-raisonnable,
+souhaite passionnment qu'elle soit contente. Je trouvai, en venant,
+toutes les dames, et tous les officiers de sa maison, qui est
+trs-nombreuse, auprs de Burgos. La duchesse <i>de Terranova</i>, sa
+<i>camarera mayor</i>, fit arrter sa litire auprs de la mienne. Elle me
+parut spirituelle et trs-honnte, point aussi vieille que je me l'tois
+figure. Toutes les dames et filles d'honneur me montroient de loin
+leurs mouchoirs que l'on met en l'air en signe d'amiti. Je pensai
+oublier d'en faire autant; et, si ma fille ne m'en et fait aviser,
+j'allois dbuter par une grande sottise. Vous ne sauriez vous imaginer
+quelles honntets je reois ici. La reine mre m'a envoy son majordome
+pour savoir comment je me trouvois des fatigues de mon voyage, et me
+donner beaucoup de marques de bont. On dit qu'elle n'a pas accoutum
+d'en user de la sorte avec les autres ambassadrices; ce n'est pas mon
+mdiocre mrite que j'attribue cet honneur.</p>
+
+<p>Je n'ai pas encore voulu recevoir de visites. J'attends le retour de M.
+<i>de Villars</i>. Il y a tant de manires et tant de crmonies observer,
+qu'il faut qu'il m'instruise de tout, depuis les moindres choses jusques
+aux plus importantes. Rien ne ressemble ici ce qui se pratique en
+France.</p>
+
+<p>Don <i>Juan</i> est mort de chagrin; le roi commenoit lui en donner, en
+rappelant, sans lui en parler, plusieurs grands qu'il avoit exils.</p>
+
+<p>Je ne sais si la princesse <i>d'Harcourt</i> entrera dans le carrosse de la
+reine.</p>
+
+<p>La conntable <i>Colonne</i> m'a envoy visiter. Elle est toujours dans son
+couvent, dont elle s'ennuie fort; elle espre en sortir quand la reine
+sera ici, et loger chez sa belle-s&#339;ur, la marquise <i>de los Balbass</i>.
+L'abb <i>de Villars</i>, qui l'alla voir l'autre jour, l'a trouve trs-bien
+faite, et j'entends dire qu'elle n'est pas reconnoissable de ce qu'elle
+toit en France: c'est une taille charmante, un teint clair et net, de
+beaux yeux, des dents blanches, de beaux cheveux. Elle a fait un livre
+de sa vie, qui est dj traduit en trois langues, afin que personne
+n'ignore ses aventures: il est fort divertissant. Elle est habille
+l'espagnole d'un fort bon air, mais ayant retranch et augment, ce qui
+en effet est mieux.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_II_VILLARS" id="LETTRE_II_VILLARS"></a>LETTRE II.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, 30 novembre 1679.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">O</span><span class="smcap">n</span> ne peut mener une plus plaisante vie, que celle que je mne ici
+depuis mon arrive, ne faisant aucune visite, et n'en voulant recevoir
+qu'aprs le retour de M. <i>de Villars</i>. Je sors quelquefois, quand il
+fait beau, pour aller, ce qu'on appelle <i>tomar el sol</i><a name="FNanchor_8_8" id="FNanchor_8_8"></a><a href="#Footnote_8_8" class="fnanchor" title="Go to footnote 8.">[8]</a>, hors des
+portes. Le soleil est trs-agrable en cette saison. Il faut
+soigneusement tirer tous les rideaux du carrosse dans la ville;
+autrement on passeroit pour n'tre pas honnte femme, et par tout pays
+il seroit fcheux de se dcrier pour un si petit sujet.</p>
+
+<p>Les ducs <i>d'Ossone</i> et <i>d'Astorga</i> se sont fort querells devant la
+reine. L'on a jug que le premier avoit tort, et on l'a envoy ici
+attendre les ordres du roi. Je ne sais plus quelle charge il a<a name="FNanchor_9_9" id="FNanchor_9_9"></a><a href="#Footnote_9_9" class="fnanchor" title="Go to footnote 9.">[9]</a>; mais
+les bruits de Madrid sont que le marquis <i>de los Balbass</i> la pourroit
+bien avoir. Je n'ai point encore vu de beauts Espagnoles.</p>
+
+<p>M. <i>de Villars</i> vient d'arriver de Burgos. Il m'a cont beaucoup de
+dtails de tout ce qu'il vient de voir. Il se flatte que le prince et la
+princesse <i>d'Harcourt</i> auront t contens de lui. Il m'a parl de la
+plus belle robe du monde qu'avoit la princesse. Madame <i>de Grancey</i> a
+trs-bien fait, et s'est fort bien servie de son temps de faveur auprs
+de la reine, pour ne lui donner que de trs-bons conseils. On croit
+qu'elle aura du roi Catholique une pension de deux mille cus. On ne
+sait point encore si elle viendra jusques ici. Elle paroissoit fort
+tente de s'en retourner avec la princesse <i>d'Harcourt</i>. Le roi et la
+reine viennent seuls dans un grand carrosse sans glaces, la mode du
+pays. Il sera fort heureux pour eux qu'ils soient comme leur carrosse.
+On dit que la reine fait trs-bien: pour le roi, comme il toit fort
+amoureux avant que de l'avoir vue, sa prsence ne peut qu'avoir augment
+sa passion. Elle reut le roi avec un trs-bel habit la franoise, et
+une quantit surprenante de pierreries; mais elle le quitta le lendemain
+pour s'habiller l'espagnole; et le roi la trouva beaucoup mieux.
+Madame <i>de Grancey</i> en mit un aussi, que la reine lui donna, et se
+coiffa l'espagnole; ce qui lui sied fort bien. Elle toit avec les
+dames d'honneur, qui sont proprement les filles de la reine. Elles
+passent toutes deux deux, aprs la comdie, devant le roi et la reine,
+faisant leurs rvrences: madame <i>de Grancey</i> figuroit avec une qui
+toit de fort bonne grce. Je n'ai point entendu dire que la marchale
+<i>de Clrembault</i> figurt avec personne, mais qu'elle parloit fort bien
+espagnol. Le roi et la reine seront ici dans trois jours, et viendront
+demeurer Buen-Retiro, maison royale aux portes de Madrid, jusqu' ce
+que tout soit prt pour l'entre de la reine. Que j'apprhende de
+m'habiller, et de commencer sortir! Je ne suis point du tout ne pour
+reprsenter.</p>
+
+<p>Je viens d'apprendre que madame <i>de Grancey</i> est partie de Burgos pour
+Paris avec le prince et la princesse <i>d'Harcourt</i>. Elle a eu mille
+louis, deux mille cus de pension, et un prsent de diamans de dix-huit
+cents ou deux mille pistoles, tout pareil celui qu'on a donn la
+marchale <i>de Clrembault</i>. Il y en a eu deux autres de trois mille
+pistoles pour le prince et la princesse <i>d'Harcourt</i>. Toutes les femmes,
+hors les deux nourrices de la reine, et deux autres filles, ont t
+renvoyes. Une vieille sous-gouvernante, nomme mademoiselle <i>Fauvelet</i>,
+est morte en chemin; mais si bien en chemin, que son me est partie de
+ce monde pour l'autre de dedans sa litire, ayant toujours voulu suivre,
+quelque malade qu'elle ft. Elle mourut peu d'heures avant que d'arriver
+au lieu o le roi vint trouver la reine, et o ils se sont maris.</p>
+
+<p>La reine avoit perdu en chemin mille pistoles contre le prince et la
+princesse <i>d'Harcourt</i>, et autres personnes qui l'accompagnoient. Quand
+leurs majests furent parties, les joueurs eurent grand'peur de n'tre
+pas pays; mais ils furent agrablement surpris par l'arrive d'une
+bourse o toit cette somme.</p>
+
+<p>Ne trouvez-vous pas que madame <i>de Grancey</i> a fait un agrable voyage?
+Tout le monde dans cette cour est fort content d'elle. Le prince et la
+princesse <i>d'Harcourt</i> avoient un trs-beau train, une grande table, et
+se sont fort bien acquitts de leur emploi. Leur entre Burgos fut
+trouve fort belle. Le prince <i>d'Harcourt</i> s'est trs-bien gouvern, et
+l'on est ici trs-satisfait de l'un et de l'autre. Vous pouvez en
+assurer M. <i>de Brancas</i><a name="FNanchor_10_10" id="FNanchor_10_10"></a><a href="#Footnote_10_10" class="fnanchor" title="Go to footnote 10.">[10]</a>.</p>
+
+
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_III_VILLARS" id="LETTRE_III_VILLARS"></a>LETTRE III.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, 14 dcembre 1679.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">P</span><span class="smcap">eu</span> aprs que la reine a t ici, elle a tmoign beaucoup d'envie de
+me voir, et me l'envoya dire. Je rpondis que j'tois fort sensible
+l'honneur qu'elle me faisoit. Elle me fit dire pour la seconde fois
+qu'elle avoit pri le roi que j'y allasse <i>incognito</i>, parce que,
+jusqu' ce qu'elle ait fait son entre, et qu'elle soit loge dans le
+palais, personne, homme ni femme, ne la verra. On envoya la <i>camarera
+mayor</i>, pour lui dire ce que la reine avoit mand, et la permission que
+le roi lui avoit donne de me voir <i>incognito</i>. La <i>camarera</i> rpondit
+qu'elle ne savoit point cela. Le gentilhomme espagnol, que nous lui
+avions envoy, la supplia de vouloir s'en informer; elle rpondit
+qu'elle n'en feroit rien, et que la reine ne verroit personne, tant
+qu'elle seroit au Retiro. Nous fmes savoir la reine la diligence que
+nous avions faite: on ne pouvoit pas moins aprs l'envie qu'elle avoit
+tmoigne que j'eusse l'honneur de la voir. Aprs cela, nous nous sommes
+tenus en repos. Je n'ai pas mme voulu aller l'glise, o l'on peut la
+voir d'une tribune, de peur qu'on ne m'accust de trop d'empressement.
+Le roi en a un trs-grand pour elle. Il ne voudroit jamais la perdre de
+vue. Cela est trs-obligeant. Mais, pour en revenir cette envie de me
+voir, je fus dimanche, pour la premire fois, rendre mes devoirs la
+reine mre, qui est bonne, obligeante, disant tout ce qu'elle peut et
+tout ce qu'il faut pour plaire. Elle me demanda si je n'avois pas encore
+vu la reine, sa belle-fille. Je lui dis que non. Elle me rpondit: Elle
+a fort envie de vous voir; vous la verrez ds que vous le voudrez, et
+ds demain. Ce demain est aujourd'hui. Je vous ai crit tout ceci par
+avance. Ce sera sur les quatre heures que je me rendrai cette audience
+de la reine. Je vous rendrai compte comme tout cela m'aura paru. On dit
+qu'elle se conduit fort bien: j'en suis persuade. Aucun Franois ne l'a
+vue. Il y a deux jours que la marquise <i>de los Balbass</i> la voulut voir:
+elle alla dans l'appartement de la <i>camarera</i>, qui touche celui de la
+reine. Ds que la jeune princesse le sut, elle y vint tout aussitt;
+mais comme elle voulut parler la marquise, la <i>camarera</i> prit la reine
+par le bras, et la fit entrer dans sa chambre. Ce sont des usages qui ne
+sont pas si extraordinaires ici qu'ils le seroient ailleurs.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+
+
+<h3><a name="LETTRE_IV_VILLARS" id="LETTRE_IV_VILLARS"></a>LETTRE IV.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, 15 dcembre 1679.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> fus hier au Retiro, cette maison o le roi et la reine sont
+prsentement. J'entrai par l'appartement de la <i>camarera mayor</i>, qui me
+vint recevoir avec toutes sortes d'honntets; elle me conduisit par de
+petits passages dans une galerie o je croyois ne trouver que la reine;
+mais je fus bien tonne quand je me vis avec toute la famille royale;
+le roi toit assis dans un grand fauteuil, et les reines sur des
+carreaux. La <i>camarera</i> me tenoit toujours par la main, m'avertissant du
+nombre de rvrences que j'avois faire, et qu'il falloit commencer par
+le roi. Elle me fit approcher si prs du fauteuil de sa majest
+Catholique, que je ne comprenois point ce qu'elle vouloit que je fisse.
+Pour moi, je crus n'avoir rien faire qu'une profonde rvrence; sans
+vanit, il ne me la rendit pas, quoiqu'il ne me part pas chagrin de me
+voir. Quand je contai cela M. <i>de Villars</i>, il me dit que sans doute
+la <i>camarera</i> vouloit que je baisasse la main sa majest. Je m'en
+doutai bien; mais je ne m'y sentis pas porte. Il m'ajouta qu'elle avoit
+propos la princesse <i>d'Harcourt</i> de baiser cette main, et que, sur
+l'avis que cette princesse lui en avoit demand, il lui avoit rpondu de
+n'en rien faire.</p>
+
+<p>Me voil donc au milieu de ces trois majests; la reine mre me disant,
+comme la veille, beaucoup de choses obligeantes, et la jeune reine me
+paroissant fort aise de me voir. Je fis ce que je pus pour qu'elle ne le
+tmoignt que de bonne sorte. Le roi a un petit nain flamand qui entend
+et qui parle trs-bien franois. Il n'aidoit pas peu la conversation.
+On fit venir une des filles d'honneur en <i>guarda-infante</i><a name="FNanchor_11_11" id="FNanchor_11_11"></a><a href="#Footnote_11_11" class="fnanchor" title="Go to footnote 11.">[11]</a>, pour me
+faire voir cette machine. Le roi me fit demander comment je la trouvois,
+et je rpondis au nain que je ne croyois pas qu'elle et jamais t
+invente pour un corps humain. Il me parut assez de mon avis. On m'avoit
+fait donner une <i>almoada</i><a name="FNanchor_12_12" id="FNanchor_12_12"></a><a href="#Footnote_12_12" class="fnanchor" title="Go to footnote 12.">[12]</a>. Je m'assis seulement un instant pour
+obir, et je pris aussitt une lgre occasion de me tenir debout, parce
+que je vis beaucoup de <i>segnoras de honor</i> qui n'toient point assises,
+et que je crus leur faire plaisir de faire comme elles: je me tins donc
+toujours debout, quoique les reines me dissent souvent de m'asseoir. La
+jeune fit une lgre collation servie genoux par ses dames, qui ont
+des noms admirables, et qui ne prtendent pas moins tre que des maisons
+d'Arragon, de Portugal, de Castille, et autres des plus grandes. La
+reine mre prit du chocolat: le roi ne prit rien.</p>
+
+<p>La jeune reine, comme vous pouvez penser, toit habille l'espagnole,
+de ces belles toffes qu'elle a apportes de France; trs-bien coiffe,
+ses cheveux de travers sur le front, et le reste pars sur les paules.
+Elle a le teint admirable, de beaux yeux, la bouche trs-agrable quand
+elle rit. Que c'est une belle chose de rire en Espagne! Mais il est
+plaisant que je vous fasse le portrait de la reine.</p>
+
+<p>Cette galerie est assez longue, tapisse de damas ou de velours
+cramoisi, chamarr fort prs prs de larges passemens d'or. Depuis un
+bout jusqu' l'autre, est le plus beau tapis de pied que j'aie jamais
+vu; des tables, cabinets et brsiers, des flambeaux sur les tables: et
+de temps en temps, on voit des menines trs-pares, qui entrent avec
+deux flambeaux d'argent pour changer, quand il faut moucher les bougies.
+Elles font de grandes et longues rvrences de bonne grce. Assez loin
+des reines, il y avoit quelques filles d'honneur assises bas, et
+plusieurs dames d'un ge avanc, avec leurs habits de veuves, debout,
+appuyes contre la muraille. Le roi et la reine s'en allrent aprs
+trois quarts d'heure, le roi marchant le premier. La jeune reine prit sa
+belle-mre par la main, passant devant la porte de la galerie, aprs
+quoi elle revint plus vte que le pas me retrouver. La <i>camarera mayor</i>
+ne revint point, et il parut assez qu'on lui donnoit toutes sortes de
+liberts de m'entretenir. Il ne demeura qu'une vieille dame fort loin.
+Elle me dit que, si la dame n'y toit pas, elle m'embrasseroit bien. Il
+n'toit que quatre heures quand j'arrivai l; il en toit sept et demie
+avant que j'en sortisse; et ce fut moi qui voulus sortir.</p>
+
+<p>Je vous assure, madame, que je voudrois que le roi, la reine mre et la
+<i>camarera mayor</i> eussent pu entendre tout ce que je dis la princesse.
+Je voudrois que vous le sussiez aussi, et que vous nous eussiez pu voir
+nous promener dans cette galerie que les flambeaux rendoient
+trs-agrable. Cette jeune reine, dans la nouveaut et la beaut de ses
+habits avec une infinit de diamans, toit ravissante.</p>
+
+<p>Imaginez-vous une fois pour toutes, que le noir et le blanc ne sont pas
+plus diffrens que la vie d'Espagne et celle de France. Il me semble que
+cette jeune princesse fait trs-bien. Elle voudroit que j'eusse
+l'honneur de la voir tous les jours; je l'assurai que j'en serois
+charme; mais je la suppliai de m'en dispenser, moins qu'on ne me ft
+voir clair comme le jour que le roi et la reine mre le souhaitoient
+presqu'autant qu'elle. La <i>camarera mayor</i> me vint prendre la porte de
+la galerie pour me reconduire. Je trouvai l des femmes franoises de la
+reine, auxquelles je dis qu'il falloit apprendre l'espagnol, et
+s'empcher, autant qu'il leur seroit possible, de dire un mot de
+franois la reine. Je savois qu'on les grondoit un peu, quand elles
+lui parloient trop souvent. Je dis en espagnol la <i>camarera mayor</i>, ce
+que je disois ces Franoises: elle m'en sut un trs-bon gr. Voil,
+peu prs, madame, tout ce que je puis vous mander de cette premire
+visite.</p>
+
+<p>Si vous aviez t aujourd'hui ici, vous auriez eu le plaisir de voir au
+travers d'une porte le plus beau nonce du monde et le mieux disant. Il
+parle un espagnol tout--fait ais. Je l'ai reu en crmonie tout mon
+aise sur des carreaux, et lui dans un fauteuil. Il m'a fort parl de
+<i>Charles-Quint</i>. J'tois un peu honteuse d'en tre si peu instruite; je
+n'en ai pas fait semblant; je disois quelques mots par-ci, par-l,
+rappelant dans ma mmoire beaucoup de beaux endroits, dont mon fils an
+m'a entretenue quelquefois. Mon fils l'abb, qui m'assistoit en cette
+occasion, a beaucoup brill dans cette conversation, et n'y a pas moins
+paru que sur les bancs de Sorbonne.</p>
+
+<p>M. <i>de Villars</i>, qui revient de la ville, se met vos pieds, pour
+parler en termes espagnols. Il me vient d'avouer qu'il a pass son
+aprs-dine chez cette femme dont vous lui avez vu le portrait. Il dit
+qu'elle n'a plus de beaut, mais bien de l'esprit. J'en jugerai
+incessamment; car il veut que ce soit une des premires dont je reoive
+visite.</p>
+
+<p>Adieu, madame: si ma lettre ne vous prouve le plaisir que je prends
+penser vous, et vous entretenir, je ne sais pas ce qu'il faut faire
+pour vous le persuader. Peut-tre aimeriez-vous mieux en douter; car
+cette lettre est bien longue pour une personne comme vous, au milieu de
+la bonne compagnie et des plaisirs. Telle cependant que vous voyez cette
+lettre, il y a mille choses que je ne vous mande point, et que je vous
+dirois bien. Je ne pense point, quand tout le monde verroit ceci, que je
+pusse en recevoir ni reproche ni blme. Cependant usez-en avec prudence.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_V_VILLARS" id="LETTRE_V_VILLARS"></a>LETTRE V.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, 27 dcembre 1679.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span>'<span class="smcap">ai</span> reu depuis peu mes visites. La manire dont se passe cette
+crmonie, est une chose assez singulire. Premirement, ds que j'ai
+t arrive, toutes les dames, princesses, duchesses, Grandes, ont
+envoy plusieurs fois me complimenter, et s'informer avec soin quand
+elles me pouroient voir, chacune voulant tre avertie des premires.
+Enfin ce temps est venu; il y a quelques jours qu'on leur fit savoir que
+je recevrois le monde trois jours de suite. On envoie un page chez
+toutes celles qui ont envoy, avec des billets qu'on nomme <i>nudillos</i>,
+parce qu'en effet ce sont des billets nous. Ce fut la marquise
+<i>d'Assera</i>, veuve du duc <i>de Lerme</i>, que j'ai vue en France, et qui
+croit que je lui ai rendu quelque petit service, qui fit les trois jours
+les honneurs de ma maison. La dame de ce portrait qu'a M. <i>de Villars</i>,
+les a faits aussi. Je crois qu'elle a t belle, et mme qu'elle le
+seroit encore passablement, sans cette pouvantable coiffure de veuve
+qu'elle porte. Il n'est pas possible, quelque belle personne que ce
+soit, de le parotre avec cet accoutrement; et je ne sais pas comment
+une veuve qui seroit un peu galante, et qui compte sur sa beaut, ne se
+remarie pas tout au plus tard au bout de l'an. Cette dame a bien de
+l'esprit, et est honnte et polie. Je ne vous dirai point les pas
+compts que l'on fait pour aller recevoir les dames, les unes la
+premire estrade, les autres la seconde ou la troisime; car, par
+parenthse, j'ai un trs-grand appartement. Tirez de l, en soupirant
+pour moi, la consquence de ce qu'il m'en cote le meubler. Il faut,
+en entrant et en sortant, passer devant toutes ces dames. Celle qui me
+conduisoit avoit assez d'affaire me redresser; car j'oubliois souvent
+le crmonial. Ces visites durent tout le jour. On les conduit dans une
+chambre couverte de tapis de pied, un grand brsier d'argent au milieu.
+Je n'oublierai pas de vous dire que, dans ce brsier; il n'y a point de
+charbon, mais de petits noyaux d'olives qui s'allument, et qui font le
+plus joli feu du monde, une petite vapeur douce. Ce feu dure plus que la
+journe. La manire de s'entretenir et de se faire des amitis, seroit
+trop longue vous dire. Toutes ces femmes causent comme des pies
+dniches; trs-pares en beaux habits et pierreries, hors celles qui
+ont leurs maris en voyage ou en ambassade. Une des plus jolies, sans
+comparaison<a name="FNanchor_13_13" id="FNanchor_13_13"></a><a href="#Footnote_13_13" class="fnanchor" title="Go to footnote 13.">[13]</a>, toit vtue de gris par cette raison. Pendant l'absence
+de leurs maris, elles se vouent quelque saint, et portent, avec leur
+habit gris ou blanc, de petites ceintures de corde ou de cuir. Je ne
+puis vous dpeindre aucune beaut; car je n'en ai point vu. La
+conntable de Castille est des mieux faites; mais revenons notre
+brsier; toutes assises sur nos jambes, sur ces tapis; car, quoiqu'il y
+ait quantit <i>d'almohadas</i>, ou carreaux, elles n'en veulent point. Ds
+qu'il y a cinq ou six dames, on apporte la collation qui recommence une
+infinit de fois. On prsente d'abord de grands bassins de confitures
+sches; ce sont des filles qui servent, aprs cela quantit de toutes
+sortes d'eaux glaces, et puis du chocolat; ce qu'elles ont mang ou
+emport de marons glacs, qu'elles nomment <i>castagnas</i>, ne se peut
+comprendre, tant elles les trouvent bons. Il rgne une grande honntet
+parmi elles; touches de plaire et de faire plaisir; avec tout cela,
+madame, que je fus aise de me trouver la fin de mes trois jours! La
+plupart me sont venu voir deux fois; trois ou quatre entendent et
+parlent un peu le franois, et moi trs-peu l'espagnol. Si ce rcit vous
+parot trop long, gardez-le pour le mettre en la place de la lecture que
+vous faites quelquefois les soirs. Il n'a tenu qu' moi de vous faire
+encore un dtail des comdies et de leurs machines. La reine, avec qui
+je me suis trouve deux fois, comme elle y alloit, m'y a voulu mener;
+mais jusqu'ici je m'en suis exempte par m'y figurer un ennui mortel, et
+je lui ai dit que j'irois quand elle seroit au palais. Cette jeune reine
+est assurment plus belle et plus aimable que toutes les dames de sa
+cour. Elle n'a point encore fait son entre; on dit que le deux du mois
+prochain on saura le jour destin cette crmonie; il y a des soupons
+sur une grossesse. A l'gard de ne la pas voir aussi souvent qu'elle me
+tmoigne le souhaiter, ce que je fais jusqu' la durt, ce n'est pas
+que je mprise cet honneur, et que je n'en sache faire tout le cas que
+je dois; mais je crains plus que je ne puis vous le dire, qu'on ne me
+puisse accuser de trop d'empressement. Ce que la princesse fera de bien
+ou moins bien, ne me doit point tre attribu; elle se conduit fort
+prudemment; il n'auroit pas t plus mal qu'on lui et donn en France
+quelque bonne tte en qui elle et confiance; cette cour est remplie de
+plusieurs personnes, qui peuvent indirectement se mler de lui donner
+des conseils; il y a bien peu qu'elle y est, pour savoir choisir les
+bons et rejeter les mauvais; ce ne sont nullement mes affaires; et, si
+la reine mre n'avoit souhait que je visse plus souvent la reine que je
+ne me l'tois propos, je n'y aurois t qu'une seule fois. Je vous
+assure, madame, que, quand il faut m'habiller, quoiqu'il me soit permis
+d'aller avec toutes sortes de manteaux, et qu'il me faut sortir de ma
+chambre, je suis triste et peine par avance, d'aller reprsenter en
+public. On prpare, pour l'entre de la reine, cinq ou six beaux arcs de
+triomphe. J'en ai vu un qui m'a paru tel. Si le deux du mois prochain on
+la croit encore grosse, elle fera son entre dans une espce de chaise
+dcouverte, que des hommes porteront sur leurs paules; sinon elle la
+fera cheval. J'tois, il y a peu de jours, avec elle; le roi vient
+faire de petites <i>comparanzas<a name="FNanchor_14_14" id="FNanchor_14_14"></a><a href="#Footnote_14_14" class="fnanchor" title="Go to footnote 14.">[14]</a></i> et puis s'en reva. Elle me montroit
+un fort beau prsent d'une parure de pierreries, que le roi lui avoit
+fait le matin. Ils se couchent tous les jours huit heures et demie,
+c'est--dire, le moment d'aprs qu'ils sont sortis de table, ayant
+encore le morceau au bec.</p>
+
+<p>Le prince de <i>Ligne</i> mourut, il y a trois jours; il toit assez vieux;
+sa femme s'en retourne en Flandre. Il y en a huit qu'un fameux thatin,
+nomm le P. <i>Vintimille</i>, fut chass; il toit intrigant, ce qu'on
+dit, des amis de feu don <i>Juan</i>, et ennemi dclar de la reine mre; il
+et fort souhait d'tre confesseur de la jeune reine; il ne lui auroit
+pas fait des scrupules de rien; il est ami de la conntable <i>Colonne</i>
+que je n'ai point encore vue, parce que je n'ai fait aucune visite: je
+les commencerai bientt, et la verrai des premires. Elle ne sort point
+de son couvent: on croyoit qu'elle demeureroit chez la marquise <i>de los
+Balbass</i>, sa belle-s&#339;ur; mais cela ne sera pas.</p>
+
+<p>Le duc <i>d'Ossone</i> continue de ne pas aller la cour.</p>
+
+<p>Il y a trs-souvent, ce qu'on appelle des crmonies de chapelle, dans
+l'glise qui touche la maison o leurs majests sont prsent; on voit
+la reine travers les barreaux d'une tribune; elle est
+trs-magnifiquement pare, aussi bien que toutes les dames: ce lieu
+d'oraison n'est pas moins chri d'elles. La fte de Nol est solemnise
+dans le palais par des parures extraordinaires, et la comdie sur les
+quatre heures. Sans beaucoup me divertir ici, je vous dirai, madame,
+qu'il n'y a lieu au monde o je voulusse tre qu'en Espagne, tant que M.
+<i>de Villars</i> y sera, cela s'entend; voil la pure vrit.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_VI_VILLARS" id="LETTRE_VI_VILLARS"></a>LETTRE VI.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, 12 janvier 1680.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> vous rendis compte par ma dernire lettre des visites que j'avais
+reues; je n'entrerai point dans le dtail de celles que je rends.
+J'oubliai de vous dire que toutes ces grandes dames ne se parlent que
+par <i>tu</i> et <i>toi</i>; c'est une marque d'amiti. Nous commenons nous
+tutoyer. Le roi et la reine usent de ces termes entr'eux. La reine n'est
+plus grosse. Ds le lendemain qu'elle ne le fut plus, le roi et la reine
+allrent au Pardo, jolie maison deux lieues d'ici; elle eut le plaisir
+de monter un peu cheval, et de voir tuer un sanglier par le roi, son
+mari. Son entre se fera samedi prochain; on dit qu'il s'y verra des
+magnificences extraordinaires. Leurs majests quitteront le Retiro, et
+iront demeurer au palais; l'appartement de la reine est fort dor et
+trs-bien meubl; nous l'allmes voir l'autre jour. Quand elle y sera,
+et qu'elle recevra mille visites, je me propose, sans en rien dire, de
+lui en rendre moins. Toutes les dames, qui sans vanit m'aiment assez,
+croient et s'attendent que j'y serai tous les jours, et que je puis un
+peu contribuer leur faire faire leur cour; mais, ma chre madame,
+entre vous et moi, non-seulement je ne veux entrer en rien, mais je
+voudrois me mettre entirement hors de porte d'aucun soupon. Je vous
+prie d'avoir quelque application pour entrevoir au lieu o vous tes, si
+l'on ne trouvera pas que ce soit le meilleur parti. Il se peut fort bien
+qu'on ne prendra pas la peine de songer ce que je fais ou ne fais pas,
+ moins que vous ne le mettiez sur le tapis. Il n'y a presque pas de
+milieu entre voir la reine trs-souvent, ou ne la voir que
+trs-rarement, en cherchant, pour le public et pour elle, des raisons
+qui ne seront gure vraisemblables, puisque le roi, la reine mre, et la
+<i>camarera mayor</i> font parotre qu'ils sont trs-aises que je sois
+souvent avec elle, et tout le monde disant que l'ambassadrice
+d'Allemagne toit tous les jours avec la reine mre, ne parlant ensemble
+qu'allemand. Vous voyez donc que, du ct de cette cour, tout veut que
+je sois souvent avec la reine; mais si je ne sais que la cour de France
+l'approuve, rien ne me peut empcher de retirer mes troupes, et de
+laisser penser ici tout ce qu'on voudra: c'est pourquoi je vous supplie
+encore une fois de tcher de savoir ce que vous pourrez l-dessus. Cette
+jeune reine se conduit jusqu'ici avec beaucoup de douceur et de
+soumission pour le roi; on dit qu'il l'aime fort: chacun a sa manire
+d'aimer; je le vois assez souvent venir dans une galerie o est la
+reine. Vous avez apparemment vu de ses portraits.</p>
+
+<p>Le lendemain de l'entre, il y aura une fte le soir, que l'on nomme
+mascarade, o tous les grands de la cour courent deux deux dans une
+lice avec un flambeau la main. Le roi court avec son grand cuyer. Ce
+sont des habits extraordinaires; je crois que cela sera plus beau
+dpeindre qu' voir. Un autre jour, ce sera <i>juego de cagnas</i>; je ne
+sais pas trop ce que c'est; on jette des cannes en l'air. Mais la grande
+fte, ce sera celle de la course des taureaux. Pour celle-l, je crois
+que ce sera une trs-belle chose. Des Grands, des fils de Grands
+<i>tauricideront</i>. La magnificence du train et des livres sera, ce
+qu'on dit, surprenante. Pourvu qu'il ne s'y tue personne, j'y prendrai
+peut-tre quelque plaisir. Si cela est, je vous souhaiterai souvent sur
+mon balcon. Hlas! madame, si j'osois, je vous y souhaiterois, mme
+quand la fte seroit ennuyeuse.</p>
+
+<p>Je ne me suis point encore habille l'espagnole, quoique j'aie fait
+faire deux habits. La reine mre aime tout--fait l'habit la
+franoise, et toutes les dames aussi; c'est--dire, les manteaux
+principalement, et c'est ce qui m'accommode fort. Le noir ou la couleur
+ne marquent pas plus de respect l'un que l'autre.</p>
+
+<p>Il fait aussi froid ici qu' Paris; j'espre qu'il n'y fera pas plus
+chaud.</p>
+
+<p>Le marquis de <i>Flamarens</i> est Madrid avec l'habit espagnol et la
+<i>honille</i>. Je croirois sans peine qu'il s'y ennuiera bientt. Le comte
+<i>de Charni</i>, prtendu fils naturel de feu <i>Monsieur</i> (duc <i>d'Orlans</i>),
+y passe une vie bien triste. C'est un honnte homme; et s'il est vrai,
+comme on n'en doute pas, qu'il ait l'honneur d'tre frre de tant de
+princesses, celles qui sont en tat de lui faire du bien, devroient bien
+lui en faire un peu, et lui procurer quelque moyen de subsister. Nous ne
+le voyons pas souvent, ni <i>Flamarens</i> non plus; il faut qu'ils aient des
+gards.</p>
+
+<p>Je n'ai t qu'une seule fois chez la reine mre depuis que je suis ici.</p>
+
+<p>La reine m'a expressment charge de vous faire ses complimens. Je vous
+mne au palais toutes les fois que j'y vais; et votre nom, sans que je
+me le propose, est toujours dans toutes nos conversations. <i>La
+philosophie en-dehors, et les pieds en-dedans</i>, la pensrent faire
+mourir de rire. Ce que les Franois et Franoises trouvent ici de
+triste, ne l'est nullement, et la reine m'a avou de trs-bonne foi
+qu'elle n'avoit jamais cru s'accoutumer aussitt. Vous pouvez penser que
+je ne lui tiens gure de propos qui soient propres faire soupirer
+incessamment aprs la France. Enfin jusqu'ici j'ai fait de mon mieux par
+le seul plaisir de bien faire.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_VII_VILLARS" id="LETTRE_VII_VILLARS"></a>LETTRE VII.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, 26 janvier 1680.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> ne vous entretiendrai gure de l'entre de la reine d'Espagne.
+Elle en toit le plus grand et le plus agrable ornement; cheval sous
+un grand dais, fort pare, un chapeau de plumes blanches, un habillement
+fait exprs pour ce jour de crmonie; prcde de plusieurs Grands fort
+brods, et quantit de livres riches et mal entendues, aussi-bien que
+les habits des matres. La reine avoit trs-bonne grce. Elle quitta un
+peu sa gravit devant le balcon o nous tions, et je la lui vis
+reprendre. Il y a eu deux jours de suite des feux d'artifice devant le
+palais, o je me dispensai d'aller. Jusqu'ici il n'y a point eu d'autre
+fte. Le roi mne souvent la reine dans des couvens, et ce n'est point
+du tout une fte pour elle. Elle a voulu absolument que je l'y suivisse
+ces deux derniers jours. Comme je n'y connois personne, je m'y suis
+beaucoup ennuye; et je crois qu'elle ne vouloit que j'y fusse, qu'afin
+de lui tenir compagnie. Le roi et et la reine sont assis, chacun dans un
+fauteuil; des religieuses leurs pieds, et beaucoup de dames qui
+viennent leur baiser les mains. On apporte la collation; la reine fait
+toujours ce repas d'un chapon rti. Le roi la regarde manger, et trouve
+qu'elle mange beaucoup. Il y a deux nains qui soutiennent toujours la
+conversation. Je croyois hier au soir, au sortir du couvent, m'en
+retourner chez moi; mais la conntable de Castille me pria que nous
+allassions ensemble au palais; car vous saurez que, sans l'avoir mrit,
+il ne tiendroit qu' moi de me donner un grand air ici, les dames
+croyant que c'est assez qu'une ambassadrice soit de la mme nation que
+leur reine, pour leur tre de quelque agrment. Je fais aussi de mon
+mieux pour ne pas tromper leur attente. Voil toutes les affaires que je
+veux avoir au palais. La reine mre est toujours une trs-bonne
+princesse; je n'en puis dire autre chose. Je n'abuse point des bonts
+qu'elle m'a fait parotre; car, depuis que je suis Madrid, je n'ai t
+que deux fois chez elle. Il y a, depuis deux jours, un ambassadeur
+d'Espagne nomm pour la France. L'on a rvoqu celui que vous aviez.
+C'est le marquis <i>de la Fuente</i>, fils de celui que vous avez vu
+ambassadeur. Sa femme partira bientt. Elle ne vous parotra ni jeune ni
+belle; elle est peut-tre l'un et l'autre en ce pays. C'est une bonne
+femme.</p>
+
+<p>Je ne passe pas en Espagne une vie aussi oisive que je voudrois, et ce
+sera beaucoup si je puis jamais rendre toutes les visites que j'ai y
+faire. Tout ce que j'y ai de plus agrable, c'est la commodit des
+habits. La reine mre et toutes les dames approuvent toujours si fort
+ceux que j'ai, et sur-tout les manteaux, que vous pouvez croire avec
+quel plaisir je les satisfais. Le noir, comme je crois vous l'avoir dj
+mand, n'est pas une couleur plus respectueuse qu'une autre.</p>
+
+<p>Je ne vois pas qu'on se presse trop ici d'expdier le brevet de cette
+pension de deux mille cus pour madame de <i>Grancey</i>; M. <i>de Villars</i>
+voudroit bien lui tre utile; mais avec tout l'or qui vient des Indes,
+l'Espagne ne parot pas opulente. Ce que j'ai vu de plus riche, de plus
+dor, de plus magnifique, est l'appartement de la reine. Il y a entre
+autres meubles dans sa chambre, une tapisserie, dont ce qu'on y voit de
+fond, est de perles. Ce ne sont point des personnages; on ne peut pas
+dire que l'or y soit massif, mais il est employ d'une manire et d'une
+abondance extraordinaires. Il y a quelques fleurs: ce sont des bandes de
+compartimens; mais il faudroit tre plus habile que je ne suis
+reprsenter les choses, pour vous faire comprendre la beaut que compose
+le corail employ dans cet ouvrage. Ce n'est point une matire assez
+prcieuse pour en vanter la quantit; mais la couleur et l'or qui parot
+dans cette broderie, sont assurment ce qu'on auroit peine vous
+dcrire; mais il ne vous importe gure. Cette tapisserie m'est demeure
+dans la tte; c'est ce qui m'a fait crire ceci, qui vise assez au
+galimatias. Adieu, madame: ce que je sens bien distinctement, c'est que
+je vous aime. Aimez-moi aussi, je vous en prie; et ne consentez jamais
+en vous-mme que je sois en Espagne et vous en France.</p>
+
+
+<p class="date">Madrid, 27 janvier 1680.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">C</span><span class="smcap">omme</span> le courrier ne partit point hier au soir, et qu'il me reste
+un peu de temps, je veux vous conter, si je puis, en peu de mots, une
+belle aventure. Nous arrivions hier, M. <i>de Villars</i> et moi, sur les dix
+heures du matin, quand nous vmes entrer dans ma chambre une <i>tapada</i>,
+suivie d'une autre qui paroissoit sa suivante. Je fis signe M. <i>de
+Villars</i> que c'toit lui se mettre en devoir de faire les honneurs;
+la suivante se retira. L'autre fit signe qu'elle vouloit que quelques
+gens qui toient dans l'antichambre, se retirassent aussi. Elle
+s'approcha d'une fentre avec M. <i>de Villars</i>, me faisant signe en mme
+temps de m'approcher. Elle leva son manteau, je n'en tois gure plus
+savante. Je me souvenois un peu d'avoir vu quelque personne qui lui
+ressembloit; M. <i>de Villars</i> s'cria: c'est madame la conntable
+<i>Colonne</i>! Sur cela je me mis lui faire quelques complimens. Comme ce
+n'est pas son style, elle vint au fait. Elle pleura et demanda qu'on et
+piti d'elle. Pour dire deux mots de sa personne, sa taille est des plus
+belles. Un corps l'espagnole qui ne lui couvre ni trop ni trop peu les
+paules. Ce qu'elle en montre, est trs-bien fait: deux grosses tresses
+de cheveux noirs, renoues par le haut d'un beau ruban couleur de feu:
+le reste de ses cheveux en dsordre et mal peign; de trs-belles perles
+ son cou; un air agit qui ne siroit pas bien une autre, et qui pour
+lui tre assez naturel, ne gte rien; de belles dents. Je voudrois bien
+vous faire entendre tout ceci en peu de mots. La conntable est dans un
+couvent royal, nomm <i>San-Domingo</i>. Elle en est dj sortie quatre ou
+cinq fois; et la dernire qu'elle y entra, le nonce fit semblant de
+vouloir parler une religieuse la porte; et quand elle fut ouverte,
+la conntable que l'on croyoit bien loin, rentra promptement; car en
+Espagne, dans ces sortes de couvens, il y a d'extraordinaires
+rgularits sur les entres et les sorties. Quand elle y fut, les parens
+du conntable exigrent d'elle qu'elle signeroit entre les mains du roi
+un papier, par lequel elle s'engageroit de ne plus sortir sans la
+permission de son mari, promettant que, si elle en sortoit, on pourroit
+la renvoyer Saragosse, ou en tel autre lieu que son mari souhaiteroit.
+La voil donc avec de doubles liens. Quand le marquis <i>de los Balbass</i>
+revint avec sa femme, elle crut qu'ils la recevroient dans leur maison;
+mais ils s'en excusrent, disant qu'elle toit trop petite. Le bruit de
+l'entre de la reine a fait prendre la rsolution madame <i>Colonne</i> de
+sortir encore de son couvent. Aussitt pens, aussitt fait. Elle envoie
+emprunter un carrosse, et s'en va droit chez la marquise <i>de los
+Balbass</i>. Elle fut bien reue, malgr leur surprise. Au bout de
+quelques jours, quelqu'un vint lui dire que <i>los Balbass</i> l'alloit
+envoyer Saragosse trouver son mari. Sur cela elle demande un carrosse
+pour aller prendre l'air; on lui en donne un. Elle fait quelques tours
+par la ville, et se fait descendre notre porte; la voil chez nous
+disant qu'elle n'en vouloit plus sortir, et que l'on ne voudroit pas la
+mettre dans la rue. Il parut qu'elle seroit bien aise de voir le nonce.
+Nous la fmes dner; je lui fis de mon mieux, parce qu'en effet elle
+fait trs-grande piti d'tre de l'humeur qu'elle est. Le marquis <i>de
+los Balbass</i> envoie un de ses parens pour essayer de la rsoudre
+retourner, et ne pas donner une nouvelle scne au public. Elle dit
+qu'elle n'en fera rien. Le nonce arrive; elle le prie qu'il la fasse
+rentrer dans son couvent. Il rpond qu'il n'en a pas le pouvoir. Une
+dame de qualit de nos amies, qui est la comtesse <i>de Villombrosa</i>, dont
+le fils a pous la fille de <i>los Balbass</i>, vint ici. M. <i>de Villars</i>
+et le nonce firent plusieurs alles et venues chez <i>los Balbass</i>, qui
+promit plusieurs fois, foi de cavalier, qu'il ne feroit nulle violence
+madame <i>Colonne</i> pour retourner avec son mari; qu'il la prioit de
+revenir chez lui, et que l'on tcheroit de faire en sorte que le roi qui
+avoit l'crit de madame <i>Colonne</i>, ne sauroit rien, de sa sortie, et
+que, si elle s'opinitroit ne pas vouloir revenir, elle alloit mettre
+contre elle le roi, son mari, et toute sa famille. Enfin, madame, il
+toit prs de minuit que nous ne savions tous que faire par les
+consquences que cette pauvre crature attiroit contre elle en demeurant
+chez nous. Mais enfin elle se rsolut s'en aller. La comtesse <i>de
+Villombrosa</i>, M. <i>de Villars</i> et moi la remmenmes chez le marquis <i>de
+los Balbass</i>. Sa femme et lui la reurent trs-bien; mille embrassades.
+Vraiment, c'est une chose inconcevable que les mouvemens extraordinaires
+qui se passent dans cette tte. Elle l'avoue elle-mme. Si elle ne fait
+pas plus de chemin, ce n'est pas manque de bonne volont. Cependant,
+s'il lui prend envie une autre fois de revenir chez nous et de n'en
+vouloir pas sortir, par les frayeurs qu'on ne la remette au pouvoir de
+son mari, nous en serions bien embarrasss. Si cette histoire vous
+ennuie, madame, prenez-vous-en l'envie et au plaisir que j'ai de vous
+conter tout ce que je sais qui peut vous tre crit.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_VIII_VILLARS" id="LETTRE_VIII_VILLARS"></a>LETTRE VIII.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, 9 fvrier 1680.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">L</span><span class="smcap">a</span> reine d'Espagne, bien loin d'tre dans un tat pitoyable, comme on
+le publie en France, est engraisse au point que, pour peu qu'elle
+augmente, son visage sera rond. Sa gorge, au pied de la lettre, est dj
+trop grosse, quoiqu'elle soit une des plus belles que j'aie jamais vues.
+Elle dort l'ordinaire dix douze heures. Elle mange quatre fois le
+jour de la viande; il est vrai que son djener et sa collation sont ses
+meilleurs repas. Il y a toujours sa collation un chapon bouilli sur un
+potage, et un chapon rti. Je la vois fort rire, quand j'ai l'honneur
+d'tre avec elle. Je suis persuade que je ne suis ni assez plaisante ni
+assez agrable pour la mettre en cette bonne humeur, et qu'il faut
+qu'elle ne soit pas chagrine d'ordinaire. L'on ne peut assurment se
+mieux gouverner, ni avec plus de douceur et de complaisance pour le roi.
+Elle avoit vu son portrait; on ne lui avoit pas fait celui de son humeur
+pour les manires et la vie solitaire. On n'a pas renvers toutes les
+coutumes du pays, pour y en mettre de plus agrables. Mais la reine mre
+fait tout ce qu'elle peut pour les adoucir. Il parot tous les gens de
+bon sens que la jeune reine ne peut mieux faire que de contribuer de son
+ct s'attirer la continuation de l'amiti et de la tendresse que ce
+prince lui tmoigne. Il y a cette duchesse de <i>Terranova</i>, <i>camarera
+mayor</i>, dont l'humeur passe pour tre un peu hautaine. La jeune reine
+plat infiniment toutes les dames. Je fais tout ce que je puis, quand
+j'ai l'honneur d'tre auprs d'elle, pour la faire souvenir de leur dire
+tout ce qui est le plus propre les gagner. Quand je vous dis qu'elle
+est grasse, qu'elle dort, qu'elle rit, encore une fois, je vous dis
+vrai. Il n'est pas moins vrai aussi, avec tout cela, que la vie qu'elle
+mne, ne lui est gure agrable. Enfin, madame, je vous assure qu'elle
+fait merveille; j'en suis tout tonne.</p>
+
+<p>Il y eut hier la plus clbre fte de taureaux qui se soit vue depuis
+plusieurs rgnes des rois d'Espagne. Il y eut six Grands ou fils de
+Grands qui furent les <i>toreadors</i>. Je pensai mourir dans la premire
+heure: mourir est un peu trop dire; mais j'eus une motion et un si
+violent battement de c&#339;ur, que je crus n'y pouvoir rsister, et je me
+levois pour m'ter de dessus le balcon o j'tois, si M. <i>de Villars</i> ne
+m'et dit que pour rien du monde il ne falloit faire cette faute. C'est
+une terrible beaut que cette fte. La bravoure des <i>toreadors</i> est
+grande. Aucuns taureaux pouvantables prouvrent bien celle des plus
+hardis et des meilleurs. Ils crevrent de leurs cornes plusieurs beaux
+chevaux; quand les chevaux sont tus, il faut que les seigneurs
+combattent pied, l'pe la main, contre ces btes furieuses. Je
+n'aurois jamais fait, si je voulois vous conter tout ce qui s'observe
+dans ces combats, qui ont bien des rapports avec ceux des anciens Maures
+et Grenadins. Les dames, dont les amans combattent, et qui sont
+prsentes, doivent bien mal passer leur temps, pour peu qu'elles les
+aiment vritablement. Les seigneurs, qui doivent combattre, ont chacun
+cent hommes vtus de leurs livres. C'est une chose qui mriteroit de
+vous tre conte plus en dtail. Si j'tois roi d'Espagne, jamais on
+n'en reverroit.</p>
+
+<p>Je crois vous avoir dj parl de la dvotion de ce pays. Nous avons t
+obligs, de peur d'y scandaliser sculiers et religieux, de manger de la
+viande le samedi. Nous ne mangeons point ce jour-l ce qu'on appelle
+<i>petits pieds</i>. C'est une mdiocre mortification. Cela est partout, en
+Espagne.</p>
+
+<p>Toutes les dames, gnralement parlant, sont honntes et civiles,
+sur-tout celles qui ont un peu voyag avec leurs maris.</p>
+
+<p>Le roi d'Espagne hait parfaitement Franois et Franoises.</p>
+
+<p>Il y a ici un Franois dont je vous ai parl: c'est le comte <i>de
+Charmy</i>, qui mriteroit de vivre dans son pays, et de ne pas finir ses
+jours dans celui-ci. Nous le voyons peu; mais ce que j'en connois est
+d'un homme sage et de bon sens. Nous voyons encore moins le marquis <i>de
+Flamarens</i>. J'ai assez bonne opinion de lui pour croire qu'il s'ennuie
+beaucoup. Adieu, madame.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_IX_VILLARS" id="LETTRE_IX_VILLARS"></a>LETTRE IX.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, 6 mars 1680.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">N</span><span class="smcap">ous</span> voici au mercredi des Cendres. Je n'ai rien vous dire du
+carnaval. Comme le carme n'est point du tout ici un temps de pnitence,
+celui qui le prcde ne se distingue par aucun plaisir; car jamais vous
+ne voudriez croire que c'en ft un que de jeter sur les passans beaucoup
+d'eau par la fentre. Pour ce qui se passe dans le palais, le roi, la
+reine et les dames se battent coups d'&#339;ufs remplis d'eau de senteur,
+mais en si prodigieuse quantit, que l'on ne comprend pas o l'on peut
+en trouver tant. Ils sont tous argents et peints. La reine m'en donna
+un panier dont je rgalai ma fille. Voil, madame, par o l'on marque
+cette jeune princesse des jours qu'elle passoit autrement en France, et
+dont je tche, autant que je le puis, de lui ter le souvenir. En
+vrit, sa douceur, sa complaisance et toute sa conduite, sont des
+choses extraordinaires dix-huit ans. Il entre de tout dans cette
+heureuse composition; et, pour ajouter encore la gloire qu'elle peut
+tirer de tout ce qu'elle fait, c'est que d'abord qu'elle arriva, on lui
+donna les plus mchans conseils du monde. Elle le connot bien
+prsentement.</p>
+
+<p>J'ai t assez souvent la comdie espagnole avec elle: rien n'est si
+dtestable. Je m'y amusois voir les amans regarder leurs matresses,
+et leur parler de loin avec des signes qu'ils font de leurs doigts; pour
+moi je suis persuade que c'est plutt une marque de leur souvenir qu'un
+langage; car leurs doigts vont si vte, que, si ces amans s'entendent,
+il faut que l'amour d'Espagne soit un excellent matre dans cet art. Je
+pense que c'est qu'il y voit plus clair qu'ailleurs, et qu'il ne se
+soucie gure de faire plus de chemin.</p>
+
+<p>Il y a, depuis peu de jours, un premier ministre, qui est le grand duc
+<i>de Medina Celi</i>, le plus grand seigneur de cette cour; il n'a que
+quarante ou quarante-cinq ans. Voil tout ce que vous saurez des
+affaires d'Etat. Je n'en sais gure davantage. On n'a point remdi
+celle qui me tient assez au c&#339;ur, qui est ce rabais des monnoies. C'est
+une chose bien triste, madame, que le peu d'argent qui nous vient de
+France par cette diminution, et qu'il faille sur chaque pistole en
+perdre plus de la moiti. La piti que j'ai de nous ne m'empche pas
+d'en avoir pour ce pauvre peuple, qui parot ne vivre que de ce qu'on
+appelle ici <i>tomar el sol</i>; tant il est maigre, abattu et misrable.</p>
+
+<p>Il y eut dimanche, au Retiro, une comdie de machines, o les deux
+reines et le roi toient. Il y falloit tre midi. L'on y mouroit de
+froid. Comme je me promenois dans les galeries de cette maison, qui sont
+trs-agrables, habille ma commodit comme devant voir cette comdie
+derrire des jalousies, et ne songeant ni roi, ni reine, j'entendis
+notre jeune princesse qui m'appeloit fort haut par mon nom. J'entrai
+dans le lieu d'o me paroissoit venir sa voix, avec un air un peu
+compos: je la trouvai assise au milieu du roi et de la reine mre. Elle
+n'avoit consult, en m'appelant, que son envie de me voir, et avoit
+tout--fait oubli la gravit espagnole. Elle de rire en me voyant. La
+reine mre me rassura; elle est toujours aise que la reine sa
+belle-fille se divertisse. Elle lui donna mme occasion de me venir
+parler auprs d'une fentre; mais je m'en retirai bientt. Elle me
+demanda si je n'avois point reu de vos lettres.</p>
+
+<p>Au reste, madame, toutes les ambassadrices meurent Madrid; en voil
+deux en six semaines, qui toient plus jeunes que moi<a name="FNanchor_15_15" id="FNanchor_15_15"></a><a href="#Footnote_15_15" class="fnanchor" title="Go to footnote 15.">[15]</a>. J'aimerois
+autant que la mort en et pris de quelqu'autre tat. On me dit qu'on ne
+peut rsister aux chaleurs. Je me tranquillise un peu sur cela, quand je
+songe mesdames <i>de Schornberg</i> et <i>de la Fayette</i>, qui cherchent et
+qui trouvent des airs temprs dans leurs maisons de la ville, et dans
+celles qu'elles choisissent la campagne. Elles sont toujours malades,
+sans que d'ailleurs la fortune les accable de ses revers; et moi, je me
+porte bien, sans faire aucun remde et sans les croire ncessaires.
+Mais cela ne peut pas durer. J'observe mon rgime de chocolat, auquel
+seul je crois devoir ma sant. Je n'en use pas comme une folle et sans
+prcaution. Mon temprament ne parot nullement se pouvoir accommoder de
+cette nourriture. Elle est pourtant admirable et dlicieuse. J'en ai
+fait faire chez moi, qui ne peut jamais faire mal. Je songe souvent que,
+si je puis vous revoir, je veux vous en faire prendre mthodiquement, et
+vous faire avouer que rien n'est meilleur pour la sant. Voil bien
+parler de chocolat. Songez que je suis en Espagne, et que c'est presque
+mon seul plaisir que d'en prendre.</p>
+
+<p>La conntable <i>Colonne</i>, depuis la visite qu'elle nous fit, est toujours
+dans un couvent cinq lieues d'ici. Son mari est Madrid depuis deux
+jours. On dit qu'il lui permettra de revenir dans un autre couvent de
+cette ville, o elle aura beaucoup moins de libert que dans celui d'o
+elle est sortie. Nous avons appris qu'elle fut toute prte le jour
+qu'on l'emmena de Madrid au lieu o elle est prsentement, de s'en
+venir encore se fourrer chez nous dans ma chambre.</p>
+
+<p>J'ai reu par cet ordinaire une lettre de madame <i>de Svign</i>. Je ne
+saurois lui faire rponse aujourd'hui, quelqu'envie que j'en aie. J'ai
+fait lire la reine l'endroit o madame <i>de Svign</i> parle d'elle et de
+ses jolis pieds, qui la faisoient si bien danser, et marcher de si bonne
+grce. Cela lui a fait beaucoup de plaisir. Ensuite elle a pens que ses
+jolis pieds, pour toute fonction, ne vont prsentement qu' faire
+quelques tours de chambre, et huit heures et demie tous les soirs,
+la conduire dans son lit. Elle m'a ordonn de vous faire toutes deux
+bien des amitis. Elle toit hier belle comme un ange, accable, sans se
+plaindre, d'une parure d'meraudes et de diamans sur la tte,
+c'est--dire, mille poinons; de furieux pendans d'oreilles; et devant
+elle et autour d'elle en charpe, des bagues, des bracelets. Vous croyez
+que les meraudes avec les cheveux bruns ne faisoient pas un bon effet;
+Dtrompez-vous; son teint est un des plus beaux teints de brune qu'on
+puisse voir; sa gorge blanche et trs-belle. Elle toit un peu plus
+pare qu' l'ordinaire. Elle me dit qu'elle avoit donn audience le
+matin au conntable <i>Colonne</i>, et qu'en le voyant et l'entendant parler,
+elle avoit t bien persuade de la folie de sa femme. Il est fait
+peindre: pour de bonne humeur, on n'en peut douter, si l'on en juge par
+l'air dont il laissoit vivre sa femme Rome. La reine me demanda fort
+des nouvelles de madame <i>de Grignan</i><a name="FNanchor_16_16" id="FNanchor_16_16"></a><a href="#Footnote_16_16" class="fnanchor" title="Go to footnote 16.">[16]</a>, et si elle ne reviendroit
+point cet hiver Paris.</p>
+
+<p>Si trois semaines aprs que vous aurez reu cette lettre, vous envoyez
+un laquais au quartier de Richelieu, faites-le passer au couvent des
+Petits-Pres, et dites-lui de s'informer si deux de leurs religieux ne
+sont pas arrivs d'Espagne. Ces pres ont pour vous une petite bote o
+il y a le plus petit prsent du monde. Faites pourtant cas des tasses de
+boucaro. J'ai, en vrit, quelque sorte de honte, non du petit prsent,
+mais de cette longue lettre. Il n'appartient pas quelqu'un qui est
+Madrid de tenter la patience d'une personne comme vous, dont les
+journes sont remplies d'occupations agrables ou soi-disantes.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_X_VILLARS" id="LETTRE_X_VILLARS"></a>LETTRE X.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, 21 mars 1680.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> veux vous parler d'une promenade o je fus hier, qui est la plus
+ordinaire, quand il fait chaud; et il en fait dj beaucoup ici. C'est
+dans cette rivire si vante du Mananars: au pied de la lettre, la
+poussire commence y tre si grande, qu'elle incommode dj beaucoup.
+Il y a de petits filets d'eau par-ci, par-l, mais pas assez pour qu'on
+en puisse arroser des sables menus, qui s'lvent sous les pieds des
+chevaux; en sorte que cette promenade n'est plus supportable. Ce n'est
+donc pas pour vous dire une mauvaise plaisanterie, mais une vrit assez
+extraordinaire. Je vous prie, madame, de conter cela, comme vous savez
+orner toutes les choses auxquelles vous voulez donner un air. Je vous
+expose seulement celle-ci, qu'on ne peut se promener dans une rivire,
+parce qu'il y a de la poudre. Mais ce n'est rien: il faut voir le grand
+et prodigieux pont qu'un roi d'Espagne a fait btir sur ce Mananars.
+Il est bien plus large et bien plus long que le Pont-Neuf de Paris: et
+l'on ne peut s'empcher de savoir bon gr celui qui conseilla ce
+prince de vendre ce pont, ou d'acheter une rivire. Je pensois que je
+pourrois vous dire tout ceci en cinq ou six lignes; en voil bien
+davantage.</p>
+
+<p>Les femmes de la reine partirent d'ici le 14 de ce mois. Elles vinrent
+ce jour-l chez nous; elles y firent toutes leurs affaires, et
+aprs-dner, M. <i>de Villars</i> et moi nous les menmes dans mon carrosse
+hors la ville, prendre le leur. Elles avoient dit le soir la reine
+qu'elles la reverroient le lendemain; mais elles firent prudemment de ne
+lui dire point adieu. Ds les sept heures, elle les demanda; elles n'y
+toient plus. Elle pleura beaucoup: elle ordonna qu'on me vnt dire de
+l'aller trouver; mais je revins chez moi un peu tard. J'allai, sur les
+cinq heures du soir, au palais. Elle se levoit. Il est surprenant, en
+vrit, comme elle est embellie. Elle avoit ses cheveux sur le front,
+renous en grosses boucles; des rubans couleur de rose sa cornette et
+dessus sa tte, point barbouille de rouge, comme il faut qu'elle le
+soit ordinairement; une gorge admirable. Elle mit une robe de chambre
+la franoise, et passa le reste du jour avec cet habillement. Elle se
+considra un peu de cette sorte dans un grand miroir. Cette vue la
+remit. Il paroissoit ses yeux qu'elle avoit bien pleur. Comme elle
+commenoit me parler, le roi entra; et c'est ici une loi tablie,
+que, quand sa majest entre dans la chambre de la reine, toutes les
+dames qui s'y trouvent, en sortent aussitt, si ce n'est la <i>camarera
+mayor</i> et deux ou trois autres qui sont domestiques. J'entendis qu'on
+demandoit des cartes, et je conjecturai par l que la reine s'alloit
+fort ennuyer au petit jeu que le roi aime, et o l'on peut perdre une
+pistole avec un malheur extraordinaire. La reine fait toujours comme si
+elle toit ravie de cette occupation. Il lui est rest deux des femmes
+qu'elle a amenes, une de ses nourrices, qui est assez adroite, et une
+Provenale qui joue du clavecin. Le roi a une grande joie de voir
+diminuer le nombre des Franois; car il ne peut celer qu'il hait au
+dernier point notre nation. Pour vous expliquer un peu mieux le renvoi
+de ces femmes, c'est une grosse nourrice de la reine, et une fille
+nomme <i>Martin</i>, jolie, belle et sage. On ne les a pas chasses; mais on
+leur a rendu la vie du palais, assez insupportable, pour les obliger
+d'en sortir. Joignez cela les marques que le roi leur donnoit de son
+aversion.</p>
+
+<p>M. <i>de Villars</i> me prie de ne pas oublier de vous parler d'une parure
+qu'une des dames de la reine avoit, il y a deux jours; c'est ce qu'on
+appelle en France <i>fille d'honneur</i>. Elle en a dix. L'on en prend tous
+les jours quelque nouvelle. Celle dont je vous parle est la fille du duc
+<i>d'Albe</i>. Leurs habits sont des plus magnifiques; beaucoup de
+pierreries. Celle-ci servant la collation la reine, comme les autres,
+reportoit un plat. Je lui vis un pistolet pendu au ct avec un gros
+n&#339;ud de ruban. Ne croyez pas que ce fut un bijou. Il auroit fort bien
+tu un homme: il toit de plus de demi-pied de long, d'un acier bien
+poli et bien mont. Je ne voulus pas faire semblant, devant la reine, de
+le remarquer; peut-tre ne fis-je pas ma cour la fille, qui ne portoit
+pas cette arme pour la cacher, et pour n'en prtendre pas quelque
+louange.</p>
+
+<p>Il y eut l'autre jour une procession dans ce qu'on appelle les clotres
+du palais. Je la vis par une petite fentre devant laquelle elle
+passoit. Le roi et la reine marchoient ensemble. Elle avoit une grande
+robe de crmonie, des manches pendantes, une longue queue porte par la
+<i>camarera mayor</i>. Les filles ou dames d'honneur marchoient ensuite,
+pares avec des habits extraordinaires pour ces jours-l. La croix, le
+patriarche, les vques, les prtres et religieux marchent devant leurs
+majests. Mais pour en revenir aux dames qui sont suivies de celle qui
+s'appelle <i>la guarda mayor</i>, leurs amans obtiennent ces jours-l ce qui
+s'appelle <i>dar lugar</i><a name="FNanchor_17_17" id="FNanchor_17_17"></a><a href="#Footnote_17_17" class="fnanchor" title="Go to footnote 17.">[17]</a>, c'est--dire, qu'ils ont place et la libert
+pendant cette procession d'entretenir leurs matresses. Les processions
+sont bien meilleures ici pour les amans que les comdies, o ils ne
+peuvent se parler que de loin avec les doigts. Voil, madame, tout ce
+qu'on peut vous dire de cette crmonie. Si la croix n'y toit pas
+porte, je vous-dirois que c'est une des plus galantes ftes que l'on
+voie en Espagne.</p>
+
+<p>Je m'en vais finir cette lettre par quelque chose, qui vous parotra
+aussi extraordinaire que ce que je vous ait dit au commencement: c'est
+un secret que M. <i>de Villars</i> m'a confi. <i>Le roi, les deux reines et le
+premier ministre n'ont point du tout de crdit.</i> Ce secret est comme
+celui de la comdie. Je m'en suis un peu doute par le peu de prcaution
+que M. <i>de Villars</i> a pris en me le confiant.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XI_VILLARS" id="LETTRE_XI_VILLARS"></a>LETTRE XI.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, 16 avril 1680.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span>'<span class="smcap">ai</span>
+reu deux de vos lettres par ce dernier ordinaire, comme je montois
+en carrosse pour aller l'Escurial. Hlas! madame, quelle nouvelle
+m'avez-vous apprise que celle de la mort de M. <i>de la
+Rochefoucauld</i><a name="FNanchor_18_18" id="FNanchor_18_18"></a><a href="#Footnote_18_18" class="fnanchor" title="Go to footnote 18.">[18]</a>. Je n'ai pas le courage de vous parler de toutes les
+merveilles que je viens de voir. La tristesse de cette mort dont j'tois
+pntre, m'engagea considrer plus long-temps que je ne l'aurois
+peut-tre fait dans une autre situation d'esprit, ce magnifique
+Panthon, et ces huit belles demeures, si l'on peut nommer de la sorte
+celles que les morts habitent, et o sont dj quatre rois<a name="FNanchor_19_19" id="FNanchor_19_19"></a><a href="#Footnote_19_19" class="fnanchor" title="Go to footnote 19.">[19]</a> et quatre
+reines. Tout de bon, madame, je ne saurois vous entretenir de rien
+aujourd'hui. Je vous embrasse de tout mon c&#339;ur; et c'est tout ce que je
+puis faire, afflige comme je le suis.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XII_VILLARS" id="LETTRE_XII_VILLARS"></a>LETTRE XII.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, 27 avril 1680.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">S</span><span class="smcap">i</span> j'avois t dimanche une belle procession qui se fit encore, je
+vous en rendrois un lger compte; mais je ne jugeai pas raisonnable de
+passer de propos dlibr toute la matine du dimanche des Rameaux sans
+prier Dieu. Je me contentai la veille de voir l'habit de la reine
+qu'elle me fit apporter. Il y en a toujours un exprs pour cette
+crmonie, o il s'agit de marquer le deuil et la mortification. Le fond
+de cet habit est de satin noir tout brod de jais blanc et d'acier,
+mais, sans nulle comparaison, mieux qu'on ne les emploie en France.
+C'est la seule broderie que j'aie vue dans sa perfection. La reine avoit
+beaucoup de pierreries, mais avec de petits morceaux de gaze plisss,
+attachs en quelques endroits sur le corps de jupe; l'on prtend
+marquer une grande modestie. Les dix filles d'honneur avaient des
+pointes de gaze blanche sur leurs ttes, et leurs amans leurs cts.
+Je ne vous dirai rien, de tout ce qui se passe les trois jours saints,
+mercredi, jeudi et vendredi. Toutes les femmes sont pares, et courent
+d'glise en glise toute la nuit, hors celles qui ont trouv dans la
+premire o elles ont t, ce qu'elles y cherchoient; car il y en a
+plusieurs, qui, de toute l'anne, ne parlent leurs amans que ces trois
+jours-l.</p>
+
+<p>Je vous cris par un courrier que le roi a envoy M. <i>de Villars</i>.
+Vous aimeriez peut-tre davantage cet ambassadeur, si vous saviez quel
+point il sait bien se gouverner dans cette cour. Comme je suis toujours
+sur mes gardes pour ne rien crire qui vise aux affaires d'tat, je ne
+vous ai point informe de plusieurs choses qui se sont passes ici,
+quoique publiques; mais, en gnral, vous pouvez dire que M. <i>de
+Villars</i> a fait rtablir toutes choses comme le roi le dsiroit. On lui
+a tendu mille panneaux depuis deux ou trois mois, pour lui donner dans
+son quartier, Madrid, des sujets de batterie, et pour faire piller et
+brler notre maison, en animant le peuple. Tout est craindre, quand il
+arrive de semblables esclandres: il faut avoir une attention continuelle
+ les empcher, et mme, s'il se peut, les prvoir, quoique cela soit
+quelquefois bien difficile. Le cardinal <i>Bonzi</i>, tant ici ambassadeur,
+y a pass. Quand ces dsordres-l arrivent, les plaintes ne manquent pas
+d'tre portes en France, et un pauvre ambassadeur est condamn, sans
+avoir pu dire ses raisons. Ils ont eu ici un tel dpit que <i>Juvenozo</i>,
+leur ambassadeur en France, n'ait pas reu les traitemens qu'il vouloit,
+qu'ils auroient achet bien cher quelques sujets d'attaquer la conduite
+de M. <i>de Villars</i>, sur le fait ou le caractre de l'ambassade.
+Personnellement on ne peut tre plus aim, ni plus estim qu'il l'est.
+Ce roi a une haine effroyable contre les Franois; je ne cesse pas de
+vous l'crire. La conduite de la reine est toujours trs-bonne. Vous la
+louez du bon got qu'elle a pour moi; mais savez vous quelle sauce je
+me mets pour tre trouve de si bon got? Adieu, ma chre madame; M. <i>de
+Villars</i> vous assure de mille vritables respects.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XIII_VILLARS" id="LETTRE_XIII_VILLARS"></a>LETTRE XIII.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, premier mai 1680.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">T</span><span class="smcap">out</span> ce que je puis vous dire de la reine, c'est qu'elle continue bien
+faire. Le roi fut mercredi l'Escurial, et en revint vendredi. Il faut
+des airs ici: la reine eut tous ceux qui toient ncessaires pour
+marquer une grande mlancolie de cette absence. Je ne serois pas bonne
+comdienne; mais je sais bien comme il faut louer, et donner des avis
+propos, quand je me trouve dans l'occasion de le faire. Ils se sont
+envoy, pendant cette courte absence, des prsens riches et galans.</p>
+
+<p>Je reviens du palais. C'est aujourd'hui la fte de <i>Monsieur</i>. La reine
+toit belle comme le jour. Je ne sais pas comment elle peut tre si
+belle Madrid. Elle toit extraordinairement pare de trs-grosses
+perles, et de beaucoup de diamans. J'ai t quelque temps seule avec
+elle. Nous avons chant quelques airs d'opra: car il n'est pas
+question, dans nos conversations, de la gravit que comporteroit mon
+ge. En vrit, si je dressois bien mon intention, je ne crois pas que
+ce ft une &#339;uvre trs-bonne que de la divertir. La vie du palais de
+Madrid ne se peut gure comprendre. Le roi se trouva un peu mal hier: il
+se porte bien aujourd'hui. J'ai laiss toute la maison royale aller la
+comdie; j'ai senti un grand plaisir de n'y point aller, et de revenir
+chez moi. Je ne vous dis point tout ce que M. <i>de Villars</i> voudroit que
+je vous fisse entendre de sa part. On ne peut vous honorer ni vous
+respecter plus qu'il fait, et ma fille aussi, qui aime M. <i>de
+Coulanges</i> de tout son c&#339;ur. Adieu, madame.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XIV_VILLARS" id="LETTRE_XIV_VILLARS"></a>LETTRE XIV.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, 26 mai 1680.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">V</span><span class="smcap">ous</span> dites, madame, que j'attire des louanges la reine par le got
+qu'elle parot avoir pour moi, et le dsir qu'elle fait voir que je sois
+presque toujours auprs d'elle. Elle en mrite, en vrit, d'autres, par
+la manire dont elle supporte cette vie affreuse du palais. Elle joue
+trois ou quatre heures par jour aux jonchets, qui est le jeu favori du
+roi, sans lui marquer de chagrin. Il lui fait souvent des prsens
+qu'elle aime fort, et voil par o il la console.</p>
+
+<p>Le marquis <i>de Grana</i> et sa femme sont arrivs. On dit que cette femme
+parle cinq ou six sortes de langues; je serai bien simple auprs d'elle.
+Je ne sais si elle verra souvent la jeune reine. Si cela est, nous
+serons souvent ensemble; car il n'y a que les ambassadrices de France et
+d'Allemagne, qui entrent dans la chambre des reines. Toutes les autres
+femmes de ministres trangers ne les voient que dans un lieu destin
+pour les crmonies. Avec cette prrogative, peut-on ne se pas trouver
+heureuse Madrid?</p>
+
+<p>M. <i>de Villars</i> vous assure de mille trs-humbles respects, et ma fille
+aussi. Elle aime un peu mieux M. <i>de Coulanges</i> que vous. Elle porta
+hier la reine la lettre et les chansons de M. <i>de Coulanges</i>. Elles
+les chantrent long-temps. N'avez-vous pas reu une petite bote par des
+religieux?</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XV_VILLARS" id="LETTRE_XV_VILLARS"></a>LETTRE XV.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, 28 mai 1680.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span>'<span class="smcap">ai</span>
+vu M. et madame <i>de Grana</i>; le mari me vint voir il y a deux ou
+trois jours; il fut toute l'aprs-dne avec moi. Il parle mieux
+franois qu'un Franois mme; il est de bonne conversation. Il s'ennuie
+ la mort Madrid, quoiqu'il y ait demeur long-temps, et qu'il y ait
+beaucoup de parens. Il est pouvant du gouvernement, quoiqu'il n'en
+parle que comme en doit parler un ambassadeur de l'Empereur, une
+Franoise. Il dit qu'il ne sera pas long-temps ici. Il me soutient qu'il
+n'y avoit qu'un ambassadeur de France qui pt prsentement trouver
+quelque plaisir dans cette cour, en entendant parler du mchant tat o
+on la voit. Pour moi, madame, vous croyez bien que je n'entre dans aucun
+de ces dtails.</p>
+
+<p>Je jouis du beau temps, qui est admirable prsentement. Depuis un mois,
+il est tempr. Nous ne voyons ni ne sentons de soleil que ce qu'il en
+faut pour rjouir. La reine m'ordonne, et, si je l'ose dire, me prie
+instamment de la voir souvent. L'ennui du palais est affreux, et je dis
+quelquefois cette princesse, quand j'entre dans sa chambre, qu'il me
+semble qu'on le sent, qu'on le voit, qu'on le touche, tant il est
+rpandu pais. Cependant je n'oublie rien pour faire en sorte de lui
+persuader qu'il faut s'y accoutumer, et tcher de le moins sentir
+qu'elle pourra; car il n'est pas en mon pouvoir de la gter, en la
+flattant de sottises et de chimres, dont beaucoup de gens ne sont que
+trop prodigues. On a cru deux mois qu'elle toit grosse; c'est elle
+savoir s'il y en avoit sujet. On ne peut tre moins propre questionner
+que je le suis sur de pareils chapitres. De plus, vous savez que, quand
+elle est partie de Paris, je n'tois pas beaucoup dans sa confiance, ni
+connue et considre au Palais-royal. Je ne m'entremets de rien ici: la
+reine a du plaisir voir une Franoise, et parler sa langue
+naturelle. Nous chantons ensemble des airs d'opra. Je chante
+quelquefois un menuet qu'elle danse. Quand elle me parle de
+Fontainebleau, de St-Cloud, je change de discours; et il faut viter de
+lui en crire des relations. Quand elle sort, rien n'est si triste que
+ses promenades. Elle est avec le roi dans un carrosse fort rude, tous
+les rideaux tirs. Mais enfin ce sont des usages d'Espagne; et je lui
+dis souvent qu'elle n'a pas d croire qu'on les changeroit pour elle, ni
+pour personne. Entre nous, ce que je ne comprends pas, c'est qu'on ne
+lui ait pas cherch par mer et par terre, et au poids de l'or, quelque
+femme d'esprit, de mrite et de prudence, pour servir cette princesse
+de consolation et de conseil. Croyoit-on qu'elle n'en et pas besoin en
+Espagne? Elle se conduit envers le roi avec douceur et complaisance.
+Pour des plaisirs, elle n'en voit aucun esprer dans cette cour; mais
+comme je n'ai aucun personnage faire auprs d'elle, et que je n'ai ni
+charge ni mission de m'en mler, ni de pntrer rien sur le prsent, le
+pass et l'avenir, elle me fait beaucoup d'honneur de vouloir que je
+sois souvent auprs d'elle; mais, quand cela n'est pas, je ne meurs
+point d'ennui avec M. <i>de Villars</i>, avec qui j'aime bien autant m'aller
+promener. Si je vous disois la continuation, o, pour mieux dire,
+l'augmentation des misres de ce pays, cela vous feroit de la peine.
+Adieu, madame; je suis vous de tout mon c&#339;ur.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XVI_VILLARS" id="LETTRE_XVI_VILLARS"></a>LETTRE XVI.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, 13 juin 1680.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">D</span><span class="smcap">epuis</span> ma dernire lettre, nous avons fait un petit voyage en la seule
+maison qu'ait le roi d'Espagne, quand il veut, pour quelque temps,
+quitter la demeure de Madrid. Elle s'appelle Aranjuez. Elle passe ici
+pour la merveille du monde. La situation pour les eaux est des plus
+belles; et, si M. <i>le Nostre</i> en trouvoit une pareille, ce qu'il y
+pourroit faire s'appelleroit en effet une merveille. Le jardin, qui est
+grand, est entour de deux rivires dont l'une est le Tage, et l'autre
+le Guadaran. Voil de grands noms; mais me voil, pour toute ma vie,
+dtrompe de ces noms fameux. N'avez-vous pas une haute ide de ce Tage?
+et le Mananars n'a-t-il pas quelquefois touch votre imagination,
+comme de quelque agrable rivire? Le Tage est plus grand; mais, en
+revanche, son eau n'est point claire. Il faut pourtant dire la vrit;
+ce jardin, pour l'Espagne, est agrable, par la quantit de fontaines et
+d'arbres qui y sont; car rien n'est si rare en ce pays que les bois, par
+la scheresse du climat. Je n'ai rien trouv redire au peu de largeur
+des alles. C'est <i>Philippe II</i> qui les a fait planter; et peut-tre
+que, de son temps, il falloit qu'elles fussent ainsi pour tre
+parfaites. La maison serait assez belle, si elle toit acheve; mais il
+s'en faut plus de la moiti, quoique le dessin ne soit pas grand. Il y a
+sept ou huit lieues d'Aranjuez Madrid. Nous y allmes le vendredi, et
+nous en revnmes le lundi: j'allai le lendemain, voir la reine: je lui
+en dis des merveilles, et je la suppliai de le dire au roi qui entra.
+Elle fit fort bien son devoir: je lui avois conseill de marquer quelque
+impatience que sa majest la ment voir ce beau lieu. Elle n'eut pas de
+peine lui persuader que j'en tois charme; car il le croit au-dessus
+de tout ce qu'il y a au monde. Cette demeure, qui semble n'tre propre
+que pour le temps des chaleurs, est mortelle en t; et le gouverneur a
+permission de n'y tre jamais en cette saison. Pour toutes btes rares,
+il y a une infinit d'horribles chameaux: d'en voir un seul, comme on en
+voit quelquefois Paris, ne fait pas un effet dsagrable, comme
+lorsqu'on en voit beaucoup ensemble. Tout ce qu'on voit l ne fait point
+du tout souvenir de la mnagerie de Versailles. Il n'y a mme point de
+mnagerie; car ces vilains animaux paissent dans les champs comme des
+troupeaux de b&#339;ufs et de vaches; et l'on s'en sert pour porter des
+pierres ou de la terre, quand on btit. Me voil donc revenue de cette
+maison royale, dont je ne vous parlerai plus.</p>
+
+<p>Les Espagnols nous disent incessamment que nous aurons bientt la
+guerre: les pauvres gens en ont grand'peur. Pour moi, j'aime bien mieux
+l'ennui de Madrid, que d'en partir pour une telle raison, et je leur
+rponds toujours que je n'en crois rien. Ce bruit est plus grand au
+palais qu'ailleurs; et la reine, comme vous pouvez penser, en est bien
+alarme. Elle continue de se bien porter. C'est un heureux temprament
+pour la sant; et je ne sais pas ce qui se passe dans son esprit et dans
+sa tte, pour la soutenir si bien; car pour son c&#339;ur, je crois qu'il ne
+s'y passe rien. Quand je suis un peu de temps sans la voir, elle ne le
+trouve point bon. Nous chantons comme des cigales. Elle lit des opras;
+elle joue merveille du clavecin, assez bien de la guitare; en moins de
+rien, elle a appris jouer de la harpe. Elle ne prend pas beaucoup de
+consolation dans les livres de dvotion. Cela n'est point extraordinaire
+ son ge. Je dis souvent que je voudrois bien qu'elle ft grosse, et
+qu'elle et un enfant.</p>
+
+<p>Je n'ai point vu le marquis <i>de Grana</i> depuis que je vous ai crit. Je
+serois fort aise que nous nous vissions, mais la politique qu'il croit
+devoir garder en cette cour, le retient peut-tre et sa femme aussi,
+qui, par politique de son ct, s'habille l'espagnole. On l'en devroit
+rcompenser, car elle est bien mieux autrement.</p>
+
+<p>Il y aura lundi une fte de taureaux. On s'y attend beaucoup de
+plaisir, parce qu'on n'a jamais vu de taureaux si furieux. L'abb <i>de
+Villars</i> vous entretiendra, si vous voulez, sur ce sujet. Il est charm
+de celle qu'il a vue; mais, quoi qu'il vous en puisse dire, croyez-moi,
+c'est une pouvantable beaut. Il y aura une autre fte le 31 de ce
+mois, dont je vous ferai crire une ample relation. Vous la trouverez
+bien extraordinaire. Elle ne se fait que de cinquante en cinquante ans.
+On y brle beaucoup de Juifs; et il y a d'autres supplices pour des
+hrtiques et des athes. Ce sont des choses horribles.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XVII_VILLARS" id="LETTRE_XVII_VILLARS"></a>LETTRE XVII.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, 25 juillet 1680.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> n'ai pas eu le courage d'assister cette horrible excution des
+Juifs. Ce fut un affreux spectacle, selon ce que j'en ai entendu dire;
+mais, pour la semaine du jugement, il fallut bien y tre, moins de
+bonnes attestations de mdecins d'tre l'extrmit; car autrement on
+et pass pour hrtique. On trouve mme trs-mauvais que je ne parusse
+pas me divertir tout--fait de ce qui s'y passoit. Mais ce qu'on a vu
+exercer de cruauts la mort de ces misrables, c'est ce qu'on ne vous
+peut dcrire.</p>
+
+<p>Le marquis <i>de Grana</i> fit lundi son entre. Les Espagnols s'attendoient
+ voir plus de magnificence. Pour moi, je trouve qu'il a bien fait de
+n'en pas faire davantage. C'est un trs-galant homme, et qui fait toute
+la dpense qu'il peut. Il est effray de tout l'argent qu'il faut ici.
+Il en touche cependant beaucoup. Il a quinze cents pistoles de pension,
+payes par le roi d'Espagne, double franchise, et sa maison paye, sans
+les appointemens que lui donne l'Empereur, son matre. Il a pour le
+ntre une grande estime et un grand respect; mais il mle parmi cela
+certaines choses dans ses conversations avec les gens de cette cour sur
+les conqutes du roi, qui marquent assez de vivacit. Je vois souvent sa
+femme au palais; elle a bien de l'esprit. J'irois bien plus souvent chez
+elle, les voir l'un et l'autre, si je ne craignois de leur faire de la
+peine, par les airs qu'il faut qu'ils observent ici. Le marquis <i>de
+Grana</i> est un des plus gros hommes que l'on voie, mais de trs-bonne
+mine. Notre jeune reine, pour tre heureuse, auroit grand besoin d'avoir
+du got pour la solitude dans son triste palais, o elle veut que
+j'aille souvent griller de chaud avec elle. Il est violent le chaud
+qu'il fait ici. Il est vrai que, chez nous, nous n'en souffrons pas
+beaucoup. Nous sommes dans un appartement bas, dlicieux pour cette
+saison. La reine a t ces jours passs deux fois <i>incognito</i> avec le
+roi, se promener dix heures du soir dans cette rivire poudreuse. Elle
+me le fit savoir, afin que nous nous y trouvassions, et me donna un
+signe pour reconnotre son carrosse, et moi un pour reconnotre le mien.
+Si vous saviez ce que c'est que ce plaisir! On croit pourtant que la
+reine en doit de reste. Adieu, ma chre madame, c'en est un bien
+sensible pour moi de croire, comme je fais, que vous m'aimez
+vritablement. Si M. <i>de Coulanges</i>, selon les souhaits de M. <i>de
+Schomberg</i>, et par les pas qu'il a faits Fontainebleau, et t envoy
+ambassadeur en Portugal, nous l'aurions gard son passage par Madrid,
+tout autant qu'il nous auroit t possible.</p>
+
+<p>Si vous n'avez encore ni donn ni rompu ces petits boucaro, que je vous
+ai envoys, dont le dedans toit blanc, conservez-les; car ce blanc est
+une composition de bzoard.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XVIII_VILLARS" id="LETTRE_XVIII_VILLARS"></a>LETTRE XVIII.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, 28 aot 1680.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> vous adresse cette lettre Paris, quoique, par votre dernire, vous
+m'ayez mand que, dans trois jours, vous partiez pour Lyon. Il me
+revient par vous et par tout le monde, quel point vous faites valoir
+mes lettres; et, comme je ne suis pas persuade de leur mrite, j'ai t
+jusqu' prsent tout tonne du cas qu'on en faisoit. Mais je crois en
+avoir dcouvert la raison; c'est que vous ne les donnez pas lire, et
+que vous les lisez vous-mme; comme cela ne vous cote gure, vous y
+mettez tout ce qui leur manque pour les rendre agrables, et pour leur
+attirer des louanges. Je vous prie, ma chre madame, de m'avouer la
+vrit l-dessus, sans consulter votre modestie. Je lirai avec plus
+d'attention et de sensibilit tout ce que vous m'crirez de Lyon, que
+tout ce que vous m'crivez de Paris, parce que vous me parlerez plus de
+vous et de tout ce qui vous touche; car je prtends que vous n'omettiez
+rien de tout ce que vous ferez; je voudrois bien aussi tout ce que vous
+penserez. Pour moi, madame, si je voulois ne vous parler que de ce qui
+m'occupe le plus ici prsentement, ce seroit de la cruelle canicule
+qu'on y souffre. Car la peste et la famine, que nous avons dj vues
+deux fois, et la guerre qu'on croit fort proche, ne me paroissent pas
+encore si insupportables que l'horrible chaleur qu'il fait. Encore le
+jour se sauve-t-on assez, en se tenant dans un appartement bas; mais la
+nuit on n'y peut coucher, cause des moucherons qui dvorent les
+pauvres personnes.</p>
+
+<p>C'est vous, madame, qui pensez et qui crivez mieux que personne du
+monde. Hlas! nous ne savons qui en parler ici. Nous lisons vos
+lettres, M. <i>de Villars</i>, ma fille et moi, avec un grand got et un
+grand plaisir. Elles m'en causent bien plus d'un, par ne me point
+laisser douter que vous ne m'aimiez; et, quoique ce plaisir rveille
+l'ennui que l'on souffre de ne point voir ce que l'on aime, et de qui
+l'on est aim, cette peine est bien douce, compare la moindre
+diminution de votre amiti pour moi. Il y a quatre ou cinq endroits dans
+votre dernire lettre, d'une vivacit et d'une imagination bien ignores
+jusqu' vous, madame, et qu'on n'imitera jamais. Je ne pense pas mme
+qu'on puisse faire aller son ambition jusqu' esprer d'en devenir une
+mchante copie.</p>
+
+<p>Puisque nous sommes sur les copies; voulez-vous bien que je vous fasse
+souvenir que vous m'avez parl de votre portrait? Je n'aurois os vous
+le demander, quelqu'envie que j'en eusse, si vous ne m'en aviez parl la
+premire.</p>
+
+<p>J'aime notre jeune reine du plaisir qu'elle me parot avoir, quand je
+lui nomme votre nom, et que je lui dis que vous vous souvenez d'elle.
+Elle m'a charge de beaucoup d'amitis pour vous. Je ne saurois vous
+rien dire qui puisse vous instruire sur tout ce qui la regarde. Nous en
+parlerons un jour, si nous nous revoyons. Elle est grasse, belle,
+buvant, mangeant, dormant, riant trs-souvent, dansant de tout son c&#339;ur,
+quand nous sommes seules; moi chantant le menuet et le passe-pied.
+Contentez-vous de cela.</p>
+
+<p>Vous n'avez pas trouv que le marquis <i>de la Fuente</i> ft souvenir de M.
+<i>de Villars</i>. S'il n'y a point de guerre, sa femme partira au mois de
+septembre pour l'aller trouver. C'est une des plus raisonnables femmes
+d'ici: je vous prie de me mander tout ce que vous savez touchant la
+guerre.</p>
+
+<p>Vous me dites, et cela est vrai, que l'on seroit bien heureux, si les
+lieux d'ennui pouvoient inspirer de solides et srieuses rflexions pour
+le salut, nous dtacher des choses de ce monde, qui se dtachent tous
+les jours de nous: la sant, la jeunesse, la beaut, les amis.</p>
+
+<p>Il passera dans peu un tranger<a name="FNanchor_20_20" id="FNanchor_20_20"></a><a href="#Footnote_20_20" class="fnanchor" title="Go to footnote 20.">[20]</a> Lyon, qui vous remettra un
+trs-petit prsent de ma part. J'aime vous marquer le plus souvent que
+je puis que je songe vous, par ces lgres bagatelles. M. <i>de Villars</i>
+en a honte; car il vous croit digne qu'on ne vous prsente que des
+couronnes. Quand vous en auriez, il ne pourroit pas vous honorer, ni
+vous respecter au-del de ce qu'il fait. Adieu, madame.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XIX_VILLARS" id="LETTRE_XIX_VILLARS"></a>LETTRE XIX.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, 15 aot 1680.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span>'<span class="smcap">ai</span>
+une vritable impatience d'avoir de vos nouvelles; j'en ai beaucoup
+aussi d'en apprendre de Paris, puisqu'on y parle sans cesse de guerre,
+sans que je comprenne encore qui commencera la dclarer. Les
+Espagnols ne sont pas en tat de la soutenir. Leur misre passe tout ce
+qu'on en peut imaginer. Il est vrai qu'ils esprent, ou, pour mieux
+dire, qu'ils croient srement que l'Empereur, l'Angleterre et la
+Hollande se joindront eux. Le prince de Parme doit partir aujourd'hui
+pour aller commander en Flandre. On dit ici qu'ils n'ont pas voulu
+qu'elle s'achevt de perdre, sans un Espagnol naturel. Notre marquis <i>de
+Grana</i> a le c&#339;ur bien envenim contre la France; et, s'il toit second
+par tout ce qu'il voudroit bien mettre contre nous, il tailleroit ce
+qu'il appelle de la besogne. Il est galant homme, il a de l'esprit;
+mais, dans ses manires de parler, on le prendroit pour tre n sur les
+bords de la Garonne.</p>
+
+<p>Nous avons t ici en vritable pril de mourir des excessives chaleurs.
+La beaut et la fracheur de la reine n'en ont point souffert. Elle m'a
+promis de me donner un petit coffre pour vous. Ds que je l'aurai, je
+chercherai une voie pour vous le faire tenir. Elle me parot fort
+souhaiter votre amiti; je l'assure aussi qu'elle a raison de la
+souhaiter.</p>
+
+<p>Je voudrois que l'on crt un peu moins aux horoscopes; je ne me
+reprocherai jamais d'avoir eu, sur ce sujet, de pernicieuse
+complaisance, et de n'avoir pas fait mon possible pour dsabuser des
+faussets qui s'y trouvent.</p>
+
+<p>Il y a, dans la bote que vous recevrez par le marquis <i>de Ligneville</i>,
+deux paires de bas de soie, des pastilles d'ambre dans une bourse, et un
+&#339;uf d'aventurine avec des pastilles dedans, dont je crois que le got ne
+vous dplaira pas. Je vous fais ce dtail de peu d'importance, afin que
+vous vous aperceviez si l'on en prenoit quelque chose.</p>
+
+<p>La conntable <i>Colonne</i> est dans la maison de son mari, assez inquite
+de ce qu'elle deviendra, car elle n'est nullement rsolue de s'en
+retourner en Italie avec lui. Elle voudroit bien pouvoir rentrer en ce
+temps-l dans un couvent Madrid; bien entendu d'en sortir peu aprs,
+et de s'en aller, tant que terre la pourra porter, en Flandre, en
+Angleterre, en Allemagne; car, pour en France, elle a peur qu'on ne l'y
+veuille pas souffrir. Vraiment c'est un original qu'on ne peut assez
+admirer, le voir de prs, comme je le vois. Elle a ici un amant; elle
+me veut faire avouer qu'il est agrable, qu'il a quelque chose de fin et
+de fripon dans les yeux. Il est horrible; mais ce n'est pas ce qui
+devroit diminuer son inclination et la rebuter, au prix d'une autre
+petite chose qui ne vaut pas la peine d'en parler; c'est que cet amant
+ne l'aime point du tout, ce qu'elle m'a dit. Elle se trouve heureuse
+cependant qu'il soit comme cela; parce que, s'il rpondoit un peu ses
+sentimens, les choses feroient encore plus d'clat. Elle ne dplat
+point; elle s'habille l'espagnole, d'un air beaucoup plus agrable que
+ne font toutes les autres femmes de cette cour. Elle a trois grands fils
+mal levs; l'an va pouser une des filles du duc <i>de Medina Celi</i>,
+premier ministre; mais vous ne vous souciez gure de tout cela.</p>
+
+<p>Il est fort question ici que, dans peu, la duchesse <i>de Terranova</i>
+quittera sa place de <i>camarera mayor</i> qui sera, ce qu'on dit, donne
+la duchesse <i>d'Albuquerque</i>. C'est une joie dans cette cour; car cette
+premire n'y est pas aime. Pour moi, il ne m'importe, pourvu que la
+reine s'en trouve bien. Adieu, ma trs-chre madame; dites-vous souvent
+que je vous aime de tout mon c&#339;ur.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XX_VILLARS" id="LETTRE_XX_VILLARS"></a>LETTRE XX.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, 29 aot 1680.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> ne reois point de lettres, madame; je n'ai point de vos nouvelles,
+et j'en voudrois savoir prfrablement toutes celles qu'on me peut
+mander de Paris. Comment vous portez-vous? Que faites-vous du matin
+jusqu'au soir? Combien serez-vous Lyon? Aprs cela, je vais vous dire
+des miennes, qui ne sont pas des plus agrables. La misre augmente ici
+tous les jours, et les monnoies n'y sont point rehausses. De douze
+mille cus que le roi donne M. <i>de Villars</i>, ce n'est Madrid
+qu'environ cinq mille cinq cents cus. Notre maison nous cote neuf
+mille fr. de loyer. Voyez ce qui reste pour toutes sortes d'autres
+dpenses. M. <i>de Villars</i> veut donc me renvoyer pour se loger moins
+chrement, et ne garder que trs-peu de gens aprs mon dpart. C'est une
+chose fort triste pour moi que cette sparation, attache comme je le
+suis M. <i>de Villars</i>, et fort triste aussi par ne trouver d'autre
+moyen de soulager sa dpense. J'ai t quelque temps sans dire ce projet
+ la reine, et quand je le lui ai appris, elle n'a pu le croire, ni s'y
+rsoudre. Il y a plus d'honneur que de vanit se persuader que cette
+pauvre princesse me regretteroit en demeurant en Espagne dans son triste
+palais, et ses tristes petites occupations. On lui a chang de <i>camarera
+mayor</i>: c'est, depuis deux jours, que la duchesse <i>d'Albuquerque</i>
+remplit cette place. La reine s'en accommodera mieux que de celle
+qu'elle avoit. Quel pays, madame, que celui-ci! Il faut bien aimer M.
+<i>de Villars</i>, pour sentir de la peine le quitter; mais, force aussi
+qu'on s'y ennuie, je dsire qu'il n'y soit pas sans moi, puisqu'il n'y
+peut trouver mieux. Je sens une grande consolation d'avoir pass cette
+horrible canicule, dont je vous ai parl, sans y avoir succomb. Il est
+mort ici une infinit de gens, et j'avois beaucoup de peur pour notre
+maison. Mais, ma chre madame, quand aurai-je de vos nouvelles? Vous
+aurez, par un homme qui partira bientt, ce petit coffre de la reine,
+plein de pastilles manger.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXI_VILLARS" id="LETTRE_XXI_VILLARS"></a>LETTRE XXI.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, 5 septembre 1680.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> vous ai mand par ma dernire lettre la destitution de la duchesse
+<i>de Terranova</i>; qu'on avoit mis sa place la duchesse <i>d'Albuquerque</i>;
+et que je ne pouvois tre ni aise ni fche de ce changement, que selon
+que la reine s'en trouveroit bien ou mal. Quoique madame <i>de Terranova</i>
+ait une grande aversion pour la France et pour les Franois, elle m'a
+toujours traite fort honntement. On croit que la reine n'aura pas
+sujet de se repentir de ce changement. L'air du palais est dj tout
+autre, et le roi aussi. Sa majest a permis la reine de ne se coucher
+plus qu' dix heures et demie, et de monter cheval quand elle voudra,
+quoique cela soit entirement contre l'usage. Il lui a accord encore
+une chose qui lui a donn une grande joie. Il y a trois ou quatre jours
+que me voyant entrer dans sa chambre, elle vint au-devant de moi avec un
+air de gat extraordinaire, et me dit: <i>Ne direz-vous pas oui ce que
+je vais vous demander?</i> C'toit que le roi vouloit bien que ma fille et
+l'honneur d'tre une de ses dames. Elle en toit transporte. Vous jugez
+bien avec quel respect et quel plaisir je reus ce qu'elle me disoit;
+mais elle fut un peu mortifie quand je lui rpondis que je croyois
+qu'il falloit, avant que d'accepter cet honneur, que M. <i>de Villars</i> en
+et la permission du roi, notre matre. Ma fille ne s'en sent pas de
+joie. A son ge, combien ne se figure-t-on point de plaisirs dont, selon
+les apparences, elle ne jouiroit pas long-temps? Elle auroit d'illustres
+compagnes; car ce ne sont que des filles des maisons de Portugal,
+Aragon, Mauriqus, Castille; enfin tout ce qu'il y a de plus grand dans
+le royaume. Elles ont beaucoup de petites fonctions. La plupart
+n'omettent rien de celles qui regardent la galanterie.</p>
+
+<p>L'on ne parle plus de guerre ici. Ce n'est pas ce qui me rassureroit.</p>
+
+<p>Adieu, madame; je vous quitte pour m'aller parer. La reine vient de me
+mander que c'est aujourd'hui le jour de la naissance de notre roi, et
+que je ne manque pas d'aller au palais avec tout ce que j'ai de diamans.
+Si j'avois pu ce matin tre sa toilette, je lui aurois conseill de
+n'affecter pas trop de magnificence ce jour-ci; car elle ne fera plaisir
+ personne; et je suis assure que le roi, son oncle, l'en dispenseroit
+volontiers.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXII_VILLARS" id="LETTRE_XXII_VILLARS"></a>LETTRE XXII.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, 12 septembre 1680.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span>'<span class="smcap">ai</span>
+enfin reu deux de vos paquets de Lyon, madame, et j'ai fort peu de
+temps y rpondre, parce que le courrier part ce soir. J'tois afflige
+de ne point recevoir de vos nouvelles; mais je ne l'tois point de
+l'apprhension que vous m'eussiez oublie. Vous me parlez de la peste,
+et de la peine o vous en tes pour moi. Elle ne m'a point approche,
+Dieu merci, et il faut esprer qu'elle laissera Madrid hors d'intrigue.
+Vous me parlez encore d'une autre peste, qui est la continuation de la
+misre o l'on est ici. Elle augmente toujours, et les monnoies ne
+haussent point. Je ne vous ai que trop entretenue de tout cela; je ne
+veux point que vous y fassiez de rflexion. Vous tes vive, et vous
+m'aimez. Pensez une fois, et puis n'y pensez plus, que les douze mille
+cus qu'on a d'appointemens, ne font ici que cinq mille cinq cents cus,
+et que nous payons neuf mille francs de loyer de notre maison. Je vous
+ai dj mand que M. <i>de Villars</i>, ne pouvant plus subsister, prenoit la
+rsolution de me faire partir d'ici le mois prochain. Le marquis <i>de
+Grana</i>, qui est riche par lui-mme, par ce que son matre lui donne, et
+par les pensions qu'il tire de cette cour, dit bien aussi qu'il n'y peut
+pas subsister. Qu'il est gascon, cet Allemand! un peu hargneux sur les
+affaires de France, et sur tout ce que projette et excute le roi, notre
+matre.</p>
+
+<p>Mais votre portrait, que vous me faites esprer, il faut le confier
+mes enfans qui seront Paris avant la fin de ce mois. En vrit, je ne
+puis vous dire le plaisir que vous me faites. Je ne croyois plus tre
+aussi sensible que je trouve que je le suis sur cette sorte de joie. Mes
+enfans vous auront vue Lyon. Qu'ils auront t aises, s'ils tiennent
+de leur mre!</p>
+
+<p>On se trouve toujours bien du changement de la <i>camarera mayor</i>. L'air
+du palais en est tout diffrent. Nous regardons prsentement la reine et
+moi, tant que nous voulons, par une fentre qui n'a de vue que sur un
+grand jardin d'un couvent de religieuses qu'on appelle <i>l'Incarnation</i>,
+et qui est attach au palais. Vous aurez peine imaginer qu'une jeune
+princesse, ne en France, et leve au Palais-royal, puisse compter
+cela pour un plaisir; je fais ce que je puis pour le lui faire valoir
+plus que je ne le compte moi-mme. Il y a neuf jours qu'on souponnoit
+encore qu'elle toit grosse. Pour moi, je ne le souponne pas. Le roi
+l'aime passionnment sa mode, et elle aime le roi la sienne. Elle
+est belle comme le jour, grasse, frache; elle dort, elle mange, elle
+rit; il faut finir l; et, avec tout l'esprit que vous avez, je vous
+dfie de deviner tout ce que j'aurois vous dire ensuite de tout cela.</p>
+
+<p>Adieu, ma chre madame; je voudrois bien crire encore, si j'en avois le
+temps; mandez-moi ce que vous saurez de la paix et de la guerre.</p>
+
+<p>Vous recevrez un petit paquet que je ne vous envoie, que parce qu'il ne
+vous cotera rien de port; car, pour peu que vous en payassiez, ce
+seroit plus qu'il ne vaut: c'est pourtant la reine d'Espagne qui vous
+l'envoie.</p>
+
+<p>Je rends mille grces M. <i>de Coulanges</i>, de sa prose et de ses vers.
