summaryrefslogtreecommitdiff
path: root/35223-h
diff options
context:
space:
mode:
Diffstat (limited to '35223-h')
-rw-r--r--35223-h/35223-h.htm7108
1 files changed, 7108 insertions, 0 deletions
diff --git a/35223-h/35223-h.htm b/35223-h/35223-h.htm
new file mode 100644
index 0000000..c555c1c
--- /dev/null
+++ b/35223-h/35223-h.htm
@@ -0,0 +1,7108 @@
+<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.01 Transitional//EN">
+<html>
+<head>
+ <meta http-equiv="content-type" content="text/html; charset=UTF-8">
+ <title>The Project Gutenberg eBook of Quelques cr&eacute;atures de ce temps, par Edmond et Jules de Goncourt</title>
+
+
+<style type="text/css">
+
+body {margin-left: 10%; margin-right: 10%}
+
+h1,h2,h3,h4,h5,h6 {text-align: center;}
+p {text-align: justify}
+blockquote {text-align: justify}
+
+hr {width: 50%; text-align: center}
+hr.full {width: 100%}
+hr.short {width: 10%; text-align: center}
+
+.note {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%}
+.footnote {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%}
+.side {padding-left: 10px; font-weight: bold; font-size: 75%;
+ float: right; margin-left: 10px; border-left: thin dashed;
+ width: 25%; text-indent: 0px; font-style: italic; text-align: left}
+
+.sc {font-variant: small-caps}
+.lef {float: left}
+.mid {text-align: center}
+.rig {float: right}
+.sml {font-size: 10pt}
+.overl {font-size: 10pt; text-decoration: overline; text-align: center}
+.tn {margin: 5em auto 5em auto; width: 300px;
+ border: 1px solid black;
+ padding: 1em;
+ background: #ffffff;}
+
+span.pagenum {font-size: 8pt; left: 91%; right: 1%; position: absolute}
+span.linenum {font-size: 8pt; right: 91%; left: 1%; position: absolute}
+
+.poem {margin-bottom: 1em; margin-left: 10%; margin-right: 10%;
+ text-align: left}
+.poem .stanza {margin: 1em 0em}
+.poem .stanza.i {margin: 1em 0em; font-style: italic;}
+.poem p {padding-left: 3em; margin: 0px; text-indent: -3em}
+.poem p.i2 {margin-left: 1em}
+.poem p.i4 {margin-left: 2em}
+.poem p.i6 {margin-left: 3em}
+.poem p.i8 {margin-left: 4em}
+.poem p.i10 {margin-left: 5em}
+.poem p.i12 {margin-left: 6em}
+.poem p.i14 {margin-left: 7em}
+.poem p.i16 {margin-left: 8em}
+.poem p.i18 {margin-left: 9em}
+.poem p.i20 {margin-left: 10em}
+.poem p.i30 {margin-left: 15em}
+
+</style>
+</head>
+<body>
+
+
+<pre>
+
+The Project Gutenberg EBook of Quelques créatures de ce temps, by
+Edmond de Goncourt and Jules de Goncourt
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Quelques créatures de ce temps
+
+Author: Edmond de Goncourt
+ Jules de Goncourt
+
+Release Date: February 9, 2011 [EBook #35223]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: UTF-8
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK QUELQUES CRÉATURES DE CE TEMPS ***
+
+
+
+
+Produced by Mireille Harmelin, Rénald Lévesque and the
+Online Distributed Proofreading Canada Team at
+http://www.pgdpcanada.net (This file was produced from
+images generously made available by the Bibliothèque
+nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)
+
+
+
+
+
+
+</pre>
+
+
+
+<br><br>
+
+<h4>NOUVELLES</h4>
+<h5>DE</h5>
+<h3>EDMOND ET JULES DE GONCOURT</h3>
+<br><hr class="short"><br>
+
+<h3>QUELQUES</h3>
+<h1>CR&Eacute;ATURES</h1>
+<h5>DE</h5>
+<h3>CE TEMPS</h3>
+<br><br>
+<h4> NOUVELLE &Eacute;DITION</h4>
+<br><br>
+<p class="mid"> PARIS<br>
+ G. CHARPENTIER, &Eacute;DITEUR<br>
+ 13, RUE DE GRENELLE-SAINT-GERMAIN, 13</p>
+<br>
+<h5> 1878</h5>
+<br>
+<p class="mid">Tous droits r&eacute;serv&eacute;s.</p>
+<br><br>
+
+<h3> ROMANS DES M&Ecirc;MES AUTEURS</h3>
+
+<h4> PUBLI&Eacute;S DANS LA BIBLIOTH&Egrave;QUE-CHARPENTIER</h4>
+
+<h5> &agrave; 3 fr. 50 le volume</h5>
+
+<p class="mid"> GERMINIE LACERTEUX.<br>
+ MADAME GERVAISAIS.<br>
+ REN&Eacute;E MAUPERIN.<br>
+ MANETTE SALOMON.<br>
+ CHARLES DEMAILLY.<br>
+ S&OElig;UR PHILOM&Egrave;NE.<br>
+ ID&Eacute;ES ET SENSATIONS.</p>
+
+
+<h3>EDMOND DE GONCOURT</h3>
+
+<p class="mid">LA FILLE &Eacute;LISA.</p>
+<br><br>
+
+<p class="overl"><span class="sml">Paris.--Imp. E. <span class="sc">Catiomont</span> et V. <span class="sc">Renault</span>, 6, rue des Poitevins.</span></p>
+<br><br><br>
+
+<h3>PR&Eacute;FACE</h3>
+
+<p>Ce livre, publi&eacute; &agrave; tr&egrave;s-petit nombre et &eacute;puis&eacute; depuis des ann&eacute;es, a paru
+portant sur sa couverture: <i>Une Voiture de Masques</i>. Je r&eacute;&eacute;dite ce livre
+aujourd'hui sous un titre qui me semble mieux le nommer.</p>
+
+<p>Ce volume compl&egrave;te l'&OElig;uvre d'imagination des deux fr&egrave;res. Il montre,
+lors de notre d&eacute;but litt&eacute;raire, la tendance de nos esprits &agrave; d&eacute;j&agrave;
+introduire dans l'invention la r&eacute;alit&eacute; du document humain, &agrave; faire
+entrer dans le roman, un peu de cette histoire individuelle, qui dans
+l'Histoire, n'a pas d'historien.<br>
+
+<span class="rig"><span class="sc">Edmond de Goncourt.</span></span></p><br>
+
+<p>Ao&ucirc;t 1876</p><br>
+
+<h3>QUELQUES</h3>
+<h1>CR&Eacute;ATURES DE CE TEMPS</h1>
+<br><hr class="full">
+
+<a name="c1" id="c1"></a>
+<br><br>
+
+<h3>L'ORNEMANISTE P...</h3>
+
+<p>Dans un coin,--chez Mich&eacute;li,--en fouillant, peut-&ecirc;tre &ecirc;tes-vous tomb&eacute;
+sur des mauves enroul&eacute;es? Ce devait &ecirc;tre un plat, la guirlande devait
+courir tout autour; mais ce n'est qu'un morceau, et les derniers
+bouquets appellent vainement ceux qui devaient suivre. Un tesson, rien
+qu'un tesson; mais les feuilles incis&eacute;es et lob&eacute;es sont d'un rendu si
+vrai, elles courent en spirales ou s'&eacute;panouissent si harmonieusement,
+elles se joignent, se nouent, se marient et se d&eacute;nouent d'une si
+gracieuse fa&ccedil;on; il est si heureux et si spirituel ce retour &agrave; la flore
+ornement&eacute;e du moyen &acirc;ge,--que les gens du m&eacute;tier vous diront: c'est une
+&oelig;uvre. Cela et un pan de coffre,--encore un fragment,--qu'on a essay&eacute; de
+couler en bronze et dont la fonte n'a pas r&eacute;ussi,--rien ne devait lui
+r&eacute;ussir, m&ecirc;me apr&egrave;s sa mort,--est tout ce qu'a laiss&eacute;, ou &agrave; peu pr&egrave;s,
+P...</p>
+
+<p>Les pieds au feu, un grog bien chaud sur la chemin&eacute;e, &agrave; port&eacute;e de la
+main,--voil&agrave; ce qu'on nous a cont&eacute;.</p>
+
+<p>L'atelier de P... &eacute;tait rue Notre-Dame-des-Champs, au rez-de-chauss&eacute;e.
+Il &eacute;tait divis&eacute; en deux compartiments: le premier,--celui oC on
+entrait,--n'&eacute;tait que maquettes, tabourets, &eacute;bauches de cire, projets et
+instruments de travail; aux murs, une collection de feuilles moul&eacute;es sur
+nature et un beau jour du nord, bien net l&agrave; dedans,--le n&eacute;cessaire de la
+vie d'un artiste. Le second compartiment, s&eacute;par&eacute; du premier par une
+grande draperie et plus petit, &eacute;tait tout garni--&agrave; ne pas y jeter une
+&eacute;pingle--de petits meubles, de petits objets. C'&eacute;tait moelleux, soyeux
+et douillet, un vrai nid... et tapiss&eacute;! M&ecirc;me au plafond, P... avait mis
+une tapisserie,--un de ces grands bois o&ugrave; courent des chasseurs en
+veste Louis XV, une vieille tapisserie harmonis&eacute;e en ses tons verd&acirc;tres,
+et que P... avait relev&eacute;e de baguettes dor&eacute;es.--L&agrave; dedans, au fond,
+&eacute;tait un lit, un bon lit, et une femme, sa ma&icirc;tresse.</p>
+
+<p>Clou &agrave; clou, il lui avait fait ce r&eacute;duit. Le petit chiffonnier de bois
+de rose et l'ancienne pendule sign&eacute;e Leroy, tout cela &eacute;tait venu peu &agrave;
+peu,--commande &agrave; commande,--sou &agrave; sou.</p>
+
+<p>Un des premiers, P... avait compris l'ornementation moderne et ce
+qu'elle doit &ecirc;tre. Comme tous les commen&ccedil;ants, exploit&eacute; d'abord par ces
+gens arriv&eacute;s dont la signature est un bon &agrave; vue sur le public, il avait
+vendu un temps ses mod&egrave;les,--des chefs-d'&oelig;uvre,--pour des quinze francs,
+pour des vingt francs. Puis la confiance lui &eacute;tait venue. Il &eacute;tait all&eacute;
+lui-m&ecirc;me aux fabricants. Lampes, flambeaux, vide-poches,
+serre-papiers,--il ennoblit par de charmantes cr&eacute;ations toutes ces
+choses usuelles qui maintenant sont des objets d'art chez tout le monde,
+ou &agrave; peu pr&egrave;s,--faisant de grandes imaginations pour ces petits riens
+abandonn&eacute;s de tout go&ucirc;t et de toute gr&acirc;ce depuis bien des ann&eacute;es, et
+toujours pensant aux Grecs, ce peuple b&eacute;ni des arts, qui mettait
+jusqu'aux tuiles de ses maisons les arabesques de sa fantaisie.</p>
+
+<p>Entre autres charmants emprunts &agrave; la flore,--de deux feuilles de
+violette il fit une coupe. Les deux feuilles simples, oppos&eacute;es, font le
+creux de la coupe, et les deux stipules, crois&eacute;es l'une sur l'autre,
+forment le pied. Cette coupe a &eacute;t&eacute; offerte, nous croyons, &agrave; M. le baron
+Taylor.</p>
+
+<p>Puis il tentait un projet de vase,--un vase &eacute;pique dont la base &eacute;tait la
+cr&eacute;ation du monde. Sur l'ove marchaient les successions de g&eacute;n&eacute;rations;
+l'histoire de l'humanit&eacute; se d&eacute;roulait d'&eacute;tape en &eacute;tape, et finissait &agrave;
+une grande figure de la civilisation, debout et couronnant le vase
+symbolique.</p>
+
+<p>Enhardi, P... songea &agrave; se mettre un peu hors de page. Il fit un coffret
+en forme de ch&acirc;sse. De petites figurines veillaient &agrave; chaque angle. Les
+pieds du coffret disparaissaient sous un fouillis de plantes marines,
+d'algues et de feuilles lanc&eacute;ol&eacute;es courant l'une apr&egrave;s l'autre, o&ugrave;
+fourmillaient scarab&eacute;es, b&ecirc;tes &agrave; bon Dieu, sauterelles &eacute;maill&eacute;es en leur
+couleur. Le coffret fini, P... alla le porter &agrave; madame la duchesse
+d'Orl&eacute;ans. Madame la duchesse d'Orl&eacute;ans, en qui revivait cette
+intelligente protection des arts famili&egrave;re &agrave; Ferdinand d'Orl&eacute;ans,
+accueillit l'artiste et l'offrande. C'est dire que la femme fut
+gracieuse autant que la princesse fut g&eacute;n&eacute;reuse.</p>
+
+<p>Vinrent les mauvais jours, les privations, les g&ecirc;nes quotidiennes; puis
+les caprices de sa ma&icirc;tresse amen&egrave;rent la vraie mis&egrave;re, les d&icirc;ners
+incertains, la vie glan&eacute;e au jour le jour.</p>
+
+<p>P... souffrait depuis quelque temps. D'o&ugrave;? il ne savait. C'&eacute;tait une
+organisation bien faible et d&eacute;j&agrave; bien &eacute;prouv&eacute;e par la maladie.--Un beau
+jour, il fit apporter chez lui de la glaise, une grande table, et se mit
+&agrave; modeler avec une assiduit&eacute; &acirc;pre, n'&eacute;coutant ni conseils ni fatigue. Il
+&eacute;bauchait un grand Christ en croix de dix-huit pieds de haut.</p>
+
+<p>P... n'avait ni le genre ni l'habitude d'une pareille machine. Il
+travaillait avec rage, s'emportant apr&egrave;s la glaise rebelle, remettant,
+&ocirc;tant, remaniant et revenant, et toujours &agrave; faire &oelig;uvre de son &eacute;bauchoir
+enfi&eacute;vr&eacute;. Le Christ ne venait pas, ne sortait pas. Ses amis haussaient
+les &eacute;paules. Ils ne comprenaient pas que ce Christ &eacute;tait une envie de
+mourant, et que les artistes ressemblent aux femmes qui, avant de
+mourir, commencent toujours quelque tapisserie de longue haleine.</p>
+
+<p>P... travailla ainsi une quinzaine de jours, ne quittant son travail que
+pour manger. Il d&icirc;nait alors avec des &oelig;ufs durs.</p>
+
+<p>Un dimanche,--le samedi P... avait eu quelques amis,--c'&eacute;tait le
+chol&eacute;ra;--on avait ri de lui parce qu'il avait comme la peur du
+pressentiment;--sur les neuf heures, en rentrant, P... fut pris du
+chol&eacute;ra. Sa ma&icirc;tresse &eacute;tait couch&eacute;e. Comme il sentait l'&eacute;pid&eacute;mie en lui,
+il arracha de dessus la glaise les toiles mouill&eacute;es, jeta &ccedil;a par terre
+et se roula dedans. Les atroces douleurs lui &eacute;taient venues; et lui,
+&eacute;cartant le rideau de l'autre chambre, les yeux et le visage tendus vers
+cette femme, lui voulait sourire et lui souriait pour qu'elle ne
+s'inqui&eacute;t&acirc;t pas.</p>
+
+<p>La femme s'endormit.</p>
+
+<p>Le lendemain matin, en entrant, on vit P...,--dont les veines s'&eacute;taient
+cav&eacute;es dans la nuit, --toujours une main &agrave; lever le rideau, toujours le
+visage tendu vers la femme.</p>
+
+<p>La femme eut peur; elle courut emm&eacute;nager chez celui que le mourant
+appelait son meilleur ami.</p>
+
+<p>P... fut port&eacute; &agrave; l'h&ocirc;pital.</p>
+
+<p>Du mort, il ne reste qu'un peu de cire et de pl&acirc;tre, et le nom de Possot
+qui vit encore dans la m&eacute;moire de quelques amis.</p>
+
+<a name="c2" id="c2"></a>
+<br><br>
+
+<h3>VICTOR CHEVASSIER</h3>
+
+<p>3 juin 1836.--Je suis arriv&eacute; aujourd'hui &agrave; la maison. Maman m'avait fait
+faire un pantalon et un habit noirs. A midi, j'ai &eacute;t&eacute; au convoi de mon
+p&egrave;re. Le cimeti&egrave;re &eacute;tait plein: hommes, femmes et les enfants qu'on
+tra&icirc;nait par la main, tout le village, et encore des gens de Damblin et
+de Fresnoy. J'ai eu du r&eacute;confort &agrave; voir cette foule.--Maman pleure.--Je
+me suis fait installer un lit dans la biblioth&egrave;que.--Mon r&ecirc;ve est fini.
+Maman est trop &acirc;g&eacute;e, elle a maintenant la t&ecirc;te trop affaiblie et le
+corps trop malingre, pour que je la laisse toute aux soins d'une
+servante;--et elle s'est trop envieillie en cette vie de campagne, et
+elle a trop v&eacute;cu en la maison de mon p&egrave;re pour que j'essaye de la tirer
+d'ici, et que je l'emm&egrave;ne &agrave; Nancy.--J'envoie ma d&eacute;mission.</p>
+
+<p>4 juin.--Il fait du soleil. J'ouvre la fen&ecirc;tre. L'orme du cimeti&egrave;re,
+plein d'oiseaux, a sa feuill&eacute;e toute frissonnante. A deux pas de l'orme
+s'&eacute;l&egrave;ve un peu de terre fra&icirc;chement remu&eacute;e.--J'ai referm&eacute; la fen&ecirc;tre. Je
+me suis mis dans mes livres. J'ai retrouv&eacute; le Bodin. J'ai vu quelques
+livres que je ne connaissais pas. J'ai trouv&eacute; un Calvin avec la
+signature de Marie d'&Eacute;cosse, 1584: elle &eacute;tait alors en prison.--Il m'a
+fallu descendre: les fermiers venaient pour renouveler leurs baux. Ils
+m'ont tenu deux heures. Je les ai fait attabler. Ils m'ont demand&eacute; une
+diminution. Ils disent que le chemin vicinal a tranch&eacute; sur le terrage
+aboutissant &agrave; la p&acirc;ture de M. Lourdel, et que c'est un dommage de quatre
+bichets de bl&eacute;. Je me suis d&eacute;fendu d'eux le mieux que j'ai pu: mais je
+crains bien qu'ils n'aient perc&eacute; mon ignorance, et ils ont d&ucirc; s'en aller
+en se disant qu'ils auraient meilleur march&eacute; du fils que du p&egrave;re.--Ils
+apportaient &agrave; maman le beurre de la redevance. Il a fallu fondre le
+beurre; et puis, on va faire la lessive. Maman a mis tremper tout le
+linge dans le cuveau de la chambre &agrave; four. Tout cela a fait comme une
+distraction &agrave; sa douleur.</p>
+
+<p>20 juin. On est tout en l'air pour l'&eacute;lection du maire en remplacement
+de mon p&egrave;re. Le ma&icirc;tre d'&eacute;cole est venu me consulter. Il m'a dit qu'un
+bon choix ce serait M. Michaux, qui commande les pompiers.--Je ne
+connais gu&egrave;re personne ici. Bien des vieilles gens, chez qui j'ai jou&eacute;,
+sont mortes. Les quelques amis de ma premi&egrave;re jeunesse,--Andr&eacute;, avec qui
+je volais des <i>cou&egrave;ches</i>, et Robert, qui avait imagin&eacute; de mettre des
+hame&ccedil;ons dans du pain pour p&ecirc;cher les poules de la m&egrave;re Langlum&eacute;,--et
+les autres, sont loin finissant leur droit ou leur m&eacute;decine.</p>
+
+<p>2 juillet.--Je me suis install&eacute; tout &agrave; fait dans la biblioth&egrave;que; je
+suis l&agrave; avec mes vieux livres rustiques et mal v&ecirc;tus, mais qui me
+semblent mieux amis pour cela m&ecirc;me. Je me mets &agrave; ne plus lire, mais &agrave;
+relire. Je me suis retir&eacute; en une soci&eacute;t&eacute; petite, mais choisie.--Maman
+m'a laiss&eacute; mettre sur la chemin&eacute;e les terres cuites de Rousseau et de
+Voltaire, que j'ai achet&eacute;es &agrave; mon voyage &agrave; Paris. Il n'y a pas eu moyen
+d'obtenir qu'elle retir&acirc;t deux timbales d'argent sur lesquelles sont
+deux oranges. Elle m'a dit que c'&eacute;tait comme cela du temps de mon p&egrave;re.
+J'ai sur le chambranle des portes des coloquintes qui s&egrave;chent et des
+lions en bois blanc &agrave; crini&egrave;re farouche. Maman ne peut comprendre
+combien ces lions et ces coloquintes me sont d&eacute;sagr&eacute;ables.--Blangin m'a
+&eacute;crit qu'il regrettait d'autant plus vivement ma retraite du <i>Phare</i>,
+qu'il va fonder &agrave; Paris un nouveau journal d'opposition, dont il
+comptait me donner la r&eacute;daction en chef. Cette lettre est rest&eacute;e toute
+la nuit ouverte sur la table autour de laquelle je me promenais.--Apr&egrave;s
+tout, c'est cinq ans, dix ans peut-&ecirc;tre d'&eacute;tude. Ma pens&eacute;e se trempera
+aux amertumes de la solitude, et sortira plus aguerrie et plus virile
+pour la lutte. J'apporterai aux &acirc;pres pol&eacute;miques une verve m&ucirc;rie, et
+toute une jeunesse condens&eacute;e et impatiente.</p>
+
+<p>25 juillet.--Allons! il n'y a pas d&eacute;cid&eacute;ment un homme avec lequel on
+puisse causer. Sortez ces hommes-l&agrave; du prix des &laquo;paires&raquo; et des fauch&eacute;es
+de pr&eacute;, ils perdent la pens&eacute;e.--Rien n'est pour eux en dehors de
+cela.--Ils mangent bien parce que le gibier et le poisson sont
+abondants. Ils sont buveurs parce qu'ils sont vignerons.--De ce que je
+n'ai pas six pieds et le teint rouge, ils me regardent comme
+poitrinaire.--&laquo;Vous allez nous en tuer de ces perdreaux, monsieur
+Victor, avec les bons fusils de votre p&egrave;re,--m'a dit le p&egrave;re Jansiau en
+regardant les trois fusils accroch&eacute;s au manteau de la chemin&eacute;e.--Je ne
+chasse pas&raquo;, lui ai-je dit. &Ccedil;'a &eacute;t&eacute; un &eacute;tonnement quand Jansiau leur a
+dit que je ne chassais pas.--Ils auraient bien envie de me traiter de
+s&eacute;minariste, comme j'ai toujours le nez dans mes livres; mais ils savent
+que j'ai &eacute;crit dans les journaux contre le gouvernement, ce qui
+contribue encore beaucoup &agrave; me faire regarder comme quelqu'un
+d'&eacute;trange.--Il faut tout penser en soi, en cette terre abd&eacute;ritaine. Pas
+une oreille digne de vous.--Les petits ch&acirc;telains des environs sont des
+paysans de la pire esp&egrave;ce.--V&eacute;ritablement, je suis comme dans un pays
+dont je ne saurais pas la langue. Il y a des jours o&ugrave; je me t&acirc;te, me
+demandant si je ne suis pas fou, tant tout ce qui m'entoure a une autre
+fa&ccedil;on de t&ecirc;te que moi.--Apr&egrave;s souper, ma m&egrave;re se met &agrave; son orgue
+portatif, elle en tourne deux ou trois airs, et puis je monte me
+coucher.</p>
+
+<p>30 juillet.--Les fermiers ont apport&eacute; ce matin des poulets maigres.
+Maman m'a envoy&eacute; chercher le bail, et quand elle a vu que je n'y avais
+pas ins&eacute;r&eacute; &laquo;dix chapons gras, vifs, emplum&eacute;s, la queue en faucille&raquo;, les
+reproches ont commenc&eacute;, et dur&eacute; du d&icirc;ner au souper: que je n'avais aucun
+soin de nos affaires, que ce n'&eacute;tait pas la peine d'avoir un fils qui ne
+s&ucirc;t pas mettre tout ce qu'il faut dans un bail...--J'ai &eacute;crit &agrave; Paris
+pour avoir un portrait d'Armand Carrel.</p>
+
+<p>Septembre.--Cette all&eacute;e du jardin est tout &eacute;troite et longue. Elle a
+deux pieds de large avec une bordure de buis mang&eacute;e par place. Elle est
+garnie de petits cailloux criants. Je vais jusqu'&agrave; la porte qui s'ouvre
+sur la route de l'Ermitage; je reviens au b&acirc;timent de l'&eacute;curie; je
+retourne jusqu'au bout, et toujours ainsi. Je la sais par c&oelig;ur cette
+all&eacute;e droite, et elle est dessin&eacute;e aussi nettement dans mon cerveau que
+dans le jardin.--Je ne sais pourquoi je m'y prom&egrave;ne, mais je m'y prom&egrave;ne
+&agrave; pr&eacute;sent toute l'apr&egrave;s-d&icirc;n&eacute;e; et quand il vient quelqu'un pour me
+parler et que je suis dans le jardin, maman dit: &laquo;Victor?... il fait du
+sable.&raquo;--Cette all&eacute;e, et les deux bouts de terrain qui l'accompagnent,
+ont l'air de trois rubans juxtapos&eacute;s. D'un c&ocirc;t&eacute;, des choux, des
+groseilliers et des carottes; de l'autre, de l'herbe o&ugrave; des pommiers
+mettent leurs ombres gr&ecirc;les.--Des haies de fagots me s&eacute;parent &agrave; droite
+du verger de la fabrique de limes; &agrave; gauche, du verger des
+Nantouillet.--Une vingtaine de rosiers r&eacute;guli&egrave;rement distanc&eacute;s de vingt
+pas en vingt pas, comme des sentinelles, sont sur le bord de l'all&eacute;e, et
+je pourrais dire, tant je les ai vus de fois, la forme de chacun, et le
+dessin des bouquets de feuilles, et celui qui a sur son petit tronc une
+ligature de soie bleue pour une bouture, je pense.--Je sais tout de
+cette all&eacute;e, et le banc au bout us&eacute; et noirci par la pluie, et la
+tonnelle aupr&egrave;s des deux cornouillers de l'entr&eacute;e. Rien n'est mont&eacute;
+apr&egrave;s cette tonnelle, et elle est l&agrave;, tendant l'&eacute;paule, pour que quelque
+chose y grimpe.--Un peu de distraction me vient quelquefois du gros
+poirier de rousselet, o&ugrave; des frelons, grands comme la moiti&eacute; du doigt,
+ont install&eacute; leur nid, faisant des envol&eacute;es furieuses. Dans la bande
+d'herbe, de l'autre c&ocirc;t&eacute;, je vais voir le r&eacute;servoir. Entre les pierres
+de rev&ecirc;tement poussent de petits saules. Quand il fait beau, deux petits
+poissons viennent jouer &agrave; la surface de l'eau.--Je ne puis dire combien
+cette all&eacute;e m'irrite et m'ennuie. Elle est inexorable comme une ligne
+droite.--Par hasard, j'ouvre la porte. Je vais une demi-heure, une heure
+dans la campagne. Un pays plat &agrave; perte de vue, des champs coup&eacute;s &agrave; la
+r&egrave;gle. Des paysans passent sur des voitures de foin, dormant les yeux
+ouverts. Puis le cri des roues dans les essieux diminue et finit. Le
+paysage est immobile comme un d&eacute;cor, et j'en veux &agrave; la campagne de son
+calme et de son silence. Je prends la fi&egrave;vre &agrave; voir cette nature qui ne
+me r&eacute;pond rien.--La maison aussi me semble avoir pour moi un m&eacute;chant
+sourire, comme une vieille.--La servante, &agrave; qui ma m&egrave;re donne les
+ordres, ne m'&eacute;coute pas quand je lui parle.--Les dindons de la cour
+courent apr&egrave;s moi quand je vais au jardin.</p>
+
+<p>Mars 1837.--L'hiver a &eacute;t&eacute; long, froid, pluvieux. J'ai lu.--Le portrait
+de Carrel est accroch&eacute; dans ma biblioth&egrave;que. Je suis tomb&eacute; l'autre jour
+sur ce passage de Plutarque: &laquo;... Marcellus fut enterr&eacute; par ses ennemis
+qui l'avaient fait mourir. Son sort est grand et glorieux; car l'ennemi
+qui admire et honore la vertu qu'il redoutait, fait bien plus que l'ami
+qui t&eacute;moigne sa reconnaissance &agrave; la vertu dont il a re&ccedil;u des
+bienfaits.&raquo;--Ce portrait est sur le mur du fond. Le soleil l'&eacute;claire en
+se couchant.</p>
+
+<p>Voil&agrave; les huit plus longs jours que j'aie v&eacute;cu. On a cuit des poires au
+four. Maman m'a pris la biblioth&egrave;que pour les faire s&eacute;cher sur des
+claies. Il pleut. Je me tiens en bas, regardant par les carreaux la
+pluie, et forc&eacute; de recevoir qui vient.</p>
+
+<p>A soi la publicit&eacute;! Chaque matin &eacute;veiller Paris avec son id&eacute;e! Avoir le
+journal qui fait la parole ail&eacute;e! Tous les jours battre la charge,
+renvoyer le sarcasme comme un volant, attaquer, riposter et tenir la
+France suspendue &agrave; sa plume! Donner sa fi&egrave;vre &agrave; ce grand public,
+l'agiter de sa passion, le pousser &agrave; la br&egrave;che, &agrave; l'ennemi! Se r&eacute;jouir
+l'oreille au bruit des fl&egrave;ches barbel&eacute;es qu'on lance et qui sifflent!
+&Ecirc;tre quelque chose &agrave; l'intelligence de tous! La lutte, la lutte
+quotidienne! Vaincre tout un jour! Se coucher, ses adversaires sabr&eacute;s!
+Se montrer brutal comme la logique! Reposer, ne jamais dormir! R&eacute;pondre
+aux ennemis qui se d&eacute;masquent, aux hostilit&eacute;s qui surgissent, aux
+arguments qui se relayent! &Ecirc;tre pr&ecirc;t le jour, &ecirc;tre pr&ecirc;t le lendemain,
+&ecirc;tre pr&ecirc;t &agrave; toutes les heures de cette vie militante! La guerre de la
+t&ecirc;te enfin! Oh! les belles fatigues!--Le journal de Blangin est fond&eacute;.
+Le premier num&eacute;ro, &agrave; ce qu'il m'&eacute;crit, a fait un certain tapage.
+J'avais envoy&eacute; la carcasse du programme.</p>
+
+<p>L'esprit de maman se d&eacute;range, mais sa sant&eacute; s'am&eacute;liore. Elle a des
+absences et semble par moment troubl&eacute;e en sa raison. Elle ne garde sa
+t&ecirc;te que pour tout ce qui est affaire. Elle me reproche souvent mon
+humeur casani&egrave;re. La vieille femme devient de jour en jour plus aigre et
+plus mont&eacute;e contre ce qu'elle appelle ma paresse et mon insouciance.</p>
+
+<p>Il na&icirc;t en moi des id&eacute;es de d&eacute;couragement et de d&eacute;go&ucirc;t de la vie. &Ecirc;tre
+ainsi enterr&eacute; dans un village! Contre cette solitude d'esprit, mon
+cerveau tiendra-t-il? Il me prend des terreurs de ne pouvoir plus rien
+quand la libert&eacute; me viendra.--J'ai fait le compte de ce que nous
+poss&eacute;dons, &agrave; nous deux maman; avec le petit bois de la Charbonni&egrave;re,
+nous avons bien 100 000 fr.; mais au taux de la terre, cela ne rapporte
+gu&egrave;re que 2000 fr. Il est donc impossible d'aller habiter Paris. Du
+reste, ma m&egrave;re ne voudrait jamais y consentir. C'est par moment des
+v&oelig;ux impies...</p>
+
+<p>Je me suis d&eacute;sabonn&eacute; &agrave; mon journal. Je ne veux plus rien savoir de ce
+qui ce passe l&agrave;-bas.</p>
+
+<p>Maman veut que je me marie. Elle m'a parl&eacute; de la fille de Capron, des
+s&oelig;urs Cadet, de la petite No&eacute;mi. Je lui ai r&eacute;pondu par un <i>non</i> formel.</p>
+
+<p>Nous sommes all&eacute;s au chef-lieu aujourd'hui.</p>
+
+<p>Au th&eacute;&acirc;tre, maman m'a pr&eacute;sent&eacute; &agrave; M. et madame Langot et &agrave; leur fille.
+Nous avions deux places dans leur loge. Bocage &eacute;tait de passage. Il
+jouait <i>Antony</i>. Au moment o&ugrave; Antony demande une chaise de poste et
+jette sur la table de l'auberge une bourse sans compter ce qu'il y a
+dedans, un individu aux premi&egrave;res loges s'est mis &agrave; dire tout haut,
+qu'on n'achetait pas une voiture comme cela; on l'examinait, on la
+marchandait et l'on comptait son argent. Tout le monde, dans la salle,
+paraissait du sentiment de l'individu.--M. Langot est un gros homme qui
+para&icirc;t inoffensif. Je n'ai pu tirer de mademoiselle Langot que des oui
+et des non. Elle n'est pas jolie. Elle a l'air doux. Ma m&egrave;re m'a dit
+qu'elle chantait au piano, et qu'elle devait avoir deux cent mille
+francs &agrave; la mort de son p&egrave;re.--Au fait, maintenant que ma vie est
+termin&eacute;e... Et puis, peut-&ecirc;tre, un enfant cela vous rattache-t-il &agrave;
+vivre?</p>
+
+<p>Je me suis mari&eacute;. Ma femme est nulle. Elle a le c&oelig;ur sec, le jugement
+petit et &eacute;troit de la province, l'avarice pass&eacute;e dans le sang des
+familles terriennes. Mon beau-p&egrave;re est vain, braillard, insupportable,
+poussant l'ignorance au del&agrave; du permis, le ridicule au del&agrave; du croyable.
+J'ai eu toutes les peines du monde &agrave; le faire revenir sur l'id&eacute;e qu'il
+avait d'illuminer la tombe de sa m&egrave;re le jour de mon mariage avec sa
+fille. L'autre jour il m'a dit: Vous aimez les antiquailles? je vous
+donnerai une pipe romaine qu'a trouv&eacute;e un de mes ouvriers dans mon bois
+de...--Aristophane aurait fait une belle com&eacute;die avec cette id&eacute;e et sous
+ce titre: &laquo;Prom&eacute;th&eacute;e, gendre de Plutus.&raquo;--Journellement, pour les riens
+du m&eacute;nage, ce sont des sc&egrave;nes entre maman et ma femme; maman me
+reproche de ne pas la faire respecter par ma femme; ma femme me dit que
+je donne toujours raison &agrave; maman. Je suis ballott&eacute; entre ces deux
+jalousies. Elles boudent, et lorsqu'elles se raccommodent, elles
+s'allient et se tournent toutes deux contre moi.--Mon beau-p&egrave;re vient
+passer ici des huit jours, et quand il est l&agrave;, toujours parlant avec sa
+grosse voix, je n'ai plus m&ecirc;me &agrave; moi le silence du calme.</p>
+
+<p>J'ai un fils. Tant qu'il sera petit, je le ferai jouer dans le jardin;
+quand il sera grand, je lui mettrai une blouse et lui ach&egrave;terai un bout
+de champ; et puis aille la charrue!</p>
+
+<p>Je me suis rencontr&eacute; hier avec le monsieur de Paris qui est venu faire
+de l'agriculture &agrave; la ferme de Levecourt. Je l'ai salu&eacute;, nous nous
+sommes mis &agrave; causer. Depuis neuf ans, c'est la premi&egrave;re conversation que
+j'aie eue. Il m'a invit&eacute; &agrave; venir le voir.</p>
+
+<p>M. Dumont, de Levecourt, est mieux qu'une ressource; il a un charme de
+rapports et d'esprit, et des fa&ccedil;ons cordiales, qui me poussent de jour
+en jour &agrave; son amiti&eacute;.--C'est un ancien garde du corps; et quoique nous
+diff&eacute;rions enti&egrave;rement de mani&egrave;re de voir politique, nous discutons sans
+disputer.--Il est venu souvent cet hiver souper &agrave; la maison.</p>
+
+<p>Voil&agrave; quinze jours que je n'ai vu M. Dumont.--Ma femme aurait dit, la
+derni&egrave;re fois qu'il a soup&eacute; &agrave; la maison, devant son domestique, qui
+mettait le cheval &agrave; la voiture, que &laquo;je ne pouvais pas continuer &agrave;
+manger ma fortune, en tenant table ouverte&raquo;.</p>
+
+<p>7 juillet 1845.--Mon petit gar&ccedil;on s'en est all&eacute;, le croup l'a emport&eacute;.
+Il &eacute;tait beau et souriant vendredi encore... Des gens du pays qui ne
+m'aiment pas ont jet&eacute; le soir, par-dessus la haie de mon jardin, un
+petit cochon de lait mort...</p>
+
+<p>10 d&eacute;cembre 1847.--Ma femme a vendu 17 fr. 50 cent. les paires de
+Colombey, &agrave; Jangeneux, marchand de bl&eacute; &agrave; Gray, payable au 1er avril.</p>
+
+<p>26 f&eacute;vrier 1848.--Le percepteur vient de m'arr&ecirc;ter sur la place; il m'a
+lu son journal. Une r&eacute;volution...</p>
+
+<a name="c3" id="c3"></a>
+<br><br>
+
+<h3>BUISSON</h3>
+
+<p>C'est un livre, un gros livre dans un cuir de Russie bien grenu et de
+sauvage odeur. Il y a aux quatre coins des plats quatre pens&eacute;es; il y a
+entre les nervures du dos cinq pens&eacute;es, et au milieu de toutes ces
+fleurs de souvenir dor&eacute;es de bel or fin se lit: <i>Jules Buisson, Essais
+d'eaux-fortes</i>.</p>
+
+<p>Ce livre unique o&ugrave; une main amie a rang&eacute;, comme des reliques, toutes les
+pi&egrave;ces, a r&eacute;uni tous les <i>&eacute;tats</i>, mettant devant ces ch&egrave;res images les
+vers explicatifs grav&eacute;s eux aussi &agrave; l'eau-forte et faisant choix des
+tirages, et les &eacute;chelonnant l'un apr&egrave;s l'autre,--ce livre tient l'&OElig;uvre
+d'un artiste. Feuilletez-le en ses pages; et vous aurez le recueil des
+imaginations de Buisson, de son premier &agrave; son dernier jour,--du jour o&ugrave;
+il fit une planche entre une le&ccedil;on de M. Ducauroy et une le&ccedil;on de M.
+Valette, au jour o&ugrave; il dit &agrave; sa pointe: Adieu, paniers! vendanges sont
+faites! et jeta aux champs ses bouteilles de vernis.</p>
+
+<p>Buisson entra dans la vie positive &agrave; une belle sortie de coll&eacute;ge. Il fit
+comme tout le monde, et alla s'asseoir sur les bancs de l'&Eacute;cole de
+droit. Mais en son chemin, il rencontrait mille accidents de la vie,
+mille petites sc&egrave;nes anim&eacute;es qui sollicitaient coup d'&oelig;il et obtenaient
+souvenir. Au Luxembourg il voyait de beaux petits enfants rieurs qui
+jouaient pr&egrave;s des bassins, puis s'asseyaient sur les bonnes de pierre,
+tout rouges de courir, laissant voir leurs mollets dodus. Souvent, dans
+les rues de la montagne Sainte-Genevi&egrave;ve, il laissait complaisamment
+tomber le regard sur des dogues musel&eacute;s, rogn&eacute;s d'oreille et de queue,
+les bajoues piqu&eacute;es de poils rudes comme des soies de porc, le museau
+pliss&eacute; et relev&eacute; pour montrer de petits crocs blancs, incisifs et
+ent&ecirc;t&eacute;s, chiens tout nerfs et chair, sangl&eacute;s dans leur peau, et les
+rognons et le train de derri&egrave;re puissants comme chez certains monstres
+assyriens. Par les rues, il se cognait parfois &agrave; des habits grotesques,
+&agrave; des faces &eacute;tranges, &agrave; des &eacute;chapp&eacute;s d'un conte fantastique, des
+docteurs Pyramide ou des Pasquale Capuzzi. Lors son ami Prarond le po&euml;te
+lui disait, aux heures des rimes conseill&egrave;res:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> J'ai trouv&eacute; des Goya cach&eacute;s sous vos Pandectes,</p>
+<p class="i14"> Ami! j'ai d&eacute;pist&eacute; parmi de longs discours,</p>
+<p class="i18"> Entre autres notes fort suspectes,</p>
+<p class="i14"> Que sur Papinien vous recueillez aux cours,</p>
+<p class="i14"> En marge et grima&ccedil;ant dans des cadres fantasques,</p>
+<p class="i14"> Bien des nez de travers et bien des fronts cornus,</p>
+<p class="i18"> Bien des figures bergamasques,</p>
+<p class="i14"> Et des &acirc;nes pr&ecirc;tant ou r&eacute;clamant leurs masques</p>
+<p class="i18"> A des visages bien connus.</p>
+</div></div>
+
+<p>Buisson oublia d'&ecirc;tre juge, et se mit &agrave; dessiner des bouledogues. Et si
+bien il en dessina, si bien il en moula, si bien il en sculpta, qu'il
+eut &agrave; l'Exposition de 1842 &laquo;deux dogues&raquo;, tableau acquis par la Soci&eacute;t&eacute;
+des amis des arts. Son tableau achet&eacute;, envie lui prit de graver son
+tableau, et il se trouva avoir et la pointe libertine de Chaplin, et la
+mani&egrave;re grasse et ressentie d'H&eacute;douin dans son <i>&Eacute;table</i>, et la science
+du <i>vernis mou</i> de Marvy. Que si vous ouvrez le volume, et que vous
+passiez la garde de papier <i>peigne</i>, vous rencontrez tout d'abord ces
+deux chiens, l'un couch&eacute;, l'autre debout sur ses pattes de devant et
+l'oreille inqui&egrave;te, tous deux solidement accentu&eacute;s et &eacute;talant des
+contours comme trac&eacute;s par une plume de roseau qui aurait poch&eacute;
+victorieusement les ombres. Le sol, les murs, les accessoires du chenil,
+dans un certain <i>brut</i> pittoresque, viennent &agrave; l'&oelig;il dignes presque des
+bassets de Decamps.</p>
+
+<p>Puis, il s'abandonna &agrave; r&ecirc;ver. Au r&eacute;alisme de sa premi&egrave;re &oelig;uvre succ&egrave;dent
+les pens&eacute;es tourn&eacute;es vers les cr&eacute;ations imaginatives, les aspirations,
+les songeries par les champs de l'inconnu, les contours ondoyants et &agrave;
+peine entrevus, la recherche de l'id&eacute;al; &agrave; la r&eacute;alit&eacute; rigoureuse succ&egrave;de
+le d&eacute;dain des pens&eacute;es trop &eacute;crites. Une effac&eacute;e r&eacute;miniscence d'un
+tableau italien du mus&eacute;e de Tournai lui tourmente la main, et sur le
+cuivre, dans les griffonnages &agrave; toute bride d'un paysage de Cyth&egrave;re,
+s'enl&egrave;vent discr&egrave;tement le beau corps et la gorge mil&eacute;sienne d'une
+jeune Muse endormie. Les Amours ont vol&eacute; ses v&ecirc;tements, ils les ont
+livr&eacute;s au Z&eacute;phyre,</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> Z&eacute;phyre court de fleurs en fleurs,</p>
+<p class="i14"> Et l'on n'attrape point Z&eacute;phyre.</p>
+</div></div>
+
+<p>Par les fonds incertains, ce sont de myst&eacute;rieuses envol&eacute;es d'Amours, et
+les vagues des v&ecirc;tements flottant dans l'air,--un r&ecirc;ve antique qui
+remonte au ciel sur le premier rayon de soleil.</p>
+
+<p>Cet homme &agrave; la fa&ccedil;on des soldats de Salvator, une toque &agrave; plume sur la
+t&ecirc;te, torse &agrave; moiti&eacute; nu, se caressant sa longue barbe avec sa main, est
+Finsonius:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> <i>Belga Brugensis hic est, sed Parthenopensis amore</i></p>
+<p class="i14"> <i>Artis Finsonius sceptra jocosa gerens.</i></p>
+</div></div>
+
+<p>--Une figure de peintre provincial retrouv&eacute;e par un ami de
+l'aquafortiste, Philippe de Chennevi&egrave;res.</p>
+
+<p>Buisson se plaisait &agrave; ces illustrations d'ouvrages &eacute;crits par des plumes
+qui lui &eacute;taient ch&egrave;res et de pr&eacute;f&eacute;rence aim&eacute;es. Ils &eacute;taient quatre en
+ce temps heureux de la gaie jeunesse, qui pensaient ensemble, et se
+parlaient et se r&eacute;pondaient l'un &agrave; l'autre en tout: prose, rimes ou
+dessins. Aussi, presque toujours, Buisson se fait &eacute;cho de la po&eacute;sie et
+de l'amiti&eacute;; et Prarond et Levavasseur chantent tour &agrave; tour sous sa
+pointe, &agrave; moins que les <i>Contes normands</i> ne lui donnent l'id&eacute;e de
+dessiner une vieille Normande, le nez crochu, le bonnet de coton en
+r&eacute;volte, une bouteille sous le bras, trouvant que le vent est rude,
+l'&eacute;quilibre difficile, et le pont &eacute;troit, et chantant son <i>Ave</i>
+d'ivrognesse:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> Ma bonne Vierge, laissez-mai passer</p>
+<p class="i14"> Je n'berai pus quand il fera ner.</p>
+</div></div>
+
+<p>Et tout apr&egrave;s le &laquo;Chenil&raquo;, le frontispice des fables de l'ami Prarond.
+Pr&eacute;ault voulait ex&eacute;cuter ce frontispice en marbre. Des Amours entourent,
+avec la gr&acirc;ce perdue du <span class="sc">XVIII</span>e si&egrave;cle, un rustique m&eacute;daillon de
+mademoiselle de la Sabli&egrave;re, jet&eacute; dans les feuilles. Au bas, les Amours
+jouent avec des fleurs, puis ils volent et s'asseyent et se renvolent,
+et le premier arriv&eacute; tend le bras et met une couronne de fleurs des
+champs sur la t&ecirc;te de l'h&ocirc;tesse du fablier.--Et vraiment c'&eacute;tait un
+Clodion.</p>
+
+<p>Mais Levasseur a dit quelque part:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i20"> La rime est une esclave</p>
+<p class="i20"> Qui de dame Raison</p>
+<p class="i20"> Fait le m&eacute;nage et lave</p>
+<p class="i20"> La petite maison.</p>
+<br>
+<p class="i20"> La ma&icirc;tresse est hargneuse,</p>
+<p class="i20"> Et du soir au matin</p>
+<p class="i20"> La vieille besogneuse</p>
+<p class="i20"> Met de l'eau dans son vin.</p>
+<br>
+<p class="i20"> La servante est fol&acirc;tre</p>
+<p class="i20"> Et d&eacute;robe au tonneau</p>
+<p class="i20"> Le vin de la mar&acirc;tre</p>
+<p class="i20"> Qu'elle met dans son eau.</p>
+</div></div>
+
+<p>Vite du giron de la servante d&eacute;collet&eacute;e, les &eacute;paules au vent, la chemise
+aux hanches, monte avec la fum&eacute;e blanch&acirc;tre des fagots une ronde
+d'effront&eacute;s parpaillots qui embrassent et cajolent la servante, et
+grimpent boire le vin jusque sur le manteau de la chemin&eacute;e. Bient&ocirc;t
+voil&agrave; Buisson qui enfourche le balai, comme Penguilly; le fantastique
+le visite; et voil&agrave; les eaux-fortes de minuit. Tant&ocirc;t c'est un cavalier
+fort maigre, et v&ecirc;tu de noir, qui chante des s&eacute;guedilles &agrave; la nymphe de
+l'Arnette; tant&ocirc;t c'est un burg au haut d'un mont, soutenu par des
+consoles humaines; deux petits bonshommes grotesquement accoutr&eacute;s
+sonnant de l'olifant, poussent avec leurs montures jusqu'au ch&acirc;teau
+magnifique, et dans un coin est accroupi, les coudes aux genoux et les
+mains aux oreilles, un petit Belz&eacute;buth cornu, grand comme
+l'ongle.--Eaux-fortes &eacute;tranges, d'un ton roux qui rappelle l'encre
+rougie par le temps des dessins &agrave; la plume du Guerchin et du Vinci.</p>
+
+<p>Que Levavasseur, apr&egrave;s avoir lu une parade de Dominique, fasse <i>Pierrot
+couveur et roi</i>, Buisson regarde une image de Watteau, et lui fait deux
+Pierrots: Pierrot pendu, la lune le regardant:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> Je n'aurais cru d'avance</p>
+<p class="i14"> Qu'on p&ucirc;t &ecirc;tre si bien au bout d'une potence.</p>
+<p class="i14"> Que de sots pr&eacute;jug&eacute;s on a sur terre, h&eacute;las</p>
+<p class="i14"> Quand on voit en passant ces choses--l&agrave; d'en bas!</p>
+</div></div>
+
+<p>Puis Pierrot en collerette, son serre-t&ecirc;te noir un peu passant sous sa
+coiffe blanche, et faisant &agrave; deux mains un m&eacute;morable pied de nez; ceci
+est pour l'&eacute;pilogue:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> Tes dix doigts allongeant ton nez original</p>
+<p class="i14"> Nargueront le public dans un lazzi final.</p>
+</div></div>
+
+<p>Levavasseur raconte-t-il, en bon Normand, la vie de Corneille, Buisson
+ne manque, comme vous imaginez, si belle occasion de portrait.</p>
+
+<p>Ici le fabuliste Prarond a le <i>Cavalier et le cheval</i> &agrave; faire sauter un
+foss&eacute;. Buisson se rappelle les fuites rapides, les croupes qui
+s'effacent, les cavaliers couch&eacute;s &agrave; l'avant, les queues droites &agrave;
+l'horizon, les chevauch&eacute;es temp&eacute;tueuses, toute cette <i>furia</i> &eacute;questre
+qu'il livrait en ses heures de fi&egrave;vre &agrave; des panneaux oubli&eacute;s; il enl&egrave;ve
+d'un bond la fable de Prarond, et, la t&ecirc;te &eacute;chauff&eacute;e, sur un coin de la
+m&ecirc;me planche, il jette pour l'ami Levavasseur une houle imp&eacute;tueuse de
+cavalerie tournoyante avec le mouvement&eacute; d'un Maturino dans un d&eacute;fil&eacute; du
+Guaspre. Dans ce <i>griffonnis</i> le Cid fait rage de la vieille &eacute;p&eacute;e de
+Murdora le Castillan. &Eacute;coutez le <i>Romancero</i>: &laquo;Il d&eacute;fit tous les Mores,
+prit les cinq rois, leur fit l&acirc;cher la grande prise et les gens qui
+allaient captifs.&raquo;</p>
+
+<p>Buisson est all&eacute; en Normandie. Il a rapport&eacute; de la lande de Laug&eacute; de
+solides &eacute;tudes, de v&eacute;ritables &eacute;tudes normandes; il a rapport&eacute; &laquo;les
+chemins verts, les mares perdues dans l'ombre du soir, les ciels verts,
+la prime verdure d'avril sur les haies et sous les futaies, les nappes
+vertes des pr&eacute;s d&eacute;roul&eacute;es sous les bois, les tons bleus et violets si
+l&eacute;gers des arbres qui vont ouvrir leurs premiers bourgeons&raquo;. Mais le
+pays de Goya l'appelle, et en l'automne de l'an 1845 son ami Levavasseur
+lui &eacute;crit:</p>
+
+<p><i>Monsieur</i></p>
+
+<p><i>Buisson, peintre fran&ccedil;ais, fonda de las Naranjas, calle de Jovellanos.</i></p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> C'est donc vrai, le soleil a des rayons &eacute;tranges</p>
+<p class="i14"> Qui naturellement font m&ucirc;rir les oranges!</p>
+<p class="i14"> Vous qui n'en aviez vu comme moi qu'au bazar,</p>
+<p class="i14"> --Enfants emmaillott&eacute;s dans un papier de soie,</p>
+<p class="i14"> Vous en avez cueilli dans votre folle joie</p>
+<p class="i18"> Aux orangers de l'Alcazar,</p>
+</div></div>
+
+<p>Il court les Espagnes; il s'enivre de soleil, il s'enivre de haillons
+drap&eacute;s avec un air de pourpre, de couleurs chatoyantes, d'ombres
+rousses, de terrains br&ucirc;l&eacute;s, d'horizons en incendie et de firmaments
+z&eacute;br&eacute;s; il dessine le mendiant s'&eacute;pouillant, et la manola alerte, et le
+<i>presidio</i> l&eacute;zard&eacute;, et tout le peuple bariol&eacute;. Il essaye de fixer en des
+pages d'album cette lumi&egrave;re d'or, cette mis&egrave;re splendide. Il croque des
+brigands, lazaroni &agrave; fusils, se chauffant au cr&eacute;puscule dans une gorge
+morne. Il court ce qu'on voit et ce qu'on montre, les Murillo de la rue
+et du <i>Museo del Rey</i>. Il s'&eacute;prend des vieux et des terribles, de
+Correa, d'Alonzo Beruguete, de Lia&ntilde;o, de Gaspar Becerra, de Dominique
+Th&eacute;otocopuli.</p>
+
+<p>D'Espagne, il rapporte un tableau: une cour au bas d'une &eacute;glise, au bas
+d'un &eacute;norme Christ en bois peinturlur&eacute;, hommes et femmes bigarr&eacute;s
+d'&eacute;charpes, de mantes, de chapeaux mahonnais, les uns poussant devant
+eux des troupeaux de cochons truites de rose; les autres, des &acirc;nes se
+pressant et se bousculant et tintinnabulant d'alcarazas. Le ciel est
+vert sombre avec des filets violets; un coloris brutal, un dessin
+violent; mais sous les crudit&eacute;s de ton et les inhabilet&eacute;s de brosse, une
+riche palette, une m&eacute;ritante audace.</p>
+
+<p>D'Espagne il rapporte une petite eau-forte, une carte de visite. Devant
+un terrain qui fuit &agrave; perte de vue, caillouteux et d&eacute;sol&eacute; comme les
+Alpujuras, pr&egrave;s d'une source tarie, au pied du squelette d'une
+broussaille exfoli&eacute;e, une t&ecirc;te coup&eacute;e, les yeux clos, les l&egrave;vres
+entr'ouvertes, les veines du col bavant sur le sol une mare rouge; un
+souvenir des deux S&eacute;villains pantelants, Vald&egrave;s et Montan&egrave;s.</p>
+
+<p>Mais tournez la page des Vald&egrave;s, des cauchemars, de l'&eacute;cole
+<i>terrifique</i>, et venez vite voir les beaux enfants, les m&eacute;plats charnus,
+les faisceaux de plis aux jarrets, le potel&eacute;, le grassouillet, le dessin
+rebondi de l'enfance. Une statuette de Flamand, un Giotto enfant, lui
+donnent, celle-ci une &eacute;tude, celui-l&agrave; un succ&egrave;s. Une petite fille vue de
+dos lui livre un chef-d'&oelig;uvre. Il y a l&agrave; les caresses de l'artiste, et,
+dit-on, du parent. Comme toutes les courbes sont pleines! comme la
+pointe lutine! comme elle rondit le long de ce galbe douillet! la
+r&eacute;jouissante graisse &eacute;toil&eacute;e de fossettes!</p>
+
+<p>Salut, madame la Fable! Elle est vue de dos, laissant pendre un coin de
+draperie et se regardant dans un miroir:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> M&ecirc;me quand elle prend, par un beau jour d'&eacute;t&eacute;</p>
+<p class="i18"> Au bord d'un fleuve ou sur le sable,</p>
+<p class="i14"> L'uniforme charmant de dame V&eacute;rit&eacute;,</p>
+<p class="i18"> A certain regard effront&eacute;,</p>
+<p class="i14"> A cet air nonchalant, au miroir emprunt&eacute;,</p>
+<p class="i18"> On reconna&icirc;t toujours la Fable.</p>
+</div></div>
+
+<p>Cette eau-forte, publi&eacute;e par <i>l'Artiste</i>, est la gravure, moins trois
+Amours dans le ciel, d'un tableau de Buisson, qui joua de malheur. Il
+fut re&ccedil;u &agrave; l'Exposition de 1848, le 23 f&eacute;vrier. Le lendemain, tout le
+monde exposait de droit. Un instant Buisson avait d&ucirc; arriver vraiment au
+public: on avait parl&eacute; de lui pour illustrer <i>l'&Acirc;ne mort</i> de Jules
+Janin.</p>
+
+<p>1848 a dispers&eacute; le c&eacute;nacle et mis un &eacute;criteau &agrave; la porte de l'atelier
+hospitalier. Mais Buisson n'a laiss&eacute; partir ses amis qu'apr&egrave;s qu'un
+chacun a eu un beau portrait &agrave; mettre en t&ecirc;te de ses &oelig;uvres. Il a grav&eacute;
+d'une pointe onctueuse la t&ecirc;te bien en chair du fabuliste; il a grav&eacute;
+avec la pointe fine d'Henriquel le profil &eacute;l&eacute;gant de Levavasseur; il a
+grav&eacute; la barbe de l'ami Philippe; et quand il les a eu tous
+<i>pourtraicts</i>, il n'a pas voulu que ces visages qui s'&eacute;taient fait face
+si longtemps fussent s&eacute;par&eacute;s. En m&eacute;moire des ann&eacute;es qui ne reviennent
+pas, il les a tous r&eacute;unis dans le frontispice du livre de M. de
+Chennevi&egrave;res, faisant de l'un une cariatide nue, sortant d'une gaine
+l'habit de l'autre, appuyant sa fantaisie architecturale sur la t&ecirc;te de
+celui-ci et la couronnant de son portrait:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> Avec les cheveux en broussaille,</p>
+<p class="i14"> Le front saillant et les yeux creux,</p>
+<p class="i14"> Dent qui mord et bouche qui raille!</p>
+</div></div>
+
+<p>Et maintenant Jules Buisson plante ses choux pr&egrave;s de Castelnaudary. Il
+ne grave plus, il ne peint plus. Il est mari&eacute;; il cause engrais avec ses
+fermiers. Rarement il lit cette <i>Com&eacute;die humaine</i> que Balzac lui avait
+donn&eacute;e pour avoir aid&eacute; &agrave; la d&eacute;coration de son petit h&ocirc;tel du faubourg
+du Roule. Il s'est retir&eacute; en un coin de grasse terre, oublieux de son
+talent pass&eacute;; et si parfois du ciseau qu'il vient de se faire envoyer,
+il d&eacute;grossit une t&ecirc;te d'animal dans un tronc de poirier, c'est pour
+mettre au-dessus de la porte de ses &eacute;tables.</p>
+
+<a name="c4" id="c4"></a>
+<br><br>
+
+<h3>NICHOLSON</h3>
+
+<div class="tn">
+<p class="mid">Come and see<br>
+THE LORD CHIEF BARON NICHOLSON.<br>
+At the Coal Hole tavern.<br>
+STRAND<a id="footnotetag1" name="footnotetag1"></a><a href="#footnote1"><sup class="sml">1</sup></a></p>
+</div>
+
+<p>L'affiche est orn&eacute;e d'une &eacute;norme t&ecirc;te de Nicholson en perruque et en
+rabat.</p>
+
+<p>En bas, &agrave; la <i>bar</i><a id="footnotetag2" name="footnotetag2"></a><a href="#footnote2"><sup class="sml">2</sup></a> de la taverne, vous payez un schelling; montez
+l'escalier, et entrez dans la salle. La salle est un rectangle recouvert
+jusqu'au plafond d'un papier couleur bois. Aux deux c&ocirc;t&eacute;s de sa longueur
+sont figur&eacute;es quatre chemin&eacute;es surmont&eacute;es de glaces dans des cadres de
+ch&ecirc;ne, d&eacute;cor&eacute;s d'arabesques en bronze. La salle est coup&eacute;e de longues
+tables d'acajou; les tables sont entour&eacute;es de bancs recouverts d'une
+moquette rouge jasp&eacute;e de noir. Sur la table il y a des verres, des
+carafes, des bols de verre bleu qui servent de sucriers. Huit becs de
+gaz &eacute;clairent la salle. Aux murs est appendu le prospectus colori&eacute; d'une
+&eacute;cole de natation d'hiver; aux murs est accroch&eacute;e &agrave; un clou une plaque
+de verre noir portant en lettres de cuivre le mot: <i>Beds</i><a id="footnotetag3" name="footnotetag3"></a><a href="#footnote3"><sup class="sml">3</sup></a>. Dans le
+fond de la salle, le plancher ressaute d'un pied; et au centre de
+l'estrade s'&eacute;l&egrave;ve, r&eacute;serv&eacute;e au chef baron, une petite table o&ugrave; br&ucirc;lent
+deux bougies. A c&ocirc;t&eacute; des bougies, au-dessus d'un &eacute;tain bien luisant, &laquo;la
+bonne vieille boisson &eacute;cossaise, richement brune, mousse par-dessus les
+bords en glorieuse &eacute;cume&raquo;, comme dit Burns.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote1" name="footnote1"><b>Note 1: </b></a><a href="#footnotetag1">(retour) </a> Venez et voyez le grand juge Nicholson &agrave; la
+ taverne du <i>Trou au charbon</i>, dans le Strand.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote2" name="footnote2"><b>Note 2: </b></a><a href="#footnotetag2">(retour) </a> Comptoir.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote3" name="footnote3"><b>Note 3: </b></a><a href="#footnotetag3">(retour) </a> Il y a des lits ici.</blockquote>
+
+<p>Aux pieds de Nicholson, sur un canap&eacute; au dossier de jonc, sont assis le
+greffier, le conducteur du conseil, l'avocat. Une petite barre en bois
+blanc, o&ugrave; viennent d&eacute;poser les t&eacute;moins, se dresse &agrave; la gauche du
+tribunal. Dans l'enceinte r&eacute;serv&eacute;e est encore un grand piano &agrave; queue qui
+accompagne les chansons grivoises charg&eacute;es de faire attendre le proc&egrave;s.</p>
+
+<p>La table la plus rapproch&eacute;e du tribunal re&ccedil;oit le jury, jury qui se
+recrute parmi les buveurs de &laquo;gin&raquo; de bonne volont&eacute;. Un appel de noms
+imaginaires est fait. Chaque jur&eacute; prend la Bible entre le pouce et
+l'index de la main droite, jure de juger d'apr&egrave;s sa conscience, baise la
+Bible, et la passe &agrave; son voisin, qui fait de m&ecirc;me, et la baise, et la
+repasse. Nicholson demande un cigare. L'huissier appelle la cause. Le
+conducteur du conseil, connu sous le nom du <i>savant sergent</i>, et qui
+s'est occup&eacute; avec succ&egrave;s du g&eacute;nie dramatique chez les anciens et les
+modernes, lit l'acte d'accusation. L'avocat, qui est un habile &eacute;tudiant
+en droit, pr&eacute;sente la d&eacute;fense. On appelle un t&eacute;moin, puis un autre, puis
+un autre. Tant&ocirc;t il vient une vieille fille les cheveux gris lui
+battant sur les joues, lunettes sur le nez, robe ros&acirc;tre &agrave; volants,
+mantelet de soie grise, chapeau avec des bouquets de bluets; la d&eacute;marche
+intimid&eacute;e, la voix mince et fluette, l'accent pudibond, croisant les
+bras sur la poitrine; une personnification femelle du <i>shoking</i>; puis
+c'est un gar&ccedil;on coiffeur qui entre &laquo;comme le torrent de la Mor&eacute;na&raquo;, qui
+monte &agrave; la barre comme on monte &agrave; l'assaut, qui frappe du poing, qui a
+un toupet jaune &eacute;bouriff&eacute;, qui se d&eacute;p&ecirc;che, qui crie, qui bredouille, qui
+r&eacute;pond avant qu'on l'interroge, qui raconte quand on lui dit de se
+taire, qui se d&eacute;m&egrave;ne, qui cherche machinalement et fi&eacute;vreusement son
+tablier de sa main, qui s'essouffle, qui se mouche dans son tablier, les
+yeux hors la t&ecirc;te, la voix glapissante, haletant, prolixe, bavard et
+bavardant, toujours exub&eacute;rant, toujours parlant;--et ce coiffeur et
+cette Anglaise, et ce <i>blackguard</i> et cette lady, c'est un homme, un
+seul homme, le m&ecirc;me homme! Cet &eacute;ternel t&eacute;moin, le chef baron n'a-t-il
+pas raison de l'appeler &laquo;le plus comique dessinateur de types comiques,
+depuis la spl&eacute;n&eacute;tique vieille fille jusqu'au gar&ccedil;on coiffeur avec son
+tablier &agrave; bavette&raquo;?</p>
+
+<p>Mais Nicholson a un peu avanc&eacute; la t&ecirc;te. Il a adress&eacute; une question au
+t&eacute;moin, et toute la salle est partie d'un &eacute;clat de rire.</p>
+
+<p>Nicholson est petit, apoplectique. D'&eacute;normes favoris noirs encadrent sa
+figure carr&eacute;e et massive, comme la figure d'un financier d'Hogarth. Ses
+traits sont pleins et ronds; il a le teint frais; il a de petits yeux
+qu'il rapetisse encore en clignant et en plissant la paupi&egrave;re; et ce
+man&eacute;ge leur donne une indicible chafouinerie. Rominagrobis faisant le
+mort devait avoir cet &oelig;il demi-ferm&eacute;, narquois et guetteur. Il a la
+grande perruque poudr&eacute;e de chef baron &agrave; grands anneaux, tirant sur le
+front une ligne droite comme faite &agrave; la r&egrave;gle, et trou&eacute;e au sommet par
+un petit trou qui laisse &eacute;chapper la chaleur de la t&ecirc;te. Il a le rabat
+blanc, les manchettes et la grande robe noire. Nicholson ne rit jamais;
+il parle lentement; il a dans toute la physionomie comme une bonhomie
+bridoisonne, et comme une sournoiserie de vieux juge. Souvent, il fait
+avancer sa l&egrave;vre inf&eacute;rieure sur sa l&egrave;vre sup&eacute;rieure en homme de mauvaise
+humeur qui boude un mauvais argument. Il joue de fa&ccedil;on exquise et de
+bonne com&eacute;die le perp&eacute;tuel demi-sommeil d'un tribunal.</p>
+
+<p>Nicholson se compla&icirc;t aux causes d'adult&egrave;re; il a fait son domaine des
+infortunes conjugales: tout le scandaleux judiciaire est bien venu de
+lui. En ces causes, les grasses fa&ccedil;ons de dire ont leurs coud&eacute;es
+franches; les &eacute;quivoques, les allusions, les demi-gros mots ont beau jeu
+dans ces libres plaisanteries, dont l'histoire du marron de Sterne est
+comme le type. C'est en plein croustillant que Nicholson excelle &agrave; faire
+les mille et une confusions de &laquo;l'Avocat patelin&raquo;, &agrave; jeter au beau
+milieu d'une plaidoirie une interrogation cynique, &agrave; d&eacute;chirer d'une
+phrase les gazes de pudeur de la d&eacute;fense; et pour peu que les tribunaux
+anglais aient &eacute;voqu&eacute; quelque belle &laquo;conversation criminelle&raquo;, aussit&ocirc;t
+la parodie est pr&ecirc;te, juge, avocat, greffier se donnant la main. Les
+causes s'improvisent, &agrave; peu pr&egrave;s comme ces dr&ocirc;leries de la com&eacute;die
+italienne o&ugrave; les acteurs, avant d'entrer en sc&egrave;ne, lisaient sur une
+pancarte accroch&eacute;e dans les coulisses le canevas de leurs lazzis. Et
+cela dure tout autant qu'une petite pi&egrave;ce de nos boulevards: une
+vingtaine de jours, un mois. Nous avons vu toute une soir&eacute;e d&eacute;battre la
+vraisemblance d'un adult&egrave;re en cab, avec des: Comment? que vous ne
+pourriez imaginer.--L'Anglais, qui aime &agrave; boire, va se coucher sur un
+verre de grog, et sur un r&eacute;sum&eacute; du chef baron de la plus impartiale
+salauderie.</p>
+
+<p>Quelquefois la cour de justice du Trou &agrave; charbon &eacute;voque une cause
+politique r&eacute;elle ou fictive; alors elle se met &agrave; &ecirc;tre comme la face
+grotesque des haines anglaises. Tout Londres se rappelle le succ&egrave;s
+r&eacute;cent qu'obtint Nicholson avec son fameux proc&egrave;s: &laquo;Haynau et les
+ouvriers de la brasserie Barclay-Perkins.&raquo;</p>
+
+<p>Licence singuli&egrave;re et sans pr&eacute;c&eacute;dent dans les m&oelig;urs d'un peuple! Parodie
+unique et surprenante! Le jury, et le juge, et l'accus&eacute;, et les t&eacute;moins,
+et la d&eacute;fense, et l'accusation,--la Justice! abandonn&eacute;s &agrave; tout l'humour
+d'un Swift de taverne, traduisant en libertines railleries l'am&egrave;re
+parole de Shakspeare sur la jugeaillerie humaine: &laquo;L'homme, cet &ecirc;tre
+vain et superbe, rev&ecirc;tu d'une autorit&eacute; passag&egrave;re, lui qui conna&icirc;t le
+moins ce dont il est le plus certain, son existence fragile comme le
+verre, se pla&icirc;t, comme un singe en fureur, &agrave; exercer les jeux de sa
+pu&eacute;rile et ridicule puissance &agrave; la face du ciel, et contriste les
+anges.&raquo; Et chez ce peuple religieux de sa loi, o&ugrave; les plus grands
+criminels baissent la t&ecirc;te sous la baguette du constable, cette farce
+quotidienne des assises anglaises! l&agrave;, dans cette salle, un coquin de
+Rose-Mary-Lane que l'attorney enverra peut-&ecirc;tre dans un mois &agrave;
+Botany-Bay, vient rire &agrave; cette r&eacute;p&eacute;tition comique des vengeances
+sociales! &Eacute;trange com&eacute;die que cette com&eacute;die du <i>Chief baron</i>, o&ugrave; la
+Bible, et les balances, et le glaive sont chaque jour de l'ann&eacute;e bafou&eacute;s
+et tra&icirc;n&eacute;s dans les &eacute;clats du rire! &Eacute;trange peuple o&ugrave; toute moquerie
+permise n'&ocirc;te rien au respect! o&ugrave; la caricature ne fait pas une
+r&eacute;bellion! o&ugrave;, dans le fond d'une all&eacute;e, au-dessus d'une <i>bar</i> &agrave;
+liqueurs, un homme peut, tous les soirs, tol&eacute;r&eacute; par la police anglaise,
+&ecirc;tre l'Aristophane de la loi anglaise!</p>
+
+<p>Nous ne voulons pas essayer une biographie de Benton Nicholson; c'est
+une c&eacute;l&eacute;brit&eacute; que nous amenons sur le continent, et le public n'aime &agrave;
+entendre longuement parler que des gens qu'il conna&icirc;t. Tout au plus,
+nous essayons quelques traits du Falstaff juge. &laquo;Les peintres, dit le
+vieil anecdotier, prennent la ressemblance de leurs portraits dans les
+yeux et les traits du visage o&ugrave; le naturel &eacute;clate plus sensiblement, et
+n&eacute;gligent le reste.&raquo; Ainsi faisons-nous, ne tentant qu'une anim&eacute;e
+silhouette et un buste rieur du <i>Chief baron</i>.</p>
+
+<p>Nicholson a &eacute;t&eacute; r&eacute;dacteur de quatre grands journaux; il a donn&eacute; des
+articles au <i>Times</i>; il est l'auteur de <i>Dombay et sa fille</i>, roman dans
+la mani&egrave;re de Dickens. Apr&egrave;s le succ&egrave;s de <i>Gavarni in London</i>, il a
+publi&eacute; un journal p&eacute;riodique, sorte de Tintamarre anglais, intitul&eacute; <i>Don
+Giovanni in London</i>. Une chose que l'on ne sait gu&egrave;re, m&ecirc;me en
+Angleterre, c'est que peu s'en est fallu que Nicholson ne fond&acirc;t le
+<i>Punch</i>. Ce fut dans la chambre de Nicholson, alors prisonnier pour
+dettes, que fut discut&eacute;e et r&eacute;solue la venue au monde du dr&ocirc;latique
+journal. M. A. Henning avait apport&eacute; <i>le Charivari</i> de Paris. Les
+questions mat&eacute;rielles du <i>Charivari</i> de Londres r&eacute;gl&eacute;es, le bureau du
+journal fut ainsi compos&eacute;: M. Nicholson, r&eacute;dacteur; M. Landell,
+graveur; M. Last, imprimeur. Mais Nicholson ne put sortir de prison
+aussi vite qu'il le d&eacute;sirait, et MM. Last et Landell, priv&eacute;s du concours
+de Nicholson, appel&egrave;rent &agrave; la r&eacute;daction M. Gilbert Beckett, M. Henri
+Mayhew, M. Grattan, et M. Mark L&eacute;mon, qui fut le parrain du journal; et
+l'appela de ce bienheureux nom: <i>Punch</i>.</p>
+
+<p>Nicholson commen&ccedil;a son r&ocirc;le sur une sc&egrave;ne m&eacute;diocre &agrave; la <i>T&ecirc;te de
+Garrick</i>; mais il n'&eacute;tait alors qu'un juge d'occasion. Ce fut sous lord
+Melbourne que Nicholson fut &eacute;lev&eacute; &agrave; la dignit&eacute; de chef baron, et
+repr&eacute;sent&eacute; dans une colossale peinture avec la robe d'hermine &laquo;de son
+feu regrettable confr&egrave;re Jenterden&raquo;. La premi&egrave;re foi qu'il porta cette
+fameuse robe, il eut la visite de Jean Adolphus, le p&egrave;re du barreau
+anglais &laquo;qui joignait &agrave; l'esprit, &agrave; la sagesse, &agrave; la l&eacute;gale sagacit&eacute;, le
+g&eacute;nie non encore vu de faire na&icirc;tre un scandale d'un scandale&raquo;.</p>
+
+<p>Depuis lors, sa r&eacute;putation ne fit que grandir; il n'eut plus seulement
+des oisifs, ou de jeunes avocats venant apprendre &laquo;&agrave; cette mimique du
+<i>Forum</i>&raquo; la repartie vive et l'ironie improvis&eacute;e, il eut des membres du
+parlement; que dis-je? il les fit jouer dans sa grave parade, et les fit
+s'asseoir comme jur&eacute;s &agrave; son banc plaisant.</p>
+
+<p>Ce fut un de ces jours-l&agrave; sans doute que Nicholson, mis en verve par son
+public, pronon&ccedil;a cette burlesquement s&eacute;rieuse apologie de sa <i>Mimic
+Court</i>:</p>
+
+<p>&laquo;Ce n'est pas, messieurs du jury, que je veuille m&eacute;dire du talent ou de
+la sagesse des cours inf&eacute;rieures, <i>Courts of Chancery</i>, <i>Court of
+Queen's Bench Exchequer</i>, <i>Common-Pleas</i>, <i>Old-Bayley</i>; non, messieurs,
+ils ont le g&eacute;nie, ils ont la science; mais, messieurs, il leur manque ce
+qui ne manque pas au savant conseil; il leur manque ce que nous avons:
+une <i>bar</i> au-dessous de la <i>bar</i><a id="footnotetag4" name="footnotetag4"></a><a href="#footnote4"><sup class="sml">4</sup></a>. La <i>bar</i> du dessous donne
+l'inspiration, l'esprit, l'&eacute;nergie &agrave; la <i>bar</i> du dessus. Messieurs du
+jury, croyez-vous que les arguments de sir William Follet perdraient de
+leur &agrave;-propos arros&eacute;s d'eau-chaude et de rhum? ou encore que les
+m&eacute;taphores ing&eacute;nieuses de L. Charles Phillips perdraient toute leur
+gr&acirc;ce pour tremper leurs l&egrave;vres &agrave; un verre de whiski? Songez encore,
+messieurs du jury, quel all&eacute;gement ce serait &agrave; mon savant confr&egrave;re
+Denman s'il pouvait seulement allumer un cigare et prendre un grog au
+gin. Messieurs du jury, la panac&eacute;e des timidit&eacute;s, le coup de fouet de
+l'&eacute;loquence, le g&eacute;n&eacute;rateur de l'argument, le m&eacute;decin de la raison, c'est
+un verre de champagne. Voltaire l'a dit:</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote4" name="footnote4"><b>Note 4: </b></a><a href="#footnotetag4">(retour) </a> Jeu de mots sur le mot <i>bar</i>, qui signifie
+ comptoir de marchand de vin, et barre de la justice.</blockquote>
+
+<p>&laquo;L'homme devient &eacute;loquent sous l'influence des grandes passions ou des
+grands int&eacute;r&ecirc;ts. Mon grand int&eacute;r&ecirc;t, c'est l'excitant; ma grande passion,
+c'est le verre de champagne; et je suis appuy&eacute; par ce philosophe dans
+mon opinion que l'homme parle et argumente mieux sous l'impression des
+excitants que lorsqu'une sage sobri&eacute;t&eacute; si&eacute;ge seule, en son chagrin, sur
+le tr&ocirc;ne de l'intelligence.&raquo;</p>
+
+<p>Nicholson est un homme de <i>sport</i>; c'est un parieur distingu&eacute;. Un
+r&eacute;dacteur du <i>London-News</i> nous disait qu'il avait une fa&ccedil;on
+particuli&egrave;re de juger les chevaux &agrave; l'oreille. Il se fait remplacer
+pendant la saison des courses, o&ugrave; &agrave; Epsom, &agrave; Ascot, &agrave; Hampton, escort&eacute;e
+de sa tente monstre en toile, sa seigneurie fatigue une salade, coupe
+une tranche de rosbeef, remplit un verre d'ale, &laquo;offrant le premier
+exemple du premier juge qui ait jamais vendu du b&oelig;uf &agrave; une course de
+chevaux&raquo;.</p>
+
+<p>Nicholson a un petit lever. Les boxeurs, les maquignons, quelques
+acteurs viennent lui faire leur cour. La ruelle est le rendez-vous des
+nouvelles du <i>Ring</i>; c'est l'endroit de Londres o&ugrave; on sait le mieux et
+le plus t&ocirc;t combien de <i>rounds</i> a donn&eacute;s Harry-Broome.</p>
+
+<p>Ses occupations s&eacute;v&egrave;res de chef baron ne l'emp&ecirc;chent pas de revenir
+quelquefois &agrave; la litt&eacute;rature. Le grave emperruqu&eacute; met alors &agrave; son esprit
+&laquo;des bas couleur de rose&raquo;. Une fable s'&eacute;chappe de sa plume entre deux
+r&eacute;sum&eacute;s de la taverne:</p>
+
+<h5>L'AMOUR ET LA MORT</h5>
+
+<p>&laquo;L'Amour et la Mort convinrent de voyager ensemble. La Discorde les
+surprit au milieu de leur sommeil et m&ecirc;la leurs fl&egrave;ches. C'est ainsi que
+l'Amour, quand il se propose de frapper les jeunes d'une tendre passion,
+tue souvent, et que la Mort, quand elle lance sur les vieux la fl&egrave;che
+fatale, allume un doux attachement.&raquo;</p>
+
+<p>Ne dirait-on pas le go&ucirc;t d'une odelette d'Anacr&eacute;on?--Nicholson dit
+plaisamment, &agrave; propos de ses &oelig;uvres rim&eacute;es, &laquo;qu'il est le plus pesant
+barde d'Angleterre, un barde de 266 livres&raquo;.</p>
+
+<p>Mais, apr&egrave;s sa fable, vite il remonte &agrave; son si&eacute;ge, il retourne &agrave; sa
+baronnie; il recommence, applaudi, sa farce &eacute;tonnante. Il sait que toute
+sa gloire est dans sa toge risible, et il se r&eacute;sume ainsi lui-m&ecirc;me dans
+l'autobiographie de sa main qu'il nous a envoy&eacute;e: &laquo;Je vous livre ceci,
+non comme une s&eacute;rieuse archive, mais comme un satirique souvenir, mon
+objet &eacute;tant toujours d'exciter un rire dans mon auditoire par ma
+moqueuse grandeur.&raquo;</p>
+
+<a name="c5" id="c5"></a>
+<br><br>
+
+<h3>UNE PREMI&Egrave;RE AMOUREUSE<a id="footnotetag5" name="footnotetag5"></a><a href="#footnote5"><sup class="sml">5</sup></a></h3>
+
+<p class="rig">La Haye, avril 1845</p><br><br>
+
+<p>Me voici &eacute;tablie ici, ma ch&egrave;re mignonne. J'ai un tr&egrave;s-joli appartement
+qui donne sur la place du March&eacute;. Ma chambre &agrave; coucher est tendue en
+rose; j'ai des jardini&egrave;res en bambou avec des tulipes qui co&ucirc;tent
+tr&egrave;s-cher, &agrave; ce qu'il para&icirc;t; la petite cage chinoise que nous avons
+achet&eacute;e ensemble au Havre, et dedans des oiseaux bleus et rouges, sur ma
+fen&ecirc;tre:--et vous savez mon nid par c&oelig;ur. Les indig&egrave;nes sont
+tr&egrave;s-curieux de moi. J'arrose mes tulipes. Je ne vis pas beaucoup.
