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diff --git a/35064-h/35064-h.htm b/35064-h/35064-h.htm new file mode 100644 index 0000000..152b6a1 --- /dev/null +++ b/35064-h/35064-h.htm @@ -0,0 +1,5946 @@ + <!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD XHTML 1.0 Strict//EN" + "http://www.w3.org/TR/xhtml1/DTD/xhtml1-strict.dtd"> + <html xmlns="http://www.w3.org/1999/xhtml" lang="fr" xml:lang="fr"> + <head> + <meta http-equiv="Content-Type" + content="text/html;charset=iso-8859-1" /> + <meta http-equiv="Content-Style-Type" content="text/css" /> + <title> + The Project Gutenberg's eBook of Anatole, Volume premier, by Sophie Gay</title> + <style type="text/css"> + + p { margin-top: .75em; + text-align: justify; + margin-bottom: .75em; + } + + h1,h2,h3,h4 { + text-align: center; /* all headings centered */ + clear: both; + } + + hr.c5 {width: 5%; margin-top: 2em; margin-bottom: 2em;} + + body {margin-left: 15%; + margin-right: 15%; + } + + .pagenum { /* uncomment the next line for invisible page numbers */ + /* visibility: hidden; */ + position: absolute; + left: 94%; + font-size: 10px; + font-variant: normal; + font-style: normal; + text-align: right; + background-color: #FFFACD; + border: 1px solid; + padding: 0.3em; + } /* page numbers */ + + .figcenter {margin: auto; text-align: center;} + + .cbrace {white-space: nowrap; font-size: 40pt; font-weight: 100; text-align: center;} + + .box {margin: auto; + text-align: center; + border: 1px solid; + padding: 1em; + background-color: #F0FFFF; + width: 25em;} + + sup {font-size: 0.7em;} + + .center {text-align: center;} + .smcap {font-variant: small-caps; font-size: 90%;} + + .p2 {margin-top: 2em;} + .p4 {margin-top: 4em;} + .p6 {margin-top: 6em;} + .i14 {margin-left: 14em;} + + .left5 {margin-left: 5%;} + .left25 {margin-left: 25%;} + .left35 {margin-left: 35%;} + +</style> +</head> +<body> + + +<pre> + +The Project Gutenberg EBook of Anatole, Vol. 1 (of 2), by Sophie Gay + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Anatole, Vol. 1 (of 2) + +Author: Sophie Gay + +Release Date: January 25, 2011 [EBook #35064] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ANATOLE, VOL. 1 (OF 2) *** + + + + +Produced by Hélène de Mink and the Online Distributed +Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was +produced from images generously made available by the +Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr) + + + + + + +</pre> + + +<div class="box"> +<p>Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. +L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée. +Les numéros des pages blanches non pas été repris.</p> +<p>Une table des chapitres a été créée pour ce livre électronique qui ne figure pas dans +le texte d'origine.</p></div> + +<p><a name="Page_1" id="Page_1"></a></p> + +<h2>ANATOLE.</h2> + +<h4>TOME PREMIER.</h4> + +<p class="p4 center"><i><b>Tome I.</b></i></p> + +<p class="center p4"><a name="Page_2" id="Page_2"></a> +De l'Imprimerie de <span class="smcap">Firmin Didot</span>.</p> + +<p class="p2 center"><i>Se trouve aussi à Paris</i>,</p> + +<div class="left25"> +<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="libraires"> +<tr> + <td valign="middle" class="cbrace">{</td> + <td><span class="smcap">Delaunay</span>, Libraire, Galerie de Bois, au Palais-Royal.<br /> + <span class="smcap">Renard</span>, rue de Caumartin, n<sup>o</sup> 12.<br /> + <span class="smcap">Laurent-Beaupré</span>, au Palais-Royal.</td> +</tr> +</table> +</div> + +<p class="p4"><a name="Page_3" id="Page_3"></a></p> + +<h1>ANATOLE.</h1> + +<p class="p2 center"><small><b>PAR L'AUTEUR</b></small></p> + +<p class="center"><big><b>DE LÉONIE DE MONTBREUSE.</b></big></p> + +<p class="center p2"><big><b>TOME PREMIER</b>.</big></p> + +<div class="figcenter"><img src="images/logo.jpg" width="100" height="86" alt="logo" title="" /> +</div> + +<p class="center p2"><small><b>A PARIS,</b></small></p> + +<p class="p2 center"><b>CHEZ FIRMIN DIDOT, LIBRAIRE,</b><br /> +<span class="smcap"><b>Imprimeur de l'Institut de France</b></span>,<br /> +<b>rue Jacob, n<sup>o</sup> 24.</b></p> + +<hr class="c5" /> + +<p class="center p2"><b>1815.</b></p> + +<p><a name="Page_4" id="Page_4"></a></p> + +<p class="p4"><a name="Page_5" id="Page_5"></a></p> + +<h3>AU LECTEUR.</h3> + +<p class="p2">Le fond de ce Roman est vrai; +puissé-je l'avoir rendu vraisemblable +par les détails, et assez +intéressant dans l'ensemble pour +mériter à ce dernier Ouvrage l'accueil +indulgent dont le public a +bien voulu honorer <span class="smcap">Léonie de +Montbreuse</span>!</p> + +<p><a name="Page_6" id="Page_6"></a></p> + +<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_7" id="Page_7">7</a></span></p> + +<h2>ANATOLE.</h2> + +<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_PREMIER" id="CHAPITRE_PREMIER"></a>CHAPITRE PREMIER.</h3> + +<hr class="c5" /> + +<p>«Eh bien, disait Richard, en brossant +son habit de livrée, c'est donc +après-demain que cette belle provinciale +arrive?—Vraiment oui, répondit +mademoiselle Julie, madame +vient de m'ordonner d'aller visiter +l'appartement qu'elle lui destine, +pour savoir s'il n'y manque rien de +ce qui peut être commode à sa belle-sœur; +je crois qu'on aurait bien +pu se dispenser de faire meubler à +neuf tout ce corps-de-logis; madame +<span class="pagenum"><a name="Page_8" id="Page_8">8</a></span> +de Saverny, accoutumée aux +grands fauteuils de son vieux château, +ne s'apercevra peut-être pas +de tous les frais que madame a faits +pour décorer son appartement à la +dernière mode.—C'est donc une +vieille femme?—Point du tout, elle +a tout au plus vingt-deux ans; M. le +comte est son aîné de plus de dix +années, et madame la comtesse a +bien au moins sept ou huit ans de +plus que sa belle-sœur, puisqu'elle +en avoue quatre.—Et cette parente +a-t-elle un mari, des enfants, une +gouvernante? Faudra-t-il servir tout +ce monde-là?—Grace au ciel, elle +est veuve; et je pense qu'elle est +riche, car son mari était, je crois, +aussi vieux que son château; et l'on +<span class="pagenum"><a name="Page_9" id="Page_9">9</a></span> +n'épouse guère un vieillard que pour +sa fortune.—Qui nous amène-t-elle +ici?—Tout ce qu'il faut pour s'y +établir, des gens, des chevaux; enfin, +jusqu'à sa nourrice.—Ah! c'est +un peu trop fort. Je sais ce que c'est +que ces grosses campagnardes, qui +se croient le droit de commander +à toute la maison, parce qu'elles ont +nourri leur maîtresse; ce sont de +vieilles rapporteuses qui, sous prétexte +de prendre les intérêts de leur +cher nourrisson, vont leur raconter +tout ce qui se dit ou se fait dans les +antichambres; Lapierre est bien libre +de se mettre au service de celle-là; +quant à moi, je ne compte pas lui +donner un verre d'eau.—Ah! tout +cet embarras ne sera pas éternel, +<span class="pagenum"><a name="Page_10" id="Page_10">10</a></span> +Madame s'en lassera bientôt, surtout +s'il est vrai que madame de Saverny +soit aussi belle qu'on l'assure; +ne savez-vous pas, Richard, que deux +jolies femmes n'ont jamais demeuré +bien long-temps ensemble?» Les +remarques philosophiques de mademoiselle +Julie furent interrompues +par le retour du carrosse de madame +de Nangis. Son entrée dans la cour +de l'hôtel fut un signal qui remit +chacun à son poste. Mademoiselle +Julie s'enfuit dans le cabinet de toilette; +Richard prit un paquet de +lettres arrivées de la veille, et qu'un +peu de négligence lui fesait remettre +le lendemain à sa maîtresse. Et madame +de Nangis les décacheta, en +embrassant la petite Isaure, qui venait +<span class="pagenum"><a name="Page_11" id="Page_11">11</a></span> +au-devant de sa mère avec tout +le plaisir d'un enfant qui interrompt +une leçon ennuyeuse, pour aller +remplir un devoir amusant.</p> + +<p>«Ah! dit madame de Nangis, +en s'adressant au chevalier d'Émerange, +voici des nouvelles de Nevers. +Ma belle-sœur arrive décidément +jeudi. Je vous en préviens, chevalier, +c'est une personne charmante.—A +Nevers, peut-être?—Oui, monsieur, +à Nevers, et par-tout; un joli visage, +une belle taille, et beaucoup d'esprit, +sont appréciés dans tous les pays.—Et +c'est auprès de vous que madame +de Saverny compte faire valoir +tous ces avantages? Je la plains.—Vous +me flattez aujourd'hui à ses +dépens, reprit en souriant madame +<span class="pagenum"><a name="Page_12" id="Page_12">12</a></span> +de Nangis, bientôt vous la louerez +aux miens. Je vous connais; la beauté +a sur vous un empire absolu; votre +admiration pour elle va jusqu'au +délire. C'est avec cet amour du beau +en général, que vous avez trompé +tant de jolies femmes qui se croyaient +tendrement aimées, lorsqu'elles n'étaient +que passionnément admirées.—En +vérité, madame, je ne puis accepter +l'honneur que vous me faites; +car, non-seulement j'ai fort peu trompé, +mais j'ai passé ma vie à l'être. +Quant à l'admiration dont vous me +faites un reproche, ce n'est pas ma +faute si l'on m'y réduit.» Ces derniers +mots furent accompagnés d'un regard +que la comtesse ne voulut pas +avoir l'air de comprendre; elle reporta +<span class="pagenum"><a name="Page_13" id="Page_13">13</a></span> +ses yeux sur la lettre qu'elle +tenait, en acheva la lecture, et dit: +Elle écrit à ravir. Jugez-en vous-même, +ajouta-t-elle, en donnant la +lettre au chevalier, et convenez que +vos Sévigné de Paris ne s'expriment +pas mieux.—Cela n'est pas mal pour +un style de province, répondit +M. d'Émerange, après avoir lu; mais +il n'y a pas grand mérite à écrire +naturellement qu'on se promet beaucoup +de bonheur à vivre auprès de +vous. Que veut-elle dire en parlant +de ses regrets, de son deuil, et de +ce goût pour la retraite, qui nous +annonce sûrement quelque grande +passion?—Ses regrets sont pour ses +vassaux et quelques amies d'enfance. +Son deuil est celui qu'elle a pris à +<span class="pagenum"><a name="Page_14" id="Page_14">14</a></span> +la mort de son mari. Et son goût +pour la retraite n'est autre chose +que l'ignorance des plaisirs du grand +monde. Élevée au couvent, où son +père desirait la voir cloîtrée pour +toujours, elle n'en est sortie que +pour épouser, sans dot, le marquis +de Saverny. C'était un vieillard aimable +quoiqu'infirme. Un jour, mon +beau-père lui fit part du projet qu'il +avait de sacrifier l'existence de sa +fille à la fortune de son fils. Cet +usage, très-commun alors dans les +familles, rendait le fils aîné possesseur +de tous les revenus, et le mettait +en état de soutenir dignement son +rang à la Cour. M. de Saverny, après +avoir vainement combattu la résolution +de son ami, pour en détruire +<span class="pagenum"><a name="Page_15" id="Page_15">15</a></span> +l'effet, demanda la main de la pauvre +Valentine; et tout s'est arrangé +pour le mieux. Après deux ans de +soins et de résignation, elle est devenue +la riche héritière d'un mari +trop vieux pour être long-temps regretté; +et M. de Nangis profite sans +scrupule de l'injustice de son père.—Je +vois que tout le monde s'est fort +bien conduit dans cette affaire-là, +le défunt sur-tout: son dernier procédé +met le comble à mon estime.—Si +vous saviez tout ce que sa mort a +coûté de larmes aux beaux yeux de +madame de Saverny, vous n'en parleriez +pas si légèrement; elle en était +encore bien affligée lorsque je la +quittai l'été dernier, et cependant +elle avait déjà porté plus de huit mois +<span class="pagenum"><a name="Page_16" id="Page_16">16</a></span> +le deuil; je voulais alors l'emmener +à Paris, elle s'y refusa, et je n'en +pus obtenir que la promesse de venir +s'établir ici à la fin de son deuil. +Je vois avec plaisir qu'elle me tient +parole. Sa présence me sera d'une +grande ressource cet hiver, car je +n'aime point à aller seule dans le +monde, et encore moins à y suivre +M. de Nangis, dont la gravité se croirait +compromise, si l'on pouvait le +soupçonner d'être quelque part pour +son plaisir.—En effet, reprit le chevalier, +je me suis souvent demandé +quel avantage il trouvait à passer +ainsi sa vie en dîners d'apparat et en +visites de cérémonie.—Je n'ai pas le +droit de médire de ses goûts, puisqu'il +ne gêne pas les miens. Peut-être, +<span class="pagenum"><a name="Page_17" id="Page_17">17</a></span> +s'il en avait d'autres, serions-nous +moins heureux. Aussi n'ai-je +jamais exigé qu'il me les sacrifiât. Il +reçoit mes amis avec politesse, je +m'ennuie des siens avec complaisance, +et rien ne trouble la paix +qu'établit cette douce réciprocité.» +L'arrivée de M. de Nangis mit fin à +cette conversation, que rien n'empêchait +de continuer devant lui, mais +qui aurait perdu ce charme de confiance, +qui n'appartient qu'au tête-à-tête. +Le chevalier, persuadé qu'un +tiers est toujours importun, se retira +en promettant de revenir le lendemain +soir au concert, où madame +de Nangis avait invité la moitié de +Paris à venir entendre une virtuose +nouvellement arrivée d'Italie.</p> + +<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_18" id="Page_18">18</a></span></p> + +<h3><a name="CHAPITRE_II" id="CHAPITRE_II"></a>CHAPITRE II.</h3> + +<p class="p2">Déja cinquante femmes richement +parées décoraient les salons de madame +de Nangis, tandis qu'un plus +grand nombre d'hommes circulait +autour d'elles, en leur adressant +des compliments plus ou moins sincères +sur leur parure ou leur beauté. +Les artistes, qui devaient faire les +délices de la soirée, paraissaient n'attendre +qu'un mot de la maîtresse de +la maison pour commencer le concert. +Elle allait en donner le signal, +lorsque la <i>prima donna</i> s'avançant +respectueusement vers elle, lui déclara, +<span class="pagenum"><a name="Page_19" id="Page_19">19</a></span> +le plus poliment possible, que +rien dans le monde ne lui ferait +chanter une note, si son accompagnateur +ordinaire n'était pas au piano. +Madame de Nangis lui représenta +vainement que plusieurs compositeurs +d'un grand talent et fort habitués +à tenir le piano, offraient de +l'accompagner, si l'artiste appelé +pour avoir cet honneur, et que sa +réputation au concert de la reine +semblait en rendre digne, ne lui +inspirait pas de confiance. La célèbre +cantatrice resta immuable dans sa +volonté; et madame de Nangis fut +réduite à donner l'ordre d'atteler ses +chevaux pour faire courir après cet +indispensable confident des intentions +musicales de la signora de B... +<span class="pagenum"><a name="Page_20" id="Page_20">20</a></span> +Cette petite discussion jeta l'alarme +dans la brillante assemblée. A l'air +d'humeur qui s'était peint sur le +visage de madame de Nangis, et aux +gestes multipliés de la Signora, qui +semblaient tous dire: «Cela m'est impossible», +on avait jugé qu'elle refusait +de chanter. La désolation était +générale; et les gens qui par goût +attachaient le moins de prix à un +grand air italien, paraissaient les +plus inconsolables.</p> + +<p>Le chevalier d'Émerange fut député +auprès de madame de Nangis, +pour savoir s'il restait encore quelque +espérance; il profita de cette occasion +pour demander à la comtesse +si sa belle-sœur était au nombre de +toutes les jolies femmes qu'elle avait +<span class="pagenum"><a name="Page_21" id="Page_21">21</a></span> +réunies.—Non, lui répondit-elle; si +madame de Saverny était ici, vous l'auriez +déja reconnue.—J'en ai peur, +reprit le chevalier, car un chapeau +de Nevers doit être assez reconnaissable +dans ce salon-ci.—Vraiment, +il ne serait pas plus ridicule que +celui de madame de R.... Il faut que +cette femme-là soit bien sûre de +son esprit pour affubler ainsi son +visage; voyez un peu que de gens +s'empressent autour d'elle; et dites +ensuite, que sans le bon goût et l'élégance, +on ne saurait plaire!—Je +le dirai toujours en vous voyant, +dussé-je me battre avec tous les +champions de la laideur de madame +de R....—Madame de Nangis ne +voulant pas répondre à cette flatterie, +<span class="pagenum"><a name="Page_22" id="Page_22">22</a></span> +rappela au chevalier qu'il était +attendu. Il l'avait oublié, et revint +auprès des personnes qui l'avaient +chargé de questionner la comtesse, +en leur disant: «Soyez sans inquiétude, +un léger incident retarde votre +plaisir, mais vous allez l'entendre.—De +qui parlez-vous? reprit, d'un +air étonné, un de ceux à qui s'était +adressé le chevalier.—Mais ne m'avez-vous +pas dit de savoir si la signora +B... se déciderait à chanter ce +soir?—Ah! mille pardons, s'écria +tout le monde, nous avions oublié +votre extrême complaisance.—Et la +cantatrice aussi, repartit le chevalier; +cela ne m'étonne pas, on est toujours +puni du tort de se faire attendre.—En +effet, ces mêmes gens +<span class="pagenum"><a name="Page_23" id="Page_23">23</a></span> +qui, un moment auparavant, semblaient +désespérés de la crainte de +ne pas entendre la voix de cette célèbre +virtuose, étaient presqu'aussi +contrariés de voir interrompre une +conversation qui les amusait. C'est +ainsi qu'en France les plaisirs de +l'esprit passent avant tout.</p> + +<p>Madame de Nangis, bien convaincue +de cette vérité, prévint toutes +les causeries qui allaient s'établir, +en réclamant l'attention générale en +faveur d'un beau quatuor d'Haydn, +qui fut aussi bien exécuté que mal +écouté. Au quatuor l'on fit succéder +la sévère sonate d'un pianiste allemand, +qui commençait à assoupir +l'assemblée, lorsque madame de Nangis +s'écria, sans aucun égard pour +<span class="pagenum"><a name="Page_24" id="Page_24">24</a></span> +le pauvre professeur;—Ah! voici +M. Augustini.—C'était le nom de +l'accompagnateur tant désiré; chacun +le répéta tout haut, en félicitant +madame de Nangis du bonheur +d'avoir pu le rejoindre; et c'est au +bruit de toutes ces félicitations, +qu'expira le dernier accord de la sonate +allemande, sans que personne +songeât à en applaudir l'auteur. Madame +de Nangis lui adressa seulement +un de ces discours de maîtresse +de maison, qui ne signifient +rien, sinon qu'on veut se faire la +réputation de dire un mot obligeant +à toutes les personnes que l'on reçoit. +Enfin, le moment de rendre justice +au talent de la signora B... était +arrivé, et madame de Nangis jouissait +<span class="pagenum"><a name="Page_25" id="Page_25">25</a></span> +du plaisir de voir le but de sa +soirée rempli. Elle n'était plus tourmentée +de cette crainte si naturelle, +d'avoir réuni tant de personnes pour +les ennuyer. M. de Nangis aurait dû +partager cette douce satisfaction; +mais une inquiétude d'un autre +genre l'agitait. La princesse de L... +pour laquelle il avait long-temps +réservé la meilleure place, venait +d'arriver, et s'était assise sur la seule +chaise qui se trouvait libre derrière +plusieurs autres femmes. M. de Nangis +souffrait le martyre, en voyant +la princesse aussi mal placée, et maudissait +l'impossibilité de lui offrir le +siége d'une autre personne. Heureusement +pour lui, madame de Nangis, +encore plus touchée de la position +<span class="pagenum"><a name="Page_26" id="Page_26">26</a></span> +penible où paraissait être son mari, +que de celle de la princesse, interrompit +la longue ritournelle du grand +air italien, pour faire passer un fauteuil +auprès d'elle, et y conduire la +princesse de L...</p> + +<p>Tous ces dérangements importunaient +au dernier point la signora B... +et l'expression de sa physionomie +n'en fesait pas mystère; mais l'enthousiasme +qu'inspirèrent les premiers +accents de sa belle voix, la +rendirent plus patiente à souffrir +les nouvelles contrariétés qui l'attendaient. +Une des plus vives fut +celle d'entendre sonner toutes les +pendules des salons, au milieu du +point d'orgue le mieux étudié; car +pour les <i>bravo</i> mal placés, et tous +<span class="pagenum"><a name="Page_27" id="Page_27">27</a></span> +les signes d'une admiration souvent +trop bruyante, son indulgence était +extrême: on s'aperçoit si peu des +inconvénients de ce qui flatte!</p> + +<p>Le bruit des applaudissements +étant parvenu jusqu'aux antichambres, +un domestique crut pouvoir +profiter du moment où l'on ne chantait +plus, pour aller prévenir la comtesse +de l'arrivée de sa belle-sœur. +Madame de Nangis l'attendait avec +impatience depuis une semaine; et, +dans tout autre instant, elle eût été +charmée de courir au-devant d'elle +pour l'embrasser; mais interrompre +ainsi un grand concert par une scène +de famille, lui paraissait une chose +fort ridicule. Pour l'éviter, elle donna +l'ordre que l'on conduisît madame +<span class="pagenum"><a name="Page_28" id="Page_28">28</a></span> +de Saverny dans son appartement, +et lui fit dire qu'elle irait la rejoindre, +dès qu'elle pourrait s'échapper +un moment.</p> + +<p>Au nom de la marquise de Saverny, +la princesse de L... s'écria, +«Quoi, c'est madame de Saverny +qui vient d'arriver? Cette jolie femme +qui était aux eaux de Vichy, l'année +dernière, et qui m'a si bien reçue, +lorsque ma voiture s'est brisée auprès +de son château? Ah! rien ne +saurait m'empêcher d'aller l'embrasser; +où est-elle?»—Le domestique +ayant répondu qu'en attendant les +ordres de madame on avait fait entrer +la marquise dans le petit boudoir, +la princesse voulut s'y rendre +à l'instant même, et madame de +<span class="pagenum"><a name="Page_29" id="Page_29">29</a></span> +Nangis se trouva forcée de l'accompagner.</p> + +<p>Elles trouvèrent madame de Saverny +un peu déconcertée de sa réception. +Le bruit de sa voiture n'avait +attiré personne. Parvenue dans les +vestibules, il lui avait fallu traverser +une haie de laquais avant +d'arriver à l'appartement de la comtesse, +et se disputer avec l'un d'eux, +pour l'empêcher de l'annoncer à +haute voix dans le sallon. Un autre, +plus connaisseur, ayant remarqué +avec dédain la simplicité de sa parure, +et reconnu qu'elle n'était pas +digne des honneurs du concert, +l'avait fait passer mystérieusement +dans le boudoir, en lui recommandant +de ne pas faire le moindre +<span class="pagenum"><a name="Page_30" id="Page_30">30</a></span> +bruit. Elle y était depuis un quart +d'heure à méditer sur la différence +de cette réception avec celle dont +l'espérance l'avait occupée pendant +toute sa route, lorsque la princesse +vint se jeter dans ses bras, en lui +prodiguant toutes les expressions de +la plus tendre amitié. Madame de +Nangis y joignit les témoignages de +la sienne; mais tous ses soins à prouver +combien elle était ravie du plaisir +de revoir sa chère Valentine, dissimulaient +faiblement l'impatience +qu'elle éprouvait de retourner dans +son salon. Madame de Saverny la +devina bientôt, et supplia sa sœur de +ne pas interrompre plus long-temps +le concert; elle lui demanda la permission +d'en attendre la fin dans son +<span class="pagenum"><a name="Page_31" id="Page_31">31</a></span> +appartement; mais la princesse n'y +voulut jamais consentir. «Madame +la comtesse, dit-elle, ne souffrez pas +qu'elle nous quitte ainsi. Il faut absolument +qu'elle entende chanter madame +B... C'est un plaisir qu'on ne +peut remettre à un autre jour, puisqu'elle +retourne incessamment en +Italie.—Ah! madame, excusez-moi, +reprit Valentine, je suis en habit de +voyage.—Eh! que vous manque-t-il, +interrompit la princesse, vous avez +une robe de taffetas noir qui vous +sied à merveille; avec cette collerette +de blonde et ce chapeau de paille, +vous êtes jolie comme un ange; +allons, venez avec nous, ou bien +restez, et je ne vous quitte pas.»</p> + +<p>Madame de Saverny résistait vainement +<span class="pagenum"><a name="Page_32" id="Page_32">32</a></span> +aux instances de la princesse, +un message de M. de Nangis, que +l'absence de ces dames contrariait +beaucoup, détermina Valentine à ne +pas la prolonger plus long-temps. +Elle sacrifia de bonne grace les intérêts +de sa vanité au desir de ses +deux amies, et se résigna à se montrer +la moins parée de toutes les +femmes brillantes de cette assemblée, +sans se douter qu'elle en fût la plus +belle.</p> + +<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_33" id="Page_33">33</a></span></p> + +<h3><a name="CHAPITRE_III" id="CHAPITRE_III"></a>CHAPITRE III.</h3> + +<p class="p2">«Quelle est cette Artemise? demanda +une de ces personnes bienveillantes, +que le mérite frappe rarement, +mais que le ridicule choque +toujours.—Je ne la connais pas, répondit +une autre, mais à son costume +économique, je présume que c'est +une dame de compagnie de la princesse.—En +effet, je lui trouve assez +l'air de ces jeunes femmes qu'on +élève pour être toujours de l'avis de +leur princesse, pour finir un meuble +de tapisserie, et jouer au besoin une +sonate à quatre mains.—Vous en +<span class="pagenum"><a name="Page_34" id="Page_34">34</a></span> +direz, mesdames, tout ce qu'il vous +plaira, dit un troisième, mais cette +femme-là a des traits admirables.—Des +traits? Vraiment, vous êtes bien +heureux de les découvrir à travers +cet énorme chapeau; moi, je ne +crois pas à la beauté des visages que +l'on prend tant de soin de cacher.»—C'est +ainsi que chacun donna son +avis sur madame de Saverny, lorsqu'elle +parut. Elle était pâle et fatiguée +de son voyage; on la trouva +sans fraîcheur. Sa robe n'était pas +nouvelle, et il fut décidé qu'elle +avait l'air provincial; du reste, on +était sûr qu'elle manquait d'esprit et +d'usage, car elle avait l'air étonné +de tout, et ne parlait de rien. Dix +minutes suffirent pour asseoir ce +<span class="pagenum"><a name="Page_35" id="Page_35">35</a></span> +jugement, et le rendre irrévocable.</p> + +<p>M. d'Émerange lui-même, malgré +toutes ses connaissances positives sur +la beauté, ne fut pas exempt d'injustice +envers celle de madame de Saverny. +Les plus savants dans ce genre +sont souvent dupes de la mode, et +il en est peu d'assez courageux pour +défendre les agréments d'une femme +mal mise. Le chevalier reprocha à +madame de Nangis de l'avoir trompé +sur le compte de sa belle-sœur. +«—Pour cette fois, lui dit-il, vous +ne vous plaindrez pas de mon admiration, +madame de Saverny ne me +donnera jamais le tort de la partager +entre vous deux.