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+ The Project Gutenberg's eBook of Anatole, Volume premier, by Sophie Gay</title>
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+<pre>
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+The Project Gutenberg EBook of Anatole, Vol. 1 (of 2), by Sophie Gay
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Anatole, Vol. 1 (of 2)
+
+Author: Sophie Gay
+
+Release Date: January 25, 2011 [EBook #35064]
+
+Language: French
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+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ANATOLE, VOL. 1 (OF 2) ***
+
+
+
+
+Produced by Hélène de Mink and the Online Distributed
+Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was
+produced from images generously made available by the
+Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
+http://gallica.bnf.fr)
+
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+
+<div class="box">
+<p>Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées.
+L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée.
+Les numéros des pages blanches non pas été repris.</p>
+<p>Une table des chapitres a été créée pour ce livre électronique qui ne figure pas dans
+le texte d'origine.</p></div>
+
+<p><a name="Page_1" id="Page_1"></a></p>
+
+<h2>ANATOLE.</h2>
+
+<h4>TOME PREMIER.</h4>
+
+<p class="p4 center"><i><b>Tome I.</b></i></p>
+
+<p class="center p4"><a name="Page_2" id="Page_2"></a>
+De l'Imprimerie de <span class="smcap">Firmin Didot</span>.</p>
+
+<p class="p2 center"><i>Se trouve aussi à Paris</i>,</p>
+
+<div class="left25">
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="libraires">
+<tr>
+ <td valign="middle" class="cbrace">{</td>
+ <td><span class="smcap">Delaunay</span>, Libraire, Galerie de Bois, au Palais-Royal.<br />
+ <span class="smcap">Renard</span>, rue de Caumartin, n<sup>o</sup> 12.<br />
+ <span class="smcap">Laurent-Beaupré</span>, au Palais-Royal.</td>
+</tr>
+</table>
+</div>
+
+<p class="p4"><a name="Page_3" id="Page_3"></a></p>
+
+<h1>ANATOLE.</h1>
+
+<p class="p2 center"><small><b>PAR L'AUTEUR</b></small></p>
+
+<p class="center"><big><b>DE LÉONIE DE MONTBREUSE.</b></big></p>
+
+<p class="center p2"><big><b>TOME PREMIER</b>.</big></p>
+
+<div class="figcenter"><img src="images/logo.jpg" width="100" height="86" alt="logo" title="" />
+</div>
+
+<p class="center p2"><small><b>A PARIS,</b></small></p>
+
+<p class="p2 center"><b>CHEZ FIRMIN DIDOT, LIBRAIRE,</b><br />
+<span class="smcap"><b>Imprimeur de l'Institut de France</b></span>,<br />
+<b>rue Jacob, n<sup>o</sup> 24.</b></p>
+
+<hr class="c5" />
+
+<p class="center p2"><b>1815.</b></p>
+
+<p><a name="Page_4" id="Page_4"></a></p>
+
+<p class="p4"><a name="Page_5" id="Page_5"></a></p>
+
+<h3>AU LECTEUR.</h3>
+
+<p class="p2">Le fond de ce Roman est vrai;
+puissé-je l'avoir rendu vraisemblable
+par les détails, et assez
+intéressant dans l'ensemble pour
+mériter à ce dernier Ouvrage l'accueil
+indulgent dont le public a
+bien voulu honorer <span class="smcap">Léonie de
+Montbreuse</span>!</p>
+
+<p><a name="Page_6" id="Page_6"></a></p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_7" id="Page_7">7</a></span></p>
+
+<h2>ANATOLE.</h2>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_PREMIER" id="CHAPITRE_PREMIER"></a>CHAPITRE PREMIER.</h3>
+
+<hr class="c5" />
+
+<p>«Eh bien, disait Richard, en brossant
+son habit de livrée, c'est donc
+après-demain que cette belle provinciale
+arrive?&mdash;Vraiment oui, répondit
+mademoiselle Julie, madame
+vient de m'ordonner d'aller visiter
+l'appartement qu'elle lui destine,
+pour savoir s'il n'y manque rien de
+ce qui peut être commode à sa belle-s&oelig;ur;
+je crois qu'on aurait bien
+pu se dispenser de faire meubler à
+neuf tout ce corps-de-logis; madame
+<span class="pagenum"><a name="Page_8" id="Page_8">8</a></span>
+de Saverny, accoutumée aux
+grands fauteuils de son vieux château,
+ne s'apercevra peut-être pas
+de tous les frais que madame a faits
+pour décorer son appartement à la
+dernière mode.&mdash;C'est donc une
+vieille femme?&mdash;Point du tout, elle
+a tout au plus vingt-deux ans; M. le
+comte est son aîné de plus de dix
+années, et madame la comtesse a
+bien au moins sept ou huit ans de
+plus que sa belle-s&oelig;ur, puisqu'elle
+en avoue quatre.&mdash;Et cette parente
+a-t-elle un mari, des enfants, une
+gouvernante? Faudra-t-il servir tout
+ce monde-là?&mdash;Grace au ciel, elle
+est veuve; et je pense qu'elle est
+riche, car son mari était, je crois,
+aussi vieux que son château; et l'on
+<span class="pagenum"><a name="Page_9" id="Page_9">9</a></span>
+n'épouse guère un vieillard que pour
+sa fortune.&mdash;Qui nous amène-t-elle
+ici?&mdash;Tout ce qu'il faut pour s'y
+établir, des gens, des chevaux; enfin,
+jusqu'à sa nourrice.&mdash;Ah! c'est
+un peu trop fort. Je sais ce que c'est
+que ces grosses campagnardes, qui
+se croient le droit de commander
+à toute la maison, parce qu'elles ont
+nourri leur maîtresse; ce sont de
+vieilles rapporteuses qui, sous prétexte
+de prendre les intérêts de leur
+cher nourrisson, vont leur raconter
+tout ce qui se dit ou se fait dans les
+antichambres; Lapierre est bien libre
+de se mettre au service de celle-là;
+quant à moi, je ne compte pas lui
+donner un verre d'eau.&mdash;Ah! tout
+cet embarras ne sera pas éternel,
+<span class="pagenum"><a name="Page_10" id="Page_10">10</a></span>
+Madame s'en lassera bientôt, surtout
+s'il est vrai que madame de Saverny
+soit aussi belle qu'on l'assure;
+ne savez-vous pas, Richard, que deux
+jolies femmes n'ont jamais demeuré
+bien long-temps ensemble?» Les
+remarques philosophiques de mademoiselle
+Julie furent interrompues
+par le retour du carrosse de madame
+de Nangis. Son entrée dans la cour
+de l'hôtel fut un signal qui remit
+chacun à son poste. Mademoiselle
+Julie s'enfuit dans le cabinet de toilette;
+Richard prit un paquet de
+lettres arrivées de la veille, et qu'un
+peu de négligence lui fesait remettre
+le lendemain à sa maîtresse. Et madame
+de Nangis les décacheta, en
+embrassant la petite Isaure, qui venait
+<span class="pagenum"><a name="Page_11" id="Page_11">11</a></span>
+au-devant de sa mère avec tout
+le plaisir d'un enfant qui interrompt
+une leçon ennuyeuse, pour aller
+remplir un devoir amusant.</p>
+
+<p>«Ah! dit madame de Nangis,
+en s'adressant au chevalier d'Émerange,
+voici des nouvelles de Nevers.
+Ma belle-s&oelig;ur arrive décidément
+jeudi. Je vous en préviens, chevalier,
+c'est une personne charmante.&mdash;A
+Nevers, peut-être?&mdash;Oui, monsieur,
+à Nevers, et par-tout; un joli visage,
+une belle taille, et beaucoup d'esprit,
+sont appréciés dans tous les pays.&mdash;Et
+c'est auprès de vous que madame
+de Saverny compte faire valoir
+tous ces avantages? Je la plains.&mdash;Vous
+me flattez aujourd'hui à ses
+dépens, reprit en souriant madame
+<span class="pagenum"><a name="Page_12" id="Page_12">12</a></span>
+de Nangis, bientôt vous la louerez
+aux miens. Je vous connais; la beauté
+a sur vous un empire absolu; votre
+admiration pour elle va jusqu'au
+délire. C'est avec cet amour du beau
+en général, que vous avez trompé
+tant de jolies femmes qui se croyaient
+tendrement aimées, lorsqu'elles n'étaient
+que passionnément admirées.&mdash;En
+vérité, madame, je ne puis accepter
+l'honneur que vous me faites;
+car, non-seulement j'ai fort peu trompé,
+mais j'ai passé ma vie à l'être.
+Quant à l'admiration dont vous me
+faites un reproche, ce n'est pas ma
+faute si l'on m'y réduit.» Ces derniers
+mots furent accompagnés d'un regard
+que la comtesse ne voulut pas
+avoir l'air de comprendre; elle reporta
+<span class="pagenum"><a name="Page_13" id="Page_13">13</a></span>
+ses yeux sur la lettre qu'elle
+tenait, en acheva la lecture, et dit:
+Elle écrit à ravir. Jugez-en vous-même,
+ajouta-t-elle, en donnant la
+lettre au chevalier, et convenez que
+vos Sévigné de Paris ne s'expriment
+pas mieux.&mdash;Cela n'est pas mal pour
+un style de province, répondit
+M. d'Émerange, après avoir lu; mais
+il n'y a pas grand mérite à écrire
+naturellement qu'on se promet beaucoup
+de bonheur à vivre auprès de
+vous. Que veut-elle dire en parlant
+de ses regrets, de son deuil, et de
+ce goût pour la retraite, qui nous
+annonce sûrement quelque grande
+passion?&mdash;Ses regrets sont pour ses
+vassaux et quelques amies d'enfance.
+Son deuil est celui qu'elle a pris à
+<span class="pagenum"><a name="Page_14" id="Page_14">14</a></span>
+la mort de son mari. Et son goût
+pour la retraite n'est autre chose
+que l'ignorance des plaisirs du grand
+monde. Élevée au couvent, où son
+père desirait la voir cloîtrée pour
+toujours, elle n'en est sortie que
+pour épouser, sans dot, le marquis
+de Saverny. C'était un vieillard aimable
+quoiqu'infirme. Un jour, mon
+beau-père lui fit part du projet qu'il
+avait de sacrifier l'existence de sa
+fille à la fortune de son fils. Cet
+usage, très-commun alors dans les
+familles, rendait le fils aîné possesseur
+de tous les revenus, et le mettait
+en état de soutenir dignement son
+rang à la Cour. M. de Saverny, après
+avoir vainement combattu la résolution
+de son ami, pour en détruire
+<span class="pagenum"><a name="Page_15" id="Page_15">15</a></span>
+l'effet, demanda la main de la pauvre
+Valentine; et tout s'est arrangé
+pour le mieux. Après deux ans de
+soins et de résignation, elle est devenue
+la riche héritière d'un mari
+trop vieux pour être long-temps regretté;
+et M. de Nangis profite sans
+scrupule de l'injustice de son père.&mdash;Je
+vois que tout le monde s'est fort
+bien conduit dans cette affaire-là,
+le défunt sur-tout: son dernier procédé
+met le comble à mon estime.&mdash;Si
+vous saviez tout ce que sa mort a
+coûté de larmes aux beaux yeux de
+madame de Saverny, vous n'en parleriez
+pas si légèrement; elle en était
+encore bien affligée lorsque je la
+quittai l'été dernier, et cependant
+elle avait déjà porté plus de huit mois
+<span class="pagenum"><a name="Page_16" id="Page_16">16</a></span>
+le deuil; je voulais alors l'emmener
+à Paris, elle s'y refusa, et je n'en
+pus obtenir que la promesse de venir
+s'établir ici à la fin de son deuil.
+Je vois avec plaisir qu'elle me tient
+parole. Sa présence me sera d'une
+grande ressource cet hiver, car je
+n'aime point à aller seule dans le
+monde, et encore moins à y suivre
+M. de Nangis, dont la gravité se croirait
+compromise, si l'on pouvait le
+soupçonner d'être quelque part pour
+son plaisir.&mdash;En effet, reprit le chevalier,
+je me suis souvent demandé
+quel avantage il trouvait à passer
+ainsi sa vie en dîners d'apparat et en
+visites de cérémonie.&mdash;Je n'ai pas le
+droit de médire de ses goûts, puisqu'il
+ne gêne pas les miens. Peut-être,
+<span class="pagenum"><a name="Page_17" id="Page_17">17</a></span>
+s'il en avait d'autres, serions-nous
+moins heureux. Aussi n'ai-je
+jamais exigé qu'il me les sacrifiât. Il
+reçoit mes amis avec politesse, je
+m'ennuie des siens avec complaisance,
+et rien ne trouble la paix
+qu'établit cette douce réciprocité.»
+L'arrivée de M. de Nangis mit fin à
+cette conversation, que rien n'empêchait
+de continuer devant lui, mais
+qui aurait perdu ce charme de confiance,
+qui n'appartient qu'au tête-à-tête.
+Le chevalier, persuadé qu'un
+tiers est toujours importun, se retira
+en promettant de revenir le lendemain
+soir au concert, où madame
+de Nangis avait invité la moitié de
+Paris à venir entendre une virtuose
+nouvellement arrivée d'Italie.</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_18" id="Page_18">18</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_II" id="CHAPITRE_II"></a>CHAPITRE II.</h3>
+
+<p class="p2">Déja cinquante femmes richement
+parées décoraient les salons de madame
+de Nangis, tandis qu'un plus
+grand nombre d'hommes circulait
+autour d'elles, en leur adressant
+des compliments plus ou moins sincères
+sur leur parure ou leur beauté.
+Les artistes, qui devaient faire les
+délices de la soirée, paraissaient n'attendre
+qu'un mot de la maîtresse de
+la maison pour commencer le concert.
+Elle allait en donner le signal,
+lorsque la <i>prima donna</i> s'avançant
+respectueusement vers elle, lui déclara,
+<span class="pagenum"><a name="Page_19" id="Page_19">19</a></span>
+le plus poliment possible, que
+rien dans le monde ne lui ferait
+chanter une note, si son accompagnateur
+ordinaire n'était pas au piano.
+Madame de Nangis lui représenta
+vainement que plusieurs compositeurs
+d'un grand talent et fort habitués
+à tenir le piano, offraient de
+l'accompagner, si l'artiste appelé
+pour avoir cet honneur, et que sa
+réputation au concert de la reine
+semblait en rendre digne, ne lui
+inspirait pas de confiance. La célèbre
+cantatrice resta immuable dans sa
+volonté; et madame de Nangis fut
+réduite à donner l'ordre d'atteler ses
+chevaux pour faire courir après cet
+indispensable confident des intentions
+musicales de la signora de B...
+<span class="pagenum"><a name="Page_20" id="Page_20">20</a></span>
+Cette petite discussion jeta l'alarme
+dans la brillante assemblée. A l'air
+d'humeur qui s'était peint sur le
+visage de madame de Nangis, et aux
+gestes multipliés de la Signora, qui
+semblaient tous dire: «Cela m'est impossible»,
+on avait jugé qu'elle refusait
+de chanter. La désolation était
+générale; et les gens qui par goût
+attachaient le moins de prix à un
+grand air italien, paraissaient les
+plus inconsolables.</p>
+
+<p>Le chevalier d'Émerange fut député
+auprès de madame de Nangis,
+pour savoir s'il restait encore quelque
+espérance; il profita de cette occasion
+pour demander à la comtesse
+si sa belle-s&oelig;ur était au nombre de
+toutes les jolies femmes qu'elle avait
+<span class="pagenum"><a name="Page_21" id="Page_21">21</a></span>
+réunies.&mdash;Non, lui répondit-elle; si
+madame de Saverny était ici, vous l'auriez
+déja reconnue.&mdash;J'en ai peur,
+reprit le chevalier, car un chapeau
+de Nevers doit être assez reconnaissable
+dans ce salon-ci.&mdash;Vraiment,
+il ne serait pas plus ridicule que
+celui de madame de R.... Il faut que
+cette femme-là soit bien sûre de
+son esprit pour affubler ainsi son
+visage; voyez un peu que de gens
+s'empressent autour d'elle; et dites
+ensuite, que sans le bon goût et l'élégance,
+on ne saurait plaire!&mdash;Je
+le dirai toujours en vous voyant,
+dussé-je me battre avec tous les
+champions de la laideur de madame
+de R....&mdash;Madame de Nangis ne
+voulant pas répondre à cette flatterie,
+<span class="pagenum"><a name="Page_22" id="Page_22">22</a></span>
+rappela au chevalier qu'il était
+attendu. Il l'avait oublié, et revint
+auprès des personnes qui l'avaient
+chargé de questionner la comtesse,
+en leur disant: «Soyez sans inquiétude,
+un léger incident retarde votre
+plaisir, mais vous allez l'entendre.&mdash;De
+qui parlez-vous? reprit, d'un
+air étonné, un de ceux à qui s'était
+adressé le chevalier.&mdash;Mais ne m'avez-vous
+pas dit de savoir si la signora
+B... se déciderait à chanter ce
+soir?&mdash;Ah! mille pardons, s'écria
+tout le monde, nous avions oublié
+votre extrême complaisance.&mdash;Et la
+cantatrice aussi, repartit le chevalier;
+cela ne m'étonne pas, on est toujours
+puni du tort de se faire attendre.&mdash;En
+effet, ces mêmes gens
+<span class="pagenum"><a name="Page_23" id="Page_23">23</a></span>
+qui, un moment auparavant, semblaient
+désespérés de la crainte de
+ne pas entendre la voix de cette célèbre
+virtuose, étaient presqu'aussi
+contrariés de voir interrompre une
+conversation qui les amusait. C'est
+ainsi qu'en France les plaisirs de
+l'esprit passent avant tout.</p>
+
+<p>Madame de Nangis, bien convaincue
+de cette vérité, prévint toutes
+les causeries qui allaient s'établir,
+en réclamant l'attention générale en
+faveur d'un beau quatuor d'Haydn,
+qui fut aussi bien exécuté que mal
+écouté. Au quatuor l'on fit succéder
+la sévère sonate d'un pianiste allemand,
+qui commençait à assoupir
+l'assemblée, lorsque madame de Nangis
+s'écria, sans aucun égard pour
+<span class="pagenum"><a name="Page_24" id="Page_24">24</a></span>
+le pauvre professeur;&mdash;Ah! voici
+M. Augustini.&mdash;C'était le nom de
+l'accompagnateur tant désiré; chacun
+le répéta tout haut, en félicitant
+madame de Nangis du bonheur
+d'avoir pu le rejoindre; et c'est au
+bruit de toutes ces félicitations,
+qu'expira le dernier accord de la sonate
+allemande, sans que personne
+songeât à en applaudir l'auteur. Madame
+de Nangis lui adressa seulement
+un de ces discours de maîtresse
+de maison, qui ne signifient
+rien, sinon qu'on veut se faire la
+réputation de dire un mot obligeant
+à toutes les personnes que l'on reçoit.
+Enfin, le moment de rendre justice
+au talent de la signora B... était
+arrivé, et madame de Nangis jouissait
+<span class="pagenum"><a name="Page_25" id="Page_25">25</a></span>
+du plaisir de voir le but de sa
+soirée rempli. Elle n'était plus tourmentée
+de cette crainte si naturelle,
+d'avoir réuni tant de personnes pour
+les ennuyer. M. de Nangis aurait dû
+partager cette douce satisfaction;
+mais une inquiétude d'un autre
+genre l'agitait. La princesse de L...
+pour laquelle il avait long-temps
+réservé la meilleure place, venait
+d'arriver, et s'était assise sur la seule
+chaise qui se trouvait libre derrière
+plusieurs autres femmes. M. de Nangis
+souffrait le martyre, en voyant
+la princesse aussi mal placée, et maudissait
+l'impossibilité de lui offrir le
+siége d'une autre personne. Heureusement
+pour lui, madame de Nangis,
+encore plus touchée de la position
+<span class="pagenum"><a name="Page_26" id="Page_26">26</a></span>
+penible où paraissait être son mari,
+que de celle de la princesse, interrompit
+la longue ritournelle du grand
+air italien, pour faire passer un fauteuil
+auprès d'elle, et y conduire la
+princesse de L...</p>
+
+<p>Tous ces dérangements importunaient
+au dernier point la signora B...
+et l'expression de sa physionomie
+n'en fesait pas mystère; mais l'enthousiasme
+qu'inspirèrent les premiers
+accents de sa belle voix, la
+rendirent plus patiente à souffrir
+les nouvelles contrariétés qui l'attendaient.
+Une des plus vives fut
+celle d'entendre sonner toutes les
+pendules des salons, au milieu du
+point d'orgue le mieux étudié; car
+pour les <i>bravo</i> mal placés, et tous
+<span class="pagenum"><a name="Page_27" id="Page_27">27</a></span>
+les signes d'une admiration souvent
+trop bruyante, son indulgence était
+extrême: on s'aperçoit si peu des
+inconvénients de ce qui flatte!</p>
+
+<p>Le bruit des applaudissements
+étant parvenu jusqu'aux antichambres,
+un domestique crut pouvoir
+profiter du moment où l'on ne chantait
+plus, pour aller prévenir la comtesse
+de l'arrivée de sa belle-s&oelig;ur.
+Madame de Nangis l'attendait avec
+impatience depuis une semaine; et,
+dans tout autre instant, elle eût été
+charmée de courir au-devant d'elle
+pour l'embrasser; mais interrompre
+ainsi un grand concert par une scène
+de famille, lui paraissait une chose
+fort ridicule. Pour l'éviter, elle donna
+l'ordre que l'on conduisît madame
+<span class="pagenum"><a name="Page_28" id="Page_28">28</a></span>
+de Saverny dans son appartement,
+et lui fit dire qu'elle irait la rejoindre,
+dès qu'elle pourrait s'échapper
+un moment.</p>
+
+<p>Au nom de la marquise de Saverny,
+la princesse de L... s'écria,
+«Quoi, c'est madame de Saverny
+qui vient d'arriver? Cette jolie femme
+qui était aux eaux de Vichy, l'année
+dernière, et qui m'a si bien reçue,
+lorsque ma voiture s'est brisée auprès
+de son château? Ah! rien ne
+saurait m'empêcher d'aller l'embrasser;
+où est-elle?»&mdash;Le domestique
+ayant répondu qu'en attendant les
+ordres de madame on avait fait entrer
+la marquise dans le petit boudoir,
+la princesse voulut s'y rendre
+à l'instant même, et madame de
+<span class="pagenum"><a name="Page_29" id="Page_29">29</a></span>
+Nangis se trouva forcée de l'accompagner.</p>
+
+<p>Elles trouvèrent madame de Saverny
+un peu déconcertée de sa réception.
+Le bruit de sa voiture n'avait
+attiré personne. Parvenue dans les
+vestibules, il lui avait fallu traverser
+une haie de laquais avant
+d'arriver à l'appartement de la comtesse,
+et se disputer avec l'un d'eux,
+pour l'empêcher de l'annoncer à
+haute voix dans le sallon. Un autre,
+plus connaisseur, ayant remarqué
+avec dédain la simplicité de sa parure,
+et reconnu qu'elle n'était pas
+digne des honneurs du concert,
+l'avait fait passer mystérieusement
+dans le boudoir, en lui recommandant
+de ne pas faire le moindre
+<span class="pagenum"><a name="Page_30" id="Page_30">30</a></span>
+bruit. Elle y était depuis un quart
+d'heure à méditer sur la différence
+de cette réception avec celle dont
+l'espérance l'avait occupée pendant
+toute sa route, lorsque la princesse
+vint se jeter dans ses bras, en lui
+prodiguant toutes les expressions de
+la plus tendre amitié. Madame de
+Nangis y joignit les témoignages de
+la sienne; mais tous ses soins à prouver
+combien elle était ravie du plaisir
+de revoir sa chère Valentine, dissimulaient
+faiblement l'impatience
+qu'elle éprouvait de retourner dans
+son salon. Madame de Saverny la
+devina bientôt, et supplia sa s&oelig;ur de
+ne pas interrompre plus long-temps
+le concert; elle lui demanda la permission
+d'en attendre la fin dans son
+<span class="pagenum"><a name="Page_31" id="Page_31">31</a></span>
+appartement; mais la princesse n'y
+voulut jamais consentir. «Madame
+la comtesse, dit-elle, ne souffrez pas
+qu'elle nous quitte ainsi. Il faut absolument
+qu'elle entende chanter madame
+B... C'est un plaisir qu'on ne
+peut remettre à un autre jour, puisqu'elle
+retourne incessamment en
+Italie.&mdash;Ah! madame, excusez-moi,
+reprit Valentine, je suis en habit de
+voyage.&mdash;Eh! que vous manque-t-il,
+interrompit la princesse, vous avez
+une robe de taffetas noir qui vous
+sied à merveille; avec cette collerette
+de blonde et ce chapeau de paille,
+vous êtes jolie comme un ange;
+allons, venez avec nous, ou bien
+restez, et je ne vous quitte pas.»</p>
+
+<p>Madame de Saverny résistait vainement
+<span class="pagenum"><a name="Page_32" id="Page_32">32</a></span>
+aux instances de la princesse,
+un message de M. de Nangis, que
+l'absence de ces dames contrariait
+beaucoup, détermina Valentine à ne
+pas la prolonger plus long-temps.
+Elle sacrifia de bonne grace les intérêts
+de sa vanité au desir de ses
+deux amies, et se résigna à se montrer
+la moins parée de toutes les
+femmes brillantes de cette assemblée,
+sans se douter qu'elle en fût la plus
+belle.</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_33" id="Page_33">33</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_III" id="CHAPITRE_III"></a>CHAPITRE III.</h3>
+
+<p class="p2">«Quelle est cette Artemise? demanda
+une de ces personnes bienveillantes,
+que le mérite frappe rarement,
+mais que le ridicule choque
+toujours.&mdash;Je ne la connais pas, répondit
+une autre, mais à son costume
+économique, je présume que c'est
+une dame de compagnie de la princesse.&mdash;En
+effet, je lui trouve assez
+l'air de ces jeunes femmes qu'on
+élève pour être toujours de l'avis de
+leur princesse, pour finir un meuble
+de tapisserie, et jouer au besoin une
+sonate à quatre mains.&mdash;Vous en
+<span class="pagenum"><a name="Page_34" id="Page_34">34</a></span>
+direz, mesdames, tout ce qu'il vous
+plaira, dit un troisième, mais cette
+femme-là a des traits admirables.&mdash;Des
+traits? Vraiment, vous êtes bien
+heureux de les découvrir à travers
+cet énorme chapeau; moi, je ne
+crois pas à la beauté des visages que
+l'on prend tant de soin de cacher.»&mdash;C'est
+ainsi que chacun donna son
+avis sur madame de Saverny, lorsqu'elle
+parut. Elle était pâle et fatiguée
+de son voyage; on la trouva
+sans fraîcheur. Sa robe n'était pas
+nouvelle, et il fut décidé qu'elle
+avait l'air provincial; du reste, on
+était sûr qu'elle manquait d'esprit et
+d'usage, car elle avait l'air étonné
+de tout, et ne parlait de rien. Dix
+minutes suffirent pour asseoir ce
+<span class="pagenum"><a name="Page_35" id="Page_35">35</a></span>
+jugement, et le rendre irrévocable.</p>
+
+<p>M. d'Émerange lui-même, malgré
+toutes ses connaissances positives sur
+la beauté, ne fut pas exempt d'injustice
+envers celle de madame de Saverny.
+Les plus savants dans ce genre
+sont souvent dupes de la mode, et
+il en est peu d'assez courageux pour
+défendre les agréments d'une femme
+mal mise. Le chevalier reprocha à
+madame de Nangis de l'avoir trompé
+sur le compte de sa belle-s&oelig;ur.
+«&mdash;Pour cette fois, lui dit-il, vous
+ne vous plaindrez pas de mon admiration,
+madame de Saverny ne me
+donnera jamais le tort de la partager
+entre vous deux.&mdash;N'en faites pas
+serment, reprit en souriant la comtesse.»&mdash;En
+ce moment M. de Nangis
+<span class="pagenum"><a name="Page_36" id="Page_36">36</a></span>
+vint prendre le chevalier pour
+le présenter à sa s&oelig;ur, comme un
+de ses amis les plus aimables. Valentine
+répondit avec grace aux choses
+froidement polies que lui adressa le
+chevalier; il fut d'abord séduit par
+le son de sa voix, et, sans trop écouter
+ce qu'elle disait, il remarqua les
+plus belles dents et le plus gracieux
+sourire. Mais il garda le secret de
+cette découverte, et n'osa pas démentir
+son premier jugement.</p>
+
+<p>Cependant un sentiment de curiosité
+le rapprocha de madame de Saverny.