+C'est le mieux. Si vous &eacute;tiez ici, ch&egrave;re belle, je crois vraiment que je
+ne regretterais rien de Paris.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote5" name="footnote5"><b>Note 5: </b></a><a href="#footnotetag5">(retour) </a> Nous ne sommes gu&egrave;re qu'&eacute;diteurs des lettres qui
+ suivent.</blockquote>
+
+<p>Dites &agrave; &Eacute;lisa que je ne puis rien pour elle en ce moment; j'ai &eacute;t&eacute; assez
+malade; mon entretien ici est co&ucirc;teux. En deux mots, je suis &agrave; sec.
+Qu'elle prenne patience. J'ai de fort belles robes, que je ne puis
+vendre puisqu'elles me sont n&eacute;cessaires pour le th&eacute;&acirc;tre; un bracelet qui
+ne me quitte jamais, et auquel je ne toucherais pas pour nourrir ma
+m&egrave;re. Vous savez, ch&egrave;re amie, que ce n'est pas le c&oelig;ur qui me manque;
+mais je suis au fond de ma bourse en ce moment, je vous assure. Que
+deviennent Edgar et L&eacute;on? Que devient Paris? Je n'ai rien &agrave; vous dire.
+Je vous &eacute;cris absolument pour que vous me r&eacute;pondiez. Au revoir, ma ch&egrave;re
+Louise; je vous embrasse comme autrefois.<br>
+
+<span class="rig"><span class="sc">Mathilde.</span></span></p><br><br>
+
+<p class="rig">Dijon, d&eacute;cembre 1846.</p><br><br>
+
+<p>Enfin, ma ch&egrave;re Louise, une bonne et grande lettre de vous! J'en ai &eacute;t&eacute;
+toute surprise, et j'en suis toute r&eacute;jouie. Votre lettre me rejoint &agrave;
+Dijon, o&ugrave; je compte passer l'hiver, attach&eacute;e au th&eacute;&acirc;tre, vous pensez
+bien. Il y a si longtemps que nous n'avons caus&eacute; ensemble, et tant de
+fortunes diverses me sont arriv&eacute;es depuis, que je pourrais facilement
+vous envoyer un in-octavo sur les impressions par moi &eacute;prouv&eacute;es depuis
+huit mois. Qu'il vous suffise de savoir, pour le moment, que j'ai &eacute;t&eacute;
+heureuse &agrave; la Haye au del&agrave; de ce que je pourrais vous dire! que ce pays
+maussade, brumeux, sans soleil ni &eacute;clat, garde pourtant mes plus
+pr&eacute;cieux souvenirs, mes plus ch&egrave;res ivresses; que je l'ai quitt&eacute;
+d&eacute;sesp&eacute;r&eacute;e, &eacute;perdue de chagrin, y laissant d&eacute;sormais tout l'amour et le
+vrai bonheur que je puis avoir en ce monde! Je vous expliquerai tout
+plus tard; j'ai voulu vous r&eacute;pondre imm&eacute;diatement pour vous dire que je
+vous remercie d'avoir song&eacute; &agrave; moi, et que je suis aise de votre lettre
+et de vous avoir retrouv&eacute;e.</p>
+
+<p>Je suis contente que vous ayez rompu avec Th&eacute;odore: un vilain nom
+d'abord! et puis il doit aimer comme son ami Edouard, qui prend ses
+ma&icirc;tresses &agrave; proximit&eacute; du caf&eacute; o&ugrave; il d&eacute;jeune. Gustave fait-il toujours
+des vers? Le brave gar&ccedil;on! il est ennuyeux comme un album. Embrassez-le
+de ma part.--Camille est ruin&eacute;? Je le crois bien. Il faut avoir trop
+d'oncles pour h&eacute;riter tous les ans. Je me rappelle quand nous avons &eacute;t&eacute;
+d&eacute;jeuner au pavillon d'Henri IV, au sortir d'un bal de l'Op&eacute;ra, et qu'il
+voulait allumer son cigare &agrave; un r&eacute;verb&egrave;re, vous souvenez-vous?</p>
+
+<p>Que ne vous mettez-vous au th&eacute;&acirc;tre? vous feriez merveille. C'est une vie
+anim&eacute;e, pleine de p&eacute;rip&eacute;ties, de d&eacute;tails &eacute;mouvants et grotesques, et de
+d&icirc;ners de carton qui donnent &agrave; manger. Le th&eacute;&acirc;tre ici manque de femmes;
+on n'exige ni talent ni habitude: de la gr&acirc;ce et de la beaut&eacute;, voil&agrave;
+tout! Si vous le vouliez je vous y ferais entrer avec moi. Quelque
+chose, quelqu'un vous retient-il &agrave; Paris?--J'ai mille choses &agrave; vous
+dire; mais on m'attend chez un correspondant. Je vous quitte. Je vous
+embrasse.<br>
+
+<span class="rig"><span class="sc">Mathilde.</span></span></p><br><br>
+
+<p class="rig">Dijon, janvier 1847.</p><br><br>
+
+<p>Mon r&eacute;engagement est sign&eacute; d'hier. Je ne veux pas tarder, ch&egrave;re belle, &agrave;
+vous &eacute;crire cette bonne nouvelle, sachant toute la part que vous y
+prendrez. J'ai eu affaire &agrave; un directeur presque amoureux: c'est vous
+dire que j'ai tir&eacute; &agrave; moi la couverture. Comme je ne suis pas
+d'aujourd'hui au th&eacute;&acirc;tre, et que je sais sur le bout du doigt tout le
+sous-entendu de ces messieurs, j'ai tout pr&eacute;cis&eacute;. Je ne dois jouer que
+trois fois par semaine; et j'ai, de plus, un cong&eacute; de quinze jours &agrave;
+prendre quand il me plaira. Vous concevez, ma mignonne, que j'attendrai
+un succ&egrave;s, et que le lendemain je me ferai racheter mes quinze jours ce
+que je voudrai.</p>
+
+<p>Encore une fois, que ne vous mettez-vous au th&eacute;&acirc;tre? Votre id&eacute;e de
+Conservatoire est pu&eacute;rile: vous y entrerez tr&egrave;s-difficilement; puis, ce
+que vous gagnerez vous permettra au plus d'acheter des bouquets de
+violettes. Le th&eacute;&acirc;tre, &agrave; la bonne heure! Si vous avez quelque chance de
+faire fortune, c'est l&agrave;, uniquement l&agrave;. Vous savez que si vous avez du
+talent, cela sera un accessoire fort g&eacute;n&eacute;reux de votre part, c'est la
+derni&egrave;re chose qu'on vous demandera. Pourvu que vous ayez la jambe bien
+tourn&eacute;e et l'&oelig;il bien fendu, directeur et public seront satisfaits; or
+vous avez cela, et, en plus, une jolie voix, et vous &ecirc;tes musicienne.
+Venez ici, je vous fais engager au th&eacute;&acirc;tre. J'ai le directeur dans mon
+bas, ou peu s'en faut. Pour ce qui est de vos d&eacute;buts, ne vous en faites
+pas un monstre d'avance. C'est une des nombreuses choses de la vie
+auxquelles il ne faut songer que le lendemain. L'habitude du public vous
+viendra peu &agrave; peu, ma ch&egrave;re, comme toutes les habitudes. Vous concevez
+bien que mes conseils et mes exhortations ne vous donneront pas du
+courage si vous n'en avez pas. Ceci, vous le sentez, est une condition
+toute physique. Mais, rassurez-vous; tout le monde est &eacute;mu le premier
+jour; les d&eacute;buts sont toujours pleins de troubles et d'&eacute;motions, et le
+public, je vous jure, le public de province surtout, ne songe pas &agrave; se
+formaliser de voir une jolie fille embarrass&eacute;e d'&ecirc;tre regard&eacute;e et qui
+rougit sous son rouge. Mais vous ne voulez pas quitter Paris; vous
+tenez &agrave; votre Prosper. Passons.</p>
+
+<p>Je vous envoie une lettre pour M. ***, rue...; vous lui direz qu'il vous
+fasse entrer au Vaudeville; il sera enchant&eacute; de vous recevoir. Puis il
+faut voir rue..., n&ordm; 9, je crois: en prenant par la rue Montmartre,
+c'est la sept ou huiti&egrave;me maison &agrave; droite; il y avait des portraits au
+daguerr&eacute;otype &agrave; la porte. Vous demanderez M. ***. C'est un charmant
+gar&ccedil;on qui a &eacute;t&eacute; mon amant pendant deux ans. Il fait des pi&egrave;ces de
+th&eacute;&acirc;tre. On l'a jou&eacute;. Il m'a passionn&eacute;ment aim&eacute;e; ceci sans fatuit&eacute;. Je
+l'ai rendu un peu malheureux parfois, en sorte qu'il ne m'aura pas
+oubli&eacute;e. Vous lui &eacute;crirez qu'il vienne chez vous prendre des nouvelles
+de Mathilde ***. Il viendra, c'est s&ucirc;r. Songez au th&eacute;&acirc;tre.<br>
+
+<span class="rig"><span class="sc">Mathilde.</span></span></p><br><br>
+
+<p class="rig">Dijon, mars 1847.</p><br><br>
+
+<p>De soir en soir, je remets depuis quinze jours, ma ch&egrave;re Louise, pour
+vous r&eacute;pondre une longue lettre bien bavarde et bien paresseuse en m&ecirc;me
+temps, de ces causeries &agrave; b&acirc;tons rompus, &agrave; branches cass&eacute;es, dans
+lesquelles l'esprit se pose sans dur&eacute;e et s'arr&ecirc;te sans choix. Depuis
+votre derni&egrave;re lettre, j'ai &eacute;t&eacute; occup&eacute;e d'une fa&ccedil;on absolue, excessive.
+J'en ai &eacute;t&eacute; malade. On a &eacute;t&eacute; forc&eacute; de faire venir une seconde amoureuse
+pour me seconder. Ch&egrave;re petite, quelles fatigues le public nous paye en
+bravos! Vous ne sauriez croire &agrave; quel point le th&eacute;&acirc;tre est un ma&icirc;tre
+exigeant, capricieux; comme il vous envahit la vie! C'est un amant qui a
+bien besoin de faire plaisir quelque peu pour qu'on le supporte. Enfin
+j'attrape au vol une heure de libert&eacute; franche et de fl&acirc;nerie: je viens &agrave;
+vous. J'ai toujours &eacute;t&eacute; &eacute;go&iuml;ste. Bah! c'est toujours quelque chose de
+bien choisir ses d&eacute;fauts et ses victimes.</p>
+
+<p>Ma ch&egrave;re mignonne, votre lettre est triste et toute vibrante d'une foule
+d'inqui&eacute;tudes non avou&eacute;es, et que j'ai bien comprises. Malheureusement,
+je ne puis en cela vous venir en aide. Un seul argument peut vous
+toucher, et celui-l&agrave; pr&eacute;cis&eacute;ment me manque. Ne doutez pas de ma bonne
+volont&eacute; et de mes g&eacute;n&eacute;reuses pens&eacute;es &agrave; votre &eacute;gard. Croyez &agrave; mon
+impuissance. Je viens de jouer ces jours-ci un r&ocirc;le Jenny-Vertpr&eacute; dans
+<i>Madame Pinchon</i>. J'ai &eacute;t&eacute; rappel&eacute;e avec deux autres personnes. C'&eacute;tait
+la premi&egrave;re fois, depuis la Haye, que je revenais ainsi glorieusement
+devant le public. Eh bien! aucune jouissance d'amour-propre ne m'a fait
+battre le c&oelig;ur. Ce c&oelig;ur, cet amour-propre sont si compl&eacute;tement us&eacute;s que
+rien maintenant ne les active, ne les r&eacute;veille. Quand je ne d&eacute;daigne
+pas, je suis indiff&eacute;rente. C'est que, voyez-vous, aucun r&eacute;sultat, de
+quelque nature que ce soit, ne vaut les peines, les fatigues, les
+emplois de force et de pens&eacute;es qu'on a donn&eacute;s pour l'obtenir, et ce
+qu'on a d&eacute;sir&eacute; est toujours au-dessus de ce qu'on poss&egrave;de. Aussi, bien
+p&eacute;n&eacute;tr&eacute;e &agrave; pr&eacute;sent de cette v&eacute;rit&eacute;, je ne cours fougueusement au-devant
+de rien ici-bas. Si j'ai &agrave; port&eacute;e de ma main des choses d&eacute;sirables et
+qui tentent quelque partie sensuelle ou tr&egrave;s-d&eacute;licate de mon individu,
+je les prends sans impatience, je les consomme le plus vite possible
+afin d'&ecirc;tre d&eacute;barrass&eacute;e de la fantaisie que j'en ai eue. Si, au
+contraire, ces choses sont &eacute;loign&eacute;es et d'un abord difficile, je fouille
+mon souvenir, et j'y trouve des joies et des sensations comme il ne me
+sera jamais plus possible d'en &eacute;prouver, et qui cependant ne valaient
+pas mes r&ecirc;ves..... except&eacute; une &eacute;poque et un amour que je veux
+oublier!--Je ne fais plus de course &agrave; l'aventure. Je me suis assise en
+mon indiff&eacute;rence comme en une stalle commode pour voir la vie.</p>
+
+<p>Je sais bien que tout ce que je vous dis l&agrave; n'est gu&egrave;re pratique pour
+vous, ma ch&egrave;re belle. Vos illusions sont encore bleues comme des
+pervenches ouvertes le matin; vous faites un po&euml;me intitul&eacute;: &laquo;Mis&egrave;re et
+Amour&raquo;, et vous ne vous effrayez pas du dernier chapitre, qui est
+&laquo;Mis&egrave;re&raquo; seulement. Voyez, moi, j'ai &eacute;t&eacute; aim&eacute;e, idol&acirc;tr&eacute;e, pardonn&eacute;e et
+g&acirc;t&eacute;e comme Manon le fut &agrave; peine par Desgrieux. J'ai dormi sur des c&oelig;urs
+jeunes, forts et valeureux qui ne battaient que pour moi, sur des
+poitrines qui bondissaient d'ivresse et d'amour au toucher de ma main,
+dans des bras qui &eacute;taient toujours amoureux pour m'enlacer, toujours
+lev&eacute;s et tendus pour me soutenir, toujours pr&ecirc;ts &agrave; me d&eacute;fendre; si ma
+bouche ne s'est pas us&eacute;e sous les baisers d&eacute;lirants qu'elle a re&ccedil;us,
+c'est que Dieu l'avait cr&eacute;&eacute;e sans doute pour cela. Pendant cinq ans,
+cette vie f&ecirc;t&eacute;e, choy&eacute;e, envelopp&eacute;e de mailles brillantes, de dentelles,
+de velours, inond&eacute;e de parfums et de soleil, cette vie a dur&eacute; sans
+rel&acirc;che; puis, un beau jour, je me suis trouv&eacute;e seule, toute seule! Mes
+oiseaux, qui gazouillaient si bien et si passionn&eacute;ment dans les rideaux
+transparents de mon alc&ocirc;ve, se sont envol&eacute;s l'un apr&egrave;s l'autre, me
+laissant beaucoup de souvenirs--et autant de dettes..... Tous ces hommes
+qui m'avaient sinc&egrave;rement aim&eacute;e, qui avaient anim&eacute; pr&egrave;s de moi leur
+triomphante jeunesse, qui avaient bu &agrave; mes l&egrave;vres les ivresses
+g&eacute;n&eacute;reuses de la force, de la libert&eacute;, du plaisir r&eacute;unis, c&eacute;daient &agrave; la
+froide et implacable logique de la vie, &agrave; l'inexorable cours des
+&eacute;v&eacute;nements rationnels. Celui-ci s'est mari&eacute;. Celui-l&agrave; s'est rang&eacute;. On a
+fait un pr&eacute;fet de l'un. L'autre, un adorable et s&eacute;duisant gar&ccedil;on s'il en
+fut, &eacute;l&egrave;ve des bestiaux maintenant, je ne sais o&ugrave;. Enfin chacun
+poursuivait son ambition, sa chim&egrave;re, son int&eacute;r&ecirc;t; laissant derri&egrave;re
+eux, et presque sans regret, les ingrats! le nid chaud, parfum&eacute; et
+joyeux de leurs vraies, de leurs heureuses, de leurs ind&eacute;pendantes
+amours!..... Et moi, que m'est-il rest&eacute; de tout cela? Un c&oelig;ur us&eacute;,
+vieilli par ces abandons et ces d&eacute;senchantements successifs;
+l'impuissance d'aimer; une vie incertaine, jet&eacute;e au hasard de la faim et
+de la maladie! Rien dans mon existence, plus rien dans mon c&oelig;ur: voil&agrave;
+le r&eacute;sultat des plus belles et plus heureuses amours qu'il ait &eacute;t&eacute;
+possible d'avoir en ce monde. Si cet exemple vous sert, tant mieux! Mais
+j'en doute. Si vous suiviez un bon conseil, vous quitteriez votre Paris,
+votre Prosper, et prendriez un engagement pour la province. Vous vous y
+formeriez &agrave; la sc&egrave;ne. Vos &eacute;tudes seraient bonnes, parce qu'elles
+pourraient &ecirc;tre suivies. Au bout de deux ou trois ans, vous auriez
+peut-&ecirc;tre du talent, et &agrave; coup s&ucirc;r une routine ais&eacute;e, suffisante. Vous
+retourneriez &agrave; Paris dans de bonnes conditions, et votre existence
+mat&eacute;rielle serait au moins assur&eacute;e.<br>
+
+<span class="rig"><span class="sc">Mathilde.</span></span></p><br><br>
+
+<p class="rig">Dijon, septembre 1847.</p><br><br>
+
+<p>Ch&egrave;re bien-aim&eacute;e, avez-vous cru que je vous abandonnais? Non, n'est-ce
+pas? Notre liaison n'est pas une de ces liaisons ordinaires qu'un
+silence fait d&eacute;fiantes. Vous me connaissez assez pour ne pas entrer en
+doute sur mon compte pour une paresse de plume. C'est sur l'intelligence
+de votre c&oelig;ur que je compte pour ne pas me condamner sur les apparences,
+et pour croire que, malgr&eacute; mon silence inqualifiable, je vous aime
+toujours, et que vous &ecirc;tes toujours tout pr&egrave;s de toutes mes pens&eacute;es.
+Trop de charmants souvenirs lient mon souvenir au v&ocirc;tre pour que je
+puisse oublier.</p>
+
+<p>Si donc aucun message de moi n'a vol&eacute; vers vous, accusez-en, ch&egrave;re
+petite, ces mille accablements de l'esprit d&eacute;courag&eacute;, ces riens qui se
+d&eacute;finissent difficilement, qui vous taquinent la pens&eacute;e et la vie, ces
+ennuis de toute sorte qui, malgr&eacute; leur vulgarit&eacute; et leur insuffisance,
+ram&egrave;nent &agrave; eux des facult&eacute;s port&eacute;es vers un point plus &eacute;lev&eacute; et plus
+sympathique, en les isolant forc&eacute;ment de leur centre choisi. D'abord
+j'ai &eacute;t&eacute; accabl&eacute;e de r&eacute;p&eacute;titions et de lectures. Puis j'ai eu, non un
+amour, mais une liaison tr&egrave;s-mouvement&eacute;e,--comme disent MM. les
+romantiques: un p&egrave;re prudent, qui s'est jet&eacute; entre son fils &eacute;perdu et
+fou de passion, dont l'&acirc;me et la vie &eacute;taient fatalement livr&eacute;es &agrave; cette
+sir&egrave;ne dangereuse que je suis, disent MM. les Dijonnais, et qui l'a
+arrach&eacute; aux s&eacute;ductions bien &eacute;mouss&eacute;es, h&eacute;las! de votre d&eacute;senchant&eacute;e
+Mathilde. Cet incident m'a pris du temps et quelques pr&eacute;occupations. Ce
+jeune homme, le seul qui vaille la peine qu'on s'occupe un peu de lui
+dans tout le d&eacute;partement, a &eacute;t&eacute; malade de chagrin; mais il a engag&eacute; &agrave; sa
+famille sa parole d'honneur que tout &eacute;tait &agrave; jamais fini entre nous; et
+malgr&eacute; tout, il tient sa parole! C'est beau!... mais j'enrage! Le
+malheureux est chaque soir au th&eacute;&acirc;tre. Si je suis en sc&egrave;ne, il me mange
+des yeux; quand je suis dans ma loge, il r&ocirc;de autour comme autour d'une
+chandelle un papillon. Les jeunes gens de Dijon, une sotte et cancani&egrave;re
+engeance! sont vivement &eacute;mus, et suivent avec une fi&egrave;vre de curiosit&eacute;
+les phases de ce petit roman provincial; il y a des paris d'engag&eacute;s. Au
+milieu de cette effervescence, je suis d'un calme splendide, en
+apparence; car au fond je suis anim&eacute;e d'une col&egrave;re assez color&eacute;e envers
+le p&egrave;re; et j'ai pour le fils un &acirc;pre regret, fruit de l'amour-propre et
+de l'ent&ecirc;tement. Avouez qu'il est difficile de se diss&eacute;quer avec une
+meilleure gr&acirc;ce.</p>
+
+<p>Et vous, cher ange, que devenez-vous? Comment menez-vous ces bienheureux
+dr&ocirc;les qui ont le droit de vous aimer et l'adresse de vous le prouver?
+Quelle g&eacute;n&eacute;ration &eacute;clop&eacute;e et infime! Ces petits jeunes gens-l&agrave; ont l'air
+de sortir de nourrice. Quel rien, et quelle fatuit&eacute;! Ils sont poussifs
+comme des danseuses, et b&ecirc;tes comme des &eacute;cuyers. Ils n'ont que deux
+talents: celui de s'essuyer les l&egrave;vres, comme s'ils venaient de boire du
+mad&egrave;re, celui de marcher comme s'ils venaient de monter &agrave; cheval. Ah!
+les amusants petits bonshommes, avec leurs vices &agrave; bon march&eacute;, leurs
+ostentations, leur manque d'esprit, leur manque d'argent, apitoyant tout
+le monde,--et nous-m&ecirc;mes,--des efforts qu'ils se donnent &agrave; para&icirc;tre
+riches; commanditant &agrave; plusieurs les caprices d'une femme; subsistant de
+petites caresses et de grosses l&acirc;chet&eacute;s! Amoureux de papier m&acirc;ch&eacute;, gris
+d'un doigt de vin, sur les dents d'une nuit blanche, fatigu&eacute;s, us&eacute;s,
+blas&eacute;s, finis! Ils se mettent &agrave; trois pour parier un louis sur un cheval
+qui appartient &agrave; un de leurs amis; ils fument leur cigare &agrave; la porti&egrave;re
+quand ils sont en coup&eacute; de louage, et on les rencontre au bal masqu&eacute;
+avec leur papa!</p>
+
+<p>Au revoir, ma belle mignonne. Je baise vos beaux yeux qui, je l'esp&egrave;re,
+ne m'envoient pas de grands vilains regards de courroux. Ah! si j'&eacute;tais
+l&agrave;-bas, je ne m'inqui&eacute;terais gu&egrave;re; mais de si loin, on a si peu de
+moyens de conviction!</p>
+
+<p>Au revoir et mille baisers.<br>
+
+<span class="rig"><span class="sc">Mathilde.</span></span></p><br><br>
+
+<p class="rig">Marseille, d&eacute;cembre 1847.</p><br><br>
+
+<p>Vous ririez bien de me voir vous &eacute;crire, ma ch&egrave;re Louise, sur un coin de
+toilette, tout encombr&eacute;e de pommades et de peignes &agrave; bandeaux. Je vous
+&eacute;cris de ma loge pendant un acte o&ugrave; je ne parais pas; mon encrier est
+tout pr&egrave;s de mon rouge v&eacute;g&eacute;tal; j'ai pour tabouret un carton &agrave; chapeau.
+Mon habilleuse dort ou &agrave; peu pr&egrave;s. J'ai encore une demi-heure avant
+d'entendre la sonnette au foyer. Causons.</p>
+
+<p>Dimanche prochain, le public de Marseille va &ecirc;tre appel&eacute; &agrave; d&eacute;cider du
+renvoi ou de l'admission des artistes. La soir&eacute;e sera, dit-on, des plus
+orageuses.--Comme dans beaucoup de villes de province soucieuses de
+ressembler &agrave; Paris, se montrer fantasque et irraisonnable est une preuve
+de haut go&ucirc;t et d'exigences motiv&eacute;es. Puis les jeunes gens et les
+officiers, toujours peu alli&eacute;s, jugent la femme bien plus que l'actrice,
+et profitent souvent du tumulte et des discussions th&eacute;&acirc;trales pour vider
+des querelles de rivalit&eacute; ou d'amour. Quant &agrave; moi, j'ai ici une
+r&eacute;putation d'esprit qui me nuit aupr&egrave;s des n&eacute;gociants, seuls individus
+qui par leur position financi&egrave;re soient acceptables. Je suis pour eux un
+charme dangereux, une attraction malfaisante, un feu follet s&eacute;duisant,
+mais qu'il faut bien se garder de suivre, car il vous entra&icirc;nerait sur
+des routes pleines d'ab&icirc;mes. Le soir, sur le quai, tous ces honn&ecirc;tes
+richards du n&eacute;goce, qui guettent leurs arrivages de coton et d'indigo,
+se pressent autour de moi, me regardent et m'&eacute;coutent; les plus os&eacute;s me
+suivent jusqu'&agrave; ma porte, mais ils s'arr&ecirc;tent &agrave; l'antre de la
+louve!--J'ai &agrave; la t&ecirc;te de mon parti un officier de marine dont vous
+seriez amoureuse, j'en suis s&ucirc;re: un bon et brave gar&ccedil;on, gai et cr&acirc;ne,
+ami de mes amis, qui m'aime comme un niais, c'est-&agrave;-dire s&eacute;rieusement et
+qui va se faire quelque affaire f&acirc;cheuse dimanche, j'en ai peur. D&eacute;j&agrave;
+hier, j'avais deux r&ocirc;les pour ma soir&eacute;e, et on avait dit dans la ville
+que quelques jeunes gens devaient commencer les hostilit&eacute;s contre les
+artistes. Mon officier s'en va, en grande tenue, l'&eacute;p&eacute;e au c&ocirc;t&eacute;, se
+planter au milieu du parquet, deux de ses amis un peu plus loin pour le
+soutenir. L&agrave;, avant le lever du rideau, il fait grand tapage, et jure
+par tous les saints du paradis que le premier qui sifflera la perle du
+th&eacute;&acirc;tre, madame Mathilde, sera soufflet&eacute; par lui. Aussi ai-je &eacute;t&eacute; bien
+accueillie &agrave; mon entr&eacute;e en sc&egrave;ne. Il est vrai que mes costumes m'ont &eacute;t&eacute;
+envoy&eacute;s par Babin, et qu'hier pr&eacute;cis&eacute;ment j'avais de tr&egrave;s-belles
+toilettes. Enfin nous verrons la d&eacute;cision de dimanche. Mon c&oelig;ur est
+toujours le m&ecirc;me, rempli du souvenir d'Alphonse, inaccessible &agrave; tout
+amour nouveau! Je n'ai pas encore d'amant et n'en prendrai que par
+int&eacute;r&ecirc;t: c'est ignoble! mais c'est ainsi!</p>
+
+<p>Et vous, ch&egrave;re enfant, quelle nouvelle de bourse ou de c&oelig;ur? Avez-vous
+trouv&eacute; un filon? Croyez-moi, presque tous les hommes n'ont bien
+r&eacute;ellement qu'une valeur d'utilit&eacute;. &Ecirc;tes-vous toujours aussi remplie
+d'Octave? Celui-l&agrave; est au moins un loyal et excellent c&oelig;ur; et il offre
+&agrave; l'amour des circonstances att&eacute;nuantes.</p>
+
+<p>Envoyez-moi quelques notes de l'archet &eacute;blouissant de Musard. Cela me
+rappellera des jours de joyeuses folies, et d'ardentes f&ecirc;tes, et de
+radieuses jouissances, jours que je ne regrette pas d'avoir v&eacute;cu, que je
+ne regrette pas de ne plus vivre.--Mon entr&eacute;e arrive.</p>
+
+<p>Adieu, aimez-moi.<br>
+
+<span class="rig"><span class="sc">Mathilde.</span></span></p><br><br>
+
+<p class="rig">Marseille, d&eacute;cembre 1847.</p><br><br>
+
+<p>Je ne veux pas manquer &agrave; votre d&eacute;couragement, ma pauvre ch&egrave;re amie. Si
+vous &eacute;tiez heureuse, gaie, je serais moins empress&eacute;e. Mais vous &ecirc;tes
+triste, accabl&eacute;e de soucis, je me dois donc &agrave; vous.</p>
+
+<p>H&eacute;las! je comprends votre situation, je la sais d'exp&eacute;rience, dans
+chacune de ses phases, dans la plus myst&eacute;rieuse de ses douleurs! Moi
+aussi j'ai pass&eacute; par l&agrave;! moi aussi j'ai support&eacute; les g&ecirc;nes
+journali&egrave;res, les privations silencieuses, les anxi&eacute;t&eacute;s r&eacute;sign&eacute;es, les
+inqui&eacute;tudes du lendemain, pour garder un amour en lequel ma folie avait
+foi, et qui empruntait surtout &agrave; mon imagination et &agrave; mes propres
+d&eacute;lires ses attraits les plus s&eacute;duisants, ses formes les plus
+charmantes! L'amour m'a quitt&eacute;e et la mis&egrave;re m'est rest&eacute;e. Ceci m'a &eacute;t&eacute;
+une d&eacute;ception profitable; car j'ai compris l'&eacute;go&iuml;sme des hommes ou leur
+insuffisance. On ne me reprendra plus aujourd'hui &agrave; avoir des transports
+d'ivresse dans une mansarde, &agrave; pr&eacute;f&eacute;rer une &eacute;toile &agrave; un diamant! &agrave;
+porter des robes d'indienne vertueuses, &agrave; n&eacute;gliger d'avoir des bas de
+soie!--Bien entendu que je ne parle pas d'Alphonse: son amour a &eacute;t&eacute; ma
+seule r&eacute;alit&eacute; vraiment enivrante, vraiment sinc&egrave;re et divine, sans
+d&eacute;senchantement, sans rien qui soit venu faire r&eacute;fl&eacute;chir mon esprit ni
+glacer ma tendresse! Toute femme, quelque d&eacute;prav&eacute;e qu'elle soit devenue,
+porte en elle, dans un sanctuaire r&eacute;serv&eacute;, un nom, un souvenir, une
+r&ecirc;verie, une croyance! Choses saintes et b&eacute;nies qu'elle garde en elle,
+comme des perles au fond des vagues! qu'elle pr&eacute;serve des souillures et
+des atteintes honteuses de sa vie vagabonde et maudite! vers lesquelles
+elle se retourne aux heures du recueillement et de la pens&eacute;e r&eacute;g&eacute;n&eacute;r&eacute;e,
+et qui sont la religion de son esprit sans foi ni respect!--Alphonse est
+tout cela pour moi. Il est &agrave; part de ma vie, de mes froids
+raisonnements, de mes implacables d&eacute;dains pour tout ce qui tient aux
+amours et aux amants.--Ceci pos&eacute;, revenons &agrave; vous.</p>
+
+<p>Je vous porte, ch&egrave;re enfant, un int&eacute;r&ecirc;t sympathique; je voudrais vous le
+prouver d'une victorieuse fa&ccedil;on. Mais l'impuissance est l&agrave;.</p>
+
+<p>Devant la passion, l'esprit le plus clairvoyant n'a aucun succ&egrave;s. Je ne
+veux pas ergoter avec vous comme un p&eacute;dagogue et chercher &agrave; vous
+extirper la folie amoureuse qui envahit aujourd'hui tout votre &ecirc;tre; je
+n'y r&eacute;ussirais pas, je le sais d'avance; &agrave; quoi bon alors? Seul, le
+temps gu&eacute;rit d'aimer. Mais il nous est donn&eacute; de souffrir, de souffrir
+longtemps avant de gu&eacute;rir. Les illusions tombent une &agrave; une, et si
+lentement qu'on est bien vieille quand le c&oelig;ur en est vide. C'est un
+d&eacute;barras qui ne se fait pas tout d'un coup. Mais le mieux, croyez-moi,
+se fait tous les jours. Tous les jours, sans que vous vous en doutiez,
+vous venez &agrave; moi.</p>
+
+<p>Et l'on a beau faire, il y a toujours des choses qui reviennent!--Je ne
+sais l'autre jour, dans quel m&eacute;chant vaudeville o&ugrave; je jouais, il y avait
+un couplet sur cet air triste qu'il aimait tant et qu'il chantait &agrave; ses
+heures de gaiet&eacute;. Je me mis &agrave; me ressouvenir... Nous &eacute;tions tous les
+deux dans une brasserie, aux portes de la Haye,--un petit jardin plant&eacute;
+d'acacias; mes genoux touchaient ses genoux: rien ne nous venait aux
+l&egrave;vres &agrave; nous dire... Il m'a cueilli en route un gros bouquet de toutes
+sortes de vilaines fleurs; et j'&eacute;tais &agrave; bout de bras de les porter.--La
+nuit venue, nous voul&ucirc;mes revenir &agrave; travers champs. Il y avait de petits
+foss&eacute;s avec de l'eau. Il me donnait la main pour sauter; &agrave; chaque foss&eacute;,
+c'&eacute;tait une histoire! Je mouillais mes bottines; et lui, riait.</p>
+
+<p>Mais au nom de notre amiti&eacute;, ne parlez jamais &agrave; Am&eacute;d&eacute;e de la confidence
+que je vous ai faite. S'il vous en parle, bien! mais ne prenez pas
+l'initiative. Alphonse est mari&eacute; &agrave; pr&eacute;sent; je ne veux pas que son ami
+me croie capable de le compromettre, en mettant son nom en villanelle,
+et l'histoire de nos amours en rondes que je chanterais &agrave; tue-t&ecirc;te sur
+les chemins.--Je compte sur vous.<br>
+
+<span class="rig"><span class="sc">Mathilde.</span></span></p><br><br>
+
+<p class="rig">Marseille, d&eacute;cembre 1847.</p><br><br>
+
+<p>Aussit&ocirc;t cette lettre re&ccedil;ue, ma belle amie, vous irez chez Bethmont, au
+coin de la rue Louis-le-Grand, et vous lui demanderez pourquoi il ne m'a
+pas envoy&eacute; mes bas rouges. Il me les faut absolument d'ici &agrave; mercredi.</p>
+
+<p>Je vous &eacute;cris toute triste. Mon officier de marine a &eacute;t&eacute; tu&eacute; avant-hier
+par un jeune homme de la ville. Cela a eu du retentissement, de sorte
+qu'on me regarde un peu ici comme un ph&eacute;nom&egrave;ne.</p>
+
+<p>Je vous recommande mes bas. J'en ai absolument besoin pour la semaine
+prochaine. Je ne comprends rien &agrave; ce retard. Le messager &eacute;tait pay&eacute;.</p>
+
+<p>Toute &agrave; vous.<br>
+
+<span class="rig"><span class="sc">Mathilde.</span></span></p><br><br>
+
+<p class="rig">Marseille, janvier 1848.</p><br><br>
+
+<p>Que voulez-vous, ma bien ch&egrave;re Louise! la vie est une chose railleuse et
+hostile qu'il faut &eacute;norm&eacute;ment de d&eacute;pravation pour braver, ou une force
+de d&eacute;dain philosophique plus &eacute;norme encore pour dominer. Les
+intelligences fortes et arrogantes y succombent souvent; comment nous,
+pauvres femmes, avec nos esprits d&eacute;licats et frissonnants, nos c&oelig;urs
+peureux et faibles, pourrions-nous trouver la lutte victorieuse, la
+vaillance pers&eacute;v&eacute;rante, la r&eacute;signation pleine de grandeur et de courage?</p>
+
+<p>Vraiment, vos ennuis sont une injustice de la Providence, un manque de
+go&ucirc;t du hasard; et si j'&eacute;tais &agrave; leur place, vous n'auriez qu'&agrave; envier un
+peu de noir &agrave; votre ciel pour en changer l'azur &eacute;ternel. Par malheur je
+ne suis ni la Providence ni le hasard; et je ne puis que vous pr&ecirc;cher
+une th&eacute;orie peu &eacute;lev&eacute;e. Ce n'est pas la th&eacute;orie de la conscience haute
+et fi&egrave;re, qui ne trouvant pas d'issue ici-bas transporte plus haut ses
+valeurs m&eacute;connues et ses blessures sans r&eacute;compenses; c'est tout
+prosa&iuml;quement de l'&eacute;picurisme d'&oelig;uvres, et de l'&eacute;tourdissement moral.</p>
+
+<p>Pour moi, je ne m'&eacute;tourdis plus. A force de s'&ecirc;tre so&ucirc;l&eacute;e &agrave; toutes les
+coupes des r&ecirc;ves et des erreurs de la vie, mon imagination a une si
+forte t&ecirc;te qu'elle ne peut plus se griser; et quant &agrave; mes sens... vous
+savez le respectueux silence que je garde aux morts...</p>
+
+<p>Que vous dire! Tenir t&ecirc;te &agrave; l'orage, c'est de la folie pr&eacute;somptueuse; se
+laisser aller au courant, c'est de la l&acirc;chet&eacute;. Que faire alors?--Allez,
+ma pauvre enfant, comme les condamn&eacute;s qui, en faveur de leur arr&ecirc;t
+impitoyable, trouvent partout autour d'eux l'accomplissement mat&eacute;riel de
+leurs fun&egrave;bres et derniers d&eacute;sirs, nous qui sommes condamn&eacute;es, de par
+les pr&eacute;jug&eacute;s du monde, &agrave; un diff&eacute;rent supplice, demandons aussi &agrave; la vie
+notre poulet et notre vin de Bordeaux.</p>
+
+<p>Votre chambre est pr&ecirc;te. Je vous attends.</p>
+
+<p>Votre amie.<br>
+
+<span class="rig"><span class="sc">Mathilde.</span></span></p><br><br>
+
+<a name="c6" id="c6"></a>
+<br>
+
+<h3>CALINOT<a id="footnotetag6" name="footnotetag6"></a><a href="#footnote6"><sup class="sml">6</sup></a></h3>
+
+<p>Pauvre innocente vie que cette vie de Calinot, qui semble &eacute;crite tout
+enti&egrave;re pour une parade des Funambules; &eacute;coul&eacute;e doucement sans peur,
+sans reproche, sans haine, sans remords, sans regrets; innocente comme
+une parade o&ugrave; Pierrot,--Pierrot le mime, Pierrot le muet,--o&ugrave; Pierrot
+parlerait!</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote6" name="footnote6"><b>Note 6: </b></a><a href="#footnotetag6">(retour) </a> Calinot, &agrave; l'heure pr&eacute;sente, est une figure
+ tr&egrave;s-populaire. Th&eacute;odore Barri&egrave;re en a fait une pi&egrave;ce, et
+ chaque jour le petit journal augmente d'une na&iuml;vet&eacute; nouvelle
+ le chapitre des na&iuml;vet&eacute;s de ce petit-fils de Lapalisse. Mais
+ en 1852, lorsque nous avons pour la premi&egrave;re fois biographi&eacute;
+ Calinot, ce n'&eacute;tait encore qu'une l&eacute;gende flottante dans la
+ <i>blague</i> des ateliers.</blockquote>
+
+<p>C'est une parade, si bien une parade, que, lorsque Camille, le metteur
+en sc&egrave;ne, le souffleur de toutes ces na&iuml;vet&eacute;s, n'est plus l&agrave; pour lui
+donner la r&eacute;plique, l'histoire et la l&eacute;gende pr&ecirc;tent toujours &agrave; Calinot
+pour partners de ses janotades deux autres drolatiques. Vous savez ce
+seigneur de la l&eacute;gende allemande entre deux chevaliers qui chevauchent &agrave;
+c&ocirc;t&eacute; de lui, l'un &agrave; sa droite, l'autre &agrave; sa gauche? Eh bien! comme le
+seigneur allemand Calinot chevauchait entre deux chevaliers: V... et
+L...--V..., c'&eacute;tait la phrase fran&ccedil;aise en habit de marquis;--L...,
+c'&eacute;tait une m&eacute;moire qui toujours restait court, qui sans cesse buttait
+contre le mot propre, qui jamais ne le trouvait. C'est V... qui disait:
+&laquo;Il me semble que le cr&eacute;puscule s'annonce, je vais mettre mon <i>peplum</i>;
+et encore, apr&egrave;s avoir chavir&eacute;: &laquo;Je jure Dieu de ne plus mettre le pied
+dans cette caravelle!&raquo; C'est L... qui annon&ccedil;ait au piquet: &laquo;J'ai une
+tierce... en ce que tu sais bien, une quinte en ce que tu m'as dit, et
+un quatorze... en ce que tu viens de me dire.&raquo; Et ainsi il croissait, le
+bon Calinot, en gr&acirc;ces et en joyeux devis, entre ce lexique des
+<i>Pr&eacute;cieuses ridicules</i> et cet incurable oublieur, entre ce purisme et
+cette paralysie!</p>
+
+<p>Parades!--races perdues! &ocirc; vieux pitres! tout ce cort&eacute;ge de Momus
+populaire, les rires larges et les grosses b&ecirc;tises, les paternelles
+niaiseries! Pantalons et Cassandres, vieux faiseurs de gaiet&eacute; qu'on
+ressuscitait tout &agrave; l'heure,--&ocirc; Lapalisse! a&iuml;eul des na&iuml;vet&eacute;s,--je vous
+le dis: Bob&egrave;che revivait en cet homme.</p>
+
+<p>Et l'atelier, qui s'ennuyait de Jocrisse, s'est mis &agrave; compiler
+l'<i>enchiridion</i> de Calinot, avec un culte de philologue, et l'a
+augment&eacute;, et l'a enrichi, et l'a pourl&eacute;ch&eacute;, et s'est mis &agrave; d&eacute;clamer
+ainsi orn&eacute;e, cette rapsodie du th&eacute;&acirc;tre de la Foire, pour faire suite &agrave;
+celle que chantait Dancourt en sortant du cabaret de la <i>Cornemuse</i>, en
+sorte que les &eacute;couteurs ont fini par &ecirc;tre aussi incr&eacute;dules &agrave; l'endroit
+de l'existence de Calinot qu'&agrave; l'endroit de l'archev&ecirc;que Turpin.</p>
+
+<p>Et pourtant il a si bien v&eacute;cu, ce mortel d&eacute;sopilant,--qu'un jour il est
+mort--du chol&eacute;ra.</p>
+
+<p>L'existence de Calinot a toutes sortes de tableaux: Calinot
+restaurateur,--Calinot logeur,--Calinot commis,--Calinot garde
+national. S'il fut tout cela, nul ne l'a jamais bien su. Le savait-il
+lui m&ecirc;me? Il &eacute;tait de si bonne composition et faisait si peu de
+r&eacute;sistance &agrave; laisser mettre la main &agrave; ses souvenirs &agrave; y laisser
+ajouter!--Un beau jour, Camille lui persuada qu'il avait &eacute;t&eacute; marin; et,
+depuis ce jour-l&agrave;, Calinot se rappelait tout au moins une fois par mois
+ses impressions de la <i>Tremblante</i>.</p>
+
+<p>Un grand corps mont&eacute; sur des jambes d'&eacute;chassier; l&agrave;-dessus, une t&ecirc;te
+blonde, chauve, inculte; de la barbe; les yeux bonasses; la t&ecirc;te ballant
+en avant; dans la pose, quelque chose comme le profil d'une canne &agrave; bec
+de corbin; une voix pleine d'embarras, obstru&eacute;e de bredouillements,
+not&eacute;e tout au long de notes innotables;--c'est ainsi fait qu'il a
+travers&eacute; la vie avec des v&ecirc;tements trop larges sur son corps maigre,
+faisant rire tout le monde, et s'amusant de voir rire tout le monde.</p>
+
+<p>Les tr&eacute;teaux du Pont-Neuf ont eu leurs st&eacute;nographes; pourquoi
+laisserait-on perdre ce monument de la <i>b&ecirc;tise</i> fran&ccedil;aise?</p>
+
+<p>A c&ocirc;t&eacute; de cette &eacute;pop&eacute;e de cynisme, toute sanglante, de cet &laquo;Allons-y
+gaiement!&raquo; de <i>l'Abbaye de Monte-&agrave;-regret</i>,--Jean Hiroux,--Calinot a
+sa place: c'est un lever de rideau avant la grande pi&egrave;ce.</p>
+
+<p>Enfant, Calinot, en revenant de l'&eacute;cole, se bat avec un camarade, et
+attrape une grande &eacute;corchure au front. Au d&icirc;ner, son p&egrave;re lui dit:
+Qu'est-ce que tu as l&agrave;?--Papa, j'ai rien.--Mais si, tu as quelque
+chose.--Je me suis mordu au front!--Imb&eacute;cile! est-ce qu'on se mord au
+front?--Tiens! je suis mont&eacute; sur une chaise.</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+<p>Moi, j'aime bien mieux la lune que le soleil. Le soleil, &agrave; quoi &ccedil;a sert?
+Il vient quand il fait jour, ce feignant-l&agrave;! Au lieu que la lune, &ccedil;a
+sert &agrave; quelque chose: &ccedil;a &eacute;claire.</p>
+
+<p><span class="sc">Camille.</span>--Veux-tu me mesurer ce tableau?</p>
+
+<p><span class="sc">Calinot.</span>--Avec quoi?</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+<p><span class="sc">Camille.</span>--Prends le m&egrave;tre, il est sur la table.</p>
+
+<p><span class="sc">Calinot</span>, mesurant:--Un m&egrave;tre... heu... heu...</p>
+
+<p><span class="sc">Camille.</span>--Eh bien! combien a-t-il?</p>
+
+<p><span class="sc">Calinot.</span>--J'sais pas: le m&egrave;tre n'est pas assez long.</p>
+
+<p><span class="sc">Camille.</span>--Prends garde &agrave; ta pie, voil&agrave; le chat.</p>
+
+<p><span class="sc">Calinot.</span>--Laisse donc! une pie, &ccedil;a vit cent ans!</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+<p>&laquo;Monsieur,</p>
+
+<p>&laquo;Envoyez-moi les deux Boissieu que je vous ai demand&eacute;s.....&raquo; Ici le
+marchand de tableaux meurt. Calinot finit la lettre: &laquo;Je vous &eacute;cris le
+reste par la main de Calinot, mon premier commis, vu que je viens de
+mourir d'une attaque d'apoplexie.&raquo;</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+<p><span class="sc">Camille.</span>--Que tu es b&ecirc;te!</p>
+
+<p><span class="sc">Calinot.</span>--C'est pas malin si je suis b&ecirc;te, on m'a chang&eacute; en nourrice!</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+<p>Calinot voit un moineau dans le jardin de Camille; il l'ajuste. Il
+n'&eacute;tait pas bien pour le tirer; il remonte l'escalier &agrave; pas de loup; il
+ouvre bien doucement la porte de Camille, bien doucement la fen&ecirc;tre de
+Camille qui dormait.--Pan!</p>
+
+<p><span class="sc">Camille</span>, se r&eacute;veillant en sursaut.--H&eacute;?..... hein? quoi?</p>
+
+<p><span class="sc">Calinot.</span>--Tiens! j'avais tir&eacute; tout doucement.</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+<p>&laquo;Moi, d'abord, je n'aime pas les l&acirc;chet&eacute;s. Quand j'&eacute;cris une lettre
+anonyme, je la signe toujours.&raquo;</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+<p><i>A M. le ma&icirc;tre d'h&ocirc;tel du Cheval blanc, &agrave; Rouen</i> (Seine-Inf&eacute;rieure).</p>
+
+<p>&laquo;Monsieur,</p>
+
+<p>&raquo;Je vous prie de me renvoyer mon couteau-poignard que j'ai oubli&eacute; sous
+mon traversin dans la chambre n&ordm; 23.</p>
+
+<p>&raquo;Votre d&eacute;vou&eacute;,</p>
+
+<p>&raquo;<span class="sc">Calinot.</span>&raquo;</p>
+
+<p>En cachetant la lettre, Calinot retrouve son couteau-poignard.</p>
+
+<p>&laquo;<i>Post-scriptum.</i>--Ne vous donnez pas la peine de chercher mon
+couteau-poignard; je l'ai retrouv&eacute;.&raquo;</p>
+
+<p><span class="sc">Camille.</span>--Tu es b&ecirc;te!... puisque tu l'as retrouv&eacute;...</p>
+
+<p><span class="sc">Calinot.</span>--C'est trop fort! Tu veux donc que cet homme s'&eacute;chine &agrave;
+chercher mon couteau-poignard?</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+<p>&laquo;Sont-ils b&ecirc;tes ces gens qui donnent une lettre &agrave; un commissionnaire!