+La marquise <i>d'Uxelles</i> m'avoit envoy ceux qu'il avoit faits pour
+elle, en passant Chlons-sur-Sane.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXIII_VILLARS" id="LETTRE_XXIII_VILLARS"></a>LETTRE XXIII.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, 26 septembre 1680.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> reois prsentement vos lettres. Je dirai aujourd'hui la reine tout
+ce que vous m'crivez d'honnte et d'obligeant pour elle. Que dix-huit
+ans et une heureuse disposition croire tout ce qu'on souhaite, sont
+choses agrables, et conservent bien la sant et la beaut! Pour moi, je
+lui dis tous les jours que, par malheur, j'ai toute ma vie t oppose
+cette heureuse situation.</p>
+
+<p>Celle de la pauvre conntable <i>Colonne</i> est prsent bien dtestable.
+Il y a plus de deux mois que je lui ai prdit ce qui arriveroit. Mais,
+sans nulle rflexion, elle vivoit au jour la journe, comptant qu'on la
+laisseroit jouir de la libert de sortir de sa maison, de faire des
+visites, et qu'on ne parleroit de rien qu'aprs les noces de son fils
+an. Il y a douze ou quinze jours qu'on lui vint signifier, de la part
+du roi, qu'il ne se mloit plus de ses affaires, et qu'elle songet
+obir son mari, qui vouloit la mener ou l'envoyer en Italie. Le
+lendemain, elle eut une dfense de ne plus sortir de chez elle; le jour
+d'aprs, de ne plus voir personne; et, tout moment, elle est dans les
+horreurs qu'on ne l'entrane avec violence, et qu'on ne la mette dans
+une litire pour la mener o il plaira son mari. Je ne veux pas
+justifier sa conduite passe, mais il faut convenir, en s'en souvenant,
+qu'elle a bien sujet de ne vouloir pas se confier un mari italien.
+Elle fait ce qu'elle peut pour obtenir qu'on l'enferme ici dans le plus
+austre couvent qu'il y ait. Je ne sais pas ce qu'on lui accordera: elle
+n'a contre elle que le roi, le premier ministre, son mari, toute la
+famille <i>Balbass</i>. Elle me fait beaucoup de piti.</p>
+
+<p>Si j'en juge par les amples relations de Madame<a name="FNanchor_21_21" id="FNanchor_21_21"></a><a href="#Footnote_21_21" class="fnanchor" title="Go to footnote 21.">[21]</a> la reine
+d'Espagne, jamais les plaisirs n'ont t pareils ceux dont on jouit
+Versailles.</p>
+
+<p>M. <i>de Villars</i> dit toujours qu'il veut me renvoyer, cause que la
+misre augmente Madrid, et que, sans moi, il fera beaucoup moins de
+dpense. Je ferai tout ce qu'il voudra, quoiqu'avec peine, si je le
+laisse dans un lieu aussi triste, et dans un tat aussi chagrinant que
+le sien. Jusqu'ici, on ne nous a point encore t le bien de la sant;
+mais ce bien est fragile et trs-sujet ne point durer, sur-tout quand
+on n'est plus jeune<a name="FNanchor_22_22" id="FNanchor_22_22"></a><a href="#Footnote_22_22" class="fnanchor" title="Go to footnote 22.">[22]</a>. Adieu, madame; tels que nous sommes, c'est
+entirement vous.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXIV_VILLARS" id="LETTRE_XXIV_VILLARS"></a>LETTRE XXIV.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, 10 octobre 1680.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">P</span><span class="smcap">ermettez-moi</span>, madame, de vous parler, avant toute chose, d'une petite
+bagatelle qui arriva hier sept heures du matin. Ce n'est qu'un violent
+tremblement de terre qui dura la longueur d'un <i>miserere</i>. M. <i>de
+Villars</i> dans son lit et moi dans le mien, le sentmes remuer. Il se
+leva, s'imaginant qu' cause des horribles pluies, les fondemens de la
+maison s'crouloient. Pour moi, je m'criai, assez effraye, que c'toit
+la terre qui trembloit. Il vint trois secousses qui donnrent un
+mouvement toute la maison, comme pourroit tre celui d'un arbre agit
+du vent. Les prtres dans les glises o ils disoient la messe, eurent
+de la peine empcher que le calice ne ft renvers. La plupart des
+hommes et des femmes couroient en chemise dans les places et dans les
+rues, sans savoir o se cacher, pour viter l'accablement dont ils se
+croyoient menacs par la ruine des maisons. Je n'avois pas imagin qu'
+tous les dsagrmens d'Espagne, il se ft joint celui de s'y voir
+englouti dans la terre, qui s'est ouverte en quelques endroits, ou
+cras sous les ruines des maisons; car jamais on n'a vu ici de ces
+tremblemens. Hier, tout moment, je croyois que cela alloit
+recommencer. Comme les pluies recommencent, il se pourra bien faire
+qu'il reviendra encore quelque tremblement. Je souhaite avoir cette
+singularit par-dessus vous, et que vous n'prouviez de votre vie ce
+qu'on pense en pareille occasion. Je ne sais point encore si le
+tremblement de terre aura t jusqu' l'Escurial, o cette cour est
+depuis lundi dernier. Je fus, dimanche au soir assez tard, avec la
+reine, qui n'avoit pas beaucoup d'envie d'aller en ce lieu, dont les
+plus grandes beauts sont les magnifiques places qu'on a fabriques pour
+mettre les corps des rois et des reines aprs leur mort. Elle n'a pas
+laiss de marquer de la joie d'y aller, pour faire voir sa complaisance
+pour les volonts du roi. Elle m'crivit, le lendemain, qu'elle n'avoit
+pas trouv tout ce que je lui avois dit de cette maison; car il est vrai
+que je lui en avois parl lui donner de l'envie d'y aller. Je ne vous
+dis point tout ce qu'elle m'a dit, ni tout ce qu'elle m'a crit sur la
+peur qu'elle a que je ne m'en aille. Elle ne le peut croire par cette
+heureuse facilit qu'elle a se persuader tout ce qui lui peut ter du
+chagrin. Elle me fit savoir, avant que de partir pour l'Escurial, que,
+sans m'en parler, elle avoit crit d'une sorte <i>Monsieur</i> sur mon
+sujet, qu'elle ne pouvoit pas croire qu'il n'et assez de crdit pour
+obtenir qu'on m'accordt de ne point m'en aller, et qu'elle avoit
+reprsent les raisons et les vritables besoins qu'elle croit avoir que
+je ne parte pas d'ici. Je l'ai supplie de se prparer au peu d'effet
+qu'aura sa lettre; et j'ai ajout que, si elle m'avoit fait l'honneur de
+m'en demander mon avis, je lui aurois dit de marquer simplement le
+bonheur que j'avois de lui plaire, et de n'insister point sur autre
+chose. Quoi qu'il arrive de cette lettre, je lui en aurai autant
+d'obligation que si le succs en toit heureux; mais je ne m'y attends
+pas.</p>
+
+<p>Je ne puis finir celle-ci, sans vous parler de quelle manire cette cour
+se prpare pour les voyages, qui ne sont jamais qu' l'Escurial ou
+Aranjuez. Il en cote au roi des sommes immenses; il n'y a pourtant que
+sept lieues; mais les voleries, sur cela, vont toujours leur chemin. Il
+y a, pour le moins, ce jour-l, cent cinquante femmes du palais, soit
+<i>segnoras de honor</i>, ou dames qui sont comme les filles d'honneur en
+France, ou <i>camaristes</i> ou leurs <i>criadas</i>, ou servantes. Pour les
+<i>segnoras</i>, ce sont de vieilles veuves, toujours habilles et coiffes
+de la mme sorte; les dames sont en leur plus beaux habits, avec des
+chapeaux et des plumes, assez galamment mises, et sur leurs paules ce
+qu'elles appellent <i>mantilles</i>: ce n'est ni manteau, ni charpe; cela
+est de velours en broderie d'or et d'argent; les unes les ont vertes,
+les autres incarnates. Elles les portent d'un air particulier, un bout
+qui passe sous le bras, et l'autre sur l'paule, en sorte qu'elles ont
+un bras dgag. Voil ce qu'elles ont de meilleure grce. Tous les
+galans les voient monter en carrosse, et font leur chemin en galopant
+aprs elles. Plusieurs de ces messieurs, sur de beaux chevaux, suivent
+<i>incognito</i>, avec des bonnets qui s'abattent, et qui leur cachent le
+visage. Ils ne sont pas, pour cela, inconnus leurs dames. La reine
+avoit, le jour qu'elle fut l'Escurial, un chapeau avec des plumes
+jaunes et noires; mais, pour, ces <i>mantilles</i>, il est crit qu'il faut
+que les reines n'en portent point, en dussent-elles mourir de froid. Je
+ne pourrai vous faire comprendre comme cette princesse est embellie,
+crue et engraisse; un teint admirable; elle s'aime aussi passionnment.
+L'ordre de ce voyage de l'Escurial est que la cour y sjourne jusqu'
+la Toussaint. Le lendemain, leurs majests font prier Dieu
+solemnellement pour tous les rois et reines, qui sont l devant leurs
+yeux; et, le jour d'aprs, ils reviennent Madrid avec le mme quipage
+qu'ils en sont partis. Mais, si j'tois leur place, je n'y reviendrois
+pas, et j'tablirois ma cour en un autre lieu, o la terre ne
+trembleroit point.</p>
+
+<p>Si le courrier n'alloit partir, je crois que je vous crirois jusqu'
+demain. Quel signe est-ce, madame? car je n'aime point du tout crire.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXV_VILLARS" id="LETTRE_XXV_VILLARS"></a>LETTRE XXV.</h3>
+
+<p class="date">Madrid, 31 octobre 1680.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span>'<span class="smcap">attends</span>
+la reine son retour de l'Escurial, pour lui faire voir tout
+ce que vous me dites d'elle dans votre lettre. Elle a t deux jours
+malade. J'y envoyai aussitt, pour m'offrir de l'aller servir. Ce
+n'toit rien, et j'en fus doublement aise; car nous avons souhait, M.
+<i>de Villars</i> et moi, qu'elle ft un peu sous sa propre conduite, et que
+l'on vt que je ne suis pas bien empresse de la cour. On dit qu'il
+s'est pass plusieurs petites affaires; si j'avois t l, nous
+n'aurions pas t d'accord; car je l'aurois supplie de n'abuser pas de
+la permission qu'on lui donnoit de monter cheval, et de ne s'en servir
+que rarement. Elle m'a souvent honore de ses lettres. Elle est toujours
+persuade qu'il est impossible que je m'en aille. Cependant, si M. <i>de
+Villars</i> avoit eu de l'argent pour me faire partir, je crois que je
+serois dj bien loin. Je pense vous avoir crit que ma fille ne seroit
+point dame de la jeune reine. On dit que c'est une loi indispensable
+qu'il faut demeurer dans le palais; qu'il est de toute ncessit d'y
+faire de la dpense, et que dix mille francs ne suffiroient pas: au
+moins quatre ou cinq femmes pour servir; un ordinaire, des meubles, des
+habits, et, au bout de tout de cela, entre vous et moi, une vie fort
+ennuyeuse, et qui ne promet pas une fortune assure. Je ne puis, ma
+chre dame, vous en dire davantage; il le faudroit pourtant, si je
+voulois vous faire comprendre mille choses que, malgr tout l'esprit que
+vous avez, vous ne pouvez pntrer de si loin. Je vous prie encore que
+vous ne vous amusiez point, s'il se peut, faire des rflexions sur
+notre malheureux tat, tat dont, par discrtion, je vous cache plus de
+la centime partie du dsagrment. Pour m'en remettre, j'use du charmant
+remde de songer que je ne suis rien moins que jeune, que la mort
+approche, et qu'il est meilleur qu'elle nous trouve dnus de tout ce
+qui compose les plaisirs de la vie. Pour vous, madame<a name="FNanchor_23_23" id="FNanchor_23_23"></a><a href="#Footnote_23_23" class="fnanchor" title="Go to footnote 23.">[23]</a>, qui la pouvez
+envisager d'une plus longue dure, vous avez de quoi tre plus vive et
+plus sensible aux injustices de la fortune. Je ne vous dis point tous
+les souhaits que je fais pour qu'elle puisse changer, et quel point,
+si on le mrite, je vous crois digne d'tre heureuse; mais, madame,
+quel trsor, si nous pouvions dcouvrir et mettre en usage le secret
+d'tre vritablement dvotes, et de nous en servir pour l'autre vie! Je
+ne me saurois plaindre de ce que nous souffrons, tant que Dieu me
+conservera mes enfans<a name="FNanchor_24_24" id="FNanchor_24_24"></a><a href="#Footnote_24_24" class="fnanchor" title="Go to footnote 24.">[24]</a>, que j'aime tendrement.</p>
+
+<p>Je n'ai point encore de nouvelles de votre portrait; j'espre pourtant
+l'avoir bientt par un gentilhomme que nous attendons. Que ce portrait
+me fera de plaisir!</p>
+
+<p>Nous fmes hier une maison du roi, deux lieues d'ici, qu'on nomme le
+Pardo. Il n'y a autour ni bois, ni jardins, ni fontaines; et, dans la
+maison, ni siges, ni bancs, ni tables, ni carreaux, ni lits; c'est
+pourtant la favorite, et celle o leurs majests vont trs-souvent. Je
+ne sais pas encore quoi elles s'y peuvent divertir: je le demanderai
+ la reine. Toute mon attention fut de regarder trs-long-temps les
+portraits de cette reine <i>Elisabeth</i><a name="FNanchor_25_25" id="FNanchor_25_25"></a><a href="#Footnote_25_25" class="fnanchor" title="Go to footnote 25.">[25]</a>, et de ce misrable don
+<i>Carlos</i><a name="FNanchor_26_26" id="FNanchor_26_26"></a><a href="#Footnote_26_26" class="fnanchor" title="Go to footnote 26.">[26]</a>, en songeant leurs funestes aventures: ils toient bien
+faits l'un et l'autre.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXVI_VILLARS" id="LETTRE_XXVI_VILLARS"></a>LETTRE XXVI.</h3>
+
+<p class="date">Madrid, 14 octobre 1680.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">V</span><span class="smcap">otre</span> petit portrait a t trs-bien reu, et trop bien de M. <i>de
+Villars</i>, qui en fait son propre. Je n'ai pas laiss de le porter au
+palais, o il a pass par toutes les mains des dames; car, pour les
+hommes, ils ne peuvent ici rien admirer que de bas en haut; par les
+fentres. La reine le prit d'abord pour celui de madame <i>de Nevers</i>. Ce
+portrait fait souvenir de vous, c'est--dire, qu'il ne vous ressemble
+pas parfaitement; et il est impossible, quand on viendroit bout de
+peindre tous vos traits, d'imiter que trs-grossirement ce qu'il y a de
+vif et de spirituel dans tout ce qui compose votre visage. Ce n'est pas
+la faute du peintre, et ce petit portrait est aussi bien et aussi
+agrable qu'on le pouvoit faire. Je vous en rends mille grces, ma chre
+madame, et de tout ce que vous me dites pour me marquer votre amiti et
+votre tendresse. Je ne puis pas mieux sentir l'amiti que j'ai pour M.
+<i>de Villars</i>, que d'tre avec lui dans le pays du monde le plus rempli
+d'ennuis. Car, comme dans les lieux de plaisir, on dit ordinairement que
+les semaines passent fort vte, celles d'ici sont d'une longueur
+infinie. Je vais souvent au palais; peut-tre ne trouverais-je pas tant
+d'ennuis, si je n'avois que dix-huit ans. Il y auroit bien des choses
+vous dire l-dessus.</p>
+
+<p>Il y a deux ans qu'il mourut une ds dames de la maison de la reine<a name="FNanchor_27_27" id="FNanchor_27_27"></a><a href="#Footnote_27_27" class="fnanchor" title="Go to footnote 27.">[27]</a>,
+qui n'avoit que treize ou quatorze ans. On a plus de soin d'elles, quand
+elles sont mortes, que dans leurs maladies; car ce sont des chiens que
+tous ces mdecins-ci, et leurs remdes ridicules. Il y a une grande
+chapelle dans le palais. Elle y fut mise dans un coffre couvert de panne
+couleur de feu, avec un grand galon d'or, la lueur de quantit de
+flambeaux. Elle toit en habit de religieuse, compos de bleu et de
+blanc. On lui avoit mis bien du rouge sur les joues et sur les lvres.
+Elle toit trs-belle dans cet tat. Ce coffre ferme clef: la <i>guarda
+mayor</i> le ferma, et puis vint le majordome de la reine, auquel on ouvrit
+ce coffre, pour lui faire voir qu'elle toit dedans, et il en prit la
+clef. Les gardes du roi portrent le corps jusqu'au haut du degr,
+une porte o les Grands d'Espagne attendoient pour le porter jusqu'au
+carrosse qui le devoit mener jusqu'au lieu de la spulture. Le
+majordome, arriv dans cette glise, ouvrit encore ce coffre pour faire
+voir aux religieux le corps de cette pauvre dona <i>Juana</i> de Portugal.
+Aprs quoi, il fut mis en terre avec les prires ordinaires. Je ne
+pensois nullement vous faire ce rcit, qui n'est pas divertissant.
+Mais il ne faut pas aussi tre toujours tant sur ses gardes, pour ne
+parler jamais de la mort, qui va indiffremment dans tous les pays du
+monde.</p>
+
+<p>J'espre vous envoyer, par la premire commodit, deux excellentes
+paires de gants d'ambre, et un ventail de la part de la reine, dont la
+sant et la beaut augmentent tous les jours.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXVII_VILLARS" id="LETTRE_XXVII_VILLARS"></a>LETTRE XXVII.</h3>
+
+<p class="date">Madrid, 28 novembre 1680.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> n'ai point eu de vos lettres par ce courrier. Je vous ai dj mand
+que je ne m'en allois plus. Quand jusqu'ici j'aurois dout de l'amiti,
+que vous croyez que j'ai pour M. <i>de Villars</i>, j'en serois plus que
+certaine l'heure qu'il est, par la joie que j'ai sentie de ne m'en
+point aller de cette aimable ville de Madrid; entendez par ce mot
+<i>aimable</i>, tout l'oppos de ce qu'il dit en effet. Aprs tout cela,
+malgr la destine, je commence jouir aujourd'hui d'un plaisir. Nous
+quittons notre grande, incommode et chre maison pour aller loger dans
+une autre beaucoup moins chre, et trs-commode. A peine ai-je trouv de
+quoi vous crire, n'ayant plus rien dans ma chambre. Notre jeune reine
+m'a fait parotre plus de joie de ce que je ne m'en allois point, que
+vraisemblablement cela ne lui en a d causer.</p>
+
+<p>Je ne vous entretiendrai gure aujourd'hui. Il m'en dplat fort, ma
+chre madame; car il me semble que j'aurois bien des choses vous dire.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXVIII_VILLARS" id="LETTRE_XXVIII_VILLARS"></a>LETTRE XXVIII.</h3>
+
+<p class="date">Madrid, 27 dcembre 1680.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">V</span><span class="smcap">ous</span> m'crivez que le marquis <i>de Ligneville</i> a pass par Lyon, et qu'il
+ne vous a point vue. Ce n'est pas de quoi je me soucie; et je lui
+pardonne de n'avoir pas eu cet esprit, pourvu qu'il vous ait laiss le
+petit prsent que je vous envoyois par lui.</p>
+
+<p>Je suis beaucoup plus tranquille que je n'tois le temps pass, quand je
+vous parlois de la peine que me causoit cette vue d'un dpart prochain.
+Le petit secours, que le roi a eu la bont de donner M. <i>de Villars</i>,
+nous fait un peu respirer. Nous avons pay et quitt notre grande
+maison de huit cents pistoles de loyer, et nous sommes prsentement dans
+une autre la moiti moins chre, et mille fois plus commode. Je ne
+voudrois pour rien du monde que la guerre recomment; car je me
+souviens trop de la vivacit de mes peines dans ce cruel temps. Mais
+quel plaisir, sans qu'il en ft question, de sortir d'Espagne, et de
+pouvoir subsister en quelque lieu agrable, jouissant du plaisir de voir
+et d'entretenir ce qu'on aime! Si vous me revoyez jamais, vous prendrez,
+s'il vous plat, la peine de me siffler comme un perroquet; car
+assurment je perds ici l'usage entier d'entendre et de parler, comme on
+fait au coin de votre feu. Il fait ici le mme froid qu' Paris; mais il
+n'y a point de chemines. Nous en avons fait faire une dans notre
+nouvelle maison, qui est la plus grande consolation que nous ayons
+Madrid. Elle n'en donne point aux dames qui me viennent voir; car elles
+ne savent point s'asseoir dans une chaise, ou sur quelque autre sige.
+C'est une chose plaisante que l'air qu'elles ont, quand elles sont
+assises: elles paroissent lasses, fatigues, ne pouvant non plus se
+tenir que si on les faisoit danser sur la corde. Voil de belles
+nouvelles; mais jamais Madrid n'en a moins produit. Tout y est dans une
+manire d'assoupissement misrable.</p>
+
+<p>Vous recevrez un paquet, qui en contient trois autres cachets du cachet
+de la reine, et les dessus de sa propre main. Il y a deux paires de
+gants, et un ventail dans chacun; vous aurez soin de les envoyer leur
+destination. La reine ne vouloit pas que je vous mandasse que c'toit de
+sa part, trouvant que le prsent toit trop petit. Vous le direz
+mesdames <i>de Svign</i> et <i>de Vins</i>. On dit que les ventails seront
+meilleurs dans quelque temps. Cette jeune princesse continue d'embellir.
+Elle est grasse, le plus beau teint du monde, une gorge admirable, les
+yeux trs-beaux, la bouche agrable. Quand je vois qu'elle croit avoir
+sujet de s'ennuyer, je change de discours. Adieu, madame.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXIX_VILLARS" id="LETTRE_XXIX_VILLARS"></a>LETTRE XXIX.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, 12 dcembre 1680.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">L</span><span class="smcap">a</span> conntable <i>Colonne</i> est dans un pitoyable tat. Je crois que je vous
+ai mand que son mari la fit partir un peu brusquement d'ici, pendant
+que la reine toit l'Escurial. Elle ne tua ni ne blessa personne. Elle
+est actuellement dans ce qu'on appelle l'Alcaal<a name="FNanchor_28_28" id="FNanchor_28_28"></a><a href="#Footnote_28_28" class="fnanchor" title="Go to footnote 28.">[28]</a> de Sgovie,
+trs-misrablement traite. La reine auroit fort souhait qu'on lui et
+accord avant cela ce qu'elle demandait pour toute grce son mari,
+qu'on la mt dans un couvent, le plus austre qu'on pt choisir
+Madrid. Cette pauvre malheureuse crit souvent au confesseur de la
+reine, qui, par l'ordre de cette princesse, va quelquefois exhorter le
+conntable vouloir bien que sa femme vienne ici dans un couvent. Il y
+a douze ou quinze jours que ce mari dit au confesseur, qu'il ne pouvoit
+consentir que sa femme vnt Madrid, si elle ne se faisoit religieuse
+dans le couvent o elle entreroit, et que lui, il prendroit les ordres.
+Le confesseur a crit cette proposition la conntable, qui l'a
+accepte. Je crois qu'il n'y a pas une moindre vocation que la sienne
+la religion. Cependant, comme elle a fait dire son mari qu'elle fera
+tout ce qu'il voudra, cela pourra l'embarrasser; car je ne crois pas
+qu'il ait aucune intention de la faire entrer dans Madrid. On m'crit de
+Paris que je me mlois de ses affaires, et que j'tois fort dans ses
+intrts. J'ai rpondu sur cela une de mes amies qui m'en crivoit,
+que je croyois qu'on avoit jet croix ou pile, duquel il valoit mieux
+m'accuser, ou de trop de duret pour cette infortune, ou de trop de
+piti. Car pour elle, elle se sentit tout--fait outrage, quand elle
+vint dans notre maison, pleurant et demandant qu'on l'y souffrt pour
+une nuit, et qu'on lui prtt secours pour la faire entrer dans son
+couvent; on ne put lui accorder ce qu'elle vouloit, et je la rsolus
+avec une peine extrme retourner chez le marquis <i>de los Balbass</i>, o
+je la remenai dix heures du soir, M. <i>de Villars</i> ne voulant pas se
+mler de ses affaires. Si j'ai eu piti d'elle depuis cette visite-l,
+cette piti ne s'est signale en rien; et la reine qui auroit bien voulu
+lui faire le plaisir d'obliger son mari de la mettre ici dans un
+couvent, dit que <i>Monsieur</i> lui a recommand de lui rendre tous les bons
+offices que raisonnablement elle pourroit dsirer d'elle. Celui de la
+faire enfermer dans un couvent le plus austre, ne paroissoit pas
+indigne cette princesse qu'elle s'y employt.</p>
+
+<p>M. le prince de Parme est donc amoureux de la comtesse <i>de Soissons</i>? Ce
+n'est pas un joli galant. Ce n'est pas aussi que s'il avoit cent mille
+cus dans son coffre, il ne les dpenst en un jour, mieux qu'aucun
+homme du monde, pour plaire sa dame. Le roi, notre matre, ne peut pas
+souhaiter un autre gouverneur en Flandre pour sa majest Catholique.</p>
+
+<p>La reine ne se divertit pas si bien qu'on pourroit le croire. Elle est
+jeune et saine, d'un heureux temprament. Je ne pense pas qu'au reste du
+monde l'on voie ce que nous avons vu depuis que nous sommes dans ce
+royaume; la peste, la famine, des ravages d'eaux dont on n'avoit jamais
+entendu parler; un tremblement de terre, qui a presque entirement
+dtruit cinq ou six villes; sans compter les frayeurs o je fus aprs
+cela quinze jours durant. Le moindre mouvement me paroissoit un
+tremblement de terre; mais il nous manquoit encore quelque chose, une
+comte. Assurez-vous que depuis huit jours il en parot une des plus
+grandes et des mieux marques qu'on ait jamais vues. Elle commence se
+montrer sur les quatre cinq heures du soir, et dure jusqu' huit ou
+neuf. Comme il ne nous appartient pas d'en avoir peur, c'est une des
+choses qui me sont le plus indiffrentes; car je suis persuade qu'elle
+ne signifie rien pour la France.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXX_VILLARS" id="LETTRE_XXX_VILLARS"></a>LETTRE XXX.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, 26 janvier 1681.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">I</span><span class="smcap">l</span> faut vous dire deux mots de la conntable <i>Colonne</i>. Je trouvai le
+confesseur de la reine, il y a deux jours, au palais, qui avoit apport
+une lettre pour la montrer cette princesse, avant qu'il la fermt. Il
+venoit de chez le conntable <i>Colonne</i>, qui l'avoit crite sa femme,
+en prsence du confesseur. Elle contient que le mari consent qu'elle
+vienne Madrid, dans un couvent nomm; qu'elle prenne l'habit de
+religieuse le mme jour qu'elle y entrera; et, trois mois aprs, qu'elle
+fasse profession. Je ne doute pas qu'elle n'accepte ces conditions pour
+quitter le lieu qu'elle habite prsentement. Je ne conseillerois pas
+la reine de rpondre qu'elle n'en sortira jamais.</p>
+
+<p>Cette princesse continue de se bien porter, et de passer l'glise sept
+ou huit heures les jours et veilles de grandes ftes. Je ne voudrois
+pas vous rpondre qu'elle en ft plus dvote. J'ai toujours l'honneur de
+la voir souvent. Le roi l'aime autant qu'il peut; elle le gouverneroit
+assez; mais d'autres machines, sans beaucoup de force ni de rapidit,
+donnent d'autres mouvemens, et tournent et changent les volonts du roi.
+La jeune princesse n'y est pas trop sensible. Elle parle prsentement
+trs-bien espagnol. Elle connot toute la cour, et les diffrens
+intrts de ceux qui la composent. La reine, sa belle-mre, qui est
+trs-bonne princesse, l'aime toujours fort tendrement.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXXI_VILLARS" id="LETTRE_XXXI_VILLARS"></a>LETTRE XXXI.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, 23 janvier 1681.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">L</span><span class="smcap">e</span> comte <i>de Monterei</i> a t exil de cette cour, il y a quatre ou cinq
+jours. On ne dit point pourquoi. Je ne le puis comprendre, si ce n'est
+qu'il est le plus honnte homme du monde, et le plus propre bien
+servir son roi. L'on refuse toujours le cong son pre, le marquis <i>de
+Liche</i>, qui est ambassadeur Rome, malade, ruin, par consquent fort
+ennuy. Je vis, l'autre jour, sa femme, qui est fort jolie, fondre en
+larmes aux pieds du roi, pour obtenir le cong. Je ne vous parlerai
+point de choses plus divertissantes et plus gaies, ma chre madame.
+Qu'il est difficile de l'tre Madrid! et que, si l'on avoit de bonnes
+dispositions pour la pnitence, ce seroit un lieu propre pour la faire!
+La reine est en parfaite sant, et dans une grande fracheur. De vous
+dire de quoi elle soutient tout cela, c'est ce que j'ignore absolument.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXXII_VILLARS" id="LETTRE_XXXII_VILLARS"></a>LETTRE XXXII.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, 6 fvrier 1681.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">V</span><span class="smcap">ous</span> n'avez donc point reu par le marquis <i>de Ligneville</i>, le petit
+prsent que je croyois qui vous seroit fidlement rendu? Les messagers
+ordinaires, ce que je vois, ont plus d'honneur et de probit que les
+gens de qualit portant de beaux noms. Vraiment, madame, ce n'est pas
+pour le vanter; mais ce que je vous envoyois, quoique peu prcieux et
+peu magnifique, toit pourtant joli et bien choisi; et j'aimois
+imaginer que tout cela vous plairoit. Ce <i>Ligneville</i> est des amis du
+marquis <i>de Grana</i>, et ma confiance toit parfaite. Ne vous fatiguez
+d'aucun compliment pour la reine Catholique, je les lui fis hier.</p>
+
+<p>L'on attend, tous les jours ici, la conntable <i>Colonne</i>, pour prendre
+l'habit de religieuse. Son mari, qui est fort avare, dispute sur le prix
+avec le couvent o elle doit entrer. Elle crivoit, l'autre jour, que
+sa s&#339;ur <i>Mazarin</i> feroit bien mieux de venir se faire religieuse avec
+elle.</p>
+
+<p>Je songe ce que je puis vous dire de cette cour. Je ne manquerois pas
+de matire; mais, de si loin, il n'est pas possible de traiter beaucoup
+de sujets. La vie du palais ne convient point des personnes qui n'y
+sont point nes, ou du moins qui n'y sont pas venues ds l'enfance; il
+faut pourtant dire la vrit en faveur des Espagnols, qu'ils ne sont ni
+si terribles, ni si souponneux qu'on nous les figure. Les reines sont
+toujours bien ensemble. Depuis le moment que la jeune est entre en
+Espagne, M. <i>de Villars</i> s'est appliqu la bien persuader qu'il
+falloit pour son repos, qu'elle ft en bonne union avec la reine, sa
+belle-mre, et qu'elle se gardt bien d'couter des avis contraires. Je
+ne fais autre chose aussi que de tcher de lui mettre cela dans la tte.
+Elle ne se divertit pas trop raisonner sur la politique. Jusqu'ici
+tout a assez bien t; et, entre vous et moi, tout auroit t encore
+mieux, si, ds la frontire, on lui et t gnralement toutes les
+Franoises. On ne peut avoir plus d'esprit qu'elle en a, joint mille
+aimables qualits. J'y vais toujours souvent, quoique je la supplie
+quelquefois de trouver bon que mes visites ne soient pas si frquentes.
+Ma fille y va peu, quoique la reine m'ordonne souvent de la lui mener.</p>
+
+<p>Je vous ai mand que le comte <i>de Monterei</i> avoit t exil. Le duc <i>de
+Veragas</i> le fut hier aussi. Il est dans l'alliance et ami de ce premier.</p>
+
+<p>Je ne vous parle point de la misre de ce royaume. La faim est jusque
+dans le palais. J'tois hier avec huit ou dix <i>Camaristes</i> et <i>la
+Moline</i> qui disoient qu'il y avoit fort long-temps qu'on ne leur donnoit
+plus ni pain ni viande. Aux curies du roi et de la reine, de mme. Je
+ne voudrois pas qu'on st, au pays o vous tes, que je me mlasse
+seulement d'crire cela. Mais je sais bien que vous ne me commettrez
+pas, et qu'il y a bien souvent des choses dans mes lettres, dont on
+pourroit se moquer.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXXIII_VILLARS" id="LETTRE_XXXIII_VILLARS"></a>LETTRE XXXIII.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, 19 fvrier 1681.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">M</span><span class="smcap">e</span> voici mon second mercredi des cendres; ce qui m'a assez plu, c'est
+que le carnaval, comme je vous l'ai dj mand, ne veut point, en ce
+pays, se donner un air de plaisir; et hors qu'il n'y a plus de comdie
+au palais ni la ville, tout le reste va son mme train; personne ne
+fait le carme. Le palais est toujours la mme chose. On y parle d'aller
+ Aranjuez, incontinent aprs Pques, que la reine fera quelques
+remdes, et qu'elle en reviendra srement grosse. Je vais souvent voir
+la marquise <i>de Grana</i>, qui est malade, et qui ne sort point depuis
+trois mois. Ce sera un grand hasard, si elle n'est la troisime
+ambassadrice qui mourra ici. Elle prendroit la rsolution de s'en
+retourner, sans qu'elle ne peut se dterminer laisser son mari qu'elle
+aime fort.</p>
+
+<p>La conntable arriva samedi dernier de fort bonne heure. Elle entra dans
+le couvent; les religieuses la reurent la porte avec des cierges, et
+toutes les crmonies ordinaires en pareille occasion. De l on la mena
+au ch&#339;ur, o elle prit l'habit avec un air fort modeste. Un Espagnol,
+qui toit dans l'glise, m'a cont tout ce qu'il vit. L'habit est joli
+et assez galant, le couvent commode. Je ne puis avoir bonne opinion de
+l'esprit et de la pntration de messieurs les Italiens et Espagnols, de
+s'tre persuads que cette femme ait pu accepter de bonne foi la
+proposition de se faire religieuse, et d'esprer par l qu'elle va leur
+assurer tout son bien. La premire fois que j'entendis parler au
+confesseur de la reine de la commission qu'il avoit du conntable,
+d'crire sa femme, et de lui proposer ce parti, je crus que c'toit
+une pure raillerie, dont je n'aurois jamais voulu me mler. Le bon pre
+crivit, et la dame n'hsita pas un moment lui rpondre qu'elle y
+consentoit. Pour moi, sans en savoir autre chose, je ne crois point du
+tout cette subite vocation. Je ne me suis pas presse de lui aller
+rendre visite: je ne sais encore quand je la verrai.</p>
+
+<p>A propos de visites, vraiment j'en fis une, il y a trois ou quatre
+jours, qui m'effraya beaucoup. Une dame de qualit, femme du comte
+<i>Ernand-Nugus</i>, depuis un mois ou six semaines toit accouche; et,
+comme elle avoit t assez mal, on ne l'avoit point vue. J'envoyai
+savoir de ses nouvelles, et son mari, qui est de nos amis et qui parle
+bien franois, me manda que je ferois honneur sa femme de l'aller
+voir. J'y fus donc: je m'assis un moment auprs de son lit; car je ne
+l'eus pas plutt envisage, que je me levai. Je tirai son mari part,
+et je lui dis que je ne demeurois pas plus long-temps, craignant
+d'incommoder madame sa femme. Il me rpondit que point du tout; et moi,
+je l'assurai qu'elle toit fort mal, n'osant lui dire qu'elle se
+mouroit. Il vint, sur ces entrefaites, deux Grandes d'Espagne, dont la
+duchesse <i>de Patrana</i> toit une. Je sortis, et, trois heures aprs
+minuit, la dame toit morte: elle n'avoit que vingt-deux ans. Voil la
+quatrime, depuis trois mois, qui meurt en couche. Le comte
+<i>Ernand-Nugus</i> a t menin de notre reine, et a t assez long-temps en
+France. On est trs-mal trait en ce pays-ci de toutes sortes de
+maladies.</p>
+
+<p>Adieu, madame; je vais me promener dans un carrosse <i>incognito</i>, une
+promenade publique, au milieu de la campagne, o il y a un prdicateur
+qui prche quatre ou cinq heures, et qui se donne des soufflets tour
+de bras; on entend, ds qu'il a commenc se les donner, un bruit
+terrible de tout le peuple qui fait la mme chose. Comme il n'y a pas
+d'obligation de se chtier de la sorte, nous allons assister ce
+spectacle qui se voit, en carme, trois fois la semaine. Le dtail des
+dvotions de ce pays seroit une chose divertissante vous faire savoir.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXXIV_VILLARS" id="LETTRE_XXXIV_VILLARS"></a>LETTRE XXXIV.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, 3 avril 1681.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">V</span><span class="smcap">ous</span>, madame, plusieurs de mes amies, et mme mes enfans, vous paroissez
+tonns et comme fchs de n'tre point informs par mes lettres de tout
+ce qui se passe ici touchant le rappel de M. <i>de Villars</i>, et ce qui me
+regarde en mon particulier, jugeant qu'il faut bien que ce ne soit pas
+un secret en cette cour. Vous m'en croirez bien, ma chre madame,
+puisqu'assurment, dans le nombre de mes dfauts, je n'ai point celui de
+mentir. Rien au monde n'est donc venu notre connoissance de ce qu'on a
+pu inventer sur la conduite que j'ai tenue ici. Vous et mes enfans me
+dites seulement que j'ai fait des intrigues dans le palais. Si l'on
+savoit ce que c'est que l'intrieur de ce palais, et qu'aucune dame ni
+moi, ne nous disons jamais que bonjour et bonsoir, parce que je n'ai pu
+apprendre la langue du pays, on ne diroit pas que a t avec les
+femmes, non plus qu'avec les hommes, dont aucun ne met le pied dans tout
+l'appartement de la reine. A l'gard du jeune roi, et de sa haine pour
+les Franois, qui est grande, je puis dire qu'elle est moins violente
+pour moi que pour les femmes franoises de la reine, par la raison
+qu'elles sont plus souvent auprs d'elle que je n'ai cet honneur. Si le
+premier ministre a fait ngocier notre retour en France par
+l'ambassadeur d'Espagne, qui est Paris, le roi, leur matre, n'en a
+rien su; car, le jour qu'on en eut ici la nouvelle, il parut fort tonn
+quand on la lui apprit, et demanda aussitt si ce n'toit point une
+marque qu'on allt rentrer en guerre avec la France. Jugez, sur cela, de
+beaucoup d'autres circonstances que je ne vous dis pas. Le roi et la
+reine sont dans une grande union, et meilleure, depuis deux ou trois
+mois, qu'elle n'a jamais t. Je ne me vanterai pas de m'tre mle de
+donner des conseils la reine; elle a un assez bon esprit pour n'en
+avoir pas besoin. Je ne sais si le roi lui communique les secrets de
+l'tat; c'est ce qui n'est jamais entr dans les conversations que j'ai
+eu l'honneur d'avoir avec elle. Je ne sais plus que vous dire; car, en
+vrit, je ne trouve pas la moindre chose digne de remarque en tout ce
+qui s'est pass depuis que je suis en ce pays. Avec toute la
+tranquillit que doit inspirer le repos d'une bonne conscience, je suis
+pourtant afflige du malheur que j'ai de ne pouvoir quasi douter que mon
+nom n'a jamais t profr que bien sinistrement devant tout ce qu'il y
+a de plus grand et de plus respectable dans le monde; et ce que je
+souffre cet gard, me fait porter une vritable envie aux gens dont on
+n'a jamais entendu parler ni en bien ni en mal. Le jour que M. <i>de
+Villars</i> reut son ordre pour son retour, je tremblois qu'il ne portt
+aussi de me faire partir incontinent. Mais, quand je sus qu'il n'y en
+avoit pas un mot, je pris patience. J'ai plus de reconnoissance de cette
+bont du roi, malgr mon innocence, que n'en ont mille gens pour les
+solides bienfaits qu'ils reoivent tous les jours de sa majest. Je ne
+laisserai point de partir la premire, parce que M. <i>de Villars</i> s'en
+ira plus vte, quand il sera tout seul, ds le moment qu'il aura reu
+les derniers ordres du roi. Adieu, madame; laissez dire de moi tout ce
+qu'on voudra. Je vous verrai bientt; ce me sera une vritable joie.
+Quel voyage ai-je faire, et quelle fatigue essuyer!</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXXV_VILLARS" id="LETTRE_XXXV_VILLARS"></a>LETTRE XXXV.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, 17 avril 1681.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> vous rends grces de l'impatience que vous me marquez de savoir le
+temps de mon retour; je ne puis vous le dire. On a mille choses faire
+avant que de partir. C'est M. <i>de Villars</i> qui rgle tout cela. J'ai
+pris cong de la reine ayant son dpart pour Aranjuez. Elle m'a fort
+command de l'y aller voir; mais je ne sais si j'irai. Vous me demandez
+des raisons pour allguer contre les torts qu'on me donne au pays o
+vous tes; mais il me les faudroit apprendre auparavant. Tout ce que je
+sais de Paris, est qu'on publie que j'ai eu un grand dml avec un
+matre-d'htel de la jeune reine; mais, comme j'ai dj rpondu que je
+n'en connois pas un, et que jamais je n'ai eu le moindre mot avec homme
+ni femme, dedans ou dehors le palais, je ne saurois plus en rien dire.
+Toutes ces choses seront des nouveauts pour moi, quand j'arriverai
+Paris. Il me semble qu'on dit encore que je vois trop souvent la reine.
+Si elle ne l'avoit pas voulu, cela n'et pas t; et si, de France, on
+avoit ordonn M. <i>de Villars</i> que mes visites fussent moins
+frquentes, on ne se le seroit pas laiss dire deux fois. Je vous
+conterai un jour plus au long comme je m'y divertissois. Je vous
+supplie instamment encore une fois, ma chre madame, de laisser dire,
+sur mon sujet, tout ce qu'on voudra, pourvu que ces mensonges ne fassent
+point d'impression sur votre esprit: c'est tout ce que je dsire de
+vous.</p>
+
+<p>Ce que l'on vous mande de Rome de la conntable <i>Colonne</i> seroit
+meilleur pour elle que ce qui se passe ici. La pauvre femme est
+peut-tre bien prs d'prouver de pires aventures que toutes celles
+qu'elle a eues par le pass. Il ne faut rien imputer toutes ces sortes
+de ttes-l; mais on ne peut s'empcher de la plaindre. C'est la
+meilleure femme du monde, cela prs qu'il n'est pas au pouvoir humain
+de lui faire prendre les meilleurs partis, ni de rsister tout ce qui
+lui passe dans la fantaisie. Son mari part samedi ou lundi avec ses
+enfans. Il a mari l'an, comme vous savez, avec une fille de <i>Medina
+Celi</i>, premier ministre, qu'il emmne aussi Rome. La conntable
+demeure dans son couvent, o apparemment elle va manquer de tout. Elle
+y est dj misrablement. Si je n'avois pas autant compati son
+malheur, je n'aurois pu m'empcher de me divertir l'entendre parler
+comme elle fait. Elle a de l'esprit. Elle crit que cela est surprenant,
+avec ses <i>hauts</i> et <i>bas</i>. Il toit, en quelque sorte, facile M. <i>de
+Nevers</i>, son frre, de la tirer du malheureux tat o elle est, s'il
+toit venu ici pour soutenir ses intrts. Elle n'auroit pas t rduite
+ jouer la religieuse. Je pensai tomber de mon haut, quand le confesseur
+de la reine me dit qu'il lui alloit crire la proposition de se faire
+religieuse pour sortir du chteau de Sgovie. Elle n'hsita pas un
+moment, comme je vous l'ai mand, trouver qu'elle en avoit la
+vocation. Je crus, au moins, qu'tant entre dans le couvent, elle
+dclareroit qu'elle se moquoit, et que tout ce qu'elle avoit promis
+toit pour sortir de prison; mais, au lieu de cela, elle prend l'habit
+ds l'instant qu'elle a mis le pied dans l'glise. Il falloit que son
+frre vnt alors l'enlever de l, et tcher de la faire aller demeurer
+avec la duchesse <i>de Modne</i>, comme on l'avoit propos.</p>
+
+<p>J'ai fort bien commenc et fini le carme; je n'en suis pas malade, Dieu
+merci. Le chocolat est une chose merveilleuse. N'en voudrez-vous point
+prendre?</p>
+
+<p>On parle beaucoup de guerre avec le Portugal. Les deux princes veulent
+absolument qu'une certaine le soit eux. Ils assurent qu'ils vont
+faire la guerre, si l'on ne la leur cde. On est pourtant tout--fait
+tranquille dans cette cour. Adieu, madame; je vous aime de tout mon
+c&#339;ur.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXXVI_VILLARS" id="LETTRE_XXXVI_VILLARS"></a>LETTRE XXXVI.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, premier mai 1681.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">amais</span> rien au monde ne m'a paru moins un compliment que tout ce que
+vous me dites, ma chre madame, sur l'obligeante envie que vous me
+marquez que j'aille loger chez vous en arrivant Paris. Soyez bien
+persuade que je pense et que je sens sur cela tout ce qu'il faut pour
+inspirer une tendresse vive et reconnoissante. Mes enfans vous feront
+mille excuses de ma part, de ce que je ne puis faire ce que vous
+souhaitez. Ce sont des excuses bien diffrentes de celles que l'on
+emploie pour refuser une grce ou un service que l'on ne peut rendre.
+Mais votre c&#339;ur est fait de manire que je ne puis douter que ce ne soit
+vous faire une espce d'offense de mettre quelque obstacle aux services
+que vous voulez rendre. Je vous demande donc une infinit de pardons; je
+m'en demande moi-mme de m'opposer la joie que j'aurois de me
+trouver porte de vous voir, de vous parler tout moment. Je ne suis
+pas destine des plaisirs continuels, il s'en faut bien; et, pour
+changer de discours, je vous avouerai que, depuis quelque temps je suis
+moins empresse de mon retour Paris; car vous saurez que M. <i>de
+Villars</i> prit la rsolution de me faire partir, quand il sut, par la
+lettre du roi, son matre, qu'il le rappeloit. Il crut, pour plus
+grande commodit, qu'il toit plus propos que je m'en allasse la
+premire, pour tre en tat de faire plus de diligence, dbarrass de
+femmes, de hardes et d'quipages; ne doutant point qu'au plus tard,
+trois semaines ou un mois aprs, il n'et ordre du roi pour partir, et
+qu'il n'y et un autre ambassadeur nomm. Mais je vois prsentement
+qu'on ne parle de rien, et que M. <i>de Villars</i> peut demeurer encore ici
+long-temps. Cela tant, je ne voudrois plus m'en aller, pour ne pas
+laisser mon mari dans cet ennuyeux pays, o je puis tre compte pour
+quelque chose, par rapport au dnuement de toute sorte de plaisirs.
+Cependant M. <i>de Villars</i> ne pouvant s'imaginer d'tre ici pour
+long-temps, et les chaleurs approchant, veut que je parte. A propos de
+cela, si vous trouvez par hazard, sur votre chemin, quelqu'un qui dise
+que le roi ait ordonn que je m'en revinsse en France, dites hardiment,
+madame, qu'il n'en est rien; sa majest n'en a jamais crit un mot M.
+<i>de Villars</i>. Si ce que je vous cris l n'toit pas vrai, vous croyez
+bien que je ne vous manderois pas le contraire. Vous voyez quoi se
+rduisent mes vanteries, qui sont de vouloir tablir, parce que cela est
+vrai, que le roi n'ordonne point de me faire partir, par la raison de
+mes malversations. Je vous entretiendrai bien, madame, quand je vous
+verrai. Il ne me sera, je crois, gure difficile de vous faire avouer
+que je ne mrite pas beaucoup de blme sur ma conduite en cette cour;
+et, sans me vanter, peut-tre n'ai-je fait tort la conduite de
+personne. Adieu, ma chre madame.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXXVII_VILLARS" id="LETTRE_XXXVII_VILLARS"></a>LETTRE XXXVII.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, 15 mai 1681.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> ne suis point encore partie; les pluies ont t si excessives et si
+continuelles ici, que les carrosses ni les litires ne peuvent se mettre
+en chemin. Prsentement que le temps se met au beau, et qu'on nous fait
+esprer que nous apprendrons par le premier courrier, que le roi a nomm
+le successeur de M. <i>de Villars</i>, je partirai plus volontiers avec la
+certitude qu'il ne demeurera pas long-temps ici aprs moi. Leurs
+majests Catholiques revinrent samedi d'Aranjuez. La reine a eu la bont
+de me dire qu'elle et t au dsespoir d'en revenir sitt, sans la joie
+qu'elle avoit de me revoir. Elle n'a pas pourtant engraiss dans ce
+charmant sjour. Je l'ai trouve change. J'ai vu la reine mre ces
+jours passs, dont j'ai tous les sujets du monde de me louer, par toutes
+les choses obligeantes qu'elle dit de la conduite de M. <i>de Villars</i> et
+de la mienne, quant l'union de sa belle-fille avec elle; et je suis
+bien persuade qu'elle en crit conformment la reine en France. Je
+suis vous, ma chre madame, plus que je ne puis vous le dire.</p>
+
+
+<p class="title top15"><i>Fin des Lettres de Madame de Villars.</i></p>
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h1 class="top15"><a name="LETTRES_COULANGES"
+id="LETTRES_COULANGES"></a>LETTRES</h1>
+
+<p class="title">DE</p>
+
+<h3 class="top5">MADAME DE COULANGES,</h3>
+
+<p class="title">A MADAME DE SVIGN.</p>
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+
+<h3><a name="NOTICE_COULANGES" id="NOTICE_COULANGES"></a>NOTICE</h3>
+
+<p class="title">SUR</p>
+
+<h3 class="top5">MADAME DE COULANGES.</h3>
+
+
+<p class="top5">Madame de Coulanges a laiss d'elle la rputation d'une femme
+trs-aimable et de beaucoup d'esprit; mais on ne trouve dans les livres,
+pour ainsi dire, aucune particularit, aucun dtail sur sa personne. Il
+seroit aujourd'hui fort difficile, et peut-tre mme impossible, de
+suppler entirement leur silence. A la distance o nous sommes dj
+du sicle de Louis XIV, comment puiser dans la tradition des
+renseignemens certains sur les personnages de ce sicle, lorsque les
+crivains du temps ont nglig de nous en transmettre? Les Lettres de
+madame <i>de Svign</i> sont presque le seul crit o il soit question de
+madame <i>de Coulanges</i>. Nous allons en extraire le peu de notions
+biographiques qu'elles offrent sur cette femme spirituelle.</p>
+
+<p>Madame <i>de Coulanges</i> naquit en 1631, de M. <i>du Gu-Bagnols</i>, intendant
+de Lyon.</p>
+
+<p>Elle pousa Philippe-Emmanuel <i>de Coulanges</i>, conseiller au parlement de
+Paris, puis matre des requtes, mort en 1716, g de 85 ans. M. <i>de
+Coulanges</i> tait cousin-germain de madame <i>de Svign</i>, dont sa femme
+devint l'amie intime et presque insparable. Plein d'esprit et sur-tout
+de gat, trs-agrable en socit, cause de ses saillies et de ses
+chansons, il avoit peu d'aptitude ou du moins peu de got pour les
+fonctions graves et laborieuses de la magistrature. On raconte qu'tant
+charg de rapporter une affaire, o il s'agissoit d'une marre d'eau que
+se disputoient deux paysans dont l'un s'appeloit <i>Grapin</i>, il
+s'embarrassa tellement dans le dtail des faits, qu'il fut oblig
+d'interrompre son rcit: <i>Pardon, messieurs</i>, dit-il aux juges; <i>je me
+noie dans la marre </i> Grapin, <i>et je suis votre serviteur</i>. Depuis cette
+aventure, il ne voulut plus tre rapporteur, et il finit par se dmettre
+de sa charge pour faire des voyages, des chansons et de bons dners.</p>
+
+<p>Madame <i>de Coulanges</i>, fille d'un simple intendant de province, et femme
+d'un homme de robe, qui avoit renonc son tat, n'avoit aucun rang
+la cour; et cependant elle y jouissoit de beaucoup de considration.
+Elle toit nice de la femme de <i>le Tellier</i>, ministre d'tat, depuis
+chancelier, et cousine du fameux <i>Louvois</i>, ministre de la guerre. La
+parent lui donnoit un certain crdit auprs de ces deux hommes
+puissans; et, comme on peut croire, ses amis lui fournissoient
+quelquefois l'occasion d'en faire usage. C'toit sur-tout auprs de
+<i>Louvois</i> qu'on rclamoit ses bons offices, dans ce temps de guerres
+continuelles, o les emplois de l'arme passoient si rapidement de main
+en main.</p>
+
+<p>C'toit beaucoup, pour avoir des succs la cour, que d'tre nice et
+cousine de ministre; mais ceux de madame <i>de Coulanges</i> tenoient encore
+ une autre cause bien plus honorable pour elle. C'est ce que madame <i>de
+Svign</i> a exprim d'une manire si vive et si ingnieuse, en disant:
+<i>l'esprit de madame</i> de Coulanges <i>est une dignit</i>. Cet esprit
+consistoit dire avec grce, avec aisance, des choses fines et
+imprvues, des mots vifs et piquans. On appeloit cela <i>les pigrammes
+de madame</i> de Coulanges. Voici ce qu'en dit madame <i>de Caylus</i> dans ses
+<i>Souvenirs</i>. Madame <i>de Coulanges</i>, femme de celui qui a fait tant de
+chansons..... avoit une figure et un esprit agrables, une conversation
+remplie de traits vifs et brillans; et ce style lui toit si naturel,
+que l'abb <i>Gobelin</i> dit, aprs une confession gnrale qu'elle lui
+avoit faite: <i>Chaque pch de cette dame est une pigramme.</i> Personne en
+effet, aprs madame <i>de Cornuel</i>, n'a dit plus de bons mots que madame
+<i>de Coulanges</i>. Madame <i>de Svign</i>, qui, dans ses Lettres, nous a
+conserv plusieurs bons mots de madame <i>de Cornuel</i>, que l'on cite
+encore tous les jours, en a rapport aussi quelques-uns de madame <i>de
+Coulanges</i>; mais ils n'ont pas fait la mme fortune. Il semble qu'ils
+avoient quelque chose de plus dli, de plus fugitif, qui tenoit
+davantage aux circonstances des personnes, des lieux et du temps; aux
+manires et au ton de celle qui les disoit; en un mot, nous pensons
+qu'ils perdroient beaucoup tre dplacs; et ce motif nous dtermine
+n'en transporter aucun dans cette Notice.</p>
+
+<p>Madame <i>de Coulanges</i>, dont la malice s'gayoit souvent aux dpens des
+femmes que l'on souponnoit de quelque tendre foiblesse, fut son tour
+l'objet des pigrammes; elle fut accuse d'avoir un peu plus que de
+l'amiti pour le marquis <i>de la Trousse</i>, cousin-germain de son mari. Le
+marquis toit follement amoureux; elle, <i>dure, mprisante et amre</i>,
+ce que dit madame <i>de Svign</i>, qui avouoit bonnement ne rien concevoir
+ leur conduite. Il y auroit, dit-elle ailleurs, parler un an sur
+l'tat inconcevable et surprenant des c&#339;urs de M. <i>de la Trousse</i> et de
+madame <i>de Coulanges</i>. Tout le monde n'avoit point l-dessus la mme
+incertitude qu'elle. Madame <i>de la Trousse</i> toit jalouse avec fureur de
+madame <i>de Coulanges</i>; et <i>Louvois</i> ayant envoy M. <i>de la Trousse</i> sur
+la frontire, demanda publiquement pardon sa cousine de ce qu'il lui
+toit, pendant l'hiver, <i>cette douce socit</i>. Au milieu de toute la
+France, dit madame <i>de Svign</i>, elle soutint fort bien cette attaque;
+elle ne rougit point, et rpondit prcisment ce qu'il falloit.</p>
+
+<p>Cette intrigue, vraie ou fausse de madame <i>de Coulanges</i> avec M. <i>de la
+Trousse</i>, n'empcha, point la scrupuleuse et dvote madame <i>de
+Maintenon</i> d'avoir toujours le plus vif attachement pour son ancienne
+amie de l'htel de Richelieu. Elle vouloit toujours l'avoir auprs
+d'elle Versailles et St.-Cyr, et alloit elle-mme la voir quand elle
+toit malade.</p>
+
+<p>Nous ignorons dans quelle anne est morte madame <i>de Coulanges</i>.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_PREMIERE_COULANGES" id="LETTRE_PREMIERE_COULANGES"></a>LETTRE PREMIRE.</h3>
+
+
+<p class="date">Lyon, premier aot 1672.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span>'<span class="smcap">ai</span>
+reu vos deux lettres, ma belle; et je vous rends mille grces
+d'avoir song moi dans le lieu o vous tes. Il fait un chaud mortel;
+je n'ai d'esprance qu'en sa violence<a name="FNanchor_29_29" id="FNanchor_29_29"></a><a href="#Footnote_29_29" class="fnanchor" title="Go to footnote 29.">[29]</a>. Je meurs d'envie d'aller
+Grignan; ce mois-ci pass, il n'y faudra pas songer; ainsi je vous irai
+voir assurment, s'il est possible que je puisse arriver en vie; au
+retour, vous croyez bien que je ne serai pas dans cet embarras. Le
+marquis <i>de Villeroi</i> passe sa vie regretter le malheur qui l'a
+empch de vous voir. Les violons sont tous les soirs en Bellecour<a name="FNanchor_30_30" id="FNanchor_30_30"></a><a href="#Footnote_30_30" class="fnanchor" title="Go to footnote 30.">[30]</a>;
+je m'y trouve peu, par la raison que je quitte peu ma mre; dans
+l'esprance d'aller Grignan, je fais mon devoir merveille; cela
+m'adoucit l'esprit. Mais quel changement! vous souvient-il de la figure
+que madame <i>Solus</i> faisoit dans le temps que vous tiez ici? Elle a fait
+imprudemment ses dlices de madame <i>Carle</i>; celle-ci avoit, dit-on, ses
+desseins; pour moi, je n'en crois rien; cependant c'est le bruit de
+Lyon; en un mot, c'est de madame <i>Carle</i> que M. le marquis parot
+amoureux. Madame <i>Solus</i> se dsespre, mais elle aime mieux voir M. le
+marquis infidle que de ne le point voir; cela fait croire qu'elle ne
+prendra jamais le parti de se jeter dans un couvent. Cette histoire vous
+parot-elle avoir la grce de la nouveaut? Continuez m'crire, ma
+trs-belle, vos lettres me touchent le c&#339;ur: Madame <i>de Rochebonne</i> est
+toujours dans le dessein de vous aller voir. Je ne savois point que
+madame <i>de Grignan</i> et t malade; si c'est une maladie sans suite, sa
+beaut n'en souffrira pas long-temps. Vous savez l'intrt que je prends
+ tout ce qui pourroit, cet hiver, vous empcher l'une et l'autre de
+revenir de bonne heure.</p>
+
+<p>Adieu, ma trs-chre amie; j'oubliois de vous dire que le marquis <i>de
+Villeroi</i> se propose d'aller Grignan avec votre ami le comte <i>de
+Rochebonne</i>: je vous suis trs-oblige de vouloir bien de moi; il y a
+peu de choses que je souhaite davantage que de me rendre au plus vte
+dans votre chteau; mon impatience, <i>quoique violente</i>, dure toujours:
+cela me fait craindre pour le chaud; il doit tre insupportable, puisque
+je ne m'y expose pas. La rapidit du Rhne convient l'envie que j'ai
+de vous embrasser; ainsi, madame, je ne dsespre point du tout de vous
+aller conter les plaisirs de Bellecour. Vous me promettez de ne me
+point dire: <i>Allez, allez; vous tes une laide</i>; cela me suffit. J'ai
+peur que vous ne traitiez mal notre gouverneur; vos manires m'ont
+toujours paru diffrentes de celles de madame <i>Solus</i>. Vous savez bien
+que l'on dit Paris que <i>Vardes</i> et lui se sont rencontrs: devinez o?</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_II_COULANGES" id="LETTRE_II_COULANGES"></a>LETTRE II.</h3>
+
+
+<p class="date">Lyon, 11 septembre 1672.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> suis ravie de pouvoir croire que vous m'avez un peu regrette; ce qui
+me persuade que je le mrite, c'est le chagrin que j'ai eu de ne vous
+plus voir; j'ai fait vos complimens au <i>charmant</i><a name="FNanchor_31_31" id="FNanchor_31_31"></a><a href="#Footnote_31_31" class="fnanchor" title="Go to footnote 31.">[31]</a>; il les a reus,
+comme il le devoit, j'en suis contente; si je prenois autant d'intrt
+en lui que M. <i>de Coulanges</i>, je serois plus aise de ce qu'il dit de
+vous, pour lui que pour vous. Madame <i>d'Assigni</i> a gagn son procs tout
+d'une voix. Envoyez-moi M. <i>de Corbinelli</i>; son appartement est tout
+prt; je l'attends avec une impatience, qui mrite qu'il fasse ce petit
+voyage; toutes nos beauts attendent, et ne veulent point partir pour la
+campagne qu'il ne soit arriv; s'il abuse de ma simplicit, et que tout
+ceci se tourne en projets, je romps pour toujours avec lui. Adieu, ma
+vraie amie. C'est madame la comtesse <i>de Grignan</i> que j'en veux.</p>
+
+
+<p class="c"><i>A madame</i> <span class="smcap">de Grignan</span>.</p>
+
+<p>Je n'ai plus de got pour l'ouvrage, madame; on ne sait travailler qu'
+Grignan; le <i>charmant</i> et moi, nous en commenmes un, il y a deux
+jours; vous y aviez beaucoup de part; vous me trouveriez une grande
+ouvrire l'heure qu'il est. Il me parot que le <i>charmant</i> vous
+voudroit bien envoyer des patrons; mais le bruit court que vous ne
+travaillez point patrons, et que ceux que vous donnez sont
+inimitables. Adieu, ma chre madame; je trouve une grande facilit me
+dfaire de ma scheresse, quand je songe que c'est vous que j'cris.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_III_COULANGES" id="LETTRE_III_COULANGES"></a>LETTRE III.</h3>
+
+
+<p class="date">Lyon, 30 octobre 1672.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> suis trs-en peine de vous, ma belle; aurez-vous toujours la
+fantaisie de faire le bon corps? Falloit-il vous mettre sur ce pied-l
+aprs avoir t saigne? Je meurs d'impatience d'avoir de vos nouvelles,
+et il se passera des temps infinis avant que j'en puisse recevoir.
+Hlas! voici un adieu, ma dlicieuse amie; je m'en vais faire cent
+lieues pour m'loigner de vous! quelle extravagance! Depuis que le jour
+est pris pour m'en aller Paris, je suis enrage de penser tout ce
+que je quitte; je laisse ma famille, une pauvre famille dsole; et
+cependant je pars le jour mme de la Toussaint pour Bagnols: de Bagnols
+ Rouanne; et puis, <i>vogue la galre</i>. N'tes-vous pas ravie du prsent
+que le roi a fait M. <i>de Marsillac</i><a name="FNanchor_32_32" id="FNanchor_32_32"></a><a href="#Footnote_32_32" class="fnanchor" title="Go to footnote 32.">[32]</a>? n'tes-vous pas charme de la
+lettre que le roi lui a crite? Je suis au vingtime livre de
+l'<i>Arioste</i>; j'en suis ravie. Je vous dirai, sans prtendre abuser de
+votre crdulit, que, si j'tois reue dans votre troupe Grignan, je
+me passerois bien mieux de Paris, que je ne me passerai de vous Paris.
+Mais, adieu, ma vraie amie, je garde le <i>charmant</i> pour la belle
+comtesse. Ecoutez, madame, le procd du <i>charmant</i>; il y a un mois que
+je ne l'ai vu; il est Neuville<a name="FNanchor_33_33" id="FNanchor_33_33"></a><a href="#Footnote_33_33" class="fnanchor" title="Go to footnote 33.">[33]</a>, outr de tristesse; et quand on
+prend la libert de lui en parler, il dit que son exil est long; et
+voil les seules paroles qu'il a profres depuis l'infidlit de son
+<i>Alcine</i>; il hait mortellement la chasse, et il ne fait que chasser; il
+ne lit plus, ou du moins il ne sait ce qu'il lit; plus de <i>Solus</i>, plus
+d'amusement; il a un mpris pour les femmes, qui empche de croire qu'il
+mprise celle qui outrage son amour et sa gloire; le bruit court qu'il
+viendra me dire adieu le jour que je partirai. Je vous manderai le
+changement qui est arriv en sa personne. Je suis de votre avis, madame,
+je ne comprends point qu'un amant ait tort, parce qu'il est absent; mais
+qu'il ait tort tant prsent, je le comprends mieux; il me parot plus
+ais de conserver son ide sans dfauts pendant l'absence. <i>Alcine</i>
+n'est pas de ce got; le <i>charmant</i> l'aime de bien bonne foi; c'est la
+seule personne qui m'ait fait croire l'inclination naturelle; j'ai t
+surprise de ce que je lui ai entendu dire l-dessus; mais que
+deviendra-t-elle, comme vous dites, cette inclination? Peut-tre
+arrivera-t-il un jour que le <i>charmant</i> croira s'tre mpris, et qu'il
+contera les appas trompeurs d'<i>Alcine</i>. Le bruit de la reconnoissance
+que l'on a pour l'amour de mon gros cousin<a name="FNanchor_34_34" id="FNanchor_34_34"></a><a href="#Footnote_34_34" class="fnanchor" title="Go to footnote 34.">[34]</a> se confirme; je ne crois
+que mdiocrement aux mchantes langues; mais mon cousin, tout gros qu'il
+est, a t prfr des tailles plus fines; et puis, aprs un petit, un
+grand; pourquoi ne voulez-vous pas qu'un gros trouve sa place? Adieu,
+madame; que je hais de m'loigner de vous!</p>
+
+<p>Venez, mon cher confident<a name="FNanchor_35_35" id="FNanchor_35_35"></a><a href="#Footnote_35_35" class="fnanchor" title="Go to footnote 35.">[35]</a>, que je vous dise adieu; je ne puis me
+consoler de ne vous avoir point vu; j'ai beau songer au chagrin que
+j'aurois eu de vous quitter, il n'importe; je prfrerois ce chagrin
+celui de ne vous avoir point fait connotre les sentimens que j'ai pour
+vous. Je suis ravie du talent qu'a M. <i>de Grignan</i> pour la friponnerie;
+ce talent est ncessaire pour reprsenter le vraisemblable. Adieu, mon
+cher monsieur: quand vous me promettez d'tre mon confident, je me
+repens de n'tre pas digne d'accepter une pareille offre; mais venez
+vous faire refuser Paris. Adieu, mon amie; adieu, madame la comtesse;
+adieu, M. <i>de Corbinelli</i>; je sens le plaisir de ne vous point quitter
+en m'loignant, mais je sens bien vivement le chagrin d'tre assure de
+ne trouver aucun de vous o je vais.</p>
+
+<p>Je ne veux point oublier de vous dire que je suis si aise de l'abbaye
+que le roi a donne M. le coadjuteur, qu'il me semble qu'il y a de
+l'incivilit ne m'en point faire de compliment.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_IV_COULANGES" id="LETTRE_IV_COULANGES"></a>LETTRE IV.</h3>
+
+
+<p class="date">Paris, 26 dcembre 1672.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">L</span><span class="smcap">e</span> sige de Charleroi est enfin lev<a name="FNanchor_36_36" id="FNanchor_36_36"></a><a href="#Footnote_36_36" class="fnanchor" title="Go to footnote 36.">[36]</a>; je ne vous demande aucun
+dtail de ce qui s'y est pass, sachant que mademoiselle <i>de Mri</i> en
+envoie une relation madame <i>de Grignan</i>. On ignore jusqu' prsent
+quelle route le roi prendra; les uns disent qu'il retournera tout droit
+ Saint-Germain; les autres qu'il ira en Flandre; nous serons bientt
+claircis de sa marche. Sans vanit, je sais des nouvelles l'arrive
+des courriers; c'est chez M. <i>le Tellier</i><a name="FNanchor_37_37" id="FNanchor_37_37"></a><a href="#Footnote_37_37" class="fnanchor" title="Go to footnote 37.">[37]</a> qu'ils descendent, et j'y
+passe mes journes; il est malade, et il parot que je l'amuse; cela me
+suffit pour m'obliger une grande assiduit. Je ne comprends point par
+quelle aventure vous n'avez pas reu la lettre de M. <i>de Coulanges</i>,
+dans laquelle je vous crivois; c'est une mdiocre perte pour vous; j'ai
+cependant la confiance de croire que vous regrettez cette lettre, parce
+que je vous aime, ma trs-belle, et que vous m'avez toujours paru
+reconnoissante. J'ai t la messe de minuit; j'ai mang du petit sal
+au retour; en un mot, j'ai un assez bon corps cette anne pour tre
+digne du vtre. J'ai fait des visites avec madame <i>de la Fayette</i>, et je
+me trouve si bien d'elle, que je crois qu'elle s'accommode de moi. Nous
+avons encore ici madame <i>de Richelieu</i>; j'y soupe ce soir avec madame
+<i>du Fresnoi</i>; il y a grande presse de cette dernire la cour, il ne se
+fait rien de considrable dans l'tat, o elle n'ait part. Pour madame
+<i>Scarron</i>, c'est une chose tonnante que sa vie: aucun mortel, sans
+exception, n'a commerce avec elle; j'ai reu une de ses lettres; mais je
+me garde bien de m'en vanter, de peur des questions infinies que cela
+attire. Le rendez-vous du beau monde est les soirs chez la marchale
+<i>d'Estres</i>; <i>Manicamp</i> et ses deux s&#339;urs sont assurment bonne
+compagnie; madame <i>de Senneterre</i> s'y trouve quelquefois, mais toujours
+sous la figure d'Andromaque. On est ennuy de sa douleur: pour elle, je
+comprends qu'elle s'en accommode mieux que de son mari; cette raison
+devroit pourtant lui faire oublier qu'elle est afflige. Je la crois de
+bonne foi; ainsi je la plains. Les gendarmes Dauphin sont dans l'arme
+de M. <i>le Prince</i>; il faut esprer qu'on les mettra bientt en quartier
+d'hiver, et qu'ils auront un moment pour donner ordre leurs affaires;
+je connois des gens qui en sont accabls. Adieu, ma trs-aimable; je
+vais me prparer pour la grande occasion de ce soir: il faut tre bien
+modeste pour se coiffer quand on soupe avec madame <i>du Fresnoi</i>.
+Permettez-moi de faire mille complimens madame <i>de Grignan</i>; je
+voudrois bien que ce fussent des amitis, mais vous ne voulez pas.</p>
+
+<p>La princesse <i>d'Harcourt</i> a paru la cour sans rouge par pure dvotion:
+voil une nouvelle qui efface toutes les autres; on peut dire aussi que
+c'est un grand sacrifice; <i>Brancas</i><a name="FNanchor_38_38" id="FNanchor_38_38"></a><a href="#Footnote_38_38" class="fnanchor" title="Go to footnote 38.">[38]</a> en est ravi. Il vous adore, mon
+amie: ne le dsapprouvez donc pas, lorsqu'il censure les plaisirs que
+vous avez sans lui; c'est la jalousie qui l'y oblige; mais vous ne
+voudriez de la jalousie que de ceux dont vous pourriez tre jalouse; il
+faut plaindre <i>Brancas</i>.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_V_COULANGES" id="LETTRE_V_COULANGES"></a>LETTRE V.</h3>
+
+
+<p class="date">Paris, 24 fvrier 1673.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">S</span><span class="smcap">i</span> vous tiez en lieu o je vous pusse conter mes chagrins, ma
+trs-belle, je suis persuade que je n'en aurois plus. Quand je songe
+que le retour de madame <i>de Grignan</i> dpend de la paix, et le vtre du
+sien, en faut-il davantage pour me la faire souhaiter bien vivement? Le
+comte <i>Tot</i> a pass l'aprs-dine ici; nous avons fort parl de vous; il
+se souvient de tout ce qu'il vous a entendu dire; jugez si sa mmoire ne
+le rend pas de trs-bonne compagnie. Au reste, ma belle, je ne pars plus
+de Saint-Germain: j'y trouve une dame d'honneur<a name="FNanchor_39_39" id="FNanchor_39_39"></a><a href="#Footnote_39_39" class="fnanchor" title="Go to footnote 39.">[39]</a> que j'aime, et qui a
+de la bont pour moi; j'y vois peu la reine. Je couche chez madame <i>du
+Fresnoi</i> dans une chambre charmante; tout cela me fait rsoudre y
+faire de frquens voyages. Nos pauvres amis sont repartis, c'est--dire,
+M. <i>de la Trousse</i><a name="FNanchor_40_40" id="FNanchor_40_40"></a><a href="#Footnote_40_40" class="fnanchor" title="Go to footnote 40.">[40]</a>, sur la nouvelle qu'a eue le roi d'une rvolte en
+Franche-Comt. Comme il n'aimeroit point que les Espagnols envoyassent
+des troupes qui passeroient sur ses terres, il a nomm <i>Vaubrun</i> et <i>la
+Trousse</i> pour aller commander en ce pays-l. <i>La Trousse</i> a beaucoup de
+peine se rjouir de cette distinction, cependant c'en est une, qui
+pourroit ne pas dplaire un homme moins fatigu de voyages; celui-ci
+joindra la campagne; cela est fort triste pour ses amis. Le guidon<a name="FNanchor_41_41" id="FNanchor_41_41"></a><a href="#Footnote_41_41" class="fnanchor" title="Go to footnote 41.">[41]</a>
+nous demeure; mais ce n'toit point trop <i>de tout</i>. Je menai ce guidon
+avant-hier Saint-Germain; nous dnmes chez madame <i>de Richelieu</i>; il
+est aim de tout le monde presqu'autant que de moi. <i>Mithridate</i><a name="FNanchor_42_42" id="FNanchor_42_42"></a><a href="#Footnote_42_42" class="fnanchor" title="Go to footnote 42.">[42]</a> est
+une pice charmante; on y pleure; on y est dans une continuelle
+admiration; on la voit trente fois; on la trouve plus belle la trentime
+que la premire. <i>Pulchrie</i> n'a point russi. Notre ami <i>Brancas</i> a la
+fivre et une fluxion sur la poitrine; je l'irai voir demain. Je n'ai
+point vu votre cardinal<a name="FNanchor_43_43" id="FNanchor_43_43"></a><a href="#Footnote_43_43" class="fnanchor" title="Go to footnote 43.">[43]</a>, j'en ai toujours eu envie; mais il s'est
+toujours trouv quelque chose qui m'en a empche. La belle <i>Ludre</i> est
+la meilleure de mes amies; elle me veut toujours mener chez madame
+<i>Talpon</i>, quand les <i>pougies</i><a name="FNanchor_44_44" id="FNanchor_44_44"></a><a href="#Footnote_44_44" class="fnanchor" title="Go to footnote 44.">[44]</a> sont allumes. Le marquis <i>de
+Villeroi</i> est si amoureux, qu'on lui fait voir ce que l'on veut; jamais
+aveuglement n'a t pareil au sien; tout le monde le trouve digne de
+piti, et il me parot digne d'envie; il est plus charm qu'il n'est
+<i>charmant</i>, il ne compte pour rien sa fortune, mais la belle compte
+<i>Caderousse</i> pour quelque chose; et puis un autre pour quelque chose
+encore; un, deux, trois, c'est la pure vrit: fi, je hais les
+mdisances. J'embrasse madame la comtesse <i>de Grignan</i>; je voudrois bien
+qu'elle ft heureusement accouche, qu'elle ne ft plus grosse, et
+qu'elle vnt ici dsabuser de tout ce qu'on y admire. Adieu, ma
+vritable amie; <i>vos petites entrailles</i><a name="FNanchor_45_45" id="FNanchor_45_45"></a><a href="#Footnote_45_45" class="fnanchor" title="Go to footnote 45.">[45]</a> se portent bien; elles sont
+farouches, elles ont les cheveux coups; elles sont trs-bien vtues.
+Madame <i>Scarron</i> ne parot point; j'en suis trs-fche. Je n'ai rien
+cette anne de tout ce que j'aime; l'abb <i>Testu</i> et moi, nous sommes
+contraints de nous aimer. <i>Mademoiselle</i> a song que vous tiez
+trs-malade; elle s'veilla en pleurant; elle m'a ordonn de vous le
+mander.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_VI_COULANGES" id="LETTRE_VI_COULANGES"></a>LETTRE VI.</h3>
+
+
+<p class="date">Paris, 20 mars 1673.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> souhaite trop vos reproches pour les mriter; non, ma belle, la
+priode ne n'emporte point; je vous dis que je vous aime par la raison
+que je le sens vritablement, et mme je suis plus vive pour vous que je
+ne vous le dis encore. Nous avons enfin retrouv madame <i>Scarron</i>,
+c'est--dire que nous savons o elle est; car pour avoir commerce avec
+elle, cela n'est pas ais. Il y a chez une de ses amies<a name="FNanchor_46_46" id="FNanchor_46_46"></a><a href="#Footnote_46_46" class="fnanchor" title="Go to footnote 46.">[46]</a> un certain
+homme<a name="FNanchor_47_47" id="FNanchor_47_47"></a><a href="#Footnote_47_47" class="fnanchor" title="Go to footnote 47.">[47]</a> qui la trouve si aimable et de si bonne compagnie, qu'il
+souffre impatiemment son absence; elle est cependant plus occupe de ses
+anciens amis, qu'elle ne l'a jamais t; elle leur donne le peu de temps
+qu'elle a avec un plaisir qui fait regretter qu'elle n'en ait pas
+davantage. Je suis assure que vous trouverez que deux mille cus de
+pension sont mdiocres; j'en conviens, mais cela s'est fait d'une
+manire qui peut laisser esprer d'autres grces. Le roi vit l'tat des
+pensions, il trouva deux mille francs pour madame <i>Scarron</i>, il les
+raya, et mit deux mille cus. Tout le monde croit la paix; mais tout le
+monde est triste d'une parole que le roi a dite, qui est que paix ou
+guerre il n'arriveroit Paris qu'au mois d'octobre. Je viens de
+recevoir une lettre du jeune guidon<a name="FNanchor_48_48" id="FNanchor_48_48"></a><a href="#Footnote_48_48" class="fnanchor" title="Go to footnote 48.">[48]</a>; il s'adresse moi<a name="FNanchor_49_49" id="FNanchor_49_49"></a><a href="#Footnote_49_49" class="fnanchor" title="Go to footnote 49.">[49]</a> pour
+demander son cong, et ses raisons sont si bonnes, que je ne doute pas
+que je ne l'obtienne. J'ai vu une lettre admirable que vous avez crite
+ M. <i>de Coulanges</i>; elle est si pleine de bon sens et de raison, que je
+suis persuade que ce seroit mchant signe pour quelqu'un qui trouveroit
+ y rpondre. Je promis hier madame <i>de la Fayette</i> qu'elle la
+verroit; je la trouvai tte tte avec <i>un appel</i> M. <i>le Duc</i>; on
+regretta le temps que vous tiez Paris; on vous y souhaita, mais,
+hlas, qu'ils sont inutiles les souhaits! et cependant on ne sauroit se
+corriger d'en faire. M. <i>de Grignan</i> ne s'est point du tout rouill en
+province, il a un trs-bon air la cour; mais il trouve qu'il lui
+manque quelque chose. Nous sommes de son avis, nous trouvons qu'il lui
+manque quelque chose. J'ai mand M. <i>de la Trousse</i> ce que vous
+m'crivez de lui. Si ma lettre va jusqu' lui, je ne doute pas qu'il ne
+vous en remercie; je crois que le secret miraculeux qu'il avoit de faire
+comme les gens les plus riches, lui manque dans cette occasion: il me
+parot accabl sans ressource. Madame <i>du Fresnoi</i> fait une figure si
+considrable, que vous en seriez surpris; elle a effac mademoiselle de
+S.... sans misricorde. On avoit tant vant la beaut de cette dernire,
+qu'elle n'a plus paru belle; elle a les plus beaux traits du monde, elle
+a le teint admirable, mais elle est dcontenance, et elle ne le veut
+pas parotre; elle rit toujours, elle a mchante grce. <i>Madame</i> fera
+souvent voir de nouvelles beauts; l'ombre d'une galanterie l'oblige
+se dfaire de ses filles; ainsi je crois que celles qui lui demeureront,
+se trouveront plus plaindre que les autres. Mademoiselle de L.... la
+quitte. Madame <i>de Richelieu</i> m'a prie de vous faire mille complimens
+de sa part. Adieu, ma trs-aimable belle; j'embrasse, avec votre
+permission et la sienne, madame la comtesse <i>de Grignan</i>; n'est-elle
+point encore accouche? M. <i>de Coulanges</i> m'a assure qu'il vous
+enverroit <i>Mithridate</i>. On me peint aujourd'hui pour M. <i>de Grignan</i>; je
+croyois avoir renonc la peinture. L'histoire du <i>charmant</i> est
+pitoyable; je la sais.... <i>Orondate</i><a name="FNanchor_50_50" id="FNanchor_50_50"></a><a href="#Footnote_50_50" class="fnanchor" title="Go to footnote 50.">[50]</a> toit peu amoureux auprs de
+lui; il n'y a que lui au monde qui sache aimer. C'est le plus joli
+homme, et son <i>Alcine</i> la plus indigne femme.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_VII_COULANGES" id="LETTRE_VII_COULANGES"></a>LETTRE VII.</h3>
+
+
+<p class="date">Paris, 10 avril 1673.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">I</span><span class="smcap">l</span> est minuit, c'est une raison pour ne vous point crire: j'en suis
+enrage. J'avois rsolu de rpondre votre aimable lettre; mais voici,
+ma chre amie, ce qui m'en a empche. M. <i>de la Rochefoucauld</i> a pass
+le jour avec moi: je lui ai fait voir madame <i>du Fresnoi</i>; il en est
+tout perdu. Je suis ravie que madame <i>de Grignan</i> ne soit qu'accable
+de lassitude; la surprise et l'inquitude que j'ai eues de son mal, me
+devoient faire attendre toute la joie que j'ai du retour de sa sant;
+c'est une barbarie que de souhaiter des enfans. Je ne veux pas oublier
+ce qui m'est arriv ce matin; on m'a dit: madame, voil un laquais de
+madame <i>de Thianges</i>; j'ai ordonn qu'on le ft entrer. Voici ce qu'il
+avoit me dire: <i>Madame, c'est de la part de madame de Thianges, qui
+vous prie de lui envoyer la lettre du cheval de madame de Svign, et
+celle de la prairie</i>. J'ai dit au laquais que je les porterois sa
+matresse, et je m'en suis dfaite. Vos lettres font tout le bruit
+qu'elles mritent, comme vous voyez; il est certain qu'elle sont
+dlicieuses, et vous tes comme vos lettres. Adieu, ma trs-aimable;
+j'embrasse bien doucement cette belle comtesse, de peur de lui faire
+mal: j'ai bien senti, je vous jure, sa fcheuse aventure; je souhaite
+plus que je ne l'espre qu'elle ne soit jamais expose de pareils
+accidens. Le roi dit hier qu'il partiroit le 25 sans aucune remise.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_VIII_COULANGES" id="LETTRE_VIII_COULANGES"></a>LETTRE VIII.</h3>
+
+
+<p class="date">Paris, 29 octobre 1694.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">O</span><span class="smcap">n</span> me dit hier que votre mariage toit refait, c'est--dire, qu'on avoit
+envoy des conditions madame <i>de Grignan</i>, qu'elle auroit tort de ne
+pas accepter; et comme je suppose qu'elle ne peut avoir tort, je conclus
+que vous vous mariez,<a name="FNanchor_51_51" id="FNanchor_51_51"></a><a href="#Footnote_51_51" class="fnanchor" title="Go to footnote 51.">[51]</a> et je m'en rjouis avec vous, ma chre amie.</p>
+
+<p>Le roi est Choisi pour jusqu' samedi; tout le monde revient en
+foule; l'arme de Flandre est spare. Nous n'aurons madame <i>de Louvois</i>
+et M. <i>de Coulanges</i> que le 8 du mois qui vient; ils ont M. <i>de Souvr</i>
+et madame <i>de Courtenvaux</i> pour augmentation de bonne compagnie. La
+marchale <i>de Villeroi</i> est partie pour passer tout son hiver
+Versailles avec sa belle-fille; nous avons cru tre fort fches de nous
+sparer. Au reste, madame, j'ai vu la plus belle chose qu'on puisse
+jamais imaginer; c'est un portrait de madame <i>de Maintenon</i>, fait par
+<i>Mignard</i>: elle est habille en Sainte Franoise Romaine. <i>Mignard</i> l'a
+embellie; mais, c'est sans fadeur, sans incarnat, sans blanc, sans l'air
+de la jeunesse; et sans toutes ces perfections, il nous fait voir un
+visage et une physionomie au dessus de tout ce que l'on peut dire; des
+yeux anims, une grce parfaite, point d'atours; et avec tout cela aucun
+portrait ne tient devant celui-l. <i>Mignard</i> en a fait aussi un fort
+beau du roi; je vous envoie un madrigal que mademoiselle <i>Bernard</i> fit
+impromptu en voyant ces deux portraits; il a eu beaucoup de succs ici:
+vous jugerez si nous avons raison. Mademoiselle <i>de Villarceaux</i> est
+morte de la petite vrole, sans confession, et sans avoir eu le temps de
+dshriter ses cousines. Madame <i>d'pinoi</i>, la princesse, est accouche
+d'un fils; et depuis ce grand jour, on ne cesse de tirer et de boire
+la Place Royale. Adieu, ma chre amie.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_IX_COULANGES" id="LETTRE_IX_COULANGES"></a>LETTRE IX.</h3>
+
+
+<p class="date">Paris, 19 novembre 1694.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">I</span><span class="smcap">l</span> y a quinze jours, mon amie, que je ne vous ai crit; je vous en
+avertis, de peur que vous ne vous en aperceviez pas. Je n'avois point
+reu de vos lettres, et cela me faisoit craindre que vous ne voulussiez
+plus des miennes. tes-vous la noce? y serez-vous bientt? Je veux
+savoir ce qui vous regarde tous, parce que j'y prends un vritable
+intrt. Toute la troupe de Tonnerre est revenue dans une parfaite
+sant. M. <i>de Coulanges</i> a trouv une grande affliction son retour; il
+parot dans le monde un livre imprim de ses chansons, et la tte de
+ce livre un loge admirable de sa personne; on dit qu'il est n pour les
+choses solides et pour les frivoles; on montre les preuves des
+dernires; il est trs-touch de cette aventure, que j'ai encore
+aggrave par ne la pouvoir prendre srieusement; tout cela je rponds:
+<i>Chansons, Chansons</i>. Il est all Versailles, et de l Saint-Martin;
+il faut esprer qu'il se consolera d'avoir fait ce livre par en faire un
+second, avant que sa jeunesse se passe. Vous voulez que je vous dise des
+nouvelles de ma sant; mon amie, elle n'est en vrit point bonne.
+<i>Carette</i> me donne tout ce qu'il veut; et j'avale ses remdes sans
+confiance et sans succs; mais je crois que ce seroit encore pis de
+changer tous les jours de mdecin; il faut prendre patience, et tre
+bien persuade qu'on ne meurt que quand il plat Dieu. Voil des vers
+que l'abb <i>Ttu</i> m'a prie de vous envoyer; ils sont de sa faon. Le
+bruit court que le marquis <i>de Moui</i> aura la maison de Pipaut: on dit
+qu'il fait habiller un de ses laquais en cerf, et qu'il le court toutes
+les nuits avec un cor; que vous semble de cet quipage de chasse? M. <i>de
+Harlai</i> n'est point encore de retour de ses ngociations; tout le monde
+dsire la paix, et l'espre peu. Voil encore des vers de mademoiselle
+<i>Bernard</i>: malgr toute cette posie, la pauvre fille n'a pas de jupe;
+mais il n'importe, elle a du rouge et des mouches. Adieu, ma belle amie,
+ne m'oubliez pas, je vous en conjure.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_X_COULANGES" id="LETTRE_X_COULANGES"></a>LETTRE X.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 26 novembre 1694.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span>'<span class="smcap">ai</span>
+envoy Versailles la lettre que vous m'avez adresse pour M. <i>de
+Coulanges</i>; il y est tabli depuis son retour: j'ai t bien tente
+d'ouvrir cette lettre; mais la discrtion l'a emport sur l'envie que
+j'ai toujours de voir ce que vous crivez; tout devient or entre vos
+mains. Je suis trs-oblige M. <i>de Grignan</i> de se souvenir encore de
+moi; sa chute me met tout--fait en peine; et je vous prie, ma belle, de
+me bien mander de ses nouvelles, parce que j'y prends un trs-sincre
+intrt. Les vers que j'ai envoys la cour ont t fort bien reus; la
+personne qui ces vers s'adressoient m'crit la plus aimable lettre du
+monde; vous en jugerez par son effet, puisque, sans ma mauvaise sant,
+qui me rend si difficile changer de lieu, je serois partie
+sur-le-champ pour Versailles. J'avale sans fin des gouttes de <i>Carette</i>;
+et tout ce que je sais, c'est qu'elle ne font point de mal; il y a peu
+de remdes dont on en puisse dire autant. Au reste, j'allai voir hier la
+marchale <i>d'Humires</i>; elle demeure dans une vilaine maison, au
+faubourg Saint-Germain, o il n'y a place que dans la cour pour mettre
+son dais. La duchesse <i>d'Humires</i>, de son ct, occupe une autre
+maisonnette dans l'Isle. Si la marchale avoit un peu de courage, en
+attendant mieux, elle auroit bien donn la prfrence un couvent. M.
+<i>du Maine</i> vient coucher aujourd'hui l'Arsenal; il y doit donner
+souper toutes les dames qui l'habitent; la jeune dame <i>de la Troche</i> y
+brillera; car elle est la beaut de ce lieu. Madame <i>de Boisfranc</i> a la
+petite vrole; le fils de M. le premier prsident l'a aussi; enfin, tout
+en est rempli. Je vous ai mand l'affliction de M. <i>de Coulanges</i> au
+sujet de ses chansons, qui ont t mme assez mal choisies
+l'impression; on a mis son loge la tte du livre. Comme il ne pouvoit
+plus lui arriver que ce malheur, il y a t aussi sensible que ce
+capitaine qui, aprs avoir vu mourir son fils, et perdu la bataille de
+sang froid, pleura seulement la mort de son esclave. Madame <i>de
+Montespan</i> est de retour ici: elle a donn un lit de quarante mille cus
+ M. <i>du Maine</i>, et trois autres encore trs-magnifiques. Elle donne ses
+perles madame la duchesse. Adieu, ma chre amie; dites bien des
+choses pour moi toute votre belle et bonne compagnie, et sur-tout
+mnagez-moi bien les bonnes grces de la charmante <i>Pauline</i><a name="FNanchor_52_52" id="FNanchor_52_52"></a><a href="#Footnote_52_52" class="fnanchor" title="Go to footnote 52.">[52]</a>.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XI_COULANGES" id="LETTRE_XI_COULANGES"></a>LETTRE XI.</h3>
+
+
+<p class="date">Paris, 10 dcembre 1694.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> viens de passer encore quinze jours sans vous crire; mais je garde
+mes excuses pour quand je vous cris; car mes lettres ne peuvent tre
+que tristes et ennuyeuses; je perds tous mes amis et amies. La mort du
+marchal <i>de Bellefond</i><a name="FNanchor_53_53" id="FNanchor_53_53"></a><a href="#Footnote_53_53" class="fnanchor" title="Go to footnote 53.">[53]</a> m'a donn une vritable douleur; je suis la
+dernire visite qu'il ait faite; je le vis en parfaite sant, et six
+jours aprs il toit mort: on dit que c'est d'un abcs dans le genou,
+et que si l'on le lui avoit perc, on lui auroit sauv la vie; mais vous
+n'tes pas la dupe de ces sortes de repentirs: il faut partir quand
+l'heure est venue; sa famille est dans une dsolation digne de piti;
+pour moi, je sens trs-vivement cette perte: ajoutez cette mort celle
+de mademoiselle <i>de Lestranges</i>, qui toit mon amie depuis vingt-cinq
+ans, et vous ne serez pas surprise de la noirceur de mes penses. Ma
+sant est assez mauvaise. <i>Carette</i> exerce son art trs-inutilement sur
+ma personne: il me donna, il y a quelques jours, une mdecine, qui me
+fit de trs-grands maux; mais il dit, comme don <i>Carlos</i>: <i>Tout est pour
+mon bien</i>. J'ai des journes assez bonnes, et puis des retours de
+colique plus violens que jamais; je suis rsolue ne plus faire de
+remdes, et vivre avec ce mal tant qu'il plaira Dieu. Le pis qu'il
+en puisse arriver, arrive sitt mme avec une bonne sant, que
+l'vnement ne vaut pas qu'on s'en tourmente; il n'y a que les douleurs
+qui sont redoutables. Vous voyez, mon amie, par le rcit de tous mes
+ennuis, quelle est ma confiance en votre amiti. Je sens cependant le
+plaisir de vous savoir tous dans la joie. M. l'abb <i>de Marsillac</i> me
+dit hier des biens infinis de M. et de madame <i>de Saint-Amant</i>, et de
+madame la marquise <i>de Grignan</i> leur fille; il les vus Vincennes; il
+dit que ce sont les plus honntes gens qu'il est possible, et qu'ils
+vous ont lev un chef-d'&#339;uvre; enfin, il passa bien du temps me
+chanter leurs louanges, et je vous assure qu'il ne m'ennuya pas; car je
+prends un trs-sincre intrt tout ce qui vous touche: je vous
+demande en grce de faire bien des complimens de ma part M. et
+madame <i>de Grignan</i>: je suis trop triste et trop malade pour crire
+tout autre que vous; vous vous passeriez peut-tre bien de cette
+prfrence. M. <i>de Coulanges</i> est toujours la cour. M. <i>de Noyon</i><a name="FNanchor_54_54" id="FNanchor_54_54"></a><a href="#Footnote_54_54" class="fnanchor" title="Go to footnote 54.">[54]</a>
+y fait une figure principale; il est le seul prsentement qui y soit,
+et la cour a toujours besoin d'un pareil amusement. Il sera reu lundi
+l'acadmie (<i>franaise</i>); le roi lui a dit qu'il s'attendoit tre seul
+ce jour-l. L'abb <i>Testu</i> se trouva ici lorsque je reus votre dernire
+lettre; il fut fort touch du bon accueil que vous avez fait ses
+stances<a name="FNanchor_55_55" id="FNanchor_55_55"></a><a href="#Footnote_55_55" class="fnanchor" title="Go to footnote 55.">[55]</a>: il vous envoie une dissertation sur <i>Montaigne</i>. Je ne veux
+pas oublier, mon amie, que l'on m'obligea, il y a quelques jours, en
+trs-bonne compagnie, dire tout ce que je savois de la charmante
+<i>Pauline</i>; mon c&#339;ur avoit tant de part dans le portrait que j'en fis,
+qu'en vrit je crois qu'il lui ressembloit; au moins dit-on qu'une
+telle personne devoit tre cherche au bout du monde, par tout ce qu'il
+y avoit de meilleur. Je crois que nous aurons M. et madame <i>de Chaulnes</i>
+ la fin de ce mois.</p>
+
+<p>Le marchal <i>de Choiseul</i> a excut vos ordres; c'est une vrit, je ne
+le vois plus: il dit qu'on l'a averti qu'il se rendoit ridicule par
+aller souvent chez des femmes; je lui ai laiss croire qu'on ne le
+trompoit pas; et enfin, j'en suis quitte pour une visite la semaine. Il
+a fait des merveilles pour le pauvre marchal <i>de Bellefond</i>; il n'y a
+que lui qui parle au roi pour toute cette famille. Adieu, ma trs-chre,
+embrassez toujours la belle <i>Pauline</i> pour l'amour de moi: voyez comme
+j'abuse de vous, de vous demander des choses si difficiles.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XII_COULANGES" id="LETTRE_XII_COULANGES"></a>LETTRE XII.</h3>
+
+
+<p class="date">Madrid, 14 janvier 1695.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> vous remercie, mon amie, de m'avoir appris la conclusion de votre
+roman; car tout ce que vous me mandez, est romanesque. L'hrone est
+charmante; le hros, nous le connoissons; ce qui me parot, c'est que
+vous ne faites point de lgers repas, comme faisoient tous ces princes
+et princesses. Je suis ravie que M. <i>de Grignan</i> se porte bien; cette
+circonstance n'a pas t inutile pour l'agrment de la fte. J'appris
+hier votre mariage<a name="FNanchor_56_56" id="FNanchor_56_56"></a><a href="#Footnote_56_56" class="fnanchor" title="Go to footnote 56.">[56]</a> madame <i>de Chaulnes</i>, qui est arrive en
+trs-bonne sant, et qui n'en dit pas moins, <i>Jsus Dieu! ils sont donc
+maris!</i> que si elle n'en avoit jamais entendu parler. Elle avoit couch
+ Versailles; elle y avoit vu madame <i>de Chevreuse</i> et toutes ses amies.
