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| author | Roger Frank <rfrank@pglaf.org> | 2025-10-14 20:03:06 -0700 |
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diff --git a/old/35124-0.txt b/old/35124-0.txt new file mode 100644 index 0000000..7acb1ca --- /dev/null +++ b/old/35124-0.txt @@ -0,0 +1,4156 @@ +The Project Gutenberg EBook of James Ensor, by Emile Verhaeren + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: James Ensor + +Author: Emile Verhaeren + +Release Date: January 31, 2011 [EBook #35124] + +Language: French + +Character set encoding: UTF-8 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK JAMES ENSOR *** + + + + +Produced by Christine Bell & Marc D'Hooghe at +http;//www.freeliterature.org + + + + + +JAMES ENSOR + +PAR + +EMILE VERHAEREN + + +COLLECTION DES ARTISTES BELGES CONTEMPORAINS + + +BRUXELLES + +LIBRAIRIE NATIONALE D'ART & D'HISTOIRE + +G. VAN OEST & CIE + +1908 + + + * * * * * + +[Illustration: Portrait de James Ensor en 1875.] + +[Illustration: La Femme au Balai--1880.] + + + + +I. + +LE MILIEU + + +Souvent, des vagues venant du côté de l'Angleterre s'engouffrent +nombreuses et larges dans le port d'Ostende. Et les idées et les +coutumes suivent ce mouvement marin. + +La ville est mi-anglaise: enseignes de magasins et de bars, proues +hautaines des chalutiers, casquettes d'agents et d'employés y font +briller au soleil, en lettres d'or, des syllabes britaniques; la langue +y fourmille de mots anglo-saxons; les gens des quais y comprennent le +patois de Douvres et de Folkstone; des familles londoniennes s'y sont +établies jadis, y ont fait souche et marié leurs filles et leurs fils +non pas entre eux mais aux fils ou aux filles de la West-Flandre. Le +service quotidien des malles voyageuses resserre tous ces liens divers, +comme autant de cordes tordues en un seul cable, si bien qu'on peut +comparer la grande île à quelqu'énorme vaisseau maintenu en pleine mer, +grâce à des ancres solides dont l'une serait fixée dans le sol même de +notre côte. + +Cette influence d'outre-mer qui imprègne le milieu où il naquit +suffirait certes à expliquer l'art spécial de James Ensor. Toutefois +elle se précise encore si l'on note que l'ascendance paternelle de +l'artiste est purement anglaise. Le nom qu'il porte n'est point flamand. +C'est à Londres, qu'il se multiplie aux devantures. Je le vis flamboyer, +un soir, dans Soho-square et plus loin il se projetait--réclame +mouvante--sur un trottoir d'Oxford street. + +L'Å“uvre que nous étudierons et exalterons s'élève donc au confluent de +deux races--races saxonne, race flamande ou hollandaise--harmonieusement +mêlées dans le sang et dans l'âme d'un très beau peintre. + +L'erreur serait grande si l'on se figurait qu'à cause de ses origines +britaniques, Ensor se soit complu à réapprendre comme certains peintres +modernes l'art des Reynolds ou des Gainsborough ou se soit assimilé +n'importe quelle méthode des préraphaelites illustres. L'anglomanie qui +s'est glissée jusque dans l'esthétique l'a épargné. Ce n'est point par +des qualités extérieures et souvent artificielles qu'il se rattache aux +maîtres de là là -bas, mais bien, naturellement, par certains dons +fonciers et rares. Il est de leur famille, sans le vouloir. Il est +audacieux et harmonieux comme Turner, sans qu'il s'y applique, sans +qu'il s'en doute. Il aime les effets tumultueux et larges de Constable +sans qu'aucune de ses toiles fasse songer aux paysages célèbres de ce +grand peintre. La parenté est souterraine et comme secrète. Elle se +manifeste dans la manière de comprendre et d'aimer la nature, dans la +sensibilité aiguë de l'Å“il dans la franchise et l'audace des +conceptions, dans la pratique du dessin pictural, dans la délicatesse +mêlée à la force, dans la plaisanterie unie à la brutalité. Dès que +cette dernière caractéristique est atteinte, James Ensor rejoint non +plus Constable ni Turner, mais Gillray et Rowlanson plus encore que +Jérôme Bosch ou Pierre Breughel. + +[Illustration: Le Christ veillé par les anges (1886).] + +Encore que l'influence anglaise agisse avant toute autre sur elle, c'est +toute l'Europe et l'Amérique qui transforment pendant l'été, quand la +saison balnéaire s'inaugure, Ostende. Les jeux et les fêtes l'exaltent +tout à coup. Les femmes du quartier Marbeuf envahissent sa digue. Le +monde qui l'hiver se groupe à Monte-Carle, à Menton, à Biarritz s'y +concentre. Des nuits de lourde et chaude volupté s'y passent à la lueur +de flambeaux. La chair s'y mire et s'y pavane aux miroirs de cabarets +fastueux. Et la folie des villes frémissantes et trépidantes brûle +soudain ce coin de Flandre calme et foncièrement sain et propage sa +fièvre nocturne et flamboyante tout au long de la mer. + +Magasins de Paris, boutiques de Vienne, comptoirs chargés de coraux de +Naples et de Sicile, brasseries de Dortmund et de Munich, caves remplies +de vins de Portugal et d'Espagne vous installez votre barriolage de +goûts et de couleurs devant les mille désirs populaires ou mondains, +devant les appétits vulgaires ou rares, devant les convoitises baroques +ou distinguées. La flânerie des promeneurs s'en va, à droite, vers le +port, à gauche, vers le champ de courses, en partant de la rampe de +Flandre où James Ensor habite. A cette large voie se relie en outre +toute la ville basse avec ses rues étroites, les unes venant de la +grand' place, les autres du théâtre, celle-ci de la gare et celle-là du +marché. Le carillon n'est pas loin: on l'entend tricoter sa musique +menue, le soir, ou bien, aux midis de réjouissances, ruer de toutes ses +notes et s'emporter vers quelque hymne national. + +La foule et ses remous passe donc à toute heure du jour devant les +fenêtres du peintre: foule élégante ou hautaine, foule grotesque ou +brutale, cortèges de la mi-carême, processions de la fête-Dieu, fanfares +rétentissantes des villages, sociétés chorales des villes voisines, +cris, tumultes, vacarmes. + +Et ces flux et ces reflux de gestes et de pas aboutissent tous là -bas, à +cette féerie de verre et d'émail qu'est le Kursaal d'Ostende. + +Avec ses dômes et ses pignons et ses rosaces et ses lanternes, avec ses +ors élancés et ses bronzes trapus, avec ses festons de gaz et ses +couronnes de feux, il apparaît, toutes portes et fenêtres ouvertes, +comme un tabernacle de plaisirs éclatants et sonores. Un orchestre +savant y fait naître, chaque jour, des floraisons de musique; des voix +illustres s'y font entendre--orateurs ou conférenciers--et des virtuoses +dont le nom émeut les mille échos y jettent vers l'applaudissement en +tonnerre des foules, les phrases les plus belles des maîtres célèbres. +Toutes les langues s'y parlent. Joueurs, financiers, gens de course, +gens de bourse, princes et princesses, dames du monde et courtisanes, +tout s'y coudoie ou s'y toise; s'y méprise ou s'y confond. + +Le soir, quand les verrières du monument flamboient face à face avec la +nuit et l'océan, on peut croire que le bal y tournoie en un décor +d'incendie. Du fond de la mer s'aperçoivent les hautes coupoles +illuminées et le phare dont la lueur troue les lieues et les lieues +semble ne lancer si loin son cri de lumière que pour héler vers la joie +le cÅ“ur battant de ceux qui traversent l'espace. + +Ainsi pendant l'été tout entier Ostende s'affirme la plus belle +peut-être de ces capitales momentanées du vice qui se pare et du luxe +qui s'ennuie. Et ce n'est pas en vain que chaque année James Ensor dont +l'art se plaît à moraliser cyniquement, assiste à cette ruée vers le +plaisir et vers la ripaille, vers la chair et vers l'or. + + * * * * * + +La chambre où il travaille ouvre, là haut, au quatrième d'une maison +banale, son unique et peu large fenêtre. De tous les peintres modernes +Ensor est le seul qui jamais ne se soit mis en quête d'un atelier. Lui +le chercheur de lumière il campe ses toiles en un jour médiocre tombant +non pas d'une verrière mais à travers les pauvres carreaux d'une baie +verticale et parcimonieuse de clarté. Pourtant que de pages +merveilleuses s'y élaborent et que de tons admirablement harmonisés y +juxtaposent leurs musiques inentendues! + +Celui qui surprend Ensor, la haut, dans son travail, le voit surgir d'un +emmêlement d'objets disparates: masques, loques, branches flétries, +coquilles, tasses, pots, tapis usés, livres gisant à terre, estampes +empilées sur des chaises, cadres vides appuyés contre des meubles et +l'inévitable tête de mort regardant tout cela, avec les deux trous vides +de ses yeux absents. Une poussière amie recouvre et protège ces mille +objets baroques contre le geste brusque et intempestif des visiteurs. +Ils sont là chez eux pour que seul le peintre leur insuffle la vie, +les interroge les fasse parler et les introduise dans l'art grâce à la +sympathie qu'il leur voue et l'éloquence secrète qu'il découvre en leur +silence. + +[Illustration: Le Chou--1880. (Collection Ernest Rousseau)] + +Il est opportun de se figurer James Ensor en tête à tête quotidien et +prolongé avec ces effigies en carton et en plâtre, avec ces débris +d'existance et de splendeur, avec ces défroques ternes ou violentes pour +comprendre quelques-unes des surprises de son caractère et quelques +traits profonds et spéciaux de son art. Il est certain que pour lui, à +telles heures d'illusion souveraine, un tel assemblage de visages, +d'attitudes, d'ironies ou de détresses a dû représenter la vie. Elle lui +est apparue mauvaise, déplorable, hostile. Elle lui a enseigné la +misanthropie que seuls corrigent la farce, le rire et le sarcasme. + +L'existence d'Ensor entouré d'un tel décor familier ne manque pas de +paraître énigmatique et bizarre et je ne crois pas qu'il lui répugne de +maintenir autour de lui ces apparences. Ses paroles qui souvent +déconcertent, ses saillies drôles, ses rires soudains et furtifs, sa +voix sourde, sa marche lente et l'éternel parapluie qui toujours +l'accompagne comme s'il se défiait du plus fidèle et du plus loyal +soleil confirment l'étrange impression qu'il produit volontairement ou +ingénûment, qu'importe. + +Personne que je sache ne met moins de mise en scène dans l'accueil. Les +Å“vres qu'il montre ne toisent pas le visiteur du haut d'un chevalet +comme pour lui imposer leur présence autoritaire. Ses toiles ne sont pas +même tendues. Elles gisent roulées les unes sur les autres, en des coins +obscurs. Elles apparaissent à la lumière ployées et gondolées et c'est +avec peine qu'on leur trouve une zône de clarté propice afin qu'elles +s'y étalent sans trop se nuire entre elles. Aucun commentaire +n'accompagne leur présentation. Seul un rire menu, quand le sujet étonne +et froisse quelque goût trop puritain. Et les Å“vres succédent aux Å“uvres +et quand tout est montré, toujours, soit au fond d'un coffre, soit au +fond pièce voisine se découvre une merveille oubliée dont la crasse +voile la fraîcheur et la beauté. Un coup d'éponge donné à la hâte +réveille la splendeur endormie. + +On dégringole l'écalier raide et tournant et l'on quitterait, la poignée +de main échangée, la maison du peintre, sans plus, si le magasin du +rez-de-chaussée, avec ses larges vitrines encombrées de bibelots ne +retenait, un instant encore, l'attention. C'est que là , parmi les +coquillages et les nacres, les vases de la Chine et les laques du Japon, +les plumes versicolores et les écrans barriolés, l'imagination visuelle +du peintre se complait à composer ses plus rares et ses plus amples +symphonies de couleurs. Oh les notes à la fois tendres et fortes, à la +fois subtiles et brutales, à la fois sobres et éclatantes qu'il sût +faire vibrer en prenant comme prétexte quelque pauvre bibelot d'orient +que la mode banalisa! Et la coquille ourlée dont le bourgeois morose +ornera sa cheminée en marbre peint deviendra grâce à la magie, grâce à +l'hermétisme de l'artiste, ce miracle de couleur triomphante dont +s'éblouiront les salles les plus belles des musées modernes. + + * * * * * + +[Illustration: Gamin--1880. (Collection Edgar Picard)] + +Ensor se plaît parmi ces mille riens exotiques parmi ces dépouilles +luisantes ou vitreuses de la mer. Lui même s'intéresse parfois au trafic +qu'en font et sa mère et sa tante, marchandes tenaces et expérimentées. +Souvent le soir, la causerie rassemble autour des comptoirs la famille +entière. La sÅ“ur du peintre et sa nièce qu'il affectionne vivement sont +là . Et l'on parle d'Ostende, non pas de l'Ostende ruée aux fêtes et aux +plaisirs de l'été, mais de l'Ostende automnale qui se plaît dans la +déréliction et le silence. Ensor adore celle-ci avec ses rues étroites, +ses places humbles et désertes, ses petites boutiques vieillottes au +fond des quartiers populaires et ses propres et luisants estaminets où +l'odeur de la bière se mêle à des relents de poisson sec et de crevettes +humides. C'est là qu'il dessina maint pêcheur à vareuse bleue, à boucles +d'oreilles étroites, à pantoufles multicolores. C'est là qu'il rencontra +et qu'il interpréta en des croquis larges et vivants, les vieilles +femmes à mantelets, avec de lourds et noirs capuchons de drap recouvrant +leur intact et fragile bonnet blanc. + +La vie du port est la seule vie d'Ostende, l'hiver. Elle ne pénètre +point la ville; elle n'anime que ses confins. C'est une vie en bordure. +Oh les câbles et les amarres au long des quais, les voiles rousses et +brunes dans le brouillard gris, les proues sculptées des vieux navires +s'apercevant du fond d'une ruelle et les mouettes blanches, entrant dans +les bassins et volant, dirait-on, à travers les entrecroisements +dédaliens des haubans et des vergues! Et les petites boutiques, en plein +vent, à l'angle des ponts et les plies et les limandes qui sèchent dans +le courant d'air des fenêtres et la marmaille grouillante parmi les +écailles de moules versées en tas, sur le trottoir! O cette vie comme +goudronnée au contact des bateaux, des cordes et des voiles; cette vie +tranquille, têtue et dangereuse qui fait les races calmes ou violentes +comme ces mers du Nord dont elles vivent depuis mille ans. Elle n'a +qu'un sursaut, en Février, aux temps du carnaval. Et combien +mélancolique et brutal! Et combien morne et quelquefois sanglant! + +Ensor a traduit cette liesse en des Å“uvres quasi sinistres et qui +étonnent et qui font peur. Le pittoresque de l'accoutrement, l'usure de +la défroque, la drôlerie muette de masque, l'ennui qui semble suinter +des murs tout se ligue pour provoquer une impression sombre avec des +éléments soi-disant gais. + +Je me souviens d'un Mardi gras passé à Nieuport, jadis, avec des amis. +Jamais je ne compris mieux la folie et la tristesse des masques d'Ensor. + +Des groupes ivres battaient les rues. En des salles de danse, à moitié +désertes, avec de pauvres musiciens grelottant de froid dans un coin, la +valse fouettait deux ou trois couples tournoyants et muets, avec les +lanières usées de sa musique banale et sifflante. Un ivrogne, orné d'un +faux nez violet, titubait près du comptoir et sa commerre dépoitraillée +et gisante contre une cloison, mordait, machinalement, les crins de sa +perruque descendue sur ces yeux. Un bout de bas blanc passait à travers +les trous de son soulier. Un hoquet lourd et profond lui sécouait, de +temps en temps, le ventre. Et l'ivrogne riait et pleurait tour à tour +devant elle. + +Lorsque James Ensor se plaisait à traduire par le pinceau de telles +scènes grotesques et lamentables, il était le compagnon falot qu'Eugène +Demolder, assignait, sous le déguisement de Fridolin, au grand Saint +Nicolas. James Ensor donnait la réplique, dans le livre du poète +d'Yperdamme, au joyeux et doux patron des petits enfants de la +West-Flandre. Il jouait, en ce temps là , de la flûte et se promenait, +avec deux carlins boulus, renfrognés et fidèles. + +[Illustration: Croquis.] + +L'effigie qu'Henri de Groux vient de nous donner de James Ensor nous le +représente robuste et presque gras. Les cheveux grisonnent, le teint +s'enlumine, l'allure est massive. L'appuie-main tenu entre les doigts +fait songer vaguement à quelque sceptre. Ensor semble commander à son +art dont une page caractéristique se devine au fond de la toile. Le +voici donc tel que l'âge mûr le définit. Au surplus l'Å“uvre compte et +s'affirme excellente. + +Toutefois j'aime à me souvenir d'un tout autre James Ensor, celui que je +connus, il y a vingt ou vingt-cinq ans, avec un corps svelte, un teint +pâle, des yeux clairs, des mains longues fiévreuses et fines. Non pas un +dandy, car une mise négligée presque toujours rejetait cette +comparaison, mais une sorte de jeune parlementaire britanique qui +faisait songer à Disraeli. + +James Ensor parlait peu, se tenait sur la réserve, avec un air fermé et +craintif. On lui prêtait un caractère difficile et ombrageux. Il avait +certes, la pleine conscience de sa force naissante; il n'admettait +aucune restriction sur l'entière personnalité de son art et se +rebiffait, dès que l'ombre d'une injustice l'effleurait dans la mêlée de +la vie. La haine de la critique bouillonnait en lui, comme chez tous les +artistes vrais et impérieux. Il ne pouvait admettre qu'on ne le comprit +pas et que sa peinture qui lui paraissait toute simple et naïve ne +s'imposât point, du premier coup, grâce à sa sincérité absolue. Il +oubliait la difficulté ardue, que rencontre tout esprit dès qu'il veut +pénétrer de sa lumière à lui quelqu'autre esprit fut-il voisin du sien +et combien le baptême de l'hostilité et du dénigrement est salutaire +à toute originalité naissante. C'est parce qu'il fut bafoué, nié, +villipendé jadis que sa victoire aujourd'hui nous apparaît si consolante +et si belle. La gloire ne se livre pas; elle se prend d'assaut. Elle se +retranche derrière une muraille d'hostilités et de sarcasmes. + +[Illustration: Vieux Pêcheur--1881. (Collection Edgar Picard)] + +Tout artiste vrai est un héros ingénu. Il faut qu'il souffre pour qu'un +jour il ait la joie d'imposer a tous sa victorieuse personnalité totale. +En ce temps-ci ou chacun est tout le monde, le poète, le peintre, le +sculpteur, le musicien ne vaut que s'il est authentiquement lui-même. +C'est le plus réel des privilèges que la nature, sans aucune +intervention autre que celle de sa puissance, confère et maintient à +travers les siècles et seul le poète, le peintre, le sculpteur, le +musicien en peut jouir pleinement. + +Oh ces débutants choyés dès qu'ils apparaissent et par la critique et +par le public! Aucune de leurs toiles ne survit après vingt ou trente +ans. Ils n'ont jamais passionné personne. Ils n'ont connu ni la révolte +de leurs maîtres, ni la jalousie de leurs amis, ni la haine de la foule. +Ils ont été banalement heureux en attendant qu'ils soient banalement +quelconques. Les Salons triennaux out accueilli leurs essais à la rampe +mais les Musées rejetteront bientôt leurs Å“uvres dans les coins. Ces +peintres-là sont morts depuis longtemps quand sonne leur agonie. Et leur +nom de plus en plus pâle, de plus en plus éteint, de plus en plus oublié +ne trouve plus refuge qu'aux pages jaunies d'un catalogue ou il finit +par se confondre avec un pauvre et morne numéro. + +Il importe donc d'aimer et les attaques et les batailles, les coups +portés avec enthousiasme et reçus avec courage. L'ivresse suprême réside +dans la conscience qu'on a d'être une belle force humaine. Et rien ne +l'exalte autant que la violence et l'injustice. L'émeute autour d'une +toile nouvelle est un sacre à rebours. L'artiste y doit puiser non +l'abattement mais le lyrisme. Sa vraie vie commence, dès cet instant. Et +l'Å“uvre doit succéder à l'Å“uvre, sans compromission, sans reticence, +audacieusement, toujours, jusqu'à l'heure où cessera le rire et se taira +la huée. Et qu'importe si la colère montante ne se retire que devant le +tombeau. Les triomphes posthumes sont les plus sûrs. + +Je doute que James Ensor ait admis ces vérités aux temps de sa jeunesse, +mais je sais qu'il a toujours agi comme si leur lumière vivait en son +esprit. + + + + +II. + +LES DÉBUTS + + +L'époque pendant laquelle débuta James Ensor fut pour la patrie, un laps +de temps héroique et fécond. Aujourd'hui qu'il est loin, il apparaît +quasi légendaire. + +Un miracle se fit tout à coup. Le pays, habitué à ne produire que des +peintres, suscita des sculpteurs et parmi eux un génie: Meunier. Bien +plus; la Belgique hostile aux lettres et vouée depuis longtemps à la +littérature des parlementaires et des journalistes, se para d'une +floraison de poètes. + +Les coutumes furent à tel point bousculées, les réputations assises à +tel point secouées sur leurs sièges, qu'il y eut comme un tremblement +des cerveaux. On n'osait y croire; on n'y croyait pas. Notre sol qui se +couvrait du seigle annuel des lucratives affaires et du froment régulier +des prospères négoces ne pouvait tout à coup se modifier assez +profondément pour nourrir de sève et exalter vers la lumière des odes +belles comme des chênes et des idylles fragiles et jolies comme des +arbustes. L'extraordinaire fut taxé d'impossible et des «bouches +autorisées» déclarèrent qu'en tous cas le prodige n'aurait pas de +suites. + +Il en eut d'admirables. + +Malgré les oppositions soit franches, soit sournoises, malgré les mille +cris des feuilletonistes inquiétés dans leurs goûts et leurs habitudes, +malgré la compacte et massive inertie et la bêtise au front non pas de +taureau mais de bÅ“uf, les nouveaux écrivains s'affirmèrent, d'année en +année, plus clairs, plus hauts, plus purs. Si bien qu'aujourd'hui ils +sont tout et leurs détracteurs d'antan, rien. L'opinion a été retournée +comme un vêtement dont on secoue les poussières, dont on vide les poches +des vieux préjugés qu'elles recélaient, dont on brosse le drap depuis le +col jusques aux pans et qu'on désinfecte enfin en tous ses plis. +Aujourd'hui les générations littéraires se succèdent les unes aux +autres, comme les générations des peintres; l'art d'écrire est acclimaté +parmi nous; la presse est passée aux mains des écrivains, la foule se +fait attentive et le pouvoir récompense et s'émeut. C'est une victoire +qu'on ne conteste plus. + +Or, ces prosateurs et ces poètes de la vie dans la phrase se virent +attaqués en même temps que les peintres de la vie dans la lumière. Leurs +ennemis se liguaient entre eux; ils se liguèrent entre eux contre leurs +ennemis. Cela se fit avec entrain et naturel parce que la nécessité +souveraine nouait elle-même les liens d'entente. Le consentement fut +tacite et rapide. + +Jamais les polémiques d'art ne furent aussi vives, aussi ardentes, aussi +impitoyables. On frappait avec des poings sauvages; on n'avait égard ni +à la vieillesse ni aux situations prises; on était fier d'être partial +et féroce. La norme était franchie joyeusement, ventre à terre; toute +réticence devenait trahison, toute justice rendue aux adversaires raison +de blâme et de défiance. La tolérance est une force de l'âge mûr. Elle +est une tare et une faiblesse quand on se trouve à la tête de ses vingt +ans. + +[Illustration: La Dame sombre--1881. (Collection Edgar Picard)] + +Oh l'orage des discussions autour des noms de Khnopff, de Schlobach, de +Van Rysselberghe, de Dario de Regoyos, de Wytsman, de Finch, de Toorop +et d'Ensor! La belle mêlée de colères et sarcasmes! Les lourdes attaques +et les folles défenses! Les fiers éclairs dont on foudroyait les +esthétiques vieillies et les règles désuètes. On s'exposait avec joie, +on dardait son audace partout et l'on se reprochait sans cesse de +n'avoir pas été assez violemment téméraire. Vraiment la vie passionnée +était belle, en ce temps-là ! + +Les peintres novateurs s'étaient d'abord cantonnés à l'_Essor_, société +d'art où se mêlaient des talents avancés et rétrogrades. Une scission +eut lieu. Elle était fatale. Les plus hardis s'en allèrent, laissant +végéter le cercle où s'éteignaient, une à une, toutes les flammes des +forces et des ardeurs. + +_Les XX_ furent crées. L'idée en est due, m'assure-t-on, à Charles Van +der Stappen qui s'en ouvrit à Octave Maus et à Edmond Picard. Cela se +passait, au temps des vacances, à Famelette, près de Huy, où chaque +année Edmond Picard accueillait les artistes comme des hôtes de choix. +«Peintres et sculpteurs se réuniraient au nombre de vingt, +organiseraient une exposition annuelle et inviteraient vingt autres +artistes déjà consacrés. Ceux-ci seraient choisis parmi les maîtres dont +l'art était fier, libre et encore combatif». + +Quand l'exposition s'ouvrit en février 1884, tout le monde, partisans et +adversaires, étaient sous les armes. Des revues de combat étaient nées: +_l'Art Moderne, la Jeune Belgique, la Société Nouvelle, la Basoche_. +Même certains journaux--telle _la Réforme_ et _le National belge_--se +montraient attentifs et bienveillants. Quelques peintres parmi les +aînés, les Heymans, les Smits, les Baron, quelques sculpteurs, les +Meunier, les Van der Stappen, les Vinçotte avouaient, par leur présence +et leur parole nette, combien la tentative et l'audace des vingtistes +leur agréaient. On les comptait; dix-sept peintres: Periclès Pantazis, +Guillaume Vogels, Willy Finch, Dario de Regoyos, Théo Van Rysselberghe, +Frantz Charlet, Rodolphe Wytsman, Frans Simons, Piet Verhaert, Théodore +Verstraete, Guillaume Van Aise, Jean Delvin, Charles Goethals, Guillaume +Van Strydonck, Fernand Khnopff, James Ensor et trois sculpteurs: Achille +Chainaye, Paul Dubois, Jef Lambeaux. Parmi les invités se signalaient +Israëls, Rops, Stobbaerts, Maris, Rodin. Aucun nom d'impressionniste +français ne figurait au catalogue. Monet et Renoir n'exposèrent qu'à la +troisième exposition des _XX_, en 1886. + +[Illustration: Squelettes musiciens (1888).] + +C'est à cette date que, l'animosité ayant crû d'année en année, le +critique d'art de _la Jeune Belgique_ s'exprima de la sorte,--nous +citons l'extrait qui n'est certes pas un modèle de goût, uniquement pour +montrer la rudesse des polémiques--: + +«Oh la triomphale journée que celle du 6 février! _Les XX_ sont ouverts. +Désormais la bêtise belge a sa date! On dirait qu'à cette «première» +artistique le cerveau bourgeois se dégorge par toutes ses +circonvolutions. Il en jaillit des excréments de sottise. Cela rappelle +des opérations d'abattoir. Le porc est tué: il est suspendu, ventre +ouvert, à de grossières tringles, les boyaux sont jetés sur l'étal, +fumants et flasques. + +«Les avez-vous vu vider? La bêtise belge et bourgeoise, c'est cela. + +«Ce qui se débite d'âneries en ces quelques heures devant ces quarante +exposants ferait un fumier monumental. Dames élégantes à bouche pincée +de souris prude, fourrures confortables avec un ventre officiel dedans, +gommeux monoclés, académiciens rances, peintres deshonorés de rubans +rouges, réputations tuées depuis longtemps dans leur propre _Bataille de +Lépante_ et leur propre _Peste de Tournay_, prud'hommes énormes, +collectionneurs d'eux-mêmes, tout cela potine, commère, hausse les +épaules, passe et fuit devant ces quelques centaines d'Å“uvres d'art qui +hurlent l'avenir. Et des rages! Voici un Monsieur qui s'arrête devant +les Toorop et jure comme un porte-faix et trépigne et remue les poings +... qu'il tient en poche. Tel autre s'affale sur un banc et crie qu'il +faut «brûler tout». + +«Les années précédentes il y avait çi et là un tableau «à la portée du +premier venu» un tableau sauveur ... aujourd'hui, rien. + +«Oh les pauvres oiseaux qui se cognent aux murs d'une cave obscure! Pas +un coin où se tenir tranquille sur un perchoir d'admiration bon-enfant. +Pas un coin où débiter le monologue d'amateur éclairé devant un +auditoire de mamans et de fillettes. Pas d'opinion juste-milieu +possible. Ou la haine ou l'emballement.» + +C'était le ton. On le prenait, sans le savoir. L'atmosphère de bataille +est grisante. On la trouve trop chaude quand on en est sorti. Quand on +la respirait, elle était vraiment et bellement violente, exaltante et +fiévreuse. + +L'histoire des _XX_ devrait, un jour, se faire, année par année. On y +insisterait sur les successives et graduées victoires des peintres du +plein-air en Belgique. On y pourrait mettre également en relief la +manière nouvelle dont les Å“uvres y furent présentées. Pour la première +fois on y juxtaposait toutes les pages d'un même peintre. Et toutes +s'étalaient à la rampe. Des tentures de fond harmonieuses étaient +choisies. Des chiffres d'or décoraient discrètement les murs. + +Peu à peu les conférences s'inauguraient et bientôt les auditions +musicales. Le directeur des _XX_, Octave Maus, s'y employait avec zèle +et goût. Les _XX_ qui plus tard abandonnèrent leur titre au profit de +celui de _Libre Esthétique_ devinrent ainsi un milieu de lutte précieux. +Le mois de février ou de mars qu'ils choisissaient, annuellement, pour +se grouper, combattre et triompher fut un mois de joie violente et âpre. +Bruxelles interrompait ou plutôt clôturait par une fête intellectuelle +l'ennui et la somnolence du morne hiver. L'art mettait avant, le +printemps, une ardeur de renouveau dans les têtes. Et bientôt dans +toutes les capitales de l'Europe des salons, organisés d'après celui qui +s'ouvrait, chaque année, chez nous, multiplièrent les batailles et les +triomphes des peintres et des sculpteurs hardis et révolutionnaires. +Munich, Vienne, Berlin, La Haye, Paris, toutes ces villes eurent des +_Libres Esthétiques_ dont elles changeaient simplement le nom. + +Ensor est le premier de tous nos peintres qui fit de la peinture +vraiment claire. Il substitua l'étude de la forme épandue de la lumière +à celle de la forme emprisonnée des objets. Cette dernière est violentée +par lui, hardiment. Tout est sacrifié au ton solaire, surtout le dessin +photographique et banal. A ceux qui, devant ses Å“uvres, vaticinent: «ce +n'est pas dessiné», Ensor peut répondre: «c'est mieux que ça». + +Son influence fut notable sur ses amis. A part Fernand Khnopff--et +encore dans sa toile _En écoutant du Schumann_ a-t-il peint le tapis en +se souvenant de l'_Après-midi à Ostende_--tous subirent plus ou moins la +fascination de son art. Ceux qui s'en garaient le plus, Van +Rysselberghe, Schlobach, de Regoyos, Charlet parlaient de lui avec une +admiration aiguë. Ils sentaient sa force; ils ne tarissaient point sur +les dons qu'il manifestait, et hautement le proclamaient le plus beau +peintre du groupe entier. + +Mais d'autres, tels que Finch et Toorop, se montrèrent attentifs, non +pas à son enseignement--James Ensor n'en donna jamais--mais à sa façon +nouvelle de traiter et de vivifier les couleurs. Il fut leur maître sans +qu'il le voulût et peut-être sans qu'ils le sussent. Ils étaient +compagnons, se rencontraient sans cesse, se montraient l'un à l'autre le +travail du jour, causaient de l'Å“uvre en train, discutaient, +s'exaltaient. Finch, flegmatique et silencieux, observait, certes, plus +qu'il ne parlait, mais ses yeux prenaient part mieux que ne l'eût fait +sa langue aux entretiens du soir en face de la toile, humide encore. + +La nature complexe et curieuse de Toorop s'assimila facilement les +procédés et les techniques. Sa _Dame en blanc_ fut un magnifique hommage +rendu à l'art merveilleux de son ami. + +Faut-il ajouter que, depuis ces temps lointains, Toorop et Finch se sont +dégagés de l'amicale influence et que leur art d'aujourd'hui est à eux +seuls. A part cette domination temporaire, James Ensor n'en a guère +exercée. On le comprend du reste. Sa personnalité n'est pas assez +purement flamande pour influencer longuement et décisivement les +artistes d'ici. Et Finch et Toorop étaient eux-mêmes l'un Anglais, +l'autre Javanais. + + + + +III. + +LES TOILES + + +C'est de 1880 à 1885 que James Ensor produisit ses toiles les plus +belles. Son Å“uvre n'est point une moisson d'été ni une vendange +d'automne; c'est avant tout une germination de printemps. Sa force libre +jusqu'à l'excès, sa personnalité violente jusqu'à l'exaspération, son +indépendance superbe et outrancière lui ont fait une jeunesse admirable. +Il créait abondamment, surabondamment même, avec acuité. Avant que la +critique nombreuse se fût acharnée sur lui, il avait produit, déjà , tout +ce qui plus tard devait susciter la bienveillance ou la haine. Il n'a +donc pu donner ni à la louange ni au blâme le temps d'avoir prise sur +lui ni de modifier en quoi que ce fût son travail. L'éclosion de son +talent fut comme une explosion. D'un coup, il apparut presque en toute +sa stature. + +Il débute en 1879 par peindre son _Propre portrait_; il y joint deux +compositions: _Judas lançant l'argent dans le Temple_ et _Oreste +tourmenté par les Furies_; puis dès 1880 apparaissent _le Lampiste_ +(exposé à _l'Essor_ en 1883 et aux _XX_ en 1884) et _la Coloriste_, deux +toiles où tout son art est affirmé, et ce merveilleux _Flacon bleu_ +qui demeure peut-être la plus étonnante nature-morte qu'il ait signée. +Oh le merveilleux morceau! Une table grossière supporte un poulet plumé, +minable, douloureux, dont le cou pend dans le vide et dont la chair aux +tons verdâtres inquiète. Largement, par ci, par là , à coups de couteau, +la couleur est étendue. La main qui construit et peint avec une telle +solidité, avec une telle prestesse semble déjà celle d'un maître. Et +l'Å“il qui voit et qui précise le ton magnifique et choisi de la +bouteille connaît déjà toute la force et la rareté d'un ton. Certes, la +composition est absente: ce n'est qu'un morceau amoureusement traité; ce +n'est qu'un coin de cuisine montré sous un éclairage propice, mais que +de vie lumineuse, que de splendeur, que d'éclat! Aucune nature-morte +célèbre ne s'interpose ici entre l'Å“uvre et l'admiration du passant. +Tout est neuf, spontané, patent, définitif. Où donc a-t-il été éduqué le +regard qui voit ces pauvres et quotidiens objets comme personne ne les a +vus jamais? Renferme-t-il en lui même une subtilité, une délicatesse +inconnues ou bien le spectacle de la mer que le peintre a sans cesse +devant les yeux et qui s'offre à lui avec ses désinences infinies de +teintes à chaque heure du jour--aubes, midis et soirs--a-t-il doué +l'artiste d'un sens extraordinaire? + +[Illustration: Lampiste--1880. (Musée de Bruxelles)] + +_Le lampiste_ qui décore, à cette heure, le Musée moderne de Bruxelles +est très simple d'arrangement. Sur fond gris, un gamin, tout entier +habillé de noir, tient en main une lanterne de cuivre. Il la regarde et +le verre et le métal brillent. On pourrait dire que le sujet du tableau +existe dans la couleur elle-même. Ces larges masses grises et noires +qu'animent les quelques détails jaunes du lumignon réalisent comme un +conflit apaisé. Du reste tout tableau n'est-il pas une sorte de combat? +Les tubes se présentent avec leur violence et leur diversité de couleurs +comme chargés de mitraille dangereuse. Si le peintre n'en calcule point +la force, s'il les laisse détonner, sans discipliner leur vacarme, s'il +ne les contient d'un côté pour leur mieux donner carrière de l'autre, la +bataille qu'il livre sera irrémédiablement perdue. Il faut qu'il prévoie +ce que les orangés voisinant avec les bleus, ou les verts avec les +rouges, ou les jaunes avec les violets, donneront d'éclat. Il faut qu'il +juge comment les teintes transitoires atténueront tel ou tel choc de +couleurs trop hardies. Il faut qu'il sache ce qu'un ton franc posé à tel +endroit apporte de désordre ou de vie dans l'ensemble. Il existe une +façon lâche de peindre, grâce au blaireautage, qui escamote les +difficultés et affadit l'art. Ce procédé veule et funeste, Ensor ne le +connaîtra jamais. + +L'éclat de la lanterne que le lampiste tient en ses mains rayonne +franchement mais sans brutalité; les noirs sur lesquels l'objet lumineux +se détache le soutiennent par leur vigueur sombre; il n'y a aucun heurt, +il n'y a que de l'audace heureuse. + +_La Coloriste_ est d'un jeu de couleurs plus abondant que le _Lampiste_. +Une femme en blanc est assise dans un atelier éclairé par une fenêtre. +Des étoffes, des vases et des écrans l'entourent. Cette toile fut +montrée à la _Chrysalide_ en 1881. Ce Cercle déjà ancien et dont le lieu +d'exposition s'ouvrait salle Janssens (rue du Gentilhomme, alors rue du +Petit Écuyer), avait à sa tête des maîtres: Louis Dubois, Artan, Vogels, +Rops, Pantazis et d'autres. On y cultivait une peinture aux qualités +solides, faite au couteau et qu'on prétendait sortie ou plutôt dérivée +de la puissante et rayonnante esthétique des ancêtres. Cette opinion, +certes, n'était point mensongère, encore qu'il fallût convenir que ces +puissants peintres qui, à juste titre, se réclamaient de leur origine +avaient tous regardé avec trop d'insistance les toiles du Franc-Comtois +Courbet. Il est vrai que ce dernier aimait à s'arrêter longuement devant +celles de Rubens, de Snyders et de Jordaens et que la peinture +puissante et truculente, ferme et savoureuse, qu'il prônait n'était +autre que la peinture flamande elle-même. + +[Illustration: Croquis.] + +Dans la _Coloriste_ la couleur n'est plus comme dans le _Lampiste_ +distribuée par larges plans. Au contraire. Elle se divise, se dissémine, +se parsème. Sans le tact d'Ensor la multiplicité des verts, des rouges, +des bleus, des jaunes aboutirait à quelque papillotage. Les écrans +peints ne seraient qu'un assemblage de fusées et le tableau mentirait à +son titre. Mais le peintre a voulu que la _Coloriste_ enseignât ce que +doit être une toile bien venue. Sur un fond, où les roux et les gris +établissent leurs accords profonds et solides, les tons clairs et +multicolores chantent, avec justesse et variété, leurs notes hautes et +vives et chacune d'elles s'appuie, avant de s'élancer vers la joie, sur +le tremplin des vigoureuses sonorités fondamentales. L'ensemble tient de +l'un à l'autre bout de la toile, les liens subtils, qui unissent les +teintes entre elles comme les notes d'un page de musique heureusement +écrite, se serrent et se nouent partout. + +_La Musique russe_ (Salon de Bruxelles, 1881 et les _XX_, +1886)représente le peintre Finch assistant à quelqu'audition musicale +qu'une pianiste lui donne. L'Å“uvre est plus qu'un portrait. L'auditeur, +assis sur une chaise, se croise les jambes, rejette légèrement le corps +en arrière, détourne aux trois quarts la tête et, dans cette pose +attentive et tendue, écoute. Ce sont des gris délicats rehaussés ci et +là d'une couleur plus vive qui constituent l'harmonie en demi-teinte du +tableau. Aucun accent violemment sonore, mais une succession de nuances +et de touches assourdies comme si la musique frêle, étrange, atténuée +qu'on est sensé entendre commandait à la peinture. La difficulté +consistait à réaliser, sans nuire à l'intérêt ni à la joie des yeux, cet +art comme à demi-voix. Il fallait qu'on sentit le silence de cet +appartement que troublent seuls quelques accords ou quelques chants et +qu'à l'exemple de l'unique auditeur on y fût attentif. + +[Illustration: Musique Russe--1880. (Collection A. Boch)] + +Et comme contraste à cet art discret et mesuré, voici qu'un peu plus +tard, en 1883, Ensor, sous le titre: _Chinoiseries_ peint en pleine +clarté sonore quelques potiches remplies de pivoines. On ne sait ce +qu'il faut louer le plus, ou bien la couleur laiteuse des tons bleus et +blancs du vase, ou bien le dessin large et sûr de son décor. Que ce soit +le dessin cette fois, car jamais, me semble-t-il, l'artiste n'a mieux +affirmé ce qu'est pour lui dessiner en peignant. La ligne, en cette +Å“uvre franche et belle, est la couleur elle-même. Elle ne vit pas d'une +vie indépendante, elle crée en même temps la forme et le ton et, si +j'ose dire, l'ossature et la chair. Ceux qui prétendent qu'Ensor ignore +la forme oublient sans cesse que le dessin de Rubens et de Delacroix est +l'opposé du dessin d'Ingres et de Raphaël. Ceux-ci ne font que remplir +par des couleurs le vide laissé entre les lignes tracées d'avance; +ceux-là peignent d'abord et leur dessin résulte de la justesse des +valeurs entre elles, ou si l'on veut, n'est que le résultat du jeu des +ombres et des clartés. C'est le coup de brosse, et non pas le crayon ou +le fusain, qui écrit les formes si bien que dans leurs tableaux rien +n'est dur, rien n'est découpé, rien n'est sec, rien n'est séparé soit du +fond, soit de l'objet voisin. Ils ne cernent pas des images; ils +traduisent la vie. + +Bien plus. Les artistes linéaires tels qu'Ingres et Raphaël ne +s'embarassent ni des ombres ni surtout des reflets. Pour eux, les êtres +et les choses semblent n'exister que dans une sorte de vacuité +atmosphérique. La lumière qui les baigne est toute artificielle et le +vide semble seul les contenir. Chaque objet existe d'une vie solitaire. +Il ne subit en rien la loi des interinfluences. Il apparaît, s'il est +beau, d'une grandeur presque toujours stérile. Il est jailli du +raisonnement et de la pensée; il ne l'est jamais--si je puis dire--d'une +émotion sensuelle. Or, c'est précisément cette joie de voir le monde +entier s'épanouir dans la réelle et mouvante lumière, qui suscite en +quelques êtres de choix le désir et bientôt l'art de peindre. Ensor se +range parmi eux. Nous verrons comme il tient compte de ces ombres et de +ces reflets que dédaignait M. Ingres et comme il les rend naïvement, +scrupuleusement, de peur d'enlever n'importe quel élément de vie et de +splendeur à la réalité. + +Les sujets les plus humbles le requièrent. Voici qu'il peint _poissons, +bouteilles, pommes_. Et voici qu'un simple _chou vert_ (1880) posé sur +une table rouge lui fait faire un chef-d'Å“uvre. Une lumière nouvelle, +qui s'affranchit soudain des oppositions violentes entre les avant-plans +et les arrière-plans, baigne cette merveilleuse nature-morte. Elle fut +exposée en 1884 au Cercle artistique de Bruxelles et l'an dernier (1907) +au Salon d'automne de Paris. Elle n'y perdit rien de ces prestiges +d'autrefois. Elle étonna et charma autant que quelques superbes Cézanne +rassemblés en une salle voisine. Elle apparut à tous avec ses qualités +de belle sagesse et de maîtrise. C'était l'Å“uvre devant laquelle on +s'arrête et l'on revient. Le rouge de la table sonnait en même temps que +le vert du légume. Ces deux couleurs complémentaires n'étaient séparées +que par une nappe blanche qui atténuait la violence qu'aurait produite +leur immédiat voisinage. Chaque objet était peint à sa place, avec une +sûreté parfaite. Rien ne violentait l'attention, mais chaque coup de +pinceau la retenait. Et l'on songeait que le signataire de cette +merveille fut qualifié, jadis, par la critique, d'artiste iconoclaste et +sauvage et l'on ne comprenait pas. C'est, du reste, le propre des Å“uvres +vraiment fortes d'étonner à leur apparition par leur soi-disant audace +et de s'imposer après quelques années par leur absolue convenance. + +[Illustration: Le Salon bourgeois--1881. (Collection Ernest Rousseau)] + +Elles déroutent d'abord, elles ameutent et révolutionnent. Mais, le jour +qu'elles entrent dans les musées et qu'elles voisinent avec les pages +solennelles des maîtres et se trouvent enfin chez elles, en lieu sûr, +dans la compagnie qui leur convient, on est surpris, chaque fois, de les +voir très simplement continuer et rajeunir l'histoire de la beauté. + +C'est dans le _Salon bourgeois_ (1881) autant que dans _Musique russe_ +(1880) et plus tard dans la _Mangeuse d'huîtres_ (1882), qu'on peut +constater combien l'art de James Ensor tient compte du rôle, dans un +tableau, des ombres et des reflets. «La lumière mange les objets» +dit-il. Et en effet rien ne déforme le contour et la ligne comme une +brusque clarté frappant les surfaces. Dès que vous prétendez rendre ce +que l'Å“il voit et non pas seulement ce que le raisonnement prouve, un +meuble (table, piano, armoire, chaise) apparaît en perpétuelle +déformation. Que la lumière s'accentue ou s'affaiblisse, qu'elle change +ou se déplace, aussitôt la réalité visuelle se modifie, alors que la +réalité palpable demeure. Or c'est la réalité visuelle, c'est la +tromperie et l'erreur de l'Å“il qu'il faut peindre puisque vous vous +adressez aux yeux des spectateurs et non pas à leur toucher. Ce jeu sans +cesse mouvant des ombres et des reflets, ces influences réciproques des +choses interrompant soudain soit la ligne perpendiculaire d'un pied de +table, soit les droites parallèles d'un panneau d'armoire, soit les +courbes d'un dossier de chaise et dérangeant ainsi tout le décor +géométrique d'un appartement, séduit le peintre moderne plus qu'il ne +séduisait les peintres anciens. Il ne s'en dissimule point la difficulté +et l'affronte, dût son dessin paraître vacillant et incertain, dût sa +composition chavirer dans un apparent deséquilibre. Qu'on examine +l'_Après-dîner à Ostende_ ou la _Musique russe_, ou la _Mangeuse +d'huîtres_, l'on se rendra aisément compte de combien de dangers +picturaux l'art d'Ensor est sorti vainqueur. Ce n'est, en ces trois +toiles, qu'un entremêlement de lueurs et d'ombres, d'objets frappés de +clarté soudaine à côté d'autres restés voiles et la lumière qui glisse +sur l'acajou, se répand sur les marbres, atteint les lustres, descend +sur les tapis et se dissémine partout. Si la clarté provoquait l'écho, +on n'entendrait, ici, que des répercussions et des voix qui se +répondent. + +Je me souviendrai toujours de l'étonnement que je ressentis, il y a +quelque vingt-cinq ans, à l'exposition de l'_Essor_ (1882), devant un +_portrait_--c'était celui de son père--qu'Ensor y exposait. La toile +était accrochée à la rampe près d'une porte dans un des halls du +Palais des Beaux-Arts, rue de la Régence. Au milieu des Å“uvres jeunes +qui sollicitaient par leur tapage et leur inexpérience, celle-ci +proférait on ne sait quoi de grave, d'appaisé et de sévère. Elle était +conçue par grands plans: des bleus, des noirs, des blancs réalisaient sa +très simple harmonie. A droite, la clarté, tombant d'une fenêtre à +travers des rideaux pâles, baignait le front d'un homme qui lisait. Une +cheminée en marbre occupait le fond, à gauche. La figure était attentive +à sa lecture. Et le silence régnait. La profondeur du ton, sa solidité, +sa force commentait seule l'intensité de cette scène. C'était donc par +des moyens uniquement picturaux que l'attention était fixée et +l'impression produite. Aucune distraction n'était permise. C'était de la +vie nue montrée dans sa réalité quotidienne, sans plus. + +[Illustration: Dame en détresse--1882.] + +_L'après-midi à Ostende_--refusé en 1884 au Salon de Bruxelles--qui fut +peint dans la même année que le _Portrait de mon père_ (1881) nous +attire, par contre, grâce à son charme abondant de tons variés. L'étoffe +multicolore d'un tapis de table, les éclats métalliques d'un foyer, la +décoration des lampes de la cheminée, les jupes et les corsages des deux +personnes assises face à face permettent au peintre le jeu d'une +admirable harmonie sourde et comme étouffée, malgré la violence locale +des objets, hauts en couleur. Tout ici est en sourdine. La distinction +des tons est parfaite. Un authentique peintre flamand aurait fait sonner +comme une fanfare et les cuivres et les aciers et les étoffes. Il y +aurait eu heurt, choc et tintamarre. C'eût été une exaltation dans la +force. Ensor a réalisé un apaisement dans la délicatesse. Mais pour que +tout fût maintenu, avec pourtant son éclat et son ardeur propres, dans +une sorte de paix générale et brillât et scintillât comme sous un voile, +de quelle finesse, de quelle justesse, de quelle acuité d'observation ne +fallait-il point faire preuve? + +Au fur et à mesure que son Å“uvre se poursuivait et que ses _intérieurs +bourgeois,_ ses _après-dîners à Ostende_, ses _portraits_ lui +assignaient comme tâche d'étudier la lumière circulant dans les maisons +à travers la baie des hautes fenêtres, l'Å“il très subtil du peintre ne +pouvait s'empêcher de s'émouvoir aussi de la clarté du dehors et surtout +ne pouvait s'abstraire de la contemplation de la mer. Le paysage marin +le requit dès ses premiers travaux. Et voici l'_Estacade_ et la _Mer +grise_ et la _Dame au brise-lame_ (1880); et voici _Marine_ (effet de +soleil), la _Dune noire_ (1881); et voici les deux _Marines_ et le +_Brise-lame_ (1882); et voici _Dune_ et _Mer_ et _Marine_ (l'après-midi) +(1883) et les _Barques_ et la _Marine_ (1884). Cette dernière se +distingue par sa belle teinte verdâtre et par son aspect de simplicité +et de grandeur. Un seul navire en sillonne l'étendue et l'impression de +l'immensité se dégage toute entière. Supposant à la _Marine_ (1884) +voici le _Coucher de soleil_ (1885) dont l'horizon déchiqueté de lueurs +saumonées et de nuages violets multiplie le ton et fait songer à +quelqu'énorme oiseau de flamme qu'on déplumerait, au bord de l'espace. +La mer fut pour l'Å“il d'Ensor une admirable éducatrice. Rien de plus +tenu et de plus frêle que la coloration d'une vague avec ses infinies +désinences, avec sa mobilité lumineuse et myriadairement changeante. +Quand elle s'épand au soleil sur le sable micassé de la grève, les +tons les plus purs et les plus clairs des toiles les plus célèbres +semblent grossiers et troubles. + +[Illustration: Les soudards débandés (1892).] + +En 1882, James Ensor achève le _Pouilleux_, la _Dame en détresse_, la +_Dame au châle bleu_ et la _Mangeuse d'huîtres_. + +La première de ces quatre Å“uvres fut exposée en 1883 à l'_Essor_ et fut +acquise pour le musée d'Ostende. Elle indique une orientation nouvelle +dans le choix des sujets. Le _Pouilleux_ sera suivi bientôt par les +_Masques scandalisés_ (1883), et ceux-ci ouvriront à l'artiste une voie +étrange où pendant longtemps son imagination se complaira. Le +_Pouilleux_ est pris dans la réalité quotidienne. Il a traîné son corps +et sa guenille sur les quais. Il se peut que jadis il fût pêcheur: son +teint basané et son Å“il vif furent certes lustrés par la mer. Le voici +dans un morne logis, assis près d'un poêle, les sabots rapprochés du +feu. Il regarde et ses traits profèrent on ne sait quelle vague +goguenardise. + +_La Dame en détresse_ qu'on admirait en 1886 à l'exposition des _XX_ +représente une femme couchée sur un lit. Un jour ardent pénètre à +travers des rideaux fauves. L'affaissement du corps, son abattement, est +admirablement rendu. Cette longue ligne horizontale commande au tableau. +Quelque chose d'inquiétant émane de la scène. Certes peut-on songer à +quelque drame. Mais il est toujours facile et trop facile de faire, à +propos des Å“uvres picturales, des réflexions gratuitement littéraires. +Il s'en faut garder, quand l'évidence ne les fournit point. + +Oh l'admirable tâche que celle du châle de la _Dame au châle bleu_. Déjà +dans le _Flacon bleu_ (1880) cette couleur fut propice au peintre. Elle +lui a confié, peut-on dire, ses secrets les plus cachés. Certes, aucune +couleur n'existe par elle même. Elle emprunte sa sonorité soit à +l'ambiance, soit directement au ton voisin. Qu'importe! Certaines +profondeurs, certains éclats, certaines violences heureuses de ce +fragment du spectre n'auront été connus et rendus que par Ensor. + +Voici une page capitale: la _Mangeuse d'huîtres._ C'est la seule Å“uvre +dont il ait fait une réplique. Elle fut en 1882 refusée au _Salon +d'Anvers_; en 1883 elle ne fut point admise à l'_Essor_. Ce n'est qu'en +1886 qu'elle s'épanouit, à la cimaise, aux _XX_. Elle y fit scandale. Je +me souviens encore des colères qu'elle déchaîna. On ne voulut voir en +cette merveille que les défauts, nécessaires, peut-être, en tous cas +secondaires; et chacun, comme s'il était heureux de blâmer, +d'éclabousser et de nier, piétinait dans le parti-pris, se refusait à +toute louange et tournait le dos à la plus élémentaire justice. + +Et pourtant ce tableau imposera sa date dans notre école. Comme le +peintre s'y affranchit des fonds sombres et quelquefois opaques pour +hardiment n'employer que des tons francs et quasi purs! Quelle joie, +quelle fête, quelle liesse de couleurs répandues sur la table où la +mangeuse a pris place! Bouteilles, verres, assiettes, citrons, vins, +liqueurs s'influencent, se pénètrent de lueurs, entrent pour ainsi dire +les uns dans les autres et maintiennent quand même, triomphantes, la +solidité et la rigueur de leurs formes. Et cette admirable note rouge +que jette la reliure d'un livre placé sur une tablette dans le fond de +la toile! Et la belle chair vivante des mains et du visage. Et les plis +bleuâtres de la nappe et tout enfin. + +Certes, depuis qu'il peignait, James Ensor avait banni de sa palette la +_terre de Sienne brûlée_ et le _noir de vigne_; certes, depuis toujours, +il s était défié de ce qu'on appelait «les vigueurs» obtenues par l'abus +des mauvaises et fuligineuses couleurs; certes enfin, il s'était soucié +d'atmosphère, d'air ambiant et de réelle et authentique clarté, mais +jamais comme en cette étonnante _Mangeuse d'huîtres_ ses efforts +n'avaient abouti, ni sa victoire porté la flamme de ses drapeaux aussi +haut, ni aussi loin. L'Å“uvre revêt je ne sais quel caractère historique. +C'est le premier tableau, vraiment clair, qu'on fit chez nous. + +_La Mangeuse d'huîtres_, sur l'escalier tournant de l'art d'Ensor, +semble s'étaler sur un large et triomphal palier. Aux yeux du peintre +pourtant, elle est moins encore un point d'arrivée qu'un point de +départ. Comme le _chou_ datant de 1880, elle lui ouvre l'ère de la +peinture à tons purs ou quasi purs. Mais Ensor est celui qui cherche +toujours. Il suit, peut-on dire, plusieurs chemins à la fois. Il ne se +détourne ni de la mer, ni du paysage, ni de la nature-morte. Le voici +qui parachève, en 1883 et 1884, les _Toits d'Ostende, Grande vue +d'Ostende, le Nuage blanc, le Houx, la Dune, Vue de Bruxelles_. Et les +_Pochards_ et les _Masques scandalisés_ et le _Meuble hanté_ le +retiennent en même temps au royaume de la fantaisie et de +l'hallucination. + +[Illustration: Pouilleux indisposé se chauffant--1882. (Musée d'Ostende)] + +Et voici dans la toile le _Christ marchant sur la mer_ qu'une voie +nouvelle semble s'ouvrir encore. Un souci de composition particulier +s'accuse. Prenant comme thèmes quelques sujets bibliques, le peintre +se hausse soudain jusqu'au rôle de visionnaire. Les personnages +n'occupent, dans mainte de ses toiles étonnantes, qu'un place minime. A +première vue on ne les y distingue guère. Il les y faut chercher. Ils +paraissent faire partie des éléments: vents, nuages, flots, soleils. Les +maîtres anciens donnaient invariablement dans leurs Å“uvres la place +prépondérante aux actions humaines. Dans le déploiement des légendes à +travers la peinture universelle, les Dieux et les hommes existent seuls. +Mais au fur et à mesure que l'idée de force s'est déplacée et modifiée +et que l'humanité comprend que l'être humain n'est qu'un tourbillon de +pensée emportée dans le vertige des puissances cosmiques, l'importance +de ses gestes a décru. + +_Le Christ marchant sur la mer_ est conçu d'après les mêmes pensées. +C'est la mer, c'est le ciel qui remplissent de leur immensité la toile +entière. A peine une auréole, à peine une lueur se dégageant d'une forme +vague, indique-t-elle le prodigue. + +Dans _Adam et Eve chassés du Paradis_ (1887) ces précédentes remarques +se vérifient mieux encore. La page est merveilleuse. Les cieux remués de +miracles tonnants et foudroyants occupent à peu près toute la toile. Des +trombes de vents passent, des lueurs formidables apparaissent, tout le +vertige de l'atmosphère est rendu. Vraiment, c'est une colère céleste +qui se gonfle, qui voyage et qui éclate. L'ange exterminateur semble +être à lui seul toute la nuée. A droite, avec des mouvements de fuite et +de terreurs et comme brûlés par l'épée vengeresse, apparaissent Adam et +Eve. Ils sont là , dans le coin de la toile, presque indistincts, roulés +comme des épaves, tandis que seul l'orage que leur misère et leur +fragilité ont suscité, occupe les quatre points de l'espace. + +L'effet surnaturel est produit sans que la couleur se mélodramatise de +violentes oppositions de noirs et de clairs. La tonalité générale reste +lumineuse, magnifiquement. On y surprend quasi de la délicatesse. Mais +les lignes tumultueuses sont bien appropriées au sujet et la fougue des +touches émerveille. + +En 1891 le _Christ apaisant la tempête_ continue la série des Å“uvres +légendaires. Le ciel et la mer, qui se rejoignent à l'horizon, se +présentent en cette toile comme un énorme coquillage bivalve qui serait +entr'ouvert et dont les deux parois internes contiendraient les nuées et +les eaux. Le personnage, invariablement à droite du tableau, comme dans +le _Christ marchant sur les eaux_ et dans _Adam et Eve chassés du +Paradis_, indique chez le peintre un souci de composition presque +uniforme. La science, l'équilibre, le prolongement heureux des +arabesques, tout ce qui constitue la combinaison étudiée et heureuse ne +l'inquiètent guère. Il voit d'un coup, comme si quelque brusque rideau +s'ouvrait, et il rend ce qu'il voit, sans plus. C'est ainsi que +procèdent les voyants. + +On peut rattacher à ce cortège de paysages animés de légende et +d'histoire quelques autres pages: _le Feu d'artifice_ (1887) et _le +Domaine d'Arnheim_ (1890). + +Une gerbe jaune, immense se projette sur un ciel bleu foncé comme si +tout à coup s'ouvrait un cratère. Effet très simple. On dirait que la +fureur des tempêtes calmées par le Christ marchant sur les eaux ou la +colère des cieux se déchaînant sur Adam et Eve subsistent encore dans +l'esprit du peintre. + +[Illustration: Le Terrassier--1882.] + +Quant au _Domaine d'Arnheim_ il suscite devant les yeux un bois profond +que baigneraient des flots calmes. Une barque les sillonne. Le titre, +fourni par Edgar Poe importe, bien qu'on l'ait trouvé inutile. Il nous +transporte hors de la réalité, vers quelque lieu illusoire et magnifique +où règnerait un calme d'or parmi des îles d'ombre majestueuse, touffue +et silencieuse. Quand il composa le _Domaine d'Arnheim_, l'esprit du +peintre s'était de plus en plus retiré de la contingence quotidienne; il +commençait à vivre en plein monde imaginaire; il était déjà hanté. C'est +à ces dispositions spirituelles qu'est due la manière de traiter ce +paysage. On peut croire en effet que ce morceau de nature est tout +entier arraché à l'imagination ou bien que, là bas, quelque part au bout +du monde, sous un ciel inconnu, il s'étale et fleurit, sans que jamais +quelqu'un, à part son mystérieux visiteur, ne l'ait parcouru. Plus tard, +bientôt, ces îles, ces eaux et ces jardins seront, grâce au rêve de +James Ensor, peuplés de masques et de pierrots et d'arlequins et de +colombines. Ils s'intituleront alors le _Théâtre des masques_. Et ce +seront ses _Fêtes galantes_ à lui, certes moins charmantes que celles de +Watteau, mais plus folles, plus fusantes, plus papillotantes et plus +fiévreuses. + +Continuant, après la _Mangeuse d'huîtres_, sa marche vers la clarté et +s'attardant non plus dans le rêve et la légende mais dans la réalité +vécue et quotidienne, Ensor propose à notre admiration les _Enfants à +la toilette_ (1886). Et c'est dans une chambre, deux enfants nus, l'un +debout, l'autre assis, que la lumière, tamisée à travers les rideaux, +baigne. L'atmosphère est ambrée, frêle, douce, chantante. Les chairs +roses, délicatement, s'étalent dans un jour doré sans qu'aucune +brutalité, aucun heurt, aucune dissonance ne dissipe l'impression de +calme et de fraîcheur et d'innocence qui émane de la toile. La _Mangeuse +d'huîtres_ proférait des tons pleins, entiers, majeurs; les _Enfants à +la toilette_ n'émettent au contraire que des tons atténués, assourdis et +mineurs. Mais si l'on tient compte de l'aiguë difficulté que les +peintres rencontrent à faire jaillir, non pas de l'opposition ni du +contraste, mais d'un assemblage de teintes voisines, la lumière, les +_Enfants à la toilette_ étonneront plus encore que la _Mangeuse +d'huîtres_. La clarté apparaît diffuse, elle ne s'accroche à rien, elle +ne fait aucune saillie; elle glisse sur les meubles, les tapis et les +chairs. La transparence des stores baissés est parfaite. Jadis avec des +tons profonds et noirs, Ensor résolvait dans l'_Après midi à Ostende_ un +problème analogue. Tout y était fort et discret, dans l'ombre. Ici tout +est fort et discret, dans la clarté. + +Enfin voici une toile, toute en tons purs cette fois et toute en +violence, où la réalité se mêle à la fantaisie, où les deux routes +suivies par l'artiste se rejoignent. La page est intitulée _Le Christ +faisant son entrée à Bruxelles_. Elle ne fut jamais exposée. La +date?--1888. C'était le temps où les néo-impressionnistes ameutaient les +ateliers parisiens. Georges Seurat avec sa théorie de la décomposition +lumineuse ou de la division du ton apportait vraiment dans l'art de son +temps un procédé inédit. On l'invitait aux _XX_. Ses toiles y faisaient +scandale. L'évolution lente de l'impressionnisme semblait comme +suspendue au profit d'une révolution soudaine. De nombreuses conversions +esthétiques eurent lieu. Ce fut une sorte de cataclysme magnifique. + +[Illustration: Croquis.] + +La grande part de vérité que Seurat apportait ne put laisser insouciant +un esprit aussi attentif et aussi inquiet que celui de James Ensor. +Toutefois, après réflexion, il n'adopta point les théories nouvelles et +voici les raisons qu'il en donne. + +«Les recherches des pointillistes m'ont laissé indifférent: ils n'ont +cherché que la vibration de la lumière. En effet ils appliquent +froidement et méthodiquement leurs pointillages entre des lignes +correctes et froides. Ce procédé uniforme et trop restreint défend +d'ailleurs d'étendre les recherches et de là résulte une impersonnalité +absolue dans leurs Å“uvres, si bien que les pointillistes n'atteignent +que l'un des côtés de la lumière: la vibration, sans aboutir à donner sa +forme. Mes recherches et ma vision à moi s'éloignent de la vision de ces +peintres et je crois être un peintre d'exception.» + +Ne retenons de ces lignes que la dernière affirmation. Qu'Ensor soit un +peintre d'exception, rien n'est plus juste. Sa nature est trop spéciale +pour que jamais elle lui permette d'être d'un groupe. Le +néo-impressionnisme exigeait une discipline, portait en lui un +enseignement, élaborait un programme. Dès ce moment le peintre ne le +pouvait admettre. Ce qui caractérise la personnalité d'Ensor c'est le +libre-vouloir. Sitôt qu'un désir lui vient, il le satisfait. Sa tête est +une chambre ouverte où tantôt les idées, tantôt les rêves, tantôt les +folies, s'installent. Et le néo-impressionnisme lui apparaissait comme +une prison. + +Mais, tout en tournant le dos à l'esthétique de Seurat, il voulut, lui +aussi, se signaler par de très nettes audaces. Il ne pouvait nier +d'ailleurs que la nouvelle école, plus qu'aucune autre, ne purifiât la +vision. Les couleurs dont elle préconisait l'emploi étaient les couleurs +mêmes du prisme, les couleurs vierges, primitives, intactes. Toute +l'ancienne palette était comme abolie et le spectre solaire prenait sa +place. La virginité totale du ton devint un objet de conquête. Déjà +Turner, et à sa suite tous les impressionnistes, s'étaient essayé à +créer cette virginité et à l'imposer à leur Å“uvre; ils s'y étaient pris +empiriquement, en se fiant à la subtilité et à la délicatesse de leur +Å“il. Les nouveaux-venus, jugeant cette conquête incomplète, purifièrent +en quelque sorte cette pureté hésitante et tâtonnante et grâce aux +découvertes scientifiques la proclamèrent certaine et sûre. Et leurs +toiles étaient en effet lustrales plus que nulle autres. On eût dit +qu'elles portaient en elles la grâce d'un éclatant et violent baptême. + +[Illustration: La Sorcière--1883. (Collection Edgar Picard)] + +Dans son _Entrée du Christ à Bruxelles_ on peut croire qu'à son tour, +comme pour défier le néo-impressionnisme, Ensor ait voulu rebaptiser sa +peinture. Il en a augmenté encore et vivifié la clarté. Et les +principales étapes qu'il suivit pour aboutir à cette victoire furent, +comme nous l'avons dit, le _Chou_ (1880), la _Mangeuse d'huîtres_ (1882) +et les _Enfants à la toilette_ (1886). Son évolution entière fut donc +longuement préparée, logique et personnelle. + +Le sujet du _Christ faisant son entrée à Bruxelles_ peut certes +déplaire. On y voit l'homme-Dieu mêlé grotesquement à nos pauvres, +féroces et actuelles querelles. Il assiste au défilé mouvant et +tumultuaire des revendications politiques et sociales, comme un banal +élu--bourgmestre, échevin, député--un jour de manifestation déchaînée. +Il voit passer les fanfares doctrinaires, les charcutiers de Jérusalem +et des banderoles et des drapeaux se déroulent et inscrivent en leurs +plis «Vive la Sociale et vive Anseele et Jésus». + +A ne juger que la plastique et la forme, l'Å“uvre fourmille de défauts, +mais la couleur en est triomphante. Les bleus, les rouges, les verts, +soit juxtaposés, soit divisés entre eux par des blancs larges, sonnent +comme une charge de tons purs et leur bariolage audacieux, parfois +brutal, impressionne la rétine lyriquement. Au surplus l'ironie du +peintre se donne, ici, libre carrière. On ne peut exiger de lui qu'il +prenne au sérieux n'importe quelle démonstration populaire. La ruée du +peuple à travers les places se boursoufle, pour ainsi dire, de visages +tuméfiés, de ventres formidables que les masques et les oripeaux +revêtent de leur invraisemblance. Mais, grâce à cette exagération +savoureuse, grâce à l'exaltation des tons crus qui parfois se +rapprochent des tons d'une affiche, grâce peut-être au désordre même de +la composition, l'ensemble donne une âpre, farouche et tintamarrante +sensation de vie. Ensor se plaît d'ailleurs à ces caractéristiques +évocations de foules. Il les multiplie à travers toute son Å“uvre. Il les +rêve compactes, serrées, formidables. Elles apparaissent comme étouffées +dans les rues et étranglées aux carrefours. Les maisons, les monuments, +les balcons, les toits semblent subir l'entraînement de la poussée +unanime et dans une eau-forte célèbre on pourrait croire que la +multitude--si dense qu'un caillou jeté sur elle ne trouverait point un +interstice assez large pour choir à terre--porte, comme une chasse, une +cathédrale entière sur ses épaules. + +Cette manière de peindre à grands tons plats et clairs que James Ensor +adopta dans l'_Entrée du Christ à Bruxelles_, il la gardera longtemps et +l'emploira souvent dans ses études baroques et macabres de pierrots et +de bouffons. Mais avant de parcourir cette province large et pittoresque +de son art, qui lui fit donner le nom de «peintre de masques», il +importe d'insister sur son talent de portraitiste et de nature-mortier. + +[Illustration: Dame au Châle bleu--1882.] + +Il serait surprenant qu'Ensor, aimant avant tout au monde son art et par +conséquent chérissant surtout celui qui le fait, c'est à dire lui-même, +n'eût multiplié à l'infini sa propre effigie. Ajoutons qu'en se +regardant, en un miroir, il a toujours à portée de main, de brosse et de +palette, un modèle complaisant et gratuit. + +Dès ses tout premiers débuts, aux temps lointains et maudits où il +s'égarait à l'académie, il traduit ses traits (1879); en 1880 il se +repeint; en 1883 encore et en 1884 il se dessine. En 1886 il fixe au +crayon quatre fois son image; en 1888 il se déguise et se reproduit au +pinceau. Dans l'_Ecce-Homo_, c'est lui qui apparaît flanqué de ses deux +bourreaux MM. Fetis & Sulzberger; en 1891 parmi ses dessins +fantasmagoriques il prend place; en 1899 il s'entoure de masques et dans +nombre de compositions son visage tantôt hilare, tantôt mélancolique, +tantôt angoissé et piteux, s'impose. Il est en quelque sorte la figure +centrale de tous ses rêves. Et c'est logique et c'est humain qu'il en +soit ainsi. On pourrait serrer de près sa psychologie, rien qu'en +analysant ses portraits aux différentes saisons de son art et l'être +insaisissable qu'il est se dévoilerait peut-être mieux, grâce à cette +méthode, que par l'examen de ses gestes quotidiens dans la vie. + +De ses représentations si variées et si nombreuses, je retiens la +première. En veston havane, sa palette à la main, à l'atelier, il se +campe devant son chevalet. Il est jeune, l'Å“il clair, l'allure attentive +et naïve. La vie hostile ne l'a point encore touché. L'Å“uvre est comme +joyeuse; de belles taches claires s'y rencontrent. On y devine le +coloriste qu'il est. + +En 1882, Théo Hannon et Willy Finch, deux de ses amis, lui servent de +modèles. Le dernier de ces deux portraits est d'une solidité belle. Les +tons clairs font place aux tons profonds et fermes; le visage est +traduit avec une franchise et une sûreté de facture remarquables; aucune +mise en scène, aucune recherche, si ce n'est la recherche fondamentale +des beaux peintres en face de l'architecture humaine à traduire avec +souplesse et force. + +Suit l'effigie de la _Mère de l'artiste._ Robe noire et col en +dentelles. Trois roses groupées, comme ornement. Simplicité absolue dans +la pose; les traits sont âprement caractérisés. De loin, le modèle fait +songer à quelque dame qu'aimait à peindre d'une manière brusque, +scrupuleuse, aiguë, le grand Goya. + +En 1891, James Ensor voulut bien consacrer quelques séances à mon propre +portrait. Je n'insiste sur cette Å“uvre que pour noter le faire spécial +qui la distingue. Elle est plutôt écrite que peinte. Le trait est +insistant, il creuse la chair, il traduit le caractère. Vers cette +époque James Ensor introduit ce procédé graphique, tout à coup, dans sa +peinture. La ligne qu'il dissimulait et noyait jadis y prend la première +place, non pas la ligne ornementale et pure, mais la ligne +caractéristique et rompue. Ces brusques sauts, ces rapides volte-face, +ce changement incessant de procédé indiquent à la fois les recherches +incessantes de son art et les inquiétudes journalières de son caractère +et de son esprit. + +[Illustration: La Mère du Paintre] + +Trois ans plus tard s'achève le portrait d'Eugène Demolder et en +1895 celui de M. Culus. Enfin voici le dernier portrait en date (1907). +Il représente Mme Lambotte, d'Anvers. + +Le personnage est assis au centre de la toile, vêtu d'une robe bleue et +d'un grand châle vert. Admirable accord que celui de ces deux tons +principaux. A gauche une table. La main droite du modèle s'y appuie sur +un bibelot japonais. Au fond, mais bien à leur plan malgré la vivacité +de leurs teintes, apparaissent les _Masques scandalisés_ et quelque +scène du conservatoire de Bruxelles où le maître _Gevaert dirige les +chÅ“urs_. L'Å“uvre est intéressante à préciser. La figure est traitée, +délicatement; le chapeau est d'une fraîcheur comme florale. On dirait +que le personnage est rentré d'une excursion aux champs et qu'il retient +sur lui quelque chose de la limpidité et de la bonne odeur champêtres. +Les yeux vivent d'une vie charmante; les cils sont peints, hardiment, en +bleu. Et cette couleur si éloignée du ton local est d'une justesse +admirable dans l'ensemble. Tout ainsi revêt une vibration aiguë et +subtile à qui sait voir les objets non plus dans leur réalité plate, +mais dans leurs rapports avec un rêve de couleur et de lumière. Il faut +qu'un artiste vrai ne tienne presqu'aucun compte de la vue banale des +choses et qu'il ne les voie que comme prétexte à interprétation belle. +Tout se peut transposer d'une vie dans une autre, de la vie commune dans +la vie de l'art. La couleur unique dont il faille se soucier est celle +qui fait bien sur la toile et affirme et soutient et rehausse son +harmonie. Ensor a nettement obéi à cette loi dans le portrait de Mme +Lambotte. + +Deux très belles natures-mortes datent de 1893, la _Raie_ et le _Coq +mort_. Sur fond blanc le coq au plumage argenté se détache et tout un +frisson de lumière semble courir sur son ventre et ses ailes. Je me +souviens aussi et des _Viandes_ (Musée d'Ostende) et de l'admirable +_Coin de cuisine_ du Musée de Liège. Le pinceau semble avoir glissé sur +ces victuailles comme s'il était empreint non de couleurs mais de +clarté. Si la forme des objets était plus précisée et plus arrêtée, ce +bain de lueurs où le mercure et le soleil semblent fusionner n'aurait +certes pu aussi bellement, envelopper la toile. Qu'on voie la couleur, +affirme Ensor, aussitôt on ne voit qu'elle; de même, qu'on étudie la +forme et l'Å“il n'est plus sensible qu'à la ligne. Unir dans une même +Å“uvre le ton et le dessin, leur donner la même importance n'est possible +qu'aux demi-natures qui ne sentent rien fortement. Il faut choisir. +Ensor a choisi la couleur ou plutôt la lumière. + +On peut donc lui reprocher parfois que ses morceaux de viande, ses +choux, ses fruits, ses pots, ses vaisselles manquent de fermeté ou de +poids. Il en conviendra certes. Mais que lui importent ces remarques +terre à terre. Il existe une sorte de réalité esthétique plus haute que +la réalité authentique. Cette réalité ou plutôt cette vie est atteinte +par de purs moyens d'art. Ils réalisent les harmonies impeccables et +glorieuses du ton, les sensibilités merveilleuses des ombres et les +joies de la calme ou triomphante lumière. Quand ce haut résultat est +atteint il efface--surtout qu'il s'agit, en ce cas-ci, de simples +natures-mortes--toute critique vétilleuse et tatillonne. On ne sait quel +trophée choisir parmi tant d'éclatantes conquêtes du pinceau. Vases de +Chine aux tons laiteux, statuettes esquissées en quelques coups de +brosse, soies, linges, étoffes, écrans, éventails fins et légers, tout +le magasin familial de la Rampe de Flandre a traversé l'imagination de +l'évocateur. + +Voici les _Coquillages_ peints en 1889. A côté d'écailles roses et +lustrées, en voici d'autres blanches comme de la craie et d'autres +encore jaspées comme des dos de sèche et d'autres enfin creusées et +rayées comme des branchies. La structure de poissons improbables, +diables de mer ou rougets, se retrouve comme pétrifiée dans telles +formes minérales. Ensor en saisit les analogies, les traduit, les aime +et peut-être, au fond de lui, relie-t-il, par des liens psychiques, ces +architectures marines avec leurs silhouettes baroques et compliquées, au +monde étrange de ses masques et de ses squelettes. Tout cela peuple sa +mémoire et fixe et détermine son désir presqu'au même titre. + +[Illustration: La Vierge aux navires (1893).] + +Sur tel panneau, on croit surprendre la vie des mollusques au fond même +de la mer. Il date de 1895. Un grand coquillage bistre domine, la pointe +en l'air, comme en pyramide, d'autres coquilles, les unes vertes, les +autres roses, et cet arrangement comme maladroit semble le fait même de +ces bêtes lentes et visqueuses. Le dessin en est très ferme et comme +écrit. Il insiste sur chaque circonvolution et sur chaque spirale. Et +voici--contraste brusque--deux bulbeuses et légères grappes de raisin, +l'une bleue et l'autre rose-cerise, avec un oignon, une noix et une +poire, la queue dressée. Ensemble presque transparent. Il est si frais, +si lucide, si délicat qu'on le dirait comme baigné de rosée. + +L'entrée dans le royaume des masques dont James Ensor est roi, se