+ils se figurent qu'il la porte; il ne la porte jamais. Moi, quand je
+veux &ecirc;tre s&ucirc;r, je vais toujours avec le commissionnaire.&raquo;</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+<p>On proposait un parti &agrave; Calinot:</p>
+
+<p>--Que diable veux-tu que je l'&eacute;pouse, elle a le double de mon &acirc;ge.</p>
+
+<p><span class="sc">Camille.</span>--Qu'est-ce que &ccedil;a te fait?</p>
+
+<p><span class="sc">Calinot.</span>--Songe donc! quand j'aurai cinquante ans, elle sera centenaire.</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+<p><span class="sc">Camille.</span>--T&acirc;che donc de me rapporter des allumettes qui aillent.</p>
+
+<p>Calinot remonte avec des allumettes.</p>
+
+<p><span class="sc">Camille.</span>--Cr&eacute; m&acirc;tin! elles ne vont pas tes allumettes!</p>
+
+<p><span class="sc">Calinot.</span>--C'est bien dr&ocirc;le, &ccedil;a; je les ai toutes essay&eacute;es!</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+<p><span class="sc">Calinot</span>, logeur.--Oh! monsieur, &agrave; tous les prix: dix, quinze,
+vingt-cinq. Voyez: la chambre est bien; c'est propre; il y a des
+rideaux, une table de nuit...</p>
+
+<p>--Qu'est-ce que c'est que &ccedil;a?</p>
+
+<p>--C'est une truelle.</p>
+
+<p>--Et &ccedil;a?</p>
+
+<p>--Du pl&acirc;tre et du verre pil&eacute;.</p>
+
+<p>--Tiens! pourquoi donc?</p>
+
+<p>--C'est tr&egrave;s-commode. Figurez-vous, monsieur, que la maison est infest&eacute;e
+de rats. Quand vous en voyez un, vous sautez sur la truelle et vous
+bouchez le trou. Dans les chambres &agrave; quinze francs, ils vous mangeraient
+le nez: on vous donne un masque en verre.</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+<p>Dans son jardin de Romainville, Calinot avait un tas de gravois.</p>
+
+<p><span class="sc">Camille.</span>--Fais un trou, tu mettras &ccedil;a dedans.</p>
+
+<p>Calinot n'avait plus de gravois, mais il avait un tas de terre. &laquo;C'est
+que je ne l'ai pas fait assez grand!&raquo;</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+<p>Calinot disait: &laquo;Napol&eacute;on!... un ambitieux! S'il &eacute;tait rest&eacute; capitaine
+d'artillerie et mari de Jos&eacute;phine, il administrerait encore la France!&raquo;</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+<p>Calinot, capitaine instructeur: &laquo;Eh! l&agrave;-bas, qu'est-ce qui l&egrave;ve les deux
+jambes?&raquo;</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+<p>Calinot, aux journ&eacute;es de juin: &laquo;Si je fais arriver mes hommes tous de
+front, les malheureux, ils vont tous &ecirc;tre mitraill&eacute;s!... Si je faisais
+t&ecirc;te de colonne &agrave; droite, t&ecirc;te de colonne &agrave; gauche?--&raquo; Il commande:
+&laquo;Tour droite! tour gauche!&raquo; Tout le monde fait tour complet. Une
+fusillade terrible part de la barricade. La compagnie de Calinot est
+cribl&eacute;e. Le g&eacute;n&eacute;ral arrive bride abattue: &laquo;Imb&eacute;cile! vous faites tuer
+tous vos hommes!--Ah! taisez-vous donc! &ccedil;a fait bien moins de mal que
+dans la poitrine!&raquo;</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+<p>Calinot &eacute;tait &agrave; deviner un r&eacute;bus du <i>Charivari</i> dans un caf&eacute;.--Le gazier
+sonne pour pr&eacute;venir qu'il va &eacute;teindre. Au bout de cinq minutes, Calinot,
+toujours &agrave; son r&eacute;bus, dit: Eh ben! a-t-il &eacute;teint, cet imb&eacute;cile?</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+<p><span class="sc">Calinot.</span>--Je viens de rendre service &agrave; un vieux camarade de la
+<i>Tremblante</i>. Ce pauvre diable! il n'avait pas mang&eacute; depuis deux jours.
+Je l'ai fait entrer dans une all&eacute;e, je lui ai donn&eacute; mes bottes.</p>
+
+<p><span class="sc">Camille.</span>--Et toi, comment t'es-tu en all&eacute;?</p>
+
+<p><span class="sc">Calinot.</span>--Ah! tu demandes toujours des explications.</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+<p><span class="sc">Camille.</span>--Mon escalier est noir comme le diable. Prends ce bout de
+bougie.</p>
+
+<p><span class="sc">Calinot</span>, au bas de l'escalier.--Les artistes sont si pauvres! Il en
+reste encore un grand bout.--Calinot remonte la bougie.</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+<p><span class="sc">Calinot</span> au Salon.--Ducornet... n&eacute; sans bras... Qu'&eacute;que &ccedil;a fait, s'il a
+des mains?</p>
+
+<p><span class="sc">Camille.</span>--Eh bien! tu ne viens pas &agrave; l'enterrement de mademoiselle Mars?
+tous les artistes y seront.</p>
+
+<p><span class="sc">Calinot.</span>--Je ne vais &agrave; l'enterrement des gens que quand ils viennent au
+mien.</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+<p>Camille donne &agrave; Calinot une canne avec une tr&egrave;s-belle pomme de Saxe. La
+canne est trop grande pour Calinot.--Calinot la rogne de la pomme.</p>
+
+<p><span class="sc">Camille.</span>--Pourquoi ne l'as-tu pas rogn&eacute;e du bas?</p>
+
+<p><span class="sc">Calinot.</span>--C'&eacute;tait en haut qu'elle me g&ecirc;nait.</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+<p><span class="sc">Calinot</span> malade, se plaignant de la sonnerie des cloches, qui lui brise
+la t&ecirc;te:--Pourquoi qu'on n'a pas mis de la paille dans la rue?</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+<p><span class="sc">Calinot</span>, mourant du chol&eacute;ra.--Je meurs comme le Christ, &agrave; quarante-trois
+ans.</p>
+
+<p><span class="sc">Camille.</span>--Tu te trompes, mon ami, il est mort &agrave; trente-trois ans.</p>
+
+<p><span class="sc">Calinot.</span>--Eh ben! il est mort dix ans trop t&ocirc;t.</p>
+
+<a name="c7" id="c7"></a>
+<br><br>
+
+<h3>&Eacute;DOUARD OURLIAC</h3>
+
+<p>En ce temps-l&agrave;, c'&eacute;tait le beau temps, le beau temps et l'&acirc;ge d'or du
+roman. Par ces ann&eacute;es de gr&acirc;ce litt&eacute;raire, il y avait beaucoup de gens
+qui faisaient des livres, et il y avait, de gens qui en lisaient, plus
+encore que de gens qui en faisaient. Le lecteur de 1830 &eacute;tait un lecteur
+d&eacute;vou&eacute;, incomparable, h&eacute;ro&iuml;que, inassouvi: il lisait tout. Que le livre
+e&ucirc;t un titre un peu affriandeur, le livre &eacute;tait enlev&eacute;. En ce temps, les
+ma&icirc;tresses de cabinet de lecture, &agrave; ficeler les paquets de leurs
+abonn&eacute;s, avaient les doigts comme des ma&icirc;tresses de maison qui couvrent
+leurs confitures.</p>
+
+<p>Aux vitrines, les lithographies pleines de meurtres, de femmes
+renvers&eacute;es par terre, de mares de sang, de lumi&egrave;res de coups de
+pistolets, de mal&eacute;dictions paternelles, s'&eacute;touffaient l'une l'autre. Ces
+lithographies &eacute;taient d'un <i>faire</i> f&eacute;roce. Elles &eacute;taient plus hautes en
+couleur, et plus &eacute;nergiquement crayonn&eacute;es, et plus tirant l'&oelig;il les unes
+que les autres: on aurait dit des saltimbanques qui se disputent la
+foule &agrave; renfort de tapage.-&Eacute;douard Ourliac fit son entr&eacute;e dans le monde
+litt&eacute;raire &agrave; coups de lithographies; la premi&egrave;re annon&ccedil;ait <i>l'Archev&ecirc;que
+et la Protestante</i> (1832); celle qui suivit, <i>Jeanne la Noire</i> (1833).
+L'&eacute;diteur &eacute;tait Lachapelle, cet audacieux d'alors qui imprimait &agrave; peu
+pr&egrave;s tout ce qu'on lui apportait, &agrave; la condition qu'on lui donnerait
+gratis un second roman, si le premier faisait son bout de chemin. Madame
+Cardinal, de la rue des Canettes, la biblioth&eacute;caire du roman moderne,
+vous dira qu'Ourliac lui recommandait de passer sous silence ces deux
+p&eacute;ch&eacute;s de jeunesse, &agrave; qui lui demanderait son &oelig;uvre.</p>
+
+<p>La voie d'Ourliac, Balzac l'a d&eacute;finie d'un mot, Ourliac retournait
+l'ironie de Candide contre la philosophie de Voltaire; et de l'ironie
+il essaya toujours de faire une arme d'&Eacute;glise. Il se moqua au nom du
+Christ. L&agrave; est l'originalit&eacute; du talent d'Ourliac. Ne lui demandez ni une
+forme neuve, ni un cadre bien original. Il a un peu lu, et
+malheureusement il a beaucoup retenu. Mais o&ugrave; il est bien lui, comme
+mode d'id&eacute;es, c'est dans ces nouvelles o&ugrave; il exhorte &agrave; la religion en
+raillant le si&egrave;cle, et paradoxant <i>ad majorem Dei gloriam</i>. Cette fa&ccedil;on
+singuli&egrave;re de faire servir &agrave; la maison du Seigneur les &eacute;tais de la
+maison du diable, marquait un esprit os&eacute;, d&eacute;cid&eacute; &agrave; faire fl&egrave;che de tout
+bois. Elle parut sans doute de bon aloi &agrave; de plus casuistes que nous; et
+Ourliac fit &eacute;cole de Rabelais de sacristie.</p>
+
+<p>Peut-&ecirc;tre bien, en ces baliverneries s&eacute;rieuses et de consciences, y
+a-t-il un grain de trop gros paradoxe, et le r&eacute;quisitoire du chr&eacute;tien
+pourrait-il &ecirc;tre moins partial. Peut-&ecirc;tre bien y a-t-il exag&eacute;ration &agrave;
+mettre comme dans <i>l'&Eacute;picurien</i>, toujours l'indigestion &agrave; c&ocirc;t&eacute; du
+souper, l'h&ocirc;pital apr&egrave;s l'amour, la sant&eacute; &agrave; c&ocirc;t&eacute; du je&ucirc;ne et des
+mac&eacute;rations. Mais cela est sauv&eacute; par l'intention.--Puis, ces rieuses
+morsures d'un esprit antir&eacute;volutionnaire, il en use &agrave; toute outrance
+contre le journal, dans le conte humoristique des <i>Phillophages</i>. Les
+col&egrave;res qui s'allument, les pav&eacute;s qui se remuent, les gamins qui
+deviennent des h&eacute;ros, les r&eacute;volutions qui mijotent, toutes les
+catastrophes priv&eacute;es et sociales, il porte tout cela au compte de ce
+carr&eacute; de papier qu'on passe sous les portes le matin. La presse est pour
+lui &laquo;une correspondance bien r&eacute;gl&eacute;e entre quelques gens qui ne pensent
+gu&egrave;re, et beaucoup qui ne pensent pas&raquo;.--L&agrave;, dans le <i>Bien des pauvres</i>,
+c'est une m&eacute;nipp&eacute;e, le rire aux l&egrave;vres, contre les h&ocirc;pitaux, ou pour
+mieux parler contre la charit&eacute; constitutionnelle Ourliac dit tous les
+biens de l'administration des h&ocirc;pitaux et hospices civils de la ville de
+Paris. Il s'&eacute;tend sur les difficult&eacute;s de r&eacute;soudre le probl&egrave;me d'obtenir
+entr&eacute;e dans un h&ocirc;pital sans &ecirc;tre tout &agrave; fait mort. Il montre le m&eacute;decin
+plus ami de la science que du malade. Il fait les infirmiers ivres, la
+mis&eacute;ricorde et la sollicitude nulles en cette maison des pauvres; et
+comme le conte approche de la fin, un cur&eacute; entre en sc&egrave;ne, qui argumente
+contre les r&eacute;conforts la&iuml;ques, appelant les h&ocirc;pitaux &laquo;une voirie&raquo;, et
+recommence le proc&egrave;s aux spoliateurs du clerg&eacute;. Mais le pauvre Ourliac
+devait mourir dans une mani&egrave;re d'h&ocirc;pital, et on ne peut gu&egrave;re lui en
+vouloir de s'&ecirc;tre veng&eacute; par avance.</p>
+
+<p>Ourliac &eacute;tait un petit homme imberbe comme un acteur, et p&acirc;le. Son teint
+&eacute;tait bilieux, son &oelig;il p&eacute;tillant. Des l&egrave;vres minces et faites &agrave; point
+pour le persiflage compl&eacute;taient un remarquable masque d'ironie. &laquo;Il
+n'avait rien,--dit-il quelque part de lui, sans se nommer,--il n'avait
+rien qui pr&eacute;v&icirc;nt en sa faveur; point de cet air de franchise et
+d'&eacute;tourderie qui sied &agrave; un jeune homme; une tenue circonspecte, peu de
+taille, un teint maladif, un visage d&eacute;sagr&eacute;able, qui frappait pourtant;
+des traits mobiles, expressifs quand il s'animait, et un sourire qui
+n'&eacute;tait pas sans gr&acirc;ce.&raquo; Quand il avait bu, de p&acirc;le Ourliac passait
+bl&ecirc;me; et alors, dans les dandinements et l'excitation de l'ivresse, son
+esprit mal d'aplomb entre la fi&egrave;vre de t&ecirc;te et le mal de c&oelig;ur, son
+esprit &laquo;mal r&eacute;gl&eacute;, peu choisi, tourn&eacute; au sarcasme, mais fort plaisant&raquo;,
+&eacute;clatait en pantagru&eacute;liques gaudisseries. Fac&eacute;tiant comme un Triboulet
+de lettres, il jetait au hasard ses joyeuset&eacute;s intarissables. Il
+semblait qu'il tir&acirc;t au sort dans une casquette les mots et les id&eacute;es;
+et des phrases insolites, les plus &eacute;tranges d&eacute;fis &agrave; la grammaire, des
+lazzis en dehors de toute syntaxe, toute une langue tordue comme un
+kriss malais, toute une litt&eacute;rature &agrave; lui, macaronique et inimitable,
+s'envolait de sa bouche crisp&eacute;e par les tournoiements de l'&eacute;bri&eacute;t&eacute;. Au
+milieu des rires qui accueillaient ses saillies, il restait grave et
+bl&ecirc;me, presque humili&eacute; d'une galerie, comme un Debureau sur une chaise
+curule. Et, chose &eacute;tonnante, de ce Pierrot dont il avait si bien la
+face, il avait aussi les mignons vices; il e&ucirc;t tr&egrave;s-bien pass&eacute; par les
+sept compartiments d'un dessin allemand des sept p&eacute;ch&eacute;s capitaux. Il
+&eacute;tait voluptueux, goinfre, ladre, et, prudent; si prudent qu'il
+persuadait souvent le soir &agrave; un de ses amis qui s'en retournait de la
+rue d'Alger rue des Petits-Champs, que son plus court &eacute;tait de passer
+par les Batignolles. Ainsi, Ourliac se faisait reconduire jusque chez
+lui; mais il faut dire qu'il payait la reconduite de C... et charmait le
+chemin par des romans, r&eacute;cits, histoires, propos, bons contes,
+pantalonnades &agrave; d&eacute;rider m&ecirc;me un critique de livres ou un habitu&eacute; de
+th&eacute;&acirc;tres.</p>
+
+<p>Quand, rompant sa cha&icirc;ne de famille, et parti tout un jour de la maison
+paternelle, Ourliac courait les cabarets autour de Paris avec une bande
+d'amis, des artistes et des &eacute;crivains de son &acirc;ge,--qui maintenant, sont
+d'aucuns des gens d&eacute;cor&eacute;s et d'autres des maris,--Ourliac l&acirc;chait toute
+bride &agrave; sa verve. Il improvisait des chansons burlesques que les joyeux
+faisaient redire &agrave; tous les &eacute;chos de la route du retour:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i20"> Le p&egrave;re de la demoiselle,</p>
+<p class="i20"> Un monsieur fort bien,</p>
+<p class="i20"> En culotte de peau,</p>
+<p class="i20"> Qui voulait tout savoir!</p>
+</div></div>
+
+<p>Sa licence, en ces parties de campagne, passait celle de tous autres;
+elle s'&eacute;gayait jusqu'aux extr&ecirc;mes crudit&eacute;s du cynisme; puis, quand sa
+farce de l'apr&egrave;s-d&icirc;ner avait tout &agrave; fait sombr&eacute; dans l'ivresse, et qu'on
+le jetait dans une voiture, Ourliac, &agrave; qui le vin &laquo;reprochait&raquo;, comme
+lui disait son ami Henri Monnier, &eacute;tait pris de terreurs et de remords.
+Des r&eacute;miniscences religieuses l'assaillaient. Les souvenirs de son
+enfance pass&eacute;e chez les j&eacute;suites lui revenaient dans la conscience; et
+comme un &eacute;vad&eacute; du purgatoire menac&eacute; d'une extradition, le glorieux
+paillard de tout &agrave; l'heure, &eacute;tourdi, se persuadant que l'omnibus allait
+sur lui-m&ecirc;me comme un toton, Ourliac disait &agrave; demi-voix, d'un ton
+effray&eacute;: &laquo;Voil&agrave; sept fois que ce cocher fait tourner la voiture; et
+cependant je ne l'ai pas m&eacute;rit&eacute;!&raquo;</p>
+
+<p>A ces petites f&ecirc;tes sous les treille de la banlieue, quand il s'agissait
+de payer l'&eacute;cot, Ourliac n'avait jamais que quarante sous dans sa poche.
+C'&eacute;tait le &laquo;<i>nec plus ultra</i>&raquo; de son appoint. On parfaisait le compte et
+tout &eacute;tait dit pour les amis d'Ourliac, mais non pour Ourliac. Il
+prenait de ces petites g&eacute;n&eacute;rosit&eacute;s subies, dont il ne devait rancune
+qu'&agrave; son avarice, une amertume et une &acirc;cret&eacute; de ressentiment qui devait
+plus tard &eacute;clater dans <i>Collinet</i>. &Eacute;coutez avec quelle vivacit&eacute; et quel
+fiel amass&eacute; il met certains souvenirs dans son h&eacute;ros: &laquo;Il se sentait &agrave;
+certains &eacute;gards au-dessous de ces jeunes gens bien v&ecirc;tus qui lui
+faisaient politesse. Il se crut, du moins, oblig&eacute; de les divertir. Il
+les d&eacute;frayait du reste par des bouffonneries qu'il savait bien lui-m&ecirc;me
+affect&eacute;es de mauvais go&ucirc;t... Il plaisantait parce qu'il &eacute;tait pauvre, et
+que ces jeunes gens &eacute;taient riches; parce qu'il n'avait pas soup&eacute;, et
+qu'ils soupaient; parce qu'il &eacute;tait triste, affam&eacute;, parasite, indiscret;
+il plaisantait pour qu'on lui pardonn&acirc;t, pour qu'on ne lui f&icirc;t pas
+affront; lui qui avait du talent et de l'esprit, il plaisantait pour un
+d&eacute;jeuner.&raquo;</p>
+
+<p>Mais si vous voulez entrer en intime connaissance avec le fond de
+l'homme, lisez <i>Suzanne</i>. C'est le &laquo;moi&raquo; d'Ourliac se confessant
+lui-m&ecirc;me, que ce livre. Tout le mauvais qu'il portait en lui, il se
+l'avoue, se souciant peu que ses amis le reconnaissent au visage, et
+faisant l'autopsie de ses mis&egrave;res morales avec un d&eacute;tail patient et une
+brutale franchise. La peinture de ces d&eacute;faillances, de ce travail de
+l'envie, de ces exag&eacute;rations po&eacute;tiques, de cette s&eacute;cheresse de c&oelig;ur, de
+ce lyrisme apost&eacute;, de ces &eacute;lans calcul&eacute;s, de ce despotisme d'&eacute;go&iuml;sme, de
+cette inqui&eacute;tude de cerveau, de cette paresse de r&eacute;solution et d'&oelig;uvre,
+de ces expansions &eacute;pistolaires qui prenaient Ourliac &agrave; ses r&eacute;veils
+d'orgie, de cette vanit&eacute; sans entrailles, de cette intuition un peu
+obtuse du sentiment de l'honneur en l'attente du frein religieux, toutes
+ces maladies de l'esprit analys&eacute;es &agrave; la loupe, et impartialement
+rapport&eacute;es, donnent &agrave; <i>Suzanne</i> l'int&eacute;r&ecirc;t d'une dissection sur le vif.
+Quand M. d'Hautberchamp viendra lui demander raison, Lareynie ne rougira
+pas d'avouer qu'il a peur. Il ne tournera pas sa l&acirc;chet&eacute; en paradoxe
+nouveau: il jouera une merveilleuse sc&egrave;ne de Tartuffe couard. Quand
+Lareynie a fait que mademoiselle des Ilets l'aime, il faut voir jusqu'au
+bout l'agonie de cette malheureuse, tu&eacute;e &agrave; coups d'&eacute;pingle, et les
+jalousies sans amour de Lareynie et les froides insultes. Il y a dans ce
+caract&egrave;re un venin d'envie, un rago&ucirc;t d'hypocrisie et de cruaut&eacute;. Puis
+mademoiselle des Ilets martyris&eacute;e longuement, sciemment,
+impitoyablement, une fois morte de par lui, lorsqu'une r&eacute;volution
+soudaine s'est faite en ce Lareynie, lorsqu'il s'est jet&eacute; &agrave; la religion,
+quand toute cette mauvaise instinctivit&eacute;, toute cette m&eacute;chante vie, ce
+m&eacute;chant c&oelig;ur, et ce cabotinage, il les a eu cach&eacute;s sous une soutane,
+m&ecirc;me chr&eacute;tien, Lareynie ne s'humilie pas. Le vieil homme repara&icirc;t avec
+le vieux levain; et s'en prenant &agrave; l'&eacute;tat de la soci&eacute;t&eacute; et au temps, aux
+approches d'un an Mil social, d'avoir &eacute;t&eacute; le bourreau d'une femme, il
+jette au si&egrave;cle son restant d'hypocondrie: &laquo;Je devais rester et mourir
+dans la condition o&ugrave; j'&eacute;tais n&eacute;. Mais dans quel malheureux temps
+vivons-nous? Quelle temp&ecirc;te a soulev&eacute; la lie de la soci&eacute;t&eacute;? Quelle
+politique insens&eacute;e a rompu toute barri&egrave;re et d&eacute;cha&icirc;n&eacute; toute passion?
+Quel anath&egrave;me p&egrave;se sur cette jeunesse sans frein, sans principes, sans
+tradition, d&eacute;sh&eacute;rit&eacute;e, dess&eacute;ch&eacute;e dans sa fleur comme une moisson
+maudite?&raquo;</p>
+
+<p><i>Suzanne</i> est l'&oelig;uvre capitale d'Ourliac. C'est une des plus
+consciencieuses, des plus fid&egrave;les, des plus habiles, des plus
+remarquables analyses de caract&egrave;re qui nous aient &eacute;t&eacute; donn&eacute;es depuis
+1830.</p>
+
+<p>Malheureusement, il faut revenir &agrave; cela: chez Ourliac, les ressouvenirs
+de style, d'intrigue et d'inventions &eacute;pisodiques percent le fond presque
+partout. <i>Collinet</i>,--<i>Collinet</i> duquel la <i>Revue parisienne</i>
+proph&eacute;tisait: &laquo;c'est une puissante et belle com&eacute;die dont on tirera
+peut-&ecirc;tre quelque mis&eacute;rable vaudeville&raquo;,--<i>Collinet</i> contient,
+d&eacute;shabill&eacute;e en prose, toute une sc&egrave;ne du <i>Roi s'amuse</i>. <i>Psyll&eacute;</i> est du
+Perrault battu avec du Swift. <i>Les Noces d'Eustache Plumet</i> se
+ressentent du compagnonnage de Monnier. La <i>L&eacute;gende apocryphe</i> emprunte
+au grand humoriste du <span class="sc">XVI</span>e si&egrave;cle sa phrase &eacute;num&eacute;ratoire et charg&eacute;e de
+mots. Dans <span class="sc">Suzanne</span>, on l'a dit, mademoiselle des Ilets est un calque de
+mademoiselle Delachaux de <i>Ceci c'est pas un conte</i>, de Diderot. Peters
+est parent de Krespel; cette sc&egrave;ne fra&icirc;che du violon aux Champs-&Eacute;lys&eacute;es
+dans <i>Genevi&egrave;ve</i>, on la retrouve encore dans <i>Suzanne</i>. Dans la
+<i>Confession de Nazarille</i>, vous vous choquerez &agrave; des r&eacute;miniscences
+flagrantes d'Eug&egrave;ne Sue, &agrave; des profils visiblement dessin&eacute;s sur les deux
+profils de Ruy Blas et de don Salluste. Au reste, sur cette derni&egrave;re
+&oelig;uvre, Ourliac n'avait pas grande illusion: &laquo;Je l'ai &eacute;crite en
+courant,--&eacute;crivait-il,--sans copie; je n'en ai point corrig&eacute; les
+&eacute;preuves, et j'en suis sur les &eacute;pines. Ces morceaux si courts ne font
+jamais grand bien, quel que soit leur m&eacute;rite; mais ils suffisent souvent
+&agrave; donner une id&eacute;e parfaite de la pauvret&eacute; de l'auteur. C'est
+compromettant, comme on dit. Je crains que celui-l&agrave; ne soit de ce
+dernier genre.&raquo;</p>
+
+<p>En dehors de sa verve de partisan catholique, Ourliac a la recherche du
+c&oelig;ur humain pouss&eacute;e jusqu'&agrave; l'infinit&eacute;simal psychologique, l'observation
+&eacute;pigrammatique, le tour vif et relev&eacute; de saillies. S'il avait eu moins
+de m&eacute;moire, un proc&eacute;d&eacute; de style plus fertile et plus vari&eacute;, nul doute
+qu'il n'e&ucirc;t fait sa place grande. Je ne citerai comme exemple de son
+talent d&eacute;barrass&eacute; des pr&eacute;occupations pol&eacute;miques que cette <i>Physiologie
+de l'&eacute;colier</i>, un petit chef-d'&oelig;uvre, o&ugrave; laissant venir &agrave; lui, comme
+J&eacute;sus, les petits enfants, il a narr&eacute; finement, joliment, curieusement,
+les m&oelig;urs et les allures de ces petites &acirc;mes qui apprennent
+l'espi&egrave;glerie mieux que toute autre chose. L&agrave;, son analyse est
+charmante. Elle est comme une r&eacute;cr&eacute;ation dans une cour de pension.</p>
+
+<p>Mais ce qui fit le plus pour la r&eacute;putation d'Ourliac, ce fut un petit
+volume in-18, publi&eacute; rue Cassette. L'exemplaire que j'en ai l&agrave; porte par
+hasard, comme rev&ecirc;tement de sa garde, &laquo;la Cloche, l'Encensoir et la
+Rose,&raquo; chapitre 53 de quelque livre po&eacute;tiquement mystique &eacute;dit&eacute; chez
+Waille.</p>
+
+<p>Les <i>Contes du Bocage</i>, o&ugrave; vous avez lu cette belle supercherie filiale
+de mademoiselle de la Charnaye faisant accroire au vieux marquis aveugle
+les succ&egrave;s continus des chouans, alors que les bleus, enfin vainqueurs,
+traquent de buissons en buissons les obscurs Philop&eacute;mens de la Vend&eacute;e;
+les <i>Contes du Bocage</i>, tout ardents de l'esprit royaliste, valurent &agrave;
+Ourliac les chaudes sympathies de la presse religieuse.</p>
+
+<p>Ourliac s'&eacute;tait mari&eacute;. La Bruy&egrave;re dit quelque part: &laquo;L'on ne voit point
+faire de v&oelig;ux ni de p&egrave;lerinages pour obtenir d'un saint d'avoir l'esprit
+plus doux, l'&acirc;me plus reconnaissante, d'&ecirc;tre plus &eacute;quitable et moins
+malfaisant, d'&ecirc;tre gu&eacute;ri de la vanit&eacute;, de l'inqui&eacute;tude et de la mauvaise
+raillerie.&raquo;--Le mariage ne fut pas heureux. Toutefois, on en &eacute;tait
+encore aux ann&eacute;es de miel, et Ourliac, sur les bords de la Loire,
+veillait paternellement, l'esprit d&eacute;tendu et repos&eacute;, au succ&egrave;s de son
+petit volume. Il &eacute;crivait alors: &laquo;15 ao&ucirc;t 1843... Nous avons tous les
+soirs ici des nuits d'Op&eacute;ra, une belle et pleine lune de l'autre c&ocirc;t&eacute;
+de la rivi&egrave;re qui s'&eacute;panouit &agrave; travers nos feuillages comme une bombe
+lumineuse. De tous les coins de notre terrasse, le paysage fait
+tableau... Je suis entour&eacute; de belles choses &agrave; quatre ou cinq lieues de
+distance; j'ai visit&eacute; avant-hier le ch&acirc;teau d'Azay sur l'Indre. J'ai
+toutes les peines du monde &agrave; croire que Chenonceaux soit plus beau: une
+vraie vignette anglaise, de la renaissance toute pure! et un parc! et
+des eaux! La vall&eacute;e d'Azay est celle du <i>Lys dans la vall&eacute;e</i>. Les
+habitants sont furieux contre l'auteur qui a trouv&eacute; leurs femmes
+laides... Je p&ecirc;che &agrave; la ligne sans aller bien loin et avec succ&egrave;s. Je
+n'ai qu'&agrave; me baisser pour en prendre. Je p&ecirc;che les ablettes par
+soixantaine. Je trouve &agrave; ce prix que tout ce qu'on a dit l&agrave;-dessus sont
+des calomnies. C'est une belle chose que Paris; mais je n'en persiste
+pas moins &agrave; croire que nous ferions bien, sur le retour, de nous en
+venir par ici planter nos choux avec quatre ou cinq amis sens&eacute;s. La
+nourriture saine, le bon vin, le repos, les jardins, le loisir, ont bien
+leur m&eacute;rite. J'ajouterai qu'il y a ici de certains vins qui valent le
+champagne.&raquo; Cet apaisement de l'id&eacute;e, ce calme, cet accommodement de
+l'esprit aux jouissances terrestres, ce souffle d'Horace, cette pente &agrave;
+une honn&ecirc;te &laquo;humerie&raquo; ne tinrent gu&egrave;re contre les avances et les
+engagements du parti catholique; et &agrave; quelque temps de l&agrave;, Ourliac
+remerciait un r&eacute;dacteur du <i>National</i> d'un compte rendu favorable, en
+essayant de le convertir, quatre pages de lettre durant.</p>
+
+<p>D&egrave;s lors Ourliac appartenait &agrave; <i>l'Univers</i>, o&ugrave; il apporta les qualit&eacute;s
+de son esprit. Mais de ce corps malingre, &eacute;puis&eacute;, travaill&eacute; de longue
+main par les agitations et les anxi&eacute;t&eacute;s morales, une maladie de poitrine
+eut bon march&eacute;; et Ourliac, encore bien jeune, mourut &agrave; la maison de
+Saint-Jean-de-Dieu, rue Plumet.</p>
+
+<a name="c8" id="c8"></a>
+<br><br>
+
+<h3>B&Eacute;N&Eacute;DICT</h3>
+
+<p>Il habitait un divan vert quand je l'ai connu. Il avait pour draps un
+rideau en percaline lorsque les draps &eacute;taient &agrave; la blanchisseuse, et
+pour couverture un manteau d'Ojibewas en peau, tatou&eacute; en rouge de mille
+figures qui avaient peut-&ecirc;tre l'intention de repr&eacute;senter une chasse aux
+bisons.</p>
+
+<p>Le grand-p&egrave;re de B&eacute;n&eacute;dict avait &eacute;t&eacute; un peintre de genre connu, et un
+vignettiste couru au temps o&ugrave; les journaux de mode recommandaient aux
+&eacute;l&eacute;gantes les <i>casques &agrave; la romaine</i> en satin jaune, les <i>robes &agrave;
+l'anglaise</i>, et les <i>sabots chinois</i> garnis de falbalas roses.</p>
+
+<p>Son p&egrave;re &eacute;tait un math&eacute;maticien distingu&eacute;.</p>
+
+<p>A dix-sept ans, B&eacute;n&eacute;dict, qui se destinait &agrave; Saint-Cyr, entra &agrave; l'&eacute;cole
+pr&eacute;paratoire de M. Loriol.--Il y passa un an, et y apprit le cornet &agrave;
+piston.</p>
+
+<p>B&eacute;n&eacute;dict revint chez son p&egrave;re, et se mit &agrave; travailler pour passer son
+baccalaur&eacute;at.</p>
+
+<p>Le p&egrave;re de B&eacute;n&eacute;dict &eacute;tait attaqu&eacute; de la poitrine. Il partit pour la
+Touraine. Dix jours apr&egrave;s son d&eacute;part, il re&ccedil;ut une lettre de son fils,
+qui lui demandait 300 fr. pour acheter un canot. Le bonhomme, qui
+n'avait plus grande force pour refuser, envoya l'argent.</p>
+
+<p>Le canot de B&eacute;n&eacute;dict lui amena des amis, et entre autres un jeune homme
+nomm&eacute; Armand, entrepreneur des peintures au Jardin des plantes o&ugrave; son
+p&egrave;re &eacute;tait gardien en chef. Armand avait obtenu de dresser un petit
+th&eacute;&acirc;tre dans une des serres; et les amis d'Armand r&eacute;p&eacute;taient l&agrave;, avec
+leurs ma&icirc;tresses, quelques petits vaudevilles qu'ils avaient l'ambition
+de jouer &agrave; Chantereine. Deux ou trois femmes d&eacute;pareill&eacute;es s'&eacute;taient
+jointes &agrave; la troupe b&eacute;n&eacute;vole. Gaillardement on d&eacute;tonnait le couplet. Les
+Finettes et les N&eacute;rines avaient cette volubilit&eacute; de langue n&eacute;cessaire
+pour traduire les Regnards du Palais-Royal. Presque tous les soirs, les
+r&eacute;p&eacute;titions avaient lieu au Jardin des plantes. Les acteurs &eacute;taient bien
+pr&egrave;s de se prendre au s&eacute;rieux, et les actrices jouaient pour sourire. Le
+public pri&eacute; &eacute;tait indulgent comme un public qui ne paye pas; et M. de
+Saint-Albine e&ucirc;t reconnu que ce n'&eacute;tait pas demander l'impossible &agrave; ces
+com&eacute;diens de la prime jeunesse, que d'exiger &laquo;quand ils jouaient
+ensemble des sc&egrave;nes tendres, qu'ils fussent, pour ce moment, &eacute;pris l'un
+de l'autre.&raquo; Et si bien ils l'&eacute;taient, qu'une belle blonde qui r&eacute;pondait
+au nom de Jenny, et qui avait pour 4000 fr. de meubles rue de Richelieu,
+prit B&eacute;n&eacute;dict en affection.</p>
+
+<p>Aux beaux jours, ils firent rouler tout aux environs de Paris leur
+chariot de Thespis. Ils jou&egrave;rent partout,--les beaux fils et les belles
+filles,--sur des planches pos&eacute;es sur des tonneaux, avec des lustres
+faits d'une herse o&ugrave; l'on plantait des bougies, quelquefois au profit
+d'eux-m&ecirc;mes, souvent au profit des pauvres.--B&eacute;n&eacute;dict passa l'&eacute;t&eacute; &agrave;
+apprendre dans la journ&eacute;e ses r&ocirc;les pour le soir, par tous les sentiers
+de Chatou et de Saint-Cloud, sa Jenny au bras: il lui donnait le ton de
+ses couplets, elle lui donnait la r&eacute;plique de son amour.</p>
+
+<p>Mais voil&agrave; qu'il n'y a plus d'argent chez mademoiselle Jenny. Les
+meubles s'en vont. L'oreiller tout passequill&eacute; de rubans bleus, et le
+lit, et le tapis, et les chauffeuses, tout cela s'envole.--B&eacute;n&eacute;dict
+n'h&eacute;sita pas. Il prit sa ma&icirc;tresse avec lui, dans l'appartement le son
+p&egrave;re. Les 125 fr. par mois qu'il touchait pour ses d&eacute;penses de poche ne
+lui suffisant plus, il r&eacute;fl&eacute;chit qu'il y avait trois pendules dans
+l'appartement, et que trois pendules cela faisait deux redites. Il mit
+deux pendules au mont-de-pi&eacute;t&eacute;. Il r&eacute;fl&eacute;chit encore qu'un Voltaire en 95
+volumes &eacute;tait une &eacute;dition g&ecirc;nante, et en quatre voyages, aid&eacute; de sa
+ma&icirc;tresse, il le d&eacute;m&eacute;nagea chez madame Mansut.</p>
+
+<p>Un matin, le portier de la maison entra tout effar&eacute; dans la chambre de
+B&eacute;n&eacute;dict, et lui dit: &laquo;Monsieur, votre p&egrave;re qui est en bas!&raquo;--B&eacute;n&eacute;dict
+descendit.--&laquo;Je sais tout,--lui dit son p&egrave;re.--Je vous donne huit jours
+pour que cette cr&eacute;ature quitte la maison. Je reviendrai dans huit
+jours.&raquo;</p>
+
+<p>Le jour m&ecirc;me, B&eacute;n&eacute;dict alla louer une petite chambre faubourg du Temple.
+Un ami le mena chez un juif du quai de la Tournelle, qui, moyennant des
+billets payables &agrave; sa majorit&eacute;, lui fournit un mobilier en noyer de 700
+fr. B&eacute;n&eacute;dict s'installa l&agrave;-dedans avec Jenny.</p>
+
+<p>L'argent du p&egrave;re s'arr&ecirc;ta; et la mis&egrave;re frappa, brutale, au logis. La
+femme qui jadis ne fatiguait ses doigts qu'&agrave; porter des bouquets, se mit
+&agrave; piquer des selles de luxe et &agrave; colorier des images, se levant au matin
+pour ne cesser de travailler que l'aiguille ou le pinceau lui tombant
+des mains de fatigue, &agrave; onze heures ou minuit. B&eacute;n&eacute;dict trouva &agrave; occuper
+sa journ&eacute;e au t&eacute;l&eacute;graphe qu'essayait alors de monter l'abb&eacute; Gonon. Il
+gagnait cent sous par jour, et le soir il pliait des enveloppes qui lui
+&eacute;taient pay&eacute;es 3 fr. le mille. Pourtant, en cette dure vie, et en cette
+chambre ouvri&egrave;re, l'amour mettait des chansons. Un ou deux de leurs
+anciens camarades venaient encore le soir, et alors on se contait, &agrave; un
+petit feu avare de cotrets, quelques souvenirs des anciennes com&eacute;dies
+qu'on r&eacute;p&eacute;tait sur l'herbe. Souvent une actrice du Vaudeville, morte
+depuis, madame B..., qui connaissait Jenny, venait voir le jeune couple,
+traversant comme une f&eacute;e leurs ennuis journaliers, les &eacute;gayant &agrave; ses
+gr&acirc;ces d'oiseau, &agrave; ses chants de fauvette; et sachant que leur tirelire
+fuyait, h&eacute;las! elle les emmenait d&icirc;ner avec elle, ne voulant pas de leur
+&eacute;cot, et leur disant qu'ils payeraient la prochaine fois.</p>
+
+<p>&laquo;B&eacute;n&eacute;dict,--dit un jour Jenny, nous avons assez mang&eacute; de mis&egrave;re comme
+&ccedil;a. Il serait temps de nous retourner. On m'offre 1800 fr. pour aller &agrave;
+Limoges.</p>
+
+<p>--Qui &ccedil;a?</p>
+
+<p>--Le directeur donc, M. Carrier de Richaux. Tu peux encore t'arranger
+avec ton p&egrave;re. C'est un service que je te rends en m'en allant l&agrave;-bas.
+Je t'&eacute;crirai, d'ailleurs.&raquo;</p>
+
+<p>A vingt-quatre heures de l&agrave;, B&eacute;n&eacute;dict frappait &agrave; la porte de la maison
+de sant&eacute; du docteur Hoffmann, avenue Fortun&eacute;. C'&eacute;tait l&agrave; qu'&eacute;tait venu
+habiter son p&egrave;re. La maladie l'avait gagn&eacute;, et il sentait qu'elle ne
+devait plus s'en aller qu'avec lui.</p>
+
+<p>&laquo;Mon p&egrave;re,--dit B&eacute;n&eacute;dict, quand il fut en face du vieillard, je vais me
+faire com&eacute;dien.&raquo;</p>
+
+<p>Le vieillard p&acirc;lit soudainement, et porta son mouchoir &agrave; sa bouche. Il
+ne r&eacute;pondit pas.</p>
+
+<p>&laquo;J'ai un engagement de premier comique pour Limoges, &agrave; 1500 fr. par an;
+mais je n'ai rien pour m'acheter des perruques et des costumes, et j'ai
+compt&eacute; sur vous.&raquo;</p>
+
+<p>Le vieillard dit &agrave; B&eacute;n&eacute;dict: &laquo;Revenez demain.&raquo;</p>
+
+<p>Le lendemain, le p&egrave;re &eacute;tait au lit. Il prit un billet de cinq cents
+francs dans un portefeuille sur sa table de nuit, le tendit &agrave; B&eacute;n&eacute;dict,
+avec ce seul mot: &laquo;Partez.&raquo;</p>
+
+<p>B&eacute;n&eacute;dict descendit l'escalier, se jeta dans un cabriolet, et fondit en
+larmes.</p>
+
+<p>Le jour o&ugrave; le th&eacute;&acirc;tre de Limoges fit son ouverture, il arriva &agrave; B&eacute;n&eacute;dict
+une chose assez romanesque. Le spectacle commen&ccedil;ait par une sorte de
+prologue pot-pourri, o&ugrave; tous les personnages de la troupe paraissaient
+successivement, B&eacute;n&eacute;dict fut plac&eacute; dans l'avant-sc&egrave;ne de droite. C'&eacute;tait
+l&agrave; qu'il devait jouer son fragment de r&ocirc;le. L'avant-sc&egrave;ne de droite
+avait &eacute;t&eacute; lou&eacute;e pour madame la g&eacute;n&eacute;rale de R... et ses deux filles. Mais
+le directeur avait obtenu d'elle qu'elle voul&ucirc;t bien permettre qu'un
+&eacute;tranger de passage dans la ville pr&icirc;t place dans sa loge. Voici donc
+B&eacute;n&eacute;dict install&eacute; dans la loge de la g&eacute;n&eacute;rale, en habit noir et gant&eacute;
+frais. Il avait encore une tournure de fils de famille, et ses gestes,
+et les mille riens de la pose et du regard disaient un homme bien n&eacute;. La
+conversation s'engagea entre madame de R... et B&eacute;n&eacute;dict, madame de R...
+lui demandant &laquo;s'il croyait &agrave; une bonne troupe&raquo;, et lui, r&eacute;pondant
+&laquo;qu'il n'avait pas grande confiance dans ces cabotins de province; et
+madame de R.***.--&laquo;Vous &ecirc;tes de passage?--Quelques jours
+seulement...--Jolie actrice que cette blonde...--Peuh!--Et o&ugrave;
+habitez-vous? A l'h&ocirc;tel de la Promenade, madame.--C'est le
+meilleur.--C'est le seul, m'a-t-on dit.&raquo; La conversation allait le m&ecirc;me
+train que le prologue quand, &agrave; ces mots de l'actrice en sc&egrave;ne: &laquo;Et pas
+de premier comique!&raquo; B&eacute;n&eacute;dict, soudain lev&eacute; et comme entrant dans la
+voix d'Arnal: &laquo;Le premier comique demand&eacute; voil&agrave;!&raquo;--Puis il acheva son
+bout de r&ocirc;le, le public riant, madame de R... toute rouge, et ses filles
+se retournant pour voir.--&laquo;Oh! madame.--dit B&eacute;n&eacute;dict en s'inclinant bien
+bas, quand il eut fini,--que d'excuses!--Cela n'en vaut vraiment pas la
+peine, monsieur&raquo;, r&eacute;pondit madame de R..., d'un ton piqu&eacute;.</p>
+
+<p>Deux mois se pass&egrave;rent.--Un soir o&ugrave; B&eacute;nedict jouait <i>Babiole et Joblot</i>,
+&agrave; sa sortie, &agrave; la deuxi&egrave;me sc&egrave;ne, il re&ccedil;ut une lettre qui portait ceci:
+&laquo;Monsieur, votre p&egrave;re vient de mourir. Veuillez venir &agrave; Paris le plus
+t&ocirc;t possible, et passer &agrave; mon &eacute;tude pour y r&eacute;gler les affaires de la
+succession.&raquo;--B&eacute;n&eacute;dict suffoquait. La r&eacute;plique venait. Le directeur le
+poussa. Il finit la pi&egrave;ce. Il avait des larmes plein la voix. On crut &agrave;
+un nouveau moyen comique. On applaudit.</p>
+
+<p>A Paris, les tristes d&eacute;marches et les tristes c&eacute;r&eacute;monies faites,
+B&eacute;n&eacute;dict apprit qu'il lui revenait 125 000 fr., plus 10 000 fr. de bons
+du Tr&eacute;sor.--Il acheta &agrave; Jenny des cadeaux.</p>
+
+<p>En diligence, mille pens&eacute;es lugubres l'assaillirent d'abord. Il lui
+sembla revoir son p&egrave;re, comme il l'avait vu la derni&egrave;re fois son
+mouchoir sur la bouche, et la face maigre. Son dernier mot: &laquo;Partez&raquo;,
+lui revibrait douloureusement dans la conscience, avec son accent
+pr&eacute;cis... Puis, par un de ces jeux ironiques et irrespectueux o&ugrave; se
+pla&icirc;t la pens&eacute;e, son imagination sauta du cercueil de son p&egrave;re &agrave; sa
+ma&icirc;tresse; et il songea au bonheur qu'elle allait avoir &agrave; se parer de
+tout ce qu'il lui rapportait; et tout songeant, il s'endormit.</p>
+
+<p>--Monsieur,--dit le conducteur,--nous sommes &agrave; Limoges.--B&eacute;n&eacute;dict
+abaissa la glace de la porti&egrave;re, et levant machinalement les yeux, il
+aper&ccedil;ut &agrave; une fen&ecirc;tre du rez-de-chauss&eacute;e de l'h&ocirc;tel de la Promenade, sur
+une table, un bol de punch qui flambait et trois hommes attabl&eacute;s autour.
+Il descendit. Une main lui frappa sur l'&eacute;paule, c'&eacute;tait Alexis, l'un de
+ses camarades.--&laquo;Nous vous attendions, venez.&raquo;--B&eacute;n&eacute;dict trouva pr&egrave;s du
+bol de punch, Carini, le p&egrave;re noble, et de Richaux, le directeur.--&laquo;Et
+Jenny? dit B&eacute;n&eacute;dict.--Nous avons une mauvaise nouvelle &agrave; vous apprendre,
+dit Carini.--Malade?... morte?... et la voix de B&eacute;n&eacute;dict se
+strangula.--Rassurez-vous, reprit Carini, elle n'est ni morte, ni
+malade; seulement, en votre absence, elle ne s'est pas conduite... Elle
+vous a tromp&eacute;.--Veut-elle se remettre avec moi?--Carini hocha la
+t&ecirc;te.--Et qui? dit B&eacute;n&eacute;dict.--C'est moi, monsieur,--dit de Richaux en
+s'avan&ccedil;ant. B&eacute;n&eacute;dict prit une bouteille de champagne par le goulot, et
+leva le bras; Carini le retint.--Monsieur, dit froidement de Richaux,
+elle vous a aim&eacute;, elle ne vous aime plus. Quand nous nous battrions, je
+ne vois pas ce que cela changerait &agrave; votre position et &agrave; la mienne.--Que
+je la voie deux heures seulement,--fit B&eacute;n&eacute;dict,--et...--On va vous
+mener chez elle&raquo;--dit de Richaux.</p>
+
+<p>Jenny &eacute;tait sur son lit, les cheveux &eacute;pars, dans une pose tragique. Elle
+s'&eacute;tait faite p&acirc;le avec de la poudre de riz.--&laquo;Ma m&egrave;re! ma m&egrave;re!
+s'&eacute;cria-t-elle en voyant B&eacute;n&eacute;dict amen&eacute; par Carini qui se retira, dites
+que je suis une mis&eacute;rable!--Monsieur, ne me touchez pas!&raquo; et B&eacute;n&eacute;dict se
+laissa prendre &agrave; cette sc&egrave;ne de drame qu'il avait vu jouer cent fois &agrave;
+sa ma&icirc;tresse sur les planches.</p>
+
+<p>Au matin, Jenny reprit la promesse qu'elle avait faite &agrave; B&eacute;n&eacute;dict de
+retourner avec lui &agrave; Paris. Jenny ne voulut plus partir. B&eacute;n&eacute;dict la
+mena&ccedil;a de se tuer. Jenny promit encore pour retirer sa promesse peu
+apr&egrave;s. Quatre ou cinq jours durant ce furent des reproches et des
+apaisements, des g&eacute;nuflexions et des r&eacute;voltes, des jalousies et des
+mis&eacute;ricordes, des larmes et des tr&ecirc;ves qui ne valent pas un r&eacute;cit, parce
+que cette d&eacute;chirante bataille d'un amour vivant avec un amour mort est
+toujours la m&ecirc;me. Enfin, lass&eacute;e de ses obsessions, et pour avoir la
+paix, Jenny jura d'aller le retrouver dans huit jours.</p>
+
+<p>B&eacute;n&eacute;dict partit, le remords au c&oelig;ur. Pour cette femme, il n'avait pas
+ferm&eacute; les yeux de son p&egrave;re.</p>
+
+<p>De retour &agrave; Paris, il re&ccedil;ut deux lettres de Jenny, &agrave; huit jours de
+distance. Dans la premi&egrave;re elle lui demandait 200 francs pour faire le
+voyage. La seconde &eacute;tait ainsi con&ccedil;ue: &laquo;Cher enfant, je suis indigne de
+vous. Que diriez-vous de moi si je retournais avec vous maintenant que
+je suis d&eacute;shonor&eacute;e? Ah! vous penseriez peut-&ecirc;tre que je veux profiter de
+la fortune qui vous est tomb&eacute;e. Adieu! Je vous renvoie les 200 francs
+que vous m'avez envoy&eacute;s. Celle qui vous aime toujours.&raquo; Seulement--dit
+gravement B&eacute;n&eacute;dict quand il raconte cette histoire,--les 200 francs n'y
+&eacute;taient pas.</p>
+
+<p>Alors commen&ccedil;a une noce &eacute;norme et royale. Entre les dix doigts de
+B&eacute;n&eacute;dict l'argent coula comme l'eau. Ce fut un gala de trois ans, une
+table ouverte, une Cocagne, un festin toujours recommenc&eacute;. Tous venants
+&eacute;taient accueillis; tous accueillis mangeaient. Les connaissances des
+amis arrivaient-elles au dessert, on relayait le d&icirc;ner qui repartait de
+plus belle, et de la cave le vin remontait. C'&eacute;tait une auberge, une
+auberge et un mont-de-pi&eacute;t&eacute;, cet appartement de la rue
+Notre-Dame-de-Lorette. Quand vous aviez mang&eacute; trois fois chez B&eacute;n&eacute;dict,
+cela vous faisait un droit tout naturel &agrave; lui emprunter vingt francs.
+B&eacute;n&eacute;dict avait cela d'agr&eacute;able que ses habits allaient &agrave; toutes les
+tailles, que ses bottes allaient &agrave; presque tous les pieds, et que ses
+gants allaient &agrave; presque toutes les mains;--en sorte que ses habits, que
+ses bottes et que ses gants diminu&egrave;rent. Et puis, il para&icirc;t encore que
+son argent allait &agrave; toutes les poches, et comme il en laissait parfois
+sur sa chemin&eacute;e, son argent fit comme ses habits. La troupe de Limoges
+s'&eacute;tant d&eacute;band&eacute;e, Carini et Ernest, le second comique, d&eacute;doubl&egrave;rent son
+lit et lui emprunt&egrave;rent ses pantoufles. L'h&ocirc;tel B&eacute;n&eacute;dict prit vogue, et
+comme l'on soupait au homard, tous les drolatiques &agrave; jeun y abond&egrave;rent.
+&laquo;Onc ne vis maison de plaisantes gens si largement remplie.&raquo; Toutes les
+nuits l'on dansait, les refrains grivois battaient de l'aile contre les
+vitres jusqu'&agrave; l'aube!--Aux jours de soleil, la Seine, l'&icirc;le S&eacute;guin, les
+matelottes chez Gentil ou &agrave; la Maison rouge, et encore les chansons sur
+l'eau.</p>
+
+<p>Les billets de mille francs s'effeuillaient &agrave; tous les vents d'orgie:
+B&eacute;n&eacute;dict les regardait s'en aller. Le boh&eacute;mien Trimalcion s'&eacute;tait fait
+une vie &agrave; voir la face contente de tous les invit&eacute;s; et comme en une
+for&ecirc;t de Bondy, il s'&eacute;tait tranquillement endormi en l'amiti&eacute; de tous
+ces parasitismes.</p>
+
+<p>--Bah! dit une fois B&eacute;n&eacute;dict en se levant, si j'allais en Italie?--Je te
+suivrai, B&eacute;n&eacute;dict, dit Carini.--Moi, je garde ton appartement, dit un
+nomm&eacute; Vielleux, un ami de coll&eacute;ge.--Et moi aussi, dit Ernest.</p>
+
+<p>Ils partirent, B&eacute;n&eacute;dict, Carini et la ma&icirc;tresse de B&eacute;n&eacute;dict. Le voyage
+n'eut rien de curieux, si ce n'est qu'&agrave; chaque ville B&eacute;n&eacute;dict mettait
+deux louis dans le gilet de Carini pour qu'un homme de sa soci&eacute;t&eacute; f&icirc;t
+figure; et qu'&agrave; chaque table d'h&ocirc;te, la ma&icirc;tresse de B&eacute;n&eacute;dict descendait
+d&eacute;collet&eacute;e, en toilette de bal, avec des fleurs dans les cheveux.</p>
+
+<p>A Milan, B&eacute;n&eacute;dict avait d&eacute;pens&eacute; trois mille francs. Il faut dire que
+Carini avait chang&eacute; de gilet presque aussi souvent que la ma&icirc;tresse de
+B&eacute;n&eacute;dict avait chang&eacute; de robe.</p>
+
+<p>B&eacute;n&eacute;dict partait pour Florence, quand un petit mot d'Ernest le rappela &agrave;
+Paris. Son mobilier saisi allait &ecirc;tre vendu.</p>
+
+<p>En partant, B&eacute;n&eacute;dict avait laiss&eacute; 200 francs &agrave; Vielleux pour payer un
+billet. Vielleux avait mang&eacute; les 200 francs, n'avait pas pay&eacute;, et avait
+disparu.--B&eacute;n&eacute;dict sauta du fiacre qui le ramenait des diligences,
+arracha les affiches jaunes qui annon&ccedil;aient sa vente pour le lendemain,
+et courut payer chez le commissaire priseur.--Ernest lui dit que
+Vielleux avait tr&egrave;s-mal agi, en abusant de l'argent qu'il lui avait
+confi&eacute;; que, pour lui, il s'&eacute;tait occup&eacute; d'&eacute;conomie politique, et
+qu'ayant eu besoin de livres, il devait lui avouer qu'il avait mis au
+clou quelque chose de sa garde-robe. Si tu veux,--dit-il en
+terminant,--je te lirai cette nuit le livre que j'ai fait. C'est un
+travail sur les <i>Enfants trouv&eacute;s</i>.--B&eacute;n&eacute;dict l'en dispensa: il y avait
+trois nuits qu'il n'avait dormi.</p>
+
+<p>B&eacute;n&eacute;dict alla chez son notaire demander de l'argent. Le notaire mit sous
+les yeux de B&eacute;n&eacute;dict quatre ou cinq pages de chiffres bien align&eacute;s.
+B&eacute;n&eacute;dict passa &agrave; la derni&egrave;re page, et y vit un total qui s'&eacute;talait sur
+six colonnes. Ce total fit r&eacute;fl&eacute;chir B&eacute;n&eacute;dict. Il donna cong&eacute;, vendit
+une partie de ses meubles, et s'assit r&eacute;sol&ucirc;ment devant son piano, dans
+un plus modeste appartement, rue des Martyrs.--Aux heures r&ecirc;veuses,
+B&eacute;n&eacute;dict avait laiss&eacute; s'envoler quelques m&eacute;lodies qui couraient la ville
+<i>incognito</i>, et avaient leur petite part de gaz et de c&eacute;l&eacute;brit&eacute; aux
+caf&eacute;s chantants et aux petits th&eacute;&acirc;tres des boulevards. B&eacute;n&eacute;dict,
+install&eacute; rue des Martyrs, ses amis se retir&egrave;rent peu &agrave; peu de lui,
+comme les rats d'une maison qui craque, lui laissant tous ses loisirs.
