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authorRoger Frank <rfrank@pglaf.org>2025-10-14 20:02:57 -0700
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+The Project Gutenberg EBook of Anatole, Vol. 1 (of 2), by Sophie Gay
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Anatole, Vol. 1 (of 2)
+
+Author: Sophie Gay
+
+Release Date: January 25, 2011 [EBook #35064]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ANATOLE, VOL. 1 (OF 2) ***
+
+
+
+
+Produced by Hélène de Mink and the Online Distributed
+Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was
+produced from images generously made available by the
+Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
+http://gallica.bnf.fr)
+
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+ Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par
+ le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été
+ conservée et n'a pas été harmonisée.
+
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+
+
+ ANATOLE.
+
+ TOME PREMIER.
+
+ _Tome I._
+
+
+
+
+ De l'Imprimerie de FIRMIN DIDOT.
+
+ _Se trouve aussi à Paris_,
+
+ {DELAUNAY, Libraire, Galerie de Bois, au Palais-Royal.
+ Chez {RENARD, rue de Caumartin, no 12.
+ {LAURENT-BEAUPRÉ, au Palais-Royal.
+
+
+
+
+ ANATOLE.
+
+ PAR L'AUTEUR
+
+ DE LÉONIE DE MONTBREUSE.
+
+ TOME PREMIER.
+
+ A PARIS,
+
+ CHEZ FIRMIN DIDOT, LIBRAIRE,
+ IMPRIMEUR DE L'INSTITUT DE FRANCE,
+ rue Jacob, no 24.
+
+ 1815.
+
+
+
+
+AU LECTEUR.
+
+
+Le fond de ce Roman est vrai; puissé-je l'avoir rendu vraisemblable
+par les détails, et assez intéressant dans l'ensemble pour mériter à
+ce dernier Ouvrage l'accueil indulgent dont le public a bien voulu
+honorer LÉONIE DE MONTBREUSE!
+
+
+
+
+ANATOLE.
+
+
+
+
+CHAPITRE PREMIER.
+
+
+«Eh bien, disait Richard, en brossant son habit de livrée, c'est
+donc après-demain que cette belle provinciale arrive?--Vraiment oui,
+répondit mademoiselle Julie, madame vient de m'ordonner d'aller
+visiter l'appartement qu'elle lui destine, pour savoir s'il n'y
+manque rien de ce qui peut être commode à sa belle-soeur; je crois
+qu'on aurait bien pu se dispenser de faire meubler à neuf tout ce
+corps-de-logis; madame de Saverny, accoutumée aux grands fauteuils
+de son vieux château, ne s'apercevra peut-être pas de tous les frais
+que madame a faits pour décorer son appartement à la dernière
+mode.--C'est donc une vieille femme?--Point du tout, elle a tout au
+plus vingt-deux ans; M. le comte est son aîné de plus de dix années,
+et madame la comtesse a bien au moins sept ou huit ans de plus que
+sa belle-soeur, puisqu'elle en avoue quatre.--Et cette parente
+a-t-elle un mari, des enfants, une gouvernante? Faudra-t-il servir
+tout ce monde-là?--Grace au ciel, elle est veuve; et je pense
+qu'elle est riche, car son mari était, je crois, aussi vieux que son
+château; et l'on n'épouse guère un vieillard que pour sa
+fortune.--Qui nous amène-t-elle ici?--Tout ce qu'il faut pour s'y
+établir, des gens, des chevaux; enfin, jusqu'à sa nourrice.--Ah!
+c'est un peu trop fort. Je sais ce que c'est que ces grosses
+campagnardes, qui se croient le droit de commander à toute la
+maison, parce qu'elles ont nourri leur maîtresse; ce sont de
+vieilles rapporteuses qui, sous prétexte de prendre les intérêts de
+leur cher nourrisson, vont leur raconter tout ce qui se dit ou se
+fait dans les antichambres; Lapierre est bien libre de se mettre au
+service de celle-là; quant à moi, je ne compte pas lui donner un
+verre d'eau.--Ah! tout cet embarras ne sera pas éternel, s'il est
+vrai que madame de Saverny soit aussi belle qu'on l'assure; ne
+savez-vous pas, Richard, que deux jolies femmes n'ont jamais demeuré
+bien long-temps ensemble?» Les remarques philosophiques de
+mademoiselle Julie furent interrompues par le retour du carrosse de
+madame de Nangis. Son entrée dans la cour de l'hôtel fut un signal
+qui remit chacun à son poste. Mademoiselle Julie s'enfuit dans le
+cabinet de toilette; Richard prit un paquet de lettres arrivées de
+la veille, et qu'un peu de négligence lui fesait remettre le
+lendemain à sa maîtresse. Et madame de Nangis les décacheta, en
+embrassant la petite Isaure, qui venait au-devant de sa mère avec
+tout le plaisir d'un enfant qui interrompt une leçon ennuyeuse, pour
+aller remplir un devoir amusant.
+
+«Ah! dit madame de Nangis, en s'adressant au chevalier d'Émerange,
+voici des nouvelles de Nevers. Ma belle-soeur arrive décidément
+jeudi. Je vous en préviens, chevalier, c'est une personne
+charmante.--A Nevers, peut-être?--Oui, monsieur, à Nevers, et
+par-tout; un joli visage, une belle taille, et beaucoup d'esprit,
+sont appréciés dans tous les pays.--Et c'est auprès de vous que
+madame de Saverny compte faire valoir tous ces avantages? Je la
+plains.--Vous me flattez aujourd'hui à ses dépens, reprit en
+souriant madame de Nangis, bientôt vous la louerez aux miens. Je
+vous connais; la beauté a sur vous un empire absolu; votre
+admiration pour elle va jusqu'au délire. C'est avec cet amour du
+beau en général, que vous avez trompé tant de jolies femmes qui
+se croyaient tendrement aimées, lorsqu'elles n'étaient que
+passionnément admirées.--En vérité, madame, je ne puis accepter
+l'honneur que vous me faites; car, non-seulement j'ai fort peu
+trompé, mais j'ai passé ma vie à l'être. Quant à l'admiration dont
+vous me faites un reproche, ce n'est pas ma faute si l'on m'y
+réduit.» Ces derniers mots furent accompagnés d'un regard que la
+comtesse ne voulut pas avoir l'air de comprendre; elle reporta ses
+yeux sur la lettre qu'elle tenait, en acheva la lecture, et dit:
+Elle écrit à ravir. Jugez-en vous-même, ajouta-t-elle, en donnant la
+lettre au chevalier, et convenez que vos Sévigné de Paris ne
+s'expriment pas mieux.--Cela n'est pas mal pour un style de
+province, répondit M. d'Émerange, après avoir lu; mais il n'y a pas
+grand mérite à écrire naturellement qu'on se promet beaucoup de
+bonheur à vivre auprès de vous. Que veut-elle dire en parlant de ses
+regrets, de son deuil, et de ce goût pour la retraite, qui nous
+annonce sûrement quelque grande passion?--Ses regrets sont pour ses
+vassaux et quelques amies d'enfance. Son deuil est celui qu'elle a
+pris à la mort de son mari. Et son goût pour la retraite n'est
+autre chose que l'ignorance des plaisirs du grand monde. Élevée au
+couvent, où son père desirait la voir cloîtrée pour toujours, elle
+n'en est sortie que pour épouser, sans dot, le marquis de Saverny.
+C'était un vieillard aimable quoiqu'infirme. Un jour, mon beau-père
+lui fit part du projet qu'il avait de sacrifier l'existence de sa
+fille à la fortune de son fils. Cet usage, très-commun alors dans
+les familles, rendait le fils aîné possesseur de tous les revenus,
+et le mettait en état de soutenir dignement son rang à la Cour. M.
+de Saverny, après avoir vainement combattu la résolution de son ami,
+pour en détruire l'effet, demanda la main de la pauvre Valentine;
+et tout s'est arrangé pour le mieux. Après deux ans de soins et de
+résignation, elle est devenue la riche héritière d'un mari trop
+vieux pour être long-temps regretté; et M. de Nangis profite sans
+scrupule de l'injustice de son père.--Je vois que tout le monde
+s'est fort bien conduit dans cette affaire-là, le défunt sur-tout:
+son dernier procédé met le comble à mon estime.--Si vous saviez tout
+ce que sa mort a coûté de larmes aux beaux yeux de madame de
+Saverny, vous n'en parleriez pas si légèrement; elle en était encore
+bien affligée lorsque je la quittai l'été dernier, et cependant elle
+avait déjà porté plus de huit mois le deuil; je voulais alors
+l'emmener à Paris, elle s'y refusa, et je n'en pus obtenir que la
+promesse de venir s'établir ici à la fin de son deuil. Je vois avec
+plaisir qu'elle me tient parole. Sa présence me sera d'une grande
+ressource cet hiver, car je n'aime point à aller seule dans le
+monde, et encore moins à y suivre M. de Nangis, dont la gravité se
+croirait compromise, si l'on pouvait le soupçonner d'être quelque
+part pour son plaisir.--En effet, reprit le chevalier, je me suis
+souvent demandé quel avantage il trouvait à passer ainsi sa vie en
+dîners d'apparat et en visites de cérémonie.--Je n'ai pas le droit
+de médire de ses goûts, puisqu'il ne gêne pas les miens. Peut-être,
+s'il en avait d'autres, serions-nous moins heureux. Aussi n'ai-je
+jamais exigé qu'il me les sacrifiât. Il reçoit mes amis avec
+politesse, je m'ennuie des siens avec complaisance, et rien ne
+trouble la paix qu'établit cette douce réciprocité.» L'arrivée de M.
+de Nangis mit fin à cette conversation, que rien n'empêchait de
+continuer devant lui, mais qui aurait perdu ce charme de confiance,
+qui n'appartient qu'au tête-à-tête. Le chevalier, persuadé qu'un
+tiers est toujours importun, se retira en promettant de revenir le
+lendemain soir au concert, où madame de Nangis avait invité la
+moitié de Paris à venir entendre une virtuose nouvellement arrivée
+d'Italie.
+
+
+
+
+CHAPITRE II.
+
+
+Déja cinquante femmes richement parées décoraient les salons de
+madame de Nangis, tandis qu'un plus grand nombre d'hommes circulait
+autour d'elles, en leur adressant des compliments plus ou moins
+sincères sur leur parure ou leur beauté. Les artistes, qui devaient
+faire les délices de la soirée, paraissaient n'attendre qu'un mot
+de la maîtresse de la maison pour commencer le concert. Elle
+allait en donner le signal, lorsque la _prima donna_ s'avançant
+respectueusement vers elle, lui déclara, le plus poliment possible,
+que rien dans le monde ne lui ferait chanter une note, si son
+accompagnateur ordinaire n'était pas au piano. Madame de Nangis lui
+représenta vainement que plusieurs compositeurs d'un grand talent et
+fort habitués à tenir le piano, offraient de l'accompagner, si
+l'artiste appelé pour avoir cet honneur, et que sa réputation au
+concert de la reine semblait en rendre digne, ne lui inspirait pas
+de confiance. La célèbre cantatrice resta immuable dans sa volonté;
+et madame de Nangis fut réduite à donner l'ordre d'atteler ses
+chevaux pour faire courir après cet indispensable confident des
+intentions musicales de la signora de B... Cette petite discussion
+jeta l'alarme dans la brillante assemblée. A l'air d'humeur qui
+s'était peint sur le visage de madame de Nangis, et aux gestes
+multipliés de la Signora, qui semblaient tous dire: «Cela m'est
+impossible», on avait jugé qu'elle refusait de chanter. La
+désolation était générale; et les gens qui par goût attachaient le
+moins de prix à un grand air italien, paraissaient les plus
+inconsolables.
+
+Le chevalier d'Émerange fut député auprès de madame de Nangis, pour
+savoir s'il restait encore quelque espérance; il profita de cette
+occasion pour demander à la comtesse si sa belle-soeur était au
+nombre de toutes les jolies femmes qu'elle avait réunies.--Non, lui
+répondit-elle; si madame de Saverny était ici, vous l'auriez déja
+reconnue.--J'en ai peur, reprit le chevalier, car un chapeau de
+Nevers doit être assez reconnaissable dans ce salon-ci.--Vraiment,
+il ne serait pas plus ridicule que celui de madame de R.... Il faut
+que cette femme-là soit bien sûre de son esprit pour affubler ainsi
+son visage; voyez un peu que de gens s'empressent autour d'elle; et
+dites ensuite, que sans le bon goût et l'élégance, on ne saurait
+plaire!--Je le dirai toujours en vous voyant, dussé-je me battre
+avec tous les champions de la laideur de madame de R....--Madame de
+Nangis ne voulant pas répondre à cette flatterie, rappela au
+chevalier qu'il était attendu. Il l'avait oublié, et revint auprès
+des personnes qui l'avaient chargé de questionner la comtesse,
+en leur disant: «Soyez sans inquiétude, un léger incident retarde
+votre plaisir, mais vous allez l'entendre.--De qui parlez-vous?
+reprit, d'un air étonné, un de ceux à qui s'était adressé le
+chevalier.--Mais ne m'avez-vous pas dit de savoir si la signora B...
+se déciderait à chanter ce soir?--Ah! mille pardons, s'écria tout le
+monde, nous avions oublié votre extrême complaisance.--Et la
+cantatrice aussi, repartit le chevalier; cela ne m'étonne pas, on
+est toujours puni du tort de se faire attendre.--En effet, ces mêmes
+gens qui, un moment auparavant, semblaient désespérés de la crainte
+de ne pas entendre la voix de cette célèbre virtuose, étaient
+presqu'aussi contrariés de voir interrompre une conversation qui les
+amusait. C'est ainsi qu'en France les plaisirs de l'esprit passent
+avant tout.
+
+Madame de Nangis, bien convaincue de cette vérité, prévint toutes
+les causeries qui allaient s'établir, en réclamant l'attention
+générale en faveur d'un beau quatuor d'Haydn, qui fut aussi bien
+exécuté que mal écouté. Au quatuor l'on fit succéder la sévère
+sonate d'un pianiste allemand, qui commençait à assoupir
+l'assemblée, lorsque madame de Nangis s'écria, sans aucun égard pour
+le pauvre professeur;--Ah! voici M. Augustini.--C'était le nom de
+l'accompagnateur tant désiré; chacun le répéta tout haut, en
+félicitant madame de Nangis du bonheur d'avoir pu le rejoindre; et
+c'est au bruit de toutes ces félicitations, qu'expira le dernier
+accord de la sonate allemande, sans que personne songeât à en
+applaudir l'auteur. Madame de Nangis lui adressa seulement un de ces
+discours de maîtresse de maison, qui ne signifient rien, sinon qu'on
+veut se faire la réputation de dire un mot obligeant à toutes les
+personnes que l'on reçoit. Enfin, le moment de rendre justice au
+talent de la signora B... était arrivé, et madame de Nangis
+jouissait du plaisir de voir le but de sa soirée rempli. Elle
+n'était plus tourmentée de cette crainte si naturelle, d'avoir réuni
+tant de personnes pour les ennuyer. M. de Nangis aurait dû partager
+cette douce satisfaction; mais une inquiétude d'un autre genre
+l'agitait. La princesse de L... pour laquelle il avait long-temps
+réservé la meilleure place, venait d'arriver, et s'était assise sur
+la seule chaise qui se trouvait libre derrière plusieurs autres
+femmes. M. de Nangis souffrait le martyre, en voyant la princesse
+aussi mal placée, et maudissait l'impossibilité de lui offrir le
+siége d'une autre personne. Heureusement pour lui, madame de Nangis,
+encore plus touchée de la position penible où paraissait être son
+mari, que de celle de la princesse, interrompit la longue
+ritournelle du grand air italien, pour faire passer un fauteuil
+auprès d'elle, et y conduire la princesse de L...
+
+Tous ces dérangements importunaient au dernier point la signora B...
+et l'expression de sa physionomie n'en fesait pas mystère; mais
+l'enthousiasme qu'inspirèrent les premiers accents de sa belle voix,
+la rendirent plus patiente à souffrir les nouvelles contrariétés qui
+l'attendaient. Une des plus vives fut celle d'entendre sonner toutes
+les pendules des salons, au milieu du point d'orgue le mieux étudié;
+car pour les _bravo_ mal placés, et tous les signes d'une
+admiration souvent trop bruyante, son indulgence était extrême: on
+s'aperçoit si peu des inconvénients de ce qui flatte!
+
+Le bruit des applaudissements étant parvenu jusqu'aux antichambres,
+un domestique crut pouvoir profiter du moment où l'on ne chantait
+plus, pour aller prévenir la comtesse de l'arrivée de sa
+belle-soeur. Madame de Nangis l'attendait avec impatience depuis une
+semaine; et, dans tout autre instant, elle eût été charmée de courir
+au-devant d'elle pour l'embrasser; mais interrompre ainsi un grand
+concert par une scène de famille, lui paraissait une chose fort
+ridicule. Pour l'éviter, elle donna l'ordre que l'on conduisît
+madame de Saverny dans son appartement, et lui fit dire qu'elle
+irait la rejoindre, dès qu'elle pourrait s'échapper un moment.
+
+Au nom de la marquise de Saverny, la princesse de L... s'écria,
+«Quoi, c'est madame de Saverny qui vient d'arriver? Cette jolie
+femme qui était aux eaux de Vichy, l'année dernière, et qui
+m'a si bien reçue, lorsque ma voiture s'est brisée auprès de
+son château? Ah! rien ne saurait m'empêcher d'aller l'embrasser; où
+est-elle?»--Le domestique ayant répondu qu'en attendant les ordres
+de madame on avait fait entrer la marquise dans le petit boudoir, la
+princesse voulut s'y rendre à l'instant même, et madame de Nangis
+se trouva forcée de l'accompagner.
+
+Elles trouvèrent madame de Saverny un peu déconcertée de sa
+réception. Le bruit de sa voiture n'avait attiré personne. Parvenue
+dans les vestibules, il lui avait fallu traverser une haie de
+laquais avant d'arriver à l'appartement de la comtesse, et se
+disputer avec l'un d'eux, pour l'empêcher de l'annoncer à haute voix
+dans le sallon. Un autre, plus connaisseur, ayant remarqué avec
+dédain la simplicité de sa parure, et reconnu qu'elle n'était pas
+digne des honneurs du concert, l'avait fait passer mystérieusement
+dans le boudoir, en lui recommandant de ne pas faire le moindre
+bruit. Elle y était depuis un quart d'heure à méditer sur la
+différence de cette réception avec celle dont l'espérance l'avait
+occupée pendant toute sa route, lorsque la princesse vint se jeter
+dans ses bras, en lui prodiguant toutes les expressions de la plus
+tendre amitié. Madame de Nangis y joignit les témoignages de la
+sienne; mais tous ses soins à prouver combien elle était ravie du
+plaisir de revoir sa chère Valentine, dissimulaient faiblement
+l'impatience qu'elle éprouvait de retourner dans son salon. Madame
+de Saverny la devina bientôt, et supplia sa soeur de ne pas
+interrompre plus long-temps le concert; elle lui demanda la
+permission d'en attendre la fin dans son appartement; mais la
+princesse n'y voulut jamais consentir. «Madame la comtesse,
+dit-elle, ne souffrez pas qu'elle nous quitte ainsi. Il faut
+absolument qu'elle entende chanter madame B... C'est un plaisir
+qu'on ne peut remettre à un autre jour, puisqu'elle retourne
+incessamment en Italie.--Ah! madame, excusez-moi, reprit Valentine,
+je suis en habit de voyage.--Eh! que vous manque-t-il, interrompit
+la princesse, vous avez une robe de taffetas noir qui vous sied à
+merveille; avec cette collerette de blonde et ce chapeau de paille,
+vous êtes jolie comme un ange; allons, venez avec nous, ou bien
+restez, et je ne vous quitte pas.»
+
+Madame de Saverny résistait vainement aux instances de la
+princesse, un message de M. de Nangis, que l'absence de ces dames
+contrariait beaucoup, détermina Valentine à ne pas la prolonger plus
+long-temps. Elle sacrifia de bonne grace les intérêts de sa vanité
+au desir de ses deux amies, et se résigna à se montrer la moins
+parée de toutes les femmes brillantes de cette assemblée, sans se
+douter qu'elle en fût la plus belle.
+
+
+
+
+CHAPITRE III.
+
+
+«Quelle est cette Artemise? demanda une de ces personnes
+bienveillantes, que le mérite frappe rarement, mais que le ridicule
+choque toujours.--Je ne la connais pas, répondit une autre, mais à
+son costume économique, je présume que c'est une dame de compagnie
+de la princesse.--En effet, je lui trouve assez l'air de ces jeunes
+femmes qu'on élève pour être toujours de l'avis de leur princesse,
+pour finir un meuble de tapisserie, et jouer au besoin une sonate à
+quatre mains.--Vous en direz, mesdames, tout ce qu'il vous plaira,
+dit un troisième, mais cette femme-là a des traits admirables.--Des
+traits? Vraiment, vous êtes bien heureux de les découvrir à travers
+cet énorme chapeau; moi, je ne crois pas à la beauté des visages que
+l'on prend tant de soin de cacher.»--C'est ainsi que chacun donna
+son avis sur madame de Saverny, lorsqu'elle parut. Elle était pâle
+et fatiguée de son voyage; on la trouva sans fraîcheur. Sa robe
+n'était pas nouvelle, et il fut décidé qu'elle avait l'air
+provincial; du reste, on était sûr qu'elle manquait d'esprit et
+d'usage, car elle avait l'air étonné de tout, et ne parlait de rien.
+Dix minutes suffirent pour asseoir ce jugement, et le rendre
+irrévocable.
+
+M. d'Émerange lui-même, malgré toutes ses connaissances positives
+sur la beauté, ne fut pas exempt d'injustice envers celle de madame
+de Saverny. Les plus savants dans ce genre sont souvent dupes de la
+mode, et il en est peu d'assez courageux pour défendre les agréments
+d'une femme mal mise. Le chevalier reprocha à madame de Nangis de
+l'avoir trompé sur le compte de sa belle-soeur. «--Pour cette fois,
+lui dit-il, vous ne vous plaindrez pas de mon admiration, madame de
+Saverny ne me donnera jamais le tort de la partager entre vous
+deux.--N'en faites pas serment, reprit en souriant la comtesse.»--En
+ce moment M. de Nangis vint prendre le chevalier pour le présenter
+à sa soeur, comme un de ses amis les plus aimables. Valentine
+répondit avec grace aux choses froidement polies que lui adressa le
+chevalier; il fut d'abord séduit par le son de sa voix, et, sans
+trop écouter ce qu'elle disait, il remarqua les plus belles dents et
+le plus gracieux sourire. Mais il garda le secret de cette
+découverte, et n'osa pas démentir son premier jugement.
+
+Cependant un sentiment de curiosité le rapprocha de madame de
+Saverny. Placé entre elle et la princesse de L..., il observa que
+Valentine écoutait la musique en personne de goût; et, dans ce qu'il
+put entendre de ses réponses à la princesse, il reconnut un choix
+d'expressions élégantes et simples, qu'on rapporte assez rarement de
+la province. Le collier de madame de Nangis s'étant dénoué,
+Valentine ôta ses gants pour le rattacher, et laissa voir un bras
+charmant. Le chevalier n'en fut pas moins de l'avis de tous ceux qui
+se refusaient à la trouver belle. Cependant lorsque le concert
+finit, et que madame de Nangis vint accompagnée de plusieurs jolies
+femmes, le supplier de chanter quelques-unes des romances qu'il
+avait mises à la mode, il parut ne céder qu'à leurs instances; mais
+le fait est que madame de Saverny fut la seule qui n'osât le prier,
+et qu'il ne chanta que pour elle.
+
+Un long séjour en Italie avait rendu M. d'Émerange fort bon
+musicien; il avait une voix agréable, et chantait avec goût. Sa
+prétention était de ne paraître attacher aucune importance à ses
+talents; mais, tout en ayant l'air de se croire fort indigne des
+applaudissements qu'on lui prodiguait, il ne pardonnait pas la
+critique. Malheur aux femmes qui trouvaient ses romances mauvaises,
+ou ses couplets mal rimés! on savait bientôt le nombre de tous leurs
+ridicules.
+
+Aucune des personnes qu'avait réunies madame de Nangis n'eut à
+craindre cette vengeance de la part du chevalier. L'enchantement fut
+général: chaque couplet offrait une application que ces dames
+interprétaient à leur gré. Celles que la flatterie du chevalier
+avait souvent honorées de ses éloges, croyaient se reconnaître dans
+tous les portraits de ses bergères, le reste se lisait dans ses
+yeux, et tous les amours-propres étaient satisfaits. Madame de
+Saverny, qui n'entendait rien à toutes ces finesses, trouva
+simplement que M. d'Émerange chantait bien; mais elle n'osa le lui
+dire, tant la simplicité de ce compliment aurait paru froide, en
+comparaison de l'exagération des éloges dont on se plaisait à
+l'accabler.
+
+Madame de Saverny ne savait pas encore combien le silence d'une
+seule personne peut gâter un succès. Elle aurait pu s'en apercevoir,
+si elle avait remarqué de quel air le chevalier répondait aux
+choses flatteuses que lui adressait madame de Nangis. Sa distraction
+et son mécontentement étaient visibles; il ne pardonnait point à une
+femme de province de ne pas être transportée du plaisir de
+l'entendre, et se disait: Il n'est pas douteux que cette belle veuve
+ait pour adorateur quelque petit gentilhomme des environs de son
+château, à qui elle a promis en partant de ne s'amuser de rien dans
+son absence; je suis sûr qu'elle va lui écrire demain que je l'ai
+ennuyée à périr, et s'en faire un mérite!» Cette réflexion inspira
+plus de dépit au chevalier que de dédain. Il décida bien que madame
+de Saverny devait être sotte et maussade; il ne lui en aurait même
+rien coûté pour le dire, mais il s'efforçait en vain de le penser;
+car l'amour-propre rend plus souvent injurieux qu'injuste.
+
+Cette soirée se termina pour Valentine, au moment où l'on vint
+annoncer le souper. Elle se retira dans l'appartement qui lui était
+destiné. Mademoiselle Julie l'y attendait pour lui offrir ses
+services, et donner, d'un ton protecteur, ses avis à la petite
+Antoinette, qui lui paraissait une femme-de-chambre bien peu au fait
+des grands intérêts de la toilette d'une jolie femme. Il est vrai
+qu'Antoinette coiffait mal, et laçait de travers, mais c'était bien
+la plus honnête et la plus jolie de toutes les jeunes filles de
+Saverny. Sa mère avait élevé Valentine, et Antoinette pouvait
+impunément mal habiller sa maîtresse, sans lui donner l'envie de la
+renvoyer. Cependant le séjour de Paris exigeait plus de soins; et
+mademoiselle Julie fut chargée par la marquise du choix d'une
+seconde femme-de-chambre, dont le premier devoir serait de bien
+traiter Antoinette.
+
+
+
+
+CHAPITRE IV.
+
+
+Il était neuf heures du matin, lorsque Valentine s'entendit
+réveiller par une petite voix qui lui disait assez bas: «Ma tante,
+dormez-vous?»--Ah! c'est toi, ma chère Isaure! viens, que je
+t'embrasse.--Je n'y vois pas, je vais appeler Antoinette pour ouvrir
+les volets.» A peine Antoinette est entrée, qu'Isaure est sur le lit
+de sa tante qui la serre dans ses bras.--Comme tu es grandie depuis
+six mois, chère enfant; regarde-moi un peu! Tu as les mêmes yeux que
+ton père!--Oh! cela n'est pas possible, ma tante, car M. d'Émerange
+me dit tous les jours que je suis jolie, parce que je ressemble à
+maman.--Ce monsieur peut avoir raison, mais il ne saurait empêcher
+que tu n'aies les yeux bleus de ton père; au reste, peu m'importe
+qu'ils soient noirs ou bleus. Si l'on te trouve déja quelque
+ressemblance avec ta mère, c'est que tu es probablement aussi bonne
+qu'aimable.--Je le crois bien; mon maître de piano est fort content;
+et mon papa dit que si je travaille toujours aussi bien, il me fera
+jouer l'année prochaine devant le monde.--L'année prochaine! mais tu
+seras bien jeune encore.--Pas si jeune, j'aurai sept ans. Miss
+Birton dit qu'à cet âge-là on n'est plus un enfant.--Qu'est-ce que
+c'est que miss Birton?--C'est une nouvelle gouvernante que maman m'a
+donnée pour m'apprendre l'anglais; mais je ne crois pas qu'elle
+reste long-temps ici; elle se plaint toujours.--Tu ne lui obéis
+peut-être pas assez?--Ce n'est pas cela qui la fâche; mais elle dit
+qu'on n'a point assez d'égards pour elle: par exemple, hier on ne
+l'a pas invitée au concert; et elle m'a grondée toute la soirée. Je
+pourrais bien la faire gronder aussi, moi, si j'allais répéter tout
+ce qu'elle disait hier de maman.--Ce serait une méchanceté dont
+j'espère qu'Isaure est incapable; c'est déja trop de me le dire.
+
+Tout en écoutant le bavardage de sa nièce, madame de Saverny
+s'habillait, et se disposait à se rendre chez sa belle-soeur pour
+s'informer de ses nouvelles; mais Isaure lui apprit que l'on
+n'entrait jamais chez sa mère avant midi, elle ajouta: Je vais voir
+si mon papa est dans son cabinet. Je le préviendrai de votre réveil,
+et nous viendrons déjeûner avec vous.
+
+Elle revint bientôt accompagnée de M. de Nangis, qui se livra tout
+entier au plaisir de revoir sa soeur. Il s'excusa de n'avoir pu le
+lui témoigner la veille. Mais elle devait savoir qu'un jour de
+réunion les étrangers passent avant tout. Il lui parla dans le plus
+grand détail des avantages qu'elle pourrait retirer de son séjour à
+Paris. Le premier de tous, à ses yeux, était de faire faire à sa
+soeur un grand mariage. Dans les idées de M. de Nangis, le bonheur
+n'était autre chose qu'un état brillant dans le monde; et c'est dans
+la franchise de son amitié, qu'il conseillait à sa soeur de tout
+sacrifier au projet d'un second établissement, digne de sa fortune.
+Valentine avait un sincère desir de se laisser diriger dans sa
+conduite par son frère. Elle rendait justice à ses bonnes qualités,
+à l'esprit d'ordre qui le caractérisait; mais elle se sentait
+incapable d'être heureuse d'un bonheur qu'il lui aurait choisi;
+leurs goûts étaient trop différents.
+
+Madame de Saverny, docile sur tous les petits intérêts de la vie,
+avait cependant une volonté immuable. On la voyait sans cesse
+soumettre ses projets, ses plaisirs, aux caprices de ses amis; mais
+aucun deux n'eût obtenu le sacrifice d'un de ses sentiments. Élevée
+dans la retraite la plus austère, elle avait appris à mépriser les
+joies et les tourments de la vanité. Les religieuses, chargées de
+son éducation, sachant que la volonté de son père la condamnait à
+vivre loin du monde, lui en avaient fait un tableau effrayant; à
+force de lui répéter que l'égoïsme et la perfidie dirigeaient toutes
+les actions des hommes, Valentine en avait conçu tout naturellement
+une sorte de défiance qui nuisait à son bonheur. L'assurance d'une
+sincère amitié lui semblait une politesse, l'éloge une flatterie, et
+le serment un mensonge. Cependant son ame tendre ne pouvait se
+passer d'affections vives. Mais la dévotion la plus exaltée les
+avait toutes concentrées, jusqu'au moment où M. de Saverny vint
+mériter son attachement et sa reconnaissance, et lui prouva qu'un
+homme, élevé dans de bons principes, peut se conserver vertueux au
+milieu du grand monde; mais soit faiblesse, ou prudence, il ne
+chercha point à détruire les préventions qui la rendaient souvent
+injuste envers les autres hommes. Peut-être avait-il prévu qu'en
+mettant son esprit à l'abri des dangers de la séduction, elle n'en
+aurait encore que trop à vaincre pour son coeur. Une longue habitude
+du monde avait démontré à M. de Saverny que le plus grand malheur
+d'une femme n'est pas de succomber au sentiment qu'elle éprouve,
+mais au caprice qu'elle inspire; et sa tendresse vraiment paternelle
+pour Valentine, avait voulu la préserver du malheur si commun d'être
+dupe de la vanité d'un fat ou de la légèreté d'un étourdi.
+
+
+
+
+CHAPITRE V.
+
+
+Les premiers jours qui suivirent l'arrivée de madame de Saverny à
+Paris, furent entièrement consacrés à des visites de famille que son
+frère avait exigées avant tout, et aux différentes emplettes des
+chiffons que madame de Nangis regardait comme l'absolu nécessaire
+d'une femme élégante. En personne qui n'a rien à redouter des succès
+d'une autre, elle se réjouissait de celui qu'obtiendrait Valentine,
+lorsqu'elle paraîtrait pour la première fois dans une grande
+assemblée, revêtue d'une parure brillante et recherchée, dont le
+bon goût attesterait les soins qu'y aurait apportés madame de
+Nangis, et le généreux plaisir qu'elle trouvait à montrer dans tout
+son éclat la beauté de sa soeur. On se tromperait, si l'on concluait
+d'après ce noble procédé, que madame de Nangis fût incapable
+d'envie: mais on est rarement jaloux de son ouvrage; et l'idée que
+Valentine lui devrait son triomphe, lui en fesait partager d'avance
+la gloire.
+
+Le moment d'en jouir fut fixé au jour que choisit la princesse de
+L... pour donner un grand bal. L'effet qu'y produisit la beauté de
+madame de Saverny alla fort au-delà de ce que s'en était promis sa
+belle-soeur. C'était, disait-on, la taille la plus svelte, le
+regard le plus séduisant, la tournure la plus gracieuse et la plus
+imposante. Les personnes dont l'esprit malin s'était épuisé en bons
+mots sur l'Artemise du concert de Madame de Nangis, restaient
+confondues, et ne pouvaient concevoir que le seul talisman d'une
+parure nouvelle eût eu le pouvoir d'opérer une semblable
+métamorphose. Leur malignité en était réduite à la triste ressource
+d'avouer que la marquise de Saverny était assez belle, mais d'une
+beauté insignifiante. Ceux qui ne l'avaient jamais vue, combattaient
+avec raison cet avis injurieux; et Valentine ne fut pas long-temps à
+s'apercevoir qu'elle était l'objet de l'attention générale. Sa
+modestie en souffrit d'abord un peu, mais son amour-propre jouit
+bientôt du plaisir d'être admirée; elle en devint plus agréable
+encore, car rien n'embellit comme la certitude de plaire. Tant
+d'hommages l'auraient peut-être un peu trop enivrée, si elle n'avait
+entendu dire à un homme qui passait auprès d'elle:--Je me méfie de
+ces Beautés si régulières; elles naissent ordinairement sans esprit,
+et la flatterie les rend stupides.--Cette phrase, et le ton de
+mépris qui l'accompagne, excitent la curiosité de Valentine; elle
+veut connaître la figure d'un censeur aussi sévère, se retourne, et
+voit un homme dont l'âge lui rappelle M. de Saverny, mais dont les
+yeux brillants et les traits marqués donnent à sa physionomie une
+expression dure qui inspire plutôt la crainte que la confiance. Pour
+se venger de la sentence qu'il vient de prononcer un peu trop haut
+contre elle, madame de Saverny se penche vers sa soeur, et lui
+demande comment on nomme ce monsieur si peu indulgent; c'est le
+commandeur de Saint-Albert, répond madame de Nangis, un original qui
+se croit le droit de tout fronder, parce qu'il est trop vieux pour
+s'amuser de rien. C'est par égard pour l'ambassadeur d'Espagne, dont
+il est l'intime ami, qu'on l'invite par-tout. Votre frère prétend
+que c'est un homme de beaucoup de mérite, il appelle son humeur de
+la fermeté, et sa rudesse de la franchise; moi qui ne fais aucun
+cas de ces vertus désagréables, je le reçois le moins possible.
+C'est dommage, reprit Valentine, vous l'auriez sûrement guéri de ses
+préventions.--Ces derniers mots parvinrent aux oreilles du
+commandeur, et lui firent soupçonner qu'il avait été entendu de
+madame de Saverny. Il en conclut qu'elle allait le prendre en
+horreur, et fut très-étonné de la voir empressée de causer avec lui,
+lorsque M. de Nangis vint lui en offrir l'occasion. Il fit la
+réflexion toute simple, que la marquise était bien aise de lui
+prouver la rigueur de son jugement contre les belles femmes. Il la
+trouva digne d'une exception, mais il se garda bien de lui en faire
+la confidence; son éloignement pour toute espèce de galanterie le
+rendait avare des éloges les plus mérités. Sous prétexte de ne point
+gâter les femmes, il parlait de leurs défauts avec une ironie
+dédaigneuse, qui le rendait redoutable; et quand on lui en faisait
+le reproche, il répondait que cette sévérité lui avait plus rapporté
+depuis qu'il était vieux, que tous les beaux sentiments de sa
+jeunesse. En effet, l'envie de se mettre à l'abri de ses épigrammes
+rendait beaucoup de femmes soigneuses envers lui, et lui donnait le
+droit de croire qu'on les captive plus par la crainte que par la
+soumission.
+
+Il était déja tard lorsque le chevalier d'Émerange, après avoir
+donné l'inquiétude de ne le pas voir, arriva enfin. Le plaisir de se
+faire attendre avait pour lui tant de charmes, qu'il manquait
+souvent à ses engagements, dans l'unique espérance de s'entendre
+raconter le lendemain avec quelle impatience on l'avait attendu.
+Pour cette fois, la présence de madame de Saverny avait occupé tout
+le monde, et l'absence du chevalier n'avait été remarquée que d'un
+petit nombre de personnes. En entrant dans le premier salon, il fut
+étourdi par les discours emphatiques des admirateurs de Valentine.
+Pour leur prouver qu'il ne partageait pas leur enthousiasme, et
+qu'il l'avait assez vue pour la bien juger, il affecta de rester
+fort long-temps avant d'entrer dans le salon où elle était, et ne
+parut s'y décider que dans l'intention d'aller saluer madame de
+Nangis; mais madame de Saverny eut son premier regard, et
+l'impression qu'elle produisit sur lui fut d'autant plus vive, qu'il
+s'efforça de la cacher. A peine eut-il l'air de l'apercevoir. Madame
+de Nangis qui commençait à être importunée des hommages que l'on
+prodiguait à sa soeur, sut bon gré au chevalier de cette négligence,
+et l'en récompensa en ne s'occupant que de lui. Il parut quelque
+temps ravi de cette préférence, mais quand il s'aperçut que madame
+de Saverny n'y prenait pas garde, et qu'elle semblait écouter avec
+intérêt la conversation du commandeur et de quelques autres
+personnes qui l'entouraient, il se fatigua de la gaîté de madame de
+Nangis, et s'éloigna d'elle.
+
+Un attrait irrésistible le ramena bientôt auprès de Valentine.
+Malgré toutes ses résolutions, il sentit le besoin de lui plaire, en
+forma le projet, et s'appliqua à étudier les moyens d'y parvenir.
+L'embarras n'était pas de se conformer à ses goûts, mais de les
+connaître; et le chevalier résolut de se servir de l'esprit de
+madame de Nangis, pour apprendre à captiver celui de Valentine; bien
+décidé à se faire les opinions et le caractère qui devaient le mieux
+séduire la femme auprès de laquelle il desirait le plus de réussir.
+
+
+
+
+CHAPITRE VI.
+
+
+Malgré les profits qu'y trouvait son amour-propre, Valentine ne
+pouvait se soumettre long-temps aux agitations d'une vie aussi
+dissipée. Elle pria sa soeur de la laisser disposer de ses matinées,
+qu'elle consacrait ordinairement à l'étude, et de la dispenser
+quelquefois de la suivre le soir dans ces grandes assemblées où
+l'ennui règne assez souvent; mais lorsque madame de Nangis se
+décidait à rester chez elle, Valentine se fesait un devoir de lui
+tenir compagnie, et de partager avec elle le soin de faire les
+honneurs de sa maison. M. d'Émerange, qui s'était aperçu de cette
+résolution, ne manquait pas de trouver quelques prétextes pour
+engager madame de Nangis à ne pas sortir. Tantôt il fesait trop
+froid, les spectacles étaient détestables, et d'ailleurs causait-on
+quelque part aussi bien que chez elle! Bonnes ou mauvaises, ces
+raisons étaient toutes accueillies; madame de Nangis les
+interprétait d'autant plus en sa faveur, que le chevalier redoublait
+de flatterie pour elle.
+
+Un soir que ces dames étaient presque seules, il les surprit à rire
+d'une visite fort ridicule qu'elles venaient de recevoir. «Je crois
+que c'est par égard pour moi, disait Valentine à sa soeur, que vous
+attirez chez vous ces sortes de caricatures. Vous pensez me rendre
+mes plaisirs de Nevers; eh bien! vous vous trompez: nous n'avons en
+province rien d'aussi parfait que cela.--Je ne sais pas, dit M.
+d'Émerange, quels sont les originaux qui ont le bonheur d'exciter
+ainsi votre gaîté, mais je défie bien Nevers d'en avoir d'aussi
+ridicules que ceux qu'on rencontre tous les jours à Paris.--Eh bien!
+je gage, dit madame de Nangis, que vous allez reconnaître les
+nôtres!--Ah! je les devine, reprit le chevalier, n'est-ce pas ce
+grand niais de baron, qui traduit l'allemand sans l'avoir appris, et
+fait des vers sur le _oui_, le _non_, le _si_, le _car_, enfin sur
+tous les monosyllabes de la langue française. Sa petite femme a des
+yeux rouges, et des mains noires, dignes d'exercer la muse de son
+mari. C'est lui qui imagina un jour de s'habiller en sauvage pour
+jouer un proverbe qu'il avait composé en l'honneur de la fête de la
+jolie duchesse de R***. Il avait emprunté, pour ajouter à la vérité
+de son costume, une perruque de bête féroce, qui produisait un effet
+si bizarre sur sa figure moutonne, qu'il fut impossible de modérer
+les éclats de rire, et d'entendre un seul mot de sa pièce. Ah! c'est
+un homme précieux que je me ferai toujours un vrai plaisir de
+rencontrer!--N'ayez pas de regret, ce n'est pas lui que nous avons
+vu.» Alors le chevalier passa en revue tous les gens auxquels il
+trouvait ou donnait des ridicules. Madame de Saverny, sans
+reconnaître ses portraits, ne pouvait s'empêcher d'en rire. Il en
+conclut que sa malice l'amusait, et en devint plus piquant.
+Cependant un mot de madame de Nangis le fit changer de ton.--«Ne
+vous l'avais-je pas bien dit, Valentine, que la gaîté de M.
+d'Émerange triompherait de tous les genres de tristesse? Vous qui
+vantez si bien les charmes de la mélancolie, avouez que le plaisir
+de rêver ne vaut pas celui de rire.» Il n'en fallut pas davantage
+pour faire changer de rôle au chevalier: il amena avec adresse la
+conversation sur des sujets plus graves, raconta, sans affectation,
+quelques traits d'une sensibilité touchante, et jouit du plaisir de
+se voir écouté avec intérêt par Valentine. Madame de Nangis, que le
+chevalier n'avait pas accoutumée à des entretiens de ce genre, lui
+en témoigna son étonnement, en disant: «Serait-il bien indiscret de
+vous demander où vous avez lu tout cela? en vérité, le chevalier de
+Florian ne nous dirait rien d'aussi pathétique, et je ne vous aurais
+jamais soupçonné de sentiments si doux.--Voilà bien de vos
+jugements, répartit le chevalier avec impatience; parce qu'il est
+reçu dans le monde qu'on ne doit parler qu'avec son esprit, vous
+en concluez qu'on a le coeur sec. Ne savez-vous pas que l'on passe
+sa vie à afficher ses défauts qu'on n'a point. Vous, qui me raillez,
+je vous ai vue cent fois vous parer d'une légèreté factice, et
+tourner en plaisanterie le trait qui provoquait le mieux votre
+attendrissement. Sur ce point nous sommes tous plus ou moins
+hypocrites.» Madame de Nangis se trouva blessée de cette réponse, et
+plus encore du mouvement d'humeur qui semblait l'avoir dictée. Elle
+s'en vengea par des épigrammes, dont Valentine essaya d'adoucir
+l'amertume par des mots conciliants. Tout en conservant les formes
+de la plus stricte politesse, la querelle devint très-vive, et
+laissa des impressions fâcheuses dans l'esprit de la comtesse; elle
+soupçonna pour la première fois au chevalier le desir de plaire à
+sa belle-soeur, et l'accusa, intérieurement, d'avoir la fatuité de
+paraître la sacrifier à sa passion naissante. Elle en conçut d'abord
+une juste indignation; car la comtesse se croyait exempté de tous
+reproches, par la seule raison que sa conscience était en repos sur
+les droits du chevalier. Comme toutes les coquettes, elle comptait
+pour rien le malheur de se compromettre, et s'indignait qu'on pût la
+soupçonner d'un tort dont elle se donnait toutes les apparences.
+
+Le retour de M. de Nangis termina toute discussion; il avait dîné
+chez l'ambassadeur d'Espagne, où l'on avait beaucoup parlé de madame
+de Saverny: son frère la félicita d'avoir fait la conquête la plus
+difficile; celle du vieux commandeur de Saint-Albert.--C'est un
+homme bizarre, dit le chevalier, mais qui n'a jamais manqué de
+goût.--Il ne l'use pas, repartit la comtesse, car il n'aime
+personne.--Si vous l'aviez entendu parler de Valentine, reprit M. de
+Nangis, vous auriez meilleure idée de son coeur.--Il me semble,
+ajouta le chevalier, qu'il ne devait pas moins à Madame, pour la
+complaisance qu'elle a eue de l'écouter toute une soirée.--Ce
+n'était point par complaisance, répondit Valentine, je puis vous
+l'assurer, sa conversation a je ne sais quel attrait de franchise
+qui la rend très-attachante.--Il est certain, interrompit la
+comtesse, que si vous mettiez du blanc, il n'aurait pas manqué de
+vous le dire, car il n'a jamais gardé le secret d'une chose
+désagréable.--Il paraît, reprit M. de Nangis, que Valentine l'a
+corrigé du défaut de médire, car, après en avoir fait l'éloge, il a
+ajouté que c'était la première femme qu'il eût jugée digne de
+tourner la tête d'un honnête homme, et que rien ne lui semblait
+aussi raisonnable que de beaucoup l'aimer.--Je ne me croyais pas si
+sage, dit le chevalier, de manière à n'être entendu que de
+Valentine.
+
+
+
+
+CHAPITRE VII.
+
+
+Monsieur d'Émerange se retira convaincu de l'impression que son
+dernier mot avait dû produire sur Valentine, mais il se reprocha de
+lui avoir trop tôt laissé connaître celle qu'elle avait faite sur
+lui; et, pour réparer autant qu'il était en son pouvoir une faute
+aussi grave, il résolut de passer deux jours entiers sans voir ces
+dames. Par ce moyen il croyait prouver à madame de Saverny, qu'il
+n'en était pas au point de n'être heureux qu'en sa présence, et à
+madame de Nangis, qu'il ne lui donnerait jamais le droit de
+l'offenser impunément. Ce calcul ne réussit qu'auprès de la
+dernière, car Valentine n'avait pas eu l'idée de prendre au sérieux
+la furtive déclaration du chevalier; elle la mit au nombre de ces
+mots galants qu'il savait dire avec tant de grace, et n'en conserva
+aucun souvenir.
+
+Madame de Nangis était loin de partager cette indifférence; le
+moindre mot du chevalier avait la puissance de déranger son humeur;
+tout de sa part la flattait ou la blessait, et dans cette occasion
+son absence lui parut une insulte. Il devait bien présumer que le
+lendemain de cette petite scène, elle aurait la migraine, et il
+n'envoya même point savoir de ses nouvelles. Ce procédé faillit la
+rendre vraiment malade, et quand M. de Nangis vint la conjurer, le
+surlendemain, de ne pas manquer à l'engagement qu'elle avait pris de
+dîner le même jour chez une de leurs vieilles parentes, elle eut
+besoin de tout son courage pour se résigner à remplir un devoir
+aussi ennuyeux.
+
+Valentine la voyant un peu souffrante, lui donna tous les soins de
+la plus tendre amitié, et s'offrit de l'accompagner. On partit de
+bonne heure, pour se conformer à l'ancienne habitude qu'avait la
+présidente de C..., de dîner à l'heure du marais; et l'on arriva
+bientôt dans la cour de l'hôtel le plus gothique et le plus triste
+de Paris. Un vieux laquais, posté au haut d'un grand escalier,
+donna le signal de l'arrivée de la comtesse, et l'on vit aussitôt un
+grand nombre de serviteurs invalides s'empresser d'ouvrir avec peine
+les battants d'une longue enfilade de portes. Les convives, déja
+réunis autour du fauteuil de la présidente, offraient l'image la
+plus imposante d'une assemblée de famille dont on aurait exclu les
+jeunes héritiers. Valentine fut accueillie par ce cercle vénérable
+avec tout le cérémonial d'une présentation. La présidente la
+traitait avec la considération que méritait à ses yeux la veuve d'un
+vieux gentilhomme, et se contentait de parler à Madame de Nangis,
+avec l'air protecteur qu'on a pour un enfant. Il faut convenir
+qu'elle en avait alors toute la maussaderie. Comme elle ne fesait
+aucun effort pour dissimuler son ennui, chacun pouvait deviner qu'il
+ne devait l'avantage de la voir qu'à sa déférence aux volontés de
+son mari; et personne ne lui savait gré d'un sacrifice fait d'aussi
+mauvaise grace.
+
+Valentine, douée d'un meilleur esprit, savait tirer parti de celui
+de tout le monde. S'amusant de la gaîté, de la folie même, qui
+animent souvent la conversation des jeunes gens, elle s'intéressait
+à celle des savants et s'instruisait à celle des vieillards.
+
+En achevant son éducation, M. de Saverny lui avait appris cette
+politesse, qui consiste encore plus à écouter avec intérêt, qu'à
+répondre avec bienveillance. Il n'avait rien oublié de ce qui
+pouvait ajouter au charme des qualités précieuses de Valentine; et
+son plus grand regret en mourant, fut d'ignorer à quel heureux
+mortel il léguait une femme aussi aimable.
+
+Le mérite de madame de Saverny fut apprécié des amis de la
+présidente, et quand le dîner fut fini, on se disputa l'honneur de
+faire sa partie. Madame de Nangis avait grande envie de se
+soustraire aux lenteurs d'un boston, qui menaçait de remplir la
+soirée, mais elle y fut condamnée par un regard de son mari, dont la
+sévérité, pour tous ces petits devoirs de société, ne pouvait se
+comparer qu'à son indulgence pour de plus grands travers. La
+comtesse se promit bien de n'obéir qu'à moitié à cet ordre; elle
+savait que M. de Nangis devait se trouver le même soir à un
+rendez-vous chez le ministre des affaires étrangères, et dès qu'il
+fut parti, elle prétexta une subite indisposition, fit des excuses
+sur la nécessité de se retirer, et demanda sa voiture. Valentine, la
+croyant vraiment indisposée, la suit avec inquiétude, et l'engage à
+se mettre au lit aussitôt qu'elles seront de retour; mais elle est
+interrompue dans ses avis charitables par un grand éclat de rire de
+la comtesse, qui tire le cordon de sa voiture, et dit à ses
+gens:--A l'opéra.--Comment à l'opéra? s'écria Valentine: mais vous
+n'êtes donc pas malade?--Bonne raison! C'est surtout quand on est
+malade que l'on a besoin de se distraire.--Mais si vous alliez y
+souffrir davantage.--Je ne saurais être nulle part aussi mal qu'au
+milieu de tous ces vieux contemporains de ma tante. Mais en vérité
+je vous admire: comment trouviez-vous quelque chose à dire à ces
+gens-là; moi, je ne sais pas assez bien mon histoire de France pour
+causer avec eux, car je suis sûre que le plus jeune était page de
+Louis XIV.--Je n'ai pas le droit d'être aussi difficile que vous,
+reprit Valentine, et je supporte assez patiemment un moment d'ennui.