+On ne peut tre plus remplie qu'elle l'est de tout ce qu'on lui a cont
+de la mort de M. <i>de Luxembourg</i>; si vous tiez ici, mon amie, elle vous
+diroit bien: <i>Gouvernante, il est mort bien chrtiennement</i>: Monsieur <i>a
+presque toujours t dans sa chambre</i>. Ce qui est de vrai, c'est que le
+P. <i>Bourdaloue</i> a dit qu'il n'avoit pas vcu comme M. <i>de Luxembourg</i>,
+mais qu'il voudroit mourir comme lui. Madame <i>de Maintenon</i> se porte
+bien; elle a t assez mal; elle sort maintenant tous les jours pour
+aller Saint-Cyr. J'eus hier unes des Andromaques de ce temps. La
+marchale <i>d'Humires</i> donna ses rendez-vous dans ma chambre M. <i>de
+Trville</i> et l'abb <i>Testu</i>; elle nous apprit qu'elle ne voyoit plus
+la duchesse <i>d'Humires</i>; qui l'et cru que les intrts pusseut faire
+une telle dsunion? Le bruit court ici que la princesse <i>d'Orange</i><a name="FNanchor_57_57" id="FNanchor_57_57"></a><a href="#Footnote_57_57" class="fnanchor" title="Go to footnote 57.">[57]</a>
+est morte; mais cette nouvelle auroit besoin d'une plus grande
+confirmation. La capitation est enfin passe et rgle. J'ai toujours
+oubli de vous faire les complimens de l'abb <i>Testu</i>, et toute la
+maison de Grignan. Adieu, ma trs-aimable; je vous embrasse, je vous
+aime et vous dsire toujours. M. <i>de Coulanges</i> n'habite plus que la
+cour; on ne dira pas qu'il est men par l'intrt; quelque pays qu'il
+habite, c'est toujours son plaisir qui le gouverne, et il est heureux;
+en faut-il davantage?</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XIII_COULANGES" id="LETTRE_XIII_COULANGES"></a>LETTRE XIII.</h3>
+
+
+<p class="date">Paris, 21 janvier 1695.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">C</span><span class="smcap">omptez</span>, madame, qu'on ne songe point ici qu'il y ait eu un M. <i>de
+Luxembourg</i><a name="FNanchor_58_58" id="FNanchor_58_58"></a><a href="#Footnote_58_58" class="fnanchor" title="Go to footnote 58.">[58]</a> dans le monde. Vous ne me faites piti o vous tes, que
+par les rflexions que vous vous amusez faire sur des morts, dont on
+ne se souvient plus du tout. Les meilleurs amis de M. <i>de Luxembourg</i>
+s'assemblent encore souvent; le prtexte est de le pleurer, et ils
+boivent, mangent, rient, se trouvent de bonne compagnie, <i>et de Caron,
+pas un mot</i>. C'est ainsi qu'est fait le monde, ce monde que nous voulons
+toujours aimer. On parle peine encore de la princesse <i>d'Orange</i><a name="FNanchor_59_59" id="FNanchor_59_59"></a><a href="#Footnote_59_59" class="fnanchor" title="Go to footnote 59.">[59]</a>,
+qui n'avoit que trente-trois ans, qui toit belle, qui toit reine, qui
+gouvernoit, et qui est morte en trois jours. Mais une grande nouvelle,
+c'est que le prince <i>d'Orange</i> est malade trs-assurment; la maladie de
+la reine, sa femme, toit contagieuse; il ne l'a point quitte, et Dieu
+veuille qu'elle ne l'ait pas quitte pour long-temps. Il se passa hier
+une belle et magnifique scne l'htel de Chaulnes. <i>Monsieur</i> y passa
+presque toute la journe avec ses bonts et ses agrmens ordinaires pour
+la matresse de la maison. L'appartement de cette duchesse est dans le
+point de la perfection; depuis le salon jusques au dernier cabinet, tout
+est meubl de ces beaux damas galonns d'or que vous connoissez; on a
+fait dans la chambre du lit une chemine d'une beaut et d'une
+magnificence qui ne peut se dire; et il y avoit de gros feux partout, et
+des bougies en si grande quantit, qu'elles auroient obscurci le soleil,
+s'ils s'toient trouvs ensemble. Madame <i>de Chaulnes</i> est alle ce
+matin rendre la visite <i>Monsieur</i>, et ensuite Versailles pour
+quelques jours; c'est ce qui l'a empche de vous crire. Il n'y a de
+plaisir qu' Grignan, mon amie; mais ce qui est triste, c'est qu'il n'y
+en a point pour nous Paris, quand vous tes Grignan. Je rvre et
+estime tout ce qui habite ce beau chteau. M. le marquis <i>de Grignan</i>
+m'a crit la plus jolie lettre qu'il est possible; elle a t trouve
+telle par les connoisseurs. Rendez-moi de bons offices auprs de madame
+sa femme; mais, mon amie, rendez-m'en de bons auprs de vous, je vous en
+supplie. On parle ici tous les jours de l'aimable <i>Pauline</i>, et toutes
+ses amies s'en souviennent si tendrement, qu'elle est une ingrate si
+elle ne s'en soucie plus; mais pourvu qu'elle ne m'oublie pas; je lui
+pardonne tout le reste. La petite duchesse <i>de Sulli</i>, qui est mon gr
+la vieille, vient de m'envoyer prier de vous faire tous mille
+complimens de sa part. Aimez-moi toujours, je vous en conjure, ma chre
+amie.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XIV_COULANGES" id="LETTRE_XIV_COULANGES"></a>LETTRE XIV.</h3>
+
+
+<p class="date">Paris, 4 fvrier 1695.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">O</span><span class="smcap">n</span> voit bien que vous avez oubli le climat de Paris, mon amie, puisque
+vous croyez avoir plus froid que nous; jamais il n'y a eu un hiver comme
+celui-ci. Le soleil se fait voir depuis deux jours; mais il ne se laisse
+point sentir; c'est un privilge dont vous jouissez Grignan, j'en suis
+assure. Je comprends merveille que madame <i>de Grignan</i> se fasse un
+plaisir de ne point faire de visites; c'est un avantage que j'ai au
+milieu de Paris; mais aussi n'ai-je point de raison pour m'incommoder;
+point d'enfans, point de famille; grces Dieu, assez de dgot pour
+ces fatigantes occupations; bien des annes et une assez mauvaise sant;
+tout cela fait demeurer au coin de son feu avec un plaisir pour moi, que
+je prfre d'autres, qui paroissent plus sensibles; mais une retraite
+que j'admire, c'est celle de mademoiselle <i>de la Trousse</i>; Dieu lui fait
+de grandes grces, et son tat est maintenant bien digne d'envie. Madame
+<i>de Chaulnes</i> veut toujours se reposer, et court incessamment. Il y a
+chez elle des dners magnifiques; le chevalier <i>de Lorraine</i>, M. <i>de
+Marsan</i>, M. le cardinal <i>de Bouillon</i>; cela se soutient de cette sorte
+tous les jours de la semaine. Madame <i>de Pontchartrain</i> est assez
+malade. La comtesse <i>de Grammont</i> est retourne la cour en assez bonne
+sant. L'on ne se souvient plus ici de madame <i>de Meckelbourg</i>, si ce
+n'est pour parler de son avarice. On dit que M. <i>de Montmorenci</i> va
+pouser madame <i>de Seignelai</i>; j'ai peine croire ce mariage-l. M. <i>de
+Coulanges</i> arriva hier de Saint-Martin et de Versailles; mais c'est
+chez madame <i>de Louvois</i><a name="FNanchor_60_60" id="FNanchor_60_60"></a><a href="#Footnote_60_60" class="fnanchor" title="Go to footnote 60.">[60]</a> qu'il est descendu: <i>A tout seigneur, tout
+honneur.</i> Je comprends fort bien que l'on s'accommode d'un mari qui a
+plusieurs femmes; j'en souhaiterois encore une ou deux, comme madame <i>de
+Louvois</i>, M. <i>de Coulanges</i>. Le marchal <i>de Villeroi</i> prta hier le
+serment<a name="FNanchor_61_61" id="FNanchor_61_61"></a><a href="#Footnote_61_61" class="fnanchor" title="Go to footnote 61.">[61]</a>, et prit le bton ensuite; il fit attendre beaucoup le roi,
+parce qu'il s'ajustoit; il avoit un habit de velours bleu d'une
+magnificence extraordinaire, et sa bonne mine le parot plus que son
+habit. Madame la duchesse <i>du Lude</i> m'a fait promettre que je vous
+ferois mille coinplimens et mille amitis bien tendres de sa part. Le
+roi a donn madame <i>de Soubise</i> l'appartement que le marchal
+<i>d'Humires</i> avoit Versailles; et celui de madame <i>de Soubise</i> aux
+princesses <i>d'pinoi</i>; celui de ces princesses M. <i>de Rasilli</i>; et de
+la duchesse <i>d'Humires</i>, pas un mot. Adieu, ma chre amie; je vous
+embrasse et vous aime beaucoup. J'ai peur que la charmante <i>Pauline</i> ne
+m'oublie la fin; l'absence laisse tout craindre, mme quand on est
+heureux. Continuez, je vous prie, de faire mes complimens dans le
+chteau de Grignan. Je suis fort oblige M. le chevalier (<i>de
+Grignan</i>) de l'honneur de son souvenir, et je vous conjure de l'en
+remercier pour moi; je suis vritablement occupe de ses maux; son ami,
+le P. <i>de la Tour</i> prche St.-Nicolas; et si je suis en tat de
+pouvoir sortir, ce sera mon prdicateur pour ce carme. On vous a sans
+doute envoy tous les sonnets qui ont t faits la louange de la
+princesse <i>de Conti</i>.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XV_COULANGES" id="LETTRE_XV_COULANGES"></a>LETTRE XV.</h3>
+
+
+<p class="date">Paris, 22 fvrier 1695.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span>'<span class="smcap">ai</span>
+perdu mon petit secrtaire, mon amie, et je ne puis me rsoudre
+vous faire voir de ma mauvaise criture. J'essaie un secrtaire
+nouveau<a name="FNanchor_62_62" id="FNanchor_62_62"></a><a href="#Footnote_62_62" class="fnanchor" title="Go to footnote 62.">[62]</a>; mandez-moi si vous lisez bien son criture. La nouvelle qui
+fait ici le plus de bruit, est le mariage de la belle <i>Pauline</i>. On dit
+que l'abb <i>de Simiane</i> est parti pour se trouver aux noces. Quand je
+dis que je n'en sais rien, personne ne me veut croire. La duchesse <i>du
+Lude</i> dit qu'elle le sait par le chevalier <i>de Grignan</i>. Pour moi, je
+pardonne tout le secret que vous m'en faites, pourvu que cela soit vrai.
+Vous croirez par l que j'aime passionnment M. <i>de Simiane</i>. M. le duc
+<i>de Chaulnes</i> donne des dners magnifiques; il en a donn un madame
+<i>de Louvois</i>, comme il l'auroit donn M. <i>de Louvois</i>; un autre au
+chevalier <i>de Lorraine</i>, et toute la maison de <i>Monsieur</i>. J'tois du
+premier; et pour le second, j'y envoyai mon fils, qui s'appelle M. <i>de
+Coulanges</i>. A mesure qu'il me vient des annes, les siennes diminuent,
+de faon que je me trouve encore bien vieille pour tre sa mre. Tous
+les courtisans sont devenus potes. L'on ne voit que des bouts-rims,
+les uns aussi remplis de louanges, que les autres de mdisances. Dieu me
+garde de vous envoyer ces derniers. Il en court un la louange du
+cardinal <i>de Bouillon</i>, qui passe pour une chanson. Qu'en dites-vous,
+mon amie? Que dites-vous aussi du <i>prince Dauphin</i>? Je laisse mon
+secrtaire le soin de vous mander cette histoire; car il se mle
+quelquefois d'crire de son style. On dit que c'est une affaire rsolue
+que le mariage de mademoiselle <i>de Croissi</i> avec le comte <i>de
+Tillires</i><a name="FNanchor_63_63" id="FNanchor_63_63"></a><a href="#Footnote_63_63" class="fnanchor" title="Go to footnote 63.">[63]</a>. Madame <i>de Maintenon</i> est encore languissante; mais elle
+se porte beaucoup mieux. Madame <i>de Grammont</i> parot la cour sous la
+figure d'une beaut nouvelle; elle est parfaitement gurie. M. l'abb
+<i>de Fnlon</i> a paru surpris du prsent que roi lui a fait<a name="FNanchor_64_64" id="FNanchor_64_64"></a><a href="#Footnote_64_64" class="fnanchor" title="Go to footnote 64.">[64]</a>. En le
+remerciant, il lui a reprsent qu'il ne pouvoit regarder, comme une
+rcompense, une grce qui l'loignoit de M. le duc <i>de Bourgogne</i>. Le
+roi lui a dit qu'il ne prtendoit point qu'il ft oblig une rsidence
+entire; et, en mme temps, ce digne archevque a fait voir au roi que,
+par le concile de Trente, il n'toit permis aux prlats que trois mois
+d'absence de leurs diocses, encore pour les affaires qui les pouvoient
+regarder. Le roi lui a reprsent l'importance de l'ducation des
+princes, et a consenti qu'il demeurt neuf mois Cambrai, et trois la
+cour. Il a rendu son unique abbaye. M. <i>de Reims</i> a dit que M. <i>de
+Fnlon</i>, pensant comme il faisoit, prenoit le bon parti; et que lui,
+pensant comme il fait, il fait bien aussi de garder les siennes. Adieu,
+ma chre amie; votre absence m'est toujours insupportable. Ne me laissez
+point oublier dans ce chteau de Grignan; c'est votre affaire, je vous
+en avertis. J'embrasse bien tendrement la charmante <i>Pauline</i>. Les
+femmes courent aprs mademoiselle <i>de l'Enclos</i>, comme d'autres gens y
+couroient autrefois; le moyen de ne point har la vieillesse, aprs un
+tel exemple! L'abb et le chevalier <i>de Sanzei</i> partirent hier pour
+aller faire carme-prenant avec leur mre. Ce dernier fera son possible
+pour aller faire la rvrence sa marraine<a name="FNanchor_65_65" id="FNanchor_65_65"></a><a href="#Footnote_65_65" class="fnanchor" title="Go to footnote 65.">[65]</a>, en s'en retournant
+son vaisseau.</p>
+
+<p><span class="smcap">M. de Coulanges</span> <i>continue</i>.</p>
+
+<p>Premirement, madame, comment vous accommodez-vous de ce petit
+papier<a name="FNanchor_66_66" id="FNanchor_66_66"></a><a href="#Footnote_66_66" class="fnanchor" title="Go to footnote 66.">[66]</a>? Ne vous trouble-t-il point quelquefois dans votre lecture?
+Pour moi, j'aime mieux les bonnes feuilles de papier de nos pres, o
+les dtails se trouvent l'aise. Il y eut hier huit jours que je revins
+de Saint-Martin et de Versailles, pour passer le reste des jours gras
+Paris. Il n'y a rien de pareil aux bons et somptueux dners de l'htel
+de Chaulnes, la beaut du grand appartement, qui augmente tous les
+jours, et au bon air des feux, qui sont dans toutes les chemines; il
+n'y a plus en vrit que cette maison, qui reprsente la maison d'un
+seigneur. M. <i>de Marsan</i> et le duc <i>de Villeroi</i> furent du dner du
+chevalier <i>de Lorraine</i>. Comme je n'ai point entendu le cardinal <i>de
+Bouillon</i> sur le sujet du <i>prince Dauphin</i>, je ne puis bien vous dire la
+vrit de ce fait; mais on prtend que <i>Monsieur</i>, press par le
+cardinal, avoit consenti dmembrer la principaut dauphine d'Auvergne,
+du duch de Montpensier, pour les prtentions que la maison de Bouillon
+pouvoit avoir sur la succession de <i>Mademoiselle</i>; en sorte qu'ils
+toient par-l les matres de toute l'Auvergne, car le cardinal en a le
+duch, et M. <i>de Bouillon</i> le comt; et que dans la suite le duc
+<i>d'Albert</i> se seroit appel le <i>prince Dauphin</i>; comme on est persuad
+qu'il n'y a rien de trop chaud pour ce cardinal, qui n'est occup que de
+la grandeur de sa maison, que ne dit-on point de cette vision? Ce qui
+est vrai, c'est que <i>Monsieur</i>, ayant tout promis, fut parler au roi de
+ce dmembrement, et que le roi s'y opposa. On assure que le cardinal,
+encore afflig de ce refus, a crit au chevalier <i>de Lorraine</i> pour lui
+dire qu'il toit surpris que <i>Monsieur</i> lui et manqu de parole, et
+qu'il ne pouvoit plus dsormais tre du nombre de ses serviteurs. On
+ajoute que le chevalier <i>de Lorraine</i> a montr sa lettre <i>Monsieur</i>,
+qui l'a garde, et qui a dit que du moins le cardinal devoit lui savoir
+gr de ce qu'il ne la montroit point au roi. Quoi qu'il en soit, madame,
+voil qui est fort dsagrable pour notre cardinal; car, comme il n'est
+pas universellement aim et approuv, tous ses ennemis ne perdent pas
+une si belle occasion de se dchaner, et tous ses amis sont fches
+qu'une bonne fois pour toutes il ne finisse point sur sa maison, et
+qu'il ne s'accommode point au temps prsent. Jugez, aprs cela, du
+succs du bout-rim, dont madame <i>de Coulanges</i> vous a parl. Il y a des
+temps infinis que je ne vous ai crit; mais je sais toujours de vos
+nouvelles par madame <i>de Coulanges</i>, qui veut bien quelquefois me faire
+part de vos lettres. J'ai toujours oubli de vous faire, dans les
+miennes, les complimens de madame <i>de Louvois</i>, et tout le chteau de
+Grignan: elle me gronda trs-srieusement l'autre jour d'y avoir manqu.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XVI_COULANGES" id="LETTRE_XVI_COULANGES"></a>LETTRE XVI.</h3>
+
+
+<p class="date">Paris, 25 mars 1695.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">M</span><span class="smcap">es</span> secrtaires me manquent au besoin; mais, quand c'est vous que
+j'cris, ma chre amie, mes deux doigts sont toujours disposs crire,
+<i>ils ne vont plus que pour Climne</i>. Que dites-vous de ne plus savoir M.
+le duc <i>de Chaulnes</i> gouverneur de Bretagne? On ne parle que de ce grand
+vnement; les gens modrs croient que ce duc et cette duchesse se
+doivent trouver heureux de ce changement<a name="FNanchor_67_67" id="FNanchor_67_67"></a><a href="#Footnote_67_67" class="fnanchor" title="Go to footnote 67.">[67]</a>; les autres les croient
+dsesprs. Pour moi, je dis tout ce que l'on veut, et suis
+trs-persuade qu'il ne faut point juger de la manire de penser de nos
+amis par la ntre. C'est cependant un tort que le monde a toujours, et
+qu'il ne peut pas ne point avoir; il a plutt fait de juger par ses
+dispositions, que d'examiner celles des autres. M. <i>de Chaulnes</i> fait
+bonne mine. La duchesse se cache si bien, que je ne l'ai point vue: il
+est vrai qu'il est assez ais de m'chapper; car je fais naturellement
+peu de diligence, et j'en fais moins que jamais, dans l'esprance
+d'avancer toujours dans cette parfaite indiffrence, dont vous ne vous
+apercevrez jamais, ma trs-aimable. Au reste, ma sant n'est pas du tout
+bonne. Il est plus question que jamais de me faire aller Bourbon; il
+arrivera ce qu'il plaira Dieu. Quand je songe que dix ou douze ans de
+plus ou de moins font la diffrence de cette affaire-l, je ne trouve
+pas que cela vaille la peine de la traiter si solidement. Peut-tre
+penserai-je tout d'une autre faon, quand je me trouverai plus proche de
+la mort; il faut trancher le mot, ne ft-ce que pour s'y accoutumer.
+J'attends de vous un compliment qui sera bien sincre, sur l'aventure du
+feu. Cela a paru une occasion digne de m'attirer le monde entier; mais
+le monde est bien inutile; je l'ai vit avec assez de soin. Au reste,
+madame <i>de Villars</i> m'a fait promettre que je vous dirois des choses
+infinies de sa part, et sur-tout que j'apprendrois qu'elle ne pardonnera
+point M. <i>de Villars</i> de n'avoir point parl d'elle madame <i>de
+Grignan</i>. Cela pourroit bien aller une sparation, si madame votre
+fille ne s'y oppose. Comme j'achve ma lettre, voil un secrtaire qui
+m'arrive. Il vous apprendra que je viens de voir M. <i>de Chaulnes</i>, qui
+m'a cont tout ce qui s'toit pass entre le roi et lui; mais, comme en
+mme temps, il m'a dit qu'il vous alloit crire, je ne m'embarquerai
+point dans un rcit que vous saurez encore mieux par lui-mme: il me
+parot tout plein de raison. Madame sa femme m'a envoy prier qu'elle
+pt aujourd'hui passer la journe avec moi; je la plains, puisqu'elle
+est fche. Pour moi, qui ne connois point le got de la reprsentation,
+ou, pour mieux dire, qui ne connois que celui du repos, quand on n'est
+plus jeune, je ne me trouverois pas plaindre la place de madame <i>de
+Chaulnes</i>. M. <i>de Mmes</i> pouse mademoiselle <i>de Broue</i>, qui on donne
+trois cent cinquante mille francs en argent, et cinquante mille francs
+en habits et en pierreries. On dit aussi que M. <i>de Poissi</i> pouse
+mademoiselle <i>de Beaumelet</i><a name="FNanchor_68_68" id="FNanchor_68_68"></a><a href="#Footnote_68_68" class="fnanchor" title="Go to footnote 68.">[68]</a>, qui aura un jour soixante mille livres
+de rente; <i>et de ma pauvre nice, pas un mot</i>. M. <i>de Coulanges</i> arriva
+hier de Saint-Martin, et il est all aujourd'hui je ne sais o. Le
+marchal <i>de Choiseul</i> part dimanche. Il a le commandement de la
+Bretagne joint aux autres. Comme il a le commandement beau, je suis
+assez aise qu'il commande loin d'ici. Ce n'est pas que je ne sois une
+ingrate cette anne; car je ne l'ai presque pas vu. Adieu, ma vraie
+amie; ne me laissez pas oublier Grignan, et sur-tout de l'adorable
+<i>Pauline</i>.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XVII_COULANGES" id="LETTRE_XVII_COULANGES"></a>LETTRE XVII.</h3>
+
+
+<p class="date">Paris, 13mai 1695.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> me porte beaucoup mieux; <i>Helvtius</i> ne m'a donn que d'un extrait
+d'absinthe, qui m'a rtabli, ce me semble, mon estomac; je vous assure,
+ma trs-belle, que je suis bien loigne d'avoir de l'indiffrence pour
+ma sant, et que je supporte mes maux fort impatiemment: ainsi, je ne
+veux point me parer auprs de vous d'un mrite que je n'ai point. Je
+crois que si j'eusse imagin de passer Grignan le temps d'entre les
+deux saisons des eaux, je les aurois crues ncessaires pour ma sant: et
+je pense que si j'y tois une fois arrive, j'aurois donn la
+prfrence aux vins de Grignan sur les eaux de Bourbon. Je plains bien
+M. le chevalier <i>de Grignan</i>, et je suis bien honteuse de me plaindre de
+mes petits maux, quand j'en vois souffrir de si grands, et avec tant de
+patience. La pauvre madame <i>de Carman</i> est bien mal; nous verrons la fin
+de sa vie avant celle de sa patience. Mon Dieu! que je me presse de vous
+faire des complimens de M. <i>de Trville</i>; il me gronde tous les jours de
+l'avoir oubli; il souhaite votre retour trs-sincrement. Il nous dit
+avant-hier les plus belles choses du monde sur le Quitisme,
+c'est--dire, en nous l'expliquant; il n'y a jamais eu un esprit si
+lumineux que le sien. Monsieur <i>Duguet</i><a name="FNanchor_69_69" id="FNanchor_69_69"></a><a href="#Footnote_69_69" class="fnanchor" title="Go to footnote 69.">[69]</a>, qui n'est pas trop sot,
+comme vous savez, sur de tels sujets, toit transport de l'entendre.
+Parlons d'autre chose. Les princesses sont ici, et se divertissent si
+parfaitement bien, qu'on assure qu'elles n'ont nulle impatience du
+retour de la cour; elles se couchent ordinairement vers onze heures ou
+midi. <i>Langle</i> donna hier un souper M. et madame <i>de Chartres</i>,
+madame <i>la Princesse</i>, madame <i>la Duchesse</i>, qui toit la reine de la
+fte, madame <i>de Montespan</i>, une infinit d'autres dames, dont madame la
+marchale et madame la duchesse <i>de Villeroi</i> toient; M. <i>le Duc</i>, et
+tous les princes qui sont ici, s'y trouvrent; mais une autre fte, ce
+fut celle que M. <i>le Duc</i> donna, il y a deux jours, dans sa petite
+maison de madame <i>de la Sablire</i>; tous les princes et princesses y
+toient; cette maison est devenue un petit palais de cristal; ne
+trouvez-vous pas que ce sont les lieux saints aux infidles<a name="FNanchor_70_70" id="FNanchor_70_70"></a><a href="#Footnote_70_70" class="fnanchor" title="Go to footnote 70.">[70]</a>? Madame
+<i>de Montespan</i> a achet Petit-Bourg quarante mille cus; elle le donne
+aprs sa mort M. <i>d'Antin</i>. M. <i>de Svign</i> nous quitte aprs-demain;
+il m'assure qu'il vous retrouvera cet hiver Paris; cela me fera
+parotre l't bien long, malgr la belle saison. M. <i>de Chaulnes</i>
+reviendra le dix-sept de ce mois; et notre duchesse ne reviendra
+qu'aprs les ftes. M. <i>de Coulanges</i> me mande que plus il a de
+printemps, plus il sent le printemps; voil un grand prodige; car sans
+l'offenser, il a plus de printemps que madame <i>de Brgi</i>. Je vous prie,
+ma trs-aimable, de dire bien des choses de ma part madame <i>de
+Grignan</i>, et d'embrasser pour moi bien tendrement la tranquille
+<i>Pauline</i>; on dit que vous nous l'amnerez toute marie; je sens dj
+que je ne l'en aimerai pas moins. L'oraison funbre de M. <i>de
+Luxembourg</i><a name="FNanchor_71_71" id="FNanchor_71_71"></a><a href="#Footnote_71_71" class="fnanchor" title="Go to footnote 71.">[71]</a> sera acheve d'imprimer dans deux jours; l'on dt qu'on
+a retranch quelques traits du portrait du prince <i>d'Orange</i><a name="FNanchor_72_72" id="FNanchor_72_72"></a><a href="#Footnote_72_72" class="fnanchor" title="Go to footnote 72.">[72]</a>.
+Madame <i>de Grignan</i><a name="FNanchor_73_73" id="FNanchor_73_73"></a><a href="#Footnote_73_73" class="fnanchor" title="Go to footnote 73.">[73]</a> va avoir le plaisir de recevoir des lettres
+tendres de son mari, et de lui en crire; il est bien joli que tous ses
+sentimens se dveloppent pour lui. Adieu, ma trs-chre.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XVIII_COULANGES" id="LETTRE_XVIII_COULANGES"></a>LETTRE XVIII.</h3>
+
+
+<p class="date">Paris, 3 juin 1695.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">C</span><span class="smcap">omment</span> vous portez-vous, ma trs-belle? je n'ai point reu de vos
+nouvelles depuis la lettre que vous m'avez fait crire par votre joli
+secrtaire. J'ai peur que vous n'ayez gt votre belle sant par une
+mdecine. Je vis hier monsieur <i>de Chaulnes</i>, qui est le parfait
+courtisan; il a demeur dix jours Marli, o il a 'pass ses journes
+jouer aux checs avec le cardinal <i>d'Estres</i>; et sur ce qu'on lui a
+dit que cela faisoit ici une nouvelle: il a rpondu qu'il en toit
+surpris, par la raison qu'il y a long-temps qu'ils cherchoient se
+donner chec et mat. Une autre nouvelle est que madame <i>de Louvois</i> a
+cd Meudon au roi, qui l'a pris pour <i>Monseigneur</i>, en donnant quatre
+cent mille francs madame <i>de Louvois</i>, et la charmante maison de
+Choisi, qui toit la chose du monde qu'elle dsiroit le plus; ainsi je
+crains qu'elle ne puisse plus avoir de dsirs. Elle est fort mal
+contente de monsieur <i>de Coulanges</i>, qui, en arrivant de Chaulnes,
+partit le lendemain pour Pontoise. Quant moi, je ne me sens plus de
+got que pour le repos; on m'a prie d'aller chez le cardinal <i>de
+Bouillon</i> cette semaine; cela me parot comme si l'on me proposoit
+d'aller faire un petit tour Rome; je trouve qu'il faut de grandes
+raisons pour quitter son lit; c'est la mauvaise sant, qui fait penser
+ainsi, il faut bien le croire; la mienne est cependant meilleure qu'elle
+n'a t. Je ne suis point contente de celle de madame <i>de Chaulnes</i>;
+elle a un vilain rhume que je ne n'aime point. Je crois le march du
+Mnil-Montant absolument rompu, d'autant que, selon toutes les
+apparences, le premier prsident ne le veut plus vendre. Adieu, ma
+trs-aimable, ne me laissez point oublier <i>Grignan</i>, je vous en prie;
+et dites la belle <i>Pauline</i> de songer quelquefois ce que je suis
+pour elle.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XIX_COULANGES" id="LETTRE_XIX_COULANGES"></a>LETTRE XIX.</h3>
+
+
+<p class="date">Paris, 20 juin 1695.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">V</span><span class="smcap">ous</span> jouissez prsentement des beauts de la campagne, ma trs-belle; le
+printemps parot dans tout son triomphe. Je m'en vais faire un grand
+excs; car je compte partir dimanche pour aller Saint-Martin avec M.
+et madame <i>de Chaulnes</i>, et y passer trois jours; les plaisirs que j'y
+espre seront bien troubls par une mauvaise sant; je suis arrive un
+tel excs de dlicatesse, que la vue d'un bon dner me fait malade;
+ainsi je suis intimide, et dans cet tat les plus petites choses
+paroissent considrables. Madame <i>de Louvois</i> alla hier remercier le
+roi; il lui donna une audience particulire chez madame <i>de Maintenon</i>;
+elle sent plus que jamais la joie d'tre dfaite de Meudon. Le roi est
+all Trianon, o il demeurera jusqu'au voyage de Fontainebleau. Je
+crois vous avoir mand que M. <i>de Montchevreuil</i> marie son fils la
+cousine-germaine de la marchale <i>de Lorges</i>, qui est une petite
+personne que vous avez souvent vue avec elle; on lui donne trois cent
+quatre vingt mille livres. C'est vous qui me manderez que M. <i>de
+Vendme</i> va commander en Catalogne, et que M. <i>de Noailles</i> en revient
+malade. M. <i>de Coulanges</i> a toujours plus d'affaires que jamais, et
+toutes de la mme importance; mais elles sont agrables, quand elles le
+rendent heureux; c'est de cela qu'il est question. J'ai trouv les
+couplets du comte <i>de Nicci</i> fort jolis; c'est un aimable enfant; aussi
+rien ne laisse des ides plus agrables que de ne le point voir; ce
+petit comte-l parviendra l'immortalit. J'ai remarqu, comme vous,
+mon amie, le temps de la mort de notre pauvre madame <i>de la Fayette</i>.
+Madame <i>de Caylus</i> se divertit merveille chez elle; la cour ne lui
+parot pas un sjour de plaisir; elle ne quitte plus madame <i>de
+Leuville</i>, qui donne tous les jours les plus jolis soupers qu'il est
+possible. Je ne crois pas le march de Mnil-Montant rompu sans
+ressource; et, n'en dplaise madame <i>de Chaulnes</i>, c'est la plus jolie
+acquisition que puisse faire M. <i>de Chaulnes</i>. La marchale <i>d'Humires</i>
+se retire aux Carmlites; elle a lou la maison de feue mademoiselle <i>de
+Porte</i>; elle gouverne entirement le faubourg Saint-Jacques; et, ce qui
+est le plus tonnant, c'est que le P. <i>de la Tour</i> la gouverne. Vous
+savez que M. <i>de Lauzun</i> a l'appartement de Versailles du marchal
+<i>d'Humires</i>: il fait faire pour sa femme un collier de diamans de deux
+cent mille francs. Adieu, ma chre amie; je souhaite bien plus votre
+retour que je ne l'espre. Je vous prie de dire des choses infinies de
+ma part madame <i>de Grignan</i>. Priez la belle <i>Pauline</i> de ne me point
+jeter dans la ncessit d'aimer une ingrate. Madame <i>de Mmes</i> parot
+dans un carrosse de mille louis. Lisez un peu, dans le <i>Mercure Galant</i>,
+la gnalogie de <i>F***</i>, et vous verrez qu'il n'y a que cette maison-l
+de noble et d'illustre dans le monde, et que le feu grand-matre<a name="FNanchor_74_74" id="FNanchor_74_74"></a><a href="#Footnote_74_74" class="fnanchor" title="Go to footnote 74.">[74]</a>
+s'est tromp, quand il a cru ne pas tirer de l tout son clat.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XX_COULANGES" id="LETTRE_XX_COULANGES"></a>LETTRE XX.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 24 juin 1695.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">M</span><span class="smcap">adame</span> <i>de Louvois</i> n'avoit point attendu l'approbation du monde pour
+dsirer Choisi; a t la seule maison qu'elle ait souhaite. Le roi et
+elle ont fait un trs-bon march; ils en paroissent fort contens aussi.
+Cela se passe, de part et d'autre, avec des honntets que l'on voit
+quelquefois entre les particuliers, mais que l'on prouve rarement avec
+son matre. Le roi est Marli pour neuf jours; la duchesse <i>du Lude</i>
+est de ce grand voyage; et, pour comble de bonheur, elle mne et ramne
+demain madame <i>de Maintenon</i> de Pontoise, o cette dernire va voir une
+fille de Saint-Cyr. Le roi donna une fte, lundi dernier, Trianon, au
+roi et la reine d'Angleterre. Il y eut un opra o le roi alla; madame
+<i>de Maintenon</i> n'y parut point du tout. Il est grand bruit de la faveur
+de M. <i>de la Rochefoucauld</i>. On prtend qu'il s'est rendu matre de
+l'esprit <i>de Monseigneur</i>, et qu'il se sert de son crdit, tout comme le
+roi le peut dsirer. Sa majest mena, il y a quelques jours, madame <i>de
+Maintenon</i> suivie de ses dames, souper dans une maison de campagne de ce
+nouveau favori, qui se nomme <i>la Selle</i>, et je vous le dis ainsi, pour
+ne vous point dire qu'il les mena la selle. Il doit, aller (<i>le roi</i>)
+un de ces jours l'tang, chez M. <i>de Barbesieux</i>, afin d'avoir l'air
+de partager ses faveurs. Une autre grande nouvelle: les princesses ont
+men dner et souper, Trianon, avec le roi, la comtesse <i>de la
+Chaise</i>, les marquises <i>de la Chaise</i> et <i>de la Luzerne</i>. Je crois que
+cette distinction les a fort touches; car jusqu'alors elles n'en
+avoient eu qu'au salut. M. <i>de Coulanges</i> arriva avant-hier de
+Saint-Martin. Il fut tout de suite Choisi, le lendemain Versailles,
+et part enfin aujourd'hui pour Evreux, avec M. <i>de Bouillon</i>. Je lui
+propose de ne plus tant perdre de temps en chemin, et de se mettre tout
+d'un coup dans une escarpolette, qui le jetera tantt d'un ct, tantt
+de l'autre, afin de ne pas mettre au moins les pieds terre. J'attends
+aujourd'hui une compagnie qui ne vous dplairoit pas, ma trs-belle;
+c'est M. <i>de Trville</i>, qui vient lire deux ou trois personnes un
+ouvrage qu'il a compos. C'est un prcis des Pres, qu'on dit tre la
+plus belle chose qui ait jamais t. Cet ouvrage ne verra jamais le
+jour, et ne sera lu que cette fois seulement de tout ce qui sera chez
+moi; je suis la seule indigne de l'entendre, c'est un secret que je vous
+confie au moins:</p>
+
+<p class="poem">......N'abusez pas, prince, de mon secret;<br />
+Au milieu de ma lettre, il m'chappe regret.<br />
+</p>
+
+<p>mais enfin, il m'chappe. M. <i>de Bagnols</i> est parti pour l'arme; et ma
+s&#339;ur sera, je crois, bientt de retour. Cependant elle ne me parle point
+encore du jour de son dpart. Avez-vous bien chaud Grignan, ma
+trs-belle? Je me souviens d'y avoir t par un temps pareil celui-ci.
+L'affaire du Mnil-Montant parot tout--fait rompue; cependant j'ai
+dans la tte qu'elle se raccommodera. Adieu, ma chre amie.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXI_COULANGES" id="LETTRE_XXI_COULANGES"></a>LETTRE XXI.</h3>
+
+
+<p class="date">Paris, 8 juillet 1695.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> puis rpondre pour M. <i>de Trville</i> qu'il auroit t ravi que vous
+eussiez augment la bonne compagnie qui l'entendit; et je suis assure,
+ma chre amie, que vous auriez t contente de votre journe; mais vous
+nous regardez du haut en bas de votre chteau de Grignan, et je m'amuse
+ vous dsirer toujours sans m'en pouvoir empcher. On est fort alerte
+ici sur le grand vnement du sige de Namur; car c'est tout de bon, et
+apparemment ce sige sera meurtrier; vous savez que le marchal <i>de
+Boufflers</i> s'est jet dedans avec six rgimens de dragons pied, et
+celui du roi cheval; ainsi le pauvre <i>Sanzei</i> est dans Namur tout
+comme un grand homme. M. le marchal <i>de Boufflers</i> a la fivre
+double-tierce; mais il aura bien d'autres affaires qu' l'couter. Le
+marchal <i>de Lorges</i> est hors de danger. Tout retentit ici des louanges
+du marchal <i>de Villeroi</i>; il n'y a gure de jours que le roi n'en parle
+avec loge, et tous les guerriers qui composent son arme, n'crivent
+ici que pour chanter ses louanges. Je crois qu' la fin M. le duc <i>de
+Chaulnes</i> va acheter Putaut, qui est une maison prs du pont de Neuilli,
+situe sur le bord de la rivire; il y a de quoi faire des merveilles,
+et il les fera; car il a une extrme envie d'une maison de campagne. Le
+roi va Marli pour quinze jours. Si la duchesse <i>du Lude</i> est de ce
+voyage, ce sera pour la troisime fois de suite; ces distinctions
+charment quand on est en ces pays-l: heureux qui peut voir cela du
+point de vue o il faut l'envisager! Je n'ai point vu la lettre du P.
+<i>Quesnel</i>; on dit qu'il la dsavoue, et il ne sauroit mieux faire. Vous
+savez, ma trs-belle, que M. <i>de la Trappe</i><a name="FNanchor_75_75" id="FNanchor_75_75"></a><a href="#Footnote_75_75" class="fnanchor" title="Go to footnote 75.">[75]</a> a remis son abbaye entre
+les mains de don <i>Zozime</i>, suprieur de sa maison, avec la permission du
+roi, et qu'il se va trouver simple religieux; cette fin est bien digne
+de lui, et couronne parfaitement une si belle vie. Pour l'oraison
+funbre du P. <i>de la Rue</i>, on n'en parle non plus prsentement, que de
+celle que l'on fit pour la reine mre. On ne sait pas qu'il y ait eu un
+M. <i>de Luxembourg</i> dans le monde. Est bien fou qui compte sur la gloire
+qui suit la mort; ce n'est en vrit pas de cela qu'il faut tre occup
+dans cette vie; mais les hommes auront toujours leurs erreurs et les
+chriront. M. <i>de Coulanges</i> arriva avant-hier au soir ici, plus charm
+de M. <i>de Bouillon</i>, de mademoiselle <i>de Bouillon</i> et de Navarre, que de
+tous ses anciens amis; il partit hier pour Choisi, o il sera jusqu' ce
+que notre voyage de Saint-Martin s'accomplisse; je ne me sens pour ces
+sortes de parties que la force du projet; l'excution est fort au-dessus
+de moi. Ma s&#339;ur monte dimanche sur l'hippogriffe, et arrive lundi
+Paris. M. <i>de Bagnols</i><a name="FNanchor_76_76" id="FNanchor_76_76"></a><a href="#Footnote_76_76" class="fnanchor" title="Go to footnote 76.">[76]</a> ne perd pas de vue le marchal <i>de Villeroi</i>;
+cela me fait craindre pour sa vie. M. <i>de Reims</i> a achet la maison
+d'Erval deux cent vingt-une mille livres. Adieu, ma trs-aimable;
+n'oubliez pas de m'aimer, je vous en conjure, et ne me laissez point
+oublier dans le lieu que vous habitez; mandez-moi si la charmante
+<i>Pauline</i> aura t bien contente du portrait mystrieux que vous lui
+avez donn. Madame <i>de Caylus</i> me vint voir hier plus jolie qu'un ange;
+elle me demanda en grce de venir voir l'arrangement de sa maison;
+j'aurois plus de peine rendre cette visite, que je n'en montrerai; ce
+que je sens l-dessus ne peut tre confi qu' vous, ma chre amie.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXII_COULANGES" id="LETTRE_XXII_COULANGES"></a>LETTRE XXII.</h3>
+
+
+<p class="date">Paris, 29 juillet 1695.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">I</span><span class="smcap">l</span> n'est plus question, ma chre amie, ni de M. <i>Arnauld</i> ni du P.
+<i>Quesnel</i>; toutes les penses sont dtournes du ct de Namur. Ces
+derniers tus ont jet une consternation qui ne laisse plus de joie ici.
+Madame <i>de Morstein</i> est inconsolable. La bonne chancelire<a name="FNanchor_77_77" id="FNanchor_77_77"></a><a href="#Footnote_77_77" class="fnanchor" title="Go to footnote 77.">[77]</a> pleure
+amrement son petit-fils <i>de Vieuxbourg</i>; et madame <i>de Maulevrier</i>
+renvoie bien loin tous les gens qui lui veulent parler de consolation,
+jusqu'au P. <i>Bourdaloue</i>. On ne sait point de nouvelles du comte
+<i>d'Albert</i>, sinon qu'on le croit trpan; et, depuis cela, pas un mot.
+M. et madame <i>de Chaulnes</i> en sont dans une extrme inquitude. Vous
+savez que M. le prince <i>de Conti</i> a la petite vrole; elle est sortie
+avec abondance, et commence suppurer sans aucun accident; ainsi on
+espre qu'il s'en tirera heureusement. On fait des dtachemens de tous
+cts pour envoyer au secours de Namur. <i>Sanzei</i> est dans la place, et
+il n'y a que sa mre qui soit plus plaindre que lui. Madame la
+duchesse <i>du Lude</i>, qui est de retour de Versailles m'a cont qu'elle
+avoit men ma petite nice <i>de la Chaise</i> dner Trianon avec le roi.
+S. M. et <i>Monsieur</i> ne parlrent que de l'agrment de cette petite
+personne, et de son peu d'embarras. Pour moi, je crois qu'elle
+confesseroit<a name="FNanchor_78_78" id="FNanchor_78_78"></a><a href="#Footnote_78_78" class="fnanchor" title="Go to footnote 78.">[78]</a> fort bien le roi. M. le premier prsident<a name="FNanchor_79_79" id="FNanchor_79_79"></a><a href="#Footnote_79_79" class="fnanchor" title="Go to footnote 79.">[79]</a> a eu une
+manire d'apoplexie; on l'a saign quatre fois; sa bouche est demeure
+un peu tourne. Il doit partir incessamment pour Bourbon. Voil une
+pigramme que l'on a faite sur son mal.</p>
+
+<p>
+Ne le saignez pas tant; l'mtique est meilleur.<br />
+Purgez, purgez, purgez; le mal est dans l'humeur.<br />
+</p>
+
+<p>Je crois que je ferois bien de prendre le mme chemin que ce magistrat;
+car mon estomac ne se rtablit point du tout. Au reste, ma trs-belle,
+j'ai consult si l'on pouvoit prendre du caf deux heures aprs la
+germandre. On en peut prendre en toute sret, et mme ils s'accordent
+fort bien ensemble. Adieu, ma trs-aimable; je ne vous en dirai pas
+davantage aujourd'hui; je vous supplie seulement de faire mes complimens
+ <i>tutti quanti</i>, et sur-tout de vous, faire la violence d'embrasser
+pour moi bien tendrement la charmante <i>Pauline</i>. Ma s&#339;ur<a name="FNanchor_80_80" id="FNanchor_80_80"></a><a href="#Footnote_80_80" class="fnanchor" title="Go to footnote 80.">[80]</a> vous rend
+mille grces de l'honneur de votre souvenir; elle en a t fort touche;
+elle est Versailles pour quelques jours.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXIII_COULANGES" id="LETTRE_XXIII_COULANGES"></a>LETTRE XXIII.</h3>
+
+
+<p class="date">Paris, 13 aot 1695.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">L</span><span class="smcap">a</span> mort de M. <i>de Paris</i><a name="FNanchor_81_81" id="FNanchor_81_81"></a><a href="#Footnote_81_81" class="fnanchor" title="Go to footnote 81.">[81]</a>, ma trs-belle, vous aura infailliblement
+surprise; il n'y en eut jamais de si prompte. Madame <i>de Lesdiguires</i> a
+t prsente ce spectacle; on assure qu'elle est mdiocrement
+afflige. L'on ne parle point encore du successeur; mais bien des gens
+croient que ce sera M. <i>de Cambrai</i><a name="FNanchor_82_82" id="FNanchor_82_82"></a><a href="#Footnote_82_82" class="fnanchor" title="Go to footnote 82.">[82]</a>, et ce sera certainement un bon
+choix; d'autres disent M. le cardinal <i>de Janson</i>. Nous saurons lundi ce
+grand vnement; la chose mrite bien qu'on y pense. Il s'agit
+maintenant de trouver quelqu'un qui se charge de l'oraison funbre du
+mort. On prtend qu'il n'y a que deux petites bagatelles qui rendent la
+chose difficile; c'est la vie et la mort. On vous aura sans doute envoy
+les articles de la capitulation de Namur; vous aurez vu qu'on fait la
+guerre fort poliment, et qu'on se tue avec beaucoup d'honntet. Nous
+bombardons Bruxelles<a name="FNanchor_83_83" id="FNanchor_83_83"></a><a href="#Footnote_83_83" class="fnanchor" title="Go to footnote 83.">[83]</a> l'heure qu'il est; les chansons, les
+madrigaux, les bons mots pleuvent sur le marchal <i>de Villeroi</i>, qui
+peut-tre n'a aucun tort: c'est le malheur des places; heureux qui n'en
+a point; mais peu de gens sentent ce bonheur-l. La comtesse <i>de
+Grammont</i> est de retour; je la vis hier si fatigue des eaux de Bourbon,
+qu'elle me confirma plus que jamais dans ma paresse; elle est revenue
+dans une litire, et elle dit qu'elle aimeroit mieux tre revenue
+pied. Le roi doit aller samedi Meudon pour deux jours; les
+distinctions vont rouler prsentement sur Meudon, et point sur Marli.
+Tout y a t cette semaine, jusqu' M. <i>de Busenval</i> et M. <i>de
+Saint-Germain</i>. Comme je me sens incapable de prendre la rsolution
+d'aller Bourbon, je m'en vais essayer Paris des eaux de Forges. Cela
+s'appelle aller du chaud au froid. Depuis que madame <i>de
+Fontevrault</i><a name="FNanchor_84_84" id="FNanchor_84_84"></a><a href="#Footnote_84_84" class="fnanchor" title="Go to footnote 84.">[84]</a> est ici; Saint-Joseph, o elle est presque toujours,
+est le rendez-vous du beau monde, mais non pas de la galanterie<a name="FNanchor_85_85" id="FNanchor_85_85"></a><a href="#Footnote_85_85" class="fnanchor" title="Go to footnote 85.">[85]</a>.
+Adieu, ma trs-aimable. Tous les marchs de M. <i>de Chaulnes</i> sont
+rompus. Madame <i>de Chaulnes</i> se console de tout avec madame <i>de
+Saint-Germain</i>; elle ne se peut passer d'elle, et cela apprend se
+passer de madame <i>de Chaulnes</i>.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXIV_COULANGES" id="LETTRE_XXIV_COULANGES"></a>LETTRE XXIV.</h3>
+
+
+<p class="date">Paris, 2 septembre 1695.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">H</span><span class="smcap">las</span>! mon amie, il n'est non plus question de M. l'archevque, que s'il
+n'avoit jamais t; on a dit bien du mal de lui aprs sa mort; on a
+parl du successeur<a name="FNanchor_86_86" id="FNanchor_86_86"></a><a href="#Footnote_86_86" class="fnanchor" title="Go to footnote 86.">[86]</a>; depuis qu'il est nomm, on ne parle plus ni de
+l'un ni de l'autre; ceci est un tourbillon qui ne permet pas les
+rflexions. Tout le monde toit fou hier Paris; on ne voyoit que des
+femmes dsespres; les unes couroient les rues, les autres se faisoient
+enfermer dans les glises; on entendoit: je n'ai plus de mari, je n'ai
+plus de fils; d'autres ne disoient pas ce qu'elles n'avoient plus, mais
+elles ne s'en dsesproient pas moins. La comtesse <i>de Fiesque</i> disoit
+que la bataille toit donne, et par consquent gagne; elle ajoutoit
+que le prince <i>d'Orange</i> toit prisonnier; je me trouvai le soir chez
+madame <i>de Carman</i>, o toit madame <i>de Sulli</i>, la duchesse <i>du Lude</i>,
+madame <i>de Chaulnes</i>, et une douzaine d'autres femmes, dont toit la
+comtesse <i>de Fiesque</i>. Quand elles eurent bien discouru, j'entrepris de
+leur remettre l'esprit (chose bien difficile) par un petit raisonnement,
+qui concluoit qu'il n'y auroit point de bataille; elles se moquoient
+toutes de moi; aujourd'hui que l'vnement justifie mes raisons, elles
+croient que d'ici je conduis l'arme: on ne parle que de ma pntration;
+et sur cela je conclus qu'on ne sait presque jamais pourquoi on loue ni
+pourquoi on blme. J'tois hier folle, et aujourd'hui je suis la plus
+habile personne du monde; et la vrit est que je ne suis ni folle ni
+habile; mais que par un courrier qui toit arriv, on avoit appris qu'il
+toit impossible de donner une bataille sans hasarder toute l'arme. M.
+<i>de Conti</i> l'a mand au roi, aussi bien que monsieur le duc <i>du Maine</i>,
+et tout ce qu'il y a de principal dans l'arme.</p>
+
+<p>M. <i>de Coulanges</i> est toujours Navarre, il me prie par toutes ses
+lettres de vous dire des choses infinies de sa part. Le roi doit partir
+le 24 de ce mois pour aller Fontainebleau. M. et madame <i>de Chaulnes</i>
+partent incessamment pour Chaulnes, et le bruit court que je vais avec
+eux. Je prends des eaux de Forges, dont je me trouve assez bien. Je suis
+ravie que la sant de madame <i>de Grignan</i> soit bonne; je m'en rjouis
+avec vous et avec elle. Faites-vous la violence d'embrasser la charmante
+<i>Pauline</i> pour l'amour de moi; je vous en conjure, ma trs-aimable.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXV_COULANGES" id="LETTRE_XXV_COULANGES"></a>LETTRE XXV.</h3>
+
+
+<p class="date">Paris, 9 septembre 1695.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">Q</span><span class="smcap">ue</span> d'vnemens, madame! que de discours! que de chansons! que
+d'pigrammes! que de dignits! Le marchal <i>de Boufflers</i> est duc; vous
+le savez dj. Le mme courrier, qui a apport la rduction de Namur,
+lui a t renvoy pour lui apprendre que le roi le faisoit duc, et lui
+dire en mme temps qu'il pouvoit prendre le chemin de la cour. Quand il
+s'est trouv press par sa reconnoissance de venir remercier le roi, le
+prince <i>d'Orange</i> lui a dit qu'il le faisoit son prisonnier. On prtend
+qu'il a pris cette conduite sur celle que nous avons eue Dixmude. Il a
+bien voulu cependant le laisser revenir la cour sur sa parole; mais le
+marchal a cru devoir attendre les ordres du roi. La marchale <i>de
+Boufflers</i> est transporte de joie de sa nouvelle dignit, et ne sait
+point encore ce malheur, qui, selon les apparences, ne sera pas long.
+Revenons aux pigrammes. Le marchal <i>de Villeroi</i> en est chamarr; il a
+pourtant la consolation de savoir que le roi est persuad qu'il n'a
+aucun tort; et je sais bien ce que je dis. Mais le monde veut juger de
+ce qu'il ignore; et, comme on juge par l'opinion des autres, on est
+assez fou pour se croire malheureux, malgr sa bonne conduite. Le roi va
+aujourd'hui Marli pour dix jours. M. et madame <i>de Chaulnes</i> partiront
+dans peu pour Chaulnes, et moi-avec eux. Que dites-vous de cette
+rsolution? Ne me trouvez-vous pas grande femme tout--fait? M. <i>de
+Coulanges</i> est toujours Evreux; madame <i>de Louvois</i> le boude;
+mademoiselle <i>de Bouillon</i> l'aime de passion, et le retient malgr lui.
+Moi, je lui cris rgulirement, et lui mande toutes les nouvelles. A
+qui donneriez-vous la prfrence? Les passions sont horribles; je ne les
+ai jamais tant haes que depuis qu'elles ne sont plus mon usage: cela
+est heureux. Notre dragon<a name="FNanchor_87_87" id="FNanchor_87_87"></a><a href="#Footnote_87_87" class="fnanchor" title="Go to footnote 87.">[87]</a> est sorti tout couvert de gloire, et tout
+nourri de cheval. Il a crit une trs-plaisante lettre sa s&#339;ur. Dans
+toutes les relations, il a t nomm au roi avec distinction; et, pour
+dire plus, c'est de madame <i>de Montchevreuil</i> que je le sais. Vous jugez
+bien, ma trs-aimable, de la joie de madame <i>de Sanzei</i>, qui sait a
+cette heure que son fils se porte bien. Songez que, de douze mille
+hommes qu'ils toient dans Namur, il n'en est rest que trois mille
+trois cents. J'oubliois de vous dire que c'est M. <i>de Guiscard</i> qui
+toit venu apprendre la cour que le marchal <i>de Boufflers</i> est
+prisonnier. Madame <i>de Sulli</i> a la mme maladie que madame <i>de Grignan</i>.
+Elle prend des eaux de Forges, dont elle se trouve merveille. Mais
+Forges est un peu trop loin de Grignan: il faudroit s'en approcher, mon
+amie. Je pardonne madame <i>de Sulli</i> cette maladie; mais madame <i>de
+Grignan</i> est trop avance pour son ge. On prtend que, de toutes les
+faons d'tre malade, c'est la moins fcheuse. Je vous demande toujours
+des nouvelles de madame <i>de Grignan</i>, dont je suis trs-sincrement en
+peine. Ne me laissez point oublier dans le chteau que vous habitez, et
+baisez, pour l'amour de moi, la charmante <i>Pauline</i>. Vous m'avouerez que
+j'exige des choses bien difficiles de votre amiti.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXVI_COULANGES" id="LETTRE_XXVI_COULANGES"></a>LETTRE XXVI.</h3>
+
+
+<p class="date">Paris, 16 septembre 1695.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">C</span><span class="smcap">e</span> n'est que pour marquer la cadence que je vous cris aujourd'hui,
+madame; car je n'ai point reu de vos lettres, cette semaine, et je suis
+toute honteuse de n'avoir pas de grands vnemens vous mander; depuis
+quelque temps, ils ne nous ont pas manqu; de vous dire que le roi est
+ Marli depuis huit jours, voil une belle affaire; la duchesse <i>du
+Lude</i> y est; le roi en revient demain, et doit partir jeudi 22 de ce
+mois pour aller Fontainebleau. Une assez grande nouvelle; c'est que je
+crois que j'irai dimanche Versailles pour deux ou trois jours: Il sera
+question incessamment du voyage de Chaulnes; j'espre encore que j'en
+serai; mais j'ai une sant qui me drange si aisment, que je n'ose plus
+faire de projets. M. <i>de Coulanges</i> doit revenir aujourd'hui d'Evreux
+pour rompre avec madame <i>de Louvois</i>, et aller Chaulnes. Encore
+faut-il bien vous apprendre, mon amie, que c'est le P. <i>Gaillard</i>, qui
+ne doit point faire l'oraison funbre de feu M. l'archevque (<i>de
+Paris</i>). Voici ce que je veux dire. M. le prsident et le P. <i>de la
+Chaise</i> se sont adresss au P. <i>Gaillard</i> pour ce grand ouvrage; le P.
+<i>Gaillard</i> a rpondu qu'il y trouvoit de grandes difficults; il a
+imagin de faire un sermon sur la mort au milieu de la crmonie, de
+tourner tout en morale, d'viter les louanges et la satire, qui sont des
+cueils bien dangereux. Tout le prlude des oraisons funbres n'y sera
+point. Il se jetera sur les auditeurs pour les exhorter; il parlera de
+la surprise de la mort, peu du mort; et puis, Dieu vous conduise la
+vie ternelle. Adieu, ma belle amie; ne me laissez jamais oublier
+Grignan, je vous en conjure; et sur-tout de la charmante <i>Pauline</i>. Je
+crois que M. <i>de Chaulnes</i> va acheter Villeflit de M. <i>de Fiaubet</i>, dont
+madame <i>de Chaulnes</i> parot peu contente. Le confesseur extraordinaire
+de madame <i>de Grignan</i> me doit demain lire l'oraison funbre qu'il a
+faite de ce saint homme.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXVII_COULANGES" id="LETTRE_XXVII_COULANGES"></a>LETTRE XXVII.</h3>
+
+
+<p class="date">Paris, 30 septembre 1695.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> m'en vais vous parler bien habilement du mal de madame <i>de Grignan</i>,
+c'est--dire du mal d'estomac, qui n'est autre chose, mon amie, que le
+mien. J'ai prouv, par mon impatience, toute sorte de remdes; trop
+heureuse si ces expriences lui peuvent tre utiles. <i>Carette</i> m'a
+donn, pendant neuf mois, de ses gouttes, qui ne m'ont point fait un mal
+sensible, mais qui m'avoient grsille un tel point sans me
+raccommoder l'estomac, que je vous avouerai confidemment qu'elles m'ont
+fait une seconde maladie. Venons <i>Helvtius</i>: il m'a donn une
+prparation d'absinthe, qui m'a tout--fait rtabli l'estomac. Comme
+cela fait quelqu'impression de chaleur, trs-lgre pourtant, il m'a
+fait prendre des eaux de Forges, dont je me trouve merveille. Je
+commence engraisser; je mange du fruit, je dne et je soupe; en un
+mot, mon amie, je ne suis plus la mme personne que j'tois il y a deux
+mois. Vous voyez bien pourquoi je vous conte tous ces dtails.
+Ramenez-nous donc madame <i>de Grignan</i> Paris; je vous promets qu'en
+trois semaines, <i>Helvtius</i> et moi lui rtablirons l'estomac. C'est la
+cause de presque tous les maux. Je me suis mme raccommode avec le
+caf; et, comme je ne sais point user d'une chose que je n'en abuse,
+j'en prends dans l'excs. Ma petite absinthe est le remde tous maux.
+Vous me demanderez, mon amie, pourquoi me portant aussi-bien que je vous
+le dis l, je ne suis point alle Chaulnes? Et je vous rpondrai que
+je me trouve comme les personnes qui deviennent avares par tre riches.
+Depuis que j'ai un peu de sant, je la mnage beaucoup. Le vilain temps
+m'avoit alarme; si j'avois prvu qu'il pt faire aussi beau qu'il fait
+prsentement, je crois que je me serois embarque pour ce grand voyage;
+mais je me garde pour Dampierre, et je fais trs-facilement de ma maison
+une maison de campagne. Je me promne les matins sur mon rempart, et je
+passe les aprs-dnes assez solitairement. La cour d'Angleterre est
+Fontainebleau. Ils ont des comdies, des ftes, et s'ennuient, ce
+qu'ils disent; et tant pis pour eux. Madame la marquise <i>de Grignan</i> ne
+veut voir personne; c'est ce qui m'a empche de me prsenter sa porte
+aussi souvent que j'aurois fait. M. <i>de Chaulnes</i>, qui sait forcer les
+portes, dit qu'elle est trs-aimable. M. <i>de Coulanges</i> est all
+Chaulnes; ils reviendront tous dans un mois, et c'est tout--l'heure.
+L'abb et moi ne laisserons point ignorer madame <i>de Sanzei</i> tout ce
+que vous dites pour elle. Je vous demande mille complimens pour madame
+<i>de Grignan</i>, ma trs-aimable: je vous demande aussi d'embrasser la
+belle <i>Pauline</i> pour l'amour de moi, tout comme si vous n'aviez point
+de sujet de vous plaindre d'elle.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXVIII_COULANGES" id="LETTRE_XXVIII_COULANGES"></a>LETTRE XXVIII.</h3>
+
+
+<p class="date">Paris, 28 octobre 1695.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">V</span><span class="smcap">ous</span> avez eu la colique, ma chre amie; et quoique je sache que vous
+vous en portez bien prsentement, je ne saurois tre rassure que je ne
+le sois par vous-mme. Je vous demande aussi des nouvelles de madame <i>de
+Grignan</i>; si vous saviez combien l'air subtil est contraire ses maux,
+vous l'obligeriez de se mettre dans une litire bien faite et bien
+commode, et vous gagneriez Paris; l'air de Lyon lui feroit connotre
+qu'il n'y a point de meilleur remde pour elle que de changer de climat;
+c'est l'avis de mon oracle (<i>Helvtius</i>). La marchale <i>de Boufflers</i> a
+t fort malade d'une pareille maladie, elle se-porte trs-bien
+aujourd'hui. Le roi est de retour dans une parfaite sant. Je vis hier
+la duchesse <i>du Lude</i>, qui est venue Paris pour se faire saigner et
+purger, sans autre raison, je crois, que d'avoir trop de sant. Il s'est
+fait de grands changemens Chaulnes. M. <i>de Chaulnes</i> aime son chteau
+comme sa vie, et ne le peut quitter. Madame <i>de Chaulnes</i> passe les
+jours, et peut-tre une bonne partie des nuits jouer. M. <i>de
+Coulanges</i> est devenu dlicat et prcieux; les visites de province
+l'ennuient. Je vois souvent notre petite accouche (<i>la duchesse de
+Villeroi</i>)<a name="FNanchor_88_88" id="FNanchor_88_88"></a><a href="#Footnote_88_88" class="fnanchor" title="Go to footnote 88.">[88]</a>; elle a un fils un peu plus grand que son pre, et un peu
+moins grand que le marchal (<i>de Villeroi</i>); il n'y a point de jour
+qu'elle ne me demande des nouvelles de mademoiselle <i>de Grignan</i>, et
+qu'elle ne lui souhaite tous les biens et les maux qu'elle a. L'on dit
+que le marchal <i>de Lorges</i> se porte mieux, et on n'appelle plus sa
+maladie une apoplexie; la marchale, qui l'est all trouver, va avec lui
+aux eaux de Plombires. Tout le monde croit le mariage de M. <i>de
+Lesdiguires</i> fait avec mademoiselle <i>de Clrembault</i><a name="FNanchor_89_89" id="FNanchor_89_89"></a><a href="#Footnote_89_89" class="fnanchor" title="Go to footnote 89.">[89]</a>; le charme que
+madame <i>de Lesdiguires</i> trouve dans ce mariage, c'est qu'elle n'aura
+point son fils avec elle. Le monde dit aussi celui de mademoiselle
+<i>d'Aubign</i> avec le fils<a name="FNanchor_90_90" id="FNanchor_90_90"></a><a href="#Footnote_90_90" class="fnanchor" title="Go to footnote 90.">[90]</a> de M. <i>de Noailles</i>; et je crois qu'en
+cette occasion le monde dit vrai. Au reste, ma trs-belle, j'ai vous
+apprendre que l'abb <i>Testu</i> est charm de madame <i>de Carman</i>, et qu'il
+se plaint hautement de toutes ses amies de ne lui avoir pas fait
+connotre ce mrite-l plutt. On parle fort ici de la solitude de
+madame la marquise <i>de Grignan</i>; on dit que sa vie n'est pas
+soutenable, parce qu'il ne faut voir personne, ou voir bonne compagnie.
+Vous voyez combien votre retour et celui de <i>sa belle-mre</i><a name="FNanchor_91_91" id="FNanchor_91_91"></a><a href="#Footnote_91_91" class="fnanchor" title="Go to footnote 91.">[91]</a> sont
+ncessaires; mes conseils sur cela vous parotront bien intresss; je
+souhaite que cette raison ne vous empche pas de les suivre, et que vous
+me croyez aussi tendrement vous que j'y suis. Je vous demande en grce
+de dire bien des choses de ma part madame <i>de Grignan</i>, et de ne pas
+oublier la belle et charmante <i>Pauline</i>.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXIX_COULANGES" id="LETTRE_XXIX_COULANGES"></a>LETTRE XXIX.</h3>
+
+
+<p class="date">Paris, 7 novembre 1695.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">A</span><span class="smcap">prs</span> avoir rflchi avec toute l'application possible sur tout ce que
+vous me mandiez, ma chre amie, <i>Helvtius</i> a encore voulu emporter
+votre lettre afin d'y penser loisir; il ne me rapporta qu'hier ce que
+je vous envoie; il est persuad que l'air subtil est fort contraire
+madame <i>de Grignan</i>, et que s'il toit possible qu'elle se mt dans une
+litire bien commode, et quelle fit de petites journes, elle ne seroit
+pas plutt arrive Lyon qu'elle se trouveroit fort soulage; c'est un
+remde que nous approuvons fort ici. Notre oracle <i>Helvtius</i> a sauv la
+vie la pauvre <i>Tourte</i>; il a un remde sr pour arrter le sang, de
+quelque ct qu'il vienne; c'est un trs joli homme et trs-sage. Sa
+physionomie ne promet pas tant de sagesse; car il ressemble <i>Dupr</i>
+comme deux gouttes d'eau. Je vous demande des nouvelles de madame <i>de
+Grignan</i>, ma trs-aimable, pour me rcompenser de toutes mes
+consultations. M. le marquis <i>de Grignan</i> m'est venu voir; il est
+assurment moins gras qu'il n'toit; je lui en ai fait des complimens
+trs-sincres: madame sa femme me fit l'honneur de venir ici hier; je la
+trouvai si considrablement embellie, qu'elle me parut une autre
+personne que celle que j'avois vue; c'est qu'elle est engraisse, et
+qu'elle a bien meilleur visage, de beaux yeux si brillans, que j'en fus
+blouie; elle vint ici sur les deux heures avec madame sa mre et
+mademoiselle sa s&#339;ur. Malheureusement pour moi, madame <i>de Nevers</i>
+s'toit leve aussi matin qu'elles; elle arriva un moment aprs ces
+dames, qui s'en allrent quand elle entra; et madame <i>de Nevers</i> qui me
+parla trs-sincrement, trouva madame la marquise <i>de Grignan</i> toute des
+plus jolies. M. et madame <i>de Chaulnes</i> et M. <i>de Coulanges</i> arrivent
+mercredi pour dner Paris; je me dois trouver l'htel de Chaulnes
+pour les y recevoir. Le roi est Marli pour jusqu' lundi; la comtesse
+<i>de Grammont</i> y est aussi; mais quoiqu'elle ait rattrap la cour les
+grces de la nouveaut, la pauvre femme ne s'en porte pas mieux. Tous
+ses maux sont revenus; elle les soutient avec un courage et une gaiet
+qui m'tonnent, ayant perdu, je crois, jusqu' l'esprance de gurir. La
+duchesse <i>de Villeroi</i> reoit ses visites dans son lit, jolie tout ce
+qu'on peut l'tre; je fis, il y a deux jours, les honneurs de sa chambre
+avec la marchale <i>de Villeroi</i>; j'ai dcouvert cette petite duchesse
+un mrite qui lui fait bien de l'honneur dans mon esprit, c'est qu'elle
+a un got si naturel pour mademoiselle <i>de Grignan</i><a name="FNanchor_92_92" id="FNanchor_92_92"></a><a href="#Footnote_92_92" class="fnanchor" title="Go to footnote 92.">[92]</a>, qu'elle en est
+sincrement occupe; elle m'en demande continuellement des nouvelles.
+Elle lui souhaite tout le bonheur qu'elle mrite; mais elle ne veut
+consentir aucun mariage, qu'elle ne soit assure de la revoir ici.
+Enfin, elle a des sentimens, elle a des penses; c'est un des miracles
+de <i>Pauline</i>. Je sais de ses nouvelles; on dit que vous vous allez
+encore marier<a name="FNanchor_93_93" id="FNanchor_93_93"></a><a href="#Footnote_93_93" class="fnanchor" title="Go to footnote 93.">[93]</a>; j'en suis ravie, mon amie; revenez donc toutes; la
+vie est trop courte pour de si longues absences. Par rapport la vie,
+les plus longues ne devroient tre que de deux heures. Je vous envoie
+une lettre de M. <i>de Vannes</i>, qu'il y a en vrit trois mois qui est
+dans mon critoire. Je lui en demande pardon; car pour vous, je suis
+assure que vous l'aimez autant l'heure qu'il est, que quand elle a
+t crite. Adieu, ma trs-aimable; mandez-moi vtement que vous allez
+revenir, et que vous ne pouvez plus souffrir la solitude de cette jeune
+marquise, qui, comme moi, soupire aprs votre retour.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXX_COULANGES" id="LETTRE_XXX_COULANGES"></a>LETTRE XXX.</h3>
+
+
+<p class="date">Paris, 18 septembre 1695.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">M</span><span class="smcap">onsieur</span> <i>de Lamoignon</i> me montra hier une lettre de M. le chevalier <i>de
+Grignan</i>, qui m'apprit que madame votre fille se portoit bien mieux;
+j'en ai une joie trs-sincre, et je souhaite de tout mon c&#339;ur, ma
+trs-chre, d'apprendre la continuation de ce mieux; j'ai la confiance
+de croire que vous me le ferez savoir; cela me donne aussi des
+esprances que nous vous reverrons bientt; il n'y a rien, en vrit,
+que je dsire si vivement: votre retour est ncessaire bien des
+choses, dont le changement d'air est une des principales pour madame <i>de
+Grignan</i>. Madame sa belle-fille est trop abandonne ici; le retour de M.
+<i>de Svign</i> qui approche; que de raisons, ma trs-belle, pour nous
+revenir voir! Paris est fort rempli l'heure qu'il est; mais il ne le
+sera point ma fantaisie, tant que vous ne serez point avec nous. J'ai
+bien envie d'apprendre si madame <i>de Grignan</i> a fait usage des bouillons
+d'crevisse, et si elle s'en est bien trouve. Il y a tous les jours de
+bon dners l'htel de Chaulnes, et une trs-bonne compagnie, o vous
+tes toujours dsire. M. le marquis <i>de Grignan</i> me fit l'honneur de me
+venir voir il y a deux jours. Je le remerciai de n'tre point grossi; il
+me parot fort content du palais qu'il habite. On me mande de Lyon que
+la charmante <i>Pauline</i> va changer de nom; ne nous l'amenez-vous pas? Il
+n'y a que madame <i>de Simiane</i> que je puisse jamais autant aimer que
+mademoiselle <i>de Grignan</i>. Hlas! propos <i>de Simiane</i>; le pauvre
+monsieur <i>de Langres</i><a name="FNanchor_94_94" id="FNanchor_94_94"></a><a href="#Footnote_94_94" class="fnanchor" title="Go to footnote 94.">[94]</a> est l'extrmit; j'en suis tout--fait en
+peine. Je crois M. <i>Nicole</i> mort; il tomba en apoplexie il y a deux
+jours. <i>Racine</i> vint en diligence de Versailles lui apporter des gouttes
+d'Angleterre, qui le ressuscitrent; mais on vient de me dire qu'il est
+retomb; c'est une grande perte. Il s'est trop puis crire: on
+prtend qu'il s'est cass la tte ce dernier livre contre les
+Quitistes; ils n'en valoient, en vrit, pas la peine. Adieu, ma
+trs-aimable; j'attends toujours de vos nouvelles avec impatience, mais
+encore plus prsent, cause de l'tat o est madame <i>de Grignan</i>.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXXI_COULANGES" id="LETTRE_XXXI_COULANGES"></a>LETTRE XXXI.</h3>
+
+
+<p class="date">Paris, 6 avril 1696.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> ferai voir votre lettre la marchale <i>de Crqui</i><a name="FNanchor_95_95" id="FNanchor_95_95"></a><a href="#Footnote_95_95" class="fnanchor" title="Go to footnote 95.">[95]</a>, madame; le
+seul plaisir qui lui reste, c'est d'entendre louer on pauvre fils<a name="FNanchor_96_96" id="FNanchor_96_96"></a><a href="#Footnote_96_96" class="fnanchor" title="Go to footnote 96.">[96]</a>:
+elle me parot plus afflige que le premier jour; je n'en passe gure
+sans la voir. Je l'ai cependant envoye M. <i>de Coulanges</i> cette
+aimable et tendre lettre; il est Saint-Martin d'o il doit revenir
+mardi. Madame <i>de Saint-Gran</i> a reu deux visites de madame <i>de
+Maintenon</i>; vous jugez bien qu'il n'en falloit pas tant pour la
+consoler: madame <i>de Mornai</i> ne quitte point madame <i>de Maintenon</i>; plus
+cette petite femme parot insensible aux honneurs qu'elle reoit, plus
+on est occup d'elle. Je suis tonne de ces sortes de conduites. Le
+mariage de ma nice est absolument rompu avec M. <i>de Poissi</i><a name="FNanchor_97_97" id="FNanchor_97_97"></a><a href="#Footnote_97_97" class="fnanchor" title="Go to footnote 97.">[97]</a>; elle
+part dans huit jours pour aller en Flandre. M. et madame <i>de Bagnols</i>
+n'ont aucun tort: madame <i>de Maisons</i><a name="FNanchor_98_98" id="FNanchor_98_98"></a><a href="#Footnote_98_98" class="fnanchor" title="Go to footnote 98.">[98]</a> a fait aussi ce qu'elle a pu,
+et nous lui en serons toujours trs-sensiblement obliges: je suis ravie
+de la connotre; elle a un trs bon c&#339;ur, et une vritable gnrosit.
+Il faut esprer que notre grande fille sera bien marie<a name="FNanchor_99_99" id="FNanchor_99_99"></a><a href="#Footnote_99_99" class="fnanchor" title="Go to footnote 99.">[99]</a>; mais ce ne
+peut plus tre qu'au retour de la campagne, car rien ne nous convient
+plus dans la robe. Je m'en vais vte finir ce petit billet; car madame
+<i>de Montespan</i> me vient prendre ds la pointe du jour, pour aller
+entendre le P. <i>de la Fert</i> (<i>jsuite</i>), qui prche comme un
+<i>Bourdaloue</i>, et qui ressemble si fort au duc son frre, qu'on ne se
+peut empcher de rire des discours qu'ils tiennent tous deux: madame <i>de
+Fontevrault</i><a name="FNanchor_100_100" id="FNanchor_100_100"></a><a href="#Footnote_100_100" class="fnanchor" title="Go to footnote 100.">[100]</a> vient aussi: voil bien des sermons que j'entends avec
+cette bonne compagnie, qui part dans huit jours pour aller Bourbon.
+Moins madame <i>de Grignan</i> se rtablira o elle est, plus elle se devroit
+presser de changer d'air. Sparment de l'intrt que j'ai donner ce
+conseil, c'est l'avis de tous les gens habiles. Quand reverrons-nous
+aussi madame <i>de Simiane</i>? elle ne s'en soucie gure; elle a de quoi
+s'amuser, pendant que nous soupirons ici aprs elle. Je ferai vos
+complimens la marchale <i>de Crqui</i>, et ceux de M. et de madame <i>de
+Grignan</i>, je vous en assure, ma trs-aimable. Le roi a donn deux mille
+louis au marchal <i>de Choiseul</i> pour l'aider faire son quipage; je ne
+sais si le marquis <i>de Grignan</i> ira avec lui. Adieu, ma vraie amie, et
+vte adieu; on me presse de sortir.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXXII_COULANGES" id="LETTRE_XXXII_COULANGES"></a>LETTRE XXXII.</h3>
+
+<p class="title"><i>A Madame</i><span class="smcap">De Simiane</span><a name="FNanchor_101_101" id="FNanchor_101_101"></a><a href="#Footnote_101_101" class="fnanchor" title="Go to footnote 101.">[101]</a>.</p>
+
+
+<p class="date">Paris, 2 mai 1696.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> vous suis sensiblement oblige, madame, de songer encore moi; je
+connoissois toutes vos perfections; mais la tendresse de votre c&#339;ur, et
+l'amiti que vous avez su avoir pour une personne<a name="FNanchor_102_102" id="FNanchor_102_102"></a><a href="#Footnote_102_102" class="fnanchor" title="Go to footnote 102.">[102]</a> aussi digne
+d'tre aime que celle que vous regrettez, c'est ce qui me parot fort
+au dessus de tout ce qu'on en peut dire. Ah! madame, que vous avez
+raison, de me croire infiniment touche! Je ne pense autre chose; je
+ne parle d'autre chose; j'ignore tous les dtails de cette funeste
+maladie, je les cherche avec un empressement qui fait voir que je ne
+songe point me mnager. Je passai hier toute la journe avec le prieur
+de Sainte-Catherine; vous jugez bien sur quoi roula notre conversation;
+je lui fis voir la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'crire;
+elle lui fit un vrai plaisir; car ces sortes de gens-l sont si
+persuads que cette vie-ci ne doit servir qu' s'assurer l'autre, que
+les dispositions dans lesquelles on quitte le monde sont les seules
+dignes d'attention pour eux; mais on songe ce que l'on perd, et on le
+pleure. Pour moi, il ne me reste plus d'amie; mon tour viendra bientt,
+cela est raisonnable: ce qui ne l'est gure, c'est d'entretenir une
+personne de votre ge de si tristes et de si noires penses; votre
+raison fait oublier votre jeunesse, madame; et cela, joint
+l'inclination naturelle que j'ai pour vous, m'autorise, ce me semble,
+vous parler comme je fais.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXXIII_COULANGES" id="LETTRE_XXXIII_COULANGES"></a>LETTRE XXXIII.</h3>
+
+<p class="title3">A LA MME.</p>
+
+
+<p class="date">Paris, 8 juin 1696.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">I</span><span class="smcap">l</span> me parot qu'il y a bien du temps que vous n'avez reu de mes
+lettres; vous ne serez peut-tre pas de cet avis: il n'y a pas moyen
+cependant de pousser ma discrtion plus loin; c'est un bien qui m'est
+devenu ncessaire, d'avoir de vos nouvelles; et, quelque ingalit qu'il
+y ait de votre ge au mien, j'prouve que l'on vous aime
+trs-solidement. Il y a des endroits dans votre c&#339;ur, qui font oublier
+votre jeunesse, sans qu'il y en ait aucun dans votre figure, qui ne
+prsente toute la fleur de ce bel ge.</p>
+
+<p>Je ne m'accoutume point la perte que nous avons faite<a name="FNanchor_103_103" id="FNanchor_103_103"></a><a href="#Footnote_103_103" class="fnanchor" title="Go to footnote 103.">[103]</a>; et
+lorsque j'apprends le retour de la sant de madame votre mre, je ne
+puis m'empcher d'tre vivement touche que cette joie n ait point t
+sentie par une personne qui en et t si digne<a name="FNanchor_104_104" id="FNanchor_104_104"></a><a href="#Footnote_104_104" class="fnanchor" title="Go to footnote 104.">[104]</a>. Je vous prie,
+madame, que je sois informe de la continuation de cette sant,
+laquelle je prends plus d'intrt que je ne puis vous le dire.</p>
+
+<p>Je vis avant-hier M. <i>de Coulanges</i> dans la belle maison de Choisi:
+madame <i>de Louvois</i> et lui y sont tablis pour tout l't; on est oblig
+tous les jours d'y avoir deux tables par la quantit de monde qui s'y
+trouve; un lansquenet ensuite, et puis des promenades dlicieuses;
+joignez tout cela les plaisirs qui suivent l'abondance, et vous
+trouverez que Choisi est un sjour enchant: il y a trop de ces plaisirs
+pour moi, et je ne saurois me rsoudre y passer plusieurs jours: mon
+got augmente pour la solitude, ou du moins pour une trs-petite
+compagnie. Madame <i>de Mornai</i> ne quitte plus madame <i>de Maintenon</i>: elle
+va Marli; enfin, madame, je ne trouve rien de si extraordinaire que de
+la voir de tous les plaisirs, pendant que vous tes loigne du monde et
+du bruit; il est vrai que vous avez de grandes ressources dans
+vous-mme. Adieu, madame, je vous demande en grce de ne pas ngliger
+l'occasion de dire M. le comte <i>de Grignan</i> combien je l'honore; mais
+sur-tout rendez-moi de bons offices auprs de vous, je vous en supplie.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXXIV_COULANGES" id="LETTRE_XXXIV_COULANGES"></a>LETTRE XXXIV.</h3>
+
+<p class="title3">A LA MME.</p>
+
+
+<p class="date">Paris, 20 juillet 1696.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">I</span><span class="smcap">l</span> y a long-temps, madame, que je n'ai eu l'honneur de vous crire; mais
+je ne suis point seule m'en apercevoir? En vrit, c'est pure
+discrtion qui m'empche de vous dire plus souvent ce que je sais
+penser de vous; il y a une telle disproportion de votre ge au mien,
+qu'il me parot de la cruaut moi de vous aimer comme je fais, et
+sur-tout de vous en entretenir. Je suis trs-persuade que vous n'enviez
+point les extrmes distinctions dont jouit madame <i>de Mornai</i>; mais,
+madame, n'est-ce point tre trop avance pour votre ge, de vous savoir
+passer du monde et de la cour? Il me semble qu'il n'y a que l'exprience
+qui en puisse dtromper, et voil ce que vous n'avez pas jusqu'
+prsent. Madame <i>de Mornai</i> est de tous les voyages de Marli, sans tre
+nomme de toutes les promenades du roi; en un mot, madame <i>de Maintenon</i>
+la traite comme sa fille; et pensez-vous qu'on puisse tre insensible
+ces honneurs? ma nice <i>de Bagnols</i> voit tout cela d'un grand
+sang-froid. La trve d'Italie donne ici de grandes esprances de la paix
+gnrale; je suis assure, madame, que cette grande nouvelle ne vous
+sera pas indiffrente. On se tourmente dj pour tre des dames de
+madame <i>de Bourgogne</i>; car on dit qu'elle n'aura point de filles, et
+qu'on lui donnera peu prs les dames qu'avoit la reine, except madame
+<i>de Beauvilliers</i>, qui, selon toutes les apparences, sera dame
+d'honneur. Nous craignmes beaucoup ayant-hier pour madame <i>de
+Chaulnes</i>, qui, la suite d'une mauvaise sant, eut une si grande
+foiblesse, qu'elle perdit connoissance. On envoya qurir des mdecins,
+un confesseur, enfin un appareil trs-propre pouvanter; elle se porte
+beaucoup mieux; elle a pris aujourd'hui un peu d'mtique. J'aime cette
+duchesse de la vraie douleur qu'elle a eue de la perte de madame <i>de
+Svign</i>. Pour moi, madame, je vous avoue avec une sincrit que j'ai
+pour vous, malgr mon ge, que je ne m'en consolerai jamais; j'y pense
+sans fin et sans cesse; et quand je songe que tous les retours ne la
+ramneront point, je ne puis soutenir une telle ide. Je vous demande
+des nouvelles de votre sant, madame; on m'a dit qu'elle n'toit pas
+absolument bonne, et que vous preniez des eaux: je vous croyois une
+sorte de maladie, o les eaux n'toient point propres. La marchale <i>de
+Castelnau</i> est morte d'un trs-douloureux cancer: les petites-filles
+esprent la pension de quatre mille livres, que le roi lui faisoit. Je
+vous demande pardon, madame, de vous crire une si longue lettre; mais
+le got que j'y trouve, me doit faire esprer que vous ne vous en
+plaindrez pas.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXXV_COULANGES" id="LETTRE_XXXV_COULANGES"></a>LETTRE XXXV.</h3>
+
+<p class="title3">A LA MME.</p>
+
+
+<p class="date">Paris, 14 septembre 1696.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span>'<span class="smcap">ai</span>
+t fort aise, madame, d'apprendre par vous le rtablissement de la
+sant de madame votre mre; mais je ne puis m'ter la pense que la
+personne du monde, qui s'intressoit le plus cette sant, n'ait point
+partag notre joie. Ah! madame, je ne m'accoutume point ne plus
+esprer qu'aucun retour nous amne ce que nous regrettons avec tant de
+raison. Je comprends ce que ce sera pour madame <i>de Grignan</i>, de se
+trouver en ce pays-ci au milieu de ces tristes souvenirs. Je suis fort
+occupe de ce que vous nous privez de l'esprance de votre retour. Il me
+semble que vous seriez bien ncessaire madame votre mre; et je vous
+avoue que j'aurois plus de joie de vous revoir qu'il ne convient une
+personne de mon ge. Vous tes faite pour charmer tout ce qui est
+aimable et jeune comme vous; et c'est vous offenser que de vous aimer
+aussi vritablement que je fais; mais qu'importe? Je ne sens point que
+je puisse m'empcher de vous offenser, ni d'esprer que vous me
+pardonnerez. Que dites-vous, madame, de notre duchesse <i>du Lude</i>? Je
+l'embarquai mardi avec les dames du palais, dans une sant parfaite:
+jamais on n'a marqu tant de confiance en une personne, que le roi et
+madame <i>de Maintenon</i> ont fait pour elle dans cette occasion; et je vous
+assure qu'elle n'y est pas insensible. On dit qu'il sera question encore
+de quatre dames du palais, et de deux autres, quand la jeune princesse
+se mariera. Je ne comprendrai jamais qu'on ne vous aille pas chercher au
+bout du monde pour cela. J'ai assez bonne opinion de votre
+<i>voisine</i><a name="FNanchor_105_105" id="FNanchor_105_105"></a><a href="#Footnote_105_105" class="fnanchor" title="Go to footnote 105.">[105]</a>, pour croire que vous seriez sa favorite. Enfin, je fais
+de tout ceci un petit chteau qui vous regarde uniquement, et je ne
+m'accommoderai jamais que ce chteau soit en Espagne. A propos
+d'Espagne, savez-vous que toute l'histoire de cette reine est fausse?
+Elle n'est point grosse, elle se porte fort bien; le roi en a reu des
+nouvelles. On est ici dans les <i>Te Deum</i>, dans les feux de joie de la
+paix de Savoie. Grces Dieu, le roi continue de se porter de mieux en
+mieux. On croit que la cour ira Fontainebleau vers la fin de ce mois,
+pour y recevoir la princesse. Conservez-moi l'honneur de vos bonnes
+grces, madame; j'espre que vous voudrez bien vous souvenir de moi
+auprs de madame la comtesse <i>de Grignan</i> et de M. <i>le Chevalier</i>. Je
+vous demande pardon de la libert que je prends; mais tout est permis
+une personne qui a la confiance de vous crire, et que vous honorez de
+vos aimables lettres. M. <i>de Coulanges</i> est Vichi avec sa femme <i>de
+Louvois</i><a name="FNanchor_106_106" id="FNanchor_106_106"></a><a href="#Footnote_106_106" class="fnanchor" title="Go to footnote 106.">[106]</a>.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXXVI_COULANGES" id="LETTRE_XXXVI_COULANGES"></a>LETTRE XXXVI.</h3>
+
+<p class="title3">A LA MME.</p>
+
+
+<p class="date">Paris, 25 octobre 1696.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> suis fort aise, madame, que vous nous fassiez esprer le retour de
+madame votre mre; mais, en vrit, pour que la joie ft complte, le
+vtre nous seroit bien ncessaire. J'admire que l'on ait pu faire des
+dames du palais pour madame la duchesse <i>de Bourgogne</i>, sans avoir song
+ vous envoyer chercher au bout du monde. Je fis part, il y a quelques
+jours, de mon tonnement madame <i>de Montchevreuil</i>. A propos de madame
+<i>de Montchevreuil</i>, madame <i>de Mornai</i> est accouche d'un fils. Cet
+vnement donne beaucoup de joie toute sa maison. O avez-vous pris,
+madame, que madame la duchesse <i>de Bourgogne</i> a eu la rougeole? Est-il
+possible qu'une de <i>ses voisines</i> soit si peu instruite?<a name="FNanchor_107_107" id="FNanchor_107_107"></a><a href="#Footnote_107_107" class="fnanchor" title="Go to footnote 107.">[107]</a> Je reus
+hier une lettre de madame la duchesse <i>du Lude</i><a name="FNanchor_108_108" id="FNanchor_108_108"></a><a href="#Footnote_108_108" class="fnanchor" title="Go to footnote 108.">[108]</a>, qui me parot
+charme de sa princesse. Elle me mande qu'elle est grcieuse, qu'elle a
+un trs-bon air, et que, sans beaut, on ne peut tre plus agrable
+qu'elle est. Le roi et <i>Monsieur</i> iront coucher Montargis, pour la
+recevoir, et M. le duc <i>de Bourgogne</i> ira jusqu' Nemours. <i>Madame</i>,
+toutes les princesses et les femmes de la cour l'attendront toutes
+pares dans l'appartement qu'on lui destine Fontainebleau, qui est le
+mme qu'occupoit madame <i>la Dauphine</i>. On dit que l'on nommera encore
+six dames au mariage de la princesse. Le roi, madame <i>de Maintenon</i>,
+tout est charm de madame <i>du Lude</i>. Elle s'est surpasse elle-mme dans
+toute la bonne conduite qu'elle a eue: j'en suis aussi peu surprise que
+j'en suis aise. Le pauvre abb <i>Pelletier</i> est mort d'apoplexie. Il y a
+quatre ou cinq jours que je vois un spectacle bien triste, mais qui
+commence le devenir moins. M. <i>d'Harrouis</i> tomba dimanche dernier en
+apoplexie: je volai son secours; et nous avons si bien fait par nos
+remdes et par nos soins, que je le crois hors d'affaire; mais le pauvre
+homme demeurera paralytique. Tout ce qu'il nous a dit dans son agonie,
+ne se peut ni croire ni imaginer; je n'ai jamais vu envisager la mort
+avec tant de courage, ni revenir la vie avec tant de docilit. Ce
+pauvre mourant parloit toujours de madame <i>de Svign</i>. Il disoit: si
+elle toit au monde, elle seroit de celles qui ne m'abandonneroient
+pas. Nous fondions toutes en larmes, et puis il nous disoit des choses
+qui nous faisoient rire, malgr que nous en eussions. J'ai une vraie
+impatience de recevoir l'honneur que vous dites que doit me faire un
+homme, qui a t assez heureux pour vous plaire. J'avoue que cela me
+prvient en sa faveur; mais, madame, pourquoi le laissez-vous venir tout
+seul? En vrit, vous tes trop raisonnable, et nous souffrons trop de
+votre raison. J'espre que mademoiselle <i>de Bagnols</i> aura un beau palais
+sans l'aller chercher Turin, ou, pour parler plus juste, un beau
+chteau; j'ai une grande envie qu'elle soit bien tablie. Conservez-moi
+l'honneur de vos bonnes grces, madame; et, si vous n'tes point
+honteuse d'avoir un commerce avec une vieille comme moi, comptez qu'il
+ne finira point par ma faute. Je vous serai sensiblement oblige, si
+vous voulez bien me faire la grce d'assurer madame la comtesse <i>de
+Grignan</i> et M. <i>le Chevalier</i> que j'attends leur retour avec toute
+l'impatience qu'ils mritent.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXXVII_COULANGES" id="LETTRE_XXXVII_COULANGES"></a>LETTRE XXXVII.</h3>
+
+<p class="title3">A LA MME.</p>
+
+
+<p class="date">Paris, 7 mars 1697.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> suis charme de la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'crire,
+madame. Comme il y a long-temps qu'on n'a eu celui de vous voir, on est
+tonn de trouver tant de sagesse, de raison et de bon sens, avec tous
+les charmes de la jeunesse. Il n'y a que vous qui ayez pu accorder des
+choses si opposes. Je suis trs-fche d'avoir ignor si long-temps le
+sjour de M. <i>de Simiane</i> en ce pays-ci. Le hasard me l'a fait trouver
+dner chez M. <i>de Saint-Amant</i>; il m'a ensuite fait l'honneur de me
+venir voir deux fois. Il m'a paru tout comme il vous parot; je ne crois
+pas peu dire. Il a bien raison d'tre pour vous, comme il est. J'avoue
+que cela m'a fait un sensible plaisir; je n'aime point qu'on ignore de
+tels bonheurs. Ah! madame, que ne feroit point notre pauvre madame <i>de
+Svign</i> dans une pareille occasion? Le malheur de ne la plus voir m'est
+toujours nouveau; il manque trop de choses l'htel de Carnavalet. Je
+ne saurois m'empcher de vous dsirer; et toute votre indiffrence pour
+ce pays-ci ne m'en peut inspirer pour votre retour. Je le souhaite comme
+si j'tois d'ge en profiter; mais il me semble que mon inclination si
+naturelle pour vous, vous fait souffrir mon ge avec quelque bont. J'ai
+eu la conduite que vous m'avez prescrite au sujet de votre lettre;
+cependant je vous avouerai, madame, que je l'ai montre madame <i>de
+Chaulnes</i>, qui m'a fait promettre de vous dire de sa part qu'elle vous
+approuve autant qu'elle dsapprouve, je ne dirai pas qui. Savez-vous
+que madame <i>de Chaulnes</i> a un nouveau mrite mon gard? C'est celui de
+ne se point du tout consoler de la perte de madame <i>de Svign</i>. Nous en
+parlons sans cesse; car, pour moi, c'est ma manire; j'aime parler de
+ce que j'ai aim, et ne me point mnager sur les souvenirs qui me sont
+chers.</p>
+
+<p>Je fis une longue rponse une lettre, que vous m'avez fait l'honneur
+de m'crire avant la dernire; je la donnai madame votre mre, et ma
+lettre s'est trouve perdue. Je vous le dis, madame, afin que vous ne me
+souponniez pas d'une grossiret pareille celle d'y avoir, manqu. Au
+reste, le mariage de ma nice avec M. <i>de Poissi</i> est rompu. Si j'tois
+ sa place, j'en serois aussi aise qu'elle en est peut-tre fche. Il
+ne la dsiroit point autant qu'il convenait pour surmonter les plus
+petites difficults: quand cela est ainsi, il me parot qu'on se doit
+trouver heureuse de ne point entrer dans une maison o l'on est si peu
+souhaite: je suis assure que c'est l votre avis. Quel bon sens,
+madame, que le vtre, de n'tre point entte de la cour! Songez que
+madame <i>du Lude</i>, qui avoit une si bonne sant, est accable de
+rhumatismes. Songez qu'il faut qu'elle couche dans la chambre de la
+princesse; qu'elle se fatigue jour et nuit, et pour qui<a name="FNanchor_109_109" id="FNanchor_109_109"></a><a href="#Footnote_109_109" class="fnanchor" title="Go to footnote 109.">[109]</a>? Cependant
+je sais une personne du monde, qui admire les agrmens de la place, et
+la trouve prfrable tout le repos, dont madame <i>du Lude</i> pouvoit
+jouir. J'ai eu quelque escarmouche avec cette personne sur une telle
+faon de penser, que je vous avoue que je ne comprends point.
+Continuez-moi toujours un peu de part dans votre amiti, madame. Il
+faudroit que vous pussiez bien savoir comme je suis pour vous, afin de
+vous persuader que je n'en suis pas indigne. Permettez-moi de prendre
+part la joie de M. le marquis <i>de Simiane</i> de se trouver auprs de
+vous. Sa joie est d'autant plus raisonnable, qu'il n'est pas aise tout
+seul. J'ai eu assez l'honneur de le voir, pour dsirer beaucoup de le
+voir davantage.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXXVIII_COULANGES" id="LETTRE_XXXVIII_COULANGES"></a>LETTRE XXXVIII.</h3>
+
+<p class="title"><i>A madame</i> <span class="smcap">de Grignan</span>.</p>
+
+
+<p class="date">Paris, 19 avril 1700.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">I</span><span class="smcap">l</span> y a si long-temps, madame, que je ne fais rien de ce que je dsire,
+que je n'ai pu trouver le moment de vous remercier de la dernire lettre
+que vous m'avez fait l'honneur de m'crire. Ma mre a depuis quinze
+jours la fivre continue avec des redoublemens; et moins elle est en
+tat de penser, plus je suis attache auprs d'elle: c'est un terrible
+spectacle. Ce qui se passe en moi dans cette cruelle occasion, ne se
+peut concevoir; mais en voil trop sur un si triste sujet. Il vaut mieux
+vous faire de trs-sincres complimens sur le voyage que M. le marquis
+<i>de Grignan</i> va faire en Lorraine. Toutes les distinctions sont
+agrables son ge; et vous ne sauriez croire, madame, combien celle-l
+a t recherche. Je me prsentai hier la porte de <i>son excellence</i>;
+elle toit Versailles. Je vis madame votre belle-fille chez madame <i>de
+Simiane</i>, qui est en vrit bien incommode de sa grossesse. Je rendis
+mes devoirs en votre appartement; il est trs-beau; la vue m'en parot
+charmante. Je le regardai avec un air d'intrt, qui me le fit bien
+examiner pour la premire fois. Vous serez bien loge, madame; mais vous
+nous ferez trop languir aprs votre retour. C'est l votre unique
+dfaut; nous aurions besoin que vous en eussiez d'autres pour nous
+consoler. On commence aujourd'hui tirer la loterie de madame <i>de
+Bourgogne</i>. J'ai eu trente pistoles la grande, qui s'est faite
+l'Hpital; se peut-il un plus grand malheur dans une pareille occasion?
+Cependant j'ai eu l'me assez intresse pour prfrer ce vilain petit
+billet noir un billet blanc; ma s&#339;ur a trouv ce sentiment
+trs-indigne d'elle. M. <i>de Bagnols</i> est ici. Je ne dsespre point
+qu'il n'aille Grignan rendre M. <i>de Grignan</i> tout ce qu'il lui doit;
+car pour Paris, ce n'auroit t que la conduite des autres. Madame la
+duchesse <i>du Lude</i> a eu un mal assez considrable au pied. Elle a
+quelquefois un rhumatisme; mais elle ne sent point ses maux dans la
+chaleur du combat. Je pense toujours de la mme faon sur ce qui la
+regarde; et, Dieu merci pour elle, sa faon de penser n'est point
+change aussi. La pauvre petite madame <i>d'Aunai</i>, fille de madame <i>de
+Morangis</i>, est morte vingt-un ans; les <i>Villeroi</i> sont trs-affligs
+avec raison. On assure que M. <i>de Rochebonne</i> et M. <i>de Saint-Germain</i>
+ont des raisons d'esprer; je souhaite de tout mon c&#339;ur pour la chose en
+elle-mme, et par l'intrt sensible que vous y avez tous, que leurs
+esprances soient fondes. J'ai appris l'abb <i>Testu</i> que vous
+l'honoriez de votre souvenir; mais je vous avouerai que, quoiqu'il ait
+reu cette marque de votre bont avec beaucoup de reconnoissance, il a
+voulu voir si je ne le trompois point, car il lui faut des
+dmonstrations; et aprs avoir t convaincu de la vrit de ce que je
+lui disois, il a tir des consquences qu'il falloit qu'il ft charm,
+et il a conclu qu'il l'toit.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXXIX_COULANGES" id="LETTRE_XXXIX_COULANGES"></a>LETTRE XXXIX.</h3>
+
+<p class="title3">A LA MME.</p>
+
+
+<p class="date">Paris, 30 juillet 1700.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">T</span><span class="smcap">out</span> ce que vous me faites la grce de me dire est vrai, madame;
+cependant on ne sauroit s'imaginer ce que la nature soutenue du
+spectacle m'a fait souffrir. L'impression qui m'en est reste est si
+vive, que je n'en puis revenir, malgr tout ce que la raison peut
+fournir de consolation. J'espre en la diversion que je n'ai point
+encore prouve; car je n'ai vu personne dans cette triste conjoncture.
+Je ne vous fais point d'excuses de n'avoir pas fait rponse votre
+lettre; vous jugez aisment, madame, de ce qui m'en a empche, et
+combien j'avois renonc mes plaisirs, puisque je m'tois retranch
+celui de vous entretenir. M. <i>de Coulanges</i> est Versailles; on vient
+de me dire qu'il vit hier madame <i>de Maintenon</i> chez madame <i>de
+Saint-Gran</i>, et qu'il en avoit reu des amitis infinies. Il a mand
+cette heureuse rencontre madame <i>de Louvois</i>. C'est une chose
+raisonnable que les <i>secondes femmes</i> soient mieux traites que les
+premires; et je suis assez juste pour ne me point plaindre de la
+prfrence que M. <i>de Coulanges</i> donne madame <i>de Louvois</i>. Que
+dites-vous de la mort de la duchesse <i>d'U***</i>? Pour moi, je voudrois
+qu'on ft un exemple de tels assassinats. On dit cependant que la presse
+est grande qui pousera ce joli hros. O grand pouvoir du tabouret! Le
+roi est Marli pour dix jours. Je donnai dner madame <i>de Simiane</i>
+en plein rfectoire le jour de la Madeleine. Nous avions la comtesse <i>de
+Grammont</i> notre dner, et ensuite il fut question d'un sermon tout
+neuf du pre <i>Massillon</i>. La seule visite que je me suis permise, a t
+celle de la marchale <i>d'Humires</i>. En vrit, il n'y a qu' habiter le
+faubourg Saint-Jacques pour tre une personne au dessus des autres. On
+ne peut assez admirer la parfaite patience de cette marchale, sa
+rsignation la mort, sa pit, son courage; enfin, rien n'est tel que
+le faubourg Saint-Jacques. Madame <i>de Guitaut</i> l'habite aussi; je vous
+assure que ce quartier fournit une trs-bonne compagnie. Je voudrois
+bien, pour nous venger de la joie que vous avez eue de nous quitter, que
+votre sjour Grignan vous ennuyt autant que nous. Si cela toit,
+madame, il nous seroit permis d'esprer bientt votre retour. Une des
+grandes nouvelles du monde, c'est que madame <i>de Bourgogne</i> changera de
+confesseur aussi souvent qu'elle voudra, pourvu qu'il soit jsuite.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XL_COULANGES" id="LETTRE_XL_COULANGES"></a>LETTRE XL.</h3>
+
+<p class="title3">A LA MME.</p>
+
+
+<p class="date">Paris, 18 dcembre 1700.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">V</span><span class="smcap">ous</span> n'avez pas eu de peine, madame, imaginer la raison, je ne dis pas
+de mon oubli, mais de mon silence, puisque vous m'avez fait la grce de
+le remarquer. Votre vie est plus remplie que la mienne; ainsi c'est
+moi qu'il convient d'tre discrte. Je suis plus solitaire que jamais,
+et ne le suis pas encore assez mon gr. Il n'a pas t au pouvoir des
+grands et prodigieux vnemens qui sont arrivs<a name="FNanchor_110_110" id="FNanchor_110_110"></a><a href="#Footnote_110_110" class="fnanchor" title="Go to footnote 110.">[110]</a>, de m'obliger
+quitter ma chambre. Les annes m'ont tellement mise la raison, que si
+j'en avois encore beaucoup passer, je crois que je me retirerois dans
+quelque petit dsert; mais l'avenir est court pour moi. Vous jugez bien
+qu'avec de telles dispositions je ne suis pas assez informe des
+nouvelles du monde, pour avoir la confiance d'esprer vous divertir; et
+je ne dois pas avoir celle de croire que de ne vous apprendre que des
+miennes, cela vous suffise. Ce n'est pas que je n'aie vritablement
+souffert d'ignorer ce qui se passoit dans les lieux que vous habitez,
+et que je n'en aie t instruite, autant que je l'ai pu, par madame <i>de
+Simiane</i>. Il faut avouer cependant que les nouvelles considrables n'ont
+pas manqu depuis quelque temps; mais <i>quiconque ne voit gure, n'a
+gure dire aussi</i>. Vous allez avoir bien des affaires, madame, pour
+recevoir les princes<a name="FNanchor_111_111" id="FNanchor_111_111"></a><a href="#Footnote_111_111" class="fnanchor" title="Go to footnote 111.">[111]</a>; je suis assure que vous n'en serez point du
+tout embarrasse. Madame <i>de Simiane</i> trouva hier au soir ici madame la
+duchesse <i>du Lude</i>, qui est venu passer deux ou trois jours Paris, et
+lui demanda de quelle manire il convenoit que vous fussiez habille
+pour recevoir cette belle et grande compagnie. Elle lui rpondit que ce
+n'toit pas une question; qu'il falloit un grand habit, une coiffure
+noire, en un mot, comme vous seriez au souper du roi. Je ne vous parle
+point de plusieurs mariages dont il est question, et dont je suis sre
+que vous ne vous souciez gure. Madame <i>de Simiane</i> s'embarqua hier au
+soir pour aller souper chez ma nice <i>de Tillires</i>, o est le
+rendez-vous du beau monde tous les jours. Vous voyez bien, madame, qu'on
+a du monde, quand on en veut avoir. M. <i>de Coulanges</i> veut rpondre
+lui-mme aux aimables reproches que vous lui faites; il est cause que
+l'on a fait des chansons sur tous les grands directeurs: il a eu la
+goutte comme un grand homme. Je le plains, si jamais il est oblig de se
+croire vieux.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XLI_COULANGES" id="LETTRE_XLI_COULANGES"></a>LETTRE XLI.</h3>
+
+<p class="title3">A LA MME.</p>
+
+
+<p class="date">Paris, 17 juin 1701.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> vous rends mille grces, madame, de l'attention que vous avez eue
+la subite et violente maladie, dont par les soins de <i>Chambon</i> j'ai t
+dlivre en vingt-quatre heures. Je suis ravie de vous devoir ce
+mdecin; car j'aime fort tre oblige aux personnes pour qui j'ai un
+sincre attachement; j'espre vivre et mourir de sa faon. Vous aurez
+t fche et surprise de la mort de <i>Monsieur</i><a name="FNanchor_112_112" id="FNanchor_112_112"></a><a href="#Footnote_112_112" class="fnanchor" title="Go to footnote 112.">[112]</a>, j'en suis assure.