+Placé entre elle et la princesse
+de L..., il observa que Valentine
+écoutait la musique en personne de
+goût; et, dans ce qu'il put entendre
+de ses réponses à la princesse, il reconnut
+<span class="pagenum"><a name="Page_37" id="Page_37">37</a></span>
+un choix d'expressions élégantes
+et simples, qu'on rapporte
+assez rarement de la province. Le
+collier de madame de Nangis s'étant
+dénoué, Valentine ôta ses gants pour
+le rattacher, et laissa voir un bras
+charmant. Le chevalier n'en fut pas
+moins de l'avis de tous ceux qui se
+refusaient à la trouver belle. Cependant
+lorsque le concert finit, et que
+madame de Nangis vint accompagnée
+de plusieurs jolies femmes, le supplier
+de chanter quelques-unes des
+romances qu'il avait mises à la mode,
+il parut ne céder qu'à leurs instances;
+mais le fait est que madame de Saverny
+fut la seule qui n'osât le prier,
+et qu'il ne chanta que pour elle.</p>
+
+<p>Un long séjour en Italie avait
+<span class="pagenum"><a name="Page_38" id="Page_38">38</a></span>
+rendu M. d'Émerange fort bon musicien;
+il avait une voix agréable, et
+chantait avec goût. Sa prétention
+était de ne paraître attacher aucune
+importance à ses talents; mais, tout
+en ayant l'air de se croire fort indigne
+des applaudissements qu'on
+lui prodiguait, il ne pardonnait pas
+la critique. Malheur aux femmes qui
+trouvaient ses romances mauvaises,
+ou ses couplets mal rimés! on savait
+bientôt le nombre de tous leurs ridicules.</p>
+
+<p>Aucune des personnes qu'avait
+réunies madame de Nangis n'eut à
+craindre cette vengeance de la part
+du chevalier. L'enchantement fut général:
+chaque couplet offrait une
+application que ces dames interprétaient
+<span class="pagenum"><a name="Page_39" id="Page_39">39</a></span>
+à leur gré. Celles que la
+flatterie du chevalier avait souvent
+honorées de ses éloges, croyaient se
+reconnaître dans tous les portraits
+de ses bergères, le reste se lisait dans
+ses yeux, et tous les amours-propres
+étaient satisfaits. Madame de Saverny,
+qui n'entendait rien à toutes
+ces finesses, trouva simplement que
+M. d'Émerange chantait bien; mais
+elle n'osa le lui dire, tant la simplicité
+de ce compliment aurait paru
+froide, en comparaison de l'exagération
+des éloges dont on se plaisait
+à l'accabler.</p>
+
+<p>Madame de Saverny ne savait
+pas encore combien le silence d'une
+seule personne peut gâter un succès.
+Elle aurait pu s'en apercevoir, si elle
+<span class="pagenum"><a name="Page_40" id="Page_40">40</a></span>
+avait remarqué de quel air le chevalier
+répondait aux choses flatteuses
+que lui adressait madame de Nangis.
+Sa distraction et son mécontentement
+étaient visibles; il ne pardonnait
+point à une femme de province
+de ne pas être transportée du plaisir
+de l'entendre, et se disait: Il n'est
+pas douteux que cette belle veuve
+ait pour adorateur quelque petit gentilhomme
+des environs de son château,
+à qui elle a promis en partant
+de ne s'amuser de rien dans son
+absence; je suis sûr qu'elle va lui
+écrire demain que je l'ai ennuyée à
+périr, et s'en faire un mérite!» Cette
+réflexion inspira plus de dépit au
+chevalier que de dédain. Il décida
+bien que madame de Saverny devait
+<span class="pagenum"><a name="Page_41" id="Page_41">41</a></span>
+être sotte et maussade; il ne lui en
+aurait même rien coûté pour le dire,
+mais il s'efforçait en vain de le penser;
+car l'amour-propre rend plus
+souvent injurieux qu'injuste.</p>
+
+<p>Cette soirée se termina pour Valentine,
+au moment où l'on vint
+annoncer le souper. Elle se retira
+dans l'appartement qui lui était destiné.
+Mademoiselle Julie l'y attendait
+pour lui offrir ses services, et donner,
+d'un ton protecteur, ses avis à
+la petite Antoinette, qui lui paraissait
+une femme-de-chambre bien
+peu au fait des grands intérêts de la
+toilette d'une jolie femme. Il est vrai
+qu'Antoinette coiffait mal, et laçait
+de travers, mais c'était bien la plus
+honnête et la plus jolie de toutes les
+<span class="pagenum"><a name="Page_42" id="Page_42">42</a></span>
+jeunes filles de Saverny. Sa mère
+avait élevé Valentine, et Antoinette
+pouvait impunément mal habiller
+sa maîtresse, sans lui donner l'envie
+de la renvoyer. Cependant le séjour
+de Paris exigeait plus de soins; et
+mademoiselle Julie fut chargée par
+la marquise du choix d'une seconde
+femme-de-chambre, dont le premier
+devoir serait de bien traiter Antoinette.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_IV" id="CHAPITRE_IV"></a>CHAPITRE IV.</h3>
+
+<p class="p2">Il était neuf heures du matin, lorsque
+Valentine s'entendit réveiller
+par une petite voix qui lui disait
+assez bas: «Ma tante, dormez-vous?»&mdash;Ah!
+<span class="pagenum"><a name="Page_43" id="Page_43">43</a></span>
+c'est toi, ma chère Isaure!
+viens, que je t'embrasse.&mdash;Je n'y
+vois pas, je vais appeler Antoinette
+pour ouvrir les volets.» A peine
+Antoinette est entrée, qu'Isaure est
+sur le lit de sa tante qui la serre
+dans ses bras.&mdash;Comme tu es grandie
+depuis six mois, chère enfant;
+regarde-moi un peu! Tu as les mêmes
+yeux que ton père!&mdash;Oh! cela n'est
+pas possible, ma tante, car M. d'Émerange
+me dit tous les jours que je
+suis jolie, parce que je ressemble à
+maman.&mdash;Ce monsieur peut avoir
+raison, mais il ne saurait empêcher
+que tu n'aies les yeux bleus de ton
+père; au reste, peu m'importe qu'ils
+soient noirs ou bleus. Si l'on te trouve
+déja quelque ressemblance avec ta
+<span class="pagenum"><a name="Page_44" id="Page_44">44</a></span>
+mère, c'est que tu es probablement
+aussi bonne qu'aimable.&mdash;Je le crois
+bien; mon maître de piano est fort
+content; et mon papa dit que si je
+travaille toujours aussi bien, il me
+fera jouer l'année prochaine devant
+le monde.&mdash;L'année prochaine!
+mais tu seras bien jeune encore.&mdash;Pas
+si jeune, j'aurai sept ans. Miss
+Birton dit qu'à cet âge-là on n'est
+plus un enfant.&mdash;Qu'est-ce que c'est
+que miss Birton?&mdash;C'est une nouvelle
+gouvernante que maman m'a
+donnée pour m'apprendre l'anglais;
+mais je ne crois pas qu'elle reste
+long-temps ici; elle se plaint toujours.&mdash;Tu
+ne lui obéis peut-être pas
+assez?&mdash;Ce n'est pas cela qui la
+fâche; mais elle dit qu'on n'a point
+<span class="pagenum"><a name="Page_45" id="Page_45">45</a></span>
+assez d'égards pour elle: par exemple,
+hier on ne l'a pas invitée au
+concert; et elle m'a grondée toute la
+soirée. Je pourrais bien la faire gronder
+aussi, moi, si j'allais répéter tout
+ce qu'elle disait hier de maman.&mdash;Ce
+serait une méchanceté dont j'espère
+qu'Isaure est incapable; c'est
+déja trop de me le dire.</p>
+
+<p>Tout en écoutant le bavardage de
+sa nièce, madame de Saverny s'habillait,
+et se disposait à se rendre chez
+sa belle-s&oelig;ur pour s'informer de ses
+nouvelles; mais Isaure lui apprit que
+l'on n'entrait jamais chez sa mère
+avant midi, elle ajouta: Je vais voir
+si mon papa est dans son cabinet.
+Je le préviendrai de votre réveil, et
+nous viendrons déjeûner avec vous.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_46" id="Page_46">46</a></span>
+Elle revint bientôt accompagnée
+de M. de Nangis, qui se livra tout
+entier au plaisir de revoir sa s&oelig;ur.
+Il s'excusa de n'avoir pu le lui témoigner
+la veille. Mais elle devait savoir
+qu'un jour de réunion les étrangers
+passent avant tout. Il lui parla dans
+le plus grand détail des avantages
+qu'elle pourrait retirer de son séjour
+à Paris. Le premier de tous, à
+ses yeux, était de faire faire à sa
+s&oelig;ur un grand mariage. Dans les
+idées de M. de Nangis, le bonheur
+n'était autre chose qu'un état brillant
+dans le monde; et c'est dans la
+franchise de son amitié, qu'il conseillait
+à sa s&oelig;ur de tout sacrifier au
+projet d'un second établissement, digne
+de sa fortune. Valentine avait
+<span class="pagenum"><a name="Page_47" id="Page_47">47</a></span>
+un sincère desir de se laisser diriger
+dans sa conduite par son frère. Elle
+rendait justice à ses bonnes qualités,
+à l'esprit d'ordre qui le caractérisait;
+mais elle se sentait incapable d'être
+heureuse d'un bonheur qu'il lui aurait
+choisi; leurs goûts étaient trop
+différents.</p>
+
+<p>Madame de Saverny, docile sur
+tous les petits intérêts de la vie, avait
+cependant une volonté immuable.
+On la voyait sans cesse soumettre
+ses projets, ses plaisirs, aux caprices
+de ses amis; mais aucun deux n'eût
+obtenu le sacrifice d'un de ses sentiments.
+Élevée dans la retraite la
+plus austère, elle avait appris à mépriser
+les joies et les tourments de
+la vanité. Les religieuses, chargées
+<span class="pagenum"><a name="Page_48" id="Page_48">48</a></span>
+de son éducation, sachant que la
+volonté de son père la condamnait à
+vivre loin du monde, lui en avaient
+fait un tableau effrayant; à force de
+lui répéter que l'égoïsme et la perfidie
+dirigeaient toutes les actions des
+hommes, Valentine en avait conçu
+tout naturellement une sorte de défiance
+qui nuisait à son bonheur.
+L'assurance d'une sincère amitié lui
+semblait une politesse, l'éloge une
+flatterie, et le serment un mensonge.
+Cependant son ame tendre ne pouvait
+se passer d'affections vives. Mais
+la dévotion la plus exaltée les avait
+toutes concentrées, jusqu'au moment
+où M. de Saverny vint mériter son
+attachement et sa reconnaissance,
+et lui prouva qu'un homme, élevé
+<span class="pagenum"><a name="Page_49" id="Page_49">49</a></span>
+dans de bons principes, peut se conserver
+vertueux au milieu du grand
+monde; mais soit faiblesse, ou prudence,
+il ne chercha point à détruire
+les préventions qui la rendaient souvent
+injuste envers les autres hommes.
+Peut-être avait-il prévu qu'en
+mettant son esprit à l'abri des dangers
+de la séduction, elle n'en aurait
+encore que trop à vaincre pour son
+c&oelig;ur. Une longue habitude du monde
+avait démontré à M. de Saverny que
+le plus grand malheur d'une femme
+n'est pas de succomber au sentiment
+qu'elle éprouve, mais au caprice
+qu'elle inspire; et sa tendresse vraiment
+paternelle pour Valentine,
+avait voulu la préserver du malheur
+si commun d'être dupe de la vanité
+d'un fat ou de la légèreté d'un étourdi.</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_50" id="Page_50">50</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_V" id="CHAPITRE_V"></a>CHAPITRE V.</h3>
+
+<p class="p2">Les premiers jours qui suivirent
+l'arrivée de madame de Saverny à
+Paris, furent entièrement consacrés
+à des visites de famille que son frère
+avait exigées avant tout, et aux différentes
+emplettes des chiffons que
+madame de Nangis regardait comme
+l'absolu nécessaire d'une femme élégante.
+En personne qui n'a rien à
+redouter des succès d'une autre, elle
+se réjouissait de celui qu'obtiendrait
+Valentine, lorsqu'elle paraîtrait pour
+la première fois dans une grande
+assemblée, revêtue d'une parure brillante
+<span class="pagenum"><a name="Page_51" id="Page_51">51</a></span>
+et recherchée, dont le bon goût
+attesterait les soins qu'y aurait apportés
+madame de Nangis, et le généreux
+plaisir qu'elle trouvait à montrer
+dans tout son éclat la beauté de
+sa s&oelig;ur. On se tromperait, si l'on
+concluait d'après ce noble procédé,
+que madame de Nangis fût incapable
+d'envie: mais on est rarement jaloux
+de son ouvrage; et l'idée que Valentine
+lui devrait son triomphe, lui
+en fesait partager d'avance la gloire.</p>
+
+<p>Le moment d'en jouir fut fixé au
+jour que choisit la princesse de L...
+pour donner un grand bal. L'effet
+qu'y produisit la beauté de madame
+de Saverny alla fort au-delà de ce
+que s'en était promis sa belle-s&oelig;ur.
+C'était, disait-on, la taille la plus
+<span class="pagenum"><a name="Page_52" id="Page_52">52</a></span>
+svelte, le regard le plus séduisant, la
+tournure la plus gracieuse et la plus
+imposante. Les personnes dont l'esprit
+malin s'était épuisé en bons
+mots sur l'Artemise du concert de
+Madame de Nangis, restaient confondues,
+et ne pouvaient concevoir
+que le seul talisman d'une parure
+nouvelle eût eu le pouvoir d'opérer
+une semblable métamorphose. Leur
+malignité en était réduite à la triste
+ressource d'avouer que la marquise
+de Saverny était assez belle, mais
+d'une beauté insignifiante. Ceux qui
+ne l'avaient jamais vue, combattaient
+avec raison cet avis injurieux; et
+Valentine ne fut pas long-temps à
+s'apercevoir qu'elle était l'objet de
+l'attention générale. Sa modestie en
+<span class="pagenum"><a name="Page_53" id="Page_53">53</a></span>
+souffrit d'abord un peu, mais son
+amour-propre jouit bientôt du plaisir
+d'être admirée; elle en devint plus
+agréable encore, car rien n'embellit
+comme la certitude de plaire. Tant
+d'hommages l'auraient peut-être un
+peu trop enivrée, si elle n'avait entendu
+dire à un homme qui passait
+auprès d'elle:&mdash;Je me méfie de ces
+Beautés si régulières; elles naissent
+ordinairement sans esprit, et la
+flatterie les rend stupides.&mdash;Cette
+phrase, et le ton de mépris qui l'accompagne,
+excitent la curiosité de
+Valentine; elle veut connaître la
+figure d'un censeur aussi sévère, se
+retourne, et voit un homme dont
+l'âge lui rappelle M. de Saverny,
+mais dont les yeux brillants et les
+<span class="pagenum"><a name="Page_54" id="Page_54">54</a></span>
+traits marqués donnent à sa physionomie
+une expression dure qui
+inspire plutôt la crainte que la confiance.
+Pour se venger de la sentence
+qu'il vient de prononcer un peu trop
+haut contre elle, madame de Saverny
+se penche vers sa s&oelig;ur, et lui demande
+comment on nomme ce monsieur
+si peu indulgent; c'est le commandeur
+de Saint-Albert, répond
+madame de Nangis, un original qui
+se croit le droit de tout fronder,
+parce qu'il est trop vieux pour s'amuser
+de rien. C'est par égard pour l'ambassadeur
+d'Espagne, dont il est
+l'intime ami, qu'on l'invite par-tout.
+Votre frère prétend que c'est un
+homme de beaucoup de mérite, il
+appelle son humeur de la fermeté,
+<span class="pagenum"><a name="Page_55" id="Page_55">55</a></span>
+et sa rudesse de la franchise; moi
+qui ne fais aucun cas de ces vertus
+désagréables, je le reçois le moins
+possible. C'est dommage, reprit Valentine,
+vous l'auriez sûrement guéri
+de ses préventions.&mdash;Ces derniers
+mots parvinrent aux oreilles du commandeur,
+et lui firent soupçonner
+qu'il avait été entendu de madame
+de Saverny. Il en conclut qu'elle allait
+le prendre en horreur, et fut très-étonné
+de la voir empressée de causer
+avec lui, lorsque M. de Nangis vint
+lui en offrir l'occasion. Il fit la réflexion
+toute simple, que la marquise
+était bien aise de lui prouver la rigueur
+de son jugement contre les
+belles femmes. Il la trouva digne
+d'une exception, mais il se garda
+<span class="pagenum"><a name="Page_56" id="Page_56">56</a></span>
+bien de lui en faire la confidence;
+son éloignement pour toute espèce
+de galanterie le rendait avare des
+éloges les plus mérités. Sous prétexte
+de ne point gâter les femmes, il parlait
+de leurs défauts avec une ironie
+dédaigneuse, qui le rendait redoutable;
+et quand on lui en faisait le
+reproche, il répondait que cette sévérité
+lui avait plus rapporté depuis
+qu'il était vieux, que tous les beaux
+sentiments de sa jeunesse. En effet,
+l'envie de se mettre à l'abri de ses
+épigrammes rendait beaucoup de
+femmes soigneuses envers lui, et lui
+donnait le droit de croire qu'on les
+captive plus par la crainte que par
+la soumission.</p>
+
+<p>Il était déja tard lorsque le chevalier
+<span class="pagenum"><a name="Page_57" id="Page_57">57</a></span>
+d'Émerange, après avoir donné
+l'inquiétude de ne le pas voir, arriva
+enfin. Le plaisir de se faire attendre
+avait pour lui tant de charmes, qu'il
+manquait souvent à ses engagements,
+dans l'unique espérance de s'entendre
+raconter le lendemain avec
+quelle impatience on l'avait attendu.
+Pour cette fois, la présence de madame
+de Saverny avait occupé tout
+le monde, et l'absence du chevalier
+n'avait été remarquée que d'un petit
+nombre de personnes. En entrant
+dans le premier salon, il fut étourdi
+par les discours emphatiques des
+admirateurs de Valentine. Pour
+leur prouver qu'il ne partageait pas
+leur enthousiasme, et qu'il l'avait
+assez vue pour la bien juger, il affecta
+<span class="pagenum"><a name="Page_58" id="Page_58">58</a></span>
+de rester fort long-temps avant
+d'entrer dans le salon où elle était,
+et ne parut s'y décider que dans l'intention
+d'aller saluer madame de
+Nangis; mais madame de Saverny eut
+son premier regard, et l'impression
+qu'elle produisit sur lui fut d'autant
+plus vive, qu'il s'efforça de la cacher.
+A peine eut-il l'air de l'apercevoir.
+Madame de Nangis qui commençait
+à être importunée des hommages que
+l'on prodiguait à sa s&oelig;ur, sut bon
+gré au chevalier de cette négligence,
+et l'en récompensa en ne s'occupant
+que de lui. Il parut quelque temps
+ravi de cette préférence, mais quand
+il s'aperçut que madame de Saverny
+n'y prenait pas garde, et qu'elle semblait
+écouter avec intérêt la conversation
+<span class="pagenum"><a name="Page_59" id="Page_59">59</a></span>
+du commandeur et de
+quelques autres personnes qui l'entouraient,
+il se fatigua de la gaîté de
+madame de Nangis, et s'éloigna d'elle.</p>
+
+<p>Un attrait irrésistible le ramena
+bientôt auprès de Valentine. Malgré
+toutes ses résolutions, il sentit
+le besoin de lui plaire, en forma le
+projet, et s'appliqua à étudier les
+moyens d'y parvenir. L'embarras
+n'était pas de se conformer à ses
+goûts, mais de les connaître; et le
+chevalier résolut de se servir de l'esprit
+de madame de Nangis, pour
+apprendre à captiver celui de Valentine;
+bien décidé à se faire les
+opinions et le caractère qui devaient
+le mieux séduire la femme auprès de
+laquelle il desirait le plus de réussir.</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_60" id="Page_60">60</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_VI" id="CHAPITRE_VI"></a>CHAPITRE VI.</h3>
+
+<p class="p2">Malgré les profits qu'y trouvait
+son amour-propre, Valentine ne
+pouvait se soumettre long-temps aux
+agitations d'une vie aussi dissipée.
+Elle pria sa s&oelig;ur de la laisser disposer
+de ses matinées, qu'elle consacrait
+ordinairement à l'étude, et
+de la dispenser quelquefois de la
+suivre le soir dans ces grandes assemblées
+où l'ennui règne assez souvent;
+mais lorsque madame de Nangis se
+décidait à rester chez elle, Valentine
+se fesait un devoir de lui tenir compagnie,
+et de partager avec elle le
+<span class="pagenum"><a name="Page_61" id="Page_61">61</a></span>
+soin de faire les honneurs de sa
+maison. M. d'Émerange, qui s'était
+aperçu de cette résolution, ne manquait
+pas de trouver quelques prétextes
+pour engager madame de Nangis
+à ne pas sortir. Tantôt il fesait
+trop froid, les spectacles étaient détestables,
+et d'ailleurs causait-on
+quelque part aussi bien que chez elle!
+Bonnes ou mauvaises, ces raisons
+étaient toutes accueillies; madame
+de Nangis les interprétait d'autant
+plus en sa faveur, que le chevalier
+redoublait de flatterie pour elle.</p>
+
+<p>Un soir que ces dames étaient
+presque seules, il les surprit à rire
+d'une visite fort ridicule qu'elles venaient
+de recevoir. «Je crois que
+c'est par égard pour moi, disait Valentine
+<span class="pagenum"><a name="Page_62" id="Page_62">62</a></span>
+à sa s&oelig;ur, que vous attirez
+chez vous ces sortes de caricatures.
+Vous pensez me rendre mes plaisirs
+de Nevers; eh bien! vous vous trompez:
+nous n'avons en province rien
+d'aussi parfait que cela.&mdash;Je ne sais
+pas, dit M. d'Émerange, quels sont
+les originaux qui ont le bonheur
+d'exciter ainsi votre gaîté, mais je
+défie bien Nevers d'en avoir d'aussi
+ridicules que ceux qu'on rencontre
+tous les jours à Paris.&mdash;Eh bien! je
+gage, dit madame de Nangis, que
+vous allez reconnaître les nôtres!&mdash;Ah!
+je les devine, reprit le chevalier,
+n'est-ce pas ce grand niais de
+baron, qui traduit l'allemand sans
+l'avoir appris, et fait des vers sur le
+<i>oui</i>, le <i>non</i>, le <i>si</i>, le <i>car</i>, enfin sur
+<span class="pagenum"><a name="Page_63" id="Page_63">63</a></span>
+tous les monosyllabes de la langue
+française. Sa petite femme a des yeux
+rouges, et des mains noires, dignes
+d'exercer la muse de son mari. C'est
+lui qui imagina un jour de s'habiller
+en sauvage pour jouer un proverbe
+qu'il avait composé en l'honneur de
+la fête de la jolie duchesse de R***.
+Il avait emprunté, pour ajouter à la
+vérité de son costume, une perruque
+de bête féroce, qui produisait un
+effet si bizarre sur sa figure moutonne,
+qu'il fut impossible de modérer
+les éclats de rire, et d'entendre
+un seul mot de sa pièce. Ah! c'est
+un homme précieux que je me ferai
+toujours un vrai plaisir de rencontrer!&mdash;N'ayez
+pas de regret, ce
+n'est pas lui que nous avons vu.»
+<span class="pagenum"><a name="Page_64" id="Page_64">64</a></span>
+Alors le chevalier passa en revue
+tous les gens auxquels il trouvait ou
+donnait des ridicules. Madame de
+Saverny, sans reconnaître ses portraits,
+ne pouvait s'empêcher d'en
+rire. Il en conclut que sa malice
+l'amusait, et en devint plus piquant.
+Cependant un mot de madame de
+Nangis le fit changer de ton.&mdash;«Ne
+vous l'avais-je pas bien dit, Valentine,
+que la gaîté de M. d'Émerange
+triompherait de tous les genres de
+tristesse? Vous qui vantez si bien les
+charmes de la mélancolie, avouez
+que le plaisir de rêver ne vaut pas
+celui de rire.» Il n'en fallut pas
+davantage pour faire changer de rôle
+au chevalier: il amena avec adresse
+la conversation sur des sujets plus
+<span class="pagenum"><a name="Page_65" id="Page_65">65</a></span>
+graves, raconta, sans affectation,
+quelques traits d'une sensibilité touchante,
+et jouit du plaisir de se voir
+écouté avec intérêt par Valentine.
+Madame de Nangis, que le chevalier
+n'avait pas accoutumée à des entretiens
+de ce genre, lui en témoigna
+son étonnement, en disant: «Serait-il
+bien indiscret de vous demander
+où vous avez lu tout cela? en vérité,
+le chevalier de Florian ne nous dirait
+rien d'aussi pathétique, et je ne vous
+aurais jamais soupçonné de sentiments
+si doux.&mdash;Voilà bien de
+vos jugements, répartit le chevalier
+avec impatience; parce qu'il est reçu
+dans le monde qu'on ne doit parler
+qu'avec son esprit, vous en concluez
+qu'on a le c&oelig;ur sec. Ne savez-vous
+<span class="pagenum"><a name="Page_66" id="Page_66">66</a></span>
+pas que l'on passe sa vie à afficher
+ses défauts qu'on n'a point. Vous,
+qui me raillez, je vous ai vue cent
+fois vous parer d'une légèreté factice,
+et tourner en plaisanterie le trait qui
+provoquait le mieux votre attendrissement.
+Sur ce point nous sommes
+tous plus ou moins hypocrites.»
+Madame de Nangis se trouva blessée
+de cette réponse, et plus encore du
+mouvement d'humeur qui semblait
+l'avoir dictée. Elle s'en vengea par
+des épigrammes, dont Valentine essaya
+d'adoucir l'amertume par des
+mots conciliants. Tout en conservant
+les formes de la plus stricte politesse,
+la querelle devint très-vive,
+et laissa des impressions fâcheuses
+dans l'esprit de la comtesse; elle
+<span class="pagenum"><a name="Page_67" id="Page_67">67</a></span>
+soupçonna pour la première fois au
+chevalier le desir de plaire à sa belle-s&oelig;ur,
+et l'accusa, intérieurement,
+d'avoir la fatuité de paraître la sacrifier
+à sa passion naissante. Elle en
+conçut d'abord une juste indignation;
+car la comtesse se croyait
+exempté de tous reproches, par la
+seule raison que sa conscience était
+en repos sur les droits du chevalier.
+Comme toutes les coquettes, elle
+comptait pour rien le malheur de se
+compromettre, et s'indignait qu'on
+pût la soupçonner d'un tort dont
+elle se donnait toutes les apparences.</p>
+
+<p>Le retour de M. de Nangis termina
+toute discussion; il avait dîné
+chez l'ambassadeur d'Espagne, où
+l'on avait beaucoup parlé de madame
+<span class="pagenum"><a name="Page_68" id="Page_68">68</a></span>
+de Saverny: son frère la félicita d'avoir
+fait la conquête la plus difficile;
+celle du vieux commandeur de Saint-Albert.&mdash;C'est
+un homme bizarre,
+dit le chevalier, mais qui n'a jamais
+manqué de goût.&mdash;Il ne l'use pas,
+repartit la comtesse, car il n'aime personne.&mdash;Si
+vous l'aviez entendu
+parler de Valentine, reprit M. de
+Nangis, vous auriez meilleure idée
+de son c&oelig;ur.&mdash;Il me semble, ajouta
+le chevalier, qu'il ne devait pas moins
+à Madame, pour la complaisance
+qu'elle a eue de l'écouter toute une
+soirée.&mdash;Ce n'était point par complaisance,
+répondit Valentine, je
+puis vous l'assurer, sa conversation a
+je ne sais quel attrait de franchise
+qui la rend très-attachante.&mdash;Il est
+<span class="pagenum"><a name="Page_69" id="Page_69">69</a></span>
+certain, interrompit la comtesse,
+que si vous mettiez du blanc, il
+n'aurait pas manqué de vous le dire,
+car il n'a jamais gardé le secret d'une
+chose désagréable.&mdash;Il paraît, reprit
+M. de Nangis, que Valentine l'a
+corrigé du défaut de médire, car,
+après en avoir fait l'éloge, il a ajouté
+que c'était la première femme qu'il
+eût jugée digne de tourner la tête
+d'un honnête homme, et que rien ne
+lui semblait aussi raisonnable que de
+beaucoup l'aimer.&mdash;Je ne me croyais
+pas si sage, dit le chevalier, de manière
+à n'être entendu que de Valentine.</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_70" id="Page_70">70</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_VII" id="CHAPITRE_VII"></a>CHAPITRE VII.</h3>
+
+<p class="p2">Monsieur d'Émerange se retira
+convaincu de l'impression que son
+dernier mot avait dû produire sur
+Valentine, mais il se reprocha de lui
+avoir trop tôt laissé connaître celle
+qu'elle avait faite sur lui; et, pour
+réparer autant qu'il était en son
+pouvoir une faute aussi grave, il
+résolut de passer deux jours entiers
+sans voir ces dames. Par ce moyen
+il croyait prouver à madame de Saverny,
+qu'il n'en était pas au point
+de n'être heureux qu'en sa présence,
+et à madame de Nangis, qu'il ne lui
+<span class="pagenum"><a name="Page_71" id="Page_71">71</a></span>
+donnerait jamais le droit de l'offenser
+impunément. Ce calcul ne
+réussit qu'auprès de la dernière, car
+Valentine n'avait pas eu l'idée de
+prendre au sérieux la furtive déclaration
+du chevalier; elle la mit au
+nombre de ces mots galants qu'il
+savait dire avec tant de grace, et
+n'en conserva aucun souvenir.</p>
+
+<p>Madame de Nangis était loin de
+partager cette indifférence; le moindre
+mot du chevalier avait la puissance
+de déranger son humeur; tout
+de sa part la flattait ou la blessait,
+et dans cette occasion son absence
+lui parut une insulte. Il devait bien
+présumer que le lendemain de cette
+petite scène, elle aurait la migraine,
+et il n'envoya même point savoir de
+<span class="pagenum"><a name="Page_72" id="Page_72">72</a></span>
+ses nouvelles. Ce procédé faillit la
+rendre vraiment malade, et quand
+M. de Nangis vint la conjurer, le
+surlendemain, de ne pas manquer
+à l'engagement qu'elle avait pris de
+dîner le même jour chez une de leurs
+vieilles parentes, elle eut besoin de
+tout son courage pour se résigner à
+remplir un devoir aussi ennuyeux.</p>
+
+<p>Valentine la voyant un peu souffrante,
+lui donna tous les soins de
+la plus tendre amitié, et s'offrit de
+l'accompagner. On partit de bonne
+heure, pour se conformer à l'ancienne
+habitude qu'avait la présidente
+de C..., de dîner à l'heure du
+marais; et l'on arriva bientôt dans
+la cour de l'hôtel le plus gothique
+et le plus triste de Paris. Un vieux
+<span class="pagenum"><a name="Page_73" id="Page_73">73</a></span>
+laquais, posté au haut d'un grand
+escalier, donna le signal de l'arrivée
+de la comtesse, et l'on vit aussitôt
+un grand nombre de serviteurs invalides
+s'empresser d'ouvrir avec peine
+les battants d'une longue enfilade de
+portes. Les convives, déja réunis autour
+du fauteuil de la présidente,
+offraient l'image la plus imposante
+d'une assemblée de famille dont on
+aurait exclu les jeunes héritiers. Valentine
+fut accueillie par ce cercle
+vénérable avec tout le cérémonial
+d'une présentation. La présidente la
+traitait avec la considération que méritait
+à ses yeux la veuve d'un vieux
+gentilhomme, et se contentait de
+parler à Madame de Nangis, avec l'air
+protecteur qu'on a pour un enfant.