+B&eacute;n&eacute;dict fit de s&eacute;rieuses &eacute;tudes d'harmonie; et dix romances dans un
+carton, il se rendit chez Leduc. L'&eacute;diteur trouva la musique charmante;
+mais, toute charmante qu'il d&eacute;clar&acirc;t la trouver, il r&eacute;pondit &agrave; B&eacute;n&eacute;dict
+que cette musique &laquo;ne rentrait pas dans son cadre&raquo;.</p>
+
+<p>B&eacute;n&eacute;dict apprit dans la journ&eacute;e qu'il venait de perdre ses quinze
+derniers mille francs dans une faillite.--Il est vrai qu'il vendit le
+m&ecirc;me jour cinq francs une de ses romances &agrave; un de ses amis. L'ami
+l'ex&eacute;cuta le soir chez un oncle de B&eacute;n&eacute;dict, et il eut le plus grand
+succ&egrave;s.</p>
+
+<p>Il ne jugea pas utile de dire qu'il l'avait achet&eacute;e &agrave; B&eacute;n&eacute;dict. Il
+d&eacute;clara m&ecirc;me que ce pauvre B&eacute;n&eacute;dict n'avait pas le sentiment musical,
+qu'il ne ferait rien de bon de sa vie. Du salon de l'oncle de B&eacute;n&eacute;dict
+la romance passa dans un salon, puis dans un autre; en sorte que l'ami
+de B&eacute;n&eacute;dict fut oblig&eacute; d'acheter une seconde, une troisi&egrave;me, une
+quatri&egrave;me romance, pour se continuer en son talent; et l'ami de B&eacute;n&eacute;dict
+fut pendant l'hiver de l'ann&eacute;e 1847 l'un des hommes les plus heureux de
+Paris.</p>
+
+<p>B&eacute;n&eacute;dict n'avait pas pay&eacute; son terme. L'ami le recueillit chez lui
+g&eacute;n&eacute;reusement; mais quand l'album de B&eacute;n&eacute;dict eut d&eacute;fil&eacute;, et que
+B&eacute;n&eacute;dict un peu d&eacute;courag&eacute; trouva moins, l'ami dit &agrave; B&eacute;n&eacute;dict qu'il &eacute;tait
+oblig&eacute; de manger dans sa famille; de fa&ccedil;on que B&eacute;n&eacute;dict se vit menac&eacute; de
+perdre l'habitude de d&icirc;ner.</p>
+
+<p>B&eacute;n&eacute;dict &eacute;tait comme le Centurion de la pi&egrave;ce espagnole: il aurait pu
+sauter trois fois sans qu'un marav&eacute;dis tomb&acirc;t de sa poche. Il se
+ressouvint qu'il avait pr&ecirc;t&eacute;. Il se mit &agrave; faire tous les jours la battue
+des oblig&eacute;s, arrachant ce qu'on lui devait, tant&ocirc;t quarante sous, tant&ocirc;t
+cent sous, et subsistant ainsi. Mais l'alarme donn&eacute;e de proche en proche
+sur ce cr&eacute;ancier qui demandait l'aum&ocirc;ne, on &eacute;vita B&eacute;n&eacute;dict.</p>
+
+<p>A No&euml;l, B&eacute;n&eacute;dict r&eacute;veillonna rue de Laval, dans un atelier o&ugrave; l'avait
+conduit Ernest, et gagna 3 francs au lansquenet. Le lendemain, avec ses
+3 francs, B&eacute;n&eacute;dict fit monter un sac de pommes de terre chez son ami. Il
+s'agissait d'attendre le jour de l'an, o&ugrave; la tante de B&eacute;n&eacute;dict lui
+donnait 40 francs d'&eacute;trennes. Il attendait ainsi, se couchant quand il
+eut trop faim, la nouvelle ann&eacute;e.</p>
+
+<p>Au commencement de janvier, B&eacute;n&eacute;dict alla rendre visite &agrave; l'atelier de
+la rue de Laval. Il y resta dix-huit mois.</p>
+
+<p>C'&eacute;tait, en cet atelier, le phalanst&egrave;re le plus &eacute;trange qu'on puisse
+voir. Ils &eacute;taient l&agrave;, cinq qui campaient, tous jeunes, et d'une
+confiance effront&eacute;e en la Providence. &Eacute;douard et Paul &eacute;taient peintres;
+Maxence attendait pour savoir ce qu'il serait, et Alfred faisait les
+commissions.--B&eacute;n&eacute;dict habitait, comme je vous ai dit, un divan vert
+au-dessous d'une panoplie. Paul logeait sur quatre planches et un
+matelas. Maxence et &Eacute;douard couchaient dans quelque chose que l'on
+appelait un lit, et Alfred faisait en sorte de dormir sur les quatre
+oreillers du divan de B&eacute;n&eacute;dict rang&eacute;s sur un grand coffre &agrave; bois. Tous
+les matins, il faisait faim &agrave; l'atelier. Avant d&eacute;jeuner, Maxence
+pr&eacute;parait les terrains d'un panneau; &Eacute;douard, pendant ce temps, sabrait
+le ciel; et quand ils avaient fini, Paul en imaginait le motif &agrave; toute
+brosse. Le panneau fini, Alfred le descendait chez le propri&eacute;taire,
+brocanteur singulier, qui avait un magasin de chaussure &agrave; vis rue
+Montmartre, et un magasin de tableaux rue Notre-Dame-de-Lorette. Le
+propri&eacute;taire donnait d'ordinaire cent sous du panneau; et l'on avait de
+quoi d&icirc;ner et d&eacute;jeuner chez Tisserant, au haut de la barri&egrave;re
+Pigale.--B&eacute;n&eacute;dict avait d&eacute;terr&eacute; quelques le&ccedil;ons de solf&eacute;ge et apportait,
+par-ci par-l&agrave;, ses quarante sous &agrave; la caisse. Au beau milieu de cette
+vie de hasard, il composait ses deux belles marches.--Un moment Paul
+faillit faire d&icirc;ner r&eacute;guli&egrave;rement toute la soci&eacute;t&eacute;. Picot, le marchand
+de la rue du Coq-Saint-Honor&eacute;, lui payait vingt sous pi&egrave;ce des cartes de
+visite avec des embl&egrave;mes &agrave; l'aquarelle. Tout le monde s'y mit, m&ecirc;me
+B&eacute;n&eacute;dict. Mais cela ne fut qu'une lueur, et le propri&eacute;taire ayant &eacute;t&eacute;
+<i>br&ucirc;l&eacute;</i> au deux cent quatorzi&egrave;me panneau, on tomba &agrave; d&icirc;ner <i>Au
+D&eacute;sespoir</i>, &agrave; sept sous par t&ecirc;te.</p>
+
+<p>Puis, cela finit comme tous les phalanst&egrave;res qui ne payent pas leur
+terme, par une envol&eacute;e de chacun et par une saisie d'huissier.</p>
+
+<p>B&eacute;n&eacute;dict est devenu... J'allais, Dieu me pardonne! vous le nommer.</p>
+
+<a name="c9" id="c9"></a>
+<br><br>
+
+<h3>LA REVENDEUSE DE MACON</h3>
+
+<p>En remontant la rue qui d&eacute;bouche sur le pont de la Sa&ocirc;ne &agrave; Macon, vous
+trouvez &agrave; gauche une vieille maison en bois.</p>
+
+<p>La maison est trou&eacute;e de petites fen&ecirc;tres carr&eacute;es qui b&acirc;illent,
+&eacute;trangl&eacute;es pendant deux &eacute;tages, entre des colonnes cannel&eacute;es, stri&eacute;es,
+imbriqu&eacute;es, losang&eacute;es, chacune d'un dessin diff&eacute;rent de sa voisine. Sur
+les colonnettes s'appuient des frises peupl&eacute;es de satyres et de femmes
+nues, celles-ci attaquant ceux-l&agrave; &agrave; travers les guirlandes de fleurs en
+ronde-bosse,--na&iuml;ve repr&eacute;sentation mythologique, que les M&acirc;connaises ne
+peuvent regarder qu'en &eacute;chappade. Quelques petites lucarnes aux toits
+pointus, sans volets, laissent entrer au grenier le vent l'hiver, le
+soleil l'&eacute;t&eacute;. Le bois, qui a vieilli et pris les teintes rubiac&eacute;es de
+l'acajou, est marquet&eacute; d'&eacute;criteaux num&eacute;rotant toutes les industries qui
+se sont casern&eacute;es dans cette gigantesque fa&ccedil;ade de bahut. Une tripi&egrave;re,
+un chaudronnier, un marchand de cartons, une fruiti&egrave;re, une
+blanchisseuse, se sont &eacute;tablis entre les piliers de bois. Les mous
+rose-rouge, les malles de carton aux arabesques jaunes, o&ugrave; les filles de
+la campagne apportent leur bagage quand elles viennent &agrave; Paris entrer en
+service, les linges blancs, les camisoles fonc&eacute;es, pendues comme une
+enseigne au-dessus des cuv&eacute;es de savon, les carottes, les potirons
+&eacute;ventr&eacute;s, les chaudronneries cuivr&eacute;es ou toutes noires de fum&eacute;e, tout
+cela fait un tapage de tons et de devantures guenilleuses au pied de la
+maison de bois. Entre la tripi&egrave;re et le cartonnier est une fen&ecirc;tre
+herm&eacute;tiquement ferm&eacute;e dont une persienne est rabattue et l'autre
+seulement entr'ouverte; vous apercevez, sur le rebord de la fen&ecirc;tre,
+quelques poteries de Chine &eacute;br&eacute;ch&eacute;es; vous apercevez, coll&eacute;e &agrave; la
+vitre, une feuille de papier sur laquelle est &eacute;crit: &laquo;Madame Javet,
+marchande en vieux&raquo;, dans le fond de la pi&egrave;ce obscur&eacute;e des
+scintillements de vieil or, et comme dans un kal&eacute;idoscope plein
+d'ombres, les mille couleurs de quelque chose pendu aux murs.</p>
+
+<p>Que si l'amour du rococo vous fait pousser une porte &agrave; c&ocirc;t&eacute; de la
+fen&ecirc;tre, vous entrez de plain-pied dans le domaine sombre et fantastique
+de Goya.</p>
+
+<p>Dans la demi-nuit au milieu de laquelle jouait une &eacute;troite filtr&eacute;e de
+lumi&egrave;re, juch&eacute;e plut&ocirc;t qu'assise sur un grand coffre semblable &agrave; ceux
+des Moresques, apparaissait dans le rayon lumineux une vieille petite
+femme v&ecirc;tue, des pieds &agrave; la t&ecirc;te, de noir, et propre comme pourrait
+l'&ecirc;tre une sorci&egrave;re hollandaise. Deux m&egrave;ches grises couraient sous le
+madras autour de tempes dess&eacute;ch&eacute;es; ses yeux sans couleur s'&eacute;veillaient
+parfois comme les yeux d'un fi&eacute;vreux; ses sourcils &eacute;taient mitan blancs,
+mitan noirs. Elle n'avait pas de l&egrave;vres. Elle &eacute;tait ainsi, tricotant un
+bas de laine noire, et talonnant son coffre, la diabolique petite
+cr&eacute;ature!</p>
+
+<p>--Que veut monsieur?--Elle avait d&eacute;j&agrave; fich&eacute; son &eacute;pingle &agrave; tricoter dans
+ses cheveux, et &eacute;tait d&eacute;j&agrave; &agrave; bas de son coffre.</p>
+
+<p>Elle me fit voir, en trottinant de-ci, de-l&agrave;, comme une souris, des
+fragments de retable en bois dor&eacute;, bon nombre de saints d&eacute;poss&eacute;d&eacute;s de
+leur nez, un gilet paillet&eacute; d'argent qu'elle attribuait &agrave; Louis XV, un
+torse &agrave; la Vierge du <span class="sc">XII</span>e si&egrave;cle au bouton du sein saillant de la robe,
+des pendules de Boule d&eacute;labr&eacute;es, de petits calvaires en chenille
+magnifiquement encadr&eacute;s; puis, en me tendant un petit plat de fa&iuml;ence:
+Un Bernard Palissy!--me dit-elle. Je souris.--Tous les Bernard Palissy,
+madame Javet, ont un craquel&eacute;.....--Ah! vous savez cela!--Elle jeta le
+plat sur un paquet de hardes, d&eacute;crocha un tableau, ouvrit une armoire,
+et me pr&eacute;senta un coquetier, charmant enroulement de plantes grimpantes,
+sign&eacute;es de la gr&acirc;ce, du go&ucirc;t, du faire de l'admirable &laquo;inventeur des
+rustiques figulines du roy&raquo;.--Combien en voulez-vous?--Et &ccedil;a?--fit-elle
+sans r&eacute;pondre, en fouillant dans ce petit coin o&ugrave; j'entrevoyais une
+dizaine de merveilles respect&eacute;es des si&egrave;cles, la fine fleur de la
+curiosit&eacute;, dix bijoux de l'art!--Et &ccedil;a?--C'&eacute;tait une assiette de cristal
+de roche aux chiffres d'Henri II.--Et &ccedil;a encore?--Un &eacute;tui en &eacute;mail de
+Saxe, &agrave; semis de tulipes, ench&acirc;ss&eacute; dans quatre baguettes de vermeil,
+tomb&eacute; de la poche d'une reine le jour d'une r&eacute;volution.</p>
+
+<p>Elle &eacute;piait de l'&oelig;il les objets dans mes mains; elle les suivait, elle
+avan&ccedil;ait &agrave; tous moments vers eux ses doigts crochus.</p>
+
+<p>Je demandai le prix de quelques-uns. Elle me fit des prix fabuleux; elle
+semblait heureuse de me les voir admirer, inqui&egrave;te de me les voir tenir.
+Je marchandai longuement, elle me remontrant, me retirant les
+<i>mirolifiques</i>, les repla&ccedil;ant, puis voulant refermer son armoire et nous
+jetant le regard du libraire espagnol assassin de l'amateur qui venait
+de lui acheter son plus pr&eacute;cieux livre. Je lui offris enfin de son &eacute;tui
+le prix qu'elle voulait. Elle toussa, prit l'&eacute;tui, l'ouvrit, le
+retourna.--Je me suis tromp&eacute;e, j'avais oubli&eacute;. Il est vendu de ce matin.
+Vous aimez la dentelle?--fit la singuli&egrave;re femme en faisant dispara&icirc;tre
+l'&eacute;tui; et, sans me donner le temps de r&eacute;pondre, elle ouvrit le coffre
+sur lequel elle &eacute;tait assise, et fouillant &agrave; pleines mains, elle
+retirait des merveilles arachn&eacute;ennes.--&laquo;Mes
+dentelles!--disait-elle.--Hein! monsieur, elles sont belles?--J'ai un
+fils;--voyez ce picot-l&agrave;!--mon petit &laquo;l'&Eacute;veillot&raquo;, un gamin de dix
+ans.--Allons! venez un peu au jour, mesdemoiselles! anciennes, monsieur,
+tout cela!--L'&Eacute;veillot! Il va bien, cet enfant-l&agrave;! Je lui ai achet&eacute; un
+pantalon blanc! il sert la messe dans tous les couvents d'ici et des
+environs, et quand il revient, il me dit ce qu'a la nappe d'autel,
+combien d'aunes, et s'il y a des trous, si on peut la repiquer. Il aime
+les dentelles, l'&Eacute;veillot.--Tenez, j'ai attendu dix ans une mort pour
+avoir cette gueuse de valencienne-l&agrave;!--Il est comme sa m&egrave;re.&raquo;--La
+guipure, les dentelles de Venise, de G&ecirc;nes, les beaux points d'Alen&ccedil;on
+du <span class="sc">XVIII</span>e si&egrave;cle, les malines brod&eacute;es, les r&eacute;seaux microscopiques de
+Bruxelles passaient sous mes yeux; la marchande s'exaltait et se grisait
+&agrave; parler trac&eacute;, bride, couchure, bouclure, rempli, mode, points gaze,
+mignon, brode.--&laquo;Vous ne savez pas ce que c'est, vous autres! Je me
+rel&egrave;ve la nuit pour les voir!&raquo;--Et elle d&eacute;ployait les dentelles, les
+d&eacute;roulait des cartons bleus, les montrait au jour, les jetait l'une sur
+l'autre, les entassait, les m&ecirc;lait, leur riait, leur souriait! Elle
+sortait toutes ces richesses comme du fond d'une caisse magique ne
+s'&eacute;puisant jamais, et les plus belles et les plus magnifiques venant les
+derni&egrave;res.</p>
+
+<p>Enfin elle retirait une jupe semblable &agrave; cette triomphante jupe de Marie
+de M&eacute;dicis que poss&eacute;dait le marquis de l'Escalopier. De cette jupe,
+madame de Lamartine avait offert quinze cents francs; et des grande
+dames du d&eacute;partement, des mille et des douze cents. Il y a longtemps, au
+reste, que les M&acirc;connaises aiment la dentelle. La chronique du pays
+raconte qu'&agrave; l'entr&eacute;e de Charles IX, le p&egrave;re &Eacute;mot, gardien des
+Cordeliers, fut envoy&eacute; pr&egrave;s du roi, r&eacute;clamer certaine nappe manquant &agrave;
+son couvent. Il trouva en entrant chez le roi madame de Tavannes par&eacute;e
+des ornements de la sacristie, dont son mari, gouverneur de la ville,
+lui avait fait don. &laquo;Le pauvre moine se mit d'abord &agrave; genoux devant
+madame, et dit hautement que l'on ne f&ucirc;t pas surpris de l'honneur qu'il
+rendait &agrave; cette vertugale, puisqu'elle &eacute;tait faite d'une nappe qui
+avait servi si souvent &agrave; l'office divin.&raquo; La dame, en col&egrave;re, lui
+appliqua un soufflet; le roi rit; les r&eacute;clamations en rest&egrave;rent l&agrave;.</p>
+
+<p>Et la marchande causait avec moi de l'h&ocirc;tel Bullion et des collections
+particuli&egrave;res, comme pourrait en causer Gansberg ou Manheim. Des &laquo;Lucca
+della Robbia&raquo; de M. R... aux bijoux de la renaissance de M. de B...,
+elle savait par c&oelig;ur tout le Paris amateur.</p>
+
+<p>--Et M. Sauvageot, madame Javet?</p>
+
+<p>--Une jolie collection. C'est dommage qu'il lui manque... Elle s'arr&ecirc;ta
+et regarda en face.--Oh! rien, rien, reprit-elle.</p>
+
+<p>Comme je sortais et que je regardais encore la maison de bois:--Elle
+n'est pas dans l'alignement,--entendis-je derri&egrave;re moi. Je me retournai.
+Un membre du conseil g&eacute;n&eacute;ral de Sa&ocirc;ne-et-Loire de ma connaissance me
+tendait la main.--Ah! tenez, puisque vous aimez les antiquit&eacute;s, il faut
+que je vous m&egrave;ne chez une vieille dame qui demeure en face, madame L...</p>
+
+<p>Madame L... me promena &agrave; travers trois pi&egrave;ces remplies d'orf&eacute;vrerie, de
+ferronnerie, de marqueterie, de verrerie, d'ivoires, de Saxe, de
+S&egrave;vres, de Faenza; je ne regardai qu'un petit chef-d'&oelig;uvre de la
+serrurerie du <span class="sc">XVI</span>e si&egrave;cle,--une sourici&egrave;re--unique.</p>
+
+<p>La m&egrave;re Javet me guettait sur sa porte.</p>
+
+<p>--Vous avez vu?</p>
+
+<p>--Quoi?</p>
+
+<p>--La sourici&egrave;re, la sourici&egrave;re,--reprit-elle deux ou trois fois en
+hochant la t&ecirc;te.</p>
+
+<p>Quelques jours apr&egrave;s, j'allai faire mes adieux &agrave; madame L... et &agrave; sa
+collection. Le march&eacute; se tenait dans la rue. Les b&oelig;ufs du Charolais
+tra&icirc;naient pesamment leurs charrettes. Les M&acirc;connaises, avec leurs
+petits puffs noirs sur le c&ocirc;t&eacute; de la t&ecirc;te, et leurs chapelets d'oignons
+rouges pendus au bras, criaient et riaient. On me frappa sur
+l'&eacute;paule.--Madame L... est tr&egrave;s-malade,--me dit le monsieur qui nous
+avait introduits chez elle, elle a fait une chute avant-hier en voulant
+&eacute;pousseter ses diables d'&eacute;tag&egrave;res!</p>
+
+<p>J'&eacute;tais &agrave; la porte de madame Javet. J'entrai. Elle &eacute;tait &agrave; sa fen&ecirc;tre et
+ne se retourna pas. Il y avait pr&egrave;s d'elle un charmant petit bonhomme
+aux cheveux blonds fris&eacute;s, qui se haussait sur les pieds et
+tambourinait des doigts sur les vitres, recommen&ccedil;ant sa chanson &agrave; mesure
+qu'elle finissait:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i20"> Grand papa va mourir,</p>
+<p class="i20"> J'aurai sa belle tasse bleue</p>
+<p class="i20"> Qui est sur sa chemin&eacute;e.</p>
+</div></div>
+
+<p>La marchande, le cou tendu, &eacute;tait coll&eacute;e &agrave; la vitre, et son regard fixe
+allait de la fen&ecirc;tre de la malade au bout de la rue. Je me penchai
+derri&egrave;re elle. C'&eacute;tait un pr&ecirc;tre qui d&eacute;bouchait et qui s'avan&ccedil;ait vers
+la maison de madame L..., apportant l'extr&ecirc;me-onction. Madame Javet eut
+un sourire qui montra une rang&eacute;e de petites dents jaunes et d&eacute;chauss&eacute;es.
+Elle marmotta, comme si elle grignotait ses mots: Ma sourici&egrave;re!</p>
+
+<p>L'enfant chantonnait toujours:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i20"> Grand papa va mourir,</p>
+<p class="i20"> J'aurai sa belle tasse bleue</p>
+<p class="i20"> Qui est sur sa chemin&eacute;e.</p>
+</div></div>
+
+<a name="c10" id="c10"></a>
+<br><br>
+<h3>HIPPOLYTE</h3>
+
+<p>La f&eacute;e Guignolant, berceuse de la duchesse de Mazarin, avait &eacute;t&eacute; sa
+marraine. La f&eacute;e Guignolant lui avait fait le tronc et la vue trop
+courts, les jambes, le cou, le nez trop longs,--surtout le nez,--les
+oreilles et les pieds trop grands, les yeux rouges, et encore l'esprit
+fol. Enfant, la f&eacute;e Guignolant lui avait donn&eacute; une peau tendre, des
+verges dures, des versions difficiles, des camarades batteurs, et des
+tartines qui se laissaient toujours choir &agrave; terre du c&ocirc;t&eacute; des
+confitures. Une fois grand, la f&eacute;e Guignolant chercha, chercha,--et le
+fit po&euml;te. Puis par l&agrave;-dessus, elle le fit bureaucrate.</p>
+
+<p>Dans une de ces grandes casernes civiles o&ugrave; d'avoir &eacute;t&eacute; vingt ans assis,
+cela donne des droits, et, trente ans, la croix,--au minist&egrave;re de
+l'agriculture, si je ne me trompe, Hippolyte fut parqu&eacute; avec un
+vieillard appel&eacute; chef de bureau, homme sans pr&eacute;jug&eacute;s, qui tout au milieu
+de ses verts cartons faisait et refaisait sa cuisine, faisait et
+refaisait sa barbe. Le po&ecirc;le o&ugrave; mijotait la cuisine du chef recuisait le
+vieil air du vieux bureau, et des senteurs rances, des empuantissements
+de br&ucirc;l&eacute; ou de sauce &eacute;pandue sur un fumeron, mont&egrave;rent tous les jours au
+nez d'Hippolyte, qui ne put jamais, de ces odeurs, se faire une
+habitude. Puis c'&eacute;tait la barbe; et dans quelque verre, le sien ou bien
+l'autre, le vieillard mettait un morceau de savon et sur un vieux
+papier, tout pr&egrave;s d'Hippolyte, d&eacute;posait les poils gris&acirc;tres et
+blanch&acirc;tres, tout hach&eacute;s menus dans la mousse blanche. Ce qu'Hippolyte,
+crisp&eacute; et nerveux, souffrit, pour deux pauvres mille francs, de cette
+vie en famille, nul ne pourrait le dire; ce qui n'emp&ecirc;cha pas beaucoup
+de gazettes du temps de le traiter, lui et trois cent mille autres, de
+<i>budg&eacute;tivore</i>.</p>
+
+<p>Hippolyte avait fait deux parts de son argent: les pipes et les vieux
+livres; et trois parts de sa vie: les pipes, les vieux livres et les
+femmes.</p>
+
+<p>Les pipes!--c'&eacute;tait le long d'un des murs de sa chambre le plus beau
+mus&eacute;e de <i>belges</i> et de <i>marseillaises</i> culott&eacute;es: toutes les variations
+de ton de la terre et de l'&eacute;cume de mer, la gamme la plus merveilleuse
+de la nuance caf&eacute; au lait &agrave; l'&eacute;b&egrave;ne, et du p&acirc;le &agrave; l'intense, et de
+l'estomp&eacute; au cern&eacute;! Culots nets et dessin&eacute;s comme la petite calotte du
+gland des bois;--le tuyau, cachet&eacute; de cire rouge;--deux clous tenant
+chaque pipe &agrave; la gorge et pendue.--Hippolyte laissait aller ses yeux sur
+elles, avant d'en choisir une, comme un g&eacute;n&eacute;ral qui avant une affaire
+h&eacute;site sur le r&eacute;giment qu'il enverra &agrave; la gloire; ou plut&ocirc;t c'&eacute;tait le
+pacha dont le mouchoir est attendu, et qui s'amuse &agrave; le faire
+attendre.--Lente affaire, et studieuse besogne, qu'une premi&egrave;re pipe!
+Les regards amoureux, et le pouce polisseur qui se prom&egrave;nent sur la
+su&eacute;e! La pipe qui commence &agrave; se teinter!--Hippolyte &eacute;tait tr&egrave;s-beau de
+pose et d'attente patiente, quand il fumait cette premi&egrave;re pipe.
+D'habitude, en cette grave occurrence, une fois assis, il tournait et
+nouait sa grande jambe droite autour de sa grande jambe gauche, comme un
+sarment autour d'un &eacute;chalas.--Et quel d&eacute;boire, quand par malheur la pipe
+&eacute;tait rebelle!--comme celle &agrave; propos de laquelle un mauvais plaisant lui
+dit: &laquo;Ce n'est pas &eacute;tonnant: tu fumes dans un courant d'air.&raquo;--Hippolyte
+courut fermer la fen&ecirc;tre.</p>
+
+<p>Les livres!--Bibliophile, bibliomane, Hippolyte &eacute;tait; et bon vent il
+faisait alors aux bibliophiles. Sur les quais c'&eacute;taient souvent
+trouvailles: manuscrits de Bossuet dans un rayon &agrave; 15 sous; et les
+&eacute;piciers enveloppaient leurs chandelles dans ces chartes de 1400.--Oh!
+de ce c&ocirc;t&eacute;, la mauvaise f&eacute;e Guignolant avait &eacute;t&eacute; battue par la f&eacute;e des
+fureteurs, l'Occasion, bonne f&eacute;e qui avait souri &agrave; Hippolyte tout le
+long de la Seine. Dans sa biblioth&egrave;que d'acajou, Hippolyte tenait
+presque tout son vieux <span class="sc">XVI</span>e si&egrave;cle, disant: bonjour! aux vieux po&euml;tes &agrave;
+tout r&eacute;veil, et: bonsoir! &agrave; tout coucher.--Et le dimanche, grandes
+joies, jour de revue! Le torse ceint d'un gilet de tricot, Hippolyte est
+tout &agrave; ses amis, &agrave; les d&eacute;crasser, &eacute;ponger, gratter, remp&acirc;ter. Aux
+feuilles jaunies, un bain de chlore; une tache de rousseur qui commence
+&agrave; moucheter: vite l'acide oxalique. Si une vilaine larme de graisse en
+un beau feuillet: la poudre min&eacute;rale infaillible. Il les pare, il les
+lave, il les fait beaux, le c&oelig;ur souriant aux grandes marges, aux pages
+immacul&eacute;es, oubliant l'heure, le monde, et son minist&egrave;re,--et parfois
+aussi son pantalon.</p>
+
+<p>Pour l'Amour,--Hippolyte l'aima presque autant que ses pipes et que ses
+livres. Ce qu'il d&eacute;pensa pour les femmes, de vers, est consid&eacute;rable.
+Mais de toutes ses Laures, la plus c&eacute;l&eacute;br&eacute;e, celle envers laquelle
+Hippolyte se montra le plus g&eacute;n&eacute;reux de rimes, ce fut la premi&egrave;re par
+ordre de date: &Eacute;milie V..., une actrice, s&oelig;ur de cette autre actrice qui
+a &eacute;pous&eacute; un pr&eacute;fet. &Eacute;milie V... &eacute;tait alors la Contat de l'Od&eacute;on.
+Hippolyte la vit dans <i>la Famille Cauchois</i> de M. Alexis de Longpr&eacute;,
+&laquo;d&eacute;sesp&eacute;rante de beaut&eacute; et de talent&raquo;. Et tout aussit&ocirc;t portier de la
+ville et portier du th&eacute;&acirc;tre de n'&ecirc;tre occup&eacute;s qu'&agrave; monter chez
+&laquo;l'adorable actrice&raquo; petits papiers, petits rondeaux: &laquo;C'est un rondeau
+redoubl&eacute; qu'entre vos mains, madame, on m'a dit de remettre.&raquo; Tant&ocirc;t
+cela d&eacute;butait:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> V..., vous &ecirc;tes belle entre toutes les femmes!</p>
+</div></div>
+
+<p>Tant&ocirc;t c'&eacute;tait une <i>idylle</i> de Th&eacute;ocrite:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> J'ai grav&eacute; sur le h&ecirc;tre &agrave; V&eacute;nus consacr&eacute;,</p>
+<p class="i16"> Gracieuse V...! votre nom ador&eacute;!</p>
+<p class="i14"> Mon intuition pour chiffre y met ce signe:</p>
+<p class="i14"> Une &acirc;me de colombe avec un corps de cygne!</p>
+</div></div>
+
+<p>Puis un <i>lamento</i>:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> Toujours vous, &ocirc; V...!</p>
+</div></div>
+
+<p>Et le lendemain un cantique &agrave; la R&eacute;gnier:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> Et ce corps amoureux plein d'exquises saveurs!</p>
+</div></div>
+
+<p>Cela &eacute;tait devenu si habituel chez mademoiselle V..., que sa femme de
+chambre ne regardait m&ecirc;me plus dans les lettres dont l'adresse annon&ccedil;ait
+l'&eacute;criture d'Hippolyte. La d&eacute;esse chant&eacute;e, mademoiselle V..., qui avait
+entendu dire que les vers sont de certains mots qu'on met un certain
+temps &agrave; ranger, et qui d'ailleurs ne lisait gu&egrave;re la signature, se fit
+cette illusion que tout le public de l'Od&eacute;on &eacute;tait devenu amoureux
+d'elle,--et po&euml;te; ce qui fit qu'Hippolyte, apr&egrave;s trois encriers vid&eacute;s,
+ne recevant pas de r&eacute;ponse, cessa un beau jour d'envoyer &agrave;
+l'indiff&eacute;rente le journal rim&eacute; de son c&oelig;ur.</p>
+
+<p>A peine gu&eacute;ri de mademoiselle V..., Hippolyte eut une rechute, et se
+remit &agrave; soupirer pour une baronne, dou&eacute;e des cheveux d'une comtesse
+d'Ama&eacute;gui, et du teint d'un drame moderne.--Ici, je crois le moment bon
+pour vous pr&eacute;venir que le pauvre po&euml;te avait pris au s&eacute;rieux la po&eacute;sie
+des autres. Par toutes les &oelig;uvres des chanteurs d'alors ce n'&eacute;taient
+qu'Espagne et qu'Italie, que galantes folies des si&egrave;cles romanesques,
+qu'amours d'escalade, et que rendez-vous au clair de la lune; le po&euml;te
+s'&eacute;tait mis &agrave; ne pas vivre la vie, mais &agrave; la lire. Il croyait aux romans
+comme &agrave; une exp&eacute;rience. Et voil&agrave; que dans cette cervelle de bonne foi
+ainsi retourn&eacute;e par les livres et le th&eacute;&acirc;tre du temps, l'amour prit un
+chemin &eacute;trange et insolite: le chemin des toits. Encore tout chaud
+d'<i>Antony</i>, Hippolyte veut prendre sa ma&icirc;tresse d'assaut.--Si elle me
+re&ccedil;oit, c'est qu'elle m'aime, je l'&eacute;pouse; si elle ne m'aime
+pas...&raquo;--Hippolyte ne poussait jamais plus loin le dilemme. Sa
+r&eacute;solution prise, Hippolyte songea &agrave; l'ex&eacute;cution; et il arriva--ceci est
+historique--qu'en l'une des prosa&iuml;ques ann&eacute;es du dernier r&egrave;gne, ce
+romantique consciencieux demanda &agrave; un de ses amis une lanterne sourde et
+une &eacute;chelle de corde. De cette demande s&eacute;rieuse, les romanciers devaient
+faire plus tard des charges charmantes,--et l'ami n'eut pas piti&eacute;. Il
+n'&eacute;clata pas de rire. Il joua avec cette folie burlesque.--&laquo;Comment! tu
+n'as pas une lanterne sourde et une &eacute;chelle de corde... &agrave; ton &acirc;ge?...
+Cela n'est pas possible!... Mais tout le monde a une lanterne sourde et
+une &eacute;chelle de corde!&raquo;</p>
+
+<p>Hippolyte d&icirc;nait &agrave; cette &eacute;poque &agrave; une table d'h&ocirc;te du boulevard des
+Poissonniers. Il y rencontra Cinthie Fiocardo. Lui et elle, ils
+d&icirc;n&egrave;rent, ils se virent, ils se plurent, la baronne fut oubli&eacute;e, et
+Cinthie devint Philis sous la plume de l'amant:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i30"> O bien-aim&eacute;e!</p>
+<p class="i14"> &Eacute;toile de ma vie, adorable clart&eacute;!</p>
+<p class="i14"> Du soir o&ugrave; je te vis mon c&oelig;ur fut habit&eacute;,</p>
+<p class="i14"> Et sa porte sur toi, ma Philis, s'est ferm&eacute;e!</p>
+</div></div>
+
+<p>Cinthie Fiocardo avait &eacute;t&eacute; chanteuse au th&eacute;&acirc;tre de Pau. Il lui restait
+de sa voix--une guitare.</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i20"> Allons! prends ta guitare,</p>
+</div></div>
+
+<p>lui disait Hippolyte dans la langue des dieux,</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i20"> Et redis-moi ce chant</p>
+<p class="i20"> Que la nuit j'aime tant</p>
+<p class="i20"> En fumant mon cigare!</p>
+</div></div>
+
+<p>Cinthie prenait sa guitare, et elle apprenait &agrave; Hippolyte la romance:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i20"> Fleur des champs,</p>
+<p class="i20"> Brune moissonneuse!</p>
+</div></div>
+
+<p>Hippolyte n'&eacute;tait pas encore de la force de Figaro sur la guitare quand
+il s'aper&ccedil;ut, comme par une r&eacute;v&eacute;lation subite, que Cynthie Fiocardo
+avait cinquante ans,--et de plus qu'elle &eacute;tait maigre. Hippolyte chassa
+Cinthie, et fit le rondeau:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+ <p class="i14"> Je sais fort bien qu'en ce fatal myst&egrave;re,</p>
+<p class="i14"> La faute en est &agrave; monsieur votre p&egrave;re,</p>
+<p class="i14"> Et j'ai honte &agrave; vous dire bas:</p>
+<p class="i20"> Vous &ecirc;tes maigre!</p>
+</div></div>
+
+<p>Pour vengeance, Cinthie mit en lettres incendiaires tous les romans de
+madame Sand, mena&ccedil;ant en post-scriptum l'ingrat de poignard et de
+vitriol; ce qui co&ucirc;ta maintes fois quatre sous au po&euml;te,--et des
+insomnies.</p>
+
+<p>Ce fut &agrave; partir de ce, qu'Hippolyte fit contre la maigreur un serment
+d'Annibal. Il arbora l'enthousiasme de la graisse. Un po&euml;te--qui est
+maintenant un acad&eacute;micien--venait de chanter &laquo;<i>la femme de lit</i>&raquo;. La
+glorification r&eacute;gnait des robustes appas; l'on recommen&ccedil;ait les
+&eacute;pigrammes du vieux Maynard:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> Catherine ne me pla&icirc;t point;</p>
+<p class="i14"> Elle est s&egrave;che comme cannelle,</p>
+<p class="i14"> On ne saurait trouver sur elle</p>
+<p class="i14"> Pour quatre deniers d'embonpoint.</p>
+</div></div>
+
+<p>Toutes les plumes jeunes chantaient la V&eacute;nus dodue. Un souffle de
+paganisme flamand semblait descendu chaud et lourd sur la Po&eacute;sie. Les
+plus timides essayaient un compromis entre le Toucher et l'Id&eacute;al. Un de
+ceux-l&agrave; qui voulaient greffer Jorda&euml;ns sur Memmeling,--un jeune homme
+d'alors,--M. Marc Fournier, &eacute;crivait: &laquo;Chez les disciples du dogme
+nouveau, la femme est chr&eacute;tienne, m&ecirc;me un peu mystique jusqu'&agrave; la
+ceinture, mais pa&iuml;enne de l&agrave; jusqu'au talon... Je te salue, V&eacute;nus pleine
+de gr&acirc;ce!&raquo;--Mais ceux-l&agrave; &eacute;taient trait&eacute;s de vieillards. Les enfants
+terribles chantaient de plus belle:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> Des seins fermes et lourds, au moins c'est positif!</p>
+</div></div>
+
+<p>Et Hippolyte faisait chorus. Il s'&eacute;tait sacr&eacute; le Juv&eacute;nal de l'&eacute;tisie.
+&Eacute;coutez plut&ocirc;t:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> Au nombre des fl&eacute;aux que sur notre h&eacute;misph&egrave;re</p>
+<p class="i16"> Dieu fit pleuvoir dans un jour de col&egrave;re,</p>
+<p class="i14"> Il en est encore un qu'on leur doit ajouter:</p>
+<p class="i14"> En &Eacute;gypte, aussi bien qu'&agrave; Saint-Germain en Laye</p>
+<p class="i14"> Comme &agrave; Paris, partout o&ugrave; la chair peut tenter,</p>
+<p class="i16"> --A mon avis, si je sais bien compter,</p>
+<p class="i16"> La <i>femme maigre</i> est la huiti&egrave;me plaie.</p>
+</div></div>
+
+<p>Ainsi chantant, il advint qu'Hippolyte aper&ccedil;ut aux vitres d'un magasin
+de la rue de Richelieu son id&eacute;al--un id&eacute;al de beaucoup de kilos, vous
+imaginez bien. La forte jeune personne &eacute;tait magnifiquement en chair.
+L'ayant vue, Hippolyte se prit &agrave; rab&acirc;cher &agrave; tous ses amis les charmes
+de l'int&eacute;rieur qu'il r&ecirc;vait: &laquo;De joufflus enfants barbouill&eacute;s enfournant
+de longues tartines..., au nez deux belles chandelles..., la m&egrave;re une
+camisole ouverte, les plis mal rang&eacute;s, &eacute;crasant un de ses seins robustes
+sur la face du dernier n&eacute;..., les langes souill&eacute;s qui s&egrave;chent au feu, un
+air ti&egrave;de l&agrave;-dedans, une atmosph&egrave;re de po&ecirc;le..., l'avant-dernier marmot
+qu'on nettoie dans le fond..., tout ce que Rabelais et Ostade mettent de
+prose et d'humanit&eacute; autour des joies maritales!&raquo;--L'avenir entrevu de
+cette grasse fa&ccedil;on, Hippolyte, qui demeurait au faubourg Saint-Germain,
+se mit &agrave; passer rue de Richelieu, pour aller au minist&egrave;re de
+l'agriculture.</p>
+
+<p>Quelques mots sur l'&eacute;crivain.</p>
+
+<p>Dans cette grande pouss&eacute;e de 1830, entre toutes ces jeunesses et ces
+fougues qui se cherchaient une originalit&eacute;, Hippolyte avait la sienne
+propre. Parfois bien, sa muse n'&eacute;tait qu'une spirituelle &agrave; la suite, une
+suivante du <i>Mardoche</i>. Elle chantait:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> Je suis las de toujours voir la lune qui cogne</p>
+<p class="i14"> Son nez &agrave; la lucarne; on dirait un blanc d'&oelig;uf</p>
+<p class="i14"> Coll&eacute; sur du drap bleu: tableau d'&eacute;picier veuf,
+<p class="i14"> Ami de la campagne et du bois de Boulogne!</p>
+</div></div>
+
+<p>Parfois bien c'&eacute;tait les d&eacute;sesp&eacute;rances &agrave; la mode, et dans lesquelles les
+plus gras et les plus gais gar&ccedil;ons d'alors se drapaient &agrave; l'Hamlet:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i20"> ......... Et plus rien ne me luit</p>
+<p class="i14"> Qu'un repos lourd, inerte, o&ugrave; mon corps par avance</p>
+<p class="i14"> Est comme un soliveau pur de toute souffrance.</p>
+<p class="i14"> Mat&eacute;riel et sec, comme lui gros et rond,</p>
+<p class="i14"> Et couch&eacute; sur le dos, n'ayant plus rien de l'homme</p>
+<p class="i14"> Qu'une masse quelconque, une chose qu'on nomme</p>
+<p class="i14"> Soit dans l'arbre ou le corps du m&ecirc;me nom: le <i>tronc</i>.</p>
+</div></div>
+
+<p>Il ne s'&eacute;tait pas gar&eacute; mieux qu'un autre des ballades &agrave; la Lune, qu'il
+appelait <i>dame Luna</i>, et &agrave; qui il d&eacute;diait force madrigaux intitul&eacute;s: <i>La
+lune qui va au bal</i>.</p>
+
+<p>Ce qui le faisait original, ce n'&eacute;tait pas cette admiration du Ma&icirc;tre
+pouss&eacute;e jusqu'au culte:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> Hugo! ma&icirc;tre divin, resplendissant g&eacute;nie,</p>
+<p class="i14"> Qu'&agrave; l'&eacute;gal de Dieu m&ecirc;me en mon c&oelig;ur je ch&eacute;ris!</p>
+</div></div>
+
+<p>cette idol&acirc;trie courait alors les rues.</p>
+
+<p>Ce n'&eacute;tait pas une petite brochure portant pour titre: <i>Esp&eacute;rance</i>, et
+dirig&eacute;e contre le suicide, qu'il appelait &laquo;le fl&eacute;au de l'humanit&eacute;&raquo;.</p>
+
+<p>Ce n'&eacute;tait pas non plus nombre de vers emport&eacute;s de couleur; et cet assez
+baroque portrait de l'hiver:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i13"> ... Des rameaux crochus les turbulents squelettes</p>
+<p class="i14"> Qui dansent par les airs en se cassant les doigts,</p>
+<p class="i14"> Simulent un combat de portiers en goguettes</p>
+<p class="i18"> S'&eacute;reintant &agrave; coups de balais!</p>
+</div></div>
+
+<p>Chaque jour de ce temps apportait de ces images fr&eacute;n&eacute;tiques et
+nouvelles.</p>
+
+<p>Ce qui faisait l'originalit&eacute; d'Hippolyte, c'&eacute;tait l'amour et le respect
+des grands po&euml;tes du <span class="sc">XVI</span>e si&egrave;cle et ce certains du <span class="sc">XVII</span>e. Ses go&ucirc;ts de
+bibliophile &eacute;taient pass&eacute;s dans ses go&ucirc;ts d'homme de lettres. Il
+trouvait &agrave; tout &eacute;crivain fran&ccedil;ais un anc&ecirc;tre, en ce vrai grand si&egrave;cle.
+Il donnait &agrave; cette passion de retrouver ces gloires anciennes sous les
+gloires plus modernes tout le charme d'un paradoxe vraisemblable. Le sel
+et l'agr&eacute;ment de cette langue toute riche l'avaient pris et le tenaient.
+Toutes ces c&eacute;l&eacute;brit&eacute;s, tomb&eacute;es en jach&egrave;re, lui faisaient sa compagnie
+d'esprit; et &laquo;il vivait, et il couchait, s'il se peut dire, avec elles
+dans toute la religion d'un cher et pur silence.&raquo; Dans les sublimes
+beaut&eacute;s des <i>Tragiques</i>, beaut&eacute;s que Corneille n'&eacute;gala pas, il
+retrouvait un accent du <i>Roi s'amuse</i>. Il r&eacute;v&eacute;rait les oubli&eacute;s des
+anciens si&egrave;cles comme les p&egrave;res du n&ocirc;tre. L&agrave;, il avait un arsenal pour
+la pol&eacute;mique parl&eacute;e; et il en savait par c&oelig;ur toutes les armes. En son
+exclusivisme, aux Boileau il vous r&eacute;pondait par les R&eacute;gnier; aux Piron
+par les Scarron et les Saint-Amand; aux Jean-Baptiste Rousseau par les
+Th&eacute;ophile; aux Delille par les Vauquelin de la Fresnaye; aux Parny, aux
+Bertin par les Marot, les Saint-Gelais, les Desportes; aux Malherbe par
+les Ronsard; aux Ducis, aux Ch&eacute;nier par les Alexandre Hardy, les Mairet,
+les Robert Garnier; aux Voltaire, aux Cr&eacute;billon par les Cyrano de
+Bergerac, les du Ryer, les Tristan; aux Racine m&ecirc;me il r&eacute;pondait par les
+N&eacute;r&eacute;e et les Pradon, et aux Corneille par les Rotrou.--Ne s'avisa-t-il
+pas de rimer toutes ces opinions biscornues en vers libres, de les faire
+imprimer en fa&ccedil;on de <i>canard</i>!</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i18"> De par saint George et sainte Th&egrave;cle,</p>
+<p class="i14"> Ce fut un grand pass&eacute; que le seizi&egrave;me si&egrave;cle,</p>
+</div></div>
+
+<p>et le <i>canard</i>, imprim&eacute; chez Beaudoin, rue des Boucheries-Saint-Germain,
+n'eut-il pas l'id&eacute;e de vouloir le jeter lui-m&ecirc;me et en personne du haut
+du paradis de l'Od&eacute;on!--Au Jean Journet litt&eacute;raire on eut grand'peine &agrave;
+faire entendre raison. Il ne se rendit que sur cette observation amicale
+&laquo;que cela pourrait mettre le feu au lustre&raquo;.</p>
+
+<p>Lorsque Hippolyte envoya son volume de vers, <i>les Amours</i>, &agrave; ses
+confr&egrave;res, les confr&egrave;res lui r&eacute;pondirent, ceux-ci: &laquo;Vous avez du g&eacute;nie&raquo;,
+et ceux-l&agrave;: &laquo;Ce n'est pas moi qui suis po&euml;te, c'est vous.&raquo; Hippolyte eut
+la na&iuml;vet&eacute; de ne pas prendre cela pour de l'eau b&eacute;nite de litt&eacute;rature.</p>
+
+<p>Hippolyte &eacute;tait tr&egrave;s-simple.--Longtemps Henry Monnier se donna aupr&egrave;s de
+lui comme un homme sans relations, d&eacute;sirant se produire; et c'&eacute;tait une
+com&eacute;die charmante, qu'Hippolyte lui proposant de le pr&eacute;senter &agrave; deux ou
+trois pauvres petites c&eacute;l&eacute;brit&eacute;s &agrave; lui connues.</p>
+
+<p>Deux de ses amis firent d'Hippolyte, l'un le portrait, l'autre la charge
+en pl&acirc;tre. Hippolyte dans sa charge n'avait pas un nez. Il avait une
+trompe. La m&egrave;re d'Hippolyte mit le portrait d'Hippolyte je ne sais o&ugrave;;
+et la charge d'Hippolyte sur la chemin&eacute;e de sa chambre, disant que
+&laquo;c'&eacute;tait mieux son portrait que l'autre&raquo;.--C'est cette charge qu'un
+jour, o&ugrave; toute une joyeuse soci&eacute;t&eacute; s'&eacute;tait abattue chez Hippolyte, le
+diabolique Ourliac fit respirer devant Hippolyte, &agrave; une femme &eacute;vanouie,
+qui aspirait de confiance.</p>
+
+<p>Hippolyte ne s'habillait comme personne. Il s'habillait comme lui-m&ecirc;me
+pour ainsi parler.--A un bal de noces, on la vit en habit noir, avec un
+gilet &agrave; carreaux rouges, et des gants couleur de chair.--Sur
+l'observation qu'on lui fit de l'&eacute;tranget&eacute; d'un pareil gilet en pareille
+circonstance, Hippolyte boutonna son habit; et ainsi, son gilet passant
+entre le noir de l'habit et le noir du pantalon, il semblait porter une
+ceinture de flanelle rose.</p>
+
+<p>Hippolyte avait si fort chant&eacute;--de Paris--<i>les purs baumes de l'air</i>,
+<i>des oiseaux le chant clair</i>, l'<i>herbe qui s'emplit de fleurs</i> et les
+<i>jeunes moissons qui recouvrent du vallon la gorge en</i><i>core frileuse</i>;
+il avait, dis-je, si bien chant&eacute;, qu'il lui prit envie d'aller v&eacute;rifier
+la nature. Il partit pour Fontainebleau. A Fontainebleau, il alla dans
+un grand chemin de la for&ecirc;t. Rien que des arbres de chaque c&ocirc;t&eacute;. Peur
+lui vint. Il retourna &agrave; la ville, entra dans un cabinet de lecture, et
+s'attabla &agrave; un roman si int&eacute;ressant qu'il passa trois jours &agrave; le lire,
+et regagna Paris au bout des trois jours, fort &eacute;difi&eacute;, et de plus belle
+&eacute;pris des &laquo;parfums du ciel&raquo; et des &laquo;chansons de l'arbre&raquo;.</p>
+
+<p>Tellement quellement, ainsi que je viens de vous narrer, dou&eacute; et pourvu,
+le po&euml;te se maria,--avec la permission de M. le maire cette fois. La loi
+et l'&eacute;glise firent de la demoiselle de boutique de la rue Richelieu sa
+moiti&eacute; l&eacute;gitime. A sa noce, Hippolyte eut un t&eacute;moin ventriloque; le
+lendemain, il trouva sa femme &agrave; balayer toute sa correspondance
+amoureuse, et cette collection de m&egrave;ches de cheveux qui lui &eacute;taient si
+ch&egrave;res! Il prit un logement pour s'&eacute;tablir en m&eacute;nage. La chambre tirait
+le jour par des fen&ecirc;tres au ras du plancher qui vous &eacute;clairaient
+par-dessous comme une rampe de th&eacute;&acirc;tre. Un enfant lui vint. Il
+d&eacute;m&eacute;nagea en un autre logement. Celui-ci &eacute;tait tellement en pente que
+le berceau de l'enfant plac&eacute; le soir pr&egrave;s du lit, se trouvait le matin
+contre la porte. Il d&eacute;m&eacute;nagea encore. Il se trouva log&eacute; place
+Saint-Jacques--juste en face la guillotine. Une fois l&agrave;, Hippolyte se
+mit &agrave; &ecirc;tre malade, et &agrave; se laisser mourir--crainte d'un coup de
+bistouri.</p>
+
+<p>Hippolyte mort,--ne croyez pas que la f&eacute;e Guignolant l&acirc;che encore sa
+proie.--Les amis r&eacute;unis &agrave; l'&eacute;glise attendent une heure, deux heures...
+Rien ne vient. On va fumer une cigarette au Luxembourg. De joyeux
+croque-morts passent. On les aborde. On leur demande, croyant
+plaisanter, s'ils cherchent quelqu'un. On &eacute;tait tomb&eacute; juste. Les joyeux
+croque-morts cherchaient Hippolyte. L'adresse avait &eacute;t&eacute; mal donn&eacute;e. Ils
+&eacute;taient all&eacute;s rue Saint-Jacques au lieu d'aller faubourg
+Saint-Jacques.--Enfin les joyeux croque-morts mettent la main sur M.
+Hippolyte... Bon! la bi&egrave;re est trop petite.--On retourne, on cherche, on
+trouve; ah! celle-ci va au corps.--On charge, on fouette, on arrive &agrave;
+l'&eacute;glise, on d&eacute;charge, on pose sur les tr&eacute;teaux.--Tous les amis &eacute;taient
+partis.--On chante, on bourdonne, on asperge, on recharge, on remporte,
+on refouette;--et derri&egrave;re le corbillard marche tout seul l'enfant
+d'Hippolyte, mordant une belle pomme verte.</p>
+
+<a name="c11" id="c11"></a>
+<br><br>
+
+<h3>LE PASSEUR DE MAGUELONNE</h3>
+
+<p>Le Lez est une jolie rivi&egrave;re avec ses iris jaunes. Suivez-le une heure
+en sortant de Montpellier, et vous entrerez en un pays &eacute;trange. Pass&eacute;
+les saules du hameau de Lattes, il n'y a plus d'arbres, il n'y a plus
+d'ombre. Ici finit la terre de France. Il se d&eacute;roule devant vous une
+lande sans borne toute coup&eacute;e de flaques d'eau. Ce ne sont plus, jusqu'&agrave;
+la M&eacute;diterran&eacute;e, que des &eacute;tangs envahis d'herbes et de steppes
+mar&eacute;cageuses o&ugrave; le ciel, en se refl&eacute;tant, laisse tomber de loin en loin
+un morceau de lapis. Les joncs, les tamaris, les ronces, jettent leur
+manteau vert sur les eaux qui fermentent. Les touffes de soude et de
+varech tachent de longues langues de sable. En ce d&eacute;sert l&eacute;zard&eacute; par la
+mer envahissante, sem&eacute; d'&icirc;lots de terre br&ucirc;l&eacute;e, et propice au mirage
+comme le Sahara, quelques cavales blanches filent &agrave; l'horizon comme des
+fl&egrave;ches d'argent. Pour un passant qui passe, des troupes de taureaux
+s'effarent. Dans les canaux encaiss&eacute;s qui traversent le marais, de
+lourds bateaux &agrave; dragues dorment, leurs roues &agrave; godets immobiles. Plus
+les chants, plus les cris, plus les joyeux appels de la Provence! Il
+fait silence. Le sol vermineux pullule de scorpions. L'air charrie des
+nu&eacute;es de moustiques et de moucherons. Par le paysage d'or p&acirc;le volent
+des milliers d'oiseaux aquatiques; et m&ecirc;me parfois les flamants
+navigateurs, rang&eacute;s en file, fr&ocirc;lent les plus hauts roseaux, d&eacute;ployant
+au soleil leurs ailes flamboyantes, joyeux de cette &Eacute;gypte retrouv&eacute;e.</p>
+
+<p>Aupr&egrave;s d'une hutte conique en joncs, wigham de Huron trempant dans la
+boue, s'&eacute;vase une mare o&ugrave; g&icirc;t, sombr&eacute;e, la carcasse d'un vieux bateau.
+Au bord de la mare, pieds nus, jupe rouge et jupe bleue, deux petites
+filles, l'une accroupie, l'autre &agrave; genoux, font de grands jeux dans
+l'eau. Leurs petits cheveux blonds leur courent gentiment sur la t&ecirc;te;
+leurs petites jupes carr&eacute;es et tombant droit des brassi&egrave;res &agrave; la moiti&eacute;
+de leurs petites jambes brunies, reluisent au clair soleil qui s'amuse &agrave;
+jeter sur les plis de la vieille cotonnade des pointes de bel outre-mer
+et de beau vermillon. Le soleil remonte tout le long et mord aux petites
+filles un bout de cou h&acirc;l&eacute;, et ces petits cheveux follets, qui marquent
+sur la nuque des enfants de la campagne comme une petite ligne blanche.
+La lumi&egrave;re les inonde toutes deux, met &agrave; ce groupe la couleur tapageuse
+d'une aquarelle de Lessore. Les deux enfants se penchent vers la mare,
+allongeant les bras, sans grand souci de se mouiller les poignets. Elles
+lancent &agrave; l'eau un petit poisson mort, et le petit poisson se retourne
+et se met sur le flanc &agrave; la surface. Elles le rattrapent, elles le
+rejettent pour voir s'il nagera mieux; et ce sont grandes joies et
+f&eacute;licit&eacute;s d'enfants, &agrave; ces petites, de souffler l'eau morte pour faire
+un peu aller le cadavre d'argent, et de le pousser du doigt, la plus
+petite se mouillant encore plus que la plus grande.</p>
+
+<p>Derri&egrave;re les enfants, &agrave; l'ombre de la hutte, sur une chaise recouverte
+d'une vieille tapisserie, est assise une jeune femme en costume de
+mari&eacute;e, une couronne de fleurs blanches sur la t&ecirc;te, un bouquet au c&ocirc;t&eacute;.
+La jeune mari&eacute;e regarde insouciamment la ruine de Maguelonne qui se
+dresse dans la mer en face d'elle.</p>
+
+<p>Maguelonne! le long pass&eacute;! Maguelonne! la croisade pr&ecirc;ch&eacute;e par Urbain
+II! Maguelonne! Alexandre III sur la haquen&eacute;e blanche, encombrant de son
+cort&egrave;ge pontifical le pont d'une lieue! Maguelonne! la chanoinerie de
+doulce beuverye! Maguelonne! le <i>convivium generale</i>, et le bon vin
+clairet, et les crespets &agrave; l'hypocras! le <i>convivium generale</i> avec la
+sauce au poivre de la Saint-Michel &agrave; P&acirc;ques et la sauce au verjus de
+P&acirc;ques jusques &agrave; la Saint-Michel! Maguelonne! le manuscrit d'Apicius <i>in
+re coquinaria</i>, retrouv&eacute; sous les cuisines du monast&egrave;re! Maguelonne! la
+ville! Maguelonne! la forteresse! Maguelonne! l'&eacute;v&ecirc;ch&eacute;! Maguelonne! la
+cath&eacute;drale! Maguelonne! la d&eacute;serte! Maguelonne! une ferme! Maguelonne!
+les go&euml;lands sur la plage! Maguelonne! les sabots des chevaux sur les
+tombes &eacute;piscopales!</p>
+
+<p>Le soleil tourne la hutte; la t&ecirc;te de la jeune femme est encore blottie
+dans l'ombre; mais le soleil va la gagner. Un homme &agrave; barbe noire, &agrave;
+membres robustes, sort prendre un vieux morceau de voile, il le jette
+au-dessus de la t&ecirc;te de la mari&eacute;e, sur des pieux qui servent &agrave; s&eacute;cher
+les filets.</p>
+
+<p>Pauvre femme, pauvre homme et pauvres enfants!</p>
+
+<p>Dans un faubourg d'Arles,--c'&eacute;tait un soir de noce. La gaiet&eacute; disait:
+noce de petites gens; le heurt des verres disait: noce de braves gens;
+les chansons disaient: noces de jeunes gens.--Ils &eacute;taient en beaux
+habits; elle &eacute;tait en belle robe. On porta des sant&eacute;s de la soupe au
+dessert; il avait vingt ans, elle en avait seize. Le mari&eacute; regardait la
+mari&eacute;e; la mari&eacute;e regardait le mari&eacute;: ils se souriaient en
+l'avenir.--Une chanson, le mari&eacute;! Une chanson &agrave; la mari&eacute;e!</p>
+
+<p>Et lui se leva; elle rougit. Il chanta:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> La belle coum&eacute; lou printemps</p>
+<p class="i14"> Nous rebiscoule et nous counsolou,</p>
+<p class="i14"> N'a qu'a paraisse, et tout d'un temps</p>
+<p class="i14"> D&eacute; pl&eacute;si lou cor nous tr&eacute;molou!</p>
+</div></div>
+
+<p>--D&eacute; pl&eacute;si lou cor nous tr&eacute;moulou! reprirent-ils en ch&oelig;ur, et de fait la
+belle Rosalie valait bien tout le patois du monde. Le riant sourire et
+les blanches dents, les noirs cheveux et les noirs yeux, les longs cils
+et le joli nez droit, le front bomb&eacute; et la peau dor&eacute;e, la grande taille
+et les petits pieds; la jolie mari&eacute;e et le beau marbre grec! Au dernier
+lundi de P&acirc;ques, sur la promenade, les filles d'Arles, en leurs plus
+riches atours, en leur plus bel orgueil, ont couronn&eacute; Rosalie reine de
+la beaut&eacute;. Un Marseillais, qui avait un grand caf&eacute; sur la Cannebi&egrave;re,
+lui a propos&eacute; mariage pour la mettre dans son comptoir; un riche
+confiseur de Lyon a suivi le cafetier marseillais. De N&icirc;mes, de
+Toulouse, sont venus des cafetiers, des confiseurs, des p&acirc;tissiers, des
+saucissotiers; elle les a refus&eacute;s tous comme ceux d'Arles. Des jeunes
+gens lui ont fait des bouquets et ont gliss&eacute; des lettres dedans. Rosalie
+a donn&eacute; les bouquets &agrave; ses amies, et a jet&eacute; les lettres au feu. Un
+grand jeune homme, renomm&eacute; trompeur, menant bonne guerre aux jolies
+filles, a tourn&eacute; autour d'elle longtemps; elle lui a fait les cornes; et
+l'autre est revenu &agrave; ses amis la l&egrave;vre pinc&eacute;e et l'oreille basse comme
+un homme qui pense &agrave; quelque chose de mal.</p>
+
+<p>Son amoureux n'a gu&egrave;re grand'chose: un petit clos et une maisonnette.
+Mais quoi! c'est son amoureux.</p>
+
+<p>Les lumi&egrave;res de la table dansaient sur les haies du petit clos, et la
+maisonnette, de la cave au grenier, chantait l'amour.--La mari&eacute;e &eacute;tait
+mont&eacute;e &agrave; sa chambre; elle &eacute;tait d&eacute;j&agrave; couch&eacute;e: en bas elle entendait les
+derniers refrains et les paroles d'adieu. Voil&agrave; que la fen&ecirc;tre s'ouvrit,
+et elle regarda... La peur la prit; elle poussa un cri. Son mari, qui
+venait d'entrer, la trouva &eacute;vanouie, et vit comme un homme qui sautait
+par-dessus la haie de l'enclos. La mari&eacute;e eut le transport toute la
+nuit.--Le lendemain on trouva dans le jardin une t&ecirc;te de mort et un drap
+de lit.--Le mari comprit; il devina qui s'&eacute;tait veng&eacute;.</p>
+
+<p>La malade fut trois jours entre la vie et la mort; quand elle se reprit
+&agrave; vivre,--Rosalie &eacute;tait idiote. Le mari songea &agrave; l'abandonn&eacute;e cr&eacute;ature,
+s'il venait &agrave; mourir, lui; il ne dit mot &agrave; l'assassin; mais, comme il le
+rencontrait tous les jours, de peur d'un malheur, il se d&eacute;cida &agrave; quitter
+la ville. Et puis il y a des gens m&eacute;chants qui prennent plaisir &agrave; rire
+des pauvres affol&eacute;s, les montrant au doigt et &eacute;clatant en moqueries peu
+chr&eacute;tiennes. Sa maison vendue, un fusil sur l'&eacute;paule, quelques &eacute;cus de
+cent sous dans sa bourse de cuir, le mari vint droit &agrave; ce d&eacute;sert, b&acirc;tit
+sa hutte lui-m&ecirc;me, acheta un bateau avec lequel il passe les &eacute;trangers
+qui vont visiter Maguelonne. Il chasse la macreuse; il p&ecirc;che le poisson
+que la temp&ecirc;te jette en ces bourbeuses lagunes; il ramasse sur le sable
+les insectes, portant ses curieuses trouvailles aux entomologistes
+d'alentour, et faisant souvent affaires avec M. Crespon.</p>
+
+<p>Cet argent qu'il gagne ainsi, ce sont les fleurs blanches, c'est la robe
+blanche, c'est le voile blanc, c'est le costume de mari&eacute;e que, dans sa
+douce folie, Rosalie n'a pas voulu quitter et veut porter tous les
+jours. Toute l'ambition du passeur est que ce costume soit toujours
+renouvel&eacute;, toujours blanc, toujours frais comme au matin de leur union;
+et la femme passe ainsi ses journ&eacute;es enti&egrave;res dans sa robe blanche, &agrave;
+regarder la mer bleue.</p>
+
+<p>Tout mis&eacute;rable qu'il est, le passeur a tout tent&eacute; pour la gu&eacute;rir; la
+m&eacute;decine a &eacute;t&eacute; impuissante. Elle lui a fait esp&eacute;rer un moment que la
+naissance d'un enfant pourrait amener une crise; Rosalie a eu deux
+enfants, et la crise n'est pas venue.</p>
+
+<p>Une fois il l'a prise dans sa barque, et comme il a trouv&eacute; une lueur de
+plaisir dans ses yeux, souvent il l'emm&egrave;ne en mer; et les p&ecirc;cheurs, &agrave;
+voir passer cette femme v&ecirc;tue de blanc, assise, immobile, une main
+tra&icirc;nante dans l'eau, saluent comme un pr&eacute;sage cette madone de la
+M&eacute;diterran&eacute;e, et se disent: Bonne mer et bonne p&ecirc;che!</p>
+
+<a name="c12" id="c12"></a>
+<br><br>
+
+<h3>PETERS</h3>
+
+<p class="mid">HENRI.</p>
+
+<p>Dis donc, Albert, si nous allions passer l'&eacute;t&eacute; aux environs de la
+France?</p>
+
+<p class="mid">ALBERT.</p>
+
+<p>Trouve-moi un trou o&ugrave; il y ait du caporal et o&ugrave; il n'y ait pas de sites
+&agrave; aller voir,--je suis ton homme.</p>
+
+<p class="mid">HENRI.</p>
+
+<p>Je chercherai.--Si nous allions &agrave; Londres?</p>
+
+<p class="mid">ALBERT.</p>
+
+<p>Merci. Un pays o&ugrave; il y a presque autant d'Anglais qu'&agrave; Naples! Ils ont
+tout mis en deuil, ces diables d'Anglais! m&ecirc;me le vin: leur vin, c'est
+du <i>porter</i>.</p>
+
+<p class="mid">THOMAS.</p>
+
+<p>Allez en Suisse.</p>
+
+<p class="mid">ALBERT.</p>
+
+<p>Une r&eacute;publique d'aubergistes!</p>
+
+<p class="mid">THOMAS.</p>
+
+<p>Allez &agrave; Constantinople.</p>
+
+<p class="mid">ALBERT.</p>
+
+<p>Allez au diable.</p>
+
+<p class="mid">ADOLPHE.</p>
+
+<p>Ah &ccedil;&agrave;, toi, Albert, est-ce que tu ne reviens pas de quelque part?</p>
+
+<p class="mid">ALBERT.</p>
+
+<p>Je crois que oui, d'Allemagne... Des paysans qui fument des pipes de
+porcelaine; beaucoup de diplomates: une bouteille de bi&egrave;re sur un volume
+de Schiller; et un soleil que le bon Dieu mouche bien trois fois par
+an..... C'est la patrie des conseillers auliques, des redingotes &agrave;
+brandebourgs et des lits non bord&eacute;s... Voil&agrave; mes impressions de voyage.</p>
+
+<p class="mid">CHARLES.</p>
+
+<p>Tu &eacute;tais l'ann&eacute;e derni&egrave;re &agrave; Saint-P&eacute;tersbourg?</p>
+
+<p class="mid">ALBERT.</p>
+
+<p>Et il y a deux ans au Caire.--Croirais-tu que <i>Bonino Cr&eacute;tin</i>, c'est
+&eacute;crit sur la petite pyramide?</p>
+
+<p class="mid">THOMAS.</p>
+
+<p>Pourquoi diable voyagez-vous?</p>
+
+<p class="mid">ALBERT.</p>
+
+<p>Je ne me le suis jamais demand&eacute;.--Parbleu! pour &ecirc;tre revenu!</p>
+
+<p class="mid">CHARLES.</p>
+
+<p>Sais-tu, Albert, que tu ferais un gros livre de tes voyages?</p>
+
+<p class="mid">ALBERT.</p>
+
+<p>Oui,--si je n'avais pas lu d'Alembert: <i>Les voyageurs sont les livres
+des convalescents: ils bercent doucement le lecteur.</i></p>
+
+<p class="mid">THOMAS.</p>
+
+<p>Qui vient &agrave; la campagne dimanche?</p>
+
+<p class="mid">CHARLES.</p>
+
+<p>L'adresse de l'idylle?</p>
+
+<p class="mid">THOMAS.</p>
+
+<p>On y va par une barri&egrave;re... Un rustique cabaret, coiff&eacute; de verdure comme
+un Bacchus antique!--Une hospitalit&eacute;, un accueil, une habitude! Quand
+vous &ecirc;tes deux,--bottes contre bottines,--on ne vous donne qu'un verre.</p>
+
+<p class="mid">ALBERT.</p>
+
+<p>C'est tr&egrave;s-joli cela, dans les romans... Quelque bouchon, son cabaret!
+Un rendez-vous d'amours qui mangent &agrave; la gamelle!</p>
+
+<p class="mid">ADOLPHE.</p>
+
+<p>Eh l&agrave;! passez-moi un cigare.</p>
+
+<p class="mid">THOMAS.</p>
+
+<p>Es-tu retourn&eacute; chez madame de S...?</p>
+
+<p class="mid">ALBERT.</p>
+
+<p>Non. C'est compos&eacute; comme une table d'h&ocirc;te. Il y a des gens qui lisent...