+La dernire fois que j'eus l'honneur de le voir, il me demanda tant de
+vos nouvelles, que je lui fis trs-bien ma cour par tre en tat de lui
+rpondre sur ce qui vous regardoit. En vrit, la mort est un vnement
+trop ordinaire pour pouvoir compter sur cette vie; pour moi, j'avoue que
+je ris quand je vois traiter solidement quelque chose d'aussi court et
+d'aussi fragile; c'est ma raison qui a cette conduite; car si c'toit le
+sentiment, eh! mon Dieu, on ne feroit rien de tout ce que l'on fait, et
+on feroit tout ce que l'on ne fait point. On vous aura sans doute mand,
+madame, que le roi conserve M. le duc <i>d'Orlans</i> tous les honneurs
+et privilges <i>de Monsieur</i>; des gardes, tous les grands officiers, et
+mme un chancelier. Le roi est trs-vritablement afflig. Toutes les
+femmes ont paru en mante devant S. M., et les cours souveraines vont
+lundi la haranguer. Les personnes, dont la mort devroit faire le plus
+d'impression, sont celles qui paroissent le moins regrettes, par la
+raison que l'on se tourne tout d'un coup ce qui remplit leurs places.
+J'avoue, madame, que mon got ne diminue point pour le repos, et qu'
+l'heure qu'il est, je n'y prfrerois que ce qui se doit prfrer
+tout; mais je n'aime point le repos que vous avez; il est trop loin de
+moi. Ce n'est pas que le sjour de Grignan ne me plt infiniment, si j'y
+pouvois aller. Au reste, madame, propos de beau chteau, je vais avoir
+celui d'Ormesson; et je suis assez modre pour n'en point dsirer
+d'autres, ne voyant rien au-dessus que le sjour de Grignan. Nous avons
+eu ici la duchesse <i>du Lude</i> cinq ou six jours avant la funeste mort de
+<i>Monsieur</i>. J'ai vu l'abb <i>de Polignac</i> depuis son retour, dont il se
+croit redevable au P. <i>de la Chaise</i>; il est plus aimable que jamais, je
+dis l'abb <i>de Polignac</i>. M. <i>de Coulanges</i> est ravi de la fin de cette
+disgrce; mais comme il court toujours les champs, je crois qu'il ne l'a
+point encore vu. M. le cardinal <i>de Bouillon</i> est tranquille dans son
+abbaye, chose tonnante et difficile croire? mais, madame, vous n'en
+serez point surprise, quand vous saurez qu'il est dans une extrme
+dvotion. Le roi lui a fait la grce de lui accorder une main-leve pour
+la jouissance de tous ses revenus; cela fait esprer bien des
+adoucissemens dans ses malheurs. Il faut que je vous remercie beaucoup
+de vous tre souvenue de mon amie la marquise, dont je ne sais seulement
+pas le nom, mais qui m'a t recommande par une de mes vritables
+amies. On me l'amena hier. Elle dit qu'elle connoissoit fort toute ma
+famille Lyon; je ne me souviens point de l'y avoir vue. Tout ce que je
+sais, c'est que c'est une femme de bonne maison, et que je vous suis
+trs-oblige, madame, et M. <i>de Grignan</i>, de la bont que vous avez
+eue l'un et l'autre d'avoir gard la trs-humble prire que je vous ai
+faite. Madame <i>de Sulli</i> est assez malade; elle est dans toutes les
+rgles des mauvais mdecins, <i>du lait</i>, <i>saignare</i>, <i>purgare</i>, etc. Il
+n'y a pas moyen de lui faire entendre raison sur cela, quoiqu'elle
+l'entende si bien sur toute chose. Continuez-moi l'honneur de vos bonnes
+grces, madame, et croyez, s'il vous plat, qu'on ne peut vous honorer
+plus que je fais. Ma s&#339;ur brille Bruxelles; elle a tous les soirs
+madame la comtesse <i>de Soissons</i> souper chez elle. Il me prend
+quelquefois envie d'aller Bruxelles reprsenter madame <i>de
+Bthune</i><a name="FNanchor_113_113" id="FNanchor_113_113"></a><a href="#Footnote_113_113" class="fnanchor" title="Go to footnote 113.">[113]</a> en Pologne. Vous ne sauriez comprendre quel point je
+dsire votre retour, madame. Plus je suis indiffrente pour tout ce qui
+vient, plus je m'attache ce qu'il y a quelque temps que je connois.
+M. <i>de Coulanges</i> s'en va en Bourgogne avec madame <i>de Louvois</i>, et moi
+ Choisi toute seule prendre patience de ne pouvoir tre Ormesson que
+l'anne qui vient; mais le moyen de faire encore des projets avec les
+exemples qu'on a chaque jour sous les yeux.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XLII_COULANGES" id="LETTRE_XLII_COULANGES"></a>LETTRE XLII.</h3>
+
+<p class="title3">A LA MME.</p>
+
+
+<p class="date">Paris, 12 septembre 1701.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> suis dans le monde, madame, et si peu instruite de ce qui s'y passe,
+que je n'oserois vous agacer; mais quand vous m'honorez de votre
+souvenir, j'y rponds avec un empressement, qui vous doit faire
+connotre la sensible joie que j'en ai, et juger en mme temps que mon
+silence doit s'appeler de la discrtion toute pure. Il est vrai, madame,
+que vous tes bien expose aux grandeurs de ce monde. Vous russissez
+si bien, qu'il seroit malheureux que vos talens ne parussent point. Vous
+ne payez pas seulement d'invention; on n'a parl ici que de la
+magnificence avec laquelle vous avez reu les princes; ce n'toit qu'en
+attendant la reine d'Espagne. Madame <i>de Bracciane</i> sera ravie de vous
+prsenter sa jeune reine. Je la trouve, comme vous, bien digne de
+l'emploi qu'elle a; mais la faon de penser de quelqu'un qui n'est plus
+jeune, ne laisse rien imaginer d'agrable<a name="FNanchor_114_114" id="FNanchor_114_114"></a><a href="#Footnote_114_114" class="fnanchor" title="Go to footnote 114.">[114]</a>. J'ai dj tant vcu,
+qu'il me parot peu possible d'envisager un long avenir; ainsi ce peu
+qui me reste, j'aimerois le passer dans le repos. Je n'ai jamais eu de
+got pour les personnages, qui n'toient point les jeunes dans les
+comdies. Cela m'est demeur pour le thtre du monde. Ma paresse
+naturelle, une foible sant sans doute, me donnent de telles penses,
+qui s'accommodent si bien avec ma mdiocre fortune, que je n'en puis
+assez remercier Dieu. J'ai trop aim le monde. Il me semble cependant
+que je n'ai pas perdu le temps que j'ai pass m'en dtromper; car il
+est certain que je prfre la vieillesse aux belles annes, par la
+grande tranquillit dont elle me laisse jouir: mais je veux rpondre
+vos questions, madame. Le voyage que madame <i>de Louvois</i> devoit faire en
+Bourgogne, est rompu; elle est Choisi pour toute l'automne: monsieur
+<i>de Coulanges</i> y est avec elle, et je compte y aller dans sept ou huit
+jours. Comme je n'ai point encore de maison de campagne, je prends
+patience Paris. Si je vis jusqu' l'anne qui vient, j'aurai Ormesson,
+qui n'est plus reconnoissable que par le bois. La maison est aussi
+blanche qu'elle toit noire. Les fentres sont coupes jusques en bas;
+enfin, il y aura pour se coucher, pour se promener; et, grce Dieu, je
+n'en dsire pas davantage. Pardonnez-moi, je dsire passionnment de
+vous y recevoir; les cabarets plaisent quelquefois, quand on est
+accoutum aux dlices des grands palais. Oui, madame, M. <i>de Coulanges</i>
+ira voir M. le cardinal <i>de Bouillon</i>, lequel, ce que j'apprends, est
+bien plus heureux qu'il n'a jamais t. Je suis tout--fait sensible au
+malheur qui vient d'arriver madame <i>de Chatelux</i>. Son fils, bien fait,
+bien riche, qu'elle alloit marier une hritire de Bourgogne, a t
+tu cette dernire occasion<a name="FNanchor_115_115" id="FNanchor_115_115"></a><a href="#Footnote_115_115" class="fnanchor" title="Go to footnote 115.">[115]</a>. Je crois que le marchal <i>de
+Villeroi</i> justifiera tout--fait la conduite de M. le marchal <i>de
+Catinat</i>. Il est si honnte, qu'il ne dira que des vrits. Votre amie
+madame <i>de Lesdiguires</i> a t bien heureuse. Vous ne m'aviez jamais
+confi que ce qu'elle a pour vous, madame, est une passion trs-vive.
+Madame <i>de Louvois</i> et moi, passmes avec elle, il y a quelques jours,
+une partie de l'aprs-dine. Elle nous montra un assortiment pour
+prendre du caf d'une magnificence et d'une perfection comme il n'y en a
+point. On proposa d'en faire usage; elle nous assura que personne ne
+s'en serviroit avant votre retour. Elle l'attend avec une impatience que
+je comprends mieux que personne; en un mot, madame, vous lui avez
+inspir des sentimens qui lui seroient inconnus sans vous. Son palais
+est plus beau et plus tranquille que jamais. Je m'y trouve merveille;
+il me parot qu'on ne se peut ennuyer dans un lieu o vous tes si
+chrie. L'abb <i>Testu</i> a t ravi de l'honneur de votre souvenir, aussi
+bien que madame <i>Frontenac</i> et mademoiselle <i>d'Outrelaise</i>. Ce premier
+est plus jeune que jamais; il seroit tout prt conduire le roi
+d'Espagne<a name="FNanchor_116_116" id="FNanchor_116_116"></a><a href="#Footnote_116_116" class="fnanchor" title="Go to footnote 116.">[116]</a>. Chaque anne lui en te deux, de faon qu'il est
+assurment trop jeune. Il y a long-temps que je n'ai vu madame votre
+belle-s&#339;ur. Elle a des vapeurs; et quand cela est ainsi, elle est seule
+sur son lit. Je lui ferai vos reproches. Je crois que M. <i>de Svign</i>
+reviendra bientt de Bretagne. A propos de Bretagne, personne ne doute
+que M. <i>de Beaumanoir</i> n'pouse mademoiselle <i>de Noailles</i>. Madame <i>de
+Simiane</i> accouchera bientt. Je voudrais bien pouvoir lui tre bonne
+quelque chose; mais je suis trs-peu habile sur les accouchemens; et
+comme vous savez que je ne joue point, vous voyez bien qu'il m'arrive
+encore de lui tre inutile, quand elle se porte bien. J'aurai cependant
+l'honneur de la voir, et de vous mander de ses nouvelles, quand elle ne
+sera point en tat de vous crire. Madame <i>de Sanzei</i> est Autri. La
+cour est Marli jusqu' samedi. Elle partira mardi pour Fontainebleau;
+elle sjournera deux jours Sceaux; Meudon, Chaville, Sceaux, Lestang,
+admirez; madame, comme tout cela a chang en peu de temps: il n'y a que
+madame <i>de Bracciane</i> et l'abb <i>Testu</i> qui ne changent point. Je vous
+demande pardon de la longueur de ma lettre. Je me laisse aller au
+plaisir de vous entretenir; je crains qu'il ne m'en cote d'tre
+long-temps sans recevoir de vos nouvelles. Seroit-il possible, madame,
+que je vous pusse recevoir Ormesson? Vous ne me parlez jamais de votre
+retour, et cela m'afflige. Madame <i>de Lesdiguires</i> assure qu'il est
+dcid pour le printemps. Je la verrai aujourd'hui, et ce ne sera pas
+sans qu'il soit bien parl de vous. J'aime fort lui plaire; mais il
+n'est pas ais de dmler qui est la complaisante de nous deux, quand il
+est question de vous, madame.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XLIII_COULANGES" id="LETTRE_XLIII_COULANGES"></a>LETTRE XLIII.</h3>
+
+<p class="title3">A LA MME.</p>
+
+
+<p class="date">Paris, 4 avril 1702.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> suis bien rcompense du soin que j'ai pris pour le chocolat de M.
+<i>de Grignan</i>, madame, puisque cela m'a attir une marque d'honneur de
+votre souvenir. Il me semble que je vous aurois importune, si je vous
+avois crit dans toutes les occasions o il a t question de vous en ce
+pays-ci. Vous avez fait les honneurs de la France avec une telle
+magnificence et une telle profusion que l'on en parle encore tous les
+jours. Vous allez avoir le roi d'Espagne. J'avoue que tous ces honneurs
+ne me laissent point oublier mes intrts, et je crains toujours que
+cela ne retarde votre retour, que je ne puis m'empcher de dsirer
+trs-vivement. Je ne doute point que vous n'ayez t fort sensible la
+perte de notre pauvre duchesse <i>de Sulli</i><a name="FNanchor_117_117" id="FNanchor_117_117"></a><a href="#Footnote_117_117" class="fnanchor" title="Go to footnote 117.">[117]</a>. Elle vous aimoit
+vritablement, et c'toit une trs-aimable femme. Ah! madame, je la vis
+la veille de sa mort. Elle se croyoit bien malade; mais elle toit bien
+loigne de penser que le terme ft aussi court. Sa docilit pour les
+mdecins l'a tue; cependant s'il est vrai que nos jours sont compts,
+pourquoi ne nous pas dsaccoutumer de nos ridicules raisonnemens? Quant
+ moi, qui me trouve seule de toutes les personnes avec qui j'ai pass
+ma vie, je demeure dans ma solitude sans vouloir faire aucune nouvelle
+connoissance; cela n'en vaut pas en vrit la peine. Ma vie est
+trs-loigne de celle du monde. Je ne m'y trouve plus du tout propre.
+Ces nouveauts qu'il me prsente ne sont plus mon usage; et mon
+antiquit n'est plus au sien. Ainsi, grce Dieu, nous nous passons
+merveille l'un de l'autre. Vous jugez bien, madame, que cela me rend
+peu digne du commerce que je pourrois avoir avec madame <i>de Simiane</i>.
+Son ge<a name="FNanchor_118_118" id="FNanchor_118_118"></a><a href="#Footnote_118_118" class="fnanchor" title="Go to footnote 118.">[118]</a> et le mien sont trop disproportionns. Je sais cependant
+qu'elle va habiter notre quartier, et je la plains beaucoup. Je suis
+assure que quand elle auroit tort votre gard, vous chercheriez
+toujours la justifier. Ainsi, j'espre que vous l'aimerez toujours par
+la raison qu'elle vous est fort attache, et que vous l'aimez
+naturellement. Elle est aussi trs-aimable; cela est constant. Mais,
+madame, savez-vous bien que votre amie, madame <i>de Lesdiguires</i>, n'est
+point du tout en bonne sant? elle a une jambe qu'elle ne sent point, et
+qui est enfle. Elle n'imagine point d'autre remde que la saigne, qui
+est le seul, je crois, qui peut rendre son mal dangereux. Il faudroit
+fournir des esprits, et elle se veut puiser, ce qui n'est assurment
+pas raisonnable. Je vous en avertis comme la seule personne qui peut lui
+faire entendre raison. La marchale <i>de Villeroi</i> a commenc tre
+afflige du jour que le marchal partit pour l'Italie. L'vnement n'a
+que trop justifi sa douleur; il toit plus heureux, tant le marquis
+<i>de Villeroi</i>. Mais, madame, vous nous avez envoy un prisonnier, qui
+l'est, je crois, prsentement de mademoiselle <i>de Bellefond</i>. Il soupa
+avec elle le jour de son arrive Vincennes; il fut charm avec raison
+de sa beaut. Il a gagn le donjon depuis, avec l'ide de cette jolie
+fille, qui est toute des plus aimables. Enfin, elle n'a des <i>Mancini</i>
+que la beaut. J'ai si peu de commerce avec M. <i>de Richelieu</i><a name="FNanchor_119_119" id="FNanchor_119_119"></a><a href="#Footnote_119_119" class="fnanchor" title="Go to footnote 119.">[119]</a>, que
+je ne l'ai point vu depuis son mariage. Si on le voyoit toutes les fois
+qu'il se marie, on passeroit sa vie avec lui. Il est trop jeune pour
+moi; je ne sais pas si madame <i>de Richelieu</i> lui trouvera ce dfaut. On
+ne peut trop louer sa modration; elle n'a pas encore pris son tabouret.
+L'htel <i>de Richelieu</i> est vendre. Pour l'abb <i>Testu</i>, je le crois
+trs-fch de ne pouvoir suivre l'exemple de M. <i>de Richelieu</i>. Sa
+jeunesse augmente tous les ans; et vous croyez bien, madame, qu'avec un
+tel privilge il est assurment trop jeune pour se marier. Il m'a prie
+de vous dire des choses trs-passionnes de sa part. La princesse de <i>la
+Cisterne</i><a name="FNanchor_120_120" id="FNanchor_120_120"></a><a href="#Footnote_120_120" class="fnanchor" title="Go to footnote 120.">[120]</a>, qui j'ai appris que vous vous tiez souvenue d'elle,
+m'a fait promettre, madame, que je vous dirois combien elle est
+vritablement afflige de ne vous avoir point trouve en ce pays-ci.
+Elle y a russi merveilles; la cour lui en a fait. Elle a tourn
+l'esprit de sa mre tout ce qu'elle a dsir. Sa petite fille est
+morte; et c'est un bien pour faire russir ses projets. Elle a un fils
+an, qui est fort grand seigneur dans son pays; et un petit, beau comme
+le jour, qu'elle prtend tablir en France sous le nom de marquis <i>de la
+Trousse</i> avec ses deux belles terres de la Trousse et de Lisi. Elle ne
+trouve nul obstacle du ct de sa mre, qui lui a, je crois, assur tout
+son bien. C'est une trs-habile femme que madame <i>de la Cisterne</i>. Je la
+regrette; elle nous quitte aprs un voyage de huit jours qu'elle va
+faire la Trousse. Elle vous plairoit, madame; elle a un esprit bon et
+naturel: je pense qu'elle pourra bien se venir tablir en France dans
+quelques annes; mais je ne prends plus aucune part dans les projets
+loigns. Nous sommes ici dans l'agitation du Jubil. Cette dvotion
+n'est point dans les principes du Quitisme; car il se faut donner bien
+du mouvement. Le roi viendra trois jours de suite Notre-Dame,
+commencer jeudi, et s'en retournera Meudon; <i>Monseigneur</i> y est venu
+ces jours-ci. Enfin, madame, tout le monde est dans la ferveur, jusqu'
+M. <i>de Coulanges</i>, qui, avant que d'aller courir les rues, m'a fort
+prie de vous assurer de ses respects. Je ne puis vous dire, madame,
+quel point je sais vous honorer et vous aimer; mais les absences sont
+trop longues. Je ne les trouve point proportionnes la brivet de la
+vie; et vous jugez bien, madame, par la tristesse de cette rflexion, de
+tout l'ennui que me cause votre loignement.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XLIV_COULANGES" id="LETTRE_XLIV_COULANGES"></a>LETTRE XLIV.</h3>
+
+<p class="title3">A LA MME.</p>
+
+
+<p class="date">Paris, 10 mai 1703.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span>'<span class="smcap">esprois</span>
+n'avoir aujourd'hui qu' vous rendre mille trs-humbles
+grces d'une trs-aimable lettre que je reus hier de vous, madame, et
+je me trouve oblige de vous faire un triste compliment sur la mort du
+petit marquis <i>de Simiane</i>. La jeunesse et la fertilit du pre et de la
+mre doivent donner de grandes esprances de voir bientt cette perte
+rpare; mais enfin il toit tout venu, et je prends un vritable
+intrt tout ce qui vous regarde. Je suis ravie, madame, que vous
+approuviez les dernires connoissances que j'ai faites; car je n'ose
+encore traiter d'amis des personnes avec qui j'ai eu aussi peu de
+commerce. J'ai bien de quoi m'annoncer auprs d'eux par leur conter
+comme vous parlez de leur mrite; c'est par-l que je suis bien sre de
+leur plaire. Ils m'ont dj confi ce qu'ils pensoient de vous et de
+tout ce qui s'appelle Grignan. M. <i>de Marsin</i> est malade; il attend le
+retour de sa sant pour aller o son devoir l'appelle. Le marchal (<i>de
+Catinat</i>) est dans sa campagne plus philosophe qu'on ne peut vous le
+dire. Il a raison de se plaindre que je le fais trop attendre. Nous
+n'avons plus de temps perdre tous deux; mais aussi nous sommes trop
+avancs, pour que le temps nous puisse faire tort ni l'un ni
+l'autre. Ma s&#339;ur doit partir pour Bruxelles le lendemain des ftes; et
+voil-ce qui m'a empche jusqu' prsent de m'aller tablir Ormesson,
+o je compte passer une partie de l't; mais je serai bien honteuse, si
+j'y reois jamais M. <i>de Grignan</i>, de ne lui prsenter qu'un grand bois,
+lui qui est accoutum, comme vous dites, madame, aux dlices de Capoue.
+Il n'importe, je dsire trs-vivement d'avoir cette honte; car si je ne
+lui prsente point les objets charmans, dont il jouit Mazargues<a name="FNanchor_121_121" id="FNanchor_121_121"></a><a href="#Footnote_121_121" class="fnanchor" title="Go to footnote 121.">[121]</a>,
+et les belles eaux que je crois qui surpassent en beaut celles de
+Versailles, je lui prsenterai une antique personne trs-touche des
+charmes de la solitude, et qui, sans avoir aucune aigreur contre le
+monde, en est fort dgote. J'espre que, par ses conversations, il me
+tiendra moins de rigueur, et qu'il me pardonnera mes bois trs-dnus
+de vue. Pour vous, madame, j'ose dire que vous serez surprise de
+l'arrangement de cette vieille maison, si vous pouvez faire un assez
+grand effort de mmoire pour vous en souvenir. Que dites-vous du parfait
+bonheur de M. le marchal <i>de Villars</i>? Il est bien heureux de n'tre
+pas dsabus du monde; car assurment le monde est tourn bien
+agrablement pour lui; et le moyen alors de penser qu'il n'y ait pas de
+plaisir dans cette vie? On dit qu'il a des inquitudes qui le troublent,
+et que je crois cependant trs-peu fondes. Si ma nice avoit bien voulu
+me croire, le marchal seroit heureux, et elle grande dame. Son
+insensibilit va jusqu' n'tre pas touche de la conduite qu'elle a
+eue. J'avoue que je ne reconnois point mon sang cette indolence. M.
+<i>de Coulanges</i> arriva hier de Versailles avec un portrait qu'il tenoit
+de la libralit de M. le duc <i>de Bourgogne</i>. Il est aussi content que
+le peut tre le marchal <i>de Villars</i>. Tout Paris dit qu'il va tre
+duc, je ne dis pas M. <i>de Coulanges</i>. Je conterai <i>Sanzei</i> que vous
+savez de ses nouvelles; il est si discret, qu'il ne nous a point parl
+de ses bonnes fortunes. Il est aide de camp de M. le duc <i>de Bourgogne</i>;
+et il me parot encore plus attach son matre qu' sa matresse. Je
+ne vous puis rien dire de <i>Chambon</i>; j'en suis dsole. Moins il est
+coupable, plus sa prison sera longue. Il n'oseroit dire ce qui pourroit
+le justifier: cela vous parotra un peu nigme; mais je n'ose en dire
+davantage, de peur d'tre la Bastille. Je vis, il y a deux jours,
+madame la duchesse <i>de Lesdiguires</i>. La manire dont je dsire votre
+retour, me fait un mrite auprs d'elle; mais je ne suis point contente
+que vous me parliez de ce retour avec si peu de certitude. Nous
+attendons la Saint-Jean avec autant de crainte que d'impatience; car si
+vous ne donnez point cong M. <i>de Rez</i>, nous ne tenons rien. Ainsi
+cet vnement-l ne nous est pas assurment indiffrent. Si Vous saviez
+ce que c'est que la calche de velours jaune que madame <i>de
+Lesdiguires</i> vient de faire parotre, vous ne pourriez pas rsister au
+plaisir de vous promener dedans; on ne parle d'autre chose. Elle est
+singulire, magnifique, mais trs-loigne d'tre ridicule, comme on
+l'avoit dit. On me l'avoit faite seme de <i>mores</i>; et cela est faux. Les
+roues sont bleues, et paroissent de lapis. Cela fait un effet charmant
+avec ce jaune. Il y a trois mois que je n'ai vu madame votre
+belle-s&#339;ur<a name="FNanchor_122_122" id="FNanchor_122_122"></a><a href="#Footnote_122_122" class="fnanchor" title="Go to footnote 122.">[122]</a>; elle n'a plus aucun commerce avec les profanes. J'ai
+t des dernires avec qui elle a rompu; mais elle ne veut plus de moi,
+il ne faut point s'en faire accroire: la maison qu'elle va habiter est
+laide; mais son jardin, qui est triste par la hauteur des murailles, ne
+laisse pas d'tre grand. Vraiment, madame, une maison de campagne n'est
+pas une retraite digne d'une dvote. On ne trouve point le P.
+<i>Gaffarel</i><a name="FNanchor_123_123" id="FNanchor_123_123"></a><a href="#Footnote_123_123" class="fnanchor" title="Go to footnote 123.">[123]</a> la campagne; et il est vis--vis de la porte o
+habitera M. <i>de Svign</i>. Je suis en peine de ce dernier. Sans sa
+docilit, ce seroit un homme perdu; mais aussi, sans sa docilit,
+n'iroit-il point habiter le faubourg Saint-Jacques. Pardonnez, madame,
+la longueur de cette lettre en faveur de la joie que j'ai de vous
+entretenir, et croyez, s'il vous plat, qu'on ne peut tre plus sensible
+que je le suis aux bonts dont vous m'honorez. Ne laissez plus aller M.
+le chevalier <i>de Grignan</i> dans sa solitude, et entretenez M. le comte
+dans l'envie qu'il a de venir faire sa cour. Je ne crois personne plus
+propre que lui convertir les Huguenots; il a bien de la douceur, bien
+de la raison, et n'est point du tout hrtique. Voil, de grands talens
+pour <i>Orange</i>; mais il en a aussi pour le monde, qui le font bien
+dsirer ici. Ne savez-vous pas, madame, que M. le marchal <i>de Villeroi</i>
+a t voir madame la comtesse <i>de Soissons</i> Bruxelles? Il lui a men
+son fils; et madame la comtesse <i>de Soissons</i> avoue qu'il y a long-temps
+qu'elle n'a eu une si grande joie. J'ai lu le <i>Trait de l'Amiti</i><a name="FNanchor_124_124" id="FNanchor_124_124"></a><a href="#Footnote_124_124" class="fnanchor" title="Go to footnote 124.">[124]</a>,
+qui m'a paru rempli d'esprit; mais je ne l'aime point. Je donne ce got
+pour le mien, et point du tout pour bon. Je hais les rgles dans
+l'amiti, et je ne laisserai jamais mourir mon ami. J'aime cent fois
+mieux manquer mon serment.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XLV_COULANGES" id="LETTRE_XLV_COULANGES"></a>LETTRE XLV.</h3>
+
+<p class="title3">A LA MME.</p>
+
+
+<p class="date">Paris, 17 juin 1703.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span>'<span class="smcap">ai</span>
+eu la mme conduite pour vous, madame, que j'ai eue pour moi; c'est
+celle aussi qu'ont observe toutes les personnes qui, par discrtion,
+n'ont pas cru devoir crire madame <i>de Maintenon</i>. Elles ont fait
+passer leurs complimens par madame la duchesse <i>du Lude</i>. J'ai crit
+cette dernire, et je me suis charge de tout. Vous verrez par sa
+rponse que je dis vrai; et je suis mme assure que vous me croiriez,
+quand je ne vous l'enverrois point. Il est impossible d'tre plus
+touche que madame <i>de Maintenon</i> l'a t de la mort de M.
+<i>d'Aubign</i><a name="FNanchor_125_125" id="FNanchor_125_125"></a><a href="#Footnote_125_125" class="fnanchor" title="Go to footnote 125.">[125]</a>. Pour moi, je le suis fort de celle de <i>Gourville</i>,
+avec lequel j'avois renouvel un commerce trs-vif. J'y ajouterai que
+son esprit toit si parfaitement revenu, que jamais lumire n'a tant
+brill avant que de s'teindre. Je n'ai point t la campagne, comme
+je l'avois espr; je me suis amuse marier le frre de madame <i>de
+Mornai</i> avec mademoiselle <i>de Menars</i>. Cette pense-l me vint; je la
+proposai M. l'abb <i>Duguet</i>, qui voulut bien entrer dans cette
+affaire. Elle est enfin conclue, et les noces se sont passes avec toute
+la magnificence possible. Nous esprons de la bont du roi l'agrment
+pour la charge de prsident mortier. Mademoiselle <i>de Menars</i> a tant
+de parens considrables, qu'il y a lieu de croire que cette esprance
+n'est pas chimrique. On prsenta hier la nouvelle marie au roi et
+toute la cour. Madame <i>de Maintenon</i> lui fit des prodiges. Ma
+complaisance n'a point t jusqu' aller Versailles, quoiqu'on l'et
+dsir. J'ai renonc au monde, et je n'ai pas l'humilit d'aller dans un
+pays o je n'ai que faire, et o je n'ai rien d'agrable, ni de nouveau
+ montrer. Je cours ce soir Ormesson, o M. le marchal <i>de Catinat</i>
+et M. <i>de Coulanges</i> m'attendent. Je vous manderai des nouvelles de la
+vie que nous allons faire ce marchal et moi. Je suis ravie d'apprendre
+que vous avez enfin donn cong M. <i>de Rez</i>; j'en tire la consquence
+que vous revenez cet hiver. Je vous assure qu'il y a long-temps qu'aucun
+vnement ne m'a fait un plaisir si sensible. Je vous prie, madame, que
+je sois rassure sur votre rhumatisme, dont je suis trs en peine. Vous
+vous traitez si durement, que je ne vous trouve point bien entre vos
+mains. Je vis avant-hier madame <i>de Simiane</i>, que je trouvai console de
+la perte qu'elle a faite. Elle l'a rpare, car elle est grosse; mais il
+en cote quelque chose sa jolie figure. M. <i>de Svign</i> nous a quitts
+pour sa Bretagne; et madame votre belle-s&#339;ur va jeudi habiter la maison
+de ma grand'mre. Je me suis trouve attendrie en leur disant adieu; il
+me parot qu'ils vont changer et de vie et d'amis. C'est, en vrit, une
+vraie sainte que madame votre belle-s&#339;ur, plus aise admirer qu'a
+imiter. Je me plains, madame, de n'avoir point appris par vous votre
+retour; mais j'en pardonnerons bien d'autres, si vous reveniez, comme je
+le veux esprer.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XLVI_COULANGES" id="LETTRE_XLVI_COULANGES"></a>LETTRE XLVI.</h3>
+
+<p class="title3">A LA MME.</p>
+
+
+<p class="date">Paris, 7 juillet 1703.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> ne suis point contente, madame, de la manire dont vous me parlez de
+votre retour. Il me parot que la saison de Nol vous fait peur; pour
+moi, je suis persuade que le printemps et l't n'arriveront qu'alors.
+Depuis trois semaines que j'habite ma solitude, je n'ai eu qu'un seul
+beau jour. Les vents sont dchans; les pluies continuelles; tous les
+biens de la terre perdus; voil les vnemens qui nous occupent le plus.
+Cependant celui de la petite victoire<a name="FNanchor_126_126" id="FNanchor_126_126"></a><a href="#Footnote_126_126" class="fnanchor" title="Go to footnote 126.">[126]</a> de M. le marchal <i>de
+Boufflers</i> est venu jusques nous. Il toit temps qu'il fit parler de
+lui, et que l'on se souvnt que le marchal <i>de Villars</i> n'est pas le
+seul conqurant que nous ayons. Nul bonheur sans mlange dans ce monde.
+La passion de ce dernier pour sa femme est au dessus de celle qu'il a
+pour la gloire, et sa dlicatesse lui persuade que la gloire le traite
+mieux. Sa mre est charmante par ses mines, et par les petits discours
+qu'elle commence, et qui ne sont entendus que des personnes qui la
+connoissent. Mais, madame, je m'amuse vous parler des marchaux de
+France employs, et je ne vous dis rien de celui<a name="FNanchor_127_127" id="FNanchor_127_127"></a><a href="#Footnote_127_127" class="fnanchor" title="Go to footnote 127.">[127]</a> dont le loisir et
+la sagesse sont au dessus de tout ce que l'on en peut dire. Il me
+parot avoir bien de l'esprit, une modestie charmante; il ne me parle
+jamais de lui, et c'est par l qu'il me fait souvenir du marchal <i>de
+Choiseul</i>. Tout cela me fait trouver bien partage Ormesson<a name="FNanchor_128_128" id="FNanchor_128_128"></a><a href="#Footnote_128_128" class="fnanchor" title="Go to footnote 128.">[128]</a>;
+c'est un parfait philosophe, et philosophe chrtien; enfin, si j'avois
+eu un voisin choisir, ne pouvant m'approcher de Grignan, j'aurois
+choisi celui-l. Il vous honore beaucoup, et nous parlons souvent de
+vous et de M. <i>de Grignan</i>. Il ne lui arrive point aussi d'oublier M. le
+chevalier.</p>
+
+<p>Madame votre belle-s&#339;ur est tablie au faubourg Saint-Jacques; et M.
+votre frre ira y descendre en arrivant de Bretagne. Je suis persuade
+qu'il va tre compagnon du P. <i>Massillon</i><a name="FNanchor_129_129" id="FNanchor_129_129"></a><a href="#Footnote_129_129" class="fnanchor" title="Go to footnote 129.">[129]</a>; c'est son premier mtier
+que celui d'tre dvot. Les dvots sont en vrit plus heureux que les
+autres. Je les envie, et je voudrois bien les imiter. Une des premires
+visites que je ferai, sera celle d'aller dans la maison de ma
+grand'mre; car c'est la mme qu'occupe madame votre belle-s&#339;ur.</p>
+
+<p>L'esprit de <i>Gourville</i> toit plus solide et plus aimable qu'il n'avoit
+jamais t. Il toit revenu d'une manire, qui a fait sentir bien
+vivement le regret de le perdre. Ses mmoires sont charmans; ce sont
+deux assez gros manuscrits de toutes les affaires de notre temps, qui
+sont crits, non pas avec la dernire politesse, mais avec un naturel
+admirable. Vous voyez <i>Gourville</i> pendu en effigie, et gouverner le
+monde. Tout ce qui m'en a dplu (car je les ai entirement lus), c'est
+un portrait, ou plutt un caractre de madame <i>de la Fayette</i>,
+trs-offensant par la tourner trs-finement en ridicule. Je le trouvai
+quatre jours avant sa mort avec la comtesse <i>de Grammont</i>; et je
+l'assurai que je passois toujours cet endroit de ses mmoires. Les
+caractres de tous les ministres y sont merveilleux; l'histoire de
+madame <i>de Saint-Loup</i> et <i>de la Croix</i> y est narre dans le point de la
+perfection. Vous m'allez demander si l'on ne peut point avoir un aussi
+aimable ouvrage<a name="FNanchor_130_130" id="FNanchor_130_130"></a><a href="#Footnote_130_130" class="fnanchor" title="Go to footnote 130.">[130]</a>; non, madame, on ne le verra plus, et en voici la
+raison: <i>Gourville</i> y parle de sa naissance avec une sincrit parfaite;
+et son neveu n'est pas un assez grand homme pour soutenir une chose
+aussi estimable mon gr.</p>
+
+<p>Ma s&#339;ur est prsentement Bruxelles. Je lui manderai que vous lui
+faites l'honneur de vous souvenir d'elle. Notre nouvelle marie me vint
+voir hier. C'est une femme trs-vertueuse, et qui donne de
+trs-agrables alliances son mari, et une charge de prsident
+mortier aprs la mort de M. <i>de Menars</i>. Je vous rponds sur toutes les
+questions que vous me faites, madame, mesure qu'il m'en souvient, et
+je n'y cherche point de liaison. On ne vous a pas bien informe de la
+sant, ou plutt de la maladie de madame <i>de Maintenon</i>. Depuis cette
+fivre de l'hiver pass, elle en a toujours eu des accs prcds de
+grands frissons, sans marquer aucune rgle; mais quand ses accs sont
+passs, elle se porte merveille. Point de dgot, point d'insomnie,
+trs-peu de changement; voil de bonnes marques, et qui font esprer
+qu'elle aura assez de force pour supporter cette bizarre fivre. Madame
+la duchesse de Bourgogne s'est baigne Marli; il faut esprer au
+retour de M. le duc de <i>Bourgogne</i>. Je suis persuade que M. le comte
+<i>de Grignan</i> est entirement dlivr de sa fivre tierce. C'est une
+petite maladie faite pour le quinquina; et il me parot qu'il n'a rien
+hasarder le continuer. Ma galerie est bien honore d'tre le modle de
+la belle et magnifique galerie du chteau de Grignan; mais la mienne
+est auprs de vos palais; comme ces petits trous par o l'on fait voir
+Versailles. Telle qu'elle est, je voudrois bien vous y tenir, madame.
+Quant M. le chevalier, j'espre que <i>Saint-Gratien</i><a name="FNanchor_131_131" id="FNanchor_131_131"></a><a href="#Footnote_131_131" class="fnanchor" title="Go to footnote 131.">[131]</a> l'attirera
+dans nos bois, et je le dsire beaucoup. Je ne puis souffrir que madame
+de <i>Sal...</i> ait des garons tous les ans, toujours <i>Gar....</i> et jamais
+<i>Grignan</i>; on n'y peut rsister.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XLVII_COULANGES" id="LETTRE_XLVII_COULANGES"></a>LETTRE XLVII.</h3>
+
+<p class="title3">A LA MME.</p>
+
+
+<p class="date">Paris, 5 aot 1703.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> suis ravie, madame, que la bonne sant de monsieur le comte <i>de
+Grignan</i> continue; le quinquina l'a bien mieux servi que madame <i>de
+Maintenon</i>, qui, malgr tout l'usage qu'elle en a fait, a toujours la
+fivre. On l'en avoit crue gurie pendant quelques jours; mais la est
+revenue avec assez de violence, et peu de rgle. Son tat rend le voyage
+de Fontainebleau fort incertain. Elle est cependant Marli; mais elle
+ne s'en porte pas mieux.</p>
+
+<p>L'affaire du pauvre <i>Chambon</i> n'avance point. J'allai hier la
+Bastille; je fis tout mon possible pour le voir. Jamais mon ami
+<i>Joncas</i><a name="FNanchor_132_132" id="FNanchor_132_132"></a><a href="#Footnote_132_132" class="fnanchor" title="Go to footnote 132.">[132]</a> n'y voulut consentir. Je le regarde comme un homme ruin
+sans ressource, d'autant qu'on ne voit point la fin de ses malheurs: sa
+petite femme me fait une extrme piti.</p>
+
+<p>Je crois que vous regrettez prsentement l'hiver du mois de juillet; car
+voici un t bien chaud. Cependant il ne faut pas s'en plaindre; je
+crois ce temps-l bon pour M. le chevalier <i>de Grignan</i> et pour les
+vignes. J'allai, il y a deux jours, Choisi. J'y laissai M. <i>de
+Coulanges</i>, qui doit incessamment venir voir votre maison pour y
+excuter vos ordres. Madame <i>de Lesdiguires</i>, que je vis hier, ne parle
+que de la joie que lui donne votre retour; et c'est moi qu'elle choisit
+pour en parler. Elle a, en vrit, raison; car je ne le dsire pas moins
+vivement qu'elle. Nous allmes hier, madame <i>de Simiane</i> et moi,
+chercher le marchal <i>de Catinat</i>. Il toit dj reparti. Il a pass
+quelques jours Paris, o il m'avoit cherche aussi; mais on ne se voit
+point Paris. Je retourne incessamment dans la maison <i>de Polmon</i>, o
+je serai ravie de le trouver; un hros chrtien est bien plus mon
+usage maintenant qu'un hros romanesque. La maison que je vais habiter
+m'a vue dans ces deux gots; car, en vrit, je n'y tois soutenue dans
+ma jeunesse que par des ides trs-romanesques. Ce temps-l est bien
+loign. Les penses solides sont assurment plus raisonnables; et c'est
+par-l qu'elles sont assez tristes. Au reste, madame, le bel air de la
+cour est d'aller la jolie maison que le roi a donne la comtesse <i>de
+Grammont</i> dans le parc de Versailles. Le comte dit que cela jette dans
+une si grande dpense, qu'il est rsolu de prsenter au roi des parties
+de tous les dners qu'il y donne. C'est tellement la mode, que c'est une
+honte de n'y avoir pas t. La comtesse va tous les jours dner Marli,
+et le soir revient dans sa jolie maison vaquer sa famille.</p>
+
+<p>Madame votre belle-s&#339;ur<a name="FNanchor_133_133" id="FNanchor_133_133"></a><a href="#Footnote_133_133" class="fnanchor" title="Go to footnote 133.">[133]</a> est fort joliment loge. J'allai chez elle
+en dernier lieu; je la trouvai dans une trs-parfaite sant,
+mademoiselle <i>de Grignan</i> et le P. <i>Gaffarel</i> avec elle; charme de la
+vie qu'elle mne; bien des prires, bien des lectures, et une socit de
+personnes qui sont toutes occupes de l'ternit, indiffrentes pour les
+nouvelles du monde, peu sensibles tout ce qui passe. En vrit,
+madame, ce ne sont pas eux qui ont tort.</p>
+
+<p>La comtesse <i>de Grammont</i> se porte trs-bien. Il est certain que le roi
+la traite, merveille; et c'en est assez pour que le monde se tourne
+fort de son ct. Mais, comme vous savez, madame, le monde est bien
+plaisant. Permettez-moi de vous supplier de me conserver l'honneur de
+vos bonnes grces, et d'assurer M. le comte <i>de Grignan</i> et M. le
+chevalier de mes trs-humbles services. Je conterai notre marchal
+tout ce que vous pensez de son mrite, et c'est par-l que je prtends
+me faire valoir auprs de lui.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_LXVIII_COULANGES" id="LETTRE_LXVIII_COULANGES"></a>LETTRE LXVIII.</h3>
+
+<p class="title3">A LA MME.</p>
+
+
+<p class="date">Paris, 25 septembre 1703.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span>'<span class="smcap">entends</span>
+fort bien parler, madame, de la sagesse <i>de Chambon</i>; ainsi,
+j'espre que son ressentiment ne l'obligera point quitter Paris, o il
+rtablira mieux le tort que sa prison a fait ses affaires qu'en lieu
+du monde. Vous ne connoissez plus la cour, de croire qu'on a pu lire sa
+justification. On ne liroit pas un billet de deux lignes, de quelque
+importance qu'il pt tre. Vous avez t instruite du beau procd de M.
+<i>de Chamillard</i>, l'gard de M. <i>Desmarest</i>, et des raisonnemens du
+public. Ainsi, madame, je ne vous parlerai plus de cette vieille
+nouvelle; mais je ne veux pas perdre un moment vous dire l'tat o est
+Madame <i>de Lesdiguires</i>, dont je vous croyois bien informe. Son mal a
+t une dyssenterie trs-violente; et son mdecin, un suisse qui a tu,
+ou du moins avanc la mort de M. <i>de Chaulnes</i>, par un breuvage qu'il
+lui donna. Cependant madame <i>de Lesdiguires</i> ne vouloit voir aucun
+autre mdecin; enfin, il y a six jours que madame la marchale <i>de
+Villeroi</i> lui mena de son autorit <i>Helvtius</i>, qui ne la trouva point
+en tat de prendre son remde. Il crut voir des indices certains qu'elle
+avoit un abcs. Il craignit la gangrne; il lui fait prendre des
+lavemens d'herbes vulnraires avec de l'eau d'arquebusade. Elle en est
+ fendre du pus. Ainsi, on espre qu'elle reviendra de cette maladie;
+mais on ne la croit pas encore hors de pril. Son mal est trop grand
+pour s'en prendre au caf. Notre marchal (<a name="FNanchor_134_134" id="FNanchor_134_134"></a><a href="#Footnote_134_134" class="fnanchor" title="Go to footnote 134.">[134]</a>) l'a abandonn pour le
+chocolat. Je lui ferai assurment voir ce que vous dites de lui; il me
+parot fort touch de votre approbation, madame, et de celle de M. le
+chevalier <i>de Grignan</i>. C'est le plus aimable homme du monde; nous ne
+passons pas un jour sans le voir. Je le trouve seul au bout, d'une de
+nos alles; il y est sans pe, il ne croit pas en avoir jamais port.
+Il voit le roi tous les quinze jours, et puis revient dans sa solitude
+avec un got qui parot naturel. Vous avez raison, madame, de me trouver
+ plaindre, quand je retournerai Paris. J'ai promis madame <i>de
+Louvois</i> d'aller passer quinze jours Choisi; mais je vous avoue que
+j'ai bien de la peine m'y rsoudre. M. et madame <i>de Simiane</i> me
+firent hier l'honneur de venir dner ici avec notre fille d'honneur de
+la reine <i>Marguerite</i>; et madame votre fille me promit qu'elle y
+reviendroit passer encore quelques jours. C'est en vrit une jolie
+femme. On ne peut avoir plus d'esprit, ni un esprit plus aimable que le
+sien; une charmante humeur: il n'est pas possible de se dptrer d'elle;
+mais c'est bien moi d'aimer une personne de son ge. Cependant je
+tomberois infailliblement dans cet inconvnient, si je la voyois trop
+souvent. J'ai bien de l'impatience de vous voir excuter le projet que
+vous avez fait de revenir Paris. Si j'tois en commerce avec les fes,
+vous me verriez voler <i>Grignan</i>. Tant que cela ne sera point, croyez
+que je ne vais que terre terre.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XLIX_COULANGES" id="LETTRE_XLIX_COULANGES"></a>LETTRE XLIX.</h3>
+
+<p class="title3">A LA MME.</p>
+
+
+<p class="date">Paris, 5 fvrier 1704.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">L</span><span class="smcap">a</span> comtesse <i>de Grammont</i>, madame, ne se porte pas bien; aussi je la
+crois moins soutenue que le comte par les charmes de la cour,
+quoiqu'elle y soit traite avec toutes les distinctions possibles. M.
+<i>de l'Hpital</i> est mort<a name="FNanchor_135_135" id="FNanchor_135_135"></a><a href="#Footnote_135_135" class="fnanchor" title="Go to footnote 135.">[135]</a>; c'toit une de vos conqutes. Sa
+femme<a name="FNanchor_136_136" id="FNanchor_136_136"></a><a href="#Footnote_136_136" class="fnanchor" title="Go to footnote 136.">[136]</a> demeure avec quarante mille cus de rente. Cela change fort
+son tat; car on ne la faisoit vivre que des <i>infiniment petits</i><a name="FNanchor_137_137" id="FNanchor_137_137"></a><a href="#Footnote_137_137" class="fnanchor" title="Go to footnote 137.">[137]</a>.
+L'abb <i>Testu</i> est dans un tat trs-digne de piti. Ses vapeurs
+augmentent; au lieu de diminuer. Il y a trois mois qu'il n'a dormi. Il
+ne mange plus, et son imagination se sent des dsordres de son corps.
+Ajoutez tous ses maux soixante-dix-huit ans, et vous jugerez que nous
+aurons bien de la peine le tirer de l'tat o il est. Quelle
+tristesse, madame, de voir disparotre toutes les personnes avec qui
+l'on a vcu! j'apprends dans ce moment la mort de madame <i>de
+Boisdauphin</i>. Je vous quitte avec regret, madame, pour aller au secours
+de madame <i>de Louvois</i>. Ce ne sera pourtant, qu'aprs vous avoir
+supplie de ne point oublier la manire dont je vous honore, j'ose dire
+plus, celle dont je vous aime. Je vois quelquefois madame <i>de
+Lesdiguires</i>; j'ai mme t chez elle avec madame <i>de Simiane</i>, qui ne
+l'avoit point vue depuis la perte de son fils<a name="FNanchor_138_138" id="FNanchor_138_138"></a><a href="#Footnote_138_138" class="fnanchor" title="Go to footnote 138.">[138]</a>. Cette dernire
+prtend que ce n'toit point sa faute; mais il toit un peu tard, je
+l'avoue. Elle vous adore (<i>madame de Lesdiguires</i>); mais elle soutient,
+et je suis de son avis, que ce n'est pas vous voir que de se souvenir de
+vous. Je crois le printemps revenu Marseille; car il se laisse
+entrevoir dans ce pays ci. J'oubliois de vous dire que l'abb <i>Testu</i> a
+t trs-sensible l'honneur de votre souvenir, malgr la cruaut de
+tous ses maux.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_L_COULANGES" id="LETTRE_L_COULANGES"></a>LETTRE L.</h3>
+
+<p class="title3">A LA MME.</p>
+
+
+<p class="date">Paris, 3 mars 1704.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> me suis acquitte des ordres que vous m'avez donns, madame, et j'ai
+mille et mille remercmens vous faire de madame <i>de Louvois</i>, qui m'a
+paru fort touche de votre attention son gard. La pauvre femme a
+hrit de cinquante-quatre mille livres de rente. Je ne l'en, crois pas
+plus heureuse, et je sais bien que je me sens trs-loigne de
+l'envier. Nous avons eu la duchesse <i>du Lude</i> quatre jours ici. Cela
+devient ridicule d'tre aussi belle qu'elle l'est; les annes coulent
+sur elle, comme l'eau sur la toile cire. Sa joie est trs-grande de
+l'heureuse grossesse de sa jeune princesse. Le P. <i>Massillon</i> russit
+la cour, comme il a russi Paris; mais on sme souvent dans une terre
+ingrate, quand on sme la cour; c'est--dire que les personnes qui
+sont fort touches de sermons, sont dj converties, et les autres
+attendent la grce, souvent sans impatience; l'impatience seroit dj
+une grande grce. En vrit, madame, M. le marquis <i>de Grignan</i> est ce
+qui s'appelle un homme de bien, sans qu'il lui en cote de dplaire au
+monde: au contraire, on, l'en aime davantage. Pour moi, j'avoue que je
+l'honore au dernier point. Madame <i>de Simiane</i> se porte merveille;
+elle se dispose vous aller trouver ce printemps, puisque le duc de
+Savoie ajoute tous les maux qu'il nous fait, celui de vous obliger
+demeurer en Provence. Nous avons ici un voisin qui vous dsire beaucoup
+ Paris, madame: c'est M. le cardinal <i>d'Estres</i>. Il s'adonne fort
+venir ici les soirs; et j'ai t assez peu polie pour le prier de ne les
+pas pousser aussi loin qu'il faisoit. Mon antiquit ne me permet plus
+d'entretenir la compagnie au-del de neuf heures; et notre cardinal, qui
+est plus vif et plus jeune que jamais, ne s'amuse point savoir l'heure
+qu'il est. Je compte m'aller tablir dans ma solitude<a name="FNanchor_139_139" id="FNanchor_139_139"></a><a href="#Footnote_139_139" class="fnanchor" title="Go to footnote 139.">[139]</a> vers les
+premiers jours de mai. J'y verrai le marchal <i>de Catinat</i>, qui se
+trouve toujours Saint-Gratien, pour y recevoir le premier rossignol.
+Le marchal <i>de Villars</i> nous quitte pour aller habiter le quartier de
+Richelieu: il est si amoureux de sa belle marchale, qu'il est difficile
+qu'il soit heureux. Cette passion est ordinairement suivie d'une autre
+qui trouble le repos, lors mme qu'on a tout lieu de ne se point
+inquiter. Le marchal est souvent plus aise que s'il avoit pous ma
+nice; mais il est bien moins tranquille qu'il ne l'auroit t. La
+belle-mre de ma nice se meurt, et le pauvre <i>Termes</i> mourut hier six
+heures du matin. L'abb <i>Testu</i> a des maladies bien relles; il est
+craindre maintenant qu'on ne soit oblig de lui faire une opration.
+Ajoutez ce mal un cruel rhumatisme, et vous jugerez, madame, que ses
+vapeurs ne sont pas le plus grand de tous ses maux. Il est comme <i>Job</i>
+sur son fumier, la patience prs; je suis trs-fche de son tat.
+C'est, pour ainsi dire, demeurer seule sur la terre, que de voir
+disparotre tout ce que l'on a connu; ce qui est de certain, c'est que
+l'on n'y sera pas long-temps. Votre amie, madame <i>de Lesdiguires</i>, fait
+des merveilles pour la duchesse <i>de Lesdiguires</i>, jadis madame <i>de
+Canaples</i>.</p>
+
+<p>Vous savez, madame, que notre <i>Sanzei</i> a t fait brigadier.</p>
+
+<p class="title smcap top5">FIN.</p>
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+
+<h1 class="top15"><a name="TOME_SECOND" id="TOME_SECOND"></a>LETTRES</h1>
+
+<p class="title">DE</p>
+
+<h2>M<sup>MES</sup>. DE VILLARS,</h2>
+
+<p class="title">DE COULANGES,</p>
+
+<p class="title">ET DE LA FAYETTE;</p>
+
+<p class="title">DE NINON DE L'ENCLOS,</p>
+
+<p class="title">ET DE</p>
+
+<p class="title">MADEMOISELLE ASS;</p>
+
+<p class="title2">Accompagnes de Notices biographiques,
+de Notes explicatives, et de <span class="smcap">la</span> C<span class="smcap">oquette</span>
+V<span class="smcap">enge</span>, par N<span class="smcap">inon de l'</span>E<span class="smcap">nclos.</span></p>
+
+<p class="title smcap">SECONDE DITION.</p>
+
+<h3 class="top3">TOME SECOND.</h3>
+
+<p class="title top5">A PARIS,</p>
+
+<p class="title">Chez LOPOLD COLLIN, Libraire,</p>
+
+<p class="title">Rue Gt-le-c&#339;ur, N. 18.</p>
+<p class="title">&mdash;&mdash;&mdash;</p>
+<p class="title smcap">AN XIII.&mdash;1805.</p>
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h1 class="top15"><a name="LETTRES_LAFAYETTE" id="LETTRES_LAFAYETTE"></a>LETTRES</h1>
+<p class="title">DE</p>
+<h3 class="top5">MADAME DE LA FAYETTE.</h3>
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h2 class="top15"><a name="NOTICE_LAFAYETTE" id="NOTICE_LAFAYETTE"></a>NOTICE</h2>
+
+<p class="title">SUR</p>
+
+<h3 class="top5">M<sup>me</sup>. DE LA FAYETTE.</h3>
+
+<p class="title">&mdash;&mdash;&mdash;&mdash;&mdash;</p>
+
+<p>Marie-Magdeleine Pioche de la Vergne, comtesse <i>de la Fayette</i>, naquit,
+en 1632, d'Aymar <i>de la Vergne</i>, marchal de camp et gouverneur du
+Hvre-de-Grce, et de Marie <i>de Pna</i>, d'une ancienne famille de
+Provence.</p>
+
+<p>Mademoiselle <i>de la Vergne</i> eut le bonheur d'avoir un pre en qui le
+mrite galoit la tendresse. Il prit soin lui-mme de l'ducation de sa
+fille, et cette ducation fut la fois solide et brillante. Les lettres
+et les arts concoururent embellir un heureux naturel. <i>Mnage</i> et le
+pre <i>Rapin</i> se chargrent d'enseigner le latin mademoiselle <i>de la
+Vergne</i>. Introduite de bonne heure dans la socit de l'htel de
+Rambouillet, la justesse et la solidit naturelle de son esprit
+n'auroient peut-tre pas rsist la contagion du mauvais got, dont
+cet htel toit le centre, si la lecture des auteurs latins ne lui et
+offert un prservatif, qu' cette poque elle ne pouvoit encore trouver
+dans notre littrature. Du reste, elle mit autant de soin cacher son
+savoir que d'autres en mettent l'taler.</p>
+
+<p>En 1655, ge de 22 ans, elle pousa Franois, comte <i>de la Fayette</i>,
+frre de mademoiselle <i>de la Fayette</i>, fille d'honneur d'Anne
+<i>d'Autriche</i>, connue par ses chastes amours avec <i>Louis XIII</i>. Madame
+<i>de la Fayette</i> eut de son mari deux fils, dont l'un suivit la carrire
+des armes, et l'autre embrassa l'tat ecclsiastique.</p>
+
+<p>Doue d'un esprit cultiv et du talent d'crire, madame <i>de la Fayette</i>
+ne pouvoit manquer d'avoir une estime particulire pour ceux en qui les
+mmes avantages se faisoient remarquer. Plusieurs gens de lettres furent
+admis dans sa familiarit. De ce nombre toit <i>la Fontaine</i>, dont la
+destine sembloit tre d'avoir les femmes les plus distingues pour
+amies et pour bienfaitrices.</p>
+
+<p><i>Segrais</i> avoit dplu <i>Mademoiselle</i>, au service de laquelle il toit
+en qualit de gentilhomme ordinaire, pour avoir blm son projet de
+mariage avec <i>Lauzun</i>. Il fut oblig de quitter la maison de cette
+princesse. Madame <i>de la Fayette</i> le reut dans la sienne. Ce fut
+pendant le sjour qu'il y fit qu'elle composa <i>Zayde</i> et <i>la princesse
+de Clves</i>. Elle fit parotre le premier de ces romans sous le nom de
+<i>Segrais</i>. Le succs en fut si prodigieux, que madame <i>de la Fayette</i>,
+toute modeste qu'elle toit, dut regretter de n'en pouvoir jouir qu'en
+secret, et que <i>Segrais</i>, sur-tout, dut dsirer de ne pas rester plus
+long-temps charg d'une gloire, qui, croissant chaque jour, devenoit un
+fardeau galement incommode pour sa dlicatesse et pour son
+amour-propre. Il en rendit la jouissance celle qui en avoit la
+proprit, sans en rien retenir que l'honneur d'avoir donn quelques
+avis pour la disposition de l'ouvrage. Sa renonciation fut sincre, et
+l'on y crut.</p>
+
+<p>Le docte <i>Huet</i>, depuis vque d'Avranches, fut li d'une amiti
+trs-tendre avec madame <i>de la Fayette</i>. Il composa pour elle son
+<i>Trait de l'origine des Romans</i>, qui fut imprim en tte de <i>Zayde</i>.
+C'est ce sujet que madame <i>de la Fayette</i> disoit <i>Huet: Nous avons
+mari nos enfans ensemble</i>.</p>
+
+<p>Rien n'est plus connu que l'amiti de madame <i>de la Fayette</i> et du duc
+<i>de la Rochefoucauld</i>, l'auteur des <i>Maximes</i>. Elle dura plus de
+vingt-cinq ans, et la mort seule en rompit les n&#339;uds. Ce ne seroit point
+assez de dire que M. <i>de la Rochefoucauld</i> et madame <i>de la Fayette</i> se
+voyoient tous les jours; ils toient continuellement ensemble; ils ne se
+quittoient pas. Le duc <i>de la Rochefoucauld</i>, aprs l'clat et les
+agitations de sa jeunesse, condamn la retraite et au repos, loign
+des places et des honneurs, abandonn de ceux qui ne s'attachent qu' la
+faveur, et de plus obsd de maux trs-douloureux, se livroit trop
+souvent aux accs d'une injuste misantropie. Dans cette position, quelle
+socit pouvoit lui tre plus ncessaire que celle d'une femme aimable
+et bonne, qui embellt sa solitude, remplt le vide de son me, adouct
+son humeur et ses chagrins, dont l'attachement dsintress ft une
+continuelle rfutation de son triste systme, dont l'entretien ft une
+agrable diversion aux maux qu'elle ne parviendroit pas soulager par
+ses soins, qui attirt chez lui, auprs de qui il pt trouver ce choix
+d'hommes instruits et de femmes spirituelles, si prfrable la foule
+des courtisans frivoles et perfides? Telle toit madame <i>de la Fayette</i>
+pour M. <i>de la Rochefoucauld</i>. Son ami mourut; elle fut inconsolable.
+Accable par le chagrin et les infirmits, ayant perdu ce qui
+l'attachoit le plus au monde, elle se jeta toute entire dans le sein de
+Dieu. Les dernires annes de sa vie furent consacres aux pratiques de
+la pit la plus austre; elle mourut en 1693, dans sa soixantime
+anne.</p>
+
+<p>Le trait le plus marqu de son caractre, toit la franchise. M. <i>de la
+Rochefoucauld</i> lui avoit dit qu'elle toit <i>vraie</i>. Ce mot qui n'avoit
+point encore t employ dans cette acception, parut la peindre
+parfaitement, et ds lors chacun le lui appliqua.</p>
+
+<p>Son caractre et sa conduite ont t attaqus; mais la malignit connue
+de ses dtracteurs suffit presque seule pour rfuter leurs accusations.
+Il suffit de nommer <i>la Beaumelle</i>, historien infidle, qui presque
+toujours mettoit la place de la vrit les caprices de son humeur ou
+les saillies de son imagination; et <i>Bussy-Rabutin</i>, ce satirique
+impitoyable qui n'pargna ni le roi ni madame <i>de Svign</i>, sa cousine,
+c'est--dire, ce qu'il y avoit de plus puissant et de plus aimable. Aux
+calomnies de pareils hommes, opposons un tmoignage, qui, pour tre
+favorable, n'en est pas moins digne de foi. C'est celui de madame <i>de
+Svign</i>. Madame <i>de la Fayette</i>, crivoit-elle sa fille, est une
+femme aimable et estimable, que vous aimiez ds que vous aviez le temps
+d'tre avec elle, et de faire usage de son esprit et de sa raison. Plus
+on la connot, plus on s'y attache.</p>
+
+<p>Madame <i>de la Fayette</i> avoit l'esprit minemment juste. <i>Segrais</i> lui
+avoit dit: <i>Votre jugement est suprieur votre esprit.</i> Cette opinion
+lui avoit paru trs-flatteuse. On sent que pour bien goter une pareille
+louange, il faut la mriter. Elle ne portoit dans la conversation ni les
+saillies tincelantes et caustiques de madame <i>Cornuel</i>, ni la vivacit
+spirituelle de madame <i>de Coulanges</i>, ni l'aimable abandon de madame <i>de
+Svign</i>; mais ses discours toient d'une prcision lgante et
+ingnieuse. On a retenu d'elle plusieurs mots, entr'autres celui-ci:
+<i>Les sots traducteurs ressemblent des laquais ignorans qui changent en
+sottises les complimens dont on les charge.</i></p>
+
+<p>Il est inutile de s'tendre ici sur ses ouvrages que tout le monde
+connot. <i>Zayde, la princesse de Clves, la comtsse de Tende</i> et <i>la
+princesse de Montpensier</i>, seront lues avec plaisir aussi long-temps
+qu'on sera sensible la dlicatesse des sentimens, aux grces et au
+naturel du style. Outre ses romans, elle avoit compos un assez grand
+nombre d'ouvrages historiques; mais les manuscrits se sont perdus par la
+ngligence de l'abb <i>de la Fayette</i>, son fils, qui les prtoit tout
+le monde, et ne les redemandoit pas. On n'a conserv que deux de ces
+crits; l'un est intitul: <i>Mmoires de la cour de France, pour les
+annes 1688 et 1689</i>; l'autre est l'histoire de madame Henriette-Anne
+<i>d'Angleterre</i>, premire femme de <i>Monsieur</i>.</p>
+
+<p>On a encore de madame <i>de la Fayette</i> un portrait de madame <i>de
+Svign</i>, l'un des meilleurs qu'on ait faits dans ce sicle o l'on en
+fit tant. L'amiti retraa fidlement les traits d'un modle qu'elle
+n'avoit pas besoin d'embellir. Ce portrait a t plac dans le volume
+que nous publions la suite des lettres de madame <i>de la Fayette</i>.</p>
+
+<p>Ces lettres, qui sont au nombre de quatorze, sont adresses cette mme
+madame <i>de Svign</i>, dont elles ne dpareroient pas le recueil. On peut
+croire que, si madame <i>de la Fayette</i> se ft livre davantage au
+commerce pistolaire, elle et approch en ce genre du talent et de la
+rputation de son amie; mais, lui crivoit-elle un jour, le got
+d'crire m'est pass pour tout le monde; et, si j'avois un amant qui
+voult de mes lettres tous les patins, je romprois avec lui.</p>
+
+
+
+
+<h1 class="top15">LETTRES</h1>
+
+<p class="title">DE</p>
+
+<h3 class="top5">MADAME DE LA FAYETTE,<br />
+<br />A MADAME DE SVIGN.<br />
+</h3>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_PREMIERE_LAFAYETTE" id="LETTRE_PREMIERE_LAFAYETTE"></a>LETTRE PREMIRE.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 30 dcembre 1672</p>
+
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span>'<span class="smcap">ai</span>
+vu votre grande lettre <i>d'Hacqueville</i>: je comprends fort bien
+tout ce que vous lui mandez sur l'vque de Marseille; il faut que le
+prlat ait tort, puisque vous vous en plaignez. Je montrerai votre
+lettre <i>Langlade</i>, et j'ai bien envie encore de la faire voir madame
+<i>du Plessis</i>; car elle est trs-prvenue en faveur de l'vque. Les
+Provenaux sont des gens d'un caractre tout particulier.</p>
+
+<p>Voil un paquet que je vous envoie pour madame <i>de Northumberland</i>. Vous
+ne comprendrez pas aisment pourquoi je suis charge de ce paquet; il
+vient du comte <i>de Sunderland</i>, qui est prsentement ambassadeur ici. Il
+est fort de ses amis; il lui a crit plusieurs fois; mais n'ayant point
+de rponse, il croit qu'on arrte ses lettres, et M. <i>de la
+Rochefoucauld</i>, qu'il voit trs-souvent, s'est charg de faire tenir le
+paquet dont il s'agit. Je vous supplie donc, comme vous n'tes plus
+Aix, de le renvoyer par quelqu'un de confiance, et d'crire un mot
+madame <i>de Northumberland</i>, afin qu'elle vous fasse rponse, et qu'elle
+vous mande qu'elle l'a reu; vous m'enverrez sa rponse. On dit ici que
+si M. <i>de Montaigu</i> n'a pas un heureux succs dans son voyage, il
+passera en Italie pour faire voir que ce n'est pas pour les beaux yeux
+de madame <i>de Northumberland</i> qu'il court le pays: mandez-nous un peu ce
+que vous verrez de cette affaire, et comment il sera trait.</p>
+
+<p>La <i>Marans</i> est dans une dvotion et dans un esprit de douceur et de
+pnitence qui ne se peuvent comprendre: sa s&#339;ur<a name="FNanchor_140_140" id="FNanchor_140_140"></a><a href="#Footnote_140_140" class="fnanchor" title="Go to footnote 140.">[140]</a>, qui ne l'aime pas,
+en est surprise et charme; sa personne est change n'tre pas
+reconnoissable: elle parot soixante ans. Elle trouva mauvais que sa
+s&#339;ur m'et cont ce qu'elle lui avoit dit sur cet enfant de M. <i>de
+Longueville</i>, et elle se plaignit aussi de moi de ce que je l'avois
+redonn au public; mais ses plaintes toient si douces, que <i>Montalais</i>
+en toit confondue pour elle et pour moi; en sorte que, pour m'excuser,
+elle lui dit que j'tois informe de la belle opinion qu'elle avoit que
+j'aimois M. <i>de Longueville</i>. La <i>Marans</i>, avec un esprit admirable,
+rpondit que puisque je savois cela, elle s'tonnoit que je n'en eusse
+pas dit davantage, et que j'avois raison de me plaindre d'elle. On
+parla de madame <i>de Grignan</i>; elle en dit beaucoup de bien, mais sans
+aucune affectation. Elle ne voit plus qui que ce soit au monde, sans
+exception; si Dieu fixe cette bonne tte-l, ce sera un des grands
+miracles que j'aurai jamais vus.</p>
+
+<p>J'allai hier au Palais-Royal avec madame <i>de Monaco</i>; je m'y enrhumai
+mourir: j'y pleurai <i>Madame</i><a name="FNanchor_141_141" id="FNanchor_141_141"></a><a href="#Footnote_141_141" class="fnanchor" title="Go to footnote 141.">[141]</a> de tout mon c&#339;ur. Je fus surprise de
+l'esprit de celle-ci<a name="FNanchor_142_142" id="FNanchor_142_142"></a><a href="#Footnote_142_142" class="fnanchor" title="Go to footnote 142.">[142]</a>; non pas de son esprit agrable, mais de son
+esprit de bon sens: elle se mit sur le ridicule de M. <i>de Meckelbourg</i>
+d'tre Paris prsentement; et je vous assure que l'on ne peut mieux
+dire. C'est une personne trs-opinitre et trs-rsolue, et assurment
+de bon got; car elle hait madame <i>de Gourdon</i> ne la pouvoir
+souffrir. <i>Monsieur</i> me fit toutes les caresses du monde au nez de la
+marchale <i>de Clrembault</i><a name="FNanchor_143_143" id="FNanchor_143_143"></a><a href="#Footnote_143_143" class="fnanchor" title="Go to footnote 143.">[143]</a>; j'tois soutenue <i>de la Fienne</i>, qui la
+hait mortellement, et qui j'avois donn dner il n'y a que deux
+jours. Tout le monde croit que la comtesse <i>du Plessis</i><a name="FNanchor_144_144" id="FNanchor_144_144"></a><a href="#Footnote_144_144" class="fnanchor" title="Go to footnote 144.">[144]</a> va pouser
+<i>Clrembault</i>.</p>
+
+<p>M. <i>de la Rochefoucauld</i> vous fait cent mille complimens; il y a quatre
+ou cinq jours qu'il ne sort point; il a la goutte en miniature. J'ai
+mand madame <i>du Plessis</i> que vous m'aviez crit des merveilles de son
+fils. Adieu, ma belle, vous savez combien je vous aime.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_II_LAFAYETTE" id="LETTRE_II_LAFAYETTE"></a>LETTRE II.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 27 fvrier 1673</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">M</span><span class="smcap">adame</span> <i>Bayard</i> et M. <i>de la Fayette</i> arrivent dans ce moment; cela
+fait, ma belle, que je ne vous puis dire que deux mots de votre fils: il
+sort d'ici, et m'est venu dire adieu, et me prier de vous crire ses
+raisons sur l'argent: elles sont si bonnes que je n'ai pas besoin de
+vous les expliquer fort au long; car vous voyez, d'o vous tes, la
+dpense d'une campagne qui ne finit point. Tout le monde est au
+dsespoir et se ruine. Il est impossible que votre fils ne fasse pas un
+peu comme les autres, et, de plus, la grande amiti que vous avez pour
+madame <i>de Grignan</i>, fait qu'il en faut tmoigner son frre. Je laisse
+au grand <i>d'Hacqueville</i> vous en dire davantage. Adieu, ma
+trs-chre.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_III_LAFAYETTE" id="LETTRE_III_LAFAYETTE"></a>LETTRE III.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 15 avril, 1673</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">M</span><span class="smcap">adame</span> <i>de Northumberland</i> me vint voir hier; j'avois t la chercher
+avec madame <i>de Coulanges</i>: elle me parut une femme qui a t fort
+belle, mais qui n'a plus un seul trait de visage qui se soutienne, ni o
+il soit rest le moindre air de jeunesse; j'en fus surprise: elle est,
+avec cela, mal habille; point de grce; enfin, je n'en fus point du
+tout blouie; elle me parut entendre fort bien tout ce qu'on dit, ou,
+pour mieux dire, ce que je dis; car j'tois seule. M. <i>de la
+Rochefoucauld</i> et madame <i>de Thianges</i>, qui avoient envie de la voir, ne
+vinrent que comme elle sortoit. <i>Montaigu</i> m'avoit mand qu'elle
+viendroit me voir; je lui ai fort parl d'elle; il ne fait aucune faon
+d'tre embarqu son service, et parot trs-rempli d'esprance. M.
+<i>de Chaulnes</i> partit hier, et le comte <i>Tot</i> aussi; ce dernier est
+trs-afflig de quitter la France: je l'ai vu quasi tous les jours,
+pendant qu'il a t ici; nous avons trait votre chapitre plusieurs
+fois. La marchale <i>de Grammont</i> s'est trouve mal; <i>d'Hacqueville</i> y a
+t, toujours courant, lui mener un mdecin: il est, en vrit, un peu
+tendu dans ses soins. Adieu, mon amie: j'ai le sang si chauff, et
+j'ai tant eu de tracas ces jours passs, que je n'en puis plus; je
+voudrois bien vous voir pour me rafrachir le sang.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_IV_LAFAYETTE" id="LETTRE_IV_LAFAYETTE"></a>LETTRE IV.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 19 mai 1673</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> vais demain Chantilli: c'est ce mme voyage que j'avois commenc
+l'anne passe jusque sur le Pont-neuf, o la fivre me prit; je ne sais
+pas s'il arrivera quelque chose d'aussi bizarre, qui m'empche encore de
+l'excuter: nous y allons, la mme compagnie, et rien de plus.</p>
+
+<p>Madame <i>du Plessis</i> toit si charme de votre lettre, qu'elle me l'a
+envoye; elle est enfin partie pour sa Bretagne. J'ai donn vos lettres
+ <i>Langlade</i>, qui m'en a paru trs-content; il honore toujours beaucoup
+madame <i>de Grignan</i>. <i>Montaigu</i> s'en va: on dit que ses esprances sont
+renverses; je crois qu'il y a quelque chose de travers dans l'esprit de
+la nymphe<a name="FNanchor_145_145" id="FNanchor_145_145"></a><a href="#Footnote_145_145" class="fnanchor" title="Go to footnote 145.">[145]</a>. Votre fils est amoureux, comme un perdu, de
+mademoiselle <i>de Poussai</i>; il n'aspire qu' tre aussi transi que <i>la
+Fare</i>. M. <i>de la Rochefoucauld</i> dit que l'ambition de <i>Svign</i> est de
+mourir d'un amour qu'il n'a pas; car nous ne le tenons pas du bois dont
+on fait les fortes passions. Je suis dgote de celle de <i>la Fare</i>:
+elle est trop grande et trop esclave; sa matresse ne rpond pas au plus
+petit de ses sentimens: elle soupa chez <i>Longueil</i> et assista une
+musique le soir mme qu'il partit. Souper en compagnie quand son amant
+part, et qu'il part pour l'arme, me parot un crime capital; je ne sais
+pas si je m'y connois. Adieu, ma belle.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_V_LAFAYETTE" id="LETTRE_V_LAFAYETTE"></a>LETTRE V.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 26 mai 1673</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">S</span><span class="smcap">i</span> je n'avois la migraine, je vous rendrois compte de mon voyage de
+Chantilli, et je vous dirois que de tous les lieux que le soleil clair,
+il n'y en a point un pareil celui-l. Nous n'y avons pas eu un trop
+beau temps; mais la beaut de la chasse dans les carosses vitrs a
+suppl ce qui nous manquoit. Nous y avons t cinq ou six jours; nous
+vous y avons extrmement souhaite, non-seulement par amiti, mais parce
+que vous tes plus digne que personne du monde d'admirer ces beauts-l.
+J'ai trouv ici, mon retour, deux de vos lettres. Je ne pus faire
+achever celle-ci vendredi, et je ne puis l'achever moi-mme aujourd'hui,
+dont je suis bien fche; car il me semble qu'il y a long-temps que je
+n'ai caus avec vous. Pour rpondre vos questions, je vous dirai que
+madame <i>de Brissac</i><a name="FNanchor_146_146" id="FNanchor_146_146"></a><a href="#Footnote_146_146" class="fnanchor" title="Go to footnote 146.">[146]</a> est toujours l'htel de Conti, environne de
+peu d'amans, et d'amans peu propres faire du bruit; de sorte qu'elle
+n'a pas grand besoin du <i>manteau de sainte Ursule</i>. Le premier prsident
+de Bordeaux est amoureux d'elle comme un fou; il est vrai que ce n'est
+pas d'ailleurs une tte bien timbre. <i>Monsieur</i> le Premier et ses
+enfans sont aussi fort assidus auprs d'elle; M. <i>de Montaigu</i> ne l'a,
+je crois, point vue de ce voyage-ci, de peur de dplaire madame <i>de
+Northumberland</i>, qui part aujourd'hui; <i>Montaigu</i> l'a devance de deux
+jours; tout cela ne laisse pas douter qu'il ne l'pouse. Madame <i>de
+Brissac</i> joue toujours la dsole, et affecte une trs-grande
+ngligence. La comtesse du <i>Plessis</i> a servi de dame d'honneur deux
+jours avant que <i>Monsieur</i> soit parti; sa belle-mre<a name="FNanchor_147_147" id="FNanchor_147_147"></a><a href="#Footnote_147_147" class="fnanchor" title="Go to footnote 147.">[147]</a> n'y avoit pas
+voulu consentir auparavant. Elle n'gratigne point M. <i>de Monaco</i>; je
+crois qu'elle se fait justice, et qu'elle trouve que la seconde place de
+chez <i>Madame</i> est assez bonne pour la femme de <i>Clrembault</i>; elle le
+sera assurment dans un mois, si elle ne l'est dj.</p>
+
+<p>Nous allons dner Livri; M. <i>de la Rochefoucauld</i>, <i>Morangis</i>,
+<i>Coulanges</i> et moi; c'est une chose qui me parot bien trange, d'aller
+dner Livri, et que ce ne soit pas avec vous. L'abb <i>Testu</i><a name="FNanchor_148_148" id="FNanchor_148_148"></a><a href="#Footnote_148_148" class="fnanchor" title="Go to footnote 148.">[148]</a> est
+all Fontevrault; je suis trompe, s'il n'et mieux fait de n'y pas
+aller, et si ce voyage-l ne dplat des gens qui il est bon de ne
+pas dplaire.</p>
+
+<p>L'on dit que madame <i>de Montespan</i> est demeure Courtrai. Je reois
+une petite lettre de vous: si vous n'avez pas reu des miennes, c'est
+que j'ai bien eu des tracas; je vous conterai mes raisons quand vous
+serez ici. M. <i>le Duc</i> s'ennuie beaucoup Utrecht; les femmes y sont
+horribles: voici un petit conte sur son sujet. Il se familiarisoit avec
+une jeune femme de ce pays-l, pour se dsennuyer apparemment, et, comme
+les familiarits toient sans doute un peu grandes, elle lui dit: <i>Pour
+Dieu! Monseigneur, votre altesse a la bont d'tre trop insolente.</i>
+C'est <i>Briole</i> qui m'a crit cela; j'ai jug que vous en seriez charme,
+comme moi. Adieu, ma belle; je suis toute vous assurment.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_VI_LAFAYETTE" id="LETTRE_VI_LAFAYETTE"></a>LETTRE VI.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 30 juin 1673</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">H</span><span class="smcap"></span> bien! h bien! ma belle, qu'avez-vous crier comme un aigle? Je vous
+demande que vous attendiez juger de moi quand vous serez ici; qu'y
+a-t-il de si terrible ces paroles: <i>Mes journes sont remplies?</i> Il
+est vrai que <i>Bayard</i> est ici, et qu'il fait mes affaires; mais quand il
+a couru tout le jour pour mon service, crirai-je? Encore faut-il lui
+parler. Quand j'ai couru, moi, et que je reviens, je trouve M. <i>de la
+Rochefoucauld</i> que je n'ai point vu de tout le jour; crirai-je? M. <i>de
+la Rochefoucauld</i> et <i>Gourville</i> sont ici; crirai-je? Mais quand ils
+sont sortis? Ah! quand ils sont sortis! il est onze heures, et je sors,
+moi; je couche chez nos voisins, cause qu'on btit devant mes
+fentres. Mais l'aprs-dne? J'ai mal la tte. Mais le matin? J'y ai
+mal encore, et je prends des bouillons d'herbes qui m'enivrent. Vous
+tes en Provence, ma belle, vos heures sont libres, et votre tte encore
+plus; le got d'crire vous dure encore pour tout le monde; il m'est
+pass pour tout le monde, et si j'avois un amant qui voult de mes
+lettres tous les matins, je romprois avec lui. Ne mesurez donc point
+notre amiti sur l'criture; je vous aimerai autant, en ne vous crivant
+qu'une page en un mois, que vous, en m'en crivant dix en huit jours.
+Quand je suis St.-Maur, je puis crire, parce que j'ai plus de tte et
+plus de loisir; mais je n'ai pas celui d'y tre: je n'y ai pass que
+huit jours de cette anne. Paris me tue. Si vous saviez comme je ferois
+ma cour des gens qui il est trs-bon de la faire, d'crire souvent
+toutes sortes de folies, et combien je leur en cris peu, vous jugeriez
+aisment que je ne fais pas ce que je veux l-dessus. Il y a aujourd'hui
+trois ans que je vis mourir <i>Madame</i>: je relus hier plusieurs de ses
+lettres; je suis toute pleine d'elle. Adieu, ma trs-chre: vos
+dfiances seules composent votre unique dfaut, et la seule chose qui
+peut me dplaire en vous. M. <i>de la Rochefoucauld</i> vous crira.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_VII_LAFAYETTE" id="LETTRE_VII_LAFAYETTE"></a>LETTRE VII.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 14 juillet 1673</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">V</span><span class="smcap">oici</span> ce que j'ai fait depuis que je ne vous ai crit: j'ai eu deux
+accs de fivre: il y a six mois que je n'ai t purge; on me purge une
+fois, on me purge deux; le lendemain de la deuxime, je me mets table:
+ah! ah! j'ai mal au c&#339;ur, je ne veux point de potage: mangez donc un peu
+de viande; non, je n'en veux point; mais vous mangerez du fruit; je
+crois qu'oui: h bien! mangez-en donc; je ne saurois, je mangerai
+tantt: que l'on m'ait ce soir un potage et un poulet. Voici le soir,
+voil un potage et un poulet; je n'en veux point, je suis dgote, je
+m'en vais me coucher; j'aime mieux dormir que de manger. Je me couche,
+je me tourne, je me retourne, je n'ai point de mal, mais je n'ai point
+de sommeil aussi; j'appelle, je prends un livre, je le referme; le jour
+vient, je me lve, je vais la fentre; quatre heures sonnent, cinq
+heures, six heures; je me recouche, je m'endors jusqu' sept: je me lve
+ huit, je me mets table douze inutilement, comme la veille; je me
+remets dans mon lit le soir inutilement, comme l'autre nuit. tes-vous
+malade? nenni. tes-vous plus foible? nenni. Je suis dans cet tat trois
+jours et trois nuits: je redors prsentement; mais je ne mange encore
+que par machine, comme les chevaux, en me frottant la bouche de
+vinaigre: du reste, je me porte bien, et je n'ai pas mme si mal la
+tte. Je viens d'crire des folies <i>M. le Duc.</i> Si je puis, j'irai
+dimanche Livri pour un jour ou deux. Je suis trs-aise d'aimer madame
+<i>de Coulanges</i> cause de vous. Rsolvez-vous, ma belle, de me voir
+soutenir toute ma vie, la pointe de mon loquence, que je vous aime
+plus encore que vous ne m'aimez: j'en ferois convenir <i>Corbinelli</i> en un
+demi-quart d'heure: au reste, mandez-moi bien de ses nouvelles; tant de
+bonnes volonts seront-elles toujours inutiles ce pauvre homme? Pour
+moi, je crois que c'est son mrite qui leur porte malheur. <i>Segrais</i>
+porte aussi guignon; madame <i>de Thianges</i> est des amies de <i>Corbinelli</i>,
+madame <i>Scarron</i>, mille personnes, et je ne lui vois plus aucune
+esprance de quoi que ce puisse tre. On donne des pensions aux beaux
+esprits; c'est un fonds abandonn cela; il en mrite mieux que tous
+ceux qui en ont; point de nouvelles, on ne peut rien obtenir pour lui.
+Je dois voir demain madame <i>de Vill......</i>; c'est une certaine ridicule
+ qui M. <i>d'Ambre</i> a fait un enfant. Elle l'a plaid, et a perdu son
+procs. Elle conte toutes les circonstances de son aventure; il n'y a
+rien au monde de pareil. Elle prtend avoir t force: vous jugez bien
+que cela-conduit de beaux dtails. La <i>Marans</i> est une sainte; il n'y
+a point de raillerie: cela me parot un miracle. La <i>Bonnetot</i> est
+dvote aussi; elle a t son &#339;il de verre; elle ne met plus de rouge, ni
+de boucles. Madame <i>de Monaco</i> ne fait pas de mme; elle me vint voir
+l'autre jour, bien blanche: elle est favorite et engoue de cette
+<i>Madame</i>-ci tout comme de l'autre: cela est bizarre. <i>Langlade</i> s'en va
+demain en Poitou pour deux ou trois mois. M. <i>de Marsillac</i> est ici: il
+part lundi pour aller Barge; il ne s'aide pas de son bras. Madame la
+comtesse <i>du Plessis</i> va se marier: elle a pens acheter <i>Frne</i>. M. <i>de
+la Rochefoucauld</i> se porte trs-bien: il vous fait mille et mille
+complimens et <i>Corbinelli</i>. Voici une question entre deux maximes:</p>
+
+<p><i>On pardonne les infidlits; mais on ne les oublie point.</i></p>
+
+<p><i>On oublie les infidlits; mais on ne les pardonne point.</i></p>
+
+<p>Aimez-vous mieux avoir fait une infidlit votre amant, que vous
+aimez pourtant toujours; ou qu'il vous en ait fait une, et qu'il vous
+aime aussi toujours? On n'entend pas par infidlit, avoir quitt pour
+un autre; mais avoir fait une faute considrable. Adieu: je suis bien en
+train de jaser; voil ce que c'est que de ne point manger et ne point
+dormir. J'embrasse madame <i>de Grignan</i> et toutes ses perfections.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_VIII_LAFAYETTE" id="LETTRE_VIII_LAFAYETTE"></a>LETTRE VIII.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 4 septembre 1673</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> suis St.-Maur; j'ai quitt toutes mes affaires et tous mes amis.
+J'ai mes enfans et le beau temps, cela me suffit. Je prends des eaux de
+Forges; je songe ma sant: je ne vois personne, je ne m'en soucie
+point du tout. Tout le monde me parot si attach ses plaisirs, et
+des plaisirs qui dpendent entirement des autres, que je me trouve
+avoir un don des fes, d'tre de l'humeur dont je suis. Je ne sais si
+madame <i>de Coulanges</i> ne vous aura point mand une conversation d'une
+aprs-dne de chez <i>Gourville</i>, o toient madame <i>Scarron</i> et l'abb
+<i>Testu</i>, sur les personnes <i>qui ont le got au-dessus ou au-dessous de
+leur esprit</i>; nous nous jetmes dans des subtilits, o nous
+n'entendions plus rien. Si l'air de la Provence, qui subtilise encore
+toutes choses, vous augmente, nos visions l-dessus, vous serez dans les
+nues. <i>Vous avez le got au-dessus de votre esprit, et M.</i> de la
+Rochefoucauld <i>aussi, et moi encore; mais pas tant que vous deux.</i> Voil
+des exemples qui vous guideront. M. <i>de Coulanges</i> m'a dit que votre
+voyage toit encore retard: pourvu que vous rameniez madame <i>de
+Grignan</i>, je n'en murmure pas: si vous ne la ramenez point, c'est une
+trop longue absence. Mon got augmente vue d'&#339;il pour la suprieure
+du Calvaire; j'espre qu'elle me rendra bonne. Le cardinal <i>de Retz</i> est
+brouill pour jamais avec moi, de m'avoir refus la permission d'entrer
+chez elle; je la vois quasi tous les jours; j'ai vu enfin son
+visage<a name="FNanchor_149_149" id="FNanchor_149_149"></a><a href="#Footnote_149_149" class="fnanchor" title="Go to footnote 149.">[149]</a>: il est agrable, et l'on s'aperoit bien qu'il a t beau.
+Elle n'a que quarante ans; mais l'austrit de la rgle l'a fort
+change. Madame <i>de Grignan</i> a fait des merveilles d'avoir crit la
+<i>Marans</i>. Je n'ai pas t si sage; car je fus, l'autre jour, chercher
+madame de <i>Schomberg</i><a name="FNanchor_150_150" id="FNanchor_150_150"></a><a href="#Footnote_150_150" class="fnanchor" title="Go to footnote 150.">[150]</a>, et je ne la demandai point. Adieu, ma belle;
+je souhaite votre retour avec une impatience digne de notre amiti.</p>
+
+<p>J'ai reu les cinq cents livres, il y a long-temps. Il me semble que
+l'argent est si rare, qu'on n'en devroit point prendre de ses amis.
+Faites mes excuses M. l'abb (<i>de Coulanges</i>), de ce que je l'ai reu.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_IX_LAFAYETTE" id="LETTRE_IX_LAFAYETTE"></a>LETTRE IX.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 8 octobre 1689</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">M</span><span class="smcap">on</span> style sera laconique, je n'ai point de tte: j'ai eu la fivre, j'ai
+charg M. <i>du Bois</i> de vous le mander.</p>
+
+<p>Votre affaire est manque et sans remde; l'on y a fait des merveilles
+de toutes parts: je doute que M. <i>de Chaulnes</i> en personne l'et pu
+faire. Le roi n'a tmoign nulle rpugnance pour M. <i>de Svign</i>; mais
+il toit engag, il y a long-temps: il l'a dit tous ceux qui pensoient
+ la dputation; il faut laisser nos esprances jusqu'aux tats
+prochains. Ce n'est pas de quoi il est question prsentement: il est
+question, ma belle, qu'il ne faut point que vous passiez l'hiver en
+Bretagne quelque prix que ce soit. Vous tes vieille; les Rochers<a name="FNanchor_151_151" id="FNanchor_151_151"></a><a href="#Footnote_151_151" class="fnanchor" title="Go to footnote 151.">[151]</a>
+sont pleins de bois; les catarrhes et les fluxions vous accableront.
+Vous vous ennuierez, votre esprit deviendra triste et baissera: tout
+cela est sr, et les choses du monde ne sont rien en comparaison de tout
+ce que je vous dis. Ne me parlez point d'argent ni de dettes: je vous
+ferme la bouche sur tout. M. <i>de Svign</i> vous donne son quipage. Vous
+venez Malicorne: vous y trouvez les chevaux et la calche de M. <i>de
+Chaulnes</i>. Vous voil Paris: vous allez descendre l'htel de
+Chaulnes; votre maison n'est pas prte, vous n'avez point de chevaux,
+c'est en attendant: votre loisir, vous vous remettrez chez vous.
+Venons au fait: vous payez une pension M. <i>de Svign</i>; vous avez ici
+un mnage: mettez le tout ensemble, cela fait de l'argent; car votre
+louage de maison va toujours. Vous direz: Mais je dois, et je paierai
+avec le temps. Comptez que vous trouvez ici mille cus, dont vous payez
+ce qui vous presse; qu'on vous les prte sans intrt, et que vous les
+rembourserez petit petit, comme vous voudrez. Ne demandez point d'o
+ils viennent, ni de qui c'est: on ne vous le dira pas; mais ce sont gens
+qui sont bien assurs qu'ils ne les perdront pas. Point de raisonnemens
+l-dessus, point de paroles, ni de lettres perdues; il faut venir: tout
+ce que vous m'crirez, je ne le lirai seulement pas; et en un mot, ma
+belle, il faut venir, ou renoncer mon amiti, celle de madame <i>de
+Chaulnes</i> et celle de madame <i>de Lavardin</i>. Nous ne voulons point
+d'une amie, qui veut vieillir et mourir par sa faute; il y a de la
+misre et de la pauvret votre conduite; il faut venir ds qu'il fera
+beau.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_X_LAFAYETTE" id="LETTRE_X_LAFAYETTE"></a>LETTRE X.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 20 septembre 1690</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">V</span><span class="smcap">ous</span> avez reu ma rponse avant que j'aie reu votre lettre. Vous aurez
+vu, par celle de madame <i>de Lavardin</i> et par la mienne, que nous
+voulions vous faire aller en Provence, puisque vous ne veniez point
+Paris; c'est tout ce qu'il y a de meilleur faire: le soleil est plus
+beau, vous aurez compagnie; je dis mme, spare de madame <i>de Grignan</i>,
+qui n'est pas peu; un gros chteau, bien des gens; enfin, c'est vivre
+que d'tre l. Je loue extrmement monsieur votre fils de consentir
+vous perdre pour votre intrt; si j'tois en train d'crire, je lui en
+ferois des complimens: partez tout le plutt qu'il vous sera possible.
+Mandez-nous par quelles villes vous passerez, et peu prs le temps:
+vous y trouverez de nos lettres. Je suis dans des vapeurs les plus
+tristes et les plus cruelles o l'on puisse tre; il n'y a qu'
+souffrir, quand c'est la volont de Dieu.</p>
+
+<p>C'est du meilleur de mon c&#339;ur que j'approuve votre voyage de Provence:
+je vous le dis sans flatterie, et nous l'avions pens, madame <i>de
+Lavardin</i> et moi, sans savoir en aucune faon que ce ft votre
+dessein<a name="FNanchor_152_152" id="FNanchor_152_152"></a><a href="#Footnote_152_152" class="fnanchor" title="Go to footnote 152.">[152]</a>.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XI_LAFAYETTE" id="LETTRE_XI_LAFAYETTE"></a>LETTRE XI.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 20 septembre 1691</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">M</span><span class="smcap">a</span> sant est un peu meilleure qu'elle n'a t, c'est--dire que j'ai un
+peu moins de vapeurs; je ne connois point d'autre mal; ne vous inquitez
+pas de ma sant; mes maux ne sont pas dangereux; et quand ils le
+deviendroient, ce ne seroit que par une grande langueur et par un grand
+desschement, ce qui n'est pas l'affaire d'un jour: ainsi, ma belle,
+soyez en repos sur la vie de votre pauvre amie; vous aurez le loisir
+d'tre prpare tout ce qui arrivera, si ce n'est des accidens
+imprvus, quoi sont sujettes toutes les mortelles, et moi plus qu'une
+autre, parce que je suis plus mortelle qu'une autre; une personne en
+sant me parot un prodige. M. le chevalier <i>de Grignan</i> a soin de moi;
+j'en ai une reconnoissance parfaite, et je l'aime de tout mon c&#339;ur.
+Madame la duchesse <i>de Chaulnes</i> me vint voir hier; elle a mille bonts
+pour moi; mon tat lui fait piti. Ma belle-fille a eu une fausse couche
+huit jours aprs tre accouche; il y a assez de femmes qui cela
+arrive; c'est avoir t bien prs d'avoir deux enfans; sa fille se porte
+bien; ils n'en auront que trop. Notre pauvre ami <i>Croisilles</i><a name="FNanchor_153_153" id="FNanchor_153_153"></a><a href="#Footnote_153_153" class="fnanchor" title="Go to footnote 153.">[153]</a> est
+toujours Saint-Gratien: il me mande qu'il se porte fort bien la
+campagne; il faudroit que vous vissiez comme il est fait, pour admirer
+qu'il se vante de se porter fort bien; nous en sommes vritablement en
+peine, le chevalier <i>de Grignan</i> et moi. L'abb <i>Testu</i> est all faire
+un voyage la campagne; nous le souponnons, M. <i>de Chaulnes</i> et moi,
+d'tre all la Trappe. La bonne femme, madame <i>Lavocat</i>, est bien
+malade; il y a aussi bien long-temps qu'elle est au monde. Je suis toute
+ vous, ma chre amie, et toute votre aimable et bonne compagnie.</p>
+
+<p>L'on vient de me dire que M. <i>de la Feuillade</i><a name="FNanchor_154_154" id="FNanchor_154_154"></a><a href="#Footnote_154_154" class="fnanchor" title="Go to footnote 154.">[154]</a> toit mort cette
+nuit; si cela est vritable, voil un bel exemple pour se tourmenter des
+biens de ce monde.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XII_LAFAYETTE" id="LETTRE_XII_LAFAYETTE"></a>LETTRE XII.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 26 septembre 1691</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">V</span><span class="smcap">enir</span> Paris pour l'amour de moi, ma chre amie! la seule pense m'en
+fait peur. Dieu me garde de vous dranger ainsi! et, quoique je souhaite
+ardemment le plaisir de vous voir, je l'acheterois trop cher, si c'toit
+ vos dpens. Je vous mandai, il y a huit jours, la vrit de mon tat;
+j'tois parfaitement bien, et j'ai t comme par miracle, quinze jours
+sans vapeurs, c'est--dire, gurie de tous maux. Je ne suis plus si bien
+depuis trois ou quatre jours, et c'est la seule vue d'une lettre
+cachete, que je n'ai point ouverte, qui a mu mes vapeurs. Je
+ressemble, comme deux gouttes d'eau, une femme ensorcele; mais,
+l'aprs-dne, je suis assez comme une autre personne; je vous crivis,
+il y a un mois ou deux, que c'toit ma mchante heure, et c'est
+prsent la bonne. J'espre que mon mal, aprs avoir tourn et chang, me
+quittera peut-tre; mais je demeurerai toujours une trs-sotte femme; et
+vous ne sauriez croire comme je suis tonne de l'tre; je n'avois point
+t nourrie dans l'opinion que je le pusse devenir. Je reviens votre
+voyage, ma belle, comptez que c'est un chteau en Espagne pour moi, que
+de m'imaginer le plaisir de vous voir, mais mon plaisir seroit troubl,
+si votre voyage ne s'accordoit pas avec les affaires de madame <i>de
+Grignan</i> et avec les vtres. Il me parot cependant, tout intrt
+part, que vous feriez fort bien de venir l'une et l'autre; mais je ne
+puis assez vous dire quel point je suis touche de la pense de
+revenir uniquement cause de moi. Je vous crirai plus au long au
+premier jour.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XIII_LAFAYETTE" id="LETTRE_XIII_LAFAYETTE"></a>LETTRE XIII.</h3>
+
+<p class="date">Paris, mercredi 10 octobre 1691</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span>'<span class="smcap">ai</span>
+eu des vapeurs cruelles qui me durent encore, et qui me durent
+comme un point de fivre qui m'afflige. En un mot, je suis folle,
+quoique je sois assurment une femme assez sage. Je veux remercier
+madame <i>de Grignan</i> pour me calmer l'esprit; elle a crit des merveilles
+pour moi monsieur le chevalier <i>de Grignan</i>.</p>
+
+
+<p class="c"><i>A madame</i> <span class="smcap">de Grignan</span>.</p>
+
+<p>Je vous en remercie, Madame, et je vous prie d'ordonner M. le
+chevalier <i>de Grignan</i> de m'aimer; je l'aime de tout mon c&#339;ur: c'est un
+homme que cet homme-l. Ramenez madame votre mre; vous avez mille
+affaires ici; prenez garde de voir vos affaires domestiques de trop
+prs, et que les maisons ne vous empchent de voir la ville. Il y a plus
+d'une sorte d'intrt en ce monde. Venez, Madame, venez ici pour l'amour
+des personnes qui vous aiment, et songez qu'en travaillant pour vous,
+c'est me donner en mme temps la joie de voir madame votre mre.</p>
+
+
+<p class="c"><i>A Madame</i> <span class="smcap">de SVIGN.</span></p>
+
+<p>Mon dieu! ma chre amie, que je serai aise de vous voir! vraiment je
+pleurerai bien; tout me fait fondre en larmes. J'ai reu ce matin des
+lettres de mon fils l'abb, qui toit en Poitou, deux lieues de madame
+<i>de la Troche</i>. Un gentilhomme d'importance; gendre de madame <i>de la
+Rochebardon</i>, chez qui madame <i>de la Troche</i> est actuellement, vint dire
+adieu mon fils, et c'est l qu'il apprit la mort de <i>la Troche</i><a name="FNanchor_155_155" id="FNanchor_155_155"></a><a href="#Footnote_155_155" class="fnanchor" title="Go to footnote 155.">[155]</a>,
+par la gazette, s'il vous plat; car je n'en avois point parl mon
+fils, qui me fait une peinture de la dsolation de ce gentilhomme
+d'avoir donner chez lui une telle nouvelle, ce qui m'a rejete dans
+les larmes: j'y retombe bien toute seule. M. <i>de Pomponne</i> croyoit
+madame <i>de la Troche</i> riche, je lui ai crit, et il m'a mand que la
+duchesse <i>du Lude</i> l'avoit dtromp, et qu'ils avoient prsent un
+placet pour elle. <i>Croisilles</i> sort d'ici; il m'est venu voir de
+Saint-Gratien; je lui ai fait vos complimens; il est fort bien. Ma
+petite fille est louche comme un chien: il n'importe; madame <i>de
+Grignan</i> l'a bien t; c'est tout dire. Me voil bout de mon criture,
+et toute vous plus que jamais, s'il est possible.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XIV_LAFAYETTE" id="LETTRE_XIV_LAFAYETTE"></a>LETTRE XIV.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 24, janvier 1692.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">H</span><span class="smcap">las</span>! ma belle, tout ce que j'ai vous dire de ma sant est bien
+mauvais; en un mot, je n'ai repos ni nuit ni jour, ni dans le corps ni
+dans l'esprit; je ne suis une personne, ni par l'un ni par l'autre; je
+pris vue d'&#339;il; il faut finir quand il plat Dieu, et j'y suis
+soumise. L'horrible froid qu'il fait m'empche de voir madame <i>de
+Lavardin</i>. Croyez, ma trs-chre, que vous tes la personne du monde que
+j'ai le plus vritablement aime.</p>
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="EXTRAITS_DE_LETTRES_DIVERSES"
+id="EXTRAITS_DE_LETTRES_DIVERSES"></a>EXTRAITS<br /><br />DE LETTRES DIVERSES.</h3>
+
+<p class="title2"><i>Madame</i> de la Fayette <i>se moque des ridicules manires de parler de
+quelques personnes de son temps. Elle fait parler un amant jaloux sa
+matresse.</i></p>
+
+<p class="title">&mdash;&mdash;&mdash;&mdash;&mdash;</p>
+
+<h3 class="top5">PREMIER EXTRAIT.</h3>
+
+<p class="non"><span class="letra">C</span><span class="smcap">e</span>
+sont de ces sortes de choses qu'on ne pardonne pas en mille ans, que
+le trait que vous me ftes hier. Vous tiez belle comme un petit ange.