+<span class="pagenum"><a name="Page_74" id="Page_74">74</a></span>
+Il faut convenir qu'elle en avait alors
+toute la maussaderie. Comme elle ne
+fesait aucun effort pour dissimuler
+son ennui, chacun pouvait deviner
+qu'il ne devait l'avantage de la voir
+qu'à sa déférence aux volontés de
+son mari; et personne ne lui savait
+gré d'un sacrifice fait d'aussi mauvaise
+grace.</p>
+
+<p>Valentine, douée d'un meilleur esprit,
+savait tirer parti de celui de
+tout le monde. S'amusant de la gaîté,
+de la folie même, qui animent souvent
+la conversation des jeunes gens,
+elle s'intéressait à celle des savants
+et s'instruisait à celle des vieillards.</p>
+
+<p>En achevant son éducation, M. de
+Saverny lui avait appris cette politesse,
+qui consiste encore plus à écouter
+<span class="pagenum"><a name="Page_75" id="Page_75">75</a></span>
+avec intérêt, qu'à répondre avec
+bienveillance. Il n'avait rien oublié
+de ce qui pouvait ajouter au charme
+des qualités précieuses de Valentine;
+et son plus grand regret en mourant,
+fut d'ignorer à quel heureux
+mortel il léguait une femme aussi
+aimable.</p>
+
+<p>Le mérite de madame de Saverny
+fut apprécié des amis de la présidente,
+et quand le dîner fut fini,
+on se disputa l'honneur de faire
+sa partie. Madame de Nangis avait
+grande envie de se soustraire aux
+lenteurs d'un boston, qui menaçait
+de remplir la soirée, mais elle y fut
+condamnée par un regard de son
+mari, dont la sévérité, pour tous ces
+petits devoirs de société, ne pouvait
+<span class="pagenum"><a name="Page_76" id="Page_76">76</a></span>
+se comparer qu'à son indulgence
+pour de plus grands travers. La comtesse
+se promit bien de n'obéir qu'à
+moitié à cet ordre; elle savait que
+M. de Nangis devait se trouver le
+même soir à un rendez-vous chez le
+ministre des affaires étrangères, et dès
+qu'il fut parti, elle prétexta une subite
+indisposition, fit des excuses sur
+la nécessité de se retirer, et demanda
+sa voiture. Valentine, la croyant vraiment
+indisposée, la suit avec inquiétude,
+et l'engage à se mettre au lit
+aussitôt qu'elles seront de retour;
+mais elle est interrompue dans ses
+avis charitables par un grand éclat
+de rire de la comtesse, qui tire le
+cordon de sa voiture, et dit à ses
+gens:&mdash;A l'opéra.&mdash;Comment à
+<span class="pagenum"><a name="Page_77" id="Page_77">77</a></span>
+l'opéra? s'écria Valentine: mais vous
+n'êtes donc pas malade?&mdash;Bonne
+raison! C'est surtout quand on est
+malade que l'on a besoin de se distraire.&mdash;Mais
+si vous alliez y souffrir
+davantage.&mdash;Je ne saurais être
+nulle part aussi mal qu'au milieu de
+tous ces vieux contemporains de ma
+tante. Mais en vérité je vous admire:
+comment trouviez-vous quelque
+chose à dire à ces gens-là; moi, je
+ne sais pas assez bien mon histoire
+de France pour causer avec eux, car
+je suis sûre que le plus jeune était
+page de Louis XIV.&mdash;Je n'ai pas le
+droit d'être aussi difficile que vous,
+reprit Valentine, et je supporte assez
+patiemment un moment d'ennui. Cependant,
+je sens que la gravité du
+<span class="pagenum"><a name="Page_78" id="Page_78">78</a></span>
+Marais me paraîtrait bientôt insipide,
+s'il me fallait en souffrir plus
+d'un jour.&mdash;Cela ressemble pourtant
+assez à la province.&mdash;C'est possible,
+mais à la campagne on n'a
+aucune idée de cette manière de vivre,
+et vous savez que j'y passais
+l'année entière.&mdash;Sans vous ennuyer?
+Voilà qui est miraculeux. Je
+n'ai jamais pu rester plus de trois
+mois dans mes terres, malgré le soin
+que je prenais d'y amener beaucoup
+de monde; je frémis déja de l'idée
+d'y aller ce printemps; et, sans le
+projet que nous avons d'y jouer la
+comédie, j'aurais bien de la peine à
+tenir la promesse que j'ai faite à
+votre frère de l'y accompagner.&mdash;Si
+vous lui disiez à quel point cela vous
+<span class="pagenum"><a name="Page_79" id="Page_79">79</a></span>
+contrarie, je suis sûre qu'il ne l'exigerait
+pas.&mdash;Ah! vous le connaissez
+bien peu, si vous ne savez pas quelle
+importance il attache à ma présence
+au château de Varenne, à l'époque
+de la fête du Village. Ne faut-il pas
+que je sois le témoin de cette grande
+solennité, et que je prenne ma part
+des honneurs qu'on lui rend. J'avoue
+que je la lui céderais de bon
+c&oelig;ur, car je ne connais rien de si
+fastidieux que cette parodie des fêtes
+de souverains où l'on se fait rendre
+une partie de l'encens qu'on dépense
+à la cour.»</p>
+
+<p>Ici la portière s'ouvrit, et ces
+dames descendirent à l'Opéra. Madame
+de Nangis, qui ne se souciait
+pas d'être vue dans sa loge, entra
+<span class="pagenum"><a name="Page_80" id="Page_80">80</a></span>
+dans celle de la princesse de L...,
+tourna le dos au théâtre, et se mit
+à chercher des yeux auprès de quelle
+jolie femme le chevalier d'Émerange
+tentait de se venger d'elle.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_VIII" id="CHAPITRE_VIII"></a>CHAPITRE VIII.</h3>
+
+<p class="p2">La princesse était ce soir-là à Versailles,
+et sa loge resta à la disposition
+de madame de Nangis, qui eut
+le chagrin de n'y recevoir personne.
+On donnait Armide, et Valentine se
+livrait au plaisir d'entendre ce chef-d'&oelig;uvre,
+qui réunit tous les genres
+de perfection, lorsque la comtesse
+lui dit de contempler le plus beau
+<span class="pagenum"><a name="Page_81" id="Page_81">81</a></span>
+visage qu'elle ait vu de sa vie. Imaginant
+que sa s&oelig;ur lui désigne une
+femme, elle regarde dans la loge
+qu'elle lui indique, et ses yeux rencontrent
+ceux d'un jeune homme
+dont la figure était en effet remarquable.
+Honteuse d'avoir été surprise
+dans ce mouvement de curiosité par
+celui qui l'excitait, elle rougit, baisse
+les yeux, et, sans oser le considérer
+davantage, elle répond à sa s&oelig;ur
+qu'elle est de son avis. «C'est probablement
+quelque étranger, dit la
+comtesse, car un homme de cette
+tournure-là serait déja connu de tout
+Paris, s'il y était seulement depuis
+deux mois. Vous, qui dessinez si bien,
+vous devez trouver que c'est un beau
+portrait à faire.» Valentine essaya
+<span class="pagenum"><a name="Page_82" id="Page_82">82</a></span>
+une seconde fois de vérifier si l'admiration
+de madame de Nangis était
+fondée; mais le même regard qui
+l'avait déja troublée l'empêcha d'en
+voir davantage. Elle se décida à croire
+sa belle-s&oelig;ur sur parole. La comtesse
+ne se lassait point de comparer
+les traits de cet étranger à ceux des
+plus belles têtes grecques, mais elle
+en perdit bientôt le souvenir, tandis
+que Valentine, qui les avait à peine
+entrevus, se les rappelait encore.</p>
+
+<p>Au commencement du quatrième
+acte, madame de Nangis, n'ayant pas
+aperçu le chevalier, et présumant
+qu'il pourrait peut-être venir chez
+elle, proposa à Valentine de s'en
+aller pour éviter les embarras de la
+sortie de l'opéra, et l'inconvénient
+<span class="pagenum"><a name="Page_83" id="Page_83">83</a></span>
+d'être obligée d'accepter la main de
+quelque ennuyeux. Valentine émue
+par le bonheur d'Armide, regretta
+vivement de ne point entendre ses
+touchantes plaintes, et se promit de
+revenir à la prochaine représentation
+de ce bel ouvrage.</p>
+
+<p>Pendant que ces dames attendaient
+sous le vestibule, elles virent descendre
+du grand escalier deux hommes,
+dont le plus jeune fut bientôt
+reconnu; l'autre paraissait âgé de
+cinquante ans, c'était l'ancien gouverneur
+ou plutôt l'ami d'Anatole,
+de ce jeune étranger qu'avait remarqué
+la comtesse. Un hasard heureux,
+si l'on peut appeler ainsi ce
+desir vague qui entraîne à suivre les
+pas d'une jolie personne, avait heureusement
+<span class="pagenum"><a name="Page_84" id="Page_84">84</a></span>
+amené ces messieurs au
+moment où l'on vint avertir madame
+de Nangis que son carrosse l'attendait.
+Valentine exige qu'elle y monte
+la première, et s'élance pour la
+suivre, lorsque les chevaux qui n'étaient
+retenus que par un cocher
+ivre, partent comme un éclair, entraînent
+le laquais qui tenait la portière;
+et Valentine tombe sous les
+pieds des chevaux d'une voiture qui
+se trouvait derrière celle de la comtesse.
+Elle allait en être atteinte,
+quand un homme se précipite sur
+le timon de cette voiture, en reçoit
+un coup violent, repousse avec
+effort les chevaux que les cris animaient,
+et relevant Valentine, il la
+porte évanouie sous le vestibule. Au
+<span class="pagenum"><a name="Page_85" id="Page_85">85</a></span>
+même instant, les gens de madame
+de Nangis reviennent suivis du carrosse,
+pour la chercher. On l'y transporte,
+après s'être assuré que la
+frayeur est seule cause de l'état où
+elle est, sans s'inquiéter de celui où
+on laisse l'homme qui l'a sauvée.</p>
+
+<p>Un flacon de sels que portait toujours
+la comtesse, ranima bientôt
+les esprits de Valentine: elle s'efforça
+de tranquilliser sa belle-s&oelig;ur, dont
+les inquiétudes étaient d'autant plus
+vives, qu'elle se reprochait le caprice
+qui l'avait conduite à l'opéra en dépit
+de tout, et s'accusait du malheur
+de Valentine. C'est en pareille occasion
+que l'on pouvait juger de la
+bonté du c&oelig;ur de madame de Nangis,
+et lui pardonner tous les travers de
+<span class="pagenum"><a name="Page_86" id="Page_86">86</a></span>
+son esprit. Rien n'égalait sa touchante
+sollicitude pour un ami souffrant,
+ni sa générosité pour un ami
+malheureux. Alors tous les intérêts
+d'amour-propre qui la gouvernaient
+dans le monde, étaient sacrifiés au
+desir d'obliger. Souvent envieuse du
+bonheur des autres, le malheur la
+trouvait toujours noble et courageuse.
+Et l'on peut dire que le tort
+d'abandonner ses amis dans la disgrace,
+était la seule mode qu'elle ne
+suivit pas.</p>
+
+<p>De retour à l'hôtel, madame de
+Nangis raconta franchement à son
+mari ce qui lui était arrivé à l'opéra,
+en lui disant que ses reproches ne
+sauraient aller au-delà de ceux
+qu'elle se fesait à elle-même. Aussi
+<span class="pagenum"><a name="Page_87" id="Page_87">87</a></span>
+ne lui en adressa-t-il aucun, dans
+la crainte d'ajouter au chagrin dont
+elle était pénétrée en pensant au
+danger qu'avait couru sa s&oelig;ur. Elle
+desirait passer la nuit auprès de son
+lit, mais Valentine n'y voulut pas
+consentir. Elle assurait n'éprouver
+d'autre effet de sa chûte qu'un peu
+de courbature et un tremblement
+dans les nerfs causé par la frayeur.
+Comme il ne lui restait qu'un souvenir
+confus de cet événement, elle
+ne put satisfaire aux questions que
+son frère lui fit à ce sujet; et l'on
+sonna Richard, qui en avait été témoin,
+pour lui en demander les
+détails. Il raconta d'abord simplement
+le fait, mais quand il vint à
+dépeindre celui qui s'était si courageusement
+<span class="pagenum"><a name="Page_88" id="Page_88">88</a></span>
+précipité au secours de la
+marquise, madame de Nangis s'écria:
+«Il n'en faut pas douter, ma chère,
+c'est notre bel étranger, et voilà un
+commencement de roman dans les
+formes. Vous êtes charmante, il est
+beau comme Apollon, vous ne l'avez
+jamais vu, il vous sauve la vie;
+c'est la perfection du genre. Mais ne
+faudra-t-il pas connaître un peu votre
+héros? Qu'est-il devenu, Richard,
+après notre départ?&mdash;Comme il
+me fallait suivre madame, je n'ai
+guère eu le temps de le savoir. J'ai
+seulement vu deux domestiques avec
+une livrée que je ne connais pas,
+transporter dans une belle voiture
+le jeune homme qui avait relevé
+madame la marquise. Ils étaient suivis
+<span class="pagenum"><a name="Page_89" id="Page_89">89</a></span>
+d'un vieux monsieur qui se désespérait,
+en disant: «Le malheureux
+a l'épaule cassée.» Et je crois que cela
+se pourrait bien, car à la manière
+dont il s'est jeté sur les chevaux, il
+doit avoir reçu un violent coup de
+timon.» Valentine fut saisie d'effroi
+en apprenant l'affreux accident dont
+le sien était cause; elle donna l'ordre
+qu'on s'informât à qui elle avait tant
+d'obligation, et se promit de ne rien
+négliger pour lui en témoigner sa
+reconnaissance. M. de Nangis qui
+partageait ce sentiment, s'engagea à
+faire des démarches pour apprendre
+le nom de cet étranger, et l'aller
+remercier d'une action aussi généreuse.</p>
+
+<p>L'esprit trop agité de cet événement,
+<span class="pagenum"><a name="Page_90" id="Page_90">90</a></span>
+Valentine passa la nuit sans
+dormir. Elle médita sur le hasard
+qui avait conduit ce jeune homme à
+sortir de l'Opéra en même temps
+qu'elle, et sur le mouvement d'humanité
+qui l'avait porté à tout risquer
+pour la sauver. Une grande ame
+pouvait seule être susceptible d'un si
+noble désintéressement; et Valentine
+se plaisait à faire l'énumération de
+toutes les qualités qui dérivent de
+celle-là. Son imagination, exaltée
+par la reconnaissance, se peignait
+toutes les vertus réunies dans celui
+qui venait de lui offrir la preuve
+d'un c&oelig;ur aussi compatissant; elle
+aurait voulu trouver quelque ingénieux
+moyen de l'en remercier, sans
+être obligée d'avoir recours à ces
+<span class="pagenum"><a name="Page_91" id="Page_91">91</a></span>
+phrases vulgaires qu'on adresse également
+à l'homme qui vous sauve
+la vie, et à celui qui ramasse votre
+éventail. Mais l'idée de se trouver
+en présence de cet étranger l'embarrassait;
+elle sentait que sa jeunesse
+et les agréments qui le distinguaient,
+intimideraient sa reconnaissance,
+et le trouble qui naissait
+de ces diverses réflexions la jetait
+dans des pensées vagues, que rien
+ne pouvait ni fixer ni distraire.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_IX" id="CHAPITRE_IX"></a>CHAPITRE IX.</h3>
+
+<p class="p2">Le malheureux cocher dont l'imprudence
+avait causé tout ce désastre,
+fut impitoyablement chassé. Valentine
+<span class="pagenum"><a name="Page_92" id="Page_92">92</a></span>
+tenta vainement de demander
+sa grace; M. de Nangis ne se laissa
+point fléchir; mais le pauvre Saint-Jean,
+en quittant la maison, reçut
+de madame de Saverny, pour consolation,
+quelques louis, et l'assurance
+de sa protection. Mademoiselle
+Cécile, la nouvelle femme de
+chambre de la marquise, qui avait
+été chargée de remplir cette commission
+auprès de lui, y joignit la
+promesse de rappeler à sa maîtresse
+les recommandations qu'elle lui avait
+fait espérer dès qu'il trouverait à se
+placer.</p>
+
+<p>L'accident arrivé à Valentine fit
+bientôt assez de bruit pour que l'on
+envoyât de toutes parts s'informer de
+ses nouvelles. Elle fut accablée de
+<span class="pagenum"><a name="Page_93" id="Page_93">93</a></span>
+visites, et en supporta patiemment
+l'importunité, dans l'espérance d'apprendre
+le nom de celui qu'elle desirait
+tant connaître. Mais personne
+ne se trouvait avoir d'ami à qui il fût
+arrivé une semblable aventure; et
+les questions de Valentine n'eurent
+pas plus de succès que les démarches
+de son frère. Pour expliquer ce mystère,
+on décida que Richard s'était
+trompé en croyant ce jeune homme
+grièvement blessé, et que c'était
+probablement un étranger qui ne
+devait pas séjourner à Paris, et que les
+suites de cet événement n'y avaient
+pas retenu. Cette explication suffit
+à tout le monde, excepté à Valentine,
+qui ne la trouva pas assez positive
+pour la dispenser de toutes
+<span class="pagenum"><a name="Page_94" id="Page_94">94</a></span>
+recherches. On lui dit que le commandeur
+de Saint-Albert avait envoyé
+son valet de chambre s'informer
+de l'état où elle se trouvait, quelques
+moments après qu'on l'eut ramenée
+de l'opéra. Cette circonstance la
+frappa, elle était sûre de n'avoir
+point vu le commandeur au spectacle;
+et il n'y avait à la sortie que
+les deux personnes dont elle desirait
+tant savoir le nom: elle pensa donc
+que le commandeur n'avait pu être
+aussitôt instruit de sa chûte que par
+le récit de l'une de ces deux personnes,
+et conçut l'espérance d'apprendre
+de lui tout ce qui pouvait satisfaire
+sa curiosité. Le motif en était trop
+noble pour le cacher; et Valentine
+écrivit un billet au commandeur,
+<span class="pagenum"><a name="Page_95" id="Page_95">95</a></span>
+pour l'inviter à venir la voir un instant.
+Mais on fit répondre qu'il était
+à la campagne, et n'en reviendrait
+que dans huit jours. Il fallut se résigner
+à attendre, et peut-être à
+paraître ingrate, lorsqu'on était pénétrée
+d'une si vive reconnaissance.</p>
+
+<p>Le chevalier d'Émerange n'avait
+pas manqué cette occasion de donner
+des preuves d'intérêt à madame
+de Saverny; mais ne voulant plus se
+compromettre avant de savoir l'effet
+que produiraient ses soins, il se renferma
+dans les expressions d'une politesse
+affectueuse. La préoccupation
+de Valentine lui parut d'un bon
+augure, il ne supposa point qu'un
+autre pût en être l'objet, et répondit
+sans méfiance aux questions de madame
+<span class="pagenum"><a name="Page_96" id="Page_96">96</a></span>
+de Nangis, quand elle lui demanda
+s'il n'avait pas rencontré dans
+le monde celui qu'elle appelait en
+riant, <i>le bel Étranger</i>. Le chevalier
+dit qu'il était poursuivi par ce personnage
+mystérieux qu'il n'avait jamais
+vu, et dont tout le monde lui
+demandait le nom. Il ajouta qu'étant
+arrivé quelques jours avant aux Tuileries,
+il avait été accosté par une
+foule de gens qui avaient tous compté
+sur lui pour leur apprendre ce qu'était
+un homme fort remarquable par
+la noblesse de sa taille et de ses traits,
+et qui venait de monter à cheval,
+après s'être promené quelque temps
+avec un de ses amis. «Je vous avoue,
+poursuivit le chevalier, que cette
+curiosité me parut trop ridicule pour
+<span class="pagenum"><a name="Page_97" id="Page_97">97</a></span>
+la partager: je m'en fais le reproche,
+actuellement que je soupçonne ce
+beau monsieur d'être votre héros.
+Cependant, calmez vos regrets par
+le souvenir de madame de V..., qui
+fut sauvée du feu dans une auberge,
+par le plus bel homme de France,
+dont elle devint folle, et qui aurait
+peut-être fait la passion de sa vie,
+si elle n'avait pas eu l'idée d'aller un
+jour acheter une robe de satin dans
+je ne sais quelle boutique à Lyon,
+où son libérateur déroulait des étoffes
+au public avec une grace toute particulière.&mdash;Ah!
+quelle chûte horrible,
+s'écria la comtesse, quelle
+affreuse découverte!&mdash;Pour l'amour
+peut-être, dit Valentine, mais pour
+la reconnaissance, je ne vois pas ce
+<span class="pagenum"><a name="Page_98" id="Page_98">98</a></span>
+qui rendrait honteuse d'en témoigner
+à un marchand d'étoffes?&mdash;Certainement,
+reprit le chevalier,
+il n'y a là rien de honteux, mais il
+est toujours gênant d'avoir des obligations
+à des gens trop fiers pour
+recevoir de l'argent, et trop pauvres
+pour être vos amis. On ne sait comment
+s'acquitter, et l'on devrait exiger
+d'un garçon de boutique, qui
+vous rend un pareil service, d'ajouter
+au bas de son mémoire; Tant
+pour avoir sauvé la vie de madame.»
+On rit de cette idée folle, et le
+chevalier parvint à jeter tant de
+ridicule sur ces prétendus héros
+mystérieux, toujours prêts à braver
+quelque danger, que personne n'osa
+dire un mot en faveur de celui qui
+s'était exposé pour Valentine.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_99" id="Page_99">99</a></span>
+La société de madame de Nangis
+était en général dominée par l'esprit
+de M. d'Émerange. Les jeunes gens le
+prenaient pour modèle, et croyaient
+imiter son élégance en singeant ses
+manières. Comme tous les imitateurs,
+ils fesaient rarement un juste emploi
+des défauts ou des agréments
+qu'ils lui empruntaient; l'un, séduit
+par l'ironie piquante qui égayait sa
+conversation, sans choquer les convenances,
+se moquait lourdement
+des choses les plus sacrées, croyant
+imiter la grace avec laquelle le chevalier
+semblait se sacrifier en fesant
+l'aveu de ses défauts. Un autre se
+vantait de vices abominables. Tous
+exagéraient son affectation à plaire
+sans aimer; ils traduisaient son naturel
+<span class="pagenum"><a name="Page_100" id="Page_100">100</a></span>
+en familiarité, son indifférence
+en impolitesse, et son enthousiasme
+en fureur. C'était enfin le chef le
+plus séduisant d'une école détestable.
+Les vieux parents de ces jeunes
+étourdis, accusant le chevalier de
+leurs travers, essayaient vainement
+de les éloigner d'un modèle aussi
+dangereux. Dans le dépit de voir
+leurs conseils méprisés, ils formaient
+un parti d'opposition contre le chevalier,
+que celui-ci s'amusait quelquefois
+à gagner par des prévenances
+flatteuses et des témoignages d'une
+estime particulière. Personne ne savait
+mieux que lui, pour ainsi dire,
+<i>jouer</i> de l'amour-propre des autres;
+son talent allait jusqu'à s'attirer
+la protection de la présidente
+<span class="pagenum"><a name="Page_101" id="Page_101">101</a></span>
+de C..., qui arrivait toujours chez
+sa nièce avec l'intention de l'engager
+à recevoir moins souvent un
+homme dont les assiduités finiraient
+par la compromettre, et qu'un éloge
+adroitement indirect, ou l'apologie
+de quelque orateur du parlement,
+rendait aussi indulgente pour le chevalier,
+qu'elle s'était promise d'être
+sévère. Quant aux autres femmes
+de la société de madame de Nangis,
+elles en pensaient du bien ou du
+mal, en raison du plus ou moins
+de soins qu'elles en recevaient. Madame
+de Réthel était la seule qui se
+piquât sur ce point d'une noble
+indépendance; elle écoutait sans impatience
+comme sans intérêt, et
+s'amusait parfois des moyens qu'elle
+<span class="pagenum"><a name="Page_102" id="Page_102">102</a></span>
+lui voyait employer pour parvenir
+à son but. Aussi le chevalier avait-il
+pour elle autant de haine que
+d'égards. C'est ainsi que les gens habitués
+à dominer pardonnent plutôt
+au censeur qui les fronde, qu'au sage
+qui les observe.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_X" id="CHAPITRE_X"></a>CHAPITRE X.</h3>
+
+<p class="p2">Au bout de huit jours le commandeur
+de Saint-Albert revint de la
+campagne, et son premier soin, en
+arrivant, fut de se rendre à l'invitation
+de madame de Saverny. Elle
+était seule quand il se fit annoncer
+chez elle; l'entretien tomba naturellement
+<span class="pagenum"><a name="Page_103" id="Page_103">103</a></span>
+sur le danger qu'elle avait
+couru. «J'ai bien regretté, dit le commandeur,
+de ne pouvoir vous témoigner,
+madame, à quel point je partageais
+les inquiétudes de vos amis,
+mais un devoir impérieux me retenait
+à dix lieues d'ici, auprès d'un
+malade; cela ne m'a point empêché
+d'avoir tous les jours de vos nouvelles.&mdash;Je
+ne méritais pas tant de
+sollicitude, dit Valentine; ce n'est
+pas moi qui ai souffert des suites de
+cet événement, mais on assure que
+la personne à qui j'ai tant d'obligation,
+est dangereusement blessée. A
+ces mots la physionomie de M. de
+Saint-Albert prit un air si triste, que
+Valentine ajouta, avec émotion: Ah!
+mon Dieu! serait-ce un de vos amis?&mdash;Que
+<span class="pagenum"><a name="Page_104" id="Page_104">104</a></span>
+je le connaisse ou non, reprit-il,
+en s'efforçant de paraître
+calme, il a fait une action très-simple,
+et quand il lui en coûterait
+quelque chose pour vous avoir secourue,
+il ne serait pas fort à plaindre.&mdash;Certainement
+il ne le serait
+pas plus que moi, car l'idée de
+savoir que je puis être cause d'un
+semblable malheur, ne me laisse
+aucun repos. Encore si je pouvais
+découvrir à qui j'en dois témoigner
+ma reconnaissance.&mdash;Il serait trop
+récompensé vraiment, s'il était témoin
+de votre inquiétude; mais ce
+n'est peut-être, de votre part, qu'un
+peu de curiosité. Ne vous blessez
+pas de cette supposition, ajouta-t-il,
+en remarquant l'air offensé de Valentine;
+<span class="pagenum"><a name="Page_105" id="Page_105">105</a></span>
+il est aussi naturel de vouloir
+connaître son bienfaiteur, que
+de l'oublier; passez-moi de grace ces
+petites vérités-là; j'aime à penser
+qu'elles n'en sont pas pour vous,
+mais l'habitude m'emporte: j'ai tant
+vu le monde, qu'il me reste bien
+peu d'illusion sur les motifs qui le
+font agir; j'ai surtout le tort de les
+dire aussitôt que je les devine, même
+au risque de me tromper; et je vous
+demande, pour ma franchise, la
+même indulgence que l'on accorde
+ordinairement à la dissimulation.&mdash;Ce
+ne serait pas beaucoup exiger
+de moi, car je hais tout ce qui trompe;
+mais si je réclame toute la sévérité
+de votre franchise, je ne veux pas
+qu'elle me calomnie.&mdash;Vous me
+<span class="pagenum"><a name="Page_106" id="Page_106">106</a></span>
+croyez donc injuste?&mdash;En ce moment,
+par exemple.&mdash;Eh bien! tant
+mieux, vous vous défendrez et vous
+me verrez bientôt persuadé de mon
+injustice.&mdash;Je suis fort honorée de
+cette preuve de confiance, et.....&mdash;Il
+n'est pas besoin de confiance
+pour entendre la vérité.&mdash;Et si je
+ne la disais pas? reprit en souriant
+Valentine.&mdash;Je le verrais.&mdash;Vous
+êtes bien heureux de savoir distinguer
+ainsi la vérité.&mdash;C'est un talent
+bien commun, je vous jure; et
+les dupes sont plus rares qu'on ne
+pense. Les discours sont devenus
+une monnaie de convention dont
+chacun sait la valeur réelle. Quand
+un ministre promet une place au
+solliciteur qui le comble de remerciements,
+<span class="pagenum"><a name="Page_107" id="Page_107">107</a></span>
+ils savent parfaitement ce
+qu'ils doivent attendre l'un de l'autre.