fit, +lentement, inconsciemment, mais avec une sûre logique. Ce fut la +découverte d'un pays, province par province, les lieux pittoresques +succédant aux endroits terribles et les parages tristes prolongeant ou +séparant les districts fous. Grâce à ses goûts, mais aussi grâce à son +caractère, James Ensor n'a vécu pendant longtemps qu'avec des êtres +puérils, chimériques, extraordinaires, grotesques, funèbres, macabres, +avec des railleries faites clodoches, avec des colères faites chienlits, +avec des mélancolies faites croque-morts, avec des désespoirs faits +squelettes. Il s'est improvisé le visiteur de lamentables +décroche-moi-ça, de malodorantes arrière-boutiques de marchandes à la +toilette, de piteux bric-à -brac en plein vent. Il a vagué par des +vallées de misère où lui apparaissaient des pierrots malades, des +arlequins en goguette, des colombines soûles. Parfois, comme un +ménétrier fantasque, il montait sur un tonneau et sur la place de je ne +sais quelle ville du pays de Narquoisie, il agitait, au son d'un rebec +invisible, en un trémoussement soudain, toute cette joie lugubre et +bariolée. Il pleurait peut-être lui-même en peignant tel masque hilare +ou souriait en dessinant telle tête de mort. Les contrastes les plus +aigus devaient lui plaire et il les réalisait en oppositions violentes, +les rouges, les bleus, les verts, les jaunes se donnant comme des coups +de poings sur la toile. L'art d'Ensor devint féroce. Ses terribles +marionnettes exprimaient la terreur au lieu de signifier la joie. Même +quand leurs oripeaux, arboraient le rose et le blanc, elles semblaient +revêtir une telle détresse, elles semblaient incarner un tel +effondrement et représenter une telle ruine qu'elles ne prêtaient plus à +rire, jamais. J'en sais d'une angoisse de cauchemar. Et la camarde se +mêla à la danse. Le squelette lui-même devint tantôt pierrot, tantôt +clodoche, tantôt chienlit. Masque de vie ou tête de mort +s'identifiaient. On ne songeait plus à quelque carnaval lointain +d'Italie ou de Flandre, mais à quelque géhenne ou les démons se +coiffaient de plumes baroques et s'affublaient de draps-de-lit usés, de +bicornes invraisemblables, de bottes crevées et de tignasses +multicolores. C'est pendant les mauvais jours de sa vie que James Ensor +donna cette signification pessimiste à ses fantoches. + +Dans ce pays imaginaire, d'où la farce classique semble bannie, +évoluent le masque Wouse et Saint Antoine, les diables Dzitss et +Hihahox, les pouilleux Désir et Rissolé, les soudards Kès et Pruta et +l'on y rencontre la ville de Bise et le territoire de Phnosie. Rien que +ces appellations et ces noms, venus d'on ne sait quelle région d'un +cerveau hanté, renseignent sur la très spéciale imagination d'Ensor. Au +reste, pour animer pendant vingt-cinq ans un peuple aussi grouillant +d'êtres chimériques et les douer d'une psychologie aussi étonnamment +variée, fallait-il que le monde de la démence fût naturellement pour le +peintre un monde de prédilection et de choix. Certes, croyait-il à tout +l'invraisemblable, à tout le baroque, à toute la folie et ne +recouvrait-il la lucidité qu'à l'heure où il s'asseyait devant sa toile +et choisissait ses couleurs et harmonisait ses tons. Il a réalisé +admirablement cette vie double. + +Le _Masque Wouse_ (1889) apparaît un des premiers. Il est vêtu d'un +schall discrètement et magnifiquement bariolé de rouge, de vert, de +jaune, de bleu, il tient en main un parasol, est coiffé d'un bonnet et +le nez de son visage en carton s'agrémente d'une pendeloque légère. Il +regarde, gisants devant lui comme autant de marionnettes flasques, +d'autres êtres semblables à lui et l'on dirait quelqu'un visitant soit +une morgue de pantins, soit, après un combat, le champ d'une défaite. +L'Å“uvre où s'épand une clarté diffuse est délicatement peinte, les +étoffes sont flottantes et légères, l'atmosphère jolie. Elle contraste +et voisine, dans l'atelier de l'artiste, avec les _Masques singuliers_ +(1892) mis en rangs, comme s'ils s'attendaient à être passés en revue +par les soudards Kès ou Pruta. Ils reviennent, Dieu sait de quelle +parade, les vêtements lâches et veules, mais gardant encore on ne +sait quelle fierté vague. Le plus grand de tous porte un chapeau +militaire dont la frange se détache lugubrement. En cette toile, presque +tous les tons sont forts, puissants, hardis. Ils réalisent comme une +gamme descendante et ne deviennent fins et subtils qu'autour d'un +Pierrot boursouflé qui dissimule, en des blancheurs roses, sa carcasse +falote. Oh la piteuse mascarade et comme la détresse d'une gloire abolie +et d'une gaieté défunte s'y marque! Fini l'orgueil, le triomphe, la +gloire. Toute fanfare s'est tue. On rit et l'on est triste. Acteurs +flétris d'un drame chimérique, les fantoches sont là n'ayant plus même +un bout de bâton pour simuler un vague: portez-armes. + +[Illustration: Les Pochards--1883.] + +Maintenant voici les _Masques devant la mort_ (1888) et les _Squelettes +voulant se chauffer_ (1889) et le _Squelette dessinant_ (1889) et les +_Squelettes se disputant un pendu_ et les _Masques regardant une tortue_ +(1894) et un _Duel de masques._ Le drame morne ou féroce commence à se +préciser. Dans les _Masques voulant se chauffer_ une impression de néant +s'affirme. Rien de plus pauvre, de plus navrant, de plus lugubre que +cette idée de chaleur et de bien-être évoquée devant ces êtres flasques +et vides. Ils s'approchent, se pressent, s'inquiètent autour de ce feu +inutile, de cette flamme sans vertu, de ce foyer qui les raille et qui +n'est pas. Les _Masques regardant une tortue_ angoissent tout autant. +L'écaille qui couvre l'animal contemplé est, elle aussi, une sorte de +masque dissimulant le mouvement et la vie. Ce rapprochement baroque +suffit à faire comprendre pourquoi les étranges spectateurs semblent +comme s'étudier eux-mêmes en voyant bouger lentement et pesamment la +bête torpide et douce. Enfin dans un _Duel de masques_ l'idée de lutte, +de fureur et de férocité est raillée à son tour. + +Toutes ces petites toiles sont franches, sincères, nerveuses. +L'ostéologie des squelettes est amoureusement étudiée. Parfois sur leur +crâne lisse se distinguent des lignes pareilles à celles des cartes de +géographie et l'on peut croire que le peintre se plaît à inscrire le +monde sur l'os d'un front. Le trou des yeux est approfondi. On y +surprend, dans le vide, on ne sait quelle fixité qui donne l'illusion +d'un regard. Ce n'est certes plus le squelette tel que le comprenait le +moyen-âge. C'est plutôt celui qui sort des cabinets d'anatomie, des +laboratoires et des hôpitaux. Il ne fait pas songer à tel macabre +philosophe qui moralise dans la danse de Holbein ou dans les fresques de +la Chaise-Dieu; il n'est pas chrétien. Il s'est renouvelé; il est de +notre temps. Il représente non plus les croyances, mais les idées et les +sentiments. + +Même dans ses _Tentations de Saint-Antoine_, Ensor ne prétend ni prêcher +ni évangéliser. Le tohu-bohu de ces apparitions charme presque et +devient, en ce sujet légendaire, quasi bon-enfant. Le peintre adore y +semer des corps de femmes grosses et cocasses, des diables fluets et +malins, des monstres improbables et ridicules. Le pittoresque de ce +cauchemar chrétien le tente plus que son horreur. Et c'est en dilettante +de l'impossible qu'il s'y affirme et non pas en vengeur du vice ou en +champion de la vertu. Il cultive l'angoisse, ailleurs. Il la cultive en +lui-même. Dans le _Portrait du peintre entouré de masques_ (1899), +appartenant à M. Lambotte, d'Anvers, il s 'affuble d'un costume +étrange, il se couronne de plumes et de fleurs, il se déguise lui-même +comme pour donner plus congrûment audience au peuple entier de ses +fantômes. L'Å“uvre est haute en couleur; toute la palette ardente et +sonore est employée; la joie s'affiche; on songe à un triomphe et +pourtant que de cris poignants, que de violence et de fureur ces faces +impassibles n'expriment-elles pas? Tel visage morne et blême rappelle +une tristesse passée, tel autre une inquiétude présente; celui-ci, avec +ses joues pesantes, avec ses yeux comme pincés en des étaus de graisse, +rit d'un malheur qui viendra; celui-là , bonasse et rougeaud, détaille +quelque farce funèbre ou pavane sa santé gonflée et balourde au-devant +de la maladie qu'il annonce. Tous les sentiments humains se laissent +deviner. Le plaisir, le chagrin, l'audace, la peur, l'espoir, la transe, +l'orgueil, le doute, la force, l'abattement, la roublardise, la ruse, +l'ironie, la détresse, le dégoût. C'est un formidable bouquet dont les +fleurs seraient des bouches, des nez, des fronts, des yeux et qui +toutes, ou presque toutes, malgré leur beauté et leur éclat seraient +capiteuses et empoisonnées. Chacune a une signification nette et un +langage précis quoique muet. Et les masques surgissent de partout: à +droite, à gauche, du haut, du bas. Le champ tout entier de la toile en +est comme encombré: ils se pressent, se tassent, s'enfièvrent. Il faut +qu'ils assiègent le peintre, qu'ils le dominent, le hantent et +l'hallucinent, qu'ils se moquent des roses et des plumes que sa tête +arbore, qu'ils lui crient leur inanité et la sienne et lui fassent comme +la leçon terrible de la mort. Lorsqu'Ensor introduisit en sa peinture +un tel peuple étrange et tragique de masques, peut-être ignorait-il +lui-même qu'à un certain moment ils lui fausseraient à tel point la +notion du réel qu'il ne verrait plus qu'eux de vraiment vivants sous le +soleil et qu'un jour il prendrait place parmi leur multitude comme s'il +était lui-même quelqu'un de leur lignée et de leur race. Car il ne se +peut pas qu'il n'ait subi, à certaines heures, une telle illusion +dominatrice et qu'il n'ait fini par voir, avec ses yeux ouverts en plein +jour à la lumière, l'humanité entière comme un ensemble de grotesques et +de fantoches. Son art terrible et rêveur a dû l'affoler à ce point, +fatalement. + +[Illustration: Enfants à la toilette--1886.] + + +IV. + +LES DESSINS + + +Ensor a nettement distingué dans son Å“uvre le dessin du peintre et le +trait du dessinateur. J'en donnai les raisons: elles me semblent +plausibles. Pointe et pinceau ne furent jamais à ses yeux des +instruments identiques. + +Nous voici en présence d'un nombre infini de pages où le fusain, la +plume et le crayon se sont appliqués à fixer la vie ou le rêve. On les +peut diviser aisément en catégories: les croquis; les dessins de +caractère; les dessins atmosphérés; les dessins à lignes pures et les +dessins ornementaux. Il est certes piquant de constater que c'est +précisément celui parmi nos grands artistes qu'on accuse peut-être le +plus de négliger le dessin qui surtout le cultive. S'il rassemblait tous +ceux qu'il a faits, ils formeraient une bibliothèque. + +Je sais des notations où quatre à cinq traits nettement placés expriment +l'enveloppe, la masse et l'attitude momentanée d'un personnage; voici, +d'un coup de crayon, la marche, l'inclinaison, la vitesse d'une jambe +traduites; le mouvement d'un dos, l'affalement d'une hanche, le +bondissement d'une croupe, la tension d'un cou reproduits. Tout cela +est preste, vivant, soudain. Sur une seule page, cinquante petits +bonshommes se meuvent, s'agitent, passent, viennent, s'arrêtent, +s'assoient, s'affalent et le crayon Conté note, détail par détail, leurs +particularités et leurs manières d'être et compose comme une faune +amusante des passants de la rue moderne. Je connais tels croquis où +James Ensor, profitant des menus défauts du grain ou de la trame d'un +papier, a composé une _Chute des anges rebelles_ en tenant compte de ces +accidents de matière. Des mouvements inattendus se devinent, des grappes +de muscles et de chairs pendent et se contractent, une cataracte de dos, +de ventres et de têtes se précipite, une impression de ruée est +merveilleusement rendue et tout cela n'est que du hasard souligné par un +crayon, dites combien habile et preste? + +[Illustration: Mon Père mort--1887] + +Le jour où le peintre s'intéressa à l'existence des marins et des gens +du port--plus tard ils lui fourniront et ses pouilleux et ses +masques--ce fut par des études au fusain qu'il manifesta son +enthousiasme. Il possède toute une suite de dessins supérieurement +conduits où s'offrent en leurs attitudes quotidiennes les vieilles à +mantelets, les mousses en vareuses, les vieux pêcheurs échoués comme +leurs barques au long des quais et les gars solides et râblés qui demain +s'en iront vers la mer. Puis se caractérisent encore les ouvriers, les +petits musiciens, les poissardes mélancoliques, les mangeurs de soupe, +toute une population de déjetés et de miséreux. Toutes ces pages +témoignent d'une sagesse et d'une sûreté indéniables. Dès que le peintre +le veut, il réalise aussi bien que quiconque la correction du dessin et +la proportion des diverses parties d'un corps humain. Je ne puis +m'enlever du souvenir tel _Gamin en casquette_ aux lèvres grosses, au +nez compact, à l'Å“il légèrement triangulaire, ni cette ferme et précise +étude de _Main tendue_ où l'ossature des doigts dans la peau détendue et +les bosses des muscles apparaissent si nettement, ni ce _Vieux cheval_ +noueux, maigre, efflanqué et comme diminué qui se tient avec peine +debout entre deux brancards, ni surtout cette adorable tête d'_Enfant +endormi_ dont la bouche entr'ouverte est d'une vie si vraie et dont +l'Å“il est si délicieusement clos. Comme on sent le sommeil et non la +mort! + +[Illustration: Croquis.] + +Rendre la matière, scrupuleusement, fut la tâche qu'Ensor s'assigna dans +tels dessins: ferrailles, armoires, clefs, rideaux, étoffes, lustres, +coffrets. Il y réussit, sans se tromper jamais. Son crayon fouille, +comme un outil sûr, les fibres et les nÅ“uds du bois ou rend avec bonheur +l'usure des bosses et des reliefs. On pourrait deviner si tel meuble est +en chêne ou en noyer. Assurément--tant l'exactitude est +grande--s'aperçoit-on s'il est plaqué d'acajou. Les ornements d'acier ou +de cuivre sont creusés dans leurs ombres ou caressés sur leurs lueurs; +un rinceau, une courbe, une volute est rendue avec dextérité. Autant le +pinceau est léger et souple à fleur de toile, autant la pointe est +insistante et vigoureuse sur le champ des feuillets. De même l'ampleur +lourde et molle d'un rideau de laine qu'une grosse cordelière retient +est offerte au toucher et semble pouvoir renfermer en ses plis jusqu'aux +mites et aux poussières. Bien plus. Ces dessins, encore que littéraux, +sont doués d'une vie ample. Ils n'ont rien d'industriel. Si pour James +Ensor certains meubles sont hantés, tous les objets frissonnent, +bougent, sentent. La cruauté séjourne dans le couteau, la discrétion +dans la clef et le fermoir, le repos et la sécurité dans le bois. Rien +n'est mort, complètement. Chaque matière renferme en elle sa tendance, +sa volonté et son esprit. Elle est créée pour un but. Elle doit donc +avoir comme une âme qui tend à une fin et c'est précisément cette âme +qui seule nous intéresse dans l'inanimé et qui seule constitue, aux +yeux d'un artiste, la beauté des choses les plus quelconques. A côté +de ces dessins très écrits, James Ensor en a réussi d'autres entièrement +baignés d'atmosphère. Un modelé frêle les distingue. Ils participent +plus que les autres à la vie universelle, aux variations de l'heure. +Pour les réussir il faut un tact spécial. Ils sont d'un grain menu et +d'une fragilité choisie. Certains apparaissent comme faits avec de la +poussière rassemblée dans les ombres et dispersée dans les clairs. Des +gris tendres savamment distribués en constituent la beauté précieuse. +Voici le _Portrait de Madame Rousseau_. Elle est assise à l'avant-plan, +parmi des meubles familiers, non loin d'un bas-relief. Le jour est +tamisé; tout est en infimes nuances et en atténuation. Il en résulte une +impression de douceur et de calme si grande qu'une mouche survenant la +troublerait, malencontreusement, du simple bruit de ses ailes. + +_Mon père mort_ est conçu dans le même esprit. La page est solennelle, +sobre, émue. On aperçoit seulement la tête posée parmi les draps que +légèrement quelques tons blancs rehaussent. A traits fins, la barbe et +les cheveux sont rendus. Le crayon Conté et le crayon gras out introduit +le jeu de leurs différentes accentuations dans les parties sombres. +L'ombre s'anime, mais uniquement afin d'éviter qu'elle ne soit opaque: +il faut que la seule sérénité règne dans l'étude entière. Le dessin est +du reste irréprochable. Le nez, les yeux et le front sont nets sans +dureté, les chairs sont admirablement apâlies quoique consistantes +encore. + +[Illustration: La Mère du Peintre--1889. Dessin. (Collection Robert +Goldschmidt)] + +Cette même manière de nuancer un dessin sans l'affadir ni le banaliser +se retrouve dans le _Portrait de ma mère_, appartenant à M. +Goldschmidt, et dans les _Squelettes musiciens_. Devant une armoire où +s'étale un crâne sans mâchoire, apparaît un squelette introduisant le +bec d'une clarinette dans sa bouche sans dents. Un manche de violoncelle +s'élève non loin de lui. Ces deux crânes sont étudiés avec un art +parfait. Chaque relief, chaque méplat, chaque partie osseuse avec ses +stries et ses méandres est rendu comme un artiste gothique se serait plu +à les traduire. Faire attentif, serré, scrupuleux. Impossible de pousser +plus loin l'attention minutieuse, ni la probité appliquée. Et quelle +aisance, quelle apparente facilité, quelle ductilité et quelle +flexibilité prestigieuse des doigts. Et combien tout est sûr et savant! + +La ligne même, la ligne pour elle-même, la ligne simple et jolie, la +ligne belle et enveloppante séduisit à son tour la main chercheuse de +James Ensor. Et voici la _Vénus à la coquille_ dont le corps souple, +limité par un trait gracieux et flexible, surgit, avec, entre ses +doigts, une pomme. Les jambes, le torse, le ventre et les bras sont +suffisamment modelés pour qu'ils donnent la sensation d'exister vraiment +et n'être pas uniquement des blancs sur un papier. Mais c'est +l'arabesque sinueuse séparant la Déesse de l'ambiance qu'on admire +surtout et qui étonne par sa souplesse. On songe à quelque fleur +délicate et haute. + +[Illustration: Vénus à la coquille--1889. Dessin.] + +Les sujets ornementaux, avec leur fantaisie violente et leur parodie +épique ont tenté à maintes reprises le crayon d'Ensor. L'histoire, la +légende, les coutumes lui fournissent leurs thèmes. Il les transforme +selon son humeur, son caractère, sa nature. Ils ne sont pour lui que +des sortes de tremplins sur lesquels sa verve et sa raillerie +bondissent. Les batailles surtout le requièrent. Grâce aux coups donnés, +aux plaies reçues, grâce aux déhanchements du corps qui frappe et aux +chutes des corps qui succombent, grâce aux contorsions qu'il suppose et +aux pirouettes qu'il imagine, un combat se présente à lui avec délices. +L'horreur réelle en est supprimée au profit de la truculence et du +pittoresque. Ou bien encore c'est dans quelque décor moyen-âgeux, sur +une place meublée de maisons hautes et pointues, quelque drame violent: +_Sorcière qu'on brûle, Patrons de cathédrale, Vierges aux navires, +Soudards entrant en des cités étranges_. Ou bien encore, dans un site +d'hiver quelque folâtre et compliquée scène de _Patinage_ ou bien enfin +quelque _Parade dans une arène de cirque_. Celle-ci amuse immédiatement +par la gymnastique baroque des clowns et les sauts invraisemblables des +paillasses. On croirait assister à quelque liesse d'escargots, à quelque +fête de chenilles. Des êtres contournés, girouettants, tire-bouchonnés +permettent au dessinateur de réaliser, par des volutes charmantes et +placées chacune à quelque endroit précis et heureux de la page blanche, +une ornementation inédite qui charme l'Å“il immédiatement, sans examen, +et divertit l'esprit sitôt qu'il s'attarde. + +Toutefois le motif le plus célèbre est traité dans la _Bataille des +Éperons d'or_. Les communiers flamands sont rangés à droite, coiffés de +casques inusités, armés de massues buissonneuses et présentant des +«goedendags» pareils à des reptiles. Courtrai avec ses tours, ses +remparts et ses moulins, se devine, là -bas. Ils la défendent et leurs +lignes rangées et pointues s'étendent devant elle, comme une succession +de haies où flotteraient, ci et là , des drapeaux. Le lion noir de +Flandre orne la plus haute bannière. + +A gauche, mais à l'arrière-plan, apparaissent les chevaliers français +sur leurs chevaux rapides et ployés en arc de cercle. Cimiers, panaches, +lances, épées, bannières, tout flotte ou se dresse au vent. Derrière eux +un incendie s'allume et l'horizon est peuplé de nuages capricieux et +tourmentés. + +Au milieu la bataille: foulons, tisserands, bouchers assaillent et +désarment les ducs et les barons. Des jambes, des têtes, des bras encore +armés de fer et d'acier gisent à terre. On a coupé les corps comme aux +abattoirs. Un cheval est tombé pattes en l'air, une flèche fixée au gras +de sa croupe. Voici un communier pendu à la queue d'un coursier; un +autre se soulage et fait un pied de nez aux charges qui approchent. Les +chevaux ruent, s'effrayent, s'abattent. Une mêlée grotesque s'éparpille +en mille actions non pas d'éclat, mais de gaieté baroque et de risée. +L'invention est spontanée, abondante, joyeuse. On assiste à une dépense +de jovialité narquoise et d'humeur pavoisée. Les drapeaux qui flottent, +les armes qui se dressent, les rayons du soleil, les banderoles des +nuages ne sont présentés à la vue que comme décors fictifs et lignes +ornementales. La _Bataille des Éperons d'or_ est une kermesse où l'on +tuerait pour s'amuser, où l'on tomberait pour se distraire, où l'on +mourrait pour avoir le plaisir de faire une grimace. Le _Triomphe +romain_ s'apparente à la _Bataille des Éperons_. La composition en est +moins originale et les lignes dominantes moins inattendues. +Toutefois peut-on se réjouir à voir les licteurs présenter leurs +faisceaux comme des seringues et ceux qui portent les aigles arborer ces +dernières comme de vulgaires oiseaux abattus par des archers, dans +quelque village flamand. Il conviendrait d'insister encore sur la _Mort +d'un théologien_, sur la _Multiplication des poissons_, sur les +_Soudards Kès et Pruta_, sur _Iston, Pouffamatus, Cracozie et +Transmouff,_ sur les _Diables menant le Christ aux Enfers_. Je me +bornerai à présenter la plus importante des _Tentations de +Saint-Antoine,_ grande composition qui ne fut exposée, après un premier +refus, qu'aux _XX_, en 1888. + +[Illustration: Projet de Chapelle à dédier à St. Pierre et Paul--1897.] + +Elle est divisée par étages. Au rez-de-chaussée, l'anachorète gros et +geignant se présente à nous et sa bonasse figure, que de grosses larmes +humectent, regarde le ciel, sans trop de désespoir. Au-dessus de lui +trône une femme qui se dévêt même de la feuille de vigne. Elle est +grande, belle, élancée, et son impudeur est triomphante. En haut, tout +en haut, apparaît une admirable tête de Christ, prise à quelque maître +gothique flamand. Il semble consoler Antoine et pleurer lui aussi sur +l'amas des vices et des péchés montrés. + +Dans la vie des Saints par Alban Stolz, docteur en théologie et +conseiller ecclésiastique, il est dit d'Antoine: «Un jour qu'il venait +d'être tenté plus que de coutume, il lui sembla que Notre Seigneur lui +apparaissait rayonnant de lumière. Il lui dit en soupirant: «Bon Jésus +où donc avez-vous été? Pourquoi n'êtes-vous pas plutôt venu me +secourir». Et il lui fut répondu: «Pendant que vous combattiez j'étais +auprès de vous, car sachez que je vous assisterai toujours.» Ce texte +commente nettement le fourmillant dessin d'Ensor. Il composa du reste ce +poème par morceaux, appliquant sur une grande toile, maint carré de +papier qui continuait sans interruption la partie de scène traduite sur +le carré voisin. + +En plus, si l'Å“uvre se divise, dans le sens de la hauteur, par étages, +elle se complique aussi, dans le sens de la profondeur, par couches. +Presque partout quelque motif en saillie en cache un autre d'un relief +plus atténué et plus fondu. Il en résulte une abondance et comme une +fermentation étrange, car dans cette large page tout est traité: +religion, histoire, morale, vice, vertu, terreur, angoisse, rire, +ricanement, folie. On se croirait en présence de quelque Å“uvre indoue +qui nous propose une explication du monde. Et voici les cultes anciens +ridiculisés par une Minerve grotesque debout au fronton des temples et +voici les mille inventions modernes traitées fantastiquement: trains, +ballons, navires; et voici des écorchés dont des femmes enlèvent la peau +et voici des crucifiés dont des femmes enlèvent le cÅ“ur et voici les +péchés capitaux qui apparaissent avec leurs violences et leurs affres et +qui tournent autour de la luxure centrale. + +Dans le bas se déroulent des cortèges. Des mimes, des masques et des +clowns, portant des pancartes folâtres se poussent vers saint Antoine +comme pour lui présenter la pétition goguenarde de l'universelle démence +humaine. + +Oh, le multiple et terrible cauchemar enluminé! Il arrête surtout par +ses détails minutieux et innombrables, mais l'ensemble en est toutefois +large et imposant. Celui qui le conçut est quelqu'un dont +l'intelligence, le cÅ“ur et l'imagination travaillent et fournissent avec +angoisse leur pensée et leur rêve aux mains patientes et laborieuses. + + + + +V. + +LES EAUX-FORTES + + +C'est dans son travail d'aquafortiste plus encore que dans son Å“uvre de +peintre que l'imagination d'Ensor s'est débridée. Bien des cuivres +reproduisent certains de ses tableaux et tel de ses dessins est traduit +en gravure. Toutefois, quand le burin à la main il conçoit quelque +composition encore inédite, le vent de la fantasmagorie plus que jamais +violent lui souffle sur le cerveau. Je craindrais de rééditer certaines +analyses déjà faites si je présentais, ici, toutes les _diableries_ et +_mascarades_ traitées à la pointe. Je ne veux appuyer que sur leur +excessive audace, sur leur extrême cocasserie, sur leur insurpassable +outrance. L'impudeur, l'indécence, la scatologie même apparaissent. +Mais--disons le en y insistant--rien n'est malsain, trouble, louche, +ambigu; tout au contraire est franc, sincère, féroce, brutal. Il n'y a +pas de sous-entendu. Il y a étalage. On sait immédiatement qu'il faut ou +fermer ses yeux si l'on craint pour ses prunelles innocentes, ou se +boucher le nez si l'on possède des muqueuses trop délicates. Le +haut-le-cÅ“ur est soudain ou ne se produit pas. Ceux qui l'évitent se +complairont à suivre alors, en tous leurs méandres, les fleuves de +verve tumultueuse et de raillerie agitée que l'artiste charrie à travers +ses Å“uvres, avec leurs boues frappées de soleil, leurs folles herbes +tournoyantes et leurs charognes magnifiques. Vienne, Zürich, Liège, +Barcelone, Milan, Venise, Ostende, Dresde, Paris possèdent, en leurs +collections publiques mainte eau-forte du graveur. M. Eugène Demolder en +une critique pénétrante et renseignée, M. Coquiot das sa préface au +_livre des masques_, M. Vittorio Pica, là bas, en Italie, dans les +revues et Jean Lorrain, dans le roman étrange, précieux et faisandé de +_M. de Phocas_, ont longuement et ardemment célébré tels ou tels cuivres +du peintre. Voici ceux qui ont le plus souvent sollicité la critique. + +[Illustration: La Cathédrale--1886. Gravure à l'eau-forte.] + +_La Cathédrale_ (1886). Serrée, compacte, myriadaire, une multitude +s'avance moins avec ses jambes, ses bras, son corps qu'avec ses visages, +vers on ne sait quel but. Elle bouge non pas individuellement, mais +totalement, d'un énorme mouvement d'ensemble et c'est comme si la masse +humaine entière s'ébranlait. Au milieu d'elle une église avec ses +grandes tours, avec l'élancement de ses ogives, avec ses toits et ses +clochetons, une église légère, triomphante, aérienne est plantée et +domine. Au loin se devinent d'autres architectures, des surgissements de +flêches, des hampes géantes et des drapeaux. On songe à une colossale +fête séculaire, à quelque anniversaire prodigieux. Le spectacle est +épique. + +Et cette impression est donnée non pas avec force, mais avec légèreté et +délicatesse. Le burin fourmillant a creusé partout mais jamais sa pointe +ne fut rude ni acharnée. On dirait le travail d'un clan de mouches ou +d'une ruche d'insectes. Une atmosphère joyeuse, transparente, fine, +légère, baigne la page entière et si le mot chef-d'Å“uvre vole sur les +lèvres de celui qui la regarde, ce mot y semblera bien à sa place comme +est à sa place sur le cuivre chaque trait d'ombre et chaque surface de +lumière. + +_La grande vue de Mariakerke_ (1887) est d'une qualité d'art aussi haute +que la _Cathédrale_. Les petites maisons du village west-flamand sont +groupées autour de son clocher, avec leurs toits comme des ailes +abaissées, avec leurs maigres enclos, avec leurs dunes poudreuses et +leurs verdures aiguës. Un ciel admirable de nuages volants le surmonte +et le grandit. On sent la mer proche. Les herbes de l'avant-plan sont +ployées par le vent du large. Elles forment comme une barrière d'ombre +qui éloigne et approfondit le sujet principal. Un air abondant circule. +Une correspondance exacte, une interinfluence scrupuleusement observée +et rendue existe entre le ciel et la terre. Les plans sont partout +minutieusement fixes et leur accord partant des bords du cadre jusques à +l'horizon prouvent quel Å“il sûr Ensor possède qu'il s'agisse du trait ou +de la couleur. + +Et _l'Hôtel de ville d'Audenarde_ (1888) et surtout les _Barques +échouées_ (1889) confirment encore en nous cette conviction. Dans la +première planche, l'ombre des galeries du rez-de-chaussée est rendue +avec une justesse merveilleuse et tout le haut de l'édifice semble comme +vibrer dans la lumière; dans la seconde, grâce à la disposition oblique +des deux lignes principales, celle du rivage lointain et celle des +bateaux sur le quai, l'approfondissement du paysage est admirablement +rendu, tandis que la volute large et ample du nuage, déroulant sa portée +dans la même direction que le rivage de droite et les barques de gauche, +concourt à cette même illusion d'étendue. Souvent, le jeu subtil des +lignes ne fut guère favorable aux compositions de James Ensor, mais ici +les plus malveillantes critiques ne peuvent avoir de prise et son Å“uvre +est irréprochable. Ceux qui le chicanent sur la trop fameuse +perspective, n'ont qu'à examiner les _Barques échouées_. Ils conclueront +que si le peintre viole parfois telle ou telle sacro-sainte règle, tant +en ses tableaux qu'en ses dessins, ce n'est ni par ignorance, ni par +impuissance mais par réflexion et par volonté. L'art doit sacrifier à +chaque instant les préceptes et les enseignements qui le gênent dans ses +recherches et ses découvertes. Un vrai artiste trouve en lui-même la +justification de ses excès. Ce qui s'est fait avant lui ne lui est qu'un +conseil; ce ne peut jamais lui être un ordre, ni une sorte d'ultimatum. +L'art est libre, libre, libre! s'écrie quelque part James Ensor. Il n'y +a que les médiocres qui ne comprennent pas et ne comprendront jamais la +profondeur et la sincérité d'une telle revendication ardente. +Heureusement que les routes supérieures de l'humanité en marche sont +plantées de grandes Å“uvres qui l'affirment et la crient à leur tour. + +[Illustration: Le Christ apaisant la Tempête--1886. Gravure à la pointe +sèche.] + +Le _Christ calmant la tempête_ (1886), les _Sorciers dans les +bourrasques_ (1888), l'_Ange exterminateur_ (1889), sont des +compositions magnifiques d'ampleur et de simplicité. La première est +comme solennelle. On a la sensation d'un miracle qui éclate et du +surnaturel qui rayonne. Les deux autres baignées--dites de quelle vaste +ou féerique lumière--propagent un mouvement fou tout au long de leurs +lignes. L'énorme Sorcier de la bourrasque fait songer à quelque Caliban +céleste. Il est grotesque et puissant à la fois. L'ange exterminateur a +beau nous apparaître comme une sorte de croquemitaine et les foules qui +le voient passer s'accroupir en des poses affolées, l'apparition est +magnifique et inoubliable de splendeur. Le trait menu et comme +tremblant, le trait minuscule et rompu doue le cheval et son cavalier +galopant dans les nues, comme d'une vitesse frémissante. + +_Les sept péchés capitaux_, que précéda dès 1888: _Peste dessus, peste +dessous, peste partout_, nous offrent comme une Å“uvre cyclique où le +grotesque le dispute à la férocité. Une eau-forte liminaire en prépare +l'impression étrange. Elle figure une Mort ailée--dites quelles ailes +misérables et déplumées le squelette entr'ouvre!--abritant sous elle des +personnages divers dont chacun semble être une indication rapide des +sept vices à fustiger. + +[Illustration: Barques échouées--1888. Gravure à l'eau-forte.] + +La _Luxure_ (1888) occupe le centre de l'Å“uvre. Un jeune homme dont le +corps est à demi dissimulé, semble ramper, sur un lit, vers une femme +énorme qui détourne la tête et n'étale qu'une chair ballonnée impudique +et monstrueuse. Le temps, sinistre et glabre vieillard, le temps aux +mains et aux ailes crochues menace d'une faux énorme le couple lubrique, +tandis que voltige dans l'air une manière de gnome cornu et que dans un +cadre, près d'un rideau, de vagues nudités apparaissent. Dessin rapide, +traits menus, facture fine et délicate. Page de blondeur et de jeunesse +où seule la faux levée trace un lugubre éclair. Elle voisine avec +_l'Avarice_ (1904)--ici, la pointe du burin appuie, griffe, devient +comme méchante--et l'on voit un terrible bonhomme, en casque-à -mèche +compter son argent sur une table et quelque démon hérissé remuer, avec +lui, les pièces rondes et frémissantes. Soudain surviennent deux +assassins qui assaillent et saignent le cynique avare. Le sang +éclabousse sa figure et s'écoule de son flanc. L'_Envie_ (1904) +s'éclaire de l'apparition d'une jeune mère tenant un nouveau-né entre +ses bras. Elle est heureuse. Un jeune gars l'embrasse. Une paix, une +douceur, une tendresse est répandue. Des rayons partent du milieu de la +page, baignant le front de la femme et se projetant jusqu'au bord du +cadre. Mais voici la contradiction qui se lève: vieilles filles au nez +féroce, bigotes tirant la langue, hommes graves et bilieux, crétins +faisant des pieds-de-nez et ci et là des squelettes voltigeant comme +pour annoncer la maladie et le trépas et affirmer combien toujours la +mort est suspendue sur la vie. + +[Illustration: Croquis.] + +L'_Orgueil_ (1904). Solennel, ponctuel, grave, rogue, ridicule, avec de +tombantes bajoues, avec un front étroit, carré, abrupt, avec une tête +trop volumineuse pour son corps étriqué, quelque vague notaire ou +commerçant ou bourgmestre de province se présente à la foule des +quémandeurs, des humiliés et des pauvres qui lui baisent les mains. Un +squelette lui pose une couronne sur la tête. Un coq, les plumes +hérissées, crie vers lui comme s'il claironnait de fureur. Un âne +regarde. Quelque morne sacristain lit un discours; quelque minable +vieille tend un bouquet. La mort, armée de sa faux, promène ses doigts +d'os dans la perruque d'une femme acariâtre--peut-être la compagne du +notaire, du commerçant ou du bourgmestre--et lui cherche sa vermine. La +scène est d'une observation cruelle et folâtre. Tout est piteux, morose, +grotesque dans ce triomphe. La petite ville y est raillée et bafouée. +Ensor se venge. + +La page la moins réussie nous représente la _Colère_ (1904). Au fond +d'un lieu quelconque--appartement d'ouvrier ou grenier bourgeois--homme +et femme, avec des couteaux et des crochets, luttent et se blessent. +Leur chat, le poil dressé, assiste à la bataille. Des êtres +singuliers interviennent et la camarde semble faucher le vide au-dessus +des combattants. On croirait que le cuivre est griffé au moyen d'un +clou. Toute autre est l'abondante et grasse et croupissante et +savoureuse _Gourmandise_ (1904). Bien que les deux personnages assis +vomissent leur nourriture et que la Mort leur serve un homard et qu'un +chien, sur le dossier d'une chaise, compisse l'un d'eux et qu'une tête +coupée s'étale sur un plat, le petit drame gastronomique se caractérise +par une jovialité amusante. Un tableau pendu au mur réjouit par son +dessin preste: il représente des porcs qu'on tue, dans un village sur la +place, et certes les deux bâfreurs assis ou plutôt affalés à leur table +ne se doutent point qu'ils méritent un semblable trépas. L'énorme cochon +qui se hisse dans un coin, la langue pendante, semble seul distraire le +plus gros des convives et son Å“il oblique s'en va vers le groin tendu ou +vers le homard que la mort apporte, presque amoureusement. Enfin la +_Paresse_ (1902) représente deux dormeurs, un homme et une femme, +enfoncés dans leur couche. Un lutin ricaneur chatouille l'Å“il de la +dame. Un squelette détraque une horloge et enlève une aiguille. Par la +fenêtre, on aperçoit des paysans qui moissonnent, des ouvriers qui +brouettent, des valets qui bêchent, des gens de peine qui transportent +des fardeaux, des soldats à l'exercice, des trains qui roulent et tout +au loin une ville énorme dont les usines s'acharnent et fument sous le +riant soleil. Dehors il fait grand jour, mais les dormeurs baîllants se +calfeutrent et de lents escargots rampent sur leurs draps. Un petit +démon, sur la table de nuit, éteint, d'un pet, la bougie. + +[Illustration: Ernest Rousseau--1887. Gravure à la pointe sèche.] + +Cette suite de sujets renseigne--et que d'autres petites planches +l'affirment comme elle--sur l'inépuisable fantaisie de James Ensor. On +la croit au bout de sa trépidation et toujours et encore elle +recommence. Elle est véloce et incessante comme le tic-tac d'une montre. +Elle s'agite jour et nuit. La moindre observation faite au hasard la +remonte comme le petit tour de clef quotidien redonne la vie aux +ressorts distendus. + +Pour saisir mieux encore cette folâtre imagination il faudrait la suivre +jusque dans sa descente vers la caricature et la montrer aux prises avec +les _Cuisiniers dangereux_[1] et les _Mauvais médecins_ (1895). + +Les _Cuisiniers dangereux_ sont les critiques. On y distingue telles +personnalités que J. Ensor redoutait. Elles servent un étrange repas à +quelques-uns de leurs confrères et sur les plats présentés s'étale la +tête même du peintre flanquée d'un sauret. Les _Mauvais médecins_ +opèrent avec une férocité délurée, s'empétrant parmi les intestins +qu'ils retirent des ventres comme des câbles et taillent dans les chairs +de larges crevasses par où s'évadent les entrailles. Le patient tend un +poing vers le ciel, est retenu par une corde qui l'étrangle tandis que +la mort sinistre, avec un geste préceptoral, apparaît. + +[Footnote 1: Les _Cuisiniers dangereux_ sont un panneau (1896).] + + + + +VI + +VIE ET CARACTÈRE + + +Vie banale somme toute, mais en lutte avec un caractère spécial, +étrange, infiniment impressionnable et ombrageux. + +Ensor naquit à Ostende. Il a 48 ans. Il grandit dans une maison de +négoce, avec sa boutique achalandée s'ouvrant sur la rue, à côté de la +chambre de famille. Aux jours où la mer est calme on envoie l'enfant sur +la plage se distraire dans le sable, avec des coquillages. Il ne connaît +point encore le pittoresque quartier des pêcheurs plein de voiles et de +bateaux, plein de gamins hâves qui jouent parmi des charettes à bras, +dépiotent de leurs doigts prestes les crevettes tombées des paniers de +la marée et se poursuivent parmi les cordes tendues de poteau en poteau +et les ancres abandonnées dans les terrains vagues. Ce n'est que plus +tard qu'il se mêlera, poussé par son art, à la vie des matelots et des +mousses. + +Il ne suit les classes que pendant deux ans. Lui même emmagasine +quelques connaissances variées dans sa jeune tête. Ses livres d'images +le hantent. Les romans à naïfs dessins le sollicitent. Après avoir +admiré les gravures il lit le texte. Mais déjà mainte tentation lui +vient de rendre les tons et les lignes qu'il voit. Il griffonne et +barbouille. Détail à noter: ce sont les couleurs qu'il traduit avant +même qu'il dessine les objets. Il a quatorze ans. + +On lui donne comme professeurs deux vagues aquarellistes ostendais: +Dubar et Van Kuyck. Leurs conseils lui sont légers. Il les écoute et +oublie leurs paroles. Il n'est inquiété que par ce qu'il voit. Il ne +peint que d'après nature et les sites marins et les dunes et les +paysages des environs d'Ostende sont ses premiers modèles. Louis Dubois, +le beau peintre solide et puissant, rencontrant un jour, au cours d'un +villégiature sur la côte, les quelques pages auxquelles James Ensor, +presque enfant, confiait ses primes essais, s'enthousiasma et vivement +s'intéressa à ses débuts. + +En 1877 le voici à Bruxelles. De 1877 à 1880 il fréquente l'Académie. Il +y eut pour compagnons: Fernand Khnopff, Charlet et Duyck. Et pour +maîtres: Portaels, Stallaert, Robert et Van Severdonck. + +[Illustration: Le Théatre des Masques ou Bouquet d'artifice--1889] + +Plus tard, sorti de cette école, il appréciera et critiquera +l'enseignement de ses maîtres, en ce caractéristique monologue: + + «TROIS SEMAINES A L'ACADÉMIE + + _Monologue à tiroirs_ + + La scène est dans la classe de peinture. + + Personnages: Trois professeurs, le directeur de l'Académie, un + surveillant; personnage muet: un futur membre des _XX_. + + Nota: La vérité des menus propos qui suivent est garantie. + + 1re Semaine: M. le professeur Pilstecker. + + Vous êtes coloriste, Monsieur, mais sur 100 peintres il y a 90 + coloristes. + + Le flamand perce toujours chez vous, malgré tout. Je trouve les + artistes français très forts; dans une exposition, on les distingue + de suite de leurs voisins; ils sont très forts en composition. + + Il ne faut pas croire que le professeur abîme l'étude en la + corrigeant; quand j'avais votre âge, je le croyais aussi, + maintenant je vois bien que le professeur avait raison. + + Vous n'avancez pas! ça n'est pas modelé! (montrant l'étude d'un + autre élève). En voici un qui va bien! Malheureusement il est trop + paresseux. + + Vous cherchez déjà l'air ambiant, au lieu d'attendre que vous soyez + assez fort en dessin; songez que vous avez encore deux classes + d'antiques à faire! après celà , vous aurez bien le temps de vous + occuper d'air ambiant, de couleur et de tout le reste. + + Vous ne voulez pas apprendre; peindre comme celà , c'est de la folie + ou de la méchanceté. + + Je suis _forcé_ de vous complimenter sur votre dessin; mais + pourquoi faites-vous des dessins contre l'Académie? + + 2e Semaine: M. le professeur Slimmevogel. + + Vous avez fait votre fond au lieu de faire la figure; ça n'est pas + difficile de faire un fond. + + Vous faites le contraire de ce qu'on vous dit. Au lieu de commencer + par _vos vigueurs_, vous commencez par les clairs. Comment + pouvez-vous juger votre ensemble. Il faut faire vos vigueurs avec + du noir de vigne et de la terre de Sienne brûlée. + + Je ne sais pas ce qu'il y a dans l'air ici; jamais je n'ai vu la + classe de peinture comme cette année. Je serais honteux si un + étranger entrait ici. + + Je ne vois rien là dedans. Il y a de la couleur, mais ça ne suffit + pas. + + Ça manque de vigueur. Vous empâtez trop. Vous avez l'air de bien + chercher cependant. Vous avez assez cherché maintenant. + + Est-ce M. Pilstecker qui a corrigé votre étude? Ça n'est pas sa + semaine, pourtant. C'est embêtant, ça! + + 3e Semaine: M. le professeur Van Mollekot. + + Qu'est-ce que c'est que ça! C'est beaucoup trop brun, vous savez. + Est-ce M. Slimmevogel qui vous a corrigé? + + C'était si bien commencé. Vous dessinez si bien, mais vous abîmez + tout ce que vous faites. + + Croyez-moi, c'est dans votre intérêt que je vous le dis. Mettez + votre étude à côté du modèle. Vous avez peur de peindre. + + Il faut peindre avec des brosses plates, en pleine pâte, mais il + faut faire attention de ne pas blaireauter. + + Vous n'empâtez pas assez. Je sais bien que vous savez le faire, + mais il faudrait le montrer aux autres. + + Vous faites du paysage, c'est de la farce, le paysage! + + M. le Directeur. + + Vous dessinez en peignant, mauvais! mauvais! Vous allez vous noyer. + + C'est le sentiment qui vous perd, vous n'êtes pas le seul. + + La semaine passée, vous avez fait un bon dessin, maintenant, c'est + encore une fois la même chose; vous avez mal à l'Å“il peut-être? Un + sculpteur serait bien embarrassé, s'il devait faire quelque chose + d'après votre dessin. + + Est-ce M. Slimmevogel qui a retouché ça? + + Le Surveillant. + + M. le Directeur et M. Pilstecker sont très fâchés contre vous, à + cause de votre concours d'esquisse peinte. Si vous voulez me + promettre de changer de manière, j'en parlerai à M. le Directeur, + et vous pourrez entrer à la classe de nature. + + _Moralité_: L'élève quitte l'Académie et se fait Vingtiste. + + _Moralité ultérieure_: On refuse toutes ses toiles au Salon.» + +[Illustration: L'Intrigue--1890. (Collection Ernest Rousseau)] + +Ce monologue porte. Il est jovial et juste. Il résume, d'un style leste +et ironique les tares de l'enseignement officiel. Les personnages +représentés se reconnaissent. Leurs jolis noms empruntés au langage +populaire donnent au morceau entier, une savoureuse couleur locale. +Ensor ne pouvait être un bon élève. Sa nature s'y opposait; il était +destiné à devenir un bon peintre. Il remporta toutefois le deuxième +prix de dessin de tête antique. + +Revenu à Ostende il se forme lui même. Toutefois restent suspendues au +mur de son atelier deux compositions faites à l'Académie: _Oreste +tourmenté par les Furies_ et _Judas lançant l'argent dans le Temple_. On +comprend que d'authentiques professeurs se soient étonnés devant ces +peintures. Le ton y est déjà très particulier. Les personnages baignent +dans une lumière argentée; aucun trait n'est sec ni maigré. Aucun geste +conventionnel, ni appris. La scène n'est point soulignée par la +présentation à l'avant-plan du protagoniste principal, soit Judas, soit +Oreste. C'est le groupe qui intéresse; c'est l'ensemble; c'est l'action +totale. Des rouges sonnent sur un fond d'argent. Les défroques sont +plutôt romantiques que classiques ou bibliques. Le dessin académique est +tout entier mangé par la couleur. Ces deux toiles sont déjà de la vraie +peinture ensorienne. + +L'année 1880 fut une année admirable pour James Ensor. Son vrai début +date de ce temps. Il lit beaucoup. La littérature n'a jamais ému les +peintres belges. En ce temps là , surtout, leur ignorance se dressait +monumentale. Ils avaient peur d'orner leur esprit pour ne point courir +le danger de sacrifier à l'imagination. On sait ce que cette crainte +puérile a produit. Au dernier _Salon d'automne_ (1907) à Paris, le +principal grief qu'on fit à notre exposition rétrospective fut de +manquer d'intellectualité ou plutôt d'intelligence. + +Je n'ignore point qu'un peintre littéraire est un peintre dévoyé. Je +sais qu l'Å“il et non pas l'esprit doit dominer dans les arts plastiques. +Nul plus que moi ne s'est fait un devoir de signaler combien il +importait de voir, de regarder, de constater afin de bien traduire soit +la ligne, soit la couleur, soit la lumière. Toutefois il ne faut pas +qu'un peintre se prévaille de cette vérité qui peut apparaître, à juste +titre, comme une manière de dogme esthétique, pour s'opposer à toute +culture générale et se complaire à n'être volontairement qu'une brute +qui peint. Il faut, au contraire, que tout artiste s'affine et s'éduque. +Or, c'est la littérature seule, prise dans son sens large, qui lui peut +donner cet affinement. Il doit tendre à son développement complet, à +l'exaltation de sa personnalité totale; il doit comme fourbir le +faisceau entier de ses facultés. Rien n'est perdu et, mystérieusement, +tout sert. A l'heure des chefs-d'Å“uvre, c'est tout l'être humain, avec +ce qu'il contient de puissance latente et emmagasinée dans son cerveau, +dans ses sens, dans ses muscles, dans ses nerfs, qui apparaît et qui se +hausse, par sa création soudaine mais combien lentement préparée, au +plan des dieux. + +[Illustration: Masques devant la Mort--1888. (Collection Ernest +Rousseau)] + +Les maîtres que lisait Ensor étaient évidemment ceux que sa nature +d'exception lui désignait: Edgar Poe et Balzac. Pourtant, avant eux, il +avait cultivé Rabelais (on s'en aperçoit en ses écrits); il goûtait le +Roland Furieux, de l'Arioste, et Don Quichotte et les Mille et une +Nuits. J'ai trouvé également dans sa bibliothèque «l'Enfer» du Dante. + +Quant aux peintres qu'il entoure de son culte pieux ce sont et Rembrandt +et Delacroix et Chardin et Watteau. Il ne lui déplaît pas de louer +également--il ne serait pas James Ensor s'il n'appréciait +l'antithèse--le «Virgile lisant l'Enéide» (fragment) du vieil Ingres. + +Il englobe encore dans son admiration Pierre Breughel et Jérôme Bosch. +Mais il ignore Rowlandson et Gillray auxquels il ressemble. Et Goya ne +lui est nullement familier. + +Ses voyages furent très rares. En 1892 il ne s'attarda que quatre jours +à Londres; il fut à deux ou trois reprises à Paris; il se divertit dans +un voyage en Hollande, avec son ami Vogels, et les musées d'Amsterdam et +de Haarlem le retinrent longtemps entre leurs murs. + +Sa vie s'est écoulée, à Ostende, presque tout entière. Il y a subi +l'interminable et ensevelissant ennui de la province qui tombe sur l'âme +comme une poussière sur le corps; il y a connu la moquerie et la haine; +le potin et la risée; il y a rencontré les contrariétés domestiques, +l'incompréhension inévitable, la dérélection. Les heures noires lui ont +fait cortège au long des jours gris, maussades, monotones. Sa +sensibilité fine comme le grain d'un bois rare et précieux a subi les +coups de rabot de la bêtise. Il s'est senti foulé, meurtri, brisé. + +Les rares joies qui flambaient autour de lui étaient de pauvres joies +provinciales. Il en prit, certes, sa part ne fût-ce que par tristesse. +Une société _Le Rat Mort_ le comptait et le compte encore au nombre de +ses membres. Ce cercle où des médecins coudoient des avocats, où des +échevins serrent la main à des notaires, où des musiciens --quelques-uns +de vrai talent--introduisent le culte d'un goût surveillé, inscrit à son +programme le rire et l'entrain pour essayer de vaincre la torpeur +ambiante. Y réussit-il? Et sa joie n'est-elle pas uniquement +réglementaire? + +Quand James Ensor fut nommé chevalier par le Roi on lui ménagea quelque +fête cordiale et tapageuse. J'en connais l'ordonnance. Elle fut +consignée dans une brochure que rédigea et qu'illustra le peintre. Des +discours sont prononcés, des strophes battent des ailes et des +brabançonnes inédites voient le jour. La fête fut, paraît-il, charmante +et folle. Je le crois, bien que le souvenir que j'en ai entre les mains +ne me communique plus, à cette heure, ni charme ni folie. Mais il est +juste d'ajouter que la carcasse d'un feu d'artifice tiré est chose +lamentable et funèbre. + +Ensor écrit assez volontiers. On sait que la plume est entre ses mains +une arme--certes contournée, fantasque, chimérique--mais qu'elle est +toutefois aiguë et pointée comme un couteau et qu'elle blesse souvent. +Il s'est plu, dans le _Coq Rouge_, à la diriger--malencontreusement à +mon avis--contre Alfred Stevens; dernièrement encore dans l'_Echo +d'Ostende_, il égratigna maint critique. Il agit alors comme s'il tenait +entre les mains une molle pelotte, qu'il traverse d'épingles et qu'il +jette, dès qu'elle en est pleine, comme un espiègle, vers le public. Les +traits portent, les allusions sont transparentes; ceux qui sont au +courant de la vie d'Ensor comprennent. Les autres s'étonnent. Lui, dès +son geste fait, redoute qu'on se fâche, s'excuse presque d'avoir aussi +abondamment garni sa pelotte, d'avoir effilé trop vivement ses pointes, +mais, quoiqu'il en ait, il n'a pu s'empêcher de la lancer. Sa phrase est +surabondante d'adjectifs pittoresques et cocasses, de substantifs +soudains et inventés; elle est folle, amusante, superlificoquentieuse; +elle écume et bouillonne; elle monte et s'écroule en cataracte. +Lorsqu'une bouteille d'ardent champagne se débouche et que le +fourmillement des bulles gazeuses s'élève myriadaire et pétille vers le +goulot pour se répandre et se résoudre en mousse, je songe au style +fermenté de James Ensor. + +Ostende ayant repoussé son art, loin des murs nus de ses monuments, le +peintre, dès que l'occasion s'en offrit, malmena ses édiles. Il +s'agissait d'élever une statue à M. Van Iseghem, bourgmestre. Voici le +morceau. Je l'emprunte à la _Ligue Artistique_. + + UN BRONZE OSTENDAIS A PLACER + + «Resignalons allègrement les évolutions sardinéennes de nos + bourgmestres vacillants ou édiles impénétrables, travaillés par des + voix. Contemplons caricaturalement les entrechats effrénés de + certains administrateurs ventripotents: singulières gambades + agrémentées de culbutes désopillantes, subtiles ruades de grisons + affolés, tiraillements aigres-doux de fonctionnaire non + fonctionnant ruminant son bronze, maître coup de gaffe d'adroit + manÅ“uvrier manÅ“uvrant, discussion spongieuse de batracien + encornichonné coassant, effondrement subit de mache-brique + imprévoyant, grossissement anormal de cucurbitacé triomphant. + + «Lançons quelques pierres dans cette mare aux marmousets et + enveloppons d'un voile épais les échantillons artistiques de nos + esthètes tremblotants pataugeant en sourdine dans les vases de + barbotine ou d'élection. + + [Illustration: La Raie--1892. (Collection Ernest Rousseau)] + + «Ces mêlées de moules et contre-moules et d'asticots asticotés me + laissent indifférent: le contribuable ostendais a d'autres singes à + fouetter. Mais une grosse question divise nos esthètes mercurisés. + + «L'érection de la statue de Jan Van Iseghem s'impose, clament nos + édiles en mal de bronze! Pschykoriaminikrolobrédibréraxispipipi! + expectorent péniblement nos vieux barbons du littoral; «une réunion + de conseillers de l'Huîtrisie Heureuse s'indique», fafouent nos + scaphandriers désossés, prudents immergeurs de vesses traîtresses. + + «Après vives discussions hérissées de bourdes solennelles, sauts de + carpe, torgnioles, plamussades, nasardes fraîches, faux horizons de + narquoisie, momeries variées, arlequinades de haute lisse, + péroraisons limaçonnes, jérémiades de tritons essoufflés, volées + oratoires de grand effet, miaulement suraigus, grognements + agressifs, gloussements inarticulés et bredouillements confus + dignes d'une assemblée de vieilles lavandières échaudées ou + marchandes des quatre saisons coquemardées, nos orateurs + mollusqueux, égosillés et contents se réfugièrent prestement entre + de jolies valves nacrées et perlières, et il ne fut plus question + de la statue du plus pelliculé des bourgmestres passés, présents et + à venir.» + + * * * * * + +La musique l'a tenté autant que la littérature. Il compose et improvise. +Blanche Rousseau fut, un jour, témoin de la façon dont il railla avec +des notes ceux qui le raillaient avec des paroles. + +«A un dîner de noces où se trouvaient un grand nombre de bourgeois, +Ensor, pâle et muet, se laissait taquiner, mais avec des sourires +contraints, des regards dédaigneux où s'allumait parfois l'éclair fugace +d'une colère ou d'une ironie effrayantes. Non loin de lui, je +l'observais et j'avais presque peur. Tout à coup, quelqu'un +l'interpelle: «De la musique, James, de _ta_ musique.» On rit, il +résiste, on insiste.... Alors, il se lève tout à coup, marche au piano, +et fait éclater une fanfare discordante, un tumulte de sons bousculés, +mais si moqueurs, si violents, d'une si imprévue et tragique ironie ... +une sorte de _marche des bourgeois_ où les cris d'animaux se mêlent au +vacarme du tam-tam, et brisée dans un long hurlement sinistre. Il revint +à sa place, sans que, pourtant, sa figure eût changé--mais les autres ne +riaient plus». + +La musique autant que la littérature lui sert donc à des manifestations +irritées tout autant que certains dessins et certaines caricatures. +Quand sa sensibilité est trop foulée et comprimée par l'hostile ambiance +elles lui sont comme deux soupapes qu'il ouvre tout à coup et par +lesquelles il se libère de sa mauvaise humeur. + +Mais quelquefois aussi elles lui apparaissent comme de réelles +expressions d'art, surtout la musique, qu'il aime et cultive, avec +délices et pour laquelle, me dit-on, il se sent né tout autant ou peut +être plus encore que pour la peinture. + +«L'étrange musique, écrit encore Blanche Rousseau. Elle ne ressemblait à +aucune autre; elle ne ressemblait à rien au monde. Elle était sourde et +voilée--rapide comme un souffle, aussi légère--ou bruyante +soudain--dure, heurtée, diabolique.... Les sons couraient, agiles, +ailés, s'égouttaient en jet d'eau ou s'écroulaient en poudre.... Ils se +relevaient, s'envolaient en soupirs vers les nues idéales et retombaient +à terre avec des grimaces et des contorsions. C'était pour moi, petite +fille, des troupeaux d'anges et de démons tournoyant entre ciel et +terre, des chutes et des essors, et les merveilleuses ascensions d'un +mélange bizarre de figures dont prédominaient tour à tour les unes, +sublimes, ou les autres, grimaçantes et horribles.... Et quand, brisant +soudain une mélodie, Ensor entonna le _Miserere_ d'un voix vacillante, +effrayante dans l'ombre, la voix exacte d'un curé cynique et rapace +devant un cercueil entouré de cierges--tandis qu'on riait dans la +chambre éclairée--mon cÅ“ur se glaça d'horreur et je me crus vieille à +treize ans». + +[Illustration: Bataille des Éperons d'or--1895. Eau-forte.] + +Il suffit d'avoir approché Ensor à certains jours, d'avoir écouté, +attentivement, ce qu'il ne disait pas pour se convaincre qu'il est à la +fois timide et téméraire, très simple et très complexe, que le soupçon +habite en lui, qu'il se croit volontiers honni, trahi, persécuté même, +qu'il est plein d'ironie et de goguenardise. Son silence et son rire +sont, presque au même titre, inquiétants. Il a la haine de la bêtise; il +la sait dure et coriace: il faut de temps en temps qu'il la morde. +Pourtant la méchanceté lui est étrangère. + +Au fond, très au fond de lui, séjourne certes la bonté; mais cette +source profonde il ne la montre qu'à de très chers regards. Sa petite +nièce l'a vu certes se répandre. Pour les autres gens, il demeure un +être fermé et énigmatique. On ne le saisit jamais entièrement. La vie +lui apprit à être défiant. On ne lui a point rendu toute justice. Son +art n'est point encore, à cette heure, situé où quelque jour il se +campera. Mais qu'importe! l'ascension sera d'autant plus sûre qu'elle +aura été lente et contrariée. + +[Illustration: La mort poursuivant le Troupeau des Humains--1895. +Gravure à l'eau-forte.] + +Le caractère n'explique évidemment pas toute une Å“uvre. Ce sont les dons +fonciers que le peintre porte en lui qui la déterminent, +l'entretiennent, la nourissent et la développent. + +Toutefois le caractère de l'homme influence l'Å“uvre, si j'ose dire, +latéralement. Il est comme les vents d'est, d'ouest, du sud et du nord +qui assiègent une plante magnifique, la courbent, la redressent, la +baignent d'air chaud ou d'air froid, l'épanouissent ou la dessèchent. +Ensor est un supra-sensible. + +La mobilité, l'inquiétude, la vacillation de sa nature expliquent à la +fois les recherches fièvreuses, les pas en avant, les pas en arrière, +les brusques progrès et les soudains reculs, en un mot tous les +changements et aussi toutes les inégalités de son art. Après un tableau +clair, il rétrograde vers un tableau sombre; après un dessin de +caractère il commence un dessin atmosphéré, après une eau-forte toute en +délicatesse il burine un cuivre comme avec des clous. Il est tumultueux +et abrupt dans mainte composition; le développement continu ou +symétrique des lignes ne l'inquiète guère; il procède par à coups; il +étonne plus souvent qu'il ne charme. Il fait preuve de maladresse et il +est loin de bannir de son art le dérèglement et le chaos. Il ne tient +jamais en place et souvent il ne tient pas même sa place. Les Å“uvres +inférieures voisinent avec les Å“uvres excellentes. Au cours de cette +étude je n'ai insisté que sur ces dernières: elles seules comptent dans +la vie d'un maître. + +Son caractère explique encore son amour immodéré pour le masque, la +défroque, la mort, la laideur. Pendant les dures, moroses et adverses +années de sa vie, quand il se croit abandonné de tous, quand des idées +de persécution hantent sa tête, il met comme une ardeur noire à +dénaturer, à déformer, à calomnier la vie. Quelques-unes de ses toiles +sont féroces. Les _deux squelettes se disputant un hareng-saur_ mettent +une âpreté telle dans leur lutte à mâchoires voraces et terribles qu'on +songe vaguement à deux cruels ennemis du peintre s'acharnant sur lui. Le +jour qu'il campa devant son poêle de fonte le gras et narquois +_pouilleux_ et que les premiers _masques_ vinrent surprendre et attirer +son attention, ce fut le pittoresque et la saveur des guenilles et des +oripeaux qui certes le sollicitèrent. Il découvrit en eux l'ironie et la +farce quasi joviales; mais plus tard l'ironie et la farce firent place +au sarcasme, à la détresse et à la violence. Et le rire devint +ricanement. Bien plus. Peut être s'est-il fait que le découragement a +remplacé, à point nommé, la colère et que certaines années mauvaises et +mornes, les années vides d'enthousiame, ne sont imputables qu'à un +fléchissement de volonté. Car--et je ne veux point éluder ce problème +moral--il est vraiment incompréhensible qu'aux heures pleines de +l'adolescence et de la maturité commençante Ensor se soit comme retiré +de la lutte, alors qu'une abondance de gestes et d'Å“uvres marque chez +les artistes doués comme lui l'entrée triomphale dans la quarantaine. + +[Illustration: La Danse--1896. (Collection Ernest Rousseau)] + +Est ce la veule et torpide province, la solitude trop complète, +l'éloignement trop prolongé ou la critique injuste qui ont amené cet +alentissement? Quelle brisure intérieure a lézardé une muraille déjà si +haute? + +Ou bien les ennuis quotidiens et domestiques, les tracas mesquins et +rongeants le condamnèrent-ils quelque temps au silence? + +L'explication nette et unique se dissimule sous l'amas des conjectures. +Peut être un jour jaillira-t-elle simple et probante. En attendant, je +ne crois pas errer en affirmant que c'est dans le caractère du peintre +et non pas en son art lui-même qu'il la faut chercher. Les rares +dernières Å“uvres qui n'ont point encore quitté son atelier affirment que +son Å“il est autant que jamais subtil, vivant et frais et que peut-être +un dernier rajeunissement est à la veille d'éclore. Mais quel que soit +l'avenir, l'Å“uvre telle qu'elle est, avec sa série de toiles depuis +longtemps victorieuses, n'est indigne d'aucune des louanges que nous lui +avons, au cours de ces pages, prodiguées. + + + + +VII. + +LA PLACE DE JAMES ENSOR DANS L'ART CONTEMPORAIN + + +La place de James Ensor dans l'art de son temps apparaît belle et nette. +Le recul nécessaire pour la fixer se fait et ce jugement émis par ses +admirateurs n'est déjà plus un jugement horaire. + +Un fait esthétique notoire domine la peinture du XIXe siècle: la +découverte de la lumière. D'où la recherche nécessaire d'harmonies +nouvelles, de relations autres, de valeurs et de juxtapositions de tons +insoupçonnées jadis. D'où encore un renouveau du sentiment pictural +lui-même, la joie et la vie intronisées à la place de la morosité et de +la routine, l'Å“il éduqué non plus à l'atelier mais dans les jardins, les +bois et les plaines, les pratiques anciennes abandonnées au profit de la +surprise et de la découverte rencontrées à chaque coin de route, à +chaque angle de carrefour. C'est la nature, bien plus que les musées, +qui forma les peintres novateurs. Elle leur imposa directement leur +vision et modifia leur technique. Même elle renouvela toute leur +palette. Ils n'ont consulté qu'elle: c'est d'après ses leçons ingénues +et profondes qu'ils se sont formés, se sont découverts et se sont +exaltés à l'heure des chefs-d'Å“uvre. + +[Illustration: Mariakerke--1896. (Collection Edgar Picard)] + +Dans cette conquête de la clarté, l'effort et la vaillance de James +Ensor compteront. Son geste demeurera insigne, non seulement dans +l'école de son pays, mais, un jour, dans l'art occidental tout entier. +Car une mise au point exacte de la victoire impressionniste se prépare +partout. L'Europe entière y collabore. Certes y conservera-t-elle son +rôle d'initiatrice et de propagatrice la belle et grande France. Mais la +Hollande, mais l'Angleterre, mais l'Espagne, mais la Belgique +s'adjugeront également, à bon droit, quelques magnifiques rayons de la +gloire artistique toujours renouvelée et sans cesse voyageuse, qui +s'est, jadis, presque fixé chez elles, puis s'en est allée, puis revenue +pour y séjourner à nouveau. + +L'histoire de l'impressionnisme ne fut tentée, pourrait-on dire, qu'au +point de vue parisien. Les marchands s'y sont intéressé plus encore que +les critiques. Les dithyrambes ont monté d'après les prix de vente. On +put croire, à tel instant, qu'une toile était moins une Å“uvre d'art, +qu'une valeur financière. Degas, Renoir, Monet, Cézanne et Sisley +avaient leurs courtiers comme le sucre, le café, la margarine et le +cacao. Tout peintre étranger admis à la côte parisienne devenait peintre +et maître à son tour. + +On ne le jugeait plus d'après ses origines, mais d'après les qualités +qui l'apparentaient aux maîtres français. Ainsi faussait-on maint +jugement. La critique met en valeur les différences entre peintres et +non pas les ressemblances ou les similitudes. Les écoles nationales sont +nécessaires à l'évolution complète d'une même théorie ou d'une même +formule. Une même idée conçue par des peuples différents, un même +principe d'art appliqué par des groupes étrangers les uns aux autres +acquiert une diversité précieuse et riche. La totalité des résultats +peut être atteinte ainsi. + +Au reste, les peintres venus d'ailleurs conservent, même à Paris, d'une +manière souveraine, leurs qualités autochtones. Jongkind, Van Gogh, +Whistler, Anglada Van Rysselberghe en témoignent. Ils restent fidèles à +leurs origines superbement. Ils possèdent--j'en excepte Whistler--moins +de goût que les Français, ils voient moins subtil et moins fin, mais ils +apportent, les uns certains dons de robustesse, d'âpreté, les autres +certains sentiments d'intimité et de naïveté, qu'on ne rencontre qu'en +Espagne, qu'en Hollande et qu'en Flandre. + +Pour situer de tels talents, il ne faut point les rejeter hors de leur +milieu natal. Au contraire, il les y faut ramener, les mettre en leur +vrai jour, les relier à leurs contemporains directs par les inévitables +sympathies de race et d'instinct. Qu'on signale les principes nouveaux +qu'ils apportent, mais qu'on étudie avant tout comment ils les adaptent +à leur nature. + +A toutes les périodes de l'histoire, ces influences de peuple à peuple +et d'école à école se sont produites. Jadis l'Italie dominait +profondément les Floris, les Vænius et les De Vos. Tous pourtant ont +trouvé place chez nous, dans notre école septentrionale. Plus tard +Pierre Paul Rubens s'en fut à son tour là -bas; il revint italianisé mais +ce fut pour renouveler tout l'art flamand. + +Bien plus, il se fait que souvent au pays même des peintres émigrés, il +se lève des artistes qui trouvent, sans quitter la terre natale, ce +que leurs émules s'en vont chercher au loin. Ensor peut se ranger parmi +ceux-ci. Déjà Pantazis et Vogels s étaient signalés. Ils s'étaient posés +le problème de la lumière et l'avaient élucidé si pas résolu. Vogels +surtout s'était affirmé avec une audace violente et spontanée. Il avait +des dons admirables d'improvisateur; il possédait la fougue et l'éclat. +Ses ciels tumultueux, ses paysages tragiques s'affranchissaient de toute +convention stérilisante. Il eût été un grand peintre, si l'insuffisance +de son métier ne l'avait desservi. + +[Illustration: Entrée du Christ à Bruxelles--1898. Gravure à +l'eau-forte.] + +Ensor plus dominateur en son art, avec une vision plus aiguë et plus +fine, avec un instinct magnifiquement développé, avec une invention plus +large et plus abondante, cultiva le même champ que Pantazis et Vogels, +mais il y suscita des fleurs de lumière d'une beauté plus rare, plus +rayonnante et plus subtile. Lui ne ressemble à personne. Ses premières +Å“uvres contiennent déjà en puissance toute sa force future. On ne les +confond avec nulles autres. Elles s'imposent d'elles mêmes. Elles sont +indépendantes, fières, libres. + +Au temps où elles éclatèrent, avec soudaineté et presque avec insolence, +Manet occupait activement la critique d'avant-garde. Aux Salons +triennaux de Bruxelles, d'Anvers et de Gand, la toile intitulée _Au Père +Lathuille_ avait ameuté autour d'elle toute l'ignorance et la raillerie +publiques. Il était séant qu'on s'en scandalisât. Le rire et le sarcasme +étaient exigés comme un gage d'honnêteté bourgeoise et de bon goût +provincial. Certes, eût-on détérioré l'Å“uvre, si l'aventure judiciaire +à courir et l'amende à payer n'eussent arrêté les mains bien pensantes +et les couteaux croyant à l'idéal. + +Les fureurs grinçant des dents contre Manet se tournèrent à point nommé +contre James Ensor. Autant que le peintre des Batignolles il fut accusé +d'instaurer en art une sorte de Commune et d'inscrire sa doctrine +esthétique aux plis d'un drapeau rouge. Bien plus: sans égard pour les +dates d'antériorité qui marquaient les toiles du peintre d'Ostende, on +les proclamait dépendantes et vassales de celle de Manet, on leur +refusait tout mérite jusqu'à celui d'être des sujets de scandale +inédits. L'erreur persista longtemps et persiste encore. On s'entêta et +l'on s'entête à ranger James Ensor parmi les élèves de Manet. Rien n'est +plus faux. Les deux maîtres n'ont qu'un point de contact: tous les deux +peignent à larges touches et tous les deux étudient la lumière frappant +mais surtout modifiant le dessin et le ton local des objets. + +Mais que de différences immédiatement s'accusent! Manet reste, somme +toute, un peintre de tradition et d'enseignement. Les Espagnols l'ont +formé: Velasquez et surtout Goya. Le jour que son _Olympia_ fit son +entrée au Louvre, elle se plaça, naturellement, en son milieu. La rampe +l'attendait. Elle voisina, sans déchoir, avec les toiles d'Ingres et de +Delacroix. Sa victoire fut même trop belle: l'_Odalisque_ du vieil +Ingres se sentit atteinte dans son rayonnement de chef-d'Å“uvre +soi-disant parfait. Jamais elle n'apparut plus sèche, plus figée ni plus +froide. En outre, Manet compose ses toiles. L'_Olympia_, le _Christ aux +anges_, le _Déjeuner sur l'herbe, Maximilien_, sont des Å“uvres dont la +mise en page est faite d'après des recettes connues. Bien qu'il soit un +peintre admirable, encore n'évite-t-il pas les sécheresses et les +duretés. Il ignore l'abondance et la richesse prodiguées. La réflexion +et le raisonnement le guident plus que l'instinct ne le pousse. Il a une +main très experte, très habile. Il fait preuve d'esprit, parfois de +virtuosité. Son intelligence surveille son art et le raffine. Il pense +autant et plus encore qu'il ne voit. Quand, séduit par les visions +fraîches et hardies de Claude Monet, il se décida à modifier les +couleurs de sa palette et à traduire le plein air vrai et la clarté +prismatique et vivante, ce fut par une suite de tâtonnements réfléchis +qu'il y parvint. Il cherchait sans trouver, du coup. Ce fut une lutte +avant tout intelligente. Il lui fallut non seulement des qualités d'Å“il, +mais des qualités de caractère. Son esprit, son jugement, son +obstination, sa probité, tout son être moral et pensant agit: ce fut un +triomphe laborieux. + +James Ensor, lui, n'est purement qu'un peintre. Il voit d'abord, il +combine, arrange, réfléchit et pense après. Il ne doit rien ou presque +rien aux maîtres du passé. Il est venu en son temps pour ne recevoir que +les leçons des choses. Certes, sa mise en page le préoccupe, mais ses +compositions évitent de rappeler celles que les musées enseignent. +L'esprit qu'il met dans ses toiles et ses dessins est plutôt grossier et +populaire. Son trait de pinceau est appuyé; il ne glisse pas. Il n'est +pas adroit. Toutefois sa couleur n'est jamais commune. En chaque Å“uvre +le ton rare et riche, violent et doux, prismatique et soudain, installe +sa surprise et son harmonie. On dirait qu'Ensor écoute la couleur +tellement il la développe comme une symphonie. + +[Illustration: Vengeance de Hop-Frog--1898. Gravure à l'eau-forte.] + +Jamais ne s'y mêle la moindre fausse note. Il a l'Å“il juste comme est +juste l'oreille d'un musicien. A le voir peindre, comme au hasard, on +craint qu'à chaque instant la gamme profonde et rayonnante des couleurs +ne se fausse. Or jamais aucun accroc n'a lieu. L'instinct, le guide le +plus sûr des artistes, bien qu'il paraisse un conducteur aveugle, +l'assiste sans qu'il s'en doute et le décide, quand à peine il prend le +temps de le consulter. Avant de poser un ton, il est sûr que ce ton sera +d'accord avec les autres. Il le sent tel, à travers tout son être. A +quoi bon examiner, discuter, raisonner, si l'examen, la discussion et le +raisonnement se sont faits, préalablement, sans qu'on le sache, avec la +promptitude que met un éclair à traverser le ciel. L'aptitude en art +n'est jamais un acquis, mais un don. Elle est subconsciente et sourde. +Celui qui naît sans qu'elle habite en lui à l'instant même qu'il voit, +entend, flaire, goûte et touche, ne sera jamais un artiste authentique. +Aucune étude ne la lui apportera. Des races privilégiées la transmettent +à leurs différentes écoles, à travers les siècles. L'une de ces races +est l'admirable race des Pays-Bas. + +Il s'en faut pourtant que leur instinct merveilleux soit l'unique don +des peintres septentrionaux. Ils n'auraient pas donné à l'art ces +artistes universels qui out nom Rubens, Van Dyck, Jordaens et avant eux +Van Eyck, Memling, Van der Goes, Van der Weyden et Metsys si +l'intelligence, le sentiment, la raison et la volonté leur eussent été +refusés. + +Je n'ai insisté sur leur qualité foncière: l'instinct, que pour la +montrer pareille au tronc massif et souterrain sur lequel se entent, +comme des branches, toutes les autres vertus esthétiques. + +[Illustration: Ostende--1898. (Collection Edgar Picard)] + +James Ensor est plus purement un peintre que Manet, mais ce dernier est +évidemment un maître et un artiste d'une plus large et plus souveraine +envergure. Il est un chef d'école magnifique, définitif et complet. Il +commande à un des carrefours de l'art où les routes bifurquent et +gagnent des contrées vierges et inconnues. + +Je n'ai, au surplus, mis en parallèle les deux peintres que pour +défendre James Ensor contre des accusations d'imitation. Qu'on fasse +voisiner n'importe laquelle de ses toiles avec l'_Olympia_, le _Déjeuner +sur l'herbe_, le _Père Lathuille, Argenteuil, Pertuiset_ et +l'originalité des deux créateurs d'Å“uvres marquantes s'imposera +indiscutable. + +Mais un autre rapprochement s'indique. Les récents intimistes français, +les Vuillard et les Bonnard s'attachent aujourd'hui à certaines +recherches qu'autrefois tenta James Ensor. Tels éclairages de salon ou +d'appartement, telles lueurs argentées et discrètes, tels gris, tels +bruns font songer à l'atmosphère de la _Coloriste_ ou à la _Musique +russe_. Il n'est pas jusqu'au dessin vacillant et brouillé qui +n'établisse un parentage entre les deux manières. Je veux bien qu'il n'y +ait que rencontre fortuite. Il est piquant toutefois de noter ceci: Si +James Ensor rappelle quelque peintre, c'est parmi ses cadets, parmi ceux +qui innovent et préparent l'avenir et non point parmi ses aînés qu'il le +faut chercher. Il n'est pas de ceux qui imitent; il est de ceux qui +découvrent. Il est plutôt d'accord avec ceux qui viennent, qu'avec ceux +qui sont venus. Si bien que ses toiles qui datent de vingt-cinq ans +recèlent toute la fraîcheur et la surprise des Å“uvres d'aujourd'hui. Il +les peut exposer avec orgueil. Aucune ne déchoit. Quelques-unes +serviront peut-être à renflouer les vieilles carènes de l'École d'Anvers +où de tout jeunes peintres Navez et Crahay travaillent avec le souvenir +de l'Å“uvre d'Ensor présente à leur esprit. + +Preuve évidente de force profonde et souterraine! Quelqu'un qui reste +aussi durablement jeune ne vieillira jamais. Il porte en lui la +résurrection incessante. Il vit de lui-même, mystérieusement. Déjà il ne +connaissait plus la mode, voici qu'il ignore le temps. + +Il n'importe que James Ensor soit ignoré en Allemagne, en Angleterre, en +Italie et en Amérique. Il est classé en Belgique et à cette heure on le +classe en France. Or, c'est Paris qui, depuis un siècle, assume +l'honneur d'auréoler les noms des vivants insignes. Il est la postérité +qui s'éveille; il désigne les routes par où passe la gloire; il semble +d'accord avec une volonté lointaine et encore inconnue. En son pays la +renommée de James Ensor grandit d'année en année. Ceux qui le +méconnaissaient autrefois sont morts ou sont vaincus. On ne relègue plus +ses envois dans les oubliettes des salons triennaux: ils s'étalent à la +cimaise, aux places d'honneur. Les musées des grandes villes s'en +enrichissent: Liège, Anvers, Bruxelles. Les mécènes qui villégiaturent à +Ostende, l'été, visitent l'atelier du peintre et leurs galeries se +décorent de ses toiles. Les prix atteints sont élevés. L'heure est déjà +loin où les Å“uvres du peintre s'échangeaient contre une obole. Certes +l'art ne se pèse pas au poids d'argent. L'or donné ne représente que ce +fait: l'admission d'un peintre dans une compagnie de choix et la place +élue qu'on lui assigne dans une école. L'auteur de la _Coloriste_, de +l'_Après-midi à Ostende_, du _Salon bourgeois_, du _Lampiste_ et de la +_Mangeuse d'huîtres_, des _Enfants à la toilette_, des _Masques devant +la mort_, de _Adam et Eve chassés du paradis_ et de la _Dame sombre_ +peut avec tranquillité voir se passer les années: il est sûr de la +durée. + + + + +CATALOGUE DE L'Å’UVRE DE JAMES ENSOR + + + TOILES ET DESSINS + + 1879 + + Portrait de l'artiste. + L'amie de l'artiste. + Judas lançant l'argent dans le temple. + Oreste tourmenté par les Furies. + L'artiste peignant. + + DESSINS. + + Le chant de Noël. + Les trouvères. + Les buccins. + + 1880 + + Le Lampiste.