+Vous savez que je suis alerte sur le compte de <i>Dangeau</i>; je vous
+l'avois dit de bonne foi; et cependant vous me quitttes franc et net
+pour le galoper; cela s'appelle rompre de couronne couronne; c'est
+n'avoir aucun mnagement et manquer toutes sortes d'gards. Vous
+sentez que cette manire de peindre m'a tir de grands rideaux. Vous
+avez oubli qu'il y a des choses dont je ne tte jamais, et que je suis
+une espce d'homme que l'on ne trouve pas aisment sur un certain pied.
+Srement ce n'est point mon caractre que d'tre dupe et de donner dans
+le panneau tte baisse. Je me le tiens pour dit; j'entends le franois.
+A la vrit, je ne ferai point de fracas; j'en userai fort honntement;
+je n'afficherai point; je ne donnerai rien au public; je retirerai mes
+troupes; mais comptez que vous n'avez point oblig un ingrat.</p>
+
+
+<h3 class="top5">SECOND EXTRAIT,</h3>
+
+<p class="title2"><i>Compos de phrases o il n'y a point de sens</i>, <i>et que bien des gens de
+la cour mettent dans leurs discours.</i></p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span>
+vous assure, Monseigneur, qu'on est bien chagrin de ne pouvoir faire
+son devoir, et il est fort honnte de le pardonner. Je vous cris cette
+missive pour vous donner des nouvelles de M. <i>Domdtel</i>; j'espre qu'il
+sera bientt hors d'affaire, et que sa maladie ne sera pas longue. Je me
+suis trouv depuis peu un grand repas o l'on a mang une bonne soupe,
+et o vous avez t bien clbr. Vous savez, Monseigneur, que vous
+inspirez la joie. L'on fit mille plaisanteries; vous me ferez bien la
+justice de croire que l'on a eu le dernier dplaisir de ne vous y avoir
+pas. J'ai bien envie d'avoir l'honneur de vous voit pour vous entretenir
+sur mon gazon. Mes fermiers sont cause que je ne puis m'aller rabattre
+chez <i>Fredole</i>; mais je vas souvent en un lieu o l'on aime se
+rjouir, et o l'on met les plats en bataille. Il y a une personne qui
+dsire fort le tte--tte avec vous. Vous connotrez dans son dialogue
+qu'elle a du savoir-faire, et que l'on vous trouve furieusement aimable;
+je vous dis tout ceci, parce que je suis engou de vous; car votre
+caractre me rjouit; et, de bonne foi, il est vrai que je me suis coul
+de mon pied en un lieu o j'ai vu de beaux esprits qui ne peuvent se
+passer de vous cause de votre gnie. Je m'tonne que vous ne veniez
+pas dialoguer avec les demoiselles; c'est coup sr que vous les
+rjouissez quand elles vous voient; car, assurment, vous tes du bel
+air, et vous distinguez bien dans le beau monde, o l'on vous rend
+justice. Il est vrai que je m'en allai hier au bal dans un grand
+embarras, dont j'eus bien de la peine de me tirer; il est vrai que je
+n'y demeurai pas long-temps; j'ous la bonne femme qui me parla bien de
+vous, qui me dit que vous faisiez figure. Elle vous aime autant que les
+demoiselles; srement vous tes aujourd'hui la coqueluche de tout le
+monde; il est vrai que votre mrite n'est pas postiche. Les demoiselles
+en rendent srement de bons tmoignages.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h2><a name="PORTRAIT" id="PORTRAIT"></a>PORTRAIT</h2>
+
+<p class="title">DE</p>
+
+<h3 class="top5">LA MARQUISE DE SVIGN,</h3>
+
+<p class="title top5">PAR MADAME</p>
+
+<h3 class="top5">LA COMTESSE DE LA FAYETTE,</h3>
+
+<p class="title3">SOUS LE NOM D'UN INCONNU.</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">T</span><span class="smcap">ous</span>
+ceux qui se mlent de peindre des belles, se tuent de les embellir
+pour leur plaire, et n'oseroient leur dire un seul de leurs dfauts;
+mais pour moi, Madame, grce au privilge d'inconnu que j'ai auprs de
+vous, je m'en vais vous peindre bien hardiment, et vous dire toutes vos
+vrits tout mon aise, sans craindre de m'attirer votre colre; je
+suis au dsespoir de n'en avoir que d'agrables vous conter; car ce me
+seroit un grand dplaisir si, aprs vous avoir reproch mille dfauts,
+je voyois cet inconnu aussi bien reu de vous, que mille gens qui n'ont
+fait toute leur vie que de vous louer. Je ne veux point vous accabler de
+louanges, et m'amuser vous dire que votre taille est admirable, que
+votre teint a une beaut et une fleur qui assurent que vous n'avez que
+vingt ans, que votre bouche, vos dents et vos cheveux sont
+incomparables; je ne veux point vous dire toutes ces choses; votre
+miroir vous les dit assez; mais comme vous ne vous amusez pas lui
+parler, il ne peut vous dire combien vous tes aimable et charmante
+quand vous parlez; et c'est ce que je veux vous apprendre.</p>
+
+<p>Sachez donc, Madame, si par hasard vous ne le savez pas, que votre
+esprit pare et embellit si fort votre personne, qu'il n'y en a point au
+monde de si agrable. Lorsque vous tes anime dans une conversation
+dont la contrainte est bannie, tout ce que vous dites a un tel charme,
+et vous sied si bien, que vos paroles attirent les ris et les grces
+autour de vous; et le brillant de votre esprit donne un si grand clat
+ votre teint et vos yeux, que, quoiqu'il semble que l'esprit ne dt
+toucher que les oreilles, il est pourtant certain que le vtre blouit
+les yeux, et que, lorsqu'on vous coute, l'on ne voit plus qu'il manque
+quelque chose la rgularit de vos traits, et l'on vous croit la
+beaut du monde la plus acheve. Vous pouvez juger, par ce que je viens
+de vous dire, que, si je vous suis inconnu, vous ne m'tes pas inconnue,
+et qu'il faut que j'aie eu plus d'une fois l'honneur de vous voir et de
+vous entretenir, pour avoir dml ce qui fait en vous cet agrment dont
+tout le monde est surpris; mais je veux encore vous faire voir, Madame,
+que je ne connois pas moins les qualits solides qui sont en vous, que
+je sais les agrables dont on est touch. Votre me est grande, noble,
+propre dispenser des trsors, et incapable de s'abaisser au soin d'en
+amasser. Vous tes sensible la gloire et l'ambition, et vous ne
+l'tes pas moins au plaisir. Vous paroissez ne pour eux, et il semble
+qu'ils soient faits pour vous. Votre prsence augmente les
+divertissemens, et les divertissemens augmentent votre beaut lorsqu'ils
+vous environnent; enfin la joie est l'at vritable de votre me, et le
+chagrin vous est plus contraire qu' personne du monde. Vous tes
+naturellement tendre et passionne; mais, la honte de notre sexe,
+cette tendresse nous a t inutile, et vous l'avez renferme dans le
+vtre, en la donnant madame <i>de la Fayette</i>. Ah! Madame, s'il y avoit
+quelqu'un au monde assez heureux pour que vous ne l'eussiez pas trouv
+indigne de ce trsor dont elle jouit, et qu'il n'et pas tout mis en
+usage pour le possder, il mriteroit toutes les disgrces dont l'amour
+peut accabler ceux qui vivent sous son empire. Quel bonheur d'tre le
+matre d'un c&#339;ur comme le vtre, dont les sentimens fussent expliqus
+par cet esprit galant et agrable que les dieux vous ont donn! et votre
+c&#339;ur, Madame, est sans doute un bien qui ne se peut mriter; jamais il
+n'y en eut un si gnreux, si bien fait et si fidle. Il y a des gens
+qui vous souponnent de ne le montrer pas toujours tel qu'il est; mais,
+au contraire, vous tes si accoutume n'y rien sentir qu'il ne vous
+soit honorable de montrer, que mme vous y laissez voir quelquefois ce
+que la prudence du sicle vous obligeroit de cacher. Vous tes ne la
+plus civile et la plus obligeante personne qui ait jamais t, et, par
+un air libre et doux qui est dans toutes vos actions, les plus simples
+complimens de biensance paroissent, en votre bouche, des protestations
+d'amiti, et tous ceux qui sortent d'auprs de vous s'en vont persuads
+de votre estime et de votre bienveillance, sans qu'ils se puissent dire
+ eux-mmes quelle marque vous leur avez donne de l'une et de l'autre.
+Enfin, vous avez reu des grces du ciel qui n'ont jamais t donnes
+qu' vous; et le monde vous est oblig de lui tre venu montrer mille
+agrables qualits qui, jusqu'ici, lui avoient t inconnues. Je ne
+veux point m'embarquer vous les dpeindre toutes; car je romprois le
+dessein que j'ai de ne vous pas accabler de louanges, et, de plus,
+Madame, pour vous en donner qui fussent</p>
+
+<p class="poem">
+Dignes de vous et de parotre,<br />
+Il faudroit tre votre amant,<br />
+Et je n'ai pas l'honneur de l'tre<a name="FNanchor_156_156" id="FNanchor_156_156"></a><a href="#Footnote_156_156" class="fnanchor" title="Go to footnote 156.">[156]</a>.<br />
+</p>
+
+
+<p class="title top5"><i>Fin des lettres de Madame de la Fayette.</i></p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h1 class="top15"><a name="LETTRES_LENCLOS" id="LETTRES_LENCLOS"></a>LETTRES</h1>
+
+<p class="title top5">DE</p>
+
+<h3 class="top5">NINON DE L'ENCLOS.</h3>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h1><a name="NOTICE_LENCLOS" id="NOTICE_LENCLOS"></a>NOTICE</h1>
+
+<p class="title top5">SUR</p>
+
+<h3 class="top5">NINON DE L'ENCLOS.</h3>
+
+<p class="title">&mdash;&mdash;&mdash;&mdash;&mdash;</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">A</span><span class="smcap">nne de l</span>'E<span class="smcap">nclos</span> naquit Paris le 15 mai 1616 de M. <i>de l'Enclos</i>,
+gentilhomme de Touraine, et de mademoiselle <i>de Raconis</i>, son pouse,
+d'une famille noble de l'Orlanois.</p>
+
+<p>Madame <i>de l'Enclos</i> vouloit faire de Ninon une dvote; mais M. <i>de
+l'Enclos</i>, homme d'esprit et de plaisir, se chargea lui-mme de
+l'ducation de sa fille, et donna une direction toute diffrente ses
+inclinations.</p>
+
+<p><i>Ninon</i> perdit ses parens de bonne heure: ds l'ge de quinze ans, elle
+se trouva matresse d'elle-mme, et d'une fortune que les dissipations
+de son pre avoient considrablement rduite. Elle mit son bien fonds
+perdu, et se fit, par ce moyen, un revenu suffisant pour vivre dans
+l'aisance, et mme obliger ses amis au besoin. Elle sut conomiser sans
+avarice, et dpenser sans profusion.</p>
+
+<p>Plusieurs fois elle fut recherche en mariage; mais elle chrissoit trop
+l'indpendance pour contracter un pareil engagement.</p>
+
+<p>leve dans les principes les moins svres, et ne avec des sens fort
+vifs, elle se livra toute entire aux plaisirs de l'amour. Nous
+n'entreprendrons point de faire l'apologie d'une conduite aussi peu
+retenue; en renonant la principale vertu de son sexe, Ninon a sans
+doute perdu une grande partie de ses droits l'estime; mais s'il n'est
+pas permis de chercher excuser ses torts, il doit l'tre au moins de
+mettre sous les yeux du lecteur tout ce qui peut contribuer les faire
+juger moins rigoureusement. M. <i>de l'Enclos</i>, professant ouvertement
+l'picurisme le plus relch, avoit donn sa fille des prceptes de
+volupt qu'il ne confirmoit que trop par sa manire de vivre; et l'on
+sait quelle influence exercent sur nos ides et nos actions de toute la
+vie, les discours et l'exemple des personnes qui ont prsid notre
+ducation, sur-tout lorsque ces personnes nous ont t chres, et que
+leur doctrine a flatt nos gots, au lieu de les contrarier. Abandonne
+fort jeune sa propre volont, entoure de mille adorateurs que lui
+attiroient ses charmes, flatte d'inspirer de l'amour, ne pouvant
+s'empcher d'en ressentir elle-mme pour des hommes qui runissoient
+presque tous aux grces de l'esprit et du corps l'clat d'une grande
+fortune ou d'un grand nom, comment <i>Ninon</i> se seroit-elle dfendue
+contre tant de sductions? Elle y cda sans rsistance; mais si elle fut
+foible, elle ne fut point vile. Quoiqu'elle eut le tort trs-grand de ne
+considrer l'amour que comme une sensation et non point comme un
+sentiment, on ne voit pas que ce travers d'opinion, qui auroit pu
+l'entraner aux choix les plus honteux, lui en ait jamais fait faire un
+seul que la dlicatesse la plus platonique et pu dsavouer. La liste de
+ses amans est nombreuse; mais il n'y figure aucun nom que, pour son
+honneur, on soit fch d'y trouver inscrit; ce sont les <i>Cond</i>, les <i>la
+Rochefoucauld</i>, les <i>Longueville</i>, les <i>Coligni</i>, les <i>Villarceaux</i>,
+les <i>Svign</i>, les <i>d'Albret</i>, les <i>d'Estres</i>, les <i>Gersey</i>, les
+<i>d'Effiat</i>, les <i>Clrembault</i>, les <i>la Chtre</i>, les <i>Bannier</i>, les
+<i>Gourville</i>, etc. Mais ce qui tablit sur-tout une prodigieuse
+diffrence entre <i>Ninon</i> et les autres femmes qui, comme elle, ont fait
+de l'amour une sorte de profession, c'est qu'elle ne trafiqua point de
+ses faveurs. Par inclination, par caprice ou mme par vanit, elle les
+accordoit en pur don l'amabilit, au mrite, la clbrit; mais
+jamais elle ne les vendit la richesse. Elle poussoit, dit-on, les
+scrupules du dsintressement jusque-l, que ceux dont elle avoit
+satisfait les dsirs, en perdoient le droit de lui faire accepter les
+dons les plus lgers.</p>
+
+<p>Celle qui rejetoit les prsens de l'amour comme un salaire offensant,
+n'toit pas faite pour retenir les dpts de l'amiti. <i>Gourville</i>,
+oblig de fuir du royaume, avoit confi vingt mille cus en or
+<i>Ninon</i>, dont il toit alors l'amant, et remis pareille somme entre les
+mains d'un personnage fameux par l'austrit de ses m&#339;urs. <i>Gourville</i>
+revint. L'ecclsiastique (c'en toit un) nia le dpt. <i>Gourville</i>,
+qui <i>Ninon</i> dans l'intervalle avoit donn un successeur, lui fit
+l'injure de la croire aussi peu fidle en affaires qu'en amour, et il
+doutoit si peu de son malheur qu'il s'pargnoit jusqu' la peine d'aller
+s'en assurer. <i>Ninon</i> l'envoya chercher. Mon cher <i>Gourville</i>, lui
+dit-elle, il m'est arriv un grand malheur pendant votre absence. J'ai
+perdu le got que j'avois pour vous; mais je n'ai pas perdu la mmoire.
+Voici les vingt mille cus que vous m'avez confis votre dpart de
+Paris. Ils sont encore dans la cassette o vous les avez serrs
+vous-mme.</p>
+
+<p><i>Ninon</i> ne trahissoit point ses amans; elle cessoit de les aimer et le
+leur disoit. Ce ne fut que pour se soustraire aux fatigantes
+importunits de <i>la Chtre</i>, qu'elle lui signa ce fameux billet, o elle
+faisoit de tous les sermens celui qu'elle toit le moins en tat de
+tenir, le serment de n'en aimer jamais d'autre de sa vie; et elle ne se
+crut pas lie un seul instant par un engagement aussi tmraire. Au
+reste il est certain, d'aprs son caractre, que si le porteur de cette
+risible cdule et t de retour auprs d'elle, quand il lui vint en
+fantaisie de manquer la foi jure, elle lui auroit ingnument confi
+lui-mme que son billet ne valoit plus rien.</p>
+
+<p>Volage en amour, mais non point perfide, <i>Ninon</i> toit en amiti d'une
+constance toute preuve. Ses amans, en cessant de l'tre, devenoient
+ses amis, et c'toit pour toujours. L'amiti toit le seul sentiment
+respectable ses yeux, et elle en remplissoit religieusement tous les
+devoirs. J. J. <i>Rousseau</i> a dit: Je n'aurois pas plus voulu d'elle pour
+mon ami que pour ma matresse. On ne voit pas trop par quel motif il
+et rpugn si fort tre l'ami de <i>Ninon</i>; on expliqueroit plus
+facilement encore pourquoi il et refus d'tre son amant, quoiqu' dire
+vrai, <i>Rousseau</i> lui-mme et peut-tre eu bien de la peine se
+dfendre de ses charmes, si elle se ft mis en tte de venir bout de
+sa philosophie.</p>
+
+<p>Tous ses contemporains s'accordent la peindre comme la plus
+sduisante des femmes. Sa taille, disent-ils, toit pleine de grce et
+de noblesse; sa figure n'toit pas parfaitement rgulire, et n'avoit
+point ce grand clat de beaut qui frappe d'abord; mais l'examen y
+faisoit dcouvrir une foule d'agrmens et de finesses qui la faisoient
+prfrer aux figures les plus correctes et les plus blouissantes. Elle
+ddaignoit le luxe des habits, ou plutt, par une coquetterie mieux
+entendue, elle le rejetoit comme contraire aux intrts de sa beaut.
+Une propret recherche, une simplicit lgante faisoient tous les
+frais de sa parure. Les charmes de sa personne se conservrent si
+long-temps, ils diminurent d'une manire si lente et si peu sensible,
+qu'elle prolongea le don de plaire et d'exciter le dsir, jusqu' un ge
+o toutes les autres femmes sont trop heureuses de ne pas exciter le
+dgot. On prtend qu' quatre-vingts ans elle inspira une vive passion
+ l'abb <i>Gedoyn</i>. <i>Voltaire</i> ne rejette point entirement cette
+anecdote, comme quelques autres ont fait; mais l'abb <i>Gedoyn</i> il
+substitue l'abb <i>de Chteau-Neuf</i>, et il rabat dix annes de l'ge
+attribu <i>Ninon</i> quand elle fit sa dernire folie. Au compte mme de
+<i>Voltaire</i>, c'est encore avoir pouss bien loin sa carrire amoureuse.
+L'abb <i>Fraguier</i>, qui n'avoit connu <i>Ninon</i> que dans un ge dj
+trs-avanc, disoit que <i>quiconque vouloit faire attention ses yeux,
+pouvoit y lire encore toute son histoire</i>. <i>Chaulieu</i> exprimoit
+autrement la mme ide: <i>L'amour</i>, disoit-il, <i>s'toit retir jusque
+dans les rides de son front.</i></p>
+
+<p>L'esprit de <i>Ninon</i> n'toit pas moins clbre que ses charmes. Elle
+l'avoit tout la fois agrable et solide. Elle se l'toit form de
+bonne heure par la lecture de nos meilleurs crivains. A l'ge de dix
+ans, <i>Montaigne</i> et <i>Charron</i> toient ses livres favoris. Elle parloit
+avec facilit l'italien et l'espagnol. Elle vitoit avec un soin extrme
+le ridicule si commun parmi les femmes qui se croient ou sont en effet
+plus instruites que les autres, celui de faire parade de leur savoir.
+<i>Mignard</i> se plaignoit de ce que sa fille, depuis madame la comtesse <i>de
+Feuquires</i>, manquoit de mmoire: <i>Vous tes trop heureux, Monsieur</i>,
+lui dit <i>Ninon</i>, <i>elle ne citera point</i>. Son entretien toit doux et
+lger, dit l'abb <i>Fraguier</i>: le contraire la blessoit, mais il n'y
+paroissoit point. Elle n'avoit pas nglig les arts agrables; elle
+dansoit avec grce, chantoit avec got, et jouoit trs-bien du
+clavecin, du luth, du tuorbe et de la guitare.</p>
+
+<p>Tant d'agrmens runis ne pouvoient manquer d'attirer chez elle l'lite
+de la cour et de la ville. Les hommes les plus distingus par la
+naissance, l'esprit et les talens, lui faisoient une cour assidue. Les
+mres ambitionnoient pour leurs fils l'avantage d'tre admis chez
+<i>Ninon</i>, auprs de qui ils se formoient aux manires et au ton de la
+bonne compagnie. Cette faveur n'toit point accorde indistinctement
+tous ceux qui la sollicitoient. Un mrite reconnu, ou d'heureuses
+dispositions pour en acqurir, toient, avec la probit, les seuls
+titres qui pussent la faire obtenir. <i>Ninon</i> n'y fut trompe qu'une
+fois. A la sollicitation d'un de ses meilleurs amis, elle avoit
+consenti recevoir chez elle un M. <i>Rmond</i>, dont l'ducation ne lui
+fit point d'honneur. Il se signala bientt dans le monde par toutes
+sortes de ridicules. On apprit <i>Ninon</i> qu'il alloit se vantant partout
+d'avoir t form par elle. <i>Je suis comme Dieu, dit-elle, qui s'est
+repenti d'avoir form l'homme.</i> <i>Chapelle</i> fut exclus de sa maison,
+cause de son ivrognerie, quoique ce dfaut, qui est devenu le partage de
+la dernire classe du peuple, ft encore de mode alors parmi les plus
+honntes gens. <i>Chapelle</i>, offens, jura que pendant un mois il ne se
+coucheroit pas sans tre ivre, et sans avoir fait une chanson contre
+<i>Ninon</i>. Il tint parole, dit <i>Voltaire</i>.</p>
+
+<p>On conoit sans peine que les hommes, moins scrupuleux dans leurs
+liaisons de tout genre, aient recherch avec empressement la socit
+d'une femme, disons le mot, d'une courtisane charmante, et se soient, en
+quelque sorte, fait un honneur d'y tre admis; mais que des femmes,
+qui le soin de leur rputation commandoit cet gard la plus grande
+rserve, n'aient point rougi d'tre ouvertement les amies de <i>Ninon</i>,
+voil ce qui tonne avec raison, voil ce qu'on ne peut expliquer que
+par un mrite vraiment extraordinaire dans la personne qui les faisoit
+ainsi passer par-dessus les conseils du plus sage prjug. Cela fait
+supposer aussi, que <i>Ninon</i> mettoit dans sa conduite autant de dcence
+extrieure qu'il en falloit, pour que des femmes honntes ne fussent
+point embarrasses chez elle de leur contenance. Mesdames <i>de la Suze</i>,
+<i>de Castelnau</i>, <i>de la Fert</i>, <i>de Sulli</i>, <i>de Fiesque</i>, <i>de la
+Fayette</i>, <i>de Choisi</i>, <i>de Lambert</i>, <i>de Bouillon-Mancini</i>, <i>de
+Sandwich</i>, etc., furent lies avec elle d'une amiti trs-troite. Elle
+en avoit contract une plus intime encore avec madame <i>de Maintenon</i>,
+lorsque celle-ci n'toit que mademoiselle <i>d'Aubign</i> ou madame
+<i>Scarron</i>; elles couchrent plusieurs mois ensemble dans le mme lit, et
+l'on assure que mademoiselle <i>d'Aubign</i> enleva <i>Ninon</i>,
+<i>Villarceaux</i>, son amant, sans que <i>Ninon</i> en st plus mauvais gr
+l'un et l'autre. Madame <i>de Maintenon</i>, parvenue au comble de la
+faveur, fit proposer son ancienne amie de se faire dvote, et de venir
+auprs d'elle la cour. <i>Ninon</i> refusa. Ce ne fut pas la seule fois
+qu'elle sacrifia la fortune et la faveur son amour pour le repos et la
+libert. La reine <i>Christine</i> fit en vain mille efforts pour l'emmener
+avec elle Rome. <i>Christine</i> dit en partant qu'elle n'avoit trouv
+aucune femme en France qui lui plt autant que <i>l'illustre Ninon</i>. C'est
+dans une conversation avec cette reine que <i>Ninon</i> qualifia les
+prcieuses de <i>jansnistes de l'amour</i>. Madame <i>de Svign</i> n'aimoit
+point <i>Ninon</i>. Dans plusieurs de ses lettres, elle parle d'elle avec
+trs-peu de considration. Sa prvention est excusable; le marquis <i>de
+Svign</i> s'occupoit peu de son avancement, mais en revanche il
+travailloit assez efficacement dranger une fortune que sa mre
+mettoit tous ses soins conserver. Madame <i>de Svign</i> crut voir dans
+l'amour de son fils pour <i>Ninon</i> la cause de son indolence et de ses
+dissipations. La <i>Champml</i>, qui succda <i>Ninon</i> dans le c&#339;ur du
+marquis <i>de Svign</i>, eut aussi sa part de la mauvaise humeur et des
+ressentimens de cette mre tendre et inquite. En gnral, elle ne
+mnageoit aucun de ceux qu'elle croyoit pouvoir accuser du drangement
+de son fils. Pour un ou deux soupers que celui-ci fit accepter
+<i>Racine</i> et <i>Boileau</i>, elle parle quelque part d'eux, comme de potes
+famliques, pour qui un repas pris en ville est une bonne fortune. Or,
+on sait que <i>Boileau</i> recevoit chez lui les plus grands seigneurs, et
+que <i>Racine</i> refusoit de dner avec M. le duc <i>de Bourbon</i>, pour manger
+une carpe en famille.</p>
+
+<p>Revenons <i>Ninon</i>. Plusieurs beaux esprits du temps, plusieurs
+crivains assez distingus la clbrrent en prose et en vers. De ce
+nombre furent <i>Scarron</i>, <i>Regnier-Desmarais</i>, l'abb <i>de Chteauneuf</i> et
+<i>Saint-Evremont</i>. Ce dernier partageoit ses adorations entre elle et la
+fameuse duchesse <i>de Mazarin</i>. Tout le monde connot le joli quatrain
+qu'il fit pour <i>Ninon</i>:</p>
+
+<p class="poem">L'indulgente et sage nature<br />
+A form l'me de <i>Ninon</i>,<br />
+De la volupt d'picure,<br />
+Et de la vertu de Caton.<br />
+</p>
+
+<p>Un hommage plus flatteur encore pour elle, c'est le cas que <i>Molire</i>
+faisoit de son got et de son esprit; il la consultoit, dit-on, sur tous
+ses ouvrages. Comme il lui avoit lu un jour son <i>Tartuffe</i>, elle lui fit
+le rcit d'une aventure qui lui toit arrive avec un sclrat peu
+prs de la mme espce. <i>Molire</i> rapporta qu'elle lui en avoit fait le
+portrait avec des couleurs si vives et si naturelles, que, si sa pice
+n'et pas t faite, il ne l'auroit jamais entreprise, tant il se
+seroit cru incapable de rien mettre sur le thtre d'aussi parfait que
+le <i>Tartuffe</i> de mademoiselle <i>de l'Enclos</i>. <i>Voltaire</i> trouve
+l'anecdote peu vraisemblable, quoiqu'on en ait pour garant l'abb <i>de
+Chteauneuf</i>, qui disoit la tenir de <i>Molire</i> lui-mme. On peut
+l'adopter, en admettant que <i>Molire</i> a parl avec un peu trop de
+modestie sur son propre compte, et d'exagration sur celui de <i>Ninon</i>,
+qui l'avoit frapp d'admiration par son talent pour saisir et peindre le
+ridicule.</p>
+
+<p>Ses contes et ses bons mots lui avoient fait de bonne heure une
+rputation. On cite d'elle une foule de rflexions profondes ou
+ingnieuses. Nous n'en rapporterons que quelques-unes. Elle eut, l'ge
+de vingt-deux ans, une maladie qui la mit au bord du tombeau. Ses amis
+dploroient sa destine qui l'enlevoit la fleur de son ge. <i>Ah!</i>
+dit-elle, <i>je ne laisse au monde que des mourans.</i> Ce mot est bien
+philosophique. <i>La beaut sans les grces</i>, disoit-elle souvent, <i>est un
+hameon sans appt</i>. Elle disoit un jour <i>Saint-Evremont</i> qu'<i>elle
+rendoit grces Dieu tous les soirs de son esprit, et qu'elle le prioit
+tous les matins de la prserver des sottises de son c&#339;ur.</i> Elle
+prtendoit qu'<i>une femme sense ne devroit jamais prendre d'amant sans
+l'aveu de son c&#339;ur, ni de mari sans le consentement de sa raison.</i>
+<i>Ninon</i> avoit le talent des vers; mais elle en faisoit rarement usage.
+Le Grand-Prieur <i>de Vendme</i> avoit essay inutilement de se faire aimer
+d'elle; indign de ses refus, il mit un jour sur sa toilette ce
+quatrain:</p>
+
+<p class="poem">Indigne de mes feux, indigne de mes larmes,<br />
+Je renonce sans peine tes foibles appas:<br />
+<span style="margin-left: 3em;">Mon amour te prtoit des charmes,</span><br />
+<span style="margin-left: 3em;">Ingrate, que tu n'avois pas.</span><br />
+</p>
+
+<p>Elle y rpondit par cette plaisante parodie:</p>
+
+<p class="poem">Insensible tes feux, insensible tes larmes,<br />
+Je te vois renoncer mes foibles appas;<br />
+<span style="margin-left: 3em;">Mais si l'amour prte des charmes,</span><br />
+<span style="margin-left: 3em;">Pourquoi n'en empruntois-tu pas?</span><br />
+</p>
+
+<p>Le bonheur dont jouissoit <i>Ninon</i> ne fut troubl qu'une fois, mais ce
+fut par l'accident le plus affreux. L'un des deux fils qu'elle avoit eus
+de <i>Villarceaux</i>, ignorant qu'elle toit sa mre, devint perdument
+amoureux d'elle, et lorsque voulant mettre fin cette fatale passion,
+elle lui et rvl le secret de sa naissance, l'infortun jeune homme
+alla se poignarder de dsespoir. Son autre fils, nomm <i>la Boissire</i>,
+fit une espce de fortune; il devint capitaine de vaisseau, et mourut
+Toulon, en 1732, g de 75 ans.</p>
+
+<p>Tout le monde sait que <i>Voltaire</i> fut prsent <i>Ninon</i> au sortir du
+collge par l'abb de <i>Chteauneuf</i>, et qu'elle lui laissa par son
+testament deux mille francs pour acheter des livres.</p>
+
+<p><i>Ninon</i> mourut Paris dans sa maison de la rue des Tournelles, au
+Marais, le 17 octobre 1706, sur les cinq heures du soir, l'ge de
+quatre-vingt-dix ans et cinq mois.</p>
+
+<p>On a crit plusieurs fois sa vie. <i>Voltaire</i> impatient de voir parotre
+tant de <i>mmoires</i> sur elle, disoit: <i>Si cette mode continue, il y aura
+bientt autant d'histoires de Ninon que de Louis XIV.</i></p>
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h1 class="top15">LETTRES</h1>
+
+<h3 class="top3">DE<br />&nbsp;<br />
+<span class="smcap">M<sup>LLE.</sup></span> DE L'ENCLOS;<br />&nbsp;<br />
+A M. DE <span class="smcap">St.</span>-EVREMONT,<br />&nbsp;<br />
+ET<br />&nbsp;<br />
+DE M. DE <span class="smcap">St.</span>-EVREMONT<br />&nbsp;<br />
+A M<sup>LLE.</sup> DE L'ENCLOS.</h3>
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_PREMIERE_LENCLOS" id="LETTRE_PREMIERE_LENCLOS"></a>LETTRE PREMIRE.</h3>
+
+<p class="title3"><i>M.</i> <span class="smcap">de Saint-Evremont</span> <i> mademoiselle</i> <span class="smcap">de l'Enclos.</span></p>
+
+
+<p class="non"><span class="letra">V</span><span class="smcap">otre</span>
+vie, ma trs-chre, a t trop illustre pour n'tre pas continue
+de la mme manire jusqu' la fin. Que l'<i>enfer de</i> M. <i>de la
+Rochefoucauld</i><a name="FNanchor_157_157" id="FNanchor_157_157"></a><a href="#Footnote_157_157" class="fnanchor" title="Go to footnote 157.">[157]</a> ne vous pouvante pas; c'toit un <i>enfer</i> mdit,
+dont il vouloit faire une maxime. Prononcez donc le mot d'amour
+hardiment, et que celui de vieille ne sorte jamais de votre bouche. Il y
+a tant d'esprit dans votre lettre, que vous ne laissez pas mme imaginer
+le commencement du retour. Quelle ingratitude d'avoir honte de nommer
+l'amour qui vous devez votre mrite et vos plaisirs! Car enfin, ma
+belle gardeuse de cassette, la rputation de votre probit est
+particulirement tablie sur ce que vous avez rsist des amans qui se
+fussent accommods volontiers de l'argent de vos amis. Avouez toutes vos
+passions pour faire valoir toutes vos vertus. Cependant, vous n'avez
+exprim que la moiti du caractre. Il n'y a rien de mieux que la part
+qui regarde vos amis; rien de plus sec que ce qui regarde vos amans. En
+peu de vers, je veux faire le caractre entier; et le voici form de
+toutes les qualits que vous avez, ou que vous avez eues.</p>
+
+<p class="poem"><span style="margin-left: 2em;">Dans vos amours on vous trouvoit lgre,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">En amiti toujours sre et sincre;</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Pour vos amans les humeurs de Vnus,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Pour vos amis les solides vertus.</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Quand les premiers vous nommoient infidelle,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Et qu'asservis encore votre loi,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Ils reprochoient une flamme nouvelle,</span><br />
+Les autres se louoient de votre bonne foi.<br />
+<span style="margin-left: 2em;">Tantt c'toit le naturel d'Hlne,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Ses apptits, comme tous ses appas;</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Tantt c'toit la probit romaine,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">C'toit d'honneur la rgle et le compas.</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Dans un couvent, en s&#339;ur dpositaire,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Vous auriez bien mnag quelqu'affaire;</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Et dans le monde, garder les dpts,</span><br />
+On vous et justement prfre aux dvots.<br />
+</p>
+
+<p>Que cette diversit ne vous surprenne point.</p>
+
+<p class="poem">L'indulgente et sage nature,<br />
+A form l'me de <i>Ninon</i>,<br />
+De la volupt d'picure,<br />
+Et de la vertu de Caton.<br />
+</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_II_LENCLOS" id="LETTRE_II_LENCLOS"></a>LETTRE II.</h3>
+
+<p class="title"><i>Mademoiselle</i> <span class="smcap">de l'Enclos</span> <i> M.</i> <span class="smcap">de Saint-Evremont.</span></p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span>'<span class="smcap">tois</span>
+dans ma chambre, toute seule, et trs-lasse de lecture, lorsque
+l'on me dit: voil un homme de la part de M. <i>de Saint-Evremont</i>. Jugez
+si tout mon ennui ne s'est pas dissip dans le moment. J'ai eu le
+plaisir de parler de vous, et j'en ai appris des choses que les lettres
+ne disent point: votre sant parfaite et vos occupations. La joie de
+l'esprit en marque la force; et votre lettre, comme du temps que M.
+<i>d'Olonne</i> vous faisoit suivre, m'assure que l'Angleterre vous promet
+encore quarante ans de vie; car il me semble que ce n'est qu'en
+Angleterre que l'on parle de ceux qui ont vcu au del de l'ge de
+l'homme. J'aurois souhait de passer ce qui me reste de vie avec vous:
+si vous aviez pens comme moi, vous seriez ici. Il est pourtant assez
+beau de se souvenir toujours des personnes que l'on a aimes; et c'est
+peut-tre pour embellir mon pitaphe que cette sparation du corps s'est
+faite. Je souhaiterois que le jeune<a name="FNanchor_158_158" id="FNanchor_158_158"></a><a href="#Footnote_158_158" class="fnanchor" title="Go to footnote 158.">[158]</a> prdicateur m'et trouve dans
+la <i>gloire de Nique</i>, o l'on ne change point; car il me parot que
+vous m'y croyez des premires enchantes. Ne changez point vos ides sur
+cela; elles m'ont toujours t favorables, et que cette communication,
+que quelques philosophes croyoient au-dessus de la prsence, dure
+toujours.</p>
+
+<p>J'ai tmoign M. <i>Turretin</i> la joie que j'aurois de lui tre bonne
+quelque chose. Il a trouv ici de mes amis qui l'ont jug digne des
+louanges que vous lui donnez. S'il veut profiter de ce qui nous reste
+d'honntes abbs en l'absence de la cour, il sera trait comme un homme
+que vous estimez. J'ai lu devant lui votre lettre avec des lunettes,
+mais elles ne me sient pas mal; j'ai toujours eu la mine grave. S'il
+est amoureux du mrite que l'on appelle ici <i>distingu</i>, peut-tre que
+votre souhait sera accompli; car tous les jours on me veut consoler de
+mes pertes par ce beau mot.</p>
+
+<p>J'ai su que vous souhaitiez <i>la Fontaine</i> en Angleterre. On n'en jouit
+gure Paris. Sa tte est bien affoiblie: c'est le destin des potes;
+le Tasse et Lucrce l'ont prouv. Je doute qu'il y ait eu du philtre
+amoureux pour <i>la Fontaine</i>. Il n'a gure aim de femmes qui en eussent
+pu faire la dpense.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_III_LENCLOS" id="LETTRE_III_LENCLOS"></a>LETTRE III.</h3>
+
+<p class="title"><i>M.</i> <span class="smcap">de Saint-Evremont</span> <i> mademoiselle</i> <span class="smcap">de l'Enclos</span>.</p>
+
+
+<p class="non"><span class="letra">M</span> <i>Turretin</i> m'a une grande obligation de lui avoir donn votre
+connoissance. Je ne lui en ai pas une mdiocre d'avoir servi de sujet
+la belle lettre que je viens de recevoir. Je ne doute point qu'il ne
+vous ait trouve avec les mmes yeux que je vous ai vue: ces yeux, par
+qui je connoissois toujours la nouvelle conqute d'un amant, quand ils
+brilloient un peu plus que de coutume, et qui nous faisoient dire:</p>
+
+<p class="poem">
+Telle n'est point la Cythre<a name="FNanchor_159_159" id="FNanchor_159_159"></a><a href="#Footnote_159_159" class="fnanchor" title="Go to footnote 159.">[159]</a>,<br />
+Quand d'un nouveau feu s'allumant,<br />
+Elle soit pompeuse et pare<br />
+Pour la conqute d'un amant;<br />
+Telle ne luit en sa carrire<br />
+Des mois l'ingale courrire;<br />
+Et telle dessus l'horizon,<br />
+L'Aurore au matin ne s'tale,<br />
+Quand les yeux mme de Cphalo<br />
+En feroient la comparaison.<br />
+</p>
+
+<p>Vous tes encore la mme pour moi; et quand la nature, qui n'a jamais
+pardonn personne, auroit puis son pouvoir produire une petite
+altration aux traits de votre visage, mon imagination sera toujours
+pour vous cette <i>gloire de Nique</i>, o vous savez qu'on ne changeoit
+point. Vous n'en avez pas affaire pour vos yeux et pour vos dents, j'en
+suis assur. Le plus grand besoin que vous ayez, c'est de mon jugement,
+pour bien connotre les avantages de votre esprit, qui se perfectionne
+tous les jours. Vous tes plus spirituelle que n'toit la jeune et vive
+<i>Ninon</i>.</p>
+
+<p class="poem">
+<span style="margin-left: 2em;">Telle n'toit point <i>Ninon</i>,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Quand le gagneur<a name="FNanchor_160_160" id="FNanchor_160_160"></a><a href="#Footnote_160_160" class="fnanchor" title="Go to footnote 160.">[160]</a> de batailles,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Aprs l'expdition</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Oppose aux funrailles,</span><br />
+Attendoit avec vous en conversation<br />
+Le mrite nouveau d'une autre impulsion.<br />
+<br />
+<span style="margin-left: 2em;">Votre esprit, son courage</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Qui paroissoit abattu,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Faisoit retrouver l'usage</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">De sa premire vertu.</span><br />
+<br />
+<span style="margin-left: 2em;">Le charme de vos paroles</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Passoit ceux des Espagnoles,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">A ranimer tous les sens</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Des amoureux languissans.</span><br />
+<br />
+<span style="margin-left: 2em;">Tant qu'on vit votre service</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Un jeune, un aimable garon<a name="FNanchor_161_161" id="FNanchor_161_161"></a><a href="#Footnote_161_161" class="fnanchor" title="Go to footnote 161.">[161]</a>,</span><br />
+<span style="margin-left: 1em;">A qui Vnus fut rarement propice,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;"><i>Bussi</i> n'en fit point de chanson.</span><br />
+<br />
+<span style="margin-left: 2em;">Vous tiez mme regarde</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Comme une nouvelle Mde;</span><br />
+Qui pourroit en amour rajeunir un son.<br />
+Que votre art seroit beau, qu'il seroit admirable,<br />
+<span style="margin-left: 2em;">S'il me rendoit un Jason,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Un Argonaute capable</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">De conqurir la toison!</span><br />
+</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_IV_LENCLOS" id="LETTRE_IV_LENCLOS"></a>LETTRE IV.</h3>
+
+<p class="title"><i>M.</i> <span class="smcap">de Saint-Evremont</span> <i> mademoiselle</i> <span class="smcap">de l'Enclos.</span></p>
+
+<p class="date">1696</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span>'<span class="smcap">ai</span>
+reu la seconde lettre que vous m'avez crite, obligeante,
+agrable, spirituelle, o je reconnois les enjouemens de <i>Ninon</i> et le
+bon sens de mademoiselle <i>de Lenclos</i>. Je savois comment la premire a
+vcu; vous m'apprenez de quelle manire vit l'autre. Tout contribue me
+faire regretter le temps heureux que j'ai pass dans votre commerce, et
+ dsirer inutilement de vous voir encore. Je n'ai pas la force de me
+transporter en France, et vous y avez des agrmens qui ne vous
+laisseront pas venir en Angleterre. Madame <i>de Bouillon</i> vous peut dire
+que l'Angleterre a ses charmes; et je serois un ingrat, si je n'avouois
+moi-mme que j'y ai trouv des douceurs. J'ai appris avec beaucoup de
+plaisir que M. le comte <i>de Grammont</i> a recouvr sa premire sant, et
+acquis une nouvelle dvotion. Jusqu'ici je me suis content
+grossirement d'tre homme de bien. Il faut faire quelque chose de plus,
+et je n'attends que votre exemple pour tre dvt. Vous vivez dans un
+pays o l'on a de merveilleux avantages pour se sauver. Le vice n'y est
+gure moins oppos la mode qu' la vertu. Pcher, c'est ne savoir pas
+vivre, et choquer la biensance autant que la religion. Il ne falloit
+autrefois qu'tre mchant; il faut tre de plus malhonnte homme pour se
+damner en France prsentement. Ceux qui n'ont pas assez de considration
+pour l'autre vie, sont conduits au salut par les gards et les devoirs
+de celle-ci. C'en est assez sur une matire o la conversion de M. le
+comte <i>de Grammont</i> m'a engag. Je la crois sincre et honnte. Il sied
+bien un homme qui n'est pas jeune, d'oublier qu'il l'a t. Je ne l'ai
+pu faire jusqu'ici. Au contraire, du souvenir de mes jeunes ans, de la
+mmoire de ma vivacit passe, je tche d'animer la langueur de mes
+vieux jours. Ce que je trouve de plus fcheux mon ge, c'est que
+l'esprance est perdue: l'esprance, qui est la plus douce des passions,
+et celle qui contribue davantage nous faire vivre agrablement.
+Dsesprer de vous voir jamais, est ce qui me fait le plus de peine. Il
+faut se contenter de vous crire quelquefois, pour entretenir une amiti
+qui rsiste la longueur du temps, l'loignement des lieux, et la
+froideur ordinaire de la vieillesse<a name="FNanchor_162_162" id="FNanchor_162_162"></a><a href="#Footnote_162_162" class="fnanchor" title="Go to footnote 162.">[162]</a>. Ce dernier mot me regarde. La
+nature commencera par vous, faire voir qu'il est possible de ne
+vieillir pas. Je vous prie de faire assurer M. le duc <i>de Lauzun</i>, de
+mes trs-humbles services, et de savoir si madame la marchale <i>de
+Crqui</i> lui a fait payer cinq cents cus qu'il m'avoit prts. On me l'a
+crit, il y a long-temps; mais je n'en suis pas trop assur.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_V_LENCLOS" id="LETTRE_V_LENCLOS"></a>LETTRE V.</h3>
+
+<p class="title"><i>M.</i> <span class="smcap">de Saint-Evremont</span> <i> mademoiselle</i> <span class="smcap">de l'Enclos.</span></p>
+
+<p class="non"><span class="letra">I</span><span class="smcap">l</span>
+y a plus d'un an que je demande de vos nouvelles tout le monde, et
+personne ne m'en apprend.</p>
+
+<p>M. <i>de la Bastide</i> m'a dit que vous vous portiez fort bien; mais il
+ajoute, que si vous n'avez plus tant d'amans, vous tes contente d'avoir
+beaucoup d'amis. La fausset de la dernire nouvelle me fait douter de
+la vrit de la premire. Vous tes ne pour aimer toute votre vie. Les
+amans et les joueurs ont quelque chose de semblable. Qui a aim,
+aimera. Si l'on m'avoit dit que vous tiez dvote, je l'aurois pu
+croire. C'est passer d'une passion humaine l'amour de Dieu, et donner
+ son me de l'occupation; mais ne pas aimer est une espce de nant qui
+ne peut convenir votre c&#339;ur.</p>
+
+<p class="poem">
+Ce repos languissant ne fut jamais un bien,<br />
+C'est trouver, sans mourir, l'tat o l'on n'est rien.<br />
+</p>
+
+<p>Je vous demande des nouvelles de votre sant, de vos occupations, de
+votre humeur, et que ce soit dans une assez longue lettre, o il y ait
+peu de morale, et beaucoup d'affection pour votre ancien ami. L'on dit
+ici que le comte <i>de Grammont</i> est mort, ce qui me donne un dplaisir
+fort sensible. Si vous connoissez <i>Barbin</i>, faites-lui demander pourquoi
+il imprime tant de choses sous mon nom, qui ne sont point de moi. J'ai
+assez de mes sottises, sans me charger de celles des autres. On me donne
+une pice contre le pre <i>Bouhours</i>, o je ne pensai jamais. Il n'y a
+pas d'crivain que j'estime plus que lui. Notre langue lui doit plus
+qu' aucun auteur, sans excepter <i>Vaugelas</i>. Dieu veuille que la
+nouvelle de la mort du comte <i>de Grammont</i> soit fausse<a name="FNanchor_163_163" id="FNanchor_163_163"></a><a href="#Footnote_163_163" class="fnanchor" title="Go to footnote 163.">[163]</a>, et celle de
+votre sant vritable!</p>
+
+<p>La gazette de Hollande dit que <i>M. le comte de Lauzun se marie</i>; si cela
+toit vrai, on l'auroit mand de Paris: outre cela, M. <i>de Lauzun</i> est
+<i>duc</i>, et le nom de <i>comte</i> ne lui convient point. Si vous avez la bont
+de m'en crire quelque chose, vous m'obligerez, et de faire bien des
+complimens M. <i>de Gourville</i> de ma part, en cas que vous le voyiez
+toujours. Pour des nouvelles de paix et de guerre, je ne vous en demande
+pas. Je n'en cris point, et je n'en reois pas davantage. Adieu. C'est
+le plus vritable de vos serviteurs qui gagneroit beaucoup si vous
+n'aviez point d'amans; car il seroit le premier de vos amis, malgr une
+absence qu'on peut nommer ternelle.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_VI_LENCLOS" id="LETTRE_VI_LENCLOS"></a>LETTRE VI.</h3>
+
+<p class="title"><i>Mademoiselle</i> <span class="smcap">de l'Enclos</span> <i> M.</i> <span class="smcap">de Saint-Evremont.</span></p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span>
+dfie Dulcine de sentir avec plus de joie le souvenir de son
+chevalier. Votre lettre a t reue comme elle le mrite, et <i>la triste
+figure</i> n'a point diminu le mrite des sentimens. Je suis touche de
+leur force et de leur persvrance. Conservez-les la honte de ceux qui
+se mlent d'en juger. Je crois, comme vous, que les rides sont les
+marques de la sagesse. Je suis ravie que vos vertus extrieures ne vous
+attristent point. Je tche d'en user de mme. Vous avez un ami<a name="FNanchor_164_164" id="FNanchor_164_164"></a><a href="#Footnote_164_164" class="fnanchor" title="Go to footnote 164.">[164]</a>,
+gouverneur de province, qui doit sa fortune ses agrmens. C'est le
+seul vieillard qui ne soit pas ridicule la cour. M. <i>de Turenne</i> ne
+vouloit vivre que pour le voir vieux. Il le verroit pre de famille,
+riche et plaisant. Il a plus dit de plaisanteries sur sa nouvelle
+dignit, que les autres n'en ont pens. M. <i>d'Elbene</i>, que vous appeliez
+<i>le Cunctator</i>, est mort l'hpital. Qu'est-ce que les jugemens des
+hommes! Si M. <i>d'Olonne</i> vivoit, et qu'il et lu la lettre que vous
+m'crivez, il vous auroit continu votre qualit de <i>son philosophe</i>. M.
+<i>de Lauzun</i> est mon voisin. Il recevra vos complimens. Je vous rends
+trs-tendrement ceux de M. <i>de Charleval</i>. Je vous demande instamment de
+faire souvenir M. <i>de Ruvigny</i> de son amie de la rue des Tournelles.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_VII_LENCLOS" id="LETTRE_VII_LENCLOS"></a>LETTRE VII.</h3>
+
+<p class="title"><i>Mademoiselle</i> <span class="smcap">de l'Enclos</span> <i> M.</i> <span class="smcap">de Saint-Evremont.</span></p>
+
+<p class="date">1693</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">M</span> <i>de Charleval</i> vient de mourir, et j'en suis si afflige, que je
+cherche me consoler par la part que je sais que vous y prendrez. Je le
+voyois tous les jours. Son esprit avoit tous les charmes de la jeunesse,
+et son c&#339;ur toute la bont et la tendresse dsirable dans les vritables
+amis. Nous parlions souvent de vous, et de tous les originaux de notre
+tems. Sa vie et celle que je mne prsentement avoient beaucoup de
+rapport. Enfin, c'est plus que de mourir soi-mme qu'une pareille perte.
+Mandez-moi de vos nouvelles. Je m'intresse votre vie Londres, comme
+si vous tiez ici, et les anciens amis ont des charmes que l'on ne
+connot jamais si bien que lorsqu'on en est priv.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_VIII_LENCLOS" id="LETTRE_VIII_LENCLOS"></a>LETTRE VIII.</h3>
+
+<p class="title"><i>Mademoiselle</i> <span class="smcap">de l'Enclos</span> <i> M.</i> <span class="smcap">de Saint-Evremont.</span></p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span>'<span class="smcap">apprends</span>
+avec plaisir que mon me vous est plus chre que mon corps,
+et que votre bon sens vous conduit toujours au meilleur. Le corps, la
+vrit, n'est plus digne d'attention, et l'me a encore quelque lueur
+qui la soutient, et qui la rend sensible au souvenir d'un ami dont
+l'absence n'a point effac les traits. Je fais souvent de vieux contes
+o M. <i>d'Elbene</i>, M. <i>de Charleval</i> et le chevalier <i>de la Rivire</i>
+rjouissent les modernes. Vous avez part aux beaux endroits. Mais comme
+vous tes moderne aussi, j'observe de ne vous pas louer devant les
+acadmiciens qui se sont dclars pour les anciens. Il m'est revenu un
+prologue en musique que je voudrois bien voir sur le thtre de Paris.
+La beaut, qui en fait le sujet, donneroit de l'envie toutes celles
+qui l'entendroient. Toutes nos Hlnes n'ont pas le droit de trouver un
+Homre, et d'tre toujours les Desses de la beaut. Me voici bien haut;
+comment en descendre? Mon trs-cher ami, ne falloit-il pas mettre le
+c&#339;ur son langage? Je vous assure que je vous aime toujours plus
+tendrement que ne le permet la philosophie. Madame la duchesse <i>de
+Bouillon</i> est comme dix-huit ans. La source des charmes est dans le
+sang Mazarin. A cette heure que nos rois sont amis, ne devriez-vous pas
+venir faire un tour ici? ce seroit pour moi le plus grand succs de la
+paix.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_IX_LENCLOS" id="LETTRE_IX_LENCLOS"></a>LETTRE IX.</h3>
+
+<p class="title"><i>M.</i> <span class="smcap">de Saint-Evremont</span> <i> mademoiselle</i> <span class="smcap">de l'Enclos.</span></p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span>
+prends un plaisir sensible voir de jeunes personnes, belles,
+fleuries, capables de plaire, propres toucher sincrement un vieux
+c&#339;ur comme le mien. Comme il y a toujours eu beaucoup de rapport entre
+votre got, entre votre humeur, entre vos sentimens et les miens, je
+crois que vous ne serez pas fche de voir un jeune cavalier qui sait
+plaire toutes nos dames. C'est M. le duc <i>de Saint-Albans</i>, que j'ai
+pri, autant pour son intrt que pour le vtre, de vous visiter. S'il y
+a quelqu'un de vos amis avec M. <i>de Tallard</i>, du mrite de notre temps,
+ qui je puisse rendre quelque service, ordonnez. Faites-moi savoir
+comment se porte notre ancien ami M. <i>de Gourville</i>. Je ne doute point
+qu'il ne soit bien dans ses affaires. S'il est mal dans sa sant, je le
+plains.</p>
+
+<p>Le docteur <i>Morelli</i>, mon ami particulier, accompagne madame la comtesse
+<i>de Sandwich</i>, qui va en France pour sa sant. Feu M. le comte <i>de
+Rochester</i>, pre de madame <i>Sandwich</i>, avoit plus d'esprit qu'homme
+d'Angleterre. Madame <i>Sandwich</i> en a plus que n'avoit M. son pre. Aussi
+gnreuse que spirituelle, aussi aimable que spirituelle et gnreuse:
+voil une partie de ses qualits. Je m'tendrai plus sur le mdecin que
+sur la malade.</p>
+
+<p>Sept villes, comme vous savez, se disputrent la naissance d'Homre.
+Sept grandes nations se disputent celle du <i>Morelli</i>. L'Inde, l'gypte,
+l'Arabie, la Perse, la Turquie, l'Italie, l'Espagne; les pays froids,
+les pays temprs mme, la France, l'Angleterre, l'Allemagne, n'y ont
+aucune prtention. Il sait toutes les langues, il en parle la plupart.
+Son style haut, grand, figur, me fait croire qu'il est n chez les
+Orientaux, et qu'il a pris ce qu'il y a de bon chez les Europens. Il
+aime la musique passionnment. Il est fou de la posie. Curieux en
+peinture, pour le moins; connoisseur, je ne le sais pas. Sur
+l'architecture, il a des amis qui la savent. Clbre, srieusement, dans
+sa profession; capable d'exercer celle des autres. Je vous prie de lui
+faciliter la connoissance de tous vos illustres. S'il a bien la vtre,
+je le tiens assez heureux. Vous ne lui sauriez faire connotre personne
+qui ait un mrite si singulier que vous. Il me semble qu'picure faisoit
+une partie de son souverain bien, du souvenir des choses passes. Il n'y
+a plus de souverain bien pour un homme de cent ans comme moi; mais il
+est encore des consolations. Celle de me souvenir de vous, et de tout ce
+que je vous ai ou dire, est une des plus grandes. Je vous cris bien
+des choses dont vous ne vous souciez gure; je ne songe pas qu'elle vous
+ennuieront: il me suffit qu'elles me plaisent. Il ne faut pas, mon
+ge, croire qu'on puisse plaire aux autres. Mon mrite est de me
+contenter. Trop heureux de le pouvoir faire en vous crivant! Songez
+me mnager du vin avec M. <i>de Gourville</i>. Je suis log avec M. <i>de
+l'Hermitage</i>, un de ses parens, fort honnte homme, rfugi en
+Angleterre pour sa religion. Je suis fch que la conscience des
+catholiques franois ne l'ait pu souffrir Paris, ou que la dlicatesse
+de la sienne l'en ait fait sortir. Il mrite l'approbation de son
+cousin, assurment.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_X_LENCLOS" id="LETTRE_X_LENCLOS"></a>LETTRE X.</h3>
+
+<p class="title"><i>Mademoiselle</i> <span class="smcap">de l'Enclos</span> <i> M.</i> <span class="smcap">de Saint-Evremont.</span></p>
+
+<p class="non"><span class="letra">A</span>
+quoi songez-vous de croire que la vue d'un jeune homme soit un plaisir
+pour moi? Vos sens vous trompent sur ceux des autres. J'ai tout oubli
+hors mes amis. Si le nom de <i>docteur</i> ne m'avoit rassure, je vous
+aurois fait rponse par l'abb <i>de Hautefeuille</i>, et vos Anglois
+n'auroient pas entendu parler de moi. On leur a dit ma porte que je
+n'y tois pas, et on y reut votre lettre qui m'a autant rjouie
+qu'aucune que j'aie jamais reue de vous. Quelle envie d'avoir de bon
+vin! et que je suis malheureuse de ne pouvoir vous rpondre du succs!
+M. <i>de l'Hermitage</i> vous diroit aussi bien que moi que M. <i>de Gourville</i>
+ne sort plus de sa chambre. Assez indiffrent pour toutes sortes de
+gots, bon ami toujours, mais que ses amis ne songent pas d'employer, de
+peur de lui donner des soins. Aprs cela, si par quelque insinuation que
+je ne prvois pas encore, je puis employer mon savoir-faire pour le vin,
+ne doutez pas que je ne le fasse. M. <i>de Tallard</i> a t de mes amis
+autrefois, mais les grandes affaires dtournent les grands hommes des
+inutilits. On m'a dit que M. l'abb <i>Dubois</i><a name="FNanchor_165_165" id="FNanchor_165_165"></a><a href="#Footnote_165_165" class="fnanchor" title="Go to footnote 165.">[165]</a> iroit avec lui.
+C'est un petit homme dli, qui vous plaira, je crois. Il y a vingt de
+vos lettres entre mes mains: on les lit ici avec admiration; vous voyez
+que le bon got n'est pas fini en France. J'ai t charme de l'endroit
+o vous ne craignez pas d'ennuyer; et que vous tes sage, si vous ne
+vous souciez plus que de vous! non pas que le principe ne soit faux pour
+vous, de ne pouvoir plus plaire aux autres. J'ai crit M. <i>Morelli</i>;
+si je trouve en lui toutes les sciences dont vous me parlez, je le
+regarderai comme un vrai <i>docteur</i>.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XI_LENCLOS" id="LETTRE_XI_LENCLOS"></a>LETTRE XI.</h3>
+
+<p class="title"><i>Mademoiselle</i> <span class="smcap">de l'Enclos</span> <i> M.</i> <span class="smcap">de Saint-Evremont.</span></p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span>'<span class="smcap">ai</span>
+envoy une rponse votre dernire lettre, Monsieur, au
+correspondant de M. l'abb <i>Dubois</i>; et je crains, comme il toit
+Versailles, qu'elle ne lui ait pas t rendue. Je serois fort en peine
+de votre sant, sans la visite du bon petit bibliothcaire de madame <i>de
+Bouillon</i><a name="FNanchor_166_166" id="FNanchor_166_166"></a><a href="#Footnote_166_166" class="fnanchor" title="Go to footnote 166.">[166]</a>, qui me combla de joie, en me montrant une lettre d'une
+personne qui songe moi cause de vous. Quelque sujet que j'aie eu
+dans ma maladie de me louer du monde et de mes amis, je n'ai rien
+ressenti de plus vif que cette marque de bont. Faites sur cela tout ce
+que vous tes oblig de faire, puisque c'est vous qui me l'avez attire.
+Je vous prie que je sache, par vous-mme, si vous avez rattrap ce
+bonheur dont on jouit si peu en de certains temps. La source ne sauroit
+tarir tant que vous aurez l'amiti de l'aimable personne qui soutient
+votre vie<a name="FNanchor_167_167" id="FNanchor_167_167"></a><a href="#Footnote_167_167" class="fnanchor" title="Go to footnote 167.">[167]</a>. Que j'envie ceux qui passent en Angleterre! et que
+j'aurois de plaisir de dner encore une fois avec vous! n'est-ce point
+une grossiret que le souhait d'un dner? L'esprit a de grands
+avantages sur le corps: cependant ce corps fournit souvent de petits
+gots qui se ritrent, et qui soulagent l'me de ses tristes
+rflexions. Vous vous tes souvent moqu de celles que je faisois: je
+les ai toutes bannies. Il n'est plus temps quand on est arriv au
+dernier priode de la vie: il faut se contenter du jour o l'on vit. Les
+esprances prochaines, quoique vous en disiez, valent bien autant que
+celles qu'on tend plus loin: elles sont plus sres. Voici une belle
+morale. Portez-vous bien, voil quoi tout doit aboutir.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XII_LENCLOS" id="LETTRE_XII_LENCLOS"></a>LETTRE XII.</h3>
+
+<p class="title"><i>Mademoiselle</i> <span class="smcap">de l'Enclos</span> <i> M.</i> <span class="smcap">de Saint-Evremont.</span></p>
+
+<p class="date">Avril 1698</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">M</span> l'abb <i>Dubois</i> m'a rendu votre lettre, Monsieur, et m'a dit autant
+de bien de votre estomac que de votre esprit. Il vient des temps o l'on
+fait bien plus de cas de l'estomac que de l'esprit; et j'avoue ma
+honte que je vous trouve plus heureux de jouir de l'un que de l'autre.
+J'ai toujours cru que votre esprit dureroit autant que vous. On n'est
+pas si sr de la sant du corps, sans quoi il ne reste que de tristes
+rflexions. Insensiblement je m'embarquerois en faire: voici un autre
+chapitre; il regarde un joli garon qu'un dsir de voir les honntes
+gens de toute sorte de pays a fait quitter une maison opulente, sans
+cong. Peut-tre blmerez-vous sa curiosit; mais l'affaire est faite.
+Il sait beaucoup de choses; il en ignore d'autres qu'il faut ignorer
+son ge. Je l'ai cru digne de vous voir, pour lui faire commencer
+sentir qu'il n'a pas perdu son temps d'aller en Angleterre. Traitez-le
+bien pour l'amour de moi. Je l'ai fait prier par son frre an, qui est
+particulirement mon ami, d'aller savoir des nouvelles de madame la
+duchesse <i>Mazarin</i> et de madame <i>Hervey</i>, puisqu'elles ont bien voulu se
+souvenir de moi.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XIII_LENCLOS" id="LETTRE_XIII_LENCLOS"></a>LETTRE XIII.</h3>
+
+<p class="title"><i>M.</i> <span class="smcap">de Saint-Evremont</span> <i> mademoiselle</i> <span class="smcap">de l'Enclos.</span></p>
+
+<p class="date">Mai 1698</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> n'ai jamais vu de lettre o il y et tant de bon sens que dans la
+vtre. Vous faites l'loge de l'estomac si avantageusement qu'il y aura
+de la honte avoir bon esprit, moins que d'avoir bon estomac. Je
+suis oblig M. l'abb <i>Dubois</i> de m'avoir fait valoir auprs de vous
+par ce bel endroit. A quatre-vingt-huit ans, je mange des hutres tous
+les matins, je dne bien, je ne soupe pas mal; on fait des hros pour un
+moindre mrite que le mien.</p>
+
+<p class="poem">
+<span style="margin-left: 2em;">Qu'on ait plus de bien, de crdit,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Plus de vertu, plus de conduite,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Je n'en aurai point de dpit;</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Qu'un autre me passe en mrite</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Sur le got et sur l'apptit,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">C'est l'avantage qui m'irrite.</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">L'estomac est le plus grand bien,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Sans lui les autres ne sont rien.</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Un grand c&#339;ur veut tout entreprendre,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Un grand esprit veut tout comprendre:</span><br />
+Les droits de l'estomac sont de bien digrer:<br />
+Et dans les sentimens que me donne mon ge,<br />
+La beaut de l'esprit, la grandeur du courage,<br />
+N'ont rien qu' sa vertu l'on puisse comparer.<br />
+</p>
+
+<p>tant jeune, je n'admirois que l'esprit, moins attach aux intrts du
+corps que je ne devois l'tre. Aujourd'hui je rpare autant qu'il m'est
+possible le tort que j'ai eu, ou par l'usage que j'en fais, ou par
+l'estime et l'amiti que j'ai pour lui. Vous en avez us autrement. Le
+corps vous a t quelque chose dans votre jeunesse; prsentement vous
+n'tes occupe que de ce qui regarde l'esprit. Je ne sais pas si vous
+avez raison de l'estimer tant. On ne lit presque rien qui vaille la
+peine d'tre retenu. On ne dit presque rien qui mrite d'tre cout.
+Quelque misrables que soient les sens l'ge o je suis, les
+impressions que font sur eux les objets qui plaisent, me trouvent bien
+plus sensible, et nous avons grand tort de les vouloir mortifier. C'est
+peut-tre une jalousie de l'esprit, qui trouve leur partage meilleur que
+le sien. M. <i>Bernier</i>, le plus joli philosophe que j'aie connu. (Joli
+philosophe ne se dit gure; mais sa figure, sa taille, sa manire, sa
+conversation, l'ont rendu digne de cette pithte-l.) M. <i>Bernier</i>, en
+parlant de la mortification des sens, me dit un jour: Je vais vous
+faire une confidence que je ne ferois pas madame <i>de la Sablire</i>,
+mademoiselle <i>de l'Enclos</i> mme, que je tiens d'un ordre suprieur; je
+vous dirai en confidence que l'abstinence des plaisirs me parot un
+grand pch. Je fus surpris de la nouveaut du systme. Il ne laissa
+pas de faire quelqu'impression sur moi. S'il et continu son discours,
+peut-tre m'auroit-il fait goter sa doctrine. Continuez-moi votre
+amiti, qui n'a jamais t altre; ce qui est rare dans un aussi long
+commerce que le ntre.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XIV_LENCLOS" id="LETTRE_XIV_LENCLOS"></a>LETTRE XIV.</h3>
+
+<p class="title"><i>Mademoiselle</i> <span class="smcap">de l'Enclos</span> <i> M.</i> <span class="smcap">de Saint-Evremont.</span></p>
+
+<p class="date">Aot 1698</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">M</span> <i>de Clrembault</i> m'a fait un sensible plaisir en me disant que vous
+songiez moi: j'en suis digne par l'attachement que je conserve pour
+vous. Nous allons mriter des louanges de la postrit par la dure de
+notre vie, et par celle de notre amiti. Je crois que je vivrai autant
+que vous. Je suis lasse quelquefois de faire toujours la mme chose; et
+je loue le Suisse qui se jeta dans la rivire par cette raison. Mes amis
+me reprennent souvent sur cela, et m'assurent que la vie est bonne, tant
+que l'on est tranquille et que l'esprit est sain. La force du corps
+donne d'autres penses. L'on prfreroit sa force celle de l'esprit;
+mais tout est inutile quand on ne sauroit rien changer. Il vaut autant
+s'loigner des rflexions, que d'en faire qui ne servent rien. Madame
+<i>Sandwich</i> m'a donn mille plaisirs, par le bonheur que j'ai eu de lui
+plaire. Je ne croyois pas sur mon dclin pouvoir tre propre une femme
+de son ge. Elle a plus d'esprit que toutes les femmes de France, et
+plus de vritable mrite. Elle nous quitte; c'est un regret pour tout ce
+qui la connot, et pour moi particulirement. Si vous aviez t ici,
+nous aurions fait des repas dignes du temps pass. Aimez-moi toujours.
+Madame <i>de Coulanges</i> a pris la commission de faire vos complimens M.
+le comte <i>de Grammont</i> par madame la comtesse <i>de Grammont</i>. Il est si
+jeune, que je le crois aussi lger, que du temps qu'il hassoit les
+malades, et qu'il les aimoit ds qu'ils toient revenus en sant. Tout
+ce qui revient d'Angleterre parle de la beaut de madame la duchesse
+<i>Mazarin</i>, comme on parle ici de celle de mademoiselle <i>de Bellefond</i>
+qui commence. Vous m'avez attache madame <i>Mazarin</i>, et je n'en
+entends point dire de bien sans plaisir. Adieu, Monsieur; pourquoi
+n'est-ce pas un bon jour? Il ne faudroit pas mourir sans se voir.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XV_LENCLOS" id="LETTRE_XV_LENCLOS"></a>LETTRE XV.</h3>
+
+<p class="title"><i>Mademoiselle</i> <span class="smcap">de l'Enclos</span> <i> M.</i> <span class="smcap">de Saint-Evremont</span><a name="FNanchor_168_168" id="FNanchor_168_168"></a><a href="#Footnote_168_168" class="fnanchor" title="Go to footnote 168.">[168]</a>.</p>
+
+<p class="date">Le 3 juillet 1699</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">Q</span><span class="smcap">uelle</span> perte pour vous, Monsieur! Si on n'avoit pas se perdre
+soi-mme, on ne se consoleroit jamais. Je vous plains sensiblement; vous
+venez de perdre un commerce aimable, qui vous a soutenu dans un pays
+tranger. Que peut-on faire pour remplacer un tel malheur? Ceux qui
+vivent long-temps, sont sujets voir mourir leurs amis. Aprs cela
+votre esprit, votre philosophie vous servira vous soutenir. J'ai senti
+cette mort comme si j'avois eu l'honneur de connotre madame <i>Mazarin</i>.
+Elle a song moi dans mes maux: j'ai t touche de cette bont; et
+ce qu'elle toit pour vous m'avoit attache elle. Il n'y a plus de
+remde, et il n'y en a nul ce qui arrive nos pauvres corps.
+Conservez le vtre. Vos amis aiment vous voir si sain et si sage; car
+je tiens pour sages ceux qui savent se rendre heureux. Je vous rends
+mille grces du th que vous m'avez envoy. La gat de votre lettre m'a
+autant plu que votre prsent. Vous allez ravoir madame <i>Sandwich</i>, que
+nous voyons partir avec beaucoup de regret. Je voudrois que la situation
+de sa vie vous pt servir de quelque consolation. J'ignore les manires
+angloises: cette dame a t trs-franoise ici. Adieu mille fois,
+Monsieur. Si l'on pouvoit penser comme madame <i>de Chevreuse</i>, qui
+croyoit en mourant qu'elle alloit causer avec tous ses amis en l'autre
+monde, il seroit doux de le penser.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XVI_LENCLOS" id="LETTRE_XVI_LENCLOS"></a>LETTRE XVI.</h3>
+
+<p class="title"><i>Mademoiselle</i> <span class="smcap">de l'Enclos</span> <i> M.</i> <span class="smcap">de Saint-Evremont.</span></p>
+
+<p class="date">1699</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">V</span><span class="smcap">otre</span> lettre m'a remplie de dsirs inutiles dont je ne me croyois plus
+capable. Les jours se passent, comme disoit le bon homme <i>des Yveteaux</i>,
+dans l'ignorance et la paresse; et ces jours nous dtruisent, et nous
+font perdre les choses quoi nous sommes attachs. Vous l'prouverez
+cruellement. Vous disiez autrefois que je ne mourrois que de rflexion:
+je tche n'en plus faire et oublier le lendemain le jour que je vis
+aujourd'hui. Tout le monde me dit que j'ai moins me plaindre du temps
+qu'un autre. De quelque sorte que cela soit, qui m'auroit propos une
+telle vie, je me serois pendue. Cependant on tient un vilain corps
+comme un corps agrable. On aime sentir l'aise et le repos.
+L'apptit est quelque chose dont je jouis encore. Plt Dieu de pouvoir
+prouver mon estomac avec le vtre, et parler de tous les originaux que
+nous avons connus, dont le souvenir me rjouit plus que la prsence de
+beaucoup de gens que je vois, quoiqu'il y ait du bon dans tout cela,
+mais, dire le vrai, nul rapport! M. <i>de Clrembault</i> me demande
+souvent, s'il ressemble par l'esprit son pre: non, lui dis-je; mais
+j'espre de sa prsomption qu'il croit ce <i>non</i> avantageux, et peut-tre
+qu'il y a des gens qui le trouveroient. Quelle comparaison du sicle
+prsent avec celui que nous avons vu! Vous allez voir madame <i>Sandwich</i>;
+mais je crains qu'elle n'aille la campagne. Elle sait tout ce que vous
+pensez d'elle. Madame <i>Sandwich</i> vous dira plus de nouvelles de ce
+pays-ci que moi. Elle a tout approfondi et tout pntr. Elle connot
+parfaitement tout ce que je hante, et a trouv le moyen de n'tre point
+trangre ici.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XVII_LENCLOS" id="LETTRE_XVII_LENCLOS"></a>LETTRE XVII.</h3>
+
+<p class="title"><i>M.</i> <span class="smcap">de Saint-Evremont</span> <i> mademoiselle</i> <span class="smcap">de l'Enclos.</span></p>
+
+<p class="date">1699</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">L</span><span class="smcap">a</span> dernire lettre que je reois de mademoiselle <i>de l'Enclos</i> me semble
+toujours la meilleure; et ce n'est point que le sentiment du plaisir
+prsent l'emporte sur le souvenir du pass: la vritable raison est que
+votre esprit se fortifie tous les jours. S'il en est du corps comme de
+l'esprit, je soutiendrois mal ce combat d'estomac dont vous me parlez.
+J'ai voulu faire un essai du mien contre celui de madame <i>Sandwich</i>,
+un grand repas, chez milord <i>Jersey</i>; je ne fus pas vaincu. Tout le
+monde connot l'esprit de madame <i>Sandwich</i>: je vois son bon got par
+l'estime extraordinaire qu'elle a pour vous. Je ne fus pas vaincu sur
+les louanges qu'elle vous donna, non plus que sur l'apptit. Vous tes
+de tous les pays; aussi estime Londres qu' Paris. Vous tes de tous
+les temps; et quand je vous allgue pour faire honneur au mien, les
+jeunes gens vous nomment aussitt pour donner l'avantage au leur. Vous
+voil matresse du prsent et du pass; puissiez-vous avoir des droits
+considrables sur l'avenir! je n'ai pas en vue la rputation; elle vous
+est assure dans tous les temps. Je regarde une chose plus essentielle;
+c'est la vie, dont huit jours valent mieux que huit sicles de gloire
+aprs la mort. <i>Qui vous auroit propos autrefois de vivre comme vous
+vivez, vous vous seriez pendue</i>; l'expression me charme; cependant vous
+vous contentez de l'aise, et du repos, aprs avoir senti ce qu'il y a de
+plus vif.</p>
+
+<p class="poem">
+L'esprit vous satisfait, ou du moins vous console;<br />
+Mais on prfreroit de vivre jeune et folle,<br />
+Et laisser aux vieillards, exempts de passions,<br />
+La triste gravit de leurs rflexions.<br />
+</p>
+
+<p>Il n'y a personne qui fasse plus de cas de la jeunesse que moi. Comme
+je n'y tiens que par le souvenir, je suis votre exemple, et m'accommode
+du prsent le mieux qu'il m'est possible. Plt Dieu que madame
+<i>Mazarin</i> et t de notre sentiment! elle vivroit encore; mais elle a
+voulu mourir la plus belle du monde. Madame <i>Sandwich</i> va la campagne.
+Elle part d'ici admire Londres comme elle l'a t Paris. Vivez; la
+vie est bonne quand elle est sans douleur. Je vous prie de faire tenir
+ce billet M. l'abb <i>de Hautefeuille</i>, chez madame la duchesse <i>de
+Bouillon</i>. Je vois quelquefois les amis de M. l'abb <i>Dubois</i>, qui se
+plaignent d'tre oublis. Assurez-le de mes trs-humbles respects.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XVIII_LENCLOS" id="LETTRE_XVIII_LENCLOS"></a>LETTRE XVIII.</h3>
+
+<p class="title"><i>Mademoiselle</i> <span class="smcap">de l'Enclos</span> <i> M.</i> <span class="smcap">de Saint-Evremont.</span></p>
+
+<p class="date">14 octobre, 1700</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">L</span><span class="smcap">e</span> bel esprit est bien dangereux dans l'amiti! Votre lettre en auroit
+gt une autre que moi. Je connois votre imagination vive et tonnante,
+et j'ai mme eu besoin de me souvenir que <i>Lucien</i> a crit la louange
+de la Mouche, pour m'accoutumer votre style. Plt Dieu que vous
+pussiez penser de moi ce que vous en dites! je me passerois de toutes
+les nations. Aussi est-ce vous que la gloire en demeure. C'est un
+chef-d'&#339;uvre que votre dernire lettre. Elle a fait le sujet de toutes
+les conversations que l'on a eues dans ma chambre depuis un mois. Vous
+retournez la jeunesse: vous faites bien de l'aimer. La philosophie
+sied bien avec les agrmens de l'esprit. Ce n'est pas assez d'tre
+sage, il faut plaire; et je vois bien que vous plairez toujours tant que
+vous penserez comme vous pensez. Peu de gens rsistent aux annes. Je
+crois ne m'en tre pas encore laiss accabler. Je souhaiterois, comme
+vous, que madame <i>Mazarin</i> et regard la vie en elle-mme sans songer
+son visage, qui et toujours t aimable, quand le bon sens auroit tenu
+la place de quelque clat de moins. Madame <i>Sandwich</i> conservera la
+force de l'esprit en perdant la jeunesse, au moins le pense-je ainsi.
+Adieu, Monsieur, quand vous verrez madame la comtesse de <i>Sandwich</i>,
+faites-la souvenir de moi; je serois trs-fche d'en tre oublie.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XIX_LENCLOS" id="LETTRE_XIX_LENCLOS"></a>LETTRE XIX.</h3>
+
+<p class="title"><i>M.</i> <span class="smcap">de Saint-Evremont</span> <i> mademoiselle</i> <span class="smcap">de l'Enclos.</span></p>
+
+<p class="date">Le premier janvier 1701</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">O</span><span class="smcap">n</span> m'a rendu dans le mois de dcembre la lettre que vous m'avez crite
+le 14 octobre 1700. Elle est un peu vieille; mais les bonnes choses sont
+agrablement reues, quelque tard qu'elles arrivent. Vous tes srieuse,
+et vous plaisez. Vous donnez de l'agrment <i>Snque</i>, qui n'est pas
+accoutum d'en avoir. Vous vous dites vieille avec toutes les grces de
+l'humeur et de l'esprit des jeunes gens. J'ai une curiosit que vous
+pouvez satisfaire: quand il vous souvient de votre jeunesse, le souvenir
+du pass ne vous donne-t-il point de certaines ides aussi loignes de
+la langueur de l'indolence que du trouble de la passion? Ne sentez-vous
+point dans votre c&#339;ur une opposition secrte la tranquillit que vous
+pensez avoir donne votre esprit?</p>
+
+<p class="poem">
+Mais aimer et vous voir aime,<br />
+Est une douce illusion,<br />
+Qui dans votre c&#339;ur s'est forme<br />
+De concert avec la raison.<br />
+<br />
+D'une amoureuse sympathie<br />
+Il faut pour arrter le cours,<br />
+Arrter celui de nos jours;<br />
+Sa fin est celle de la vie.<br />
+<br />
+Puissent les destins complaisans<br />
+Vous donner encore trente ans<br />
+D'amour et de philosophie!<br />
+</p>
+
+<p>C'est ce que je vous souhaite le premier jour de l'anne 1701, jour o
+ceux qui n'ont rien donner, donnent pour trennes des souhaits.</p>
+
+
+<p class="title"><i>Fin des lettres de mademoiselle de l'Enclos et de M. de
+Saint-Evremont.</i></p>
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LA_COQUETTE_VENGEE" id="LA_COQUETTE_VENGEE"></a>LA COQUETTE VENGE;</h3>
+
+<p class="title">PAR <span class="smcap">M<sup>LLE.</sup></span> DE L'ENCLOS.</p>
+
+
+<p class="non top5"><span class="letra">M</span><span class="smcap">a</span> nice, disoit <i>lonore</i> <i>Philimne</i>, quand vous serez Paris, ne
+faites point amiti ni conversation avec toute sorte d'hommes; il y a
+bien du choix faire parmi eux; mais sur-tout vitez les philosophes.
+Voil un mot que vous n'entendez pas, je le vois bien; un peu de
+patience, vous allez bientt savoir ce que c'est. Quand <i>Dorilas</i>, votre
+frre, alloit au collge, vous avez vu souvent dner chez vous un
+certain homme qui faisoit tant de rvrences et tant de gestes en
+entrant, qui rioit au nez tout le monde, qui parloit toute sorte de
+langues hormis la ntre, qui avoit toujours les cheveux mal peigns, la
+barbe sale, et le collet entr'ouvert, toujours crott, toujours la
+soutane grasse et le long manteau dchir. Ne vous souvient-il pas d'un
+clat de rire qui vous prit table un jour, quand il disoit au laquais
+qui lui donnoit boire qu'il se couvrit, autrement qu'il n'accepteroit
+jamais le verre de sa main, avec des complimens si longs et si
+opinitres, qu'il ft mort de soif, si votre pre n'et eu piti de lui?
+Vous le connoissez; c'toit le matre qui enseignoit la philosophie
+<i>Dorilas</i>, c'toit un philosophe; mais il n'toit pas de ceux dont je
+vous veux parler.</p>
+
+<p>Vous avez encore ou parler cent fois d'un certain abb qui est dans
+notre voisinage, dont la vie est toute retire, qui ne songe qu' lui,
+qui ne veut point faire d'amis de peur de s'engager tre le leur, qui
+se cache au grand monde pour en viter l'embarras, qui fuit les
+compagnies comme autant d'occasions d'intrigues et de soucis, qui n'aime
+que ses livres et ses chiens, et encore plus ses chiens que ses livres;
+et autant de fois que nous en avons parl, vous nous avez toujours ou
+dire que c'toit un philosophe; ce n'est point encore l ce que
+j'entends.</p>
+
+<p>Il y a d'autres philosophes qui aiment la compagnie, mais celle de leurs
+semblables, o ils ont leurs coudes franches et la libert entire de
+tout dire et de tout faire, des philosophes goinfres qui courent le
+cabaret, qui ivrognent sans cesse, parce qu'ils disent qu'ils n'ont
+jamais tant de plaisir que quand ils ont noy ou endormi leur raison,
+qui leur joue cent mauvais tours quand elle veille, qui les contraint de
+faire cent rflexions fcheuses, et qu'ils appellent l'ennemie capitale
+de leur repos. Ces philosophes-l portent leur reproche avec eux.</p>
+
+<p>Quand je dis donc que vous devez viter les philosophes, je n'entends
+point parler, ni d'un docteur, ni d'un solitaire, ni d'un libertin dont
+la profession est ouverte et dclare. J'entends certains pdans
+dguiss, pdans de robe courte, des philosophes de chambre qui ont le
+teint un peu plus frais que les autres, parce qu'ils se nourrissent
+l'ombre, et qu'ils ne s'exposent jamais la poussire et au soleil; des
+philosophes de ruelles qui dogmatisent dans des fauteuils; des
+philosophes galans qui raisonnent sans cesse sur l'amour, et qui n'ont
+rien de raisonnable pour se faire aimer. Vous ne sauriez croire combien
+ces gens-l sont incommodes.</p>
+
+<p>Au commencement que j'tois Paris, encore toute pleine de l'air de nos
+provinces, lorsque le premier venu m'toit bon, pourvu qu'il me dt
+quelque chose, je fis connoissance avec un de ces gens-l. Il vint par
+hasard dans une maison o j'tois en visite avec une de mes cousines; il
+toit habill fort uniment, il n'avoit ni ruban, ni dentelle, il ne me
+souvient pas mme s'il avoit des glands; son chapeau toit un peu lustr
+avec un petit crpe, son bas de soie ne faisoit pas le moindre pli, le
+manteau sur ses deux paules, le pourpoint ferm, la petite manchette au
+bout, le gand de Grenoble la main, il n'y avoit rien de superflu; un
+clin-d'&#339;il, un souris, un petit mouvement de tte suppleoient toutes
+ces rvrences tudies qui ne sont bonnes rien. Le fils de la maison
+lui fit grand accueil. Voil mon fils qui est ravi de vous voir, lui dit
+sa mre; c'est Monsieur tel, dit-elle toute la compagnie; et dans la
+compagnie il y avoit force dames. Je ne vis pas qu'elles s'en murent
+beaucoup. Je crus que le sujet de l'entretien qu'il avoit interrompu par
+son arrive, les attachoit si fort qu'elles ne pensrent point lui
+faire compliment. Son nom ne m'toit pas inconnu; des jeunes gens qui
+revenoient de Paris m'en avoient parl dans la province. Il prit un
+sige auprs de moi. On continua l'entretien d'un certain mariage qui
+s'toit fait la cour. Ni lui, ni moi ne disions pas un mot; moi, parce
+que je ne savois rien; lui, parce que le sujet ne lui plaisoit pas. Il
+s'imagina que la mme raison nous faisoit taire tous deux. Aprs avoir
+attendu quelque temps: nous ne sommes, ni vous, ni moi, me dit-il tout
+bas, du grand entretien; nous en pouvons faire un second entre nous sans
+troubler le leur: aussi bien elles parlent si haut qu'elles
+s'tourdissent elles-mmes, et par consquent, il est impossible, dans
+le bruit qu'elles font, qu'elles nous entendent. Je lui rpondis; il me
+dit encore quelqu'autre chose; je lui fis aussi quelque autre rponse,
+mais j'affectois toujours de mettre dans ce que je disois quelque pointe
+et quelque mot extraordinaire. Il me reconnut provinciale; il me fit
+alors cent questions sur mon pays, sur ma naissance, sur mon nom, sur ma
+demeure, sur les livres que je lisois. Que ne dit-il point contre
+<i>Balzac</i>, <i>Voiture</i> et tous les faiseurs de lettres, de comdies et de
+romans! On abandonne lchement la connoissance des choses solides pour
+s'attacher aux mots. Il me tint un grand discours l-dessus avec tant de
+chaleur, que souvent il en roidissoit le bras et fermoit le poing.
+Trouvez bon, me dit-il la fin, que j'aie l'honneur de vous aller voir,
+et vous en saurez plus en un mois que tous ces conteurs de bagatelles ne
+pourroient vous en apprendre en toute votre vie. Il n'y aura point de
+grand sujet, dont vous ne puissiez parler sur-le-champ; d'une ligne que
+je vous dirai, vous pourrez tirer mille conclusions et former mille
+discours.</p>
+
+<p>Il me vint voir quelque temps aprs, comme il m'avoit promis. J'achetai
+certains livres qu'on appelle des tables. Il me les expliquoit toutes
+les fois qu'il venoit au logis. C'toit toute mon occupation; je
+ngligeois toute autre chose. Ses visites et mon tude durrent un an et
+quelques mois: j'avois du loisir, je ne connoissois pas encore le grand
+monde; mais enfin je fus oblige de recevoir tant de visites tous les
+jours et tous momens, que je ne pouvois plus le voir qu'en compagnie.</p>
+
+<p>Il entra dans ma chambre, un jour que <i>Polixne</i> y toit avec
+<i>Philidor</i>, son frre, qui est un gentilhomme aussi adroit et aussi
+spirituel que j'en connoisse. Monsieur, lui dit <i>Philidor</i>, vous tes
+venu bien propos; vous avez appris tant de philosophie <i>lonore</i>
+qu'elle nous fait enrager; je lui disois qu'un amour constant toit la
+plus belle de toutes les vertus. Elle m'a rpondu firement que je
+confondois les vertus avec les passions, que l'amour toit une passion
+et non pas une vertu, et qu'une passion ne devient pas vertu par sa
+dure, mais seulement une plus longue passion. Elle m'a dit cent choses
+de la mme force; je suis bout, je vous demande secours. Comment vous
+pourrois-je secourir rpondit-il <i>Philidor</i>, <i>lonore</i> a toutes mes
+forces de son ct. Elle vous a dcouvert la source d'une erreur, qui
+est commune parmi les hommes, de prendre pour une passion ce qui est
+souvent ou une vertu, ou un vice, faute de savoir la nature et le nombre
+des passions. Tout cela, ajouta-t-il, est expliqu en deux tables. Il
+prit le livre qui toit sur un guridon, et ayant cherch la table des
+passions, il la donna lire <i>Philidor</i>. Comment! dit <i>Philidor</i>,
+est-ce l tout ce qu'on peut dire des passions, de tous ces mouvemens
+imptueux qui nous agitent dans la vie? Certainement voil une grande
+mer renferme dans un espace bien troit. Vous travaillez admirablement
+en petit. Quoi! il n'y a qu'une ligne pour l'amour! voil une divinit
+bien serre. Si c'est assez d'une ligne pour fournir tous les amans,
+il faut qu'elle soit bien longue. Qui veut devenir savant avec cela a
+besoin d'un grand naturel. <i>L'amour est une inclination de l'apptit au
+bien sensible considr absolument.</i> J'en serai bien plus galant quand
+je saurai cela! j'aurai bien plus de quoi me faire aimer! j'en aurai de
+bien plus belles ides pour remplir la conversation! Il n'y a rien de si
+beau, ni de si plein que l'amour, et cependant ce livre nous en fait un
+squelette tout sec, sans embonpoint et sans couleur. Si toute la
+philosophie de cet homme-l est de mme, savez-vous ce que j'en pense?
+c'est une reine bien pauvre et bien maigre, dont les tables sont bien
+mal servies.</p>
+
+<p>Mon philosophe vouloit s'chauffer contre <i>Philidor</i>; mais pour finir le
+sujet d'un entretien qui alloit s'aigrir, je pris mon luth, je touchai
+quelques sarabandes. <i>Philidor</i>, avec son dgagement ordinaire, les
+dansa toutes. Nous parlmes ensuite de la danse. Je croyois avoir t
+par ce moyen toute occasion de dispute, quand <i>Polixne</i>, par une belle
+malice, s'avisa de me demander si dans mon livre il n'y avoit pas une
+table de la danse, Monsieur, dit <i>Polixne</i> au philosophe, il faut que
+vous en fassiez une pour l'amour de moi. Cela est fort ais, dit
+<i>Philidor</i>, je lui en sauverai la peine. Je mettrai premirement
+quelques propositions gnrales pour montrer la ncessit ou utilit de
+la danse. J'en ferai aprs la dfinition. <i>La danse est un mouvement
+mesur du corps au son de la voix ou de l'instrument. Elle est ou
+simple, ou figure, ou par bas, ou par haut.</i> Ensuite, j'en remarquerai
+la diffrence; les sarabandes, les branles, les courantes, les ballets;
+j'en distinguerai les pas; le pas coul, le grav, le coup,
+l'entrechat. Adieu, les matres danser; quand ma table sera faite,
+quiconque la lira sera un habile sauteur.</p>
+
+<p><i>Polixne</i> se mit rire de tout son c&#339;ur. Mon philosophe sortit de
+dpit. Je courus aprs lui; je lui fis des excuses dans mon antichambre
+le mieux que je pus. Il me dit que tout cela ne le choquoit point; que
+<i>Philidor</i> toit un jeune homme sorti frachement de l'acadmie, qui
+vouloit s'gayer; qu'il toit bien tromp si sa s&#339;ur n'toit une franche
+coquette; qu'il voyoit bien qu'il ne pourroit plus me gouverner
+l'avenir; qu'il me supplioit de l'en dispenser; qu'il m'enverroit sa
+place un de ses anciens coliers, qui savoit sa mthode aussi bien que
+lui. Je lui fis mille remercmens des bonts qu'il avoit pour moi. Nous
+nous sparmes. Voici le commencement d'une histoire bien plus
+plaisante.</p>
+
+<p>Mon philosophe, encore qu'il ne parlt que par tables, par dfinitions
+et divisions, toit pourtant commode en ce point, qu'il toit content
+pourvu qu'on l'coutt, et n'exigeoit rien autre chose ni de moi, ni des
+femmes qu'il voyoit, qu'un peu d'attention qui toit bien d ses
+discours.</p>
+
+<p>Ce n'toit point l l'humeur de son ami, que <i>Philidor</i> appeloit son
+prvt de salle. Il faisoit le galant; il vouloit persuader l'amour dont
+il parloit; il soupiroit quelquefois; il chantoit mme des airs dont il
+se disoit l'auteur, aussi bien que des paroles. Il toit jaloux
+gnralement de tous les hommes; il censuroit tout ce qu'ils disoient;
+il n'en trouvoit pas un qui raisonnt son gr; ils toient tous ou des
+ignorans on des tourdis. Notre sexe mme, qui est sacr et inviolable
+parmi les honntes gens, n'toit point pour lui plus privilgi que tout
+le reste; il s'rigeoit en censeur de toutes les beauts; il se mloit
+de juger du caractre et du tour d'esprit que chacune avoit, avec une
+prsomption si grande, qu'il sembloit, l'entendre, que nous n'eussions
+de grce que ce qu'il lui plaisoit de nous en distribuer.</p>
+
+<p>Cela attira sur lui une conjuration universelle de toutes les femmes et
+de tous les hommes qui venoient chez moi. On ne m'en dit rien, parce
+qu'on savoit bien que j'eusse eu piti de lui, et que j'eusse rendu le
+complot inutile en le dcouvrant.</p>
+
+<p>Comme ils pioient sans cesse quand il me viendroit voir, il leur fut
+ais de le surprendre dans ma chambre. Ils y arrivrent tous en un
+moment. Jamais assemble ne fut plus grande. Tout le monde lui fit
+d'abord cent civilits. J'en tois tonne. L'incomparable,
+l'inimitable, le plus galant, le plus spirituel, le plus propre tout,
+le plus poli de tous les hommes, lui disoit-on. Il ne se reconnoissoit
+pas. On le pria de faire un petit discours; il expliqua les huit
+batitudes. On s'crioit de temps en temps: sans mentir cela est
+admirable! On le pria de chanter, et bien qu'il le ft avec des efforts
+effroyables, des convulsions et des contorsions de possd; bien que sa
+voix ft aussi pitoyable et lugubre, que son visage est basan et
+mlancolique, on disoit tout haut qu'on n'avoit plus besoin de <i>Lambert</i>
+ni de sa s&#339;ur. C'toient des applaudissemens perptuels. <i>Polixne</i> lui
+montra un billet doux qu'elle avoit reu; il ne voulut pas seulement le
+lire. C'toient des bagatelles qui ne pouvoient amuser que des esprits
+mal faits; chacun lui dit qu'il avoit bien raison, et que l'homme toit
+n pour des choses plus grandes. Jamais homme ne fut plus satisfait, ni
+plus content de lui-mme; et parce que c'toit <i>Polixne</i> qui le
+caressoit le plus, cela lui donna la hardiesse de venir auprs d'elle,
+et de lui dire quelques douceurs. Elle les recevoit avec un tel
+temprament, qu'elle l'embarquoit toujours de plus en plus; il lui
+prenoit mme la main, lui touchoit le bras, et feignant de lui vouloir
+dire un mot l'oreille, il la baisa. Alors Polixne lui appuya un grand
+soufflet.</p>
+
+<p>C'toit le signal des conjurs. Chacun se rua sur lui; l'un lui donnoit
+une nasarde: voil pour le philosophe amoureux. L'autre, de grands coups
+d'pingle: voil pour le musicien amoureux. L'autre, de grands coups de
+busc sur les oreilles: voil pour le pote amoureux. Je fis ce que je
+pus pour secourir sa philosophie, sa musique et sa posie attaques de
+toutes parts; et tout ce que je pus, fut de le tirer de la presse, et de
+lui ouvrir la porte pour s'enfuir.</p>
+
+<p>Il crioit de toute sa force, en s'en allant: <i>coquettes</i>, <i>coquettes</i>,
+je saurai bien me venger; et on m'a dit qu'tant mort, ou de ses
+blessures, ou de dsespoir, on a trouv parmi ses papiers, une grande
+invective contre les femmes, sous le nom d'<i>Aristandre</i>, que ses
+hritiers ont fait imprimer leurs dpens.</p>
+
+<p>J'tois assez fche que ce malheur lui ft arriv chez moi; mais je
+m'en dois accuser moi-mme pour avoir t si facile que de donner accs
+chez moi des philosophes, c'est--dire, des gens qui portent la
+censure, la mdisance et le dsordre dans les plus belles, les plus
+douces et les plus agrables compagnies. Ma nice, soyez sage par mon
+exemple, et donnez-vous-en de garde.</p>
+
+<p>Ainsi parloit <i>lonore</i> <i>Philimne</i>, qui en entendoit une partie et
+devinoit le reste.</p>
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+
+<h1 class="top15"><a name="LETTRES_AISEE" id="LETTRES_AISEE"></a>
+LETTRES</h1>
+<h3 class="top5">
+DE<br />
+<br />
+MADEMOISELLE ASS.<br /></h3>
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="NOTICE_AISEE" id="NOTICE_AISEE"></a>NOTICE</h3>
+
+<p class="title">SUR</p>
+
+<h3 class="top5">MADEMOISELLE ASS.</h3>
+
+<p class="title">&mdash;&mdash;&mdash;&mdash;&mdash;</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">M</span> <i>de Ferriol</i>, ambassadeur de France Constantinople, acheta d'un
+marchand d'esclaves, en 1698, une petite fille ge d'environ quatre
+ans. Elle avoit t enleve avec beaucoup d'autres enfans dans une ville
+de Circassie que les Turcs avoient pille. Ses grces enfantines lui
+attirrent la prfrence de l'ambassadeur, et la lui firent choisir
+parmi ses compagnes d'infortune. Le marchand, peut-tre pour accrotre
+l'intrt qu'elle inspiroit et obtenir de M. <i>de Ferriol</i> un prix plus
+considrable, assura qu'elle avoit t trouve dans un palais, et
+qu'elle toit fille d'un prince circassien. L'ambassadeur, touch de
+commisration, acheta 1,500 livres la petite <i>Ass</i>. Il toit garon et
+ne pouvoit donner sa jeune orpheline une ducation proportionne
+l'intrt qu'elle lui avoit inspir, intrt que la piti sans doute
+avoit d'abord excit, et auquel se mlrent bientt des vues et des
+esprances moins pures. Il confia mademoiselle <i>Ass</i> sa belle-s&#339;ur,
+madame <i>de Ferriol</i>, s&#339;ur de madame <i>de Tencin</i>: l'ducation de la jeune
+fille fut trs-soigne; elle acquit des talens agrables et de
+l'instruction. M. <i>d'Argental</i> et M. <i>de Pont-de-Vesle</i>, fils de madame
+<i>de Ferriol</i>, qui tous deux eurent ds leur jeune ge le got des
+plaisirs de l'esprit, se lirent d'une tendre amiti avec la pupille de
+leur mre; et cette liaison eut sans doute les plus heureux effets sur
+son esprit. Elle eut le bonheur plus grand encore, au milieu de cette
+immoralit qui accompagna les dernires annes de Louis XIV et la
+rgence de Louis XV, d'acqurir et de conserver un c&#339;ur honnte, et une
+me dlicate et sensible, qui devoient la rendre plus estimable et plus
+malheureuse dans la situation dpendante et presque subalterne o le
+sort l'avoit place.</p>
+
+<p>Son dgot pour les vices qui l'entouroient fut bientt mis de rudes
+preuves. Au sortir de l'enfance, elle entra dans la maison de M. <i>de
+Ferriol</i>. C'toit un vieux libertin qui, aprs s'tre livr dans sa
+jeunesse tous ses gots, avoit fortifi ses habitudes de dpravation
+par un long sjour en Turquie, o il avoit vcu tout fait la
+manire du pays. Ses dsirs se portrent bientt sur sa jeune protge,
+et l'attachement qu'il avoit pour elle, ne fut pas assez fort pour les
+vaincre. Les personnes qui ont vcu avec l'un et avec l'autre, ont dout
+long-temps qu'il et triomph de la vertu, et sans doute de la
+rpugnance de mademoiselle <i>Ass</i>. En effet, l'esprit repousse cette
+image d'une vertueuse, belle et intressante personne, fltrie par un
+vieux dbauch, qui dtruisoit en elle le sentiment de la
+reconnoissance, en en exigeant un autre. Des lettres trouves dans les
+papiers de M. <i>d'Argental</i> constatent malheureusement cette circonstance
+pnible et humiliante de la vie de mademoiselle <i>Ass</i>.</p>
+
+<p>Quand je vous achetai, lui crit M. <i>de Ferriol</i>, je vous destinai
+tre ou ma fille ou ma matresse: vous avez t l'une et l'autre. Si
+quelque chose peut inspirer plus de dgot pour la conduite de M. <i>de
+Ferriol</i>, c'est sans doute une semblable manire de s'exprimer: en
+associant ainsi la tendresse paternelle avec les dsirs d'un libertin,
+il semble vouloir rappeler que rien ne ressemble plus l'inceste qu'une
+affection de cette nature. Mais tel est le c&#339;ur humain, que l'on conoit
+comment ces deux sentimens toient galement vrais dans la mme
+personne. Quant mademoiselle <i>Ass</i>, il est douteux que sa
+reconnoissance pour M. <i>de Ferriol</i> ait survcu la crainte et au
+dgot que dut inspirer son me dlicate un prtendu bienfaiteur qui
+ne l'avoit achete d'un marchand d'esclaves que pour la rendre sa
+premire destination, aprs lui avoir donn une ducation qui devoit lui
+faire regarder cet abaissement comme le plus grand des malheurs.