+Un amant jure de se donner la
+mort, sans causer le moindre effroi
+à sa maîtresse, et lorsqu'elle paraît
+s'évanouir, en entendant sa menace,
+il sait que c'est un procédé reçu, et
+qu'elle n'en est pas moins bien décidée
+à lui survivre. Les souverains
+mêmes ne sont plus dupes des flatteries
+de leurs courtisans, et n'ignorent
+pas qu'en langage de cour:
+<i>Vous êtes le plus grand des rois</i>:
+veut dire tout simplement, <i>accordez-moi
+une faveur</i>. Enfin, depuis
+que l'on s'écoute des yeux, personne
+ne s'abuse; car rien n'est aussi franc
+que la physionomie; et je puis vous
+assurer que, si dans le monde on
+ment beaucoup, on trompe fort peu.&mdash;Alors
+<span class="pagenum"><a name="Page_108" id="Page_108">108</a></span>
+pourquoi se donner une
+peine inutile?&mdash;Je pense comme
+vous, qu'on pourrait se l'épargner
+avec beaucoup de gens, mais on en
+rencontre toujours un petit nombre
+dont l'inexpérience peut servir d'amusement.&mdash;Ceci
+n'est pas fort rassurant
+pour une femme qui débute
+dans le monde.&mdash;Ne croyez pas cela,
+le danger est tout entier pour celle
+que la vanité aveugle: la femme qui
+ne cède qu'aux impulsions de son
+c&oelig;ur est rarement trompée; pour
+l'attendrir il faut l'aimer; et la plus
+ignorante sait si bien apprécier la
+sincérité des sentiments qu'elle inspire!&mdash;Vous
+m'étonnez; j'avais toujours
+entendu dire que sur ce point
+les plus spirituelles étaient souvent
+dupes des hommes les moins fins.&mdash;Elles
+<span class="pagenum"><a name="Page_109" id="Page_109">109</a></span>
+le disent, parce que c'est une
+manière d'excuser leurs faiblesses,
+et d'exciter l'intérêt qu'on a pour
+la victime d'une perfidie; mais le
+fait est que rien ne s'imitant aussi
+mal que le véritable amour, il faut
+bien se prêter aux ruses d'un trompeur
+pour en être séduite. Vous avez
+peut-être déja remarqué des preuves
+de cette vérité, car je vous crois
+l'esprit assez juste pour apprécier la
+valeur des hommages que l'on vous
+prodigue. On a dû vous répéter souvent
+que vous étiez belle, qu'on vous
+adorait; et vous avez sagement jugé
+que de ces deux choses, l'une était
+vraie et l'autre fort douteuse.»
+En disant ces mots, le commandeur
+regarda Valentine attentivement.
+<span class="pagenum"><a name="Page_110" id="Page_110">110</a></span>
+Il semblait vouloir deviner si
+son c&oelig;ur ignorait encore le bonheur
+d'être aimée. La naïveté qu'elle mit
+à lui répondre, ne lui laissa aucun
+doute à ce sujet: elle ne lui cacha
+point l'espèce d'effroi que lui causait
+ce tourbillon du monde où elle se
+trouvait lancée malgré elle, et lui
+fit entendre qu'elle attacherait un
+grand prix aux conseils d'un homme
+assez éclairé pour la bien guider.
+C'était réclamer ceux de M. de Saint-Albert.
+Touché de tant de confiance
+et de modestie, il lui promit tout
+le zèle d'un ami dévoué, et finit par
+lui dire:&mdash;Savez-vous qu'il faut
+bien vous aimer pour consentir ainsi
+à vous déplaire; car le rôle d'un
+vieil ami est parfois celui d'un censeur.&mdash;Rappelez-vous
+<span class="pagenum"><a name="Page_111" id="Page_111">111</a></span>
+le premier
+mot que j'ai entendu de vous, et
+vous conviendrez qu'on peut me
+censurer sans me déplaire.&mdash;Ah!
+je ne doute pas de votre indulgence
+pour les sots jugements, je ne crains
+que pour ceux qui sont justes et
+sévères; ce sont les seuls qu'on ne
+pardonne pas.&mdash;Qu'avez-vous à
+craindre, je supporte bien vos injurieux
+soupçons, quand il vous
+plaît de mettre sur le compte d'une
+curiosité frivole, le desir si naturel
+de connaître une personne qui s'est
+blessée pour moi.&mdash;Ah! vous y revenez:
+cela vous inquiète donc véritablement?&mdash;Plus
+que je ne saurais
+vous le dire.&mdash;Aimable personne!
+ajouta le commandeur, en voyant
+<span class="pagenum"><a name="Page_112" id="Page_112">112</a></span>
+l'émotion de Valentine. Votre bon
+c&oelig;ur ne peut supporter l'idée du
+malheur d'un autre! même de l'être
+le plus indifférent pour vous! Peut-être
+n'avez-vous pas même aperçu
+celui qui excite votre reconnaissance?&mdash;Je
+crois... l'avoir... vu, répondit-elle,
+en hésitant, et madame de Nangis
+assure qu'il est remarquable par
+la tournure la plus distinguée.&mdash;Il
+l'est bien davantage par son esprit
+et son c&oelig;ur, dit en soupirant M. de
+Saint-Albert.&mdash;Vous le connaissez,
+s'écria Valentine, en laissant tomber
+son ouvrage; ah! de grace nommez-le
+moi!&mdash;Je ne le puis.&mdash;Quelle
+raison peut vous en empêcher?&mdash;Ma
+parole.&mdash;On vous aura demandé
+le secret pour se soustraire à des
+<span class="pagenum"><a name="Page_113" id="Page_113">113</a></span>
+remerciements souvent importuns,
+et vous aurez promis de seconder
+cet excès de délicatesse; mais on peut
+trahir sans inconvénient une promesse
+de ce genre.&mdash;S'il fallait calculer
+l'importance d'un engagement
+pour le tenir, on risquerait souvent
+d'être infidèle: il est si commun de
+regarder comme une chose indifférente
+celle qui ne touche que nos
+amis.&mdash;Ah! vous êtes incapable de
+tant d'égoïsme; et votre raison vous
+éclaire assez pour distinguer le serment
+qu'on doit tenir de la promesse
+qu'on peut enfreindre.&mdash;Je n'entends
+rien à ces distinctions-là. Sans
+examiner si le secret en vaut la
+peine, je le garderai; mais je ne
+serai pas si discret sur votre sensibilité,
+<span class="pagenum"><a name="Page_114" id="Page_114">114</a></span>
+et je vous demande la permission
+d'en répéter les expressions
+touchantes.» En finissant ces mots,
+le commandeur salua Valentine, et
+partit sans attendre sa réponse.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XI" id="CHAPITRE_XI"></a>CHAPITRE XI.</h3>
+
+<p class="p2">La première idée de madame de
+Saverny fut d'avoir recours à son
+frère pour tâcher d'en apprendre
+davantage de M. de Saint-Albert;
+mais elle pensa que le commandeur
+pourrait lui savoir mauvais gré de
+cette indiscrétion. «Puisqu'il m'a
+refusée, se dit-elle, sa politesse ne lui
+permet plus de céder aux instances
+<span class="pagenum"><a name="Page_115" id="Page_115">115</a></span>
+d'un autre. D'ailleurs la cause de ce
+mystère est peut-être respectable.»
+A cette réflexion se joignirent toutes
+les suppositions qu'on pouvait faire
+sur une aventure aussi étrange. Valentine
+essaya de traiter ce prétendu
+secret comme une plaisanterie qui
+cesserait bientôt, mais son esprit
+s'obstinait à y penser sérieusement;
+et, sans se rendre compte des motifs
+qui la retenaient, elle résolut de n'en
+parler à personne.</p>
+
+<p>Peu de jours après l'entretien du
+commandeur, mademoiselle Cécile
+vint annoncer à sa maîtresse que ce
+pauvre Saint-Jean, à qui madame la
+marquise avait bien voulu promettre
+sa protection, venait la réclamer. On
+dit à mademoiselle Cécile de le laisser
+<span class="pagenum"><a name="Page_116" id="Page_116">116</a></span>
+entrer; et Saint-Jean après avoir longuement
+parlé de sa reconnaissance,
+apprit à Valentine qu'il trouvait à
+se placer, mais que son nouveau
+maître exigeait un mot de recommandation
+de la main de madame
+de Saverny.&mdash;«Vous vous trompez,
+Saint-Jean, dit la marquise, c'est
+sûrement de la recommandation de
+ma belle-s&oelig;ur dont on vous a parlé,
+et je m'engage à vous la faire obtenir.&mdash;J'en
+demande bien pardon
+à madame, reprit Saint-Jean, mais
+je ne puis pas me tromper, car ayant
+bien pensé qu'on ne pouvait me demander
+un certificat que des maîtres
+que j'avais servis, j'ai nommé madame
+la comtesse de Nangis; mais on m'a
+répondu qu'il était inutile de prendre
+<span class="pagenum"><a name="Page_117" id="Page_117">117</a></span>
+des informations auprès d'elle, et
+que je ne serais reçu que sur un
+mot de recommandation de madame
+la marquise de Saverny.&mdash;Voilà un
+singulier caprice! Comment nommez-vous
+ce monsieur, si confiant dans
+mes recommandations?&mdash;Je ne sais
+pas son nom, madame;&mdash;Mais vous
+l'avez vu?&mdash;Non madame, j'étais
+hier soir tout tranquillement chez
+ma mère, quand un monsieur fort
+élégant, que j'ai bien vîte reconnu
+pour être un valet de chambre, est
+venu me demander si c'était moi
+qui étais cause de la chûte que madame
+avait faite à la sortie de l'opéra.
+Je ne lui dis d'abord ni oui, ni non,
+car je pensais bien que s'il s'agissait
+d'une place, on ne voudrait peut-être
+<span class="pagenum"><a name="Page_118" id="Page_118">118</a></span>
+pas d'un cocher qui avait fait
+une si grande sottise. Mais, comme
+il vit mon embarras, il m'engagea à
+lui dire la vérité, et m'apprit qu'il
+était chargé de proposer une bonne
+place à celui qui venait de perdre
+la sienne pour avoir si mal retenu
+ses chevaux.&mdash;Et vous ne lui avez
+pas demandé qui l'avait chargé de
+cette commission, interrompit Valentine,
+avec un peu d'impatience.&mdash;Si
+fait, madame, mais il m'a répondu
+que je le saurais quand je
+serais au service de son maître.&mdash;On
+vous propose peut-être là une
+fort mauvaise maison.&mdash;Oh! cela
+n'est pas possible, madame, on me
+donne encore plus de gages que je
+n'en avais chez madame la comtesse;
+<span class="pagenum"><a name="Page_119" id="Page_119">119</a></span>
+et si ce que dit le valet de chambre
+est vrai, on n'est pas plus généreux
+que son maître.&mdash;Quoi, vous ne
+savez pas même où il demeure?&mdash;Je
+sais seulement qu'il est à la campagne,
+à dix lieues de Paris, et que
+si madame la marquise a la bonté
+de me donner le petit mot qu'on me
+demande, on viendra me prendre
+demain pour me conduire au château
+qu'il habite.&mdash;Enfin, dit Valentine,
+après un moment de silence,
+puisqu'un si grand avantage pour
+vous est attaché à un mot de moi,
+je vais vous le donner: je ne crois
+pas me compromettre en affirmant
+le bien que j'ai entendu dire de vous.&mdash;Ah!
+madame peut s'informer, et
+tout le monde lui dira bien dans
+<span class="pagenum"><a name="Page_120" id="Page_120">120</a></span>
+l'hôtel, que sans ce maudit déjeûner
+de noce, on n'aurait jamais eu de
+reproche à me faire.» Valentine fit
+cesser les regrets de Saint-Jean, en
+lui remettant son billet, et l'invita
+à venir lui dire à son retour de la
+campagne, s'il était content de son
+nouveau sort. Saint-Jean se trouva
+fort honoré d'une semblable preuve
+d'intérêt. Il ne l'attribua qu'à l'extrême
+bonté de madame de Saverny,
+et laissa à la finesse de mademoiselle
+Cécile l'honneur de découvrir qu'il
+pouvait bien ne devoir tant de protection
+qu'à la curiosité de la marquise.</p>
+
+<p>Il est certain que Valentine commençait
+à s'impatienter de l'obscurité
+répandue sur tout ce qu'elle
+<span class="pagenum"><a name="Page_121" id="Page_121">121</a></span>
+desirait savoir, et sans la crainte
+d'entendre sa belle-s&oelig;ur raconter
+en riant, à tous ses amis, ce que
+Saint-Jean venait de dire, elle l'aurait
+consultée pour savoir ce qu'on devait
+en penser. Mais l'ironie continuelle
+de madame de Nangis intimidait la
+confiance de Valentine; elle était
+sûre que la comtesse se récrierait
+sur le romanesque des aventures
+qui se succédaient, et ne manquerait
+pas de soupçonner tout haut
+que ce <i>bel inconnu</i>, dont elle avait
+déja tant ri, faisait courir après le
+cocher qui avait failli tuer Valentine,
+et lui assurerait sans doute une
+pension, en reconnaissance du bonheur
+qu'il lui devait d'avoir sauvé
+son héroïne. La certitude d'avoir à
+<span class="pagenum"><a name="Page_122" id="Page_122">122</a></span>
+supporter ces mauvaises plaisanteries,
+confirma Valentine dans le
+dessein de ne pas plus parler du récit
+de Saint-Jean, que de la visite du
+commandeur. C'est ainsi que la moquerie
+détruit tout épanchement,
+même dans l'amitié; et l'on peut
+affirmer que la peur d'être trahi
+empêche moins de confidences, que
+la crainte d'être plaisanté.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XII" id="CHAPITRE_XII"></a>CHAPITRE XII.</h3>
+
+<p class="p2">Plusieurs jours s'écoulèrent sans
+que le commandeur reparût chez
+madame de Nangis. Valentine, alarmée
+de cette absence, pensa que
+le danger de son mystérieux ami
+<span class="pagenum"><a name="Page_123" id="Page_123">123</a></span>
+pouvait en être cause, et se persuada
+qu'il était de son devoir d'en témoigner
+quelque inquiétude. Mais elle
+en parla de la manière la plus réservée,
+dans un billet où toutes les
+graces de la politesse ne dissimulaient
+pas la contrainte qui l'avait
+dicté; car l'idée que ce billet pourrait
+être montré, avait intimidé
+Valentine: l'événement justifia sa
+prévoyance. M. de Saint-Albert était
+à la campagne, et le surlendemain
+elle reçut la lettre suivante:</p>
+
+<p class="p2 left5"><span class="smcap">Madame</span>,</p>
+
+<p>«Ne me plaignez pas de l'événement
+le plus heureux de ma vie,
+mais de la fatalité qui me prive du
+bonheur d'aller vous remercier de
+<span class="pagenum"><a name="Page_124" id="Page_124">124</a></span>
+votre aimable inquiétude. Hélas!
+ma blessure est guérie! et je vais
+perdre tous mes droits à votre
+intérêt, sans être moins digne de
+votre pitié.</p>
+
+<p class="left5">«Je suis, etc.<br />
+<span class="i14 smcap">«Anatole.</span>»</p>
+
+<p class="p2">A cette lettre était jointe la réponse
+du commandeur, qui annonçait son
+prochain retour à Paris, sans dire
+un mot d'Anatole.</p>
+
+<p>«Anatole, répéta tout haut Valentine,
+je sais enfin son nom, et je
+connaîtrai bientôt celui de sa famille...
+Mais que m'importe le secret
+de sa naissance, j'aimerais mieux
+savoir celui de ses chagrins. Il paraît
+malheureux. On n'emploie tant de
+<span class="pagenum"><a name="Page_125" id="Page_125">125</a></span>
+mystère que pour cacher un tort ou
+un malheur; et l'ami de M. Saint-Albert
+ne peut être un homme coupable.
+Il n'en faut pas douter, il est
+malheureux. Mais, de quel malheur
+est-il affligé!» Voilà le sujet sur lequel
+s'exerça long-temps l'esprit de
+Valentine. Plusieurs indices lui prouvaient
+que la fortune n'avait point
+de torts envers lui. La nature semblait
+l'avoir comblé de ses faveurs, et
+l'amour seul devait causer ses peines.
+Peut-être avait-il été indignement
+trahi, et s'était-il juré de fuir toutes les
+occasions de se laisser de nouveau
+séduire: sa retraite était la suite de
+cette résolution: et Valentine trouvait
+qu'un tel motif expliquait fort
+clairement tout ce qui lui avait paru
+<span class="pagenum"><a name="Page_126" id="Page_126">126</a></span>
+si étrange jusqu'alors. «Si j'étais
+trompée, se disait-elle, je voudrais
+comme lui me soustraire aux yeux
+de tout le monde, et même à la reconnaissance
+que l'on voudrait me
+témoigner; je ne verrais partout que
+perfidie.»</p>
+
+<p>C'est ainsi que l'on trouve toujours
+le moyen de justifier les manies
+des gens qu'on favorise. En réfléchissant
+un peu mieux, Valentine
+aurait vu que ce projet de retraite
+absolue s'arrangeait mal avec sa rencontre
+à l'Opéra; bien que ce soit
+assez la mode de nos misanthropes
+modernes de haïr les hommes sans
+pouvoir se passer de leur société,
+et de fuir les femmes sans manquer
+un jour d'Opéra; cependant
+<span class="pagenum"><a name="Page_127" id="Page_127">127</a></span>
+il est rare d'y rencontrer celui qui
+cherche la solitude; et madame de
+Saverny aurait du s'attendrir un
+peu moins sur les malheurs d'un
+amant accessible à de pareilles distractions.
+Mais à l'âge de Valentine,
+on raisonne avec son imagination,
+et l'on calcule d'après son c&oelig;ur;
+elle se dit qu'Anatole avait été au
+spectacle par complaisance, qu'il ne
+l'avait si tendrement regardée que
+par curiosité, et ne s'était généreusement
+exposé pour elle, que par
+humanité et dégoût de la vie.</p>
+
+<p>Après avoir relu plusieurs fois le
+billet d'Anatole, elle le serra avec
+soin, et se rendit chez sa belle-s&oelig;ur,
+où l'assemblée la mieux choisie se
+plaignait depuis long-temps de son
+<span class="pagenum"><a name="Page_128" id="Page_128">128</a></span>
+absence. «Qui donc vous a retenue
+si tard, ma chère Valentine, s'écria
+madame de Nangis, nous vous attendons
+depuis un siècle pour chanter
+les couplets de M. de S...., prendre
+le thé, et commencer le quinze.&mdash;En
+vérité, ma s&oelig;ur, je ne méritais guère
+l'honneur d'être attendue pour tout
+cela, répondit Valentine; vous savez
+que je chante fort peu, et joue
+encore plus mal; Monsieur, ajouta-t-elle
+en se tournant vers le chevalier
+d'Émerange, voudra bien me
+remplacer, et l'auteur des couplets
+y gagnera beaucoup.&mdash;Gardez-vous
+bien de lui rien demander, reprit
+la comtesse, il est ce soir d'une humeur
+détestable; il dit qu'il n'y a
+pas assez de monde pour jouer,
+<span class="pagenum"><a name="Page_129" id="Page_129">129</a></span>
+qu'il y en a trop pour faire de la
+musique, que la conversation est
+trop brillante pour qu'il s'en mêle,
+enfin, il blâme tout en demandant
+la permission de ne rien faire; voilà
+la seule réponse qu'on en puisse obtenir.&mdash;Puisque
+c'est ainsi, je vais
+me rendre aux ordres de Madame,
+dit le chevalier en s'adressant à Valentine.»
+Et se levant ensuite pour
+demander à M. de S.... ses couplets,
+il laissa madame de Nangis un peu
+déconcertée de ce nouveau caprice.
+Pendant que le chevalier essayait
+l'air qui conviendrait le mieux à cette
+chanson, et que l'auteur se confondait
+en phrases modestes, pour prouver
+qu'il connaissait la médiocrité
+du genre et de l'exécution de ce
+<span class="pagenum"><a name="Page_130" id="Page_130">130</a></span>
+<i>petit ouvrage</i>, un indiscret s'avisa
+de dire qu'il voudrait bien savoir
+quelle douce occupation avait fait oublier
+l'heure à madame de Saverny.&mdash;Il
+faut le deviner, répondit M. de
+Nangis; moi je crois qu'elle finissait
+quelques-uns de ces romans que
+ces dames prétendent ne pas pouvoir
+quitter; et vous, chevalier, quelle
+est votre idée?&mdash;Madame écrivait
+peut-être aux heureux voisins du
+château de Saverny, dit le chevalier,
+d'un air malin.&mdash;Bah! dit la comtesse,
+je parie qu'elle achevait sa
+toilette: il manque toujours quelque
+chose à une robe neuve.&mdash;Qui sait,
+dit une voix qui surprit Valentine,
+pour occuper long-temps une jeune
+femme, il ne faut souvent qu'un
+<span class="pagenum"><a name="Page_131" id="Page_131">131</a></span>
+billet.&mdash;Vous ici, M. le commandeur,
+s'écria Valentine en se retournant,
+je vous croyais à la campagne!&mdash;J'en
+arrive à l'instant, Madame,
+et si je n'ai pas eu l'honneur de me
+présenter chez vous, c'est que j'espérais
+vous rencontrer ici.» Madame
+de Saverny s'excusait avec embarras
+de n'avoir point aperçu le
+commandeur en entrant dans le sallon,
+lorsque le son du piano se fit
+entendre. Après avoir préludé, le
+chevalier décida qu'une épigramme
+n'avait pas besoin d'accompagnement,
+et se mit à chanter, sans le
+secours du piano, des couplets dirigés
+contre un ministre nouvellement
+nommé: plusieurs femmes de
+la cour y étaient désignées de la manière
+<span class="pagenum"><a name="Page_132" id="Page_132">132</a></span>
+la moins décente, et la malignité
+ne s'arrêtait même pas aux
+courtisans. Chacun parut enchanté
+de cette &oelig;uvre du démon, et la meilleure
+des satires de Boileau n'aurait
+pas excité plus d'enthousiasme. On
+combla l'auteur d'éloges; ceux que
+lui adressa le chevalier furent les
+mieux tournés, les plus outrés et par
+conséquent les plus flatteurs. M. de
+Nangis seul ne rit point des couplets,
+et témoigna à sa femme le
+regret de les avoir laissé chanter chez
+lui; mais la comtesse devinant sa
+pensée, lui répondit: Qu'il n'y avait
+rien à craindre du ressentiment des
+personnes attaquées dans cette chanson;
+dans le fonds, ajouta-t-elle, il
+n'y a que le prince de maltraité, et
+<span class="pagenum"><a name="Page_133" id="Page_133">133</a></span>
+vous savez sur ce point jusqu'où va
+son indulgence. Madame de Nangis
+avait raison: à cette époque on
+risquait moins à faire une chanson
+contre le Roi, qu'une épigramme
+sur un commis des finances.</p>
+
+<p>De retour auprès de madame de
+Saverny, le chevalier se pencha vers
+elle pour lui dire à voix basse: «Concevez-vous
+rien au caprice de M<sup>me</sup>
+de Nangis, de me faire chanter des
+pauvretés pareilles?&mdash;N'avez-vous
+pas dit que vous trouviez ces couplets
+charmants?&mdash;Oui, vraiment,
+je l'ai dit à l'auteur; ne voulez-vous
+pas que je me fasse un ennemi de
+cet homme-là?&mdash;Mais il me semble
+que, sans blesser son amour-propre,
+vous auriez pu être moins prodigue
+<span class="pagenum"><a name="Page_134" id="Page_134">134</a></span>
+d'éloges.&mdash;Ah! vous connaissez bien
+mal ces sortes de gens-là: vous blâmez
+mon exagération envers lui, eh
+bien! je ne serais pas étonné qu'il
+m'eût trouvé très-froid dans mes
+éloges, et que pour s'en venger il
+ne méditât quelques petits refrains
+joyeux contre moi.&mdash;En effet, si la
+mauvaise foi se devine, j'ai peur
+pour vous; mais qui peut obliger
+à recevoir une personne dont l'aimable
+esprit cause une si vive terreur?&mdash;On
+espère toujours l'avoir
+pour soi, et comme il ne vous montre
+jamais que les méchancetés adressées
+aux autres, à moins qu'il ne se
+trompe de poches, on ne risque pas
+de savoir celles qu'on lui inspire.&mdash;Mais
+savez-vous bien que cela fait
+<span class="pagenum"><a name="Page_135" id="Page_135">135</a></span>
+un très-vilain métier.&mdash;Pas plus vilain
+qu'un autre. Au bout du compte,
+cet homme-là ne fait que rimer la
+prose de tout le monde, sa malice
+a rarement le mérite de l'invention;
+il peint ce qu'il voit, copie ce qu'il
+entend, médit de tous; et l'on sait
+qu'il a son couvert mis à la table
+de chacune de ses victimes.&mdash;Je puis
+vous assurer qu'il ne sera jamais
+admis à la mienne.&mdash;Il n'en voudrait
+pas de la vôtre: que ferait-il
+chez une femme qui ne peut ni goûter
+ni inspirer la satire?&mdash;Ah! prenez-y
+garde, vous me flattez; me croiriez-vous
+méchante?&mdash;Vraiment cette
+réflexion pourrait bien m'en donner
+l'idée, et c'est me punir cruellement
+d'avoir compromis mes éloges; mais
+<span class="pagenum"><a name="Page_136" id="Page_136">136</a></span>
+je m'en rapporte à votre esprit, pour
+distinguer le compliment que l'on
+cherche, de la vérité qui échappe. Au
+reste, quelle que soit votre opinion,
+je ne me donnerai jamais la peine
+de me justifier auprès de vous, tant
+je suis convaincu que vous savez
+déja mieux que moi tout ce que je
+pense.» Le chevalier quitta son ton
+léger pour dire ces derniers mots,
+qui furent interrompus par les instances
+réitérées de madame de Nangis,
+qui voulait absolument faire
+jouer sa belle-s&oelig;ur. Valentine sut
+bon gré à la comtesse de lui épargner
+l'embarras de répondre au chevalier;
+elle alla se placer auprès d'elle, à la
+table de jeu, et fut étonnée de voir
+le chevalier s'y établir aussi malgré
+<span class="pagenum"><a name="Page_137" id="Page_137">137</a></span>
+le refus absolu qu'il avait fait de
+jouer de la soirée. Madame de Nangis
+n'en fit point la remarque tout haut;
+mais ses regards et l'inflexion de
+sa voix, quand elle lui adressait la
+parole, prouvaient trop qu'elle était
+vivement blessée. Pour la première
+fois Valentine souffrit du mécontentement
+de sa belle-s&oelig;ur, des soins
+empressés du chevalier, et de la présence
+du commandeur.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XIII" id="CHAPITRE_XIII"></a>CHAPITRE XIII.</h3>
+
+<p class="p2">Avant de se séparer, M. d'Émerange ailleurs
+dit: «Que je suis étourdi!
+j'oubliais de vous parler de la nouvelle
+<span class="pagenum"><a name="Page_138" id="Page_138">138</a></span>
+qui occupe aujourd'hui tout
+Paris! de l'arrivée de ce fameux
+philosophe, qui prétend deviner les
+défauts du c&oelig;ur d'après les traits
+du visage!&mdash;Quoi! Lavater est ici,
+s'écria madame de Nangis? Que je
+voudrais le voir! je suis folle de
+son système, et je m'en sers déja
+passablement bien. Cependant je
+n'en sais que les masses; ses détails
+me paraissent trop incertains; mais
+sur les nez aquilins, et les mentons
+crochus, je ne me tromperais guères.&mdash;Fiez-vous
+à ces belles connaissances-là,
+reprit le chevalier, j'ai
+voulu aussi me mêler de physiognomonie,
+et n'ai recueilli d'autre fruit
+de mes études que le tort de supposer
+à mes amis beaucoup plus de
+<span class="pagenum"><a name="Page_139" id="Page_139">139</a></span>
+défauts que je ne leur en connaissais
+déja.&mdash;C'est que vous étiez mal-instruit;
+d'ailleurs c'est une science
+que bien des gens ne se soucient
+guères d'accréditer. Moi, qui ne me
+donne pas trop la peine de cacher
+mes défauts, je serais charmée de
+connaître aussi bien ceux des autres.&mdash;Je
+croyais, dit Valentine, qu'il y
+avait plus à gagner à ne les pas voir;
+et je suis presque tentée de plaindre
+ce pauvre M. Lavater, de n'avoir pas
+même les plaisirs de l'illusion.&mdash;Ce
+doit être un homme d'une conversation
+bien intéressante, dit la
+comtesse. On va se l'arracher; mais
+j'espère bien être une des premières
+à le voir.&mdash;Ce ne sera pas une
+chose facile, reprit le chevalier, car
+<span class="pagenum"><a name="Page_140" id="Page_140">140</a></span>
+on le dit fort sauvage.&mdash;C'est
+dans l'ordre, dit le commandeur,
+un homme qui a le secret de tout
+le monde doit se cacher.&mdash;Mais il
+a des amis peut-être, reprit la comtesse.