—N'en faites pas +serment, reprit en souriant la comtesse.»—En +ce moment M. de Nangis +<span class="pagenum"><a name="Page_36" id="Page_36">36</a></span> +vint prendre le chevalier pour +le présenter à sa sœur, comme un +de ses amis les plus aimables. Valentine +répondit avec grace aux choses +froidement polies que lui adressa le +chevalier; il fut d'abord séduit par +le son de sa voix, et, sans trop écouter +ce qu'elle disait, il remarqua les +plus belles dents et le plus gracieux +sourire. Mais il garda le secret de +cette découverte, et n'osa pas démentir +son premier jugement.</p> + +<p>Cependant un sentiment de curiosité +le rapprocha de madame de Saverny. +Placé entre elle et la princesse +de L..., il observa que Valentine +écoutait la musique en personne de +goût; et, dans ce qu'il put entendre +de ses réponses à la princesse, il reconnut +<span class="pagenum"><a name="Page_37" id="Page_37">37</a></span> +un choix d'expressions élégantes +et simples, qu'on rapporte +assez rarement de la province. Le +collier de madame de Nangis s'étant +dénoué, Valentine ôta ses gants pour +le rattacher, et laissa voir un bras +charmant. Le chevalier n'en fut pas +moins de l'avis de tous ceux qui se +refusaient à la trouver belle. Cependant +lorsque le concert finit, et que +madame de Nangis vint accompagnée +de plusieurs jolies femmes, le supplier +de chanter quelques-unes des +romances qu'il avait mises à la mode, +il parut ne céder qu'à leurs instances; +mais le fait est que madame de Saverny +fut la seule qui n'osât le prier, +et qu'il ne chanta que pour elle.</p> + +<p>Un long séjour en Italie avait +<span class="pagenum"><a name="Page_38" id="Page_38">38</a></span> +rendu M. d'Émerange fort bon musicien; +il avait une voix agréable, et +chantait avec goût. Sa prétention +était de ne paraître attacher aucune +importance à ses talents; mais, tout +en ayant l'air de se croire fort indigne +des applaudissements qu'on +lui prodiguait, il ne pardonnait pas +la critique. Malheur aux femmes qui +trouvaient ses romances mauvaises, +ou ses couplets mal rimés! on savait +bientôt le nombre de tous leurs ridicules.</p> + +<p>Aucune des personnes qu'avait +réunies madame de Nangis n'eut à +craindre cette vengeance de la part +du chevalier. L'enchantement fut général: +chaque couplet offrait une +application que ces dames interprétaient +<span class="pagenum"><a name="Page_39" id="Page_39">39</a></span> +à leur gré. Celles que la +flatterie du chevalier avait souvent +honorées de ses éloges, croyaient se +reconnaître dans tous les portraits +de ses bergères, le reste se lisait dans +ses yeux, et tous les amours-propres +étaient satisfaits. Madame de Saverny, +qui n'entendait rien à toutes +ces finesses, trouva simplement que +M. d'Émerange chantait bien; mais +elle n'osa le lui dire, tant la simplicité +de ce compliment aurait paru +froide, en comparaison de l'exagération +des éloges dont on se plaisait +à l'accabler.</p> + +<p>Madame de Saverny ne savait +pas encore combien le silence d'une +seule personne peut gâter un succès. +Elle aurait pu s'en apercevoir, si elle +<span class="pagenum"><a name="Page_40" id="Page_40">40</a></span> +avait remarqué de quel air le chevalier +répondait aux choses flatteuses +que lui adressait madame de Nangis. +Sa distraction et son mécontentement +étaient visibles; il ne pardonnait +point à une femme de province +de ne pas être transportée du plaisir +de l'entendre, et se disait: Il n'est +pas douteux que cette belle veuve +ait pour adorateur quelque petit gentilhomme +des environs de son château, +à qui elle a promis en partant +de ne s'amuser de rien dans son +absence; je suis sûr qu'elle va lui +écrire demain que je l'ai ennuyée à +périr, et s'en faire un mérite!» Cette +réflexion inspira plus de dépit au +chevalier que de dédain. Il décida +bien que madame de Saverny devait +<span class="pagenum"><a name="Page_41" id="Page_41">41</a></span> +être sotte et maussade; il ne lui en +aurait même rien coûté pour le dire, +mais il s'efforçait en vain de le penser; +car l'amour-propre rend plus +souvent injurieux qu'injuste.</p> + +<p>Cette soirée se termina pour Valentine, +au moment où l'on vint +annoncer le souper. Elle se retira +dans l'appartement qui lui était destiné. +Mademoiselle Julie l'y attendait +pour lui offrir ses services, et donner, +d'un ton protecteur, ses avis à +la petite Antoinette, qui lui paraissait +une femme-de-chambre bien +peu au fait des grands intérêts de la +toilette d'une jolie femme. Il est vrai +qu'Antoinette coiffait mal, et laçait +de travers, mais c'était bien la plus +honnête et la plus jolie de toutes les +<span class="pagenum"><a name="Page_42" id="Page_42">42</a></span> +jeunes filles de Saverny. Sa mère +avait élevé Valentine, et Antoinette +pouvait impunément mal habiller +sa maîtresse, sans lui donner l'envie +de la renvoyer. Cependant le séjour +de Paris exigeait plus de soins; et +mademoiselle Julie fut chargée par +la marquise du choix d'une seconde +femme-de-chambre, dont le premier +devoir serait de bien traiter Antoinette.</p> + +<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_IV" id="CHAPITRE_IV"></a>CHAPITRE IV.</h3> + +<p class="p2">Il était neuf heures du matin, lorsque +Valentine s'entendit réveiller +par une petite voix qui lui disait +assez bas: «Ma tante, dormez-vous?»—Ah! +<span class="pagenum"><a name="Page_43" id="Page_43">43</a></span> +c'est toi, ma chère Isaure! +viens, que je t'embrasse.—Je n'y +vois pas, je vais appeler Antoinette +pour ouvrir les volets.» A peine +Antoinette est entrée, qu'Isaure est +sur le lit de sa tante qui la serre +dans ses bras.—Comme tu es grandie +depuis six mois, chère enfant; +regarde-moi un peu! Tu as les mêmes +yeux que ton père!—Oh! cela n'est +pas possible, ma tante, car M. d'Émerange +me dit tous les jours que je +suis jolie, parce que je ressemble à +maman.—Ce monsieur peut avoir +raison, mais il ne saurait empêcher +que tu n'aies les yeux bleus de ton +père; au reste, peu m'importe qu'ils +soient noirs ou bleus. Si l'on te trouve +déja quelque ressemblance avec ta +<span class="pagenum"><a name="Page_44" id="Page_44">44</a></span> +mère, c'est que tu es probablement +aussi bonne qu'aimable.—Je le crois +bien; mon maître de piano est fort +content; et mon papa dit que si je +travaille toujours aussi bien, il me +fera jouer l'année prochaine devant +le monde.—L'année prochaine! +mais tu seras bien jeune encore.—Pas +si jeune, j'aurai sept ans. Miss +Birton dit qu'à cet âge-là on n'est +plus un enfant.—Qu'est-ce que c'est +que miss Birton?—C'est une nouvelle +gouvernante que maman m'a +donnée pour m'apprendre l'anglais; +mais je ne crois pas qu'elle reste +long-temps ici; elle se plaint toujours.—Tu +ne lui obéis peut-être pas +assez?—Ce n'est pas cela qui la +fâche; mais elle dit qu'on n'a point +<span class="pagenum"><a name="Page_45" id="Page_45">45</a></span> +assez d'égards pour elle: par exemple, +hier on ne l'a pas invitée au +concert; et elle m'a grondée toute la +soirée. Je pourrais bien la faire gronder +aussi, moi, si j'allais répéter tout +ce qu'elle disait hier de maman.—Ce +serait une méchanceté dont j'espère +qu'Isaure est incapable; c'est +déja trop de me le dire.</p> + +<p>Tout en écoutant le bavardage de +sa nièce, madame de Saverny s'habillait, +et se disposait à se rendre chez +sa belle-sœur pour s'informer de ses +nouvelles; mais Isaure lui apprit que +l'on n'entrait jamais chez sa mère +avant midi, elle ajouta: Je vais voir +si mon papa est dans son cabinet. +Je le préviendrai de votre réveil, et +nous viendrons déjeûner avec vous.</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_46" id="Page_46">46</a></span> +Elle revint bientôt accompagnée +de M. de Nangis, qui se livra tout +entier au plaisir de revoir sa sœur. +Il s'excusa de n'avoir pu le lui témoigner +la veille. Mais elle devait savoir +qu'un jour de réunion les étrangers +passent avant tout. Il lui parla dans +le plus grand détail des avantages +qu'elle pourrait retirer de son séjour +à Paris. Le premier de tous, à +ses yeux, était de faire faire à sa +sœur un grand mariage. Dans les +idées de M. de Nangis, le bonheur +n'était autre chose qu'un état brillant +dans le monde; et c'est dans la +franchise de son amitié, qu'il conseillait +à sa sœur de tout sacrifier au +projet d'un second établissement, digne +de sa fortune. Valentine avait +<span class="pagenum"><a name="Page_47" id="Page_47">47</a></span> +un sincère desir de se laisser diriger +dans sa conduite par son frère. Elle +rendait justice à ses bonnes qualités, +à l'esprit d'ordre qui le caractérisait; +mais elle se sentait incapable d'être +heureuse d'un bonheur qu'il lui aurait +choisi; leurs goûts étaient trop +différents.</p> + +<p>Madame de Saverny, docile sur +tous les petits intérêts de la vie, avait +cependant une volonté immuable. +On la voyait sans cesse soumettre +ses projets, ses plaisirs, aux caprices +de ses amis; mais aucun deux n'eût +obtenu le sacrifice d'un de ses sentiments. +Élevée dans la retraite la +plus austère, elle avait appris à mépriser +les joies et les tourments de +la vanité. Les religieuses, chargées +<span class="pagenum"><a name="Page_48" id="Page_48">48</a></span> +de son éducation, sachant que la +volonté de son père la condamnait à +vivre loin du monde, lui en avaient +fait un tableau effrayant; à force de +lui répéter que l'égoïsme et la perfidie +dirigeaient toutes les actions des +hommes, Valentine en avait conçu +tout naturellement une sorte de défiance +qui nuisait à son bonheur. +L'assurance d'une sincère amitié lui +semblait une politesse, l'éloge une +flatterie, et le serment un mensonge. +Cependant son ame tendre ne pouvait +se passer d'affections vives. Mais +la dévotion la plus exaltée les avait +toutes concentrées, jusqu'au moment +où M. de Saverny vint mériter son +attachement et sa reconnaissance, +et lui prouva qu'un homme, élevé +<span class="pagenum"><a name="Page_49" id="Page_49">49</a></span> +dans de bons principes, peut se conserver +vertueux au milieu du grand +monde; mais soit faiblesse, ou prudence, +il ne chercha point à détruire +les préventions qui la rendaient souvent +injuste envers les autres hommes. +Peut-être avait-il prévu qu'en +mettant son esprit à l'abri des dangers +de la séduction, elle n'en aurait +encore que trop à vaincre pour son +cœur. Une longue habitude du monde +avait démontré à M. de Saverny que +le plus grand malheur d'une femme +n'est pas de succomber au sentiment +qu'elle éprouve, mais au caprice +qu'elle inspire; et sa tendresse vraiment +paternelle pour Valentine, +avait voulu la préserver du malheur +si commun d'être dupe de la vanité +d'un fat ou de la légèreté d'un étourdi.</p> + +<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_50" id="Page_50">50</a></span></p> + +<h3><a name="CHAPITRE_V" id="CHAPITRE_V"></a>CHAPITRE V.</h3> + +<p class="p2">Les premiers jours qui suivirent +l'arrivée de madame de Saverny à +Paris, furent entièrement consacrés +à des visites de famille que son frère +avait exigées avant tout, et aux différentes +emplettes des chiffons que +madame de Nangis regardait comme +l'absolu nécessaire d'une femme élégante. +En personne qui n'a rien à +redouter des succès d'une autre, elle +se réjouissait de celui qu'obtiendrait +Valentine, lorsqu'elle paraîtrait pour +la première fois dans une grande +assemblée, revêtue d'une parure brillante +<span class="pagenum"><a name="Page_51" id="Page_51">51</a></span> +et recherchée, dont le bon goût +attesterait les soins qu'y aurait apportés +madame de Nangis, et le généreux +plaisir qu'elle trouvait à montrer +dans tout son éclat la beauté de +sa sœur. On se tromperait, si l'on +concluait d'après ce noble procédé, +que madame de Nangis fût incapable +d'envie: mais on est rarement jaloux +de son ouvrage; et l'idée que Valentine +lui devrait son triomphe, lui +en fesait partager d'avance la gloire.</p> + +<p>Le moment d'en jouir fut fixé au +jour que choisit la princesse de L... +pour donner un grand bal. L'effet +qu'y produisit la beauté de madame +de Saverny alla fort au-delà de ce +que s'en était promis sa belle-sœur. +C'était, disait-on, la taille la plus +<span class="pagenum"><a name="Page_52" id="Page_52">52</a></span> +svelte, le regard le plus séduisant, la +tournure la plus gracieuse et la plus +imposante. Les personnes dont l'esprit +malin s'était épuisé en bons +mots sur l'Artemise du concert de +Madame de Nangis, restaient confondues, +et ne pouvaient concevoir +que le seul talisman d'une parure +nouvelle eût eu le pouvoir d'opérer +une semblable métamorphose. Leur +malignité en était réduite à la triste +ressource d'avouer que la marquise +de Saverny était assez belle, mais +d'une beauté insignifiante. Ceux qui +ne l'avaient jamais vue, combattaient +avec raison cet avis injurieux; et +Valentine ne fut pas long-temps à +s'apercevoir qu'elle était l'objet de +l'attention générale. Sa modestie en +<span class="pagenum"><a name="Page_53" id="Page_53">53</a></span> +souffrit d'abord un peu, mais son +amour-propre jouit bientôt du plaisir +d'être admirée; elle en devint plus +agréable encore, car rien n'embellit +comme la certitude de plaire. Tant +d'hommages l'auraient peut-être un +peu trop enivrée, si elle n'avait entendu +dire à un homme qui passait +auprès d'elle:—Je me méfie de ces +Beautés si régulières; elles naissent +ordinairement sans esprit, et la +flatterie les rend stupides.—Cette +phrase, et le ton de mépris qui l'accompagne, +excitent la curiosité de +Valentine; elle veut connaître la +figure d'un censeur aussi sévère, se +retourne, et voit un homme dont +l'âge lui rappelle M. de Saverny, +mais dont les yeux brillants et les +<span class="pagenum"><a name="Page_54" id="Page_54">54</a></span> +traits marqués donnent à sa physionomie +une expression dure qui +inspire plutôt la crainte que la confiance. +Pour se venger de la sentence +qu'il vient de prononcer un peu trop +haut contre elle, madame de Saverny +se penche vers sa sœur, et lui demande +comment on nomme ce monsieur +si peu indulgent; c'est le commandeur +de Saint-Albert, répond +madame de Nangis, un original qui +se croit le droit de tout fronder, +parce qu'il est trop vieux pour s'amuser +de rien. C'est par égard pour l'ambassadeur +d'Espagne, dont il est +l'intime ami, qu'on l'invite par-tout. +Votre frère prétend que c'est un +homme de beaucoup de mérite, il +appelle son humeur de la fermeté, +<span class="pagenum"><a name="Page_55" id="Page_55">55</a></span> +et sa rudesse de la franchise; moi +qui ne fais aucun cas de ces vertus +désagréables, je le reçois le moins +possible. C'est dommage, reprit Valentine, +vous l'auriez sûrement guéri +de ses préventions.—Ces derniers +mots parvinrent aux oreilles du commandeur, +et lui firent soupçonner +qu'il avait été entendu de madame +de Saverny. Il en conclut qu'elle allait +le prendre en horreur, et fut très-étonné +de la voir empressée de causer +avec lui, lorsque M. de Nangis vint +lui en offrir l'occasion. Il fit la réflexion +toute simple, que la marquise +était bien aise de lui prouver la rigueur +de son jugement contre les +belles femmes. Il la trouva digne +d'une exception, mais il se garda +<span class="pagenum"><a name="Page_56" id="Page_56">56</a></span> +bien de lui en faire la confidence; +son éloignement pour toute espèce +de galanterie le rendait avare des +éloges les plus mérités. Sous prétexte +de ne point gâter les femmes, il parlait +de leurs défauts avec une ironie +dédaigneuse, qui le rendait redoutable; +et quand on lui en faisait le +reproche, il répondait que cette sévérité +lui avait plus rapporté depuis +qu'il était vieux, que tous les beaux +sentiments de sa jeunesse. En effet, +l'envie de se mettre à l'abri de ses +épigrammes rendait beaucoup de +femmes soigneuses envers lui, et lui +donnait le droit de croire qu'on les +captive plus par la crainte que par +la soumission.</p> + +<p>Il était déja tard lorsque le chevalier +<span class="pagenum"><a name="Page_57" id="Page_57">57</a></span> +d'Émerange, après avoir donné +l'inquiétude de ne le pas voir, arriva +enfin. Le plaisir de se faire attendre +avait pour lui tant de charmes, qu'il +manquait souvent à ses engagements, +dans l'unique espérance de s'entendre +raconter le lendemain avec +quelle impatience on l'avait attendu. +Pour cette fois, la présence de madame +de Saverny avait occupé tout +le monde, et l'absence du chevalier +n'avait été remarquée que d'un petit +nombre de personnes. En entrant +dans le premier salon, il fut étourdi +par les discours emphatiques des +admirateurs de Valentine. Pour +leur prouver qu'il ne partageait pas +leur enthousiasme, et qu'il l'avait +assez vue pour la bien juger, il affecta +<span class="pagenum"><a name="Page_58" id="Page_58">58</a></span> +de rester fort long-temps avant +d'entrer dans le salon où elle était, +et ne parut s'y décider que dans l'intention +d'aller saluer madame de +Nangis; mais madame de Saverny eut +son premier regard, et l'impression +qu'elle produisit sur lui fut d'autant +plus vive, qu'il s'efforça de la cacher. +A peine eut-il l'air de l'apercevoir. +Madame de Nangis qui commençait +à être importunée des hommages que +l'on prodiguait à sa sœur, sut bon +gré au chevalier de cette négligence, +et l'en récompensa en ne s'occupant +que de lui. Il parut quelque temps +ravi de cette préférence, mais quand +il s'aperçut que madame de Saverny +n'y prenait pas garde, et qu'elle semblait +écouter avec intérêt la conversation +<span class="pagenum"><a name="Page_59" id="Page_59">59</a></span> +du commandeur et de +quelques autres personnes qui l'entouraient, +il se fatigua de la gaîté de +madame de Nangis, et s'éloigna d'elle.</p> + +<p>Un attrait irrésistible le ramena +bientôt auprès de Valentine. Malgré +toutes ses résolutions, il sentit +le besoin de lui plaire, en forma le +projet, et s'appliqua à étudier les +moyens d'y parvenir. L'embarras +n'était pas de se conformer à ses +goûts, mais de les connaître; et le +chevalier résolut de se servir de l'esprit +de madame de Nangis, pour +apprendre à captiver celui de Valentine; +bien décidé à se faire les +opinions et le caractère qui devaient +le mieux séduire la femme auprès de +laquelle il desirait le plus de réussir.</p> + +<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_60" id="Page_60">60</a></span></p> + +<h3><a name="CHAPITRE_VI" id="CHAPITRE_VI"></a>CHAPITRE VI.</h3> + +<p class="p2">Malgré les profits qu'y trouvait +son amour-propre, Valentine ne +pouvait se soumettre long-temps aux +agitations d'une vie aussi dissipée. +Elle pria sa sœur de la laisser disposer +de ses matinées, qu'elle consacrait +ordinairement à l'étude, et +de la dispenser quelquefois de la +suivre le soir dans ces grandes assemblées +où l'ennui règne assez souvent; +mais lorsque madame de Nangis se +décidait à rester chez elle, Valentine +se fesait un devoir de lui tenir compagnie, +et de partager avec elle le +<span class="pagenum"><a name="Page_61" id="Page_61">61</a></span> +soin de faire les honneurs de sa +maison. M. d'Émerange, qui s'était +aperçu de cette résolution, ne manquait +pas de trouver quelques prétextes +pour engager madame de Nangis +à ne pas sortir. Tantôt il fesait +trop froid, les spectacles étaient détestables, +et d'ailleurs causait-on +quelque part aussi bien que chez elle! +Bonnes ou mauvaises, ces raisons +étaient toutes accueillies; madame +de Nangis les interprétait d'autant +plus en sa faveur, que le chevalier +redoublait de flatterie pour elle.</p> + +<p>Un soir que ces dames étaient +presque seules, il les surprit à rire +d'une visite fort ridicule qu'elles venaient +de recevoir. «Je crois que +c'est par égard pour moi, disait Valentine +<span class="pagenum"><a name="Page_62" id="Page_62">62</a></span> +à sa sœur, que vous attirez +chez vous ces sortes de caricatures. +Vous pensez me rendre mes plaisirs +de Nevers; eh bien! vous vous trompez: +nous n'avons en province rien +d'aussi parfait que cela.—Je ne sais +pas, dit M. d'Émerange, quels sont +les originaux qui ont le bonheur +d'exciter ainsi votre gaîté, mais je +défie bien Nevers d'en avoir d'aussi +ridicules que ceux qu'on rencontre +tous les jours à Paris.—Eh bien! je +gage, dit madame de Nangis, que +vous allez reconnaître les nôtres!—Ah! +je les devine, reprit le chevalier, +n'est-ce pas ce grand niais de +baron, qui traduit l'allemand sans +l'avoir appris, et fait des vers sur le +<i>oui</i>, le <i>non</i>, le <i>si</i>, le <i>car</i>, enfin sur +<span class="pagenum"><a name="Page_63" id="Page_63">63</a></span> +tous les monosyllabes de la langue +française. Sa petite femme a des yeux +rouges, et des mains noires, dignes +d'exercer la muse de son mari. C'est +lui qui imagina un jour de s'habiller +en sauvage pour jouer un proverbe +qu'il avait composé en l'honneur de +la fête de la jolie duchesse de R***. +Il avait emprunté, pour ajouter à la +vérité de son costume, une perruque +de bête féroce, qui produisait un +effet si bizarre sur sa figure moutonne, +qu'il fut impossible de modérer +les éclats de rire, et d'entendre +un seul mot de sa pièce. Ah! c'est +un homme précieux que je me ferai +toujours un vrai plaisir de rencontrer!—N'ayez +pas de regret, ce +n'est pas lui que nous avons vu.» +<span class="pagenum"><a name="Page_64" id="Page_64">64</a></span> +Alors le chevalier passa en revue +tous les gens auxquels il trouvait ou +donnait des ridicules. Madame de +Saverny, sans reconnaître ses portraits, +ne pouvait s'empêcher d'en +rire. Il en conclut que sa malice +l'amusait, et en devint plus piquant. +Cependant un mot de madame de +Nangis le fit changer de ton.—«Ne +vous l'avais-je pas bien dit, Valentine, +que la gaîté de M. d'Émerange +triompherait de tous les genres de +tristesse? Vous qui vantez si bien les +charmes de la mélancolie, avouez +que le plaisir de rêver ne vaut pas +celui de rire.» Il n'en fallut pas +davantage pour faire changer de rôle +au chevalier: il amena avec adresse +la conversation sur des sujets plus +<span class="pagenum"><a name="Page_65" id="Page_65">65</a></span> +graves, raconta, sans affectation, +quelques traits d'une sensibilité touchante, +et jouit du plaisir de se voir +écouté avec intérêt par Valentine. +Madame de Nangis, que le chevalier +n'avait pas accoutumée à des entretiens +de ce genre, lui en témoigna +son étonnement, en disant: «Serait-il +bien indiscret de vous demander +où vous avez lu tout cela? en vérité, +le chevalier de Florian ne nous dirait +rien d'aussi pathétique, et je ne vous +aurais jamais soupçonné de sentiments +si doux.—Voilà bien de +vos jugements, répartit le chevalier +avec impatience; parce qu'il est reçu +dans le monde qu'on ne doit parler +qu'avec son esprit, vous en concluez +qu'on a le cœur sec. Ne savez-vous +<span class="pagenum"><a name="Page_66" id="Page_66">66</a></span> +pas que l'on passe sa vie à afficher +ses défauts qu'on n'a point. Vous, +qui me raillez, je vous ai vue cent +fois vous parer d'une légèreté factice, +et tourner en plaisanterie le trait qui +provoquait le mieux votre attendrissement. +Sur ce point nous sommes +tous plus ou moins hypocrites.» +Madame de Nangis se trouva blessée +de cette réponse, et plus encore du +mouvement d'humeur qui semblait +l'avoir dictée. Elle s'en vengea par +des épigrammes, dont Valentine essaya +d'adoucir l'amertume par des +mots conciliants. Tout en conservant +les formes de la plus stricte politesse, +la querelle devint très-vive, +et laissa des impressions fâcheuses +dans l'esprit de la comtesse; elle +<span class="pagenum"><a name="Page_67" id="Page_67">67</a></span> +soupçonna pour la première fois au +chevalier le desir de plaire à sa belle-sœur, +et l'accusa, intérieurement, +d'avoir la fatuité de paraître la sacrifier +à sa passion naissante. Elle en +conçut d'abord une juste indignation; +car la comtesse se croyait +exempté de tous reproches, par la +seule raison que sa conscience était +en repos sur les droits du chevalier. +Comme toutes les coquettes, elle +comptait pour rien le malheur de se +compromettre, et s'indignait qu'on +pût la soupçonner d'un tort dont +elle se donnait toutes les apparences.</p> + +<p>Le retour de M. de Nangis termina +toute discussion; il avait dîné +chez l'ambassadeur d'Espagne, où +l'on avait beaucoup parlé de madame +<span class="pagenum"><a name="Page_68" id="Page_68">68</a></span> +de Saverny: son frère la félicita d'avoir +fait la conquête la plus difficile; +celle du vieux commandeur de Saint-Albert.—C'est +un homme bizarre, +dit le chevalier, mais qui n'a jamais +manqué de goût.—Il ne l'use pas, +repartit la comtesse, car il n'aime personne.—Si +vous l'aviez entendu +parler de Valentine, reprit M. de +Nangis, vous auriez meilleure idée +de son cœur.—Il me semble, ajouta +le chevalier, qu'il ne devait pas moins +à Madame, pour la complaisance +qu'elle a eue de l'écouter toute une +soirée.—Ce n'était point par complaisance, +répondit Valentine, je +puis vous l'assurer, sa conversation a +je ne sais quel attrait de franchise +qui la rend très-attachante.—Il est +<span class="pagenum"><a name="Page_69" id="Page_69">69</a></span> +certain, interrompit la comtesse, +que si vous mettiez du blanc, il +n'aurait pas manqué de vous le dire, +car il n'a jamais gardé le secret d'une +chose désagréable.—Il paraît, reprit +M. de Nangis, que Valentine l'a +corrigé du défaut de médire, car, +après en avoir fait l'éloge, il a ajouté +que c'était la première femme qu'il +eût jugée digne de tourner la tête +d'un honnête homme, et que rien ne +lui semblait aussi raisonnable que de +beaucoup l'aimer.—Je ne me croyais +pas si sage, dit le chevalier, de manière +à n'être entendu que de Valentine.</p> + +<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_70" id="Page_70">70</a></span></p> + +<h3><a name="CHAPITRE_VII" id="CHAPITRE_VII"></a>CHAPITRE VII.