+on m'a dit que c'&eacute;tait des vers. Elle lit aussi. Je crois qu'elle va
+publier quelque chose.</p>
+
+<p class="mid">CHARLES.</p>
+
+<p>Son acte de naissance?</p>
+
+<p class="mid">THOMAS.</p>
+
+<p>Ses trente-cinq ans sont discrets comme une femme de chambre du Marais.</p>
+
+<p class="mid">HENRI.</p>
+
+<p>Qui a vu la f&eacute;erie?</p>
+
+<p class="mid">ALBERT.</p>
+
+<p>Un pauvre vaudeville!--J'ai toujours r&ecirc;v&eacute; de faire une f&eacute;erie, moi.
+C'est le diable, une f&eacute;erie, savez-vous? Il faut &ecirc;tre un po&euml;te
+d'impossibilit&eacute;s, chim&eacute;rique &agrave; toute bride, b&ecirc;te comme un r&ecirc;ve, et fou
+comme un cauchemar... Il faudrait deux, trois costumiers qui
+s'appelleraient Callot, Goya...</p>
+
+<p class="mid">THOMAS.</p>
+
+<p>Pardon, Albert.--Et ta Lydie, Charles?</p>
+
+<p class="mid">CHARLES.</p>
+
+<p>Une femme pour qui j'ai pouss&eacute; l'amour jusqu'&agrave; lui apprendre &agrave; faire des
+b&acirc;tons, parole d'honneur!--Messieurs, Lydie s'est jet&eacute;e &agrave; l'eau, d'amour
+pour moi...</p>
+
+<p class="mid">ALBERT.</p>
+
+<p>Dans la Garonne?</p>
+
+<p class="mid">CHARLES.</p>
+
+<p>... Et elle m'a &eacute;crit, me demandant deux cents francs pour se s&eacute;cher.</p>
+
+<p class="mid">HENRI.</p>
+
+<p>Tu lui as r&eacute;pondu?</p>
+
+<p class="mid">CHARLES.</p>
+
+<p>Je lui ai r&eacute;pondu que j'&eacute;tais d&eacute;m&eacute;nag&eacute;.</p>
+
+<p class="mid">THOMAS.</p>
+
+<p>As-tu vu le platonique Ernest ces jours-ci?</p>
+
+<p class="mid">HENRI.</p>
+
+<p>Oui. Il marche toujours sur du P&eacute;trarque.</p>
+
+<p class="mid">THOMAS.</p>
+
+<p>Et Ren&eacute;?</p>
+
+<p class="mid">ALBERT.</p>
+
+<p>Il est toujours content de lui comme une &eacute;pith&egrave;te neuve.</p>
+
+<p class="mid">HENRI.</p>
+
+<p>Est-ce que Samuel est mort? On ne le voit plus.</p>
+
+<p class="mid">CHARLES.</p>
+
+<p>On le disait mari&eacute; l'autre jour.</p>
+
+<p class="mid">THOMAS.</p>
+
+<p>Des deux mains?</p>
+
+<p class="mid">CHARLES.</p>
+
+<p>Des deux mains...--Une veuve qui a un grain de beaut&eacute;, l'&acirc;ge d'une
+veuve, et voiture.</p>
+
+<p class="mid">ADOLPHE.</p>
+
+<p>Diavolo!</p>
+
+<p class="mid">HENRI.</p>
+
+<p>O&ugrave; l'avait-il rencontr&eacute;e, cette veuve?</p>
+
+<p class="mid">ALBERT.</p>
+
+<p>Chez Foy.</p>
+
+<p class="mid">CHARLES.</p>
+
+<p>A propos, j'y pense. Albert, veux-tu te marier?... 150 000 fr. de dot.</p>
+
+<p class="mid">ALBERT.</p>
+
+<p>Aimes-tu les jardins dessin&eacute;s par le N&ocirc;tre?</p>
+
+<p class="mid">CHARLES.</p>
+
+<p>Hein?... justement le parc du papa est une de ses cr&eacute;ations.</p>
+
+<p class="mid">ALBERT.</p>
+
+<p>Il y a, n'est-ce pas, de grandes all&eacute;es &agrave; angle droit?... Les arbres
+sont taill&eacute;s &agrave; pic, de vrais murs... C'est de la g&eacute;om&eacute;trie
+pittoresque... Les gens qui vaguent dans les all&eacute;es les mouvements de
+terrain, les r&eacute;duits verts, les lignes de buis, la pi&egrave;ce d'eau, toute
+votre promenade, vous la savez par c&oelig;ur du haut du perron... H&eacute;las! mon
+cher, j'aime encore, encore un peu le jardin anglais, les &eacute;chappades
+d'horizon, les surprises et les rencontres, un voile vert au d&eacute;tour
+d'une all&eacute;e, les massifs qu'on ne devinait pas, le parc qui a l'air de
+s'&ecirc;tre dessin&eacute; tout seul, l'impr&eacute;vu d'une v&eacute;g&eacute;tation libre... ce qui
+fait que je te remercie, et que je me garde gar&ccedil;on.</p>
+
+<p class="mid">HENRI.</p>
+
+<p>Dis donc, j'ai voyag&eacute; avant-hier en chemin de fer avec un monsieur qui
+faisait des n&oelig;uds &agrave; son mouchoir pour se rappeler les points de vue!</p>
+
+<p class="mid">CHARLES.</p>
+
+<p>Ah! vous savez que Rodrigue est revenu de Californie?</p>
+
+<p class="mid">THOMAS.</p>
+
+<p>Qu'est-ce qu'il a rapport&eacute;?</p>
+
+<p class="mid">CHARLES.</p>
+
+<p>Deux pi&egrave;ces de cent sous en or.</p>
+
+<p class="mid">HENRI.</p>
+
+<p>Et son amour, est-ce fini?</p>
+
+<p class="mid">CHARLES.</p>
+
+<p>C'est ferm&eacute;. Mais je crains bien que &ccedil;a ne se rouvre.</p>
+
+<p class="mid">THOMAS.</p>
+
+<p>Venez-vous ce soir au boulevard?</p>
+
+<p class="mid">ADOLPHE.</p>
+
+<p>Qu'est-ce qu'il y a &agrave; voir?</p>
+
+<p class="mid">CHARLES.</p>
+
+<p>Un drame tr&egrave;s-beau!... Cent cinq repr&eacute;sentations, mon cher!</p>
+
+<p class="mid">HENRI.</p>
+
+<p><i>Jocko</i> en a eu deux cents.</p>
+
+<p class="mid">THOMAS.</p>
+
+<p>J'ai rencontr&eacute; Berthold hier.</p>
+
+<p class="mid">CHARLES.</p>
+
+<p>Eh bien?</p>
+
+<p class="mid">THOMAS.</p>
+
+<p>Il va toujours dans le monde.</p>
+
+<p class="mid">ALBERT.</p>
+
+<p>Songer qu'il y a &agrave; Paris dix mille jeunes gens qui se font la barbe le
+matin, qui ach&egrave;tent des gants, qui s'habillent, qui sortent de chez eux
+&agrave; dix heures, quelque froid qu'il fasse, qui saluent, qui dansent six
+heures durant, qui causent avec leurs danseuses, et qui font ce m&eacute;tier
+huit mois de l'ann&eacute;e sur douze... tout cela pour attraper et manger
+debout, le chapeau dans une main, g&ecirc;n&eacute;s, foul&eacute;s, le coude pouss&eacute;, un
+morceau de galantine truff&eacute;e d'une dizaine de sous;--et penser que si
+ces dix mille jeunes gens cessaient d'avoir envie de ce morceau de
+galantine truff&eacute;e, les boutiques fermeraient, le commerce ch&ocirc;merait,
+cela ferait la crise commerciale la plus &eacute;pouvantable qu'on ait vue!</p>
+
+<p class="mid">CHARLES.</p>
+
+<p>Qui a vu <i>le Vampire</i>?</p>
+
+<p class="mid">ADOLPHE.</p>
+
+<p>Moi.</p>
+
+<p class="mid">CHARLES.</p>
+
+<p>Qui en rend compte?</p>
+
+<p class="mid">ALBERT.</p>
+
+<p>Moi.--Adolphe, raconte-moi la pi&egrave;ce.</p>
+
+<p class="mid">ADOLPHE.</p>
+
+<p>Mon cher,--le Vampire, cadavre suceur, poursuit cruellement de son amour
+exsangue la jeune h&eacute;riti&egrave;re de Tiffaugel,--cr&eacute;ature grasse et jolie. Il
+a le visage suffisamment vert,--vert comme le serpent diabolique qui
+nous a vol&eacute; le Paradis o&ugrave; paissaient les panth&egrave;res, o&ugrave; le vin de
+Champagne,--miracle inou&iuml;,--se servait de lui-m&ecirc;me...</p>
+
+<p class="mid">CHARLES.</p>
+
+<p>Tr&egrave;s-bien, Adolphe.--Est-ce un succ&egrave;s, Henri?</p>
+
+<p class="mid">HENRI.</p>
+
+<p>Un succ&egrave;s de chair de poule!--Le Vampire est un minotaure du
+Walpurgis...</p>
+
+<p class="mid">THOMAS.</p>
+
+<p>Messieurs, est-ce que vous ne croyez pas aux vampires?</p>
+
+<p class="mid">CHARLES.</p>
+
+<p>Ah! ah!</p>
+
+<p class="mid">THOMAS.</p>
+
+<p>L&agrave;, s&eacute;rieusement?</p>
+
+<p class="mid">ALBERT.</p>
+
+<p>Je croirai si vous voulez aux abonn&eacute;s du journal de la carrosserie, &agrave;
+l'esprit de monsieur un tel, au succ&egrave;s d'une pi&egrave;ce litt&eacute;raire, &agrave; ma
+nomination &agrave; l'Acad&eacute;mie, aux dettes qu'Arthur se donne, aux ma&icirc;tresses
+que F&eacute;lix se pr&ecirc;te, &agrave; l'orthographe de mademoiselle X..., &agrave; ma
+conscience de journaliste, &agrave; l'amiti&eacute; de mes amis, et encore &agrave; l'&eacute;cole
+du bon sens... mais pour les vampires, je suis le <i>Credo</i> de Voltaire:
+je crois aux agioteurs, aux traitants et aux gens d'affaires!</p>
+
+<p class="mid">THOMAS.</p>
+
+<p>C'est tout bonnement, messieurs, que vous n'avez jamais &eacute;t&eacute; en Dalmatie;
+c'est que vous n'avez pas vu des paysans qui n'ont pas lu dom Calmet,
+certes! se couper les jarrets avec une faux, et recommander au pope de
+traverser, quand on les enterrera, leur c&oelig;ur avec un pieu.</p>
+
+<p class="mid">ADOLPHE.</p>
+
+<p>Moi, je crois aux vampires; je crois bien &agrave; Peters.</p>
+
+<p class="mid">CHARLES.</p>
+
+<p>Nous y voil&agrave;! gare les contes!</p>
+
+<p class="mid">HENRI.</p>
+
+<p>Peters, le peintre?</p>
+
+<p class="mid">ADOLPHE.</p>
+
+<p>Oui.</p>
+
+<p class="mid">ALBERT.</p>
+
+<p>Est-ce qu'il d&icirc;ne &agrave; minuit, sur le pouce, au cimeti&egrave;re Montmartre?</p>
+
+<p class="mid">ADOLPHE.</p>
+
+<p>Je n'en sais rien.--Tenez, &agrave; la pi&egrave;ce d'hier, il para&icirc;t au couloir de
+l'orchestre, il me voit, il me salue..... Une chose qui n'est jamais
+arriv&eacute;e!--qu'on emporte, de trag&eacute;die &agrave; autre, un apoplectique, sombr&eacute;
+dans sa stalle, cela est dans l'ordre, et n'a pas m&ecirc;me de quoi
+interrompre une tirade... mais qu'&agrave; l'instant o&ugrave; il me regarde, un
+parapluie,--notez qu'il faisait une soir&eacute;e superbe, un ciel qui
+promettait d'&ecirc;tre sec au moins huit jours,--qu'un parapluie tombe du
+cintre d'une fa&ccedil;on homicide et perpendiculaire, et manque de m'empaler &agrave;
+rebours, de me tuer net... cela est d'un inou&iuml; et d'un extravagant &agrave;
+convertir tous les Voltaires de la <i>jettatura</i>!</p>
+
+<p class="mid">ALBERT.</p>
+
+<p>Adolphe, mon cher, vous voulez nous faire croire qu'une nourrice
+napolitaine vous a berc&eacute;.</p>
+
+<p class="mid">ADOLPHE.</p>
+
+<p>Et remarquez que la com&eacute;die cheminait doucement vers les convenances du
+d&eacute;no&ucirc;ment. Les acteurs disaient proprement la chose. Galamment, le
+public &eacute;coutait; b&eacute;n&eacute;volement, les critiques jugeottaient. Grandement
+s'allongeaient les figures des ennemis de l'auteur. Les h&eacute;mistiches
+marchaient d'un petit pas s&ucirc;r et tranquille, comme des mulets de
+montagne, dans un silence de bonne composition... Mon Peters jette le
+regard sur la sc&egrave;ne; zac! un coup de baguette d'une mauvaise f&eacute;e! La
+pi&egrave;ce se d&eacute;colore. La peinture devient grisaille. On salue ce vers-ci et
+celui-l&agrave;, et cette id&eacute;e, et cette sc&egrave;ne, comme de vieilles
+connaissances. Un monsieur se mouche. La grande actrice se prend les
+pieds dans sa robe. Le souffleur souffle trop haut. Les critiques du
+balcon se mettent &agrave; lorgner dans la salle. Madame de R..... entre. Les
+femmes se renversent au fond de leurs loges. Le silence de tout &agrave;
+l'heure se met &agrave; bavarder. La toile baisse sur une d&eacute;route.--Peters sort
+au quatri&egrave;me acte. L'attention est reprise au pas de course. Les
+critiques &eacute;coutent. La grande actrice met des frissons dans la salle.
+Succ&egrave;s sur toute la ligne. Peters rentre au cinqui&egrave;me acte. Chute
+compl&egrave;te. (<i>Entre Robert.</i>)</p>
+
+<p class="mid">HENRI.</p>
+
+<p>Tiens! Robert.</p>
+
+<p class="mid">CHARLES.</p>
+
+<p>D'o&ugrave; sortez-vous?</p>
+
+<p class="mid">ROBERT.</p>
+
+<p>De d&eacute;jeuner rue des Poteries. Verdier nous avait invit&eacute;s.</p>
+
+<p class="mid">CHARLES.</p>
+
+<p>Bah!</p>
+
+<p class="mid">ROBERT.</p>
+
+<p>Oui... un d&eacute;jeuner &agrave; l'ail! des perdreaux truff&eacute;s d'ail... Je n'ai plus
+de langue... Une soif!... Nous l'avons arros&eacute;e!--On ne te voit plus,
+Adolphe.--Venez-vous ce soir au bal de B... Tr&egrave;s-amusant, mon cher! J'ai
+perdu vingt louis l'autre soir.--De quoi parliez-vous?</p>
+
+<p class="mid">HENRI.</p>
+
+<p>De Peters.</p>
+
+<p class="mid">ROBERT.</p>
+
+<p>De Peters? diantre!</p>
+
+<p class="mid">CHARLES.</p>
+
+<p>Mon cher, ils sont tous ici superstitieux comme des ballades. Ils
+disent...</p>
+
+<p class="mid">ADOLPHE.</p>
+
+<p>N'est-ce pas que c'est un jettator?</p>
+
+<p class="mid">ROBERT.</p>
+
+<p>Si c'en est un?... Mais aussi vrai que je vous attends tous &agrave; d&icirc;ner
+mercredi, je suis s&ucirc;r de fumer toute la journ&eacute;e de mauvais cigares, de
+rencontrer des cr&eacute;anciers au Luxembourg, et des connaissances au
+mont-de-pi&eacute;t&eacute;, de renouer avec une ma&icirc;tresse qui n'a pas rajeuni, de
+manger de la poitrine de mouton &agrave; mon d&icirc;ner, d'aller aux <i>Vari&eacute;t&eacute;s</i> le
+soir, de souper &agrave; c&ocirc;t&eacute; d'Anglais, et d'&ecirc;tre gris &agrave; ma seconde bouteille
+de Champagne!... Ah &ccedil;&agrave;, qu'est-ce qui en a parl&eacute;, de ce Peters? Est-ce
+qu'il vient ici? Qu'est-ce qu'il veut?--C'est tr&egrave;s-malsain, parole
+d'honneur! de parler de cet homme-l&agrave;!</p>
+
+<p class="mid">ADOLPHE.</p>
+
+<p>C'est ce fou de Charles, qui veut lui faire faire son portrait.</p>
+
+<p class="mid">ROBERT.</p>
+
+<p>Mon cher, cet homme fait votre portrait, bon. Rappelez-vous ce que je
+vais vous dire. Je suppose que vous ayez un oncle &agrave; h&eacute;ritage, votre
+oncle, dans les six mois, &eacute;pouse sa cuisini&egrave;re; je suppose que vous ayez
+un attachement, cet attachement deviendra une cha&icirc;ne; je suppose que
+vous ayez un chien de Terre-Neuve, on vous le volera; un fr&egrave;re de lait,
+il sera condamn&eacute; aux gal&egrave;res; un cheval, il boitera; une stalle aux
+Italiens, on jouera la <i>Sonnambula</i> toute la saison; des amis, ils vous
+emprunteront de l'argent; des fermiers, il gr&ecirc;lera; du vin de Volney, il
+se piquera; du trois pour cent, il tombera &agrave; rien; des bottes vernies,
+elles se couperont; une maladie, elle vous commencera; un m&eacute;decin, il
+vous finira!--Peters! messieurs, mais la tabati&egrave;re de cet homme-l&agrave;...</p>
+
+<p class="mid">HENRI.</p>
+
+<p>Ah &ccedil;&agrave;, comment est-il votre homme? l'&oelig;il Antony...</p>
+
+<p class="mid">CHARLES.</p>
+
+<p>L'air de Delaistre quand il joue les tra&icirc;tres...</p>
+
+<p class="mid">ALBERT.</p>
+
+<p>Le grand manteau de M&eacute;ry, une voix de caverne, le cheveu noir et le
+sourcil circonflexe?</p>
+
+<p class="mid">ROBERT.</p>
+
+<p>Peters? Mais, messieurs, quand on ne le conna&icirc;t pas, jamais...</p>
+
+<p class="mid">ADOLPHE.</p>
+
+<p>Les voil&agrave; bien! ils n'ont jamais &eacute;tudi&eacute; l'esp&egrave;ce; mon Peters n'a rien de
+truculent. Il ne sent pas le m&eacute;lodrame, foi de gentilhomme! Mon
+jettator! Il a la tournure d'un honn&ecirc;te homme de bourgeois, les allures
+placides et quasi timides, la physionomie douce&acirc;tre, la parole
+mielleuse, le geste onctueux: pas de grand manteau! Albert, une
+redingote qui tourne &agrave; la coupe paternelle de la douillette. Des cheveux
+jaunes, mon ami, oui, jaunes, des cheveux jaunes. Et puis l'&oelig;il rond et
+saillant, l'&oelig;il bleu, l'&oelig;il &agrave; fleur de t&ecirc;te, et comme lentement roulant
+sur un pivot. Il est avec tout cela, le monstre, tr&egrave;s-doux, obs&eacute;quieux,
+avenant, allant au-devant de vous, toujours vous reconnaissant, vous
+abordant, vous saluant. Il a une petite voix, et au bout de toutes ses
+phrases, il fait un petit: hi! hi!--qui est comme un tic d'ironie. Il
+vous rencontre; il dit en vous donnant une petite tape sur le ventre:
+Vous n'avez jamais &eacute;t&eacute; malade, vous? Vous rentrez, et vous &ecirc;tes six
+mois au lit. Demandez &agrave; F... Quand vous me donneriez vingt actions du
+Cr&eacute;dit foncier, vous ne me feriez pas aborder Peters sans avoir l'index
+et le petit doigt en arr&ecirc;t... Je ne vais plus au spectacle sans une
+petite main de corail... Ali, le bijoutier de la rue du Mont-Blanc,
+depuis qu'on conna&icirc;t son mauvais &oelig;il, en vend des boisseaux, comme
+celle-l&agrave;, tous les jours.</p>
+
+<p class="mid">ROBERT.</p>
+
+<p>Et si vous saviez ce qu'il peint!... Un Rembrandt de cauchemar! Je n'ai
+vu qu'un tableau de lui, je ne sais plus o&ugrave;? &ccedil;a repr&eacute;sente une fen&ecirc;tre
+de la Clinique o&ugrave; des f&oelig;tus &eacute;taient rang&eacute;s. Un chat en avait empoign&eacute;
+un, et se sauvait, le brinqueballant comme un morceau de mou... Holbein
+est un Watteau aupr&egrave;s de ce coquin-l&agrave;!--Il para&icirc;t qu'il a une collection
+de t&ecirc;tes de supplici&eacute;s admirable... C'est macabre! Il y a surtout, m'a
+dit Alfred, une t&ecirc;te de Fieschi... Elle marche sur vous.--Mais, le
+diable m'emporte! vous connaissez de Montgeron, vous, Charles?
+Parlez-lui du nomm&eacute; Peters.</p>
+
+<p class="mid">CHARLES.</p>
+
+<p>Qu'est-ce qu'il lui a fait encore &agrave; celui-l&agrave;?</p>
+
+<p class="mid">ROBERT.</p>
+
+<p>L'an dernier, au steeple-chase, Montgeron montait <i>Trilby</i>. La rivi&egrave;re
+franchie, Montgeron passe <i>Emilius</i> qui &eacute;tait premier. Au mur en pierres
+s&egrave;ches, Peters dit: &laquo;M. de Montgeron saute bien.&raquo; <i>Trilby</i> tombe et se
+couronne; Montgeron se casse la jambe;--une b&ecirc;te de 500 louis!</p>
+
+<p class="mid">CHARLES.</p>
+
+<p>Allons, bien, c'est le bouc &eacute;missaire, votre Peters! On tombe de cheval,
+c'est la faute &agrave; Peters; une pi&egrave;ce chute, c'est Peters; il pleut, c'est
+Peters; il fait froid &agrave; Longchamp, c'est Peters; vous vous d&eacute;couvrez des
+cheveux blancs, c'est Peters; vous trouvez l'omnibus complet, c'est
+Peters; on s'ivrogne, c'est Peters; on se met au lit, Peters; on y
+reste, Peters; votre notaire vous &eacute;crit une lettre de quatre pages,
+c'est Peters; votre journal se met &agrave; publier une s&eacute;rie d'articles sur la
+production agricole, c'est Peters; vous &ecirc;tes rencontr&eacute; en bonne fortune
+dans une baignoire &agrave; l'Od&eacute;on, c'est Peters; vous recevez un billet de
+garde, c'est Peters; vous entendez une traduction au piano des contes
+d'Hoffmann, c'est Peters...</p>
+
+<p class="mid">ALBERT.</p>
+
+<p>Les soufflets qui se donnent, les sauces qui tournent, les portefeuilles
+qui d&eacute;m&eacute;nagent en Belgique, les abricots qui manquent, Voltaire qui se
+r&eacute;imprime, les pommes de terre qui sont malades, les baleines et les
+porcelaines de Saxe qui deviennent rares, les hommes de lettres et les
+originaux de Rapha&euml;l qui deviennent trop nombreux, les giboul&eacute;es de
+mars, les pipes qui se bouchent, les femmes qui pleurent, les sonnettes
+qui cassent, le sel qu'on renverse, les livres qui ne se vendent pas,
+les notes d'apothicaire, Peters! Peters! toujours le mauvais &oelig;il de
+Peters!--Pour un peu, quand M. Peters regarde les pav&eacute;s, vous feriez
+croire qu'il pousse des barricades!</p>
+
+<p class="mid">ROBERT.</p>
+
+<p>Ne rions pas de cela, s'il vous pla&icirc;t.--Et permettez-moi, monsieur, un
+conseil d'amiti&eacute;; si jamais vous parlez, dans le journal, de Peters,
+n'ayez pas tant d'esprit.</p>
+
+<p class="mid">CHARLES.</p>
+
+<p>Est-ce qu'il me fera souper avec une femme gr&ecirc;l&eacute;e?</p>
+
+<p class="mid">ROBERT.</p>
+
+<p>Il viendra tous les matins se poster en face de votre porte, et vous
+regardera sortir, et vous verrez avant quinze jours la tuile qui vous
+tombera! Attendez-vous &agrave; tout, &agrave; &ecirc;tre br&ucirc;l&eacute; vif comme mademoiselle B...,
+la jolie, la charmante mademoiselle B...! Peters sortait de donner une
+le&ccedil;on de dessin &agrave; mademoiselle B... Mademoiselle B... s'approche de la
+chemin&eacute;e pour secouer son tablier sali par le crayon. Le feu saute apr&egrave;s
+le tablier; mais on a le temps de se jeter sur la jeune fille et de la
+rouler dans un tapis. Peters, au cri que mademoiselle B... avait jet&eacute;,
+remonte; il pousse la porte: la flamme, comme arros&eacute;e d'huile, reprend
+et court; mademoiselle B... &eacute;tait br&ucirc;l&eacute;e avant qu'on ait pu l'&eacute;teindre.</p>
+
+<p class="mid">ADOLPHE.</p>
+
+<p>Enfin, messieurs, ce maudit n'a servi de t&eacute;moin que dans un duel: les
+deux adversaires ont fait coup fourr&eacute;.</p>
+
+<p class="mid"><span class="sc">LE GAR&Ccedil;ON DE BUREAU</span>, <i>entrant</i>.</p>
+
+<p>Il y a l&agrave; quelqu'un qui demande &agrave; vous parler.</p>
+
+<p class="mid">CHARLES.</p>
+
+<p>Demandez-lui son nom.</p>
+
+<p class="mid">LE GAR&Ccedil;ON.</p>
+
+<p>M. Peters.</p>
+
+<p class="mid">ROBERT.</p>
+
+<p>M. Peters!</p>
+
+<p class="mid">ALBERT.</p>
+
+<p>Voil&agrave; une entr&eacute;e bien amen&eacute;e!</p>
+
+<p class="mid">ADOLPHE.</p>
+
+<p>Si ce philistin entre ici, messieurs, demain la r&eacute;daction sera mise &agrave;
+deux sous la ligne, je me br&ucirc;lerai la cervelle par amour, ou les &eacute;cus de
+la caisse se changeront en feuilles s&egrave;ches!</p>
+
+<p class="mid">CHARLES.</p>
+
+<p>Dites-lui... hum... dites-lui que je n'y suis pas.</p>
+
+<a name="c13" id="c13"></a>
+<br><br>
+
+<h3>LE PERE THIBAUT</h3>
+
+<p>Avril est fini.</p>
+
+<p>Les feuilles poussent.</p>
+
+<p>Les froids s'en vont.</p>
+
+<p>Sur les ruisselets flottent encore les couvercles des bo&icirc;tes &agrave; fromages,
+avec leurs petits bouts de chandelle &eacute;teints, lanc&eacute;es par les enfants,
+le soir du vendredi saint.</p>
+
+<p>Les jours s'allongent; et les paysans se l&egrave;vent &agrave; l'aube et taillent
+melons et concombres, et d&eacute;couvrent les artichauts et les &oelig;illetonnent.
+D&egrave;s le grand matin, &acirc;me ne ch&ocirc;me; on fait dans le jardin du maire de
+nouveaux plants de fraisiers et les c&oelig;urs s'enlacent.</p>
+
+<p>Dans le sentier vraiment les rouges-gorges s'&eacute;veillent; et m&ecirc;me on
+entend une voix douce et chevrotante, et ironique un peu, qui chante
+plus haut que les rouges-gorges.</p>
+
+<p>Sur le chemin o&ugrave; passait la chanson, Minette &eacute;tait mont&eacute;e sur l'&eacute;chalier
+pour ouvrir la barri&egrave;re &agrave; ses b&ecirc;tes; et Pierre quasi l'entr'aidait,
+appuyant contre elle par man&oelig;uvre, et la pressant sans para&icirc;tre, de fine
+force d'accolade. A la chanson, saut de chatte, sabots pass&eacute;s aux pieds,
+b&ecirc;tes entr&eacute;es, Minette rouge, et r&eacute;v&eacute;rence: Bien le bonjour, monsieur
+Thibaut.</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i18"> Les veill&eacute;es se noient,</p>
+<p class="i18"> Les toits gouttent,</p>
+<p class="i18"> P&acirc;ques revient,</p>
+<p class="i18"> C'est un grand bien</p>
+<p class="i18"> Pour les chats et les chiens,</p>
+<p class="i18"> Et toutes les gens</p>
+<p class="i18"> En m&ecirc;me temps.</p>
+</div></div>
+
+<p>Il marche au bon pas, le p&egrave;re Thibaut. Il n'est pas plus vieux que
+l'ann&eacute;e derni&egrave;re. Il a sa grande balle sur son dos, son b&acirc;ton, et ses
+m&ecirc;mes bretelles. Il faut que le p&egrave;re Thibaut ait de l'huile de bras pour
+porter depuis le temps ce qu'il porte l&agrave;. Dieu merci! il n'a pas plu,
+et ses souliers lac&eacute;s sont propres et nets comme s'il venait d'une
+petite promenade sur la route aux Gendarmes.</p>
+
+<p>Et de clos en clos, par-dessus les haies et buissonnets, &agrave; la chanson
+qu'il dit, les fillettes actives, et tous les paysans, l&egrave;vent le nez du
+travail: C'est le p&egrave;re Thibaut.</p>
+
+<p>Il arrive chez Collot, son comp&egrave;re. Collot fait une croix blanche &agrave; sa
+chemin&eacute;e par fa&ccedil;on de joie de le revoir et de bon accueil. Le p&egrave;re
+Thibaut met sur la table ses soixante livres pesants;--c'est dur au dos
+du vieil homme, savez-vous? De franc gosier, il lape le verre de vin
+frais tir&eacute;. Il ouvre sa grande bo&icirc;te &agrave; deux battants; et elle brille
+comme le triptyque de l'&eacute;glise que le cur&eacute; a fait redorer. Il prend sa
+prise.</p>
+
+<p>Chez Collot, le village entre, et s'empresse, guigne et reguigne la
+grande bo&icirc;te. M&ecirc;me ceux qui cueillaient des salades pour le soir, ont
+dit aux salades: &laquo;Attendez,&raquo; et sont venus.</p>
+
+<p>Le p&egrave;re Thibaut sourit de l'&oelig;il &agrave; tous les vieux visages. Il t&acirc;che &agrave; se
+rappeler les plus jeunes et derniers venus. Et puis, prise hum&eacute;e, vin
+lamp&eacute;:--&laquo;Eh! eh! vous m'attendiez, nem'? Un peu plus t&ocirc;t, un peu plus
+tard, que voulez-vous? c'est affaire du temps qu'il fait, plut&ocirc;t que
+p&eacute;ch&eacute; de mes deux jambes, qui ne m'abandonnent pas encore trop, quand je
+ne suis pas &agrave; l'heure du cadran de votre place.--Ne faut pas que les
+demoiselles regardent si fort l&agrave;-dedans, avec de petits yeux de c'te
+fa&ccedil;on-l&agrave;, &ccedil;a userait les affiquets!--C'est-y beau ce que j'ai
+aujourd'hui! et &ccedil;a reluit, et &ccedil;a pare, et &ccedil;a requinque, et les blanches
+et les brunettes! Voyons, Manon, cette ann&eacute;e-ci, plus d'excuses, que je
+t'accommode, ma fille, c'est-y pour toi qu'il fleurit ce beau bouquet
+d'imitation, l&agrave;, dans le fond, que l'on dirait une gentille aub&eacute;pine
+pouss&eacute;e par miracle? Tiens! toi, la Grande, qui manges ta pomme, veux-tu
+que je te dise la premi&egrave;re lettre du nom de ton galant? Jette ta pelure
+par-dessus ton &eacute;paule: je lirai tout courant. Mesdames les demoiselles,
+je suis arrangeur &agrave; cette heure, et de compte rond; c'est-il &ccedil;a, ou &ccedil;a
+qui vous fait affaire? le p&egrave;re Thibaut est l&agrave; pour la r&eacute;ponse. Pour un
+demi-&eacute;cu, fichus rouges &agrave; ramageures, et comme en ont des filles de
+ville; Lucienne, &agrave; toi, Lucienne! et d'un beau rouge qui se lave, rouge
+comme soleil couchant sur bois.--A toi, Roussette, le tour de cou &agrave;
+fleurs jaunes!--A toi, bonne caqueti&egrave;re, qui trouves toujours le mot
+quand on joue aux <i>devinottes</i>, nem'? quarante &eacute;pingles pour un sou, et
+de bonnes &eacute;pingles qui surnageront si vous allez les jeter dans la
+fontaine de Sainte-Sabine &agrave; la for&ecirc;t de Fossard, pour voir si vous aurez
+des &eacute;pouseux;--deux liards l'aune, la tresse! des peignes, p&egrave;re Milon,
+que votre bru peigne vos ch&eacute;rubins de petits filiots!&raquo;</p>
+
+<p>Le p&egrave;re Thibaut reprend haleine, et refait son verre plein, et le refait
+vide en moins de temps que ne part une vol&eacute;e de perdreaux. De lui verser
+chacun se peine et prend h&acirc;te. Ses sourcils sont blancs, sa bouche
+grande, sa veste bleue. Son gilet crois&eacute; a des boutons de cuivre. Les
+bretelles de sa balle sont de cuir. Ses bas sont des bas bleus &agrave; c&ocirc;tes.
+Sa voix, sans &ecirc;tre aussi belle et redondante que celle des charlatans en
+habit rouge, avec des &eacute;paulettes d'or, qui battent la caisse pour
+&eacute;tourdir le pauvre monde, et les souffrants de dents, et para&icirc;tre
+grands savants,--sa voix est encore bonne, et prend les gens &agrave; sa
+caresse. Une gaie fleur de verte sant&eacute; rit dans son bon vieux visage. Il
+a toutes ses dents, le p&egrave;re Thibaut.</p>
+
+<p>--&laquo;V'l&agrave; les collerettes, cousine Mariotte, et des fines plissures! &Ccedil;a a
+l'air du fichu blanc autour du cou des marguerites.--Alliances
+poin&ccedil;onn&eacute;es et luisantes &agrave; se regarder dedans, Ninette! Si vous avez un
+soupireux, il a bien des pi&eacute;cettes en sa poche; il n'y a pas besoin de
+lui dire de vous en donner une, nem'?--Des pi&eacute;ges &agrave; taupes qui vous
+feront grand ouvrage et tuerie, p&egrave;re Fleury!--Ah! ah! n'allez pas par
+l&agrave;, c'est pas pour vous Jean-Pierre; c'est des choses de paresse: de
+l'encre et des plumes, &agrave; c'te fin qu'il y ait aussi de quoi pour M. le
+cur&eacute; et le ma&icirc;tre d'&eacute;cole... De la belle toile, nem'? et qui n'est pas
+d'usure! faites passer &agrave; &ccedil;a deux nuits &agrave; la ros&eacute;e: c'est une soie sur le
+corps.--Je sais bien que la moisson n'est pas sur le feu; tout de m&ecirc;me,
+je vous apporte des pierres &agrave; aiguiser des faux.--Voulez-vous des
+rigoles de buis pour vos futailles? C'est-y des pommades avec une fleur
+dor&eacute;e dessus? des tabati&egrave;res de bouleau qui fra&icirc;chissent?--Il vous faut
+des mouchoirs bleus &agrave; petits carreaux.--Chut! chut! je serais &agrave; l'amende
+comme fraudeur: c'est du tabac... de l&agrave;-bas... suisse, pour les vieilles
+pipes d'ici. Si je courais avec tout &ccedil;a au dos, &ccedil;a ferait carillon,
+hein? tous ces chapelets et m&eacute;dailles de la Vierge pour le cou de vos
+petits poupinets et poupinettes!--Et des petites croix de cire b&eacute;nites,
+&agrave; mettre sur les ruches, crainte que les abeilles ne
+s'ensauvent.--Tenez, je retrouve des couteaux, beaux manches jaunes &agrave;
+fleurettes, comme des b&ecirc;tes &agrave; bon Dieu.--Une belle jupe pour la danse et
+les assembl&eacute;es! A toi, Marie-Jeanne, un casaquin couleur de bois qui ne
+se salit pas. Tu te rouleras des ans au coin de ton feu, que pas une
+tache ne marquera.--Du savon &agrave; d&eacute;tacher la laine, et qui savonne en un
+clin d'&oelig;il,--et de beaux miroirs &agrave; serrer en poche; miroirs d'&eacute;tain qui
+se referment, avec un joli drap sur la glace, qui vous diront vos
+v&eacute;rit&eacute;s, Jeannette; mais n'allez point par chaque minute &agrave; c'te
+confesse-l&agrave;, coquette!--Et du fil, et des boutons, toutes les
+cognandises pour les m&eacute;nag&egrave;res qui ont homme &agrave; pourvoir et
+maintenir;--et des ceintures, et des rubans,--ceux-l&agrave; bleus, comme quand
+il fait beau, nem'? Eh! eh! ruban bleu, mes enfants, c'est jarreti&egrave;re de
+mari&eacute;e.&raquo;</p>
+
+<p>Automne am&egrave;ne hiver.</p>
+
+<p>Voil&agrave; qu'on laboure et qu'on taille les arbres.</p>
+
+<p>Aux <i>tendues</i>, dans les bois, il n'y a plus de passage d'oiseaux. A
+peine si, de loin en loin, pr&egrave;s des places &agrave; charbon, une b&eacute;casse se
+prend dans un lacet abandonn&eacute;.</p>
+
+<p>Les feuilles se rouillent.</p>
+
+<p>Les fum&eacute;es des sabotteries se voient &agrave; travers les futaies moins v&ecirc;tues;
+on a mang&eacute; le pain de No&euml;l, le <i>Rama</i>, garni de quartiers de noix et de
+poires s&egrave;ches. Dans les nuits longues les chiens hurlent &agrave; la mort.</p>
+
+<p>Pourtant, sur les feuilles du chemin de la commune, un pas cr&eacute;pite et
+s'approche; et dans le taillis sans musique &agrave; pr&eacute;sent, une chanson vole,
+vole de branche noire en branche noire.</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+ <p class="i20"> Dieu a gard&eacute; vos b&ecirc;tes</p>
+ <p class="i20"> Et les yeux de vos t&ecirc;tes,</p>
+ <p class="i20"> Et des larrons, vion, vion!....</p>
+ <p class="i20"> La petite Saint-Sauv&eacute;, vite donc! vite donc!</p>
+</div></div>
+
+<p>C'est le p&egrave;re Thibaut.</p>
+
+<p>--&laquo;Oui-d&agrave;, mes enfants, c'est le vieux p&egrave;re Thibaut.&raquo;--Il d&eacute;roidit un
+peu ses doigts bleus, s'asseyant sur une chaise dans le grand &acirc;tre de la
+chemin&eacute;e, &agrave; c&ocirc;t&eacute; d'un jambon pendu. Il lui faut maintenant toquer &agrave;
+chaque porte, et aller s'asseoir &agrave; chaque chemin&eacute;e; car les portes sont
+bien closes &agrave; pr&eacute;sent; m&ecirc;me le trou o&ugrave; passe le chat familier, on l'a
+bouch&eacute;; et les vieilles femmes filent pr&egrave;s du feu.</p>
+
+<p>--&laquo;Ne m'ayez pas rancune, les amis, si je vous apporte neige, mauvais
+froids, vilains ciels, toutes les col&egrave;res, du bon Dieu; je vous apporte
+aussi du chaud et du doux: c'est-y vous, la Colombey, qui voudriez que
+votre homme e&ucirc;t froid? A ne pas lui acheter de ces bas aussi chauds
+qu'haleine de four, et qui chaussent les genoux comme des bottes de
+marais, vous n'auriez pas un gentil c&oelig;ur. Une b&eacute;n&eacute;diction, ces bas, pour
+le labour d'avant le jour, quand la terre est roide gel&eacute;e!--&Ccedil;a, nem'?
+des petits chaussons pour mettre aux fanfans qui ne tiennent pas au
+feu, et vont s'&eacute;jouir &agrave; la neige.--C'est-y pas toi, Jean les-b&eacute;-jambes,
+qu'a toujours un regret de douleur dans les &eacute;paules? Prends-moi de c'te
+boule-l&agrave;; c'est de la sant&eacute; en barre, mes agneaux!--Ne montre pas tes
+dents, la grosse Jeannette: il n'est pas beau de rire comme &ccedil;a contre la
+marchandise du p&egrave;re Thibaut, parce qu'on a &eacute;t&eacute; en condition &agrave; la
+ville;--une vraie boule de Nancy, &agrave; mettre dans de l'eau, &agrave; s'en frotter
+le rhumatisme, et qui vous remet une foulure mieux que tous les
+rebouteux!&raquo;</p>
+
+<p>Il entre chez le p&egrave;re Valence.--&laquo;Bonjour, m&egrave;re Valence! v'l&agrave; votre eau
+qui bout sur le feu. Vous savez ce qu'on dit &agrave; Cornimont: que c'est &acirc;me
+du purgatoire qui prend un bain? Faudrait avoir piti&eacute;.&raquo;</p>
+
+<p>Le p&egrave;re Valence rentre. Pour ne pas les perdre, il &eacute;tait all&eacute; donner aux
+bestiaux qu'il a achet&eacute;s hier une tartine beurr&eacute;e tourn&eacute;e trois fois
+autour de la cr&eacute;maill&egrave;re.</p>
+
+<p>--&laquo;Bonjour, p&egrave;re Valence, je ne vous ai pas mis dans les oublis, p&egrave;re
+Valence. Les yeux, comment que &ccedil;a va? Le bl&eacute; a grain&eacute; cette ann&eacute;e; le
+diable n'a pas chevill&eacute; les moulins; l'argent n'est pas cher; c'est pas
+une pi&egrave;ce de vingt sous de plus ou de moins... Des lunettes &agrave; tous yeux,
+bien mont&eacute;es de fer-blanc, qu'on marcherait dessus sans qu'elles
+cassent,--un bel &eacute;tui, l&agrave;;--et qui vous feront lire dans votre vieux
+livre de messe, comme dans du tout neuf.--Et votre enfant, le malingre,
+&ccedil;a lui irait-il pas, un tricot comme &ccedil;a? &ccedil;a le sauvera de l'hiver, c'te
+enfant; t&acirc;tez, virez, c'est du soleil dans le dos, qu'un tricot calibr&eacute;
+de c'te &eacute;paisseur. Des bonnets de coton doubles de Troyes qui vous
+enfournent jusqu'aux oreilles, et que la bise siffle en d&eacute;mon, que les
+carreaux le matin soient tout blancs, vous ne prendrez pas de ces
+vilains rhumes qui ne se d&eacute;tachent pas.&raquo;</p>
+
+<p>Le p&egrave;re Thibaut va plus loin &agrave; la ferme. Les marmots qui &eacute;taient &agrave;
+l'&eacute;curie, &agrave; fouailler les poules avec le grand fouet, l'entendant
+arriver, rentrent p&ecirc;le-m&ecirc;le, les cheveux pleins de paille, dans la
+grande chambre.--&laquo;Les petiots! les petiots! c'est toujours des
+alouettes, monsieur Landry; les petiots, ne sautez pas apr&egrave;s mes images,
+que vous me les d&eacute;chireriez. L'<i>Histoire du Juif-Errant</i>, <i>Sainte
+Genevi&egrave;ve de Brabant</i>, les <i>Hussards fran&ccedil;ais &agrave; pied</i>; voyez, il ne
+m'en reste plus qu'une de cette belle-l&agrave;.&raquo;</p>
+
+<p>Les marmots prennent d'assaut les &eacute;paules du p&egrave;re Thibaut pour regarder
+l'image. L'image a une l&eacute;gende en fran&ccedil;ais et en espagnol. Elle porte &agrave;
+l'un de ses coins: <i>Dubreuil, rue Zacharie, 8</i>. Il y a un catafalque
+jaune, coup&eacute; de guirlandes vertes avec des Renomm&eacute;es roses, adoss&eacute;es aux
+angles, des br&ucirc;le-parfums jetant au premier plan des fum&eacute;es bleues et
+violettes, des horizons de drapeaux tricolores, des groupes de lustres,
+dont le rayonnement est fait par le blanc &eacute;pargn&eacute; du papier, des femmes
+en robes rouges, des messieurs en habit bleu cobalt; et un groupe
+principal compos&eacute; d'une femme en chapeau vert-pois, un boa au cou, un
+ch&acirc;le bleu de ciel, avec des franges oranges, et une robe rouge, d'une
+femme ainsi v&ecirc;tue qui donne la main &agrave; un jeune enfant en redingote
+polonaise avec un collant et des bottes &agrave; la hussarde.</p>
+
+<p>--&laquo;Et puis que je vous souhaite bonne ann&eacute;e, r&eacute;colte bonne! Savez-vous
+que v'l&agrave; bient&ocirc;t &agrave; Saint-Sylvestre, et v'l&agrave; encore une gueuse d'ann&eacute;e de
+finie? Bien des maux, une ann&eacute;e! Faut que vous sachiez le temps, est-ce
+pas? et donnez-vous un almanach! Bleu, vert, jaune, la couleur n'y fait
+rien. Le <i>Grand Messager boiteux des cinq parties du monde</i>, le
+<i>Messager &agrave; la Girafe</i> ou le <i>Postillon lorrain</i>, monsieur Landry; vous
+trouverez l&agrave; tout ce qui vous est d'utilit&eacute; et d'avantage, &agrave; savoir: le
+comput eccl&eacute;siastique, l'horoscope de vos caract&egrave;res, les rem&egrave;des contre
+la rage et les rem&egrave;des contre le pi&eacute;tain, le crapaud, le fourchet et les
+autres. Faites emplette, monsieur Landry; les routes s'embourbent; je ne
+viens pas tous les huit jours; qui ne m'ach&egrave;te, regrette; et puis &ccedil;a me
+d&eacute;lourdit de ma charge pour m'en aller. Vous retournez &agrave; mon image? Une
+fois, deux fois, monsieur Landry, &ccedil;a vous va-t-il? topez l&agrave; pour l'image
+et le <i>Li&eacute;geois</i>!&raquo;</p>
+
+<p>Partout et toujours, dans toute la cha&icirc;ne des Vosges, trottinant,
+marchant, ouvrant sa balle et la refermant avec toutes sortes de bonnes
+et gaies paroles,--ici l'&eacute;t&eacute;, l&agrave; l'hiver,--&agrave; Pompierre, venant comme
+avril vient, &agrave; Allarmont, arrivant comme janvier arrive,--toujours
+chanson voltigeant aux l&egrave;vres, app&eacute;tit en poche, et c&oelig;ur content,
+oui-d&agrave;, c'est le p&egrave;re Thibaut.--Du bisa&iuml;eul au grand-p&egrave;re, du
+grand-p&egrave;re au p&egrave;re, du p&egrave;re au fils, le petit commerce s'est l&eacute;gu&eacute;; et
+bien s&ucirc;r, mes amis, que c'&eacute;tait un Thibaut qui colportait de village en
+village, tout par l&agrave;, dans les vieux temps pass&eacute;s, le vieux <i>Kalendrier
+des bergiers</i>, qui tant contenait: <i>Tables des festes mobiles. Tables
+pour congnoistre chacun iour en quel signe la lune est. Figures des
+&eacute;clipses de lune et de soleil et les jours, heures, minutes. Larbre et
+branches des vices. Les peines denfer, le liure du salut de lame.
+Lanothomye du cors humain. Lart de fleubothomye des veines. Le r&eacute;gime de
+sant&eacute; du corps humain. Lastrologie des bergiers. Des quatre complexions.
+Les iugements de phizonomie. La division des eages. Les dits des
+oyseauls. Les m&eacute;ditations sur la passion. Dictiez et epitaphes des
+morts. Loraison que bergiers font &agrave; notre dame. Et plusieurs autres
+choses.</i></p>
+
+<a name="c14" id="c14"></a>
+<br><br>
+
+<h3>UN VISIONNAIRE</h3>
+
+<p>--Des contes &agrave; mourir de peur! dit Madame ***.</p>
+
+<p>--Madame,--r&eacute;pondit Frantz avec un sourire,--il faut bien s'amuser &agrave;
+quelque chose, &agrave; la campagne.</p>
+
+<p>--Et vous laissez refroidir votre th&eacute;?--lui dit &Eacute;douard.</p>
+
+<p>--Madame, c'est une autre histoire que je veux vous conter. Cassio
+Burroughs &eacute;tait le plus beau gar&ccedil;on de Londres. Ajoutez qu'il &eacute;tait
+bretteur. Il e&ucirc;t tu&eacute; tout le monde, si tout le monde avait voulu se
+battre en duel avec lui.--En sorte qu'il avait pour ma&icirc;tresse une
+grande dame, une Italienne. Comme elle &eacute;tait &agrave; son lit de mort, elle lui
+fit jurer de ne jamais dire ce qu'il y avait eu entre elle et lui.
+Cassio pleura. La femme mourut. Un soir &agrave; la taverne,--Cassio buvait,
+madame,--Cassio but et parla. Depuis lors, &agrave; toutes ses orgies, &agrave; c&ocirc;t&eacute;
+de lui vint s'asseoir la belle Italienne. Le matin de son dernier duel,
+l'Italienne vint le prendre par la main et le conduisit jusqu'au
+terrain.</p>
+
+<p>--Ah! le beau drame!--fit Hector.</p>
+
+<p>--Je ne l'ai pas fait.--Et Frantz s'inclina froidement.</p>
+
+<p>--Voulez-vous encore une tasse, ma luguore Sch&eacute;h&eacute;razade?--Et madame ***
+s'appr&ecirc;tait &agrave; servir Frantz.</p>
+
+<p>--Mille remerc&icirc;ments.</p>
+
+<p>--Et vous croyez aux apparitions?</p>
+
+<p>--Si j'y crois?.... Madame, si j'y croyais, je serais fou.</p>
+
+<p>--Et vous ne l'&ecirc;tes pas?--dit Hector en riant.</p>
+
+<p>--Je n'en sais rien, monsieur.--Ah! madame, il y a peut-&ecirc;tre un monde
+que nos yeux ne voient pas, et que nos oreilles n'entendent
+pas.--Blake, qu'on nommait <i>le Voyant</i>, causait avec Michel-Ange, d&icirc;nait
+avec Mo&iuml;se, soupait avec S&eacute;miramis. Il vous disait: &laquo;Vous n'avez pas
+rencontr&eacute; Marc-Antoine? il sort d'ici.&raquo;--Ou bien encore: &laquo;Ah! voil&agrave;
+Richard III. Ne faites pas de bruit, il pose.&raquo; Et il prenait ses
+crayons,--car c'&eacute;tait un artiste,--et il dessinait, devant vous le
+Richard III.</p>
+
+<p>--Eh bien oui!--dit Am&eacute;d&eacute;e en remuant le fond de sa tasse de th&eacute; avec la
+petite cuiller de vermeil, et en la reposant sur la table de bois peinte
+en vert,--une hallucination! Maintenant, l'hallucination est-elle, comme
+a dit un m&eacute;decin ali&eacute;niste, une image, une id&eacute;e, reproduite par la
+m&eacute;moire, associ&eacute;e par l'imagination, et personnifi&eacute;e par l'habitude?...</p>
+
+<p>--Monsieur Am&eacute;d&eacute;e, vous parlez comme un livre allemand!--dit madame ***.</p>
+
+<p>--Et que ferez-vous, en ce cas, de Ben Johnson,--reprit Frantz,--qui
+passait certaines nuits &agrave; regarder son gros orteil, autour duquel il
+voyait des Tartares, des Turcs, des catholiques monter et se battre?
+Allez, messieurs, le cerveau de l'homme,--la nature psychique, comme
+ils disent,--ils ont beau y mettre le scalpel, ils le p&egrave;sent comme un
+paquet! ils ne sauront pas encore demain ce qu'il y a dedans.--Oui!
+expliquer l'hallucination, r&ecirc;ve les yeux ouverts, quand vous m'aurez
+expliqu&eacute; le r&ecirc;ve, l'hallucination les yeux ferm&eacute;s!--Cet homme voit dans
+ses appartements des personnes inconnues, aux visages p&acirc;les, aller et
+venir. Celle-l&agrave;, une femme aveugle, dit le matin &agrave; sa bonne: &laquo;Ouvrez la
+porte toute grande! Que tous ces messieurs et toutes ces dames s'en
+aillent!&raquo; Et il n'y a personne chez elle. Pour un autre, ce sont des
+personnages habill&eacute;s en vert qui dansent dans sa chambre;--et les
+exemples les plus extravagants et les plus divers de cette d&eacute;tente de
+l'attention,--encore une d&eacute;finition!--de cette fascination de l'organe
+visuel, de ce degr&eacute; morbifique de la sensibilit&eacute;! Et le libraire de
+Berlin, Nicola&iuml;! Celui-l&agrave;, qui boit, a les diables bleus.--Et vous
+savez, madame, l'histoire des visions de ce magistrat anglais? Il vit
+d'abord un chat, puis c'&eacute;tait un huissier de cour avec la bourse et
+l'&eacute;p&eacute;e, une veste brod&eacute;e, le chapeau sous le bras; puis enfin ce fut un
+squelette, cach&eacute; dans les rideaux de son lit, et regardant par-dessus
+l'&eacute;paule de son m&eacute;decin!--Mais pardon, je bavarde....</p>
+
+<p>--Et mon album attend,--dit madame *** en le lui tendant &agrave; une page
+blanche...</p>
+
+<p>Frantz se mit &agrave; &eacute;crire.</p>
+
+<p>Et je ne sais pourquoi tout le monde se tut, &eacute;coutant la plume de fer
+grincer &agrave; chaque grain de papier.</p>
+
+<p>La porte, tapiss&eacute;e de roseaux, s'&eacute;tait entreb&acirc;ill&eacute;e par hasard. Les deux
+bougies vacillaient dans le pavillon rustique o&ugrave; se tenaient madame ***
+et ses invit&eacute;s, aupr&egrave;s des tasses de th&eacute;, le dos appuy&eacute; contre le mur de
+mousse. Au dehors, par la fen&ecirc;tre encaiss&eacute;e entre des troncs d'arbres
+non &eacute;corc&eacute;s, on voyait la nuit, et la lune qui donnait &agrave; la pelouse,
+marg&eacute;e de grands arbres tout noirs, l'aspect d'une nappe blanche.
+Quelques petites rigoles qui descendaient &agrave; la rivi&egrave;re dans des
+conduites de bois faisaient dans le lointain de petits bruits douteux.
+Il y avait de brusques remuements de feuilles dans l'all&eacute;e de tilleuls
+qui boulait l'eau. La lueur agit&eacute;e des deux bougies coulait, par la
+porte entr'ouverte, sur l'all&eacute;e sabl&eacute;e, et mettait, se perdant, sur
+quelques bouleaux des futaies, des apparences fantasques. Tout au fond,
+dans le parc, on entendait par instant un renard qui vagissait comme un
+petit enfant.</p>
+
+<p>--Voici, madame.--Frantz lut:</p>
+
+<p>--Le petit tambour &eacute;tait joli; il &eacute;tait joli comme un c&oelig;ur avec ses
+cheveux blonds et son uniforme rouge.</p>
+
+<p>Sa m&egrave;re est &agrave; Newcastle, elle fait des aiguilles; et son p&egrave;re est mort,
+comme un homme, &agrave; la bataille.</p>
+
+<p>Il a l'&oelig;il &eacute;veill&eacute; et le c&oelig;ur qui sautille, le petit tambour. Les jeunes
+filles le regardent et lui les regarde aussi; et puis, il suit son
+chemin, car il faut qu'il arrive avant le soir &agrave; son r&eacute;giment, avant
+qu'il ne fasse noir comme l'encre.</p>
+
+<p>Jarvis est grand, Jarvis est fort. Il a la joue fendue. Il dit au petit
+tambour: &laquo;Nous ferons route ensemble. Tu es petit, je te prot&eacute;gerai. Les
+corbeaux dorment, et il n'y a personne, ni un homme, ni une femme, ni
+une petite fille, personne sur la route.&raquo;</p>
+
+<p>Jarvis a un petit couteau dans sa poche. Ils passent dans le
+bois.--&laquo;Monsieur, dit le petit tambour,--la route est l&agrave;; pourquoi
+allons-nous dans le sentier? Serrez votre petit couteau.&raquo;</p>
+
+<p>Le petit tambour &eacute;tait joli; il &eacute;tait joli comme un c&oelig;ur, avec ses
+cheveux blonds et son uniforme rouge.</p>
+
+<p>A Newcastle, on a rapport&eacute; le petit tambour. Il a du sang rouge dans ses
+cheveux et sur son uniforme rouge.--Il ne battra plus, madame, votre
+enfant; madame, il ne battra plus en t&ecirc;te du r&eacute;giment.</p>
+
+<p>Jarvis se lava les mains.--Il est all&eacute; &agrave; Portsmouth. Il a vu un navire
+qui se balan&ccedil;ait comme une demoiselle pr&ecirc;te &agrave; danser. Il est parti bien
+loin sur la mer.</p>
+
+<p>Il fait nuit sur le pont comme dans la cale. Il fait nuit dessous et
+dessus. Jarvis dit au marin de quart: &laquo;John, les pav&eacute;s se remuent et
+courent apr&egrave;s moi.&raquo;--John dit: &laquo;Ne prends plus de gin.&raquo;</p>
+
+<p>&laquo;John, les pav&eacute;s se d&eacute;tachent, vois, vois-tu? Ils courent apr&egrave;s moi. Tu
+sais, le petit tambour, le petit tambour si joli avec son uniforme
+rouge?--John dit: &laquo;Va trouver le m&eacute;decin.&raquo;</p>
+
+<p>--&laquo;Non, non, je n'irai pas trouver le m&eacute;decin. Cet enfant qui nous suit
+de si pr&egrave;s, le petit gar&ccedil;on sanglant,--les pav&eacute;s courent,--vois-tu comme
+il se tra&icirc;ne sur les cailloux? Le voil&agrave;!&raquo;</p>
+
+<p>Et Jarvis se met &agrave; courir. Il tombe par-dessus le bastingage. Il remonte
+sur la vague, il crie: &laquo;<i>God by!</i> le petit tambour!&raquo;--C'est tout.</p>
+
+<p>--Est-ce qu'elle est vraie votre ballade, monsieur Frantz?</p>
+
+<p>--Comme l'histoire de Talma. Vous connaissez tous ce que Talma
+racontait, et ce qui faisait son jeu plein de terreur. Lorsqu'il entrait
+en sc&egrave;ne, il tendait sa volont&eacute;, et &ocirc;tant les v&ecirc;tements de son
+auditoire, il faisait que ses yeux substituaient &agrave; ces personnages
+vivants autant de squelettes.</p>
+
+<p>--Mais &agrave; vous, monsieur,--dit Paul,--ne vous est-il jamais
+personnellement arriv&eacute;...</p>
+
+<p>--Si fait, monsieur,--dit Frantz d'une voix lente.</p>
+
+<p>Madame *** se rapprocha de ses voisins.</p>
+
+<p>--Il y a neuf ans de cela; j'&eacute;tais dans un village pr&egrave;s de Saverne. Je
+finissais mes &eacute;tudes, et je logeais chez un cur&eacute;. Le presbyt&egrave;re &eacute;tait
+sur le haut d'une colline. Du bas du presbyt&egrave;re partait une grande all&eacute;e
+de vieux tilleuls,--comme vos tilleuls l&agrave;-bas, madame,--qui menait au
+cimeti&egrave;re. Les gens du pays racontent toutes sortes d'histoires sur
+cette all&eacute;e de tilleuls. Il para&icirc;t qu'il s'y pend au m&ecirc;me arbre un homme
+tous les ans. Ce que je puis dire, c'est que j'y suis rest&eacute; un an, et
+que j'ai vu au fameux arbre un pendu. Mes deux fen&ecirc;tres donnaient du
+c&ocirc;t&eacute; de l'all&eacute;e, et quand il faisait une belle lune, je distinguais
+chaque tombe du cimeti&egrave;re. Une nuit...</p>
+
+<p>--Ah! monsieur Frantz,--dit madame *** en se cachant de p&acirc;lir sous un
+sourire,--vous avez fait le pari de me faire peur ce soir, et voyez,
+vous avez gagn&eacute;. Qui de vous, messieurs, me donne le bras jusqu'au
+ch&acirc;teau?</p>
+
+<p>--Moi, madame, si vous le voulez bien,--dit Hector en se levant.</p>
+
+<p>Les jeunes gens allum&egrave;rent un cigare. On retrouva du th&eacute; au fond de la
+th&eacute;i&egrave;re.</p>
+
+<p>--L'apparition de Saverne, l'apparition de Saverne!--dirent ensemble
+&Eacute;douard, Am&eacute;d&eacute;e et Paul.</p>
+
+<p>--Messieurs, l'apparition de Saverne est une apparition d'une nuit. Cela
+ne vaut pas vraiment la peine de conter; mais, puisque vous &ecirc;tes en
+veine d'&eacute;couter...</p>
+
+<p>Frantz parut se recueillir.</p>
+
+<p>C'&eacute;tait un jeune homme de vingt-six &agrave; vingt-huit ans. Il &eacute;tait blond.
+Ses cheveux longs, plant&eacute;s hauts sur le cr&acirc;ne, s'&eacute;levaient droits sur
+leurs racines et retombaient plats sur les joues, laissant se montrer
+les deux bosses frontales. Il &eacute;tait maigre; son nez &eacute;tait fin; ses
+moustaches tombaient sur les coins de sa bouche. Son menton, un peu
+pointu, &eacute;tait garni d'une longue imp&eacute;riale. Ses yeux bleus, d'un bleu
+sourd, &eacute;taient petits et enfonc&eacute;s. Ses pommettes saillaient vivement sur
+sa face osseuse, dont la lumi&egrave;re des bougies accusait, &agrave; grandes ombres,
+tous les creux. Ses doigts &eacute;taient longs. En parlant, il tenait ses
+auditeurs sous un regard qui paraissait par moments fig&eacute; comme un regard
+d'aveugle.--Il &eacute;tait v&ecirc;tu de noir.</p>
+
+<p>--Puisque nous sommes seuls, messieurs, reprit Frantz apr&egrave;s quelques
+instants de silence,--que la ch&acirc;telaine est partie, et que vous &ecirc;tes
+&eacute;veill&eacute;s comme des gens qui attendent un revenant, je vous raconterai ce
+que je vois tous les huit jours; mais ayez la bont&eacute; de pousser la porte.
+Ces tas de pl&acirc;tre qui sont apr&egrave;s l'all&eacute;e, et sur lesquels la lune donne,
+ont l'air de linceuls, et cela m'ennuie... me fait peur, si vous
+voulez.--Je perdis jeune une s&oelig;ur que j'aimais. Le cimeti&egrave;re &eacute;tait assez
+&eacute;loign&eacute; de la petite ville que nous habitions; j'y allais tous les soirs
+apr&egrave;s souper. Deux mois, je l'ai vue, jour par jour, comme je vous vois,
+et les vers venir, et la chair s'en aller. Je la voyais comme elle &eacute;tait
+sous terre. Il n'y avait pour moi ni pierre ni sapin; je la voyais... un
+spectacle horrible et qui me tuait! et je revenais toujours... Depuis
+lors, je dormis mal. Les songes me vinrent. Mes insomnies se peupl&egrave;rent.
+Un dimanche, dans la nuit,--mon p&egrave;re gardait le lit depuis deux
+jours,--dans un r&ecirc;ve, je vis dans notre salon beaucoup de gens de ma
+famille en deuil; une de mes tantes s'approcha de moi, et me dit: &laquo;Ton
+p&egrave;re ne passera pas trois jours.&raquo;--Mon p&egrave;re mourut le mardi. Cela me
+mit encore plus de songes dans la pens&eacute;e. Mon p&egrave;re et ma s&oelig;ur me
+revenaient souvent. Insensiblement, je nouai ma vie avec des
+imaginations bizarres; des fantasmagories m'assaillirent, et, si vous
+voulez me passer l'album, oubli&eacute; l&agrave;, je raconterai en crayonnant.</p>
+
+<p>Il est une heure. Je me couche. Je regarde sous mon lit. Je regarde
+toujours sous mon lit. Je vois si la porte de l'appartement est ferm&eacute;e &agrave;
+double tour. Je regarde dans mes armoires. Je pousse les tiroirs de ma
+commode et je mets les clefs sur le marbre de ma table de nuit. Une
+heure, deux heures se passent sans sommeil. Je me sens froid aux pieds.