+Cependant, je sens que la gravité du Marais me paraîtrait bientôt
+insipide, s'il me fallait en souffrir plus d'un jour.--Cela
+ressemble pourtant assez à la province.--C'est possible, mais à la
+campagne on n'a aucune idée de cette manière de vivre, et vous savez
+que j'y passais l'année entière.--Sans vous ennuyer? Voilà qui est
+miraculeux. Je n'ai jamais pu rester plus de trois mois dans mes
+terres, malgré le soin que je prenais d'y amener beaucoup de monde;
+je frémis déja de l'idée d'y aller ce printemps; et, sans le
+projet que nous avons d'y jouer la comédie, j'aurais bien de la
+peine à tenir la promesse que j'ai faite à votre frère de l'y
+accompagner.--Si vous lui disiez à quel point cela vous contrarie,
+je suis sûre qu'il ne l'exigerait pas.--Ah! vous le connaissez bien
+peu, si vous ne savez pas quelle importance il attache à ma présence
+au château de Varenne, à l'époque de la fête du Village. Ne
+faut-il pas que je sois le témoin de cette grande solennité, et que
+je prenne ma part des honneurs qu'on lui rend. J'avoue que je la lui
+céderais de bon coeur, car je ne connais rien de si fastidieux que
+cette parodie des fêtes de souverains où l'on se fait rendre une
+partie de l'encens qu'on dépense à la cour.»
+
+Ici la portière s'ouvrit, et ces dames descendirent à l'Opéra.
+Madame de Nangis, qui ne se souciait pas d'être vue dans sa loge,
+entra dans celle de la princesse de L..., tourna le dos au théâtre,
+et se mit à chercher des yeux auprès de quelle jolie femme le
+chevalier d'Émerange tentait de se venger d'elle.
+
+
+
+
+CHAPITRE VIII.
+
+
+La princesse était ce soir-là à Versailles, et sa loge resta à la
+disposition de madame de Nangis, qui eut le chagrin de n'y recevoir
+personne. On donnait Armide, et Valentine se livrait au plaisir
+d'entendre ce chef-d'oeuvre, qui réunit tous les genres de
+perfection, lorsque la comtesse lui dit de contempler le plus beau
+visage qu'elle ait vu de sa vie. Imaginant que sa soeur lui désigne
+une femme, elle regarde dans la loge qu'elle lui indique, et ses
+yeux rencontrent ceux d'un jeune homme dont la figure était en effet
+remarquable. Honteuse d'avoir été surprise dans ce mouvement de
+curiosité par celui qui l'excitait, elle rougit, baisse les yeux,
+et, sans oser le considérer davantage, elle répond à sa soeur
+qu'elle est de son avis. «C'est probablement quelque étranger, dit
+la comtesse, car un homme de cette tournure-là serait déja connu de
+tout Paris, s'il y était seulement depuis deux mois. Vous, qui
+dessinez si bien, vous devez trouver que c'est un beau portrait à
+faire.» Valentine essaya une seconde fois de vérifier si
+l'admiration de madame de Nangis était fondée; mais le même regard
+qui l'avait déja troublée l'empêcha d'en voir davantage. Elle se
+décida à croire sa belle-soeur sur parole. La comtesse ne se lassait
+point de comparer les traits de cet étranger à ceux des plus belles
+têtes grecques, mais elle en perdit bientôt le souvenir, tandis que
+Valentine, qui les avait à peine entrevus, se les rappelait encore.
+
+Au commencement du quatrième acte, madame de Nangis, n'ayant pas
+aperçu le chevalier, et présumant qu'il pourrait peut-être venir
+chez elle, proposa à Valentine de s'en aller pour éviter les
+embarras de la sortie de l'opéra, et l'inconvénient d'être obligée
+d'accepter la main de quelque ennuyeux. Valentine émue par le
+bonheur d'Armide, regretta vivement de ne point entendre ses
+touchantes plaintes, et se promit de revenir à la prochaine
+représentation de ce bel ouvrage.
+
+Pendant que ces dames attendaient sous le vestibule, elles virent
+descendre du grand escalier deux hommes, dont le plus jeune fut
+bientôt reconnu; l'autre paraissait âgé de cinquante ans, c'était
+l'ancien gouverneur ou plutôt l'ami d'Anatole, de ce jeune étranger
+qu'avait remarqué la comtesse. Un hasard heureux, si l'on peut
+appeler ainsi ce desir vague qui entraîne à suivre les pas d'une
+jolie personne, avait heureusement amené ces messieurs au moment où
+l'on vint avertir madame de Nangis que son carrosse l'attendait.
+Valentine exige qu'elle y monte la première, et s'élance pour la
+suivre, lorsque les chevaux qui n'étaient retenus que par un cocher
+ivre, partent comme un éclair, entraînent le laquais qui tenait la
+portière; et Valentine tombe sous les pieds des chevaux d'une
+voiture qui se trouvait derrière celle de la comtesse. Elle allait
+en être atteinte, quand un homme se précipite sur le timon de cette
+voiture, en reçoit un coup violent, repousse avec effort les chevaux
+que les cris animaient, et relevant Valentine, il la porte évanouie
+sous le vestibule. Au même instant, les gens de madame de Nangis
+reviennent suivis du carrosse, pour la chercher. On l'y transporte,
+après s'être assuré que la frayeur est seule cause de l'état où elle
+est, sans s'inquiéter de celui où on laisse l'homme qui l'a sauvée.
+
+Un flacon de sels que portait toujours la comtesse, ranima bientôt
+les esprits de Valentine: elle s'efforça de tranquilliser sa
+belle-soeur, dont les inquiétudes étaient d'autant plus vives,
+qu'elle se reprochait le caprice qui l'avait conduite à l'opéra en
+dépit de tout, et s'accusait du malheur de Valentine. C'est en
+pareille occasion que l'on pouvait juger de la bonté du coeur de
+madame de Nangis, et lui pardonner tous les travers de son esprit.
+Rien n'égalait sa touchante sollicitude pour un ami souffrant, ni sa
+générosité pour un ami malheureux. Alors tous les intérêts
+d'amour-propre qui la gouvernaient dans le monde, étaient sacrifiés
+au desir d'obliger. Souvent envieuse du bonheur des autres, le
+malheur la trouvait toujours noble et courageuse. Et l'on peut dire
+que le tort d'abandonner ses amis dans la disgrace, était la seule
+mode qu'elle ne suivit pas.
+
+De retour à l'hôtel, madame de Nangis raconta franchement à son mari
+ce qui lui était arrivé à l'opéra, en lui disant que ses reproches
+ne sauraient aller au-delà de ceux qu'elle se fesait à elle-même.
+Aussi ne lui en adressa-t-il aucun, dans la crainte d'ajouter au
+chagrin dont elle était pénétrée en pensant au danger qu'avait couru
+sa soeur. Elle desirait passer la nuit auprès de son lit, mais
+Valentine n'y voulut pas consentir. Elle assurait n'éprouver d'autre
+effet de sa chûte qu'un peu de courbature et un tremblement dans les
+nerfs causé par la frayeur. Comme il ne lui restait qu'un souvenir
+confus de cet événement, elle ne put satisfaire aux questions que
+son frère lui fit à ce sujet; et l'on sonna Richard, qui en avait
+été témoin, pour lui en demander les détails. Il raconta d'abord
+simplement le fait, mais quand il vint à dépeindre celui qui s'était
+si courageusement précipité au secours de la marquise, madame de
+Nangis s'écria: «Il n'en faut pas douter, ma chère, c'est notre bel
+étranger, et voilà un commencement de roman dans les formes. Vous
+êtes charmante, il est beau comme Apollon, vous ne l'avez jamais vu,
+il vous sauve la vie; c'est la perfection du genre. Mais ne
+faudra-t-il pas connaître un peu votre héros? Qu'est-il devenu,
+Richard, après notre départ?--Comme il me fallait suivre madame, je
+n'ai guère eu le temps de le savoir. J'ai seulement vu deux
+domestiques avec une livrée que je ne connais pas, transporter dans
+une belle voiture le jeune homme qui avait relevé madame la
+marquise. Ils étaient suivis d'un vieux monsieur qui se désespérait,
+en disant: «Le malheureux a l'épaule cassée.» Et je crois que cela
+se pourrait bien, car à la manière dont il s'est jeté sur les
+chevaux, il doit avoir reçu un violent coup de timon.» Valentine fut
+saisie d'effroi en apprenant l'affreux accident dont le sien était
+cause; elle donna l'ordre qu'on s'informât à qui elle avait tant
+d'obligation, et se promit de ne rien négliger pour lui en témoigner
+sa reconnaissance. M. de Nangis qui partageait ce sentiment,
+s'engagea à faire des démarches pour apprendre le nom de cet
+étranger, et l'aller remercier d'une action aussi généreuse.
+
+L'esprit trop agité de cet événement, Valentine passa la nuit sans
+dormir. Elle médita sur le hasard qui avait conduit ce jeune homme à
+sortir de l'Opéra en même temps qu'elle, et sur le mouvement
+d'humanité qui l'avait porté à tout risquer pour la sauver. Une
+grande ame pouvait seule être susceptible d'un si noble
+désintéressement; et Valentine se plaisait à faire l'énumération de
+toutes les qualités qui dérivent de celle-là. Son imagination,
+exaltée par la reconnaissance, se peignait toutes les vertus réunies
+dans celui qui venait de lui offrir la preuve d'un coeur aussi
+compatissant; elle aurait voulu trouver quelque ingénieux moyen de
+l'en remercier, sans être obligée d'avoir recours à ces phrases
+vulgaires qu'on adresse également à l'homme qui vous sauve la vie,
+et à celui qui ramasse votre éventail. Mais l'idée de se trouver en
+présence de cet étranger l'embarrassait; elle sentait que sa
+jeunesse et les agréments qui le distinguaient, intimideraient sa
+reconnaissance, et le trouble qui naissait de ces diverses
+réflexions la jetait dans des pensées vagues, que rien ne pouvait ni
+fixer ni distraire.
+
+
+
+
+CHAPITRE IX.
+
+
+Le malheureux cocher dont l'imprudence avait causé tout ce désastre,
+fut impitoyablement chassé. Valentine tenta vainement de demander
+sa grace; M. de Nangis ne se laissa point fléchir; mais le pauvre
+Saint-Jean, en quittant la maison, reçut de madame de Saverny, pour
+consolation, quelques louis, et l'assurance de sa protection.
+Mademoiselle Cécile, la nouvelle femme de chambre de la marquise,
+qui avait été chargée de remplir cette commission auprès de lui, y
+joignit la promesse de rappeler à sa maîtresse les recommandations
+qu'elle lui avait fait espérer dès qu'il trouverait à se placer.
+
+L'accident arrivé à Valentine fit bientôt assez de bruit pour que
+l'on envoyât de toutes parts s'informer de ses nouvelles. Elle fut
+accablée de visites, et en supporta patiemment l'importunité, dans
+l'espérance d'apprendre le nom de celui qu'elle desirait tant
+connaître. Mais personne ne se trouvait avoir d'ami à qui il fût
+arrivé une semblable aventure; et les questions de Valentine
+n'eurent pas plus de succès que les démarches de son frère. Pour
+expliquer ce mystère, on décida que Richard s'était trompé en
+croyant ce jeune homme grièvement blessé, et que c'était
+probablement un étranger qui ne devait pas séjourner à Paris, et que
+les suites de cet événement n'y avaient pas retenu. Cette
+explication suffit à tout le monde, excepté à Valentine, qui ne la
+trouva pas assez positive pour la dispenser de toutes recherches.
+On lui dit que le commandeur de Saint-Albert avait envoyé son valet
+de chambre s'informer de l'état où elle se trouvait, quelques
+moments après qu'on l'eut ramenée de l'opéra. Cette circonstance la
+frappa, elle était sûre de n'avoir point vu le commandeur au
+spectacle; et il n'y avait à la sortie que les deux personnes dont
+elle desirait tant savoir le nom: elle pensa donc que le commandeur
+n'avait pu être aussitôt instruit de sa chûte que par le récit de
+l'une de ces deux personnes, et conçut l'espérance d'apprendre de
+lui tout ce qui pouvait satisfaire sa curiosité. Le motif en était
+trop noble pour le cacher; et Valentine écrivit un billet au
+commandeur, pour l'inviter à venir la voir un instant. Mais on fit
+répondre qu'il était à la campagne, et n'en reviendrait que dans
+huit jours. Il fallut se résigner à attendre, et peut-être à
+paraître ingrate, lorsqu'on était pénétrée d'une si vive
+reconnaissance.
+
+Le chevalier d'Émerange n'avait pas manqué cette occasion de donner
+des preuves d'intérêt à madame de Saverny; mais ne voulant plus se
+compromettre avant de savoir l'effet que produiraient ses soins, il
+se renferma dans les expressions d'une politesse affectueuse. La
+préoccupation de Valentine lui parut d'un bon augure, il ne supposa
+point qu'un autre pût en être l'objet, et répondit sans méfiance aux
+questions de madame de Nangis, quand elle lui demanda s'il n'avait
+pas rencontré dans le monde celui qu'elle appelait en riant, _le bel
+Étranger_. Le chevalier dit qu'il était poursuivi par ce personnage
+mystérieux qu'il n'avait jamais vu, et dont tout le monde lui
+demandait le nom. Il ajouta qu'étant arrivé quelques jours avant aux
+Tuileries, il avait été accosté par une foule de gens qui avaient
+tous compté sur lui pour leur apprendre ce qu'était un homme fort
+remarquable par la noblesse de sa taille et de ses traits, et qui
+venait de monter à cheval, après s'être promené quelque temps avec
+un de ses amis. «Je vous avoue, poursuivit le chevalier, que cette
+curiosité me parut trop ridicule pour la partager: je m'en fais le
+reproche, actuellement que je soupçonne ce beau monsieur d'être
+votre héros. Cependant, calmez vos regrets par le souvenir de madame
+de V..., qui fut sauvée du feu dans une auberge, par le plus bel
+homme de France, dont elle devint folle, et qui aurait peut-être
+fait la passion de sa vie, si elle n'avait pas eu l'idée d'aller
+un jour acheter une robe de satin dans je ne sais quelle boutique
+à Lyon, où son libérateur déroulait des étoffes au public avec
+une grace toute particulière.--Ah! quelle chûte horrible,
+s'écria la comtesse, quelle affreuse découverte!--Pour l'amour
+peut-être, dit Valentine, mais pour la reconnaissance, je ne
+vois pas ce qui rendrait honteuse d'en témoigner à un marchand
+d'étoffes?--Certainement, reprit le chevalier, il n'y a là rien de
+honteux, mais il est toujours gênant d'avoir des obligations à des
+gens trop fiers pour recevoir de l'argent, et trop pauvres pour être
+vos amis. On ne sait comment s'acquitter, et l'on devrait exiger
+d'un garçon de boutique, qui vous rend un pareil service, d'ajouter
+au bas de son mémoire; Tant pour avoir sauvé la vie de madame.» On
+rit de cette idée folle, et le chevalier parvint à jeter tant de
+ridicule sur ces prétendus héros mystérieux, toujours prêts à braver
+quelque danger, que personne n'osa dire un mot en faveur de celui
+qui s'était exposé pour Valentine.
+
+La société de madame de Nangis était en général dominée par l'esprit
+de M. d'Émerange. Les jeunes gens le prenaient pour modèle, et
+croyaient imiter son élégance en singeant ses manières. Comme tous
+les imitateurs, ils fesaient rarement un juste emploi des défauts ou
+des agréments qu'ils lui empruntaient; l'un, séduit par l'ironie
+piquante qui égayait sa conversation, sans choquer les convenances,
+se moquait lourdement des choses les plus sacrées, croyant imiter la
+grace avec laquelle le chevalier semblait se sacrifier en fesant
+l'aveu de ses défauts. Un autre se vantait de vices abominables.
+Tous exagéraient son affectation à plaire sans aimer; ils
+traduisaient son naturel en familiarité, son indifférence en
+impolitesse, et son enthousiasme en fureur. C'était enfin le chef le
+plus séduisant d'une école détestable. Les vieux parents de ces
+jeunes étourdis, accusant le chevalier de leurs travers, essayaient
+vainement de les éloigner d'un modèle aussi dangereux. Dans le dépit
+de voir leurs conseils méprisés, ils formaient un parti d'opposition
+contre le chevalier, que celui-ci s'amusait quelquefois à gagner par
+des prévenances flatteuses et des témoignages d'une estime
+particulière. Personne ne savait mieux que lui, pour ainsi dire,
+_jouer_ de l'amour-propre des autres; son talent allait jusqu'à
+s'attirer la protection de la présidente de C..., qui arrivait
+toujours chez sa nièce avec l'intention de l'engager à recevoir
+moins souvent un homme dont les assiduités finiraient par la
+compromettre, et qu'un éloge adroitement indirect, ou l'apologie de
+quelque orateur du parlement, rendait aussi indulgente pour le
+chevalier, qu'elle s'était promise d'être sévère. Quant aux autres
+femmes de la société de madame de Nangis, elles en pensaient du bien
+ou du mal, en raison du plus ou moins de soins qu'elles en
+recevaient. Madame de Réthel était la seule qui se piquât sur ce
+point d'une noble indépendance; elle écoutait sans impatience comme
+sans intérêt, et s'amusait parfois des moyens qu'elle lui voyait
+employer pour parvenir à son but. Aussi le chevalier avait-il pour
+elle autant de haine que d'égards. C'est ainsi que les gens habitués
+à dominer pardonnent plutôt au censeur qui les fronde, qu'au sage
+qui les observe.
+
+
+
+
+CHAPITRE X.
+
+
+Au bout de huit jours le commandeur de Saint-Albert revint de la
+campagne, et son premier soin, en arrivant, fut de se rendre à
+l'invitation de madame de Saverny. Elle était seule quand il se fit
+annoncer chez elle; l'entretien tomba naturellement sur le danger
+qu'elle avait couru. «J'ai bien regretté, dit le commandeur, de ne
+pouvoir vous témoigner, madame, à quel point je partageais les
+inquiétudes de vos amis, mais un devoir impérieux me retenait à dix
+lieues d'ici, auprès d'un malade; cela ne m'a point empêché d'avoir
+tous les jours de vos nouvelles.--Je ne méritais pas tant de
+sollicitude, dit Valentine; ce n'est pas moi qui ai souffert des
+suites de cet événement, mais on assure que la personne à qui j'ai
+tant d'obligation, est dangereusement blessée. A ces mots la
+physionomie de M. de Saint-Albert prit un air si triste, que
+Valentine ajouta, avec émotion: Ah! mon Dieu! serait-ce un de vos
+amis?--Que je le connaisse ou non, reprit-il, en s'efforçant de
+paraître calme, il a fait une action très-simple, et quand il lui en
+coûterait quelque chose pour vous avoir secourue, il ne serait pas
+fort à plaindre.--Certainement il ne le serait pas plus que moi, car
+l'idée de savoir que je puis être cause d'un semblable malheur, ne
+me laisse aucun repos. Encore si je pouvais découvrir à qui j'en
+dois témoigner ma reconnaissance.--Il serait trop récompensé
+vraiment, s'il était témoin de votre inquiétude; mais ce n'est
+peut-être, de votre part, qu'un peu de curiosité. Ne vous blessez
+pas de cette supposition, ajouta-t-il, en remarquant l'air offensé
+de Valentine; il est aussi naturel de vouloir connaître son
+bienfaiteur, que de l'oublier; passez-moi de grace ces petites
+vérités-là; j'aime à penser qu'elles n'en sont pas pour vous, mais
+l'habitude m'emporte: j'ai tant vu le monde, qu'il me reste bien peu
+d'illusion sur les motifs qui le font agir; j'ai surtout le tort de
+les dire aussitôt que je les devine, même au risque de me tromper;
+et je vous demande, pour ma franchise, la même indulgence que l'on
+accorde ordinairement à la dissimulation.--Ce ne serait pas beaucoup
+exiger de moi, car je hais tout ce qui trompe; mais si je réclame
+toute la sévérité de votre franchise, je ne veux pas qu'elle me
+calomnie.--Vous me croyez donc injuste?--En ce moment, par
+exemple.--Eh bien! tant mieux, vous vous défendrez et vous me verrez
+bientôt persuadé de mon injustice.--Je suis fort honorée de cette
+preuve de confiance, et.....--Il n'est pas besoin de confiance pour
+entendre la vérité.--Et si je ne la disais pas? reprit en souriant
+Valentine.--Je le verrais.--Vous êtes bien heureux de savoir
+distinguer ainsi la vérité.--C'est un talent bien commun, je vous
+jure; et les dupes sont plus rares qu'on ne pense. Les discours sont
+devenus une monnaie de convention dont chacun sait la valeur réelle.
+Quand un ministre promet une place au solliciteur qui le comble de
+remerciements, ils savent parfaitement ce qu'ils doivent attendre
+l'un de l'autre. Un amant jure de se donner la mort, sans causer le
+moindre effroi à sa maîtresse, et lorsqu'elle paraît s'évanouir, en
+entendant sa menace, il sait que c'est un procédé reçu, et qu'elle
+n'en est pas moins bien décidée à lui survivre. Les souverains mêmes
+ne sont plus dupes des flatteries de leurs courtisans, et n'ignorent
+pas qu'en langage de cour: _Vous êtes le plus grand des rois_: veut
+dire tout simplement, _accordez-moi une faveur_. Enfin, depuis que
+l'on s'écoute des yeux, personne ne s'abuse; car rien n'est aussi
+franc que la physionomie; et je puis vous assurer que, si dans le
+monde on ment beaucoup, on trompe fort peu.--Alors pourquoi se
+donner une peine inutile?--Je pense comme vous, qu'on pourrait se
+l'épargner avec beaucoup de gens, mais on en rencontre toujours un
+petit nombre dont l'inexpérience peut servir d'amusement.--Ceci
+n'est pas fort rassurant pour une femme qui débute dans le
+monde.--Ne croyez pas cela, le danger est tout entier pour celle que
+la vanité aveugle: la femme qui ne cède qu'aux impulsions de son
+coeur est rarement trompée; pour l'attendrir il faut l'aimer; et la
+plus ignorante sait si bien apprécier la sincérité des sentiments
+qu'elle inspire!--Vous m'étonnez; j'avais toujours entendu dire que
+sur ce point les plus spirituelles étaient souvent dupes des hommes
+les moins fins.--Elles le disent, parce que c'est une manière
+d'excuser leurs faiblesses, et d'exciter l'intérêt qu'on a pour la
+victime d'une perfidie; mais le fait est que rien ne s'imitant aussi
+mal que le véritable amour, il faut bien se prêter aux ruses d'un
+trompeur pour en être séduite. Vous avez peut-être déja remarqué des
+preuves de cette vérité, car je vous crois l'esprit assez juste pour
+apprécier la valeur des hommages que l'on vous prodigue. On a dû
+vous répéter souvent que vous étiez belle, qu'on vous adorait; et
+vous avez sagement jugé que de ces deux choses, l'une était vraie et
+l'autre fort douteuse.» En disant ces mots, le commandeur regarda
+Valentine attentivement. Il semblait vouloir deviner si son coeur
+ignorait encore le bonheur d'être aimée. La naïveté qu'elle mit à
+lui répondre, ne lui laissa aucun doute à ce sujet: elle ne lui
+cacha point l'espèce d'effroi que lui causait ce tourbillon du monde
+où elle se trouvait lancée malgré elle, et lui fit entendre qu'elle
+attacherait un grand prix aux conseils d'un homme assez éclairé pour
+la bien guider. C'était réclamer ceux de M. de Saint-Albert. Touché
+de tant de confiance et de modestie, il lui promit tout le zèle d'un
+ami dévoué, et finit par lui dire:--Savez-vous qu'il faut bien vous
+aimer pour consentir ainsi à vous déplaire; car le rôle d'un vieil
+ami est parfois celui d'un censeur.--Rappelez-vous le premier mot
+que j'ai entendu de vous, et vous conviendrez qu'on peut me censurer
+sans me déplaire.--Ah! je ne doute pas de votre indulgence pour les
+sots jugements, je ne crains que pour ceux qui sont justes et
+sévères; ce sont les seuls qu'on ne pardonne pas.--Qu'avez-vous à
+craindre, je supporte bien vos injurieux soupçons, quand il vous
+plaît de mettre sur le compte d'une curiosité frivole, le desir si
+naturel de connaître une personne qui s'est blessée pour moi.--Ah!
+vous y revenez: cela vous inquiète donc véritablement?--Plus que je
+ne saurais vous le dire.--Aimable personne! ajouta le commandeur, en
+voyant l'émotion de Valentine. Votre bon coeur ne peut supporter
+l'idée du malheur d'un autre! même de l'être le plus indifférent
+pour vous! Peut-être n'avez-vous pas même aperçu celui qui excite
+votre reconnaissance?--Je crois... l'avoir... vu, répondit-elle, en
+hésitant, et madame de Nangis assure qu'il est remarquable par la
+tournure la plus distinguée.--Il l'est bien davantage par son esprit
+et son coeur, dit en soupirant M. de Saint-Albert.--Vous le
+connaissez, s'écria Valentine, en laissant tomber son ouvrage; ah!
+de grace nommez-le moi!--Je ne le puis.--Quelle raison peut vous en
+empêcher?--Ma parole.--On vous aura demandé le secret pour se
+soustraire à des remerciements souvent importuns, et vous aurez
+promis de seconder cet excès de délicatesse; mais on peut trahir
+sans inconvénient une promesse de ce genre.--S'il fallait calculer
+l'importance d'un engagement pour le tenir, on risquerait souvent
+d'être infidèle: il est si commun de regarder comme une chose
+indifférente celle qui ne touche que nos amis.--Ah! vous êtes
+incapable de tant d'égoïsme; et votre raison vous éclaire assez pour
+distinguer le serment qu'on doit tenir de la promesse qu'on peut
+enfreindre.--Je n'entends rien à ces distinctions-là. Sans examiner
+si le secret en vaut la peine, je le garderai; mais je ne serai pas
+si discret sur votre sensibilité, et je vous demande la permission
+d'en répéter les expressions touchantes.» En finissant ces mots, le
+commandeur salua Valentine, et partit sans attendre sa réponse.
+
+
+
+
+CHAPITRE XI.
+
+
+La première idée de madame de Saverny fut d'avoir recours à son
+frère pour tâcher d'en apprendre davantage de M. de Saint-Albert;
+mais elle pensa que le commandeur pourrait lui savoir mauvais gré de
+cette indiscrétion. «Puisqu'il m'a refusée, se dit-elle, sa
+politesse ne lui permet plus de céder aux instances d'un autre.
+D'ailleurs la cause de ce mystère est peut-être respectable.» A
+cette réflexion se joignirent toutes les suppositions qu'on pouvait
+faire sur une aventure aussi étrange. Valentine essaya de traiter ce
+prétendu secret comme une plaisanterie qui cesserait bientôt, mais
+son esprit s'obstinait à y penser sérieusement; et, sans se rendre
+compte des motifs qui la retenaient, elle résolut de n'en parler à
+personne.
+
+Peu de jours après l'entretien du commandeur, mademoiselle Cécile
+vint annoncer à sa maîtresse que ce pauvre Saint-Jean, à qui madame
+la marquise avait bien voulu promettre sa protection, venait la
+réclamer. On dit à mademoiselle Cécile de le laisser entrer; et
+Saint-Jean après avoir longuement parlé de sa reconnaissance, apprit
+à Valentine qu'il trouvait à se placer, mais que son nouveau maître
+exigeait un mot de recommandation de la main de madame de
+Saverny.--«Vous vous trompez, Saint-Jean, dit la marquise, c'est
+sûrement de la recommandation de ma belle-soeur dont on vous a
+parlé, et je m'engage à vous la faire obtenir.--J'en demande bien
+pardon à madame, reprit Saint-Jean, mais je ne puis pas me tromper,
+car ayant bien pensé qu'on ne pouvait me demander un certificat que
+des maîtres que j'avais servis, j'ai nommé madame la comtesse de
+Nangis; mais on m'a répondu qu'il était inutile de prendre des
+informations auprès d'elle, et que je ne serais reçu que sur un mot
+de recommandation de madame la marquise de Saverny.--Voilà un
+singulier caprice! Comment nommez-vous ce monsieur, si confiant dans
+mes recommandations?--Je ne sais pas son nom, madame;--Mais vous
+l'avez vu?--Non madame, j'étais hier soir tout tranquillement chez
+ma mère, quand un monsieur fort élégant, que j'ai bien vîte reconnu
+pour être un valet de chambre, est venu me demander si c'était moi
+qui étais cause de la chûte que madame avait faite à la sortie de
+l'opéra. Je ne lui dis d'abord ni oui, ni non, car je pensais bien
+que s'il s'agissait d'une place, on ne voudrait peut-être pas d'un
+cocher qui avait fait une si grande sottise. Mais, comme il vit mon
+embarras, il m'engagea à lui dire la vérité, et m'apprit qu'il était
+chargé de proposer une bonne place à celui qui venait de perdre la
+sienne pour avoir si mal retenu ses chevaux.--Et vous ne lui avez
+pas demandé qui l'avait chargé de cette commission, interrompit
+Valentine, avec un peu d'impatience.--Si fait, madame, mais il m'a
+répondu que je le saurais quand je serais au service de son
+maître.--On vous propose peut-être là une fort mauvaise maison.--Oh!
+cela n'est pas possible, madame, on me donne encore plus de gages
+que je n'en avais chez madame la comtesse; et si ce que dit le
+valet de chambre est vrai, on n'est pas plus généreux que son
+maître.--Quoi, vous ne savez pas même où il demeure?--Je sais
+seulement qu'il est à la campagne, à dix lieues de Paris, et que si
+madame la marquise a la bonté de me donner le petit mot qu'on me
+demande, on viendra me prendre demain pour me conduire au château
+qu'il habite.--Enfin, dit Valentine, après un moment de silence,
+puisqu'un si grand avantage pour vous est attaché à un mot de moi,
+je vais vous le donner: je ne crois pas me compromettre en affirmant
+le bien que j'ai entendu dire de vous.--Ah! madame peut s'informer,
+et tout le monde lui dira bien dans l'hôtel, que sans ce maudit
+déjeûner de noce, on n'aurait jamais eu de reproche à me faire.»
+Valentine fit cesser les regrets de Saint-Jean, en lui remettant son
+billet, et l'invita à venir lui dire à son retour de la campagne,
+s'il était content de son nouveau sort. Saint-Jean se trouva fort
+honoré d'une semblable preuve d'intérêt. Il ne l'attribua qu'à
+l'extrême bonté de madame de Saverny, et laissa à la finesse de
+mademoiselle Cécile l'honneur de découvrir qu'il pouvait bien ne
+devoir tant de protection qu'à la curiosité de la marquise.
+
+Il est certain que Valentine commençait à s'impatienter de
+l'obscurité répandue sur tout ce qu'elle desirait savoir, et sans
+la crainte d'entendre sa belle-soeur raconter en riant, à tous ses
+amis, ce que Saint-Jean venait de dire, elle l'aurait consultée pour
+savoir ce qu'on devait en penser. Mais l'ironie continuelle de
+madame de Nangis intimidait la confiance de Valentine; elle était
+sûre que la comtesse se récrierait sur le romanesque des aventures
+qui se succédaient, et ne manquerait pas de soupçonner tout haut que
+ce _bel inconnu_, dont elle avait déja tant ri, faisait courir après
+le cocher qui avait failli tuer Valentine, et lui assurerait sans
+doute une pension, en reconnaissance du bonheur qu'il lui devait
+d'avoir sauvé son héroïne. La certitude d'avoir à supporter ces
+mauvaises plaisanteries, confirma Valentine dans le dessein de ne
+pas plus parler du récit de Saint-Jean, que de la visite du
+commandeur. C'est ainsi que la moquerie détruit tout épanchement,
+même dans l'amitié; et l'on peut affirmer que la peur d'être trahi
+empêche moins de confidences, que la crainte d'être plaisanté.
+
+
+
+
+CHAPITRE XII.
+
+
+Plusieurs jours s'écoulèrent sans que le commandeur reparût chez
+madame de Nangis. Valentine, alarmée de cette absence, pensa que le
+danger de son mystérieux ami pouvait en être cause, et se persuada
+qu'il était de son devoir d'en témoigner quelque inquiétude. Mais
+elle en parla de la manière la plus réservée, dans un billet où
+toutes les graces de la politesse ne dissimulaient pas la contrainte
+qui l'avait dicté; car l'idée que ce billet pourrait être montré,
+avait intimidé Valentine: l'événement justifia sa prévoyance. M. de
+Saint-Albert était à la campagne, et le surlendemain elle reçut la
+lettre suivante:
+
+ MADAME,
+
+«Ne me plaignez pas de l'événement le plus heureux de ma vie, mais
+de la fatalité qui me prive du bonheur d'aller vous remercier de
+votre aimable inquiétude. Hélas! ma blessure est guérie! et je vais
+perdre tous mes droits à votre intérêt, sans être moins digne de
+votre pitié.
+
+ «Je suis, etc.
+
+ ANATOLE.»
+
+A cette lettre était jointe la réponse du commandeur, qui annonçait
+son prochain retour à Paris, sans dire un mot d'Anatole.
+
+«Anatole, répéta tout haut Valentine, je sais enfin son nom, et je
+connaîtrai bientôt celui de sa famille... Mais que m'importe le
+secret de sa naissance, j'aimerais mieux savoir celui de ses
+chagrins. Il paraît malheureux. On n'emploie tant de mystère que
+pour cacher un tort ou un malheur; et l'ami de M. Saint-Albert ne
+peut être un homme coupable. Il n'en faut pas douter, il est
+malheureux. Mais, de quel malheur est-il affligé!» Voilà le sujet
+sur lequel s'exerça long-temps l'esprit de Valentine. Plusieurs
+indices lui prouvaient que la fortune n'avait point de torts envers
+lui. La nature semblait l'avoir comblé de ses faveurs, et l'amour
+seul devait causer ses peines. Peut-être avait-il été indignement
+trahi, et s'était-il juré de fuir toutes les occasions de se laisser
+de nouveau séduire: sa retraite était la suite de cette résolution:
+et Valentine trouvait qu'un tel motif expliquait fort clairement
+tout ce qui lui avait paru si étrange jusqu'alors. «Si j'étais
+trompée, se disait-elle, je voudrais comme lui me soustraire aux
+yeux de tout le monde, et même à la reconnaissance que l'on voudrait
+me témoigner; je ne verrais partout que perfidie.»
+
+C'est ainsi que l'on trouve toujours le moyen de justifier les
+manies des gens qu'on favorise. En réfléchissant un peu mieux,
+Valentine aurait vu que ce projet de retraite absolue s'arrangeait
+mal avec sa rencontre à l'Opéra; bien que ce soit assez la mode de
+nos misanthropes modernes de haïr les hommes sans pouvoir se passer
+de leur société, et de fuir les femmes sans manquer un jour d'Opéra;
+cependant il est rare d'y rencontrer celui qui cherche la solitude;
+et madame de Saverny aurait du s'attendrir un peu moins sur les
+malheurs d'un amant accessible à de pareilles distractions. Mais à
+l'âge de Valentine, on raisonne avec son imagination, et l'on
+calcule d'après son coeur; elle se dit qu'Anatole avait été au
+spectacle par complaisance, qu'il ne l'avait si tendrement regardée
+que par curiosité, et ne s'était généreusement exposé pour elle, que
+par humanité et dégoût de la vie.
+
+Après avoir relu plusieurs fois le billet d'Anatole, elle le serra
+avec soin, et se rendit chez sa belle-soeur, où l'assemblée la mieux
+choisie se plaignait depuis long-temps de son absence. «Qui donc
+vous a retenue si tard, ma chère Valentine, s'écria madame de
+Nangis, nous vous attendons depuis un siècle pour chanter les
+couplets de M. de S...., prendre le thé, et commencer le quinze.--En
+vérité, ma soeur, je ne méritais guère l'honneur d'être attendue
+pour tout cela, répondit Valentine; vous savez que je chante fort
+peu, et joue encore plus mal; Monsieur, ajouta-t-elle en se tournant
+vers le chevalier d'Émerange, voudra bien me remplacer, et l'auteur
+des couplets y gagnera beaucoup.--Gardez-vous bien de lui rien
+demander, reprit la comtesse, il est ce soir d'une humeur
+détestable; il dit qu'il n'y a pas assez de monde pour jouer, qu'il
+y en a trop pour faire de la musique, que la conversation est trop
+brillante pour qu'il s'en mêle, enfin, il blâme tout en demandant la
+permission de ne rien faire; voilà la seule réponse qu'on en puisse
+obtenir.--Puisque c'est ainsi, je vais me rendre aux ordres de
+Madame, dit le chevalier en s'adressant à Valentine.» Et se levant
+ensuite pour demander à M. de S.... ses couplets, il laissa madame
+de Nangis un peu déconcertée de ce nouveau caprice. Pendant que le
+chevalier essayait l'air qui conviendrait le mieux à cette chanson,
+et que l'auteur se confondait en phrases modestes, pour prouver
+qu'il connaissait la médiocrité du genre et de l'exécution de ce
+_petit ouvrage_, un indiscret s'avisa de dire qu'il voudrait bien
+savoir quelle douce occupation avait fait oublier l'heure à madame
+de Saverny.--Il faut le deviner, répondit M. de Nangis; moi je crois
+qu'elle finissait quelques-uns de ces romans que ces dames
+prétendent ne pas pouvoir quitter; et vous, chevalier, quelle est
+votre idée?--Madame écrivait peut-être aux heureux voisins du
+château de Saverny, dit le chevalier, d'un air malin.--Bah! dit la
+comtesse, je parie qu'elle achevait sa toilette: il manque toujours
+quelque chose à une robe neuve.--Qui sait, dit une voix qui surprit
+Valentine, pour occuper long-temps une jeune femme, il ne faut
+souvent qu'un billet.--Vous ici, M. le commandeur, s'écria
+Valentine en se retournant, je vous croyais à la campagne!--J'en
+arrive à l'instant, Madame, et si je n'ai pas eu l'honneur de me
+présenter chez vous, c'est que j'espérais vous rencontrer ici.»
+Madame de Saverny s'excusait avec embarras de n'avoir point aperçu
+le commandeur en entrant dans le sallon, lorsque le son du piano se
+fit entendre. Après avoir préludé, le chevalier décida qu'une
+épigramme n'avait pas besoin d'accompagnement, et se mit à chanter,
+sans le secours du piano, des couplets dirigés contre un ministre
+nouvellement nommé: plusieurs femmes de la cour y étaient désignées
+de la manière la moins décente, et la malignité ne s'arrêtait même
+pas aux courtisans. Chacun parut enchanté de cette oeuvre du démon,
+et la meilleure des satires de Boileau n'aurait pas excité plus
+d'enthousiasme. On combla l'auteur d'éloges; ceux que lui adressa le
+chevalier furent les mieux tournés, les plus outrés et par
+conséquent les plus flatteurs. M. de Nangis seul ne rit point des
+couplets, et témoigna à sa femme le regret de les avoir laissé
+chanter chez lui; mais la comtesse devinant sa pensée, lui répondit:
+Qu'il n'y avait rien à craindre du ressentiment des personnes
+attaquées dans cette chanson; dans le fonds, ajouta-t-elle, il n'y a
+que le prince de maltraité, et vous savez sur ce point jusqu'où va
+son indulgence. Madame de Nangis avait raison: à cette époque on
+risquait moins à faire une chanson contre le Roi, qu'une épigramme
+sur un commis des finances.
+
+De retour auprès de madame de Saverny, le chevalier se pencha
+vers elle pour lui dire à voix basse: «Concevez-vous rien au
+caprice de Mme de Nangis, de me faire chanter des pauvretés
+pareilles?--N'avez-vous pas dit que vous trouviez ces couplets
+charmants?--Oui, vraiment, je l'ai dit à l'auteur; ne voulez-vous
+pas que je me fasse un ennemi de cet homme-là?--Mais il me semble
+que, sans blesser son amour-propre, vous auriez pu être moins
+prodigue d'éloges.--Ah! vous connaissez bien mal ces sortes de
+gens-là: vous blâmez mon exagération envers lui, eh bien! je ne
+serais pas étonné qu'il m'eût trouvé très-froid dans mes éloges, et
+que pour s'en venger il ne méditât quelques petits refrains joyeux
+contre moi.--En effet, si la mauvaise foi se devine, j'ai peur pour
+vous; mais qui peut obliger à recevoir une personne dont l'aimable
+esprit cause une si vive terreur?--On espère toujours l'avoir pour
+soi, et comme il ne vous montre jamais que les méchancetés adressées
+aux autres, à moins qu'il ne se trompe de poches, on ne risque pas
+de savoir celles qu'on lui inspire.--Mais savez-vous bien que cela
+fait un très-vilain métier.--Pas plus vilain qu'un autre. Au bout
+du compte, cet homme-là ne fait que rimer la prose de tout le monde,
+sa malice a rarement le mérite de l'invention; il peint ce qu'il
+voit, copie ce qu'il entend, médit de tous; et l'on sait qu'il a son
+couvert mis à la table de chacune de ses victimes.--Je puis vous
+assurer qu'il ne sera jamais admis à la mienne.--Il n'en voudrait
+pas de la vôtre: que ferait-il chez une femme qui ne peut ni goûter
+ni inspirer la satire?--Ah! prenez-y garde, vous me flattez; me
+croiriez-vous méchante?--Vraiment cette réflexion pourrait bien m'en
+donner l'idée, et c'est me punir cruellement d'avoir compromis mes
+éloges; mais je m'en rapporte à votre esprit, pour distinguer le
+compliment que l'on cherche, de la vérité qui échappe. Au reste,
+quelle que soit votre opinion, je ne me donnerai jamais la peine de
+me justifier auprès de vous, tant je suis convaincu que vous savez
+déja mieux que moi tout ce que je pense.» Le chevalier quitta son
+ton léger pour dire ces derniers mots, qui furent interrompus par
+les instances réitérées de madame de Nangis, qui voulait absolument
+faire jouer sa belle-soeur. Valentine sut bon gré à la comtesse de
+lui épargner l'embarras de répondre au chevalier; elle alla se
+placer auprès d'elle, à la table de jeu, et fut étonnée de voir le
+chevalier s'y établir aussi malgré le refus absolu qu'il avait fait
+de jouer de la soirée. Madame de Nangis n'en fit point la remarque
+tout haut; mais ses regards et l'inflexion de sa voix, quand elle
+lui adressait la parole, prouvaient trop qu'elle était vivement
+blessée. Pour la première fois Valentine souffrit du mécontentement
+de sa belle-soeur, des soins empressés du chevalier, et de la
+présence du commandeur.
+
+
+
+
+CHAPITRE XIII.
+
+
+Avant de se séparer, M. d'Émerange ailleurs dit: «Que je suis
+étourdi! j'oubliais de vous parler de la nouvelle qui occupe
+aujourd'hui tout Paris! de l'arrivée de ce fameux philosophe, qui
+prétend deviner les défauts du coeur d'après les traits du
+visage!--Quoi! Lavater est ici, s'écria madame de Nangis? Que je
+voudrais le voir! je suis folle de son système, et je m'en sers déja
+passablement bien. Cependant je n'en sais que les masses; ses
+détails me paraissent trop incertains; mais sur les nez aquilins, et
+les mentons crochus, je ne me tromperais guères.--Fiez-vous à ces
+belles connaissances-là, reprit le chevalier, j'ai voulu aussi me
+mêler de physiognomonie, et n'ai recueilli d'autre fruit de mes
+études que le tort de supposer à mes amis beaucoup plus de défauts
+que je ne leur en connaissais déja.--C'est que vous étiez
+mal-instruit; d'ailleurs c'est une science que bien des gens ne se
+soucient guères d'accréditer. Moi, qui ne me donne pas trop la peine
+de cacher mes défauts, je serais charmée de connaître aussi bien
+ceux des autres.--Je croyais, dit Valentine, qu'il y avait plus
+à gagner à ne les pas voir; et je suis presque tentée de plaindre
+ce pauvre M. Lavater, de n'avoir pas même les plaisirs de
+l'illusion.--Ce doit être un homme d'une conversation bien
+intéressante, dit la comtesse. On va se l'arracher; mais j'espère
+bien être une des premières à le voir.--Ce ne sera pas une chose
+facile, reprit le chevalier, car on le dit fort sauvage.--C'est
+dans l'ordre, dit le commandeur, un homme qui a le secret de tout le
+monde doit se cacher.--Mais il a des amis peut-être, reprit la
+comtesse. On le rencontrera quelque part.--Je ne pense pas que ce
+soit à la cour, dit en riant M. de Saint-Albert; mais si vous êtes,
+mesdames, si curieuses de le rencontrer, je crois pouvoir vous en
+offrir l'occasion.--Ah! M. le commandeur, s'écria madame de Nangis,
+si vous me rendez un pareil service, je vous promets de ne plus me
+plaindre de ces petites vérités que vous m'adressez avec tant de
+ménagements.--Non, vraiment, je serais bien fâché que le plaisir de
+vous obliger me coûtât une de vos injures. J'aime les réparties, et
+les vôtres sont trop piquantes pour les sacrifier. C'est donc sans
+aucune condition que je vous propose de me faire l'honneur de dîner
+samedi chez moi. Lavater m'a promis ce matin de me donner cette
+journée. Nous devions la consacrer au plaisir de nous rappeler les
+moments que nous avons passés ensemble dans son hermitage en Suisse;
+mais il ne m'en voudra pas de le tromper ainsi.»
+
+Madame de Saverny accepta avec empressement l'invitation du
+commandeur. Une secrète espérance de rencontrer chez lui cet
+Anatole, dont le souvenir revenait souvent à sa pensée, ranima sa
+gaîté. Elle redoubla de soins pour le commandeur, et jamais son
+desir de plaire ne s'était montré plus visiblement. M. de
+Saint-Albert n'osant pas s'en faire honneur, lui supposa un autre
+motif, et dit à voix basse à Valentine: «Vous ne me diriez seulement
+pas d'inviter le chevalier; et cependant vous en mourez d'envie.
+Mais on ne peut jamais espérer de franchise de la part d'une femme
+bien élevée.» A ces mots, Valentine se sentit rougir d'impatience;
+elle allait répondre de manière à détromper le commandeur, lorsque
+le chevalier vint s'informer des projets qu'elle avait pour le
+lendemain. M. de Saint-Albert profita de cette occasion pour remplir
+ce qu'il disait être le voeu de madame de Saverny; et la
+reconnaissance que lui en témoigna M. d'Émerange, dut le confirmer
+dans l'opinion que la moitié de ses conjectures était au moins bien
+fondée.
+
+Au jour convenu on se rendit chez le commandeur. Madame de Nangis
+s'étonna d'en être reçue d'une manière aussi affectueuse; elle
+ignorait le respect de M. de Saint-Albert pour les devoirs de
+l'hospitalité, et ne concevait pas comment ce même homme, si
+frondeur, si brusque chez les autres, pouvait devenir chez lui aussi
+prévenant qu'aimable pour tous ceux qui s'y trouvaient. Un vieux
+préjugé d'éducation avait persuadé au commandeur, qu'en général il
+faut être reconnaissant envers les personnes qu'on reçoit; car il
+est rare qu'elles ne fassent point un sacrifice en quittant leur
+maison, même pour s'amuser dans celle d'un autre. D'ailleurs il
+prétendait que la manière de recevoir plus ou moins bien les gens
+étant toujours un aveu des sentiments d'estime qu'on leur portait,
+ils avaient le droit de se blesser d'une distraction, ou de se
+venger d'une impolitesse.
+
+En entrant dans le salon, Valentine était vivement émue; son premier
+regard n'avait osé s'arrêter particulièrement sur personne, et ce ne
+fut que long-temps après qu'elle put vérifier que son espérance
+était vaine. La réunion n'était pas nombreuse: madame de Réthel,
+nièce de M. de Saint-Albert en fesait les honneurs; elle paraissait
+fort occupée du soin d'observer Valentine, et plus encore de lui
+témoigner la préférence la plus flatteuse. Le chevalier, à qui le
+trouble de madame de Saverny n'avait point échappé, en éprouvait
+une joie d'amour-propre qui se décelait dans tous ses discours.
+Il s'empressa de venir lui dire:--Sur lequel de tous ces
+visages placeriez-vous l'esprit ingénieux de Lavater.--Je
+voudrais, répondit-elle, en désignant quelqu'un, que cette
+figure, dont l'expression est si noble et si calme, fût celle d'un
+philosophe;--et le ciel, qui veut tout ce que vous voulez, a donné
+cette belle figure à Lavater.--Ah! je suis bien aise de l'avoir
+deviné, reprit Valentine; et, si j'osais, je m'en vanterais à lui
+pour lui prouver la vérité de son systême.» Dans ce moment, le
+commandeur vint prendre la main de ces dames pour les conduire à
+table. Selon le desir de madame de Nangis, Lavater fut placé près
+d'elle; mais sa curiosité n'y gagna rien. En vain son esprit
+trouva-t-il le moyen d'amener la conversation sur tous les sujets
+qu'elle croyait devoir l'intéresser: en vain lui témoignait-elle par
+ses prévenances le desir qu'elle avait de l'entendre causer; il
+garda le plus profond silence. La comtesse crut que c'était par
+_dédain philosophique_, et changea au même instant son enthousiasme
+pour Lavater, en indignation contre lui:--Savez-vous bien,
+dit-elle au commandeur, que votre savant ami n'est qu'un
+ennuyeux? Nous croit-il indignes de ses paroles, ou trop sots
+pour le comprendre?--Il serait possible, répondit M. de Saint-Albert,
+qu'avec tout votre esprit, vous ne le comprissiez pas.--Voilà bien
+cet orgueil masculin, reprit la comtesse, qui, tout en accordant
+beaucoup d'esprit aux femmes, les croit incapables d'apprécier le
+mérite d'un homme supérieur. On s'imaginerait à vous entendre que
+Dieu, vous ayant faits à son image, nous devons aussi vous adorer
+sans vous comprendre?--Pourquoi pas? nous vous donnons assez
+souvent l'exemple d'un pareil culte.--Cela n'excuse pas vos dédains
+pour notre esprit, et la peine que vous prenez à nous persuader que
+la nature l'a réduit au bonheur de vous amuser, sans pouvoir jamais
+atteindre à l'honneur de vous imiter, même dans la moindre de vos
+productions.--Ah! ce serait par trop injuste, reprit tout haut le
+commandeur, et ces messieurs me sont témoins qu'hier encore je
+vantais les jolis ouvrages de plusieurs femmes, et sur-tout les
+petits vers de madame de B... Ce n'est pas ma faute à moi si ces
+dames ne font pas de belles tragédies: je les vanterais d'aussi bon
+coeur.--Cela n'est pas sûr, dit la comtesse.--Et moi j'en réponds,
+dit le chevalier. Les succès littéraires des femmes ne peuvent être
+disputés que par des hommes médiocres. C'est la rivalité qui rend
+injuste, et plus encore le sentiment de son infériorité. Comment
+voulez-vous qu'un pédant ennuyeux pardonne à madame de La Fayette
+d'occuper une place dans toutes les bibliothèques, tandis que les
+misérables brochures qu'il enfante avec tant de peine, expirent en
+naissant? Il n'appartient qu'aux gens d'un vrai mérite de savoir
+approuver le talent par-tout où il se trouve, et j'affirmerais bien
+que Racine ne médisait pas des vers de madame Deshoulières, malgré
+son injustice envers lui.» La discussion s'établit sur ce sujet si
+souvent rebattu. Le chevalier plaida la cause des femmes en
+chevalier français, et fut bien étonné d'avoir à combattre madame de
+Saverny, dont l'avis était, que les talents les plus distingués, et
+le succès qui en résultait, ne pouvaient dédommager une femme du
+malheur attaché à la célébrité. Madame de Nangis insista pour savoir
+l'opinion de M. Lavater sur cette réflexion de Valentine, et le
+commandeur fut obligé de lui avouer que Lavater entendait assez bien
+le français, mais ne répondait jamais qu'en allemand. C'est
+pourquoi, ajouta-t-il, j'ai osé vous dire que vous pourriez bien ne
+pas le comprendre.» Cet aveu rendit à la comtesse toute sa
+bienveillance pour Lavater; elle pria le commandeur de lui servir
+d'interprète, et la conversation s'engagea bientôt comme elle le
+desirait. Elle eut beaucoup à se louer de l'aimable indulgence du
+philosophe pour celles qu'il appelait _ses chères pécheresses_; mais
+elle fut souvent contrariée de son attention à considérer Valentine.
+En effet, rien ne pouvait le distraire du plaisir qu'il prenait à
+contempler l'ensemble de ce beau visage: ses yeux y restaient fixés
+comme sur un livre dont chaque page augmente l'intérêt. C'est en
+regardant Valentine qu'il s'écria: «L'expression d'une ame pure sur
+des traits enchanteurs n'a-t-elle pas tout le charme d'une
+_harmonie céleste_!»
+
+Vers la fin du dîner, M. de Saint-Albert parla d'un billet qu'il
+venait de recevoir, où se trouvaient mêlés des vers adressés à
+Lavater, et qu'il croyait dignes de lui. De qui sont-ils,
+demandèrent aussitôt plusieurs personnes, car pour un grand nombre
+de gens, le jugement qu'on doit porter sur un ouvrage est tout
+entier dans le nom de l'auteur. Le commandeur répondit que le billet
+était d'un de ses amis, qui s'excusait de ne pouvoir profiter de
+l'honneur de dîner avec ces dames; et que les vers étaient anonymes.