</h3> + +<p class="p2">Monsieur d'Émerange se retira +convaincu de l'impression que son +dernier mot avait dû produire sur +Valentine, mais il se reprocha de lui +avoir trop tôt laissé connaître celle +qu'elle avait faite sur lui; et, pour +réparer autant qu'il était en son +pouvoir une faute aussi grave, il +résolut de passer deux jours entiers +sans voir ces dames. Par ce moyen +il croyait prouver à madame de Saverny, +qu'il n'en était pas au point +de n'être heureux qu'en sa présence, +et à madame de Nangis, qu'il ne lui +<span class="pagenum"><a name="Page_71" id="Page_71">71</a></span> +donnerait jamais le droit de l'offenser +impunément. Ce calcul ne +réussit qu'auprès de la dernière, car +Valentine n'avait pas eu l'idée de +prendre au sérieux la furtive déclaration +du chevalier; elle la mit au +nombre de ces mots galants qu'il +savait dire avec tant de grace, et +n'en conserva aucun souvenir.</p> + +<p>Madame de Nangis était loin de +partager cette indifférence; le moindre +mot du chevalier avait la puissance +de déranger son humeur; tout +de sa part la flattait ou la blessait, +et dans cette occasion son absence +lui parut une insulte. Il devait bien +présumer que le lendemain de cette +petite scène, elle aurait la migraine, +et il n'envoya même point savoir de +<span class="pagenum"><a name="Page_72" id="Page_72">72</a></span> +ses nouvelles. Ce procédé faillit la +rendre vraiment malade, et quand +M. de Nangis vint la conjurer, le +surlendemain, de ne pas manquer +à l'engagement qu'elle avait pris de +dîner le même jour chez une de leurs +vieilles parentes, elle eut besoin de +tout son courage pour se résigner à +remplir un devoir aussi ennuyeux.</p> + +<p>Valentine la voyant un peu souffrante, +lui donna tous les soins de +la plus tendre amitié, et s'offrit de +l'accompagner. On partit de bonne +heure, pour se conformer à l'ancienne +habitude qu'avait la présidente +de C..., de dîner à l'heure du +marais; et l'on arriva bientôt dans +la cour de l'hôtel le plus gothique +et le plus triste de Paris. Un vieux +<span class="pagenum"><a name="Page_73" id="Page_73">73</a></span> +laquais, posté au haut d'un grand +escalier, donna le signal de l'arrivée +de la comtesse, et l'on vit aussitôt +un grand nombre de serviteurs invalides +s'empresser d'ouvrir avec peine +les battants d'une longue enfilade de +portes. Les convives, déja réunis autour +du fauteuil de la présidente, +offraient l'image la plus imposante +d'une assemblée de famille dont on +aurait exclu les jeunes héritiers. Valentine +fut accueillie par ce cercle +vénérable avec tout le cérémonial +d'une présentation. La présidente la +traitait avec la considération que méritait +à ses yeux la veuve d'un vieux +gentilhomme, et se contentait de +parler à Madame de Nangis, avec l'air +protecteur qu'on a pour un enfant. +<span class="pagenum"><a name="Page_74" id="Page_74">74</a></span> +Il faut convenir qu'elle en avait alors +toute la maussaderie. Comme elle ne +fesait aucun effort pour dissimuler +son ennui, chacun pouvait deviner +qu'il ne devait l'avantage de la voir +qu'à sa déférence aux volontés de +son mari; et personne ne lui savait +gré d'un sacrifice fait d'aussi mauvaise +grace.</p> + +<p>Valentine, douée d'un meilleur esprit, +savait tirer parti de celui de +tout le monde. S'amusant de la gaîté, +de la folie même, qui animent souvent +la conversation des jeunes gens, +elle s'intéressait à celle des savants +et s'instruisait à celle des vieillards.</p> + +<p>En achevant son éducation, M. de +Saverny lui avait appris cette politesse, +qui consiste encore plus à écouter +<span class="pagenum"><a name="Page_75" id="Page_75">75</a></span> +avec intérêt, qu'à répondre avec +bienveillance. Il n'avait rien oublié +de ce qui pouvait ajouter au charme +des qualités précieuses de Valentine; +et son plus grand regret en mourant, +fut d'ignorer à quel heureux +mortel il léguait une femme aussi +aimable.</p> + +<p>Le mérite de madame de Saverny +fut apprécié des amis de la présidente, +et quand le dîner fut fini, +on se disputa l'honneur de faire +sa partie. Madame de Nangis avait +grande envie de se soustraire aux +lenteurs d'un boston, qui menaçait +de remplir la soirée, mais elle y fut +condamnée par un regard de son +mari, dont la sévérité, pour tous ces +petits devoirs de société, ne pouvait +<span class="pagenum"><a name="Page_76" id="Page_76">76</a></span> +se comparer qu'à son indulgence +pour de plus grands travers. La comtesse +se promit bien de n'obéir qu'à +moitié à cet ordre; elle savait que +M. de Nangis devait se trouver le +même soir à un rendez-vous chez le +ministre des affaires étrangères, et dès +qu'il fut parti, elle prétexta une subite +indisposition, fit des excuses sur +la nécessité de se retirer, et demanda +sa voiture. Valentine, la croyant vraiment +indisposée, la suit avec inquiétude, +et l'engage à se mettre au lit +aussitôt qu'elles seront de retour; +mais elle est interrompue dans ses +avis charitables par un grand éclat +de rire de la comtesse, qui tire le +cordon de sa voiture, et dit à ses +gens:—A l'opéra.—Comment à +<span class="pagenum"><a name="Page_77" id="Page_77">77</a></span> +l'opéra? s'écria Valentine: mais vous +n'êtes donc pas malade?—Bonne +raison! C'est surtout quand on est +malade que l'on a besoin de se distraire.—Mais +si vous alliez y souffrir +davantage.—Je ne saurais être +nulle part aussi mal qu'au milieu de +tous ces vieux contemporains de ma +tante. Mais en vérité je vous admire: +comment trouviez-vous quelque +chose à dire à ces gens-là; moi, je +ne sais pas assez bien mon histoire +de France pour causer avec eux, car +je suis sûre que le plus jeune était +page de Louis XIV.—Je n'ai pas le +droit d'être aussi difficile que vous, +reprit Valentine, et je supporte assez +patiemment un moment d'ennui. Cependant, +je sens que la gravité du +<span class="pagenum"><a name="Page_78" id="Page_78">78</a></span> +Marais me paraîtrait bientôt insipide, +s'il me fallait en souffrir plus +d'un jour.—Cela ressemble pourtant +assez à la province.—C'est possible, +mais à la campagne on n'a +aucune idée de cette manière de vivre, +et vous savez que j'y passais +l'année entière.—Sans vous ennuyer? +Voilà qui est miraculeux. Je +n'ai jamais pu rester plus de trois +mois dans mes terres, malgré le soin +que je prenais d'y amener beaucoup +de monde; je frémis déja de l'idée +d'y aller ce printemps; et, sans le +projet que nous avons d'y jouer la +comédie, j'aurais bien de la peine à +tenir la promesse que j'ai faite à +votre frère de l'y accompagner.—Si +vous lui disiez à quel point cela vous +<span class="pagenum"><a name="Page_79" id="Page_79">79</a></span> +contrarie, je suis sûre qu'il ne l'exigerait +pas.—Ah! vous le connaissez +bien peu, si vous ne savez pas quelle +importance il attache à ma présence +au château de Varenne, à l'époque +de la fête du Village. Ne faut-il pas +que je sois le témoin de cette grande +solennité, et que je prenne ma part +des honneurs qu'on lui rend. J'avoue +que je la lui céderais de bon +cœur, car je ne connais rien de si +fastidieux que cette parodie des fêtes +de souverains où l'on se fait rendre +une partie de l'encens qu'on dépense +à la cour.»</p> + +<p>Ici la portière s'ouvrit, et ces +dames descendirent à l'Opéra. Madame +de Nangis, qui ne se souciait +pas d'être vue dans sa loge, entra +<span class="pagenum"><a name="Page_80" id="Page_80">80</a></span> +dans celle de la princesse de L..., +tourna le dos au théâtre, et se mit +à chercher des yeux auprès de quelle +jolie femme le chevalier d'Émerange +tentait de se venger d'elle.</p> + +<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_VIII" id="CHAPITRE_VIII"></a>CHAPITRE VIII.</h3> + +<p class="p2">La princesse était ce soir-là à Versailles, +et sa loge resta à la disposition +de madame de Nangis, qui eut +le chagrin de n'y recevoir personne. +On donnait Armide, et Valentine se +livrait au plaisir d'entendre ce chef-d'œuvre, +qui réunit tous les genres +de perfection, lorsque la comtesse +lui dit de contempler le plus beau +<span class="pagenum"><a name="Page_81" id="Page_81">81</a></span> +visage qu'elle ait vu de sa vie. Imaginant +que sa sœur lui désigne une +femme, elle regarde dans la loge +qu'elle lui indique, et ses yeux rencontrent +ceux d'un jeune homme +dont la figure était en effet remarquable. +Honteuse d'avoir été surprise +dans ce mouvement de curiosité par +celui qui l'excitait, elle rougit, baisse +les yeux, et, sans oser le considérer +davantage, elle répond à sa sœur +qu'elle est de son avis. «C'est probablement +quelque étranger, dit la +comtesse, car un homme de cette +tournure-là serait déja connu de tout +Paris, s'il y était seulement depuis +deux mois. Vous, qui dessinez si bien, +vous devez trouver que c'est un beau +portrait à faire.» Valentine essaya +<span class="pagenum"><a name="Page_82" id="Page_82">82</a></span> +une seconde fois de vérifier si l'admiration +de madame de Nangis était +fondée; mais le même regard qui +l'avait déja troublée l'empêcha d'en +voir davantage. Elle se décida à croire +sa belle-sœur sur parole. La comtesse +ne se lassait point de comparer +les traits de cet étranger à ceux des +plus belles têtes grecques, mais elle +en perdit bientôt le souvenir, tandis +que Valentine, qui les avait à peine +entrevus, se les rappelait encore.</p> + +<p>Au commencement du quatrième +acte, madame de Nangis, n'ayant pas +aperçu le chevalier, et présumant +qu'il pourrait peut-être venir chez +elle, proposa à Valentine de s'en +aller pour éviter les embarras de la +sortie de l'opéra, et l'inconvénient +<span class="pagenum"><a name="Page_83" id="Page_83">83</a></span> +d'être obligée d'accepter la main de +quelque ennuyeux. Valentine émue +par le bonheur d'Armide, regretta +vivement de ne point entendre ses +touchantes plaintes, et se promit de +revenir à la prochaine représentation +de ce bel ouvrage.</p> + +<p>Pendant que ces dames attendaient +sous le vestibule, elles virent descendre +du grand escalier deux hommes, +dont le plus jeune fut bientôt +reconnu; l'autre paraissait âgé de +cinquante ans, c'était l'ancien gouverneur +ou plutôt l'ami d'Anatole, +de ce jeune étranger qu'avait remarqué +la comtesse. Un hasard heureux, +si l'on peut appeler ainsi ce +desir vague qui entraîne à suivre les +pas d'une jolie personne, avait heureusement +<span class="pagenum"><a name="Page_84" id="Page_84">84</a></span> +amené ces messieurs au +moment où l'on vint avertir madame +de Nangis que son carrosse l'attendait. +Valentine exige qu'elle y monte +la première, et s'élance pour la +suivre, lorsque les chevaux qui n'étaient +retenus que par un cocher +ivre, partent comme un éclair, entraînent +le laquais qui tenait la portière; +et Valentine tombe sous les +pieds des chevaux d'une voiture qui +se trouvait derrière celle de la comtesse. +Elle allait en être atteinte, +quand un homme se précipite sur +le timon de cette voiture, en reçoit +un coup violent, repousse avec +effort les chevaux que les cris animaient, +et relevant Valentine, il la +porte évanouie sous le vestibule. Au +<span class="pagenum"><a name="Page_85" id="Page_85">85</a></span> +même instant, les gens de madame +de Nangis reviennent suivis du carrosse, +pour la chercher. On l'y transporte, +après s'être assuré que la +frayeur est seule cause de l'état où +elle est, sans s'inquiéter de celui où +on laisse l'homme qui l'a sauvée.</p> + +<p>Un flacon de sels que portait toujours +la comtesse, ranima bientôt +les esprits de Valentine: elle s'efforça +de tranquilliser sa belle-sœur, dont +les inquiétudes étaient d'autant plus +vives, qu'elle se reprochait le caprice +qui l'avait conduite à l'opéra en dépit +de tout, et s'accusait du malheur +de Valentine. C'est en pareille occasion +que l'on pouvait juger de la +bonté du cœur de madame de Nangis, +et lui pardonner tous les travers de +<span class="pagenum"><a name="Page_86" id="Page_86">86</a></span> +son esprit. Rien n'égalait sa touchante +sollicitude pour un ami souffrant, +ni sa générosité pour un ami +malheureux. Alors tous les intérêts +d'amour-propre qui la gouvernaient +dans le monde, étaient sacrifiés au +desir d'obliger. Souvent envieuse du +bonheur des autres, le malheur la +trouvait toujours noble et courageuse. +Et l'on peut dire que le tort +d'abandonner ses amis dans la disgrace, +était la seule mode qu'elle ne +suivit pas.</p> + +<p>De retour à l'hôtel, madame de +Nangis raconta franchement à son +mari ce qui lui était arrivé à l'opéra, +en lui disant que ses reproches ne +sauraient aller au-delà de ceux +qu'elle se fesait à elle-même. Aussi +<span class="pagenum"><a name="Page_87" id="Page_87">87</a></span> +ne lui en adressa-t-il aucun, dans +la crainte d'ajouter au chagrin dont +elle était pénétrée en pensant au +danger qu'avait couru sa sœur. Elle +desirait passer la nuit auprès de son +lit, mais Valentine n'y voulut pas +consentir. Elle assurait n'éprouver +d'autre effet de sa chûte qu'un peu +de courbature et un tremblement +dans les nerfs causé par la frayeur. +Comme il ne lui restait qu'un souvenir +confus de cet événement, elle +ne put satisfaire aux questions que +son frère lui fit à ce sujet; et l'on +sonna Richard, qui en avait été témoin, +pour lui en demander les +détails. Il raconta d'abord simplement +le fait, mais quand il vint à +dépeindre celui qui s'était si courageusement +<span class="pagenum"><a name="Page_88" id="Page_88">88</a></span> +précipité au secours de la +marquise, madame de Nangis s'écria: +«Il n'en faut pas douter, ma chère, +c'est notre bel étranger, et voilà un +commencement de roman dans les +formes. Vous êtes charmante, il est +beau comme Apollon, vous ne l'avez +jamais vu, il vous sauve la vie; +c'est la perfection du genre. Mais ne +faudra-t-il pas connaître un peu votre +héros? Qu'est-il devenu, Richard, +après notre départ?—Comme il +me fallait suivre madame, je n'ai +guère eu le temps de le savoir. J'ai +seulement vu deux domestiques avec +une livrée que je ne connais pas, +transporter dans une belle voiture +le jeune homme qui avait relevé +madame la marquise. Ils étaient suivis +<span class="pagenum"><a name="Page_89" id="Page_89">89</a></span> +d'un vieux monsieur qui se désespérait, +en disant: «Le malheureux +a l'épaule cassée.» Et je crois que cela +se pourrait bien, car à la manière +dont il s'est jeté sur les chevaux, il +doit avoir reçu un violent coup de +timon.» Valentine fut saisie d'effroi +en apprenant l'affreux accident dont +le sien était cause; elle donna l'ordre +qu'on s'informât à qui elle avait tant +d'obligation, et se promit de ne rien +négliger pour lui en témoigner sa +reconnaissance. M. de Nangis qui +partageait ce sentiment, s'engagea à +faire des démarches pour apprendre +le nom de cet étranger, et l'aller +remercier d'une action aussi généreuse.</p> + +<p>L'esprit trop agité de cet événement, +<span class="pagenum"><a name="Page_90" id="Page_90">90</a></span> +Valentine passa la nuit sans +dormir. Elle médita sur le hasard +qui avait conduit ce jeune homme à +sortir de l'Opéra en même temps +qu'elle, et sur le mouvement d'humanité +qui l'avait porté à tout risquer +pour la sauver. Une grande ame +pouvait seule être susceptible d'un si +noble désintéressement; et Valentine +se plaisait à faire l'énumération de +toutes les qualités qui dérivent de +celle-là. Son imagination, exaltée +par la reconnaissance, se peignait +toutes les vertus réunies dans celui +qui venait de lui offrir la preuve +d'un cœur aussi compatissant; elle +aurait voulu trouver quelque ingénieux +moyen de l'en remercier, sans +être obligée d'avoir recours à ces +<span class="pagenum"><a name="Page_91" id="Page_91">91</a></span> +phrases vulgaires qu'on adresse également +à l'homme qui vous sauve +la vie, et à celui qui ramasse votre +éventail. Mais l'idée de se trouver +en présence de cet étranger l'embarrassait; +elle sentait que sa jeunesse +et les agréments qui le distinguaient, +intimideraient sa reconnaissance, +et le trouble qui naissait +de ces diverses réflexions la jetait +dans des pensées vagues, que rien +ne pouvait ni fixer ni distraire.</p> + +<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_IX" id="CHAPITRE_IX"></a>CHAPITRE IX.</h3> + +<p class="p2">Le malheureux cocher dont l'imprudence +avait causé tout ce désastre, +fut impitoyablement chassé. Valentine +<span class="pagenum"><a name="Page_92" id="Page_92">92</a></span> +tenta vainement de demander +sa grace; M. de Nangis ne se laissa +point fléchir; mais le pauvre Saint-Jean, +en quittant la maison, reçut +de madame de Saverny, pour consolation, +quelques louis, et l'assurance +de sa protection. Mademoiselle +Cécile, la nouvelle femme de +chambre de la marquise, qui avait +été chargée de remplir cette commission +auprès de lui, y joignit la +promesse de rappeler à sa maîtresse +les recommandations qu'elle lui avait +fait espérer dès qu'il trouverait à se +placer.</p> + +<p>L'accident arrivé à Valentine fit +bientôt assez de bruit pour que l'on +envoyât de toutes parts s'informer de +ses nouvelles. Elle fut accablée de +<span class="pagenum"><a name="Page_93" id="Page_93">93</a></span> +visites, et en supporta patiemment +l'importunité, dans l'espérance d'apprendre +le nom de celui qu'elle desirait +tant connaître. Mais personne +ne se trouvait avoir d'ami à qui il fût +arrivé une semblable aventure; et +les questions de Valentine n'eurent +pas plus de succès que les démarches +de son frère. Pour expliquer ce mystère, +on décida que Richard s'était +trompé en croyant ce jeune homme +grièvement blessé, et que c'était +probablement un étranger qui ne +devait pas séjourner à Paris, et que les +suites de cet événement n'y avaient +pas retenu. Cette explication suffit +à tout le monde, excepté à Valentine, +qui ne la trouva pas assez positive +pour la dispenser de toutes +<span class="pagenum"><a name="Page_94" id="Page_94">94</a></span> +recherches. On lui dit que le commandeur +de Saint-Albert avait envoyé +son valet de chambre s'informer +de l'état où elle se trouvait, quelques +moments après qu'on l'eut ramenée +de l'opéra. Cette circonstance la +frappa, elle était sûre de n'avoir +point vu le commandeur au spectacle; +et il n'y avait à la sortie que +les deux personnes dont elle desirait +tant savoir le nom: elle pensa donc +que le commandeur n'avait pu être +aussitôt instruit de sa chûte que par +le récit de l'une de ces deux personnes, +et conçut l'espérance d'apprendre +de lui tout ce qui pouvait satisfaire +sa curiosité. Le motif en était trop +noble pour le cacher; et Valentine +écrivit un billet au commandeur, +<span class="pagenum"><a name="Page_95" id="Page_95">95</a></span> +pour l'inviter à venir la voir un instant. +Mais on fit répondre qu'il était +à la campagne, et n'en reviendrait +que dans huit jours. Il fallut se résigner +à attendre, et peut-être à +paraître ingrate, lorsqu'on était pénétrée +d'une si vive reconnaissance.</p> + +<p>Le chevalier d'Émerange n'avait +pas manqué cette occasion de donner +des preuves d'intérêt à madame +de Saverny; mais ne voulant plus se +compromettre avant de savoir l'effet +que produiraient ses soins, il se renferma +dans les expressions d'une politesse +affectueuse. La préoccupation +de Valentine lui parut d'un bon +augure, il ne supposa point qu'un +autre pût en être l'objet, et répondit +sans méfiance aux questions de madame +<span class="pagenum"><a name="Page_96" id="Page_96">96</a></span> +de Nangis, quand elle lui demanda +s'il n'avait pas rencontré dans +le monde celui qu'elle appelait en +riant, <i>le bel Étranger</i>. Le chevalier +dit qu'il était poursuivi par ce personnage +mystérieux qu'il n'avait jamais +vu, et dont tout le monde lui +demandait le nom. Il ajouta qu'étant +arrivé quelques jours avant aux Tuileries, +il avait été accosté par une +foule de gens qui avaient tous compté +sur lui pour leur apprendre ce qu'était +un homme fort remarquable par +la noblesse de sa taille et de ses traits, +et qui venait de monter à cheval, +après s'être promené quelque temps +avec un de ses amis. «Je vous avoue, +poursuivit le chevalier, que cette +curiosité me parut trop ridicule pour +<span class="pagenum"><a name="Page_97" id="Page_97">97</a></span> +la partager: je m'en fais le reproche, +actuellement que je soupçonne ce +beau monsieur d'être votre héros. +Cependant, calmez vos regrets par +le souvenir de madame de V..., qui +fut sauvée du feu dans une auberge, +par le plus bel homme de France, +dont elle devint folle, et qui aurait +peut-être fait la passion de sa vie, +si elle n'avait pas eu l'idée d'aller un +jour acheter une robe de satin dans +je ne sais quelle boutique à Lyon, +où son libérateur déroulait des étoffes +au public avec une grace toute particulière.—Ah! +quelle chûte horrible, +s'écria la comtesse, quelle +affreuse découverte!—Pour l'amour +peut-être, dit Valentine, mais pour +la reconnaissance, je ne vois pas ce +<span class="pagenum"><a name="Page_98" id="Page_98">98</a></span> +qui rendrait honteuse d'en témoigner +à un marchand d'étoffes?—Certainement, +reprit le chevalier, +il n'y a là rien de honteux, mais il +est toujours gênant d'avoir des obligations +à des gens trop fiers pour +recevoir de l'argent, et trop pauvres +pour être vos amis. On ne sait comment +s'acquitter, et l'on devrait exiger +d'un garçon de boutique, qui +vous rend un pareil service, d'ajouter +au bas de son mémoire; Tant +pour avoir sauvé la vie de madame.» +On rit de cette idée folle, et le +chevalier parvint à jeter tant de +ridicule sur ces prétendus héros +mystérieux, toujours prêts à braver +quelque danger, que personne n'osa +dire un mot en faveur de celui qui +s'était exposé pour Valentine.</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_99" id="Page_99">99</a></span> +La société de madame de Nangis +était en général dominée par l'esprit +de M. d'Émerange. Les jeunes gens le +prenaient pour modèle, et croyaient +imiter son élégance en singeant ses +manières. Comme tous les imitateurs, +ils fesaient rarement un juste emploi +des défauts ou des agréments +qu'ils lui empruntaient; l'un, séduit +par l'ironie piquante qui égayait sa +conversation, sans choquer les convenances, +se moquait lourdement +des choses les plus sacrées, croyant +imiter la grace avec laquelle le chevalier +semblait se sacrifier en fesant +l'aveu de ses défauts. Un autre se +vantait de vices abominables. Tous +exagéraient son affectation à plaire +sans aimer; ils traduisaient son naturel +<span class="pagenum"><a name="Page_100" id="Page_100">100</a></span> +en familiarité, son indifférence +en impolitesse, et son enthousiasme +en fureur. C'était enfin le chef le +plus séduisant d'une école détestable. +Les vieux parents de ces jeunes +étourdis, accusant le chevalier de +leurs travers, essayaient vainement +de les éloigner d'un modèle aussi +dangereux. Dans le dépit de voir +leurs conseils méprisés, ils formaient +un parti d'opposition contre le chevalier, +que celui-ci s'amusait quelquefois +à gagner par des prévenances +flatteuses et des témoignages d'une +estime particulière. Personne ne savait +mieux que lui, pour ainsi dire, +<i>jouer</i> de l'amour-propre des autres; +son talent allait jusqu'à s'attirer +la protection de la présidente +<span class="pagenum"><a name="Page_101" id="Page_101">101</a></span> +de C..., qui arrivait toujours chez +sa nièce avec l'intention de l'engager +à recevoir moins souvent un +homme dont les assiduités finiraient +par la compromettre, et qu'un éloge +adroitement indirect, ou l'apologie +de quelque orateur du parlement, +rendait aussi indulgente pour le chevalier, +qu'elle s'était promise d'être +sévère. Quant aux autres femmes +de la société de madame de Nangis, +elles en pensaient du bien ou du +mal, en raison du plus ou moins +de soins qu'elles en recevaient. Madame +de Réthel était la seule qui se +piquât sur ce point d'une noble +indépendance; elle écoutait sans impatience +comme sans intérêt, et +s'amusait parfois des moyens qu'elle +<span class="pagenum"><a name="Page_102" id="Page_102">102</a></span> +lui voyait employer pour parvenir +à son but. Aussi le chevalier avait-il +pour elle autant de haine que +d'égards. C'est ainsi que les gens habitués +à dominer pardonnent plutôt +au censeur qui les fronde, qu'au sage +qui les observe.</p> + +<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_X" id="CHAPITRE_X"></a>CHAPITRE X.</h3> + +<p class="p2">Au bout de huit jours le commandeur +de Saint-Albert revint de la +campagne, et son premier soin, en +arrivant, fut de se rendre à l'invitation +de madame de Saverny. Elle +était seule quand il se fit annoncer +chez elle; l'entretien tomba naturellement +<span class="pagenum"><a name="Page_103" id="Page_103">103</a></span> +sur le danger qu'elle avait +couru. «J'ai bien regretté, dit le commandeur, +de ne pouvoir vous témoigner, +madame, à quel point je partageais +les inquiétudes de vos amis, +mais un devoir impérieux me retenait +à dix lieues d'ici, auprès d'un +malade; cela ne m'a point empêché +d'avoir tous les jours de vos nouvelles.—Je +ne méritais pas tant de +sollicitude, dit Valentine; ce n'est +pas moi qui ai souffert des suites de +cet événement, mais on assure que +la personne à qui j'ai tant d'obligation, +est dangereusement blessée. A +ces mots la physionomie de M. de +Saint-Albert prit un air si triste, que +Valentine ajouta, avec émotion: Ah! +mon Dieu! serait-ce un de vos amis?—Que +<span class="pagenum"><a name="Page_104" id="Page_104">104</a></span> +je le connaisse ou non, reprit-il, +en s'efforçant de paraître +calme, il a fait une action très-simple, +et quand il lui en coûterait +quelque chose pour vous avoir secourue, +il ne serait pas fort à plaindre.—Certainement +il ne le serait +pas plus que moi, car l'idée de +savoir que je puis être cause d'un +semblable malheur, ne me laisse +aucun repos. Encore si je pouvais +découvrir à qui j'en dois témoigner +ma reconnaissance.