+Cependant M. <i>de Ferriol</i> tant tomb dangereusement malade, elle le
+soigna avec tout le dvouement d'une fille. Il mourut en lui laissant
+une rente de 4,000 liv., et un capital assez considrable qu'il
+chargeoit ses hritiers de lui payer.</p>
+
+<p>Aprs sa mort, mademoiselle <i>Ass</i> rentra chez madame <i>de Ferriol</i>,
+qui l'ambassadeur l'avoit recommande spcialement. Madame <i>de Ferriol</i>,
+quoiqu'au fond du c&#339;ur elle aimt assez son ancienne pupille, manqua
+toujours pour elle de cette dlicatesse de sentiment, si ncessaire pour
+le bonheur de ceux qui passent leur vie ensemble, et que les suprieurs
+ont si peu avec leurs infrieurs, quoique jamais de semblables
+mnagemens ne soient plus ncessaires, que lorsqu'ils doivent dguiser
+des rapports de dpendance. C'est cette absence d'attentions, de soin
+ne jamais blesser une me fire et dlicate, que mademoiselle <i>Ass</i>
+reproche souvent madame <i>de Ferriol</i>, dans les lettres que nous
+publions. Elle ne mconnot point les grandes obligations qu'elle a
+madame <i>de Ferriol</i>, et elle montre pourtant comment, dans le dtail de
+la vie, sa bienfaitrice la rendoit fort malheureuse.</p>
+
+<p>Elle commena par lui faire sentir que les dons de son beau-frre lui
+paroissoient trop considrables. Mademoiselle <i>Ass</i>, trop fire pour
+se laisser reprocher des bienfaits, jeta au feu, devant madame <i>de
+Ferriol</i>, le billet que lui avoit laiss M. <i>de Ferriol</i>. Un pareil
+dsintressement n'inspira point madame <i>de Ferriol</i> plus de
+dlicatesse, et elle ne laissa pas de profiter du sacrifice.</p>
+
+<p>Cependant mademoiselle <i>Ass</i> jeune, aimable et rpandue, avoit d'assez
+grands succs dans le monde; et au milieu de la galanterie et de la
+corruption qui signalrent la rgence et le systme, elle ne cda jamais
+ni la vanit, ni l'intrt qui faisoient alors oublier tant de
+femmes des devoirs que mademoiselle <i>Ass</i> n'avoit point remplir.
+Elle eut l'honneur bien extraordinaire de donner quelqu'ide de la vertu
+et de la pudeur au rgent, qui fit gloire toute sa vie de douter de leur
+existence; opinion qui, chez un prince, est presque toujours fonde,
+puisqu'il fait disparotre les vertus d'autour de lui, ds qu'il ne les
+respecte pas. Ce fut chez madame <i>de Parabre</i> que le duc <i>d'Orlans</i>
+vit mademoiselle <i>Ass</i> et lui fit des propositions qu'il ne
+s'attendoit pas voir refuser, sur-tout en pareil lieu. Il ne perdit
+point l'espoir de russir, et chargea madame <i>de Ferriol</i> de ses
+intrts. Madame <i>de Ferriol</i> accepta sans rpugnance des fonctions
+moins honorables encore que celles que le Rgent destinoit
+mademoiselle <i>Ass</i>. Ses efforts furent vains. Comme elle revenoit sans
+cesse la charge et dveloppoit mademoiselle <i>Ass</i> tous les
+avantages d'une semblable conqute, mademoiselle <i>Ass</i> se jeta ses
+pieds pour la conjurer de ne plus lui en parler, assurant qu'elle se
+jeteroit dans un couvent si l'on continuoit la perscuter. Madame <i>de
+Ferriol</i>, qui ne cherchoit qu' obtenir du crdit et de la faveur,
+craignit de perdre tout moyen d'y parvenir en se sparant de
+mademoiselle <i>Ass</i>, et cessa ses exhortations.</p>
+
+<p>Mademoiselle <i>Ass</i>, qui avoit rsist l'appt de la faveur et de la
+fortune, ne trouva pas les mmes forces quand il lui fallut dfendre sa
+vertu contre l'amour et l'estime. Elle vit chez madame <i>du Deffant</i> le
+chevalier <i>d'Aydie</i>; il conut pour elle la plus vive passion; il se fit
+prsenter chez madame <i>de Ferriol</i>, et bientt abandonnant
+presqu'entirement le monde, il ne quitta plus cette maison. Le
+chevalier <i>d'Aydie</i> joignoit la plus noble figure et au caractre le
+plus aimable, une me fort tendre. Jusqu'alors son c&#339;ur n'avoit point
+prouv de sentimens profonds; il avoit eu plusieurs intrigues, mais
+aucun attachement durable. <i>Rioms</i>, son oncle, l'avoit prsent chez la
+duchesse <i>de Berri</i>, qui prit du got pour lui, et cette princesse ne
+diffroit gure d'ordinaire satisfaire ses gots et mme ses
+fantaisies.</p>
+
+<p>Voir ses pieds un homme brillant et spirituel, que les femmes de la
+cour s'toient disput, que les princesses avoient honor de leurs
+faveurs, et le voir anim par un amour tendre, dlicat et timide, quelle
+sduction pour l'amour-propre et pour le c&#339;ur de mademoiselle <i>Ass</i>!
+Ce qui rendoit le chevalier plus dangereux pour elle, c'est qu'il
+n'avoit que des vues honorables. Il vouloit pouser celle qu'il aimoit,
+et cherchoit se faire relever des v&#339;ux qui l'engageoient dans l'ordre
+de Malte. Mademoiselle <i>Ass</i> se sentoit bien assez de vertu pour ne
+point se prter un projet dont l'excution et dgrad son amant aux
+yeux du monde; mais elle ne se croyoit pas assez de force pour rsister
+ des dsirs dont la satisfaction ne pouvoit nuire qu' sa propre
+gloire. Dans la dfiance qu'elle avoit d'elle-mme, elle eut recours
+madame <i>de Ferriol</i>, qui comprit encore moins ses scrupules que la
+premire fois, et qui travailla les dtruire. Ne pouvant trouver aucun
+secours extrieur, voyant tous les jours le chevalier qu'on ne lui
+permettoit pas de fuir comme elle l'auroit voulu, elle finit par lui
+avouer qu'elle partageoit ses sentimens, et, en s'abandonnant lui,
+elle eut la satisfaction de voir qu'elle en toit aime encore
+davantage. Il redoubla ses instances pour l'pouser; elle n'y voulut
+jamais consentir; et mme, lorsqu'elle s'aperut qu'elle alloit devenir
+mre, l'intrt de son enfant et la perte de sa rputation ne la
+rendirent pas moins inflexible.</p>
+
+<p>Ce ne fut point madame <i>de Ferriol</i> qu'elle confia sa situation; elle
+lui connoissoit trop peu de discrtion et de dlicatesse. Elle avoua
+tout lady <i>Bolingbrocke</i>, avec qui elle toit trs-lie. C'toit une
+femme sensible et estimable. On sait qu'elle toit nice de madame <i>de
+Maintenon</i>, et que son premier mari avoit t M. <i>de Villette</i>. Elle
+pria madame <i>de Ferriol</i> de lui confier pour quelque temps mademoiselle
+<i>Ass</i> pour la mener en Angleterre. Madame <i>de Ferriol</i> consentit ce
+voyage. Lady <i>Bolingbrocke</i> et le chevalier <i>d'Aydie</i> logrent
+mademoiselle <i>Ass</i> dans un quartier retir de Paris. Elle y accoucha
+d'une fille, et y reut tous les soins d'une amie tendre et d'un amant
+passionn. L'enfant fut conduit en Angleterre par lady <i>Bolingbrocke</i>,
+et, aprs sa premire ducation, elle fut ramene en France, et place
+dans un couvent Sens, sous le nom de miss <i>Black</i>, nice de lord
+<i>Bolingbrocke</i>.</p>
+
+<p>C'est d'une poque un peu postrieure que sont dates les lettres que
+nous publions, et qui se continuant presque jusqu'aux derniers jours de
+la vie de mademoiselle <i>Ass</i>, nous dispensent de prolonger cette
+notice<a name="FNanchor_169_169" id="FNanchor_169_169"></a><a href="#Footnote_169_169" class="fnanchor" title="Go to footnote 169.">[169]</a>. Elles sont adresses madame <i>Saladin</i> qui pendant qu'elle
+habitoit Paris o son mari toit rsident de la rpublique de Genve,
+s'toit lie d'une tendre amiti avec mademoiselle <i>Ass</i>. Il parot
+que cette dame dont les principes toient plus svres que ceux des
+femmes qui entouroient sa jeune amie, sans que son c&#339;ur ft moins
+sensible, contribua par ses conseils et son exemple lui donner assez
+de force pour ne plus s'carter de ses devoirs. Du moins voyons-nous
+qu' l'poque o commena cette correspondance, mademoiselle <i>Ass</i>,
+quoique le chevalier <i>d'Aydie</i> qui ft plus cher que jamais, quoique
+lui-mme l'aimt toujours davantage, avoit rendu cette passion plus
+pure. Ce combat continuel contre un amour qui acquroit tous les jours
+plus de force, le manque absolu d'esprance, le repentir de sa
+foiblesse, le chagrin de ne pouvoir se livrer sans rougir la tendresse
+maternelle, donnent ses lettres un caractre de mlancolie tout--fait
+touchant. Ce triste sentiment, auquel venoit peut-tre se mler le
+souvenir de fautes plus anciennes et plus humiliantes, prend plus de
+force mesure que la sant de mademoiselle <i>Ass</i> s'affoiblit: les
+consolations de la religion, refuge des mes tendres et malheureuses,
+donnent sur la fin un caractre plus rsign et moins amer sa douleur,
+mais la rendent plus intressante encore. Mademoiselle <i>Ass</i> mourut en
+1733. Sa mort qui termina une vie malheureuse, le dsespoir o fut
+d'abord plong le chevalier <i>d'Aydie</i>, la tristesse profonde o il vcut
+encore pendant quinze ans, donnent ceux qui lisent leur histoire, la
+tentation de reprocher mademoiselle <i>Ass</i> une dlicatesse
+scrupuleuse qui priva son amant et elle d'un bonheur dont ils toient
+dignes de jouir.</p>
+
+<p>Les scrupules peut-tre exagrs qui s'opposrent ce bonheur, peuvent
+bien avoir rendu mademoiselle <i>Ass</i> plus malheureuse; mais ils
+donnent une sorte d'admiration pour une vertu si dsintresse. Le
+chevalier <i>d'Aydie</i> eut toujours pour sa fille une tendresse et des
+soins auxquels ses regrets donnoient plus de force encore.</p>
+
+<p>Il la maria un gentilhomme de sa province, et lui laissa sa fortune.
+Il existe des lettres qu'il crivit M. <i>de Pont-de-Vesle</i>,
+relativement ce mariage. Elles sont pleines de la douleur la plus
+vive, quoique l'poque de la mort de mademoiselle <i>Ass</i> ft dj assez
+loigne. Elles parotront bientt dans un recueil de lettres trouves
+chez M. <i>d'Argental</i>, qui est maintenant sous presse. L'diteur a bien
+voulu nous les communiquer, ainsi que celle de M. <i>de Ferriol</i>
+mademoiselle <i>Ass</i>, dont nous avons cit un passage.</p>
+
+<p>Les lettres de mademoiselle <i>Ass</i> madame <i>Saladin</i>, ont t
+recueillies et publies par mademoiselle <i>Rieu</i>, petite-fille de madame
+<i>Saladin</i>. Elle les avoit, long-temps avant, communiques <i>Voltaire</i>,
+qui y avoit mis de sa main quelques notes que nous avons conserves. Il
+parot que la notice que mademoiselle <i>Rieu</i> a mise la tte de son
+dition, existoit dj quand le manuscrit des lettres fut montr
+<i>Voltaire</i>; car il atteste dans une note place au bas de cette notice,
+que le chevalier <i>d'Aydie</i> avoit offert plusieurs fois mademoiselle
+<i>Ass</i> de l'pouser. Les dtails que nous avons ajouts ceux que
+contient la notice de mademoiselle <i>Rieu</i>, nous ont t fournis par des
+personnes qui ont beaucoup vu d'anciens amis de mademoiselle <i>Ass</i> et
+du chevalier <i>d'Aydie</i>.</p>
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_PREMIERE_AISEE" id="LETTRE_PREMIERE_AISEE"></a>LETTRE PREMIRE.</h3>
+
+<p class="date">1726</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> n'ai pu me rsoudre vous crire plutt: j'ai envisag avec chagrin
+que l'on ne vous laisseroit pas lire mes lettres; ainsi j'ai mieux aim
+laisser passer les premiers empressemens. Mandez-moi, Madame, de vos
+nouvelles. tes-vous remise de la fatigue du voyage? J'ai plus fait de
+v&#339;ux pour que vous eussiez le beau temps, qu'un amant n'en auroit fait;
+il ne seroit assurment pas plus occup et afflig que moi, de votre
+dpart. Le soleil, la pluie, les vents, me paroissent des embrsemens,
+des inondations, des ouragans: enfin, j'ai respir, quand j'ai vu
+arriver le jour bienheureux pour vos parens et vos amis, o ils vous ont
+enfin revue. Vous me manderez, s'il vous plat, quelques dtails de
+votre rception. Je partage toutes les amitis que vous recevez. Hlas!
+je ne puis passer dans la rue o vous avez demeur, sans avoir le c&#339;ur
+serr et les larmes aux yeux. Je reviens d'Ablons<a name="FNanchor_170_170" id="FNanchor_170_170"></a><a href="#Footnote_170_170" class="fnanchor" title="Go to footnote 170.">[170]</a>, o j'ai pass
+quelques jours tte tte avec madame <i>de Ferriol</i>; j'y ai toujours
+pens vous, et je dis ma compagne le regret que j'avois que vous
+n'eussiez pas vu cette guinguette. Dans l'instant, je vois entrer dans
+le salon madame votre fille; jugez de ma joie: elle passa ici pour aller
+ la Jaquinire; elle venoit de je ne sais o, aux environs. Notre dame
+prenoit du caf; elle vouloit se lever; madame votre fille se prcipita
+pour l'en empcher. Le chien noir, qui est mal morign, saute sur la
+tasse de caf pour japper, la renverse sur sa matresse: le dsespoir
+s'empare de ladite dame; fichu sali, robe unie tache. Vous jugez de
+l'embarras de madame <i>Rieu</i>, qui auroit voulu tre cent lieues de l.
+Pour moi je vous l'avoue, j'eus tant envie de rire, que madame votre
+fille se remit. Cependant, pass ces premiers momens, on lui fit toutes
+sortes de politesses. Elle la trouva trs-belle; en effet, elle l'toit
+aussi, quoique dans un grand nglig.</p>
+
+<p>Je parle toujours du voyage de Pont-de-Vesle<a name="FNanchor_171_171" id="FNanchor_171_171"></a><a href="#Footnote_171_171" class="fnanchor" title="Go to footnote 171.">[171]</a>, qui me procurera le
+bonheur d'aller vous voir. J'espre qu' force d'en parler, je forcerai
+d'y aller. Je suis occupe de ce projet: les hommes ne peuvent tre sans
+quelques dsirs; je me flattois d'tre une petite philosophe; mais je ne
+le serai, jamais sur ce qui touche le sentiment.</p>
+
+<p>Pont-de-Vesle<a name="FNanchor_172_172" id="FNanchor_172_172"></a><a href="#Footnote_172_172" class="fnanchor" title="Go to footnote 172.">[172]</a> se porte un peu mieux, il vous assure de ses
+respects. <i>D'Argental</i><a name="FNanchor_173_173" id="FNanchor_173_173"></a><a href="#Footnote_173_173" class="fnanchor" title="Go to footnote 173.">[173]</a> est dans l'le enchante, chez son amie, qui
+a hrit considrablement; il revient la St.-Martin. <i>Le Grand</i> donna,
+l'autre jour, une comdie qui tomba de la plus belle chute que j'aie
+jamais vue; il n'en a pas t de mme d'un opra que deux violons ont
+donn: le sujet est Pyrame et Thisb; il y eut une trs-jolie
+dcoration; ils reurent bien des applaudissemens.</p>
+
+<p>Je passe mes jours chasser aux petits oiseaux; cela me fait grand
+bien. L'exercice et la dissipation sont de trs-bons remdes pour les
+vapeurs et les chagrins; je reviens de mes courses avec apptit et
+sommeil. L'ardeur de la chasse me fait marcher, quoique j'aie les pieds
+moulus: la transpiration que cet exercice m'occasionne, me convient. Je
+suis hle comme un corbeau; je vous ferois peur, si vous me voyiez. Je
+voudrois bien en tre la peine. Que je serois heureuse si j'tois
+encore avec vous, Madame! Avouez que vous ne seriez point fche d'tre
+encore Paris. Pour moi, je donnerois bien une pinte de mon sang pour
+que nous fussions ensemble actuellement; je vous rendrois compte de
+mille choses, je goterois le plaisir de vous revoir; au lieu de ce
+bien, j'ai des regrets; que cela est diffrent! Le chevalier est en
+Prigord, o je crois qu'il s'ennuie: sa sant est toujours dlicate,
+son c&#339;ur toujours plus tendre. Je vous enverrois avec plaisir des copies
+de ses lettres; mais non: il y a des choses qui vous dplairoient, et
+j'aurois honte que vous les vissiez. L'abb, frre du chevalier, vit
+l'autre jour madame <i>Rieu</i> chez moi; ce fut un coup de foudre. Il revint
+le lendemain Ablons, il me dit qu'il n'avoit jamais rien vu de si beau
+ son gr: les lis et les roses ne sont pas si fraches qu'elle toit ce
+jour-l; son air de modestie et de douceur plut si fort ce pauvre
+abb, qu'il m'en parle toutes les fois qu'il me voit: cependant il avoit
+t prvenu; on l'avoit annonce, et je lui dis: vous allez voir une des
+belles femmes de Paris: malgr cela, il fut surpris. M. <i>Bertie</i> vous
+aime toujours de mme, quoiqu'il ait chang son got pour moi en amiti.
+On vous aime pour vous, et non pas pour les autres. Vous le savez bien;
+et quand vous dites le contraire, vous parlez contre votre pense. En
+bonne foi, peut-on vous connotre sans vous aimer? J'en laisse juge
+votre c&#339;ur. Adieu, Madame, aimez-moi, et soyez assure que personne dans
+le monde ne vous aime, ne vous estime, et ne vous respecte autant
+qu'<i>Ass</i>.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_II_AISEE" id="LETTRE_II_AISEE"></a>LETTRE II.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 1726</p>
+
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span>'<span class="smcap">ai</span>
+reu la lettre que vous avez eu la bont de m'crire de votre
+campagne: je ne doute point que vous n'ayez eu un plaisir bien vif de
+vous tre vu recevoir avec tant d'amiti: les dmonstrations de joie que
+l'on a eues de votre retour ne peuvent tre feintes. Ainsi, Madame, vous
+avez joui d'un bonheur que les rois mmes ne gotent pas. Vous me direz
+qu'il n'toit point ncessaire que vous fussiez malheureuse pour tre
+aime; que vous le seriez tout autant, et mme davantage, si vous tiez
+dans une fortune riante. L'exprience, il est vrai, fait voir que
+l'adversit et la mauvaise fortune dplaisent aux hommes; et que le
+plus-souvent les bonnes qualits, le mrite, sont les zro, et le bien,
+le chiffre qui les fait valoir; mais cependant on se rend toujours la
+vertu; je conviens qu'il faut en avoir beaucoup pour qu'elle supple au
+manque de richesses: ainsi, Madame, rien n'est plus flatteur que
+l'accueil obligeant que vous avez reu. Vous tes amplement ddommage
+des injustices du sort. Je suis charme que vous vous portiez mieux;
+rien ne contribue la sant, comme d'avoir sujet d'tre content de soi.
+Je fais tous mes efforts pour dterminer M. et madame <i>de Ferriol</i>
+aller Pont-de-Vesle; ils disent que c'est bien leur dessein, mais je
+ne le croirai que lorsque nous partirons: il n'y a pas de jour que je ne
+leur fasse sentir le besoin de leur prsence dans leurs terres, et celui
+de quitter quelque temps Paris. M. <i>de Bonac</i> va Soleure; je lui ai
+parl de madame votre s&#339;ur; madame <i>de Bonac</i> espre la voir souvent
+pendant son sjour dans ce pays-l. Comme il n'y a pas loin de Genve,
+nous irons, vous et moi, les voir; me ddirez-vous? M. et madame <i>de
+Ferriol</i> et <i>Pont-de-Vesle</i> vous font mille tendres complimens et
+respects. Pour <i>d'Argental</i>, il est dans l'le enchante; on ne sait
+plus quand il en sortira. J'occupe sa chambre, parce que je fais
+raccommoder la mienne, qui sera charmante; je suis bien fche que vous
+ne la voyiez pas; mes rparations me reviendront cent pistoles. J'ai
+vu M. <i>Saladin</i> le cadet; je me suis senti une tendresse pour lui, dont
+je ne me serois pas doute, il y a six mois; et je crois que je l'aurois
+eue pour M. <i>Buisson</i>, s'il avoit vcu. Les gens que j'ai connus chez
+vous, me sont chers. Il y a long-temps que je n'ai vu madame votre
+fille; elle a t la campagne, et moi, de mon ct; nous sommes alls
+passer les ftes Ablons, mademoiselle <i>de Villefranche</i>, madame <i>de
+Servigni</i>, M. et madame <i>de Ferriol</i>, MM. <i>de Fontenai</i>, <i>La
+Msangres</i>, le chevalier et <i>Clmence</i>: nous avons fait grand feu et
+bonne chre: vous en tes tonne; mais c'est pour long-temps; la
+matresse de la maison craignoit <i>La Msangres</i>. Elle n'a jamais os
+appeler <i>Clment</i>, son chien noir, ni <i>Champagne</i>; elle a t de
+trs-bonne humeur, malgr sa contrainte, et la partie s'est trs-bien
+passe. <i>La Msangres</i> fut charmant. M. <i>de Fontenai</i> m'a charge de
+vous assurer de ses respects.</p>
+
+<p>Il faut un peu vous parler des spectacles. Les deux petits violons
+<i>Franc&#339;ur</i> et <i>Rebel</i> ont fait un opra; le sujet est Pyrame et Thisb;
+il est fort joli, quant la musique; car pour le pome, il est mauvais:
+il y a une dcoration nouvelle. Le premier acte reprsente une place
+publique, avec des arcades et des colonnes, ce qui est admirable: la
+perspective est parfaitement bien suivie et les proportions bien
+gardes. Le pauvre <i>Thevenard</i> tombe si fort, que je ne doute pas qu'il
+ne soit siffl dans six mois. Pour <i>Chass</i>, c'est son triomphe; il est
+acteur dans cet opra; son rle est trs-beau, il fait deux octaves
+pleins. La <i>Entie</i> en est folle. Mademoiselle <i>Le Maure</i> est rentre; et
+<i>Murer</i>, qui a t trs-mal, se porte bien; le bruit avoit couru qu'il
+se faisoit moine, mais le mtier est trop bon, et il ne quitte point
+l'opra. Il y a une nouvelle actrice nomme <i>Pellissier</i>, qui partage
+l'approbation du public avec la <i>Le Maure</i>: pour moi, je suis pour la
+<i>Le Maure</i>; sa voix, son jeu me plaisent plus que celui de mademoiselle
+<i>Pellissier</i>. Cette dernire a la voix trs-petite, et elle l'a toujours
+force sur le thtre; elle est trs-bonne pantomime; tous ses gestes
+sont justes et nobles; mais elle en a tant, que mademoiselle <i>Entie</i>
+parot tout d'une pice auprs d'elle. Il me semble que dans le rle
+d'amoureuse, quelque violente que soit la situation, la modestie et la
+retenue sont choses ncessaires; toute passion doit tre dans les
+inflexions de la voix et dans les accens. Il faut laisser aux hommes et
+aux magiciens les gestes violens et hors de mesure; une jeune princesse
+doit tre plus modeste. Voil mes rflexions. En tes-vous contente? Le
+public rend justice mademoiselle <i>Le Maure</i>; et quand on l'a revue sur
+le thtre, elle parut premirement l'amphithtre, tout le parterre
+se retourna, et battit des mains pendant un quart-d'heure; elle reut
+ses applaudissemens avec une grande joie, et fit des rvrences pour
+remercier le parterre. Madame la duchesse <i>de Duras</i>, qui protge la
+<i>Pellissier</i>, toit furieuse, et me fit signe que c'toit moi et madame
+<i>de Parabre</i> qui avions pay des gens pour battre des mains. Le
+lendemain, la mme chose arriva, et mademoiselle <i>Pellissier</i> en pensa
+crever de dpit. La comdie est de retour de Fontainebleau o il y a
+jubil: nous ne l'avons pas ici, cause de M. le cardinal <i>de
+Noailles</i>. On est affam de tragdies, parce que depuis Fontainebleau on
+ne joue que des farces. Pour la comdie italienne, on y joue la critique
+de l'opra qui, ce qu'on dit, est fort jolie. La pauvre <i>Silvia</i><a name="FNanchor_174_174" id="FNanchor_174_174"></a><a href="#Footnote_174_174" class="fnanchor" title="Go to footnote 174.">[174]</a>
+a pens mourir: on prtend qu'elle a un petit amant qu'elle aime
+beaucoup; que son mari, de jalousie, l'a battue outrment, et qu'elle a
+fait une fausse couche de deux enfans, trois mois; elle a t
+trs-mal, elle est mieux prsent. Mademoiselle <i>Flaminia</i> avoit eu la
+mchancet d'instruire le mari des galanteries de sa femme. Vous jugez
+bien, l'amour que le parterre avoit pour <i>Flaminia</i>, combien il l'a
+maltraite. Les bals vont commencer; mais ils seront srement aussi
+dserts que l'anne passe.</p>
+
+<p>Permettez que je fasse ici quelques petites coquetteries M. votre
+mari. Je suis extrmement touche du petit mot qu'il a mis dans votre
+lettre; et dussiez-vous le battre de jalousie, je lui dirai que je
+l'aime beaucoup.</p>
+
+
+<p class="title">A mademoiselle votre fille.</p>
+
+<p>Je suis persuade, Mademoiselle, que vous avez un peu d'amiti pour moi:
+votre extrme vrit m'en assure; le retour est naturel tous les c&#339;urs
+bien faits, d'aimer qui nous aime. Continuez, je vous prie, de parler
+un peu de moi madame votre mre: choisissez, s'il vous plat, le
+moment o vous vous mettez table, pour que je puisse avoir part
+votre conversation; plt Dieu que j'en fusse tmoin! Adieu, Mesdames,
+recevez mes tendres embrassades. Voici une lettre d'un officier des
+Invalides M. <i>du Voisin</i>, pour obtenir la permission de se marier.</p>
+
+
+<p class="non top5">M<span class="smcap">onseigneur</span>,</p>
+
+<p>J'<span class="smcap">aurois</span> cru que le prcepte de Saint Paul toit bon suivre, sur-tout
+quand il dit, qu'<i>il vaut mieux se marier que brler</i>. C'est ce qui m'a
+fait prendre la libert de demander votre Grandeur la permission
+d'pouser mademoiselle <i>d'Auval</i>, fille d'un mrite et d'une sagesse
+consomme. C'est ce que tous ceux qui la connoissent certifieront
+votre Grandeur. Cependant M. notre gouverneur m'a dfendu de voir cette
+demoiselle, si je ne voulois tre dmis de mon emploi. J'ai obi cette
+dfense; et si votre Grandeur ne trouve pas propos ce mariage, je la
+supplie trs-instamment, pour le salut de mon me, de m'en prsenter une
+autre, ou bien d'envoyer ordre au pre <i>Pascal</i>, mon confesseur, de
+m'absoudre quand je vais confesse, ce qu'il m'a refus: je fais tous
+mes efforts pour contenter ce bon pre, mais en vain, Dieu ne m'ayant
+point donn trente-huit ans le don de continence. Enfin, Monseigneur,
+si vous me procurez le paradis sans femmes, et que je vienne mourir
+plutt que votre Grandeur, je ne laisserai point Dieu en repos, qu'il ne
+vous ait marqu une place digne de votre mrite, dans son paradis.</p>
+
+<p>
+Je suis, etc.<br />
+</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_III_AISEE" id="LETTRE_III_AISEE"></a>LETTRE III.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 1726</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> n'ai pas de plus grand plaisir que de causer avec vous; et, comme je
+voudrois rendre mes lettres un peu moins sches et plus intressantes,
+j'cris les nouvelles que je sais bien: je n'aimerois pas vous mander
+tout ce qui se dit Paris. Vous savez, Madame, que je hais les
+faussets et les exagrations: ainsi tout ce que j'crirai, sera
+srement vrai. J'ai reu hier des lettres d'Angleterre o on m'apprend
+le mariage de mademoiselle <i>de St.-Jean</i> avec M. <i>Knight</i>, fils du
+trsorier<a name="FNanchor_175_175" id="FNanchor_175_175"></a><a href="#Footnote_175_175" class="fnanchor" title="Go to footnote 175.">[175]</a> de la compagnie des Indes: on prtend qu'il a des biens
+immenses. Argent, argent, que de vanits vous touffez! que d'orgueils
+vous soumettez! que de penses honntes vous faites vanouir!
+Auriez-vous jamais cru que milord, entt de sa noblesse, comme il
+l'est, fort riche, et ayant une seule fille, la marit un gentilltre,
+elle qui devoit tre marie un pair<a name="FNanchor_176_176" id="FNanchor_176_176"></a><a href="#Footnote_176_176" class="fnanchor" title="Go to footnote 176.">[176]</a>? Elle va venir Paris voir
+la famille de son mari, qui sont de bonnes gens, mais sur un ton bien
+diffrent du sien: elle verra tous les petits Anglichons qui sont en
+France. Je crois qu'elle s'ennuiera et s'impatientera souvent.</p>
+
+<p>Le chevalier est beaucoup mieux, il revient ici. Voici une petite
+histoire assez plaisante<a name="FNanchor_177_177" id="FNanchor_177_177"></a><a href="#Footnote_177_177" class="fnanchor" title="Go to footnote 177.">[177]</a>. Un chanoine de Notre-Dame, fameux
+jansniste, homme de beaucoup d'esprit, et de rputation pour ses m&#339;urs,
+qui a profess dans plusieurs universits, fort craint des molinistes,
+et trs-aim de M. l'archevque de Paris, g de soixante-dix ans, a
+succomb l'envie de voir la comdie. Il avoit souvent dit ses amis,
+qu'il ne mourroit pas avant d'y aller, ayant une trs-grande passion de
+voir une chose dont il entendoit parler sans cesse. On prenoit ce
+discours pour une plaisanterie. Son laquais lui avoit demand plusieurs
+fois ce qu'il vouloit faire des vieilles nippes de sa grand'mre qu'il
+gardoit depuis long-temps. Il lui avoit rpondu qu'elles pouvoient lui
+tre ncessaires. Enfin, ne pouvant rsister davantage, il communiqua
+son dessein son laquais, qui toit un vieux domestique dans lequel il
+avoit beaucoup de confiance, et lui dit, qu'il vouloit s'habiller en
+femme avec les hardes de sa grand'mre. Le laquais fut trs-surpris; il
+chercha dissuader son matre d'excuter cet insens dguisement, en
+l'assurant que les nippes toient si antiques, qu'il seroit srement
+remarqu, au lieu que restant avec son habit, on pourroit trs-bien n'y
+pas faire attention, le spectacle tant rempli d'abbs. Le chanoine ne
+se rendit point ses raisons; il craignoit d'tre reconnu par ses
+coliers: il lui dit que comme il toit vieux, on ne seroit point
+surpris de le voir avec des hardes la vieille mode. Il s'ajuste avec
+la cornette haute, l'habit trouss, et tous les falbalas imagins en ce
+temps-l, pour suppler aux paniers. Il arrive la comdie et se place
+ l'amphithtre. Cette figure tonna, comme vous pouvez bien le penser.
+Les voisins commencrent en parler; le murmure augmenta. <i>Armand</i>,
+acteur qui faisoit le rle d'arlequin, aperut le chanoine, alla dans
+l'amphithtre, et examina le personnage; il s'en approcha, et lui dit:
+Monsieur, je vous conseille de dcamper: vous tes reconnu, et votre
+habit grotesque fait rire le parterre, au point que je crains quelque
+scandale. Le pauvre homme bien troubl, remercie le comdien, et le prie
+de l'aider sortir. <i>Armand</i> lui dit de le suivre, et press par la
+scne qu'il falloit jouer, il va trs-vte, le chanoine le perd de vue
+au sortir de l'amphithtre. Il entend les hues du parterre; il trouve
+l'escalier qui se partage en deux, dont l'un conduit la rue, et
+l'autre dans la salle des comptes. Comme il ne connoissoit point les
+lieux, son malheur voulut qu'il se mprt; il descend dans cette salle
+o l'exempt se tient ordinairement. Il y toit alors. Il fut frapp de
+cette figure de femme singulire, qui avoit l'air trouble et interdite;
+il l'arrta, ne doutant point que ce ne ft quelqu'aventurier dguis,
+et conduisit M. <i>Hrault</i>, lieutenant de police, notre pauvre docteur
+qui fondoit en larmes, et qui offrit cent louis l'exempt pour le
+laisser aller. Il lui conta son histoire, lui dit son nom; mais ce
+coquin fut inexorable; c'est la premire fois qu'il a refus de l'argent
+pour faire un scandale affreux. Le lieutenant de police vit avec plaisir
+notre chanoine; et, comme il toit courtisan moliniste, il lui fit une
+trs-grande rprimande, et le nomma devant beaucoup de monde. Le
+jansniste pleura: on lui a envoy une lettre de cachet pour aller 60
+lieues d'ici, je ne sais pas bien o.</p>
+
+<p>M. <i>de Prie</i><a name="FNanchor_178_178" id="FNanchor_178_178"></a><a href="#Footnote_178_178" class="fnanchor" title="Go to footnote 178.">[178]</a> toit l'autre jour dans la chambre du roi, appuy sur
+une table; la bougie alluma sa perruque; il fit ce que bien d'autres
+auroient fait en pareil cas, il l'teignit avec les pieds: l'incendie
+fini, il la remit sur sa tte. Cela rpandit une odeur trs-forte. Le
+roi entra dans ce moment; il fut frapp du parfum, et, ignorant ce que
+c'toit, il dit sans aucune malice: il sent bien mauvais ici; je crois
+qu'il sent la corne brle. A ce discours, vous comprenez bien que l'on
+rit; le roi et la noble assemble firent des clats de rire dsordonns.
+Le pauvre cocu n'eut point d'autre ressource que ses jambes, et il
+s'enfuit bien vite.</p>
+
+<p>Voici une pigramme de <i>Rousseau</i> contre <i>Fontenelle</i>.</p>
+
+<p class="poem">Depuis trente ans, un vieux berger normand<br />
+Aux beaux esprits s'est donn pour modle;<br />
+Il leur apprend traiter galamment<br />
+Les grands sujets en style de ruelle.<br />
+Ce n'est le tout; chez l'espce femelle,<br />
+Il brille encor, malgr son poil grison;<br />
+Et n'est caillette, en honnte maison,<br />
+Qui ne se pme sa douce faconde.<br />
+En vrit, caillettes ont raison,<br />
+C'est le pdant le plus joli du monde.<br />
+</p>
+
+<p>Madame <i>de Parabre</i> a quitt M. le premier, et M. <i>d'Alincourt</i> ne la
+quitte pas, quoique je sois persuade qu'il ne sera jamais son amant.
+Elle a des faons charmantes avec moi; elle sait bien que je crains
+d'avoir l'air d'tre sa complaisante, et comme elle n'ignore point que
+tous les yeux sont sur elle, elle ne me propose plus de parties; elle
+m'a dit cent fois qu'elle ne pouvoit avoir de plus grand plaisir que de
+me voir; que toutes les fois que je voudrois, elle en seroit charme.
+Son carrosse est toujours mon service. Ne croyez-vous pas qu'il seroit
+ridicule de ne la point voir du tout? d'ailleurs, je n'ai aucune raison
+de m'en plaindre, bien au contraire; n'ai-je pas reu de sa part mille
+amitis dans toutes les occasions. On ne me peut souponner d'tre sa
+confidente, ne la voyant que de temps en temps: enfin, je me conduirai
+de mon mieux. Mais, en vrit, Madame, je n'ai rien vu qui me confirme
+les bruits qui courent sur son nouvel engagement; elle est avec lui
+trs-polie, trs-modeste, a l'air indiffrente: la seule chose qui
+donneroit des soupons, c'est que sachant les discours du public, elle
+auroit d peut-tre ne pas le recevoir chez elle; mais elle dit qu'elle
+n'a pas le dessein de s'enterrer; que si elle refuse sa porte M.
+<i>d'Alincourt</i>, le lendemain il faudra qu'elle la refuse un autre, et
+que tour tour elle chasseroit tout le monde, et qu'elle n'en seroit
+pas quitte encore pour tre dans la solitude; que l'on diroit qu'elle ne
+les congdie que pour que le public en soit instruit: elle aime mieux,
+ajoute-t-elle, attendre du temps pour tre justifie. Adieu, ma chre
+dame, c'est toujours avec un regret infini que je vous quitte; mais la
+poste va partir.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_IV_AISEE" id="LETTRE_IV_AISEE"></a>LETTRE IV.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 1726</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">V</span><span class="smcap">ous</span> tes surprise que j'aie rest si long-temps sans vous crire; mais,
+Madame, je vous suis trop attache, pour ne pas me flatter que vous ne
+doutez point que, malgr mon silence, j'aie pens trs-souvent vous,
+et qu'il a fallu que je n'eusse pas un moment pour vous le dire, puisque
+je ne l'ai pas fait: mon c&#339;ur est sans cesse occup de vous, et mes
+regrets sont aussi vifs que le jour o vous quitttes Paris; tous les
+instans, je sens tout ce que j'ai perdu; rien n'est plus douloureux que
+d'avoir une amie de votre caractre, et d'en tre spare. Ces ides
+sont trop cruelles, parlons d'autre chose.</p>
+
+<p>Le prince <i>de Bournonville</i> est mort hier, il ne pouvoit vivre: il est
+mort bien jeune, et bien vieux; on le regrette, sans tre afflig; car
+il toit dans une si triste situation, qu'il valoit mieux pour lui de
+finir, que de continuer vivre pour souffrir; il ne pouvoit presque ni
+parler, ni respirer. Je crois que son me a bien eu de la peine
+quitter son corps; elle y toit toute entire. Il avoit fait un
+testament, il y a quatre ans, o il me donnoit deux mille cus; je suis
+enchante qu'il n'ait pas subsist. Le public qui ignoroit l'amiti
+qu'il avoit eue pour moi, dans le temps qu'il venoit souvent chez M. <i>de
+Ferriol</i>, auroit souponn mille choses. Il a nomm pour hritire
+madame la duchesse <i>de Duras</i>; il a donn trs-amplement tous ses
+domestiques, sans en oublier un. Ce qui vous surprendra, Madame, c'est
+qu'un quart-d'heure aprs sa mort, le mariage de sa femme avec le duc de
+<i>Rouvroi</i> a t arrt et publi; et, ce qui vous tonnera le plus,
+c'est que ce manque de biensance part du cardinal <i>de Noailles</i> et de
+la marchale <i>de Grammont</i> qui est Noailles, et mre de madame <i>de
+Bournonville</i>. M. le duc <i>de Rouvroi</i> est fils de M. <i>de St.-Simon</i>, g
+de 25 ans. Il n'a actuellement que 25,000 livres de rente, et vous voyez
+bien que sa naissance n'est pas bien merveilleuse; et madame de
+<i>Bournonville</i> jouit de 33,000 livres de rente. Elle est jeune et belle,
+d'une grande maison par elle et son mari. Madame <i>de St.-Simon</i> est amie
+du cardinal <i>de Noailles</i>. Elle parloit souvent du prince <i>de
+Bournonville</i>, comme d'un homme confisqu, et qu'elle se trouveroit bien
+heureuse, si sa veuve vouloit pouser son fils. Au moment que ce prince
+expiroit, elle va chez le cardinal, ne le laisse pas achever de dner,
+pour qu'il allt demander madame <i>de Bournonville</i>. La marchale <i>de
+Grammont</i> accepta la proposition, et dit au cardinal qu'elle en toit
+charme, mais qu'il falloit cacher pour quelque temps ce mariage. Le
+cardinal dit qu'il ne pouvoit se taire, et qu'il le diroit tout ce
+qui se rencontreroit, de manire qu'avant que M. <i>de Bournonville</i> ft
+enterr, tout Paris a su ce mariage. Il est mort le 5; et le 9, on a t
+faire part du mariage tous les parens et amis. Tout le monde est
+rvolt. Au bout de quarante jours, la crmonie se fera. Madame la
+duchesse <i>de Duras</i> et madame <i>de Maill</i>, s&#339;urs du dfunt, sont alles
+rendre visite le surlendemain la veuve; elle avoit un pied de rouge
+dans l'habillement de veuve, et son prtendu toit ct d'elle, qui
+venoit de se prsenter comme futur poux. Ce n'est point un mariage
+d'inclination; il n'y a aucun amour: cela fait tenir bien des discours.</p>
+
+<p>Les partis sur mademoiselle <i>Le Maure</i> et mademoiselle <i>Pellissier</i>
+deviennent tous les jours plus vifs. L'mulation entre ces deux actrices
+est extrme, et a rendu la <i>Le Maure</i> trs-bonne actrice. Il y a des
+disputes dans le parterre, si vives, que l'on a vu le moment o l'on en
+viendroit tirer l'pe. Elles se hassent toutes deux comme des
+crapauds, et les propos de l'une et de l'autre sont charmans.
+Mademoiselle <i>Pellissier</i> est trs-impertinente et trs-tourdie.
+L'autre jour, l'htel de Bouillon, table, devant des personnes
+trs-suspectes, elle dit que M. <i>Pellissier</i>, son cher mari, pouvoit
+compter d'tre le seul Paris, qui ne ft pas cocu. Pour la <i>Le Maure</i>,
+elle est bte comme un pot; mais elle a la plus belle et la plus
+surprenante voix qu'il y ait dans le monde; elle a beaucoup
+d'entrailles, et la <i>Pellissier</i>, beaucoup d'art. On fit l'anagramme du
+nom de cette dernire, qui toit <i>Pilleresse</i>. <i>Murer</i> a quitt tout de
+bon la fivre depuis trois mois, et la dvotion s'est empare de lui. On
+joue <i>Proserpine</i> le 14 de ce mois. La <i>Entie</i> fait <i>Crs</i>; la <i>Le
+Maure</i>, <i>Proserpine</i>; la <i>Pellissier</i>, <i>Arthuse</i>; <i>Thevenard</i>,
+<i>Pluton</i>; <i>Chass</i>, <i>Ascalaphe</i>. Voil la distribution qu'on dit tre
+merveille. Je doute pourtant que cet opra russisse: toute l'intrigue
+est une vieille matresse qui raconte ses vieilles amours, une petite
+fille qui cueille des fleurs et qui fait des guirlandes, un vieux
+cocher amoureux et brutal. Il n'y a donc qu'un pisode, <i>Alphe et
+Arthuse</i>, qui fasse une scne assez touchante: tout le reste est froid,
+languissant et insipide. M. <i>de Noc</i> me soutint, l'autre jour, que
+c'toit le plus bel opra du monde, et qu'il y avoit une allgorie qui
+le rendoit charmant. Je l'assurai qu'il pouvoit tre agrable pour le
+personnage pour lequel il avoit t fait: mais que pour moi, qui
+mprisois souverainement madame <i>de Montespan</i>, et qui ne l'avois jamais
+connue, sa rupture avec le roi, ses regrets, tout cela ne pouvoit
+m'mouvoir. La comdie tombe, tous les bons acteurs vont quitter; les
+mauvais sont dtestables, et ne donnent aucune esprance.</p>
+
+<p>Le roi est Marli, o il tient table le soir, la reine le matin. C'est
+une chose nouvelle; cela n'toit pas encore arriv, que la reine et
+mang en public avec les dames. On parle de guerre; nos cavaliers la
+souhaitent beaucoup, et nos dames s'en affligent mdiocrement: il y a
+long-temps qu'elles n'ont got l'assaisonnement des craintes et des
+plaisirs des campagnes; elles dsirent de voir comme elles seront
+affliges de l'absence de leurs amans. M. <i>de Nesle</i> a fait des
+plaisanteries trs-fortes M. le prince <i>de Carignan</i>, sur ce qu'il
+parloit mal franois. Le prince, impatient, lui dit qu'il seroit forc
+de lui donner des coups de bton, parce qu'on ne savoit pas en Sude
+qu'il toit un grand poltron. M. <i>de Nesle</i> a fait mille excuses et
+mille bassesses: choses qui lui arrivent trop souvent pour sa
+rputation.</p>
+
+<p>J'apprends, dans l'instant, qu'on va retrancher les rentes perptuelles.
+Comme nous n'en avons ni l'une ni l'autre, je m'en console. Ma sant est
+mauvaise depuis quelque temps. Je me fis saigner hier; je prends de la
+limaille, je suis maigre; je me flatte que cela n'aura pas de suite.
+Adieu, Madame; honorez-moi toujours un peu de vos bonts: c'est une
+consolation tous mes maux, tant du corps que de l'esprit. A propos,
+il y a une vilaine affaire qui fait dresser les cheveux la tte: elle
+est trop infme pour l'crire; mais tout ce qui arrive dans cette
+monarchie, annonce bien sa destruction. Que vous tes sages, vous
+autres, de maintenir les lois et d'tre svres! Il s'ensuit de l
+l'innocence. Je suis tous les jours surprise de mille mchancets qui se
+font, et dont je n'ai pu croire le c&#339;ur humain capable. Je m'imagine
+quelquefois que la dernire surprise m'empchera d'en avoir l'avenir;
+mais j'y suis toujours trompe.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_V_AISEE" id="LETTRE_V_AISEE"></a>LETTRE V.</h3>
+
+<p class="date">D'Ablons, 1726</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">C</span><span class="smcap">omment</span> vous portez-vous, Madame? ne me donnerez-vous point de vos
+nouvelles? voulez-vous me punir de mon silence? La punition est trop
+forte, et, pour une personne aussi juste que vous, elle n'est pas
+proportionne l'offense. Jamais vous ne pouvez souponner mon c&#339;ur;
+vous le connoissez trop. Votre silence ressemble l'oubli et
+l'ingratitude. Au nom de Dieu! souvenez-vous que vous tes la personne
+du monde que j'aime et que j'estime davantage. Vous tes oblige de
+m'aimer, cause de mon discernement, si ce n'est pas par got. Madame
+votre fille m'a fait l'honneur de me venir voir plusieurs fois: si je
+n'tois pas extrmement occupe, j'aurois le plaisir de la voir souvent;
+je l'ai toujours beaucoup aime; mais j'avoue que je l'aime encore
+davantage. Des esprits mal faits pourroient vous souponner sur cette
+phrase d'tre tracassire, et d'avoir voulu me donner de l'loignement
+pour elle; mais les bons esprits, et qui connoissent les entrailles,
+imagineront aisment que tout ce qui appartient ce qu'on aime, devient
+plus cher, lorsque l'on en est loign.</p>
+
+<p>Je me suis flatte, jusqu' prsent, que je ferois le voyage de
+Pont-de-Vesle, qui me procureroit le plaisir de vous aller voir; mais je
+vois avec douleur que le temps en est bien loign. On me flatte, et je
+crois deviner qu'il y a une rsolution marque de ne point faire ce
+voyage; j'en suis trs-pique; on se plat me donner des esprances,
+et ensuite les dtruire, je prends souvent la rsolution de parotre
+indiffrente sur l'vnement; mais, malgr moi, le chagrin et la joie se
+manifestent tour tour.</p>
+
+<p>On parle plus de guerre que jamais: nos guerriers craignent fort de
+camper. Ils voudroient se battre, prendre la hte quelques villes, et
+revenir, au bout de huit jours, Paris. M. le prince <i>de Conti</i> est
+mort, hier matin, d'une fluxion de poitrine; il a dit les choses du
+monde les plus tendres et les plus obligeantes sa femme; il lui a
+demand pardon des soupons mal fonds qu'il avoit eus sur sa conduite,
+lui a nomm son valet de chambre qui toit son espion et son
+calomniateur, et l'a assure qu'il toit bien loign d'ajouter aucune
+foi tout ce qu'il avoit rapport. Il a fait ordonner madame <i>La
+Roche</i>, sa matresse, qui, en partie, toit la cause du peu d'union
+qu'il avoit avec sa femme, de sortir au moment mme de sa maison, o
+elle demeuroit. Il a donn 2,000 livres de pension quatre personnes:
+je ne m'en ressouviens que de deux, MM. <i>de Montmorenci</i> et <i>du Bellai</i>;
+ M. <i>Maton</i>, qu'il a toujours aim, un diamant de 10,000 livres; au
+prsident <i>de Lubre</i>, son portrait en grand; ses deux filles, chacune
+une tabatire d'or avec son portrait. A l'gard de ses domestiques, il
+laisse madame la princesse <i>de Conti</i> matresse de les rcompenser comme
+elle le jugera propos. La princesse a beaucoup pleur, quand il est
+tomb malade, quoiqu'ils fussent brouills, et mme sur le point de se
+sparer. Il a donn tant de marques de tendresse et de repentir, qu'elle
+a oubli, pour le prsent, tous les chagrins qu'il lui a causs. Je
+crois cependant que, pass les premiers jours, elle s'en consolera bien
+aisment. M. le duc a eu une attaque d'apoplexie dont il rchappe. A la
+halle, les harangres disent que le borgne n'avoit garde de mourir,
+parce qu'il est trop mchant, et que le prince est mort, parce qu'il
+toit bon. Ces pauvres gens dcident de sa bont, sans savoir pourquoi,
+si ce n'est qu'il n'avoit jamais t porte de leur faire ni mal ni
+bien.</p>
+
+<p>Je vous enverrai, par la premire occasion, un livre fort la mode ici,
+le <i>Voyage de Gulliver</i>; il est traduit de l'anglois; l'auteur est le
+docteur <i>Swift</i>; il est fort amusant; il y a beaucoup d'esprit,
+d'imagination et une fine plaisanterie. <i>Destouches</i> a donn le
+<i>Philosophe mari</i>; c'est une trs-jolie comdie: il y a du sentiment,
+de l dlicatesse; mais ce n'est pas le gnie de <i>Molire</i>: il y a la
+<i>Critique</i> qui est du mme auteur, c'est le pangyrique du <i>Philosophe
+mari</i>; on la trouve assez mauvaise. Votre commission sera faite au
+plutt. Vous me faites tort, quand vous croyez que je peux m'impatienter
+en la faisant. Non, Madame, soyez persuade, moins que vous ne vouliez
+m'affliger mortellement, que si vous m'ordonniez de marcher sur la tte
+pour l'amour de vous, j'irois avec joie. L'article de votre lettre o
+vous me dites que vous ne me verrez plus, m'a serr le c&#339;ur en
+pleurer. Pourquoi voulez-vous m'affliger? Oui, je vous verrai, quelque
+chose qu'il arrive, moins que je ne meure bientt: ma sant est assez
+bonne; ainsi laissez-moi l'esprance de vous embrasser encore souvent,
+avant que je meure. Vous me demandez des nouvelles du chevalier; il est
+en Prigord, o sa sant est toujours assez mauvaise. Cependant il
+m'assure qu'il n'y a nul danger; il est plus tendre que jamais: ses
+lettres sont toutes comme celles que je vous montrois dans le carrosse,
+quelque temps avant votre dpart: si j'osois, je vous en enverrois des
+copies; elles sont trop pleines de louanges; mais elles sont si bien
+crites, que, si l'on ne connoissoit pas l'objet, on les trouveroit
+charmantes. Je ne sais aucune nouvelle de Paris; je suis ici comme au
+bout du monde; je vendange, je file beaucoup pour me faire des
+chemises, et je tire aux oiseaux. J'ai reu des lettres de madame
+<i>Knight</i>; elle me dit qu'elle est marie et heureuse; elle est
+Bettersea depuis son mariage; M. <i>de Bolingbrocke</i> ne parot pas trop
+content. La tte a tourn apparemment milord, de marier sa fille de
+cette faon. Vous auriez mieux fait; il falloit vous laisser faire, sans
+vous contraindre. Adieu, Madame, continuez-moi vos bonts.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_VI_AISEE" id="LETTRE_VI_AISEE"></a>LETTRE VI.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 1726</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">V</span><span class="smcap">ous</span> avez tort, Madame, de m'accuser d'oubli votre gard; ayez
+meilleure opinion de vos amis, et sur-tout de moi qui sens bien tout le
+prix de votre amiti: je puis jurer qu'il n'y a pas de jour que je ne
+pense vous, que je ne vous regrette, et que je ne fasse des projets
+pour aller vous voir; je mettrai tout en usage pour excuter ce que je
+souhaite si vivement: je quitte tout sans regret pour vous; je suis
+accable de chagrin, mon corps s'en ressent; je suis maigrie en tre
+alarme. J'ai eu tout la fois la mort de mon bienfaiteur M. <i>de
+Ferriol</i>, l'asthme du chevalier qui dure depuis trois mois, et la
+rduction des rentes viagres. Voici une lettre qu'il m'a faite pour le
+cardinal <i>de Fleuri</i>; je ne doute point que vous ne la trouviez bien.</p>
+
+
+<p class="non top5">M<span class="smcap">onseigneur</span>,</p>
+
+<p>Je n'oserois me flatter que votre minence se ressouvnt que j'ai eu
+l'honneur de la voir; mais je crois pouvoir esprer que la singularit
+de mon tat excitera sa compassion, et qu'elle me pardonnera la libert
+que je prends de lui en exposer les circonstances. M. <i>de Ferriol</i> m'a
+amene de Turquie en ce pays-ci, 4 ans; et aprs m'avoir leve comme
+sa fille, il a voulu, pour comble de gnrosit, me laisser une fortune
+qui soutnt l'ducation qu'il m'avoit donne. Toute la famille <i>de
+Ferriol</i> concourant ses desseins, il m'avoit donn 4,000 liv. de
+rentes viagres. Aujourd'hui, Monseigneur, on m'en te plus de la
+moiti; et par l je perds ce qui faisoit ma tranquillit,
+l'indpendance que l'on a voulu m'assurer. J'ose supplier votre
+minence, que l'on ne me traite point la rigueur; ne souffrez pas que
+l'on dtruise une fortune qui est un tmoignage de la gnrosit des
+Franois. Si vous vous informez de moi, on vous dira que je n'ai ni
+got, ni talent pour acqurir. Ordonnez donc qu'on me laisse ce que je
+possdois par des voies si lgitimes. Vous aurez part la
+reconnoissance que j'ai pour ceux qui je dois tout ce que je possde,
+et je ne cesserai jamais d'tre avec le plus profond respect, etc.</p>
+
+
+<p class="c"><i>Lettre de madame</i> <span class="smcap">de Ferriol</span>.</p>
+
+<p><i>Ass</i> ne cesseroit de vous crire, si je la laissois faire; je n'en ai
+pas la patience, et je l'interromps pour vous parler aussi mon tour.
+Gardez-vous bien de m'oublier; je ne cesse point de me ressouvenir de
+vous, et de vous regretter. Les courses que j'ai faites, et les maladies
+que j'ai essuyes, ne m'ont pas distraite un moment de ce souvenir;
+j'espre que tous mes voyages ne sont pas faits, et que j'en ferai un
+Pont-de-Vesle, qui me procurera le bonheur de vous voir. J'ai besoin de
+cette esprance pour adoucir la peine que me cause votre absence.
+J'espre qu'en attendant, vous voudrez bien me donner de vos nouvelles,
+et que vous ne doutez pas de la trs-tendre amiti que je conserverai
+toute ma vie pour vous.</p>
+
+
+<p class="c"><i>Suite de la Lettre de mademoiselle</i> <span class="smcap">Ass</span>.</p>
+
+<p>On me rend la plume, je vais en profiter pour conter quelques
+ravauderies. Madame <i>de Tencin</i> est toujours malade: les savans et les
+prtres sont, presque les seules personnes qui lui fassent leur cour.
+<i>D'Argental</i> n'est plus amoureux; ses assiduits sont rflchies
+actuellement. Il y a eu des tracasseries la cour; les dames du palais
+ont voulu jouer des comdies pour amuser la reine. MM. <i>de Nesle</i>, <i>de
+la Trimouille</i>, <i>Graisi</i>, <i>Gontault</i>, <i>Tallard</i>, <i>Villars</i>, <i>Matignon</i>
+toient les acteurs. Il manquoit une actrice pour de certains rles, et
+il toit ncessaire d'avoir quelqu'un qui pt former les autres: on
+proposa la <i>Desmarest</i>, qui ne monte plus sur le thtre; madame <i>de
+Tallard</i> s'y opposa, et assura qu'elle ne joueroit pas avec une
+comdienne, moins que la reine ne ft une des actrices. La petite
+marquise <i>de Villars</i> dit que madame <i>de Tallard</i> avoit raison, et
+qu'elle ne vouloit point jouer aussi, moins que l'Empereur ne ft
+Crispin. Cette grande affaire finit par des clats de rire. Madame <i>de
+Tallard</i> a t si pique, qu'elle a quitt la troupe, La <i>Desmarest</i> a
+jou, et les comdies ont trs-bien russi.</p>
+
+<p>Milord <i>Bolingbrocke</i> nie hautement les lettres que l'on prtend qu'il a
+crites M. <i>Walpole</i>. Je ne doute pas que vous n'en ayez ou parler:
+il dit qu'on peut l'attaquer, mais qu'il ne rpondra jamais; que ce sont
+des lettres supposes; qu'il est rsolu de demeurer en repos, malgr
+toute la malice du public. Madame sa femme est toujours malade. L'air de
+Londres l'incommode: on avoit fait courir le bruit que le mari et la
+femme toient mal ensemble; rien n'est plus faux: je reois des lettres,
+presque tous les ordinaires, de l'un et de l'autre; ils me paroissent
+dans une grande union: les inquitudes qu'il a de la sant de sa femme,
+et celles qu'elle a de la sienne, ne ressemblent point des gens
+mcontens. Adieu, Madame. La certitude que j'ai de vos bonts, me fait
+trop de plaisir pour vouloir en douter.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_VII_AISEE" id="LETTRE_VII_AISEE"></a>LETTRE VII.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 1727</p>
+
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span>'<span class="smcap">ai</span>
+reu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'crire; je ne
+puis vous dire assez tout le plaisir qu'elle m'a fait. Je les montre
+une seule personne, qui est trs-curieuse de les voir, et qui partage le
+plaisir que j'ai de les lire: les bonts d'une personne comme vous la
+flattent comme moi-mme, et elle partage mes inquitudes sur ce qui vous
+regarde. Vous tes la premire qu'elle a plainte dans ce maudit
+arrangement du retranchement des rentes viagres. Je n'ai point t
+console de n'tre pas la seule misrable dans cette occasion; il est
+toujours fort douloureux de voir ses amis malheureux. J'aurois, je vous
+jure, pris mon parti plus aisment, si vous aviez t privilgie. Mon
+voyage de Pont-de-Vesle se confirme, et sera beaucoup plus long; mais
+dans quelque pauvret que je sois, je vous promets d'aller vous voir; ce
+sera un des bonheurs les plus vifs de ma vie; et si jamais je me marie,
+je mettrai dans le contrat, que je veux tre libre d'aller Genve,
+quand il me plaira, et le temps que je voudrai. Madame <i>de Tencin</i> est
+toujours malade; mais j'ai grand'peur que madame sa s&#339;ur ne parte avant
+elle; sa cupidit augmente tous les jours. Ma sant est mdiocre, et je
+maigris beaucoup; c'est pourtant le premier bien; elle nous fait
+supporter toutes nos peines; les chagrins l'altrent, comme vous le
+prouvez, et ne font pas changer la fortune. D'ailleurs, il n'y a point
+de honte d'tre pauvre, quand c'est la faute du destin et de la vertu.
+Je vois tous les jours qu'il n'y a que la vertu qui soit bonne en ce
+monde et en l'autre. Pour moi qui n'ai pas le bonheur de m'tre bien
+conduite, mais qui respecte et admire les gens vertueux, la simple envie
+d'tre du nombre m'attire toutes sortes de choses flatteuses: la piti
+que tout le monde a de moi, fait que je ne me trouve presque pas
+malheureuse; il me reste deux mille francs de rente, tout au plus;
+j'envisage sans peine de me retrancher les choses qui me faisoient le
+plus de plaisir. Mes bijoux et mes diamans sont vendus; pour vous,
+Madame, il y a long-temps que vous vous tes dtache de tout cela. Si
+vous avez plus de chagrins, et que vous soyez plus plaindre que bien
+d'autres, vous en tes bien ddommage par la satisfaction de n'avoir
+rien vous reprocher: vous avez de la vertu, vous tes aime et
+estime, et, par consquent, vous avez plus d'amis. Conservez-les,
+Madame, et votre sant; ce sont l les vritables trsors.</p>
+
+<p>Madame <i>de Parabre</i> ayant quitt son amant, a donn cette charge
+<i>d'Alincourt</i>. M. <i>de Nesle</i> a plaisant M. le prince <i>de Conti</i> assez
+mal propos; et, quoique le prince l'et fait prier de se taire, il a
+continu; ce qui a mis en colre son altesse, qui a voulu lui jeter une
+assiette la tte. M. <i>de Nesle</i> a fait des excuses, qui ont t assez
+mal reues, puisqu'on lui a rpondu que l'on avoit eu tort de se mettre
+en colre contre un poltron; que l'on devoit en agir avec lui comme avec
+un chien qui importunoit, et qui l'on donnoit des coups de pied; que
+s'il n'toit pas content, il toit partout, et le trouveroit. Madame <i>de
+Nesle</i> avoit pour amant M. <i>de Montmorenci</i>: c'toit <i>Riom</i> qui avoit
+fait cette liaison; il a jug propos de la rompre, et a donn son
+ami madame <i>de Boufflers</i>; madame <i>de Nesle</i>, pour se venger, a donn le
+ridicule <i>Riom</i>, de lorgner la reine; ce dernier a t si piqu, qu'il
+est all au cardinal pour se justifier. Vous voyez quoi nos belles
+dames et nos agrables s'amusent. M. le duc se divertit comme un ange,
+son tour, Chantilli. Madame <i>de Prie</i> est relgue dans ses terres, o
+elle perd les yeux; elle se console en lisant le bel dit des rentes.
+Notre roi est toujours constant pour la chasse. La reine est grosse.
+Voil les nouvelles de ce monde. Quelle diffrence de votre ville
+Paris! L'innocence des m&#339;urs, le bon esprit y rgnent: ici on ne les
+connot pas. Il est arriv, depuis quelque tems, une petite aventure qui
+a fait beaucoup de bruit; je veux vous la mander. Il y a six semaines,
+qu'<i>Isess</i>, le chirurgien, reut un billet, par lequel on le prioit de
+se rendre l'aprs-midi, six heures, dans la rue <i>Pot-de-fer</i>, prs du
+Luxembourg. Il n'y manqua pas; il trouva un homme qui l'attendoit, et le
+conduisit quelques pas de l, le fit entrer dans une maison, ferma la
+porte sur le chirurgien, et resta dans la rue. <i>Isess</i> fut surpris que
+cet homme ne l'emment pas tout de suite o on le souhaitoit. Mais le
+portier de la maison part, qui lui dit qu'on l'attendoit au premier
+tage et qu'il montt; ce qu'il fit: il ouvrit une antichambre toute
+tendue de blanc; un laquais fait peindre, vtu de blanc, bien fris,
+bien poudr, et avec une bourse de cheveux blanche, et deux torchons
+la main, vint au-devant de lui, et lui dit qu'il falloit qu'il lui
+essuyt ses souliers. <i>Isess</i> lui dit que cela n'toit pas ncessaire,
+qu'il sortoit de sa chaise, et n'toit point crott. Malgr cela, le
+laquais lui rpondit que l'on toit trop propre dans cette maison, pour
+ne pas user de prcaution. Aprs cette crmonie, on le conduisit dans
+une chambre tendue aussi de blanc. Un autre laquais, vtu de mme que le
+premier, refit la mme crmonie des souliers: on le mena ensuite dans
+une chambre toute blanche, lit, tapisseries, fauteuils, chaises, tables
+et plancher. Une grande figure en bonnet de nuit et en robe de chambre
+toute blanche, et un masque blanc, toit assise auprs du feu. Quand
+cette espce de fantme aperut <i>Isess</i>, il lui dit: <i>j'ai le diable
+dans le corps</i>, et ne parla plus; il ne fit pendant trois quarts d'heure
+que mettre et ter six paires de gants blancs, qu'il avoit sur une
+table, ct de lui. <i>Isess</i> fut effray; mais il le fut encore
+davantage, quand parcourant des yeux la chambre, il aperut plusieurs
+armes feu; il lui prit un si grand tremblement, qu'il fut oblig de
+s'asseoir, de peur de tomber. Enfin craignant ce silence, il dit la
+figure blanche, ce que l'on vouloit faire de lui, qu'il le prioit de lui
+donner ses ordres, parce qu'il toit attendu, et que son temps toit au
+public: la figure blanche rpondit schement: <i>que vous importe, si vous
+tes bien pay?</i> et ne dit plus mot. Un quart d'heure s'coula encore
+dans le silence: le fantme enfin tire un cordon blanc de sonnettes. Les
+deux laquais blancs arrivent; il leur demande des bandes, et dit
+<i>Isess</i> de le saigner et de lui tirer cinq livres de sang. Le
+chirurgien, tonn de la quantit, lui demanda quel mdecin lui avoit
+ordonn une pareille saigne? <i>Moi</i>, rpondit la figure blanche,
+<i>Isess</i> se sentant trop mu pour ne pas craindre d'estropier, prfra
+de saigner au pied, o il y a moins de risque qu'au bras. On apporta de
+l'eau chaude; le fantme blanc te une paire de bas de fil blanc d'une
+grande beaut, puis une autre, encore une autre; enfin jusqu' six
+paires, et un chausson de castor doubl de blanc; alors <i>Isess</i> vit la
+plus jolie jambe et le plus joli pied du monde; il n'est point loign
+de croire que ce soit celui d'une femme: il saigne; la seconde palette
+le saign se trouve mal. <i>Isess</i> voulut lui ter son masque pour lui
+donner de l'air, les laquais s'y opposrent: on l'tendit terre; le
+chirurgien banda le pied pendant l'vanouissement. La figure blanche, en
+reprenant ses esprits, ordonna que l'on chaufft son lit; ce que l'on
+fit, et ensuite il s'y mit. <i>Isess</i> lui tta le pouls, et les
+domestiques sortirent; il alla prs de la chemine pour nettoyer sa
+lancette, faisant bien des rflexions sur la singularit de cette
+aventure: tout coup il entend quelque chose derrire lui, il tourne la
+tte, et voit dans le miroir de la chemine, la figure blanche qui vient
+ cloche-pied, et qui ne fait presque qu'un saut pour venir lui; il
+fut saisi de frayeur; elle prit sur la chemine cinq cus, les lui
+donna, et lui demanda s'il toit content. <i>Isess</i>, tout tremblant,
+rpondit que oui.&mdash;<i>Eh bien! allez-vous-en.</i> Le chirurgien ne se le fit
+pas dire deux fois; il prit ses jambes son cou, et s'en alla bien
+vite; il trouva les laquais qui l'clairrent, et qui de fois autre se
+tournoient et rioient. <i>Isess</i>, impatient, leur demanda ce que c'toit
+que cette plaisanterie. <i>Monsieur</i>, lui rpondirent-ils, <i>avez-vous
+vous plaindre? Ne vous a-t-on pas bien pay? Vous a-t-on fait quelque
+mal?</i> Ils le reconduisirent sa chaise, et il fut transport de joie
+d'tre sorti de l. Il prit la rsolution de ne point raconter ce qui
+lui venoit d'arriver; mais, le lendemain, on vint s'informer comment il
+se portoit de la saigne qu'il avoit faite un homme blanc; alors il
+raconta son aventure, et n'en fit plus mystre: elle a fait beaucoup de
+bruit; le roi l'a sue, et le cardinal se l'est fait raconter par
+<i>Isess</i>. On a fait mille conjectures qui ne signifient rien: je crois
+que c'est quelque badinage de jeunes gens qui se sont amuss faire
+peur au chirurgien. Je suis bien sincrement, ma chre madame, toute
+vous.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_VIII_AISEE" id="LETTRE_VIII_AISEE"></a>LETTRE VIII.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 1727</p>
+
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span>'<span class="smcap">ai</span>
+reu avant-hier la lettre que vous m'avez fait l'amiti de
+m'crire; vous trouverez dans celle-ci tout ce que vous me demandez. Je
+vais commencer par les nouvelles de Paris. La reine est accouche de
+deux princesses: il est bien fcheux, Madame, que dans le nombre il n'y
+ait pas un garon. Tout Paris toit dans une grande joie, quand on sut
+qu'elle toit en travail; la joie fut bien modre, quand on apprit la
+naissance de deux filles: on s'toit tromp de six semaines. Le
+chancelier arrive de son exil; il n'a pas encore les sceaux. M. le
+prince <i>de Carignan</i> est toujours amoureux de la <i>Entie</i>, danseuse
+l'opra; cette crature s'est engoue de M. <i>de la Poplinire</i>, fermier
+gnral, homme d'esprit, faiseur de chansons, et d'ailleurs assez laid.
+M. <i>de Carignan</i> s'toit li d'amiti avec lui, comme les maris font
+avec les amans de leurs femmes; mais le prince est italien, par
+consquent clairvoyant, et jaloux outre mesure. Il y a quelques jours
+qu'il alla prier la <i>Entie</i> de venir une petite maison qu'il a au bois
+de Boulogne; elle y consentit, mais elle voulut que M. <i>de la
+Poplinire</i> ft de la partie; ce dernier ne vouloit point; il se fit
+long-temps prier par le prince, qui le persuada enfin d'y venir; il y
+eut pendant le souper plusieurs lorgneries qui furent aperues du
+prince, et qui le mirent de trs-mauvaise humeur. On alla bientt aprs
+se coucher; et comme la maison est trs-petite, et qu'il n'y avoit que
+deux lits, la <i>Entie</i> coucha avec le prince, et <i>la Poplinire</i> dans une
+chambre ct. La demoiselle voulut bien faire les honneurs de chez
+elle, et alla trouver son voisin, quand le prince fut endormi. M. <i>de
+Carignan</i> s'tant rveill, et voyant que sa tourterelle s'toit
+envole, ne fit pas grand chemin pour la retrouver; il eut la constance
+de s'entendre dire les choses du monde les plus outrageantes; on le
+traita de sot. Bien des gens prtendent que le greluchon <i>la Poplinire</i>
+toit muni de deux pistolets dont il se servoit pour tenir en respect le
+pauvre abandonn, qui, furieux, dsespr, retourna Paris, et dbarqua
+chez sa femme; et comme il avoit le c&#339;ur trs-ulcr, il lui raconta ce
+qui venoit de lui arriver. Elle lui dit qu'il y avoit long-temps que
+cette crature le rendoit malheureux, et qu'il falloit faire un exemple
+pour chtier de pareilles gens, qu'elle lui demandoit la permission d'en
+faire des plaintes, et d'avoir une lettre de cachet pour la faire
+enfermer dans une maison de force. Le prince toit trop en colre pour
+n'y pas consentir. La princesse ne perdit point de temps; elle partit
+pour Versailles, et obtint du cardinal la lettre de cachet, envoya
+l-dessus arrter la donzelle, qui fut dans un dsespoir inconcevable.
+Elle avoit 40,000 livres en or chez elle, qu'elle vouloit emporter;
+mais on ne lui laissa prendre que 300 livres, et on la mena
+Sainte-Plagie, maison de force, o elle est actuellement. Le prince est
+dsespr de ne la plus voir; il a fait tout au monde pour la faire
+sortir de l, et pour se venger de <i>la Poplinire</i> et le faire mettre
+la Bastille; mais il n'en a pas eu le crdit: on l'a seulement engag
+aller faire un petit tour dans son dpartement, qui est la Provence.</p>
+
+<p>Voici encore une aventure, mais qui est plus tragique. Un gentilhomme,
+du ct de Villers-Coterets, allant d'un endroit un autre cheval
+avec son valet, fut attaqu dans un bois, par un jeune homme qui lui
+demanda sa bourse o il y avoit cinquante louis, sa montre, avec un
+cachet d'or, lui prit ses deux chevaux, et le laissa aller pied, assez
+embarrass de ce qu'il feroit. En marchant, il aperut une maison qui
+avoit une belle apparence; il envoya son laquais pour s'informer qui
+l'habitoit; il apprit avec joie que c'toit un officier avec lequel il
+avoit long-temps servi, et qui toit son bon ami; il se trouva heureux
+dans sa disgrce, de rencontrer justement son camarade qu'il connoissoit
+pour un parfait honnte homme; il en fut trs-bien reu: ils parlrent
+de la malheureuse aventure qui leur avoit procur le plaisir de se
+revoir; le matre de la maison offrit sa bourse et sa personne son
+ami. Quelques momens avant le souper, un jeune homme entra, que le
+gentilhomme reconnut pour tre celui qui l'avoit dvalis, et il fut
+bien surpris, quand l'officier le lui prsenta comme son fils; il ne dit
+mot, et se retira d'abord aprs souper dans sa chambre. Son laquais
+trs-effray, lui dit: <i>Monsieur, nous sommes dans un coupe-gorge; le
+fils de la maison est notre voleur, et nos chevaux sont dans l'curie.</i>
+Le gentilhomme lui dfendit de parler, et avant que personne ft lev
+dans la maison, il alla la chambre de son ami, et le rveilla, en lui
+disant que c'toit avec une grande douleur qu'il se trouvoit oblig de
+lui apprendre que son fils toit le mme homme qui l'avoit dvalis la
+veille; qu'il avoit cru, aprs s'tre consult, qu'il valoit mieux lui
+apprendre le dtestable mtier de son fils, que s'il venoit en tre
+inform par la justice: ce qui ne pouvoit manquer tt ou tard d'arriver.
+Le dsespoir du pre fut inconcevable; la surprise, la douleur, lui
+donnrent un si violent saisissement, qu'il s'vanouit; ensuite
+l'emportement, la fureur succdant, il monte la chambre de son fils,
+qui dormoit, ou feignoit de dormir; il trouve sur sa table la montre et
+le cachet o toient les armes de son ami: le fils entend le bruit;
+effray, il se lve, veut s'enfuir. Des pistolets se trouvent sur la
+table; le pre, troubl par la colre, en prend un, tire, et tue son
+malheureux fils. Il est venu tout de suite demander sa grce: tout le
+monde a t d'avis qu'on la lui donnt. Le cas est excusable dans le
+premier mouvement d'une colre aussi lgitime. Un honnte homme trouvant
+dans son fils un voleur de grand chemin, prouve un chagrin si vif, que
+la tte lui en peut bien tourner.</p>
+
+<p>Madame <i>de Ferriol</i> compte toujours aller Pont-de-Vesle; mais, comme
+elle ne veut y rester que six semaines, je ne l'accompagnerai pas; cela
+n'en vaut pas la peine. Il y a cinq ou six mariages pour notre ami<a name="FNanchor_179_179" id="FNanchor_179_179"></a><a href="#Footnote_179_179" class="fnanchor" title="Go to footnote 179.">[179]</a>;
+mais l'on voudroit fort avoir la dot, et point avoir de femme. Je ne
+vois plus <i>Bertie</i>; l'ambition le poignarde; il poursuit l'ambassade de
+Constantinople; les Turcs sont trop simples, pour goter l'air empes de
+notre ami.</p>
+
+<p>Le chevalier est parti pour le Prigord, o il compte tre cinq mois.
+Vous serez bien tonne, Madame, quand je vous dirai, qu'il m'a offert
+de m'pouser. Il s'expliqua hier trs-clairement devant une dame de mes
+amies; c'est la passion la plus singulire du monde; cet homme ne me
+voit qu'une fois tous les trois mois; je ne fais rien pour lui plaire;
+j'ai trop de dlicatesse pour me prvaloir de l'ascendant que j'ai sur
+son c&#339;ur; et, quelque bonheur que ce ft pour moi de l'pouser, je dois
+aimer le chevalier pour lui-mme. Jugez, Madame, comme sa dmarche
+seroit regarde dans le monde, s'il pousait une inconnue, et qui n'a de
+ressource que la famille de M. <i>de Ferriol</i>. Non, j'aime trop sa gloire,
+et j'ai en mme temps trop de hauteur pour lui laisser faire cette
+sottise. Quelle confusion pour moi d'apercevoir tous les discours que
+l'on tiendroit! Pourrois-je me flatter que le chevalier penst toujours
+de mme mon gard? Il se repentiroit assurment d'avoir suivi sa folle
+passion; et moi je ne pourrois survivre la douleur d'avoir fait son
+malheur, et de n'en tre plus aime. Il me tint les propos du monde les
+plus tendres, les plus passionns et les plus extravagans; il finit par
+me dire qu'il avoit dans la tte, que d'une faon ou d'une autre, nous
+vcussions ensemble. Je parus tonne de ce propos, et lui en dis mon
+sentiment; il se fcha, et m'assura que, quand il disoit cela, il ne
+prtendoit pas m'offenser, ni avoir des desseins malhonntes sur moi;
+qu'il vouloit dire, que si je voulois l'pouser, j'en tois la
+matresse; mais qu'autrement, il croyoit que nous pouvions bien, quand
+nous serions sans consquence l'un et l'autre, passer le reste de nos
+jours ensemble; qu'il m'assureroit une grande partie de son bien; qu'il
+toit mcontent de ses parens, l'exception de son frre, qui il
+donneroit honntement, pour qu'il ft content; et pour me faciliter
+d'accepter sa proposition, il me dit que nous ferions cession au dernier
+vivant de nos biens. Je badinai beaucoup sur mes vieux cotillons qui
+sont tout l'hritage que je pouvois assurer. Notre conversation finit
+par des plaisanteries. Adieu, Madame, je suis lasse d'crire; je vous
+suis dvoue bien tendrement.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_IX_AISEE" id="LETTRE_IX_AISEE"></a>LETTRE IX.</h3>
+
+<p class="date">1727</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> ne vous ai point justifi le silence de M. <i>d'Argental</i>, cause de
+vos craintes; prsent qu'il est guri, je vous dirai qu'il vient
+d'avoir la petite vrole le plus heureusement du monde: c'est un grand
+plaisir pour lui et ses amis, qu'il se soit dbarrass de cette vilaine
+maladie. Je vis hier madame votre fille qui est, comme vous l'avez
+laisse, belle comme un ange, mais d'une vertu battre; elle est bien
+votre digne fille. Madame <i>Knight</i> est grosse, elle retourne Londres
+pour accoucher. Miladi <i>Bolingbrocke</i> a t trs-mal; elle s'est mise au
+lit tout--fait; elle se trouve mieux de ce rgime. Le public, qui veut
+toujours parler, assure que son mari en agit mal avec elle; je vous
+assure que rien n'est plus faux. M. le duc <i>de Bouillon</i> a t
+l'extrmit. Il a envoy au roi la dmission de sa charge de grand
+chambellan; il l'a fait supplier de la donner son fils, ce qui lui a
+t accord: il est mieux; mais il n'y a aucune esprance que ce mieux
+continue. Pour parler de la vie que je mne, et dont vous avez la bont
+de me demander les dtails, je vous dirai que la matresse de cette
+maison est bien plus difficile vivre, que le pauvre ambassadeur. Je ne
+sais jamais sur quel pied danser. Si je reste, on me fait la mine de ce
+que l'on croit que l'on me contraint: si je sors, on me fait des sorties
+affreuses: on me contrarie sans fin, on me caresse aprs, jusqu'
+impatienter un ange. Une certaine demoiselle qui vient dans la maison,
+m'a fait l'honneur d'tre jalouse de moi; elle travaille me dtruire
+dans l'esprit de madame <i>de Ferriol</i> qui avale le poison, sans qu'elle
+s'en aperoive: je m'en suis doute, et j'y ai mis bon ordre. J'ai parl
+ madame avec beaucoup de force, de franchise et de respect. La
+tracassire ignore que je la connoisse, et je ne veux aucun
+claircissement avec des gens faux et mchans; je les laisse dans leur
+crasse. Je m'appuie sur la nettet de ma conduite, qui est de faire mon
+devoir de bon c&#339;ur, et ne point faire de tort aux autres: elle a dj le
+fruit que recueillent les mauvais esprits, madame ne la peut plus
+souffrir. Pour la <i>Tencin</i>, je continue ne la point voir: elle a plus
+de mange que jamais. L'archevque <i>de Tencin</i> a t trs-mal: nous
+avons t bien en peine. Il toit cruel de mourir la veille d'avoir le
+chapeau; il est mieux, et nous le verrons, j'espre, cardinal.</p>
+
+<p>Nous avons une nouvelle princesse, la femme de M. le Duc, qui est
+trs-jolie, mais fort petite: elle n'a que quatorze ans. Sa taille est
+charmante; elle a bonne grce; elle a dit des ingnuits plaisantes sur
+son mariage. On lui prsenta ses deux beaux-frres, et on lui demanda
+lequel des trois frres elle prfroit. Elle rpondit que ses deux
+beaux-frres avoient de trs-beaux visages, mais que M. le Duc avoit
+l'air d'un prince. On la mena Versailles, o elle russit trs-bien.
+Le roi ne causa point avec elle; mais, quand elle fut partie, il dit
+qu'il la trouvoit bien. Tous les gens de la cour lui firent la
+rvrence; elle reut leurs complimens sans aucun embarras. M. le duc
+<i>d'Orlans</i> est d'une dvotion aussi outre que son pre toit pervers.
+Madame <i>de Parabre</i> a t, comme je vous l'ai dj dit, quitte par
+monsieur le premier, qui est amoureux de madame <i>d'pernon</i>, qui n'a
+point encore fait parler d'elle. Cela cause bien du chagrin madame <i>de
+Parabre</i>. Elle me fait toujours beaucoup d'amitis. Voil ce que c'est
+que de ne point se mler des intrigues. Notre reine vint, le dix
+septembre, Sainte-Genevive, pour demander Dieu un dauphin. Le roi a
+reu les petites princesses galamment et avec courage. <i>Ne vous
+chagrinez point, ma femme</i>, dit-il la reine, <i>dans dix mois, nous
+aurons un garon.</i></p>
+
+<p>Nous avons l'Opra-comique une pice qui dure depuis six semaines, qui
+est assez jolie. Je reviens de la comdie; on jouoit <i>Rgulus</i>, o j'ai
+fondu en larmes. <i>Baron</i> a jou dans une perfection admirable. Je ne
+l'ai jamais vu mieux jouer; j'envisage avec douleur sa vieillesse. Il
+fit, l'autre jour, le rle de <i>Burrhus</i> dans <i>La mort de Britannicus</i>,
+o il excella. Il est impossible que l'on ne le croie pas le personnage
+qu'il reprsente. M. le comte <i>de Grancey</i>, et M. le marquis son frre,
+sont morts quinze jours l'un de l'autre. Ils sont si ruins, que leurs
+veuves ne trouveront pas leur douaire: ils jouissoient de beaucoup de
+bienfaits du roi, et mangeoient plus que leur revenu. M. <i>de la
+Chesnelaye</i> vient d'pouser mademoiselle <i>des Mares</i>, s&#339;ur du grand
+fauconnier; elle est belle et bien faite, et voil tout. Il a mari sa
+fille, qui a seulement quatorze ans, M. <i>de Pont-St.-Pierre</i>, homme de
+condition, riche, mais assez dbauch. M. <i>de Maisons</i> a pous
+mademoiselle <i>d'Angerviller</i>. M. <i>de Charolois</i> vit toujours avec la
+<i>de l'Isle</i>, dont il n'est plus amoureux, ni jaloux. Il a une autre
+matresse, qui a t trs-secrte, et qui n'a paru que par un clat
+violent. Elle s'est jete dans un couvent, prtendant que son mari avoit
+voulu l'empoisonner; elle se nomme madame <i>de Courchamp</i>; elle est s&#339;ur
+de cette madame <i>Dupuis</i>, qui a t si belle. M. <i>de Clermont</i> est
+amoureux fou de madame la duchesse <i>de Bouillon</i>. La marquise <i>de
+Villars</i> et madame <i>d'Alincourt</i> sont dans la plus grande dvotion:
+elles ne mettent plus de rouge: ce qui leur sied assez mal. M.
+<i>l'Avalle</i> et sa femme donnent des ftes madame <i>Benard</i>, qui loge o
+vous logiez. Je ne puis endurer que cette guenon et cette bte habite
+votre chambre. Elle est encore belle, et si belle, que, si elle se
+dpaysoit, on ne lui donneroit que trente ans. Les filles de l'opra, et
+les filles de joie inondent Paris: on ne sauroit faire un pas qu'on n'en
+soit entour. On rejoue l'opra <i>Bellrophon</i>. L'autre jour, quand le
+dragon parut sur le thtre, il y eut quelque chose qui se drangea la
+machine; l'estomac de l'animal s'ouvrit, et le petit polisson parut aux
+yeux de l'assemble, tout nu, ce qui fit rire le parterre. La
+<i>Pellissier</i> diminue de vogue imperceptiblement; on commence regretter
+la <i>Le Maure</i>, qui attend qu'on la prie de revenir. <i>Destouches</i> et elle
+se tiennent sur la rserve; mais ils meurent d'envie tous deux d'tre
+bien ensemble. Vous savez que <i>Destouches</i> a eu la place de <i>Francine</i>.
+Nous regrettons toujours <i>Murer</i> et le pauvre <i>Thevenard</i>; il baisse
+beaucoup. <i>Chass</i> ne le remplacera pas, il ne devient pas meilleur.</p>
+
+<p>Je me suis fait peindre en pastel, ou, pour mieux dire, M. <i>de Ferriol</i>,
+qui a un appartement charmant, a fait peindre six belles dames, dont je
+suis, non comme belle assurment, mais comme amie: madame <i>de Noailles</i>,
+<i>de Parabre</i>, madame la duchesse <i>de Lesdiguires</i>, madame <i>de
+Montbrun</i>, et une copie d'un portrait de mademoiselle <i>de
+Villefranche</i>, l'ge de quinze ans. Ils sont tous de la mme grandeur;
+le mien est parfaitement ressemblant: j'ai rsolu d'en demander la
+copie; et, si le peintre croit qu'il vaut mieux le faire d'aprs moi, je
+le ferai venir; c'est l'affaire de trois heures. Si vous tiez ici,
+Madame, je vous aurois demand genoux la complaisance de vous laisser
+peindre pour moi. On s'appuie sur une table o le peintre travaille;
+cela fait qu'on s'amuse voir dessiner, et que l'on n'a point
+d'attitude gnante. Aussitt que j'aurai cette copie, ou l'original, je
+vous l'enverrai. En le voyant, je vous prie de croire qu'il fait des
+v&#339;ux au ciel pour vous; car on a voulu que les yeux fussent en l'air
+avec un voile bleu, comme une vestale, ou une novice.</p>
+
+<p>Il y a ici un nouveau livre, intitul, <i>Mmoires d'un Homme de qualit,
+retir du monde.</i> Il ne vaut pas grand'chose; cependant on en lit 190
+pages, en fondant en larmes. A peine le chevalier a t arriv
+Prigueux, o il comptoit passer quelques mois, qu'il a t oblig de
+repartir, et de revenir ici. J'avoue que je fus surprise bien
+agrablement, quand je le vis hier entrer dans ma chambre; j'ignorois
+son retour. Quel bonheur, si je pouvois l'aimer, sans me le reprocher!
+Mais, hlas! je ne serai jamais assez heureuse pour cela. Je finis cette
+longue ptre, qui pourroit la fin vous fatiguer. Adieu, Madame;
+excusez et plaignez votre pauvre <i>Ass</i>.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_X_AISEE" id="LETTRE_X_AISEE"></a>LETTRE X.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 1727</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">M</span><span class="smcap">onsieur</span> <i>d'Argental</i> est arriv, il y a deux jours; il est extrmement
+marqu de la petite vrole, sur-tout le nez qui, force d'tre coutur,
+est devenu petit, chancr et faonn. Ses yeux, ses sourcils, ses
+paupires n'ont point t gts; par consquent, sa physionomie est
+toujours la mme; il est fort engraiss et fort rouge. Nous avons t
+si aises de le voir, que nous l'avons reu comme si c'toit l'amour. On
+peut dire de lui que ce n'est pas un beau garon, mais c'est assurment
+un aimable caractre: il est gnralement aim et estim; tous ceux qui
+le connoissent en font des loges bien flatteurs pour lui, et pour ceux
+qui s'y intressent. Vous savez, Madame, que cette russite n'est pas
+capable de le gter. Je voudrois que M. <i>de Caze</i> le connt; srement il
+l'aimeroit: on nous a bien alarms sur la sant de ce dernier. M. <i>de
+Saint-Pierre</i> nous avoit mand qu'il toit trs-mal; Dieu merci, ce
+n'est qu'une fausse alarme, il se porte bien. Le pathtique M.
+Jean-Louis <i>Favre</i> m'avoit fait pleurer, en faisant l'numration des
+qualits de M. <i>de Caze</i>, la perte que faisoient ses parens et ses amis;
+en un mot, s'il avoit t romain, il l'auroit mis parmi les dieux.
+Dites-lui, je vous prie, quand il voudra prendre place parmi eux, que ce
+soit le plus tard qu'il pourra, et mme qu'il fasse quelques mauvaises
+actions, pour qu'on ne le regrette pas.</p>
+
+<p>Notre voyage de Pont-de-Vesle est toujours trs-incertain; cela est
+insupportable. Madame <i>de Ferriol</i> continue tre d'une pesanteur
+alarmer; il faudroit qu'elle prt les eaux de Bourbon. Son fils et moi,
+nous le lui avons reprsent avec un ton d'attachement et d'amiti qui
+mritoit, de sa part, un peu de complaisance; elle est d'une opinitret
+et d'une duret mettre en fureur. N'en parlons plus. Je suis
+actuellement, que je vous cris, sur votre fauteuil; il n'y a que mes
+favoris qui je permette de s'y asseoir. M. <i>Bertie</i> quelquefois usurpe
+cette place; mais je ne le trouve pas bon.</p>
+
+<p>Madame la duchesse <i>de Fitz-james</i> pouse M. le duc <i>d'Aumont</i>; il a
+dix-huit ans, elle vingt; ce mariage est trs-convenable et fort
+approuv. Elle a eu toutes les peines du monde renoncer la libert
+dont elle jouissoit; mais il a 50,000 cus de rente, elle 25,000 livres;
+la mdiocrit de son revenu et sa jeunesse l'ont dtermine; elle m'a
+fait l'honneur de me demander mon avis, ne voulant pas se dcider, avant
+que je lui disse ce que je pensois: la noce se fera incessamment. Quand
+on le dit sa s&#339;ur, qui a quatorze ans, elle rpondit qu'elle auroit
+mieux aim que ce ft elle qui se marit, mais que, ds que les choses
+toient arranges, elle n'toit point fche que ce ft sa s&#339;ur. La
+reine est grosse. On ne parle que de guerre; les officiers partent, dont
+ils sont bien fchs. Monsieur et mademoiselle <i>d'Uxelles</i> ont fait
+avoir un guidon de gendarmerie M. <i>Clmence</i>, frre de M. <i>de La
+Marche</i>. Je veux parler politique. On dit ici que les Espagnols
+prendront Gibraltar, que l'Empereur offre de suspendre, pour deux ans,
+la compagnie d'Ostende, et que les Anglois veulent que ce soit trois
+ans. On est en ngociation pour cela; je juge que nous sommes les
+mdiateurs. Les Anglois ont une grande animosit contre l'Empereur et
+les Espagnols. On prtend que la marchale <i>d'Uxelles</i> est cause que
+nous ne faisons pas la guerre. L'indcision o l'on est, ruine; les avis
+tant si partags dans les conseils, qu'on a t oblig de tenir tout
+prt, pour n'tre pas pris au dpourvu; les officiers en sont ruins, et
+nos rentes retranches: nous pouvons dire comme l'opra:
+<i>l'incertitude est un rigoureux tourment</i>. <i>D'Argental</i> vous assure de
+ses respects, et vous envoie cette lettre du marquis <i>de Saint-Aulaire</i>,
+au cardinal. Elle nous a paru belle.</p>
+
+
+<p class="c"><i>Lettre du marquis</i> <span class="smcap">de Saint-Aulaire</span>, <i>au cardinal</i> <span class="smcap">de Fleury</span>.</p>
+
+<p>Voici la conjoncture la plus digne d'occuper une intelligence du
+premier ordre; il n'est point de puissance en Europe, qui ne dsire le
+secours de votre minence, pour la conservation de ses droits, ou
+l'tablissement de ses prtentions Le beau rle que vous allez faire
+jouer notre aimable monarque! Qu'il est heureux d'avoir un aussi bon
+guide dans le chemin de la vraie gloire! Celle de conqurir le monde ne
+vaut pas celle de le pacifier. Celle-l peut se faire craindre de
+quelques-uns, celle-ci est sre de se faire aimer de tous: son ambition
+ne sera pas borne subjuguer quelques nouveaux sujets aux dpens des
+anciens; ses plus ardens dsirs seront de contribuer au repos de ses
+amis; c'est dans le repos gnral qu'il cherche le bien. On va voir si
+l'amour de la justice, la candeur, la modration, la fidlit sa
+parole, n'ont pas un succs aussi heureux, que les ruses et les
+artifices de l'ancienne politique. Mais en instruisant le roi de ses
+intrts, n'oubliez pas le plus important, c'est de vous conserver. Je
+tremble, quand je songe au chaos que vous avez dbrouiller, la
+quantit d'intrts que vous avez concilier. Il est d'autres craintes
+que les plus heureux succs ne feroient qu'augmenter. Puis-je esprer de
+retrouver en vous cette douce urbanit qui nous enchante? Quelle
+modestie pourroit tenir contre la gloire qui vous menace?</p>
+
+<p>On a fait une promotion d'officiers de marine, qui a t peu nombreuse;
+elle a fait une quantit de mcontens. M. le chevalier <i>de Caylus</i>, qui
+toit colonel rform, a t fait, de plein saut, capitaine de vaisseau;
+il passe sur le ventre de mille officiers, qui ont cinquante annes de
+service, qui ont la plupart une grande naissance, et de fort belles
+actions; et les officiers rforms, pour lesquels on a beaucoup de
+duret, demandent ce qu'a fait le chevalier <i>de Caylus</i> pour tre si
+favoris. Tous les marins se plaignent, et le public trouve fort trange
+que le fils de madame la comtesse <i>de Toulouse</i> soit garde-marine,
+pendant que M. <i>de Caylus</i> est capitaine de vaisseau. Madame <i>de
+Montmartel</i> est accouche Brisach, d'un garon: son pre et son mari
+sont toujours en exil, et <i>du Verney</i> la Bastille; on ne trouve rien
+pour le retenir, ainsi il sortira bientt.</p>
+
+<p>Le beau <i>de la Mothe-Houdancourt</i>, recherch des plus belles et des
+plus riches dames de la cour, a donn cong madame la duchesse <i>de
+Duras</i>, pour la <i>Entie</i>, actrice de l'opra, dont il est fou; il ne la
+quitte point, et on les prie souper comme mari et femme. On dit que
+c'est charmant de voir l'tonnement de la <i>Entie</i>, l'enthousiasme de <i>la
+Mothe</i>; il n'y a jamais eu une passion aussi violente et aussi
+rciproque: le rle de <i>Crs</i> a fait natre cette passion. Les
+spectacles sont cesss, et les concerts spirituels sont fort courus. La
+<i>Entie</i> et la <i>Le Maure</i>, y chantent enlever.</p>
+
+<p>Il n'y a plus moyen d'excuser madame <i>de Parabre</i>; M. <i>d'Alincourt</i> est
+tabli chez elle. Elle a toujours beaucoup d'empressement pour moi. J'ai
+du got, je l'avoue, pour elle: elle est aimable; mais je la vois
+beaucoup moins, et sur-tout en public. Soyez persuade de ce que je vous
+dis, Madame; elle n'est assurment pas excusable d'avoir repris un autre
+amant, mais bien d'avoir quitt celui qu'elle avoit. Il lui a mang plus
+d'un million, et, dans sa rupture, tous les vilains procds; et de sa
+part tous les plus nobles et les plus gnreux. M. et madame <i>de
+Ferriol</i> entrent, dans ce moment, dans ma chambre, et me chargent de
+mille complimens pour vous. Le premier a pris un trs-grand intrt au
+retranchement de vos rentes viagres. C'est beaucoup pour lui; car il
+n'a pas le c&#339;ur bien tendre. Pour M. <i>de Pont-de-Vesle</i>, vous savez
+l'estime et l'attachement qu'il a pour vous. Nous parlons cent fois de
+vous ensemble.</p>
+
+<p>Je pars pour la chasse dans ce moment. Vous me demandez des nouvelles de
+mon c&#339;ur: il est parfaitement content, Madame, une chose prs que des
+difficults qui me paroissent insurmontables, empchent. Mais Dieu est
+le matre de tout: j'espre en lui; l'attachement, la considration et
+la tendresse sont plus forts que jamais; et l'estime et la
+reconnoissance de ma part; quelque chose de plus, si j'ose le dire.
+Hlas! je suis telle que vous m'ayez laisse, bourrele de cette ide
+que vous savez, que vous avez dveloppe chez moi. Je n'ai pas le
+courage d'en avoir: ma raison, vos conseils, la grce, sont bien moins
+agissans que ma passion. Le bruit a couru que je sortois de cette
+maison, et que je cherchois un appartement. Le chevalier en fut chagrin,
+mais sans humiliation. Ce qui donna lieu ce bruit, c'est que j'tois
+alle voir plusieurs maisons pour madame <i>du Deffant</i>. La petite
+personne<a name="FNanchor_180_180" id="FNanchor_180_180"></a><a href="#Footnote_180_180" class="fnanchor" title="Go to footnote 180.">[180]</a> seroit bien heureuse, si elle savoit les bonts que vous
+avez pour elle. On dit qu'elle continue tre aimable pour le caractre
+et la figure. Je ne sais si j'oserai y aller cette anne; ma bourse me
+prive de tout. Si j'avois seulement cent pistoles, j'irois l'embrasser,
+et vous baiser les mains Genve. Que ma joie seroit grande! Mais, mon
+Dieu, je ne serai pas assez heureuse! Adieu, Madame: que n'tes-vous
+Paris!</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XI_AISEE" id="LETTRE_XI_AISEE"></a>LETTRE XI.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 1727</p>
+
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span>'<span class="smcap">ai</span>
+vu, ce matin, M. <i>Tronchin</i><a name="FNanchor_181_181" id="FNanchor_181_181"></a><a href="#Footnote_181_181" class="fnanchor" title="Go to footnote 181.">[181]</a>, Madame, qui m'a appris le
+testament de ce pauvre <i>de Martine</i><a name="FNanchor_182_182" id="FNanchor_182_182"></a><a href="#Footnote_182_182" class="fnanchor" title="Go to footnote 182.">[182]</a>. Vous jugez avec quelle joie
+j'ai su qu'il vous laissoit une marque de souvenir, aussi bien qu'
+mademoiselle votre fille; il est mort comme il a vcu, avec amiti et
+gnrosit pour ses amis. Son ami en a us en honnte homme avec les
+parens du dfunt. Je ne sais pas s'ils seront contens; mais ce qu'il y a
+de trs-sr, c'est que c'est lui qu'ils doivent ce que M. <i>de Martine</i>
+leur donne. Il n'toit point content d'eux; il ne leur devoit rien,
+puisqu'il n'avoit rien eu de patrimoine, et que c'toit sa bonne
+conduite et ses talens qu'il devoit sa fortune. M. <i>Tencin</i> lui avoit
+rendu des services; il toit son ami. Est-il rien de plus juste que de
+faire du bien ce que l'on aime, quand on est en tat de le pouvoir
+faire? J'ai vu beaucoup de gens qui disent que M. <i>Tronchin</i> toit un
+sot, de ne pas profiter entirement de la bonne volont de son ami. Mais
+il pensoit avec plus de dlicatesse; il a engag M. <i>de Martine</i>
+donner sa famille: ce qu'il n'auroit srement pas fait, je le rpte,
+sans lui. Il est mort g de 78 ans; je le croyois plus vieux. Il a
+trait trs-bien ses cousines; il a donn une anne de gages ses
+domestiques: il me semble que ce n'est pas assez.</p>
+
+<p>Nous reparlons de Pont-de-Vesle plus que jamais, et mme l'on assure que
+l'on y passera l'hiver. Si cela toit, quelqu'ennui que j'aurois d'tre
+si long-temps absente, si je vous voyois, je serois contente, et
+prendrois mes peines avec joie. Je n'assure rien; car la volont de
+madame <i>de Ferriol</i> est comme une mer agite. Je voudrois bien tre
+cette campagne o vous vivez avec tant d'innocence, de puret et de
+contentement: je n'ai cru y tre que pour me dsesprer de n'y tre pas.
+Je voudrois que vous eussiez une petite mnagerie. Quand j'y serai,
+srement je vous en ferai faire une; rien n'est plus amusant. Ne
+jouez-vous plus au quadrille? Pour moi, je l'ai absolument abandonn.
+J'ai pass quatre jours la campagne; je m'y suis baigne; c'toit
+justement les jours les plus chauds. Avez-vous une rivire prs de votre
+campagne?</p>
+
+<p>Nous n'avons point de nouvelles, sinon la grossesse de madame <i>de
+Toulouse</i>, et le bon mot du roi sur l'histoire d'Henri IV, qu'il vient
+de lire. On lui a demand son sentiment l-dessus; il a rpondu que ce
+qui lui avoit plu davantage dans la vie d'Henri, c'toit son amour pour
+son peuple. Dieu veuille qu'il le pense et qu'il le suive! L'argent est
+encore bien rare; mais une chose qui l'est furieusement, et que vous
+n'avez jamais vue, c'est que le premier ministre est fort approuv.