+On voulut les connaître. Madame de Réthel fut charge de les lire.
+C'était un parallèle de Fénelon et de Lavater, où les plus nobles
+pensées étaient exprimées avec autant d'énergie que de grace; cet
+éloge semblait être plutôt le jeu d'une imagination qui aime à
+comparer, que l'oeuvre de ce démon de flatterie qui inspire tant de
+madrigaux; et l'on devinait en lisant ces vers, que l'auteur les
+avait faits bien plus pour son plaisir que pour vanter le génie de
+Lavater. Ils obtinrent tous les suffrages; après les avoir entendus,
+on voulut les lire, et lorsqu'ils arrivèrent à madame de Saverny,
+elle ne réussit pas à cacher sa surprise, en reconnaissant que ces
+vers avaient été tracés de la même main que la lettre d'Anatole. Le
+mouvement involontaire qu'elle fit, fut remarqué de tout le monde:
+on devina qu'elle avait reconnu l'écriture de l'auteur; et pour la
+première fois, elle se félicita d'ignorer son nom de famille, afin
+d'affirmer avec plus d'assurance qu'elle ne le connaissait pas.
+
+
+
+
+CHAPITRE XIV.
+
+
+Le commandeur, qui savait seul le secret de l'embarras de Valentine,
+voulut y mettre fin en proposant de se lever de table; mais elle
+était à peine remise de cette première émotion, qu'il en fallut
+dissimuler une plus vive encore. Madame de Nangis avait desiré voir
+la bibliothèque de M. de Saint-Albert; c'était une des plus
+complètes de Paris. Il fesait remarquer sa plus belle édition à
+madame de Saverny, lorsqu'on entendit la comtesse s'écrier en
+éclatant de rire: «C'est lui, c'est lui-même: Valentine,
+ajouta-t-elle en montrant un des bustes qui décoraient ce cabinet,
+ma chère amie, dites-moi un peu à qui vous trouvez que ce buste
+ressemble?--Vraiment, interrompit avec empressement le commandeur,
+il doit ressembler au troyen Hector; c'est du moins ce qu'assure le
+Romain qui me l'a vendu.--Il s'agit bien de votre guerrier troyen,
+reprit la comtesse, moi je vous dis que c'est le portrait frappant
+de notre _inconnu_, et qu'il est bien aussi beau, aussi brave, que
+tous vos héros d'Homère. Mais, répondez donc, Valentine, n'êtes-vous
+pas d'avis de cette ressemblance?» Madame de Saverny en était trop
+frappée pour oser en convenir. L'affectation du commandeur à
+détourner l'attention de la comtesse sur cette ressemblance, et plus
+encore le souvenir de ces traits si bien empreints dans la mémoire
+de Valentine, lui firent soupçonner que l'artiste chargé d'exécuter
+ce buste, n'avait eu pour modèle qu'Anatole. Elle s'étonna du
+trouble que cette idée fesait naître en son ame, et s'efforça d'en
+triompher, en répondant avec gaîté aux plaisanteries de sa
+belle-soeur; mais Valentine était loin de posséder cet art de
+dissimuler les émotions du coeur sous les apparences d'un esprit
+léger. Son regard, sa rougeur, combattaient avec son sourire. Elle
+sentit bientôt l'impossibilité de continuer une conversation qui lui
+coûtait tant d'efforts, et tâcha de porter l'attention de madame de
+Nangis sur un nouvel objet; n'y pouvant réussir, elle se décida à
+profiter de sa position pour satisfaire une partie de sa curiosité.
+Elle conduisit Lavater auprès de ce buste, et lui témoigna le desir
+de savoir, d'après son systême, le caractère qu'il supposait au
+modèle de cette belle tête. Entraîné par le plaisir d'intéresser
+Valentine, Lavater surmonte la timidité qui l'empêchait
+ordinairement de s'exprimer en français, et rassuré par l'idée de
+n'avoir à dénoncer que les défauts de quelque héros antique, il fait
+l'analyse la plus détaillée de ce portrait moral, en donnant à
+chaque mot une nouvelle preuve de sa profonde observation. Il
+démontre par tous les principes de sa science, qu'un homme doué de
+cette physionomie, doit posséder un esprit élevé, indépendant, mais
+trop prompt à s'exalter; un coeur généreux et passionné, sensible
+jusqu'à la faiblesse, jaloux jusqu'à l'emportement, timide et
+courageux, modeste et fier, docile dans ses habitudes, inébranlable
+dans ses résolutions; on peut l'occuper vivement, mais jamais le
+distraire; il ajoute enfin que son imagination ardente, modérée par
+un sentiment profond de mélancolie, lui promet de brillants succès
+en poésie et en peinture, et de vifs chagrins en amour.
+
+Jamais oracle ne fit plus d'impression sur les Grecs, que le
+jugement de Lavater n'en produisit sur l'esprit de Valentine. A
+mesure qu'il le prononçait, les yeux fixés sur le commandeur, madame
+de Saverny cherchait à en vérifier l'exactitude, et voyait avec
+plaisir le sourire d'approbation qui se répandait sur le visage de
+M. de Saint-Albert, à chaque détail que Lavater se plaisait à donner
+du caractère de son jeune ami. Convaincue de la fidélité de ce
+portrait, elle dit au commandeur de manière à n'être entendue que
+de lui:--Vous le voyez, tout le monde n'est pas aussi discret que
+vous. Il ne me reste plus qu'un nom à savoir; je le saurai bientôt,
+et j'aurai regret de ne rien devoir à votre confiance.--Vous devez
+déja trop à mon indiscrétion, reprit-il; mais comment un intérêt de
+ce genre peut-il vous occuper à travers tous ceux qui vous
+captivent?--C'est qu'il est peut-être le plus vif, répondit
+ingénûment Valentine.» Ce mot parut surprendre le commandeur; il
+prit un air méfiant, se mit à rêver, et son regard semblait dire:
+Serait-il vrai?
+
+Pendant que Valentine se reprochait l'excès de sa franchise, le
+chevalier riait de sa crédulité, et profitait du départ de Lavater
+pour dire:--Je crois, en vérité, que vous ajoutez foi à cette
+nouvelle magie! et que l'esprit éloquent de Lavater vous a subjuguée
+au point de.....--Elle ne saurait mieux faire que de le croire,
+interrompit madame de Nangis, puisqu'il donne à son héros toutes les
+qualités de Grandisson, sans compter les défauts charmants qu'il lui
+accorde.--Quoi! toujours ce personnage mystérieux, reprit le
+chevalier, en témoignant de l'humeur. Ah! par grace, mesdames,
+respectez son secret; il le garde si bien!--Il le garderait cent
+fois mieux encore, reprit la comtesse, que je le saurais demain
+s'il m'intéressait autant que vous le supposez.» Valentine fut
+frappée de cette réflexion, et n'en entendit pas davantage de la
+petite querelle qui s'engagea entre sa belle-soeur et le chevalier.
+Accoutumée à les voir souvent d'un avis contraire, elle s'inquiétait
+peu de leurs différends. Cependant elle aurait pu remarquer qu'ils
+étaient plus fréquents, et qu'il régnait dans tous les discours de
+la comtesse une sorte d'aigreur qui devenait chaque jour moins
+supportable. L'innocence de Valentine l'empêcha long-temps d'en
+soupçonner la cause; mais elle ne pouvait se dissimuler que madame
+de Nangis paraissait souvent importunée de sa présence; et, sans
+oser interpréter ce changement, elle en profitait pour se livrer
+quelquefois à son goût pour la retraite. Ces jours-là elle ne
+permettait qu'à la petite Isaure de venir la troubler, et c'est en
+prodiguant les plus tendres soins à la fille qu'elle se vengeait des
+caprices de la mère.
+
+
+
+
+CHAPITRE XV.
+
+
+La réflexion de madame de Nangis sur le secret d'Anatole, revint si
+souvent à l'esprit de Valentine, qu'elle finit par la trouver toute
+simple, et s'étonna d'avoir cessé aussi vîte les démarches qui
+pouvaient lui offrir des renseignements certains sur ce qu'il lui
+restait à savoir d'Anatole. Après avoir rejeté celles qui ne lui
+paraissent pas convenables, elle se fit conduire un matin à l'opéra,
+et sous prétexte de louer une loge à l'année, elle demande celle où
+elle a vu pour la première fois Anatole. On lui répond que la loge
+qu'elle désigne n'est pas libre, mais qu'on ne doute pas que
+l'ambassadeur d'Espagne n'ait la complaisance de la lui céder dès
+que Son Excellence apprendra que c'est madame la marquise de Saverny
+qui le desire. Valentine insiste pour que l'on n'adresse point à
+l'ambassadeur une demande aussi indiscrète, et défend positivement
+qu'on la fasse en son nom. Le commis chargé de la location des
+loges, ne voyant que l'intérêt de son administration, promet bien à
+la marquise de se conformer à ses ordres, mais c'est en formant le
+projet de lui désobéir. A peine l'a-t-elle quitté, qu'il écrit à
+l'intendant de l'ambassadeur tout ce qu'il avait promis de ne pas
+dire; il y ajouta quelques-unes des questions échappées à la
+curiosité de Valentine, et finit par offrir à Son Excellence le
+choix de deux autres loges en face de la sienne, qu'il assura être
+meilleures.
+
+La réponse du duc de Moras ne se fit pas attendre, et Valentine
+l'ayant rencontré quelques jours après chez la princesse de L***,
+resta interdite quand il vint la remercier de lui avoir offert
+l'occasion de faire une chose qui lui fût agréable, en lui cédant sa
+loge à l'opéra. «Elle sera bien mieux occupée, ajouta-t-il, et
+je m'assure la reconnaissance de mes anciens voisins. Quelle
+agréable surprise pour eux de voir arriver une aussi belle
+personne à la place de leur vieux diplomate!» Valentine, révoltée
+de l'indiscrétion commise en son nom, s'en défendit avec tant de
+chaleur, qu'elle s'en justifia mal. Son trouble, en écoutant le duc
+de Moras, son indignation contre ce commis qu'elle menaçait de faire
+punir de son impertinence, enfin, ce dépit qu'on éprouve toujours à
+la suite d'une démarche imprudente, et mal interprétée, lui donna
+l'air d'une personne qui craint d'être devinée. On avait trouvé
+tout simple le caprice qui l'avait engagée à desirer la loge du duc
+de Moras, on s'étonna de lui voir mettre tant d'importance à s'en
+défendre; et chacun y prêta le motif qui lui parut le plus probable.
+C'est ainsi qu'on juge souvent dans le monde de l'étendue d'une
+inconséquence par le plus ou moins de soin qu'on porte à s'en
+disculper.
+
+Fort heureusement pour Valentine, la princesse interrompit les
+excuses et les remerciements qu'elle adressait au duc de Moras, en
+disant: «Regardez, madame, le joli présent que je viens de
+recevoir!» Et elle conduisit la marquise auprès d'une table sur
+laquelle se trouvait un jasmin d'Espagne d'une rare beauté. Il
+avait la forme d'un oranger: sa tige élancée était recouverte d'un
+buisson de fleurs, et tout attestait qu'il avait déja bravé bien des
+hivers. Valentine convint qu'elle n'en avait jamais vu de pareil, et
+cependant son goût pour les fleurs lui avait fait souvent rechercher
+les plus belles; et les serres du château de Saverny étaient citées
+parmi les plus complètes en ce genre. Aux airs modestes que le duc
+de Moras prit en voyant chacun admirer cet arbuste, Valentine devina
+que c'était lui qui l'avait offert, et lui en fit compliment. Il y
+répondit en avouant qu'il le tenait d'un de ses amis qui l'avait
+fait venir d'Espagne, et qu'il ne croyait pas qu'il y en eût
+d'aussi grand en France.
+
+En sortant de chez la princesse, madame de Saverny se rendit chez la
+présidente de C..., où devait se trouver madame de Nangis. Elles y
+passèrent toutes deux le reste de la journée; et lorsque Valentine
+rentra chez elle, le premier objet qui frappa sa vue fut un jasmin
+semblable à celui qu'elle avait admiré le matin même chez la
+princesse de L...: elle reconnut jusqu'au vase qui le contenait, et
+ne douta pas un instant que la princesse ne lui en eût voulu faire
+le sacrifice. Pour mieux s'en assurer, elle demanda à sa femme de
+chambre de quelle part on l'avait apporté; mais mademoiselle Cécile,
+qui avait toujours le talent d'ignorer ce qu'elle ne voulait pas
+dire, répondit que deux hommes qu'elle avait pris pour des
+jardiniers l'avaient déposé dans l'antichambre, en recommandant de
+le placer auprès du lit de Madame. Cette réponse affermit Valentine
+dans l'idée que la princesse, ayant remarqué son admiration pour cet
+arbuste, avait voulu s'en priver pour elle. C'était à ses yeux une
+indiscrétion de plus que de l'accepter, et cependant comment refuser
+un sacrifice offert avec tant de délicatesse? Après s'être vivement
+reproché tout ce qu'elle croyait avoir dit et fait d'inconvenant
+depuis plusieurs jours, Valentine décida qu'elle irait le lendemain
+au lever de la princesse, la remercier de son aimable attention, et
+la conjurer au nom de l'ambassadeur, qu'elle privait déja de sa
+loge, de conserver les fleurs qu'il lui avait offertes avec tant de
+plaisir.
+
+La princesse était encore au lit quand la marquise arriva. Un
+valet-de-chambre alla s'informer si elle était visible, et madame de
+Saverny entra dans le salon pour y attendre sa réponse. On peut se
+figurer sa surprise lorsqu'elle aperçut sur la table de la princesse
+le même jasmin qu'elle y avait vu la veille. Sans pouvoir expliquer
+ce nouveau mystère, elle chercha un autre motif à donner à sa
+visite. Car, sans se rendre compte du sentiment qui la retenait,
+elle ne voulait point parler du présent qu'elle avait reçu, avant
+d'avoir découvert celui qu'elle en devait remercier. Elle était
+encore dans l'embarras de choisir un prétexte raisonnable, quand on
+vint l'avertir que la princesse l'attendait. Elle arriva près d'elle
+avec toute la confusion d'une personne qui ne sait ce qu'elle va
+dire. La princesse ne s'en aperçut point, et termina son embarras en
+lui disant: «Je devine ce qui m'attire le plaisir de vous voir
+d'aussi bonne heure, ma chère Valentine, vous savez ce qui s'est dit
+hier soir chez moi, et combien je me suis plainte de votre silence.
+Me laisser apprendre la nouvelle de votre prochain mariage par le
+bruit qu'il fait dans le monde, vous conviendrez que c'est me
+traiter avec bien peu de confiance, et que mon amitié méritait mieux
+de vous.» La princesse ajouta tant d'autres reproches obligeants à
+ceux-ci, qu'elle donna à Valentine le temps de se remettre un peu de
+son étonnement, et de chercher à profiter de la méprise.--Avant de
+me justifier, lui dit-elle, d'un tort que je n'ai point,
+permettez-moi, madame, de me plaindre aussi de votre facilité à
+m'accuser.--Quoi! interrompit la princesse, ce mariage n'est point
+vrai?--Je ne sais même pas à qui l'on me fait l'honneur de
+m'accorder.--Ah! vous savez au moins que le chevalier d'Émerange
+brûle de vous obtenir.--Moi... madame... répondit Valentine avec
+embarras.--Pourquoi vous troubler, ma chère Valentine? je ne veux
+pas arracher votre secret; croyez plutôt que si vous me réduisiez à
+le deviner, je saurais le respecter. Votre situation m'est connue;
+je sens tous les égards que vous devez à votre belle-soeur; mais
+quand vous aurez beaucoup sacrifié à sa sensibilité, il faudra
+toujours finir par lui porter le coup fatal, et je vous prédis que
+son caractère emporté ne vous tiendra pas compte de vos
+ménagements.--Ah! madame, pouvez-vous faire une semblable
+supposition?--Je ne suppose rien, je vous jure, et ne fais que vous
+répéter ce qui se dit dans le monde.--Oserait-on y calomnier la
+conduite de madame de Nangis? Ce serait une indignité!--Je le pense
+ainsi; mais ni vous ni moi n'avons la puissance de l'empêcher. Tant
+qu'on voit une femme recevoir les soins d'un homme aimable, on dit
+qu'elle les encourage; s'attriste-t-elle de ses assiduités auprès
+d'une autre, on la dit jalouse. C'est une vieille routine adoptée
+par la malignité, et que rien ne saurait changer: mais remarquez que
+ces mêmes gens si prompts à supposer les torts qu'on leur cache,
+n'en sont pas moins indulgents pour tous ceux qu'on leur montre, et
+que souvent, pour les désarmer, il suffit de paraître ne les pas
+craindre.--Et comment ne craindrait-on pas une méchanceté dont les
+suites peuvent devenir si funestes? Le caractère de mon frère est
+assez connu, je pense, pour ne pas laisser supposer qu'il endurât
+patiemment de tels propos.--Soyez tranquille, le bruit n'en
+parviendra jamais à ses oreilles; sur ce point, la discrétion
+française l'emporte sur le plaisir de nuire: on verrait avec horreur
+celui qui troublerait par une lâche trahison la paix conjugale d'un
+mari; et la société en ferait bientôt justice.»
+
+Ce ne fut pas sans peine que la princesse parvint à faire comprendre
+à Valentine les subtilités de ce code des lois mondaines, qui
+condamne la délation sans punir la calomnie. Les idées que madame
+de Saverny s'était faites du véritable honneur s'accordaient mal
+avec cet honneur de convention, parfois sévère et parfois
+complaisant, qu'on lui assurait avoir un si grand empire dans le
+monde. Si toute autre personne lui en eût ainsi parlé, elle l'aurait
+accusée d'une légèreté blâmable; mais les vertus, la conduite de la
+princesse de L..., ne laissaient aucun doute sur la pureté de ses
+principes. Elle parlait des travers de la société comme de ces
+infirmités incurables qu'il faut bien tolérer chez les autres, mais
+dont on ne saurait trop se garantir pour son propre compte; et ce
+fut d'elle que Valentine reçut la première leçon de cette aimable
+indulgence, qui est le sceau de la supériorité en tous genres.
+
+
+
+
+CHAPITRE XVI.
+
+
+De tous les sentiments qui tourmentent l'esprit, l'impatience étant
+bien certainement le plus difficile à dissimuler, on aime à s'y
+livrer sans témoin; aussi madame de Saverny forma-t-elle le projet
+de s'enfermer chez elle pendant quelques jours, pour calmer
+l'agitation que fesaient naître en son ame tant d'incidents
+étranges, et méditer sur la conduite qu'elle devait tenir.
+
+Elle s'occupa d'abord des moyens de détruire les espérances du
+chevalier d'Émerange sur son prétendu mariage, et de faire cesser un
+bruit dont elle se plaisait à exagérer les conséquences dangereuses,
+sans oser s'avouer celle qu'elle redoutait le plus. La difficulté
+était de faire connaître ses intentions au chevalier; comment
+imposer silence à un homme qui ne s'explique point, et l'obliger à
+nier un projet qui n'a peut-être jamais été le sien? Ces réflexions
+arrêtaient Valentine, et plus encore, l'idée de partager le ridicule
+attaché aux femmes qui se croient adorées au premier mot galant
+qu'on leur adresse, et qui se vantent de leurs rigueurs avant qu'on
+ait songé à leur plaire. Après s'être long-temps consultée sur le
+parti qu'elle devait prendre à ce sujet, Valentine résolut d'avoir
+recours aux conseils de son frère: elle était sûre de trouver en lui
+un défenseur des usages du monde, qui ne lui permettrait pas de les
+blesser en cette circonstance, et pleine de confiance dans la
+manière dont il la guiderait, elle ne chercha plus qu'à se distraire
+d'une pensée qui l'agitait péniblement, pour se livrer à des
+conjectures plus agréables.
+
+L'envoi de ce beau jasmin, et le mystère qui l'accompagnait, étaient
+bien dignes d'exercer l'imagination d'une femme déja tourmentée par
+un sentiment de curiosité qui s'augmentait de jour en jour. Mais
+pour cette fois Valentine se crut au moment de voir cesser
+l'obscurité qui lui causait tant d'impatience. Elle ne pensa pas
+qu'il lui fût permis d'accepter ce présent sans savoir de qui elle
+le tenait, et il lui parut fort simple de questionner le duc de
+Moras sur un fait qu'il ne pouvait ignorer. Dans cette résolution
+elle ne chercha plus qu'une occasion prochaine de rencontrer
+l'ambassadeur d'Espagne; mais mademoiselle Cécile entra, remit une
+lettre à sa maîtresse, et la marquise changea de projet.
+
+A la seule vue de l'adresse, Valentine reconnut l'écriture, et
+rougit; elle hésita quelque temps à rompre le cachet; et voyant que
+mademoiselle Cécile ne se disposait point à sortir, elle demanda si
+l'on attendait la réponse. Non, madame, répondit Cécile, cette
+lettre est venue par la poste, mais j'attends, pour savoir les
+ordres de Madame, et quelle robe je dois lui apprêter.--Je
+m'habillerai plus tard, reprit avec impatience la marquise.--Madame
+ne dînera donc pas aujourd'hui chez madame la comtesse, car le
+maître d'hôtel vient de me dire que l'on était au moment de
+servir.--Non, je resterai chez moi: faites dire à ma belle-soeur
+qu'une légère indisposition m'y retient.--Si Madame est malade, je
+puis en prévenir le docteur Petit; je viens de le voir entrer, il
+n'y a qu'un instant, chez madame de Nangis.--Elles Gardez-vous en
+bien; je n'ai besoin que de repos et ne veux être troublée par
+personne.» Ces derniers mots furent dits d'un ton à prouver à
+mademoiselle Cécile qu'on ne fesait point d'exception pour elle.
+Aussi s'empressa-t-elle d'aller remplir sa commission, tout en
+méditant sur l'émotion qu'elle avait remarquée dans les yeux de sa
+maîtresse en lui remettant cette lettre, et sur le desir qu'elle
+avait si franchement manifesté de la lire sans témoin.
+
+Voici ce qu'elle contenait:
+
+«S'il est vrai, Madame, qu'un heureux hasard m'ait donné quelques
+droits à votre reconnaissance, permettez que je les réclame, en vous
+suppliant de me sacrifier le faible intérêt de curiosité que je
+vous inspire; encore un mot de vous, et le mystère qui me dérobe à
+vos yeux cesserait bientôt; mais alors tout serait anéanti pour moi.
+Réduit à fuir l'objet d'un sentiment divin qui remplit mon ame, mon
+existence ne serait plus qu'un long deuil. Ah! par pitié,
+laissez-moi l'unique bonheur auquel je puisse prétendre! Si vous
+saviez combien l'idée d'occuper quelquefois sa pensée fait
+tressaillir mon coeur! avec quels soins je m'informe de ses projets,
+de ses desirs! à quels transports me livre la seule espérance de
+l'apercevoir! non, jamais vous ne consentiriez à me ravir une si
+douce félicité.
+
+«Je n'en doute point, Madame, vous accueillerez ma prière; le ciel
+n'a pas réuni tant de charmes, sans y joindre la sensibilité qui
+sait respecter et plaindre le malheur; et je vous devrai encore le
+seul bien qui puisse m'attacher à la vie.
+
+ «Je suis, etc.
+
+ «ANATOLE.»
+
+«Oui, s'écria Valentine, après avoir lu; sa prière est sacrée, et la
+reconnaissance me fait une loi de la respecter; je renonce dès ce
+moment à tout espoir de le connaître: il aime, il est malheureux,
+son sort paraît dépendre du mystère qui l'entoure. Ah! que je meure
+plutôt que de troubler la vie de celui à qui je dois la mienne!
+Mais comment le rassurer? comment lui faire savoir le serment que je
+fais de ne plus chercher à pénétrer le secret qu'il exige?» En
+disant ces mots, les yeux de Valentine retombèrent sur la lettre
+d'Anatole, et y virent, auprès de la signature, l'adresse du
+ministre des affaires étrangères. Elle présuma que c'était là
+qu'Anatole attendait sa réponse, et qu'il avait probablement chargé
+un des secrétaires du ministre de recevoir pour lui les lettres dont
+l'adresse ne portait que son nom de baptême. Persuadée qu'elle
+remplissait un devoir indispensable, elle s'empressa d'écrire un
+billet dont les expressions nobles et simples attestaient la
+franchise du sentiment qui les avait dictées. Pas un trait piquant,
+pas un mot dont la coquetterie eût pu tirer parti. C'était la
+promesse positive d'observer religieusement le silence imposé par
+Anatole, et dont la reconnaissance lui fesait un devoir.
+
+Lorsque l'ame est émue d'un sentiment généreux, les petites
+considérations disparaissent; aussi Valentine ne fut-elle point
+troublée dans cette démarche par l'idée de répondre à un inconnu,
+dont le but était peut-être de s'amuser de sa crédulité, et de
+profiter de la lettre qu'il avait si facilement obtenue d'elle, pour
+divertir ses confidents; une telle supposition n'entra pas dans son
+esprit, malgré sa disposition naturelle à un peu de méfiance.
+Cependant la conduite mystérieuse d'Anatole en pouvait inspirer à de
+plus confiants. Mais, sait-on jamais bien par quel motif on doute,
+ou l'on croit? N'a-t-on pas vu des illusions durer toute la vie,
+malgré l'évidence attachée à les détruire! Et la vérité qui prouve
+n'est-elle pas souvent sacrifiée à l'erreur qui persuade?
+
+
+
+
+CHAPITRE XVII.
+
+
+Mademoiselle Cécile avait si bien exagéré l'indisposition de sa
+maîtresse, qu'aussitôt après le dîner, madame de Nangis, suivie de
+tous ses convives, arriva chez la marquise, pour s'informer des
+nouvelles de la malade, et lui tenir compagnie. Ce projet dérangeait
+beaucoup celui que Valentine avait formé de passer la soirée toute
+seule; mais elle n'en témoigna point d'humeur. En entrant, le
+docteur s'écria: «Vraiment, je ne m'étonne pas qu'on ait la migraine
+dans une chambre ainsi parfumée de fleurs!» Et sans attendre de
+réponse, il donna l'ordre à un laquais de sortir tous les vases de
+fleurs qui se trouvaient dans l'appartement; madame de Nangis,
+accoutumée à ce despotisme doctoral, ne s'y opposa point. Mais
+Valentine demanda grace pour son jasmin d'Espagne, dont le parfum
+était trop doux, à ce qu'elle assurait, pour l'incommoder. Cette
+exception lui valut bien des commentaires sur l'envoi du jasmin,
+jusqu'au moment où chacun s'accorda pour le mettre sur le compte de
+l'ambassadeur d'Espagne. Pendant que l'on s'occupait de ce grand
+intérêt, le chevalier d'Émerange s'apercevant qu'il tenait encore à
+la main une branche d'héliotrope, qu'il avait cueillie chez madame
+de Nangis, la jeta dans le feu, en s'excusant auprès de la marquise,
+de n'avoir pas pensé plutôt que cette fleur pouvait l'incommoder. La
+comtesse s'aperçut de ce mouvement, et le trouva tout simple; mais
+quand elle vit le chevalier remplacer le bouquet qu'il venait de
+jeter, par une branche du jasmin de madame de Saverny, elle prit un
+air boudeur qui ne la quitta plus. Cette familiarité déplut aussi à
+Valentine; elle avait toujours présente à l'esprit la conversation
+de la princesse, et convenait que les manières du chevalier
+pouvaient bien avoir donné lieu au bruit qui circulait; pour en
+détruire l'effet, elle prit avec lui un ton de réserve qu'il
+remarqua avec étonnement; il crut d'abord que c'était un caprice, et
+voulut en triompher, en redoublant de soins et de gaîté; mais
+s'apercevant de l'inutilité des frais de son esprit, il joua le
+dépit, et devint silencieux. Le docteur profita de l'auditoire qu'on
+lui cédait, pour raconter un certain nombre d'anecdotes burlesques,
+dont il connaissait pour le moins aussi bien l'effet que celui de
+ses recettes. Il dut en être content, car l'on rit aux éclats; et ce
+fut au milieu du bruit qu'il avait provoqué, que le docteur sortit
+enchanté de son succès, et persuadé que lui seul s'entendait à
+guérir de la migraine.
+
+Le dépit du chevalier ne le servant pas mieux que sa coquetterie,
+il résolut de demander franchement à madame de Saverny en quoi il
+avait eu le malheur de lui déplaire? Chez beaucoup de gens la
+franchise est encore une ruse, et souvent celle qui leur réussit le
+mieux. Le chevalier en fit une heureuse épreuve. Valentine n'avait
+pas prévu qu'il dût lui demander l'explication de sa nouvelle
+manière de le traiter, et l'embarras qu'elle mit à lui répondre
+quelques mots insignifiants, fut interprété par le chevalier en
+faveur de son amour-propre. Il supposa que l'humeur jalouse de
+madame de Nangis avait inspiré à Valentine le désir généreux de
+calmer les inquiétudes de sa belle-soeur, en affectant plus de
+froideur pour lui; et, sans laisser apercevoir le plaisir qu'il
+ressentait de cette prétendue découverte, il dit à voix basse à la
+marquise, que si elle persistait à le traiter avec tant de sévérité,
+il regarderait ce changement de manière, comme un ordre de ne la
+plus revoir, et qu'il s'y résignerait malgré toute l'étendue du
+sacrifice. En écoutant le chevalier, Valentine, qui n'osait lever
+les yeux sur lui, les jeta sur madame de Nangis; elle la vit pâlir
+et se trouver mal; son premier mouvement fut d'aller la secourir,
+mais la comtesse revenant bientôt à elle, la remercia sèchement de
+l'intention qu'elle avait de la ramener dans son appartement pour
+lui donner ses soins; elle prétendit n'avoir besoin de ceux de
+personne, et prit le bras de M. d'Émerange, qui lui offrit de la
+reconduire. Les amis qu'avait amenés madame de Nangis, troublés par
+cet événement, prirent congé de Valentine, sans qu'elle y fît
+attention. L'oreille encore frappée des derniers mots de sa
+belle-soeur, et le coeur oppressé du refus qu'elle avait fait de ses
+soins, elle sentit ses yeux se remplir de larmes, et s'affligea d'un
+procédé dont elle craignit de deviner la cause. L'arrivée d'Isaure
+la tira de sa triste rêverie. «Eh mon dieu! qu'est-ce donc qui se
+passe, s'écria la petite, en embrassant Valentine. Quoi! vous
+pleurez! Est-ce que maman vous a grondée aussi?--Non, mon enfant,
+mais je l'ai vue souffrir, et cela m'a fait de la peine.--Elle a été
+malade, n'est-il pas vrai? Mademoiselle Cécile nous l'avait bien
+dit.--Cela n'est pas inquiétant, elle est beaucoup mieux
+maintenant.--Ah! je le sais bien, puisque j'ai été la voir
+tout-à-l'heure. Mais elle était si en colère contre M. d'Émerange,
+qu'elle m'a renvoyée en disant à ma bonne de me coucher tout de
+suite; cependant il n'est pas encore neuf heures. Aussi j'ai demandé
+à venir passer un petit moment avec vous. Savez-vous qu'il faut que
+ce M. d'Émerange ait bien désobéi à maman, pour qu'elle se fâche
+ainsi?--Que cela te fait-il? Je t'ai cent fois répété qu'à ton âge
+on comprenait tout de travers ce que les grandes personnes se
+disent entre elles, et que le mieux était de ne jamais le
+répéter.--Eh bien! je ne répéterai plus rien, je vous le promets, ma
+tante.--Si tu tiens parole, je te récompenserai.--Ah! que je suis
+contente, que me donnerez-vous?--Choisis ce que tu voudras.--Voici
+bientôt le temps des étrennes, je sais que mon papa doit me donner
+une montre, maman une grande poupée, il ne me manque plus qu'un
+collier avec un joli médaillon; ah! si vous vouliez m'en donner un
+avec votre portrait dessus, je serais aussi belle que la petite
+fille de la princesse de L..., qui porte à son cou le portrait de la
+Reine.--Puisque tu le desires, tu auras le collier et le portrait,
+mais tu connais nos conditions.--Ah! je n'ai pas envie de les
+oublier.--En disant ces mots, Isaure souhaita le bonsoir à sa tante,
+et se promit bien de lui obéir.
+
+
+
+
+CHAPITRE XVIII.
+
+
+Plusieurs jours se passèrent sans que Valentine pût rejoindre sa
+belle-soeur. Elle était toujours sortie, ou n'était point visible.
+Justement offensée de cette affectation à ne la pas recevoir, madame
+de Saverny n'insista plus, et se refusa même le plaisir de voir son
+frère, dans la crainte d'être obligée de répondre aux questions
+qu'il lui ferait probablement sur le motif qui l'éloignait de sa
+femme. Cependant l'ayant rencontré un soir chez la princesse de
+L..., et s'étant approchée de lui pour lui témoigner ses regrets
+d'être restée si long-temps sans le voir, elle fut très-étonnée d'en
+être accueillie d'un air sévère, et de lui entendre dire qu'il était
+tout naturel de sacrifier ses amis à ses adorateurs. Elle se serait
+justifiée sans peine d'une aussi injuste accusation, si les témoins
+qui les entouraient le lui avaient permis. Mais les réunions du
+grand monde ont cela de particulier, qu'on y peut toujours lancer
+une injure, et jamais entrer en explication; de là vient l'habitude
+que tant de gens d'esprit ont contractée, de se justifier d'un tort
+par une épigramme.
+
+Tourmentée par de pénibles réflexions, Valentine pria la princesse
+de la dispenser de faire une partie, et se plaça auprès de sa table
+de jeu. Le commandeur de Saint-Albert vint bientôt l'y rejoindre, et
+voyant l'expression de mécontentement répandue sur son visage, il
+lui dit: «Comment se fait-il qu'on ait le regard aussi triste quand
+on vient de causer tant de joie?--Je ne sais, répondit madame de
+Saverny, sans avoir l'air de comprendre la fin de cette phrase,
+mais il est vrai qu'aujourd'hui je suis assez maussade.--C'est
+une manière de répondre que vous ne vous souciez pas de me dire
+ce qui vous importune; tranquillisez-vous, je suis discret, et
+ne demande jamais ce que je sais.--Puisque vous êtes si bien
+instruit, faites-moi, je vous en prie, la confidence de ce
+que j'éprouve?--Non, vraiment; je n'aime point à me mêler des
+affaires de famille; d'ailleurs vous savez si l'on perd son
+temps à m'interroger?--Aussi n'ai-je plus envie de rien savoir
+de vous.--C'est dommage, car je me sens ce soir une certaine
+disposition au bavardage, dont votre curiosité aurait pu
+profiter.--Je ne suis plus curieuse.--Je l'avais bien prévu que ce
+caprice ne durerait pas plus qu'un autre.--En vérité, vous jugez de
+tout admirablement, reprit Valentine avec dépit; au reste, quand on
+prend la reconnaissance pour du caprice, on peut bien prendre le
+silence pour de l'oubli.--Que la colère vous sied bien! et que de
+gens aimables m'envieraient le bonheur de vous animer ainsi?--Ah!
+par grace, épargnez-moi votre ironie, je ne saurais la supporter
+aujourd'hui; c'est de votre amitié seule que j'ai besoin.--Vous y
+pouvez compter, reprit le commandeur d'un ton plus affectueux, et le
+moment approche où cette amitié déconcertera, j'espère, plus d'un
+projet.» Ces derniers mots auraient laissé une impression profonde
+dans l'esprit de madame de Saverny, si une lettre qu'on lui remit
+en rentrant chez elle n'eût changé le cours de ses idées. Cette
+lettre contenait les remerciements d'Anatole; et comme une prière
+exaucée en autorise nécessairement une autre, il suppliait
+Valentine, dans les termes les plus humbles de lui accorder la
+permission de lui écrire quelquefois. «Puisque le ciel me condamne,
+ajoutait-il, à ne jamais goûter le bonheur de ceux qui vous
+entourent, ne me privez pas du plaisir de vous peindre des
+sentiments dignes de vous. Ils sont sans danger pour votre repos; et
+votre coeur fût-il libre, vous n'y sauriez répondre. Je vous la
+répète, madame, un obstacle invincible me sépare à jamais de vous;
+mais la fatalité qui s'oppose à mes voeux ne me rend point indigne
+de votre confiance ni de votre intérêt, et vous pouvez recevoir en
+toute assurance l'hommage d'un culte qui n'est dû qu'à la divinité.»
+Plus bas on lisait que le renvoi de cette lettre serait regardé
+comme l'ordre de n'en plus adresser.
+
+Il serait trop long d'analyser tous les sentiments que fit naître
+cette lecture; le plus vif était bien certainement celui dont
+Valentine n'osait convenir avec elle-même. C'était ce plaisir qui
+ravit l'ame au premier aveu d'un amour qu'on désire; c'était cette
+ivresse du coeur qui trouble la raison au point d'ôter tout souvenir
+du passé, pour se livrer uniquement à l'espoir d'un avenir
+enchanteur. Les chagrins, les obstacles, tout disparaît devant
+l'idée d'être aimée; on croit sincèrement que l'amour a borné son
+ambition à cet excès de félicité, et l'on défie le malheur. Heureuse
+illusion, dont rien ne remplace la perte!
+
+Absorbée dans sa douce rêverie, Valentine se demandait comment
+Anatole pouvait avoir conçu pour elle un sentiment aussi vif, sans
+la connaître. A cette question fort raisonnable, son coeur répondait
+par un retour sur lui-même qui lui expliquait mieux ce mystère que
+n'auraient pu le faire tous les calculs de son esprit. D'ailleurs M.
+de Saint-Albert avait probablement instruit son ami de ce qui
+l'intéressait, peut-être même s'était-il plu à parer Valentine de
+toutes les qualités aimables, pour mieux séduire l'imagination
+exaltée d'Anatole. Ce projet n'avait d'abord été que l'effet d'une
+plaisanterie fondée sur l'aventure romanesque de l'Opéra; mais il
+arrive parfois que le même événement qui fait rire un vieillard,
+fait rêver un jeune homme; et tout prouvait que celui-là avait
+laissé des traces profondes dans le souvenir d'Anatole; il est si
+naturel de s'attacher aux objets de son dévouement, et de vouloir
+aimer une femme déja captivée par la reconnaissance! Voilà les
+suppositions qui occupèrent long-temps l'esprit de Valentine, avant
+de s'arrêter sur la pensée de cet _obstacle invincible_, qui aurait
+été le premier sujet des réflexions de toute autre personne. Son
+imagination n'en fut pas vivement tourmentée: elle se peignit
+Anatole soumis aux volontés d'un père ambitieux, et peut-être lié
+par des promesses qu'il n'osait ni accomplir, ni enfreindre, réduit
+à attendre sa liberté d'un malheur: elle ne voyait dans sa conduite
+mystérieuse qu'une preuve de la délicatesse qui doit interdire à un
+homme d'honneur le desir de faire partager un sentiment malheureux.
+Enfin, à travers cette obscurité profonde, elle voyait clairement
+tout ce qui expliquait à son gré la situation d'Anatole. C'est ainsi
+que tout l'esprit imaginable ne sauve pas des absurdités du coeur.
+
+
+
+
+CHAPITRE XIX.
+
+
+Le jour de la semaine où madame de Nangis recevait du monde étant
+arrivé, Valentine pensa qu'à moins de se dire malade, elle ne
+pouvait se dispenser de paraître chez sa belle-soeur; mais, pour
+éviter l'effet de quelque nouveau caprice, elle lui fit demander si
+elle serait visible. Tant de cérémonial rappella à madame de Nangis
+ses impolitesses envers madame de Saverny, et lui inspira quelque
+desir de les réparer. Elle fit répondre qu'elle la verrait avec le
+plus grand plaisir. Mais quand Valentine entra chez elle, brillante
+de fraîcheur et d'élégance, la comtesse sentit expirer sa bonne
+volonté, et quelques mots plus froidement polis qu'affectueux
+remplacèrent l'accueil qu'elle s'était promis de lui faire.
+
+La curiosité avait attiré beaucoup de monde chez madame de Nangis.
+La jalousie que lui inspirait sa belle-soeur n'était plus un secret
+pour personne; il est vrai que M. d'Émerange, en la niant partout,
+ne manquait pas une occasion de la provoquer; chaque jour amenait,
+entre lui et la comtesse, de ces petites scènes qui font ordinairement
+le désespoir des acteurs et l'amusement du public; on s'attendait à
+tous moments à quelque bon scandale dont les détails piquants
+alimenteraient pendant trois jours au moins la conversation générale;
+et chacun desirait pouvoir les raconter avec toute l'autorité d'un
+témoin.
+
+M. de Nangis était, comme c'est assez l'ordinaire, le seul qui ne
+s'aperçût pas du trouble qui régnait dans sa maison; il allait se
+plaignant à tous ses amis de la mauvaise santé de sa femme, dont les
+maux de nerfs augmentaient d'une manière inquiétante. Les plus
+charitables l'engageaient à faire faire un voyage à la comtesse,
+soit à Plombières ou à Barège; mais la saison ne permettait pas de
+prendre les eaux, et ce conseil restait au nombre de ceux qu'on
+donne sans y penser, bien sûr qu'ils seront écoutés de même. Après
+avoir longuement fait remarquer que sa femme maigrissait et
+changeait beaucoup, M. de Nangis s'approcha de sa soeur, et
+par l'effet d'un de ces à-propos dont la malignité est si
+reconnaissante, il s'écria: «Vous voilà donc enfin? J'ai cru que
+c'était un parti pris de nous abandonner. Savez-vous bien que depuis
+près de quinze jours on n'a pas eu le plaisir de vous voir ici.--Ce
+n'est pas ma faute, répondit Valentine, en cachant mal l'embarras
+que lui causait la position ridicule de son frère aux yeux des gens
+qui l'écoutaient en souriant.--Ah! je m'en doute bien, reprit le
+comte, en s'efforçant de prendre un ton léger, c'est peut-être une
+plume, un chapeau, ou quelques grands intérêts de ce genre qui nous
+ont valu cette longue absence. Il faut si peu de chose pour
+brouiller deux jeunes femmes!» Fort heureusement pour tous deux, la
+visite d'un grand personnage vint interrompre cette conversation.
+Valentine tenta de se rapprocher de quelques femmes avec lesquelles
+elle causait habituellement, mais elle ne vit pas sans surprise que
+toutes semblaient l'éviter, et affecter de lui répondre avec une
+sorte de dédain qui tenait de l'indignation. La plupart se levaient
+à chaque instant pour aller demander à la comtesse comment elle se
+trouvait, et cela d'un ton de pitié qui semblait dire: Pauvre
+femme! comme elle vous rend malheureuse. L'une d'elles, moins
+discrète que les autres, se mit à dire, de manière à être entendue
+de madame de Saverny: «C'est une véritable indignité; jouer un
+pareil tour à une amie qui vous accueille ainsi!» Fatiguée de toutes
+ces impertinences, Valentine se serait retirée chez elle, si madame
+de Nangis n'était venue la prier de faire le whist de trois graves
+personnes de qui l'âge et le rang réclamaient des attentions
+particulières, et dont la comtesse était bien aise de s'acquitter,
+par les soins complaisants de sa belle-soeur. Reléguée, pour ainsi
+dire, dans un autre siècle, madame de Saverny passa la soirée dans
+l'ignorance de ce qui occupa le reste de la société; elle entendit
+seulement quelques éclats de rire de madame de Nangis, qui lui
+firent présumer que le chevalier d'Émerange racontait une histoire
+dont le récit plaisant avait triomphé de la langueur de la comtesse.
+Lorsque ce long whist fut terminé, le chevalier s'approcha de
+Valentine, dans l'intention de reprendre la conversation que madame
+de Nangis avait si tragiquement interrompue; mais le souvenir de
+cette scène ridicule inspira à Valentine une si vive frayeur de la
+voir recommencer, qu'elle s'éloigna du chevalier sans presque se
+donner le temps de lui répondre. Cet empressement à le quitter parut
+d'autant plus affecté, que Valentine resta seule quelques moments
+au milieu du salon sans savoir à qui adresser la parole; madame de
+Nangis, qu'un plus long entretien entre le chevalier et sa
+belle-soeur aurait sans doute portée à quelque nouvelle
+extravagance, se blessa du motif qui avait déterminé Valentine à
+s'éloigner si brusquement de lui; tant il est vrai que rien ne peut
+calmer les agitations d'un amour-propre jaloux! Tout l'offense ou
+l'humilie, et, pour l'orgueil irrité, les égards mêmes sont encore
+des outrages.
+
+La situation de madame de Saverny au milieu de ce cercle de curieux,
+d'envieux ou d'ennemis, lui devint bientôt insupportable, et elle
+profita de la première occasion qui s'offrit, pour s'y soustraire.
+Quand elle se vit heureusement délivrée des ennuis qui l'avaient
+accablée dans cette soirée, elle réfléchit aux moyens de s'en
+épargner de semblables. Cette manière de vivre lui présageait des
+chagrins de famille qu'il fallait éviter à tout prix; mais comment y
+parvenir? Elle ne pouvait réclamer les conseils de son frère dans
+cette circonstance, sans trahir la comtesse; et son coeur en était
+incapable. Cependant elle sentait la nécessité de s'éloigner d'une
+maison où sa présence jetait autant de trouble; et si la saison
+l'avait permis, elle serait retournée au château de Saverny. Mais
+quitter ainsi Paris au milieu de l'hiver, et sans pouvoir donner à
+son voyage un motif raisonnable, c'était presque constater une
+rupture dont le public aurait tiré de grandes conséquences; et puis
+s'éloigner de l'objet de sa reconnaissance pour aller vivre seule et
+livrée à de tristes souvenirs, c'était renoncer à tout espoir de
+bonheur. Ces inconvénients se représentant sans cesse à l'esprit de
+Valentine, la décidèrent à se résigner encore quelque temps à
+supporter ceux de sa situation présente. Elle se flatta de l'idée
+que, touchée de ses soins à détruire toute apparence de rivalité
+entre elles, sa belle-soeur reviendrait bientôt à la raison, et par
+conséquent à ses devoirs. Ce n'est pas que Valentine supposât
+qu'elle y eût jamais complètement manqué; elle pensait avec justice
+qu'une femme dominée par la vanité peut se donner bien des torts
+avant d'être tout-à-fait coupable. Mais elle sentait bien aussi que
+le monde ne jugeait pas avec la même indulgence, et elle redoutait
+pour la comtesse les arrêts de ce tribunal sévère qui condamne sans
+entendre. Elle en eût été moins effrayée, si l'expérience lui avait
+appris que ces funestes arrêts ne tombent jamais sur les gens
+heureux.
+
+
+
+
+CHAPITRE XX.
+
+
+Une de ces matinées où les rayons du soleil semblent engager les
+élégantes de Paris à braver le froid pour venir se promener en foule
+sur la terrasse des Tuileries, Isaure vint proposer à sa tante de
+l'y conduire. Valentine, après s'être assurée que madame de Nangis y
+consentait, fit monter Isaure dans sa voiture, et toutes deux
+arrivèrent bientôt dans ce beau jardin, qui était alors le
+rendez-vous de la meilleure compagnie. Valentine n'y resta pas
+long-temps sans rencontrer un grand nombre de personnes de sa
+connaissance; mais la seule dont elle voulut accepter le bras fut M.
+de Saint-Albert, qui dit, en la remerciant du choix: Voilà les
+profits de mon âge. En achevant ces mots, il sentit tressaillir le
+bras de Valentine. Surpris de ce mouvement, il regarde ce qui peut
+l'avoir occasionné, et ses yeux rencontrent ceux d'Anatole. Il le
+voit saluer respectueusement madame de Saverny; puis s'approchant de
+lui, Anatole lui serre la main en levant les yeux au ciel, comme
+pour lui dire: _Que vous êtes heureux!_
+
+Sans faire la moindre réflexion sur l'émotion qu'il avait remarquée,
+le commandeur proposa à Valentine de s'asseoir dans un endroit
+échauffé par le soleil; elle y consentit d'autant mieux, qu'elle
+avait assez de peine à se soutenir. L'aspect inattendu d'Anatole
+avait produit sur tous ses sens une impression nouvelle qui la
+dominait au point de ne plus être en état de parler que de lui; mais
+comme elle voulait avant tout respecter son secret, elle chercha ce
+qu'elle en pourrait dire sans risquer de violer la promesse qu'elle
+lui avait faite, et ne trouva rien de mieux que de vanter l'extrême
+ressemblance du buste qui se trouvait dans la bibliothèque du
+commandeur.--En effet, reprit ce dernier, j'en ai été frappé comme
+vous lorsque je le vis pour la première fois dans l'atelier du
+fameux G... Il revenait alors d'Italie, d'où il rapportait des
+objets d'art précieux, que se disputèrent bientôt les amateurs. Ravi
+de retrouver les traits d'un de mes amis dans cette belle tête, j'en
+fis l'acquisition; l'artiste crut en rehausser le prix à mes yeux,
+en m'assurant qu'elle était copiée d'après l'Hector antique; mais
+lorsque je lui dis franchement le motif qui me déterminait à
+l'acheter, il m'avoua de même qu'ayant eu le bonheur de rencontrer à
+Rome un jeune homme d'une figure admirable, il s'était permis de
+faire plusieurs copies du portrait qui lui en avait été demandé.
+Après diverses questions, j'acquis la certitude que ce bel Hector
+n'était autre qu'Anatole, et la ressemblance fut expliquée.--Il dut
+être fort étonné, je pense, reprit Valentine, de se retrouver ainsi
+chez vous.--Comment donc! il m'a fait une véritable querelle pour
+avoir encouragé la mauvaise foi du sculpteur, qui se permettait de
+le vendre ainsi déguisé en grec; il prétendait que le ridicule en
+retombait sur lui; j'ai eu toutes les peines du monde à l'empêcher
+de briser ce malheureux buste, et je ne l'ai conservé qu'à la
+condition de nier qu'il eût le moindre rapport avec ses
+traits.--Madame de Nangis peut attester que vous lui tenez votre
+parole.--Et madame de Saverny, que j'y manque: n'est-ce pas ce que
+vous voulez dire?--Non vraiment, vous savez bien qu'on ne se croit
+jamais indigne d'une confidence; d'ailleurs, votre ami a des droits
+à ma discrétion, et je crois déjà lui avoir prouvé qu'il y pouvait
+compter.--En effet, j'admire la vôtre, et je m'accuse même d'avoir
+voulu l'éprouver. Dans la joie qui l'enivrait, Anatole m'a confié la
+promesse qu'il a reçue de vous; je n'ai douté ni de votre sincérité
+en la donnant, ni de votre résolution d'y rester fidèle; mais entre
+la volonté de remplir un voeu, et la puissance de l'accomplir, la
+distance est fort grande, et j'ai été bien aise de me convaincre
+que, pour vous, prendre et tenir un engagement était une même
+chose.--Puisque vous savez la parole qui me lie, je ne crains pas
+d'y manquer avec vous. Mais, pour concilier ma religion sur ce point
+avec le plaisir de m'entretenir d'une personne à laquelle j'ai tant
+d'obligations, convenons d'un point qui tranquillisera ma conscience
+et la vôtre. Le motif du mystère qu'il exige vous est connu; eh
+bien! ne me répondez jamais sur ce qu'il faut que j'ignore; par ce
+moyen, je vous parlerai sans crainte, et je vous écouterai sans
+scrupule.--Rien ne s'oppose à cette condition, et je vous promets de
+l'observer; mais à quoi vous mènera-t-elle? Qui sait? peut-être
+aurai-je besoin de vos avis.--Pour l'aimer, interrompit en souriant
+le commandeur; ah! je ne donne jamais de conseils dans ces grands
+intérêts. Que voulez-vous que fasse la raison où règne la
+fantaisie?--Mais, qui vous parle d'aimer? Ne saurait-on réclamer vos
+conseils que pour une fantaisie? En vérité vous découragez la
+confiance.--J'ai cela de commun avec ceux qui la méritent; mais je
+ne veux pas perdre la vôtre pour une mauvaise plaisanterie,
+qu'Anatole ne me pardonnerait pas.--Ah! c'est uniquement par égard
+pour lui que vous me ménagez? Je me croyais plus de droits à votre
+complaisance.--Vous en avez sur tous mes sentiments; mais je dois
+l'avouer, les droits d'Anatole l'emportent dans mon coeur, et je ne
+puis vous cacher que s'il arrivait que je fusse obligé de sacrifier
+votre intérêt au sien, je n'hésiterais pas.--Voilà de la bonne foi;
+et, malgré ce que cette déclaration a de peu flatteur pour moi, je
+ne puis m'empêcher d'estimer beaucoup celui qui vous inspire une
+telle amitié. Je crois vous connaître assez pour être sûre que vous
+ne pouvez aimer autant, qu'un homme fort distingué.--Et vous avez
+raison, reprit le commandeur en se levant pour rejoindre madame de
+Réthel, qui l'attendait.