—Il serait trop +récompensé vraiment, s'il était témoin +de votre inquiétude; mais ce +n'est peut-être, de votre part, qu'un +peu de curiosité. Ne vous blessez +pas de cette supposition, ajouta-t-il, +en remarquant l'air offensé de Valentine; +<span class="pagenum"><a name="Page_105" id="Page_105">105</a></span> +il est aussi naturel de vouloir +connaître son bienfaiteur, que +de l'oublier; passez-moi de grace ces +petites vérités-là; j'aime à penser +qu'elles n'en sont pas pour vous, +mais l'habitude m'emporte: j'ai tant +vu le monde, qu'il me reste bien +peu d'illusion sur les motifs qui le +font agir; j'ai surtout le tort de les +dire aussitôt que je les devine, même +au risque de me tromper; et je vous +demande, pour ma franchise, la +même indulgence que l'on accorde +ordinairement à la dissimulation.—Ce +ne serait pas beaucoup exiger +de moi, car je hais tout ce qui trompe; +mais si je réclame toute la sévérité +de votre franchise, je ne veux pas +qu'elle me calomnie.—Vous me +<span class="pagenum"><a name="Page_106" id="Page_106">106</a></span> +croyez donc injuste?—En ce moment, +par exemple.—Eh bien! tant +mieux, vous vous défendrez et vous +me verrez bientôt persuadé de mon +injustice.—Je suis fort honorée de +cette preuve de confiance, et.....—Il +n'est pas besoin de confiance +pour entendre la vérité.—Et si je +ne la disais pas? reprit en souriant +Valentine.—Je le verrais.—Vous +êtes bien heureux de savoir distinguer +ainsi la vérité.—C'est un talent +bien commun, je vous jure; et +les dupes sont plus rares qu'on ne +pense. Les discours sont devenus +une monnaie de convention dont +chacun sait la valeur réelle. Quand +un ministre promet une place au +solliciteur qui le comble de remerciements, +<span class="pagenum"><a name="Page_107" id="Page_107">107</a></span> +ils savent parfaitement ce +qu'ils doivent attendre l'un de l'autre. +Un amant jure de se donner la +mort, sans causer le moindre effroi +à sa maîtresse, et lorsqu'elle paraît +s'évanouir, en entendant sa menace, +il sait que c'est un procédé reçu, et +qu'elle n'en est pas moins bien décidée +à lui survivre. Les souverains +mêmes ne sont plus dupes des flatteries +de leurs courtisans, et n'ignorent +pas qu'en langage de cour: +<i>Vous êtes le plus grand des rois</i>: +veut dire tout simplement, <i>accordez-moi +une faveur</i>. Enfin, depuis +que l'on s'écoute des yeux, personne +ne s'abuse; car rien n'est aussi franc +que la physionomie; et je puis vous +assurer que, si dans le monde on +ment beaucoup, on trompe fort peu.—Alors +<span class="pagenum"><a name="Page_108" id="Page_108">108</a></span> +pourquoi se donner une +peine inutile?—Je pense comme +vous, qu'on pourrait se l'épargner +avec beaucoup de gens, mais on en +rencontre toujours un petit nombre +dont l'inexpérience peut servir d'amusement.—Ceci +n'est pas fort rassurant +pour une femme qui débute +dans le monde.—Ne croyez pas cela, +le danger est tout entier pour celle +que la vanité aveugle: la femme qui +ne cède qu'aux impulsions de son +cœur est rarement trompée; pour +l'attendrir il faut l'aimer; et la plus +ignorante sait si bien apprécier la +sincérité des sentiments qu'elle inspire!—Vous +m'étonnez; j'avais toujours +entendu dire que sur ce point +les plus spirituelles étaient souvent +dupes des hommes les moins fins.—Elles +<span class="pagenum"><a name="Page_109" id="Page_109">109</a></span> +le disent, parce que c'est une +manière d'excuser leurs faiblesses, +et d'exciter l'intérêt qu'on a pour +la victime d'une perfidie; mais le +fait est que rien ne s'imitant aussi +mal que le véritable amour, il faut +bien se prêter aux ruses d'un trompeur +pour en être séduite. Vous avez +peut-être déja remarqué des preuves +de cette vérité, car je vous crois +l'esprit assez juste pour apprécier la +valeur des hommages que l'on vous +prodigue. On a dû vous répéter souvent +que vous étiez belle, qu'on vous +adorait; et vous avez sagement jugé +que de ces deux choses, l'une était +vraie et l'autre fort douteuse.» +En disant ces mots, le commandeur +regarda Valentine attentivement. +<span class="pagenum"><a name="Page_110" id="Page_110">110</a></span> +Il semblait vouloir deviner si +son cœur ignorait encore le bonheur +d'être aimée. La naïveté qu'elle mit +à lui répondre, ne lui laissa aucun +doute à ce sujet: elle ne lui cacha +point l'espèce d'effroi que lui causait +ce tourbillon du monde où elle se +trouvait lancée malgré elle, et lui +fit entendre qu'elle attacherait un +grand prix aux conseils d'un homme +assez éclairé pour la bien guider. +C'était réclamer ceux de M. de Saint-Albert. +Touché de tant de confiance +et de modestie, il lui promit tout +le zèle d'un ami dévoué, et finit par +lui dire:—Savez-vous qu'il faut +bien vous aimer pour consentir ainsi +à vous déplaire; car le rôle d'un +vieil ami est parfois celui d'un censeur.—Rappelez-vous +<span class="pagenum"><a name="Page_111" id="Page_111">111</a></span> +le premier +mot que j'ai entendu de vous, et +vous conviendrez qu'on peut me +censurer sans me déplaire.—Ah! +je ne doute pas de votre indulgence +pour les sots jugements, je ne crains +que pour ceux qui sont justes et +sévères; ce sont les seuls qu'on ne +pardonne pas.—Qu'avez-vous à +craindre, je supporte bien vos injurieux +soupçons, quand il vous +plaît de mettre sur le compte d'une +curiosité frivole, le desir si naturel +de connaître une personne qui s'est +blessée pour moi.—Ah! vous y revenez: +cela vous inquiète donc véritablement?—Plus +que je ne saurais +vous le dire.—Aimable personne! +ajouta le commandeur, en voyant +<span class="pagenum"><a name="Page_112" id="Page_112">112</a></span> +l'émotion de Valentine. Votre bon +cœur ne peut supporter l'idée du +malheur d'un autre! même de l'être +le plus indifférent pour vous! Peut-être +n'avez-vous pas même aperçu +celui qui excite votre reconnaissance?—Je +crois... l'avoir... vu, répondit-elle, +en hésitant, et madame de Nangis +assure qu'il est remarquable par +la tournure la plus distinguée.—Il +l'est bien davantage par son esprit +et son cœur, dit en soupirant M. de +Saint-Albert.—Vous le connaissez, +s'écria Valentine, en laissant tomber +son ouvrage; ah! de grace nommez-le +moi!—Je ne le puis.—Quelle +raison peut vous en empêcher?—Ma +parole.—On vous aura demandé +le secret pour se soustraire à des +<span class="pagenum"><a name="Page_113" id="Page_113">113</a></span> +remerciements souvent importuns, +et vous aurez promis de seconder +cet excès de délicatesse; mais on peut +trahir sans inconvénient une promesse +de ce genre.—S'il fallait calculer +l'importance d'un engagement +pour le tenir, on risquerait souvent +d'être infidèle: il est si commun de +regarder comme une chose indifférente +celle qui ne touche que nos +amis.—Ah! vous êtes incapable de +tant d'égoïsme; et votre raison vous +éclaire assez pour distinguer le serment +qu'on doit tenir de la promesse +qu'on peut enfreindre.—Je n'entends +rien à ces distinctions-là. Sans +examiner si le secret en vaut la +peine, je le garderai; mais je ne +serai pas si discret sur votre sensibilité, +<span class="pagenum"><a name="Page_114" id="Page_114">114</a></span> +et je vous demande la permission +d'en répéter les expressions +touchantes.» En finissant ces mots, +le commandeur salua Valentine, et +partit sans attendre sa réponse.</p> + +<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XI" id="CHAPITRE_XI"></a>CHAPITRE XI.</h3> + +<p class="p2">La première idée de madame de +Saverny fut d'avoir recours à son +frère pour tâcher d'en apprendre +davantage de M. de Saint-Albert; +mais elle pensa que le commandeur +pourrait lui savoir mauvais gré de +cette indiscrétion. «Puisqu'il m'a +refusée, se dit-elle, sa politesse ne lui +permet plus de céder aux instances +<span class="pagenum"><a name="Page_115" id="Page_115">115</a></span> +d'un autre. D'ailleurs la cause de ce +mystère est peut-être respectable.» +A cette réflexion se joignirent toutes +les suppositions qu'on pouvait faire +sur une aventure aussi étrange. Valentine +essaya de traiter ce prétendu +secret comme une plaisanterie qui +cesserait bientôt, mais son esprit +s'obstinait à y penser sérieusement; +et, sans se rendre compte des motifs +qui la retenaient, elle résolut de n'en +parler à personne.</p> + +<p>Peu de jours après l'entretien du +commandeur, mademoiselle Cécile +vint annoncer à sa maîtresse que ce +pauvre Saint-Jean, à qui madame la +marquise avait bien voulu promettre +sa protection, venait la réclamer. On +dit à mademoiselle Cécile de le laisser +<span class="pagenum"><a name="Page_116" id="Page_116">116</a></span> +entrer; et Saint-Jean après avoir longuement +parlé de sa reconnaissance, +apprit à Valentine qu'il trouvait à +se placer, mais que son nouveau +maître exigeait un mot de recommandation +de la main de madame +de Saverny.—«Vous vous trompez, +Saint-Jean, dit la marquise, c'est +sûrement de la recommandation de +ma belle-sœur dont on vous a parlé, +et je m'engage à vous la faire obtenir.—J'en +demande bien pardon +à madame, reprit Saint-Jean, mais +je ne puis pas me tromper, car ayant +bien pensé qu'on ne pouvait me demander +un certificat que des maîtres +que j'avais servis, j'ai nommé madame +la comtesse de Nangis; mais on m'a +répondu qu'il était inutile de prendre +<span class="pagenum"><a name="Page_117" id="Page_117">117</a></span> +des informations auprès d'elle, et +que je ne serais reçu que sur un +mot de recommandation de madame +la marquise de Saverny.—Voilà un +singulier caprice! Comment nommez-vous +ce monsieur, si confiant dans +mes recommandations?—Je ne sais +pas son nom, madame;—Mais vous +l'avez vu?—Non madame, j'étais +hier soir tout tranquillement chez +ma mère, quand un monsieur fort +élégant, que j'ai bien vîte reconnu +pour être un valet de chambre, est +venu me demander si c'était moi +qui étais cause de la chûte que madame +avait faite à la sortie de l'opéra. +Je ne lui dis d'abord ni oui, ni non, +car je pensais bien que s'il s'agissait +d'une place, on ne voudrait peut-être +<span class="pagenum"><a name="Page_118" id="Page_118">118</a></span> +pas d'un cocher qui avait fait +une si grande sottise. Mais, comme +il vit mon embarras, il m'engagea à +lui dire la vérité, et m'apprit qu'il +était chargé de proposer une bonne +place à celui qui venait de perdre +la sienne pour avoir si mal retenu +ses chevaux.—Et vous ne lui avez +pas demandé qui l'avait chargé de +cette commission, interrompit Valentine, +avec un peu d'impatience.—Si +fait, madame, mais il m'a répondu +que je le saurais quand je +serais au service de son maître.—On +vous propose peut-être là une +fort mauvaise maison.—Oh! cela +n'est pas possible, madame, on me +donne encore plus de gages que je +n'en avais chez madame la comtesse; +<span class="pagenum"><a name="Page_119" id="Page_119">119</a></span> +et si ce que dit le valet de chambre +est vrai, on n'est pas plus généreux +que son maître.—Quoi, vous ne +savez pas même où il demeure?—Je +sais seulement qu'il est à la campagne, +à dix lieues de Paris, et que +si madame la marquise a la bonté +de me donner le petit mot qu'on me +demande, on viendra me prendre +demain pour me conduire au château +qu'il habite.—Enfin, dit Valentine, +après un moment de silence, +puisqu'un si grand avantage pour +vous est attaché à un mot de moi, +je vais vous le donner: je ne crois +pas me compromettre en affirmant +le bien que j'ai entendu dire de vous.—Ah! +madame peut s'informer, et +tout le monde lui dira bien dans +<span class="pagenum"><a name="Page_120" id="Page_120">120</a></span> +l'hôtel, que sans ce maudit déjeûner +de noce, on n'aurait jamais eu de +reproche à me faire.» Valentine fit +cesser les regrets de Saint-Jean, en +lui remettant son billet, et l'invita +à venir lui dire à son retour de la +campagne, s'il était content de son +nouveau sort. Saint-Jean se trouva +fort honoré d'une semblable preuve +d'intérêt. Il ne l'attribua qu'à l'extrême +bonté de madame de Saverny, +et laissa à la finesse de mademoiselle +Cécile l'honneur de découvrir qu'il +pouvait bien ne devoir tant de protection +qu'à la curiosité de la marquise.</p> + +<p>Il est certain que Valentine commençait +à s'impatienter de l'obscurité +répandue sur tout ce qu'elle +<span class="pagenum"><a name="Page_121" id="Page_121">121</a></span> +desirait savoir, et sans la crainte +d'entendre sa belle-sœur raconter +en riant, à tous ses amis, ce que +Saint-Jean venait de dire, elle l'aurait +consultée pour savoir ce qu'on devait +en penser. Mais l'ironie continuelle +de madame de Nangis intimidait la +confiance de Valentine; elle était +sûre que la comtesse se récrierait +sur le romanesque des aventures +qui se succédaient, et ne manquerait +pas de soupçonner tout haut +que ce <i>bel inconnu</i>, dont elle avait +déja tant ri, faisait courir après le +cocher qui avait failli tuer Valentine, +et lui assurerait sans doute une +pension, en reconnaissance du bonheur +qu'il lui devait d'avoir sauvé +son héroïne. La certitude d'avoir à +<span class="pagenum"><a name="Page_122" id="Page_122">122</a></span> +supporter ces mauvaises plaisanteries, +confirma Valentine dans le +dessein de ne pas plus parler du récit +de Saint-Jean, que de la visite du +commandeur. C'est ainsi que la moquerie +détruit tout épanchement, +même dans l'amitié; et l'on peut +affirmer que la peur d'être trahi +empêche moins de confidences, que +la crainte d'être plaisanté.</p> + +<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XII" id="CHAPITRE_XII"></a>CHAPITRE XII.</h3> + +<p class="p2">Plusieurs jours s'écoulèrent sans +que le commandeur reparût chez +madame de Nangis. Valentine, alarmée +de cette absence, pensa que +le danger de son mystérieux ami +<span class="pagenum"><a name="Page_123" id="Page_123">123</a></span> +pouvait en être cause, et se persuada +qu'il était de son devoir d'en témoigner +quelque inquiétude. Mais elle +en parla de la manière la plus réservée, +dans un billet où toutes les +graces de la politesse ne dissimulaient +pas la contrainte qui l'avait +dicté; car l'idée que ce billet pourrait +être montré, avait intimidé +Valentine: l'événement justifia sa +prévoyance. M. de Saint-Albert était +à la campagne, et le surlendemain +elle reçut la lettre suivante:</p> + +<p class="p2 left5"><span class="smcap">Madame</span>,</p> + +<p>«Ne me plaignez pas de l'événement +le plus heureux de ma vie, +mais de la fatalité qui me prive du +bonheur d'aller vous remercier de +<span class="pagenum"><a name="Page_124" id="Page_124">124</a></span> +votre aimable inquiétude. Hélas! +ma blessure est guérie! et je vais +perdre tous mes droits à votre +intérêt, sans être moins digne de +votre pitié.</p> + +<p class="left5">«Je suis, etc.<br /> +<span class="i14 smcap">«Anatole.</span>»</p> + +<p class="p2">A cette lettre était jointe la réponse +du commandeur, qui annonçait son +prochain retour à Paris, sans dire +un mot d'Anatole.</p> + +<p>«Anatole, répéta tout haut Valentine, +je sais enfin son nom, et je +connaîtrai bientôt celui de sa famille... +Mais que m'importe le secret +de sa naissance, j'aimerais mieux +savoir celui de ses chagrins. Il paraît +malheureux. On n'emploie tant de +<span class="pagenum"><a name="Page_125" id="Page_125">125</a></span> +mystère que pour cacher un tort ou +un malheur; et l'ami de M. Saint-Albert +ne peut être un homme coupable. +Il n'en faut pas douter, il est +malheureux. Mais, de quel malheur +est-il affligé!» Voilà le sujet sur lequel +s'exerça long-temps l'esprit de +Valentine. Plusieurs indices lui prouvaient +que la fortune n'avait point +de torts envers lui. La nature semblait +l'avoir comblé de ses faveurs, et +l'amour seul devait causer ses peines. +Peut-être avait-il été indignement +trahi, et s'était-il juré de fuir toutes les +occasions de se laisser de nouveau +séduire: sa retraite était la suite de +cette résolution: et Valentine trouvait +qu'un tel motif expliquait fort +clairement tout ce qui lui avait paru +<span class="pagenum"><a name="Page_126" id="Page_126">126</a></span> +si étrange jusqu'alors. «Si j'étais +trompée, se disait-elle, je voudrais +comme lui me soustraire aux yeux +de tout le monde, et même à la reconnaissance +que l'on voudrait me +témoigner; je ne verrais partout que +perfidie.»</p> + +<p>C'est ainsi que l'on trouve toujours +le moyen de justifier les manies +des gens qu'on favorise. En réfléchissant +un peu mieux, Valentine +aurait vu que ce projet de retraite +absolue s'arrangeait mal avec sa rencontre +à l'Opéra; bien que ce soit +assez la mode de nos misanthropes +modernes de haïr les hommes sans +pouvoir se passer de leur société, +et de fuir les femmes sans manquer +un jour d'Opéra; cependant +<span class="pagenum"><a name="Page_127" id="Page_127">127</a></span> +il est rare d'y rencontrer celui qui +cherche la solitude; et madame de +Saverny aurait du s'attendrir un +peu moins sur les malheurs d'un +amant accessible à de pareilles distractions. +Mais à l'âge de Valentine, +on raisonne avec son imagination, +et l'on calcule d'après son cœur; +elle se dit qu'Anatole avait été au +spectacle par complaisance, qu'il ne +l'avait si tendrement regardée que +par curiosité, et ne s'était généreusement +exposé pour elle, que par +humanité et dégoût de la vie.</p> + +<p>Après avoir relu plusieurs fois le +billet d'Anatole, elle le serra avec +soin, et se rendit chez sa belle-sœur, +où l'assemblée la mieux choisie se +plaignait depuis long-temps de son +<span class="pagenum"><a name="Page_128" id="Page_128">128</a></span> +absence. «Qui donc vous a retenue +si tard, ma chère Valentine, s'écria +madame de Nangis, nous vous attendons +depuis un siècle pour chanter +les couplets de M. de S...., prendre +le thé, et commencer le quinze.—En +vérité, ma sœur, je ne méritais guère +l'honneur d'être attendue pour tout +cela, répondit Valentine; vous savez +que je chante fort peu, et joue +encore plus mal; Monsieur, ajouta-t-elle +en se tournant vers le chevalier +d'Émerange, voudra bien me +remplacer, et l'auteur des couplets +y gagnera beaucoup.—Gardez-vous +bien de lui rien demander, reprit +la comtesse, il est ce soir d'une humeur +détestable; il dit qu'il n'y a +pas assez de monde pour jouer, +<span class="pagenum"><a name="Page_129" id="Page_129">129</a></span> +qu'il y en a trop pour faire de la +musique, que la conversation est +trop brillante pour qu'il s'en mêle, +enfin, il blâme tout en demandant +la permission de ne rien faire; voilà +la seule réponse qu'on en puisse obtenir.—Puisque +c'est ainsi, je vais +me rendre aux ordres de Madame, +dit le chevalier en s'adressant à Valentine.» +Et se levant ensuite pour +demander à M. de S.... ses couplets, +il laissa madame de Nangis un peu +déconcertée de ce nouveau caprice. +Pendant que le chevalier essayait +l'air qui conviendrait le mieux à cette +chanson, et que l'auteur se confondait +en phrases modestes, pour prouver +qu'il connaissait la médiocrité +du genre et de l'exécution de ce +<span class="pagenum"><a name="Page_130" id="Page_130">130</a></span> +<i>petit ouvrage</i>, un indiscret s'avisa +de dire qu'il voudrait bien savoir +quelle douce occupation avait fait oublier +l'heure à madame de Saverny.—Il +faut le deviner, répondit M. de +Nangis; moi je crois qu'elle finissait +quelques-uns de ces romans que +ces dames prétendent ne pas pouvoir +quitter; et vous, chevalier, quelle +est votre idée?—Madame écrivait +peut-être aux heureux voisins du +château de Saverny, dit le chevalier, +d'un air malin.—Bah! dit la comtesse, +je parie qu'elle achevait sa +toilette: il manque toujours quelque +chose à une robe neuve.—Qui sait, +dit une voix qui surprit Valentine, +pour occuper long-temps une jeune +femme, il ne faut souvent qu'un +<span class="pagenum"><a name="Page_131" id="Page_131">131</a></span> +billet.—Vous ici, M. le commandeur, +s'écria Valentine en se retournant, +je vous croyais à la campagne!—J'en +arrive à l'instant, Madame, +et si je n'ai pas eu l'honneur de me +présenter chez vous, c'est que j'espérais +vous rencontrer ici.» Madame +de Saverny s'excusait avec embarras +de n'avoir point aperçu le +commandeur en entrant dans le sallon, +lorsque le son du piano se fit +entendre. Après avoir préludé, le +chevalier décida qu'une épigramme +n'avait pas besoin d'accompagnement, +et se mit à chanter, sans le +secours du piano, des couplets dirigés +contre un ministre nouvellement +nommé: plusieurs femmes de +la cour y étaient désignées de la manière +<span class="pagenum"><a name="Page_132" id="Page_132">132</a></span> +la moins décente, et la malignité +ne s'arrêtait même pas aux +courtisans. Chacun parut enchanté +de cette œuvre du démon, et la meilleure +des satires de Boileau n'aurait +pas excité plus d'enthousiasme. On +combla l'auteur d'éloges; ceux que +lui adressa le chevalier furent les +mieux tournés, les plus outrés et par +conséquent les plus flatteurs. M. de +Nangis seul ne rit point des couplets, +et témoigna à sa femme le +regret de les avoir laissé chanter chez +lui; mais la comtesse devinant sa +pensée, lui répondit: Qu'il n'y avait +rien à craindre du ressentiment des +personnes attaquées dans cette chanson; +dans le fonds, ajouta-t-elle, il +n'y a que le prince de maltraité, et +<span class="pagenum"><a name="Page_133" id="Page_133">133</a></span> +vous savez sur ce point jusqu'où va +son indulgence. Madame de Nangis +avait raison: à cette époque on +risquait moins à faire une chanson +contre le Roi, qu'une épigramme +sur un commis des finances.</p> + +<p>De retour auprès de madame de +Saverny, le chevalier se pencha vers +elle pour lui dire à voix basse: «Concevez-vous +rien au caprice de M<sup>me</sup> +de Nangis, de me faire chanter des +pauvretés pareilles?—N'avez-vous +pas dit que vous trouviez ces couplets +charmants?—Oui, vraiment, +je l'ai dit à l'auteur; ne voulez-vous +pas que je me fasse un ennemi de +cet homme-là?—Mais il me semble +que, sans blesser son amour-propre, +vous auriez pu être moins prodigue +<span class="pagenum"><a name="Page_134" id="Page_134">134</a></span> +d'éloges.—Ah! vous connaissez bien +mal ces sortes de gens-là: vous blâmez +mon exagération envers lui, eh +bien! je ne serais pas étonné qu'il +m'eût trouvé très-froid dans mes +éloges, et que pour s'en venger il +ne méditât quelques petits refrains +joyeux contre moi.—En effet, si la +mauvaise foi se devine, j'ai peur +pour vous; mais qui peut obliger +à recevoir une personne dont l'aimable +esprit cause une si vive terreur?—On +espère toujours l'avoir +pour soi, et comme il ne vous montre +jamais que les méchancetés adressées +aux autres, à moins qu'il ne se +trompe de poches, on ne risque pas +de savoir celles qu'on lui inspire.—Mais +savez-vous bien que cela fait +<span class="pagenum"><a name="Page_135" id="Page_135">135</a></span> +un très-vilain métier.—Pas plus vilain +qu'un autre. Au bout du compte, +cet homme-là ne fait que rimer la +prose de tout le monde, sa malice +a rarement le mérite de l'invention; +il peint ce qu'il voit, copie ce qu'il +entend, médit de tous; et l'on sait +qu'il a son couvert mis à la table +de chacune de ses victimes.—Je puis +vous assurer qu'il ne sera jamais +admis à la mienne.—Il n'en voudrait +pas de la vôtre: que ferait-il +chez une femme qui ne peut ni goûter +ni inspirer la satire?—Ah! prenez-y +garde, vous me flattez; me croiriez-vous +méchante?—Vraiment cette +réflexion pourrait bien m'en donner +l'idée, et c'est me punir cruellement +d'avoir compromis mes éloges; mais +<span class="pagenum"><a name="Page_136" id="Page_136">136</a></span> +je m'en rapporte à votre esprit, pour +distinguer le compliment que l'on +cherche, de la vérité qui échappe. Au +reste, quelle que soit votre opinion, +je ne me donnerai jamais la peine +de me justifier auprès de vous, tant +je suis convaincu que vous savez +déja mieux que moi tout ce que je +pense.» Le chevalier quitta son ton +léger pour dire ces derniers mots, +qui furent interrompus par les instances +réitérées de madame de Nangis, +qui voulait absolument faire +jouer sa belle-sœur. Valentine sut +bon gré à la comtesse de lui épargner +l'embarras de répondre au chevalier; +elle alla se placer auprès d'elle, à la +table de jeu, et fut étonnée de voir +le chevalier s'y établir aussi malgré +<span class="pagenum"><a name="Page_137" id="Page_137">137</a></span> +le refus absolu qu'il avait fait de +jouer de la soirée. Madame de Nangis +n'en fit point la remarque tout haut; +mais ses regards et l'inflexion de +sa voix, quand elle lui adressait la +parole, prouvaient trop qu'elle était +vivement blessée. Pour la première +fois Valentine souffrit du mécontentement +de sa belle-sœur, des soins +empressés du chevalier, et de la présence +du commandeur.</p> + +<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XIII" id="CHAPITRE_XIII"></a>CHAPITRE XIII.</h3> + +<p class="p2">Avant de se séparer, M. d'Émerange ailleurs +dit: «Que je suis étourdi! +j'oubliais de vous parler de la nouvelle +<span class="pagenum"><a name="Page_138" id="Page_138">138</a></span> +qui occupe aujourd'hui tout +Paris! de l'arrivée de ce fameux +philosophe, qui prétend deviner les +défauts du cœur d'après les traits +du visage!—Quoi! Lavater est ici, +s'écria madame de Nangis? Que je +voudrais le voir! je suis folle de +son système, et je m'en sers déja +passablement bien. Cependant je +n'en sais que les masses; ses détails +me paraissent trop incertains; mais +sur les nez aquilins, et les mentons +crochus, je ne me tromperais guères.—Fiez-vous +à ces belles connaissances-là, +reprit le chevalier, j'ai +voulu aussi me mêler de physiognomonie, +et n'ai recueilli d'autre fruit +de mes études que le tort de supposer +à mes amis beaucoup plus de +<span class="pagenum"><a name="Page_139" id="Page_139">139</a></span> +défauts que je ne leur en connaissais +déja.