+On le rencontrera quelque
+part.&mdash;Je ne pense pas que ce soit
+à la cour, dit en riant M. de Saint-Albert;
+mais si vous êtes, mesdames,
+si curieuses de le rencontrer, je crois
+pouvoir vous en offrir l'occasion.&mdash;Ah!
+M. le commandeur, s'écria
+madame de Nangis, si vous me rendez
+un pareil service, je vous promets
+de ne plus me plaindre de ces
+petites vérités que vous m'adressez
+avec tant de ménagements.&mdash;Non,
+vraiment, je serais bien fâché que le
+plaisir de vous obliger me coûtât
+<span class="pagenum"><a name="Page_141" id="Page_141">141</a></span>
+une de vos injures. J'aime les réparties,
+et les vôtres sont trop piquantes
+pour les sacrifier. C'est donc sans
+aucune condition que je vous propose
+de me faire l'honneur de dîner
+samedi chez moi. Lavater m'a promis
+ce matin de me donner cette
+journée. Nous devions la consacrer
+au plaisir de nous rappeler les moments
+que nous avons passés ensemble
+dans son hermitage en Suisse;
+mais il ne m'en voudra pas de le
+tromper ainsi.»</p>
+
+<p>Madame de Saverny accepta avec
+empressement l'invitation du commandeur.
+Une secrète espérance de
+rencontrer chez lui cet Anatole, dont
+le souvenir revenait souvent à sa
+pensée, ranima sa gaîté. Elle redoubla
+<span class="pagenum"><a name="Page_142" id="Page_142">142</a></span>
+de soins pour le commandeur,
+et jamais son desir de plaire ne s'était
+montré plus visiblement. M. de Saint-Albert
+n'osant pas s'en faire honneur,
+lui supposa un autre motif, et
+dit à voix basse à Valentine: «Vous
+ne me diriez seulement pas d'inviter
+le chevalier; et cependant vous en
+mourez d'envie. Mais on ne peut
+jamais espérer de franchise de la
+part d'une femme bien élevée.»
+A ces mots, Valentine se sentit rougir
+d'impatience; elle allait répondre
+de manière à détromper le commandeur,
+lorsque le chevalier vint
+s'informer des projets qu'elle avait
+pour le lendemain. M. de Saint-Albert
+profita de cette occasion pour
+remplir ce qu'il disait être le v&oelig;u
+<span class="pagenum"><a name="Page_143" id="Page_143">143</a></span>
+de madame de Saverny; et la reconnaissance
+que lui en témoigna
+M. d'Émerange, dut le confirmer
+dans l'opinion que la moitié de ses
+conjectures était au moins bien
+fondée.</p>
+
+<p>Au jour convenu on se rendit chez
+le commandeur. Madame de Nangis
+s'étonna d'en être reçue d'une manière
+aussi affectueuse; elle ignorait
+le respect de M. de Saint-Albert
+pour les devoirs de l'hospitalité, et
+ne concevait pas comment ce même
+homme, si frondeur, si brusque chez
+les autres, pouvait devenir chez
+lui aussi prévenant qu'aimable pour
+tous ceux qui s'y trouvaient. Un
+vieux préjugé d'éducation avait persuadé
+au commandeur, qu'en général
+<span class="pagenum"><a name="Page_144" id="Page_144">144</a></span>
+il faut être reconnaissant envers
+les personnes qu'on reçoit; car il
+est rare qu'elles ne fassent point un
+sacrifice en quittant leur maison,
+même pour s'amuser dans celle d'un
+autre. D'ailleurs il prétendait que la
+manière de recevoir plus ou moins
+bien les gens étant toujours un aveu
+des sentiments d'estime qu'on leur
+portait, ils avaient le droit de se
+blesser d'une distraction, ou de se
+venger d'une impolitesse.</p>
+
+<p>En entrant dans le salon, Valentine
+était vivement émue; son premier
+regard n'avait osé s'arrêter
+particulièrement sur personne, et ce
+ne fut que long-temps après qu'elle
+put vérifier que son espérance était
+vaine. La réunion n'était pas nombreuse:
+<span class="pagenum"><a name="Page_145" id="Page_145">145</a></span>
+madame de Réthel, nièce de
+M. de Saint-Albert en fesait les honneurs;
+elle paraissait fort occupée
+du soin d'observer Valentine, et plus
+encore de lui témoigner la préférence
+la plus flatteuse. Le chevalier,
+à qui le trouble de madame de Saverny
+n'avait point échappé, en
+éprouvait une joie d'amour-propre
+qui se décelait dans tous ses discours.
+Il s'empressa de venir lui dire:&mdash;Sur
+lequel de tous ces visages placeriez-vous
+l'esprit ingénieux de
+Lavater.&mdash;Je voudrais, répondit-elle,
+en désignant quelqu'un, que
+cette figure, dont l'expression est si
+noble et si calme, fût celle d'un philosophe;&mdash;et
+le ciel, qui veut tout ce
+que vous voulez, a donné cette belle
+<span class="pagenum"><a name="Page_146" id="Page_146">146</a></span>
+figure à Lavater.&mdash;Ah! je suis bien
+aise de l'avoir deviné, reprit Valentine;
+et, si j'osais, je m'en vanterais
+à lui pour lui prouver la vérité de
+son systême.» Dans ce moment, le
+commandeur vint prendre la main
+de ces dames pour les conduire à
+table. Selon le desir de madame de
+Nangis, Lavater fut placé près d'elle;
+mais sa curiosité n'y gagna rien.
+En vain son esprit trouva-t-il le
+moyen d'amener la conversation sur
+tous les sujets qu'elle croyait devoir
+l'intéresser: en vain lui témoignait-elle
+par ses prévenances
+le desir qu'elle avait de l'entendre
+causer; il garda le plus profond
+silence. La comtesse crut que c'était
+par <i>dédain philosophique</i>, et
+<span class="pagenum"><a name="Page_147" id="Page_147">147</a></span>
+changea au même instant son enthousiasme
+pour Lavater, en indignation
+contre lui:&mdash;Savez-vous
+bien, dit-elle au commandeur, que
+votre savant ami n'est qu'un ennuyeux?
+Nous croit-il indignes de
+ses paroles, ou trop sots pour le
+comprendre?&mdash;Il serait possible,
+répondit M. de Saint-Albert, qu'avec
+tout votre esprit, vous ne le comprissiez
+pas.&mdash;Voilà bien cet orgueil
+masculin, reprit la comtesse,
+qui, tout en accordant beaucoup
+d'esprit aux femmes, les croit incapables
+d'apprécier le mérite d'un
+homme supérieur. On s'imaginerait
+à vous entendre que Dieu, vous
+ayant faits à son image, nous devons
+aussi vous adorer sans vous comprendre?&mdash;Pourquoi
+<span class="pagenum"><a name="Page_148" id="Page_148">148</a></span>
+pas? nous
+vous donnons assez souvent l'exemple
+d'un pareil culte.&mdash;Cela n'excuse
+pas vos dédains pour notre
+esprit, et la peine que vous prenez
+à nous persuader que la nature l'a
+réduit au bonheur de vous amuser,
+sans pouvoir jamais atteindre à l'honneur
+de vous imiter, même dans la
+moindre de vos productions.&mdash;Ah!
+ce serait par trop injuste, reprit tout
+haut le commandeur, et ces messieurs
+me sont témoins qu'hier encore
+je vantais les jolis ouvrages de
+plusieurs femmes, et sur-tout les
+petits vers de madame de B... Ce
+n'est pas ma faute à moi si ces dames
+ne font pas de belles tragédies: je
+les vanterais d'aussi bon c&oelig;ur.&mdash;Cela
+<span class="pagenum"><a name="Page_149" id="Page_149">149</a></span>
+n'est pas sûr, dit la comtesse.&mdash;Et
+moi j'en réponds, dit le chevalier.
+Les succès littéraires des
+femmes ne peuvent être disputés
+que par des hommes médiocres.
+C'est la rivalité qui rend injuste, et
+plus encore le sentiment de son
+infériorité. Comment voulez-vous
+qu'un pédant ennuyeux pardonne
+à madame de La Fayette d'occuper
+une place dans toutes les bibliothèques,
+tandis que les misérables
+brochures qu'il enfante avec tant de
+peine, expirent en naissant? Il n'appartient
+qu'aux gens d'un vrai mérite
+de savoir approuver le talent
+par-tout où il se trouve, et j'affirmerais
+bien que Racine ne médisait
+pas des vers de madame Deshoulières,
+<span class="pagenum"><a name="Page_150" id="Page_150">150</a></span>
+malgré son injustice envers lui.»
+La discussion s'établit sur ce sujet
+si souvent rebattu. Le chevalier
+plaida la cause des femmes en chevalier
+français, et fut bien étonné
+d'avoir à combattre madame de Saverny,
+dont l'avis était, que les talents
+les plus distingués, et le succès
+qui en résultait, ne pouvaient dédommager
+une femme du malheur
+attaché à la célébrité. Madame de
+Nangis insista pour savoir l'opinion
+de M. Lavater sur cette réflexion de
+Valentine, et le commandeur fut
+obligé de lui avouer que Lavater
+entendait assez bien le français, mais
+ne répondait jamais qu'en allemand.
+C'est pourquoi, ajouta-t-il, j'ai osé
+vous dire que vous pourriez bien
+<span class="pagenum"><a name="Page_151" id="Page_151">151</a></span>
+ne pas le comprendre.» Cet aveu
+rendit à la comtesse toute sa bienveillance
+pour Lavater; elle pria le
+commandeur de lui servir d'interprète,
+et la conversation s'engagea
+bientôt comme elle le desirait. Elle
+eut beaucoup à se louer de l'aimable
+indulgence du philosophe pour celles
+qu'il appelait <i>ses chères pécheresses</i>;
+mais elle fut souvent contrariée de
+son attention à considérer Valentine.
+En effet, rien ne pouvait le
+distraire du plaisir qu'il prenait à
+contempler l'ensemble de ce beau
+visage: ses yeux y restaient fixés
+comme sur un livre dont chaque
+page augmente l'intérêt. C'est en
+regardant Valentine qu'il s'écria:
+«L'expression d'une ame pure sur
+<span class="pagenum"><a name="Page_152" id="Page_152">152</a></span>
+des traits enchanteurs n'a-t-elle pas
+tout le charme d'une <i>harmonie céleste</i>!»</p>
+
+<p>Vers la fin du dîner, M. de Saint-Albert
+parla d'un billet qu'il venait
+de recevoir, où se trouvaient mêlés
+des vers adressés à Lavater, et qu'il
+croyait dignes de lui. De qui sont-ils,
+demandèrent aussitôt plusieurs
+personnes, car pour un grand
+nombre de gens, le jugement qu'on
+doit porter sur un ouvrage est tout
+entier dans le nom de l'auteur. Le
+commandeur répondit que le billet
+était d'un de ses amis, qui s'excusait
+de ne pouvoir profiter de
+l'honneur de dîner avec ces dames;
+et que les vers étaient anonymes.
+On voulut les connaître. Madame de
+<span class="pagenum"><a name="Page_153" id="Page_153">153</a></span>
+Réthel fut charge de les lire. C'était
+un parallèle de Fénelon et de Lavater,
+où les plus nobles pensées
+étaient exprimées avec autant d'énergie
+que de grace; cet éloge semblait
+être plutôt le jeu d'une imagination
+qui aime à comparer, que
+l'&oelig;uvre de ce démon de flatterie qui
+inspire tant de madrigaux; et l'on
+devinait en lisant ces vers, que l'auteur
+les avait faits bien plus pour
+son plaisir que pour vanter le génie
+de Lavater. Ils obtinrent tous les
+suffrages; après les avoir entendus,
+on voulut les lire, et lorsqu'ils arrivèrent
+à madame de Saverny, elle
+ne réussit pas à cacher sa surprise,
+en reconnaissant que ces vers avaient
+été tracés de la même main que la
+<span class="pagenum"><a name="Page_154" id="Page_154">154</a></span>
+lettre d'Anatole. Le mouvement involontaire
+qu'elle fit, fut remarqué
+de tout le monde: on devina qu'elle
+avait reconnu l'écriture de l'auteur;
+et pour la première fois, elle se félicita
+d'ignorer son nom de famille,
+afin d'affirmer avec plus d'assurance
+qu'elle ne le connaissait pas.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XIV" id="CHAPITRE_XIV"></a>CHAPITRE XIV.</h3>
+
+<p class="p2">Le commandeur, qui savait seul le
+secret de l'embarras de Valentine,
+voulut y mettre fin en proposant de
+se lever de table; mais elle était à
+peine remise de cette première émotion,
+qu'il en fallut dissimuler une
+plus vive encore. Madame de Nangis
+<span class="pagenum"><a name="Page_155" id="Page_155">155</a></span>
+avait desiré voir la bibliothèque de
+M. de Saint-Albert; c'était une des
+plus complètes de Paris. Il fesait
+remarquer sa plus belle édition à
+madame de Saverny, lorsqu'on entendit
+la comtesse s'écrier en éclatant
+de rire: «C'est lui, c'est lui-même:
+Valentine, ajouta-t-elle en montrant
+un des bustes qui décoraient ce cabinet,
+ma chère amie, dites-moi un
+peu à qui vous trouvez que ce buste
+ressemble?&mdash;Vraiment, interrompit
+avec empressement le commandeur,
+il doit ressembler au troyen
+Hector; c'est du moins ce qu'assure
+le Romain qui me l'a vendu.&mdash;Il
+s'agit bien de votre guerrier troyen,
+reprit la comtesse, moi je vous dis
+que c'est le portrait frappant de notre
+<span class="pagenum"><a name="Page_156" id="Page_156">156</a></span>
+<i>inconnu</i>, et qu'il est bien aussi beau,
+aussi brave, que tous vos héros
+d'Homère. Mais, répondez donc,
+Valentine, n'êtes-vous pas d'avis de
+cette ressemblance?» Madame de
+Saverny en était trop frappée pour
+oser en convenir. L'affectation du
+commandeur à détourner l'attention
+de la comtesse sur cette ressemblance,
+et plus encore le souvenir de ces
+traits si bien empreints dans la mémoire
+de Valentine, lui firent soupçonner
+que l'artiste chargé d'exécuter
+ce buste, n'avait eu pour modèle
+qu'Anatole. Elle s'étonna du trouble
+que cette idée fesait naître en son
+ame, et s'efforça d'en triompher, en
+répondant avec gaîté aux plaisanteries
+de sa belle-s&oelig;ur; mais Valentine
+<span class="pagenum"><a name="Page_157" id="Page_157">157</a></span>
+était loin de posséder cet art
+de dissimuler les émotions du c&oelig;ur
+sous les apparences d'un esprit léger.
+Son regard, sa rougeur, combattaient
+avec son sourire. Elle sentit
+bientôt l'impossibilité de continuer
+une conversation qui lui coûtait tant
+d'efforts, et tâcha de porter l'attention
+de madame de Nangis sur un
+nouvel objet; n'y pouvant réussir,
+elle se décida à profiter de sa position
+pour satisfaire une partie de
+sa curiosité. Elle conduisit Lavater
+auprès de ce buste, et lui témoigna
+le desir de savoir, d'après son systême,
+le caractère qu'il supposait au
+modèle de cette belle tête. Entraîné
+par le plaisir d'intéresser Valentine,
+Lavater surmonte la timidité qui
+<span class="pagenum"><a name="Page_158" id="Page_158">158</a></span>
+l'empêchait ordinairement de s'exprimer
+en français, et rassuré par
+l'idée de n'avoir à dénoncer que les
+défauts de quelque héros antique,
+il fait l'analyse la plus détaillée de ce
+portrait moral, en donnant à chaque
+mot une nouvelle preuve de sa profonde
+observation. Il démontre par
+tous les principes de sa science, qu'un
+homme doué de cette physionomie,
+doit posséder un esprit élevé, indépendant,
+mais trop prompt à s'exalter;
+un c&oelig;ur généreux et passionné,
+sensible jusqu'à la faiblesse, jaloux
+jusqu'à l'emportement, timide et
+courageux, modeste et fier, docile
+dans ses habitudes, inébranlable dans
+ses résolutions; on peut l'occuper
+vivement, mais jamais le distraire;
+<span class="pagenum"><a name="Page_159" id="Page_159">159</a></span>
+il ajoute enfin que son imagination
+ardente, modérée par un sentiment
+profond de mélancolie, lui promet
+de brillants succès en poésie et en
+peinture, et de vifs chagrins en
+amour.</p>
+
+<p>Jamais oracle ne fit plus d'impression
+sur les Grecs, que le jugement
+de Lavater n'en produisit sur l'esprit
+de Valentine. A mesure qu'il le prononçait,
+les yeux fixés sur le commandeur,
+madame de Saverny cherchait
+à en vérifier l'exactitude, et
+voyait avec plaisir le sourire d'approbation
+qui se répandait sur le
+visage de M. de Saint-Albert, à chaque
+détail que Lavater se plaisait à
+donner du caractère de son jeune
+ami. Convaincue de la fidélité de ce
+<span class="pagenum"><a name="Page_160" id="Page_160">160</a></span>
+portrait, elle dit au commandeur
+de manière à n'être entendue que
+de lui:&mdash;Vous le voyez, tout le
+monde n'est pas aussi discret que
+vous. Il ne me reste plus qu'un nom
+à savoir; je le saurai bientôt, et
+j'aurai regret de ne rien devoir à
+votre confiance.&mdash;Vous devez déja
+trop à mon indiscrétion, reprit-il;
+mais comment un intérêt de ce genre
+peut-il vous occuper à travers tous
+ceux qui vous captivent?&mdash;C'est
+qu'il est peut-être le plus vif, répondit
+ingénûment Valentine.» Ce mot
+parut surprendre le commandeur;
+il prit un air méfiant, se mit à rêver,
+et son regard semblait dire: Serait-il
+vrai?</p>
+
+<p>Pendant que Valentine se reprochait
+<span class="pagenum"><a name="Page_161" id="Page_161">161</a></span>
+l'excès de sa franchise, le chevalier
+riait de sa crédulité, et profitait
+du départ de Lavater pour dire:&mdash;Je
+crois, en vérité, que vous ajoutez
+foi à cette nouvelle magie! et
+que l'esprit éloquent de Lavater vous
+a subjuguée au point de.....&mdash;Elle
+ne saurait mieux faire que de le
+croire, interrompit madame de Nangis,
+puisqu'il donne à son héros
+toutes les qualités de Grandisson,
+sans compter les défauts charmants
+qu'il lui accorde.&mdash;Quoi! toujours
+ce personnage mystérieux, reprit le
+chevalier, en témoignant de l'humeur.
+Ah! par grace, mesdames,
+respectez son secret; il le garde si
+bien!&mdash;Il le garderait cent fois
+mieux encore, reprit la comtesse,
+<span class="pagenum"><a name="Page_162" id="Page_162">162</a></span>
+que je le saurais demain s'il m'intéressait
+autant que vous le supposez.»
+Valentine fut frappée de cette réflexion,
+et n'en entendit pas davantage
+de la petite querelle qui s'engagea
+entre sa belle-s&oelig;ur et le
+chevalier. Accoutumée à les voir
+souvent d'un avis contraire, elle
+s'inquiétait peu de leurs différends.
+Cependant elle aurait pu remarquer
+qu'ils étaient plus fréquents, et qu'il
+régnait dans tous les discours de la
+comtesse une sorte d'aigreur qui
+devenait chaque jour moins supportable.
+L'innocence de Valentine l'empêcha
+long-temps d'en soupçonner
+la cause; mais elle ne pouvait se
+dissimuler que madame de Nangis
+paraissait souvent importunée de sa
+<span class="pagenum"><a name="Page_163" id="Page_163">163</a></span>
+présence; et, sans oser interpréter
+ce changement, elle en profitait pour
+se livrer quelquefois à son goût pour
+la retraite. Ces jours-là elle ne permettait
+qu'à la petite Isaure de venir
+la troubler, et c'est en prodiguant
+les plus tendres soins à la fille qu'elle
+se vengeait des caprices de la mère.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XV" id="CHAPITRE_XV"></a>CHAPITRE XV.</h3>
+
+<p class="p2">La réflexion de madame de Nangis
+sur le secret d'Anatole, revint si souvent
+à l'esprit de Valentine, qu'elle
+finit par la trouver toute simple, et
+s'étonna d'avoir cessé aussi vîte les
+démarches qui pouvaient lui offrir
+<span class="pagenum"><a name="Page_164" id="Page_164">164</a></span>
+des renseignements certains sur ce
+qu'il lui restait à savoir d'Anatole.
+Après avoir rejeté celles qui ne lui
+paraissent pas convenables, elle se
+fit conduire un matin à l'opéra, et
+sous prétexte de louer une loge à
+l'année, elle demande celle où elle
+a vu pour la première fois Anatole.
+On lui répond que la loge qu'elle
+désigne n'est pas libre, mais qu'on
+ne doute pas que l'ambassadeur d'Espagne
+n'ait la complaisance de la lui
+céder dès que Son Excellence apprendra
+que c'est madame la marquise
+de Saverny qui le desire. Valentine
+insiste pour que l'on n'adresse point
+à l'ambassadeur une demande aussi
+indiscrète, et défend positivement
+qu'on la fasse en son nom. Le commis
+<span class="pagenum"><a name="Page_165" id="Page_165">165</a></span>
+chargé de la location des loges,
+ne voyant que l'intérêt de son administration,
+promet bien à la marquise
+de se conformer à ses ordres,
+mais c'est en formant le projet de
+lui désobéir. A peine l'a-t-elle quitté,
+qu'il écrit à l'intendant de l'ambassadeur
+tout ce qu'il avait promis de
+ne pas dire; il y ajouta quelques-unes
+des questions échappées à la
+curiosité de Valentine, et finit par
+offrir à Son Excellence le choix de
+deux autres loges en face de la sienne,
+qu'il assura être meilleures.</p>
+
+<p>La réponse du duc de Moras ne se
+fit pas attendre, et Valentine l'ayant
+rencontré quelques jours après chez
+la princesse de L***, resta interdite
+quand il vint la remercier de lui
+<span class="pagenum"><a name="Page_166" id="Page_166">166</a></span>
+avoir offert l'occasion de faire une
+chose qui lui fût agréable, en lui
+cédant sa loge à l'opéra. «Elle sera
+bien mieux occupée, ajouta-t-il, et
+je m'assure la reconnaissance de mes
+anciens voisins. Quelle agréable surprise
+pour eux de voir arriver une
+aussi belle personne à la place de
+leur vieux diplomate!» Valentine,
+révoltée de l'indiscrétion commise
+en son nom, s'en défendit avec tant
+de chaleur, qu'elle s'en justifia mal.
+Son trouble, en écoutant le duc de
+Moras, son indignation contre ce
+commis qu'elle menaçait de faire
+punir de son impertinence, enfin, ce
+dépit qu'on éprouve toujours à la
+suite d'une démarche imprudente, et
+mal interprétée, lui donna l'air d'une
+<span class="pagenum"><a name="Page_167" id="Page_167">167</a></span>
+personne qui craint d'être devinée.
+On avait trouvé tout simple le caprice
+qui l'avait engagée à desirer
+la loge du duc de Moras, on s'étonna
+de lui voir mettre tant d'importance
+à s'en défendre; et chacun y prêta le
+motif qui lui parut le plus probable.
+C'est ainsi qu'on juge souvent dans le
+monde de l'étendue d'une inconséquence
+par le plus ou moins de
+soin qu'on porte à s'en disculper.</p>
+
+<p>Fort heureusement pour Valentine,
+la princesse interrompit les
+excuses et les remerciements qu'elle
+adressait au duc de Moras, en disant:
+«Regardez, madame, le joli présent
+que je viens de recevoir!» Et
+elle conduisit la marquise auprès
+d'une table sur laquelle se trouvait
+<span class="pagenum"><a name="Page_168" id="Page_168">168</a></span>
+un jasmin d'Espagne d'une rare
+beauté. Il avait la forme d'un oranger:
+sa tige élancée était recouverte
+d'un buisson de fleurs, et tout
+attestait qu'il avait déja bravé bien
+des hivers. Valentine convint qu'elle
+n'en avait jamais vu de pareil, et
+cependant son goût pour les fleurs
+lui avait fait souvent rechercher les
+plus belles; et les serres du château
+de Saverny étaient citées parmi les
+plus complètes en ce genre. Aux airs
+modestes que le duc de Moras prit en
+voyant chacun admirer cet arbuste,
+Valentine devina que c'était lui qui
+l'avait offert, et lui en fit compliment.
+Il y répondit en avouant qu'il
+le tenait d'un de ses amis qui l'avait
+fait venir d'Espagne, et qu'il ne
+<span class="pagenum"><a name="Page_169" id="Page_169">169</a></span>
+croyait pas qu'il y en eût d'aussi
+grand en France.</p>
+
+<p>En sortant de chez la princesse,
+madame de Saverny se rendit chez
+la présidente de C..., où devait se
+trouver madame de Nangis. Elles y
+passèrent toutes deux le reste de la
+journée; et lorsque Valentine rentra
+chez elle, le premier objet qui frappa
+sa vue fut un jasmin semblable à
+celui qu'elle avait admiré le matin
+même chez la princesse de L...: elle
+reconnut jusqu'au vase qui le contenait,
+et ne douta pas un instant
+que la princesse ne lui en eût voulu
+faire le sacrifice. Pour mieux s'en
+assurer, elle demanda à sa femme
+de chambre de quelle part on l'avait
+apporté; mais mademoiselle Cécile,
+<span class="pagenum"><a name="Page_170" id="Page_170">170</a></span>
+qui avait toujours le talent d'ignorer
+ce qu'elle ne voulait pas dire, répondit
+que deux hommes qu'elle avait
+pris pour des jardiniers l'avaient déposé
+dans l'antichambre, en recommandant
+de le placer auprès du lit
+de Madame. Cette réponse affermit
+Valentine dans l'idée que la princesse,
+ayant remarqué son admiration
+pour cet arbuste, avait voulu
+s'en priver pour elle. C'était à ses
+yeux une indiscrétion de plus que
+de l'accepter, et cependant comment
+refuser un sacrifice offert avec
+tant de délicatesse? Après s'être vivement
+reproché tout ce qu'elle croyait
+avoir dit et fait d'inconvenant depuis
+plusieurs jours, Valentine décida
+qu'elle irait le lendemain au lever
+<span class="pagenum"><a name="Page_171" id="Page_171">171</a></span>
+de la princesse, la remercier de son
+aimable attention, et la conjurer au
+nom de l'ambassadeur, qu'elle privait
+déja de sa loge, de conserver les
+fleurs qu'il lui avait offertes avec tant
+de plaisir.</p>
+
+<p>La princesse était encore au lit
+quand la marquise arriva. Un valet-de-chambre
+alla s'informer si elle
+était visible, et madame de Saverny
+entra dans le salon pour y attendre
+sa réponse. On peut se figurer sa
+surprise lorsqu'elle aperçut sur la
+table de la princesse le même jasmin
+qu'elle y avait vu la veille. Sans pouvoir
+expliquer ce nouveau mystère,
+elle chercha un autre motif à donner
+à sa visite. Car, sans se rendre
+<span class="pagenum"><a name="Page_172" id="Page_172">172</a></span>
+compte du sentiment qui la retenait,
+elle ne voulait point parler du présent
+qu'elle avait reçu, avant d'avoir découvert
+celui qu'elle en devait remercier.
+Elle était encore dans l'embarras
+de choisir un prétexte raisonnable,
+quand on vint l'avertir que la princesse
+l'attendait. Elle arriva près
+d'elle avec toute la confusion d'une
+personne qui ne sait ce qu'elle va
+dire. La princesse ne s'en aperçut
+point, et termina son embarras en
+lui disant: «Je devine ce qui m'attire
+le plaisir de vous voir d'aussi
+bonne heure, ma chère Valentine,
+vous savez ce qui s'est dit hier soir
+chez moi, et combien je me suis
+plainte de votre silence. Me laisser
+apprendre la nouvelle de votre prochain
+<span class="pagenum"><a name="Page_173" id="Page_173">173</a></span>
+mariage par le bruit qu'il fait
+dans le monde, vous conviendrez
+que c'est me traiter avec bien peu
+de confiance, et que mon amitié
+méritait mieux de vous.» La princesse
+ajouta tant d'autres reproches
+obligeants à ceux-ci, qu'elle donna
+à Valentine le temps de se remettre
+un peu de son étonnement, et de
+chercher à profiter de la méprise.&mdash;Avant
+de me justifier, lui dit-elle,
+d'un tort que je n'ai point, permettez-moi,
+madame, de me plaindre
+aussi de votre facilité à m'accuser.&mdash;Quoi!