+
+Dans ce moment le chevalier d'Émerange vint à passer, et fut arrêté
+par un jeune homme qui lui dit: «Ah, mon ami, dites-moi quelle est
+cette belle femme, qui parle tout près d'ici à une petite fille
+aussi fort jolie? J'arrive d'Allemagne, où mon père m'a laissé
+impitoyablement pendant un an, et je ne connais plus une de vos
+beautés à la mode.» A cette exclamation, le chevalier reconnut
+l'effet que produisait ordinairement la première vue de madame de
+Saverny. Il la nomma à son admirateur, qui s'empressa de lui
+demander s'il ne pourrait pas le présenter chez elle.--Non, certes,
+répondit le chevalier, d'un air qu'il s'efforçait de rendre modeste;
+je suis bien loin d'avoir assez d'intimité dans sa maison pour oser
+y présenter personne. En disant cela, il s'approchait de Valentine,
+qui venait de se lever dans l'intention de rejoindre sa voiture; il
+lui offrit de l'y conduire, et n'ayant point de bonnes raisons pour
+le refuser, elle fut contrainte de l'accepter. Le regret qu'elle en
+ressentait redoubla, lors qu'elle rencontra pour la seconde fois
+Anatole. Le desir d'éviter les plaisanteries du chevalier sur cette
+rencontre, lui fit tourner la tête de son côté, et lui adresser la
+parole pour fixer son attention, et l'empêcher de remarquer Anatole.
+Cette petite ruse réussit. Le chevalier enchanté de se montrer à
+tout Paris, presqu'en tête-à-tête avec madame de Saverny, et plus
+heureux encore de la bonne grace qu'elle mettait à lui parler,
+n'aperçut point Anatole; Valentine aussi s'efforça de ne le pas
+voir, et cependant la pâleur qu'elle remarqua sur son visage, vint
+attrister la fin d'une journée qui promettait d'assez doux
+souvenirs.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXI.
+
+
+A dater de ce jour, madame de Saverny perdit de son goût pour la
+retraite, et en prit un très-vif pour la promenade et les
+spectacles; il est vrai qu'un hasard assez explicable l'y fesait
+rencontrer souvent Anatole, placé presque toujours dans l'endroit le
+plus obscur de la salle, aux loges du rez-de-chaussée; il était
+plutôt deviné qu'aperçu par Valentine, à qui la moindre lueur
+suffisait pour lire sur les traits d'Anatole tout ce qui se passait
+dans son coeur. Une certaine retenue l'engageait parfois à fuir ses
+regards; mais alors un attrait irrésistible semblait triompher de sa
+volonté, et ses yeux revenaient d'eux-mêmes puiser dans ceux
+d'Anatole le feu qui les animait.
+
+Depuis que madame de Nangis affectait de s'éloigner de Valentine,
+madame de Réthel s'en rapprochait. Une grande conformité de
+principes et de goût rendait chaque jour leur liaison plus intime.
+Le commandeur s'en réjouissait, car c'était son ouvrage. En effet,
+révolté de l'abandon où madame de Nangis laissait sa belle-soeur, il
+avait conçu l'idée d'engager sa nièce à la suivre quelquefois dans
+le monde, où la réputation d'une jeune femme dépend si souvent de
+celle qui l'accompagne: madame de Réthel, flattée de cette
+préférence, se prêtait de bonne grace aux desirs que témoignait
+Valentine, et trouvait tout simple qu'ayant été élevée à la
+campagne, elle voulût un peu s'amuser des plaisirs de Paris. Madame
+de Nangis voyait naître cette intimité avec satisfaction; car
+elle connaissait l'antipathie de M. d'Émerange pour madame de
+Réthel, et elle espérait que tous les charmes de Valentine ne
+le détermineraient pas à braver le mal-aise qu'il éprouvait
+toujours en présence de madame de Réthel. Pendant quelque temps
+cette supposition se trouva juste; mais le chevalier se lassa bientôt
+d'un éloignement si contraire à ses projets. On le vit redoubler
+d'assiduités auprès de madame de Saverny, en dépit de tout ce
+qu'elle tentait pour s'y soustraire. Il imagina un moyen de la
+contraindre à recevoir ses soins, en confiant sous le secret, au
+comte de Nangis, le dessein qu'il avait de lui demander la main de
+sa soeur, aussitôt que la mort d'un vieil oncle le rendrait héritier
+d'un grand titre et d'une fortune considérable. M. de Nangis savait
+que les espérances du chevalier étaient bien fondées; et de plus que
+cet oncle, attaqué d'une maladie grave, ne pouvait prolonger
+long-temps l'impatience de son neveu. L'idée de ce mariage
+enchantait la vanité de M. de Nangis, et il ne doutait pas que sa
+soeur n'en fût aussi flattée que lui; il voyait d'avance dans son
+futur beau-frère, un homme dont l'esprit et la fortune obtiendraient
+bientôt le plus grand crédit à la cour; et l'on sait qu'aux yeux de
+M. de Nangis, avoir du crédit, c'était posséder toutes les qualités
+humaines.
+
+D'après l'effet d'un sentiment délicat, que le chevalier sut bien
+faire valoir, il prévint le comte que rien ne l'engagerait à se
+déclarer à madame de Saverny, avant l'événement qui devait le mettre
+à portée de lui offrir une fortune digne d'elle. Cette réserve fut
+très-approuvée; et M. de Nangis promit de récompenser tant de
+délicatesse, en donnant au chevalier les occasions les plus
+fréquentes de témoigner à Valentine le desir qu'il avait de lui
+plaire. C'est par suite de cette convention que M. d'Émerange se
+fesait conduire par le comte, dans tous les lieux où il savait
+rencontrer madame de Saverny, et qu'il s'assurait l'accueil que l'on
+ne peut refuser à un ami de sa famille. On présume bien que le
+chevalier avait fait promettre avant tout à M. de Nangis, de ne
+point mettre la comtesse dans la confidence, sous le prétexte assez
+plausible qu'elle n'en saurait pas garder le secret à sa
+belle-soeur. Mais l'habitude que M. de Nangis avait de traiter sa
+femme à-peu-près comme un enfant, rendait la recommandation
+inutile.
+
+Valentine, loin de deviner ce qui se passait entre eux, se demandait
+souvent comment la gravité de son frère pouvait s'arranger de la
+conversation d'un ami aussi léger; mais elle s'en étonnait moins en
+pensant à l'extrême facilité de M. d'Émerange, à prendre le ton qui
+convenait le mieux aux gens qu'il avait intérêt de captiver, et
+cette réflexion lui fesait craindre de voir cette amitié durer
+beaucoup trop long-temps pour le repos de toute sa famille. Le sien
+en fut le premier troublé, car à la suite d'une soirée que le
+chevalier avait passée dans la loge de madame de Saverny, voici le
+billet qu'elle reçut:
+
+ ANATOLE A VALENTINE.
+
+«Serait-il possible que l'être le plus parfait se fût laissé séduire
+par les agréments frivoles d'un homme incapable d'aimer; tant de
+beauté, de qualités célestes, deviendraient le partage d'un coeur
+égoïste? et celui que le plus pur amour anime, n'obtiendrait pas
+même un souvenir! Non, sur ce fait, je n'en croirai que vous; s'il
+est vrai que l'insensibilité, l'ironie, enfin toutes les vertus d'un
+fat, aient le don de vous plaire, je ne dois plus rien adorer au
+monde, et vous me verrez fuir désespéré, comme le malheureux dont un
+profane vient de renverser l'idole.»
+
+Le ton de ce billet offensa Valentine, et, sans pitié pour le
+sentiment qu'il exprimait, elle ne vit que l'injustice de vouloir
+dicter des lois sans s'exposer à en recevoir.
+
+Puisqu'un obstacle que j'ignore, pensa-t-elle, doit me priver
+éternellement du plaisir de le voir, de quel droit m'imposerait-il
+le sacrifice des soins qu'un autre peut m'offrir? Certes, je
+n'encourage pas ceux du chevalier, et ne cache pas même assez à quel
+point je les redoute; mais si des motifs qui me sont personnels
+m'engagent à détruire ses espérances, je n'en veux recevoir l'ordre
+de personne. C'est ainsi que la fierté de Valentine s'indignait de
+l'empire qu'Anatole se croyait déja sur elle. Tant de despotisme
+lui semblait autorisé par la faiblesse qu'elle avait eue de recevoir
+ses lettres après l'aveu qu'il avait osé lui faire, elle se
+reprochait même d'avoir répondu à la première, et plus encore, de
+s'être laissée tromper par l'apparence de cette respectueuse
+soumission qui paraissait devoir la rassurer sur tous les sentiments
+d'Anatole. Cependant elle aurait bien voulu accorder les intérêts de
+son coeur et ceux de sa dignité; mais son imagination chercha
+vainement un moyen d'instruire Anatole de l'indifférence que lui
+inspiraient tous les agréments du chevalier, sans qu'elle fût
+obligée de se justifier elle-même du tort de le trouver aimable.
+
+Une visite du commandeur vint très-à-propos la tirer de cet
+embarras. Il s'aperçut bientôt du ressentiment qu'elle tâchait de
+dissimuler, et sans en demander la cause, il s'amusa à la deviner;
+il parla d'abord des folies de madame de Nangis, comme d'un sujet
+très-propre à donner de l'humeur; mais Valentine se mit à excuser la
+comtesse avec tant de douceur et d'indulgence, que le commandeur se
+dit: Non, ce n'est pas cela: et il passa au chevalier d'Émerange.
+Valentine ne laissa point échapper cette occasion de lui avouer
+combien elle était contrariée du bruit qui se répandait dans le
+monde sur son prétendu mariage avec le chevalier; elle entra dans
+tous les détails qui devaient le mieux convaincre M. de
+Saint-Albert, du peu de succès du chevalier auprès d'elle, et comme
+elle en parlait naturellement et sans dépit, le commandeur se dit:
+Ce n'est pas encore cela. Après avoir tenté aussi inutilement
+plusieurs autres épreuves, il pria Valentine de lui montrer ce
+fameux jasmin dont madame de Réthel raffolait, et qu'elle prétendait
+être plus beau que celui de la princesse de L...--Je suis charmée
+qu'il lui plaise autant, répondit Valentine, avec un empressement
+extraordinaire, je vais le faire porter chez elle. En disant ces
+mots, elle sonna pour en donner l'ordre, et mit tant de vivacité
+dans ce mouvement, que le commandeur soupçonna qu'il était l'effet
+d'une résolution pénible; il assura que madame de Réthel ne
+consentirait jamais à causer tant de chagrin à celui qui lui avait
+offert ce bel arbuste.--Vraiment, reprit Valentine, en affectant un
+air gai que l'inflexion de sa voix démentait; en le donnant, je ne
+fais d'injure à personne, car j'ignore à qui je le dois.--Et moi, je
+le sais, répliqua le commandeur; et c'est au nom de l'amitié que je
+vous prie de le conserver. Ma nièce saura l'aimable intention que
+vous aviez de lui faire ce joli présent; un autre l'apprendra
+peut-être aussi, cela doit suffire à votre vengeance. En finissant
+ces mots, M. de Saint-Albert quitta madame de Saverny, et la laissa
+confondue de se voir ainsi devinée; mais il rit en lui-même du
+succès de sa petite ruse. En se rappelant les soins de Valentine à
+lui prouver qu'elle n'aimait point le chevalier, son agitation au
+premier mot qu'il lui avait adressé sur un sujet relatif à Anatole,
+et le dépit qu'elle avait montré en sacrifiant un présent qu'elle
+croyait tenir de lui, il présuma que quelques reproches dictés par
+la jalousie avaient excité cette grande colère; et il se dit: Pour
+le coup, c'est cela.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXII.
+
+
+On était à la veille du jour de l'an, de ce jour où tout se fait par
+étiquette, même une visite à son ami. On voyait les boutiques de
+Paris remplies de gens qui, par économie ou par avarice,
+marchandaient avec acharnement des objets de fantaisie, achetés à
+regret, pour être quelquefois offerts et reçus sans plaisir. Chacun
+se tourmentait pour deviner comment il pourrait satisfaire à bon
+marché le caprice d'une parente ou d'une amie; après avoir rêvé
+aussi sérieusement à ce grand intérêt, que s'il s'agissait de tous
+ceux de l'Europe, le jour solennel arrivait et rien n'était décidé;
+alors on se détermine à payer, deux fois sa valeur, la première
+chose venue, pour s'acquitter à temps d'un impôt d'autant plus
+exactement perçu, qu'il est mis sur l'amour-propre.
+
+Madame de Nangis, placée auprès d'une table couverte de bonbons, de
+joujoux, recevait de l'air le plus gracieux la foule de courtisans
+qui venaient lui apporter leurs offrandes. Le plus ingénieux dans le
+choix de ses étrennes avait l'honneur de les voir passer à la ronde,
+et d'entendre toutes les femmes se récrier sur son bon goût; l'objet
+de cette admiration n'était souvent que de la moindre valeur:
+car, en ce genre, le _génie_ de la nouveauté est tout, et l'on
+remarquait de vieux parents fort déconcertés de voir leurs solides
+cadeaux reçus avec indifférence, tandis qu'un almanach ou un pantin
+excitait la reconnaissance la plus vive. Le comte de Nangis éprouva
+ce désagrément dans toute sa rigueur; il avait imaginé de donner à
+sa femme une boîte à ouvrage la plus riche et la plus complète;
+c'était à-peu-près le seul bijou qu'elle n'eut pas, et le comte
+était ravi d'en avoir fait la découverte; mais madame de Nangis
+l'eut à peine remercié de son présent, qu'elle dit à ses amies:--Que
+vais-je faire de cette boîte à ouvrage, moi qui ne travaille
+jamais!--Vous me la donnerez, dit la petite Isaure, qui entrait
+dans ce moment suivie de sa gouvernante anglaise, dont l'air capable
+et sévère annonçait quelque chose de solennel. En effet, elle
+réclama quelques instants de silence pour qu'Isaure pût faire
+entendre le compliment qu'elle devait adresser à sa mère. La pauvre
+enfant, plus tremblante qu'un criminel que l'on va juger, se plaça
+au milieu d'un grand cercle, et les yeux fixés à terre, elle
+balbutia quelques mots d'anglais qu'elle avait appris sans les
+comprendre, et qui furent applaudis sans être entendus. On s'extasia
+sur la facilité des enfants à apprendre les langues étrangères; et
+la petite Isaure fut bien récompensée de l'effort qu'elle venait de
+faire, en parlant pour la première fois en public, par la quantité
+d'étrennes qu'elle reçut de toutes parts.
+
+Celles de sa tante furent les mieux accueillies, et l'on doit
+ajouter à la gloire d'Isaure, qu'elle les avait bien méritées. On se
+rappelle qu'elles devaient être le prix de sa discrétion. Pour
+l'éprouver davantage, la marquise avait commandé au peintre qui
+venait d'achever son portrait, de commencer celui d'Isaure. Elle se
+proposait de l'offrir à la comtesse, mais, pour que la surprise fût
+complète, il fallait obtenir d'Isaure qu'elle en gardât le secret.
+C'était beaucoup pour une petite fille accoutumée à raconter tout ce
+qu'elle voyait ou entendait dans la journée. Cependant le desir de
+plaire à sa tante, de mériter ce qu'elle lui avait promis, et cette
+petite vanité qui porte les enfants de tout âge à chercher les
+moyens de triompher d'une difficulté que l'on paraît croire
+au-dessus de leurs forces, donnèrent à Isaure le courage de tenir sa
+parole, elle se trouva bien heureuse de ce premier avantage remporté
+sur son caractère, quand elle vit la joie de sa mère, en reconnaissant
+les traits de son enfant sur les simples tablettes que lui offrait
+Valentine. Crainte, soupçons, chagrins, ressentiment, tout disparut
+devant cette douce image; le coeur ému triompha de l'amour-propre
+égaré; et la comtesse, les yeux remplis de larmes, vint se jeter
+dans les bras de sa belle-soeur. Elles ne se dirent pas un mot;
+mais l'expression de leurs visages ne laissa pas le moindre doute
+sur la sincérité de leur réconciliation. Un petit nombre de
+personnes en fut attendri, les autres s'en consolèrent, en disant:
+Cela ne durera pas long-temps: et le ciel, qui exauce parfois le
+voeu des méchants, accomplit cette prédiction.
+
+Après avoir vanté la ressemblance du portrait d'Isaure, on discuta
+celle du portrait de la marquise; les femmes le trouvaient trop
+flatté, et les hommes, beaucoup moins joli qu'elle. Le chevalier
+d'Émerange en paraissait plus mécontent qu'un autre; il y voyait
+mille défauts: et le plus grand, c'était, disait-il en confidence à
+Valentine, cet air sensible, ce regard presque tendre, et ce sourire
+enchanteur que l'artiste a pris sur lui de vous donner. Non,
+ajoutait-il, plus je le regarde, et moins je vois de rapport entre
+cette femme et vous. Ce visage offre l'image parfaite d'une personne
+qui ne saurait vivre sans aimer, et vous savez qu'avec le vôtre on
+se contente de plaire. A cette première injure le chevalier en
+ajouta d'autres sur la froideur, l'insensibilité de Valentine: il
+finit par conclure que le bonheur d'être admirée remplirait tous les
+instants de sa vie, et qu'elle était condamnée à ignorer toujours
+les plaisirs de la tendresse. Il prononça cette sentence avec
+l'accent de pitié que l'on prend ordinairement en parlant d'une
+maladie incurable, qui ne permet plus de rien attendre du malheureux
+qui en est atteint.
+
+Cette manière de la juger déplut à Valentine; elle n'avait nulle
+envie de détromper le chevalier, en lui témoignant plus d'affection,
+mais elle était blessée de l'idée qu'il n'attribuât son indifférence
+qu'à la sécheresse de son coeur; et cela, dans le moment même où
+ce coeur était si douloureusement affecté d'un sentiment tendre!
+Cette réflexion la rendit à toutes les pensées tristes dont la
+réconciliation sincère de sa belle-soeur l'avait distraite un
+instant. Elle en parut absorbée. Le chevalier et madame de Réthel le
+remarquèrent, l'un s'en réjouit; l'autre tâcha de dissiper la
+tristesse dont elle ignorait la cause. Dans cette espérance, madame
+de Réthel proposa à la marquise de profiter de l'heure qui leur
+restait encore avant le souper, pour aller voir le ballet nouveau.
+Mais Valentine refusa obstinément. La crainte de revoir Anatole sans
+pouvoir lui témoigner le ressentiment quelle éprouvait; la crainte,
+mieux fondée encore, de trahir sa faiblesse par quelque regard trop
+indulgent; et puis cette petite férocité amoureuse qui fait jouir de
+l'idée que le coupable se désole peut-être en nous attendant
+vainement; tout se réunit pour décider Valentine à fuir Anatole.
+Elle se promit de ne pas répondre à sa dernière lettre, de n'en
+plus recevoir de lui, et de rassembler toutes les forces de sa
+raison et de son esprit pour détruire l'impression qu'il avait faite
+sur son coeur: elle alla jusqu'à s'accuser de folie, en pensant
+qu'elle avait pu se flatter un instant de trouver quelque bonheur
+à captiver les sentiments d'un homme qui devait lui rester
+éternellement inconnu. Elle se reprocha de lui avoir donné le droit
+de la croire une femme légère, et finit par le justifier à ses
+dépens. Que résulta-t-il de tant de beaux raisonnements, de tant de
+sages résolutions? vous l'avez déja deviné, vous dont l'amour a
+tourmenté ou embelli la vie.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXIII.
+
+
+Valentine ne pouvant surmonter la tristesse qui l'accablait, prit le
+parti de se retirer d'assez bonne heure, malgré les instances que
+firent le commandeur et sa nièce pour l'engager à entendre deux
+scènes d'une tragédie nouvelle que l'auteur avait promis de lire
+après souper. Mais, pour être digne d'une semblable confidence, il
+faut avoir l'esprit libre et paraître tout occupé de ce grand
+intérêt. En pareil cas, la moindre distraction est un crime; et la
+marquise se méfiait trop de son attention pour s'exposer au
+ressentiment d'un auteur tragique.
+
+Elle venait de rentrer dans son appartement, et mademoiselle Cécile
+commençait déja à la déshabiller, lorsqu'un joli petit chien, de
+race anglaise, vint sauter après elle, et lui faire mille caresses.
+Elle demanda comment il se trouvait là. Mademoiselle Cécile répondit
+d'un air fort naturel, qu'ayant entendu aboyer près de la petite
+porte du jardin, la curiosité l'y avait conduite. «C'est-là,
+ajouta-t-elle, que j'ai trouvé ce joli chien, qui a probablement
+perdu son maître en entrant dans le jardin, pendant que le jardinier
+en avait laissé la porte ouverte. J'ai d'abord regardé dans la rue
+si quelqu'un le cherchait; mais n'ayant vu personne, et la nuit
+commençant à venir, je n'ai pas voulu exposer un si joli petit
+animal à être volé par quelques passants qui le maltraiteraient
+peut-être. J'ai pensé que madame voudrait bien le garder jusqu'au
+moment où son maître le réclamerait».--La marquise approuva l'action
+charitable de mademoiselle Cécile, et témoigna le desir de garder le
+chien, qu'elle trouvait charmant, et qui semblait déja s'attacher à
+elle. Mais sa conscience ne lui permettait pas de se l'approprier
+avant d'avoir fait toutes les démarches qui devaient le rendre à son
+véritable maître. Un collier d'or qu'elle aperçut à son cou lui
+parut devoir être un indice certain pour apprendre à qui il
+appartenait; elle dit à mademoiselle Cécile d'approcher un flambeau,
+et prenant le chien sur ses genoux: Je ne me trompe point, dit-elle,
+il y a quelque chose de gravé sur son collier, c'est sûrement
+l'adresse de son maître.--Je ne le crois pas, reprit mademoiselle
+Cécile, en s'efforçant de cacher un sourire malin.--Cependant voici
+bien.... Ici la marquise se tut... et la plus vive surprise éclata
+dans ses yeux. Mademoiselle Cécile n'eut pas l'air d'y faire
+attention, et se contenta de dire: «Puisque le collier ne dit rien,
+nous pouvons garder le chien sans scrupule.» Cette réflexion tira
+Valentine de la rêverie où elle était tombée. Elle se leva pour
+achever de se déshabiller; et lorsque mademoiselle Cécile voulut
+emmener le chien avec elle, la marquise lui donna l'ordre de le
+laisser coucher sur un des coussins de son cabinet.
+
+On veut savoir quels sont les caractères magiques qui ont causé
+l'étonnement de Valentine et la douce émotion qui lui avait succédé.
+On s'attend peut-être à quelques-unes de ces devises ingénieuses qui
+sont les talismans ordinaires de l'amour, ou bien à ces emblèmes de
+fidélité qu'on ne manque jamais de trouver sur le collier du chien
+d'une coquette; mais rien d'aussi spirituel n'avait frappé les yeux
+de Valentine; et ce simple mot _pardon_, avait causé tout le
+trouble de son ame. Que de choses ce mot disait à Valentine!
+Pouvait-elle méconnaître la main qui l'avait tracé, et ne pas
+deviner que la crainte de voir renvoyer sa lettre n'eût engagé le
+coupable à se servir d'un autre interprète! Ce seul mot lui
+apprenait que le commandeur l'avait trahie, que son ressentiment
+était connu, et qu'on voulait l'appaiser. En fallait-il davantage
+pour livrer son coeur aux plus douces conjectures?
+
+Dès ce moment _Love_ devint le favori de Valentine et le meilleur
+ami d'Isaure, qui s'étonna beaucoup de lui voir caresser M. de
+Saint-Albert la première fois qu'il vint chez sa tante, comme s'il
+avait revu une ancienne connaissance. Ce nom de _Love_ avait
+remplacé le mot gravé sur le collier, et semblait y répondre.
+Cependant Valentine persistait dans la résolution de laisser ignorer
+sa clémence; elle craignait qu'un premier tort aussi facilement
+pardonné ne fût suivi d'un tort moins excusable, et quelque chose
+l'avertissait que, sa faiblesse une fois connue, elle perdrait pour
+toujours son indépendance. Ce raisonnement soutint quelque temps son
+courage; mais il succomba bientôt à l'ennui d'une existence que rien
+n'animait plus à ses yeux. Le plus grand des inconvénients de
+l'amour n'est pas dans les peines qu'il cause, mais dans l'habitude
+de ces mêmes agitations dont le coeur ne peut plus se passer. Ces
+longues journées, passées sans l'espérance de recevoir une lettre ou
+de rencontrer un regard d'Anatole, paraissaient à Valentine une
+éternité à franchir. Elle essayait en vain d'accélérer les heures,
+en les consacrant aux occupations qui l'amusaient autrefois; une
+distraction vague, une tristesse sans objet, la rendaient incapable
+d'aucune application. Elle s'étonnait de voir tant de gens s'agiter
+pour des intérêts médiocres, quand les plus importants n'excitaient
+que son indifférence; enfin, son ame était livrée à cette morne
+langueur qui succède aux agitations de l'amour, et qui les fait
+regretter. Dans cet état pénible, on voit souvent la femme la plus
+sage desirer d'en sortir, même au prix d'un malheur; et l'on peut
+mettre les fautes qui en résultent au nombre de celles que le besoin
+de vivre fait commettre.
+
+Un matin que Valentine ne se trouvait point disposée à recevoir des
+visites, elle forma le projet de mener Isaure à l'abbaye de
+Saint-Denis, qu'elle n'avait jamais vue. Isaure crut que c'était
+pour la récompenser de son application à apprendre l'histoire de
+France, et elle se promit d'étonner sa tante par son érudition.
+Alors il se fit dans sa petite tête un bouleversement de noms et de
+dates que le plus savant n'aurait pu démêler. Comme on ne lui avait
+pas demandé le secret sur cette visite, elle alla dire à toute la
+maison combien elle se réjouissait de passer la matinée à voir des
+tombeaux; et c'est en sautant de joie, qu'elle monta dans la voiture
+qui devait la conduire à cet asyle de la mort.
+
+L'aspect d'un lieu aussi imposant modéra bientôt cette vive gaîté,
+qui fit place au respect religieux qu'imprime à tous les âges la vue
+d'un temple révéré. Le silence, habitant de ces voûtes gothiques,
+semble inviter l'enfant qui les parcourt, comme le vieillard qui
+vient y prier, à n'en point troubler le repos. Une sainte terreur
+s'empara de l'ame de Valentine, lorsqu'elle se vit, pour ainsi
+dire, seule entre ces trois puissances, la divinité, les grandeurs,
+et la mort. C'est donc ici, pensa-t-elle, que viennent se briser les
+sceptres de nos rois! Celui dont l'ambition ensanglanta la terre
+repose à côté du héros qui mourut pour son pays, et le même caveau
+renferme l'auteur de la Saint-Barthelemi, et la victime du
+fanatisme. Ici pour le crime et pour la vertu les honneurs sont
+égaux; le rang seul les assigne; mais toute la pompe des monuments
+élevés à la tyrannie ne diffère pas de l'horreur qu'inspire le
+souvenir de ses cruautés. On s'éloigne en frémissant du superbe
+tombeau de Catherine de Médicis, pour venir tomber aux pieds de
+celui de Henri IV, et l'arroser des larmes du regret et de la
+reconnaissance.
+
+Le suisse de l'abbaye vint interrompre les méditations de Valentine,
+en lui débitant du ton le plus emphatique et le plus monotone, les
+noms et les titres des princes qui étaient inhumés dans les
+différentes chapelles. Après lui avoir fait passer en revue les
+tombeaux de nos Rois, depuis la première jusqu'à la dernière race,
+il la conduisit dans la chapelle particulière où se trouvait le beau
+mausolée de cet infortuné duc d'Orléans, assassiné par le duc de
+Bourgogne, et si vivement regretté par cette femme adorable dont il
+avait souvent trahi l'amour. En considérant les traits nobles et
+doux d'une statue en marbre, aux pieds de laquelle on voyait un
+arrosoir penché et versant de l'eau en forme de larmes, la marquise
+reconnut bientôt l'intéressant auteur de cette devise: «_Rien ne
+m'est plus; plus ne m'est rien._» Émue par le souvenir des malheurs
+de Valentine de Milan, elle ne put supporter l'idée d'en entendre le
+récit de la bouche de l'homme qui l'accompagnait, et elle se mit à
+raconter elle-même à sa nièce, comment cette vertueuse princesse
+avait succombé à la douleur de n'avoir pu venger la mort de son
+époux. Isaure demanda alors ingénuement, si elle n'aurait pas mieux
+fait de pardonner.--En effet, reprit la marquise, c'eût été plus
+digne d'elle et plus heureux pour ses enfants, qui l'auraient
+peut-être perdue moins jeune; car le plaisir de faire grace doit
+faire vivre plus long-temps que celui de se venger; mais on n'a pas
+le droit de lui reprocher un tort qui lui coûta la vie, et que tant
+de bonnes actions rachetèrent.
+
+En cet instant, le démonstrateur un peu piqué de voir madame de
+Saverny empiéter sur ses droits, se retira vers la grille de la
+chapelle; et la marquise profita de ce moment de liberté pour
+examiner à son aise le monument érigé à la mémoire des vertus et du
+malheur. On ne peut réfléchir sur la destinée d'un être innocent et
+constamment malheureux, sans éprouver le besoin d'espérer en cette
+justice céleste, qui doit un jour tout punir et tout récompenser. De
+cette consolante idée, découlent tous les sentiments religieux, et
+cette noble résignation de l'ame qui fait regarder les tourments de
+la vie comme autant de gages d'une éternelle félicité. L'aspect
+d'une victime de l'amour et du sort ranima ces pensées dans l'esprit
+de Valentine; animée d'une piété touchante, elle se prosterna sur
+les marches d'un autel qui se trouvait en face du tombeau, et là,
+pénétrée d'un saint respect, elle pria le Ciel de lui épargner les
+tourments d'un amour malheureux, ou de lui inspirer la vertu qui les
+surmonte.
+
+En implorant la bonté divine sur sa destinée, Valentine éprouva
+l'attendrissement qui naît du souvenir de ses peines, et de
+l'espérance de les voir calmées. Son visage, embelli par la prière,
+se couvrit de douces larmes. Elle voulut les cacher à Isaure, et se
+servit, pour les essuyer, d'un voile de mousseline qui flottait sur
+ses épaules; puis se retournant, elle aperçut Isaure, agenouillée à
+ses côtés, et redisant sa prière du matin; ne voulant pas la
+troubler dans cet acte de piété, la marquise ne fit aucun mouvement,
+et fixa seulement les yeux sur le piédestal qui supportait la statue
+de Valentine de Milan. Mais elle crut s'abuser, lorsqu'elle vit au
+bas de la devise incrustée dans le marbre, ces mots tracés au
+crayon: «_Elle aussi n'a jamais pardonné._» Persuadée qu'elle était
+frappée d'une vision, Valentine se lève brusquement pour s'en
+convaincre; ce mouvement précipité fait tomber son voile; une main
+s'avance pour le ramasser, et c'est à travers les colonnes et les
+ornements gothiques du monument funèbre, que Valentine aperçoit
+Anatole. Il serre sur son coeur le voile encore humide des larmes
+qu'elle vient de verser en pensant à lui. L'expression de son
+visage, son attitude suppliante, semblent la conjurer de lui laisser
+ce gage de réconciliation; et Valentine, succombant à son émotion,
+n'ose ni l'accorder ni le reprendre. Son silence paraît un
+consentement à Anatole. La joie et la reconnaissance brillent dans
+ses yeux. Il porte le voile à ses lèvres, et disparaît.
+
+L'espace d'un moment suffit à tant de sensations différentes; et
+Valentine était seule, lorsqu'Isaure vint la rejoindre, après avoir
+achevé sa prière. Elles sortirent toutes deux à pas lents de ce lieu
+solennel, qui devait leur laisser de profonds souvenirs. Isaure en
+revint, l'esprit frappé de cette impression que reçoit l'enfance à
+la première vue des tombeaux, et Valentine en rapporta ce
+recueillement céleste, ce bonheur de vivre, que peuvent seuls
+inspirer la religion et l'amour.
+
+FIN DU PREMIER VOLUME.
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Anatole, Vol. 1 (of 2), by Sophie Gay
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ANATOLE, VOL. 1 (OF 2) ***
+
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+The Project Gutenberg EBook of Anatole, Vol. 1 (of 2), by Sophie Gay
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+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
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+with this eBook or online at www.gutenberg.org
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+Title: Anatole, Vol. 1 (of 2)
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+Release Date: January 25, 2011 [EBook #35064]
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+Produced by Hélène de Mink and the Online Distributed
+Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was
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+Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
+http://gallica.bnf.fr)
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+
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+
+<div class="box">
+<p>Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées.
+L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée.
+Les numéros des pages blanches non pas été repris.</p>
+<p>Une table des chapitres a été créée pour ce livre électronique qui ne figure pas dans
+le texte d'origine.</p></div>
+
+<p><a name="Page_1" id="Page_1"></a></p>
+
+<h2>ANATOLE.</h2>
+
+<h4>TOME PREMIER.</h4>
+
+<p class="p4 center"><i><b>Tome I.</b></i></p>
+
+<p class="center p4"><a name="Page_2" id="Page_2"></a>
+De l'Imprimerie de <span class="smcap">Firmin Didot</span>.</p>
+
+<p class="p2 center"><i>Se trouve aussi à Paris</i>,</p>
+
+<div class="left25">
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="libraires">
+<tr>
+ <td valign="middle" class="cbrace">{</td>
+ <td><span class="smcap">Delaunay</span>, Libraire, Galerie de Bois, au Palais-Royal.<br />
+ <span class="smcap">Renard</span>, rue de Caumartin, n<sup>o</sup> 12.<br />
+ <span class="smcap">Laurent-Beaupré</span>, au Palais-Royal.</td>
+</tr>
+</table>
+</div>
+
+<p class="p4"><a name="Page_3" id="Page_3"></a></p>
+
+<h1>ANATOLE.</h1>
+
+<p class="p2 center"><small><b>PAR L'AUTEUR</b></small></p>
+
+<p class="center"><big><b>DE LÉONIE DE MONTBREUSE.</b></big></p>
+
+<p class="center p2"><big><b>TOME PREMIER</b>.</big></p>
+
+<div class="figcenter"><img src="images/logo.jpg" width="100" height="86" alt="logo" title="" />
+</div>
+
+<p class="center p2"><small><b>A PARIS,</b></small></p>
+
+<p class="p2 center"><b>CHEZ FIRMIN DIDOT, LIBRAIRE,</b><br />
+<span class="smcap"><b>Imprimeur de l'Institut de France</b></span>,<br />
+<b>rue Jacob, n<sup>o</sup> 24.</b></p>
+
+<hr class="c5" />
+
+<p class="center p2"><b>1815.</b></p>
+
+<p><a name="Page_4" id="Page_4"></a></p>
+
+<p class="p4"><a name="Page_5" id="Page_5"></a></p>
+
+<h3>AU LECTEUR.</h3>
+
+<p class="p2">Le fond de ce Roman est vrai;
+puissé-je l'avoir rendu vraisemblable
+par les détails, et assez
+intéressant dans l'ensemble pour
+mériter à ce dernier Ouvrage l'accueil
+indulgent dont le public a
+bien voulu honorer <span class="smcap">Léonie de
+Montbreuse</span>!</p>
+
+<p><a name="Page_6" id="Page_6"></a></p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_7" id="Page_7">7</a></span></p>
+
+<h2>ANATOLE.</h2>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_PREMIER" id="CHAPITRE_PREMIER"></a>CHAPITRE PREMIER.</h3>
+
+<hr class="c5" />
+
+<p>«Eh bien, disait Richard, en brossant
+son habit de livrée, c'est donc
+après-demain que cette belle provinciale
+arrive?&mdash;Vraiment oui, répondit
+mademoiselle Julie, madame
+vient de m'ordonner d'aller visiter
+l'appartement qu'elle lui destine,
+pour savoir s'il n'y manque rien de
+ce qui peut être commode à sa belle-s&oelig;ur;
+je crois qu'on aurait bien
+pu se dispenser de faire meubler à
+neuf tout ce corps-de-logis; madame
+<span class="pagenum"><a name="Page_8" id="Page_8">8</a></span>
+de Saverny, accoutumée aux
+grands fauteuils de son vieux château,
+ne s'apercevra peut-être pas
+de tous les frais que madame a faits
+pour décorer son appartement à la
+dernière mode.&mdash;C'est donc une
+vieille femme?&mdash;Point du tout, elle
+a tout au plus vingt-deux ans; M. le
+comte est son aîné de plus de dix
+années, et madame la comtesse a
+bien au moins sept ou huit ans de
+plus que sa belle-s&oelig;ur, puisqu'elle
+en avoue quatre.&mdash;Et cette parente
+a-t-elle un mari, des enfants, une
+gouvernante? Faudra-t-il servir tout
+ce monde-là?&mdash;Grace au ciel, elle
+est veuve; et je pense qu'elle est
+riche, car son mari était, je crois,
+aussi vieux que son château; et l'on
+<span class="pagenum"><a name="Page_9" id="Page_9">9</a></span>
+n'épouse guère un vieillard que pour
+sa fortune.&mdash;Qui nous amène-t-elle
+ici?&mdash;Tout ce qu'il faut pour s'y
+établir, des gens, des chevaux; enfin,
+jusqu'à sa nourrice.&mdash;Ah! c'est
+un peu trop fort. Je sais ce que c'est
+que ces grosses campagnardes, qui
+se croient le droit de commander
+à toute la maison, parce qu'elles ont
+nourri leur maîtresse; ce sont de
+vieilles rapporteuses qui, sous prétexte
+de prendre les intérêts de leur
+cher nourrisson, vont leur raconter
+tout ce qui se dit ou se fait dans les
+antichambres; Lapierre est bien libre
+de se mettre au service de celle-là;
+quant à moi, je ne compte pas lui
+donner un verre d'eau.&mdash;Ah! tout
+cet embarras ne sera pas éternel,
+<span class="pagenum"><a name="Page_10" id="Page_10">10</a></span>
+Madame s'en lassera bientôt, surtout
+s'il est vrai que madame de Saverny
+soit aussi belle qu'on l'assure;
+ne savez-vous pas, Richard, que deux
+jolies femmes n'ont jamais demeuré
+bien long-temps ensemble?» Les
+remarques philosophiques de mademoiselle
+Julie furent interrompues
+par le retour du carrosse de madame
+de Nangis. Son entrée dans la cour
+de l'hôtel fut un signal qui remit
+chacun à son poste. Mademoiselle
+Julie s'enfuit dans le cabinet de toilette;
+Richard prit un paquet de
+lettres arrivées de la veille, et qu'un
+peu de négligence lui fesait remettre
+le lendemain à sa maîtresse. Et madame
+de Nangis les décacheta, en
+embrassant la petite Isaure, qui venait
+<span class="pagenum"><a name="Page_11" id="Page_11">11</a></span>
+au-devant de sa mère avec tout
+le plaisir d'un enfant qui interrompt
+une leçon ennuyeuse, pour aller
+remplir un devoir amusant.</p>
+
+<p>«Ah! dit madame de Nangis,
+en s'adressant au chevalier d'Émerange,
+voici des nouvelles de Nevers.
+Ma belle-s&oelig;ur arrive décidément
+jeudi. Je vous en préviens, chevalier,
+c'est une personne charmante.&mdash;A
+Nevers, peut-être?&mdash;Oui, monsieur,
+à Nevers, et par-tout; un joli visage,
+une belle taille, et beaucoup d'esprit,
+sont appréciés dans tous les pays.&mdash;Et
+c'est auprès de vous que madame
+de Saverny compte faire valoir
+tous ces avantages? Je la plains.&mdash;Vous
+me flattez aujourd'hui à ses
+dépens, reprit en souriant madame
+<span class="pagenum"><a name="Page_12" id="Page_12">12</a></span>
+de Nangis, bientôt vous la louerez
+aux miens. Je vous connais; la beauté
+a sur vous un empire absolu; votre
+admiration pour elle va jusqu'au
+délire. C'est avec cet amour du beau
+en général, que vous avez trompé
+tant de jolies femmes qui se croyaient
+tendrement aimées, lorsqu'elles n'étaient
+que passionnément admirées.&mdash;En
+vérité, madame, je ne puis accepter
+l'honneur que vous me faites;
+car, non-seulement j'ai fort peu trompé,
+mais j'ai passé ma vie à l'être.
+Quant à l'admiration dont vous me
+faites un reproche, ce n'est pas ma
+faute si l'on m'y réduit.» Ces derniers
+mots furent accompagnés d'un regard
+que la comtesse ne voulut pas
+avoir l'air de comprendre; elle reporta
+<span class="pagenum"><a name="Page_13" id="Page_13">13</a></span>
+ses yeux sur la lettre qu'elle
+tenait, en acheva la lecture, et dit:
+Elle écrit à ravir. Jugez-en vous-même,
+ajouta-t-elle, en donnant la
+lettre au chevalier, et convenez que
+vos Sévigné de Paris ne s'expriment
+pas mieux.&mdash;Cela n'est pas mal pour
+un style de province, répondit
+M. d'Émerange, après avoir lu; mais
+il n'y a pas grand mérite à écrire
+naturellement qu'on se promet beaucoup
+de bonheur à vivre auprès de
+vous. Que veut-elle dire en parlant
+de ses regrets, de son deuil, et de
+ce goût pour la retraite, qui nous
+annonce sûrement quelque grande
+passion?&mdash;Ses regrets sont pour ses
+vassaux et quelques amies d'enfance.
+Son deuil est celui qu'elle a pris à
+<span class="pagenum"><a name="Page_14" id="Page_14">14</a></span>
+la mort de son mari. Et son goût
+pour la retraite n'est autre chose
+que l'ignorance des plaisirs du grand
+monde. Élevée au couvent, où son
+père desirait la voir cloîtrée pour
+toujours, elle n'en est sortie que
+pour épouser, sans dot, le marquis
+de Saverny. C'était un vieillard aimable
+quoiqu'infirme. Un jour, mon
+beau-père lui fit part du projet qu'il
+avait de sacrifier l'existence de sa
+fille à la fortune de son fils. Cet
+usage, très-commun alors dans les
+familles, rendait le fils aîné possesseur
+de tous les revenus, et le mettait
+en état de soutenir dignement son
+rang à la Cour. M. de Saverny, après
+avoir vainement combattu la résolution
+de son ami, pour en détruire
+<span class="pagenum"><a name="Page_15" id="Page_15">15</a></span>
+l'effet, demanda la main de la pauvre
+Valentine; et tout s'est arrangé
+pour le mieux. Après deux ans de
+soins et de résignation, elle est devenue
+la riche héritière d'un mari
+trop vieux pour être long-temps regretté;
+et M. de Nangis profite sans
+scrupule de l'injustice de son père.&mdash;Je
+vois que tout le monde s'est fort
+bien conduit dans cette affaire-là,
+le défunt sur-tout: son dernier procédé
+met le comble à mon estime.&mdash;Si
+vous saviez tout ce que sa mort a
+coûté de larmes aux beaux yeux de
+madame de Saverny, vous n'en parleriez
+pas si légèrement; elle en était
+encore bien affligée lorsque je la
+quittai l'été dernier, et cependant
+elle avait déjà porté plus de huit mois
+<span class="pagenum"><a name="Page_16" id="Page_16">16</a></span>
+le deuil; je voulais alors l'emmener
+à Paris, elle s'y refusa, et je n'en
+pus obtenir que la promesse de venir
+s'établir ici à la fin de son deuil.
+Je vois avec plaisir qu'elle me tient
+parole. Sa présence me sera d'une
+grande ressource cet hiver, car je
+n'aime point à aller seule dans le
+monde, et encore moins à y suivre
+M. de Nangis, dont la gravité se croirait
+compromise, si l'on pouvait le
+soupçonner d'être quelque part pour
+son plaisir.&mdash;En effet, reprit le chevalier,
+je me suis souvent demandé
+quel avantage il trouvait à passer
+ainsi sa vie en dîners d'apparat et en
+visites de cérémonie.&mdash;Je n'ai pas le
+droit de médire de ses goûts, puisqu'il
+ne gêne pas les miens. Peut-être,
+<span class="pagenum"><a name="Page_17" id="Page_17">17</a></span>
+s'il en avait d'autres, serions-nous
+moins heureux. Aussi n'ai-je
+jamais exigé qu'il me les sacrifiât. Il
+reçoit mes amis avec politesse, je
+m'ennuie des siens avec complaisance,
+et rien ne trouble la paix
+qu'établit cette douce réciprocité.»
+L'arrivée de M. de Nangis mit fin à
+cette conversation, que rien n'empêchait
+de continuer devant lui, mais
+qui aurait perdu ce charme de confiance,
+qui n'appartient qu'au tête-à-tête.
+Le chevalier, persuadé qu'un
+tiers est toujours importun, se retira
+en promettant de revenir le lendemain
+soir au concert, où madame
+de Nangis avait invité la moitié de
+Paris à venir entendre une virtuose
+nouvellement arrivée d'Italie.</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_18" id="Page_18">18</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_II" id="CHAPITRE_II"></a>CHAPITRE II.</h3>
+
+<p class="p2">Déja cinquante femmes richement
+parées décoraient les salons de madame
+de Nangis, tandis qu'un plus
+grand nombre d'hommes circulait
+autour d'elles, en leur adressant
+des compliments plus ou moins sincères
+sur leur parure ou leur beauté.
+Les artistes, qui devaient faire les
+délices de la soirée, paraissaient n'attendre
+qu'un mot de la maîtresse de
+la maison pour commencer le concert.
+Elle allait en donner le signal,
+lorsque la <i>prima donna</i> s'avançant
+respectueusement vers elle, lui déclara,
+<span class="pagenum"><a name="Page_19" id="Page_19">19</a></span>
+le plus poliment possible, que
+rien dans le monde ne lui ferait
+chanter une note, si son accompagnateur
+ordinaire n'était pas au piano.
+Madame de Nangis lui représenta
+vainement que plusieurs compositeurs
+d'un grand talent et fort habitués
+à tenir le piano, offraient de
+l'accompagner, si l'artiste appelé
+pour avoir cet honneur, et que sa
+réputation au concert de la reine
+semblait en rendre digne, ne lui
+inspirait pas de confiance. La célèbre
+cantatrice resta immuable dans sa
+volonté; et madame de Nangis fut
+réduite à donner l'ordre d'atteler ses
+chevaux pour faire courir après cet
+indispensable confident des intentions
+musicales de la signora de B...
+<span class="pagenum"><a name="Page_20" id="Page_20">20</a></span>
+Cette petite discussion jeta l'alarme
+dans la brillante assemblée. A l'air
+d'humeur qui s'était peint sur le
+visage de madame de Nangis, et aux
+gestes multipliés de la Signora, qui
+semblaient tous dire: «Cela m'est impossible»,
+on avait jugé qu'elle refusait
+de chanter. La désolation était
+générale; et les gens qui par goût
+attachaient le moins de prix à un
+grand air italien, paraissaient les
+plus inconsolables.</p>
+
+<p>Le chevalier d'Émerange fut député
+auprès de madame de Nangis,
+pour savoir s'il restait encore quelque
+espérance; il profita de cette occasion
+pour demander à la comtesse
+si sa belle-s&oelig;ur était au nombre de
+toutes les jolies femmes qu'elle avait
+<span class="pagenum"><a name="Page_21" id="Page_21">21</a></span>
+réunies.&mdash;Non, lui répondit-elle; si
+madame de Saverny était ici, vous l'auriez
+déja reconnue.&mdash;J'en ai peur,
+reprit le chevalier, car un chapeau
+de Nevers doit être assez reconnaissable
+dans ce salon-ci.&mdash;Vraiment,
+il ne serait pas plus ridicule que
+celui de madame de R.... Il faut que
+cette femme-là soit bien sûre de
+son esprit pour affubler ainsi son
+visage; voyez un peu que de gens
+s'empressent autour d'elle; et dites
+ensuite, que sans le bon goût et l'élégance,
+on ne saurait plaire!&mdash;Je
+le dirai toujours en vous voyant,
+dussé-je me battre avec tous les
+champions de la laideur de madame
+de R....&mdash;Madame de Nangis ne
+voulant pas répondre à cette flatterie,
+<span class="pagenum"><a name="Page_22" id="Page_22">22</a></span>
+rappela au chevalier qu'il était
+attendu. Il l'avait oublié, et revint
+auprès des personnes qui l'avaient
+chargé de questionner la comtesse,
+en leur disant: «Soyez sans inquiétude,
+un léger incident retarde votre
+plaisir, mais vous allez l'entendre.&mdash;De
+qui parlez-vous? reprit, d'un
+air étonné, un de ceux à qui s'était
+adressé le chevalier.&mdash;Mais ne m'avez-vous
+pas dit de savoir si la signora
+B... se déciderait à chanter ce
+soir?&mdash;Ah! mille pardons, s'écria
+tout le monde, nous avions oublié
+votre extrême complaisance.&mdash;Et la
+cantatrice aussi, repartit le chevalier;
+cela ne m'étonne pas, on est toujours
+puni du tort de se faire attendre.&mdash;En
+effet, ces mêmes gens
+<span class="pagenum"><a name="Page_23" id="Page_23">23</a></span>
+qui, un moment auparavant, semblaient
+désespérés de la crainte de
+ne pas entendre la voix de cette célèbre
+virtuose, étaient presqu'aussi
+contrariés de voir interrompre une
+conversation qui les amusait. C'est
+ainsi qu'en France les plaisirs de
+l'esprit passent avant tout.</p>
+
+<p>Madame de Nangis, bien convaincue
+de cette vérité, prévint toutes
+les causeries qui allaient s'établir,
+en réclamant l'attention générale en
+faveur d'un beau quatuor d'Haydn,
+qui fut aussi bien exécuté que mal
+écouté. Au quatuor l'on fit succéder
+la sévère sonate d'un pianiste allemand,
+qui commençait à assoupir
+l'assemblée, lorsque madame de Nangis
+s'écria, sans aucun égard pour
+<span class="pagenum"><a name="Page_24" id="Page_24">24</a></span>
+le pauvre professeur;&mdash;Ah! voici
+M. Augustini.&mdash;C'était le nom de
+l'accompagnateur tant désiré; chacun
+le répéta tout haut, en félicitant
+madame de Nangis du bonheur
+d'avoir pu le rejoindre; et c'est au
+bruit de toutes ces félicitations,
+qu'expira le dernier accord de la sonate
+allemande, sans que personne
+songeât à en applaudir l'auteur. Madame
+de Nangis lui adressa seulement
+un de ces discours de maîtresse
+de maison, qui ne signifient
+rien, sinon qu'on veut se faire la
+réputation de dire un mot obligeant
+à toutes les personnes que l'on reçoit.
+Enfin, le moment de rendre justice
+au talent de la signora B... était
+arrivé, et madame de Nangis jouissait
+<span class="pagenum"><a name="Page_25" id="Page_25">25</a></span>
+du plaisir de voir le but de sa
+soirée rempli. Elle n'était plus tourmentée
+de cette crainte si naturelle,
+d'avoir réuni tant de personnes pour
+les ennuyer. M. de Nangis aurait dû
+partager cette douce satisfaction;
+mais une inquiétude d'un autre
+genre l'agitait. La princesse de L...
+pour laquelle il avait long-temps
+réservé la meilleure place, venait
+d'arriver, et s'était assise sur la seule
+chaise qui se trouvait libre derrière
+plusieurs autres femmes. M. de Nangis
+souffrait le martyre, en voyant
+la princesse aussi mal placée, et maudissait
+l'impossibilité de lui offrir le
+siége d'une autre personne. Heureusement
+pour lui, madame de Nangis,
+encore plus touchée de la position
+<span class="pagenum"><a name="Page_26" id="Page_26">26</a></span>
+penible où paraissait être son mari,
+que de celle de la princesse, interrompit
+la longue ritournelle du grand
+air italien, pour faire passer un fauteuil
+auprès d'elle, et y conduire la
+princesse de L...</p>
+
+<p>Tous ces dérangements importunaient
+au dernier point la signora B...
+et l'expression de sa physionomie
+n'en fesait pas mystère; mais l'enthousiasme
+qu'inspirèrent les premiers
+accents de sa belle voix, la
+rendirent plus patiente à souffrir
+les nouvelles contrariétés qui l'attendaient.