—C'est que vous étiez mal-instruit; +d'ailleurs c'est une science +que bien des gens ne se soucient +guères d'accréditer. Moi, qui ne me +donne pas trop la peine de cacher +mes défauts, je serais charmée de +connaître aussi bien ceux des autres.—Je +croyais, dit Valentine, qu'il y +avait plus à gagner à ne les pas voir; +et je suis presque tentée de plaindre +ce pauvre M. Lavater, de n'avoir pas +même les plaisirs de l'illusion.—Ce +doit être un homme d'une conversation +bien intéressante, dit la +comtesse. On va se l'arracher; mais +j'espère bien être une des premières +à le voir.—Ce ne sera pas une +chose facile, reprit le chevalier, car +<span class="pagenum"><a name="Page_140" id="Page_140">140</a></span> +on le dit fort sauvage.—C'est +dans l'ordre, dit le commandeur, +un homme qui a le secret de tout +le monde doit se cacher.—Mais il +a des amis peut-être, reprit la comtesse. +On le rencontrera quelque +part.—Je ne pense pas que ce soit +à la cour, dit en riant M. de Saint-Albert; +mais si vous êtes, mesdames, +si curieuses de le rencontrer, je crois +pouvoir vous en offrir l'occasion.—Ah! +M. le commandeur, s'écria +madame de Nangis, si vous me rendez +un pareil service, je vous promets +de ne plus me plaindre de ces +petites vérités que vous m'adressez +avec tant de ménagements.—Non, +vraiment, je serais bien fâché que le +plaisir de vous obliger me coûtât +<span class="pagenum"><a name="Page_141" id="Page_141">141</a></span> +une de vos injures. J'aime les réparties, +et les vôtres sont trop piquantes +pour les sacrifier. C'est donc sans +aucune condition que je vous propose +de me faire l'honneur de dîner +samedi chez moi. Lavater m'a promis +ce matin de me donner cette +journée. Nous devions la consacrer +au plaisir de nous rappeler les moments +que nous avons passés ensemble +dans son hermitage en Suisse; +mais il ne m'en voudra pas de le +tromper ainsi.»</p> + +<p>Madame de Saverny accepta avec +empressement l'invitation du commandeur. +Une secrète espérance de +rencontrer chez lui cet Anatole, dont +le souvenir revenait souvent à sa +pensée, ranima sa gaîté. Elle redoubla +<span class="pagenum"><a name="Page_142" id="Page_142">142</a></span> +de soins pour le commandeur, +et jamais son desir de plaire ne s'était +montré plus visiblement. M. de Saint-Albert +n'osant pas s'en faire honneur, +lui supposa un autre motif, et +dit à voix basse à Valentine: «Vous +ne me diriez seulement pas d'inviter +le chevalier; et cependant vous en +mourez d'envie. Mais on ne peut +jamais espérer de franchise de la +part d'une femme bien élevée.» +A ces mots, Valentine se sentit rougir +d'impatience; elle allait répondre +de manière à détromper le commandeur, +lorsque le chevalier vint +s'informer des projets qu'elle avait +pour le lendemain. M. de Saint-Albert +profita de cette occasion pour +remplir ce qu'il disait être le vœu +<span class="pagenum"><a name="Page_143" id="Page_143">143</a></span> +de madame de Saverny; et la reconnaissance +que lui en témoigna +M. d'Émerange, dut le confirmer +dans l'opinion que la moitié de ses +conjectures était au moins bien +fondée.</p> + +<p>Au jour convenu on se rendit chez +le commandeur. Madame de Nangis +s'étonna d'en être reçue d'une manière +aussi affectueuse; elle ignorait +le respect de M. de Saint-Albert +pour les devoirs de l'hospitalité, et +ne concevait pas comment ce même +homme, si frondeur, si brusque chez +les autres, pouvait devenir chez +lui aussi prévenant qu'aimable pour +tous ceux qui s'y trouvaient. Un +vieux préjugé d'éducation avait persuadé +au commandeur, qu'en général +<span class="pagenum"><a name="Page_144" id="Page_144">144</a></span> +il faut être reconnaissant envers +les personnes qu'on reçoit; car il +est rare qu'elles ne fassent point un +sacrifice en quittant leur maison, +même pour s'amuser dans celle d'un +autre. D'ailleurs il prétendait que la +manière de recevoir plus ou moins +bien les gens étant toujours un aveu +des sentiments d'estime qu'on leur +portait, ils avaient le droit de se +blesser d'une distraction, ou de se +venger d'une impolitesse.</p> + +<p>En entrant dans le salon, Valentine +était vivement émue; son premier +regard n'avait osé s'arrêter +particulièrement sur personne, et ce +ne fut que long-temps après qu'elle +put vérifier que son espérance était +vaine. La réunion n'était pas nombreuse: +<span class="pagenum"><a name="Page_145" id="Page_145">145</a></span> +madame de Réthel, nièce de +M. de Saint-Albert en fesait les honneurs; +elle paraissait fort occupée +du soin d'observer Valentine, et plus +encore de lui témoigner la préférence +la plus flatteuse. Le chevalier, +à qui le trouble de madame de Saverny +n'avait point échappé, en +éprouvait une joie d'amour-propre +qui se décelait dans tous ses discours. +Il s'empressa de venir lui dire:—Sur +lequel de tous ces visages placeriez-vous +l'esprit ingénieux de +Lavater.—Je voudrais, répondit-elle, +en désignant quelqu'un, que +cette figure, dont l'expression est si +noble et si calme, fût celle d'un philosophe;—et +le ciel, qui veut tout ce +que vous voulez, a donné cette belle +<span class="pagenum"><a name="Page_146" id="Page_146">146</a></span> +figure à Lavater.—Ah! je suis bien +aise de l'avoir deviné, reprit Valentine; +et, si j'osais, je m'en vanterais +à lui pour lui prouver la vérité de +son systême.» Dans ce moment, le +commandeur vint prendre la main +de ces dames pour les conduire à +table. Selon le desir de madame de +Nangis, Lavater fut placé près d'elle; +mais sa curiosité n'y gagna rien. +En vain son esprit trouva-t-il le +moyen d'amener la conversation sur +tous les sujets qu'elle croyait devoir +l'intéresser: en vain lui témoignait-elle +par ses prévenances +le desir qu'elle avait de l'entendre +causer; il garda le plus profond +silence. La comtesse crut que c'était +par <i>dédain philosophique</i>, et +<span class="pagenum"><a name="Page_147" id="Page_147">147</a></span> +changea au même instant son enthousiasme +pour Lavater, en indignation +contre lui:—Savez-vous +bien, dit-elle au commandeur, que +votre savant ami n'est qu'un ennuyeux? +Nous croit-il indignes de +ses paroles, ou trop sots pour le +comprendre?—Il serait possible, +répondit M. de Saint-Albert, qu'avec +tout votre esprit, vous ne le comprissiez +pas.—Voilà bien cet orgueil +masculin, reprit la comtesse, +qui, tout en accordant beaucoup +d'esprit aux femmes, les croit incapables +d'apprécier le mérite d'un +homme supérieur. On s'imaginerait +à vous entendre que Dieu, vous +ayant faits à son image, nous devons +aussi vous adorer sans vous comprendre?—Pourquoi +<span class="pagenum"><a name="Page_148" id="Page_148">148</a></span> +pas? nous +vous donnons assez souvent l'exemple +d'un pareil culte.—Cela n'excuse +pas vos dédains pour notre +esprit, et la peine que vous prenez +à nous persuader que la nature l'a +réduit au bonheur de vous amuser, +sans pouvoir jamais atteindre à l'honneur +de vous imiter, même dans la +moindre de vos productions.—Ah! +ce serait par trop injuste, reprit tout +haut le commandeur, et ces messieurs +me sont témoins qu'hier encore +je vantais les jolis ouvrages de +plusieurs femmes, et sur-tout les +petits vers de madame de B... Ce +n'est pas ma faute à moi si ces dames +ne font pas de belles tragédies: je +les vanterais d'aussi bon cœur.—Cela +<span class="pagenum"><a name="Page_149" id="Page_149">149</a></span> +n'est pas sûr, dit la comtesse.—Et +moi j'en réponds, dit le chevalier. +Les succès littéraires des +femmes ne peuvent être disputés +que par des hommes médiocres. +C'est la rivalité qui rend injuste, et +plus encore le sentiment de son +infériorité. Comment voulez-vous +qu'un pédant ennuyeux pardonne +à madame de La Fayette d'occuper +une place dans toutes les bibliothèques, +tandis que les misérables +brochures qu'il enfante avec tant de +peine, expirent en naissant? Il n'appartient +qu'aux gens d'un vrai mérite +de savoir approuver le talent +par-tout où il se trouve, et j'affirmerais +bien que Racine ne médisait +pas des vers de madame Deshoulières, +<span class="pagenum"><a name="Page_150" id="Page_150">150</a></span> +malgré son injustice envers lui.» +La discussion s'établit sur ce sujet +si souvent rebattu. Le chevalier +plaida la cause des femmes en chevalier +français, et fut bien étonné +d'avoir à combattre madame de Saverny, +dont l'avis était, que les talents +les plus distingués, et le succès +qui en résultait, ne pouvaient dédommager +une femme du malheur +attaché à la célébrité. Madame de +Nangis insista pour savoir l'opinion +de M. Lavater sur cette réflexion de +Valentine, et le commandeur fut +obligé de lui avouer que Lavater +entendait assez bien le français, mais +ne répondait jamais qu'en allemand. +C'est pourquoi, ajouta-t-il, j'ai osé +vous dire que vous pourriez bien +<span class="pagenum"><a name="Page_151" id="Page_151">151</a></span> +ne pas le comprendre.» Cet aveu +rendit à la comtesse toute sa bienveillance +pour Lavater; elle pria le +commandeur de lui servir d'interprète, +et la conversation s'engagea +bientôt comme elle le desirait. Elle +eut beaucoup à se louer de l'aimable +indulgence du philosophe pour celles +qu'il appelait <i>ses chères pécheresses</i>; +mais elle fut souvent contrariée de +son attention à considérer Valentine. +En effet, rien ne pouvait le +distraire du plaisir qu'il prenait à +contempler l'ensemble de ce beau +visage: ses yeux y restaient fixés +comme sur un livre dont chaque +page augmente l'intérêt. C'est en +regardant Valentine qu'il s'écria: +«L'expression d'une ame pure sur +<span class="pagenum"><a name="Page_152" id="Page_152">152</a></span> +des traits enchanteurs n'a-t-elle pas +tout le charme d'une <i>harmonie céleste</i>!»</p> + +<p>Vers la fin du dîner, M. de Saint-Albert +parla d'un billet qu'il venait +de recevoir, où se trouvaient mêlés +des vers adressés à Lavater, et qu'il +croyait dignes de lui. De qui sont-ils, +demandèrent aussitôt plusieurs +personnes, car pour un grand +nombre de gens, le jugement qu'on +doit porter sur un ouvrage est tout +entier dans le nom de l'auteur. Le +commandeur répondit que le billet +était d'un de ses amis, qui s'excusait +de ne pouvoir profiter de +l'honneur de dîner avec ces dames; +et que les vers étaient anonymes. +On voulut les connaître. Madame de +<span class="pagenum"><a name="Page_153" id="Page_153">153</a></span> +Réthel fut charge de les lire. C'était +un parallèle de Fénelon et de Lavater, +où les plus nobles pensées +étaient exprimées avec autant d'énergie +que de grace; cet éloge semblait +être plutôt le jeu d'une imagination +qui aime à comparer, que +l'œuvre de ce démon de flatterie qui +inspire tant de madrigaux; et l'on +devinait en lisant ces vers, que l'auteur +les avait faits bien plus pour +son plaisir que pour vanter le génie +de Lavater. Ils obtinrent tous les +suffrages; après les avoir entendus, +on voulut les lire, et lorsqu'ils arrivèrent +à madame de Saverny, elle +ne réussit pas à cacher sa surprise, +en reconnaissant que ces vers avaient +été tracés de la même main que la +<span class="pagenum"><a name="Page_154" id="Page_154">154</a></span> +lettre d'Anatole. Le mouvement involontaire +qu'elle fit, fut remarqué +de tout le monde: on devina qu'elle +avait reconnu l'écriture de l'auteur; +et pour la première fois, elle se félicita +d'ignorer son nom de famille, +afin d'affirmer avec plus d'assurance +qu'elle ne le connaissait pas.</p> + +<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XIV" id="CHAPITRE_XIV"></a>CHAPITRE XIV.</h3> + +<p class="p2">Le commandeur, qui savait seul le +secret de l'embarras de Valentine, +voulut y mettre fin en proposant de +se lever de table; mais elle était à +peine remise de cette première émotion, +qu'il en fallut dissimuler une +plus vive encore. Madame de Nangis +<span class="pagenum"><a name="Page_155" id="Page_155">155</a></span> +avait desiré voir la bibliothèque de +M. de Saint-Albert; c'était une des +plus complètes de Paris. Il fesait +remarquer sa plus belle édition à +madame de Saverny, lorsqu'on entendit +la comtesse s'écrier en éclatant +de rire: «C'est lui, c'est lui-même: +Valentine, ajouta-t-elle en montrant +un des bustes qui décoraient ce cabinet, +ma chère amie, dites-moi un +peu à qui vous trouvez que ce buste +ressemble?—Vraiment, interrompit +avec empressement le commandeur, +il doit ressembler au troyen +Hector; c'est du moins ce qu'assure +le Romain qui me l'a vendu.—Il +s'agit bien de votre guerrier troyen, +reprit la comtesse, moi je vous dis +que c'est le portrait frappant de notre +<span class="pagenum"><a name="Page_156" id="Page_156">156</a></span> +<i>inconnu</i>, et qu'il est bien aussi beau, +aussi brave, que tous vos héros +d'Homère. Mais, répondez donc, +Valentine, n'êtes-vous pas d'avis de +cette ressemblance?» Madame de +Saverny en était trop frappée pour +oser en convenir. L'affectation du +commandeur à détourner l'attention +de la comtesse sur cette ressemblance, +et plus encore le souvenir de ces +traits si bien empreints dans la mémoire +de Valentine, lui firent soupçonner +que l'artiste chargé d'exécuter +ce buste, n'avait eu pour modèle +qu'Anatole. Elle s'étonna du trouble +que cette idée fesait naître en son +ame, et s'efforça d'en triompher, en +répondant avec gaîté aux plaisanteries +de sa belle-sœur; mais Valentine +<span class="pagenum"><a name="Page_157" id="Page_157">157</a></span> +était loin de posséder cet art +de dissimuler les émotions du cœur +sous les apparences d'un esprit léger. +Son regard, sa rougeur, combattaient +avec son sourire. Elle sentit +bientôt l'impossibilité de continuer +une conversation qui lui coûtait tant +d'efforts, et tâcha de porter l'attention +de madame de Nangis sur un +nouvel objet; n'y pouvant réussir, +elle se décida à profiter de sa position +pour satisfaire une partie de +sa curiosité. Elle conduisit Lavater +auprès de ce buste, et lui témoigna +le desir de savoir, d'après son systême, +le caractère qu'il supposait au +modèle de cette belle tête. Entraîné +par le plaisir d'intéresser Valentine, +Lavater surmonte la timidité qui +<span class="pagenum"><a name="Page_158" id="Page_158">158</a></span> +l'empêchait ordinairement de s'exprimer +en français, et rassuré par +l'idée de n'avoir à dénoncer que les +défauts de quelque héros antique, +il fait l'analyse la plus détaillée de ce +portrait moral, en donnant à chaque +mot une nouvelle preuve de sa profonde +observation. Il démontre par +tous les principes de sa science, qu'un +homme doué de cette physionomie, +doit posséder un esprit élevé, indépendant, +mais trop prompt à s'exalter; +un cœur généreux et passionné, +sensible jusqu'à la faiblesse, jaloux +jusqu'à l'emportement, timide et +courageux, modeste et fier, docile +dans ses habitudes, inébranlable dans +ses résolutions; on peut l'occuper +vivement, mais jamais le distraire; +<span class="pagenum"><a name="Page_159" id="Page_159">159</a></span> +il ajoute enfin que son imagination +ardente, modérée par un sentiment +profond de mélancolie, lui promet +de brillants succès en poésie et en +peinture, et de vifs chagrins en +amour.</p> + +<p>Jamais oracle ne fit plus d'impression +sur les Grecs, que le jugement +de Lavater n'en produisit sur l'esprit +de Valentine. A mesure qu'il le prononçait, +les yeux fixés sur le commandeur, +madame de Saverny cherchait +à en vérifier l'exactitude, et +voyait avec plaisir le sourire d'approbation +qui se répandait sur le +visage de M. de Saint-Albert, à chaque +détail que Lavater se plaisait à +donner du caractère de son jeune +ami. Convaincue de la fidélité de ce +<span class="pagenum"><a name="Page_160" id="Page_160">160</a></span> +portrait, elle dit au commandeur +de manière à n'être entendue que +de lui:—Vous le voyez, tout le +monde n'est pas aussi discret que +vous. Il ne me reste plus qu'un nom +à savoir; je le saurai bientôt, et +j'aurai regret de ne rien devoir à +votre confiance.—Vous devez déja +trop à mon indiscrétion, reprit-il; +mais comment un intérêt de ce genre +peut-il vous occuper à travers tous +ceux qui vous captivent?—C'est +qu'il est peut-être le plus vif, répondit +ingénûment Valentine.» Ce mot +parut surprendre le commandeur; +il prit un air méfiant, se mit à rêver, +et son regard semblait dire: Serait-il +vrai?</p> + +<p>Pendant que Valentine se reprochait +<span class="pagenum"><a name="Page_161" id="Page_161">161</a></span> +l'excès de sa franchise, le chevalier +riait de sa crédulité, et profitait +du départ de Lavater pour dire:—Je +crois, en vérité, que vous ajoutez +foi à cette nouvelle magie! et +que l'esprit éloquent de Lavater vous +a subjuguée au point de.....—Elle +ne saurait mieux faire que de le +croire, interrompit madame de Nangis, +puisqu'il donne à son héros +toutes les qualités de Grandisson, +sans compter les défauts charmants +qu'il lui accorde.—Quoi! toujours +ce personnage mystérieux, reprit le +chevalier, en témoignant de l'humeur. +Ah! par grace, mesdames, +respectez son secret; il le garde si +bien!—Il le garderait cent fois +mieux encore, reprit la comtesse, +<span class="pagenum"><a name="Page_162" id="Page_162">162</a></span> +que je le saurais demain s'il m'intéressait +autant que vous le supposez.» +Valentine fut frappée de cette réflexion, +et n'en entendit pas davantage +de la petite querelle qui s'engagea +entre sa belle-sœur et le +chevalier. Accoutumée à les voir +souvent d'un avis contraire, elle +s'inquiétait peu de leurs différends. +Cependant elle aurait pu remarquer +qu'ils étaient plus fréquents, et qu'il +régnait dans tous les discours de la +comtesse une sorte d'aigreur qui +devenait chaque jour moins supportable. +L'innocence de Valentine l'empêcha +long-temps d'en soupçonner +la cause; mais elle ne pouvait se +dissimuler que madame de Nangis +paraissait souvent importunée de sa +<span class="pagenum"><a name="Page_163" id="Page_163">163</a></span> +présence; et, sans oser interpréter +ce changement, elle en profitait pour +se livrer quelquefois à son goût pour +la retraite. Ces jours-là elle ne permettait +qu'à la petite Isaure de venir +la troubler, et c'est en prodiguant +les plus tendres soins à la fille qu'elle +se vengeait des caprices de la mère.</p> + +<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XV" id="CHAPITRE_XV"></a>CHAPITRE XV.</h3> + +<p class="p2">La réflexion de madame de Nangis +sur le secret d'Anatole, revint si souvent +à l'esprit de Valentine, qu'elle +finit par la trouver toute simple, et +s'étonna d'avoir cessé aussi vîte les +démarches qui pouvaient lui offrir +<span class="pagenum"><a name="Page_164" id="Page_164">164</a></span> +des renseignements certains sur ce +qu'il lui restait à savoir d'Anatole. +Après avoir rejeté celles qui ne lui +paraissent pas convenables, elle se +fit conduire un matin à l'opéra, et +sous prétexte de louer une loge à +l'année, elle demande celle où elle +a vu pour la première fois Anatole. +On lui répond que la loge qu'elle +désigne n'est pas libre, mais qu'on +ne doute pas que l'ambassadeur d'Espagne +n'ait la complaisance de la lui +céder dès que Son Excellence apprendra +que c'est madame la marquise +de Saverny qui le desire. Valentine +insiste pour que l'on n'adresse point +à l'ambassadeur une demande aussi +indiscrète, et défend positivement +qu'on la fasse en son nom. Le commis +<span class="pagenum"><a name="Page_165" id="Page_165">165</a></span> +chargé de la location des loges, +ne voyant que l'intérêt de son administration, +promet bien à la marquise +de se conformer à ses ordres, +mais c'est en formant le projet de +lui désobéir. A peine l'a-t-elle quitté, +qu'il écrit à l'intendant de l'ambassadeur +tout ce qu'il avait promis de +ne pas dire; il y ajouta quelques-unes +des questions échappées à la +curiosité de Valentine, et finit par +offrir à Son Excellence le choix de +deux autres loges en face de la sienne, +qu'il assura être meilleures.</p> + +<p>La réponse du duc de Moras ne se +fit pas attendre, et Valentine l'ayant +rencontré quelques jours après chez +la princesse de L***, resta interdite +quand il vint la remercier de lui +<span class="pagenum"><a name="Page_166" id="Page_166">166</a></span> +avoir offert l'occasion de faire une +chose qui lui fût agréable, en lui +cédant sa loge à l'opéra. «Elle sera +bien mieux occupée, ajouta-t-il, et +je m'assure la reconnaissance de mes +anciens voisins. Quelle agréable surprise +pour eux de voir arriver une +aussi belle personne à la place de +leur vieux diplomate!» Valentine, +révoltée de l'indiscrétion commise +en son nom, s'en défendit avec tant +de chaleur, qu'elle s'en justifia mal. +Son trouble, en écoutant le duc de +Moras, son indignation contre ce +commis qu'elle menaçait de faire +punir de son impertinence, enfin, ce +dépit qu'on éprouve toujours à la +suite d'une démarche imprudente, et +mal interprétée, lui donna l'air d'une +<span class="pagenum"><a name="Page_167" id="Page_167">167</a></span> +personne qui craint d'être devinée. +On avait trouvé tout simple le caprice +qui l'avait engagée à desirer +la loge du duc de Moras, on s'étonna +de lui voir mettre tant d'importance +à s'en défendre; et chacun y prêta le +motif qui lui parut le plus probable. +C'est ainsi qu'on juge souvent dans le +monde de l'étendue d'une inconséquence +par le plus ou moins de +soin qu'on porte à s'en disculper.</p> + +<p>Fort heureusement pour Valentine, +la princesse interrompit les +excuses et les remerciements qu'elle +adressait au duc de Moras, en disant: +«Regardez, madame, le joli présent +que je viens de recevoir!» Et +elle conduisit la marquise auprès +d'une table sur laquelle se trouvait +<span class="pagenum"><a name="Page_168" id="Page_168">168</a></span> +un jasmin d'Espagne d'une rare +beauté. Il avait la forme d'un oranger: +sa tige élancée était recouverte +d'un buisson de fleurs, et tout +attestait qu'il avait déja bravé bien +des hivers. Valentine convint qu'elle +n'en avait jamais vu de pareil, et +cependant son goût pour les fleurs +lui avait fait souvent rechercher les +plus belles; et les serres du château +de Saverny étaient citées parmi les +plus complètes en ce genre. Aux airs +modestes que le duc de Moras prit en +voyant chacun admirer cet arbuste, +Valentine devina que c'était lui qui +l'avait offert, et lui en fit compliment. +Il y répondit en avouant qu'il +le tenait d'un de ses amis qui l'avait +fait venir d'Espagne, et qu'il ne +<span class="pagenum"><a name="Page_169" id="Page_169">169</a></span> +croyait pas qu'il y en eût d'aussi +grand en France.</p> + +<p>En sortant de chez la princesse, +madame de Saverny se rendit chez +la présidente de C..., où devait se +trouver madame de Nangis. Elles y +passèrent toutes deux le reste de la +journée; et lorsque Valentine rentra +chez elle, le premier objet qui frappa +sa vue fut un jasmin semblable à +celui qu'elle avait admiré le matin +même chez la princesse de L...: elle +reconnut jusqu'au vase qui le contenait, +et ne douta pas un instant +que la princesse ne lui en eût voulu +faire le sacrifice. Pour mieux s'en +assurer, elle demanda à sa femme +de chambre de quelle part on l'avait +apporté; mais mademoiselle Cécile, +<span class="pagenum"><a name="Page_170" id="Page_170">170</a></span> +qui avait toujours le talent d'ignorer +ce qu'elle ne voulait pas dire, répondit +que deux hommes qu'elle avait +pris pour des jardiniers l'avaient déposé +dans l'antichambre, en recommandant +de le placer auprès du lit +de Madame. Cette réponse affermit +Valentine dans l'idée que la princesse, +ayant remarqué son admiration +pour cet arbuste, avait voulu +s'en priver pour elle. C'était à ses +yeux une indiscrétion de plus que +de l'accepter, et cependant comment +refuser un sacrifice offert avec +tant de délicatesse? Après s'être vivement +reproché tout ce qu'elle croyait +avoir dit et fait d'inconvenant depuis +plusieurs jours, Valentine décida +qu'elle irait le lendemain au lever +<span class="pagenum"><a name="Page_171" id="Page_171">171</a></span> +de la princesse, la remercier de son +aimable attention, et la conjurer au +nom de l'ambassadeur, qu'elle privait +déja de sa loge, de conserver les +fleurs qu'il lui avait offertes avec tant +de plaisir.</p> + +<p>La princesse était encore au lit +quand la marquise arriva. Un valet-de-chambre +alla s'informer si elle +était visible, et madame de Saverny +entra dans le salon pour y attendre +sa réponse. On peut se figurer sa +surprise lorsqu'elle aperçut sur la +table de la princesse le même jasmin +qu'elle y avait vu la veille. Sans pouvoir +expliquer ce nouveau mystère, +elle chercha un autre motif à donner +à sa visite. Car, sans se rendre +<span class="pagenum"><a name="Page_172" id="Page_172">172</a></span> +compte du sentiment qui la retenait, +elle ne voulait point parler du présent +qu'elle avait reçu, avant d'avoir découvert +celui qu'elle en devait remercier. +Elle était encore dans l'embarras +de choisir un prétexte raisonnable, +quand on vint l'avertir que la princesse +l'attendait. Elle arriva près +d'elle avec toute la confusion d'une +personne qui ne sait ce qu'elle va +dire. La princesse ne s'en aperçut +point, et termina son embarras en +lui disant: «Je devine ce qui m'attire +le plaisir de vous voir d'aussi +bonne heure, ma chère Valentine, +vous savez ce qui s'est dit hier soir +chez moi, et combien je me suis +plainte de votre silence. Me laisser +apprendre la nouvelle de votre prochain +<span class="pagenum"><a name="Page_173" id="Page_173">173</a></span> +mariage par le bruit qu'il fait +dans le monde, vous conviendrez +que c'est me traiter avec bien peu +de confiance, et que mon amitié +méritait mieux de vous.» La princesse +ajouta tant d'autres reproches +obligeants à ceux-ci, qu'elle donna +à Valentine le temps de se remettre +un peu de son étonnement, et de +chercher à profiter de la méprise.—Avant +de me justifier, lui dit-elle, +d'un tort que je n'ai point, permettez-moi, +madame, de me plaindre +aussi de votre facilité à m'accuser.