+Mes tempes se compriment. La vo&ucirc;te de mon cr&acirc;ne semble s'abaisser. Des
+bouff&eacute;es de chaleur me montent &agrave; la t&ecirc;te. Les muscles de mes jambes se
+distendent. Je mets quelquefois la main sur mon c&oelig;ur: il ne bat ni plus
+vite ni plus fort. Mes mains se contractent et se crispent aux draps.
+J'ai la gorge serr&eacute;e. Je sens un poids au creux de l'estomac, et par
+tout mon individu un sentiment d'anxi&eacute;t&eacute; et d'angoisse que je ne puis
+dire.</p>
+
+<p>Ma porte s'ouvre doucement. Une t&ecirc;te passe, me fait un salut, et semble
+demander du regard si l'on peut entrer. Puis le personnage entre et &agrave; sa
+suite se faufilent processionnellement vingt &agrave; vingt-cinq larves d'un
+pied et demi de haut. Ces terribles grotesques ont la blancheur livide
+d'une t&ecirc;te de veau &eacute;chaud&eacute;e. Ils marchent sur des pieds grands au moins
+comme le tiers de leur corps, pieds &agrave; peine &eacute;quarris dans la chair
+mollasse. Leurs mains informes et g&eacute;latineuses se digitent en d'immenses
+doigts annel&eacute;s de bourrelets de graisse. Tous embo&icirc;tant le pas, et comme
+enchev&ecirc;tr&eacute;s l'un dans l'autre, se prennent &agrave; c&ocirc;toyer lentement le mur,
+contournant les meubles, entrant dans tous les angles, passant autour de
+toutes les saillies, ondulant et fourmillant comme un monstrueux relief
+de Calibans nains. Le ma&icirc;tre des c&eacute;r&eacute;monies est un croque-mort qui a sa
+t&ecirc;te sinistre couverte d'un gigantesque tricorne, d'o&ugrave; s'&eacute;chappent,
+voltigeant &agrave; terre et se prenant en ses jambes, deux bandes de cr&ecirc;pe
+noir pareil &agrave; celui de Crespel. Sa face est creus&eacute;e du front aux dents
+comme un quartier de lune, sa veste est noire, ses grandes bottes sont
+relev&eacute;es au bout &agrave; la poulaine. Il tient dans sa main une lettre bord&eacute;e
+et cachet&eacute;e de noir. Je n'ai jamais pu lire ce qu'il y avait sur cette
+lettre. Il est suivi d'une petite femme dont l'&eacute;paisse chevelure grise,
+s&eacute;par&eacute;e au milieu de la t&ecirc;te, retombe jusqu'aux talons, comme un voile
+poudreux autour d'un corps qui semble habill&eacute; d'une vieille reliure de
+vieux v&eacute;lin. Ses deux grands yeux blancs, log&eacute;s dans des orbites de
+cr&acirc;ne dess&eacute;ch&eacute;, sont tach&eacute;s d'un point noir; les m&acirc;choires, d&eacute;garnies de
+joues, b&acirc;illent hideusement avec toutes leurs dents et leurs gencives
+d&eacute;nud&eacute;es; la colonne vert&eacute;brale, qui relie la t&ecirc;te au reste du corps, et
+les clavicules apparaissent tach&eacute;es de rouille, compl&egrave;tement
+d&eacute;pouill&eacute;es. Sous les turgescences des seins, les vert&egrave;bres trouent la
+chair; et l'&eacute;pouvantable Lamie de ses doigts de chauve-souris porte son
+ventre ballonn&eacute; comme une vessie de blanc. Du ventre partent deux
+petites tiges emmanch&eacute;es de deux pieds plats,--deux truelles de
+ma&ccedil;on.--Cette apparition, messieurs, est celle qui m'effraie le
+plus.--Ce ne sont pas les caprices fun&egrave;bres du graveur espagnol; ce ne
+sont pas les ombres stygiennes de l'antre de Trophonius; ce ne sont pas
+les griffonnages et les bossues go&icirc;treuses du Vinci; ce ne sont ni les
+maigres squelettes classiques des <i>Danses des morts</i>, ni les figurations
+antinaturelles des mythologies de l'Edda; ce sont plut&ocirc;t,--autant que ma
+pens&eacute;e peut trouver une analogie &agrave; ces visions de terreur
+caricaturale,--ces idoles sataniques que, dans un tronc d'arbre, Java
+taille &agrave; ses dieux de mort.--Derri&egrave;re la femme vient un garde national
+pied-bot, avec un &eacute;norme bonnet &agrave; poil. Les bras retourn&eacute;s, plus longs
+que son corps, tra&icirc;nent par terre derri&egrave;re lui deux mains semblables &agrave;
+des poulpes de mer; puis encore, c'est un cul-de-jatte assez propret,
+avec une jolie queue par derri&egrave;re dont le n&oelig;ud forme un &eacute;norme papillon
+noir, voltigeant de droite et de gauche; les moignons sont fich&eacute;s dans
+les pieds ronds en bois des poup&eacute;es de vingt-cinq sous; il ne touche pas
+terre et tenant une b&eacute;quille de chaque main, il se balance dans le vide,
+comme un pendule.</p>
+
+<p>Apr&egrave;s cela, ce sont les incestes de la forme humaine et de la forme
+bestiale, les plus inou&iuml;es contrefa&ccedil;ons de l'homme. Une grosse t&ecirc;te
+d'enfant, cercl&eacute;e d'un bourrelet, mont&eacute;e sur des pattes de faucheux;
+une face qui rentre dans le cr&acirc;ne fait en coquille d'escargot... Je veux
+leur parler; je ne puis. Ma langue se colle &agrave; mon palais. Ils vont
+ainsi, suivant chaque plan du mur, f&ucirc;t-ce une moulure, jusqu'&agrave; mon lit.
+Ils passent fr&ocirc;lant mes draps. Un clown diabolique marche les pieds en
+l'air, les mains pass&eacute;es dans de prodigieux sabots; des mufles de
+gargouilles; un pr&ecirc;tre qui a des r&egrave;gles d'&eacute;b&egrave;ne au lieu de bras; un
+homme qui chevauche une tarasque, en m&acirc;chant une boule de billard rouge;
+un ma&icirc;tre d'armes avec un serre-bras, un &eacute;norme tire-bouchon en guise
+d'&eacute;p&eacute;e;--tout cela passe; les uns me regardent tristement; les autres
+d'un air mena&ccedil;ant; les autres indiff&eacute;rents, ou occup&eacute;s &agrave; marcher sur la
+queue tra&icirc;nante de ceux qui les pr&eacute;c&egrave;dent. Cheveux et barbes faits en
+plumes d'oiseau; des gens qui portent la t&ecirc;te du c&ocirc;t&eacute; du dos, des pieds
+palm&eacute;s; c'est comme si un Callot d'enfer vidait ses cartons dans ma
+chambre! les plus &eacute;tranges accoutrements...--et il n'y a point entre eux
+et moi cette gaze dont parle Esquirol;--tout &eacute;clate de lumi&egrave;re,
+pourpoints &agrave; la croix blanche des Templiers, des faux cols, des
+chapeaux en entonnoir, des &eacute;perons, des lunettes d'or, des fraises Henri
+II, des redingotes &agrave; la propri&eacute;taire... Ils s'en vont; je sens qu'ils
+passent dans la pi&egrave;ce &agrave; c&ocirc;t&eacute; de ma chambre, et qu'ils en font le tour.
+Quelquefois ils reviennent, et tournent encore une fois...</p>
+
+<p>Le sable cria dans l'all&eacute;e.</p>
+
+<p>--Messieurs--dit Sim&eacute;on en ouvrant la porte--le feu est allum&eacute; dans vos
+chambres!</p>
+
+<a name="c15" id="c15"></a>
+<br><br>
+
+<h3>UN COM&Eacute;DIEN NOMADE</h3>
+
+<p>&laquo;V'l&agrave; les com&eacute;diens! serrez les couverts!&raquo;--L'&eacute;tape a &eacute;t&eacute; longue, le
+chemin poudreux. Tout le long de la route, vainement les cabarets ont
+balanc&eacute; leurs provoquants bouchons de paille: il a fait soif pourtant;
+mais la derni&egrave;re sous-pr&eacute;fecture n'a pas go&ucirc;t&eacute; <i>Lazare le P&acirc;tre</i>. Ils
+arrivent, les pauvres diables! &laquo;riches de mine, mais pauvres d'habits&raquo;
+dans un char &agrave; banc peint en jaune, avec leur bagage dans de mauvaises
+caisses en bois blanc charg&eacute;es et recharg&eacute;es d'adresses. Ils arrivent.
+L'h&ocirc;tesse de Ch&acirc;teauroux, qui les a flair&eacute;s, crie &agrave; la bonne: &laquo;V'l&agrave; les
+com&eacute;diens! serrez les couverts!&raquo;</p>
+
+<p>Com&eacute;diens de province! parias, sentinelles perdues de l'art dramatique,
+artistes au long cours, allant par toute la France &agrave; la chasse de la
+recette, portant dans une mis&eacute;rable valise toutes les gaiet&eacute;s et toutes
+les terreurs, les fourberies de Scapin et les fureurs d'Oreste, des
+couronnes et des battes; com&eacute;diens &agrave; toute outrance, suppl&eacute;ant aux
+d&eacute;cors, faisant de rien quelque chose; Napol&eacute;ons de la rampe, rayant le
+mot <i>impossible</i>, apprenant sept actes en deux jours, prenant le vent
+comme il vient, le public comme il est, emplissant la rotonde des
+diligences, r&eacute;p&eacute;tant dans les auberges la fen&ecirc;tre grande ouverte;
+quelquefois montant et descendant toute la gamme des passions humaines
+dans une grange pour dix sous les secondes; tirades hurl&eacute;es, recettes en
+gros sous, existences de hasard, d&icirc;ners d'occasion, couch&eacute;es de
+rencontre, le <i>plaustrum</i> de Thespis moins les vendanges, soupirs des
+Ragotins de l'endroit pour Ang&eacute;lique ou mademoiselle l'&Eacute;toile,
+h&ocirc;telleries o&ugrave; l'on engage &laquo;les chausses trouss&eacute;es &agrave; bas d'attache&raquo;; vie
+de pourpre et de guenilles, d'imaginative et d'audace; vie &agrave; la
+Rosambeau, o&ugrave; Robespierre se fait un gilet avec du papier grand-aigle,
+o&ugrave; Louis XV se fait une perruque avec des copeaux poudr&eacute;s de farine!</p>
+
+<p>Pauvres com&eacute;diens! toujours tournant le dos au succ&egrave;s, toujours gais et
+dispos, toujours &eacute;clatant en joyeuses histoires, la bo&icirc;te de Pandore
+sous le bras, la bo&icirc;te ouverte, l'esp&eacute;rance au fond!</p>
+
+<p>Destin! l'Olive! la Rancune! X... &eacute;tait votre fr&egrave;re! Et lui aussi &eacute;tait
+all&eacute; au Mans et partout, lui aussi e&ucirc;t jou&eacute; une pi&egrave;ce &agrave; lui tout seul!
+lui aussi e&ucirc;t fait en m&ecirc;me temps le roi, la reine et l'ambassadeur!</p>
+
+<p>C'est X... qui va trouver un correspondant dramatique: &laquo;Parbleu!
+monsieur, je viens vous demander une place dans la troupe que vous
+formez pour Abbeville!--Quel emploi jouez-vous?--Monsieur, quel est
+l'emploi que l'on paye le plus cher?--Monsieur, ce sont les premiers
+t&eacute;nors.--Eh bien! monsieur, mettez que je joue les premiers t&eacute;nors!&raquo; Et
+il joua les premiers t&eacute;nors.</p>
+
+<p>X... est maigre comme un vieux cheval; il mange comme un homme qui a eu
+app&eacute;tit toute sa vie. X... ne joue bien, &agrave; ce qu'il dit, que lorsqu'il
+a un coup de soleil--(son coup de soleil, il le jauge &agrave; huit litres).</p>
+
+<p>Mais il faut l'entendre annoncer, ainsi jauge, dans le drame moyen &acirc;ge
+la fameuse lettre patente: &laquo;C'est une lettre <i>&eacute;patante</i> du roi!&raquo;--il
+faut l'entendre prononcer sa fameuse phrase: &laquo;Allons! il se fait tard,
+regagnons notre pauvre chaumi&egrave;re; l&agrave;, du moins, nous go&ucirc;terons le
+bonheur que le riche ignore peut-&ecirc;tre sous ses <i>nombrils</i> dor&eacute;s!&raquo;--il
+faut encore entendre dire cette autre phrase de la <i>For&ecirc;t p&eacute;rilleuse</i>:
+&laquo;Faites tourner ce rocher sur ses gonds. Le capitaine ne plaisante pas;
+&agrave; la moindre <i>inflaction</i> &agrave; la discipline, il vous tranche la t&ecirc;te avec
+un sabre fra&icirc;chement <i>&eacute;molu</i>, comme je la tranche moi-m&ecirc;me &agrave; ces simples
+pavots!&raquo; Cette derni&egrave;re phrase, o&ugrave; X... employait toutes les
+cavernosit&eacute;s de sa voix, fit fr&eacute;mir trois mois le parterre de N&eacute;rac.</p>
+
+<p>Il y a dans X... pas mal de Panurge et beaucoup de Gringoire. Plus riche
+en ressources que Quinola, il a toujours &agrave; sa disposition soixante et
+trois mani&egrave;res de payer un &eacute;cot. Ne doutant de rien, et moins de lui que
+de toute autre chose, grand caract&egrave;re tout frott&eacute; de sto&iuml;cisme, assez
+indiff&eacute;rent aux pi&egrave;ces qui <i>descendent la garde</i>, accueillant les bravos
+avec gravit&eacute;, il d&eacute;jeune parfois d'une cro&ucirc;te tromp&eacute;e &agrave; la fontaine du
+com&eacute;dien de Le Sage; mais vient-il &agrave; d&icirc;ner, &agrave; d&icirc;ner avec la fine
+c&ocirc;telette aux cornichons, la sardine et l'omelette au lard, il ne songe
+nullement, je vous jure, &agrave; penser qu'il y a 365 d&icirc;ners dans l'ann&eacute;e.</p>
+
+<p>X... a une expression favorite:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> Un rien vous &eacute;tonne, et tout vous embarrasse.</p>
+</div></div>
+
+<p>Un de ses amis le rencontre &agrave; Paris: Quel emploi avais-tu &agrave;
+Lun&eacute;ville?--Hautbois.--Comment, hautbois? &Ccedil;a n'est pas un emploi, &ccedil;a. Et
+puis tu ne sais pas en jouer...</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+ <p class="i14"> Un rien vous &eacute;tonne, et tout vous embarrasse!</p>
+</div></div>
+
+<p>X... a toujours les mains sur les hanches, comme s'il cherchait la batte
+d'Arlequin. Il sautille; ses mouvements sont saccad&eacute;s. Il a l'air de
+remuer, piqu&eacute; d'une tarentule. Sa voix est aigu&euml;, aigre et criarde, et
+se raccroche en ses hiatus au perp&eacute;tuel <i>sangodemi</i>!--Quand il parle,
+il s'aide de ses yeux, et roule les prunelles comme s'il jouait dans la
+vie priv&eacute;e les tra&icirc;tres de Bouchard&eacute;.</p>
+
+<p>X... est pr&ecirc;t &agrave; tout, propre &agrave; tout. Un accessoire qui manque, il le
+remplace. Un souffleur, qui crut lui faire une mauvaise farce, lui
+souffla un soir tout le temps d'une pi&egrave;ce le journal <i>la Patrie</i>: X...
+improvisa un autre r&ocirc;le.--Dans je ne sais quel drame, l'horloge devait
+sonner trois heures. Elle ne sonne pas. X... s'approche de la rampe,
+fait: Tin!... tin!... tin!... et reprend: Trois heures ont sonn&eacute;!--Rien
+ne l'embarrasse. Je ne vous dirai pas qu'il jouera sans public, non;
+mais il jouera sans salle. A Rouen, le directeur du Th&eacute;&acirc;tre des Arts ne
+veut pas lui laisser donner sa repr&eacute;sentation &agrave; b&eacute;n&eacute;fice sur son
+th&eacute;&acirc;tre: X... va trouver le directeur d'un th&eacute;&acirc;tre de marionnettes, et
+lui loue sa salle. Il n'y avait qu'un inconv&eacute;nient: X... &eacute;tait plus haut
+que le th&eacute;&acirc;tre. Quand il &eacute;tait debout, sa t&ecirc;te &eacute;tait dans les frises.
+X... ne sourcille pas. Il se couche &agrave; terre, s'appuie sur un banc de
+gazon, et chante ainsi couch&eacute;: <i>Asile h&eacute;r&eacute;ditaire</i>, de <i>Guillaume Tell</i>,
+et dit la tirade de Gros Ren&eacute;, du <i>D&eacute;pit amoureux</i>. Il fit 47 fr. de
+recette. A un de ses amis qui lui disait: Comment.....?</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+ <p class="i14"> --Un rien vous &eacute;tonne, et tout vous embarrasse!</p>
+</div></div>
+
+<p>&Eacute;coutez ses vues sur l'esth&eacute;tique de l'art, quand &agrave; la Halle il va de
+chez Baratte chez Bordier, bras dessus, bras dessous, avec F..... qui
+l'avait ce soir-l&agrave; enguirland&eacute;, des pieds &agrave; la t&ecirc;te, d'une devanture
+d'herboristerie: &laquo;On n'a jamais compris Buridan de <i>la Tour de Nesle</i>;
+Buridan ne doit pas avoir une cape, une &eacute;p&eacute;e; c'est pas &ccedil;a. Buridan est
+un soldat qui revient de la guerre; il fume son br&ucirc;le-gueule, raconte
+ses campagnes, et demande un litre &agrave; 6!&raquo;</p>
+
+<p>A table d'h&ocirc;te, quand on enl&egrave;ve un service: Laissez! &laquo;laissez! dit X...
+Ces plats ne vous g&ecirc;nent pas; ils charment ma vue!&raquo;</p>
+
+<p>Grand com&eacute;dien que ce X...!--Ce n'est pas qu'il ne soit siffl&eacute;, et
+souvent, et beaucoup, et tr&egrave;s-fort! Mais il a le caract&egrave;re et le dos
+fait aux sifflets comme aux <i>frutti</i> du parterre de Rouen, et va se
+<i>guabelant</i> de tout cela.--Il joue le premier acte de <i>la Dame
+blanche</i>. Il est siffl&eacute;. Le second acte va commencer. Le directeur vient
+le pr&eacute;venir. Il trouve X... se d&eacute;shabillant tranquillement dans sa loge.
+&laquo;Mais vous &ecirc;tes donc fou! Et le second acte...--Je ne le sais pas, ni le
+troisi&egrave;me.--Comment?--J'ai toujours &eacute;t&eacute; siffl&eacute; au premier. Je n'ai
+jamais jou&eacute; le second.&raquo;--On lui jette un jour du paradis une t&ecirc;te
+d'oie.--Messieurs, dit X... en la ramassant, la personne qui a laiss&eacute;
+tomber sa t&ecirc;te pourra la r&eacute;clamer au vestiaire en sortant.</p>
+
+<p>Va, pauvre X...! pauvre m&eacute;connu! pauvre calomni&eacute;! va de sous-pr&eacute;fecture
+en sous-pr&eacute;fecture, m&eacute;pris&eacute; de tes coll&egrave;gues des grandes villes, pensant
+avec Bonaventure Des P&eacute;riers &laquo;qu'avec cent francs de m&eacute;lancolie, on ne
+paye pas pour cent sols de dettes&raquo;;--peut-&ecirc;tre un soir, dans le Midi,
+bien las et fatigu&eacute;, tu t'assi&eacute;ras sur un banc de pierre, sans un sou de
+courage ni d'argent, n'ayant plus qu'un vieil habit noir &agrave; vendre,
+l'habit de tes jeunes premiers; tu t'assi&eacute;ras, les pieds moulus et la
+mort dans le c&oelig;ur: alors une vieille femme passera qui te dira: &laquo;Venez
+chez moi.&raquo; Elle te fera bien souper et bien coucher. Et le matin, quand
+tu lui diras: &laquo;Je ne peux pas vous payer. Je suis com&eacute;dien; voil&agrave; mon
+habit&raquo;;--la femme le repliera, ton habit noir, et le remettera dans ton
+sac en te disant: &laquo;Moi aussi, j'ai un mauvais gar&ccedil;on de fils qui est &agrave;
+courir la France comme vous. Eh bien! s'il se trouvait dans votre
+position d'&agrave;-pr&eacute;sent, j'aimerais bien qu'il trouv&acirc;t une brave femme
+comme moi pour lui donner &agrave; manger et &agrave; coucher.&raquo;</p>
+
+<p>Sur la tombe du nomade, qu'on mette un masque comique, un b&acirc;ton de
+voyageur.</p>
+
+<a name="c16" id="c16"></a>
+<br><br>
+
+<h3>L'EX-MAIRE DE RUMILLY</h3>
+
+<p>C'&eacute;tait, apr&egrave;s tout, des gens d'esprit essayant de faire l'h&ocirc;tellerie de
+la vie bien fournie, mont&eacute;e, pourvue, garnie de toutes sortes de
+plaisances, charmes et agr&eacute;ments, dormant grasses nuit&eacute;es, riches et
+argent&eacute;s comme des mendiants qui re&ccedil;oivent de tout le monde, &eacute;cr&eacute;mant le
+plaisir et la satisfaction du mariage pour laisser au prochain ses
+charges, ennuis, chagrins et d&eacute;boires, se gagnant magnifiques, et
+bien-sonnants, et doux-flattants, revenus de leur ferme du ciel, ayant &agrave;
+port&eacute;e de la main toutes bonnes et d&eacute;sirables choses. Les belles
+plaines, avec fra&icirc;ches eaux, beaux pr&eacute;s valants, terres fertiles,
+salubres et d&eacute;licieuses, &eacute;taient leurs douaires et leurs hoiries
+pr&eacute;destin&eacute;s. &laquo;O gens heureux! &ocirc; demy-dieux!&raquo;--leur disait l'autre, les
+voyant autour des dix sept cent mille clochers de France, seigneurs de
+toutes les bonnes p&acirc;tures, beaux aspects de feuillade, et belles granges
+et basses-cours, et bois, et rivi&egrave;res, bien ameubl&eacute;s de tous gibiers,
+poissons, poulailles, bien vivant, mangeant, humant: &laquo;O demy-dieux! &ocirc;
+gens heureux! c'est paradiz en cette vie et en l'aultre pareillement
+avoir!&raquo;</p>
+
+<p>Habiles gens que ces &eacute;picuriens du maigre et du je&ucirc;ne! Des &eacute;tangs &agrave; ne
+pas les compter, o&ugrave; le filet n'avait qu'&agrave; se laisser tomber pour
+ramasser, &agrave; se rompre, brochets, carpes, brochetons, anguilles! Viviers
+de pierres de taille pour garder le tout bien vif et en sant&eacute;! All&eacute;es
+sabl&eacute;es pour l'abb&eacute;, de l'abbaye jusqu'&agrave; la belle vigne, folie et joie
+et r&eacute;confort des soir&eacute;es d'hiver, attendant les buveurs dominicaux,
+couch&eacute;s sur les coteaux de pierre &agrave; fusil! Domiciles d'&eacute;lection, de
+paix, de pitancerie, et de bien-&ecirc;tre, et de belle vue champ&ecirc;tre, avec le
+gai soleil pour &eacute;veilleur et sonneur de matines aux fen&ecirc;tres joyeuses,
+avec le gai soleil pour compagnon m&ucirc;risseur des espaliers &agrave; six &eacute;tages!
+Vergers frutescents, tout rougeauds de fruits; plantureux terrages,
+chauds nourriciers des grain&eacute;es opulentes; for&ecirc;ts qui font l'horizon
+vert, et le garde-manger encombr&eacute;; rivi&egrave;res &eacute;chapp&eacute;es &agrave; travers les
+peupliers, pour le babil des battoirs, et le tic-tac du moulin;
+ch&egrave;nevi&egrave;res mettant fine toile au corps; prairies d'&eacute;meraude, donnant
+bon beurre, bon fromage, et bonne viande: toutes gaudisseries de la
+gueule et des yeux, cherch&eacute;es et trouv&eacute;es en ces ch&acirc;teaux b&eacute;nis!--&laquo;Bien
+de moines!&raquo; &agrave; tous charmants coins de nature; &laquo;Bien de moines!&raquo; &agrave; tous
+riches terroirs, c'est le refrain populaire; aux pr&eacute;s de feutre: &laquo;Bien
+de moines!&raquo; aux gu&eacute;rets serr&eacute;s: &laquo;Bien de moines!&raquo; aux &eacute;tangs grands
+comme des lacs: &laquo;Bien de moines!&raquo; aux saul&eacute;es bruissantes: &laquo;Bien de
+moines!&raquo; &laquo;Bien de moines!&raquo; dira toujours le plus vieux du village. &laquo;Bien
+de moines!&raquo; ont dit les acheteurs des biens nationaux. &laquo;Bien de moines!&raquo;
+se disent les fermiers de leurs h&eacute;ritiers.</p>
+
+<p>Quel r&ecirc;ve entrevu, la premi&egrave;re fois qu'ils entr&egrave;rent au pays de Rumilly!
+C'&eacute;tait splendide jour de printemps, ou clair temps d'automne. Quelle
+ambition &eacute;veill&eacute;e par toutes les promesses de la gente contr&eacute;e! Et
+comme, leur qu&ecirc;te finie, les moines la quittent pensifs, tout songeant &agrave;
+un retour. Donations &agrave; ins&eacute;rer au cartulaire, indulgences &agrave; donner aux
+peccadilles de ces temps h&eacute;ro&iuml;ques et brutaux, ils ruminent la clef qui
+leur ouvrira le petit &Eacute;den. Et d&egrave;s 1104, ce sont moines de Molesmes
+entrant &agrave; Rumilly de par Hugues de Champagne. Hugues a retir&eacute; de son
+doigt son anneau. Il a jur&eacute; sur les &Eacute;vangiles, devant Pascal de Rome,
+Rithal, &eacute;v&ecirc;que d'Albe, l&eacute;gat du pape, Milon de Bar, l'acte de donation
+du village de Rumilly; et vite de Molesmes, pays raboteux, abrupte,
+temp&eacute;tueux, pays de grand vent et de mont&eacute;es o&ugrave; les mules se
+d&eacute;ferrent,--ils s'installent en cette patrie nouvelle &agrave; pentes molles, &agrave;
+promenades point essoufflantes aux bedaines b&eacute;ates. L'air y ventile,
+frais et doux, et la for&ecirc;t pare la bise. Beno&icirc;tement, les bonnes gens
+s'arrondissent &agrave; la sourdine d'un arpent, de deux, de cinquante,
+envahissant, de ci, de l&agrave;, tout le pays. Gauthier de Fresnoy leur
+accorde la moiti&eacute; de ses d&icirc;mes. Un autre jour, c'est le village de
+Saint-Parres qui leur est donn&eacute;; un autre, c'est le Bouchot; un autre,
+c'est Nice; un autre encore, Villeneuve-sur-Terrien; un autre, le
+Long-du-Bois; un autre, c'est le ch&acirc;teau de la Motte; un autre, c'est
+une verrerie &agrave; souffler larges flacons pour enserrer la pur&eacute;e
+septembrale, et verres g&eacute;n&eacute;reux pour porter les sant&eacute;s du souper. Pour
+des chemises, c'est Ad&egrave;le de Rumilly qui leur accorde la d&icirc;me sur le
+chanvre. Ce ne sont, en ce temporel de Carabas, que milliers de
+boisseaux de bl&eacute; et d'avoine; les arpents de terre, de bois, de pr&eacute;s ne
+s'y comptent plus que par centaines. Sous le poids de la dix-septi&egrave;me
+gerbe, du vingt et uni&egrave;me du chanvre et de la navette, cr&egrave;vent les
+granges. Vers les basses-cours trop &eacute;troites, on am&egrave;ne des quatre points
+cardinaux du lieu, en longues processions, oies, chapons, g&eacute;lines. Trois
+moulins, pour l'abbaye, tournent sur l'Hozain. Et pendant que Jean
+Collet &eacute;chaffaude entre les peupliers la tour blanche de son &eacute;glise,
+cinq petites tourelles &eacute;lancent dans le ciel leurs pointes d'ardoises
+pour l'abri et l'habitation d'honneur du seigneur abb&eacute;. Et de tant de
+jouissances charnelles, conquises en si peu de temps, le cantique de
+reconnaissance se lit aux murs tout &eacute;gay&eacute;s de paganisme. Sous les
+figures emm&eacute;daillonn&eacute;es dans les grandes chemin&eacute;es, c'est la devise:
+<i>Jupiter Custos</i>. Sur les chapiteaux des colonnes qui soutiennent le
+promenoir d'&eacute;t&eacute;, des enfants &agrave; cheval sur des cygnes font cabrer leurs
+montures, et les Amours, &agrave; ailes rogn&eacute;es, qui jouent du <i>psalterion</i>,
+semblent chanter, en leurs musiques inentendues, le <i>Credo</i> mythologique
+du <span class="sc">XVI</span>e si&egrave;cle; m&ecirc;me au-dessus de la porte, passage particulier de
+l'abb&eacute;, le tailleur de pierre jette, dans les lambrequins, la t&ecirc;te
+&eacute;chevel&eacute;e d'Ariane.</p>
+
+<p>Mais tout cela &eacute;tait hier, et je veux conter aujourd'hui. D&eacute;bouchez un
+jour de mai par l'ancienne route de Paris: la plaine qui entoure Rumilly
+vous appara&icirc;t immense et plate, toute couverte de bl&eacute;s verts, o&ugrave; la
+houle jette en courant ses moires blanches. Plus loin, une ligne qui
+serpente, d'oseraies et de peupliers. Quelques tuiles de toits percent
+de rouge les feuillages. Puis les cinq tourelles bleu&acirc;tres du ch&acirc;teau,
+la tour blanche de l'&eacute;glise. L&agrave;-dessus, le coteau monte, couvert
+d'arbres fruitiers fleuris. Le soleil joue dans la neige mate des
+fleurs, y posant par places des brillants, comme dans de l'argent bruni.
+Au haut du coteau, un panache d'un vert sourd qui fait ressauter les
+verdures a&eacute;riennes des premiers plans.--Sur le chemin vicinal qui va du
+village &agrave; la route, il marche un androgyne de six pieds de haut, entoil&eacute;
+d'un coutil gris qui dessine d'amples gigots aux bras. A chaque enjamb&eacute;e
+sous la blouse longue se cache et se laisse voir, pudibonde et modeste,
+la broderie anglaise d'un pantalon de petite fille. Des souliers de
+prunelle chiffonnent leurs rubans de soie noire autour d'une cheville en
+paturon. Le vieillard s'avance, hercul&eacute;en, dans un balancement craintif
+et sautillant. Il a sur la t&ecirc;te nue une perruque qui semble une touffe
+de mousse dess&eacute;ch&eacute;e, &agrave; cheval sur deux immenses oreilles couleur de
+vieille pr&eacute;paration de cire. Au front, un nez gigantesque commence; un
+nez non pareil auquel on dirait que courent toutes les lignes du menton
+et des joues comme si elles s'effor&ccedil;aient d'amarrer au visage cet
+insolite morceau de chair pr&ecirc;t &agrave; fuir. Ainsi nasalement pourvu, la t&ecirc;te
+du vieillard a l'air de ces hydroc&eacute;phales de buis qui servent
+d'enseignes drolatiques aux marchands de parapluies. Il tient en main
+une ombrelle ouverte. L'ombrelle de soie met au chef de l'homme des
+reflets roses.</p>
+
+<p>Il s'avance relevant sa jupe pour la moindre rigole. Il remonte ses
+gigots, tout en scrutant d'un &oelig;il de ma&icirc;tre les champs, les gens, les
+mares et les canards. Il s'arr&ecirc;te tout au bord de la route. Il jette un
+regard du c&ocirc;t&eacute; de Paris. Il revient. Il trottine, faisant des
+coquetteries de d&eacute;marche, et se retournant. Il s'ajuste. Il se trousse,
+se d&eacute;trousse et se retrousse.</p>
+
+<p>Cet homme est le seigneur suzerain de cette ancienne terre de moinerie.
+Cet homme commande au pouvoir spirituel. Cet homme r&egrave;gle les obligations
+du ma&icirc;tre d'&eacute;cole envers la commune. Cet homme donne le mot d'ordre &agrave;
+cette police qui est le garde champ&ecirc;tre. Cet homme requiert cette force
+civile qui est la garde nationale. Quand cet homme rentre de son
+invariable promenade, les int&eacute;r&ecirc;ts locaux, et les contestations, et les
+demandes, et les placets sont &agrave; sa porte, bonnet bas, r&eacute;v&eacute;rences pr&ecirc;tes.
+Cet homme est le maire de Rumilly.</p>
+
+<p>--&laquo;Az&eacute;lie--a-t-il dit--donnez-moi mon ouvrage.&raquo;</p>
+
+<p>Il a tir&eacute; une longue broderie. Il a mis son d&eacute;, il a enfil&eacute; son
+aiguille. Il a ses yeux de vingt ans. Il ne met pas de lunettes. Il
+brode au feston la longue bande.--C'est le baldaquin qu'il destine &agrave; son
+lit.</p>
+
+<p>Celui-ci entre, et celui-l&agrave;. Ils s'asseyent. M. Jousseau poursuit son
+feston. Ses doigts agiles vont et viennent. Il a crois&eacute; une de ses
+jambes par-dessus l'autre, et il travaille. L'un dit que les oisonneaux
+de Mathieu trouent sa haie; l'autre qu'il faudrait un nouvel
+instituteur, que celui qu'on a se grise, et que les enfants n'y
+apprennent rien, et qu'il n'est jamais lev&eacute; pour sonner l'<i>Angelus</i>; un
+autre qu'il faudrait voir le pr&eacute;fet pour le proc&egrave;s des grands bois que
+la commune a avec l'&Eacute;tat. M. Jousseau dit &agrave; l'un: &laquo;Vraiment?--&agrave; l'autre:
+&laquo;Possible!&raquo; Il brode toujours. Il ajoute: &laquo;J'irai &agrave; Paris, le mois
+prochain,&raquo;--et il r&eacute;p&egrave;te: &laquo;J'irai &agrave; Paris.&raquo;</p>
+
+<p>De la cuisine, une voix aigre s'&eacute;chappe:--&laquo;A Paris? y pensez-vous,
+Monsieur? J'ai cent cinquante dindons &agrave; &eacute;lever cette ann&eacute;e! Vous allez,
+comme &ccedil;a me laisser seule?&raquo;</p>
+
+<p>Apr&egrave;s souper,--quand c'est l'hiver,--Az&eacute;lie a mis de l'huile dans son
+<i>bureton</i>. M. Jousseau le prend &agrave; la main. Az&eacute;lie marche avec ses sabots
+dans la nuit noire. Elle porte un rouet, et une quenouille charg&eacute;e. M.
+Jousseau marche apr&egrave;s Az&eacute;lie, se garant des pierres et du ruisseau de
+fumier de la ferme. Les voil&agrave; arriv&eacute;s, lui et elle, &agrave; la veill&eacute;e des
+femmes: tous les rouets sont en jeu. Quand les comm&egrave;res le voient:--&laquo;M.
+Jousseau, mon dernier a une foulure.&raquo;--&laquo;Il faut une omelette aux
+cloportes,--dit M. Jousseau,--je vous ferai l'ordonnance.&raquo; Il s'arrange
+&agrave; son rouet.--&laquo;M. Jousseau, mon homme a son rhumatisme.&raquo;--&laquo;Bonne femme,
+c'est qu'il ne porte plus les trois marrons que je lui ai dit de porter
+dans la poche de son pantalon.&raquo;--M. Jousseau a mis son rouet en train.
+Il ordonne encore d'autres rem&egrave;des, et sous son pied g&eacute;ant chauss&eacute; de
+prunelle, son rouet en fi&egrave;vre tournoie et ronronne dans la grange, plus
+strident que tous les autres.</p>
+
+<p>M&eacute;prise du cr&eacute;ateur que cette cervelle femelle log&eacute;e dans cette
+caricature de m&acirc;le? Cervelle coul&eacute;e au moule des gyn&eacute;c&eacute;es, engou&eacute;e de
+chiffons, man&oelig;uvrant toute la machine solide de ce corps ridicule aux
+petits travaux des Arachn&eacute;s! Homme-femme ayant ambition depuis trente
+ans d'aller &agrave; Paris pour caresser de l'&oelig;il les belles robes et les beaux
+bonnets, et les petits brodequins! Et les paysans lui pardonnent &agrave; ce
+maire enjuponn&eacute;, fiers de vous montrer l'&eacute;criture calligraphi&eacute;e de ses
+grotesques ordonnances m&eacute;dicales.</p>
+
+<p>La veill&eacute;e est finie. Il est rentr&eacute; chez lui. Il est dans son lit, M.
+Jousseau. Il a la t&ecirc;te sur son oreiller; sa chandelle est sur sa table
+de nuit. Ses volets sont bien ferm&eacute;s, les rideaux de sa fen&ecirc;tre tir&eacute;s.
+Il est couch&eacute; sur le dos; il tripote dans ses longs et grands doigts
+noueux quelque chose, et le retourne et le fa&ccedil;onne comme une m&egrave;re
+habille son enfant. Il a un petit carton pr&egrave;s de lui, o&ugrave; il puise et
+remet tant&ocirc;t un chiffon, et tant&ocirc;t un autre. Ces chiffons ressemblent, &agrave;
+de petits v&ecirc;tements: voil&agrave; un petit b&eacute;guin et voil&agrave; une petite jupe. Il
+travaille avec tout cela dans la ruelle contre le mur. C'est long ce
+qu'il fait; il s'impatiente; il prend une &eacute;pingle sur la table de nuit;
+il se pique. Il bougonne sourdement. Cela avance. Il sifflote un petit
+air. Il lui faut maintenant ses deux mains; il met l'&eacute;pingle entre ses
+dents. L&agrave;! voil&agrave; qui est fini. Il fait sauter cela sur son s&eacute;ant,
+regarde et donne encore un coup de main ici et l&agrave;: c'est sa poup&eacute;e qu'il
+vient d'habiller. La chandelle tant&ocirc;t ramasse sa flamme au-dessus de son
+champignon qui charbonne, tant&ocirc;t la lance bien haut par-dessus; et au
+mur, le petit paquet de chiffons que branle le vieillard remue. Au mur,
+aussi, l'&eacute;norme nez du vieillard se projette, mettant une grande ombre
+bien noire qui marche et r&eacute;trograde selon que la chandelle flambe ou se
+reploie. Au mur, ce nez &eacute;norme se profile net; et d'une ligne cern&eacute;e, la
+silhouette &eacute;trange tremblotte, toujours &agrave; sa m&ecirc;me place, grandissante,
+puis immobile; tandis que promen&eacute;e et ballante sur les plis des draps,
+la poup&eacute;e estompe plus bas l'ombre allong&eacute;e de ses oripeaux qui
+dansent...</p>
+
+<p>Le dimanche gras, il arrive &agrave; Rumilly une grande caisse de Paris pour M.
+Jousseau.--M. Jousseau s'enferme avec sa caisse; m&ecirc;me Az&eacute;lie ne sait ce
+qu'il fait enferm&eacute;.</p>
+
+<p>A midi, le mardi gras, M. Jousseau sort dans son cabriolet d'osier.</p>
+
+<p>Quand M. Jousseau passe en son cabriolet d'osier devant le portail de
+l'&eacute;glise, le saint Martin sous son dais festonn&eacute; ajust&eacute; aux meneaux l&egrave;ve
+son petit bras de pierre et met sa main devant ses yeux, en auvent, pour
+mieux voir. Les figurines qui vivent &agrave; chaque jambage perch&eacute;es sur une
+colonne torse, dans un habitacle clochetonn&eacute;, se penchent et se dressent
+sur la pointe du pied et s'avancent. L'ange &agrave; droite qui porte un beau
+lis &agrave; la main s'oublie, curieux, et grimp&eacute; jusqu'au haut des accolades,
+s'accoude sur les armes de France, laissant ses voisins en mauvaise
+position et mal en point pour voir. Petit &agrave; petit les saints s'essayent
+tous &agrave; d&eacute;ranger de la t&ecirc;te les gouttes de glace, r&eacute;unies en grappes, qui
+pendent &agrave; leurs petites couronnes sculpt&eacute;es. Le soleil, jusque-l&agrave;
+endormi dans son lit de nuages gris, s'&eacute;veille et met une mouche d'or au
+bout du nez de la Vierge qui fait vis-&agrave;-vis &agrave; l'ange de l'Annonciation,
+les yeux baiss&eacute;s. Voil&agrave; que la jolie Vierge l&egrave;ve elle aussi, pour
+regarder, ses paupi&egrave;res de pierre toute noircies des larmes de la pluie
+d'hiver. La grande rose &agrave; six feuilles en c&oelig;ur resplendit comme une
+prunelle de cyclope dilat&eacute;e; et les monstres des goutti&egrave;res, et les
+ap&ocirc;tres qui demeurent contre les contre-forts sont tout &eacute;jouis et
+remuants d'aise d'avoir les plus hautes et les meilleures places, tant
+elle est curieuse, unique et merveilleuse, la chose &agrave; voir! M&ecirc;me comme
+les portes sont ouvertes, du fond de l'&eacute;glise, les personnages du
+retable, les soldats juifs et les saintes femmes t&acirc;chent de jeter l'&oelig;il
+par-dessus les chandeliers d'argent de l'autel, et les deux larrons
+quasi-morts retrouvent un regard pour ce spectacle &eacute;trange:--M.
+Jousseau, M. le maire, dans son cabriolet d'osier, d&eacute;file devant
+l'&eacute;glise costum&eacute; en odalisque!</p>
+
+<p>Le cur&eacute; qui a lu la chronique du pays, disait sur le pas du presbyt&egrave;re:
+&laquo;O Jean Collet, vous qui &eacute;lev&acirc;tes notre &eacute;glise de Rumilly, si belle
+qu'un monsieur de Paris est venu la dessiner l'autre ann&eacute;e, et que le
+pr&eacute;fet l'a regard&eacute;e l'autre jour! Vous qui l'&eacute;lev&acirc;tes, pieux Jean
+Collet, chanoine et official de Troyes, par trente-quatre ans de qu&ecirc;tes
+patientes au travers des contr&eacute;es chr&eacute;tiennes, architecte de charit&eacute;! ne
+serait-ce pas votre m&eacute;chant petit fr&egrave;re Claude,--Claude qui, perdant
+que vous faisiez, arm&eacute; de votre aum&ocirc;ni&egrave;re, croisade pour conqu&eacute;rir cette
+belle maison de Dieu, crayonnait sur tous les murs un grand enfer,
+&eacute;crivant au-dessous, le m&eacute;cr&eacute;ant!</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> En ce palud et horrible manoir</p>
+<p class="i14"> N'est cordelier, ni moine blanc ou noir</p>
+<p class="i14"> On s'en estonne, et le peintre respond:</p>
+<p class="i14"> S'il y en a, mais on ne peut les voir.</p>
+<p class="i14"> Parce qu'ils sont mussez au plus profond.</p>
+</div></div>
+
+<p>&laquo;Claude, ce po&egrave;te d'H&eacute;rodiades, qui donnait &agrave; lire aux beaux amidonn&eacute;s
+de son temps, l'<i>Oraison de Mars aux dames de la cour</i>;--ne serait-ce
+pas, &ocirc; pieux Jean Collet, votre m&eacute;chant malin de fr&egrave;re qui revient un
+instant de l'<i>Ile des Hermaphrodites</i> en guenon habill&eacute;e, pour distraire
+et mettre en &eacute;meute les saints, les saintes, la Vierge et les anges et
+les &eacute;veiller de leur r&ecirc;ve de paradis et faire les cornes &agrave; votre pauvre
+&acirc;me tr&eacute;pass&eacute;e, dites, &ocirc; Jean Collet?&raquo;</p>
+
+<a name="c17" id="c17"></a>
+<br><br>
+
+<h3>MARIUS CLAVETON</h3>
+
+<p><i>Honorable monsieur, je suis &agrave; la porte de votre habitation. Depuis que
+j'ai eu l'honneur de vous voir, j'ai achet&eacute; des v&ecirc;tements, afin de
+pouvoir me pr&eacute;senter l&agrave; o&ugrave; j'ai affaire. Je suis mieux v&ecirc;tu, mais mon
+pauvre nez souffre bien. Je me recommande &agrave; votre bon c&oelig;ur.</i><br>
+
+<span class="rig"><span class="sc">Marius Claveton.</span></span></p><br>
+
+<p><i>Mon pauvre nez! mon pauvre nez!</i></p>
+
+<p>L'honorable monsieur fit entrer le visiteur, et lui donna de quoi
+acheter du tabac.</p>
+
+<p>Marius Claveton est m&eacute;ridional, mais, &agrave; cela pr&egrave;s qu'il jure par
+<i>p&eacute;ca&iuml;re</i>, il n'est pas de son pays: il est modeste, il est discret, il
+est taciturne. Il sait l'&eacute;tiquette entre gens qui n'ont rien et gens qui
+ont un peu plus. Invitez-le &agrave; d&eacute;jeuner, il acceptera, mais de cet air
+honteux que devait avoir, je ne me rappelle plus, quel auteur du <span class="sc">XVIII</span>e
+si&egrave;cle, qui r&eacute;pondait quand un seigneur l'invitait: Vous &ecirc;tes bien poli,
+monsieur, j'ai d&icirc;n&eacute; hier. Des quatre ou cinq personnes qui l'obligent,
+il accepte la pi&eacute;cette, mais un peu rouge, et croyant d'ailleurs
+fermement qu'il ne fait qu'emprunter. Il attend de confiance le payement
+d'un billet id&eacute;al le lundi, et le mardi, d&egrave;s qu'il l'aura escompt&eacute;, il
+viendra mettre &agrave; votre disposition <i>et sa bourse et ses services</i>.--Deux
+points de feu dans les yeux.--Marius Claveton est un petit homme, les
+cheveux tr&egrave;s-noirs, le visage impitoyablement vrill&eacute; de petite v&eacute;role,
+de grosses l&egrave;vres rouges sensuelles et &eacute;panouies, le nez au vent.</p>
+
+<p>Defauconpret a beaucoup traduit; il a traduit quatre cent vingt-deux
+volumes. Marius Claveton a peut-&ecirc;tre traduit encore plus de volumes que
+Defauconpret, car Marius n'a &laquo;ne cens, ne rente, ne avoir&raquo;, comme ce bon
+larron de Villon. Marius vit &agrave; traduire de l'anglais.</p>
+
+<p>Quand Marius a six sous, et de plus de quoi acheter des plumes et du
+papier, il va dans un certain cabinet de lecture qui poss&egrave;de bon nombre
+de livres anglais. Il s'attable, et, comme il a l'intelligence preste,
+la main vive et l'&eacute;criture exp&eacute;ditive, il &eacute;crit couramment sa
+traduction, fatiguant le plus de bouts d'ailes, emplissant le plus de
+papier qu'il peut.</p>
+
+<p>A quatre heures, il se l&egrave;ve, essuie ses plumes, et va proposer, de
+petits journaux en petits journaux, sa main de papier noircie. Une
+quarantaine de sous est le salaire ordinaire. Marius ach&egrave;te du tabac,
+d&icirc;ne avec une friture dans un cornet de papier, et se couche et s'endort
+pour recommencer le lendemain.</p>
+
+<p>Un soir un de ses protecteurs qui le savait confin&eacute; au lit, faute de
+pantalon, vint lui rendre visite. Marius logeait rue Saint-Jacques, &agrave;
+l'h&ocirc;tel de Gr&egrave;ce,--en son h&ocirc;tel de Gr&egrave;ce, comme il avait l'habitude de
+dire.--Le protecteur monte l'escalier, il frappe.--Qui est l&agrave;? crie
+Marius.--C'est moi.--Honorable monsieur! honorable
+monsieur!--L'honorable monsieur entendit des all&eacute;es et venues dans la
+chambre; puis ce fut comme un fr&ocirc;lement de linge. Marius passait une
+chemise. Il ouvrit. L'honorable monsieur faillit &ecirc;tre renvers&eacute;: la
+chambre de Marius empestait le suif et l'humanit&eacute;. Marius n'avait que sa
+chemise. Le monsieur prit son c&oelig;ur &agrave; deux mains et fit un pas en avant.
+Dans la chambre, il y avait une chaise et un lit, et sur la chaise une
+chandelle cannel&eacute;e de coulures avec un pied-de-nez. Le lit n'avait pas
+de draps.--Honorable monsieur, asseyez-vous.--Marius,--le M&eacute;ridional, se
+retrouvait ici,--se croyait assez de chaises pour faire asseoir
+quelqu'un.--Merci, je m'en vais, dit l'honorable monsieur en tendant un
+paquet de hardes &agrave; Marius. Voici pour vous; j'ai une dame qui m'attend
+en bas.--Eh bien, faites monter cette dame! dit h&eacute;ro&iuml;quement Marius.</p>
+
+<p>Le costume de Marius est d'ordinaire compos&eacute; d'aum&ocirc;nes partielles que
+lui font quelques artistes de sa connaissance. On se cotise, on apporte,
+qui un gilet, qui une redingote, qui un pantalon, ce qui vous permet de
+deviner que le costume de Marius est d'un style &eacute;minemment composite;
+les charit&eacute;s qu'on lui fait &eacute;tant de tous ordres et les habits qu'on lui
+donne &eacute;tant de toutes dates. Mais cela ne fait gu&egrave;re &agrave; Marius; il marche
+dans tous ces morceaux de drap collig&eacute;s, comme Diog&egrave;ne dans son haillon,
+et ne s'aper&ccedil;oit des trous que quand ils sont grands.</p>
+
+<p>Et savez-vous, mesdames, ce que ce d&eacute;guenill&eacute; traduit, et quelle est sa
+veine et sa sp&eacute;cialit&eacute; d'interpr&eacute;tation &agrave; ce costum&eacute; d'aum&ocirc;nes? il
+traduit, le plus souvent, les parfumeries, la parfumerie de Windsor et
+la parfumerie de Smyrne, les senteurs d'&Eacute;nis-el-Djelis et les vinaigres
+de lady! il traduit les articles sur les strigilles, les gauzapes, les
+<i>alipili</i> et les <i>elacothesii</i>. Il se pla&icirc;t aux toilettes d'exquise
+&eacute;l&eacute;gance; il entre en tous les d&eacute;tails des soins internes, en toutes les
+parures du corps! Il traduit tous vos auxiliaires, mesdames; les
+sachets, les savons, les pots-pourris, les pr&eacute;parations balsamiques, les
+bains de V&eacute;nus, les eaux de Jouvence, les laits de beaut&eacute;! Il dit chaque
+&#969;&#963;&#956;&#951; du gyn&eacute;c&eacute;e; il dit, d'apr&egrave;s les Guerlains in&eacute;dits de
+la Grande-Bretagne, le castor&eacute;um, le crocus, la marjolaine, le storax;
+il dit les stagonies d'encens et les roses de Tunis, et d'&Eacute;gypte, et de
+Campanie, et que nous devons &agrave; N&eacute;ron l'art de s'oindre la plante des
+pieds! Il conte toutes les ressources de l'Orient, &Eacute;den des parfums, le
+musc, l'ambre, la civette, le jasmin, le nard, le macis, le girofle, le
+b&eacute;tel et le ginseng! Il traduit toutes les joies de l'&eacute;piderme, le
+massage, et les essences et les ar&ocirc;mes! Il traduit, mesdames,--ce Marius
+sale et pouilleux, et qui pue,--il traduit pour vous toutes les recettes
+de Calcutta et de T&eacute;h&eacute;ran, tous les secrets de l'hygi&egrave;ne de la beaut&eacute;!
+Il plonge sa plume en toutes les extases de l'odorat. Pour vous,
+mesdames, il fait passer d'anglais en fran&ccedil;ais tout ce qui assouplit
+l'&eacute;piderme, tout ce qui veloute la peau, tout ce qui fait la femme
+savoureuse, et en bon point pour les d&eacute;sirs!</p>
+
+<p>Marius trouve le Luxembourg &agrave; sa porte, les habits des autres &agrave; sa
+taille, <i>il n'est rien d'&eacute;gal au tabac</i> de Sganarelle &agrave; son go&ucirc;t, la
+mis&egrave;re qu'il m&egrave;ne &agrave; sa guise.</p>
+
+<p>Je ne connais qu'un malheur et qu'une douleur arriv&eacute;s &agrave; Marius.</p>
+
+<p>Marius,--il para&icirc;t que, cette apr&egrave;s-midi l&agrave;, le journal o&ugrave; il s'&eacute;tait
+pr&eacute;sent&eacute; manquait de copie,--Marius revenait avec huit francs dans sa
+poche. Huit francs! P&eacute;ca&iuml;re! Huit francs! une fortune! Huit francs!! Si
+Marius e&ucirc;t d&ucirc; jamais conna&icirc;tre l'orgueil, il l'e&ucirc;t fait ce soir-l&agrave;. Il
+&eacute;tait tard! Marius trouva la frituri&egrave;re o&ugrave; il d&icirc;nait ferm&eacute;e. Marius
+remonta gaiement la rue Saint-Jacques. Il arriva ainsi chez Tonnelier.
+Il d&icirc;na, il but du vin. Marius d'ordinaire ne buvait que de l'eau. Le
+lendemain, aux premi&egrave;res fra&icirc;cheurs du matin, Marius se retrouva dans un
+terrain vague, pr&egrave;s de la barri&egrave;re du Maine, le corps meurtri, la t&ecirc;te
+troubl&eacute;e, avec ses bottes aux pieds et sa chemise au dos,--rien de plus.
+Marius avait l'inexp&eacute;rience du vin. Il s'&eacute;tait gris&eacute;; on l'avait battu,
+on l'avait vol&eacute;, et l&agrave;-dessus il s'&eacute;tait endormi. Marius reprit le
+chemin de son chez lui, donnant &agrave; regarder aux laiti&egrave;res sans le savoir,
+essayant de voir clair dans son histoire et ne s'y reconnaissant pas
+trop, la langue &eacute;paisse, les jambes molles. Il n'&eacute;tait pas encore assez
+d&eacute;gag&eacute; pour comprendre ses infortunes et son peu de costume. La porti&egrave;re
+de l'h&ocirc;tel de Gr&egrave;ce, en l'apercevant, partit d'un &eacute;clat de rire. Le
+pauvre Marius ouvrit les yeux; il vit que les voleurs lui avaient fendu
+sa chemise par devant,--du haut en bas. Ce n'&eacute;tait plus qu'une
+redingote. Marius se vit comme il &eacute;tait; il vit la porti&egrave;re rire,--il se
+mit &agrave; pleurer comme un enfant.</p>
+
+<a name="c18" id="c18"></a>
+<br><br>
+
+<h3>LOUIS ROGUET</h3>
+
+<p>Et ce sont, d&egrave;s l'enfance comme dans l'histoire de tous les sculpteurs,
+des tentatives, des essais. Les angles des pupitres du coll&eacute;ge d'Orl&eacute;ans
+se d&eacute;coupent en silhouettes caricaturales; la neige, la terre, la cire,
+tout vient prendre forme sous les doigts du jeune modeleur. L'attention
+s'&eacute;veille autour de ses d&eacute;buts. Vient l'&eacute;poque des &eacute;tudes s&eacute;rieuses, des
+&eacute;tudes du matin au soir, des exp&eacute;riences, des t&acirc;tonnements, des luttes,
+des premiers travaux, des premiers encouragements. Le rayonnement n'est
+pas consid&eacute;rable. Mais le portrait de l'assassin Abraham Serain derri&egrave;re
+les barreaux de sa prison, un groupe repr&eacute;sentant <i>un Fils recevant les
+derniers soupirs de sa m&egrave;re</i>, &eacute;veillent la curiosit&eacute;. Les charges de
+quelques notables, inspir&eacute;es de l'humour de Dantan, font le jeune homme
+redoutable dans une ville de province: c'est le succ&egrave;s.</p>
+
+<p>Mais Rogues ne s'abuse pas; il sait tout le premier la faiblesse de ces
+commencements. Il a soif de Paris, de Paris o&ugrave; l'&eacute;tude a des
+comparaisons, des mod&egrave;les; de Paris o&ugrave; le travail rend tout ce qu'on lui
+donne. Il veut un public. Il sait que l&agrave; de vrais jugeurs font justice
+des grands hommes de province et des g&eacute;nies de sous-pr&eacute;fecture; il sait
+que c'est un crible immense qui s&eacute;pare le bon grain de l'ivraie; il le
+sait, et il part. Il descend &agrave; l'atelier de Drolling, et attaque la
+glaise avec fureur, n'interrompant l'acad&eacute;mie que pour courir &agrave;
+l'amphith&eacute;&acirc;tre, et puisant dans sa constitution hercul&eacute;enne la force de
+recommencer tous les jours. Voici les bustes de Boursy, Jules Saladin,
+B&eacute;hic, Paillet, Chopin, Buchon, David, Baroche, de Larochejaquelein, les
+uns originaux, les autres copi&eacute;s, mais des copies redoutables aux
+ma&icirc;tres; voici les figurines de madame Paillet, de mademoiselle
+M&eacute;quillet dans le r&ocirc;le de Valentine des <i>Huguenots</i>, d'Audran dans <i>Ne
+touchez pas &agrave; la Reine</i>; voici trois m&eacute;dailles obtenues en 1844, 1845,
+1847. De ses esquisses perdues, nous nous rappelons une &eacute;tude de la
+Nuit, la t&ecirc;te pench&eacute;e en arri&egrave;re, effleurant d'un pied le globe
+terrestre, laissant tomber de ses bras relev&eacute;s une draperie toute
+constell&eacute;e d'&eacute;toiles. La draperie voletait jusqu'aux pieds, nuageuse et
+perdue, dessinant ce beau corps, le caressant avec des ondulations de
+vagues.</p>
+
+<p>Mais ce fut un jour de r&ecirc;verie que Roguet jeta sur la glaise cette s&oelig;ur
+de la <i>M&eacute;lancolia</i>, un jour qui n'eut gu&egrave;re de lendemains. L&agrave; n'&eacute;tait
+point sa veine. Ce qu'il fallait &agrave; Roguet, c'&eacute;taient les larges
+musculatures, les formes pl&eacute;b&eacute;iennes de la matrone romaine, les enfants
+charnus &agrave; la Jules Romain, les m&ecirc;l&eacute;es aux lignes imp&eacute;tueuses, les
+pantomimes h&eacute;ro&iuml;ques, les fougues d'une pens&eacute;e mat&eacute;rialiste, un combat,
+une victoire &agrave; couler dans le bronze, &agrave; d&eacute;corer un arc triomphal; ce
+qu'il lui fallait, c'&eacute;taient les contours terribles. Michel-Ange allait
+&agrave; lui.</p>
+
+<p>L'homme se traduisait dans ses &oelig;uvres. Dou&eacute; d'une vigueur d'athl&egrave;te,
+prenant plaisir aux tours de force, et l'emportant sur tous; faisant de
+son atelier une sorte de <i>palestre</i>; exer&ccedil;ant ses membres pour retrouver
+chez lui les lignes qu'il aimait en ses mod&egrave;les; jetant un jour un
+municipal et son cheval &agrave; terre; vivant d'apr&egrave;s les anciens pr&eacute;ceptes du
+gymnase; buvant de l'eau, se privant de V&eacute;nus; c'&eacute;tait un des derniers
+fanatiques de la force, et de l'image de la force. Il vous prenait une
+admiration et un &eacute;tonnement &agrave; regarder cette t&ecirc;te qui rappelait le
+masque du Jupiter Olympien, ces yeux de lion, ces sourcils &eacute;pais, ce
+front et ce nez droits, ce menton court, ce front haut et large, ces
+cheveux tombant du sommet de la t&ecirc;te comme une crini&egrave;re blonde.</p>
+
+<p>Caract&egrave;re d'une &acirc;pret&eacute; dominante, nature batailleuse, se cabrant pour un
+rien, il voulait tout autour de lui des amiti&eacute;s souples et maniables qui
+ne lui fissent pas ombrage. Violent comme une &eacute;nergie qui a conscience
+d'elle-m&ecirc;me, il adorait sa m&egrave;re; mais, dans son adoration, n'entrait-il
+pas un peu de reconnaissance pour l'affection soumise et comme
+ob&eacute;issante que lui portait l'excellente femme?--Ame valeureuse faite
+pour la lutte et pour les chocs, taill&eacute;e &agrave; grands coups; une &acirc;me du <span class="sc">XVI</span>e
+si&egrave;cle d&eacute;pays&eacute;e dans le n&ocirc;tre. Mais d&eacute;vou&eacute; gar&ccedil;on, mais tout d&eacute;bordant
+de franchise, mais loyal, loyal &agrave; ce point qu'il ne douta jamais de la
+loyaut&eacute; de personne, et qu'un jour, il lui arriva sur le terrain, de
+dire &agrave; un adversaire de premi&egrave;re force: &laquo;Monsieur, je n'ai jamais touch&eacute;
+une arme. Je vous demande un an pour vous rendre raison.&raquo;</p>
+
+<p>En 1848, l'&eacute;l&egrave;ve de Duret concourut pour le prix de Rome, et obtint le
+second grand prix.</p>
+
+<p>Puis on mit la statue de la R&eacute;publique au concours. Roguet v&ecirc;tit son
+esquisse du drapeau tricolore, la hampe du drapeau appuy&eacute;e contre le
+sein gauche, une &eacute;p&eacute;e &agrave; la main, un pied sur un pav&eacute;. Cette R&eacute;publique,
+emport&eacute;e comme la Libert&eacute; de Delacroix, mais toute magnifique de
+s&eacute;r&eacute;nit&eacute; en sa fi&egrave;vre,--le meilleur, sans contredit de tous les
+envois,--fut jug&eacute;e digne d'&ecirc;tre ex&eacute;cut&eacute;e en grand mod&egrave;le et coul&eacute;e en
+bronze.</p>
+
+<p>Mais d&eacute;j&agrave; une toux s&egrave;che le fatiguait. Le cheval qu'il avait jet&eacute; &agrave;
+terre lui avait un moment recul&eacute; sur la poitrine, et depuis ce moment
+il &eacute;prouvait des malaises; puis ce furent des douleurs. On lui
+conseilla le repos; mais il se souciait bien de cela vraiment!--Il entre
+en loge tout enfi&eacute;vr&eacute;, et malade &agrave; ce point qu'il est oblig&eacute; de demander
+un matelas pour se jeter dessus &agrave; l'heure de ses redoublements de
+fi&egrave;vre. Le vingt-deuxi&egrave;me jour, l'&eacute;bauchoir lui tombe des mains, et son
+bas-relief reste inachev&eacute;. Le jury des beaux-arts est appel&eacute; &agrave; juger le
+bas-relief inachev&eacute;: Teucer bless&eacute; par Hector et d&eacute;fendu par Ajax. Il
+juge &laquo;&agrave; la majorit&eacute; de vingt-trois voix sur vingt-cinq, la composition
+de Louis Roguet digne du premier grand prix, et d&eacute;cide qu'apr&egrave;s avoir
+re&ccedil;u, en s&eacute;ance solennelle, la m&eacute;daille d'or, il sera envoy&eacute; &agrave; Rome aux
+frais du gouvernement.&raquo;</p>
+
+<p>Apr&egrave;s un court s&eacute;jour &agrave; Hy&egrave;res, il arriva &agrave; Rome, o&ugrave; ses r&ecirc;ves l'avaient
+fait entrer autrefois plein de vie et de sant&eacute;. L&agrave; eut lieu cette lutte
+de l'homme qui se sent mourir et qui compte ce qui lui reste &agrave; vivre.