+interrompit la princesse,
+ce mariage n'est point vrai?&mdash;Je
+ne sais même pas à qui l'on me fait
+l'honneur de m'accorder.&mdash;Ah!
+vous savez au moins que le chevalier
+<span class="pagenum"><a name="Page_174" id="Page_174">174</a></span>
+d'Émerange brûle de vous obtenir.&mdash;Moi...
+madame... répondit Valentine
+avec embarras.&mdash;Pourquoi
+vous troubler, ma chère Valentine?
+je ne veux pas arracher votre secret;
+croyez plutôt que si vous me réduisiez
+à le deviner, je saurais le respecter.
+Votre situation m'est connue;
+je sens tous les égards que vous
+devez à votre belle-s&oelig;ur; mais quand
+vous aurez beaucoup sacrifié à sa
+sensibilité, il faudra toujours finir
+par lui porter le coup fatal, et je
+vous prédis que son caractère emporté
+ne vous tiendra pas compte de
+vos ménagements.&mdash;Ah! madame,
+pouvez-vous faire une semblable
+supposition?&mdash;Je ne suppose rien,
+je vous jure, et ne fais que vous
+<span class="pagenum"><a name="Page_175" id="Page_175">175</a></span>
+répéter ce qui se dit dans le monde.&mdash;Oserait-on
+y calomnier la conduite
+de madame de Nangis? Ce
+serait une indignité!&mdash;Je le pense
+ainsi; mais ni vous ni moi n'avons
+la puissance de l'empêcher. Tant
+qu'on voit une femme recevoir les
+soins d'un homme aimable, on dit
+qu'elle les encourage; s'attriste-t-elle
+de ses assiduités auprès d'une autre,
+on la dit jalouse. C'est une vieille
+routine adoptée par la malignité, et
+que rien ne saurait changer: mais
+remarquez que ces mêmes gens si
+prompts à supposer les torts qu'on
+leur cache, n'en sont pas moins
+indulgents pour tous ceux qu'on
+leur montre, et que souvent, pour
+les désarmer, il suffit de paraître
+<span class="pagenum"><a name="Page_176" id="Page_176">176</a></span>
+ne les pas craindre.&mdash;Et comment
+ne craindrait-on pas une méchanceté
+dont les suites peuvent devenir
+si funestes? Le caractère de mon
+frère est assez connu, je pense,
+pour ne pas laisser supposer qu'il
+endurât patiemment de tels propos.&mdash;Soyez
+tranquille, le bruit n'en parviendra
+jamais à ses oreilles; sur ce
+point, la discrétion française l'emporte
+sur le plaisir de nuire: on verrait
+avec horreur celui qui troublerait
+par une lâche trahison la paix
+conjugale d'un mari; et la société en
+ferait bientôt justice.»</p>
+
+<p>Ce ne fut pas sans peine que la
+princesse parvint à faire comprendre
+à Valentine les subtilités de ce code
+des lois mondaines, qui condamne
+<span class="pagenum"><a name="Page_177" id="Page_177">177</a></span>
+la délation sans punir la calomnie.
+Les idées que madame de Saverny
+s'était faites du véritable honneur
+s'accordaient mal avec cet honneur
+de convention, parfois sévère et parfois
+complaisant, qu'on lui assurait
+avoir un si grand empire dans le
+monde. Si toute autre personne lui
+en eût ainsi parlé, elle l'aurait accusée
+d'une légèreté blâmable; mais
+les vertus, la conduite de la princesse
+de L..., ne laissaient aucun
+doute sur la pureté de ses principes.
+Elle parlait des travers de la société
+comme de ces infirmités incurables
+qu'il faut bien tolérer chez les autres,
+mais dont on ne saurait trop se garantir
+pour son propre compte; et
+ce fut d'elle que Valentine reçut la
+<span class="pagenum"><a name="Page_178" id="Page_178">178</a></span>
+première leçon de cette aimable indulgence,
+qui est le sceau de la supériorité
+en tous genres.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XVI" id="CHAPITRE_XVI"></a>CHAPITRE XVI.</h3>
+
+<p class="p2">De tous les sentiments qui tourmentent
+l'esprit, l'impatience étant bien
+certainement le plus difficile à dissimuler,
+on aime à s'y livrer sans
+témoin; aussi madame de Saverny
+forma-t-elle le projet de s'enfermer
+chez elle pendant quelques jours,
+pour calmer l'agitation que fesaient
+naître en son ame tant d'incidents
+étranges, et méditer sur la conduite
+qu'elle devait tenir.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_179" id="Page_179">179</a></span>
+Elle s'occupa d'abord des moyens
+de détruire les espérances du chevalier
+d'Émerange sur son prétendu
+mariage, et de faire cesser un bruit
+dont elle se plaisait à exagérer les
+conséquences dangereuses, sans oser
+s'avouer celle qu'elle redoutait le plus.
+La difficulté était de faire connaître
+ses intentions au chevalier; comment
+imposer silence à un homme
+qui ne s'explique point, et l'obliger
+à nier un projet qui n'a peut-être
+jamais été le sien? Ces réflexions arrêtaient
+Valentine, et plus encore,
+l'idée de partager le ridicule attaché
+aux femmes qui se croient adorées
+au premier mot galant qu'on leur
+adresse, et qui se vantent de leurs
+rigueurs avant qu'on ait songé à
+<span class="pagenum"><a name="Page_180" id="Page_180">180</a></span>
+leur plaire. Après s'être long-temps
+consultée sur le parti qu'elle devait
+prendre à ce sujet, Valentine résolut
+d'avoir recours aux conseils de son
+frère: elle était sûre de trouver en lui
+un défenseur des usages du monde,
+qui ne lui permettrait pas de les
+blesser en cette circonstance, et
+pleine de confiance dans la manière
+dont il la guiderait, elle ne chercha
+plus qu'à se distraire d'une pensée
+qui l'agitait péniblement, pour se
+livrer à des conjectures plus agréables.</p>
+
+<p>L'envoi de ce beau jasmin, et le
+mystère qui l'accompagnait, étaient
+bien dignes d'exercer l'imagination
+d'une femme déja tourmentée par
+un sentiment de curiosité qui s'augmentait
+<span class="pagenum"><a name="Page_181" id="Page_181">181</a></span>
+de jour en jour. Mais pour
+cette fois Valentine se crut au moment
+de voir cesser l'obscurité qui
+lui causait tant d'impatience. Elle ne
+pensa pas qu'il lui fût permis d'accepter
+ce présent sans savoir de qui
+elle le tenait, et il lui parut fort simple
+de questionner le duc de Moras sur
+un fait qu'il ne pouvait ignorer. Dans
+cette résolution elle ne chercha plus
+qu'une occasion prochaine de rencontrer
+l'ambassadeur d'Espagne;
+mais mademoiselle Cécile entra, remit
+une lettre à sa maîtresse, et la
+marquise changea de projet.</p>
+
+<p>A la seule vue de l'adresse, Valentine
+reconnut l'écriture, et rougit;
+elle hésita quelque temps à rompre le
+cachet; et voyant que mademoiselle
+<span class="pagenum"><a name="Page_182" id="Page_182">182</a></span>
+Cécile ne se disposait point à sortir,
+elle demanda si l'on attendait la réponse.
+Non, madame, répondit Cécile,
+cette lettre est venue par la poste,
+mais j'attends, pour savoir les ordres
+de Madame, et quelle robe je dois
+lui apprêter.&mdash;Je m'habillerai plus
+tard, reprit avec impatience la marquise.&mdash;Madame
+ne dînera donc pas
+aujourd'hui chez madame la comtesse,
+car le maître d'hôtel vient de
+me dire que l'on était au moment
+de servir.&mdash;Non, je resterai chez
+moi: faites dire à ma belle-s&oelig;ur
+qu'une légère indisposition m'y retient.&mdash;Si
+Madame est malade, je
+puis en prévenir le docteur Petit; je
+viens de le voir entrer, il n'y a qu'un
+instant, chez madame de Nangis.&mdash;Elles
+<span class="pagenum"><a name="Page_183" id="Page_183">183</a></span>
+Gardez-vous en bien; je n'ai besoin
+que de repos et ne veux être
+troublée par personne.» Ces derniers
+mots furent dits d'un ton à prouver
+à mademoiselle Cécile qu'on ne fesait
+point d'exception pour elle. Aussi
+s'empressa-t-elle d'aller remplir sa
+commission, tout en méditant sur
+l'émotion qu'elle avait remarquée
+dans les yeux de sa maîtresse en lui
+remettant cette lettre, et sur le desir
+qu'elle avait si franchement manifesté
+de la lire sans témoin.</p>
+
+<p>Voici ce qu'elle contenait:</p>
+
+<p>«S'il est vrai, Madame, qu'un
+heureux hasard m'ait donné quelques
+droits à votre reconnaissance,
+permettez que je les réclame, en
+vous suppliant de me sacrifier le
+<span class="pagenum"><a name="Page_184" id="Page_184">184</a></span>
+faible intérêt de curiosité que je
+vous inspire; encore un mot de
+vous, et le mystère qui me dérobe
+à vos yeux cesserait bientôt; mais
+alors tout serait anéanti pour moi.
+Réduit à fuir l'objet d'un sentiment
+divin qui remplit mon ame, mon
+existence ne serait plus qu'un long
+deuil. Ah! par pitié, laissez-moi
+l'unique bonheur auquel je puisse
+prétendre! Si vous saviez combien
+l'idée d'occuper quelquefois sa
+pensée fait tressaillir mon c&oelig;ur!
+avec quels soins je m'informe de
+ses projets, de ses desirs! à quels
+transports me livre la seule espérance
+de l'apercevoir! non, jamais
+vous ne consentiriez à me
+ravir une si douce félicité.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_185" id="Page_185">185</a></span>
+«Je n'en doute point, Madame,
+vous accueillerez ma prière; le
+ciel n'a pas réuni tant de charmes,
+sans y joindre la sensibilité qui
+sait respecter et plaindre le malheur;
+et je vous devrai encore le
+seul bien qui puisse m'attacher à
+la vie.</p>
+
+<p class="left5">«Je suis, etc.<br />
+<span class="i14 smcap">«Anatole.»</span></p>
+
+<p class="p2">«Oui, s'écria Valentine, après
+avoir lu; sa prière est sacrée, et la
+reconnaissance me fait une loi de la
+respecter; je renonce dès ce moment
+à tout espoir de le connaître: il
+aime, il est malheureux, son sort
+paraît dépendre du mystère qui l'entoure.
+Ah! que je meure plutôt que
+<span class="pagenum"><a name="Page_186" id="Page_186">186</a></span>
+de troubler la vie de celui à qui je
+dois la mienne! Mais comment le
+rassurer? comment lui faire savoir
+le serment que je fais de ne plus
+chercher à pénétrer le secret qu'il
+exige?» En disant ces mots, les yeux
+de Valentine retombèrent sur la lettre
+d'Anatole, et y virent, auprès
+de la signature, l'adresse du ministre
+des affaires étrangères. Elle présuma
+que c'était là qu'Anatole attendait
+sa réponse, et qu'il avait probablement
+chargé un des secrétaires
+du ministre de recevoir pour lui les
+lettres dont l'adresse ne portait que
+son nom de baptême. Persuadée
+qu'elle remplissait un devoir indispensable,
+elle s'empressa d'écrire un
+billet dont les expressions nobles et
+<span class="pagenum"><a name="Page_187" id="Page_187">187</a></span>
+simples attestaient la franchise du
+sentiment qui les avait dictées. Pas
+un trait piquant, pas un mot dont
+la coquetterie eût pu tirer parti.
+C'était la promesse positive d'observer
+religieusement le silence imposé
+par Anatole, et dont la reconnaissance
+lui fesait un devoir.</p>
+
+<p>Lorsque l'ame est émue d'un sentiment
+généreux, les petites considérations
+disparaissent; aussi Valentine
+ne fut-elle point troublée dans
+cette démarche par l'idée de répondre
+à un inconnu, dont le but était
+peut-être de s'amuser de sa crédulité,
+et de profiter de la lettre qu'il avait
+si facilement obtenue d'elle, pour
+divertir ses confidents; une telle
+supposition n'entra pas dans son
+<span class="pagenum"><a name="Page_188" id="Page_188">188</a></span>
+esprit, malgré sa disposition naturelle
+à un peu de méfiance. Cependant
+la conduite mystérieuse d'Anatole
+en pouvait inspirer à de plus confiants.
+Mais, sait-on jamais bien par
+quel motif on doute, ou l'on croit?
+N'a-t-on pas vu des illusions durer
+toute la vie, malgré l'évidence attachée
+à les détruire! Et la vérité qui
+prouve n'est-elle pas souvent sacrifiée
+à l'erreur qui persuade?</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_189" id="Page_189">189</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_XVII" id="CHAPITRE_XVII"></a>CHAPITRE XVII.</h3>
+
+<p class="p2">Mademoiselle Cécile avait si
+bien exagéré l'indisposition de sa
+maîtresse, qu'aussitôt après le dîner,
+madame de Nangis, suivie de tous
+ses convives, arriva chez la marquise,
+pour s'informer des nouvelles de la
+malade, et lui tenir compagnie. Ce
+projet dérangeait beaucoup celui que
+Valentine avait formé de passer la
+soirée toute seule; mais elle n'en
+témoigna point d'humeur. En entrant,
+le docteur s'écria: «Vraiment,
+je ne m'étonne pas qu'on ait la migraine
+dans une chambre ainsi parfumée
+<span class="pagenum"><a name="Page_190" id="Page_190">190</a></span>
+de fleurs!» Et sans attendre
+de réponse, il donna l'ordre à un
+laquais de sortir tous les vases de
+fleurs qui se trouvaient dans l'appartement;
+madame de Nangis, accoutumée
+à ce despotisme doctoral, ne
+s'y opposa point. Mais Valentine
+demanda grace pour son jasmin
+d'Espagne, dont le parfum était trop
+doux, à ce qu'elle assurait, pour
+l'incommoder. Cette exception lui
+valut bien des commentaires sur
+l'envoi du jasmin, jusqu'au moment
+où chacun s'accorda pour le mettre
+sur le compte de l'ambassadeur d'Espagne.
+Pendant que l'on s'occupait
+de ce grand intérêt, le chevalier
+d'Émerange s'apercevant qu'il tenait
+encore à la main une branche d'héliotrope,
+<span class="pagenum"><a name="Page_191" id="Page_191">191</a></span>
+qu'il avait cueillie chez madame
+de Nangis, la jeta dans le feu,
+en s'excusant auprès de la marquise,
+de n'avoir pas pensé plutôt que
+cette fleur pouvait l'incommoder. La
+comtesse s'aperçut de ce mouvement,
+et le trouva tout simple; mais quand
+elle vit le chevalier remplacer le
+bouquet qu'il venait de jeter, par
+une branche du jasmin de madame
+de Saverny, elle prit un air boudeur
+qui ne la quitta plus. Cette
+familiarité déplut aussi à Valentine;
+elle avait toujours présente à l'esprit
+la conversation de la princesse, et
+convenait que les manières du chevalier
+pouvaient bien avoir donné
+lieu au bruit qui circulait; pour en
+détruire l'effet, elle prit avec lui un
+<span class="pagenum"><a name="Page_192" id="Page_192">192</a></span>
+ton de réserve qu'il remarqua avec
+étonnement; il crut d'abord que c'était
+un caprice, et voulut en triompher,
+en redoublant de soins et de
+gaîté; mais s'apercevant de l'inutilité
+des frais de son esprit, il joua le dépit,
+et devint silencieux. Le docteur profita
+de l'auditoire qu'on lui cédait,
+pour raconter un certain nombre
+d'anecdotes burlesques, dont il connaissait
+pour le moins aussi bien
+l'effet que celui de ses recettes. Il
+dut en être content, car l'on rit aux
+éclats; et ce fut au milieu du bruit
+qu'il avait provoqué, que le docteur
+sortit enchanté de son succès, et
+persuadé que lui seul s'entendait à
+guérir de la migraine.</p>
+
+<p>Le dépit du chevalier ne le servant
+<span class="pagenum"><a name="Page_193" id="Page_193">193</a></span>
+pas mieux que sa coquetterie, il résolut
+de demander franchement à
+madame de Saverny en quoi il avait
+eu le malheur de lui déplaire? Chez
+beaucoup de gens la franchise est
+encore une ruse, et souvent celle
+qui leur réussit le mieux. Le chevalier
+en fit une heureuse épreuve.
+Valentine n'avait pas prévu qu'il dût
+lui demander l'explication de sa nouvelle
+manière de le traiter, et l'embarras
+qu'elle mit à lui répondre
+quelques mots insignifiants, fut interprété
+par le chevalier en faveur
+de son amour-propre. Il supposa
+que l'humeur jalouse de madame de
+Nangis avait inspiré à Valentine le
+désir généreux de calmer les inquiétudes
+de sa belle-s&oelig;ur, en affectant
+<span class="pagenum"><a name="Page_194" id="Page_194">194</a></span>
+plus de froideur pour lui; et, sans
+laisser apercevoir le plaisir qu'il ressentait
+de cette prétendue découverte,
+il dit à voix basse à la marquise,
+que si elle persistait à le traiter avec
+tant de sévérité, il regarderait ce
+changement de manière, comme un
+ordre de ne la plus revoir, et qu'il
+s'y résignerait malgré toute l'étendue
+du sacrifice. En écoutant le chevalier,
+Valentine, qui n'osait lever
+les yeux sur lui, les jeta sur madame
+de Nangis; elle la vit pâlir et se
+trouver mal; son premier mouvement
+fut d'aller la secourir, mais la
+comtesse revenant bientôt à elle, la
+remercia sèchement de l'intention
+qu'elle avait de la ramener dans son
+appartement pour lui donner ses
+<span class="pagenum"><a name="Page_195" id="Page_195">195</a></span>
+soins; elle prétendit n'avoir besoin
+de ceux de personne, et prit le bras
+de M. d'Émerange, qui lui offrit de
+la reconduire. Les amis qu'avait amenés
+madame de Nangis, troublés par
+cet événement, prirent congé de Valentine,
+sans qu'elle y fît attention.
+L'oreille encore frappée des derniers
+mots de sa belle-s&oelig;ur, et le c&oelig;ur
+oppressé du refus qu'elle avait fait
+de ses soins, elle sentit ses yeux se
+remplir de larmes, et s'affligea d'un
+procédé dont elle craignit de deviner
+la cause. L'arrivée d'Isaure la
+tira de sa triste rêverie. «Eh mon
+dieu! qu'est-ce donc qui se passe,
+s'écria la petite, en embrassant Valentine.
+Quoi! vous pleurez! Est-ce
+que maman vous a grondée aussi?&mdash;Non,
+<span class="pagenum"><a name="Page_196" id="Page_196">196</a></span>
+mon enfant, mais je l'ai
+vue souffrir, et cela m'a fait de la
+peine.&mdash;Elle a été malade, n'est-il
+pas vrai? Mademoiselle Cécile nous
+l'avait bien dit.&mdash;Cela n'est pas inquiétant,
+elle est beaucoup mieux
+maintenant.&mdash;Ah! je le sais bien,
+puisque j'ai été la voir tout-à-l'heure.
+Mais elle était si en colère contre
+M. d'Émerange, qu'elle m'a renvoyée
+en disant à ma bonne de me coucher
+tout de suite; cependant il n'est pas
+encore neuf heures. Aussi j'ai demandé
+à venir passer un petit moment
+avec vous. Savez-vous qu'il
+faut que ce M. d'Émerange ait bien
+désobéi à maman, pour qu'elle se
+fâche ainsi?&mdash;Que cela te fait-il?
+Je t'ai cent fois répété qu'à ton âge
+<span class="pagenum"><a name="Page_197" id="Page_197">197</a></span>
+on comprenait tout de travers ce que
+les grandes personnes se disent entre
+elles, et que le mieux était de ne
+jamais le répéter.&mdash;Eh bien! je ne
+répéterai plus rien, je vous le promets,
+ma tante.&mdash;Si tu tiens parole,
+je te récompenserai.&mdash;Ah! que je
+suis contente, que me donnerez-vous?&mdash;Choisis
+ce que tu voudras.&mdash;Voici
+bientôt le temps des étrennes,
+je sais que mon papa doit me donner
+une montre, maman une grande
+poupée, il ne me manque plus qu'un
+collier avec un joli médaillon; ah!
+si vous vouliez m'en donner un avec
+votre portrait dessus, je serais aussi
+belle que la petite fille de la princesse
+de L..., qui porte à son cou
+le portrait de la Reine.&mdash;Puisque
+<span class="pagenum"><a name="Page_198" id="Page_198">198</a></span>
+tu le desires, tu auras le collier et
+le portrait, mais tu connais nos conditions.&mdash;Ah!
+je n'ai pas envie de
+les oublier.&mdash;En disant ces mots,
+Isaure souhaita le bonsoir à sa tante,
+et se promit bien de lui obéir.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XVIII" id="CHAPITRE_XVIII"></a>CHAPITRE XVIII.</h3>
+
+<p class="p2">Plusieurs jours se passèrent sans
+que Valentine pût rejoindre sa belle-s&oelig;ur.
+Elle était toujours sortie, ou
+n'était point visible. Justement offensée
+de cette affectation à ne la
+pas recevoir, madame de Saverny
+n'insista plus, et se refusa même le
+plaisir de voir son frère, dans la
+<span class="pagenum"><a name="Page_199" id="Page_199">199</a></span>
+crainte d'être obligée de répondre
+aux questions qu'il lui ferait probablement
+sur le motif qui l'éloignait
+de sa femme. Cependant l'ayant rencontré
+un soir chez la princesse de
+L..., et s'étant approchée de lui pour
+lui témoigner ses regrets d'être restée
+si long-temps sans le voir, elle fut
+très-étonnée d'en être accueillie
+d'un air sévère, et de lui entendre
+dire qu'il était tout naturel de sacrifier
+ses amis à ses adorateurs. Elle
+se serait justifiée sans peine d'une
+aussi injuste accusation, si les témoins
+qui les entouraient le lui
+avaient permis. Mais les réunions du
+grand monde ont cela de particulier,
+qu'on y peut toujours lancer une
+injure, et jamais entrer en explication;
+<span class="pagenum"><a name="Page_200" id="Page_200">200</a></span>
+de là vient l'habitude que tant
+de gens d'esprit ont contractée, de
+se justifier d'un tort par une épigramme.</p>
+
+<p>Tourmentée par de pénibles réflexions,
+Valentine pria la princesse
+de la dispenser de faire une partie, et
+se plaça auprès de sa table de jeu.
+Le commandeur de Saint-Albert
+vint bientôt l'y rejoindre, et voyant
+l'expression de mécontentement répandue
+sur son visage, il lui dit:
+«Comment se fait-il qu'on ait le regard
+aussi triste quand on vient de
+causer tant de joie?&mdash;Je ne sais,
+répondit madame de Saverny, sans
+avoir l'air de comprendre la fin de
+cette phrase, mais il est vrai qu'aujourd'hui
+je suis assez maussade.&mdash;C'est
+<span class="pagenum"><a name="Page_201" id="Page_201">201</a></span>
+une manière de répondre
+que vous ne vous souciez pas de me
+dire ce qui vous importune; tranquillisez-vous,
+je suis discret, et ne
+demande jamais ce que je sais.&mdash;Puisque
+vous êtes si bien instruit,
+faites-moi, je vous en prie, la confidence
+de ce que j'éprouve?&mdash;Non,
+vraiment; je n'aime point à me mêler
+des affaires de famille; d'ailleurs
+vous savez si l'on perd son temps à
+m'interroger?&mdash;Aussi n'ai-je plus
+envie de rien savoir de vous.&mdash;C'est
+dommage, car je me sens ce soir une
+certaine disposition au bavardage,
+dont votre curiosité aurait pu profiter.&mdash;Je
+ne suis plus curieuse.&mdash;Je
+l'avais bien prévu que ce caprice
+ne durerait pas plus qu'un autre.&mdash;En
+<span class="pagenum"><a name="Page_202" id="Page_202">202</a></span>
+vérité, vous jugez de tout admirablement,
+reprit Valentine avec
+dépit; au reste, quand on prend la
+reconnaissance pour du caprice, on
+peut bien prendre le silence pour
+de l'oubli.&mdash;Que la colère vous sied
+bien! et que de gens aimables m'envieraient
+le bonheur de vous animer
+ainsi?&mdash;Ah! par grace, épargnez-moi
+votre ironie, je ne saurais la supporter
+aujourd'hui; c'est de votre
+amitié seule que j'ai besoin.&mdash;Vous
+y pouvez compter, reprit le commandeur
+d'un ton plus affectueux,
+et le moment approche où cette
+amitié déconcertera, j'espère, plus
+d'un projet.» Ces derniers mots auraient
+laissé une impression profonde
+dans l'esprit de madame de
+<span class="pagenum"><a name="Page_203" id="Page_203">203</a></span>
+Saverny, si une lettre qu'on lui remit
+en rentrant chez elle n'eût changé
+le cours de ses idées. Cette lettre
+contenait les remerciements d'Anatole;
+et comme une prière exaucée
+en autorise nécessairement une
+autre, il suppliait Valentine, dans
+les termes les plus humbles de lui
+accorder la permission de lui écrire
+quelquefois. «Puisque le ciel me
+condamne, ajoutait-il, à ne jamais
+goûter le bonheur de ceux qui vous
+entourent, ne me privez pas du
+plaisir de vous peindre des sentiments
+dignes de vous. Ils sont sans
+danger pour votre repos; et votre
+c&oelig;ur fût-il libre, vous n'y sauriez
+répondre. Je vous la répète, madame,
+un obstacle invincible me sépare à
+<span class="pagenum"><a name="Page_204" id="Page_204">204</a></span>
+jamais de vous; mais la fatalité qui
+s'oppose à mes v&oelig;ux ne me rend
+point indigne de votre confiance ni
+de votre intérêt, et vous pouvez recevoir
+en toute assurance l'hommage
+d'un culte qui n'est dû qu'à la divinité.»
+Plus bas on lisait que le renvoi
+de cette lettre serait regardé
+comme l'ordre de n'en plus adresser.</p>
+
+<p>Il serait trop long d'analyser tous
+les sentiments que fit naître cette
+lecture; le plus vif était bien certainement
+celui dont Valentine n'osait
+convenir avec elle-même. C'était ce
+plaisir qui ravit l'ame au premier
+aveu d'un amour qu'on désire; c'était
+cette ivresse du c&oelig;ur qui trouble
+la raison au point d'ôter tout
+souvenir du passé, pour se livrer
+<span class="pagenum"><a name="Page_205" id="Page_205">205</a></span>
+uniquement à l'espoir d'un avenir
+enchanteur. Les chagrins, les obstacles,
+tout disparaît devant l'idée
+d'être aimée; on croit sincèrement
+que l'amour a borné son ambition
+à cet excès de félicité, et l'on défie
+le malheur. Heureuse illusion, dont
+rien ne remplace la perte!</p>
+
+<p>Absorbée dans sa douce rêverie,
+Valentine se demandait comment
+Anatole pouvait avoir conçu pour
+elle un sentiment aussi vif, sans
+la connaître. A cette question fort
+raisonnable, son c&oelig;ur répondait
+par un retour sur lui-même qui lui
+expliquait mieux ce mystère que
+n'auraient pu le faire tous les calculs
+de son esprit. D'ailleurs M. de
+Saint-Albert avait probablement instruit
+son ami de ce qui l'intéressait,
+<span class="pagenum"><a name="Page_206" id="Page_206">206</a></span>
+peut-être même s'était-il plu à parer
+Valentine de toutes les qualités aimables,
+pour mieux séduire l'imagination
+exaltée d'Anatole. Ce projet n'avait
+d'abord été que l'effet d'une
+plaisanterie fondée sur l'aventure
+romanesque de l'Opéra; mais il arrive
+parfois que le même événement
+qui fait rire un vieillard, fait rêver
+un jeune homme; et tout prouvait
+que celui-là avait laissé des traces
+profondes dans le souvenir d'Anatole;
+il est si naturel de s'attacher
+aux objets de son dévouement, et
+de vouloir aimer une femme déja captivée
+par la reconnaissance! Voilà
+les suppositions qui occupèrent long-temps
+l'esprit de Valentine, avant
+de s'arrêter sur la pensée de cet <i>obstacle
+invincible</i>, qui aurait été le
+<span class="pagenum"><a name="Page_207" id="Page_207">207</a></span>
+premier sujet des réflexions de toute
+autre personne. Son imagination n'en
+fut pas vivement tourmentée: elle se
+peignit Anatole soumis aux volontés
+d'un père ambitieux, et peut-être
+lié par des promesses qu'il n'osait ni
+accomplir, ni enfreindre, réduit à
+attendre sa liberté d'un malheur:
+elle ne voyait dans sa conduite mystérieuse
+qu'une preuve de la délicatesse
+qui doit interdire à un homme
+d'honneur le desir de faire partager
+un sentiment malheureux. Enfin, à
+travers cette obscurité profonde, elle
+voyait clairement tout ce qui expliquait
+à son gré la situation d'Anatole.