+C'est le plus honnte homme du monde, qui est certainement occup du
+bien de l'tat. Enfin, nous avons un premier ministre estimable,
+dsintress, et dont l'ambition n'est que de remettre les affaires en
+ordre. Les premiers moyens ont t durs; mais la suite fait bien voir
+qu'il n'a pas pu faire autrement. Il a vaqu un gouvernement: la ville
+payoit 6,000 livres d'augmentation, qu'il a retranches; et, l'avenir,
+il n'y en aura plus de nouvelles, il remettra les choses sur l'ancien
+pied. Il a t le cinquantime, et a remis deux millions cent mille
+livres sur les tailles. Tout cela prouve un ministre qui veut rendre les
+peuples heureux. Dieu veuille qu'il vive assez long-temps pour mettre
+excution ses bonnes intentions! Je ne lui trouve qu'un dfaut, c'est de
+vous avoir retranch vos rentes viagres. Vous n'avez partag que le mal
+qu'il a fait, et vous ne pouvez jouir du bien; mais c'est votre
+malheureuse destine: ne cessera-t-elle jamais de vous perscuter?</p>
+
+<p><i>Proserpine</i> ne russit pas: on trouve cet opra beau, mais trop triste;
+on ne le jouera pas long-temps. On joue deux fois la semaine les
+<i>lmens</i>, et deux fois <i>Proserpine</i>. La <i>Pellissier</i> est gurie; elle
+toit devenue folle, les uns disent de sa prodigieuse russite, les
+autres de ce qu'on l'avoit souponne de galanterie, faisant profession
+d'tre sage. Nous avons une pice la Comdie franoise, intitule le
+<i>Philosophe mari</i>, qui est trs-jolie, et qui a eu une russite
+prodigieuse: toutes les loges sont loues pour la onzime
+reprsentation. L'auteur est <i>Destouches</i>. On dit que c'est sa propre
+histoire: aussitt qu'on l'imprimera, je vous l'enverrai. On trouve que
+<i>Quinault</i> joue bien: pour moi je ne suis pas de cet avis. Imaginez voir
+M. <i>Bertie</i>, conseiller au parlement; mme attitude, mmes gestes; en un
+mot, il n'y a de diffrence que la voix qui est plus forte. Mademoiselle
+votre fille se seroit prise d'aversion pour le <i>Philosophe mari</i>. On
+est ici dans la fureur de la mode pour dcouper des estampes enlumines,
+tout comme vous avez vu que l'on a t pour le bilboquet. Tous
+dcoupent, depuis le plus grand jusqu'au plus petit. On applique ces
+dcoupures sur des cartons, et puis on met un vernis l-dessus. On fait
+des tapisseries, des paravents, des crans. Il y a des livres d'estampes
+qui cotent jusqu' 200 livres, et des femmes qui ont la folie de
+dcouper des estampes de 100 livres pice. Si cela continue, ils
+dcouperont des <i>Raphal</i>. Je suis dj vieille: les modes ne prennent
+plus subitement sur moi. Adieu, Madame, permettez que j'embrasse M.
+votre mari et mademoiselle votre fille. Je suis lasse d'crire tant de
+nouvelles qui sont indiffrentes toutes deux.</p>
+
+<p>Je vous envoie une lettre du marquis <i>de la Rivire</i> mademoiselle <i>des
+Houlires</i>, et la rponse. On a trouv l'une et l'autre trs-jolies.</p>
+
+
+<p class="c"><i>Lettre du marquis</i> <span class="smcap">de la Rivire</span>, <i> mademoiselle</i> <span class="smcap">des Houlires</span>.</p>
+
+<p class="poem"><span style="margin-left: 3em;">Fille d'une aigle, aigle vous-mme,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Qui n'avez point dgnr,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Dont partout le mrite extrme</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Est si justement rvr,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Qu'on s'honore, quand on vous aime!</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Aimable interprete des Dieux,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Qui parlez si bien leur langage,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Et qui portez dans vos beaux yeux</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Et leur douceur et leur image,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Recevez ce petit hommage</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Que je vous offre tous les ans;</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">C'est un tribut de sentimens</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Qui ne convient pas mon ge;</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Les biensances me l'ont dit,</span><br />
+Les amours et les vers sont faits pour la jeunesse;<br />
+Mais le feu de mon c&#339;ur qui soutient mon esprit,<br />
+<span style="margin-left: 2em;">Amuse et trompe ma vieillesse.</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Faites-moi seulement crdit</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">D'agrmens et de gentillesse;</span><br />
+<span style="margin-left: 1em;">Contentez-vous du fonds de ma tendresse;</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Il en est de ce que je sens,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Comme des tableaux d'un grand matre,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Dont la beaut ne fait que crotre,</span><br />
+Et redoubler de force la longueur du temps.<br />
+<span style="margin-left: 2em;">Votre vertu n'est pas commune,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Vous aimez faire du bien;</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Donnez mes yeux la fortune,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Il ne vous manquera plus rien.</span><br />
+</p>
+
+
+<p class="c"><i>Rponse de mademoiselle</i> <span class="smcap">des Houlires</span>.</p>
+
+<p class="poem"><span style="margin-left: 3em;">Demeurez dans votre hermitage;</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Je crains ce dangereux hommage;</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Qu'avec soin vous m'offrez ici:</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Pour la tendresse, il n'est point d'ge,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Vous le sentez, et je le sens,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Ceci n'est point un badinage:</span><br />
+<span style="margin-left: 1em;">Vous de retour, nos c&#339;urs sympathisans,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">L'homme prudent, la fille sage,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Tous peut-tre feroient naufrage.</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Demeurez dans votre hermitage.</span><br />
+<br />
+<span style="margin-left: 2em;">Le tratre amour qui vous engage,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Ne doit pas tre mpris;</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Avec lui naturalis,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Les belles de son apanage</span><br />
+Vous ont, dans tous les temps, si bien favoris,<br />
+<span style="margin-left: 2em;">Que tout de vous me fait ombrage.</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Demeurez dans votre hermitage.</span><br />
+<br />
+<span style="margin-left: 2em;">Vous parlez un certain langage</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Qui porte au c&#339;ur, qui fait penser,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Et qui semble tre un sr prsage,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Que de ses traits, le dieu volage</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Est prt encore me blesser.</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Demeurez dans votre hermitage.</span><br />
+<br />
+<span style="margin-left: 2em;">Ah! s'il avoit eu l'avantage,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Du sjour de l'heureuse paix,</span><br />
+<span style="margin-left: 1em;">Que penseroit dame dont les attraits</span><br />
+<span style="margin-left: 1em;">Auroient soumis le c&#339;ur le plus sauvage:</span><br />
+Dame dont les beaux vers ne priront jamais,<br />
+<span style="margin-left: 1em;">Et dont le nom est tout mon hritage?</span><br />
+<span style="margin-left: 1em;">Car vous savez que pas un de ses traits,</span><br />
+Ne gt en mes crits, non plus qu'en mon visage,<br />
+<span style="margin-left: 2em;">Et que je n'ai, pour tout partage,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Que les yeux doux qu'elle m'a faits,</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Pour ne les point mettre en usage.</span><br />
+<span style="margin-left: 2em;">Demeurez dans votre hermitage.</span><br />
+</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XII_AISEE" id="LETTRE_XII_AISEE"></a>LETTRE XII.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 1726</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">L</span><span class="smcap">a</span> fortune est aveugle, et n'aime que les vilains. Si elle m'avoit donn
+les cent mille cus qu'elle prodigue madame votre cousine, j'aurois
+fait un meilleur usage qu'elle de ce bien. Que de plaisirs je me
+procurerois! Vous seriez ici, Madame, avec M. votre mari et mademoiselle
+votre fille; je vous verrois heureux, et ce seroit par mon moyen; et
+comme je sais les liens<a name="FNanchor_183_183" id="FNanchor_183_183"></a><a href="#Footnote_183_183" class="fnanchor" title="Go to footnote 183.">[183]</a> qui vous retiennent Genve, je ferois
+faire une litire bien ferme, bien toffe, bien commode; j'y mettrois
+qui vous savez. Je l'amenerois ici, je lui procurerois des plaisirs qui
+lui feroient oublier le pays natal. Nous rassemblerions les gens
+clbres de toute espce, de tous talens pour le divertir: s'il falloit
+mme quelques jolis visages, je ferois l'effort de lui en chercher.
+Voil un vilain mtier; <i>mais quand on obtient ce qu'on aime, qu'importe
+ quel prix?</i> Voil ce que je ferois du bien de madame votre cousine.
+Pour parler d'autre chose, M. le duc <i>de Gesvres</i> est malade, il fait de
+trs-grands remdes. Il est St.-Ouen, o toute la France va le voir;
+il est dans son lit, garni de rubans et de dentelles, les rideaux sont
+relevs, des fleurs rpandues sur son lit, des dcoupures d'un ct, des
+n&#339;uds de l'autre; et dans cet quipage il reoit tout le monde. Vingt
+courtisans entourent son lit; et son pre et son frre font les honneurs
+ la grande compagnie. Il y a toujours deux tables de vingt couverts
+chacune, et quelquefois trois: M. <i>d'pernon</i> y est demeure. On a
+tabli des habits verts pour les complaisans, c'est--dire, qu'avec
+habit, bas, souliers, chapeaux verts, on peut avoir toujours les plus
+familires entres chez M. le duc: il y a une trentaine d'habits verts
+de distribus. Le roi a dit sur cela, qu'il n'y avoit qu' changer les
+justaucorps en robes de chambre, que l'habillement d'ailleurs seroit
+plus commode, ne se portant pas trop bien tous, et qu'ils seroient
+prcisment comme la Charit, o ils sont habills de vert. Il y a
+quelques jours qu'une personne de ma connoissance y alla, et trouva le
+matre de la maison sur une duchesse d'toffe verte, la robe de chambre
+verte, un couvre-pied d'une broderie admirable en vert, un chapeau gris
+bord de vert, avec le plumet vert, et un gros bouquet de rue sur lui,
+faisant des n&#339;uds. Le duc <i>d'pernon</i> s'est pris de fantaisie pour la
+chirurgie, il saigne et trpane tout ce qu'il rencontre. Un cocher
+l'autre jour se cassa la tte, il le trpana. Je ne sais s'il auroit pu
+rchapper; mais ce qu'il y a de sr, c'est que le pauvre homme fut
+bientt expdi avec un pareil chirurgien. Ce n'est pas tout: ils ont
+voulu se procurer des ftes champtres; et M. le duc <i>de Gesvres</i> a dot
+une fille. M. <i>d'pernon</i> souhaita de saigner le mari la nuit de ses
+noces: ce pauvre misrable ne le vouloit point; et pour obtenir de lui
+de se laisser saigner, M. le duc <i>de Gesvres</i> lui donna cent cus.
+Voil, Madame, ce qui se passe sous nos yeux, la face de tout
+l'univers, et sous un gouvernement trs-svre. Cependant on ne peut pas
+dire que les deux chefs ne soient trs-sages, et mme pieux. Il n'est
+pas possible que l'on ignore toujours ces vilenies; et tout ce qu'il y a
+de plus grand, de plus raisonnable, fait la cour assidument ce
+monstre; et, pour excuser leurs bassesses, ils disent que cet homme est
+officieux et pense noblement. Ceux qui sont bien instruits, savent qu'il
+dessert bien mieux qu'il ne sert, et qu'il est gnreux du bien de ses
+cranciers, et de l'argent d'un jeu qui est une chose ridicule dans un
+royaume. Ma bile s'chauffe; je vous en demande pardon. Pour la cour,
+elle est trs-difiante: on ne donne point de scne au public.</p>
+
+<p>Voulez-vous cependant que je vous parle des gens de votre connoissance?
+M. <i>de Ferriol</i> est toujours le meilleur homme du monde; sa sant est de
+mme, ses affaires aussi: dans une indiffrence parfaite; mais il n'est
+point indiffrent sur les Molinistes; il est d'un zle outr pour eux.
+C'est avec fureur qu'il est passionn sur ce sujet. Il se met dans de
+grands emportemens, quand il trouve quelqu'un qui ne pense pas comme
+lui. Il est occup de cela, au point de n'en pas dormir. Il sort huit
+heures du matin, pour faire part de ses rflexions, ou de quelques riens
+qu'il aura ramasss; c'est faire mourir de rire. Pour madame <i>de
+Ferriol</i>, sur cet article, elle est trs-raisonnable, elle n'en parle
+que trs-convenablement; mais, d'ailleurs, toujours les mmes
+agitations. Elle est comme vous l'avez laisse, la pesanteur prs, qui
+a beaucoup augment: les mmes incertitudes, et ne pouvant souffrir que
+les autres sachent se dterminer: le petit chien par-dessus tout, qui
+s'enfuit, quand elle l'appelle, et son vieux laquais, qui est toujours
+insolent et de mauvaise humeur, et qui la traite comme une misrable,
+jusqu' lui dire qu'elle ne sait ce qu'elle dit ni ce qu'elle fait. Je
+suis prte lui jeter un chenet la tte, et elle souffre ses
+impertinences avec une patience impatienter. Je crois, je vous jure,
+qu'il me battroit, s'il ne me craignoit pas. Pour les autres
+domestiques, ils sont trs-mcontens d'tre toujours gronds; mais ils
+ont pour elle le respect qu'ils lui doivent, et c'est la raison pourquoi
+elle est toujours aprs eux. Ils pleurent souvent, et je les console de
+mon mieux. Pour ses enfans, c'est toujours de mme. On ne se plaint
+jamais de l'un<a name="FNanchor_184_184" id="FNanchor_184_184"></a><a href="#Footnote_184_184" class="fnanchor" title="Go to footnote 184.">[184]</a>; il fait tout ce qu'il veut. Sa sant est dlicate.
+C'est un trs-bon garon, qui a de l'esprit et de la finesse dans
+l'esprit, qui est aim et qui mrite de l'tre. <i>D'Argental</i> est fort
+occup; il fait son mtier avec application. Il est, tout le matin, au
+palais; il travaille aprs dner, jusqu' cinq heures. Les spectacles
+sont ses plus grands amusemens. Il n'est pas, je crois, amoureux, et
+pense plus en homme qui connot le monde, qu'il ne le faisoit. Il est
+toujours poli avec les femmes, et point du tout gt dans les propos. M.
+et madame <i>Knight</i> ont la fivre tour tour. La femme, ce que je
+crois, aime mieux le mariage que son mari<a name="FNanchor_185_185" id="FNanchor_185_185"></a><a href="#Footnote_185_185" class="fnanchor" title="Go to footnote 185.">[185]</a>. Elle est trs-enfant
+gt; elle n'aime pas tre contrarie. Tout ce mariage-l n'a pas
+l'air de durer long-temps. Elle pleure souvent; et, comme son mari est
+encore amoureux, elle a toujours raison. J'ai bien peur qu'elle ne lui
+donne du fil retordre. N'allez pas dire ce que je vous dis-l; mais
+madame votre s&#339;ur a eu grand tort de gter sa fille. Elle en auroit fait
+quelque chose de bon, si elle lui avoit donn une bonne ducation; mais
+elle l'a rendue insupportable; elle ne connot que sa volont et ses
+gots; et, quand quelque chose s'y oppose, le mpris et la draison
+s'emparent absolument d'elle. En vrit, c'est dommage; car elle toit
+faite pour tre aimable.</p>
+
+<p>Madame <i>de Tencin</i> a de temps en temps la fivre. On dit pourtant
+qu'elle est fort engraisse. Je continue ne la point voir, et je crois
+que ce sera pour la vie, moins que l'archevque<a name="FNanchor_186_186" id="FNanchor_186_186"></a><a href="#Footnote_186_186" class="fnanchor" title="Go to footnote 186.">[186]</a>, son retour, ne
+le veuille. Je suis pourtant bien rsolue tenir bon. C'est une grande
+satisfaction pour moi de n'avoir point ce devoir pnible remplir, et
+d'ailleurs plus de tracasseries; car il y en a toujours, quand on se
+voit et qu'on se dteste. Je ne vois plus M. <i>Bertie</i><a name="FNanchor_187_187" id="FNanchor_187_187"></a><a href="#Footnote_187_187" class="fnanchor" title="Go to footnote 187.">[187]</a>. A la vrit,
+je suis rarement au logis: il s'est rebut d'y venir inutilement. Nous
+allons passer une partie de ce mois Ablons. Je suis accable de
+rhumatismes et de fluxions, et suis dsespre que vous ne voyiez point
+ma chambre. Vous ne la reconnotriez pas; elle est si jolie, et de plus
+orne, pour ce que c'est, car il n'y a rien de magnifique que la jatte
+que vous m'avez donne. <i>La Msangres</i>, qui vint l'autre jour, me dit:
+Vous avez de bien belles porcelaines, et entr'autres cette jatte. Mes
+meubles sont tous des plus simples, mais faits par les meilleurs
+ouvriers. On la vient voir par curiosit. J'ai bien envie, votre
+exemple, de gronder ceux qui y crachent. Voil une grande et ennuyeuse
+lettre. Recevez mes plus tendres embrassemens.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XIII_AISEE" id="LETTRE_XIII_AISEE"></a>LETTRE XIII.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 13 aot 1743</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">M</span><span class="smcap">adame</span> votre fille, Madame, m'a dit le risque que vous aviez couru, qui
+m'a effraye, comme si j'en avois t tmoin. L'effroi ne vous a-t-il
+point fait de mal? Comment vous portez-vous? Faites-moi la grce de
+m'crire. Madame votre fille, madame <i>Knight</i>, et moi, nous parlons
+souvent de vous; vous savez qu'elles me sont chres. J'avois pens avec
+<i>Cabanne</i><a name="FNanchor_188_188" id="FNanchor_188_188"></a><a href="#Footnote_188_188" class="fnanchor" title="Go to footnote 188.">[188]</a> trouver quelques moyens de rendre la situation de votre
+fille plus aise; mais je n'ai jamais vu plus de dlicatesse, plus de
+dsintressement, plus de douceur, plus d'opinitret et plus de
+sentimens: elle est d'une vertu si outre, qu'elle est impatienter: je
+la trouvai si draisonnable, en mme temps si estimable, que
+l'admiration et la colre s'emparrent de moi, et que je ne pus ni
+gronder, ni louer.</p>
+
+<p>J'aurois t bien surprise, si vous aviez t quelques mois sans
+nouveaux chagrins. J'ai aussi t trs-afflige de la mort de M. <i>de
+Villars</i><a name="FNanchor_189_189" id="FNanchor_189_189"></a><a href="#Footnote_189_189" class="fnanchor" title="Go to footnote 189.">[189]</a>. M. son fils fait une trs-grande perte, d'autant plus
+qu'il la sent: il est parti sans que je l'aie vu; je n'en suis point
+trop fche; car je me serois srement beaucoup attendrie avec lui.
+Pouvez-vous dire, Madame, que le dtail de vos peines m'ennuie?
+Oubliez-vous le tendre intrt que je prends tout ce qui vous regarde?
+vos malheurs me dsesprent, et ne m'ennuient point: je suis persuade
+que le rcit que vous m'en faites, vous fait du bien. Maintenant, il est
+temps que je vous parle du changement arriv ma fortune. Je tremble
+de rveiller une chose qui renouvellera quelques-uns de vos malheurs.
+Mes rentes viagres avoient t cruellement retranches. Je vous ai
+envoy la lettre que j'crivis au cardinal<a name="FNanchor_190_190" id="FNanchor_190_190"></a><a href="#Footnote_190_190" class="fnanchor" title="Go to footnote 190.">[190]</a>; je ne me flattois pas
+que l'on y et gard, mais je ne voulois avoir rien me reprocher. Je
+promis ma pauvre Sophie, qui j'avois mis une rente viagre de 300
+liv. sur la tte, et qui avoit t rduite 100 liv., que si on lui
+rendoit quelque chose, je lui remettrois son contrat, dont je devois,
+comme vous savez, avoir la jouissance. On lui a rendu 150 liv.: elle ne
+vouloit absolument point profiter de ce que je lui ai dit, et par son
+accommodement, je ne lui donnerai son contrat que dans deux ans; elle
+aime mieux que je paye mes dettes. Ce procd n'est-il pas gnreux de
+sa part? Je ne joue pas un beau rle dans cette pice. On m'a rendu 840
+liv.: je jouis actuellement de 2,740 liv. Ma satisfaction sur cet
+vnement a t bien trouble, en voyant la famille de M. <i>de Ferriol</i>
+oublie. On a rendu madame <i>de Tencin</i> 300 liv.; c'est trs-peu de
+chose proportion de ses rentes. Elle est furieuse; cependant elle
+avoit pris toutes les prcautions imaginables; elle voyoit souvent M.
+<i>de Machault</i>; elle a crit plusieurs fois au cardinal, et a fait agir
+ses amis, qui sont puissans; elle comptoit sur le rtablissement de
+tout, comme si elle le tenoit: elle est de bien mauvaise humeur; ce
+qu'on dit, car je ne la vois point. Sa favorite, madame <i>Doigny</i>,
+commence tre dans la disgrce.</p>
+
+<p>Je ne vous parle point des conciles, car quoique ne sous les yeux du
+chef<a name="FNanchor_191_191" id="FNanchor_191_191"></a><a href="#Footnote_191_191" class="fnanchor" title="Go to footnote 191.">[191]</a>, je n'en ai jamais voulu entendre parler; cependant, si vous
+tes bien curieuse, je vous enverrai toutes les critures: en vrit, je
+ne vous conseille pas d'avoir cette curiosit, il vous en coteroit bien
+de l'ennui. A l'exception d'une lettre de deux vques qui est belle,
+tout le reste est pitoyable. Je vous renvoie ce que disoit Madame
+<i>Cornuel</i>, qu'<i>il n'y avoit point de hros pour les valets de chambre,
+et point de pres de l'glise pour les contemporains.</i> Ce que je vois,
+me donne de furieux doutes du pass. Ne parlons plus sur cette matire;
+j'ai dj assez dit de sottises.</p>
+
+<p>Les tracasseries de notre cour ne sont pas plus divertissantes. Les
+disputes sur l'alignement du roi et des princes, et les ricochets des
+ducs, n'ont produit que des mmoires dtestables; et pour nous autres,
+parterre, nous voulons, pour notre argent, qu'on nous divertisse. Les
+belles dames sont, ou se vantent d'tre dans la dvotion. Mesdames <i>de
+Gontey</i>, <i>d'Alincourt</i>, <i>de Villars</i>, mre et belle-fille, la marchale
+<i>d'Estres</i>, tout cela grimace la prude. Le roi est toujours sans
+matresse, M. le duc <i>du Maine</i>, fort ami du cardinal; ce dernier se
+porte trs-bien; il vivra assez long-temps pour instruire notre jeune
+monarque: la reine est grosse de trois mois. Les spectacles vont
+trs-mal. <i>Thevenard</i> et la <i>Entie</i> ont quitt l'opra, parce qu'ils ont
+eu ordre de laisser jouer <i>Chass</i> et la <i>Pellissier</i>. Madame la
+duchesse de <i>Duras</i> qui on a attribu cet ordre, a t vilipende sur
+l'escalier de l'opra. <i>Chass</i> avoit trs-mal dbut; mais il fait
+mieux. Pour la <i>Pellissier</i>, elle fait horriblement mal dans ces opras.
+<i>Francine</i> a quitt, et <i>Destouches</i>, comme je vous l'ai mand, aura la
+direction de l'opra. Nous reverrons alors la <i>Le Maure</i>. <i>Francine</i> a
+15,000 liv. de pension, et, aprs sa mort, son fils en aura 8,000, et sa
+fille 6,000. Vous me demanderez pourquoi tant de libralits? Je vous
+rpondrai d'abord que ces pensions sont prises sur l'opra, et en second
+lieu, que <i>Francine</i> a fait faire, ses dpens, une partie des belles
+dcorations, et qu'il les laisse. On a tabli un concert spirituel deux
+fois la semaine.</p>
+
+<p>Le frre de l'envoy <i>d'Alster</i> s'est donn un coup de pistolet dans la
+tte, aprs avoir mis le feu dans trois endroits de la maison. Cette
+prcaution toit pour viter que l'on st que sa mort toit volontaire.</p>
+
+<p>L'envieuse miladi <i>Gersay</i> est trs-souvent chez madame <i>Knight</i>: elle
+mange comme quatre louves, joue avec attention et avidit, ne dit pas
+quatre paroles, sans dfaonner sa bouche qui est toujours petite et
+plate. L'air et les paroles ne vont point ensemble; il semble que le
+miel sort de sa bouche, quand elle parle; mais c'est bien le fiel le
+plus croupi qu'il y ait au monde. Vous direz que je suis aussi mdisante
+qu'elle aujourd'hui.</p>
+
+<p><i>Bertie</i> me boude de ce que je ne suis pas ici quand il y vient:
+quelqu'aimable qu'il soit, il y a apparence que j'aurai souvent ce tort
+l avec lui. C'est un reste de ses chimres, prtentions d'amant; il
+voudroit que je fusse comme <i>Brnice</i>, passer les jours l'attendre,
+et les nuits pleurer. Je suis parvenue lui faire faire connoissance
+avec madame <i>du Deffant</i>; elle est belle, elle a beaucoup de grces; il
+la trouve aimable. J'espre qu'il commencera un roman avec elle, qui
+durera toute la vie. On a dput vers moi, croyant que j'avois encore
+quelque reste de crdit, pour obtenir de M. <i>Bertie</i> de couper un pied
+de chaque ct de sa perruque. Je veux bien tenter cette grande affaire,
+mais j'y chouerai; car, Madame, c'est dans ces magnifiques n&#339;uds que
+gt toute l'importance, la capacit et la grce de notre cher homme. Je
+ne me rebuterai pas, et lui en parlerai toutes les fois que je le
+verrai. A propos, (ou sans propos, car cela ne va point du tout la
+perruque de M. <i>Bertie</i>), madame votre cousine, ce qu'on dit, ne peut
+pouser ce Hollandois, sans perdre une partie du bien dont son mari lui
+donne la jouissance. C'est une vilaine clause, et bien scandaleuse en
+vrit; le dfunt avoit si bien fait les choses de son vivant, qu'il
+devoit bien continuer. Pour moi, si j'avois t de lui, pour me venger,
+je leur aurois donn mon bien aux conditions qu'ils se mariassent, et
+les aurois dshrits, en cas qu'ils ne le fissent pas. Le beau-frre
+tient des propos fort singuliers du dfunt son trs-cher frre.
+<i>D'Argental</i> me prie de ne pas l'oublier auprs de vous. Nous sommes
+trs-amis; il est charmant, il est aim de tout le monde, et le mrite
+bien; il a tous les principes de droiture: l'ge confirme ses vertus.
+Adieu, Madame, je vais partir pour Ablons; ma sant se rtablit tout
+doucement; j'ai vieilli de dix ans; si vous me voyiez, vous me
+trouveriez bien change; mais d'honneur, cela ne me chagrine point du
+tout. Si toutes les femmes n'toient pas plus affliges de voir partir
+leurs charmes, que moi d'avoir perdu le peu que j'en avois, elles
+seroient bien heureuses.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XIV_AISEE" id="LETTRE_XIV_AISEE"></a>LETTRE XIV.</h3>
+
+<p class="date">Paris, juin 1727</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> viens, Madame, de recevoir votre lettre du 22 de ce mois. C'est un
+jour heureux pour moi, quand j'apprends par vous de vos nouvelles. Les
+assurances que vous me donnez de votre bont, me sont toujours et bien
+nouvelles et bien chres; et je dis de vos lettres ce que M. <i>de
+Fontenelle</i> disoit d'une dame qui lui plaisoit, que le moment o il la
+voyoit, toit le moment prsent pour lui. Cette faon de s'exprimer a
+t fort critique; mais les gens grossiers ne connaissent qu'une
+jouissance dans ce monde; je les plains. Est-il un moment plus doux que
+celui o l'on reoit les assurances d'amiti d'une personne que l'on
+aime et qu'on estime parfaitement? Il y a bien des gens qui ignorent la
+satisfaction d'aimer avec assez de dlicatesse, pour prfrer le
+bonheur de ce que nous aimons au ntre propre. Remercions la providence
+de nous avoir donn un bon c&#339;ur, et vous, de la vertu dans les
+malheurs que vous avez essuys. Que seriez-vous devenue? Votre douceur,
+votre humanit, votre justice auroient t changes en dsespoir, en
+cruaut et en injustice. Quelque grands que soient les malheurs du
+hasard, ceux qu'on s'attire sont cent fois plus cruels. Trouvez-vous
+qu'une religieuse dfroque, qu'un cadet cardinal, soient heureux,
+combls de richesses<a name="FNanchor_192_192" id="FNanchor_192_192"></a><a href="#Footnote_192_192" class="fnanchor" title="Go to footnote 192.">[192]</a>? Ils changeroient bien leur prtendu bonheur
+contre vos infortunes.</p>
+
+<p>Vous me demandez si M. <i>de Pont-de-Vesle</i> est introducteur des
+ambassadeurs? Vous le sauriez avant ceux qui font la gazette. Il a t
+question de quelque chose; mais il falloit trouver se dfaire de sa
+charge avantageusement, et d'ailleurs sa sant est toujours fort
+dlicate; je crains qu' la fin nous ne le perdions. Je dis cela, le
+c&#339;ur serr; car c'est la plus grande perte que je puisse faire. C'est un
+homme qui a toutes les qualits les plus essentielles, beaucoup de
+mrite et d'esprit; ses procds mon gard sont d'un ange. Vous allez
+tre bien surprise. Depuis que M. <i>d'Argental</i> est au monde, voici la
+premire fois que nous nous sommes querells, mais d'une faon si
+trange, qu'il y a quatre jours que nous ne nous parlons. Le sujet de la
+querelle vient de ce qu'il ne vouloit pas souper avec madame sa mre,
+qui revenoit de la campagne, o elle avoit t huit jours. Elle lui
+avoit fait dire par tout le monde qu'elle seroit Paris ce soir-l; et
+elle se plaignoit de ce qu'il n'avoit pas assez d'attentions pour elle.
+Je le lui dis; et nous nous chauffmes l-dessus. Je lui soutins que le
+devoir devoit l'emporter sur le plaisir. En un mot, je m'emportai, sans
+jamais oublier la tendresse et l'amiti que j'avois pour lui; et c'est
+cette amiti qui m'engagea lui parler avec cette sincrit. Il me
+rpondit avec une scheresse et une duret qui m'assommrent, comme si
+la foudre toit tombe sur moi. La femme de chambre de madame en fut
+tmoin. Il sortit de ma chambre: je restai un quart d'heure sans pouvoir
+parler, et je me mis fondre en larmes.</p>
+
+<p>M. <i>de Pont-de-Vesle</i><a name="FNanchor_193_193" id="FNanchor_193_193"></a><a href="#Footnote_193_193" class="fnanchor" title="Go to footnote 193.">[193]</a> entra, et me demanda de quoi je pleurois: je
+ne pus me rsoudre le lui conter. La femme de chambre le fit: il fut
+bien surpris. Madame ignore notre bouderie. Elle en seroit charme,
+parce qu'il y a quelques jours que j'eus une scne affreuse, parce que
+je le soutins contre les plaintes qu'elle m'en fit. Quand elle est
+arrive, mon premier soin a t de lui faire des excuses de la part de
+son fils, de ce qu'il ne se trouvoit pas la maison; que j'en tois
+cause, lui ayant dit qu'elle n'arriveroit que fort tard; et qu'il ne
+pouvoit se dispenser d'aller un souper o il s'toit engag depuis
+huit jours, sur-tout connaissant trs-peu les gens qui composoient cette
+partie. La femme de chambre se trouva derrire moi: je l'ignorois. Les
+larmes lui vinrent aux yeux d'tonnement et de joie. Elle me dit que je
+justifiois M. <i>d'Argental</i>, lorsque j'avois sujet de m'en plaindre.
+J'avois dit <i>Pont-de-Vesle</i> que dornavant je n'aimerois plus que pour
+moi M. <i>d'Argental</i>, et qu'assurment je ne l'aimerois plus pour
+lui-mme. Concevez-vous, Madame, ma douleur? Au bout de vingt-sept ans,
+perdre un ami! Je le crois honteux de ce qui s'est pass. Il continue de
+me manquer, srement par cette raison. J'ai le c&#339;ur si gros, qu'il m'est
+impossible d'achever ma lettre: je la reprendrai quand je serai plus
+tranquille.</p>
+
+
+<p class="date">Du 28 aot 1728</p>
+
+<p>La bouderie a dur huit jours, et selon la rgle, celui qui a raison a
+fait les avances. Je bus sa sant, table, et je l'embrassai le
+lendemain, sans explication. Depuis ce temps-l, nous sommes fort bien
+ensemble. Vous direz qu'il y a une furieuse distance d'une date
+l'autre; mais j'ai eu des occupations qui m'ont empche de vous crire,
+mais non pas d'tre fort occupe de vous. Mademoiselle <i>Bideau</i> n'a pas
+fait tout ce qu'elle m'avoit promis. Je n'en suis pas trop fche: je
+crains les trop grandes obligations. <i>Cabanne</i> compte vous aller voir.
+Plt Dieu que je fusse aussi libre que lui! je serois actuellement
+auprs de vous. Mais quelque chose qui arrive, j'irai, quand mme je
+serois rduite demander l'aumne, pour aller voir tout ce que j'aime
+le mieux en vrit, sans exception.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XV_AISEE" id="LETTRE_XV_AISEE"></a>LETTRE XV.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 10 juin 1723</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">O</span><span class="smcap">n</span> dit enfin que nous irons Pont-de-Vesle. Madame <i>de Ferriol</i> a
+toutes les peines du monde s'y dterminer: tous les projets qu'elle
+avoit faits sont rompus. Premirement son mari avoit un procs qui
+devoit se juger incessamment, et il a t remis l'anne prochaine;
+ensuite elle a dit que jamais son mari ne voudroit venir avec elle, et
+que pendant son absence, il dpenseroit beaucoup. Il l'a assure qu'il
+l'accompagneroit, soit dans la diligence, soit dans une chaise de poste,
+tout comme elle le souhaiteroit. Ensuite elle a dit qu'elle ne vouloit
+point partir, qu'elle ne st si miladi <i>Bolingbrocke</i> ne viendroit point
+cet t. Madame <i>Bolingbrocke</i> lui a mand qu'elle ne comptoit venir
+qu'au commencement de l'hiver, et que si elle n'toit pas Paris, elle
+remettroit son voyage l't prochain. Enfin, il a fallu chercher
+quelqu'autre raison. Elle a dit qu'elle n'avoit point d'argent. M. son
+frre lui en a offert. La voil, comme vous voyez, <i>quia</i>. Elle a paru
+se rendre; mais elle veut, avant que de partir, prendre les eaux de
+Balaruc: elles ne sont pas arrives: ainsi cela renvoie. Je crois qu'il
+faudra qu' la fin elle se dcide. Tout le monde est excd de ses
+incertitudes. Le vrai de ses difficults, c'est qu'elle ne voudroit
+point quitter le marchal, qui ne s'en soucie point, et ne feroit pas un
+pas pour elle. Mais elle croit que cela lui donne de la considration
+dans le monde. Personne ne s'adresse elle pour demander des grces au
+vieux marchal. Elle est trs-souvent seule; ses affaires sont toujours
+trs-dlabres, elle ne paie point, elle ne fait aucune dpense, elle
+est d'une avarice et d'un drangement inconcevables. Je suis oblige de
+me rappeler cent fois le jour le respect que je lui dois. Rien n'est
+plus triste que de n'avoir pour faire son devoir, que la raison du
+devoir.</p>
+
+<p>Le chevalier est toujours malade; il m'a paru un peu moins oppress: je
+tremble de le quitter. Mais je dois accompagner madame <i>de Ferriol</i> dans
+l'tat o elle est. Il faut absolument la dterminer prendre les eaux
+de Bourbon; et elle ne les prendra jamais, si elle ne va pas
+Pont-de-Vesle. Le devoir, l'amour, l'inquitude et l'amiti combattent
+sans cesse mon esprit et mon c&#339;ur: je suis dans une cruelle agitation;
+mon corps succombe; car je suis accable de vapeurs et de tristesse; et
+s'il arrive malheur cet homme-l; je sens que je ne pourrai supporter
+cet horrible chagrin. Il est plus attach moi que jamais; il
+m'encourage remplir mon devoir. Quelquefois je ne puis m'empcher de
+lui dire, que s'il toit plus mal, il me seroit impossible de le
+quitter; il me gronde, et il ne veut absolument point que j'imagine rien
+qui s'loigne de ce devoir: il m'assure qu'il n'y a rien dans le monde
+qui m'excust; si je restois ici, quand madame <i>de Ferriol</i> va cent
+lieues: il ne l'aime point; mais il a ma rputation c&#339;ur. Pardonnez
+toutes ces foiblesses votre pauvre amie.</p>
+
+<p>J'avois laiss ma lettre; j'ai eu mille ennuis. Le chevalier est
+toujours trs-incommod. Je vous avoue que je suis dans de furieuses
+transes pour lui. Je crains qu' la fin la suppuration des poumons ne se
+fasse; je n'ose faire des rflexions sur cela, et je n'ose mme en
+parler; mais mille ides funestes me suivent sans cesse malgr moi: rien
+ne me console. Je n'ai personne qui je puisse ouvrir mon c&#339;ur. Quel
+malheur pour moi que votre absence! Si je vous avois, vous me
+soutiendriez; vous me donneriez des forces; et peut-tre vos conseils,
+mes remords, et l'amiti que j'ai pour vous, Madame, me donneroient
+assez de courage pour surmonter une passion que ma raison n'a pu
+vaincre, mais qu'elle condamne.</p>
+
+<p>Madame <i>de Tencin</i> a toujours la fivre; elle a t 15 jours sans en
+avoir; elle se croyoit gurie, et avoit pris le ton de se plaindre de
+tout le monde, et sur-tout du chevalier, mais d'une faon si violente
+que madame <i>de Lambert</i>, qui elle en parla, le dit au chevalier, qui
+la pria de dire madame <i>de Tencin</i> que jamais il n'avoit parl d'elle,
+que rien n'toit plus faux, qu'il n'toit point de ceux qui accablent
+les malheureux, et que, comme il ne la connoissoit point, il auroit t
+dans le droit du public, pour causer sur l'aventure <i>de La
+Fresnaye</i><a name="FNanchor_194_194" id="FNanchor_194_194"></a><a href="#Footnote_194_194" class="fnanchor" title="Go to footnote 194.">[194]</a>, mais qu'il ne l'avoit pas fait, en partie par gard pour
+madame sa s&#339;ur et pour moi. Madame <i>de Tencin</i> dit madame <i>de Ferriol</i>
+qu'il toit fort singulier qu'tant chez elle, je ne vinsse pas savoir
+de ses nouvelles, et qu'elle ne m'avoit vue qu'une fois depuis six mois;
+qu'elle me dispensoit trs-fort d'y venir; qu'elle ne me laisseroit
+entrer que quand je serois avec elle; mais que si je venois seule, elle
+avoit donn ses ordres, pour que l'on me refust sa porte. Je me le suis
+tenu pour dit, et je ne m'exposerai pas m'entendre dire mille injures.
+Je m'en soucie si peu, que je bnis ce noble courroux contre moi. Je
+n'irai point Pont-de-Vesle: madame dit qu'elle veut y aller pour trois
+semaines seulement, pour rgler quelques affaires. J'en suis fche
+cause de vous. J'aurois eu le plaisir de vous embrasser, et j'aurois
+vendu jusqu' ma dernire chemise pour cela; srement je vous verrai tt
+ou tard. Madame radote plus que jamais; elle vient de prendre les eaux
+de Balaruc: on lui a fait une ample saigne. Je crains infiniment pour
+elle. Ses radotages m'impatientent, car ils sont extrmes; mais quand je
+fais un moment de rflexion, ma reconnoissance se rveille bien
+vivement. Je suis entoure de chagrins, et je ne vous ai plus pour me
+consoler. Le chevalier est toujours trs-incommod, et il est d'un
+changement horrible. Vous jugez de mon inquitude: son attachement est
+toujours plus fort. A propos, j'ai fait deux grandes pertes: une bague
+que je vous avois destine, en cas de mort: c'toit un petit cachet avec
+un jonc de diamant que j'aime beaucoup; et l'autre perte, c'est mon
+chien, ce pauvre <i>Patie</i>, qui vous aviez donn une loge. On me l'a
+vol; il toit toujours la porte pour attendre les gens du chevalier
+qu'il aime passionnment. Je ne puis vous dire le chagrin que j'ai eu de
+la perte de ce joli animal. Je souhaite bien me mettre dans la suite
+hors de l'inquitude de devoir qui me bourrelle sans cesse. J'ai essuy
+un petit malheur; j'avois vendu mes boucles de diamans 1,800 livres pour
+acheter trois actions que je voulois garder pour qui vous savez. Je ne
+doute point que le dividende ne ft fort; elles toient 650 livres.
+Comme j'tois prte les acheter, madame <i>de Ferriol</i> eut besoin de
+mille francs. Je les lui prtai, comptant, comme elle me le disoit,
+qu'elle me les rendroit deux jours aprs. Il y a six mois, et les
+actions ont mont 1,150 livres; elles sont actuellement 1,000.
+Jugez, j'aurois gagn, en les vendant, mille cus, et aurois pay
+quelques-unes de mes dettes. Ainsi ma destination est vau-l'eau. Je
+paie quelques bagatelles avec les 600 livres qui me restent. Il faut se
+consoler des pertes de la fortune. Il y a des gens qui valent mieux que
+moi, qui sont bien plus plaindre. Cette consolation est cruelle, quand
+ces gens-l sont nos amis.</p>
+
+<p>M. <i>Bertie</i> vous aime beaucoup; mais il a t si occup de la perte de
+madame <i>de M....</i>, qui toit sa bonne amie, et la plus impertinente de
+toutes les femmes, qu'il n'a pu se donner au reste de ses amis. Il est
+rempli de trs-bons procds l'gard de madame <i>de Ferriol</i>; il
+songeoit l'ambassade de Constantinople depuis long-temps, il n'toit
+point loign de l'avoir: quand il a su que M. <i>de Pont-de-Vesle</i> y
+songeoit, sans le dire aucun de nous, il est all chez MM. <i>de
+Maurepas</i> et <i>de Morville</i>, qui il a dit qu'il ne pensoit
+l'ambassade, qu'au cas que M. <i>de Pont-de-Vesle</i> n'y penst pas, et que
+comme il venoit d'apprendre que son ami en avoit envie, il y renonoit,
+le croyant plus capable que lui; qu'il avoit beaucoup d'esprit, et de
+plus l'exprience de son oncle, dont la mmoire toit chre dans ce
+pays-l. Il est venu dner chez nous, et il nous a laiss ignorer son
+bon procd. M. <i>de Pont-de-Vesle</i> l'a su de M. <i>de Maurepas</i>. Je
+partage bien la reconnoissance qu'on lui doit; mais cela ne passera
+jamais l'estime. Dites-le bien mademoiselle votre fille qui me
+soutenoit une fois que je l'aimerois un jour. Parlons un peu de M.
+<i>d'Argental</i>; c'est le plus joli garon du monde; ses yeux sont bien
+ouverts; il remplit tous les devoirs du sentiment; il n'est plus
+amoureux; il est tout ses amis; il est toujours constant pour les
+petits pts, et nous mourons de faim: la cuisine est si froide, que
+cela va de mal en pire: il n'y a plus rien retrancher de la premire
+table: car nous n'avons rien, non, rien du tout, on commence
+retrancher de celle des domestiques, et je ne doute pas que l'on ne
+vienne faire comme cet homme qui prtendoit que son cheval pouvoit
+vivre sans manger, et qui commena par diminuer la moiti de ce qu'il
+lui donnoit; quelques jours aprs, la moiti de l'autre moiti; et ainsi
+du reste: le pauvre animal creva; ainsi ferons-nous. Voil une bien
+grande lettre; vous aurez de la peine la dchiffrer: la tte me
+tourne; car je crois que sans cela, je remplirais encore bien des
+feuilles. Vous ne dites rien, Madame, <i>de Gulliver</i>. Mes respects
+vous, et tout ce qui vous appartient.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XVI_AISEE" id="LETTRE_XVI_AISEE"></a>LETTRE XVI.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 1728</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">I</span><span class="smcap">l</span> y a un sicle que vous ne m'avez fait l'honneur de m'crire.
+tes-vous si exacte avec vos amis, que de ne point leur crire qu'ils ne
+vous aient fait rponse? Je devois, Madame, vous remercier de la lettre
+que j'ai reue il y a un mois: j'avois commenc ma rponse, j'y voulois
+mettre plusieurs petites nouvelles; j'ai attendu des dnouemens, ils ont
+t si chargs d'evnemens que je n'ai plus su o j'en tois.
+D'ailleurs, madame <i>Bolingbrocke</i> a t trs-mal: ce qui m'a occupe
+bien tristement; et puis la sant de madame <i>de Ferriol</i>, toujours
+mauvaise, et son humeur encore plus. <i>Pont-de-Vesle</i> me charge de ses
+respects pour vous: il est toujours malingre; une mauvaise digestion.
+<i>D'Argental</i> n'est plus amoureux de mademoiselle <i>de Tencin</i>; elle ne
+l'occupe plus que par devoir; il n'est point aussi amoureux de la
+<i>Couvreur</i>, mais aussi prvenu de son mrite que s'il l'toit encore;
+elle est trs-incommode depuis quelque temps: on craint qu'elle ne
+tombe en langueur.</p>
+
+<p>Madame <i>de Parabre</i> a t quitte, il y a environ quatre ou cinq mois,
+par M. <i>d'Alincourt</i>: ce dont elle a t au dsespoir; et pour s'en
+consoler, elle a pris, au bout de huit jours, M. <i>de la
+Mothe-Houdancourt</i>, qui est, mon sens, le plus vilain homme que je
+connoisse. Cette prcipitation a paru trange tout le monde, et
+sur-tout moi, qui ne m'en serois pas doute. Ledit M. <i>de la Mothe</i> ne
+la quitte pas d'un pas; il est jaloux comme un tigre. Pour vous faire le
+portrait tant de sa figure que de son esprit (je commencerai par la
+figure), il est grand, dgingand, le visage long; il ressemble beaucoup
+ un vilain cheval de l'ge de quarante-cinq ans; babillard, ne sachant
+ce qu'il dit; se contredisant sans cesse, ne parlant jamais que de lui;
+fat, comme s'il toit un Adonis, et glorieux par fatuit; assez bon
+homme dans le fond, mais ayant t gt par les caillettes de la cour.
+Il me craint prodigieusement, et ne peut pas s'empcher de m'estimer: il
+a vu peu de femmes qui se souciassent moins de se mler d'intrigues: il
+m'a dit bien des fois qu'il aimeroit mieux que je fusse amie de sa
+femme, que de sa matresse. J'y vais trs-rarement; je crois qu'il ne
+seroit pas bien de n'y point aller du tout; elle a pour moi des faons
+touchantes: d'abord que j'ai le moindre mal, elle me vient voir; elle
+m'accable de galanteries; elle dit tous ceux qu'elle voit qu'elle
+m'aime infiniment. Je dois tre reconnoissante, Madame, de tant de
+marques d'amiti. Il y avoit, pendant les huit jours de vacance, plus de
+vingt prtendans qui je faisois une peur horrible, tant persuads que
+je mettrois tout en usage pour la retirer du dsordre. Un des prtendans
+m'a cont tous leurs manges; ils s'toient tous ligus de concert pour
+la retirer de Paris, et qu'elle ft la campagne, pour que je ne la
+visse pas. Celui qui m'a racont tout cela, est parent du chevalier; il
+esproit, par son canal, obtenir de moi que je ne m'opposasse point au
+voyage de madame <i>de Parabre</i>. Le chevalier lui rpondit qu'il avoit
+tort de me souponner, que je ne me parois ni de conseiller les prudes,
+ni de condamner les autres; que jamais je n'avois su ce que c'toit que
+de me mler de tracasseries; en quoi il me loua beaucoup, connoissant
+assez bien la dame, pour tre persuad qu'elle ne seroit pas
+susceptible de conseils.</p>
+
+<p>Je veux vous parler de madame <i>du Deffant</i>: elle avoit un violent dsir
+pendant long-temps de se racommoder avec son mari; comme elle a de
+l'esprit, elle appuie de trs-bonnes raisons cette envie; elle agissoit
+dans plusieurs occasions, de faon rendre ce raccomodement durable et
+honnte; sa grand'mre meurt, et lui laisse 4,000 liv. de rentes; sa
+fortune devenant meilleure, c'toit un moyen d'offrir son mari un tat
+plus heureux, que si elle avoit t pauvre; comme il n'toit point
+riche, elle prtendoit rendre moins ridicule son mari de se raccommoder
+avec elle, devant dsirer des hritiers. Cela russit, comme nous
+l'avions prvu; elle en reut des complimens de tout le monde. J'aurois
+voulu qu'elle ne se presst pas autant; il falloit encore un noviciat de
+six mois, son mari devant les passer naturellement chez son pre.
+J'avois mes raisons pour lui conseiller cela; mais, comme cette bonne
+dame mettoit de l'esprit, ou pour mieux dire, de l'imagination, au lieu
+de raison et de stabilit, elle emballa la chose, de manire que le mari
+amoureux rompit son voyage, et se vint tablir chez elle, c'est--dire,
+y dner et souper; car pour habiter ensemble, elle ne voulut pas en
+entendre parler de trois mois, pour viter tout soupon injurieux pour
+elle et son mari. C'toit la plus belle amiti du monde pendant six
+semaines; au bout de ce temps-l, elle s'est ennuye de cette vie, et a
+repris pour son mari une aversion outre; et sans lui faire de
+brusqueries, elle avoit un air si dsespr et si triste, qu'il a pris
+le parti d'aller chez son pre; elle prend toutes les mesures
+imaginables pour qu'il ne revienne point. Je lui ai reprsent durement
+toute l'infamie de ses procds. Elle a voulu par distances et par
+piti, me toucher et me faire revenir ses raisons; j'ai tenu bon, j'ai
+rest trois semaines sans la voir; elle est venue me chercher. Il n'y a
+sorte de bassesses qu'elle n'ait mises en usage pour que je ne
+l'abandonnasse pas; je lui ai dit que le public s'loignoit d'elle,
+comme je m'en loignois; que je souhaiterois qu'elle prt autant de
+peine plaire ce public qu' moi; qu' mon gard, je le respectois
+trop, pour ne lui pas sacrifier mon got pour elle. Elle pleura
+beaucoup; je n'en fus point touche. La fin de cette misrable conduite,
+c'est qu'elle ne peut vivre avec personne. Un amant qu'elle avoit avant
+son raccommodement avec son mari, excd d'elle, l'avoit quitte; et
+quand il a appris qu'elle toit bien avec M. <i>du Deffant</i>, il lui a
+crit des lettres pleines de reproches, et il est revenu. L'amour-propre
+ayant rveill des feux mal teints, la bonne dame n'a suivi que son
+penchant; et sans rflexion, elle a cru un amant meilleur qu'un mari;
+elle a oblig ce dernier abandonner la place; il n'a pas t parti,
+que l'amant l'a quitte. Elle reste la fable du public, blme de tout
+le monde, mprise de son amant, dlaisse de ses amies; elle ne sait
+plus comment dbrouiller tout cela. Elle se jette la tte des gens,
+pour faire croire qu'elle n'est pas abandonne. Cela ne russit pas;
+l'air dlibr et embarrass rgnent tour tour dans sa personne. Voil
+o elle en est, et o j'en suis avec elle.</p>
+
+<p>Madame <i>de Tencin</i> est toujours si outre contre moi, parce que je n'ai
+fait aucune dmarche pour remettre les pieds chez elle, qu'elle m'a
+dclar une guerre ouverte. Elle envoie savoir si je dne ici pour ne
+pas y venir, si j'y suis. Je ne suis pas plus alarme de cette nouvelle
+disgrce que des autres. On me perscuta l'autre jour pour faire ma paix
+avec elle: je rpondis cela, que je ne demandois pas mieux; que tout
+ce qui toit de la famille <i>Ferriol</i>, m'toit respectable; qu'il n'y
+avoit que cette raison qui me ft dsirer que madame <i>de Tencin</i> ne ft
+pas fche contre moi; mais que je ne me sentois pas assez de religion
+pour prsenter ma seconde joue, et que je n'irois jamais demander pardon
+ madame <i>de Tencin</i> de ce qu'elle m'avoit fait refuser sa porte; que
+je ne connoissois que madame <i>de Ferriol</i> dans le monde, pour qui je
+pusse faire cette dmarche; que madame <i>de Tencin</i> n'avoit aucun droit
+sur moi, pour en agir aussi mal; que si elle prtendoit que j'avois tenu
+de mauvais discours sur elle, je rpondrois comme madame <i>de
+Saint-Aulaire</i>, qui rpondit sur la mme accusation, que s'il toit vrai
+qu'il ft revenu madame <i>de Tencin</i> qu'elle avoit mal parl d'elle,
+elle en toit bien afflige, parce que cela lui faisoit voir qu'elle
+avoit des amis perfides. Je suis dans ce cas: j'ai pu dire mes amis ce
+que je pensois; mais pour l'amour de moi et de mes devoirs, je n'en ai
+point parl ailleurs; et mme dans l'accident de la <i>Fresnaye</i>, qui est
+ce qui l'aigrit contre tous les gens dont elle n'a pas besoin, j'ai dit
+que c'toit l'affaire du monde la plus malheureuse, qu'il n'y avoit
+personne qui ft l'abri d'un fou qui venoit se tuer chez vous.</p>
+
+<p>Ma vie est assez douce. Si je vous avois Paris, le roi ne seroit pas
+plus heureux que moi. Les trennes m'affligent un peu: tout le monde
+m'en donne, et je ne puis en donner personne. Je prends mon parti sur
+les gouttires de cette maison; il y a des temps o les choses ne font
+pas autant d'impression. C'est, suivant l'tat du c&#339;ur; quand il est
+satisfait, on glisse facilement sur les pines qui se rencontrent
+toujours dans la vie; il n'y en a point d'exempte. On radote toujours
+ici; on se plaint sans cesse: il y a quelques jours qu'elle s'adressa
+<i>Fontenay</i>, qui lui rpondit trs-fortement, et l'assura qu'elle ne
+persuaderoit jamais le public, et qu'elle le rvolteroit contre
+elle-mme; qu'il toit tmoin que la veille j'avois t presse
+extrmement de rester souper chez madame <i>de Parabre</i> avec le
+chevalier; que j'avois refus, et tois revenue neuf heures pied et
+par la pluie. Cette justification m'a afflige les raisons ne font que
+l'aigrir. J'ai lieu d'tre trs-contente du chevalier; il a la mme
+tendresse et les mmes craintes de me perdre. Je ne msuse point de son
+attachement. C'est un mouvement naturel chez les hommes de se prvaloir
+de la foiblesse des autres: je ne saurois me servir de cette sorte
+d'art; je ne connois que celui de rendre la vie si douce ce que
+j'aime, qu'il ne trouve rien de prfrable: je veux le retenir moi,
+par la seule douceur de vivre avec moi. Ce projet le rend aimable; je le
+vois si content, que toute son ambition est de passer sa vie de mme.
+Peut-tre cela nous conduira ce que nous dsirons tant: la nature de
+son bien est un furieux obstacle. Dieu nous regardera peut-tre en
+piti: j'ai des mouvemens quelquefois bien durs combattre. Ce qu'il y
+a de surprenant, c'est que je les ai eus toute ma vie: je me reproche...
+Hlas! que n'tiez-vous madame <i>de Ferriol</i>? vous m'auriez appris
+connotre la vertu. Mais passons sur cela; cependant je suis, en fait
+d'amour, la plus heureuse personne du monde. Matire rflexions pour
+de jeunes c&#339;urs! Pardonnez toutes mes foiblesses l'aveu sincre que je
+vous en fais; et permettez que je vous parle de la petite. Elle est
+charmante: tout ce qui m'en revient, m'empche de me repentir de sa
+naissance; et je crains que la pauvre petite n'en pleure plus que moi:
+sa figure embellit tous les jours; j'ai envoy Sophie sous prtexte
+d'aller voir sa tante; elle y a t quinze jours; elle en a t
+enchante; elle est adore de tout le couvent; elle a de la raison, de
+la bont et de la fermet: on lui fit arracher quatre dents, elle ne
+jeta aucun cri; on la loua; elle rpondit: quoi m'auroit-il servi de
+crier? ne falloit-il pas les arracher? Elle dit Sophie qu'elle toit
+bien fche que je n'allasse pas cette anne la voir; qu'elle me prioit
+bien d'y venir l'autre; qu'elle me remercioit de toutes mes bonts,
+qu'elle savoit que l'on m'importunoit souvent pour elle, et qu'elle
+feroit tout ce qu'elle pourroit, pour bien apprendre, et tre sage;
+qu'elle ne vouloit pas que je me rebutasse. Elle est trs-caressante; la
+pauvre petite sent dj, je crois, le besoin qu'elle a de l'tre. Son
+bon ami est au dsespoir de ne pouvoir pas la voir; il l'aime la
+folie; il lui prend des envies d'aller la voir, que j'ai bien de la
+peine combattre. Nous travaillons lui faire une dot, en cas qu'elle
+ne voult pas se faire religieuse: si Dieu nous prte vie, elle pourra
+avoir 40,000 livres et 400 livres de rente. Elle seroit trs-bien marie
+en province avec cela; mais gare au pot au lait! si elle avoit le
+malheur de nous perdre, elle seroit bien plaindre: je la recommanderai
+ <i>d'Argental</i>. Le chevalier a dj plac 2,000 cus pour elle seule.
+Adieu, Madame, voil une lettre assez longue pour tre crite de suite;
+mais je suis seule, et j'ai voulu en profiter pour causer long-temps
+avec vous. Je vous envoie une petite bote d'caille, couleur de feu; je
+n'ai pu me refuser la satisfaction d'y prendre du tabac un jour, pour
+que vous disiez, quand vous en prendrez dedans, qu'elle a servi la
+personne du monde qui vous aime le plus.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XVII_AISEE" id="LETTRE_XVII_AISEE"></a>LETTRE XVII.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 1726</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> boude de votre dernire lettre. Vous m'accusez, avec la dernire
+injustice, de ne pas vous aimer, et vous ajoutez, que lorsque l'on aime,
+l'on adopte les sentimens et la faon de penser de nos amis. Hlas!
+Madame, je vous ai vue malheureusement beaucoup trop tard. Ce que je
+vous ai dit cent fois, je vous le rpterai: ds le moment que je vous
+ai connue, j'ai senti pour vous la confiance et l'amiti la plus forte.
+J'ai un sincre plaisir vous ouvrir mon c&#339;ur; je n'ai point rougi de
+vous confier toutes mes foiblesses; vous seule avez dvelopp mon me;
+elle toit ne pour tre vertueuse: sans pdanterie, connoissant le
+monde, ne le hassant point, et sachant pardonner suivant les
+circonstances, vous stes mes fautes, sans me msestimer. Je vous parus
+un objet qui mritoit de la compassion, et qui toit coupable, sans
+trop le savoir. Heureusement c'toit aux dlicatesses, mme d'une
+passion, que je devois l'envie de connotre la vertu. Je suis remplie de
+dfauts; mais je respecte et j'aime la vertu. Ne m'tez pas, par un
+soupon, ce mrite-l. Que je vous suis oblige d'aimer quelqu'un qui
+pratique si mal les conseils que vous lui avez donns, et qui suit
+encore moins de si bons exemples! mais ma passion est forte, tout me la
+justifie. Il me semble que je serois ingrate, et que je dois conserver
+l'amiti du chevalier pour cette chre petite. Elle est un n&#339;ud qui
+entretient notre passion; souvent ce n&#339;ud me la fait envisager comme mon
+devoir. Si vous tes quitable, croyez qu'il ne m'est pas possible de
+vous aimer plus que je vous aime. Non, vous n'en doutez point; j'ai pour
+vous l'amiti la plus tendre. Je vous aime comme ma mre, ma s&#339;ur, ma
+fille, enfin, comme tout ce qu'on doit aimer: mon attachement pour vous
+renferme tous les sentimens, l'estime, l'admiration et la
+reconnoissance; et rien ne peut jamais effacer de mon c&#339;ur une amie
+aussi estimable que vous. Ne me dites donc plus des choses qui
+m'affligent.</p>
+
+<p>J'ai retard de vous crire, vous l'avouerai-je? dans le dessein de vous
+punir; mais je me suis assurment punie de ce sentiment de vengeance, en
+me privant de mon unique plaisir qui est de m'entretenir avec vous.
+<i>D'Argental</i> vous assure de ses respects. La mort de la <i>Le Couvreur</i>
+l'a beaucoup occup. Je vais vous conter toute cette histoire un peu au
+long. Madame <i>de Bouillon</i> est capricieuse, violente, emporte,
+excessivement galante: ses gots s'tendent depuis le prince jusqu'au
+comdien. Dans le mois dernier, elle se prit de fantaisie pour le comte
+<i>de Saxe</i>, qui n'en eut aucune pour elle. Ce n'est point qu'il se piqut
+de fidlit pour la <i>Le Couvreur</i>, qui est depuis long-temps sa
+vritable inclination; car il avoit, avec cette passion, mille gots
+passagers; mais il n'toit ni flatt, ni curieux de rpondre aux
+emportemens de madame <i>de Bouillon</i> qui fut outre de voir ses charmes
+mpriss, et qui ne mit pas en doute que la <i>Le Couvreur</i> ne ft
+l'obstacle qui s'opposoit la passion que le comte devoit avoir
+naturellement pour elle. Pour dtruire cet obstacle, elle rsolut de se
+dfaire de la comdienne. Elle fit faire des pastilles pour servir cet
+horrible dessein, et elle choisit un jeune abb qu'elle ne connoissoit
+point, pour tre l'instrument de sa vengeance. Cet abb a le talent de
+peindre. Il fut abord par deux hommes, aux Tuileries, qui lui
+proposrent, aprs une conversation assez longue, et qui rouloit sur sa
+pauvret, de se tirer de sa misre, et de s'insinuer, la faveur de son
+habilet peindre, chez la <i>Le Couvreur</i>, et de lui faire manger des
+pastilles que l'on lui donneroit. Le pauvre abb se dfendit beaucoup
+sur la noirceur du crime. Les deux hommes lui rpondirent qu'il ne
+dpendoit plus de lui de refuser; qu'il lui en coteroit la vie, s'il
+n'excutoit pas ce qu'on lui demandoit. L'abb, effray, promit tout.
+On le conduisit chez madame <i>de Bouillon</i>, qui lui confirma les
+promesses et les menaces, et lui remit les pastilles. L'abb demanda
+quelques jours pour l'excution de ses projets. Mademoiselle <i>Le
+Couvreur</i> reoit un jour, en rentrant chez elle avec un de nos amis, et
+une comdienne nomme <i>La Mothe</i>, une lettre anonyme, par o on la prie
+instamment de venir seule, ou avec quelqu'un de sr, au jardin du
+Luxembourg, et qu'au cinquime arbre d'une des grandes alles, elle
+trouvera un homme qui a des choses de la dernire consquence lui
+apprendre. Comme c'toit prcisment l'heure du rendez-vous, elle
+remonte en carrosse, et y va avec les deux personnes qui toient avec
+elle. Elle trouve l'abb qui l'aborde, et lui raconte l'odieuse
+commission dont il est charg, et qu'il est incapable d'un crime comme
+celui-l; mais qu'il est dans une grande perplexit, parce qu'il toit
+sr d'tre assassin. La <i>Le Couvreur</i> lui dit qu'il falloit, pour la
+sret de l'un et de l'autre, dnoncer toute cette affaire au lieutenant
+de police. L'abb rpondit qu'il craignoit en le faisant, de se faire
+des ennemis qui taient trop puissans, pour qu'il y pt rsister; mais
+que du moment qu'elle croyoit cette prcaution ncessaire pour sa vie,
+il ne balanoit point soutenir ce qu'il lui avoit dit. La <i>Le
+Couvreur</i> le mena dans son carrosse chez <i>M. Hrault</i>, lieutenant de
+police, qui, sur l'exposition du fait, demanda l'abb les pastilles,
+et les jeta un chien qui creva un quart d'heure aprs. Il lui demanda
+ensuite laquelle des deux <i>Bouillon</i> lui avoit donn cette commission;
+et, quand l'abb lui rpondit que c'toit la duchesse, il n'en fut point
+surpris. M. <i>Hrault</i> continua le questionner, et lui demanda s'il
+oseroit s'exposer soutenir cette affaire. L'abb lui rpondit qu'il
+pouvoit le faire mettre en prison, et le confronter avec madame <i>de
+Bouillon</i>. Le lieutenant de police les renvoya, et fut instruire le
+cardinal de cette aventure: celui-ci fut trs-irrit; il vouloit, dans
+les premiers momens, qu'on instruist cette affaire avec beaucoup de
+svrit; mais les parens et les amis de la maison <i>de Bouillon</i>
+persuadrent au cardinal de ne point mettre au jour une chose aussi
+scandaleuse que celle-l; et l'on parvint l'assoupir. Au bout de
+quelques mois, on ne sait ni par o, ni comment cette aventure fut
+publique. Elle fit un bruit horrible. Le beau-frre de madame <i>de
+Bouillon</i> en parla son frre, et lui dit qu'il falloit absolument que
+sa femme se lavt d'un pareil soupon, et qu'il devoit demander une
+lettre de cachet pour faire enfermer l'abb; il ne fut point difficile
+d'obtenir cette lettre de cachet: on arrta le pauvre malheureux, et on
+le mena la Bastille. On le questionna; il soutint avec fermet ce
+qu'il avoit dit. On lui fit beaucoup de menaces et bien des promesses,
+s'il vouloit se ddire. On lui proposa toutes sortes d'expdiens, comme
+de folie, ou de passion pour la <i>Le Couvreur</i>, qui l'auroit engag
+faire cette fable pour s'en faire aimer. Rien ne l'branla, et il ne
+varia jamais dans ses rponses. On le garda en prison. La <i>Le Couvreur</i>
+crivit au pre de l'abb, qui demeuroit en province, et qui ignoroit le
+malheur de son fils. Le pauvre homme vint tout de suite Paris,
+sollicita et demanda que l'on ft le procs dans les formes son fils,
+ou qu'on lui rendt la libert. Il s'adressa au cardinal, qui demanda
+madame <i>de Bouillon</i> si elle vouloit que l'on instruist cette affaire,
+parce que l'on ne pouvoit le retenir en prison sans cela. Madame <i>de
+Bouillon</i> redoutoit les claircissemens; et, comme elle ne pouvoit le
+faire assassiner la Bastille, elle consentit son largissement.
+Pendant deux mois que le pre est rest Paris, on n'a rien dit au
+fils. Le pre tant retourn chez lui, l'abb a eu l'imprudence de
+rester Paris. Il a disparu tout coup: on ne sait s'il est mort; on
+n'en entend plus parler. Depuis cela, la <i>Le Couvreur</i> a t sur ses
+gardes. Un jour, la comdie, aprs la grande pice, madame <i>de
+Bouillon</i> lui envoya dire de venir dans sa loge. La <i>Le Couvreur</i> fut
+extrmement surprise, et rpondit qu'elle toit dans un dshabill qui
+ne lui permettoit pas de parotre devant elle. La duchesse envoya une
+seconde fois. A cette seconde semonce, elle rpondit que si elle lui
+pardonnoit de parotre, le public ne le lui pardonneroit pas; mais
+qu'elle se tiendroit sur son passage, quand elle sortiroit, pour lui
+obir. Madame <i>de Bouillon</i> lui fit dire de n'y pas manquer, et en
+sortant, elle la trouva, lui fit toutes sortes de caresses, lui donna
+beaucoup de louanges sur son jeu, et l'assura qu'elle avoit eu un
+plaisir infini lui voir excuter aussi bien le rle qu'elle avoit
+jou. Quelque temps aprs, la <i>Le Couvreur</i> se trouva mal, au milieu
+d'une pice que l'on ne put achever. Quand le comdien vint en faire
+compliment, tout le parterre demanda de ses nouvelles avec empressement.
+Depuis ce jour, elle a dpri et maigri horriblement. Enfin, le dernier
+jour qu'elle a jou, elle faisoit <i>Jocaste</i> dans <i>l'OEdipe</i> de
+<i>Voltaire.</i> Le rle est assez fort. Avant de commencer, il lui prit une
+dyssenterie si forte, que pendant la pice, elle fut vingt fois la
+garde-robe, et rendoit le sang pur. Elle faisoit piti, de l'abattement
+et de la foiblesse dont elle toit; et quoique j'ignorasse son
+incommodit, je dis deux ou trois fois madame <i>de Parabre</i>, qu'elle
+me faisoit grand'piti. Entre les deux pices, on nous dit son mal. Ce
+qui nous surprit, c'est qu'elle reparut la petite pice, et joua, dans
+<i>le Florentin</i>, un rle trs-long et trs-difficile, et dont elle
+s'acquitta merveille, et o elle paroissoit se divertir elle-mme. On
+lui sut un gr infini d'avoir continu, pour que l'on ne dt pas, comme
+on l'avoit fait autrefois, qu'elle avoit t empoisonne. La pauvre
+crature s'en alla chez elle, et quatre jours aprs, une heure
+aprs-midi, elle mourut, lorsqu'on la croyoit hors d'affaire: elle eut
+des convulsions: chose qui n'arrive jamais dans les dyssenteries: elle
+finit comme une chandelle. On l'a ouverte. On lui a trouv les
+entrailles gangrenes. On prtend qu'elle a t empoisonne dans un
+lavement. Son testament a t fait quatre mois avant sa mort. On ne
+doute point qu'elle n'et quitt la comdie la clture. Tout le public
+a une grande compassion de sa misrable fin. Si la dame souponne ft
+venue la comdie, dans ces entrefaites, elle auroit t chasse du
+spectacle. Elle a eu le front d'envoyer la porte de la <i>Le Couvreur</i>
+tous les jours, savoir de ses nouvelles. Elle a fait <i>d'Argental</i>
+excuteur de son testament; il a eu assez d'esprit pour se mettre
+au-dessus du ridicule, et il a t approuv des gens sages. M. <i>Bertie</i>
+dit qu'il a trs-bien fait; qu'un honnte homme ne doit jamais refuser
+les occasions de faire du bien. Vous pouvez tre assure de tout ce que
+je viens de vous conter, je le tiens d'un ami de la <i>Le Couvreur</i><a name="FNanchor_195_195" id="FNanchor_195_195"></a><a href="#Footnote_195_195" class="fnanchor" title="Go to footnote 195.">[195]</a>.
+Adieu, Madame, ne doutez plus, s'il vous plat, de tout mon
+attachement.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XVIII_AISEE" id="LETTRE_XVIII_AISEE"></a>LETTRE XVIII.</h3>
+
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span>'<span class="smcap">ai</span>
+reu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'crire, en
+rponse un gros paquet que je craignois bien qui ne ft perdu. Le
+nouveau tmoignage de votre amiti me comble de joie, et je recevrai
+votre cran avec transport, puisque c'est de l'ouvrage de ce que j'aime;
+cependant je me plains des souvenirs trop frquens qu'il me donnera de
+vous. Je vous le dis avec vrit; j'ai autant de douleur de vous avoir
+perdue, que de joie de vous avoir pour amie: ces deux sentimens me
+combattent furieusement, et si je n'avois pas l'esprance de vous
+revoir un jour, je ne sais en vrit si je voudrois vous avoir connue.
+Vous m'avez rendue si difficile, que je suis toujours en colre.
+Pourquoi tous les c&#339;urs ne sont-ils pas faits comme le vtre, ou du
+moins pourquoi n'ont-ils pas une de vos bonnes qualits? Tout leur
+manque, probit inbranlable, sagesse, douceur, justice; tout n'est
+qu'apparence chez les hommes: le masque tombe la plus petite occasion.
+La probit n'est qu'un nom dont ils se parent; ils paroissent justes, et
+ce n'est que pour condamner la conduite des autres; de la douceur qui
+n'est qu'aigreur, de la gnrosit qui n'est que prodigalit, de la
+tendresse qui n'est que foiblesse: et toutes ces choses-l me font
+rpter tous les instans, que votre me est capable de vertu dans sa
+perfection. Je m'aperois que je blesse votre modestie: mes mouvemens du
+c&#339;ur vous sont connus; vous savez que je dis toutes ces choses, parce
+que je les pense, et que je n'ai jamais su flatter aux dpens de la
+vrit: pardonnez en faveur de mon attachement, la petite honte que vous
+avez eue, en lisant vos louanges. Vous m'avez rendue comme M. le duc
+<i>d'Orlans</i>, la diffrence prs que je ne suis pas si perverse que
+lui, et que je crois qu'il y a une personne dans le monde vritablement
+raisonnable. Il croyoit tout le monde malhonntes gens; je suis bien
+prte penser comme lui; cela me met trs-souvent de mauvaise humeur,
+et je finis par vouloir devenir philosophe, trouver tout indiffrent, ne
+m'affliger de rien, et tcher d'tre raisonnable pour ma propre
+satisfaction et pour la vtre. Je travaille trs-srieusement me
+rendre heureuse, ne plus me chagriner; je sens que j'ai plus de besoin
+que jamais d'avoir du courage. La mauvaise humeur rgne ici un point
+insoutenable; je me suis gendarme: je vois que cela tourne contre moi.
+Le public est trs-svre, parce qu'il ne juge que sur l'tiquette du
+sac, et mes peines lui paroissent petites: il lui semble que ce n'est
+que des bagatelles; mais hlas! rien n'est bagatelle, quand cela revient
+tous les jours. Je suis honteuse de me plaindre, quand je vois tant de
+personnes qui valent bien mieux que moi, et qui sont bien autrement
+malheureuses. Il est temps de vous amuser un peu: il est arriv ici deux
+petites aventures que j'aurai du plaisir vous conter, parce que vous
+en aurez les lire.</p>
+
+<p>Un gentilhomme de Prigord, fort riche, se maria, il y a plusieurs
+annes, avec une demoiselle qui mourut, sans lui laisser d'enfans. Les
+parens de sa femme le pensrent ruiner pour la dot, et eurent des
+procds si infmes avec lui, qu'il en eut beaucoup de chagrin, et en
+fut malade. Cet homme avoit du got pour le sacrement; mais ce qu'il
+avoit essuy le fit rsoudre de prendre une femme sans parens. Il
+crivit l'Htel-Dieu, et pria l'un des directeurs de lui chercher une
+fille trouve, de 17 22 ans, grande, bien faite, brune, les yeux
+noirs, les dents belles, et qu'il l'pouseroit. Le directeur montra
+cette lettre M. <i>d'Argenson</i>, lieutenant de police, qui lui dit de
+faire sa commission. Il la fait: on dresse le contrat de mariage; le
+gentilhomme l'pouse; il en a eu trois enfans. Au bout de quelques
+annes, elle meurt. Son deuil fini, il rcrit un autre des directeurs
+de l'Htel-Dieu, le prcdent tant mort. Il le prie de lui chercher une
+fille de 38 40 ans, blonde, grasse, frache et d'un bon temprament;
+qu'il avoit pass les jours du monde les plus heureux avec celle qu'on
+lui avoit dj choisie, et qu'il ne doutoit pas qu'il ne choist aussi
+bien que l'ancien directeur, auquel il s'toit adress la premire fois.
+Celui-ci va chez M. <i>Hrault</i>, lieutenant de police, et montre la lettre
+qu'il vient de recevoir. M. <i>Hrault</i> lui dit comme M. <i>d'Argenson</i>, de
+faire sa commission, qui toit difficile, parce que toutes les filles
+sont tablies cet ge-l. Il trouva enfin une s&#339;ur grise qui toit
+telle qu'on la lui demandoit. Une des princesses <i>de Conti</i> a sign au
+contrat de mariage, il y a un mois. Voici l'autre histoire.</p>
+
+<p>Il y a un homme qui demeure aux environs des quais, qui, depuis sept
+huit ans, se promne ds une heure jusqu' six, sur un des quais, sans
+jamais y avoir manqu d'un jour, quelque temps qu'il ft. M. <i>Hrault</i>
+en ayant t averti, lui envoya dire qu'il vnt lui parler. Cet homme
+lui fit rpondre qu'il n'iroit point, n'ayant rien faire avec la
+police. M. <i>Hrault</i> s'y transporta, monta dans une chambre au
+quatrime, y trouva cet homme assis contre une table, qui lisoit, sa
+chambre garnie de livres. Il lui demanda pourquoi il n'toit pas venu
+chez lui, quand il le lui avoit fait dire. Monsieur, lui rpondit cet
+homme, je n'ai point l'honneur d'tre de vos amis; et, Dieu merci! je
+n'ai rien dmler avec la justice.&mdash;Il est vrai, lui rpondit M.
+<i>Hrault</i>, qu'il ne m'est point revenu que vous fissiez du mal; mais
+pourquoi vous promener rgulirement, la mme heure, tous les jours,
+sur le quai?&mdash;Parce que cela me fait du bien, lui repartit le
+promeneur. Pour vous claircir ma conduite, ajouta-t-il, je vous dirai,
+Monsieur, que je suis trs-bon gentilhomme (il lui dit son nom); je
+jouissois de 25,000 livres de rente; le systme est venu, et il ne m'est
+rest que 500 livres de rente. J'ai pris un genre de vie proportionn
+mon revenu; j'ai gard mes livres, l'air de la rivire me convient, et
+je suis venu m'tablir dans cette chambre. Un peu de vanit m'a engag
+changer de nom; je dne tous les jours midi avec du b&#339;uf la mode,
+qui est excellent dans ce quartier; je me lve de bonne heure; j'emploie
+ma matine lire; et, quand j'ai dn, je vais prendre l'air sur le
+quai. Je suis trs-heureux, je ne dpends de personne, et je ne drange
+point ma sant par cet exact rgime. M. <i>Hrault</i> trouva cet homme de
+trs-bon sens. Il conta un jour cela au cardinal, qui lui dit: Mais si
+cet homme tomboit malade, il n'auroit pas de quoi se faire soigner;
+dites-lui que le roi lui donne 300 livres de pension. M. <i>Hrault</i> lui
+envoya dire de venir chez lui, se faisant beaucoup de plaisir de lui
+apprendre cette bonne nouvelle; mais l'homme lui fit rpondre qu'il ne
+pouvoit y aller, demeurant trop loin de chez lui. M. <i>Hrault</i> y
+retourna pour la seconde fois, et lui dit que le roi lui donnoit 300
+livres. Il les refusa, disant qu'il s'toit arrang avec 500 livres, et
+qu'il n'en vouloit pas davantage. Malgr ce genre de vie qui parot
+triste, cet homme est fort gai. Il a deux amis, gens d'esprit, qui vont
+sur le quai pour causer avec lui. Il a beaucoup de connoissance du
+monde, du savoir, l'esprit simple et un talent singulier pour connotre,
+ la physionomie, le mtier des gens qui passent. Il dira, par exemple:
+Voil le matre d'htel d'un vque, en voil un d'un financier; voici
+un chevalier d'industrie; celui-l est Gascon, celui-ci est Breton,
+ainsi des autres. Adieu, ma chre madame; en voil assez pour
+aujourd'hui. Je vous baise les mains mille fois.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XIX_AISEE" id="LETTRE_XIX_AISEE"></a>LETTRE XIX.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 1729</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> viens d'apprendre, Madame, la perte que vous avez faite de M. <i>de
+Cambiac</i>. Sans savoir ses dispositions, je prends part votre
+affliction. Je connois la bont de votre c&#339;ur; vous serez toujours
+afflige, de quelque faon qu'il en agisse avec vous. J'espre que je
+n'aurai rien reprocher sa mmoire, et qu'il vous aura rendu justice;
+j'en attends la nouvelle avec impatience. J'ai couru risque de me
+trouver sa mort. Si le projet que l'on avoit fait d'aller
+Pont-de-Vesle n'avoit pas t renvoy, je l'aurois vu mourir.
+J'attendois d'tre sre de mon voyage; c'est la raison qui m'a empche
+de vous crire. Je voulois vous le mander positivement; mais il y a
+trois mois que l'on en parle, et il n'y a pas de jour depuis ce temps-l
+que le projet ne change quatre ou cinq fois. Voil o nous en sommes.
+Il est vrai que le temps de notre dpart a t fix au dix du mois
+prochain; il seroit temps de se prparer pour les paquets. Vous devez
+juger de l'empressement que j'ai que ce projet s'excute, puisque
+j'aurois le bonheur de vous voir, et de vous assurer de mon respectueux
+attachement. Il n'y a rien de si joli que mon cran; je ne permets pas
+tout le monde de s'en servir. Je vis avec madame votre fille qui est
+infiniment aimable; sa vertu, sa douceur, sa gat la rendent charmante;
+sa figure est toujours trs-belle, et, en vrit, vous la trouverez
+encore mieux. Son teint est plus dml, et elle a des couleurs croire
+qu'elle met du rouge; et toute connoisseuse que je suis pour cet
+ornement, j'y ai t trompe au point que je n'ai pu m'empcher de lui
+frotter les joues, pour voir si elle n'en mettoit point. Elle a fait
+raccommoder son portrait qui est merveille prsent: elle est tente
+d'en faire faire une copie pour vous la porter. Si je ne vais pas
+Genve cette anne, je la prierai de se charger du mien que je fais
+faire pour vous. Il sera en petit, c'est--dire, d'un pied-de-haut, sur
+neuf pouces environ de large. Nous sommes en guerre ouverte, madame <i>de
+Tencin</i> et moi, c'est--dire, elle me l'a dclare; pour moi, je me
+tiens coite; et quand je suis force d'en parler, mes discours sont
+tranquilles et humbles; mais je tiens bon pour ne pas demander pardon,
+parce que je suis offense, et que j'ai assez de matres, sans m'en
+donner de gat de c&#339;ur. Je la fais plus enrager par cette conduite, que
+si je me dchanois contre elle. M. son frre a tenu bon toutes les
+attaques qu'elle a faites contre moi. Je ne lui en ai pas ouvert la
+bouche, except une fois qu'il m'en parla devant madame <i>de Ferriol</i>. Je
+lui rpondis avec toute la modration imaginable, et je finis par lui
+dire que j'avois espr que toutes ces tracasseries n'iroient point
+jusqu' ses oreilles; que j'tois tonne qu'on lui en et parl; qu'il
+pouvoit bien me rendre la justice, que jamais je ne m'tois plainte
+lui de tout ce qu'on me faisoit. Cette conversation produisit une scne
+trs-vive entre le frre et la s&#339;ur. Cette dernire eut beau se
+plaindre, et tourner mes discours malignement, il la fit taire. Madame
+votre fille vous contera tout cela qui seroit trop long crire. Je
+suis enfin contente de l'archevque. Je connois bien son c&#339;ur; je
+l'aimerai et l'estimerai toute ma vie. A propos, il y a long-temps que
+vous me demandez des vers que vous m'aviez prts, relatifs la mort de
+madame votre mre. Je les trouvai l'autre jour dans ma cassette; je les
+joins cette lettre. La poste part; il ne me reste que le temps de vous
+assurer de mon trs-humble respect.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XX_AISEE" id="LETTRE_XX_AISEE"></a>LETTRE XX.</h3>
+
+<p class="date">Pont-de-Vesle, 1729</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">N</span><span class="smcap">ous</span> voil enfin arrivs Pont-de-Vesle. Jugez, Madame, de ma joie.
+J'aurai donc le plaisir de vous voir et de vous embrasser bientt:
+j'ignore encore le moment o je jouirai de ce bonheur. J'attends que M.
+<i>de Pont-de-Vesle</i> soit ici, et les lettres de l'archevque, pour
+m'arranger. D'ailleurs madame votre fille est actuellement avec vous:
+cela vous partageroit trop; je veux la laisser tablir. Nous avons tous
+eu bien du regret de ne l'avoir pas eue ici quelques jours. Monsieur son
+mari me vint voir le lendemain de son dpart. Il m'attendrit beaucoup;
+je le trouvai si touch, et en mme temps si raisonnable, si rempli de
+considration et d'estime pour madame votre fille, que me connoissant,
+vous devez juger si je fondis en larmes. Il faut ddommager cette
+aimable femme de tous ses malheurs. Elle trouvera des parens, des amies
+qui l'aiment bien tendrement. Mais, hlas! il en feroit plus de cas, si
+elle revenoit avec une fortune brillante. On pense de cette faon
+Paris; et je crois que les hommes sont partout les mmes. Pour vous,
+Madame, votre tendresse et votre bont vous la feront recevoir avec bien
+de la joie. C'est une grande douceur pour une mre de vivre avec une
+fille telle que la vtre. Je vous la recommande comme ma s&#339;ur bien
+aime. Plaisante recommandation, penserez-vous! en a-t-elle besoin?
+n'est-elle pas ma fille, et une fille que j'aime tendrement?</p>
+
+<p>J'avois laiss ma lettre pour recevoir M. <i>de Pont-de-Vesle</i> qui vient
+d'arriver dans ce moment; il vous assure de ses respects. Je suis libre,
+et je serai bientt auprs de vous. Prparez-vous me trouver change;
+je ne m'en soucie que pour vous que j'aime, et respecte de tout mon
+c&#339;ur.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXI_AISEE" id="LETTRE_XXI_AISEE"></a>LETTRE XXI.</h3>
+
+<p class="date">Pont-de-Vesle, 1729</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> ne puis vous dire, Madame, la douleur o je suis de vous avoir
+quitte. J'ai le c&#339;ur si gros et si serr, que j'ai cru touffer; la
+crainte de vous trop attendrir, m'a fait me contraindre, en me sparant
+de vous; j'ai fait ce que j'ai pu, pour que vous ne vissiez pas couler
+mes larmes; mais j'en ai gagn un mal de tte affreux. Si je n'avois pas
+la certitude de vous revoir, je ne sais pas, en vrit, de quoi je
+serois capable: les rflexions morales m'accablent. La vie me parot si
+courte, pour essuyer de si grandes peines, que je ne veux plus faire de
+connoissances, dans la crainte de m'exposer la peine o je suis; mais
+tout cela se dtruit mesure que je le pense. Je me dis que je ne
+trouverai jamais d'amie qui mrite d'tre aime sur tous les points,
+comme vous; je ne pense plus la retraite: mes ides l-dessus sont
+vanouies. Je me priverois par l absolument de l'esprance de vous
+aller voir souvent: et d'ailleurs, Madame, je sens trop les consquences
+de ce parti-l. Depuis que nous en avons parl ensemble, je puis me
+conduire aussi bien dans le monde, et mme mieux. Plus ma tche est
+difficile, plus il y a de mrite la remplir, et je dois, par
+reconnoissance, rester auprs de madame <i>de Ferriol</i>, qui a besoin de
+moi. Hlas! Madame, je me rappelle sans cesse notre conversation dans
+votre cabinet: je fais des efforts qui me tuent. Tout ce que je puis
+vous promettre, c'est de ne rien pargner pour que l'une des choses
+arrive; mais, Madame, il m'en cotera peut-tre la vie; car pour les
+esprances, elles sont si loignes, que je mourrai peut-tre de
+vieillesse avant qu'elles arrivent. On m'a charge de cent mille jolies
+choses pour vous; il est juste que je vous en fasse part. Voici deux
+articles de ses lettres.</p>
+
+<p>Mille respects votre amie: assurez-la qu'il y a tant de sympathie
+entre votre faon de penser et la mienne qu'il ne me seroit pas possible
+de ne pas partager avec vous les sentimens que vous avez pour elle.</p>
+
+<p>Dans une prcdente, que je reus Lyon.</p>
+
+<p>Je vous flicite du plaisir que vous avez eu de voir et d'embrasser
+madame <i>Saladin</i>. Je connois votre c&#339;ur, et je ne suis pas surpris des
+larmes que la joie vous a fait rpandre. J'en ai rpandu aussi, ma chre
+<i>Ass</i>, en lisant votre lettre, et je n'ai pas t plus touch de la
+peinture que vous faites de vos transports, que de l'empressement avec
+lequel madame <i>Saladin</i> vous a reue. Dites-lui bien, je vous prie, que
+j'ai une extrme reconnoissance des marques de son souvenir: le got que
+l'on a pour la vertu, doit tre la mesure du respect que l'on a pour
+elle. Je la crois trop juste, et je lui crois trop de sentimens, pour
+condamner l'amiti que vous avez pour moi. Si vous pouviez lui peindre
+l'attachement que j'ai pour vous, ma chre <i>Silvie</i>! dites-lui bien
+qu'il n'y a jamais eu, et qu'il n'y aura jamais un moment dans ma vie o
+je cesse de de vous aimer. Demeurez Genve tout le temps que vous
+pourrez; je regrette moins votre absence; j'imagine que votre sant y
+est en sret. Je suis en peine des fatigues du retour Conservez-vous,
+ma chre <i>Ass</i>. Aimez-moi; c'est l le vritable fondement du bonheur
+de ma vie.</p>
+
+<p>Voil, Madame, bien des choses qui blessent ma modestie; mais aussi je
+serai plus excusable combattre si lentement. Hlas! que l'on est
+heureuse, quand on a assez de vertu pour surmonter de pareilles
+foiblesses; car, enfin, il en faut infiniment pour rsister quelqu'un
+que l'on trouve aimable, et quand on a eu le malheur de n'y pouvoir
+rsister. Couper au vif une passion violente, une amiti la plus tendre
+et la mieux fonde! Joignez tout cela de la reconnoissance, c'est
+effroyable! La mort n'est pas pire. Cependant vous voulez que je fasse
+des efforts: je les ferai; mais je doute de m'en tirer avec honneur, ou
+la vie sauve. Je crains de retourner Paris. Je crains tout ce qui
+m'approche du chevalier, et je me trouve malheureuse d'en tre loigne.
+Je ne sais ce que je veux. Pourquoi ma passion n'est-elle pas permise?
+pourquoi n'est-elle pas innocente?</p>
+
+<p>Mandez-moi au plutt de vos nouvelles. Permettez que je vous embrasse
+mille fois, et de tout mon c&#339;ur. Beaucoup d'amitis mesdames vos
+filles. Je les embrasse toutes; souvenez-vous de votre <i>Ass</i>, et soyez
+persuade de tout son attachement, et de tout son respect pour vous; il
+est extrme.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXII_AISEE" id="LETTRE_XXII_AISEE"></a>LETTRE XXII.</h3>
+
+<p class="date">Pont-de-Vesle, 1729</p>
+
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span>'<span class="smcap">ai</span>
+retard de vous crire, parce que j'ai t assez incommode; j'ai
+eu une colique trs-violente. Je n'ai pas manqu de dire que c'toit
+vous qui m'aviez prserve; car je n'ai eu aucun mal Genve, mes maux
+ont respect ma joie; ils feroient bien mieux de ne pas se mler ma
+douleur. Je vous ai quitte, Madame, avec un chagrin extrme. Vos
+lettres m'ont serr le c&#339;ur et ont renouvel mes larmes. A chaque
+instant, je me rappelle la douceur, la tranquillit, la candeur avec
+laquelle j'ai pass ce peu de temps auprs de vous. J'ai trouv les
+personnes avec qui je vivois Genve, selon les premires ides que
+j'avois des hommes, et non pas selon mon exprience. Je me retrouve
+presque moi-mme, comme dans le moment que j'entrois dans le monde,
+sans humeur, sans peines, sans chagrins. Combien tout a chang! que les
+habitans de ces lieux sont diffrens de ceux des vtres! je n'ai pas eu
+un moment de bonne humeur depuis notre sparation. J'ai retrouv ici des
+coliques, le serein, les concerts, les puces, les rats, et qui pis est,
+des hommes, non pas de l'ancienne roche, mais de la nouvelle.
+Tenons-nous-en aux rflexions gnrales. Vous me pardonnerez bien de ne
+pas entrer sur cette matire dans des dtails.</p>
+
+<p>Vous m'affligez beaucoup de m'apprendre que madame votre belle-s&#339;ur
+<i>P....</i> est malade: je sais combien vous l'aimez, et je l'estime et
+l'aime de tout mon c&#339;ur. J'ai fait vos complimens l'archevque<a name="FNanchor_196_196" id="FNanchor_196_196"></a><a href="#Footnote_196_196" class="fnanchor" title="Go to footnote 196.">[196]</a>,
+et aux autres qui vous en remercient. Ce premier m'a fait beaucoup de
+questions sur mon sjour auprs de vous, sur la douleur de nous sparer,
+et sur votre ville; il se flatte qu'on l'aime un peu dans ce pays. Je
+n'ai pas manqu de lui dire que l'on m'avoit demand de ses nouvelles.
+J'ai nomm les gens qu'il dit ses amis. Il m'a gronde de ne lui avoir
+pas emprunt sa litire pour vous aller voir, qu'il y seroit all
+lui-mme trs-volontiers, vous aimant beaucoup. Il me fit faire la
+description de votre maison de campagne, de la faon dont vous viviez en
+ville, en un mot, il s'informa de tout, soit par amiti pour vous, soit
+pour me dire de choses obligeantes. Il y russit trs-bien; car je lui
+sus le meilleur gr du monde de toutes ses questions. Pour sa s&#339;ur, elle
+ne m'en fit que trs-peu: elle cherchoit des discours pour elle, et rien
+autre chose. M. <i>de Pont-de-Vesle</i> partage de tout son c&#339;ur mon
+enthousiasme.</p>
+
+<p>Nous passons d'ailleurs notre temps ici assez tristement. Le matin,
+aprs la messe, l'archevque s'enferme avec un jsuite jusqu' dner.
+Aprs le dner, une partie de quadrille, pleine de rapine et d'aigreur:
+le tout pour cinq sous que l'on ne paie point; toujours une compagnie
+de la ville peu divertissante, et qui il faut faire autant de
+crmonies qu' des intendans. Sur le soir, on va se promener. La
+matresse du logis et moi, nous restons, l'une lire, l'autre
+tricoter, ou dcouper. Aprs la promenade, un concert qui arrache les
+oreilles. On soupe trs-mal; on n'a ni bons poissons, ni des amies.
+Songez-vous bien la diffrence de ce sjour Genve pour moi, et
+combien j'ai de raisons de vous regretter?</p>
+
+<p>Vous pouvez m'crire en toute sret: on me rend directement mes
+lettres. La personne qui les retire a ordre de les remettre moi seule,
+pas mme ma fidle <i>Sophie</i>. La peur que l'on a de payer les ports de
+lettres, fait que l'on n'ose pas demander si j'en ai eu. L'archevque
+paie mes places, et celles de <i>Sophie</i> dans la diligence: c'est bien
+honnte lui assurment. Malgr toutes les avarices de madame <i>de
+Ferriol</i>, sa mauvaise humeur et ses discours, souvent dsobligeans; elle
+toit dans une grande inquitude de ma sant pendant mon sjour auprs
+de vous. Elle disoit: elle est partie malade; elle a la fivre ou la
+petite vrole. Elle paroissoit aussi en peine de moi que de son fils.
+Sa femme de chambre disoit <i>Sophie</i> que sa matresse ne pouvoit passer
+l'hiver auprs de son frre Embrun, sans moi, et que la crainte que je
+ne voulusse pas y aller, l'empcheroit d'y penser. Concevez-vous,
+Madame, la faon dont elle agit avec moi, qu'elle puisse regarder
+comme un malheur de ce que je serois spare d'elle? <i>D'Argental</i> m'a
+crit: je reus sa lettre, en revenant de chez vous. Il y avoit cent
+mille choses pour vous; je vous les laisse imaginer. Ma lettre seroit
+trop longue, si je vous les rptois. Nous partons d'ici dans quinze
+jours, pour aller Ablons. Madame <i>de Ferriol</i> y sera dix ou douze
+jours. Pour moi, j'irai Sens, voir qui vous savez<a name="FNanchor_197_197" id="FNanchor_197_197"></a><a href="#Footnote_197_197" class="fnanchor" title="Go to footnote 197.">[197]</a>. J'y resterai
+le plus que je pourrai. Madame <i>de Ferriol</i> m'y viendra joindre. Vous
+aurez des dtails de mon entrevue: j'aurai vu cette anne tout ce qui
+m'est cher. Adieu, Madame, mes sentimens et mon me vous sont dvous.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXIII_AISEE" id="LETTRE_XXIII_AISEE"></a>LETTRE XXIII.</h3>
+
+<p><span class="smcap">Pont-de-Vesle, 1729.</span></p>
+
+<p class="non"><span class="letra">V</span><span class="smcap">oul</span>
+enfin le bienheureux jour arriv! Je pars d'ici demain matin, et
+je n'ai que la nuit passer. Madame <i>de Ferriol</i> avoit bien raison de
+dire que je ne pouvois tenir ici. En revenant de chez vous, je suis
+morte d'ennui; et ma sant, d'accord avec l'ennui, m'a trs-mal traite.
+Je me suis fait saigner: cela ne m'a pas russi; mes maux de tte et mes
+coliques sont toujours aussi frquens; peut-tre est-ce l'air du pays et
+les eaux.</p>
+
+<p>J'attendois une rponse de vous, avant de partir, mais j'espre que vous
+aurez la bont de m'crire Sens. J'y serai le 15 de ce mois. Mon
+adresse est chez madame de <i>V.....</i>, abbesse de Notre-Dame. Madame <i>de
+Bolingbrocke</i> a pens mourir Reims d'une colique quoi elle est
+sujette. Elle a t l'extrmit; elle est mieux, et je la trouverai
+Sens. Mandez-moi de vos nouvelles et de celles de madame <i>P.....</i> Sa
+sciatique m'inquite. Vous tes, je crois, de retour en ville, assise
+sur ce bon canap, avec vos aimables filles autour de vous, et toute
+votre famille empresse vous voir. Vous jouissez de l'estime et de
+l'amiti de tout ce qui est auprs de vous, et vous n'avez aucun
+sentiment pnible combattre. Que je souhaiterois passer mes jours
+ainsi! Vous savez qui je dois des complimens. Voulez-vous bien les
+faire votre choix? Pour M. votre mari, je ne vous en charge pas; j'ai
+remarqu que vous aviez toujours un peu de jalousie. Madame votre fille
+voudra bien lui faire quelques agaceries de ma part, et me rendre ce
+petit service; en reconnoissance, je l'embrasse de tout mon c&#339;ur.</p>
+
+<p>Madame <i>de Nesle</i> est morte, dit-on, de la rougeole; mais les amies
+particulires, et qui sont par consquent au fait, disent qu'il y avoit
+complication de maux, et que de plus robustes qu'elle y auroient
+succomb. M. <i>de Richelieu</i> est dans le mme cas, except qu'il n'est
+pas mort; mais on me mande qu'il se meurt. Madame <i>d'Aumont</i> et son
+mari, qui n'ont que la rougeole, s'en tirent trs-bien. Je ne sais si je
+vous ai mand que M. <i>de la Ferrire</i> marie sa fille un homme qui a
+vingt mille livres de rente, et qui demeure Lyon. C'est une grande
+joie pour la mre d'avoir sa fille auprs d'elle. Ils mritent bien tous
+deux de trouver ce beau parti; car ils avoient refus pour leur fille un
+homme fort riche, mais vieux, et qu'elle n'auroit pu aimer. Ils lui
+donnent dix mille cus, et vingt mille francs aprs leur mort. C'est une
+trs-aimable fille. Adieu, Madame; j'ai bien de la peine vous quitter.
+Plt Dieu que je fusse avec vous rellement! je ne pourrois plus m'en
+sparer. Il m'en a trop cot, et il m'en cote trop tous les jours, en
+m'en souvenant. Adieu, Madame, je vous aime de tout mon c&#339;ur. Je vais
+encore m'loigner de vous, et ce n'est pas sans regrets. Vous aurez de
+mes lettres, quand je serai Paris. Je serai trop occupe Sens, pour
+avoir le temps de vous crire.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXIV_AISEE" id="LETTRE_XXIV_AISEE"></a>LETTRE XXIV.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 1729</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">V</span><span class="smcap">ous</span> m'avez demand un compte exact de mon retour Paris et de mon
+sjour Sens. J'ai trouv la petite trs-grande, mais fort ple. Sa
+figure est noble. Elle est bien faite; elle a les plus beaux yeux que
+vous ayez vus, l'air dlicat. Elle a de l'esprit, de la douceur, de la
+raison, mais d'une distraction inouie, le caractre et le c&#339;ur
+souhait. Je crois sans prvention que ce sera un bon sujet. La pauvre
+petite m'aime la folie: elle fut si saisie de joie de me voir, qu'elle
+fut prte se trouver mal. Vous devez juger de tout ce que je sentis
+en la voyant. Mon motion toit bien vive, d'autant plus qu'il falloit
+la cacher. Elle me dit cent fois que c'toit un bien heureux jour pour
+elle que celui de mon arrive. Elle ne pouvoit me quitter; et cependant,
+ds que je la renvoyois, elle s'en alloit avec une douceur extrme; elle
+coutoit mes avis, et paroissoit applique en profiter. Elle ne
+cherchoit point s'excuser de ses fautes, comme les enfans. Hlas! la
+pauvre petite, quand je suis partie, toit si pntre de douleur, que
+je n'osai la regarder, tant elle m'attendrissoit; elle ne pouvoit
+parler. J'emmenai l'abbesse avec moi, pour voir madame <i>de
+Bolingbrocke</i>, qui toit Reims, o elle avoit t trs-mal, et qui
+comptoit de l aller Paris. Tout le couvent toit en pleurs du dpart
+de l'abbesse, et la pauvre petite disoit: Pour moi, Mesdames, je suis
+aussi fche que les autres de vous voir partir; mais je crois que cela
+est ncessaire, et que madame <i>de Bolingbrocke</i> sera bien aise de vous
+voir, et que votre vue lui fera du bien; c'est ce qui me console un peu
+de votre dpart; et puis la pauvre petite touffoit. Elle s'assit sur
+une chaise, n'ayant pas la force de se soutenir, et elle m'embrassoit et
+me disoit: Voil un furieux contre-temps, ma bonne amie; car vous
+seriez reste ici davantage. Je n'ai ni pre ni mre: soyez, je vous
+prie, ma mre; je vous aime autant que si vous l'tiez. Vous jugez, ma
+chre madame, dans quel embarras ce discours me mettoit; mais je me suis
+trs-bien conduite. J'y ai rest quinze jours, et mon rhumatisme m'a
+prise l. Je fus perclue de tout mon corps. Pendant deux jours, elle ne
+me quitta pas. Elle resta cinq heures d'horloge au chevet de mon lit,
+sans qu'elle voult me quitter; elle me lisoit pour m'amuser et puis
+elle m'entretenoit, et je m'assoupissois un moment. Elle craignoit de me
+rveiller, et n'osoit respirer. Une personne de trente ans n'auroit pas
+t plus capable d'attentions. Mademoiselle <i>de Noailles</i> vouloit
+qu'elle vnt jouer avec elle. Elle la pria de l'en dispenser, ne voulant
+point me quitter. Enfin, Madame, je suis persuade que, si elle avoit le
+bonheur d'tre connue de vous, vous l'aimeriez beaucoup. Madame <i>de
+Bolingbrocke</i> la veut emmener avec elle; et avoir soin de sa fortune: ce
+qui afflige terriblement qui vous savez; il en est fou. Je ne puis
+exprimer toute la joie qu'il a eue de mon retour; tout ce que la
+vivacit d'une passion violente peut faire faire et dire, il l'a fait et
+dit. Si c'est jeu, il est bien jou. Il est revenu plusieurs fois, aprs
+de longues et pnibles chasses: enfin, le roi lui dit la dernire fois,
+quand, il demanda cong (car il faut le demander toujours au roi
+directement), ce qu'il avoit tant faire Paris; il fut dconcert de
+la demande, et rougit; il ne put dire autre chose, sinon qu'il avoit des
+affaires.</p>
+
+
+<p class="date">Ce 2 dcembre</p>
+
+<p>Depuis seize jours que cette lettre est crite, le chevalier est revenu
+de Marly avec la fivre, une attaque d'asthme et un rhumatisme sur les
+reins; il souffre beaucoup. Je suis dans un tat violent, il faut que je
+vous crive pour me distraire; je n'ai de consolation que celle de
+penser vous. Si j'tois plus raisonnable, j'oserois vous faire part de
+toutes mes rflexions. J'ai beaucoup de chagrins; il n'y auroit que vous
+qui pourriez entrer dans mes peines: le rsultat de tous mes regrets,
+c'est que je vous aime tendrement, que vous mritez de l'tre, et qu'il
+n'y a que vous dans le monde qui en tes digne. Vous me rpondrez cela
+qu'il y a bien, de l'orgueil et de l'amour-propre dans ce que je dis. Il
+peut y en avoir un peu; mais ce n'est point dans le sens que vous
+l'entendez. Je suis trs-imparfaite; mais j'exige des autres ce que je
+n'ai pas moi-mme. Toutes vos qualits me sont agrables, quoique je
+n'ait pas le bonheur de les possder. La vertu, l'esprit, la douceur, la
+dlicatesse, l'honnte sensibilit, la piti pour les malheureux et pour
+ceux qui ne sont pas dans le bon chemin, sont des qualits utiles pour
+les autres, quoiqu'on ne les possde pas soi-mme. Encore une chose qui
+satisfait mon c&#339;ur, c'est que je sens que je puis dire tout ce que je
+pense de vous, sans pouvoir tre accuse de prvention, ni de flatterie.