+Les projets s'accumulent dans sa t&ecirc;te, et sa main est impuissante. Il se
+couche, il se rel&egrave;ve; il prend la fi&egrave;vre pour de la force, il va de son
+lit &agrave; la statue, de la statue &agrave; son lit; maudissant les survivants qui
+ont le temps avec eux, pleurant sur la douleur de sa m&egrave;re, voulant
+revenir et ne pouvant pas. Ce fut entre lui et l'agonie une lutte
+atroce; lui qui &agrave; chaque minute sentait l'avenir qui s'en allait, lui
+dont la robuste charpente s'indignait d'&ecirc;tre ainsi t&acirc;tonn&eacute;e par la mort,
+la mort, qui avait envie de ce jeune corps et de ce riche cerveau, envie
+de tout ce qu'ils promettaient.</p>
+
+<p>Arriv&eacute; &agrave; l'heure de mourir, il voulut partir. Ses amis le port&egrave;rent pour
+descendre l'escalier. On raconte qu'&agrave; la derni&egrave;re marche de la villa
+M&eacute;dicis, il r&acirc;la dans une convulsion de d&eacute;sespoir: &laquo;S.............! ces
+cr&eacute;tins de l'Institut qui ont des soixante ans dans le ventre!&raquo;</p>
+
+<p>Roguet avait vingt-six ans.</p>
+
+<a name="c19" id="c19"></a>
+<br><br>
+
+<h3>UN AQUA-FORTISTE</h3>
+
+<h4>I</h4>
+
+<p>..... Dans ce caf&eacute; du boulevard, un jeune homme &eacute;tait attabl&eacute; devant
+moi. Son chapeau de feutre, abaiss&eacute; sur ses yeux, le drap sans reflet de
+son habit, buvaient et fl&eacute;trissaient la lumi&egrave;re rousse, terne, morne et
+morte sur tout cet homme comme sur un vieux cr&ecirc;pe. Il avait, pos&eacute;s, ses
+deux mains sur les marges de <i>la Patrie</i>, et ses deux yeux, qui ne
+lisaient pas, au beau milieu du journal.</p>
+
+<p>La demoiselle de comptoir comptait les petites cuillers. Un gar&ccedil;on
+couvrait le billard; un autre apportait un matelas roul&eacute; sur sa t&ecirc;te.
+Minuit avait &eacute;teint le gaz. L'or des plafonds et des murs, les &eacute;clairs
+des glaces, les paillettes des verres, tout cela avait &eacute;t&eacute; soigneusement
+serr&eacute; dans les t&eacute;n&egrave;bres. Une bougie veillait la nuit.</p>
+
+<p>Un gar&ccedil;on prit racine devant la table du jeune homme.</p>
+
+<p>--Ah! oui!--dit le jeune homme, qui finit par l'apercevoir; et il mit la
+main dans la poche de son gilet, se fouilla &agrave; droite et &agrave; gauche, puis
+en haut, puis en bas... La figure de marbre du gar&ccedil;on eut un
+courroucement olympien. Il se rejeta en arri&egrave;re, fit volter sa serviette
+de sa manche droite sous son aisselle gauche avec un mouvement digne,
+&eacute;claircit sa voix par un: Hum! hum!... A ce moment:--prenez les deux
+consommations,--dis-je, en jetant une pi&egrave;ce d'argent sur la table de
+marbre.</p>
+
+<p>Nous sort&icirc;mes.--Voil&agrave; une belle nuit, Monsieur!--fait mon homme. Nous
+marchions.--Une bien belle nuit!--Et il allait, promenant ses yeux dans
+l'ombre.--Ah! pardon, je suis distrait: vous ai-je demand&eacute; votre
+adresse?--Je lui donne ma carte.--Monsieur, ils sont trois, &agrave; l'heure
+qu'il est, sur la place du Carrousel: un homme, une grosse lorgnette et
+la lune. L'homme attend, la lorgnette regarde, la lune... Ah! voil&agrave; un
+sergent de ville... deux... quatre sergents de ville. Monsieur, &agrave;
+l'honneur de vous revoir.</p>
+
+<p>Le lendemain, mon portier me remettait quatre gros sous envelopp&eacute;s dans
+un morceau de gravure d&eacute;chir&eacute;e.</p>
+
+<h4>II</h4>
+
+<p>Je le retrouvai, et voici comme.</p>
+
+<p>Domangeot avait un oncle sans un enfant et sans un sou. Un chemin de fer
+avait tu&eacute; l'oncle &agrave; Domangeot. Domangeot avait recueilli de son
+oncle--des dommages int&eacute;r&ecirc;ts. Dans une petite chambre de la rue de
+l'Ancienne-Com&eacute;die, c'&eacute;tait une chambr&eacute;e compl&egrave;te de buveurs en manche
+de chemises; et, par la fen&ecirc;tre, pench&eacute; un verre &agrave; la main, comme le
+Bacchus rouge d'un cabaret, Domangeot invitait les amis qui passaient
+dans la rue, et les amis des amis, et m&ecirc;me les amis des autres. Je
+passais; mon nom tomba de l&agrave;-haut; je montai. On me donna une chaise et
+un verre de Champagne dont le pied &eacute;tait cass&eacute;. Mon homme &eacute;tait l&agrave;, p&acirc;le
+parmi les faces de pourpre. Cependant il buvait, il buvait comme un
+remords.</p>
+
+<p>Les c&oelig;urs trinquaient.</p>
+
+<p>--A Emma!--A Clorinde!--A Juliette!</p>
+
+<p>--A l'almanach!</p>
+
+<p>Je demande &agrave; droite:</p>
+
+<p>--Qui est-ce, ce monsieur qui ne dit rien?</p>
+
+<p>--C'est mon ami!... Connais pas!</p>
+
+<p>Je me retournai &agrave; gauche:</p>
+
+<p>--Celui-l&agrave;... sans faux-col?... Attends... un graveur... Ah! je ne sais
+plus!</p>
+
+<p>Paroles, voix, cris, cliquetis de verres et de noms, le vin couronn&eacute; de
+souvenirs,--il semblait que ce f&ucirc;t toutes les amours du quartier Latin
+port&eacute;es en triomphe par les toasts gris&eacute;s, se disputant la cendre des
+souvenirs morts et des jours envol&eacute;s!</p>
+
+<p>--A Berthe! qui avait un bouvreuil dans le gosier, des grains de beaut&eacute;
+partout...</p>
+
+<p>--A une blonde!</p>
+
+<p>--A cette bonne Fanchette! qui marchandait &agrave; la boutique &agrave; un sou!</p>
+
+<p>--A Annette! qui dansait &agrave; l'ombre de sa jambe droite!</p>
+
+<p>--A Tape-&agrave;-l'&OElig;il!</p>
+
+<p>--A Rose! une oie!... b&ecirc;te comme un homme, menteuse comme une affiche,
+triste comme un po&ecirc;le, gr&ecirc;l&eacute;e... et mauvaise comme une guenon qu'on
+oublie de battre! A Rose, que j'ai aim&eacute;e!</p>
+
+<p>--A des yeux!--et le verre du buveur taciturne monta soudain sur tous
+les verres entrechoqu&eacute;s,--&agrave; des yeux!--Quand ils me regardent ces
+yeux..... Nom de D..., qu'est-ce qui me soutient ici que ces yeux ne
+sont pas deux rayons de la Lune... Ah! c'est vrai, vous autres, vous
+n'avez pas lu Marbod&eacute;e, vous ne savez pas qu'il y a des saphirs et des
+yeux de femmes qui se font sous certaines influences sid&eacute;rales. Tout ce
+que je sais moi, c'est que ces yeux chassent d'autour de moi le noir de
+la nuit et les chauves-souris qui me boivent &agrave; petites gouttes le
+sang... Quand ces yeux me regardent, c'est bien &eacute;trange, allez
+messieurs, mais c'est comme je vous le dis, Rembrandt me prenant par la
+main me fait entrer dans le clair-obscur d'une de ses planches,--et il
+r&eacute;p&eacute;ta quatre ou cinq fois en riant b&ecirc;tement--oui dans le clair-obscur,
+oui dans son divin clair-obscur.</p>
+
+<p>Alors se penchant sur la table, il tomba ivre-mort. Puis il eut une
+terrible attaque de nerfs. La nappe, vid&eacute;e sur l'escalier, fut soulev&eacute;e
+aux quatre coins, l'homme mis dedans et &eacute;chou&eacute; sur un lit. Quand deux
+livres de glace lui eurent &eacute;t&eacute; fondues sur la t&ecirc;te, il faisait pleine
+nuit. Je me proposai pour le reconduire.</p>
+
+<h4>III</h4>
+
+<p>Le grand air remit mon compagnon. Les soufflets d'un petit vent
+d'automne lui ramen&egrave;rent le sang aux joues.--Ah! Monsieur,--me
+dit-il,--que de pardons pour aujourd'hui et pour l'autre soir! Je suis
+graveur, Monsieur; un triste &eacute;tat, comme vous voyez: des taches, des
+trous, un habit qu'on dirait d'amadou sur lequel on a battu le briquet.
+Les marchands... ah! les marchands! Il faut mendier quinze francs d'une
+planche!... On a de mauvaises hontes, et je n'ai os&eacute; aller vous
+remercier, fait comme un pauvre... Ce soir,--je bois comme un
+enfant;--et puis il me fallait boire; j'ai comme cela, l&agrave; et l&agrave;, au c&oelig;ur
+et au front, des visions, des fum&eacute;es, des nuages, des images qui
+passent... Mais cela va bien maintenant, tr&egrave;s-bien: il y a longtemps que
+je n'ai eu la t&ecirc;te si l&eacute;g&egrave;re. Pardon encore, et merci de votre bras...
+Retournez-vous donc, Monsieur! La nuit! voil&agrave; la reine des eaux-fortes!
+Cela fait du noir o&ugrave; il y a des choses. Avez-vous remarqu&eacute; comme les
+fleuves sont grands la nuit? Paris qui dort, les pieds dans l'eau, c'est
+beau, beau, bien beau! Un flot d'ombre &eacute;clabouss&eacute; de gaz! L'eau,--une
+huile, du bleu, du noir, du violet, de l'or! du neutre--la teinte moir&eacute;
+de feu; un miroir qui p&ecirc;le-m&ecirc;le roule les t&eacute;n&egrave;bres et les &eacute;clairs!--Le
+ciel est p&acirc;le, ce soir.--Pr&egrave;s du pont, le remous, voyez donc! de
+l'argent bleu!... mille lucioles... cela grouille... et la berge aux
+grandes pierres blanches qui entre dans le trou noir de l'arche comme un
+mitron se glissant dans un four &eacute;teint... Ces r&eacute;verb&egrave;res, dans l'eau
+tout l&agrave;-bas,--des crucifix de feu; l&agrave;, devant nous, comme des pans de
+fen&ecirc;tres d'o&ugrave; les flammes des lustres filtrent &agrave; travers des rideaux de
+bal... Non, cela tourne: des colonnes torses qui remuent de la braise
+dans l'inconnu mort de l'eau; non, cela n'est pas cela, c'est autre
+chose... Est-ce b&ecirc;te, les phrases!... Toutes ces masses, un gribouillis
+d'encre avec des gris blafards comme il y en a sur les ailes des
+chauves-souris. Monsieur, les critiques nous ont g&acirc;t&eacute;s, et vous voyez
+bien que c'est une grande sottise de broyer des id&eacute;es sur la palette:
+les feux d'artifice ne pensent &agrave; rien.--Vous avez un peintre qui a pris
+la nuit en flagrant d&eacute;lit; il se nomme... J'ai perdu son nom... Mais
+n'avoir qu'une aiguille emmanch&eacute;e pour peindre! Ah! Ah! Nous voil&agrave; en
+face la rue de J&eacute;rusalem... Quelque jour--il faut que je me presse, car
+les ma&ccedil;ons... je sauverai ce motif-l&agrave;. Ces deux grosses boules qui
+trempent, croiriez-vous que ce sont les deux arbres sans feuilles au bas
+du quai? une fi&egrave;re estompe, &agrave; ces heures-ci, dans le dessin de toutes
+choses!... La tourelle, oui, avec ces deux fonds d'ombre &agrave; droite et &agrave;
+gauche, la petite fl&egrave;che de la Sainte-Chapelle,--voil&agrave;! Et l&agrave;-dessous,
+penchez-vous, il faudra que j'agrandisse et que j'allonge, &agrave; la fa&ccedil;on de
+l'eau morne, la face des maisons &eacute;teintes, comme les perspectives de
+maladreries bl&ecirc;mes. &Ccedil;a? des fen&ecirc;tres de blanchisseuses; on dirait des
+yeux &eacute;clair&eacute;s de vert de gris... Toujours Notre-Dame! avec comme des
+marches dans le haut; un escalier vers l'infini, cass&eacute; &agrave; moiti&eacute; du
+ciel... Ah! c'est dr&ocirc;le, l'arche du pont Saint-Michel et l'ombre port&eacute;e:
+un cerceau tout noir o&ugrave; ainsi qu'un clown saute la
+lumi&egrave;re!--Regardez-bien: tout derri&egrave;re une maison peinte en rouge, aux
+fen&ecirc;tres de feu, et mille petites maisons blanches; devant, le quai, une
+maison carr&eacute;e, cinq trous dans le mur, un gros tuyau noir au milieu du
+toit, du gris, du sale au bas de la maison,--voil&agrave; tout ce que c'est que
+la Morgue! Il n'y a pas &agrave; en dire plus que la chose! C'est simple comme
+bonjour!--Cette grande chose sombre en bas, c'est un bateau, tout
+bonnement. Essayez donc de peindre la noyade l&agrave;-dedans! Je sais cela
+d'exp&eacute;rience: il ne faut pas mettre sa t&ecirc;te dans sa main. Les choses ne
+pr&ecirc;chent, ni ne pleurent, ni ne r&ecirc;vent, ni ne se souviennent. Les
+chefs-d'&oelig;uvre ne doivent pas parler; il n'y a que quelques sots comme
+moi... Ah! des cr&ecirc;tes, des toits, des d&ocirc;mes de saphir: la lune s'est
+lev&eacute;e. Apr&egrave;s tout il y a des gens qui la font tr&egrave;s-bien avec un pain &agrave;
+cacheter...--Et l'H&ocirc;tel-Dieu, ce n'est qu'une caserne! Une, deux, trois,
+quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, quinze... quarante-cinq...--je
+compte les fen&ecirc;tres: une manie!...--sur cinq rang&eacute;es, cela fait...</p>
+
+<p>Quand il eut pass&eacute; Notre-Dame, il s'assit sur le parapet. Nous
+regardions par derri&egrave;re la basilique noire accroupie sur la ville bleue,
+avec ses deux tours lev&eacute;es sur l'orbe d'argent, comme un sphinx de
+basalte &agrave; deux &eacute;normes t&ecirc;tes.</p>
+
+<h4>IV</h4>
+
+<p>Nous e&ucirc;mes, ce po&egrave;te malade et moi, de belles soir&eacute;es remplies de
+promenades, de spectacles, de paroles. Nous courions la ville la nuit.
+Nous regardions, sur le fleuve, la danse des rayons voil&eacute;s. Nous nous
+enfoncions dans les faubourgs, dans les quartiers lointains, cherchant
+et surprenant un Paris myst&eacute;rieux, lugubrement superbe et terriblement
+muet, th&eacute;&acirc;tre vide et noir du peuple. Ou bien, mangeant quelques pommes
+de terre tir&eacute;es de son petit jardin, et cuites dans son po&ecirc;le--il &eacute;tait
+fier et ne voulait rien accepter,--nous causions. Il parlait
+singuli&egrave;rement, merveilleusement, et comme je n'ai jamais entendu
+parler. Il sautait d'id&eacute;es en id&eacute;es, s'accrochant aux sommets, tra&icirc;nant
+votre bon sens apr&egrave;s sa verve, pensant au del&agrave; des livres, m&ecirc;lant son
+art et son &acirc;me, bousculant les mots, se pr&eacute;cipitant aux v&eacute;rit&eacute;s vierges;
+puis soudain se perdant, se brouillant, bataillant contre les nu&eacute;es,
+blasph&eacute;mant l'humanit&eacute;, retombant &agrave; terre, balbutiant avec des craintes,
+des tons de voix baiss&eacute;s tout &agrave; coup, avec je ne sais quelle peur de je
+ne sais quelle chose. Puis des retours, et de nouvelles &eacute;loquences, et
+la femme toujours revenant au milieu de l'art et tout &agrave; coup &agrave;
+l'impr&eacute;vu:</p>
+
+<p>--Mon cher, la femme n'a pas de traits. Son visage est tout fait d'une
+clart&eacute;. Un rayonnement, vous le savez, n'a pas de lignes. Toute la
+figure de la femme n'est qu'une esquisse dont la lumi&egrave;re de la
+physionomie fait une peinture finie qui ne ressemble pas &agrave; l'esquisse.
+Il y a des femmes dont on n'a jamais vu le nez, parce qu'elles le
+cachent avec un regard. Vous savez bien que les photographies ne
+ressemblent pas. Mais, chut! on &eacute;coute.... la police...--Quand je serai
+mari&eacute;, j'aurai des enfants. Ils n'apprendront rien... J'aurai des luttes
+avec la m&egrave;re; mais j'ai mes id&eacute;es... rien! L'alphabet, voil&agrave; le mal. Oh!
+avoir une cervelle qui ne regarde ni dans les tableaux, ni dans les
+livres ni dans le ciel! la cervelle,--l'ennemi! Non, ils n'iront pas &agrave;
+l'&eacute;cole apprendre des choses qui tuent le bonheur... Quand ils me
+diront: Qu'est-ce que &ccedil;a, papa? Pourquoi &ccedil;a, papa?--Je ne sais pas; je
+ne sais pas... Vivez...--Seulement il ne faut pas m&eacute;contenter les
+gendarmes, vous concevez?--Leur cervelle? ce que j'en ferai? Un instinct
+qui vous gare des roues d'omnibus, une machine qui v&eacute;rifie la monnaie
+qu'on vous rend, un guide aux yeux crev&eacute;s qui vous m&egrave;ne &agrave; la mort sans
+vous dire: Mais retournez-vous donc!--Paradoxe? Allez, dites le mot! Eh!
+bien, quoi? c'est un lieu commun qui n'est pas m&ucirc;r? Mais l'Am&eacute;rique est
+un paradoxe de Christophe Colomb! Le paradoxe! c'est la seconde vue de
+l'esprit, la veille qui devine le lendemain, un homme qui avance comme
+une montre!... Quand je serai mari&eacute;--c'est bon de n'&ecirc;tre pas seul, quand
+le soleil n'est pas l&agrave;;--je vous dis cela &agrave; vous, parce que vous &ecirc;tes
+mon ami--elle me fera mon petit d&icirc;ner. J'aime le bleu. Elle sera
+habill&eacute;e en gaze bleue--imaginez une vapeur! des v&ecirc;tements comme il y en
+a dans les clairs de lune! Et puis je la ferai poudrer. Elle a des
+cheveux noirs; avec des yeux bleus, cela jurerait, tandis que poudr&eacute;e...
+ce sera charmant, oui, charmant, ma parole d'honneur! et sur ses cheveux
+poudr&eacute;s--vous devinez bien?--un beau disque d'argent. Seuls, tout &agrave;
+nous, les volets ferm&eacute;s, nous bouderons le soleil toute la journ&eacute;e; le
+soir, nous irons, nous marcherons... Oh! alors, je ferai des choses!...
+Il faudra bien qu'on parle de moi; j'aurai des jaloux, des envieux...
+les critiques... mon talent... B&ecirc;te que je suis! je passerai tout mon
+temps &agrave; l'aimer!--Apr&egrave;s tout, qu'est-ce que &ccedil;a me fait, la post&eacute;rit&eacute;,
+avec ces grandes lessives du monde par l'eau ou le feu, tous les vingt
+mille ans? Une immortalit&eacute; de deux sous!--Et puis c'est une injustice.
+Si je suis aussi fort que Rembrandt, qui me rendra l'admiration qu'il
+touche depuis cent cinquante deux ans? Je suis vol&eacute;. Je vous dis, c'est
+une injustice.</p>
+
+<h4>V</h4>
+
+<p>J'aper&ccedil;us mon monsieur Thomas &agrave; c&ocirc;t&eacute; d'un musicien, dans l'orchestre. Il
+d&eacute;vorait du regard la petite Marie, qui jouait avec ses yeux bleus et
+ses cheveux noirs.</p>
+
+<p>C'&eacute;tait d'Outreville qui m'avait entra&icirc;n&eacute; aux D&eacute;lassements-Comiques,
+pour voir ce qu'il appelait &laquo;sa petite machine&raquo;, l'<i>Amour au
+Mont-de-pi&eacute;t&eacute;</i>.--Quoique d'Outreville f&ucirc;t mon ami, sa pi&egrave;ce ne me parut
+pas plus stupide qu'&agrave; un autre.</p>
+
+<p>--Eh bien! trouves-tu &ccedil;a assez Beaumarchais, hein?</p>
+
+<p>--Trop!</p>
+
+<p>Il me serra la main.--Allons dans les coulisses! --Dis donc,
+Marie,--fit d'Outreville en lui parlant tout haut &agrave; l'oreille,--et tes
+amours avec M. Thomas?</p>
+
+<p>--Comment, vous qui &ecirc;tes un bon enfant, vous allez vous ficher de ce
+pauvre <i>toqu&eacute;</i> qui m'aime--et moi aussi! Eh bien! il m'a demand&eacute; ma
+main, n'a! Maman va le flanquer &agrave; la porte comme un balai. Il n'a pas le
+sou, que voulez-vous? Maman a v&eacute;cu: elle sait la vie, n'est-ce pas?</p>
+
+<h4>VI</h4>
+
+<p>J'&eacute;tais dans mon lit, ne dormant plus, pensant &agrave; peine, les yeux clos,
+tout le corps assoupi encore, l'esprit berc&eacute;, confit dans mes draps,
+tapi, enfoui, baign&eacute; des moiteurs de l'&eacute;dredon, couvant et cuvant ma
+paresse, caress&eacute; d'un petit soleil que je sentais dans la chambre, avec,
+dans la t&ecirc;te, le plus gai b&eacute;gayement d'id&eacute;es; et, sans remuer,
+m'&eacute;veillant &agrave; petits coups, beno&icirc;tement, b&acirc;tissant des ch&acirc;teaux de
+cartes &agrave; t&acirc;tons, embrassant mes projets dans le nuage, indolent comme
+une aube, je m'amusais &agrave; r&ecirc;ver. Je r&ecirc;vais que s'il m'arrivait de vendre
+un livre trois cent mille francs, je les d&eacute;penserais ainsi: dans
+l'entre-deux de mes deux fen&ecirc;tres, &agrave; ces deux rubans plats surmont&eacute;s
+d'un gros gland o&ugrave; pendaient les tableaux de l'h&ocirc;tel Soubise,--les
+gravures m'ont montr&eacute; cela,--je pends le dessin qui n'existe pas--du
+<i>Chat malade</i> de Watteau; les joues de la gentille comm&egrave;re effar&eacute;e,
+caress&eacute;es et battues d'une rouge sanguine, et sa belle prunelle allum&eacute;e
+de crayon noir, l'empressement grotesquement charbonn&eacute; du docteur, et
+Minet qui si furieusement se d&eacute;fend de gu&eacute;rir,--je les vois. C'est bien.
+Au dessous du chat malade, voici install&eacute; ce secr&eacute;taire sign&eacute; Riesener
+au pied gauche du meuble, qui &eacute;tait &agrave; vendre 30,000 francs, je ne sais
+plus o&ugrave;. Sur le secr&eacute;taire, il tr&ocirc;ne, &eacute;bouriff&eacute;, vieux de trois si&egrave;cles,
+beau comme un cauchemar, un chien de F&ocirc; d'ancien bleu c&eacute;leste, la
+crini&egrave;re violette, la gueule en tirelire, roulant sous ses sourcils deux
+boules furibondes, la queue en une &eacute;norme flamme,--ce monstre chinois
+qui m'a fait une si m&eacute;morable grimace au coin d'une rue d'Anvers. De
+chaque c&ocirc;t&eacute;, c'est fort simple, les deux grands pots de blanc de
+Saint-Cloud, &agrave; lourdes et riches fleurs &agrave; la Pillement, bo&icirc;tes &agrave; th&eacute; o&ugrave;
+la R&eacute;gence puisait le th&eacute; noir avec la petite spatule, et le th&eacute; vert
+avec la petite cuiller de chine &agrave; t&ecirc;te de coq:--ils me sourient d'ici,
+chez Lambert Roy, au fond de leur caisse aux armes de Philippe
+d'Orl&eacute;ans. La tablette du secr&eacute;taire est large: quoi encore? Pour le
+devant, ce sera sur leur plateau, six petites glaci&egrave;res de Saxe en
+feuilles de vigne, sem&eacute;es de fleurettes, assises sur des pieds de fleurs
+en relief. Pour la gauche, un de mes amis me c&egrave;de la tasse de S&egrave;vres,
+sign&eacute;e 2000--ainsi signait avec un calembour l'ouvrier Vincent--tasse
+royale o&ugrave; Louis XVI buvait tous les matins son eau de chicor&eacute;e. A
+droite... &agrave; droite, je verrai. Pour les fen&ecirc;tres, r&eacute;volution compl&egrave;te.
+J'ai horreur des rideaux &agrave; plis droits et tombants: je prends les
+rideaux dont Saint-Aubin a donn&eacute; le mod&egrave;le dans la planche du <i>Concert</i>:
+vraies jupes &agrave; volants, &agrave; bouillons, du haut en bas, et qu'on remonte
+sans les tirer. Du papier aux murs, vous pensez bien qu'il ne pouvait en
+&ecirc;tre un moment question. J'envoie un ministre pl&eacute;nipotentiaire, mais
+habile, vers une vieille dame, chez laquelle j'ai fait un excellent
+d&icirc;ner &agrave; Troyes: il me faut les quatre tentures de son salon, des
+bergeries de Boucher, r&eacute;jouissantes &agrave; l'&oelig;il comme un lever de soleil
+pris au traquenard dans les m&eacute;tiers des Gobelins. Assis aux coins de ma
+chemin&eacute;e, deux Amours-faunes de Clodion se balancent dans un
+serpentement de rocaille dor&eacute;e d'or moulu d'o&ugrave; montent des bougies. Mais
+le milieu? Point de pendule d'abord! Une pendule, c'est la main du temps
+sur votre vie, comme le doigt d'un m&eacute;decin sur votre pouls... Le
+milieu... le milieu...</p>
+
+<p>Ici un coup de sonnette tr&egrave;s-vif,--et la petite Marie dans ma chambre.</p>
+
+<p>--Monsieur, vous &ecirc;tes l'ami de M. Thomas. On m'a dit qu'il &eacute;tait malade.
+Je veux le voir.</p>
+
+<p>Une demi-heure apr&egrave;s, une voiture nous descendait rue Saint-Victor. Je
+ne me rappelle pas que nous nous soyons parl&eacute; pendant la route.</p>
+
+<p>La porte de l'all&eacute;e &eacute;tait ouverte. Le jardin sonnait sourdement sous des
+coups. Une petite pluie fine &eacute;tait survenue qui tombait. Thomas, en
+manches de chemise, piochait furieusement. La moiti&eacute; du jardin &eacute;tait
+d&eacute;j&agrave; retourn&eacute;e. Thomas poussait son ouvrage sans se soucier de nous qui
+marchions derri&egrave;re son dos.</p>
+
+<p>--Eh bien! Thomas, voil&agrave; comme on re&ccedil;oit ses amis?</p>
+
+<p>Sans tourner la t&ecirc;te, et sans regarder, sa pioche allant toujours:</p>
+
+<p>--J'ai fini. Encore une cinquantaine de coups de pioche.</p>
+
+<p>--Mais au moins regardez une dame que je vous am&egrave;ne.</p>
+
+<p>Thomas passa sa manche sur son front baign&eacute; de sueur, regarda fixement
+la jeune femme:</p>
+
+<p>--Madame, j'ai l'honneur de vous saluer. Asseyez-vous.</p>
+
+<p>Il n'y avait dans le pauvre jardinet que quelques tiges fl&eacute;tries de
+pommes de terre.</p>
+
+<p>Et se tournant vers moi:</p>
+
+<p>--Eh bien, voil&agrave;! Le tour est fait, mon cher Monsieur! Vous vous
+demandiez pourquoi j'avais peur d'eux? Elle est l&agrave;-dessous! Je la
+cherche. Ils l'ont tu&eacute;e... Oh! il n'y aura pas de trace, vous verrez! Je
+les ai bien entendus cette nuit: aussit&ocirc;t la lune disparue du ciel, ils
+sont venus;--doucement, doucement, ils sont entr&eacute;s dans le jardin...
+les mis&eacute;rables! Moi, j'&eacute;tais couch&eacute; sur un matelas de li&eacute;ge, et toute ma
+chambre &eacute;tait remplie d'eau-forte... Je ne pouvais pas descendre... je
+ne pouvais pas descendre..., comprenez-vous?--Il s'arr&ecirc;ta
+suffoquant.--Le reste, parbleu! reprit-il d'un ton brusque, il faut que
+vous ayez la t&ecirc;te diablement dure..., ils l'ont enterr&eacute;e ici...
+Savez-vous o&ugrave; elle est, vous?... Ah! l&agrave;!... Otez-vous, Madame, vous me
+g&ecirc;nez!</p>
+
+<p>--Mais qui, mon Dieu! ont-ils enterr&eacute;?--lui dit Marie en lui prenant les
+mains.</p>
+
+<p>--Qui! Rien! la petite Marie!</p>
+
+<p>Et il se remit &agrave; piocher.</p>
+
+<p>Thomas est mort, il y a de cela six semaines.</p>
+
+<p>Deux amis, le Silence et l'Oubli, l'ont men&eacute; &agrave; la fosse commune; et son
+propri&eacute;taire a fait six casseroles des cuivres de ses belles planches:
+<i>les Amours de la Nuit et de la Seine</i>.</p>
+
+<a name="c20" id="c20"></a>
+<br><br>
+
+<h3>L'ORGANISTE DE LANGRES</h3>
+
+<h4>DE LA VILLE DE LANGRES ET D'UN QUI Y HABITAIT</h4>
+
+<p>Langres est une petite ville de la Champagne, ayant un &eacute;v&ecirc;ch&eacute;, sept
+mille six cent soixante-dix-sept habitants au dernier compte, une belle
+promenade, beaucoup de pr&ecirc;tres sur la promenade, une biblioth&egrave;que, une
+cath&eacute;drale, presque une soci&eacute;t&eacute;, un coll&eacute;ge communal, un mus&eacute;e qui a un
+gardien, et un tribunal de premi&egrave;re instance.--De plus, Langres est la
+patrie d'&Eacute;ponine et de Sabinus.--Les g&eacute;ographes qui l'ont d&eacute;couverte
+parlent de sa coutellerie, de son vinaigre, de ses bougies et de ses
+meules &agrave; &eacute;moudre.--Comme la ville est sur une hauteur, les rues montent
+naturellement, et comme les rues montent, les casaquins &agrave; petites fleurs
+bleues et roses s'arr&ecirc;tent &agrave; tous les pas de porte, et se reposent &agrave;
+causer.--Langres est tr&egrave;s-fi&egrave;re d'avoir &eacute;t&eacute; br&ucirc;l&eacute;e par les Vandales en
+407, et rebr&ucirc;l&eacute;e par Attila en 451. Tous les ans, un savant du lieu
+publie une petite brochure de cinquante pages qu'il tire &agrave; vingt-cinq
+exemplaires, sur les &laquo;Lingones&raquo;, ou le &laquo;tumulus&raquo; nouvellement trouv&eacute; &agrave;
+la c&ocirc;te d'Orbigny.--A ces petites brochures pr&egrave;s, on na&icirc;t, on mange, on
+m&eacute;dit et on meurt &agrave; Langres &agrave; peu pr&egrave;s comme dans toutes les villes de
+province.</p>
+
+<p>Or, en cette petite ville habitait un singulier petit homme,
+singuli&egrave;rement v&ecirc;tu: chapeau rond &agrave; larges bords, carrik gris &agrave; trois
+collets, culotte courte et bas noirs, souliers &agrave; boucles de jargon, et
+breloques au gilet.</p>
+
+<h4>CE QUE LA VILLE DE LANGRES SAVAIT ET DISAIT DE L'HOMME AU CARRIK.</h4>
+
+<p>L'homme au carrik &eacute;tait arriv&eacute; &agrave; Langres quelques jours apr&egrave;s la mort
+de M. Lebeau, l'organiste de la cath&eacute;drale, celui qui toucha l'orgue au
+mariage de mademoiselle Pinel, la demoiselle aux trois cent mille francs
+de dot.</p>
+
+<p>La place de M. Lebeau avait &eacute;t&eacute; promise &agrave; M. Dujeune, le ma&icirc;tre de piano
+des demoiselles Delchez, dont l'oncle &eacute;tait pr&eacute;sident du tribunal.</p>
+
+<p>L'homme au carrik en arrivant alla &agrave; l'&eacute;v&ecirc;ch&eacute;.--On parla beaucoup d'une
+lettre qu'il remit &agrave; l'&eacute;v&ecirc;que.</p>
+
+<p>Autour du 15 mars, ce fut une chose officielle que M. Dujeune &eacute;tait
+&laquo;sacrifi&eacute;&raquo;, et que l'homme au carrik lui avait pris sa place.--M.
+Mettret, qui &eacute;tait au conseil municipal, en exprimait tout haut son
+opinion chez madame Delchez, profitant de l'occasion pour dire: C'est
+encore Paris qui nous vaut &ccedil;a!--et parler dix minutes contre la
+centralisation.</p>
+
+<p>Au dimanche de P&acirc;ques, l'homme au carrik toucha l'orgue pour la premi&egrave;re
+fois. Madame Mar&eacute;chal, qui avait pris &agrave; Paris quinze le&ccedil;ons de Quidant,
+&agrave; vingt francs le cachet, dit &laquo;qu'il jouait des choses qui n'en
+finissaient plus, et qu'il faisait de la musique qui donnait envie de
+pleurer.&raquo;--M. Delbneck, qui &eacute;tait pr&eacute;sident de la Soci&eacute;t&eacute; philharmonique
+et qui &eacute;tait charg&eacute; des comptes rendus musicaux dans le <i>Veilleur de
+Langres</i>, &eacute;crivit dans cette feuille &laquo;que le nouvel organiste manquait
+enti&egrave;rement de <i>brio</i>,&raquo; un mot tout neuf &agrave; Langres, et qui y fit
+fortune.</p>
+
+<p>L'&eacute;v&ecirc;que ayant recommand&eacute; l'organiste &agrave; plusieurs personnes, l'homme au
+carrik fut invit&eacute; &agrave; plusieurs r&eacute;unions. Mais deux ou trois fois ayant
+&eacute;t&eacute; pri&eacute; &laquo;de toucher du piano&raquo;, il avait pris son chapeau; et aussit&ocirc;t
+apr&egrave;s son d&eacute;part, M. Dujeune avait jou&eacute; trois ou quatre morceaux sans
+d&eacute;semparer, entre autres la fameuse <i>Promenade en nacelle</i>,--en sorte
+qu'on finit par ne plus inviter l'homme au carrik.</p>
+
+<p>Il y a partout des originaux, qui croient bon sur l'&eacute;tiquette tout ce
+qui vient de la capitale, Les quelques originaux de Langres demand&egrave;rent
+&agrave; l'homme au carrik des le&ccedil;ons de piano pour leurs enfants; l'organiste
+refusa net.</p>
+
+<p>L'homme au carrik avait pris pour servante la fille qui &eacute;tait chez M. le
+cur&eacute; d'&Eacute;pinay.</p>
+
+<p>On savait que s'il y avait deux bons morceaux au march&eacute;,--deux bonnes
+truites ou deux beaux cents d'&eacute;crevisses,--l'un &eacute;tait achet&eacute; par
+mademoiselle P&eacute;lagie, la cuisini&egrave;re de l'&eacute;v&ecirc;que, et l'autre par la fille
+de l'homme au carrik.</p>
+
+<p>On savait que l'homme au carrik remplissait ses devoirs religieux avec
+soin.</p>
+
+<p>On savait que l'homme au carrik se couchait apr&egrave;s souper, se relevait la
+nuit, prenait du caf&eacute; noir, et restait &agrave; son piano jusqu'au matin.</p>
+
+<p>On savait qu'il avait &eacute;t&eacute; pay&eacute; deux cents francs de plus que M. Lebeau,
+et que tous les trois mois il touchait, chez le receveur particulier,
+quelque chose qui lui venait de Paris.--A ce propos, M. Noulins, des
+contributions directes, disait &agrave; l'oreille qu'il &eacute;tait peut-&ecirc;tre &laquo;de la
+police.&raquo;</p>
+
+<p>On savait qu'il n'aimait pas les enfants et encore moins les chiens. On
+lui avait entendu r&eacute;p&eacute;ter &laquo;que les chiens aboient faux quand on ne les
+bat pas;--et que les enfants sont de petits sans-oreilles qui font leurs
+dents quand on fait de la musique.&raquo;</p>
+
+<h4>COMMENT DE TROIS CONNAISSANCES L'ORGANISTE N'EN GARDA QU'UNE.</h4>
+
+<p>Il restait &agrave; l'organiste trois portes ouvertes.</p>
+
+<p>Il allait chez madame Comantin, une vieille femme qui habitait rue
+Saint-Jean et qui avait un vieux perroquet.</p>
+
+<p>Il allait dans le m&eacute;nage Malu, maison charmante o&ugrave; l'on recevait une
+fois par semaine, avec des petits-fours, et o&ugrave; l'on commen&ccedil;ait &agrave; jouer
+au whist. Madame Malu avait un petit gar&ccedil;on &laquo;&eacute;tonnant pour la musique&raquo;,
+et &agrave; qui l'organiste, longuement pri&eacute;, avait consenti &agrave; donner quelques
+le&ccedil;ons de violon.</p>
+
+<p>--&laquo;Madame,&raquo;--dit un jour, sans penser &agrave; ce qu'il disait, l'organiste
+renvers&eacute; dans un grand fauteuil chez madame Comantin, l'esprit tout
+entier &agrave; un vieux motet d'Orlando de Lassus et l'&oelig;il vaguement se
+promenant sur le plumage multicolore de l'ara,--Madame, croyez-vous
+qu'un perroquet &agrave; la broche serait un bon manger?</p>
+
+<p>Ici, madame Comantin appela l'organiste &laquo;bourreau&raquo;, et lui signifia
+qu'il e&ucirc;t &agrave; ne plus remettre les pieds chez elle.</p>
+
+<p>A quelques jours de l&agrave;, le petit Malu ayant, contrairement aux
+remontrances de l'organiste, cinq fois r&eacute;it&eacute;r&eacute; une note fausse,
+l'organiste, dans une col&egrave;re &agrave; la Lulli, lui cassa son violon sur la
+t&ecirc;te. Son moment de vivacit&eacute; pass&eacute;, l'organiste regretta son violon. M.
+Malu lui dit s&eacute;v&egrave;rement qu'il en parlerait &agrave; M. Mettret,--et le petit
+Malu, sur la porte, tira la langue &agrave; son ancien ma&icirc;tre.</p>
+
+<p>La troisi&egrave;me maison o&ugrave; l'organiste allait, c'&eacute;tait chez Monseigneur.</p>
+
+<h4>D'UN DINER CHEZ L'&Eacute;V&Ecirc;QUE, ET DES DISCOURS EXTRAVAGANTS QUE LE TOUCHEUR
+D'ORGUES TIENT PAR LES RUES.</h4>
+
+<p>--Du beurre d'&eacute;crevisse, Monseigneur!</p>
+
+<p>--Du beurre d'&eacute;crevisse! Vous avez dit le mot, monsieur l'organiste.
+P&eacute;lagie est prodigieuse pour les bisques.--Avez-vous remarqu&eacute; comme le
+crustac&eacute; n'abandonne rien de son go&ucirc;t et profite du coulis sans s'y
+assimiler?--On dit qu'&agrave; Paris, on mange les &eacute;crevisses tr&egrave;s-&eacute;pic&eacute;es.</p>
+
+<p>--Une h&eacute;r&eacute;sie, Monseigneur! En Pologne, on les fait bouillir dans le
+lait.</p>
+
+<p>--Dans le lait?...--Au fait, j'oubliais de vous dire que j'ai fait
+demander &agrave; Paris un orgue expressif.</p>
+
+<p>--Un orgue expressif!--exclama l'organiste comme mordu par une
+vip&egrave;re.--Musique d'enfer! Un orgue expressif dans la... la
+cath&eacute;drale?--Et l'organiste jeta sa serviette sur son assiette, et se
+leva de table.</p>
+
+<p>--&laquo;Un orgue expressif! disait-il en descendant l'escalier t&ecirc;te nue,--un
+orgue expressif!--Monseigneur! monseigneur! &agrave; tous les diables votre
+orgue expressif! Haendel, entends-tu? l'art mondain dans le sanctuaire,
+l'expression terrestre des passions, la sensibilit&eacute; th&eacute;&acirc;trale! Oh! oh!
+Monseigneur, cela est beau et canonique! Tu l'as entendu, ma&icirc;tre
+Palestrina! Et qu'en diraient les anciens, Landrino, Milleville, John
+Bull? Vieux amis rappel&eacute;s l&agrave;-haut et que je consulte pour ma messe
+toutes les nuits, Frescolbaldi, Leb&egrave;gue, Nivers! Ami, mon vieil ami
+Bach... j'ai le front br&ucirc;lant, les mains froides! Oh! les profanes!...
+un orgue expressif!&raquo;</p>
+
+<p>Et il &eacute;tait dans la rue, et il marchait, et il trottait, tant&ocirc;t le
+menton dans son gilet, tant&ocirc;t levant les bras. Quelques fen&ecirc;tres
+s'ouvraient; une t&ecirc;te passait; un mot partait: &laquo;Tiens! le toucheur
+d'orgues qui n'a pas de chapeau!&raquo; Quelques chiens aboyaient.</p>
+
+<p>&laquo;Les massacres du <span class="sc">XVIII</span>e si&egrave;cle! les Calvi&egrave;re, les Daquin, les Balbatre!
+les h&eacute;r&eacute;siarques et les Pompadour, qui ont voulu faire de la musique
+pour leur rocaille et leurs chapelles dor&eacute;es! La voix humaine dans
+l'orgue, massacres, mais c'est la voix divine! La voix humaine dans
+l'orgue! elle doit parler, sans inflexion, sans modulation, sans
+caresse!--Du bon Dieu, vous feriez un t&eacute;nor! Monseigneur, si vous les
+laissez faire de l'expression et augmenter et diminuer l'intensit&eacute; du
+son..., Monseigneur, vous faites abdiquer &agrave; l'orgue sa mission illimit&eacute;e
+dans l'ordre humain des conceptions musicales! Vous me dites: &laquo;Bonne
+nouvelle, un orgue expressif!&raquo; Et qu'est-ce que je vous demande? De me
+laisser mes <i>moissons d'airain</i> comme elles sont, moi!--marier l'orgue
+avec le plain-chant: l&agrave; est l'effort, l&agrave; est le beau!--Orgue
+expressif!--que la foudre l'&eacute;crase! Gravit&eacute;, immobilit&eacute;, universalit&eacute;,
+perp&eacute;tuit&eacute;, tout cela re&ccedil;u de l'institution eccl&eacute;siastique; tranquillit&eacute;
+plane, rompant avec l'&eacute;motion sensuelle; les mille voix de l'air dans
+les mille tuyaux, depuis le trente-deux pieds du bourdon jusqu'au filet
+de son se perdant dans l'aigu; la p&eacute;dale de bombarde qui roule comme un
+tonnerre; une masse d'harmonie soutenue et prolong&eacute;e; tenant l'esprit de
+l'homme suspendu et le jetant dans l'infini de l'extase,--c'est
+l'orgue!&raquo;</p>
+
+<p>L'organiste s'&eacute;chauffait en parlant. Ses gestes s'animaient; et les
+quelques braves gens qui le rencontraient passaient de l'autre c&ocirc;t&eacute; de
+la rue, le pensant fou.</p>
+
+<p>&laquo;L'orgue!... Des ignorants, et l'&eacute;v&ecirc;que tout le premier! L'orgue!
+embl&egrave;me et symbole du chant eccl&eacute;siastique!... L'orgue qui a re&ccedil;u une
+destination dans l'ordre religieux! Oui, oui, il porte en lui l'&eacute;cho de
+toutes les harmonies du monde! Il est la synth&egrave;se harmonique des lois
+cosmogoniques!--Je le vois bien! vous voulez qu'il se ravale &agrave;
+l'imitation des instruments, qu'il prenne, comme vous dites chez vous,
+un rayon de vous-m&ecirc;me! et qu'il se fasse mati&egrave;re &agrave; votre image! Parce
+qu'il ne leur r&eacute;pond pas comme un gosier de <i>prima donna</i>! Et savent-ils
+ce que le concile de Mayence a dit l&agrave;-dessus? <i>Canticum turpe et
+luxuriosum!</i>--Ils l'accusent de monotonie! Eh! vous avez les r&eacute;pons
+brefs all&eacute;luiatiques, et les neumes de jubilation! Et la diversit&eacute; des
+claviers, et la prodigieuse vari&eacute;t&eacute; des jeux et des timbres! Et est-ce
+ma faute si vos Milanais ont abandonn&eacute; le jeu tremblant de la Ch&egrave;vre, la
+belle marche des Rois, et pour le premier dimanche de mai le Chant des
+oiseaux... La monotonie! les Vandales! Ils parlent de monotonie, &ocirc;
+S&eacute;bastien Bach! renvoie-les donc &agrave; tes chorals &agrave; quatre voix!... Et puis
+ce que j'ai trouv&eacute;, moi, et ce que je puis faire!&raquo;</p>
+
+<h4>OU L'ORGANISTE FAIT UNE MOUILLETTE,--ET SE MARIE.</h4>
+
+<p>Le lendemain de ce jour unique o&ugrave; l'organiste n'avait pas pli&eacute; sa
+serviette, il alla &agrave; l'&eacute;v&ecirc;ch&eacute; sur les dix heures du matin. Mais il ne
+monta pas l'escalier, il entra dans la cour, tourna la buanderie, et
+p&eacute;n&eacute;tra dans la cuisine.</p>
+
+<p>--&laquo;P&eacute;lagie, ma fille, vous avez fait hier une bisque dont je me souviens
+encore. Non, non, je ne ris pas, vous &ecirc;tes la premi&egrave;re cuisini&egrave;re du
+d&eacute;partement.</p>
+
+<p>--Vous &ecirc;tes bien bon, monsieur l'organiste.</p>
+
+<p>--Et je m'y connais.&raquo;</p>
+
+<p>L'organiste s'assit sur un coin de la table de la cuisine.</p>
+
+<p>--P&eacute;lagie, vous avez trente-deux ans. Eh! eh! c'est un &acirc;ge, cela,
+trente-deux ans! Vous n'avez jamais song&eacute; &agrave; vous marier? Bah! vous
+n'&ecirc;tes pas faite pour coiffer sainte Catherine, ma fille.--Joli bois,
+que vous mettez l&agrave; sur le feu!--Tenez! un petit m&eacute;nage, par exemple, o&ugrave;
+vous feriez tout &agrave; votre aise vos petits plats, et puis je mets que vous
+auriez entre votre cuisine, votre temps pour les offices, et visiter vos
+connaissances..... L&agrave;, un mariage qui vous ferait une dame d'ici.....
+Comme &ccedil;a flambe le petit fagot! &ccedil;a a-t-il envie de br&ucirc;ler, ce bois-l&agrave;!
+C'est pour une friture? oui, pour une friture..... Qu'est-ce que vous
+avez ici? 300 fr., et quelques pi&egrave;ces de trente sous des cur&eacute;s qui
+viennent &agrave; l'&eacute;v&ecirc;ch&eacute;..... Au reste, de grands fourneaux &agrave; tenir,
+beaucoup &agrave; &eacute;plucher, et des grands d&icirc;ners... Les jeunes gens,
+voyez-vous, &ccedil;a fait des trous dans les &eacute;conomies.&raquo;</p>
+
+<p>Tout en parlant, l'organiste avait pris sur la table un morceau de mie
+de pain, et l'avait coup&eacute; en forme de mouillette. Il le plongea dans la
+po&ecirc;le pendant cinq &agrave; six secondes, et l'ayant retir&eacute; dor&eacute;:--&laquo;L&agrave;, vous
+pouvez mettre vos perches &agrave; pr&eacute;sent, elles seront surprises.--Ma foi! il
+ne s'agit pas de trente-six chemins... 1,200 fr. bon an, mal an, &ccedil;a vous
+va-t-il? Si &ccedil;a vous va, topez l&agrave;! nous sommes mari et femme. Donnez
+votre compte &agrave; monseigneur, et vos bans demain. Eh! ma fille, ce
+mariage-l&agrave;, &ccedil;a vous revient-il?</p>
+
+<p>--Tout de m&ecirc;me, monsieur l'organiste, dit P&eacute;lagie toute rouge.</p>
+
+<h4>NOCE,--ET CE QUE C'&Eacute;TAIT QUE LES SEPT HOMMES BLEUS.</h4>
+
+<p>Il fallut que les cloches tintassent pour que l'organiste s'&eacute;veill&acirc;t.</p>
+
+<p>Il brossa son chapeau, son carrik, son gilet, sa culotte.</p>
+
+<p>Il secoua ses bas.</p>
+
+<p>Il essuya ses boucles et ses breloques,--et puis il partit.</p>
+
+<p>Pendant ce temps, mademoiselle P&eacute;lagie se faisait coiffer par un
+coiffeur.</p>
+
+<p>D&egrave;s le matin, vaguant par les rues de Langres, on avait vu sept grands
+gar&ccedil;ons, tous v&ecirc;tus d'un habit de toile bleue. Les sept grands gar&ccedil;ons
+avaient l'air r&eacute;joui, et se donnaient le bras, tous les sept, de fa&ccedil;on
+qu'ils auraient barr&eacute; les rues, s'ils avaient voulu.--A la premi&egrave;re
+tint&eacute;e des cloches, ils frappaient chez leur s&oelig;ur P&eacute;lagie. Chacun d'eux,
+l'un apr&egrave;s l'autre, vint d&eacute;poser un gros baiser sur ses grosses joues.
+Comme les embrassades finissaient, l'organiste arriva. Il avait m&ecirc;me
+d&eacute;marche, m&ecirc;me air, m&ecirc;me tenue et m&ecirc;me habit que d'ordinaire. Il salua
+ses sept beaux-fr&egrave;res qui lui &ocirc;t&egrave;rent leurs sept chapeaux, apr&egrave;s quoi il
+dit: &laquo;Allons!&raquo; et les sept paires de jambes des sept gar&ccedil;ons de ferme se
+mirent &agrave; enjamber derri&egrave;re les grands pieds de leur s&oelig;ur, et les mollets
+maigres de l'organiste:</p>
+
+<p>Heureusement qu'il n'y avait pas loin de chez mademoiselle P&eacute;lagie &agrave;
+l'&eacute;glise; car il sortait un polisson de chaque pav&eacute;, et quand les
+fianc&eacute;s, suivis des sept hommes bleus, mont&egrave;rent les degr&eacute;s, ils avaient
+d&eacute;j&agrave;, derri&egrave;re eux, un cort&eacute;ge de gouailleurs et moqueurs &agrave; mines roses,
+&agrave; culottes fendues, les plus jeunes et les plus mauvais garnements de la
+ville, faisant au couple charivari, de la voix et du geste.</p>
+
+<p>L'organiste ne broncha pas; mais un des gamins &eacute;tant venu se frotter un
+peu trop &agrave; sa port&eacute;e, il faillit lui enlever une oreille. Cela fit un
+peu de respect dans la meute et un peu de silence dans les aboiements.</p>
+
+<p>La c&eacute;r&eacute;monie faite, l'organiste, qui avait dans sa main osseuse la main
+de mademoiselle P&eacute;lagie, tourna brusquement une petite ruelle qui
+longeait l'&eacute;glise. Les sept habits bleus furent oblig&eacute;s de rompre leur
+ordre de bataille et se mirent &agrave; marcher un &agrave; un. L'organiste, entendant
+grincer derri&egrave;re lui les quatorze cents gros clous de leurs quatorze
+souliers, prit sept pi&egrave;ces de deux francs toutes neuves dans la poche de
+son gilet et dit, en en donnant une &agrave; chacun des sept fr&egrave;res: &laquo;On ne
+fait pas la noce chez moi. Voil&agrave;.&raquo;--Les sept habits bleus sortirent de
+la ruelle, se reprirent le bras et entr&egrave;rent dans un cabaret sur la
+Grand'Place.</p>
+
+<p>Il faisait beau ce jour-l&agrave; &agrave; Langres, et l'on en profitait pour rendre
+des visites &laquo;de digestion&raquo;. Sur les portes, les visit&eacute;s faisaient les
+derniers compliments aux visiteurs. Madame Comantin m&ecirc;me se hasardait &agrave;
+marcher un peu au soleil, le long du mur du Coll&eacute;ge, avec sa servante,
+essayant de se r&eacute;chauffer le dos;--en sorte que toutes les anciennes
+connaissances de l'organiste se r&eacute;gal&egrave;rent de le voir passer, la
+cuisini&egrave;re de l'&eacute;v&ecirc;que au bras.</p>
+
+<p>De tout cela, la mari&eacute;e ne s'occupa gu&egrave;re, occup&eacute;e qu'elle &eacute;tait &agrave; se
+mirer en sa robe blanche; et pour le mari&eacute;, sans doute qu'il ne vit et
+n'entendit rien. E&ucirc;t-il eu &agrave; la main une princesse de l'illustre maison
+de Lorraine, il n'e&ucirc;t pas eu le jarret mieux tendu ni le front plus
+haut.</p>
+
+<p>--&laquo;P&eacute;lagie!--dit l'organiste en montant l'escalier du domicile
+conjugal,--vous allez me mettre un tablier et me faire une bisque comme
+celle de l'&eacute;v&ecirc;que.&raquo;</p>
+
+<p><span class="sc">NUIT DE NOCE,--OU L'ORGANISTE INVENTE LE SAC DU</span> <i>gras</i> <span class="sc">ET DU</span> <i>maigre</i> <span class="sc">ET
+FAIT DE LA BONNE MUSIQUE A SON &Eacute;POUS&Eacute;E</span>.</p>
+
+<p>Apr&egrave;s d&icirc;ner, l'organiste se mit &agrave; couper du papier dans la chambre
+nuptiale, et &agrave; copier dans un livre d'assez malpropre apparence sur un
+tas de petits carr&eacute;s.</p>
+
+<p>P&eacute;lagie passa la soir&eacute;e &agrave; faire tourner dans tous les sens, sur un
+champignon, un chapeau qu'elle avait fait venir de Paris.</p>
+
+<p>A onze heures, elle ne trouva rien de mieux que d'embrasser son mari.</p>
+
+<p>Le musicien eut un moment d'impatience, dit assez brusquement: &laquo;Ma
+fille, couchez-vous,&raquo;--et continua &agrave; couvrir ses petits papiers qu'il
+mettait, &agrave; mesure qu'ils &eacute;taient &eacute;crits, dans deux sacs plac&eacute;s devant
+lui.</p>
+
+<p>Quand il eut fini, il s'approcha du lit.</p>
+
+<p>P&eacute;lagie eut un moment de pudeur.</p>
+
+<p>L'organiste s'assit au pied du lit.--&laquo;P&eacute;lagie,--dit-il,--vous n'avez
+jamais entendu parler de cela <i>Cantu et Musica sacra, auctore
+Ger</i><i>bert</i>. Eh bien! je le traduis, et puis, vous le savez, je fais de
+la musique... Je veux vivre tr&egrave;s-doucement, &agrave; ma volont&eacute;....
+Rappelez-vous qu'une femme en col&egrave;re a de tr&egrave;s-vilaines notes dans la
+voix, et cela m'agace.... J'ai des choses dans la t&ecirc;te que vous ne
+pouvez comprendre, et c'est pourquoi je ne peux pas m'occuper de
+fariboles.... Vous prendrez l'habitude de dormir quand je joue du piano,
+je vous assure. A la fin, cela vous endormira.... Vous aurez la
+bourse.... Vous irez voir vos amies, si cela vous pla&icirc;t, autant et quand
+il vous plaira.... Mais je ne veux &acirc;me qui vive chez moi, entendez-vous?
+L'escalier est haut, et je vous pr&eacute;viens que les amies pourraient tomber
+en s'en allant.... Ce que c'est que ces deux sacs, je vais vous le dire,
+P&eacute;lagie.... et tous ces petits papiers en m&ecirc;me temps. Je n'aime pas &agrave;
+manger les m&ecirc;mes plats, mon go&ucirc;t se fatigue. Je suis peut-&ecirc;tre gourmand,
+et trouver quelque chose pour ma bouche, c'est un supplice. Dans ce sac
+que voici, je viens de mettre tous les noms des plats gras que j'aime,
+et dans l'autre tous les plats maigres. Selon le jour, vous prendrez
+trois petits papiers dans l'un ou dans l'autre, et vous saurez ce qu'il
+faudra me faire.... Je vous ai dit ce que j'avais &agrave; vous
+dire.--Maintenant endormez-vous l&agrave;-dessus.&raquo;</p>
+
+<p>Et sans un mot de plus, l'organiste approcha une chaise du piano. Il
+pr&eacute;luda; puis, ses mains vol&egrave;rent sur l'instrument, et la cha&icirc;ne des
+harmonies graves montait du piano au plafond, redescendait du plafond au
+piano,--et les doigts de l'organiste r&eacute;veillaient des accords, &agrave; te
+croire encore de ce monde, Jean Gabrielli de Venise!</p>
+
+<p>La femme songea un peu;--puis ses id&eacute;es se noy&egrave;rent dans le bruit. Elle
+s'endormit.</p>
+
+<p>Quand elle se leva le lendemain matin, l'organiste ferma le piano et se
+mit au lit.</p>
+
+<h4>O&Ugrave; ILS FURENT HEUREUX ET N'EURENT PAS D'ENFANTS.</h4>
+
+<p>Adonc l'organiste continua, toutes les nuits, &agrave; composer sa messe, et
+finit de traduire Gerbert.</p>
+
+<p>P&eacute;lagie porta chapeau.--Elle s'habitua aux musiques nocturnes de son
+mari, et Attila aurait pu recommencer &agrave; br&ucirc;ler la ville de Langres sans
+qu'elle e&ucirc;t la moindre vell&eacute;it&eacute; de s'&eacute;veiller.</p>
+
+<p>Au bout de quelque temps, elle tira r&eacute;guli&egrave;rement la loterie des d&icirc;ners
+gras, cinq jours dans un sac, et la loterie des d&icirc;ners maigres, deux
+jours dans l'autre.</p>
+
+<p>L'&eacute;v&ecirc;que ne pardonna pas d'abord &agrave; l'organiste ce qu'il appelait une
+&laquo;m&eacute;salliance&raquo;.--Mais quand il eut remplac&eacute; P&eacute;lagie par Jeanneton, de
+chez M. Daguet, l'ancien juge d'instruction, il reconnut que si P&eacute;lagie
+&eacute;tait inimitable pour la bisque d'&eacute;crevisses, Jeanneton avait bien son
+prix pour le salmis de b&eacute;casses; et le jour o&ugrave; il reconnut cela,
+Monseigneur commen&ccedil;a--dit-on--&agrave; en vouloir moins au mari de sa
+cuisini&egrave;re.</p>
+
+<a name="c21" id="c21"></a>
+<br><br>
+
+<h3>MADAME ALCIDE</h3>
+
+<p class="mid"><span class="sc">LE CH&OElig;UR</span>, <i>se tournant vers Indiana</i>.</p>
+
+<p>Trois juliennes!--trois matelottes!--trois gigots!--trois fritures!...</p>
+
+<p class="mid">MADAME ALCIDE.</p>
+
+<p>Une salade et des fraises, voil&agrave;! Messieurs; du bordeaux, n'est-ce pas?
+&ccedil;a fait du bien &agrave; la gorge!</p>
+
+<p>Il est, il est &agrave; dix minutes de Paris un cabaret o&ugrave; l'Art et la
+Litt&eacute;rature ont leur couvert toujours mis. Il y a des tonnelles; les
+fourmis marchent sur la nappe, et les chenilles tombent dans les
+assiettes. Cabaret mont&eacute; de la hutte au pavillon, et de l'&icirc;le &agrave; la
+berge! il a chang&eacute; ses planches contre des murailles blanches, sa
+devanture de filets contre les volets verts des vieux romans, son fer
+contre du ruolz! Cabaret o&ugrave; sous la droite redoutable de cette femme de
+soixante-quatorze ans qui si&eacute;ge au comptoir se taisent &agrave; demi,
+inapais&eacute;s, grondants, les jalousies, les ressentiments, les col&egrave;res de
+son entour et de sa port&eacute;e! Cabaret o&ugrave; quand la table de famille se
+dresse pour les amants, les fils et les filles de la vieille matrone, il
+se parle une langue toute neuve et sans clef, langue de forts en gueule,
+coul&eacute;e d'argot roul&eacute;e des Halles &agrave; la Conciergerie! La nuit, le couteau,
+promen&eacute; par les mains des fils, contient les pr&eacute;tendants de la P&eacute;n&eacute;lope
+&eacute;norme; les filles, la m&egrave;re les donne pour gages aux cuisiniers! Et dans
+cette promiscuit&eacute; et ce p&ecirc;le-m&ecirc;le de drames, un g&eacute;nie protecteur, comme
+dans une peuplade de <i>Peaux-rouges</i>, un idiot, un gros, gras et huileux
+gar&ccedil;on, la l&egrave;vre sans ressort et tombante; un idiot que, depuis vingt
+ans, les habitu&eacute;s voient apprenant &agrave; lire derri&egrave;re l'allumette promen&eacute;e
+sur un m&ecirc;me alphabet par un vieillard en cravate blanche. Le vieillard
+au chef grave, le menton mont&eacute; sur sa cravate toujours blanche, &eacute;miette
+du pain aux poulets et aux lapins qu'il gouverne; puis il vient
+s'asseoir,--lui, ce marquis ruin&eacute; par la vieille!--&agrave; ce festin des
+Lapithes, dont elle lui fait aum&ocirc;ne, indiff&eacute;rent, muet, sourd! Caverne
+o&ugrave; un soir &agrave; souper s'est attard&eacute;e la muse d'Eug&egrave;ne S&uuml;e!</p>
+
+<p class="mid">MADAME ALCIDE.</p>
+
+<p>Ah! bien, vous me l'aviez pr&eacute;dit: &laquo;Quand il sera arriv&eacute; celui-l&agrave;, il
+vous &eacute;crasera avec son carrosse.&raquo; Vous aviez plus de philosophie du c&oelig;ur
+humain que moi. Je me rappelle que vous m'aviez si bien pr&eacute;dit &ccedil;a! Je
+suis rest&eacute;e tout de m&ecirc;me trois ans avec lui...--Ah! la bonne soupe!
+C'est un fameux restaurant ici! &Ccedil;a me rappelle les deux seuls d&icirc;ners que
+j'ai faits avec lui. Figurez-vous, Messieurs,--il faut vous dire qu'il
+gagnait douze cents francs par an, c'&eacute;tait pas le diable, mais enfin...
+V'l&agrave; qu'au bout d'un an, il me m&egrave;ne &agrave; la campagne... J'avais une petite
+robe tr&egrave;s-gentille, toute neuve, que je m'&eacute;tais faite avec des doublures
+de soie que la m&egrave;re du Ch&acirc;teau lui envoyait, si par hasard il avait
+besoin de se raccommoder.</p>
+
+<p class="mid">CH&OElig;UR.</p>
+
+<p>Femme ing&eacute;nieuse! Nous connaissons ton tapis de Smyrne &agrave; franges tiss&eacute;es
+avec les &eacute;paulettes du garde national La Coutelle! Tu t'habilles comme
+l'oiseau fait son nid, de grapilles qu&ecirc;t&eacute;es &ccedil;&agrave; et l&agrave;. Nous t'avons
+contempl&eacute;e au bal de l'Op&eacute;ra, Alcide, en <i>Reine de Chypre</i>; et nul n'a
+jamais su dire de quoi tu t'&eacute;tais fais cette chose composite que tu
+appelais ton costume! Va, reprends de la matelotte, et continue &agrave;
+d&eacute;voiler ton c&oelig;ur!</p>
+
+<p class="mid">MADAME ALCIDE.</p>
+
+<p>Ai-je su&eacute; ce jour-l&agrave;!... Quelle trotte! Il m'a fait aller de la rue
+Frochot au Jardin-des Plantes, et du Jardin-des-Plantes &agrave; Belleville, &agrave;
+pied; et a-t-il rechign&eacute; apr&egrave;s ses gueux de trois francs de d&icirc;ner!--En
+rentrant, il a mis tout de suite sur son livre de d&eacute;penses: <i>Gaudriole</i>,
+trois francs.</p>
+
+<p class="mid">CH&OElig;UR.</p>
+
+<p><i>Gaudriole?</i>--Ah! ah!--Et pourquoi? et pourquoi?</p>
+
+<p class="mid">MADAME ALCIDE.</p>
+
+<p>Oui, Messieurs, il m'a dit que tout ce qui n'&eacute;tait pas des choses
+utiles, il portait &ccedil;a au compte: <i>Gaudriole</i>.--Il &eacute;tait rat comme tout,
+faut vous dire... il avait un livre de compte... un livre de compte.