+Une des plus vives fut
+celle d'entendre sonner toutes les
+pendules des salons, au milieu du
+point d'orgue le mieux étudié; car
+pour les <i>bravo</i> mal placés, et tous
+<span class="pagenum"><a name="Page_27" id="Page_27">27</a></span>
+les signes d'une admiration souvent
+trop bruyante, son indulgence était
+extrême: on s'aperçoit si peu des
+inconvénients de ce qui flatte!</p>
+
+<p>Le bruit des applaudissements
+étant parvenu jusqu'aux antichambres,
+un domestique crut pouvoir
+profiter du moment où l'on ne chantait
+plus, pour aller prévenir la comtesse
+de l'arrivée de sa belle-s&oelig;ur.
+Madame de Nangis l'attendait avec
+impatience depuis une semaine; et,
+dans tout autre instant, elle eût été
+charmée de courir au-devant d'elle
+pour l'embrasser; mais interrompre
+ainsi un grand concert par une scène
+de famille, lui paraissait une chose
+fort ridicule. Pour l'éviter, elle donna
+l'ordre que l'on conduisît madame
+<span class="pagenum"><a name="Page_28" id="Page_28">28</a></span>
+de Saverny dans son appartement,
+et lui fit dire qu'elle irait la rejoindre,
+dès qu'elle pourrait s'échapper
+un moment.</p>
+
+<p>Au nom de la marquise de Saverny,
+la princesse de L... s'écria,
+«Quoi, c'est madame de Saverny
+qui vient d'arriver? Cette jolie femme
+qui était aux eaux de Vichy, l'année
+dernière, et qui m'a si bien reçue,
+lorsque ma voiture s'est brisée auprès
+de son château? Ah! rien ne
+saurait m'empêcher d'aller l'embrasser;
+où est-elle?»&mdash;Le domestique
+ayant répondu qu'en attendant les
+ordres de madame on avait fait entrer
+la marquise dans le petit boudoir,
+la princesse voulut s'y rendre
+à l'instant même, et madame de
+<span class="pagenum"><a name="Page_29" id="Page_29">29</a></span>
+Nangis se trouva forcée de l'accompagner.</p>
+
+<p>Elles trouvèrent madame de Saverny
+un peu déconcertée de sa réception.
+Le bruit de sa voiture n'avait
+attiré personne. Parvenue dans les
+vestibules, il lui avait fallu traverser
+une haie de laquais avant
+d'arriver à l'appartement de la comtesse,
+et se disputer avec l'un d'eux,
+pour l'empêcher de l'annoncer à
+haute voix dans le sallon. Un autre,
+plus connaisseur, ayant remarqué
+avec dédain la simplicité de sa parure,
+et reconnu qu'elle n'était pas
+digne des honneurs du concert,
+l'avait fait passer mystérieusement
+dans le boudoir, en lui recommandant
+de ne pas faire le moindre
+<span class="pagenum"><a name="Page_30" id="Page_30">30</a></span>
+bruit. Elle y était depuis un quart
+d'heure à méditer sur la différence
+de cette réception avec celle dont
+l'espérance l'avait occupée pendant
+toute sa route, lorsque la princesse
+vint se jeter dans ses bras, en lui
+prodiguant toutes les expressions de
+la plus tendre amitié. Madame de
+Nangis y joignit les témoignages de
+la sienne; mais tous ses soins à prouver
+combien elle était ravie du plaisir
+de revoir sa chère Valentine, dissimulaient
+faiblement l'impatience
+qu'elle éprouvait de retourner dans
+son salon. Madame de Saverny la
+devina bientôt, et supplia sa s&oelig;ur de
+ne pas interrompre plus long-temps
+le concert; elle lui demanda la permission
+d'en attendre la fin dans son
+<span class="pagenum"><a name="Page_31" id="Page_31">31</a></span>
+appartement; mais la princesse n'y
+voulut jamais consentir. «Madame
+la comtesse, dit-elle, ne souffrez pas
+qu'elle nous quitte ainsi. Il faut absolument
+qu'elle entende chanter madame
+B... C'est un plaisir qu'on ne
+peut remettre à un autre jour, puisqu'elle
+retourne incessamment en
+Italie.&mdash;Ah! madame, excusez-moi,
+reprit Valentine, je suis en habit de
+voyage.&mdash;Eh! que vous manque-t-il,
+interrompit la princesse, vous avez
+une robe de taffetas noir qui vous
+sied à merveille; avec cette collerette
+de blonde et ce chapeau de paille,
+vous êtes jolie comme un ange;
+allons, venez avec nous, ou bien
+restez, et je ne vous quitte pas.»</p>
+
+<p>Madame de Saverny résistait vainement
+<span class="pagenum"><a name="Page_32" id="Page_32">32</a></span>
+aux instances de la princesse,
+un message de M. de Nangis, que
+l'absence de ces dames contrariait
+beaucoup, détermina Valentine à ne
+pas la prolonger plus long-temps.
+Elle sacrifia de bonne grace les intérêts
+de sa vanité au desir de ses
+deux amies, et se résigna à se montrer
+la moins parée de toutes les
+femmes brillantes de cette assemblée,
+sans se douter qu'elle en fût la plus
+belle.</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_33" id="Page_33">33</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_III" id="CHAPITRE_III"></a>CHAPITRE III.</h3>
+
+<p class="p2">«Quelle est cette Artemise? demanda
+une de ces personnes bienveillantes,
+que le mérite frappe rarement,
+mais que le ridicule choque
+toujours.&mdash;Je ne la connais pas, répondit
+une autre, mais à son costume
+économique, je présume que c'est
+une dame de compagnie de la princesse.&mdash;En
+effet, je lui trouve assez
+l'air de ces jeunes femmes qu'on
+élève pour être toujours de l'avis de
+leur princesse, pour finir un meuble
+de tapisserie, et jouer au besoin une
+sonate à quatre mains.&mdash;Vous en
+<span class="pagenum"><a name="Page_34" id="Page_34">34</a></span>
+direz, mesdames, tout ce qu'il vous
+plaira, dit un troisième, mais cette
+femme-là a des traits admirables.&mdash;Des
+traits? Vraiment, vous êtes bien
+heureux de les découvrir à travers
+cet énorme chapeau; moi, je ne
+crois pas à la beauté des visages que
+l'on prend tant de soin de cacher.»&mdash;C'est
+ainsi que chacun donna son
+avis sur madame de Saverny, lorsqu'elle
+parut. Elle était pâle et fatiguée
+de son voyage; on la trouva
+sans fraîcheur. Sa robe n'était pas
+nouvelle, et il fut décidé qu'elle
+avait l'air provincial; du reste, on
+était sûr qu'elle manquait d'esprit et
+d'usage, car elle avait l'air étonné
+de tout, et ne parlait de rien. Dix
+minutes suffirent pour asseoir ce
+<span class="pagenum"><a name="Page_35" id="Page_35">35</a></span>
+jugement, et le rendre irrévocable.</p>
+
+<p>M. d'Émerange lui-même, malgré
+toutes ses connaissances positives sur
+la beauté, ne fut pas exempt d'injustice
+envers celle de madame de Saverny.
+Les plus savants dans ce genre
+sont souvent dupes de la mode, et
+il en est peu d'assez courageux pour
+défendre les agréments d'une femme
+mal mise. Le chevalier reprocha à
+madame de Nangis de l'avoir trompé
+sur le compte de sa belle-s&oelig;ur.
+«&mdash;Pour cette fois, lui dit-il, vous
+ne vous plaindrez pas de mon admiration,
+madame de Saverny ne me
+donnera jamais le tort de la partager
+entre vous deux.&mdash;N'en faites pas
+serment, reprit en souriant la comtesse.»&mdash;En
+ce moment M. de Nangis
+<span class="pagenum"><a name="Page_36" id="Page_36">36</a></span>
+vint prendre le chevalier pour
+le présenter à sa s&oelig;ur, comme un
+de ses amis les plus aimables. Valentine
+répondit avec grace aux choses
+froidement polies que lui adressa le
+chevalier; il fut d'abord séduit par
+le son de sa voix, et, sans trop écouter
+ce qu'elle disait, il remarqua les
+plus belles dents et le plus gracieux
+sourire. Mais il garda le secret de
+cette découverte, et n'osa pas démentir
+son premier jugement.</p>
+
+<p>Cependant un sentiment de curiosité
+le rapprocha de madame de Saverny.
+Placé entre elle et la princesse
+de L..., il observa que Valentine
+écoutait la musique en personne de
+goût; et, dans ce qu'il put entendre
+de ses réponses à la princesse, il reconnut
+<span class="pagenum"><a name="Page_37" id="Page_37">37</a></span>
+un choix d'expressions élégantes
+et simples, qu'on rapporte
+assez rarement de la province. Le
+collier de madame de Nangis s'étant
+dénoué, Valentine ôta ses gants pour
+le rattacher, et laissa voir un bras
+charmant. Le chevalier n'en fut pas
+moins de l'avis de tous ceux qui se
+refusaient à la trouver belle. Cependant
+lorsque le concert finit, et que
+madame de Nangis vint accompagnée
+de plusieurs jolies femmes, le supplier
+de chanter quelques-unes des
+romances qu'il avait mises à la mode,
+il parut ne céder qu'à leurs instances;
+mais le fait est que madame de Saverny
+fut la seule qui n'osât le prier,
+et qu'il ne chanta que pour elle.</p>
+
+<p>Un long séjour en Italie avait
+<span class="pagenum"><a name="Page_38" id="Page_38">38</a></span>
+rendu M. d'Émerange fort bon musicien;
+il avait une voix agréable, et
+chantait avec goût. Sa prétention
+était de ne paraître attacher aucune
+importance à ses talents; mais, tout
+en ayant l'air de se croire fort indigne
+des applaudissements qu'on
+lui prodiguait, il ne pardonnait pas
+la critique. Malheur aux femmes qui
+trouvaient ses romances mauvaises,
+ou ses couplets mal rimés! on savait
+bientôt le nombre de tous leurs ridicules.</p>
+
+<p>Aucune des personnes qu'avait
+réunies madame de Nangis n'eut à
+craindre cette vengeance de la part
+du chevalier. L'enchantement fut général:
+chaque couplet offrait une
+application que ces dames interprétaient
+<span class="pagenum"><a name="Page_39" id="Page_39">39</a></span>
+à leur gré. Celles que la
+flatterie du chevalier avait souvent
+honorées de ses éloges, croyaient se
+reconnaître dans tous les portraits
+de ses bergères, le reste se lisait dans
+ses yeux, et tous les amours-propres
+étaient satisfaits. Madame de Saverny,
+qui n'entendait rien à toutes
+ces finesses, trouva simplement que
+M. d'Émerange chantait bien; mais
+elle n'osa le lui dire, tant la simplicité
+de ce compliment aurait paru
+froide, en comparaison de l'exagération
+des éloges dont on se plaisait
+à l'accabler.</p>
+
+<p>Madame de Saverny ne savait
+pas encore combien le silence d'une
+seule personne peut gâter un succès.
+Elle aurait pu s'en apercevoir, si elle
+<span class="pagenum"><a name="Page_40" id="Page_40">40</a></span>
+avait remarqué de quel air le chevalier
+répondait aux choses flatteuses
+que lui adressait madame de Nangis.
+Sa distraction et son mécontentement
+étaient visibles; il ne pardonnait
+point à une femme de province
+de ne pas être transportée du plaisir
+de l'entendre, et se disait: Il n'est
+pas douteux que cette belle veuve
+ait pour adorateur quelque petit gentilhomme
+des environs de son château,
+à qui elle a promis en partant
+de ne s'amuser de rien dans son
+absence; je suis sûr qu'elle va lui
+écrire demain que je l'ai ennuyée à
+périr, et s'en faire un mérite!» Cette
+réflexion inspira plus de dépit au
+chevalier que de dédain. Il décida
+bien que madame de Saverny devait
+<span class="pagenum"><a name="Page_41" id="Page_41">41</a></span>
+être sotte et maussade; il ne lui en
+aurait même rien coûté pour le dire,
+mais il s'efforçait en vain de le penser;
+car l'amour-propre rend plus
+souvent injurieux qu'injuste.</p>
+
+<p>Cette soirée se termina pour Valentine,
+au moment où l'on vint
+annoncer le souper. Elle se retira
+dans l'appartement qui lui était destiné.
+Mademoiselle Julie l'y attendait
+pour lui offrir ses services, et donner,
+d'un ton protecteur, ses avis à
+la petite Antoinette, qui lui paraissait
+une femme-de-chambre bien
+peu au fait des grands intérêts de la
+toilette d'une jolie femme. Il est vrai
+qu'Antoinette coiffait mal, et laçait
+de travers, mais c'était bien la plus
+honnête et la plus jolie de toutes les
+<span class="pagenum"><a name="Page_42" id="Page_42">42</a></span>
+jeunes filles de Saverny. Sa mère
+avait élevé Valentine, et Antoinette
+pouvait impunément mal habiller
+sa maîtresse, sans lui donner l'envie
+de la renvoyer. Cependant le séjour
+de Paris exigeait plus de soins; et
+mademoiselle Julie fut chargée par
+la marquise du choix d'une seconde
+femme-de-chambre, dont le premier
+devoir serait de bien traiter Antoinette.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_IV" id="CHAPITRE_IV"></a>CHAPITRE IV.</h3>
+
+<p class="p2">Il était neuf heures du matin, lorsque
+Valentine s'entendit réveiller
+par une petite voix qui lui disait
+assez bas: «Ma tante, dormez-vous?»&mdash;Ah!
+<span class="pagenum"><a name="Page_43" id="Page_43">43</a></span>
+c'est toi, ma chère Isaure!
+viens, que je t'embrasse.&mdash;Je n'y
+vois pas, je vais appeler Antoinette
+pour ouvrir les volets.» A peine
+Antoinette est entrée, qu'Isaure est
+sur le lit de sa tante qui la serre
+dans ses bras.&mdash;Comme tu es grandie
+depuis six mois, chère enfant;
+regarde-moi un peu! Tu as les mêmes
+yeux que ton père!&mdash;Oh! cela n'est
+pas possible, ma tante, car M. d'Émerange
+me dit tous les jours que je
+suis jolie, parce que je ressemble à
+maman.&mdash;Ce monsieur peut avoir
+raison, mais il ne saurait empêcher
+que tu n'aies les yeux bleus de ton
+père; au reste, peu m'importe qu'ils
+soient noirs ou bleus. Si l'on te trouve
+déja quelque ressemblance avec ta
+<span class="pagenum"><a name="Page_44" id="Page_44">44</a></span>
+mère, c'est que tu es probablement
+aussi bonne qu'aimable.&mdash;Je le crois
+bien; mon maître de piano est fort
+content; et mon papa dit que si je
+travaille toujours aussi bien, il me
+fera jouer l'année prochaine devant
+le monde.&mdash;L'année prochaine!
+mais tu seras bien jeune encore.&mdash;Pas
+si jeune, j'aurai sept ans. Miss
+Birton dit qu'à cet âge-là on n'est
+plus un enfant.&mdash;Qu'est-ce que c'est
+que miss Birton?&mdash;C'est une nouvelle
+gouvernante que maman m'a
+donnée pour m'apprendre l'anglais;
+mais je ne crois pas qu'elle reste
+long-temps ici; elle se plaint toujours.&mdash;Tu
+ne lui obéis peut-être pas
+assez?&mdash;Ce n'est pas cela qui la
+fâche; mais elle dit qu'on n'a point
+<span class="pagenum"><a name="Page_45" id="Page_45">45</a></span>
+assez d'égards pour elle: par exemple,
+hier on ne l'a pas invitée au
+concert; et elle m'a grondée toute la
+soirée. Je pourrais bien la faire gronder
+aussi, moi, si j'allais répéter tout
+ce qu'elle disait hier de maman.&mdash;Ce
+serait une méchanceté dont j'espère
+qu'Isaure est incapable; c'est
+déja trop de me le dire.</p>
+
+<p>Tout en écoutant le bavardage de
+sa nièce, madame de Saverny s'habillait,
+et se disposait à se rendre chez
+sa belle-s&oelig;ur pour s'informer de ses
+nouvelles; mais Isaure lui apprit que
+l'on n'entrait jamais chez sa mère
+avant midi, elle ajouta: Je vais voir
+si mon papa est dans son cabinet.
+Je le préviendrai de votre réveil, et
+nous viendrons déjeûner avec vous.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_46" id="Page_46">46</a></span>
+Elle revint bientôt accompagnée
+de M. de Nangis, qui se livra tout
+entier au plaisir de revoir sa s&oelig;ur.
+Il s'excusa de n'avoir pu le lui témoigner
+la veille. Mais elle devait savoir
+qu'un jour de réunion les étrangers
+passent avant tout. Il lui parla dans
+le plus grand détail des avantages
+qu'elle pourrait retirer de son séjour
+à Paris. Le premier de tous, à
+ses yeux, était de faire faire à sa
+s&oelig;ur un grand mariage. Dans les
+idées de M. de Nangis, le bonheur
+n'était autre chose qu'un état brillant
+dans le monde; et c'est dans la
+franchise de son amitié, qu'il conseillait
+à sa s&oelig;ur de tout sacrifier au
+projet d'un second établissement, digne
+de sa fortune. Valentine avait
+<span class="pagenum"><a name="Page_47" id="Page_47">47</a></span>
+un sincère desir de se laisser diriger
+dans sa conduite par son frère. Elle
+rendait justice à ses bonnes qualités,
+à l'esprit d'ordre qui le caractérisait;
+mais elle se sentait incapable d'être
+heureuse d'un bonheur qu'il lui aurait
+choisi; leurs goûts étaient trop
+différents.</p>
+
+<p>Madame de Saverny, docile sur
+tous les petits intérêts de la vie, avait
+cependant une volonté immuable.
+On la voyait sans cesse soumettre
+ses projets, ses plaisirs, aux caprices
+de ses amis; mais aucun deux n'eût
+obtenu le sacrifice d'un de ses sentiments.
+Élevée dans la retraite la
+plus austère, elle avait appris à mépriser
+les joies et les tourments de
+la vanité. Les religieuses, chargées
+<span class="pagenum"><a name="Page_48" id="Page_48">48</a></span>
+de son éducation, sachant que la
+volonté de son père la condamnait à
+vivre loin du monde, lui en avaient
+fait un tableau effrayant; à force de
+lui répéter que l'égoïsme et la perfidie
+dirigeaient toutes les actions des
+hommes, Valentine en avait conçu
+tout naturellement une sorte de défiance
+qui nuisait à son bonheur.
+L'assurance d'une sincère amitié lui
+semblait une politesse, l'éloge une
+flatterie, et le serment un mensonge.
+Cependant son ame tendre ne pouvait
+se passer d'affections vives. Mais
+la dévotion la plus exaltée les avait
+toutes concentrées, jusqu'au moment
+où M. de Saverny vint mériter son
+attachement et sa reconnaissance,
+et lui prouva qu'un homme, élevé
+<span class="pagenum"><a name="Page_49" id="Page_49">49</a></span>
+dans de bons principes, peut se conserver
+vertueux au milieu du grand
+monde; mais soit faiblesse, ou prudence,
+il ne chercha point à détruire
+les préventions qui la rendaient souvent
+injuste envers les autres hommes.
+Peut-être avait-il prévu qu'en
+mettant son esprit à l'abri des dangers
+de la séduction, elle n'en aurait
+encore que trop à vaincre pour son
+c&oelig;ur. Une longue habitude du monde
+avait démontré à M. de Saverny que
+le plus grand malheur d'une femme
+n'est pas de succomber au sentiment
+qu'elle éprouve, mais au caprice
+qu'elle inspire; et sa tendresse vraiment
+paternelle pour Valentine,
+avait voulu la préserver du malheur
+si commun d'être dupe de la vanité
+d'un fat ou de la légèreté d'un étourdi.</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_50" id="Page_50">50</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_V" id="CHAPITRE_V"></a>CHAPITRE V.</h3>
+
+<p class="p2">Les premiers jours qui suivirent
+l'arrivée de madame de Saverny à
+Paris, furent entièrement consacrés
+à des visites de famille que son frère
+avait exigées avant tout, et aux différentes
+emplettes des chiffons que
+madame de Nangis regardait comme
+l'absolu nécessaire d'une femme élégante.
+En personne qui n'a rien à
+redouter des succès d'une autre, elle
+se réjouissait de celui qu'obtiendrait
+Valentine, lorsqu'elle paraîtrait pour
+la première fois dans une grande
+assemblée, revêtue d'une parure brillante
+<span class="pagenum"><a name="Page_51" id="Page_51">51</a></span>
+et recherchée, dont le bon goût
+attesterait les soins qu'y aurait apportés
+madame de Nangis, et le généreux
+plaisir qu'elle trouvait à montrer
+dans tout son éclat la beauté de
+sa s&oelig;ur. On se tromperait, si l'on
+concluait d'après ce noble procédé,
+que madame de Nangis fût incapable
+d'envie: mais on est rarement jaloux
+de son ouvrage; et l'idée que Valentine
+lui devrait son triomphe, lui
+en fesait partager d'avance la gloire.</p>
+
+<p>Le moment d'en jouir fut fixé au
+jour que choisit la princesse de L...
+pour donner un grand bal. L'effet
+qu'y produisit la beauté de madame
+de Saverny alla fort au-delà de ce
+que s'en était promis sa belle-s&oelig;ur.
+C'était, disait-on, la taille la plus
+<span class="pagenum"><a name="Page_52" id="Page_52">52</a></span>
+svelte, le regard le plus séduisant, la
+tournure la plus gracieuse et la plus
+imposante. Les personnes dont l'esprit
+malin s'était épuisé en bons
+mots sur l'Artemise du concert de
+Madame de Nangis, restaient confondues,
+et ne pouvaient concevoir
+que le seul talisman d'une parure
+nouvelle eût eu le pouvoir d'opérer
+une semblable métamorphose. Leur
+malignité en était réduite à la triste
+ressource d'avouer que la marquise
+de Saverny était assez belle, mais
+d'une beauté insignifiante. Ceux qui
+ne l'avaient jamais vue, combattaient
+avec raison cet avis injurieux; et
+Valentine ne fut pas long-temps à
+s'apercevoir qu'elle était l'objet de
+l'attention générale. Sa modestie en
+<span class="pagenum"><a name="Page_53" id="Page_53">53</a></span>
+souffrit d'abord un peu, mais son
+amour-propre jouit bientôt du plaisir
+d'être admirée; elle en devint plus
+agréable encore, car rien n'embellit
+comme la certitude de plaire. Tant
+d'hommages l'auraient peut-être un
+peu trop enivrée, si elle n'avait entendu
+dire à un homme qui passait
+auprès d'elle:&mdash;Je me méfie de ces
+Beautés si régulières; elles naissent
+ordinairement sans esprit, et la
+flatterie les rend stupides.&mdash;Cette
+phrase, et le ton de mépris qui l'accompagne,
+excitent la curiosité de
+Valentine; elle veut connaître la
+figure d'un censeur aussi sévère, se
+retourne, et voit un homme dont
+l'âge lui rappelle M. de Saverny,
+mais dont les yeux brillants et les
+<span class="pagenum"><a name="Page_54" id="Page_54">54</a></span>
+traits marqués donnent à sa physionomie
+une expression dure qui
+inspire plutôt la crainte que la confiance.
+Pour se venger de la sentence
+qu'il vient de prononcer un peu trop
+haut contre elle, madame de Saverny
+se penche vers sa s&oelig;ur, et lui demande
+comment on nomme ce monsieur
+si peu indulgent; c'est le commandeur
+de Saint-Albert, répond
+madame de Nangis, un original qui
+se croit le droit de tout fronder,
+parce qu'il est trop vieux pour s'amuser
+de rien. C'est par égard pour l'ambassadeur
+d'Espagne, dont il est
+l'intime ami, qu'on l'invite par-tout.
+Votre frère prétend que c'est un
+homme de beaucoup de mérite, il
+appelle son humeur de la fermeté,
+<span class="pagenum"><a name="Page_55" id="Page_55">55</a></span>
+et sa rudesse de la franchise; moi
+qui ne fais aucun cas de ces vertus
+désagréables, je le reçois le moins
+possible. C'est dommage, reprit Valentine,
+vous l'auriez sûrement guéri
+de ses préventions.&mdash;Ces derniers
+mots parvinrent aux oreilles du commandeur,
+et lui firent soupçonner
+qu'il avait été entendu de madame
+de Saverny. Il en conclut qu'elle allait
+le prendre en horreur, et fut très-étonné
+de la voir empressée de causer
+avec lui, lorsque M. de Nangis vint
+lui en offrir l'occasion. Il fit la réflexion
+toute simple, que la marquise
+était bien aise de lui prouver la rigueur
+de son jugement contre les
+belles femmes. Il la trouva digne
+d'une exception, mais il se garda
+<span class="pagenum"><a name="Page_56" id="Page_56">56</a></span>
+bien de lui en faire la confidence;
+son éloignement pour toute espèce
+de galanterie le rendait avare des
+éloges les plus mérités. Sous prétexte
+de ne point gâter les femmes, il parlait
+de leurs défauts avec une ironie
+dédaigneuse, qui le rendait redoutable;
+et quand on lui en faisait le
+reproche, il répondait que cette sévérité
+lui avait plus rapporté depuis
+qu'il était vieux, que tous les beaux
+sentiments de sa jeunesse. En effet,
+l'envie de se mettre à l'abri de ses
+épigrammes rendait beaucoup de
+femmes soigneuses envers lui, et lui
+donnait le droit de croire qu'on les
+captive plus par la crainte que par
+la soumission.</p>
+
+<p>Il était déja tard lorsque le chevalier
+<span class="pagenum"><a name="Page_57" id="Page_57">57</a></span>
+d'Émerange, après avoir donné
+l'inquiétude de ne le pas voir, arriva
+enfin. Le plaisir de se faire attendre
+avait pour lui tant de charmes, qu'il
+manquait souvent à ses engagements,
+dans l'unique espérance de s'entendre
+raconter le lendemain avec
+quelle impatience on l'avait attendu.
+Pour cette fois, la présence de madame
+de Saverny avait occupé tout
+le monde, et l'absence du chevalier
+n'avait été remarquée que d'un petit
+nombre de personnes. En entrant
+dans le premier salon, il fut étourdi
+par les discours emphatiques des
+admirateurs de Valentine. Pour
+leur prouver qu'il ne partageait pas
+leur enthousiasme, et qu'il l'avait
+assez vue pour la bien juger, il affecta
+<span class="pagenum"><a name="Page_58" id="Page_58">58</a></span>
+de rester fort long-temps avant
+d'entrer dans le salon où elle était,
+et ne parut s'y décider que dans l'intention
+d'aller saluer madame de
+Nangis; mais madame de Saverny eut
+son premier regard, et l'impression
+qu'elle produisit sur lui fut d'autant
+plus vive, qu'il s'efforça de la cacher.
+A peine eut-il l'air de l'apercevoir.
+Madame de Nangis qui commençait
+à être importunée des hommages que
+l'on prodiguait à sa s&oelig;ur, sut bon
+gré au chevalier de cette négligence,
+et l'en récompensa en ne s'occupant
+que de lui. Il parut quelque temps
+ravi de cette préférence, mais quand
+il s'aperçut que madame de Saverny
+n'y prenait pas garde, et qu'elle semblait
+écouter avec intérêt la conversation
+<span class="pagenum"><a name="Page_59" id="Page_59">59</a></span>
+du commandeur et de
+quelques autres personnes qui l'entouraient,
+il se fatigua de la gaîté de
+madame de Nangis, et s'éloigna d'elle.</p>
+
+<p>Un attrait irrésistible le ramena
+bientôt auprès de Valentine. Malgré
+toutes ses résolutions, il sentit
+le besoin de lui plaire, en forma le
+projet, et s'appliqua à étudier les
+moyens d'y parvenir. L'embarras
+n'était pas de se conformer à ses
+goûts, mais de les connaître; et le
+chevalier résolut de se servir de l'esprit
+de madame de Nangis, pour
+apprendre à captiver celui de Valentine;
+bien décidé à se faire les
+opinions et le caractère qui devaient
+le mieux séduire la femme auprès de
+laquelle il desirait le plus de réussir.</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_60" id="Page_60">60</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_VI" id="CHAPITRE_VI"></a>CHAPITRE VI.</h3>
+
+<p class="p2">Malgré les profits qu'y trouvait
+son amour-propre, Valentine ne
+pouvait se soumettre long-temps aux
+agitations d'une vie aussi dissipée.
+Elle pria sa s&oelig;ur de la laisser disposer
+de ses matinées, qu'elle consacrait
+ordinairement à l'étude, et
+de la dispenser quelquefois de la
+suivre le soir dans ces grandes assemblées
+où l'ennui règne assez souvent;
+mais lorsque madame de Nangis se
+décidait à rester chez elle, Valentine
+se fesait un devoir de lui tenir compagnie,
+et de partager avec elle le
+<span class="pagenum"><a name="Page_61" id="Page_61">61</a></span>
+soin de faire les honneurs de sa
+maison. M. d'Émerange, qui s'était
+aperçu de cette résolution, ne manquait
+pas de trouver quelques prétextes
+pour engager madame de Nangis
+à ne pas sortir. Tantôt il fesait
+trop froid, les spectacles étaient détestables,
+et d'ailleurs causait-on
+quelque part aussi bien que chez elle!
+Bonnes ou mauvaises, ces raisons
+étaient toutes accueillies; madame
+de Nangis les interprétait d'autant
+plus en sa faveur, que le chevalier
+redoublait de flatterie pour elle.</p>
+
+<p>Un soir que ces dames étaient
+presque seules, il les surprit à rire
+d'une visite fort ridicule qu'elles venaient
+de recevoir. «Je crois que
+c'est par égard pour moi, disait Valentine
+<span class="pagenum"><a name="Page_62" id="Page_62">62</a></span>
+à sa s&oelig;ur, que vous attirez
+chez vous ces sortes de caricatures.
+Vous pensez me rendre mes plaisirs
+de Nevers; eh bien! vous vous trompez:
+nous n'avons en province rien
+d'aussi parfait que cela.&mdash;Je ne sais
+pas, dit M. d'Émerange, quels sont
+les originaux qui ont le bonheur
+d'exciter ainsi votre gaîté, mais je
+défie bien Nevers d'en avoir d'aussi
+ridicules que ceux qu'on rencontre
+tous les jours à Paris.&mdash;Eh bien! je
+gage, dit madame de Nangis, que
+vous allez reconnaître les nôtres!&mdash;Ah!
+je les devine, reprit le chevalier,
+n'est-ce pas ce grand niais de
+baron, qui traduit l'allemand sans
+l'avoir appris, et fait des vers sur le
+<i>oui</i>, le <i>non</i>, le <i>si</i>, le <i>car</i>, enfin sur
+<span class="pagenum"><a name="Page_63" id="Page_63">63</a></span>
+tous les monosyllabes de la langue
+française. Sa petite femme a des yeux
+rouges, et des mains noires, dignes
+d'exercer la muse de son mari. C'est
+lui qui imagina un jour de s'habiller
+en sauvage pour jouer un proverbe
+qu'il avait composé en l'honneur de
+la fête de la jolie duchesse de R***.
+Il avait emprunté, pour ajouter à la
+vérité de son costume, une perruque
+de bête féroce, qui produisait un
+effet si bizarre sur sa figure moutonne,
+qu'il fut impossible de modérer
+les éclats de rire, et d'entendre
+un seul mot de sa pièce. Ah! c'est
+un homme précieux que je me ferai
+toujours un vrai plaisir de rencontrer!&mdash;N'ayez
+pas de regret, ce
+n'est pas lui que nous avons vu.»
+<span class="pagenum"><a name="Page_64" id="Page_64">64</a></span>
+Alors le chevalier passa en revue
+tous les gens auxquels il trouvait ou
+donnait des ridicules. Madame de
+Saverny, sans reconnaître ses portraits,
+ne pouvait s'empêcher d'en
+rire. Il en conclut que sa malice
+l'amusait, et en devint plus piquant.
+Cependant un mot de madame de
+Nangis le fit changer de ton.&mdash;«Ne
+vous l'avais-je pas bien dit, Valentine,
+que la gaîté de M. d'Émerange
+triompherait de tous les genres de
+tristesse? Vous qui vantez si bien les
+charmes de la mélancolie, avouez
+que le plaisir de rêver ne vaut pas
+celui de rire.» Il n'en fallut pas
+davantage pour faire changer de rôle
+au chevalier: il amena avec adresse
+la conversation sur des sujets plus
+<span class="pagenum"><a name="Page_65" id="Page_65">65</a></span>
+graves, raconta, sans affectation,
+quelques traits d'une sensibilité touchante,
+et jouit du plaisir de se voir
+écouté avec intérêt par Valentine.
+Madame de Nangis, que le chevalier
+n'avait pas accoutumée à des entretiens
+de ce genre, lui en témoigna
+son étonnement, en disant: «Serait-il
+bien indiscret de vous demander
+où vous avez lu tout cela? en vérité,
+le chevalier de Florian ne nous dirait
+rien d'aussi pathétique, et je ne vous
+aurais jamais soupçonné de sentiments
+si doux.&mdash;Voilà bien de
+vos jugements, répartit le chevalier
+avec impatience; parce qu'il est reçu
+dans le monde qu'on ne doit parler
+qu'avec son esprit, vous en concluez
+qu'on a le c&oelig;ur sec. Ne savez-vous
+<span class="pagenum"><a name="Page_66" id="Page_66">66</a></span>
+pas que l'on passe sa vie à afficher
+ses défauts qu'on n'a point. Vous,
+qui me raillez, je vous ai vue cent
+fois vous parer d'une légèreté factice,
+et tourner en plaisanterie le trait qui
+provoquait le mieux votre attendrissement.
+Sur ce point nous sommes
+tous plus ou moins hypocrites.»
+Madame de Nangis se trouva blessée
+de cette réponse, et plus encore du
+mouvement d'humeur qui semblait
+l'avoir dictée. Elle s'en vengea par
+des épigrammes, dont Valentine essaya
+d'adoucir l'amertume par des
+mots conciliants. Tout en conservant
+les formes de la plus stricte politesse,
+la querelle devint très-vive,
+et laissa des impressions fâcheuses
+dans l'esprit de la comtesse; elle
+<span class="pagenum"><a name="Page_67" id="Page_67">67</a></span>
+soupçonna pour la première fois au
+chevalier le desir de plaire à sa belle-s&oelig;ur,
+et l'accusa, intérieurement,
+d'avoir la fatuité de paraître la sacrifier
+à sa passion naissante. Elle en
+conçut d'abord une juste indignation;
+car la comtesse se croyait
+exempté de tous reproches, par la
+seule raison que sa conscience était
+en repos sur les droits du chevalier.
+Comme toutes les coquettes, elle
+comptait pour rien le malheur de se
+compromettre, et s'indignait qu'on
+pût la soupçonner d'un tort dont
+elle se donnait toutes les apparences.</p>
+
+<p>Le retour de M. de Nangis termina
+toute discussion; il avait dîné
+chez l'ambassadeur d'Espagne, où
+l'on avait beaucoup parlé de madame
+<span class="pagenum"><a name="Page_68" id="Page_68">68</a></span>
+de Saverny: son frère la félicita d'avoir
+fait la conquête la plus difficile;
+celle du vieux commandeur de Saint-Albert.&mdash;C'est
+un homme bizarre,
+dit le chevalier, mais qui n'a jamais
+manqué de goût.&mdash;Il ne l'use pas,
+repartit la comtesse, car il n'aime personne.&mdash;Si
+vous l'aviez entendu
+parler de Valentine, reprit M. de
+Nangis, vous auriez meilleure idée
+de son c&oelig;ur.&mdash;Il me semble, ajouta
+le chevalier, qu'il ne devait pas moins
+à Madame, pour la complaisance
+qu'elle a eue de l'écouter toute une
+soirée.&mdash;Ce n'était point par complaisance,
+répondit Valentine, je
+puis vous l'assurer, sa conversation a
+je ne sais quel attrait de franchise
+qui la rend très-attachante.&mdash;Il est
+<span class="pagenum"><a name="Page_69" id="Page_69">69</a></span>
+certain, interrompit la comtesse,
+que si vous mettiez du blanc, il
+n'aurait pas manqué de vous le dire,
+car il n'a jamais gardé le secret d'une
+chose désagréable.&mdash;Il paraît, reprit
+M. de Nangis, que Valentine l'a
+corrigé du défaut de médire, car,
+après en avoir fait l'éloge, il a ajouté
+que c'était la première femme qu'il
+eût jugée digne de tourner la tête
+d'un honnête homme, et que rien ne
+lui semblait aussi raisonnable que de
+beaucoup l'aimer.&mdash;Je ne me croyais
+pas si sage, dit le chevalier, de manière
+à n'être entendu que de Valentine.</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_70" id="Page_70">70</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_VII" id="CHAPITRE_VII"></a>CHAPITRE VII.</h3>
+
+<p class="p2">Monsieur d'Émerange se retira
+convaincu de l'impression que son
+dernier mot avait dû produire sur
+Valentine, mais il se reprocha de lui
+avoir trop tôt laissé connaître celle
+qu'elle avait faite sur lui; et, pour
+réparer autant qu'il était en son
+pouvoir une faute aussi grave, il
+résolut de passer deux jours entiers
+sans voir ces dames. Par ce moyen
+il croyait prouver à madame de Saverny,
+qu'il n'en était pas au point
+de n'être heureux qu'en sa présence,
+et à madame de Nangis, qu'il ne lui
+<span class="pagenum"><a name="Page_71" id="Page_71">71</a></span>
+donnerait jamais le droit de l'offenser
+impunément. Ce calcul ne
+réussit qu'auprès de la dernière, car
+Valentine n'avait pas eu l'idée de
+prendre au sérieux la furtive déclaration
+du chevalier; elle la mit au
+nombre de ces mots galants qu'il
+savait dire avec tant de grace, et
+n'en conserva aucun souvenir.</p>
+
+<p>Madame de Nangis était loin de
+partager cette indifférence; le moindre
+mot du chevalier avait la puissance
+de déranger son humeur; tout
+de sa part la flattait ou la blessait,
+et dans cette occasion son absence
+lui parut une insulte. Il devait bien
+présumer que le lendemain de cette
+petite scène, elle aurait la migraine,
+et il n'envoya même point savoir de
+<span class="pagenum"><a name="Page_72" id="Page_72">72</a></span>
+ses nouvelles. Ce procédé faillit la
+rendre vraiment malade, et quand
+M. de Nangis vint la conjurer, le
+surlendemain, de ne pas manquer
+à l'engagement qu'elle avait pris de
+dîner le même jour chez une de leurs
+vieilles parentes, elle eut besoin de
+tout son courage pour se résigner à
+remplir un devoir aussi ennuyeux.</p>
+
+<p>Valentine la voyant un peu souffrante,
+lui donna tous les soins de
+la plus tendre amitié, et s'offrit de
+l'accompagner. On partit de bonne
+heure, pour se conformer à l'ancienne
+habitude qu'avait la présidente
+de C..., de dîner à l'heure du
+marais; et l'on arriva bientôt dans
+la cour de l'hôtel le plus gothique
+et le plus triste de Paris. Un vieux
+<span class="pagenum"><a name="Page_73" id="Page_73">73</a></span>
+laquais, posté au haut d'un grand
+escalier, donna le signal de l'arrivée
+de la comtesse, et l'on vit aussitôt
+un grand nombre de serviteurs invalides
+s'empresser d'ouvrir avec peine
+les battants d'une longue enfilade de
+portes. Les convives, déja réunis autour
+du fauteuil de la présidente,
+offraient l'image la plus imposante
+d'une assemblée de famille dont on
+aurait exclu les jeunes héritiers. Valentine
+fut accueillie par ce cercle
+vénérable avec tout le cérémonial
+d'une présentation. La présidente la
+traitait avec la considération que méritait
+à ses yeux la veuve d'un vieux
+gentilhomme, et se contentait de
+parler à Madame de Nangis, avec l'air
+protecteur qu'on a pour un enfant.
+<span class="pagenum"><a name="Page_74" id="Page_74">74</a></span>
+Il faut convenir qu'elle en avait alors
+toute la maussaderie. Comme elle ne
+fesait aucun effort pour dissimuler
+son ennui, chacun pouvait deviner
+qu'il ne devait l'avantage de la voir
+qu'à sa déférence aux volontés de
+son mari; et personne ne lui savait
+gré d'un sacrifice fait d'aussi mauvaise
+grace.</p>
+
+<p>Valentine, douée d'un meilleur esprit,
+savait tirer parti de celui de
+tout le monde. S'amusant de la gaîté,
+de la folie même, qui animent souvent
+la conversation des jeunes gens,
+elle s'intéressait à celle des savants
+et s'instruisait à celle des vieillards.</p>
+
+<p>En achevant son éducation, M. de
+Saverny lui avait appris cette politesse,
+qui consiste encore plus à écouter
+<span class="pagenum"><a name="Page_75" id="Page_75">75</a></span>
+avec intérêt, qu'à répondre avec
+bienveillance. Il n'avait rien oublié
+de ce qui pouvait ajouter au charme
+des qualités précieuses de Valentine;
+et son plus grand regret en mourant,
+fut d'ignorer à quel heureux
+mortel il léguait une femme aussi
+aimable.</p>
+
+<p>Le mérite de madame de Saverny
+fut apprécié des amis de la présidente,
+et quand le dîner fut fini,
+on se disputa l'honneur de faire
+sa partie. Madame de Nangis avait
+grande envie de se soustraire aux
+lenteurs d'un boston, qui menaçait
+de remplir la soirée, mais elle y fut
+condamnée par un regard de son
+mari, dont la sévérité, pour tous ces
+petits devoirs de société, ne pouvait
+<span class="pagenum"><a name="Page_76" id="Page_76">76</a></span>
+se comparer qu'à son indulgence
+pour de plus grands travers. La comtesse
+se promit bien de n'obéir qu'à
+moitié à cet ordre; elle savait que
+M. de Nangis devait se trouver le
+même soir à un rendez-vous chez le
+ministre des affaires étrangères, et dès
+qu'il fut parti, elle prétexta une subite
+indisposition, fit des excuses sur
+la nécessité de se retirer, et demanda
+sa voiture. Valentine, la croyant vraiment
+indisposée, la suit avec inquiétude,
+et l'engage à se mettre au lit
+aussitôt qu'elles seront de retour;
+mais elle est interrompue dans ses
+avis charitables par un grand éclat
+de rire de la comtesse, qui tire le
+cordon de sa voiture, et dit à ses
+gens:&mdash;A l'opéra.&mdash;Comment à
+<span class="pagenum"><a name="Page_77" id="Page_77">77</a></span>
+l'opéra? s'écria Valentine: mais vous
+n'êtes donc pas malade?&mdash;Bonne
+raison! C'est surtout quand on est
+malade que l'on a besoin de se distraire.&mdash;Mais
+si vous alliez y souffrir
+davantage.&mdash;Je ne saurais être
+nulle part aussi mal qu'au milieu de
+tous ces vieux contemporains de ma
+tante. Mais en vérité je vous admire:
+comment trouviez-vous quelque
+chose à dire à ces gens-là; moi, je
+ne sais pas assez bien mon histoire
+de France pour causer avec eux, car
+je suis sûre que le plus jeune était
+page de Louis XIV.&mdash;Je n'ai pas le
+droit d'être aussi difficile que vous,
+reprit Valentine, et je supporte assez
+patiemment un moment d'ennui. Cependant,
+je sens que la gravité du
+<span class="pagenum"><a name="Page_78" id="Page_78">78</a></span>
+Marais me paraîtrait bientôt insipide,
+s'il me fallait en souffrir plus
+d'un jour.&mdash;Cela ressemble pourtant
+assez à la province.&mdash;C'est possible,
+mais à la campagne on n'a
+aucune idée de cette manière de vivre,
+et vous savez que j'y passais
+l'année entière.&mdash;Sans vous ennuyer?
+Voilà qui est miraculeux. Je
+n'ai jamais pu rester plus de trois
+mois dans mes terres, malgré le soin
+que je prenais d'y amener beaucoup
+de monde; je frémis déja de l'idée
+d'y aller ce printemps; et, sans le
+projet que nous avons d'y jouer la
+comédie, j'aurais bien de la peine à
+tenir la promesse que j'ai faite à
+votre frère de l'y accompagner.&mdash;Si
+vous lui disiez à quel point cela vous
+<span class="pagenum"><a name="Page_79" id="Page_79">79</a></span>
+contrarie, je suis sûre qu'il ne l'exigerait
+pas.&mdash;Ah! vous le connaissez
+bien peu, si vous ne savez pas quelle
+importance il attache à ma présence
+au château de Varenne, à l'époque
+de la fête du Village. Ne faut-il pas
+que je sois le témoin de cette grande
+solennité, et que je prenne ma part
+des honneurs qu'on lui rend. J'avoue
+que je la lui céderais de bon
+c&oelig;ur, car je ne connais rien de si
+fastidieux que cette parodie des fêtes
+de souverains où l'on se fait rendre
+une partie de l'encens qu'on dépense
+à la cour.»</p>
+
+<p>Ici la portière s'ouvrit, et ces
+dames descendirent à l'Opéra. Madame
+de Nangis, qui ne se souciait
+pas d'être vue dans sa loge, entra
+<span class="pagenum"><a name="Page_80" id="Page_80">80</a></span>
+dans celle de la princesse de L...,
+tourna le dos au théâtre, et se mit
+à chercher des yeux auprès de quelle
+jolie femme le chevalier d'Émerange
+tentait de se venger d'elle.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_VIII" id="CHAPITRE_VIII"></a>CHAPITRE VIII.</h3>
+
+<p class="p2">La princesse était ce soir-là à Versailles,
+et sa loge resta à la disposition
+de madame de Nangis, qui eut
+le chagrin de n'y recevoir personne.
+On donnait Armide, et Valentine se
+livrait au plaisir d'entendre ce chef-d'&oelig;uvre,
+qui réunit tous les genres
+de perfection, lorsque la comtesse
+lui dit de contempler le plus beau
+<span class="pagenum"><a name="Page_81" id="Page_81">81</a></span>
+visage qu'elle ait vu de sa vie. Imaginant
+que sa s&oelig;ur lui désigne une
+femme, elle regarde dans la loge
+qu'elle lui indique, et ses yeux rencontrent
+ceux d'un jeune homme
+dont la figure était en effet remarquable.
+Honteuse d'avoir été surprise
+dans ce mouvement de curiosité par
+celui qui l'excitait, elle rougit, baisse
+les yeux, et, sans oser le considérer
+davantage, elle répond à sa s&oelig;ur
+qu'elle est de son avis. «C'est probablement
+quelque étranger, dit la
+comtesse, car un homme de cette
+tournure-là serait déja connu de tout
+Paris, s'il y était seulement depuis
+deux mois. Vous, qui dessinez si bien,
+vous devez trouver que c'est un beau
+portrait à faire.» Valentine essaya
+<span class="pagenum"><a name="Page_82" id="Page_82">82</a></span>
+une seconde fois de vérifier si l'admiration
+de madame de Nangis était
+fondée; mais le même regard qui
+l'avait déja troublée l'empêcha d'en
+voir davantage. Elle se décida à croire
+sa belle-s&oelig;ur sur parole. La comtesse
+ne se lassait point de comparer
+les traits de cet étranger à ceux des
+plus belles têtes grecques, mais elle
+en perdit bientôt le souvenir, tandis
+que Valentine, qui les avait à peine
+entrevus, se les rappelait encore.</p>
+
+<p>Au commencement du quatrième
+acte, madame de Nangis, n'ayant pas
+aperçu le chevalier, et présumant
+qu'il pourrait peut-être venir chez
+elle, proposa à Valentine de s'en
+aller pour éviter les embarras de la
+sortie de l'opéra, et l'inconvénient
+<span class="pagenum"><a name="Page_83" id="Page_83">83</a></span>
+d'être obligée d'accepter la main de
+quelque ennuyeux. Valentine émue
+par le bonheur d'Armide, regretta
+vivement de ne point entendre ses
+touchantes plaintes, et se promit de
+revenir à la prochaine représentation
+de ce bel ouvrage.</p>
+
+<p>Pendant que ces dames attendaient
+sous le vestibule, elles virent descendre
+du grand escalier deux hommes,
+dont le plus jeune fut bientôt
+reconnu; l'autre paraissait âgé de
+cinquante ans, c'était l'ancien gouverneur
+ou plutôt l'ami d'Anatole,
+de ce jeune étranger qu'avait remarqué
+la comtesse. Un hasard heureux,
+si l'on peut appeler ainsi ce
+desir vague qui entraîne à suivre les
+pas d'une jolie personne, avait heureusement
+<span class="pagenum"><a name="Page_84" id="Page_84">84</a></span>
+amené ces messieurs au
+moment où l'on vint avertir madame
+de Nangis que son carrosse l'attendait.
+Valentine exige qu'elle y monte
+la première, et s'élance pour la
+suivre, lorsque les chevaux qui n'étaient
+retenus que par un cocher
+ivre, partent comme un éclair, entraînent
+le laquais qui tenait la portière;
+et Valentine tombe sous les
+pieds des chevaux d'une voiture qui
+se trouvait derrière celle de la comtesse.
+Elle allait en être atteinte,
+quand un homme se précipite sur
+le timon de cette voiture, en reçoit
+un coup violent, repousse avec
+effort les chevaux que les cris animaient,
+et relevant Valentine, il la
+porte évanouie sous le vestibule. Au
+<span class="pagenum"><a name="Page_85" id="Page_85">85</a></span>
+même instant, les gens de madame
+de Nangis reviennent suivis du carrosse,
+pour la chercher. On l'y transporte,
+après s'être assuré que la
+frayeur est seule cause de l'état où
+elle est, sans s'inquiéter de celui où
+on laisse l'homme qui l'a sauvée.</p>
+
+<p>Un flacon de sels que portait toujours
+la comtesse, ranima bientôt
+les esprits de Valentine: elle s'efforça
+de tranquilliser sa belle-s&oelig;ur, dont
+les inquiétudes étaient d'autant plus
+vives, qu'elle se reprochait le caprice
+qui l'avait conduite à l'opéra en dépit
+de tout, et s'accusait du malheur
+de Valentine. C'est en pareille occasion
+que l'on pouvait juger de la
+bonté du c&oelig;ur de madame de Nangis,
+et lui pardonner tous les travers de
+<span class="pagenum"><a name="Page_86" id="Page_86">86</a></span>
+son esprit. Rien n'égalait sa touchante
+sollicitude pour un ami souffrant,
+ni sa générosité pour un ami
+malheureux. Alors tous les intérêts
+d'amour-propre qui la gouvernaient
+dans le monde, étaient sacrifiés au
+desir d'obliger. Souvent envieuse du
+bonheur des autres, le malheur la
+trouvait toujours noble et courageuse.
+Et l'on peut dire que le tort
+d'abandonner ses amis dans la disgrace,
+était la seule mode qu'elle ne
+suivit pas.</p>
+
+<p>De retour à l'hôtel, madame de
+Nangis raconta franchement à son
+mari ce qui lui était arrivé à l'opéra,
+en lui disant que ses reproches ne
+sauraient aller au-delà de ceux
+qu'elle se fesait à elle-même. Aussi
+<span class="pagenum"><a name="Page_87" id="Page_87">87</a></span>
+ne lui en adressa-t-il aucun, dans
+la crainte d'ajouter au chagrin dont
+elle était pénétrée en pensant au
+danger qu'avait couru sa s&oelig;ur. Elle
+desirait passer la nuit auprès de son
+lit, mais Valentine n'y voulut pas
+consentir. Elle assurait n'éprouver
+d'autre effet de sa chûte qu'un peu
+de courbature et un tremblement
+dans les nerfs causé par la frayeur.