—Quoi! +interrompit la princesse, +ce mariage n'est point vrai?—Je +ne sais même pas à qui l'on me fait +l'honneur de m'accorder.—Ah! +vous savez au moins que le chevalier +<span class="pagenum"><a name="Page_174" id="Page_174">174</a></span> +d'Émerange brûle de vous obtenir.—Moi... +madame... répondit Valentine +avec embarras.—Pourquoi +vous troubler, ma chère Valentine? +je ne veux pas arracher votre secret; +croyez plutôt que si vous me réduisiez +à le deviner, je saurais le respecter. +Votre situation m'est connue; +je sens tous les égards que vous +devez à votre belle-sœur; mais quand +vous aurez beaucoup sacrifié à sa +sensibilité, il faudra toujours finir +par lui porter le coup fatal, et je +vous prédis que son caractère emporté +ne vous tiendra pas compte de +vos ménagements.—Ah! madame, +pouvez-vous faire une semblable +supposition?—Je ne suppose rien, +je vous jure, et ne fais que vous +<span class="pagenum"><a name="Page_175" id="Page_175">175</a></span> +répéter ce qui se dit dans le monde.—Oserait-on +y calomnier la conduite +de madame de Nangis? Ce +serait une indignité!—Je le pense +ainsi; mais ni vous ni moi n'avons +la puissance de l'empêcher. Tant +qu'on voit une femme recevoir les +soins d'un homme aimable, on dit +qu'elle les encourage; s'attriste-t-elle +de ses assiduités auprès d'une autre, +on la dit jalouse. C'est une vieille +routine adoptée par la malignité, et +que rien ne saurait changer: mais +remarquez que ces mêmes gens si +prompts à supposer les torts qu'on +leur cache, n'en sont pas moins +indulgents pour tous ceux qu'on +leur montre, et que souvent, pour +les désarmer, il suffit de paraître +<span class="pagenum"><a name="Page_176" id="Page_176">176</a></span> +ne les pas craindre.—Et comment +ne craindrait-on pas une méchanceté +dont les suites peuvent devenir +si funestes? Le caractère de mon +frère est assez connu, je pense, +pour ne pas laisser supposer qu'il +endurât patiemment de tels propos.—Soyez +tranquille, le bruit n'en parviendra +jamais à ses oreilles; sur ce +point, la discrétion française l'emporte +sur le plaisir de nuire: on verrait +avec horreur celui qui troublerait +par une lâche trahison la paix +conjugale d'un mari; et la société en +ferait bientôt justice.»</p> + +<p>Ce ne fut pas sans peine que la +princesse parvint à faire comprendre +à Valentine les subtilités de ce code +des lois mondaines, qui condamne +<span class="pagenum"><a name="Page_177" id="Page_177">177</a></span> +la délation sans punir la calomnie. +Les idées que madame de Saverny +s'était faites du véritable honneur +s'accordaient mal avec cet honneur +de convention, parfois sévère et parfois +complaisant, qu'on lui assurait +avoir un si grand empire dans le +monde. Si toute autre personne lui +en eût ainsi parlé, elle l'aurait accusée +d'une légèreté blâmable; mais +les vertus, la conduite de la princesse +de L..., ne laissaient aucun +doute sur la pureté de ses principes. +Elle parlait des travers de la société +comme de ces infirmités incurables +qu'il faut bien tolérer chez les autres, +mais dont on ne saurait trop se garantir +pour son propre compte; et +ce fut d'elle que Valentine reçut la +<span class="pagenum"><a name="Page_178" id="Page_178">178</a></span> +première leçon de cette aimable indulgence, +qui est le sceau de la supériorité +en tous genres.</p> + +<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XVI" id="CHAPITRE_XVI"></a>CHAPITRE XVI.</h3> + +<p class="p2">De tous les sentiments qui tourmentent +l'esprit, l'impatience étant bien +certainement le plus difficile à dissimuler, +on aime à s'y livrer sans +témoin; aussi madame de Saverny +forma-t-elle le projet de s'enfermer +chez elle pendant quelques jours, +pour calmer l'agitation que fesaient +naître en son ame tant d'incidents +étranges, et méditer sur la conduite +qu'elle devait tenir.</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_179" id="Page_179">179</a></span> +Elle s'occupa d'abord des moyens +de détruire les espérances du chevalier +d'Émerange sur son prétendu +mariage, et de faire cesser un bruit +dont elle se plaisait à exagérer les +conséquences dangereuses, sans oser +s'avouer celle qu'elle redoutait le plus. +La difficulté était de faire connaître +ses intentions au chevalier; comment +imposer silence à un homme +qui ne s'explique point, et l'obliger +à nier un projet qui n'a peut-être +jamais été le sien? Ces réflexions arrêtaient +Valentine, et plus encore, +l'idée de partager le ridicule attaché +aux femmes qui se croient adorées +au premier mot galant qu'on leur +adresse, et qui se vantent de leurs +rigueurs avant qu'on ait songé à +<span class="pagenum"><a name="Page_180" id="Page_180">180</a></span> +leur plaire. Après s'être long-temps +consultée sur le parti qu'elle devait +prendre à ce sujet, Valentine résolut +d'avoir recours aux conseils de son +frère: elle était sûre de trouver en lui +un défenseur des usages du monde, +qui ne lui permettrait pas de les +blesser en cette circonstance, et +pleine de confiance dans la manière +dont il la guiderait, elle ne chercha +plus qu'à se distraire d'une pensée +qui l'agitait péniblement, pour se +livrer à des conjectures plus agréables.</p> + +<p>L'envoi de ce beau jasmin, et le +mystère qui l'accompagnait, étaient +bien dignes d'exercer l'imagination +d'une femme déja tourmentée par +un sentiment de curiosité qui s'augmentait +<span class="pagenum"><a name="Page_181" id="Page_181">181</a></span> +de jour en jour. Mais pour +cette fois Valentine se crut au moment +de voir cesser l'obscurité qui +lui causait tant d'impatience. Elle ne +pensa pas qu'il lui fût permis d'accepter +ce présent sans savoir de qui +elle le tenait, et il lui parut fort simple +de questionner le duc de Moras sur +un fait qu'il ne pouvait ignorer. Dans +cette résolution elle ne chercha plus +qu'une occasion prochaine de rencontrer +l'ambassadeur d'Espagne; +mais mademoiselle Cécile entra, remit +une lettre à sa maîtresse, et la +marquise changea de projet.</p> + +<p>A la seule vue de l'adresse, Valentine +reconnut l'écriture, et rougit; +elle hésita quelque temps à rompre le +cachet; et voyant que mademoiselle +<span class="pagenum"><a name="Page_182" id="Page_182">182</a></span> +Cécile ne se disposait point à sortir, +elle demanda si l'on attendait la réponse. +Non, madame, répondit Cécile, +cette lettre est venue par la poste, +mais j'attends, pour savoir les ordres +de Madame, et quelle robe je dois +lui apprêter.—Je m'habillerai plus +tard, reprit avec impatience la marquise.—Madame +ne dînera donc pas +aujourd'hui chez madame la comtesse, +car le maître d'hôtel vient de +me dire que l'on était au moment +de servir.—Non, je resterai chez +moi: faites dire à ma belle-sœur +qu'une légère indisposition m'y retient.—Si +Madame est malade, je +puis en prévenir le docteur Petit; je +viens de le voir entrer, il n'y a qu'un +instant, chez madame de Nangis.—Elles +<span class="pagenum"><a name="Page_183" id="Page_183">183</a></span> +Gardez-vous en bien; je n'ai besoin +que de repos et ne veux être +troublée par personne.» Ces derniers +mots furent dits d'un ton à prouver +à mademoiselle Cécile qu'on ne fesait +point d'exception pour elle. Aussi +s'empressa-t-elle d'aller remplir sa +commission, tout en méditant sur +l'émotion qu'elle avait remarquée +dans les yeux de sa maîtresse en lui +remettant cette lettre, et sur le desir +qu'elle avait si franchement manifesté +de la lire sans témoin.</p> + +<p>Voici ce qu'elle contenait:</p> + +<p>«S'il est vrai, Madame, qu'un +heureux hasard m'ait donné quelques +droits à votre reconnaissance, +permettez que je les réclame, en +vous suppliant de me sacrifier le +<span class="pagenum"><a name="Page_184" id="Page_184">184</a></span> +faible intérêt de curiosité que je +vous inspire; encore un mot de +vous, et le mystère qui me dérobe +à vos yeux cesserait bientôt; mais +alors tout serait anéanti pour moi. +Réduit à fuir l'objet d'un sentiment +divin qui remplit mon ame, mon +existence ne serait plus qu'un long +deuil. Ah! par pitié, laissez-moi +l'unique bonheur auquel je puisse +prétendre! Si vous saviez combien +l'idée d'occuper quelquefois sa +pensée fait tressaillir mon cœur! +avec quels soins je m'informe de +ses projets, de ses desirs! à quels +transports me livre la seule espérance +de l'apercevoir! non, jamais +vous ne consentiriez à me +ravir une si douce félicité.</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_185" id="Page_185">185</a></span> +«Je n'en doute point, Madame, +vous accueillerez ma prière; le +ciel n'a pas réuni tant de charmes, +sans y joindre la sensibilité qui +sait respecter et plaindre le malheur; +et je vous devrai encore le +seul bien qui puisse m'attacher à +la vie.</p> + +<p class="left5">«Je suis, etc.<br /> +<span class="i14 smcap">«Anatole.»</span></p> + +<p class="p2">«Oui, s'écria Valentine, après +avoir lu; sa prière est sacrée, et la +reconnaissance me fait une loi de la +respecter; je renonce dès ce moment +à tout espoir de le connaître: il +aime, il est malheureux, son sort +paraît dépendre du mystère qui l'entoure. +Ah! que je meure plutôt que +<span class="pagenum"><a name="Page_186" id="Page_186">186</a></span> +de troubler la vie de celui à qui je +dois la mienne! Mais comment le +rassurer? comment lui faire savoir +le serment que je fais de ne plus +chercher à pénétrer le secret qu'il +exige?» En disant ces mots, les yeux +de Valentine retombèrent sur la lettre +d'Anatole, et y virent, auprès +de la signature, l'adresse du ministre +des affaires étrangères. Elle présuma +que c'était là qu'Anatole attendait +sa réponse, et qu'il avait probablement +chargé un des secrétaires +du ministre de recevoir pour lui les +lettres dont l'adresse ne portait que +son nom de baptême. Persuadée +qu'elle remplissait un devoir indispensable, +elle s'empressa d'écrire un +billet dont les expressions nobles et +<span class="pagenum"><a name="Page_187" id="Page_187">187</a></span> +simples attestaient la franchise du +sentiment qui les avait dictées. Pas +un trait piquant, pas un mot dont +la coquetterie eût pu tirer parti. +C'était la promesse positive d'observer +religieusement le silence imposé +par Anatole, et dont la reconnaissance +lui fesait un devoir.</p> + +<p>Lorsque l'ame est émue d'un sentiment +généreux, les petites considérations +disparaissent; aussi Valentine +ne fut-elle point troublée dans +cette démarche par l'idée de répondre +à un inconnu, dont le but était +peut-être de s'amuser de sa crédulité, +et de profiter de la lettre qu'il avait +si facilement obtenue d'elle, pour +divertir ses confidents; une telle +supposition n'entra pas dans son +<span class="pagenum"><a name="Page_188" id="Page_188">188</a></span> +esprit, malgré sa disposition naturelle +à un peu de méfiance. Cependant +la conduite mystérieuse d'Anatole +en pouvait inspirer à de plus confiants. +Mais, sait-on jamais bien par +quel motif on doute, ou l'on croit? +N'a-t-on pas vu des illusions durer +toute la vie, malgré l'évidence attachée +à les détruire! Et la vérité qui +prouve n'est-elle pas souvent sacrifiée +à l'erreur qui persuade?</p> + +<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_189" id="Page_189">189</a></span></p> + +<h3><a name="CHAPITRE_XVII" id="CHAPITRE_XVII"></a>CHAPITRE XVII.</h3> + +<p class="p2">Mademoiselle Cécile avait si +bien exagéré l'indisposition de sa +maîtresse, qu'aussitôt après le dîner, +madame de Nangis, suivie de tous +ses convives, arriva chez la marquise, +pour s'informer des nouvelles de la +malade, et lui tenir compagnie. Ce +projet dérangeait beaucoup celui que +Valentine avait formé de passer la +soirée toute seule; mais elle n'en +témoigna point d'humeur. En entrant, +le docteur s'écria: «Vraiment, +je ne m'étonne pas qu'on ait la migraine +dans une chambre ainsi parfumée +<span class="pagenum"><a name="Page_190" id="Page_190">190</a></span> +de fleurs!» Et sans attendre +de réponse, il donna l'ordre à un +laquais de sortir tous les vases de +fleurs qui se trouvaient dans l'appartement; +madame de Nangis, accoutumée +à ce despotisme doctoral, ne +s'y opposa point. Mais Valentine +demanda grace pour son jasmin +d'Espagne, dont le parfum était trop +doux, à ce qu'elle assurait, pour +l'incommoder. Cette exception lui +valut bien des commentaires sur +l'envoi du jasmin, jusqu'au moment +où chacun s'accorda pour le mettre +sur le compte de l'ambassadeur d'Espagne. +Pendant que l'on s'occupait +de ce grand intérêt, le chevalier +d'Émerange s'apercevant qu'il tenait +encore à la main une branche d'héliotrope, +<span class="pagenum"><a name="Page_191" id="Page_191">191</a></span> +qu'il avait cueillie chez madame +de Nangis, la jeta dans le feu, +en s'excusant auprès de la marquise, +de n'avoir pas pensé plutôt que +cette fleur pouvait l'incommoder. La +comtesse s'aperçut de ce mouvement, +et le trouva tout simple; mais quand +elle vit le chevalier remplacer le +bouquet qu'il venait de jeter, par +une branche du jasmin de madame +de Saverny, elle prit un air boudeur +qui ne la quitta plus. Cette +familiarité déplut aussi à Valentine; +elle avait toujours présente à l'esprit +la conversation de la princesse, et +convenait que les manières du chevalier +pouvaient bien avoir donné +lieu au bruit qui circulait; pour en +détruire l'effet, elle prit avec lui un +<span class="pagenum"><a name="Page_192" id="Page_192">192</a></span> +ton de réserve qu'il remarqua avec +étonnement; il crut d'abord que c'était +un caprice, et voulut en triompher, +en redoublant de soins et de +gaîté; mais s'apercevant de l'inutilité +des frais de son esprit, il joua le dépit, +et devint silencieux. Le docteur profita +de l'auditoire qu'on lui cédait, +pour raconter un certain nombre +d'anecdotes burlesques, dont il connaissait +pour le moins aussi bien +l'effet que celui de ses recettes. Il +dut en être content, car l'on rit aux +éclats; et ce fut au milieu du bruit +qu'il avait provoqué, que le docteur +sortit enchanté de son succès, et +persuadé que lui seul s'entendait à +guérir de la migraine.</p> + +<p>Le dépit du chevalier ne le servant +<span class="pagenum"><a name="Page_193" id="Page_193">193</a></span> +pas mieux que sa coquetterie, il résolut +de demander franchement à +madame de Saverny en quoi il avait +eu le malheur de lui déplaire? Chez +beaucoup de gens la franchise est +encore une ruse, et souvent celle +qui leur réussit le mieux. Le chevalier +en fit une heureuse épreuve. +Valentine n'avait pas prévu qu'il dût +lui demander l'explication de sa nouvelle +manière de le traiter, et l'embarras +qu'elle mit à lui répondre +quelques mots insignifiants, fut interprété +par le chevalier en faveur +de son amour-propre. Il supposa +que l'humeur jalouse de madame de +Nangis avait inspiré à Valentine le +désir généreux de calmer les inquiétudes +de sa belle-sœur, en affectant +<span class="pagenum"><a name="Page_194" id="Page_194">194</a></span> +plus de froideur pour lui; et, sans +laisser apercevoir le plaisir qu'il ressentait +de cette prétendue découverte, +il dit à voix basse à la marquise, +que si elle persistait à le traiter avec +tant de sévérité, il regarderait ce +changement de manière, comme un +ordre de ne la plus revoir, et qu'il +s'y résignerait malgré toute l'étendue +du sacrifice. En écoutant le chevalier, +Valentine, qui n'osait lever +les yeux sur lui, les jeta sur madame +de Nangis; elle la vit pâlir et se +trouver mal; son premier mouvement +fut d'aller la secourir, mais la +comtesse revenant bientôt à elle, la +remercia sèchement de l'intention +qu'elle avait de la ramener dans son +appartement pour lui donner ses +<span class="pagenum"><a name="Page_195" id="Page_195">195</a></span> +soins; elle prétendit n'avoir besoin +de ceux de personne, et prit le bras +de M. d'Émerange, qui lui offrit de +la reconduire. Les amis qu'avait amenés +madame de Nangis, troublés par +cet événement, prirent congé de Valentine, +sans qu'elle y fît attention. +L'oreille encore frappée des derniers +mots de sa belle-sœur, et le cœur +oppressé du refus qu'elle avait fait +de ses soins, elle sentit ses yeux se +remplir de larmes, et s'affligea d'un +procédé dont elle craignit de deviner +la cause. L'arrivée d'Isaure la +tira de sa triste rêverie. «Eh mon +dieu! qu'est-ce donc qui se passe, +s'écria la petite, en embrassant Valentine. +Quoi! vous pleurez! Est-ce +que maman vous a grondée aussi?—Non, +<span class="pagenum"><a name="Page_196" id="Page_196">196</a></span> +mon enfant, mais je l'ai +vue souffrir, et cela m'a fait de la +peine.—Elle a été malade, n'est-il +pas vrai? Mademoiselle Cécile nous +l'avait bien dit.—Cela n'est pas inquiétant, +elle est beaucoup mieux +maintenant.—Ah! je le sais bien, +puisque j'ai été la voir tout-à-l'heure. +Mais elle était si en colère contre +M. d'Émerange, qu'elle m'a renvoyée +en disant à ma bonne de me coucher +tout de suite; cependant il n'est pas +encore neuf heures. Aussi j'ai demandé +à venir passer un petit moment +avec vous. Savez-vous qu'il +faut que ce M. d'Émerange ait bien +désobéi à maman, pour qu'elle se +fâche ainsi?—Que cela te fait-il? +Je t'ai cent fois répété qu'à ton âge +<span class="pagenum"><a name="Page_197" id="Page_197">197</a></span> +on comprenait tout de travers ce que +les grandes personnes se disent entre +elles, et que le mieux était de ne +jamais le répéter.—Eh bien! je ne +répéterai plus rien, je vous le promets, +ma tante.—Si tu tiens parole, +je te récompenserai.—Ah! que je +suis contente, que me donnerez-vous?—Choisis +ce que tu voudras.—Voici +bientôt le temps des étrennes, +je sais que mon papa doit me donner +une montre, maman une grande +poupée, il ne me manque plus qu'un +collier avec un joli médaillon; ah! +si vous vouliez m'en donner un avec +votre portrait dessus, je serais aussi +belle que la petite fille de la princesse +de L..., qui porte à son cou +le portrait de la Reine.—Puisque +<span class="pagenum"><a name="Page_198" id="Page_198">198</a></span> +tu le desires, tu auras le collier et +le portrait, mais tu connais nos conditions.—Ah! +je n'ai pas envie de +les oublier.—En disant ces mots, +Isaure souhaita le bonsoir à sa tante, +et se promit bien de lui obéir.</p> + +<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XVIII" id="CHAPITRE_XVIII"></a>CHAPITRE XVIII.</h3> + +<p class="p2">Plusieurs jours se passèrent sans +que Valentine pût rejoindre sa belle-sœur. +Elle était toujours sortie, ou +n'était point visible. Justement offensée +de cette affectation à ne la +pas recevoir, madame de Saverny +n'insista plus, et se refusa même le +plaisir de voir son frère, dans la +<span class="pagenum"><a name="Page_199" id="Page_199">199</a></span> +crainte d'être obligée de répondre +aux questions qu'il lui ferait probablement +sur le motif qui l'éloignait +de sa femme. Cependant l'ayant rencontré +un soir chez la princesse de +L..., et s'étant approchée de lui pour +lui témoigner ses regrets d'être restée +si long-temps sans le voir, elle fut +très-étonnée d'en être accueillie +d'un air sévère, et de lui entendre +dire qu'il était tout naturel de sacrifier +ses amis à ses adorateurs. Elle +se serait justifiée sans peine d'une +aussi injuste accusation, si les témoins +qui les entouraient le lui +avaient permis. Mais les réunions du +grand monde ont cela de particulier, +qu'on y peut toujours lancer une +injure, et jamais entrer en explication; +<span class="pagenum"><a name="Page_200" id="Page_200">200</a></span> +de là vient l'habitude que tant +de gens d'esprit ont contractée, de +se justifier d'un tort par une épigramme.</p> + +<p>Tourmentée par de pénibles réflexions, +Valentine pria la princesse +de la dispenser de faire une partie, et +se plaça auprès de sa table de jeu. +Le commandeur de Saint-Albert +vint bientôt l'y rejoindre, et voyant +l'expression de mécontentement répandue +sur son visage, il lui dit: +«Comment se fait-il qu'on ait le regard +aussi triste quand on vient de +causer tant de joie?—Je ne sais, +répondit madame de Saverny, sans +avoir l'air de comprendre la fin de +cette phrase, mais il est vrai qu'aujourd'hui +je suis assez maussade.—C'est +<span class="pagenum"><a name="Page_201" id="Page_201">201</a></span> +une manière de répondre +que vous ne vous souciez pas de me +dire ce qui vous importune; tranquillisez-vous, +je suis discret, et ne +demande jamais ce que je sais.—Puisque +vous êtes si bien instruit, +faites-moi, je vous en prie, la confidence +de ce que j'éprouve?—Non, +vraiment; je n'aime point à me mêler +des affaires de famille; d'ailleurs +vous savez si l'on perd son temps à +m'interroger?—Aussi n'ai-je plus +envie de rien savoir de vous.—C'est +dommage, car je me sens ce soir une +certaine disposition au bavardage, +dont votre curiosité aurait pu profiter.—Je +ne suis plus curieuse.—Je +l'avais bien prévu que ce caprice +ne durerait pas plus qu'un autre.—En +<span class="pagenum"><a name="Page_202" id="Page_202">202</a></span> +vérité, vous jugez de tout admirablement, +reprit Valentine avec +dépit; au reste, quand on prend la +reconnaissance pour du caprice, on +peut bien prendre le silence pour +de l'oubli.—Que la colère vous sied +bien! et que de gens aimables m'envieraient +le bonheur de vous animer +ainsi?—Ah! par grace, épargnez-moi +votre ironie, je ne saurais la supporter +aujourd'hui; c'est de votre +amitié seule que j'ai besoin.—Vous +y pouvez compter, reprit le commandeur +d'un ton plus affectueux, +et le moment approche où cette +amitié déconcertera, j'espère, plus +d'un projet.» Ces derniers mots auraient +laissé une impression profonde +dans l'esprit de madame de +<span class="pagenum"><a name="Page_203" id="Page_203">203</a></span> +Saverny, si une lettre qu'on lui remit +en rentrant chez elle n'eût changé +le cours de ses idées. Cette lettre +contenait les remerciements d'Anatole; +et comme une prière exaucée +en autorise nécessairement une +autre, il suppliait Valentine, dans +les termes les plus humbles de lui +accorder la permission de lui écrire +quelquefois. «Puisque le ciel me +condamne, ajoutait-il, à ne jamais +goûter le bonheur de ceux qui vous +entourent, ne me privez pas du +plaisir de vous peindre des sentiments +dignes de vous. Ils sont sans +danger pour votre repos; et votre +cœur fût-il libre, vous n'y sauriez +répondre. Je vous la répète, madame, +un obstacle invincible me sépare à +<span class="pagenum"><a name="Page_204" id="Page_204">204</a></span> +jamais de vous; mais la fatalité qui +s'oppose à mes vœux ne me rend +point indigne de votre confiance ni +de votre intérêt, et vous pouvez recevoir +en toute assurance l'hommage +d'un culte qui n'est dû qu'à la divinité.» +Plus bas on lisait que le renvoi +de cette lettre serait regardé +comme l'ordre de n'en plus adresser.</p> + +<p>Il serait trop long d'analyser tous +les sentiments que fit naître cette +lecture; le plus vif était bien certainement +celui dont Valentine n'osait +convenir avec elle-même. C'était ce +plaisir qui ravit l'ame au premier +aveu d'un amour qu'on désire; c'était +cette ivresse du cœur qui trouble +la raison au point d'ôter tout +souvenir du passé, pour se livrer +<span class="pagenum"><a name="Page_205" id="Page_205">205</a></span> +uniquement à l'espoir d'un avenir +enchanteur. Les chagrins, les obstacles, +tout disparaît devant l'idée +d'être aimée; on croit sincèrement +que l'amour a borné son ambition +à cet excès de félicité, et l'on défie +le malheur. Heureuse illusion, dont +rien ne remplace la perte!</p> + +<p>Absorbée dans sa douce rêverie, +Valentine se demandait comment +Anatole pouvait avoir conçu pour +elle un sentiment aussi vif, sans +la connaître. A cette question fort +raisonnable, son cœur répondait +par un retour sur lui-même qui lui +expliquait mieux ce mystère que +n'auraient pu le faire tous les calculs +de son esprit. D'ailleurs M. de +Saint-Albert avait probablement instruit +son ami de ce qui l'intéressait, +<span class="pagenum"><a name="Page_206" id="Page_206">206</a></span> +peut-être même s'était-il plu à parer +Valentine de toutes les qualités aimables, +pour mieux séduire l'imagination +exaltée d'Anatole. Ce projet n'avait +d'abord été que l'effet d'une +plaisanterie fondée sur l'aventure +romanesque de l'Opéra; mais il arrive +parfois que le même événement +qui fait rire un vieillard, fait rêver +un jeune homme; et tout prouvait +que celui-là avait laissé des traces +profondes dans le souvenir d'Anatole; +il est si naturel de s'attacher +aux objets de son dévouement, et +de vouloir aimer une femme déja captivée +par la reconnaissance! Voilà +les suppositions qui occupèrent long-temps +l'esprit de Valentine, avant +de s'arrêter sur la pensée de cet <i>obstacle +invincible</i>, qui aurait été le +<span class="pagenum"><a name="Page_207" id="Page_207">207</a></span> +premier sujet des réflexions de toute +autre personne. Son imagination n'en +fut pas vivement tourmentée: elle se +peignit Anatole soumis aux volontés +d'un père ambitieux, et peut-être +lié par des promesses qu'il n'osait ni +accomplir, ni enfreindre, réduit à +attendre sa liberté d'un malheur: +elle ne voyait dans sa conduite mystérieuse +qu'une preuve de la délicatesse +qui doit interdire à un homme +d'honneur le desir de faire partager +un sentiment malheureux. Enfin, à +travers cette obscurité profonde, elle +voyait clairement tout ce qui expliquait +à son gré la situation d'Anatole. +C'est ainsi que tout l'esprit imaginable +ne sauve pas des absurdités +du cœur.</p> + +<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_208" id="Page_208">208</a></span></p> + +<h3><a name="CHAPITRE_XIX" id="CHAPITRE_XIX"></a>CHAPITRE XIX.