----Appartient au Musée de Bruxelles. + La coloriste.----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles. + La mare.----à M. Guillaume Charlier, Bruxelles. + Nature-morte.----id., id. + Poissons.----à M. Paul Buéso, Bruxelles. + Le chou.----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles. + Chinoiseries.----id., id. + Accessoires. + Musique russe.----à Mlle Anna Boch, Bruxelles. + Dame au châle. + Petites chinoiseries.----à M. C. Franck Anvers. + Le cardeur.----id., id. + Estacade.----à M. A. Lambotte, Anvers. + Chinoiseries.----id., id. + Les bouteilles----Appartient à M. E. Demolder, Essonnes. + Effet de neige----à M. F. Franck, Anvers. + Vases----id. id. + Le flacon bleu----à M. A. Lambotte, Anvers. + Nature-morte----à M. F. Fuchs, Bruxelles. + Pommes----à M. E. Labarre, Bruxelles. + Mer grise----à M. F. Franck, Anvers. + Trois esquisses----id., id. + Sous bois. + Nuage rose. + Dame au brise-lame. + A l'atelier. + Le parasol----à M. A. Lambotte, Anvers. + Mer agitée. + Portrait de l'artiste. + Le peintre. + + AQUARELLE. + + Gamin----à M. F. Franck, Anvers. + + DESSINS REHAUSSÉS. + + Retour des champs. + Tête (sanguine)----à M. Samuel, Bruxelles. + + DESSINS. + + Le maçon. + Le rétameur. + Gamin assis----à M. Edgar Picard, Jemeppe. + Le paysan triste. + Vieux pêcheur. + Gamin. + La sÅ“ur du peintre. + L'homme au chaudron. + Les mangeurs de soupe. + Jeune fille. + Vieux paysan. + Pêcheur de crevettes. + La femme au balai. + Laveuse. + Garçon lisant. + L'homme à la blouse. + Jeune fille à l'éventail. + Pêcheur au panier----Appartient à M. Deprez, Liège. + Le roi peste. + La mort mystique d'un théologien. + + 1881 + + Viandes----au Musée d'Ostende. + Salon bourgeois en 1881----à M. E. Rousseau, Bruxelles. + Salon bourgeois, esquisse----à M. F. Franck, Anvers. + La dame sombre----à M. Edgar Picard, Jemeppe. + Le rouget----à M. Edouard Hannon, Bruxelles. + La convalescente----à M. Bourgeois, Liège. + Tête d'étude----à M. W. Finch, Helsingfors. + Accessoires----à M. F. Buelens, Ostende. + Dame en rouge----à M. A. Crespin, Bruxelles. + Dame à l'éventail. + Le père de l'artiste. + Portrait d'homme----à M. F. Buelens, Ostende. + Etude de fruits----à M. Theo Hannon, Bruxelles. + La mare aux peupliers----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles. + Marine, effet de soleil. + Les braconniers----à M. Delory, Calais. + La rue de Flandre à Ostende. + Les lampes. + Canal----à M. Ch. Mendiaux, Anvers. + Eventails. + Marine, effet de soir. + Marché à Ostende----à M. Buelens, Ostende. + Intérieur au poêle----à M. A. Lambotte, Anvers. + La dune noire. + Etoffes et éventails. + Une après-dînée à Ostende. + + DESSINS REHAUSSÉS. + + Pêcheur au manteau jaune----à M. Edgar Picard, Jemeppe. + Petits musiciens. + Pêcheur au panier. + La sÅ“ur de l'artiste. + Gamin (sanguine)----Appartient à M. C. Ganesco, Paris. + + DESSINS. + + Vieux songeur. + L'homme au foulard. + Garçon au bonnet. + Le violon. + Le lustre. + Clefs. + La lectrice. + L'homme au panier. + + 1882 + + Huîtres----au Musée d'Anvers. + Le pouilleux----au Musée d'Ostende. + Nature-morte----au Musée de Liège. + Lièvre et corbeau----à M. Greiner, Seraing. + La dame en détresse. + Portrait de Théo Hannon----à M. Théo Hannon, Bruxelles. + Dans les dunes----à M. Murdoch, Anvers. + Marine----à M. A. Rassenfosse, Liège. + Portrait de femme----à M. F. Buelens, Ostende. + La mangeuse d'huîtres. + Dame au châle bleu. + Roses. + Portrait du peintre W. Finch. + Fleurs----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles. + La petite chaise----à M. Lambotte, Anvers. + Pommes----à M. F. Franck, Anvers. + Fleurs et porcelaines----à M. Lambotte, Anvers. + La mère de l'artiste. + Etoffes. + Petites tasses. + Le brise lame. + La dune au nuage blanc. + Marine. + Maisonnettes dans les dunes. + + AQUARELLE. + + Le mannequin----Appartient à M. F. Franck, Anvers. + + DESSINS. + + Ostendaise. + L'homme à la bêche. + Ouvrier du port. + Pêcheur de crevettes. + Cadre (croquis)----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles. + Croquis----à M. Alfred Verhaeren, Bruxelles. + Croquis----à M. Théo Hannon, Bruxelles. + Croquis. + + 1883 + + Les pochards----à M. Edgar Picard, Jemeppe. + Les masques scandalisés. + Pommes rouges----à M. O. François, Bruxelles. + Les houx----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles. + Portrait de l'artiste. + Pivoines et pavots----à M. L. Franck, Anvers. + Sur la plage----à M. Vince, Bruxelles. + Canal. + Coquillages----à M. L. Franck, Anvers. + Dans les blés. + Le Rameur----à M. F. Buelens, Ostende. + Forêt de Soignes. + Fleurs et vases. + La dame en blanc. + Dunes, panorama. + Dunes et mer. + L'horticulteur. + Le violon----à M. Maurice des Ombiaux, Bruxelles. + La barque jaune. + Marine, après-midi. + + DESSIN. + + Le pochard----à M. Albert Neuville, Liège. + La sorcière----à M. Edgar Picard, Jemeppe. + Portrait de Richard Wagner----Appartient à M. Gustave Kéfer, Paris. + Les joueurs. + L'escrimeur. + La clarinette. + Zélandaise. + Masques scandalisés. + Croquis----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles. + + 1884 + + Marine----à M. Gustave Kéfer, Paris. + Enfant à la poupée. + Portrait du peintre Dario de Regoyos. + La dune. + Les toits à Ostende----à M. F. Franck, Anvers. + Intérieur----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles. + Grande vue d'Ostende. + Barques. + Le nuage blanc. + + AQUARELLE. + + Accessoires. + + DESSINS. + + Gamin (sanguine). + Enfant dormant. + Portrait de l'artiste----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles. + Au piano. + Le cÅ“ur révélateur. + Les misérables. + + 1885 + + Vue de Bruxelles----au Musée de de Liège. + Le meuble hanté----au Musée d'Ostende. + Jardin à Watermael----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles. + Marine----Soleil couchant. + Le Christ marchant sur la mer. + Fanfare en rouge. + Vue du phare à Ostende. + Squelettes regardant chinoiseries. + Le boulevard à Ostende. + Les indécises. (Série d'études.) + + PASTEL. + + Les amoureux----Appartient à M. Ern. Rousseau, Bruxelles. + + DESSINS. + + Combat de soudards. + Vases. + Démons me turlupinant. + Promeneurs----à M. Blatter, Paris. + Descente de croix. + Portrait----à M. Johanida. + + 1886 + + Etudes de lumière. + Enfants à la toilette----à M. A. Lambotte, Anvers. + Lisière du bois d'Ostende----à M. R. Goldschmidt, Bruxelles. + Etudes locales. + Fleurs et fruits. + Squelette et pierrots. + Nature morte. + Les lilas. + + DESSINS REHAUSSÉS. + + Le cauchemar. + Le rêv---- + + DESSINS. + + Les auréoles du Christ ou les sensibilités de la lumière. + La gaie: L'adoration des bergers. + La crue: Jésus montré au peuple. + La vive et rayonnante: L'entrée à Jérusalem. + La triste et brisée: Satan et les légions fantastiques tourmentent + le Crucifié. + La tranquille et sereine: La descente de croix. + L'intense: Le Christ montant au ciel. + Le Christ veillé par les anges. + + FANTAISIES ET GROTESQUES. + + Quatre portraits de l'artiste. + Enfant dormant. + Profils. + + 1887 + + Adam et Eve chassés du Paradis terrestre.----Appartient à M. A. + Lambotte, Anvers. + Le feu d'artifice. + Tribulations de Saint Antoine. + Fruits----à M. Storm de 's Gravesande, Hollande. + Nature-morte. + Adoration des bergers----à M. E. Deman, Bruxelles. + Ville à contre soleil. + Jardin en plein soleil. + Intérieur. + Vision claire. + + DESSINS. + + La tentation de Saint Antoine. + Josué arrêtant le soleil. + Combat des pouilleux Désir et Rissolé. + Petits supplices persans. + Mon père mort. + La paresse. + L'apparition. + Les diables Dritss et Hihahox conduisant le Christ aux + enfers. + + 1888 + + L'entrée du Christ à Bruxelles. + Fruits----à M. Jules Cordeweiner, Bruxelles. + Les masques devant la mort----à M. E. Rousseau, Bruxelles. + Jardin d'amour. + Carnaval à Bruxelles. + Mon portrait déguisé. + Foudroiement des anges rebelles. + Études locales. + A Ostende, le boulevard. + Nature-morte. + Le Christ tourmenté----à M. E. Royer. + + DESSINS REHAUSSÉS. + + Suzanne au bain----Appartient à M. Max Hallet, Bruxelles. + Masques nous sommes----à M. Edm. Picard, Bruxelles. + La rixe. + Jeanne d'Arc. + Peste dessous----Peste dessus. Peste partout. + + DESSINS. + + Squelettes musiciens. + La dormeuse. + La mort poursuivant le troupeau des humains. + Portraits bizarres----à M. Jules Cordeweiner, Bruxelles. + + 1889 + + Squelettes voulant se chauffer----à M. Léon de Lantsheere, Bruxelles. + Fleur et vase bleu----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles. + Le théâtre des masques ou bouquet d'artifice. + La petite travailleuse----à M. Cwalosinsky, Bruxelles. + Théâtre des masques et pierrot. + Fleurs----à M. Guillaume Charlier, Bruxelles. + Attributs des Beaux-Arts----à M. Buelens, Ostende. + Etonnement du masque Wouse. + Coquillages. + Poires, raisins, noix. + + DESSINS REHAUSSÉS + + Le dernier carré à Waterloo----à M. Storm de 's Gravesande, Hollande. + La revanche des condamnés----à M. Vittorio Pica, Milan. + Squelette dessinant. + + DESSINS. + + Portrait de Madame E. Rousseau. + Le vieux meuble. + Vénus à la coquille. + La mère de l'artiste----à M. R. Goldschmidt, Bruxelles. + Les adieux de Napoléon. + Etudes de plantes. + + 1890 + + Le domaine d'Arnheim----Appartient à M. Emile Verhaeren, St. Cloud. + Fruits----à M. Ganesco, Paris. + L'intrigue----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles. + Homard et crabes----à M. Edgar Picard, Jemeppe. + Le pot bleu----à M. Philipps, Bruxelles. + Les choux----à M. Labarre, Bruxelles. + La tour de Lisseweghe----à M. Edgar Picard, Jemeppe. + Chaloupes. + Ecce-Homo. + Vue prise en Phnosie, ondes et vibrations lumineuses. + Petits masques. + L'assassinat. + + DESSINS REHAUSSÉS. + + Jardin aux masques. + Clowneries. + + DESSINS. + + Masques. + La vieille au portrait----à M. C. Ganesco, Paris. + Napoléon à Waterloo. + La sensibilité en 1890 et la vivisection. + La sensibilité en 1590 et la roue, le bûcher, etc. + Etudes sentimentales. + Bourgeois indignés sifflant Wagner en 1880 à Bruxelles. + + 1891 + + Le Christ apaisant la tempête. + Squelettes se disputant un pendu----à M. Cwalosinsky, Bruxelles. + Les bons juges----à M. Camille Laurent, Charleroi. + Portrait d'Emile Verhaeren----à M. Emile Verhaeren, St. Cloud. + Les musiciens terribles----à M. Félix Fuchs, Bruxelles. + L'autodafé----à M. Félix Fuchs, Bruxelles. + Le jardin d'amour----à M. Maurice des Ombiaux, Bruxelles. + Masques regardant des crustacés----à M. Breckpot, Bruxelles. + Baptême des masques. + Réunion de masques. + Le prêche. + Fraises----Appartient à Mme Ninauve, Bruxelles. + Squelettes au hareng. + Squelette arrêtant masques. + Chinoiseries, étoffes----à M. F. Franck, Anvers. + Ecce-Homo. + La peureuse. + + DESSINS REHAUSSÉS. + + La bataille des Éperons d'or. + Les bains d'Ostende----à M. Charles Vos, Bruxelles. + Les cuirassiers à Waterloo. + + DESSINS. + + Le Christ aux Enfers. + Vieux augures. + Apparition----à M. Emile Verhaeren, St. Cloud. + Portrait et fantasmagorie. + Grotesques. + + 1892 + + La vierge consolatrice. + Ma chambre préférée. + Les masques singuliers. + Pierrot jaloux. + Barques échouées----à M. B. Ganesco, Paris. + Poissardes mélancoliques----à M. F. Buelens, Ostende. + Les gendarmes. + Les soudards Kès et Pruta entrant dans la ville de Bise----à M. G. + Serigiers, Anvers. + Les mauvais médecins----à M. Van der Velde, Bruxelles. + Nature-morte. + Roses----à M. Robert Goldschmidt, Bruxelles. + + DESSINS REHAUSSÉS. + + Supplice de Jeanne d'Arc. + Triomphe romain. + Réunion de masques. + + DESSINS. + + Les soudards débandés. + Le Christ tourmenté. + Grotesques. + La couturière----Appartient à M. Blatter, Paris. + + 1893 + + Le coq mort----à M. Leuring, La Haye. + La raie----à M. Ernest Rousseau. Bruxelles. + Les choux----à M. F. Franck, Anvers. + Coquillages----à M. R. Goldschmidt, Bruxelles. + L'homme de douleurs. + L'exécution. + Soudards pénitents dans une cathédrale. + Nature-morte. + + DESSINS REHAUSSÉS. + + Le tournoi----à M. R. Goldschmidt, Bruxelles. + Cortège comique. + + DESSINS. + + La vierge aux navires. + Masques. + Sorcières dans la bourrasque----à M. R. Goldschmidt, Bruxelles. + Le Christ aux mendiants----id. id. + Croquis----id. id. + + 1894 + + Crevettes. + Masques regardant une tortue. + Vase bleu. + Nature-morte----Appartient à M. F. Pleyn, Ostende. + Crustacés. + Nature-morte. + Portrait d'Eugène Demolder----à M. E. Demolder, Essonnes. + + DESSINS REHAUSSÉ. + + Au théâtre. + + DESSINS. + + Le combat----Appartient à M. G. Virrès, Lummen. + Têtes bizarres. + Crétins regardant les étoiles. + + 1895 + + Poissons----à M. Rouffard. Bruxelles. + Coquillages. + Portrait de M. Culus. + Fleurs. + Nature-morte----à M. F. Pleyn, Ostende. + Jeux de lumière. + + DESSIN. + + Femme cousant. + Monstre tourmentant Saint Antoine----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles. + Intérieur d'église. + Bouquet. + + 1896 + + Fleurs----à M. R. Goldschmidt, Bruxelles. + Mariakerke----à M. Edgar Picard, Jemeppe. + Les ballerines----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles. + Duel de masques----id. + Squelette peintre----à M. Edgar Picard, Jemeppe. + La vengeance de Hop Frog. + Les cuisiniers dangereux----à M. Camille Laurent, Charleroi. + Nature-morte. + Fleurs et légumes----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles. + + DESSINS. + + Grotesques. + La pendule. + Masques et trognes. + Monstres. + Diableries. + + 1897 + + Les chaloupes. + La mort et les masques----Appartient à M. Vandeputte, Bruxelles. + Masques et potiches. + Fruits. + Poissons. + L'éclaircie. + Fleurs. + + DESSIN REHAUSSÉ. + + Projet de chapelle à dédier à St. Pierre et Paul à Ostende. + + DESSINS. + + Gens de mer. + Sur la plage. + Masques. + Vieilles. + Musiciens drôlatiques. + Fantaisies. + + 1898 + + Le grand juge. + Nature-morte. + Vue d'Ostende----à M. Edgar Picard, Jemeppe. + Squelettes travestis----à M. Pleyn, Ostende. + Nature-morte----à M. Jungers, Bruxelles. + Nature-morte. + + DESSINS REHAUSSÉS. + + Affiche pour l'exposition de «la Plume» à Paris. + Composition pour «la Plume». + + 1899 + + Portrait du peintre entouré de masques----à M. A. Lambotte, Anvers. + Nature-morte. + Pierrot aux masques. + Nature-morte. + Intérieur. + Nuages. + + AQUARELLE. + + La petite chinoise. + + DESSINS. + + Rue à Ostende. + Chiens. + Coin de cuisine. + Feuilles. + Papillons. + Enfants. + + 1900 + + Le juge rouge----Appartient M. Yseux, Anvers. + Squelette à l'atelier----à M. Max Hallet, Bruxelles. + Nature-morte. + Plage. + Barques échouées----à M. Jungers, Bruxelles. + Vue du port d'Ostende. + + DESSIN REHAUSSÉ. + + La servante----à M. Edgar Picard, Jemeppe. + + DESSINS. + + Vieux meubles. + Accessoires. + Lampes. + Etoffes. + Livres. + Les marchands chassés du Temple. + Portrait. + + 1901 + + Canal----à M. Berthelot, Paris. + Echauffourée de masques----à M. Cnudde, Ostende. + Nature-morte. + Chinoiseries. + Vue de Mariakerke----à M. Philippson, Bruxelles. + Coquillages. + Fleurs. + + DESSINS + + Le Christ secourant Saint Antoine. + Vieilles. + Chaises. + Enfants. + Moulin. + Combat de soudards. + + 1902 + + L'amateur d'art. + Les joueurs. + Nature-morte. + Accessoires----Appartient à M. Crick, Bruxelles. + Plage. + Nature-morte. + Au Conservatoire. + Fleurs. + + DESSINS REHAUSSÉS. + + Entrée de Jeanne d'Arc à Domremy. + Orgueil. + Avarice. + Envie. + Gourmandise. + Colère. + Paresse. + + DESSIN. + + Encadrement pour un livre de Vittorio Pica. + + 1903 + + Coquillages et draperie bleue. + Fleurs. + Figures au soleil. + Petits masques. + Promeneurs. + Nature-morte. + Nature-morte. + Chinoiseries. + + DESSINS REHAUSSÉS. + + Histoire du billard à travers les âges. Cinq compositions + ----Appartient à M. Haardt, Bruxelles. + Squelette au billard----à A. Lambotte, Anvers. + Vases. + Vieilles choses. + Coins d'ombre. + Fantasmagories. + Jardin d'amour. + Roses. + + 1904 + + Nature-morte. + Bassin à Ostende. + Nature-morte. + Fruits. + Vierge aux donateurs masqués. + Nature-morte. + Crustacés. + + DESSINS REHAUSSÉS. + + Neuf compositions pour illustrer Marmontel----à M. Serruys, Ostende. + Carnaval à Ostende. + + DESSINS. + + Coin de table. + Bêtes bizarres. + Plage de la Panne. + Barques échouées. + + 1905 + + Pierrot et squelette----à M. A. Lambotte, Anvers. + Fleurs. + Intérieur. + Nature-morte. + Fruits. + Intérieur. + Coquillages. + + DESSINS. + + Repas comique (sanguine)----App. à M. Haardt, Bruxelles. + Le tir à l'arc. + Pêcheurs. + Sirène abandonnée. + Arlequinades. + Cortèges carnavalesques. + Dunes et plaines. + + 1906 + + Nature-morte. + Accessoires. + Les toits à Ostende. + Portrait----à M. F. Duhot, Bruxelles. + Chinoiseries. + Vue du théâtre à Ostende. + Nature-morte. + + DESSINS REHAUSSÉS. + + La chute des anges rebelles. + Masques. + Baigneuses. + + DESSINS. + + Vieux meubles. + Poêles. + Silhouettes. + Marines. + + 1907 + + Fruits. + Nature-morte. + Chinoiseries----à M. Robert Goldschmidt, Bruxelles. + Masques. + Nature-morte. + Pêcheurs. + Portrait de Madame L. + Masques et squelettes----à M. L. Prager, Munich. + Chinoiseries. + + DESSINS REHAUSSÉS. + + La belle Impéria. + Henri de Groux jouant au billard----Appartient à M. A. Lambotte, Anvers. + Vieux murs. + Coins d'appartements. + Bouquets. + Cortèges. + Femmes surprises. + + 1908 + + Fruits et légumes. + Chinoiseries. + Squelettes musiciens. + + DESSINS REHAUSSÉS. + + Squelettes----à M. Blatter, Paris. + Types drôlatiques. + Jeune rousse. + Buveurs. + Jeune fille luttant. + Hommage à la femme. + + DESSIN. + + Encadrement pour Emile Verhaeren. + + + + + EAUX-FORTES ET POINTES-SÈCHES + + + 1886 + + Le Christ insulté. + Verger. + Vieillard. + Portrait de l'artiste. + Le Christ apaisant la tempête. + Iston, Pouffamatus, Cracozie et Transmouff, célèbres + médecins persans examinant les selles du roi Darius après + la bataille d'Arbelles. + La cathédrale. + La flagellation. + + 1887 + + La Madeleine. + Cortège infernal. + Portrait d'Ernest Rousseau. (Pointe-sèche.) + Le pisseur. + Grande vue de Mariakerke. + Estacade. (Pointe-sèche.) + La dormeuse. (Pointe-sèche.) + Petite vue de Mariakerke. + Rue à Bruxelles. (Pointe-sèche.) + Buste. (Pointe-sèche.) + + 1888 + + Combat des pouilleux Désir et Rissolé. + Maison du boulevard Anspach. (Pointe-sèche.) + Réverbère. + Le meuble hanté. + La lutte des démons. + L'acacia. (Pointe-sèche.) + La chimère. + La crypte. (Pointe-sèche.) + Lisière du petit bois d'Ostende. + Hôtel de Ville d'Audenarde. + Crânes et masques. + Vue de Nieuport. + Candélabres et vases. + Paysage à la charette. + Prise d'une ville étrange. + Mon portrait en 1860. + Mon père mort. (Pointe-sèche.) + L'archer terrible. + Les cataclysmes. + L'assassinat. + Vue du port d'Ostende. + Vue d'Ostende à l'Est. + Bouquet d'arbres. + Ferme flamande. + Musiciens fantastiques. + Chaloupes. + Le grand bassin à Ostende. + Les insectes singuliers. (Pointe-sèche.) + Le coup de vent à la lisière. + Sentier à Groenendael. + Barques échouées. + Chaumières. + Les éléphants furieux. + Sorciers dans la bourrasque. + Petites figures bizarres. + Maisonnettes à Mariakerke. + Les gendarmes. + Le cimetière. + L'écorché. + Adoration des bergers. (Vernis mou.) + La luxure. + La tentation du Christ. + Le jardin d'amour. + Le denier de César. + Sous bois à Groenendael. (Pointe-sèche.) + + 1889 + + Bateaux à vapeur. + Les patineurs. + Boulevard à Ostende. + Mon portrait squelettisé. + Ferme à Leffinghe. + Le pont du bois. + L'orage. + Le moulin de Mariakerke. + La fête au moulin. + Le fantôme. + La mare aux peupliers. + Le bal fantastique. + Pont rustique. + L'ange exterminateur. + Triomphe romain. + + 1890 + + Alimentation doctrinaire. + Portrait de Hector Denis. + La musique à Ostende. + + 1891 + + Moulin à Slykens. + Multiplication des poissons. + Assemblée dans un parc. + + 1892 + + Autodafé. + + 1894 + + Les bons juges. + Les petites barques. + + 1895 + + Les diables Dzitss et Hihahox conduisant le Christ aux enfers. + Pouilleux indisposé se chauffant. + Les joueurs. + Belgique au XIXe siècle. + Démons me turlupinant. + Le Christ tourmenté par les démons. + Fridolin et Graga Pança d'Yperdam. + Bataille des Éperons d'or. + Alimentation doctrinaire. + Les mauvais médecins. + Squelettes voulant se chauffer. + Masques scandalisés. + Le roi-peste. + Le Christ aux mendiants. + Les vieux cochons. + Le Christ descendant aux enfers. + + 1896 + + La mort poursuivant le troupeau des humains. + Cathédrale. + Le vidangeur. + Le combat. + Menu E. Rousseau. + Menu Charles Vos. + + 1897 + + Les adieux de Napoléon. + + 1898 + + La vengeance de Hop-Frog. + Le Christ dans la barque. + L'entrée du Christ à Bruxelles. + + 1899 + + Les bains d'Ostende. + + 1900 + + Fragment de la tentation de Saint Antoine. + Petite vue de Mariakerke. + Pêcheur d'Ostende. + + 1902 + + Paresse. + + 1903 + + Les toits d'Ostende. + + 1904 + + Colère. + Orgueil. + Avarice. + Gourmandise. + Envie. + Les péchés capitaux dominés par la mort. + Peste dessous. Peste dessus. Peste partout. + Masques intrigués. + Plage de la Panne. + * * * * * + +Eaux-fortes aux Musées et Galeries d'estampes de Barcelone, +Bruxelles, Dresde, Liège, Milan, Ostende, Paris, Venise, +Vienne, Zürich, etc. etc. + + + + +BIBLIOGRAPHIE + + Camille Lemonnier. Histoire des Beaux-Arts en Belgique. 1887, Bruxelles. + Eugène Demolder. James Ensor. 1892, Bruxelles. + Pol de Mont. De schilder en etser James Ensor. (_De Vlaamsche School_, + 1895, Anvers.) + Eugène Demolder. James Ensor. (_La Libre Critique_, 1895, Bruxelles.) + Eugène Georges. James Ensor. (_La Libre Critique_, 1896, Bruxelles.) + Camille Lemonnier. James Ensor peintre et graveur. (_La Plume_, 1898, + Paris.) + Edmond Picard. James Ensor. (_Id_.) + Emile Verhaeren. Une facette du talent d'Ensor. (_Id_.) + Camille Mauclair. James Ensor, aquafortiste. (_Id_.) + Octave Maus. James Ensor. (_Id_.) + Blanche Rousseau. Ensor intime. (_Id_.) + Georges Lemmen. James Ensor. (_Id_.) + Maurice des Ombiaux. James Ensor. (_Id_.) + Christian Beck. Réflexions sur la Cathédrale de James Ensor. (_Id_.) + Jules du Jardin. A propos de James Ensor. (_Id_.) + Pol de Mont. James Ensor. (_Id_.) + Louis Delattre. L'enfance d'Ensor, peintre de masques. (_Id_.) + Octave Uzanne. James Ensor, peintre et graveur. (_Id_.) + Eugène Demolder. James Ensor. (_La Revue des Beaux-Arts et des Lettres_, + 1899, Paris.) + Gustave Coquiot. James Ensor.(_La Vogue_, 1899, Paris.) + Jules du Jardin. L'art flamand. Bruxelles. + Vittorio Pica. James Ensor. (_Minerva_, Rome.) + Pol de Mont. Koppen en busten. + Horrent. James Ensor. + Vittorio Pica. (_Emporium_, Bergame.) + Monod. James Ensor. + Camille Mauclair. Les peintres belges. (_La Revue Bleue_, 1905, Paris.) + Vittorio Pica. Attraverso gli albi e le cartelle. + ID. La moderna scuola di pittura del Belgio. + Camille Lemonnier. L'École belge de peinture 1830-1905. 1906, Bruxelles. + Vittorio Pica. L'arte mondiale a Venezia nel 1907. + ID. La galeria d'arte moderna a Venezia. + Albert Croquez. James Ensor, peintre et graveur. (_La Flandre Artiste_, + déc 1908, Courtrai.) + + + +TABLE DES ILLUSTRATIONS DANS LE TEXTE + + Le Christ veillé par les anges (1886) + Croquis + Squelettes Musiciens (1888) + Croquis + Les Soudards débandés (1892) + Croquis + La Vierge aux Navires (1893) + Croquis + Croquis + Bataille des Éperons d'or. Eau-forte (1895) + + + + +TABLE DES PLANCHES HORS-TEXTE + + + Portrait de James Ensor en 1875 (frontispice). + La Femme au balai (1880) + Le Chou (1880) + Gamin (1880) + Vieux Pêcheur (1881) + La Dame sombre (1881) + Lampiste (1880) + Musique russe (1880) + Le Salon bourgeois (1881) + Dame en détresse (1882) + Pouilleux indisposé se chauffant (1882) + Le Terrassier (1882) + La Sorcière (1883) + Dame au châle bleu (1882) + La Mère du peintre + Les Pochards (1883) + Enfants à la toilette (1886) + Mon Père mort (1887) + La Mère du peintre. Dessin (1889) + Vénus à la coquille. Dessin (1889) + Projet de chapelle à dédier à S.S. Pierre et Paul (1887) + La Cathédrale. Gravure à l'eau-forte (1886) + Le Christ apaisant la Tempête. Gravure à la pointe-sèche (1886) + Barques échouées. Gravure à l'eau-forte (1888) + Ernest Rousseau. Gravure à la pointe-sèche (1887) + Le Théâtre des masques ou bouquet d'artifice (1889) + L'Intrigue (1890) + Masques devant la mort (1888) + La Raie (1892) + La Mort poursuivant le troupeau des humains. Gravure à l'eau-forte (1895) + La Danse (1896) + Mariakerke (1896) + Entrée du Christ à Bruxelles. Gravure à l'eau-forte (1898) + Vengeance de Hop-Frog. Gravure à l'eau-forte (1898) + Ostende (1898) + + + + +TABLE DES MATIÈRES + + I. Le milieu. + II. Les débuts + III. Les toiles + IV. Les dessins + V. Les eaux-fortes + VI. Vie et caractère + VII. La place de James Ensor dans l'art contemporain + Catalogue de l'Å“uvre de James Ensor + Bibliographie + Table des illustrations dans le texte + Table des planches hors-texte + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of James Ensor, by Emile Verhaeren + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK JAMES ENSOR *** + +***** This file should be named 35124-0.txt or 35124-0.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/3/5/1/2/35124/ + +Produced by Christine Bell & Marc D'Hooghe at +http;//www.freeliterature.org + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: James Ensor + +Author: Emile Verhaeren + +Release Date: January 31, 2011 [EBook #35124] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK JAMES ENSOR *** + + + + +Produced by Christine Bell & Marc D'Hooghe at +http;//www.freeliterature.org + + + + + +JAMES ENSOR + +PAR + +EMILE VERHAEREN + + +COLLECTION DES ARTISTES BELGES CONTEMPORAINS + + +BRUXELLES + +LIBRAIRIE NATIONALE D'ART & D'HISTOIRE + +G. VAN OEST & CIE + +1908 + + + * * * * * + +[Illustration: Portrait de James Ensor en 1875.] + +[Illustration: La Femme au Balai--1880.] + + + + +I. + +LE MILIEU + + +Souvent, des vagues venant du côté de l'Angleterre s'engouffrent +nombreuses et larges dans le port d'Ostende. Et les idées et les +coutumes suivent ce mouvement marin. + +La ville est mi-anglaise: enseignes de magasins et de bars, proues +hautaines des chalutiers, casquettes d'agents et d'employés y font +briller au soleil, en lettres d'or, des syllabes britaniques; la langue +y fourmille de mots anglo-saxons; les gens des quais y comprennent le +patois de Douvres et de Folkstone; des familles londoniennes s'y sont +établies jadis, y ont fait souche et marié leurs filles et leurs fils +non pas entre eux mais aux fils ou aux filles de la West-Flandre. Le +service quotidien des malles voyageuses resserre tous ces liens divers, +comme autant de cordes tordues en un seul cable, si bien qu'on peut +comparer la grande île à quelqu'énorme vaisseau maintenu en pleine mer, +grâce à des ancres solides dont l'une serait fixée dans le sol même de +notre côte. + +Cette influence d'outre-mer qui imprègne le milieu où il naquit +suffirait certes à expliquer l'art spécial de James Ensor. Toutefois +elle se précise encore si l'on note que l'ascendance paternelle de +l'artiste est purement anglaise. Le nom qu'il porte n'est point flamand. +C'est à Londres, qu'il se multiplie aux devantures. Je le vis flamboyer, +un soir, dans Soho-square et plus loin il se projetait--réclame +mouvante--sur un trottoir d'Oxford street. + +L'oeuvre que nous étudierons et exalterons s'élève donc au confluent de +deux races--races saxonne, race flamande ou hollandaise--harmonieusement +mêlées dans le sang et dans l'âme d'un très beau peintre. + +L'erreur serait grande si l'on se figurait qu'à cause de ses origines +britaniques, Ensor se soit complu à réapprendre comme certains peintres +modernes l'art des Reynolds ou des Gainsborough ou se soit assimilé +n'importe quelle méthode des préraphaelites illustres. L'anglomanie qui +s'est glissée jusque dans l'esthétique l'a épargné. Ce n'est point par +des qualités extérieures et souvent artificielles qu'il se rattache aux +maîtres de là là-bas, mais bien, naturellement, par certains dons +fonciers et rares. Il est de leur famille, sans le vouloir. Il est +audacieux et harmonieux comme Turner, sans qu'il s'y applique, sans +qu'il s'en doute. Il aime les effets tumultueux et larges de Constable +sans qu'aucune de ses toiles fasse songer aux paysages célèbres de ce +grand peintre. La parenté est souterraine et comme secrète. Elle se +manifeste dans la manière de comprendre et d'aimer la nature, dans la +sensibilité aiguë de l'oeil dans la franchise et l'audace des +conceptions, dans la pratique du dessin pictural, dans la délicatesse +mêlée à la force, dans la plaisanterie unie à la brutalité. Dès que +cette dernière caractéristique est atteinte, James Ensor rejoint non +plus Constable ni Turner, mais Gillray et Rowlanson plus encore que +Jérôme Bosch ou Pierre Breughel. + +[Illustration: Le Christ veillé par les anges (1886).] + +Encore que l'influence anglaise agisse avant toute autre sur elle, c'est +toute l'Europe et l'Amérique qui transforment pendant l'été, quand la +saison balnéaire s'inaugure, Ostende. Les jeux et les fêtes l'exaltent +tout à coup. Les femmes du quartier Marbeuf envahissent sa digue. Le +monde qui l'hiver se groupe à Monte-Carle, à Menton, à Biarritz s'y +concentre. Des nuits de lourde et chaude volupté s'y passent à la lueur +de flambeaux. La chair s'y mire et s'y pavane aux miroirs de cabarets +fastueux. Et la folie des villes frémissantes et trépidantes brûle +soudain ce coin de Flandre calme et foncièrement sain et propage sa +fièvre nocturne et flamboyante tout au long de la mer. + +Magasins de Paris, boutiques de Vienne, comptoirs chargés de coraux de +Naples et de Sicile, brasseries de Dortmund et de Munich, caves remplies +de vins de Portugal et d'Espagne vous installez votre barriolage de +goûts et de couleurs devant les mille désirs populaires ou mondains, +devant les appétits vulgaires ou rares, devant les convoitises baroques +ou distinguées. La flânerie des promeneurs s'en va, à droite, vers le +port, à gauche, vers le champ de courses, en partant de la rampe de +Flandre où James Ensor habite. A cette large voie se relie en outre +toute la ville basse avec ses rues étroites, les unes venant de la +grand' place, les autres du théâtre, celle-ci de la gare et celle-là du +marché. Le carillon n'est pas loin: on l'entend tricoter sa musique +menue, le soir, ou bien, aux midis de réjouissances, ruer de toutes ses +notes et s'emporter vers quelque hymne national. + +La foule et ses remous passe donc à toute heure du jour devant les +fenêtres du peintre: foule élégante ou hautaine, foule grotesque ou +brutale, cortèges de la mi-carême, processions de la fête-Dieu, fanfares +rétentissantes des villages, sociétés chorales des villes voisines, +cris, tumultes, vacarmes. + +Et ces flux et ces reflux de gestes et de pas aboutissent tous là-bas, à +cette féerie de verre et d'émail qu'est le Kursaal d'Ostende. + +Avec ses dômes et ses pignons et ses rosaces et ses lanternes, avec ses +ors élancés et ses bronzes trapus, avec ses festons de gaz et ses +couronnes de feux, il apparaît, toutes portes et fenêtres ouvertes, +comme un tabernacle de plaisirs éclatants et sonores. Un orchestre +savant y fait naître, chaque jour, des floraisons de musique; des voix +illustres s'y font entendre--orateurs ou conférenciers--et des virtuoses +dont le nom émeut les mille échos y jettent vers l'applaudissement en +tonnerre des foules, les phrases les plus belles des maîtres célèbres. +Toutes les langues s'y parlent. Joueurs, financiers, gens de course, +gens de bourse, princes et princesses, dames du monde et courtisanes, +tout s'y coudoie ou s'y toise; s'y méprise ou s'y confond. + +Le soir, quand les verrières du monument flamboient face à face avec la +nuit et l'océan, on peut croire que le bal y tournoie en un décor +d'incendie. Du fond de la mer s'aperçoivent les hautes coupoles +illuminées et le phare dont la lueur troue les lieues et les lieues +semble ne lancer si loin son cri de lumière que pour héler vers la joie +le coeur battant de ceux qui traversent l'espace. + +Ainsi pendant l'été tout entier Ostende s'affirme la plus belle +peut-être de ces capitales momentanées du vice qui se pare et du luxe +qui s'ennuie. Et ce n'est pas en vain que chaque année James Ensor dont +l'art se plaît à moraliser cyniquement, assiste à cette ruée vers le +plaisir et vers la ripaille, vers la chair et vers l'or. + + * * * * * + +La chambre où il travaille ouvre, là haut, au quatrième d'une maison +banale, son unique et peu large fenêtre. De tous les peintres modernes +Ensor est le seul qui jamais ne se soit mis en quête d'un atelier. Lui +le chercheur de lumière il campe ses toiles en un jour médiocre tombant +non pas d'une verrière mais à travers les pauvres carreaux d'une baie +verticale et parcimonieuse de clarté. Pourtant que de pages +merveilleuses s'y élaborent et que de tons admirablement harmonisés y +juxtaposent leurs musiques inentendues! + +Celui qui surprend Ensor, la haut, dans son travail, le voit surgir d'un +emmêlement d'objets disparates: masques, loques, branches flétries, +coquilles, tasses, pots, tapis usés, livres gisant à terre, estampes +empilées sur des chaises, cadres vides appuyés contre des meubles et +l'inévitable tête de mort regardant tout cela, avec les deux trous vides +de ses yeux absents. Une poussière amie recouvre et protège ces mille +objets baroques contre le geste brusque et intempestif des visiteurs. +Ils sont là chez eux pour que seul le peintre leur insuffle la vie, +les interroge les fasse parler et les introduise dans l'art grâce à la +sympathie qu'il leur voue et l'éloquence secrète qu'il découvre en leur +silence. + +[Illustration: Le Chou--1880. (Collection Ernest Rousseau)] + +Il est opportun de se figurer James Ensor en tête à tête quotidien et +prolongé avec ces effigies en carton et en plâtre, avec ces débris +d'existance et de splendeur, avec ces défroques ternes ou violentes pour +comprendre quelques-unes des surprises de son caractère et quelques +traits profonds et spéciaux de son art. Il est certain que pour lui, à +telles heures d'illusion souveraine, un tel assemblage de visages, +d'attitudes, d'ironies ou de détresses a dû représenter la vie. Elle lui +est apparue mauvaise, déplorable, hostile. Elle lui a enseigné la +misanthropie que seuls corrigent la farce, le rire et le sarcasme. + +L'existence d'Ensor entouré d'un tel décor familier ne manque pas de +paraître énigmatique et bizarre et je ne crois pas qu'il lui répugne de +maintenir autour de lui ces apparences. Ses paroles qui souvent +déconcertent, ses saillies drôles, ses rires soudains et furtifs, sa +voix sourde, sa marche lente et l'éternel parapluie qui toujours +l'accompagne comme s'il se défiait du plus fidèle et du plus loyal +soleil confirment l'étrange impression qu'il produit volontairement ou +ingénûment, qu'importe. + +Personne que je sache ne met moins de mise en scène dans l'accueil. Les +oevres qu'il montre ne toisent pas le visiteur du haut d'un chevalet +comme pour lui imposer leur présence autoritaire. Ses toiles ne sont pas +même tendues. Elles gisent roulées les unes sur les autres, en des coins +obscurs. Elles apparaissent à la lumière ployées et gondolées et c'est +avec peine qu'on leur trouve une zône de clarté propice afin qu'elles +s'y étalent sans trop se nuire entre elles. Aucun commentaire +n'accompagne leur présentation. Seul un rire menu, quand le sujet étonne +et froisse quelque goût trop puritain. Et les oevres succédent aux oeuvres +et quand tout est montré, toujours, soit au fond d'un coffre, soit au +fond pièce voisine se découvre une merveille oubliée dont la crasse +voile la fraîcheur et la beauté. Un coup d'éponge donné à la hâte +réveille la splendeur endormie. + +On dégringole l'écalier raide et tournant et l'on quitterait, la poignée +de main échangée, la maison du peintre, sans plus, si le magasin du +rez-de-chaussée, avec ses larges vitrines encombrées de bibelots ne +retenait, un instant encore, l'attention. C'est que là, parmi les +coquillages et les nacres, les vases de la Chine et les laques du Japon, +les plumes versicolores et les écrans barriolés, l'imagination visuelle +du peintre se complait à composer ses plus rares et ses plus amples +symphonies de couleurs. Oh les notes à la fois tendres et fortes, à la +fois subtiles et brutales, à la fois sobres et éclatantes qu'il sût +faire vibrer en prenant comme prétexte quelque pauvre bibelot d'orient +que la mode banalisa! Et la coquille ourlée dont le bourgeois morose +ornera sa cheminée en marbre peint deviendra grâce à la magie, grâce à +l'hermétisme de l'artiste, ce miracle de couleur triomphante dont +s'éblouiront les salles les plus belles des musées modernes. + + * * * * * + +[Illustration: Gamin--1880. (Collection Edgar Picard)] + +Ensor se plaît parmi ces mille riens exotiques parmi ces dépouilles +luisantes ou vitreuses de la mer. Lui même s'intéresse parfois au trafic +qu'en font et sa mère et sa tante, marchandes tenaces et expérimentées. +Souvent le soir, la causerie rassemble autour des comptoirs la famille +entière. La soeur du peintre et sa nièce qu'il affectionne vivement sont +là. Et l'on parle d'Ostende, non pas de l'Ostende ruée aux fêtes et aux +plaisirs de l'été, mais de l'Ostende automnale qui se plaît dans la +déréliction et le silence. Ensor adore celle-ci avec ses rues étroites, +ses places humbles et désertes, ses petites boutiques vieillottes au +fond des quartiers populaires et ses propres et luisants estaminets où +l'odeur de la bière se mêle à des relents de poisson sec et de crevettes +humides. C'est là qu'il dessina maint pêcheur à vareuse bleue, à boucles +d'oreilles étroites, à pantoufles multicolores. C'est là qu'il rencontra +et qu'il interpréta en des croquis larges et vivants, les vieilles +femmes à mantelets, avec de lourds et noirs capuchons de drap recouvrant +leur intact et fragile bonnet blanc. + +La vie du port est la seule vie d'Ostende, l'hiver. Elle ne pénètre +point la ville; elle n'anime que ses confins. C'est une vie en bordure. +Oh les câbles et les amarres au long des quais, les voiles rousses et +brunes dans le brouillard gris, les proues sculptées des vieux navires +s'apercevant du fond d'une ruelle et les mouettes blanches, entrant dans +les bassins et volant, dirait-on, à travers les entrecroisements +dédaliens des haubans et des vergues! Et les petites boutiques, en plein +vent, à l'angle des ponts et les plies et les limandes qui sèchent dans +le courant d'air des fenêtres et la marmaille grouillante parmi les +écailles de moules versées en tas, sur le trottoir! O cette vie comme +goudronnée au contact des bateaux, des cordes et des voiles; cette vie +tranquille, têtue et dangereuse qui fait les races calmes ou violentes +comme ces mers du Nord dont elles vivent depuis mille ans. Elle n'a +qu'un sursaut, en Février, aux temps du carnaval. Et combien +mélancolique et brutal! Et combien morne et quelquefois sanglant! + +Ensor a traduit cette liesse en des oeuvres quasi sinistres et qui +étonnent et qui font peur. Le pittoresque de l'accoutrement, l'usure de +la défroque, la drôlerie muette de masque, l'ennui qui semble suinter +des murs tout se ligue pour provoquer une impression sombre avec des +éléments soi-disant gais. + +Je me souviens d'un Mardi gras passé à Nieuport, jadis, avec des amis. +Jamais je ne compris mieux la folie et la tristesse des masques d'Ensor. + +Des groupes ivres battaient les rues. En des salles de danse, à moitié +désertes, avec de pauvres musiciens grelottant de froid dans un coin, la +valse fouettait deux ou trois couples tournoyants et muets, avec les +lanières usées de sa musique banale et sifflante. Un ivrogne, orné d'un +faux nez violet, titubait près du comptoir et sa commerre dépoitraillée +et gisante contre une cloison, mordait, machinalement, les crins de sa +perruque descendue sur ces yeux. Un bout de bas blanc passait à travers +les trous de son soulier. Un hoquet lourd et profond lui sécouait, de +temps en temps, le ventre. Et l'ivrogne riait et pleurait tour à tour +devant elle. + +Lorsque James Ensor se plaisait à traduire par le pinceau de telles +scènes grotesques et lamentables, il était le compagnon falot qu'Eugène +Demolder, assignait, sous le déguisement de Fridolin, au grand Saint +Nicolas. James Ensor donnait la réplique, dans le livre du poète +d'Yperdamme, au joyeux et doux patron des petits enfants de la +West-Flandre. Il jouait, en ce temps là, de la flûte et se promenait, +avec deux carlins boulus, renfrognés et fidèles. + +[Illustration: Croquis.] + +L'effigie qu'Henri de Groux vient de nous donner de James Ensor nous le +représente robuste et presque gras. Les cheveux grisonnent, le teint +s'enlumine, l'allure est massive. L'appuie-main tenu entre les doigts +fait songer vaguement à quelque sceptre. Ensor semble commander à son +art dont une page caractéristique se devine au fond de la toile. Le +voici donc tel que l'âge mûr le définit. Au surplus l'oeuvre compte et +s'affirme excellente. + +Toutefois j'aime à me souvenir d'un tout autre James Ensor, celui que je +connus, il y a vingt ou vingt-cinq ans, avec un corps svelte, un teint +pâle, des yeux clairs, des mains longues fiévreuses et fines. Non pas un +dandy, car une mise négligée presque toujours rejetait cette +comparaison, mais une sorte de jeune parlementaire britanique qui +faisait songer à Disraeli. + +James Ensor parlait peu, se tenait sur la réserve, avec un air fermé et +craintif. On lui prêtait un caractère difficile et ombrageux. Il avait +certes, la pleine conscience de sa force naissante; il n'admettait +aucune restriction sur l'entière personnalité de son art et se +rebiffait, dès que l'ombre d'une injustice l'effleurait dans la mêlée de +la vie. La haine de la critique bouillonnait en lui, comme chez tous les +artistes vrais et impérieux. Il ne pouvait admettre qu'on ne le comprit +pas et que sa peinture qui lui paraissait toute simple et naïve ne +s'imposât point, du premier coup, grâce à sa sincérité absolue. Il +oubliait la difficulté ardue, que rencontre tout esprit dès qu'il veut +pénétrer de sa lumière à lui quelqu'autre esprit fut-il voisin du sien +et combien le baptême de l'hostilité et du dénigrement est salutaire +à toute originalité naissante. C'est parce qu'il fut bafoué, nié, +villipendé jadis que sa victoire aujourd'hui nous apparaît si consolante +et si belle. La gloire ne se livre pas; elle se prend d'assaut. Elle se +retranche derrière une muraille d'hostilités et de sarcasmes. + +[Illustration: Vieux Pêcheur--1881. (Collection Edgar Picard)] + +Tout artiste vrai est un héros ingénu. Il faut qu'il souffre pour qu'un +jour il ait la joie d'imposer a tous sa victorieuse personnalité totale. +En ce temps-ci ou chacun est tout le monde, le poète, le peintre, le +sculpteur, le musicien ne vaut que s'il est authentiquement lui-même. +C'est le plus réel des privilèges que la nature, sans aucune +intervention autre que celle de sa puissance, confère et maintient à +travers les siècles et seul le poète, le peintre, le sculpteur, le +musicien en peut jouir pleinement. + +Oh ces débutants choyés dès qu'ils apparaissent et par la critique et +par le public! Aucune de leurs toiles ne survit après vingt ou trente +ans. Ils n'ont jamais passionné personne. Ils n'ont connu ni la révolte +de leurs maîtres, ni la jalousie de leurs amis, ni la haine de la foule. +Ils ont été banalement heureux en attendant qu'ils soient banalement +quelconques. Les Salons triennaux out accueilli leurs essais à la rampe +mais les Musées rejetteront bientôt leurs oeuvres dans les coins. Ces +peintres-là sont morts depuis longtemps quand sonne leur agonie. Et leur +nom de plus en plus pâle, de plus en plus éteint, de plus en plus oublié +ne trouve plus refuge qu'aux pages jaunies d'un catalogue ou il finit +par se confondre avec un pauvre et morne numéro. + +Il importe donc d'aimer et les attaques et les batailles, les coups +portés avec enthousiasme et reçus avec courage. L'ivresse suprême réside +dans la conscience qu'on a d'être une belle force humaine. Et rien ne +l'exalte autant que la violence et l'injustice. L'émeute autour d'une +toile nouvelle est un sacre à rebours. L'artiste y doit puiser non +l'abattement mais le lyrisme. Sa vraie vie commence, dès cet instant. Et +l'oeuvre doit succéder à l'oeuvre, sans compromission, sans reticence, +audacieusement, toujours, jusqu'à l'heure où cessera le rire et se taira +la huée. Et qu'importe si la colère montante ne se retire que devant le +tombeau. Les triomphes posthumes sont les plus sûrs. + +Je doute que James Ensor ait admis ces vérités aux temps de sa jeunesse, +mais je sais qu'il a toujours agi comme si leur lumière vivait en son +esprit. + + + + +II. + +LES DÉBUTS + + +L'époque pendant laquelle débuta James Ensor fut pour la patrie, un laps +de temps héroique et fécond. Aujourd'hui qu'il est loin, il apparaît +quasi légendaire. + +Un miracle se fit tout à coup. Le pays, habitué à ne produire que des +peintres, suscita des sculpteurs et parmi eux un génie: Meunier. Bien +plus; la Belgique hostile aux lettres et vouée depuis longtemps à la +littérature des parlementaires et des journalistes, se para d'une +floraison de poètes. + +Les coutumes furent à tel point bousculées, les réputations assises à +tel point secouées sur leurs sièges, qu'il y eut comme un tremblement +des cerveaux. On n'osait y croire; on n'y croyait pas. Notre sol qui se +couvrait du seigle annuel des lucratives affaires et du froment régulier +des prospères négoces ne pouvait tout à coup se modifier assez +profondément pour nourrir de sève et exalter vers la lumière des odes +belles comme des chênes et des idylles fragiles et jolies comme des +arbustes. L'extraordinaire fut taxé d'impossible et des «bouches +autorisées» déclarèrent qu'en tous cas le prodige n'aurait pas de +suites. + +Il en eut d'admirables. + +Malgré les oppositions soit franches, soit sournoises, malgré les mille +cris des feuilletonistes inquiétés dans leurs goûts et leurs habitudes, +malgré la compacte et massive inertie et la bêtise au front non pas de +taureau mais de boeuf, les nouveaux écrivains s'affirmèrent, d'année en +année, plus clairs, plus hauts, plus purs. Si bien qu'aujourd'hui ils +sont tout et leurs détracteurs d'antan, rien. L'opinion a été retournée +comme un vêtement dont on secoue les poussières, dont on vide les poches +des vieux préjugés qu'elles recélaient, dont on brosse le drap depuis le +col jusques aux pans et qu'on désinfecte enfin en tous ses plis. +Aujourd'hui les générations littéraires se succèdent les unes aux +autres, comme les générations des peintres; l'art d'écrire est acclimaté +parmi nous; la presse est passée aux mains des écrivains, la foule se +fait attentive et le pouvoir récompense et s'émeut. C'est une victoire +qu'on ne conteste plus. + +Or, ces prosateurs et ces poètes de la vie dans la phrase se virent +attaqués en même temps que les peintres de la vie dans la lumière. Leurs +ennemis se liguaient entre eux; ils se liguèrent entre eux contre leurs +ennemis. Cela se fit avec entrain et naturel parce que la nécessité +souveraine nouait elle-même les liens d'entente. Le consentement fut +tacite et rapide. + +Jamais les polémiques d'art ne furent aussi vives, aussi ardentes, aussi +impitoyables. On frappait avec des poings sauvages; on n'avait égard ni +à la vieillesse ni aux situations prises; on était fier d'être partial +et féroce. La norme était franchie joyeusement, ventre à terre; toute +réticence devenait trahison, toute justice rendue aux adversaires raison +de blâme et de défiance. La tolérance est une force de l'âge mûr. Elle +est une tare et une faiblesse quand on se trouve à la tête de ses vingt +ans. + +[Illustration: La Dame sombre--1881. (Collection Edgar Picard)] + +Oh l'orage des discussions autour des noms de Khnopff, de Schlobach, de +Van Rysselberghe, de Dario de Regoyos, de Wytsman, de Finch, de Toorop +et d'Ensor! La belle mêlée de colères et sarcasmes! Les lourdes attaques +et les folles défenses! Les fiers éclairs dont on foudroyait les +esthétiques vieillies et les règles désuètes. On s'exposait avec joie, +on dardait son audace partout et l'on se reprochait sans cesse de +n'avoir pas été assez violemment téméraire. Vraiment la vie passionnée +était belle, en ce temps-là! + +Les peintres novateurs s'étaient d'abord cantonnés à l'_Essor_, société +d'art où se mêlaient des talents avancés et rétrogrades. Une scission +eut lieu. Elle était fatale. Les plus hardis s'en allèrent, laissant +végéter le cercle où s'éteignaient, une à une, toutes les flammes des +forces et des ardeurs. + +_Les XX_ furent crées. L'idée en est due, m'assure-t-on, à Charles Van +der Stappen qui s'en ouvrit à Octave Maus et à Edmond Picard. Cela se +passait, au temps des vacances, à Famelette, près de Huy, où chaque +année Edmond Picard accueillait les artistes comme des hôtes de choix. +«Peintres et sculpteurs se réuniraient au nombre de vingt, +organiseraient une exposition annuelle et inviteraient vingt autres +artistes déjà consacrés. Ceux-ci seraient choisis parmi les maîtres dont +l'art était fier, libre et encore combatif». + +Quand l'exposition s'ouvrit en février 1884, tout le monde, partisans et +adversaires, étaient sous les armes. Des revues de combat étaient nées: +_l'Art Moderne, la Jeune Belgique, la Société Nouvelle, la Basoche_. +Même certains journaux--telle _la Réforme_ et _le National belge_--se +montraient attentifs et bienveillants. Quelques peintres parmi les +aînés, les Heymans, les Smits, les Baron, quelques sculpteurs, les +Meunier, les Van der Stappen, les Vinçotte avouaient, par leur présence +et leur parole nette, combien la tentative et l'audace des vingtistes +leur agréaient. On les comptait; dix-sept peintres: Periclès Pantazis, +Guillaume Vogels, Willy Finch, Dario de Regoyos, Théo Van Rysselberghe, +Frantz Charlet, Rodolphe Wytsman, Frans Simons, Piet Verhaert, Théodore +Verstraete, Guillaume Van Aise, Jean Delvin, Charles Goethals, Guillaume +Van Strydonck, Fernand Khnopff, James Ensor et trois sculpteurs: Achille +Chainaye, Paul Dubois, Jef Lambeaux. Parmi les invités se signalaient +Israëls, Rops, Stobbaerts, Maris, Rodin. Aucun nom d'impressionniste +français ne figurait au catalogue. Monet et Renoir n'exposèrent qu'à la +troisième exposition des _XX_, en 1886. + +[Illustration: Squelettes musiciens (1888).] + +C'est à cette date que, l'animosité ayant crû d'année en année, le +critique d'art de _la Jeune Belgique_ s'exprima de la sorte,--nous +citons l'extrait qui n'est certes pas un modèle de goût, uniquement pour +montrer la rudesse des polémiques--: + +«Oh la triomphale journée que celle du 6 février! _Les XX_ sont ouverts. +Désormais la bêtise belge a sa date! On dirait qu'à cette «première» +artistique le cerveau bourgeois se dégorge par toutes ses +circonvolutions. Il en jaillit des excréments de sottise. Cela rappelle +des opérations d'abattoir. Le porc est tué: il est suspendu, ventre +ouvert, à de grossières tringles, les boyaux sont jetés sur l'étal, +fumants et flasques. + +«Les avez-vous vu vider? La bêtise belge et bourgeoise, c'est cela. + +«Ce qui se débite d'âneries en ces quelques heures devant ces quarante +exposants ferait un fumier monumental. Dames élégantes à bouche pincée +de souris prude, fourrures confortables avec un ventre officiel dedans, +gommeux monoclés, académiciens rances, peintres deshonorés de rubans +rouges, réputations tuées depuis longtemps dans leur propre _Bataille de +Lépante_ et leur propre _Peste de Tournay_, prud'hommes énormes, +collectionneurs d'eux-mêmes, tout cela potine, commère, hausse les +épaules, passe et fuit devant ces quelques centaines d'oeuvres d'art qui +hurlent l'avenir. Et des rages! Voici un Monsieur qui s'arrête devant +les Toorop et jure comme un porte-faix et trépigne et remue les poings +... qu'il tient en poche. Tel autre s'affale sur un banc et crie qu'il +faut «brûler tout». + +«Les années précédentes il y avait çi et là un tableau «à la portée du +premier venu» un tableau sauveur ... aujourd'hui, rien. + +«Oh les pauvres oiseaux qui se cognent aux murs d'une cave obscure! Pas +un coin où se tenir tranquille sur un perchoir d'admiration bon-enfant. +Pas un coin où débiter le monologue d'amateur éclairé devant un +auditoire de mamans et de fillettes. Pas d'opinion juste-milieu +possible. Ou la haine ou l'emballement.» + +C'était le ton. On le prenait, sans le savoir. L'atmosphère de bataille +est grisante. On la trouve trop chaude quand on en est sorti. Quand on +la respirait, elle était vraiment et bellement violente, exaltante et +fiévreuse. + +L'histoire des _XX_ devrait, un jour, se faire, année par année. On y +insisterait sur les successives et graduées victoires des peintres du +plein-air en Belgique. On y pourrait mettre également en relief la +manière nouvelle dont les oeuvres y furent présentées. Pour la première +fois on y juxtaposait toutes les pages d'un même peintre. Et toutes +s'étalaient à la rampe. Des tentures de fond harmonieuses étaient +choisies. Des chiffres d'or décoraient discrètement les murs. + +Peu à peu les conférences s'inauguraient et bientôt les auditions +musicales. Le directeur des _XX_, Octave Maus, s'y employait avec zèle +et goût. Les _XX_ qui plus tard abandonnèrent leur titre au profit de +celui de _Libre Esthétique_ devinrent ainsi un milieu de lutte précieux. +Le mois de février ou de mars qu'ils choisissaient, annuellement, pour +se grouper, combattre et triompher fut un mois de joie violente et âpre. +Bruxelles interrompait ou plutôt clôturait par une fête intellectuelle +l'ennui et la somnolence du morne hiver. L'art mettait avant, le +printemps, une ardeur de renouveau dans les têtes. Et bientôt dans +toutes les capitales de l'Europe des salons, organisés d'après celui qui +s'ouvrait, chaque année, chez nous, multiplièrent les batailles et les +triomphes des peintres et des sculpteurs hardis et révolutionnaires. +Munich, Vienne, Berlin, La Haye, Paris, toutes ces villes eurent des +_Libres Esthétiques_ dont elles changeaient simplement le nom. + +Ensor est le premier de tous nos peintres qui fit de la peinture +vraiment claire. Il substitua l'étude de la forme épandue de la lumière +à celle de la forme emprisonnée des objets. Cette dernière est violentée +par lui, hardiment. Tout est sacrifié au ton solaire, surtout le dessin +photographique et banal. A ceux qui, devant ses oeuvres, vaticinent: «ce +n'est pas dessiné», Ensor peut répondre: «c'est mieux que ça». + +Son influence fut notable sur ses amis. A part Fernand Khnopff--et +encore dans sa toile _En écoutant du Schumann_ a-t-il peint le tapis en +se souvenant de l'_Après-midi à Ostende_--tous subirent plus ou moins la +fascination de son art. Ceux qui s'en garaient le plus, Van +Rysselberghe, Schlobach, de Regoyos, Charlet parlaient de lui avec une +admiration aiguë. Ils sentaient sa force; ils ne tarissaient point sur +les dons qu'il manifestait, et hautement le proclamaient le plus beau +peintre du groupe entier. + +Mais d'autres, tels que Finch et Toorop, se montrèrent attentifs, non +pas à son enseignement--James Ensor n'en donna jamais--mais à sa façon +nouvelle de traiter et de vivifier les couleurs. Il fut leur maître sans +qu'il le voulût et peut-être sans qu'ils le sussent. Ils étaient +compagnons, se rencontraient sans cesse, se montraient l'un à l'autre le +travail du jour, causaient de l'oeuvre en train, discutaient, +s'exaltaient. Finch, flegmatique et silencieux, observait, certes, plus +qu'il ne parlait, mais ses yeux prenaient part mieux que ne l'eût fait +sa langue aux entretiens du soir en face de la toile, humide encore. + +La nature complexe et curieuse de Toorop s'assimila facilement les +procédés et les techniques. Sa _Dame en blanc_ fut un magnifique hommage +rendu à l'art merveilleux de son ami. + +Faut-il ajouter que, depuis ces temps lointains, Toorop et Finch se sont +dégagés de l'amicale influence et que leur art d'aujourd'hui est à eux +seuls. A part cette domination temporaire, James Ensor n'en a guère +exercée. On le comprend du reste. Sa personnalité n'est pas assez +purement flamande pour influencer longuement et décisivement les +artistes d'ici. Et Finch et Toorop étaient eux-mêmes l'un Anglais, +l'autre Javanais. + + + + +III. + +LES TOILES + + +C'est de 1880 à 1885 que James Ensor produisit ses toiles les plus +belles. Son oeuvre n'est point une moisson d'été ni une vendange +d'automne; c'est avant tout une germination de printemps. Sa force libre +jusqu'à l'excès, sa personnalité violente jusqu'à l'exaspération, son +indépendance superbe et outrancière lui ont fait une jeunesse admirable. +Il créait abondamment, surabondamment même, avec acuité. Avant que la +critique nombreuse se fût acharnée sur lui, il avait produit, déjà, tout +ce qui plus tard devait susciter la bienveillance ou la haine. Il n'a +donc pu donner ni à la louange ni au blâme le temps d'avoir prise sur +lui ni de modifier en quoi que ce fût son travail. L'éclosion de son +talent fut comme une explosion. D'un coup, il apparut presque en toute +sa stature. + +Il débute en 1879 par peindre son _Propre portrait_; il y joint deux +compositions: _Judas lançant l'argent dans le Temple_ et _Oreste +tourmenté par les Furies_; puis dès 1880 apparaissent _le Lampiste_ +(exposé à _l'Essor_ en 1883 et aux _XX_ en 1884) et _la Coloriste_, deux +toiles où tout son art est affirmé, et ce merveilleux _Flacon bleu_ +qui demeure peut-être la plus étonnante nature-morte qu'il ait signée. +Oh le merveilleux morceau! Une table grossière supporte un poulet plumé, +minable, douloureux, dont le cou pend dans le vide et dont la chair aux +tons verdâtres inquiète. Largement, par ci, par là, à coups de couteau, +la couleur est étendue. La main qui construit et peint avec une telle +solidité, avec une telle prestesse semble déjà celle d'un maître. Et +l'oeil qui voit et qui précise le ton magnifique et choisi de la +bouteille connaît déjà toute la force et la rareté d'un ton. Certes, la +composition est absente: ce n'est qu'un morceau amoureusement traité; ce +n'est qu'un coin de cuisine montré sous un éclairage propice, mais que +de vie lumineuse, que de splendeur, que d'éclat! Aucune nature-morte +célèbre ne s'interpose ici entre l'oeuvre et l'admiration du passant. +Tout est neuf, spontané, patent, définitif. Où donc a-t-il été éduqué le +regard qui voit ces pauvres et quotidiens objets comme personne ne les a +vus jamais? Renferme-t-il en lui même une subtilité, une délicatesse +inconnues ou bien le spectacle de la mer que le peintre a sans cesse +devant les yeux et qui s'offre à lui avec ses désinences infinies de +teintes à chaque heure du jour--aubes, midis et soirs--a-t-il doué +l'artiste d'un sens extraordinaire? + +[Illustration: Lampiste--1880. (Musée de Bruxelles)] + +_Le lampiste_ qui décore, à cette heure, le Musée moderne de Bruxelles +est très simple d'arrangement. Sur fond gris, un gamin, tout entier +habillé de noir, tient en main une lanterne de cuivre. Il la regarde et +le verre et le métal brillent. On pourrait dire que le sujet du tableau +existe dans la couleur elle-même. Ces larges masses grises et noires +qu'animent les quelques détails jaunes du lumignon réalisent comme un +conflit apaisé. Du reste tout tableau n'est-il pas une sorte de combat? +Les tubes se présentent avec leur violence et leur diversité de couleurs +comme chargés de mitraille dangereuse. Si le peintre n'en calcule point +la force, s'il les laisse détonner, sans discipliner leur vacarme, s'il +ne les contient d'un côté pour leur mieux donner carrière de l'autre, la +bataille qu'il livre sera irrémédiablement perdue. Il faut qu'il prévoie +ce que les orangés voisinant avec les bleus, ou les verts avec les +rouges, ou les jaunes avec les violets, donneront d'éclat. Il faut qu'il +juge comment les teintes transitoires atténueront tel ou tel choc de +couleurs trop hardies. Il faut qu'il sache ce qu'un ton franc posé à tel +endroit apporte de désordre ou de vie dans l'ensemble. Il existe une +façon lâche de peindre, grâce au blaireautage, qui escamote les +difficultés et affadit l'art. Ce procédé veule et funeste, Ensor ne le +connaîtra jamais. + +L'éclat de la lanterne que le lampiste tient en ses mains rayonne +franchement mais sans brutalité; les noirs sur lesquels l'objet lumineux +se détache le soutiennent par leur vigueur sombre; il n'y a aucun heurt, +il n'y a que de l'audace heureuse. + +_La Coloriste_ est d'un jeu de couleurs plus abondant que le _Lampiste_. +Une femme en blanc est assise dans un atelier éclairé par une fenêtre. +Des étoffes, des vases et des écrans l'entourent. Cette toile fut +montrée à la _Chrysalide_ en 1881. Ce Cercle déjà ancien et dont le lieu +d'exposition s'ouvrait salle Janssens (rue du Gentilhomme, alors rue du +Petit Écuyer), avait à sa tête des maîtres: Louis Dubois, Artan, Vogels, +Rops, Pantazis et d'autres. On y cultivait une peinture aux qualités +solides, faite au couteau et qu'on prétendait sortie ou plutôt dérivée +de la puissante et rayonnante esthétique des ancêtres. Cette opinion, +certes, n'était point mensongère, encore qu'il fallût convenir que ces +puissants peintres qui, à juste titre, se réclamaient de leur origine +avaient tous regardé avec trop d'insistance les toiles du Franc-Comtois +Courbet. Il est vrai que ce dernier aimait à s'arrêter longuement devant +celles de Rubens, de Snyders et de Jordaens et que la peinture +puissante et truculente, ferme et savoureuse, qu'il prônait n'était +autre que la peinture flamande elle-même. + +[Illustration: Croquis.] + +Dans la _Coloriste_ la couleur n'est plus comme dans le _Lampiste_ +distribuée par larges plans. Au contraire. Elle se divise, se dissémine, +se parsème. Sans le tact d'Ensor la multiplicité des verts, des rouges, +des bleus, des jaunes aboutirait à quelque papillotage. Les écrans +peints ne seraient qu'un assemblage de fusées et le tableau mentirait à +son titre. Mais le peintre a voulu que la _Coloriste_ enseignât ce que +doit être une toile bien venue. Sur un fond, où les roux et les gris +établissent leurs accords profonds et solides, les tons clairs et +multicolores chantent, avec justesse et variété, leurs notes hautes et +vives et chacune d'elles s'appuie, avant de s'élancer vers la joie, sur +le tremplin des vigoureuses sonorités fondamentales. L'ensemble tient de +l'un à l'autre bout de la toile, les liens subtils, qui unissent les +teintes entre elles comme les notes d'un page de musique heureusement +écrite, se serrent et se nouent partout. + +_La Musique russe_ (Salon de Bruxelles, 1881 et les _XX_, +1886)représente le peintre Finch assistant à quelqu'audition musicale +qu'une pianiste lui donne. L'oeuvre est plus qu'un portrait. L'auditeur, +assis sur une chaise, se croise les jambes, rejette légèrement le corps +en arrière, détourne aux trois quarts la tête et, dans cette pose +attentive et tendue, écoute. Ce sont des gris délicats rehaussés ci et +là d'une couleur plus vive qui constituent l'harmonie en demi-teinte du +tableau. Aucun accent violemment sonore, mais une succession de nuances +et de touches assourdies comme si la musique frêle, étrange, atténuée +qu'on est sensé entendre commandait à la peinture. La difficulté +consistait à réaliser, sans nuire à l'intérêt ni à la joie des yeux, cet +art comme à demi-voix. Il fallait qu'on sentit le silence de cet +appartement que troublent seuls quelques accords ou quelques chants et +qu'à l'exemple de l'unique auditeur on y fût attentif. + +[Illustration: Musique Russe--1880. (Collection A. Boch)] + +Et comme contraste à cet art discret et mesuré, voici qu'un peu plus +tard, en 1883, Ensor, sous le titre: _Chinoiseries_ peint en pleine +clarté sonore quelques potiches remplies de pivoines. On ne sait ce +qu'il faut louer le plus, ou bien la couleur laiteuse des tons bleus et +blancs du vase, ou bien le dessin large et sûr de son décor. Que ce soit +le dessin cette fois, car jamais, me semble-t-il, l'artiste n'a mieux +affirmé ce qu'est pour lui dessiner en peignant. La ligne, en cette +oeuvre franche et belle, est la couleur elle-même. Elle ne vit pas d'une +vie indépendante, elle crée en même temps la forme et le ton et, si +j'ose dire, l'ossature et la chair. Ceux qui prétendent qu'Ensor ignore +la forme oublient sans cesse que le dessin de Rubens et de Delacroix est +l'opposé du dessin d'Ingres et de Raphaël. Ceux-ci ne font que remplir +par des couleurs le vide laissé entre les lignes tracées d'avance; +ceux-là peignent d'abord et leur dessin résulte de la justesse des +valeurs entre elles, ou si l'on veut, n'est que le résultat du jeu des +ombres et des clartés. C'est le coup de brosse, et non pas le crayon ou +le fusain, qui écrit les formes si bien que dans leurs tableaux rien +n'est dur, rien n'est découpé, rien n'est sec, rien n'est séparé soit du +fond, soit de l'objet voisin. Ils ne cernent pas des images; ils +traduisent la vie. + +Bien plus. Les artistes linéaires tels qu'Ingres et Raphaël ne +s'embarassent ni des ombres ni surtout des reflets. Pour eux, les êtres +et les choses semblent n'exister que dans une sorte de vacuité +atmosphérique. La lumière qui les baigne est toute artificielle et le +vide semble seul les contenir. Chaque objet existe d'une vie solitaire. +Il ne subit en rien la loi des interinfluences. Il apparaît, s'il est +beau, d'une grandeur presque toujours stérile. Il est jailli du +raisonnement et de la pensée; il ne l'est jamais--si je puis dire--d'une +émotion sensuelle. Or, c'est précisément cette joie de voir le monde +entier s'épanouir dans la réelle et mouvante lumière, qui suscite en +quelques êtres de choix le désir et bientôt l'art de peindre. Ensor se +range parmi eux. Nous verrons comme il tient compte de ces ombres et de +ces reflets que dédaignait M. Ingres et comme il les rend naïvement, +scrupuleusement, de peur d'enlever n'importe quel élément de vie et de +splendeur à la réalité. + +Les sujets les plus humbles le requièrent. Voici qu'il peint _poissons, +bouteilles, pommes_. Et voici qu'un simple _chou vert_ (1880) posé sur +une table rouge lui fait faire un chef-d'oeuvre. Une lumière nouvelle, +qui s'affranchit soudain des oppositions violentes entre les avant-plans +et les arrière-plans, baigne cette merveilleuse nature-morte. Elle fut +exposée en 1884 au Cercle artistique de Bruxelles et l'an dernier (1907) +au Salon d'automne de Paris. Elle n'y perdit rien de ces prestiges +d'autrefois. Elle étonna et charma autant que quelques superbes Cézanne +rassemblés en une salle voisine. Elle apparut à tous avec ses qualités +de belle sagesse et de maîtrise. C'était l'oeuvre devant laquelle on +s'arrête et l'on revient. Le rouge de la table sonnait en même temps que +le vert du légume. Ces deux couleurs complémentaires n'étaient séparées +que par une nappe blanche qui atténuait la violence qu'aurait produite +leur immédiat voisinage. Chaque objet était peint à sa place, avec une +sûreté parfaite. Rien ne violentait l'attention, mais chaque coup de +pinceau la retenait. Et l'on songeait que le signataire de cette +merveille fut qualifié, jadis, par la critique, d'artiste iconoclaste et +sauvage et l'on ne comprenait pas. C'est, du reste, le propre des oeuvres +vraiment fortes d'étonner à leur apparition par leur soi-disant audace +et de s'imposer après quelques années par leur absolue convenance. + +[Illustration: Le Salon bourgeois--1881. (Collection Ernest Rousseau)] + +Elles déroutent d'abord, elles ameutent et révolutionnent. Mais, le jour +qu'elles entrent dans les musées et qu'elles voisinent avec les pages +solennelles des maîtres et se trouvent enfin chez elles, en lieu sûr, +dans la compagnie qui leur convient, on est surpris, chaque fois, de les +voir très simplement continuer et rajeunir l'histoire de la beauté. + +C'est dans le _Salon bourgeois_ (1881) autant que dans _Musique russe_ +(1880) et plus tard dans la _Mangeuse d'huîtres_ (1882), qu'on peut +constater combien l'art de James Ensor tient compte du rôle, dans un +tableau, des ombres et des reflets. «La lumière mange les objets» +dit-il. Et en effet rien ne déforme le contour et la ligne comme une +brusque clarté frappant les surfaces. Dès que vous prétendez rendre ce +que l'oeil voit et non pas seulement ce que le raisonnement prouve, un +meuble (table, piano, armoire, chaise) apparaît en perpétuelle +déformation. Que la lumière s'accentue ou s'affaiblisse, qu'elle change +ou se déplace, aussitôt la réalité visuelle se modifie, alors que la +réalité palpable demeure. Or c'est la réalité visuelle, c'est la +tromperie et l'erreur de l'oeil qu'il faut peindre puisque vous vous +adressez aux yeux des spectateurs et non pas à leur toucher. Ce jeu sans +cesse mouvant des ombres et des reflets, ces influences réciproques des +choses interrompant soudain soit la ligne perpendiculaire d'un pied de +table, soit les droites parallèles d'un panneau d'armoire, soit les +courbes d'un dossier de chaise et dérangeant ainsi tout le décor +géométrique d'un appartement, séduit le peintre moderne plus qu'il ne +séduisait les peintres anciens. Il ne s'en dissimule point la difficulté +et l'affronte, dût son dessin paraître vacillant et incertain, dût sa +composition chavirer dans un apparent deséquilibre. Qu'on examine +l'_Après-dîner à Ostende_ ou la _Musique russe_, ou la _Mangeuse +d'huîtres_, l'on se rendra aisément compte de combien de dangers +picturaux l'art d'Ensor est sorti vainqueur. Ce n'est, en ces trois +toiles, qu'un entremêlement de lueurs et d'ombres, d'objets frappés de +clarté soudaine à côté d'autres restés voiles et la lumière qui glisse +sur l'acajou, se répand sur les marbres, atteint les lustres, descend +sur les tapis et se dissémine partout. Si la clarté provoquait l'écho, +on n'entendrait, ici, que des répercussions et des voix qui se +répondent. + +Je me souviendrai toujours de l'étonnement que je ressentis, il y a +quelque vingt-cinq ans, à l'exposition de l'_Essor_ (1882), devant un +_portrait_--c'était celui de son père--qu'Ensor y exposait. La toile +était accrochée à la rampe près d'une porte dans un des halls du +Palais des Beaux-Arts, rue de la Régence. Au milieu des oeuvres jeunes +qui sollicitaient par leur tapage et leur inexpérience, celle-ci +proférait on ne sait quoi de grave, d'appaisé et de sévère. Elle était +conçue par grands plans: des bleus, des noirs, des blancs réalisaient sa +très simple harmonie. A droite, la clarté, tombant d'une fenêtre à +travers des rideaux pâles, baignait le front d'un homme qui lisait. Une +cheminée en marbre occupait le fond, à gauche. La figure était attentive +à sa lecture. Et le silence régnait. La profondeur du ton, sa solidité, +sa force commentait seule l'intensité de cette scène. C'était donc par +des moyens uniquement picturaux que l'attention était fixée et +l'impression produite. Aucune distraction n'était permise. C'était de la +vie nue montrée dans sa réalité quotidienne, sans plus. + +[Illustration: Dame en détresse--1882.] + +_L'après-midi à Ostende_--refusé en 1884 au Salon de Bruxelles--qui fut +peint dans la même année que le _Portrait de mon père_ (1881) nous +attire, par contre, grâce à son charme abondant de tons variés. L'étoffe +multicolore d'un tapis de table, les éclats métalliques d'un foyer, la +décoration des