+C'&eacute;tait dr&ocirc;le... un tas de colonnes, des rang&eacute;es de colonnes, des
+chiffres, c'&eacute;tait en ordre comme un r&eacute;giment. Il me disait que comme &ccedil;a,
+&ccedil;a lui faisait voir toutes ses d&eacute;penses group&eacute;es. Et il mettait tout
+dessus; le soir nous n'avions pas d'argent pour sortir; alors nous
+jouions; quand je perdais, il mettait sur ses comptes: <i>Alcide me redoit
+un sou de jeu</i>.--Mais, Messieurs, prenez donc de la matelotte... Vous,
+Monsieur...</p>
+
+<p class="mid">CH&OElig;UR.</p>
+
+<p>Merci, Madame Alcide; elle est &agrave; nous, elle est &agrave; vous!</p>
+
+<p class="mid">MADAME ALCIDE.</p>
+
+<p>Voyons, l&agrave;-bas, le <i>petit chapeau</i>, vrai, vous ne m'en voudrez pas?...
+j'ai une faim de chien... j'ai mang&eacute; un petit g&acirc;teau d'un sou en venant,
+j'allais tomber; mais voyons, vraiment vous en avez assez?</p>
+
+<p class="mid">CH&OElig;UR.</p>
+
+<p>Madame Alcide, vous faites des c&eacute;r&eacute;monies!</p>
+
+<p class="mid">MADAME ALCIDE.</p>
+
+<p>Moi, Messieurs? Ah bien!... Mais qu'est-ce que je vous racontais... Ah!
+vous savez l'histoire de sa robe de chambre... C'est pour vous en
+revenir &agrave; ses grandeurs, vous allez voir.--Attendez, parce que quand je
+raconte, je ne mange pas.</p>
+
+<p class="mid">CH&OElig;UR.</p>
+
+<p>Mangez et buvez, Madame Alcide! Buvez et mangez, Madame Alcide!</p>
+
+<p class="mid">MADAME ALCIDE.</p>
+
+<p>Le matin, je sortais, et lui donnait un coup au m&eacute;nage. J'avais
+remarqu&eacute;... V'l&agrave; un vrai restaurant! C'est meilleur qu'&agrave; ma table
+d'h&ocirc;te!</p>
+
+<p class="mid">CH&OElig;UR.</p>
+
+<p>Vous d&icirc;nez donc toujours &agrave; votre table d'h&ocirc;te, Madame Alcide?</p>
+
+<p class="mid">MADAME ALCIDE.</p>
+
+<p>Oui, Messieurs; &eacute;coutez donc, j'ai quatre plats pour vingt sous. Eh
+bien! si je faisais ma boubouille chez moi, je prendrais un bifteck, je
+suppose, de dix sous; bien.., du bleu &agrave; dix... ah! moi j'aime le bon
+vin... &ccedil;a me ferait d&eacute;j&agrave;... et puis le charbon, le bois, et aller
+chercher... est-ce que je sais!</p>
+
+<p class="mid">CH&OElig;UR.</p>
+
+<p>Madame Alcide, &agrave; votre table d'h&ocirc;te, ce ne sont que voleurs. On joue
+apr&egrave;s d&icirc;ner. Vous vous ferez voler, &ocirc; Madame Alcide, comme vous f&ucirc;tes
+toujours vol&eacute;e tout le long, le long de votre existence.</p>
+
+<p class="mid">MADAME ALCIDE.</p>
+
+<p>Non, Messieurs, on ne joue pas apr&egrave;s d&icirc;ner. Mais ce n'est pas de cela
+qu'il s'agit. M. du Ch&acirc;teau se mettait donc toujours &agrave; la fen&ecirc;tre avec
+une robe de chambre grasse, mais grasse... Il &eacute;tait tr&egrave;s-beau, vous
+savez, un brun, des favoris noirs, et moustache <i>idem</i>. Je me dis:
+&laquo;C'est bien dr&ocirc;le tout de m&ecirc;me qu'il prenne l'air tant que &ccedil;a,&raquo; et je
+vis que c'&eacute;tait pour une guenon d'Anglaise qui montait tous les jours &agrave;
+cheval dans la cour, une amazone! Elle le regardait. M. du Ch&acirc;teau
+coupait l&agrave;-dedans. Je suis jalouse, moi. &Ccedil;a me trottait d&eacute;j&agrave;, cette
+Anglaise &agrave; caracoles, quand il me dit un matin comme &ccedil;a: &laquo;Avance-moi une
+robe de chambre. Je voudrais avoir une robe de chambre, une robe de
+chambre avec une torsade et un gland pour faire un n&oelig;ud comme &ccedil;a, sur le
+c&ocirc;t&eacute;;&raquo; et il se pose. Je vois son jeu de loin, je devine de longueur
+que Monsieur veut s'adoniser pour cette Franconi! La moutarde me monte,
+et je lui dis: &laquo;Monsieur du Ch&acirc;teau, j'ai vingt-cinq francs dans mon
+secr&eacute;taire. C'est pour le terme, vous le savez bien; je n'irai pas
+m'&eacute;chigner pour vous donner une autre robe de chambre.&raquo;--Le beau gigot!
+Ah! j'ai faim; je ne fais pas la petite bouche... C'est de la bonne
+viande... Moi qui ne connaissais pas ce restaurant-l&agrave;... Je connais
+pourtant assez d'artistes.</p>
+
+<p class="mid">CH&OElig;UR.</p>
+
+<p>Mangez du gigot, Madame Alcide, et continuez-nous l'histoire secr&egrave;te du
+nomm&eacute; du Ch&acirc;teau.</p>
+
+<p class="mid">MADAME ALCIDE.</p>
+
+<p>Il me quitte. Nous sommes un an sans nous revoir. J'avais aux pieds des
+bottines perc&eacute;es. J'&eacute;tais rue Larochefoucauld. Au coin de l'&eacute;picier,
+j'entends quelqu'un qui demande la monnaie d'un billet de cinq. C'&eacute;tait
+lui! Ah! je dis, par exemple, tu ne m'&eacute;chapperas pas. Je vais me planter
+devant la boutique. Il m'aper&ccedil;oit du coin de l'&oelig;il. Il me tourne vite le
+dos. Je ne bouge pas. Il sort. Je lui dis: &laquo;Je suis bien heureuse que
+vous ayez fait fortune. Vous devriez bien me donner une paire de
+bottines.&raquo; Il me dit: &laquo;De l'argent, vous voyez bien que je n'en ai pas;
+l'&eacute;picier n'a pas voulu me changer.&raquo; C'&eacute;tait vrai. Il me dit encore que
+dans le temps je n'ai pas voulu lui avancer une robe de chambre.--&Ccedil;a lui
+&eacute;tait rest&eacute;, cette robe de chambre! et il me donne rendez-vous le
+lendemain &agrave; huit heures sur les buttes Montmartre.</p>
+
+<p class="mid">CH&OElig;UR.</p>
+
+<p>Sur les buttes Montmartre, Madame Alcide?</p>
+
+<p class="mid">MADAME ALCIDE.</p>
+
+<p>Il faisait un temps, de la pluie, du vent! Je m'en vais l&agrave;-haut. Je ne
+vois personne, et j'attends de bonne foi. Le lendemain soir je le pince
+sur le boulevard. Il y avait une d&eacute;b&acirc;cle atroce. J'avais les pieds dans
+la neige et la glace. Je lui dis s'il veut me donner ma paire de
+botttines. Lui, &agrave; bout, il me dit: &laquo;Eh bien, enfin, combien que &ccedil;a co&ucirc;te
+une paire de bottines?--Douze francs, vois, j'ai les pieds dans l'eau.&raquo;
+V'l&agrave; qui veut me reconduire et monter chez moi. Ah! Messieurs, vous
+savez que je ne re&ccedil;ois personne... et puis mon propri&eacute;taire, M. Dumon,
+un vieux qui m'a fait la cour, n'entend pas de cette oreille-l&agrave;. Je dis
+&agrave; mon du Ch&acirc;teau--je ne voulais pas le vexer, rapport &agrave; mes
+bottines,--que M. Dumon est graveur du roi, un orl&eacute;aniste, et qu'il me
+flanquera &agrave; la porte, s'il sait que j'ai re&ccedil;u un bonapartiste.
+L&agrave;-dessus, du Ch&acirc;teau s'en va, et je n'ai pas eu de bottines.</p>
+
+<p class="mid">CH&OElig;UR.</p>
+
+<p>Et ce fut alors, n'est-ce pas, Madame Alcide, que commen&ccedil;a votre grande
+<i>panne</i>, cette <i>panne</i> pendant laquelle vous &eacute;change&acirc;tes, blonde que
+vous &eacute;tiez! un gril, une petite pendule dor&eacute;e, et une guitare contre une
+queue de cheveux noirs!</p>
+
+<p class="mid">MADAME ALCIDE.</p>
+
+<p>Tenez! avec vous, je ne d&eacute;cesse pas de parler, parce que vous
+m'inspirez..., oui, vous me dites un petit mot... et &ccedil;a me fait
+repartir. La derni&egrave;re fois que je vis M. du Ch&acirc;teau, c'&eacute;tait &agrave; l'&eacute;poque
+de nos troubles politiques. Je n'avais plus le sou. Je ne posais plus.
+Vous savez que &ccedil;a n'allait pas. Ma foi! j'avais une marine de je ne sais
+plus qui, je la d&eacute;croche, je la fourre sous mon ch&acirc;le; et je pars
+<i>laver</i> &ccedil;a. Dans la rue Montmartre, il y avait des rassemblements;
+j'aper&ccedil;ois M. du Ch&acirc;teau. Il avait un grand bandeau sur l'&oelig;il.
+Heureusement qu'il se pr&eacute;senta &agrave; moi du c&ocirc;t&eacute; droit qui n'avait pas de
+bandeau, sans cela je ne l'aurais pas reconnu. Il &eacute;tait accompagn&eacute; de
+deux ou trois hommes, des faces de gal&eacute;riens, de ces gens qu'on ne
+rencontre que dans les r&eacute;volutions. Ils me jetaient, Messieurs, des
+regards terribles. Je ne fais ni une ni deux. V'lan! je flanque ma toile
+devant le nez de M. du Ch&acirc;teau.--Qu'est-ce que c'est que cela,
+Madame?--qu'il fait.--Une marine! Vous allez m'acheter cela. Je n'ai
+plus le sou. Je ne fais plus rien.--Je n'ach&egrave;te pas de marine.--Eh
+bien,--je lui dis,--menez-moi d&icirc;ner &agrave; la campagne.--Non; je n'ai pas le
+temps. L'&oelig;uvre marche,--qu'il me dit tout bas, et il tire une pi&egrave;ce
+blanche qu'il me met dans la main, et file avec ses satellites. Devant
+tout le monde, &ccedil;a m'a offusqu&eacute;e. Je ne l'ai jamais retrouv&eacute; depuis ce
+temps-l&agrave;. Un peu de sauce? Oui, je veux bien, vous en avez, vous,
+Messieurs? Personne n'en veut plus? Eh bien, j'aime autant prendre le
+plat, si &ccedil;a ne vous fait rien.</p>
+
+<p class="mid">CH&OElig;UR.</p>
+
+<p>La Renomm&eacute;e aux pieds l&eacute;gers a chant&eacute; &agrave; mon oreille que vous conn&ucirc;tes le
+c&eacute;l&egrave;bre prince &Eacute;douard.</p>
+
+<p class="mid">MADAME ALCIDE.</p>
+
+<p>Encore des choses dr&ocirc;les, allez. Je le rencontre au bal de l'Op&eacute;ra. Il
+cause. Il me demande &agrave; venir chez moi. Moi,--une folie, si vous voulez,
+Messieurs: je voulais conna&icirc;tre un fils de roi, je lui donne mon
+adresse. Il vient le lendemain. Il &eacute;tait noble comme tout, un
+port...--&laquo;Ma ch&egrave;re,--me dit-il,--ma voiture est en bas; mais je ne puis
+vous emmener, vous n'avez pas de toilette,&raquo;--et il me laisse. &Ccedil;a me
+monte, cet affront. Ah! je dis, attends, je n'ai pas de toilette, tu vas
+voir &ccedil;a. Je prends tout l'argent que j'avais. J'ach&egrave;te des chapeaux, un
+jaune, et un petit bonnet avec des roses... tr&egrave;s-gentil. Il
+revient.--&laquo;Madame, o&ugrave; allez-vous?--Je vais sortir, monsieur,--que je
+fais--on va m'apporter des chapeaux.&raquo;--&Ccedil;a le pique.--&laquo;Je serais curieux
+de les voir.&raquo;--On les apporte. Il trouve que &ccedil;a me va, et il me
+dit:--&laquo;Madame, vous allez venir d&icirc;ner avec moi chez Broggi. Nous irons
+&agrave; pied.&raquo; Il me fait boire; et puis je voyais que quand il me versait, il
+tirait d'une bo&icirc;te en or quelque chose, et mettait un peu de poudre dans
+mon verre. Je me sens toute dr&ocirc;le. Je lui dis: &laquo;Je suis malade,
+empoisonneur!&raquo; Il ne se trouble pas. Il me dit: &laquo;Madame, j'ai voulu vous
+&eacute;prouver. On m'avait dit que vous n'&eacute;tiez pas une femme comme une autre.
+Je vois que vous n'&ecirc;tes pas us&eacute;e par les orgies.&raquo; &Ccedil;a n'emp&ecirc;che pas que
+je fus malade toute la nuit. Il me soigna comme un p&egrave;re au milieu des
+convulsions..... Nous demeurions ensemble. C'&eacute;tait l'hiver. Il gelait &agrave;
+pierre fendre. Il me dit: &laquo;Madame, vous ne faites donc pas de feu?--Du
+feu, Monsieur le prince? non. Quand j'ai froid, je vais me chauffer au
+bal.&raquo; Quand il voit &ccedil;a: &laquo;Madame, il n'est pas convenable que vous ayez
+une garniture de chemin&eacute;e antique. J'ai fait prix avec un brocanteur
+pour vous en d&eacute;barrasser;--et il met par terre ma pendule d'alb&acirc;tre et
+mes vases de fleurs. J'ai vu de tr&egrave;s-beaux flambeaux de bronze &agrave; 10
+francs, rue Saint-Lazare. Vous allez aller les acheter.&raquo;--J'ai &eacute;t&eacute;
+acheter les flambeaux. On me les a laiss&eacute;s &agrave; 9. Pour la pendule, il
+mettait &agrave; sa place tous les jours un bouquet de violettes. Il me donnait
+30 francs par mois. Il logeait chez moi. Un jour il me dit: &laquo;Voulez-vous
+voir, Madame, les d&eacute;bris de ma fortune?&raquo; et il me fait voir sur un
+papier une foule de diamants. Ce soir-l&agrave;, il rentra; il avait le gousset
+plein de pi&egrave;ces d'or et d'argent. Il mit tout &ccedil;a sur la table de nuit,
+et, couch&eacute;, la t&ecirc;te dans sa main, il se mit &agrave; regarder longtemps. Et
+moi, je pensais pendant ce temps que cet homme contemplait les d&eacute;bris de
+ses richesses; et &ccedil;a me faisait songer tristement, Messieurs. Quand, le
+lendemain, il compta son or, et qu'il allait partir, je me dis: Il faut
+pourtant que je lui demande quelque chose.--Je l'arr&ecirc;tai &agrave; la
+porte:--&laquo;Mon ami, je n'ai plus d'argent.&raquo;--Lui, il me dit: &laquo;Et les 50
+francs que je vous avais confi&eacute;s?--Vos 50 francs? les voil&agrave;!&raquo; Je lui
+tends deux factures. Comme il aimait &ecirc;tre couch&eacute; mollement, ce mois-l&agrave;,
+je lui avais fait la chatterie de faire rebattre les matelas, changer
+les taies, et &ccedil;a co&ucirc;te tout &ccedil;a! Il me dit: &laquo;Madame, puisque vous n'avez
+pas su garder cet argent, je vous en aurais donn&eacute; cinquante autres;
+vous ne les aurez pas. Du reste, Madame, je respecte trop une femme qui
+est &agrave; moi pour lui offrir de l'argent.&raquo;--Au terme, je lui dis: &laquo;Il faut
+payer le propri&eacute;taire.&raquo; Le voil&agrave; qui me r&eacute;pond: &laquo;Madame, je vais en
+Normandie, manger du fromage de Brie; respectez mon malheur.&raquo; Cette
+r&eacute;ponse avait le droit de me surprendre.--Quand je pense que ma pauvre
+vie a toujours &eacute;t&eacute; d'&ecirc;tre bouscul&eacute;e comme &ccedil;a. Toute petite, j'ai eu un
+p&egrave;re, un brave qui n'avait pas froid aux oreilles, un p&egrave;re dur, mais
+dur! &Ccedil;a n'a pas encore &eacute;t&eacute; pour moi un doux agneau...</p>
+
+<p class="mid"><span class="sc">INDIANA</span>, <i>ouvrant la porte</i>.</p>
+
+<p>Combien de fritures &agrave; ces Messieurs?</p>
+
+<p class="mid">MADAME ALCIDE.</p>
+
+<p>Oh! pour un, n'est-ce pas, Messieurs? Je suis pleine jusque-l&agrave;.</p>
+
+<p class="mid">INDIANA.</p>
+
+<p>Pour un? Vous &ecirc;tes cinq!--Vous me faites mal, la m&egrave;re!</p>
+
+<p class="mid">CH&OElig;UR.</p>
+
+<p>Pour trois! et sortez, Indiana.--Ah! &ccedil;a, Madame Alcide, est-ce que la
+roue de la Fortune n'a pas arrach&eacute; du Ch&acirc;teau de vos bras pour le
+porter au sommet d'une haute position?</p>
+
+<p class="mid">MADAME ALCIDE.</p>
+
+<p>Je crois bien. Il est quelque chose comme qui dirait ministre. Ah! il a
+fait son beurre! Il est au pinacle. Voil&agrave; qu'il me revient une histoire
+l&agrave;-dessus. Figurez-vous, je d&icirc;nais cet hiver au <i>Grand-Turc</i>. Beaucoup
+de monde &eacute;tait &agrave; regarder un beau domestique, mais tr&egrave;s-bien, qui avait
+une livr&eacute;e avec des galons d'or, un bel homme et qui faisait son
+important. Je le fixe, et je reconnais cet homme. &Ccedil;a l'&eacute;tonne que je le
+regarde comme &ccedil;a. Je lui dis: &laquo;Connaissez-vous M. du Ch&acirc;teau?&raquo; Il me
+dit: &laquo;Oui. Je suis le valet de pied de l'empereur son ma&icirc;tre.&raquo; Et en me
+toisant il me demande si je le conna&icirc;trais? &laquo;Oui, je fais tout haut, et
+m&ecirc;me intimement. J'ai &eacute;t&eacute; sa ma&icirc;tresse pendant trois ans.&raquo; Cet homme se
+l&egrave;ve du coup et me dit: &laquo;Vous avez &eacute;t&eacute; la ma&icirc;tresse de M. du
+Ch&acirc;teau?&raquo;--&laquo;M&ecirc;me, que je lui dis, que je vous connais bien, et que quand
+vous &ecirc;tes venu parler &agrave; M. du Ch&acirc;teau de la part de votre ma&icirc;tre, et
+apporter une lettre rue de Laval, vous vous &ecirc;tes assis &agrave; gauche en
+entrant, sur une banquette.&raquo; Voil&agrave; cet homme qui voit bien que je l'ai
+connu, qui m'offre le caf&eacute;, et qui me dit que je devrais m'adresser &agrave; M.
+du Ch&acirc;teau pour avoir quelque chose. Il me dit que justement il y a dans
+la maison de l'empereur une place vacante de femme de la garde-robe, &ccedil;a
+rapporte cinquante sous par jour...</p>
+
+<p class="mid">CH&OElig;UR.</p>
+
+<p>Femme de la garde-robe? Expliquez-vous, Madame Alcide.</p>
+
+<p class="mid">MADAME ALCIDE.</p>
+
+<p>J'&eacute;cris une lettre &agrave; M. du Ch&acirc;teau, et je vais porter &ccedil;a &agrave; l'adresse o&ugrave;
+ce domestique m'avait dit demeurer. Il s'&eacute;tait fait fort de remettre ma
+lettre &agrave; M. du Ch&acirc;teau lui-m&ecirc;me; moi &ccedil;a m'allait, vous comprenez.--Apr&egrave;s
+cela, je savais bien qu'il fallait &ecirc;tre une dame noble pour cet
+emploi-l&agrave;.....</p>
+
+<p class="mid">CHOEUR.</p>
+
+<p>Une noble dame,--vous l'avez dit, Madame Alcide.</p>
+
+<p class="mid">MADAME ALCIDE.</p>
+
+<p>Dans ma lettre, je lui rappelais le pass&eacute;, &agrave; ce sans-c&oelig;ur, et je lui
+disais que je me conformerais &agrave; toutes ses instructions; oui, enfin que
+je ne parlerais jamais de ce qui s'est pass&eacute; entre nous. Mais vous ne
+savez pas ce qui m'arrive le lendemain matin? Une femme qui entre avec
+un train de furie chez moi, et qui me dit que j'&eacute;cris &agrave; son mari des
+choses!... C'&eacute;tait la femme de ce domestique! Elle avait d&eacute;cachet&eacute; la
+lettre pour M. du Ch&acirc;teau. Cette grue-l&agrave;! elle avait pris ce que je
+disais pour son mari!--Ah! je n'ai jamais eu de chance! Justement, dans
+ce moment-l&agrave;, je posais les mains de M. Mol&eacute;, vous savez, dans le
+portrait d'Horace Vernet. J'&eacute;tais raffal&eacute;e; j'avais envie d'aller
+l'attendre &agrave; la porte d'Horace, et de lui dire: &laquo;Monseigneur, c'est moi
+qui pose vos mains. Donnez-moi un bureau de papier timbr&eacute;!&raquo; Mais je n'ai
+pas eu ce front-l&agrave;. Tenez! je vous parlais tout &agrave; l'heure de mon p&egrave;re...
+Eh bien! mon premier amour, &ccedil;a n'a pas encore &eacute;t&eacute; tout bonheur... Moi
+qui ai toujours eu pour id&eacute;al un jeune homme noble, bien fait, avec des
+ongles roses et un chien de chasse, qui m'embrasserait dans l'&icirc;le
+Saint-Denis!</p>
+
+<p class="mid">CH&OElig;UR.</p>
+
+<p>Aux baisers d'argent de Ph&oelig;b&eacute; la blonde, enlac&eacute;s l'un &agrave; l'autre comme la
+vigne &agrave; l'ormeau, avez-vous vu passer Madame Alcide au bras de son
+id&eacute;al, suivant le sentier qui trempe dans la rivi&egrave;re murmurante?</p>
+
+<p class="mid">MADAME ALCIDE.</p>
+
+<p>Oui, Messieurs, &ccedil;'a &eacute;t&eacute; un homme de quarante-cinq ans,--mon premier
+amour--qui faisait des pi&egrave;ces. Des raisons de famille me forcent &agrave; vous
+taire son nom. On l'a port&eacute; en triomphe sur la sc&egrave;ne de l'Od&eacute;on tout de
+m&ecirc;me comme Voltaire. Il n'avait pas le sou, avec tous ses triomphes. Ah!
+il m'a bien fait aller au spectacle.</p>
+
+<p class="mid">CH&OElig;UR.</p>
+
+<p>Femme, tu peux un moment suspendre ta langue, et boire le bain de pied
+de ton petit verre. Tes paroles descendent dans les oreilles, comme les
+neiges des montagnes descendent dans les plaines. Les p&eacute;rip&eacute;ties de tes
+aventures &eacute;tonnent les mortels pendus &agrave; tes l&egrave;vres. Femme simple, femme
+&eacute;tonnante, tes amours pleins d'&eacute;pisodes comme les amours d'&eacute;pop&eacute;es, sont
+toujours li&eacute;s &agrave; des amours sans monnaie. Ta b&ecirc;tise est grandiose et
+cyclop&eacute;enne, cr&eacute;ature ing&eacute;nue, mari&eacute;e avec le grotesque. L'odyss&eacute;e de
+ton existence ahurit, si j'ose m'exprimer ainsi. Alcide, toi qu'un
+peintre fameux enroula et encha&icirc;na dans les tissus de l'Orient, pour
+abuser de ta faiblesse; g&eacute;ante de cocasserie, Alcide, toi dont les
+formes plantureuses revivront par les toiles &eacute;ternelles; toi que nous
+avons vue porter l'adversit&eacute;, comme le b&oelig;uf porte le soleil, et dont le
+<i>clou</i> fatal a souvent re&ccedil;u toutes les toilettes; Cruso&eacute; du beau sexe,
+toi qui te fais des robes de rien,--retourne en tes lointains foyers!
+Nous te respectons trop pour te reconduire.</p>
+
+<p class="mid">MADAME ALCIDE.</p>
+
+<p>Tout ce que vous me dites l&agrave;... je ne sais pas... mais ce que je sais,
+c'est que vous &ecirc;tes bien gentils: vous payez du bordeaux aux femmes, et
+puis avec vous jamais de claques ni de coups de poing au dessert.</p>
+
+<p>(<i>Exeunt.</i>)</p>
+
+
+<a name="c22" id="c22"></a>
+<br><br>
+
+<h3>PEYTEL</h3>
+
+<p>&laquo;<i>Cour d'Assises de l'Ain.--Audience du 30 ao&ucirc;t.</i>--M. le Pr&eacute;sident
+prononce l'arr&ecirc;t qui condamne <i>Beno&icirc;t-S&eacute;bastien Peytel &agrave; la peine de
+mort</i>.--Au moment m&ecirc;me o&ugrave; M. le Pr&eacute;sident vient de prononcer la peine
+terrible, on entend une voix du milieu de la foule s'&eacute;crier: &laquo;Vivent les
+jur&eacute;s!&raquo;</p>
+
+<p>Le pourvoi en cassation fut rejet&eacute; le 10 octobre.<br>
+
+<span class="rig">Bourg, mardi 15 octobre 1839.</span></p><br>
+
+<p>&laquo;Le 13, Peytel a appris de M. le cur&eacute; le rejet de son pourvoi. Cette
+affreuse nouvelle ne lui a fait perdre ni son calme ni son &eacute;nergie. Le
+cur&eacute; &eacute;tait tellement &eacute;mu que Peytel s'en aper&ccedil;ut et lui dit: Vous &ecirc;tes
+agit&eacute;, Monsieur le cur&eacute;; pourquoi?.. Voyez, moi, je suis calme,
+jugez-en. Puis d&eacute;boutonnant son gilet et sa chemise, il prit une de ses
+mains qu'il posa sur son c&oelig;ur en lui disant: &laquo;Voyez si mon c&oelig;ur bat plus
+vite que de coutume.<br>
+
+<span class="rig"><span class="sc">Gui...</span>&raquo;</span></p><br>
+
+<p class="rig">Bourg, le 16 octobre 1839.</p><br><br>
+
+<p>&laquo;Croiriez-vous que ce matin, lorsque M. le cur&eacute; est entr&eacute; aupr&egrave;s de ce
+malheureux, il lui a dit presque souriant: Vous ne devineriez pas,
+Monsieur le cur&eacute;, de quoi j'ai parl&eacute; hier pendant tout mon d&icirc;ner avec le
+concierge?--Non.--De mon ex&eacute;cution... Et l&agrave;-dessus, il est entr&eacute; avec
+son calme ordinaire dans des d&eacute;tails vraiment inconcevables.<br>
+
+<span class="rig"><span class="sc">Gui...</span>&raquo;</span></p><br>
+
+<p>Si l'annonce du rejet de son pourvoi avait laiss&eacute; Peytel calme, la
+possibilit&eacute; de commutation de peine et la perspective du bagne le
+trouvaient plus &eacute;mu et moins pr&eacute;par&eacute;; et avant de le d&eacute;cider &agrave; tenter un
+recours en gr&acirc;ce, son avocat, M. Margerand, et ses amis eurent &agrave;
+soutenir contre lui des luttes et des combats pendant lesquels cette
+lettre s'&eacute;chappait de sa plume:</p>
+
+<p>&laquo;Je n'ai pas chang&eacute; de mani&egrave;re de voir, et n'en changerai pas, <i>quoi
+qu'il advienne</i>... D&eacute;shonor&eacute; met le comble &agrave; mes maux: je doute qu'il
+soit au monde un homme qui le sente mieux que moi. Lorsque votre lettre
+d'hier m'a &eacute;t&eacute; remise, je voulais faire une r&eacute;ponse en quatre mots;
+cette r&eacute;ponse sera encore faite de m&ecirc;me sur votre papier. Ici vont se
+trouver quelques explications. Hier soir, j'ai lu &agrave; la lumi&egrave;re votre
+lettre; on a eu pour la premi&egrave;re fois la complaisance de me donner un
+morceau de bougie gros comme un canon de plume, long d'un demi-pouce.
+Cette lumi&egrave;re m'a suffi pour lire deux fois votre &eacute;p&icirc;tre et m'en bien
+p&eacute;n&eacute;trer. A huit heures la fi&egrave;vre m'a pris. A neuf, j'avais sept
+pulsations et demie dans l'espace de temps qui s'&eacute;coule entre deux coups
+frapp&eacute;s &agrave; l'horloge de la ville. Le mouvement habituel de mon pouls est
+de quatre et demi. C'est donc trois de plus qu'&agrave; l'ordinaire; cet &eacute;tat a
+dur&eacute; jusqu'&agrave; deux heures du matin. Alors j'ai eu un redoublement de
+fi&egrave;vre, j'ai eu une esp&egrave;ce d'hallucination; j'ai vu autour de moi mon
+p&egrave;re, mes oncles d&eacute;c&eacute;d&eacute;s, mes parents vivants. Je me suis lev&eacute;, j'ai
+cherch&eacute; &agrave; comprendre o&ugrave; j'&eacute;tais, ce que j'&eacute;tais, et j'ai fini par tomber
+sur les cadettes qui pavent mon cachot.</p>
+
+<p>&raquo;A cinq heures, un fou qui est dans un cachot voisin m'a r&eacute;veill&eacute; en
+frappant &agrave; coups redoubl&eacute;s contre la porte. Je me suis relev&eacute;, mis au
+lit et l'abattement m'a assoupi jusqu'&agrave; six heures et demie. Alors, j'ai
+lu et relu votre lettre, y ai fait un mot de r&eacute;ponse. C'est le seul mot
+pr&eacute;c&eacute;d&eacute; de points ci-dessus qui a produit cet effet. Car dimanche j'ai
+connu le rejet, et je n'ai pas chang&eacute; de mani&egrave;re de faire ni de dire.
+Que m'importe la vie aujourd'hui? La vie du bagne est pour moi
+impossible, j'aime mieux la mort. Je serai si je vis encore un fardeau
+pour ma famille, pour ceux de mes enfants qui conserveront encore
+quelques sentiments pour moi, il vaut mieux que je meure. Qu'importe
+quelques jours de plus ou de moins avec le d&eacute;shonneur? La prolongation
+de l'existence devient pesante, quelque &eacute;nergie que l'homme se sente,
+quelque purs que soient ses sentiments, quelque peu m&eacute;rit&eacute;s que soient
+les jugements port&eacute;s contre lui, quelle que soit enfin la force et la
+grandeur de ce qu'il ferait dans la suite. L'homme d&eacute;shonor&eacute; ne peut
+rien esp&eacute;rer, il a souill&eacute; son nom, souill&eacute; la lign&eacute;e dont il sort, il a
+fait une blessure qui non-seulement porte pr&eacute;judice aux branches, mais
+encore attaque la souche de sa g&eacute;n&eacute;alogie. Un bon horticulteur tranche
+au vif une branche pareille; quelques ann&eacute;es apr&egrave;s, la cicatrisation
+s'op&egrave;re, et l'arbre n'est nullement endommag&eacute;. Mais si la branche vici&eacute;e
+reste sur l'arbre tout p&eacute;riclitera. Il vaut mieux la couper. Qu'on me
+tranche donc la t&ecirc;te.&raquo;</p>
+
+<p>Un peu plus tard, Peytel se d&eacute;cida. Tous les efforts de ce qui lui
+restait d'amis se tourn&egrave;rent vers la cl&eacute;mence royale. On savait que le
+roi mettait comme une religion &agrave; dire <i>oui</i> ou <i>non</i>, quand il
+s'agissait de la t&ecirc;te d'un homme, et qu'il compulsait lui-m&ecirc;me, et avec
+grand soin, le dossier des condamn&eacute;s.</p>
+
+<p>Ce qui avait &eacute;mu le plus vivement la cour, c'&eacute;tait ce double homicide,
+et la mort de cette jeune femme bient&ocirc;t m&egrave;re. Une famili&egrave;re des
+Tuileries, madame d'Abrant&egrave;s, &eacute;crivait: &laquo;On a parl&eacute; surtout de la
+position de madame Peytel, et ce qui exasp&egrave;re le plus, c'est une femme
+grosse tu&eacute;e en deux personnes.&raquo;--Toutes les d&eacute;marches faites &agrave;
+Saint-Cloud, par la s&oelig;ur du condamn&eacute;, Madame Carraud, conduite par
+madame d'Abrant&egrave;s, pour parvenir jusqu'au roi, furent inutiles. Le roi
+fit r&eacute;pondre par M. d'Houdetot, son premier aide de camp, &laquo;qu'il prenait
+en consid&eacute;ration la position de cette pauvre s&oelig;ur, mais qu'il ne pouvait
+pas la voir.&raquo; A une seconde tentative, le roi trouva encore une excuse
+dont il chargea le g&eacute;n&eacute;ral Delort: &laquo;On ne peut plus poliment r&eacute;pondre
+<i>non</i>&raquo;, dit madame d'Abrant&egrave;s. Le premier mot du g&eacute;n&eacute;ral avait &eacute;t&eacute;: &laquo;Les
+lettres de Balzac l'ont perdu dans l'opinion.&raquo; Ces lettres remarquables,
+cette d&eacute;fense discr&egrave;te qui &eacute;tait presque toute dans ce qu'elle ne disait
+pas, cette plaidoirie qui laissait d&eacute;duire au lecteur les cons&eacute;quences
+vraisemblables du caract&egrave;re <i>bilieux-sanguin</i> de Peytel, dans une
+circonstance habilement probabilis&eacute;e, avaient indign&eacute; le roi.
+&laquo;Avant-hier, &eacute;crivait madame d'Abrant&egrave;s,--le roi a parl&eacute; de Peytel avec
+amertume, et l'a appel&eacute; un monstre pour avoir permis qu'on calomni&acirc;t
+ainsi une femme morte, et il a ajout&eacute;: &laquo;Cela seul prouve le crime.&raquo; La
+reine, en sa cl&eacute;mence de femme, touch&eacute;e d'abord par la situation du
+malheureux, lui avait retir&eacute; bient&ocirc;t apr&egrave;s sa piti&eacute;. Je lis ceci dans
+une des lettres de madame d'Abrant&egrave;s, qui s'employait avec d&eacute;vouement &agrave;
+mieux disposer la cour pour le condamn&eacute;, &laquo;On a beaucoup jas&eacute; de ma
+visite &agrave; Saint-Cloud.&raquo; Le roi a dit: &laquo;Cette pauvre madame d'Abrant&egrave;s se
+donne l&agrave; bien du mal pour une bien mauvaise cause.&raquo; La reine a dit dans
+le m&ecirc;me sens; et madame d'Abrant&egrave;s ajoutait: &laquo;Il vous est impossible de
+comprendre ce qu'on a d'opinion arr&ecirc;t&eacute;e &agrave; l'&eacute;gard de Peytel au ch&acirc;teau.
+Je ne m'explique une animosit&eacute; si positive que par une chose: les
+lettres de Balzac ont paru dans le <i>Si&egrave;cle</i>; le <i>Si&egrave;cle</i> est un journal
+de l'opposition. Cela a peut-&ecirc;tre contribu&eacute; &agrave; cette haine;&raquo; et plus
+loin: &laquo;Le roi a fait &eacute;crire &agrave; Bourg, &agrave; Belley; on a r&eacute;pondu que, s'il
+faisait gr&acirc;ce, il y aurait du bruit... La haine de la cour est tout &agrave;
+fait nouvelle pour ces sortes d'affaires. On dirait qu'on punit en lui
+un autre Alibaud.&raquo; Cette derni&egrave;re phrase est curieuse. Le roi croyait
+Peytel coupable: il se refusait &agrave; lui faire gr&acirc;ce, et les esprits les
+plus justes et les plus calmes avaient je ne sais quel entra&icirc;nement &agrave;
+lui pr&ecirc;ter un ressentiment contre le condamn&eacute;, et &agrave; mettre sur le compte
+d'une vengeance politique, ce qui &eacute;tait pour le roi une affaire de
+justice. C'est que Peytel avait, lui aussi, donn&eacute; son coup d'&eacute;pingle
+dans cette guerre charivarique que l'opposition avait commenc&eacute;e contre
+Louis-Philippe &agrave; peine assis sur le tr&ocirc;ne. Au temps o&ugrave;, actif et
+remueur, Peytel s'&eacute;tait essay&eacute; &agrave; &ecirc;tre homme de lettres, au temps o&ugrave; il
+esp&eacute;rait, comme disait, devenir <i>contemporain</i>, au temps o&ugrave; germait d&eacute;j&agrave;
+en lui le d&eacute;sir d'un nom, d&eacute;sir immense, insens&eacute;, d&eacute;lirant, qui le fit
+aller &agrave; l'&eacute;chafaud presque consol&eacute; en songeant &agrave; la c&eacute;l&eacute;brit&eacute; des causes
+c&eacute;l&egrave;bres, Peytel, las du journalisme et des petites batailles de la
+petite presse, avait frapp&eacute; &agrave; la porte de la Muse du vigneron de la
+Chavonni&egrave;re. Il avait fait--d'autres disent il avait fait faire par L.
+D., un homme d'esprit,--<i>la Physiologie de la Poire</i>. C'&eacute;tait l'&eacute;poque
+de vogue et de premier succ&egrave;s de cette plaisanterie Philiponienne.
+L'all&eacute;gorie eut tout le succ&egrave;s qu'elle pouvait esp&eacute;rer; et les allusions
+sur <i>le calice &agrave; cinq divisions ouvertes comme qui dirait cinq
+minist&egrave;res</i>, les plaisanteries plus ou moins spirituelles sur les poires
+de <i>Sainte-L&eacute;sine</i>, <i>d'&Eacute;pargne</i>, <i>de Martin-Sec</i>, furent trouv&eacute;es
+d&eacute;licates autant que r&eacute;cr&eacute;atives par tous les boudeurs de la royaut&eacute;
+nouvelle.</p>
+
+<p>Quoi qu'il en soit des dispositions vraies ou suppos&eacute;es de la cour,
+quelques jours apr&egrave;s le rejet du pourvoi, M. Teste, alors ministre de la
+justice, remit au roi, en conseil des ministres, un m&eacute;moire en faveur de
+Peytel.</p>
+
+<p>Ce long m&eacute;moire d&eacute;butait par une peinture du caract&egrave;re de Peytel,
+appuy&eacute;e de traits vifs et intimes. Puis Gavarni disait le mauvais
+vouloir de cette petite ville o&ugrave; Peytel avait fait l'inimiti&eacute; autour de
+lui par des chansons, des couplets, deux rimes souvent ou un mot. Il
+s'&eacute;tendait sur toutes ces rancunes un peu envieuses de province, r&eacute;unies
+en faisceau, et formant une opinion locale ennemie de l'homme. Il
+joignait &agrave; son dire les lettres sur lesquelles avait travaill&eacute; M. de
+Balzac, celle par exemple qui retra&ccedil;ait la visite au domicile du
+pr&eacute;venu: &laquo;... Ce fut un moment bien curieux pour un observateur que
+l'entr&eacute;e de ces messieurs dans les appartements de Peytel, ce riche
+&eacute;tranger, ce notaire inconnu qui &eacute;tait tomb&eacute; un beau jour dans cette
+bonne petite ville de Belley avec sa r&eacute;putation de fortune d'autant plus
+colossale, qu'on ne le connaissait en aucune fa&ccedil;on. Arriv&eacute;s dans le
+salon o&ugrave; quelques peintures, quelques dessins modernes assez richement
+encadr&eacute;s dans de beaux cadres d'or, se trouvaient distribu&eacute;s avec go&ucirc;t
+sur une tapisserie rouge qui sans &ecirc;tre neuve avait encore de la
+fra&icirc;cheur, ce fut une extase g&eacute;n&eacute;rale sur le luxe de l'ameublement; M.
+*** surtout ne pouvait s'emp&ecirc;cher d'admirer, et &agrave; chaque pas qu'il
+faisait on l'entendait s'exclamer: &laquo;C'est un mobilier de 40,000 livres
+de rente!&raquo;--Puis apr&egrave;s ces prol&eacute;gom&egrave;nes, venant au fait m&ecirc;me, Gavarni
+r&eacute;v&eacute;lait une confession faite &agrave; lui seul par le condamn&eacute;: &laquo;Le 21 ao&ucirc;t,
+Peytel m'&eacute;crivait: &laquo;Le 30 ou le 31, on me trouvera probablement libre;
+et si vous venez, nous partirons ensemble pour je ne sais o&ugrave;.&raquo; Le 31,
+j'&eacute;tais &agrave; Bourg au petit jour. Peytel avait &eacute;t&eacute; condamn&eacute; &agrave; mort &agrave;
+minuit. Je le vis &agrave; onze heures. Il me parla peu. Nous avions l&agrave; deux
+t&eacute;moins, un de ses avocats et le ge&ocirc;lier: &laquo;Mon ami, me dit-il, je vais
+mourir, et.....&raquo; En sortant, M. Gui... me fit remarquer cette r&eacute;ticence
+de Peytel. Si je n'avais pas &eacute;t&eacute; l&agrave;, il se serait ouvert &agrave; vous.--De
+retour &agrave; Paris, M. de Balzac me parla du d&eacute;sir qu'il avait de publier
+quelques observations &agrave; propos du proc&egrave;s de Bourg. Muni d'une permission
+de visiter le condamn&eacute;, nous part&icirc;mes de compagnie. A Bourg, je p&eacute;n&eacute;trai
+seul et le premier aupr&egrave;s de lui; et, le regardant en face, je provoquai
+brusquement sa confiance par quelques paroles nettes et pressantes.
+Peytel fut d'abord &eacute;tourdi, &eacute;branl&eacute;. Il regarda le ge&ocirc;lier qui s'&eacute;tait
+mis pr&egrave;s de nous; et il me demanda en latin si je voulais parler cette
+langue. Je lui dis de parler fran&ccedil;ais et de parler bas. Il me passa un
+bras autour du cou, et, collant sa bouche &agrave; mon oreille, il me dit.....&raquo;
+Cette confession &eacute;tait-elle la v&eacute;rit&eacute; &eacute;tait-elle un nouveau mensonge?<a id="footnotetag7" name="footnotetag7"></a><a href="#footnote7"><sup class="sml">7</sup></a></p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote7" name="footnote7"><b>Note 7: </b></a><a href="#footnotetag7">(retour) </a> Au reste, que cette confession soit la v&eacute;rit&eacute;
+ ou soit un mensonge, la justice et le jury ont jug&eacute; en toute
+ conscience. Peytel, au cas o&ugrave; cette confession serait la
+ v&eacute;rit&eacute;, se serait d&eacute;fendu sur un mensonge d'un bout &agrave; l'autre
+ des d&eacute;bats.--Nous ne sommes en cette notice qu'&eacute;diteurs de
+ pi&egrave;ces inconnues. Nous nous d&eacute;clarons insolidaires de toutes
+ r&eacute;criminations et insinuations contenues dans la lettre qu'on
+ va lire.</blockquote>
+
+<p>A ce m&eacute;moire soumis au roi &eacute;tait jointe avec cette suscription: <i>Dernier
+billet du pauvre condamn&eacute; pour le roi, le roi seul</i>, une lettre de
+Peytel, jet&eacute;e sans doute par-dessus les murs de la prison, et qui &eacute;tait
+parvenue &agrave; Gavarni par la petite poste. Sur l'enveloppe on lisait ceci:</p>
+
+<p><i>Ne trompez pas un pauvre malheureux qui s'est confi&eacute; &agrave; vous, qui n'a
+que vous pour lui &ecirc;tre utile, et puisque vous avez rompu la premi&egrave;re
+enveloppe de ce billet, arr&ecirc;tez-vous; vous violeriez un secret important
+en allant au del&agrave;; recouvrez ce billet d'une autre enveloppe, et
+adressez &agrave; Gavarni, rue Fontaine-Saint-Georges, &agrave; Paris.</i></p>
+
+<p>La lettre qui suivait, &eacute;trange, un peu folle et rab&acirc;cheuse en ses
+commencements, poignante &agrave; la fin, &eacute;crite d'une petite &eacute;criture fine,
+serr&eacute;e, r&eacute;guli&egrave;re, et sans tremblement; cette lettre o&ugrave; le malheureux,
+riant un instant, faisait allusion &agrave; sa pauvre <i>Physiologie de la
+Poire</i>, Gavarni la crut bonne pour l'attendrissement; et de cette
+allusion m&ecirc;me, il esp&eacute;ra une impartialit&eacute; plus bien-veillante du roi.
+Voici cette lettre:</p>
+
+<h4>&laquo;COMMENCEMENT.</h4>
+
+<p>&raquo;Employer des moyens autres que ceux employ&eacute;s jusqu'&agrave; ce jour est une
+chose maladroite et imprudente.--Maladroite parce qu'on sanctionne ainsi
+toutes les erreurs des juges-instructeurs, des magistrats du parquet, et
+celles des m&eacute;decins. Or, celles de ces derniers sont <i>positives en fait
+&agrave; sa connaissance &agrave; lui. Il peut</i> donc bien en juger.--Les erreurs des
+juges ressortent &agrave; chaque page de l'instruction. Il ne s'agit que de
+lire <i>sa</i> correspondance avec les magistrats.--En suivant la proc&eacute;dure
+depuis le premier jour jusqu'au dernier, la loi &agrave; la main, on verra
+partout que la loi a &eacute;t&eacute; &eacute;vit&eacute;e quand elle <i>lui</i> &eacute;tait avantageuse,
+qu'on s'est servi contre <i>lui</i> de tous les petits moyens de proc&eacute;dure;
+ainsi on <i>lui</i> a signifi&eacute; la liste des t&eacute;moins la veille des d&eacute;bats,
+dans ces t&eacute;moins on avait substitu&eacute; Jaudet, ouvrier, &agrave; Jaudet,
+ma&icirc;tre-ouvrier. Ce dernier seul avait &eacute;t&eacute; interrog&eacute; dans
+l'instruction.--On avait refus&eacute; d'&eacute;crire quelque chose qu'il avait
+d&eacute;pos&eacute; en <i>sa</i> faveur, on a assign&eacute; son fr&egrave;re. Lui n'a vu cela qu'aux
+d&eacute;bats. On a refus&eacute; de vous laisser voir le dossier au greffe, tant&ocirc;t
+sous un pr&eacute;texte, tant&ocirc;t sous un autre, et nous n'avions pas copie de
+tout le dossier.--Ainsi donc changer de syst&egrave;me serait maladroit; car on
+perdrait ainsi tous les avantages qu'on peut avoir sur la proc&eacute;dure et
+sur les m&eacute;decins.--Ce serait imprudent parce qu'on irait du connu &agrave;
+l'inconnu: ainsi on dirait: Vous avez menti au pass&eacute;, vous mentez
+aujourd'hui, <i>tout ce que la d&eacute;fense a avanc&eacute; est vrai</i>. Il faut donc
+persister et dire simplement, pour prouver combien la d&eacute;fense a &eacute;t&eacute;
+g&eacute;n&eacute;reuse. Il ne s'agit que de conna&icirc;tre telle lettre, telle d&eacute;position,
+tels faits, dont on pourrait tirer telles cons&eacute;quences.--Par ce moyen on
+prouverait de la g&eacute;n&eacute;rosit&eacute; au pass&eacute;, on en ferait soup&ccedil;onner au
+pr&eacute;sent.--On se ferait craindre par ceux qui ont int&eacute;r&ecirc;t &agrave; voir mort un
+pauvre malheureux,--en leur faisant savoir que mort, rien ne sera
+&eacute;pargn&eacute; pour r&eacute;habiliter sa m&eacute;moire, et que vivant,--<i>banni</i> ou
+<i>d&eacute;port&eacute;</i>,--on pourra se taire, on obtiendra leur appui par-dessous
+main, tandis qu'ils sont tr&egrave;s-hostiles..... On peut leur faire savoir
+que l'on a des pi&egrave;ces qui pourraient faire penser <i>telle chose</i>; que ces
+pi&egrave;ces &eacute;manent d'eux, sans qu'ils sachent en quoi elles consistent,
+qu'elles ne sont pas niables par eux: ils craindront;--il faut bien se
+garder de dire que <i>la chose soit</i>, mais qu'il est possible,
+<i>tr&egrave;s-possible d'y faire croire</i>: on les aura alors pour soi.--Avec le
+caract&egrave;re de <i>g&eacute;n&eacute;rosit&eacute;</i> qu'on veut bien supposer au pauvre malheureux,
+il faut admettre les cons&eacute;quences: ainsi, dans un premier moment, il
+aurait an&eacute;anti tout ce qui pouvait prouver ce qu'il voulait <i>et veut
+encore nier</i>.--Si quelques pi&egrave;ces existent encore, c'est qu'elles ont
+&eacute;t&eacute; oubli&eacute;es dans la pr&eacute;cipitation, et que trois autres lettres... n'ont
+&eacute;t&eacute; trouv&eacute;es qu'apr&egrave;s l'hostilit&eacute; connue des...--Le malheureux peut
+n'avoir jamais pens&eacute; qu'il aurait soif &agrave; l'avenir et cons&eacute;quemment
+n'avoir gard&eacute; <i>aucune poire</i>, les avoir au contraire fait
+dispara&icirc;tre,--et aujourd'hui il ne faudrait pas lui faire perdre, pour
+<i>conserver ses jours</i>, ce qu'il a de beau, de bien, dans ses actions,
+et on le laisserait perdre s'il avan&ccedil;ait <i>une chose</i> pareille, qu'il ne
+pourrait peut-&ecirc;tre plus prouver aujourd'hui, mais qu'il peut
+parfaitement laisser supposer.--<i>D'apr&egrave;s ce que le malheureux sent
+personnellement</i>, il suppose tout ce que fait son bon fr&egrave;re G... Il l'en
+remercie on ne peut plus.</p>
+
+<p>&laquo;Il le prie de lui faire parvenir de l'opium en quantit&eacute; suffisante pour
+produire <i>effet complet dans une heure et demi</i> (sic) <i>au plus</i>; il n'en
+fera usage que lorsque <i>tout espoir sera perdu</i>. Lorsqu'on viendra lui
+mettre la camisole de force, ce qui aura lieu seulement <i>deux heures
+avant</i>, attendu qu'il ne <i>sera pr&eacute;venu que deux heures avant</i>.--Pour lui
+faire tenir cet opium ou <i>toute autre mati&egrave;re produisant le m&ecirc;me effet</i>,
+il faut lui envoyer de suite <i>une Bible</i> (<i>il n'en a pas</i>); cette
+<i>Bible</i> sera reli&eacute;e &agrave; la Bradel; le carton de la couverture sera
+entaill&eacute; dans divers endroits, recouvert d'un carton mince pour emp&ecirc;cher
+de sentir les cavit&eacute;s, et ces cavit&eacute;s seront remplies de la mati&egrave;re, qui
+devra &ecirc;tre solide et non liquide, comme on le voit. Ceci est press&eacute;, car
+il a encore la possibilit&eacute; de recevoir quelque chose comme une Bible,
+mais rien autre, et il peut arriver qu'on lui retire cette
+possibilit&eacute;.--Pour ne compromettre personne, il laissera un &eacute;crit
+portant ces mots: &laquo;&Eacute;tant &agrave; la prison de Belley, je me suis fait apporter
+une bo&icirc;te de pharmacie; j'ai pris dedans ce qui m'a servi et je l'ai
+toujours port&eacute; sur moi; cela &eacute;tait cach&eacute; sous la baudruche qui semblait
+retenir un taffetas sur des cors que j'ai aux pieds, et par ce moyen on
+ne l'a pas vu.&raquo;--Et, en effet, le malheureux a aux pieds du taffetas
+retenu par la baudruche. La couverture et le livre seront br&ucirc;l&eacute;es
+(<i>sic</i>), attendu qu'on lui fait du feu <i>une fois</i> par jour pendant deux
+heures.--<i>Il promet de n'en faire usage qu'au dernier moment. Ce sera un
+vrai service &agrave; lui rendre, car il ne servira pas de spectacle &agrave; tout un
+pays et quel spectacle!</i>...--D&eacute;j&agrave; il a demand&eacute; de l'opium &agrave; G...; il
+croyait que ce dernier lui en avait promis; il le croit encore, et le
+prie d'envoyer vite.</p>
+
+<p>&laquo;Il devra y avoir dans la m&ecirc;me couverture un papier explicatif de la
+nature de la mati&egrave;re et du temps n&eacute;cessaire pour produire effet complet,
+et de la quantit&eacute; &agrave; prendre en plus ou en moins <i>pour arriver au but
+plut&ocirc;t</i> (<i>sic</i>) si cela devait (<i>sic</i>) n&eacute;cessaire.--On peut envoyer le
+livre &agrave; M..... ou &agrave; M....., &agrave; Bourg, qui le feront parvenir. M.......
+vaudrait mieux.--On peut se dispenser d'inscrire le nom de <i>l'envoyant</i>
+sur le registre des messageries. Le premier nom venu fera tout aussi
+bien. On aura seulement soin d'indiquer que ce livre est pour le
+malheureux (il ne veut plus &eacute;crire son nom).--Il prie avec instance,
+supplie &agrave; genoux G...... de lui faire parvenir ce livre ainsi rang&eacute; dans
+la huitaine au plus tard, autrement il fera du vert-de-gris avec deux
+boutons en cuivre qui sont &agrave; son pantalon.--Il le r&eacute;p&egrave;te, <i>il ne fera
+usage de l'objet envoy&eacute; qu'au dernier moment</i>, il le promet.--Apr&egrave;s
+l'avoir aval&eacute; il se confessera et partira.&raquo;</p>
+
+<p>Il n'y eut pas d&eacute;cision sur le recours en gr&acirc;ce au conseil des
+ministres. Le soir Gavarni re&ccedil;ut des mains de M. Teste la lettre de
+Peytel, et nous lisons sur l'enveloppe, recachet&eacute;e du cachet du roi, ces
+mots de la main du roi: <i>Fid&egrave;lement recachet&eacute;e</i>. L. P.</p>
+
+<p>&laquo;Le roi,--&eacute;crit madame d'Abrant&egrave;s &agrave; ce moment,--a &eacute;t&eacute; pr&eacute;occup&eacute;
+quarante-huit heures au point de n'en pas manger ni dormir. Il est
+demeur&eacute; persuad&eacute; que Peytel avait tu&eacute; sa femme par pr&eacute;m&eacute;ditation.&raquo;</p>
+
+<p>Le 21, Gavarni apprit que le roi avait rejet&eacute; le recours en gr&acirc;ce.
+Chaque jour il ouvrait le journal avec une curiosit&eacute; anxieuse, cherchant
+la nouvelle de l'ex&eacute;cution. Sept jours,--sept jours!--s'&eacute;coul&egrave;rent sans
+nouvelle. Enfin le 30 octobre, les journaux de Paris annonc&egrave;rent
+l'ex&eacute;cution capitale. La t&ecirc;te de Peytel &eacute;tait tomb&eacute;e sur la place de
+Bourg le 28. Contrairement &agrave; tout pr&eacute;c&eacute;dent judiciaire, huit jours
+s'&eacute;taient &eacute;coul&eacute;s entre le rejet du recours en gr&acirc;ce et l'ex&eacute;cution.
+Louis-Philippe, en sa mis&eacute;ricorde, avait-il voulu laisser au condamn&eacute; le
+temps de mourir, &agrave; l'ami le temps de l'y aider?</p>
+<br>
+
+<h4>FIN.</h4>
+
+<br><br>
+
+<h3>TABLE</h3>
+
+
+
+
+<p class="mid"><a href="#c1">L'ornemaniste.</a><br>
+ <a href="#c2">Victor Chevassier.</a><br>
+ <a href="#c3">Buisson.</a><br>
+ <a href="#c4">Nicholson.</a><br>
+ <a href="#c5">Une premi&egrave;re amoureuse.</a><br>
+ <a href="#c6">Calinot.</a><br>
+ <a href="#c7">Ourliac.</a><br>
+ <a href="#c8">Benedict.</a><br>
+ <a href="#c9">La revendeuse de M&acirc;con.</a><br>
+ <a href="#c10">Hippolyte.</a><br>
+ <a href="#c11">Le passeur de Maguelonne.</a><br>
+ <a href="#c12">Peters.</a><br>
+ <a href="#c13">Le p&egrave;re Thibaut.</a><br>
+ <a href="#c14">Un visionnaire.</a><br>
+ <a href="#c15">Un com&eacute;dien nomade.</a><br>
+ <a href="#c16">L'ex-maire de Rumilly.</a><br>
+ <a href="#c17">Marius Claveton.</a><br>
+ <a href="#c18">Louis Roguet.</a><br>
+ <a href="#c19">Un aqua-fortiste.</a><br>
+ <a href="#c20">L'organiste de Langres.</a><br>
+ <a href="#c21">Madame Alcide.</a><br>
+ <a href="#c22">Peytel.</a></p>
+
+<br>
+
+<p>FIN DE LA TABLE.</p>
+
+<br><br>
+
+<p class="overl">Paris.--Imp. <span class="sc">E. Catiomont</span> et <span class="sc">V. Renault</span>, rue des Poitevins, 6.</p>
+
+
+<br><br>
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Quelques créatures de ce temps, by
+Edmond de Goncourt and Jules de Goncourt
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK QUELQUES CRÉATURES DE CE TEMPS ***
+
+***** This file should be named 35223-h.htm or 35223-h.zip *****
+This and all associated files of various formats will be found in:
+ https://www.gutenberg.org/3/5/2/2/35223/
+
+Produced by Mireille Harmelin, Rénald Lévesque and the
+Online Distributed Proofreading Canada Team at
+http://www.pgdpcanada.net (This file was produced from
+images generously made available by the Bibliothèque
+nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)
+
+
+Updated editions will replace the previous one--the old editions
+will be renamed.
+
+Creating the works from public domain print editions means that no
+one owns a United States copyright in these works, so the Foundation
+(and you!) can copy and distribute it in the United States without
+permission and without paying copyright royalties. Special rules,
+set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to
+copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to
+protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project
+Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you
+charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you
+do not charge anything for copies of this eBook, complying with the
+rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose
+such as creation of derivative works, reports, performances and
+research. They may be modified and printed and given away--you may do
+practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is
+subject to the trademark license, especially commercial
+redistribution.
+
+
+
+*** START: FULL LICENSE ***
+
+THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE
+PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK
+
+To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free
+distribution of electronic works, by using or distributing this work
+(or any other work associated in any way with the phrase "Project
+Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project
+Gutenberg-tm License (available with this file or online at
+https://gutenberg.org/license).
+
+
+Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm
+electronic works
+
+1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm
+electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to
+and accept all the terms of this license and intellectual property
+(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all
+the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy
+all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession.
+If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project
+Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the
+terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or
+entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8.
+
+1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be
+used on or associated in any way with an electronic work by people who
+agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few
+things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
+even without complying with the full terms of this agreement. See
+paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
+
+1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
+collection are in the public domain in the United States. If an
+individual work is in the public domain in the United States and you are
+located in the United States, we do not claim a right to prevent you from
+copying, distributing, performing, displaying or creating derivative
+works based on the work as long as all references to Project Gutenberg
+are removed. Of course, we hope that you will support the Project
+Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by
+freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of
+this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with
+the work. You can easily comply with the terms of this agreement by
+keeping this work in the same format with its attached full Project
+Gutenberg-tm License when you share it without charge with others.
+
+1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern
+what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in
+a constant state of change. If you are outside the United States, check
+the laws of your country in addition to the terms of this agreement
+before downloading, copying, displaying, performing, distributing or
+creating derivative works based on this work or any other Project
+Gutenberg-tm work. The Foundation makes no representations concerning
+the copyright status of any work in any country outside the United
+States.
+
+1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg:
+
+1.E.1. The following sentence, with active links to, or other immediate
+access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently
+whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the
+phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project
+Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed,
+copied or distributed:
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived
+from the public domain (does not contain a notice indicating that it is
+posted with permission of the copyright holder), the work can be copied
+and distributed to anyone in the United States without paying any fees
+or charges. If you are redistributing or providing access to a work
+with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the
+work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1
+through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the
+Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or
+1.E.9.
+
+1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted
+with the permission of the copyright holder, your use and distribution
+must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional
+terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked
+to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the
+permission of the copyright holder found at the beginning of this work.
+
+1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm
+License terms from this work, or any files containing a part of this
+work or any other work associated with Project Gutenberg-tm.
+
+1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this
+electronic work, or any part of this electronic work, without
+prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with
+active links or immediate access to the full terms of the Project
+Gutenberg-tm License.
+
+1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary,
+compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any
+word processing or hypertext form. However, if you provide access to or
+distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than
+"Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version
+posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org),
+you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a
+copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon
+request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other
+form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm
+License as specified in paragraph 1.E.1.
+
+1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
+performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works
+unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9.
+
+1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing
+access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided
+that
+
+- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
+ the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
+ you already use to calculate your applicable taxes. The fee is
+ owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he
+ has agreed to donate royalties under this paragraph to the
+ Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments
+ must be paid within 60 days following each date on which you
+ prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax
+ returns. Royalty payments should be clearly marked as such and
+ sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the
+ address specified in Section 4, "Information about donations to
+ the Project Gutenberg Literary Archive Foundation."
+
+- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
+ you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
+ does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
+ License. You must require such a user to return or
+ destroy all copies of the works possessed in a physical medium
+ and discontinue all use of and all access to other copies of
+ Project Gutenberg-tm works.
+
+- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any
+ money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
+ electronic work is discovered and reported to you within 90 days
+ of receipt of the work.
+
+- You comply with all other terms of this agreement for free
+ distribution of Project Gutenberg-tm works.
+
+1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm
+electronic work or group of works on different terms than are set
+forth in this agreement, you must obtain permission in writing from
+both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael
+Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the
+Foundation as set forth in Section 3 below.
+
+1.F.
+
+1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
+effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
+public domain works in creating the Project Gutenberg-tm
+collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic
+works, and the medium on which they may be stored, may contain
+"Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or
+corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual
+property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a
+computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by
+your equipment.
+
+1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right
+of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project
+Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project
+Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all
+liability to you for damages, costs and expenses, including legal
+fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT
+LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
+PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
+TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
+LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
+INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
+DAMAGE.
+
+1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
+defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
+receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
+written explanation to the person you received the work from. If you
+received the work on a physical medium, you must return the medium with
+your written explanation. The person or entity that provided you with
+the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a
+refund. If you received the work electronically, the person or entity
+providing it to you may choose to give you a second opportunity to
+receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy
+is also defective, you may demand a refund in writing without further
+opportunities to fix the problem.
+
+1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
+WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
+WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
+
+1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
+warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
+If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
+law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
+interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
+the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any
+provision of this agreement shall not void the remaining provisions.
+
+1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
+trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
+providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance
+with this agreement, and any volunteers associated with the production,
+promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
+harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
+that arise directly or indirectly from any of the following which you do
+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at https://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit https://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including including checks, online payments and credit card
+donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ https://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
+
+
+</pre>
+
+ </body>
+</html>