+C'est ainsi que tout l'esprit imaginable
+ne sauve pas des absurdités
+du c&oelig;ur.</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_208" id="Page_208">208</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_XIX" id="CHAPITRE_XIX"></a>CHAPITRE XIX.</h3>
+
+<p class="p2">Le jour de la semaine où madame de
+Nangis recevait du monde étant arrivé,
+Valentine pensa qu'à moins de se
+dire malade, elle ne pouvait se dispenser
+de paraître chez sa belle-s&oelig;ur;
+mais, pour éviter l'effet de quelque
+nouveau caprice, elle lui fit demander
+si elle serait visible. Tant de cérémonial
+rappella à madame de Nangis
+ses impolitesses envers madame de
+Saverny, et lui inspira quelque desir
+de les réparer. Elle fit répondre
+qu'elle la verrait avec le plus grand
+plaisir. Mais quand Valentine entra
+<span class="pagenum"><a name="Page_209" id="Page_209">209</a></span>
+chez elle, brillante de fraîcheur et
+d'élégance, la comtesse sentit expirer
+sa bonne volonté, et quelques mots
+plus froidement polis qu'affectueux
+remplacèrent l'accueil qu'elle s'était
+promis de lui faire.</p>
+
+<p>La curiosité avait attiré beaucoup
+de monde chez madame de Nangis.
+La jalousie que lui inspirait sa belle-s&oelig;ur
+n'était plus un secret pour personne;
+il est vrai que M. d'Émerange,
+en la niant partout, ne manquait
+pas une occasion de la provoquer;
+chaque jour amenait, entre lui et la
+comtesse, de ces petites scènes qui
+font ordinairement le désespoir des
+acteurs et l'amusement du public;
+on s'attendait à tous moments à quelque
+bon scandale dont les détails piquants
+<span class="pagenum"><a name="Page_210" id="Page_210">210</a></span>
+alimenteraient pendant trois
+jours au moins la conversation générale;
+et chacun desirait pouvoir les
+raconter avec toute l'autorité d'un
+témoin.</p>
+
+<p>M. de Nangis était, comme c'est
+assez l'ordinaire, le seul qui ne s'aperçût
+pas du trouble qui régnait
+dans sa maison; il allait se plaignant
+à tous ses amis de la mauvaise
+santé de sa femme, dont les maux
+de nerfs augmentaient d'une manière
+inquiétante. Les plus charitables
+l'engageaient à faire faire un
+voyage à la comtesse, soit à Plombières
+ou à Barège; mais la saison ne
+permettait pas de prendre les eaux,
+et ce conseil restait au nombre de
+ceux qu'on donne sans y penser,
+<span class="pagenum"><a name="Page_211" id="Page_211">211</a></span>
+bien sûr qu'ils seront écoutés de
+même. Après avoir longuement fait
+remarquer que sa femme maigrissait
+et changeait beaucoup, M. de Nangis
+s'approcha de sa s&oelig;ur, et par
+l'effet d'un de ces à-propos dont la
+malignité est si reconnaissante, il
+s'écria: «Vous voilà donc enfin?
+J'ai cru que c'était un parti pris
+de nous abandonner. Savez-vous
+bien que depuis près de quinze
+jours on n'a pas eu le plaisir de
+vous voir ici.&mdash;Ce n'est pas ma
+faute, répondit Valentine, en cachant
+mal l'embarras que lui causait
+la position ridicule de son frère aux
+yeux des gens qui l'écoutaient en
+souriant.&mdash;Ah! je m'en doute bien,
+reprit le comte, en s'efforçant de
+<span class="pagenum"><a name="Page_212" id="Page_212">212</a></span>
+prendre un ton léger, c'est peut-être
+une plume, un chapeau, ou quelques
+grands intérêts de ce genre qui
+nous ont valu cette longue absence.
+Il faut si peu de chose pour brouiller
+deux jeunes femmes!» Fort heureusement
+pour tous deux, la visite d'un
+grand personnage vint interrompre
+cette conversation. Valentine tenta
+de se rapprocher de quelques femmes
+avec lesquelles elle causait habituellement,
+mais elle ne vit pas sans surprise
+que toutes semblaient l'éviter,
+et affecter de lui répondre avec une
+sorte de dédain qui tenait de l'indignation.
+La plupart se levaient à
+chaque instant pour aller demander
+à la comtesse comment elle se trouvait,
+et cela d'un ton de pitié qui
+<span class="pagenum"><a name="Page_213" id="Page_213">213</a></span>
+semblait dire: Pauvre femme! comme
+elle vous rend malheureuse. L'une
+d'elles, moins discrète que les autres,
+se mit à dire, de manière à être
+entendue de madame de Saverny:
+«C'est une véritable indignité; jouer
+un pareil tour à une amie qui vous
+accueille ainsi!» Fatiguée de toutes
+ces impertinences, Valentine se serait
+retirée chez elle, si madame de
+Nangis n'était venue la prier de faire
+le whist de trois graves personnes
+de qui l'âge et le rang réclamaient des
+attentions particulières, et dont la
+comtesse était bien aise de s'acquitter,
+par les soins complaisants de sa belle-s&oelig;ur.
+Reléguée, pour ainsi dire,
+dans un autre siècle, madame de Saverny
+passa la soirée dans l'ignorance
+<span class="pagenum"><a name="Page_214" id="Page_214">214</a></span>
+de ce qui occupa le reste de la société;
+elle entendit seulement quelques
+éclats de rire de madame de
+Nangis, qui lui firent présumer que
+le chevalier d'Émerange racontait
+une histoire dont le récit plaisant
+avait triomphé de la langueur de
+la comtesse. Lorsque ce long whist
+fut terminé, le chevalier s'approcha
+de Valentine, dans l'intention de reprendre
+la conversation que madame
+de Nangis avait si tragiquement
+interrompue; mais le souvenir
+de cette scène ridicule inspira à
+Valentine une si vive frayeur de la
+voir recommencer, qu'elle s'éloigna
+du chevalier sans presque se donner
+le temps de lui répondre. Cet empressement
+à le quitter parut d'autant
+<span class="pagenum"><a name="Page_215" id="Page_215">215</a></span>
+plus affecté, que Valentine resta
+seule quelques moments au milieu
+du salon sans savoir à qui adresser
+la parole; madame de Nangis, qu'un
+plus long entretien entre le chevalier
+et sa belle-s&oelig;ur aurait sans doute
+portée à quelque nouvelle extravagance,
+se blessa du motif qui avait
+déterminé Valentine à s'éloigner si
+brusquement de lui; tant il est vrai
+que rien ne peut calmer les agitations
+d'un amour-propre jaloux! Tout
+l'offense ou l'humilie, et, pour l'orgueil
+irrité, les égards mêmes sont
+encore des outrages.</p>
+
+<p>La situation de madame de Saverny
+au milieu de ce cercle de curieux,
+d'envieux ou d'ennemis, lui devint
+bientôt insupportable, et elle profita
+<span class="pagenum"><a name="Page_216" id="Page_216">216</a></span>
+de la première occasion qui
+s'offrit, pour s'y soustraire. Quand
+elle se vit heureusement délivrée
+des ennuis qui l'avaient accablée
+dans cette soirée, elle réfléchit aux
+moyens de s'en épargner de semblables.
+Cette manière de vivre lui
+présageait des chagrins de famille
+qu'il fallait éviter à tout prix; mais
+comment y parvenir? Elle ne pouvait
+réclamer les conseils de son
+frère dans cette circonstance, sans
+trahir la comtesse; et son c&oelig;ur en
+était incapable. Cependant elle sentait
+la nécessité de s'éloigner d'une
+maison où sa présence jetait autant
+de trouble; et si la saison l'avait permis,
+elle serait retournée au château
+de Saverny. Mais quitter ainsi Paris
+<span class="pagenum"><a name="Page_217" id="Page_217">217</a></span>
+au milieu de l'hiver, et sans pouvoir
+donner à son voyage un motif raisonnable,
+c'était presque constater
+une rupture dont le public aurait
+tiré de grandes conséquences; et puis
+s'éloigner de l'objet de sa reconnaissance
+pour aller vivre seule et livrée
+à de tristes souvenirs, c'était renoncer
+à tout espoir de bonheur. Ces
+inconvénients se représentant sans
+cesse à l'esprit de Valentine, la décidèrent
+à se résigner encore quelque
+temps à supporter ceux de sa
+situation présente. Elle se flatta de
+l'idée que, touchée de ses soins à
+détruire toute apparence de rivalité
+entre elles, sa belle-s&oelig;ur reviendrait
+bientôt à la raison, et par conséquent
+à ses devoirs. Ce n'est pas
+<span class="pagenum"><a name="Page_218" id="Page_218">218</a></span>
+que Valentine supposât qu'elle y eût
+jamais complètement manqué; elle
+pensait avec justice qu'une femme
+dominée par la vanité peut se donner
+bien des torts avant d'être tout-à-fait
+coupable. Mais elle sentait
+bien aussi que le monde ne jugeait
+pas avec la même indulgence, et
+elle redoutait pour la comtesse les
+arrêts de ce tribunal sévère qui condamne
+sans entendre. Elle en eût
+été moins effrayée, si l'expérience
+lui avait appris que ces funestes arrêts
+ne tombent jamais sur les gens
+heureux.</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_219" id="Page_219">219</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_XX" id="CHAPITRE_XX"></a>CHAPITRE XX.</h3>
+
+<p class="p2">Une de ces matinées où les rayons
+du soleil semblent engager les élégantes
+de Paris à braver le froid
+pour venir se promener en foule sur
+la terrasse des Tuileries, Isaure vint
+proposer à sa tante de l'y conduire.
+Valentine, après s'être assurée que
+madame de Nangis y consentait, fit
+monter Isaure dans sa voiture, et
+toutes deux arrivèrent bientôt dans
+ce beau jardin, qui était alors le
+rendez-vous de la meilleure compagnie.
+Valentine n'y resta pas long-temps
+sans rencontrer un grand
+<span class="pagenum"><a name="Page_220" id="Page_220">220</a></span>
+nombre de personnes de sa connaissance;
+mais la seule dont elle voulut
+accepter le bras fut M. de Saint-Albert,
+qui dit, en la remerciant du
+choix: Voilà les profits de mon âge.
+En achevant ces mots, il sentit tressaillir
+le bras de Valentine. Surpris
+de ce mouvement, il regarde ce
+qui peut l'avoir occasionné, et ses
+yeux rencontrent ceux d'Anatole. Il
+le voit saluer respectueusement madame
+de Saverny; puis s'approchant
+de lui, Anatole lui serre la main en
+levant les yeux au ciel, comme pour
+lui dire: <i>Que vous êtes heureux!</i></p>
+
+<p>Sans faire la moindre réflexion
+sur l'émotion qu'il avait remarquée,
+le commandeur proposa à Valentine
+de s'asseoir dans un endroit échauffé
+<span class="pagenum"><a name="Page_221" id="Page_221">221</a></span>
+par le soleil; elle y consentit d'autant
+mieux, qu'elle avait assez de
+peine à se soutenir. L'aspect inattendu
+d'Anatole avait produit sur tous
+ses sens une impression nouvelle
+qui la dominait au point de ne plus
+être en état de parler que de lui;
+mais comme elle voulait avant tout
+respecter son secret, elle chercha ce
+qu'elle en pourrait dire sans risquer
+de violer la promesse qu'elle lui avait
+faite, et ne trouva rien de mieux
+que de vanter l'extrême ressemblance
+du buste qui se trouvait dans
+la bibliothèque du commandeur.&mdash;En
+effet, reprit ce dernier, j'en ai
+été frappé comme vous lorsque je
+le vis pour la première fois dans
+l'atelier du fameux G... Il revenait
+<span class="pagenum"><a name="Page_222" id="Page_222">222</a></span>
+alors d'Italie, d'où il rapportait des
+objets d'art précieux, que se disputèrent
+bientôt les amateurs. Ravi de
+retrouver les traits d'un de mes amis
+dans cette belle tête, j'en fis l'acquisition;
+l'artiste crut en rehausser le prix
+à mes yeux, en m'assurant qu'elle
+était copiée d'après l'Hector antique;
+mais lorsque je lui dis franchement le
+motif qui me déterminait à l'acheter,
+il m'avoua de même qu'ayant eu le
+bonheur de rencontrer à Rome un
+jeune homme d'une figure admirable,
+il s'était permis de faire plusieurs
+copies du portrait qui lui en avait
+été demandé. Après diverses questions,
+j'acquis la certitude que ce
+bel Hector n'était autre qu'Anatole,
+et la ressemblance fut expliquée.&mdash;Il
+<span class="pagenum"><a name="Page_223" id="Page_223">223</a></span>
+dut être fort étonné, je pense,
+reprit Valentine, de se retrouver
+ainsi chez vous.&mdash;Comment donc!
+il m'a fait une véritable querelle pour
+avoir encouragé la mauvaise foi du
+sculpteur, qui se permettait de le
+vendre ainsi déguisé en grec; il
+prétendait que le ridicule en retombait
+sur lui; j'ai eu toutes les
+peines du monde à l'empêcher de
+briser ce malheureux buste, et je ne
+l'ai conservé qu'à la condition de
+nier qu'il eût le moindre rapport
+avec ses traits.&mdash;Madame de Nangis
+peut attester que vous lui tenez
+votre parole.&mdash;Et madame de Saverny,
+que j'y manque: n'est-ce pas
+ce que vous voulez dire?&mdash;Non vraiment,
+vous savez bien qu'on ne se
+<span class="pagenum"><a name="Page_224" id="Page_224">224</a></span>
+croit jamais indigne d'une confidence;
+d'ailleurs, votre ami a des
+droits à ma discrétion, et je crois
+déjà lui avoir prouvé qu'il y pouvait
+compter.&mdash;En effet, j'admire
+la vôtre, et je m'accuse même d'avoir
+voulu l'éprouver. Dans la joie qui
+l'enivrait, Anatole m'a confié la promesse
+qu'il a reçue de vous; je n'ai
+douté ni de votre sincérité en la
+donnant, ni de votre résolution d'y
+rester fidèle; mais entre la volonté
+de remplir un v&oelig;u, et la puissance
+de l'accomplir, la distance est fort
+grande, et j'ai été bien aise de me
+convaincre que, pour vous, prendre
+et tenir un engagement était une
+même chose.&mdash;Puisque vous savez
+la parole qui me lie, je ne crains
+<span class="pagenum"><a name="Page_225" id="Page_225">225</a></span>
+pas d'y manquer avec vous. Mais,
+pour concilier ma religion sur ce
+point avec le plaisir de m'entretenir
+d'une personne à laquelle j'ai tant
+d'obligations, convenons d'un point
+qui tranquillisera ma conscience et
+la vôtre. Le motif du mystère qu'il
+exige vous est connu; eh bien! ne
+me répondez jamais sur ce qu'il faut
+que j'ignore; par ce moyen, je vous
+parlerai sans crainte, et je vous
+écouterai sans scrupule.&mdash;Rien ne
+s'oppose à cette condition, et je
+vous promets de l'observer; mais à
+quoi vous mènera-t-elle? Qui sait?
+peut-être aurai-je besoin de vos
+avis.&mdash;Pour l'aimer, interrompit en
+souriant le commandeur; ah! je ne
+donne jamais de conseils dans ces
+<span class="pagenum"><a name="Page_226" id="Page_226">226</a></span>
+grands intérêts. Que voulez-vous
+que fasse la raison où règne la fantaisie?&mdash;Mais,
+qui vous parle d'aimer?
+Ne saurait-on réclamer vos
+conseils que pour une fantaisie? En
+vérité vous découragez la confiance.&mdash;J'ai
+cela de commun avec ceux
+qui la méritent; mais je ne veux pas
+perdre la vôtre pour une mauvaise
+plaisanterie, qu'Anatole ne me pardonnerait
+pas.&mdash;Ah! c'est uniquement
+par égard pour lui que vous
+me ménagez? Je me croyais plus de
+droits à votre complaisance.&mdash;Vous
+en avez sur tous mes sentiments;
+mais je dois l'avouer, les droits d'Anatole
+l'emportent dans mon c&oelig;ur, et
+je ne puis vous cacher que s'il arrivait
+que je fusse obligé de sacrifier
+<span class="pagenum"><a name="Page_227" id="Page_227">227</a></span>
+votre intérêt au sien, je n'hésiterais
+pas.&mdash;Voilà de la bonne foi; et,
+malgré ce que cette déclaration a
+de peu flatteur pour moi, je ne puis
+m'empêcher d'estimer beaucoup celui
+qui vous inspire une telle amitié.
+Je crois vous connaître assez pour
+être sûre que vous ne pouvez aimer
+autant, qu'un homme fort distingué.&mdash;Et
+vous avez raison, reprit le commandeur
+en se levant pour rejoindre
+madame de Réthel, qui l'attendait.</p>
+
+<p>Dans ce moment le chevalier
+d'Émerange vint à passer, et fut
+arrêté par un jeune homme qui lui
+dit: «Ah, mon ami, dites-moi quelle
+est cette belle femme, qui parle tout
+près d'ici à une petite fille aussi fort
+jolie? J'arrive d'Allemagne, où mon
+<span class="pagenum"><a name="Page_228" id="Page_228">228</a></span>
+père m'a laissé impitoyablement pendant
+un an, et je ne connais plus
+une de vos beautés à la mode.» A
+cette exclamation, le chevalier reconnut
+l'effet que produisait ordinairement
+la première vue de madame
+de Saverny. Il la nomma à
+son admirateur, qui s'empressa de
+lui demander s'il ne pourrait pas le
+présenter chez elle.&mdash;Non, certes,
+répondit le chevalier, d'un air qu'il
+s'efforçait de rendre modeste; je suis
+bien loin d'avoir assez d'intimité
+dans sa maison pour oser y présenter
+personne. En disant cela, il
+s'approchait de Valentine, qui venait
+de se lever dans l'intention de
+rejoindre sa voiture; il lui offrit de
+l'y conduire, et n'ayant point de
+<span class="pagenum"><a name="Page_229" id="Page_229">229</a></span>
+bonnes raisons pour le refuser, elle
+fut contrainte de l'accepter. Le regret
+qu'elle en ressentait redoubla,
+lors qu'elle rencontra pour la seconde
+fois Anatole. Le desir d'éviter
+les plaisanteries du chevalier sur
+cette rencontre, lui fit tourner la
+tête de son côté, et lui adresser la
+parole pour fixer son attention, et
+l'empêcher de remarquer Anatole.
+Cette petite ruse réussit. Le chevalier
+enchanté de se montrer à tout Paris,
+presqu'en tête-à-tête avec madame
+de Saverny, et plus heureux encore
+de la bonne grace qu'elle mettait à
+lui parler, n'aperçut point Anatole;
+Valentine aussi s'efforça de ne le pas
+voir, et cependant la pâleur qu'elle
+remarqua sur son visage, vint attrister
+<span class="pagenum"><a name="Page_230" id="Page_230">230</a></span>
+la fin d'une journée qui promettait
+d'assez doux souvenirs.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXI" id="CHAPITRE_XXI"></a>CHAPITRE XXI.</h3>
+
+<p class="p2">A dater de ce jour, madame de
+Saverny perdit de son goût pour la
+retraite, et en prit un très-vif pour
+la promenade et les spectacles; il est
+vrai qu'un hasard assez explicable
+l'y fesait rencontrer souvent Anatole,
+placé presque toujours dans l'endroit
+le plus obscur de la salle, aux
+loges du rez-de-chaussée; il était
+plutôt deviné qu'aperçu par Valentine,
+à qui la moindre lueur suffisait
+pour lire sur les traits d'Anatole tout
+<span class="pagenum"><a name="Page_231" id="Page_231">231</a></span>
+ce qui se passait dans son c&oelig;ur. Une
+certaine retenue l'engageait parfois
+à fuir ses regards; mais alors un
+attrait irrésistible semblait triompher
+de sa volonté, et ses yeux revenaient
+d'eux-mêmes puiser dans
+ceux d'Anatole le feu qui les animait.</p>
+
+<p>Depuis que madame de Nangis
+affectait de s'éloigner de Valentine,
+madame de Réthel s'en rapprochait.
+Une grande conformité de principes
+et de goût rendait chaque jour leur
+liaison plus intime. Le commandeur
+s'en réjouissait, car c'était son ouvrage.
+En effet, révolté de l'abandon
+où madame de Nangis laissait sa
+belle-s&oelig;ur, il avait conçu l'idée d'engager
+sa nièce à la suivre quelquefois
+<span class="pagenum"><a name="Page_232" id="Page_232">232</a></span>
+dans le monde, où la réputation
+d'une jeune femme dépend si souvent
+de celle qui l'accompagne: madame
+de Réthel, flattée de cette préférence,
+se prêtait de bonne grace
+aux desirs que témoignait Valentine,
+et trouvait tout simple qu'ayant été
+élevée à la campagne, elle voulût
+un peu s'amuser des plaisirs de Paris.
+Madame de Nangis voyait naître cette
+intimité avec satisfaction; car elle
+connaissait l'antipathie de M. d'Émerange
+pour madame de Réthel, et
+elle espérait que tous les charmes de
+Valentine ne le détermineraient pas
+à braver le mal-aise qu'il éprouvait
+toujours en présence de madame de
+Réthel. Pendant quelque temps cette
+supposition se trouva juste; mais le
+<span class="pagenum"><a name="Page_233" id="Page_233">233</a></span>
+chevalier se lassa bientôt d'un éloignement
+si contraire à ses projets.
+On le vit redoubler d'assiduités auprès
+de madame de Saverny, en dépit
+de tout ce qu'elle tentait pour
+s'y soustraire. Il imagina un moyen
+de la contraindre à recevoir ses soins,
+en confiant sous le secret, au comte
+de Nangis, le dessein qu'il avait de
+lui demander la main de sa s&oelig;ur,
+aussitôt que la mort d'un vieil oncle
+le rendrait héritier d'un grand titre
+et d'une fortune considérable. M. de
+Nangis savait que les espérances du
+chevalier étaient bien fondées; et
+de plus que cet oncle, attaqué d'une
+maladie grave, ne pouvait prolonger
+long-temps l'impatience de son neveu.
+L'idée de ce mariage enchantait
+<span class="pagenum"><a name="Page_234" id="Page_234">234</a></span>
+la vanité de M. de Nangis, et il ne
+doutait pas que sa s&oelig;ur n'en fût aussi
+flattée que lui; il voyait d'avance dans
+son futur beau-frère, un homme
+dont l'esprit et la fortune obtiendraient
+bientôt le plus grand crédit
+à la cour; et l'on sait qu'aux yeux
+de M. de Nangis, avoir du crédit,
+c'était posséder toutes les qualités
+humaines.</p>
+
+<p>D'après l'effet d'un sentiment délicat,
+que le chevalier sut bien faire
+valoir, il prévint le comte que rien
+ne l'engagerait à se déclarer à madame
+de Saverny, avant l'événement
+qui devait le mettre à portée de lui
+offrir une fortune digne d'elle. Cette
+réserve fut très-approuvée; et M. de
+Nangis promit de récompenser tant
+<span class="pagenum"><a name="Page_235" id="Page_235">235</a></span>
+de délicatesse, en donnant au chevalier
+les occasions les plus fréquentes
+de témoigner à Valentine
+le desir qu'il avait de lui plaire. C'est
+par suite de cette convention que
+M. d'Émerange se fesait conduire
+par le comte, dans tous les lieux où
+il savait rencontrer madame de Saverny,
+et qu'il s'assurait l'accueil
+que l'on ne peut refuser à un ami
+de sa famille. On présume bien que
+le chevalier avait fait promettre avant
+tout à M. de Nangis, de ne point
+mettre la comtesse dans la confidence,
+sous le prétexte assez plausible
+qu'elle n'en saurait pas garder
+le secret à sa belle-s&oelig;ur. Mais l'habitude
+que M. de Nangis avait de
+traiter sa femme à-peu-près comme
+<span class="pagenum"><a name="Page_236" id="Page_236">236</a></span>
+un enfant, rendait la recommandation
+inutile.</p>
+
+<p>Valentine, loin de deviner ce qui se
+passait entre eux, se demandait souvent
+comment la gravité de son frère
+pouvait s'arranger de la conversation
+d'un ami aussi léger; mais elle s'en
+étonnait moins en pensant à l'extrême
+facilité de M. d'Émerange, à
+prendre le ton qui convenait le mieux
+aux gens qu'il avait intérêt de captiver,
+et cette réflexion lui fesait
+craindre de voir cette amitié durer
+beaucoup trop long-temps pour le
+repos de toute sa famille. Le sien en
+fut le premier troublé, car à la suite
+d'une soirée que le chevalier avait
+passée dans la loge de madame de
+Saverny, voici le billet qu'elle reçut:</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_237" id="Page_237">237</a></span>
+<span class="smcap">Anatole a Valentine.</span></p>
+
+<p>«Serait-il possible que l'être le
+plus parfait se fût laissé séduire par
+les agréments frivoles d'un homme
+incapable d'aimer; tant de beauté,
+de qualités célestes, deviendraient
+le partage d'un c&oelig;ur égoïste? et
+celui que le plus pur amour anime,
+n'obtiendrait pas même un souvenir!
+Non, sur ce fait, je n'en
+croirai que vous; s'il est vrai que
+l'insensibilité, l'ironie, enfin toutes
+les vertus d'un fat, aient le don
+de vous plaire, je ne dois plus rien
+adorer au monde, et vous me verrez
+fuir désespéré, comme le malheureux
+dont un profane vient de
+renverser l'idole.»</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_238" id="Page_238">238</a></span>
+Le ton de ce billet offensa Valentine,
+et, sans pitié pour le sentiment
+qu'il exprimait, elle ne vit que l'injustice
+de vouloir dicter des lois sans
+s'exposer à en recevoir.</p>
+
+<p>Puisqu'un obstacle que j'ignore,
+pensa-t-elle, doit me priver éternellement
+du plaisir de le voir, de
+quel droit m'imposerait-il le sacrifice
+des soins qu'un autre peut m'offrir?
+Certes, je n'encourage pas ceux
+du chevalier, et ne cache pas même
+assez à quel point je les redoute;
+mais si des motifs qui me sont personnels
+m'engagent à détruire ses
+espérances, je n'en veux recevoir
+l'ordre de personne. C'est ainsi que
+la fierté de Valentine s'indignait de
+l'empire qu'Anatole se croyait déja
+<span class="pagenum"><a name="Page_239" id="Page_239">239</a></span>
+sur elle. Tant de despotisme lui semblait
+autorisé par la faiblesse qu'elle
+avait eue de recevoir ses lettres après
+l'aveu qu'il avait osé lui faire, elle
+se reprochait même d'avoir répondu
+à la première, et plus encore, de
+s'être laissée tromper par l'apparence
+de cette respectueuse soumission qui
+paraissait devoir la rassurer sur tous
+les sentiments d'Anatole. Cependant
+elle aurait bien voulu accorder les
+intérêts de son c&oelig;ur et ceux de sa
+dignité; mais son imagination chercha
+vainement un moyen d'instruire
+Anatole de l'indifférence que lui
+inspiraient tous les agréments du
+chevalier, sans qu'elle fût obligée
+de se justifier elle-même du tort de
+le trouver aimable.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_240" id="Page_240">240</a></span>
+Une visite du commandeur vint
+très-à-propos la tirer de cet embarras.
+Il s'aperçut bientôt du ressentiment
+qu'elle tâchait de dissimuler, et sans
+en demander la cause, il s'amusa à
+la deviner; il parla d'abord des folies
+de madame de Nangis, comme d'un
+sujet très-propre à donner de l'humeur;
+mais Valentine se mit à excuser
+la comtesse avec tant de douceur et
+d'indulgence, que le commandeur
+se dit: Non, ce n'est pas cela: et il
+passa au chevalier d'Émerange. Valentine
+ne laissa point échapper cette
+occasion de lui avouer combien elle
+était contrariée du bruit qui se répandait
+dans le monde sur son prétendu
+mariage avec le chevalier;
+elle entra dans tous les détails qui
+<span class="pagenum"><a name="Page_241" id="Page_241">241</a></span>
+devaient le mieux convaincre M. de
+Saint-Albert, du peu de succès du
+chevalier auprès d'elle, et comme
+elle en parlait naturellement et sans
+dépit, le commandeur se dit: Ce
+n'est pas encore cela. Après avoir
+tenté aussi inutilement plusieurs autres
+épreuves, il pria Valentine de lui
+montrer ce fameux jasmin dont madame
+de Réthel raffolait, et qu'elle
+prétendait être plus beau que celui
+de la princesse de L...&mdash;Je suis
+charmée qu'il lui plaise autant, répondit
+Valentine, avec un empressement
+extraordinaire, je vais le faire
+porter chez elle. En disant ces mots,
+elle sonna pour en donner l'ordre,
+et mit tant de vivacité dans ce mouvement,
+que le commandeur soupçonna
+<span class="pagenum"><a name="Page_242" id="Page_242">242</a></span>
+qu'il était l'effet d'une résolution
+pénible; il assura que madame
+de Réthel ne consentirait jamais
+à causer tant de chagrin à celui
+qui lui avait offert ce bel arbuste.&mdash;Vraiment,
+reprit Valentine, en
+affectant un air gai que l'inflexion
+de sa voix démentait; en le donnant,
+je ne fais d'injure à personne, car
+j'ignore à qui je le dois.&mdash;Et moi,
+je le sais, répliqua le commandeur;
+et c'est au nom de l'amitié que je
+vous prie de le conserver. Ma nièce
+saura l'aimable intention que vous
+aviez de lui faire ce joli présent; un
+autre l'apprendra peut-être aussi,
+cela doit suffire à votre vengeance.