</h3> + +<p class="p2">Le jour de la semaine où madame de +Nangis recevait du monde étant arrivé, +Valentine pensa qu'à moins de se +dire malade, elle ne pouvait se dispenser +de paraître chez sa belle-sœur; +mais, pour éviter l'effet de quelque +nouveau caprice, elle lui fit demander +si elle serait visible. Tant de cérémonial +rappella à madame de Nangis +ses impolitesses envers madame de +Saverny, et lui inspira quelque desir +de les réparer. Elle fit répondre +qu'elle la verrait avec le plus grand +plaisir. Mais quand Valentine entra +<span class="pagenum"><a name="Page_209" id="Page_209">209</a></span> +chez elle, brillante de fraîcheur et +d'élégance, la comtesse sentit expirer +sa bonne volonté, et quelques mots +plus froidement polis qu'affectueux +remplacèrent l'accueil qu'elle s'était +promis de lui faire.</p> + +<p>La curiosité avait attiré beaucoup +de monde chez madame de Nangis. +La jalousie que lui inspirait sa belle-sœur +n'était plus un secret pour personne; +il est vrai que M. d'Émerange, +en la niant partout, ne manquait +pas une occasion de la provoquer; +chaque jour amenait, entre lui et la +comtesse, de ces petites scènes qui +font ordinairement le désespoir des +acteurs et l'amusement du public; +on s'attendait à tous moments à quelque +bon scandale dont les détails piquants +<span class="pagenum"><a name="Page_210" id="Page_210">210</a></span> +alimenteraient pendant trois +jours au moins la conversation générale; +et chacun desirait pouvoir les +raconter avec toute l'autorité d'un +témoin.</p> + +<p>M. de Nangis était, comme c'est +assez l'ordinaire, le seul qui ne s'aperçût +pas du trouble qui régnait +dans sa maison; il allait se plaignant +à tous ses amis de la mauvaise +santé de sa femme, dont les maux +de nerfs augmentaient d'une manière +inquiétante. Les plus charitables +l'engageaient à faire faire un +voyage à la comtesse, soit à Plombières +ou à Barège; mais la saison ne +permettait pas de prendre les eaux, +et ce conseil restait au nombre de +ceux qu'on donne sans y penser, +<span class="pagenum"><a name="Page_211" id="Page_211">211</a></span> +bien sûr qu'ils seront écoutés de +même. Après avoir longuement fait +remarquer que sa femme maigrissait +et changeait beaucoup, M. de Nangis +s'approcha de sa sœur, et par +l'effet d'un de ces à-propos dont la +malignité est si reconnaissante, il +s'écria: «Vous voilà donc enfin? +J'ai cru que c'était un parti pris +de nous abandonner. Savez-vous +bien que depuis près de quinze +jours on n'a pas eu le plaisir de +vous voir ici.—Ce n'est pas ma +faute, répondit Valentine, en cachant +mal l'embarras que lui causait +la position ridicule de son frère aux +yeux des gens qui l'écoutaient en +souriant.—Ah! je m'en doute bien, +reprit le comte, en s'efforçant de +<span class="pagenum"><a name="Page_212" id="Page_212">212</a></span> +prendre un ton léger, c'est peut-être +une plume, un chapeau, ou quelques +grands intérêts de ce genre qui +nous ont valu cette longue absence. +Il faut si peu de chose pour brouiller +deux jeunes femmes!» Fort heureusement +pour tous deux, la visite d'un +grand personnage vint interrompre +cette conversation. Valentine tenta +de se rapprocher de quelques femmes +avec lesquelles elle causait habituellement, +mais elle ne vit pas sans surprise +que toutes semblaient l'éviter, +et affecter de lui répondre avec une +sorte de dédain qui tenait de l'indignation. +La plupart se levaient à +chaque instant pour aller demander +à la comtesse comment elle se trouvait, +et cela d'un ton de pitié qui +<span class="pagenum"><a name="Page_213" id="Page_213">213</a></span> +semblait dire: Pauvre femme! comme +elle vous rend malheureuse. L'une +d'elles, moins discrète que les autres, +se mit à dire, de manière à être +entendue de madame de Saverny: +«C'est une véritable indignité; jouer +un pareil tour à une amie qui vous +accueille ainsi!» Fatiguée de toutes +ces impertinences, Valentine se serait +retirée chez elle, si madame de +Nangis n'était venue la prier de faire +le whist de trois graves personnes +de qui l'âge et le rang réclamaient des +attentions particulières, et dont la +comtesse était bien aise de s'acquitter, +par les soins complaisants de sa belle-sœur. +Reléguée, pour ainsi dire, +dans un autre siècle, madame de Saverny +passa la soirée dans l'ignorance +<span class="pagenum"><a name="Page_214" id="Page_214">214</a></span> +de ce qui occupa le reste de la société; +elle entendit seulement quelques +éclats de rire de madame de +Nangis, qui lui firent présumer que +le chevalier d'Émerange racontait +une histoire dont le récit plaisant +avait triomphé de la langueur de +la comtesse. Lorsque ce long whist +fut terminé, le chevalier s'approcha +de Valentine, dans l'intention de reprendre +la conversation que madame +de Nangis avait si tragiquement +interrompue; mais le souvenir +de cette scène ridicule inspira à +Valentine une si vive frayeur de la +voir recommencer, qu'elle s'éloigna +du chevalier sans presque se donner +le temps de lui répondre. Cet empressement +à le quitter parut d'autant +<span class="pagenum"><a name="Page_215" id="Page_215">215</a></span> +plus affecté, que Valentine resta +seule quelques moments au milieu +du salon sans savoir à qui adresser +la parole; madame de Nangis, qu'un +plus long entretien entre le chevalier +et sa belle-sœur aurait sans doute +portée à quelque nouvelle extravagance, +se blessa du motif qui avait +déterminé Valentine à s'éloigner si +brusquement de lui; tant il est vrai +que rien ne peut calmer les agitations +d'un amour-propre jaloux! Tout +l'offense ou l'humilie, et, pour l'orgueil +irrité, les égards mêmes sont +encore des outrages.</p> + +<p>La situation de madame de Saverny +au milieu de ce cercle de curieux, +d'envieux ou d'ennemis, lui devint +bientôt insupportable, et elle profita +<span class="pagenum"><a name="Page_216" id="Page_216">216</a></span> +de la première occasion qui +s'offrit, pour s'y soustraire. Quand +elle se vit heureusement délivrée +des ennuis qui l'avaient accablée +dans cette soirée, elle réfléchit aux +moyens de s'en épargner de semblables. +Cette manière de vivre lui +présageait des chagrins de famille +qu'il fallait éviter à tout prix; mais +comment y parvenir? Elle ne pouvait +réclamer les conseils de son +frère dans cette circonstance, sans +trahir la comtesse; et son cœur en +était incapable. Cependant elle sentait +la nécessité de s'éloigner d'une +maison où sa présence jetait autant +de trouble; et si la saison l'avait permis, +elle serait retournée au château +de Saverny. Mais quitter ainsi Paris +<span class="pagenum"><a name="Page_217" id="Page_217">217</a></span> +au milieu de l'hiver, et sans pouvoir +donner à son voyage un motif raisonnable, +c'était presque constater +une rupture dont le public aurait +tiré de grandes conséquences; et puis +s'éloigner de l'objet de sa reconnaissance +pour aller vivre seule et livrée +à de tristes souvenirs, c'était renoncer +à tout espoir de bonheur. Ces +inconvénients se représentant sans +cesse à l'esprit de Valentine, la décidèrent +à se résigner encore quelque +temps à supporter ceux de sa +situation présente. Elle se flatta de +l'idée que, touchée de ses soins à +détruire toute apparence de rivalité +entre elles, sa belle-sœur reviendrait +bientôt à la raison, et par conséquent +à ses devoirs. Ce n'est pas +<span class="pagenum"><a name="Page_218" id="Page_218">218</a></span> +que Valentine supposât qu'elle y eût +jamais complètement manqué; elle +pensait avec justice qu'une femme +dominée par la vanité peut se donner +bien des torts avant d'être tout-à-fait +coupable. Mais elle sentait +bien aussi que le monde ne jugeait +pas avec la même indulgence, et +elle redoutait pour la comtesse les +arrêts de ce tribunal sévère qui condamne +sans entendre. Elle en eût +été moins effrayée, si l'expérience +lui avait appris que ces funestes arrêts +ne tombent jamais sur les gens +heureux.</p> + +<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_219" id="Page_219">219</a></span></p> + +<h3><a name="CHAPITRE_XX" id="CHAPITRE_XX"></a>CHAPITRE XX.</h3> + +<p class="p2">Une de ces matinées où les rayons +du soleil semblent engager les élégantes +de Paris à braver le froid +pour venir se promener en foule sur +la terrasse des Tuileries, Isaure vint +proposer à sa tante de l'y conduire. +Valentine, après s'être assurée que +madame de Nangis y consentait, fit +monter Isaure dans sa voiture, et +toutes deux arrivèrent bientôt dans +ce beau jardin, qui était alors le +rendez-vous de la meilleure compagnie. +Valentine n'y resta pas long-temps +sans rencontrer un grand +<span class="pagenum"><a name="Page_220" id="Page_220">220</a></span> +nombre de personnes de sa connaissance; +mais la seule dont elle voulut +accepter le bras fut M. de Saint-Albert, +qui dit, en la remerciant du +choix: Voilà les profits de mon âge. +En achevant ces mots, il sentit tressaillir +le bras de Valentine. Surpris +de ce mouvement, il regarde ce +qui peut l'avoir occasionné, et ses +yeux rencontrent ceux d'Anatole. Il +le voit saluer respectueusement madame +de Saverny; puis s'approchant +de lui, Anatole lui serre la main en +levant les yeux au ciel, comme pour +lui dire: <i>Que vous êtes heureux!</i></p> + +<p>Sans faire la moindre réflexion +sur l'émotion qu'il avait remarquée, +le commandeur proposa à Valentine +de s'asseoir dans un endroit échauffé +<span class="pagenum"><a name="Page_221" id="Page_221">221</a></span> +par le soleil; elle y consentit d'autant +mieux, qu'elle avait assez de +peine à se soutenir. L'aspect inattendu +d'Anatole avait produit sur tous +ses sens une impression nouvelle +qui la dominait au point de ne plus +être en état de parler que de lui; +mais comme elle voulait avant tout +respecter son secret, elle chercha ce +qu'elle en pourrait dire sans risquer +de violer la promesse qu'elle lui avait +faite, et ne trouva rien de mieux +que de vanter l'extrême ressemblance +du buste qui se trouvait dans +la bibliothèque du commandeur.—En +effet, reprit ce dernier, j'en ai +été frappé comme vous lorsque je +le vis pour la première fois dans +l'atelier du fameux G... Il revenait +<span class="pagenum"><a name="Page_222" id="Page_222">222</a></span> +alors d'Italie, d'où il rapportait des +objets d'art précieux, que se disputèrent +bientôt les amateurs. Ravi de +retrouver les traits d'un de mes amis +dans cette belle tête, j'en fis l'acquisition; +l'artiste crut en rehausser le prix +à mes yeux, en m'assurant qu'elle +était copiée d'après l'Hector antique; +mais lorsque je lui dis franchement le +motif qui me déterminait à l'acheter, +il m'avoua de même qu'ayant eu le +bonheur de rencontrer à Rome un +jeune homme d'une figure admirable, +il s'était permis de faire plusieurs +copies du portrait qui lui en avait +été demandé. Après diverses questions, +j'acquis la certitude que ce +bel Hector n'était autre qu'Anatole, +et la ressemblance fut expliquée.—Il +<span class="pagenum"><a name="Page_223" id="Page_223">223</a></span> +dut être fort étonné, je pense, +reprit Valentine, de se retrouver +ainsi chez vous.—Comment donc! +il m'a fait une véritable querelle pour +avoir encouragé la mauvaise foi du +sculpteur, qui se permettait de le +vendre ainsi déguisé en grec; il +prétendait que le ridicule en retombait +sur lui; j'ai eu toutes les +peines du monde à l'empêcher de +briser ce malheureux buste, et je ne +l'ai conservé qu'à la condition de +nier qu'il eût le moindre rapport +avec ses traits.—Madame de Nangis +peut attester que vous lui tenez +votre parole.—Et madame de Saverny, +que j'y manque: n'est-ce pas +ce que vous voulez dire?—Non vraiment, +vous savez bien qu'on ne se +<span class="pagenum"><a name="Page_224" id="Page_224">224</a></span> +croit jamais indigne d'une confidence; +d'ailleurs, votre ami a des +droits à ma discrétion, et je crois +déjà lui avoir prouvé qu'il y pouvait +compter.—En effet, j'admire +la vôtre, et je m'accuse même d'avoir +voulu l'éprouver. Dans la joie qui +l'enivrait, Anatole m'a confié la promesse +qu'il a reçue de vous; je n'ai +douté ni de votre sincérité en la +donnant, ni de votre résolution d'y +rester fidèle; mais entre la volonté +de remplir un vœu, et la puissance +de l'accomplir, la distance est fort +grande, et j'ai été bien aise de me +convaincre que, pour vous, prendre +et tenir un engagement était une +même chose.—Puisque vous savez +la parole qui me lie, je ne crains +<span class="pagenum"><a name="Page_225" id="Page_225">225</a></span> +pas d'y manquer avec vous. Mais, +pour concilier ma religion sur ce +point avec le plaisir de m'entretenir +d'une personne à laquelle j'ai tant +d'obligations, convenons d'un point +qui tranquillisera ma conscience et +la vôtre. Le motif du mystère qu'il +exige vous est connu; eh bien! ne +me répondez jamais sur ce qu'il faut +que j'ignore; par ce moyen, je vous +parlerai sans crainte, et je vous +écouterai sans scrupule.—Rien ne +s'oppose à cette condition, et je +vous promets de l'observer; mais à +quoi vous mènera-t-elle? Qui sait? +peut-être aurai-je besoin de vos +avis.—Pour l'aimer, interrompit en +souriant le commandeur; ah! je ne +donne jamais de conseils dans ces +<span class="pagenum"><a name="Page_226" id="Page_226">226</a></span> +grands intérêts. Que voulez-vous +que fasse la raison où règne la fantaisie?—Mais, +qui vous parle d'aimer? +Ne saurait-on réclamer vos +conseils que pour une fantaisie? En +vérité vous découragez la confiance.—J'ai +cela de commun avec ceux +qui la méritent; mais je ne veux pas +perdre la vôtre pour une mauvaise +plaisanterie, qu'Anatole ne me pardonnerait +pas.—Ah! c'est uniquement +par égard pour lui que vous +me ménagez? Je me croyais plus de +droits à votre complaisance.—Vous +en avez sur tous mes sentiments; +mais je dois l'avouer, les droits d'Anatole +l'emportent dans mon cœur, et +je ne puis vous cacher que s'il arrivait +que je fusse obligé de sacrifier +<span class="pagenum"><a name="Page_227" id="Page_227">227</a></span> +votre intérêt au sien, je n'hésiterais +pas.—Voilà de la bonne foi; et, +malgré ce que cette déclaration a +de peu flatteur pour moi, je ne puis +m'empêcher d'estimer beaucoup celui +qui vous inspire une telle amitié. +Je crois vous connaître assez pour +être sûre que vous ne pouvez aimer +autant, qu'un homme fort distingué.—Et +vous avez raison, reprit le commandeur +en se levant pour rejoindre +madame de Réthel, qui l'attendait.</p> + +<p>Dans ce moment le chevalier +d'Émerange vint à passer, et fut +arrêté par un jeune homme qui lui +dit: «Ah, mon ami, dites-moi quelle +est cette belle femme, qui parle tout +près d'ici à une petite fille aussi fort +jolie? J'arrive d'Allemagne, où mon +<span class="pagenum"><a name="Page_228" id="Page_228">228</a></span> +père m'a laissé impitoyablement pendant +un an, et je ne connais plus +une de vos beautés à la mode.» A +cette exclamation, le chevalier reconnut +l'effet que produisait ordinairement +la première vue de madame +de Saverny. Il la nomma à +son admirateur, qui s'empressa de +lui demander s'il ne pourrait pas le +présenter chez elle.—Non, certes, +répondit le chevalier, d'un air qu'il +s'efforçait de rendre modeste; je suis +bien loin d'avoir assez d'intimité +dans sa maison pour oser y présenter +personne. En disant cela, il +s'approchait de Valentine, qui venait +de se lever dans l'intention de +rejoindre sa voiture; il lui offrit de +l'y conduire, et n'ayant point de +<span class="pagenum"><a name="Page_229" id="Page_229">229</a></span> +bonnes raisons pour le refuser, elle +fut contrainte de l'accepter. Le regret +qu'elle en ressentait redoubla, +lors qu'elle rencontra pour la seconde +fois Anatole. Le desir d'éviter +les plaisanteries du chevalier sur +cette rencontre, lui fit tourner la +tête de son côté, et lui adresser la +parole pour fixer son attention, et +l'empêcher de remarquer Anatole. +Cette petite ruse réussit. Le chevalier +enchanté de se montrer à tout Paris, +presqu'en tête-à-tête avec madame +de Saverny, et plus heureux encore +de la bonne grace qu'elle mettait à +lui parler, n'aperçut point Anatole; +Valentine aussi s'efforça de ne le pas +voir, et cependant la pâleur qu'elle +remarqua sur son visage, vint attrister +<span class="pagenum"><a name="Page_230" id="Page_230">230</a></span> +la fin d'une journée qui promettait +d'assez doux souvenirs.</p> + +<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXI" id="CHAPITRE_XXI"></a>CHAPITRE XXI.</h3> + +<p class="p2">A dater de ce jour, madame de +Saverny perdit de son goût pour la +retraite, et en prit un très-vif pour +la promenade et les spectacles; il est +vrai qu'un hasard assez explicable +l'y fesait rencontrer souvent Anatole, +placé presque toujours dans l'endroit +le plus obscur de la salle, aux +loges du rez-de-chaussée; il était +plutôt deviné qu'aperçu par Valentine, +à qui la moindre lueur suffisait +pour lire sur les traits d'Anatole tout +<span class="pagenum"><a name="Page_231" id="Page_231">231</a></span> +ce qui se passait dans son cœur. Une +certaine retenue l'engageait parfois +à fuir ses regards; mais alors un +attrait irrésistible semblait triompher +de sa volonté, et ses yeux revenaient +d'eux-mêmes puiser dans +ceux d'Anatole le feu qui les animait.</p> + +<p>Depuis que madame de Nangis +affectait de s'éloigner de Valentine, +madame de Réthel s'en rapprochait. +Une grande conformité de principes +et de goût rendait chaque jour leur +liaison plus intime. Le commandeur +s'en réjouissait, car c'était son ouvrage. +En effet, révolté de l'abandon +où madame de Nangis laissait sa +belle-sœur, il avait conçu l'idée d'engager +sa nièce à la suivre quelquefois +<span class="pagenum"><a name="Page_232" id="Page_232">232</a></span> +dans le monde, où la réputation +d'une jeune femme dépend si souvent +de celle qui l'accompagne: madame +de Réthel, flattée de cette préférence, +se prêtait de bonne grace +aux desirs que témoignait Valentine, +et trouvait tout simple qu'ayant été +élevée à la campagne, elle voulût +un peu s'amuser des plaisirs de Paris. +Madame de Nangis voyait naître cette +intimité avec satisfaction; car elle +connaissait l'antipathie de M. d'Émerange +pour madame de Réthel, et +elle espérait que tous les charmes de +Valentine ne le détermineraient pas +à braver le mal-aise qu'il éprouvait +toujours en présence de madame de +Réthel. Pendant quelque temps cette +supposition se trouva juste; mais le +<span class="pagenum"><a name="Page_233" id="Page_233">233</a></span> +chevalier se lassa bientôt d'un éloignement +si contraire à ses projets. +On le vit redoubler d'assiduités auprès +de madame de Saverny, en dépit +de tout ce qu'elle tentait pour +s'y soustraire. Il imagina un moyen +de la contraindre à recevoir ses soins, +en confiant sous le secret, au comte +de Nangis, le dessein qu'il avait de +lui demander la main de sa sœur, +aussitôt que la mort d'un vieil oncle +le rendrait héritier d'un grand titre +et d'une fortune considérable. M. de +Nangis savait que les espérances du +chevalier étaient bien fondées; et +de plus que cet oncle, attaqué d'une +maladie grave, ne pouvait prolonger +long-temps l'impatience de son neveu. +L'idée de ce mariage enchantait +<span class="pagenum"><a name="Page_234" id="Page_234">234</a></span> +la vanité de M. de Nangis, et il ne +doutait pas que sa sœur n'en fût aussi +flattée que lui; il voyait d'avance dans +son futur beau-frère, un homme +dont l'esprit et la fortune obtiendraient +bientôt le plus grand crédit +à la cour; et l'on sait qu'aux yeux +de M. de Nangis, avoir du crédit, +c'était posséder toutes les qualités +humaines.</p> + +<p>D'après l'effet d'un sentiment délicat, +que le chevalier sut bien faire +valoir, il prévint le comte que rien +ne l'engagerait à se déclarer à madame +de Saverny, avant l'événement +qui devait le mettre à portée de lui +offrir une fortune digne d'elle. Cette +réserve fut très-approuvée; et M. de +Nangis promit de récompenser tant +<span class="pagenum"><a name="Page_235" id="Page_235">235</a></span> +de délicatesse, en donnant au chevalier +les occasions les plus fréquentes +de témoigner à Valentine +le desir qu'il avait de lui plaire. C'est +par suite de cette convention que +M. d'Émerange se fesait conduire +par le comte, dans tous les lieux où +il savait rencontrer madame de Saverny, +et qu'il s'assurait l'accueil +que l'on ne peut refuser à un ami +de sa famille. On présume bien que +le chevalier avait fait promettre avant +tout à M. de Nangis, de ne point +mettre la comtesse dans la confidence, +sous le prétexte assez plausible +qu'elle n'en saurait pas garder +le secret à sa belle-sœur. Mais l'habitude +que M. de Nangis avait de +traiter sa femme à-peu-près comme +<span class="pagenum"><a name="Page_236" id="Page_236">236</a></span> +un enfant, rendait la recommandation +inutile.</p> + +<p>Valentine, loin de deviner ce qui se +passait entre eux, se demandait souvent +comment la gravité de son frère +pouvait s'arranger de la conversation +d'un ami aussi léger; mais elle s'en +étonnait moins en pensant à l'extrême +facilité de M. d'Émerange, à +prendre le ton qui convenait le mieux +aux gens qu'il avait intérêt de captiver, +et cette réflexion lui fesait +craindre de voir cette amitié durer +beaucoup trop long-temps pour le +repos de toute sa famille. Le sien en +fut le premier troublé, car à la suite +d'une soirée que le chevalier avait +passée dans la loge de madame de +Saverny, voici le billet qu'elle reçut:</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_237" id="Page_237">237</a></span> +<span class="smcap">Anatole a Valentine.</span></p> + +<p>«Serait-il possible que l'être le +plus parfait se fût laissé séduire par +les agréments frivoles d'un homme +incapable d'aimer; tant de beauté, +de qualités célestes, deviendraient +le partage d'un cœur égoïste? et +celui que le plus pur amour anime, +n'obtiendrait pas même un souvenir! +Non, sur ce fait, je n'en +croirai que vous; s'il est vrai que +l'insensibilité, l'ironie, enfin toutes +les vertus d'un fat, aient le don +de vous plaire, je ne dois plus rien +adorer au monde, et vous me verrez +fuir désespéré, comme le malheureux +dont un profane vient de +renverser l'idole.»</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_238" id="Page_238">238</a></span> +Le ton de ce billet offensa Valentine, +et, sans pitié pour le sentiment +qu'il exprimait, elle ne vit que l'injustice +de vouloir dicter des lois sans +s'exposer à en recevoir.</p> + +<p>Puisqu'un obstacle que j'ignore, +pensa-t-elle, doit me priver éternellement +du plaisir de le voir, de +quel droit m'imposerait-il le sacrifice +des soins qu'un autre peut m'offrir? +Certes, je n'encourage pas ceux +du chevalier, et ne cache pas même +assez à quel point je les redoute; +mais si des motifs qui me sont personnels +m'engagent à détruire ses +espérances, je n'en veux recevoir +l'ordre de personne. C'est ainsi que +la fierté de Valentine s'indignait de +l'empire qu'Anatole se croyait déja +<span class="pagenum"><a name="Page_239" id="Page_239">239</a></span> +sur elle. Tant de despotisme lui semblait +autorisé par la faiblesse qu'elle +avait eue de recevoir ses lettres après +l'aveu qu'il avait osé lui faire, elle +se reprochait même d'avoir répondu +à la première, et plus encore, de +s'être laissée tromper par l'apparence +de cette respectueuse soumission qui +paraissait devoir la rassurer sur tous +les sentiments d'Anatole. Cependant +elle aurait bien voulu accorder les +intérêts de son cœur et ceux de sa +dignité; mais son imagination chercha +vainement un moyen d'instruire +Anatole de l'indifférence que lui +inspiraient tous les agréments du +chevalier, sans qu'elle fût obligée +de se justifier elle-même du tort de +le trouver aimable.</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_240" id="Page_240">240</a></span> +Une visite du commandeur vint +très-à-propos la tirer de cet embarras. +Il s'aperçut bientôt du ressentiment +qu'elle tâchait de dissimuler, et sans +en demander la cause, il s'amusa à +la deviner; il parla d'abord des folies +de madame de Nangis, comme d'un +sujet très-propre à donner de l'humeur; +mais Valentine se mit à excuser +la comtesse avec tant de douceur et +d'indulgence, que le commandeur +se dit: Non, ce n'est pas cela: et il +passa au chevalier d'Émerange. Valentine +ne laissa point échapper cette +occasion de lui avouer combien elle +était contrariée du bruit qui se répandait +dans le monde sur son prétendu +mariage avec le chevalier; +elle entra dans tous les détails qui +<span class="pagenum"><a name="Page_241" id="Page_241">241</a></span> +devaient le mieux convaincre M. de +Saint-Albert, du peu de succès du +chevalier auprès d'elle, et comme +elle en parlait naturellement et sans +dépit, le commandeur se dit: Ce +n'est pas encore cela. Après avoir +tenté aussi inutilement plusieurs autres +épreuves, il pria Valentine de lui +montrer ce fameux jasmin dont madame +de Réthel raffolait, et qu'elle +prétendait être plus beau que celui +de la princesse de L...—Je suis +charmée qu'il lui plaise autant, répondit +Valentine, avec un empressement +extraordinaire, je vais le faire +porter chez elle. En disant ces mots, +elle sonna pour en donner l'ordre, +et mit tant de vivacité dans ce mouvement, +que le commandeur soupçonna +<span class="pagenum"><a name="Page_242" id="Page_242">242</a></span> +qu'il était l'effet d'une résolution +pénible; il assura que madame +de Réthel ne consentirait jamais +à causer tant de chagrin à celui +qui lui avait offert ce bel arbuste.—Vraiment, +reprit Valentine, en +affectant un air gai que l'inflexion +de sa voix démentait; en le donnant, +je ne fais d'injure à personne, car +j'ignore à qui je le dois.