+Comme il ne lui restait qu'un souvenir
+confus de cet événement, elle
+ne put satisfaire aux questions que
+son frère lui fit à ce sujet; et l'on
+sonna Richard, qui en avait été témoin,
+pour lui en demander les
+détails. Il raconta d'abord simplement
+le fait, mais quand il vint à
+dépeindre celui qui s'était si courageusement
+<span class="pagenum"><a name="Page_88" id="Page_88">88</a></span>
+précipité au secours de la
+marquise, madame de Nangis s'écria:
+«Il n'en faut pas douter, ma chère,
+c'est notre bel étranger, et voilà un
+commencement de roman dans les
+formes. Vous êtes charmante, il est
+beau comme Apollon, vous ne l'avez
+jamais vu, il vous sauve la vie;
+c'est la perfection du genre. Mais ne
+faudra-t-il pas connaître un peu votre
+héros? Qu'est-il devenu, Richard,
+après notre départ?&mdash;Comme il
+me fallait suivre madame, je n'ai
+guère eu le temps de le savoir. J'ai
+seulement vu deux domestiques avec
+une livrée que je ne connais pas,
+transporter dans une belle voiture
+le jeune homme qui avait relevé
+madame la marquise. Ils étaient suivis
+<span class="pagenum"><a name="Page_89" id="Page_89">89</a></span>
+d'un vieux monsieur qui se désespérait,
+en disant: «Le malheureux
+a l'épaule cassée.» Et je crois que cela
+se pourrait bien, car à la manière
+dont il s'est jeté sur les chevaux, il
+doit avoir reçu un violent coup de
+timon.» Valentine fut saisie d'effroi
+en apprenant l'affreux accident dont
+le sien était cause; elle donna l'ordre
+qu'on s'informât à qui elle avait tant
+d'obligation, et se promit de ne rien
+négliger pour lui en témoigner sa
+reconnaissance. M. de Nangis qui
+partageait ce sentiment, s'engagea à
+faire des démarches pour apprendre
+le nom de cet étranger, et l'aller
+remercier d'une action aussi généreuse.</p>
+
+<p>L'esprit trop agité de cet événement,
+<span class="pagenum"><a name="Page_90" id="Page_90">90</a></span>
+Valentine passa la nuit sans
+dormir. Elle médita sur le hasard
+qui avait conduit ce jeune homme à
+sortir de l'Opéra en même temps
+qu'elle, et sur le mouvement d'humanité
+qui l'avait porté à tout risquer
+pour la sauver. Une grande ame
+pouvait seule être susceptible d'un si
+noble désintéressement; et Valentine
+se plaisait à faire l'énumération de
+toutes les qualités qui dérivent de
+celle-là. Son imagination, exaltée
+par la reconnaissance, se peignait
+toutes les vertus réunies dans celui
+qui venait de lui offrir la preuve
+d'un c&oelig;ur aussi compatissant; elle
+aurait voulu trouver quelque ingénieux
+moyen de l'en remercier, sans
+être obligée d'avoir recours à ces
+<span class="pagenum"><a name="Page_91" id="Page_91">91</a></span>
+phrases vulgaires qu'on adresse également
+à l'homme qui vous sauve
+la vie, et à celui qui ramasse votre
+éventail. Mais l'idée de se trouver
+en présence de cet étranger l'embarrassait;
+elle sentait que sa jeunesse
+et les agréments qui le distinguaient,
+intimideraient sa reconnaissance,
+et le trouble qui naissait
+de ces diverses réflexions la jetait
+dans des pensées vagues, que rien
+ne pouvait ni fixer ni distraire.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_IX" id="CHAPITRE_IX"></a>CHAPITRE IX.</h3>
+
+<p class="p2">Le malheureux cocher dont l'imprudence
+avait causé tout ce désastre,
+fut impitoyablement chassé. Valentine
+<span class="pagenum"><a name="Page_92" id="Page_92">92</a></span>
+tenta vainement de demander
+sa grace; M. de Nangis ne se laissa
+point fléchir; mais le pauvre Saint-Jean,
+en quittant la maison, reçut
+de madame de Saverny, pour consolation,
+quelques louis, et l'assurance
+de sa protection. Mademoiselle
+Cécile, la nouvelle femme de
+chambre de la marquise, qui avait
+été chargée de remplir cette commission
+auprès de lui, y joignit la
+promesse de rappeler à sa maîtresse
+les recommandations qu'elle lui avait
+fait espérer dès qu'il trouverait à se
+placer.</p>
+
+<p>L'accident arrivé à Valentine fit
+bientôt assez de bruit pour que l'on
+envoyât de toutes parts s'informer de
+ses nouvelles. Elle fut accablée de
+<span class="pagenum"><a name="Page_93" id="Page_93">93</a></span>
+visites, et en supporta patiemment
+l'importunité, dans l'espérance d'apprendre
+le nom de celui qu'elle desirait
+tant connaître. Mais personne
+ne se trouvait avoir d'ami à qui il fût
+arrivé une semblable aventure; et
+les questions de Valentine n'eurent
+pas plus de succès que les démarches
+de son frère. Pour expliquer ce mystère,
+on décida que Richard s'était
+trompé en croyant ce jeune homme
+grièvement blessé, et que c'était
+probablement un étranger qui ne
+devait pas séjourner à Paris, et que les
+suites de cet événement n'y avaient
+pas retenu. Cette explication suffit
+à tout le monde, excepté à Valentine,
+qui ne la trouva pas assez positive
+pour la dispenser de toutes
+<span class="pagenum"><a name="Page_94" id="Page_94">94</a></span>
+recherches. On lui dit que le commandeur
+de Saint-Albert avait envoyé
+son valet de chambre s'informer
+de l'état où elle se trouvait, quelques
+moments après qu'on l'eut ramenée
+de l'opéra. Cette circonstance la
+frappa, elle était sûre de n'avoir
+point vu le commandeur au spectacle;
+et il n'y avait à la sortie que
+les deux personnes dont elle desirait
+tant savoir le nom: elle pensa donc
+que le commandeur n'avait pu être
+aussitôt instruit de sa chûte que par
+le récit de l'une de ces deux personnes,
+et conçut l'espérance d'apprendre
+de lui tout ce qui pouvait satisfaire
+sa curiosité. Le motif en était trop
+noble pour le cacher; et Valentine
+écrivit un billet au commandeur,
+<span class="pagenum"><a name="Page_95" id="Page_95">95</a></span>
+pour l'inviter à venir la voir un instant.
+Mais on fit répondre qu'il était
+à la campagne, et n'en reviendrait
+que dans huit jours. Il fallut se résigner
+à attendre, et peut-être à
+paraître ingrate, lorsqu'on était pénétrée
+d'une si vive reconnaissance.</p>
+
+<p>Le chevalier d'Émerange n'avait
+pas manqué cette occasion de donner
+des preuves d'intérêt à madame
+de Saverny; mais ne voulant plus se
+compromettre avant de savoir l'effet
+que produiraient ses soins, il se renferma
+dans les expressions d'une politesse
+affectueuse. La préoccupation
+de Valentine lui parut d'un bon
+augure, il ne supposa point qu'un
+autre pût en être l'objet, et répondit
+sans méfiance aux questions de madame
+<span class="pagenum"><a name="Page_96" id="Page_96">96</a></span>
+de Nangis, quand elle lui demanda
+s'il n'avait pas rencontré dans
+le monde celui qu'elle appelait en
+riant, <i>le bel Étranger</i>. Le chevalier
+dit qu'il était poursuivi par ce personnage
+mystérieux qu'il n'avait jamais
+vu, et dont tout le monde lui
+demandait le nom. Il ajouta qu'étant
+arrivé quelques jours avant aux Tuileries,
+il avait été accosté par une
+foule de gens qui avaient tous compté
+sur lui pour leur apprendre ce qu'était
+un homme fort remarquable par
+la noblesse de sa taille et de ses traits,
+et qui venait de monter à cheval,
+après s'être promené quelque temps
+avec un de ses amis. «Je vous avoue,
+poursuivit le chevalier, que cette
+curiosité me parut trop ridicule pour
+<span class="pagenum"><a name="Page_97" id="Page_97">97</a></span>
+la partager: je m'en fais le reproche,
+actuellement que je soupçonne ce
+beau monsieur d'être votre héros.
+Cependant, calmez vos regrets par
+le souvenir de madame de V..., qui
+fut sauvée du feu dans une auberge,
+par le plus bel homme de France,
+dont elle devint folle, et qui aurait
+peut-être fait la passion de sa vie,
+si elle n'avait pas eu l'idée d'aller un
+jour acheter une robe de satin dans
+je ne sais quelle boutique à Lyon,
+où son libérateur déroulait des étoffes
+au public avec une grace toute particulière.&mdash;Ah!
+quelle chûte horrible,
+s'écria la comtesse, quelle
+affreuse découverte!&mdash;Pour l'amour
+peut-être, dit Valentine, mais pour
+la reconnaissance, je ne vois pas ce
+<span class="pagenum"><a name="Page_98" id="Page_98">98</a></span>
+qui rendrait honteuse d'en témoigner
+à un marchand d'étoffes?&mdash;Certainement,
+reprit le chevalier,
+il n'y a là rien de honteux, mais il
+est toujours gênant d'avoir des obligations
+à des gens trop fiers pour
+recevoir de l'argent, et trop pauvres
+pour être vos amis. On ne sait comment
+s'acquitter, et l'on devrait exiger
+d'un garçon de boutique, qui
+vous rend un pareil service, d'ajouter
+au bas de son mémoire; Tant
+pour avoir sauvé la vie de madame.»
+On rit de cette idée folle, et le
+chevalier parvint à jeter tant de
+ridicule sur ces prétendus héros
+mystérieux, toujours prêts à braver
+quelque danger, que personne n'osa
+dire un mot en faveur de celui qui
+s'était exposé pour Valentine.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_99" id="Page_99">99</a></span>
+La société de madame de Nangis
+était en général dominée par l'esprit
+de M. d'Émerange. Les jeunes gens le
+prenaient pour modèle, et croyaient
+imiter son élégance en singeant ses
+manières. Comme tous les imitateurs,
+ils fesaient rarement un juste emploi
+des défauts ou des agréments
+qu'ils lui empruntaient; l'un, séduit
+par l'ironie piquante qui égayait sa
+conversation, sans choquer les convenances,
+se moquait lourdement
+des choses les plus sacrées, croyant
+imiter la grace avec laquelle le chevalier
+semblait se sacrifier en fesant
+l'aveu de ses défauts. Un autre se
+vantait de vices abominables. Tous
+exagéraient son affectation à plaire
+sans aimer; ils traduisaient son naturel
+<span class="pagenum"><a name="Page_100" id="Page_100">100</a></span>
+en familiarité, son indifférence
+en impolitesse, et son enthousiasme
+en fureur. C'était enfin le chef le
+plus séduisant d'une école détestable.
+Les vieux parents de ces jeunes
+étourdis, accusant le chevalier de
+leurs travers, essayaient vainement
+de les éloigner d'un modèle aussi
+dangereux. Dans le dépit de voir
+leurs conseils méprisés, ils formaient
+un parti d'opposition contre le chevalier,
+que celui-ci s'amusait quelquefois
+à gagner par des prévenances
+flatteuses et des témoignages d'une
+estime particulière. Personne ne savait
+mieux que lui, pour ainsi dire,
+<i>jouer</i> de l'amour-propre des autres;
+son talent allait jusqu'à s'attirer
+la protection de la présidente
+<span class="pagenum"><a name="Page_101" id="Page_101">101</a></span>
+de C..., qui arrivait toujours chez
+sa nièce avec l'intention de l'engager
+à recevoir moins souvent un
+homme dont les assiduités finiraient
+par la compromettre, et qu'un éloge
+adroitement indirect, ou l'apologie
+de quelque orateur du parlement,
+rendait aussi indulgente pour le chevalier,
+qu'elle s'était promise d'être
+sévère. Quant aux autres femmes
+de la société de madame de Nangis,
+elles en pensaient du bien ou du
+mal, en raison du plus ou moins
+de soins qu'elles en recevaient. Madame
+de Réthel était la seule qui se
+piquât sur ce point d'une noble
+indépendance; elle écoutait sans impatience
+comme sans intérêt, et
+s'amusait parfois des moyens qu'elle
+<span class="pagenum"><a name="Page_102" id="Page_102">102</a></span>
+lui voyait employer pour parvenir
+à son but. Aussi le chevalier avait-il
+pour elle autant de haine que
+d'égards. C'est ainsi que les gens habitués
+à dominer pardonnent plutôt
+au censeur qui les fronde, qu'au sage
+qui les observe.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_X" id="CHAPITRE_X"></a>CHAPITRE X.</h3>
+
+<p class="p2">Au bout de huit jours le commandeur
+de Saint-Albert revint de la
+campagne, et son premier soin, en
+arrivant, fut de se rendre à l'invitation
+de madame de Saverny. Elle
+était seule quand il se fit annoncer
+chez elle; l'entretien tomba naturellement
+<span class="pagenum"><a name="Page_103" id="Page_103">103</a></span>
+sur le danger qu'elle avait
+couru. «J'ai bien regretté, dit le commandeur,
+de ne pouvoir vous témoigner,
+madame, à quel point je partageais
+les inquiétudes de vos amis,
+mais un devoir impérieux me retenait
+à dix lieues d'ici, auprès d'un
+malade; cela ne m'a point empêché
+d'avoir tous les jours de vos nouvelles.&mdash;Je
+ne méritais pas tant de
+sollicitude, dit Valentine; ce n'est
+pas moi qui ai souffert des suites de
+cet événement, mais on assure que
+la personne à qui j'ai tant d'obligation,
+est dangereusement blessée. A
+ces mots la physionomie de M. de
+Saint-Albert prit un air si triste, que
+Valentine ajouta, avec émotion: Ah!
+mon Dieu! serait-ce un de vos amis?&mdash;Que
+<span class="pagenum"><a name="Page_104" id="Page_104">104</a></span>
+je le connaisse ou non, reprit-il,
+en s'efforçant de paraître
+calme, il a fait une action très-simple,
+et quand il lui en coûterait
+quelque chose pour vous avoir secourue,
+il ne serait pas fort à plaindre.&mdash;Certainement
+il ne le serait
+pas plus que moi, car l'idée de
+savoir que je puis être cause d'un
+semblable malheur, ne me laisse
+aucun repos. Encore si je pouvais
+découvrir à qui j'en dois témoigner
+ma reconnaissance.&mdash;Il serait trop
+récompensé vraiment, s'il était témoin
+de votre inquiétude; mais ce
+n'est peut-être, de votre part, qu'un
+peu de curiosité. Ne vous blessez
+pas de cette supposition, ajouta-t-il,
+en remarquant l'air offensé de Valentine;
+<span class="pagenum"><a name="Page_105" id="Page_105">105</a></span>
+il est aussi naturel de vouloir
+connaître son bienfaiteur, que
+de l'oublier; passez-moi de grace ces
+petites vérités-là; j'aime à penser
+qu'elles n'en sont pas pour vous,
+mais l'habitude m'emporte: j'ai tant
+vu le monde, qu'il me reste bien
+peu d'illusion sur les motifs qui le
+font agir; j'ai surtout le tort de les
+dire aussitôt que je les devine, même
+au risque de me tromper; et je vous
+demande, pour ma franchise, la
+même indulgence que l'on accorde
+ordinairement à la dissimulation.&mdash;Ce
+ne serait pas beaucoup exiger
+de moi, car je hais tout ce qui trompe;
+mais si je réclame toute la sévérité
+de votre franchise, je ne veux pas
+qu'elle me calomnie.&mdash;Vous me
+<span class="pagenum"><a name="Page_106" id="Page_106">106</a></span>
+croyez donc injuste?&mdash;En ce moment,
+par exemple.&mdash;Eh bien! tant
+mieux, vous vous défendrez et vous
+me verrez bientôt persuadé de mon
+injustice.&mdash;Je suis fort honorée de
+cette preuve de confiance, et.....&mdash;Il
+n'est pas besoin de confiance
+pour entendre la vérité.&mdash;Et si je
+ne la disais pas? reprit en souriant
+Valentine.&mdash;Je le verrais.&mdash;Vous
+êtes bien heureux de savoir distinguer
+ainsi la vérité.&mdash;C'est un talent
+bien commun, je vous jure; et
+les dupes sont plus rares qu'on ne
+pense. Les discours sont devenus
+une monnaie de convention dont
+chacun sait la valeur réelle. Quand
+un ministre promet une place au
+solliciteur qui le comble de remerciements,
+<span class="pagenum"><a name="Page_107" id="Page_107">107</a></span>
+ils savent parfaitement ce
+qu'ils doivent attendre l'un de l'autre.
+Un amant jure de se donner la
+mort, sans causer le moindre effroi
+à sa maîtresse, et lorsqu'elle paraît
+s'évanouir, en entendant sa menace,
+il sait que c'est un procédé reçu, et
+qu'elle n'en est pas moins bien décidée
+à lui survivre. Les souverains
+mêmes ne sont plus dupes des flatteries
+de leurs courtisans, et n'ignorent
+pas qu'en langage de cour:
+<i>Vous êtes le plus grand des rois</i>:
+veut dire tout simplement, <i>accordez-moi
+une faveur</i>. Enfin, depuis
+que l'on s'écoute des yeux, personne
+ne s'abuse; car rien n'est aussi franc
+que la physionomie; et je puis vous
+assurer que, si dans le monde on
+ment beaucoup, on trompe fort peu.&mdash;Alors
+<span class="pagenum"><a name="Page_108" id="Page_108">108</a></span>
+pourquoi se donner une
+peine inutile?&mdash;Je pense comme
+vous, qu'on pourrait se l'épargner
+avec beaucoup de gens, mais on en
+rencontre toujours un petit nombre
+dont l'inexpérience peut servir d'amusement.&mdash;Ceci
+n'est pas fort rassurant
+pour une femme qui débute
+dans le monde.&mdash;Ne croyez pas cela,
+le danger est tout entier pour celle
+que la vanité aveugle: la femme qui
+ne cède qu'aux impulsions de son
+c&oelig;ur est rarement trompée; pour
+l'attendrir il faut l'aimer; et la plus
+ignorante sait si bien apprécier la
+sincérité des sentiments qu'elle inspire!&mdash;Vous
+m'étonnez; j'avais toujours
+entendu dire que sur ce point
+les plus spirituelles étaient souvent
+dupes des hommes les moins fins.&mdash;Elles
+<span class="pagenum"><a name="Page_109" id="Page_109">109</a></span>
+le disent, parce que c'est une
+manière d'excuser leurs faiblesses,
+et d'exciter l'intérêt qu'on a pour
+la victime d'une perfidie; mais le
+fait est que rien ne s'imitant aussi
+mal que le véritable amour, il faut
+bien se prêter aux ruses d'un trompeur
+pour en être séduite. Vous avez
+peut-être déja remarqué des preuves
+de cette vérité, car je vous crois
+l'esprit assez juste pour apprécier la
+valeur des hommages que l'on vous
+prodigue. On a dû vous répéter souvent
+que vous étiez belle, qu'on vous
+adorait; et vous avez sagement jugé
+que de ces deux choses, l'une était
+vraie et l'autre fort douteuse.»
+En disant ces mots, le commandeur
+regarda Valentine attentivement.
+<span class="pagenum"><a name="Page_110" id="Page_110">110</a></span>
+Il semblait vouloir deviner si
+son c&oelig;ur ignorait encore le bonheur
+d'être aimée. La naïveté qu'elle mit
+à lui répondre, ne lui laissa aucun
+doute à ce sujet: elle ne lui cacha
+point l'espèce d'effroi que lui causait
+ce tourbillon du monde où elle se
+trouvait lancée malgré elle, et lui
+fit entendre qu'elle attacherait un
+grand prix aux conseils d'un homme
+assez éclairé pour la bien guider.
+C'était réclamer ceux de M. de Saint-Albert.
+Touché de tant de confiance
+et de modestie, il lui promit tout
+le zèle d'un ami dévoué, et finit par
+lui dire:&mdash;Savez-vous qu'il faut
+bien vous aimer pour consentir ainsi
+à vous déplaire; car le rôle d'un
+vieil ami est parfois celui d'un censeur.&mdash;Rappelez-vous
+<span class="pagenum"><a name="Page_111" id="Page_111">111</a></span>
+le premier
+mot que j'ai entendu de vous, et
+vous conviendrez qu'on peut me
+censurer sans me déplaire.&mdash;Ah!
+je ne doute pas de votre indulgence
+pour les sots jugements, je ne crains
+que pour ceux qui sont justes et
+sévères; ce sont les seuls qu'on ne
+pardonne pas.&mdash;Qu'avez-vous à
+craindre, je supporte bien vos injurieux
+soupçons, quand il vous
+plaît de mettre sur le compte d'une
+curiosité frivole, le desir si naturel
+de connaître une personne qui s'est
+blessée pour moi.&mdash;Ah! vous y revenez:
+cela vous inquiète donc véritablement?&mdash;Plus
+que je ne saurais
+vous le dire.&mdash;Aimable personne!
+ajouta le commandeur, en voyant
+<span class="pagenum"><a name="Page_112" id="Page_112">112</a></span>
+l'émotion de Valentine. Votre bon
+c&oelig;ur ne peut supporter l'idée du
+malheur d'un autre! même de l'être
+le plus indifférent pour vous! Peut-être
+n'avez-vous pas même aperçu
+celui qui excite votre reconnaissance?&mdash;Je
+crois... l'avoir... vu, répondit-elle,
+en hésitant, et madame de Nangis
+assure qu'il est remarquable par
+la tournure la plus distinguée.&mdash;Il
+l'est bien davantage par son esprit
+et son c&oelig;ur, dit en soupirant M. de
+Saint-Albert.&mdash;Vous le connaissez,
+s'écria Valentine, en laissant tomber
+son ouvrage; ah! de grace nommez-le
+moi!&mdash;Je ne le puis.&mdash;Quelle
+raison peut vous en empêcher?&mdash;Ma
+parole.&mdash;On vous aura demandé
+le secret pour se soustraire à des
+<span class="pagenum"><a name="Page_113" id="Page_113">113</a></span>
+remerciements souvent importuns,
+et vous aurez promis de seconder
+cet excès de délicatesse; mais on peut
+trahir sans inconvénient une promesse
+de ce genre.&mdash;S'il fallait calculer
+l'importance d'un engagement
+pour le tenir, on risquerait souvent
+d'être infidèle: il est si commun de
+regarder comme une chose indifférente
+celle qui ne touche que nos
+amis.&mdash;Ah! vous êtes incapable de
+tant d'égoïsme; et votre raison vous
+éclaire assez pour distinguer le serment
+qu'on doit tenir de la promesse
+qu'on peut enfreindre.&mdash;Je n'entends
+rien à ces distinctions-là. Sans
+examiner si le secret en vaut la
+peine, je le garderai; mais je ne
+serai pas si discret sur votre sensibilité,
+<span class="pagenum"><a name="Page_114" id="Page_114">114</a></span>
+et je vous demande la permission
+d'en répéter les expressions
+touchantes.» En finissant ces mots,
+le commandeur salua Valentine, et
+partit sans attendre sa réponse.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XI" id="CHAPITRE_XI"></a>CHAPITRE XI.</h3>
+
+<p class="p2">La première idée de madame de
+Saverny fut d'avoir recours à son
+frère pour tâcher d'en apprendre
+davantage de M. de Saint-Albert;
+mais elle pensa que le commandeur
+pourrait lui savoir mauvais gré de
+cette indiscrétion. «Puisqu'il m'a
+refusée, se dit-elle, sa politesse ne lui
+permet plus de céder aux instances
+<span class="pagenum"><a name="Page_115" id="Page_115">115</a></span>
+d'un autre. D'ailleurs la cause de ce
+mystère est peut-être respectable.»
+A cette réflexion se joignirent toutes
+les suppositions qu'on pouvait faire
+sur une aventure aussi étrange. Valentine
+essaya de traiter ce prétendu
+secret comme une plaisanterie qui
+cesserait bientôt, mais son esprit
+s'obstinait à y penser sérieusement;
+et, sans se rendre compte des motifs
+qui la retenaient, elle résolut de n'en
+parler à personne.</p>
+
+<p>Peu de jours après l'entretien du
+commandeur, mademoiselle Cécile
+vint annoncer à sa maîtresse que ce
+pauvre Saint-Jean, à qui madame la
+marquise avait bien voulu promettre
+sa protection, venait la réclamer. On
+dit à mademoiselle Cécile de le laisser
+<span class="pagenum"><a name="Page_116" id="Page_116">116</a></span>
+entrer; et Saint-Jean après avoir longuement
+parlé de sa reconnaissance,
+apprit à Valentine qu'il trouvait à
+se placer, mais que son nouveau
+maître exigeait un mot de recommandation
+de la main de madame
+de Saverny.&mdash;«Vous vous trompez,
+Saint-Jean, dit la marquise, c'est
+sûrement de la recommandation de
+ma belle-s&oelig;ur dont on vous a parlé,
+et je m'engage à vous la faire obtenir.&mdash;J'en
+demande bien pardon
+à madame, reprit Saint-Jean, mais
+je ne puis pas me tromper, car ayant
+bien pensé qu'on ne pouvait me demander
+un certificat que des maîtres
+que j'avais servis, j'ai nommé madame
+la comtesse de Nangis; mais on m'a
+répondu qu'il était inutile de prendre
+<span class="pagenum"><a name="Page_117" id="Page_117">117</a></span>
+des informations auprès d'elle, et
+que je ne serais reçu que sur un
+mot de recommandation de madame
+la marquise de Saverny.&mdash;Voilà un
+singulier caprice! Comment nommez-vous
+ce monsieur, si confiant dans
+mes recommandations?&mdash;Je ne sais
+pas son nom, madame;&mdash;Mais vous
+l'avez vu?&mdash;Non madame, j'étais
+hier soir tout tranquillement chez
+ma mère, quand un monsieur fort
+élégant, que j'ai bien vîte reconnu
+pour être un valet de chambre, est
+venu me demander si c'était moi
+qui étais cause de la chûte que madame
+avait faite à la sortie de l'opéra.
+Je ne lui dis d'abord ni oui, ni non,
+car je pensais bien que s'il s'agissait
+d'une place, on ne voudrait peut-être
+<span class="pagenum"><a name="Page_118" id="Page_118">118</a></span>
+pas d'un cocher qui avait fait
+une si grande sottise. Mais, comme
+il vit mon embarras, il m'engagea à
+lui dire la vérité, et m'apprit qu'il
+était chargé de proposer une bonne
+place à celui qui venait de perdre
+la sienne pour avoir si mal retenu
+ses chevaux.&mdash;Et vous ne lui avez
+pas demandé qui l'avait chargé de
+cette commission, interrompit Valentine,
+avec un peu d'impatience.&mdash;Si
+fait, madame, mais il m'a répondu
+que je le saurais quand je
+serais au service de son maître.&mdash;On
+vous propose peut-être là une
+fort mauvaise maison.&mdash;Oh! cela
+n'est pas possible, madame, on me
+donne encore plus de gages que je
+n'en avais chez madame la comtesse;
+<span class="pagenum"><a name="Page_119" id="Page_119">119</a></span>
+et si ce que dit le valet de chambre
+est vrai, on n'est pas plus généreux
+que son maître.&mdash;Quoi, vous ne
+savez pas même où il demeure?&mdash;Je
+sais seulement qu'il est à la campagne,
+à dix lieues de Paris, et que
+si madame la marquise a la bonté
+de me donner le petit mot qu'on me
+demande, on viendra me prendre
+demain pour me conduire au château
+qu'il habite.&mdash;Enfin, dit Valentine,
+après un moment de silence,
+puisqu'un si grand avantage pour
+vous est attaché à un mot de moi,
+je vais vous le donner: je ne crois
+pas me compromettre en affirmant
+le bien que j'ai entendu dire de vous.&mdash;Ah!
+madame peut s'informer, et
+tout le monde lui dira bien dans
+<span class="pagenum"><a name="Page_120" id="Page_120">120</a></span>
+l'hôtel, que sans ce maudit déjeûner
+de noce, on n'aurait jamais eu de
+reproche à me faire.» Valentine fit
+cesser les regrets de Saint-Jean, en
+lui remettant son billet, et l'invita
+à venir lui dire à son retour de la
+campagne, s'il était content de son
+nouveau sort. Saint-Jean se trouva
+fort honoré d'une semblable preuve
+d'intérêt. Il ne l'attribua qu'à l'extrême
+bonté de madame de Saverny,
+et laissa à la finesse de mademoiselle
+Cécile l'honneur de découvrir qu'il
+pouvait bien ne devoir tant de protection
+qu'à la curiosité de la marquise.</p>
+
+<p>Il est certain que Valentine commençait
+à s'impatienter de l'obscurité
+répandue sur tout ce qu'elle
+<span class="pagenum"><a name="Page_121" id="Page_121">121</a></span>
+desirait savoir, et sans la crainte
+d'entendre sa belle-s&oelig;ur raconter
+en riant, à tous ses amis, ce que
+Saint-Jean venait de dire, elle l'aurait
+consultée pour savoir ce qu'on devait
+en penser. Mais l'ironie continuelle
+de madame de Nangis intimidait la
+confiance de Valentine; elle était
+sûre que la comtesse se récrierait
+sur le romanesque des aventures
+qui se succédaient, et ne manquerait
+pas de soupçonner tout haut
+que ce <i>bel inconnu</i>, dont elle avait
+déja tant ri, faisait courir après le
+cocher qui avait failli tuer Valentine,
+et lui assurerait sans doute une
+pension, en reconnaissance du bonheur
+qu'il lui devait d'avoir sauvé
+son héroïne. La certitude d'avoir à
+<span class="pagenum"><a name="Page_122" id="Page_122">122</a></span>
+supporter ces mauvaises plaisanteries,
+confirma Valentine dans le
+dessein de ne pas plus parler du récit
+de Saint-Jean, que de la visite du
+commandeur. C'est ainsi que la moquerie
+détruit tout épanchement,
+même dans l'amitié; et l'on peut
+affirmer que la peur d'être trahi
+empêche moins de confidences, que
+la crainte d'être plaisanté.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XII" id="CHAPITRE_XII"></a>CHAPITRE XII.</h3>
+
+<p class="p2">Plusieurs jours s'écoulèrent sans
+que le commandeur reparût chez
+madame de Nangis. Valentine, alarmée
+de cette absence, pensa que
+le danger de son mystérieux ami
+<span class="pagenum"><a name="Page_123" id="Page_123">123</a></span>
+pouvait en être cause, et se persuada
+qu'il était de son devoir d'en témoigner
+quelque inquiétude. Mais elle
+en parla de la manière la plus réservée,
+dans un billet où toutes les
+graces de la politesse ne dissimulaient
+pas la contrainte qui l'avait
+dicté; car l'idée que ce billet pourrait
+être montré, avait intimidé
+Valentine: l'événement justifia sa
+prévoyance. M. de Saint-Albert était
+à la campagne, et le surlendemain
+elle reçut la lettre suivante:</p>
+
+<p class="p2 left5"><span class="smcap">Madame</span>,</p>
+
+<p>«Ne me plaignez pas de l'événement
+le plus heureux de ma vie,
+mais de la fatalité qui me prive du
+bonheur d'aller vous remercier de
+<span class="pagenum"><a name="Page_124" id="Page_124">124</a></span>
+votre aimable inquiétude. Hélas!
+ma blessure est guérie! et je vais
+perdre tous mes droits à votre
+intérêt, sans être moins digne de
+votre pitié.</p>
+
+<p class="left5">«Je suis, etc.<br />
+<span class="i14 smcap">«Anatole.</span>»</p>
+
+<p class="p2">A cette lettre était jointe la réponse
+du commandeur, qui annonçait son
+prochain retour à Paris, sans dire
+un mot d'Anatole.</p>
+
+<p>«Anatole, répéta tout haut Valentine,
+je sais enfin son nom, et je
+connaîtrai bientôt celui de sa famille...
+Mais que m'importe le secret
+de sa naissance, j'aimerais mieux
+savoir celui de ses chagrins. Il paraît
+malheureux. On n'emploie tant de
+<span class="pagenum"><a name="Page_125" id="Page_125">125</a></span>
+mystère que pour cacher un tort ou
+un malheur; et l'ami de M. Saint-Albert
+ne peut être un homme coupable.
+Il n'en faut pas douter, il est
+malheureux. Mais, de quel malheur
+est-il affligé!» Voilà le sujet sur lequel
+s'exerça long-temps l'esprit de
+Valentine. Plusieurs indices lui prouvaient
+que la fortune n'avait point
+de torts envers lui. La nature semblait
+l'avoir comblé de ses faveurs, et
+l'amour seul devait causer ses peines.
+Peut-être avait-il été indignement
+trahi, et s'était-il juré de fuir toutes les
+occasions de se laisser de nouveau
+séduire: sa retraite était la suite de
+cette résolution: et Valentine trouvait
+qu'un tel motif expliquait fort
+clairement tout ce qui lui avait paru
+<span class="pagenum"><a name="Page_126" id="Page_126">126</a></span>
+si étrange jusqu'alors. «Si j'étais
+trompée, se disait-elle, je voudrais
+comme lui me soustraire aux yeux
+de tout le monde, et même à la reconnaissance
+que l'on voudrait me
+témoigner; je ne verrais partout que
+perfidie.»</p>
+
+<p>C'est ainsi que l'on trouve toujours
+le moyen de justifier les manies
+des gens qu'on favorise. En réfléchissant
+un peu mieux, Valentine
+aurait vu que ce projet de retraite
+absolue s'arrangeait mal avec sa rencontre
+à l'Opéra; bien que ce soit
+assez la mode de nos misanthropes
+modernes de haïr les hommes sans
+pouvoir se passer de leur société,
+et de fuir les femmes sans manquer
+un jour d'Opéra; cependant
+<span class="pagenum"><a name="Page_127" id="Page_127">127</a></span>
+il est rare d'y rencontrer celui qui
+cherche la solitude; et madame de
+Saverny aurait du s'attendrir un
+peu moins sur les malheurs d'un
+amant accessible à de pareilles distractions.
+Mais à l'âge de Valentine,
+on raisonne avec son imagination,
+et l'on calcule d'après son c&oelig;ur;
+elle se dit qu'Anatole avait été au
+spectacle par complaisance, qu'il ne
+l'avait si tendrement regardée que
+par curiosité, et ne s'était généreusement
+exposé pour elle, que par
+humanité et dégoût de la vie.</p>
+
+<p>Après avoir relu plusieurs fois le
+billet d'Anatole, elle le serra avec
+soin, et se rendit chez sa belle-s&oelig;ur,
+où l'assemblée la mieux choisie se
+plaignait depuis long-temps de son
+<span class="pagenum"><a name="Page_128" id="Page_128">128</a></span>
+absence. «Qui donc vous a retenue
+si tard, ma chère Valentine, s'écria
+madame de Nangis, nous vous attendons
+depuis un siècle pour chanter
+les couplets de M. de S...., prendre
+le thé, et commencer le quinze.&mdash;En
+vérité, ma s&oelig;ur, je ne méritais guère
+l'honneur d'être attendue pour tout
+cela, répondit Valentine; vous savez
+que je chante fort peu, et joue
+encore plus mal; Monsieur, ajouta-t-elle
+en se tournant vers le chevalier
+d'Émerange, voudra bien me
+remplacer, et l'auteur des couplets
+y gagnera beaucoup.&mdash;Gardez-vous
+bien de lui rien demander, reprit
+la comtesse, il est ce soir d'une humeur
+détestable; il dit qu'il n'y a
+pas assez de monde pour jouer,
+<span class="pagenum"><a name="Page_129" id="Page_129">129</a></span>
+qu'il y en a trop pour faire de la
+musique, que la conversation est
+trop brillante pour qu'il s'en mêle,
+enfin, il blâme tout en demandant
+la permission de ne rien faire; voilà
+la seule réponse qu'on en puisse obtenir.&mdash;Puisque
+c'est ainsi, je vais
+me rendre aux ordres de Madame,
+dit le chevalier en s'adressant à Valentine.»
+Et se levant ensuite pour
+demander à M. de S.... ses couplets,
+il laissa madame de Nangis un peu
+déconcertée de ce nouveau caprice.
+Pendant que le chevalier essayait
+l'air qui conviendrait le mieux à cette
+chanson, et que l'auteur se confondait
+en phrases modestes, pour prouver
+qu'il connaissait la médiocrité
+du genre et de l'exécution de ce
+<span class="pagenum"><a name="Page_130" id="Page_130">130</a></span>
+<i>petit ouvrage</i>, un indiscret s'avisa
+de dire qu'il voudrait bien savoir
+quelle douce occupation avait fait oublier
+l'heure à madame de Saverny.&mdash;Il
+faut le deviner, répondit M. de
+Nangis; moi je crois qu'elle finissait
+quelques-uns de ces romans que
+ces dames prétendent ne pas pouvoir
+quitter; et vous, chevalier, quelle
+est votre idée?&mdash;Madame écrivait
+peut-être aux heureux voisins du
+château de Saverny, dit le chevalier,
+d'un air malin.&mdash;Bah! dit la comtesse,
+je parie qu'elle achevait sa
+toilette: il manque toujours quelque
+chose à une robe neuve.&mdash;Qui sait,
+dit une voix qui surprit Valentine,
+pour occuper long-temps une jeune
+femme, il ne faut souvent qu'un
+<span class="pagenum"><a name="Page_131" id="Page_131">131</a></span>
+billet.&mdash;Vous ici, M. le commandeur,
+s'écria Valentine en se retournant,
+je vous croyais à la campagne!&mdash;J'en
+arrive à l'instant, Madame,
+et si je n'ai pas eu l'honneur de me
+présenter chez vous, c'est que j'espérais
+vous rencontrer ici.» Madame
+de Saverny s'excusait avec embarras
+de n'avoir point aperçu le
+commandeur en entrant dans le sallon,
+lorsque le son du piano se fit
+entendre. Après avoir préludé, le
+chevalier décida qu'une épigramme
+n'avait pas besoin d'accompagnement,
+et se mit à chanter, sans le
+secours du piano, des couplets dirigés
+contre un ministre nouvellement
+nommé: plusieurs femmes de
+la cour y étaient désignées de la manière
+<span class="pagenum"><a name="Page_132" id="Page_132">132</a></span>
+la moins décente, et la malignité
+ne s'arrêtait même pas aux
+courtisans. Chacun parut enchanté
+de cette &oelig;uvre du démon, et la meilleure
+des satires de Boileau n'aurait
+pas excité plus d'enthousiasme. On
+combla l'auteur d'éloges; ceux que
+lui adressa le chevalier furent les
+mieux tournés, les plus outrés et par
+conséquent les plus flatteurs. M. de
+Nangis seul ne rit point des couplets,
+et témoigna à sa femme le
+regret de les avoir laissé chanter chez
+lui; mais la comtesse devinant sa
+pensée, lui répondit: Qu'il n'y avait
+rien à craindre du ressentiment des
+personnes attaquées dans cette chanson;
+dans le fonds, ajouta-t-elle, il
+n'y a que le prince de maltraité, et
+<span class="pagenum"><a name="Page_133" id="Page_133">133</a></span>
+vous savez sur ce point jusqu'où va
+son indulgence. Madame de Nangis
+avait raison: à cette époque on
+risquait moins à faire une chanson
+contre le Roi, qu'une épigramme
+sur un commis des finances.</p>
+
+<p>De retour auprès de madame de
+Saverny, le chevalier se pencha vers
+elle pour lui dire à voix basse: «Concevez-vous
+rien au caprice de M<sup>me</sup>
+de Nangis, de me faire chanter des
+pauvretés pareilles?&mdash;N'avez-vous
+pas dit que vous trouviez ces couplets
+charmants?&mdash;Oui, vraiment,
+je l'ai dit à l'auteur; ne voulez-vous
+pas que je me fasse un ennemi de
+cet homme-là?&mdash;Mais il me semble
+que, sans blesser son amour-propre,
+vous auriez pu être moins prodigue
+<span class="pagenum"><a name="Page_134" id="Page_134">134</a></span>
+d'éloges.&mdash;Ah! vous connaissez bien
+mal ces sortes de gens-là: vous blâmez
+mon exagération envers lui, eh
+bien! je ne serais pas étonné qu'il
+m'eût trouvé très-froid dans mes
+éloges, et que pour s'en venger il
+ne méditât quelques petits refrains
+joyeux contre moi.&mdash;En effet, si la
+mauvaise foi se devine, j'ai peur
+pour vous; mais qui peut obliger
+à recevoir une personne dont l'aimable
+esprit cause une si vive terreur?&mdash;On
+espère toujours l'avoir
+pour soi, et comme il ne vous montre
+jamais que les méchancetés adressées
+aux autres, à moins qu'il ne se
+trompe de poches, on ne risque pas
+de savoir celles qu'on lui inspire.&mdash;Mais
+savez-vous bien que cela fait
+<span class="pagenum"><a name="Page_135" id="Page_135">135</a></span>
+un très-vilain métier.&mdash;Pas plus vilain
+qu'un autre. Au bout du compte,
+cet homme-là ne fait que rimer la
+prose de tout le monde, sa malice
+a rarement le mérite de l'invention;
+il peint ce qu'il voit, copie ce qu'il
+entend, médit de tous; et l'on sait
+qu'il a son couvert mis à la table
+de chacune de ses victimes.&mdash;Je puis
+vous assurer qu'il ne sera jamais
+admis à la mienne.&mdash;Il n'en voudrait
+pas de la vôtre: que ferait-il
+chez une femme qui ne peut ni goûter
+ni inspirer la satire?&mdash;Ah! prenez-y
+garde, vous me flattez; me croiriez-vous
+méchante?&mdash;Vraiment cette
+réflexion pourrait bien m'en donner
+l'idée, et c'est me punir cruellement
+d'avoir compromis mes éloges; mais
+<span class="pagenum"><a name="Page_136" id="Page_136">136</a></span>
+je m'en rapporte à votre esprit, pour
+distinguer le compliment que l'on
+cherche, de la vérité qui échappe. Au
+reste, quelle que soit votre opinion,
+je ne me donnerai jamais la peine
+de me justifier auprès de vous, tant
+je suis convaincu que vous savez
+déja mieux que moi tout ce que je
+pense.» Le chevalier quitta son ton
+léger pour dire ces derniers mots,
+qui furent interrompus par les instances
+réitérées de madame de Nangis,
+qui voulait absolument faire
+jouer sa belle-s&oelig;ur. Valentine sut
+bon gré à la comtesse de lui épargner
+l'embarras de répondre au chevalier;
+elle alla se placer auprès d'elle, à la
+table de jeu, et fut étonnée de voir
+le chevalier s'y établir aussi malgré
+<span class="pagenum"><a name="Page_137" id="Page_137">137</a></span>
+le refus absolu qu'il avait fait de
+jouer de la soirée. Madame de Nangis
+n'en fit point la remarque tout haut;
+mais ses regards et l'inflexion de
+sa voix, quand elle lui adressait la
+parole, prouvaient trop qu'elle était
+vivement blessée. Pour la première
+fois Valentine souffrit du mécontentement
+de sa belle-s&oelig;ur, des soins
+empressés du chevalier, et de la présence
+du commandeur.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XIII" id="CHAPITRE_XIII"></a>CHAPITRE XIII.</h3>
+
+<p class="p2">Avant de se séparer, M. d'Émerange ailleurs
+dit: «Que je suis étourdi!
+j'oubliais de vous parler de la nouvelle
+<span class="pagenum"><a name="Page_138" id="Page_138">138</a></span>
+qui occupe aujourd'hui tout
+Paris! de l'arrivée de ce fameux
+philosophe, qui prétend deviner les
+défauts du c&oelig;ur d'après les traits
+du visage!&mdash;Quoi! Lavater est ici,
+s'écria madame de Nangis? Que je
+voudrais le voir! je suis folle de
+son système, et je m'en sers déja
+passablement bien. Cependant je
+n'en sais que les masses; ses détails
+me paraissent trop incertains; mais
+sur les nez aquilins, et les mentons
+crochus, je ne me tromperais guères.&mdash;Fiez-vous
+à ces belles connaissances-là,
+reprit le chevalier, j'ai
+voulu aussi me mêler de physiognomonie,
+et n'ai recueilli d'autre fruit
+de mes études que le tort de supposer
+à mes amis beaucoup plus de
+<span class="pagenum"><a name="Page_139" id="Page_139">139</a></span>
+défauts que je ne leur en connaissais
+déja.&mdash;C'est que vous étiez mal-instruit;
+d'ailleurs c'est une science
+que bien des gens ne se soucient
+guères d'accréditer. Moi, qui ne me
+donne pas trop la peine de cacher
+mes défauts, je serais charmée de
+connaître aussi bien ceux des autres.&mdash;Je
+croyais, dit Valentine, qu'il y
+avait plus à gagner à ne les pas voir;
+et je suis presque tentée de plaindre
+ce pauvre M. Lavater, de n'avoir pas
+même les plaisirs de l'illusion.&mdash;Ce
+doit être un homme d'une conversation
+bien intéressante, dit la
+comtesse. On va se l'arracher; mais
+j'espère bien être une des premières
+à le voir.&mdash;Ce ne sera pas une
+chose facile, reprit le chevalier, car
+<span class="pagenum"><a name="Page_140" id="Page_140">140</a></span>
+on le dit fort sauvage.&mdash;C'est
+dans l'ordre, dit le commandeur,
+un homme qui a le secret de tout
+le monde doit se cacher.&mdash;Mais il
+a des amis peut-être, reprit la comtesse.
+On le rencontrera quelque
+part.&mdash;Je ne pense pas que ce soit
+à la cour, dit en riant M. de Saint-Albert;
+mais si vous êtes, mesdames,
+si curieuses de le rencontrer, je crois
+pouvoir vous en offrir l'occasion.&mdash;Ah!
+M. le commandeur, s'écria
+madame de Nangis, si vous me rendez
+un pareil service, je vous promets
+de ne plus me plaindre de ces
+petites vérités que vous m'adressez
+avec tant de ménagements.&mdash;Non,
+vraiment, je serais bien fâché que le
+plaisir de vous obliger me coûtât
+<span class="pagenum"><a name="Page_141" id="Page_141">141</a></span>
+une de vos injures. J'aime les réparties,
+et les vôtres sont trop piquantes
+pour les sacrifier. C'est donc sans
+aucune condition que je vous propose
+de me faire l'honneur de dîner
+samedi chez moi. Lavater m'a promis
+ce matin de me donner cette
+journée. Nous devions la consacrer
+au plaisir de nous rappeler les moments
+que nous avons passés ensemble
+dans son hermitage en Suisse;
+mais il ne m'en voudra pas de le
+tromper ainsi.»</p>
+
+<p>Madame de Saverny accepta avec
+empressement l'invitation du commandeur.
+Une secrète espérance de
+rencontrer chez lui cet Anatole, dont
+le souvenir revenait souvent à sa
+pensée, ranima sa gaîté. Elle redoubla
+<span class="pagenum"><a name="Page_142" id="Page_142">142</a></span>
+de soins pour le commandeur,
+et jamais son desir de plaire ne s'était
+montré plus visiblement. M. de Saint-Albert
+n'osant pas s'en faire honneur,
+lui supposa un autre motif, et
+dit à voix basse à Valentine: «Vous
+ne me diriez seulement pas d'inviter
+le chevalier; et cependant vous en
+mourez d'envie. Mais on ne peut
+jamais espérer de franchise de la
+part d'une femme bien élevée.»
+A ces mots, Valentine se sentit rougir
+d'impatience; elle allait répondre
+de manière à détromper le commandeur,
+lorsque le chevalier vint
+s'informer des projets qu'elle avait
+pour le lendemain. M. de Saint-Albert
+profita de cette occasion pour
+remplir ce qu'il disait être le v&oelig;u
+<span class="pagenum"><a name="Page_143" id="Page_143">143</a></span>
+de madame de Saverny; et la reconnaissance
+que lui en témoigna
+M. d'Émerange, dut le confirmer
+dans l'opinion que la moitié de ses
+conjectures était au moins bien
+fondée.</p>
+
+<p>Au jour convenu on se rendit chez
+le commandeur. Madame de Nangis
+s'étonna d'en être reçue d'une manière
+aussi affectueuse; elle ignorait
+le respect de M. de Saint-Albert
+pour les devoirs de l'hospitalité, et
+ne concevait pas comment ce même
+homme, si frondeur, si brusque chez
+les autres, pouvait devenir chez
+lui aussi prévenant qu'aimable pour
+tous ceux qui s'y trouvaient. Un
+vieux préjugé d'éducation avait persuadé
+au commandeur, qu'en général
+<span class="pagenum"><a name="Page_144" id="Page_144">144</a></span>
+il faut être reconnaissant envers
+les personnes qu'on reçoit; car il
+est rare qu'elles ne fassent point un
+sacrifice en quittant leur maison,
+même pour s'amuser dans celle d'un
+autre. D'ailleurs il prétendait que la
+manière de recevoir plus ou moins
+bien les gens étant toujours un aveu
+des sentiments d'estime qu'on leur
+portait, ils avaient le droit de se
+blesser d'une distraction, ou de se
+venger d'une impolitesse.</p>
+
+<p>En entrant dans le salon, Valentine
+était vivement émue; son premier
+regard n'avait osé s'arrêter
+particulièrement sur personne, et ce
+ne fut que long-temps après qu'elle
+put vérifier que son espérance était
+vaine. La réunion n'était pas nombreuse:
+<span class="pagenum"><a name="Page_145" id="Page_145">145</a></span>
+madame de Réthel, nièce de
+M. de Saint-Albert en fesait les honneurs;
+elle paraissait fort occupée
+du soin d'observer Valentine, et plus
+encore de lui témoigner la préférence
+la plus flatteuse. Le chevalier,
+à qui le trouble de madame de Saverny
+n'avait point échappé, en
+éprouvait une joie d'amour-propre
+qui se décelait dans tous ses discours.
+Il s'empressa de venir lui dire:&mdash;Sur
+lequel de tous ces visages placeriez-vous
+l'esprit ingénieux de
+Lavater.&mdash;Je voudrais, répondit-elle,
+en désignant quelqu'un, que
+cette figure, dont l'expression est si
+noble et si calme, fût celle d'un philosophe;&mdash;et
+le ciel, qui veut tout ce
+que vous voulez, a donné cette belle
+<span class="pagenum"><a name="Page_146" id="Page_146">146</a></span>
+figure à Lavater.&mdash;Ah! je suis bien
+aise de l'avoir deviné, reprit Valentine;
+et, si j'osais, je m'en vanterais
+à lui pour lui prouver la vérité de
+son systême.» Dans ce moment, le
+commandeur vint prendre la main
+de ces dames pour les conduire à
+table. Selon le desir de madame de
+Nangis, Lavater fut placé près d'elle;
+mais sa curiosité n'y gagna rien.
+En vain son esprit trouva-t-il le
+moyen d'amener la conversation sur
+tous les sujets qu'elle croyait devoir
+l'intéresser: en vain lui témoignait-elle
+par ses prévenances
+le desir qu'elle avait de l'entendre
+causer; il garda le plus profond
+silence. La comtesse crut que c'était
+par <i>dédain philosophique</i>, et
+<span class="pagenum"><a name="Page_147" id="Page_147">147</a></span>
+changea au même instant son enthousiasme
+pour Lavater, en indignation
+contre lui:&mdash;Savez-vous
+bien, dit-elle au commandeur, que
+votre savant ami n'est qu'un ennuyeux?
+Nous croit-il indignes de
+ses paroles, ou trop sots pour le
+comprendre?&mdash;Il serait possible,
+répondit M. de Saint-Albert, qu'avec
+tout votre esprit, vous ne le comprissiez
+pas.&mdash;Voilà bien cet orgueil
+masculin, reprit la comtesse,
+qui, tout en accordant beaucoup
+d'esprit aux femmes, les croit incapables
+d'apprécier le mérite d'un
+homme supérieur. On s'imaginerait
+à vous entendre que Dieu, vous
+ayant faits à son image, nous devons
+aussi vous adorer sans vous comprendre?&mdash;Pourquoi
+<span class="pagenum"><a name="Page_148" id="Page_148">148</a></span>
+pas? nous
+vous donnons assez souvent l'exemple
+d'un pareil culte.&mdash;Cela n'excuse
+pas vos dédains pour notre
+esprit, et la peine que vous prenez
+à nous persuader que la nature l'a
+réduit au bonheur de vous amuser,
+sans pouvoir jamais atteindre à l'honneur
+de vous imiter, même dans la
+moindre de vos productions.&mdash;Ah!
+ce serait par trop injuste, reprit tout
+haut le commandeur, et ces messieurs
+me sont témoins qu'hier encore
+je vantais les jolis ouvrages de
+plusieurs femmes, et sur-tout les
+petits vers de madame de B... Ce
+n'est pas ma faute à moi si ces dames
+ne font pas de belles tragédies: je
+les vanterais d'aussi bon c&oelig;ur.&mdash;Cela
+<span class="pagenum"><a name="Page_149" id="Page_149">149</a></span>
+n'est pas sûr, dit la comtesse.&mdash;Et
+moi j'en réponds, dit le chevalier.
+Les succès littéraires des
+femmes ne peuvent être disputés
+que par des hommes médiocres.
+C'est la rivalité qui rend injuste, et
+plus encore le sentiment de son
+infériorité. Comment voulez-vous
+qu'un pédant ennuyeux pardonne
+à madame de La Fayette d'occuper
+une place dans toutes les bibliothèques,
+tandis que les misérables
+brochures qu'il enfante avec tant de
+peine, expirent en naissant? Il n'appartient
+qu'aux gens d'un vrai mérite
+de savoir approuver le talent
+par-tout où il se trouve, et j'affirmerais
+bien que Racine ne médisait
+pas des vers de madame Deshoulières,
+<span class="pagenum"><a name="Page_150" id="Page_150">150</a></span>
+malgré son injustice envers lui.»