+En finissant ces mots, M. de Saint-Albert
+quitta madame de Saverny,
+<span class="pagenum"><a name="Page_243" id="Page_243">243</a></span>
+et la laissa confondue de se voir ainsi
+devinée; mais il rit en lui-même du
+succès de sa petite ruse. En se rappelant
+les soins de Valentine à lui
+prouver qu'elle n'aimait point le
+chevalier, son agitation au premier
+mot qu'il lui avait adressé sur un
+sujet relatif à Anatole, et le dépit
+qu'elle avait montré en sacrifiant un
+présent qu'elle croyait tenir de lui,
+il présuma que quelques reproches
+dictés par la jalousie avaient excité
+cette grande colère; et il se dit: Pour
+le coup, c'est cela.</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_244" id="Page_244">244</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_XXII" id="CHAPITRE_XXII"></a>CHAPITRE XXII.</h3>
+
+<p class="p2">On était à la veille du jour de l'an,
+de ce jour où tout se fait par étiquette,
+même une visite à son ami.
+On voyait les boutiques de Paris
+remplies de gens qui, par économie
+ou par avarice, marchandaient avec
+acharnement des objets de fantaisie,
+achetés à regret, pour être quelquefois
+offerts et reçus sans plaisir.
+Chacun se tourmentait pour deviner
+comment il pourrait satisfaire à bon
+marché le caprice d'une parente ou
+d'une amie; après avoir rêvé aussi
+sérieusement à ce grand intérêt, que
+s'il s'agissait de tous ceux de l'Europe,
+<span class="pagenum"><a name="Page_245" id="Page_245">245</a></span>
+le jour solennel arrivait et rien
+n'était décidé; alors on se détermine
+à payer, deux fois sa valeur, la première
+chose venue, pour s'acquitter
+à temps d'un impôt d'autant plus
+exactement perçu, qu'il est mis sur
+l'amour-propre.</p>
+
+<p>Madame de Nangis, placée auprès
+d'une table couverte de bonbons,
+de joujoux, recevait de l'air le plus
+gracieux la foule de courtisans qui
+venaient lui apporter leurs offrandes.
+Le plus ingénieux dans le choix
+de ses étrennes avait l'honneur de
+les voir passer à la ronde, et d'entendre
+toutes les femmes se récrier
+sur son bon goût; l'objet de cette
+admiration n'était souvent que de la
+moindre valeur: car, en ce genre,
+<span class="pagenum"><a name="Page_246" id="Page_246">246</a></span>
+le <i>génie</i> de la nouveauté est tout,
+et l'on remarquait de vieux parents
+fort déconcertés de voir leurs solides
+cadeaux reçus avec indifférence, tandis
+qu'un almanach ou un pantin
+excitait la reconnaissance la plus
+vive. Le comte de Nangis éprouva ce
+désagrément dans toute sa rigueur; il
+avait imaginé de donner à sa femme
+une boîte à ouvrage la plus riche et
+la plus complète; c'était à-peu-près
+le seul bijou qu'elle n'eut pas, et
+le comte était ravi d'en avoir fait la
+découverte; mais madame de Nangis
+l'eut à peine remercié de son
+présent, qu'elle dit à ses amies:&mdash;Que
+vais-je faire de cette boîte à ouvrage,
+moi qui ne travaille jamais!&mdash;Vous
+me la donnerez, dit la petite
+<span class="pagenum"><a name="Page_247" id="Page_247">247</a></span>
+Isaure, qui entrait dans ce moment
+suivie de sa gouvernante anglaise,
+dont l'air capable et sévère annonçait
+quelque chose de solennel. En
+effet, elle réclama quelques instants
+de silence pour qu'Isaure pût faire
+entendre le compliment qu'elle devait
+adresser à sa mère. La pauvre
+enfant, plus tremblante qu'un criminel
+que l'on va juger, se plaça
+au milieu d'un grand cercle, et les
+yeux fixés à terre, elle balbutia quelques
+mots d'anglais qu'elle avait appris
+sans les comprendre, et qui furent
+applaudis sans être entendus.
+On s'extasia sur la facilité des enfants
+à apprendre les langues étrangères;
+et la petite Isaure fut bien récompensée
+de l'effort qu'elle venait de
+<span class="pagenum"><a name="Page_248" id="Page_248">248</a></span>
+faire, en parlant pour la première
+fois en public, par la quantité d'étrennes
+qu'elle reçut de toutes parts.</p>
+
+<p>Celles de sa tante furent les mieux
+accueillies, et l'on doit ajouter à la
+gloire d'Isaure, qu'elle les avait bien
+méritées. On se rappelle qu'elles devaient
+être le prix de sa discrétion.
+Pour l'éprouver davantage, la marquise
+avait commandé au peintre
+qui venait d'achever son portrait, de
+commencer celui d'Isaure. Elle se
+proposait de l'offrir à la comtesse,
+mais, pour que la surprise fût complète,
+il fallait obtenir d'Isaure qu'elle
+en gardât le secret. C'était beaucoup
+pour une petite fille accoutumée à
+raconter tout ce qu'elle voyait ou
+entendait dans la journée. Cependant
+<span class="pagenum"><a name="Page_249" id="Page_249">249</a></span>
+le desir de plaire à sa tante, de
+mériter ce qu'elle lui avait promis,
+et cette petite vanité qui porte les
+enfants de tout âge à chercher les
+moyens de triompher d'une difficulté
+que l'on paraît croire au-dessus de
+leurs forces, donnèrent à Isaure le
+courage de tenir sa parole, elle se
+trouva bien heureuse de ce premier
+avantage remporté sur son caractère,
+quand elle vit la joie de sa mère, en
+reconnaissant les traits de son enfant
+sur les simples tablettes que lui offrait
+Valentine. Crainte, soupçons,
+chagrins, ressentiment, tout disparut
+devant cette douce image; le c&oelig;ur
+ému triompha de l'amour-propre
+égaré; et la comtesse, les yeux remplis
+de larmes, vint se jeter dans les
+<span class="pagenum"><a name="Page_250" id="Page_250">250</a></span>
+bras de sa belle-s&oelig;ur. Elles ne se
+dirent pas un mot; mais l'expression
+de leurs visages ne laissa pas le moindre
+doute sur la sincérité de leur
+réconciliation. Un petit nombre de
+personnes en fut attendri, les autres
+s'en consolèrent, en disant: Cela ne
+durera pas long-temps: et le ciel, qui
+exauce parfois le v&oelig;u des méchants,
+accomplit cette prédiction.</p>
+
+<p>Après avoir vanté la ressemblance
+du portrait d'Isaure, on discuta celle
+du portrait de la marquise; les femmes
+le trouvaient trop flatté, et les
+hommes, beaucoup moins joli qu'elle.
+Le chevalier d'Émerange en paraissait
+plus mécontent qu'un autre; il
+y voyait mille défauts: et le plus
+grand, c'était, disait-il en confidence
+<span class="pagenum"><a name="Page_251" id="Page_251">251</a></span>
+à Valentine, cet air sensible, ce regard
+presque tendre, et ce sourire
+enchanteur que l'artiste a pris sur
+lui de vous donner. Non, ajoutait-il,
+plus je le regarde, et moins je vois
+de rapport entre cette femme et
+vous. Ce visage offre l'image parfaite
+d'une personne qui ne saurait vivre
+sans aimer, et vous savez qu'avec le
+vôtre on se contente de plaire. A
+cette première injure le chevalier
+en ajouta d'autres sur la froideur,
+l'insensibilité de Valentine: il finit
+par conclure que le bonheur d'être
+admirée remplirait tous les instants
+de sa vie, et qu'elle était condamnée
+à ignorer toujours les plaisirs de la
+tendresse. Il prononça cette sentence
+avec l'accent de pitié que l'on prend
+<span class="pagenum"><a name="Page_252" id="Page_252">252</a></span>
+ordinairement en parlant d'une maladie
+incurable, qui ne permet plus
+de rien attendre du malheureux qui
+en est atteint.</p>
+
+<p>Cette manière de la juger déplut
+à Valentine; elle n'avait nulle envie
+de détromper le chevalier, en lui
+témoignant plus d'affection, mais
+elle était blessée de l'idée qu'il n'attribuât
+son indifférence qu'à la sécheresse
+de son c&oelig;ur; et cela, dans
+le moment même où ce c&oelig;ur était
+si douloureusement affecté d'un sentiment
+tendre! Cette réflexion la rendit
+à toutes les pensées tristes dont
+la réconciliation sincère de sa belle-s&oelig;ur
+l'avait distraite un instant. Elle
+en parut absorbée. Le chevalier et
+madame de Réthel le remarquèrent,
+<span class="pagenum"><a name="Page_253" id="Page_253">253</a></span>
+l'un s'en réjouit; l'autre tâcha de
+dissiper la tristesse dont elle ignorait
+la cause. Dans cette espérance,
+madame de Réthel proposa à la marquise
+de profiter de l'heure qui leur
+restait encore avant le souper, pour
+aller voir le ballet nouveau. Mais
+Valentine refusa obstinément. La
+crainte de revoir Anatole sans pouvoir
+lui témoigner le ressentiment
+quelle éprouvait; la crainte, mieux
+fondée encore, de trahir sa faiblesse
+par quelque regard trop indulgent;
+et puis cette petite férocité amoureuse
+qui fait jouir de l'idée que le
+coupable se désole peut-être en
+nous attendant vainement; tout se
+réunit pour décider Valentine à fuir
+Anatole. Elle se promit de ne pas
+<span class="pagenum"><a name="Page_254" id="Page_254">254</a></span>
+répondre à sa dernière lettre, de
+n'en plus recevoir de lui, et de rassembler
+toutes les forces de sa raison
+et de son esprit pour détruire
+l'impression qu'il avait faite sur son
+c&oelig;ur: elle alla jusqu'à s'accuser de
+folie, en pensant qu'elle avait pu se
+flatter un instant de trouver quelque
+bonheur à captiver les sentiments
+d'un homme qui devait lui rester
+éternellement inconnu. Elle se reprocha
+de lui avoir donné le droit de
+la croire une femme légère, et finit
+par le justifier à ses dépens. Que résulta-t-il
+de tant de beaux raisonnements,
+de tant de sages résolutions?
+vous l'avez déja deviné, vous dont
+l'amour a tourmenté ou embelli la
+vie.</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_255" id="Page_255">255</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_XXIII" id="CHAPITRE_XXIII"></a>CHAPITRE XXIII.</h3>
+
+<p class="p2">Valentine ne pouvant surmonter
+la tristesse qui l'accablait, prit le
+parti de se retirer d'assez bonne
+heure, malgré les instances que firent
+le commandeur et sa nièce pour
+l'engager à entendre deux scènes
+d'une tragédie nouvelle que l'auteur
+avait promis de lire après souper.
+Mais, pour être digne d'une semblable
+confidence, il faut avoir l'esprit
+libre et paraître tout occupé de
+ce grand intérêt. En pareil cas, la
+moindre distraction est un crime; et
+la marquise se méfiait trop de son
+<span class="pagenum"><a name="Page_256" id="Page_256">256</a></span>
+attention pour s'exposer au ressentiment
+d'un auteur tragique.</p>
+
+<p>Elle venait de rentrer dans son
+appartement, et mademoiselle Cécile
+commençait déja à la déshabiller,
+lorsqu'un joli petit chien, de
+race anglaise, vint sauter après elle,
+et lui faire mille caresses. Elle demanda
+comment il se trouvait là.
+Mademoiselle Cécile répondit d'un
+air fort naturel, qu'ayant entendu
+aboyer près de la petite porte du
+jardin, la curiosité l'y avait conduite.
+«C'est-là, ajouta-t-elle, que j'ai trouvé
+ce joli chien, qui a probablement
+perdu son maître en entrant
+dans le jardin, pendant que le jardinier
+en avait laissé la porte ouverte.
+J'ai d'abord regardé dans la rue si
+<span class="pagenum"><a name="Page_257" id="Page_257">257</a></span>
+quelqu'un le cherchait; mais n'ayant
+vu personne, et la nuit commençant
+à venir, je n'ai pas voulu exposer un
+si joli petit animal à être volé par
+quelques passants qui le maltraiteraient
+peut-être. J'ai pensé que madame
+voudrait bien le garder jusqu'au
+moment où son maître le réclamerait».&mdash;La
+marquise approuva
+l'action charitable de mademoiselle
+Cécile, et témoigna le desir de garder
+le chien, qu'elle trouvait charmant,
+et qui semblait déja s'attacher à elle.
+Mais sa conscience ne lui permettait
+pas de se l'approprier avant d'avoir
+fait toutes les démarches qui devaient
+le rendre à son véritable maître.
+Un collier d'or qu'elle aperçut à
+son cou lui parut devoir être un
+<span class="pagenum"><a name="Page_258" id="Page_258">258</a></span>
+indice certain pour apprendre à qui
+il appartenait; elle dit à mademoiselle
+Cécile d'approcher un flambeau,
+et prenant le chien sur ses
+genoux: Je ne me trompe point, dit-elle,
+il y a quelque chose de gravé
+sur son collier, c'est sûrement l'adresse
+de son maître.&mdash;Je ne le crois
+pas, reprit mademoiselle Cécile, en
+s'efforçant de cacher un sourire malin.&mdash;Cependant
+voici bien.... Ici
+la marquise se tut... et la plus vive
+surprise éclata dans ses yeux. Mademoiselle
+Cécile n'eut pas l'air d'y
+faire attention, et se contenta de
+dire: «Puisque le collier ne dit rien,
+nous pouvons garder le chien sans
+scrupule.» Cette réflexion tira Valentine
+de la rêverie où elle était
+<span class="pagenum"><a name="Page_259" id="Page_259">259</a></span>
+tombée. Elle se leva pour achever de
+se déshabiller; et lorsque mademoiselle
+Cécile voulut emmener le chien
+avec elle, la marquise lui donna
+l'ordre de le laisser coucher sur un
+des coussins de son cabinet.</p>
+
+<p>On veut savoir quels sont les caractères
+magiques qui ont causé l'étonnement
+de Valentine et la douce
+émotion qui lui avait succédé. On
+s'attend peut-être à quelques-unes
+de ces devises ingénieuses qui sont
+les talismans ordinaires de l'amour,
+ou bien à ces emblèmes de fidélité
+qu'on ne manque jamais de trouver
+sur le collier du chien d'une coquette;
+mais rien d'aussi spirituel
+n'avait frappé les yeux de Valentine;
+et ce simple mot <i>pardon</i>, avait causé
+<span class="pagenum"><a name="Page_260" id="Page_260">260</a></span>
+tout le trouble de son ame. Que de
+choses ce mot disait à Valentine!
+Pouvait-elle méconnaître la main qui
+l'avait tracé, et ne pas deviner que
+la crainte de voir renvoyer sa lettre
+n'eût engagé le coupable à se servir
+d'un autre interprète! Ce seul mot
+lui apprenait que le commandeur
+l'avait trahie, que son ressentiment
+était connu, et qu'on voulait l'appaiser.
+En fallait-il davantage pour
+livrer son c&oelig;ur aux plus douces conjectures?</p>
+
+<p>Dès ce moment <i>Love</i> devint le
+favori de Valentine et le meilleur
+ami d'Isaure, qui s'étonna beaucoup
+de lui voir caresser M. de Saint-Albert
+la première fois qu'il vint chez
+sa tante, comme s'il avait revu une
+<span class="pagenum"><a name="Page_261" id="Page_261">261</a></span>
+ancienne connaissance. Ce nom de
+<i>Love</i> avait remplacé le mot gravé sur
+le collier, et semblait y répondre.
+Cependant Valentine persistait dans
+la résolution de laisser ignorer sa
+clémence; elle craignait qu'un premier
+tort aussi facilement pardonné
+ne fût suivi d'un tort moins excusable,
+et quelque chose l'avertissait
+que, sa faiblesse une fois connue, elle
+perdrait pour toujours son indépendance.
+Ce raisonnement soutint quelque
+temps son courage; mais il succomba
+bientôt à l'ennui d'une existence
+que rien n'animait plus à ses
+yeux. Le plus grand des inconvénients
+de l'amour n'est pas dans les
+peines qu'il cause, mais dans l'habitude
+de ces mêmes agitations dont
+<span class="pagenum"><a name="Page_262" id="Page_262">262</a></span>
+le c&oelig;ur ne peut plus se passer. Ces
+longues journées, passées sans l'espérance
+de recevoir une lettre ou de
+rencontrer un regard d'Anatole, paraissaient
+à Valentine une éternité
+à franchir. Elle essayait en vain d'accélérer
+les heures, en les consacrant
+aux occupations qui l'amusaient autrefois;
+une distraction vague, une
+tristesse sans objet, la rendaient incapable
+d'aucune application. Elle
+s'étonnait de voir tant de gens s'agiter
+pour des intérêts médiocres,
+quand les plus importants n'excitaient
+que son indifférence; enfin,
+son ame était livrée à cette morne
+langueur qui succède aux agitations
+de l'amour, et qui les fait regretter.
+Dans cet état pénible, on voit souvent
+<span class="pagenum"><a name="Page_263" id="Page_263">263</a></span>
+la femme la plus sage desirer
+d'en sortir, même au prix d'un malheur;
+et l'on peut mettre les fautes
+qui en résultent au nombre de celles
+que le besoin de vivre fait commettre.</p>
+
+<p>Un matin que Valentine ne se
+trouvait point disposée à recevoir
+des visites, elle forma le projet de
+mener Isaure à l'abbaye de Saint-Denis,
+qu'elle n'avait jamais vue.
+Isaure crut que c'était pour la récompenser
+de son application à apprendre
+l'histoire de France, et elle
+se promit d'étonner sa tante par
+son érudition. Alors il se fit dans
+sa petite tête un bouleversement
+de noms et de dates que le plus
+savant n'aurait pu démêler. Comme
+<span class="pagenum"><a name="Page_264" id="Page_264">264</a></span>
+on ne lui avait pas demandé le secret
+sur cette visite, elle alla dire
+à toute la maison combien elle se
+réjouissait de passer la matinée à
+voir des tombeaux; et c'est en sautant
+de joie, qu'elle monta dans la
+voiture qui devait la conduire à cet
+asyle de la mort.</p>
+
+<p>L'aspect d'un lieu aussi imposant
+modéra bientôt cette vive gaîté, qui
+fit place au respect religieux qu'imprime
+à tous les âges la vue d'un
+temple révéré. Le silence, habitant
+de ces voûtes gothiques, semble inviter
+l'enfant qui les parcourt, comme
+le vieillard qui vient y prier, à n'en
+point troubler le repos. Une sainte
+terreur s'empara de l'ame de Valentine,
+lorsqu'elle se vit, pour ainsi
+<span class="pagenum"><a name="Page_265" id="Page_265">265</a></span>
+dire, seule entre ces trois puissances,
+la divinité, les grandeurs, et la
+mort. C'est donc ici, pensa-t-elle,
+que viennent se briser les sceptres
+de nos rois! Celui dont l'ambition
+ensanglanta la terre repose à côté
+du héros qui mourut pour son pays,
+et le même caveau renferme l'auteur
+de la Saint-Barthelemi, et la victime
+du fanatisme. Ici pour le crime et
+pour la vertu les honneurs sont
+égaux; le rang seul les assigne; mais
+toute la pompe des monuments élevés
+à la tyrannie ne diffère pas de
+l'horreur qu'inspire le souvenir de
+ses cruautés. On s'éloigne en frémissant
+du superbe tombeau de Catherine
+de Médicis, pour venir tomber
+aux pieds de celui de Henri IV, et
+<span class="pagenum"><a name="Page_266" id="Page_266">266</a></span>
+l'arroser des larmes du regret et de
+la reconnaissance.</p>
+
+<p>Le suisse de l'abbaye vint interrompre
+les méditations de Valentine,
+en lui débitant du ton le plus emphatique
+et le plus monotone, les
+noms et les titres des princes qui
+étaient inhumés dans les différentes
+chapelles. Après lui avoir fait passer
+en revue les tombeaux de nos Rois,
+depuis la première jusqu'à la dernière race,
+il la conduisit dans la
+chapelle particulière où se trouvait
+le beau mausolée de cet infortuné
+duc d'Orléans, assassiné par le duc
+de Bourgogne, et si vivement regretté
+par cette femme adorable dont
+il avait souvent trahi l'amour. En
+considérant les traits nobles et doux
+<span class="pagenum"><a name="Page_267" id="Page_267">267</a></span>
+d'une statue en marbre, aux pieds
+de laquelle on voyait un arrosoir
+penché et versant de l'eau en forme
+de larmes, la marquise reconnut bientôt
+l'intéressant auteur de cette devise:
+«<i>Rien ne m'est plus; plus ne
+m'est rien.</i>» Émue par le souvenir des
+malheurs de Valentine de Milan, elle
+ne put supporter l'idée d'en entendre
+le récit de la bouche de l'homme
+qui l'accompagnait, et elle se mit à
+raconter elle-même à sa nièce, comment
+cette vertueuse princesse avait
+succombé à la douleur de n'avoir pu
+venger la mort de son époux. Isaure
+demanda alors ingénuement, si elle
+n'aurait pas mieux fait de pardonner.&mdash;En
+effet, reprit la marquise, c'eût
+été plus digne d'elle et plus heureux
+<span class="pagenum"><a name="Page_268" id="Page_268">268</a></span>
+pour ses enfants, qui l'auraient peut-être
+perdue moins jeune; car le
+plaisir de faire grace doit faire vivre
+plus long-temps que celui de se
+venger; mais on n'a pas le droit de
+lui reprocher un tort qui lui coûta
+la vie, et que tant de bonnes actions
+rachetèrent.</p>
+
+<p>En cet instant, le démonstrateur
+un peu piqué de voir madame de Saverny
+empiéter sur ses droits, se retira
+vers la grille de la chapelle; et la
+marquise profita de ce moment de
+liberté pour examiner à son aise le
+monument érigé à la mémoire des
+vertus et du malheur. On ne peut
+réfléchir sur la destinée d'un être
+innocent et constamment malheureux,
+sans éprouver le besoin d'espérer
+<span class="pagenum"><a name="Page_269" id="Page_269">269</a></span>
+en cette justice céleste, qui
+doit un jour tout punir et tout récompenser.
+De cette consolante idée,
+découlent tous les sentiments religieux,
+et cette noble résignation
+de l'ame qui fait regarder les tourments
+de la vie comme autant de
+gages d'une éternelle félicité. L'aspect
+d'une victime de l'amour et du
+sort ranima ces pensées dans l'esprit
+de Valentine; animée d'une piété
+touchante, elle se prosterna sur les
+marches d'un autel qui se trouvait
+en face du tombeau, et là, pénétrée
+d'un saint respect, elle pria le Ciel
+de lui épargner les tourments d'un
+amour malheureux, ou de lui inspirer
+la vertu qui les surmonte.</p>
+
+<p>En implorant la bonté divine sur
+<span class="pagenum"><a name="Page_270" id="Page_270">270</a></span>
+sa destinée, Valentine éprouva l'attendrissement
+qui naît du souvenir
+de ses peines, et de l'espérance de
+les voir calmées. Son visage, embelli
+par la prière, se couvrit de douces
+larmes. Elle voulut les cacher à
+Isaure, et se servit, pour les essuyer,
+d'un voile de mousseline qui flottait
+sur ses épaules; puis se retournant,
+elle aperçut Isaure, agenouillée à
+ses côtés, et redisant sa prière du
+matin; ne voulant pas la troubler
+dans cet acte de piété, la marquise
+ne fit aucun mouvement, et fixa
+seulement les yeux sur le piédestal
+qui supportait la statue de Valentine
+de Milan. Mais elle crut s'abuser,
+lorsqu'elle vit au bas de la devise
+incrustée dans le marbre, ces mots
+<span class="pagenum"><a name="Page_271" id="Page_271">271</a></span>
+tracés au crayon: «<i>Elle aussi n'a
+jamais pardonné.</i>» Persuadée qu'elle
+était frappée d'une vision, Valentine
+se lève brusquement pour s'en convaincre;
+ce mouvement précipité
+fait tomber son voile; une main
+s'avance pour le ramasser, et c'est
+à travers les colonnes et les ornements
+gothiques du monument funèbre,
+que Valentine aperçoit Anatole.
+Il serre sur son c&oelig;ur le voile
+encore humide des larmes qu'elle
+vient de verser en pensant à lui.
+L'expression de son visage, son
+attitude suppliante, semblent la conjurer
+de lui laisser ce gage de réconciliation;
+et Valentine, succombant
+à son émotion, n'ose ni l'accorder
+ni le reprendre. Son silence
+<span class="pagenum"><a name="Page_272" id="Page_272">272</a></span>
+paraît un consentement à Anatole.
+La joie et la reconnaissance brillent
+dans ses yeux. Il porte le voile à ses
+lèvres, et disparaît.</p>
+
+<p>L'espace d'un moment suffit à
+tant de sensations différentes; et
+Valentine était seule, lorsqu'Isaure
+vint la rejoindre, après avoir achevé
+sa prière. Elles sortirent toutes deux
+à pas lents de ce lieu solennel, qui
+devait leur laisser de profonds souvenirs.
+Isaure en revint, l'esprit
+frappé de cette impression que reçoit
+l'enfance à la première vue des
+tombeaux, et Valentine en rapporta
+ce recueillement céleste, ce bonheur
+de vivre, que peuvent seuls inspirer
+la religion et l'amour.</p>
+
+<p class="p2 center"><small><b>FIN DU PREMIER VOLUME.</b></small></p>
+
+<hr class="c5" />
+
+<h3 class="p4">TABLE DES CHAPITRES</h3>
+
+<p class="left35 p2"><a href="#CHAPITRE_PREMIER">Chapitre PREMIER</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_II">Chapitre II</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_III">Chapitre III</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_IV">Chapitre IV</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_V">Chapitre V</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_VI">Chapitre VI</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_VII">Chapitre VII</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_VIII">Chapitre VIII</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_IX">Chapitre IX</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_X">Chapitre X</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XI">Chapitre XI</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XII">Chapitre XII</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XIII">Chapitre XIII</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XIV">Chapitre XIV</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XV">Chapitre XV</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XVI">Chapitre XVI</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XVII">Chapitre XVII</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XVIII">Chapitre XVIII</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XIX">Chapitre XIX</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XX">Chapitre XX</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXI">Chapitre XXI</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXII">Chapitre XXII</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXIII">Chapitre XXIII</a></p>
+
+<hr class="c5" />
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Anatole, Vol. 1 (of 2), by Sophie Gay
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ANATOLE, VOL. 1 (OF 2) ***
+
+***** This file should be named 35064-h.htm or 35064-h.zip *****
+This and all associated files of various formats will be found in:
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+Produced by Hélène de Mink and the Online Distributed
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+http://gallica.bnf.fr)
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+(and you!) can copy and distribute it in the United States without
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+set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to
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+Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you
+charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you
+do not charge anything for copies of this eBook, complying with the
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+such as creation of derivative works, reports, performances and
+research. They may be modified and printed and given away--you may do
+practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is
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+
+
+
+*** START: FULL LICENSE ***
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+PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK
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+electronic works
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+If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project
+Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the
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+
+1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be
+used on or associated in any way with an electronic work by people who
+agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few
+things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
+even without complying with the full terms of this agreement. See
+paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
+
+1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
+collection are in the public domain in the United States. If an
+individual work is in the public domain in the United States and you are
+located in the United States, we do not claim a right to prevent you from
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+works based on the work as long as all references to Project Gutenberg
+are removed. Of course, we hope that you will support the Project
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+through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the
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+1.E.9.
+
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+
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+"Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version
+posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org),
+you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a
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+request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other
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+
+1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
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+
+1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing
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+that
+
+- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
+ the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
+ you already use to calculate your applicable taxes. The fee is
+ owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he
+ has agreed to donate royalties under this paragraph to the
+ Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments
+ must be paid within 60 days following each date on which you
+ prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax
+ returns. Royalty payments should be clearly marked as such and
+ sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the
+ address specified in Section 4, "Information about donations to
+ the Project Gutenberg Literary Archive Foundation."
+
+- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
+ you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
+ does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
+ License. You must require such a user to return or
+ destroy all copies of the works possessed in a physical medium
+ and discontinue all use of and all access to other copies of
+ Project Gutenberg-tm works.
+
+- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any
+ money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
+ electronic work is discovered and reported to you within 90 days
+ of receipt of the work.
+
+- You comply with all other terms of this agreement for free
+ distribution of Project Gutenberg-tm works.
+
+1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm
+electronic work or group of works on different terms than are set
+forth in this agreement, you must obtain permission in writing from
+both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael
+Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the
+Foundation as set forth in Section 3 below.
+
+1.F.
+
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+receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy
+is also defective, you may demand a refund in writing without further
+opportunities to fix the problem.
+
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+WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
+WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
+
+1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
+warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
+If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
+law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
+interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
+the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any
+provision of this agreement shall not void the remaining provisions.
+
+1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
+trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
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+with this agreement, and any volunteers associated with the production,
+promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
+harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
+that arise directly or indirectly from any of the following which you do
+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ http://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
+
+
+</pre>
+
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