lampes de la cheminée, les jupes et les corsages des deux +personnes assises face à face permettent au peintre le jeu d'une +admirable harmonie sourde et comme étouffée, malgré la violence locale +des objets, hauts en couleur. Tout ici est en sourdine. La distinction +des tons est parfaite. Un authentique peintre flamand aurait fait sonner +comme une fanfare et les cuivres et les aciers et les étoffes. Il y +aurait eu heurt, choc et tintamarre. C'eût été une exaltation dans la +force. Ensor a réalisé un apaisement dans la délicatesse. Mais pour que +tout fût maintenu, avec pourtant son éclat et son ardeur propres, dans +une sorte de paix générale et brillât et scintillât comme sous un voile, +de quelle finesse, de quelle justesse, de quelle acuité d'observation ne +fallait-il point faire preuve? + +Au fur et à mesure que son oeuvre se poursuivait et que ses _intérieurs +bourgeois,_ ses _après-dîners à Ostende_, ses _portraits_ lui +assignaient comme tâche d'étudier la lumière circulant dans les maisons +à travers la baie des hautes fenêtres, l'oeil très subtil du peintre ne +pouvait s'empêcher de s'émouvoir aussi de la clarté du dehors et surtout +ne pouvait s'abstraire de la contemplation de la mer. Le paysage marin +le requit dès ses premiers travaux. Et voici l'_Estacade_ et la _Mer +grise_ et la _Dame au brise-lame_ (1880); et voici _Marine_ (effet de +soleil), la _Dune noire_ (1881); et voici les deux _Marines_ et le +_Brise-lame_ (1882); et voici _Dune_ et _Mer_ et _Marine_ (l'après-midi) +(1883) et les _Barques_ et la _Marine_ (1884). Cette dernière se +distingue par sa belle teinte verdâtre et par son aspect de simplicité +et de grandeur. Un seul navire en sillonne l'étendue et l'impression de +l'immensité se dégage toute entière. Supposant à la _Marine_ (1884) +voici le _Coucher de soleil_ (1885) dont l'horizon déchiqueté de lueurs +saumonées et de nuages violets multiplie le ton et fait songer à +quelqu'énorme oiseau de flamme qu'on déplumerait, au bord de l'espace. +La mer fut pour l'oeil d'Ensor une admirable éducatrice. Rien de plus +tenu et de plus frêle que la coloration d'une vague avec ses infinies +désinences, avec sa mobilité lumineuse et myriadairement changeante. +Quand elle s'épand au soleil sur le sable micassé de la grève, les +tons les plus purs et les plus clairs des toiles les plus célèbres +semblent grossiers et troubles. + +[Illustration: Les soudards débandés (1892).] + +En 1882, James Ensor achève le _Pouilleux_, la _Dame en détresse_, la +_Dame au châle bleu_ et la _Mangeuse d'huîtres_. + +La première de ces quatre oeuvres fut exposée en 1883 à l'_Essor_ et fut +acquise pour le musée d'Ostende. Elle indique une orientation nouvelle +dans le choix des sujets. Le _Pouilleux_ sera suivi bientôt par les +_Masques scandalisés_ (1883), et ceux-ci ouvriront à l'artiste une voie +étrange où pendant longtemps son imagination se complaira. Le +_Pouilleux_ est pris dans la réalité quotidienne. Il a traîné son corps +et sa guenille sur les quais. Il se peut que jadis il fût pêcheur: son +teint basané et son oeil vif furent certes lustrés par la mer. Le voici +dans un morne logis, assis près d'un poêle, les sabots rapprochés du +feu. Il regarde et ses traits profèrent on ne sait quelle vague +goguenardise. + +_La Dame en détresse_ qu'on admirait en 1886 à l'exposition des _XX_ +représente une femme couchée sur un lit. Un jour ardent pénètre à +travers des rideaux fauves. L'affaissement du corps, son abattement, est +admirablement rendu. Cette longue ligne horizontale commande au tableau. +Quelque chose d'inquiétant émane de la scène. Certes peut-on songer à +quelque drame. Mais il est toujours facile et trop facile de faire, à +propos des oeuvres picturales, des réflexions gratuitement littéraires. +Il s'en faut garder, quand l'évidence ne les fournit point. + +Oh l'admirable tâche que celle du châle de la _Dame au châle bleu_. Déjà +dans le _Flacon bleu_ (1880) cette couleur fut propice au peintre. Elle +lui a confié, peut-on dire, ses secrets les plus cachés. Certes, aucune +couleur n'existe par elle même. Elle emprunte sa sonorité soit à +l'ambiance, soit directement au ton voisin. Qu'importe! Certaines +profondeurs, certains éclats, certaines violences heureuses de ce +fragment du spectre n'auront été connus et rendus que par Ensor. + +Voici une page capitale: la _Mangeuse d'huîtres._ C'est la seule oeuvre +dont il ait fait une réplique. Elle fut en 1882 refusée au _Salon +d'Anvers_; en 1883 elle ne fut point admise à l'_Essor_. Ce n'est qu'en +1886 qu'elle s'épanouit, à la cimaise, aux _XX_. Elle y fit scandale. Je +me souviens encore des colères qu'elle déchaîna. On ne voulut voir en +cette merveille que les défauts, nécessaires, peut-être, en tous cas +secondaires; et chacun, comme s'il était heureux de blâmer, +d'éclabousser et de nier, piétinait dans le parti-pris, se refusait à +toute louange et tournait le dos à la plus élémentaire justice. + +Et pourtant ce tableau imposera sa date dans notre école. Comme le +peintre s'y affranchit des fonds sombres et quelquefois opaques pour +hardiment n'employer que des tons francs et quasi purs! Quelle joie, +quelle fête, quelle liesse de couleurs répandues sur la table où la +mangeuse a pris place! Bouteilles, verres, assiettes, citrons, vins, +liqueurs s'influencent, se pénètrent de lueurs, entrent pour ainsi dire +les uns dans les autres et maintiennent quand même, triomphantes, la +solidité et la rigueur de leurs formes. Et cette admirable note rouge +que jette la reliure d'un livre placé sur une tablette dans le fond de +la toile! Et la belle chair vivante des mains et du visage. Et les plis +bleuâtres de la nappe et tout enfin. + +Certes, depuis qu'il peignait, James Ensor avait banni de sa palette la +_terre de Sienne brûlée_ et le _noir de vigne_; certes, depuis toujours, +il s était défié de ce qu'on appelait «les vigueurs» obtenues par l'abus +des mauvaises et fuligineuses couleurs; certes enfin, il s'était soucié +d'atmosphère, d'air ambiant et de réelle et authentique clarté, mais +jamais comme en cette étonnante _Mangeuse d'huîtres_ ses efforts +n'avaient abouti, ni sa victoire porté la flamme de ses drapeaux aussi +haut, ni aussi loin. L'oeuvre revêt je ne sais quel caractère historique. +C'est le premier tableau, vraiment clair, qu'on fit chez nous. + +_La Mangeuse d'huîtres_, sur l'escalier tournant de l'art d'Ensor, +semble s'étaler sur un large et triomphal palier. Aux yeux du peintre +pourtant, elle est moins encore un point d'arrivée qu'un point de +départ. Comme le _chou_ datant de 1880, elle lui ouvre l'ère de la +peinture à tons purs ou quasi purs. Mais Ensor est celui qui cherche +toujours. Il suit, peut-on dire, plusieurs chemins à la fois. Il ne se +détourne ni de la mer, ni du paysage, ni de la nature-morte. Le voici +qui parachève, en 1883 et 1884, les _Toits d'Ostende, Grande vue +d'Ostende, le Nuage blanc, le Houx, la Dune, Vue de Bruxelles_. Et les +_Pochards_ et les _Masques scandalisés_ et le _Meuble hanté_ le +retiennent en même temps au royaume de la fantaisie et de +l'hallucination. + +[Illustration: Pouilleux indisposé se chauffant--1882. (Musée d'Ostende)] + +Et voici dans la toile le _Christ marchant sur la mer_ qu'une voie +nouvelle semble s'ouvrir encore. Un souci de composition particulier +s'accuse. Prenant comme thèmes quelques sujets bibliques, le peintre +se hausse soudain jusqu'au rôle de visionnaire. Les personnages +n'occupent, dans mainte de ses toiles étonnantes, qu'un place minime. A +première vue on ne les y distingue guère. Il les y faut chercher. Ils +paraissent faire partie des éléments: vents, nuages, flots, soleils. Les +maîtres anciens donnaient invariablement dans leurs oeuvres la place +prépondérante aux actions humaines. Dans le déploiement des légendes à +travers la peinture universelle, les Dieux et les hommes existent seuls. +Mais au fur et à mesure que l'idée de force s'est déplacée et modifiée +et que l'humanité comprend que l'être humain n'est qu'un tourbillon de +pensée emportée dans le vertige des puissances cosmiques, l'importance +de ses gestes a décru. + +_Le Christ marchant sur la mer_ est conçu d'après les mêmes pensées. +C'est la mer, c'est le ciel qui remplissent de leur immensité la toile +entière. A peine une auréole, à peine une lueur se dégageant d'une forme +vague, indique-t-elle le prodigue. + +Dans _Adam et Eve chassés du Paradis_ (1887) ces précédentes remarques +se vérifient mieux encore. La page est merveilleuse. Les cieux remués de +miracles tonnants et foudroyants occupent à peu près toute la toile. Des +trombes de vents passent, des lueurs formidables apparaissent, tout le +vertige de l'atmosphère est rendu. Vraiment, c'est une colère céleste +qui se gonfle, qui voyage et qui éclate. L'ange exterminateur semble +être à lui seul toute la nuée. A droite, avec des mouvements de fuite et +de terreurs et comme brûlés par l'épée vengeresse, apparaissent Adam et +Eve. Ils sont là, dans le coin de la toile, presque indistincts, roulés +comme des épaves, tandis que seul l'orage que leur misère et leur +fragilité ont suscité, occupe les quatre points de l'espace. + +L'effet surnaturel est produit sans que la couleur se mélodramatise de +violentes oppositions de noirs et de clairs. La tonalité générale reste +lumineuse, magnifiquement. On y surprend quasi de la délicatesse. Mais +les lignes tumultueuses sont bien appropriées au sujet et la fougue des +touches émerveille. + +En 1891 le _Christ apaisant la tempête_ continue la série des oeuvres +légendaires. Le ciel et la mer, qui se rejoignent à l'horizon, se +présentent en cette toile comme un énorme coquillage bivalve qui serait +entr'ouvert et dont les deux parois internes contiendraient les nuées et +les eaux. Le personnage, invariablement à droite du tableau, comme dans +le _Christ marchant sur les eaux_ et dans _Adam et Eve chassés du +Paradis_, indique chez le peintre un souci de composition presque +uniforme. La science, l'équilibre, le prolongement heureux des +arabesques, tout ce qui constitue la combinaison étudiée et heureuse ne +l'inquiètent guère. Il voit d'un coup, comme si quelque brusque rideau +s'ouvrait, et il rend ce qu'il voit, sans plus. C'est ainsi que +procèdent les voyants. + +On peut rattacher à ce cortège de paysages animés de légende et +d'histoire quelques autres pages: _le Feu d'artifice_ (1887) et _le +Domaine d'Arnheim_ (1890). + +Une gerbe jaune, immense se projette sur un ciel bleu foncé comme si +tout à coup s'ouvrait un cratère. Effet très simple. On dirait que la +fureur des tempêtes calmées par le Christ marchant sur les eaux ou la +colère des cieux se déchaînant sur Adam et Eve subsistent encore dans +l'esprit du peintre. + +[Illustration: Le Terrassier--1882.] + +Quant au _Domaine d'Arnheim_ il suscite devant les yeux un bois profond +que baigneraient des flots calmes. Une barque les sillonne. Le titre, +fourni par Edgar Poe importe, bien qu'on l'ait trouvé inutile. Il nous +transporte hors de la réalité, vers quelque lieu illusoire et magnifique +où règnerait un calme d'or parmi des îles d'ombre majestueuse, touffue +et silencieuse. Quand il composa le _Domaine d'Arnheim_, l'esprit du +peintre s'était de plus en plus retiré de la contingence quotidienne; il +commençait à vivre en plein monde imaginaire; il était déjà hanté. C'est +à ces dispositions spirituelles qu'est due la manière de traiter ce +paysage. On peut croire en effet que ce morceau de nature est tout +entier arraché à l'imagination ou bien que, là bas, quelque part au bout +du monde, sous un ciel inconnu, il s'étale et fleurit, sans que jamais +quelqu'un, à part son mystérieux visiteur, ne l'ait parcouru. Plus tard, +bientôt, ces îles, ces eaux et ces jardins seront, grâce au rêve de +James Ensor, peuplés de masques et de pierrots et d'arlequins et de +colombines. Ils s'intituleront alors le _Théâtre des masques_. Et ce +seront ses _Fêtes galantes_ à lui, certes moins charmantes que celles de +Watteau, mais plus folles, plus fusantes, plus papillotantes et plus +fiévreuses. + +Continuant, après la _Mangeuse d'huîtres_, sa marche vers la clarté et +s'attardant non plus dans le rêve et la légende mais dans la réalité +vécue et quotidienne, Ensor propose à notre admiration les _Enfants à +la toilette_ (1886). Et c'est dans une chambre, deux enfants nus, l'un +debout, l'autre assis, que la lumière, tamisée à travers les rideaux, +baigne. L'atmosphère est ambrée, frêle, douce, chantante. Les chairs +roses, délicatement, s'étalent dans un jour doré sans qu'aucune +brutalité, aucun heurt, aucune dissonance ne dissipe l'impression de +calme et de fraîcheur et d'innocence qui émane de la toile. La _Mangeuse +d'huîtres_ proférait des tons pleins, entiers, majeurs; les _Enfants à +la toilette_ n'émettent au contraire que des tons atténués, assourdis et +mineurs. Mais si l'on tient compte de l'aiguë difficulté que les +peintres rencontrent à faire jaillir, non pas de l'opposition ni du +contraste, mais d'un assemblage de teintes voisines, la lumière, les +_Enfants à la toilette_ étonneront plus encore que la _Mangeuse +d'huîtres_. La clarté apparaît diffuse, elle ne s'accroche à rien, elle +ne fait aucune saillie; elle glisse sur les meubles, les tapis et les +chairs. La transparence des stores baissés est parfaite. Jadis avec des +tons profonds et noirs, Ensor résolvait dans l'_Après midi à Ostende_ un +problème analogue. Tout y était fort et discret, dans l'ombre. Ici tout +est fort et discret, dans la clarté. + +Enfin voici une toile, toute en tons purs cette fois et toute en +violence, où la réalité se mêle à la fantaisie, où les deux routes +suivies par l'artiste se rejoignent. La page est intitulée _Le Christ +faisant son entrée à Bruxelles_. Elle ne fut jamais exposée. La +date?--1888. C'était le temps où les néo-impressionnistes ameutaient les +ateliers parisiens. Georges Seurat avec sa théorie de la décomposition +lumineuse ou de la division du ton apportait vraiment dans l'art de son +temps un procédé inédit. On l'invitait aux _XX_. Ses toiles y faisaient +scandale. L'évolution lente de l'impressionnisme semblait comme +suspendue au profit d'une révolution soudaine. De nombreuses conversions +esthétiques eurent lieu. Ce fut une sorte de cataclysme magnifique. + +[Illustration: Croquis.] + +La grande part de vérité que Seurat apportait ne put laisser insouciant +un esprit aussi attentif et aussi inquiet que celui de James Ensor. +Toutefois, après réflexion, il n'adopta point les théories nouvelles et +voici les raisons qu'il en donne. + +«Les recherches des pointillistes m'ont laissé indifférent: ils n'ont +cherché que la vibration de la lumière. En effet ils appliquent +froidement et méthodiquement leurs pointillages entre des lignes +correctes et froides. Ce procédé uniforme et trop restreint défend +d'ailleurs d'étendre les recherches et de là résulte une impersonnalité +absolue dans leurs oeuvres, si bien que les pointillistes n'atteignent +que l'un des côtés de la lumière: la vibration, sans aboutir à donner sa +forme. Mes recherches et ma vision à moi s'éloignent de la vision de ces +peintres et je crois être un peintre d'exception.» + +Ne retenons de ces lignes que la dernière affirmation. Qu'Ensor soit un +peintre d'exception, rien n'est plus juste. Sa nature est trop spéciale +pour que jamais elle lui permette d'être d'un groupe. Le +néo-impressionnisme exigeait une discipline, portait en lui un +enseignement, élaborait un programme. Dès ce moment le peintre ne le +pouvait admettre. Ce qui caractérise la personnalité d'Ensor c'est le +libre-vouloir. Sitôt qu'un désir lui vient, il le satisfait. Sa tête est +une chambre ouverte où tantôt les idées, tantôt les rêves, tantôt les +folies, s'installent. Et le néo-impressionnisme lui apparaissait comme +une prison. + +Mais, tout en tournant le dos à l'esthétique de Seurat, il voulut, lui +aussi, se signaler par de très nettes audaces. Il ne pouvait nier +d'ailleurs que la nouvelle école, plus qu'aucune autre, ne purifiât la +vision. Les couleurs dont elle préconisait l'emploi étaient les couleurs +mêmes du prisme, les couleurs vierges, primitives, intactes. Toute +l'ancienne palette était comme abolie et le spectre solaire prenait sa +place. La virginité totale du ton devint un objet de conquête. Déjà +Turner, et à sa suite tous les impressionnistes, s'étaient essayé à +créer cette virginité et à l'imposer à leur oeuvre; ils s'y étaient pris +empiriquement, en se fiant à la subtilité et à la délicatesse de leur +oeil. Les nouveaux-venus, jugeant cette conquête incomplète, purifièrent +en quelque sorte cette pureté hésitante et tâtonnante et grâce aux +découvertes scientifiques la proclamèrent certaine et sûre. Et leurs +toiles étaient en effet lustrales plus que nulle autres. On eût dit +qu'elles portaient en elles la grâce d'un éclatant et violent baptême. + +[Illustration: La Sorcière--1883. (Collection Edgar Picard)] + +Dans son _Entrée du Christ à Bruxelles_ on peut croire qu'à son tour, +comme pour défier le néo-impressionnisme, Ensor ait voulu rebaptiser sa +peinture. Il en a augmenté encore et vivifié la clarté. Et les +principales étapes qu'il suivit pour aboutir à cette victoire furent, +comme nous l'avons dit, le _Chou_ (1880), la _Mangeuse d'huîtres_ (1882) +et les _Enfants à la toilette_ (1886). Son évolution entière fut donc +longuement préparée, logique et personnelle. + +Le sujet du _Christ faisant son entrée à Bruxelles_ peut certes +déplaire. On y voit l'homme-Dieu mêlé grotesquement à nos pauvres, +féroces et actuelles querelles. Il assiste au défilé mouvant et +tumultuaire des revendications politiques et sociales, comme un banal +élu--bourgmestre, échevin, député--un jour de manifestation déchaînée. +Il voit passer les fanfares doctrinaires, les charcutiers de Jérusalem +et des banderoles et des drapeaux se déroulent et inscrivent en leurs +plis «Vive la Sociale et vive Anseele et Jésus». + +A ne juger que la plastique et la forme, l'oeuvre fourmille de défauts, +mais la couleur en est triomphante. Les bleus, les rouges, les verts, +soit juxtaposés, soit divisés entre eux par des blancs larges, sonnent +comme une charge de tons purs et leur bariolage audacieux, parfois +brutal, impressionne la rétine lyriquement. Au surplus l'ironie du +peintre se donne, ici, libre carrière. On ne peut exiger de lui qu'il +prenne au sérieux n'importe quelle démonstration populaire. La ruée du +peuple à travers les places se boursoufle, pour ainsi dire, de visages +tuméfiés, de ventres formidables que les masques et les oripeaux +revêtent de leur invraisemblance. Mais, grâce à cette exagération +savoureuse, grâce à l'exaltation des tons crus qui parfois se +rapprochent des tons d'une affiche, grâce peut-être au désordre même de +la composition, l'ensemble donne une âpre, farouche et tintamarrante +sensation de vie. Ensor se plaît d'ailleurs à ces caractéristiques +évocations de foules. Il les multiplie à travers toute son oeuvre. Il les +rêve compactes, serrées, formidables. Elles apparaissent comme étouffées +dans les rues et étranglées aux carrefours. Les maisons, les monuments, +les balcons, les toits semblent subir l'entraînement de la poussée +unanime et dans une eau-forte célèbre on pourrait croire que la +multitude--si dense qu'un caillou jeté sur elle ne trouverait point un +interstice assez large pour choir à terre--porte, comme une chasse, une +cathédrale entière sur ses épaules. + +Cette manière de peindre à grands tons plats et clairs que James Ensor +adopta dans l'_Entrée du Christ à Bruxelles_, il la gardera longtemps et +l'emploira souvent dans ses études baroques et macabres de pierrots et +de bouffons. Mais avant de parcourir cette province large et pittoresque +de son art, qui lui fit donner le nom de «peintre de masques», il +importe d'insister sur son talent de portraitiste et de nature-mortier. + +[Illustration: Dame au Châle bleu--1882.] + +Il serait surprenant qu'Ensor, aimant avant tout au monde son art et par +conséquent chérissant surtout celui qui le fait, c'est à dire lui-même, +n'eût multiplié à l'infini sa propre effigie. Ajoutons qu'en se +regardant, en un miroir, il a toujours à portée de main, de brosse et de +palette, un modèle complaisant et gratuit. + +Dès ses tout premiers débuts, aux temps lointains et maudits où il +s'égarait à l'académie, il traduit ses traits (1879); en 1880 il se +repeint; en 1883 encore et en 1884 il se dessine. En 1886 il fixe au +crayon quatre fois son image; en 1888 il se déguise et se reproduit au +pinceau. Dans l'_Ecce-Homo_, c'est lui qui apparaît flanqué de ses deux +bourreaux MM. Fetis & Sulzberger; en 1891 parmi ses dessins +fantasmagoriques il prend place; en 1899 il s'entoure de masques et dans +nombre de compositions son visage tantôt hilare, tantôt mélancolique, +tantôt angoissé et piteux, s'impose. Il est en quelque sorte la figure +centrale de tous ses rêves. Et c'est logique et c'est humain qu'il en +soit ainsi. On pourrait serrer de près sa psychologie, rien qu'en +analysant ses portraits aux différentes saisons de son art et l'être +insaisissable qu'il est se dévoilerait peut-être mieux, grâce à cette +méthode, que par l'examen de ses gestes quotidiens dans la vie. + +De ses représentations si variées et si nombreuses, je retiens la +première. En veston havane, sa palette à la main, à l'atelier, il se +campe devant son chevalet. Il est jeune, l'oeil clair, l'allure attentive +et naïve. La vie hostile ne l'a point encore touché. L'oeuvre est comme +joyeuse; de belles taches claires s'y rencontrent. On y devine le +coloriste qu'il est. + +En 1882, Théo Hannon et Willy Finch, deux de ses amis, lui servent de +modèles. Le dernier de ces deux portraits est d'une solidité belle. Les +tons clairs font place aux tons profonds et fermes; le visage est +traduit avec une franchise et une sûreté de facture remarquables; aucune +mise en scène, aucune recherche, si ce n'est la recherche fondamentale +des beaux peintres en face de l'architecture humaine à traduire avec +souplesse et force. + +Suit l'effigie de la _Mère de l'artiste._ Robe noire et col en +dentelles. Trois roses groupées, comme ornement. Simplicité absolue dans +la pose; les traits sont âprement caractérisés. De loin, le modèle fait +songer à quelque dame qu'aimait à peindre d'une manière brusque, +scrupuleuse, aiguë, le grand Goya. + +En 1891, James Ensor voulut bien consacrer quelques séances à mon propre +portrait. Je n'insiste sur cette oeuvre que pour noter le faire spécial +qui la distingue. Elle est plutôt écrite que peinte. Le trait est +insistant, il creuse la chair, il traduit le caractère. Vers cette +époque James Ensor introduit ce procédé graphique, tout à coup, dans sa +peinture. La ligne qu'il dissimulait et noyait jadis y prend la première +place, non pas la ligne ornementale et pure, mais la ligne +caractéristique et rompue. Ces brusques sauts, ces rapides volte-face, +ce changement incessant de procédé indiquent à la fois les recherches +incessantes de son art et les inquiétudes journalières de son caractère +et de son esprit. + +[Illustration: La Mère du Paintre] + +Trois ans plus tard s'achève le portrait d'Eugène Demolder et en +1895 celui de M. Culus. Enfin voici le dernier portrait en date (1907). +Il représente Mme Lambotte, d'Anvers. + +Le personnage est assis au centre de la toile, vêtu d'une robe bleue et +d'un grand châle vert. Admirable accord que celui de ces deux tons +principaux. A gauche une table. La main droite du modèle s'y appuie sur +un bibelot japonais. Au fond, mais bien à leur plan malgré la vivacité +de leurs teintes, apparaissent les _Masques scandalisés_ et quelque +scène du conservatoire de Bruxelles où le maître _Gevaert dirige les +choeurs_. L'oeuvre est intéressante à préciser. La figure est traitée, +délicatement; le chapeau est d'une fraîcheur comme florale. On dirait +que le personnage est rentré d'une excursion aux champs et qu'il retient +sur lui quelque chose de la limpidité et de la bonne odeur champêtres. +Les yeux vivent d'une vie charmante; les cils sont peints, hardiment, en +bleu. Et cette couleur si éloignée du ton local est d'une justesse +admirable dans l'ensemble. Tout ainsi revêt une vibration aiguë et +subtile à qui sait voir les objets non plus dans leur réalité plate, +mais dans leurs rapports avec un rêve de couleur et de lumière. Il faut +qu'un artiste vrai ne tienne presqu'aucun compte de la vue banale des +choses et qu'il ne les voie que comme prétexte à interprétation belle. +Tout se peut transposer d'une vie dans une autre, de la vie commune dans +la vie de l'art. La couleur unique dont il faille se soucier est celle +qui fait bien sur la toile et affirme et soutient et rehausse son +harmonie. Ensor a nettement obéi à cette loi dans le portrait de Mme +Lambotte. + +Deux très belles natures-mortes datent de 1893, la _Raie_ et le _Coq +mort_. Sur fond blanc le coq au plumage argenté se détache et tout un +frisson de lumière semble courir sur son ventre et ses ailes. Je me +souviens aussi et des _Viandes_ (Musée d'Ostende) et de l'admirable +_Coin de cuisine_ du Musée de Liège. Le pinceau semble avoir glissé sur +ces victuailles comme s'il était empreint non de couleurs mais de +clarté. Si la forme des objets était plus précisée et plus arrêtée, ce +bain de lueurs où le mercure et le soleil semblent fusionner n'aurait +certes pu aussi bellement, envelopper la toile. Qu'on voie la couleur, +affirme Ensor, aussitôt on ne voit qu'elle; de même, qu'on étudie la +forme et l'oeil n'est plus sensible qu'à la ligne. Unir dans une même +oeuvre le ton et le dessin, leur donner la même importance n'est possible +qu'aux demi-natures qui ne sentent rien fortement. Il faut choisir. +Ensor a choisi la couleur ou plutôt la lumière. + +On peut donc lui reprocher parfois que ses morceaux de viande, ses +choux, ses fruits, ses pots, ses vaisselles manquent de fermeté ou de +poids. Il en conviendra certes. Mais que lui importent ces remarques +terre à terre. Il existe une sorte de réalité esthétique plus haute que +la réalité authentique. Cette réalité ou plutôt cette vie est atteinte +par de purs moyens d'art. Ils réalisent les harmonies impeccables et +glorieuses du ton, les sensibilités merveilleuses des ombres et les +joies de la calme ou triomphante lumière. Quand ce haut résultat est +atteint il efface--surtout qu'il s'agit, en ce cas-ci, de simples +natures-mortes--toute critique vétilleuse et tatillonne. On ne sait quel +trophée choisir parmi tant d'éclatantes conquêtes du pinceau. Vases de +Chine aux tons laiteux, statuettes esquissées en quelques coups de +brosse, soies, linges, étoffes, écrans, éventails fins et légers, tout +le magasin familial de la Rampe de Flandre a traversé l'imagination de +l'évocateur. + +Voici les _Coquillages_ peints en 1889. A côté d'écailles roses et +lustrées, en voici d'autres blanches comme de la craie et d'autres +encore jaspées comme des dos de sèche et d'autres enfin creusées et +rayées comme des branchies. La structure de poissons improbables, +diables de mer ou rougets, se retrouve comme pétrifiée dans telles +formes minérales. Ensor en saisit les analogies, les traduit, les aime +et peut-être, au fond de lui, relie-t-il, par des liens psychiques, ces +architectures marines avec leurs silhouettes baroques et compliquées, au +monde étrange de ses masques et de ses squelettes. Tout cela peuple sa +mémoire et fixe et détermine son désir presqu'au même titre. + +[Illustration: La Vierge aux navires (1893).] + +Sur tel panneau, on croit surprendre la vie des mollusques au fond même +de la mer. Il date de 1895. Un grand coquillage bistre domine, la pointe +en l'air, comme en pyramide, d'autres coquilles, les unes vertes, les +autres roses, et cet arrangement comme maladroit semble le fait même de +ces bêtes lentes et visqueuses. Le dessin en est très ferme et comme +écrit. Il insiste sur chaque circonvolution et sur chaque spirale. Et +voici--contraste brusque--deux bulbeuses et légères grappes de raisin, +l'une bleue et l'autre rose-cerise, avec un oignon, une noix et une +poire, la queue dressée. Ensemble presque transparent. Il est si frais, +si lucide, si délicat qu'on le dirait comme baigné de rosée. + +L'entrée dans le royaume des masques dont James Ensor est roi, se fit, +lentement, inconsciemment, mais avec une sûre logique. Ce fut la +découverte d'un pays, province par province, les lieux pittoresques +succédant aux endroits terribles et les parages tristes prolongeant ou +séparant les districts fous. Grâce à ses goûts, mais aussi grâce à son +caractère, James Ensor n'a vécu pendant longtemps qu'avec des êtres +puérils, chimériques, extraordinaires, grotesques, funèbres, macabres, +avec des railleries faites clodoches, avec des colères faites chienlits, +avec des mélancolies faites croque-morts, avec des désespoirs faits +squelettes. Il s'est improvisé le visiteur de lamentables +décroche-moi-ça, de malodorantes arrière-boutiques de marchandes à la +toilette, de piteux bric-à-brac en plein vent. Il a vagué par des +vallées de misère où lui apparaissaient des pierrots malades, des +arlequins en goguette, des colombines soûles. Parfois, comme un +ménétrier fantasque, il montait sur un tonneau et sur la place de je ne +sais quelle ville du pays de Narquoisie, il agitait, au son d'un rebec +invisible, en un trémoussement soudain, toute cette joie lugubre et +bariolée. Il pleurait peut-être lui-même en peignant tel masque hilare +ou souriait en dessinant telle tête de mort. Les contrastes les plus +aigus devaient lui plaire et il les réalisait en oppositions violentes, +les rouges, les bleus, les verts, les jaunes se donnant comme des coups +de poings sur la toile. L'art d'Ensor devint féroce. Ses terribles +marionnettes exprimaient la terreur au lieu de signifier la joie. Même +quand leurs oripeaux, arboraient le rose et le blanc, elles semblaient +revêtir une telle détresse, elles semblaient incarner un tel +effondrement et représenter une telle ruine qu'elles ne prêtaient plus à +rire, jamais. J'en sais d'une angoisse de cauchemar. Et la camarde se +mêla à la danse. Le squelette lui-même devint tantôt pierrot, tantôt +clodoche, tantôt chienlit. Masque de vie ou tête de mort +s'identifiaient. On ne songeait plus à quelque carnaval lointain +d'Italie ou de Flandre, mais à quelque géhenne ou les démons se +coiffaient de plumes baroques et s'affublaient de draps-de-lit usés, de +bicornes invraisemblables, de bottes crevées et de tignasses +multicolores. C'est pendant les mauvais jours de sa vie que James Ensor +donna cette signification pessimiste à ses fantoches. + +Dans ce pays imaginaire, d'où la farce classique semble bannie, +évoluent le masque Wouse et Saint Antoine, les diables Dzitss et +Hihahox, les pouilleux Désir et Rissolé, les soudards Kès et Pruta et +l'on y rencontre la ville de Bise et le territoire de Phnosie. Rien que +ces appellations et ces noms, venus d'on ne sait quelle région d'un +cerveau hanté, renseignent sur la très spéciale imagination d'Ensor. Au +reste, pour animer pendant vingt-cinq ans un peuple aussi grouillant +d'êtres chimériques et les douer d'une psychologie aussi étonnamment +variée, fallait-il que le monde de la démence fût naturellement pour le +peintre un monde de prédilection et de choix. Certes, croyait-il à tout +l'invraisemblable, à tout le baroque, à toute la folie et ne +recouvrait-il la lucidité qu'à l'heure où il s'asseyait devant sa toile +et choisissait ses couleurs et harmonisait ses tons. Il a réalisé +admirablement cette vie double. + +Le _Masque Wouse_ (1889) apparaît un des premiers. Il est vêtu d'un +schall discrètement et magnifiquement bariolé de rouge, de vert, de +jaune, de bleu, il tient en main un parasol, est coiffé d'un bonnet et +le nez de son visage en carton s'agrémente d'une pendeloque légère. Il +regarde, gisants devant lui comme autant de marionnettes flasques, +d'autres êtres semblables à lui et l'on dirait quelqu'un visitant soit +une morgue de pantins, soit, après un combat, le champ d'une défaite. +L'oeuvre où s'épand une clarté diffuse est délicatement peinte, les +étoffes sont flottantes et légères, l'atmosphère jolie. Elle contraste +et voisine, dans l'atelier de l'artiste, avec les _Masques singuliers_ +(1892) mis en rangs, comme s'ils s'attendaient à être passés en revue +par les soudards Kès ou Pruta. Ils reviennent, Dieu sait de quelle +parade, les vêtements lâches et veules, mais gardant encore on ne +sait quelle fierté vague. Le plus grand de tous porte un chapeau +militaire dont la frange se détache lugubrement. En cette toile, presque +tous les tons sont forts, puissants, hardis. Ils réalisent comme une +gamme descendante et ne deviennent fins et subtils qu'autour d'un +Pierrot boursouflé qui dissimule, en des blancheurs roses, sa carcasse +falote. Oh la piteuse mascarade et comme la détresse d'une gloire abolie +et d'une gaieté défunte s'y marque! Fini l'orgueil, le triomphe, la +gloire. Toute fanfare s'est tue. On rit et l'on est triste. Acteurs +flétris d'un drame chimérique, les fantoches sont là n'ayant plus même +un bout de bâton pour simuler un vague: portez-armes. + +[Illustration: Les Pochards--1883.] + +Maintenant voici les _Masques devant la mort_ (1888) et les _Squelettes +voulant se chauffer_ (1889) et le _Squelette dessinant_ (1889) et les +_Squelettes se disputant un pendu_ et les _Masques regardant une tortue_ +(1894) et un _Duel de masques._ Le drame morne ou féroce commence à se +préciser. Dans les _Masques voulant se chauffer_ une impression de néant +s'affirme. Rien de plus pauvre, de plus navrant, de plus lugubre que +cette idée de chaleur et de bien-être évoquée devant ces êtres flasques +et vides. Ils s'approchent, se pressent, s'inquiètent autour de ce feu +inutile, de cette flamme sans vertu, de ce foyer qui les raille et qui +n'est pas. Les _Masques regardant une tortue_ angoissent tout autant. +L'écaille qui couvre l'animal contemplé est, elle aussi, une sorte de +masque dissimulant le mouvement et la vie. Ce rapprochement baroque +suffit à faire comprendre pourquoi les étranges spectateurs semblent +comme s'étudier eux-mêmes en voyant bouger lentement et pesamment la +bête torpide et douce. Enfin dans un _Duel de masques_ l'idée de lutte, +de fureur et de férocité est raillée à son tour. + +Toutes ces petites toiles sont franches, sincères, nerveuses. +L'ostéologie des squelettes est amoureusement étudiée. Parfois sur leur +crâne lisse se distinguent des lignes pareilles à celles des cartes de +géographie et l'on peut croire que le peintre se plaît à inscrire le +monde sur l'os d'un front. Le trou des yeux est approfondi. On y +surprend, dans le vide, on ne sait quelle fixité qui donne l'illusion +d'un regard. Ce n'est certes plus le squelette tel que le comprenait le +moyen-âge. C'est plutôt celui qui sort des cabinets d'anatomie, des +laboratoires et des hôpitaux. Il ne fait pas songer à tel macabre +philosophe qui moralise dans la danse de Holbein ou dans les fresques de +la Chaise-Dieu; il n'est pas chrétien. Il s'est renouvelé; il est de +notre temps. Il représente non plus les croyances, mais les idées et les +sentiments. + +Même dans ses _Tentations de Saint-Antoine_, Ensor ne prétend ni prêcher +ni évangéliser. Le tohu-bohu de ces apparitions charme presque et +devient, en ce sujet légendaire, quasi bon-enfant. Le peintre adore y +semer des corps de femmes grosses et cocasses, des diables fluets et +malins, des monstres improbables et ridicules. Le pittoresque de ce +cauchemar chrétien le tente plus que son horreur. Et c'est en dilettante +de l'impossible qu'il s'y affirme et non pas en vengeur du vice ou en +champion de la vertu. Il cultive l'angoisse, ailleurs. Il la cultive en +lui-même. Dans le _Portrait du peintre entouré de masques_ (1899), +appartenant à M. Lambotte, d'Anvers, il s 'affuble d'un costume +étrange, il se couronne de plumes et de fleurs, il se déguise lui-même +comme pour donner plus congrûment audience au peuple entier de ses +fantômes. L'oeuvre est haute en couleur; toute la palette ardente et +sonore est employée; la joie s'affiche; on songe à un triomphe et +pourtant que de cris poignants, que de violence et de fureur ces faces +impassibles n'expriment-elles pas? Tel visage morne et blême rappelle +une tristesse passée, tel autre une inquiétude présente; celui-ci, avec +ses joues pesantes, avec ses yeux comme pincés en des étaus de graisse, +rit d'un malheur qui viendra; celui-là, bonasse et rougeaud, détaille +quelque farce funèbre ou pavane sa santé gonflée et balourde au-devant +de la maladie qu'il annonce. Tous les sentiments humains se laissent +deviner. Le plaisir, le chagrin, l'audace, la peur, l'espoir, la transe, +l'orgueil, le doute, la force, l'abattement, la roublardise, la ruse, +l'ironie, la détresse, le dégoût. C'est un formidable bouquet dont les +fleurs seraient des bouches, des nez, des fronts, des yeux et qui +toutes, ou presque toutes, malgré leur beauté et leur éclat seraient +capiteuses et empoisonnées. Chacune a une signification nette et un +langage précis quoique muet. Et les masques surgissent de partout: à +droite, à gauche, du haut, du bas. Le champ tout entier de la toile en +est comme encombré: ils se pressent, se tassent, s'enfièvrent. Il faut +qu'ils assiègent le peintre, qu'ils le dominent, le hantent et +l'hallucinent, qu'ils se moquent des roses et des plumes que sa tête +arbore, qu'ils lui crient leur inanité et la sienne et lui fassent comme +la leçon terrible de la mort. Lorsqu'Ensor introduisit en sa peinture +un tel peuple étrange et tragique de masques, peut-être ignorait-il +lui-même qu'à un certain moment ils lui fausseraient à tel point la +notion du réel qu'il ne verrait plus qu'eux de vraiment vivants sous le +soleil et qu'un jour il prendrait place parmi leur multitude comme s'il +était lui-même quelqu'un de leur lignée et de leur race. Car il ne se +peut pas qu'il n'ait subi, à certaines heures, une telle illusion +dominatrice et qu'il n'ait fini par voir, avec ses yeux ouverts en plein +jour à la lumière, l'humanité entière comme un ensemble de grotesques et +de fantoches. Son art terrible et rêveur a dû l'affoler à ce point, +fatalement. + +[Illustration: Enfants à la toilette--1886.] + + +IV. + +LES DESSINS + + +Ensor a nettement distingué dans son oeuvre le dessin du peintre et le +trait du dessinateur. J'en donnai les raisons: elles me semblent +plausibles. Pointe et pinceau ne furent jamais à ses yeux des +instruments identiques. + +Nous voici en présence d'un nombre infini de pages où le fusain, la +plume et le crayon se sont appliqués à fixer la vie ou le rêve. On les +peut diviser aisément en catégories: les croquis; les dessins de +caractère; les dessins atmosphérés; les dessins à lignes pures et les +dessins ornementaux. Il est certes piquant de constater que c'est +précisément celui parmi nos grands artistes qu'on accuse peut-être le +plus de négliger le dessin qui surtout le cultive. S'il rassemblait tous +ceux qu'il a faits, ils formeraient une bibliothèque. + +Je sais des notations où quatre à cinq traits nettement placés expriment +l'enveloppe, la masse et l'attitude momentanée d'un personnage; voici, +d'un coup de crayon, la marche, l'inclinaison, la vitesse d'une jambe +traduites; le mouvement d'un dos, l'affalement d'une hanche, le +bondissement d'une croupe, la tension d'un cou reproduits. Tout cela +est preste, vivant, soudain. Sur une seule page, cinquante petits +bonshommes se meuvent, s'agitent, passent, viennent, s'arrêtent, +s'assoient, s'affalent et le crayon Conté note, détail par détail, leurs +particularités et leurs manières d'être et compose comme une faune +amusante des passants de la rue moderne. Je connais tels croquis où +James Ensor, profitant des menus défauts du grain ou de la trame d'un +papier, a composé une _Chute des anges rebelles_ en tenant compte de ces +accidents de matière. Des mouvements inattendus se devinent, des grappes +de muscles et de chairs pendent et se contractent, une cataracte de dos, +de ventres et de têtes se précipite, une impression de ruée est +merveilleusement rendue et tout cela n'est que du hasard souligné par un +crayon, dites combien habile et preste? + +[Illustration: Mon Père mort--1887] + +Le jour où le peintre s'intéressa à l'existence des marins et des gens +du port--plus tard ils lui fourniront et ses pouilleux et ses +masques--ce fut par des études au fusain qu'il manifesta son +enthousiasme. Il possède toute une suite de dessins supérieurement +conduits où s'offrent en leurs attitudes quotidiennes les vieilles à +mantelets, les mousses en vareuses, les vieux pêcheurs échoués comme +leurs barques au long des quais et les gars solides et râblés qui demain +s'en iront vers la mer. Puis se caractérisent encore les ouvriers, les +petits musiciens, les poissardes mélancoliques, les mangeurs de soupe, +toute une population de déjetés et de miséreux. Toutes ces pages +témoignent d'une sagesse et d'une sûreté indéniables. Dès que le peintre +le veut, il réalise aussi bien que quiconque la correction du dessin et +la proportion des diverses parties d'un corps humain. Je ne puis +m'enlever du souvenir tel _Gamin en casquette_ aux lèvres grosses, au +nez compact, à l'oeil légèrement triangulaire, ni cette ferme et précise +étude de _Main tendue_ où l'ossature des doigts dans la peau détendue et +les bosses des muscles apparaissent si nettement, ni ce _Vieux cheval_ +noueux, maigre, efflanqué et comme diminué qui se tient avec peine +debout entre deux brancards, ni surtout cette adorable tête d'_Enfant +endormi_ dont la bouche entr'ouverte est d'une vie si vraie et dont +l'oeil est si délicieusement clos. Comme on sent le sommeil et non la +mort! + +[Illustration: Croquis.] + +Rendre la matière, scrupuleusement, fut la tâche qu'Ensor s'assigna dans +tels dessins: ferrailles, armoires, clefs, rideaux, étoffes, lustres, +coffrets. Il y réussit, sans se tromper jamais. Son crayon fouille, +comme un outil sûr, les fibres et les noeuds du bois ou rend avec bonheur +l'usure des bosses et des reliefs. On pourrait deviner si tel meuble est +en chêne ou en noyer. Assurément--tant l'exactitude est +grande--s'aperçoit-on s'il est plaqué d'acajou. Les ornements d'acier ou +de cuivre sont creusés dans leurs ombres ou caressés sur leurs lueurs; +un rinceau, une courbe, une volute est rendue avec dextérité. Autant le +pinceau est léger et souple à fleur de toile, autant la pointe est +insistante et vigoureuse sur le champ des feuillets. De même l'ampleur +lourde et molle d'un rideau de laine qu'une grosse cordelière retient +est offerte au toucher et semble pouvoir renfermer en ses plis jusqu'aux +mites et aux poussières. Bien plus. Ces dessins, encore que littéraux, +sont doués d'une vie ample. Ils n'ont rien d'industriel. Si pour James +Ensor certains meubles sont hantés, tous les objets frissonnent, +bougent, sentent. La cruauté séjourne dans le couteau, la discrétion +dans la clef et le fermoir, le repos et la sécurité dans le bois. Rien +n'est mort, complètement. Chaque matière renferme en elle sa tendance, +sa volonté et son esprit. Elle est créée pour un but. Elle doit donc +avoir comme une âme qui tend à une fin et c'est précisément cette âme +qui seule nous intéresse dans l'inanimé et qui seule constitue, aux +yeux d'un artiste, la beauté des choses les plus quelconques. A côté +de ces dessins très écrits, James Ensor en a réussi d'autres entièrement +baignés d'atmosphère. Un modelé frêle les distingue. Ils participent +plus que les autres à la vie universelle, aux variations de l'heure. +Pour les réussir il faut un tact spécial. Ils sont d'un grain menu et +d'une fragilité choisie. Certains apparaissent comme faits avec de la +poussière rassemblée dans les ombres et dispersée dans les clairs. Des +gris tendres savamment distribués en constituent la beauté précieuse. +Voici le _Portrait de Madame Rousseau_. Elle est assise à l'avant-plan, +parmi des meubles familiers, non loin d'un bas-relief. Le jour est +tamisé; tout est en infimes nuances et en atténuation. Il en résulte une +impression de douceur et de calme si grande qu'une mouche survenant la +troublerait, malencontreusement, du simple bruit de ses ailes. + +_Mon père mort_ est conçu dans le même esprit. La page est solennelle, +sobre, émue. On aperçoit seulement la tête posée parmi les draps que +légèrement quelques tons blancs rehaussent. A traits fins, la barbe et +les cheveux sont rendus. Le crayon Conté et le crayon gras out introduit +le jeu de leurs différentes accentuations dans les parties sombres. +L'ombre s'anime, mais uniquement afin d'éviter qu'elle ne soit opaque: +il faut que la seule sérénité règne dans l'étude entière. Le dessin est +du reste irréprochable. Le nez, les yeux et le front sont nets sans +dureté, les chairs sont admirablement apâlies quoique consistantes +encore. + +[Illustration: La Mère du Peintre--1889. Dessin. (Collection Robert +Goldschmidt)] + +Cette même manière de nuancer un dessin sans l'affadir ni le banaliser +se retrouve dans le _Portrait de ma mère_, appartenant à M. +Goldschmidt, et dans les _Squelettes musiciens_. Devant une armoire où +s'étale un crâne sans mâchoire, apparaît un squelette introduisant le +bec d'une clarinette dans sa bouche sans dents. Un manche de violoncelle +s'élève non loin de lui. Ces deux crânes sont étudiés avec un art +parfait. Chaque relief, chaque méplat, chaque partie osseuse avec ses +stries et ses méandres est rendu comme un artiste gothique se serait plu +à les traduire. Faire attentif, serré, scrupuleux. Impossible de pousser +plus loin l'attention minutieuse, ni la probité appliquée. Et quelle +aisance, quelle apparente facilité, quelle ductilité et quelle +flexibilité prestigieuse des doigts. Et combien tout est sûr et savant! + +La ligne même, la ligne pour elle-même, la ligne simple et jolie, la +ligne belle et enveloppante séduisit à son tour la main chercheuse de +James Ensor. Et voici la _Vénus à la coquille_ dont le corps souple, +limité par un trait gracieux et flexible, surgit, avec, entre ses +doigts, une pomme. Les jambes, le torse, le ventre et les bras sont +suffisamment modelés pour qu'ils donnent la sensation d'exister vraiment +et n'être pas uniquement des blancs sur un papier. Mais c'est +l'arabesque sinueuse séparant la Déesse de l'ambiance qu'on admire +surtout et qui étonne par sa souplesse. On songe à quelque fleur +délicate et haute. + +[Illustration: Vénus à la coquille--1889. Dessin.] + +Les sujets ornementaux, avec leur fantaisie violente et leur parodie +épique ont tenté à maintes reprises le crayon d'Ensor. L'histoire, la +légende, les coutumes lui fournissent leurs thèmes. Il les transforme +selon son humeur, son caractère, sa nature. Ils ne sont pour lui que +des sortes de tremplins sur lesquels sa verve et sa raillerie +bondissent. Les batailles surtout le requièrent. Grâce aux coups donnés, +aux plaies reçues, grâce aux déhanchements du corps qui frappe et aux +chutes des corps qui succombent, grâce aux contorsions qu'il suppose et +aux pirouettes qu'il imagine, un combat se présente à lui avec délices. +L'horreur réelle en est supprimée au profit de la truculence et du +pittoresque. Ou bien encore c'est dans quelque décor moyen-âgeux, sur +une place meublée de maisons hautes et pointues, quelque drame violent: +_Sorcière qu'on brûle, Patrons de cathédrale, Vierges aux navires, +Soudards entrant en des cités étranges_. Ou bien encore, dans un site +d'hiver quelque folâtre et compliquée scène de _Patinage_ ou bien enfin +quelque _Parade dans une arène de cirque_. Celle-ci amuse immédiatement +par la gymnastique baroque des clowns et les sauts invraisemblables des +paillasses. On croirait assister à quelque liesse d'escargots, à quelque +fête de chenilles. Des êtres contournés, girouettants, tire-bouchonnés +permettent au dessinateur de réaliser, par des volutes charmantes et +placées chacune à quelque endroit précis et heureux de la page blanche, +une ornementation inédite qui charme l'oeil immédiatement, sans examen, +et divertit l'esprit sitôt qu'il s'attarde. + +Toutefois le motif le plus célèbre est traité dans la _Bataille des +Éperons d'or_. Les communiers flamands sont rangés à droite, coiffés de +casques inusités, armés de massues buissonneuses et présentant des +«goedendags» pareils à des reptiles. Courtrai avec ses tours, ses +remparts et ses moulins, se devine, là-bas. Ils la défendent et leurs +lignes rangées et pointues s'étendent devant elle, comme une succession +de haies où flotteraient, ci et là, des drapeaux. Le lion noir de +Flandre orne la plus haute bannière. + +A gauche, mais à l'arrière-plan, apparaissent les chevaliers français +sur leurs chevaux rapides et ployés en arc de cercle. Cimiers, panaches, +lances, épées, bannières, tout flotte ou se dresse au vent. Derrière eux +un incendie s'allume et l'horizon est peuplé de nuages capricieux et +tourmentés. + +Au milieu la bataille: foulons, tisserands, bouchers assaillent et +désarment les ducs et les barons. Des jambes, des têtes, des bras encore +armés de fer et d'acier gisent à terre. On a coupé les corps comme aux +abattoirs. Un cheval est tombé pattes en l'air, une flèche fixée au gras +de sa croupe. Voici un communier pendu à la queue d'un coursier; un +autre se soulage et fait un pied de nez aux charges qui approchent. Les +chevaux ruent, s'effrayent, s'abattent. Une mêlée grotesque s'éparpille +en mille actions non pas d'éclat, mais de gaieté baroque et de risée. +L'invention est spontanée, abondante, joyeuse. On assiste à une dépense +de jovialité narquoise et d'humeur pavoisée. Les drapeaux qui flottent, +les armes qui se dressent, les rayons du soleil, les banderoles des +nuages ne sont présentés à la vue que comme décors fictifs et lignes +ornementales. La _Bataille des Éperons d'or_ est une kermesse où l'on +tuerait pour s'amuser, où l'on tomberait pour se distraire, où l'on +mourrait pour avoir le plaisir de faire une grimace. Le _Triomphe +romain_ s'apparente à la _Bataille des Éperons_. La composition en est +moins originale et les lignes dominantes moins inattendues. +Toutefois peut-on se réjouir à voir les licteurs présenter leurs +faisceaux comme des seringues et ceux qui portent les aigles arborer ces +dernières comme de vulgaires oiseaux abattus par des archers, dans +quelque village flamand. Il conviendrait d'insister encore sur la _Mort +d'un théologien_, sur la _Multiplication des poissons_, sur les +_Soudards Kès et Pruta_, sur _Iston, Pouffamatus, Cracozie et +Transmouff,_ sur les _Diables menant le Christ aux Enfers_. Je me +bornerai à présenter la plus importante des _Tentations de +Saint-Antoine,_ grande composition qui ne fut exposée, après un premier +refus, qu'aux _XX_, en 1888. + +[Illustration: Projet de Chapelle à dédier à St. Pierre et Paul--1897.] + +Elle est divisée par étages. Au rez-de-chaussée, l'anachorète gros et +geignant se présente à nous et sa bonasse figure, que de grosses larmes +humectent, regarde le ciel, sans trop de désespoir. Au-dessus de lui +trône une femme qui se dévêt même de la feuille de vigne. Elle est +grande, belle, élancée, et son impudeur est triomphante. En haut, tout +en haut, apparaît une admirable tête de Christ, prise à quelque maître +gothique flamand. Il semble consoler Antoine et pleurer lui aussi sur +l'amas des vices et des péchés montrés. + +Dans la vie des Saints par Alban Stolz, docteur en théologie et +conseiller ecclésiastique, il est dit d'Antoine: «Un jour qu'il venait +d'être tenté plus que de coutume, il lui sembla que Notre Seigneur lui +apparaissait rayonnant de lumière. Il lui dit en soupirant: «Bon Jésus +où donc avez-vous été? Pourquoi n'êtes-vous pas plutôt venu me +secourir». Et il lui fut répondu: «Pendant que vous combattiez j'étais +auprès de vous, car sachez que je vous assisterai toujours.» Ce texte +commente nettement le fourmillant dessin d'Ensor. Il composa du reste ce +poème par morceaux, appliquant sur une grande toile, maint carré de +papier qui continuait sans interruption la partie de scène traduite sur +le carré voisin. + +En plus, si l'oeuvre se divise, dans le sens de la hauteur, par étages, +elle se complique aussi, dans le sens de la profondeur, par couches. +Presque partout quelque motif en saillie en cache un autre d'un relief +plus atténué et plus fondu. Il en résulte une abondance et comme une +fermentation étrange, car dans cette large page tout est traité: +religion, histoire, morale, vice, vertu, terreur, angoisse, rire, +ricanement, folie. On se croirait en présence de quelque oeuvre indoue +qui nous propose une explication du monde. Et voici les cultes anciens +ridiculisés par une Minerve grotesque debout au fronton des temples et +voici les mille inventions modernes traitées fantastiquement: trains, +ballons, navires; et voici des écorchés dont des femmes enlèvent la peau +et voici des crucifiés dont des femmes enlèvent le coeur et voici les +péchés capitaux qui apparaissent avec leurs violences et leurs affres et +qui tournent autour de la luxure centrale. + +Dans le bas se déroulent des cortèges. Des mimes, des masques et des +clowns, portant des pancartes folâtres se poussent vers saint Antoine +comme pour lui présenter la pétition goguenarde de l'universelle démence +humaine. + +Oh, le multiple et terrible cauchemar enluminé! Il arrête surtout par +ses détails minutieux et innombrables, mais l'ensemble en est toutefois +large et imposant. Celui qui le conçut est quelqu'un dont +l'intelligence, le coeur et l'imagination travaillent et fournissent avec +angoisse leur pensée et leur rêve aux mains patientes et laborieuses. + + + + +V. + +LES EAUX-FORTES + + +C'est dans son travail d'aquafortiste plus encore que dans son oeuvre de +peintre que l'imagination d'Ensor s'est débridée. Bien des cuivres +reproduisent certains de ses tableaux et tel de ses dessins est traduit +en gravure. Toutefois, quand le burin à la main il conçoit quelque +composition encore inédite, le vent de la fantasmagorie plus que jamais +violent lui souffle sur le cerveau. Je craindrais de rééditer certaines +analyses déjà faites si je présentais, ici, toutes les _diableries_ et +_mascarades_ traitées à la pointe. Je ne veux appuyer que sur leur +excessive audace, sur leur extrême cocasserie, sur leur insurpassable +outrance. L'impudeur, l'indécence, la scatologie même apparaissent. +Mais--disons le en y insistant--rien n'est malsain, trouble, louche, +ambigu; tout au contraire est franc, sincère, féroce, brutal. Il n'y a +pas de sous-entendu. Il y a étalage. On sait immédiatement qu'il faut ou +fermer ses yeux si l'on craint pour ses prunelles innocentes, ou se +boucher le nez si l'on possède des muqueuses trop délicates. Le +haut-le-coeur est soudain ou ne se produit pas. Ceux qui l'évitent se +complairont à suivre alors, en tous leurs méandres, les fleuves de +verve tumultueuse et de raillerie agitée que l'artiste charrie à travers +ses oeuvres, avec leurs boues frappées de soleil, leurs folles herbes +tournoyantes et leurs charognes magnifiques. Vienne, Zürich, Liège, +Barcelone, Milan, Venise, Ostende, Dresde, Paris possèdent, en leurs +collections publiques mainte eau-forte du graveur. M. Eugène Demolder en +une critique pénétrante et renseignée, M. Coquiot das sa préface au +_livre des masques_, M. Vittorio Pica, là bas, en Italie, dans les +revues et Jean Lorrain, dans le roman étrange, précieux et faisandé de +_M. de Phocas_, ont longuement et ardemment célébré tels ou tels cuivres +du peintre. Voici ceux qui ont le plus souvent sollicité la critique. + +[Illustration: La Cathédrale--1886. Gravure à l'eau-forte.] + +_La Cathédrale_ (1886). Serrée, compacte, myriadaire, une multitude +s'avance moins avec ses jambes, ses bras, son corps qu'avec ses visages, +vers on ne sait quel but. Elle bouge non pas individuellement, mais +totalement, d'un énorme mouvement d'ensemble et c'est comme si la masse +humaine entière s'ébranlait. Au milieu d'elle une église avec ses +grandes tours, avec l'élancement de ses ogives, avec ses toits et ses +clochetons, une église légère, triomphante, aérienne est plantée et +domine. Au loin se devinent d'autres architectures, des surgissements de +flêches, des hampes géantes et des drapeaux. On songe à une colossale +fête séculaire, à quelque anniversaire prodigieux. Le spectacle est +épique. + +Et cette impression est donnée non pas avec force, mais avec légèreté et +délicatesse. Le burin fourmillant a creusé partout mais jamais sa pointe +ne fut rude ni acharnée. On dirait le travail d'un clan de mouches ou +d'une ruche d'insectes. Une atmosphère joyeuse, transparente, fine, +légère, baigne la page entière et si le mot chef-d'oeuvre vole sur les +lèvres de celui qui la regarde, ce mot y semblera bien à sa place comme +est à sa place sur le cuivre chaque trait d'ombre et chaque surface de +lumière. + +_La grande vue de Mariakerke_ (1887) est d'une qualité d'art aussi haute +que la _Cathédrale_. Les petites maisons du village west-flamand sont +groupées autour de son clocher, avec leurs toits comme des ailes +abaissées, avec leurs maigres enclos, avec leurs dunes poudreuses et +leurs verdures aiguës. Un ciel admirable de nuages volants le surmonte +et le grandit. On sent la mer proche. Les herbes de l'avant-plan sont +ployées par le vent du large. Elles forment comme une barrière d'ombre +qui éloigne et approfondit le sujet principal. Un air abondant circule. +Une correspondance exacte, une interinfluence scrupuleusement observée +et rendue existe entre le ciel et la terre. Les plans sont partout +minutieusement fixes et leur accord partant des bords du cadre jusques à +l'horizon prouvent quel oeil sûr Ensor possède qu'il s'agisse du trait ou +de la couleur. + +Et _l'Hôtel de ville d'Audenarde_ (1888) et surtout les _Barques +échouées_ (1889) confirment encore en nous cette conviction. Dans la +première planche, l'ombre des galeries du rez-de-chaussée est rendue +avec une justesse merveilleuse et tout le haut de l'édifice semble comme +vibrer dans la lumière; dans la seconde, grâce à la disposition oblique +des deux lignes principales, celle du rivage lointain et celle des +bateaux sur le quai, l'approfondissement du paysage est admirablement +rendu, tandis que la volute large et ample du nuage, déroulant sa portée +dans la même direction que le rivage de droite et les barques de gauche, +concourt à cette même illusion d'étendue. Souvent, le jeu subtil des +lignes ne fut guère favorable aux compositions de James Ensor, mais ici +les plus malveillantes critiques ne peuvent avoir de prise et son oeuvre +est irréprochable. Ceux qui le chicanent sur la trop fameuse +perspective, n'ont qu'à examiner les _Barques échouées_. Ils conclueront +que si le peintre viole parfois telle ou telle sacro-sainte règle, tant +en ses tableaux qu'en ses dessins, ce n'est ni par ignorance, ni par +impuissance mais par réflexion et par volonté. L'art doit sacrifier à +chaque instant les préceptes et les enseignements qui le gênent dans ses +recherches et ses découvertes. Un vrai artiste trouve en lui-même la +justification de ses excès. Ce qui s'est fait avant lui ne lui est qu'un +conseil; ce ne peut jamais lui être un ordre, ni une sorte d'ultimatum. +L'art est libre, libre, libre! s'écrie quelque part James Ensor. Il n'y +a que les médiocres qui ne comprennent pas et ne comprendront jamais la +profondeur et la sincérité d'une telle revendication ardente. +Heureusement que les routes supérieures de l'humanité en marche sont +plantées de grandes oeuvres qui l'affirment et la crient à leur tour. + +[Illustration: Le Christ apaisant la Tempête--1886. Gravure à la pointe +sèche.] + +Le _Christ calmant la tempête_ (1886), les _Sorciers dans les +bourrasques_ (1888), l'_Ange exterminateur_ (1889), sont des +compositions magnifiques d'ampleur et de simplicité. La première est +comme solennelle. On a la sensation d'un miracle qui éclate et du +surnaturel qui rayonne. Les deux autres baignées--dites de quelle vaste +ou féerique lumière--propagent un mouvement fou tout au long de leurs +lignes. L'énorme Sorcier de la bourrasque fait songer à quelque Caliban +céleste. Il est grotesque et puissant à la fois. L'ange exterminateur a +beau nous apparaître comme une sorte de croquemitaine et les foules qui +le voient passer s'accroupir en des poses affolées, l'apparition est +magnifique et inoubliable de splendeur. Le trait menu et comme +tremblant, le trait minuscule et rompu doue le cheval et son cavalier +galopant dans les nues, comme d'une vitesse frémissante. + +_Les sept péchés capitaux_, que précéda dès 1888: _Peste dessus, peste +dessous, peste partout_, nous offrent comme une oeuvre cyclique où le +grotesque le dispute à la férocité. Une eau-forte liminaire en prépare +l'impression étrange. Elle figure une Mort ailée--dites quelles ailes +misérables et déplumées le squelette entr'ouvre!--abritant sous elle des +personnages divers dont chacun semble être une indication rapide des +sept vices à fustiger. + +[Illustration: Barques échouées--1888. Gravure à l'eau-forte.] + +La _Luxure_ (1888) occupe le centre de l'oeuvre. Un jeune homme dont le +corps est à demi dissimulé, semble ramper, sur un lit, vers une femme +énorme qui détourne la tête et n'étale qu'une chair ballonnée impudique +et monstrueuse. Le temps, sinistre et glabre vieillard, le temps aux +mains et aux ailes crochues menace d'une faux énorme le couple lubrique, +tandis que voltige dans l'air une manière de gnome cornu et que dans un +cadre, près d'un rideau, de vagues nudités apparaissent. Dessin rapide, +traits menus, facture fine et délicate. Page de blondeur et de jeunesse +où seule la faux levée trace un lugubre éclair. Elle voisine avec +_l'Avarice_ (1904)--ici, la pointe du burin appuie, griffe, devient +comme méchante--et l'on voit un terrible bonhomme, en casque-à-mèche +compter son argent sur une table et quelque démon hérissé remuer, avec +lui, les pièces rondes et frémissantes. Soudain surviennent deux +assassins qui assaillent et saignent le cynique avare. Le sang +éclabousse sa figure et s'écoule de son flanc. L'_Envie_ (1904) +s'éclaire de l'apparition d'une jeune mère tenant un nouveau-né entre +ses bras. Elle est heureuse. Un jeune gars l'embrasse. Une paix, une +douceur, une tendresse est répandue. Des rayons partent du milieu de la +page, baignant le front de la femme et se projetant jusqu'au bord du +cadre. Mais voici la contradiction qui se lève: vieilles filles au nez +féroce, bigotes tirant la langue, hommes graves et bilieux, crétins +faisant des pieds-de-nez et ci et là des squelettes voltigeant comme +pour annoncer la maladie et le trépas et affirmer combien toujours la +mort est suspendue sur la vie. + +[Illustration: Croquis.] + +L'_Orgueil_ (1904). Solennel, ponctuel, grave, rogue, ridicule, avec de +tombantes bajoues, avec un front étroit, carré, abrupt, avec une tête +trop volumineuse pour son corps étriqué, quelque vague notaire ou +commerçant ou bourgmestre de province se présente à la foule des +quémandeurs, des humiliés et des pauvres qui lui baisent les mains. Un +squelette lui pose une couronne sur la tête. Un coq, les plumes +hérissées, crie vers lui comme s'il claironnait de fureur. Un âne +regarde. Quelque morne sacristain lit un discours; quelque minable +vieille tend un bouquet. La mort, armée de sa faux, promène ses doigts +d'os dans la perruque d'une femme acariâtre--peut-être la compagne du +notaire, du commerçant ou du bourgmestre--et lui cherche sa vermine. La +scène est d'une observation cruelle et folâtre. Tout est piteux, morose, +grotesque dans ce triomphe. La petite ville y est raillée et bafouée. +Ensor se venge. + +La page la moins réussie nous représente la _Colère_ (1904). Au fond +d'un lieu quelconque--appartement d'ouvrier ou grenier bourgeois--homme +et femme, avec des couteaux et des crochets, luttent et se blessent. +Leur chat, le poil dressé, assiste à la bataille. Des êtres +singuliers interviennent et la camarde semble faucher le vide au-dessus +des combattants. On croirait que le cuivre est griffé au moyen d'un +clou. Toute autre est l'abondante et grasse et croupissante et +savoureuse _Gourmandise_ (1904). Bien que les deux personnages assis +vomissent leur nourriture et que la Mort leur serve un homard et qu'un +chien, sur le dossier d'une chaise, compisse l'un d'eux et qu'une tête +coupée s'étale sur un plat, le petit drame gastronomique se caractérise +par une jovialité amusante. Un tableau pendu au mur réjouit par son +dessin preste: il représente des porcs qu'on tue, dans un village sur la +place, et certes les deux bâfreurs assis ou plutôt affalés à leur table +ne se doutent point qu'ils méritent un semblable trépas. L'énorme cochon +qui se hisse dans un coin, la langue pendante, semble seul distraire le +plus gros des convives et son oeil oblique s'en va vers le groin tendu ou +vers le homard que la mort apporte, presque amoureusement. Enfin la +_Paresse_ (1902) représente deux dormeurs, un homme et une femme, +enfoncés dans leur couche. Un lutin ricaneur chatouille l'oeil de la +dame. Un squelette détraque une horloge et enlève une aiguille. Par la +fenêtre, on aperçoit des paysans qui moissonnent, des ouvriers qui +brouettent, des valets qui bêchent, des gens de peine qui transportent +des fardeaux, des soldats à l'exercice, des trains qui roulent et tout +au loin une ville énorme dont les usines s'acharnent et fument sous le +riant soleil. Dehors il fait grand jour, mais les dormeurs baîllants se +calfeutrent et de lents escargots rampent sur leurs draps. Un petit +démon, sur la table de nuit, éteint, d'un pet, la bougie. + +[Illustration: Ernest Rousseau--1887. Gravure à la pointe sèche.] + +Cette suite de sujets renseigne--et que d'autres petites planches +l'affirment comme elle--sur l'inépuisable fantaisie de James Ensor. On +la croit au bout de sa trépidation et toujours et encore elle +recommence. Elle est véloce et incessante comme le tic-tac d'une montre. +Elle s'agite jour et nuit. La moindre observation faite au hasard la +remonte comme le petit tour de clef quotidien redonne la vie aux +ressorts distendus. + +Pour saisir mieux encore cette folâtre imagination il faudrait la suivre +jusque dans sa descente vers la caricature et la montrer aux prises avec +les _Cuisiniers dangereux_[1] et les _Mauvais médecins_ (1895). + +Les _Cuisiniers dangereux_ sont les critiques. On y distingue telles +personnalités que J. Ensor redoutait. Elles servent un étrange repas à +quelques-uns de leurs confrères et sur les plats présentés s'étale la +tête même du peintre flanquée d'un sauret. Les _Mauvais médecins_ +opèrent avec une férocité délurée, s'empétrant parmi les intestins +qu'ils retirent des ventres comme des câbles et taillent dans les chairs +de larges crevasses par où s'évadent les entrailles. Le patient tend un +poing vers le ciel, est retenu par une corde qui l'étrangle tandis que +la mort sinistre, avec un geste préceptoral, apparaît. + +[Footnote 1: Les _Cuisiniers dangereux_ sont un panneau (1896).] + + + + +VI + +VIE ET CARACTÈRE + + +Vie banale somme toute, mais en lutte avec un caractère spécial, +étrange, infiniment impressionnable et ombrageux. + +Ensor naquit à Ostende. Il a 48 ans. Il grandit dans une maison de +négoce, avec sa boutique achalandée s'ouvrant sur la rue, à côté de la +chambre de famille. Aux jours où la mer est calme on envoie l'enfant sur +la plage se distraire dans le sable, avec des coquillages. Il ne connaît +point encore le pittoresque quartier des pêcheurs plein de voiles et de +bateaux, plein de gamins hâves qui jouent parmi des charettes à bras, +dépiotent de leurs doigts prestes les crevettes tombées des paniers de +la marée et se poursuivent parmi les cordes tendues de poteau en poteau +et les ancres abandonnées dans les terrains vagues. Ce n'est que plus +tard qu'il se mêlera, poussé par son art, à la vie des matelots et des +mousses. + +Il ne suit les classes que pendant deux ans. Lui même emmagasine +quelques connaissances variées dans sa jeune tête. Ses livres d'images +le hantent. Les romans à naïfs dessins le sollicitent. Après avoir +admiré les gravures il lit le texte. Mais déjà mainte tentation lui +vient de rendre les tons et les lignes qu'il voit. Il griffonne et +barbouille. Détail à noter: ce sont les couleurs qu'il traduit avant +même qu'il dessine les objets. Il a quatorze ans. + +On lui donne comme professeurs deux vagues aquarellistes ostendais: +Dubar et Van Kuyck. Leurs conseils lui sont légers. Il les écoute et +oublie leurs paroles. Il n'est inquiété que par ce qu'il voit. Il ne +peint que d'après nature et les sites marins et les dunes et les +paysages des environs d'Ostende sont ses premiers modèles. Louis Dubois, +le beau peintre solide et puissant, rencontrant un jour, au cours d'un +villégiature sur la côte, les quelques pages auxquelles James Ensor, +presque enfant, confiait ses primes essais, s'enthousiasma et vivement +s'intéressa à ses débuts. + +En 1877 le voici à Bruxelles. De 1877 à 1880 il fréquente l'Académie. Il +y eut pour compagnons: Fernand Khnopff, Charlet et Duyck. Et pour +maîtres: Portaels, Stallaert, Robert et Van Severdonck. + +[Illustration: Le Théatre des Masques ou Bouquet d'artifice--1889] + +Plus tard, sorti de cette école, il appréciera et critiquera +l'enseignement de ses maîtres, en ce caractéristique monologue: + + «TROIS SEMAINES A L'ACADÉMIE + + _Monologue à tiroirs_ + + La scène est dans la classe de peinture. + + Personnages: Trois professeurs, le directeur de l'Académie, un + surveillant; personnage muet: un futur membre des _XX_. + + Nota: La vérité des menus propos qui suivent est garantie. + + 1re Semaine: M. le professeur Pilstecker. + + Vous êtes coloriste, Monsieur, mais sur 100 peintres il y a 90 + coloristes. + + Le flamand perce toujours chez vous, malgré tout. Je trouve les + artistes français très forts; dans une exposition, on les distingue + de suite de leurs voisins; ils sont très forts en composition. + + Il ne faut pas croire que le professeur abîme l'étude en la + corrigeant; quand j'avais votre âge, je le croyais aussi, + maintenant je vois bien que le professeur avait raison. + + Vous n'avancez pas! ça n'est pas modelé! (montrant l'étude d'un + autre élève). En voici un qui va bien! Malheureusement il est trop + paresseux. + + Vous cherchez déjà l'air ambiant, au lieu d'attendre que vous soyez + assez fort en dessin; songez que vous avez encore deux classes + d'antiques à faire! après celà, vous aurez bien le temps de vous + occuper d'air ambiant, de couleur et de tout le reste. + + Vous ne voulez pas apprendre; peindre comme celà, c'est de la folie + ou de la méchanceté. + + Je suis _forcé_ de vous complimenter sur votre dessin; mais + pourquoi faites-vous des dessins contre l'Académie? + + 2e Semaine: M. le professeur Slimmevogel. + + Vous avez fait votre fond au lieu de faire la figure; ça n'est pas + difficile de faire un fond. + + Vous faites le contraire de ce qu'on vous dit. Au lieu de commencer + par _vos vigueurs_, vous commencez par les clairs. Comment + pouvez-vous juger votre ensemble. Il faut faire vos vigueurs avec + du noir de vigne et de la terre de Sienne brûlée. + + Je ne sais pas ce qu'il y a dans l'air ici; jamais je n'ai vu la + classe de peinture comme cette année. Je serais honteux si un + étranger entrait ici. + + Je ne vois rien là dedans. Il y a de la couleur, mais ça ne suffit + pas. + + Ça manque de vigueur. Vous empâtez trop. Vous avez l'air de bien + chercher cependant. Vous avez assez cherché maintenant. + + Est-ce M. Pilstecker qui a corrigé votre étude? Ça n'est pas sa + semaine, pourtant. C'est embêtant, ça! + + 3e Semaine: M. le professeur Van Mollekot. + + Qu'est-ce que c'est que ça! C'est beaucoup trop brun, vous savez. + Est-ce M. Slimmevogel qui vous a corrigé? + + C'était si bien commencé. Vous dessinez si bien, mais vous abîmez + tout ce que vous faites. + + Croyez-moi, c'est dans votre intérêt que je vous le dis. Mettez + votre étude à côté du modèle. Vous avez peur de peindre. + + Il faut peindre avec des brosses plates, en pleine pâte, mais il + faut faire attention de ne pas blaireauter. + + Vous n'empâtez pas assez. Je sais bien que vous savez le faire, + mais il faudrait le montrer aux autres. + + Vous faites du paysage, c'est de la farce, le paysage! + + M. le Directeur. + + Vous dessinez en peignant, mauvais! mauvais! Vous allez vous noyer. + + C'est le sentiment qui vous perd, vous n'êtes pas le seul. + + La semaine passée, vous avez fait un bon dessin, maintenant, c'est + encore une fois la même chose; vous avez mal à l'oeil peut-être? Un + sculpteur serait bien embarrassé, s'il devait faire quelque chose + d'après votre dessin. + + Est-ce M. Slimmevogel qui a retouché ça? + + Le Surveillant. + + M. le Directeur et M. Pilstecker sont très fâchés contre vous, à + cause de votre concours d'esquisse peinte. Si vous voulez me + promettre de changer de manière, j'en parlerai à M. le Directeur, + et vous pourrez entrer à la classe de nature. + + _Moralité_: L'élève quitte l'Académie et se fait Vingtiste. + + _Moralité ultérieure_: On refuse toutes ses toiles au Salon.» + +[Illustration: L'Intrigue--1890. (Collection Ernest Rousseau)] + +Ce monologue porte. Il est jovial et juste. Il résume, d'un style leste +et ironique les tares de l'enseignement officiel. Les personnages +représentés se reconnaissent. Leurs jolis noms empruntés au langage +populaire donnent au morceau entier, une savoureuse couleur locale. +Ensor ne pouvait être un bon élève. Sa nature s'y opposait; il était +destiné à devenir un bon peintre. Il remporta toutefois le deuxième +prix de dessin de tête antique. + +Revenu à Ostende il se forme lui même. Toutefois restent suspendues au +mur de son atelier deux compositions faites à l'Académie: _Oreste +tourmenté par les Furies_ et _Judas lançant l'argent dans le Temple_. On +comprend que d'authentiques professeurs se soient étonnés devant ces +peintures. Le ton y est déjà très particulier. Les personnages baignent +dans une lumière argentée; aucun trait n'est sec ni maigré. Aucun geste +conventionnel, ni appris. La scène n'est point soulignée par la +présentation à l'avant-plan du protagoniste principal, soit Judas, soit +Oreste. C'est le groupe qui intéresse; c'est l'ensemble; c'est l'action +totale. Des rouges sonnent sur un fond d'argent. Les défroques sont +plutôt romantiques que classiques ou bibliques. Le dessin académique est +tout entier mangé par la couleur. Ces deux toiles sont déjà de la vraie +peinture ensorienne. + +L'année 1880 fut une année admirable pour James Ensor. Son vrai début +date de ce temps. Il lit beaucoup. La littérature n'a jamais ému les +peintres belges. En ce temps là, surtout, leur ignorance se dressait +monumentale. Ils avaient peur d'orner leur esprit pour ne point courir +le danger de sacrifier à l'imagination. On sait ce que cette crainte +puérile a produit. Au dernier _Salon d'automne_ (1907) à Paris, le +principal grief qu'on fit à notre exposition rétrospective fut de +manquer d'intellectualité ou plutôt d'intelligence. + +Je n'ignore point qu'un peintre littéraire est un peintre dévoyé. Je +sais qu l'oeil et non pas l'esprit doit dominer dans les arts plastiques. +Nul plus que moi ne s'est fait un devoir de signaler combien il +importait de voir, de regarder, de constater afin de bien traduire soit +la ligne, soit la couleur, soit la lumière. Toutefois il ne faut pas +qu'un peintre se prévaille de cette vérité qui peut apparaître, à juste +titre, comme une manière de dogme esthétique, pour s'opposer à toute +culture générale et se complaire à n'être volontairement qu'une brute +qui peint. Il faut, au contraire, que tout artiste s'affine et s'éduque. +Or, c'est la littérature seule, prise dans son sens large, qui lui peut +donner cet affinement. Il doit tendre à son développement complet, à +l'exaltation de sa personnalité totale; il doit comme fourbir le +faisceau entier de ses facultés. Rien n'est perdu et, mystérieusement, +tout sert. A l'heure des chefs-d'oeuvre, c'est tout l'être humain, avec +ce qu'il contient de puissance latente et emmagasinée dans son cerveau, +dans ses sens, dans ses muscles, dans ses nerfs, qui apparaît et qui se +hausse, par sa création soudaine mais combien lentement préparée, au +plan des dieux. + +[Illustration: Masques devant la Mort--1888. (Collection Ernest +Rousseau)] + +Les maîtres que lisait Ensor étaient évidemment ceux que sa nature +d'exception lui désignait: Edgar Poe et Balzac. Pourtant, avant eux, il +avait cultivé Rabelais (on s'en aperçoit en ses écrits); il goûtait le +Roland Furieux, de l'Arioste, et Don Quichotte et les Mille et une +Nuits. J'ai trouvé également dans sa bibliothèque «l'Enfer» du Dante. + +Quant aux peintres qu'il entoure de son culte pieux ce sont et Rembrandt +et Delacroix et Chardin et Watteau. Il ne lui déplaît pas de louer +également--il ne serait pas James Ensor s'il n'appréciait +l'antithèse--le «Virgile lisant l'Enéide» (fragment) du vieil Ingres. + +Il englobe encore dans son admiration Pierre Breughel et Jérôme Bosch. +Mais il ignore Rowlandson et Gillray auxquels il ressemble. Et Goya ne +lui est nullement familier. + +Ses voyages furent très rares. En 1892 il ne s'attarda que quatre jours +à Londres; il fut à deux ou trois reprises à Paris; il se divertit dans +un voyage en Hollande, avec son ami Vogels, et les musées d'Amsterdam et +de Haarlem le retinrent longtemps entre leurs murs. + +Sa vie s'est écoulée, à Ostende, presque tout entière. Il y a subi +l'interminable et ensevelissant ennui de la province qui tombe sur l'âme +comme une poussière sur le corps; il y a connu la moquerie et la haine; +le potin et la risée; il y a rencontré les contrariétés domestiques, +l'incompréhension inévitable, la dérélection. Les heures noires lui ont +fait cortège au long des jours gris, maussades, monotones. Sa +sensibilité fine comme le grain d'un bois rare et précieux a subi les +coups de rabot de la bêtise. Il s'est senti foulé, meurtri, brisé. + +Les rares joies qui flambaient autour de lui étaient de pauvres joies +provinciales. Il en prit, certes, sa part ne fût-ce que par tristesse. +Une société _Le Rat Mort_ le comptait et le compte encore au nombre de +ses membres. Ce cercle où des médecins coudoient des avocats, où des +échevins serrent la main à des notaires, où des musiciens --quelques-uns +de vrai talent--introduisent le culte d'un goût surveillé, inscrit à son +programme le rire et l'entrain pour essayer de vaincre la torpeur +ambiante. Y réussit-il? Et sa joie n'est-elle pas uniquement +réglementaire? + +Quand James Ensor fut nommé chevalier par le Roi on lui ménagea quelque +fête cordiale et tapageuse. J'en connais l'ordonnance. Elle fut +consignée dans une brochure que rédigea et qu'illustra le peintre. Des +discours sont prononcés, des strophes battent des ailes et des +brabançonnes inédites voient le jour. La fête fut, paraît-il, charmante +et folle. Je le crois, bien que le souvenir que j'en ai entre les mains +ne me communique plus, à cette heure, ni charme ni folie. Mais il est +juste d'ajouter que la carcasse d'un feu d'artifice tiré est chose +lamentable et funèbre. + +Ensor écrit assez volontiers. On sait que la plume est entre ses mains +une arme--certes contournée, fantasque, chimérique--mais qu'elle est +toutefois aiguë et pointée comme un couteau et qu'elle blesse souvent. +Il s'est plu, dans le _Coq Rouge_, à la diriger--malencontreusement à +mon avis--contre Alfred Stevens; dernièrement encore dans l'_Echo +d'Ostende_, il égratigna maint critique. Il agit alors comme s'il tenait +entre les mains une molle pelotte, qu'il traverse d'épingles et qu'il +jette, dès qu'elle en est pleine, comme un espiègle, vers le public. Les +traits portent, les allusions sont transparentes; ceux qui sont au +courant de la vie d'Ensor comprennent. Les autres s'étonnent. Lui, dès +son geste fait, redoute qu'on se fâche, s'excuse presque d'avoir aussi +abondamment garni sa pelotte, d'avoir effilé trop vivement ses pointes, +mais, quoiqu'il en ait, il n'a pu s'empêcher de la lancer. Sa phrase est +surabondante d'adjectifs pittoresques et cocasses, de substantifs +soudains et inventés; elle est folle, amusante, superlificoquentieuse; +elle écume et bouillonne; elle monte et s'écroule en cataracte. +Lorsqu'une bouteille d'ardent champagne se débouche et que le +fourmillement des bulles gazeuses s'élève myriadaire et pétille vers le +goulot pour se répandre et se résoudre en mousse, je songe au style +fermenté de James Ensor. + +Ostende ayant repoussé son art, loin des murs nus de ses monuments, le +peintre, dès que l'occasion s'en offrit, malmena ses édiles. Il +s'agissait d'élever une statue à M. Van Iseghem, bourgmestre. Voici le +morceau. Je l'emprunte à la _Ligue Artistique_. + + UN BRONZE OSTENDAIS A PLACER + + «Resignalons allègrement les évolutions sardinéennes de nos + bourgmestres vacillants ou édiles impénétrables, travaillés par des + voix. Contemplons caricaturalement les entrechats effrénés de + certains administrateurs ventripotents: singulières gambades + agrémentées de culbutes désopillantes, subtiles ruades de grisons + affolés, tiraillements aigres-doux de fonctionnaire non + fonctionnant ruminant son bronze, maître coup de gaffe d'adroit + manoeuvrier manoeuvrant, discussion spongieuse de batracien + encornichonné coassant, effondrement subit de mache-brique + imprévoyant, grossissement anormal de cucurbitacé triomphant. + + «Lançons quelques pierres dans cette mare aux marmousets et + enveloppons d'un voile épais les échantillons artistiques de nos + esthètes tremblotants pataugeant en sourdine dans les vases de + barbotine ou d'élection. + + [Illustration: La Raie--1892. (Collection Ernest Rousseau)] + + «Ces mêlées de moules et contre-moules et d'asticots asticotés me + laissent indifférent: le contribuable ostendais a d'autres singes à + fouetter. Mais une grosse question divise nos esthètes mercurisés. + + «L'érection de la statue de Jan Van Iseghem s'impose, clament nos + édiles en mal de bronze! Pschykoriaminikrolobrédibréraxispipipi! + expectorent péniblement nos vieux barbons du littoral; «une réunion + de conseillers de l'Huîtrisie Heureuse s'indique», fafouent nos + scaphandriers désossés, prudents immergeurs de vesses traîtresses. + + «Après vives discussions hérissées de bourdes solennelles, sauts de + carpe, torgnioles, plamussades, nasardes fraîches, faux horizons de + narquoisie, momeries variées, arlequinades de haute lisse, + péroraisons limaçonnes, jérémiades de tritons essoufflés, volées + oratoires de grand effet, miaulement suraigus, grognements + agressifs, gloussements inarticulés et bredouillements confus + dignes d'une assemblée de vieilles lavandières échaudées ou + marchandes des quatre saisons coquemardées, nos orateurs + mollusqueux, égosillés et contents se réfugièrent prestement entre + de jolies valves nacrées et perlières, et il ne fut plus question + de la statue du plus pelliculé des bourgmestres passés, présents et + à venir.» + + * * * * * + +La musique l'a tenté autant que la littérature. Il compose et improvise. +Blanche Rousseau fut, un jour, témoin de la façon dont il railla avec +des notes ceux qui le raillaient avec des paroles. + +«A un dîner de noces où se trouvaient un grand nombre de bourgeois, +Ensor, pâle et muet, se laissait taquiner, mais avec des sourires +contraints, des regards dédaigneux où s'allumait parfois l'éclair fugace +d'une colère ou d'une ironie effrayantes. Non loin de lui, je +l'observais et j'avais presque peur. Tout à coup, quelqu'un +l'interpelle: «De la musique, James, de _ta_ musique.» On rit, il +résiste, on insiste.... Alors, il se lève tout à coup, marche au piano, +et fait éclater une fanfare discordante, un tumulte de sons bousculés, +mais si moqueurs, si violents, d'une si imprévue et tragique ironie ... +une sorte de _marche des bourgeois_ où les cris d'animaux se mêlent au +vacarme du tam-tam, et brisée dans un long hurlement sinistre. Il revint +à sa place, sans que, pourtant, sa figure eût changé--mais les autres ne +riaient plus». + +La musique autant que la littérature lui sert donc à des manifestations +irritées tout autant que certains dessins et certaines caricatures. +Quand sa sensibilité est trop foulée et comprimée par l'hostile ambiance +elles lui sont comme deux soupapes qu'il ouvre tout à coup et par +lesquelles il se libère de sa mauvaise humeur. + +Mais quelquefois aussi elles lui apparaissent comme de réelles +expressions d'art, surtout la musique, qu'il aime et cultive, avec +délices et pour laquelle, me dit-on, il se sent né tout autant ou peut +être plus encore que pour la peinture. + +«L'étrange musique, écrit encore Blanche Rousseau. Elle ne ressemblait à +aucune autre; elle ne ressemblait à rien au monde. Elle était sourde et +voilée--rapide comme un souffle, aussi légère--ou bruyante +soudain--dure, heurtée, diabolique.... Les sons couraient, agiles, +ailés, s'égouttaient en jet d'eau ou s'écroulaient en poudre.... Ils se +relevaient, s'envolaient en soupirs vers les nues idéales et retombaient +à terre avec des grimaces et des contorsions. C'était pour moi, petite +fille, des troupeaux d'anges et de démons tournoyant entre ciel et +terre, des chutes et des essors, et les merveilleuses ascensions d'un +mélange bizarre de figures dont prédominaient tour à tour les unes, +sublimes, ou les autres, grimaçantes et horribles.... Et quand, brisant +soudain une mélodie, Ensor entonna le _Miserere_ d'un voix vacillante, +effrayante dans l'ombre, la voix exacte d'un curé cynique et rapace +devant un cercueil entouré de cierges--tandis qu'on riait dans la +chambre éclairée--mon coeur se glaça d'horreur et je me crus vieille à +treize ans». + +[Illustration: Bataille des Éperons d'or--1895. Eau-forte.] + +Il suffit d'avoir approché Ensor à certains jours, d'avoir écouté, +attentivement, ce qu'il ne disait pas pour se convaincre qu'il est à la +fois timide et téméraire, très simple et très complexe, que le soupçon +habite en lui, qu'il se croit volontiers honni, trahi, persécuté même, +qu'il est plein d'ironie et de goguenardise. Son silence et son rire +sont, presque au même titre, inquiétants. Il a la haine de la bêtise; il +la sait dure et coriace: il faut de temps en temps qu'il la morde. +Pourtant la méchanceté lui est étrangère. + +Au fond, très au fond de lui, séjourne certes la bonté; mais cette +source profonde il ne la montre qu'à de très chers regards. Sa petite +nièce l'a vu certes se répandre. Pour les autres gens, il demeure un +être fermé et énigmatique. On ne le saisit jamais entièrement. La vie +lui apprit à être défiant. On ne lui a point rendu toute justice. Son +art n'est point encore, à cette heure, situé où quelque jour il se +campera. Mais qu'importe! l'ascension sera d'autant plus sûre qu'elle +aura été lente et contrariée. + +[Illustration: La mort poursuivant le Troupeau des Humains--1895. +Gravure à l'eau-forte.] + +Le caractère n'explique évidemment pas toute une oeuvre. Ce sont les dons +fonciers que le peintre porte en lui qui la déterminent, +l'entretiennent, la nourissent et la développent. + +Toutefois le caractère de l'homme influence l'oeuvre, si j'ose dire, +latéralement. Il est comme les vents d'est, d'ouest, du sud et du nord +qui assiègent une plante magnifique, la courbent, la redressent, la +baignent d'air chaud ou d'air froid, l'épanouissent ou la dessèchent. +Ensor est un supra-sensible. + +La mobilité, l'inquiétude, la vacillation de sa nature expliquent à la +fois les recherches fièvreuses, les pas en avant, les pas en arrière, +les brusques progrès et les soudains reculs, en un mot tous les +changements et aussi toutes les inégalités de son art. Après un tableau +clair, il rétrograde vers un tableau sombre; après un dessin de +caractère il commence un dessin atmosphéré, après une eau-forte toute en +délicatesse il burine un cuivre comme avec des clous. Il est tumultueux +et abrupt dans mainte composition; le développement continu ou +symétrique des lignes ne l'inquiète guère; il procède par à coups; il +étonne plus souvent qu'il ne charme. Il fait preuve de maladresse et il +est loin de bannir de son art le dérèglement et le chaos. Il ne tient +jamais en place et souvent il ne tient pas même sa place. Les oeuvres +inférieures voisinent avec les oeuvres excellentes. Au cours de cette +étude je n'ai insisté que sur ces dernières: elles seules comptent dans +la vie d'un maître. + +Son caractère explique encore son amour immodéré pour le masque, la +défroque, la mort, la laideur. Pendant les dures, moroses et adverses +années de sa vie, quand il se croit abandonné de tous, quand des idées +de persécution hantent sa tête, il met comme une ardeur noire à +dénaturer, à déformer, à calomnier la vie. Quelques-unes de ses toiles +sont féroces. Les _deux squelettes se disputant un hareng-saur_ mettent +une âpreté telle dans leur lutte à mâchoires voraces et terribles qu'on +songe vaguement à deux cruels ennemis du peintre s'acharnant sur lui. Le +jour qu'il campa devant son poêle de fonte le gras et narquois +_pouilleux_ et que les premiers _masques_ vinrent surprendre et attirer +son attention, ce fut le pittoresque et la saveur des guenilles et des +oripeaux qui certes le sollicitèrent. Il découvrit en eux l'ironie et la +farce quasi joviales; mais plus tard l'ironie et la farce firent place +au sarcasme, à la détresse et à la violence. Et le rire devint +ricanement. Bien plus. Peut être s'est-il fait que le découragement a +remplacé, à point nommé, la colère et que certaines années mauvaises et +mornes, les années vides d'enthousiame, ne sont imputables qu'à un +fléchissement de volonté. Car--et je ne veux point éluder ce problème +moral--il est vraiment incompréhensible qu'aux heures pleines de +l'adolescence et de la maturité commençante Ensor se soit comme retiré +de la lutte, alors qu'une abondance de gestes et d'oeuvres marque chez +les artistes doués comme lui l'entrée triomphale dans la quarantaine. + +[Illustration: La Danse--1896. (Collection Ernest Rousseau)] + +Est ce la veule et torpide province, la solitude trop complète, +l'éloignement trop prolongé ou la critique injuste qui ont amené cet +alentissement? Quelle brisure intérieure a lézardé une muraille déjà si +haute? + +Ou bien les ennuis quotidiens et domestiques, les tracas mesquins et +rongeants le condamnèrent-ils quelque temps au silence? + +L'explication nette et unique se dissimule sous l'amas des conjectures. +Peut être un jour jaillira-t-elle simple et probante. En attendant, je +ne crois pas errer en affirmant que c'est dans le caractère du peintre +et non pas en son art lui-même qu'il la faut chercher. Les rares +dernières oeuvres qui n'ont point encore quitté son atelier affirment que +son oeil est autant que jamais subtil, vivant et frais et que peut-être +un dernier rajeunissement est à la veille d'éclore. Mais quel que soit +l'avenir, l'oeuvre telle qu'elle est, avec sa série de toiles depuis +longtemps victorieuses, n'est indigne d'aucune des louanges que nous lui +avons, au cours de ces pages, prodiguées. + + + + +VII. + +LA PLACE DE JAMES ENSOR DANS L'ART CONTEMPORAIN + + +La place de James Ensor dans l'art de son temps apparaît belle et nette. +Le recul nécessaire pour la fixer se fait et ce jugement émis par ses +admirateurs n'est déjà plus un jugement horaire. + +Un fait esthétique notoire domine la peinture du XIXe siècle: la +découverte de la lumière. D'où la recherche nécessaire d'harmonies +nouvelles, de relations autres, de valeurs et de juxtapositions de tons +insoupçonnées jadis. D'où encore un renouveau du sentiment pictural +lui-même, la joie et la vie intronisées à la place de la morosité et de +la routine, l'oeil éduqué non plus à l'atelier mais dans les jardins, les +bois et les plaines, les pratiques anciennes abandonnées au profit de la +surprise et de la découverte rencontrées à chaque coin de route, à +chaque angle de carrefour. C'est la nature, bien plus que les musées, +qui forma les peintres novateurs. Elle leur imposa directement leur +vision et modifia leur technique. Même elle renouvela toute leur +palette. Ils n'ont consulté qu'elle: c'est d'après ses leçons ingénues +et profondes qu'ils se sont formés, se sont découverts et se sont +exaltés à l'heure des chefs-d'oeuvre. + +[Illustration: Mariakerke--1896. (Collection Edgar Picard)] + +Dans cette conquête de la clarté, l'effort et la vaillance de James +Ensor compteront. Son geste demeurera insigne, non seulement dans +l'école de son pays, mais, un jour, dans l'art occidental tout entier. +Car une mise au point exacte de la victoire impressionniste se prépare +partout. L'Europe entière y collabore. Certes y conservera-t-elle son +rôle d'initiatrice et de propagatrice la belle et grande France. Mais la +Hollande, mais l'Angleterre, mais l'Espagne, mais la Belgique +s'adjugeront également, à bon droit, quelques magnifiques rayons de la +gloire artistique toujours renouvelée et sans cesse voyageuse, qui +s'est, jadis, presque fixé chez elles, puis s'en est allée, puis revenue +pour y séjourner à nouveau. + +L'histoire de l'impressionnisme ne fut tentée, pourrait-on dire, qu'au +point de vue parisien. Les marchands s'y sont intéressé plus encore que +les critiques. Les dithyrambes ont monté d'après les prix de vente. On +put croire, à tel instant, qu'une toile était moins une oeuvre d'art, +qu'une valeur financière. Degas, Renoir, Monet, Cézanne et Sisley +avaient leurs courtiers comme le sucre, le café, la margarine et le +cacao. Tout peintre étranger admis à la côte parisienne devenait peintre +et maître à son tour. + +On ne le jugeait plus d'après ses origines, mais d'après les qualités +qui l'apparentaient aux maîtres français. Ainsi faussait-on maint +jugement. La critique met en valeur les différences entre peintres et +non pas les ressemblances ou les similitudes. Les écoles nationales sont +nécessaires à l'évolution complète d'une même théorie ou d'une même +formule. Une même idée conçue par des peuples différents, un même +principe d'art appliqué par des groupes étrangers les uns aux autres +acquiert une diversité précieuse et riche. La totalité des résultats +peut être atteinte ainsi. + +Au reste, les peintres venus d'ailleurs conservent, même à Paris, d'une +manière souveraine, leurs qualités autochtones. Jongkind, Van Gogh, +Whistler, Anglada Van Rysselberghe en témoignent. Ils restent fidèles à +leurs origines superbement. Ils possèdent--j'en excepte Whistler--moins +de goût que les Français, ils voient moins subtil et moins fin, mais ils +apportent, les uns certains dons de robustesse, d'âpreté, les autres +certains sentiments d'intimité et de naïveté, qu'on ne rencontre qu'en +Espagne, qu'en Hollande et qu'en Flandre. + +Pour situer de tels talents, il ne faut point les rejeter hors de leur +milieu natal. Au contraire, il les y faut ramener, les mettre en leur +vrai jour, les relier à leurs contemporains directs par les inévitables +sympathies de race et d'instinct. Qu'on signale les principes nouveaux +qu'ils apportent, mais qu'on étudie avant tout comment ils les adaptent +à leur nature. + +A toutes les périodes de l'histoire, ces influences de peuple à peuple +et d'école à école se sont produites. Jadis l'Italie dominait +profondément les Floris, les Vænius et les De Vos. Tous pourtant ont +trouvé place chez nous, dans notre école septentrionale. Plus tard +Pierre Paul Rubens s'en fut à son tour là-bas; il revint italianisé mais +ce fut pour renouveler tout l'art flamand. + +Bien plus, il se fait que souvent au pays même des peintres émigrés, il +se lève des artistes qui trouvent, sans quitter la terre natale, ce +que leurs émules s'en vont chercher au loin. Ensor peut se ranger parmi +ceux-ci. Déjà Pantazis et Vogels s étaient signalés. Ils s'étaient posés +le problème de la lumière et l'avaient élucidé si pas résolu. Vogels +surtout s'était affirmé avec une audace violente et spontanée. Il avait +des dons admirables d'improvisateur; il possédait la fougue et l'éclat. +Ses ciels tumultueux, ses paysages tragiques s'affranchissaient de toute +convention stérilisante. Il eût été un grand peintre, si l'insuffisance +de son métier ne l'avait desservi. + +[Illustration: Entrée du Christ à Bruxelles--1898. Gravure à +l'eau-forte.] + +Ensor plus dominateur en son art, avec une vision plus aiguë et plus +fine, avec un instinct magnifiquement développé, avec une invention plus +large et plus abondante, cultiva le même champ que Pantazis et Vogels, +mais il y suscita des fleurs de lumière d'une beauté plus rare, plus +rayonnante et plus subtile. Lui ne ressemble à personne. Ses premières +oeuvres contiennent déjà en puissance toute sa force future. On ne les +confond avec nulles autres. Elles s'imposent d'elles mêmes. Elles sont +indépendantes, fières, libres. + +Au temps où elles éclatèrent, avec soudaineté et presque avec insolence, +Manet occupait activement la critique d'avant-garde. Aux Salons +triennaux de Bruxelles, d'Anvers et de Gand, la toile intitulée _Au Père +Lathuille_ avait ameuté autour d'elle toute l'ignorance et la raillerie +publiques. Il était séant qu'on s'en scandalisât. Le rire et le sarcasme +étaient exigés comme un gage d'honnêteté bourgeoise et de bon goût +provincial. Certes, eût-on détérioré l'oeuvre, si l'aventure judiciaire +à courir et l'amende à payer n'eussent arrêté les mains bien pensantes +et les couteaux croyant à l'idéal. + +Les fureurs grinçant des dents contre Manet se tournèrent à point nommé +contre James Ensor. Autant que le peintre des Batignolles il fut accusé +d'instaurer en art une sorte de Commune et d'inscrire sa doctrine +esthétique aux plis d'un drapeau rouge. Bien plus: sans égard pour les +dates d'antériorité qui marquaient les toiles du peintre d'Ostende, on +les proclamait dépendantes et vassales de celle de Manet, on leur +refusait tout mérite jusqu'à celui d'être des sujets de scandale +inédits. L'erreur persista longtemps et persiste encore. On s'entêta et +l'on s'entête à ranger James Ensor parmi les élèves de Manet. Rien n'est +plus faux. Les deux maîtres n'ont qu'un point de contact: tous les deux +peignent à larges touches et tous les deux étudient la lumière frappant +mais surtout modifiant le dessin et le ton local des objets. + +Mais que de différences immédiatement s'accusent! Manet reste, somme +toute, un peintre de tradition et d'enseignement. Les Espagnols l'ont +formé: Velasquez et surtout Goya. Le jour que son _Olympia_ fit son +entrée au Louvre, elle se plaça, naturellement, en son milieu. La rampe +l'attendait. Elle voisina, sans déchoir, avec les toiles d'Ingres et de +Delacroix. Sa victoire fut même trop belle: l'_Odalisque_ du vieil +Ingres se sentit atteinte dans son rayonnement de chef-d'oeuvre +soi-disant parfait. Jamais elle n'apparut plus sèche, plus figée ni plus +froide. En outre, Manet compose ses toiles. L'_Olympia_, le _Christ aux +anges_, le _Déjeuner sur l'herbe, Maximilien_, sont des oeuvres dont la +mise en page est faite d'après des recettes connues. Bien qu'il soit un +peintre admirable, encore n'évite-t-il pas les sécheresses et les +duretés. Il ignore l'abondance et la richesse prodiguées. La réflexion +et le raisonnement le guident plus que l'instinct ne le pousse. Il a une +main très experte, très habile. Il fait preuve d'esprit, parfois de +virtuosité. Son intelligence surveille son art et le raffine. Il pense +autant et plus encore qu'il ne voit. Quand, séduit par les visions +fraîches et hardies de Claude Monet, il se décida à modifier les +couleurs de sa palette et à traduire le plein air vrai et la clarté +prismatique et vivante, ce fut par une suite de tâtonnements réfléchis +qu'il y parvint. Il cherchait sans trouver, du coup. Ce fut une lutte +avant tout intelligente. Il lui fallut non seulement des qualités d'oeil, +mais des qualités de caractère. Son esprit, son jugement, son +obstination, sa probité, tout son être moral et pensant agit: ce fut un +triomphe laborieux. + +James Ensor, lui, n'est purement qu'un peintre. Il voit d'abord, il +combine, arrange, réfléchit et pense après. Il ne doit rien ou presque +rien aux maîtres du passé. Il est venu en son temps pour ne recevoir que +les leçons des choses. Certes, sa mise en page le préoccupe, mais ses +compositions évitent de rappeler celles que les musées enseignent. +L'esprit qu'il met dans ses toiles et ses dessins est plutôt grossier et +populaire. Son trait de pinceau est appuyé; il ne glisse pas. Il n'est +pas adroit. Toutefois sa couleur n'est jamais commune. En chaque oeuvre +le ton rare et riche, violent et doux, prismatique et soudain, installe +sa surprise et son harmonie. On dirait qu'Ensor écoute la couleur +tellement il la développe comme une symphonie. + +[Illustration: Vengeance de Hop-Frog--1898. Gravure à l'eau-forte.] + +Jamais ne s'y mêle la moindre fausse note. Il a l'oeil juste comme est +juste l'oreille d'un musicien. A le voir peindre, comme au hasard, on +craint qu'à chaque instant la gamme profonde et rayonnante des couleurs +ne se fausse. Or jamais aucun accroc n'a lieu. L'instinct, le guide le +plus sûr des artistes, bien qu'il paraisse un conducteur aveugle, +l'assiste sans qu'il s'en doute et le décide, quand à peine il prend le +temps de le consulter. Avant de poser un ton, il est sûr que ce ton sera +d'accord avec les autres. Il le sent tel, à travers tout son être. A +quoi bon examiner, discuter, raisonner, si l'examen, la discussion et le +raisonnement se sont faits, préalablement, sans qu'on le sache, avec la +promptitude que met un éclair à traverser le ciel. L'aptitude en art +n'est jamais un acquis, mais un don. Elle est subconsciente et sourde. +Celui qui naît sans qu'elle habite en lui à l'instant même qu'il voit, +entend, flaire, goûte et touche, ne sera jamais un artiste authentique. +Aucune étude ne la lui apportera. Des races privilégiées la transmettent +à leurs différentes écoles, à travers les siècles. L'une de ces races +est l'admirable race des Pays-Bas. + +Il s'en faut pourtant que leur instinct merveilleux soit l'unique don +des peintres septentrionaux. Ils n'auraient pas donné à l'art ces +artistes universels qui out nom Rubens, Van Dyck, Jordaens et avant eux +Van Eyck, Memling, Van der Goes, Van der Weyden et Metsys si +l'intelligence, le sentiment, la raison et la volonté leur eussent été +refusés. + +Je n'ai insisté sur leur qualité foncière: l'instinct, que pour la +montrer pareille au tronc massif et souterrain sur lequel se entent, +comme des branches, toutes les autres vertus esthétiques. + +[Illustration: Ostende--1898. (Collection Edgar Picard)] + +James Ensor est plus purement un peintre que Manet, mais ce dernier est +évidemment un maître et un artiste d'une plus large et plus souveraine +envergure. Il est un chef d'école magnifique, définitif et complet. Il +commande à un des carrefours de l'art où les routes bifurquent et +gagnent des contrées vierges et inconnues. + +Je n'ai, au surplus, mis en parallèle les deux peintres que pour +défendre James Ensor contre des accusations d'imitation. Qu'on fasse +voisiner n'importe laquelle de ses toiles avec l'_Olympia_, le _Déjeuner +sur l'herbe_, le _Père Lathuille, Argenteuil, Pertuiset_ et +l'originalité des deux créateurs d'oeuvres marquantes s'imposera +indiscutable. + +Mais un autre rapprochement s'indique. Les récents intimistes français, +les Vuillard et les Bonnard s'attachent aujourd'hui à certaines +recherches qu'autrefois tenta James Ensor. Tels éclairages de salon ou +d'appartement, telles lueurs argentées et discrètes, tels gris, tels +bruns font songer à l'atmosphère de la _Coloriste_ ou à la _Musique +russe_. Il n'est pas jusqu'au dessin vacillant et brouillé qui +n'établisse un parentage entre les deux manières. Je veux bien qu'il n'y +ait que rencontre fortuite. Il est piquant toutefois de noter ceci: Si +James Ensor rappelle quelque peintre, c'est parmi ses cadets, parmi ceux +qui innovent et préparent l'avenir et non point parmi ses aînés qu'il le +faut chercher. Il n'est pas de ceux qui imitent; il est de ceux qui +découvrent. Il est plutôt d'accord avec ceux qui viennent, qu'avec ceux +qui sont venus. Si bien que ses toiles qui datent de vingt-cinq ans +recèlent toute la fraîcheur et la surprise des oeuvres d'aujourd'hui. Il +les peut exposer avec orgueil. Aucune ne déchoit. Quelques-unes +serviront peut-être à renflouer les vieilles carènes de l'École d'Anvers +où de tout jeunes peintres Navez et Crahay travaillent avec le souvenir +de l'oeuvre d'Ensor présente à leur esprit. + +Preuve évidente de force profonde et souterraine! Quelqu'un qui reste +aussi durablement jeune ne vieillira jamais. Il porte en lui la +résurrection incessante. Il vit de lui-même, mystérieusement. Déjà il ne +connaissait plus la mode, voici qu'il ignore le temps. + +Il n'importe que James Ensor soit ignoré en Allemagne, en Angleterre, en +Italie et en Amérique. Il est classé en Belgique et à cette heure on le +classe en France. Or, c'est Paris qui, depuis un siècle, assume +l'honneur d'auréoler les noms des vivants insignes. Il est la postérité +qui s'éveille; il désigne les routes par où passe la gloire; il semble +d'accord avec une volonté lointaine et encore inconnue. En son pays la +renommée de James Ensor grandit d'année en année. Ceux qui le +méconnaissaient autrefois sont morts ou sont vaincus. On ne relègue plus +ses envois dans les oubliettes des salons triennaux: ils s'étalent à la +cimaise, aux places d'honneur. Les musées des grandes villes s'en +enrichissent: Liège, Anvers, Bruxelles. Les mécènes qui villégiaturent à +Ostende, l'été, visitent l'atelier du peintre et leurs galeries se +décorent de ses toiles. Les prix atteints sont élevés. L'heure est déjà +loin où les oeuvres du peintre s'échangeaient contre une obole. Certes +l'art ne se pèse pas au poids d'argent. L'or donné ne représente que ce +fait: l'admission d'un peintre dans une compagnie de choix et la place +élue qu'on lui assigne dans une école. L'auteur de la _Coloriste_, de +l'_Après-midi à Ostende_, du _Salon bourgeois_, du _Lampiste_ et de la +_Mangeuse d'huîtres_, des _Enfants à la toilette_, des _Masques devant +la mort_, de _Adam et Eve chassés du paradis_ et de la _Dame sombre_ +peut avec tranquillité voir se passer les années: il est sûr de la +durée. + + + + +CATALOGUE DE L'OEUVRE DE JAMES ENSOR + + + TOILES ET DESSINS + + 1879 + + Portrait de l'artiste. + L'amie de l'artiste. + Judas lançant l'argent dans le temple. + Oreste tourmenté par les Furies. + L'artiste peignant. + + DESSINS. + + Le chant de Noël. + Les trouvères. + Les buccins. + + 1880 + + Le Lampiste.----Appartient au Musée de Bruxelles. + La coloriste.----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles. + La mare.----à M. Guillaume Charlier, Bruxelles. + Nature-morte.----id., id. + Poissons.----à M. Paul Buéso, Bruxelles. + Le chou.----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles. + Chinoiseries.----id., id. + Accessoires. + Musique russe.----à Mlle Anna Boch, Bruxelles. + Dame au châle. + Petites chinoiseries.----à M. C. Franck Anvers. + Le cardeur.----id., id. + Estacade.----à M. A. Lambotte, Anvers. + Chinoiseries.----id., id. + Les bouteilles----Appartient à M. E. Demolder, Essonnes. + Effet de neige----à M. F. Franck, Anvers. + Vases----id. id. + Le flacon bleu----à M. A. Lambotte, Anvers. + Nature-morte----à M. F. Fuchs, Bruxelles. + Pommes----à M. E. Labarre, Bruxelles. + Mer grise----à M. F. Franck, Anvers. + Trois esquisses----id., id. + Sous bois. + Nuage rose. + Dame au brise-lame. + A l'atelier. + Le parasol----à M. A. Lambotte, Anvers. + Mer agitée. + Portrait de l'artiste. + Le peintre. + + AQUARELLE. + + Gamin----à M. F. Franck, Anvers. + + DESSINS REHAUSSÉS. + + Retour des champs. + Tête (sanguine)----à M. Samuel, Bruxelles. + + DESSINS. + + Le maçon. + Le rétameur. + Gamin assis----à M. Edgar Picard, Jemeppe. + Le paysan triste. + Vieux pêcheur. + Gamin. + La soeur du peintre. + L'homme au chaudron. + Les mangeurs de soupe. + Jeune fille. + Vieux paysan. + Pêcheur de crevettes. + La femme au balai. + Laveuse. + Garçon lisant. + L'homme à la blouse. + Jeune fille à l'éventail. + Pêcheur au panier----Appartient à M. Deprez, Liège. + Le roi peste. + La mort mystique d'un théologien. + + 1881 + + Viandes----au Musée d'Ostende. + Salon bourgeois en 1881----à M. E. Rousseau, Bruxelles. + Salon bourgeois, esquisse----à M. F. Franck, Anvers. + La dame sombre----à M. Edgar Picard, Jemeppe. + Le rouget----à M. Edouard Hannon, Bruxelles. + La convalescente----à M. Bourgeois, Liège. + Tête d'étude----à M. W. Finch, Helsingfors. + Accessoires----à M. F. Buelens, Ostende. + Dame en rouge----à M. A. Crespin, Bruxelles. + Dame à l'éventail. + Le père de l'artiste. + Portrait d'homme----à M. F. Buelens, Ostende. + Etude de fruits----à M. Theo Hannon, Bruxelles. + La mare aux peupliers----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles. + Marine, effet de soleil. + Les braconniers----à M. Delory, Calais. + La rue de Flandre à Ostende. + Les lampes. + Canal----à M. Ch. Mendiaux, Anvers. + Eventails. + Marine, effet de soir. + Marché à Ostende----à M. Buelens, Ostende. + Intérieur au poêle----à M. A. Lambotte, Anvers. + La dune noire. + Etoffes et éventails. + Une après-dînée à Ostende. + + DESSINS REHAUSSÉS. + + Pêcheur au manteau jaune----à M. Edgar Picard, Jemeppe. + Petits musiciens. + Pêcheur au panier. + La soeur de l'artiste. + Gamin (sanguine)----Appartient à M. C. Ganesco, Paris. + + DESSINS. + + Vieux songeur. + L'homme au foulard. + Garçon au bonnet. + Le violon. + Le lustre. + Clefs. + La lectrice. + L'homme au panier. + + 1882 + + Huîtres----au Musée d'Anvers. + Le pouilleux----au Musée d'Ostende. + Nature-morte----au Musée de Liège. + Lièvre et corbeau----à M. Greiner, Seraing. + La dame en détresse. + Portrait de Théo Hannon----à M. Théo Hannon, Bruxelles. + Dans les dunes----à M. Murdoch, Anvers. + Marine----à M. A. Rassenfosse, Liège. + Portrait de femme----à M. F. Buelens, Ostende. + La mangeuse d'huîtres. + Dame au châle bleu. + Roses. + Portrait du peintre W. Finch. + Fleurs----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles. + La petite chaise----à M. Lambotte, Anvers. + Pommes----à M. F. Franck, Anvers. + Fleurs et porcelaines----à M. Lambotte, Anvers. + La mère de l'artiste. + Etoffes. + Petites tasses. + Le brise lame. + La dune au nuage blanc. + Marine. + Maisonnettes dans les dunes. + + AQUARELLE. + + Le mannequin----Appartient à M. F. Franck, Anvers. + + DESSINS. + + Ostendaise. + L'homme à la bêche. + Ouvrier du port. + Pêcheur de crevettes. + Cadre (croquis)----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles. + Croquis----à M. Alfred Verhaeren, Bruxelles. + Croquis----à M. Théo Hannon, Bruxelles. + Croquis. + + 1883 + + Les pochards----à M. Edgar Picard, Jemeppe. + Les masques scandalisés. + Pommes rouges----à M. O. François, Bruxelles. + Les houx----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles. + Portrait de l'artiste. + Pivoines et pavots----à M. L. Franck, Anvers. + Sur la plage----à M. Vince, Bruxelles. + Canal. + Coquillages----à M. L. Franck, Anvers. + Dans les blés. + Le Rameur----à M. F. Buelens, Ostende. + Forêt de Soignes. + Fleurs et vases. + La dame en blanc. + Dunes, panorama. + Dunes et mer. + L'horticulteur. + Le violon----à M. Maurice des Ombiaux, Bruxelles. + La barque jaune. + Marine, après-midi. + + DESSIN. + + Le pochard----à M. Albert Neuville, Liège. + La sorcière----à M. Edgar Picard, Jemeppe. + Portrait de Richard Wagner----Appartient à M. Gustave Kéfer, Paris. + Les joueurs. + L'escrimeur. + La clarinette. + Zélandaise. + Masques scandalisés. + Croquis----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles. + + 1884 + + Marine----à M. Gustave Kéfer, Paris. + Enfant à la poupée. + Portrait du peintre Dario de Regoyos. + La dune. + Les toits à Ostende----à M. F. Franck, Anvers. + Intérieur----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles. + Grande vue d'Ostende. + Barques. + Le nuage blanc. + + AQUARELLE. + + Accessoires. + + DESSINS. + + Gamin (sanguine). + Enfant dormant. + Portrait de l'artiste----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles. + Au piano. + Le coeur révélateur. + Les misérables. + + 1885 + + Vue de Bruxelles----au Musée de de Liège. + Le meuble hanté----au Musée d'Ostende. + Jardin à Watermael----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles. + Marine----Soleil couchant. + Le Christ marchant sur la mer. + Fanfare en rouge. + Vue du phare à Ostende. + Squelettes regardant chinoiseries. + Le boulevard à Ostende. + Les indécises. (Série d'études.) + + PASTEL. + + Les amoureux----Appartient à M. Ern. Rousseau, Bruxelles. + + DESSINS. + + Combat de soudards. + Vases. + Démons me turlupinant. + Promeneurs----à M. Blatter, Paris. + Descente de croix. + Portrait----à M. Johanida. + + 1886 + + Etudes de lumière. + Enfants à la toilette----à M. A. Lambotte, Anvers. + Lisière du bois d'Ostende----à M. R. Goldschmidt, Bruxelles. + Etudes locales. + Fleurs et fruits. + Squelette et pierrots. + Nature morte. + Les lilas. + + DESSINS REHAUSSÉS. + + Le cauchemar. + Le rêv---- + + DESSINS. + + Les auréoles du Christ ou les sensibilités de la lumière. + La gaie: L'adoration des bergers. + La crue: Jésus montré au peuple. + La vive et rayonnante: L'entrée à Jérusalem. + La triste et brisée: Satan et les légions fantastiques tourmentent + le Crucifié. + La tranquille et sereine: La descente de croix. + L'intense: Le Christ montant au ciel. + Le Christ veillé par les anges. + + FANTAISIES ET GROTESQUES. + + Quatre portraits de l'artiste. + Enfant dormant. + Profils. + + 1887 + + Adam et Eve chassés du Paradis terrestre.----Appartient à M. A. + Lambotte, Anvers. + Le feu d'artifice. + Tribulations de Saint Antoine. + Fruits----à M. Storm de 's Gravesande, Hollande. + Nature-morte. + Adoration des bergers----à M. E. Deman, Bruxelles. + Ville à contre soleil. + Jardin en plein soleil. + Intérieur. + Vision claire. + + DESSINS. + + La tentation de Saint Antoine. + Josué arrêtant le soleil. + Combat des pouilleux Désir et Rissolé. + Petits supplices persans. + Mon père mort. + La paresse. + L'apparition. + Les diables Dritss et Hihahox conduisant le Christ aux + enfers. + + 1888 + + L'entrée du Christ à Bruxelles. + Fruits----à M. Jules Cordeweiner, Bruxelles. + Les masques devant la mort----à M. E. Rousseau, Bruxelles. + Jardin d'amour. + Carnaval à Bruxelles. + Mon portrait déguisé. + Foudroiement des anges rebelles. + Études locales. + A Ostende, le boulevard. + Nature-morte. + Le Christ tourmenté----à M. E. Royer. + + DESSINS REHAUSSÉS. + + Suzanne au bain----Appartient à M. Max Hallet, Bruxelles. + Masques nous sommes----à M. Edm. Picard, Bruxelles. + La rixe. + Jeanne d'Arc. + Peste dessous----Peste dessus. Peste partout. + + DESSINS. + + Squelettes musiciens. + La dormeuse. + La mort poursuivant le troupeau des humains. + Portraits bizarres----à M. Jules Cordeweiner, Bruxelles. + + 1889 + + Squelettes voulant se chauffer----à M. Léon de Lantsheere, Bruxelles. + Fleur et vase bleu----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles. + Le théâtre des masques ou bouquet d'artifice. + La petite travailleuse----à M. Cwalosinsky, Bruxelles. + Théâtre des masques et pierrot. + Fleurs----à M. Guillaume Charlier, Bruxelles. + Attributs des Beaux-Arts----à M. Buelens, Ostende. + Etonnement du masque Wouse. + Coquillages. + Poires, raisins, noix. + + DESSINS REHAUSSÉS + + Le dernier carré à Waterloo----à M. Storm de 's Gravesande, Hollande. + La revanche des condamnés----à M. Vittorio Pica, Milan. + Squelette dessinant. + + DESSINS. + + Portrait de Madame E. Rousseau. + Le vieux meuble. + Vénus à la coquille. + La mère de l'artiste----à M. R. Goldschmidt, Bruxelles. + Les adieux de Napoléon. + Etudes de plantes. + + 1890 + + Le domaine d'Arnheim----Appartient à M. Emile Verhaeren, St. Cloud. + Fruits----à M. Ganesco, Paris. + L'intrigue----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles. + Homard et crabes----à M. Edgar Picard, Jemeppe. + Le pot bleu----à M. Philipps, Bruxelles. + Les choux----à M. Labarre, Bruxelles. + La tour de Lisseweghe----à M. Edgar Picard, Jemeppe. + Chaloupes. + Ecce-Homo. + Vue prise en Phnosie, ondes et vibrations lumineuses. + Petits masques. + L'assassinat. + + DESSINS REHAUSSÉS. + + Jardin aux masques. + Clowneries. + + DESSINS. + + Masques. + La vieille au portrait----à M. C. Ganesco, Paris. + Napoléon à Waterloo. + La sensibilité en 1890 et la vivisection. + La sensibilité en 1590 et la roue, le bûcher, etc. + Etudes sentimentales. + Bourgeois indignés sifflant Wagner en 1880 à Bruxelles. + + 1891 + + Le Christ apaisant la tempête. + Squelettes se disputant un pendu----à M. Cwalosinsky, Bruxelles. + Les bons juges----à M. Camille Laurent, Charleroi. + Portrait d'Emile Verhaeren----à M. Emile Verhaeren, St. Cloud. + Les musiciens terribles----à M. Félix Fuchs, Bruxelles. + L'autodafé----à M. Félix Fuchs, Bruxelles. + Le jardin d'amour----à M. Maurice des Ombiaux, Bruxelles. + Masques regardant des crustacés----à M. Breckpot, Bruxelles. + Baptême des masques. + Réunion de masques. + Le prêche. + Fraises----Appartient à Mme Ninauve, Bruxelles. + Squelettes au hareng. + Squelette arrêtant masques. + Chinoiseries, étoffes----à M. F. Franck, Anvers. + Ecce-Homo. + La peureuse. + + DESSINS REHAUSSÉS. + + La bataille des Éperons d'or. + Les bains d'Ostende----à M. Charles Vos, Bruxelles. + Les cuirassiers à Waterloo. + + DESSINS. + + Le Christ aux Enfers. + Vieux augures. + Apparition----à M. Emile Verhaeren, St. Cloud. + Portrait et fantasmagorie. + Grotesques. + + 1892 + + La vierge consolatrice. + Ma chambre préférée. + Les masques singuliers. + Pierrot jaloux. + Barques échouées----à M. B. Ganesco, Paris. + Poissardes mélancoliques----à M. F. Buelens, Ostende. + Les gendarmes. + Les soudards Kès et Pruta entrant dans la ville de Bise----à M. G. + Serigiers, Anvers. + Les mauvais médecins----à M. Van der Velde, Bruxelles. + Nature-morte. + Roses----à M. Robert Goldschmidt, Bruxelles. + + DESSINS REHAUSSÉS. + + Supplice de Jeanne d'Arc. + Triomphe romain. + Réunion de masques. + + DESSINS. + + Les soudards débandés. + Le Christ tourmenté. + Grotesques. + La couturière----Appartient à M. Blatter, Paris. + + 1893 + + Le coq mort----à M. Leuring, La Haye. + La raie----à M. Ernest Rousseau. Bruxelles. + Les choux----à M. F. Franck, Anvers. + Coquillages----à M. R. Goldschmidt, Bruxelles. + L'homme de douleurs. + L'exécution. + Soudards pénitents dans une cathédrale. + Nature-morte. + + DESSINS REHAUSSÉS. + + Le tournoi----à M. R. Goldschmidt, Bruxelles. + Cortège comique. + + DESSINS. + + La vierge aux navires. + Masques. + Sorcières dans la bourrasque----à M. R. Goldschmidt, Bruxelles. + Le Christ aux mendiants----id. id. + Croquis----id. id. + + 1894 + + Crevettes. + Masques regardant une tortue. + Vase bleu. + Nature-morte----Appartient à M. F. Pleyn, Ostende. + Crustacés. + Nature-morte. + Portrait d'Eugène Demolder----à M. E. Demolder, Essonnes. + + DESSINS REHAUSSÉ. + + Au théâtre. + + DESSINS. + + Le combat----Appartient à M. G. Virrès, Lummen. + Têtes bizarres. + Crétins regardant les étoiles. + + 1895 + + Poissons----à M. Rouffard. Bruxelles. + Coquillages. + Portrait de M. Culus. + Fleurs. + Nature-morte----à M. F. Pleyn, Ostende. + Jeux de lumière. + + DESSIN. + + Femme cousant. + Monstre tourmentant Saint Antoine----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles. + Intérieur d'église. + Bouquet. + + 1896 + + Fleurs----à M. R. Goldschmidt, Bruxelles. + Mariakerke----à M. Edgar Picard, Jemeppe. + Les ballerines----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles. + Duel de masques----id. + Squelette peintre----à M. Edgar Picard, Jemeppe. + La vengeance de Hop Frog. + Les cuisiniers dangereux----à M. Camille Laurent, Charleroi. + Nature-morte. + Fleurs et légumes----à M. Ernest Rousseau, Bruxelles. + + DESSINS. + + Grotesques. + La pendule. + Masques et trognes. + Monstres. + Diableries. + + 1897 + + Les chaloupes. + La mort et les masques----Appartient à M. Vandeputte, Bruxelles. + Masques et potiches. + Fruits. + Poissons. + L'éclaircie. + Fleurs. + + DESSIN REHAUSSÉ. + + Projet de chapelle à dédier à St. Pierre et Paul à Ostende. + + DESSINS. + + Gens de mer. + Sur la plage. + Masques. + Vieilles. + Musiciens drôlatiques. + Fantaisies. + + 1898 + + Le grand juge. + Nature-morte. + Vue d'Ostende----à M. Edgar Picard, Jemeppe. + Squelettes travestis----à M. Pleyn, Ostende. + Nature-morte----à M. Jungers, Bruxelles. + Nature-morte. + + DESSINS REHAUSSÉS. + + Affiche pour l'exposition de «la Plume» à Paris. + Composition pour «la Plume». + + 1899 + + Portrait du peintre entouré de masques----à M. A. Lambotte, Anvers. + Nature-morte. + Pierrot aux masques. + Nature-morte. + Intérieur. + Nuages. + + AQUARELLE. + + La petite chinoise. + + DESSINS. + + Rue à Ostende. + Chiens. + Coin de cuisine. + Feuilles. + Papillons. + Enfants. + + 1900 + + Le juge rouge----Appartient M. Yseux, Anvers. + Squelette à l'atelier----à M. Max Hallet, Bruxelles. + Nature-morte. + Plage. + Barques échouées----à M. Jungers, Bruxelles. + Vue du port d'Ostende. + + DESSIN REHAUSSÉ. + + La servante----à M. Edgar Picard, Jemeppe. + + DESSINS. + + Vieux meubles. + Accessoires. + Lampes. + Etoffes. + Livres. + Les marchands chassés du Temple. + Portrait. + + 1901 + + Canal----à M. Berthelot, Paris. + Echauffourée de masques----à M. Cnudde, Ostende. + Nature-morte. + Chinoiseries. + Vue de Mariakerke----à M. Philippson, Bruxelles. + Coquillages. + Fleurs. + + DESSINS + + Le Christ secourant Saint Antoine. + Vieilles. + Chaises. + Enfants. + Moulin. + Combat de soudards. + + 1902 + + L'amateur d'art. + Les joueurs. + Nature-morte. + Accessoires----Appartient à M. Crick, Bruxelles. + Plage. + Nature-morte. + Au Conservatoire. + Fleurs. + + DESSINS REHAUSSÉS. + + Entrée de Jeanne d'Arc à Domremy. + Orgueil. + Avarice. + Envie. + Gourmandise. + Colère. + Paresse. + + DESSIN. + + Encadrement pour un livre de Vittorio Pica. + + 1903 + + Coquillages et draperie bleue. + Fleurs. + Figures au soleil. + Petits masques. + Promeneurs. + Nature-morte. + Nature-morte. + Chinoiseries. + + DESSINS REHAUSSÉS. + + Histoire du billard à travers les âges. Cinq compositions + ----Appartient à M. Haardt, Bruxelles. + Squelette au billard----à A. Lambotte, Anvers. + Vases. + Vieilles choses. + Coins d'ombre. + Fantasmagories. + Jardin d'amour. + Roses. + + 1904 + + Nature-morte. + Bassin à Ostende. + Nature-morte. + Fruits. + Vierge aux donateurs masqués. + Nature-morte. + Crustacés. + + DESSINS REHAUSSÉS. + + Neuf compositions pour illustrer Marmontel----à M. Serruys, Ostende. + Carnaval à Ostende. + + DESSINS. + + Coin de table. + Bêtes bizarres. + Plage de la Panne. + Barques échouées. + + 1905 + + Pierrot et squelette----à M. A. Lambotte, Anvers. + Fleurs. + Intérieur. + Nature-morte. + Fruits. + Intérieur. + Coquillages. + + DESSINS. + + Repas comique (sanguine)----App. à M. Haardt, Bruxelles. + Le tir à l'arc. + Pêcheurs. + Sirène abandonnée. + Arlequinades. + Cortèges carnavalesques. + Dunes et plaines. + + 1906 + + Nature-morte. + Accessoires. + Les toits à Ostende. + Portrait----à M. F. Duhot, Bruxelles. + Chinoiseries. + Vue du théâtre à Ostende. + Nature-morte. + + DESSINS REHAUSSÉS. + + La chute des anges rebelles. + Masques. + Baigneuses. + + DESSINS. + + Vieux meubles. + Poêles. + Silhouettes. + Marines. + + 1907 + + Fruits. + Nature-morte. + Chinoiseries----à M. Robert Goldschmidt, Bruxelles. + Masques. + Nature-morte. + Pêcheurs. + Portrait de Madame L. + Masques et squelettes----à M. L. Prager, Munich. + Chinoiseries. + + DESSINS REHAUSSÉS. + + La belle Impéria. + Henri de Groux jouant au billard----Appartient à M. A. Lambotte, Anvers. + Vieux murs. + Coins d'appartements. + Bouquets. + Cortèges. + Femmes surprises. + + 1908 + + Fruits et légumes. + Chinoiseries. + Squelettes musiciens. + + DESSINS REHAUSSÉS. + + Squelettes----à M. Blatter, Paris. + Types drôlatiques. + Jeune rousse. + Buveurs. + Jeune fille luttant. + Hommage à la femme. + + DESSIN. + + Encadrement pour Emile Verhaeren. + + + + + EAUX-FORTES ET POINTES-SÈCHES + + + 1886 + + Le Christ insulté. + Verger. + Vieillard. + Portrait de l'artiste. + Le Christ apaisant la tempête. + Iston, Pouffamatus, Cracozie et Transmouff, célèbres + médecins persans examinant les selles du roi Darius après + la bataille d'Arbelles. + La cathédrale. + La flagellation. + + 1887 + + La Madeleine. + Cortège infernal. + Portrait d'Ernest Rousseau. (Pointe-sèche.) + Le pisseur. + Grande vue de Mariakerke. + Estacade. (Pointe-sèche.) + La dormeuse. (Pointe-sèche.) + Petite vue de Mariakerke. + Rue à Bruxelles. (Pointe-sèche.) + Buste. (Pointe-sèche.) + + 1888 + + Combat des pouilleux Désir et Rissolé. + Maison du boulevard Anspach. (Pointe-sèche.) + Réverbère. + Le meuble hanté. + La lutte des démons. + L'acacia. (Pointe-sèche.) + La chimère. + La crypte. (Pointe-sèche.) + Lisière du petit bois d'Ostende. + Hôtel de Ville d'Audenarde. + Crânes et masques. + Vue de Nieuport. + Candélabres et vases. + Paysage à la charette. + Prise d'une ville étrange. + Mon portrait en 1860. + Mon père mort. (Pointe-sèche.) + L'archer terrible. + Les cataclysmes. + L'assassinat. + Vue du port d'Ostende. + Vue d'Ostende à l'Est. + Bouquet d'arbres. + Ferme flamande. + Musiciens fantastiques. + Chaloupes. + Le grand bassin à Ostende. + Les insectes singuliers. (Pointe-sèche.) + Le coup de vent à la lisière. + Sentier à Groenendael. + Barques échouées. + Chaumières. + Les éléphants furieux. + Sorciers dans la bourrasque. + Petites figures bizarres. + Maisonnettes à Mariakerke. + Les gendarmes. + Le cimetière. + L'écorché. + Adoration des bergers. (Vernis mou.) + La luxure. + La tentation du Christ. + Le jardin d'amour. + Le denier de César. + Sous bois à Groenendael. (Pointe-sèche.) + + 1889 + + Bateaux à vapeur. + Les patineurs. + Boulevard à Ostende. + Mon portrait squelettisé. + Ferme à Leffinghe. + Le pont du bois. + L'orage. + Le moulin de Mariakerke. + La fête au moulin. + Le fantôme. + La mare aux peupliers. + Le bal fantastique. + Pont rustique. + L'ange exterminateur. + Triomphe romain. + + 1890 + + Alimentation doctrinaire. + Portrait de Hector Denis. + La musique à Ostende. + + 1891 + + Moulin à Slykens. + Multiplication des poissons. + Assemblée dans un parc. + + 1892 + + Autodafé. + + 1894 + + Les bons juges. + Les petites barques. + + 1895 + + Les diables Dzitss et Hihahox conduisant le Christ aux enfers. + Pouilleux indisposé se chauffant. + Les joueurs. + Belgique au XIXe siècle. + Démons me turlupinant. + Le Christ tourmenté par les démons. + Fridolin et Graga Pança d'Yperdam. + Bataille des Éperons d'or. + Alimentation doctrinaire. + Les mauvais médecins. + Squelettes voulant se chauffer. + Masques scandalisés. + Le roi-peste. + Le Christ aux mendiants. + Les vieux cochons. + Le Christ descendant aux enfers. + + 1896 + + La mort poursuivant le troupeau des humains. + Cathédrale. + Le vidangeur. + Le combat. + Menu E. Rousseau. + Menu Charles Vos. + + 1897 + + Les adieux de Napoléon. + + 1898 + + La vengeance de Hop-Frog. + Le Christ dans la barque. + L'entrée du Christ à Bruxelles. + + 1899 + + Les bains d'Ostende. + + 1900 + + Fragment de la tentation de Saint Antoine. + Petite vue de Mariakerke. + Pêcheur d'Ostende. + + 1902 + + Paresse. + + 1903 + + Les toits d'Ostende. + + 1904 + + Colère. + Orgueil. + Avarice. + Gourmandise. + Envie. + Les péchés capitaux dominés par la mort. + Peste dessous. Peste dessus. Peste partout. + Masques intrigués. + Plage de la Panne. + * * * * * + +Eaux-fortes aux Musées et Galeries d'estampes de Barcelone, +Bruxelles, Dresde, Liège, Milan, Ostende, Paris, Venise, +Vienne, Zürich, etc. etc. + + + + +BIBLIOGRAPHIE + + Camille Lemonnier. Histoire des Beaux-Arts en Belgique. 1887, Bruxelles. + Eugène Demolder. James Ensor. 1892, Bruxelles. + Pol de Mont. De schilder en etser James Ensor. (_De Vlaamsche School_, + 1895, Anvers.) + Eugène Demolder. James Ensor. (_La Libre Critique_, 1895, Bruxelles.) + Eugène Georges. James Ensor. (_La Libre Critique_, 1896, Bruxelles.) + Camille Lemonnier. James Ensor peintre et graveur. (_La Plume_, 1898, + Paris.) + Edmond Picard. James Ensor. (_Id_.) + Emile Verhaeren. Une facette du talent d'Ensor. (_Id_.) + Camille Mauclair. James Ensor, aquafortiste. (_Id_.) + Octave Maus. James Ensor. (_Id_.) + Blanche Rousseau. Ensor intime. (_Id_.) + Georges Lemmen. James Ensor. (_Id_.) + Maurice des Ombiaux. James Ensor. (_Id_.) + Christian Beck. Réflexions sur la Cathédrale de James Ensor. (_Id_.) + Jules du Jardin. A propos de James Ensor. (_Id_.) + Pol de Mont. James Ensor. (_Id_.) + Louis Delattre. L'enfance d'Ensor, peintre de masques. (_Id_.) + Octave Uzanne. James Ensor, peintre et graveur. (_Id_.) + Eugène Demolder. James Ensor. (_La Revue des Beaux-Arts et des Lettres_, + 1899, Paris.) + Gustave Coquiot. James Ensor.(_La Vogue_, 1899, Paris.) + Jules du Jardin. L'art flamand. Bruxelles. + Vittorio Pica. James Ensor. (_Minerva_, Rome.) + Pol de Mont. Koppen en busten. + Horrent. James Ensor. + Vittorio Pica. (_Emporium_, Bergame.) + Monod. James Ensor. + Camille Mauclair. Les peintres belges. (_La Revue Bleue_, 1905, Paris.) + Vittorio Pica. Attraverso gli albi e le cartelle. + ID. La moderna scuola di pittura del Belgio. + Camille Lemonnier. L'École belge de peinture 1830-1905. 1906, Bruxelles. + Vittorio Pica. L'arte mondiale a Venezia nel 1907. + ID. La galeria d'arte moderna a Venezia. + Albert Croquez. James Ensor, peintre et graveur. (_La Flandre Artiste_, + déc 1908, Courtrai.) + + + +TABLE DES ILLUSTRATIONS DANS LE TEXTE + + Le Christ veillé par les anges (1886) + Croquis + Squelettes Musiciens (1888) + Croquis + Les Soudards débandés (1892) + Croquis + La Vierge aux Navires (1893) + Croquis + Croquis + Bataille des Éperons d'or. Eau-forte (1895) + + + + +TABLE DES PLANCHES HORS-TEXTE + + + Portrait de James Ensor en 1875 (frontispice). + La Femme au balai (1880) + Le Chou (1880) + Gamin (1880) + Vieux Pêcheur (1881) + La Dame sombre (1881) + Lampiste (1880) + Musique russe (1880) + Le Salon bourgeois (1881) + Dame en détresse (1882) + Pouilleux indisposé se chauffant (1882) + Le Terrassier (1882) + La Sorcière (1883) + Dame au châle bleu (1882) + La Mère du peintre + Les Pochards (1883) + Enfants à la toilette (1886) + Mon Père mort (1887) + La Mère du peintre. Dessin (1889) + Vénus à la coquille. Dessin (1889) + Projet de chapelle à dédier à S.S. Pierre et Paul (1887) + La Cathédrale. Gravure à l'eau-forte (1886) + Le Christ apaisant la Tempête. Gravure à la pointe-sèche (1886) + Barques échouées. Gravure à l'eau-forte (1888) + Ernest Rousseau. Gravure à la pointe-sèche (1887) + Le Théâtre des masques ou bouquet d'artifice (1889) + L'Intrigue (1890) + Masques devant la mort (1888) + La Raie (1892) + La Mort poursuivant le troupeau des humains. Gravure à l'eau-forte (1895) + La Danse (1896) + Mariakerke (1896) + Entrée du Christ à Bruxelles. Gravure à l'eau-forte (1898) + Vengeance de Hop-Frog. Gravure à l'eau-forte (1898) + Ostende (1898) + + + + +TABLE DES MATIÈRES + + I. Le milieu. + II. Les débuts + III. Les toiles + IV. Les dessins + V. Les eaux-fortes + VI. Vie et caractère + VII. La place de James Ensor dans l'art contemporain + Catalogue de l'oeuvre de James Ensor + Bibliographie + Table des illustrations dans le texte + Table des planches hors-texte + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of James Ensor, by Emile Verhaeren + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK JAMES ENSOR *** + +***** This file should be named 35124-8.txt or 35124-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/3/5/1/2/35124/ + +Produced by Christine Bell & Marc D'Hooghe at +http;//www.freeliterature.org + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. + + +Section 3. 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Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + https://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. diff --git a/old/35124-8.zip b/old/35124-8.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..4d5131c --- /dev/null +++ b/old/35124-8.zip diff --git a/old/35124-h.zip b/old/35124-h.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..b197d8d --- /dev/null +++ b/old/35124-h.zip diff --git a/old/35124-h/35124-h.htm b/old/35124-h/35124-h.htm new file mode 100644 index 0000000..9275650 --- /dev/null +++ b/old/35124-h/35124-h.htm @@ -0,0 +1,4502 @@ +<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD XHTML 1.0 Strict//EN" + "http://www.w3.org/TR/xhtml1/DTD/xhtml1-strict.dtd"> +<!-- $Id: header.txt 236 2009-12-07 18:57:00Z vlsimpson $ --> + +<html xmlns="http://www.w3.org/1999/xhtml" xml:lang="en" lang="en"> + <head> + <meta http-equiv="Content-Type" content="text/html;charset=utf-8" /> + <meta http-equiv="Content-Style-Type" content="text/css" /> + <title> + The Project Gutenberg eBook of James Ensor, by Émile Verhaeren. + </title> + <style type="text/css"> + +body { + margin-left: 10%; + margin-right: 10%; + background-color: #eedfcc; +} + + h1,h2,h3,h4,h5,h6 { + text-align: center; /* all headings centered */ + clear: both; +} + +p { + margin-top: .75em; + text-align: justify; + margin-bottom: .75em; +} + +hr { + width: 33%; + margin-top: 2em; + margin-bottom: 2em; + margin-left: auto; + margin-right: auto; + clear: both; +} + +.blockquot { + margin-left: 5%; + margin-right: 10%; +} + +.bb {border-bottom: solid 2px;} + +.bl {border-left: solid 2px;} + +.bt {border-top: solid 2px;} + +.br {border-right: solid 2px;} + +.bbox {border: solid 2px;} + +.center {text-align: center;} + +.smcap {font-variant: small-caps;} + +.u {text-decoration: underline;} + +.caption {font-weight: bold;} + +.figcap {font-size: 0.7em; font-family: arial; font-weight: bold;} + +/* Images */ +.figcenter { + margin: auto; + text-align: center; +} + +.figleft { + float: left; + clear: left; + margin-left: 0; + margin-bottom: 1em; + margin-top: 1em; + margin-right: 1em; + padding: 0; + text-align: center; +} + +.figright { + float: right; + clear: right; + margin-left: 1em; + margin-bottom: + 1em; + margin-top: 1em; + margin-right: 0; + padding: 0; + text-align: center; +} + +/* Footnotes */ +.footnotes {border: dashed 1px;} + +.footnote {margin-left: 10%; margin-right: 10%; font-size: 0.9em;} + +.footnote .label {position: absolute; right: 84%; text-align: right;} + +.fnanchor { + vertical-align: super; + font-size: .8em; + text-decoration: + none; +} + + </style> + </head> +<body> + + +<pre> + +The Project Gutenberg EBook of James Ensor, by Emile Verhaeren + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: James Ensor + +Author: Emile Verhaeren + +Release Date: January 31, 2011 [EBook #35124] + +Language: French + +Character set encoding: UTF-8 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK JAMES ENSOR *** + + + + +Produced by Christine Bell & Marc D'Hooghe at +http;//www.freeliterature.org + + + + + + +</pre> + + + +<h1>JAMES ENSOR</h1> + +<h3>PAR</h3> + +<h2>EMILE VERHAEREN</h2> + + +<h4>COLLECTION DES ARTISTES BELGES CONTEMPORAINS</h4> + + +<h5>BRUXELLES</h5> + +<h5>LIBRAIRIE NATIONALE D'ART & D'HISTOIRE</h5> + +<h5>G. VAN OEST & CIE</h5> + +<h5>1908</h5> + + + +<hr style="width: 95%;" /> +<p><a href="#TABLE_DES_MATIEgraveRES">Table des matières</a></p> +<hr style="width: 65%;" /> + +<div class="figcenter" style="width: 515px;"> +<img src="images/ensor_00_title_page.jpg" width="515" alt="title-page" title="" /> +</div> + +<hr style="width: 95%;" /> +<div class="figcenter" style="width: 372px;"> +<a name="Portrait_de_James_Ensor_en_1875" id="Portrait_de_James_Ensor_en_1875"></a> +<img src="images/ensor_01_portrait_de_james_ensor_02.jpg" width="372" alt="Portrait de James Ensor en 1875." title="" /> +<span class="figcap">Portrait de James Ensor en 1875.</span> +</div> + + +<hr style="width: 65%;" /> + +<div class="figcenter" style="width: 483px;"> +<a name="La_Femme_au_Balai_1880" id="La_Femme_au_Balai_1880"></a> +<img src="images/ensor_02_la_femme_au_balai.jpg" width="483" alt="La Femme au Balai—1880." title="" /> +<span class="figcap">La Femme au Balai—1880.</span> +</div> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="I" id="I"></a>I.</h3> + +<h3>LE MILIEU</h3> + + +<p>Souvent, des vagues venant du côté de l'Angleterre s'engouffrent +nombreuses et larges dans le port d'Ostende. Et les idées et les +coutumes suivent ce mouvement marin.</p> + +<p>La ville est mi-anglaise: enseignes de magasins et de bars, proues +hautaines des chalutiers, casquettes d'agents et d'employés y font +briller au soleil, en lettres d'or, des syllabes britaniques; la langue +y fourmille de mots anglo-saxons; les gens des quais y comprennent le +patois de Douvres et de Folkstone; des familles londoniennes s'y sont +établies jadis, y ont fait souche et marié leurs filles et leurs fils +non pas entre eux mais aux fils ou aux filles de la West-Flandre. Le +service quotidien des malles voyageuses resserre tous ces liens divers, +comme autant de cordes tordues en un seul cable, si bien qu'on peut +comparer la grande île à quelqu'énorme vaisseau maintenu en pleine mer, +grâce à des ancres solides dont l'une serait fixée dans le sol même de +notre côte.</p> + +<p>Cette influence d'outre-mer qui imprègne le milieu où il naquit +suffirait certes à expliquer l'art spécial de James Ensor. Toutefois +elle se précise encore si l'on note que l'ascendance paternelle de +l'artiste est purement anglaise. Le nom qu'il porte n'est point flamand. +C'est à Londres, qu'il se multiplie aux devantures. Je le vis flamboyer, +un soir, dans Soho-square et plus loin il se projetait—réclame +mouvante—sur un trottoir d'Oxford street.</p> + +<p>L'œuvre que nous étudierons et exalterons s'élève donc au confluent de +deux races—races saxonne, race flamande ou hollandaise—harmonieusement +mêlées dans le sang et dans l'âme d'un très beau peintre.</p> + +<p>L'erreur serait grande si l'on se figurait qu'à cause de ses origines +britaniques, Ensor se soit complu à réapprendre comme certains peintres +modernes l'art des Reynolds ou des Gainsborough ou se soit assimilé +n'importe quelle méthode des préraphaelites illustres. L'anglomanie qui +s'est glissée jusque dans l'esthétique l'a épargné. Ce n'est point par +des qualités extérieures et souvent artificielles qu'il se rattache aux +maîtres de là là-bas, mais bien, naturellement, par certains dons +fonciers et rares. Il est de leur famille, sans le vouloir. Il est +audacieux et harmonieux comme Turner, sans qu'il s'y applique, sans +qu'il s'en doute. Il aime les effets tumultueux et larges de Constable +sans qu'aucune de ses toiles fasse songer aux paysages célèbres de ce +grand peintre. La parenté est souterraine et comme secrète. Elle se +manifeste dans la manière de comprendre et d'aimer la nature, dans la +sensibilité aiguë de l'œil dans la franchise et l'audace des +conceptions, dans la pratique du dessin pictural, dans la délicatesse +mêlée à la force, dans la plaisanterie unie à la brutalité. Dès que +cette dernière caractéristique est atteinte, James Ensor rejoint non +plus Constable ni Turner, mais Gillray et Rowlanson plus encore que +Jérôme Bosch ou Pierre Breughel.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 475px;"> +<a name="Le_Christ_veille_par_les_anges_1886" id="Le_Christ_veille_par_les_anges_1886"></a> +<img src="images/ensor_03_le_christ_veille_02.jpg" width="475" alt="Le Christ veillé par les anges (1886)." title="" /> +<span class="figcap">Le Christ veillé par les anges (1886).</span> +</div> + +<p>Encore que l'influence anglaise agisse avant toute autre sur elle, c'est +toute l'Europe et l'Amérique qui transforment pendant l'été, quand la +saison balnéaire s'inaugure, Ostende. Les jeux et les fêtes l'exaltent +tout à coup. Les femmes du quartier Marbeuf envahissent sa digue. Le +monde qui l'hiver se groupe à Monte-Carle, à Menton, à Biarritz s'y +concentre. Des nuits de lourde et chaude volupté s'y passent à la lueur +de flambeaux. La chair s'y mire et s'y pavane aux miroirs de cabarets +fastueux. Et la folie des villes frémissantes et trépidantes brûle +soudain ce coin de Flandre calme et foncièrement sain et propage sa +fièvre nocturne et flamboyante tout au long de la mer.</p> + +<p>Magasins de Paris, boutiques de Vienne, comptoirs chargés de coraux de +Naples et de Sicile, brasseries de Dortmund et de Munich, caves remplies +de vins de Portugal et d'Espagne vous installez votre barriolage de +goûts et de couleurs devant les mille désirs populaires ou mondains, +devant les appétits vulgaires ou rares, devant les convoitises baroques +ou distinguées. La flânerie des promeneurs s'en va, à droite, vers le +port, à gauche, vers le champ de courses, en partant de la rampe de +Flandre où James Ensor habite. A cette large voie se relie en outre +toute la ville basse avec ses rues étroites, les unes venant de la +grand' place, les autres du théâtre, celle-ci de la gare et celle-là du +marché. Le carillon n'est pas loin: on l'entend tricoter sa musique +menue, le soir, ou bien, aux midis de réjouissances, ruer de toutes ses +notes et s'emporter vers quelque hymne national.</p> + +<p>La foule et ses remous passe donc à toute heure du jour devant les +fenêtres du peintre: foule élégante ou hautaine, foule grotesque ou +brutale, cortèges de la mi-carême, processions de la fête-Dieu, fanfares +rétentissantes des villages, sociétés chorales des villes voisines, +cris, tumultes, vacarmes.</p> + +<p>Et ces flux et ces reflux de gestes et de pas aboutissent tous là-bas, à +cette féerie de verre et d'émail qu'est le Kursaal d'Ostende.</p> + +<p>Avec ses dômes et ses pignons et ses rosaces et ses lanternes, avec ses +ors élancés et ses bronzes trapus, avec ses festons de gaz et ses +couronnes de feux, il apparaît, toutes portes et fenêtres ouvertes, +comme un tabernacle de plaisirs éclatants et sonores. Un orchestre +savant y fait naître, chaque jour, des floraisons de musique; des voix +illustres s'y font entendre—orateurs ou conférenciers—et des virtuoses +dont le nom émeut les mille échos y jettent vers l'applaudissement en +tonnerre des foules, les phrases les plus belles des maîtres célèbres. +Toutes les langues s'y parlent. Joueurs, financiers, gens de course, +gens de bourse, princes et princesses, dames du monde et courtisanes, +tout s'y coudoie ou s'y toise; s'y méprise ou s'y confond.</p> + +<p>Le soir, quand les verrières du monument flamboient face à face avec la +nuit et l'océan, on peut croire que le bal y tournoie en un décor +d'incendie. Du fond de la mer s'aperçoivent les hautes coupoles +illuminées et le phare dont la lueur troue les lieues et les lieues +semble ne lancer si loin son cri de lumière que pour héler vers la joie +le cœur battant de ceux qui traversent l'espace.</p> + +<p>Ainsi pendant l'été tout entier Ostende s'affirme la plus belle +peut-être de ces capitales momentanées du vice qui se pare et du luxe +qui s'ennuie. Et ce n'est pas en vain que chaque année James Ensor dont +l'art se plaît à moraliser cyniquement, assiste à cette ruée vers le +plaisir et vers la ripaille, vers la chair et vers l'or.</p> + +<hr style="width: 45%;" /> + +<p>La chambre où il travaille ouvre, là haut, au quatrième d'une maison +banale, son unique et peu large fenêtre. De tous les peintres modernes +Ensor est le seul qui jamais ne se soit mis en quête d'un atelier. Lui +le chercheur de lumière il campe ses toiles en un jour médiocre tombant +non pas d'une verrière mais à travers les pauvres carreaux d'une baie +verticale et parcimonieuse de clarté. Pourtant que de pages +merveilleuses s'y élaborent et que de tons admirablement harmonisés y +juxtaposent leurs musiques inentendues!</p> + +<p>Celui qui surprend Ensor, la haut, dans son travail, le voit surgir d'un +emmêlement d'objets disparates: masques, loques, branches flétries, +coquilles, tasses, pots, tapis usés, livres gisant à terre, estampes +empilées sur des chaises, cadres vides appuyés contre des meubles et +l'inévitable tête de mort regardant tout cela, avec les deux trous vides +de ses yeux absents. Une poussière amie recouvre et protège ces mille +objets baroques contre le geste brusque et intempestif des visiteurs. +Ils sont là chez eux pour que seul le peintre leur insuffle la vie, +les interroge les fasse parler et les introduise dans l'art grâce à la +sympathie qu'il leur voue et l'éloquence secrète qu'il découvre en leur +silence.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 626px;"> +<a name="Le_Chou" id="Le_Chou"></a> +<img src="images/ensor_04_le_chou_02.jpg" width="626" alt="Le Chou—1880. (Collection Ernest Rousseau)" title="" /> +<span class="figcap">Le Chou—1880. (Collection Ernest Rousseau)</span> +</div> + +<p>Il est opportun de se figurer James Ensor en tête à tête quotidien et +prolongé avec ces effigies en carton et en plâtre, avec ces débris +d'existance et de splendeur, avec ces défroques ternes ou violentes pour +comprendre quelques-unes des surprises de son caractère et quelques +traits profonds et spéciaux de son art. Il est certain que pour lui, à +telles heures d'illusion souveraine, un tel assemblage de visages, +d'attitudes, d'ironies ou de détresses a dû représenter la vie. Elle lui +est apparue mauvaise, déplorable, hostile. Elle lui a enseigné la +misanthropie que seuls corrigent la farce, le rire et le sarcasme.</p> + +<p>L'existence d'Ensor entouré d'un tel décor familier ne manque pas de +paraître énigmatique et bizarre et je ne crois pas qu'il lui répugne de +maintenir autour de lui ces apparences. Ses paroles qui souvent +déconcertent, ses saillies drôles, ses rires soudains et furtifs, sa +voix sourde, sa marche lente et l'éternel parapluie qui toujours +l'accompagne comme s'il se défiait du plus fidèle et du plus loyal +soleil confirment l'étrange impression qu'il produit volontairement ou +ingénûment, qu'importe.</p> + +<p>Personne que je sache ne met moins de mise en scène dans l'accueil. Les +œvres qu'il montre ne toisent pas le visiteur du haut d'un chevalet +comme pour lui imposer leur présence autoritaire. Ses toiles ne sont pas +même tendues. Elles gisent roulées les unes sur les autres, en des coins +obscurs. Elles apparaissent à la lumière ployées et gondolées et c'est +avec peine qu'on leur trouve une zône de clarté propice afin qu'elles +s'y étalent sans trop se nuire entre elles. Aucun commentaire +n'accompagne leur présentation. Seul un rire menu, quand le sujet étonne +et froisse quelque goût trop puritain. Et les œvres succédent aux œuvres +et quand tout est montré, toujours, soit au fond d'un coffre, soit au +fond pièce voisine se découvre une merveille oubliée dont la crasse +voile la fraîcheur et la beauté. Un coup d'éponge donné à la hâte +réveille la splendeur endormie.</p> + +<p>On dégringole l'écalier raide et tournant et l'on quitterait, la poignée +de main échangée, la maison du peintre, sans plus, si le magasin du +rez-de-chaussée, avec ses larges vitrines encombrées de bibelots ne +retenait, un instant encore, l'attention. C'est que là, parmi les +coquillages et les nacres, les vases de la Chine et les laques du Japon, +les plumes versicolores et les écrans barriolés, l'imagination visuelle +du peintre se complait à composer ses plus rares et ses plus amples +symphonies de couleurs. Oh les notes à la fois tendres et fortes, à la +fois subtiles et brutales, à la fois sobres et éclatantes qu'il sût +faire vibrer en prenant comme prétexte quelque pauvre bibelot d'orient +que la mode banalisa! Et la coquille ourlée dont le bourgeois morose +ornera sa cheminée en marbre peint deviendra grâce à la magie, grâce à +l'hermétisme de l'artiste, ce miracle de couleur triomphante dont +s'éblouiront les salles les plus belles des musées modernes.</p> + +<hr style="width: 45%;" /> + +<div class="figcenter" style="width: 465px;"> +<a name="Gamin" id="Gamin"></a> +<img src="images/ensor_05_gamin.jpg" width="465" alt="GAMIN—1880. (Collection Edgar Picard)" title="" /> +<span class="figcap">Gamin—1880. (Collection Edgar Picard)</span> +</div> + +<p>Ensor se plaît parmi ces mille riens exotiques parmi ces dépouilles +luisantes ou vitreuses de la mer. Lui même s'intéresse parfois au trafic +qu'en font et sa mère et sa tante, marchandes tenaces et expérimentées. +Souvent le soir, la causerie rassemble autour des comptoirs la famille +entière. La sœur du peintre et sa nièce qu'il affectionne vivement sont +là. Et l'on parle d'Ostende, non pas de l'Ostende ruée aux fêtes et aux +plaisirs de l'été, mais de l'Ostende automnale qui se plaît dans la +déréliction et le silence. Ensor adore celle-ci avec ses rues étroites, +ses places humbles et désertes, ses petites boutiques vieillottes au +fond des quartiers populaires et ses propres et luisants estaminets où +l'odeur de la bière se mêle à des relents de poisson sec et de crevettes +humides. C'est là qu'il dessina maint pêcheur à vareuse bleue, à boucles +d'oreilles étroites, à pantoufles multicolores. C'est là qu'il rencontra +et qu'il interpréta en des croquis larges et vivants, les vieilles +femmes à mantelets, avec de lourds et noirs capuchons de drap recouvrant +leur intact et fragile bonnet blanc.