+La discussion s'établit sur ce sujet
+si souvent rebattu. Le chevalier
+plaida la cause des femmes en chevalier
+français, et fut bien étonné
+d'avoir à combattre madame de Saverny,
+dont l'avis était, que les talents
+les plus distingués, et le succès
+qui en résultait, ne pouvaient dédommager
+une femme du malheur
+attaché à la célébrité. Madame de
+Nangis insista pour savoir l'opinion
+de M. Lavater sur cette réflexion de
+Valentine, et le commandeur fut
+obligé de lui avouer que Lavater
+entendait assez bien le français, mais
+ne répondait jamais qu'en allemand.
+C'est pourquoi, ajouta-t-il, j'ai osé
+vous dire que vous pourriez bien
+<span class="pagenum"><a name="Page_151" id="Page_151">151</a></span>
+ne pas le comprendre.» Cet aveu
+rendit à la comtesse toute sa bienveillance
+pour Lavater; elle pria le
+commandeur de lui servir d'interprète,
+et la conversation s'engagea
+bientôt comme elle le desirait. Elle
+eut beaucoup à se louer de l'aimable
+indulgence du philosophe pour celles
+qu'il appelait <i>ses chères pécheresses</i>;
+mais elle fut souvent contrariée de
+son attention à considérer Valentine.
+En effet, rien ne pouvait le
+distraire du plaisir qu'il prenait à
+contempler l'ensemble de ce beau
+visage: ses yeux y restaient fixés
+comme sur un livre dont chaque
+page augmente l'intérêt. C'est en
+regardant Valentine qu'il s'écria:
+«L'expression d'une ame pure sur
+<span class="pagenum"><a name="Page_152" id="Page_152">152</a></span>
+des traits enchanteurs n'a-t-elle pas
+tout le charme d'une <i>harmonie céleste</i>!»</p>
+
+<p>Vers la fin du dîner, M. de Saint-Albert
+parla d'un billet qu'il venait
+de recevoir, où se trouvaient mêlés
+des vers adressés à Lavater, et qu'il
+croyait dignes de lui. De qui sont-ils,
+demandèrent aussitôt plusieurs
+personnes, car pour un grand
+nombre de gens, le jugement qu'on
+doit porter sur un ouvrage est tout
+entier dans le nom de l'auteur. Le
+commandeur répondit que le billet
+était d'un de ses amis, qui s'excusait
+de ne pouvoir profiter de
+l'honneur de dîner avec ces dames;
+et que les vers étaient anonymes.
+On voulut les connaître. Madame de
+<span class="pagenum"><a name="Page_153" id="Page_153">153</a></span>
+Réthel fut charge de les lire. C'était
+un parallèle de Fénelon et de Lavater,
+où les plus nobles pensées
+étaient exprimées avec autant d'énergie
+que de grace; cet éloge semblait
+être plutôt le jeu d'une imagination
+qui aime à comparer, que
+l'&oelig;uvre de ce démon de flatterie qui
+inspire tant de madrigaux; et l'on
+devinait en lisant ces vers, que l'auteur
+les avait faits bien plus pour
+son plaisir que pour vanter le génie
+de Lavater. Ils obtinrent tous les
+suffrages; après les avoir entendus,
+on voulut les lire, et lorsqu'ils arrivèrent
+à madame de Saverny, elle
+ne réussit pas à cacher sa surprise,
+en reconnaissant que ces vers avaient
+été tracés de la même main que la
+<span class="pagenum"><a name="Page_154" id="Page_154">154</a></span>
+lettre d'Anatole. Le mouvement involontaire
+qu'elle fit, fut remarqué
+de tout le monde: on devina qu'elle
+avait reconnu l'écriture de l'auteur;
+et pour la première fois, elle se félicita
+d'ignorer son nom de famille,
+afin d'affirmer avec plus d'assurance
+qu'elle ne le connaissait pas.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XIV" id="CHAPITRE_XIV"></a>CHAPITRE XIV.</h3>
+
+<p class="p2">Le commandeur, qui savait seul le
+secret de l'embarras de Valentine,
+voulut y mettre fin en proposant de
+se lever de table; mais elle était à
+peine remise de cette première émotion,
+qu'il en fallut dissimuler une
+plus vive encore. Madame de Nangis
+<span class="pagenum"><a name="Page_155" id="Page_155">155</a></span>
+avait desiré voir la bibliothèque de
+M. de Saint-Albert; c'était une des
+plus complètes de Paris. Il fesait
+remarquer sa plus belle édition à
+madame de Saverny, lorsqu'on entendit
+la comtesse s'écrier en éclatant
+de rire: «C'est lui, c'est lui-même:
+Valentine, ajouta-t-elle en montrant
+un des bustes qui décoraient ce cabinet,
+ma chère amie, dites-moi un
+peu à qui vous trouvez que ce buste
+ressemble?&mdash;Vraiment, interrompit
+avec empressement le commandeur,
+il doit ressembler au troyen
+Hector; c'est du moins ce qu'assure
+le Romain qui me l'a vendu.&mdash;Il
+s'agit bien de votre guerrier troyen,
+reprit la comtesse, moi je vous dis
+que c'est le portrait frappant de notre
+<span class="pagenum"><a name="Page_156" id="Page_156">156</a></span>
+<i>inconnu</i>, et qu'il est bien aussi beau,
+aussi brave, que tous vos héros
+d'Homère. Mais, répondez donc,
+Valentine, n'êtes-vous pas d'avis de
+cette ressemblance?» Madame de
+Saverny en était trop frappée pour
+oser en convenir. L'affectation du
+commandeur à détourner l'attention
+de la comtesse sur cette ressemblance,
+et plus encore le souvenir de ces
+traits si bien empreints dans la mémoire
+de Valentine, lui firent soupçonner
+que l'artiste chargé d'exécuter
+ce buste, n'avait eu pour modèle
+qu'Anatole. Elle s'étonna du trouble
+que cette idée fesait naître en son
+ame, et s'efforça d'en triompher, en
+répondant avec gaîté aux plaisanteries
+de sa belle-s&oelig;ur; mais Valentine
+<span class="pagenum"><a name="Page_157" id="Page_157">157</a></span>
+était loin de posséder cet art
+de dissimuler les émotions du c&oelig;ur
+sous les apparences d'un esprit léger.
+Son regard, sa rougeur, combattaient
+avec son sourire. Elle sentit
+bientôt l'impossibilité de continuer
+une conversation qui lui coûtait tant
+d'efforts, et tâcha de porter l'attention
+de madame de Nangis sur un
+nouvel objet; n'y pouvant réussir,
+elle se décida à profiter de sa position
+pour satisfaire une partie de
+sa curiosité. Elle conduisit Lavater
+auprès de ce buste, et lui témoigna
+le desir de savoir, d'après son systême,
+le caractère qu'il supposait au
+modèle de cette belle tête. Entraîné
+par le plaisir d'intéresser Valentine,
+Lavater surmonte la timidité qui
+<span class="pagenum"><a name="Page_158" id="Page_158">158</a></span>
+l'empêchait ordinairement de s'exprimer
+en français, et rassuré par
+l'idée de n'avoir à dénoncer que les
+défauts de quelque héros antique,
+il fait l'analyse la plus détaillée de ce
+portrait moral, en donnant à chaque
+mot une nouvelle preuve de sa profonde
+observation. Il démontre par
+tous les principes de sa science, qu'un
+homme doué de cette physionomie,
+doit posséder un esprit élevé, indépendant,
+mais trop prompt à s'exalter;
+un c&oelig;ur généreux et passionné,
+sensible jusqu'à la faiblesse, jaloux
+jusqu'à l'emportement, timide et
+courageux, modeste et fier, docile
+dans ses habitudes, inébranlable dans
+ses résolutions; on peut l'occuper
+vivement, mais jamais le distraire;
+<span class="pagenum"><a name="Page_159" id="Page_159">159</a></span>
+il ajoute enfin que son imagination
+ardente, modérée par un sentiment
+profond de mélancolie, lui promet
+de brillants succès en poésie et en
+peinture, et de vifs chagrins en
+amour.</p>
+
+<p>Jamais oracle ne fit plus d'impression
+sur les Grecs, que le jugement
+de Lavater n'en produisit sur l'esprit
+de Valentine. A mesure qu'il le prononçait,
+les yeux fixés sur le commandeur,
+madame de Saverny cherchait
+à en vérifier l'exactitude, et
+voyait avec plaisir le sourire d'approbation
+qui se répandait sur le
+visage de M. de Saint-Albert, à chaque
+détail que Lavater se plaisait à
+donner du caractère de son jeune
+ami. Convaincue de la fidélité de ce
+<span class="pagenum"><a name="Page_160" id="Page_160">160</a></span>
+portrait, elle dit au commandeur
+de manière à n'être entendue que
+de lui:&mdash;Vous le voyez, tout le
+monde n'est pas aussi discret que
+vous. Il ne me reste plus qu'un nom
+à savoir; je le saurai bientôt, et
+j'aurai regret de ne rien devoir à
+votre confiance.&mdash;Vous devez déja
+trop à mon indiscrétion, reprit-il;
+mais comment un intérêt de ce genre
+peut-il vous occuper à travers tous
+ceux qui vous captivent?&mdash;C'est
+qu'il est peut-être le plus vif, répondit
+ingénûment Valentine.» Ce mot
+parut surprendre le commandeur;
+il prit un air méfiant, se mit à rêver,
+et son regard semblait dire: Serait-il
+vrai?</p>
+
+<p>Pendant que Valentine se reprochait
+<span class="pagenum"><a name="Page_161" id="Page_161">161</a></span>
+l'excès de sa franchise, le chevalier
+riait de sa crédulité, et profitait
+du départ de Lavater pour dire:&mdash;Je
+crois, en vérité, que vous ajoutez
+foi à cette nouvelle magie! et
+que l'esprit éloquent de Lavater vous
+a subjuguée au point de.....&mdash;Elle
+ne saurait mieux faire que de le
+croire, interrompit madame de Nangis,
+puisqu'il donne à son héros
+toutes les qualités de Grandisson,
+sans compter les défauts charmants
+qu'il lui accorde.&mdash;Quoi! toujours
+ce personnage mystérieux, reprit le
+chevalier, en témoignant de l'humeur.
+Ah! par grace, mesdames,
+respectez son secret; il le garde si
+bien!&mdash;Il le garderait cent fois
+mieux encore, reprit la comtesse,
+<span class="pagenum"><a name="Page_162" id="Page_162">162</a></span>
+que je le saurais demain s'il m'intéressait
+autant que vous le supposez.»
+Valentine fut frappée de cette réflexion,
+et n'en entendit pas davantage
+de la petite querelle qui s'engagea
+entre sa belle-s&oelig;ur et le
+chevalier. Accoutumée à les voir
+souvent d'un avis contraire, elle
+s'inquiétait peu de leurs différends.
+Cependant elle aurait pu remarquer
+qu'ils étaient plus fréquents, et qu'il
+régnait dans tous les discours de la
+comtesse une sorte d'aigreur qui
+devenait chaque jour moins supportable.
+L'innocence de Valentine l'empêcha
+long-temps d'en soupçonner
+la cause; mais elle ne pouvait se
+dissimuler que madame de Nangis
+paraissait souvent importunée de sa
+<span class="pagenum"><a name="Page_163" id="Page_163">163</a></span>
+présence; et, sans oser interpréter
+ce changement, elle en profitait pour
+se livrer quelquefois à son goût pour
+la retraite. Ces jours-là elle ne permettait
+qu'à la petite Isaure de venir
+la troubler, et c'est en prodiguant
+les plus tendres soins à la fille qu'elle
+se vengeait des caprices de la mère.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XV" id="CHAPITRE_XV"></a>CHAPITRE XV.</h3>
+
+<p class="p2">La réflexion de madame de Nangis
+sur le secret d'Anatole, revint si souvent
+à l'esprit de Valentine, qu'elle
+finit par la trouver toute simple, et
+s'étonna d'avoir cessé aussi vîte les
+démarches qui pouvaient lui offrir
+<span class="pagenum"><a name="Page_164" id="Page_164">164</a></span>
+des renseignements certains sur ce
+qu'il lui restait à savoir d'Anatole.
+Après avoir rejeté celles qui ne lui
+paraissent pas convenables, elle se
+fit conduire un matin à l'opéra, et
+sous prétexte de louer une loge à
+l'année, elle demande celle où elle
+a vu pour la première fois Anatole.
+On lui répond que la loge qu'elle
+désigne n'est pas libre, mais qu'on
+ne doute pas que l'ambassadeur d'Espagne
+n'ait la complaisance de la lui
+céder dès que Son Excellence apprendra
+que c'est madame la marquise
+de Saverny qui le desire. Valentine
+insiste pour que l'on n'adresse point
+à l'ambassadeur une demande aussi
+indiscrète, et défend positivement
+qu'on la fasse en son nom. Le commis
+<span class="pagenum"><a name="Page_165" id="Page_165">165</a></span>
+chargé de la location des loges,
+ne voyant que l'intérêt de son administration,
+promet bien à la marquise
+de se conformer à ses ordres,
+mais c'est en formant le projet de
+lui désobéir. A peine l'a-t-elle quitté,
+qu'il écrit à l'intendant de l'ambassadeur
+tout ce qu'il avait promis de
+ne pas dire; il y ajouta quelques-unes
+des questions échappées à la
+curiosité de Valentine, et finit par
+offrir à Son Excellence le choix de
+deux autres loges en face de la sienne,
+qu'il assura être meilleures.</p>
+
+<p>La réponse du duc de Moras ne se
+fit pas attendre, et Valentine l'ayant
+rencontré quelques jours après chez
+la princesse de L***, resta interdite
+quand il vint la remercier de lui
+<span class="pagenum"><a name="Page_166" id="Page_166">166</a></span>
+avoir offert l'occasion de faire une
+chose qui lui fût agréable, en lui
+cédant sa loge à l'opéra. «Elle sera
+bien mieux occupée, ajouta-t-il, et
+je m'assure la reconnaissance de mes
+anciens voisins. Quelle agréable surprise
+pour eux de voir arriver une
+aussi belle personne à la place de
+leur vieux diplomate!» Valentine,
+révoltée de l'indiscrétion commise
+en son nom, s'en défendit avec tant
+de chaleur, qu'elle s'en justifia mal.
+Son trouble, en écoutant le duc de
+Moras, son indignation contre ce
+commis qu'elle menaçait de faire
+punir de son impertinence, enfin, ce
+dépit qu'on éprouve toujours à la
+suite d'une démarche imprudente, et
+mal interprétée, lui donna l'air d'une
+<span class="pagenum"><a name="Page_167" id="Page_167">167</a></span>
+personne qui craint d'être devinée.
+On avait trouvé tout simple le caprice
+qui l'avait engagée à desirer
+la loge du duc de Moras, on s'étonna
+de lui voir mettre tant d'importance
+à s'en défendre; et chacun y prêta le
+motif qui lui parut le plus probable.
+C'est ainsi qu'on juge souvent dans le
+monde de l'étendue d'une inconséquence
+par le plus ou moins de
+soin qu'on porte à s'en disculper.</p>
+
+<p>Fort heureusement pour Valentine,
+la princesse interrompit les
+excuses et les remerciements qu'elle
+adressait au duc de Moras, en disant:
+«Regardez, madame, le joli présent
+que je viens de recevoir!» Et
+elle conduisit la marquise auprès
+d'une table sur laquelle se trouvait
+<span class="pagenum"><a name="Page_168" id="Page_168">168</a></span>
+un jasmin d'Espagne d'une rare
+beauté. Il avait la forme d'un oranger:
+sa tige élancée était recouverte
+d'un buisson de fleurs, et tout
+attestait qu'il avait déja bravé bien
+des hivers. Valentine convint qu'elle
+n'en avait jamais vu de pareil, et
+cependant son goût pour les fleurs
+lui avait fait souvent rechercher les
+plus belles; et les serres du château
+de Saverny étaient citées parmi les
+plus complètes en ce genre. Aux airs
+modestes que le duc de Moras prit en
+voyant chacun admirer cet arbuste,
+Valentine devina que c'était lui qui
+l'avait offert, et lui en fit compliment.
+Il y répondit en avouant qu'il
+le tenait d'un de ses amis qui l'avait
+fait venir d'Espagne, et qu'il ne
+<span class="pagenum"><a name="Page_169" id="Page_169">169</a></span>
+croyait pas qu'il y en eût d'aussi
+grand en France.</p>
+
+<p>En sortant de chez la princesse,
+madame de Saverny se rendit chez
+la présidente de C..., où devait se
+trouver madame de Nangis. Elles y
+passèrent toutes deux le reste de la
+journée; et lorsque Valentine rentra
+chez elle, le premier objet qui frappa
+sa vue fut un jasmin semblable à
+celui qu'elle avait admiré le matin
+même chez la princesse de L...: elle
+reconnut jusqu'au vase qui le contenait,
+et ne douta pas un instant
+que la princesse ne lui en eût voulu
+faire le sacrifice. Pour mieux s'en
+assurer, elle demanda à sa femme
+de chambre de quelle part on l'avait
+apporté; mais mademoiselle Cécile,
+<span class="pagenum"><a name="Page_170" id="Page_170">170</a></span>
+qui avait toujours le talent d'ignorer
+ce qu'elle ne voulait pas dire, répondit
+que deux hommes qu'elle avait
+pris pour des jardiniers l'avaient déposé
+dans l'antichambre, en recommandant
+de le placer auprès du lit
+de Madame. Cette réponse affermit
+Valentine dans l'idée que la princesse,
+ayant remarqué son admiration
+pour cet arbuste, avait voulu
+s'en priver pour elle. C'était à ses
+yeux une indiscrétion de plus que
+de l'accepter, et cependant comment
+refuser un sacrifice offert avec
+tant de délicatesse? Après s'être vivement
+reproché tout ce qu'elle croyait
+avoir dit et fait d'inconvenant depuis
+plusieurs jours, Valentine décida
+qu'elle irait le lendemain au lever
+<span class="pagenum"><a name="Page_171" id="Page_171">171</a></span>
+de la princesse, la remercier de son
+aimable attention, et la conjurer au
+nom de l'ambassadeur, qu'elle privait
+déja de sa loge, de conserver les
+fleurs qu'il lui avait offertes avec tant
+de plaisir.</p>
+
+<p>La princesse était encore au lit
+quand la marquise arriva. Un valet-de-chambre
+alla s'informer si elle
+était visible, et madame de Saverny
+entra dans le salon pour y attendre
+sa réponse. On peut se figurer sa
+surprise lorsqu'elle aperçut sur la
+table de la princesse le même jasmin
+qu'elle y avait vu la veille. Sans pouvoir
+expliquer ce nouveau mystère,
+elle chercha un autre motif à donner
+à sa visite. Car, sans se rendre
+<span class="pagenum"><a name="Page_172" id="Page_172">172</a></span>
+compte du sentiment qui la retenait,
+elle ne voulait point parler du présent
+qu'elle avait reçu, avant d'avoir découvert
+celui qu'elle en devait remercier.
+Elle était encore dans l'embarras
+de choisir un prétexte raisonnable,
+quand on vint l'avertir que la princesse
+l'attendait. Elle arriva près
+d'elle avec toute la confusion d'une
+personne qui ne sait ce qu'elle va
+dire. La princesse ne s'en aperçut
+point, et termina son embarras en
+lui disant: «Je devine ce qui m'attire
+le plaisir de vous voir d'aussi
+bonne heure, ma chère Valentine,
+vous savez ce qui s'est dit hier soir
+chez moi, et combien je me suis
+plainte de votre silence. Me laisser
+apprendre la nouvelle de votre prochain
+<span class="pagenum"><a name="Page_173" id="Page_173">173</a></span>
+mariage par le bruit qu'il fait
+dans le monde, vous conviendrez
+que c'est me traiter avec bien peu
+de confiance, et que mon amitié
+méritait mieux de vous.» La princesse
+ajouta tant d'autres reproches
+obligeants à ceux-ci, qu'elle donna
+à Valentine le temps de se remettre
+un peu de son étonnement, et de
+chercher à profiter de la méprise.&mdash;Avant
+de me justifier, lui dit-elle,
+d'un tort que je n'ai point, permettez-moi,
+madame, de me plaindre
+aussi de votre facilité à m'accuser.&mdash;Quoi!
+interrompit la princesse,
+ce mariage n'est point vrai?&mdash;Je
+ne sais même pas à qui l'on me fait
+l'honneur de m'accorder.&mdash;Ah!
+vous savez au moins que le chevalier
+<span class="pagenum"><a name="Page_174" id="Page_174">174</a></span>
+d'Émerange brûle de vous obtenir.&mdash;Moi...
+madame... répondit Valentine
+avec embarras.&mdash;Pourquoi
+vous troubler, ma chère Valentine?
+je ne veux pas arracher votre secret;
+croyez plutôt que si vous me réduisiez
+à le deviner, je saurais le respecter.
+Votre situation m'est connue;
+je sens tous les égards que vous
+devez à votre belle-s&oelig;ur; mais quand
+vous aurez beaucoup sacrifié à sa
+sensibilité, il faudra toujours finir
+par lui porter le coup fatal, et je
+vous prédis que son caractère emporté
+ne vous tiendra pas compte de
+vos ménagements.&mdash;Ah! madame,
+pouvez-vous faire une semblable
+supposition?&mdash;Je ne suppose rien,
+je vous jure, et ne fais que vous
+<span class="pagenum"><a name="Page_175" id="Page_175">175</a></span>
+répéter ce qui se dit dans le monde.&mdash;Oserait-on
+y calomnier la conduite
+de madame de Nangis? Ce
+serait une indignité!&mdash;Je le pense
+ainsi; mais ni vous ni moi n'avons
+la puissance de l'empêcher. Tant
+qu'on voit une femme recevoir les
+soins d'un homme aimable, on dit
+qu'elle les encourage; s'attriste-t-elle
+de ses assiduités auprès d'une autre,
+on la dit jalouse. C'est une vieille
+routine adoptée par la malignité, et
+que rien ne saurait changer: mais
+remarquez que ces mêmes gens si
+prompts à supposer les torts qu'on
+leur cache, n'en sont pas moins
+indulgents pour tous ceux qu'on
+leur montre, et que souvent, pour
+les désarmer, il suffit de paraître
+<span class="pagenum"><a name="Page_176" id="Page_176">176</a></span>
+ne les pas craindre.&mdash;Et comment
+ne craindrait-on pas une méchanceté
+dont les suites peuvent devenir
+si funestes? Le caractère de mon
+frère est assez connu, je pense,
+pour ne pas laisser supposer qu'il
+endurât patiemment de tels propos.&mdash;Soyez
+tranquille, le bruit n'en parviendra
+jamais à ses oreilles; sur ce
+point, la discrétion française l'emporte
+sur le plaisir de nuire: on verrait
+avec horreur celui qui troublerait
+par une lâche trahison la paix
+conjugale d'un mari; et la société en
+ferait bientôt justice.»</p>
+
+<p>Ce ne fut pas sans peine que la
+princesse parvint à faire comprendre
+à Valentine les subtilités de ce code
+des lois mondaines, qui condamne
+<span class="pagenum"><a name="Page_177" id="Page_177">177</a></span>
+la délation sans punir la calomnie.
+Les idées que madame de Saverny
+s'était faites du véritable honneur
+s'accordaient mal avec cet honneur
+de convention, parfois sévère et parfois
+complaisant, qu'on lui assurait
+avoir un si grand empire dans le
+monde. Si toute autre personne lui
+en eût ainsi parlé, elle l'aurait accusée
+d'une légèreté blâmable; mais
+les vertus, la conduite de la princesse
+de L..., ne laissaient aucun
+doute sur la pureté de ses principes.
+Elle parlait des travers de la société
+comme de ces infirmités incurables
+qu'il faut bien tolérer chez les autres,
+mais dont on ne saurait trop se garantir
+pour son propre compte; et
+ce fut d'elle que Valentine reçut la
+<span class="pagenum"><a name="Page_178" id="Page_178">178</a></span>
+première leçon de cette aimable indulgence,
+qui est le sceau de la supériorité
+en tous genres.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XVI" id="CHAPITRE_XVI"></a>CHAPITRE XVI.</h3>
+
+<p class="p2">De tous les sentiments qui tourmentent
+l'esprit, l'impatience étant bien
+certainement le plus difficile à dissimuler,
+on aime à s'y livrer sans
+témoin; aussi madame de Saverny
+forma-t-elle le projet de s'enfermer
+chez elle pendant quelques jours,
+pour calmer l'agitation que fesaient
+naître en son ame tant d'incidents
+étranges, et méditer sur la conduite
+qu'elle devait tenir.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_179" id="Page_179">179</a></span>
+Elle s'occupa d'abord des moyens
+de détruire les espérances du chevalier
+d'Émerange sur son prétendu
+mariage, et de faire cesser un bruit
+dont elle se plaisait à exagérer les
+conséquences dangereuses, sans oser
+s'avouer celle qu'elle redoutait le plus.
+La difficulté était de faire connaître
+ses intentions au chevalier; comment
+imposer silence à un homme
+qui ne s'explique point, et l'obliger
+à nier un projet qui n'a peut-être
+jamais été le sien? Ces réflexions arrêtaient
+Valentine, et plus encore,
+l'idée de partager le ridicule attaché
+aux femmes qui se croient adorées
+au premier mot galant qu'on leur
+adresse, et qui se vantent de leurs
+rigueurs avant qu'on ait songé à
+<span class="pagenum"><a name="Page_180" id="Page_180">180</a></span>
+leur plaire. Après s'être long-temps
+consultée sur le parti qu'elle devait
+prendre à ce sujet, Valentine résolut
+d'avoir recours aux conseils de son
+frère: elle était sûre de trouver en lui
+un défenseur des usages du monde,
+qui ne lui permettrait pas de les
+blesser en cette circonstance, et
+pleine de confiance dans la manière
+dont il la guiderait, elle ne chercha
+plus qu'à se distraire d'une pensée
+qui l'agitait péniblement, pour se
+livrer à des conjectures plus agréables.</p>
+
+<p>L'envoi de ce beau jasmin, et le
+mystère qui l'accompagnait, étaient
+bien dignes d'exercer l'imagination
+d'une femme déja tourmentée par
+un sentiment de curiosité qui s'augmentait
+<span class="pagenum"><a name="Page_181" id="Page_181">181</a></span>
+de jour en jour. Mais pour
+cette fois Valentine se crut au moment
+de voir cesser l'obscurité qui
+lui causait tant d'impatience. Elle ne
+pensa pas qu'il lui fût permis d'accepter
+ce présent sans savoir de qui
+elle le tenait, et il lui parut fort simple
+de questionner le duc de Moras sur
+un fait qu'il ne pouvait ignorer. Dans
+cette résolution elle ne chercha plus
+qu'une occasion prochaine de rencontrer
+l'ambassadeur d'Espagne;
+mais mademoiselle Cécile entra, remit
+une lettre à sa maîtresse, et la
+marquise changea de projet.</p>
+
+<p>A la seule vue de l'adresse, Valentine
+reconnut l'écriture, et rougit;
+elle hésita quelque temps à rompre le
+cachet; et voyant que mademoiselle
+<span class="pagenum"><a name="Page_182" id="Page_182">182</a></span>
+Cécile ne se disposait point à sortir,
+elle demanda si l'on attendait la réponse.
+Non, madame, répondit Cécile,
+cette lettre est venue par la poste,
+mais j'attends, pour savoir les ordres
+de Madame, et quelle robe je dois
+lui apprêter.&mdash;Je m'habillerai plus
+tard, reprit avec impatience la marquise.&mdash;Madame
+ne dînera donc pas
+aujourd'hui chez madame la comtesse,
+car le maître d'hôtel vient de
+me dire que l'on était au moment
+de servir.&mdash;Non, je resterai chez
+moi: faites dire à ma belle-s&oelig;ur
+qu'une légère indisposition m'y retient.&mdash;Si
+Madame est malade, je
+puis en prévenir le docteur Petit; je
+viens de le voir entrer, il n'y a qu'un
+instant, chez madame de Nangis.&mdash;Elles
+<span class="pagenum"><a name="Page_183" id="Page_183">183</a></span>
+Gardez-vous en bien; je n'ai besoin
+que de repos et ne veux être
+troublée par personne.» Ces derniers
+mots furent dits d'un ton à prouver
+à mademoiselle Cécile qu'on ne fesait
+point d'exception pour elle. Aussi
+s'empressa-t-elle d'aller remplir sa
+commission, tout en méditant sur
+l'émotion qu'elle avait remarquée
+dans les yeux de sa maîtresse en lui
+remettant cette lettre, et sur le desir
+qu'elle avait si franchement manifesté
+de la lire sans témoin.</p>
+
+<p>Voici ce qu'elle contenait:</p>
+
+<p>«S'il est vrai, Madame, qu'un
+heureux hasard m'ait donné quelques
+droits à votre reconnaissance,
+permettez que je les réclame, en
+vous suppliant de me sacrifier le
+<span class="pagenum"><a name="Page_184" id="Page_184">184</a></span>
+faible intérêt de curiosité que je
+vous inspire; encore un mot de
+vous, et le mystère qui me dérobe
+à vos yeux cesserait bientôt; mais
+alors tout serait anéanti pour moi.
+Réduit à fuir l'objet d'un sentiment
+divin qui remplit mon ame, mon
+existence ne serait plus qu'un long
+deuil. Ah! par pitié, laissez-moi
+l'unique bonheur auquel je puisse
+prétendre! Si vous saviez combien
+l'idée d'occuper quelquefois sa
+pensée fait tressaillir mon c&oelig;ur!
+avec quels soins je m'informe de
+ses projets, de ses desirs! à quels
+transports me livre la seule espérance
+de l'apercevoir! non, jamais
+vous ne consentiriez à me
+ravir une si douce félicité.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_185" id="Page_185">185</a></span>
+«Je n'en doute point, Madame,
+vous accueillerez ma prière; le
+ciel n'a pas réuni tant de charmes,
+sans y joindre la sensibilité qui
+sait respecter et plaindre le malheur;
+et je vous devrai encore le
+seul bien qui puisse m'attacher à
+la vie.</p>
+
+<p class="left5">«Je suis, etc.<br />
+<span class="i14 smcap">«Anatole.»</span></p>
+
+<p class="p2">«Oui, s'écria Valentine, après
+avoir lu; sa prière est sacrée, et la
+reconnaissance me fait une loi de la
+respecter; je renonce dès ce moment
+à tout espoir de le connaître: il
+aime, il est malheureux, son sort
+paraît dépendre du mystère qui l'entoure.
+Ah! que je meure plutôt que
+<span class="pagenum"><a name="Page_186" id="Page_186">186</a></span>
+de troubler la vie de celui à qui je
+dois la mienne! Mais comment le
+rassurer? comment lui faire savoir
+le serment que je fais de ne plus
+chercher à pénétrer le secret qu'il
+exige?» En disant ces mots, les yeux
+de Valentine retombèrent sur la lettre
+d'Anatole, et y virent, auprès
+de la signature, l'adresse du ministre
+des affaires étrangères. Elle présuma
+que c'était là qu'Anatole attendait
+sa réponse, et qu'il avait probablement
+chargé un des secrétaires
+du ministre de recevoir pour lui les
+lettres dont l'adresse ne portait que
+son nom de baptême. Persuadée
+qu'elle remplissait un devoir indispensable,
+elle s'empressa d'écrire un
+billet dont les expressions nobles et
+<span class="pagenum"><a name="Page_187" id="Page_187">187</a></span>
+simples attestaient la franchise du
+sentiment qui les avait dictées. Pas
+un trait piquant, pas un mot dont
+la coquetterie eût pu tirer parti.
+C'était la promesse positive d'observer
+religieusement le silence imposé
+par Anatole, et dont la reconnaissance
+lui fesait un devoir.</p>
+
+<p>Lorsque l'ame est émue d'un sentiment
+généreux, les petites considérations
+disparaissent; aussi Valentine
+ne fut-elle point troublée dans
+cette démarche par l'idée de répondre
+à un inconnu, dont le but était
+peut-être de s'amuser de sa crédulité,
+et de profiter de la lettre qu'il avait
+si facilement obtenue d'elle, pour
+divertir ses confidents; une telle
+supposition n'entra pas dans son
+<span class="pagenum"><a name="Page_188" id="Page_188">188</a></span>
+esprit, malgré sa disposition naturelle
+à un peu de méfiance. Cependant
+la conduite mystérieuse d'Anatole
+en pouvait inspirer à de plus confiants.
+Mais, sait-on jamais bien par
+quel motif on doute, ou l'on croit?
+N'a-t-on pas vu des illusions durer
+toute la vie, malgré l'évidence attachée
+à les détruire! Et la vérité qui
+prouve n'est-elle pas souvent sacrifiée
+à l'erreur qui persuade?</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_189" id="Page_189">189</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_XVII" id="CHAPITRE_XVII"></a>CHAPITRE XVII.</h3>
+
+<p class="p2">Mademoiselle Cécile avait si
+bien exagéré l'indisposition de sa
+maîtresse, qu'aussitôt après le dîner,
+madame de Nangis, suivie de tous
+ses convives, arriva chez la marquise,
+pour s'informer des nouvelles de la
+malade, et lui tenir compagnie. Ce
+projet dérangeait beaucoup celui que
+Valentine avait formé de passer la
+soirée toute seule; mais elle n'en
+témoigna point d'humeur. En entrant,
+le docteur s'écria: «Vraiment,
+je ne m'étonne pas qu'on ait la migraine
+dans une chambre ainsi parfumée
+<span class="pagenum"><a name="Page_190" id="Page_190">190</a></span>
+de fleurs!» Et sans attendre
+de réponse, il donna l'ordre à un
+laquais de sortir tous les vases de
+fleurs qui se trouvaient dans l'appartement;
+madame de Nangis, accoutumée
+à ce despotisme doctoral, ne
+s'y opposa point. Mais Valentine
+demanda grace pour son jasmin
+d'Espagne, dont le parfum était trop
+doux, à ce qu'elle assurait, pour
+l'incommoder. Cette exception lui
+valut bien des commentaires sur
+l'envoi du jasmin, jusqu'au moment
+où chacun s'accorda pour le mettre
+sur le compte de l'ambassadeur d'Espagne.
+Pendant que l'on s'occupait
+de ce grand intérêt, le chevalier
+d'Émerange s'apercevant qu'il tenait
+encore à la main une branche d'héliotrope,
+<span class="pagenum"><a name="Page_191" id="Page_191">191</a></span>
+qu'il avait cueillie chez madame
+de Nangis, la jeta dans le feu,
+en s'excusant auprès de la marquise,
+de n'avoir pas pensé plutôt que
+cette fleur pouvait l'incommoder. La
+comtesse s'aperçut de ce mouvement,
+et le trouva tout simple; mais quand
+elle vit le chevalier remplacer le
+bouquet qu'il venait de jeter, par
+une branche du jasmin de madame
+de Saverny, elle prit un air boudeur
+qui ne la quitta plus. Cette
+familiarité déplut aussi à Valentine;
+elle avait toujours présente à l'esprit
+la conversation de la princesse, et
+convenait que les manières du chevalier
+pouvaient bien avoir donné
+lieu au bruit qui circulait; pour en
+détruire l'effet, elle prit avec lui un
+<span class="pagenum"><a name="Page_192" id="Page_192">192</a></span>
+ton de réserve qu'il remarqua avec
+étonnement; il crut d'abord que c'était
+un caprice, et voulut en triompher,
+en redoublant de soins et de
+gaîté; mais s'apercevant de l'inutilité
+des frais de son esprit, il joua le dépit,
+et devint silencieux. Le docteur profita
+de l'auditoire qu'on lui cédait,
+pour raconter un certain nombre
+d'anecdotes burlesques, dont il connaissait
+pour le moins aussi bien
+l'effet que celui de ses recettes. Il
+dut en être content, car l'on rit aux
+éclats; et ce fut au milieu du bruit
+qu'il avait provoqué, que le docteur
+sortit enchanté de son succès, et
+persuadé que lui seul s'entendait à
+guérir de la migraine.</p>
+
+<p>Le dépit du chevalier ne le servant
+<span class="pagenum"><a name="Page_193" id="Page_193">193</a></span>
+pas mieux que sa coquetterie, il résolut
+de demander franchement à
+madame de Saverny en quoi il avait
+eu le malheur de lui déplaire? Chez
+beaucoup de gens la franchise est
+encore une ruse, et souvent celle
+qui leur réussit le mieux. Le chevalier
+en fit une heureuse épreuve.
+Valentine n'avait pas prévu qu'il dût
+lui demander l'explication de sa nouvelle
+manière de le traiter, et l'embarras
+qu'elle mit à lui répondre
+quelques mots insignifiants, fut interprété
+par le chevalier en faveur
+de son amour-propre. Il supposa
+que l'humeur jalouse de madame de
+Nangis avait inspiré à Valentine le
+désir généreux de calmer les inquiétudes
+de sa belle-s&oelig;ur, en affectant
+<span class="pagenum"><a name="Page_194" id="Page_194">194</a></span>
+plus de froideur pour lui; et, sans
+laisser apercevoir le plaisir qu'il ressentait
+de cette prétendue découverte,
+il dit à voix basse à la marquise,
+que si elle persistait à le traiter avec
+tant de sévérité, il regarderait ce
+changement de manière, comme un
+ordre de ne la plus revoir, et qu'il
+s'y résignerait malgré toute l'étendue
+du sacrifice. En écoutant le chevalier,
+Valentine, qui n'osait lever
+les yeux sur lui, les jeta sur madame
+de Nangis; elle la vit pâlir et se
+trouver mal; son premier mouvement
+fut d'aller la secourir, mais la
+comtesse revenant bientôt à elle, la
+remercia sèchement de l'intention
+qu'elle avait de la ramener dans son
+appartement pour lui donner ses
+<span class="pagenum"><a name="Page_195" id="Page_195">195</a></span>
+soins; elle prétendit n'avoir besoin
+de ceux de personne, et prit le bras
+de M. d'Émerange, qui lui offrit de
+la reconduire. Les amis qu'avait amenés
+madame de Nangis, troublés par
+cet événement, prirent congé de Valentine,
+sans qu'elle y fît attention.
+L'oreille encore frappée des derniers
+mots de sa belle-s&oelig;ur, et le c&oelig;ur
+oppressé du refus qu'elle avait fait
+de ses soins, elle sentit ses yeux se
+remplir de larmes, et s'affligea d'un
+procédé dont elle craignit de deviner
+la cause. L'arrivée d'Isaure la
+tira de sa triste rêverie. «Eh mon
+dieu! qu'est-ce donc qui se passe,
+s'écria la petite, en embrassant Valentine.
+Quoi! vous pleurez! Est-ce
+que maman vous a grondée aussi?&mdash;Non,
+<span class="pagenum"><a name="Page_196" id="Page_196">196</a></span>
+mon enfant, mais je l'ai
+vue souffrir, et cela m'a fait de la
+peine.&mdash;Elle a été malade, n'est-il
+pas vrai? Mademoiselle Cécile nous
+l'avait bien dit.&mdash;Cela n'est pas inquiétant,
+elle est beaucoup mieux
+maintenant.&mdash;Ah! je le sais bien,
+puisque j'ai été la voir tout-à-l'heure.
+Mais elle était si en colère contre
+M. d'Émerange, qu'elle m'a renvoyée
+en disant à ma bonne de me coucher
+tout de suite; cependant il n'est pas
+encore neuf heures. Aussi j'ai demandé
+à venir passer un petit moment
+avec vous. Savez-vous qu'il
+faut que ce M. d'Émerange ait bien
+désobéi à maman, pour qu'elle se
+fâche ainsi?&mdash;Que cela te fait-il?
+Je t'ai cent fois répété qu'à ton âge
+<span class="pagenum"><a name="Page_197" id="Page_197">197</a></span>
+on comprenait tout de travers ce que
+les grandes personnes se disent entre
+elles, et que le mieux était de ne
+jamais le répéter.&mdash;Eh bien! je ne
+répéterai plus rien, je vous le promets,
+ma tante.&mdash;Si tu tiens parole,
+je te récompenserai.&mdash;Ah! que je
+suis contente, que me donnerez-vous?&mdash;Choisis
+ce que tu voudras.&mdash;Voici
+bientôt le temps des étrennes,
+je sais que mon papa doit me donner
+une montre, maman une grande
+poupée, il ne me manque plus qu'un
+collier avec un joli médaillon; ah!
+si vous vouliez m'en donner un avec
+votre portrait dessus, je serais aussi
+belle que la petite fille de la princesse
+de L..., qui porte à son cou
+le portrait de la Reine.&mdash;Puisque
+<span class="pagenum"><a name="Page_198" id="Page_198">198</a></span>
+tu le desires, tu auras le collier et
+le portrait, mais tu connais nos conditions.&mdash;Ah!
+je n'ai pas envie de
+les oublier.&mdash;En disant ces mots,
+Isaure souhaita le bonsoir à sa tante,
+et se promit bien de lui obéir.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XVIII" id="CHAPITRE_XVIII"></a>CHAPITRE XVIII.</h3>
+
+<p class="p2">Plusieurs jours se passèrent sans
+que Valentine pût rejoindre sa belle-s&oelig;ur.
+Elle était toujours sortie, ou
+n'était point visible. Justement offensée
+de cette affectation à ne la
+pas recevoir, madame de Saverny
+n'insista plus, et se refusa même le
+plaisir de voir son frère, dans la
+<span class="pagenum"><a name="Page_199" id="Page_199">199</a></span>
+crainte d'être obligée de répondre
+aux questions qu'il lui ferait probablement
+sur le motif qui l'éloignait
+de sa femme. Cependant l'ayant rencontré
+un soir chez la princesse de
+L..., et s'étant approchée de lui pour
+lui témoigner ses regrets d'être restée
+si long-temps sans le voir, elle fut
+très-étonnée d'en être accueillie
+d'un air sévère, et de lui entendre
+dire qu'il était tout naturel de sacrifier
+ses amis à ses adorateurs. Elle
+se serait justifiée sans peine d'une
+aussi injuste accusation, si les témoins
+qui les entouraient le lui
+avaient permis. Mais les réunions du
+grand monde ont cela de particulier,
+qu'on y peut toujours lancer une
+injure, et jamais entrer en explication;
+<span class="pagenum"><a name="Page_200" id="Page_200">200</a></span>
+de là vient l'habitude que tant
+de gens d'esprit ont contractée, de
+se justifier d'un tort par une épigramme.</p>
+
+<p>Tourmentée par de pénibles réflexions,
+Valentine pria la princesse
+de la dispenser de faire une partie, et
+se plaça auprès de sa table de jeu.
+Le commandeur de Saint-Albert
+vint bientôt l'y rejoindre, et voyant
+l'expression de mécontentement répandue
+sur son visage, il lui dit:
+«Comment se fait-il qu'on ait le regard
+aussi triste quand on vient de
+causer tant de joie?&mdash;Je ne sais,
+répondit madame de Saverny, sans
+avoir l'air de comprendre la fin de
+cette phrase, mais il est vrai qu'aujourd'hui
+je suis assez maussade.&mdash;C'est
+<span class="pagenum"><a name="Page_201" id="Page_201">201</a></span>
+une manière de répondre
+que vous ne vous souciez pas de me
+dire ce qui vous importune; tranquillisez-vous,
+je suis discret, et ne
+demande jamais ce que je sais.&mdash;Puisque
+vous êtes si bien instruit,
+faites-moi, je vous en prie, la confidence
+de ce que j'éprouve?&mdash;Non,
+vraiment; je n'aime point à me mêler
+des affaires de famille; d'ailleurs
+vous savez si l'on perd son temps à
+m'interroger?&mdash;Aussi n'ai-je plus
+envie de rien savoir de vous.&mdash;C'est
+dommage, car je me sens ce soir une
+certaine disposition au bavardage,
+dont votre curiosité aurait pu profiter.&mdash;Je
+ne suis plus curieuse.&mdash;Je
+l'avais bien prévu que ce caprice
+ne durerait pas plus qu'un autre.&mdash;En
+<span class="pagenum"><a name="Page_202" id="Page_202">202</a></span>
+vérité, vous jugez de tout admirablement,
+reprit Valentine avec
+dépit; au reste, quand on prend la
+reconnaissance pour du caprice, on
+peut bien prendre le silence pour
+de l'oubli.&mdash;Que la colère vous sied
+bien! et que de gens aimables m'envieraient
+le bonheur de vous animer
+ainsi?&mdash;Ah! par grace, épargnez-moi
+votre ironie, je ne saurais la supporter
+aujourd'hui; c'est de votre
+amitié seule que j'ai besoin.&mdash;Vous
+y pouvez compter, reprit le commandeur
+d'un ton plus affectueux,
+et le moment approche où cette
+amitié déconcertera, j'espère, plus
+d'un projet.» Ces derniers mots auraient
+laissé une impression profonde
+dans l'esprit de madame de
+<span class="pagenum"><a name="Page_203" id="Page_203">203</a></span>
+Saverny, si une lettre qu'on lui remit
+en rentrant chez elle n'eût changé
+le cours de ses idées. Cette lettre
+contenait les remerciements d'Anatole;
+et comme une prière exaucée
+en autorise nécessairement une
+autre, il suppliait Valentine, dans
+les termes les plus humbles de lui
+accorder la permission de lui écrire
+quelquefois. «Puisque le ciel me
+condamne, ajoutait-il, à ne jamais
+goûter le bonheur de ceux qui vous
+entourent, ne me privez pas du
+plaisir de vous peindre des sentiments
+dignes de vous. Ils sont sans
+danger pour votre repos; et votre
+c&oelig;ur fût-il libre, vous n'y sauriez
+répondre. Je vous la répète, madame,
+un obstacle invincible me sépare à
+<span class="pagenum"><a name="Page_204" id="Page_204">204</a></span>
+jamais de vous; mais la fatalité qui
+s'oppose à mes v&oelig;ux ne me rend
+point indigne de votre confiance ni
+de votre intérêt, et vous pouvez recevoir
+en toute assurance l'hommage
+d'un culte qui n'est dû qu'à la divinité.»
+Plus bas on lisait que le renvoi
+de cette lettre serait regardé
+comme l'ordre de n'en plus adresser.</p>
+
+<p>Il serait trop long d'analyser tous
+les sentiments que fit naître cette
+lecture; le plus vif était bien certainement
+celui dont Valentine n'osait
+convenir avec elle-même. C'était ce
+plaisir qui ravit l'ame au premier
+aveu d'un amour qu'on désire; c'était
+cette ivresse du c&oelig;ur qui trouble
+la raison au point d'ôter tout
+souvenir du passé, pour se livrer
+<span class="pagenum"><a name="Page_205" id="Page_205">205</a></span>
+uniquement à l'espoir d'un avenir
+enchanteur. Les chagrins, les obstacles,
+tout disparaît devant l'idée
+d'être aimée; on croit sincèrement
+que l'amour a borné son ambition
+à cet excès de félicité, et l'on défie
+le malheur. Heureuse illusion, dont
+rien ne remplace la perte!</p>
+
+<p>Absorbée dans sa douce rêverie,
+Valentine se demandait comment
+Anatole pouvait avoir conçu pour
+elle un sentiment aussi vif, sans
+la connaître. A cette question fort
+raisonnable, son c&oelig;ur répondait
+par un retour sur lui-même qui lui
+expliquait mieux ce mystère que
+n'auraient pu le faire tous les calculs
+de son esprit. D'ailleurs M. de
+Saint-Albert avait probablement instruit
+son ami de ce qui l'intéressait,
+<span class="pagenum"><a name="Page_206" id="Page_206">206</a></span>
+peut-être même s'était-il plu à parer
+Valentine de toutes les qualités aimables,
+pour mieux séduire l'imagination
+exaltée d'Anatole. Ce projet n'avait
+d'abord été que l'effet d'une
+plaisanterie fondée sur l'aventure
+romanesque de l'Opéra; mais il arrive
+parfois que le même événement
+qui fait rire un vieillard, fait rêver
+un jeune homme; et tout prouvait
+que celui-là avait laissé des traces
+profondes dans le souvenir d'Anatole;
+il est si naturel de s'attacher
+aux objets de son dévouement, et
+de vouloir aimer une femme déja captivée
+par la reconnaissance! Voilà
+les suppositions qui occupèrent long-temps
+l'esprit de Valentine, avant
+de s'arrêter sur la pensée de cet <i>obstacle
+invincible</i>, qui aurait été le
+<span class="pagenum"><a name="Page_207" id="Page_207">207</a></span>
+premier sujet des réflexions de toute
+autre personne. Son imagination n'en
+fut pas vivement tourmentée: elle se
+peignit Anatole soumis aux volontés
+d'un père ambitieux, et peut-être
+lié par des promesses qu'il n'osait ni
+accomplir, ni enfreindre, réduit à
+attendre sa liberté d'un malheur:
+elle ne voyait dans sa conduite mystérieuse
+qu'une preuve de la délicatesse
+qui doit interdire à un homme
+d'honneur le desir de faire partager
+un sentiment malheureux. Enfin, à
+travers cette obscurité profonde, elle
+voyait clairement tout ce qui expliquait
+à son gré la situation d'Anatole.
+C'est ainsi que tout l'esprit imaginable
+ne sauve pas des absurdités
+du c&oelig;ur.</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_208" id="Page_208">208</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_XIX" id="CHAPITRE_XIX"></a>CHAPITRE XIX.</h3>
+
+<p class="p2">Le jour de la semaine où madame de
+Nangis recevait du monde étant arrivé,
+Valentine pensa qu'à moins de se
+dire malade, elle ne pouvait se dispenser
+de paraître chez sa belle-s&oelig;ur;
+mais, pour éviter l'effet de quelque
+nouveau caprice, elle lui fit demander
+si elle serait visible. Tant de cérémonial
+rappella à madame de Nangis
+ses impolitesses envers madame de
+Saverny, et lui inspira quelque desir
+de les réparer. Elle fit répondre
+qu'elle la verrait avec le plus grand
+plaisir. Mais quand Valentine entra
+<span class="pagenum"><a name="Page_209" id="Page_209">209</a></span>
+chez elle, brillante de fraîcheur et
+d'élégance, la comtesse sentit expirer
+sa bonne volonté, et quelques mots
+plus froidement polis qu'affectueux
+remplacèrent l'accueil qu'elle s'était
+promis de lui faire.</p>
+
+<p>La curiosité avait attiré beaucoup
+de monde chez madame de Nangis.
+La jalousie que lui inspirait sa belle-s&oelig;ur
+n'était plus un secret pour personne;
+il est vrai que M. d'Émerange,
+en la niant partout, ne manquait
+pas une occasion de la provoquer;
+chaque jour amenait, entre lui et la
+comtesse, de ces petites scènes qui
+font ordinairement le désespoir des
+acteurs et l'amusement du public;
+on s'attendait à tous moments à quelque
+bon scandale dont les détails piquants
+<span class="pagenum"><a name="Page_210" id="Page_210">210</a></span>
+alimenteraient pendant trois
+jours au moins la conversation générale;
+et chacun desirait pouvoir les
+raconter avec toute l'autorité d'un
+témoin.</p>
+
+<p>M. de Nangis était, comme c'est
+assez l'ordinaire, le seul qui ne s'aperçût
+pas du trouble qui régnait
+dans sa maison; il allait se plaignant
+à tous ses amis de la mauvaise
+santé de sa femme, dont les maux
+de nerfs augmentaient d'une manière
+inquiétante. Les plus charitables
+l'engageaient à faire faire un
+voyage à la comtesse, soit à Plombières
+ou à Barège; mais la saison ne
+permettait pas de prendre les eaux,
+et ce conseil restait au nombre de
+ceux qu'on donne sans y penser,
+<span class="pagenum"><a name="Page_211" id="Page_211">211</a></span>
+bien sûr qu'ils seront écoutés de
+même. Après avoir longuement fait
+remarquer que sa femme maigrissait
+et changeait beaucoup, M. de Nangis
+s'approcha de sa s&oelig;ur, et par
+l'effet d'un de ces à-propos dont la
+malignité est si reconnaissante, il
+s'écria: «Vous voilà donc enfin?
+J'ai cru que c'était un parti pris
+de nous abandonner. Savez-vous
+bien que depuis près de quinze
+jours on n'a pas eu le plaisir de
+vous voir ici.&mdash;Ce n'est pas ma
+faute, répondit Valentine, en cachant
+mal l'embarras que lui causait
+la position ridicule de son frère aux
+yeux des gens qui l'écoutaient en
+souriant.&mdash;Ah! je m'en doute bien,
+reprit le comte, en s'efforçant de
+<span class="pagenum"><a name="Page_212" id="Page_212">212</a></span>
+prendre un ton léger, c'est peut-être
+une plume, un chapeau, ou quelques
+grands intérêts de ce genre qui
+nous ont valu cette longue absence.