+Vous tes enfin, selon mon c&#339;ur et mon me. L'amour partage mon c&#339;ur
+avec vous, Madame; mais si je ne trouvois pas dans l'objet ces vertus
+que j'aime en vous, il ne subsisteroit pas. Vous m'avez rendue dlicate
+sur cet article. Je l'avoue la honte de l'amour; il cesseroit, s'il
+n'toit pas fond sur l'estime. Adieu, Madame.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXV_AISEE" id="LETTRE_XXV_AISEE"></a>LETTRE XXV.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 1728</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">V</span><span class="smcap">ous</span> tes surprise, Madame, que j'aie t si long-temps sans avoir eu
+l'honneur de vous crire: ce n'est pas assurment que je n'en eusse une
+grande envie; mais j'ai t assez incommode d'un trs-gros rhume qui
+m'a fait garder le lit. J'ai voulu plusieurs fois me lever de bonne
+heure, pour me mettre mon critoire, pour causer avec vous, et toutes
+les fois, j'ai t interrompue soit par des visites, ou par des
+invitations. J'ai t premirement niche dans un galetas, pendant
+quinze jours, que madame <i>de V....</i> et sa compagnie se sont empares de
+ma chambre et de tous mes ustensiles. Aprs cela, madame <i>de
+Bolingbrocke</i> est arrive de Reims, malade, et dans un grand besoin de
+nous tous, pour l'aider se ranger dans sa maison, et recevoir ses
+visites; elle est un peu mieux. Toutes les personnes qui ont des bonts
+pour moi, se relayent pour ne pas me laisser un instant tranquille; je
+ne suis pas rentre pour me coucher, avant trois heures du matin. Je vis
+hier M. votre neveu, que j'ai trouv beau et bien fait. Je viens
+d'apprendre quelque chose qui m'a surprise. M. <i>de Bellegarde</i> a dit
+M. <i>de Marcieux</i> que madame votre cousine n'avoit jamais voulu l'couter
+comme amant; qu'elle lui avoit dit que ses discours ne lui convenoient
+pas, et que, s'il continuoit, elle ne le verroit plus; qu'un, homme de
+sa naissance et de son ge devoit mieux faire que l'amour; qu'il devoit
+aller dans les pays trangers chercher du service; qu'elle lui prteroit
+10,000 cus, et que s'il avoit besoin de davantage, elle le lui feroit
+tenir; qu'elle ne disconvenoit pas qu'elle n'et beaucoup d'estime et
+d'amiti pour lui, mais qu'elle ne vouloit point d'amour. Il a assur M.
+<i>de Marcieux</i>, qui il a racont cette conversation telle qu'elle
+toit, qu'il partoit tout de suite pour la Pologne, et que n'ayant aucun
+secours de sa famille, il se trouvoit dans le cas d'accepter les offres
+de madame <i>V....</i>, et qu'il devoit aux procds gnreux et
+dsintresss de cette dame, la plus grande reconnoissance. Je ne puis
+m'empcher, je vous l'avoue, de trouver cela trs-bien, si cela
+est<a name="FNanchor_198_198" id="FNanchor_198_198"></a><a href="#Footnote_198_198" class="fnanchor" title="Go to footnote 198.">[198]</a>.</p>
+
+<p>Je suis si lasse des humeurs de mademoiselle <i>Bideau</i>, que je suis
+rsolue de me tirer de ses pattes, quelque prix que ce soit. Je
+vendrai ce qui me reste de pierreries, me dfaisant, sans regret, de ces
+joyaux qui me divertissent, mais qui me seroient insupportables, si je
+continuois d'avoir un fardeau si pesant. Elle exige beaucoup de moi;
+elle trouve trop que je lui ai des obligations, pour que ma
+reconnoissance soit bien grande. Elle traite de manie et de sottise ce
+qu'elle a pratiqu toute sa vie. La dvotion, qui est prsent sa seule
+ressource, sert encore me tyranniser. Rien n'est si difficile que de
+faire son devoir auprs de gens que l'on n'aime point, et que l'on
+n'estime point. Madame <i>de Ferriol</i> est d'une avarice sordide; elle ne
+fait plus que vgter, mais d'une faon si triste, elle est si aigre,
+que personne n'y peut tenir. Tout le monde l'abandonne. <i>D'Argental</i> m'a
+tant parl de vous et des vtres et avec tant d'attachement, que je lui
+en sais un gr infini, et l'en aime davantage.</p>
+
+<p>Le marchal <i>d'Uxelles</i> a quitt la cour avec courage; mais il est comme
+<i>Charles-Quint</i>; il s'en repent. Il se flatte, dit-on, que le roi lui
+ordonnera de revenir; mais il ne lui a rien dit: on assure que c'est
+l'occasion du trait, qu'il l'a quitt. Cela lui fait honneur; car le
+public n'en a pas t content.</p>
+
+<p>Le chevalier est mieux. Je voudrois bien qu'il n'y et plus de combat
+entre ma raison et mon c&#339;ur, et que je pusse goter parfaitement le
+plaisir que j'ai de le voir. Mais hlas! jamais. Mon corps succombe
+l'agitation de mon esprit: j'ai de grandes coliques d'estomac; ma sant
+est furieusement drange. Adieu, Madame, je finis cette lettre qui
+n'est qu'une rapsodie; je ne sais comment vous vous en tirerez.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXVI_AISEE" id="LETTRE_XXVI_AISEE"></a>LETTRE XXVI.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 1730</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> vis hier M. <i>de Villars</i><a name="FNanchor_199_199" id="FNanchor_199_199"></a><a href="#Footnote_199_199" class="fnanchor" title="Go to footnote 199.">[199]</a>, qui me dit qu'il vous enverroit son
+portrait incessamment. Il a t assez incommod; je lui sus bien bon gr
+de ce qu'il passa deux heures dans ma chambre; nous fmes seuls, et nous
+parlmes de Genve tout notre aise. Depuis trois mois, je suis
+garde-malade. Madame <i>de Bolingbrocke</i> a t trs-mal. Je l'ai vue
+beaucoup souffrir; j'ai cru plusieurs fois qu'elle resteroit dans mes
+bras; elle est actuellement dans un tat trs-languissant. Elle ne mange
+presque point, et son dgot seul seroit capable de mettre aux abois une
+personne en sant: elle a toujours une fivre lente. Il y a des momens
+o l'on craint qu'elle ne s'teigne comme une chandelle. Elle a bien du
+courage, et c'est ce qui la soutient. Vous ne croiriez pas, en
+l'entendant causer quelquefois, qu'elle ft malade, la maigreur prs,
+qui est extrme. La machine s'affoiblit tous les jours; elle a un peu
+mieux mang ces deux jours. <i>Silva</i> et <i>Chirac</i>, ses mdecins, ne
+connoissent point son mal, et ne travaillent pas avec connoissance de
+cause. Madame <i>de Ferriol</i> refuse opinitrement de remdier une
+bouffissure qui est rpandue sur son visage. Elle est d'un changement si
+grand, que, si vous la rencontriez, vous ne la reconnotriez pas: elle
+est menace d'appoplexie et d'hydropisie. Elle est engourdie au point
+que, quand elle reste une demi-heure assise, elle ne peut se relever;
+elle dort partout. La maladie de son marchal la tient un peu alerte;
+elle en est trs-afflige.</p>
+
+<p>Il faut vous parler de nouvelles. Vous savez apparemment la mort du
+pape. Le cardinal <i>Albroni</i> se flatte de l'tre. Les Sauvages de la
+Louisiane ont gorg une colonie franoise. Une sauvagesse aimoit un
+franoise, et l'avertit de ce qu'on tramoit contre sa nation. Celui-ci
+le dit au commandant qui fit comme le marchal <i>de Villars</i>, et crut que
+l'on n'oseroit point l'attaquer. Il a t puni comme son modle; car il
+a t le premier gorg. La question est de savoir lequel a t le plus
+puni. L'exil pour un homme ambitieux est pire que la mort. Le commandant
+auroit peut-tre prfr la vie. On prtend que les Anglois ont anim
+les Sauvages. On est trs-embarrass sur le parti prendre avec eux.
+Cela a fait baisser les actions et a caus bien des alarmes. Pour moi,
+j'en ai une trs-petite, parce que j'y suis bien peu intresse, n'ayant
+que la moiti d'une action; mais mes amis en ayant, cela suffiroit pour
+que j'en fusse inquite. J'en ai parl une personne assez au fait, qui
+m'a assure que l'on feroit mal de les vendre. La vie est si mle de
+chagrins, qu'il faut, Madame, n'tre pas si sensible. Moi qui vous
+parle, je me tue de sensibilit. M. <i>Orry</i>, intendant de
+<i>Quimper-Corentin</i>, vient d'tre fait contrleur gnral. On a remerci
+M. <i>des Forts</i>. On dit que le nouveau ministre a de l'esprit et de la
+capacit. Cela a pourtant surpris tout le monde. Mes chres s&#339;urs,
+permettez-moi ce nom avec mesdames vos filles; j'ai pour elles les
+sentimens que l'on a pour d'aimables s&#339;urs. Embrassez-les, je vous prie,
+pour moi, aussi bien que votre mari, pour qui j'aurai toute ma vie de la
+coquetterie et de la reconnoissance.</p>
+
+<p>Je suis trs-incommode depuis six semaines. J'ai de la diarrhe qui m'a
+dbarrasse de mon rhumatisme et de mes coliques; mais le remde
+pourroit tre plus dangereux que le mal. Je suis maigrie, et
+trs-foible: je vais prendre de l'mtique. Adieu, Madame; aimez-moi
+toujours un peu. Soyez persuade que personne ne vous aime plus
+tendrement, ne vous estime et ne vous honore plus parfaitement. Vous
+feriez le bonheur de ma vie, si je pouvois vivre avec vous. Notre
+sparation me parot tous les jours plus cruelle et m'afflige
+sensiblement. Quelque malheur qu'il y ait sentir, mes sentimens pour
+vous seront toujours de la dernire vivacit.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXVII_AISEE" id="LETTRE_XXVII_AISEE"></a>LETTRE XXVII</h3>
+
+<p class="date">Dcembre, 1730</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">I</span><span class="smcap">l</span> y a mille ans, Madame, que je ne vous ai fait ma cour; ce n'est pas
+assurment que je ne pense bien vous, et que je ne me rappelle tous
+les plaisirs que j'ai gots Genve. La mmoire, soutenue par le
+sentiment, me reprsente tout jusqu'aux moindres choses bien vivement:
+mes ides font bien du chemin. Arrive chez vous, je vous vois, je vous
+embrasse, je pleure de joie; et mon c&#339;ur se serre, lorsque je vois que
+ce n'est qu'en ide. Permettez que j'embrasse mes chres s&#339;urs, mes
+chres bonnes amies; j'ai bien du plaisir vous aimer, et vous manquez
+ici mon bonheur. Madame <i>de Ferriol</i> me flatte encore, d'un voyage
+Pont-de-Vesle; elle se porte mieux. Pour ma sant, elle n'est pas bien
+merveilleuse. J'ai l'estomac fort drang, de grands maux de tte,
+souvent des rhumes, et beaucoup de foiblesse.</p>
+
+<p>Je veux vous rendre compte de l'tat de mes finances. Vous savez qu'il y
+a long-temps que je dois, et dpensois, sans trop savoir ce que je
+pouvois dpenser. Enfin, lasse de ce dsordre, j'ai emprunt 2,000 cus
+pour payer mes dettes criardes, que je rendrai dans quatre ans, en
+donnant par anne 1,800 livres de mes rentes; je me rduis alors 1,200
+livres: je serai bien l'troit, mais bien soulage de ne devoir plus
+que 4,400 livres M. <i>Pris de Montmartel</i>, qui je donnerai 1,000
+livres par anne. J'aurai le bonheur de ne plus voir de cranciers; ils
+ne seront pas si aises d'tre dbarrasss de moi, que je le serai de
+l'tre d'eux; car ils sont bonnes gens, et ne m'ont point tourmente.
+J'ai eu le plaisir d'arranger les affaires de <i>Sophie</i>, de faon qu'elle
+est proportion plus riche que moi. J'espre que nous mangerons notre
+revenu ensemble. Je ne puis assez vous exprimer la joie que j'ai d'avoir
+pris mon parti de payer, pour n'avoir obligation personne. Madame
+<i>P.....</i> se ressouvient-elle de moi? Elle seroit bien ingrate, si elle
+ne m'aimoit pas un peu; car je la respecte et l'honore infiniment. Ne
+m'oubliez point, s'il vous plat, auprs de M. <i>de Caze</i>. Madame la
+duchesse <i>de Saint-Pierre</i> m'a beaucoup demand de ses nouvelles, et m'a
+charge de lui faire ses complimens. Elle l'aime bien, ce qu'elle m'a
+dit. Dites-lui que cette dame est toujours plus belle: elle a conserv
+un beau teint, une belle gorge. Elle est comme vingt ans; elle est
+trs-aimable: elle a vu bonne compagnie; et un mari svre, et qui
+connoissoit le monde, l'a rendue d'une politesse charmante. Elle sait
+conserver l'air d'une grande dame, sans humilier les autres. Elle n'a
+point du tout cette politesse haute qui protge; elle a bien de
+l'esprit, elle sait dire des choses flatteuses, et sait mettre les gens
+ leur aise.</p>
+
+<p>Je fis, il y a quelques jours, vos complimens madame <i>de Tencin</i>
+moi-mme. Vous tes surprise; mais coutez, et vous le serez davantage.
+J'tois dans la chambre de madame sa s&#339;ur. Elle entra, je voulus m'en
+aller. C'est ce que je faisois ordinairement, parce qu'elle me refusoit
+le salut. Elle toit d'un embarras horrible; elle m'attaqua de
+conversation, loua d'abord la robe que je portois, me parla de la sant
+de madame sa s&#339;ur, et enfin elle resta deux heures toujours causer et
+de trs-bonne humeur. Nous vnmes parler de notre voyage en Bourgogne,
+ Pont-de-Vesle, Genve. Je pris cette occasion, et lui dis que
+j'avois reu dernirement votre lettre o vous me chargiez de lui faire
+des complimens. Elle me dit que cela la surprenoit, qu'il y avoit des
+temps infinis qu'elle n'avoit entendu parler de vous. Je l'assurai que
+ce n'toit pas votre faute; que, presque dans toutes vos lettres, vous
+faisiez des complimens pour elle, et que, comme je n'avois pas l'honneur
+de la voir, j'en avois charg plusieurs personnes, entr'autres
+<i>d'Argental</i>; que, sur-tout mon dpart de Genve, vous m'aviez
+recommand de lui faire bien des amitis de votre part. Elle me dit que
+ce ressouvenir lui faisoit bien du plaisir, parce qu'elle vous aimoit
+beaucoup. Elle me fit bien des questions sur votre sant et sur vos
+affaires. Je lui rendis compte de l'arrangement que vous aviez fait;
+elle dit cela qu'elle vous reconnoissoit bien, et que personne n'toit
+plus capable que vous, de bons et nobles procds. Depuis ce temps-l,
+nous nous sommes revues. Nous avons fait la conversation comme si nous
+n'avions pas t mal ensemble et sans claircissement. J'en veux rester
+ ce point. Je ne vais point chez elle. Il me sera difficile de
+l'viter; mais si j'y vais, fiez-vous-en moi, ce sera sobrement.</p>
+
+<p>On ne parle ici que de l'abb <i>Pris</i>, des miracles et des convulsions
+qui s'oprent sur son tombeau. Les uns disent qu'il fait des miracles;
+les autres, que ce sont des friponneries. Les partis s'exercent
+outrance. Les neutres et les bons catholiques, c'est--dire, les vrais,
+sont peu difis. On n'entend que calomnie, fureur, emportement et
+friponnerie. Les mieux sont ceux qui ne sont que fanatiques, et ceux-l
+se croient tout permis. Voil ce qui fait le sujet de toutes les
+conversations, et messieurs <i>de B.....</i> les chansonnent. Il y a des
+couplets sur la duchesse douairire; ils sont trop grossiers pour que je
+vous les envoie. On joue l'opra <i>Callirho</i>, qui ne russit pas,
+quoique cet opra soit intressant et joli; mais le grand air prsent
+est de n'aller que le vendredi l'opra; et d'ailleurs, comme tout est
+esprit de parti, les partisans de la <i>Le Maure</i> sont en plus grand
+nombre prsent que ceux de la <i>Pellissier</i>. M. <i>d'Argental</i> est
+amoureux de cette dernire; il est aim, et il s'en cache beaucoup. Il
+croit que je l'ignore, et je n'ai garde de lui en parler. Elle en est
+folle; elle est tout aussi impertinente que la <i>Le Couvreur</i>; mais elle
+est sotte, et ne lui fera point faire de folie. C'est un furieux
+ridicule un homme sage et en charge, que d'tre toujours attach une
+comdienne. Tous les partisans de la <i>Le Maure</i> trouvent la <i>Pellissier</i>
+outre et peu naturelle. Ils disent que c'est M. <i>d'Argental</i> et ses
+amis qui la gtent. Cela m'afflige; mais, connoissant son abandon pour
+ce qu'il aime, je me console de cela, parce qu'il s'en cache, et que par
+consquent, il vit plus avec le monde pour dpayser. Pour M. <i>de
+Pont-de-Vesle</i>, il se porte merveille; il est galant au possible; il
+me demande souvent de vos nouvelles. M. <i>de Ferriol</i> est assez bien,
+mais horriblement sourd et gourmand. Voil un compte exact de toutes les
+nouvelles, mais je ne vous ai pas encore rendu compte de mon c&#339;ur. Pour
+vous, je vous aime parfaitement. Cette amiti fait le bonheur de ma vie,
+et souvent la peine; car j'ai le c&#339;ur serr, quand je pense qu'une
+personne que j'aime si tendrement, je ne la vois point. Aimez-moi,
+Madame, comme je vous aime.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
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+<h3><a name="LETTRE_XXVIII_AISEE" id="LETTRE_XXVIII_AISEE"></a>LETTRE XXVIII.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 1731</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">M</span><span class="smcap">a</span> sant, Madame, se rtablit tout doucement. Ma convalescence est
+longue; mais ma maladie l'a t. Il n'est point surprenant que j'aie de
+la peine rparer mes forces. Vos bonts et vos v&#339;ux pour moi me font
+un bien infini: je vous en remercie de tout mon c&#339;ur. Vos lettres m'ont
+fait un grand plaisir; mais le chagrin de vous causer des inquitudes
+diminue ma satisfaction d'tre autant aime. En vrit, rattachement
+tendre que je vous ai vou, mrite les bonts que vous avez pour moi.
+Je vous aime et vous estime comme vous le mritez; c'est sans bornes.
+Continuez, Madame, me rendre heureuse; car je mourrois de douleur, si
+vous cessiez d'avoir de l'amiti pour moi.</p>
+
+<p>Madame <i>de Tencin</i> est, comme vous le savez, exile Ablons depuis
+quatre mois. Elle a t trs-malade. <i>Astruc</i> est comme <i>Roland</i>. Je ne
+sais si c'est badinage, ou si c'est tout de bon; mais, ce qu'il y a de
+certain, c'est que personne ne la plaint, et bien des gens disent
+qu'elle n'a rien de mieux faire qu' mourir. Voil de bons propos. M.
+<i>de Saint-Florentin</i> est l'extrmit: s'il en revient, il deviendra
+sage, ou il sera incorrigible. M. <i>de Gesvres</i> et le duc <i>d'pernon</i>
+sont toujours exils. On appelle leur conjuration, <i>la conspiration des
+marmousets</i>. Tout le monde se moque d'eux. M. <i>de Bedevolle</i> toit un
+des conjurs; il laisse une rputation qui ne flaire pas comme baume. On
+dit que c'est un esprit trs-dangereux, d'autant plus qu'il est fripon.
+Adieu, Madame, je ne puis crire plus long-temps, je suis trop foible.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
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+<h3><a name="LETTRE_XXIX_AISEE" id="LETTRE_XXIX_AISEE"></a>LETTRE XXIX.</h3>
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+<p class="title"><i>Histoire de mes Amours avec le duc</i> <span class="smcap">de Gesvres</span>.</p>
+
+<p class="date">1731</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> conviens, Madame, malgr votre colre et le respect que je vous dois,
+que j'ai eu un got violent pour M. le duc <i>de Gesvres</i>, et que j'ai
+mme port confesse ce grand pch. Il est vrai que mon confesseur ne
+jugea pas propos de me donner de pnitence. J'avois huit ans, quand
+cette passion commena, et douze ans, je tournois en plaisanterie mon
+got; non que je ne trouvasse M. <i>de Gesvres</i> aimable, mais je trouvois
+plaisans tous les empressemens que j'avois eus d'aller causer et jouer
+dans les jardins avec lui et ses frres: il a deux ou trois ans plus que
+moi, et nous tions, ce qui nous paroissoit, beaucoup plus vieux que
+les autres. Cela faisoit que nous causions, lorsque les autres jouoient
+ la cligne-musette. Nous faisions les personnes raisonnables; nous nous
+voyions rgulirement tous les jours; nous n'avons jamais parl d'amour,
+car en vrit, nous ne savions ce que c'toit ni l'un ni l'autre. La
+fentre du petit appartement donnoit sur un balcon o il venoit souvent;
+nous nous faisions des mines; il nous menoit tous les feux de la
+Saint-Jean, et souvent Saint-Ouen. Comme on nous voyoit toujours
+ensemble, les gouverneurs et les gouvernantes en firent des
+plaisanteries entr'eux, et cela vint aux oreilles de mon Aga<a name="FNanchor_200_200" id="FNanchor_200_200"></a><a href="#Footnote_200_200" class="fnanchor" title="Go to footnote 200.">[200]</a> qui,
+comme vous le jugez, fit un beau roman de tout cela. Je le sus: cela
+m'affligea; je crus, comme une personne raisonnable, qu'il falloit
+m'observer, et cette observation me fit croire que je pourrois bien
+aimer M. <i>de Gesvres</i>; j'tois dvote, et j'allois confesse; je dis
+d'abord tous mes petits pchs: enfin il fallut dire le gros pch;
+j'eus de la peine m'y rsoudre; mais en fille bien leve, je ne
+voulus rien cacher. Je dis que j'aimois un jeune homme. Mon directeur
+parut tonn, il me demanda quel ge il avoit. Je dis qu'il avoit onze
+ans: il me demanda s'il m'aimoit, et s'il me l'avoit dit; je dis que
+non; il continua ses questions. Comment l'aimez-vous, me dit-il? Comme
+moi-mme, lui rpondis-je. Mais me rpliqua-t-il, l'aimez-vous autant
+que Dieu? Je me fchai, et je trouvai fort mauvais qu'il m'en
+souponnt. Il se mit rire, et me dit qu'il n'y avoit point de
+pnitence pour un pareil pch; que je n'avois qu' continuer d'tre
+toujours bien sage, et de n'tre jamais seule avec un homme; que c'toit
+tout ce qu'il avoit me dire pour l'heure. Je conviendrai encore qu'un
+jour, j'avois alors douze ans, lui de quatorze quinze, il parloit avec
+transport qu'il feroit la campagne prochaine; je me sentis choque
+qu'il n'et pas de regret de me quitter, et je lui dis avec aigreur: ce
+discours est bien dsobligeant pour nous. Il m'en fit des excuses, et
+nous disputmes long-temps l-dessus. Voil ce qu'il y a jamais eu de
+plus fort entre nous. Je crois qu'il avoit autant de got pour moi, que
+j'en avois pour lui. Nous tions tous deux trs-innocens, moi dvote,
+lui autre chose. Voil la fin du roman. Depuis ce temps-l, nous nous
+sommes rappel nos jeunes ans, sans cependant nous trop tendre; la
+matire toit dlicate, soit plaisanterie, soit srieusement; le sujet
+et nos ges me justifieront-ils, Madame? voil la vrit pure. Pour
+celui qui l'a dit, c'est assurment <i>Bedevolle</i>; il porte son esprit
+tracassier dans tous les pays qu'il habite. Vous devriez toujours
+prendre ma dfense, et me conserver l'estime du public. Savez-vous bien
+que je suis rellement pique et en colre des soupons que vous avez de
+moi? Il faut que vous ne m'aimiez pas autant que je m'en tois flatte.
+Quoi! Madame, vous me croiriez capable de vous tromper! Je vous ai fait
+l'aveu de toutes mes foiblesses; elles sont bien grandes; mais jamais je
+n'ai pu aimer qui je ne pouvois estimer. Si ma raison n'a pu vaincre ma
+passion, mon c&#339;ur ne pouvoit tre sduit que par la vertu, ou par tout
+ce qui en avoit l'apparence. Je conviens, avec douleur, que vous ne
+pouvez arracher de mon c&#339;ur l'amour le plus violent; mais soyez assure
+que je sens toutes les obligations que je vous ai, et que je ne varierai
+jamais sur les sentimens tendres que je vous ai vous. Ma reconnoissance
+gale mon amiti et mon estime pour vous. Vous tes la personne la plus
+respectable et la plus aimable que je connoisse. Je vous proteste que
+l'on est bien loign de chercher rompre cette confiance que j'ai pour
+vous. Le chevalier vous aime et vous respecte infiniment; il s'attendrit
+quand je parle du malheur que j'ai d'tre spare de vous, et quelque
+crainte que l'on ait de me perdre, l'estime est plus forte. Quand je
+lui ai racont les conversations que j'avois eues avec vous, je l'ai
+fait pleurer, et tout ce qu'il disoit toit: hlas! j'ai couru de
+furieux risques. Il paroissoit trs-inquiet que cela n'et diminu mon
+got pour lui, sentant que cela en toit bien capable; il me remercia
+aprs cela, de la faon du monde la plus touchante, de l'aimer encore.
+Vous n'ignorez pas le fruit des soins que l'on avoit pris pour nous
+dsunir et pour me perdre. Le chevalier a trop de dlicatesse, pour que
+l'aversion et le mpris ne fussent pas la rcompense de ces mes basses.
+Jugez ce que le contraire a d faire. On a t bien loign de vous
+attribuer le refroidissement de mes lettres, pendant mon sjour en
+Bourgogne: il tomboit sur la <i>gentille Bourguignonne</i>, et croyoit que la
+marchale me disoit du mal de lui. Son attachement devient tous les
+jours plus fort: ma maladie l'a mis dans des inquitudes si terribles,
+qu'il faisoit piti tout le monde, et on venoit me rendre ses
+discours. En vrit, vous en auriez pleur, Madame, aussi bien que moi.
+Il toit dans des frayeurs normes que je ne mourusse. Il n'toit pas
+possible, disoit-il, qu'il pt rsister ce malheur. Sa douleur et sa
+tristesse toient si grandes, que je le consolois, et je cachois mes
+maux, tant que je le pouvois; il avoit toujours les larmes aux yeux; je
+n'osois le regarder, il m'attendrissoit trop. Madame <i>de Ferriol</i> me
+demanda un jour si je l'avois ensorcel; je lui rpondis: le charme
+dont je me suis servie, est d'aimer malgr moi, et de lui rendre la vie
+du monde la plus douce. L'envie lui fit faire la question, et la malice
+me fit rpondre. Voil, Madame, ce que vous m'avez demand; mon c&#339;ur est
+ dcouvert. Je passe sous silence mes remords; ma raison m'en fait
+natre; lui et ma passion les touffent. Quelques rayons d'esprance
+d'une fin, d'une conclusion, aident bien m'garer; mais il n'est pas
+mon pouvoir de les abandonner. Adieu, Madame, je n'en puis plus. Voil
+une longue lettre, pour une personne aussi foible que moi.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
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+<h3><a name="LETTRE_XXX_AISEE" id="LETTRE_XXX_AISEE"></a>LETTRE XXX.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 1727</p>
+
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span>'<span class="smcap">ai</span>
+consult M. <i>Silva</i> et M. <i>Gervais</i> pour vous, Madame; ils veulent
+que vous vous fassiez saigner souvent, et que vous alliez absolument
+des bains chauds. Comme votre sant m'est plus chre que ma propre vie,
+je n'ai pas oubli un mot de ce qu'ils m'ont dit. Au nom de Dieu, faites
+ce qu'il faut pour vous procurer une bonne sant! Dieu l'ordonne, vos
+parens le dsirent ardemment, et vos amis, la tte desquels je veux
+tre, se mettent vos genoux. Ne me donnez point pour raison celle de
+la dpense. Je connois la noblesse de votre c&#339;ur, et je sais les motifs
+vertueux qui vous rendent si mnagre; mais les hommes, qui ne sont pas
+capables de sentimens si dlicats, qui rapportent tout eux, vous
+accuseront d'un got pour l'pargne. Cela seroit injuste, je l'avoue;
+mais il faut vivre avec ces hommes. Laissez moins de bien vos
+hritiers, et donnez-leur un bien plus prcieux, qui est votre sant,
+votre vie: l'argent que vous conomiserez, pour remdier votre sant,
+n'est fait que pour s'en servir. Je connois votre famille: ils
+donneroient tous une partie de leurs jours pour prolonger les vtres. Je
+vous dis tout cela avec une vivacit qui ne peut vous dplaire, puisque
+c'est l'intrt le plus vif et le plus tendre qui le dicte ma plume;
+et il est difficile de se modrer, quand on est occup, comme je le
+suis, d'une amie telle que vous, et dont la sant me tient au c&#339;ur.
+Promettez-moi donc que vous ferez les remdes ncessaires. Songez, et
+soyez bien convaincue que si vous tes mieux, je serai indubitablement
+soulage. Je me chagrine et m'attendris pour vous; je ne puis penser
+vous que je n'aie le c&#339;ur gros. La crainte et la douleur touffent des
+souvenirs qui me plairoient. Laissez-moi penser vous doucement. Enfin,
+si vous m'aimez, faites votre possible pour gurir.</p>
+
+<p>Il faut que je vous parle de mon foible corps; il est bien foible, je ne
+puis me remettre de ma furieuse maladie, je ne reprends point le
+sommeil, j'ai t trente-sept heures sans fermer les paupires, et
+trs-souvent je ne m'endors qu' sept heures du matin. Vous jugez bien
+si je peux reprendre mes forces; j'ai de la diarrhe depuis quelques
+jours. Les mdecins ne comprennent pas trop mon mal, ils disent que
+jamais on n'a eu une fluxion de poitrine sans cracher. Il est vrai que
+j'ai eu de l'oppression, et que j'en ai encore beaucoup. Je suis
+extrmement maigrie; mon changement ne parot pas autant quand je suis
+habille. Je ne suis pas jaune, mais fort ple; je n'ai pas les yeux
+mauvais: avec une coiffure avance, je suis encore assez bien; mais le
+dshabill n'est pas tentant, et mes pauvres bras, qui, mme dans leur
+embonpoint, ont toujours t vilains et plais, sont comme deux
+cotterets. Vous auriez t flatte de l'amiti que tout le monde a
+tmoigne pour une personne que vous honorez de votre tendresse, si vous
+aviez t tmoin de tout ce qui s'est pass pendant que je fus en
+danger: tous mes amis et les domestiques fondoient en larmes; et quand
+j'ai t hors de danger (j'ignorois y avoir t), ils vinrent tous la
+fois, avec des larmes de joie, me fliciter. Je fus attendrie au point
+qu'ils craignoient d'avoir commis une indiscrtion. Que seriez-vous
+devenue, vous, Madame, qui avez, tant de bont pour moi, si vous aviez
+t l? Il y a deux de mes amies qui toient dans la chambre, qui n'y
+purent tenir. Tout cela m'a t cont depuis. La pauvre <i>Sophie</i> a
+souffert tout ce qu'il est possible de souffrir; elle craignoit de
+m'alarmer, elle vouloit avoir l'air assure; elle faisoit tout ce
+qu'elle pouvoit pour ne pas pleurer. Vous savez combien elle est pieuse;
+elle toit inquite pour mon me, d'autant que <i>Silva</i> toit furieux
+que l'on ne m'et pas confesse. Il est vrai que sans avoir la certitude
+que j'tois en danger, je l'avois demand madame <i>de Ferriol</i>, qui fit
+une autre scne. Elle radote; elle ne fut occupe que du jansnisme.
+Dans ce moment, au lieu de chercher un peu me rassurer, elle saisit
+avec vivacit la premire parole que je lui dis, pour me donner son
+confesseur, et que je n'en prisse point d'autre; je lui rpondis d'une
+faon qui auroit fait rentrer une autre personne en elle-mme. J'avoue
+que dans ce moment je fus plus indigne qu'effraye; mais je m'aperus
+que tout ce que je lui disois toit inutile; c'toit semer des
+marguerites devant des pourceaux; elle ne sentoit rien que le plaisir
+d'avoir escamot ma confession un jansniste; elle trouva le triomphe
+si beau, qu'elle en devint insolente, et dit sa femme de chambre des
+choses si piquantes sur <i>Sophie</i>, parce qu'elle ne m'avoit pas parl de
+son confesseur, que cette fille fondit en larmes, en lui disant qu'elle
+et <i>Sophie</i> toient assez affliges, pour qu'elles mritassent plus de
+consolations que de gronderies; que ma femme de chambre, il est vrai,
+avoit eu plus d'amour pour ma vie que pour mon me; qu'elle se
+reprochoit ces sentimens, et qu'elle toit trs-soulage de voir que
+j'aurois les secours de l'me, sans qu'elle et eu la douleur de me
+l'apprendre. Que dites-vous de cette scne et de la tendresse de cette
+bonne dame? Mais l'on conserve toujours son caractre: s'il avoit fallu
+aller quatre heures pied, pour me chercher un remde, elle y auroit
+t avec joie; mais les rflexions tendres et dlicates, les sentimens
+du c&#339;ur nuls; elle toit fche, comme nous le sommes d'un indiffrent
+qui ne nous fait point oublier le reste; elle n'toit occupe que de la
+colre qu'elle prtendoit que son frre auroit que je fusse morte entre
+les mains d'un jansniste: chose dont je crois qu'il se seroit peu
+souci; mais elle s'toit figur qu'il lui en auroit su mauvais gr, et
+l'en auroit dshrite. Vous direz peut-tre que je m'imagine tout cela.
+Non, en vrit, j'ai trop vcu avec elle, pour ne la pas connotre, et
+d'ailleurs, elle a trop peu de soin de me cacher son me. J'attribue
+tout ceci une me peu tendre et un corps apoplectique et qui radote.
+Cela ne me fera jamais oublier toutes les obligations que je lui ai, et
+mon devoir; je lui rendrai tous les soins que je lui dois, aux dpens
+mme de mon sang. Mais, Madame, qu'il est diffrent d'agir par devoir ou
+par tendresse. Cela a son bien: je serois trop malheureuse, si j'avois
+pour elle la tendresse que j'ai pour vous. Dans l'tat o elle est, il
+faudroit m'enterrer avec elle.</p>
+
+<p>Adieu, Madame, je finis cette longue ptre, que je crois trs-difficile
+ dchiffrer. Madame <i>de Tencin</i> m'aime la folie. Qu'en croyez-vous?
+Je voudrais bien qu'elle ne s'aperut pas de l'loignement que j'ai pour
+elle: je me crois fausse, et quand je suis avec elle, je suis dans une
+continuelle contrainte. J'embrasse le mari, les femmes, les enfans.
+Permettez cette familiarit votre <i>Ass</i>.</p>
+
+<p><i>P.S.</i> J'apprends dans ce moment que le roi vient d'ordonner que le
+cimetire de Saint-Mdard seroit ferm, avec dfense de l'ouvrir que
+pour enterrer. Comprenez-vous, Madame, qu'on ait permis, depuis prs de
+cinq ans, toutes les extravagances qui se sont faites et dbites sur le
+tombeau de l'abb <i>Pris? Fontenelle</i> nous assuroit l'autre jour, que
+plus une opinion toit ridicule, inconcevable, plus elle trouvoit de
+sectateurs. Les hommes aiment le merveilleux; notre ami, M. <i>Carr de
+Montgeron</i><a name="FNanchor_201_201" id="FNanchor_201_201"></a><a href="#Footnote_201_201" class="fnanchor" title="Go to footnote 201.">[201]</a>, jure sur son salut, qu'il a vu des choses
+surnaturelles. Le gros livre qu'il a prsent au roi, cite des gurisons
+miraculeuses; aveugles-ns, boiteux, sourds, muets; appuy de
+certificats authentiques, signs par des gens de probit reconnue. La
+postrit aura de la peine croire, que plus de vingt mille mes aient
+donn dans toutes ces extravagances. Le lendemain de la clture du
+cimetire, on trouva ces vers:</p>
+
+<p class="poem">
+De par le roi, dfense Dieu<br />
+D'oprer miracle en ce lieu.<br />
+</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXXI_AISEE" id="LETTRE_XXXI_AISEE"></a>LETTRE XXXI.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 1732</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span>'<span class="smcap">ai</span>
+t encore trs-incommode; j'ai eu six jours la fivre, des
+douleurs effroyables dans tout le corps; je suis toujours fort oppresse
+et foible; les genoux et les mains me font mal. Je me trouve mieux
+aujourd'hui seulement, et je n'pargne pas les ports de lettres, tant
+persuade comme je le suis, Madame, de votre amiti et de votre bont
+pour moi. J'envoyai, tant encore bien malade, chez M. <i>S....</i> le prier
+de venir me voir, voulant lui demander de vos nouvelles, et qu'il vous
+donnt des miennes. On ne me permit pas de lui parler, dont j'tois
+outre. Il est venu aujourd'hui; il m'a appris le mariage de
+mademoiselle <i>Ducrest</i> avec M. <i>Pictet</i>. Ah! le bon pays que vous
+habitez, o l'on se marie, quand on s'est aim, et quand on s'aime
+encore. Plt Dieu qu'on en ft autant ici! Faites-leur, s'il vous
+plat, mes complimens de flicitation. M. <i>S....</i> m'a dit que vous vous
+portiez assez bien, et que vous tiez votre campagne, o vous vous
+amusiez. Je me ressouviendrai toujours de tous les plaisirs que j'y ai
+gots. Madame <i>de Ferriol</i> revient de Sens, o elle a t trs-malade,
+d'une indigestion des plus dangereuses; elle est heureusement mieux;
+mais si j'avois le malheur de la perdre, et que je lui survcusse,
+srement vous me verriez tablie Pont-de-Vesle. Si je suis un peu
+mieux, j'irai Ablons: le changement d'air pourroit contribuer au
+rtablissement de ma sant.</p>
+
+<p>J'ai une tabatire admirable, que madame <i>de Parabre</i> m'a donne, et
+que je voudrois bien vous faire voir; car quand j'ai quelque chose de
+joli, je souhaiterois bien qu'il et votre approbation; c'est une bote
+de jaspe sanguin, d'une beaut parfaite, monte en or par tout ce qu'il
+y a de plus habile; la forme en est charmante. Elle l'avoit depuis cinq
+ six ans, et l'autre jour, elle en parloit comme d'une bote favorite.
+Je dis malheureusement qu'elle toit la mienne, que je n'avois jamais vu
+un bijou de meilleur got. Sur cela il n'y a ni prires, ni perscutions
+qu'elle ne m'ait faites pour me la faire prendre; elle me menaa de la
+donner au premier venu, si je la refusois: cette bote vaut plus de cent
+pistoles. Elle m'entretient, il n'y a point de semaines qu'elle ne me
+fasse quelque prsent, quelque soin que je prenne de l'viter: je file
+un meuble, elle m'envoie de la soie, afin que je n'en achte pas; elle
+ne m'a vu cet t que de vieilles robes de taffetas de l'anne
+prcdente, j'en ai trouv une sur ma toilette, de taffetas broch,
+charmant; une autre fois, c'est une toile peinte. En un mot, si cela est
+agrable d'un ct, cela est charge de l'autre. Elle a une amiti et
+une complaisance pour moi, telle qu'on l'auroit pour une s&#339;ur chrie.
+Pendant ma maladie, elle quittoit tout, pour venir passer des journes
+auprs de moi; enfin, elle ne veut pas que j'en puisse aimer d'autres
+plus qu'elle, hors le chevalier et vous: elle dit qu'il est juste, de
+toute faon, que vous ayez la prfrence, et nous parlons souvent de
+vous. Je lui ai donn une grande ide de mon amie, et telle qu'elle la
+mrite. Plt Dieu qu'elle vous ressemblt, et qu'elle et
+quelques-unes de vos vertus! Elle est de ces personnes que le monde et
+l'exemple ont gtes, et qui n'ont point t assez heureuses pour
+s'arracher au dsordre. Elle est bonne, gnreuse, a un trs-bon c&#339;ur;
+mais elle a t abandonne l'amour, et elle a eu de bien mauvais
+matres. Adieu, Madame; aimez-moi toujours un peu, et croyez que
+personne ne vous est plus tendrement, ni plus respectueusement attach.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXXII_AISEE" id="LETTRE_XXXII_AISEE"></a>LETTRE XXXII.</h3>
+
+<p class="date">Paris, novembre 1732</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> ne vous cris que deux mots, Madame, parce que mes forces sont bien
+diminues. J'ai t oblige d'crire une assez longue lettre d'affaires;
+mais je n'ai pas voulu tarder vous donner de mes nouvelles. Je ne
+doute point de vos bonts pour moi, et que vous seriez en peine, si vous
+tiez plus long-temps sans en recevoir; j'ai moins de fivre depuis
+trois jours, et suis un peu moins foible. Je suis presque toujours sur
+un lit, et quand je me lve, je me mets sur un canap. Je prends du lait
+qui passe assez bien. Si cela pouvoit ne pas aller plus mal pendant une
+quinzaine de jours, <i>Silva</i> auroit de l'esprance; ma maladie me ruine,
+et l'avarice est devenue sordide. Si cela continue, nous verrons le
+second volume de madame <i>Tardieu</i>, qui se faisoit des jupons des thses
+que l'on donnoit son mari. Je vous parlerai dans quelque temps plus
+amplement sur l'tat de mon me. J'espre que vous serez contente: il
+faut pourtant que je vous dise que rien n'approche de l'tat de douleur
+et de crainte o l'on est: cela vous feroit piti; tout le monde en est
+si touch, que l'on n'est occup qu' le rassurer. Il croit qu' force
+de libralits, il rachtera ma vie; il en donne toute la maison,
+jusqu' ma vache, qui il a achet du foin; il donne l'un de quoi
+faire apprendre un mtier son enfant; l'autre, pour avoir des
+palatines et des rubans; tout ce qui se rencontre et se prsente
+devant lui: cela vise quasi la folie. Quand je lui ai demand quoi
+tout cela toit bon, il m'a rpondu obliger tout ce qui vous
+environne avoir soin de vous. Pour moi, il n'y a sorte de tourment,
+de perscution qu'il ne me fasse prouver pour me faire accepter cent
+pistoles; il a eu recours mes amis, pour me le persuader; enfin, il me
+les a fallu prendre; mais je les ai remises une personne qui les lui
+rendra aprs ma mort. Assurment, je n'y toucherai point; je demanderai
+plutt l'aumne que de ne pas les rendre. Je vous ferois rire, si je
+vous contois les frayeurs qu'il a que je ne parle; <i>Silva</i> me l'a
+dfendu sous peine de mort. Ma pauvre <i>Sophie</i>, comme vous le jugez
+bien, ne me quitte ni jour, ni nuit. Cet homme-l la mettroit dans son
+c&#339;ur, s'il pouvoit; il est outr de n'oser lui donner de l'argent; il
+tourne autour du pot; il trouve cependant quelques expdiens. Si vous le
+connoissiez, vous en seriez tonne; car il est naturellement distrait,
+et ne connot point les petits soins: pour la gnrosit, elle est au
+souverain degr; il se donne la torture pour trouver des moyens de
+donner, et il finit toujours par vouloir donner de l'argent; il frappe
+du pied, et se lamente de n'avoir point d'invention; il envie
+l'imagination du tiers et du quart, qui savent imaginer des
+galanteries; enfin, il retourne son quartier, et j'aurai la libert de
+parler; les femmes ne peuvent s'en passer, et je l'prouve. Adieu,
+Madame, votre <i>Ass</i> vous aime au-del de l'expression. Vous la trouvez
+trop sensible et trop peu dtache; mais qu'il est difficile d'teindre
+une passion aussi violente, et qui est entretenue par le retour le plus
+tendre, le plus vif et le plus flatteur! Mais, Madame, les efforts que
+je fais, aids de la grce, me feront surmonter toutes mes foiblesses.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXXIII_AISEE" id="LETTRE_XXXIII_AISEE"></a>LETTRE XXXIII.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 1732</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">O</span><span class="smcap">n</span> dit que je suis mieux: non que je trouve du soulagement; je crache
+des horreurs, et je ne dors que par art; je suis tous les jours plus
+maigre et plus foible. Le lait commence, non pas me dgoter, car je
+le prends toujours avec plaisir, mais il me surcharge. Je ne puis dire
+que l'tat de mon corps soit bien douloureux; car je ne souffre presque
+pas: un peu d'oppression et des malaises. D'ailleurs, je n'ai point de
+ces maladies aigus. Je me trouve anantie. Pour les douleurs de l'me,
+elles sont cruelles. Je ne puis vous dire combien me cote le sacrifice
+que je fais: il me tue; mais j'espre en la misricorde de Dieu; il me
+donnera des forces. On ne peut le tromper; ainsi, comme il sait ma bonne
+volont et tout ce que je sens, il me tirera d'embarras. Enfin, mon
+parti est pris: aussitt que je pourrai sortir, j'irai rendre compte de
+mes fautes. Je ne veux aucune ostentation, et je ne changerai que
+trs-peu de chose ma conduite extrieure. J'ai des raisons pour en
+agir avec tout le secret du monde: premirement pour madame <i>de
+Ferriol</i>, qui me feroit tourner la tte pour un directeur moliniste; et
+madame <i>de Tencin</i>, qui intrigueroit pour cela. D'ailleurs, madame iroit
+de maison en maison ramasser toutes les dvotes de profession qui
+m'accableroient; et, outre tout cela, j'ai des mnagemens garder avec
+qui vous savez. Il m'a parl l-dessus avec toute la raison et l'amiti
+possibles. Tous ses bons procds, sa faon dlicate de penser, m'aimant
+pour moi-mme, l'intrt de la pauvre petite, qui on ne pourroit
+donner un tat: tout cela m'engage beaucoup de mnagement avec lui.
+Mes remords, depuis long-temps, me tourmentent; l'excution me
+soutiendra. Si le chevalier ne me tient pas ce qu'il m'a promis, je ne
+le verrai plus. Voil, Madame, mes rsolutions, que je tiendrai. Je ne
+doute pas qu'elles n'abrgent ma vie, s'il en faut venir aux extrmits.
+Jamais passion n'a t si violente, et je puis dire qu'elle est aussi
+forte de son ct. Ce sont des inquitudes et des agitations si vraies,
+si touchantes, que cela fait venir les larmes aux yeux tous ceux qui
+en sont tmoins. Adieu, Madame, je me flatte, comme vous voyez, en vous
+contant tout cela, de vos bonts et de votre indulgence. Mais soyez
+persuade que, si votre <i>Ass</i> vit, elle se rendra digne d'une amiti
+dont elle sent bien tout le prix.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXXIV_AISEE" id="LETTRE_XXXIV_AISEE"></a>LETTRE XXXIV.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 1733</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">V</span><span class="smcap">ous</span> m'avez ordonn de vous donner souvent de mes nouvelles. J'obis de
+bon c&#339;ur; car il n'y a rien dans le monde que je rvre, que j'estime et
+que j'honore autant que vous. Rien ne m'empche de me livrer ce
+got-l: il est innocent, il est juste. Comment n'aimerois je pas
+quelqu'un qui m'a appris connotre la vertu, et qui a fait ses efforts
+pour me la faire pratiquer; qui a balanc en moi la passion la plus
+forte? Enfin, Madame, soyez rcompense de vos bonnes &#339;uvres. Je me
+rends mon crateur; je travaille de trs-bonne foi me dfaire de ma
+passion, et je suis trs-rsolue abandonner mes erreurs. Si vous
+perdez la personne du monde qui vous est le plus attache, songez que
+vous avez travaill la rendre heureuse dans l'autre vie. Aprs vous
+avoir parl des dispositions de mon me, je vous rendrai compte de
+l'tat de mon corps. Je continue de cracher, de tousser et de maigrir.
+Le lait passe assez bien; mais il ne fait pas les progrs que, depuis
+prs de deux mois, il devoit faire. Je viens de me ressouvenir qu'une
+religieuse des Nouvelles-Catholiques de mon ge, et pour laquelle
+j'avois beaucoup d'amiti, est morte de la mme maladie. Cette ide de
+la mort m'afflige moins que vous ne pensez. Je me trouve trop heureuse
+que Dieu m'ait fait la grce de me reconnotre, et je vais travailler
+mettre profit le temps qui me reste. Aprs tout, ma chre amie, un peu
+plutt, un peu plus tard, qu'est-ce que la vie? Personne ne devoit tre
+plus heureuse que moi, et je ne l'tois point. Ma mauvaise conduite
+m'avoit rendue misrable: j'ai t le jouet des passions, emporte et
+gouverne par elles. Mes remords, les chagrins de mes amies, leur
+loignement, une sant presque toujours mauvaise; enfin personne ne sait
+mieux que vous, Madame, combien une vie douloureuse est pnible. Adieu,
+chre amie, aimez-moi, et priez pour le repos de mon me, soit en ce
+monde ou en l'autre. J'embrasse mesdames vos filles.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXXV_AISEE" id="LETTRE_XXXV_AISEE"></a>LETTRE XXXV.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 1733</p>
+
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span>'<span class="smcap">ai</span>
+reu cet aprs-midi votre lettre, Madame, qui m'a donn un vrai
+plaisir. Ma sant est toujours de mme; et la saison est trs-peu propre
+pour attendre des succs des remdes. Vous me demandez si je suis
+change; je le suis trs-fort: mes yeux sont d'un gris brun jaune, le
+tour de ma bouche maigri et marqu, ple et abattue. Pour le corps, je
+n'ai plus que la peau et les os; si je mettois du rouge, cela me
+ranimeroit: la physionomie est moins change qu'elle ne devroit tre;
+mes lvres ne sont pas ples: en un mot, c'est une vilaine chose qu'un
+corps maigre. A l'gard de mon me, j'espre que dimanche prochain, elle
+sera dlivre de toutes ses impurets; je m'accuserai de toutes mes
+fautes. J'ai eu une scne bien touchante hier. Je vous envoie une copie
+d'une lettre que l'on m'a rendue en rponse d'une que j'avois crite,
+remplie de sentimens d'amiti, de dtachement et de ma rsolution. Comme
+on me la rendit soi-mme, je ne la lus pas sur-le-champ. Nous parlmes
+sur cette matire; vous auriez fondu en larmes aussi bien que nous; mais
+cette scne ne drange point mes projets, et on ne cherche pas les
+dranger. Vous serez tonne, quand je vous dirai que mes confidentes et
+les instrumens de ma conversion sont mon amant, mesdames <i>de Parabre</i>
+et <i>du Deffant</i>, et que celle dont je me cache le plus, c'est celle que
+je devrois regarder comme ma mre. Enfin, madame <i>de Parabre</i> l'emmne
+dimanche, et madame <i>du Deffant</i> est celle qui m'a indiqu le P.
+<i>Bourceaux</i>, dont je ne doute pas que vous n'ayez entendu parler; il a
+beaucoup d'esprit, bien de la connoissance du monde et du c&#339;ur humain;
+il est sage, et ne se pique point d'tre un directeur la mode. Vous
+tes surprise, je le vois, du choix de mes confidentes; elles sont mes
+gardes, et sur-tout madame <i>de Parabre</i> qui ne me quitte presque point,
+et a pour moi une amiti tonnante; elle m'accable de soins, de bonts
+et de prsens. Elle, ses gens, tout ce qu'elle possde, j'en dispose
+comme elle, et plus qu'elle; elle se renferme chez moi toute seule et se
+prive de voir ses amis; elle me sert sans m'approuver, ni me
+dsapprouver, c'est--dire, elle m'a coute avec amiti, m'a offert son
+carrosse pour envoyer chercher le P. <i>Bourceaux</i>, et comme je vous l'ai
+dit, elle emmne madame <i>de Ferriol</i>, pour que je puisse tre
+tranquille; madame <i>du Deffant</i>, sans avoir ma faon de penser, m'a
+propos elle-mme son confesseur; je ne doute point que ce qui se passe
+sous leurs yeux ne jette quelqu'tincelle de conversion dans leur me.
+Dieu le veuille! Adieu, madame: j'ai tant de joie causer avec vous,
+que je ne puis vous quitter. Hlas! il faudra bien.</p>
+
+<p class="c"><i>Lettre du Chevalier mademoiselle</i> <span class="smcap">Ass.</span></p>
+
+<p>Votre lettre, ma chre <i>Ass</i>, me touche bien plus qu'elle ne me
+fche; elle a un air de vrit, et une odeur de vertu laquelle je ne
+puis rsister; je ne me plains de rien, puisque vous me promettez de
+m'aimer toujours. J'avoue que je ne suis pas dans les principes o vous
+tes; mais, Dieu merci, je suis encore plus loign de l'esprit de
+proslytisme, et je trouve trs-juste que chacun se conduise suivant les
+lumires de sa conscience. Soyez tranquille, soyez heureuse, ma chre
+<i>Ass</i>, il ne m'importe des moyens: ils me parotront tous
+supportables, pourvu qu'ils ne me chassent pas de votre c&#339;ur. Vous
+verrez par ma conduite que je mrite vos bonts. Eh! pourquoi ne
+m'aimeriez-vous plus, puisque c'est votre sincrit, c'est la puret de
+votre me qui m'attache vous? Je vous l'ai dit mille fois, et vous
+verrez que je ne vous trompe pas; mais est-il juste que vous attendiez
+que les effets vous aient prouv ce que je dis, pour le croire? Ne me
+connoissez-vous pas assez pour avoir en moi cette confiance qu'inspire
+toujours la vrit aux gens qui sont capables de la sentir. Soyez, ds
+ce moment, persuade que je vous aime, ma chre <i>Ass</i>, aussi
+tendrement qu'il est possible, aussi purement que vous pouvez le
+dsirer; croyez sur-tout que je suis plus loign que vous-mme, de
+prendre jamais d'autre engagement. Je trouve qu'il ne doit rien manquer
+ mon bonheur, tant que vous me permettrez de vous voir, et de me
+flatter que vous me regarderez comme l'homme du monde qui vous est le
+plus attach. Je vous verrai demain, et ce sera moi-mme qui vous
+rendrai cette lettre. J'ai mieux aim vous crire que de vous parler,
+parce que je sens que je ne pourrois traiter avec vous la matire, sans
+perdre contenance. Je suis encore trop sensible; mais je ne veux tre
+que ce que vous voulez que je sois; et dans le parti que vous avez pris,
+il suffit de vous assurer de ma soumission et de la constance de mon
+attachement, dans tous les termes o il vous plaira de le rduire, sans
+vous laisser voir des larmes que je ne pourrois empcher de couler, mais
+que je dsavoue, puisque vous m'assurez que vous aurez toujours pour moi
+de l'amiti. J'ose le croire, ma chre <i>Ass</i>, non-seulement parce que
+je sais que vous tes sincre, mais encore parce que je suis persuad
+qu'il est impossible qu'un attachement aussi tendre, aussi fidle, aussi
+dlicat que le mien, ne fasse pas l'impression qu'il doit faire sur un
+c&#339;ur comme le vtre.</p>
+
+
+
+<p class="tete">/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\</p>
+
+<h3><a name="LETTRE_XXXVI_AISEE" id="LETTRE_XXXVI_AISEE"></a>LETTRE XXXVI.</h3>
+
+<p class="date">Paris, 1733</p>
+
+<p class="non"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> ne puis causer long-temps avec vous aujourd'hui; mais je vous dirai
+ce qui mettra le comble vos souhaits; j'ai, Dieu merci, excut ce que
+je vous avois mand, je suis comble; ma tranquillit n'est plus que
+trop grande; car je ne me sens pas assez repentante de mes fautes; mais
+je suis dans la ferme rsolution de ne plus succomber, si Dieu ne me
+retire pas sitt lui. Je ne souhaite plus la vie que pour remplir mes
+devoirs, et me conduire d'une faon qui puisse mriter la misricorde de
+ce bon pre. Il y aura demain huit jours que le Pre <i>Bourceaux</i> a reu
+ma confession. La dmarche que j'ai faite a donn mon me un calme que
+je n'aurois point, si j'tois reste dans mes garemens; j'aurois avec
+l'objet d'une mort prsente, les remords, qui m'auroient rendue bien
+malheureuse dans ces derniers instans: je suis dans un tel tat de
+foiblesse, que je ne puis sortir de mon lit; je m'enrhume tous les
+momens. Mon mdecin a pour moi des attentions tonnantes, il est mon
+ami, je suis bienheureuse en tout: tout ce qui est autour de moi, me
+sert avec affection: la pauvre <i>Sophie</i> a des soins tonnans de mon
+corps et de mon me; elle m'a donn de si bons exemples, qu'elle m'a
+presque force devenir plus sage; elle ne m'a point prche; son
+exemple et son silence ont eu plus d'loquence que tous les sermons du
+monde; elle est afflige jusqu'au fond du c&#339;ur; elle ne manquera jamais
+de rien, quand elle m'aura perdue<a name="FNanchor_202_202" id="FNanchor_202_202"></a><a href="#Footnote_202_202" class="fnanchor" title="Go to footnote 202.">[202]</a>. Tous mes amis l'aiment beaucoup,
+et en auront soin. J'espre qu'elle n'en aura pas besoin. J'ai la
+consolation de lui laisser du pain. Je ne vous parle point du
+chevalier; il est au dsespoir de me voir aussi mal; jamais on n'a vu
+une passion aussi violente, plus de dlicatesse, plus de sentiment, plus
+de noblesse et de gnrosit. Je ne suis point inquite de la pauvre
+petite: elle a un ami et un protecteur, qui l'aime tendrement. Adieu, ma
+chre Madame, je n'ai plus la force d'crire. C'est encore pour moi une
+douceur infinie de penser vous; mais je ne puis m'occuper de cette
+joie, sans m'attendrir, ma chre amie. La vie que j'ai mene, a t bien
+misrable: ai-je jamais joui d'un instant de joie? je ne pouvois tre
+avec moi-mme, je craignois de penser; mes remords ne m'ont jamais
+abandonne depuis le moment o j'ai commenc ouvrir les yeux sur mes
+garemens. Pourquoi serois-je effraye de la sparation de mon me,
+puisque je suis persuade que Dieu est tout bon, et que le moment o je
+jouirai du bonheur, sera celui o je quitterai ce misrable corps?</p>
+
+<p class="title top5">FIN.</p>
+
+<hr />
+
+<h3><a name="ERRATUM" id="ERRATUM"></a>ERRATUM IMPORTANT.</h3>
+
+<p class="non"><span class="letra">C</span>'<span class="smcap">est</span>
+d'aprs de faux renseignemens que dans cette dition et dans la
+prcdente, nous avons avanc que les lettres de mademoiselle <i>Ass</i>
+toient adresses madame <i>Saladin</i>, femme du rsident de Genve
+Paris. Au moment o l'on achevoit l'impression de ce recueil, nous avons
+appris que la personne qui mademoiselle <i>Ass</i> crivoit, toit madame
+<i>Calendrini</i>, de Genve, dont le mari avoit habit Paris pour ses
+affaires, et non pas pour celles de la rpublique. Ce fait est confirm
+par le passage d'une lettre de <i>Voltaire</i> M. <i>d'Argental</i>, (v. la
+<i>Correspondance gnrale</i> de <i>Voltaire</i>, tome 6, page 96 de l'dition de
+Kelh, in-12.) Le lecteur voudra donc bien substituer le nom de
+<i>Calendrini</i> ou <i>Calendrin</i>, comme l'crit <i>Voltaire</i>, au nom de
+<i>Saladin</i>, partout o ce dernier se trouve crit, soit dans la notice
+qui prcde les lettres de mademoiselle <i>Ass</i>, soit dans les lettres
+mmes.</p>
+
+
+<div class="footnotes"><h3><a name="NOTES" id="NOTES"></a>NOTES:</h3>
+<ol>
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_1_1" id="Footnote_1_1"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_1_1"><span class="label">[1]</span></a> <i>Voyez</i> le numro du journal <i>des Dbats</i> du 3 messidor an
+<span class="smcap">XIII</span>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_2_2" id="Footnote_2_2"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_2_2"><span class="label">[2]</span></a> Depuis plusieurs annes, on a runi aux Lettres de madame
+<i>de Svign</i> celles de mesdames <i>de Coulanges</i> et <i>de la Fayette</i>. Cette
+partie de notre collection fera un double emploi peu considrable pour
+ceux qui ont des ditions rcentes de madame <i>de Svign</i>; et ceux qui
+n'ont que des ditions antrieures, seront sans doute bien aises de
+pouvoir les complter au moyen de notre recueil.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_3_3" id="Footnote_3_3"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_3_3"><span class="label">[3]</span></a> Caractres de <i>La Bruyre</i>, chap. I<sup>er</sup>. <i>des Ouvrages de
+l'Esprit</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_4_4" id="Footnote_4_4"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_4_4"><span class="label">[4]</span></a> <i>Abrg Chronologique de l'Histoire de France</i>, tom. 3, p.
+846.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_5_5" id="Footnote_5_5"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_5_5"><span class="label">[5]</span></a> Lettre de madame <i>de Svign</i> madame <i>de Grignan</i>, du 8
+octobre 1679.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_6_6" id="Footnote_6_6"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_6_6"><span class="label">[6]</span></a> Cette phrase est une preuve que toutes les Lettres de
+madame <i>de Villars</i> madame <i>de Coulanges</i> n'ont pas t conserves;
+elle ne se trouve dans aucune de celles qui nous restent.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_7_7" id="Footnote_7_7"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_7_7"><span class="label">[7]</span></a> Lettre de madame <i>de Svign</i> madame <i>de Grignan</i>, du 28
+fvrier 1680.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_8_8" id="Footnote_8_8"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_8_8"><span class="label">[8]</span></a> Littralement, <i>prendre le soleil</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_9_9" id="Footnote_9_9"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_9_9"><span class="label">[9]</span></a> Gouverneur du Milanais, conseiller d'tat, prsident du
+conseil des ordres et grand cuyer de la reine.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_10_10" id="Footnote_10_10"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_10_10"><span class="label">[10]</span></a> Pre de la princesse <i>d'Harcourt</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_11_11" id="Footnote_11_11"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_11_11"><span class="label">[11]</span></a> C'est une espce de panier.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_12_12" id="Footnote_12_12"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_12_12"><span class="label">[12]</span></a> Coussin.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_13_13" id="Footnote_13_13"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_13_13"><span class="label">[13]</span></a> La marquise <i>del Carpio</i>, femme du marquis <i>de Liche</i>,
+alors ambassadeur Rome.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_14_14" id="Footnote_14_14"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_14_14"><span class="label">[14]</span></a> Apparitions.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_15_15" id="Footnote_15_15"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_15_15"><span class="label">[15]</span></a> Les ambassadrices d'Allemagne et de Danemarck.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_16_16" id="Footnote_16_16"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_16_16"><span class="label">[16]</span></a> Fille de madame <i>de Svign</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_17_17" id="Footnote_17_17"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_17_17"><span class="label">[17]</span></a> Donner ou faire place.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_18_18" id="Footnote_18_18"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_18_18"><span class="label">[18]</span></a> Franois, duc <i>de la Rochefoucauld</i>, prince <i>de
+Marsillac</i>, etc. auteur des <i>Maximes</i> et des <i>Mmoires</i>, etc. mort le 17
+mars 1680. Il a eu cinq garons et trois filles.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_19_19"
+id="Footnote_19_19"></a>
+<a title="Return to text." href="#FNanchor_19_19"><span class="label">[19]</span></a> Les quatre Rois sont:
+<br /><i>Charles-Quint</i>, Empereur.<br />
+<i>Philippe II.</i><br />
+<i>Philippe III.</i><br />
+<i>Philippe IV.</i></p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_20_20" id="Footnote_20_20"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_20_20"><span class="label">[20]</span></a> Le marquis <i>de Ligneville</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_21_21" id="Footnote_21_21"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_21_21"><span class="label">[21]</span></a> <i>Charlotte-Elisabeth</i> de Bavire, princesse palatine,
+seconde femme de <i>Monsieur</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_22_22" id="Footnote_22_22"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_22_22"><span class="label">[22]</span></a> M. et madame <i>de Villars</i> avoient tous deux 55 ans. Il
+mourut en 1698; elle en 1706.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_23_23" id="Footnote_23_23"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_23_23"><span class="label">[23]</span></a> Madame <i>de Coulanges</i> avoit pourtant 49 ans.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_24_24" id="Footnote_24_24"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_24_24"><span class="label">[24]</span></a> Le marchal son fils toit g de 28 29 ans.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_25_25" id="Footnote_25_25"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_25_25"><span class="label">[25]</span></a> Fille ane de <i>Henri II</i> et de <i>Catherine de Mdicis</i>,
+femme de <i>Philippe II</i>, roi d'Espagne. Elle mourut le 3 octobre 1568, en
+couche, non sans soupon de poison.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_26_26" id="Footnote_26_26"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_26_26"><span class="label">[26]</span></a> Fils de <i>Philippe II</i>, excut le 24 juillet 1568. Il
+avoit demand et obtenu la princesse <i>Elisabeth</i>; mais le roi, tant
+devenu veuf, la prit pour lui.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_27_27" id="Footnote_27_27"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_27_27"><span class="label">[27]</span></a> De la maison de Portugal.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_28_28" id="Footnote_28_28"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_28_28"><span class="label">[28]</span></a> Chteau royal de Sgovie.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_29_29" id="Footnote_29_29"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_29_29"><span class="label">[29]</span></a> Selon le proverbe, <i>que ce qui est violent ne dure pas</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_30_30" id="Footnote_30_30"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_30_30"><span class="label">[30]</span></a> Place publique de la ville de Lyon.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_31_31" id="Footnote_31_31"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_31_31"><span class="label">[31]</span></a> Franois <i>de Neuville</i>, marquis, puis duc <i>de Villeroi</i>,
+pair et marchal de France.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_32_32" id="Footnote_32_32"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_32_32"><span class="label">[32]</span></a> De la charge de grand-matre de la Garde-robe.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_33_33" id="Footnote_33_33"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_33_33"><span class="label">[33]</span></a> Chteau de la maison de <i>Villeroi</i>, quatre lieues de
+Lyon.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_34_34" id="Footnote_34_34"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_34_34"><span class="label">[34]</span></a> M. <i>de Louvois</i>, ministre.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_35_35" id="Footnote_35_35"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_35_35"><span class="label">[35]</span></a> A M. <i>de Corbinelli</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_36_36" id="Footnote_36_36"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_36_36"><span class="label">[36]</span></a> Le prince <i>d'Orange</i> fut oblig de lever le sige de
+Charleroi le 22 dcembre 1672.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_37_37" id="Footnote_37_37"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_37_37"><span class="label">[37]</span></a> Madame <i>de Coulanges</i> toit nice de la femme de M. <i>le
+Tellier</i>, depuis chancelier de France.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_38_38" id="Footnote_38_38"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_38_38"><span class="label">[38]</span></a> Charles <i>de Brancas</i>, pre de la princesse <i>d'Harcourt</i>,
+et chevalier d'honneur de la reine Anne <i>d'Autriche</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_39_39" id="Footnote_39_39"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_39_39"><span class="label">[39]</span></a> Madame <i>de Richelieu</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_40_40" id="Footnote_40_40"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_40_40"><span class="label">[40]</span></a> Capitaine des Gendarmes Dauphin.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_41_41" id="Footnote_41_41"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_41_41"><span class="label">[41]</span></a> M. <i>de Svign</i> toit guidon des Gendarmes Dauphin.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_42_42" id="Footnote_42_42"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_42_42"><span class="label">[42]</span></a> Tragdie de <i>Racine</i>, reprsente, pour la premire fois,
+en janvier 1673.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_43_43" id="Footnote_43_43"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_43_43"><span class="label">[43]</span></a> <i>De Retz</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_44_44" id="Footnote_44_44"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_44_44"><span class="label">[44]</span></a> Selon la manire de prononcer de madame <i>de Ludre</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_45_45" id="Footnote_45_45"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_45_45"><span class="label">[45]</span></a> Madame <i>de Svign</i> nommoit ainsi la fille de madame <i>de
+Grignan</i>, qui toit ne le 15 novembre 1670.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_46_46" id="Footnote_46_46"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_46_46"><span class="label">[46]</span></a> Madame <i>de Montespan</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_47_47" id="Footnote_47_47"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_47_47"><span class="label">[47]</span></a> Le roi.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_48_48" id="Footnote_48_48"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_48_48"><span class="label">[48]</span></a> M. <i>de Svign</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_49_49" id="Footnote_49_49"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_49_49"><span class="label">[49]</span></a> Madame <i>de Coulanges</i> toit cousine-germaine de M. <i>de
+Louvois</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_50_50" id="Footnote_50_50"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_50_50"><span class="label">[50]</span></a> Hros de roman.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_51_51" id="Footnote_51_51"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_51_51"><span class="label">[51]</span></a> Il toit question du mariage du marquis <i>de Grignan</i>,
+petit-fils de madame <i>de Svign</i>, avec mademoiselle <i>de Saint-Amant</i>,
+qu'il pousa peu de temps aprs.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_52_52" id="Footnote_52_52"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_52_52"><span class="label">[52]</span></a> Fille de madame <i>de Grignan</i>, depuis marquise <i>de
+Simiane</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_53_53" id="Footnote_53_53"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_53_53"><span class="label">[53]</span></a> Mort le 5 dcembre 1694, g de 64 ans.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_54_54" id="Footnote_54_54"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_54_54"><span class="label">[54]</span></a> Franois <i>de Clermont-Tonnerre</i>, vque et comte de
+Noyon.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_55_55" id="Footnote_55_55"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_55_55"><span class="label">[55]</span></a> L'abb <i>Testu</i> avoit fait des stances chrtiennes sur
+divers passages de l'criture et des Pres.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_56_56" id="Footnote_56_56"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_56_56"><span class="label">[56]</span></a> C'est--dire, le mariage du marquis <i>de Grignan</i> avec
+mademoiselle <i>de Saint-Amant</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_57_57" id="Footnote_57_57"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_57_57"><span class="label">[57]</span></a> Marie <i>Stuard</i>, fille de Jacques II, roi d'Angleterre, et
+femme de Guillaume III, roi d'Angleterre, lequel n'toit connu alors en
+France que sous le nom de prince <i>d'Orange</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_58_58" id="Footnote_58_58"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_58_58"><span class="label">[58]</span></a> Mort le 4 janvier 1695, g de 67 ans.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_59_59" id="Footnote_59_59"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_59_59"><span class="label">[59]</span></a> Morte le 7 janvier 1695.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_60_60" id="Footnote_60_60"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_60_60"><span class="label">[60]</span></a> M. <i>de Coulanges</i> appeloit madame <i>de Louvois</i> sa seconde
+femme.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_61_61" id="Footnote_61_61"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_61_61"><span class="label">[61]</span></a> Pour sa charge de capitaine des gardes du corps de S. M.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_62_62" id="Footnote_62_62"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_62_62"><span class="label">[62]</span></a> C'toit <i>M. de Coulanges</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_63_63" id="Footnote_63_63"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_63_63"><span class="label">[63]</span></a> Ce mariage ne se fit point. Mademoiselle <i>de Croissi</i> fut
+marie, en 1696, au marquis <i>de Bouzoles</i>; et le comte <i>de Tillires</i>
+pousa, en 1699, mademoiselle <i>du Gu de Bagnols</i>, nice de madame <i>de
+Coulanges</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_64_64" id="Footnote_64_64"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_64_64"><span class="label">[64]</span></a> De l'archevch de Cambrai.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_65_65" id="Footnote_65_65"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_65_65"><span class="label">[65]</span></a> Madame <i>de Svign</i> toit la marraine du chevalier <i>de
+Sanzei</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_66_66" id="Footnote_66_66"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_66_66"><span class="label">[66]</span></a> Cette lettre et la prcdente toient crites sur des
+feuilles volantes d'un trs-petit papier.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_67_67" id="Footnote_67_67"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_67_67"><span class="label">[67]</span></a> Le gouvernement de Bretagne fut donn feu M. le comte
+<i>de Toulouse</i>, et celui de Guyenne M. le duc <i>de Chaulnes</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_68_68" id="Footnote_68_68"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_68_68"><span class="label">[68]</span></a> M. <i>de Poissi</i> n'pousa point mademoiselle <i>de Beaumelet</i>,
+et ne se maria qu'en 1698 avee mademoiselle <i>de Varangeville</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_69_69" id="Footnote_69_69"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_69_69"><span class="label">[69]</span></a> L'abb <i>Duguet</i>, auteur de l'<i>Institution d'un Prince</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_70_70" id="Footnote_70_70"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_70_70"><span class="label">[70]</span></a> A cause de l'extrme dvotion de madame <i>de la Sablire</i>,
+ qui cette maison appartenoit auparavant.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_71_71" id="Footnote_71_71"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_71_71"><span class="label">[71]</span></a> Par le P. <i>de la Rue</i>, jsuite.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_72_72" id="Footnote_72_72"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_72_72"><span class="label">[72]</span></a> <i>Guillaume III</i>, roi d'Angleterre.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_73_73" id="Footnote_73_73"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_73_73"><span class="label">[73]</span></a> La marquise <i>de Grignan</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_74_74" id="Footnote_74_74"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_74_74"><span class="label">[74]</span></a> Le duc <i>du Lude</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_75_75" id="Footnote_75_75"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_75_75"><span class="label">[75]</span></a> L'abb <i>de Ranc</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_76_76" id="Footnote_76_76"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_76_76"><span class="label">[76]</span></a> Intendant de l'arme de Flandre.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_77_77" id="Footnote_77_77"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_77_77"><span class="label">[77]</span></a> Anne-Franoise <i>de Lomnie</i>, femme de Louis <i>Boucherat</i>,
+chancelier de France.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_78_78" id="Footnote_78_78"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_78_78"><span class="label">[78]</span></a> Allusion au pre <i>de la Chaise</i>, confesseur du roi.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_79_79" id="Footnote_79_79"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_79_79"><span class="label">[79]</span></a> Achilles <i>de Harlai</i>, premier prsident du parlement de
+Paris.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_80_80" id="Footnote_80_80"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_80_80"><span class="label">[80]</span></a> Madame <i>du Gu-Bagnols</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_81_81" id="Footnote_81_81"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_81_81"><span class="label">[81]</span></a> Franois <i>de Harlai de Chanvalon</i>, archevque de Paris,
+mort Conflans prs de Paris, le 6 d'aot 1698, g de 70 ans.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_82_82" id="Footnote_82_82"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_82_82"><span class="label">[82]</span></a> M. <i>de Fnlon</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_83_83" id="Footnote_83_83"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_83_83"><span class="label">[83]</span></a> C'toit le marchal <i>de Villeroi</i> qui commandoit l'arme
+en ce temps-l.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_84_84" id="Footnote_84_84"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_84_84"><span class="label">[84]</span></a> S&#339;ur de madame <i>de Montespan</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_85_85" id="Footnote_85_85"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_85_85"><span class="label">[85]</span></a> Allusion ces vers du <i>Menteur</i>: Mais, puisque nous voici
+dedans les Tuileries, Le sjour du beau monde et des galanteries.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_86_86" id="Footnote_86_86"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_86_86"><span class="label">[86]</span></a> Louis-Antoine <i>de Noailles</i>, vque de Chlons, depuis
+cardinal.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_87_87" id="Footnote_87_87"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_87_87"><span class="label">[87]</span></a> M. <i>de Sanzei</i>, neveu de M. <i>de Coulanges</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_88_88" id="Footnote_88_88"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_88_88"><span class="label">[88]</span></a> Marguerite <i>le Tellier</i>, fille du marquis <i>de Louvois</i>,
+ministre de la guerre.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_89_89" id="Footnote_89_89"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_89_89"><span class="label">[89]</span></a> Ce mariage ne se fit point avec mademoiselle <i>de
+Clrembault</i>, mais avec mademoiselle <i>de Duras</i>, fille du marchal de ce
+nom, en 1696.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_90_90" id="Footnote_90_90"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_90_90"><span class="label">[90]</span></a> Ce mariage ne se fit que le premier avril 1698.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_91_91" id="Footnote_91_91"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_91_91"><span class="label">[91]</span></a> Madame la comtesse <i>de Grignan</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_92_92" id="Footnote_92_92"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_92_92"><span class="label">[92]</span></a> Depuis marquise <i>de Simiane</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_93_93" id="Footnote_93_93"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_93_93"><span class="label">[93]</span></a> C'est l'occasion du mariage de mademoiselle <i>de
+Grignan</i>, qui devoit bientt pouser le marquis <i>de Simiane</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_94_94" id="Footnote_94_94"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_94_94"><span class="label">[94]</span></a> Louis-Marie-Armand <i>de Simiane de Gordes</i>, vque de
+Langres, mort le 21 novembre 1695.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_95_95" id="Footnote_95_95"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_95_95"><span class="label">[95]</span></a> Catherine <i>de Roug du Plessis-Bellire</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_96_96" id="Footnote_96_96"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_96_96"><span class="label">[96]</span></a> Nicolas-Charles <i>de Crqui</i>, marquis <i>de Blanchefort</i>,
+mort Tournai le 16 mars 1696, g de 27 ans.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_97_97" id="Footnote_97_97"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_97_97"><span class="label">[97]</span></a> Claude <i>de Longueil</i>, marquis <i>de Poissi</i> et <i>de Maisons</i>,
+prsident mortier au parlement de Paris.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_98_98" id="Footnote_98_98"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_98_98"><span class="label">[98]</span></a> Louise <i>de Fieubet</i>, mre de M. <i>de Poissi</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_99_99" id="Footnote_99_99"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_99_99"><span class="label">[99]</span></a> Elle fut marie, en 1699, au comte <i>de Tillires</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_100_100" id="Footnote_100_100"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_100_100"><span class="label">[100]</span></a> S&#339;ur de madame <i>de Montespan</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_101_101" id="Footnote_101_101"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_101_101"><span class="label">[101]</span></a> Pauline Adhmar <i>de Monteil</i>, marquise <i>de Simiane</i>, et
+petite-fille de madame <i>de Svign</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_102_102" id="Footnote_102_102"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_102_102"><span class="label">[102]</span></a> Madame <i>de Svign</i>, morte Grignan peu de jours
+auparavant.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_103_103" id="Footnote_103_103"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_103_103"><span class="label">[103]</span></a> De madame <i>de Svign</i>, grand'mre de madame <i>de
+Simiane</i>, et bonne amie de madame <i>de Coulanges</i>, morte depuis environ
+six semaines.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_104_104" id="Footnote_104_104"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_104_104"><span class="label">[104]</span></a> A cause de l'extrme tendresse de madame <i>de Svign</i>
+pour madame <i>de Grignan</i>, sa fille.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_105_105" id="Footnote_105_105"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_105_105"><span class="label">[105]</span></a> La princesse <i>de Savoie</i>, qui devoit tre dans peu
+duchesse <i>de Bourgogne</i>, est appele ici <i>la voisine</i> de madame <i>de
+Simiane</i>, parce qu'alors madame <i>de Simiane</i> demeuroit en Provence.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_106_106" id="Footnote_106_106"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_106_106"><span class="label">[106]</span></a> Il a dj t remarqu que M. <i>de Coulanges</i> appeloit
+madame <i>de Louvois</i> sa seconde femme.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_107_107" id="Footnote_107_107"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_107_107"><span class="label">[107]</span></a> A cause de la proximit du Pimont et de la Provence.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_108_108" id="Footnote_108_108"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_108_108"><span class="label">[108]</span></a> Dame d'honneur de madame la duchesse <i>de Bourgogne</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_109_109" id="Footnote_109_109"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_109_109"><span class="label">[109]</span></a> Madame <i>du Lude</i> n'avoit point d'enfans.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_110_110" id="Footnote_110_110"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_110_110"><span class="label">[110]</span></a> La mort de Charles II, roi d'Espagne, appela, par son
+testament, M. le duc <i>d'Anjou</i> la succession entire de la monarchie
+d'Espagne.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_111_111" id="Footnote_111_111"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_111_111"><span class="label">[111]</span></a> M. le duc <i>de Bourgogne</i> et M. le duc <i>de Berri</i>, aprs
+avoir accompagn le roi d'Espagne, leur frre, sur la frontire
+d'Espagne, firent le voyage de Provence.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_112_112" id="Footnote_112_112"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_112_112"><span class="label">[112]</span></a> <i>Philippe</i>, fils de France, frre unique de Louis XIV,
+mort Saint-Cloud le 9 de juin 1701, g de soixante ans et huit mois.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_113_113" id="Footnote_113_113"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_113_113"><span class="label">[113]</span></a> Louise-Marie <i>de la Grange d'Acquien</i>, femme du marquis
+<i>de Bthune</i>, et s&#339;ur de Marie-Casimire <i>de la Grange</i>, reine de
+Pologne.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_114_114" id="Footnote_114_114"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_114_114"><span class="label">[114]</span></a> Madame <i>de Bracciane</i> toit fort vieille.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_115_115" id="Footnote_115_115"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_115_115"><span class="label">[115]</span></a> Au combat de Chiari.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_116_116" id="Footnote_116_116"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_116_116"><span class="label">[116]</span></a> Allusion madame <i>de Bracciane</i>, qui, malgr son ge
+avanc, conduisoit la reine d'Espagne.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_117_117" id="Footnote_117_117"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_117_117"><span class="label">[117]</span></a> Marie-Antoinette <i>Servien</i>, morte le 26 janvier 1702.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_118_118" id="Footnote_118_118"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_118_118"><span class="label">[118]</span></a> Madame <i>de Simiane</i> n'avoit alors que 26 27 ans.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_119_119" id="Footnote_119_119"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_119_119"><span class="label">[119]</span></a> Armand-Jean <i>du Plessis</i>, duc <i>de Richelieu</i>, pousa en
+troisimes noces, le 20 mars 1702, Marguerite-Thrse <i>Rouill</i>, veuve
+du marquis <i>de Noailles</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_120_120" id="Footnote_120_120"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_120_120"><span class="label">[120]</span></a> Marie-Henriette <i>le Hardi</i>, fille unique du marquis <i>de
+la Trousse</i>, lieutenant-gnral des armes du roi, chevalier des ordres
+de sa majest, et de Marguerite <i>de la Fond</i>, toit veuve
+d'Amde-Alphonse <i>del Pozzo</i>, prince <i>de la Cisterne</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_121_121" id="Footnote_121_121"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_121_121"><span class="label">[121]</span></a> Terre situe en Provence, sur le bord de la mer, et qui
+appartenoit alors la maison <i>de Grignan</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_122_122" id="Footnote_122_122"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_122_122"><span class="label">[122]</span></a> Jeanne <i>de Brehan</i>, marquise <i>de Svign</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_123_123" id="Footnote_123_123"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_123_123"><span class="label">[123]</span></a> Prtre de l'Oratoire, d'un trs grand mrite, qui
+demeuroit au sminaire de Saint-Magloire.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_124_124" id="Footnote_124_124"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_124_124"><span class="label">[124]</span></a> De M. <i>de Saci</i>, de l'acadmie franoise.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_125_125" id="Footnote_125_125"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_125_125"><span class="label">[125]</span></a> Charles <i>d'Aubign</i>, gouverneur de Berri, chevalier des
+ordres du roi, frre de madame <i>de Maintenon</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_126_126" id="Footnote_126_126"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_126_126"><span class="label">[126]</span></a> Le combat d'Ekeren, donn le 30 juin 1704.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_127_127" id="Footnote_127_127"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_127_127"><span class="label">[127]</span></a> M. <i>de Catinat</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_128_128" id="Footnote_128_128"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_128_128"><span class="label">[128]</span></a> M. <i>de Catinat</i> s'toit retir Saint-Gratien dans le
+voisinage d'Ormesson.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_129_129" id="Footnote_129_129"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_129_129"><span class="label">[129]</span></a> Clbre prdicateur de l'Oratoire, depuis vque de
+Clermont.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_130_130" id="Footnote_130_130"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_130_130"><span class="label">[130]</span></a> Les mmoires dont il s'agit furent enfin imprims Paris
+en 1724, avec privilge; 2 vol. in-12, et sans doute aprs la mort du
+neveu de <i>Gourville</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_131_131" id="Footnote_131_131"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_131_131"><span class="label">[131]</span></a> A cause du marchal <i>de Catinat</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_132_132" id="Footnote_132_132"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_132_132"><span class="label">[132]</span></a> Lieutenant de roi de la Bastille.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_133_133" id="Footnote_133_133"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_133_133"><span class="label">[133]</span></a> La marquise <i>de Svign</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_134_134" id="Footnote_134_134"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_134_134"><span class="label">[134]</span></a> Marchal <i>de Catinat</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_135_135" id="Footnote_135_135"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_135_135"><span class="label">[135]</span></a> Le a fvrier.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_136_136" id="Footnote_136_136"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_136_136"><span class="label">[136]</span></a> Marie-Charlotte <i>de Romillei de la Chesnelaye</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_137_137" id="Footnote_137_137"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_137_137"><span class="label">[137]</span></a> Allusion au livre du marquis <i>de l'Hpital</i>, sur <i>les
+infiniment petits</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_138_138" id="Footnote_138_138"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_138_138"><span class="label">[138]</span></a> Jean-Franois-Paul <i>de Crqui</i>, duc <i>de Lesdiguires</i>,
+mort Modne le 6 octobre 1703, g de 25 ans.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_139_139" id="Footnote_139_139"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_139_139"><span class="label">[139]</span></a> A Ormesson.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_140_140" id="Footnote_140_140"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_140_140"><span class="label">[140]</span></a> Mademoiselle <i>de Montalais</i>, fille d'honneur de madame
+<i>Henriette-Anne d'Angleterre</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_141_141" id="Footnote_141_141"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_141_141"><span class="label">[141]</span></a> <i>Henriette-Anne d'Angleterre</i>, morte le 29 juin 1670.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_142_142" id="Footnote_142_142"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_142_142"><span class="label">[142]</span></a> <i>Elisabeth-Charlotte</i>, palatine du Rhin, que <i>Monsieur</i>,
+frre unique de <i>Louis XIV</i>, pousa en secondes noces le 21 novembre
+1671.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_143_143" id="Footnote_143_143"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_143_143"><span class="label">[143]</span></a> Gouvernante des enfans de <i>Monsieur</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_144_144" id="Footnote_144_144"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_144_144"><span class="label">[144]</span></a> <i>Marie-Louise le Loup de Bellenave</i>, veuve d'<i>Alexandre
+de Choiseul</i>, comte <i>du Plessis</i>; et remarie depuis <i>Ren Gillier de
+Puygarreau</i>, marquis <i>de Clrembault</i>, premier cuyer de <i>Madame</i>,
+duchesse d'<i>Orlans</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_145_145" id="Footnote_145_145"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_145_145"><span class="label">[145]</span></a> Madame <i>de Northumberland</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_146_146" id="Footnote_146_146"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_146_146"><span class="label">[146]</span></a> Gabrielle-Louise <i>de Saint-Simon</i>, duchesse <i>de
+Brissac</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_147_147" id="Footnote_147_147"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_147_147"><span class="label">[147]</span></a> Colombe <i>le Charron</i>, femme de Csar, duc <i>de Choiseul</i>,
+pair et marchal de France, et premire dame d'honneur de <i>Madame</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_148_148" id="Footnote_148_148"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_148_148"><span class="label">[148]</span></a> Il ne faut pas confondre l'abb <i>Testu</i>, dont il est
+parl dans ces lettres, avec un autre abb <i>Testu</i> qui avoit t
+aumnier ordinaire de <i>Madame</i>, et qui toit comme le premier de
+l'acadmie franoise: celui dont il s'agit toit un homme de beaucoup
+d'esprit et de trs-bonne compagnie.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_149_149" id="Footnote_149_149"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_149_149"><span class="label">[149]</span></a> Les religieuses du Calvaire ont leur voile baiss au
+parloir, except pour leurs proches parens, ou dans des cas
+particuliers.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_150_150" id="Footnote_150_150"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_150_150"><span class="label">[150]</span></a> Madame <i>de Schomberg</i> et madame <i>de Marans</i> toient
+loges dans la mme maison.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_151_151" id="Footnote_151_151"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_151_151"><span class="label">[151]</span></a> Terre de madame <i>de Svign</i>, en Bretagne.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_152_152" id="Footnote_152_152"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_152_152"><span class="label">[152]</span></a> C'est ce que madame <i>de Svign</i> appeloit <i>l'approbation
+de ses docteurs.</i></p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_153_153" id="Footnote_153_153"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_153_153"><span class="label">[153]</span></a> Frre du marchal <i>de Catinat</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_154_154" id="Footnote_154_154"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_154_154"><span class="label">[154]</span></a> Franois d'<i>Aubusson</i>, duc <i>de la Feuillade</i>; pair et
+marchal de France, gouverneur du Dauphin, et pre du dernier marchal
+de ce nom.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_155_155" id="Footnote_155_155"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_155_155"><span class="label">[155]</span></a> Tu au combat de Leuze, le 20 septembre 1691.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_156_156" id="Footnote_156_156"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_156_156"><span class="label">[156]</span></a> Derniers vers de la pompe funbre de <i>Voiture</i>, par
+<i>Sarrasin</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_157_157" id="Footnote_157_157"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_157_157"><span class="label">[157]</span></a> <i>L'enfer des femmes c'est la vieillesse</i>, disoit un jour
+le duc <i>de la Rochefoucauld</i> mademoiselle <i>de l'Enclos</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_158_158" id="Footnote_158_158"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_158_158"><span class="label">[158]</span></a> M. <i>Turretin</i>, professeur en histoire ecclsiastique
+Genve.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_159_159" id="Footnote_159_159"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_159_159"><span class="label">[159]</span></a> <i>Malherbe,</i> dans l'ode <i> la reine-mre, sur sa
+bien-venue en France.</i></p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_160_160" id="Footnote_160_160"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_160_160"><span class="label">[160]</span></a> Le grand <i>Cond</i> qui avoit t son amant.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_161_161" id="Footnote_161_161"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_161_161"><span class="label">[161]</span></a> Le comte <i>de Guiche</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_162_162" id="Footnote_162_162"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_162_162"><span class="label">[162]</span></a> <i>Saint-Evremont</i> toit n le premier avril 1613, et
+mademoiselle <i>de l'Enclos</i> en mai 1616; il avoit trois ans plus
+qu'elle.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_163_163" id="Footnote_163_163"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_163_163"><span class="label">[163]</span></a> Elle l'toit en effet. Le comte <i>de Grammont</i> ne mourut
+que le 10 janvier 1707, g de quatre-vingt-six ans.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_164_164" id="Footnote_164_164"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_164_164"><span class="label">[164]</span></a> M. le comte <i>de Grammont</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_165_165" id="Footnote_165_165"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_165_165"><span class="label">[165]</span></a> Guillaume, cardinal <i>Dubois</i>, archevque, duc de Cambrai,
+prince du Saint-Empire, premier ministre sous la rgence du duc
+<i>d'Orlans</i>, n le 6 septembre 1656, et mort Paris le 10 aot 1723,
+g de soixante-six ans, onze mois et quatre jours.
+</p><p>
+N'tant encore que l'abb <i>Dubois</i>, il fut envoy, en 1698, en
+Angleterre, pour quelque ngociation secrte de la cour de France avec
+celle de Londres.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_166_166" id="Footnote_166_166"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_166_166"><span class="label">[166]</span></a> M. l'abb <i>de Hautefeuille</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_167_167" id="Footnote_167_167"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_167_167"><span class="label">[167]</span></a> La duchesse <i>de Mazarin</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_168_168" id="Footnote_168_168"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_168_168"><span class="label">[168]</span></a> Sur la mort de madame la duchesse <i>de Mazarin</i>, morte
+Chelsey, prs de Londres, le 21 Juillet 1699, ge de 76 ans.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_169_169" id="Footnote_169_169"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_169_169"><span class="label">[169]</span></a> Ces lettres vont de l'anne 1725 l'ann 1733.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_170_170" id="Footnote_170_170"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_170_170"><span class="label">[170]</span></a> Ablons, campagne prs Paris.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_171_171" id="Footnote_171_171"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_171_171"><span class="label">[171]</span></a> Pont-de-Vesle, terre en Bourgogne.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_172_172" id="Footnote_172_172"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_172_172"><span class="label">[172]</span></a> Fils de madame de Ferriol.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_173_173" id="Footnote_173_173"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_173_173"><span class="label">[173]</span></a> Autre fils de cette dame.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_174_174" id="Footnote_174_174"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_174_174"><span class="label">[174]</span></a> Excellente actrice pour les pices de <i>Marivaux</i>. (<i>Note
+de M.</i> de Voltaire).</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_175_175" id="Footnote_175_175"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_175_175"><span class="label">[175]</span></a> Mademoiselle <i>Ass</i> se trompe. Il toit caissier de la
+compagnie de la mer du Sud, et il se retira en France avec la caisse; il
+y a vcu long-temps, avec plus de magnificence que de bonne rputation.
+(<i>G...</i>)</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_176_176" id="Footnote_176_176"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_176_176"><span class="label">[176]</span></a> La demoiselle en toit folle. Ce mariage s'est fait
+contre l'aveu des parens. (<i>Note de M.</i> de Voltaire).</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_177_177" id="Footnote_177_177"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_177_177"><span class="label">[177]</span></a> L'histoire est trs-vraie. (<i>Note de M.</i> de Voltaire).</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_178_178" id="Footnote_178_178"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_178_178"><span class="label">[178]</span></a> Madame <i>de Prie</i> toit trs-galante.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_179_179" id="Footnote_179_179"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_179_179"><span class="label">[179]</span></a> M. <i>d'Argental</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_180_180" id="Footnote_180_180"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_180_180"><span class="label">[180]</span></a> La fille de mademoiselle <i>Ass</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_181_181" id="Footnote_181_181"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_181_181"><span class="label">[181]</span></a> M. <i>Tronchin</i>, conseiller d'tat Genve.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_182_182" id="Footnote_182_182"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_182_182"><span class="label">[182]</span></a> <i>Martine</i>, Gnevois, envoy du Landgrave de Hesse,
+Paris.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_183_183" id="Footnote_183_183"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_183_183"><span class="label">[183]</span></a> Un parent vieux et riche dont madame <i>Saladin</i> devoit
+hriter.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_184_184" id="Footnote_184_184"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_184_184"><span class="label">[184]</span></a> M. <i>de Pont-de-Vesle</i>, lecteur du roi.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_185_185" id="Footnote_185_185"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_185_185"><span class="label">[185]</span></a> Prdiction qui s'est confirme. C'toit une femme de
+beaucoup de gnie, d'esprit, et trs-instruite. Elle parloit plusieurs
+langues; elle toit s&#339;ur du fameux milord <i>Bolingbrocke</i>. (<i>Note de M.</i>
+de Voltaire).</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_186_186" id="Footnote_186_186"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_186_186"><span class="label">[186]</span></a> L'archevque <i>de Tencin</i>, frre de madame <i>de Tencin</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_187_187" id="Footnote_187_187"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_187_187"><span class="label">[187]</span></a> M. <i>Bertie</i>, conseiller au parlement.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_188_188" id="Footnote_188_188"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_188_188"><span class="label">[188]</span></a> Gentilhomme provenal.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_189_189" id="Footnote_189_189"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_189_189"><span class="label">[189]</span></a> <i>Villars-Chandieu</i>, officier gnral en France, ayant un
+rgiment Suisse.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_190_190" id="Footnote_190_190"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_190_190"><span class="label">[190]</span></a> Le cardinal <i>de Fleury</i> imagina, sous de certains
+prtextes, de retrancher les rentes viagres. Cette opration ne fut pas
+faite impartialement; plusieurs trouvrent le moyen, avec de l'argent,
+d'en tre exempts.
+</p><p>
+(<i>Note de</i> M. de Voltaire).</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_191_191" id="Footnote_191_191"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_191_191"><span class="label">[191]</span></a> Le cardinal <i>de Tencin</i>, qui prsida le concile
+d'Embrun.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_192_192" id="Footnote_192_192"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_192_192"><span class="label">[192]</span></a> Le cardinal <i>de Tencin</i> et sa s&#339;ur.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_193_193" id="Footnote_193_193"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_193_193"><span class="label">[193]</span></a> Frre de M. <i>d'Argental</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_194_194" id="Footnote_194_194"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_194_194"><span class="label">[194]</span></a> <i>La Fresnaye</i>, amant de madame <i>de Tencin</i>, qui, dit-on,
+l'avoit ruin; il se tua dans son cabinet. Il disoit dans son testament,
+que s'il mouroit de mort violente, c'toit elle qu'on devoit en accuser:
+elle fut mise au chtelet, d'o elle sortit justifie.(<i>Note de M. de
+Voltaire</i>).</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_195_195" id="Footnote_195_195"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_195_195"><span class="label">[195]</span></a> Elle mourut entre mes bras, d'une inflammation
+d'entrailles; et ce fut moi qui la fis ouvrir. Tout ce que dit
+mademoiselle <i>Ass</i>, sont des bruits populaires qui n'ont aucun
+fondement. (<i>Note de l'criture mme de M. de Voltaire et signe de
+lui</i>).</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_196_196" id="Footnote_196_196"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_196_196"><span class="label">[196]</span></a> Le cardinal <i>de Tencin</i>, archevque de Lyon.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_197_197" id="Footnote_197_197"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_197_197"><span class="label">[197]</span></a> Sa petite fille, au couvent.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_198_198" id="Footnote_198_198"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_198_198"><span class="label">[198]</span></a> M. <i>de Bellegarde</i>, cadet sans fortune, fut ensuite en
+Pologne, o il pousa la s&#339;ur du marchal <i>de Saxe</i>, fille d'Aurore <i>de
+Konigsmark</i>. Rien de plus vrai. (<i>Note de M.</i> de Voltaire).
+</p><p>
+<i>Voltaire</i> a commis ici une petite erreur que nous allons rectifier. La
+femme qu'pousa M. <i>de Bellegarde</i>, toit bien s&#339;ur du marchal <i>de
+Saxe</i>, puisqu'ils avoient tous deux pour pre <i>Auguste II</i>, roi de
+Pologne; mais elle n'toit point fille d'Aurore <i>de Konigsmark</i>, la mre
+du marchal: la sienne toit une turque, dont <i>Auguste II</i> eut aussi un
+fils nomm le comte <i>de Rutowski</i>.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_199_199" id="Footnote_199_199"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_199_199"><span class="label">[199]</span></a> Capitaine aux Gardes Suisses.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_200_200" id="Footnote_200_200"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_200_200"><span class="label">[200]</span></a> M. <i>de Ferriol</i>, ambassadeur. <i>Aga</i>, mot turc qui
+signifie gardien.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_201_201" id="Footnote_201_201"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_201_201"><span class="label">[201]</span></a> M. <i>Carr de Montgeron</i>, conseiller au parlement.</p></li>
+
+<li class="footnote"><p><a name="Footnote_202_202" id="Footnote_202_202"></a><a title="Return to text." href="#FNanchor_202_202"><span class="label">[202]</span></a> <i>Sophie</i>, la mort de demoiselle <i>Ass</i>, s'est mise
+dans un couvent.</p></li>
+</ol>
+</div>
+<hr class="full" />
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Lettres de Mmes de Villars, de
+Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Ass, by Various and Ninon de L'Enclos and Charlotte-Elisabeth Ass and Marie-Madeleine Pioche de La Ver La Fayette
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LETTRES DE MMES DE VILLARS ***
+
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+(and you!) can copy and distribute it in the United States without
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+Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you
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+
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+*** START: FULL LICENSE ***
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+works. See paragraph 1.E below.
+
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+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
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+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ http://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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+This eBook, including all associated images, markup, improvements,
+metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be
+in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES.
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+Procedures for determining public domain status are described in
+the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org.
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+No investigation has been made concerning possible copyrights in
+jurisdictions other than the United States. Anyone seeking to utilize
+this eBook outside of the United States should confirm copyright
+status under the laws that apply to them.
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+Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for
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