</p> + +<p>La vie du port est la seule vie d'Ostende, l'hiver. Elle ne pénètre +point la ville; elle n'anime que ses confins. C'est une vie en bordure. +Oh les câbles et les amarres au long des quais, les voiles rousses et +brunes dans le brouillard gris, les proues sculptées des vieux navires +s'apercevant du fond d'une ruelle et les mouettes blanches, entrant dans +les bassins et volant, dirait-on, à travers les entrecroisements +dédaliens des haubans et des vergues! Et les petites boutiques, en plein +vent, à l'angle des ponts et les plies et les limandes qui sèchent dans +le courant d'air des fenêtres et la marmaille grouillante parmi les +écailles de moules versées en tas, sur le trottoir! O cette vie comme +goudronnée au contact des bateaux, des cordes et des voiles; cette vie +tranquille, têtue et dangereuse qui fait les races calmes ou violentes +comme ces mers du Nord dont elles vivent depuis mille ans. Elle n'a +qu'un sursaut, en Février, aux temps du carnaval. Et combien +mélancolique et brutal! Et combien morne et quelquefois sanglant!</p> + +<p>Ensor a traduit cette liesse en des œuvres quasi sinistres et qui +étonnent et qui font peur. Le pittoresque de l'accoutrement, l'usure de +la défroque, la drôlerie muette de masque, l'ennui qui semble suinter +des murs tout se ligue pour provoquer une impression sombre avec des +éléments soi-disant gais.</p> + +<p>Je me souviens d'un Mardi gras passé à Nieuport, jadis, avec des amis. +Jamais je ne compris mieux la folie et la tristesse des masques d'Ensor.</p> + +<p>Des groupes ivres battaient les rues. En des salles de danse, à moitié +désertes, avec de pauvres musiciens grelottant de froid dans un coin, la +valse fouettait deux ou trois couples tournoyants et muets, avec les +lanières usées de sa musique banale et sifflante. Un ivrogne, orné d'un +faux nez violet, titubait près du comptoir et sa commerre dépoitraillée +et gisante contre une cloison, mordait, machinalement, les crins de sa +perruque descendue sur ces yeux. Un bout de bas blanc passait à travers +les trous de son soulier. Un hoquet lourd et profond lui sécouait, de +temps en temps, le ventre. Et l'ivrogne riait et pleurait tour à tour +devant elle.</p> + +<p>Lorsque James Ensor se plaisait à traduire par le pinceau de telles +scènes grotesques et lamentables, il était le compagnon falot qu'Eugène +Demolder, assignait, sous le déguisement de Fridolin, au grand Saint +Nicolas. James Ensor donnait la réplique, dans le livre du poète +d'Yperdamme, au joyeux et doux patron des petits enfants de la +West-Flandre. Il jouait, en ce temps là, de la flûte et se promenait, +avec deux carlins boulus, renfrognés et fidèles.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 452px;"> +<a name="Croquis_01" id="Croquis_01"></a> +<img src="images/ensor_06_croquis_01.jpg" width="452" alt="Croquis." title="" /> +<span class="figcap">Croquis.</span> +</div> + +<p>L'effigie qu'Henri de Groux vient de nous donner de James Ensor nous le +représente robuste et presque gras. Les cheveux grisonnent, le teint +s'enlumine, l'allure est massive. L'appuie-main tenu entre les doigts +fait songer vaguement à quelque sceptre. Ensor semble commander à son +art dont une page caractéristique se devine au fond de la toile. Le +voici donc tel que l'âge mûr le définit. Au surplus l'œuvre compte et +s'affirme excellente.</p> + +<p>Toutefois j'aime à me souvenir d'un tout autre James Ensor, celui que je +connus, il y a vingt ou vingt-cinq ans, avec un corps svelte, un teint +pâle, des yeux clairs, des mains longues fiévreuses et fines. Non pas un +dandy, car une mise négligée presque toujours rejetait cette +comparaison, mais une sorte de jeune parlementaire britanique qui +faisait songer à Disraeli.</p> + +<p>James Ensor parlait peu, se tenait sur la réserve, avec un air fermé et +craintif. On lui prêtait un caractère difficile et ombrageux. Il avait +certes, la pleine conscience de sa force naissante; il n'admettait +aucune restriction sur l'entière personnalité de son art et se +rebiffait, dès que l'ombre d'une injustice l'effleurait dans la mêlée de +la vie. La haine de la critique bouillonnait en lui, comme chez tous les +artistes vrais et impérieux. Il ne pouvait admettre qu'on ne le comprit +pas et que sa peinture qui lui paraissait toute simple et naïve ne +s'imposât point, du premier coup, grâce à sa sincérité absolue. Il +oubliait la difficulté ardue, que rencontre tout esprit dès qu'il veut +pénétrer de sa lumière à lui quelqu'autre esprit fut-il voisin du sien +et combien le baptême de l'hostilité et du dénigrement est salutaire +à toute originalité naissante. C'est parce qu'il fut bafoué, nié, +villipendé jadis que sa victoire aujourd'hui nous apparaît si consolante +et si belle. La gloire ne se livre pas; elle se prend d'assaut. Elle se +retranche derrière une muraille d'hostilités et de sarcasmes.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 496px;"> +<a name="Vieux_Pecheur" id="Vieux_Pecheur"></a> +<img src="images/ensor_07_vieux_pecheur.jpg" width="496" alt="Vieux Pêcheur—1881. (Collection Edgar Picard)" title="" /> +<span class="figcap">Vieux Pêcheur—1881. (Collection Edgar Picard)</span> +</div> + +<p>Tout artiste vrai est un héros ingénu. Il faut qu'il souffre pour qu'un +jour il ait la joie d'imposer a tous sa victorieuse personnalité totale. +En ce temps-ci ou chacun est tout le monde, le poète, le peintre, le +sculpteur, le musicien ne vaut que s'il est authentiquement lui-même. +C'est le plus réel des privilèges que la nature, sans aucune +intervention autre que celle de sa puissance, confère et maintient à +travers les siècles et seul le poète, le peintre, le sculpteur, le +musicien en peut jouir pleinement.</p> + +<p>Oh ces débutants choyés dès qu'ils apparaissent et par la critique et +par le public! Aucune de leurs toiles ne survit après vingt ou trente +ans. Ils n'ont jamais passionné personne. Ils n'ont connu ni la révolte +de leurs maîtres, ni la jalousie de leurs amis, ni la haine de la foule. +Ils ont été banalement heureux en attendant qu'ils soient banalement +quelconques. Les Salons triennaux out accueilli leurs essais à la rampe +mais les Musées rejetteront bientôt leurs œuvres dans les coins. Ces +peintres-là sont morts depuis longtemps quand sonne leur agonie. Et leur +nom de plus en plus pâle, de plus en plus éteint, de plus en plus oublié +ne trouve plus refuge qu'aux pages jaunies d'un catalogue ou il finit +par se confondre avec un pauvre et morne numéro.</p> + +<p>Il importe donc d'aimer et les attaques et les batailles, les coups +portés avec enthousiasme et reçus avec courage. L'ivresse suprême réside +dans la conscience qu'on a d'être une belle force humaine. Et rien ne +l'exalte autant que la violence et l'injustice. L'émeute autour d'une +toile nouvelle est un sacre à rebours. L'artiste y doit puiser non +l'abattement mais le lyrisme. Sa vraie vie commence, dès cet instant. Et +l'œuvre doit succéder à l'œuvre, sans compromission, sans reticence, +audacieusement, toujours, jusqu'à l'heure où cessera le rire et se taira +la huée. Et qu'importe si la colère montante ne se retire que devant le +tombeau. Les triomphes posthumes sont les plus sûrs.</p> + +<p>Je doute que James Ensor ait admis ces vérités aux temps de sa jeunesse, +mais je sais qu'il a toujours agi comme si leur lumière vivait en son +esprit.</p> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="II" id="II"></a>II.</h3> + +<h3>LES DÉBUTS</h3> + + +<p>L'époque pendant laquelle débuta James Ensor fut pour la patrie, un laps +de temps héroique et fécond. Aujourd'hui qu'il est loin, il apparaît +quasi légendaire.</p> + +<p>Un miracle se fit tout à coup. Le pays, habitué à ne produire que des +peintres, suscita des sculpteurs et parmi eux un génie: Meunier. Bien +plus; la Belgique hostile aux lettres et vouée depuis longtemps à la +littérature des parlementaires et des journalistes, se para d'une +floraison de poètes.</p> + +<p>Les coutumes furent à tel point bousculées, les réputations assises à +tel point secouées sur leurs sièges, qu'il y eut comme un tremblement +des cerveaux. On n'osait y croire; on n'y croyait pas. Notre sol qui se +couvrait du seigle annuel des lucratives affaires et du froment régulier +des prospères négoces ne pouvait tout à coup se modifier assez +profondément pour nourrir de sève et exalter vers la lumière des odes +belles comme des chênes et des idylles fragiles et jolies comme des +arbustes. L'extraordinaire fut taxé d'impossible et des «bouches +autorisées» déclarèrent qu'en tous cas le prodige n'aurait pas de +suites.</p> + +<p>Il en eut d'admirables.</p> + +<p>Malgré les oppositions soit franches, soit sournoises, malgré les mille +cris des feuilletonistes inquiétés dans leurs goûts et leurs habitudes, +malgré la compacte et massive inertie et la bêtise au front non pas de +taureau mais de bœuf, les nouveaux écrivains s'affirmèrent, d'année en +année, plus clairs, plus hauts, plus purs. Si bien qu'aujourd'hui ils +sont tout et leurs détracteurs d'antan, rien. L'opinion a été retournée +comme un vêtement dont on secoue les poussières, dont on vide les poches +des vieux préjugés qu'elles recélaient, dont on brosse le drap depuis le +col jusques aux pans et qu'on désinfecte enfin en tous ses plis. +Aujourd'hui les générations littéraires se succèdent les unes aux +autres, comme les générations des peintres; l'art d'écrire est acclimaté +parmi nous; la presse est passée aux mains des écrivains, la foule se +fait attentive et le pouvoir récompense et s'émeut. C'est une victoire +qu'on ne conteste plus.</p> + +<p>Or, ces prosateurs et ces poètes de la vie dans la phrase se virent +attaqués en même temps que les peintres de la vie dans la lumière. Leurs +ennemis se liguaient entre eux; ils se liguèrent entre eux contre leurs +ennemis. Cela se fit avec entrain et naturel parce que la nécessité +souveraine nouait elle-même les liens d'entente. Le consentement fut +tacite et rapide.</p> + +<p>Jamais les polémiques d'art ne furent aussi vives, aussi ardentes, aussi +impitoyables. On frappait avec des poings sauvages; on n'avait égard ni +à la vieillesse ni aux situations prises; on était fier d'être partial +et féroce. La norme était franchie joyeusement, ventre à terre; toute +réticence devenait trahison, toute justice rendue aux adversaires raison +de blâme et de défiance. La tolérance est une force de l'âge mûr. Elle +est une tare et une faiblesse quand on se trouve à la tête de ses vingt +ans.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 464px;"> +<a name="La_Dame_sombre" id="La_Dame_sombre"></a> +<img src="images/ensor_08_la_dame_sombre_02.jpg" width="464" alt="La Dame sombre—1881. (Collection Edgar Picard)" title="" /> +<span class="figcap">La Dame sombre—1881. (Collection Edgar Picard)</span> +</div> + +<p>Oh l'orage des discussions autour des noms de Khnopff, de Schlobach, de +Van Rysselberghe, de Dario de Regoyos, de Wytsman, de Finch, de Toorop +et d'Ensor! La belle mêlée de colères et sarcasmes! Les lourdes attaques +et les folles défenses! Les fiers éclairs dont on foudroyait les +esthétiques vieillies et les règles désuètes. On s'exposait avec joie, +on dardait son audace partout et l'on se reprochait sans cesse de +n'avoir pas été assez violemment téméraire. Vraiment la vie passionnée +était belle, en ce temps-là!</p> + +<p>Les peintres novateurs s'étaient d'abord cantonnés à l'<i>Essor</i>, société +d'art où se mêlaient des talents avancés et rétrogrades. Une scission +eut lieu. Elle était fatale. Les plus hardis s'en allèrent, laissant +végéter le cercle où s'éteignaient, une à une, toutes les flammes des +forces et des ardeurs.</p> + +<p><i>Les XX</i> furent crées. L'idée en est due, m'assure-t-on, à Charles Van +der Stappen qui s'en ouvrit à Octave Maus et à Edmond Picard. Cela se +passait, au temps des vacances, à Famelette, près de Huy, où chaque +année Edmond Picard accueillait les artistes comme des hôtes de choix. +«Peintres et sculpteurs se réuniraient au nombre de vingt, +organiseraient une exposition annuelle et inviteraient vingt autres +artistes déjà consacrés. Ceux-ci seraient choisis parmi les maîtres dont +l'art était fier, libre et encore combatif».</p> + +<p>Quand l'exposition s'ouvrit en février 1884, tout le monde, partisans et +adversaires, étaient sous les armes. Des revues de combat étaient nées: +<i>l'Art Moderne, la Jeune Belgique, la Société Nouvelle, la Basoche</i>. +Même certains journaux—telle <i>la Réforme</i> et <i>le National belge</i>—se +montraient attentifs et bienveillants. Quelques peintres parmi les +aînés, les Heymans, les Smits, les Baron, quelques sculpteurs, les +Meunier, les Van der Stappen, les Vinçotte avouaient, par leur présence +et leur parole nette, combien la tentative et l'audace des vingtistes +leur agréaient. On les comptait; dix-sept peintres: Periclès Pantazis, +Guillaume Vogels, Willy Finch, Dario de Regoyos, Théo Van Rysselberghe, +Frantz Charlet, Rodolphe Wytsman, Frans Simons, Piet Verhaert, Théodore +Verstraete, Guillaume Van Aise, Jean Delvin, Charles Goethals, Guillaume +Van Strydonck, Fernand Khnopff, James Ensor et trois sculpteurs: Achille +Chainaye, Paul Dubois, Jef Lambeaux. Parmi les invités se signalaient +Israëls, Rops, Stobbaerts, Maris, Rodin. Aucun nom d'impressionniste +français ne figurait au catalogue. Monet et Renoir n'exposèrent qu'à la +troisième exposition des <i>XX</i>, en 1886.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 459px;"> +<a name="Squelettes_musiciens" id="Squelettes_musiciens"></a> +<img src="images/ensor_09_les_squelettes_musiciens.jpg" width="459" alt="Squelettes musiciens (1888)." title="" /> +<span class="figcap">Squelettes musiciens—(1888).</span> +</div> + +<p>C'est à cette date que, l'animosité ayant crû d'année en année, le +critique d'art de <i>la Jeune Belgique</i> s'exprima de la sorte,—nous +citons l'extrait qui n'est certes pas un modèle de goût, uniquement pour +montrer la rudesse des polémiques—:</p> + +<p>«Oh la triomphale journée que celle du 6 février! <i>Les XX</i> sont ouverts. +Désormais la bêtise belge a sa date! On dirait qu'à cette «première» +artistique le cerveau bourgeois se dégorge par toutes ses +circonvolutions. Il en jaillit des excréments de sottise. Cela rappelle +des opérations d'abattoir. Le porc est tué: il est suspendu, ventre +ouvert, à de grossières tringles, les boyaux sont jetés sur l'étal, +fumants et flasques.</p> + +<p>«Les avez-vous vu vider? La bêtise belge et bourgeoise, c'est cela.</p> + +<p>«Ce qui se débite d'âneries en ces quelques heures devant ces quarante +exposants ferait un fumier monumental. Dames élégantes à bouche pincée +de souris prude, fourrures confortables avec un ventre officiel dedans, +gommeux monoclés, académiciens rances, peintres deshonorés de rubans +rouges, réputations tuées depuis longtemps dans leur propre <i>Bataille de +Lépante</i> et leur propre <i>Peste de Tournay</i>, prud'hommes énormes, +collectionneurs d'eux-mêmes, tout cela potine, commère, hausse les +épaules, passe et fuit devant ces quelques centaines d'œuvres d'art qui +hurlent l'avenir. Et des rages! Voici un Monsieur qui s'arrête devant +les Toorop et jure comme un porte-faix et trépigne et remue les poings +... qu'il tient en poche. Tel autre s'affale sur un banc et crie qu'il +faut «brûler tout.»</p> + +<p>«Les années précédentes il y avait çi et là un tableau «à la portée du +premier venu» un tableau sauveur ... aujourd'hui, rien.</p> + +<p>«Oh les pauvres oiseaux qui se cognent aux murs d'une cave obscure! Pas +un coin où se tenir tranquille sur un perchoir d'admiration bon-enfant. +Pas un coin où débiter le monologue d'amateur éclairé devant un +auditoire de mamans et de fillettes. Pas d'opinion juste-milieu +possible. Ou la haine ou l'emballement.»</p> + +<p>C'était le ton. On le prenait, sans le savoir. L'atmosphère de bataille +est grisante. On la trouve trop chaude quand on en est sorti. Quand on +la respirait, elle était vraiment et bellement violente, exaltante et +fiévreuse.</p> + +<p>L'histoire des <i>XX</i> devrait, un jour, se faire, année par année. On y +insisterait sur les successives et graduées victoires des peintres du +plein-air en Belgique. On y pourrait mettre également en relief la +manière nouvelle dont les œuvres y furent présentées. Pour la première +fois on y juxtaposait toutes les pages d'un même peintre. Et toutes +s'étalaient à la rampe. Des tentures de fond harmonieuses étaient +choisies. Des chiffres d'or décoraient discrètement les murs.</p> + +<p>Peu à peu les conférences s'inauguraient et bientôt les auditions +musicales. Le directeur des <i>XX</i>, Octave Maus, s'y employait avec zèle +et goût. Les <i>XX</i> qui plus tard abandonnèrent leur titre au profit de +celui de <i>Libre Esthétique</i> devinrent ainsi un milieu de lutte précieux. +Le mois de février ou de mars qu'ils choisissaient, annuellement, pour +se grouper, combattre et triompher fut un mois de joie violente et âpre. +Bruxelles interrompait ou plutôt clôturait par une fête intellectuelle +l'ennui et la somnolence du morne hiver. L'art mettait avant, le +printemps, une ardeur de renouveau dans les têtes. Et bientôt dans +toutes les capitales de l'Europe des salons, organisés d'après celui qui +s'ouvrait, chaque année, chez nous, multiplièrent les batailles et les +triomphes des peintres et des sculpteurs hardis et révolutionnaires. +Munich, Vienne, Berlin, La Haye, Paris, toutes ces villes eurent des +<i>Libres Esthétiques</i> dont elles changeaient simplement le nom.</p> + +<p>Ensor est le premier de tous nos peintres qui fit de la peinture +vraiment claire. Il substitua l'étude de la forme épandue de la lumière +à celle de la forme emprisonnée des objets. Cette dernière est violentée +par lui, hardiment. Tout est sacrifié au ton solaire, surtout le dessin +photographique et banal. A ceux qui, devant ses œuvres, vaticinent: «ce +n'est pas dessiné», Ensor peut répondre: «c'est mieux que ça».</p> + +<p>Son influence fut notable sur ses amis. A part Fernand Khnopff—et +encore dans sa toile <i>En écoutant du Schumann</i> a-t-il peint le tapis en +se souvenant de l'<i>Après-midi à Ostende</i>—tous subirent plus ou moins la +fascination de son art. Ceux qui s'en garaient le plus, Van +Rysselberghe, Schlobach, de Regoyos, Charlet parlaient de lui avec une +admiration aiguë. Ils sentaient sa force; ils ne tarissaient point sur +les dons qu'il manifestait, et hautement le proclamaient le plus beau +peintre du groupe entier.</p> + +<p>Mais d'autres, tels que Finch et Toorop, se montrèrent attentifs, non +pas à son enseignement—James Ensor n'en donna jamais—mais à sa façon +nouvelle de traiter et de vivifier les couleurs. Il fut leur maître sans +qu'il le voulût et peut-être sans qu'ils le sussent. Ils étaient +compagnons, se rencontraient sans cesse, se montraient l'un à l'autre le +travail du jour, causaient de l'œuvre en train, discutaient, +s'exaltaient. Finch, flegmatique et silencieux, observait, certes, plus +qu'il ne parlait, mais ses yeux prenaient part mieux que ne l'eût fait +sa langue aux entretiens du soir en face de la toile, humide encore.</p> + +<p>La nature complexe et curieuse de Toorop s'assimila facilement les +procédés et les techniques. Sa <i>Dame en blanc</i> fut un magnifique hommage +rendu à l'art merveilleux de son ami.</p> + +<p>Faut-il ajouter que, depuis ces temps lointains, Toorop et Finch se sont +dégagés de l'amicale influence et que leur art d'aujourd'hui est à eux +seuls. A part cette domination temporaire, James Ensor n'en a guère +exercée. On le comprend du reste. Sa personnalité n'est pas assez +purement flamande pour influencer longuement et décisivement les +artistes d'ici. Et Finch et Toorop étaient eux-mêmes l'un Anglais, +l'autre Javanais.</p> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="III" id="III"></a>III.</h3> + +<h3>LES TOILES</h3> + + +<p>C'est de 1880 à 1885 que James Ensor produisit ses toiles les plus +belles. Son œuvre n'est point une moisson d'été ni une vendange +d'automne; c'est avant tout une germination de printemps. Sa force libre +jusqu'à l'excès, sa personnalité violente jusqu'à l'exaspération, son +indépendance superbe et outrancière lui ont fait une jeunesse admirable. +Il créait abondamment, surabondamment même, avec acuité. Avant que la +critique nombreuse se fût acharnée sur lui, il avait produit, déjà, tout +ce qui plus tard devait susciter la bienveillance ou la haine. Il n'a +donc pu donner ni à la louange ni au blâme le temps d'avoir prise sur +lui ni de modifier en quoi que ce fût son travail. L'éclosion de son +talent fut comme une explosion. D'un coup, il apparut presque en toute +sa stature.</p> + +<p>Il débute en 1879 par peindre son <i>Propre portrait</i>; il y joint deux +compositions: <i>Judas lançant l'argent dans le Temple</i> et <i>Oreste +tourmenté par les Furies</i>; puis dès 1880 apparaissent <i>le Lampiste</i> +(exposé à <i>l'Essor</i> en 1883 et aux <i>XX</i> en 1884) et <i>la Coloriste</i>, deux +toiles où tout son art est affirmé, et ce merveilleux <i>Flacon bleu</i> +qui demeure peut-être la plus étonnante nature-morte qu'il ait signée. +Oh le merveilleux morceau! Une table grossière supporte un poulet plumé, +minable, douloureux, dont le cou pend dans le vide et dont la chair aux +tons verdâtres inquiète. Largement, par ci, par là, à coups de couteau, +la couleur est étendue. La main qui construit et peint avec une telle +solidité, avec une telle prestesse semble déjà celle d'un maître. Et +l'œil qui voit et qui précise le ton magnifique et choisi de la +bouteille connaît déjà toute la force et la rareté d'un ton. Certes, la +composition est absente: ce n'est qu'un morceau amoureusement traité; ce +n'est qu'un coin de cuisine montré sous un éclairage propice, mais que +de vie lumineuse, que de splendeur, que d'éclat! Aucune nature-morte +célèbre ne s'interpose ici entre l'œuvre et l'admiration du passant. +Tout est neuf, spontané, patent, définitif. Où donc a-t-il été éduqué le +regard qui voit ces pauvres et quotidiens objets comme personne ne les a +vus jamais? Renferme-t-il en lui même une subtilité, une délicatesse +inconnues ou bien le spectacle de la mer que le peintre a sans cesse +devant les yeux et qui s'offre à lui avec ses désinences infinies de +teintes à chaque heure du jour—aubes, midis et soirs—a-t-il doué +l'artiste d'un sens extraordinaire?</p> + +<div class="figcenter" style="width: 467px;"> +<a name="Lampiste" id="Lampiste"></a> +<img src="images/ensor_10_lampiste_02.jpg" width="467" alt="Lampiste—1880. (Musée de Bruxelles)" title="" /> +<span class="figcap">Lampiste—1880. (Musée de Bruxelles)</span> +</div> + +<p><i>Le lampiste</i> qui décore, à cette heure, le Musée moderne de Bruxelles +est très simple d'arrangement. Sur fond gris, un gamin, tout entier +habillé de noir, tient en main une lanterne de cuivre. Il la regarde et +le verre et le métal brillent. On pourrait dire que le sujet du tableau +existe dans la couleur elle-même. Ces larges masses grises et noires +qu'animent les quelques détails jaunes du lumignon réalisent comme un +conflit apaisé. Du reste tout tableau n'est-il pas une sorte de combat? +Les tubes se présentent avec leur violence et leur diversité de couleurs +comme chargés de mitraille dangereuse. Si le peintre n'en calcule point +la force, s'il les laisse détonner, sans discipliner leur vacarme, s'il +ne les contient d'un côté pour leur mieux donner carrière de l'autre, la +bataille qu'il livre sera irrémédiablement perdue. Il faut qu'il prévoie +ce que les orangés voisinant avec les bleus, ou les verts avec les +rouges, ou les jaunes avec les violets, donneront d'éclat. Il faut qu'il +juge comment les teintes transitoires atténueront tel ou tel choc de +couleurs trop hardies. Il faut qu'il sache ce qu'un ton franc posé à tel +endroit apporte de désordre ou de vie dans l'ensemble. Il existe une +façon lâche de peindre, grâce au blaireautage, qui escamote les +difficultés et affadit l'art. Ce procédé veule et funeste, Ensor ne le +connaîtra jamais.</p> + +<p>L'éclat de la lanterne que le lampiste tient en ses mains rayonne +franchement mais sans brutalité; les noirs sur lesquels l'objet lumineux +se détache le soutiennent par leur vigueur sombre; il n'y a aucun heurt, +il n'y a que de l'audace heureuse.</p> + +<p><i>La Coloriste</i> est d'un jeu de couleurs plus abondant que le <i>Lampiste</i>. +Une femme en blanc est assise dans un atelier éclairé par une fenêtre. +Des étoffes, des vases et des écrans l'entourent. Cette toile fut +montrée à la <i>Chrysalide</i> en 1881. Ce Cercle déjà ancien et dont le lieu +d'exposition s'ouvrait salle Janssens (rue du Gentilhomme, alors rue du +Petit Écuyer), avait à sa tête des maîtres: Louis Dubois, Artan, Vogels, +Rops, Pantazis et d'autres. On y cultivait une peinture aux qualités +solides, faite au couteau et qu'on prétendait sortie ou plutôt dérivée +de la puissante et rayonnante esthétique des ancêtres. Cette opinion, +certes, n'était point mensongère, encore qu'il fallût convenir que ces +puissants peintres qui, à juste titre, se réclamaient de leur origine +avaient tous regardé avec trop d'insistance les toiles du Franc-Comtois +Courbet. Il est vrai que ce dernier aimait à s'arrêter longuement devant +celles de Rubens, de Snyders et de Jordaens et que la peinture +puissante et truculente, ferme et savoureuse, qu'il prônait n'était +autre que la peinture flamande elle-même.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 392px;"> +<a name="Croquis_02" id="Croquis_02"></a> +<img src="images/ensor_11_croquis_02.jpg" width="392" alt="CROQUIS." title="" /> +<span class="figcap">Croquis.</span> +</div> + +<p>Dans la <i>Coloriste</i> la couleur n'est plus comme dans le <i>Lampiste</i> +distribuée par larges plans. Au contraire. Elle se divise, se dissémine, +se parsème. Sans le tact d'Ensor la multiplicité des verts, des rouges, +des bleus, des jaunes aboutirait à quelque papillotage. Les écrans +peints ne seraient qu'un assemblage de fusées et le tableau mentirait à +son titre. Mais le peintre a voulu que la <i>Coloriste</i> enseignât ce que +doit être une toile bien venue. Sur un fond, où les roux et les gris +établissent leurs accords profonds et solides, les tons clairs et +multicolores chantent, avec justesse et variété, leurs notes hautes et +vives et chacune d'elles s'appuie, avant de s'élancer vers la joie, sur +le tremplin des vigoureuses sonorités fondamentales. L'ensemble tient de +l'un à l'autre bout de la toile, les liens subtils, qui unissent les +teintes entre elles comme les notes d'un page de musique heureusement +écrite, se serrent et se nouent partout.</p> + +<p><i>La Musique russe</i> (Salon de Bruxelles, 1881 et les <i>XX</i>, +1886)représente le peintre Finch assistant à quelqu'audition musicale +qu'une pianiste lui donne. L'œuvre est plus qu'un portrait. L'auditeur, +assis sur une chaise, se croise les jambes, rejette légèrement le corps +en arrière, détourne aux trois quarts la tête et, dans cette pose +attentive et tendue, écoute. Ce sont des gris délicats rehaussés ci et +là d'une couleur plus vive qui constituent l'harmonie en demi-teinte du +tableau. Aucun accent violemment sonore, mais une succession de nuances +et de touches assourdies comme si la musique frêle, étrange, atténuée +qu'on est sensé entendre commandait à la peinture. La difficulté +consistait à réaliser, sans nuire à l'intérêt ni à la joie des yeux, cet +art comme à demi-voix. Il fallait qu'on sentit le silence de cet +appartement que troublent seuls quelques accords ou quelques chants et +qu'à l'exemple de l'unique auditeur on y fût attentif.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 615px;"> +<a name="Musique_Russe" id="Musique_Russe"></a> +<img src="images/ensor_12_musique_russe_02.jpg" width="615" alt="Musique Russe—1880. (Collection A. Boch)" title="" /> +<span class="figcap">Musique Russe—1880. (Collection A. Boch)</span> +</div> + +<p>Et comme contraste à cet art discret et mesuré, voici qu'un peu plus +tard, en 1883, Ensor, sous le titre: <i>Chinoiseries</i> peint en pleine +clarté sonore quelques potiches remplies de pivoines. On ne sait ce +qu'il faut louer le plus, ou bien la couleur laiteuse des tons bleus et +blancs du vase, ou bien le dessin large et sûr de son décor. Que ce soit +le dessin cette fois, car jamais, me semble-t-il, l'artiste n'a mieux +affirmé ce qu'est pour lui dessiner en peignant. La ligne, en cette +œuvre franche et belle, est la couleur elle-même. Elle ne vit pas d'une +vie indépendante, elle crée en même temps la forme et le ton et, si +j'ose dire, l'ossature et la chair. Ceux qui prétendent qu'Ensor ignore +la forme oublient sans cesse que le dessin de Rubens et de Delacroix est +l'opposé du dessin d'Ingres et de Raphaël. Ceux-ci ne font que remplir +par des couleurs le vide laissé entre les lignes tracées d'avance; +ceux-là peignent d'abord et leur dessin résulte de la justesse des +valeurs entre elles, ou si l'on veut, n'est que le résultat du jeu des +ombres et des clartés. C'est le coup de brosse, et non pas le crayon ou +le fusain, qui écrit les formes si bien que dans leurs tableaux rien +n'est dur, rien n'est découpé, rien n'est sec, rien n'est séparé soit du +fond, soit de l'objet voisin. Ils ne cernent pas des images; ils +traduisent la vie.</p> + +<p>Bien plus. Les artistes linéaires tels qu'Ingres et Raphaël ne +s'embarassent ni des ombres ni surtout des reflets. Pour eux, les êtres +et les choses semblent n'exister que dans une sorte de vacuité +atmosphérique. La lumière qui les baigne est toute artificielle et le +vide semble seul les contenir. Chaque objet existe d'une vie solitaire. +Il ne subit en rien la loi des interinfluences. Il apparaît, s'il est +beau, d'une grandeur presque toujours stérile. Il est jailli du +raisonnement et de la pensée; il ne l'est jamais—si je puis dire—d'une +émotion sensuelle. Or, c'est précisément cette joie de voir le monde +entier s'épanouir dans la réelle et mouvante lumière, qui suscite en +quelques êtres de choix le désir et bientôt l'art de peindre. Ensor se +range parmi eux. Nous verrons comme il tient compte de ces ombres et de +ces reflets que dédaignait M. Ingres et comme il les rend naïvement, +scrupuleusement, de peur d'enlever n'importe quel élément de vie et de +splendeur à la réalité.</p> + +<p>Les sujets les plus humbles le requièrent. Voici qu'il peint <i>poissons, +bouteilles, pommes</i>. Et voici qu'un simple <i>chou vert</i> (1880) posé sur +une table rouge lui fait faire un chef-d'œuvre. Une lumière nouvelle, +qui s'affranchit soudain des oppositions violentes entre les avant-plans +et les arrière-plans, baigne cette merveilleuse nature-morte. Elle fut +exposée en 1884 au Cercle artistique de Bruxelles et l'an dernier (1907) +au Salon d'automne de Paris. Elle n'y perdit rien de ces prestiges +d'autrefois. Elle étonna et charma autant que quelques superbes Cézanne +rassemblés en une salle voisine. Elle apparut à tous avec ses qualités +de belle sagesse et de maîtrise. C'était l'œuvre devant laquelle on +s'arrête et l'on revient. Le rouge de la table sonnait en même temps que +le vert du légume. Ces deux couleurs complémentaires n'étaient séparées +que par une nappe blanche qui atténuait la violence qu'aurait produite +leur immédiat voisinage. Chaque objet était peint à sa place, avec une +sûreté parfaite. Rien ne violentait l'attention, mais chaque coup de +pinceau la retenait. Et l'on songeait que le signataire de cette +merveille fut qualifié, jadis, par la critique, d'artiste iconoclaste et +sauvage et l'on ne comprenait pas. C'est, du reste, le propre des œuvres +vraiment fortes d'étonner à leur apparition par leur soi-disant audace +et de s'imposer après quelques années par leur absolue convenance.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 708px;"> +<a name="Le_Salon_bourgeois" id="Le_Salon_bourgeois"></a> +<img src="images/ensor_13_le_salon_bourgeois_02.jpg" width="708" alt="Le Salon bourgeois—1881. (Collection Ernest Rousseau)" title="" /> +<span class="figcap">Le Salon bourgeois—1881. (Collection Ernest Rousseau)</span> +</div> + +<p>Elles déroutent d'abord, elles ameutent et révolutionnent. Mais, le jour +qu'elles entrent dans les musées et qu'elles voisinent avec les pages +solennelles des maîtres et se trouvent enfin chez elles, en lieu sûr, +dans la compagnie qui leur convient, on est surpris, chaque fois, de les +voir très simplement continuer et rajeunir l'histoire de la beauté.</p> + +<p>C'est dans le <i>Salon bourgeois</i> (1881) autant que dans <i>Musique russe</i> +(1880) et plus tard dans la <i>Mangeuse d'huîtres</i> (1882), qu'on peut +constater combien l'art de James Ensor tient compte du rôle, dans un +tableau, des ombres et des reflets. «La lumière mange les objets» +dit-il. Et en effet rien ne déforme le contour et la ligne comme une +brusque clarté frappant les surfaces. Dès que vous prétendez rendre ce +que l'œil voit et non pas seulement ce que le raisonnement prouve, un +meuble (table, piano, armoire, chaise) apparaît en perpétuelle +déformation. Que la lumière s'accentue ou s'affaiblisse, qu'elle change +ou se déplace, aussitôt la réalité visuelle se modifie, alors que la +réalité palpable demeure. Or c'est la réalité visuelle, c'est la +tromperie et l'erreur de l'œil qu'il faut peindre puisque vous vous +adressez aux yeux des spectateurs et non pas à leur toucher. Ce jeu sans +cesse mouvant des ombres et des reflets, ces influences réciproques des +choses interrompant soudain soit la ligne perpendiculaire d'un pied de +table, soit les droites parallèles d'un panneau d'armoire, soit les +courbes d'un dossier de chaise et dérangeant ainsi tout le décor +géométrique d'un appartement, séduit le peintre moderne plus qu'il ne +séduisait les peintres anciens. Il ne s'en dissimule point la difficulté +et l'affronte, dût son dessin paraître vacillant et incertain, dût sa +composition chavirer dans un apparent deséquilibre. Qu'on examine +l'<i>Après-dîner à Ostende</i> ou la <i>Musique russe</i>, ou la <i>Mangeuse +d'huîtres</i>, l'on se rendra aisément compte de combien de dangers +picturaux l'art d'Ensor est sorti vainqueur. Ce n'est, en ces trois +toiles, qu'un entremêlement de lueurs et d'ombres, d'objets frappés de +clarté soudaine à côté d'autres restés voiles et la lumière qui glisse +sur l'acajou, se répand sur les marbres, atteint les lustres, descend +sur les tapis et se dissémine partout. Si la clarté provoquait l'écho, +on n'entendrait, ici, que des répercussions et des voix qui se +répondent.</p> + +<p>Je me souviendrai toujours de l'étonnement que je ressentis, il y a +quelque vingt-cinq ans, à l'exposition de l'<i>Essor</i> (1882), devant un +<i>portrait</i>—c'était celui de son père—qu'Ensor y exposait. La toile +était accrochée à la rampe près d'une porte dans un des halls du +Palais des Beaux-Arts, rue de la Régence. Au milieu des œuvres jeunes +qui sollicitaient par leur tapage et leur inexpérience, celle-ci +proférait on ne sait quoi de grave, d'appaisé et de sévère. Elle était +conçue par grands plans: des bleus, des noirs, des blancs réalisaient sa +très simple harmonie. A droite, la clarté, tombant d'une fenêtre à +travers des rideaux pâles, baignait le front d'un homme qui lisait. Une +cheminée en marbre occupait le fond, à gauche. La figure était attentive +à sa lecture. Et le silence régnait. La profondeur du ton, sa solidité, +sa force commentait seule l'intensité de cette scène. C'était donc par +des moyens uniquement picturaux que l'attention était fixée et +l'impression produite. Aucune distraction n'était permise. C'était de la +vie nue montrée dans sa réalité quotidienne, sans plus.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 582px;"> +<a name="dame_en_detresse" id="dame_en_detresse"></a> +<img src="images/ensor_14_dame_en_detresse_02.jpg" width="582" alt="Dame en détresse—1882." title="" /> +<span class="figcap">Dame en détresse—1882.</span> +</div> + +<p><i>L'après-midi à Ostende</i>—refusé en 1884 au Salon de Bruxelles—qui fut +peint dans la même année que le <i>Portrait de mon père</i> (1881) nous +attire, par contre, grâce à son charme abondant de tons variés. L'étoffe +multicolore d'un tapis de table, les éclats métalliques d'un foyer, la +décoration des lampes de la cheminée, les jupes et les corsages des deux +personnes assises face à face permettent au peintre le jeu d'une +admirable harmonie sourde et comme étouffée, malgré la violence locale +des objets, hauts en couleur. Tout ici est en sourdine. La distinction +des tons est parfaite. Un authentique peintre flamand aurait fait sonner +comme une fanfare et les cuivres et les aciers et les étoffes. Il y +aurait eu heurt, choc et tintamarre. C'eût été une exaltation dans la +force. Ensor a réalisé un apaisement dans la délicatesse. Mais pour que +tout fût maintenu, avec pourtant son éclat et son ardeur propres, dans +une sorte de paix générale et brillât et scintillât comme sous un voile, +de quelle finesse, de quelle justesse, de quelle acuité d'observation ne +fallait-il point faire preuve?</p> + +<p>Au fur et à mesure que son œuvre se poursuivait et que ses <i>intérieurs +bourgeois,</i> ses <i>après-dîners à Ostende</i>, ses <i>portraits</i> lui +assignaient comme tâche d'étudier la lumière circulant dans les maisons +à travers la baie des hautes fenêtres, l'œil très subtil du peintre ne +pouvait s'empêcher de s'émouvoir aussi de la clarté du dehors et surtout +ne pouvait s'abstraire de la contemplation de la mer. Le paysage marin +le requit dès ses premiers travaux. Et voici l'<i>Estacade</i> et la <i>Mer +grise</i> et la <i>Dame au brise-lame</i> (1880); et voici <i>Marine</i> (effet de +soleil), la <i>Dune noire</i> (1881); et voici les deux <i>Marines</i> et le +<i>Brise-lame</i> (1882); et voici <i>Dune</i> et <i>Mer</i> et <i>Marine</i> (l'après-midi) +(1883) et les <i>Barques</i> et la <i>Marine</i> (1884). Cette dernière se +distingue par sa belle teinte verdâtre et par son aspect de simplicité +et de grandeur. Un seul navire en sillonne l'étendue et l'impression de +l'immensité se dégage toute entière. Supposant à la <i>Marine</i> (1884) +voici le <i>Coucher de soleil</i> (1885) dont l'horizon déchiqueté de lueurs +saumonées et de nuages violets multiplie le ton et fait songer à +quelqu'énorme oiseau de flamme qu'on déplumerait, au bord de l'espace. +La mer fut pour l'œil d'Ensor une admirable éducatrice. Rien de plus +tenu et de plus frêle que la coloration d'une vague avec ses infinies +désinences, avec sa mobilité lumineuse et myriadairement changeante. +Quand elle s'épand au soleil sur le sable micassé de la grève, les +tons les plus purs et les plus clairs des toiles les plus célèbres +semblent grossiers et troubles.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 750px;"> +<a name="Les_soudards_debandes" id="Les_soudards_debandes"></a> +<img src="images/ensor_15_les_soudards_debandes_02.jpg" width="750" alt="Les soudards débandés (1892)." title="" /> +<span class="figcap">Les soudards débandés (1892).</span> +</div> + +<p>En 1882, James Ensor achève le <i>Pouilleux</i>, la <i>Dame en détresse</i>, la +<i>Dame au châle bleu</i> et la <i>Mangeuse d'huîtres</i>.</p> + +<p>La première de ces quatre œuvres fut exposée en 1883 à l'<i>Essor</i> et fut +acquise pour le musée d'Ostende. Elle indique une orientation nouvelle +dans le choix des sujets. Le <i>Pouilleux</i> sera suivi bientôt par les +<i>Masques scandalisés</i> (1883), et ceux-ci ouvriront à l'artiste une voie +étrange où pendant longtemps son imagination se complaira. Le +<i>Pouilleux</i> est pris dans la réalité quotidienne. Il a traîné son corps +et sa guenille sur les quais. Il se peut que jadis il fût pêcheur: son +teint basané et son œil vif furent certes lustrés par la mer. Le voici +dans un morne logis, assis près d'un poêle, les sabots rapprochés du +feu. Il regarde et ses traits profèrent on ne sait quelle vague +goguenardise.</p> + +<p><i>La Dame en détresse</i> qu'on admirait en 1886 à l'exposition des <i>XX</i> +représente une femme couchée sur un lit. Un jour ardent pénètre à +travers des rideaux fauves. L'affaissement du corps, son abattement, est +admirablement rendu. Cette longue ligne horizontale commande au tableau. +Quelque chose d'inquiétant émane de la scène. Certes peut-on songer à +quelque drame. Mais il est toujours facile et trop facile de faire, à +propos des œuvres picturales, des réflexions gratuitement littéraires. +Il s'en faut garder, quand l'évidence ne les fournit point.</p> + +<p>Oh l'admirable tâche que celle du châle de la <i>Dame au châle bleu</i>. Déjà +dans le <i>Flacon bleu</i> (1880) cette couleur fut propice au peintre. Elle +lui a confié, peut-on dire, ses secrets les plus cachés. Certes, aucune +couleur n'existe par elle même. Elle emprunte sa sonorité soit à +l'ambiance, soit directement au ton voisin. Qu'importe! Certaines +profondeurs, certains éclats, certaines violences heureuses de ce +fragment du spectre n'auront été connus et rendus que par Ensor.</p> + +<p>Voici une page capitale: la <i>Mangeuse d'huîtres.</i> C'est la seule œuvre +dont il ait fait une réplique. Elle fut en 1882 refusée au <i>Salon +d'Anvers</i>; en 1883 elle ne fut point admise à l'<i>Essor</i>. Ce n'est qu'en +1886 qu'elle s'épanouit, à la cimaise, aux <i>XX</i>. Elle y fit scandale. Je +me souviens encore des colères qu'elle déchaîna. On ne voulut voir en +cette merveille que les défauts, nécessaires, peut-être, en tous cas +secondaires; et chacun, comme s'il était heureux de blâmer, +d'éclabousser et de nier, piétinait dans le parti-pris, se refusait à +toute louange et tournait le dos à la plus élémentaire justice.</p> + +<p>Et pourtant ce tableau imposera sa date dans notre école. Comme le +peintre s'y affranchit des fonds sombres et quelquefois opaques pour +hardiment n'employer que des tons francs et quasi purs! Quelle joie, +quelle fête, quelle liesse de couleurs répandues sur la table où la +mangeuse a pris place! Bouteilles, verres, assiettes, citrons, vins, +liqueurs s'influencent, se pénètrent de lueurs, entrent pour ainsi dire +les uns dans les autres et maintiennent quand même, triomphantes, la +solidité et la rigueur de leurs formes. Et cette admirable note rouge +que jette la reliure d'un livre placé sur une tablette dans le fond de +la toile! Et la belle chair vivante des mains et du visage. Et les plis +bleuâtres de la nappe et tout enfin.</p> + +<p>Certes, depuis qu'il peignait, James Ensor avait banni de sa palette la +<i>terre de Sienne brûlée</i> et le <i>noir de vigne</i>; certes, depuis toujours, +il s était défié de ce qu'on appelait «les vigueurs» obtenues par l'abus +des mauvaises et fuligineuses couleurs; certes enfin, il s'était soucié +d'atmosphère, d'air ambiant et de réelle et authentique clarté, mais +jamais comme en cette étonnante <i>Mangeuse d'huîtres</i> ses efforts +n'avaient abouti, ni sa victoire porté la flamme de ses drapeaux aussi +haut, ni aussi loin. L'œuvre revêt je ne sais quel caractère historique. +C'est le premier tableau, vraiment clair, qu'on fit chez nous.</p> + +<p><i>La Mangeuse d'huîtres</i>, sur l'escalier tournant de l'art d'Ensor, +semble s'étaler sur un large et triomphal palier. Aux yeux du peintre +pourtant, elle est moins encore un point d'arrivée qu'un point de +départ. Comme le <i>chou</i> datant de 1880, elle lui ouvre l'ère de la +peinture à tons purs ou quasi purs. Mais Ensor est celui qui cherche +toujours. Il suit, peut-on dire, plusieurs chemins à la fois. Il ne se +détourne ni de la mer, ni du paysage, ni de la nature-morte. Le voici +qui parachève, en 1883 et 1884, les <i>Toits d'Ostende, Grande vue +d'Ostende, le Nuage blanc, le Houx, la Dune, Vue de Bruxelles</i>. Et les +<i>Pochards</i> et les <i>Masques scandalisés</i> et le <i>Meuble hanté</i> le +retiennent en même temps au royaume de la fantaisie et de +l'hallucination.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 479px;"> +<a name="Pouilleux_indispose_se_chauffant" id="Pouilleux_indispose_se_chauffant"></a> +<img src="images/ensor_16_pouilleux_indispose_se_chauffant.jpg" width="479" alt="Pouilleux indisposé se chauffant—1882. (Musée +d'Ostende)" title="" /> +<span class="figcap">Pouilleux indisposé se chauffant—1882. (Musée +d'Ostende)</span> +</div> + +<p>Et voici dans la toile le <i>Christ marchant sur la mer</i> qu'une voie +nouvelle semble s'ouvrir encore. Un souci de composition particulier +s'accuse. Prenant comme thèmes quelques sujets bibliques, le peintre +se hausse soudain jusqu'au rôle de visionnaire. Les personnages +n'occupent, dans mainte de ses toiles étonnantes, qu'un place minime. A +première vue on ne les y distingue guère. Il les y faut chercher. Ils +paraissent faire partie des éléments: vents, nuages, flots, soleils. Les +maîtres anciens donnaient invariablement dans leurs œuvres la place +prépondérante aux actions humaines. Dans le déploiement des légendes à +travers la peinture universelle, les Dieux et les hommes existent seuls. +Mais au fur et à mesure que l'idée de force s'est déplacée et modifiée +et que l'humanité comprend que l'être humain n'est qu'un tourbillon de +pensée emportée dans le vertige des puissances cosmiques, l'importance +de ses gestes a décru.</p> + +<p><i>Le Christ marchant sur la mer</i> est conçu d'après les mêmes pensées. +C'est la mer, c'est le ciel qui remplissent de leur immensité la toile +entière. A peine une auréole, à peine une lueur se dégageant d'une forme +vague, indique-t-elle le prodigue.</p> + +<p>Dans <i>Adam et Eve chassés du Paradis</i> (1887) ces précédentes remarques +se vérifient mieux encore. La page est merveilleuse. Les cieux remués de +miracles tonnants et foudroyants occupent à peu près toute la toile. Des +trombes de vents passent, des lueurs formidables apparaissent, tout le +vertige de l'atmosphère est rendu. Vraiment, c'est une colère céleste +qui se gonfle, qui voyage et qui éclate. L'ange exterminateur semble +être à lui seul toute la nuée. A droite, avec des mouvements de fuite et +de terreurs et comme brûlés par l'épée vengeresse, apparaissent Adam et +Eve. Ils sont là, dans le coin de la toile, presque indistincts, roulés +comme des épaves, tandis que seul l'orage que leur misère et leur +fragilité ont suscité, occupe les quatre points de l'espace.</p> + +<p>L'effet surnaturel est produit sans que la couleur se mélodramatise de +violentes oppositions de noirs et de clairs. La tonalité générale reste +lumineuse, magnifiquement. On y surprend quasi de la délicatesse. Mais +les lignes tumultueuses sont bien appropriées au sujet et la fougue des +touches émerveille.</p> + +<p>En 1891 le <i>Christ apaisant la tempête</i> continue la série des œuvres +légendaires. Le ciel et la mer, qui se rejoignent à l'horizon, se +présentent en cette toile comme un énorme coquillage bivalve qui serait +entr'ouvert et dont les deux parois internes contiendraient les nuées et +les eaux. Le personnage, invariablement à droite du tableau, comme dans +le <i>Christ marchant sur les eaux</i> et dans <i>Adam et Eve chassés du +Paradis</i>, indique chez le peintre un souci de composition presque +uniforme. La science, l'équilibre, le prolongement heureux des +arabesques, tout ce qui constitue la combinaison étudiée et heureuse ne +l'inquiètent guère. Il voit d'un coup, comme si quelque brusque rideau +s'ouvrait, et il rend ce qu'il voit, sans plus. C'est ainsi que +procèdent les voyants.</p> + +<p>On peut rattacher à ce cortège de paysages animés de légende et +d'histoire quelques autres pages: <i>le Feu d'artifice</i> (1887) et <i>le +Domaine d'Arnheim</i> (1890).</p> + +<p>Une gerbe jaune, immense se projette sur un ciel bleu foncé comme si +tout à coup s'ouvrait un cratère. Effet très simple. On dirait que la +fureur des tempêtes calmées par le Christ marchant sur les eaux ou la +colère des cieux se déchaînant sur Adam et Eve subsistent encore dans +l'esprit du peintre.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 564px;"> +<a name="Le_Terrassier" id="Le_Terrassier"></a> +<img src="images/ensor_17_le_terrassier.jpg" width="564" alt="Le Terrassier—1882." title="" /> +<span class="figcap">Le Terrassier—1882.</span> +</div> + +<p>Quant au <i>Domaine d'Arnheim</i> il suscite devant les yeux un bois profond +que baigneraient des flots calmes. Une barque les sillonne. Le titre, +fourni par Edgar Poe importe, bien qu'on l'ait trouvé inutile. Il nous +transporte hors de la réalité, vers quelque lieu illusoire et magnifique +où règnerait un calme d'or parmi des îles d'ombre majestueuse, touffue +et silencieuse. Quand il composa le <i>Domaine d'Arnheim</i>, l'esprit du +peintre s'était de plus en plus retiré de la contingence quotidienne; il +commençait à vivre en plein monde imaginaire; il était déjà hanté. C'est +à ces dispositions spirituelles qu'est due la manière de traiter ce +paysage. On peut croire en effet que ce morceau de nature est tout +entier arraché à l'imagination ou bien que, là bas, quelque part au bout +du monde, sous un ciel inconnu, il s'étale et fleurit, sans que jamais +quelqu'un, à part son mystérieux visiteur, ne l'ait parcouru. Plus tard, +bientôt, ces îles, ces eaux et ces jardins seront, grâce au rêve de +James Ensor, peuplés de masques et de pierrots et d'arlequins et de +colombines. Ils s'intituleront alors le <i>Théâtre des masques</i>. Et ce +seront ses <i>Fêtes galantes</i> à lui, certes moins charmantes que celles de +Watteau, mais plus folles, plus fusantes, plus papillotantes et plus +fiévreuses.</p> + +<p>Continuant, après la <i>Mangeuse d'huîtres</i>, sa marche vers la clarté et +s'attardant non plus dans le rêve et la légende mais dans la réalité +vécue et quotidienne, Ensor propose à notre admiration les <i>Enfants à +la toilette</i> (1886). Et c'est dans une chambre, deux enfants nus, l'un +debout, l'autre assis, que la lumière, tamisée à travers les rideaux, +baigne. L'atmosphère est ambrée, frêle, douce, chantante. Les chairs +roses, délicatement, s'étalent dans un jour doré sans qu'aucune +brutalité, aucun heurt, aucune dissonance ne dissipe l'impression de +calme et de fraîcheur et d'innocence qui émane de la toile. La <i>Mangeuse +d'huîtres</i> proférait des tons pleins, entiers, majeurs; les <i>Enfants à +la toilette</i> n'émettent au contraire que des tons atténués, assourdis et +mineurs. Mais si l'on tient compte de l'aiguë difficulté que les +peintres rencontrent à faire jaillir, non pas de l'opposition ni du +contraste, mais d'un assemblage de teintes voisines, la lumière, les +<i>Enfants à la toilette</i> étonneront plus encore que la <i>Mangeuse +d'huîtres</i>. La clarté apparaît diffuse, elle ne s'accroche à rien, elle +ne fait aucune saillie; elle glisse sur les meubles, les tapis et les +chairs. La transparence des stores baissés est parfaite. Jadis avec des +tons profonds et noirs, Ensor résolvait dans l'<i>Après midi à Ostende</i> un +problème analogue. Tout y était fort et discret, dans l'ombre. Ici tout +est fort et discret, dans la clarté.</p> + +<p>Enfin voici une toile, toute en tons purs cette fois et toute en +violence, où la réalité se mêle à la fantaisie, où les deux routes +suivies par l'artiste se rejoignent. La page est intitulée <i>Le Christ +faisant son entrée à Bruxelles</i>. Elle ne fut jamais exposée. La +date?—1888. C'était le temps où les néo-impressionnistes ameutaient les +ateliers parisiens. Georges Seurat avec sa théorie de la décomposition +lumineuse ou de la division du ton apportait vraiment dans l'art de son +temps un procédé inédit. On l'invitait aux <i>XX</i>. Ses toiles y faisaient +scandale. L'évolution lente de l'impressionnisme semblait comme +suspendue au profit d'une révolution soudaine. De nombreuses conversions +esthétiques eurent lieu. Ce fut une sorte de cataclysme magnifique.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 488px;"> +<a name="Croquis_03" id="Croquis_03"></a> +<img src="images/ensor_18_croquis_03.jpg" width="488" alt="Croquis." title="" /> +<span class="figcap">Croquis.</span> +</div> + +<p>La grande part de vérité que Seurat apportait ne put laisser insouciant +un esprit aussi attentif et aussi inquiet que celui de James Ensor. +Toutefois, après réflexion, il n'adopta point les théories nouvelles et +voici les raisons qu'il en donne.</p> + +<p>«Les recherches des pointillistes m'ont laissé indifférent: ils n'ont +cherché que la vibration de la lumière. En effet ils appliquent +froidement et méthodiquement leurs pointillages entre des lignes +correctes et froides. Ce procédé uniforme et trop restreint défend +d'ailleurs d'étendre les recherches et de là résulte une impersonnalité +absolue dans leurs œuvres, si bien que les pointillistes n'atteignent +que l'un des côtés de la lumière: la vibration, sans aboutir à donner sa +forme. Mes recherches et ma vision à moi s'éloignent de la vision de ces +peintres et je crois être un peintre d'exception.»</p> + +<p>Ne retenons de ces lignes que la dernière affirmation. Qu'Ensor soit un +peintre d'exception, rien n'est plus juste. Sa nature est trop spéciale +pour que jamais elle lui permette d'être d'un groupe. Le +néo-impressionnisme exigeait une discipline, portait en lui un +enseignement, élaborait un programme. Dès ce moment le peintre ne le +pouvait admettre. Ce qui caractérise la personnalité d'Ensor c'est le +libre-vouloir. Sitôt qu'un désir lui vient, il le satisfait. Sa tête est +une chambre ouverte où tantôt les idées, tantôt les rêves, tantôt les +folies, s'installent. Et le néo-impressionnisme lui apparaissait comme +une prison.</p> + +<p>Mais, tout en tournant le dos à l'esthétique de Seurat, il voulut, lui +aussi, se signaler par de très nettes audaces. Il ne pouvait nier +d'ailleurs que la nouvelle école, plus qu'aucune autre, ne purifiât la +vision. Les couleurs dont elle préconisait l'emploi étaient les couleurs +mêmes du prisme, les couleurs vierges, primitives, intactes. Toute +l'ancienne palette était comme abolie et le spectre solaire prenait sa +place. La virginité totale du ton devint un objet de conquête. Déjà +Turner, et à sa suite tous les impressionnistes, s'étaient essayé à +créer cette virginité et à l'imposer à leur œuvre; ils s'y étaient pris +empiriquement, en se fiant à la subtilité et à la délicatesse de leur +œil. Les nouveaux-venus, jugeant cette conquête incomplète, purifièrent +en quelque sorte cette pureté hésitante et tâtonnante et grâce aux +découvertes scientifiques la proclamèrent certaine et sûre. Et leurs +toiles étaient en effet lustrales plus que nulle autres. On eût dit +qu'elles portaient en elles la grâce d'un éclatant et violent baptême.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 440px;"> +<a name="La_Sorciere" id="La_Sorciere"></a> +<img src="images/ensor_19_la_sorciere.jpg" width="440" alt="La Sorcière—1883. (Collection Edgar Picard)" title="" /> +<span class="figcap">La Sorcière—1883. (Collection Edgar Picard)</span> +</div> + +<p>Dans son <i>Entrée du Christ à Bruxelles</i> on peut croire qu'à son tour, +comme pour défier le néo-impressionnisme, Ensor ait voulu rebaptiser sa +peinture. Il en a augmenté encore et vivifié la clarté. Et les +principales étapes qu'il suivit pour aboutir à cette victoire furent, +comme nous l'avons dit, le <i>Chou</i> (1880), la <i>Mangeuse d'huîtres</i> (1882) +et les <i>Enfants à la toilette</i> (1886). Son évolution entière fut donc +longuement préparée, logique et personnelle.</p> + +<p>Le sujet du <i>Christ faisant son entrée à Bruxelles</i> peut certes +déplaire. On y voit l'homme-Dieu mêlé grotesquement à nos pauvres, +féroces et actuelles querelles. Il assiste au défilé mouvant et +tumultuaire des revendications politiques et sociales, comme un banal +élu—bourgmestre, échevin, député—un jour de manifestation déchaînée. +Il voit passer les fanfares doctrinaires, les charcutiers de Jérusalem +et des banderoles et des drapeaux se déroulent et inscrivent en leurs +plis «Vive la Sociale et vive Anseele et Jésus».</p> + +<p>A ne juger que la plastique et la forme, l'œuvre fourmille de défauts, +mais la couleur en est triomphante. Les bleus, les rouges, les verts, +soit juxtaposés, soit divisés entre eux par des blancs larges, sonnent +comme une charge de tons purs et leur bariolage audacieux, parfois +brutal, impressionne la rétine lyriquement. Au surplus l'ironie du +peintre se donne, ici, libre carrière. On ne peut exiger de lui qu'il +prenne au sérieux n'importe quelle démonstration populaire. La ruée du +peuple à travers les places se boursoufle, pour ainsi dire, de visages +tuméfiés, de ventres formidables que les masques et les oripeaux +revêtent de leur invraisemblance. Mais, grâce à cette exagération +savoureuse, grâce à l'exaltation des tons crus qui parfois se +rapprochent des tons d'une affiche, grâce peut-être au désordre même de +la composition, l'ensemble donne une âpre, farouche et tintamarrante +sensation de vie. Ensor se plaît d'ailleurs à ces caractéristiques +évocations de foules. Il les multiplie à travers toute son œuvre. Il les +rêve compactes, serrées, formidables. Elles apparaissent comme étouffées +dans les rues et étranglées aux carrefours. Les maisons, les monuments, +les balcons, les toits semblent subir l'entraînement de la poussée +unanime et dans une eau-forte célèbre on pourrait croire que la +multitude—si dense qu'un caillou jeté sur elle ne trouverait point un +interstice assez large pour choir à terre—porte, comme une chasse, une +cathédrale entière sur ses épaules.</p> + +<p>Cette manière de peindre à grands tons plats et clairs que James Ensor +adopta dans l'<i>Entrée du Christ à Bruxelles</i>, il la gardera longtemps et +l'emploira souvent dans ses études baroques et macabres de pierrots et +de bouffons. Mais avant de parcourir cette province large et pittoresque +de son art, qui lui fit donner le nom de «peintre de masques», il +importe d'insister sur son talent de portraitiste et de nature-mortier.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 503px;"> +<a name="Dame_Au_Chale_bleu" id="Dame_Au_Chale_bleu"></a> +<img src="images/ensor_20_dame_au_chale_bleu.jpg" width="503" alt="DAME AU CHÂLE BLEU—1882." title="" /> +<span class="figcap">Dame au Châle bleu—1882.</span> +</div> + +<p>Il serait surprenant qu'Ensor, aimant avant tout au monde son art et par +conséquent chérissant surtout celui qui le fait, c'est à dire lui-même, +n'eût multiplié à l'infini sa propre effigie. Ajoutons qu'en se +regardant, en un miroir, il a toujours à portée de main, de brosse et de +palette, un modèle complaisant et gratuit.</p> + +<p>Dès ses tout premiers débuts, aux temps lointains et maudits où il +s'égarait à l'académie, il traduit ses traits (1879); en 1880 il se +repeint; en 1883 encore et en 1884 il se dessine. En 1886 il fixe au +crayon quatre fois son image; en 1888 il se déguise et se reproduit au +pinceau. Dans l'<i>Ecce-Homo</i>, c'est lui qui apparaît flanqué de ses deux +bourreaux MM. Fetis & Sulzberger; en 1891 parmi ses dessins +fantasmagoriques il prend place; en 1899 il s'entoure de masques et dans +nombre de compositions son visage tantôt hilare, tantôt mélancolique, +tantôt angoissé et piteux, s'impose. Il est en quelque sorte la figure +centrale de tous ses rêves. Et c'est logique et c'est humain qu'il en +soit ainsi. On pourrait serrer de près sa psychologie, rien qu'en +analysant ses portraits aux différentes saisons de son art et l'être +insaisissable qu'il est se dévoilerait peut-être mieux, grâce à cette +méthode, que par l'examen de ses gestes quotidiens dans la vie.</p> + +<p>De ses représentations si variées et si nombreuses, je retiens la +première. En veston havane, sa palette à la main, à l'atelier, il se +campe devant son chevalet. Il est jeune, l'œil clair, l'allure attentive +et naïve. La vie hostile ne l'a point encore touché. L'œuvre est comme +joyeuse; de belles taches claires s'y rencontrent. On y devine le +coloriste qu'il est.</p> + +<p>En 1882, Théo Hannon et Willy Finch, deux de ses amis, lui servent de +modèles. Le dernier de ces deux portraits est d'une solidité belle. Les +tons clairs font place aux tons profonds et fermes; le visage est +traduit avec une franchise et une sûreté de facture remarquables; aucune +mise en scène, aucune recherche, si ce n'est la recherche fondamentale +des beaux peintres en face de l'architecture humaine à traduire avec +souplesse et force.</p> + +<p>Suit l'effigie de la <i>Mère de l'artiste.</i> Robe noire et col en +dentelles. Trois roses groupées, comme ornement. Simplicité absolue dans +la pose; les traits sont âprement caractérisés. De loin, le modèle fait +songer à quelque dame qu'aimait à peindre d'une manière brusque, +scrupuleuse, aiguë, le grand Goya.</p> + +<p>En 1891, James Ensor voulut bien consacrer quelques séances à mon propre +portrait. Je n'insiste sur cette œuvre que pour noter le faire spécial +qui la distingue. Elle est plutôt écrite que peinte. Le trait est +insistant, il creuse la chair, il traduit le caractère. Vers cette +époque James Ensor introduit ce procédé graphique, tout à coup, dans sa +peinture. La ligne qu'il dissimulait et noyait jadis y prend la première +place, non pas la ligne ornementale et pure, mais la ligne +caractéristique et rompue. Ces brusques sauts, ces rapides volte-face, +ce changement incessant de procédé indiquent à la fois les recherches +incessantes de son art et les inquiétudes journalières de son caractère +et de son esprit.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 459px;"> +<a name="la_Mere_du_Paintre" id="la_Mere_du_Paintre"></a> +<img src="images/ensor_21_la_mere_du_peintre.jpg" width="459" alt="La Mère du Paintre" title="" /> +<span class="figcap">La Mère du Paintre</span> +</div> + +<p>Trois ans plus tard s'achève le portrait d'Eugène Demolder et en +1895 celui de M. Culus. Enfin voici le dernier portrait en date (1907). +Il représente M<sup>me</sup> Lambotte, d'Anvers.</p> + +<p>Le personnage est assis au centre de la toile, vêtu d'une robe bleue et +d'un grand châle vert. Admirable accord que celui de ces deux tons +principaux. A gauche une table. La main droite du modèle s'y appuie sur +un bibelot japonais. Au fond, mais bien à leur plan malgré la vivacité +de leurs teintes, apparaissent les <i>Masques scandalisés</i> et quelque +scène du conservatoire de Bruxelles où le maître <i>Gevaert dirige les +chœurs</i>. L'œuvre est intéressante à préciser. La figure est traitée, +délicatement; le chapeau est d'une fraîcheur comme florale. On dirait +que le personnage est rentré d'une excursion aux champs et qu'il retient +sur lui quelque chose de la limpidité et de la bonne odeur champêtres. +Les yeux vivent d'une vie charmante; les cils sont peints, hardiment, en +bleu. Et cette couleur si éloignée du ton local est d'une justesse +admirable dans l'ensemble. Tout ainsi revêt une vibration aiguë et +subtile à qui sait voir les objets non plus dans leur réalité plate, +mais dans leurs rapports avec un rêve de couleur et de lumière. Il faut +qu'un artiste vrai ne tienne presqu'aucun compte de la vue banale des +choses et qu'il ne les voie que comme prétexte à interprétation belle. +Tout se peut transposer d'une vie dans une autre, de la vie commune dans +la vie de l'art. La couleur unique dont il faille se soucier est celle +qui fait bien sur la toile et affirme et soutient et rehausse son +harmonie. Ensor a nettement obéi à cette loi dans le portrait de M<sup>me</sup> +Lambotte.</p> + +<p>Deux très belles natures-mortes datent de 1893, la <i>Raie</i> et le <i>Coq +mort</i>. Sur fond blanc le coq au plumage argenté se détache et tout un +frisson de lumière semble courir sur son ventre et ses ailes. Je me +souviens aussi et des <i>Viandes</i> (Musée d'Ostende) et de l'admirable +<i>Coin de cuisine</i> du Musée de Liège. Le pinceau semble avoir glissé sur +ces victuailles comme s'il était empreint non de couleurs mais de +clarté. Si la forme des objets était plus précisée et plus arrêtée, ce +bain de lueurs où le mercure et le soleil semblent fusionner n'aurait +certes pu aussi bellement, envelopper la toile. Qu'on voie la couleur, +affirme Ensor, aussitôt on ne voit qu'elle; de même, qu'on étudie la +forme et l'œil n'est plus sensible qu'à la ligne. Unir dans une même +œuvre le ton et le dessin, leur donner la même importance n'est possible +qu'aux demi-natures qui ne sentent rien fortement. Il faut choisir. +Ensor a choisi la couleur ou plutôt la lumière.</p> + +<p>On peut donc lui reprocher parfois que ses morceaux de viande, ses +choux, ses fruits, ses pots, ses vaisselles manquent de fermeté ou de +poids. Il en conviendra certes. Mais que lui importent ces remarques +terre à terre. Il existe une sorte de réalité esthétique plus haute que +la réalité authentique. Cette réalité ou plutôt cette vie est atteinte +par de purs moyens d'art. Ils réalisent les harmonies impeccables et +glorieuses du ton, les sensibilités merveilleuses des ombres et les +joies de la calme ou triomphante lumière. Quand ce haut résultat est +atteint il efface—surtout qu'il s'agit, en ce cas-ci, de simples +natures-mortes—toute critique vétilleuse et tatillonne. On ne sait quel +trophée choisir parmi tant d'éclatantes conquêtes du pinceau. Vases de +Chine aux tons laiteux, statuettes esquissées en quelques coups de +brosse, soies, linges, étoffes, écrans, éventails fins et légers, tout +le magasin familial de la Rampe de Flandre a traversé l'imagination de +l'évocateur.</p> + +<p>Voici les <i>Coquillages</i> peints en 1889. A côté d'écailles roses et +lustrées, en voici d'autres blanches comme de la craie et d'autres +encore jaspées comme des dos de sèche et d'autres enfin creusées et +rayées comme des branchies. La structure de poissons improbables, +diables de mer ou rougets, se retrouve comme pétrifiée dans telles +formes minérales. Ensor en saisit les analogies, les traduit, les aime +et peut-être, au fond de lui, relie-t-il, par des liens psychiques, ces +architectures marines avec leurs silhouettes baroques et compliquées, au +monde étrange de ses masques et de ses squelettes. Tout cela peuple sa +mémoire et fixe et détermine son désir presqu'au même titre.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 590px;"> +<a name="La_Vierge_aux_navires" id="La_Vierge_aux_navires"></a> +<img src="images/ensor_22_vierge_aux_navires_02.jpg" width="590" alt="La Vierge aux navires (1893)." title="" /> +<span class="figcap">La Vierge aux navires—(1893).</span> +</div> + +<p>Sur tel panneau, on croit surprendre la vie des mollusques au fond même +de la mer. Il date de 1895. Un grand coquillage bistre domine, la pointe +en l'air, comme en pyramide, d'autres coquilles, les unes vertes, les +autres roses, et cet arrangement comme maladroit semble le fait même de +ces bêtes lentes et visqueuses. Le dessin en est très ferme et comme +écrit. Il insiste sur chaque circonvolution et sur chaque spirale. Et +voici—contraste brusque—deux bulbeuses et légères grappes de raisin, +l'une bleue et l'autre rose-cerise, avec un oignon, une noix et une +poire, la queue dressée. Ensemble presque transparent. Il est si frais, +si lucide, si délicat qu'on le dirait comme baigné de rosée.</p> + +<p>L'entrée dans le royaume des masques dont James Ensor est roi, se fit, +lentement, inconsciemment, mais avec une sûre logique. Ce fut la +découverte d'un pays, province par province, les lieux pittoresques +succédant aux endroits terribles et les parages tristes prolongeant ou +séparant les districts fous. Grâce à ses goûts, mais aussi grâce à son +caractère, James Ensor n'a vécu pendant longtemps qu'avec des êtres +puérils, chimériques, extraordinaires, grotesques, funèbres, macabres, +avec des railleries faites clodoches, avec des colères faites chienlits, +avec des mélancolies faites croque-morts, avec des désespoirs faits +squelettes. Il s'est improvisé le visiteur de lamentables +décroche-moi-ça, de malodorantes arrière-boutiques de marchandes à la +toilette, de piteux bric-à-brac en plein vent. Il a vagué par des +vallées de misère où lui apparaissaient des pierrots malades, des +arlequins en goguette, des colombines soûles. Parfois, comme un +ménétrier fantasque, il montait sur un tonneau et sur la place de je ne +sais quelle ville du pays de Narquoisie, il agitait, au son d'un rebec +invisible, en un trémoussement soudain, toute cette joie lugubre et +bariolée. Il pleurait peut-être lui-même en peignant tel masque hilare +ou souriait en dessinant telle tête de mort. Les contrastes les plus +aigus devaient lui plaire et il les réalisait en oppositions violentes, +les rouges, les bleus, les verts, les jaunes se donnant comme des coups +de poings sur la toile. L'art d'Ensor devint féroce. Ses terribles +marionnettes exprimaient la terreur au lieu de signifier la joie. Même +quand leurs oripeaux, arboraient le rose et le blanc, elles semblaient +revêtir une telle détresse, elles semblaient incarner un tel +effondrement et représenter une telle ruine qu'elles ne prêtaient plus à +rire, jamais. J'en sais d'une angoisse de cauchemar. Et la camarde se +mêla à la danse. Le squelette lui-même devint tantôt pierrot, tantôt +clodoche, tantôt chienlit. Masque de vie ou tête de mort +s'identifiaient. On ne songeait plus à quelque carnaval lointain +d'Italie ou de Flandre, mais à quelque géhenne ou les démons se +coiffaient de plumes baroques et s'affublaient de draps-de-lit usés, de +bicornes invraisemblables, de bottes crevées et de tignasses +multicolores. C'est pendant les mauvais jours de sa vie que James Ensor +donna cette signification pessimiste à ses fantoches.</p> + +<p>Dans ce pays imaginaire, d'où la farce classique semble bannie, +évoluent le masque Wouse et Saint Antoine, les diables Dzitss et +Hihahox, les pouilleux Désir et Rissolé, les soudards Kès et Pruta et +l'on y rencontre la ville de Bise et le territoire de Phnosie. Rien que +ces appellations et ces noms, venus d'on ne sait quelle région d'un +cerveau hanté, renseignent sur la très spéciale imagination d'Ensor. Au +reste, pour animer pendant vingt-cinq ans un peuple aussi grouillant +d'êtres chimériques et les douer d'une psychologie aussi étonnamment +variée, fallait-il que le monde de la démence fût naturellement pour le +peintre un monde de prédilection et de choix. Certes, croyait-il à tout +l'invraisemblable, à tout le baroque, à toute la folie et ne +recouvrait-il la lucidité qu'à l'heure où il s'asseyait devant sa toile +et choisissait ses couleurs et harmonisait ses tons. Il a réalisé +admirablement cette vie double.</p> + +<p>Le <i>Masque Wouse</i> (1889) apparaît un des premiers. Il est vêtu d'un +schall discrètement et magnifiquement bariolé de rouge, de vert, de +jaune, de bleu, il tient en main un parasol, est coiffé d'un bonnet et +le nez de son visage en carton s'agrémente d'une pendeloque légère. Il +regarde, gisants devant lui comme autant de marionnettes flasques, +d'autres êtres semblables à lui et l'on dirait quelqu'un visitant soit +une morgue de pantins, soit, après un combat, le champ d'une défaite. +L'œuvre où s'épand une clarté diffuse est délicatement peinte, les +étoffes sont flottantes et légères, l'atmosphère jolie. Elle contraste +et voisine, dans l'atelier de l'artiste, avec les <i>Masques singuliers</i> +(1892) mis en rangs, comme s'ils s'attendaient à être passés en revue +par les soudards Kès ou Pruta. Ils reviennent, Dieu sait de quelle +parade, les vêtements lâches et veules, mais gardant encore on ne +sait quelle fierté vague. Le plus grand de tous porte un chapeau +militaire dont la frange se détache lugubrement. En cette toile, presque +tous les tons sont forts, puissants, hardis. Ils réalisent comme une +gamme descendante et ne deviennent fins et subtils qu'autour d'un +Pierrot boursouflé qui dissimule, en des blancheurs roses, sa carcasse +falote. Oh la piteuse mascarade et comme la détresse d'une gloire abolie +et d'une gaieté défunte s'y marque! Fini l'orgueil, le triomphe, la +gloire. Toute fanfare s'est tue. On rit et l'on est triste. Acteurs +flétris d'un drame chimérique, les fantoches sont là n'ayant plus même +un bout de bâton pour simuler un vague: portez-armes.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 725px;"> +<a name="Les_Pochards" id="Les_Pochards"></a> +<img src="images/ensor_23_les_pochards_02.jpg" width="725" alt="Les Pochards—1883." title="" /> +<span class="figcap">Les Pochards—1883.</span> +</div> + +<p>Maintenant voici les <i>Masques devant la mort</i> (1888) et les <i>Squelettes +voulant se chauffer</i> (1889) et le <i>Squelette dessinant</i> (1889) et les +<i>Squelettes se disputant un pendu</i> et les <i>Masques regardant une tortue</i> +(1894) et un <i>Duel de masques.</i> Le drame morne ou féroce commence à se +préciser. Dans les <i>Masques voulant se chauffer</i> une impression de néant +s'affirme. Rien de plus pauvre, de plus navrant, de plus lugubre que +cette idée de chaleur et de bien-être évoquée devant ces êtres flasques +et vides. Ils s'approchent, se pressent, s'inquiètent autour de ce feu +inutile, de cette flamme sans vertu, de ce foyer qui les raille et qui +n'est pas. Les <i>Masques regardant une tortue</i> angoissent tout autant. +L'écaille qui couvre l'animal contemplé est, elle aussi, une sorte de +masque dissimulant le mouvement et la vie. Ce rapprochement baroque +suffit à faire comprendre pourquoi les étranges spectateurs semblent +comme s'étudier eux-mêmes en voyant bouger lentement et pesamment la +bête torpide et douce. Enfin dans un <i>Duel de masques</i> l'idée de lutte, +de fureur et de férocité est raillée à son tour.</p> + +<p>Toutes ces petites toiles sont franches, sincères, nerveuses. +L'ostéologie des squelettes est amoureusement étudiée. Parfois sur leur +crâne lisse se distinguent des lignes pareilles à celles des cartes de +géographie et l'on peut croire que le peintre se plaît à inscrire le +monde sur l'os d'un front. Le trou des yeux est approfondi. On y +surprend, dans le vide, on ne sait quelle fixité qui donne l'illusion +d'un regard. Ce n'est certes plus le squelette tel que le comprenait le +moyen-âge. C'est plutôt celui qui sort des cabinets d'anatomie, des +laboratoires et des hôpitaux. Il ne fait pas songer à tel macabre +philosophe qui moralise dans la danse de Holbein ou dans les fresques de +la Chaise-Dieu; il n'est pas chrétien. Il s'est renouvelé; il est de +notre temps. Il représente non plus les croyances, mais les idées et les +sentiments.