+Il faut si peu de chose pour brouiller
+deux jeunes femmes!» Fort heureusement
+pour tous deux, la visite d'un
+grand personnage vint interrompre
+cette conversation. Valentine tenta
+de se rapprocher de quelques femmes
+avec lesquelles elle causait habituellement,
+mais elle ne vit pas sans surprise
+que toutes semblaient l'éviter,
+et affecter de lui répondre avec une
+sorte de dédain qui tenait de l'indignation.
+La plupart se levaient à
+chaque instant pour aller demander
+à la comtesse comment elle se trouvait,
+et cela d'un ton de pitié qui
+<span class="pagenum"><a name="Page_213" id="Page_213">213</a></span>
+semblait dire: Pauvre femme! comme
+elle vous rend malheureuse. L'une
+d'elles, moins discrète que les autres,
+se mit à dire, de manière à être
+entendue de madame de Saverny:
+«C'est une véritable indignité; jouer
+un pareil tour à une amie qui vous
+accueille ainsi!» Fatiguée de toutes
+ces impertinences, Valentine se serait
+retirée chez elle, si madame de
+Nangis n'était venue la prier de faire
+le whist de trois graves personnes
+de qui l'âge et le rang réclamaient des
+attentions particulières, et dont la
+comtesse était bien aise de s'acquitter,
+par les soins complaisants de sa belle-s&oelig;ur.
+Reléguée, pour ainsi dire,
+dans un autre siècle, madame de Saverny
+passa la soirée dans l'ignorance
+<span class="pagenum"><a name="Page_214" id="Page_214">214</a></span>
+de ce qui occupa le reste de la société;
+elle entendit seulement quelques
+éclats de rire de madame de
+Nangis, qui lui firent présumer que
+le chevalier d'Émerange racontait
+une histoire dont le récit plaisant
+avait triomphé de la langueur de
+la comtesse. Lorsque ce long whist
+fut terminé, le chevalier s'approcha
+de Valentine, dans l'intention de reprendre
+la conversation que madame
+de Nangis avait si tragiquement
+interrompue; mais le souvenir
+de cette scène ridicule inspira à
+Valentine une si vive frayeur de la
+voir recommencer, qu'elle s'éloigna
+du chevalier sans presque se donner
+le temps de lui répondre. Cet empressement
+à le quitter parut d'autant
+<span class="pagenum"><a name="Page_215" id="Page_215">215</a></span>
+plus affecté, que Valentine resta
+seule quelques moments au milieu
+du salon sans savoir à qui adresser
+la parole; madame de Nangis, qu'un
+plus long entretien entre le chevalier
+et sa belle-s&oelig;ur aurait sans doute
+portée à quelque nouvelle extravagance,
+se blessa du motif qui avait
+déterminé Valentine à s'éloigner si
+brusquement de lui; tant il est vrai
+que rien ne peut calmer les agitations
+d'un amour-propre jaloux! Tout
+l'offense ou l'humilie, et, pour l'orgueil
+irrité, les égards mêmes sont
+encore des outrages.</p>
+
+<p>La situation de madame de Saverny
+au milieu de ce cercle de curieux,
+d'envieux ou d'ennemis, lui devint
+bientôt insupportable, et elle profita
+<span class="pagenum"><a name="Page_216" id="Page_216">216</a></span>
+de la première occasion qui
+s'offrit, pour s'y soustraire. Quand
+elle se vit heureusement délivrée
+des ennuis qui l'avaient accablée
+dans cette soirée, elle réfléchit aux
+moyens de s'en épargner de semblables.
+Cette manière de vivre lui
+présageait des chagrins de famille
+qu'il fallait éviter à tout prix; mais
+comment y parvenir? Elle ne pouvait
+réclamer les conseils de son
+frère dans cette circonstance, sans
+trahir la comtesse; et son c&oelig;ur en
+était incapable. Cependant elle sentait
+la nécessité de s'éloigner d'une
+maison où sa présence jetait autant
+de trouble; et si la saison l'avait permis,
+elle serait retournée au château
+de Saverny. Mais quitter ainsi Paris
+<span class="pagenum"><a name="Page_217" id="Page_217">217</a></span>
+au milieu de l'hiver, et sans pouvoir
+donner à son voyage un motif raisonnable,
+c'était presque constater
+une rupture dont le public aurait
+tiré de grandes conséquences; et puis
+s'éloigner de l'objet de sa reconnaissance
+pour aller vivre seule et livrée
+à de tristes souvenirs, c'était renoncer
+à tout espoir de bonheur. Ces
+inconvénients se représentant sans
+cesse à l'esprit de Valentine, la décidèrent
+à se résigner encore quelque
+temps à supporter ceux de sa
+situation présente. Elle se flatta de
+l'idée que, touchée de ses soins à
+détruire toute apparence de rivalité
+entre elles, sa belle-s&oelig;ur reviendrait
+bientôt à la raison, et par conséquent
+à ses devoirs. Ce n'est pas
+<span class="pagenum"><a name="Page_218" id="Page_218">218</a></span>
+que Valentine supposât qu'elle y eût
+jamais complètement manqué; elle
+pensait avec justice qu'une femme
+dominée par la vanité peut se donner
+bien des torts avant d'être tout-à-fait
+coupable. Mais elle sentait
+bien aussi que le monde ne jugeait
+pas avec la même indulgence, et
+elle redoutait pour la comtesse les
+arrêts de ce tribunal sévère qui condamne
+sans entendre. Elle en eût
+été moins effrayée, si l'expérience
+lui avait appris que ces funestes arrêts
+ne tombent jamais sur les gens
+heureux.</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_219" id="Page_219">219</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_XX" id="CHAPITRE_XX"></a>CHAPITRE XX.</h3>
+
+<p class="p2">Une de ces matinées où les rayons
+du soleil semblent engager les élégantes
+de Paris à braver le froid
+pour venir se promener en foule sur
+la terrasse des Tuileries, Isaure vint
+proposer à sa tante de l'y conduire.
+Valentine, après s'être assurée que
+madame de Nangis y consentait, fit
+monter Isaure dans sa voiture, et
+toutes deux arrivèrent bientôt dans
+ce beau jardin, qui était alors le
+rendez-vous de la meilleure compagnie.
+Valentine n'y resta pas long-temps
+sans rencontrer un grand
+<span class="pagenum"><a name="Page_220" id="Page_220">220</a></span>
+nombre de personnes de sa connaissance;
+mais la seule dont elle voulut
+accepter le bras fut M. de Saint-Albert,
+qui dit, en la remerciant du
+choix: Voilà les profits de mon âge.
+En achevant ces mots, il sentit tressaillir
+le bras de Valentine. Surpris
+de ce mouvement, il regarde ce
+qui peut l'avoir occasionné, et ses
+yeux rencontrent ceux d'Anatole. Il
+le voit saluer respectueusement madame
+de Saverny; puis s'approchant
+de lui, Anatole lui serre la main en
+levant les yeux au ciel, comme pour
+lui dire: <i>Que vous êtes heureux!</i></p>
+
+<p>Sans faire la moindre réflexion
+sur l'émotion qu'il avait remarquée,
+le commandeur proposa à Valentine
+de s'asseoir dans un endroit échauffé
+<span class="pagenum"><a name="Page_221" id="Page_221">221</a></span>
+par le soleil; elle y consentit d'autant
+mieux, qu'elle avait assez de
+peine à se soutenir. L'aspect inattendu
+d'Anatole avait produit sur tous
+ses sens une impression nouvelle
+qui la dominait au point de ne plus
+être en état de parler que de lui;
+mais comme elle voulait avant tout
+respecter son secret, elle chercha ce
+qu'elle en pourrait dire sans risquer
+de violer la promesse qu'elle lui avait
+faite, et ne trouva rien de mieux
+que de vanter l'extrême ressemblance
+du buste qui se trouvait dans
+la bibliothèque du commandeur.&mdash;En
+effet, reprit ce dernier, j'en ai
+été frappé comme vous lorsque je
+le vis pour la première fois dans
+l'atelier du fameux G... Il revenait
+<span class="pagenum"><a name="Page_222" id="Page_222">222</a></span>
+alors d'Italie, d'où il rapportait des
+objets d'art précieux, que se disputèrent
+bientôt les amateurs. Ravi de
+retrouver les traits d'un de mes amis
+dans cette belle tête, j'en fis l'acquisition;
+l'artiste crut en rehausser le prix
+à mes yeux, en m'assurant qu'elle
+était copiée d'après l'Hector antique;
+mais lorsque je lui dis franchement le
+motif qui me déterminait à l'acheter,
+il m'avoua de même qu'ayant eu le
+bonheur de rencontrer à Rome un
+jeune homme d'une figure admirable,
+il s'était permis de faire plusieurs
+copies du portrait qui lui en avait
+été demandé. Après diverses questions,
+j'acquis la certitude que ce
+bel Hector n'était autre qu'Anatole,
+et la ressemblance fut expliquée.&mdash;Il
+<span class="pagenum"><a name="Page_223" id="Page_223">223</a></span>
+dut être fort étonné, je pense,
+reprit Valentine, de se retrouver
+ainsi chez vous.&mdash;Comment donc!
+il m'a fait une véritable querelle pour
+avoir encouragé la mauvaise foi du
+sculpteur, qui se permettait de le
+vendre ainsi déguisé en grec; il
+prétendait que le ridicule en retombait
+sur lui; j'ai eu toutes les
+peines du monde à l'empêcher de
+briser ce malheureux buste, et je ne
+l'ai conservé qu'à la condition de
+nier qu'il eût le moindre rapport
+avec ses traits.&mdash;Madame de Nangis
+peut attester que vous lui tenez
+votre parole.&mdash;Et madame de Saverny,
+que j'y manque: n'est-ce pas
+ce que vous voulez dire?&mdash;Non vraiment,
+vous savez bien qu'on ne se
+<span class="pagenum"><a name="Page_224" id="Page_224">224</a></span>
+croit jamais indigne d'une confidence;
+d'ailleurs, votre ami a des
+droits à ma discrétion, et je crois
+déjà lui avoir prouvé qu'il y pouvait
+compter.&mdash;En effet, j'admire
+la vôtre, et je m'accuse même d'avoir
+voulu l'éprouver. Dans la joie qui
+l'enivrait, Anatole m'a confié la promesse
+qu'il a reçue de vous; je n'ai
+douté ni de votre sincérité en la
+donnant, ni de votre résolution d'y
+rester fidèle; mais entre la volonté
+de remplir un v&oelig;u, et la puissance
+de l'accomplir, la distance est fort
+grande, et j'ai été bien aise de me
+convaincre que, pour vous, prendre
+et tenir un engagement était une
+même chose.&mdash;Puisque vous savez
+la parole qui me lie, je ne crains
+<span class="pagenum"><a name="Page_225" id="Page_225">225</a></span>
+pas d'y manquer avec vous. Mais,
+pour concilier ma religion sur ce
+point avec le plaisir de m'entretenir
+d'une personne à laquelle j'ai tant
+d'obligations, convenons d'un point
+qui tranquillisera ma conscience et
+la vôtre. Le motif du mystère qu'il
+exige vous est connu; eh bien! ne
+me répondez jamais sur ce qu'il faut
+que j'ignore; par ce moyen, je vous
+parlerai sans crainte, et je vous
+écouterai sans scrupule.&mdash;Rien ne
+s'oppose à cette condition, et je
+vous promets de l'observer; mais à
+quoi vous mènera-t-elle? Qui sait?
+peut-être aurai-je besoin de vos
+avis.&mdash;Pour l'aimer, interrompit en
+souriant le commandeur; ah! je ne
+donne jamais de conseils dans ces
+<span class="pagenum"><a name="Page_226" id="Page_226">226</a></span>
+grands intérêts. Que voulez-vous
+que fasse la raison où règne la fantaisie?&mdash;Mais,
+qui vous parle d'aimer?
+Ne saurait-on réclamer vos
+conseils que pour une fantaisie? En
+vérité vous découragez la confiance.&mdash;J'ai
+cela de commun avec ceux
+qui la méritent; mais je ne veux pas
+perdre la vôtre pour une mauvaise
+plaisanterie, qu'Anatole ne me pardonnerait
+pas.&mdash;Ah! c'est uniquement
+par égard pour lui que vous
+me ménagez? Je me croyais plus de
+droits à votre complaisance.&mdash;Vous
+en avez sur tous mes sentiments;
+mais je dois l'avouer, les droits d'Anatole
+l'emportent dans mon c&oelig;ur, et
+je ne puis vous cacher que s'il arrivait
+que je fusse obligé de sacrifier
+<span class="pagenum"><a name="Page_227" id="Page_227">227</a></span>
+votre intérêt au sien, je n'hésiterais
+pas.&mdash;Voilà de la bonne foi; et,
+malgré ce que cette déclaration a
+de peu flatteur pour moi, je ne puis
+m'empêcher d'estimer beaucoup celui
+qui vous inspire une telle amitié.
+Je crois vous connaître assez pour
+être sûre que vous ne pouvez aimer
+autant, qu'un homme fort distingué.&mdash;Et
+vous avez raison, reprit le commandeur
+en se levant pour rejoindre
+madame de Réthel, qui l'attendait.</p>
+
+<p>Dans ce moment le chevalier
+d'Émerange vint à passer, et fut
+arrêté par un jeune homme qui lui
+dit: «Ah, mon ami, dites-moi quelle
+est cette belle femme, qui parle tout
+près d'ici à une petite fille aussi fort
+jolie? J'arrive d'Allemagne, où mon
+<span class="pagenum"><a name="Page_228" id="Page_228">228</a></span>
+père m'a laissé impitoyablement pendant
+un an, et je ne connais plus
+une de vos beautés à la mode.» A
+cette exclamation, le chevalier reconnut
+l'effet que produisait ordinairement
+la première vue de madame
+de Saverny. Il la nomma à
+son admirateur, qui s'empressa de
+lui demander s'il ne pourrait pas le
+présenter chez elle.&mdash;Non, certes,
+répondit le chevalier, d'un air qu'il
+s'efforçait de rendre modeste; je suis
+bien loin d'avoir assez d'intimité
+dans sa maison pour oser y présenter
+personne. En disant cela, il
+s'approchait de Valentine, qui venait
+de se lever dans l'intention de
+rejoindre sa voiture; il lui offrit de
+l'y conduire, et n'ayant point de
+<span class="pagenum"><a name="Page_229" id="Page_229">229</a></span>
+bonnes raisons pour le refuser, elle
+fut contrainte de l'accepter. Le regret
+qu'elle en ressentait redoubla,
+lors qu'elle rencontra pour la seconde
+fois Anatole. Le desir d'éviter
+les plaisanteries du chevalier sur
+cette rencontre, lui fit tourner la
+tête de son côté, et lui adresser la
+parole pour fixer son attention, et
+l'empêcher de remarquer Anatole.
+Cette petite ruse réussit. Le chevalier
+enchanté de se montrer à tout Paris,
+presqu'en tête-à-tête avec madame
+de Saverny, et plus heureux encore
+de la bonne grace qu'elle mettait à
+lui parler, n'aperçut point Anatole;
+Valentine aussi s'efforça de ne le pas
+voir, et cependant la pâleur qu'elle
+remarqua sur son visage, vint attrister
+<span class="pagenum"><a name="Page_230" id="Page_230">230</a></span>
+la fin d'une journée qui promettait
+d'assez doux souvenirs.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXI" id="CHAPITRE_XXI"></a>CHAPITRE XXI.</h3>
+
+<p class="p2">A dater de ce jour, madame de
+Saverny perdit de son goût pour la
+retraite, et en prit un très-vif pour
+la promenade et les spectacles; il est
+vrai qu'un hasard assez explicable
+l'y fesait rencontrer souvent Anatole,
+placé presque toujours dans l'endroit
+le plus obscur de la salle, aux
+loges du rez-de-chaussée; il était
+plutôt deviné qu'aperçu par Valentine,
+à qui la moindre lueur suffisait
+pour lire sur les traits d'Anatole tout
+<span class="pagenum"><a name="Page_231" id="Page_231">231</a></span>
+ce qui se passait dans son c&oelig;ur. Une
+certaine retenue l'engageait parfois
+à fuir ses regards; mais alors un
+attrait irrésistible semblait triompher
+de sa volonté, et ses yeux revenaient
+d'eux-mêmes puiser dans
+ceux d'Anatole le feu qui les animait.</p>
+
+<p>Depuis que madame de Nangis
+affectait de s'éloigner de Valentine,
+madame de Réthel s'en rapprochait.
+Une grande conformité de principes
+et de goût rendait chaque jour leur
+liaison plus intime. Le commandeur
+s'en réjouissait, car c'était son ouvrage.
+En effet, révolté de l'abandon
+où madame de Nangis laissait sa
+belle-s&oelig;ur, il avait conçu l'idée d'engager
+sa nièce à la suivre quelquefois
+<span class="pagenum"><a name="Page_232" id="Page_232">232</a></span>
+dans le monde, où la réputation
+d'une jeune femme dépend si souvent
+de celle qui l'accompagne: madame
+de Réthel, flattée de cette préférence,
+se prêtait de bonne grace
+aux desirs que témoignait Valentine,
+et trouvait tout simple qu'ayant été
+élevée à la campagne, elle voulût
+un peu s'amuser des plaisirs de Paris.
+Madame de Nangis voyait naître cette
+intimité avec satisfaction; car elle
+connaissait l'antipathie de M. d'Émerange
+pour madame de Réthel, et
+elle espérait que tous les charmes de
+Valentine ne le détermineraient pas
+à braver le mal-aise qu'il éprouvait
+toujours en présence de madame de
+Réthel. Pendant quelque temps cette
+supposition se trouva juste; mais le
+<span class="pagenum"><a name="Page_233" id="Page_233">233</a></span>
+chevalier se lassa bientôt d'un éloignement
+si contraire à ses projets.
+On le vit redoubler d'assiduités auprès
+de madame de Saverny, en dépit
+de tout ce qu'elle tentait pour
+s'y soustraire. Il imagina un moyen
+de la contraindre à recevoir ses soins,
+en confiant sous le secret, au comte
+de Nangis, le dessein qu'il avait de
+lui demander la main de sa s&oelig;ur,
+aussitôt que la mort d'un vieil oncle
+le rendrait héritier d'un grand titre
+et d'une fortune considérable. M. de
+Nangis savait que les espérances du
+chevalier étaient bien fondées; et
+de plus que cet oncle, attaqué d'une
+maladie grave, ne pouvait prolonger
+long-temps l'impatience de son neveu.
+L'idée de ce mariage enchantait
+<span class="pagenum"><a name="Page_234" id="Page_234">234</a></span>
+la vanité de M. de Nangis, et il ne
+doutait pas que sa s&oelig;ur n'en fût aussi
+flattée que lui; il voyait d'avance dans
+son futur beau-frère, un homme
+dont l'esprit et la fortune obtiendraient
+bientôt le plus grand crédit
+à la cour; et l'on sait qu'aux yeux
+de M. de Nangis, avoir du crédit,
+c'était posséder toutes les qualités
+humaines.</p>
+
+<p>D'après l'effet d'un sentiment délicat,
+que le chevalier sut bien faire
+valoir, il prévint le comte que rien
+ne l'engagerait à se déclarer à madame
+de Saverny, avant l'événement
+qui devait le mettre à portée de lui
+offrir une fortune digne d'elle. Cette
+réserve fut très-approuvée; et M. de
+Nangis promit de récompenser tant
+<span class="pagenum"><a name="Page_235" id="Page_235">235</a></span>
+de délicatesse, en donnant au chevalier
+les occasions les plus fréquentes
+de témoigner à Valentine
+le desir qu'il avait de lui plaire. C'est
+par suite de cette convention que
+M. d'Émerange se fesait conduire
+par le comte, dans tous les lieux où
+il savait rencontrer madame de Saverny,
+et qu'il s'assurait l'accueil
+que l'on ne peut refuser à un ami
+de sa famille. On présume bien que
+le chevalier avait fait promettre avant
+tout à M. de Nangis, de ne point
+mettre la comtesse dans la confidence,
+sous le prétexte assez plausible
+qu'elle n'en saurait pas garder
+le secret à sa belle-s&oelig;ur. Mais l'habitude
+que M. de Nangis avait de
+traiter sa femme à-peu-près comme
+<span class="pagenum"><a name="Page_236" id="Page_236">236</a></span>
+un enfant, rendait la recommandation
+inutile.</p>
+
+<p>Valentine, loin de deviner ce qui se
+passait entre eux, se demandait souvent
+comment la gravité de son frère
+pouvait s'arranger de la conversation
+d'un ami aussi léger; mais elle s'en
+étonnait moins en pensant à l'extrême
+facilité de M. d'Émerange, à
+prendre le ton qui convenait le mieux
+aux gens qu'il avait intérêt de captiver,
+et cette réflexion lui fesait
+craindre de voir cette amitié durer
+beaucoup trop long-temps pour le
+repos de toute sa famille. Le sien en
+fut le premier troublé, car à la suite
+d'une soirée que le chevalier avait
+passée dans la loge de madame de
+Saverny, voici le billet qu'elle reçut:</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_237" id="Page_237">237</a></span>
+<span class="smcap">Anatole a Valentine.</span></p>
+
+<p>«Serait-il possible que l'être le
+plus parfait se fût laissé séduire par
+les agréments frivoles d'un homme
+incapable d'aimer; tant de beauté,
+de qualités célestes, deviendraient
+le partage d'un c&oelig;ur égoïste? et
+celui que le plus pur amour anime,
+n'obtiendrait pas même un souvenir!
+Non, sur ce fait, je n'en
+croirai que vous; s'il est vrai que
+l'insensibilité, l'ironie, enfin toutes
+les vertus d'un fat, aient le don
+de vous plaire, je ne dois plus rien
+adorer au monde, et vous me verrez
+fuir désespéré, comme le malheureux
+dont un profane vient de
+renverser l'idole.»</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_238" id="Page_238">238</a></span>
+Le ton de ce billet offensa Valentine,
+et, sans pitié pour le sentiment
+qu'il exprimait, elle ne vit que l'injustice
+de vouloir dicter des lois sans
+s'exposer à en recevoir.</p>
+
+<p>Puisqu'un obstacle que j'ignore,
+pensa-t-elle, doit me priver éternellement
+du plaisir de le voir, de
+quel droit m'imposerait-il le sacrifice
+des soins qu'un autre peut m'offrir?
+Certes, je n'encourage pas ceux
+du chevalier, et ne cache pas même
+assez à quel point je les redoute;
+mais si des motifs qui me sont personnels
+m'engagent à détruire ses
+espérances, je n'en veux recevoir
+l'ordre de personne. C'est ainsi que
+la fierté de Valentine s'indignait de
+l'empire qu'Anatole se croyait déja
+<span class="pagenum"><a name="Page_239" id="Page_239">239</a></span>
+sur elle. Tant de despotisme lui semblait
+autorisé par la faiblesse qu'elle
+avait eue de recevoir ses lettres après
+l'aveu qu'il avait osé lui faire, elle
+se reprochait même d'avoir répondu
+à la première, et plus encore, de
+s'être laissée tromper par l'apparence
+de cette respectueuse soumission qui
+paraissait devoir la rassurer sur tous
+les sentiments d'Anatole. Cependant
+elle aurait bien voulu accorder les
+intérêts de son c&oelig;ur et ceux de sa
+dignité; mais son imagination chercha
+vainement un moyen d'instruire
+Anatole de l'indifférence que lui
+inspiraient tous les agréments du
+chevalier, sans qu'elle fût obligée
+de se justifier elle-même du tort de
+le trouver aimable.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_240" id="Page_240">240</a></span>
+Une visite du commandeur vint
+très-à-propos la tirer de cet embarras.
+Il s'aperçut bientôt du ressentiment
+qu'elle tâchait de dissimuler, et sans
+en demander la cause, il s'amusa à
+la deviner; il parla d'abord des folies
+de madame de Nangis, comme d'un
+sujet très-propre à donner de l'humeur;
+mais Valentine se mit à excuser
+la comtesse avec tant de douceur et
+d'indulgence, que le commandeur
+se dit: Non, ce n'est pas cela: et il
+passa au chevalier d'Émerange. Valentine
+ne laissa point échapper cette
+occasion de lui avouer combien elle
+était contrariée du bruit qui se répandait
+dans le monde sur son prétendu
+mariage avec le chevalier;
+elle entra dans tous les détails qui
+<span class="pagenum"><a name="Page_241" id="Page_241">241</a></span>
+devaient le mieux convaincre M. de
+Saint-Albert, du peu de succès du
+chevalier auprès d'elle, et comme
+elle en parlait naturellement et sans
+dépit, le commandeur se dit: Ce
+n'est pas encore cela. Après avoir
+tenté aussi inutilement plusieurs autres
+épreuves, il pria Valentine de lui
+montrer ce fameux jasmin dont madame
+de Réthel raffolait, et qu'elle
+prétendait être plus beau que celui
+de la princesse de L...&mdash;Je suis
+charmée qu'il lui plaise autant, répondit
+Valentine, avec un empressement
+extraordinaire, je vais le faire
+porter chez elle. En disant ces mots,
+elle sonna pour en donner l'ordre,
+et mit tant de vivacité dans ce mouvement,
+que le commandeur soupçonna
+<span class="pagenum"><a name="Page_242" id="Page_242">242</a></span>
+qu'il était l'effet d'une résolution
+pénible; il assura que madame
+de Réthel ne consentirait jamais
+à causer tant de chagrin à celui
+qui lui avait offert ce bel arbuste.&mdash;Vraiment,
+reprit Valentine, en
+affectant un air gai que l'inflexion
+de sa voix démentait; en le donnant,
+je ne fais d'injure à personne, car
+j'ignore à qui je le dois.&mdash;Et moi,
+je le sais, répliqua le commandeur;
+et c'est au nom de l'amitié que je
+vous prie de le conserver. Ma nièce
+saura l'aimable intention que vous
+aviez de lui faire ce joli présent; un
+autre l'apprendra peut-être aussi,
+cela doit suffire à votre vengeance.
+En finissant ces mots, M. de Saint-Albert
+quitta madame de Saverny,
+<span class="pagenum"><a name="Page_243" id="Page_243">243</a></span>
+et la laissa confondue de se voir ainsi
+devinée; mais il rit en lui-même du
+succès de sa petite ruse. En se rappelant
+les soins de Valentine à lui
+prouver qu'elle n'aimait point le
+chevalier, son agitation au premier
+mot qu'il lui avait adressé sur un
+sujet relatif à Anatole, et le dépit
+qu'elle avait montré en sacrifiant un
+présent qu'elle croyait tenir de lui,
+il présuma que quelques reproches
+dictés par la jalousie avaient excité
+cette grande colère; et il se dit: Pour
+le coup, c'est cela.</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_244" id="Page_244">244</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_XXII" id="CHAPITRE_XXII"></a>CHAPITRE XXII.</h3>
+
+<p class="p2">On était à la veille du jour de l'an,
+de ce jour où tout se fait par étiquette,
+même une visite à son ami.
+On voyait les boutiques de Paris
+remplies de gens qui, par économie
+ou par avarice, marchandaient avec
+acharnement des objets de fantaisie,
+achetés à regret, pour être quelquefois
+offerts et reçus sans plaisir.
+Chacun se tourmentait pour deviner
+comment il pourrait satisfaire à bon
+marché le caprice d'une parente ou
+d'une amie; après avoir rêvé aussi
+sérieusement à ce grand intérêt, que
+s'il s'agissait de tous ceux de l'Europe,
+<span class="pagenum"><a name="Page_245" id="Page_245">245</a></span>
+le jour solennel arrivait et rien
+n'était décidé; alors on se détermine
+à payer, deux fois sa valeur, la première
+chose venue, pour s'acquitter
+à temps d'un impôt d'autant plus
+exactement perçu, qu'il est mis sur
+l'amour-propre.</p>
+
+<p>Madame de Nangis, placée auprès
+d'une table couverte de bonbons,
+de joujoux, recevait de l'air le plus
+gracieux la foule de courtisans qui
+venaient lui apporter leurs offrandes.
+Le plus ingénieux dans le choix
+de ses étrennes avait l'honneur de
+les voir passer à la ronde, et d'entendre
+toutes les femmes se récrier
+sur son bon goût; l'objet de cette
+admiration n'était souvent que de la
+moindre valeur: car, en ce genre,
+<span class="pagenum"><a name="Page_246" id="Page_246">246</a></span>
+le <i>génie</i> de la nouveauté est tout,
+et l'on remarquait de vieux parents
+fort déconcertés de voir leurs solides
+cadeaux reçus avec indifférence, tandis
+qu'un almanach ou un pantin
+excitait la reconnaissance la plus
+vive. Le comte de Nangis éprouva ce
+désagrément dans toute sa rigueur; il
+avait imaginé de donner à sa femme
+une boîte à ouvrage la plus riche et
+la plus complète; c'était à-peu-près
+le seul bijou qu'elle n'eut pas, et
+le comte était ravi d'en avoir fait la
+découverte; mais madame de Nangis
+l'eut à peine remercié de son
+présent, qu'elle dit à ses amies:&mdash;Que
+vais-je faire de cette boîte à ouvrage,
+moi qui ne travaille jamais!&mdash;Vous
+me la donnerez, dit la petite
+<span class="pagenum"><a name="Page_247" id="Page_247">247</a></span>
+Isaure, qui entrait dans ce moment
+suivie de sa gouvernante anglaise,
+dont l'air capable et sévère annonçait
+quelque chose de solennel. En
+effet, elle réclama quelques instants
+de silence pour qu'Isaure pût faire
+entendre le compliment qu'elle devait
+adresser à sa mère. La pauvre
+enfant, plus tremblante qu'un criminel
+que l'on va juger, se plaça
+au milieu d'un grand cercle, et les
+yeux fixés à terre, elle balbutia quelques
+mots d'anglais qu'elle avait appris
+sans les comprendre, et qui furent
+applaudis sans être entendus.
+On s'extasia sur la facilité des enfants
+à apprendre les langues étrangères;
+et la petite Isaure fut bien récompensée
+de l'effort qu'elle venait de
+<span class="pagenum"><a name="Page_248" id="Page_248">248</a></span>
+faire, en parlant pour la première
+fois en public, par la quantité d'étrennes
+qu'elle reçut de toutes parts.</p>
+
+<p>Celles de sa tante furent les mieux
+accueillies, et l'on doit ajouter à la
+gloire d'Isaure, qu'elle les avait bien
+méritées. On se rappelle qu'elles devaient
+être le prix de sa discrétion.
+Pour l'éprouver davantage, la marquise
+avait commandé au peintre
+qui venait d'achever son portrait, de
+commencer celui d'Isaure. Elle se
+proposait de l'offrir à la comtesse,
+mais, pour que la surprise fût complète,
+il fallait obtenir d'Isaure qu'elle
+en gardât le secret. C'était beaucoup
+pour une petite fille accoutumée à
+raconter tout ce qu'elle voyait ou
+entendait dans la journée. Cependant
+<span class="pagenum"><a name="Page_249" id="Page_249">249</a></span>
+le desir de plaire à sa tante, de
+mériter ce qu'elle lui avait promis,
+et cette petite vanité qui porte les
+enfants de tout âge à chercher les
+moyens de triompher d'une difficulté
+que l'on paraît croire au-dessus de
+leurs forces, donnèrent à Isaure le
+courage de tenir sa parole, elle se
+trouva bien heureuse de ce premier
+avantage remporté sur son caractère,
+quand elle vit la joie de sa mère, en
+reconnaissant les traits de son enfant
+sur les simples tablettes que lui offrait
+Valentine. Crainte, soupçons,
+chagrins, ressentiment, tout disparut
+devant cette douce image; le c&oelig;ur
+ému triompha de l'amour-propre
+égaré; et la comtesse, les yeux remplis
+de larmes, vint se jeter dans les
+<span class="pagenum"><a name="Page_250" id="Page_250">250</a></span>
+bras de sa belle-s&oelig;ur. Elles ne se
+dirent pas un mot; mais l'expression
+de leurs visages ne laissa pas le moindre
+doute sur la sincérité de leur
+réconciliation. Un petit nombre de
+personnes en fut attendri, les autres
+s'en consolèrent, en disant: Cela ne
+durera pas long-temps: et le ciel, qui
+exauce parfois le v&oelig;u des méchants,
+accomplit cette prédiction.</p>
+
+<p>Après avoir vanté la ressemblance
+du portrait d'Isaure, on discuta celle
+du portrait de la marquise; les femmes
+le trouvaient trop flatté, et les
+hommes, beaucoup moins joli qu'elle.
+Le chevalier d'Émerange en paraissait
+plus mécontent qu'un autre; il
+y voyait mille défauts: et le plus
+grand, c'était, disait-il en confidence
+<span class="pagenum"><a name="Page_251" id="Page_251">251</a></span>
+à Valentine, cet air sensible, ce regard
+presque tendre, et ce sourire
+enchanteur que l'artiste a pris sur
+lui de vous donner. Non, ajoutait-il,
+plus je le regarde, et moins je vois
+de rapport entre cette femme et
+vous. Ce visage offre l'image parfaite
+d'une personne qui ne saurait vivre
+sans aimer, et vous savez qu'avec le
+vôtre on se contente de plaire. A
+cette première injure le chevalier
+en ajouta d'autres sur la froideur,
+l'insensibilité de Valentine: il finit
+par conclure que le bonheur d'être
+admirée remplirait tous les instants
+de sa vie, et qu'elle était condamnée
+à ignorer toujours les plaisirs de la
+tendresse. Il prononça cette sentence
+avec l'accent de pitié que l'on prend
+<span class="pagenum"><a name="Page_252" id="Page_252">252</a></span>
+ordinairement en parlant d'une maladie
+incurable, qui ne permet plus
+de rien attendre du malheureux qui
+en est atteint.</p>
+
+<p>Cette manière de la juger déplut
+à Valentine; elle n'avait nulle envie
+de détromper le chevalier, en lui
+témoignant plus d'affection, mais
+elle était blessée de l'idée qu'il n'attribuât
+son indifférence qu'à la sécheresse
+de son c&oelig;ur; et cela, dans
+le moment même où ce c&oelig;ur était
+si douloureusement affecté d'un sentiment
+tendre! Cette réflexion la rendit
+à toutes les pensées tristes dont
+la réconciliation sincère de sa belle-s&oelig;ur
+l'avait distraite un instant. Elle
+en parut absorbée. Le chevalier et
+madame de Réthel le remarquèrent,
+<span class="pagenum"><a name="Page_253" id="Page_253">253</a></span>
+l'un s'en réjouit; l'autre tâcha de
+dissiper la tristesse dont elle ignorait
+la cause. Dans cette espérance,
+madame de Réthel proposa à la marquise
+de profiter de l'heure qui leur
+restait encore avant le souper, pour
+aller voir le ballet nouveau. Mais
+Valentine refusa obstinément. La
+crainte de revoir Anatole sans pouvoir
+lui témoigner le ressentiment
+quelle éprouvait; la crainte, mieux
+fondée encore, de trahir sa faiblesse
+par quelque regard trop indulgent;
+et puis cette petite férocité amoureuse
+qui fait jouir de l'idée que le
+coupable se désole peut-être en
+nous attendant vainement; tout se
+réunit pour décider Valentine à fuir
+Anatole. Elle se promit de ne pas
+<span class="pagenum"><a name="Page_254" id="Page_254">254</a></span>
+répondre à sa dernière lettre, de
+n'en plus recevoir de lui, et de rassembler
+toutes les forces de sa raison
+et de son esprit pour détruire
+l'impression qu'il avait faite sur son
+c&oelig;ur: elle alla jusqu'à s'accuser de
+folie, en pensant qu'elle avait pu se
+flatter un instant de trouver quelque
+bonheur à captiver les sentiments
+d'un homme qui devait lui rester
+éternellement inconnu. Elle se reprocha
+de lui avoir donné le droit de
+la croire une femme légère, et finit
+par le justifier à ses dépens. Que résulta-t-il
+de tant de beaux raisonnements,
+de tant de sages résolutions?
+vous l'avez déja deviné, vous dont
+l'amour a tourmenté ou embelli la
+vie.</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_255" id="Page_255">255</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_XXIII" id="CHAPITRE_XXIII"></a>CHAPITRE XXIII.</h3>
+
+<p class="p2">Valentine ne pouvant surmonter
+la tristesse qui l'accablait, prit le
+parti de se retirer d'assez bonne
+heure, malgré les instances que firent
+le commandeur et sa nièce pour
+l'engager à entendre deux scènes
+d'une tragédie nouvelle que l'auteur
+avait promis de lire après souper.
+Mais, pour être digne d'une semblable
+confidence, il faut avoir l'esprit
+libre et paraître tout occupé de
+ce grand intérêt. En pareil cas, la
+moindre distraction est un crime; et
+la marquise se méfiait trop de son
+<span class="pagenum"><a name="Page_256" id="Page_256">256</a></span>
+attention pour s'exposer au ressentiment
+d'un auteur tragique.</p>
+
+<p>Elle venait de rentrer dans son
+appartement, et mademoiselle Cécile
+commençait déja à la déshabiller,
+lorsqu'un joli petit chien, de
+race anglaise, vint sauter après elle,
+et lui faire mille caresses. Elle demanda
+comment il se trouvait là.
+Mademoiselle Cécile répondit d'un
+air fort naturel, qu'ayant entendu
+aboyer près de la petite porte du
+jardin, la curiosité l'y avait conduite.
+«C'est-là, ajouta-t-elle, que j'ai trouvé
+ce joli chien, qui a probablement
+perdu son maître en entrant
+dans le jardin, pendant que le jardinier
+en avait laissé la porte ouverte.
+J'ai d'abord regardé dans la rue si
+<span class="pagenum"><a name="Page_257" id="Page_257">257</a></span>
+quelqu'un le cherchait; mais n'ayant
+vu personne, et la nuit commençant
+à venir, je n'ai pas voulu exposer un
+si joli petit animal à être volé par
+quelques passants qui le maltraiteraient
+peut-être. J'ai pensé que madame
+voudrait bien le garder jusqu'au
+moment où son maître le réclamerait».&mdash;La
+marquise approuva
+l'action charitable de mademoiselle
+Cécile, et témoigna le desir de garder
+le chien, qu'elle trouvait charmant,
+et qui semblait déja s'attacher à elle.
+Mais sa conscience ne lui permettait
+pas de se l'approprier avant d'avoir
+fait toutes les démarches qui devaient
+le rendre à son véritable maître.
+Un collier d'or qu'elle aperçut à
+son cou lui parut devoir être un
+<span class="pagenum"><a name="Page_258" id="Page_258">258</a></span>
+indice certain pour apprendre à qui
+il appartenait; elle dit à mademoiselle
+Cécile d'approcher un flambeau,
+et prenant le chien sur ses
+genoux: Je ne me trompe point, dit-elle,
+il y a quelque chose de gravé
+sur son collier, c'est sûrement l'adresse
+de son maître.&mdash;Je ne le crois
+pas, reprit mademoiselle Cécile, en
+s'efforçant de cacher un sourire malin.&mdash;Cependant
+voici bien.... Ici
+la marquise se tut... et la plus vive
+surprise éclata dans ses yeux. Mademoiselle
+Cécile n'eut pas l'air d'y
+faire attention, et se contenta de
+dire: «Puisque le collier ne dit rien,
+nous pouvons garder le chien sans
+scrupule.» Cette réflexion tira Valentine
+de la rêverie où elle était
+<span class="pagenum"><a name="Page_259" id="Page_259">259</a></span>
+tombée. Elle se leva pour achever de
+se déshabiller; et lorsque mademoiselle
+Cécile voulut emmener le chien
+avec elle, la marquise lui donna
+l'ordre de le laisser coucher sur un
+des coussins de son cabinet.</p>
+
+<p>On veut savoir quels sont les caractères
+magiques qui ont causé l'étonnement
+de Valentine et la douce
+émotion qui lui avait succédé. On
+s'attend peut-être à quelques-unes
+de ces devises ingénieuses qui sont
+les talismans ordinaires de l'amour,
+ou bien à ces emblèmes de fidélité
+qu'on ne manque jamais de trouver
+sur le collier du chien d'une coquette;
+mais rien d'aussi spirituel
+n'avait frappé les yeux de Valentine;
+et ce simple mot <i>pardon</i>, avait causé
+<span class="pagenum"><a name="Page_260" id="Page_260">260</a></span>
+tout le trouble de son ame. Que de
+choses ce mot disait à Valentine!
+Pouvait-elle méconnaître la main qui
+l'avait tracé, et ne pas deviner que
+la crainte de voir renvoyer sa lettre
+n'eût engagé le coupable à se servir
+d'un autre interprète! Ce seul mot
+lui apprenait que le commandeur
+l'avait trahie, que son ressentiment
+était connu, et qu'on voulait l'appaiser.
+En fallait-il davantage pour
+livrer son c&oelig;ur aux plus douces conjectures?</p>
+
+<p>Dès ce moment <i>Love</i> devint le
+favori de Valentine et le meilleur
+ami d'Isaure, qui s'étonna beaucoup
+de lui voir caresser M. de Saint-Albert
+la première fois qu'il vint chez
+sa tante, comme s'il avait revu une
+<span class="pagenum"><a name="Page_261" id="Page_261">261</a></span>
+ancienne connaissance. Ce nom de
+<i>Love</i> avait remplacé le mot gravé sur
+le collier, et semblait y répondre.
+Cependant Valentine persistait dans
+la résolution de laisser ignorer sa
+clémence; elle craignait qu'un premier
+tort aussi facilement pardonné
+ne fût suivi d'un tort moins excusable,
+et quelque chose l'avertissait
+que, sa faiblesse une fois connue, elle
+perdrait pour toujours son indépendance.
+Ce raisonnement soutint quelque
+temps son courage; mais il succomba
+bientôt à l'ennui d'une existence
+que rien n'animait plus à ses
+yeux. Le plus grand des inconvénients
+de l'amour n'est pas dans les
+peines qu'il cause, mais dans l'habitude
+de ces mêmes agitations dont
+<span class="pagenum"><a name="Page_262" id="Page_262">262</a></span>
+le c&oelig;ur ne peut plus se passer. Ces
+longues journées, passées sans l'espérance
+de recevoir une lettre ou de
+rencontrer un regard d'Anatole, paraissaient
+à Valentine une éternité
+à franchir. Elle essayait en vain d'accélérer
+les heures, en les consacrant
+aux occupations qui l'amusaient autrefois;
+une distraction vague, une
+tristesse sans objet, la rendaient incapable
+d'aucune application. Elle
+s'étonnait de voir tant de gens s'agiter
+pour des intérêts médiocres,
+quand les plus importants n'excitaient
+que son indifférence; enfin,
+son ame était livrée à cette morne
+langueur qui succède aux agitations
+de l'amour, et qui les fait regretter.
+Dans cet état pénible, on voit souvent
+<span class="pagenum"><a name="Page_263" id="Page_263">263</a></span>
+la femme la plus sage desirer
+d'en sortir, même au prix d'un malheur;
+et l'on peut mettre les fautes
+qui en résultent au nombre de celles
+que le besoin de vivre fait commettre.</p>
+
+<p>Un matin que Valentine ne se
+trouvait point disposée à recevoir
+des visites, elle forma le projet de
+mener Isaure à l'abbaye de Saint-Denis,
+qu'elle n'avait jamais vue.
+Isaure crut que c'était pour la récompenser
+de son application à apprendre
+l'histoire de France, et elle
+se promit d'étonner sa tante par
+son érudition. Alors il se fit dans
+sa petite tête un bouleversement
+de noms et de dates que le plus
+savant n'aurait pu démêler. Comme
+<span class="pagenum"><a name="Page_264" id="Page_264">264</a></span>
+on ne lui avait pas demandé le secret
+sur cette visite, elle alla dire
+à toute la maison combien elle se
+réjouissait de passer la matinée à
+voir des tombeaux; et c'est en sautant
+de joie, qu'elle monta dans la
+voiture qui devait la conduire à cet
+asyle de la mort.</p>
+
+<p>L'aspect d'un lieu aussi imposant
+modéra bientôt cette vive gaîté, qui
+fit place au respect religieux qu'imprime
+à tous les âges la vue d'un
+temple révéré. Le silence, habitant
+de ces voûtes gothiques, semble inviter
+l'enfant qui les parcourt, comme
+le vieillard qui vient y prier, à n'en
+point troubler le repos. Une sainte
+terreur s'empara de l'ame de Valentine,
+lorsqu'elle se vit, pour ainsi
+<span class="pagenum"><a name="Page_265" id="Page_265">265</a></span>
+dire, seule entre ces trois puissances,
+la divinité, les grandeurs, et la
+mort. C'est donc ici, pensa-t-elle,
+que viennent se briser les sceptres
+de nos rois! Celui dont l'ambition
+ensanglanta la terre repose à côté
+du héros qui mourut pour son pays,
+et le même caveau renferme l'auteur
+de la Saint-Barthelemi, et la victime
+du fanatisme. Ici pour le crime et
+pour la vertu les honneurs sont
+égaux; le rang seul les assigne; mais
+toute la pompe des monuments élevés
+à la tyrannie ne diffère pas de
+l'horreur qu'inspire le souvenir de
+ses cruautés. On s'éloigne en frémissant
+du superbe tombeau de Catherine
+de Médicis, pour venir tomber
+aux pieds de celui de Henri IV, et
+<span class="pagenum"><a name="Page_266" id="Page_266">266</a></span>
+l'arroser des larmes du regret et de
+la reconnaissance.</p>
+
+<p>Le suisse de l'abbaye vint interrompre
+les méditations de Valentine,
+en lui débitant du ton le plus emphatique
+et le plus monotone, les
+noms et les titres des princes qui
+étaient inhumés dans les différentes
+chapelles. Après lui avoir fait passer
+en revue les tombeaux de nos Rois,
+depuis la première jusqu'à la dernière race,
+il la conduisit dans la
+chapelle particulière où se trouvait
+le beau mausolée de cet infortuné
+duc d'Orléans, assassiné par le duc
+de Bourgogne, et si vivement regretté
+par cette femme adorable dont
+il avait souvent trahi l'amour. En
+considérant les traits nobles et doux
+<span class="pagenum"><a name="Page_267" id="Page_267">267</a></span>
+d'une statue en marbre, aux pieds
+de laquelle on voyait un arrosoir
+penché et versant de l'eau en forme
+de larmes, la marquise reconnut bientôt
+l'intéressant auteur de cette devise:
+«<i>Rien ne m'est plus; plus ne
+m'est rien.</i>» Émue par le souvenir des
+malheurs de Valentine de Milan, elle
+ne put supporter l'idée d'en entendre
+le récit de la bouche de l'homme
+qui l'accompagnait, et elle se mit à
+raconter elle-même à sa nièce, comment
+cette vertueuse princesse avait
+succombé à la douleur de n'avoir pu
+venger la mort de son époux. Isaure
+demanda alors ingénuement, si elle
+n'aurait pas mieux fait de pardonner.&mdash;En
+effet, reprit la marquise, c'eût
+été plus digne d'elle et plus heureux
+<span class="pagenum"><a name="Page_268" id="Page_268">268</a></span>
+pour ses enfants, qui l'auraient peut-être
+perdue moins jeune; car le
+plaisir de faire grace doit faire vivre
+plus long-temps que celui de se
+venger; mais on n'a pas le droit de
+lui reprocher un tort qui lui coûta
+la vie, et que tant de bonnes actions
+rachetèrent.</p>
+
+<p>En cet instant, le démonstrateur
+un peu piqué de voir madame de Saverny
+empiéter sur ses droits, se retira
+vers la grille de la chapelle; et la
+marquise profita de ce moment de
+liberté pour examiner à son aise le
+monument érigé à la mémoire des
+vertus et du malheur. On ne peut
+réfléchir sur la destinée d'un être
+innocent et constamment malheureux,
+sans éprouver le besoin d'espérer
+<span class="pagenum"><a name="Page_269" id="Page_269">269</a></span>
+en cette justice céleste, qui
+doit un jour tout punir et tout récompenser.
+De cette consolante idée,
+découlent tous les sentiments religieux,
+et cette noble résignation
+de l'ame qui fait regarder les tourments
+de la vie comme autant de
+gages d'une éternelle félicité. L'aspect
+d'une victime de l'amour et du
+sort ranima ces pensées dans l'esprit
+de Valentine; animée d'une piété
+touchante, elle se prosterna sur les
+marches d'un autel qui se trouvait
+en face du tombeau, et là, pénétrée
+d'un saint respect, elle pria le Ciel
+de lui épargner les tourments d'un
+amour malheureux, ou de lui inspirer
+la vertu qui les surmonte.</p>
+
+<p>En implorant la bonté divine sur
+<span class="pagenum"><a name="Page_270" id="Page_270">270</a></span>
+sa destinée, Valentine éprouva l'attendrissement
+qui naît du souvenir
+de ses peines, et de l'espérance de
+les voir calmées. Son visage, embelli
+par la prière, se couvrit de douces
+larmes. Elle voulut les cacher à
+Isaure, et se servit, pour les essuyer,
+d'un voile de mousseline qui flottait
+sur ses épaules; puis se retournant,
+elle aperçut Isaure, agenouillée à
+ses côtés, et redisant sa prière du
+matin; ne voulant pas la troubler
+dans cet acte de piété, la marquise
+ne fit aucun mouvement, et fixa
+seulement les yeux sur le piédestal
+qui supportait la statue de Valentine
+de Milan. Mais elle crut s'abuser,
+lorsqu'elle vit au bas de la devise
+incrustée dans le marbre, ces mots
+<span class="pagenum"><a name="Page_271" id="Page_271">271</a></span>
+tracés au crayon: «<i>Elle aussi n'a
+jamais pardonné.</i>» Persuadée qu'elle
+était frappée d'une vision, Valentine
+se lève brusquement pour s'en convaincre;
+ce mouvement précipité
+fait tomber son voile; une main
+s'avance pour le ramasser, et c'est
+à travers les colonnes et les ornements
+gothiques du monument funèbre,
+que Valentine aperçoit Anatole.
+Il serre sur son c&oelig;ur le voile
+encore humide des larmes qu'elle
+vient de verser en pensant à lui.
+L'expression de son visage, son
+attitude suppliante, semblent la conjurer
+de lui laisser ce gage de réconciliation;
+et Valentine, succombant
+à son émotion, n'ose ni l'accorder
+ni le reprendre. Son silence
+<span class="pagenum"><a name="Page_272" id="Page_272">272</a></span>
+paraît un consentement à Anatole.
+La joie et la reconnaissance brillent
+dans ses yeux. Il porte le voile à ses
+lèvres, et disparaît.</p>
+
+<p>L'espace d'un moment suffit à
+tant de sensations différentes; et
+Valentine était seule, lorsqu'Isaure
+vint la rejoindre, après avoir achevé
+sa prière. Elles sortirent toutes deux
+à pas lents de ce lieu solennel, qui
+devait leur laisser de profonds souvenirs.
+Isaure en revint, l'esprit
+frappé de cette impression que reçoit
+l'enfance à la première vue des
+tombeaux, et Valentine en rapporta
+ce recueillement céleste, ce bonheur
+de vivre, que peuvent seuls inspirer
+la religion et l'amour.</p>
+
+<p class="p2 center"><small><b>FIN DU PREMIER VOLUME.</b></small></p>
+
+<hr class="c5" />
+
+<h3 class="p4">TABLE DES CHAPITRES</h3>
+
+<p class="left35 p2"><a href="#CHAPITRE_PREMIER">Chapitre PREMIER</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_II">Chapitre II</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_III">Chapitre III</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_IV">Chapitre IV</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_V">Chapitre V</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_VI">Chapitre VI</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_VII">Chapitre VII</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_VIII">Chapitre VIII</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_IX">Chapitre IX</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_X">Chapitre X</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XI">Chapitre XI</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XII">Chapitre XII</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XIII">Chapitre XIII</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XIV">Chapitre XIV</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XV">Chapitre XV</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XVI">Chapitre XVI</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XVII">Chapitre XVII</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XVIII">Chapitre XVIII</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XIX">Chapitre XIX</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XX">Chapitre XX</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXI">Chapitre XXI</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXII">Chapitre XXII</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXIII">Chapitre XXIII</a></p>
+
+<hr class="c5" />
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Anatole, Vol. 1 (of 2), by Sophie Gay
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ANATOLE, VOL. 1 (OF 2) ***
+
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+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
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+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
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+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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+status under the laws that apply to them.
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new file mode 100644
index 0000000..8c3ff33
--- /dev/null
+++ b/README.md
@@ -0,0 +1,2 @@
+Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for
+eBook #35064 (https://www.gutenberg.org/ebooks/35064)