—Et moi, +je le sais, répliqua le commandeur; +et c'est au nom de l'amitié que je +vous prie de le conserver. Ma nièce +saura l'aimable intention que vous +aviez de lui faire ce joli présent; un +autre l'apprendra peut-être aussi, +cela doit suffire à votre vengeance. +En finissant ces mots, M. de Saint-Albert +quitta madame de Saverny, +<span class="pagenum"><a name="Page_243" id="Page_243">243</a></span> +et la laissa confondue de se voir ainsi +devinée; mais il rit en lui-même du +succès de sa petite ruse. En se rappelant +les soins de Valentine à lui +prouver qu'elle n'aimait point le +chevalier, son agitation au premier +mot qu'il lui avait adressé sur un +sujet relatif à Anatole, et le dépit +qu'elle avait montré en sacrifiant un +présent qu'elle croyait tenir de lui, +il présuma que quelques reproches +dictés par la jalousie avaient excité +cette grande colère; et il se dit: Pour +le coup, c'est cela.</p> + +<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_244" id="Page_244">244</a></span></p> + +<h3><a name="CHAPITRE_XXII" id="CHAPITRE_XXII"></a>CHAPITRE XXII.</h3> + +<p class="p2">On était à la veille du jour de l'an, +de ce jour où tout se fait par étiquette, +même une visite à son ami. +On voyait les boutiques de Paris +remplies de gens qui, par économie +ou par avarice, marchandaient avec +acharnement des objets de fantaisie, +achetés à regret, pour être quelquefois +offerts et reçus sans plaisir. +Chacun se tourmentait pour deviner +comment il pourrait satisfaire à bon +marché le caprice d'une parente ou +d'une amie; après avoir rêvé aussi +sérieusement à ce grand intérêt, que +s'il s'agissait de tous ceux de l'Europe, +<span class="pagenum"><a name="Page_245" id="Page_245">245</a></span> +le jour solennel arrivait et rien +n'était décidé; alors on se détermine +à payer, deux fois sa valeur, la première +chose venue, pour s'acquitter +à temps d'un impôt d'autant plus +exactement perçu, qu'il est mis sur +l'amour-propre.</p> + +<p>Madame de Nangis, placée auprès +d'une table couverte de bonbons, +de joujoux, recevait de l'air le plus +gracieux la foule de courtisans qui +venaient lui apporter leurs offrandes. +Le plus ingénieux dans le choix +de ses étrennes avait l'honneur de +les voir passer à la ronde, et d'entendre +toutes les femmes se récrier +sur son bon goût; l'objet de cette +admiration n'était souvent que de la +moindre valeur: car, en ce genre, +<span class="pagenum"><a name="Page_246" id="Page_246">246</a></span> +le <i>génie</i> de la nouveauté est tout, +et l'on remarquait de vieux parents +fort déconcertés de voir leurs solides +cadeaux reçus avec indifférence, tandis +qu'un almanach ou un pantin +excitait la reconnaissance la plus +vive. Le comte de Nangis éprouva ce +désagrément dans toute sa rigueur; il +avait imaginé de donner à sa femme +une boîte à ouvrage la plus riche et +la plus complète; c'était à-peu-près +le seul bijou qu'elle n'eut pas, et +le comte était ravi d'en avoir fait la +découverte; mais madame de Nangis +l'eut à peine remercié de son +présent, qu'elle dit à ses amies:—Que +vais-je faire de cette boîte à ouvrage, +moi qui ne travaille jamais!—Vous +me la donnerez, dit la petite +<span class="pagenum"><a name="Page_247" id="Page_247">247</a></span> +Isaure, qui entrait dans ce moment +suivie de sa gouvernante anglaise, +dont l'air capable et sévère annonçait +quelque chose de solennel. En +effet, elle réclama quelques instants +de silence pour qu'Isaure pût faire +entendre le compliment qu'elle devait +adresser à sa mère. La pauvre +enfant, plus tremblante qu'un criminel +que l'on va juger, se plaça +au milieu d'un grand cercle, et les +yeux fixés à terre, elle balbutia quelques +mots d'anglais qu'elle avait appris +sans les comprendre, et qui furent +applaudis sans être entendus. +On s'extasia sur la facilité des enfants +à apprendre les langues étrangères; +et la petite Isaure fut bien récompensée +de l'effort qu'elle venait de +<span class="pagenum"><a name="Page_248" id="Page_248">248</a></span> +faire, en parlant pour la première +fois en public, par la quantité d'étrennes +qu'elle reçut de toutes parts.</p> + +<p>Celles de sa tante furent les mieux +accueillies, et l'on doit ajouter à la +gloire d'Isaure, qu'elle les avait bien +méritées. On se rappelle qu'elles devaient +être le prix de sa discrétion. +Pour l'éprouver davantage, la marquise +avait commandé au peintre +qui venait d'achever son portrait, de +commencer celui d'Isaure. Elle se +proposait de l'offrir à la comtesse, +mais, pour que la surprise fût complète, +il fallait obtenir d'Isaure qu'elle +en gardât le secret. C'était beaucoup +pour une petite fille accoutumée à +raconter tout ce qu'elle voyait ou +entendait dans la journée. Cependant +<span class="pagenum"><a name="Page_249" id="Page_249">249</a></span> +le desir de plaire à sa tante, de +mériter ce qu'elle lui avait promis, +et cette petite vanité qui porte les +enfants de tout âge à chercher les +moyens de triompher d'une difficulté +que l'on paraît croire au-dessus de +leurs forces, donnèrent à Isaure le +courage de tenir sa parole, elle se +trouva bien heureuse de ce premier +avantage remporté sur son caractère, +quand elle vit la joie de sa mère, en +reconnaissant les traits de son enfant +sur les simples tablettes que lui offrait +Valentine. Crainte, soupçons, +chagrins, ressentiment, tout disparut +devant cette douce image; le cœur +ému triompha de l'amour-propre +égaré; et la comtesse, les yeux remplis +de larmes, vint se jeter dans les +<span class="pagenum"><a name="Page_250" id="Page_250">250</a></span> +bras de sa belle-sœur. Elles ne se +dirent pas un mot; mais l'expression +de leurs visages ne laissa pas le moindre +doute sur la sincérité de leur +réconciliation. Un petit nombre de +personnes en fut attendri, les autres +s'en consolèrent, en disant: Cela ne +durera pas long-temps: et le ciel, qui +exauce parfois le vœu des méchants, +accomplit cette prédiction.</p> + +<p>Après avoir vanté la ressemblance +du portrait d'Isaure, on discuta celle +du portrait de la marquise; les femmes +le trouvaient trop flatté, et les +hommes, beaucoup moins joli qu'elle. +Le chevalier d'Émerange en paraissait +plus mécontent qu'un autre; il +y voyait mille défauts: et le plus +grand, c'était, disait-il en confidence +<span class="pagenum"><a name="Page_251" id="Page_251">251</a></span> +à Valentine, cet air sensible, ce regard +presque tendre, et ce sourire +enchanteur que l'artiste a pris sur +lui de vous donner. Non, ajoutait-il, +plus je le regarde, et moins je vois +de rapport entre cette femme et +vous. Ce visage offre l'image parfaite +d'une personne qui ne saurait vivre +sans aimer, et vous savez qu'avec le +vôtre on se contente de plaire. A +cette première injure le chevalier +en ajouta d'autres sur la froideur, +l'insensibilité de Valentine: il finit +par conclure que le bonheur d'être +admirée remplirait tous les instants +de sa vie, et qu'elle était condamnée +à ignorer toujours les plaisirs de la +tendresse. Il prononça cette sentence +avec l'accent de pitié que l'on prend +<span class="pagenum"><a name="Page_252" id="Page_252">252</a></span> +ordinairement en parlant d'une maladie +incurable, qui ne permet plus +de rien attendre du malheureux qui +en est atteint.</p> + +<p>Cette manière de la juger déplut +à Valentine; elle n'avait nulle envie +de détromper le chevalier, en lui +témoignant plus d'affection, mais +elle était blessée de l'idée qu'il n'attribuât +son indifférence qu'à la sécheresse +de son cœur; et cela, dans +le moment même où ce cœur était +si douloureusement affecté d'un sentiment +tendre! Cette réflexion la rendit +à toutes les pensées tristes dont +la réconciliation sincère de sa belle-sœur +l'avait distraite un instant. Elle +en parut absorbée. Le chevalier et +madame de Réthel le remarquèrent, +<span class="pagenum"><a name="Page_253" id="Page_253">253</a></span> +l'un s'en réjouit; l'autre tâcha de +dissiper la tristesse dont elle ignorait +la cause. Dans cette espérance, +madame de Réthel proposa à la marquise +de profiter de l'heure qui leur +restait encore avant le souper, pour +aller voir le ballet nouveau. Mais +Valentine refusa obstinément. La +crainte de revoir Anatole sans pouvoir +lui témoigner le ressentiment +quelle éprouvait; la crainte, mieux +fondée encore, de trahir sa faiblesse +par quelque regard trop indulgent; +et puis cette petite férocité amoureuse +qui fait jouir de l'idée que le +coupable se désole peut-être en +nous attendant vainement; tout se +réunit pour décider Valentine à fuir +Anatole. Elle se promit de ne pas +<span class="pagenum"><a name="Page_254" id="Page_254">254</a></span> +répondre à sa dernière lettre, de +n'en plus recevoir de lui, et de rassembler +toutes les forces de sa raison +et de son esprit pour détruire +l'impression qu'il avait faite sur son +cœur: elle alla jusqu'à s'accuser de +folie, en pensant qu'elle avait pu se +flatter un instant de trouver quelque +bonheur à captiver les sentiments +d'un homme qui devait lui rester +éternellement inconnu. Elle se reprocha +de lui avoir donné le droit de +la croire une femme légère, et finit +par le justifier à ses dépens. Que résulta-t-il +de tant de beaux raisonnements, +de tant de sages résolutions? +vous l'avez déja deviné, vous dont +l'amour a tourmenté ou embelli la +vie.</p> + +<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_255" id="Page_255">255</a></span></p> + +<h3><a name="CHAPITRE_XXIII" id="CHAPITRE_XXIII"></a>CHAPITRE XXIII.</h3> + +<p class="p2">Valentine ne pouvant surmonter +la tristesse qui l'accablait, prit le +parti de se retirer d'assez bonne +heure, malgré les instances que firent +le commandeur et sa nièce pour +l'engager à entendre deux scènes +d'une tragédie nouvelle que l'auteur +avait promis de lire après souper. +Mais, pour être digne d'une semblable +confidence, il faut avoir l'esprit +libre et paraître tout occupé de +ce grand intérêt. En pareil cas, la +moindre distraction est un crime; et +la marquise se méfiait trop de son +<span class="pagenum"><a name="Page_256" id="Page_256">256</a></span> +attention pour s'exposer au ressentiment +d'un auteur tragique.</p> + +<p>Elle venait de rentrer dans son +appartement, et mademoiselle Cécile +commençait déja à la déshabiller, +lorsqu'un joli petit chien, de +race anglaise, vint sauter après elle, +et lui faire mille caresses. Elle demanda +comment il se trouvait là. +Mademoiselle Cécile répondit d'un +air fort naturel, qu'ayant entendu +aboyer près de la petite porte du +jardin, la curiosité l'y avait conduite. +«C'est-là, ajouta-t-elle, que j'ai trouvé +ce joli chien, qui a probablement +perdu son maître en entrant +dans le jardin, pendant que le jardinier +en avait laissé la porte ouverte. +J'ai d'abord regardé dans la rue si +<span class="pagenum"><a name="Page_257" id="Page_257">257</a></span> +quelqu'un le cherchait; mais n'ayant +vu personne, et la nuit commençant +à venir, je n'ai pas voulu exposer un +si joli petit animal à être volé par +quelques passants qui le maltraiteraient +peut-être. J'ai pensé que madame +voudrait bien le garder jusqu'au +moment où son maître le réclamerait».—La +marquise approuva +l'action charitable de mademoiselle +Cécile, et témoigna le desir de garder +le chien, qu'elle trouvait charmant, +et qui semblait déja s'attacher à elle. +Mais sa conscience ne lui permettait +pas de se l'approprier avant d'avoir +fait toutes les démarches qui devaient +le rendre à son véritable maître. +Un collier d'or qu'elle aperçut à +son cou lui parut devoir être un +<span class="pagenum"><a name="Page_258" id="Page_258">258</a></span> +indice certain pour apprendre à qui +il appartenait; elle dit à mademoiselle +Cécile d'approcher un flambeau, +et prenant le chien sur ses +genoux: Je ne me trompe point, dit-elle, +il y a quelque chose de gravé +sur son collier, c'est sûrement l'adresse +de son maître.—Je ne le crois +pas, reprit mademoiselle Cécile, en +s'efforçant de cacher un sourire malin.—Cependant +voici bien.... Ici +la marquise se tut... et la plus vive +surprise éclata dans ses yeux. Mademoiselle +Cécile n'eut pas l'air d'y +faire attention, et se contenta de +dire: «Puisque le collier ne dit rien, +nous pouvons garder le chien sans +scrupule.» Cette réflexion tira Valentine +de la rêverie où elle était +<span class="pagenum"><a name="Page_259" id="Page_259">259</a></span> +tombée. Elle se leva pour achever de +se déshabiller; et lorsque mademoiselle +Cécile voulut emmener le chien +avec elle, la marquise lui donna +l'ordre de le laisser coucher sur un +des coussins de son cabinet.</p> + +<p>On veut savoir quels sont les caractères +magiques qui ont causé l'étonnement +de Valentine et la douce +émotion qui lui avait succédé. On +s'attend peut-être à quelques-unes +de ces devises ingénieuses qui sont +les talismans ordinaires de l'amour, +ou bien à ces emblèmes de fidélité +qu'on ne manque jamais de trouver +sur le collier du chien d'une coquette; +mais rien d'aussi spirituel +n'avait frappé les yeux de Valentine; +et ce simple mot <i>pardon</i>, avait causé +<span class="pagenum"><a name="Page_260" id="Page_260">260</a></span> +tout le trouble de son ame. Que de +choses ce mot disait à Valentine! +Pouvait-elle méconnaître la main qui +l'avait tracé, et ne pas deviner que +la crainte de voir renvoyer sa lettre +n'eût engagé le coupable à se servir +d'un autre interprète! Ce seul mot +lui apprenait que le commandeur +l'avait trahie, que son ressentiment +était connu, et qu'on voulait l'appaiser. +En fallait-il davantage pour +livrer son cœur aux plus douces conjectures?</p> + +<p>Dès ce moment <i>Love</i> devint le +favori de Valentine et le meilleur +ami d'Isaure, qui s'étonna beaucoup +de lui voir caresser M. de Saint-Albert +la première fois qu'il vint chez +sa tante, comme s'il avait revu une +<span class="pagenum"><a name="Page_261" id="Page_261">261</a></span> +ancienne connaissance. Ce nom de +<i>Love</i> avait remplacé le mot gravé sur +le collier, et semblait y répondre. +Cependant Valentine persistait dans +la résolution de laisser ignorer sa +clémence; elle craignait qu'un premier +tort aussi facilement pardonné +ne fût suivi d'un tort moins excusable, +et quelque chose l'avertissait +que, sa faiblesse une fois connue, elle +perdrait pour toujours son indépendance. +Ce raisonnement soutint quelque +temps son courage; mais il succomba +bientôt à l'ennui d'une existence +que rien n'animait plus à ses +yeux. Le plus grand des inconvénients +de l'amour n'est pas dans les +peines qu'il cause, mais dans l'habitude +de ces mêmes agitations dont +<span class="pagenum"><a name="Page_262" id="Page_262">262</a></span> +le cœur ne peut plus se passer. Ces +longues journées, passées sans l'espérance +de recevoir une lettre ou de +rencontrer un regard d'Anatole, paraissaient +à Valentine une éternité +à franchir. Elle essayait en vain d'accélérer +les heures, en les consacrant +aux occupations qui l'amusaient autrefois; +une distraction vague, une +tristesse sans objet, la rendaient incapable +d'aucune application. Elle +s'étonnait de voir tant de gens s'agiter +pour des intérêts médiocres, +quand les plus importants n'excitaient +que son indifférence; enfin, +son ame était livrée à cette morne +langueur qui succède aux agitations +de l'amour, et qui les fait regretter. +Dans cet état pénible, on voit souvent +<span class="pagenum"><a name="Page_263" id="Page_263">263</a></span> +la femme la plus sage desirer +d'en sortir, même au prix d'un malheur; +et l'on peut mettre les fautes +qui en résultent au nombre de celles +que le besoin de vivre fait commettre.</p> + +<p>Un matin que Valentine ne se +trouvait point disposée à recevoir +des visites, elle forma le projet de +mener Isaure à l'abbaye de Saint-Denis, +qu'elle n'avait jamais vue. +Isaure crut que c'était pour la récompenser +de son application à apprendre +l'histoire de France, et elle +se promit d'étonner sa tante par +son érudition. Alors il se fit dans +sa petite tête un bouleversement +de noms et de dates que le plus +savant n'aurait pu démêler. Comme +<span class="pagenum"><a name="Page_264" id="Page_264">264</a></span> +on ne lui avait pas demandé le secret +sur cette visite, elle alla dire +à toute la maison combien elle se +réjouissait de passer la matinée à +voir des tombeaux; et c'est en sautant +de joie, qu'elle monta dans la +voiture qui devait la conduire à cet +asyle de la mort.</p> + +<p>L'aspect d'un lieu aussi imposant +modéra bientôt cette vive gaîté, qui +fit place au respect religieux qu'imprime +à tous les âges la vue d'un +temple révéré. Le silence, habitant +de ces voûtes gothiques, semble inviter +l'enfant qui les parcourt, comme +le vieillard qui vient y prier, à n'en +point troubler le repos. Une sainte +terreur s'empara de l'ame de Valentine, +lorsqu'elle se vit, pour ainsi +<span class="pagenum"><a name="Page_265" id="Page_265">265</a></span> +dire, seule entre ces trois puissances, +la divinité, les grandeurs, et la +mort. C'est donc ici, pensa-t-elle, +que viennent se briser les sceptres +de nos rois! Celui dont l'ambition +ensanglanta la terre repose à côté +du héros qui mourut pour son pays, +et le même caveau renferme l'auteur +de la Saint-Barthelemi, et la victime +du fanatisme. Ici pour le crime et +pour la vertu les honneurs sont +égaux; le rang seul les assigne; mais +toute la pompe des monuments élevés +à la tyrannie ne diffère pas de +l'horreur qu'inspire le souvenir de +ses cruautés. On s'éloigne en frémissant +du superbe tombeau de Catherine +de Médicis, pour venir tomber +aux pieds de celui de Henri IV, et +<span class="pagenum"><a name="Page_266" id="Page_266">266</a></span> +l'arroser des larmes du regret et de +la reconnaissance.</p> + +<p>Le suisse de l'abbaye vint interrompre +les méditations de Valentine, +en lui débitant du ton le plus emphatique +et le plus monotone, les +noms et les titres des princes qui +étaient inhumés dans les différentes +chapelles. Après lui avoir fait passer +en revue les tombeaux de nos Rois, +depuis la première jusqu'à la dernière race, +il la conduisit dans la +chapelle particulière où se trouvait +le beau mausolée de cet infortuné +duc d'Orléans, assassiné par le duc +de Bourgogne, et si vivement regretté +par cette femme adorable dont +il avait souvent trahi l'amour. En +considérant les traits nobles et doux +<span class="pagenum"><a name="Page_267" id="Page_267">267</a></span> +d'une statue en marbre, aux pieds +de laquelle on voyait un arrosoir +penché et versant de l'eau en forme +de larmes, la marquise reconnut bientôt +l'intéressant auteur de cette devise: +«<i>Rien ne m'est plus; plus ne +m'est rien.</i>» Émue par le souvenir des +malheurs de Valentine de Milan, elle +ne put supporter l'idée d'en entendre +le récit de la bouche de l'homme +qui l'accompagnait, et elle se mit à +raconter elle-même à sa nièce, comment +cette vertueuse princesse avait +succombé à la douleur de n'avoir pu +venger la mort de son époux. Isaure +demanda alors ingénuement, si elle +n'aurait pas mieux fait de pardonner.—En +effet, reprit la marquise, c'eût +été plus digne d'elle et plus heureux +<span class="pagenum"><a name="Page_268" id="Page_268">268</a></span> +pour ses enfants, qui l'auraient peut-être +perdue moins jeune; car le +plaisir de faire grace doit faire vivre +plus long-temps que celui de se +venger; mais on n'a pas le droit de +lui reprocher un tort qui lui coûta +la vie, et que tant de bonnes actions +rachetèrent.</p> + +<p>En cet instant, le démonstrateur +un peu piqué de voir madame de Saverny +empiéter sur ses droits, se retira +vers la grille de la chapelle; et la +marquise profita de ce moment de +liberté pour examiner à son aise le +monument érigé à la mémoire des +vertus et du malheur. On ne peut +réfléchir sur la destinée d'un être +innocent et constamment malheureux, +sans éprouver le besoin d'espérer +<span class="pagenum"><a name="Page_269" id="Page_269">269</a></span> +en cette justice céleste, qui +doit un jour tout punir et tout récompenser. +De cette consolante idée, +découlent tous les sentiments religieux, +et cette noble résignation +de l'ame qui fait regarder les tourments +de la vie comme autant de +gages d'une éternelle félicité. L'aspect +d'une victime de l'amour et du +sort ranima ces pensées dans l'esprit +de Valentine; animée d'une piété +touchante, elle se prosterna sur les +marches d'un autel qui se trouvait +en face du tombeau, et là, pénétrée +d'un saint respect, elle pria le Ciel +de lui épargner les tourments d'un +amour malheureux, ou de lui inspirer +la vertu qui les surmonte.</p> + +<p>En implorant la bonté divine sur +<span class="pagenum"><a name="Page_270" id="Page_270">270</a></span> +sa destinée, Valentine éprouva l'attendrissement +qui naît du souvenir +de ses peines, et de l'espérance de +les voir calmées. Son visage, embelli +par la prière, se couvrit de douces +larmes. Elle voulut les cacher à +Isaure, et se servit, pour les essuyer, +d'un voile de mousseline qui flottait +sur ses épaules; puis se retournant, +elle aperçut Isaure, agenouillée à +ses côtés, et redisant sa prière du +matin; ne voulant pas la troubler +dans cet acte de piété, la marquise +ne fit aucun mouvement, et fixa +seulement les yeux sur le piédestal +qui supportait la statue de Valentine +de Milan. Mais elle crut s'abuser, +lorsqu'elle vit au bas de la devise +incrustée dans le marbre, ces mots +<span class="pagenum"><a name="Page_271" id="Page_271">271</a></span> +tracés au crayon: «<i>Elle aussi n'a +jamais pardonné.</i>» Persuadée qu'elle +était frappée d'une vision, Valentine +se lève brusquement pour s'en convaincre; +ce mouvement précipité +fait tomber son voile; une main +s'avance pour le ramasser, et c'est +à travers les colonnes et les ornements +gothiques du monument funèbre, +que Valentine aperçoit Anatole. +Il serre sur son cœur le voile +encore humide des larmes qu'elle +vient de verser en pensant à lui. +L'expression de son visage, son +attitude suppliante, semblent la conjurer +de lui laisser ce gage de réconciliation; +et Valentine, succombant +à son émotion, n'ose ni l'accorder +ni le reprendre. Son silence +<span class="pagenum"><a name="Page_272" id="Page_272">272</a></span> +paraît un consentement à Anatole. +La joie et la reconnaissance brillent +dans ses yeux. Il porte le voile à ses +lèvres, et disparaît.</p> + +<p>L'espace d'un moment suffit à +tant de sensations différentes; et +Valentine était seule, lorsqu'Isaure +vint la rejoindre, après avoir achevé +sa prière. Elles sortirent toutes deux +à pas lents de ce lieu solennel, qui +devait leur laisser de profonds souvenirs. +Isaure en revint, l'esprit +frappé de cette impression que reçoit +l'enfance à la première vue des +tombeaux, et Valentine en rapporta +ce recueillement céleste, ce bonheur +de vivre, que peuvent seuls inspirer +la religion et l'amour.</p> + +<p class="p2 center"><small><b>FIN DU PREMIER VOLUME.</b></small></p> + +<hr class="c5" /> + +<h3 class="p4">TABLE DES CHAPITRES</h3> + +<p class="left35 p2"><a href="#CHAPITRE_PREMIER">Chapitre PREMIER</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_II">Chapitre II</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_III">Chapitre III</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_IV">Chapitre IV</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_V">Chapitre V</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_VI">Chapitre VI</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_VII">Chapitre VII</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_VIII">Chapitre VIII</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_IX">Chapitre IX</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_X">Chapitre X</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XI">Chapitre XI</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XII">Chapitre XII</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XIII">Chapitre XIII</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XIV">Chapitre XIV</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XV">Chapitre XV</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XVI">Chapitre XVI</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XVII">Chapitre XVII</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XVIII">Chapitre XVIII</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XIX">Chapitre XIX</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XX">Chapitre XX</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XXI">Chapitre XXI</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XXII">Chapitre XXII</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XXIII">Chapitre XXIII</a></p> + +<hr class="c5" /> + + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Anatole, Vol. 1 (of 2), by Sophie Gay + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ANATOLE, VOL. 1 (OF 2) *** + +***** This file should be named 35064-h.htm or 35064-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/3/5/0/6/35064/ + +Produced by Hélène de Mink and the Online Distributed +Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was +produced from images generously made available by the +Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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Redistribution is +subject to the trademark license, especially commercial +redistribution. + + + +*** START: FULL LICENSE *** + +THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE +PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK + +To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free +distribution of electronic works, by using or distributing this work +(or any other work associated in any way with the phrase "Project +Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project +Gutenberg-tm License (available with this file or online at +http://gutenberg.org/license). + + +Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm +electronic works + +1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm +electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to +and accept all the terms of this license and intellectual property +(trademark/copyright) agreement. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. 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