</p> + +<p>Même dans ses <i>Tentations de Saint-Antoine</i>, Ensor ne prétend ni prêcher +ni évangéliser. Le tohu-bohu de ces apparitions charme presque et +devient, en ce sujet légendaire, quasi bon-enfant. Le peintre adore y +semer des corps de femmes grosses et cocasses, des diables fluets et +malins, des monstres improbables et ridicules. Le pittoresque de ce +cauchemar chrétien le tente plus que son horreur. Et c'est en dilettante +de l'impossible qu'il s'y affirme et non pas en vengeur du vice ou en +champion de la vertu. Il cultive l'angoisse, ailleurs. Il la cultive en +lui-même. Dans le <i>Portrait du peintre entouré de masques</i> (1899), +appartenant à M. Lambotte, d'Anvers, il s 'affuble d'un costume +étrange, il se couronne de plumes et de fleurs, il se déguise lui-même +comme pour donner plus congrûment audience au peuple entier de ses +fantômes. L'œuvre est haute en couleur; toute la palette ardente et +sonore est employée; la joie s'affiche; on songe à un triomphe et +pourtant que de cris poignants, que de violence et de fureur ces faces +impassibles n'expriment-elles pas? Tel visage morne et blême rappelle +une tristesse passée, tel autre une inquiétude présente; celui-ci, avec +ses joues pesantes, avec ses yeux comme pincés en des étaus de graisse, +rit d'un malheur qui viendra; celui-là, bonasse et rougeaud, détaille +quelque farce funèbre ou pavane sa santé gonflée et balourde au-devant +de la maladie qu'il annonce. Tous les sentiments humains se laissent +deviner. Le plaisir, le chagrin, l'audace, la peur, l'espoir, la transe, +l'orgueil, le doute, la force, l'abattement, la roublardise, la ruse, +l'ironie, la détresse, le dégoût. C'est un formidable bouquet dont les +fleurs seraient des bouches, des nez, des fronts, des yeux et qui +toutes, ou presque toutes, malgré leur beauté et leur éclat seraient +capiteuses et empoisonnées. Chacune a une signification nette et un +langage précis quoique muet. Et les masques surgissent de partout: à +droite, à gauche, du haut, du bas. Le champ tout entier de la toile en +est comme encombré: ils se pressent, se tassent, s'enfièvrent. Il faut +qu'ils assiègent le peintre, qu'ils le dominent, le hantent et +l'hallucinent, qu'ils se moquent des roses et des plumes que sa tête +arbore, qu'ils lui crient leur inanité et la sienne et lui fassent comme +la leçon terrible de la mort. Lorsqu'Ensor introduisit en sa peinture +un tel peuple étrange et tragique de masques, peut-être ignorait-il +lui-même qu'à un certain moment ils lui fausseraient à tel point la +notion du réel qu'il ne verrait plus qu'eux de vraiment vivants sous le +soleil et qu'un jour il prendrait place parmi leur multitude comme s'il +était lui-même quelqu'un de leur lignée et de leur race. Car il ne se +peut pas qu'il n'ait subi, à certaines heures, une telle illusion +dominatrice et qu'il n'ait fini par voir, avec ses yeux ouverts en plein +jour à la lumière, l'humanité entière comme un ensemble de grotesques et +de fantoches. Son art terrible et rêveur a dû l'affoler à ce point, +fatalement.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 705px;"> +<a name="enfants_a_la_toilette" id="enfants_a_la_toilette"></a> +<img src="images/ensor_24_enfants_a_la_toilette_01.jpg" width="705" alt="Enfants à la toilette—1886." title="" /> +<span class="figcap">Enfants à la toilette—1886.</span> +</div> + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="IV" id="IV"></a>IV.</h3> + +<h3>LES DESSINS</h3> + + +<p>Ensor a nettement distingué dans son œuvre le dessin du peintre et le +trait du dessinateur. J'en donnai les raisons: elles me semblent +plausibles. Pointe et pinceau ne furent jamais à ses yeux des +instruments identiques.</p> + +<p>Nous voici en présence d'un nombre infini de pages où le fusain, la +plume et le crayon se sont appliqués à fixer la vie ou le rêve. On les +peut diviser aisément en catégories: les croquis; les dessins de +caractère; les dessins atmosphérés; les dessins à lignes pures et les +dessins ornementaux. Il est certes piquant de constater que c'est +précisément celui parmi nos grands artistes qu'on accuse peut-être le +plus de négliger le dessin qui surtout le cultive. S'il rassemblait tous +ceux qu'il a faits, ils formeraient une bibliothèque.</p> + +<p>Je sais des notations où quatre à cinq traits nettement placés expriment +l'enveloppe, la masse et l'attitude momentanée d'un personnage; voici, +d'un coup de crayon, la marche, l'inclinaison, la vitesse d'une jambe +traduites; le mouvement d'un dos, l'affalement d'une hanche, le +bondissement d'une croupe, la tension d'un cou reproduits. Tout cela +est preste, vivant, soudain. Sur une seule page, cinquante petits +bonshommes se meuvent, s'agitent, passent, viennent, s'arrêtent, +s'assoient, s'affalent et le crayon Conté note, détail par détail, leurs +particularités et leurs manières d'être et compose comme une faune +amusante des passants de la rue moderne. Je connais tels croquis où +James Ensor, profitant des menus défauts du grain ou de la trame d'un +papier, a composé une <i>Chute des anges rebelles</i> en tenant compte de ces +accidents de matière. Des mouvements inattendus se devinent, des grappes +de muscles et de chairs pendent et se contractent, une cataracte de dos, +de ventres et de têtes se précipite, une impression de ruée est +merveilleusement rendue et tout cela n'est que du hasard souligné par un +crayon, dites combien habile et preste?</p> + +<div class="figcenter" style="width: 600px;"> +<a name="Mon_Pere_mort" id="Mon_Pere_mort"></a> +<img src="images/ensor_25_mon_pere_mort.jpg" width="600" alt="Mon Père mort—1887" title="" /> +<span class="figcap">Mon Père mort—1887</span> +</div> + +<p>Le jour où le peintre s'intéressa à l'existence des marins et des gens +du port—plus tard ils lui fourniront et ses pouilleux et ses +masques—ce fut par des études au fusain qu'il manifesta son +enthousiasme. Il possède toute une suite de dessins supérieurement +conduits où s'offrent en leurs attitudes quotidiennes les vieilles à +mantelets, les mousses en vareuses, les vieux pêcheurs échoués comme +leurs barques au long des quais et les gars solides et râblés qui demain +s'en iront vers la mer. Puis se caractérisent encore les ouvriers, les +petits musiciens, les poissardes mélancoliques, les mangeurs de soupe, +toute une population de déjetés et de miséreux. Toutes ces pages +témoignent d'une sagesse et d'une sûreté indéniables. Dès que le peintre +le veut, il réalise aussi bien que quiconque la correction du dessin et +la proportion des diverses parties d'un corps humain. Je ne puis +m'enlever du souvenir tel <i>Gamin en casquette</i> aux lèvres grosses, au +nez compact, à l'œil légèrement triangulaire, ni cette ferme et précise +étude de <i>Main tendue</i> où l'ossature des doigts dans la peau détendue et +les bosses des muscles apparaissent si nettement, ni ce <i>Vieux cheval</i> +noueux, maigre, efflanqué et comme diminué qui se tient avec peine +debout entre deux brancards, ni surtout cette adorable tête d'<i>Enfant +endormi</i> dont la bouche entr'ouverte est d'une vie si vraie et dont +l'œil est si délicieusement clos. Comme on sent le sommeil et non la +mort!</p> + +<div class="figcenter" style="width: 528px;"> +<a name="Croquis_04" id="Croquis_04"></a> +<img src="images/ensor_26_croquis_04.jpg" width="528" alt="Croquis." title="" /> +<span class="figcap">Croquis.</span> +</div> + +<p>Rendre la matière, scrupuleusement, fut la tâche qu'Ensor s'assigna dans +tels dessins: ferrailles, armoires, clefs, rideaux, étoffes, lustres, +coffrets. Il y réussit, sans se tromper jamais. Son crayon fouille, +comme un outil sûr, les fibres et les nœuds du bois ou rend avec bonheur +l'usure des bosses et des reliefs. On pourrait deviner si tel meuble est +en chêne ou en noyer. Assurément—tant l'exactitude est +grande—s'aperçoit-on s'il est plaqué d'acajou. Les ornements d'acier ou +de cuivre sont creusés dans leurs ombres ou caressés sur leurs lueurs; +un rinceau, une courbe, une volute est rendue avec dextérité. Autant le +pinceau est léger et souple à fleur de toile, autant la pointe est +insistante et vigoureuse sur le champ des feuillets. De même l'ampleur +lourde et molle d'un rideau de laine qu'une grosse cordelière retient +est offerte au toucher et semble pouvoir renfermer en ses plis jusqu'aux +mites et aux poussières. Bien plus. Ces dessins, encore que littéraux, +sont doués d'une vie ample. Ils n'ont rien d'industriel. Si pour James +Ensor certains meubles sont hantés, tous les objets frissonnent, +bougent, sentent. La cruauté séjourne dans le couteau, la discrétion +dans la clef et le fermoir, le repos et la sécurité dans le bois. Rien +n'est mort, complètement. Chaque matière renferme en elle sa tendance, +sa volonté et son esprit. Elle est créée pour un but. Elle doit donc +avoir comme une âme qui tend à une fin et c'est précisément cette âme +qui seule nous intéresse dans l'inanimé et qui seule constitue, aux +yeux d'un artiste, la beauté des choses les plus quelconques. A côté +de ces dessins très écrits, James Ensor en a réussi d'autres entièrement +baignés d'atmosphère. Un modelé frêle les distingue. Ils participent +plus que les autres à la vie universelle, aux variations de l'heure. +Pour les réussir il faut un tact spécial. Ils sont d'un grain menu et +d'une fragilité choisie. Certains apparaissent comme faits avec de la +poussière rassemblée dans les ombres et dispersée dans les clairs. Des +gris tendres savamment distribués en constituent la beauté précieuse. +Voici le <i>Portrait de Madame Rousseau</i>. Elle est assise à l'avant-plan, +parmi des meubles familiers, non loin d'un bas-relief. Le jour est +tamisé; tout est en infimes nuances et en atténuation. Il en résulte une +impression de douceur et de calme si grande qu'une mouche survenant la +troublerait, malencontreusement, du simple bruit de ses ailes.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 582px;"> +<a name="la_mere_du_peintre_dessin" id="la_mere_du_peintre_dessin"></a> +<img src="images/ensor_27_la_mere_du_peintre_dessin.jpg" width="582" alt="La Mère du Paintre—1889. Dessin. (Collection Robert Goldschmidt)" title="" /> +<span class="figcap">La Mère du Paintre—1889. Dessin. (Collection Robert Goldschmidt)</span> +</div> + +<p><i>Mon père mort</i> est conçu dans le même esprit. La page est solennelle, +sobre, émue. On aperçoit seulement la tête posée parmi les draps que +légèrement quelques tons blancs rehaussent. A traits fins, la barbe et +les cheveux sont rendus. Le crayon Conté et le crayon gras out introduit +le jeu de leurs différentes accentuations dans les parties sombres. +L'ombre s'anime, mais uniquement afin d'éviter qu'elle ne soit opaque: +il faut que la seule sérénité règne dans l'étude entière. Le dessin est +du reste irréprochable. Le nez, les yeux et le front sont nets sans +dureté, les chairs sont admirablement apâlies quoique consistantes +encore.</p> + +<p>Cette même manière de nuancer un dessin sans l'affadir ni le banaliser +se retrouve dans le <i>Portrait de ma mère</i>, appartenant à M. +Goldschmidt, et dans les <i>Squelettes musiciens</i>. Devant une armoire où +s'étale un crâne sans mâchoire, apparaît un squelette introduisant le +bec d'une clarinette dans sa bouche sans dents. Un manche de violoncelle +s'élève non loin de lui. Ces deux crânes sont étudiés avec un art +parfait. Chaque relief, chaque méplat, chaque partie osseuse avec ses +stries et ses méandres est rendu comme un artiste gothique se serait plu +à les traduire. Faire attentif, serré, scrupuleux. Impossible de pousser +plus loin l'attention minutieuse, ni la probité appliquée. Et quelle +aisance, quelle apparente facilité, quelle ductilité et quelle +flexibilité prestigieuse des doigts. Et combien tout est sûr et savant!</p> + +<p>La ligne même, la ligne pour elle-même, la ligne simple et jolie, la +ligne belle et enveloppante séduisit à son tour la main chercheuse de +James Ensor. Et voici la <i>Vénus à la coquille</i> dont le corps souple, +limité par un trait gracieux et flexible, surgit, avec, entre ses +doigts, une pomme. Les jambes, le torse, le ventre et les bras sont +suffisamment modelés pour qu'ils donnent la sensation d'exister vraiment +et n'être pas uniquement des blancs sur un papier. Mais c'est +l'arabesque sinueuse séparant la Déesse de l'ambiance qu'on admire +surtout et qui étonne par sa souplesse. On songe à quelque fleur +délicate et haute.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 523px;"> +<a name="venus_a_la_coquille" id="venus_a_la_coquille"></a> +<img src="images/ensor_28_venus_a_la_coquille.jpg" width="523" alt="VÉNUS A LA COQUILLE—1889. Dessin." title="" /> +<span class="figcap">Vénus à la Coquille—1889. Dessin.</span> +</div> + +<p>Les sujets ornementaux, avec leur fantaisie violente et leur parodie +épique ont tenté à maintes reprises le crayon d'Ensor. L'histoire, la +légende, les coutumes lui fournissent leurs thèmes. Il les transforme +selon son humeur, son caractère, sa nature. Ils ne sont pour lui que +des sortes de tremplins sur lesquels sa verve et sa raillerie +bondissent. Les batailles surtout le requièrent. Grâce aux coups donnés, +aux plaies reçues, grâce aux déhanchements du corps qui frappe et aux +chutes des corps qui succombent, grâce aux contorsions qu'il suppose et +aux pirouettes qu'il imagine, un combat se présente à lui avec délices. +L'horreur réelle en est supprimée au profit de la truculence et du +pittoresque. Ou bien encore c'est dans quelque décor moyen-âgeux, sur +une place meublée de maisons hautes et pointues, quelque drame violent: +<i>Sorcière qu'on brûle, Patrons de cathédrale, Vierges aux navires, +Soudards entrant en des cités étranges</i>. Ou bien encore, dans un site +d'hiver quelque folâtre et compliquée scène de <i>Patinage</i> ou bien enfin +quelque <i>Parade dans une arène de cirque</i>. Celle-ci amuse immédiatement +par la gymnastique baroque des clowns et les sauts invraisemblables des +paillasses. On croirait assister à quelque liesse d'escargots, à quelque +fête de chenilles. Des êtres contournés, girouettants, tire-bouchonnés +permettent au dessinateur de réaliser, par des volutes charmantes et +placées chacune à quelque endroit précis et heureux de la page blanche, +une ornementation inédite qui charme l'œil immédiatement, sans examen, +et divertit l'esprit sitôt qu'il s'attarde.</p> + +<p>Toutefois le motif le plus célèbre est traité dans la <i>Bataille des +Éperons d'or</i>. Les communiers flamands sont rangés à droite, coiffés de +casques inusités, armés de massues buissonneuses et présentant des +«goedendags» pareils à des reptiles. Courtrai avec ses tours, ses +remparts et ses moulins, se devine, là-bas. Ils la défendent et leurs +lignes rangées et pointues s'étendent devant elle, comme une succession +de haies où flotteraient, ci et là, des drapeaux. Le lion noir de +Flandre orne la plus haute bannière.</p> + +<p>A gauche, mais à l'arrière-plan, apparaissent les chevaliers français +sur leurs chevaux rapides et ployés en arc de cercle. Cimiers, panaches, +lances, épées, bannières, tout flotte ou se dresse au vent. Derrière eux +un incendie s'allume et l'horizon est peuplé de nuages capricieux et +tourmentés.</p> + +<p>Au milieu la bataille: foulons, tisserands, bouchers assaillent et +désarment les ducs et les barons. Des jambes, des têtes, des bras encore +armés de fer et d'acier gisent à terre. On a coupé les corps comme aux +abattoirs. Un cheval est tombé pattes en l'air, une flèche fixée au gras +de sa croupe. Voici un communier pendu à la queue d'un coursier; un +autre se soulage et fait un pied de nez aux charges qui approchent. Les +chevaux ruent, s'effrayent, s'abattent. Une mêlée grotesque s'éparpille +en mille actions non pas d'éclat, mais de gaieté baroque et de risée. +L'invention est spontanée, abondante, joyeuse. On assiste à une dépense +de jovialité narquoise et d'humeur pavoisée. Les drapeaux qui flottent, +les armes qui se dressent, les rayons du soleil, les banderoles des +nuages ne sont présentés à la vue que comme décors fictifs et lignes +ornementales. La <i>Bataille des Éperons d'or</i> est une kermesse où l'on +tuerait pour s'amuser, où l'on tomberait pour se distraire, où l'on +mourrait pour avoir le plaisir de faire une grimace. Le <i>Triomphe +romain</i> s'apparente à la <i>Bataille des Éperons</i>. La composition en est +moins originale et les lignes dominantes moins inattendues. +Toutefois peut-on se réjouir à voir les licteurs présenter leurs +faisceaux comme des seringues et ceux qui portent les aigles arborer ces +dernières comme de vulgaires oiseaux abattus par des archers, dans +quelque village flamand. Il conviendrait d'insister encore sur la <i>Mort +d'un théologien</i>, sur la <i>Multiplication des poissons</i>, sur les +<i>Soudards Kès et Pruta</i>, sur <i>Iston, Pouffamatus, Cracozie et +Transmouff,</i> sur les <i>Diables menant le Christ aux Enfers</i>. Je me +bornerai à présenter la plus importante des <i>Tentations de +Saint-Antoine,</i> grande composition qui ne fut exposée, après un premier +refus, qu'aux <i>XX</i>, en 1888.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 546px;"> +<a name="Projet_de_Chapelle" id="Projet_de_Chapelle"></a> +<img src="images/ensor_29_projet_de_chapelle_02.jpg" width="546" alt="Projet de Chapelle à dédier à St. Pierre et Paul—1897." title="" /> +<span class="figcap">Projet de Chapelle à dédier à St. Pierre et Paul—1897.</span> +</div> + +<p>Elle est divisée par étages. Au rez-de-chaussée, l'anachorète gros et +geignant se présente à nous et sa bonasse figure, que de grosses larmes +humectent, regarde le ciel, sans trop de désespoir. Au-dessus de lui +trône une femme qui se dévêt même de la feuille de vigne. Elle est +grande, belle, élancée, et son impudeur est triomphante. En haut, tout +en haut, apparaît une admirable tête de Christ, prise à quelque maître +gothique flamand. Il semble consoler Antoine et pleurer lui aussi sur +l'amas des vices et des péchés montrés.</p> + +<p>Dans la vie des Saints par Alban Stolz, docteur en théologie et +conseiller ecclésiastique, il est dit d'Antoine: «Un jour qu'il venait +d'être tenté plus que de coutume, il lui sembla que Notre Seigneur lui +apparaissait rayonnant de lumière. Il lui dit en soupirant: «Bon Jésus +où donc avez-vous été? Pourquoi n'êtes-vous pas plutôt venu me +secourir». Et il lui fut répondu: «Pendant que vous combattiez j'étais +auprès de vous, car sachez que je vous assisterai toujours.» Ce texte +commente nettement le fourmillant dessin d'Ensor. Il composa du reste ce +poème par morceaux, appliquant sur une grande toile, maint carré de +papier qui continuait sans interruption la partie de scène traduite sur +le carré voisin.</p> + +<p>En plus, si l'œuvre se divise, dans le sens de la hauteur, par étages, +elle se complique aussi, dans le sens de la profondeur, par couches. +Presque partout quelque motif en saillie en cache un autre d'un relief +plus atténué et plus fondu. Il en résulte une abondance et comme une +fermentation étrange, car dans cette large page tout est traité: +religion, histoire, morale, vice, vertu, terreur, angoisse, rire, +ricanement, folie. On se croirait en présence de quelque œuvre indoue +qui nous propose une explication du monde. Et voici les cultes anciens +ridiculisés par une Minerve grotesque debout au fronton des temples et +voici les mille inventions modernes traitées fantastiquement: trains, +ballons, navires; et voici des écorchés dont des femmes enlèvent la peau +et voici des crucifiés dont des femmes enlèvent le cœur et voici les +péchés capitaux qui apparaissent avec leurs violences et leurs affres et +qui tournent autour de la luxure centrale.</p> + +<p>Dans le bas se déroulent des cortèges. Des mimes, des masques et des +clowns, portant des pancartes folâtres se poussent vers saint Antoine +comme pour lui présenter la pétition goguenarde de l'universelle démence +humaine.</p> + +<p>Oh, le multiple et terrible cauchemar enluminé! Il arrête surtout par +ses détails minutieux et innombrables, mais l'ensemble en est toutefois +large et imposant. Celui qui le conçut est quelqu'un dont +l'intelligence, le cœur et l'imagination travaillent et fournissent avec +angoisse leur pensée et leur rêve aux mains patientes et laborieuses.</p> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="V" id="V"></a>V.</h3> + +<h3>LES EAUX-FORTES</h3> + + +<p>C'est dans son travail d'aquafortiste plus encore que dans son œuvre de +peintre que l'imagination d'Ensor s'est débridée. Bien des cuivres +reproduisent certains de ses tableaux et tel de ses dessins est traduit +en gravure. Toutefois, quand le burin à la main il conçoit quelque +composition encore inédite, le vent de la fantasmagorie plus que jamais +violent lui souffle sur le cerveau. Je craindrais de rééditer certaines +analyses déjà faites si je présentais, ici, toutes les <i>diableries</i> et +<i>mascarades</i> traitées à la pointe. Je ne veux appuyer que sur leur +excessive audace, sur leur extrême cocasserie, sur leur insurpassable +outrance. L'impudeur, l'indécence, la scatologie même apparaissent. +Mais—disons le en y insistant—rien n'est malsain, trouble, louche, +ambigu; tout au contraire est franc, sincère, féroce, brutal. Il n'y a +pas de sous-entendu. Il y a étalage. On sait immédiatement qu'il faut ou +fermer ses yeux si l'on craint pour ses prunelles innocentes, ou se +boucher le nez si l'on possède des muqueuses trop délicates. Le +haut-le-cœur est soudain ou ne se produit pas. Ceux qui l'évitent se +complairont à suivre alors, en tous leurs méandres, les fleuves de +verve tumultueuse et de raillerie agitée que l'artiste charrie à travers +ses œuvres, avec leurs boues frappées de soleil, leurs folles herbes +tournoyantes et leurs charognes magnifiques. Vienne, Zürich, Liège, +Barcelone, Milan, Venise, Ostende, Dresde, Paris possèdent, en leurs +collections publiques mainte eau-forte du graveur. M. Eugène Demolder en +une critique pénétrante et renseignée, M. Coquiot das sa préface au +<i>livre des masques</i>, M. Vittorio Pica, là bas, en Italie, dans les +revues et Jean Lorrain, dans le roman étrange, précieux et faisandé de +<i>M. de Phocas</i>, ont longuement et ardemment célébré tels ou tels cuivres +du peintre. Voici ceux qui ont le plus souvent sollicité la critique.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 583px;"> +<a name="la_cathedrale" id="la_cathedrale"></a> +<img src="images/ensor_30_la_cathedrale_02.jpg" width="583" alt="La Cathédrale—1886. Gravure à l'eau-forte." title="" /> +<span class="figcap">La Cathédrale—1886. Gravure à l'eau-forte.</span> +</div> + +<p><i>La Cathédrale</i> (1886). Serrée, compacte, myriadaire, une multitude +s'avance moins avec ses jambes, ses bras, son corps qu'avec ses visages, +vers on ne sait quel but. Elle bouge non pas individuellement, mais +totalement, d'un énorme mouvement d'ensemble et c'est comme si la masse +humaine entière s'ébranlait. Au milieu d'elle une église avec ses +grandes tours, avec l'élancement de ses ogives, avec ses toits et ses +clochetons, une église légère, triomphante, aérienne est plantée et +domine. Au loin se devinent d'autres architectures, des surgissements de +flêches, des hampes géantes et des drapeaux. On songe à une colossale +fête séculaire, à quelque anniversaire prodigieux. Le spectacle est +épique.</p> + +<p>Et cette impression est donnée non pas avec force, mais avec légèreté et +délicatesse. Le burin fourmillant a creusé partout mais jamais sa pointe +ne fut rude ni acharnée. On dirait le travail d'un clan de mouches ou +d'une ruche d'insectes. Une atmosphère joyeuse, transparente, fine, +légère, baigne la page entière et si le mot chef-d'œuvre vole sur les +lèvres de celui qui la regarde, ce mot y semblera bien à sa place comme +est à sa place sur le cuivre chaque trait d'ombre et chaque surface de +lumière.</p> + +<p><i>La grande vue de Mariakerke</i> (1887) est d'une qualité d'art aussi haute +que la <i>Cathédrale</i>. Les petites maisons du village west-flamand sont +groupées autour de son clocher, avec leurs toits comme des ailes +abaissées, avec leurs maigres enclos, avec leurs dunes poudreuses et +leurs verdures aiguës. Un ciel admirable de nuages volants le surmonte +et le grandit. On sent la mer proche. Les herbes de l'avant-plan sont +ployées par le vent du large. Elles forment comme une barrière d'ombre +qui éloigne et approfondit le sujet principal. Un air abondant circule. +Une correspondance exacte, une interinfluence scrupuleusement observée +et rendue existe entre le ciel et la terre. Les plans sont partout +minutieusement fixes et leur accord partant des bords du cadre jusques à +l'horizon prouvent quel œil sûr Ensor possède qu'il s'agisse du trait ou +de la couleur.</p> + +<p>Et <i>l'Hôtel de ville d'Audenarde</i> (1888) et surtout les <i>Barques +échouées</i> (1889) confirment encore en nous cette conviction. Dans la +première planche, l'ombre des galeries du rez-de-chaussée est rendue +avec une justesse merveilleuse et tout le haut de l'édifice semble comme +vibrer dans la lumière; dans la seconde, grâce à la disposition oblique +des deux lignes principales, celle du rivage lointain et celle des +bateaux sur le quai, l'approfondissement du paysage est admirablement +rendu, tandis que la volute large et ample du nuage, déroulant sa portée +dans la même direction que le rivage de droite et les barques de gauche, +concourt à cette même illusion d'étendue. Souvent, le jeu subtil des +lignes ne fut guère favorable aux compositions de James Ensor, mais ici +les plus malveillantes critiques ne peuvent avoir de prise et son œuvre +est irréprochable. Ceux qui le chicanent sur la trop fameuse +perspective, n'ont qu'à examiner les <i>Barques échouées</i>. Ils conclueront +que si le peintre viole parfois telle ou telle sacro-sainte règle, tant +en ses tableaux qu'en ses dessins, ce n'est ni par ignorance, ni par +impuissance mais par réflexion et par volonté. L'art doit sacrifier à +chaque instant les préceptes et les enseignements qui le gênent dans ses +recherches et ses découvertes. Un vrai artiste trouve en lui-même la +justification de ses excès. Ce qui s'est fait avant lui ne lui est qu'un +conseil; ce ne peut jamais lui être un ordre, ni une sorte d'ultimatum. +L'art est libre, libre, libre! s'écrie quelque part James Ensor. Il n'y +a que les médiocres qui ne comprennent pas et ne comprendront jamais la +profondeur et la sincérité d'une telle revendication ardente. +Heureusement que les routes supérieures de l'humanité en marche sont +plantées de grandes œuvres qui l'affirment et la crient à leur tour.</p> + + +<div class="figcenter" style="width: 750px;"> +<a name="le_christ_apaisant_la_tempete" id="le_christ_apaisant_la_tempete"></a> +<img src="images/ensor_31_le_christ_apaisant_la_tempete_02.jpg" width="750" alt="Le Christ apaisant la Tempête—1886. Gravure à la pointe +sèche." title="" /> +<span class="figcap">Le Christ apaisant la Tempête—1886. Gravure à la pointe +sèche.</span> +</div> + + +<p>Le <i>Christ calmant la tempête</i> (1886), les <i>Sorciers dans les +bourrasques</i> (1888), l'<i>Ange exterminateur</i> (1889), sont des +compositions magnifiques d'ampleur et de simplicité. La première est +comme solennelle. On a la sensation d'un miracle qui éclate et du +surnaturel qui rayonne. Les deux autres baignées—dites de quelle vaste +ou féerique lumière—propagent un mouvement fou tout au long de leurs +lignes. L'énorme Sorcier de la bourrasque fait songer à quelque Caliban +céleste. Il est grotesque et puissant à la fois. L'ange exterminateur a +beau nous apparaître comme une sorte de croquemitaine et les foules qui +le voient passer s'accroupir en des poses affolées, l'apparition est +magnifique et inoubliable de splendeur. Le trait menu et comme +tremblant, le trait minuscule et rompu doue le cheval et son cavalier +galopant dans les nues, comme d'une vitesse frémissante.</p> + +<p><i>Les sept péchés capitaux</i>, que précéda dès 1888: <i>Peste dessus, peste +dessous, peste partout</i>, nous offrent comme une œuvre cyclique où le +grotesque le dispute à la férocité. Une eau-forte liminaire en prépare +l'impression étrange. Elle figure une Mort ailée—dites quelles ailes +misérables et déplumées le squelette entr'ouvre!—abritant sous elle des +personnages divers dont chacun semble être une indication rapide des +sept vices à fustiger.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 515px;"> +<a name="barques_echouees" id="barques_echouees"></a> +<img src="images/ensor_32_barques_echouees.jpg" width="515" alt="Barques échouées—1888. Gravure à l'eau-forte." title="" /> +<span class="figcap">Barques échouées—1888. Gravure à l'eau-forte.</span> +</div> + +<p>La <i>Luxure</i> (1888) occupe le centre de l'œuvre. Un jeune homme dont le +corps est à demi dissimulé, semble ramper, sur un lit, vers une femme +énorme qui détourne la tête et n'étale qu'une chair ballonnée impudique +et monstrueuse. Le temps, sinistre et glabre vieillard, le temps aux +mains et aux ailes crochues menace d'une faux énorme le couple lubrique, +tandis que voltige dans l'air une manière de gnome cornu et que dans un +cadre, près d'un rideau, de vagues nudités apparaissent. Dessin rapide, +traits menus, facture fine et délicate. Page de blondeur et de jeunesse +où seule la faux levée trace un lugubre éclair. Elle voisine avec +<i>l'Avarice</i> (1904)—ici, la pointe du burin appuie, griffe, devient +comme méchante—et l'on voit un terrible bonhomme, en casque-à-mèche +compter son argent sur une table et quelque démon hérissé remuer, avec +lui, les pièces rondes et frémissantes. Soudain surviennent deux +assassins qui assaillent et saignent le cynique avare. Le sang +éclabousse sa figure et s'écoule de son flanc. L'<i>Envie</i> (1904) +s'éclaire de l'apparition d'une jeune mère tenant un nouveau-né entre +ses bras. Elle est heureuse. Un jeune gars l'embrasse. Une paix, une +douceur, une tendresse est répandue. Des rayons partent du milieu de la +page, baignant le front de la femme et se projetant jusqu'au bord du +cadre. Mais voici la contradiction qui se lève: vieilles filles au nez +féroce, bigotes tirant la langue, hommes graves et bilieux, crétins +faisant des pieds-de-nez et ci et là des squelettes voltigeant comme +pour annoncer la maladie et le trépas et affirmer combien toujours la +mort est suspendue sur la vie.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 510px;"> +<a name="Croquis_05" id="Croquis_05"></a> +<img src="images/ensor_33_croquis_05.jpg" width="510" alt="Croquis." title="" /> +<span class="figcap">Croquis.</span> +</div> + +<p>L'<i>Orgueil</i> (1904). Solennel, ponctuel, grave, rogue, ridicule, avec de +tombantes bajoues, avec un front étroit, carré, abrupt, avec une tête +trop volumineuse pour son corps étriqué, quelque vague notaire ou +commerçant ou bourgmestre de province se présente à la foule des +quémandeurs, des humiliés et des pauvres qui lui baisent les mains. Un +squelette lui pose une couronne sur la tête. Un coq, les plumes +hérissées, crie vers lui comme s'il claironnait de fureur. Un âne +regarde. Quelque morne sacristain lit un discours; quelque minable +vieille tend un bouquet. La mort, armée de sa faux, promène ses doigts +d'os dans la perruque d'une femme acariâtre—peut-être la compagne du +notaire, du commerçant ou du bourgmestre—et lui cherche sa vermine. La +scène est d'une observation cruelle et folâtre. Tout est piteux, morose, +grotesque dans ce triomphe. La petite ville y est raillée et bafouée. +Ensor se venge.</p> + +<p>La page la moins réussie nous représente la <i>Colère</i> (1904). Au fond +d'un lieu quelconque—appartement d'ouvrier ou grenier bourgeois—homme +et femme, avec des couteaux et des crochets, luttent et se blessent. +Leur chat, le poil dressé, assiste à la bataille. Des êtres +singuliers interviennent et la camarde semble faucher le vide au-dessus +des combattants. On croirait que le cuivre est griffé au moyen d'un +clou. Toute autre est l'abondante et grasse et croupissante et +savoureuse <i>Gourmandise</i> (1904). Bien que les deux personnages assis +vomissent leur nourriture et que la Mort leur serve un homard et qu'un +chien, sur le dossier d'une chaise, compisse l'un d'eux et qu'une tête +coupée s'étale sur un plat, le petit drame gastronomique se caractérise +par une jovialité amusante. Un tableau pendu au mur réjouit par son +dessin preste: il représente des porcs qu'on tue, dans un village sur la +place, et certes les deux bâfreurs assis ou plutôt affalés à leur table +ne se doutent point qu'ils méritent un semblable trépas. L'énorme cochon +qui se hisse dans un coin, la langue pendante, semble seul distraire le +plus gros des convives et son œil oblique s'en va vers le groin tendu ou +vers le homard que la mort apporte, presque amoureusement. Enfin la +<i>Paresse</i> (1902) représente deux dormeurs, un homme et une femme, +enfoncés dans leur couche. Un lutin ricaneur chatouille l'œil de la +dame. Un squelette détraque une horloge et enlève une aiguille. Par la +fenêtre, on aperçoit des paysans qui moissonnent, des ouvriers qui +brouettent, des valets qui bêchent, des gens de peine qui transportent +des fardeaux, des soldats à l'exercice, des trains qui roulent et tout +au loin une ville énorme dont les usines s'acharnent et fument sous le +riant soleil. Dehors il fait grand jour, mais les dormeurs baîllants se +calfeutrent et de lents escargots rampent sur leurs draps. Un petit +démon, sur la table de nuit, éteint, d'un pet, la bougie.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 438px;"> +<a name="Ernest_Rousseau" id="Ernest_Rousseau"></a> +<img src="images/ensor_34_ernest_rousseau.jpg" width="438" alt="Ernest Rousseau—1887. Gravure à la pointe sèche." title="" /> +<span class="figcap">Ernest Rousseau—1887. Gravure à la pointe sèche.</span> +</div> + +<p>Cette suite de sujets renseigne—et que d'autres petites planches +l'affirment comme elle—sur l'inépuisable fantaisie de James Ensor. On +la croit au bout de sa trépidation et toujours et encore elle +recommence. Elle est véloce et incessante comme le tic-tac d'une montre. +Elle s'agite jour et nuit. La moindre observation faite au hasard la +remonte comme le petit tour de clef quotidien redonne la vie aux +ressorts distendus.</p> + +<p>Pour saisir mieux encore cette folâtre imagination il faudrait la suivre +jusque dans sa descente vers la caricature et la montrer aux prises avec +les <i>Cuisiniers dangereux</i><a name="FNanchor_1_1" id="FNanchor_1_1"></a><a href="#Footnote_1_1" class="fnanchor">[1]</a> et les <i>Mauvais médecins</i> (1895).</p> + +<p>Les <i>Cuisiniers dangereux</i> sont les critiques. On y distingue telles +personnalités que J. Ensor redoutait. Elles servent un étrange repas à +quelques-uns de leurs confrères et sur les plats présentés s'étale la +tête même du peintre flanquée d'un sauret. Les <i>Mauvais médecins</i> +opèrent avec une férocité délurée, s'empétrant parmi les intestins +qu'ils retirent des ventres comme des câbles et taillent dans les chairs +de larges crevasses par où s'évadent les entrailles. Le patient tend un +poing vers le ciel, est retenu par une corde qui l'étrangle tandis que +la mort sinistre, avec un geste préceptoral, apparaît.</p> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_1_1" id="Footnote_1_1"></a><a href="#FNanchor_1_1"><span class="label">[1]</span></a> Les <i>Cuisiniers dangereux</i> sont un panneau (1896).</p></div> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="VI" id="VI"></a>VI</h3> + +<h3>VIE ET CARACTÈRE</h3> + + +<p>Vie banale somme toute, mais en lutte avec un caractère spécial, +étrange, infiniment impressionnable et ombrageux.</p> + +<p>Ensor naquit à Ostende. Il a 48 ans. Il grandit dans une maison de +négoce, avec sa boutique achalandée s'ouvrant sur la rue, à côté de la +chambre de famille. Aux jours où la mer est calme on envoie l'enfant sur +la plage se distraire dans le sable, avec des coquillages. Il ne connaît +point encore le pittoresque quartier des pêcheurs plein de voiles et de +bateaux, plein de gamins hâves qui jouent parmi des charettes à bras, +dépiotent de leurs doigts prestes les crevettes tombées des paniers de +la marée et se poursuivent parmi les cordes tendues de poteau en poteau +et les ancres abandonnées dans les terrains vagues. Ce n'est que plus +tard qu'il se mêlera, poussé par son art, à la vie des matelots et des +mousses.</p> + +<p>Il ne suit les classes que pendant deux ans. Lui même emmagasine +quelques connaissances variées dans sa jeune tête. Ses livres d'images +le hantent. Les romans à naïfs dessins le sollicitent. Après avoir +admiré les gravures il lit le texte. Mais déjà mainte tentation lui +vient de rendre les tons et les lignes qu'il voit. Il griffonne et +barbouille. Détail à noter: ce sont les couleurs qu'il traduit avant +même qu'il dessine les objets. Il a quatorze ans.</p> + +<p>On lui donne comme professeurs deux vagues aquarellistes ostendais: +Dubar et Van Kuyck. Leurs conseils lui sont légers. Il les écoute et +oublie leurs paroles. Il n'est inquiété que par ce qu'il voit. Il ne +peint que d'après nature et les sites marins et les dunes et les +paysages des environs d'Ostende sont ses premiers modèles. Louis Dubois, +le beau peintre solide et puissant, rencontrant un jour, au cours d'un +villégiature sur la côte, les quelques pages auxquelles James Ensor, +presque enfant, confiait ses primes essais, s'enthousiasma et vivement +s'intéressa à ses débuts.</p> + +<p>En 1877 le voici à Bruxelles. De 1877 à 1880 il fréquente l'Académie. Il +y eut pour compagnons: Fernand Khnopff, Charlet et Duyck. Et pour +maîtres: Portaels, Stallaert, Robert et Van Severdonck.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 487px;"> +<a name="le_theatre_des_masques" id="le_theatre_des_masques"></a> +<img src="images/ensor_35_le_theatre_des_masques.jpg" width="487" alt="Le Théatre des Masques ou Bouquet d'artifice—1889" title="" /> +<span class="figcap">Le Théatre des Masques ou Bouquet d'artifice—1889</span> +</div> + +<p>Plus tard, sorti de cette école, il appréciera et critiquera +l'enseignement de ses maîtres, en ce caractéristique monologue:</p> + +<blockquote><p style="margin-left: 10em;"> «TROIS SEMAINES A L'ACADÉMIE</p> + +<p style="margin-left: 14em;"><i>Monologue à tiroirs</i></p> + +<p>La scène est dans la classe de peinture.</p> + +<p>Personnages: Trois professeurs, le directeur de l'Académie, un +surveillant; personnage muet: un futur membre des <i>XX</i>.</p> + +<p>Nota: La vérité des menus propos qui suivent est garantie.</p> + +<p>1<sup>re</sup> Semaine: M. le professeur Pilstecker.</p> + +<p>Vous êtes coloriste, Monsieur, mais sur 100 peintres il y a 90 +coloristes.</p> + +<p>Le flamand perce toujours chez vous, malgré tout. Je trouve les +artistes français très forts; dans une exposition, on les distingue +de suite de leurs voisins; ils sont très forts en composition.</p> + +<p>Il ne faut pas croire que le professeur abîme l'étude en la +corrigeant; quand j'avais votre âge, je le croyais aussi, +maintenant je vois bien que le professeur avait raison.</p> + +<p>Vous n'avancez pas! ça n'est pas modelé! (montrant l'étude d'un +autre élève). En voici un qui va bien! Malheureusement il est trop +paresseux.</p> + +<p>Vous cherchez déjà l'air ambiant, au lieu d'attendre que vous soyez +assez fort en dessin; songez que vous avez encore deux classes +d'antiques à faire! après celà, vous aurez bien le temps de vous +occuper d'air ambiant, de couleur et de tout le reste.</p> + +<p>Vous ne voulez pas apprendre; peindre comme celà, c'est de la folie +ou de la méchanceté.</p> + +<p>Je suis <i>forcé</i> de vous complimenter sur votre dessin; mais +pourquoi faites-vous des dessins contre l'Académie?</p> + +<p>2<sup>e</sup> Semaine: M. le professeur Slimmevogel.</p> + +<p>Vous avez fait votre fond au lieu de faire la figure; ça n'est pas +difficile de faire un fond.</p> + +<p>Vous faites le contraire de ce qu'on vous dit. Au lieu de commencer +par <i>vos vigueurs</i>, vous commencez par les clairs. Comment +pouvez-vous juger votre ensemble. Il faut faire vos vigueurs avec +du noir de vigne et de la terre de Sienne brûlée.</p> + +<p>Je ne sais pas ce qu'il y a dans l'air ici; jamais je n'ai vu la +classe de peinture comme cette année. Je serais honteux si un +étranger entrait ici.</p> + +<p>Je ne vois rien là dedans. Il y a de la couleur, mais ça ne suffit +pas.</p> + +<p>Ça manque de vigueur. Vous empâtez trop. Vous avez l'air de bien +chercher cependant. Vous avez assez cherché maintenant.</p> + +<p>Est-ce M. Pilstecker qui a corrigé votre étude? Ça n'est pas sa +semaine, pourtant. C'est embêtant, ça!</p> + +<p>3<sup>e</sup> Semaine: M. le professeur Van Mollekot.</p> + +<p>Qu'est-ce que c'est que ça! C'est beaucoup trop brun, vous savez. +Est-ce M. Slimmevogel qui vous a corrigé?</p> + +<p>C'était si bien commencé. Vous dessinez si bien, mais vous abîmez +tout ce que vous faites.</p> + +<p>Croyez-moi, c'est dans votre intérêt que je vous le dis. Mettez +votre étude à côté du modèle. Vous avez peur de peindre.</p> + +<p>Il faut peindre avec des brosses plates, en pleine pâte, mais il +faut faire attention de ne pas blaireauter.</p> + +<p>Vous n'empâtez pas assez. Je sais bien que vous savez le faire, +mais il faudrait le montrer aux autres.</p> + +<p>Vous faites du paysage, c'est de la farce, le paysage!</p> + +<p>M. le Directeur.</p> + +<p>Vous dessinez en peignant, mauvais! mauvais! Vous allez vous noyer.</p> + +<p>C'est le sentiment qui vous perd, vous n'êtes pas le seul.</p> + +<p>La semaine passée, vous avez fait un bon dessin, maintenant, c'est +encore une fois la même chose; vous avez mal à l'œil peut-être? Un +sculpteur serait bien embarrassé, s'il devait faire quelque chose +d'après votre dessin.</p> + +<p>Est-ce M. Slimmevogel qui a retouché ça?</p> + +<p>Le Surveillant.</p> + +<p>M. le Directeur et M. Pilstecker sont très fâchés contre vous, à +cause de votre concours d'esquisse peinte. Si vous voulez me +promettre de changer de manière, j'en parlerai à M. le Directeur, +et vous pourrez entrer à la classe de nature.</p> + +<p><i>Moralité</i>: L'élève quitte l'Académie et se fait Vingtiste.</p> + +<p><i>Moralité ultérieure</i>: On refuse toutes ses toiles au Salon.»</p></blockquote> + +<div class="figcenter" style="width: 750px;"> +<a name="l_intrigue" id="l_intrigue"></a> +<img src="images/ensor_36_l_intrigue.jpg" width="750" alt="L'Intrigue—1890. (Collection Ernest Rousseau)" title="" /> +<span class="figcap">L'Intrigue—1890. (Collection Ernest Rousseau)</span> +</div> + +<p>Ce monologue porte. Il est jovial et juste. Il résume, d'un style leste +et ironique les tares de l'enseignement officiel. Les personnages +représentés se reconnaissent. Leurs jolis noms empruntés au langage +populaire donnent au morceau entier, une savoureuse couleur locale. +Ensor ne pouvait être un bon élève. Sa nature s'y opposait; il était +destiné à devenir un bon peintre. Il remporta toutefois le deuxième +prix de dessin de tête antique.</p> + +<p>Revenu à Ostende il se forme lui même. Toutefois restent suspendues au +mur de son atelier deux compositions faites à l'Académie: <i>Oreste +tourmenté par les Furies</i> et <i>Judas lançant l'argent dans le Temple</i>. On +comprend que d'authentiques professeurs se soient étonnés devant ces +peintures. Le ton y est déjà très particulier. Les personnages baignent +dans une lumière argentée; aucun trait n'est sec ni maigré. Aucun geste +conventionnel, ni appris. La scène n'est point soulignée par la +présentation à l'avant-plan du protagoniste principal, soit Judas, soit +Oreste. C'est le groupe qui intéresse; c'est l'ensemble; c'est l'action +totale. Des rouges sonnent sur un fond d'argent. Les défroques sont +plutôt romantiques que classiques ou bibliques. Le dessin académique est +tout entier mangé par la couleur. Ces deux toiles sont déjà de la vraie +peinture ensorienne.</p> + +<p>L'année 1880 fut une année admirable pour James Ensor. Son vrai début +date de ce temps. Il lit beaucoup. La littérature n'a jamais ému les +peintres belges. En ce temps là, surtout, leur ignorance se dressait +monumentale. Ils avaient peur d'orner leur esprit pour ne point courir +le danger de sacrifier à l'imagination. On sait ce que cette crainte +puérile a produit. Au dernier <i>Salon d'automne</i> (1907) à Paris, le +principal grief qu'on fit à notre exposition rétrospective fut de +manquer d'intellectualité ou plutôt d'intelligence.</p> + +<p>Je n'ignore point qu'un peintre littéraire est un peintre dévoyé. Je +sais qu l'œil et non pas l'esprit doit dominer dans les arts plastiques. +Nul plus que moi ne s'est fait un devoir de signaler combien il +importait de voir, de regarder, de constater afin de bien traduire soit +la ligne, soit la couleur, soit la lumière. Toutefois il ne faut pas +qu'un peintre se prévaille de cette vérité qui peut apparaître, à juste +titre, comme une manière de dogme esthétique, pour s'opposer à toute +culture générale et se complaire à n'être volontairement qu'une brute +qui peint. Il faut, au contraire, que tout artiste s'affine et s'éduque. +Or, c'est la littérature seule, prise dans son sens large, qui lui peut +donner cet affinement. Il doit tendre à son développement complet, à +l'exaltation de sa personnalité totale; il doit comme fourbir le +faisceau entier de ses facultés. Rien n'est perdu et, mystérieusement, +tout sert. A l'heure des chefs-d'œuvre, c'est tout l'être humain, avec +ce qu'il contient de puissance latente et emmagasinée dans son cerveau, +dans ses sens, dans ses muscles, dans ses nerfs, qui apparaît et qui se +hausse, par sa création soudaine mais combien lentement préparée, au +plan des dieux.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 712px;"> +<a name="masques_devant_la_mort" id="masques_devant_la_mort"></a> +<img src="images/ensor_37_masques_devant_la_mort_02.jpg" width="712" alt="Masques devant la Mort—1888. (Collection Ernest +Rousseau)" title="" /> +<span class="figcap">Masques devant la Mort—1888. (Collection Ernest +Rousseau)</span> +</div> + +<p>Les maîtres que lisait Ensor étaient évidemment ceux que sa nature +d'exception lui désignait: Edgar Poe et Balzac. Pourtant, avant eux, il +avait cultivé Rabelais (on s'en aperçoit en ses écrits); il goûtait le +Roland Furieux, de l'Arioste, et Don Quichotte et les Mille et une +Nuits. J'ai trouvé également dans sa bibliothèque «l'Enfer» du Dante.</p> + +<p>Quant aux peintres qu'il entoure de son culte pieux ce sont et Rembrandt +et Delacroix et Chardin et Watteau. Il ne lui déplaît pas de louer +également—il ne serait pas James Ensor s'il n'appréciait +l'antithèse—le «Virgile lisant l'Enéide» (fragment) du vieil Ingres.</p> + +<p>Il englobe encore dans son admiration Pierre Breughel et Jérôme Bosch. +Mais il ignore Rowlandson et Gillray auxquels il ressemble. Et Goya ne +lui est nullement familier.</p> + +<p>Ses voyages furent très rares. En 1892 il ne s'attarda que quatre jours +à Londres; il fut à deux ou trois reprises à Paris; il se divertit dans +un voyage en Hollande, avec son ami Vogels, et les musées d'Amsterdam et +de Haarlem le retinrent longtemps entre leurs murs.</p> + +<p>Sa vie s'est écoulée, à Ostende, presque tout entière. Il y a subi +l'interminable et ensevelissant ennui de la province qui tombe sur l'âme +comme une poussière sur le corps; il y a connu la moquerie et la haine; +le potin et la risée; il y a rencontré les contrariétés domestiques, +l'incompréhension inévitable, la dérélection. Les heures noires lui ont +fait cortège au long des jours gris, maussades, monotones. Sa +sensibilité fine comme le grain d'un bois rare et précieux a subi les +coups de rabot de la bêtise. Il s'est senti foulé, meurtri, brisé.</p> + +<p>Les rares joies qui flambaient autour de lui étaient de pauvres joies +provinciales. Il en prit, certes, sa part ne fût-ce que par tristesse. +Une société <i>Le Rat Mort</i> le comptait et le compte encore au nombre de +ses membres. Ce cercle où des médecins coudoient des avocats, où des +échevins serrent la main à des notaires, où des musiciens —quelques-uns +de vrai talent—introduisent le culte d'un goût surveillé, inscrit à son +programme le rire et l'entrain pour essayer de vaincre la torpeur +ambiante. Y réussit-il? Et sa joie n'est-elle pas uniquement +réglementaire?</p> + +<p>Quand James Ensor fut nommé chevalier par le Roi on lui ménagea quelque +fête cordiale et tapageuse. J'en connais l'ordonnance. Elle fut +consignée dans une brochure que rédigea et qu'illustra le peintre. Des +discours sont prononcés, des strophes battent des ailes et des +brabançonnes inédites voient le jour. La fête fut, paraît-il, charmante +et folle. Je le crois, bien que le souvenir que j'en ai entre les mains +ne me communique plus, à cette heure, ni charme ni folie. Mais il est +juste d'ajouter que la carcasse d'un feu d'artifice tiré est chose +lamentable et funèbre.</p> + +<p>Ensor écrit assez volontiers. On sait que la plume est entre ses mains +une arme—certes contournée, fantasque, chimérique—mais qu'elle est +toutefois aiguë et pointée comme un couteau et qu'elle blesse souvent. +Il s'est plu, dans le <i>Coq Rouge</i>, à la diriger—malencontreusement à +mon avis—contre Alfred Stevens; dernièrement encore dans l'<i>Echo +d'Ostende</i>, il égratigna maint critique. Il agit alors comme s'il tenait +entre les mains une molle pelotte, qu'il traverse d'épingles et qu'il +jette, dès qu'elle en est pleine, comme un espiègle, vers le public. Les +traits portent, les allusions sont transparentes; ceux qui sont au +courant de la vie d'Ensor comprennent. Les autres s'étonnent. Lui, dès +son geste fait, redoute qu'on se fâche, s'excuse presque d'avoir aussi +abondamment garni sa pelotte, d'avoir effilé trop vivement ses pointes, +mais, quoiqu'il en ait, il n'a pu s'empêcher de la lancer. Sa phrase est +surabondante d'adjectifs pittoresques et cocasses, de substantifs +soudains et inventés; elle est folle, amusante, superlificoquentieuse; +elle écume et bouillonne; elle monte et s'écroule en cataracte. +Lorsqu'une bouteille d'ardent champagne se débouche et que le +fourmillement des bulles gazeuses s'élève myriadaire et pétille vers le +goulot pour se répandre et se résoudre en mousse, je songe au style +fermenté de James Ensor.</p> + +<p>Ostende ayant repoussé son art, loin des murs nus de ses monuments, le +peintre, dès que l'occasion s'en offrit, malmena ses édiles. Il +s'agissait d'élever une statue à M. Van Iseghem, bourgmestre. Voici le +morceau. Je l'emprunte à la <i>Ligue Artistique</i>.</p> + +<p> + +</p> + +<p class="center">UN BRONZE OSTENDAIS A PLACER</p> + +<p>«Resignalons allègrement les évolutions +sardinéennes de nos bourgmestres vacillants ou édiles +impénétrables, travaillés par des voix. Contemplons +caricaturalement les entrechats effrénés de certains +administrateurs ventripotents: singulières gambades +agrémentées de culbutes désopillantes, subtiles +ruades de grisons affolés, tiraillements aigres-doux de +fonctionnaire non fonctionnant ruminant son bronze, maître coup de +gaffe d'adroit manœuvrier manœuvrant, discussion spongieuse +de batracien encornichonné coassant, effondrement subit de +mache-brique imprévoyant, grossissement anormal de +cucurbitacé triomphant.</p> + +<p>«Lançons quelques pierres dans cette mare aux marmousets et +enveloppons d'un voile épais les échantillons artistiques +de nos esthètes tremblotants pataugeant en sourdine dans les +vases de barbotine ou d'élection.</p> + +<p>«Ces mêlées de moules et contre-moules et +d'asticots asticotés me laissent indifférent: le +contribuable ostendais a d'autres singes à fouetter. Mais une +grosse question divise nos esthètes mercurisés.</p> + +<p>«L'érection de la statue de Jan Van Iseghem s'impose, +clament nos édiles en mal de bronze! +Pschykoriaminikrolobrédibréraxispipipi! expectorent +péniblement nos vieux barbons du littoral; «une +réunion de conseillers de l'Huîtrisie Heureuse +s'indique», fafouent nos scaphandriers désossés, +prudents immergeurs de vesses traîtresses.</p> + +<p>«Après vives discussions hérissées de bourdes +solennelles, sauts de carpe, torgnioles, plamussades, nasardes +fraîches, faux horizons de narquoisie, momeries variées, +arlequinades de haute lisse, péroraisons limaçonnes, +jérémiades de tritons essoufflés, volées +oratoires de grand effet, miaulement suraigus, grognements agressifs, +gloussements inarticulés et bredouillements confus dignes d'une +assemblée de vieilles lavandières échaudées +ou marchandes des quatre saisons coquemardées, nos orateurs +mollusqueux, égosillés et contents se +réfugièrent prestement entre de jolies valves +nacrées et perlières, et il ne fut plus question de la +statue du plus pelliculé des bourgmestres passés, +présents et à venir.»</p> + +<hr style="width: 45%;" /> + +<div class="figcenter" style="width: 707px;"> +<a name="la_raie" id="la_raie"></a> +<img src="images/ensor_38_la_raie_02.jpg" width="707" alt="La Raie—1892. (Collection Ernest Rousseau)" title="" /> +<span class="figcap">La Raie—1892. (Collection Ernest Rousseau)</span> +</div> + +<p>La musique l'a tenté autant que la littérature. Il compose et improvise. +Blanche Rousseau fut, un jour, témoin de la façon dont il railla avec +des notes ceux qui le raillaient avec des paroles.</p> + +<p>«A un dîner de noces où se trouvaient un grand nombre de bourgeois, +Ensor, pâle et muet, se laissait taquiner, mais avec des sourires +contraints, des regards dédaigneux où s'allumait parfois l'éclair fugace +d'une colère ou d'une ironie effrayantes. Non loin de lui, je +l'observais et j'avais presque peur. Tout à coup, quelqu'un +l'interpelle: «De la musique, James, de <i>ta</i> musique.» On rit, il +résiste, on insiste.... Alors, il se lève tout à coup, marche au piano, +et fait éclater une fanfare discordante, un tumulte de sons bousculés, +mais si moqueurs, si violents, d'une si imprévue et tragique ironie ... +une sorte de <i>marche des bourgeois</i> où les cris d'animaux se mêlent au +vacarme du tam-tam, et brisée dans un long hurlement sinistre. Il revint +à sa place, sans que, pourtant, sa figure eût changé—mais les autres ne +riaient plus».</p> + +<p>La musique autant que la littérature lui sert donc à des manifestations +irritées tout autant que certains dessins et certaines caricatures. +Quand sa sensibilité est trop foulée et comprimée par l'hostile ambiance +elles lui sont comme deux soupapes qu'il ouvre tout à coup et par +lesquelles il se libère de sa mauvaise humeur.</p> + +<p>Mais quelquefois aussi elles lui apparaissent comme de réelles +expressions d'art, surtout la musique, qu'il aime et cultive, avec +délices et pour laquelle, me dit-on, il se sent né tout autant ou peut +être plus encore que pour la peinture.</p> + +<p>«L'étrange musique, écrit encore Blanche Rousseau. Elle ne ressemblait à +aucune autre; elle ne ressemblait à rien au monde. Elle était sourde et +voilée—rapide comme un souffle, aussi légère—ou bruyante +soudain—dure, heurtée, diabolique.... Les sons couraient, agiles, +ailés, s'égouttaient en jet d'eau ou s'écroulaient en poudre.... Ils se +relevaient, s'envolaient en soupirs vers les nues idéales et retombaient +à terre avec des grimaces et des contorsions. C'était pour moi, petite +fille, des troupeaux d'anges et de démons tournoyant entre ciel et +terre, des chutes et des essors, et les merveilleuses ascensions d'un +mélange bizarre de figures dont prédominaient tour à tour les unes, +sublimes, ou les autres, grimaçantes et horribles.... Et quand, brisant +soudain une mélodie, Ensor entonna le <i>Miserere</i> d'un voix vacillante, +effrayante dans l'ombre, la voix exacte d'un curé cynique et rapace +devant un cercueil entouré de cierges—tandis qu'on riait dans la +chambre éclairée—mon cœur se glaça d'horreur et je me crus vieille à +treize ans».</p> + +<div class="figcenter" style="width: 723px;"> +<a name="bataille_des_eperons_d_or" id="bataille_des_eperons_d_or"></a> +<img src="images/ensor_39_bataille_des_eperons_d_or_02.jpg" width="723" alt="Bataille des Éperons d'or (1895).—Eau-forte." title="" /> +<span class="figcap">Bataille des Éperons d'or (1895).—Eau-forte.</span> +</div> + +<p>Il suffit d'avoir approché Ensor à certains jours, d'avoir écouté, +attentivement, ce qu'il ne disait pas pour se convaincre qu'il est à la +fois timide et téméraire, très simple et très complexe, que le soupçon +habite en lui, qu'il se croit volontiers honni, trahi, persécuté même, +qu'il est plein d'ironie et de goguenardise. Son silence et son rire +sont, presque au même titre, inquiétants. Il a la haine de la bêtise; il +la sait dure et coriace: il faut de temps en temps qu'il la morde. +Pourtant la méchanceté lui est étrangère.</p> + +<p>Au fond, très au fond de lui, séjourne certes la bonté; mais cette +source profonde il ne la montre qu'à de très chers regards. Sa petite +nièce l'a vu certes se répandre. Pour les autres gens, il demeure un +être fermé et énigmatique. On ne le saisit jamais entièrement. La vie +lui apprit à être défiant. On ne lui a point rendu toute justice. Son +art n'est point encore, à cette heure, situé où quelque jour il se +campera. Mais qu'importe! l'ascension sera d'autant plus sûre qu'elle +aura été lente et contrariée.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 536px;"> +<a name="la_mort_poursuivant_le_troupeau" id="la_mort_poursuivant_le_troupeau"></a> +<img src="images/ensor_40_la_mort_poursuivant_le_troupeau.jpg" width="536" alt="La mort poursuivant le Troupeau des Humains—1895. +Gravure à l'eau-forte." title="" /> +<span class="figcap">La mort poursuivant le Troupeau des Humains—1895. +Gravure à l'eau-forte.</span> +</div> + +<p>Le caractère n'explique évidemment pas toute une œuvre. Ce sont les dons +fonciers que le peintre porte en lui qui la déterminent, +l'entretiennent, la nourissent et la développent.</p> + +<p>Toutefois le caractère de l'homme influence l'œuvre, si j'ose dire, +latéralement. Il est comme les vents d'est, d'ouest, du sud et du nord +qui assiègent une plante magnifique, la courbent, la redressent, la +baignent d'air chaud ou d'air froid, l'épanouissent ou la dessèchent. +Ensor est un supra-sensible.</p> + +<p>La mobilité, l'inquiétude, la vacillation de sa nature expliquent à la +fois les recherches fièvreuses, les pas en avant, les pas en arrière, +les brusques progrès et les soudains reculs, en un mot tous les +changements et aussi toutes les inégalités de son art. Après un tableau +clair, il rétrograde vers un tableau sombre; après un dessin de +caractère il commence un dessin atmosphéré, après une eau-forte toute en +délicatesse il burine un cuivre comme avec des clous. Il est tumultueux +et abrupt dans mainte composition; le développement continu ou +symétrique des lignes ne l'inquiète guère; il procède par à coups; il +étonne plus souvent qu'il ne charme. Il fait preuve de maladresse et il +est loin de bannir de son art le dérèglement et le chaos. Il ne tient +jamais en place et souvent il ne tient pas même sa place. Les œuvres +inférieures voisinent avec les œuvres excellentes. Au cours de cette +étude je n'ai insisté que sur ces dernières: elles seules comptent dans +la vie d'un maître.</p> + +<p>Son caractère explique encore son amour immodéré pour le masque, la +défroque, la mort, la laideur. Pendant les dures, moroses et adverses +années de sa vie, quand il se croit abandonné de tous, quand des idées +de persécution hantent sa tête, il met comme une ardeur noire à +dénaturer, à déformer, à calomnier la vie. Quelques-unes de ses toiles +sont féroces. Les <i>deux squelettes se disputant un hareng-saur</i> mettent +une âpreté telle dans leur lutte à mâchoires voraces et terribles qu'on +songe vaguement à deux cruels ennemis du peintre s'acharnant sur lui. Le +jour qu'il campa devant son poêle de fonte le gras et narquois +<i>pouilleux</i> et que les premiers <i>masques</i> vinrent surprendre et attirer +son attention, ce fut le pittoresque et la saveur des guenilles et des +oripeaux qui certes le sollicitèrent. Il découvrit en eux l'ironie et la +farce quasi joviales; mais plus tard l'ironie et la farce firent place +au sarcasme, à la détresse et à la violence. Et le rire devint +ricanement. Bien plus. Peut être s'est-il fait que le découragement a +remplacé, à point nommé, la colère et que certaines années mauvaises et +mornes, les années vides d'enthousiame, ne sont imputables qu'à un +fléchissement de volonté. Car—et je ne veux point éluder ce problème +moral—il est vraiment incompréhensible qu'aux heures pleines de +l'adolescence et de la maturité commençante Ensor se soit comme retiré +de la lutte, alors qu'une abondance de gestes et d'œuvres marque chez +les artistes doués comme lui l'entrée triomphale dans la quarantaine.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 631px;"> +<a name="la_danse" id="la_danse"></a> +<img src="images/ensor_41_la_danse.jpg" width="631" alt="La Danse—1896. (Collection Ernest Rousseau)" title="" /> +<span class="figcap">La Danse—1896. (Collection Ernest Rousseau)</span> +</div> + +<p>Est ce la veule et torpide province, la solitude trop complète, +l'éloignement trop prolongé ou la critique injuste qui ont amené cet +alentissement? Quelle brisure intérieure a lézardé une muraille déjà si +haute?</p> + +<p>Ou bien les ennuis quotidiens et domestiques, les tracas mesquins et +rongeants le condamnèrent-ils quelque temps au silence?</p> + +<p>L'explication nette et unique se dissimule sous l'amas des conjectures. +Peut être un jour jaillira-t-elle simple et probante. En attendant, je +ne crois pas errer en affirmant que c'est dans le caractère du peintre +et non pas en son art lui-même qu'il la faut chercher. Les rares +dernières œuvres qui n'ont point encore quitté son atelier affirment que +son œil est autant que jamais subtil, vivant et frais et que peut-être +un dernier rajeunissement est à la veille d'éclore. Mais quel que soit +l'avenir, l'œuvre telle qu'elle est, avec sa série de toiles depuis +longtemps victorieuses, n'est indigne d'aucune des louanges que nous lui +avons, au cours de ces pages, prodiguées.</p> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="VII" id="VII"></a>VII.</h3> + +<h3>LA PLACE DE JAMES ENSOR DANS L'ART CONTEMPORAIN</h3> + + +<p>La place de James Ensor dans l'art de son temps apparaît belle et nette. +Le recul nécessaire pour la fixer se fait et ce jugement émis par ses +admirateurs n'est déjà plus un jugement horaire.</p> + +<p>Un fait esthétique notoire domine la peinture du XIX<sup>e</sup> siècle: la +découverte de la lumière. D'où la recherche nécessaire d'harmonies +nouvelles, de relations autres, de valeurs et de juxtapositions de tons +insoupçonnées jadis. D'où encore un renouveau du sentiment pictural +lui-même, la joie et la vie intronisées à la place de la morosité et de +la routine, l'œil éduqué non plus à l'atelier mais dans les jardins, les +bois et les plaines, les pratiques anciennes abandonnées au profit de la +surprise et de la découverte rencontrées à chaque coin de route, à +chaque angle de carrefour. C'est la nature, bien plus que les musées, +qui forma les peintres novateurs. Elle leur imposa directement leur +vision et modifia leur technique. Même elle renouvela toute leur +palette. Ils n'ont consulté qu'elle: c'est d'après ses leçons ingénues +et profondes qu'ils se sont formés, se sont découverts et se sont +exaltés à l'heure des chefs-d'œuvre.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 660px;"> +<a name="mariakerke" id="mariakerke"></a> +<img src="images/ensor_42_mariakerke.jpg" width="660" alt="Mariakerke—1896. (Collection Edgar Picard)" title="" /> +<span class="figcap">Mariakerke—1896. (Collection Edgar Picard)</span> +</div> + +<p>Dans cette conquête de la clarté, l'effort et la vaillance de James +Ensor compteront. Son geste demeurera insigne, non seulement dans +l'école de son pays, mais, un jour, dans l'art occidental tout entier. +Car une mise au point exacte de la victoire impressionniste se prépare +partout. L'Europe entière y collabore. Certes y conservera-t-elle son +rôle d'initiatrice et de propagatrice la belle et grande France. Mais la +Hollande, mais l'Angleterre, mais l'Espagne, mais la Belgique +s'adjugeront également, à bon droit, quelques magnifiques rayons de la +gloire artistique toujours renouvelée et sans cesse voyageuse, qui +s'est, jadis, presque fixé chez elles, puis s'en est allée, puis revenue +pour y séjourner à nouveau.</p> + +<p>L'histoire de l'impressionnisme ne fut tentée, pourrait-on dire, qu'au +point de vue parisien. Les marchands s'y sont intéressé plus encore que +les critiques. Les dithyrambes ont monté d'après les prix de vente. On +put croire, à tel instant, qu'une toile était moins une œuvre d'art, +qu'une valeur financière. Degas, Renoir, Monet, Cézanne et Sisley +avaient leurs courtiers comme le sucre, le café, la margarine et le +cacao. Tout peintre étranger admis à la côte parisienne devenait peintre +et maître à son tour.</p> + +<p>On ne le jugeait plus d'après ses origines, mais d'après les qualités +qui l'apparentaient aux maîtres français. Ainsi faussait-on maint +jugement. La critique met en valeur les différences entre peintres et +non pas les ressemblances ou les similitudes. Les écoles nationales sont +nécessaires à l'évolution complète d'une même théorie ou d'une même +formule. Une même idée conçue par des peuples différents, un même +principe d'art appliqué par des groupes étrangers les uns aux autres +acquiert une diversité précieuse et riche. La totalité des résultats +peut être atteinte ainsi.</p> + +<p>Au reste, les peintres venus d'ailleurs conservent, même à Paris, d'une +manière souveraine, leurs qualités autochtones. Jongkind, Van Gogh, +Whistler, Anglada Van Rysselberghe en témoignent. Ils restent fidèles à +leurs origines superbement. Ils possèdent—j'en excepte Whistler—moins +de goût que les Français, ils voient moins subtil et moins fin, mais ils +apportent, les uns certains dons de robustesse, d'âpreté, les autres +certains sentiments d'intimité et de naïveté, qu'on ne rencontre qu'en +Espagne, qu'en Hollande et qu'en Flandre.</p> + +<p>Pour situer de tels talents, il ne faut point les rejeter hors de leur +milieu natal. Au contraire, il les y faut ramener, les mettre en leur +vrai jour, les relier à leurs contemporains directs par les inévitables +sympathies de race et d'instinct. Qu'on signale les principes nouveaux +qu'ils apportent, mais qu'on étudie avant tout comment ils les adaptent +à leur nature.</p> + +<p>A toutes les périodes de l'histoire, ces influences de peuple à peuple +et d'école à école se sont produites. Jadis l'Italie dominait +profondément les Floris, les Vænius et les De Vos. Tous pourtant ont +trouvé place chez nous, dans notre école septentrionale. Plus tard +Pierre Paul Rubens s'en fut à son tour là-bas; il revint italianisé mais +ce fut pour renouveler tout l'art flamand.</p> + +<p>Bien plus, il se fait que souvent au pays même des peintres émigrés, il +se lève des artistes qui trouvent, sans quitter la terre natale, ce +que leurs émules s'en vont chercher au loin. Ensor peut se ranger parmi +ceux-ci. Déjà Pantazis et Vogels s étaient signalés. Ils s'étaient posés +le problème de la lumière et l'avaient élucidé si pas résolu. Vogels +surtout s'était affirmé avec une audace violente et spontanée. Il avait +des dons admirables d'improvisateur; il possédait la fougue et l'éclat. +Ses ciels tumultueux, ses paysages tragiques s'affranchissaient de toute +convention stérilisante. Il eût été un grand peintre, si l'insuffisance +de son métier ne l'avait desservi.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 718px;"> +<a name="entree_du_christ" id="entree_du_christ"></a> +<img src="images/ensor_43_entree_du_christ_a_bruxelles.jpg" width="718" alt="Entrée du Christ à Bruxelles—1898. Gravure à +l'eau-forte." title="" /> +<span class="figcap">Entrée du Christ à Bruxelles—1898. Gravure à +l'eau-forte.</span> +</div> + +<p>Ensor plus dominateur en son art, avec une vision plus aiguë et plus +fine, avec un instinct magnifiquement développé, avec une invention plus +large et plus abondante, cultiva le même champ que Pantazis et Vogels, +mais il y suscita des fleurs de lumière d'une beauté plus rare, plus +rayonnante et plus subtile. Lui ne ressemble à personne. Ses premières +œuvres contiennent déjà en puissance toute sa force future. On ne les +confond avec nulles autres. Elles s'imposent d'elles mêmes. Elles sont +indépendantes, fières, libres.</p> + +<p>Au temps où elles éclatèrent, avec soudaineté et presque avec insolence, +Manet occupait activement la critique d'avant-garde. Aux Salons +triennaux de Bruxelles, d'Anvers et de Gand, la toile intitulée <i>Au Père +Lathuille</i> avait ameuté autour d'elle toute l'ignorance et la raillerie +publiques. Il était séant qu'on s'en scandalisât. Le rire et le sarcasme +étaient exigés comme un gage d'honnêteté bourgeoise et de bon goût +provincial. Certes, eût-on détérioré l'œuvre, si l'aventure judiciaire +à courir et l'amende à payer n'eussent arrêté les mains bien pensantes +et les couteaux croyant à l'idéal.</p> + +<p>Les fureurs grinçant des dents contre Manet se tournèrent à point nommé +contre James Ensor. Autant que le peintre des Batignolles il fut accusé +d'instaurer en art une sorte de Commune et d'inscrire sa doctrine +esthétique aux plis d'un drapeau rouge. Bien plus: sans égard pour les +dates d'antériorité qui marquaient les toiles du peintre d'Ostende, on +les proclamait dépendantes et vassales de celle de Manet, on leur +refusait tout mérite jusqu'à celui d'être des sujets de scandale +inédits. L'erreur persista longtemps et persiste encore. On s'entêta et +l'on s'entête à ranger James Ensor parmi les élèves de Manet. Rien n'est +plus faux. Les deux maîtres n'ont qu'un point de contact: tous les deux +peignent à larges touches et tous les deux étudient la lumière frappant +mais surtout modifiant le dessin et le ton local des objets.</p> + +<p>Mais que de différences immédiatement s'accusent! Manet reste, somme +toute, un peintre de tradition et d'enseignement. Les Espagnols l'ont +formé: Velasquez et surtout Goya. Le jour que son <i>Olympia</i> fit son +entrée au Louvre, elle se plaça, naturellement, en son milieu. La rampe +l'attendait. Elle voisina, sans déchoir, avec les toiles d'Ingres et de +Delacroix. Sa victoire fut même trop belle: l'<i>Odalisque</i> du vieil +Ingres se sentit atteinte dans son rayonnement de chef-d'œuvre +soi-disant parfait. Jamais elle n'apparut plus sèche, plus figée ni plus +froide. En outre, Manet compose ses toiles. L'<i>Olympia</i>, le <i>Christ aux +anges</i>, le <i>Déjeuner sur l'herbe, Maximilien</i>, sont des œuvres dont la +mise en page est faite d'après des recettes connues. Bien qu'il soit un +peintre admirable, encore n'évite-t-il pas les sécheresses et les +duretés. Il ignore l'abondance et la richesse prodiguées. La réflexion +et le raisonnement le guident plus que l'instinct ne le pousse. Il a une +main très experte, très habile. Il fait preuve d'esprit, parfois de +virtuosité. Son intelligence surveille son art et le raffine. Il pense +autant et plus encore qu'il ne voit. Quand, séduit par les visions +fraîches et hardies de Claude Monet, il se décida à modifier les +couleurs de sa palette et à traduire le plein air vrai et la clarté +prismatique et vivante, ce fut par une suite de tâtonnements réfléchis +qu'il y parvint. Il cherchait sans trouver, du coup. Ce fut une lutte +avant tout intelligente. Il lui fallut non seulement des qualités d'œil, +mais des qualités de caractère. Son esprit, son jugement, son +obstination, sa probité, tout son être moral et pensant agit: ce fut un +triomphe laborieux.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 490px;"> +<a name="vengeance_de_hopfrog" id="vengeance_de_hopfrog"></a> +<img src="images/ensor_44_vengeance_de_hop_frog_01.jpg" width="490" alt="Vengeance de Hop-Frog—1898. Gravure à l'eau-forte." title="" /> +<span class="figcap">Vengeance de Hop-Frog—1898. Gravure à l'eau-forte.</span> +</div> + +<p>James Ensor, lui, n'est purement qu'un peintre. Il voit d'abord, il +combine, arrange, réfléchit et pense après. Il ne doit rien ou presque +rien aux maîtres du passé. Il est venu en son temps pour ne recevoir que +les leçons des choses. Certes, sa mise en page le préoccupe, mais ses +compositions évitent de rappeler celles que les musées enseignent. +L'esprit qu'il met dans ses toiles et ses dessins est plutôt grossier et +populaire. Son trait de pinceau est appuyé; il ne glisse pas. Il n'est +pas adroit. Toutefois sa couleur n'est jamais commune. En chaque œuvre +le ton rare et riche, violent et doux, prismatique et soudain, installe +sa surprise et son harmonie. On dirait qu'Ensor écoute la couleur +tellement il la développe comme une symphonie.</p> + +<p>Jamais ne s'y mêle la moindre fausse note. Il a l'œil juste comme est +juste l'oreille d'un musicien. A le voir peindre, comme au hasard, on +craint qu'à chaque instant la gamme profonde et rayonnante des couleurs +ne se fausse. Or jamais aucun accroc n'a lieu. L'instinct, le guide le +plus sûr des artistes, bien qu'il paraisse un conducteur aveugle, +l'assiste sans qu'il s'en doute et le décide, quand à peine il prend le +temps de le consulter. Avant de poser un ton, il est sûr que ce ton sera +d'accord avec les autres. Il le sent tel, à travers tout son être. A +quoi bon examiner, discuter, raisonner, si l'examen, la discussion et le +raisonnement se sont faits, préalablement, sans qu'on le sache, avec la +promptitude que met un éclair à traverser le ciel. L'aptitude en art +n'est jamais un acquis, mais un don. Elle est subconsciente et sourde. +Celui qui naît sans qu'elle habite en lui à l'instant même qu'il voit, +entend, flaire, goûte et touche, ne sera jamais un artiste authentique. +Aucune étude ne la lui apportera. Des races privilégiées la transmettent +à leurs différentes écoles, à travers les siècles. L'une de ces races +est l'admirable race des Pays-Bas.</p> + +<p>Il s'en faut pourtant que leur instinct merveilleux soit l'unique don +des peintres septentrionaux. Ils n'auraient pas donné à l'art ces +artistes universels qui out nom Rubens, Van Dyck, Jordaens et avant eux +Van Eyck, Memling, Van der Goes, Van der Weyden et Metsys si +l'intelligence, le sentiment, la raison et la volonté leur eussent été +refusés.</p> + +<p>Je n'ai insisté sur leur qualité foncière: l'instinct, que pour la +montrer pareille au tronc massif et souterrain sur lequel se entent, +comme des branches, toutes les autres vertus esthétiques.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 805px;"> +<a name="ostende" id="ostende"></a> +<img src="images/ensor_45_ostende.jpg" width="805" alt="Ostende—1898. (Collection Edgar Picard)" title="" /> +<span class="figcap">Ostende—1898. (Collection Edgar Picard)</span> +</div> + +<p>James Ensor est plus purement un peintre que Manet, mais ce dernier est +évidemment un maître et un artiste d'une plus large et plus souveraine +envergure. Il est un chef d'école magnifique, définitif et complet. Il +commande à un des carrefours de l'art où les routes bifurquent et +gagnent des contrées vierges et inconnues.</p> + +<p>Je n'ai, au surplus, mis en parallèle les deux peintres que pour +défendre James Ensor contre des accusations d'imitation. Qu'on fasse +voisiner n'importe laquelle de ses toiles avec l'<i>Olympia</i>, le <i>Déjeuner +sur l'herbe</i>, le <i>Père Lathuille, Argenteuil, Pertuiset</i> et +l'originalité des deux créateurs d'œuvres marquantes s'imposera +indiscutable.</p> + +<p>Mais un autre rapprochement s'indique. Les récents intimistes français, +les Vuillard et les Bonnard s'attachent aujourd'hui à certaines +recherches qu'autrefois tenta James Ensor. Tels éclairages de salon ou +d'appartement, telles lueurs argentées et discrètes, tels gris, tels +bruns font songer à l'atmosphère de la <i>Coloriste</i> ou à la <i>Musique +russe</i>. Il n'est pas jusqu'au dessin vacillant et brouillé qui +n'établisse un parentage entre les deux manières. Je veux bien qu'il n'y +ait que rencontre fortuite. Il est piquant toutefois de noter ceci: Si +James Ensor rappelle quelque peintre, c'est parmi ses cadets, parmi ceux +qui innovent et préparent l'avenir et non point parmi ses aînés qu'il le +faut chercher. Il n'est pas de ceux qui imitent; il est de ceux qui +découvrent. Il est plutôt d'accord avec ceux qui viennent, qu'avec ceux +qui sont venus. Si bien que ses toiles qui datent de vingt-cinq ans +recèlent toute la fraîcheur et la surprise des œuvres d'aujourd'hui. Il +les peut exposer avec orgueil. Aucune ne déchoit. Quelques-unes +serviront peut-être à renflouer les vieilles carènes de l'École d'Anvers +où de tout jeunes peintres Navez et Crahay travaillent avec le souvenir +de l'œuvre d'Ensor présente à leur esprit.</p> + +<p>Preuve évidente de force profonde et souterraine! Quelqu'un qui reste +aussi durablement jeune ne vieillira jamais. Il porte en lui la +résurrection incessante. Il vit de lui-même, mystérieusement. Déjà il ne +connaissait plus la mode, voici qu'il ignore le temps.</p> + +<p>Il n'importe que James Ensor soit ignoré en Allemagne, en Angleterre, en +Italie et en Amérique. Il est classé en Belgique et à cette heure on le +classe en France. Or, c'est Paris qui, depuis un siècle, assume +l'honneur d'auréoler les noms des vivants insignes. Il est la postérité +qui s'éveille; il désigne les routes par où passe la gloire; il semble +d'accord avec une volonté lointaine et encore inconnue. En son pays la +renommée de James Ensor grandit d'année en année. Ceux qui le +méconnaissaient autrefois sont morts ou sont vaincus. On ne relègue plus +ses envois dans les oubliettes des salons triennaux: ils s'étalent à la +cimaise, aux places d'honneur. Les musées des grandes villes s'en +enrichissent: Liège, Anvers, Bruxelles. Les mécènes qui villégiaturent à +Ostende, l'été, visitent l'atelier du peintre et leurs galeries se +décorent de ses toiles. Les prix atteints sont élevés. L'heure est déjà +loin où les œuvres du peintre s'échangeaient contre une obole. Certes +l'art ne se pèse pas au poids d'argent. L'or donné ne représente que ce +fait: l'admission d'un peintre dans une compagnie de choix et la place +élue qu'on lui assigne dans une école. L'auteur de la <i>Coloriste</i>, de +l'<i>Après-midi à Ostende</i>, du <i>Salon bourgeois</i>, du <i>Lampiste</i> et de la +<i>Mangeuse d'huîtres</i>, des <i>Enfants à la toilette</i>, des <i>Masques devant +la mort</i>, de <i>Adam et Eve chassés du paradis</i> et de la <i>Dame sombre</i> +peut avec tranquillité voir se passer les années: il est sûr de la +durée.</p> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="CATALOGUE_DE_LOEUVRE_DE_JAMES_ENSOR" id="CATALOGUE_DE_LOEUVRE_DE_JAMES_ENSOR"></a>CATALOGUE DE L'ŒUVRE DE JAMES ENSOR</h3> + +<p> +<span style="margin-left: 1.5em;">TOILES ET DESSINS</span><br /> +<br /><br /> + +<span style="margin-left: 1em;">1879</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Portrait de l'artiste.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">L'amie de l'artiste.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Judas lançant l'argent dans le temple.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Oreste tourmenté par les Furies.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">L'artiste peignant.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le chant de Noël.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les trouvères.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les buccins.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1880</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le Lampiste.——Appartient au Musée de Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La coloriste.——à M. Ernest Rousseau, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La mare.——à M. Guillaume Charlier, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nature-morte.——id., id.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Poissons.——à M. Paul Buéso, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le chou.——à M. Ernest Rousseau, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Chinoiseries.——id., id.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Accessoires.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Musique russe.——à M<sup>lle</sup> Anna Boch, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Dame au châle.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Petites chinoiseries.——à M. C. Franck Anvers.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le cardeur.——id., id.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Estacade.——à M. A. Lambotte, Anvers.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Chinoiseries.——id., id.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les bouteilles——Appartient à M. E. Demolder, Essonnes.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Effet de neige——à M. F. Franck, Anvers.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Vases——id. id.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le flacon bleu——à M. A. Lambotte, Anvers.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nature-morte——à M. F. Fuchs, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Pommes——à M. E. Labarre, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Mer grise——à M. F. Franck, Anvers.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Trois esquisses——id., id.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Sous bois.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nuage rose.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Dame au brise-lame.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">A l'atelier.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le parasol——à M. A. Lambotte, Anvers.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Mer agitée.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Portrait de l'artiste.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le peintre.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">AQUARELLE.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Gamin——à M. F. Franck, Anvers.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS REHAUSSÉS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Retour des champs.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Tête (sanguine)——à M. Samuel, Bruxelles.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le maçon.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le rétameur.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Gamin assis——à M. Edgar Picard, Jemeppe.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le paysan triste.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Vieux pêcheur.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Gamin.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La sœur du peintre.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">L'homme au chaudron.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les mangeurs de soupe.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Jeune fille.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Vieux paysan.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Pêcheur de crevettes.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La femme au balai.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Laveuse.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Garçon lisant.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">L'homme à la blouse.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Jeune fille à l'éventail.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Pêcheur au panier——Appartient à M. Deprez, Liège.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le roi peste.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La mort mystique d'un théologien.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1881</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Viandes——au Musée d'Ostende.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Salon bourgeois en 1881——à M. E. Rousseau, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Salon bourgeois, esquisse——à M. F. Franck, Anvers.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La dame sombre——à M. Edgar Picard, Jemeppe.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le rouget——à M. Edouard Hannon, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La convalescente——à M. Bourgeois, Liège.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Tête d'étude——à M. W. Finch, Helsingfors.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Accessoires——à M. F. Buelens, Ostende.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Dame en rouge——à M. A. Crespin, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Dame à l'éventail.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le père de l'artiste.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Portrait d'homme——à M. F. Buelens, Ostende.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Etude de fruits——à M. Theo Hannon, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La mare aux peupliers——à M. Ernest Rousseau, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Marine, effet de soleil.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les braconniers——à M. Delory, Calais.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La rue de Flandre à Ostende.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les lampes.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Canal——à M. Ch. Mendiaux, Anvers.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Eventails.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Marine, effet de soir.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Marché à Ostende——à M. Buelens, Ostende.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Intérieur au poêle——à M. A. Lambotte, Anvers.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La dune noire.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Etoffes et éventails.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Une après-dînée à Ostende.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS REHAUSSÉS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Pêcheur au manteau jaune——à M. Edgar Picard, Jemeppe.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Petits musiciens.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Pêcheur au panier.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La sœur de l'artiste.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Gamin (sanguine)——Appartient à M. C. Ganesco, Paris.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Vieux songeur.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">L'homme au foulard.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Garçon au bonnet.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le violon.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le lustre.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Clefs.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La lectrice.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">L'homme au panier.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1882</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Huîtres——au Musée d'Anvers.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le pouilleux——au Musée d'Ostende.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nature-morte——au Musée de Liège.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Lièvre et corbeau——à M. Greiner, Seraing.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La dame en détresse.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Portrait de Théo Hannon——à M. Théo Hannon, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Dans les dunes——à M. Murdoch, Anvers.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Marine——à M. A. Rassenfosse, Liège.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Portrait de femme——à M. F. Buelens, Ostende.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La mangeuse d'huîtres.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Dame au châle bleu.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Roses.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Portrait du peintre W. Finch.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Fleurs——à M. Ernest Rousseau, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La petite chaise——à M. Lambotte, Anvers.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Pommes——à M. F. Franck, Anvers.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Fleurs et porcelaines——à M. Lambotte, Anvers.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La mère de l'artiste.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Etoffes.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Petites tasses.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le brise lame.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La dune au nuage blanc.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Marine.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Maisonnettes dans les dunes.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">AQUARELLE.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le mannequin——Appartient à M. F. Franck, Anvers.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Ostendaise.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">L'homme à la bêche.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Ouvrier du port.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Pêcheur de crevettes.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Cadre (croquis)——à M. Ernest Rousseau, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Croquis——à M. Alfred Verhaeren, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Croquis——à M. Théo Hannon, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Croquis.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1883</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les pochards——à M. Edgar Picard, Jemeppe.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les masques scandalisés.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Pommes rouges——à M. O. François, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les houx——à M. Ernest Rousseau, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Portrait de l'artiste.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Pivoines et pavots——à M. L. Franck, Anvers.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Sur la plage——à M. Vince, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Canal.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Coquillages——à M. L. Franck, Anvers.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Dans les blés.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le Rameur——à M. F. Buelens, Ostende.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Forêt de Soignes.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Fleurs et vases.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La dame en blanc.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Dunes, panorama.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Dunes et mer.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">L'horticulteur.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le violon——à M. Maurice des Ombiaux, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La barque jaune.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Marine, après-midi.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSIN.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le pochard——à M. Albert Neuville, Liège.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La sorcière——à M. Edgar Picard, Jemeppe.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Portrait de Richard Wagner——Appartient à M. Gustave Kéfer, Paris.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les joueurs.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">L'escrimeur.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La clarinette.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Zélandaise.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Masques scandalisés.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Croquis——à M. Ernest Rousseau, Bruxelles.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1884</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Marine——à M. Gustave Kéfer, Paris.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Enfant à la poupée.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Portrait du peintre Dario de Regoyos.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La dune.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les toits à Ostende——à M. F. Franck, Anvers.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Intérieur——à M. Ernest Rousseau, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Grande vue d'Ostende.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Barques.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le nuage blanc.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">AQUARELLE.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Accessoires.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Gamin (sanguine).</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Enfant dormant.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Portrait de l'artiste——à M. Ernest Rousseau, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Au piano.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le cœur révélateur.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les misérables.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1885</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Vue de Bruxelles——au Musée de de Liège.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le meuble hanté——au Musée d'Ostende.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Jardin à Watermael——à M. Ernest Rousseau, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Marine——Soleil couchant.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le Christ marchant sur la mer.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Fanfare en rouge.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Vue du phare à Ostende.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Squelettes regardant chinoiseries.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le boulevard à Ostende.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les indécises. (Série d'études.)</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">PASTEL.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les amoureux——Appartient à M. Ern. Rousseau, Bruxelles.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Combat de soudards.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Vases.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Démons me turlupinant.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Promeneurs——à M. Blatter, Paris.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Descente de croix.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Portrait——à M. Johanida.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1886</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Etudes de lumière.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Enfants à la toilette——à M. A. Lambotte, Anvers.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Lisière du bois d'Ostende——à M. R. Goldschmidt, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Etudes locales.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Fleurs et fruits.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Squelette et pierrots.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nature morte.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les lilas.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS REHAUSSÉS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le cauchemar.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le rêv——</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les auréoles du Christ ou les sensibilités de la lumière.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La gaie: L'adoration des bergers.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La crue: Jésus montré au peuple.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La vive et rayonnante: L'entrée à Jérusalem.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La triste et brisée: Satan et les légions fantastiques tourmentent</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">le Crucifié.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La tranquille et sereine: La descente de croix.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">L'intense: Le Christ montant au ciel.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le Christ veillé par les anges.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">FANTAISIES ET GROTESQUES.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Quatre portraits de l'artiste.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Enfant dormant.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Profils.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1887</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Adam et Eve chassés du Paradis terrestre.——Appartient à M. A.</span><br /> +<span style="margin-left: 2em;">Lambotte, Anvers.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le feu d'artifice.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Tribulations de Saint Antoine.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Fruits——à M. Storm de 's Gravesande, Hollande.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nature-morte.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Adoration des bergers——à M. E. Deman, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Ville à contre soleil.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Jardin en plein soleil.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Intérieur.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Vision claire.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">La tentation de Saint Antoine.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Josué arrêtant le soleil.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Combat des pouilleux Désir et Rissolé.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Petits supplices persans.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Mon père mort.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La paresse.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">L'apparition.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les diables Dritss et Hihahox conduisant le Christ aux</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">enfers.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1888</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">L'entrée du Christ à Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Fruits——à M. Jules Cordeweiner, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les masques devant la mort——à M. E. Rousseau, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Jardin d'amour.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Carnaval à Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Mon portrait déguisé.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Foudroiement des anges rebelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Études locales.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">A Ostende, le boulevard.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nature-morte.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le Christ tourmenté——à M. E. Royer.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS REHAUSSÉS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Suzanne au bain——Appartient à M. Max Hallet, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Masques nous sommes——à M. Edm. Picard, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La rixe.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Jeanne d'Arc.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Peste dessous——Peste dessus. Peste partout.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Squelettes musiciens.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La dormeuse.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La mort poursuivant le troupeau des humains.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Portraits bizarres——à M. Jules Cordeweiner, Bruxelles.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1889</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Squelettes voulant se chauffer——à M. Léon de Lantsheere, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Fleur et vase bleu——à M. Ernest Rousseau, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le théâtre des masques ou bouquet d'artifice.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La petite travailleuse——à M. Cwalosinsky, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Théâtre des masques et pierrot.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Fleurs——à M. Guillaume Charlier, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Attributs des Beaux-Arts——à M. Buelens, Ostende.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Etonnement du masque Wouse.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Coquillages.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Poires, raisins, noix.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS REHAUSSÉS</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le dernier carré à Waterloo——à M. Storm de 's Gravesande, Hollande.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La revanche des condamnés——à M. Vittorio Pica, Milan.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Squelette dessinant.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Portrait de Madame E. Rousseau.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le vieux meuble.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Vénus à la coquille.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La mère de l'artiste——à M. R. Goldschmidt, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les adieux de Napoléon.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Etudes de plantes.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1890</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le domaine d'Arnheim——Appartient à M. Emile Verhaeren, St. Cloud.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Fruits——à M. Ganesco, Paris.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">L'intrigue——à M. Ernest Rousseau, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Homard et crabes——à M. Edgar Picard, Jemeppe.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le pot bleu——à M. Philipps, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les choux——à M. Labarre, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La tour de Lisseweghe——à M. Edgar Picard, Jemeppe.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Chaloupes.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Ecce-Homo.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Vue prise en Phnosie, ondes et vibrations lumineuses.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Petits masques.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">L'assassinat.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS REHAUSSÉS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Jardin aux masques.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Clowneries.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Masques.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La vieille au portrait——à M. C. Ganesco, Paris.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Napoléon à Waterloo.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La sensibilité en 1890 et la vivisection.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La sensibilité en 1590 et la roue, le bûcher, etc.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Etudes sentimentales.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Bourgeois indignés sifflant Wagner en 1880 à Bruxelles.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1891</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le Christ apaisant la tempête.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Squelettes se disputant un pendu——à M. Cwalosinsky, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les bons juges——à M. Camille Laurent, Charleroi.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Portrait d'Emile Verhaeren——à M. Emile Verhaeren, St. Cloud.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les musiciens terribles——à M. Félix Fuchs, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">L'autodafé——à M. Félix Fuchs, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le jardin d'amour——à M. Maurice des Ombiaux, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Masques regardant des crustacés——à M. Breckpot, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Baptême des masques.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Réunion de masques.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le prêche.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Fraises——Appartient à M<sup>me</sup> Ninauve, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Squelettes au hareng.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Squelette arrêtant masques.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Chinoiseries, étoffes——à M. F. Franck, Anvers.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Ecce-Homo.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La peureuse.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS REHAUSSÉS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">La bataille des Éperons d'or.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les bains d'Ostende——à M. Charles Vos, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les cuirassiers à Waterloo.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le Christ aux Enfers.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Vieux augures.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Apparition——à M. Emile Verhaeren, St. Cloud.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Portrait et fantasmagorie.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Grotesques.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1892</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">La vierge consolatrice.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Ma chambre préférée.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les masques singuliers.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Pierrot jaloux.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Barques échouées——à M. B. Ganesco, Paris.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Poissardes mélancoliques——à M. F. Buelens, Ostende.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les gendarmes.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les soudards Kès et Pruta entrant dans la ville de Bise——à M. G.</span><br /> +<span style="margin-left: 2em;">Serigiers, Anvers.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les mauvais médecins——à M. Van der Velde, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nature-morte.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Roses——à M. Robert Goldschmidt, Bruxelles.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS REHAUSSÉS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Supplice de Jeanne d'Arc.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Triomphe romain.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Réunion de masques.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les soudards débandés.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le Christ tourmenté.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Grotesques.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La couturière——Appartient à M. Blatter, Paris.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1893</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le coq mort——à M. Leuring, La Haye.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La raie——à M. Ernest Rousseau. Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les choux——à M. F. Franck, Anvers.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Coquillages——à M. R. Goldschmidt, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">L'homme de douleurs.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">L'exécution.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Soudards pénitents dans une cathédrale.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nature-morte.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS REHAUSSÉS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le tournoi——à M. R. Goldschmidt, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Cortège comique.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">La vierge aux navires.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Masques.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Sorcières dans la bourrasque——à M. R. Goldschmidt, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le Christ aux mendiants——id. id.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Croquis——id. id.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1894</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Crevettes.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Masques regardant une tortue.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Vase bleu.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nature-morte——Appartient à M. F. Pleyn, Ostende.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Crustacés.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nature-morte.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Portrait d'Eugène Demolder——à M. E. Demolder, Essonnes.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS REHAUSSÉ.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Au théâtre.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le combat——Appartient à M. G. Virrès, Lummen.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Têtes bizarres.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Crétins regardant les étoiles.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1895</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Poissons——à M. Rouffard. Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Coquillages.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Portrait de M. Culus.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Fleurs.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nature-morte——à M. F. Pleyn, Ostende.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Jeux de lumière.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSIN.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Femme cousant.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Monstre tourmentant Saint Antoine——à M. Ernest Rousseau, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Intérieur d'église.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Bouquet.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1896</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Fleurs——à M. R. Goldschmidt, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Mariakerke——à M. Edgar Picard, Jemeppe.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les ballerines——à M. Ernest Rousseau, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Duel de masques——id.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Squelette peintre——à M. Edgar Picard, Jemeppe.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La vengeance de Hop Frog.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les cuisiniers dangereux——à M. Camille Laurent, Charleroi.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nature-morte.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Fleurs et légumes——à M. Ernest Rousseau, Bruxelles.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Grotesques.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La pendule.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Masques et trognes.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Monstres.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Diableries.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1897</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les chaloupes.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La mort et les masques——Appartient à M. Vandeputte, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Masques et potiches.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Fruits.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Poissons.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">L'éclaircie.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Fleurs.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSIN REHAUSSÉ.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Projet de chapelle à dédier à St. Pierre et Paul à Ostende.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Gens de mer.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Sur la plage.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Masques.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Vieilles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Musiciens drôlatiques.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Fantaisies.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1898</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le grand juge.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nature-morte.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Vue d'Ostende——à M. Edgar Picard, Jemeppe.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Squelettes travestis——à M. Pleyn, Ostende.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nature-morte——à M. Jungers, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nature-morte.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS REHAUSSÉS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Affiche pour l'exposition de «la Plume» à Paris.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Composition pour «la Plume».</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1899</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Portrait du peintre entouré de masques——à M. A. Lambotte, Anvers.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nature-morte.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Pierrot aux masques.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nature-morte.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Intérieur.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nuages.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">AQUARELLE.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">La petite chinoise.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Rue à Ostende.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Chiens.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Coin de cuisine.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Feuilles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Papillons.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Enfants.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1900</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le juge rouge——Appartient M. Yseux, Anvers.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Squelette à l'atelier——à M. Max Hallet, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nature-morte.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Plage.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Barques échouées——à M. Jungers, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Vue du port d'Ostende.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSIN REHAUSSÉ.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">La servante——à M. Edgar Picard, Jemeppe.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Vieux meubles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Accessoires.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Lampes.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Etoffes.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Livres.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les marchands chassés du Temple.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Portrait.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1901</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Canal——à M. Berthelot, Paris.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Echauffourée de masques——à M. Cnudde, Ostende.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nature-morte.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Chinoiseries.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Vue de Mariakerke——à M. Philippson, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Coquillages.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Fleurs.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">DESSINS</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le Christ secourant Saint Antoine.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Vieilles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Chaises.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Enfants.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Moulin.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Combat de soudards.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1902</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">L'amateur d'art.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les joueurs.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nature-morte.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Accessoires——Appartient à M. Crick, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Plage.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nature-morte.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Au Conservatoire.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Fleurs.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS REHAUSSÉS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Entrée de Jeanne d'Arc à Domremy.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Orgueil.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Avarice.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Envie.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Gourmandise.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Colère.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Paresse.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSIN.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Encadrement pour un livre de Vittorio Pica.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1903</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Coquillages et draperie bleue.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Fleurs.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Figures au soleil.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Petits masques.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Promeneurs.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nature-morte.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nature-morte.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Chinoiseries.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS REHAUSSÉS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Histoire du billard à travers les âges. Cinq compositions</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">——Appartient à M. Haardt, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Squelette au billard——à A. Lambotte, Anvers.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Vases.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Vieilles choses.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Coins d'ombre.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Fantasmagories.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Jardin d'amour.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Roses.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1904</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nature-morte.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Bassin à Ostende.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nature-morte.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Fruits.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Vierge aux donateurs masqués.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nature-morte.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Crustacés.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS REHAUSSÉS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Neuf compositions pour illustrer Marmontel——à M. Serruys, Ostende.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Carnaval à Ostende.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Coin de table.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Bêtes bizarres.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Plage de la Panne.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Barques échouées.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1905</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Pierrot et squelette——à M. A. Lambotte, Anvers.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Fleurs.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Intérieur.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nature-morte.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Fruits.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Intérieur.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Coquillages.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">DESSINS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Repas comique (sanguine)——App. à M. Haardt, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le tir à l'arc.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Pêcheurs.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Sirène abandonnée.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Arlequinades.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Cortèges carnavalesques.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Dunes et plaines.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1906</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nature-morte.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Accessoires.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les toits à Ostende.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Portrait——à M. F. Duhot, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Chinoiseries.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Vue du théâtre à Ostende.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nature-morte.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS REHAUSSÉS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">La chute des anges rebelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Masques.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Baigneuses.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Vieux meubles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Poêles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Silhouettes.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Marines.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1907</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Fruits.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nature-morte.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Chinoiseries——à M. Robert Goldschmidt, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Masques.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Nature-morte.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Pêcheurs.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Portrait de Madame L.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Masques et squelettes——à M. L. Prager, Munich.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Chinoiseries.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS REHAUSSÉS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">La belle Impéria.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Henri de Groux jouant au billard——Appartient à M. A. Lambotte, Anvers.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Vieux murs.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Coins d'appartements.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Bouquets.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Cortèges.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Femmes surprises.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1908</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Fruits et légumes.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Chinoiseries.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Squelettes musiciens.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSINS REHAUSSÉS.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Squelettes——à M. Blatter, Paris.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Types drôlatiques.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Jeune rousse.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Buveurs.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Jeune fille luttant.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Hommage à la femme.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">DESSIN.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Encadrement pour Emile Verhaeren.</span><br /> +<br /> +<br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2.5em;">EAUX-FORTES ET POINTES-SÈCHES</span><br /> +<br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1886</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le Christ insulté.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Verger.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Vieillard.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Portrait de l'artiste.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le Christ apaisant la tempête.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Iston, Pouffamatus, Cracozie et Transmouff, célèbres</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">médecins persans examinant les selles du roi Darius après</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">la bataille d'Arbelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La cathédrale.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La flagellation.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1887</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">La Madeleine.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Cortège infernal.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Portrait d'Ernest Rousseau. (Pointe-sèche.)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le pisseur.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Grande vue de Mariakerke.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Estacade. (Pointe-sèche.)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La dormeuse. (Pointe-sèche.)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Petite vue de Mariakerke.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Rue à Bruxelles. (Pointe-sèche.)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Buste. (Pointe-sèche.)</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1888</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Combat des pouilleux Désir et Rissolé.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Maison du boulevard Anspach. (Pointe-sèche.)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Réverbère.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le meuble hanté.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La lutte des démons.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">L'acacia. (Pointe-sèche.)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La chimère.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La crypte. (Pointe-sèche.)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Lisière du petit bois d'Ostende.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Hôtel de Ville d'Audenarde.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Crânes et masques.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Vue de Nieuport.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Candélabres et vases.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Paysage à la charette.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Prise d'une ville étrange.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Mon portrait en 1860.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Mon père mort. (Pointe-sèche.)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">L'archer terrible.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les cataclysmes.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">L'assassinat.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Vue du port d'Ostende.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Vue d'Ostende à l'Est.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Bouquet d'arbres.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Ferme flamande.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Musiciens fantastiques.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Chaloupes.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le grand bassin à Ostende.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les insectes singuliers. (Pointe-sèche.)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le coup de vent à la lisière.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Sentier à Groenendael.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Barques échouées.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Chaumières.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les éléphants furieux.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Sorciers dans la bourrasque.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Petites figures bizarres.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Maisonnettes à Mariakerke.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les gendarmes.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le cimetière.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">L'écorché.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Adoration des bergers. (Vernis mou.)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La luxure.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La tentation du Christ.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le jardin d'amour.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le denier de César.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Sous bois à Groenendael. (Pointe-sèche.)</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1889</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Bateaux à vapeur.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les patineurs.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Boulevard à Ostende.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Mon portrait squelettisé.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Ferme à Leffinghe.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le pont du bois.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">L'orage.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le moulin de Mariakerke.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La fête au moulin.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le fantôme.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La mare aux peupliers.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le bal fantastique.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Pont rustique.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">L'ange exterminateur.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Triomphe romain.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1890</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Alimentation doctrinaire.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Portrait de Hector Denis.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">La musique à Ostende.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1891</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Moulin à Slykens.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Multiplication des poissons.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Assemblée dans un parc.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1892</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Autodafé.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1894</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les bons juges.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les petites barques.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1895</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les diables Dzitss et Hihahox conduisant le Christ aux enfers.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Pouilleux indisposé se chauffant.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les joueurs.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Belgique au XIX<sup>e</sup> siècle.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Démons me turlupinant.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le Christ tourmenté par les démons.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Fridolin et Graga Pança d'Yperdam.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Bataille des Éperons d'or.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Alimentation doctrinaire.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les mauvais médecins.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Squelettes voulant se chauffer.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Masques scandalisés.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le roi-peste.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le Christ aux mendiants.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les vieux cochons.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le Christ descendant aux enfers.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1896</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">La mort poursuivant le troupeau des humains.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Cathédrale.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le vidangeur.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le combat.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Menu E. Rousseau.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Menu Charles Vos.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1897</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les adieux de Napoléon.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1898</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">La vengeance de Hop-Frog.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Le Christ dans la barque.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">L'entrée du Christ à Bruxelles.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1899</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les bains d'Ostende.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1900</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Fragment de la tentation de Saint Antoine.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Petite vue de Mariakerke.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Pêcheur d'Ostende.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1902</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Paresse.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1903</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les toits d'Ostende.</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">1904</span><br /> +<br /> +<span style="margin-left: 1em;">Colère.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Orgueil.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Avarice.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Gourmandise.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Envie.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Les péchés capitaux dominés par la mort.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Peste dessous. Peste dessus. Peste partout.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Masques intrigués.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Plage de la Panne.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Plage de la Panne.</span><br /> +</p> +<hr style="width: 45%;" /> +<p>Eaux-fortes aux Musées et Galeries d'estampes de Barcelone, +Bruxelles, Dresde, Liège, Milan, Ostende, Paris, Venise, +Vienne, Zürich, etc. etc.</p> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h3><a name="BIBLIOGRAPHIE" id="BIBLIOGRAPHIE"></a>BIBLIOGRAPHIE</h3> + +<p> +<span style="margin-left: 1em;">Camille Lemonnier. Histoire des Beaux-Arts en Belgique. 1887, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Eugène Demolder. James Ensor. 1892, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Pol de Mont. De schilder en etser James Ensor. (<i>De Vlaamsche School</i>,</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">1895, Anvers.)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Eugène Demolder. James Ensor. (<i>La Libre Critique</i>, 1895, Bruxelles.)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Eugène Georges. James Ensor. (<i>La Libre Critique</i>, 1896, Bruxelles.)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Camille Lemonnier. James Ensor peintre et graveur. (<i>La Plume</i>, 1898,</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Paris.)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Edmond Picard. James Ensor. (<i>Id</i>.)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Emile Verhaeren. Une facette du talent d'Ensor. (<i>Id</i>.)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Camille Mauclair. James Ensor, aquafortiste. (<i>Id</i>.)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Octave Maus. James Ensor. (<i>Id</i>.)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Blanche Rousseau. Ensor intime. (<i>Id</i>.)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Georges Lemmen. James Ensor. (<i>Id</i>.)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Maurice des Ombiaux. James Ensor. (<i>Id</i>.)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Christian Beck. Réflexions sur la Cathédrale de James Ensor. (<i>Id</i>.)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Jules du Jardin. A propos de James Ensor. (<i>Id</i>.)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Pol de Mont. James Ensor. (<i>Id</i>.)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Louis Delattre. L'enfance d'Ensor, peintre de masques. (<i>Id</i>.)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Octave Uzanne. James Ensor, peintre et graveur. (<i>Id</i>.)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Eugène Demolder. James Ensor. (<i>La Revue des Beaux-Arts et des Lettres</i>,</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">1899, Paris.)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Gustave Coquiot. James Ensor.(<i>La Vogue</i>, 1899, Paris.)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Jules du Jardin. L'art flamand. Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Vittorio Pica. James Ensor. (<i>Minerva</i>, Rome.)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Pol de Mont. Koppen en busten.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Horrent. James Ensor.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Vittorio Pica. (<i>Emporium</i>, Bergame.)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Monod. James Ensor.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Camille Mauclair. Les peintres belges. (<i>La Revue Bleue</i>, 1905, Paris.)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Vittorio Pica. Attraverso gli albi e le cartelle.</span><br /> +<span style="margin-left: 2em;">ID. La moderna scuola di pittura del Belgio.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Camille Lemonnier. L'École belge de peinture 1830-1905. 1906, Bruxelles.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Vittorio Pica. L'arte mondiale a Venezia nel 1907.</span><br /> +<span style="margin-left: 2em;">ID. La galeria d'arte moderna a Venezia.</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">Albert Croquez. James Ensor, peintre et graveur. (<i>La Flandre Artiste</i>,</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;">déc 1908, Courtrai.)</span><br /> +</p> + +<hr style="width: 65%;" /> +<p class="caption"><a name="TABLE_DES_ILLUSTRATIONS_DANS_LE_TEXTE" id="TABLE_DES_ILLUSTRATIONS_DANS_LE_TEXTE"></a>TABLE DES ILLUSTRATIONS DANS LE TEXTE</p> +<p> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#Le_Christ_veille_par_les_anges_1886">Le Christ veillé par les anges (1886)</a></span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#Croquis_01">Croquis</a></span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#Squelettes_musiciens">Squelettes Musiciens</a> (1888)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#Croquis_02">Croquis</a></span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#Les_soudards_debandes">Les Soudards débandés</a> (1892)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#Croquis_03">Croquis</a></span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#La_Vierge_aux_navires">La Vierge aux Navires</a> (1893)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#Croquis_04">Croquis</a></span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#Croquis_05">Croquis</a></span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#bataille_des_eperons_d_or">Bataille des Éperons d'or</a>. Eau-forte (1895)</span><br /> +</p> + +<hr style="width: 65%;" /> + +<p class="caption"><a name="TABLE_DES_PLANCHES_HORS-TEXTE" id="TABLE_DES_PLANCHES_HORS-TEXTE"></a>TABLE DES PLANCHES HORS-TEXTE</p> + +<p> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#Portrait_de_James_Ensor_en_1875">Portrait de James Ensor en 1875</a> (frontispice).</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#La_Femme_au_Balai_1880">La Femme au balai</a> (1880)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#Le_Chou">Le Chou</a> (1880)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#Gamin">Gamin</a> (1880)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#Vieux_Pecheur">Vieux Pêcheur</a> (1881)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#La_Dame_sombre">La Dame sombre</a> (1881)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#Lampiste">Lampiste</a> (1880)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#Musique_Russe">Musique russe</a> (1880)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#Le_Salon_bourgeois">Le Salon bourgeois</a> (1881)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#dame_en_detresse">Dame en détresse</a> (1882)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#Pouilleux_indispose_se_chauffant">Pouilleux indisposé se chauffant</a> (1882)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#Le_Terrassier">Le Terrassier</a> (1882)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#La_Sorciere">La Sorcière</a> (1883)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#Dame_Au_Chale_bleu">Dame au châle bleu</a> (1882)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#la_Mere_du_Paintre">La Mère du peintre</a></span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#Les_Pochards">Les Pochards</a> (1883)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#enfants_a_la_toilette">Enfants à la toilette</a> (1886)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#Mon_Pere_mort">Mon Père mort</a> (1887)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#la_mere_du_peintre_dessin">La Mère du peintre</a>. Dessin (1889)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#venus_a_la_coquille">Vénus à la coquille.</a> Dessin (1889)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#Projet_de_Chapelle">Projet de chapelle à dédier à S.S. Pierre et Paul</a> (1887)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#la_cathedrale">La Cathédrale</a>. Gravure à l'eau-forte (1886)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#le_christ_apaisant_la_tempete">Le Christ apaisant la Tempête</a>. Gravure à la pointe-sèche (1886)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#barques_echouees">Barques échouées</a>. Gravure à l'eau-forte (1888)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#Ernest_Rousseau">Ernest Rousseau</a>. Gravure à la pointe-sèche (1887)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#le_theatre_des_masques">Le Théâtre des masques ou bouquet d'artifice</a> (1889)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#l_intrigue">L'Intrigue</a> (1890)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#masques_devant_la_mort">Masques devant la mort</a> (1888)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#la_raie">La Raie</a> (1892)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#la_mort_poursuivant_le_troupeau">La Mort poursuivant le troupeau des humains</a>. Gravure à l'eau-forte (1895)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#la_danse">La Danse</a> (1896)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#mariakerke">Mariakerke</a> (1896)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#entree_du_christ">Entrée du Christ à Bruxelles</a>. Gravure à l'eau-forte (1898)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#vengeance_de_hopfrog">Vengeance de Hop-Fro</a>g. Gravure à l'eau-forte (1898)</span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#ostende">Ostende</a> (1898)</span><br /> +</p> + +<hr style="width: 65%;" /> + +<p class="caption"><a name="TABLE_DES_MATIEgraveRES" id="TABLE_DES_MATIEgraveRES"></a>TABLE DES MATIÈRES</p> +<p> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#I">I. Le milieu.</a></span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#II">II. Les débuts</a></span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#III">III. Les toiles</a></span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#IV">IV. Les dessins</a></span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#V">V. Les eaux-fortes</a></span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#VI">VI. Vie et caractère</a></span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#VII">VII. La place de James Ensor dans l'art contemporain</a></span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#CATALOGUE_DE_LOEUVRE_DE_JAMES_ENSOR">Catalogue de l'œuvre de James Ensor</a></span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#BIBLIOGRAPHIE">Bibliographie</a></span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#TABLE_DES_ILLUSTRATIONS_DANS_LE_TEXTE">Table des illustrations dans le texte</a></span><br /> +<span style="margin-left: 1em;"><a href="#TABLE_DES_PLANCHES_HORS-TEXTE">Table des planches hors-texte</a></span><br /> +</p> + + + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of James Ensor, by Emile Verhaeren + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK JAMES ENSOR *** + +***** This file should be named 35124-h.htm or 35124-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/3/5/1/2/35124/ + +Produced by Christine Bell & Marc D'Hooghe at +http;//www.freeliterature.org + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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Redistribution is +subject to the trademark license, especially commercial +redistribution. + + + +*** START: FULL LICENSE *** + +THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE +PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK + +To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free +distribution of electronic works, by using or distributing this work +(or any other work associated in any way with the phrase "Project +Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project +Gutenberg-tm License (available with this file or online at +https://gutenberg.org/license). + + +Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm +electronic works + +1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm +electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to +and accept all the terms of this license and intellectual property +(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all +the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy +all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession. +If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project +Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the +terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or +entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8. + +1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be +used on or associated in any way with an electronic work by people who +agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few +things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works +even without complying with the full terms of this agreement. See +paragraph 1.C below. 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Additional terms will be linked +to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the +permission of the copyright holder found at the beginning of this work. + +1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm +License terms from this work, or any files containing a part of this +work or any other work associated with Project Gutenberg-tm. + +1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this +electronic work, or any part of this electronic work, without +prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with +active links or immediate access to the full terms of the Project +Gutenberg-tm License. + +1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary, +compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any +word processing or hypertext form. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact +information can be found at the Foundation's web site and official +page at https://pglaf.org + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. 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Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + https://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. + + +</pre> + +</body> +</html> diff --git a/old/35124-h/images/ensor_00_title_page.jpg b/old/35124-h/images/ensor_00_title_page.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..6abc1a7 --- /dev/null +++ b/old/35124-h/images/ensor_00_title_page.jpg diff --git a/old/35124-h/images/ensor_01_portrait_de_james_ensor_02.jpg b/old/35124-h/images/ensor_01_portrait_de_james_ensor_02.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..54176a4 --- /dev/null +++ b/old/35124-h/images/ensor_01_portrait_de_james_ensor_02.jpg diff 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